N° 4198
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 novembre 2016.
PROPOSITION DE LOI
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Marie-Hélène FABRE,
députée.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Seule, dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu’est la véritable saveur de la terre » a écrit Colette. La vigne est considérée par les spécialistes comme une des plus anciennes plantes du monde actuel. L’Homme inventa très tôt le vin : les plus anciennes civilisations, Égyptiens, Phéniciens, Grecs et Romains connaissaient cette boisson, dont l’origine se situe probablement en Perse et que la Bible ne cite pas moins de 521 fois. De cette aube de la civilisation à nos jours, le vin a accompagné les grands événements de toute existence humaine. Le vin correspond à une culture, à des traditions, à l’histoire des hommes et des femmes de régions entières et il entre dans l’alimentation traditionnelle du consommateur depuis des siècles. Plus qu’aucune autre boisson, le vin a besoin de communication pour faire valoir l’immense diversité de notre production, qui dépend des terroirs, des cépages, des climats et des méthodes d’élaboration. La communication sur le vin se veut, avant tout, informative, éducative et personnalisée. Elle consiste à orienter le choix d’un consommateur responsable vers les produits les mieux adaptés à la gastronomie et aux circonstances et non pas à encourager une consommation excessive. Il ne s’agit donc pas, d’une incitation à plus de consommation, mais bien d’une initiation à la découverte.
1° Boisson traditionnelle, le vin a toujours été considéré comme une boisson saine. Nombreux sont les médecins qui, aujourd’hui, s’accordent à reconnaître qu’une consommation modérée et régulière de vin est bonne pour l’organisme ; les régions qui en consomment le plus, présentent d’ailleurs un taux de prévalence des maladies alcooliques inférieur à la moyenne nationale. Récemment encore, des chercheurs et des équipes épidémiologiques ont mis en évidence une corrélation certaine entre une consommation régulière et modérée de vin et le faible taux de mortalité par accidents cardio-vasculaires.
Ce rôle bénéfique serait lié à l’action des composés phénoliques présents dans le vin, dont la quertécine, le resvératrol et la catéchine, qui auraient des propriétés anti-oxydantes de nature à réduire, notamment, le risque de thrombose et l’artériosclérose. Selon plusieurs chercheurs, le vin pourrait même avoir un effet préventif sur le développement d’autres pathologies, telle la maladie d’Alzheimer, etc. Les avancées des travaux scientifiques relatifs aux effets positifs d’une consommation modérée et régulière de vin ont été soulignées dans le rapport du Sénat sur l’avenir de la viticulture française. D’après des enquêtes, près de la moitié des Français sont convaincus qu’une consommation régulière et modérée de vin est bénéfique à la santé. Force est donc de constater en effet que le vin présente des caractéristiques bien différentes des autres boissons alcooliques et que, consommé modérément, il peut constituer un atout en termes de santé publique.
2° Cependant, les autorités de santé publique persistent à faire l’amalgame entre le vin et les autres boissons alcooliques, en particulier les alcools « durs » (gin, vodka, whisky, etc.). C’est ainsi que la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 portant diverses dispositions d’ordre social et la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, adoptées dans le but de lutter contre l’alcoolisme, ne ménagent aucune distinction entre le vin et les autres boissons alcooliques. De plus, en dépit des dispositions que nous avions fait adopter dans la loi, interdisant toute discrimination en la matière, les campagnes anti-alcooliques se transforment trop souvent en campagnes anti-vin. Il y aurait lieu, pourtant, de se demander quelle est la part du vin dans « l’alcoolisme du samedi soir », dans les consommations excessives de boissons alcooliques de certains jeunes ou moins jeunes, dans l’alcoolisme « mondain » et dans le recours à « l’alcool tranquillisant ». S’il est évident que des mesures de lutte contre l’alcoolisme s’imposent, force est de constater que les lois précitées de 1987 et 1991 n’ont pas démontré leur efficacité à cet égard ; en revanche, en refusant de distinguer entre vin et alcools « durs », ces dispositions emportent des conséquences économiques néfastes, dans la mesure où elles entravent le dynamisme de notre filière viti-vinicole. Il est par ailleurs intéressant de faire remarquer que durant la période où l’alcoolisme progressait, la consommation de vin baissait de 50 %, tandis que celle des autres boissons alcooliques augmentait. Il nous apparaît donc nécessaire que l’élaboration d’une politique de prévention contre l’alcoolisme soit moins globalisante et plus nuancée, et prenne également en compte les spécificités des boissons et les différents comportements sociaux qui s’y rattachent.
