N° 4094 - Proposition de loi de M. Jacques Bompard visant à durcir les sanctions à l'encontre des trafiquants de drogue



N° 4094

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2016.

PROPOSITION DE LOI

visant à durcir les sanctions à l’encontre
des trafiquants de drogue,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jacques BOMPARD,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Véritable industrie, le trafic de stupéfiants fonctionne comme un marché de matières premières classique à deux caractéristiques près : « la prohibition et l’inélasticité de la demande aux prix, qui favorisent le maintien de prix élevés et donc des profits supérieurs à d’autres marchés rendant l’activité attractive » (1). L’essentiel des revenus profite ainsi au crime organisé.

Au début du vingtième siècle, la consommation de stupéfiants était l’apanage d’une classe sociale défavorisée. Aujourd’hui, la consommation est étendue à toutes les classes sociales : la consommation de drogue est un phénomène concernant la société dans son entièreté. Elle est un fléau qui ravage nos sociétés : destruction des personnes, créations de modèles sociaux parallèles tribaux, économie souterraine, isolement, addiction, mort sociale, mort physique.

La nature illégale du marché impliquant que l’arrêt de l’activité n’est pas lié à un dépôt de bilan mais à la mort ou à la prison, les trafiquants sont poussés à une efficacité et à une innovation permanente qui rend difficile leur neutralisation. C’est pourquoi il faut renforcer notre arsenal juridique concernant les trafiquants de stupéfiants. En effet, les conséquences du trafic de drogues sont innombrables et extrêmement néfastes, et notre droit pourrait être renforcé en la matière.

La distribution des produits stupéfiants s’organise selon une structure pyramidale : plus la quantité de drogue mise sur le marché augmente, plus le nombre de narcotrafiquants responsables diminue (2). Les petits « dealers », consommateurs-revendeurs de rue, se tiennent en bas de cette structure pyramidale, ils s’occupent des transactions avec le consommateur final, sur le terrain. Le gros trafiquant, lui, n’intervient pas dans ce commerce de détail. Il est donc du rôle du législateur d’arriver à combiner la lutte drastique contre les petits « dealers » et le travail des forces de police et de gendarmerie qui s’attellent à démanteler les réseaux de trafiquants plus importants en coupant les têtes de réseaux. Le revendeurs-consommateur est principalement motivé par l’appât du gain : une contre-société parallèle lui offre une protection « sociale » du fait de son monopole quant à la violence dans certaines zones où il exerce ainsi qu’une rémunération extrêmement intéressante. Il faut donc contrebalancer cette logique en renforçant la sanction pénale afin qu’elle acquière un profil vraiment dissuasif pour les petits trafiquants. Les gros trafiquants, quant à eux, doivent purger une peine de prison plus qu’exemplaire du fait non seulement de la dangerosité qu’ils représentent mais aussi du fait des milliers de morts dont ils sont responsables.

I. – Les conséquences du trafic de stupéfiants

A. Les conséquences écologiques et sociales du trafic de stupéfiants

En matière d’écologie, les cultures « agricoles » illicites posent des problèmes du fait de leur caractère illégal, elles se pratiquent souvent dans des zones boisées ou fragiles écologiquement qui sont cultivées intensivement jusqu’à épuisement des éléments nutritifs du sol après avoir déboisé la zone. L’usage intensif de pesticides, d’herbicides et d’engrais est indispensable afin d’augmenter la rentabilité de la production au maximum. Devant l’épuisement progressif des sols, les forêts sont souvent rasées ou brûlées afin d’obtenir de nouvelles terres exploitables. En Colombie, 280 000 hectares de forêts ont été rasées en 2001 et 2013 à ce but (3). La transformation des produits (notamment pour l’héroïne ou la cocaïne) pose de véritables problèmes du fait de l’utilisation de produits chimiques hautement toxiques rejetés dans la nature sans aucune précaution.

Le dictionnaire des drogues et des dépendances affirme que l’actuelle politique internationale en termes de prohibition des drogues entraîne l’existence d’un marché illicite générant d’énormes profits créant des liens étroits entre instabilité politique, corruption, criminalité, pauvreté, exploitation et production de stupéfiants (mafia italienne, cartel colombien, triades chinoises, marché noir, financement du terrorisme, etc.) (4). Il faut aujourd’hui prendre conscience que le consommateur régulier de cannabis ou d’héroïne finance le terrorisme ou des foyers islamistes.

L’utilisation par les trafiquants de « produits de coupe », servant à allonger le produit final dans l’objectif d’en tirer un profit maximal, présente un risque sanitaire sans précédent puisque certains de ces produits peuvent être mortels.

