N° 3983
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2016.
PROPOSITION DE LOI
visant à éviter toute souffrance aux animaux
lors de leur abattage,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Jacques LAMBLIN, Geneviève GAILLARD, Laurence ABEILLE, Sylviane ALAUX, Pouria AMIRSHAHI, Julien AUBERT, Véronique BESSE, Jean-Louis CHRIST, Jean-Michel COUVE, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Yves FOULON, Laurent GRANDGUILLAUME, Arlette GROSSKOST, Francis HILLMEYER, Vincent LEDOUX, Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Philippe NOGUÈS, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Sophie ROHFRITSCH, François-Xavier VILLAIN, Michel ZUMKELLER, Brigitte ALLAIN, Yves ALBARELLO, Nicole AMELINE, Laurence ARRIBAGÉ, Danielle AUROI, Sylvain BERRIOS, Marcel BONNOT, Valérie BOYER, Marine BRENIER, Isabelle BRUNEAU, Sergio CORONADO, Laurent DEGALLAIX, Rémi DELATTE, Nicolas DHUICQ, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, Virginie DUBY-MULLER, Daniel FASQUELLE, Marc FRANCINA, Hervé GAYMARD, Franck GILARD, Jean-Claude GUIBAL, Michel HEINRICH, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Philippe HOUILLON, Charles de LA VERPILLIÈRE, Dominique LE MÈNER, Céleste LETT, Alain MARSAUD, Alain MARTY, Jean-Claude MATHIS, Alain MOYNE-BRESSAND, Dominique NACHURY, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Arnaud RICHARD, Eva SAS, François SCELLIER, Éric STRAUMANN, Alain SUGUENOT, Suzanne TALLARD, Michel TERROT, Dominique TIAN, Jean-Louis TOURAINE, Patrice VERCHÈRE, Philippe VITEL, Michel VOISIN et Paola ZANETTI,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
C’est en juin 1982 qu’entrait en vigueur la Convention européenne sur la protection des animaux d’abattage, dont l’objectif principal est de contribuer à l’humanisation et à l’harmonisation des méthodes d’abattage. Son article 16 dispose notamment que : « Les procédés d’étourdissement autorisés par les parties contractantes doivent plonger l’animal dans un état d’inconscience où il est maintenu jusqu’à l’abattage, lui épargnant en tout état de cause toute souffrance évitable. »
Signataire de cette Convention européenne dès 1979, la France a souscrit aux deux grands principes qui fondent ce texte :
– l’humanisation du traitement réservé aux animaux de rente dans les abattoirs ;
– l’étourdissement des animaux préalablement à leur abattage et maintenu jusqu’au moment de la saignée pour leur épargner toute souffrance évitable.
Cette préoccupation des instances européennes, des différents États européens dont la France pour la protection des animaux d’élevage, afin de leur éviter toute souffrance, en particulier douleur, détresse et peur, traduit les attentes et revendications sociétales de plus en plus fortes en matière de bien-être animal.
Notre société évolue en effet. Elle est soucieuse du bien-être des animaux, non seulement des animaux de compagnie mais aussi, et de plus en plus, des animaux dits de rente, ce tout au long de leur vie et jusqu’au moment de leur mort programmée pour satisfaire aux besoins alimentaires de l’homme.
Les signes de cette évolution se sont récemment révélés à différents niveaux :
– la prise de parole publique de nombreux intellectuels, demandant la reconnaissance pour l’animal d’un statut d’être vivant sensible ;
– la modification de notre code civil, qui dispose désormais que « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité », même si, « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels. » ;
– l’évolution des pratiques d’élevage, qui prennent en charge la douleur éventuellement causée à l’animal par les techniques d’élevage elles-mêmes pour la diminuer et tendre à la supprimer totalement.
Aujourd’hui, notre société se sent responsable vis-à-vis des animaux abattus pour ses propres besoins alimentaires et elle entend que cette mise à mort soit la plus digne possible. Si, à une certaine époque, les hommes ont souhaité créer des abattoirs pour cacher un spectacle qu’ils ne pouvaient soutenir –celui des tueries qui se tenaient alors en pleine rue-, ils entendent qu’aujourd’hui ces abattoirs ne soient pas des lieux de maltraitance et de souffrance pour les animaux.
Parallèlement, le monde scientifique a accompagné ce mouvement sociétal, son expertise étant sollicitée quant au ressenti des animaux, à leurs capacités cognitives, proprioceptives, neurologiques et éthologiques, à leurs facultés d’adaptation comportementale et d’attachement.
