N° 4252 - Proposition de résolution de M. Jean-Pierre Vigier sollicitant le Premier ministre pour qu'il favorise l'entrée en vigueur et la mise en œuvre du Protocole de l'Organisation Mondiale de la Santé "pour lutter contre le commerce illicite de tabac"



N° 4252

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 novembre 2016.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sollicitant le Premier ministre pour qu’il favorise
l’
entrée en vigueur et la mise en œuvre
du
Protocole de l’Organisation Mondiale de la Santé pour
« 
lutter contre le commerce illicite de tabac »,

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Pierre VIGIER, Guillaume LARRIVÉ, Philippe BRIAND, Annie GENEVARD, Jean-Louis COSTES, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Arlette GROSSKOST, Frédéric REISS, Laurent FURST, Éric STRAUMANN, Céleste LETT, Geneviève LEVY, Claude de GANAY, Bérengère POLETTI, Jacques LAMBLIN, Valérie LACROUTE, Yves CENSI, Marine BRENIER, Lionel TARDY, Daniel FASQUELLE, Sylvain BERRIOS, Claude STURNI, Marc FRANCINA, Jean-Claude MATHIS, Olivier AUDIBERT TROIN, Laure de LA RAUDIÈRE, Pierre MORANGE, Jean-Claude BOUCHET, Paul SALEN, Jean-Pierre DECOOL, Philippe GOSSELIN, Patrick HETZEL, Marie-Jo ZIMMERMANN, Franck MARLIN, André SCHNEIDER, Marc-Philippe DAUBRESSE, Alain MARLEIX et Claude GOASGUEN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Avec près de 76 000 décès par an en France, le tabac est vingt fois plus meurtrier que les accidents de la route et pourtant, l’État dépense dix fois moins pour lutter contre le tabagisme qu’en matière de sécurité routière.

À ce bilan funeste s’ajoutent chaque année la disparition de près de 1 000 buralistes et un gigantesque manque à gagner fiscal dont le commerce parallèle du tabac est le principal responsable.

Partout, le tabac fait l’objet de trafics, à tous les stades de sa production, de son transport, et de sa consommation. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime ainsi que 12 % des 6 000 milliards de cigarettes commercialisées chaque année dans le monde font l’objet d’un commerce parallèle dont souffrent nos buralistes et nos finances publiques.

Les hausses continuelles du prix du paquet de cigarettes depuis 2003 ont favorisé un différentiel de prix sans cesse croissant avec les pays limitrophes. Aujourd’hui, en France, on estime que 25 % du tabac consommé est acheté en dehors du réseau des buralistes, ce qui engendre pour l’État un manque à gagner fiscal de près de 3 milliards d’euros par an et une perte de chiffre d’affaires de l’ordre de 250 millions d’euros annuels pour les buralistes. L’Union européenne n’est pas en reste puisque le manque à gagner fiscal pour les 28 États membres est estimé par la commission à près de 10 milliards d’euros.

Une telle approche dans la lutte contre le tabagisme n’est plus adaptée et il est regrettable que les moyens ne soient pas à la hauteur de cet enjeu de santé publique qui concerne aussi bien la santé physique des consommateurs, que la santé économique des buralistes ou la santé de nos finances publiques.

Dans la lutte contre le tabagisme, c’est donc le combat contre le commerce parallèle qui doit désormais devenir une priorité. Deux raisons plaident en faveur d’une telle réorientation.

Cette réorientation est nécessaire, d’une part, parce que le commerce parallèle profite in fine aux fabricants de tabac. En effet, contrairement à une idée reçue, le commerce parallèle n’est pas uniquement composé de cigarettes contrefaites. Une part conséquente de ce commerce parallèle est constituée de cigarettes fabriquées et commercialisées par les fabricants de tabac eux-mêmes. En pratique, ces cigarettes se retrouvent sur le commerce parallèle, de deux façons. Soit elles sont vendues par les fabricants de tabac à des intermédiaires situés dans des pays de l’est de l’Europe où la fiscalité sur le tabac est faible ; elles sont ensuite acheminées par containers ou par camions dans les pays à forte fiscalité. Soit elles sont vendues par les fabricants de tabac dans des pays de l’Europe de l’ouest qui pratiquent une fiscalité sur le tabac plus douce ; les fabricants de tabac « sur-approvisionnent » ainsi les vendeurs de tabac en Andorre, au Luxembourg, en Belgique ou en Espagne pour alimenter les fumeurs et non-fumeurs originaires des pays à forte fiscalité sur le tabac comme la France.

