N° 4375
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 janvier 2017.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
appelant à une réforme radicale de l’élaboration et du contrôle des normes régissant l’industrie automobile européenne
(Renvoyée à la commission des affaires européennes, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Danielle AUROI, Mme Delphine BATHO et
M. Jean-Paul CHANTEGUET,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Tout ne peut plus continuer comme avant en Europe après le scandale de « l’Affaire Volkswagen ». Les pouvoirs publics doivent tirer tous les enseignements de la révélation d’une fraude massive organisée par le premier constructeur automobile européen avec le recours à un logiciel truqueur destiné à tromper les consommateurs sur la réalité des émissions polluantes de ses véhicules. Il en va tout d’abord de la santé des citoyens qui doit être protégée alors que la pollution de l’air est devenue la troisième cause de mortalité en France et qu’elle tue chaque année plus de 500 000 européens (1). Mais ces enjeux concernent également l’avenir de l’industrie automobile, stratégique pour notre continent, et la crédibilité même de l’Europe et de ses normes à l’échelle mondiale.
Par la résolution européenne n° 684 sur la révision des procédures de mesure des émissions de polluants atmosphériques automobiles (2) du 26 février 2016, l’Assemblée nationale, du fait de l’absence de respect des normes votées par le législateur européen appelait déjà « la Commission européenne à exercer la plénitude de ses pouvoirs de « gardienne des traités » afin de garantir l’application du droit de l’Union ».
En outre, la mission d’information sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale, créée par décision de la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2015, a procédé pendant un an à une analyse approfondie, au travers notamment de 42 auditions plénières auxquelles se sont ajoutées 86 auditions menées par la Rapporteure, 24 déplacements dans des usines, des centres techniques, des laboratoires de recherche, ainsi qu’auprès des centres d’homologation. La mission s’est également rendue à deux reprises à Bruxelles pour rencontrer la Commission, les ONG, les associations de consommateurs et les lobbies de l’industrie automobile. Le rôle de la mission n’était pas d’interférer avec les procédures judiciaires en cours - elle n’en avait pas le pouvoir en vertu du principe de séparation du législatif et du judiciaire - ni de procéder elle-même à des tests qui relèvent de l’exécutif. En revanche, son rôle était bien de tirer toutes les leçons du scandale. Le rapport de la mission d’information, intitulé « Ecologie - automobile : une alliance française » (3), comporte 120 propositions et a été adopté le 12 octobre 2016.
Sans éluder les responsabilités des constructeurs, il établit que l’Europe a sa part dans la tromperie des consommateurs et l’atteinte avérée à la santé des citoyens. En n’assurant pas sa mission de contrôle, en reportant toujours à plus tard les réformes à même de rétablir la transparence sur les émissions polluantes alors que tout le monde savait que les tests étaient dévoyés et même truqués, l’Union a donné le faux espoir à l’industrie automobile qu’elle pourrait s’exonérer des enjeux fondamentaux de notre époque. Elle a laissé faire un moins-disant écologique et sanitaire qui décourage l’investissement dans l’innovation, offrant une prime aux tricheurs et infligeant un handicap aux constructeurs qui, eux, ont investi pour relever les défis de la voiture responsable et durable. L’affaire Volkswagen a fait deux fois plus de victimes en France qu’aux États-Unis, mais les automobilistes français comme européens n’ont pas eu droit aux mêmes égards concernant la reconnaissance du préjudice subi.
