N° 4110
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
sur la fibromyalgie
Présidente
Mme Sylviane BULTEAU,
Rapporteur
M. Patrice CARVALHO,
Députés
——
La commission d’enquête sur la fibromyalgie est composée de : Mme Sylviane Bulteau, présidente ; M. Patrice Carvalho, rapporteur ; M. Gérard Bapt, Mme Annie Le Houerou, MM. Gilles Lurton et Francis Vercamer, vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, MM. Renaud Gauquelin et Jean-Pierre Decool secrétaires ; MM. Bernard Accoyer, Alain Ballay, Mmes Marie-Françoise Clergeau, Florence Delaunay, M. Jean-Pierre Door, Mme Sophie Errante, MM. Jean Grellier, Denis Jacquat, Vincent Ledoux, Dominique Lefebvre, Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, MM. Christophe Premat, Frédéric Reiss, Gérard Sebaoun, Jean-Louis Touraine et Arnaud Viala
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. UNE PATHOLOGIE AUX MULTIPLES ZONES D’OMBRE 7
A. DES CAUSES QUI RESTENT ENCORE À ÉTABLIR SCIENTIFIQUEMENT 7
B. UNE DESCRIPTION PHYSIOPATHOLOGIQUE QUI ÉVOLUE RÉGULIÈREMENT 9
1. Des critères de diagnostic multiples et complexes : une ou plusieurs fibromyalgies ? 9
2. Un syndrome ou une maladie, une polémique sémantique ? 11
C. UNE SURVEILLANCE ÉPIDÉMIOLOGIQUE INEXISTANTE 13
1. Une prévalence difficilement mesurable 14
2. Un coût impossible à évaluer 15
D. UNE VIE FORTEMENT PERTURBÉE 16
1. Une détresse affective et psychologique 18
2. Une détresse professionnelle 19
3. Une détresse quotidienne 20
4. Une détresse financière 21
II. UNE PRISE EN COMPTE LACUNAIRE PAR LE SYSTÈME DE SANTÉ FRANÇAIS 23
A. AUGMENTER L’EFFORT DE RECHERCHE 24
1. Une recherche insuffisante 24
2. L’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale 26
B. FORMER LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ 27
1. Améliorer la formation initiale et continue 28
2. Réduire l’errance médicale 31
C. FAVORISER LES TRAITEMENTS NON MÉDICAMENTEUX 32
1. L’absence d’autorisation de mise sur le marché européen de médicaments pour l’indication fibromyalgie 32
2. Une grande diversité de traitements non médicamenteux 36
3. Les programmes d’éducation thérapeutique du patient 37
D. INSTITUER UN PARCOURS DE SOINS 39
1. Identifier les besoins en utilisant les outils fournis par la loi de modernisation de notre système de santé 39
2. Développer un modèle de parcours de soins prenant appui sur les centres de la douleur 42
a. S’inspirer des innovations organisationnelles du parcours des personnes âgées en risque de perte d’autonomie 42
b. Mettre en place un parcours de soins de lutte contre la douleur, incluant la fibromyalgie 43
E. HARMONISER ET DÉVELOPPER LA PRISE EN CHARGE 50
1. Le régime des affections de longue durée 50
a. Présentation du dispositif 50
b. Une prise en charge de la fibromyalgie disparate 51
2. La prise en charge du handicap 56
3. Le cas particulier de la fonction publique 58
4. La définition d’un panier de soins complémentaires faisant l’objet d’une prise en charge 59
LISTE DES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE 61
EXAMEN EN COMMISSION 65
CONTRIBUTIONS 73
Contribution de M. Jean-Pierre DECOOL 73
Contribution de Mme Florence DELAUNAY 75
Contribution de M. Arnaud VIALA 77
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 79
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 83
La commission d’enquête sur la fibromyalgie a été créée par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale le 10 mai 2016 à la demande du groupe de la Gauche démocrate et républicaine après que la commission des Affaires sociales a constaté à l’unanimité que les conditions requises étaient réunies dans sa séance du 4 mai 2016.
La commission d’enquête s’est réunie le 24 mai 2016 afin de constituer son bureau et de réfléchir à l’organisation de ses travaux. Depuis cette date, elle a tenu 20 auditions au cours desquelles elle a entendu 36 personnes parmi lesquelles des médecins et les représentants des institutions du système de santé publique mais aussi des associations de patients.
La présidente de la commission et le rapporteur se sont rendus le 4 juillet 2016 au centre d’étude et de traitement de la douleur de l’hôpital Cochin à Paris où ils ont tenu des tables rondes avec les personnels soignants et les patients suivant un module d’éducation thérapeutique.
Parallèlement, le rapporteur a mis en ligne un questionnaire auquel ont répondu 570 personnes fibromyalgiques ; il a, par ailleurs, comme la présidente et plusieurs députés membres de la commission, été destinataire de nombreux témoignages spontanés à la suite de la création de la commission d’enquête. Le rapporteur souhaite remercier les auteurs de ces témoignages qui l’ont aidé à conduire sa réflexion et dont il a cité certains extraits à l’appui de ses développements ou prises de position.
L’objet de cette commission d’enquête a pu surprendre car les députés ne sont ni des médecins ni des chercheurs et n’ont pas vocation à statuer sur les causes ou les effets des maladies. Les auditions ont largement démontré le bien-fondé de cette initiative tant le besoin de reconnaissance des patients était grand. Les travaux ont aussi mis l’accent sur les insuffisances de notre système de santé dans le traitement de cette souffrance et ont permis de formuler des propositions d’amélioration.
Si, au-delà de ces deux objectifs, la commission d’enquête a pu aussi contribuer à faire évoluer le regard de la société sur nos concitoyens atteints par cette pathologie, alors elle aura amplement justifié son existence.
I. UNE PATHOLOGIE AUX MULTIPLES ZONES D’OMBRE
Pathologie complexe, le syndrome fibromyalgique reste encore largement méconnu : son origine demeure un sujet de déba ts, son diagnostic repose sur des critères multiples et évolutifs, sa prévalence au sein de la population est difficile à mesurer. Ses conséquences sociales et professionnelles sont néanmoins pénalisantes, quoique variables, pour les personnes qui en sont atteintes.
A. DES CAUSES QUI RESTENT ENCORE À ÉTABLIR SCIENTIFIQUEMENT
L’étiologie (l’étude des causes) de la fibromyalgie a encore de beaux jours devant elle car l’origine du syndrome n’est pas établie scientifiquement, d’autant que la physiopathologie qui lui est associée ne s’observe pas à l’aide des techniques de la médecine actuelle (radiographie, scanner, examen anatomique).
Les premières hypothèses mettaient l’accent sur des dysfonctionnements des fibres musculaires et ont donné son nom au syndrome mais elles se sont progressivement révélées insuffisantes pour expliquer l’ensemble des symptômes ressentis par les patients.
Depuis les travaux de Hugh Smythe datant de 1979 un assez large consensus, notamment parmi les médecins rhumatologues, identifie comme origine du syndrome un désordre de la modulation de la douleur et plus particulièrement un dérèglement du seuil de la perception et de l’intégration de la douleur au niveau du système nerveux central. Le professeur Marcel-Francis Kahn, précurseur de l’étude de cette pathologie en France, définit ainsi la fibromyalgie comme un trouble fonctionnel de la modulation de la douleur.
De même, selon le professeur Daniel Bontoux, membre de l’Académie nationale de médecine et rhumatologue (1) : « Il est admis, preuves à l’appui, que les personnes atteintes ont un abaissement du seuil de sensibilité à la douleur, c’est-à-dire qu’elles perçoivent comme douloureuses des stimulations qui ne sont pas perçues comme telles par d’autres. D’autres anomalies ont été constatées à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle : une hyperexcitabilité des neurones, une déficience des voies descendantes inhibitrices de la douleur périphérique, ainsi que des anomalies de la connectivité entre les aires de gestion de la douleur et les aires sensori-motrices. ».
Cette piste a été confirmée par le professeur Serge Perrot, vice-président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) et chef du centre d’étude et de traitement de la douleur (CETD) de l’Hôtel-Dieu de Paris (2) : « La fibromyalgie est une perturbation de la modulation des voies de la douleur, système complexe : le cerveau, hypersensible à toutes les stimulations, ne parvient pas à inhiber la douleur, qui se diffuse. »
Les causes de ces dérèglements restent toutefois l’objet de débats et d’études car elles n’ont pas été scientifiquement établies. De même, la relation de causalité ou de corrélation avec des troubles psychiques, est-elle particulièrement source d’interrogations. Les facteurs psychiques semblent jouer un rôle dans la symptomatologie fibromyalgique mais on n’a pas établi la relation de causalité entre les deux.
Certains médecins ont ainsi évoqué devant la commission des traumatismes subis par les patients comme de possibles facteurs déclenchants de la fibromyalgie. Selon le professeur Daniel Bontoux, des antécédents comme des traumatismes physiques, mais aussi des traumatismes psychologiques, notamment liés aux différentes formes de violence subie pendant l’enfance ou l’adolescence, doivent être pris en considération. Cette hypothèse a été également évoquée par M. Yves Lévy, président-directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) (3) qui a indiqué que le stress physique et psychologique constituait un facteur de risque.
De même, l’asymétrie de la prévalence de ce syndrome selon les sexes (on estime que les patients fibromyalgiques sont à 80 % des femmes) n’a-t-elle pas trouvé d’explication scientifique, même si le professeur Marcel-Francis Kahn a cité une de ses recherches faisant apparaître un arrière-plan psychique des malades différencié selon les sexes puisque l’on observerait des terrains anxio-dépressifs chez les femmes et des troubles obsessionnels compulsifs chez les hommes (4).
Plusieurs interlocuteurs de la commission ont également mis l’accent sur le profil particulier des femmes souffrant de fibromyalgie, notamment sur un plan sociologique en relevant qu’il s’agissait souvent de femmes très actives, très empathiques, exerçant souvent des professions ou des activités tournées vers les autres (infirmières, assistantes maternelles, auxiliaires de vie), et prenant sur elles un fardeau peut être excessif.
L’origine et les causes encore largement méconnues du syndrome justifient un effort de recherche important, y compris dans des directions nouvelles. La commission a ainsi par exemple entendu, à sa demande, le docteur Laurence Juhel Voog, spécialiste en médecine interne (5) qui privilégie une explication reposant sur la production excessive d’un gaz toxique, le sulfure d’hydrogène, par les bactéries intestinales qui générerait des troubles digestifs, une fatigue intense et des douleurs. Ces travaux ont le mérite de reposer sur une consultation large et régulière de patients fibromyalgiques mais n’ont pas encore fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique.
B. UNE DESCRIPTION PHYSIOPATHOLOGIQUE QUI ÉVOLUE RÉGULIÈREMENT
1. Des critères de diagnostic multiples et complexes : une ou plusieurs fibromyalgies ?
Si les symptômes sont nombreux, les examens physiques, biologiques et radiologiques ne montrent aucune anomalie. En particulier, aucune anomalie musculaire ou du tissu fibreux n’est détectée. Le diagnostic se construit donc par élimination, le médecin devant s’assurer que ces symptômes ne relèvent pas d’une autre pathologie comme la sclérose en plaques ou la myopathie et il est posé en fonction de l’examen clinique.
Dans son rapport de 2007, l’Académie nationale de médecine (6) concluait par ces mots : « le syndrome fibromyalgique est une réalité clinique qu’il faut admettre comme autonome, une fois éliminées les autres affections qui peuvent révéler un syndrome douloureux chronique. »
Le directeur général de la santé, M. Benoît Vallet, par ailleurs médecin anesthésiste et ancien responsable d’un centre de traitement de la douleur, a parfaitement illustré cette difficulté lors de son audition devant la commission : « Il s’agit d’une pathologie ou d’une situation syndromique où sont éliminées d’autres responsabilités, marquées, par exemple, par la notion d’inflammation. Dans la fibromyalgie, il n’y a pas d’inflammation. On ne retrouve pas d’éléments biologiques laissant penser que la personne concernée peut avoir une affection rhumatoïde.
J’évoque la phase initiale de prise en charge, car on considère qu’il faut de trois à six mois de syndromes polyalgiques continus pour reconnaître une fibromyalgie. Mais ils peuvent apparaître dans un contexte inflammatoire ou dans un contexte de maladie relevant de la médecine interne, dans la direction des polyarthrites rhumatoïdes ou des anticorps lupus. Le diagnostic de la fibromyalgie est donc aussi un diagnostic d’élimination des pathologies qui peuvent se présenter avec leurs classiques signes polyalgiques. Car l’hyperthyroïdie ou l’hypercalcémie peuvent aussi donner des anomalies de ce type-là. Le diagnostic peut donc être établi à partir de la recherche de marqueurs dont on considère qu’ils ne doivent pas être présents. (7) »
L’élaboration de critères de classification a toutefois permis une amélioration du diagnostic.
● Les examens physiques
À compter de 1990, et sous l’égide de l’American college of rheumatology (ACR), le diagnostic s’effectuait à partir d’un examen clinique consistant dans la recherche de points de pression douloureux ressentis par le patient. Si ce dernier en totalisait au moins 11 sur 18, le médecin pouvait supposer qu’il était atteint du syndrome fibromyalgique. Or, ces douleurs pouvaient fluctuer d’une journée à l’autre dans leur intensité et dans leur étendue, d’où le manque de fiabilité de ce test.
En mai 2010, une méthode révisée est proposée par l’ACR, combinant des éléments de symptomatologie de la douleur et des éléments de symptomatologie somatiques (fatigue, troubles cognitifs, insomnie) liés à l’état général. Le patient autoévalue l’existence d’une douleur au niveau de 19 points, à l’aide d’un index, le widespread pain index (WPI). Ce score est combiné à un score de sévérité des symptômes ou severity scale score (SS). Si le WPI est supérieur à 7 et le SS supérieur à 5 ou bien si le WPI est compris entre 3 et 6 et le SS supérieur à 9 et que ces symptômes sont constants en intensité depuis au moins trois mois, les critères diagnostiques de fibromyalgie sont satisfaits.
● Les questionnaires
Un questionnaire dénommé Fibromyalgie Impact Questionnaire (FICQ) cible plus précisément l’état du patient et ajoute des éléments fonctionnels. Il mesure l’activité physique, les possibilités de travail, la dépression, l’anxiété, le sommeil, la douleur, la raideur, la fatigue et la sensation de bien-être.
Enfin, en 2010 le professeur Serge Perrot vice-président de la SFETD et chef de service du service de rhumatologie de l’hôpital Cochin a mis au point un test plus simple et plus rapide, portant le nom de FIRST (Fibromyalgia Rapid Screening Tool) dont le rendement pour le diagnostic n’est pas inférieur aux tests proposés par l’ACR. Si le patient répond positivement à cinq de ses six questions, le diagnostic est probable à 90 %. Le docteur François-Xavier Brouck, directeur à la direction des assurés de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) l’a ainsi jugé facile d’utilisation et disposant d’une bonne sensibilité et d’une bonne spécificité. Il s’agit toutefois d’un outil de dépistage diagnostique qui ne permet pas d’évaluer l’intensité et l’importance relative des différentes composantes du syndrome.
Compte tenu de leur efficience, il importe que ces nouveaux outils d’aide au diagnostic soient largement connus des professionnels de santé, ce qui ne semble pas encore totalement le cas, tout particulièrement chez les médecins généralistes. Le docteur Jean-François Gérard-Varet, membre du Conseil national de l’Ordre des médecins (8), a ainsi reconnu que ces questionnaires étaient peu connus de ses confrères.
Cette difficulté à poser un diagnostic de manière rapide et fiable alimente l’angoisse des patients qui subissent alors une errance médicale.
Selon la Direction générale de la santé (DGS), le délai moyen entre les premiers signes de la maladie ressentis par les patients et le diagnostic diminue. Ce point a été confirmé par les associations de patients. Mme Brigitte MerleVigneau du Centre national des associations de fibromyalgiques en France (CeNAF) a ainsi confirmé « qu’il y a vingt ou trente ans, la personne pouvait mettre dix ans à obtenir ce diagnostic. Actuellement, cela peut prendre encore trois, quatre ou cinq ans » (9). Selon Mme Carole Robert, présidente de Fibromyalgie France, pour les personnes récemment diagnostiquées, 50 % ont obtenu un diagnostic en trois ans, dont 25 % en moins d’un an (10).
En 2014, l’association FibromyalgieSOS a piloté une grande enquête à l’aide d’un questionnaire comptant 423 questions et auquel 4 500 personnes ont répondu. Ce questionnaire, faute d’une enquête épidémiologique financée par les pouvoirs publics, constitue une source d’information précieuse sur la fibromyalgie dans notre pays. Cette enquête confirme que le délai entre les premiers signes et le diagnostic diminue au fil du temps : en moyenne, il a fallu plus de 10 ans pour les personnes diagnostiquées avant 1995, 7 ans et demi pour celles diagnostiquées entre 1995 et 2004 et six ans pour les diagnostiquées après 2010.
2. Un syndrome ou une maladie, une polémique sémantique ?
La définition du syndrome fibromyalgique est fondée sur des symptômes parfois subjectifs, d’où la difficulté à le cerner et à le reconnaître.
Le professeur Daniel Bontoux, membre de l’Académie nationale de médecine et rhumatologue, a énuméré ces symptômes (11).
Les trois principaux sont la douleur constante, diffuse et chronique, les troubles du sommeil et la fatigue intense. De nombreux autres symptômes peuvent également se manifester comme des troubles digestifs, l’hypotension, des troubles urinaires, la céphalée, la dépression, l’anxiété ou les troubles cognitifs.
L’association avec la dépression est fréquente, ce qui contribue à entretenir le doute sur l’origine de ce syndrome. La maladie se développerait plutôt sur un terrain anxieux et la dépression serait la conséquence du syndrome, particulièrement éprouvant.
Le docteur Marie-Josée Kins, praticien hospitalier et responsable d’une consultation de la douleur à l’hôpital maritime de Zuydcoote comptant une file active de près de 400 patients atteints de fibromyalgie, a bien décrit la souffrance de ses patients dans le document qu’elle a fait parvenir à la commission : « On note des douleurs intenses, cotées le plus souvent à 8 voire 9/10. Ces douleurs sont décrites comme des arrachements osseux mais également comme des paresthésies, comme des courbatures intenses, souvent associées à une lourdeur et à une fatigue musculaire.
Ces douleurs sont localisées partout dans le corps, au niveau articulaire mais également au niveau musculaire. Ces douleurs réveillent, en général, les patients. Elles peuvent survenir par poussées douloureuses qui peuvent durer de quelques heures à plusieurs semaines avec parfois une incapacité chez le patient de se lever.
Parfois, elles peuvent être décrites comme de très importantes crampes, prenant parfois un hémicorps, prenant parfois tout le corps. Ces crampes extrêmement intenses sont plus décrites la nuit et restent assez rares mais très impressionnantes.
Ces douleurs sont en général aggravées par le froid, l’humidité, elles surviennent d’emblée dès le matin avec une période de dérouillage de quelques minutes, il y a ensuite un mieux dans la journée puis elles augmentent au cours de la journée avec plus de douleurs le soir accompagnées d’une fatigue. »
Selon l’Académie nationale de médecine, la fibromyalgie est qualifiée de syndrome car elle ne correspond pas aux critères de la définition médicale d’une maladie.
Le professeur Daniel Bontoux a ainsi expliqué : « Le terme maladie dans le langage médical courant correspond à un ensemble de symptômes anormaux résultant d’une même cause connue ; son identification aboutit à l’établissement d’un diagnostic et d’un traitement approprié quand il existe. Le syndrome est quant à lui un ensemble de symptômes qui ne constitue pas une entité ou un concept dont l’identification corresponde à une cause parfaitement connue... La fibromyalgie, n’ayant pas de cause connue – peut-être en aura-t-elle un jour –, ne peut donc être considérée comme une maladie. » (12).
En pratique, les professionnels de santé utilisent les deux termes et cette question n’a pas d’incidence sur la prise en charge de leurs patients. Le professeur Daniel Bontoux a souligné que le terme de syndrome n’avait rien de réducteur et que les patients n’avaient pas de raison de s’en inquiéter ou de s’en offusquer (13). Pour le professeur Serge Perrot, vice-président de la SFETD et chef de service du service de rhumatologie de l’hôpital Cochin (14), la distinction est sémantique et il justifie la qualification de syndrome pour la fibromyalgie en raison de situations différentes constatées : « Parce qu’il y a plusieurs causes et plusieurs profils de patients, je préfère, sans nier qu’il s’agisse d’une vraie maladie, l’appellation de “ syndrome fibromyalgique ”, qui me permet d’expliquer aux patients qu’il y aura plusieurs manières de les traiter. »
Parmi les revendications des associations de patients figure le souhait que la fibromyalgie soit reconnue comme une maladie à part entière. Mme Brigitte Merle-Vigneau du CeNAF a ainsi évoqué une maladie sans nom taxée de syndrome et a ajouté : « Personne ne comprend ce qu’est un syndrome mais tout le monde pense savoir ce qu’est une maladie. » (15). Pour l’association FibromyalgieSOS, cette demande se justifie par le besoin des patients d’être compris par leur entourage.
Le fait que les médecins parlent de syndrome ne contribue pas à crédibiliser la souffrance subie chez les proches et l’entourage professionnel des patients. Comme le dit l’une des personnes ayant répondu au questionnaire du rapporteur : « Cela serait important pour aider à légitimer mon statut de malade auprès de mon entourage et d’un point de vue sociétal plus largement. De plus, j’imagine que le corps médical serait mieux informé puis formé afin d’éviter à d’autres l’errance médicale et psychologique que j’ai connue. Enfin, cela encouragerait certainement la recherche dans ce domaine. »
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a franchi le pas. Après avoir reconnu en 1992 la fibromyalgie comme maladie rhumatismale ou comme trouble de la somatisation, elle l’a considérée en 2006 comme une maladie indépendante et lui a attribué un code spécifique M79.7 dans la classification internationale des maladies.
Le 13 janvier 2009, le Parlement européen a adopté une déclaration dans laquelle il a demandé au Conseil européen et à la Commission européenne de développer une stratégie communautaire relative à la fibromyalgie afin que ce syndrome soit reconnu comme une maladie à part entière.
Pour ces raisons, le rapporteur souhaite que les autorités sanitaires françaises évoluent dans la terminologie qu’elles utilisent et adoptent désormais le concept de maladie plutôt que celui de syndrome pour évoquer la fibromyalgie.
Proposition n° 1 : substituer le mot maladie au mot syndrome dans la terminologie utilisée par les autorités sanitaires françaises pour caractériser la fibromyalgie.
C. UNE SURVEILLANCE ÉPIDÉMIOLOGIQUE INEXISTANTE
Le docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et des traumatismes de l’Agence nationale de santé publique (ANSP) a exposé à la commission les raisons pour lesquelles la surveillance épidémiologique de la fibromyalgie était quasiment inexistante en France. Outre les nombreuses autres priorités qui s’imposent à l’ANSP, l’absence d’outil de mesure fiable permettant de repérer tous les fibromyalgiques (sensibilité) et rien qu’eux (spécificité), reposant sur un diagnostic parfaitement objectif, est un obstacle majeur.
1. Une prévalence difficilement mesurable
Selon la DGS, on estime globalement que les pays occidentaux seraient plus touchés alors que la maladie demeurerait anecdotique dans les pays en développement. Il s’agirait plutôt d’une maladie urbaine, moins fréquente en milieu rural. Elle touche plus fréquemment les femmes que les hommes (4 femmes pour 1 homme).
L’absence de biomarqueur précis entraîne des difficultés à établir un diagnostic du syndrome fibromyalgique. Par voie de conséquence, la mesure de la prévalence de ce syndrome parmi la population demeure incertaine et la France ne fait pas exception à la règle.
Selon la DGS, entre 2 % à 5 % de la population française seraient concernés. Selon M. Yves Lévy, président-directeur-général de l’INSERM, la prévalence au sein de la population serait de 1,6 % d’après des études d’échantillonnage (16).
Selon les critères de diagnostic utilisés, le nombre de patients fibromyalgiques varie. Ce point a été confirmé par M. François Godineau, chef de service, adjoint au directeur de la sécurité sociale au ministère des affaires sociales et de la santé : « si le syndrome est désormais reconnu, il reste difficile à caractériser. La prévalence est documentée, mais avec d’assez fortes variations. Le Haut Comité médical de la sécurité sociale (HCMSS) avait estimé, il y a quelques années, que 600 000 personnes étaient touchées en France, et l’on retient plutôt le chiffre de 680 000 actuellement, pour une prévalence allant de 1 % à 5 % de la population – le chiffre de 2 % étant celui cité le plus fréquemment lorsqu’on applique certains critères. »(17).
Le docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et des traumatismes de l’Agence nationale de santé publique, s’est livrée au même constat : « Le fait est que nous ne savons pas surveiller une maladie dont la définition est aussi imprécise et dont la prévalence fait l’objet d’une variabilité aussi importante selon les critères retenus. Par exemple, entre la première enquête sur les critères de 1990 et celle réalisée avec les critères de 2010 modifiés, le rapport est passé de treize femmes pour un homme à deux femmes pour un homme » (18).
Les variations de la prévalence peuvent en effet s’expliquer par l’évolution de la définition du syndrome et de ses critères diagnostiques. Le docteur Gremy a cité plusieurs études dont l’une menée en 2012 par le National Health Service américain qui concluait à une variabilité de la prévalence entre 0,5 % et 5 % (19). « Une autre étude américaine a comparé les résultats obtenus respectivement sur la base des critères de 1990, de ceux de 2010 et de ceux de 2010 modifiés (20). Mais, selon les critères retenus, les résultats donnent une prévalence de 1,7 %, de 1,2 % ou de 5 %. » (21) En effet, la définition du syndrome s’est élargie à des indicateurs fonctionnels tels que les troubles du sommeil ou la fatigue (voir supra) et cette évolution a fortement impacté les résultats des différentes enquêtes menées sur la population par questionnaire.
Il semble en revanche certain qu’on ne puisse qualifier la fibromyalgie de maladie rare puisqu’une maladie rare est définie par une prévalence inférieure à 1/2 000 en population générale.
2. Un coût impossible à évaluer
Il est tout aussi difficile d’appréhender le coût de la prise en charge de la fibromyalgie dans les bases médico-administratives, c’est-à-dire le système national d’information inter régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), qui regroupe le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), les affections longue durée et les traitements et actes médicaux.
Les bases de données de l’assurance maladie compilent des actes traceurs comme la prescription de médicaments ou la délivrance d’actes mais le diagnostic n’y figure pas. La fibromyalgie reposant sur un diagnostic clinique, elle n’apparaît donc pas en tant que telle dans le SNIIRAM.
Le docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et des traumatismes de l’Agence nationale de santé publique, a d’ailleurs relevé que si la fibromyalgie était identifiée par un code dans la classification internationale des maladies, il était peu utilisé dans les bases médico-administratives. Elle a ainsi précisé à la commission : « On ne peut pas repérer la fibromyalgie dans les bases médico-administratives. Elle a un seul code selon la classification internationale des maladies : M79.7. J’ai fait une recherche avec ce code dans les bases de données médico-administratives, en diagnostic principal et en diagnostic associé. Sur une trentaine de millions d’hospitalisations annuelles, j’ai trouvé un code de diagnostic de la fibromyalgie dans 15 024 hospitalisations, mais pour seulement 2 000 hospitalisations en diagnostic principal ; dans le reste des cas, c’était un diagnostic associé, qui n’était donc pas la première cause d’hospitalisation. » (22).
De plus, M. François Godineau, chef de service, adjoint au directeur de la sécurité sociale (DSS) a précisé à la commission d’enquête les raisons pour lesquelles il lui était impossible de retracer les dépenses des patients fibromyalgiques dans la médecine de ville : « la réussite de cette opération suppose un codage de bonne qualité par le corps médical, donc une bonne connaissance de la fibromyalgie, mais aussi et surtout une exhaustivité qui, il faut bien le reconnaître, est loin d’être atteinte – dans de nombreux établissements hospitaliers, de grands progrès restent à accomplir en la matière. Par ailleurs, la médecine de ville ne donne pas lieu à un codage des pathologies. En effet, si la loi Teulade de 1993, relative aux relations entre les professions de santé et l’assurance maladie, a institué l’obligation de coder les pathologies, celle-ci n’est pas mise en œuvre en raison de difficultés d’ordre pratique : en ville, il n’est donc pratiqué qu’un codage des actes… Le système d’information permet de réaliser, à partir du repérage des patients ayant été enregistrés en milieu hospitalier comme diagnostiqués fibromyalgiques, un suivi de leurs dépenses médicales. En revanche, si certaines pathologies telles que le diabète ou l’hypertension permettent de caractériser, par des consommations spécifiques et documentées, des parcours de soins révélateurs, même en ville, il n’en est malheureusement pas de même de la fibromyalgie. Pour être complet, donc efficace, le système d’information devrait également se nourrir d’un codage des pathologies en ville, mais il est très difficile d’imposer aux professionnels de santé exerçant en dehors du cadre hospitalier de mettre en œuvre cette pratique de manière systématique lorsqu’ils codent leur facturation » (23).
C’est pourquoi, il est impossible d’émettre des hypothèses sur le coût que représente ce syndrome pour l’assurance maladie.
Certaines études ont apporté néanmoins des éléments sur son coût social. Une étude menée sous la conduite du professeur Serge Perrot en 2012 et portant sur le suivi de 88 patients en France a ainsi évalué le coût global de la fibromyalgie à 7 900 euros (valeur 2008) par patient et par an comprenant des coûts directs à hauteur de 910 euros et des coûts indirects à hauteur de 6 990 euros dont une forte proportion imputable à la perte de productivité des patients (24).
D. UNE VIE FORTEMENT PERTURBÉE
La plupart des députés membres de la commission d’enquête ont reçu dans leurs permanences des patients atteints de fibromyalgie et ont pu mesurer leurs souffrances et leurs difficultés dans la vie quotidienne. Si cette maladie ne provoque pas la mort, elle peut parfois prendre des formes très invalidantes. Elle est surtout très pernicieuse puisqu’en raison de ses caractéristiques variables et discontinues, elle suscite l’incompréhension de l’entourage familial et professionnel.
Dans son rapport daté de 2010, la Haute autorité de santé (HAS) souligne l’absence de travaux portant sur la répercussion de la fibromyalgie sur la vie quotidienne des patients qui en sont atteints (25). 6 ans plus tard, la commission d’enquête réitère le même criant constat même si les différentes auditions qui ont été menées ont abordé cette question.
Les représentants du corps médical, particulièrement le professeur Serge Perrot, se sont fait l’écho des retentissements les plus sévères qui sont aujourd’hui pris en charge dans le cadre du centre de lutte contre la douleur dont il a la charge. Sur plusieurs points, il y a convergence avec les descriptions contenues dans le rapport de la HAS : incapacité à affronter les actes et travaux de la vie quotidienne, relations dégradées avec l’entourage proche ou professionnel, difficultés à mener une vie sociale ou professionnelle équilibrée.
Du côté des patients auditionnés, une certaine pudeur a pu prévaloir. Bien qu’atteints de la fibromyalgie, les patients interrogés se sont d’abord exprimés en représentants des associations auditionnés et non pour évoquer leur cas particulier. Ce louable dévouement est à mettre au crédit de l’action courageuse et tenace menée par ces associations.
Cela étant, le rapporteur a été particulièrement sensible aux appels réitérés des patients, qu’il a rencontrés nombreux dans sa permanence ou qui lui ont fait parvenir des témoignages écrits, sur la réalité des souffrances endurées. Mme Carole Robert, présidente de Fibromyalgie France, soulignait à juste titre : « Nous ne mourons pas, certes, mais nous ne vivons pas non plus. ». La commission d’enquête a souhaité évoquer les conséquences de la fibromyalgie sur la vie quotidienne des patients en citant les enquêtes les plus récentes.
Quelques travaux mériteraient à cet effet d’être soulignés. L’association FibromyalgieSOS a ainsi lancé en 2014 une grande enquête auprès de personnes atteintes de fibromyalgie. 4 536 personnes ont bien voulu répondre au questionnaire établi par l’association. Coordonnés par plusieurs autorités médicales, parmi lesquelles le professeur Perrot, ces travaux ont permis d’objectiver les conséquences de la fibromyalgie sur les patients. Un important volet a été consacré aux difficultés qu’ils éprouvaient dans la vie quotidienne.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». L’enquête de FibromyalgieSOS permet de vérifier, qu’au-delà du bien-être physique, la fibromyalgie altère le bien-être mental et social des personnes qui en sont atteintes.
1. Une détresse affective et psychologique
Lors de son audition, Mme Robert a associé la fibromyalgie, à une « prison sans murs, mais dont on ne s’échappe pas. Elle isole, et il est difficile, de l’extérieur, de s’imaginer ce que cela représente » (26).
Il est assez aisé de se représenter la souffrance d’un migraineux. Il n’en est pas de même pour un fibromyalgique dont la douleur change perpétuellement d’intensité et se déplace sur l’ensemble du corps. Ce constat explique à lui seul que les deux tiers des patients interrogés dans l’enquête de l’association FibromyalgieSOS déclarent souffrir de ne pas être compris, toujours ou la plupart du temps. Un tiers d’entre eux ressentent un sentiment d’isolement affectif. À la question « comment votre conjoint supporte-t-il votre maladie ? », l’impuissance constituait la majorité des réponses apportées.
Cette dimension affective s’exprime aussi dans les relations que peuvent entretenir leur patient avec les personnels soignants. Légitimement outrée par l’attitude de certains membres des professions médicales, particulièrement « fibrosceptiques », Mme Nadine Randon, présidente de fibromylagieSOS, soulignait l’importance d’être à l’écoute du malade. Elle évoquait ainsi le comportement de certains médecins-conseils « odieux envers des malades, au point de les déstabiliser totalement et de les pousser au suicide, comme cela a malheureusement déjà été le cas » (27). Cette intense souffrance engendre une détresse psychologique qui se traduit de plusieurs manières et à des degrés divers, selon les patients.
À la question « Combien de jours vous êtes-vous senti (e) bien au cours des 7 derniers jours ? », posée par l’enquête de FibromyalgieSOS, la majorité des personnes interrogées a répondu « zéro ». La moyenne fait apparaître 1,27 jour de bien-être pour l’ensemble de la population interrogée.
Le sentiment d’injustice est aussi très lié à la fibromyalgie. Il est ressenti comme tel par les trois-quarts des personnes interrogées, même si ce sentiment est plus affirmé pour les personnes les plus jeunes. Le taux s’établit à 84 % pour les moins de trente ans contre 55 % pour les plus de 70 ans.
Cette détresse psychologique peut aussi être alimentée par des inquiétudes portant sur l’avenir ainsi que par la prégnance d’idées suicidaires. 86 % des personnes interrogées ont déclaré avoir quelques inquiétudes quant à leur avenir. Près de 4 répondants sur dix ont également déclaré avoir des idées suicidaires en raison des répercussions de la fibromylagie sur la vie quotidienne. Ces idées suicidaires sont fréquentes ou très fréquentes pour la moitié d’entre elles et concernent surtout les personnes « signalant des périodes de rémission rares, un impact sur leur sommeil et d’importantes répercussions dans leur vie quotidienne ».
Si Mme Brigitte Merle-Vigneau, chargée de communication au Centre national des associations de fibromyalgiques en France (CeNAF), relève qu’elle n’a pas eu connaissance de conduites suicidaires, elle fait état de la souffrance vécue et ajoute que « dans les associations du CeNAF, nous essayons de trouver tout ce qui peut agrémenter notre vie, tout ce qui peut la rendre plus joyeuse malgré nos difficultés. Notre identité n’est pas d’être fibromyalgiques. Nous essayons de donner à nos adhérents l’envie, la force de se réadapter progressivement à l’effort » (28).
2. Une détresse professionnelle
Les effets de la fibromyalgie sur la vie professionnelle se révèlent importants. Ainsi, un peu plus de 50 % des actifs répondants déclarent que le syndrome affecte de façon importante leur vie professionnelle. Sur cette population, plus de 75 % mentionnent des difficultés dans l’exercice de leur activité quasi-totalement imputables à la fibromyalgie (29).
Ces difficultés sont notamment mesurables par les arrêts de travail pour lesquels l’assurance maladie a émis un avis favorable (30). On constate une augmentation du nombre d’avis sollicités pour le diagnostic fibromyalgie (+ 8,5 %) sur la période 2010-2015. Plus significative est l’augmentation du nombre d’avis favorables émis par l’assurance maladie sur la même période (+ 9,9 %). On en déduit ainsi une part un peu plus importante d’avis favorables émis par la CNAMTS : 82,3 % en 2010 contre 83,3 % en 2015.
NOMBRE D’AVIS DONNÉS SUR ARRÊT DE TRAVAIL POUR LE DIAGNOSTIC FIBROMYALGIE SUR LA PÉRIODE 2010 - 2015.
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
total | |
Nombre d’avis sur arrêt de travail |
3 254 |
3 468 |
3 344 |
3 308 |
3 482 |
3 532(31) |
20 388 |
– dont nombre d’avis favorables |
2 679 |
2 823 |
2 736 |
2 706 |
2 853 |
2 943 |
16 740 |
Source : CNAMTS.
Dans l’étude déjà citée évaluant le coût global de la fibromyalgie, près de 90 % des coûts indirects étaient représentés par la perte de productivité au travail des patients (32). Sur le panel de personnes interrogées, 44,3 % ont rapporté une perturbation de leur vie professionnelle se traduisant par une diminution de leur temps de travail (18,2 %), un handicap (13,6 %), le chômage ou un départ en retraite anticipée (12,5 %). Les personnes ayant un emploi ont également déclaré avoir manqué 2,7 jours de travail en moyenne dans les quatre semaines précédant l’enquête. Celle-ci a permis d’évaluer à 35 jours le nombre de journées non travaillées par an et par patient, soit de l’ordre de 13 % des jours travaillés dans une année calendaire.
Dans l’enquête de l’association FibromyalgieSOS, deux tiers des répondants avaient eu un arrêt de travail au cours de l’année précédente, d’une durée moyenne de 48 jours (37 jours pour les actifs à temps plein et 113 jours pour les temps partiels thérapeutiques).
Les nombreux témoignages apportés aux membres de la commission d’enquête font état des difficultés rencontrées par les malades dans l’exercice des tâches de la vie quotidienne. Associée à la fatigue, la douleur peut empêcher d’exécuter jusqu’aux actes les plus anodins.
L’enquête réalisée par FibromyalgieSOS révèle ainsi que deux tiers des personnes interrogées ont signalé des difficultés dans la réalisation des tâches ménagères quotidiennes qu’il s’agisse de passer l’aspirateur, faire les courses, repasser ou encore laver les vitres.
Les malades éprouvent aussi un réel embarras à se déplacer. Près de 4 personnes sur 10 font part de leur difficulté chronique à se lever ou même à utiliser des escaliers. Pour 28,5 % des personnes, prendre le transport en commun constitue une gêne manifeste et 17 % utilisent une canne ou un déambulateur.
Quasiment toutes les activités ménagères et de loisirs comme le jardinage et le bricolage sont affectées par la fibromyalgie quoiqu’à des proportions variables et l’incapacité à exercer les tâches de la vie quotidienne ne fait que renforcer le sentiment d’isolement des malades et leur détresse devant l’incompréhension rencontrée face à leur trouble, y compris de la part de leur entourage.
À titre d’illustration de cette incompréhension, voici le témoignage de Mme M. envoyé à la présidente de la commission et assez révélateur du décalage entre ces patients et leur entourage : « Le fibromyalgique s’entend dire régulièrement par son entourage, plein de bonnes intentions, mais totalement ignorant, tu devrais sortir ça te ferait du bien, ou tu devrais voir du monde pour te changer les idées ou que sais-je encore. Comme si, il suffisait de se bousculer un peu pour que tout aille mieux ! L’entourage et parfois les médecins ont toute une batterie d’idées de ce genre. Mais si je ne sors pas, c’est que je n’en ai pas la force, idem pour ce qui est de voir du monde. … un jour j’ai reçu deux amies deux heures, deux petites heures, en restant chez moi, ça m’a fait moralement du bien, c’est vrai, mais physiquement, ça m’a totalement fichue à terre. J’ai souffert encore plus que d’habitude durant trois jours, juste pour avoir fait ce petit écart de conduite. »
Si les dépenses liées aux consultations des généralistes, des spécialistes et des consultations sont prises en charge par la sécurité sociale, il n’en est pas de même des dépenses spécifiquement engagées pour lutter contre la douleur. Faute de parcours de soins identifié, associé à un référentiel de bonnes pratiques défini, les patients engagent des dépenses permettant de soulager leurs maux mais non remboursées, ou partiellement, par l’assurance maladie et les assurances complémentaires. Il peut s’agir de médecine allopathique, alternative, de rééducation par le sport (cours de yoga, qi gong ou taï chi) ou de recours aux cures thermales.
Cette maladie compliquant de nombreux aspects de la vie quotidienne, son impact peut atteindre de nombreux postes de dépenses du ménage, comme le relève par exemple Mme D. dans le témoignage qu’elle a fait parvenir à la présidente de la commission d’enquête : « Au quotidien, j’utilise une canne, j’ai un matelas mémoire de forme, des semelles orthopédiques (non remboursées). Je suis suivie au centre anti douleur et hospitalisée tous les trois mois pour des patchs au piment sur mes douleurs neuropathiques. Je vois un kiné toutes les semaines depuis 6 ans. Je fais une cure thermale qui me coûte un bras alors j’économise toute l’année sur les cadeaux d’anniversaire et de Noël pour pouvoir m’y rendre. J’ai dû acheter une voiture à boîte automatique avec mes sous car je n’arrivais plus à appuyer sur les pédales pour conduire. »
En désespoir de cause et faute de trouver un quelconque réconfort dans la médecine traditionnelle ou alternative, certains patients fibromyalgiques font l’erreur de succomber aux propositions de charlatans qui profitent de leur désarroi. Les associations de fibromyalgiques mettent utilement en garde leurs adhérents contre ce type de déviance.
L’enquête réalisée par FibromyalgieSOS révèle ainsi que la fibromyalgie est à l’origine de dépenses particulières pour plus des deux tiers des répondants, inférieures à 100 euros par mois pour 40 % d’entre eux mais supérieures pour 28 %, s’élevant même à plus de 200 euros par mois pour 7 % d’entre eux.
Ces données doivent également être rapportées à la situation socio-professionnelle. Pour des personnes aisées, les dépenses sont plus importantes en raison de revenus conséquents. Pour les plus modestes, le coût peut représenter un obstacle tel qu’il impose un renoncement aux soins. Ainsi, près de 6 patients sur 10, dont le revenu mensuel est inférieur à 1 000 euros, déclarent avoir renoncé aux soins recommandés pour la fibromyalgie et ils sont encore 53 % dans la tranche de revenus comprise entre 1000 et 1800 euros mensuels.
Les soins auxquels ces personnes affirment avoir renoncé sont principalement les médecines alternatives et les cures thermales dont les restes à charge sont importants puisque l’assurance maladie assume seulement 65 % des forfaits de soins et que les frais d’hébergement d’un séjour de trois semaines en dehors du domicile sont à la charge de l’assuré.
Ces éléments militent en faveur de la définition d’un panier de soins de la médecine de ville permettant une meilleure prise en charge des personnes concernées (voir infra).
II. UNE PRISE EN COMPTE LACUNAIRE PAR LE SYSTÈME DE SANTÉ FRANÇAIS
Les personnes souffrant de fibromyalgie se sont longtemps heurtées à un certain scepticisme des médecins français alors même que des travaux scientifiques menés à l’étranger, notamment au Canada et aux États-Unis, mettaient progressivement en évidence la réalité de ce syndrome.
Diagnostic essentiellement clinique, contours flous et évolutifs du syndrome, difficultés à trouver des causes, tous ces facteurs ont longtemps tendu les relations entre les patients et le monde médical.
En effet, il est difficile pour les médecins habitués à des raisonnements rationnels et à se fier à des examens scientifiques d’appréhender ce syndrome, d’où leur désarroi. C’est pourquoi certains, de plus en plus rares il est vrai, continuent de nier l’existence même de ce syndrome. Ces « fibrosceptiques » voient dans la fibromyalgie une construction de l’esprit, un habillage de troubles somatoformes ou une dépression masquée.
36 % des 4 500 personnes ayant répondu à l’enquête de l’association FibromyalgieSOS ont ainsi fait état de difficultés à faire reconnaître leur fibromyalgie par leur médecin traitant. De même, parmi les 570 répondants au questionnaire du rapporteur, 55 % pensent que leur médecin traitant est sensibilisé à la fibromyalgie contre 28 % qui estiment qu’il ne l’est pas et 17 % pensent que leur médecin est assurément fibrosceptique.
Or, il est important pour une personne souffrant de fibromyalgie de se sentir entendue et que sa souffrance soit reconnue. « Il faut aussi que le syndrome fibromyalgique soit reconnu comme une pathologie en soi par le corps médical. » (33) selon les termes du docteur Jean-François Gérard-Varet membre du Conseil national de l’Ordre des médecins.
Ce médecin généraliste, se présentant lui-même comme un médecin de campagne, a aussi souligné la qualité de l’écoute et le temps nécessaire à ce type de patients en relevant que « C’est l’une des pathologies pour lesquelles il faut consacrer le plus de temps au patient – pour ma part, entre une demi-heure et trois quarts d’heure. Une écoute attentive fait partie du traitement, et l’empathie sert à comprendre la demande. Je comprends que les personnes souffrant de ce trouble demandent une reconnaissance et, avec elle, une prise en charge institutionnelle, mais c’est un autre chapitre que l’acte médical lui-même ».
Les choses évoluent néanmoins dans le bon sens, comme l’a remarqué le docteur Marcel-Francis Kahn, précurseur des travaux sur ce syndrome en France, lors de son audition devant la commission : « Cela a beaucoup changé, en tout cas chez les médecins. Ayant longtemps travaillé aux États-Unis, je suis membre de sociétés savantes anglaises et américaines et j’ai constaté que, dans la littérature scientifique, ceux qui contestent l’existence du syndrome fibromyalgique ont bien peu d’arguments à faire valoir » (34).
De même, au niveau de l’administration centrale du ministère de la santé, les associations de fibromyalgiques témoignent d’un accueil favorable et font état de relations de travail suivies.
La manifestation annuelle de la journée mondiale de la fibromyalgie du 12 mai permet aussi la sensibilisation des patients et des professionnels. Cette date a été choisie en hommage à Florence Nightingale, infirmière britannique née le 12 mai 1820, à l’origine de la Fondation de la Croix Rouge Internationale et de la première école d’infirmière et atteinte d’une forme grave de fatigue chronique traduisant très probablement une fibromyalgie.
Néanmoins, cette prise de conscience progressive ne s’est pas encore traduite par une prise en compte satisfaisante de ce syndrome par le système de santé français. La commission a constaté de nombreuses lacunes, tant au niveau de la recherche médicale qu’à celui de la formation des personnels de santé ou de la prise en charge et des soins.
A. AUGMENTER L’EFFORT DE RECHERCHE
Le professeur Francis Berenbaum, chef de service de rhumatologie à l’hôpital St Antoine (35), a souligné que l’effort de recherche global, pour le domaine ostéo-articulaire ou musculo-squelettique, était dramatiquement peu important : « En France, il n’y a pas encore eu de prise de conscience du fardeau que représentent ces maladies, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, aux Pays-Bas ou en Angleterre. »
Le docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et des traumatismes de l’Agence nationale de santé publique, a aussi souligné la nécessité de mettre en place une recherche autour des causes et des déterminants du syndrome (36).
S’agissant de la recherche médicale, sept unités de l’INSERM travaillent actuellement sur la douleur chronique et six unités travaillent sur le sommeil et ses troubles. Sept équipes ont publié ou ont mené des travaux sur le syndrome fibromyalgique ou sur des thématiques proches dans les cinq dernières années. L’INSERM supervise aussi un centre d’investigation clinique à Clermont Ferrand qui conduit un essai randomisé sur une molécule qui inhibe la recapture de la sérotonine, dans le cadre du traitement des douleurs fibromyalgiques. L’INSERM estime à 146 personnes pour une masse salariale de 9,65 millions d’euros l’effort financier consacré à cette thématique.
Sur un plan international, l’INSERM estime que la France est en 8ème position pour les publications sur les troubles du sommeil avec 494 publications, en 10ème position pour les publications sur la douleur chronique avec 520 publications et en 14ème position pour les publications sur le syndrome fibromyalgique avec 82 publications.
Interrogé par la commission sur la modestie relative de cet effort de recherche, M. Yves Lévy, président-directeur général de l’INSERM, a fait la réponse suivante : « Certes, il est toujours possible de faire mieux. Nous entendons l’observation que la recherche n’est peut-être pas à la hauteur de la demande sociétale ou de la demande des patients. Je crois que c’est la difficulté de la définition de ce syndrome. Mais que devons-nous mettre en place ? Nous ne devons pas anticiper sur les conclusions du rapport d’expertise qui pourraient nous stimuler, comme l’ont fait de précédents rapports. Comme je vous l’ai dit, 30 % à 40 % des publications sur le sujet associent l’INSERM. Il faudrait disposer d’une définition plus précise du syndrome pour mettre en place des cohortes de patients, comme l’on commence à le faire, et essayer de l’appréhender avec une approche beaucoup plus large que celle des outils que nous utilisons aujourd’hui. Nous pourrions alors identifier peut-être des biomarqueurs permettant de mesurer tant l’évolution du syndrome chez les patients que les effets d’une intervention thérapeutique éventuelle » (37).
S’agissant de la recherche clinique, ou encore recherche médicale appliquée aux soins, qui permet la validation scientifique d’une activité médicale innovante préalablement à sa diffusion, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) a identifié 35 programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) portant sur la douleur chronique ou la douleur rebelle, pour un financement total de 7,5 millions d’euros
Mais un seul PHRC financé par la DGOS est spécifiquement consacré à la fibromyalgie, il s’agit de celui mené par le CHU de Brest et intitulé : « Impact d’un programme d’entraînement spécifique sur la neuro-modulation des douleurs chez les sujets fibromyalgiques » pour un montant prévisionnel de 160 000 euros, ce qui est bien modeste au regard du nombre de patients fibromyalgiques en France.
Pour ces raisons, le rapporteur estime que la France devait accentuer son effort de recherche sur la fibromyalgie qui semble très en deçà de sa prévalence dans notre pays et de ce qui est pratiqué dans certains autres pays occidentaux.
Proposition n° 2 : accentuer l’effort de recherche sur la fibromyalgie, notamment en augmentant le nombre de programmes hospitaliers de recherche clinique qui lui sont consacrés.
2. L’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale
Le ministère de la santé a demandé à l’INSERM de lancer une expertise collective sur le syndrome fibromyalgique.
Instituées il y a plus de vingt ans, les expertises collectives ont vocation à répondre à une demande précise. Six grandes étapes ont été identifiées permettant d’analyser, à partir de la littérature scientifique, les grands déterminants de ce syndrome et de préconiser des recommandations.
Lors de son audition, M. Laurent Fleury, responsable des expertises collectives de l’INSERM, a décrit le système de gouvernance mis en place à cet effet (38). Au comité d’orientation stratégique représentant les différents acteurs de la santé publique, sera associé un comité de suivi spécifique pour la fibromyalgie. Lors de sa présentation de ce projet devant la commission d’enquête, M. Yves Lévy, président-directeur général de l’INSERM, a légitimement insisté sur la collaboration dans le cadre de cette étude avec les 22 associations de patients français recensées.
Les 6 étapes d’une expertise collective
1. Définition de la convention avec le commanditaire de l’expertise (instruction et cahier des charges).
2. Mise en place d’un fonds documentaire.
3. Constitution du groupe pluridisciplinaire d’experts.
4. Analyse critique de la littérature (répartition de l’examen des articles du fonds documentaire entre chaque expert).
5. Etablissement d’une synthèse assortie de recommandations.
6. Publication et mise à disposition du public.
Son programme scientifique, défini dans un cahier des charges rédigé en lien avec la direction générale de la santé, se divise en cinq axes principaux : enjeux sociétaux, économiques et individuels en France et à l’étranger, connaissances médicales actuelles, prise en charge médicale, physiopathologie de la douleur chronique et problématique spécifique en pédiatrie, secteur sur lequel il commence à y avoir une bibliographie et qui suscite des controverses.
L’expertise collective achève aujourd’hui sa deuxième phase. Elle entamera sa troisième phase avec la constitution d’un groupe d’expertise pluridisciplinaire. Il comprendra non seulement des chercheurs fondamentaux mais aussi des représentants de disciplines concernées par la recherche clinique, telles que la neurologie ou la pharmacologie. Le rapporteur souhaite que ce groupe comprenne aussi au moins un sociologue car la commission a été frappée de constater la rareté des travaux de cette discipline sur ce sujet alors que cette approche pourrait être utile à une meilleure appréhension de ce syndrome qui ne semble frapper que les sociétés développées.
