N° 4297
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 décembre 2016.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
tendant à inscrire la lutte contre le dérèglement climatique et
le caractère écologique de la République dans la Constitution,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Cécile DUFLOT, Laurence ABEILLE, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Michèle BONNETON, Sergio CORONADO, Noël MAMÈRE, Jean-Louis ROUMÉGAS, Eva SAS et Brigitte ALLAIN,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Agir sur le climat ce n’est pas choisir entre l’économie et l’environnement. Tout ce dont nous avons besoin, c’est de la volonté politique, et la volonté politique est une ressource renouvelable » exprimait Al Gore le 23 septembre 2014.
L’humanité est aujourd’hui confrontée à un défi considérable pour la préservation de son habitat, celui du climat.
Aucun acteur, aucune activité ne peut faire l’impasse sur le dérèglement climatique ni ignorer le défi qu’il représente. Tous les experts climatiques nous invitent aujourd’hui à penser l’adaptation de nos sociétés au dérèglement climatique.
Le péril climatique est en effet une terrible menace. Le réchauffement pourrait atteindre, selon divers scénarios, de 1,1 °C à 6,4° C supplémentaires au cours de notre siècle, et se poursuivrait bien au-delà en raison de l’inertie des océans et de la persistance des émissions de gaz à effet de serre. En découle une obligation morale pour nos sociétés de s’en préoccuper. D’après les calculs du groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, et ce même en tenant compte des politiques climatiques en place ou à l’étude aujourd’hui, c’est en 2040 que l’humanité pourrait avoir émis dans l’atmosphère la quantité de gaz à effet de serre au-delà de laquelle cette limite de 2° C que dicte la prudence ne pourra être respectée.
Adopté le 12 décembre 2015 par 195 États au Bourget à l’occasion de la COP21, l’accord de Paris sur le climat est entré en vigueur le 4 novembre 2016.
Un an après son adoption, le seuil des ratifications – 55 États représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre - nécessaire pour que l’accord entre en vigueur a été atteint. Cela constitue un indéniable succès historique auquel la France a grandement contribué.
La France s’est illustrée par son action en faveur du climat en tant que pays hôte de la COP21 et s’est ainsi affirmée comme un acteur majeur de la justice climatique, jouant désormais un rôle de garant de l’application de l’accord de Paris et de la pérennité de son esprit.
Notre pays peut encore faire figure de champion pour le climat et montrer le chemin en se dotant d’un arsenal constitutionnel en phase avec l’esprit de cet accord majeur.
L’avènement de la République écologique et l’inscription de l’objectif de lutte contre le dérèglement climatique dans la Constitution serait un signal fort envoyé tant aux Français soucieux de l’avenir de notre planète qu’à la communauté internationale, en affirmant que l’écologie et la lutte contre le dérèglement climatique comptent parmi les conditions premières du projet républicain français.
C’est ainsi au texte qui fonde notre société, à notre pacte social, qu’il convient d’ajouter l’objectif de lutte contre le dérèglement climatique. Cet objectif, absent de la Charte de l’environnement adoptée en 2004 et constitutionnalisée en 2005, gagnerait à y être inscrit. En effet, aucune des dispositions de la Charte n’a trait au climat, quand bien même la préservation de l’environnement et la survie des espèces sont conditionnées par la nécessité de lutter efficacement contre le dérèglement climatique.
Relevant d’un intérêt fondamental de la nation et, au-delà, de l’humanité, l’impératif climatique est un élément que le législateur autant que l’administration ne doivent jamais perdre de vue dans l’élaboration des politiques publiques.
Il s’agirait d’envisager une modification de la Constitution en vue de l’adapter aux enjeux de l’anthropocène, d’une part en affirmant le caractère « écologique » de la République, d’autre part en constitutionnalisant la lutte contre le dérèglement climatique par le truchement de son inscription dans la Charte de l’environnement.
Cette avancée serait bénéfique en ce qu’elle touche à la symbolique même du vivre ensemble. Elle permettrait à l’ensemble des citoyens de prendre conscience de l’importance du changement proposé et du défi climatique auquel nous sommes confrontés.