Les avis multiples rendus par les experts sont unanimes pour conclure :
– que les animaux, au moment de l’abattage, ressentent douleur, détresse et peur, et que de nombreux animaux sont capables d’anticipation ;
– que la jugulation constitue en soi une atteinte majeure à l’intégrité des tissus du cou de l’animal et un stimulus nociceptif important ;
– que du niveau de vigilance des animaux dépend leur capacité à ressentir comme une douleur le stimulus nociceptif de la jugulation ou de la saignée ;
– qu’il est donc nécessaire de les priver préalablement de conscience et ainsi de sensibilité, de telle sorte que l’animal ne se réveille pas avant l’exsanguination complète.
L’European Food Safety Authority (EFSA) déclare, en juin 2004, que « En raison de graves problèmes de bien-être animal lié à l’abattage sans étourdissement, un étourdissement doit toujours être réalisé avant l’égorgement » et que celui-ci doit induire « une perte de conscience et de sensibilité immédiate et univoque. »
La profession vétérinaire, dont la mission consiste notamment à veiller à la bonne santé des animaux de rente et à leur bientraitance, en accompagnant leurs propriétaires et éleveurs depuis la naissance jusqu’à la mort des bêtes, a apporté sur ces questions son expertise scientifique et technique.
Dans un rapport de 2006, l’Académie vétérinaire explique que l’étourdissement préalable à la saignée permet d’épargner aux animaux des souffrances évitables. Elle montre que certains procédés d’étourdissement sont réversibles et insiste sur l’importance de ne pas laisser les animaux étourdis en attente sur la chaîne d’abattage.
Cette même année, la Fédération vétérinaire européenne, après avoir détaillé les douleurs supplémentaires infligées à l’animal lorsqu’il est abattu encore conscient, déclare qu’« abattre les animaux sans étourdissement préalable est inacceptable, quelles que soient les circonstances. »
Le 24 novembre 2015, l’Ordre national des vétérinaires français déclare : « Tout animal abattu doit être privé de conscience d’une manière efficace, préalablement à la saignée et jusqu’à la fin de celle-ci. »
Les agriculteurs-éleveurs ont accompagné eux aussi ce mouvement sociétal. Ils ont souvent vu naître leurs animaux, ils les ont élevés, soignés, ils ont noué avec eux une relation particulière. Ils ne peuvent donc qu’être préoccupés par le traitement qui leur est réservé, notamment au moment de l’abattage. Ils y sont d’autant plus sensibles, qu’ils sont eux-mêmes désormais engagés dans des démarches tendant à améliorer leurs propres pratiques d’élevage au regard du bien-être animal. Dès lors, ils ne peuvent pas accepter des dérives comme celles récemment dénoncées dans certains abattoirs. Ces dérives leur portent gravement atteinte. Elles jettent l’opprobre sur le travail qu’ils réalisent au quotidien et mettent plus encore en péril une filière qui a connu et connaît toujours de très grandes difficultés.
Certains éleveurs en arriveraient même à souhaiter un retour à l’abattage à la ferme, pour maîtriser cette étape de l’abattage, épargner toute souffrance évitable aux animaux et préserver ainsi la qualité de la viande qui en est issue. Une telle perspective serait une régression sanitaire. Elle n’est donc pas envisageable.
Les éleveurs, qui ont été entendus dans le cadre des travaux préalables à la rédaction de la présente proposition de loi, revendiquent une stricte application des textes en vigueur en matière d’abattage, et notamment le respect des temps réglementaires des différentes séquences de l’abattage, sous peine de sanctions exemplaires pour les contrevenants, lesquels portent atteinte à l’image de la filière élevage-viande.
L’évolution législative en matière de bien-être animal confirme ces changements sociétaux et prend déjà en compte un certain nombre d’avis scientifiques émis sur la question de la sensibilité animale.