Elle va s’appuyer sur une analyse thématique de la littérature mondiale qui est particulièrement étoffée puisqu’ au niveau international, sur ces cinq dernières années, 3 452 publications scientifiques ont traité des syndromes fibromyalgiques.
Financée à hauteur de 90 000 euros pour une publication prévue début 2018, elle devrait améliorer les connaissances cliniques et identifier des pistes de prise en charge.
Le rapporteur se félicite de cette initiative qui permettra vraisemblablement de progresser dans la prise en charge de ce syndrome qui n’est actuellement pas satisfaisante.
B. FORMER LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ
Les associations de patients ont témoigné de la méconnaissance du syndrome fibromyalgique par certains médecins généralistes, ce qui pouvait parfois conduire au déni de leurs souffrances. Selon le professeur Marcel-Francis Kahn, une des clés de la prise en charge efficace de ce syndrome passe par une bonne relation entre le thérapeute et son patient. Ainsi, au tout début de la relation entre le médecin et le malade, il convient de montrer au patient que l’on est persuadé de l’existence du trouble et de son retentissement. (39). Mme Nadine Randon présidente de FibromyalgieSOS a insisté sur ce dernier point : « Dans toute pathologie, mais sans doute encore plus pour la fibromyalgie, la relation patient-médecin est importante »(40).
C’est pourquoi, il importe que la formation initiale et continue des médecins soit améliorée afin que cette maladie soit mieux connue et reconnue. Une plus grande sensibilisation aux outils de repérage permettra un diagnostic plus précoce et réduira l’errance médicale.
1. Améliorer la formation initiale et continue
Les patients s’adressent en premier lieu à leur médecin généraliste, or ce dernier n’est pas sensibilisé à ce syndrome, notamment en raison du faible nombre de cas rencontrés. Ils n’ont pas toujours le réflexe de diriger leur patient vers un spécialiste ou un centre de traitement de la douleur, comme l’illustre ce témoignage de Mme P., adressé à la présidente de la commission d’enquête et qui concentre un certain nombre de comportements de médecins qu’il faudrait changer : « Je me suis plainte à plusieurs reprises à mon médecin, il m’a donc fait faire une radio et bien sûr il n’y avait rien dessus donc la phrase qui tue : “ il n’y a rien, donc vous n’avez rien ”. Il est comme saint Thomas, il ne croit que ce qu’il voit ! “ C’est dans votre tête, vous êtes sûre que ça va, votre moral est bon ? ” Quand je lui ai dit que j’allais au centre anti douleur il m’a répondu : “ je ne sais pas ce qu’ils vont vous trouver ”. Quand je venais le voir il me disait : “ qu’est-ce qui vous arrive encore ! ”. Ça donne vraiment envie de venir. J’ai dû attendre longtemps avant que l’on prenne en compte mes douleurs, à force de me plaindre mon médecin de l’époque (j’en ai changé depuis) en a eu marre sûrement et il m’a mis sous laroxil puis envoyé voir le rhumatologue ».
M. Michel Varroud Vial, conseiller médical à la DGOS (41) a souligné cette nécessité de former et d’outiller les professionnels de santé en citant les chiffres suivants : selon les données du panel Thales/Cegedim de 2008, qui est le dernier disponible, les médecins généralistes posent le diagnostic de fibromyalgie pour trois patients par an, soit 0,2 % de leur activité, contre 2 % pour les rhumatologues libéraux.
Le professeur Serge Perrot vice-président de la SFETD et chef de service de la douleur à l’hôpital Cochin, a insisté sur ce dernier point (42) : « Il en résulte que, souvent, les patients tardent à venir parce que personne ne le leur a proposé. Cette mauvaise appréhension est liée, je vous l’ai dit, à un problème de formation, les anciens médecins n’ayant pas eu d’enseignement sur la douleur et ignorant quel service médical peuvent rendre nos centres. »
M. Benoit Vallet, directeur général de la santé (43), a confirmé qu’un dépistage efficace de ce syndrome passait par les médecins généralistes qui peuvent orienter leurs patients vers des spécialistes ou des centres de lutte contre la douleur.
S’agissant de la formation initiale, l’enseignement de la douleur est relativement récent dans le cursus universitaire des études de médecine, puisqu’il ne remonte qu’à une dizaine d’années. De plus, ces unités d’enseignement (UE) ne traitent pas spécifiquement de la fibromyalgie, mais de la douleur de manière globale et des soins palliatifs, ce qui explique que de nombreux médecins entendus par la commission lui aient avoué n’avoir jamais entendu parler de la fibromyalgie lors de leurs études.
M. Jean-François Gérard-Varet, médecin généraliste et membre du Conseil national de l’ordre des médecins, a par exemple été très explicite : « Le syndrome fibromyalgique n’étant pas reconnu comme une pathologie, le généraliste, jusqu’alors, était très mal informé par l’Université. Le doyen de ma faculté d’origine a fait valoir que l’on ne pouvait enseigner aux étudiants en médecine l’ensemble considérable des connaissances et qu’il laissait cela au département de médecine générale et au développement professionnel continu (DPC) » (44).
De fait, la première année commune aux études de santé propose dans son unité d’enseignement n° 7 « Santé, société, humanité » une réflexion sur la douleur, et un module commun à la douleur et aux soins palliatifs a été introduit en 2006 en deuxième cycle auquel s’ajoute un diplôme de formation approfondie en sciences médicales traitant de la médecine de la douleur dans son UE n° 5 « Handicap, vieillissement dépendance-douleur-soins palliatifs-accompagnement ».
De nombreuses universités ont créé des diplômes universitaires (DU) ou des diplômes inter universitaires (DIU), ouverts aux médecins, aux psychologues et aux professionnels paramédicaux traitant de la douleur de l’adulte et de l’enfant.
Par ailleurs, si la médecine de la douleur n’est pas reconnue comme une spécialité, il existe des enseignements spécifiques, dénommés « capacités douleur » qui permettent de diriger une unité de traitement de la douleur.
Enfin, en 2007 a été créé le diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) « médecine de la douleur-médecine palliative » qui offre une formation spécifique de deux années de cours et de stages. Le DESC se fait sur 4 semestres (dont deux dans un service hospitalier agréé assurant la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs) et 124 heures d’enseignement théorique. Il ne s’agit toutefois pas d’un DESC qualifiant puisque la médecine de la douleur ne correspond pas à une spécialité inscrite au tableau de l’ordre des médecins.
La réforme du troisième cycle des études de médecine qui supprimera les DESC au profit de diplôme d’études spécialisées (DES) va néanmoins faire disparaître cette formation puisque l’arrêté du 13 novembre 2015 n’a pas retenu la médecine de la douleur dans la liste des DES.
Il est question de l’inclure comme une option au sein d’un DES ou comme une formation transverse spécifique commune à plusieurs (DES). Cette dernière solution a la préférence du professeur Serge Perrot, (45) pour qui il est primordial de garantir au minimum un séminaire consacré à la douleur.
S’agissant de la formation des étudiants, le professeur Daniel Bontoux, membre de l’Académie nationale de médecine et rhumatologue préconise de faire figurer cette question dans le programme de l’examen classant national afin qu’elle soit abordée par les facultés (46).
Pour les médecins installés, le développement professionnel continu (DPC) est l’outil approprié pour qu’ils connaissent ce syndrome et puissent l’identifier. Selon la DGOS, le plan national de formation pour 2016-2018 n’inclut pas la fibromyalgie. Le docteur Jean-François Gérard-Varet plaide pour une révision du programme du DPC et l’organisation de séminaires consacrés à la fibromyalgie (47).
Dans le même ordre d’idée, le docteur François-Xavier Brouck, directeur à la direction des assurés de la CNAMTSa reconnu que la fibromyalgie pourrait être un thème de formation pour les médecins conseils dans le cadre du DPC (48).
Le rapporteur tient à relever que cette sensibilisation au syndrome fibromyalgie est indispensable, que ce soit au titre de la formation initiale ou continue. Pour les étudiants, un enseignement spécifique à la douleur intégrant un module fibromyalgie doit être préservé. La médecine de la douleur pourrait être également reconnue comme discipline universitaire.
Proposition n° 3 : reconnaître la médecine de la douleur comme spécialité universitaire ou instituer la médecine de la douleur comme formation transverse commune à plusieurs diplômes d’études spécialisées (DES) dans le cadre de la réforme du troisième cycle des études de médecine.
L’effort de formation doit surtout porter sur les médecins généralistes en exercice qui, pour des raisons générationnelles, sont souvent peu sensibilisés à la question de la fibromyalgie. Cette question devra figurer dans le plan national de formation du DPC.
À l’appui de cette mesure, le docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et des traumatismes de l’Agence nationale de santé publique a fait remarquer qu’une meilleure formation permettrait un meilleur codage dans les bases médico-administratives par les médecins (49).
Enfin, le rapporteur souhaite souligner que les médecins du travail doivent également être inclus dans cette formation. En effet, dans les cas les plus sévères, le patient rencontrera des difficultés à exercer une activité professionnelle. Il serait préférable que le médecin du travail lorsqu’il est sollicité propose des mesures d’aménagement, d’adaptation ou de transformation de poste plutôt que de constater l’inaptitude, qui favorise la désinsertion sociale particulièrement nocive pour les patients fibromyalgiques.
Proposition n° 4 : faire figurer un enseignement sur la fibromyalgie dans le plan national de formation du développement professionnel continu (DPC).
Une gestion optimale du syndrome fibromyalgique nécessite un diagnostic précoce. Une fois diagnostiqué, le patient peut apprendre à gérer ses troubles et une part de ses angoisses peut disparaitre. Le professeur Serge Perrot, vice-président de la SFETD et chef de service de la douleur à l’hôpital Cochin, a ainsi affirmé : « Dire à un patient qu’il a une fibromyalgie, c’est déjà le reconnaître, lui permettre de démarrer un traitement et une prise en charge. » (50). Selon Mme Carole Robert, présidente de Fibromyalgie France : « Le diagnostic précoce permet théoriquement une prise en charge précoce, ce qui permet au malade chronique de mieux gérer sa maladie. » (51).
De plus, le professeur Serge Perrot a plaidé pour que les formes mineures de la fibromyalgie soient détectées à ce stade afin d’initier une prise en charge qui permettrait d’éviter l’aggravation de l’état du patient (52).
Le diagnostic s’effectuant par élimination, ce dernier ne pourra pas être immédiat. Comme le souligne le docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et des traumatismes de l’Agence nationale de santé publique : « La fibromyalgie est un diagnostic par défaut, que l’on pose lorsque toutes les autres causes ont été éliminées. Elle est donc propice à l’errance médicale. » (53).
Même si l’enquête menée par l’association FibromyalgieSOS montre que les délais entre les premiers signes et le diagnostic se réduisent, ils seraient encore de l’ordre de six ans pour les diagnostiqués entre 2010 et 2014 (voir supra) ce qui reste élevé. Nombre de médecins généralistes ne connaissent toujours pas les outils de repérage existants, notamment les questionnaires FICQ et FIRST (voir supra), qui permettent de détecter une possible fibromyalgie.
Une meilleure formation initiale et continue contribuera à la connaissance de ces méthodes de diagnostic mais il semble aussi judicieux au rapporteur de mieux diffuser ces tests auprès des professionnels de santé. Ils pourraient être communiqués aux médecins généralistes par l’assurance maladie, via son site internet Ameli et figurer dans les logiciels d’aide à la prescription.
S’agissant de la prise en charge, la DGOS a indiqué qu’elle avait réalisé un annuaire national recensant les structures de douleur chroniques sur le territoire. Ce type de document devrait être également plus diffusé.
Proposition n° 5 : diffuser les tests de diagnostics auprès des médecins generalistes via le site Améli de la CNAMTS et les logiciels d’aide à la prescription.
Proposition n° 6 : diffuser l’annuaire national recensant les structures de douleur chronique sur le territoire.
C. FAVORISER LES TRAITEMENTS NON MÉDICAMENTEUX
La difficulté à poser un diagnostic et la connaissance insuffisante de ce syndrome se reflètent dans la prise en charge des patients.
Même si l’enquête déjà citée de l’association FibromyalgieSOS semble montrer que la prise en charge intervient désormais plus rapidement (pour presque 2/3 des diagnostiqués en 2014, elle a commencé dans l’année suivant le diagnostic), cette dernière n’est pas satisfaisante et ne fait pas consensus au sein des professionnels de santé. En particulier, il n’existe pas actuellement de traitement médicamenteux ayant fait la preuve de son efficacité.
C’est pourquoi, une des recommandations du rapport de la HAS (54) était d’aviser le patient dès la première consultation qu’on ne pourrait pas supprimer ses troubles, mais qu’au mieux, on pourrait les réduire et l’aider à supporter sa maladie.
Les associations de patients ont d’ailleurs souligné que parvenir à se prendre en charge et à apprendre à gérer ses troubles représentaient des ét apes très importantes vers une amélioration de leur état.
1. L’absence d’autorisation de mise sur le marché européen de médicaments pour l’indication fibromyalgie
S’agissant des médicaments, l’utilisation des antalgiques donne des résultats décevants. Les professionnels de santé recourent donc principalement aux antidépresseurs de type imipraminiques et aux antiépileptiques qui sont des modulateurs du système nerveux central.
M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale du médicament et des produits de santé a affirmé que le traitement médicamenteux était subsidiaire : « il faut ne l’utiliser que faute de mieux et pour des durées aussi courtes que possible. Il faut avoir une approche symptomatique : si le patient est majoritairement déprimé, il n’est pas illogique de lui donner des antidépresseurs ; s’il a majoritairement des douleurs, il n’est pas illogique de lui donner des antalgiques. Mais cela ne doit pas être fait de manière systématique, prolongée ou non coordonnée. Il faut éviter que la personne prenne des médicaments non adaptés. » (55)
Le docteur Bruno Toussaint, directeur de la rédaction de la revue Prescrire, s’est livré au même constat : ces traitements doivent être limités dans le temps et ciblés. En effet, leur bilan bénéfice-risque est défavorable. Les effets secondaires et iatrogènes de ces médicaments sont importants, et peuvent même entrainer une addiction (56).
C’est pourquoi, en France et en Europe, à la différence des État-Unis, aucun médicament n’a pu obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) comme indication principale ou comme seule indication pour traiter le syndrome fibromyalgique.
En 2008 la duloxétine un antidépresseur, en 2009 la prégabaline un antileptique, le milnacipran un antidépresseur et en 2011 l’oxybate de sodium un psychotrope se sont vus refuser l’extension d’AMM dans la fibromyalgie par l’Agence européenne du médicament. À ses yeux, le bénéfice de ces médicaments dans le traitement de la fibromyalgie ne compense pas leurs risques. Les antidépresseurs peuvent entrainer des insuffisances cardiaques, des troubles neuropsychiques. Les antiépileptiques, quant à eux, peuvent provoquer des effets neuropsychiques, des œdèmes et des prises de poids.
M. Dominique Martin a été très clair devant la commission sur les raisons pour lesquelles l’Agence européenne a fait ce choix : « Aucun élément, dans les essais cliniques présentés dans la demande d’extension de l’AMM, ne militait en faveur de l’efficacité de ces produits, que ce soit l’efficacité immédiate ou, surtout, l’efficacité à long terme. En revanche, ils avaient des effets relativement importants, et des risques d’effets secondaires non négligeables : la prégabaline, un anti-convulsivant, est un médicament majeur ; la duloxétine et le minalcipran sont des antidépresseurs, donc des médicaments qui présentent des risques.
Ces médicaments sont reconnus, notamment aux États-Unis, dans cette indication de fibromyalgie. J’ai essayé de savoir si les rapporteurs avaient étudié de manière attentive les raisons qui avaient poussé la FDA (Food and Drug Administration) à donner cette autorisation. Je n’ai pas trouvé grand-chose. Certains éléments laissent penser que les rapporteurs ont estimé que l’environnement européen – c’est-à-dire les populations concernées et les stratégies thérapeutiques – était très différent de l’environnement américain, et qu’il n’était pas possible de transférer en Europe ce qui se faisait aux États-Unis. Mais les rapporteurs ont essentiellement examiné les essais cliniques, qui ont révélé un rapport bénéfice-risque défavorable à l’extension de ces indications. » (57)
Sur ce dernier point, le docteur Bruno Toussaint, directeur de la rédaction de la revue Prescrire a apporté les précisions suivantes : « Les dossiers d’évaluation des médicaments que les laboratoires ont tenté de mettre sur le marché au début des années 2000 montraient, chez environ 10 % des personnes, une efficacité nulle ou faible ; dans le second cas, le médicament ne semblait agir que sur certains symptômes – par exemple les douleurs, mais non la fatigue ; le sommeil, mais non la qualité de vie. Les études n’ont duré que quelques semaines, parfois quelques mois, mais n’ont jamais donné lieu à des essais comparatifs rigoureux au long cours, ce qui était pourtant indispensable étant donné le caractère chronique de la maladie. Les effets nocifs étaient, quant à eux, plutôt sous-estimés. Globalement, ces médicaments semblaient donc soulager très partiellement environ une personne sur dix, et c’est dans la même proportion que certains utilisateurs étaient obligés d’arrêter le traitement du fait de ses effets indésirables.
Quand un dossier ne montre rien de probant ni dans un sens ni dans un autre, les autorités de santé peuvent prendre des décisions variables. C’est ce qui explique que les médicaments visant la fibromyalgie ont été autorisés dans certains pays et pas dans d’autres, selon que les autorités concernées ont privilégié la protection des patients ou préféré mettre les produits sur le marché en attendant de voir ce qui allait se passer. » (58)
Le fait que l’Agence européenne du médicament ait rejeté toute AMM pour l’indication fibromyalgie relativise fortement les affirmations de la HAS dans son rapport de 2010 relatives au pouvoir d’influence des laboratoires pharmaceutiques dans l’apparition et la montée en puissance du syndrome fibromyalgique dans le débat de santé publique.
Le rapporteur a questionné les différents acteurs du système de santé publique sur l’extrait du rapport de la HAS ainsi rédigé : « on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance, à l’instar de la calvitie, du syndrome du côlon irritable, de la phobie sociale, de l’ostéoporose ou du dysfonctionnement érectile ».
Aucun d’entre eux n’a confirmé ou cité des exemples accréditant cette thèse, à l’exception du professeur Marcel-Francis Kahn, précurseur de la fibromyalgie en France, qui a évoqué le souvenir suivant : « Médecin, je n’ai jamais eu de conflits d’intérêts, m’étant abstenu, pour des raisons idéologiques, de toutes relations avec l’industrie pharmaceutique, sauf une fois, il y a une quinzaine d’années, lorsque je me suis rendu, à la demande du laboratoire Pierre Fabre, aux Entretiens du Carla ; j’étais défrayé, mais aucuns honoraires ne m’étaient versés. Le laboratoire voulait promouvoir le milnacipran – commercialisé sous le nom d’Ixel en France, où il a l’indication d’antidépresseur – comme traitement spécifique de la fibromyalgie. On m’avait fait parvenir le dossier retraçant le travail expérimental censé prouver son efficacité à ce titre. L’ayant étudié, j’ai dit que l’utilité de cette molécule dans le traitement de la fibromyalgie n’avait pas été démontrée, ce qui a beaucoup déçu le laboratoire ; j’ai assez vite cessé d’être invité aux Entretiens du Carla… Le laboratoire Pierre Fabre a ensuite vendu son brevet aux États-Unis, où le médicament a trouvé une seconde jeunesse sous le nom de Savella. Je précise pour la petite histoire que l’Agence européenne des médicaments a refusé à l’Ixel l’indication “ fibromyalgie ”, et que les publicités pour le Savella qui inondaient les journaux américains ont disparu ces temps-ci. » (59)
De même, le rapporteur a interrogé les associations de patients entendues par la commission d’enquête sur l’origine de leurs ressources et leurs réponses ont montré qu’elles ne dépendaient pas des laboratoires pharmaceutiques pour leur financement mais plutôt des cotisations de leurs adhérents.
Les associations de patients ont confirmé les effets nocifs d’une prise en charge répétée et à haute dose de médicaments, évoquant le fibrofog, forme de confusion mentale (60), voire l’apparition de pulsions suicidaires.
Une étude menée en France (61) sur 88 patients a démontré qu’aucun des patients n’avait témoigné que son traitement médicamenteux avait été extrêmement efficace.
Les traitements médicamenteux semblent toutefois encore largement utilisés. Le rapport de la HAS de 2010 avait ainsi établi que « L’analyse des dossiers des consultants en médecine générale issus des données Thales-Cegedim (cf. Annexe 2), sur la période 2005-2008, montre que selon les années, 8 à 10 % des patients ayant un syndrome fibromyalgique ne recevaient pas de traitements médicamenteux considérés dans le domaine de référence (22 à 23 % en rhumatologie libérale). L’analyse de la prescription, à partir de la dernière ordonnance prescrite, montre que la majorité des patients (89,5 % en médecine générale et 80 % en rhumatologie libérale) sont traités par au moins un des médicaments du domaine de référence considéré ». Ces chiffres sont corroborés par l’enquête de l’association FibromyalgieSOS qui estimait qu’en 2014 encore, près de 77 % des personnes fibromyalgiques prenaient régulièrement des médicaments pour cette indication, comme par le questionnaire du rapporteur puisque 80 % des 570 répondants ont déclaré suivre un traitement médicamenteux.
2. Une grande diversité de traitements non médicamenteux
Il est recommandé de continuer à pratiquer une activité physique, ou du moins de se réadapter à l’effort. Les associations de patients ont évoqué des activités de type yoga ou gymnastique douce. C’est pourquoi, il peut être prescrit des séances de kinésithérapie.
L’activité physique, lorsqu’elle est adaptée au patient, constitue une méthode reconnue, en complément des traitements traditionnels. Le « sport sur ordonnance » est ainsi un moyen de permettre aux fibromyalgiques de bénéficier de soins adaptés. Plusieurs interlocuteurs ont fait part de l’importance de pratiquer les activités sportives dans une optique de réadaptation à l’effort. Fibromyalgie-France soutient ainsi que le plan « sport santé bien-être », développé par le ministère chargé de la santé, dont un des axes concerne les personnes en situation de handicap. FibromyalgieSOS reconnaît les bienfaits du sport mais en souligne aussi les limites.
Les traitements par balnéothérapie ou cure thermale ont aussi été mentionnés par plusieurs intervenants devant la commission. Selon le professeur Francis Berenbaum, chef de service de rhumatologie à l’hôpital Saint Antoine, l’efficacité des cures thermales réside, en partie, dans la prise en charge personnalisée pendant au moins trois semaines (62). Le professeur Marcel-Francis Kahn a partagé cette analyse : « Des auteurs suisses ont démontré l’efficacité de la rééducation, de la balnéothérapie, des massages et des applications chaudes, toutes méthodes qui présentent en outre l’avantage de montrer aux patientes qu’on les prend au sérieux. » (63).
Lors de son audition (64), le professeur Christian Roques, président du conseil scientifique de l’Association française pour la recherche thermale (AFRETh) a indiqué que « chaque année, 12 000 à 15 000 patients atteints de fibromyalgie, diagnostiqués comme tels par un médecin ou, parfois, autodiagnostiqués – l’étude de l’association FibromyalgieSOS a révélé l’existence de cette pratique –, sont pris en charge dans les établissements thermaux. Ils représentent 2,8 % des curistes français ». Il a précisé que le programme des cures était le même que celui appliqué aux affections rhumatismales mais adapté à la sensibilité des fibromyalgiques notamment pour la pression des massages.
Cette pratique est assez répandue chez les patients fibromyalgiques qui peuvent bénéficier d’une cure prescrite par leur médecin, principalement au titre de l’orientation rhumatologie, puisque 24 % des répondants à l’enquête de l’association FibromyalgieSOS ont suivi ce type de traitement, avec toutefois une forte progression du taux de pratique après 60 ans.
Des thérapies cognitivo-comportementales peuvent obtenir des résultats. Le patient doit apprendre à gérer ses troubles et son stress, cela peut passer par des séances de relaxation, de sophrologie ou de l’hypnose. Mme Nadine Radon présidente de FibromyalgieSOS a indiqué (65) : « Pour aller mieux lorsqu’on est atteint de fibromyalgie ou d’une autre pathologie chronique, il faut accepter de vivre avec, et c’est en cela que les médecines alternatives complémentaires peuvent aider. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC), par exemple – dispensée par un psychiatre comportementaliste, et non un analyste –, se révèle souvent très efficace. »
Quelques nouvelles méthodes de lutte contre la douleur sont expérimentées, comme le traitement par oxygène hyperbare ou les traitements électromagnétiques. Le professeur Marcel-Francis Kahn a cité les stimulations magnétiques répétitives crâniennes (SMRT) qui, en stimulant le cortex cérébral, permettraient d’atténuer certaines douleurs (66).
3. Les programmes d’éducation thérapeutique du patient
L’éducation thérapeutique du patient vise à aider les patients à gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique en les rendant le plus autonome possible. Elle est en théorie un processus continu, qui fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient mais on peut aussi lui consacrer des modules spécifiques animés par des équipes pluri professionnelles (médecins, infirmières, psychologues) et autorisés par les ARS.
Le centre de la douleur de l’hôpital Cochin, dirigé par le professeur Serge Perrot et auquel se sont rendus le rapporteur et la présidente le 2 juillet 2016, a ainsi développé un programme d’éducation thérapeutique dénommé « Fibroschool ». Les patients apprennent ce qu’est la douleur, et comment gérer l’effort, l’activité physique et le stress ainsi que les effets secondaires des médicaments.
Le programme comporte sept séances. La première évalue les motivations individuelles avec une infirmière qui cible les attentes, les manques et les objectifs visés par le patient. Puis se déroulent six séances de travail de 2 h 30 en groupe d’une petite dizaine de patients au sein desquelles on utilise la thérapie cognitive (apprendre à s’observer, à s’accepter et à prendre conscience de ses composantes émotionnelles), la relaxation (apprendre à respirer et réguler ses émotions) et éventuellement des séances d’hypnose. Au terme de chaque séance, chacun a un quota de tâches à effectuer selon ses objectifs et ses capacités (aller au musée, inviter des amis, faire du vélo) dont il rendra compte de l’exécution devant ses pairs à la séance suivante, ce qui favorise l’émulation et l’empathie.
Plusieurs établissements thermaux proposent des modules comparables qui se déroulent en plus de la cure thermale proprement dite et qui reposent sur des principes et des activités très proches.
Les associations de patients comme les médecins entendus par la commission d’enquête ont salué ces programmes qui leur semblent bien répondre aux besoins de certains patients fibromyalgiques présentant des formes accentuées du syndrome. Ils restent toutefois quantitativement limités puisque selon l’enquête de l’association FibromyalgieSOS seulement 7 % des répondants avaient participé à un programme d’ETP et 9 % parmi les non participants en connaissaient l’existence.
Dans son rapport précité, la HAS avait estimé que « Le développement de programmes d’éducation thérapeutique spécifiques est une hypothèse intéressante, en raison de la chronicité des symptômes et de la nécessité d’aider les patients à rechercher des ajustements, des adaptations pour réaliser les activités de la vie quotidienne, et acquérir la capacité à recourir judicieusement aux traitements médicamenteux, non médicamenteux. Les preuves de leur efficacité restent à apporter. De telles approches devraient faire l’objet, comme les autres, de travaux prospectifs. »
Le rapporteur relève toutefois que l’article L. 161-40 du code de la sécurité sociale confie à la HAS une mission d’évaluation de la qualité et de l’efficacité des actions ou programmes de prévention, notamment d’éducation pour la santé, de diagnostic ou de soins. Elle propose ainsi plusieurs documents de méthodologie pour la mise en œuvre ainsi que l’évaluation de l’ETP. Elle a ainsi établi une recommandation en juin 2007 intitulée : « éducation thérapeuthique du patient : comment élaborer un programme spécifique d’une maladie chronique ? ».
Il pourrait être opportun de s’appuyer sur ces documents, ainsi que sur les programmes existants, pour développer l’éducation thérapeutique destinée aux patients atteints de fibromyalgie, en compléments de la stratégie de soins proprement dite.
Cette montée en puissance devrait s’appuyer sur une évaluation scientifique de certains des programmes existants, comme celle que mène actuellement l’Association française pour la recherche thermale (AFRETh) grâce à un essai clinique destiné à évaluer l’impact du programme d’ETP Fibr’eaux proposé dans la station thermale de Dax.
Proposition n° 7 : favoriser le développement des programmes d’éducation thérapeutique du patient fondé sur une évaluation scientifique des modules existants.
Au fil des échanges et des rencontres, le rapporteur a été renforcé dans sa conviction d’encourager une approche pluri-professionnelle de la prise en charge des patients atteints de fibromyalgie, quel qu’en soit le degré de sévérité, afin de promouvoir la réadaptation à l’effort. Ceci doit cependant reposer sur une meilleure articulation entre les différents partenaires de ces programmes qui ne sont pas tous des professions médicales.
D. INSTITUER UN PARCOURS DE SOINS
Du fait de la variabilité de leurs symptômes et de la diversité des traitements envisageables, les patients fibromyalgiques peuvent se sentir perdus dans les méandres de notre système de santé en enchainant les consultations et les examens dans une errance médicale dommageable pour eux-mêmes, pour les professionnels de santé et pour la société.
Face à cette complexité, certains pays ont émis des recommandations de bonne pratique et la HAS avait elle aussi entamé cette démarche dans son rapport précité.
Le rapporteur estime qu’il convient désormais d’accentuer cette approche en utilisant les outils proposés par la loi de modernisation de notre système de santé afin d’instituer un véritable parcours de soins organisé et coordonné.
1. Identifier les besoins en utilisant les outils fournis par la loi de modernisation de notre système de santé
Au-delà des nécessaires travaux épidémiologiques, il importe d’inscrire la réponse des pouvoirs publics dans le cadre prévu par la loi de modernisation de notre système de santé qui a entièrement revu l’organisation, la répartition, le coordination et le financement des soins. Il appartient désormais aux professionnels de santé, appuyés en cela par les autorités sanitaires et les associations agréées représentant les patients fibromyalgiques, de s’approprier cette réforme et les outils qu’elle propose afin d’améliorer la réponse de notre système de santé à ce syndrome.
● Le médecin généraliste est l’acteur pivot de l’organisation de l’offre de soins. Cette nécessité a été réaffirmée par de nombreux interlocuteurs, qu’il s’agisse de représentant des patients, du corps médical ou de l’administration de la santé.
Porte d’entrée dans le système de santé, le médecin de premier recours joue un rôle éminent dans la prévention, le dépistage, le diagnostic et le traitement des maladies. L’article L. 1411-11-1 du code de la santé publique prévoit à cet effet la constitution d’équipe de soins primaires autour des médecins généralistes de premier recours, afin d’assurer les soins sur la base d’un projet de santé.
● La loi institue également les communautés professionnelles territoriales de santé dont l’ambition est d’assurer une meilleure coordination de l’action des professionnels des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux (67). Leur noyau dur est constitué par les équipes de soins primaires. Elles peuvent également accueillir en leur sein les établissements de santé assurant le service public hospitalier sur désignation de l’agence régionale de santé (ARS). Enfin, les actions mises en œuvre font l’objet d’un projet de santé transmis à l’ARS.
Ce système à double étage conditionne la prise en charge des patients atteints de fibromyalgie. En effet, le médecin généraliste de premier recours doit pouvoir, le cas échéant, orienter le patient vers les bonnes voies de sorties. Il s’agit en premier lieu des médecins spécialistes, en ville ou dans des structures spécialisées, telles que les centres de la douleur. Lors de son audition, le directeur général de la santé a ainsi souligné l’intérêt pour tout médecin généraliste de s’appuyer sur les médecins spécialistes ainsi que sur les structures dédiées à la douleur chronique (SDC), rattachées à un établissement de santé. À cet égard, un annuaire national des SDC a été dressé par le ministère en charge de la santé à l’intention des professionnels de santé : disponible sur son site internet, il est régulièrement tenu à jour (68).
● Pour être opérationnelle, cette coordination doit pouvoir prendre appui sur une analyse des besoins de santé, et partant, d’évaluer si l’offre de santé est suffisamment adaptée. Le dernier étage de l’édifice est ainsi consacré au projet régional de santé défini et mis en œuvre par les agences régionales de santé.
Il prend appui sur un diagnostic territorial de santé. À cet égard, une analyse de la prévalence de la maladie, éventuellement assortie de statistiques sur le degré de sévérité, ne pourra que conforter la structuration d’une offre de soins adaptée.
Les conseils territoriaux de santé, constitués par les ARS en application de l’article L. 1434-10 du code de la santé publique et comprenant des associations de patients, participent à la réalisation du diagnostic territorial partagé en s’appuyant notamment sur les projets des équipes de soins primaires et des communautés professionnelles territoriales de santé.
● Coordination, organisation des soins, la territorialisation de la santé se caractérise aussi par un financement adapté. En effet, l’article L. 1434-13 du code de la santé publique dispose que, pour répondre aux besoins identifiés dans le cadre des diagnostics territoriaux mentionnés et sur la base des projets de santé des équipes de soins primaires et des communautés professionnelles territoriales de santé, l’ARS peut conclure des contrats territoriaux de santé.
Ce contrat définit l’action assurée par ses signataires, leurs missions et leurs engagements, les moyens qu’ils y consacrent et les modalités de financement, de suivi et d’évaluation. Le directeur général de l’ARS peut mobiliser à cet effet les crédits du fonds d’intervention régional.
La définition d’un parcours de santé pourra utilement s’appuyer sur des plates-formes d’appui dans les cas les plus sévères. À cet effet, la loi a défini le cadre des services d’appui à la coordination des parcours complexes. Piloté par ARS, il s’agit de répondre aux besoins des professionnels de santé, sociaux et médico-sociaux dans leurs activités relatives à l’organisation globale de la prise en charge de leurs patients. Le parcours de santé est dit complexe lorsque l’état de santé, le handicap ou la situation sociale du patient rend nécessaire l’intervention de plusieurs catégories de professionnels de santé, sociaux ou médico-sociaux.
L’article L. 6327-1 du code la santé publique dispose que ces structures d’appui visent à prévenir les hospitalisations inutiles ou évitables ainsi que les ruptures de parcours. Le recours est déclenché par le médecin traitant ou un médecin en lien avec ce dernier, en veillant à leur intégration dans la prise en charge globale du patient.
Cette nouvelle organisation des soins devrait pouvoir comporter un volet consacré à la fibromyalgie. Cette mise en œuvre implique nécessairement une prise de conscience des médecins, particulièrement les médecins généralistes, ainsi qu’un investissement des associations agrées représentant les patients fibromyalgiques dans les structures de concertation de santé dans leur déclinaison territoriale et locale.
Cela étant, le travail des associations ne peut être véritablement « payant » que si l’on constate une adhésion des professionnels de santé à une démarche de coordination. On l’a vu, les patients peuvent parfois se heurter à un mur. Il est à craindre que la question fibromyalgique ne soit pas appréhendée dans le cadre des projets de santé définis par les médecins dans le cadre des équipes de soins primaires ou des communautés territoriales de santé et qu’un refus poli ne soit opposé aux associations.
Les médecins sont peu ou pas sensibilisés à la fibromyalgie, bien souvent peu au fait des modes de prise en charge, notamment pour les patients les plus lourds, les questionnaires de dépistage ne sont pas particulièrement répandus et utilisés.
D’autres raisons peuvent aussi objectivement militer en faveur d’un statu quo. En l’absence de données consolidées portant sur la prévalence de la fibromyalgie, il est en effet difficile de déterminer si l’offre de santé est suffisamment adaptée. Dès lors, l’expertise collective menée par l’INSERM constitue un élément fondamental pour déclencher un processus de mobilisation.
Proposition n° 8 : intégrer les conclusions de l’expertise collective relative à la fibromyalgie menée par l’INSERM dans les diagnostics territoriaux partagés prévus par la loi de modernisation de notre système de santé.
Condition nécessaire, la publication de l’expertise par l’INSERM n’est cependant pas suffisante pour permettre une prise en charge fluide, coordonnée et sans rupture des patients atteints de fibromyalgie. Les professionnels de santé doivent pouvoir disposer de systèmes de références afin d’adapter l’offre de soins aux besoins des patients.
2. Développer un modèle de parcours de soins prenant appui sur les centres de la douleur
Pour le rapporteur, il importe de s’accorder au préalable sur un modèle de prise en charge susceptible de servir de référence aux médecins généralistes et spécialistes. La définition d’un parcours de soins permettrait de satisfaire cet objectif.
Le modèle de parcours élaboré pour la prise en charge des personnes âgées susceptibles de perdre leur autonomie, au-delà des différences évidentes de patientèle et de problématique médicale, présente des innovations organisationnelles intéressantes qui pourraient inspirer la mise en place d’un véritable parcours de soins pour les malades souffrant de douleur chronique.
a. S’inspirer des innovations organisationnelles du parcours des personnes âgées en risque de perte d’autonomie
Le dispositif du parcours des personnes âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA) favorise la prise en charge en équipe pluri professionnelle dans un cadre de coopération non hiérarchique. Il prend appui sur un plan d’action élaboré à la suite d’une évaluation globale de la situation médicale, psychologique et sociale de la personne afin d’identifier les situations à problèmes. Il débouche sur un suivi et une réévaluation.
La démarche PAERPA suscite une coordination renforcée des professionnels de santé de premier recours, en lien avec les professionnels sociaux si besoin, afin de renforcer le maintien à domicile des patients.
Pour faciliter la coordination des intervenants et des interventions, un numéro unique accessible aux personnes âgées et à leurs aidants ainsi qu’aux professionnels et plus particulièrement aux professionnels de santé libéraux est mis en place. Cette plate-forme d’appel offre une meilleure information aux professionnels sur les places en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, sur les aides sociales, les orientations vers une expertise gériatrique et permet aussi une meilleure diffusion de l’accès aux droits et aux aides pour ces dernières.
Le dispositif permet d’anticiper la sortie de l’hôpital pour les personnes âgées faisant l’objet d’une hospitalisation : plutôt qu’un renvoi au domicile, des solutions d’hébergement temporaire peuvent être recherchées avant de mobiliser les services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) ou les services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD).
La démarche a également pour objet d’éviter les hospitalisations inutiles grâce à une meilleure circulation de l’information entre professionnels. Elle vise enfin à faciliter le traitement par voie médicamenteuse en évitant les effets indésirables liés aux interactions entre médicaments. Des révisions d’ordonnance sont mises en place en lien avec le médecin traitant et le pharmacien d’officine.
Neuf territoires pilotes avaient été sélectionnés pour expérimenter le dispositif PAERPA. Il est aujourd’hui prévu de généraliser ce parcours de santé, à raison d’au moins territoire PAERPA par région.
Parallèlement, la HAS a élaboré un modèle de plan personnalisé de santé (PPS). Ce document consiste en un projet de santé structuré autour d’actions à mettre en œuvre. Personnalisé, il est centré sur la prise en charge d’un patient en tenant compte de son histoire et de sa situation ainsi que de celle de sa famille. Il vise enfin à définir une méthode couvrant le champ médical et social. Son élaboration est placée sous la responsabilité d’un référent, le plus souvent d’un médecin traitant. Il s’agit d’un support qui peut être adapté par les professionnels pour tenir compte des spécificités de leur démarche.
En définitive, ce plan permet de définir la prise en charge la plus adaptée possible à la situation des personnes concernées et d’en assurer le suivi. Un bilan à 6 mois de l’utilisation du modèle PPS a été réalisé par la HAS (69). Plusieurs éléments positifs peuvent être soulignés parmi lesquels l’accessibilité aux informations portant sur le patient ou encore aux coordonnées des professionnels mobilisés, l’intérêt de constituer une liste d’actions permettant d’identifier les priorités des professionnels. Sur ce dernier point, la check-list permet d’identifier les actions pour lesquelles une coordination interprofessionnelle peut être nécessaire.
b. Mettre en place un parcours de soins de lutte contre la douleur, incluant la fibromyalgie
Il s’agirait tout d’abord de centrer le parcours sur le médecin généraliste de premier recours. La loi de modernisation de notre système de santé fait du médecin généraliste de premier recours, l’interlocuteur principal des patients dans la prise en charge de la douleur. Ses missions sont précisées par l’article L. 4130-1 du code de la santé publique. Son 5° bis dispose qu’il est chargé d’ « administrer et [de] coordonner les soins visant à soulager la douleur ». Il lui reviendrait ainsi d’élaborer un PPS à partir d’un modèle établi par la HAS.
Le premier enjeu est en effet le repérage du syndrome en soins primaires, difficile en raison de l’absence de spécificité des symptômes et aussi de la prévalence relativement faible en médecine générale. Cela suppose d’apporter une réponse aux enjeux de formation (initiale et continue) et d’outillage des professionnels (diffusion des questionnaires).
Proposition n° 9 : définir un modèle de plan personnalisé de santé coordonné par le médecin de premier recours pour les patients atteints de fibromyalgie.
Selon l’enquête menée par FibromylagieSOS, les malades sont souvent diagnostiqués en cabinet de ville à 54 % par des rhumatologues et à 37 % par des généralistes. Dès lors, le parcours de santé viserait aussi à orienter rapidement le patient vers le médecin spécialiste ou de second recours, ou vers une structure spécialisée.
● Assurer une réelle coordination avec les médecins spécialistes
Le diagnostic relatif à la fibromyalgie est le plus souvent posé par le rhumatologue qui est aussi, le plus au fait des modalités de prise en charge ou de traitement de la douleur. Il importe d’assurer la coordination avec le médecin spécialiste dans la mesure où sa mission consiste, entre autres, à « compléter la prise en charge du patient par la réalisation d’une analyse diagnostique et thérapeutique d’expertise, la mise en œuvre du traitement approprié ainsi que le suivi des patients ». Le diagnostic inclut en effet le diagnostic différentiel avec des maladies pouvant se révéler par une expression clinique comparable.
L’orientation vers les services de médecine interne, de rhumatologie ou les rhumatologues libéraux ayant développé une expertise sur cette thématique doit ainsi être prioritaire.
● Inclure les médecins du travail
Il pourrait aussi être utile de favoriser la coordination avec les médecins du travail comme l’a fort pertinemment suggéré le professeur Serge Perrot lors de son audition par la commission d’enquête. Interrogé sur l’opportunité de maintenir le patient au travail, la réponse a été claire : « comme pour beaucoup d’autres maladies, il faut viser au maximum le maintien au travail pour éviter la perte d’emploi et la désinsertion sociale ». Il plaide ainsi en faveur de la reprise à mi-temps et de l’adaptation du poste de travail. À cet effet, il ajoute qu’« il faut faire œuvre de pédagogie auprès des médecins du travail pour leur faire mieux appréhender une maladie dont les perspectives, si elle est bien prise en charge, ne sont pas catastrophiques ». Assez désarmés, les médecins du travail sont souvent amenés à prendre des « décisions tranchées, prononçant l’inaptitude alors que ce peut n’être qu’un passage de quelques mois au terme desquels, avec une prise en charge adaptée, le patient peut reprendre son emploi. » (70).
● Prendre appui sur les centres de lutte contre la douleur
La prévention de la douleur figure parmi les priorités de la politique nationale de santé et sa prise en charge peut relever de structures spécialisées. L’article L. 4130-1 précité prévoit ainsi qu’en cas de nécessité, le médecin généraliste de premier recours assure le lien avec les structures spécialisées dans la prise en charge de la douleur.
Depuis 1998 ces structures spécialisées se sont développées, notamment grâce à la mise en place de trois plans nationaux successifs de lutte contre la douleur.
Les consultations d’évaluation et de traitement de la douleur chronique doivent assurer une prise en charge pluri professionnelle de proximité qui consiste principalement lors de l’accueil du patient à évaluer son syndrome, à définir avec lui un projet thérapeutique personnalisé, à le diffuser aux professionnels impliqués dans son suivi ainsi qu’à établir une coordination avec son médecin traitant.
Les centres d’évaluation et de traitement de la douleur chronique assurent également une prise en charge pluridisciplinaire et ils peuvent proposer une hospitalisation mais ils ont en plus une mission de recherche et d’enseignement : soit la responsabilité pédagogique d’un diplôme universitaire sur la douleur, soit une activité de recherche formalisée par des publications référencées et ils participent au recueil de données épidémiologique.
Sur l’ensemble du territoire, on comptabilise 245 structures de douleur chronique (SDC), dont 96 centres et 149 consultations. Dans chaque région doit exister au moins un centre polyvalent.
Une dotation de mission d’intérêt général d’environ 61 millions d’euros leur est affectée. Elle sert à financer les coûts liés aux consultations spécialisées.
Le financement de chaque structure est indexé sur son activité puis régionalisé car les ARS sont libres de l’affectation définitive des financements, qu’elles peuvent éventuellement moduler en fonction de critères de qualité.
La fibromyalgie figure dans le répertoire des pathologies douloureuses qui peuvent être prises en charge par ces centres et, sur un plan national, 11 % de leur activité relèverait de ce syndrome. Au centre de Cochin, dans les locaux duquel le rapporteur et la présidente de la commission se sont rendus le 2 juillet 2016, ce chiffre s’élève entre 20 % et 30 %.
Ces structures proposent une information, une écoute et certaines peuvent proposer des programmes d’éducation thérapeutique du patient validés par les ARS.
Cependant, en raison de manque de moyens financiers, beaucoup offrent aux patients uniquement des traitements médicamenteux.
Selon les témoignages des associations de patients, une des difficultés liées à ces structures est le délai d’attente avant de pouvoir consulter ou de suivre un de leurs programmes.
Selon la DGOS, le délai d’attente avant une première consultation s’établit entre 2 et 8 mois. À Cochin, le délai avant un premier rendez-vous pour une consultation est de un mois mais pour participer à des modules d’éducation thérapeutique, les patients doivent attendre 18 mois.
Il est donc particulièrement intéressant de mettre en lumière les initiatives engagées en faveur d’une meilleure coordination entre la médecine de ville et les structures spécialisées dans la lutte contre la douleur. Tel est l’objet de l’expérimentation « coupe-file de la douleur » menée par la SFETD.
Elle consiste à élaborer un outil de priorisation afin d’améliorer la qualité de vie des patients atteints de douleur chronique en réduisant le délai de leur prise en charge grâce à un dispositif permettant de sélectionner les demandes de premier rendez-vous en SDC (soutenues par un courrier du médecin traitant, s’agissant de structures de recours).
Cet outil repose sur un questionnaire en dix points afin de mieux évaluer le patient orienté par le médecin généraliste vers les SDC, ce qui devrait permettre de mieux prioriser les demandes de rendez-vous en fonction du caractère chronique de la douleur et de faciliter la communication des médecins vis-à-vis de leurs patients en cas de délais prolongés.
Cette action est expérimentée sur 15 structures de la douleur représentatives. On estime que près de 900 patients devront être recrutés pour cette expérimentation et suivis pendant 6 mois.
Proposition n° 10 : publier les résultats de l’expérimentation « coupe-file de la douleur » menée dans certains centres de traitement de la douleur et évaluer l’intérêt de sa généralisation.
Interrogée sur l’intérêt de réaliser un parcours de santé structuré autour de la prise en charge de la douleur, la DGOS souligne que l’établissement de relations avec la ville fait partie du cahier des charges et du financement des SDC. La DGOS a par ailleurs indiqué que cette mission serait prochainement évaluée par une enquête de pratique menée en 2016.
Proposition n° 11 : publier les résultats de l’évaluation de la mission de coordination des structures d’étude et de prise en charge de la douleur chronique
Les structures de la douleur, qui ont bénéficié de progrès majeurs au cours des années 1990 et 2000, seraient toutefois aujourd’hui fragilisées du fait d’un manque de moyens et du plafonnement de la dotation au titre des missions d’intérêt général à un montant de 61 millions d’euros depuis 2010 alors que l’activité a augmenté de 15 % entre 2013 et 2015. S’ajoute à cela la pénurie des personnels médicaux, qui se traduit par un manque croissant de médecins de la douleur.
À cet égard, il serait particulièrement justifié de réactiver le plan de lutte contre la douleur aujourd’hui en suspens. Le directeur général de la santé a ainsi confirmé à la commission d’enquête parlementaire que « le ministère a souhaité marquer un temps d’arrêt, dans le contexte de la stratégie nationale de santé qui englobe les différents plans » (71) sans toutefois exclure qu’il puisse être repris avec quelques axes prioritaires, dont la fibromyalgie.
Le 4ème plan anti douleur 2013-2017 devait compter trois axes prioritaires ainsi formulés :
– améliorer l’évaluation de la douleur et la prise en charge des patients en sensibilisant les acteurs de premier recours ;
– garantir la prise en charge de la douleur lorsque le patient est hospitalisé à domicile ;
– aider les patients qui rencontrent des difficultés de communication (nourrissons, personnes souffrant de troubles psychiatriques ou de troubles envahissants du développement, etc.) à mieux exprimer les douleurs ressenties afin d’améliorer leur soulagement.
Proposition n° 12 : réactiver le 4ème plan national de lutte contre la douleur.
● Définir des référentiels et des recommandations de bonnes pratiques
La structuration du parcours de santé suppose l’élaboration de recommandations et de référentiels susceptibles d’aider les médecins généralistes à coordonner la prise en charge et mieux orienter les patients.
La DGOS souligne que le parcours des patients en SDC ne fait actuellement l’objet d’aucune recommandation professionnelle ni référentiels. Ce segment de prise en charge fait actuellement l’objet d’une demande de la DGOS d’inscription au programme de travail de la HAS en vue d’élaborer des recommandations de bonne pratique.
Dans son rapport précité, la HAS avait toutefois amorcé ce travail quoiqu’en termes prudents. Elle avait ainsi préconisé de « graduer la prise en charge en fonction de l’impact des symptômes sur la réalisation des activités de la vie quotidienne dans une logique de parcours de soins ». Elle avait défini des critères de choix du niveau de prise en charge et identifié deux niveaux d’intervention caractérisés par des principes de prise en charge et des options de traitement. Ces options étaient toutefois décrites avec beaucoup de précautions, dans une formulation parfois proche du scepticisme, et non hiérarchisées entre elles.
L’élaboration de référentiels de bonne pratique opposables aux professionnels de santé devrait être envisagée par la HAS en fonction des résultats de l’expertise collective de l’INSERM. Ces référentiels pourraient évoquer la coordination avec les médecins du travail et le recours aux plateformes territoriales d’appui à la coordination des parcours de santé complexes pour les cas les plus sévères.
Proposition n° 13 : mettre en place un parcours de soins et de prise en charge de la douleur, notamment pour les patients atteints de fibromyalgie, sur la base d’un référentiel de bonnes pratiques élaboré par la Haute autorité de santé (HAS).
● Repenser le financement des activités de coordination et des consultations pluridisciplinaires
Enfin, le rapporteur estime important d’engager une réflexion sur les modalités de financement des activités relevant de la coordination et de la contribution au parcours de soins, au-delà même de la seule fibromyalgie.
Dans le cadre des parcours de santé PAERPA, le bilan à 6 mois établi par la HAS fait état des modalités de rémunération du temps passé à la coordination des soins par le médecin traitant. En raison de la complexité des prises en charge, les tâches de coordination occupent une place grandissante dans l’activité des professionnels de santé. Une réflexion pourrait à cet égard être portée sur l’exercice du médecin généraliste, et notamment sur le mode de rémunération de ces professionnels de plus en plus assujettis à l’accomplissement de tâches ne relevant pas d’une stricte fonction soignante. Le temps passé à la coordination est un atout pour l’amélioration de la prise en charge du patient. Il reste cependant un obstacle pour l’exercice de la profession et son attractivité, surtout s’il ne se manifeste par aucune incitation particulière. La mise en place d’un forfait de coordination serait de nature à faciliter cet exercice.
Proposition n° 14 : mettre en place un forfait de coordination dans le cadre des parcours de soins.
Par ailleurs, le financement de la prise en charge des malades chroniques ne reflète qu’imparfaitement la réalité de la charge. Le rapport de notre collègue député Olivier Véran (72) relève que la prévention et l’éducation thérapeutique sont deux domaines valorisés dans le cadre du fonds d’intervention régional. De son côté, la tarification à l’activité permet de valoriser d’autres actes techniques. Cela étant, d’autres modes de prise en charge, bien qu’essentiel à l’accompagnement des patients, ne sont pas valorisés. Il peut s’agir des consultations de diététicien, d’infirmier, de psychologue ou d’assistant social. Il en est de même des consultations pluridisciplinaires.