Un nombre important de dysfonctionnements sont à l’origine de la faillite du système de contrôle et d’élaboration des normes européennes. Ainsi :
- « tout le monde savait » (4), à Bruxelles, non seulement que les normes votées par le législateur ne correspondaient aucunement à la réalité des émissions - les écarts entre le protocole d’homologation et la réalité étant connus depuis l’origine -, mais aussi que l’usage de logiciels destinés à tromper les tests était possible et voire avéré ;
- le retard pris dans l’adoption d’un nouveau cycle d’homologation (WLTP), conjugué à l’adoption des paquets RDE (Real Driving Emissions), alors que l’obsolescence du cycle NEDC était de notoriété publique, est notamment le résultat d’une absence de volonté de la Commission européenne de mettre en œuvre une législation environnementale d’envergure ;
- l’absence de transparence démocratique caractérise les décisions prises dans le cadre du comité technique des véhicules à moteur (TCMV), conduit à un dévoiement de la comitologie qui en outre outrepasse ses compétences d’exécution comme l’a montré la décision du 28 octobre 2015 concernant le facteur de conformité pour les NOx,
- la tolérance des techniques d’optimisation et la pratique des homologations dites de complaisance, « le type-approval shopping », témoignent d’une logique de moins disant écologique ;
- l’impossibilité pour un État membre d’ordonner le retrait de véhicules non conformes à la législation européenne si l’homologation a été attribuée par un autre État membre a mis en évidence l’indigence de la surveillance de marché et les impasses auxquelles conduisent le principe de subsidiarité ;
- en conséquence, l’absence de pouvoirs de sanctions de la Commission européenne dans le cadre de la législation actuelle aboutit à un échec de la régulation ;
- l’instabilité chronique des normes nuisent à la compétitivité de l’industrie automobile européenne et a conduit à un retard dans la mise en œuvre de standards exigeants en matière de véhicules propres ;
Ces graves dysfonctionnements nécessitent de refonder le système de régulation européen s’agissant des normes appliquées à l’industrie automobile dans son ensemble. La Commission européenne a présenté plusieurs propositions afin d’y remédier : adoption du nouveau protocole WLTP, paquet RDE et réforme du système d’homologation et de surveillance du marché. Néanmoins, s’il faut saluer la volonté d’agir de la Commission européenne, ces propositions restent des avancées timides et, dès lors, insuffisantes, d’autant que des soupçons de nouvelles fraudes sont apparus qui démontrent - s’il en était besoin - la nécessité d’une réforme profonde.
Pour n’en citer que quelques-uns : de nouveaux types de dispositifs d’invalidation seraient opérants pour fausser les tests chargés de mesurer les émissions de CO2, les pratiques anti-démocratiques, toujours en vigueur, au sein du comité technique des véhicules à moteur, seraient en passe d’être reproduites à l’identique pour l’adoption du troisième paquet RDE. Après un Dieselgate, le risque d’un Essencegate n’est pas à exclure : les moteurs à injection essence se révélant dix fois plus polluants en émissions de particules fines que les moteurs diesel (5).
Le rapport présente 120 propositions, une partie d’entre elles peuvent être mise en œuvre, immédiatement, au niveau national, l’autre partie, elle, nécessite une réforme radicale au niveau européen.
Cette réforme, radicale, repose sur trois piliers : une norme unique, la règle des cinq ans, la création d’une Agence européenne indépendante. Ces trois piliers pour refonder la confiance imposent donc de réformer en profondeur le cadre réglementaire européen en :
- élaborant une norme unique prenant en compte l’ensemble des émissions polluantes et s’appliquant de façon identique aux différents types de moteur thermique, diesel comme essence ;
- respectant un délai de cinq ans minimum avant l’entrée en vigueur d’une nouvelle norme environnementale applicable au secteur automobile, et annonçant dix ans à l’avance un objectif cible pour les nouveaux progrès à accomplir ;
- créant une Agence européenne indépendante en charge de la surveillance du marché automobile, des procédures de sanctions, de l’agrément des services techniques désignés par les autorités nationales d’homologation.
