N° 4359
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 janvier 2017.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
sur la reconnaissance et la poursuite des crimes perpétrés en Syrie
et en Irak et sur l’accès des populations civiles à l’aide humanitaire,
présentée par Mesdames et Messieurs
Élisabeth GUIGOU, Valérie FOURNEYRON, Odile SAUGUES, Jean-Pierre DUFAU, Pierre-Yves LE BORGN’, Kader ARIF, Jean-Luc BLEUNVEN, Jean LAUNAY, Éric ELKOUBY, Jean-Paul DUPRÉ, Patrick LEMASLE, Guy-Michel CHAUVEAU, Jean-Louis DESTANS, Bernard LESTERLIN, Marie-Line REYNAUD, Françoise DUMAS, Boinali SAID, Seybah DAGOMA, Jean-Paul BACQUET, Michel VAUZELLE, Michel DESTOT, Philippe BAUMEL, Jean-Marc GERMAIN, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Axel PONIATOWSKI, Édouard COURTIAL, Guy TEISSIER, Jean-Jacques GUILLET, Patrice MARTIN-LALANDE, Meyer HABIB, André SANTINI, Philippe GOMÈS, Cécile DUFLOT, Jean-René MARSAC, Marylise LEBRANCHU, Chantal GUITTET, Hervé GAYMARD et François ROCHEBLOINE,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La proposition de résolution qui vous est soumise invite le Gouvernement à :
– utiliser toutes les voies de droit, y compris la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité, pour reconnaître les crimes perpétrés en Syrie et en Irak, notamment les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, voire les crimes de génocide, et pour poursuivre leurs auteurs ;
– poursuivre sans relâche ses efforts afin que l’aide humanitaire internationale parvienne aux populations civiles en Syrie.
Le premier objet de cette proposition de résolution est de donner une suite aux différents rapports qui ont établi la gravité des crimes perpétrés en Syrie et en Irak. En effet, les rapports de la commission d’enquête internationale sur la Syrie, qui a été créée par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, ont rassemblé suffisamment d’éléments pour justifier une saisine de la Cour pénale internationale.
Grâce à ces rapports, il n’existe pas le moindre doute sur l’ampleur des crimes commis par Daech en Syrie et en Irak et sur les persécutions dont sont victimes les minorités religieuses et ethniques.
Les populations yézidies, en particulier, subissent un calvaire épouvantable. Les massacres commis en août 2014 dans la région du Sinjar, au nord de l’Irak, se seraient accompagnés de plusieurs milliers de morts, de la réduction en esclavage de 2 000 à 3 000 femmes et jeunes filles, et de l’exil pour 90 % de la population yézidie d’Irak.
Outre les Yézidis, de nombreuses minorités religieuses ou ethniques sont victimes de persécutions systématiques en Irak et en Syrie. Daech cible les chrétiens d’Orient, mais aussi les chiites, les Turkmènes, les Kurdes ou encore les Shabaks.
Ces communautés sont visées pour ce qu’elles sont. À travers elles, c’est la diversité religieuse, ethnique et culturelle que Daech veut faire disparaître. Daech ne leur offre le « choix » qu’entre l’asservissement, l’exil forcé ou la mort. Soyons clairs : c’est d’une entreprise d’élimination physique qu’il s’agit.
En effet, Daech ne recule devant aucun crime pour asservir les populations et opprimer les minorités : meurtres, torture, traitements inhumains et dégradants, recours à l’esclavage, viols et violences sexuelles, déplacements forcés de populations, disparitions. Comme l’a souligné la commission d’enquête internationale, ces abus, ces crimes et ces violations des droits de l’Homme sont commis par Daech de manière délibérée et calculée.
Tous ces faits sont documentés. La commission d’enquête internationale sur la Syrie, dès 2014, a publié un rapport intitulé : « Vivre sous le règne de la terreur : Daech en Syrie ». Fondé sur d’innombrables témoignages de personnes ayant fui ou vivant dans les territoires contrôlés par Daech, ce rapport donne la nausée.