Le rapporteur estime ainsi utile de repenser la valorisation des consultations pluridisciplinaires et pluri professionnelles de la douleur, particulièrement à l’hôpital. Afin d’accorder aux patients la meilleure prise en charge possible, des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), regroupant différents professionnels de santé, sont instituées. Il s’agit de réunir autour du patient l’ensemble des disciplines indispensables à l’élaboration du diagnostic et à la définition du traitement des patients.
La mission conduite par Olivier Véran sur la tarification hospitalière a ainsi effectué des recommandations en la matière, reconnaissant explicitement cet enjeu comme majeur. Aujourd’hui, les modes de rémunération de l’hôpital ne permettent qu’imparfaitement de valoriser ces activités. Les tarifs établis au titre des actes et consultations externes ne permettent pas de couvrir la totalité des frais engagés à l’occasion des RCP. Bien souvent, le recours à des expédients coûteux pour l’assurance maladie et finalement peu approprié au patient. La mission relève ainsi la prescription d’actes ou analyses supplémentaires permettant un codage en hospitalisation de jour et partant une meilleure rémunération.
L’instauration d’une tarification intermédiaire entre la consultation externe et l’hospitalisation de jour serait de nature à répondre à ce besoin.
Enfin, la proposition figurant dans la nouvelle convention régissant les relations entre l’assurance maladie et les médecins libéraux de mettre en place une majoration de tarification (46 euros pour les généralistes) pour les pathologies complexes nécessitant une consultation plus longue et plus exigeante répond bien au besoin de prendre en compte les spécificités des patients fibromyalgiques.
Proposition n° 15 : mettre en place une tarification couvrant les soins apportés dans le cadre pluriprofessionel et pluridiscliplinaire ambulatoire (Proposition formulée dans le rapport d’étape de financement des établissements de santé).
Proposition n° 16 : inclure la fibromyalgie dans la liste des pathologies complexes ouvrant droit à une majoration de tarification pour les consultations de généralistes.
E. HARMONISER ET DÉVELOPPER LA PRISE EN CHARGE
Plusieurs dispositifs permettent d’aider les patients à faire face aux conséquences financières les plus sévères de la fibromyalgie. Une des préoccupations exprimées par les associations de patients est l’inégalité de prise en charge par l’assurance maladie (affections de longue durée) ou la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (prise en charge du handicap) selon les territoires.
Par ailleurs, la diversité des traitements applicables à la fibromyalgie dans ses différentes formes, n’est guère compatible avec les modalités actuelles de prise en charge, c’est pourquoi le rapporteur s’interroge sur l’expérimentation d’un panier de soins forfaitaire qui pourrait couvrir des formes de traitements actuellement non remboursés par l’assurance maladie.
1. Le régime des affections de longue durée
Le dispositif des affections de longue durée (ALD) a été mis en place dès la création de la sécurité sociale afin de permettre la prise en charge des patients ayant une maladie chronique comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse.
La reconnaissance d’une ALD ouvre droit à l’exonération du ticket modérateur et donc à une prise en charge intégrale par l’assurance maladie des soins prodigués pour l’affection identifiée, à l’exception du forfait hospitalier, des pénalités pour non-respect des parcours de soins coordonnés ou des dépassements d’honoraires pratiqués par certains médecins. Dans le cas où le patient dispose d’une assurance complémentaire qui généralement prend en charge le ticket modérateur, ce transfert est neutre pour lui.
Le patient bénéficie d’un protocole de soins, périodiquement révisable, établi par le médecin traitant et validé par le médecin-conseil de l’assurance maladie. Ce protocole de soins définit les actes et les prestations nécessités par le traitement de l’affection. Sa durée est fixée compte tenu des recommandations de la HAS.
Le régime des ALD est notamment fixé par l’article L. 160-14 du code de la sécurité sociale et leur liste est établie par décret après avis de la HAS. Actuellement cette liste compte 29 affections représentant près de 400 maladies mais elle en a compté 30, d’où son nom d’ALD 30 (73). Figurent notamment sur cette liste la polyarthrite rhumatoïde évolutive, les formes graves des affections neurologiques et musculaires (dont la myopathie), les affections psychiatriques de longue durée mais pas la fibromyalgie.
Il existe une possibilité de se voir reconnaître le régime des ALD pour une affection ne figurant pas sur cette liste dès lors qu’elle nécessite un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, comme le prévoit le 4° de l’article L. 160-14. Dans le cas d’une seule affection grave, on parlera d’ALD 31 et dans le cas de poly-pathologies, d’une ALD 32 et on évoquera souvent une ALD hors liste pour regrouper les deux régimes.
La circulaire ministérielle du 8 octobre 2009 relative à l’admission ou au renouvellement d’une affection de longue durée hors liste, a explicité ces deux critères en précisant les conditions cumulatives comme suit :
– la condition d’affection grave est validée si au moins un des critères médicaux - risque vital encouru, morbidité évolutive, qualité de vie dégradée - est vérifié ;
– la condition de traitement prolongé est validée si la durée prévisible du traitement est supérieure à 6 mois ;
– et la condition de traitement particulièrement couteux est validée si au moins 3 des 5 critères du panier de soins sont validés – traitement médicamenteux régulier ou appareillage régulier ; hospitalisation ; actes techniques médicaux répétés ; actes biologiques répétés ; soins paramédicaux répétés – dont obligatoirement celui du traitement médicamenteux ou de l’appareillage.
En 2014, près de 11,3 millions de personnes bénéficiaient du dispositif de l’ALD (dont plus de 700 000 d’ALD hors liste) au titre du régime général, agricole ou des indépendants, soit 17 % des assurés sociaux.
Plusieurs acteurs sont parties prenantes du dispositif des ALD : le médecin traitant qui établit le protocole de soins, le médecin conseil destinataire du protocole de soins et qui fait connaître son avis à la caisse d’assurance maladie dont relève l’assuré et le directeur de l’organisme de sécurité sociale dont dépend le patient assuré qui lui notifie la décision.
b. Une prise en charge de la fibromyalgie disparate
La prise en charge de la fibromyalgie au titre de l’ALD n’est pas satisfaisante car il existe de fortes présomptions d’un traitement différencié d’un point du territoire à l’autre, faute de doctrine précise élaborée par la HAS dans ce domaine.
Une mesure simple consisterait à ajouter la fibromyalgie à la liste des 29 affections dont le diagnostic entraîne la prise en charge à 100 %. Les auditions ont montré qu’il ne s’agissait pas d’une revendication des associations de patients. Leur objectif ne consiste en effet pas tant à élargir la liste des ALD qu’à limiter le reste à charge et à assurer une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national. Plusieurs médecins ont aussi fait part de leur scepticisme voire de leur hostilité à cette mesure.
Le rapporteur ne le proposera pas non plus car il existe de nombreux patients fibromyalgiques qui n’ont pas besoin de traitements particulièrement coûteux, cette mesure serait donc insuffisamment ciblée.
Il importe avant tout que la reconnaissance de l’ALD soit garantie aux cas sévères et coûteux en soins, de manière homogène sur le territoire national, ce qui ne semble pas être le cas actuellement, notamment pour l’appréciation de la condition de traitement particulièrement coûteux prévue par la circulaire de 2009 pour les affections hors liste.
En effet, dans la plupart des cas, la durée de la prise en charge médicale de la fibromyalgie est supérieure à 6 mois et il existe un retentissement de la fibromyalgie sur la qualité de vie, ce qui satisfait deux des trois conditions de la circulaire de 2009.
Mais seules les formes les plus sévères vont entraîner une hospitalisation ou des actes techniques répétés (infiltrations…) en plus du traitement habituel et sont donc susceptibles de remplir la condition de coût. Or il apparaît que l’appréciation de cette condition n’est pas homogène selon les régions comme l’a reconnu, lors de son audition (74), le docteur François-Xavier Brouck, directeur à la direction des assurés de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) : « Le troisième critère fait l’objet de situations beaucoup plus disparates puisque, en réalité, seules les affections les plus évolutives et les plus sévères, c’est-à-dire celles qui font l’objet d’actes techniques répétés, d’hospitalisations et d’un traitement lourd, peuvent être reconnues coûteuses selon le troisième critère.
En réalité, nous sommes confrontés, à l’assurance maladie, à la grande hétérogénéité des demandes qui nous parviennent : leur nombre est très disparate d’une région à l’autre ; il en est de même des critères de prise en charge et du diagnostic établi par le médecin traitant. Certaines de ces demandes nous arrivent avec des qualificatifs différents. Bien qu’un code de la classification internationale des maladies ait été attribué à la fibromyalgie, les demandes ne sont pas systématiquement formulées sous ce libellé – parfois pour des syndromes dépressifs, des affections de type articulaire ou de l’appareil locomoteur. »
Cette situation est principalement imputable à l’hétérogénéité des demandes, tant en volume qu’en libellé diagnostic. Ce constat renforce la nécessité d’une meilleure sensibilisation des médecins traitants.
Les demandes d’exonération du ticket modérateur pour fibromyalgie recensées dans le logiciel de saisie des avis du service médical de la CNAMTS entre 2012 et 2014 apparaissent très limitées en nombre, pour un syndrome dont la prévalence est de l’ordre de 2 % de la population, bien qu’en forte augmentation : on en recense 1055 en 2014 contre 692 en 2012.
Ces chiffres ne reflètent pas les taux évoqués par l’enquête de FibromyalgieSOS, selon laquelle 42 % des répondants ont fait une demande d’ALD auprès des caisses d’assurance maladie, ni ceux résultant du questionnaire du rapporteur (44 % des 570 répondants ont déclaré avoir fait une demande d’ALD) ce qui laisse penser qu’ou bien il y a un biais de sélection dans la population des répondants à l’enquête sur ce point ou bien que l’outil de mesure de la CNAMTS n’est pas exhaustif. Il est vrai que selon l’enquête menée par FibromyalgieSOS, 43 % des personnes ayant effectué une demande de prise en charge au titre de l’ALD l’ont fait au titre du régime de l’ALD 30, probablement pour une autre affection comme la dépression.
Le taux moyen de refus de l’assurance maladie était de 52 % en 2014 contre 29 % en 2012, ce qui pourrait témoigner d’une sévérité accrue devant l’augmentation des demandes.
Ce taux est supérieur à la moyenne des taux de refus pour les autres maladies susceptibles de bénéficier de l’ALD si l’on en croit la Cour des comptes : « Seules les demandes adressées au titre de quelques pathologies font l’objet de modalités de contrôle approfondies, qui ont pour corollaire des taux de refus plus importants. L’admission en ALD 14 “ insuffisance respiratoire chronique ” (notamment pour cause d’asthme) ou en ALD 23 “ affections psychiatriques de longue durée ”, qui présentaient des taux de refus respectifs de 21 % et 8 % en 2014, est ainsi conditionnée à l’appréciation par le médecin-conseil du degré de gravité de l’affection. De même, tout protocole de soins portant demande d’admission au titre des ALD 31 et 32, qui ne font pas l’objet de critères médicaux d’admission prédéfinis, doit inclure des éléments d’objectivation détaillés de l’état de santé du patient, qui favorisent un contrôle renforcé des médecins-conseils. Le taux de refus pour ces deux groupes d’ALD s’avère, par conséquent, nettement plus élevé (30 % en 2014) que celui des autres ALD (7 % en moyenne) » (75).
Le rapporteur s’interroge également sur la différence des taux de refus d’une région à l’autre (de 14 % en Normandie à 82 % en Bourgogne-Franche-Comté), même si les faibles effectifs peuvent dans certaines régions affaiblir une lecture statistique.
Selon les statistiques de la CNAMTS, il n’existe pas de corrélation entre le volume de la demande et le taux d’avis favorables au titre de l’exonération du ticket modérateur. En outre, la présence d’une nombreuse population n’entraine pas forcément un nombre important de demandes. Ainsi, l’Île-de-France ne représente que 9 % des demandes de prise en charge au titre de l’exonération du ticket modérateur.
Pour la CNAMTS, le faible nombre des demandes et leur disparité selon les régions résulte d’abord de l’approche hétérogène de la maladie selon les médecins traitants puisque les demandes sont faites à leur instigation.
Les statistiques indiquent ainsi une variation allant de 2 pour 100 000 personnes en Alsace à 9 pour 100 000 en région PACA.
Une autre explication apparaît aussi liée à la position de certains médecins conseils, insuffisamment sensibilisés à ce syndrome. Dans une circulaire de 2009 (76), la direction de la sécurité sociale avait proposé un arbre de décision permettant au médecin-conseil, pour les personnes atteintes d’une pathologie non avérée, mais devant tout de même suivre un parcours de soins long et onéreux, de prendre une décision la plus objective possible. L’application de cette circulaire ne semble pas encore généralisée.
DEMANDES ET ADMISSIONS D’EXONÉRATION DU TICKET MODÉRATEUR
AU TITRE D’UNE AFFECTION HORS LISTE POUR LA FIBROMYALGIE
PAR RÉGION
2012 |
2013 |
2014 | |||||||
Demande |
Avis favorable |
Taux accep-tation (%) |
Demande |
Avis favorable |
Taux accep-tation (%) |
Demande |
Avis favorable |
Taux accep-tation (%) | |
Alsace-Moselle |
10 |
4 |
40 |
10 |
– |
– |
19 |
5 |
26,32 |
Aquitaine |
28 |
16 |
57,14 |
42 |
25 |
59,52 |
60 |
35 |
58,33 |
Auvergne |
18 |
18 |
100 |
17 |
11 |
64,71 |
20 |
14 |
70 |
Bourgogne-Franche-Comté |
10 |
4 |
40 |
30 |
7 |
23,33 |
28 |
5 |
17,86 |
Bretagne |
33 |
17 |
51,52 |
36 |
20 |
55,56 |
58 |
25 |
43,10 |
Centre |
31 |
19 |
61,29 |
53 |
24 |
45,28 |
33 |
14 |
42,42 |
Guadeloupe |
7 |
5 |
71,43 |
8 |
5 |
62,50 |
3 |
2 |
66,67 |
Guyane |
0 |
– |
– |
3 |
– |
– |
3 |
3 |
100 |
Île-de-France |
75 |
58 |
77,33 |
85 |
52 |
61,18 |
88 |
50 |
56,82 |
Languedoc-Roussillon |
43 |
22 |
51,16 |
61 |
18 |
29,51 |
50 |
16 |
32 |
Limousin-Poitou |
15 |
13 |
86,67 |
33 |
14 |
42,42 |
40 |
15 |
37,50 |
Martinique |
2 |
2 |
100 |
7 |
6 |
85,71 |
5 |
3 |
60 |
Midi-Pyrénées |
49 |
43 |
87,76 |
71 |
47 |
66,20 |
70 |
45 |
64,29 |
Nord-Est |
19 |
9 |
47,37 |
38 |
15 |
39,47 |
48 |
11 |
22,92 |
Nord-Picardie |
70 |
50 |
71,43 |
108 |
45 |
41,67 |
133 |
52 |
39,10 |
Normandie |
44 |
39 |
88,64 |
82 |
65 |
79,27 |
65 |
56 |
86,15 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur Corse |
143 |
114 |
79,72 |
121 |
64 |
52,89 |
144 |
86 |
59,72 |
Pays de la Loire |
56 |
42 |
75 |
65 |
40 |
61,54 |
82 |
49 |
59,76 |
Réunion |
2 |
1 |
50 |
3 |
1 |
33,33 |
3 |
2 |
66,67 |
Rhône-Alpes |
37 |
17 |
45,95 |
75 |
20 |
26,67 |
103 |
20 |
19,42 |
Total général |
692 |
493 |
71,24 |
948 |
479 |
50,53 |
1 055 |
508 |
48,15 |
Source : Données Hippocrate CNAMTS
Reconnaissant qu’il peut exister une différence d’appréciation d’un médecin-conseil à l’autre, la CNAMTS estime qu’il appartient d’abord à la HAS d’établir des recommandations de prise en charge. Elle a ainsi indiqué qu’elle l’avait sollicitée à cet effet par courrier en date du 16 juin 2016, ce qui laisse penser que la création de la commission d’enquête n’est peut-être pas complètement étrangère à cette initiative salutaire.
L’établissement de recommandations permettra de réaliser des actions de formation auprès du réseau afin d’obtenir la meilleure cohérence des avis donnés.
Ces préconisations de bon sens sont bien évidemment partagées par le rapporteur.
Proposition n°17 : assurer l’égalité de traitement des patients fibromyalgiques au regard de l’accès au régime de l’affection longue durée par la diffusion de recommandations de prise en charge de la HAS aux médecins-conseils de la CNAMTS.
2. La prise en charge du handicap
a. Procédure de reconnaissance du handicap
La reconnaissance administrative du handicap permet d’avoir accès à un ensemble d’aides et de services destinés à vous aider à conserver ou trouver un emploi. Pour être reconnu handicapé, le moyen le plus courant est de solliciter la reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH).
C’est la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui délivre la RQTH. Mais c’est auprès de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) que les personnes peuvent trouver toutes les informations utiles et bénéficier de l’accompagnement nécessaire au dépôt de la demande. Aux termes de l’article L. 146-3 du code de l’action sociale et des familles, elles sont chargées d’offrir un accès unique aux droits et prestations, à toutes les possibilités d’appui dans l’accès à la formation et à l’emploi et à l’orientation vers des établissements et services ainsi que de faciliter les démarches des personnes handicapées et de leur famille.
Les prestations et allocations des MDPH
Plusieurs prestations et allocation sont aujourd’hui délivrées par les MDPH.
La prestation de Compensation du handicap (PCH) : allocation versée aux personnes en situation de handicap, elle prend en compte les besoins et le projet de vie de la personne handicapée. Elle peut être affectée à des charges liées à un besoin d’aides humaines, d’aides techniques, à l’aménagement du logement et du véhicule, et/ou à un besoin d’aides exceptionnelles ou animalières.
L’allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) : versée aux adultes de moins de 60 ans par le conseil départemental, elle permet aux personnes en situation de handicap d’assumer les frais liés à l’intervention d’une tierce personne pour les aider dans les actes essentiels de la vie quotidienne Elle a été remplacée par la PCH depuis le 1er janvier 2006. Les personnes qui bénéficiaient de l’ACTP avant 2006 peuvent choisir de continuer à la percevoir à la place de la PCH si elles remplissent les conditions d’attribution.
L’allocation compensatrice pour frais professionnels (ACFP) : Elle permet aux personnes reconnues handicapées à plus de 80% d’assumer les frais supplémentaires liés à l’exercice de leur profession. Aujourd’hui remplacée par la PCH, les anciens bénéficiaires peuvent toutefois continuer de la percevoir à la place de la PCH s’ils ont font la demande.
L’allocation pour adultes handicapés (AAH) : elle a pour objet de garantir un revenu minimum aux personnes handicapées afin de faire face aux dépenses de la vie courante.
Le complément de ressources de l’AAH : il est destiné à compenser l’absence durable de revenu d’activité des personnes handicapées dans l’incapacité de travailler. Ce complément est aujourd’hui remplacé par la majoration pour la vie autonome depuis juillet 2005. Il n’y a donc plus d’ouverture de droits au complément d’AAH. Toutefois, les anciens bénéficiaires peuvent continuer à en bénéficier.
La majoration pour la vie autonome : versée en complément de l’allocation aux adultes handicapés, cette aide remplace le complément d’allocation pour adultes handicapés (AAH) depuis juillet 2005.
L’allocation éducation pour l’enfant handicapé (AAEH) : il s’agit d’une prestation destinée à compenser les frais d’éducation et de soins apportés à un enfant en situation de handicap. Cette aide est versée à la personne qui en assume la charge. Elle peut être complétée, dans certains cas, d’un complément d’allocation.
Hormis l’enquête menée par FibromyalgieSOS, la commission d’enquête n’a pas obtenu de statistiques portant sur l’attribution des services et prestations par les MDPH au profit des personnes souffrant de fibromylagie. Selon l’enquête, près de la moitié des répondants ont fait un dossier auprès d’une MDPH. 2/3 des personnes qui ont déposé un dossier ont obtenu la reconnaissance du statut de RQTH, 18 % ont obtenu le versement de l’AAH ou de la PCH. De même, selon le questionnaire du rapporteur, 57% des répondants affirment avoir déposé un dossier en ce sens.
S’agissant de la reconnaissance du handicap, la problématique est similaire à celle des ALD.
Il s’agit d’objectiver les critères et la définition d’un parcours de soins standardisé et d’intégrer les MDPH à l’élaboration du parcours de santé. Il s’agit tout autant de permettre une prise en charge harmonisée sur l’ensemble du territoire à travers une série de recommandations. À ce jour, il n’existe pas de guide pour une prise en charge harmonisée bien que le ministère de la santé ait saisi le directeur général de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en ce sens en 2009. Il a été jugé que les situations étaient trop variables d’un patient à l’autre.
Proposition n° 18 : assurer l’égalité de traitement des patients fibromyalgiques au regard des demandes effectuées auprès des maisons départementales des personnes handicapées par la diffusion de recommandations de prise en charge de la HAS.
3. Le cas particulier de la fonction publique
La fonction publique bénéficie d’un régime particulier en matière d’arrêts de travail, qui sont dénommés congés. Trois régimes existent en fonction de la gravité de l’état de santé du fonctionnaire :
– le congé maladie ordinaire qui peut atteindre un an ;
– le congé de longue maladie ;
– le congé de longue durée. Cinq affections ouvrent droit à ce congé : la tuberculose, la maladie mentale, le cancer, la poliomyélite ou le déficit immunitaire grave et acquis.
L’octroi des congés de longue maladie et de longue durée et le renouvellement de ces congés sont décidés par l’administration après l’avis du comité médical.
Cette instance indépendante est composée de médecins praticiens : deux médecins de médecine générale et, le cas échéant, un spécialiste de l’affection pour laquelle est demandé le congé. Elle donne son avis sur l’état de santé du fonctionnaire avant que l’administration ne se prononce sur l’octroi ou le renouvellement du congé, la reprise de fonction à l’issue du congé, ou la mise en disponibilité d’office (77).
Durant ces congés, le fonctionnaire ne bénéficie pas d’indemnités journalières mais continue de percevoir son traitement selon des modalités dégressives.
À l’issue de ces droits à congés, l’agent peut être admis soit à reprendre ses fonctions en temps partiel thérapeutique, soit être reclassé dans un autre emploi, soit mis en disponibilité d’office et pourra bénéficier du paiement de l’allocation d’invalidité temporaire.
Le flou régnant dans le diagnostic posé pour la fibromyalgie aboutit pour nombre de fonctionnaires à une stratégie de contournement. La fibromyalgie étant difficilement diagnostiquée, peu reconnue, il n’est pas rare de faire valoir le diagnostic de syndrome dépressif bien souvent associé à la fibromyalgie, qui donne droit à un congé de longue durée et à une meilleure prise en charge que celle à laquelle peuvent prétendre les malades fibromyalgiques. Les patients identifiés comme étant fibromyalgiques, quant à eux, sont bien souvent mis en disponibilité d’office une fois l’épuisement des congés maladie ordinaires.
Cette situation n’est satisfaisante ni pour la collectivité, ni pour les patients. Pour le rapporteur, les cas les plus sévères doivent pouvoir être pris en charge et accompagnés. Dans tous les cas, il importe que le comité médical, aussi bien que les autorités hiérarchiques, puissent être dûment informés des recommandations qui seraient émises par la HAS dans le cadre de la prise en charge de la fibromyalgie.
Proposition n° 19 : diffuser auprès des comités médicaux des administrations les recommandations de prise en charge des patients fibromyalgiques de la HAS.
4. La définition d’un panier de soins complémentaires faisant l’objet d’une prise en charge
Apprendre à gérer la fatigue, les douleurs, le stress, demande un travail d’équipe qui n’est pas seulement médical mais pluri professionnel et peut nécessiter le recours à des traitements médicamenteux et non médicamenteux, parfois à des médecines complémentaires (voir supra).
Si les traitements médicamenteux sont a priori pris en charge par l’assurance maladie, d’autres possibilités, pourtant déterminantes dans le traitement de la douleur, sont peu ou pas pris en charge. L’enquête de l’association FibromyalgieSOS a montré que cette réalité avait pour conséquence d’inciter de nombreux patients, surtout parmi les foyers aux revenus modestes, à renoncer aux soins. D’autres auront tendance à davantage recourir aux médicaments parce qu’ils sont mieux pris en charge alors que ce n’est pas forcément la meilleure solution pour eux et que cela génère des coûts importants pour l’assurance maladie.
De nombreux intervenants ont évoqué lors de leurs auditions la nécessité d’une meilleure adaptation des règles de prise en charge aux spécificités de la fibromyalgie. M. Christophe Donchez, président du collectif Fibro’Actions, a par exemple affirmé que « en l’état actuel de la réglementation, l’obtention d’une ALD n’a que peu d’impact pour les malades puisque les traitements médicamenteux sont peu efficaces. Ce qui serait intéressant pour nous, c’est que l’assurance maladie intègre dans les protocoles de soin les médecines alternatives qui nous sont utiles, acceptant ainsi que leur coût nous soit remboursé. » (78)
Le directeur général de la santé, M. Benoît Vallet, a partagé cette analyse et aussi évoqué quelques pistes : « J’indiquais tout à l’heure que ce n’est pas tellement de kinésithérapie qu’ont besoin ces patients, mais plutôt du retour à une activité physique douce et plus régulière, par exemple la balnéothérapie. Mais cela n’est pas pris en charge ; la kinésithérapie est d’ailleurs prescrite pour cette raison même…Nous nous trouvons ainsi dans un paradoxe de remboursement et de prise en charge. C’est plutôt la direction de la sécurité sociale que vous devrez interroger sur le sujet. De notre côté, nous menons un travail important pour la reconnaissance de certaines prises en charge. Je parlais tout à l’heure de la psychologie, qui n’est pas plus reconnue pour la fibromyalgie que pour d’autres pathologies. Elle éviterait pourtant le recours à des médicaments de la lignée des neuroleptiques ou des psychotropes. Nous nous préparons d’ailleurs à limiter le recours aux benzodiazépines, qui représente un fléau dans notre pays… Nous-mêmes sommes assez favorables à la prise en compte d’actes thérapeutiques qui ne relèvent pas strictement de la pharmacopée… Les centres anti-douleur, et l’approche pluridisciplinaire des prises en charge qui en est la marque distinctive, doivent être au centre du dispositif. L’accompagnement psychologique et l’accompagnement de l’activité physique sont essentiels. Ils doivent donc pouvoir faire partie d’une prise en charge globale et, pourquoi pas, d’un remboursement. » (79)
La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a autorisé la prise en charge d’une activité physique adaptée à la pathologie d’un patient souffrant d’une affection classée en ALD. Il s’agit d’un premier pas intéressant mais qui ne bénéficiera qu’à une petite minorité des patients fibromyalgiques (voir supra).
Le rapporteur estime qu’il serait utile que la HAS définisse un panier de soins (balnéothérapie, consultation d’un psychologue, activités de retour à l’effort, éventuellement compléments alimentaires) éligible à une prise en charge, peut-être forfaitaire, plus adaptée aux besoins des patients fibromyalgiques que les médicaments. L’expertise collective de l’INSERM pourrait utilement éclairer les travaux et recommandations de la HAS sur ce point.
Proposition n° 20 : saisir la HAS de la définition d’un panier de soins complémentaires adaptés aux patients fibromyalgiques et faisant l’objet d’une prise en charge par l’assurance maladie, éventuellement de manière forfaitaire.
LISTE DES PROPOSITIONS
DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
Proposition n°1 : substituer le mot maladie au mot syndrome dans la terminologie utilisée par les autorités sanitaires françaises pour caractériser la fibromyalgie.
Proposition n° 2 : accentuer l’effort de recherche sur la fibromyalgie, notamment en augmentant le nombre de programmes hospitaliers de recherche clinique qui lui sont consacrés.
Proposition n° 3 : reconnaitre la médecine de la douleur comme spécialité universitaire ou instituer la médecine de la douleur comme formation transverse commune à plusieurs diplômes d’études spécialisées (DES) dans le cadre de la réforme du troisième cycle des études de médecine.
Proposition n° 4 : faire figurer un enseignement sur la fibromyalgie dans le plan national de formation du développement professionnel continu (DPC).
Proposition n° 5 : diffuser les tests de diagnostics auprès des médecins généralistes via le site Améli de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et les logiciels d’aide à la prescription.
Proposition n° 6 : diffuser l’annuaire national recensant les structures de douleur chronique (SDC) sur le territoire.
Proposition 7 : favoriser le développement des programmes d’éducation thérapeutique du patient fondé sur une évaluation scientifique des modules existants.
Proposition n° 8 : intégrer les conclusions de l’expertise collective relative à la fibromyalgie menée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) dans les diagnostics territoriaux partagés prévus par la loi de modernisation de notre système de santé.
Proposition n° 9 : définir un modèle de plan personnalisé de santé coordonné par le médecin de premier recours pour les patients atteints de fibromyalgie.
Proposition n° 10 : publier les résultats de l’expérimentation « coupe-file de la douleur » menée dans certains centres de traitement de la douleur et évaluer l’intérêt de sa généralisation.
Proposition n° 11 : publier les résultats de l’évaluation de la mission de coordination des structures d'étude et de prise en charge de la douleur chronique.
Proposition n° 12 : Réactiver le 4ème plan national de lutte contre la douleur.
Proposition n° 13 : mettre en place un parcours de soins et de prise en charge de la douleur, notamment pour les patients atteints de fibromyalgie, sur la base d’un référentiel de bonnes pratiques élaboré par la Haute autorité de santé (HAS).
Proposition n° 14 : mettre en place un forfait de coordination dans le cadre des parcours de soins.
Proposition n° 15 : mettre en place une tarification couvrant les soins apportés dans le cadre pluriprofessionel et pluridiscliplinaire ambulatoire (Proposition formulée dans le rapport d’étape de financement des établissements de santé).
Proposition n° 16 : inclure la fibromyalgie dans la liste des pathologies complexes ouvrant droit à une majoration de tarification pour les consultations de généralistes.
Proposition n° 17 : assurer l’égalité de traitement des patients fibromyalgiques au regard de l’accès au régime de l’affection longue durée par la diffusion de recommandations de prise en charge de la HAS aux médecins-conseils de la CNAMTS.
Proposition n° 18 : assurer l’égalité de traitement des patients fibromyalgiques au regard des demandes effectuées auprès des maisons départementales des personnes handicapées par la diffusion de recommandations de prise en charge de la HAS.
Proposition n° 19 : diffuser auprès des comités médicaux des administrations les recommandations de prise en charge des patients fibromyalgiques de la HAS.
Proposition n° 20 : saisir la HAS de la définition d’un panier de soins complémentaires adaptés aux patients fibromyalgiques et faisant l’objet d’une prise en charge par l’assurance maladie, éventuellement de manière forfaitaire.
La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mercredi 12 octobre 2016.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous allons procéder aujourd’hui à l’examen du rapport de notre commission d’enquête. Conformément à la procédure applicable aux commissions d’enquête, le rapport ne vous a pas été envoyé préalablement à cette séance, mais il était consultable hier et ce matin sous forme papier dans une salle de notre assemblée. Je tiens à remercier les membres de la Commission qui sont venus régulièrement assister à nos auditions dans un esprit consensuel et positif.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Notre commission d’enquête a été créée par la conférence des présidents, le 10 mai 2016, à la demande du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Depuis cette date, nous avons tenu vingt auditions au cours desquelles nous avons entendu trente-six personnes, parmi lesquelles des médecins et des représentants des institutions du système de santé publique ainsi que des associations de patients.
Parallèlement, nous avons été destinataires de nombreux témoignages spontanés, et j’ai reçu 570 réponses au bref questionnaire que j’ai mis en ligne afin de comparer les expériences des uns et des autres. Je souhaite remercier les auteurs de ces courriers qui m’ont aidé à mieux comprendre leurs difficultés. Certains extraits de ces témoignages sont cités dans le rapport, car ils sont précis et convaincants.
Comme vous le savez, j’étais à l’initiative de la création de cette commission d’enquête, et je voudrais dire aujourd’hui combien les auditions que nous avons conduites ensemble dans un esprit consensuel et positif m’ont conforté dans cette orientation, tant le besoin de reconnaissance des patients était grand. Si notre commission a contribué à modifier le regard de nos concitoyens sur les souffrances des malades de la fibromyalgie en leur donnant la parole dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, elle aura atteint un de ses objectifs.
Nos travaux ont aussi mis l’accent sur les insuffisances de notre système de santé dans le traitement de cette souffrance, et ont permis d’identifier des propositions d’amélioration. Vous verrez ainsi que nous en formulons vingt qui, je l’espère, recueilleront votre approbation. Elles reflètent les échanges que nous avons eus en marge des auditions et ne vous surprendront donc pas. Afin de ne pas monopoliser la parole, je n’en présenterai que quelques-unes.
En premier lieu, il m’est apparu que l’utilisation par les médecins du terme de « syndrome » ne contribue pas à crédibiliser la souffrance subie par les patients auprès de leurs proches et de leur entourage professionnel. Aussi, je souhaite que les autorités sanitaires françaises fassent évoluer la terminologie employée pour désigner la fibromyalgie et adoptent désormais la notion de maladie plutôt que celle de syndrome.
Si les causes de la fibromyalgie, comme sa prévalence et son coût restent encore difficiles à cerner, il me semble qu’elles sont encore fortement sous-estimées et que nous devrions progresser dans l’épidémiologie de cette maladie. Les souffrances qu’elle engendre sont bien réelles. Je me suis efforcé de les retracer dans mon rapport, dans leur diversité et leur impact quotidien, grâce aux témoignages des patients et de leurs associations. Vous verrez que j’ai notamment beaucoup utilisé la remarquable enquête de l’association FibromyalgieSOS, menée en 2014 auprès de 4 500 patients.
S’agissant des réponses de notre système de santé publique à cette maladie, j’estime tout d’abord que la France devrait accentuer son effort de recherche, notamment de recherche clinique, qui semble très en deçà de la prévalence de la fibromyalgie dans notre pays et de ce qui est pratiqué dans certains autres pays occidentaux. L’expertise collective engagée par l’INSERM devrait toutefois contribuer à approfondir nos connaissances et à renouveler nos modes d’action, mais seulement à compter de 2018. Les représentants de l’Inserm que nous avons entendus, dont son président-directeur général, M. Yves Lévy, ont d’ailleurs expressément affirmé qu’ils suivaient nos auditions et qu’ils tiendraient compte de nos propositions dans leurs travaux. Il n’y a donc pas de concurrence entre nos deux démarches, mais bien une complémentarité.
Dans un autre registre, il importe que la formation initiale et continue des médecins soit améliorée afin que cette maladie soit mieux connue et reconnue. Je fais, à cet égard, des propositions précises, en lien avec la réforme du troisième cycle des études de médecine. Une plus grande sensibilisation aux outils de repérage, notamment aux questionnaires qui nous ont été présentés, permettra aussi un diagnostic plus précoce et réduira l’errance médicale.
De nombreux intervenants nous ont décrit les effets secondaires indésirables des traitements médicamenteux, tout en rappelant qu’il n’existait pas d’autorisation de mise sur le marché de molécule pour la fibromyalgie en Europe. Il faut donc encourager une approche pluri-professionnelle de la prise en charge des patients, afin de promouvoir la réadaptation à l’effort sans créer d’addiction à des médicaments dont l’effet durable est fortement sujet à caution.
Dans cet ordre d’idée, je propose de favoriser le développement des programmes d’éducation thérapeutique du patient, fondé sur une évaluation scientifique des modules existants. La table ronde que nous avons tenue avec la présidente, en présence de plusieurs patientes atteintes d’une forme grave de fibromyalgie, à l’hôpital Cochin, dans le service du professeur Perrot, nous a convaincus du bien-fondé du programme d’éducation thérapeutique qu’elles suivaient, comme l’ont aussi relevé de nombreuses personnes que nous avons auditionnées.
Afin de lutter contre l’errance médicale, il faut que la Haute Autorité de santé (HAS), dans la continuité de son rapport de 2010, définisse un modèle de prise en charge susceptible de servir de référence aux médecins généralistes et spécialistes. La définition d’un véritable parcours de soins suppose en effet l’élaboration de recommandations et de référentiels susceptibles d’aider les médecins généralistes à coordonner la prise en charge et à mieux orienter les patients vers les spécialistes et les centres de traitement de la douleur, qu’il faut conforter et développer. Inclure la fibromyalgie dans la liste des pathologies complexes ouvrant droit à une majoration de tarification pour les consultations de généralistes, comme le prévoit la future convention entre les caisses d’assurance maladie et les médecins libéraux, permettrait de reconnaître la spécificité de ces patients qui nécessitent une consultation approfondie que les médecins généralistes n’ont pas toujours le temps de mener.
Une autre des préoccupations exprimées par les associations de patients est l’inégalité de prise en charge par l’assurance maladie au titre des affections de longue durée (ALD) ou la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, pour la prise en charge du handicap, selon les territoires. Nos investigations, et notamment les chiffres fournis par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), confortent cette appréciation. Il importe avant tout que la reconnaissance de l’ALD soit garantie aux cas sévères et coûteux en soins de manière homogène sur le territoire national, ce qui ne semble pas être le cas actuellement, notamment pour l’appréciation de la condition de traitement particulièrement coûteux, prévue par la circulaire de 2009 pour les affections hors liste.
Il appartient d’abord à la HAS d’établir des recommandations de prise en charge. La CNAMTS nous a ainsi indiqué qu’elle l’avait sollicitée à cet effet, par courrier en date du 16 juin 2016, ce qui laisse penser que la création de notre commission d’enquête n’est pas complètement étrangère à cette initiative salutaire. L’établissement de recommandations permettrait ainsi de réaliser des actions de formation auprès du réseau des médecins-conseils afin d’obtenir la meilleure cohérence des avis donnés.
Enfin, apprendre à gérer la fatigue, les douleurs, le stress, demande un travail d’équipe qui n’est pas seulement médical mais aussi pluri-professionnel, et peut nécessiter le recours à des traitements médicamenteux et non médicamenteux, parfois à des médecines complémentaires. Si les traitements médicamenteux sont a priori pris en charge par l’assurance maladie, d’autres possibilités, pourtant déterminantes dans le traitement de la douleur, sont peu ou pas pris en charge. Il serait utile que la HAS définisse un panier de soins – balnéothérapie, consultation d’un psychologue, activités de retour à l’effort, éventuellement compléments alimentaires – éligibles à une prise en charge, peut-être forfaitaire, plus adaptée aux besoins des patients fibromyalgiques que les médicaments.
M. Arnaud Viala. Le rapport reprend-il la notion de « panier de soins » évoquée par certains des intervenants auditionnés ?
M. le rapporteur. Tout à fait. Il s’agit de la proposition n° 20.
Mme Annie Le Houerou. Merci, monsieur le rapporteur, pour ces propositions qui reflètent bien le travail réalisé.
La proposition n° 20 sur le panier de soins était très attendue. En mettant l’accent sur la prise en charge le plus en amont possible de cette maladie, elle permettra de soulager les malades et de leur éviter des traitements médicamenteux lourds. Vous mentionnez dans le rapport une liste de soins : balnéothérapie, consultation d’un psychologue, activités de retour à l’effort, éventuellement compléments alimentaires. Ne faudrait-il pas mettre des points de suspension à cette liste, car elle ne peut être limitative ? La prise en charge en kinésithérapie adaptée peut notamment faire partie de cet accompagnement.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous ne sommes pas tous des professionnels de la santé : la HAS pourra elle-même définir le panier de soins complémentaires, surtout pour les soins peu ou pas pris en charge. La kinésithérapie, avec une prescription, est prise en charge.
M. Renaud Gauquelin. Si l’on veut que la fibromyalgie soit reconnue en ALD, le plus important est de substituer le mot « maladie » au mot « syndrome ».
Ensuite, il faudrait laisser une place plus importante aux médecines alternatives, qui ne sont aujourd’hui pas toujours remboursées par la sécurité sociale. Certains patients se soignent depuis vingt ans avec des médicaments psychotropes – antidépresseurs, neuroleptiques – qui ont des effets secondaires majeurs. Les médecines alternatives seraient moins coûteuses, moins dangereuses et plus efficaces.
Je félicite la présidente et le rapporteur pour ce travail très consensuel et très important, ne serait-ce que pour les auditions accordées à de nombreuses associations de malades.
M. le rapporteur. Le panier de soins sera défini par la HAS : il devrait permettre le recours à des médecines alternatives.
L’essentiel est de reconnaître cette maladie. La majorité des personnes atteintes croient avoir une maladie grave qui va les conduire à la mort. Elles sont totalement désemparées – certaines ont même fini par se suicider –, d’autant que certains médecins leur disent : « Arrêtez de penser que vous êtes malade, et ça ira mieux » ! Même sans remède médicamenteux, la simple reconnaissance de la maladie contribuera déjà à aider les malades en atténuant leur désarroi.
M. Renaud Gauquelin. Vous avez tout à fait raison, la fibromyalgie doit être reconnue comme une maladie, au même titre que l’arthrose et la polyarthrite.
M. Arnaud Viala. Les mesures proposées dans le rapport ont-elles été chiffrées ?
Mme la présidente Sylviane Bulteau. À part la proposition n° 2 sur l’effort de recherche, le rapport avance des propositions sous forme de recommandations, dont certaines sont en lien avec l’action de la HAS et de l’Inserm.
Dans le cadre du PLFSS pour 2017, nous allons proposer que le panier de soins complémentaires, qui pourrait représenter un coût, fasse l’objet d’une expérimentation, car il faut envoyer des signaux aux patients et aux associations qui nous ont fait confiance. Toutes ces mesures n’ont pas été chiffrées, d’autant qu’on ne connaît pas bien le nombre de patients atteints.
M. Jean-Pierre Decool. Je salue la qualité de ce rapport. La reconnaissance de la maladie et les quatre propositions visant à harmoniser et à développer la prise en charge sont essentielles, en particulier la nécessité d’assurer l’égalité de traitement.
À propos d’expérimentation, j’avais fait des propositions en ce sens auprès du ministère de la santé. Je vous propose comme établissement pilote l’hôpital de Zuydcoote, où le docteur Marie-Josée Kins reçoit de nombreux patients atteints de fibromyalgie : elle serait tout à fait d’accord pour être la personne ressource.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Parmi les propositions figure aussi une relance du plan antidouleur. Nous avons pu constater, notamment lors de notre visite dans le service du professeur Serge Perrot, que le développement des centres antidouleur a accusé le coup de frein mis à ce plan. Sans doute, cela demandera-t-il quelques moyens, mais nous pourrions faire office de pionniers, car la prise en charge pluriprofessionnelle peut concerner d’autres maladies que la fibromyalgie.
Mme Annie Le Houerou. Quelle serait l’autorité qui mettrait en œuvre la substitution entre les mots « syndrome » et « maladie » ?
Quelles garanties avons-nous que la HAS, visée par plusieurs des propositions, va se saisir de ces questions ?
M. le rapporteur. Il faudra en discuter avec le ministère de la santé.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous avons affaire à des organismes indépendants, comme l’Académie de médecine. Ni les ministres ni les députés ne décideront. Ce rapport avance des recommandations.
M. Gérard Bapt. Il est dommage que la HAS ne compte pas de représentant du Parlement.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous sommes parlementaires, et pas médecins ni scientifiques. Ce rapport, ajouté à d’autres et au travail de l’INSERM, constitue une pression amicale pour faire avancer nos propositions.
M. Jean-Pierre Decool. Puisque nous sommes législateurs, ne pourrions-nous pas déposer une proposition de loi pour graver dans le marbre notre volonté commune ?
M. le rapporteur. Ce serait compliqué. Elle ne pourrait être présentée que dans le cadre d’une « niche ».
Mme la présidente Sylviane Bulteau. La proposition n° 1 concerne l’Académie de médecine. Quant à l’égalité de traitement, elle relève plus de la bonne volonté que de la loi.
M. Jean-Pierre Decool. Je pensais surtout aux quatre dernières propositions.
M. Gérard Bapt. Quel est l’avis de l’Académie de médecine, qui est une maison assez traditionnelle ?
Parler de maladie, et non plus de syndrome, renvoie au placement en ALD, ce qui réglerait un certain nombre de problèmes.
Enfin, la proposition n° 15 sur les soins dans un cadre pluriprofessionnnel et pluridisciplinaire ambulatoire figure déjà dans le PLFSS pour 2017. Nous aurons satisfaction si ce point est adopté.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous avons entendu ici plutôt un refus sur le terme « maladie », en raison de la difficulté de poser un diagnostic et d’identifier scientifiquement les causes de la fibromyalgie.
En faisant des recommandations, nous appuyons les demandes des patients et des associations. L’objectif de notre commission d’enquête est de reconnaître que les malades ne souffrent pas d’une maladie psychiatrique. Nous demandons aux autorités scientifiques de se pencher sur diverses problématiques – accès aux soins, errance médicale, information des médecins – de sorte que les associations se sentent moins seules dans leur combat. Nous nous efforcerons de faire valider les points qui relèvent du PLFSS pour 2017.
M. le rapporteur. Ce rapport est une étape ; il ne réglera pas tout. Les intérêts sont divergents : nous défendons les malades ; le ministère de la santé défend le moins de dépenses possible.
Mme Annie Le Houerou. Je ne crois pas que l’on puisse dire cela !
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Vous auriez dû assister à l’audition de la ministre hier, monsieur le rapporteur.
M. Renaud Gauquelin. Il est important d’aller plus loin ; sinon, ce serait désespérant pour les malades.
La terminologie « maladie » ou « syndrome » n’empêche pas la prise en charge à 100 % : l’ALD n’est pas réservée à des maladies, elle est réservée à des pathologies. Ainsi, rien n’empêche aujourd’hui un classement de la fibromyalgie en ALD, ce qu’attendent les associations.
La proposition n° 16 consiste à « inclure la fibromyalgie dans la liste des pathologies complexes ouvrant droit à une majoration de tarification pour les consultations de généralistes ». Aux termes de la convention médicale, signée par tous les syndicats de médecins, les consultations longues à 60 euros sont désormais laissées à l’appréciation du médecin dans le cadre du tiers payant. Il n’y a pas de liste de maladies, cela peut être un problème cardiaque, un syndrome dépressif, par exemple. Ainsi, rien n’empêche un médecin de prévoir une consultation longue à 60 euros pour la fibromyalgie, ce qui suppose une formation des médecins à cette maladie.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je vais maintenant mettre aux voix le rapport.
La Commission adopte le rapport à l’unanimité.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. En application de l’alinéa 3 de l’article 144-2 du Règlement de notre Assemblée, le Gouvernement ou un dixième des membres composant l’Assemblée nationale peut demander sa réunion en comité secret pendant les cinq jours qui suivent l’annonce au Journal officiel du dépôt du rapport d’une commission d’enquête, afin de se prononcer, le cas échéant, sur la publication du rapport.
C’est la raison pour laquelle le rapport ne doit pas être diffusé jusqu’à la fin de ce délai, soit jusqu’au mardi 18 octobre inclus. Je vous demande donc de bien vouloir laisser dans la salle les exemplaires qui vous ont été distribués. Nous en présenterons toutefois une synthèse à la presse cet après-midi, conformément à un usage bien établi. Il sera mis en ligne et publié sur support papier à compter du mercredi 19 octobre au matin. Nous le présenterons alors à M. le Président de l’Assemblée nationale.
Contribution de M. Jean-Pierre DECOOL
Jean-Pierre DECOOL
Député du Nord
Membre de la Commission des Lois
Madame la Présidente,
Monsieur le Rapporteur,
Pour faire suite à l’excellent rapport présenté au nom de la commission d’enquête sur la fibromyalgie, je propose que l’hôpital maritime de Zuydcoote (59), dans lequel exerce le Docteur Marie-Josée KINS, patricien hospitalier et responsable de la consultation douleur, puisse devenir un « établissement pilote » dans le cadre de la fibromyalgie.
Je propose également, en partenariat avec mon collègue Arnaud VIALA, de déposer une proposition de loi reprenant la proposition n°17 du rapport, en l’occurrence : assurer l’égalité de traitement des patients fibromyalgiques au regard de l’accès au régime de l’affection longue durée par la diffusion de recommandations des prises en charge de la HAS au médecin-conseil de la CNAMTS.
Naturellement, cette proposition de loi sera soumise à la cosignature des membres de notre commission d’enquête.