Plusieurs textes européens ont établi successivement le principe fondamental de l’interdiction de l’abattage d’animaux conscients : la directive CE 74/577 du Conseil du 18/11/1974 relative à l’étourdissement des animaux avant abattage ; la directive CE 93/119 du Conseil du 22/12/1993 sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort ; le règlement CE 1099/2009 du Conseil du 24/09/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort. L’article 4 de ce règlement, applicable depuis le 1er janvier 2013, précise : « Les animaux sont mis à mort uniquement après un étourdissement selon les méthodes et les prescriptions spécifiques relatives à leur application exposées à l’annexe I. L’animal est maintenu dans un état d’inconscience et d’insensibilité jusqu’à sa mort. »
Le législateur français, transposant et appliquant ces textes, a mis en place un cadre visant à améliorer le traitement subi par les animaux au moment de leur mise à mort et prescrivant un certain nombre d’obligations incombant aux abattoirs.
Ainsi, l’article L. 214-3 du code rural et de la pêche maritime codifie le principe de prévention et de lutte contre les mauvais traitements, les abus et les souffrances infligés aux animaux domestiques, notamment lors de leur élevage et de leur abattage. La déclinaison réglementaire de ce principe, énonce, aux articles R. 214-63 et suivants du même code, les modalités d’organisation du processus d’abattage qui doivent « … épargner aux animaux toute excitation, douleur ou souffrance évitables. »
L’étourdissement préalable à l’abattage participe de ces mesures destinées à épargner toute excitation, douleur ou souffrance évitables aux animaux et a été érigé en obligation à l’article R. 214-70 du même code. Sa finalité est de provoquer une perte de conscience et donc une perte de sensibilité de l’animal. Cette perte de conscience, préalable à l’abattage, doit être effective et vérifiée pour chaque animal, quelle que soit son espèce, afin de lui épargner la douleur, l’excitation et la souffrance qui sont induits par les opérations que nécessite sa mise à mort.
Appliquant en cela les mesures prévues à l’article 4 du règlement européen n° 1099-2009, le premier alinéa de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime prévoit une dérogation à l’obligation d’étourdissement dans trois circonstances : s’il est incompatible avec la pratique de l’abattage rituel ; si la mise à mort du gibier d’élevage relève d’un procédé autorisé et entraîne la mise à mort immédiate des animaux ; s’il s’agit d’une mise à mort d’urgence.
Cependant, si le règlement européen prévoit la possibilité de déroger à l’obligation d’étourdissement préalable, il prévoit aussi que les États puissent, sur cette question, disposer d’un certain niveau de subsidiarité (considérant n° 18). Il souligne que « les citoyens européens attendent que des règles minimales en matière de bien-être animal soient respectées lors de l’abattage de ceux-ci » et qu’il convient de permettre une certaine flexibilité afin que les États puissent adopter des règles nationales plus poussées dans l’intérêt des animaux (considérant n° 57).
Si l’évolution générale de la réglementation semble aller dans le sens de progrès sensibles pour la protection des animaux et le respect de leur bien-être, les conditions actuelles de l’abattage des animaux en France sont cependant loin d’être satisfaisantes. Certaines associations de protection animale dénoncent de façon récurrente des comportements inacceptables de maltraitance animale au sein des abattoirs. Cette maltraitance semble la conséquence non seulement d’une mauvaise application des textes en vigueur mais aussi d’une insuffisance du dispositif actuel.
Le rapport de l’Office alimentaire et vétérinaire de la Commission européenne, après un audit réalisé dans un certain nombre d’abattoirs en France, souligne plusieurs non conformités aux textes se traduisant par des dysfonctionnements, notamment au niveau des méthodes d’étourdissement (non-respect des paramètres électriques dans le cas d’électronarcose, par exemple), des échecs d’étourdissement ne donnant lieu à aucune action correctrice de la part des opérateurs, de l’absence de contrôle de la perte de conscience des animaux avant la suspension, de l’inadaptation du matériel de contention à la taille des animaux abattus...
À côté du non-respect des textes en vigueur dans le domaine de la protection animale, on constate que la dérogation à l’obligation d’étourdissement préalable, prévue réglementairement, autorise que les animaux puissent être abattus sans avoir été préalablement privés de conscience. C’est le cas lors d’abattage rituel sans étourdissement, au cours duquel l’animal est égorgé conscient.
Or, dans son rapport de 2009, l’INRA explique que :
– cette transsection des tissus et vaisseaux principaux du cou constitue une stimulation douloureuse ;
– que les règles religieuses judaïques et musulmanes interdisent de faire souffrir les animaux et qu’elles imposent que l’animal soit vivant au moment de l’abattage, l’une des motivations étant que la saignée soit complète.
Concrètement, lors de l’abattage rituel sans étourdissement préalable, les animaux subissent des souffrances supplémentaires à trois moments clefs : avant la saignée, au moment de la saignée et après la saignée.