Cette réforme permettrait à la France d’être le premier pays de son rang à inscrire cette préoccupation dans sa loi fondamentale. Elle aurait vocation à irriguer les politiques publiques et à favoriser la transition énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Elle permettrait en outre de susciter, après l’accord de Paris et à l’heure ou des climatosceptiques veulent nous tromper, un nouveau grand débat national sur le climat en vue de la faire adopter.
I. – L’inscription du caractère écologique de la République dans la Constitution.
L’article premier de la présente proposition de loi constitutionnelle vise à ajouter, à l’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958, le caractère « écologique » de la République.
La République peut être écologique autant qu’elle est, depuis la Constitution de 1848, « démocratique, une et indivisible » ou, depuis celle de 1946, « indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Une telle modification serait forte de capital symbolique nonobstant sa faible portée normative. L’affirmation du caractère écologique de la République pourrait trouver une portée analogue à celle de son caractère social en conférant une finalité écologique au projet démocratique de notre République.
Tout comme pour le caractère social, le Conseil constitutionnel ne saurait a priori se référer directement au caractère écologique de la République. C’est alors la Charte de l’environnement qui ferait écho à celui-ci, d’une façon semblable au préambule de la Constitution de 1946 apparaissant comme un arsenal de droits et libertés auxquels fait écho le caractère social de la République.
Pour autant, l’affirmation du caractère écologique de la République dans la Constitution ne saurait être totalement ignorée par le juge constitutionnel et pourrait ouvrir la voie à une politique jurisprudentielle plus favorable ou plus sensible aux questions environnementales et climatiques.
L’article 1er de la Constitution n’apparaît nullement intouchable. L’Histoire montre que la République a gagné en caractères au fil des constitutions adoptées. Il s’agirait ainsi d’actualiser notre projet Républicain pour qu’il soit en adéquation avec les enjeux de l’anthropocène au moment où l’accord de Paris entre en application.
II. – L’inscription de l’objectif de lutte contre le dérèglement climatique dans la Charte de l’environnement
La Charte de l’environnement fête actuellement son douzième anniversaire. L’objectif de lutte contre le dérèglement climatique est absent de ce texte adopté en 2004 et « adossé » à la Constitution en 2005.
Bien que la Charte ne soit globalement que peu contraignante pour le législateur, au-delà de ses articles 5 et 7, elle énonce des principes et objectifs qui doivent guider le législateur et l’administration dans l’élaboration des politiques publiques.
En ce sens, l’article 6 de la Charte, lequel pose un objectif de promotion du développement durable ou un principe de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social, confie au législateur sa détermination et sa mise en œuvre, comme en témoigne le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005.
La révision constitutionnelle de 2005, dont l’objet principal était de rattacher la Charte de l’environnement à la Constitution, a également, à la suite de l’adoption d’un article additionnel au projet de loi constitutionnelle par l’Assemblée nationale en première lecture, eu pour effet de modifier l’article 34 de la Constitution en y ajoutant le principe de la compétence du législateur en matière d’environnement.
Il apparaît ainsi opportun d’envisager l’objectif de lutte contre le dérèglement climatique comme pesant sur l’action du législateur dans l’élaboration des politiques publiques, au même titre que la « promotion du développement durable » figurant déjà à l’article 6 de la Charte de l’environnement. L’objectif pèsera autant sur l’action de l’administration dès lors que le juge administratif appréciera la bonne application de cet objectif, comme en témoigne la décision des sixièmeet première sous-sections du Conseil d’État du 17 mars 2010 pour l’objectif posé à l’article 6 de la Charte de l’environnement.
Le deuxième article de la présente proposition de loi constitutionnelle vise alors précisément à modifier l’article 6 de la Charte de l’environnement pour y ajouter l’objectif de lutte contre le dérèglement climatique, conformément aux objectifs fixés par la communauté scientifique.
Tel est l’objet de cette proposition de loi constitutionnelle, qu’il vous est demandé d’adopter.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
À la fin de la première phrase du premier alinéa de l’article premier de la Constitution, les mots : « et sociale » sont remplacés par les mots : « sociale et écologique ».
L’article 6 de la Charte de l’environnement de 2004 mentionnée au premier alinéa du Préambule de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 6. – La France s’engage à respecter les objectifs visant à lutter contre le dérèglement climatique fixés par la communauté scientifique internationale.
« Les politiques publiques contribuent à lutter contre le dérèglement climatique conformément aux objectifs fixés par la communauté scientifique et promeuvent un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »
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