Restant à votre disposition, je vous prie de croire, Madame la Présidente, Monsieur le Rapporteur, en l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Jean-Pierre DECOOL
Secrétariat Parlementaire 11 plae du Marché aux Fruits 59630 BOURBOURG 03.28.22.33.33 - 03.28.20.00.86 |
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Contribution de Mme Florence DELAUNAY
Contribution de M. Arnaud VIALA
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Les comptes rendus des auditions sont accessibles sur internet à l’adresse :
La Commission d’enquête a procédé aux réunions et auditions suivantes :
Nomination du bureau au cours de la réunion du mardi 24 mai 2016 à 16 heures 15
Audition du professeur Daniel Bontoux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, rhumatologue, au cours de la réunion du mardi 31 mai 2016 à 9 heures 30
Audition du professeur Agnès Buzyn, présidente de la Haute Autorité de santé, au cours de la réunion du mardi 31 mai 2016 à 9 heures 30
Audition du professeur Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine, Paris, et expert de l’Institut thématique multi-organismes physiopathologie, métabolisme et nutrition pour le domaine ostéo-articulaire, au cours de la réunion du mardi 31 mai 2016 à 9 heures 30
Audition du docteur Jean-François Gérard-Varet, conseiller ordinal, membre de la section Santé publique et démographie médicale au Conseil national de l’ordre des médecins, au cours de la réunion du mardi 7 juin 2016 à 9 heures 30
Audition du professeur Serge Perrot, vice-président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur et chef du service de la douleur à l’hôpital Cochin-Hôtel Dieu, Paris, au cours de la réunion du mardi 7 juin 2016 à 9 heures 30
Audition de Mme Brigitte Merle-Vignau, chargée de communication au Centre national des associations de fibromyalgiques en France, au cours de la réunion du mardi 14 juin 2016 à 10 heures 30
Audition de Mme Carole Robert, présidente de l’Association fibromyalgie France, au cours de la réunion du mardi 14 juin 2016 à 10 heures 30
Audition de M. Benoit Vallet, directeur général et de Mme Elisabeth Gaillard, adjointe au chef du bureau des maladies chroniques non transmissibles à la Direction générale de la santé du Ministère des affaires sociales et de la santé, au cours de la réunion du mardi 21 juin 2016 à 9 heures 30
Audition de M. François Godineau, chef de service, adjoint au directeur, de Mme Marine Jean-Baptiste, interne de santé publique et de Mme Marie Seval, conseiller médical, à la Direction de la sécurité sociale du Ministère des affaires sociales et de la santé, au cours de la réunion du mardi 21 juin 2016 à 9 heures 30
Audition du docteur François-Xavier Brouck, directeur, du professeur Luc Barret, médecin-conseil national à la Direction des assurés, de Mme Véronika Levendof, responsable du département juridique et du docteur Geneviève Motyka, médecin conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, au cours de la réunion du mardi 21 juin 2016 à 9 heures 30
Audition de M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, au cours de la réunion du mardi 28 juin 2016 à 9 heures 30
Audition du docteur Bruno Toussaint, médecin, directeur de la rédaction de la Revue prescrire, au cours de la réunion du mardi 28 juin 2016 à 9 heures 30
Audition du docteur Michel Varroud-Vial, conseiller médical, de M. Philippe Magne, conseiller expert et du docteur Gaël Rimbault, conseiller médical de la Direction générale de l’offre de soins, au cours de la réunion du mardi 28 juin 2016 à 9 heures 30
Audition du docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et traumatismes de l’Agence nationale de santé publique, au cours de la réunion du mardi 5 juillet 2016 à 9 heures 30
Audition de Mme Nadine Randon, présidente et de Mme Ghyslaine Baron, vice-présidente de FibromyalgieSOS, au cours de la réunion du mardi 5 juillet 2016 à 9 heures 30
Audition de M. Christophe Donchez, président, de M. Nicolas Vignali, vice-président et de M. Olivier Masson, secrétaire de Fibro’Actions, au cours de la réunion du mardi 5 juillet 2016 à 9 heures 30
Audition du professeur Marcel-Francis Kahn, au cours de la réunion du mardi 12 juillet 2016 à 9 heures 30
Audition du professeur Christian Roques, président du Conseil scientifique de l’Association française pour la recherche thermale, et de M. Claude-Eugène Bouvier, délégué général du Conseil national des établissements thermaux, au cours de la réunion du mardi 12 juillet 2016 à 9 heures 30
Audition de M. Yves Lévy, président-directeur général, de Mme Sophie Nicole, coordonnatrice de l’expertise collective fibromyalgie, chargée de recherche, et de M. Laurent Fleury, responsable du pôle Expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, au cours de la réunion du mardi 19 juillet 2016 à 9 heures 30
Audition du docteur Laurence Juhel-Voog, médecin spécialiste en médecine interne et du docteur Valérie Hégé, médecin généraliste, au cours de la reunion du mardi 19 juillet 2016 à 9 heures 30
Ø Déplacement de la commission
Lundi 4 juillet 2016, déplacement à l’Hôpital Cochin, Paris :
Professeur Serge Perrot, chef du service de la douleur, Docteur Dominique Perocheau, rhumatologue et Mme Marie-Pierre Collet, infirmière
Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la commission d’enquête
(Toutes les auditions ont été ouvertes à la presse)
Audition du professeur Daniel Bontoux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, rhumatologue (Procès-verbal de la séance du mardi 31 mai 2016) 85
Audition du professeur Agnès Buzyn, présidente de la Haute Autorité de santé, (Procès-verbal de la séance du mardi 31 mai 2016) 97
Audition du professeur Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine, Paris, et expert de l’Institut thématique multi-organismes physiopathologie, métabolisme et nutrition pour le domaine ostéo-articulaire (Procès-verbal de la séance du mardi 31 mai 2016) 109
Audition du docteur Jean-François Gérard-Varet, conseiller ordinal, membre de la section Santé publique et démographie médicale au Conseil national de l’ordre des médecins (Procès-verbal de la séance du mardi 7 juin 2016) 121
Audition du professeur Serge Perrot, vice-président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur et chef du service de la douleur à l’hôpital Cochin-Hôtel Dieu, Paris (Procès-verbal de la séance du mardi 7 juin 2016) 131
Audition de Mme Brigitte Merle-Vignau, chargée de communication au Centre national des associations de fibromyalgiques en France (Procès-verbal de la séance du mardi 14 juin 2016) 141
Audition de Mme Carole Robert, présidente de l’Association fibromyalgie France (Procès-verbal de la séance du mardi 14 juin 2016) 153
Audition de M. Benoit Vallet, directeur général et de Mme Elisabeth Gaillard, adjointe au chef du bureau des maladies chroniques non transmissibles à la Direction générale de la santé du Ministère des affaires sociales et de la santé (Procès-verbal de la séance du mardi 21 juin 2016) 167
Audition de M. François Godineau, chef de service, adjoint au directeur, de Mme Marine Jean-Baptiste, interne de santé publique et de Mme Marie Seval, conseiller médical, à la Direction de la sécurité sociale du Ministère des affaires sociales et de la santé (Procès-verbal de la séance du mardi 21 juin 2016) 181
Audition du docteur François-Xavier Brouck, directeur, du professeur Luc Barret, médecin-conseil national à la Direction des assurés, de Mme Véronika Levendof, responsable du département juridique et du docteur Geneviève Motyka, médecin conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Procès-verbal de la séance du mardi 21 juin 2016) 191
Audition de M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Procès-verbal de la séance du mardi 28 juin 2016) 199
Audition du docteur Bruno Toussaint, médecin, directeur de la rédaction de la Revue prescrire (Procès-verbal de la séance du mardi 28 juin 2016) 209
Audition du docteur Michel Varroud-Vial, conseiller médical, de M. Philippe Magne, conseiller expert et du docteur Gaël Rimbault, conseiller médical de la Direction générale de l’offre de soins (Procès-verbal de la séance du mardi 28 juin 2016) 217
Audition du docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et traumatismes de l’Agence nationale de santé publique (Procès-verbal de la séance du mardi 5 juillet 2016) 225
Audition de Mme Nadine Randon, présidente et de Mme Ghyslaine Baron, vice-présidente de FibromyalgieSOS (Procès-verbal de la séance du mardi 5 juillet 2016) 237
Audition de M. Christophe Donchez, président, de M. Nicolas Vignali, vice-président et de M. Olivier Masson, secrétaire de Fibro’Actions (Procès-verbal de la séance du mardi 5 juillet 2016) 251
Audition du professeur Marcel-Francis Kahn (Procès-verbal de la séance du mardi 12 juillet 2016) 259
Audition du professeur Christian Roques, président du Conseil scientifique de l’Association française pour la recherche thermale, et de M. Claude-Eugène Bouvier, délégué général du Conseil national des établissements thermaux (Procès-verbal de la séance du mardi 12 juillet 2016) 269
Audition de M. Yves Lévy, président-directeur général, de Mme Sophie Nicole, coordonnatrice de l’expertise collective fibromyalgie, chargée de recherche, et de M. Laurent Fleury, responsable du pôle Expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Procès-verbal de la séance du mardi 19 juillet 2016) 285
Audition du docteur Laurence Juhel-Voog, médecin spécialiste en médecine interne et du docteur Valérie Hégé, médecin généraliste (Procès-verbal de la séance du mardi 19 juillet 2016) 295
Audition du professeur Daniel Bontoux,
membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, rhumatologue
(Procès-verbal de la séance du mardi 31 mai 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je souhaite la bienvenue au professeur Daniel Bontoux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine et rhumatologue.
Je vous rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Avant de vous céder la parole, monsieur Daniel Bontoux, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Daniel Bontoux prête serment).
M. Daniel Bontoux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, rhumatologue. Pour commencer, je crois utile de me présenter. Je suis médecin rhumatologue, ancien interne et chef de clinique des Hôpitaux de Paris, professeur émérite à l’université de Poitiers et ancien chef du service de rhumatologie de ce centre hospitalier universitaire (CHU). J’ai présidé la société française de rhumatologie ainsi que l’Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR), une association d’utilité publique dédiée aux problèmes sociaux des rhumatisants au sein de laquelle se côtoient professionnels de santé et associations de malades. J’ai également dirigé la délégation interrégionale pour l’éducation et la promotion de la santé (DIREPS) du Grand Sud-Ouest.
Je suis, depuis près de quinze ans, membre de l’Académie nationale de médecine. C’est en cette qualité que j’ai participé, il y a dix ans, à l’élaboration d’un rapport sur la fibromyalgie, commandé par M. Xavier Bertrand, qui était alors ministre de la santé.
La fibromyalgie est un syndrome. Je sais que le terme fâche un peu. Nous y reviendrons mais je pense pouvoir vous montrer qu’il n’a rien de réducteur et que les patients n’ont pas de raison de s’en inquiéter ou de s’en offusquer.
Comme tous les syndromes, la fibromyalgie est constituée de plusieurs symptômes, à ceci près qu’ils présentent la particularité d’être exclusivement fonctionnels, subjectifs.
Le principal symptôme est la douleur. Celle-ci est constante, chronique, diffuse ; ses caractéristiques et son intensité varient d’une personne à l’autre. Deux autres symptômes sont, sinon constants, du moins très fréquents : des troubles du sommeil et une grande fatigue. De nombreux autres symptômes sont moins fréquents, je vous en cite les principaux : la céphalée, la dépression, l’anxiété et les troubles cognitifs – qui concernent principalement la mémoire. Contrastant avec cette assez riche symptomatologie fonctionnelle, l’examen physique des patients se révèle absolument normal, à l’exception de certains points douloureux à la pression – ce n’est pas là non plus très objectif. De même, la radiographie, l’échographie, la biologie sont normales ; la biopsie, si on avait la mauvaise idée d’en faire une, ne montrerait aucun signe anatomopathologique.
Pourtant, malgré cette intégrité physique, les patients décrivent un réel mal-être, des difficultés dans leur vie quotidienne et dans l’exercice de leur profession. Vous vous en doutez, la reconnaissance par la communauté médicale internationale d’un mal aussi peu défini, aussi insaisissable, qui ne s’observe pas, qui peut seulement être décrit par ceux qui en souffrent, n’a pas été sans difficulté. Elle n’a été possible qu’avec l’établissement de critères dont la dernière mouture, d’origine américaine comme les autres, fait l’objet d’un très large consensus. Ces critères ne sont toutefois pas parvenus à vaincre complètement les réticences de nombreux « fibrosceptiques » qui continuent à voir dans la fibromyalgie une construction de l’esprit, un habillage de troubles somatoformes.
D’autant que ces troubles sont toujours répertoriés dans la classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme syndromes somatoformes sous l’identifiant F45, alors même que cette classification reconnaît la fibromyalgie en tant que telle sous le code M79. Cela ne simplifie pas les choses.
Qui plus est, même pour les médecins les plus convaincus de la réalité de ce syndrome, les interrogations persistent, faute de comprendre les causes ou les mécanismes qui peuvent l’expliquer.
Il est admis, preuves à l’appui, que les personnes atteintes ont un abaissement du seuil de sensibilité à la douleur, c’est-à-dire qu’elles perçoivent comme douloureuses des stimulations qui ne sont pas perçues comme telles par d’autres. Malgré les connaissances que nous apporte en particulier l’imagerie cérébrale fonctionnelle, on ne connaît toujours pas le mécanisme de cette anomalie qui, par ailleurs, n’explique pas les autres troubles très importants du syndrome, comme les troubles du sommeil ou la fatigue.
Bref, malgré les nombreux travaux scientifiques relatifs à cette maladie, on n’est toujours pas en mesure de dire que la fibromyalgie correspond au dérèglement de telle fonction ou de tel système.
Il en résulte que le traitement de la fibromyalgie n’est pas très satisfaisant. L’effet des médicaments n’est jamais complet. Ils sont d’ailleurs utilisés le moins possible. Les meilleures ressources se trouvent dans la physiothérapie et dans l’aide que l’on peut apporter aux patients pour supporter les troubles.
Le très bon rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) sur le syndrome fibromyalgique chez l’adulte recommande d’aviser le patient dès la première consultation qu’on ne peut pas supprimer les troubles, qu’au mieux, on peut les réduire et de l’aider à supporter la maladie.
Dans ces conditions, les expériences des patients sont assez pénibles. Je ne vous apprends rien puisque vous vous faites l’écho de leur plainte dans vos circonscriptions ; c’est la raison pour laquelle, me semble-t-il, cette commission d’enquête a été créée.
Je résume les principales demandes des patients listées dans le rapport de la Haute Autorité que j’ai mentionné : l’égalité de la prise en charge selon les régions, l’écoute des malades par les médecins, des soins appropriés, une démarche claire pour établir le diagnostic, l’identification de l’impact de ce syndrome sur la vie quotidienne, la reconnaissance du caractère invalidant du syndrome, l’accompagnement psychosocial et une meilleure formation des professionnels de santé.
Toutes ces demandes me paraissent tout à fait légitimes. Elles ont obtenu des réponses, certaines qui sont satisfaisantes, et d’autres qui pourraient être améliorées.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, dans la limite de mes compétences, car la fibromyalgie est une affaire complexe. Personne ne peut s’estimer omniscient en la matière.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Le rapport auquel vous avez contribué en 2007 affirme : « Si l’accord paraît aujourd’hui général sur la réalité de ce syndrome douloureux chronique et même sur sa fréquence, des doutes persistent à s’exprimer sur la légitimité d’en faire une maladie. » Pouvez-vous nous expliquer la distinction entre un syndrome et une maladie ? Pour quelles raisons la fibromyalgie n’a pas été considérée par l’Académie de médecine comme une maladie ? L’OMS et les principaux pays occidentaux ont-ils pris une autre position ?
M. Daniel Bontoux. Nous qualifions la fibromyalgie de syndrome et non de maladie en nous appuyant sur les définitions qui sont données de ces deux notions.
L’Académie nationale de médecine a pour mission d’établir et de mettre à jour un dictionnaire des termes utilisés en médecine et en biologie. Ce dictionnaire précise que le terme maladie dans le langage médical courant correspond à un ensemble de symptômes anormaux résultant d’une même cause connue ; son identification aboutit à l’établissement d’un diagnostic et d’un traitement approprié quand il existe. Le syndrome est quant à lui un ensemble de symptômes qui ne constitue pas une entité ou un concept dont l’identification corresponde à une cause parfaitement connue. Les membres de l’Académie nationale de médecine se doivent de respecter ce qui est écrit dans le dictionnaire qu’ils établissent... La fibromyalgie, n’ayant pas de cause connue – peut-être en aura-t-elle un jour –, ne peut donc être considérée comme une maladie.
Il manque dans l’extrait que vous avez cité du rapport de 2007 la suite de la phrase : « avec les conséquences médicosociales qui peuvent en résulter. La raison en est le caractère subjectif des troubles invoqués, le fait qu’ils ne sont que statistiquement associés, le caractère artificiel et abusif des critères ». Ce propos visait à inviter à la prudence sur les conséquences médicosociales, non pas parce que ce n’est pas une maladie mais parce que c’est une maladie dont il est difficile d’apprécier la gravité. Toutefois, il est écrit plus loin dans le rapport que « les formes sévères du syndrome peuvent justifier à titre individuel, et après avis d’expert, la prise en charge qui convient aux maladies invalidantes ». Le fait d’être une maladie n’ouvre pas droit automatiquement à des avantages médico-sociaux. Inversement, dans les formes graves, ces avantages peuvent être attribués même s’il s’agit d’un syndrome. La distinction entre maladie et syndrome est sémantique et ne revêt pas une grande importance, d’autant qu’elle est appelée à évoluer : lorsqu’une cause aura été déterminée, la fibromyalgie pourra légitimement être qualifiée de maladie.
À titre personnel, j’ai, sans difficulté, franchi le pas. Je suis l’auteur d’un petit traité de rhumatologie qui a connu deux éditions, l’une en 2002, l’autre en 2014. La première consacrait trois pages à la fibromyalgie dans un chapitre relatif aux syndromes douloureux diffus au sein d’une partie intitulée diagnostic et conduite pratique. Dans la dernière édition, la fibromyalgie fait l’objet d’un chapitre de treize pages dans la partie relative aux maladies de l’appareil locomoteur. Cela ne me gênerait pas d’appeler la fibromyalgie une maladie, mais puisque l’Académie de médecine s’est prononcée en ce sens, je suis bien obligé de la considérer comme un syndrome.
M. le rapporteur. Quelle est la position de l’OMS ?
M. Daniel Bontoux. L’OMS classe la fibromyalgie dans la liste des maladies.
M. le rapporteur. Qu’en est-il dans les autres pays ? Je crois savoir que la Belgique l’a reconnue comme maladie.
M. Daniel Bontoux. C’est très possible, mais je n’ai pas connaissance des positions des autres pays.
M. le rapporteur. Depuis les derniers rapports de l’Académie nationale de médecine et de la Haute Autorité de santé, la recherche scientifique a-t-elle progressé ? Votre position a-t-elle évolué depuis 2007 ? Avez-vous connaissance de travaux importants récents que vous souhaiteriez nous indiquer ?
M. Daniel Bontoux. Beaucoup de travaux de recherche ont été menés sur la fibromyalgie. Les plus intéressants ont exploité les ressources de l’imagerie fonctionnelle cérébrale. Cette technique a déjà permis de valider l’hypothèse selon laquelle les patients atteints de fibromyalgie ont un abaissement du seuil de sensibilité douloureuse.
Lorsqu’on exerce une pression modérée sur les zones sensibles, les patients atteints de fibromyalgie répondent à cette stimulation alors que chez les sujets normaux, les centres de traitement de la douleur au niveau cérébral – l’insula, l’opercule – ne sont pas activés.
D’autres anomalies ont été constatées à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle : une hyperexcitabilité des neurones, une déficience des voies descendantes inhibitrices de la douleur périphérique, ainsi que des anomalies de la connectivité entre les aires de gestion de la douleur et les aires sensori-motrices.
La difficulté vient de ce que tous les travaux ne sont pas concordants. Les anomalies ne sont jamais observées de manière constante chez les patients. Quand elles le sont, nous ne savons pas toujours si elles sont une cause ou une conséquence. Malgré les progrès scientifiques, nous n’avons toujours pas d’explication claire et nette du phénomène. Ces différences observées chez les fibromyalgiques ont toutefois le mérite de suggérer une assise physiopathologique de ce syndrome, quel que soit le mécanisme exact. Il semble de plus en plus probable que la fibromyalgie relève d’une anomalie centrale cérébrale de la gestion de la douleur.
D’autres travaux orientent vers d’autres voies mais ils n’ont pas reçu de confirmation.
M. le rapporteur. Dans le rapport de la Haute Autorité de santé, il est écrit qu’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurances, à l’instar de la calvitie, du syndrome du côlon irritable, de la phobie sociale, de l’ostéoporose ou du dysfonctionnement érectile ». Qu’en pensez-vous ?
M. Daniel Bontoux. J’avais également noté ce passage. Je suis assez surpris ; je ne vois pas très bien quelle pression l’industrie pharmaceutique pourrait exercer pour faire « monter » la fibromyalgie. Aucun médicament n’a fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM).
En outre, je m’insurge de voir l’ostéoporose traitée de « nouvelle » maladie « fabriquée ». Cette maladie n’est ni nouvelle, ni fabriquée, ses conséquences médico-économiques sont considérables, elle représente un problème de santé publique majeur. Une telle affirmation me paraît insensée.
M. le rapporteur. Pour quelles raisons les femmes semblent plus atteintes par la fibromyalgie que les hommes ? Des hypothèses sont-elles émises pour expliquer cette asymétrie ?
M. Daniel Bontoux. Je n’en sais rien, je crois que personne ne le sait, pourtant la prédominance féminine est écrasante. On parle de 80 % de femmes mais, à mon avis, la proportion est plus importante encore. J’ai peine à me rappeler un homme fibromyalgique parmi mes patients.
La fibromyalgie ne donne pas lieu à un dérèglement des fonctions hormonales féminines. Il n’y a pas de raison de penser qu’elle est liée à un phénomène génétique. On ne voit pas pourquoi les femmes seraient particulièrement vulnérables aux accidents de la vie qui font partie des éléments déclencheurs.
M. le rapporteur. Quelles sont les différentes méthodes de diagnostic de la fibromyalgie ? Laquelle vous semble la plus pertinente ?
M. Daniel Bontoux. C’est l’une des faiblesses de cette maladie que de reposer essentiellement sur des signes fonctionnels, subjectifs. Le diagnostic est très souvent fait au jugé, à l’expérience, en rapprochant des douleurs qui durent depuis très longtemps, qui sont diffuses, et qui s’associent à des troubles du sommeil. Mais on ne peut pas s’en satisfaire.
Le meilleur moyen pour établir un diagnostic consiste à utiliser les critères de classification. Ces critères, qui font l’objet d’un consensus, ne font appel qu’à des déclarations du malade ; le diagnostic peut presque être fait sans examiner le malade. Il s’appuie, d’une part, sur la mesure de l’étendue de la douleur – le nombre d’endroits du corps où le patient dit ressentir des douleurs –, et d’autre part, sur une appréciation chiffrée suivant leur gravité des autres signes – troubles du sommeil, fatigue, troubles cognitifs ainsi que leur retentissement sur la vie quotidienne.
M. le rapporteur. J’ai rencontré un certain nombre de malades, qui rapportent tous que la fibromyalgie se déplace : ils peuvent avoir mal dans le dos un jour, dans la poitrine le lendemain, la hanche ensuite, etc.
M. Daniel Bontoux. Tout à fait. C’est la raison pour laquelle les critères de diagnostic ont été revus.
Auparavant, les critères décrivaient dix-huit sites douloureux à une pression de 4 kilos par centimètres carrés. Le diagnostic exigeait pour être établi onze points sensibles sur dix-huit. La maladie étant variable dans son intensité et dans son étendue, le patient pouvait être considéré fibromyalgique un jour et ne pas l’être le lendemain. C’est la raison pour laquelle les critères ont été modifiés : ils tiennent désormais compte des sites douloureux mais ils accordent aussi une très grande importance aux autres signes associés.
M. le rapporteur. Comment améliorer le diagnostic précoce de ce syndrome et éviter les situations d’errance médicale ? Selon vous, les médecins généralistes et les médecins de prévention sont-ils sensibilisés et suffisamment formés à ce syndrome ? On nous dit souvent que les patients apprennent très longtemps après que leurs douleurs, mises sur le compte du stress ou de l’anxiété, sont associées à la fibromyalgie.
M. Daniel Bontoux. Il n’est pas possible de faire un diagnostic extrêmement précoce, puisque la durée des troubles entre dans la définition de la maladie : le patient doit souffrir d’une douleur chronique, les troubles doivent durer depuis plus de trois mois.
Il est souhaitable de faire le diagnostic le plus tôt possible. J’ai lu quelque part qu’il est établi en moyenne au bout de sept ans, ce qui est vraiment trop long ; je ne crois pas que le délai soit de sept ans aujourd’hui, même si des patients errent sans diagnostic pendant un certain temps.
Comment y remédier ? Il faut que les praticiens auxquels se confient les patients, en particulier les généralistes qui sont souvent les médecins de premier recours, soient informés de la maladie et en connaissent au moins les grandes lignes. Les médecins sont-ils suffisamment formés ?
Les fibromyalgiques s’adressent dans presque tous les cas à des généralistes, à des rhumatologues ou à des algologues exerçant dans le cadre de consultations sur la douleur ou de centres de prise en charge de la douleur – comme il en existe, fort heureusement, beaucoup en France. Pour les deux derniers professionnels, la formation n’est pas un problème. La fibromyalgie est pour eux une pathologie très fréquente. Pendant leurs études et leurs stages de formation, dans le cadre du diplôme d’études spécialisées (DES) de rhumatologie et de ce qu’était le diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) d’algologie – qui va être transformé en une formation spécialisée transversale (FST) –, la fibromyalgie est bien enseignée. Dans leurs stages hospitaliers, les futurs rhumatologues et algologues sont bien exercés à la reconnaître et à la prendre en charge.
En revanche, pour les généralistes, c’est moins sûr. On ne peut pas leur demander d’être particulièrement compétents sur la maladie, tant ils ont de choses à connaître. Il faut au moins qu’ils soient informés de son existence, qu’ils connaissent les grandes lignes pour pouvoir l’identifier et qu’ils soient capables d’orienter les patients vers un rhumatologue ou un algologue. La formation des généralistes répond-elle à cette nécessité ? Je n’en suis pas absolument certain. Pour marquer l’esprit des étudiants de deuxième cycle sur un problème médical quelconque, il faut que celui-ci soit inscrit dans le programme de l’examen classant national (ECN) et fasse éventuellement l’objet d’une question lors des épreuves. Aujourd’hui, la fibromyalgie ne figure explicitement nulle part. La maladie est-elle enseignée dans les facultés ? Je sais que les rhumatologues ne l’enseignent pas aux étudiants de second cycle ; elle ne figure pas dans l’ouvrage de référence du comité français des enseignants de rhumatologie. En algologie, le sujet est traité de façon conséquente dans certaines facultés et pas dans d’autres. Pour faire mieux connaître la maladie des généralistes, il faut demander à l’ensemble des facultés d’aborder systématiquement cette maladie dans la préparation à l’examen classant national, voire d’en faire une question à l’examen, ce qui obligerait les étudiants à travailler un peu le sujet.
M. Jean-Pierre Decool. Ce n’est sans doute pas la seule pudeur masculine qui peut expliquer la faible représentation des hommes au sein des associations de malades. Cette maladie touche selon moi plus de 90 % de femmes. Il faudrait creuser l’hypothèse d’une cause liée au métabolisme féminin.
Parmi les médecins, deux écoles s’opposent : ce ne sont pas les anciens contre les modernes, mais ceux qui ne veulent pas y croire – et qui disent poliment aux députés de se mêler de leurs affaires – et ceux qui y croient. Je pense que ce n’est pas forcément une mauvaise chose que des gens comme nous qui ne sont pas médecins apportent un avis. Le sénateur Jean-Claude Etienne, qui était un éminent médecin, a dit un jour à des confrères : « lorsque deux millions de personnes dans un pays sont atteintes du même syndrome, on ne peut pas dire qu’il ne se passe rien ». On trouve de jeunes médecins qui acceptent au moins d’en parler et de soutenir les malades. Il y a peut-être des causes psychosomatiques, mais assurément des gens souffrent et nous ne pouvons pas y rester insensibles. Ne devrait-on pas faire en sorte que les malades trouvent une écoute harmonieuse dans la médecine française ?
M. Alain Ballay. À partir de vos observations, pouvez-vous établir une typologie des personnes atteintes de ce syndrome ? La personnalité peut-elle être en cause ? Sans aller jusqu’à parler de somatisation, certains patients manifestent-ils un mal de vivre ?
Avez-vous constaté que ce syndrome pouvait conduire à une inaptitude à un poste de travail ? Cette inaptitude résultait-elle de la douleur ou d’une réduction de la mobilité ?
M. Gérard Bapt. Quelle est la fréquence de la maladie ? À quel âge survient-elle ? Est-on vraiment certain d’en avoir terminé avec les recherches dans le domaine de l’immunologie ? Par référence à la myofasciite à macrophages, des cohortes ont-elles été réalisées, qui permettraient de retracer l’anamnèse médicale et les expositions tout au long de la vie des personnes concernées ?
M. Daniel Bontoux. Je suis d’accord avec M. Jean-Pierre Decool. Il n’est pas acceptable de dire à un député de « se mêler de ses affaires ». Ne pas vouloir l’entendre, c’est ne pas vouloir entendre les patients, car vous ne faites pas autre chose que d’essayer, avec les moyens qui sont les vôtres et qui sont importants, d’obtenir que les malades soient entendus. Refuser d’entendre les malades pour une raison dogmatique – parce qu’on ne croit pas à leurs plaintes –, ce n’est pas une attitude médicale raisonnable.
Quoi qu’on en pense, même si on est très sceptique à l’égard de ce syndrome – je respecte les sceptiques car ils ne manquent pas d’arguments –, on ne peut pas négliger ou mépriser un état dont se plaignent des millions de personnes dans le monde.
Il faut indiscutablement – c’est l’un des premiers éléments de la prise en charge si l’on veut obtenir un résultat – écouter les malades. C’est d’ailleurs l’une des difficultés auxquelles sont confrontés les généralistes : une consultation de vingt ou trente minutes ne suffit pas pour garantir l’écoute que réclame cette maladie.
S’agissant de la typologie, on constate chez un nombre important de patients, pas chez tous, des antécédents qui ne peuvent qu’être pris en considération. Il s’agit de traumatismes physiques, principalement ceux consécutifs à des grandes catastrophes comme celle du 11 septembre 2001 à New York, mais aussi de traumatismes psychologiques notamment liés aux différentes formes de violence subie pendant l’enfance ou l’adolescence.
On note une association claire avec la dépression ou l’anxiété, mais on ne connaît pas très bien le lien entre les deux. Les signes de la dépression peuvent survenir avant ou après les manifestations de la maladie. La dépression peut être l’origine de douleurs mais on sait aussi que des douleurs prolongées peuvent être génératrices de dépression. Il est donc difficile d’établir un profil psychologique des personnes destinées à souffrir d’une fibromyalgie.
Quant à l’inaptitude à l’activité professionnelle, c’est l’une des questions auxquelles il est le plus difficile de répondre, car on ne peut en décider que sur la foi des déclarations du patient. À ce jour, je n’ai pas de réponse. Je sais que certains médecins des caisses d’assurance maladie acceptent parfois des régimes particuliers pour ces patients. Il faudrait les entendre pour connaître les critères qui fondent leurs jugements et les inciter à harmoniser ces derniers. Les patients se plaignent précisément, à juste titre, des différences de traitement entre les régions.
La fréquence de la maladie est très difficile à connaître car il n’existe pas de recensement très clair. On estime que, dans le monde, la prévalence, c’est-à-dire le nombre de personnes affectées par la maladie à un moment donné, serait comprise entre 1 et 2 % de la population, ce qui est considérable.
Aucune base immunologique n’a été identifiée pour la fibromyalgie simple, mais celle-ci peut être associée aux grandes maladies immunitaires que sont la polyarthrite rhumatoïde et le lupus érythémateux. Lorsque les signes de la fibromyalgie accompagnent ceux des maladies que je viens d’évoquer, on considère qu’il ne s’agit pas d’une vraie fibromyalgie mais d’une maladie immunologique qui en emprunte les signes. Cela contribue à justifier l’emploi du terme de syndrome pour désigner la fibromyalgie, puisqu’un syndrome peut également être un ensemble de signes clairs répondant à des causes différentes, dont certaines sont des maladies connues.
M. Arnaud Viala. Les malades que nous recevons témoignent tous d’un état dépressif. Avez-vous connaissance de recherches sur l’antériorité de la dépression par rapport à l’apparition des troubles liés à la fibromyalgie ?
Compte tenu du nombre de femmes atteintes, des recherches ont-elles été menées sur une éventuelle corrélation entre la fibromyalgie et les méthodes contraceptives, en particulier la pilule ?
Mme Florence Delaunay. Pouvez-vous préciser la période et les facteurs de déclenchement du syndrome ? Ces questions ont-elles donné lieu à des études ?
Des études comparatives avec d’autres maladies à prévalence féminine ont-elles été menées et quels en sont les résultats ?
Mme Bérengère Poletti. Les personnes atteintes de fibromyalgie qui viennent nous voir attendent de nous un traitement social de leur maladie ; ils veulent que leur maladie soit reconnue, ils la considèrent à juste titre comme invalidante, ils souhaitent être accompagnés par la société.
Les députés ne cherchent pas à occuper le champ médical, mais le champ social afin d’aider ces personnes à obtenir une prise en charge et une reconnaissance de la maladie.
J’ai entendu parler de traitement par oxygénothérapie hyperbare. Quels en sont les résultats ?
Mme la présidente Sylviane Bulteau. J’ajouterai une dernière question : avez-vous connaissance de cas de guérison ?
M. Daniel Bontoux. L’association avec la dépression est fréquente. Chez certains patients, les troubles dépressifs ou anxieux précèdent les premières manifestations de la fibromyalgie tandis que, chez d’autres, ils surviennent après. Dans le cas de l’anxiété, la première hypothèse est majoritaire. La dépression survient quant à elle souvent dans un deuxième temps. Cela donne à penser, sous toutes réserves, que la maladie se développe sur un terrain anxieux tandis que la dépression est plutôt une conséquence du caractère pénible et interminable de la fibromyalgie – je schématise beaucoup car nous n’avons pas de certitudes à ce sujet.
S’agissant du lien entre fibromyalgie et contraception, je ne dispose pas d’éléments pour vous répondre.
Les traumatismes semblent être les principaux facteurs déclenchants, je l’ai dit. Quand ils se sont produits longtemps auparavant, ils ont probablement modelé la personnalité de telle sorte que les troubles fibromyalgiques surviennent plus tard.
La maladie se voit à tous les âges de la vie, mais davantage à la maturité de l’âge adulte. Elle est signalée chez l’enfant par la littérature scientifique sur le sujet.
Quant au traitement social, je souhaite faire une remarque importante sur la prise en charge des patients. On dispose, pour lutter contre la fibromyalgie, de médicaments antalgiques. Ce ne sont pas les antalgiques habituels, comme le paracétamol, et encore moins les morphiniques, mais des médicaments utilisés, à des doses plus faibles, dans le traitement de la dépression – ils agissent sur les mécanismes de transmission de la douleur dans les synapses nerveuses – et dans le traitement de l’épilepsie. Les résultats ne sont pas très satisfaisants. Le traitement par physiothérapie, balnéothérapie ou les cures thermales ont un réel intérêt pour la prise en charge des patients tout comme les mesures d’accompagnement social – ne serait-ce que le soutien psychologique, l’aide à la gestion du temps pour faire des activités, à se ménager des temps de repos ; tout cela est très important mais nécessite beaucoup d’écoute et de dévouement.
Quant à l’oxygénothérapie hyperbare, je n’ai aucune connaissance de son utilisation pour la fibromyalgie.
Enfin, c’est navrant, mais je ne pense pas qu’aujourd’hui on puisse guérir de la fibromyalgie.
M. le rapporteur. Je vous remercie pour vos réponses claires. Je vous serais reconnaissant de nous adresser par écrit les réponses aux autres questions que nous vous avions fait parvenir.
Nous n’avons pas évoqué les risques que prennent les patients en prenant des doses élevées de médicaments délivrés sans ordonnance qu’ils achètent de leur propre initiative, parfois sur internet, pour soulager la douleur.
M. Daniel Bontoux. Pour la fibromyalgie comme pour les autres maladies, vous avez raison de souligner les risques de l’achat de médicaments sur internet. C’est un problème de santé publique auquel il faudra apporter une réponse.
M. le rapporteur. Lorsque les malades sont capables de mettre un nom sur leur maladie, lorsque la fibromyalgie a été diagnostiquée, sachant qu’elle n’est pas mortelle, ils ressentent la maladie différemment.
Audition du professeur Agnès Buzyn,
présidente de la Haute Autorité de santé
(Procès-verbal de la séance du mardi 31 mai 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Celles-ci sont donc ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Madame Buzyn, avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire qui sera suivie d’un échange de questions et de réponses, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Agnès Buzyn prête serment.
Mme Agnès Buzyn, présidente de la Haute Autorité de santé (HAS). Je vous remercie d’avoir sollicité la Haute Autorité de santé, qui a travaillé sur la fibromyalgie en 2009 à la suite d’une saisine du ministère de la santé.
Veuillez excuser l’absence du docteur Michel Laurence, responsable des recommandations à la HAS, dont j’avais proposé qu’il vienne m’assister lors de cette audition : il ne faisait pas partie de la HAS à l’époque où nos recommandations sur la fibromyalgie ont été formulées, de sorte que sa présence est apparue moins nécessaire que nous ne l’avions initialement pensé. Étant moi-même entrée à la Haute Autorité il y a deux mois seulement, je reprends ce dossier de façon assez théorique, car la mémoire de l’instruction de cette saisine ministérielle n’a guère été conservée au sein de l’organisme – sinon peut-être par le professeur Loïc Guillevin, qui présidait à l’époque la commission des bonnes pratiques et qui a été nommé depuis membre du collège de la HAS. C’est en relisant les documents qui m’ont été fournis que je me suis rendu compte qu’il pourrait éventuellement être utile que vous l’auditionniez.
La saisine de la Haute Autorité par le ministère date de fin 2007. Le collège de la HAS a décidé en 2008 de consacrer au syndrome fibromyalgique un rapport d’orientation qui a été rendu public en février 2010, après validation par le collège. Dans sa saisine, le ministère nous demandait d’étudier la possibilité d’adapter les recommandations européennes à ce sujet et de tenir compte du rapport produit par l’Académie de médecine en 2007. Au vu des incertitudes qui pesaient sur la définition de ce syndrome et sur la classification objective des malades, le collège de la HAS a souhaité publier un rapport d’orientation plutôt qu’un rapport de recommandation, lequel aurait nécessité d’identifier très clairement le syndrome, son diagnostic, les méthodes employées pour poser celui-ci.
Ce rapport d’orientation dresse un vaste état des données disponibles. Il comprend 142 références bibliographiques, qui devaient correspondre à l’époque à la totalité des publications scientifiques sur le sujet. Il analyse la littérature nationale et internationale. Il s’appuie également sur une enquête exploratoire de nature sociologique et sur une enquête relative aux pratiques des médecins, s’agissant notamment des traitements non médicamenteux ; il analyse des bases de données recensant la prescription de médicaments destinés à traiter le syndrome et explore des pistes de prise en charge pour tenter de contrôler les symptômes et de mieux adapter les traitements à chaque cas individuel.
Il en ressortait l’idée d’une prise en charge graduée en fonction de la gravité des symptômes : conduite à un premier niveau par le médecin généraliste, essentiellement en vue de promouvoir l’activité physique, elle serait relayée à un second niveau par une approche pluriprofessionnelle, éventuellement assortie d’une éducation thérapeutique. Il s’agissait de limiter au maximum la prise en charge médicamenteuse, au vu des effets secondaires voire de l’addiction que certains traitements peuvent entraîner. Le rapport reconnaissait qu’il était important d’apporter des solutions aux patients qui souffraient, même s’il était difficile de déterminer le cadre nosologique du syndrome.
Faute de données, la HAS n’a pas exploré l’effet sociétal et social de la fibromyalgie – arrêts de travail, invalidité – ni son coût, particulièrement celui qui découlerait d’un lien entre le syndrome et la consommation de médicaments, du fait des insuffisances du système d’information médicale.
Le rapport concluait que, même si des controverses subsistent quant à l’existence et surtout quant aux causes – organiques ou fonctionnelles – de ce syndrome, il faut proposer une prise en charge aux patients : on ne peut pas « laisser les patients sans réponse et les professionnels sans solution à proposer ».
Depuis, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a été saisi en vue d’une expertise collective, à laquelle, à ma connaissance, nous ne participons pas.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Pour quelles raisons l’Académie de médecine n’a-t-elle pas considéré la fibromyalgie comme une maladie dans son rapport de 2007 ? L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les principaux pays occidentaux ont-ils adopté une autre position ?
Mme Agnès Buzyn. Il semble que l’OMS ait reconnu la fibromyalgie comme une maladie à la suite des travaux de l’American College of Rhumatology qui décrivaient cliniquement l’entité et tentaient d’établir des critères diagnostiques fondés sur l’identification de points douloureux spécifiques. Cette description a été très contestée dans la profession et l’idée de points douloureux spécifiques a été remise en question depuis. C’est la raison pour laquelle, si l’OMS a acté la réalité de cette description, l’Académie de médecine, considérant quant à elle que les critères diagnostiques étaient trop fragiles et que l’on manquait de données biologiques ou anatomopathologiques permettant de mieux identifier les patients, n’a pas qualifié la fibromyalgie de maladie.
On définit une maladie comme une altération de l’état de santé dont on connaît la cause, ou du moins la physiopathologie. Or la fibromyalgie n’a pas de cause connue et est très difficile à décrire du point de vue biologique, physiopathologique ou anatomopathologique. Voilà pourquoi on parle plutôt de syndrome, c’est-à-dire d’un ensemble de symptômes.
M. le rapporteur. La recherche scientifique a-t-elle progressé sur le sujet depuis les derniers rapports de l’Académie de médecine et de la Haute Autorité de santé ? Votre position a-t-elle évolué depuis 2007 ? Avez-vous connaissance de travaux importants et récents que vous souhaiteriez nous indiquer ?
Mme Agnès Buzyn. Nous ne nous sommes pas ressaisis de la question de ce syndrome et de sa prise en charge. Cela étant, depuis 2010, ont été publiés sur le sujet 24 rapports ou recommandations et 176 revues systématiques ou méta-analyses, ce qui montre que le syndrome suscite un « bruit de fond » important et des efforts significatifs de recherche et d’analyse.
Les recommandations ciblent souvent la prise en charge, notamment la place des médicaments antalgiques et de l’exercice physique. Au moins trois recommandations multiprofessionnelles ont été développées en Allemagne, en Israël, au Canada, au Mexique et en Espagne ; elles valorisent une approche graduée de la prise en charge et soulignent la nécessité de bien informer les médecins de cette démarche. En première intention, il s’agit, comme le prônait la HAS, d’éviter le recours aux médicaments – un message important qu’il convient de diffuser à nouveau –, d’impliquer le patient dans son plan de soins et de mettre en avant les effets bénéfiques de l’exercice physique comme des thérapies cognitivo-comportementales, qui semblent produire des effets très bénéfiques sur les symptômes. Toutes ces recommandations mettent en garde contre l’emploi des antalgiques, dont les effets secondaires sont importants et qu’il faut réserver aux épisodes d’intense douleur ou de symptômes difficiles à contrôler, dans le cadre d’une prise en charge spécialisée et pluridisciplinaire.
M. le rapporteur. Dans le rapport publié en 2010 par la HAS, il est écrit que l’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance, à l’instar de la calvitie, du syndrome du côlon irritable, de la phobie sociale, de l’ostéoporose ou du dysfonctionnement érectile ». Pouvez-vous nous expliquer cette analyse ?
Mme Agnès Buzyn. J’ai moi-même été troublée en lisant ce texte, que je n’ai compris que dans un second temps. La HAS a été sensible au concept, connu depuis les années 1990, de disease mongering, qui pouvait selon elle s’appliquer à la diffusion de la notion de fibromyalgie dans l’espace public. Ce concept désigne la fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques ou de certains lobbies médicaux. Du côté des industriels, il consiste à transformer des maux ordinaires en problèmes médicaux, voire en maladies, à présenter des symptômes bénins comme graves, à traiter des problèmes personnels comme s’ils étaient médicaux et des risques comme des maladies. Ce concept assez général semble bien jouer un rôle dans l’approche marketing développée par l’industrie pharmaceutique. En faisant émerger de nouvelles maladies et en finançant des conférences à leur sujet, celle-ci s’ouvre de nouveaux marchés et de nouvelles perspectives d’autorisation de mise sur le marché (AMM) de médicaments, selon un processus qui a été bien décrit.
Ont été citées en exemple de ce phénomène les pathologies que vous venez d’énumérer. Par construction, et peut-être par une forme de raccourci, on a fait apparaître parmi elles la fibromyalgie au même titre que la calvitie. L’idée était plutôt de rappeler que cette approche est maintenant conceptualisée par les industriels à des fins de marketing. On a vu ainsi émerger de nouveaux syndromes, érigés en maladies afin de développer de nouveaux médicaments pour répondre à des besoins spécifiques.
M. le rapporteur. Le rapport de la HAS souligne que la plupart des associations de malades « adhèrent à une conception en vertu de laquelle le syndrome fibromyalgique pourrait être un dérèglement de la perception de la douleur, dont la cause initiale est inconnue ». Qu’en pensez-vous ?
Mme Agnès Buzyn. Ce qui inquiète les associations de malades, c’est que l’on puisse prendre leurs troubles pour des pathologies psychiatriques, d’où leur recherche d’une cause organique. Mais, aujourd’hui, il n’existe pas d’argument scientifique en faveur d’un dérèglement de la douleur. En tout cas, les quelques articles publiés qui tentent de mettre en évidence des réalités biologiques sous-tendant le syndrome fibromyalgique manquent de robustesse scientifique ; ils portent souvent sur un très petit nombre de patients. Or, tant que nous n’avons pas de substratum ou d’explication biologique ou physiopathologique, il est difficile de considérer que le syndrome est lié à un dérèglement de la douleur ou à un autre facteur. Aujourd’hui, nous n’avons pas de piste.
Cela dit, il faut entendre les patients, qui ne veulent pas être considérés comme relevant de la psychiatrie, même si des dépressions sont souvent associées au syndrome fibromyalgique et qu’il faut les prendre en charge lorsqu’elles sont identifiées. Mais la dépression ne signifie évidemment pas que les patients ne ressentent pas les symptômes ni qu’ils relèvent de la psychiatrie. Selon mes équipes, les patients « voudraient ne pas être classés dans une maladie psychiatrique, au sens où ils disent “nous ne sommes pas fous” ». Il est évident que tel n’est pas le propos. Toutefois, ce n’est pas parce que ce dont ils souffrent n’est pas une maladie psychiatrique en ce sens-là qu’il en existe aujourd’hui un substratum biologique identifié.
M. le rapporteur. Les femmes semblent plus atteintes par la fibromyalgie que les hommes. Y-a-t-il des hypothèses permettant d’expliquer cette asymétrie ?
Mme Agnès Buzyn. De même qu’il n’existe pas d’hypothèses physiopathologiques qui fourniraient une piste d’explication, de même, nous ne disposons d’aucune hypothèse permettant de comprendre pourquoi les femmes sont effectivement plus touchées que les hommes – elles représentent 80 % des cas de fibromyalgie et il s’agit souvent de femmes jeunes, âgées de 30à 60 ans dans 90 % des cas.
M. Arnaud Viala. Madame la présidente, du point de vue de la méthode, il est difficile de prendre part aux travaux d’une commission d’enquête dont le rapporteur peut poser une rafale de questions avant que les commissaires n’aient la parole. Cela ne se passe pas ainsi dans l’autre commission d’enquête à laquelle je participe en ce moment. Il convient de répartir le temps de parole, à moins que la présidente et le rapporteur ne prétendent constituer à eux seuls la commission d’enquête !
Mme la présidente Sylviane Bulteau. C’est ainsi que nos travaux sont organisés…
M. Arnaud Viala. Vous êtes souveraine s’agissant de l’organisation de nos travaux, madame la présidente.
M. Gérard Bapt. Il est dix heures cinquante ; l’audition doit durer jusqu’à onze heures trente. Pour avoir participé à plusieurs commissions d’enquête, je trouve le temps dont nous disposons tout à fait raisonnable.
M. Arnaud Viala. Je ne crois pas vous avoir interpellé, monsieur Bapt. La présidente doit pouvoir me répondre !
M. Gérard Bapt. Je peux faire un point d’ordre, comme vous-même à l’instant !
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Chers collègues, nous ne sommes pas là pour polémiquer. Il y a des gens qui nous regardent et nous écoutent. Nous sommes réunis ici pour travailler tous ensemble sur un sujet difficile qui suscite beaucoup d’attentes. Le rapporteur intervient après la personne auditionnée ; vous avez tous eu la parole lors de notre première audition ce matin, vous l’aurez tous également au cours des auditions suivantes. C’est ainsi que nous allons travailler, monsieur Viala, jusqu’en septembre, et j’espère que vous pourrez, vous aussi, vous mettre dans l’heureuse ambiance qui a présidé à nos travaux ce matin. Vous avez la parole.
M. Arnaud Viala. Je crois comprendre que la HAS n’a pas travaillé sur la fibromyalgie depuis 2009. Pourquoi n’a-t-elle pas été saisie du problème ou ne s’en est-elle pas elle-même saisie, en particulier pour s’intéresser non seulement aux éléments d’appréciation des éventuels traitements symptomatiques, comme dans le rapport déjà publié, mais aussi aux causes de la maladie ?
M. Alain Ballay. Même si la douleur est une sensation subjective, a-t-on mesuré l’intensité de celle qui caractérise la fibromyalgie par des instruments tels que l’échelle Doloplus ?
Mme Bérengère Poletti. J’imagine que la HAS a procédé à des études de benchmarking, dans le domaine non de la recherche – car les chercheurs partagent leurs avancées ou leurs non-avancées concernant la maladie – mais de l’accompagnement social : d’autres pays sont-ils allés plus loin que nous, par exemple en considérant la fibromyalgie comme une affection de longue durée (ALD) ?
Mme Agnès Buzyn. En ce qui concerne les causes de la fibromyalgie, je rappelle que la HAS est une agence qui émet des recommandations de bonnes pratiques : nous ne finançons ni n’orientons la recherche. Les équipes de l’INSERM seront plus à même de vous répondre s’agissant des travaux de recherche qui ont été menés et de leur financement.
Pourquoi ne nous sommes-nous pas saisis de la question ? La HAS a un programme de travail très chargé. On lui reproche très souvent son manque de réactivité ; il est vrai que son programme s’étend sur deux à trois ans. Il est essentiellement prescrit par les saisines des ministères. Les autosaisines sont relativement peu nombreuses et ont rarement pour but la formulation de recommandations : nous nous saisissons de sujets d’actualité ou qui ont d’importantes conséquences financières pour la sécurité sociale sont importantes, ou nous relevons des risques de mauvaises pratiques pour les patients.
S’agissant de la mesure de la douleur, je ne suis pas une spécialiste, mais, d’après ce que je comprends, la fibromyalgie a été considérée comme faisant partie des syndromes qui doivent être pris en charge par le plan national de lutte contre la douleur. Les patients qui en souffrent font partie de ceux que l’on peut référer en vue d’une prise en charge spécifique de la douleur. Dès lors qu’ils intègrent donc cette filière, leur douleur doit pouvoir être mesurée.
En ce qui concerne le benchmarking, celui dont je dispose remonte à 2010, date de publication du rapport. La prise en charge en ALD est un système spécifiquement français.
Mme Bérengère Poletti. Je songeais à une prise en charge équivalente dans d’autres pays.
Mme Agnès Buzyn. Elle ne semblait pas concerner la fibromyalgie en 2010. Je n’ai malheureusement pas procédé à une comparaison actualisée en vue de cette audition. Cela nécessiterait un travail relativement lourd de la part des services de la HAS.
M. Frédéric Reiss. Il existe dans nos régions des associations qui s’occupent des fibromyalgiques, regroupées au sein du Centre national des associations de fibromyalgiques. Leur but est de faire reconnaître la maladie, d’autant que les patients souffrent de l’errance diagnostique. Mais, une fois le diagnostic posé, la prise en charge est disparate selon le régime de protection sociale dont on relève : c’est un gros problème. Qu’en pensez-vous ?
Par ailleurs, la formation des médecins dans ce domaine a-t-elle progressé au cours des dernières années ?
M. Renaud Gauquelin. Les médecins-conseils de la sécurité sociale font régulièrement valoir l’absence de cause identifiée de la fibromyalgie pour justifier sa non-prise en charge en ALD ou en ALD hors liste. Pourtant, beaucoup de maladies dont on ne connaît pas la cause – la maladie d’Alzheimer ou la sclérose en plaques, entre autres – bénéficient d’une prise en charge à 100 % sur tout le territoire.
Parvenir à une prise en charge homogène est l’un des objectifs de notre commission d’enquête – dont la visée ne saurait être médicale, même si plusieurs d’entre nous exercent des métiers de la santé dans la vie civile. Car la disparité territoriale de la prise en charge est très mal vécue par les malades, au point que l’on peut se demander si elle n’aggrave pas leur pathologie.
Mme Agnès Buzyn. Certains patients qui souffrent de douleurs très fortes ont obtenu une inscription en ALD hors liste. À l’époque du rapport, il était prévu de saisir l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) pour qu’elle étudie les moyens de former et d’informer les médecins de l’assurance maladie. Je ne sais pas où en sont ces travaux. Quoi qu’il en soit, ces questions ne sont pas du ressort de la HAS.
Vous dites que d’autres maladies dont on ignore la cause sont prises en charge en ALD, mais la fibromyalgie a pour autre spécificité l’absence de tout signe objectif. C’est une difficulté majeure qui la distingue de tous les autres syndromes connus en médecine et qui se caractérisent par un syndrome inflammatoire ou par des signes anatomocliniques ou biologiques. Voilà pourquoi l’Académie de médecine ne souhaite pas aujourd’hui la qualifier de maladie. Nous parlons d’un syndrome que l’on identifie par l’élimination de toutes les causes organiques connues.
En ce qui concerne l’errance diagnostique, nous avions l’impression qu’elle avait un peu diminué après la publication du rapport d’orientation du collège de la HAS, qui a fait mieux connaître le syndrome aux médecins. Mais le phénomène est pointé dans tous les pays du monde. Il s’explique par le fait que le diagnostic doit être posé par élimination, en l’absence de signes objectifs permettant de se prononcer fermement, ce qui laisse les médecins quelque peu démunis. Cette errance ne peut être réduite que par une meilleure connaissance du syndrome, ainsi que par l’observation des recommandations internationales : celles-ci s’accordent pour promouvoir l’attention à la souffrance des patients et une prise en charge graduée qui ne saurait commencer par la prescription de médicaments et qui nécessite une très forte implication de la part du malade.
Cela suppose assurément d’améliorer la formation des médecins. Mais la HAS ne joue aucun rôle dans leur formation initiale à l’université. Je ne saurais donc vous dire si le syndrome leur est enseigné aujourd’hui.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous auditionnerons les représentants de l’UNCAM et, sans doute, ceux des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) afin d’évoquer les problèmes de disparité territoriale.
Mme Annie Le Houerou. Existe-t-il des listes de praticiens et de services spécialisés auxquels il serait possible de référer les patients pour limiter l’errance diagnostique ?
Je crois par ailleurs savoir qu’un nombre croissant de jeunes enfants sont diagnostiqués. Dispose-t-on de résultats récents concernant l’apparition du syndrome chez les enfants et les difficultés particulières que pose leur prise en charge ?
Mme Agnès Buzyn. Il n’existe pas à ma connaissance de liste de médecins telle que celle que vous évoquez. Compte tenu de la prévalence de la pathologie en France, un médecin généraliste voit un à trois patients par an en moyenne, quand les rhumatologues en voient trente à quarante au cours de la même période. La rhumatologie peut donc être considérée comme la spécialité médicale la plus souvent confrontée à ces douleurs chroniques, parfois prises pour des douleurs articulaires ; ce sont par conséquence les rhumatologues qui sont le plus à même de reconnaître le syndrome. C’est d’ailleurs l’American College of Rheumatology qui a, le premier, identifié l’entité.
Quant à une liste de services spécialisés, je n’en connais pas non plus. En tout cas, il n’en existait pas en 2010.
En ce qui concerne les enfants, au moment de la publication du rapport, les cas décrits étaient rarissimes et considérés comme totalement exceptionnels. Six ans plus tard, je ne peux répondre à votre question, qui appellerait une enquête auprès des pédiatres.
M. le rapporteur. Des recommandations de bonnes pratiques ont-elles été édictées ? Ont-elles été diffusées auprès des professionnels de santé et des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) ?