En effet, le délai d’attente des animaux pour être menés jusqu’au piège et mis en contention (box rotatif) est allongé et donc source de stress supplémentaire, compte tenu des cris et des odeurs liés à la peur émis par les autres animaux.
Ensuite, la jugulation de l’animal pratiquée sans étourdissement provoque, ainsi que le démontrent les études scientifiques, un stimulus douloureux extrême dû à une section à vif des tissus cutanés, musculaires et vasculaires du cou ainsi que de la trachée et de l’œsophage sur un animal conscient. Or, il a été scientifiquement démontré qu’il n’est pas nécessaire que l’animal soit conscient au moment de la saignée pour obtenir une exsanguination complète de la carcasse et donc une viande propre à la consommation humaine.
Même réalisé dans le respect de toutes les préconisations qui l’encadrent, l’abattage sans étourdissement est également source de douleurs supplémentaires et évitables au cours de la période suivant la jugulation. La perte de conscience ne sera effective que lorsque la perte de sang aura été suffisante. Pendant toute cette période, l’animal ressent la douleur liée à la plaie de jugulation, à laquelle peut s’ajouter celle induite par l’inhalation de sang et/ou de contenu digestif. En outre, de faux-anévrismes qui provoquent l’obturation des vaisseaux peuvent entraver la saignée et ralentir la perte de conscience, donnant lieu à des manœuvres dites « correctives », qui sont elles aussi autant de sources de douleur supplémentaire.
De plus, les cadences imposées au personnel des abattoirs ne permettent pas toujours un contrôle de la perte de conscience effective de l’animal avant de le libérer du box de contention. L’inobservation de ce contrôle risque d’amener à suspendre des animaux encore conscients, leur causant traumatismes et souffrances inacceptables.
Mais bien au delà de la pratique elle-même, l’abattage sans étourdissement suscite de vives polémiques parce qu’il serait à l’origine de nombreuses dérives pour des motifs purement économiques. Ainsi, en dépit des mesures prises pour prévenir tout détournement des règles en vigueur (autorisation préalable de mise en œuvre de la dérogation, obligation d’enregistrement des commandes ou des ventes nécessitant un abattage dérogatoire, formation et habilitation des sacrificateurs...), il s’avère que le nombre d’animaux abattus sans étourdissement est largement supérieur aux besoins des consommateurs de viandes consacrées et que ce surplus est réintroduit dans la filière conventionnelle. On estime ainsi à plus de 20 % le nombre d’animaux abattus selon des rites cultuels.
Ainsi, paradoxalement, les consommateurs juifs et musulmans se voient imposer une viande issue d’animaux ayant souffert, alors que cela pourrait être évité, au moment de leur abattage, ce qui est contraire à leurs préceptes religieux.
Enfin, la dérogation à l’obligation d’étourdissement préalable à l’abattage, qui vise uniquement à répondre aux besoins des consommateurs juifs et musulmans français, est également utilisée pour l’exportation, essentiellement vers les pays de confession musulmane du Maghreb, du Moyen-Orient et d’Asie. Selon les différentes sources auditionnées, 50 à 80 % du volume des viandes abattues rituellement seraient destinées au marché d’export.
Aujourd’hui, les risques à maintenir le dispositif réglementaire en l’état actuel sont importants, ne serait-ce qu’au niveau économique.
En effet, ébranlé par de sévères crises sanitaires, confronté aux récents scandales qui ont conduit à la fermeture temporaire d’abattoirs du Gard et des Pyrénées Atlantiques, le secteur de l’élevage ainsi que toute la filière viande sont victimes d’une défiance de plus en plus forte des consommateurs. Désormais, le respect du bien-être des animaux, tant au niveau de l’élevage que de l’abattage des animaux dont sont issues les viandes mises sur le marché, est un critère intervenant dans le choix de consommation, au même titre que la qualité et la traçabilité des produits qui sont proposés.
C’est pourquoi, il convient d’agir rapidement pour empêcher l’apparition, à l’aune de ces scandales, d’un amalgame entre consommation de viande et cruauté envers les animaux, voire d’un amalgame entre élevage d’animaux et maltraitance inacceptable. L’avenir de l’élevage français et de la filière viande et, plus généralement, de toutes les filières élaborant des produits d’origine animale en dépendent.