D’après l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), la drogue la plus consommée en France est le cannabis ; 48 % des Français de 17 ans ont expérimenté le cannabis, 9 % d’entre eux sont des fumeurs réguliers (5). À long terme, cette drogue souvent qualifiée de « douce » a des effets sociaux, physiques et psychiques dévastateurs. En effet, apparaissent très vite des difficultés de concentration et des problèmes scolaires au milieu des soucis dus à l’illégalité de la consommation et d’un isolement social dangereux. La consommation de cannabis a de multiples causes : il se trouve que le cannabis est devenu le refuge conscient ou inconscient de beaucoup de personnes, notamment des jeunes, voire très jeunes, en manque de repères. Chez les sujets plus sensibles, la consommation de cannabis peut engendrer des troubles psychiques, un état d’anxiété permanent ou entraîner le sujet sur la pente de la dépression ; la psychose, la schizophrénie ou la paranoïa sont également des conséquences trop répandues de la consommation régulière de cannabis (6).

B. Les conséquences économiques du trafic de stupéfiants

Un tiers des adultes de 18 à 64 ans ont « expérimenté » la consommation du cannabis en 2010, soit 13 millions de personnes (7). Toutes les drogues coûtent cher à la collectivité mais notamment le cannabis qui est la plus répandue et la plus consommée. Les dépenses en matière de santé, de travail, de prévention et de répression coûtent des sommes considérables chaque année. L’économiste Pierre Kopp estime la totalité du coût social à environ 8,7 milliards d’euros, tous produits confondus. En 2010, les dépenses nettes de l’État en matière de drogue illicite s’élevait à 2,3 milliards d’euros (8). Les trafiquants ont changé leur source d’approvisionnement et leurs modes de transport, ainsi, les saisies avoisinent les soixante tonnes par an, et sont composées à 90 % de résine en provenance du Maroc (9). C’est donc une véritable économie souterraine qui prospère et qui échappe aux services fiscaux.

Une étude, la première du genre, présente le « chiffre d’affaires » de la drogue pour l’année 2010 à partir d’une approche « fondée sur la demande » (10). Le cannabis, dont près de 300 tonnes ont été consommées cette année-là en France, représente près de 50 % de cette somme. 1,1 milliard d’euros : le chiffre d’affaires en moyenne du trafic pour le cannabis, avec un volume de transactions compris entre 163 tonnes et 195 tonnes. Il représente 48 % du total du marché de la drogue et son chiffre d’affaires s’inscrit en hausse de 34 % par rapport à 2005, ce uniquement à cause de l’augmentation du prix et du taux de THC (principe actif du cannabis). Le volume total de consommation – plus important puisqu’il prend en compte dons et autoproduction – est stable sur la période et s’approche de 285 tonnes.

Le chiffre d’affaires pour le marché de la cocaïne a augmenté de 85 % entre 2005 et 2010. Deuxième marché de la drogue (38 %), avec un chiffre d’affaires de 902 millions d’euros, pour 15 tonnes consommées, il a presque doublé en volume sur la période (8,3 tonnes en 2005). Le marché européen a été inondé par les trafiquants « car le prix y est plus élevé qu’aux États-Unis », a expliqué David Weinberger, mais la chute du prix depuis les années 90 (de 150 euros à 65 euros le gramme aujourd’hui) a permis sa « démocratisation ».

La consommation annuelle en France de l’héroïne oscille entre 5,1 tonnes et 8,2 tonnes. Le chiffre d’affaires du marché s’établit quant à lui entre 204 millions d’euros et 329 millions d’euros. La difficulté d’estimation de ce marché est due à la concurrence générée par les médicaments de substitution aux opiacées.

Ces chiffres donnent le vertige. L’économie souterraine échappant aux services fiscaux ne peut pas continuer à prospérer. Il faut saper le travail des trafiquants par des sanctions exemplaires : allongement des peines, automaticité d’une peine de prison et d’une amende proportionnée au tort causé à la société.

II. – Un renfort juridique nécessaire

Drogues-Info-Service rappelle que « le trafic de stupéfiants est défini dans le code pénal par l’ensemble des actes qui peuvent s’y rapporter : la production, la fabrication, l’exportation, l’importation, le transport, la détention, l’offre (c’est-à-dire le fait de proposer), la cession (le fait de donner ou de vendre), l’acquisition et l’emploi (le fait d’en utiliser autrement qu’en en faisant usage pour soi) illicites de stupéfiants » (11).

La loi ne précise pas la quantité à partir de laquelle est constituée la détention de stupéfiant. Une personne interpellée avec de très petites quantités sur elle peut être pénalement sanctionnée au titre de la détention illicite de stupéfiants. Pour qualifier les actes de trafic, l’essentiel pour les magistrats est de déterminer si la drogue est destinée à l’usage personnel ou au trafic (revente, partage, etc.). Pour cela, la police et les douanes tiennent compte des circonstances de l’interpellation (à la frontière ou sur le territoire national) et de tous les témoignages et indices retrouvés (déclarations d’autres usagers, etc.).