Mme Agnès Buzyn. Les recommandations et rapports de la HAS sont rendus publics et très largement diffusés auprès des médecins, généralistes et spécialistes. La Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) en tient compte ; nous avons d’ailleurs signé un accord-cadre en vertu duquel nous travaillons très souvent de concert pour identifier les meilleures pratiques en matière de prise en charge des patients.
Il était prévu qu’à la suite du rapport l’UNCAM établisse un guide de procédure destiné aux médecins-conseils, afin de diffuser ces recommandations aux médecins ; la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) devait se charger du guide de procédure destiné aux MDPH. Je ne sais pas du tout si ces projets ont été suivis d’effets. Quoi qu’il en soit, pour que les recommandations soient diffusées aux médecins et aux MDPH, il faut évidemment que les tutelles s’emparent du sujet.
M. le rapporteur. Une approche multiprofessionnelle est-elle souhaitable, notamment en vue de développer l’éducation thérapeutique du patient ?
Mme Agnès Buzyn. Effectivement, il est important, en particulier dans les cas les plus sévères, d’adopter une approche pluridisciplinaire, associant prise en charge de la douleur, promotion de l’activité physique, éducation thérapeutique du patient et thérapies cognitives et comportementales. C’est ce que recommandait le rapport. Cela suppose que le patient soit référé à des équipes hospitalières, car il est plus difficile à un médecin généraliste d’organiser cette prise en charge pluridisciplinaire sur le territoire.
M. le rapporteur. Les programmes nationaux de lutte contre la douleur présentent-ils un intérêt pour la prise en charge des patients atteints de fibromyalgie ?
Pour quelles raisons le programme national douleur 2013-2017 n’a-t-il pu entrer en vigueur ?
Mme Agnès Buzyn. C’est à la direction générale de la santé (DGS) qu’il faudrait poser cette dernière question.
Pour le reste, le rapport préconisait de permettre aux patients de recourir plus tôt aux structures de prise en charge spécifique de la douleur, de façon à leur éviter l’errance diagnostique ainsi que la surmédicalisation, avec les risques d’effets secondaires que l’on connaît. En outre, ces structures, très souvent confrontées aux douleurs chroniques, sont en mesure de proposer des programmes d’éducation thérapeutique. Pour ces différentes raisons, elles nous paraissent indiquées pour accueillir les patients atteints de fibromyalgie.
M. le rapporteur. Atteint d’un cancer de l’œil peu courant, qui touche environ 350 personnes par an, j’ai accepté de subir des prélèvements afin d’alimenter la recherche scientifique. Ce type de démarche est-il proposé aux fibromyalgiques ? N’est-ce pas ainsi que l’on pourrait mieux comprendre leur maladie ?
Mme Agnès Buzyn. En tant que présidente de la HAS, je ne peux répondre aux questions qui concernent la recherche. Il faudrait interroger les sociétés savantes les plus susceptibles de prendre en charge ce type de patients, en médecine de la douleur et en rhumatologie, ainsi que l’INSERM pour connaître les programmes de recherche consacrés à cette maladie – ou plutôt à ce syndrome. Il conviendrait également de se tourner vers la direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour s’enquérir de l’existence de financements d’essais cliniques ou de recherches cliniques dédiés à cette pathologie.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous entendrons l’INSERM en juillet.
Le professeur Bontoux, que nous avons auditionné avant vous, nous a expliqué que c’est principalement l’abaissement du seuil de perception de la douleur qui peut amener au diagnostic de fibromyalgie. Vous nous dites quant à vous qu’il n’existe pas d’explication scientifique permettant de valider cette hypothèse d’un dérèglement de la perception de la douleur. Comment comprendre cette apparente contradiction, assez grave du point de vue des malades qui nous écoutent ?
Mme Agnès Buzyn. Vous l’avez compris, je ne suis pas spécialiste de ce syndrome. Mais ce que j’entends, c’est que, pour un spécialiste, l’abaissement du seuil de sensibilité à la douleur est une hypothèse. Ce que je dis en tant que scientifique, c’est que je n’ai rencontré dans la littérature aucune publication qui expliquerait pourquoi ces malades ont un seuil plus bas de perception de la douleur. Cela signifie non pas que cette hypothèse est fausse, mais que nous n’avons aujourd’hui aucun substratum biologique permettant d’en expliquer le fondement ou de la corroborer. Je ne sais pas ce que vous a dit le professeur qui m’a précédée à cette place, mais c’est ce que j’ai compris de tous les documents qui m’ont été donnés. Je m’excuse de vous présenter un rapport de 2010 depuis lequel la HAS n’a pas revu la littérature sur le sujet ; j’ai toutefois pris connaissance des textes scientifiques qui ont été publiés depuis et j’ai l’impression que, pour l’instant, il n’existe que des pistes de recherche, non des explications avérées – abstraction faite d’un ou deux papiers portant sur un nombre très réduit de personnes, et dont le niveau de preuve est donc considéré comme peu élevé.
M. Jean-Pierre Decool. Nous n’aurions que des pistes de recherche, dites-vous. Le professeur que nous avons entendu avant vous a rappelé que 2 millions de personnes étaient atteintes du syndrome dans notre pays. Alors que l’on parle de la fibromyalgie depuis de nombreuses années, ces patients ne sont pas soutenus de manière harmonieuse. Au-delà des constats, au lieu de se contenter d’attendre que la recherche progresse, ne pourrait-on confier une mission spécifique de recherche à un établissement de santé dédié ? Je songe par exemple à l’hôpital maritime de Zuydcoote, où se pratique la chirurgie réparatrice et où certains médecins regardent de très près le syndrome fibromyalgique. Car pendant que nous attendons, les patients continuent de souffrir – même si des causes psychosomatiques sont envisageables.
À dire vrai, moi-même, qui suis profondément cartésien, je ne croyais pas à la réalité de ce syndrome, jusqu’au jour où j’ai été invité à participer à un congrès mondial sur la fibromyalgie en compagnie du champion cycliste Bernard Thévenet, dont le kinésithérapeute, lui-même atteint, est venu exposer son cas.
Mme Agnès Buzyn. Je suis désolée, mais cette question sort du champ de compétence de la HAS. Je puis en revanche vous répondre en tant que professeur de médecine qui a fait beaucoup de recherches cliniques.
La recherche ne peut pas être prescriptive auprès d’une équipe non spécialisée. Elle se finance par la qualité des projets déposés, des hypothèses émises, des outils dont disposent les équipes. Donner de l’argent à telle ou telle personne, quelles que soient ses qualités médicales, en lui demandant de travailler sur un sujet donné, si elle n’a pas l’expertise scientifique nécessaire ou les bonnes hypothèses à poser, c’est jeter cet argent par les fenêtres. Il faut se conformer à ce qu’est la recherche internationale aujourd’hui : partir d’hypothèses un tant soit peu robustes et financer le travail des équipes qui sont le plus à même d’aboutir à un résultat, quel qu’il soit.
À titre personnel, comme médecin hospitalier, je ne serais donc pas favorable à ce que l’on donne une somme à une équipe pour qu’elle travaille sur la fibromyalgie si elle n’a pas démontré sa compétence par des publications scientifiques de qualité.
M. Jean-Pierre Decool. Mais si c’était le cas ?
Mme Agnès Buzyn. Encore faudrait-il que son projet soit évalué par des pairs. La règle qui prévaut dans la recherche actuelle est de ne financer que les projets qui ont des chances d’aboutir. C’est ce que l’on appelle l’excellence scientifique. Dans ce domaine, il est très facile de faire du saupoudrage et de ne parvenir à aucun résultat. Quel que soit le problème, aussi prévalent soit-il dans la population, il faut s’assurer que l’argent public investi dans la recherche va à des projets susceptibles de produire des résultats scientifiquement valides.
Je ne sais pas si l’équipe dont vous parlez pourrait répondre à un appel d’offres concernant la fibromyalgie. Mais si l’on veut proposer des pistes de recherche sur cette maladie, c’est ainsi qu’il faudrait procéder : en lançant un appel à projets spécifique, en voyant s’il existe des équipes à même d’y répondre correctement et en faisant évaluer leur projet par des pairs. Sur certains sujets, les équipes françaises n’ont pas la compétence requise pour répondre à un appel à projets compétitif. C’est peut-être le cas s’agissant de la fibromyalgie ; je ne saurais le dire. Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que fonctionne le monde scientifique.
M. Alain Ballay. Le professeur que nous avons auditionné avant vous faisait état de causes traumatiques – physiques ou psychologiques – à l’origine du mal. Les services antidouleur s’intéressent-ils à cette cause ?
A-t-on offert aux personnes atteintes du syndrome la possibilité de se tourner vers les médecines dites parallèles ?
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je rappelle que nous auditionnons ensuite le professeur Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine, qui intervient donc au cœur du soin prodigué aux malades et pourra répondre plus spécifiquement à ces questions.
Mme Agnès Buzyn. Le risque de dérive vers des médecines parallèles, voire sectaires, fait partie des raisons pour lesquelles ces patients doivent être correctement pris en considération et en charge. Nous devons y être très attentifs : c’est lorsqu’un besoin médical ne trouve pas de réponse que sont proposées des médecines parallèles parfois tout à fait inoffensives, mais parfois déviantes, dont le coût financier, notamment, peut être très élevé pour les patients. Il est donc très important de répondre à la demande, quelle que soit la réalité objective qui sous-tend le syndrome ; c’est pourquoi la HAS avait souhaité établir ce rapport d’orientation.
Pour nous, cette réponse doit, je le répète, être graduée et, pour les patients les plus sévèrement atteints, prendre la forme d’une prise en charge pluridisciplinaire, notamment psychologique. En effet, un substratum psychologique est souvent rapporté par les études, notamment un traumatisme dans l’enfance, ainsi qu’un facteur de dépression. Ce qui me ramène au problème de l’abaissement du seuil de perception de la douleur, à propos duquel je n’ai peut-être pas été assez explicite. En effet, la dépression peut accroître la sensibilité à la douleur, ce qui crée un cercle vicieux : une douleur chronique s’installe, entraîne une dépression, laquelle aggrave le sentiment douloureux en abaissant le seuil de sensibilité à la douleur. Au total, la prise en charge pluridisciplinaire ne passe pas nécessairement par la prescription de médicaments, sauf dans les cas les plus graves.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Merci, madame.
Audition du professeur Francis Berenbaum,
chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine, Paris,
et expert de l’Institut thématique multi-organismes physiopathologie, métabolisme et nutrition pour le domaine ostéo-articulaire
(Procès-verbal de la séance du mardi 31 mai 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous accueillons notre dernier intervenant de la matinée, le professeur Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine et expert de l’Institut thématique multi-organismes Physiopathologie, métabolisme et nutrition (ITMO PNN) pour le domaine ostéo-articulaire.
Nos auditions sont publiques, ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Avant de vous donner la parole, monsieur le professeur, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Francis Berenbaum prête serment.)
M. Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine et expert de l’Institut thématique multi-organismes Physiopathologie, métabolisme et nutrition (ITMO PNN) pour le domaine ostéo-articulaire. Merci de m’avoir invité à parler de ce sujet.
En guise d’introduction, j’aimerais replacer la fibromyalgie dans un contexte général pour que vous puissiez la situer. La fibromyalgie fait partie du grand groupe des maladies dites musculo-squelettiques ou ostéo-articulaires, où l’on rassemble toutes les pathologies de l’appareil locomoteur : les pathologies articulaires, osseuses, musculo-tendineuses et rachidiennes.
Parmi les pathologies osseuses, on trouve l’ostéoporose. Dans les maladies articulaires, on classe les rhumatismes inflammatoires comme la polyarthrite rhumatoïde ou les spondylarthrites, et l’arthrose qui est un rhumatisme plus mécanique. Les maladies musculo-tendineuses, que l’on nomme aussi rhumatismes abarticulaires, touchent les éléments situés autour de l’articulation : tendinites, troubles musculo-squelettiques (TMS) et syndrome du canal carpien, qui sont bien connus de la médecine du travail. Enfin, il y a tout ce qui concerne la colonne vertébrale, le rachis, c’est-à-dire les pathologies rachidiennes où l’on rassemble les lombalgies et les cervicalgies.
Où se situe la fibromyalgie ? En fait, elle appartient à différents registres, notamment aux pathologies tendineuses – les patients évoquent des douleurs articulaires qui viennent en réalité de la périphérie des articulations – et à celles de la colonne vertébrale.
Deux mots-clés – douleur et handicap – sont toujours associés à ces pathologies qui conduisent inévitablement à une consommation de médicaments antidouleur : elles représentent l’une des premières causes de prises d’antalgiques. Aux États-Unis, on estime que nombre de dépendances aux opioïdes ont démarré par des traitements donnés contre des douleurs articulaires ou musculo-tendineuses. Le chanteur Prince, qui est décédé récemment par overdose d’opioïdes, prenait initialement ces traitements pour une arthrose de la hanche.
La revue The Lancet a effectué l’an dernier un classement mondial de plus de trois cents maladies, en fonction du fardeau qu’elles représentent en termes d’incapacité. Les lombalgies figurent à la première place, les cervicalgies à la quatrième, les symptômes musculo-tendineux à la dixième, l’arthrose à la treizième. Voyez l’impact prépondérant des maladies musculo-squelettiques ou de l’appareil locomoteur en matière de handicap. On parle de maladies ou de leurs conséquences, une problématique que l’on retrouve pour la fibromyalgie. Est-ce une maladie ou des conséquences aboutissant à des symptômes que sont les douleurs du rachis lombaire, du rachis cervical ? Quoi qu’il en soit, l’impact est considérable en termes d’incapacité.
Ces maladies ostéo-articulaires ont aussi un impact économique majeur. Selon la ligue européenne contre les rhumatismes (EULAR – European league against rheumatism), ces maladies touchent 120 millions d’Européens, soit un résident sur quatre ; elles constituent la première cause d’incapacité et l’une des raisons principales d’absentéisme, d’arrêt de travail allant jusqu’au chômage et de retraite précoce forcée. Ces coûts indirects associés aux coûts directs
– médicaments, consultations médicales, hospitalisations – aboutissent à un fardeau économique estimé à 240 milliards d’euros par an, supporté en majeure partie par les États eux-mêmes. Le coût spécifique de la fibromyalgie est très difficile à déterminer car rarement individualisé mais, aux États-Unis, il a été évalué à environ 10 000 dollars par patient et par an.
Il y a une quinzaine d’années, la découverte des biothérapies pour rhumatismes inflammatoires a permis une prise en charge efficace des patients. En dehors de cela, nous n’avons quasiment que des traitements purement symptomatiques, médicamenteux ou non, pour toutes ces maladies dont nous ne connaissons pas l’origine.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Depuis les derniers rapports de l’Académie de médecine et de la Haute Autorité de santé (HAS), la recherche scientifique a-t-elle progressé sur le sujet de la fibromyalgie ? Avez-vous connaissance de travaux importants récents sur ce sujet que vous souhaiterez nous indiquer ? Peut-on notamment attendre des résultats des travaux de recherche physiopathologique sur les voies neurologiques de la douleur ?
M. Francis Berenbaum. Je vais essayer de simplifier ce qu’est la physiopathologique d’une maladie, pour ne pas entrer dans des détails passionnants mais compliqués.
Si vous vous cognez, vous allez avoir mal, fort heureusement : dans le cas contraire, vous ne cesseriez de vous cogner et de vous blesser ; la douleur est aussi un mécanisme de défense qui nous permet de vivre. Au bout d’un certain temps, vous n’avez plus mal parce que votre cerveau – par les voies descendantes centrales – va envoyer des signaux d’inhibition à l’endroit où se manifeste le problème. C’est une première piste de recherche dans le cadre de la fibromyalgie, qui donne lieu à de nombreux travaux. Il s’agit de comprendre si ces mécanismes d’inhibition sont ou non altérés. Si vous avez moins d’inhibitions, vous n’appuyez plus sur la pédale du frein et, du coup, la douleur persiste.
La deuxième piste de recherche prend le problème dans l’autre sens. Quand vous vous cognez, vous avez mal, mais si vous touchez un peu, vous n’avez pas mal. C’est ce que l’on appelle la voie ascendante : la sensation d’inconfort varie en fonction des signaux de douleur. Pour des raisons que l’on ignore, dans certains cas la personne appuie trop sur l’accélérateur et les signaux de douleurs sont trop forts par rapport à l’importance de la pression ou du contact.
Une troisième piste de recherche se rapporte à ce que l’on appelle la neuro-inflammation. Lors d’un stress – mécanique ou psychologique –, il va y avoir localement, en périphérie, un relargage de molécules de l’inflammation qui vont ensuite activer la douleur. On se situe alors en périphérie et non plus dans les voies centrales.
Voici sommairement tracés les grands axes de recherches sur les mécanismes de la douleur qui pourraient aboutir à ces symptômes ou à cette maladie que l’on nomme fibromyalgie. Peut-être y a-t-il aussi un terrain génétique ? Des recherches ont été entreprises très récemment pour explorer cette possibilité. Outre la douleur, il faut aussi prendre en compte d’autres éléments, en particulier les troubles du sommeil. Il n’est pas exclu que certaines anomalies du sommeil aient des conséquences sur la perception de la douleur. Nous avons tous pu constater que nous ressentions les choses différemment après une mauvaise nuit.
M. le rapporteur. Où ces recherches sont-elles effectuées ?
M. Francis Berenbaum. Elles sont effectuées pour l’essentiel au Canada et aux États-Unis, et un peu en Grande-Bretagne et en Allemagne. De rares équipes françaises s’y intéressent parce qu’elles travaillent plus globalement sur la douleur : un pan de leurs recherches pourra alors concerner la fibromyalgie. La France est en retard dans ce domaine.
M. le rapporteur. Quel sera le champ de l’expertise collective menée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui est en cours de lancement ?
M. Francis Berenbaum. Cette expertise collective a été diligentée par la direction générale de la santé (DGS). J’ai eu quelques informations par le docteur Sophie Nicole, de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), qui pilote cette expertise avec Laurent Fleury, responsable du pôle expertise collective à l’INSERM. La convention entre la DGS et l’INSERM vient seulement d’être finalisée.
L’expertise va s’appuyer sur une analyse de la littérature, c’est-à-dire de plus de 1 000 documents, selon des thématiques définies. Le programme scientifique sur le syndrome fibromyalgique se divise en quatre axes principaux : enjeux sociétaux, économiques et individuels en France et à l’étranger ; connaissances médicales actuelles ; physiopathologie de la douleur chronique ; problématique spécifique en pédiatrie, secteur sur lequel il commence à y avoir une bibliographie et des références.
Le rapport devrait être rendu fin 2017 et publié en 2018.
M. le rapporteur. L’effort de recherche sur les maladies ostéo-articulaires est-il important en France ? Comment est-il financé et organisé ?
M. Francis Berenbaum. L’effort de recherche global, pour le domaine ostéo-articulaire ou musculo-squelettique, est dramatiquement peu important. En France, il n’y a pas encore eu de prise de conscience du fardeau que représentent ces maladies, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, aux Pays-Bas ou en Angleterre. La recherche existante est soutenue essentiellement par l’INSERM, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les universités. Ces grandes entités hébergent des équipes qui travaillent dans le domaine, et elles paient donc les salaires, l’eau, l’électricité, certains grands appareils, etc. C’est un vrai effort mais, comme vous le savez, on s’oriente de plus en plus vers un soutien sur projet par l’intermédiaire de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et du programme Horizon 2020. Or le choix des projets s’appuie évidemment sur la qualité scientifique de ces derniers, mais aussi sur la perception de l’impact de la maladie dont ils traitent. Si la perception de l’impact des cancers, des maladies cardio-vasculaires ou des maladies neurologiques dégénératives est, à juste titre, très importante, elle est toujours moindre en ce qui concerne les maladies osseuses et articulaires, malgré les chiffres que je vous ai cités. La prise de conscience est sans doute freinée par une certaine inertie.
J’aimerais insister sur autre point : les problèmes ostéo-articulaires et les handicaps locomoteurs rendent l’activité physique très difficile. Pourtant, vous connaissez tous les plans qui existent pour promouvoir l’activité physique dont les effets bénéfiques sont soulignés pour quasiment toutes les pathologies : action sur le diabète et les autres facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, etc. On oublie de dire que certains patients aimeraient bien bouger plus, mais qu’ils ne peuvent plus le faire parce qu’ils sont atteints de pathologies ostéo-articulaires. Il faut vraiment prendre le problème à bras-le-corps.
La Société française de rhumatologie (SFR), la Fondation Arthritis, l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN) et des associations de patients sont à l’origine d’une initiative baptisée « Ensemble contre les rhumatismes ». Toutes ces entités contribuent d’ailleurs au financement de la recherche. Peut-être faudrait-il lancer un plan pour répondre aux grands besoins qui existent dans le domaine ? Si nous voulons avancer, c’est vraiment fondamental de soutenir la recherche.
Mme Florence Delaunay. Ma première question porte sur l’évolution de cette maladie. Est-elle évolutive et, si oui, comment peut-on décrire son évolution ?
Ma deuxième question concerne la prévention, sujet que vous venez d’effleurer. Peut-on déterminer des terrains propices, comme pour le diabète ? Les traitements reposent sur une bonne hygiène de vie : activité physique, etc. Peut-on mettre en place des actions de prévention, notamment dans les entreprises, comme il en existe pour les problèmes musculo-squelettiques ?
M. Alain Ballay. Tout d’abord, professeur, je voulais vous remercier pour votre intervention. Vous avez parlé de TMS qui se produisent lorsqu’il y a répétition de gestes. Pensez-vous que la répétition de gestes pourrait expliquer ce genre de douleurs, sans provoquer de TMS ?
Dans le cadre des prises en charge que vous effectuez pour la fibromyalgie, avez-vous recours à un outil de mesure de la douleur comme l’échelle Doloplus ? Qu’observez-vous en matière d’intensité de la douleur et qu’en déduisez-vous pour les traitements ?
Savez-vous dans quelle mesure les patients atteints de fibromyalgie ont recours à des médecines parallèles ?
M. Frédéric Reiss. La présidente de la HAS nous a parlé de réponse graduée et elle conseille d’éviter la prise de médicaments. Vous insistez vous-même sur l’activité physique. Connaissez-vous le protocole FibroQualLife, créé par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, pour améliorer la qualité de vie des patients atteints de fibromyalgie grâce à de l’activité physique ?
En tant que rhumatologue, que pensez-vous des cures thermales comme réponse à la fibromyalgie, alors que des travaux de l’Association française pour la recherche thermale (AFRETH) semblent conclure à des effets bénéfiques pour les patients ?
M. Francis Berenbaum. Pathologie chronique, la fibromyalgie évolue sur de nombreuses années, mais d’une façon extrêmement variable et hétérogène d’un patient à l’autre, peut-être parce qu’il s’agit d’un syndrome. Nous devons essayer d’établir des phénotypes, c’est-à-dire différents profils de patients selon que leur douleur ou symptôme est associé à des rhumatismes inflammatoires, à des problèmes psychologiques ou autres. Lorsque l’on reçoit un patient en consultation, il est impossible de prévoir le degré de handicap dont il sera affecté.
Qu’en est-il de la prévention de la fibromyalgie ? En prévention primaire, c’est-à-dire avant l’apparition du premier symptôme, nous n’avons quasiment rien. La prévention secondaire repose essentiellement sur le retour à l’activité physique, ce que l’on peut appeler parfois le réentraînement à l’effort. Avec certaines équipes spécialisées, on essaie de casser le cercle vicieux propre à ces maladies ostéo-articulaires : le patient a mal, il bouge moins, il a encore plus mal. L’objectif est de faire baisser la douleur d’un cran, de la rendre supportable, puisqu’il n’est pas possible de la faire disparaître totalement. C’est là où toutes les approches non médicamenteuses – et parfois également médicamenteuses – peuvent présenter un intérêt.
Venons-en aux liens entre TMS et fibromyalgie, une très bonne question. Du point de vue physiopathologique, le patient ressent la douleur plus tôt qu’il ne le devrait, quel que soit le mécanisme. On peut dès lors imaginer qu’un terrain fibromyalgique va favoriser les TMS parce que la personne ressent la douleur et va consulter plus tôt. J’aurais donc tendance à répondre par l’affirmative à votre question, monsieur Ballay, même si cela ne veut pas dire nécessairement qu’il y a un lien direct entre TMS et fibromyalgie. Tout ce qui peut permettre de réduire la fréquence des TMS devrait avoir un impact sur le retour au travail des patients atteint de fibromyalgie.
Comment fait-on pour mesurer la douleur ? Pour établir le diagnostic, nous nous appuyons de plus en plus sur un questionnaire très simple qui tient en une page et que je peux mettre à votre disposition. Ce questionnaire spécifique, validé, qui présente une très bonne sensibilité, permet de se faire une idée sur l’existence d’une fibromyalgie. Une fois que le patient est diagnostiqué, nous évaluons la douleur au moyen d’échelles visuelles analogiques, et d’autres outils plus ou moins spécifiques à la maladie.
Combien de patients se tournent vers les médecines parallèles ? Sûrement plus que les médecins ne le pensent. Nous ne voyons pas ceux qui y recourent, qui sont souvent de grands déçus de la médecine allopathique, et pour cause : nous avons des traitements symptomatiques peu efficaces ou entraînant des effets indésirables. À mon avis, énormément de gens se tournent vers les médecines parallèles. Quand elles n’ont pas d’effet indésirable et que les patients ont l’impression d’aller mieux, pourquoi pas ? Quand elles ont des effets indésirables, c’est un vrai problème et nous pouvons être amenés à récupérer ces patients.
La réponse doit-elle être graduée ? Oui. Une fibromyalgie n’est pas nécessairement très handicapante. Certains de mes patients fibromyalgiques continuent à travailler et à avoir une vie normale en apparence. Cependant, les douleurs chroniques entraînent souvent une souffrance psychologique : les personnes n’osent plus en parler pour ne pas lasser leur entourage personnel ou médical. Certaines formes de fibromyalgie sont particulièrement handicapantes, d’autres le sont beaucoup moins.
L’activité physique représente une approche thérapeutique particulièrement intéressante et des programmes comme celui que vous avez cité, monsieur Reiss, se mettent en place. On m’a parlé notamment d’un essai thérapeutique à base de tai chi à l’hôpital Cochin. Dans le cadre du congrès européen de rhumatologie, qui va se tenir la semaine prochaine, l’EULAR va présenter ses nouvelles recommandations de prises en charge de la fibromyalgie. Les approches non médicamenteuses – activités physiques, méthodes cognitives multicomportementales ou autres – sont vues de manière très positive et placées au premier plan. Le recours aux médicaments n’intervient que dans un deuxième temps, en cas d’échec des approches non médicamenteuses.
Quant aux cures thermales, elles peuvent jouer un rôle positif parmi ces thérapeutiques non médicamenteuses, pour une raison simple qui n’est pas liée à la qualité de leurs eaux ou de leurs boues : pendant trois semaines, les patients vont pratiquer une activité physique adaptée et encadrée par des professionnels et, si nécessaire, bénéficier d’une kinésithérapie. Autrement dit, les conditions sont réunies pour casser le cercle vicieux précédemment évoqué et aborder le problème de la meilleure façon qui soit.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Ces méthodes non médicamenteuses sous forme d’activités physiques ou de cures thermales soulèvent un important problème de fond, celui de la prise en charge. Un établissement de santé de mon département a mis en place des programmes « sport-santé », pour utiliser un raccourci, qui ne sont pas pris en charge. De même, la création de la commission d’enquête a suscité des témoignages sur la non-prise en charge de soins spécifiques à la fibromyalgie à l’occasion de cures thermales.
M. Francis Berenbaum. C’est tout à fait juste. Certains de mes patients, souffrant d’un handicap important, ont pu être pris en charge à 100 % dans le cadre de ce qui a été déclaré comme une « dépression » et non pas comme une « fibromyalgie ». Dans les cures thermales, les prises en charge concernent les arthroses handicapantes, poly-articulaires, etc. Il faut contourner, ce qui est un peu dommage.
M. Vincent Ledoux. Merci, monsieur le professeur, pour cet exposé extrêmement intéressant et complet qui nous a permis de mieux appréhender le sujet. Je constate que vous employez le mot « maladie » alors que la présidente de la HAS a utilisé le terme de « syndrome » en prenant beaucoup de précautions et en précisant qu’il fallait en rester à cette dénomination puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie. Quant à moi, pour connaître certaines personnes qui en sont atteintes, j’aurais tendance à parler de maladie.
Je voudrais revenir sur la recherche dont on nous dit qu’elle est peu orientée sur cette maladie faute de substratum solide et d’objectifs. Or d’autres pays ont commencé à s’intéresser aux causes de cette maladie. Quelles sont les raisons du retard français ?
Pour que le patient aille mieux avec sa maladie, on lui recommande de faire du sport. Que pensez-vous du sport sur ordonnance ? Pour ma part, je trouve qu’il n’est pas mauvais que les médecins généralistes puissent s’emparer de cette notion et adapter les pratiques sportives aux pathologies et aux ressentis de leurs patients. Je pense aussi aux pratiques culturelles. Dans mon école de musique, une personne atteinte de cette maladie m’interroge sur la pratique du piano ou des percussions. Les enseignants sont un peu démunis et peu préparés à adapter la musique à une pathologie. Existe-t-il des recommandations sur la pratique artistique comme approche thérapeutique complémentaire ?
M. Gérard Bapt. Avec les éléments que vous avez donnés, je comprends le lien qui est fait avec les infections rhumatologiques ou la dépression. Les études pharmaco-épidémiologiques fondées sur le Système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM) et le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) ne seront certainement pas opérantes. En revanche, compte tenu de la fréquence de la maladie – 1 % à 2 % de la population, soit au moins un million de personnes –, il pourrait y avoir des études de cohortes, notamment de femmes, afin d’essayer de trouver des anamnèses ou des données d’exposition tout au long de la vie. Est-ce que cela a été envisagé ? N’y aurait-il pas des possibilités de financement en la matière ?
M. Gilles Lurton. Les deux précédents intervenants nous ont dit que les personnes atteintes de fibromyalgie étaient en grande majorité des femmes. Avez-vous des renseignements sur les âges des patients ?
M. Bernard Accoyer. Certains groupes d’activistes entretiennent une polémique sur le lien qui existerait entre la fibromyalgie et les sels d’alumine, un adjuvant très précieux contenu dans les vaccins. Que pensez-vous de cette campagne ?
M. Francis Berenbaum. La fibromyalgie est-elle un syndrome ou une maladie ? Si la question se pose à chaque fois, c’est parce que nous n’avons pas encore de réponse. En tant que médecin, je suis frappé de voir arriver des patients qui ne se connaissent pas les uns les autres et qui décrivent des symptômes comparables. Ils se plaignent d’abord d’avoir mal partout puis, quand on les interroge plus précisément, ils mentionnent des troubles du sommeil et les autres symptômes que vous connaissez. Ces symptômes sont-ils liés à une ou plusieurs maladies ? On ne sait pas.
J’aime à rappeler l’histoire de l’ulcère à l’estomac que l’on a très longtemps expliqué par des raisons psychosomatiques – plus psycho que somatiques d’ailleurs – avant de découvrir qu’une bactérie, l’helicobacter pylori, était en cause dans un très grand nombre de cas. On a donné des antibiotiques aux patients qui avaient cette bactérie et, comme par miracle, on a vu s’effondrer le nombre d’ulcères.
C’est mon avis personnel de médecin que je donne ici, et je rappelle qu’Yves Lévy, le président-directeur-général de l’INSERM, viendra s’exprimer au nom de l’Institut. Pour ma part, je constate que les médecins ont tendance à dire que la clé du mystère se trouve dans la tête du patient quand ils ne comprennent pas quelque chose. Ils invoquent ensuite des causes psychosomatiques, c’est-à-dire qu’ils font intervenir un peu le corps, au fur et à mesure que des éléments nouveaux apparaissent. Une fois qu’on a trouvé des causes, on les traite, et le côté « psycho » perd de son importance pour devenir plutôt une conséquence.
Ce scénario va-t-il se produire pour la fibromyalgie ? Quoi qu’il en soit, depuis une vingtaine d’années, un nombre croissant de travaux relève davantage du domaine somatique, ce qui n’empêche pas d’essayer de comprendre l’impact psychologique de la fibromyalgie. Est-ce une maladie, un syndrome, des symptômes dus à un stress psychologique ? Je ne le sais pas mais je constate que des patients décrivent des éléments tout à fait homogènes.
Pourquoi la recherche est-elle plus avancée dans d’autres pays dans ce domaine ? Le problème est peut-être plus prégnant aux États-Unis parce que c’est une source de consommation importante d’opioïdes forts. Les maladies liées à la douleur constituent un vrai problème de santé publique en Amérique du Nord, ce qui est moins le cas en Europe. Quant aux Pays-Bas, ils ont décidé d’investir dans la recherche sur les maladies ostéo-articulaires et musculo-squelettiques depuis une quinzaine d’années, et développent des projets nationaux et européens.
Le sport sur ordonnance, j’y suis assez favorable. Le but n’est évidemment pas de se faire payer sa licence sportive par la Sécurité sociale dès l’âge de vingt ans. On est en train d’imaginer un cadre pour les patients qui en ont vraiment besoin, ceux, par exemple, dont la fibromyalgie est suffisamment handicapante pour entraîner des conséquences professionnelles. Dans ce cas, l’activité physique doit être graduée et individualisée. La pratique artistique peut aussi aider le patient dans la mesure où l’aspect psychologique – facteur initiateur ou aggravant – n’est pas à écarter. Les activités manuelles ou artistiques, qui peuvent modifier le ressenti de la douleur, sont à encourager. Comme on le constate pour les cancers, les activités du patient influent sur l’intensité de douleurs qui sont pourtant organiques.
En ce qui concerne l’âge des patients, le pic de fréquence se situe entre trente et cinquante ans, c’est-à-dire en plein milieu de la vie active. En fait, quand on interroge bien les patients, on découvre que des signaux d’alarme ont pu apparaître au cours de l’adolescence, voire de l’enfance, concernant cette sensibilité particulière à la douleur. On retrouve parfois des lumbagos, des lombalgies, des douleurs cervicales, etc. Fort heureusement, tous les enfants ou adolescents qui ont mal au dos ne vont pas avoir une fibromyalgie, mais on retrouve parfois ce genre de problèmes dans l’histoire des patients qui souffrent de cette maladie. C’est assez classique.
Quant aux sels d’alumine et aux vaccins, c’est une affaire très compliquée. Actuellement, je pense que l’on peut dire avec assez de certitude que l’on n’a pas de preuve de l’existence d’un lien de causalité entre les vaccinations avec sel d’alumine et la fibromyalgie. On en revient toujours à la grande difficulté de faire la différence entre association et causalité. On peut faire les plus belles études d’association sans apporter jamais la preuve formelle du lien de causalité. Il y a quelques mois, j’ai participé à un groupe d’experts de l’INSERM qui s’était intéressé au lien qui existe entre les sels d’alumine et ces douleurs musculaires un peu diffuses, ces sortes de myosites qui ne s’accompagnent pas toujours d’inflammation dans les muscles. Une étude est prévue mais elle n’a pas encore démarré faute de soutiens financiers. Cet aspect est peut-être plus lié à des douleurs musculaires qu’à la fibromyalgie, même si des ponts sont parfois établis entre myosite et fibromyalgie.
Monsieur Bapt, vous m’avez interrogé sur l’intérêt de faire des études de cohortes. Quand il s’agit répondre à des questions médicales avec précision, ce type d’études peut être d’une grande utilité, à partir du moment où des prélèvements biologiques sont effectués au début sur les cohortes. Nous n’avons actuellement aucun marqueur de la fibromyalgie, de patients souffrant de cette façon diffuse, ce qui nous complique bien la vie. Ce genre d’études pourrait notamment permettre de suivre l’évolution des patients atteints de fibromyalgie et d’effectuer des comparaisons avec un groupe de contrôle constitué de malades souffrant d’arthrose ou d’autres pathologies ostéo-articulaires. Les prélèvements biologiques – de sang, par exemple – effectués en début d’étude fourniraient une masse d’informations précieuses quelques années plus tard, peut-être sur les aspects génétiques actuellement étudiés par certaines équipes dans le monde. Je suis tout à fait favorable à ce genre d’approche par cohortes surtout si les études s’accompagnent de prélèvements biologiques.
M. le rapporteur. Certains médecins pensent qu’il faudrait remonter à l’origine de la maladie – accident, forte grippe, décès d’un proche, etc. – pour trouver les causes et les soigner. S’il s’agit du décès d’un proche, je ne vois pas très bien comment on peut ramener la personne à la vie, mais il est peut-être possible de trouver d’autres solutions…
Quel impact le syndrome fibromyalgique a-t-il sur la vie sociale et personnelle des personnes que vous soignez dans votre service ? Leur prise en charge par les caisses d’assurance maladie est-elle normalisée et fluide ?
À certains égards, cela me fait penser à la situation dans laquelle s’est trouvé le monde industriel à l’époque où les ordinateurs ont été installés massivement dans les usines pour commander les machines. Pendant une période, il y a eu des dysfonctionnements : les machines se mettaient en route toutes seules, accéléraient, etc. Dans certains cas, on a même soupçonné les salariés de sabotage, avant de s’apercevoir que le phénomène était dû à de l’électricité statique qui venait endommager les installations. Ne peut-on imaginer quelque chose de cet ordre pour la fibromyalgie, sachant que le corps humain est un peu plus compliqué à régler qu’une machine ? La connaissance de cette maladie est relativement récente. Ne peut-on pas imaginer qu’elle soit liée à notre mode de vie, aux matériels que l’on utilise ? Ne faudrait-il pas chercher dans cette direction ?
M. Francis Berenbaum. Faut-il remonter à un stress originel ? Pour beaucoup de pathologies, on soupçonne l’existence d’un élément déclencheur qui a fait basculer la personne dans la maladie ou le syndrome. Pour moi, cela relève pratiquement du vœu pieu. Si je demande aux gens qui sont dans cette salle s’ils ont subi un stress au cours des six derniers mois, il y en a peu qui vont me répondre par la négative.
M. Bernard Accoyer. Surtout pas dans cette salle ! Nous vivons plus que des stress !
M. Francis Berenbaum. Notre vie est faite de stress réguliers, dont l’intensité est variable et aussi relative dans la mesure où elle est ressentie de manière différente par les uns et les autres. Quand on creuse, on trouve toujours un stress, comme on l’a constaté lors d’enquêtes sur des polyarthrites rhumatoïdes ou spondylarthrites. Lors d’une analyse des peurs et des croyances des patients, on s’est aperçu que ceux-ci répondaient très souvent par l’affirmative quand on leur demandait s’ils pensaient qu’un stress était à l’origine de leur maladie. En fait, il est impossible de prouver que ce stress a provoqué la maladie.
La manière de considérer l’apparition des maladies non transmissibles chroniques a d’ailleurs évolué. On ne considère pas que le patient est passé brutalement d’un état à un autre, qu’il était en bonne santé la veille du jour où il est tombé malade : il y a un état dit préclinique dans presque toutes ces maladies. Peut-être le stress est-il l’élément déclencheur, un peu comme la goutte qui fait déborder le vase, mais ce n’est pas en revenant à lui qu’on réglerait le problème. Le processus s’est probablement étalé sur plusieurs années.
L’impact sur la vie professionnelle et personnelle est très variable d’un patient à l’autre, mais il est en général très important pour les patients qui viennent consulter. Toutes les maladies qui touchent le système ostéo-articulaire ont un impact sur la vie sociale parce qu’elles sont souvent visibles : on ne marche plus ; on sort moins ; on voyage moins ; on ne peut plus aller chercher ses petits-enfants à l’école ; on peut moins rester debout pour faire la cuisine ; on peut moins passer de temps avec ses proches, etc.
Il faut aussi tenir compte d’un biais : nombre de personnes ne vont sans doute pas voir le médecin ou le spécialiste parce que le niveau d’intensité de la douleur est supportable ; les gens qui fréquentent les services de rhumatologie hospitaliers sont ceux qui subissent les impacts les plus forts sur leur vie professionnelle et personnelle. D’où l’importance des centres antidouleur des hôpitaux, où sont mises en place des approches multidisciplinaires, où l’on prend le temps de chercher aussi des solutions non médicamenteuses. Les centres antidouleur dotés de programmes spécifiques pour la fibromyalgie, comme ceux qui existent à l’hôpital Saint-Antoine et à l’hôpital Cochin notamment, visent à réduire les effets de la maladie sur la vie sociale et professionnelle des patients.
M. Bernard Accoyer. Veuillez m’excuser, madame la présidente, monsieur le professeur, mais je voudrais revenir sur la question que je vous ai posée concernant les sels d’alumine.
Votre modestie de scientifique – en science, on n’est jamais sûr de rien à 100 % – vous conduit à ne pas affirmer avec assez de force ce que toutes les études montrent : l’absence de lien avéré entre les sels d’alumine, utilisés comme adjuvant dans les vaccins depuis la nuit des temps, et les fibromyalgies que vous appelez maladie et que d’autres nomment syndrome. Ceux qui conduisent cette polémique anti-vaccination arguent d’un tel lien, en contestant à longueur de temps certaines données qui font l’objet d’un consensus scientifique très largement partagé. Ils font beaucoup de mal puisque la couverture vaccinale est en train de devenir médiocre, et que certaines maladies réapparaissent dans notre pays. J’aurais aimé que vous soyez plus clair. De temps en temps, nous avons besoin d’une voix scientifique plus claire, j’allais dire plus courageuse.
M. Francis Berenbaum. Si je ne me suis pas étendu sur le sujet, c’est tout d’abord parce que je pense qu’il faut faire attention à ne pas basculer de la myosite à macrophage, l’entité qui a été définie pour ce problème des vaccinations au sel d’alumine, à la fibromyalgie. Ce n’est pas la même entité. En revanche, je suis extrêmement clair sur un point : la balance bénéfices-risques de la vaccination ne se discute même pas. Comme vous, je suis désolé de voir la couverture vaccinale se rétrécir. C’est un très gros problème. On parle toujours des trains qui n’arrivent pas à l’heure et, en ce qui concerne la vaccination, pratiquement tous les trains arrivent à l’heure. Que ce soit clair : il n’y a pas le moindre doute sur le fait que la balance bénéfices-risques des vaccins penche largement vers les bénéfices. Encore une fois, la myosite à macrophage n’est pas la même chose que la fibromyalgie.
M. Bernard Accoyer. Les militants font un amalgame entre les deux entités, ce qui est classique pour des gens qui fonctionnent sur le mode sectaire.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Les membres de notre commission d’enquête pourraient être intéressés par une visite du centre antidouleur de votre hôpital, professeur, si vous acceptiez de les recevoir. Quoi qu’il en soit, je vous remercie de votre contribution.
Audition du docteur Jean-François Gérard-Varet, conseiller ordinal,
membre de la section Santé publique et démographie médicale
au Conseil national de l’ordre des médecins
(Procès-verbal de la séance du mardi 7 juin 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Docteur Gérard-Varet, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jean-François Gérard-Varet prête serment).
M. Jean-François Gérard-Varet, conseiller ordinal, membre de la section « Santé publique et démographie médicale » du Conseil national de l’ordre des médecins. Médecin de campagne et gériatre hospitalier en Bourgogne, j’ai eu à suivre des patients atteints de l’affection complexe qu’est la fibromyalgie. Intéressé par cette pathologie, j’ai constitué un réseau de correspondants pour tenter de la comprendre. C’est pourquoi M. Patrick Bouet, président de l’Ordre des médecins, m’a dépêché aujourd’hui. J’ai aussi eu l’occasion de m’entretenir de la fibromyalgie avec des amis universitaires, au nombre desquels M. Patrick Giniès, médecin responsable du centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) du centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier. Il vous éclairerait utilement sur les hypothèses que l’on forme sur cette maladie – puisque c’est bien d’hypothèses qu’il s’agit : à ce jour, cette pathologie se résume à ce que je dirai être un grand flou pluri-focal. Elle a été décrite au XIXe siècle, revue par les Canadiens et les Américains, et étudiée il y a une quarantaine d’années par le professeur Marcel-Francis Kahn, rhumatologue à l’hôpital Bichat. En 1990, le Collège américain de rhumatologie s’est attaché à donner des bases un peu plus solides à ce syndrome. Au stade où nous en sommes, la cadre est celui d’un ensemble de symptômes apparents, cliniques et subjectifs, sans preuves apportées par des examens paracliniques complémentaires. Le syndrome est là mais les causes n’en sont pas connues, non plus que le traitement possible.
Les trois symptômes associés les plus importants sont une polyalgie diffuse, une fatigue chronique et des troubles du sommeil. Peuvent y être associés de nombreux autres troubles : colopathie fonctionnelle, maux de tête, douleurs ventrales ou vésicales, dysautonomie, hypotension, anxiété, dépression, troubles cognitifs… Mais, à l’examen clinique, le médecin saisi de ces plaintes ne trouve quasiment rien, mis à part les points douloureux recensés par le Collège américain de rhumatologie et dont je vous dirai un mot. C’est pourquoi le corps médical a si longtemps buté sur la reconnaissance de cette pathologie. Parce qu’ils n’avaient rien trouvé à l’examen clinique ni par le biais des examens paracliniques complémentaires – analyse de sang, imagerie de recherche, biopsie musculaire, analyse de nerfs –, certains médecins ont considéré que la maladie n’existait pas ; bref, l’incompréhensibilité du syndrome a eu pour conséquence, pendant longtemps, une sorte de fuite intellectuelle. Les choses ne se sont un peu améliorées que depuis une quinzaine d’années mais, aucun substrat anatomo-pathologique ne confirmant une lésion, nous restons face à un trouble fonctionnel.
Le Collège américain de rhumatologie a fait la liste de dix-huit points sensibles à la palpation. Pour s’orienter vers un diagnostic de fibromyalgie, il faut en premier lieu que les douleurs dont le patient se plaint soient confirmées par la pression douloureuse d’au moins onze de ces dix-huit points – mais on sait qu’un individu fatigué ou déprimé peut aussi être dolent.
Les comorbidités ont également troublé le corps médical. Au nombre des pathologies associées, je citerai en premier lieu le syndrome dépressif majeur, sans que l’on sache déterminer s’il précède le développement de la fibromyalgie, s’il lui est consécutif ou si le terrain favorise la survenue des deux affections ; les dernières recherches semblent démontrer qu’il accompagne la fibromyalgie sans en être nécessairement à l’origine. On a également constaté des troubles anxieux généralisés, si graves que l’on a parlé de catastrophisme, décrit des névroses accompagnantes, et même mentionné le stress post-traumatique comme pouvant déclencher une fibromyalgie. Tout cela a beaucoup perturbé les médecins depuis trente ans : à chaque fois, les aspects psychiatriques l’emportaient sur la pathologie clinique apparente, ce qui explique l’errance diagnostique.
L’épidémiologie montre une très nette prévalence de la maladie chez les femmes : huit cas sur dix décrits les concernent. Diverses hypothèses sont formulées pour expliquer cette disparité, la première étant une différence des systèmes neurologiques selon les sexes. Le système neurologique se subdivise entre le cerveau et les nerfs, qui transmettent les informations et la douleur. L’hypothèse a été émise d’une influence hormonale – les œstrogènes étant moins puissants contre la douleur que les androgènes –, ou encore que, le seuil de la douleur étant plus bas chez la femme, elle la perçoit plus vite que l’homme. On compte aussi, dans la liste des comorbidités, les fibromyalgies associées : polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite, lupus érythémateux disséminé, syndrome de Sjögren… Le professeur Giniès m’a dit que, dans certains cas, une fois la pathologie associée traitée, la fibromyalgie disparaissait. Ces pathologies connexes ajoutent à la complexité du diagnostic. Enfin, il existe un syndrome dit de fatigue chronique. Parce que, dans la fibromyalgie, la fatigue musculaire entraîne l’épuisement de l’organisme, certains ont longtemps pensé qu’il s’agissait d’une même pathologie sous deux masques. Il n’en est rien pour l’instant.
J’en viens aux conséquences pathologiques de ce syndrome et à ses conséquences sociales, qui sont les plus importantes. L’évolution se fait vers une forme chronique. Si l’on excepte les suicides possibles en cas de dépression aiguë, elle n’est pas létale : il se produit une lente altération de l’organisme touché.
Pour ce qui est de la physiopathologie de cette affection, plusieurs hypothèses ont été émises – elles demeurent des hypothèses. L’imagerie selon le procédé de tomographie par émission de positrons (TEP) montre qu’une zone du cerveau s’active en cas de douleur, l’imagerie fonctionnelle traduisant en couleurs le système électrochimique qu’est le cerveau, et donc les flux qui interviennent – l’épilepsie est un exemple de perturbation de l’activité électrochimique cérébrale.
De nombreuses hypothèses sont formulées actuellement, de nouvelles recherches étant rendues possibles par les nanotechnologies et les neurosciences. On envisage ainsi des traitements par des neuromédiateurs, corps chimiques enzymatiques présents dans le cerveau. Ainsi, l’une des caractéristiques de la maladie de Parkinson est la baisse de la dopamine : si on administre de la dopamine au malade, le tremblement disparaît. Le rôle de la sérotonine ou de la noradrénaline a été beaucoup évoqué dans le syndrome fibromyalgique car, outre que leur taux dans le cerveau est diminué chez les dépressifs, ces neurotransmetteurs interviennent dans le contrôle de la douleur. Mais l’on en reste à des hypothèses de recherche.
En résumé, la fibromyalgie est un désordre du système central de la douleur – et des corps chimiques intracérébraux et de la transmission de la douleur par la fibre nerveuse périphérique. L’hypothèse de causes neuroendocriniennes a également été évoquée mais, selon certains chercheurs, le dérèglement de l’hypothalamus ou de l’hypophyse serait une conséquence de la maladie plutôt que sa cause.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Selon le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS), on assisterait à la « diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies, sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Qu’en pensez-vous ?
M. Jean-François Gérard-Varet. Cela a effectivement été signalé par certains organismes il y a quelques années. Mais, le syndrome étant décrit au XIXe siècle déjà, je ne pense pas que l’industrie pharmaceutique en soit à l’origine…
M. le rapporteur. Quelles sont les méthodes de diagnostic de la fibromyalgie ? Les questionnaires FIRST et FIQ sont-ils utilisés par les médecins généralistes ? Lequel vous semble le plus pertinent ?
M. Jean-François Gérard-Varet. L’examen est fondé sur l’interrogatoire du patient qui se plaint d’une douleur datant de plus de six mois et décrit les symptômes de son trouble, et sur l’examen clinique des points douloureux. Mais, aucun argument ne permettant actuellement d’affirmer avec certitude une fibromyalgie, le diagnostic ne peut se faire que par élimination. À chaque fois que quelqu’un se présente avec ce type de tableau, il s’ensuit des examens cliniques ou paracliniques innombrables, avec des demandes d’avis de rhumatologue, de neurologue, de médecin interniste, voire d’un centre antidouleur. Les médecins généralistes doivent trouver et affirmer les points douloureux. Le problème est que le syndrome fibromyalgique ne leur a pas été décrit au cours de leurs études universitaires – en tout cas pas à l’époque où j’étais étudiant. La formation professionnelle continue est donc indispensable. Ayant été responsable de formation continue dans le département où j’exerçais, j’ai organisé deux sessions de formation sur la fibromyalgie en dix ans grâce à l’aide des rhumatologues et des internistes.
Les questionnaires sont très peu connus et aléatoires car les formes et les origines de la douleur sont innombrables ; il faut être très intéressé par son dépistage pour s’y lancer. De plus, même si le généraliste suspecte cette pathologie, il sera toujours en décalage par rapport au déclenchement du syndrome, car les patients ne consultent pas immédiatement, si bien que l’hypothèse diagnostique sera toujours posée avec retard. Le syndrome fibromyalgique n’étant pas reconnu comme une pathologie, le généraliste, jusqu’alors, était très mal informé par l’Université. Le doyen de ma faculté d’origine a fait valoir que l’on ne pouvait enseigner aux étudiants en médecine l’ensemble considérable des connaissances et qu’il laissait cela au département de médecine générale et au développement professionnel continu (DPC). En résumé, le diagnostic, très difficile, se fait par élimination.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Dans les centaines de témoignages qui nous sont parvenus depuis la constitution de la commission d’enquête, qui suscite de fortes attentes, la question du temps qui s’écoule avant qu’un diagnostic de fibromyalgie soit posé revient de façon répétitive : certains de nos correspondants disent avoir attendu jusqu’à six ou sept ans. Notre commission souhaite trouver des pistes d’amélioration telles que, face à un patient qui se plaint des trois dérèglements principaux que vous avez cités, tout généraliste en vienne au bout de quelques mois à envisager au nombre des hypothèses diagnostiques possibles celle de fibromyalgie, quitte à l’affiner par la suite. Le premier obstacle, c’est la lenteur du diagnostic et, quoi qu’en disent les doyens, je considère, en tant que citoyenne et aussi de malade potentielle, que nos médecins doivent connaître l’ensemble des pathologies.