3° Enfin, de forts arguments économiques militent en faveur de la défense de notre viti-viniculture, fleuron de notre agriculture. La France est l’un des premiers producteurs de vin au monde. Nos exportations de vin représentent le premier poste de nos exportations agro-alimentaires. L’activité viti-vinicole est aujourd’hui vitale pour l’économie, et d’abord l’emploi, dans un certain nombre de nos départements. De plus, en maintenant dans les campagnes des populations qui, en son absence ou au cas de son déclin, seraient aspirées vers les villes, cette activité favorise un aménagement équilibré et durable du territoire. On doit ajouter que le secteur viti-vinicole s’est soumis à des normes toujours plus strictes pour garantir l’origine et la qualité de ses produits, et que nos viticulteurs, qui doivent faire face à la concurrence de l’étranger et, qui se trouvent sans cesse confrontés aux produits issus de nouvelles régions productrices, sont exemplaires dans l’effort continu qu’ils mènent depuis une vingtaine d’années.
4° Des armes inégales avec la concurrence étrangère. De plus, l’article L. 3323-2 du code de la santé publique précise, dans son dernier alinéa, que toute opération de parrainage est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet, la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques. Or, là également, l’absence de distinction entre le vin et les autres boissons alcooliques, tels que les alcools durs, condamne la filière viti-vinicole à subir la concurrence étrangère, dans un combat à armes inégales. Ainsi, par le biais des retransmissions télévisées de manifestations sportives qui se tiennent à l’étranger, et du fait des différences de législations existantes, les marques étrangères d’alcool jouissent, en particulier chez nous, d’un moyen d’accès à la notoriété qui a été interdit à nos propres produits viticoles. Par ces retransmissions télévisées, les boissons alcooliques dont la promotion est faite par voie d’affichage, dans les stades, ou par d’autres moyens, sont commercialisées ensuite, en France, et le paradoxe est là : le parrainage publicitaire véhiculé en France par la télévision ne sert pas à promouvoir les vins français de qualité, mais les boissons alcooliques étrangères et notamment les alcools durs.
L’effet paraît d’autant plus pernicieux, en termes de prévention sanitaire, que l’on doit se souvenir que les lois précitées visaient particulièrement les jeunes, et que l’on sait ces derniers orientés vers les retransmissions sportives et donc cibles privilégiées des publicités en faveur des boissons alcooliques étrangères qu’ils consomment, ensuite, de préférence au vin.
Le caractère paradoxal de cette situation s’explique du fait du « code de bonne conduite » adopté en 1995 à l’initiative du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en liaison avec le ministre de la jeunesse et des sports. Selon les promoteurs de ce texte, il s’agissait de résoudre les difficultés liées à la coexistence de l’interdiction de la publicité pour les boissons alcooliques à la télévision et de la retransmission télévisée de manifestations sportives se déroulant à l’étranger, lorsque celles-ci s’accompagnent de pratiques publicitaires concernant des boissons alcooliques. Mais ce « code » traduit, en vérité, un certain embarras. En effet, il distingue entre manifestations binationales d’un côté et multinationales de l’autre ; les manifestations de la seconde catégorie, au contraire des manifestations de la première, sont considérées comme ne visant pas principalement le public français, et un régime différent est appliqué à chaque catégorie, en fonction du public théoriquement visé. Notre proposition de loi vise à mettre un terme à l’ambiguïté qui prévaut dans l’application de ce dispositif, que les chaînes de télévision doivent respecter, alors qu’il établit des distinctions fort peu fondées, d’un point de vue juridique, entre les manifestations retransmises. Deux remarques pour conclure : – en dépit des dispositions adoptées dans le cadre de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, qui devaient permettre de faire référence aux terroirs et aux caractéristiques des vins, les décisions de justice continuent de censurer des campagnes de promotion collective des productions viticoles au motif qu’elles « incitent à la consommation » : ainsi en 2008, pour les vins d’Anjou (c.cass, civ 1, 22 mai 2008), et en 2012, pour les vins de Bordeaux (c.cass, civ 1, 23 février 2012).
