N° 3526
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 février 2016.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
appelant à une égalité public-privé dans le système de retraites,
présentée par Mesdames et Messieurs
Yves FOULON, Philippe VITEL, Georges FENECH, Dino CINIERI, Claude de GANAY, Guillaume CHEVROLLIER, Lionel TARDY, Axel PONIATOWSKI, Jean-Pierre GIRAN, Jean-Michel COUVE, Didier QUENTIN, Sylvain BERRIOS, Dominique TIAN, Marc-Philippe DAUBRESSE, Claude GOASGUEN, Jean-Pierre DOOR, Laurence ARRIBAGÉ, Guy TEISSIER, Marie-Christine DALLOZ, Élie ABOUD, Valérie LACROUTE, Patrick HETZEL, Bernard BROCHAND, Rémi DELATTE, Paul SALEN, Christian ESTROSI, Jean-Claude BOUCHET, Fernand SIRÉ, Dominique DORD, Damien MESLOT, Arlette GROSSKOST, Patrice VERCHÈRE, Marie-Jo ZIMMERMANN, Olivier AUDIBERT TROIN, Jean-Pierre DECOOL, Alain MOYNE-BRESSAND, Michel VOISIN, Jean-Claude MATHIS, Isabelle LE CALLENNEC, Annie GENEVARD, Michel HEINRICH, Laure de LA RAUDIÈRE, Antoine HERTH et Marcel BONNOT,
Députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’équité est probablement l’une des attentes les plus fortes des Français en matière de retraites : chacun est prêt à faire des efforts si le système est équitable.
Or, malgré les réformes récentes et la volonté réitérée du législateur, les régimes spéciaux de retraite sont toujours en vigueur et demeurent beaucoup plus avantageux que les régimes de droit commun : calcul de la pension à partir des six derniers mois de carrière, réversion sans conditions, niveau des pensions garanti, etc.
De plus, ces avantages ne sont pas financés et l’équilibre des régimes est le plus souvent assuré par des subventions publiques ou des taxes spécialement affectées. Ainsi, de très nombreux Français sont contraints de financer, pour les autres, des retraites plus avantageuses que celles que leur sert leur propre régime.
Afin d’instaurer une équité réelle entre les Français, le principe « à contribution égale, pension égale » doit être consacré, ce qui implique la suppression des régimes spéciaux, comme cela était prévu à l’origine.
En effet, les régimes spéciaux sont une survivance de la Ferme générale. Les premiers régimes de retraite ont été créés sous l’Ancien Régime. Ils étaient spéciaux par nature puisque réservés à des catégories exposées à de grands risques : en 1604, un tiers du produit des mines est affecté à une caisse de secours ; en 1670, un secours viager est instauré pour les anciens militaires et marins ; en 1674, Colbert institue l’Établissement national des invalides de la marine.
Au XIXe siècle, les régimes spéciaux ont été étendus, notamment aux fonctionnaires, sur un modèle imité de ceux qui étaient en vigueur au sein de la Ferme générale. Leurs grands principes, toujours actuels, ont par ailleurs été consacrés par la loi du 9 juin 1853, sous Napoléon III.
Au XXe siècle, les fondateurs de la sécurité sociale ont inversé la logique : les pensions de retraite ne devaient plus bénéficier à des catégories spécifiques, mais être étendues à tous les Français dans le cadre d’un régime universel. Les ordonnances de 1945 ont clairement marqué cette volonté de « créer un régime commun à tous les Français ». Certaines catégories ont alors refusé d’intégrer le régime général, notamment les affiliés des régimes spéciaux, qui craignaient que le principe de solidarité ne leur fasse perdre leurs avantages. Dans la loi du 22 mai 1946 (article 1er), le législateur n’avait prévu la survivance des régimes spéciaux qu’à titre provisoire… Plus récemment, la loi du 29 décembre 1974 a disposé que l’ensemble des régimes de retraite devait être harmonisé au 1er janvier 1978. Mais, en dépit des aménagements apportés au cours des dernières réformes et de la volonté du législateur, les régimes spéciaux des fonctionnaires et des agents publics perdurent.