M. Jean-François Gérard-Varet. J’en suis d’accord, bien sûr. Pour cela, il faut introduire le syndrome fibromyalgique de manière plus pertinente dans le programme de pathologie du deuxième cycle des études de médecine et, surtout, dans le DPC, qui vaut pour les médecins généralistes déjà en exercice – alors qu’en deuxième cycle les étudiants n’ont pas encore choisi leur voie. Des « piqûres de rappel » sont nécessaires, et c’est le but des DPC, qui sont définis par les agences régionales de santé (ARS). L’Ordre des médecins n’a pas pour rôle de dire aux praticiens comment ils doivent traiter une pathologie, puisque le médecin est libre de ses prescriptions. Il peut seulement leur rappeler qu’il est tenu par l’exigence déontologique d’exercer « compte tenu des données acquises de la science » et, pour cette raison, leur demander de se tenir informés des avancées de la recherche et donc de suivre le DPC. C’est une voie intéressante que l’Ordre des médecins peut appuyer dans ses bulletins trimestriels, mais il doit s’en tenir là.
M. le rapporteur. Quel temps un médecin consacre-t-il à un patient atteint de ce syndrome ? Les douleurs sont diffuses et fluctuantes, les examens se multiplient en vain et le malade a le sentiment que sa plainte n’est pas entendue.
M. Jean-François Gérard-Varet. Il s’agit de reconnaître l’existence du trouble, et l’on y vient. Il y a vingt ans, cette pathologie n’était pas reconnue, au point que le docteur Giniès parlait d’« injustice sociale ». C’est l’une des pathologies pour lesquelles il faut consacrer le plus de temps au patient – pour ma part, entre une demi-heure et trois quarts d’heure. Une écoute attentive fait partie du traitement, et l’empathie sert à comprendre la demande. Je comprends que les personnes souffrant de ce trouble demandent une reconnaissance et, avec elle, une prise en charge institutionnelle, mais c’est un autre chapitre que l’acte médical lui-même. Las, en ces temps de démographie médicale déficitaire, singulièrement dans les zones rurales, je crains que mes confrères, débordés, ne soient pas en mesure de consacrer entre trente et quarante-cinq minutes à un patient.
Il faut aussi que le syndrome fibromyalgique soit reconnu comme une pathologie en soi par le corps médical. Ce n’est pas le cas de tous les internistes, en une sorte d’échappement dû à l’incompréhension faute d’explications rationnelles ; le patient ressent désagréablement qu’on ne mette pas de nom sur son mal et qu’on ne lui propose pas de traitement de fond. Il ne s’agit pas de psychiatrie ; pourtant, ayant sollicité l’avis de psychiatres, j’ai constaté que, occultant la fibromyalgie, ils classaient immédiatement l’affection au rang des névroses ou de psychoses.
M. Alain Ballay. Vous avez cité les trois symptômes caractéristiques de cette affection, mais aussi beaucoup d’autres ; étant donné le flou persistant, n’a-t-on pas tendance à faire de tout trouble un symptôme de fibromyalgie ? D’autre part, le problème ne tient-il pas pour partie à l’insuffisante formation des médecins généralistes à ces questions ? Si tel est le cas, ne faut-il pas faire appel à des membres des professions paramédicales mieux formées aux relations avec les patients atteints de fibromyalgie ?
M. Arnaud Viala. Ils sont pléthore ceux qui nous disent leur désarroi : leur maladie n’étant pas reconnue pour ce qu’elle est, leurs employeurs et leurs proches pensent que les symptômes sont dus à une dépression nerveuse. Vous-même venez d’indiquer que, souvent, les psychiatres occultent le volet non psychique de l’affection. Dans quel sens s’établit le lien de causalité entre fibromyalgie et dépression ? Le médecin généraliste est-il à même de distinguer ce qui relève de l’une et de l’autre quand il reçoit un patient venu le consulter pour les symptômes que vous avez décrits ?
M. Jean-François Gérard-Varet. Vos questions disent la complexité du diagnostic. Le généraliste ne peut, hélas, faire cette distinction initialement : il faut commencer par établir le diagnostic de fibromyalgie. Mon attention a été appelée par le docteur Giniès et par un médecin interniste de Dijon sur une enquête dont il ressort que, sur cent cas étiquetés « fibromyalgie », dix étaient probables, les quatre-vingt-dix autres étant soit des dépressions, soit des fatigues chroniques, soit des névroses, soit autre chose encore. Le flou demeure sur la définition de la pathologie, si bien que le médecin généraliste ne pourra pas dire : « Vous avez une fibromyalgie ». Confronté à un ensemble de symptômes, il prescrira des examens et, entendant la plainte du patient, peut demander à un spécialiste – rhumatologue, neurologue ou interniste – de le prendre en charge. Mais, outre que cela demandera du temps, on ne trouvera pas davantage d’origine au trouble et on se limitera à dire qu’il s’agit probablement d’une fibromyalgie, qui peut être accompagnée d’une maladie auto-immune – polyarthrite, lupus érythémateux, thyroïdite… – dont on ne connaît pas davantage la cause du déclenchement.
L’aspect dépressif est un aspect majeur du tableau ; les spécialistes penchent en faveur de l’hypothèse d’un syndrome dépressif provoqué par la douleur et la fatigue. Le rapport de causalité est plutôt en ce sens. Dans le traitement, on utilise beaucoup d’antidépresseurs de dernière génération car ce sont des régulateurs de la sérotonine : les dépressifs « purs » vont mieux et les patients atteints de fibromyalgie aussi, la sérotonine agissant sur le contrôle de la douleur. De même, les antiépileptiques régulent certains circuits de la douleur.
Je ne vois que des avantages à ce que la formation médicale initiale à ce sujet s’accentue. L’Ordre des médecins peut intervenir en ce sens auprès de la Commission nationale des études de maïeutique, médecine, odontologie et pharmacie ou de la conférence des doyens des facultés de médecine, mais je continue de penser que la révision du programme du DPC, parce qu’il concerne directement les généralistes, serait plus efficace, de même que l’organisation de séminaires consacrés à la fibromyalgie.
Après la création des départements de médecine générale, j’ai été maître de stage à la faculté et, pour appeler l’attention des étudiants sur la nécessaire empathie avec les patients, je citais souvent le cas de la fibromyalgie. Il est fondamental de maintenir les stages à l’hôpital et en cabinets libéraux, de sorte que les étudiants qui vont passer leur thèse prennent conscience de ce que doit être leur comportement à l’égard des patients.
M. Arnaud Viala. Des études scientifiques confirment-elles le lien entre un choc émotionnel et l’apparition de troubles du système électrochimique cérébral ?
M. Jean-François Gérard-Varet. Oui, un choc émotionnel peut provoquer un dérèglement fonctionnel durable, mais prouver ce lien est très difficile.
M. le rapporteur. En l’absence de recommandations de bonnes pratiques, faut-il privilégier un traitement médicamenteux ou un traitement non médicamenteux ? Le premier ne présente-t-il pas un risque iatrogène ? Une approche multiprofessionnelle est-elle souhaitable, notamment pour renforcer l’éducation thérapeutique du patient ?
M. Jean-François Gérard-Varet. Toute thérapeutique active aura un effet iatrogène ; sinon, c’est que la substance prescrite est un placebo – qui peut d’ailleurs aussi avoir un effet iatrogène… L’Organisation mondiale de la santé répartit les antalgiques en trois classes thérapeutiques. Dans la classe 1, on trouve le paracétamol, qui n’agit pas sur les douleurs en question ; dans la classe 3, les dérivés morphiniques n’ont pas d’effet autre qu’addictif sur les patients souffrant d’un syndrome fibromyalgique. C’est dans la classe 2 que l’on trouve des analgésiques utiles ; le médecin leur adjoindra un antidépresseur s’il le juge utile.
À cela s’ajoutent des prises en charge non médicamenteuses : rééducation fonctionnelle, massages ou encore balnéothérapie. Certains centres ont mis au point des prises en charge intégrales – esprit et corps – du patient pendant trois semaines. Il y a aussi l’acupuncture, dont l’effet, s’il n’est pas total, est certain, et encore l’homéopathie. Tous ces traitements, intéressants, sortent de la vision rationnelle de la médecine française ; plus grand est leur effet, plus on sera fondé à en déduire que la pathologie n’est pas organique mais qu’elle a un substrat fonctionnel.
J’en viens aux demandes de prise en charge institutionnelle. Elles sont de deux sortes : l’assurance maladie et l’allocation d’adulte handicapé (AAH). L’affection de longue durée (ALD) ne peut être reconnue aussi longtemps qu’elle n’est pas fondée. J’ai obtenu pour un malade une ALD « hors liste » après avoir beaucoup bataillé avec le médecin-conseil concerné, mais elle a été accordée pour une durée limitée et renouvelée de six mois en six mois, ce qui ne convient pas à une pathologie chronique. Pour ce qui est de la prise en charge au titre d’adulte handicapé, je rappelle que de 20 % à 30 % des cas seulement évolueront vers un handicap grave. Un patient en état dépressif doit surtout travailler, et cela vaut aussi pour un patient fibromyalgique stabilisé ; cela lui fera le plus grand bien. Il faut agir au cas par cas, et ne pas généraliser. On peut essayer d’obtenir une ALD « hors liste » pour un patient spécifique, mais, dans une optique de santé publique, il serait plus intéressant de réintroduire des maladies cardio-vasculaires telles que l’hypertension artérielle sévère dans la liste des pathologies justifiant une ALD que d’ajouter la fibromyalgie à cette liste. La prise en charge au titre de l’adulte handicapé peut être envisagée.
M. le rapporteur. Les malades, ne sachant de quoi ils souffrent, se pensent souvent atteints d’une maladie grave et s’inquiètent terriblement. Il serait bon de les informer mieux sur leur mal et sur le parcours de soins qui les attend ; cela les rassurerait.
M. Jean-François Gérard-Varet. Ne pas pouvoir porter de diagnostic est délétère, c’est vrai. Cela vaut pour toute pathologie, car lorsque le malade sait de quoi il est atteint, il se met en marche pour se traiter. Mais le diagnostic de fibromyalgie ne pouvant être posé que par élimination, il faut du temps avant de pouvoir dire à un patient que l’on pense qu’il est atteint de ce trouble. Cela étant, certains malades, une fois leur pathologie nommée, s’y enferment, ce qui pose un autre problème.
M. le rapporteur. La prise en charge des patients atteints de fibromyalgie par les caisses primaires d’assurance maladie est-elle fluide et claire ?
M. Jean-François Gérard-Varet. Elle s’aligne sur les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l’Académie de médecine. Si le cadre était celui d’une ALD intégrale, ce serait un gouffre pour l’assurance maladie, qui ne peut se le permettre pour l’instant. Des adaptations sont possibles, je l’ai dit : des ALD temporaires ou des prises en charge reconnues pour éviter que les patients ne se mettent entre les mains de charlatans en suivant des systèmes de traitement non validés en France. J’observe à ce sujet que ni les traitements par balnéothérapie ni la rééducation fonctionnelle n’ont été validés par des études en double aveugle. Il faut avancer à pas lents. L’assurance maladie répond aux demandes faites au cas par cas ; nous sommes réservés sur les suites à donner à la demande d’ALD généralisée.
M. le rapporteur. En attendant, le problème n’est pas réglé.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Quiconque a un gros rhume peut se rendre chez le médecin pour une consultation qu’il payera 23 euros et qui lui sera remboursée, comme sera remboursé le médicament prescrit à cette occasion et dont il aurait pu se passer. N’est-il pas paradoxal d’admettre la prise en charge de pathologies bénignes mais de craindre que la reconnaissance de la fibromyalgie comme affection de longue durée ne crée un gouffre financier ?
M. Jean-François Gérard-Varet. Les finances de l’assurance maladie se sont déplacées vers la prise en charge des gros risques, qu’elle prend tous en charge même lorsqu’il s’agit de pathologies extrêmement coûteuses. Il est évident qu’une rhinopharyngite banale ne devrait pas être soignée par un médecin, mais la demande est pressante ; devrait-elle être prise en charge ? C’est tout le problème du petit et du gros risque. Dans ce cadre, où placer la fibromyalgie ? Présente-t-elle un risque majeur pour l’état de santé du patient ? Si les chercheurs l’affirment, pourquoi ne pas la prendre en charge ? Mais s’ils disent que cette pathologie chronique est lentement évolutive pour certains et sans grosses conséquences pour les autres, il faut privilégier des prises en charge au cas par cas, et accorder aux patients les plus gravement atteints la reconnaissance sociale et financière de leur état. La psychothérapie, traitement très intéressant de cette affection, n’est pas prise en charge, si bien que l’on constate couramment l’arrêt des soins après quelques séances seulement parce que cela coûte cher. Il serait plus intéressant qu’une psychothérapie soit prise en charge correctement que certains médicaments qui n’auront pas d’effet.
M. le rapporteur. Vous paraît-il pertinent de prévoir un volet consacré à la fibromyalgie dans le cadre du diagnostic territorial partagé prévu par la loi de modernisation de notre système de santé ?
M. Jean-François Gérard-Varet. Je suis réservé. Si l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) publie des données plus consistantes l’an prochain, pourquoi pas ? Pour l’instant, il me semble que ce serait mettre la charrue avant les bœufs.
M. le rapporteur. Disposez-vous de données relatives aux conséquences de la maladie sur la vie professionnelle, sociale et familiale des patients ?
M. Jean-François Gérard-Varet. Les conséquences secondaires de la maladie sont plus importantes que ses causes. Elles doivent être mesurées attentivement et entraîner, le cas échéant, la reconnaissance de l’état d’adulte handicapé. Mais on est toujours dans le flou. L’assurance-maladie, qui n’a aucune recommandation à ce sujet, peut accepter une demande fondée sur des points particuliers. Quant aux dossiers d’adulte handicapé, ils sont fondés sur des expertises, et la commission travaille sur pièces, sans obligatoirement examiner le malade.
M. Vincent Ledoux. Le nombre ne fait pas la maladie, mais que les troubles dont il a été question frappent un grand nombre de nos concitoyens donne à penser. Existe-t-il dans l’histoire médicale d’autres affections dont la multiplicité de symptômes a retardé à ce point la reconnaissance ?
M. Jean-François Gérard-Varet. La spasmophilie, pathologie des années 1960 à 2000, a décliné jusqu’à disparaître « au bénéfice » de la fibromyalgie. Sommes-nous dans le même cadre ? Des études ont été faites aux États-Unis sur ce transfert entre deux maladies cousines. Il en va de même pour la fatigue chronique. Pour toutes ces affections, on est dans un « flou psychosomatique fonctionnel ». Pour résumer, la fibromyalgie c’est un tiers de neurobiologie, un tiers de psychologie et un tiers de sociologie. Il en était de même pour la spasmophilie dans les années 1960, mais le handicap induit était beaucoup moins marqué qu’il ne l’est par la fibromyalgie.
M. Vincent Ledoux. À l’époque, des études avaient-elles été menées sur la spasmophilie, et avec quelles conclusions ? Il serait bon de savoir si la fibromyalgie est la nouvelle pathologie à la mode, qui s’estompera comme a disparu la spasmophilie.
M. Jean-François Gérard-Varet. Il y avait un effet de mode certain, une question sociologique ou sociale, et l’impact du stress n’était pas anodin. J’ai mentionné le stress post-traumatique. On a parlé de certaines tumeurs du sein apparues après un choc psychologique important ; ce n’est pas nécessairement la cause directe, mais un tel choc peut avoir un effet inducteur, le stress favorisant l’éclosion d’une tumeur sous-jacente. On est là dans le domaine psychosomatique. Je n’ai pas connaissance d’études sur la spasmophilie ; on se limitait à un constat.
M. le rapporteur. Avez-vous connaissance de patients atteints de fibromyalgie dont l’état de santé s’est soudainement normalisé ?
M. Jean-François Gérard-Varet. Je n’en ai pas vu à titre personnel, mais cela a été décrit dans des études, soit que le traitement de la pathologie associée ait fait disparaître le syndrome fibromyalgique, soit que le trouble ait disparu comme il était apparu, sans que l’on puisse parler de guérison.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je vous remercie pour votre contribution à nos travaux.
Audition du professeur Serge Perrot,
vice-président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur
et chef du service de la douleur à l’hôpital Cochin-Hôtel Dieu, Paris
(Procès-verbal de la séance du mardi 7 juin 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous accueillons M. Serge Perrot, à qui je souhaite la bienvenue. Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, monsieur Serge Perrot, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Serge Perrot prête serment).
M. Serge Perrot, vice-président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur et chef du centre d’étude et de traitement de la douleur (CETD) de l’Hôtel-Dieu de Paris. Je vous remercie de m’avoir invité à parler du difficile problème de la fibromyalgie, un de ces syndromes médicalement inexpliqués qui ont du mal à trouver leur place en France. Dans la médecine cartésienne, une maladie doit avoir une cause, un mécanisme et des marqueurs biologiques ou d’imagerie. Or, dans quelque 20 % des pathologies, on se trouve face à des symptômes médicalement inexpliqués. C’est le cas en gastro-entérologie avec les colopathies fonctionnelles, en urologie avec la cystalgie à urine claire, c’est aussi le cas en rhumatologie avec la fibromyalgie. Parce qu’elle est due à un dérèglement de la modulation de la douleur qui est difficile à mettre en évidence et à quantifier, on dit aux patients atteints que, les examens paracliniques étant normaux, ils n’ont rien, alors même qu’il y a une plainte et des symptômes. Cette réponse n’est de nature ni à améliorer leur état ni à les rassurer. Les symptômes de ce type étant souvent associés à de l’anxiété ou à une dépression et à une désinsertion psychologique, sociale et professionnelle, il est facile pour un médecin qui, ne comprenant pas ces troubles, est en échec thérapeutique, de cataloguer la pathologie comme relevant de la psychiatrie, alors que ce n’est pas le cas : certes, le cerveau est en cause, mais tout ce qui a trait au cerveau n’est pas psychiatrique.
La fibromyalgie est une perturbation de la modulation des voies de la douleur, système complexe : le cerveau, hypersensible à toutes les stimulations, ne parvient pas à inhiber la douleur, qui se diffuse. Les patients ont mal partout, présentent des troubles du sommeil et des symptômes multiples mais la véritable maladie est une maladie de la douleur, ce que la médecine cartésienne conçoit mal. Elle connait différentes appellations selon la manière dont elle s’exprime : fibromyalgie en cas de troubles musculo-tendineux, colopathie fonctionnelle en cas de troubles gastroentérologiques. Tel est l’état de la science.
Les recherches sont surtout développées dans les pays du Nord de l’Europe et en Amérique du Nord. Les préjugés y sont moindres qu’en France, où la fibromyalgie est souvent considérée comme une dépression masquée. Or, les antidépresseurs aideront un peu les patients fibromyalgiques, mais ils seront bien davantage secourus par une prise en charge globale visant à remoduler efficacement les voies de la douleur. Exerçant dans un centre d’étude et de traitement de la douleur (CETD), je traite les formes les plus graves, mais les formes mineures sont probablement beaucoup plus fréquentes et il faudrait les diagnostiquer à ce stade pour pouvoir les prendre en compte. Dire à un patient qu’il a une fibromyalgie, c’est déjà le reconnaître, lui permettre de démarrer un traitement et une prise en charge. Même s’il est parfois exagéré, je pense justifié le combat que mènent certaines associations de patients pour faire reconnaître une autre façon de considérer ces maladies.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. La qualification du trouble – syndrome ou maladie – vous paraît-elle un enjeu important ? Y a-t-il des travaux récents à ce sujet ?
M. Serge Perrot. La distinction est peut-être surtout sémantique. Le dysfonctionnement du système central de modulation de la douleur est probablement dû à plusieurs étiologies ; j’y vois donc plutôt un syndrome que l’on ne sait pas encore décortiquer. Il y a cinquante ans, on pensait qu’il n’existait qu’une seule épilepsie ; on s’est rendu compte qu’il en existait de plusieurs types, qui appelaient peut-être des traitements variés. De même, la fibromyalgie a probablement des causes et des phénotypes différents. Certains patients présenteront un tableau de fibromyalgie après une affection virale telle que l’hépatite C, d’autres après un traumatisme psychologique, d’autres encore à la suite d’un traumatisme physique ou consécutivement à un traitement médicamenteux – ainsi, les inhibiteurs de l’aromatase prescrits dans le cancer du sein provoquent une chute brutale du taux d’œstrogène dans l’organisme, qui entraîne des douleurs fibromyalgiques. Parce qu’il y a plusieurs causes et plusieurs profils de patients, je préfère, sans nier qu’il s’agisse d’une vraie maladie, l’appellation de « syndrome fibromyalgique », qui me permet d’expliquer aux patients qu’il y aura plusieurs manières de les traiter.
M. le rapporteur. La Haute Autorité de santé (HAS) écrit dans son rapport que l’on assiste à la « diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Qu’en pensez-vous ?
M. Serge Perrot. Les patients existent ; il n’est pas besoin de l’industrie pharmaceutique pour aller les chercher, ils remplissent nos salles d’attente ! Bien entendu, l’industrie cherche à développer des traitements mais, à ce jour, en Europe, aucun produit n’a fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour traiter le syndrome fibromyalgique ; le combat de l’industrie a donc été perdu. Il y a des pressions, comme toujours, mais on ne peut résumer la question à l’invention d’une maladie. La fibromyalgie existe bel et bien. À ceux de mes confrères qui refusent de l’admettre, je dis : « Soit, mais si je te parle d’un patient fibromyalgique, vois-tu de quoi il est question ? », ce à quoi ils répondent en général par l’affirmative. Il est paradoxal de pouvoir décrire sans hésitation le tableau que présente un patient fibromyalgique tout en niant l’existence de la maladie.
M. le rapporteur. Quelle méthode de diagnostic de la fibromyalgie vous semble la plus pertinente ? Les questionnaires FIRST et FIQ sont-ils utilisés dans votre service et par les médecins généralistes ?
M. Serge Perrot. Nous sommes face à un trouble de la modulation de la douleur qu’aucun examen ne peut confirmer. Ce vide fait qu’il y a une mauvaise communication entre médecins, mais aussi entre le patient et son médecin. J’observe que les examens sont également normaux quand quelqu’un est déprimé. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’une maladie du système nerveux central. On se fondera donc sur des questionnaires, qui sont de plusieurs types. Le questionnaire FIRST – acronyme de Fibromyalgia Rapid Screening Tool – est un outil de dépistage assez rapide : il comporte six questions, et si le patient répond positivement à cinq de ces six questions, le diagnostic de syndrome fibromyalgique est probable à 90 %. Ensuite, le diagnostic est posé essentiellement en fonction de l’examen clinique. Il existe d’autres questionnaires nord-américains ; complexes, ils ne sont pas utilisables dans la pratique courante. J’en suis d’accord, le diagnostic n’est pas facile.
M. le rapporteur. Recevoir en consultation les patients atteints de tels troubles suppose-t-il de leur consacrer plus de temps que la durée moyenne d’une consultation ?
M. Serge Perrot. Cette maladie complexe demande du temps dans ses formes sévères, celles que nous voyons dans les centres de la douleur, quand les patients sont souvent au bout de toutes ressources thérapeutiques. En médecine générale, le questionnaire FIRST permettrait de dépister la maladie, de rassurer les patients et d’enclencher tout de suite une prise en charge optimale.
M. Arnaud Viala. Puisqu’il s’agit d’une perturbation de la modulation de la douleur, peut-on en déduire qu’une prescription d’analgésiques supprime le trouble et restitue au patient une vie presque normale ? Au-delà de la douleur, les malades ont fait état devant moi de gêne à la mobilité et de trouble des capacités de concentration ; comment tous ces symptômes sont-ils liés ?
M. Serge Perrot. Le syndrome traduit un dysfonctionnement cérébral global ; il porte essentiellement sur la douleur, mais la fatigue et les troubles cognitifs sont aussi des éléments caractéristiques. Le cadre n’est pas celui de la douleur comme symptôme : vous vous coincez le doigt dans une porte, vous êtes opéré, vous ressentez une douleur aiguë, on vous administre un antalgique, la cause est traitée et la douleur disparaît. Dans le syndrome fibromyalgique, un mécanisme complexe est à l’œuvre ; les antalgiques sont peu efficaces et il faudra utiliser des modulateurs du système nerveux central. Pour l’instant, il en existe deux grandes classes, les antiépileptiques et les antidépresseurs, ce qui porte parfois à confusion. En l’espèce, les antidépresseurs sont efficaces même s’il n’y pas de dépression importante, non qu’ils restaurent un état thymique normal mais parce qu’en augmentant le taux de noradrénaline dans l’organisme, ils modulent le frein de la douleur en renforçant les systèmes descendants qui la bloquent.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Vous êtes le premier de nos invités aussi affirmatif, et aussi le premier à nous dire que le diagnostic de la fibromyalgie peut être simple et rapide pour peu que le médecin consulté utilise le questionnaire FIRST. Celui de vos confères qui vous a précédé dans cette enceinte n’était pas de cet avis. Comment expliquer cette divergence d’opinions ?
M. Serge Perrot. Le problème tient à la formation des médecins. Ce qui concerne la douleur n’est enseigné que depuis huit ans à l’Université. Auparavant, les étudiants en médecine n’en entendaient pas dire un mot en faculté et elle était traitée par des antalgiques. À présent, au cours des six premières années d’études de médecine, 20 heures d’enseignement sont consacrées à la douleur et aux soins palliatifs – et, dans cette brève durée, on doit « caser » la fibromyalgie ! J’en traite pour ma part, et il en résulte que les jeunes médecins sont plus à l’aise que leurs aînés qui, ignorant quels sont les mécanismes à l’œuvre, ont peur à la fois de passer à côté d’autre chose et de se trouver pendant des années face à un patient qu’ils ne sauront pas soigner. Poser ce diagnostic, c’est, imaginent les généralistes, se trouver coincé avec le patient pendant des lustres ; or, si de bons conseils sont donnés, ce ne sera pas le cas. Il y a donc un problème de génération et une modification des mentalités : les jeunes médecins ont moins de réticences, posent plus facilement le diagnostic, et font moins de distinction entre le corps et l’esprit.
M. Vincent Ledoux. Tout cela est décidément compliqué et je vous sais gré de la clarté de vos explications. Votre regard diffère de celui de vos confrères, qui ont du mal à parler de maladie quand il est question de fibromyalgie. Il y a indéniablement un problème de connaissance et de reconnaissance de ces troubles, et les patients attendent que leur mal soit nommé. Notre invité précédent a évoqué le transfert qui se serait produit de la spasmophilie vers la fibromyalgie, qui serait en quelque sorte la nouvelle maladie à la mode, tout en soulignant qu’elle a été décrite au XIXe siècle déjà, et que les patients existent bel et bien et souffrent. Quelle prise en charge de cette maladie de la douleur faut-il privilégier pour les soulager ?
M. Serge Perrot. Il y a quelques années, une étude évaluant le « prestige » de 45 maladies a été réalisée au Danemark auprès de médecins, d’enseignants et d’étudiants. En haut de cette classification, se situent l’infarctus et le cancer ; tout en bas, l’anxiété et la fibromyalgie… Autant dire que souffrir d’anxiété ou de fibromyalgie n’est pas « prestigieux » et que soigner ces affections ne l’est pas davantage. En bref, le rhumatologue soignera avec ardeur les patients atteint de polyarthrite rhumatoïde, une maladie « noble », et m’adressera volontiers ceux qui souffrent d’une fibromyalgie à laquelle il n’entend goutte. Il faut revoir les schémas de pensée en enseignant ce qu’est une maladie dans les facultés de médecine.
Pour la prise en charge, on se focalise sur les formes les plus sévères. Quand les symptômes sont multiples dans des sphères elles-mêmes multiples, il est impossible de traiter tout cela avec un médicament. L’avenir est à la prise en charge graduée. En première intention, pour les formes peu sévères, un médicament et quelques séances de kinésithérapie suffiront. Dans les cas plus sévères, il faudra une prise en charge psychosociale. Dans les cas encore plus graves, le malade devra être suivi dans un centre de la douleur. Il en va de la fibromyalgie comme de la lombalgie chronique : dans cette affection aussi, les anomalies révélées par un scanner lombaire sont sans corrélation avec la douleur ressentie. Plus le trouble est chronique, plus les choses se passent dans la tête. Le schéma de soin des lombalgies est le même que celui de la fibromyalgie : une lombalgie aiguë appelle un anti-inflammatoire ; quand elle devient chronique, on travaille sur le milieu professionnel, et on en vient à une prise en charge plus complexe dans les formes graves qui emportent des conséquences psychologiques, sociales et familiales. Un algorithme mis au point par les Anglais permet de graduer la gravité de l’affection et d’adapter la prise en charge à la sévérité de l’état des patients. Tel doit être l’avenir du traitement des maladies chroniques ; il serait illogique de traiter tout le monde de la même manière.
M. Alain Ballay. Comment comprendre la douleur et le dérèglement de sa modulation ?
M. Serge Perrot. La douleur est une expérience personnelle subjective qui inclut des facteurs organiques, psychologiques et génétiques – certains individus ont un terrain génétique prédisposant – et qui dépend aussi de la manière dont on la gère. En parler suppose une bonne communication pour la faire reconnaître par les autres, et le médecin doit savoir l’évaluer. Parce qu’elle a des déterminants sensoriels, cognitifs, psychologiques, sociaux et professionnels, la douleur est un phénomène compliqué.
M. Arnaud Viala. La reconnaissance sociale de la maladie sera-t-elle un adjuvant pour le patient ou va-t-elle l’enfermer dans l’idée qu’il est différent des autres ?
M. Serge Perrot. Je me suis également interrogé sur ce point. Poser le diagnostic de fibromyalgie stabilise le patient en lui signifiant que l’on sait ce dont il souffre et qu’il n’a plus besoin de faire des examens et de consulter toute sorte de spécialistes. Souvent, les patients se plaignent que le syndrome ne soit pas pris en charge à 100 % par l’assurance maladie ; je fais alors valoir que cela ne signifie pas pour autant une absence de reconnaissance, en soulignant que la maladie de Parkinson et la spondylarthrite ankylosante ne sont pas non plus prises en charge intégralement quand il ne s’agit pas de formes sévères. Peut-être faudrait-il donc prendre en charge à 100 % les formes sévères de fibromyalgie – ce qui implique de définir des critères de sévérité – mais il convient de dissocier absolument la reconnaissance de la maladie et l’octroi d’avantages multiples. Si l’on considère qu’environ 2 % de la population française sont peut-être fibromyalgiques, notre système de santé n’y résisterait pas.
Mais s’il est un cas dans lequel il faut éviter rigoureusement de prononcer le terme de fibromyalgie, c’est face aux douleurs diffuses des adolescents ; ce serait criminel, car il s’agit là d’une perturbation que l’on va traiter mais que l’on espère passagère. Poser ce diagnostic reviendrait à les exclure des activités sportives et du lycée ce qui conduirait à les enfermer dans un système dont ils auront du mal à s’extraire ; on leur dira plutôt de faire du sport. En résumé, pour répondre à votre question, nommer la maladie peut être utile mais peut être aussi dangereux.
M. Jean-Pierre Decool. Il y aurait donc l’école des Anciens et celle des Modernes… Mais la fibromyalgie ne peut-elle s’expliquer par un faisceau de causes physiologiques, physiques et émotionnelles ? Le travail à des postes adaptés, en redonnant aux malades une reconnaissance sociale, ne leur rendrait-il pas la joie de vivre ? N’est-ce pas une bonne thérapie ?
M. Serge Perrot. Je suis d’accord avec vous. Le cerveau est l’organe le plus compliqué du corps humain. Cela explique pourquoi la médecine est en échec sur la maladie d’Alzheimer, pour laquelle on ne dispose d’aucun médicament, et sur la prise en charge de la douleur, pour laquelle on a peu de médicaments, excepté la morphine, qui date de l’Antiquité, et les anti-inflammatoires, découverts il y a un demi-siècle. La prise en charge de la douleur est une entreprise complexe : les causes en sont multiples, et ce que nous appelons la « douleur maladie » peut continuer même si la cause a disparu. Imaginez un chauffeur de poids lourd qui, souffrant d’un lumbago chronique, a très mal au dos, perd son emploi, divorce et sombre dans l’alcoolisme : ce n’est pas un comprimé d’antalgique qui soulagera sa lombalgie. De même, la fibromyalgie, dans ses formes les plus sévères, demande une réadaptation progressive à l’activité physique et professionnelle, avec un accompagnement psychologique. C’est ainsi que nous soignons tous les douloureux chroniques, et il n’y a pas grande différence entre les lombalgies chroniques sévères et les fibromyalgies sévères. Les fibromyalgiques sévères que j’ai sortis de cet état sont ceux à qui j’ai pu faire suivre un programme de réactivation physique progressive, en les aidant avec des antalgiques, puisque la douleur induite par l’effort peut être traitée. Chaque activité physique étant soulagée par des antalgiques, les gens recommencent peu à peu à faire du vélo ou de la natation, et un moment vient où ils ont une force physique suffisante pour reprendre une activité professionnelle.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Hier, quelqu’un a évoqué devant moi une prise en charge par « une méthode canadienne ». Nous sommes inquiets à l’idée que, tout à leur désir de reprendre une vie sociale et familiale normale, les malades cherchent des solutions thérapeutiques non validées. La démarche « sport santé » me semble une voie intéressante, mais beaucoup de ces activités ne sont prises en charge ni par l’assurance maladie ni par les mutuelles. Cela limite sérieusement la portée d’un dispositif conçu pour que les traitements ne soient pas uniquement médicamenteux.
M. Serge Perrot. Il existe en France 250 centres d’étude et de traitement de la douleur (CETD), pour certains en grande difficulté car les financements baissent. Si beaucoup est fait pour développer les soins palliatifs, la médecine de la douleur n’a pas été favorisée. Jusqu’en 2010, elle a bénéficié de plans douleur gouvernementaux, mais ce n’est plus le cas actuellement. Les vrais spécialistes de la fibromyalgie et la lombalgie chronique sont les médecins de la douleur qui exercent dans ces centres. Dans celui que je dirige, nous avons développé un programme d’éducation thérapeutique dit Fibroschool, qui se déroule en six séances de trois heures au cours desquelles nous apprenons aux patients ce qu’est la douleur, comment gérer l’effort, l’activité physique et le stress. Les centres de la douleur rassemblent par ailleurs des médecins ostéopathes, des acupuncteurs et des médecins qui font de l’hypnose.
Les agences régionales de santé (ARS) financent ces structures par le biais des dotations allouées aux missions d’intérêt général, mais ces crédits sont en train de fondre. Outre cela, la médecine de la douleur n’étant pas reconnue comme une spécialité, les médecins de la douleur sont de moins en moins nombreux. Le combat est aussi celui de reconnaître le médecin de la douleur comme un spécialiste et non comme un « sur-médecin ». Souvent, le centre de la douleur dépend d’une spécialité : le mien dépend du service de rhumatologie, mais d’autres sont rattachés à des services de neurologie ou d’anesthésie. Comme, en matière médicale, nous sommes dans une phase de contraction démographique, quand il manque un médecin de la douleur ou que l’un d’eux part à la retraite, leurs postes sont repris pour recruter un anesthésiste, un rhumatologue ou un autre spécialiste. Il en résulte que ces structures, qui ont bénéficié de progrès majeurs au cours des années 1990 et 2000, sont maintenant en danger – et ce sont elles qui soignent les patients souffrant de syndrome fibromyalgique. Il n’est peut-être pas nécessaire de développer des prises en charge ou des reconnaissances coûteuses pour la société mais il faut renforcer les centres de la douleur, à même, par leur approche multidimensionnelle et multidisciplinaire, de traiter ces patients. Cela ne coûtera pas très cher : cette année, le montant total alloué aux 250 CETD pour les missions d’intérêt général est de 61 millions d’euros – mais ce montant est en baisse. Surtout, la reconnaissance de la maladie et de la douleur doit s’accompagner de celle des médecins et des spécialistes qui s’en occupent.
Mme Annie Le Houerou. Il serait bon de définir un statut permettant aux patients fibromyalgiques de mener une activité professionnelle adaptée. D’autre part, le centre que vous dirigez prend-il en charge les enfants ? Peut-on concilier l’école et ce syndrome ?
M. Serge Perrot. Il faut favoriser le maintien au travail. Nous sommes en train de dépouiller les résultats d’une étude réalisée sur une cohorte de 4 000 patients fibromyalgiques qui ont été interrogés sur leur souffrance, leurs difficultés au travail, l’absentéisme… Comme pour beaucoup d’autres maladies, il faut viser au maximum le maintien au travail pour éviter la perte d’emploi et la désinsertion sociale. Je favorise la reprise à mi-temps et l’adaptation du poste de travail. J’ai fait plusieurs interventions auprès de médecins du travail pour leur faire connaître cette maladie car eux aussi sont désarmés et prennent souvent des décisions tranchées, prononçant l’inaptitude alors que ce peut n’être qu’un passage de quelques mois au terme desquels, avec une prise en charge adaptée, le patient peut reprendre son emploi. Il faut faire œuvre de pédagogie auprès des médecins du travail pour leur faire mieux appréhender une maladie dont les perspectives, si elle est bien prise en charge, ne sont pas catastrophiques.
Je l’ai dit, il faut se garder d’employer le terme de fibromyalgie pour l’enfant ; cela fige les choses et c’est délétère. L’indication, pour un enfant qui se plaint de douleurs diffuses, est de bouger et de faire du sport ; après une année ou deux de suivi, il s’en sort. Poser le diagnostic de fibromyalgie chez un adolescent peut avoir un effet catastrophique et aggraver son état. Notre centre traite des enfants âgés de plus de quinze ans et demi, comme le veut la réglementation. Il existe aussi quelques centres de la douleur pédiatriques. J’insiste sur le fait qu’il indispensable de soutenir les CETD, non seulement parce qu’ils peuvent prendre les patients en charge, mais aussi parce qu’ils jouent un très important rôle de diffusion de cette culture auprès des généralistes, des spécialistes et des médecins du travail avec lesquels ils correspondent.
M. le rapporteur. Comment les centres de prise en charge de la douleur interviennent-ils dans le parcours de soins des malades atteints de fibromyalgie ? Comment améliorer la rapidité de la prise en charge de premier recours ?
M. Serge Perrot. Les centres de la douleur interviennent souvent très tardivement, parce qu’ils sont saturés ou parce que les médecins généralistes pensent qu’ils ne peuvent pas faire mieux qu’eux et qu’il est inutile de leur adresser les patients. On comprend à la lecture de certains courriers lapidaires – « Je vous adresse Mme X à sa demande » – que le médecin ignore le bénéfice que peut procurer le centre de la douleur – et les courriers de ce type constituent la moitié de l’ensemble des malades… Il en résulte que, souvent, les patients tardent à venir parce que personne ne le leur a proposé. Cette mauvaise appréhension est liée, je vous l’ai dit, à un problème de formation, les anciens médecins n’ayant pas eu d’enseignement sur la douleur et ignorant quel service médical peuvent rendre nos centres. Il serait utile de faire savoir à quoi ils servent, afin que les malades nous soient adressés sans tarder. J’ai mis au point un outil que nous testerons l’an prochain avec la direction générale de la santé et la direction générale de l’offre de soins. Ce questionnaire dit « coupe-file de la douleur » vise, sur le modèle du priority referral score canadien, à réduire les délais de rendez-vous dans les centres de la douleur en permettant, en fonction des réponses faites par le généraliste, de repérer précocement les patients dont l’état demande une prise en charge prioritaire. Cela aura aussi un rôle pédagogique, en faisant comprendre à chacun l’importance d’une coordination solidaire autour du patient. Pour l’instant, la coordination entre généralistes et spécialistes n’est pas très fluide.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Considérant qu’il y a de moins en moins de médecins à la campagne, le développement de la télémédecine pourrait-il avoir un intérêt dans votre domaine ?
M. Serge Perrot. Le « coupe-file de la douleur » sera décliné en version électronique. Nous menons une expérimentation au centre hospitalier de Saint-Egrève, en Lozère, en nous associant à une consultation de dépistage de la maladie d’Alzheimer. Les questionnaires sont au cœur de notre pratique, parce qu’ils permettent aux patients d’exprimer une expérience autrement invisible. Ceux-là sont distribués par une infirmière qui nous les envoie une fois remplis ; nous dépouillons les réponses une fois par semaine et lorsque nous relevons des éléments de morbidité grave demandant une prise en charge spécifique, nous alertons le généraliste. Sans remplacer la consultation médicale, bien sûr, cela donne une orientation. Il serait très utile que cette initiative bénévole soit soutenue et reconnue.
M. Jean-Pierre Decool. Cette démarche est intéressante et j’ose espérer que les relations avec vos confrères sont mieux que courtoises. S’il existe un problème de formation, nous pouvons formuler des propositions tendant à ce que ceux de vos confrères qui n’ont pas suivi d’enseignement initial sur la douleur le fassent dans le cadre de la formation continue. D’autre part, nous avons eu le plaisir d’entendre que des fibromyalgies ont été traitées avec succès ; pouvez-vous nous dire s’il y a eu des rechutes ?
M. Serge Perrot. Je suis enseignant ; un de mes objectifs essentiels est de développer l’ouverture à la prise en charge de la douleur et de convaincre mes confrères – qui, parfois, ne sont pas très courtois, mais je ne le suis pas toujours non plus… Il faut bousculer les habitudes. Quand on est pédagogue et que l’on donne des exemples, les choses avancent. Les médecins supportent mal l’échec et devant une fibromyalgie présentée comme elle l’est souvent, ils se sentent en échec. Qu’on leur donne les moyens de ne pas être démunis et leur regard sera beaucoup plus favorable. Je m’emploie donc à informer quels sont les outils possibles pour soulager les patients.
Va-t-on guérir ou soulager ? Je ne saurais dire. Aux migraineux, que nous soignons aussi, nous ne promettons pas qu’ils n’auront plus jamais de migraine mais que les périodes sans migraines seront de plus en plus longues. Il en va de même pour la fibromyalgie et pour la lombalgie.
Mme Annie Le Houerou. Comment la fibromyalgie est-elle intégrée dans la formation des étudiants en médecine et dans la formation continue des médecins ? Si elle n’est pas enseignée, comment est-elle repérée quand elle se superpose à des pathologies associées ?
M. Serge Perrot. J’ai indiqué avant votre arrivée que, depuis huit ans, vingt heures, au cours des six premières années d’études de médecine, sont consacrées à la douleur et aux soins palliatifs. Tout modeste qu’il est, ce chiffre représentait un grand progrès, mais ce temps décline dans certaines facultés de médecine. Pour ma part, je consacre une heure à la fibromyalgie et je constate que cela modifie la vision des jeunes médecins. La place accordée à la prise en charge de la douleur dans les programmes de formation continue est pratiquement nulle ; tout dépend des diplômes universitaires que visent les jeunes médecins. Je dirige un diplôme universitaire sur la douleur, mais cela ne concerne qu’une quarantaine de médecins par an ; c’est peu. Certains critiquent l’industrie pharmaceutique, mais avant cela, pendant quelques années, c’est grâce à elle – qui voulait vendre ses produits – qu’il y a eu un enseignement sur la douleur, axé sur la morphine et les antidépresseurs. Même si le but sous-jacent était mercantile, c’est le seul enseignement à ce sujet qu’ont eu les plus anciens des médecins.
Une réforme des études de médecine est en cours. Le nouveau diplôme d’études spécialisées (DES) – l’ancien internat – devrait comprendre une formation spécialisée transversale : à l’issue du DES, un perfectionnement sera possible, et nous avons proposé dans ce cadre une sur-spécialité « douleur ». Mais combien de médecins choisiront cette option ? Probablement entre trente et quarante chaque année, qui travailleront ensuite dans les centre de la douleur. Parallèlement, je travaille à l’instauration d’un enseignement transversal durant le DES pour garantir qu’au minimum un séminaire soit consacré à la douleur comme d’autres le seront aux antibiotiques, à l’éthique ou aux nouvelles technologies. C’est très important pour diffuser la culture de la prise ne charge de la douleur et j’ai bon espoir d’y parvenir.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je vous remercie. La clarté de vos propos a permis de dissiper quelque peu le brouillard dans lequel nous étions plongés. Nous irions volontiers visiter votre centre, puisqu’en ces lieux se trouve peut-être l’une des clefs de la prise en charge de la fibromyalgie.
M. Serge Perrot. Médecins, infirmière, assistante sociale et psychologue vous y accueilleront avec plaisir.
Audition de Mme Brigitte Merle-Vignau, chargée de communication
au Centre national des associations de fibromyalgiques en France
(Procès-verbal de la séance du mardi 14 juin 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je souhaite la bienvenue à Mme Brigitte Merle-Vignau, chargée de communication au Centre national des associations de fibromyalgiques en France (CeNAF).
La Commission a décidé de rendre ses auditions publiques : elles sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Avant de vous donner la parole, madame, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Mme Brigitte Merle-Vignau prête serment.
Mme Brigitte Merle-Vignau, chargée de communication au Centre national des associations de fibromyalgiques en France (CeNAF). Créé en 2002, le CeNAF a regroupé jusqu’à huit associations œuvrant en région auprès de malades atteints de fibromyalgie. Le nombre d’associations a diminué parce que la pathologie commence à être connue et que les gens ont tendance à se tourner davantage vers internet, mais aussi parce que les responsables – qui sont aussi des malades – s’épuisent. C’est ainsi que l’une des cinq associations membres du centre vient de s’éteindre pour des raisons de fonctionnement interne.
Le CeNAF synthétise les informations les plus récentes sur le syndrome de fibromyalgie et agit tant auprès du corps médical, lors de congrès et autres colloques, que des pouvoirs publics au niveau national.
Quant aux associations, elles assurent un soutien de proximité à leurs adhérents, sous diverses formes : écoute via une permanence téléphonique ; conseils pour un mieux-être et un mieux-vivre ; diffusion d’informations par des revues internes ; organisation de réunions d’information et de conférences où sont conviés des médecins ; actions de terrain telles que l’information des personnes en recherche de diagnostic et la fourniture de contacts avec les intervenants médicaux et sociaux de leur région. Les propositions varient selon les régions.
Pour ma part, j’appartiens à l’Association des fibromyalgiques Sud Aquitaine (AFSA), qui couvre les Pyrénées-Atlantiques et les Landes. Nous organisons des rencontres mensuelles, appelées groupes d’échanges et de soutien. Les personnes, déjà diagnostiquées ou en recherche de diagnostic, peuvent y parler de leurs difficultés. Nous ne prétendons pas avoir des compétences psychologiques mais nous renseignons les personnes. L’association ne recommande pas de soignants, de médicaments ou de matériels même si les membres peuvent évidemment se transmettre ce type d’informations entre eux. L’AFSA assure une permanence téléphonique et elle organise des activités festives et des rencontres amicales. Nous avons aussi mis en place plusieurs cours de gymnastique et de yoga doux, c’est-à-dire adaptés aux personnes atteintes de fibromyalgie. Les enseignants de ces deux disciplines tiennent compte de nos possibilités pour nous proposer des exercices physiques.
Surtout, nous disons à chacun de nos adhérents que la personne la mieux placée pour l’aider est elle-même. Nous devons nous prendre en charge, ne pas nous laisser abattre par ce mal, ce qui est difficile : nous ressentons les douleurs mais notre entourage ne voit pas cette maladie sans nom qui est taxée de syndrome. Cet état de fait pose des problèmes d’ordre personnel, familial et parfois professionnel. Nous conseillons donc à nos adhérents de se prendre en charge et de se lancer dans une réadaptation à l’effort. Quand on est fibromyalgique, on a de moins en moins envie de bouger. Comme tout fait mal, on se replie sur soi et le moindre effort physique devient trop difficile. Il faut arriver à passer ce cap pour faire un réentraînement à l’effort.
Nous suggérons aussi à nos adhérents de faire des cures qui peuvent avoir un effet bénéfique sur certaines personnes. Les établissements thermaux, dans ma région notamment, ont mis au point un module spécifique pour les fibromyalgiques qui ne peuvent pas suivre une cure de vingt et un jours tellement cela les fatigue. On tient maintenant compte de leur état et on leur propose des cures adaptées mais qui ne seront prise en charge par la sécurité sociale que si leur indication est la rhumatologie.
Nous développons aussi une éducation thérapeutique du patient (ETP), qui peut d’ailleurs être mise en place par des établissements de cures thermales comme celui de Dax, qui le plus proche de l’AFSA. Les patients diagnostiqués doivent dépasser ce diagnostic, souvent posé au bout de plusieurs années d’errance médicale au cours desquelles ils se sont parfois entendu dire que leur mal était peut-être « dans leur tête ». C’est très dur à accepter. Il n’est pas rare que des personnes aient en même temps une fibromyalgie et une dépression. Souffrir à longueur de temps, ça use. On finit d’autant plus par être déprimé que l’entourage ne nous comprend pas, ne nous traite pas comme un malade mais nous donne des conseils du genre : remue-toi, mets-toi un peu de rouge à lèvres, sors !
Il faut arriver à accepter un changement de vie. Tout d’un coup, on ne peut plus faire ce qu’on faisait avant. On était très actif, on l’est beaucoup moins. Je ne vais pas vous décrire les symptômes mais la fatigue est un élément très important. Il est nécessaire de se reposer à plusieurs moments dans la journée. Tout cela varie évidemment selon les personnes, le degré d’atteinte, l’âge.
Les associations du CeNAF font un travail de fond depuis quinze ans, sans trop de médiatisation, car ce qui les intéresse est d’être au contact direct des malades pour les aider. Nous avons néanmoins cherché à dialoguer avec les intervenants médicaux et sociaux. À plusieurs reprises, nous avons fait des démarches auprès du ministère de la santé où nous avons été reçus et bien accueillis par M. Gilles Bignolas et son équipe. Pour ma part, j’y suis allée pour la dernière fois en juillet 2015. Nous sommes écoutés mais nous avons l’impression de ne pas être entendus.
Le CeNAF s’est doté d’un conseil scientifique composé de trois médecins : Francis Blotman, professeur de rhumatologie à l’université de Montpellier ; Philippe Ducamp, ostéopathe et traumatologue du sport, qui s’occupe en particulier des thermes de Dax ; Jean-Luc Poindessous, spécialisé en médecine physique et de réadaptation, chef du service de rééducation fonctionnelle de l’appareil locomoteur au groupement hospitalier intercommunal du Vexin. Ces médecins nous permettent de délivrer des informations médicales valides et d’éviter la dérive constatée sur internet où l’on trouve un peu de tout, pour ne pas dire que l’on frise parfois le charlatanisme. Il y a déjà quelques années, ce conseil scientifique nous a aidés à élaborer la brochure 100 questions sur la fibromyalgie qui en est à sa deuxième édition. Nous sommes en préparation d’un autre ouvrage qui contiendra des informations plus récentes sur la fibromyalgie et sur la mise en place des prises en charge qui apparaissent comme devant être pluridisciplinaires : cures, séances de kinésithérapie, réentraînement à l’effort, médicaments antidouleur.
Pour terminer, je signale que les associations adhèrent au Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et que le CeNAF est membre de l’Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR) et de l’Institut Analgesia.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Si je comprends bien, vous êtes également atteinte de la maladie.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Depuis longtemps.
M. le rapporteur. Combien d’adhérents votre association compte-t-elle ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Le CeNAF a compté jusqu’à 800 adhérents et il en a maintenant aux alentours de 600, car certaines associations se tournent vers des structures plus médiatiques.
M. le rapporteur. Recevez-vous des subventions ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Absolument aucune, nous vivons des cotisations des membres. Pour l’AFSA, la cotisation est de 30 euros par mois, un niveau qui tient compte du fait que cette pathologie n’atteint pas forcément des gens très fortunés.
M. le rapporteur. Je ne comprends pas très bien les liens que vous avez avec les centres de cures thermales, dont vous êtes un peu le relais.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Nous ne sommes pas les démarcheurs des centres de cures. Nous parlons des cures comme d’un mode de traitement qui n’intéresse d’ailleurs pas tout le monde. Pour ma part, je n’en ai pas fait parce que je ne me sens pas capable de recevoir ce genre de soins pendant trois semaines.
M. Arnaud Viala. Quelle est la préoccupation principale de votre association ? S’agit-il pour vous d’accompagner les malades dans le parcours difficile que vous décrivez vers la reconnaissance d’un état pathologique par la société ? Êtes-vous davantage préoccupés par l’aspect médical, l’évolution de la recherche, les traitements, les prises en charge ?