Un autre amalgame est à craindre. Celui qui pourrait être fait, sous la pression médiatique d’images chocs, entre abattage rituel et maltraitance animale, mettant en jeu son acceptabilité sociale, à une époque où le bien-être animal prend une place de plus en plus importante dans notre société, y compris pour les consommateurs juifs ou musulmans.
L’étourdissement réversible préalable pourrait éviter cet amalgame et, par voie de conséquence, permettre le maintien et le développement du marché d’exportation de la viande vers les pays de confession hébraïque ou musulmane.
Pour mettre un terme à ces dérives récurrentes portant atteinte au bien-être animal ainsi qu’à la défiance croissante des consommateurs, de quelque confession qu’ils soient, à l’encontre de la filière viande, afin d’éviter la crise économique qui, certainement, en serait une conséquence immédiate, des solutions existent et doivent être mises en œuvre pour concilier le respect de tous les intérêts en présence :
1. Celui de l’animal, protégé de toute souffrance évitable ;
2. Celui de l’éleveur, valorisé dans ses méthodes de production respectueuses de l’animal et de son bien-être ;
3. Celui du consommateur, de toute confession, rassuré sur la bientraitance observée vis-à-vis des animaux, sur la qualité des viandes et sur leur traçabilité ;
4. Celui des cultes, dont les préceptes édictés par les textes sacrés sont respectés ;
5. Celui des industriels de la viande et de leurs salariés, dont les conditions de travail, conciliant la sécurité et le bien-être au travail des opérateurs ainsi que le bien-être animal, sont améliorées et les débouchés développés.
Pour toutes ces raisons, renforcer la protection des animaux dans le cadre de tout abattage constitue donc une priorité.
Concernant l’abattage rituel, nombreux sont ceux de nos voisins européens qui ont étendu l’obligation d’étourdissement de l’animal. La Suède, la Norvège, l’Islande, la Suisse, le Lichtenstein, la Lettonie et la province d’Aland (Finlande) prescrivent l’étourdissement préalable de l’animal. Aux Pays-Bas, l’étourdissement de l’animal dans le cadre des abattages rituels sera obligatoire à partir du 1er janvier 2017. L’Espagne limite la dérogation à l’étourdissement préalable aux abattages rituels d’ovins. L’Allemagne et certaines provinces autrichiennes accordent cette même dérogation pour les abattages rituels dans la limite de certains quotas.
Ailleurs dans le monde, la Nouvelle Zélande interdit l’abattage rituel sur son territoire et l’Australie prohibe tout abattage sans étourdissement préalable.
Mais l’exemple à suivre, permettant de concilier l’ensemble des objectifs recherchés, y compris l’exportation des viandes vers les pays musulmans, vient sans doute d’Asie, et plus particulièrement de Malaisie. Dans ce pays de tradition musulmane, une certification halal, dite norme Jakim, a été édictée. Elle avalise le recours à l’étourdissement de l’animal par électronarcose ainsi que l’usage du pistolet mécanique non perforant. Reconnue au Moyen-Orient et en Asie, cette norme a permis à la Malaisie de conquérir ces marchés d’exportation de la viande.
Nous proposons donc d’imposer, dans tout abattage, un étourdissement préalable à la saignée, réversible ou non. Cette disposition entraîne de fait l’abrogation de l’alinéa 2 ainsi que des alinéas 6 à 11 de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime.
Concernant plus généralement tout abattage, en dehors de la question de l’étourdissement préalable, il convient d’améliorer la condition des animaux dans les abattoirs, lesquels peuvent encore être, en dépit des avancées constatées, des lieux de souffrance animale inacceptable. Cet objectif pourra être atteint en renforçant les contrôles dans les abattoirs, à toutes les étapes de la prise en charge des animaux, et en particulier au poste d’abattage. L’installation d’une surveillance par caméras de vidéosurveillance, au poste de saignée, sur le modèle de celles qui équipent les établissements sensibles, est une solution préconisée, en complément d’une procédure de rotation des opérateurs sur les différents postes. Les enregistrements consultables par les Responsables Protection Animale (tels que définis dans le règlement européen de 2009) et par les agents des services vétérinaires peuvent permettre de s’assurer de la conformité des protocoles d’abattage. De plus, ce système peut apporter une contribution à la formation pratique des opérateurs et à leur sensibilisation aux règles de sécurité.
Nous proposons donc d’imposer un équipement de vidéosurveillance dans les abattoirs sur le poste d’abattage.