Contrairement à ce que l’on avance parfois, le droit européen ne s’oppose pas à ce que l’on différencie le vin et les boissons alcooliques : en Espagne, la loi du 10 juillet 2003 sur la vigne et le vin a pu donner au vin le statut d’« aliment naturel », le distinguant légalement des alcools durs, et ouvrir la possibilité de campagnes de promotion du vin.
Autant de constats qui ont incité l’auteure de cette proposition de loi à faire la distinction entre le vin et les autres boissons alcooliques et donc à modifier certaines dispositions législatives du code de la santé publique.
L’article 1er de notre proposition réserve les restrictions en matière de publicité de la loi du 10 janvier 1991, aux boissons alcooliques autres que celles reconnues comme produits agricoles par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 38), et qui figurent dans la liste qui fait l’objet de l’annexe 1 du Traité (chapitres 22-04 à 22-07). Il s’agit, en effet, de distinguer en matière d’accès à la publicité, entre les boissons agricoles, comme le vin, et les boissons à caractère industriel, ou autres alcools « durs ». La nécessité de protéger la jeunesse impose, cependant, de conserver l’interdiction de cette publicité dans les lieux affectés à la jeunesse et dans les publications et les services de communication les concernant. Par ailleurs, toujours afin de réserver le cas particulier des boissons agricoles, dont le vin, au sein des autres alcools, la possibilité de procéder à des opérations de parrainage publicitaire, dans le cadre ou non d’événements télédiffusés, est ouverte à notre viticulture.
L’article 2 est relatif au message sanitaire qui doit accompagner toute publicité en faveur des alcools. Il distingue de même, au sein des boissons alcooliques, les boissons agricoles : en ce qui concerne ces dernières, le message sanitaire ne comportera qu’un conseil de modération.
Il convient de bien noter que les dispositions relatives au contenu même de la publicité (art L. 3323-4 du code de la Santé) ne sont, en aucun cas, modifiées. Le contenu même de la publicité reste donc strictement encadré. Rappelons donc que cet article modifié par la loi n° 2005-157 du 23 février 2005, précise notamment que la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée notamment à l’indication de l’origine, de la dénomination, du mode d’élaboration ou de consommation du produit (…).
Il est aussi précisé que cette publicité peut aussi comporter des références relatives aux terroirs de production, aux appellations d’origine (donc aux facteurs naturels et humains) ou aux indications géographiques. Elle peut également comporter des références objectives, relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit (...).
PROPOSITION DE LOI
L’article L. 3323-2 du code de la santé publique est complété par un II ainsi rédigé :
« II. – Par dérogation au I, dans le cas des boissons agricoles mentionnées aux chapitres 22-04 à 22-07 de la liste prévue à l’article 38 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sont autorisées :
« 1° Les opérations de parrainage ;
« 2° La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur de ces boissons, sur tous supports, à l’exclusion :
« a) Des publications destinées à la jeunesse définies au premier alinéa de l’article 1er de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ;
« b) Des services et programmes de radio et de télévision destinés à la jeunesse ;
« c) Des services de communication en ligne qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, et de ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport.
« En outre, toute publicité est interdite dans les locaux ou installations des associations de jeunesse ou d’éducation populaire. »
Le dernier alinéa de l’article L. 3323-4 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Dans les mêmes conditions, toute publicité en faveur des boissons agricoles définies au premier alinéa du II de l’article L. 3323-2 doit être assortie d’un message incitant à la modération de la consommation et à la responsabilité du consommateur. »
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