N° 3963 - Proposition de loi de M. Jacques Bompard visant au maintien du droit au repos dominical



N° 3963

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2016.

PROPOSITION DE LOI

relative au maintien du droit au repos dominical,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jacques BOMPARD,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le principe du repos dominical trouve ses origines dans les racines chrétiennes de notre société. Progressivement « laïcisé », il trouve aujourd’hui sa justification dans la nécessité de protéger la santé des salariés en leur garantissant un jour de repos hebdomadaire qui leur permet de concilier vie professionnelle et vie personnelle, familiale et amicale.

I. – Aux origines du repos dominical

Il est fait état de la nature originelle de ce jour de repos dominical dans le premier récit de la Bible, la Genèse, et dans le Décalogue, où l’un des commandements ordonne : « Vous travaillerez en six jours, et vous ferez tout ce que vous aurez à faire. Mais le septième jour est le sabbat du Seigneur votre Dieu. En ce jour, vous ne ferez aucun ouvrage, ni vous, ni votre fils, ni votre fille, ni votre serviteur, ni votre servante, ni vos bêtes de service, ni l’étranger qui sera dans l’enceinte de vos villes. Car le Seigneur fit en six jours le ciel, la terre et la mer et tout ce qu’y est renfermé, et se reposa le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié ». 

L’édit de 321 par l’empereur Constantin introduira un jour de repos dominical dans les localités de son Empire. Comprenant quelques dérogations exceptionnelles relatives aux travaux des champs (1), cette mesure ne constitue en rien une systématisation de l’interdiction du travail mais s’évertue davantage à instituer un climat social plus apaisé (interdiction du travail des esclaves). Évitant l’écueil de la standardisation procédurière, le texte s’impose à l’ensemble des citadins tout en s’assurant du bon développement des travaux fonciers.

L’apparition du calendrier révolutionnaire, en 1792, engendre la suppression du repos dominical, mesure réitérée en 1880 - alors même que la Restauration en avait rétabli les principes. Mouvement social, contestation, procédure d’hygiène : telles sont les dispositions qui encourageront le Parlement à réinstaurer un repos de 24 heures le dimanche après six jours de travail en 1906.

La concession se prononce en faveur de l’accalmie, ce jour du 13 juillet 1906. Car en votant cette loi, les législateurs adoptent le repos dominical comme une mesure détachée de toute connotation religieuse mais où les catholiques peuvent travailler tout en évitant d’entrer en confrontation à l’encontre de leur foi (2). Et encore aujourd’hui, il est nécessaire de ne pas se plier aux mutations d’une législation imposée par un marché mondialisé, soumettant l’homme à l’esclavage d’un libéralisme forcené. Une impossibilité de juger les nouvelles mutations du monde du travail de façon déterministe que la Doctrine sociale de l’Église estime primordiale : il convient d’« éviter l’erreur d’estimer que les changements actuels surviennent de façon déterministe », indique-t-on à cet égard (3). Fondé sur la dignité de l’Homme, le Magistère social de l’Église souligne l’importance de respecter la dignité des travailleurs et souhaite leur reconnaissance juridique. En ce sens, il prescrit un droit au repos, suivant sa juste inscription dans l’Encyclique de Saint Jean-Paul II Laborarem exercens (4).

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la possibilité de travailler le dimanche a été étendue. Jour de croissance supplémentaire, augmentation du pouvoir d’achat,... : tous les prétextes économiques étaient bons. Pourtant, les analystes financiers n’assuraient pas avec certitude un tel débouché : « aucun économiste ne peut dire qu’on a besoin d’ouvrir partout le dimanche », expliquait alors Robert Rochefort, directeur du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (5).

II. – La disposition actuelle du code du travail

Désormais, le code du travail propose différentes dérogations à cette interdiction du travail le dimanche. Ainsi, les commerces situés dans les zones touristiques ou dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel se voient dans la possibilité d’ouvrir le dimanche. Par ailleurs, la mise en place de nouvelles exceptions géographiques a introduit une grande libéralisation du travail le dimanche. Ainsi, les « zones commerciales » de remplacer les « périmètres d’usage de consommation exceptionnel » et les zones touristiques internationales.

Quoique d’aucun puisse estimer que le droit au travail de dimanche relève de la liberté individuelle, il est essentiel de rappeler que ce dernier ne doit en aucun cas primer sur le droit au repos le dimanche, disposition relative à l’intérêt général, garant du respect de la dignité humaine dans le cadre de travail. Les arguments employés en 1906 s’appuyaient sur la courte espérance de vie des travailleurs d’alors (6) ; dans l’intérêt du commerce, des salariés, cette mesure était raisonnable en ce qu’elle faisait primer le travailleur à la production, la famille au cadre social du travail. Nier cette fondation de la société contrevient à la nature de la formation d’une société apaisée, à un climat social serein.

En août 2015, la loi Macron introduit pourtant de nouvelles mesures en faveur de l’ouverture le dimanche. La possibilité, pour de nombreux commerces, de faire travailler leurs salariés ce jour traditionnellement chômé s’est largement étendue.

Nature de l’activité exercée, localisation du commerce : deux caractéristiques qui intimeraient l’apparition d’une telle disposition. En ce qui concerne les commerces alimentaires, ceux-ci peuvent se voir autoriser à ne pas respecter le repos dominical (7). En choisissant les lieux et les enseignes qui ont le droit d’ouvrir le dimanche, les pouvoirs publics exercent un pouvoir de répartition du chiffre d’affaires et des bénéfices entre les différents agents économiques.