PROPOSITION DE LOI
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et notamment ses articles 191 et 192,
Vu le règlement (CE) n° 715/2007 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2007 relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules,
Vu la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 établissant un cadre pour la réception des véhicules à moteur, de leurs remorques et des systèmes, des composants et des entités techniques destinés à ces véhicules (directive-cadre),
Vu la directive 2001/81/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2001 fixant des plafonds d’émission nationaux pour certains polluants atmosphériques,
Vu la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe,
Vu le règlement (CE) n° 443/2009 du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 établissant les normes de performance en matière d’émissions pour les voitures particulières neuves dans le cadre de l’approche intégrée de la Communauté visant à réduire les émissions de CO2 des véhicules légers,
Vu le règlement (UE) n° 333/2014 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2014 modifiant le règlement (CE) n° 443/2009 en vue de définir les modalités permettant d’atteindre l’objectif de 2020 en matière de réduction des émissions de CO2 des voitures particulières neuves,
Vu le règlement (CE) n° 692/2008 de la Commission du 18 juillet 2008 portant application et modification du règlement (CE) n° 715/2007 du Parlement européen et du Conseil relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules,
Vu le règlement (UE) n° 459/2012 de la Commission du 29 mai 2012 modifiant le règlement (CE) n° 715/2007 du Parlement européen et du Conseil ainsi que le règlement (CE) n° 692/2008 de la Commission en ce qui concerne les émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6), Vu le règlement (UE) 2016/427 de la Commission du 10 mars 2016 portant modification du règlement (CE) n° 692/2008 en ce qui concerne les émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6),
Vu le règlement (UE) 2016/646 de la Commission du 20 avril 2016 portant modification du règlement (CE) n° 692/2008 en ce qui concerne les émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6),
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules, du 27 janvier 2016 (COM(2016)31 final),
Vu la décision du Parlement européen du 17 décembre 2015 sur la constitution, les attributions, la composition numérique et la durée du mandat de la commission d’enquête sur la mesure des émissions dans le secteur de l’automobile (2015/3037/(RSO)),
Vu les conclusions adoptées le 27 octobre 2015 par la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur les mesures des émissions de polluants atmosphériques dans le secteur automobile,
Vu la résolution européenne sur la révision des procédures de mesure des émissions de polluants atmosphériques automobiles, considérée comme définitive en application de l’article 151-7 du Règlement par l’Assemblée nationale, le 26 février 2016 (T.A. 684)
Vu le rapport d’information n° 4109 « Écologie-automobile : une alliance française », déposé le 12 octobre 2016 au nom de la mission d’information sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale, instituée par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2015,
Considérant que la découverte, aux États-Unis, d’une fraude, mise en œuvre à une échelle mondiale par l’entreprise Volkswagen pour tromper les protocoles de tests mesurant les émissions de NOx a mis en évidence la faillite du système européen d’élaboration des normes, de régulation et de surveillance du marché automobile ;
Considérant que la Commission européenne s’est engagée à présenter un ensemble de mesures, dit paquets RDE pour « Real Driving Emissions », destiné à mesurer les émissions polluantes en conditions de conduite réelle ;
Considérant que dans le cadre de la procédure de comitologie relative à l’adoption du deuxième paquet RDE, le 28 octobre 2015, a été autorisé dans des conditions de transparence insatisfaisante un dépassement de plus de 110 % des limites des émissions polluantes votées par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ;
Considérant que le « Dieselgate » a mis en lumière l’absence de volonté politique conjuguée de la Commission européenne et des États membres de pallier les insuffisances, connues depuis des années, de la règlementation européenne ;
Considérant que le Parlement européen a décidé le 17 décembre 2015 de constituer une commission d’enquête sur la mesure des émissions dans le secteur de l’automobile ;
Considérant que la Commission européenne a présenté le 27 janvier 2016 une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules, afin de remédier aux défaillances relatives à l’homologation des véhicules en accordant davantage de pouvoirs à la Commission européenne et aux États membres ;