Le fait de partager sa drogue avec ses amis ou d’aller en acheter pour le groupe est souvent vécu comme un « service rendu » à ses amis alors qu’au regard de la loi, il y a cession et acquisition de stupéfiants. De même, les usagers qui traversent la frontière en possession d’un stupéfiant exportent ou importent celui-ci. Ce sont également des actes considérés comme des actes de trafic, même si pour eux il n’est question que de consommation personnelle.

Cette conception extensive permet de qualifier un trafic de manière extensive. Les peines encourues sont alors plus lourdes. Il faut se servir de cela pour renforcer les peines.

La loi du 31 décembre 1970 (12) a fixé les principes législatifs concernant l’interdiction et la répression de l’usage et du trafic de stupéfiants. La loi opère néanmoins une différenciation entre ce qui relève de l’usage simple et du trafic.

La plupart des actes de trafic de stupéfiants, de nature délictuelle sont punissables de dix ans de prison et de 7 500 000 euros d’amende (articles 222-36 et 222-37 du code pénal). La cession ou l’offre illicite de stupéfiants à une personne en vue de sa consommation personnelle est moins sévèrement punie de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende (article 222-36 du code pénal). Cette distinction en « usage simple » n’est pas justifiée. En effet, elle ne prend pas en compte la structure pyramidale du trafic de drogue. Les revendeurs consommateurs ne sont certes pas les têtes de réseaux, mais ils irriguent les rues de produits stupéfiants et sont orientés par l’appât du gain. Il leur faut donc des peines plus fortes, plus strictes afin de les dissuader et de les punir à proportion de ce qu’ils sont réellement : des rouages du crime organisé qui tue physiquement et psychiquement les Français.

Les actes plus graves sont punis de peines criminelles :

– La fabrication et la production de stupéfiants qui sont punissables de vingt ans de réclusion et 7 500 000 euros d’amende (article 222-35 du code pénal).

– L’importation, l’exportation, la fabrication et la production de stupéfiants commis en « bande organisée » qui sont punissables de 30 ans de réclusion et 7 500 000 euros d’amende (article 222-36 du code pénal).

Les peines privatives de libertés sont ici beaucoup trop laxistes :

– La direction d’un groupement ayant pour activité le trafic de stupéfiants est punissable de la réclusion perpétuité et de 7 500 000 euros d’amende (article 222-34 du code pénal)

Rappelons qu’en Europe, Malte ou la Slovaquie applique la réclusion à perpétuité dans certains cas pour le trafic de drogue. La Slovaquie dans le cas de trafic en groupe criminel et Malte si l’affaire est jugée par la Cour criminelle (13).

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article 222-35 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « trente » ;

2° Au deuxième alinéa, les mots : « de trente ans de réclusion criminelle » sont remplacés par les mots : « d’une peine de prison à perpétuité avec période de sûreté de vingt ans ».

Article 2

L’article 222-36 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « vingt » ;

2° Le troisième alinéa est complété par les mots : « sauf lorsqu’elles sont commises en bande organisée ».

Article 3

Au premier alinéa de l’article 222-37 du même code, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « vingt ».

1 () Denis Richard, Jean-Louis Senon, Marc Valleur, Dictionnaire des drogues et des dépendances, Larousse, 2004.

2 () Yves Pélicier, Guy Thuillier, La Drogue, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1972 – 7e édition.

3 () Soocurious.com/fr/chiffres-drogue-fleau.

4 () Denis Richard, Jean-Louis Senon, Marc Valleur, Dictionnaire des drogues et des dépendances, Larousse, 2004.

5 () http ://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/dcc2015.pdf page 1.

6 () http ://www.drogues-dependance.fr/cannabis-effets_et_dangers.html.

7 () http ://www.ofdt.fr/produits-et-addictions/de-z/cannabis/.

8 () http ://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/09/11/20002-20150911ARTFIG00201-alcool-
tabac-et-drogues-coutent-plus-de-250milliards-d-euros-par-an-a-l-etat.php.

9 () http ://www.yabiladi.com/articles/details/23861/maroc-reste-premier-producteur-
mondial.html.

10 () http ://www.latribune.fr/economie/france/2-3-milliards-d-euros-le-chiffre-d-affaires-
du-marche-des-drogues-en-france-selon-une-etude-519186.html.

11 () PDF La loi et les drogues – Le trafic de stupéfiants http ://www.drogues-info-service.fr/content/view/pdf/19976.

12 () https ://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000321402.

13 () http ://www.emcdda.europa.eu/topics/law/penalties-at-a-glance.


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