Plus récemment, le 15 juin 2016, la commission d’enquête a publié un rapport intitulé « Les crimes de Daech contre les Yézidis » affirmant que ces crimes avaient un caractère génocidaire et appelant le Conseil de sécurité à en saisir la Cour pénale internationale.
Outre les persécutions dont sont victimes les minorités ethniques et religieuses, il convient de viser l’ensemble des exactions dirigées contre la population civile, quels que soient leurs auteurs et quelles que soient les considérations ethniques ou religieuses.
Les musulmans sunnites, majoritaires dans la région, sont en effet les premières victimes de Daech. Elles subissent aussi son oppression, ses persécutions et son régime de terreur. Il convient de rendre justice à toutes les victimes afin de préparer la réconciliation de demain.
Les atrocités commises par Daech ne doivent pas non plus détourner l’attention des crimes commis par d’autres acteurs, qu’ils soient non-étatiques ou étatiques.
En Syrie et en Irak, des exactions épouvantables sont attribuées à d’autres organisations terroristes et à diverses milices, parfois venues de l’étranger.
Par ailleurs, la responsabilité du régime de Damas dans la situation actuelle est accablante.
La révolution syrienne a commencé par des manifestations pacifiques. Elles ont été réprimées dans le sang. Telle est l’origine du cycle de violence qui s’abat sur la Syrie depuis 2011.
À Alep-Est, le régime syrien et ses alliés ont soumis 250 000 personnes à un siège et à des bombardements d’une violence inouïe. Les hôpitaux ont été l’objet d’attaques directes et systématiques.
Au-delà du sort tragique d’Alep, plus de 700 000 personnes sont assiégées en Syrie, notamment dans les régions rurales de Damas.
Comment passer sous silence les attaques aériennes contre les civils à coup de barils d’explosifs, de bombes au phosphore, de bombes bunker ? Les attaques à l’arme chimique dans la banlieue de Damas en 2013 et plus récemment encore celles référencées par l’ONU ? Comment oublier les preuves accumulées contre le régime syrien sur les actes de torture de civils à l’occasion de leur détention dans les prisons gouvernementales ? Ces actes sont relatés dans les multiples rapports de la commission d’enquête de l’ONU et qualifiés explicitement de « crimes contre l’humanité ».
À cet égard, le rapport dit « César », du nom d’un ancien photographe de la police militaire syrienne qui a fait défection, a été corroboré par le septième rapport de la commission d’enquête sur la Syrie, publié en février 2014, s’agissant du recours systématique à la torture et des décès de détenus.
Le Gouvernement a engagé des actions sur les plans militaire, diplomatique, politique et humanitaire.
D’abord, la France participe à la coalition contre Daech. Nous conduisons l’opération Chammal en Irak, depuis septembre 2014, et en Syrie depuis septembre 2015. La France participe aux efforts pour faire reculer militairement Daech et pour libérer ceux qui lui sont asservis. Il faut ensuite stabiliser dans la durée les zones libérées pour permettre le retour des populations. Il faut également un processus politique pour permettre la réconciliation nationale et demain la reconstruction.
La France a joué un rôle moteur au Conseil de sécurité des Nations Unies à la fois pour arriver à une résolution politique de la crise syrienne, pour répondre aux urgences de la situation humanitaire et pour lutter contre l’impunité.
Elle a ainsi présenté en mai 2014 une résolution visant à ce que le Conseil de sécurité saisisse la Cour pénale internationale de l’ensemble des violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire commises en Syrie par l’ensemble des parties au conflit.
La Russie y a mis son veto, comme elle l’a encore fait le 5 décembre 2016 pour une autre résolution que la France soutenait, cette fois au sujet d’Alep. Cette résolution exigeait l’arrêt complet des attaques durant sept jours renouvelables, pour permettre aux acteurs humanitaires de parer aux urgences vitales à Alep-Est. Début octobre, la Russie avait également opposé son veto à un projet de résolution, présenté par la France, demandant la cessation des bombardements sur Alep en Syrie.