La loi du 6 août 2015 « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » (dite « Loi Macron ») a élargi les possibilités d’ouverture des commerces le dimanche dans les zones où une telle activité supplémentaire engendrerait un regain d’activité (zones touristiques internationales, zones commerciales, etc). On l’assure : l’objectif visé est un système plus juste, par l’obligation faite aux entreprises concernées de négocier des contreparties pour les salariés travaillant le dimanche, notamment sous forme de compensation salariale. Et la rémunération encourage une telle perspective : avec une rémunération avantageuse, il semble difficile pour les salariés de refuser le travail.

Une dérogation préfectorale peut également autoriser un commerce à ouvrir le dimanche ; il en va de même pour les maires, qui peuvent accorder jusqu’à douze fois par an - depuis 2016, ce régime. Temporaires ou permanentes, elles peuvent s’appliquer toute l’année ou à certaines périodes de l’année seulement. Enfin, il existe des dérogations permanentes, notamment dans les secteurs hôtelier, la restauration, les hôpitaux, instituts patrimoniaux. Il est obligatoire, pour les employés de ces institutions, de travailler le dimanche à la demande de leur employeur. Seuls certains salariés peuvent refuser de travailler le dimanche en cas d’ouverture de l’entreprise (8). Toutefois, si l’employeur en fait la demande auprès de son salarié, ce dernier est tenu de venir travailler. On indique, faisant primer l’entreprise sur le respect de la dignité de l’exercice du travailleur, que ces mesures dérogatoires ne peuvent être mises en place que dans l’objectif d’éviter des pénalisations dangereuses pour le bon fonctionnement de l’établissement. Pour éviter tout préjudice, les dérogations sont placées sous la garantie de l’article L. 3132-20 du code du travail. « Lorsqu’il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés d’un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement, le repos doit être autorisé par le préfet, soit toute l’année, soit à certaines époques de l’année seulement, suivant l’une des modalités suivantes :

– Un autre jour que le dimanche à tous les salariés de l’établissement ;

– Du dimanche midi au lundi midi ;

– Le dimanche après-midi avec un repos compensateur d’une journée par roulement et par quinzaine ;

– Par roulement à tout ou partie des salariés »

La normalisation de telles prérogatives est pourtant fallacieuse : car elle compromet la vie privée du salarié, insinue une intrusion délicate dans la gestion de sa vie de famille.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 3132-3 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 3132-3. – Dans l’intérêt des salariés, de leurs familles et de la société, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ».

« Aucune dérogation à ce principe n’est possible à moins que la nature du travail à accomplir, la nature du service fourni par l’établissement ou l’importance de la population à desservir ne le justifie. »

Article 2

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 3132-26-1, il est inséré un sous-paragraphe 4 ainsi rédigé :


« Sous-paragraphe 4


« Garanties et protections pour les salariés qui travaillent le dimanche3

2° Les articles L. 3132-27 et L. 3132-27-1 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 3132-27. – Dans le cadre des dérogations prévues aux articles L. 3132-20 à L. 3132-26, seuls les salariés ayant donné volontairement leur accord par écrit peuvent travailler le dimanche.

« Une entreprise bénéficiaire d’une telle dérogation ne peut prendre en considération le refus d’une personne de travailler le dimanche pour refuser de l’embaucher.

« Le salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une telle dérogation qui refuse de travailler le dimanche ne peut faire l’objet d’aucune mesure discriminatoire dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.

« Le refus de travailler le dimanche pour un salarié d’une entreprise bénéficiaire d’une telle dérogation ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement.

« Art. L. 3132-27-1. – Le salarié qui travaille le dimanche, à titre exceptionnel ou régulier, en raison des dérogations accordées sur le fondement des articles L. 3132-20 à L. 3132-26, bénéficie de droit d’un repos compensateur et perçoit pour ce jour de travail une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente. »

Article 3

L’article L. 3131-2 du chapitre Ier du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 3131-2. – Une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement peut déroger à la durée minimale de repos quotidien, dans des conditions déterminées par décret, notamment pour des activités caractérisées par la nécessité d’assurer une continuité du service ou par des périodes d’intervention fractionnées.

« Ce décret prévoit également les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à cette durée minimale à défaut de convention ou d’accord et, en cas de travaux urgents en raison d’un accident ou d’une menace d’accident, ou de surcroît exceptionnel d’activité.

« Par souci du respect du principe de libre administration des communes mentionné à l’article L. 1111-1 du code général des collectivités territoriales, le maire détermine en dernier lieu si la dérogation au repos dominical est applicable au sein de la localité qu’il administre. »

1 () L’édit de 321 indique à cet effet : « Toutefois, à la campagne, ceux qui cultivent les champs peuvent travailler librement, comme ils le veulent. En effet, il arrive souvent qu’on ne puisse pas semer le blé ou planter la vigne un autre jour ».

2 () Le Figaro, Guillaume Perrault, La loi de 1906 sur le repos dominical : Un texte de réconciliation, http://www.lefigaro.fr/politique/2013/09/30/01002-20130930ARTFIG00373-la-loi-de-1906-sur-le-repos-dominicalun-texte-de-reconciliation.php.

3 () Conseil pontifical, justice et paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, Cerf, 2013, p.179.

4 () Jean Paul II, encyclique Laborarem exercens, 19 : AAS 73 (1981) 625-629.

5 () Le Monde, Nicolas Sarkozy veut développer le travail du dimanche, 13 novembre 2008.

6 () En 1906, on tient à 45% le taux d’employés à l’espérance de vie inférieure à 40 ans. Cf. Collectif des Amis du dimanche.

7 () Ministère du Travail. http://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/temps-de-travail-et-conges/temps-de-travail/article/le-travail-du-dimanche.

8 () Droits-finances.net.


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