Observez-vous une évolution dans la prise en charge sociétale et médicale de ces troubles ? Considérez-vous, au contraire, que rien ne bouge ? Cette commission d’enquête a été constituée notamment pour que nous puissions évaluer les besoins et les attentes des malades.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Si nous voulons être présents auprès des adhérents pour les aider au quotidien, nous n’avons jamais cessé non plus de faire des démarches auprès des services publics et du ministère de la santé afin que cette pathologie soit reconnue. Les malades ont besoin de savoir de quoi ils souffrent, que l’on mette un nom sur cette pathologie et que l’on cesse de dire que c’est un syndrome. Personne ne comprend ce qu’est un syndrome mais tout le monde pense savoir ce qu’est une maladie. En outre, les patients sont dans l’errance médicale – on parle même de nomadisme médical – avant de savoir de quoi ils souffrent. La reconnaissance est importante pour le patient, pour son entourage familial mais aussi professionnel. Dans notre association, nous avons eu des auxiliaires de vie ou des assistantes d’école maternelle dont le travail est physiquement difficile. Nous nous préoccupons bien entendu de la recherche : nous sommes à l’affût de ce qui pourrait déboucher sur une reconnaissance sociale et sur une amélioration de la vie du patient.
Avons-nous l’impression que ça bouge ? Oui, et la création de cette commission d’enquête nous semble en être une preuve. De son côté, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a lancé une expertise. Pour nous qui œuvrons à l’AFSA depuis 1995 et au CeNAF depuis 2002, cela nous paraît long mais les autres en profiteront.
M. Renaud Gauquelin. Merci d’être venue d’assez loin, madame, pour nous apporter vos lumières.
Avez-vous le sentiment que la prise en charge en affection de longue durée (ALD) concerne un grand nombre de patients atteints de fibromyalgie, que ce soit sous l’aspect rhumatologique, neurologique ou d’un syndrome dépressif grave ? Quel est le pourcentage de vos adhérents en ALD ? Quand ils sont en ALD, au titre de quelle maladie le sont-ils, puisque la fibromyalgie n’est pas reconnue ?
Vous avez parlé de variantes douces de la gymnastique et du yoga, qui sont des alternatives intéressantes aux thérapies médicamenteuses. Vous avez peu évoqué les soins par des kinésithérapeutes spécialisés. Quel est votre avis sur ces kinésithérapeutes qui s’affirment spécialisés dans cette maladie ?
Vous avez évoqué la difficulté au quotidien engendrée sur le plan psychologique par ces douleurs chroniques, le jour et la nuit. Dans votre expérience, avez-vous eu affaire à des conduites suicidaires ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. En ce qui concerne la prise en charge en ALD, je ne peux pas vous donner de pourcentage ni pour l’AFSA, qui compte environ quatre-vingts adhérents, ni pour le CeNAF, car nous ne tenons pas de statistiques. Nous ne sommes pas équipés pour ce faire, et ce n’est pas notre objet. Je ne peux donc vous parler que de cas particuliers. À ma connaissance, il y a eu une prise en charge en ALD pour dépression mais pas en rhumatologie et encore moins en fibromyalgie. L’indication de dépression est un moyen d’obtenir une ALD pour une personne qui n’en peut plus, qui a un travail extrêmement difficile. Ce n’est quand même pas satisfaisant, même si on est déprimé.
Existe-t-il des kinésithérapeutes spécialisés ? Il est probable que des kinésithérapeutes s’adaptent aux besoins de leurs patients. À l’AFSA, nous avons essayé de joindre les kinésithérapeutes, en supposant qu’il existait un ordre départemental pour cette profession, mais nous n’avons pas obtenu de réponse. Nous aurions précisément voulu nous entretenir avec eux de ce qui pouvait être fait. Nous avons aussi contacté l’ordre des médecins où il nous a été répondu que notre demande ne relevait pas de cette instance.
Dans mon entourage, je n’ai pas eu connaissance de conduites suicidaires. Moi-même je n’ai pas pensé à me suicider. On souffre. Dans les associations du CeNAF, nous essayons de trouver tout ce qui peut agrémenter notre vie, tout ce qui peut la rendre plus joyeuse malgré nos difficultés. Notre identité n’est pas d’être fibromyalgiques. Nous essayons de donner à nos adhérents l’envie, la force de se réadapter progressivement à l’effort, par exemple en faisant de petites promenades. Un temps, une adhérente avait organisé de petites promenades autour d’un lac, une fois par semaine. Quand nous nous rencontrons, nous essayons de donner un caractère joyeux à nos rencontres. À la fin d’un groupe d’entraide et de soutien, nous partagerons une galette des rois ou autre chose.
Au cours de ces groupes, ceux qui sont déjà diagnostiqués peuvent répondre aux questions des autres et dire ce qu’ils font dans telle ou telle situation. L’un des adhérents, parmi les plus anciens, remplit le rôle d’animateur en donnant la parole aux uns ou aux autres. Quitte à paraître sévère, je dirais que certaines personnes se complaisent dans la plainte. On essaie de les faire sortir de là parce que la plainte n’apporte rien. Il faut chercher le remède principalement en nous : on peut recourir aux traitements, mais il faut aussi cultiver la volonté de s’en sortir. Nous n’avons pas parlé des antidouleurs. Il y a des personnes qui prennent beaucoup de médicaments et d’autres qui n’en prennent pas.
M. le rapporteur. Depuis que j’ai proposé la création de cette commission d’enquête et que j’en suis devenu le rapporteur, des laboratoires pharmaceutiques et des centres de cures m’adressent des messages électroniques pour me vanter leurs mérites. Les associations sont-elles soumises au même lobbying, voire à des propositions de financements particuliers ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Nous ne recevons pas de propositions mirifiques de la part des centres de cures, ce qui est dommage parce que nous pourrions faire des actions de plus grande envergure. En revanche, l’AFSA, comme les autres associations, reçoit les publicités vantant les cures à Barbotan, à Dax ou aux Dômes. Il n’y a pas de tarifs pour les membres d’associations ou pour les fibromyalgiques. Comme je vous le disais précédemment, les modules d’éducation thérapeutique du patient sont comptés en sus des frais de cure.
M. le rapporteur. J’ai du mal à comprendre votre position par rapport à la qualification de syndrome. Est-on malade quand on est atteint de fibromyalgie ? Vous dites que vous ne voulez pas du statut de fibromyalgique, mais quand on est atteint de cécité on a un statut d’aveugle. Souhaitez-vous que la fibromyalgie soit reconnue comme maladie et qu’elle puisse justifier une prise en charge en ALD ? Le terme de syndrome est vague.
Mme Brigitte Merle-Vignau. À qui le dites-vous ! C’est vague. Un syndrome, personne ne sait ce que c’est. Une maladie, tout le monde comprend ce que c’est. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Une maladie sera prise en charge mais pas forcément en ALD. Combien de personnes atteintes de fibromyalgie seront-elles prises en charge en ALD ? Je ne pense pas que cela touchera beaucoup de gens mais, dans certains cas, ce serait effectivement une solution.
M. le rapporteur. Vous en connaissez ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Non, puisqu’on ne peut pas être en ALD pour fibromyalgie. Comme je vous le disais précédemment, j’ai connaissance d’un cas d’ALD mais pour dépression sévère.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. En cas de reconnaissance de cette maladie, pourquoi n’y aurait-il que peu d’ALD pour cette indication ? Dans ce que l’on me rapporte, il y a des formes plus ou moins sévères de fibromyalgie. Autre caractéristique frappante : alors qu’elle est très souvent associée à d’autres maladies, la fibromyalgie est citée en premier par les patients, comme si elle prenait le dessus. On peut comprendre aussi que ce soit extrêmement compliqué pour le corps médical de valider une ALD pour ces différentes maladies qui peuvent ne pas entrer du tout dans ce cadre de prise en charge.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Effectivement, la fibromyalgie peut se superposer à d’autres maladies. À ce moment-là, il n’y a pas de problème de prise en charge en ALD si ces autres pathologies le permettent.
Il faut savoir que la fibromyalgie se diagnostique par élimination. Les symptômes étant communs à de nombreuses maladies, il faut s’assurer qu’on n’a pas une polyarthrite rhumatoïde, une sclérose en plaques ou une myopathie. Deux de nos membres ont d’abord été cataloguées fibromyalgiques avant de faire l’objet d’un diagnostic différent : l’une est atteinte de myopathie et l’autre d’une sclérose en plaques. Au niveau du diagnostic, il faudrait déjà que les médecins soient plus avertis. Les deux cas que je vous citais remontent à plusieurs années et je pense qu’il est désormais possible d’affiner le diagnostic.
Pourquoi n’y aurait-il pas beaucoup de personnes en ALD pour fibromyalgie ? On rencontre un cas grave de temps en temps, mais les gens qui viennent aux groupes d’échanges et de soutien ne demandent pas à être en ALD. Ils demandent à être soulagés et à être reconnus en tant que malade. Pour prendre mon cas personnel, mon médecin ne croit pas du tout à cette affaire-là. Quand je lui rappelle que je suis fibromyalgique, il me répond : je ne l’oublie pas.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Pourtant, vous avez indiqué que certaines personnes éprouvaient une difficulté à travailler. De nombreux témoignages vont aussi dans ce sens. Quand ils sont atteints par cette maladie, les patients ont entre trente-cinq ans et cinquante ans, c’est-à-dire qu’ils ont l’âge de travailler. Une reconnaissance d’invalidité, donnant lieu au versement d’une allocation aux adultes handicapés (AAH), pourrait améliorer le quotidien de ces personnes. C’est pourquoi je ne comprends pas bien votre discours.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Il est évident que la prise en charge en ALD apporterait une amélioration des conditions de vie des personnes les plus atteintes, qui en ont besoin. Cependant, tous les sujets atteints de fibromyalgie ne demandent pas cette prise en charge. C’est ce que je veux dire. Nous ne sommes pas en train de scander : ALD ! ALD ! Nous voulons nous en sortir, et la prise en charge en ALD serait une solution pour certains d’entre nous.
Mme Annie Le Houerou. Pour rester sur cette thématique de la vie professionnelle, ne serait-il pas possible d’envisager un aménagement du temps de travail dès que la maladie est diagnostiquée ? Les mi-temps ou temps partiels thérapeutiques sont actuellement attribués après une longue période d’absence alors qu’un aménagement du temps de travail pourrait permettre à la personne de poursuivre son activité professionnelle sans qu’il y ait eu d’arrêt dans la durée.
Mme Brigitte Merle-Vignau. C’est certainement une très bonne mesure mais qui peut la prononcer ? Le médecin du travail. À quel titre va-t-il prononcer cette mesure qui s’imposera ensuite à l’employeur puisque la fibromyalgie n’existe pas en tant que maladie ?
M. le rapporteur. Lors d’un rassemblement organisé à Paris par l’une des associations, j’ai vu beaucoup de gens se déplacer avec des cannes ou en fauteuil roulant. Si je leur dis d’aller faire du yoga pour aller mieux, ils vont me regarder d’un drôle d’œil. Dans votre association, vous avez peut-être des gens plus valides. Pour ma part, j’ai rencontré des personnes qui s’organisent en fonction du temps qu’il leur faut le matin pour arriver à « dérouiller » leur corps. Vous avez fait allusion à des médicaments. Connaissez-vous des médicaments qui soulagent et qui permettent de mieux vivre ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Si vous voulez des noms de médicament, je sais que certains prennent du Tramadol.
M. le rapporteur. Ce médicament n’est-il pas utilisé pour les anesthésies ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Je ne sais pas, parce que je ne le prends pas. C’est un antidouleur.
Quand vous parlez des gens en fauteuil roulant, vous devez faire allusion au rassemblement du 12 mai au cours duquel des personnes se sont rendues en grand nombre au ministère de la santé. Pour notre part, nous disons à nos adhérents : cette maladie n’est pas mortelle et elle ne mène généralement pas à une invalidité complète, mais il faut se remuer. Je ne nie pas qu’il puisse y avoir des gens en fauteuil roulant. Chez nous, heureusement, nous n’en avons pas. Peut-être n’avons-nous pas de gens assez malades ? Je ne sais pas.
M. le rapporteur. Vous nous avez parlé de personnes qui consomment des médicaments, de l’existence de charlatans qui pourraient préconiser des traitements sans effet. Lors de nos auditions, des médecins ont d’ailleurs critiqué l’automédication. C’est un peu compliqué de laisser les gens en déshérence. Vous avez beaucoup parlé des cures thermales mais pas des centres antidouleur où des médecins pourraient soulager les gens, notamment par le biais de médicaments.
Mme Brigitte Merle-Vignau. J’ai parlé des cures comme j’ai parlé du reste, me semble-t-il. Quelques personnes sont allées dans des centres antidouleur, qui sont débordés et qui ne donnent un rendez-vous qu’après un délai extrêmement long.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Avez-vous une vision nationale, si je puis dire, du traitement des dossiers et de la prise en charge des personnes par les caisses primaires d’assurance maladie ou les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ? On nous a souvent rapporté que les décisions, par exemple d’accorder ou non une AAH, variaient en fonction des régions et des départements.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Je ne peux pas vous dresser un état de lieux puisque nous n’en faisons pas, mais nos adhérents nous apportent des témoignages lors de nos réunions. D’un témoignage à l’autre, nous avons pu constater une disparité de traitement sur le territoire, que nous avions d’ailleurs signalée au ministère. C’est inique. On m’a expliqué que chaque caisse était autonome et libre de ses décisions, ce qui explique qu’un dossier refusé ici sera accepté là. Lorsque nous lui avions dénoncé cette situation, le ministère nous avait expliqué que ce n’était pas de son ressort. Or cela mériterait d’être corrigé, et pour toutes les pathologies parce que j’imagine que la fibromyalgie n’est pas la seule concernée. Il nous paraît anormal qu’en France, les gens ne soient pas tous traités de la même manière par les caisses de sécurité sociale et que celles-ci agissent selon leur bon vouloir ou leurs capacités. Toutes les caisses ne sont peut-être pas dotées de la même façon. Je n’en sais rien.
Mme Annie Le Houerou. Certains adhérents vous indiquent-ils que des médecines alternatives, comme l’acupuncture ou l’homéopathie, pourraient soulager mais ne sont pas remboursées par la sécurité sociale ? Avez-vous des demandes de remboursement de ce type de soins dans vos associations ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Les personnes se font soigner de diverses manières. Pour nous, tout ce qui apporte un soulagement aux maux dont souffre le fibromyalgique est bon à prendre. Cela étant, nous mettons aussi en garde nos adhérents contre les régimes et autres traitements miracles dont internet et la presse généraliste se font régulièrement l’écho. Nous n’avons pas eu de demande particulière sur la prise en charge de traitements par acupuncture. Quant à l’homéopathie, elle est prise en charge comme l’allopathie.
M. le rapporteur. Avez-vous des données sur le temps nécessaire pour qu’une personne finisse par obtenir un diagnostic de fibromyalgie ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Comme je vous l’ai dit, nous n’avons pas de données statistiques et nous n’avons jamais cherché à en établir puisque nous ne sommes pas équipés pour ce faire. En revanche, nous entendons ce que disent les uns et les autres. Il y a vingt ou trente ans, la personne pouvait mettre dix ans à obtenir ce diagnostic. Actuellement, cela peut prendre encore trois, quatre ou cinq ans. Tout dépend du médecin auquel on s’adresse, qui peut être plus ou moins averti. Il peut écouter ou se dire que, décidément, cette pauvre patiente est tout le temps en train de se plaindre. Il y a des médecins qui ne sont pas du tout réceptifs, vraisemblablement parce qu’ils n’ont pas été formés au diagnostic de cette maladie. Ça peut durer longtemps, de radios de ceci et de cela en visites chez le rhumatologue ou chez d’autres spécialistes. Ça se terminait souvent par l’incitation à aller voir un psychologue pour dénouer le problème. C’est vrai que ça aide d’aller voir un psychologue, mais ça ne fait pas tout.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Ce que vous décrivez, nous l’avons beaucoup entendu lors de nos auditions ou lu dans des témoignages. Nous avons auditionné des médecins très à la pointe, qui travaillent notamment dans des centres antidouleur, et ils nous ont fourni un questionnaire tout simple qui permettrait au médecin généraliste de dépister la fibromyalgie en quelques minutes, ce qui éviterait bien des errances au malade et bien des dépenses inutiles à la société. Avez-vous entendu parler de ce questionnaire ? Est-ce que vous pourriez éventuellement populariser la méthode par le biais de vos adhérents, voire auprès des ordres dans les départements ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Je n’ai pas connaissance de ce questionnaire. Les médecins avaient déjà été avertis par un rapport de la Haute autorité de santé (HAS), il y a quelques années. On dirait que seuls les fibromyalgiques l’ont lu. Je me doute que les médecins reçoivent énormément de publications et qu’ils ne peuvent pas tout savoir. Mais ce rapport de la HAS donnait déjà des indications pour déceler la fibromyalgie.
Ce serait une très bonne chose de distribuer ce questionnaire à nos soignants. Quand nous avons une information validée scientifiquement, nous la transmettons à nos adhérents pour qu’ils la communiquent à leur médecin ou à leur kinésithérapeute. Nous leur suggérons de demander à leur médecin l’autorisation de mettre une affichette dans la salle d’attente. Nous pouvons divulguer et diffuser, mais ce n’est pas à nous d’assurer la formation continue des médecins.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Telle n’était pas mon idée. Le monde associatif joue un rôle important dans la défense de ses adhérents et ses propositions peuvent être écoutées, notamment quand il s’agit d’associations comme la vôtre qui disposent d’un collège scientifique, gage de crédibilité. Il peut sembler cohérent que les associations travaillent avec les ordres dans les départements.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Comme je vous le disais précédemment, nous avons eu une fin de non-recevoir de l’ordre des médecins des Pyrénées-Atlantiques, et nous n’avons pas eu de réponse de la part de l’instance des kinésithérapeutes qui ne fonctionne pas exactement comme un ordre. Nous avons essayé et nous pouvons recommencer.
M. le rapporteur. La situation n’est pas sans lien avec les déserts médicaux. Les médecins généralistes sont peu nombreux et, par définition, ce ne sont pas des spécialistes de la fibromyalgie. Cette maladie n’est d’ailleurs pas reconnue, d’où la création de cette commission d’enquête. Avant que l’on nous montre ce fameux questionnaire, lors d’une audition, je pensais qu’il n’y avait pas d’outil de diagnostic. Je trouve un peu bizarre que les médecins n’aient pas lancé une campagne de diffusion de cette information.
En l’absence de base concrète, le médecin est tenté de multiplier les analyses et radios en tout genre puisque cette maladie se déplace dans l’organisme. Ces examens sont coûteux et inutiles : cela revient un peu à faire passer une radio de la tête à quelqu’un qui s’est foulé la cheville. Compte tenu des liens que vous avez avec les médecins, il faudrait qu’ils trouvent des pistes plus faciles.
Mme Brigitte Merle-Vignau. Les liens que nous avons avec les médecins sont ceux que nous avons avec nos médecins. Comme nous n’avons pas de moyens de toucher l’ordre, chacun parle avec son soignant, médecin ou kinésithérapeute. Les patients discutent davantage avec leur médecin que par le passé, parce qu’ils s’informent aussi sur internet, mais il est difficile d’aller expliquer à son thérapeute ce qu’est la fibromyalgie. La brochure 100 questions sur la fibromyalgie a été remise à tous nos médecins qui nous ont promis de la regarder. Que vous dire d’autre ? L’errance médicale est peut-être due à un manque de formation des médecins.
Mme Annie Le Houerou. Votre association est-elle représentée dans la plupart des régions ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Le CeNAF est présent en Alsace, en Auvergne, dans le Centre et en Sud Aquitaine. Nous avons perdu récemment notre association de la zone Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.
M. le rapporteur. Vous n’êtes pas présents en Île-de-France ?
Mme Brigitte Merle-Vignau. Savez-vous ce qu’il faut pour qu’il y ait une association ? La volonté de quelqu’un d’en créer une. Cela ne se trouve pas partout. Le problème – voyez que je ne suis pas toute jeune – est qu’on s’essouffle. Les gens sont très contents d’adhérer à une association quand elle existe, mais ils n’ont pas forcément envie de prendre la relève.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous vous remercions, madame, d’être venue apporter votre témoignage, d’autant plus dans les conditions de maladie dont vous nous avez parlé.
Audition de Mme Carole Robert,
présidente de l’Association fibromyalgie France
(Procès-verbal de la séance du mardi 14 juin 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous accueillons maintenant Mme Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France.
Je vous indique que les auditions de la commission d’enquête sont ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.
J’ajoute, avant de vous céder la parole, que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Carole Robert prête serment).
Mme Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France. Permettez-moi de me présenter : j’ai soixante-cinq ans et je souffre de douleurs et de fatigue chronique depuis l’adolescence ; diagnostiquée fibromyalgique en 1998 après des décennies d’errance diagnostique, je suis engagée depuis dans ce combat associatif. Souffrant d’autres pathologies entraînant des troubles cognitifs, je vous remercie de comprendre que je lise ce texte devant vous.
Fibromyalgie France est une association de type loi de 1901 créée en 2001 et agréée depuis 2007 au niveau national par le ministère de la santé. C’est sur la base de ces quinze années d’expertise et d’actions menées, dans une démarche non partisane, afin de préserver neutralité et indépendance vis-à-vis des autorités de santé comme du corps médical, que, présidente de cette structure, j’interviendrai au nom de notre équipe de bénévoles, et que je répondrai aux questions de votre commission.
En 1998, lors de notre premier investissement, qui s’effectuait initialement au niveau régional, le diagnostic de fibromyalgie représentait un couperet : « Voilà, vous avez une fibromyalgie, nous ne savons pas ce que c’est, nous n’avons pas de traitement et nous ne savons pas quoi faire pour vous. Essayez d’être bien entouré, vous en aurez besoin ! ». Le déni de nos troubles était médical, social, politique.
Dix-huit ans plus tard, nous constatons, au niveau global, en tant qu’association, un changement certain, même s’il est peu perceptible pour les malades – souvent parce que l’information ne leur parvient pas, faute de moyens adéquats, notamment financiers, pour permettre une diffusion, en direction du grand public comme des différents acteurs, d’informations justes, fondées sur des sources scientifiques fiables et rassemblées par une démarche d’action constructive.
Tout au long de mon intervention, je m’efforcerai de refléter fidèlement la compréhension de la situation des personnes atteintes de fibromyalgie, qui, si elle est complexe, n’est pas toujours ou pas systématiquement liée à l’absence d’écoute et d’adaptation des soins, ou encore à la volonté de ne pas aider ces malades que l’on dit si particuliers.
Si nous souhaitions que l’expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), que nous avions demandée depuis une dizaine d’années, soit publiée avant toute autre initiative publique, afin de disposer de recommandations, nous pensons néanmoins que cette commission d’enquête parlementaire permettra in fine de décrire la réalité actuelle de la vie en France avec une fibromyalgie.
Classée en rhumatologie, cette maladie concerne à 90 % des femmes. On peut toutefois penser que les chiffres d’hommes atteints sont quelque peu sous-estimés, pour des raisons socio-culturelles – les médecins pensent qu’il s’agit d’une pathologie exclusivement féminine, l’homme en parle tardivement, etc.
Quant à la fibromyalgie chez l’enfant, elle serait estimée à 6 % de la population des moins de quinze ans, ce pourcentage étant probablement également sous-estimé car leur recensement est compliqué. Ceci mérite débat et les conclusions de l’expertise de l’INSERM pourront sans aucun doute apporter un éclairage scientifique.
Maladie de la douleur chronique, la fibromyalgie envahit le corps et l’esprit. C’est une prison sans murs, mais dont on ne s’échappe pas. Elle isole, et il est difficile, de l’extérieur, de s’imaginer ce que cela représente. Autant, dans l’imaginaire des personnes, il est assez aisé de comprendre la souffrance d’un migraineux ou d’un lombalgique, autant se mettre à la place d’un malade qui a des douleurs dans tout le corps, des douleurs qui se déplacent dans l’espace et dans le temps et, qui plus est, changent d’intensité, est inimaginable. Surtout s’il paraît avoir bonne mine… Cela semble impossible, exagéré, voire inventé !
Mais nous plaindrions-nous de douleurs imaginaires pendant des décennies, sachant que nous n’en retirons aucun avantage social et que cet état douloureux chronique nous enferme dans un évitement de tout – activités physiques ou intellectuelles, fêtes, activités sociales, voire familiales, car tout cela crée du bruit, du stress, de la fatigue ?
Nous ne mourons pas, certes, mais nous ne vivons pas non plus.
Longtemps nous avons été, sans aucun doute, les parents pauvres de la médecine et nos espoirs n’ont commencé à se concrétiser que lorsque la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades a reconnu le soulagement de la douleur comme un droit fondamental.
Comme vous le savez, la fibromyalgie est reconnue au niveau mondial par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 1992, cette reconnaissance ayant été suivie au niveau européen par l’adoption d’une résolution du Parlement européen action à laquelle nous avons activement participé, puisque nous avons été auditionnés à Bruxelles en tant que représentants de 14 millions de fibromyalgiques.
Au niveau national, en 2007, un rapport d’experts de l’Académie nationale de médecine, a présenté des recommandations qui, il faut bien le constater, n’ont pas été – comment dire ? – spontanément suivies d’effet.
Plus tard, en 2010, nous avons été relecteurs du rapport d’experts de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur la fibromyalgie de l’adulte et avons pu largement faire part de nos remarques à l’équipe de cette agence indépendante. Il est à noter que nous avions demandé que la partie concernant la fibromyalgie de l’enfant soit retirée du rapport. En effet, le paragraphe qui lui était consacré était trop succinct, réducteur et enfermant. Nous avons souhaité alors que la fibromyalgie de l’enfant fasse l’objet d’une future expertise collective de l’INSERM, ce qui est donc le cas.
Le rapport de la HAS a marqué un tournant indéniable dans les relations que nous pouvions avoir avec le corps médical et les institutions, alors que, dans le même temps, la fibromyalgie, maladie non rare, était incluse dans le Plan douleur et le Plan qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques.
Si actuellement le diagnostic est posé de plus en plus précocement, cela n’entraîne pas malheureusement toujours une prise en charge précoce adaptée. D’ailleurs, même dans ce cas, il faut compter avec les échecs thérapeutiques, qui sont fréquents – ce qui est déroutant car, finalement, c’est la fibromyalgie qui résiste au traitement !
On se trouve alors dans une configuration complexe : le corps médical qui dispose d’une pharmacopée traditionnelle de prise en charge de la douleur, des patients à qui l’on dit qu’il n’y a pas de médicaments disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la fibromyalgie, des patients qui résistent aux traitements usuels proposés par des professionnels de santé impuissants à les aider. On tourne en rond et la frustration réciproque grandit !
En outre, on doit mettre l’accent sur le fait que les soins de proximité sont à privilégier, en raison de la perte directe du bénéfice du soin dès lors qu’il y a déplacement. Autrement dit, il y a les chanceux – relativement – qui peuvent disposer dans leur environnement de soins et de soutien, qu’il soit médical ou social, et d’autres moins chanceux qui vont abandonner les soins et s’isoler.
De plus, le malade fibromyalgique connaît souvent très mal ses droits, notamment concernant le handicap, la reconnaissance en qualité de travailleur handicapé (RQTH) et l’invalidité. Il doit atteindre un état de sédentarité important pour les faire valoir. Ceci est injuste ! Il faut insister sur cette méconnaissance par les malades de leurs droits mais aussi des aides qui peuvent leur être proposées.
La méconnaissance des conséquences de la fibromyalgie sur la vie familiale, sociale et professionnelle, ainsi que la perte d’autonomie et de qualité de vie qu’elle entraîne, sont aussi à l’origine de ce regard négatif sur ce handicap dit « invisible ».
Il est alors aisé de s’imaginer les difficultés des malades pour se maintenir dans l’emploi ! Il n’est pas étonnant que, d’après notre enquête, 60 % des fibromyalgiques interrogés craignent de perdre leur emploi dans les deux ans en raison de leur état de santé.
S’ajoute une difficulté supplémentaire : trop de médecins ne sont toujours pas persuadés de l’existence de ce syndrome pourtant bien réel. Ce sont les « fibrosceptiques », moins nombreux depuis la publication du rapport de la HAS, mais dont les propos dévastateurs peuvent avoir des conséquences dramatiques. Malgré les différents rapports d’experts, ils n’y croient pas et disent : « Vous avez une fibromyalgie, moi je n’y crois pas, débrouillez-vous avec ! » Ces professionnels du médical ou du social existeront toujours, même lorsque l’on aura trouvé le marqueur parfait et pu évaluer sur des dizaines de milliers de malades la sévérité de la fibromyalgie. Ils manquent d’empathie et de compassion – cette vertu par laquelle un individu est porté à percevoir ou ressentir la souffrance d’autrui et poussé à y remédier. Ils ajoutent de la souffrance morale à la douleur physique.
Depuis 1998, de nombreuses associations, devenues expertes de leur maladie, que ce soit au niveau national, régional ou départemental, ont largement contribué, à des niveaux différents, à améliorer la connaissance par les malades fibromyalgiques de leur pathologie.
La prise en charge de la fibromyalgie devrait être inscrite dans le cadre d’un parcours de soins, voire d’un parcours de vie, et être coordonnée au sein d’une équipe de soins de proximité ; ce serait la garantie d’une santé améliorée : un tel système permettrait la préservation de la qualité de vie et d’autonomie de ces malades chroniques. L’inscription de la douleur dans la récente loi Santé de janvier 2016 devrait représenter un espoir en ce sens.
De plus, pour aider les malades à conserver une certaine dynamique, il est primordial de veiller à leur donner les informations justes, de leur apporter de l’espoir fondé sur une réalité, et de ne pas les entraîner dans un scepticisme néfaste.
Mais vous savez très bien, mesdames et messieurs les députés, que seul un travail de fond et de longue haleine, moins valorisant en apparence, peut jeter les racines d’un changement progressif pour toutes et pour tous. C’est dans cette perspective que nous agissons.
À titre personnel, j’ajouterai qu’après quinze ans de ce combat, convaincue de la réalité et de la sévérité de nos troubles, je me permets de dire qu’un jour on nous demandera pardon.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Combien d’adhérents compte votre association ?
Mme Carole Robert. Environ 870 – nous en perdons tous les ans, car les gens préfèrent aujourd’hui aller sur internet et rejoindre des structures qui ne coûtent rien…
M. le rapporteur. Quelles sont vos sources de financement ? Recevez-vous des subventions ?
Mme Carole Robert. Non, nous ne recevons aucune subvention ; nous vivons grâce au montant des adhésions et des dons. Nous ne recevons pas non plus de subvention des laboratoires – ils ne sont guère intéressés par une maladie pour laquelle aucun médicament ne dispose d’AMM. En 2015, nous avons reçu d’un laboratoire un don exceptionnel de 1 000 euros, mais seulement parce que nous avions élargi notre champ d’intervention à la douleur chronique.
J’ajoute que les laboratoires sont tenus de déclarer à la HAS une somme forfaitaire d’environ 60 euros par personne lorsque les membres d’associations participent aux formations proposées par les laboratoires : ce n’est pas de l’argent que nous touchons.
M. le rapporteur. Vous vous êtes montrée dure, dans la presse, avec notre commission d’enquête, estimant qu’elle venait « soit trop tôt, soit trop tard ». Pourtant, ce n’est pas la première commission d’enquête consacrée à une maladie… Nous voulons nous faire les porte-parole des citoyens qui font appel à nous.
Mme Carole Robert. Nous n’avons jamais dit que nous étions contre cette commission d’enquête ! Nous avons été contrariés par le calendrier : nous aurions préféré qu’elle vienne après l’expertise tant attendue de l’INSERM, qui fera des recommandations.
Nous avons choisi la forme de la lettre ouverte, que nous avons envoyée à l’Agence France-Presse (AFP), pour vous alerter rapidement, car nous avions peur que nos courriers ne soient noyés dans les centaines que vous devez recevoir. Par la suite, les médias nous ont contactés car ils nous connaissent bien.
Les termes de la résolution nous paraissent par ailleurs assez éloignés des revendications dont nous pouvons faire état.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je n’ai pas suivi cette polémique, je l’avoue, mais notre commission ne part d’aucune idée toute faite ! Nous entendons des acteurs très divers. Pour ma part, c’est depuis que je suis députée que j’ai entendu parler de la fibromyalgie ; j’ai été sensibilisée à ce problème par une association.
Vous ne devez pas être effrayée du parallélisme avec les travaux de l’INSERM ; notre commission espère faire des propositions qui pourront être intégrées au projet de loi de financement de la sécurité sociale, discuté à l’automne, et c’est pourquoi nous rendrons nos travaux au mois de septembre. Si d’autres travaux sont publiés en même temps, tant mieux !
Mme Carole Robert. J’ai précisé qu’in fine cette commission d’enquête permettrait d’établir un état des lieux et de clarifier certains points. Nous avons suivi de près vos travaux et nous avons eu le temps de réfléchir.
Malgré les avancées, qui sont réelles depuis quinze ans ; nous avons l’impression que l’information n’arrive pas, nulle part.
M. Jean-Pierre Decool. Madame Carole Robert, vous menez votre action dans la durée ; mais il y a longtemps aussi que des parlementaires se sont penchés sur ce problème. Nous avons fait de petits pas. Je me réjouis pour ma part de la création de cette commission d’enquête, qui pose cette fois la question avec force.
Vous remuez ciel et terre depuis longtemps, et peu d’avancées ont été réalisées, quels que soient les gouvernements en place.
Mme Carole Robert. Je ne dirais pas cela.
M. Jean-Pierre Decool. Notre pays ne semble en tout cas pas voir la fibromyalgie comme les autres pays du monde. À quoi attribuez-vous cette cécité française ? Sommes-nous trop cartésiens ? J’ai été, vous le savez, plutôt fibrosceptique dans un premier temps, mais j’ai été très touché – et convaincu – par le témoignage du médecin de Bernard Thévenet. Quand, dans un pays, 2 millions de personnes présentent les mêmes symptômes, on ne peut plus penser qu’il ne se passe rien !
Y a-t-il là un problème de formation des médecins, un problème de génération ? Faut-il mettre en place une formation continue consacrée spécifiquement à ce que je considère comme une maladie ?
Il faudrait sans doute harmoniser la façon dont la maladie est reconnue par les différentes caisses primaires d’assurance maladie (CPAM).
Mme Carole Robert. Le déni est social, médical, général. Nous avons l’impression qu’on nous refuse le droit d’exister. Quand quelqu’un souffre de troubles obsessionnels compulsifs (TOC), on l’envoie chez un psychiatre, on s’occupe de lui – on ne lui dit pas de se débrouiller avec ses problèmes ! Nous, nous sommes classés en rhumatologie, mais on nous dit que tout est dans la tête – et on ne sait pas nous soulager.
Nous ne nous expliquons absolument pas cette omerta. Lorsque, avec M. Serge Perrot et M. Bruno Halioua, j’ai écrit le livre La fibromyalgie. Une si longue route, M. Halioua, qui écrit beaucoup sur l’histoire de la médecine, m’avait dit qu’il n’avait jamais rencontré de maladie qui entraîne un tel rejet du patient, une telle volonté de ne pas entendre les troubles. Sans doute le fait que les fibromyalgiques soient des femmes à 90 % n’aide-t-il pas…
Il y a pléthore d’articles de presse sur la fibromyalgie, et malgré tout les gens ont l’impression que l’on n’en parle pas.
Quelqu’un qui a mal, partout, tout le temps, qui s’enferme, qui n’a plus l’énergie de s’occuper de ses enfants, est traité comme s’il prenait un prétexte pour ne rien faire. Cette maladie est extrêmement invalidante, mais nous n’arrivons pas à en faire la preuve de façon objective : « Moi aussi, j’ai mal », nous disent les gens. Nous sommes dans l’inimaginable : comment une personne peut-elle vivre avec des douleurs continues, une fatigue chronique, un sommeil non réparateur ? Comment peut-on ne pas tenir debout pendant une demi-heure, comment peut-on arriver au travail en étant déjà fatigué ? Il y a de plus des troubles cognitifs associés : on écrit un texte très approfondi, de façon très compétente, mais d’un coup on ne sait plus si l’on est lundi ou mardi… Et les médicaments aggravent les troubles.
Il est aisé, si l’on se plaint à son médecin d’avoir mal un jour ici, le lendemain là, et le troisième de mal dormir, de penser à un trouble psychique. Mais même si c’était le cas, pourquoi ne s’occupe-t-on pas de nous ? Pourquoi ce rejet ?
Et puis il ne faut pas être trop souriante, trop maquillée, avoir trop bonne mine : on perdrait toute crédibilité. Mais si l’on a l’air misérable, on est encore moins crédible… On ne fait jamais ce qu’il faut !
Mme Annie Le Houerou. Quelles sont précisément les revendications de votre association, sur la reconnaissance de la maladie ou la formation des médecins par exemple ? Demandez-vous une prise en charge spécifique – par l’ostéopathie, l’acupuncture, les cures thermales…?
La prise en charge par les CPAM est-elle homogène sur l’ensemble du territoire ?
Mme Carole Robert. Nous avions exprimé nos demandes en 2001, dans un rapport adressé à M. Bernard Kouchner, alors ministre de la santé. À cette époque, nous étions vraiment maltraités.
Depuis, nous avons appris qu’il fallait donner du temps au temps en construisant des partenariats, notamment avec le corps médical. Peu à peu, nous sommes arrivés à participer à la formation des médecins – je suis moi-même intervenue à deux reprises en sixième année, et j’interviens régulièrement dans le diplôme universitaire « Douleurs aiguës et chroniques » qui accueille des médecins, mais aussi d’autres professionnels de santé, pharmaciens par exemple. Les médecins que nous touchons de cette façon répercutent notre parole.
Nous participons à des congrès et à la réalisation d’enquêtes, notamment avec la Société française d’étude et traitement de la douleur (SFETD).
C’est un travail de fourmi que nous avons dû mener. Après le rapport d’orientation de la HAS, nous avons pu dire que nous existions, que nous avions des idées et que nous voulions les faire connaître.
Je souligne que le premier centre de rééducation fonctionnelle dédié à la douleur chronique ouvrira en 2018, à la suite d’un travail mené avec notre association en 2010. Ce centre appuiera cette prise en charge spécifique sur un projet structuré d’éducation thérapeutique du patient (ETP) et d’une prise en charge non médicamenteuse.
M. Gilles Lurton. Vous parliez d’avancées. Quelles sont-elles ?
Mme Carole Robert. En 2001, lors de la création de l’association, nous avons été reçus partout – à la présidence du Sénat, au ministère de la santé, à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM)… Nous avons mis quelques mois à comprendre que c’était le signe que cette maladie était inconnue, et l’intérêt que nous suscitions venait du fait que nous apportions des informations nouvelles. Plus tard, ce fut plus compliqué ; en 2003, notre rapport à M. Bernard Kouchner n’a pas été suivi d’effet.
Au total, nous avons été reçus dix-huit fois dans les ministères.
La situation a changé, mais ce n’est pas une question de couleur politique du Gouvernement : nous avons eu simplement la chance de frapper aux bonnes portes. Nous avons trouvé des interlocuteurs qui écoutent, qui comprennent, et qui ont validé notre demande d’expertise collective.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Vos interlocuteurs sont des fonctionnaires du ministère de la santé.
Mme Carole Robert. Oui.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous entendons fréquemment parler d’une certaine injustice territoriale : les caisses primaires et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ne semblent pas traiter la fibromyalgie de la même façon dans tous les départements. Avez-vous une vision d’ensemble de ce problème ?
Mme Carole Robert. Votre question porte, je crois, à la fois sur les médicaments, le handicap et l’invalidité.
Concernant la prise en charge des traitements par la sécurité sociale, la règle est la même pour tous les assurés en France. Ainsi un fibromyalgique ne devrait pas se voir refuser des soins de kinésithérapie, des cures thermales, ou une rééducation fonctionnelle à l’effort… Toutefois, comme pour tous les autres malades en France, ces soins ne sont pris en charge à 100 % que si le malade relève d’une affection de longue durée (ALD).
Sont exclus, comme pour toute autre pathologie, les soins non médicamenteux non remboursés. Depuis peu, certains soins non remboursés peuvent néanmoins faire l’objet d’une prise en charge forfaitaire par certaines mutuelles, selon des critères qui leur sont propres. Nous ne disposons pas, en un temps de préparation si restreint, de précisions quant à la prise en charge par les assurances complémentaires de la fibromyalgie. Nous savons toutefois que les forfaits proposés sont de courte durée, alors qu’il s’agit d’une maladie chronique rebelle aux traitements et qui nécessite des soins prolongés.
En vue de cette audition, nous avons réalisé un sondage rapide au cours des quinze derniers jours : nous avons reçu soixante-dix réponses, qui font état de refus portant essentiellement sur des soins non médicamenteux – hypnose, yoga, sophrologie, phytothérapie, naturopathie… – qui ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale.
S’agissant du handicap et de l’invalidité, nous ne disposons pas de statistiques suffisamment élaborées et fiables pour répondre avec justesse à la question de l’égalité des chances d’une région à l’autre pour les fibromyalgiques. Pour mener une telle étude, il faudrait probablement recueillir la réponse d’un même nombre de malades par département et s’assurer de la validité du diagnostic, ce qui serait difficile. Une étude de grande envergure devrait respecter des règles non contestables. Peut-être peut-on imaginer que le futur rapport de l’INSERM apportera des réponses fiables à cette question récurrente.
En ce qui concerne plus particulièrement la reconnaissance du handicap, le directeur général de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) avait été saisi avant 2009 par le ministère de la santé : il devait établir un guide destiné aux MDPH, afin que la prise en charge des formes les plus invalidantes soit la même sur l’ensemble du territoire. Nous fondions beaucoup d’espoir sur cette démarche. Malheureusement, ce guide n’a pas été produit, aux motifs que « la situation de handicap ne conduit pas systématiquement à une compensation et s’examine sur les conséquences des altérations de fonction d’une personne donnée dans un environnement donné, ce qui varie d’un patient à un autre avec une même maladie ».
En 2013, une équipe de chercheurs de l’INSERM, mandatés par la CNSA, a fait appel à notre expertise en vue de construire un outil d’information sur le handicap. Les points de vue auraient dû être collectés auprès des médecins experts et professionnels du handicap. Ce travail aurait permis d’évaluer les problèmes rencontrés par les fibromyalgiques sous forme d’une liste de difficultés, qui préciserait leur sévérité et leur fréquence. Cet outil était également destiné aux médecins experts.
Nous ne savons pas où en est cet outil, et nous le regrettons. Nous y avons travaillé, et il serait vraiment utile. Il est urgent de construire un référentiel destiné aux médecins experts ; c’est une demande légitime de la part des malades fibromyalgiques les plus atteints. À l’évidence, il serait utile d’achever ce travail d’experts commencé en 2013, qui permettrait en outre aux malades de faire reconnaître leur handicap pour obtenir le statut de travailleur handicapé et bénéficier d’aménagement de postes pour se maintenir dans l’emploi.
M. Arnaud Viala. Vous avez appris la patience, disiez-vous. Qu’attendez-vous concrètement de cette commission d’enquête ?
Mme Carole Robert. Ce n’est pas une question facile. Je parle souvent de justesse. Beaucoup d’informations qui arrivent aux fibromyalgiques ne reflètent pas la réalité. Ces malades qui vont si mal, qui sont rejetés, méritent de recevoir une information adaptée, juste.
L’exemple du 100 % est révélateur. Les malades que nous avons au téléphone commencent toujours par nous dire qu’ils veulent être pris en charge à 100 %. Mais je leur réponds : « Etes-vous coûteux ? Faites-vous une avance de plus de vingt euros ? » Si ce n’est pas le cas, et le plus souvent ce n’est pas le cas, alors ils ne peuvent pas obtenir cette fameuse prise en charge à 100 %. Au cours des quinze derniers jours, nous avons fait une enquête rapide : beaucoup de patients pensent que le 100 % permet un remboursement de tous les soins – kinésithérapie, cures thermales, sophrologie, massages... Mais non ! Être remboursé à 100 %, cela ne veut pas dire que l’on ne paiera plus rien.
Les fibromyalgiques s’épuisent pourtant à demander cette prise en charge, qui leur paraît apporter une reconnaissance de la maladie. Mais cela n’entraînera pas une reconnaissance du handicap ou de l’invalidité. C’est là un vrai problème d’information. Si certains malades pensent que ne pas être pris en charge à 100 % veut dire qu’ils ne sont pas reconnus comme malades, qu’ils n’ont droit à rien, alors c’est dramatique. Il faut leur dire la vérité.
C’est vrai aussi avec les médicaments. Les médecins sont pressés, et oublient toujours de dire qu’un antidépresseur à toute petite dose agit sur la douleur, et que c’est pour cela que l’on en prescrit aux fibromyalgiques. Comme cela n’est pas expliqué, les gens pensent qu’on les croit fous… Là encore, il y a un besoin d’information juste.
Tout le monde peut faire des erreurs, moi la première ! Je comprends que cette commission d’enquête nous permettra, in fine, d’établir un état des lieux et de décrire la réalité telle qu’elle est aujourd’hui.
Présidence de Mme Annie Le Houerou.
M. Gilles Lurton. Je ne comprends pas le lien entre le fait d’être un malade « coûteux » et la prise en charge à 100 % – celle-ci est liée, me semble-t-il, à un état pathologique, et non au coût des médicaments.
Mme Carole Robert. Une circulaire du 8 octobre 2009 établit différents critères pour la prise en charge au titre d’une ALD : la pathologie doit être grave et évolutive, mais les soins doivent également être particulièrement coûteux. Ces critères sont sévères. La fibromyalgie rentre rarement dans ce cadre.
De plus, il y a beaucoup d’échecs thérapeutiques chez les fibromyalgiques : les soins, de kinésithérapie par exemple, peuvent aggraver la situation s’ils ne sont pas parfaitement adaptés ; on parle aussi de « fibrofog » : c’est une forme de confusion mentale, souvent liée à la prise de médicaments.
Être coûteux, c’est aller à l’hôpital, faire des séances de kinésithérapie pendant de très longs mois, prendre des médicaments à long terme… La circulaire est extrêmement précise.
M. le rapporteur. Pouvez-vous nous parler de l’errance médicale avant le diagnostic ? Disposez-vous de statistiques sur cette question ?
Mme Carole Robert. J’ai commencé à ressentir des douleurs à quinze ans, après un problème infectieux grave ; mais à l’époque on ne se plaignait pas. J’ai été dispensée de sport au baccalauréat : on constatait donc bien des douleurs, mais on n’en savait pas grand-chose. J’ai continué ma vie sans comprendre pourquoi j’étais si fatiguée ; à trente-trois ans, j’ai eu mon premier enfant et je ne me suis pas relevée. Mes troubles étaient tels que l’on a pensé à une sclérose en plaques.
Ce diagnostic de sclérose en plaques probable a duré treize ans ; je suis rentrée en France, et après plusieurs années, en 1998, on m’a parlé de fibromyalgie.
Mais, je le disais, ce diagnostic n’entraîne pas forcément une prise en charge. C’est d’un sentiment d’injustice puissant qu’est née l’association : je trouvais incroyable ce diagnostic d’une maladie que personne ne connaissait ni ne semblait vouloir traiter, et qui de plus provoquait un rejet ! Avec la sclérose en plaques, j’éveillais la compassion ; avec la fibromyalgie, j’éveillais la suspicion. En 1998, nous étions vraiment très mal traités, dans les conférences, les congrès, partout.
Les seuls traitements adaptés que j’aie pu réussir à mettre en place sont des soins non médicamenteux : il faut apprendre à gérer la douleur, la fatigue, le stress. C’est le but de l’éducation thérapeutique du patient. J’ai ainsi mis en place des ateliers, dans un hôpital ; en six semaines, les effets se font sentir. Bien sûr, il ne suffit pas de danser pour aller bien, mais bouger sert à détourner l’esprit de la douleur. Il faut retrouver – c’est fondamental chez les douloureux – une forme de plaisir : lorsqu’on perd le plaisir, on ne peut plus s’éveiller à la vie autour de soi. Ces techniques sont maintenant bien connues du corps médical. Malheureusement, les projets d’éducation thérapeutique du patient sont encore trop rares.
Le diagnostic est aujourd’hui posé beaucoup plus tôt, voire trop tôt parfois. Les statistiques globales sont faussées par les malades de ma génération, qui ont souvent attendu vingt ou trente ans, voire plus, un diagnostic. Pour les personnes récemment diagnostiquées, 50 % ont obtenu un diagnostic en trois ans, dont 25 % en moins d’un an. Ceci constitue incontestablement à ce sujet une nette amélioration de la situation.
Sur cette question du diagnostic précoce et de la prise en charge de la fibromyalgie, nous avons été entendus par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Nous avons fait un rapport, qui comporte huit propositions. Le diagnostic précoce permet théoriquement une prise en charge précoce, ce qui permet au malade chronique de mieux gérer sa maladie. Un travail est en cours sur le diagnostic précoce des maladies chroniques ; il devrait être publié en 2017.
Nous avons également travaillé à un outil destiné à permettre aux médecins généralistes de poser un diagnostic plus rapidement. Auparavant, le diagnostic était la plupart du temps posé par des rhumatologues ; aujourd’hui, il l’est à 40 % par des généralistes, et à 53 % par les rhumatologues. On a pendant longtemps utilisé des critères très incomplets – les fameux dix-huit points de pression douloureux. Il existe maintenant des critères, plus étendus et mieux maîtrisés par les généralistes.
Encore une fois, le diagnostic, même précoce, n’entraîne pas nécessairement une prise en charge adaptée.
M. le rapporteur. Selon vous, la douleur est-elle bien prise en charge ? Les patients sont-ils orientés vers des centres spécialisés dans le traitement de la douleur ?
Mme Carole Robert. La fibromyalgie figure dans le répertoire des pathologies douloureuses prises en charge dans les centres d’étude et de traitement de la douleur (CETD), conformément aux instructions du ministère de la santé de mai 2011 – cela remonte d’ailleurs à 1998. Des programmes d’éducation thérapeutique du patient validés par les agences régionales de santé (ARS) se mettent en place dans ces centres ; mais ils sont encore rares. La liste d’attente est hélas longue et les spécialistes, bien que formés spécifiquement à la prise en charge de la douleur chronique résistante aux traitements usuels, se trouvent souvent démunis face à la douleur fibromyalgique, proposant – sans doute pour aider le patient – des traitements médicamenteux encore trop souvent voués à l’échec ou aggravant les troubles cognitifs et de la concentration.
En raison des délais d’attente, de leur capacité d’accueil et de leurs moyens financiers, ces centres ne peuvent accueillir qu’un faible nombre de malades fibromyalgiques ; la plupart d’entre eux, ne disposent pas de financements suffisants pour proposer aux patients des traitements non médicamenteux, pourtant reconnus pour leur efficacité sur la gestion de la douleur.
Concernant la possibilité de raccourcir le temps d’attente en fonction de la sévérité des cas, nous apportons notre expérience de patients au projet de « coupe-file » de l’hôpital Cochin. Nous participons aussi à un groupe d’experts pour l’évaluation de la douleur chronique.
Malheureusement, les médecins généralistes, malgré les recommandations professionnelles, ne dirigent pas toujours les malades diagnostiqués fibromyalgiques vers une structure d’évaluation et de prise en charge de la douleur chronique, en raison semble-t-il d’une méconnaissance de la compétence de ces structures dans la fibromyalgie, mais aussi parce qu’ils croient que le caractère « non grave » de cette pathologie ne permet pas aux patients d’être admis dans les centres anti-douleur.
Nous réalisons une enquête sur le comportement des fibromyalgiques vis-à-vis des médicaments, des CETD et de l’éducation thérapeutique. Nous en présenterons les résultats lors du congrès de la SFETD en novembre prochain. Nous disposerons alors d’éléments concrets et chiffrés – nous attendons un millier de réponses environ – que nous vous transmettrons, car nous posons ces questions : le patient a-t-il été envoyé vers un centre anti-douleur, et sinon, pourquoi ?
Il faut aussi parler de l’espoir que représente pour nous la récente inscription de la douleur dans la nouvelle loi de modernisation de notre système de santé. Nous avions été auditionnés par Mme Bernadette Laclais et M. Gérard Bapt. L’article 92 de cette loi prévoit des « projets d’accompagnement », et nous commençons à réfléchir à un projet pilote ; la loi aborde par ailleurs la prévention de la douleur, donne un rôle central au médecin généraliste et souligne la nécessité d’équipes de soins dédiées au soulagement de la douleur. Tout cela est pour nous capital.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Avez-vous d’autres observations à faire ?
Mme Carole Robert. J’aimerais dire quelques mots en conclusion.