Depuis le début de la crise en 2011, la Russie a opposé six fois son veto à une action du Conseil de sécurité sur la situation en Syrie.
En mars 2015, la France a organisé un débat au Conseil de sécurité des Nations Unies pour mobiliser la communauté internationale face aux persécutions systématiques commises par les groupes terroristes contre les chrétiens d’Orient et d’autres minorités. C’était une première : il n’y avait jamais eu de réunion du Conseil de sécurité centrée sur la situation des chrétiens et des autres minorités persécutées au Moyen-Orient.
Le 8 septembre suivant, la France a organisé, avec la Jordanie, la conférence internationale de Paris sur les victimes de violence religieuse ou ethnique au Moyen-Orient. Un plan d’action a été présenté à l’initiative de la France. Il vise à : aider les populations visées et favoriser des solutions durables pour les réfugiés et les personnes déplacées ; lutter contre l’impunité et garantir la justice ; préserver la diversité et la pluralité du Moyen-Orient.
Ces initiatives ne restent pas lettre morte. Le « plan d’action de Paris » constitue une feuille de route commune. Une conférence de suivi a d’ailleurs été organisée à Washington à la fin du mois de juillet dernier.
La France, pour sa part, a engagé de nombreuses actions sur le terrain. Le Gouvernement a mis en place un fonds spécifique, doté de 10 millions d’euros pour 2015-2016 et par ailleurs abondé par des contributions de collectivités territoriales. Ce fonds permet de financer des projets dans le domaine du logement, de la santé, de l’éducation et de la formation professionnelle, de la lutte contre l’impunité ou encore en matière de déminage.
Pour que justice puisse être rendue, c’est-à-dire pour que les auteurs des crimes puissent être jugés, il faut en particulier collecter et conserver les preuves. C’est la tâche entreprise par la commission internationale d’enquête sur la situation des droits de l’Homme en Syrie. La France contribue aussi à aider plusieurs ONG qui œuvrent à documenter les exactions commises.
Les faits cités plus haut sont susceptibles d’être qualifiés de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, voire de crime de génocide dans le cas des Yézidis en Irak. Telles sont les conclusions des rapports de la commission d’enquête internationale sur la Syrie et de la mission d’enquête sur l’Irak du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme.
Le 17 mars dernier, le secrétaire d’État américain a déclaré publiquement que les actes commis par Daech sont constitutifs d’un génocide et de crimes contre l’humanité envers des communautés vivant dans les zones que cette organisation terroriste contrôle. John Kerry a néanmoins souligné que les faits devaient être vérifiés lors d’une enquête indépendante et qu’il revenait aux juridictions compétentes d’établir les qualifications légales.
Il n’appartient pas à l’Assemblée nationale, ni au Gouvernement de qualifier ces crimes. Ce serait se substituer à la justice.
En revanche, le Conseil de sécurité peut saisir la Cour pénale internationale afin qu’elle enquête et éventuellement poursuive les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide, en Irak et en Syrie, qu’ils aient été commis contre des minorités ou contre la population civile, par des organisations étatiques ou non étatiques.
Par ailleurs, parallèlement aux seules voies internationales, les ressources de notre droit national peuvent aussi être mobilisées. Les tribunaux français peuvent enquêter sur les faits commis par les Français en Irak et en Syrie en s’appuyant sur l’article 113-6 du code pénal. Des plaintes ont d’ores et déjà été déposées et le Gouvernement, en septembre 2015, a demandé l’ouverture d’une enquête préliminaire contre X pour les crimes contre l’humanité commis dans les prisons syriennes, en s’appuyant sur le rapport « César ».
Il importe aussi que notre assemblée se prononce sur l’ampleur de la crise humanitaire qui sévit en Irak et en Syrie.