Considérant que la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale a mis en évidence la faillite globale des systèmes européens de contrôle et d’élaboration des normes dans le secteur automobile ;
Considérant que les conclusions de la mission d’information précitée, présentées dans le rapport n° 4109 « Écologie-automobile : une alliance française », appellent à une réforme radicale du système européen de contrôle et d’élaboration des normes pour mettre fin aux errements hérités du passé et ainsi rétablir un pacte de confiance pour l’avenir d’ailleurs bénéfique à la compétitivité de l’ensemble de l’industrie automobile européenne ;
Considérant que depuis la parution du rapport précité, non seulement les défaillances et les errances dénoncées par le rapport demeurent mais des soupçons de nouvelles fraudes se font jour, notamment en ce qui concerne le respect des émissions de CO2 ;
Considérant que les défaillances actuelles du contrôle des émissions polluantes ont de lourdes incidences sur la santé des Européens et notamment sur l’espérance de vie des populations les plus fragiles ;
Considérant que l’absence de transparence dans le processus d’élaboration des normes européennes ainsi que leur non-respect entachent la crédibilité du législateur européen ;
Considérant que l’instabilité et le désordre normatifs sont préjudiciables à la compétitivité de l’industrie automobile européenne ;
1. Salue la création par le Parlement européen de la commission d’enquête (EMIS) chargée de faire toute la lumière sur les violations du droit de l’Union européenne et attend avec intérêt la publication de ses conclusions ;
2. Demande à la Commission européenne une intervention plus déterminée à l’égard du groupe Volkswagen afin que les consommateurs européens puissent être indemnisés dans des conditions comparables à celles des consommateurs américains pour un préjudice identique et résultant de l’intégration volontaire d’un « logiciel truqueur » dans les véhicules commercialisés pendant plusieurs années par différentes marques de ce groupe ;
3. Juge nécessaire une réforme d’ampleur du cadre règlementaire européen actuellement en vigueur afin de tirer toutes les conséquences de la faillite du système européen de régulation, de surveillance et d’élaboration des normes ;
4. Appelle ainsi la Commission européenne et les États membres à prendre les mesures qui s’imposent afin :
– de mettre un terme à une situation dans laquelle certains seuils d’exposition aux polluants retenus par la réglementation européenne demeurent supérieurs aux valeurs limites définies par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS),
– d’interdire explicitement les pratiques dites d’« optimisation » mises en œuvre par les constructeurs au titre des protocoles d’homologation, en formalisant une liste complète des pratiques qu’il convient de proscrire,
– d’interdire expressément tout dispositif d’invalidation en supprimant toutes les dérogations existantes à cette interdiction,
– de rendre obligatoire l’homologation des logiciels, appelés à prendre une importance majeure avec les développements technologiques des véhicules connectés et autonomes,
– d’ouvrir une enquête sur l’utilisation du « AdBlue Emulator Box » logiciel truqueur destiné à mettre hors service le système de traitement des NOx sur les camions, et qui est en vente libre sur internet,
– de renforcer les droits des consommateurs en obligeant les constructeurs à rendre contractuelles les données relatives aux émissions ;
5. Demande à la Commission européenne de présenter une réforme radicale pour refonder le système d’élaboration des normes et de contrôle autour de trois propositions majeures :
– élaborer une nouvelle norme Euro, unique et multicritères car intégrant tous les paramètres de pollution à l’émission, qui respecte le principe de neutralité technologique ;
– respecter un délai de cinq ans minimum avant l’entrée en vigueur d’une nouvelle norme environnementale applicable au secteur automobile, et énoncer dix ans à l’avance un objectif cible pour les progrès à accomplir ;
– créer une Agence européenne indépendante en charge de la surveillance de marché et du contrôle de conformité des véhicules en circulation, des procédures de sanctions en cas de non-conformité, ainsi que de l’agrément des services techniques désignés par les autorités nationales d’homologation pour garantir le respect de standards de qualité.
1 () Étude de l’Agence européenne pour l’environnement.
2 () Proposition de résolution européenne n° 3396, déposée par Mme Danièle Auroi, au nom de la commission des affaires européennes, adoptée le 9 février 2016 par la commission du développement durable.
3 () Rapport d’information n° 4109, 12 octobre 2016
4 () Rapport d’information n° 4109 Écologie-automobile : une alliance française, p. 83.
5 () Cet élément a été mis en évidence dans le rapport de la mission p. 128.
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