Parallèlement, la connaissance du comportement animal par les opérateurs, leur aptitude à appréhender la souffrance des bêtes, leur maîtrise des gestes techniques d’abattage requièrent des compétences particulières et une formation appropriée. Si un arrêté du 31 juillet 2012 prévoit une formation pour les agents des abattoirs en vue d’obtenir le certificat de compétence « protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort », l’article R. 214-68 du code rural et de la pêche maritime dispose que : « il est interdit à tout responsable d’établissement d’abattage d’effectuer ou de faire effectuer l’abattage ou la mise à mort d’un animal si les dispositions convenables n’ont pas été prises afin de confier les opérations de déchargement, d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage ou de mise à mort des animaux à un personnel disposant d’une formation en matière de protection animale ou encadré par une personne ayant cette compétence. » Ce dispositif n’est pas suffisant au regard des risques majeurs de souffrance animale qu’entraînent des procédures mal conduites.
Nous proposons donc d’imposer une formation professionnelle initiale et continue à toutes les personnes réalisant des opérations d’abattage ou opérations annexes, d’instituer une évaluation périodique des opérateurs en charge de l’abattage, et de responsabiliser clairement les exploitants d’abattoirs sur ce point, comme cela est prévu de manière plus générale dans le règlement européen n° 1099/2009. Ce suivi et cette mise à jours réguliers des connaissances conféreront une maîtrise technique reconnue à ces opérateurs et, au-delà, garantiront une meilleure sécurité sur les chaînes d’abattage ainsi que la limitation des risques de souffrance animale évitable.
En conclusion, la présente proposition de loi vise à éviter toute souffrance qui peut l’être à tout animal abattu, c’est-à-dire mis à mort par saignée, en faisant en sorte qu’il ne soit pas conscient au moment de la mise à mort, et que les opérations d’abattage soient effectuées dans les meilleures conditions.
PROPOSITION DE LOI
L’article L. 214-3 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « , en toute circonstance, y compris lors des opérations d’abattage. » ;
2° Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Tout animal abattu dans un établissement d’abattage, doit être rendu inconscient préalablement à la saignée ; cette perte de conscience doit être maintenue jusqu’à la mort de l’animal.
« Le contrôle du poste de saignée et de mise à mort de l’animal est renforcé par des procédés de vidéosurveillance. »
3° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les procédés de vidéosurveillance susvisés, l’information des salariés relative à ces procédés de vidéosurveillance, leurs modalités de maintenance, d’utilisation ainsi que les règles d’archivage et de mise à disposition des enregistrements issus de cette vidéosurveillance sont fixés par arrêté du ministre chargé de l’agriculture. »
Le I de l’article L. 214-23 du code rural et de la pêche maritime est complété par un 8° ainsi rédigé :
« 8° Peuvent visionner les enregistrements de vidéosurveillance en abattoirs et s’en faire remettre copie. »
La section V du chapitre IV du titre Ier du livre VII du code rural et de la pêche maritime est complété par un article L. 214-18-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 214-18-2. – Les établissements d’abattage satisfont aux obligations de formation de leurs opérateurs. Ces derniers doivent avoir le niveau de compétence approprié à la réalisation des opérations de mise à mort et opérations annexes qu’ils sont amenés à réaliser, et ce sans causer aux animaux de douleur, détresse ou souffrance évitables. Ils doivent être titulaires d’un certificat de compétence faisant l’objet d’une formation initiale et continue, leur permettant notamment de conformer leur pratique aux progrès acquis dans le domaine des connaissances et des techniques en matière de prévention et de lutte contre toute souffrance animale évitable. Leur niveau de compétence doit être périodiquement évalué. Les établissements d’abattage assument la charge de la formation continue et de l’évaluation périodique des compétences des opérateurs.
« Le contenu et les modalités de la formation initiale et continue dispensée aux détenteurs du certificat de compétence concernant la protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort, les modalités d’évaluation des connaissances et des techniques mises en œuvre pour le renouvellement du certificat de compétence sont définis par arrêté du ministre en charge de l’agriculture.
« Les modalités déclaratives des établissements d’abattage en matière de respect des obligations d’évaluation périodique des compétences et de formation professionnelle continue de leurs opérateurs ainsi que les mesures de sanction encourues en cas de violation de ces obligations sont définies par arrêté du ministre en charge de l’agriculture. »
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