Notre collègue député français au Parlement européen Philippe Juvin révèle ainsi qu’en Andorre, si 120 tonnes de tabac sont nécessaires chaque année pour répondre à la demande des fumeurs andorrans, ce sont près de 850 tonnes qui sont livrées chaque année par les fabricants de tabac. Une telle différence nourrit en effet les réseaux parallèles, au détriment de nos buralistes, de notre politique de santé publique et de nos finances publiques.

L’objectif des fabricants de tabac est de favoriser la circulation du tabac à bas prix pour saper les politiques de santé publique fondées sur une taxation forte des produits du tabac, en ciblant notamment les adolescents, par nature sensibles au prix. Or un adolescent sur trois qui fume devient un fumeur adulte régulier. Le commerce parallèle du tabac permet donc aux fabricants de tabac de trouver leurs futurs consommateurs.

La seconde raison pour laquelle le combat contre le commerce parallèle doit devenir une vraie priorité s’impose d’évidence. Avec plus de 100 000 professionnels en France, le réseau des buralistes est le premier commerce de proximité, qui accueille chaque jour 10 millions de clients ; plus que de simples commerçants, les buralistes sont également des préposés de l’administration, avec des obligations liées au caractère addictif ou dangereux de certains produits comme le tabac. Dans la chaîne du tabac, les buralistes sont donc un maillon essentiel. Non seulement parce qu’en tant qu’intermédiaires, ils sont les garants de l’encadrement du commerce du tabac, mais surtout parce qu’ils entretiennent un lien direct et quotidien avec les consommateurs. À cet égard, les buralistes doivent devenir le vecteur principal de la lutte contre le commerce parallèle du tabac.

Dans ces conditions, la mise en place du « paquet neutre » à compter du 1er janvier 2017, dont les buralistes estiment qu’elle aggravera le commerce parallèle et affaiblira ainsi la lutte contre le tabagisme, est un facteur d’instabilité du marché qui peut être contre-productif.

Il est désormais nécessaire de recourir à des outils juridiquement et structurellement adaptés aux buralistes pour faire face à de tels enjeux. C’est dans cette perspective que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a élaboré le Protocole « pour lutter contre le commerce illicite de tabac ».

Le Protocole de l’OMS a été adopté le 12 novembre 2012 par la Conférence des Parties à sa cinquième session à Séoul. Il vise à éliminer toute forme de commerce illicite des produits du tabac en exigeant des États qu’ils prennent des mesures pour contrôler efficacement la chaîne logistique des produits du tabac et qu’ils coopèrent au plan international dans plusieurs domaines.

Le Protocole impose des obligations ambitieuses aux États en ce qui concerne les licences, la vérification diligente, le suivi et la traçabilité, la tenue des registres, les mesures de sécurité et les mesures préventives, les ventes sur Internet, par télécommunication ou au moyen de toute autre technologie, les zones franches et le transit international ainsi que les ventes en franchise de droits. Le Protocole impose de plus de prévoir des sanctions lourdes pour les contrevenants et invite à une coopération internationale renforcée.

La France a ratifié le 30 novembre 2015 le protocole contre le commerce illicite du tabac, issu de la convention cadre de lutte antitabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la santé. Ce protocole renforce l’échange d’informations et la coopération internationale entre les services de la répression des fraudes et les services judiciaires. L’Union européenne a également ratifié ce Protocole de l’OMS le 24 juin 2016, ouvrant ainsi la voie à la mise en œuvre d’une traçabilité des produits du tabac à l’échelle européenne.

La mise en œuvre du Protocole de l’OMS et donc d’une traçabilité des produits du tabac strictement indépendante (1) des fabricants de tabac pour empêcher ces derniers d’organiser le commerce parallèle, de « sur-approvisionner » les pays à fiscalité faible et de saper les politiques de santé publique, est attendue de nombreux acteurs (2), au premier rang desquels figurent les buralistes.

En effet, l’application de ce Protocole de l’OMS doit permettre à la France d’être le premier pays de l’Union européenne à mettre en place la traçabilité indépendante des produits du tabac.