Aujourd’hui, les différences entre les régimes spéciaux et les régimes de droit commun sont nombreuses et importantes :
Fonctionnaires et autres agents publics |
Salariés du privé | |
Âge légal de départ à la retraite (à partir de 2017) |
52 ans, 57 ans, |
62 ans, voire dans les faits |
Base de calcul de la pension |
6 derniers mois de traitement |
Régime de base : Régimes complémentaires : |
Majorations parents |
+ 10 % pour 3 enfants |
+ 10 % à partir de 3 enfants pour le régime de base + 10 % à partir de 3 enfants, plafonnés à 83 € par mois pour les complémentaires |
Distribution de trimestres gratuits |
– Pour services hors Europe, – Pour services Outre-Mer, – Pour tous les agents autorisés à partir avant 55 ans |
NON |
Réversion (pour les veufs et les veuves) |
Aucune condition |
Condition d’âge : |
Niveau de retraite garanti |
Oui au minimum |
NON |
Non seulement l’équité n’a pas été instaurée, mais les écarts entre les retraités du secteur public et du secteur privé vont continuer à se creuser.
En effet, la nouvelle réforme AGIRC-ARRCO du 30 octobre 2015 prévoit que les personnes qui ne liquideront pas leur retraite au moins un an après l’obtention du taux plein (42 annuités, puis 43 annuités pour les générations nées en 1973 et après) subiront un abattement de 10 % sur leur pension. Cette disposition ne touche que les salariés du secteur privé. Concrètement, cela signifie que peu d’entre eux pourront prendre leur retraite sans décote avant 63 ans et que pour les cadres ce sera au moins 65 ans.
Dans les régimes spéciaux, le niveau des pensions est garanti alors que pour les salariés du privé, les taux de remplacement s’érodent inexorablement. Par exemple, après une carrière complète, la pension moyenne d’une commerçante est de 680 euros par mois et celle d’un exploitant agricole de 670 euros, tandis que dans certains régimes spéciaux, des pensions peuvent dépasser 10 000 euros par mois, alors même qu’elles sont essentiellement financées par le contribuable.
Or, dans un système obligatoire, le principe d’équité constitue un impératif. L’équité réelle exige un système contributif - le même pour tous - qui établisse une corrélation claire entre l’effort contributif et le niveau de la pension.
Il est donc essentiel que la prochaine réforme du système de retraites soit fondée sur le principe de l’équité entre le secteur public et le secteur privé à savoir « à contribution égale, pension égale ».
Tel est, Madame, Monsieur, le sens de la proposition de résolution suivante que nous vous demandons de bien vouloir adopter.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 136 de son Règlement,
Considérant que l’équité est l’une des attentes les plus fortes des Français en matière de retraites,
Considérant que malgré les réformes récentes et la volonté plusieurs fois réitérée du législateur, les régimes spéciaux de retraite sont toujours en vigueur et demeurent beaucoup plus avantageux que les régimes de droit commun,
Considérant que les avantages concédés ne sont pas financés et que l’équilibre des régimes est le plus souvent assuré par des subventions publiques ou des taxes spécialement affectées,
Considérant qu’afin d’instaurer une équité réelle entre les Français, le principe « à contribution égale, pension égale » doit être consacré,
Considérant qu’après les réformes Balladur de 1993, Fillon de 2003, Woerth de 2010 et Touraine de 2014, de plus en plus de régimes cumulant les déficits, une réforme systémique devient urgente,
Considérant que la loi Woerth du 9 octobre 2010 avait prévu - en son article 16 - la mise en place d’une réflexion nationale pour préparer une réforme en profondeur du système en posant une exigence d’équité entre les régimes et les générations,
Considérant que ni le rapport Moreau ni la loi du 20 janvier 2014 n’ont répondu à cette exigence d’équité,
Souhaite que le principe d’équité entre le secteur public et le secteur privé, qui veut qu’à contribution égale la prestation soit égale, constitue le pilier central de la prochaine réforme du système de retraites français.
© Assemblée nationale