En Irak, par exemple, 650 000 civils, dont plus de 300 000 enfants sont privés d’accès à l’eau potable dans Mossoul à la suite de l’endommagement du réseau de distribution. Par ailleurs, plus de 125 000 civils ont fui les zones de combat depuis le lancement de l’offensive.
Cette situation est néanmoins gérée par les nombreuses organisations internationales et organisations non gouvernementales présentes sur place. Le Haut-Commissariat aux réfugiés, notamment, se prépare à pouvoir accueillir un nombre encore beaucoup plus élevé de personnes déplacées, en bonne coordination avec les autorités irakiennes.
En Syrie, en revanche, la situation humanitaire est alarmante du fait de l’ampleur de la crise mais aussi des obstacles mis à l’acheminement de l’aide humanitaire par les belligérants.
Les médecins, les hôpitaux et les organisations humanitaires sont devenus des cibles. Le 19 septembre, à Alep, un convoi humanitaire de l’ONU et du Croissant rouge a été bombardé, conduisant l’ONU à suspendre ses convois dans le pays. Dans le reste du pays, et depuis longtemps, les médecins et les organisations humanitaires payent un tribut très lourd.
Le 6 octobre 2015, la commission des affaires étrangères a auditionné un représentant de l’Union des organisations de secours et de soins en Syrie qui a exposé que 150 hôpitaux avaient été pris pour cible par des frappes aériennes depuis 2011 et que 670 membres du personnel médical avaient trouvé la mort. Au cours de cette audition, le Président de Médecins sans frontières a confirmé que le système de santé syrien était brisé. Son organisation a décidé en janvier 2014 de se retirer des territoires contrôlés par Daech après l’enlèvement de cinq médecins par cette organisation et le régime syrien ne lui a toujours pas donné l’autorisation de travailler dans les territoires qu’il contrôle.
Cette situation est corroborée par la commission d’enquête internationale sur la Syrie dont le rapport publié en août 2016 cite la situation des provinces de Damas, Rif-Damas, Deïr el-Zor, de Homs et d’Edleb où près de 600 000 civils subissent des sièges prolongés et où les belligérants empêchent la livraison de l’aide médicale et humanitaire. Ce rapport dénonce aussi les attaques contre les services sanitaires, leurs agents et les lieux où sont prodigués les soins. Selon la commission, ces attaques sont le fait des forces aériennes gouvernementales syriennes, mais aussi de groupes armés antigouvernementaux, dont Daech.
Le Conseil de sécurité doit impérativement obtenir de toutes les parties qu’elles protègent les civils, accordent un accès humanitaire rapide et sûr, et lèvent les sièges des villes syriennes dont la population est menacée de mort.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les rapports de la commission d’enquête internationale indépendante sur la république arabe syrienne,
Vu le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI),
Vu la loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale,
Vu le chapitre III du Règlement de l’Assemblée nationale,
Rappelant l’ampleur des crimes commis en Syrie et en Irak par des organisations étatiques ou non étatiques, en particulier par le prétendu « État islamique en Irak et au Levant », Al-Qaïda et le Front Fath Al-Cham,
Considérant que ces crimes, commis à l’encontre des populations civiles de toute confession, notamment les populations chrétiennes, yézidies et d’autres minorités, relèvent des incriminations prévues de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité voire de génocide,
Considérant que des ressortissants français engagés auprès de ces organisations terroristes et criminelles se rendent coupables de ces crimes,
Invite le Gouvernement à utiliser toutes les voies de droit, y compris la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité, pour reconnaître les crimes perpétrés en Syrie et en Irak, notamment les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, voire les crimes de génocide, et pour poursuivre leurs auteurs,
Invite le Gouvernement à poursuivre sans relâche ses efforts afin que l’aide humanitaire internationale parvienne aux populations civiles en Syrie.
© Assemblée nationale