Ce système présente plusieurs bénéfices. 

Il permettra d’empêcher la circulation de cigarettes à bas prix, prisées des enfants et des adolescents. Tout ou partie des 3 milliards d’euros annuels de manque à gagner fiscal sera ensuite récupérée. Enfin, les buralistes pourront retrouver jusqu’à 250 millions d’euros de chiffre d’affaires et bénéficier ainsi de marges de manœuvre nécessaires à leur restructuration.

L’application du Protocole de l’OMS sera neutre pour les finances publiques puisque selon les termes de l’article 8-14 du Protocole, la totalité du coût de la mise en place de la traçabilité est prise en charge par les fabricants de tabac.

Il est donc urgent que le Premier ministre place la lutte contre le commerce parallèle au rang de priorité dans le combat contre le tabagisme et traduise cette volonté de façon opérationnelle.

Répondant le 23 février 2016 à des questions écrites, la ministre de la santé affirme (3) sa volonté de mettre en œuvre les dispositions du protocole de l’OMS afin de lutter contre le commerce parallèle. Cependant cet engagement est resté lettre morte puisque le Contrat d’avenir, créé en 2004 pour compenser les pertes de chiffre d’affaires des buralistes dues à la hausse très importante de la fiscalité sur le tabac, vient à expiration en novembre et aucune véritable discussion n’est encore entamée.

Les buralistes ont besoin de mesures concrètes, au-delà de la hausse de la rémunération qu’ils demandent. La traçabilité indépendante doit être mise en œuvre sans attendre pour leur permettre de faire face à la mise en place du paquet neutre. Le Gouvernement doit agir immédiatement. La renégociation du nouveau Contrat d’avenir lui en donne une occasion qu’il doit saisir sans plus attendre.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu les articles 34-1 et 55 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu le Protocole contre le commerce illicite du tabac, issu de la convention cadre de lutte antitabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la santé adopté le 12 novembre 2012,

Vu la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac, et la définition d’un plan interministériel de lutte contre le commerce illicite du tabac,

Affirmant que dans la lutte contre le tabagisme, c’est donc le combat contre le commerce parallèle qui doit désormais devenir une priorité ;

Considérant d’une part que, malgré la manifestation par la France de son intention de mettre en œuvre le Protocole de l’Organisation Mondiale de la Santé, ratifié officiellement le 30 novembre 2015, rien n’a encore été fait ;

Considérant d’autre part que l’Union européenne a ratifié ce Protocole le 24 juin 2016 à la suite d’une procédure de vote devant le Conseil de l’Union européenne à l’unanimité, chacun des 28 États membres a voté en faveur de la ratification du texte ; que dans un souci de cohérence et d’harmonie entre la politique des États membres et celle de l’Union européenne, il est nécessaire que les 22 États membres (hors Royaume-Uni) qui n’ont pas encore ratifié le Protocole le fassent ;

1° Invite, par conséquent, le Premier ministre à prendre l’initiative de plaider à Bruxelles en faveur de la ratification par l’ensemble des pays membres de l’Union européenne signataires du Protocole de l’Organisation Mondiale de la Santé afin d’en favoriser l’entrée en vigueur ;

2° Invite, ensuite, le Premier ministre à se saisir de l’enjeu de la renégociation avec les buralistes du contrat d’avenir pour en faire le vecteur, en droit interne, de la mise en œuvre du Protocole de l’OMS ;

3° Affirme, enfin, dans un souci d’efficacité de notre politique de lutte contre le tabagisme, en général, et contre le commerce illicite du tabac, en particulier, l’impérieuse nécessité de renforcer les contrôles de la chaîne logistique à travers l’instauration d’un système de suivi et de traçabilité indépendant.

1 () L’article 8-12 du Protocole exige que la traçabilité des produits du tabac soit totalement indépendante des fabricants de tabac,

2 () « Le Protocole est un instrument juridique unique au monde pour combattre et, à terme, éliminer une activité criminelle très perfectionnée […] Pleinement appliqué, il renflouera les caisses de l’État et permettra de dépenser davantage pour la santé.», soulignait le Dr Margaret Chan, Directeur général de l’OMS le 31 mai 2015,

3 () Question n° 91321 de M. Jean-Claude Bouchet (Les Républicains - Vaucluse),


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