Reconnaître et prendre en charge rapidement la douleur du fibromyalgique, ainsi que la fatigue et les autres troubles associés, éviterait le risque important de chronicité, les écueils d’une prise en charge médicamenteuse, une errance médicale et de nombreux examens coûteux, une perte d’emploi pour des patients en activité, des conséquences psycho-sociales importantes…
La réalisation d’un référentiel destiné aux médecins-conseils et aux médecins experts est hautement nécessaire. Reprendre l’outil d’information sur le handicap du fibromyalgique auquel nous avions participé à la demande de la CNSA serait une étape importante.
Il faudrait consacrer plus d’heures, dans les cursus des professions médicales, paramédicales et sociales, à la prise en charge de la douleur, et donner toute leur place aux spécialités de médecine interne et d’étude de la douleur. Il faudrait également mener des actions de sensibilisation des médecins-conseils et des médecins du travail.
À la suite de la loi de modernisation de notre système de santé, il faut donner les moyens aux centres d’étude et de traitement de la douleur de réaliser leurs objectifs, tant auprès des adultes que des enfants. Il faut également renforcer les missions du médecin généraliste, à qui il incombera de coordonner les soins avec les structures spécialisées, et créer des équipes de professionnels de santé afin de permettre une prise en charge décloisonnée grâce au partage de données sur le patient – sans oublier d’intégrer les patients et les associations dans la construction de programme d’éducation thérapeutique spécifiquement consacrés à la douleur.
Je vous remercie.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Merci d’être venue nous rencontrer. Vous pouvez, si vous le désirez, nous apporter des compléments d’information par écrit.
Audition de M. Benoit Vallet, directeur général
et de Mme Elisabeth Gaillard, adjointe au chef du bureau des maladies chroniques non transmissibles, à la Direction générale de la santé
du Ministère des affaires sociales et de la santé
(Procès-verbal de la séance du mardi 21 juin 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je souhaite la bienvenue à M. Benoît Vallet, directeur général de la santé, et à Mme Élisabeth Gaillard, adjointe au chef du bureau des maladies chroniques non transmissibles.
Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions, qui sont donc ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Benoît Vallet et Mme Élisabeth Gaillard prêtent serment.)
M. Benoît Vallet, directeur général de la santé. La fibromyalgie est une pathologie aujourd’hui mal identifiable. Pour la décrire, je me fonderai ce matin sur deux sources documentaires : le rapport de l’Académie nationale de médecine publié en 2007 et le rapport d’orientation publié par la Haute Autorité de santé (HAS) en 2010. Je m’appuierai également sur d’autres publications et sur la fiche disponible sur « Orpha.net », site consacré aux maladies rares.
À vrai dire, la fibromyalgie n’est pas une maladie rare. Une maladie rare a, en effet, une prévalence – puisqu’il s’agit d’une affection de longue durée, nous parlons en effet de l’ensemble des cas que l’on peut rencontrer chaque année, et non seulement des nouveaux cas – qui oscille entre un, ou moins de un, à cinq individus pour 10 000 personnes. Or la fibromyalgie touche aujourd’hui entre 2 et 5 % de la population. Il ne saurait donc s’agir d’une maladie rare.
Outre ces éléments d’information, je dispose de mon expérience de médecin anesthésiste-réanimateur, d’ancien responsable – jusqu’en 2012 – d’un centre anti- douleur, de président de la commission médicale d’établissement et de chef du pôle d’anesthésie-réanimation du centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille. Sur les 5 000 à 8 000 patients accueillis chaque année dans le centre anti-douleur dont j’avais la charge, quelque 10 % étaient atteints de fibromyalgie. J’ai donc une expérience de la prise en charge de cette maladie et de son accompagnement thérapeutique. Je suis également titulaire d’un diplôme universitaire ayant pour objet la douleur : à l’époque, il ne s’agissait pas encore de diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC). Ce sujet a été pour moi une préoccupation personnelle.
Si nous retenons d’abord l’approche clinique, nous dirons que la fibromyalgie touche d’abord les femmes. À Lille, elles représentent 90 % des consultations. Celles-ci font apparaître les notions d’épuisement, de surmenage et d’intensité de la vie, qu’elle soit professionnelle ou conjugale. L’anamnèse révèle parfois une histoire personnelle marquée par la maltraitance et la violence, la notion de viol n’étant pas absente des antécédents de ces patientes. On a le sentiment que, pour elles, l’épuisement physique et les douleurs musculaires vont au-delà du tolérable : la notion de surmenage professionnel (burn-out) est très présente.
Cela se retrouve dans la description de la pathologie. Elle associe un syndrome, c’est-à-dire une entité clinique qui n’est pas rattachée à une maladie, en l’occurrence un syndrome polyalgique, soit au niveau des articulations, soit au niveau des masses musculaires elles-mêmes, à des troubles fonctionnels variés, qu’il s’agisse de troubles du transit ou du sommeil, à des difficultés de concentration, à une incapacité à trouver le repos, en un mot à des difficultés de se régénérer.
Sur le plan du diagnostic en tant que tel, les médecins évoquent, en suivant la description et la reconnaissance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), puis de la nosologie classique, dix-huit points de douleur musculaire ou articulaire spécifiques à rechercher. Dans la pratique clinique courante, il apparaît assez illusoire de vouloir retrouver une douleur systématisée sur tous ces points, faute de quoi l’on considérerait que la fibromyalgie n’est pas caractérisée. On ne retient donc guère la notion de seuils à analyser.
En réalité, ce qui est très important, c’est que le tableau dont j’ai parlé coïncide avec l’absence d’autres signes. Il s’agit d’une pathologie ou d’une situation syndromique où sont éliminées d’autres responsabilités, marquées, par exemple, par la notion d’inflammation. Dans la fibromyalgie, il n’y a pas d’inflammation. On ne retrouve pas d’éléments biologiques laissant penser que la personne concernée peut avoir une affection rhumatoïde.
J’évoque la phase initiale de prise en charge, car on considère qu’il faut de trois à six mois de syndromes polyalgiques continus pour reconnaître une fibromyalgie. Mais ils peuvent apparaître dans un contexte inflammatoire ou dans un contexte de maladie relevant de la médecine interne, dans la direction des polyarthrites rhumatoïdes ou des anticorps lupus. Le diagnostic de la fibromyalgie est donc aussi un diagnostic d’élimination des pathologies qui peuvent se présenter avec leurs classiques signes polyalgiques. Car l’hyperthyroïdie ou l’hypercalcémie peuvent aussi donner des anomalies de ce type-là. Le diagnostic peut donc être établi à partir de la recherche de marqueurs dont on considère qu’ils ne doivent pas être présents.
La prise en charge reprend les éléments essentiels de l’approche diagnostique et suit trois grandes orientations : vient d’abord la prise en charge pharmacologique, qui ne doit pas être isolée – il ne s’agit pas seulement de prescrire des antiépileptiques ou des antidépresseurs – ; ensuite, l’axe thérapeutique psychologique est très important, étant donné les traumatismes qui peuvent être à l’origine de la fibromyalgie, ou en tout cas présents dans son contexte d’expression ; enfin, la prise en charge physique peut passer par la balnéothérapie ou un accompagnement au retour à l’activité physique pour les personnes qui ont cessé d’en faire, voire qui se trouvent sérieusement handicapées – certaines viennent consulter en fauteuil roulant. La nomenclature de la prise en charge par l’assurance maladie ne reconnaît que des actes très classiques, mais ce n’est pas la kinésithérapie qui est nécessaire à ces patients. De même, la prise en charge psychologique n’est pas non plus remboursée, alors qu’elle apporte une importante contributive à l’action thérapeutique.
Si l’on revient à la pharmacologie, deux grands types de prise en charge existent aujourd’hui, soit par des antiépileptiques, tels que le Neurontin ou le Lyrica, spécialités qui n’ont pas nécessairement été développées pour ce type de prise en charge, soit par des antidépresseurs, la dépression faisant partie du tableau symptomatique ou du tableau réactionnel à cette symptomatologie polyalgique : on imagine assez aisément que le contexte dans lequel apparaît la fibromyalgie, associé ou alternant avec les conséquences d’une situation handicapante, amène à un tableau où l’anxiodépression est présente. Des molécules qui inhibent le recaptage de la sérotonine ou de la noradrénaline peuvent alors fournir un apport intéressant. Des antidépresseurs classiques comme l’Effexor, le Cymbalta ou l’Ixel sont donc proposés.
Il est très important que la patiente ou le patient adhère au traitement proposé. L’effet placebo est très important. Dans ce contexte, le fait d’adhérer à un traitement est essentiel pour que la thérapeutique fonctionne. Voilà quelques éléments de la prise en charge classique, tant sur le plan du diagnostic que sur le plan thérapeutique.
Mais il y a eu aussi des tentatives thérapeutiques, comme nous en avons testé à Lille. Dans ma spécialité, l’anesthésie-réanimation, on dispose d’antalgiques puissants. Laissons de côté la morphine qui, dans ce contexte, n’est pas vraiment adaptée ni très efficace. En revanche, la kétamine est un anesthésique de contact qui est à la fois sédatif, quoique pas trop fortement, et actif sur le plan périphérique. Des travaux ont montré qu’elle pouvait avoir un intérêt dans les douleurs dites neuropathiques, c’est-à-dire dans des douleurs qui ne sont pas des douleurs essentielles, telles que celles que l’on peut avoir à l’occasion d’un choc ou d’un traumatisme, mais qui sont des douleurs auto-entretenues. Il y a donc eu des tentatives de prise en charge par la kétamine. Mais elles ne sont pas très simples, car ces médicaments s’administrent par la voie parentérale, c’est-à-dire soit par une injection intraveineuse, soit par une injection intramusculaire. Ce n’est donc pas un traitement que l’on peut prendre de manière régulière. En revanche, lorsque l’efficacité a été constatée, elle l’est sur plusieurs mois : cette administration unique a des effets rémanents sur plusieurs mois.
Tels sont les éléments cliniques, biologiques et thérapeutiques relatifs à la fibromyalgie. Elle ne reste plus aussi marquée en termes d’errance de diagnostic qu’elle a pu l’être par le passé. Grâce aux centres anti-douleur, les personnes concernées trouvent plus vite une prise en charge. Ce mal comporte en effet un élément de stigmatisation et de non-reconnaissance. C’est un élément très clair de la souffrance de ces personnes, comme le revendiquent les associations que nous rencontrons régulièrement à la direction générale de la santé.
Sur cette pathologie, beaucoup de connaissances restent à recueillir. À ce titre, la direction générale de la santé a passé une convention avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pour réaliser une expertise collective, c’est-à-dire une synthèse des connaissances sur le sujet. Le rapport devrait être remis en décembre 2017. Vous connaissez sans doute le mécanisme de ces expertises collectives : des experts du domaine, dans différents champs disciplinaires, font une analyse de la littérature scientifique disponible. Nous avons demandé que leur champ d’exploration couvre les années 2010 à 2015, pour disposer des données les plus récentes. L’une de nos questions porte en particulier sur des éléments de diagnostic qui pourraient être renforcés, certains chercheurs fondant quelques espoirs sur l’imagerie neuro-fonctionnelle.
Le rapport de la Haute Autorité de santé date de 2010, mais, au regard des connaissances que nous possédons aujourd’hui, il reste d’actualité. Il n’est cependant pas impossible que, au vu des résultats de l’expertise collective de l’INSERM, nous soyons amenés à solliciter à nouveau la HAS, pour qu’elle mette à jour des éléments de prise en charge et d’accompagnement thérapeutique.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Qu’entendez-vous par « solliciter à nouveau la HAS » ?
M. Benoît Vallet. Si jamais l’expertise collective de l’INSERM devait faire apparaître des points de désaccord entre ce qui est disponible dans le champ des connaissances et ce que la HAS a produit en 2010, il serait légitime de la solliciter à nouveau pour de nouveaux référentiels et de nouvelles recommandations de prise en charge.
M. le rapporteur. Quel est le nombre de personnes diagnostiquées fibromyalgiques en France et dans les pays occidentaux ? Avez-vous constaté une augmentation de la prévalence depuis une dizaine d’années ? Des études épidémiologiques ont-elles été menées ?
M. Benoît Vallet. L’identification des fibromyalgies est sans doute plus importante aujourd’hui. La prévalence de la pathologie augmente à tout le moins en apparence. Peut-être cela est-il dû au fait que l’errance diagnostique s’est réduite et que le temps de repérage diagnostique s’est raccourci de plusieurs années à quelques mois. La meilleure identification de la pathologie peut ainsi amener à une augmentation de la prévalence. Mais il peut aussi y avoir des facteurs extérieurs qui expliqueraient cette augmentation.
Toujours est-il que, en France, entre 2 % et 5 % de la population sont concernés. Ces données sont cohérentes avec celles qui sont disponibles pour d’autres pays européens. En Espagne, en Italie, cette proportion avoisine les 2 % à 3 %. Nous sommes donc assez proches de ces pays en termes d’observation, avec une part principale qui est féminine. Dans la mesure où entre 600 000 et 700 000 personnes sont touchées en France, la fibromyalgie est autre chose qu’une maladie rare, étant entendu qu’une maladie rare atteint, à l’échelle de notre pays, 50 000 personnes au maximum.
M. le rapporteur. Dans le rapport de la Haute Autorité de santé, il est écrit qu’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Qu’en pensez-vous ?
M. Benoît Vallet. En termes de remontée de l’information et d’identification de besoins, il y a toujours plusieurs possibilités. Dès qu’un besoin pharmacologique nouveau s’exprime, les industriels travaillent à l’identification de la nouvelle pathologie pour satisfaire une nouvelle demande. On pourrait dire la même chose des associations, mais elles ne sont pas mues par l’intérêt économique, à moins d’imaginer qu’elles soient armées par le monde industriel. Je pense toutefois que le nombre de personnes concernées permet d’écarter cette hypothèse. Cependant, dans le contexte d’une pathologie qui n’est pas une maladie avec un déterminant connu et une symptomatologie clairement identifiée, l’extension à des symptomatologies de voisinage intercurrentes de ce que pourrait être la réalité de la fibromyalgie reste une préoccupation importante.
La précaution essentielle est de ne pas passer à côté d’une pathologie rattachable à une situation clinique différente, d’origine inflammatoire ou métabolique, et qui mérite immédiatement le traitement qui lui est propre et permet de régler la question plus ou moins rapidement – les pathologies rhumatoïdes n’étant pas si simples à régler, quoique l’évolution de l’arsenal thérapeutique des anticorps monoclonaux ait tout de même permis de régler plus d’une situation compliquée. Ce n’est malheureusement pas le cas de la fibromyalgie, pour laquelle les traitements sont moins immédiatement adaptés à une source pathologique qui n’est pas identifiée aujourd’hui.
En outre, il n’y a pas de médicament spécifique. Cela ne signifie cependant pas que les industriels ne sont pas assez habiles pour imposer leurs vues. Mais convenons qu’il n’y a pas eu d’arsenal thérapeutique spécialement développé pour cela.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Vous dites que seules 600 000 à 700 000 personnes sont touchées en France. Nous avons entendu qu’il y en aurait plutôt 2 millions, ce qui correspond mieux aux 2 à 5 % de la population que vous annoncez aussi. Le chiffre est important, car il conditionne le degré d’intérêt que les pouvoirs publics peuvent porter à la fibromyalgie.
Nous avons également recueilli des témoignages sur l’errance médicale, du fait des nombreuses réticences du corps médical à rechercher en direction de ces syndromes ou symptômes. Tous ces témoignages allaient dans le même sens. Les gens concernés étaient presque rejetés par la médecine de premier recours. Aussi votre rôle est-il bien de faire admettre cette pathologie.
Les témoignages que nous avons recueillis étaient chargés d’émotion. Rejetés par leur médecin, par la société, voire par leur famille, les gens s’enferment et sombrent dans la dépression. Une vraie douleur, une vraie souffrance se fait jour. Les centres anti-douleur ne constituent d’ailleurs pas la panacée : ils ne sont pas équitablement répartis sur le territoire, de sorte que ces personnes ont des difficultés pour s’y rendre. Elles ne peuvent parfois pas se déplacer seules, conduire un véhicule ou simplement être accompagnées.
M. Benoît Vallet. L’errance de diagnostic contribue aux approximations sur la prévalence exacte de la pathologie. Nous avons demandé à l’expertise d’approfondir les éléments de prévalence, ce qui pourrait nous aider, quitte à nous orienter vers une recherche épidémiologique plus construite, en nous appuyant à la fois sur la caractérisation de ce qui est recherché et sur une méthodologie permettant d’établir les chiffres les plus exacts et les plus conformes à la réalité relativement au nombre de personnes présentant le tableau de fibromyalgie.
Une fois réalisée cette expertise, il faudra introduire dans les éléments d’identification la contribution des médecins de l’ambulatoire. En fait, la stratégie de dépistage passe par eux. Les personnes ne viennent à la consultation de la douleur qu’après avoir été orientées vers elle par des médecins généralistes qui ont analysé que ces douleurs sont anormalement persistantes, qu’elles ne s’inscrivent pas dans un contexte expliqué par des symptômes se rencontrant dans des pathologies identifiables. Elles s’orientent alors progressivement vers la consultation de la douleur. Mais une partie échappe encore à la filière de diagnostic.
Il y a donc un important travail à faire, que l’on pourrait d’ailleurs rattacher au travail plus large de dépistage et de santé populationnelle des médecins généralistes. De ce point de vue, notre pays a quelques progrès à accomplir. La direction générale de la santé œuvre pour que la médecine de premier recours porte une attention plus marquée à la santé populationnelle et au dépistage des troubles psychoaffectifs, qui sont nombreux.
La notion de santé populationnelle repose sur l’idée que, au-delà de la relation classique médecin-malade, le praticien a aussi une responsabilité vis-à-vis d’un territoire et de sa population. Il doit ainsi se préoccuper de la qualité de la couverture vaccinale ou du dépistage de divers désordres psychoaffectifs – par exemple des anomalies d’apprentissage chez l’enfant, qui peuvent être signe d’autisme –, qu’il est important de déceler précocement. On voit, dans ce contexte, l’intérêt que représente le développement de l’exercice en maison pluridisciplinaire.
Dans le cas de la fibromyalgie, il serait tout aussi souhaitable que le dépistage soit plus précoce. L’expertise collective nous apportera sans doute des informations plus précises sur la prévalence de la maladie et sur les moyens de conduire une épidémiologie plus ferme.
M. le rapporteur. Vous utilisez beaucoup le mot de « maladie ». Ce n’est pas toujours le cas chez les personnes que nous entendons.
M. Benoît Vallet. En vérité, ce n’est pas forcément une maladie, mais plutôt un syndrome. Une maladie a une source identifiable sur le plan de la pathologie, comme une thyroïde qui, fonctionnant anormalement, démultiplie une production hormonale source d’anomalies fonctionnelles et de symptômes. On peut éventuellement la corriger en ralentissant le problème d’origine, en l’occurrence l’hyperthyroïdie. Dans le cas de la fibromyalgie, il n’y a pas de déclencheur connu ni de cible identifiable. C’est pour cette raison qu’Élisabeth Gaillard me soufflait tout à l’heure qu’il n’y a pas de médicament spécifique. Nous sommes en face d’un cortège ou concours de symptômes, ce que l’on appelle un syndrome. Disons que la fibromyalgie est une pathologie syndromique.
La fibromyalgie s’inscrit dans la lignée des syndromes polyalgiques. Le patient peut y entrer par deux portes. Soit il y entre par le biais d’une pathologie associée, lorsqu’une pathologie rhumatoïde amène un conflit immunitaire au niveau des articulations qui se traduit par des inflammations ou de la douleur. La recherche diagnostique permet alors d’identifier les éléments qui caractérisent la maladie en question, peut-être par exemple la polyarthrite rhumatoïde, quoique le cortège de symptômes apparente ce que vous observez initialement à un syndrome polyalgique. Soit vous rencontrez ces polyalgies indépendamment de toute cause identifiable, comme c’est le cas pour la fibromyalgie, qui n’est ni maladie de médecine interne ni pathologie de la lignée rhumatoïde. Vous vous trouvez alors devant un syndrome fibromyalgique. Cela reste un syndrome, car ce n’est pas une maladie ou une pathologie en tant que telle.
Mme Annie Le Houerou. Qu’il s’agisse d’un syndrome ou d’une maladie, peu importe en fait au patient. Ce qui compte pour lui, c’est la prise en compte de son état et sa prise en charge. Chacun convient, pour le reste, qu’un faisceau d’indices conduit à caractériser la fibromyalgie comme syndrome.
Indépendamment de la méthode diagnostique, comment les patients peuvent-ils être pris en charge ? Envisage-t-on de considérer la fibromyalgie comme une affection de longue durée (ALD) ? Serait-il possible que des médecines qui soulagent, telles que l’acupuncture ou l’ostéopathie, puissent être reconnues et remboursées ? Les patients se heurtent en effet souvent à des difficultés pour faire face à leurs dépenses de santé.
Sachant que l’exercice physique et la vie professionnelle sont de nature à équilibrer la vie de ces patients, comment concilier leurs douleurs avec la pratique d’un métier ? Une reconnaissance de cette maladie rendrait plus aisés des aménagements du temps de travail tels que le mi-temps thérapeutique. Nous réfléchissons à une évolution de statut qui permette une meilleure prise en compte de la fibromyalgie.
M. Benoît Vallet. Affecté par un mal handicapant dans sa vie personnelle et professionnelle, le patient est écarté de fait de ce qui serait pourtant indispensable à son bien-être et à sa pleine réalisation. Si, en outre, il s’entend dire que ce mal n’existe pas, il vit un véritable drame. Il est donc très important de l’amener dans un centre anti- douleur. Dans ce contexte de prise en charge, l’analyse des différents éléments contributifs au traitement est conduite de manière très rationnelle, grâce à une consultation pluridisciplinaire. Cela donne au patient un élément de reconnaissance de la symptomatologie et des moyens de traitement.
C’est un point important pour préparer le retour à une activité physique normale, qui offre une partie de la réponse. J’indiquais tout à l’heure que ce n’est pas tellement de kinésithérapie qu’ont besoin ces patients, mais plutôt du retour à une activité physique douce et plus régulière, par exemple la balnéothérapie. Mais cela n’est pas pris en charge ; la kinésithérapie est d’ailleurs prescrite pour cette raison même.
Nous nous trouvons ainsi dans un paradoxe de remboursement et de prise en charge. C’est plutôt la direction de la sécurité sociale que vous devrez interroger sur le sujet. De notre côté, nous menons un travail important pour la reconnaissance de certaines prises en charge. Je parlais tout à l’heure de la psychologie, qui n’est pas plus reconnue pour la fibromyalgie que pour d’autres pathologies. Elle éviterait pourtant le recours à des médicaments de la lignée des neuroleptiques ou des psychotropes. Nous nous préparons d’ailleurs à limiter le recours aux benzodiazépines, qui représente un fléau dans notre pays.
Vous avez également évoqué la question de l’affection de longue durée. À la suite de l’adoption d’un amendement de Mme Valérie Fourneyron à la loi de modernisation du système de santé, l’accompagnement à une activité physique prescrite dans le cadre des ALD pourra avoir lieu. Il serait intéressant de voir si l’on peut donner le statut d’ALD à la fibromyalgie, pour que les patients atteints de cette maladie puissent bénéficier du dispositif.
Nous-mêmes sommes assez favorables à la prise en compte d’actes thérapeutiques qui ne relèvent pas strictement de la pharmacopée. Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra pas les utiliser tout au début : même si les personnes ne sont pas déprimées, la situation peut conduire à des manifestations qui appartiennent à la lignée anxio-dépressive, nécessitant une thérapeutique de quelques semaines ou de quelques mois, par ce type de traitement. Mais cela ne suffit pas à leur prise en charge.
Vous avez évoqué l’acupuncture. Comme d’autres formes de prise en charge, elle est valable pour autant qu’elle est rendue acceptable pour le patient, qu’il l’ait choisie et qu’elle marche. Dans ce contexte, ce qui est surtout important est l’adhésion de la personne à une forme de prise en charge thérapeutique.
Les centres anti-douleur, et l’approche pluridisciplinaire des prises en charge qui en est la marque distinctive, doivent être au centre du dispositif. L’accompagnement psychologique et l’accompagnement de l’activité physique sont essentiels. Ils doivent donc pouvoir faire partie d’une prise en charge globale et, pourquoi pas, d’un remboursement.
Mme Florence Delaunay. Le choix entre la dénomination de maladie ou de syndrome peut n’avoir pas d’importance pour les personnes qui souffrent, mais il a beaucoup d’intérêt pour nous. Je crois que la reconnaissance du syndrome d’Ehlers-Danlos connaît les mêmes difficultés que celle de la fibromyalgie. Vous avez évoqué les errances en matière de diagnostic. On peut s’interroger sur le nombre exact de personnes atteintes.
Comment bien traiter la fibromyalgie si elle n’est pas reconnue comme maladie ou qu’elle est mise au nombre des maladies rares ? Quelle est la différence entre une maladie et un syndrome au niveau des moyens accordés, au niveau de la recherche et au niveau de la prise en charge ? Le flou profite à des actions des associations de patients qui ne clarifient pas le débat, mais poussent en faveur d’une thérapeutique qui colle aux syndromes.
M. le rapporteur. Dans le domaine de la formation des médecins, qu’est-il prévu relativement à la fibromyalgie ?
M. Benoît Vallet. Ce n’est pas parce que nous ne savons pas aujourd’hui que nous ne saurons pas demain ce qu’est cette entité que nous peinons à définir en termes d’origine physiopathologique : ce qui fait toute la différence entre la fibromyalgie et les pathologies qui se présentent comme des syndromes polyalgiques, c’est en effet qu’on n’a pas compris, physiopathologiquement, ce que cela voulait dire, c’est-à-dire que l’on ne sait pas quelle lésion est responsable de cette douleur et, le cas échéant, comment la dépister. Mais ce n’est pas parce que l’on n’a pas compris que cela n’existe pas. Au XIXe siècle, l’épilepsie était définie comme une maladie psychiatrique. De quoi parle-t-on, aujourd’hui, lorsque l’on parle de psychiatrie ? De problèmes de neurosciences ou de la vision de certaines écoles qui s’intéressent au langage et à la représentation ? Il faut donc poursuivre l’effort de recherche. L’expertise collective s’attachera à voir quelles lignes de recherche promouvoir, qu’il s’agisse d’une recherche appliquée pour une meilleure prise en charge ou d’une recherche sur la physiopathologie de la fibromyalgie. Il ne faut donc pas méconnaître les efforts accomplis et céder à l’idée que l’on serait passé à côté d’un problème que l’on n’identifie pas correctement.
La formation peut être initiale ou continue. Dans le cadre du développement professionnel continu (DPC), il convient de distinguer la fibromyalgie des syndromes polyalgiques dont la cause est identifiable, traitable et curable rapidement, de manière radicale ou non. La formation est toujours à parfaire sur le plan de l’identification diagnostique.
Pour les médecins généralistes, il y a sans doute un besoin de renforcer et d’améliorer la prise en charge ambulatoire de la douleur, sur la lignée des pathologies à composante psychoaffective lourde, voire de renforcer le repérage d’un certain nombre d’éléments de la lignée autistique ou d’autres. Un gros renforcement doit avoir lieu sur les orientations de formation. La direction générale de la santé s’y consacre depuis un an et demi aux côtés de la conférence des doyens et de Benoît Schlemmer, responsable de la réforme du troisième cycle des études médicales.
En matière de santé populationnelle, l’accent devrait être plus marqué en médecine ambulatoire pour le repérage. La direction générale de la santé n’a pas la responsabilité de la formation, qui incombe à la direction générale de l’offre de soins, en liaison avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mais nous pouvons donner des éléments d’orientation sur les enjeux de formation.
Cela nous ramène à la question posée à l’expertise collective relativement à la prévalence exacte de la fibromyalgie. La réponse passera par une meilleure identification des personnes qui ne vont pas consulter au-delà d’une première visite chez un médecin n’ayant pas su diagnostiquer leur pathologie et qui restent ignorées du tableau général de la prévalence de la fibromyalgie. Sans pouvoir répondre plus précisément, j’abonde cependant dans votre sens, mais il ne faut pas négliger deux précautions : il faut continuer à accompagner la recherche pour éviter de passer à côté d’une pathologie qui serait identifiable comme syndrome polyalgique et relèverait donc d’un traitement ciblé ; il faut renforcer la formation pour permettre un dépistage plus précoce.
M. Arnaud Viala. On ne peut exclure, dites-vous, que la fibromyalgie ait des causes psychologiques ou psychiatriques, mais la recherche prend-elle en compte les paramètres environnementaux, au sens large, en étudiant des éléments récurrents qui pourraient représenter autant de facteurs d’apparition des troubles ? Au lieu d’énumérer des symptômes, ne peut-on se pencher sur des causes ?
M. Benoît Vallet. Vous m’interrogez sur l’environnement comme déterminant sous-jacent de la fibromyalgie, et sur la relation entre santé et environnement. C’est revenir à l’idée d’une médecine davantage tournée vers la santé populationnelle. Il faut rechercher les analogies entre plusieurs cas relevés par un médecin de l’ambulatoire lorsqu’ils peuvent avoir un déterminant purement environnemental : il peut s’agir d’un produit libéré dans l’environnement, d’une source de contamination exogène… Ce point n’est pas encore bien inscrit aujourd’hui dans le programme de formation. La conférence des doyens est en train de réformer aussi le deuxième cycle pour y introduire des connaissances en santé et environnement qui ne sont pas enseignées pour l’instant. Elles devront amener le médecin à s’interroger, lorsqu’il se trouve face à une pathologie présentée par plusieurs de ses patients, sur une éventuelle source environnementale.
Ainsi, quand on étudie la potabilité de l’eau dans des régions de France assez isolées sur le plan géographique, comme le Massif central, on constate que, plus on s’approche de zones dépeuplées, moins les techniques de contrôle de la potabilité sont industrialisées. Les sources captantes peuvent même ne pas être protégées. Le contrôle de l’eau y est organisé grâce à l’action d’élus de terrain très méritants, mais ses normes ne sont pas celles en vigueur à Paris. Les risques sont certes différents, mais la proximité d’un élevage favorise parfois l’apparition de troubles digestifs épars. Un médecin généraliste qui constate cinq ou six intoxications alimentaires apparentes doit se poser la question de l’implication de l’eau de la commune dans les symptômes qu’il observe. Cette préoccupation environnementale n’entre pas dans le domaine classique des responsabilités d’un médecin généraliste. Il n’en reste pas moins – cet exemple concret le prouve – qu’elle doit être plus présente dans la formation des futurs médecins. Certes, il n’y a pas de spécialité environnementale en troisième cycle. Il paraît cependant indispensable que tous les professionnels du soin y reçoivent une formation en santé publique et en identification des déterminants populationnels.
On ne peut en tout cas exclure que des causes environnementales – qui resteraient à déterminer – soient à l’origine de la fibromyalgie. Dans ce même ordre d’idées, d’autres préoccupations se font jour. Par exemple, certaines malformations congénitales ne sont-elles pas rattachables à des causes environnementales ? Nous étudions le sujet en dépouillant les registres nationaux disponibles. Certaines malformations progressent chaque année. On explique le phénomène par l’augmentation de l’âge à la procréation, mais il peut y avoir d’autres raisons. Cela relève de la surveillance nationale : nous devons être vigilants, et prudents dans l’interprétation de divers syndromes qui peuvent sembler liés à des éléments de la vie psychoaffective, mais qui peuvent aussi être liés à des sources plus conventionnelles, telles que des déterminants environnementaux. Nous devons rester toujours en alerte.
M. le rapporteur. Je reste néanmoins sur ma faim, s’agissant de la question de notre collègue Florence Delaunay. Il me semble qu’un certain flou est entretenu sur ce syndrome et sur son origine. N’y aurait-il pas un dysfonctionnement de l’organisme que nous n’aurions pas encore découvert et qui provoquerait cette maladie ? Si l’on ne cherche pas plus profondément, on risque de tourner en rond.
Par ailleurs, les programmes nationaux de lutte contre la douleur présentent-ils un intérêt pour la prise en charge des patients atteints de fibromyalgie ? Quelles sont les raisons pour lesquelles le programme national de lutte contre la douleur 2013-2017 n’a pu être mis en place ?
M. Benoît Vallet. Je crois en effet que nous devons rester humbles et continuer à chercher. Je vous renvoie sur ce point aux orientations de recherche qui seront issues de l’expertise collective commandée à l’INSERM. Il faudra les suivre de très près. Car, vous avez raison de le souligner, des éléments nous échappent peut-être encore aujourd’hui.
Les voies thérapeutiques les plus appropriées pour une prise en charge quotidienne doivent également être explorées. Il y a aussi, sans doute, des éléments de la lignée sociologique à faire évoluer : les recherches que nous menons ne sont pas assez marquées des sciences humaines et sociales. S’agissant tant des déterminants que du ressenti de la fibromyalgie, il y a du travail à faire, par exemple, sur la notion de stigmatisation. La fibromyalgie n’est reconnue que depuis quelques années.
En ce qui concerne le plan de lutte contre la douleur, le ministère a souhaité marquer un temps d’arrêt, dans le contexte de la stratégie nationale de santé qui englobe les différents plans. Mais il ne faut pas exclure qu’il puisse être repris avec quelques axes prioritaires, dont la fibromyalgie. Ce n’est cependant pas l’orientation actuelle. Le programme national de lutte contre la douleur n’est pas mort, mais il est en suspens.
J’évoquais tout à l’heure le diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) de la douleur. Dans le cadre de l’évolution des diplômes, un certain nombre de spécialités ont été confirmées, tandis que d’autres sont désormais appréhendées comme des compétences transverses faisant l’objet de formations spécifiques transversales (FST). Le traitement de la douleur doit en effet joindre des spécialités variées – médecine générale, orthopédie, rhumatologie –, voire des disciplines plus éloignées comme l’anesthésie-réanimation ou la cancérologie, qui ont vocation à prendre en charge au quotidien des douleurs importantes.
Mme Élisabeth Gaillard, adjointe au chef du bureau des maladies chroniques non transmissibles. Des travaux sont en effet en cours sur un futur plan de lutte contre la douleur ; ils sont pilotés par la direction générale des soins.
Notre bureau est concerné par cette thématique dans la mesure où nous travaillons sur la prévention des maladies chroniques, en poussant notre attention jusqu’à la question de la qualité de vie. Il est naturel que nous travaillions avec les associations qui font remonter les problèmes. Les médecins font ce qu’ils peuvent également. Notre bureau a donc demandé une expertise collective à l’INSERM. Mais nous comptons aller plus loin, en cherchant comment influer sur la recherche et sur la formation, ainsi qu’en nouant le dialogue avec la direction générale de la sécurité sociale relativement à la reconnaissance de la fibromyalgie comme affection de longue durée. Aujourd’hui, elle peut du moins déjà être prise en charge à 100 % en tant que traitement coûteux.
Dans la loi de modernisation du système de santé, des éléments relatifs à la douleur sont inclus. Le médecin traitant est placé au cœur de l’organisation des soins sur le territoire. Le « coupe-file de la douleur », même si le plan national de lutte contre la douleur est en suspens, est un sujet sur lequel les services continuent à travailler. La Société française d’étude et de traitement de la douleur est subventionnée pour établir un questionnaire destiné aux médecins qui sauront ainsi mieux diriger un patient vers un centre anti-douleur. La prise en charge qui a lieu dans ce type de centre ne relève d’ailleurs pas d’une médecine spécifique. On y apprend aussi aux patients à anticiper l’apparition de la douleur ou à pratiquer une activité qui les soulage. L’idée est d’aider les patients à gérer au mieux leur pathologie.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Madame, monsieur, je vous remercie.
Audition de M. François Godineau, chef de service, adjoint au directeur, de Mme Marine Jean-Baptiste, interne de santé publique et de Mme Marie Seval, conseiller médical, à la Direction de la sécurité sociale
du Ministère des affaires sociales et de la santé
(Procès-verbal de la séance du mardi 21 juin 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous allons maintenant procéder à l’audition, ouverte à la presse, de M. François Godineau, chef de service adjoint au directeur de la sécurité sociale. Il est accompagné de Mme Marine Jean-Baptiste, interne de santé publique, et de Mme Marie Seval, conseiller médical, à la direction de la sécurité sociale.
Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. François Godineau, Mme Marine Jean-Baptiste et Mme Marie Seval prêtent serment.)
M. François Godineau, chef de service adjoint au directeur de la sécurité sociale (DSS) au ministère des affaires sociales et de la santé. Parce que nous sommes souvent confrontés à la détresse des personnes souffrant de fibromyalgie, qui peuvent avoir le sentiment que la direction de la sécurité sociale ne fait pas preuve d’une ouverture d’esprit suffisante à leur égard, je veux d’emblée souligner que nous abordons sans aucun a priori la situation de ces personnes. La DSS suit le dossier de la fibromyalgie dans le cadre d’une problématique plus vaste incluant l’évolution du système de santé, les difficultés que suscitent les nouvelles prises en charge et la nécessité de maîtriser les dépenses de santé.
Les personnes souffrant de fibromyalgie expriment deux attentes principales : d’une part, la reconnaissance des retentissements de cette affection sur leur état de santé et leur vie quotidienne et professionnelle, et d’autre part, la demande d’une meilleure prise en charge, en se voyant appliquer le statut de l’affection de longue durée (ALD), voire la reconnaissance d’une invalidité.
Nous recevons des demandes émanant de particuliers, mais aussi des questions écrites posées à l’Assemblée nationale ou au Sénat, ainsi que des courriers que nous adressent directement les parlementaires. Je crois savoir que M. le rapporteur a reçu récemment copie d’une lettre qui avait été adressée à Mme la ministre de la santé au sujet d’une situation particulière, et dont nous avons également été destinataires.
La DSS aborde la question de la fibromyalgie comme celle de l’ensemble des pathologies, c’est-à-dire en ayant à l’esprit une double préoccupation : garantir des soins de qualité et une prise en charge adaptée, coordonnée et efficiente, mais aussi et surtout permettre une limitation de la charge financière de l’assuré lorsqu’il est exposé à des dépenses coûteuses – ce qui est le cas des personnes atteintes d’une maladie chronique ou d’une maladie grave.
Il n’est pas aisé de procéder à un état des lieux s’agissant de la fibromyalgie, ce qui complique la prise de décisions en matière sociale : si le syndrome est désormais reconnu, il reste difficile à caractériser. La prévalence est documentée, mais avec d’assez fortes variations. Le Haut Comité médical de la sécurité sociale (HCMSS) avait estimé, il y a quelques années, que 600 000 personnes étaient touchées en France, et l’on retient plutôt le chiffre de 680 000 actuellement, pour une prévalence allant de 1 % à 5 % de la population
– le chiffre de 2 % étant celui cité le plus fréquemment lorsqu’on applique certains critères.
Les rapports de l’Académie nationale de médecine et de la Haute Autorité de santé (HAS), publiés respectivement en 2007 et 2010, ne nous ont pas permis de nous prononcer sur le coût des soins auxquels une personne atteinte de ce syndrome devrait faire face. Les consommations de soins de ces personnes ne sont pas documentées et, s’agissant du traitement des symptômes, il est souvent fait le constat que la dépense mise à la charge de l’assuré ne se caractérise pas, avant un certain terme, par un coût élevé pour la personne.
Reconnaître le syndrome de la fibromyalgie en l’inscrivant sur la liste des affections de longue durée implique d’objectiver le parcours de soins de la personne, l’évolutivité de sa situation, ainsi que les coûts engendrés. La mise en œuvre du mécanisme de l’ALD a un enjeu, consistant à permettre de limiter le « reste à charge » de l’assuré face à des dépenses coûteuses – c’est une caractéristique définie par le législateur, que l’on se réfère à la liste des trente affections de longue durée (ALD 30) ou au mécanisme dit « de la trente et unième maladie » (ALD 31). Le bénéfice de l’ALD implique de définir des critères qui, pour ce qui est de la liste des trente affections comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse, sont définis en annexe au code de la sécurité sociale en fonction d’un avis de la Haute Autorité de santé, et mis à jour périodiquement.
La fibromyalgie ne figurant pas sur la liste des ALD 30, sa prise en charge se fait, dans certains cas et sous certaines conditions, au titre de la trente et unième maladie, qui implique également des soins coûteux.
Je précise que la liste des ALD 30 n’est pas figée, en dépit de son appellation. J’en veux pour preuve que le décret qui en fixait la liste en 1974 ne comportait que vingt-cinq affections de longue durée, avec des libellés qui ne sont aujourd’hui plus usités, et que des mises à jour ont été régulièrement effectuées, notamment lorsqu’il s’est agi d’y inclure le traitement de la maladie d’Alzheimer. Si l’on devait considérer que le syndrome de la fibromyalgie constitue une pathologie justifiant, en raison de sa gravité et du coût de ses soins, d’être intégrée à la liste des ALD, cela impliquerait des modifications de niveau réglementaire de la liste, qui devraient être soumises à l’analyse de la HAS.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Les systèmes d’information vous permettent-ils d’estimer le coût de la fibromyalgie pour la protection sociale ?
Disposez-vous de données chiffrées relatives à la prescription de médicaments, aux consultations de généralistes et spécialistes, aux examens médicaux, aux transports sanitaires, aux séjours en centres antidouleur et structures hospitalières ou aux arrêts de travail ?
Quelles évolutions faut-il envisager pour parvenir à estimer le coût de la fibromyalgie ?
Enfin, avez-vous constaté que les personnes souffrant de fibromyalgie ont tendance à multiplier les consultations et les examens médicaux – IRM, scanners, analyses sanguines à répétition – et, le cas échéant, pensez-vous que, s’il pouvait être économisé, le coût de ce qu’il est convenu d’appeler l’« errance médicale » pourrait être plus utilement consacré à la recherche ?
M. François Godineau. L’état des lieux des systèmes d’information, ou du moins de leur utilisation, n’est pas satisfaisant. Le système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM) est l’une des composantes du système national des données de santé, créé par l’article 193 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Les passages dans les établissements de santé donnent lieu à une collecte de données dans le cadre du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et, à la rubrique « diagnostic », il est possible de saisir un code correspondant à la fibromyalgie dans la classification internationale des maladies.
Cela dit, la réussite de cette opération suppose un codage de bonne qualité par le corps médical, donc une bonne connaissance de la fibromyalgie, mais aussi et surtout une exhaustivité qui, il faut bien le reconnaître, est loin d’être atteinte
– dans de nombreux établissements hospitaliers, de grands progrès restent à accomplir en la matière. Par ailleurs, la médecine de ville ne donne pas lieu à un codage des pathologies. En effet, si la loi Teulade de 1993, relative aux relations entre les professions de santé et l’assurance maladie, a institué l’obligation de coder les pathologies, celle-ci n’est pas mise en œuvre en raison de difficultés d’ordre pratique : en ville, il n’est donc pratiqué qu’un codage des actes. La délivrance de tous les produits de santé donne lieu à un codage actif, de même que les analyses de biologie médicale, mais ces informations ne permettent pas à elles seules d’établir des données statistiques fiables sur la fibromyalgie, la complexité de l’approche de ce syndrome nécessitant que les données brutes soient confirmées par un véritable diagnostic.
Le système d’information permet de réaliser, à partir du repérage des patients ayant été enregistrés en milieu hospitalier comme diagnostiqués fibromyalgiques, un suivi de leurs dépenses médicales. En revanche, si certaines pathologies telles que le diabète ou l’hypertension permettent de caractériser, par des consommations spécifiques et documentées, des parcours de soins révélateurs, même en ville, il n’en est malheureusement pas de même de la fibromyalgie. Pour être complet, donc efficace, le système d’information devrait également se nourrir d’un codage des pathologies en ville, mais il est très difficile d’imposer aux professionnels de santé exerçant en dehors du cadre hospitalier de mettre en œuvre cette pratique de manière systématique lorsqu’ils codent leur facturation.
L’errance médicale est une thématique délicate, cette notion n’ayant jamais été démontrée, faute d’avoir été documentée. N’étant pas médecin moi-même, je m’en tiendrai à une observation : dans la mesure où l’approche du syndrome de la fibromyalgie se caractérise par la nécessité de faire établir des diagnostics d’élimination, il me semble qu’une personne pour laquelle on commence à évoquer ce syndrome va forcément être amenée à effectuer un parcours de soins destiné à permettre d’éliminer l’ensemble des causes qui pourraient être celles d’une autre pathologie. Dans ce sens, je ne pense pas que l’on puisse parler d’errance médicale – reste à savoir si les personnes atteintes de fibromyalgie ont, ou non, tendance à multiplier les consultations et les examens faute de pouvoir être diagnostiquées rapidement par leur médecin traitant, ce que je ne saurais dire.
Enfin, compte tenu de ce que je viens de vous dire au sujet de l’impossibilité de tracer avec précision les personnes souffrant de fibromyalgie, vous comprendrez que je ne sois pas en mesure de vous fournir une estimation du coût économique de cette pathologie.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Les témoignages de patients qui ont été portés à notre connaissance mettent en évidence des comportements s’apparentant à l’errance médicale, d’ailleurs à l’origine d’un sentiment de culpabilité chez les personnes concernées, qui se reprochent à elles-mêmes le coût pour la société, en particulier pour l’assurance maladie, de leur parcours médical : j’ai même entendu l’une de ces personnes faire la réflexion qu’un diagnostic plus rapide et précis permettrait de réaliser de sérieuses économies. Selon certains des médecins que nous avons auditionnés, il serait pourtant possible de procéder à un diagnostic rapide en soumettant les patients à un questionnaire – une méthode qui paraît si simple que l’on se demande pourquoi elle n’est pas mise en œuvre à grande échelle dans le cadre de la médecine de premier recours.
Nous sommes un peu étonnés d’apprendre que la médecine de ville ne donne pas lieu à un codage des pathologies. Pourriez-vous nous préciser ce qui s’y oppose ? S’agit-il de contraintes administratives ? En tout état de cause, la mise en œuvre d’un tel codage nous semblerait présenter un grand intérêt pour le budget de la sécurité sociale, mais aussi dans le cadre de la médecine populationnelle – un concept que vient de nous exposer le directeur général de la santé – qui, si elle était mise en œuvre, pourrait mettre en évidence que certains territoires sont plus concernés que d’autres par telle ou telle maladie.
M. François Godineau. Si le codage des actes s’est mis en place assez facilement – étant précisé que l’établissement de la classification commune des actes médicaux a tout de même pris quelques années –, ce qui s’explique en partie par le fait que la facturation des soins dépendait de sa bonne application, le principe du codage des pathologies dans le cadre de la médecine de ville, qui figure à l’article L. 161-29 du code de la sécurité sociale, se heurte effectivement à des difficultés d’application d’ordre pratique. D’une part, les généralistes sont confrontés à la difficulté d’établir un diagnostic avec certitude, d’autre part le codage implique le recours à une classification connue, dont le maniement est loin d’être aisé.
Sur un plan pratique, le codage des pathologies se traduirait par une augmentation du temps consacré à chaque patient venant en consultation. Cela dit, il est permis de penser que l’évolution de l’environnement technologique des cabinets médicaux pourrait faciliter sa mise en application : les logiciels médicaux peuvent aujourd’hui documenter les dossiers des patients, ce qui n’était pas le cas en 1993. Le partage avec l’assurance maladie des informations susceptibles d’être recueillies soulève d’autres questions, et il convient de rappeler que les données collectées ne pourraient être transmises qu’aux médecins-conseils, conformément aux dispositions légales. En tout état de cause, c’est sans doute par le biais de cet appui technologique qu’il pourrait être envisagé de mettre en application le principe, déjà existant sur le plan légal, du codage généralisé des pathologies
– sous réserve de procéder à une clarification de la nomenclature utilisée, et étant rappelée la difficulté pour un généraliste de poser un diagnostic avec certitude, surtout quand il n’a vu le patient qu’une ou deux fois.
M. Arnaud Viala. Nous abordons la question se trouvant au cœur de la problématique explorée par notre commission, consistant à déterminer si la société doit, ou non, mieux reconnaître et mieux prendre en charge la fibromyalgie. Considérez-vous que la société et l’assurance maladie refusent de reconnaître la maladie de peur d’avoir à assumer les coûts qu’elle engendrerait – des coûts qui n’ont pas été quantifiés, puisqu’on ne s’est pas donné les moyens de le faire –, ou que c’est faute de connaître suffisamment bien la maladie que l’on ne va pas au bout du chiffrage de son coût ? Cette question, qui n’est pas sans évoquer celle de l’œuf et de la poule, est fondamentale pour les personnes atteintes par cette maladie puisqu’il ne peut y avoir de prise en charge sans reconnaissance ni de reconnaissance sans prise en charge.
M. François Godineau. Le dialogue régulier que j’entretiens avec l’assurance maladie me permet de dire qu’il n’y a pas, à mon sens, de refus de reconnaître la fibromyalgie, tout au plus une difficulté portant sur le statut qu’il convient de lui accorder. L’OMS l’a qualifiée de maladie, et nous faisons de même dans le cadre de nos mécanismes de prise en charge. Le souhait de reconnaissance d’un statut au sens sociétal est un peu différent de la question consistant à se demander si la fibromyalgie doit être systématiquement prise en charge au titre des affections de longue durée. Au vu des textes régissant ces affections et les exonérations y afférant, il faut être en présence d’une maladie présentant une certaine gravité, ou une chronicité ou une évolutivité telle qu’elle nécessite des soins particulièrement coûteux, justifiant que la personne qui les reçoit soit exonérée de sa participation, qui représenterait une charge à laquelle elle ne pourrait faire face.
D’après les renseignements qui nous sont fournis par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), environ 1 000 demandes par an sont formulées en vue de la prise en charge d’un syndrome de fibromyalgie au titre d’une affection de longue durée hors liste (ALD 31), et 50 % de ces demandes font l’objet d’un refus – ce qui constitue un taux nettement supérieur à celui d’autres affections de longue durée. Dans une circulaire de 2009, la DSS avait proposé un arbre de décision permettant au médecin-conseil, pour les personnes atteintes d’une pathologie non avérée, mais devant tout de même suivre un parcours de soins long et onéreux, de prendre une décision la plus objective possible.
Malheureusement, en dépit de l’existence de cet outil d’aide à la décision, on constate aujourd’hui une hétérogénéité dans la pratique – fréquemment soulignée par les personnes concernées, qui déplorent que la reconnaissance de leur maladie ne se fasse pas de manière uniforme sur le territoire par l’assurance maladie. Je répète cependant qu’il ne s’agit là que des conséquences du fonctionnement insatisfaisant du mécanisme de critères dont nous disposons, et non d’un refus délibéré de la CNAMTS de reconnaître la fibromyalgie. Comme les travaux de l’Académie nationale de médecine et de la Haute Autorité de santé l’ont montré, la solution à ce problème passe essentiellement par une amélioration de l’objectivation des critères ; pour ce qui est de la situation économique des patients à l’issue de leur parcours de soins, je rappelle que le traitement des symptômes actuellement proposé relève de soins courants, dont le coût n’est pas particulièrement élevé – étant précisé que l’aggravation de l’état de certaines personnes peut cependant conduire à engager des dépenses plus importantes.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Il semble que tout le monde se trouve un peu démuni devant la fibromyalgie, qu’il s’agisse des médecins, de l’administration ou des élus. L’intérêt pour le patient de se voir reconnaître le bénéfice du statut de l’ALD est de ne pas avoir à faire l’avance du coût des soins, et de ne pas avoir de reste à charge. Or la fibromyalgie ne nécessite pas la prescription d’examens ni de médicaments coûteux et, en l’état actuel, ne peut donner lieu à une prise en charge au titre des ALD – peut-être faudrait-il envisager un nouveau statut prévoyant l’application d’un forfait, par exemple.
En tout état de cause, avant même d’évoquer la prise en charge de la fibromyalgie, le fond du problème réside bien dans sa reconnaissance. Celle-ci ne paraît pas près d’être acquise au vu de l’état des connaissances scientifiques, ce qui est plutôt inquiétant, car nous tournons en rond…
M. François Godineau. N’étant pas médecin, je me garderai bien d’émettre le moindre avis sur les perspectives de voir la fibromyalgie reconnue comme une maladie à part entière à plus ou moins long terme – en tout état de cause, on ne peut que souhaiter que la recherche scientifique permette de mieux cerner ses causes et ses mécanismes.
Le fait de pouvoir bénéficier du statut d’ALD constitue une demande très explicite de la part des personnes souffrant de fibromyalgie. Ce statut n’est probablement pas tout à fait adapté, mais, conformément à ce que nous souhaitons, le processus visant à l’objectivation des critères qui permettraient de conférer à la fibromyalgie le statut d’ALD est engagé – la Haute Autorité de santé vient à nouveau d’être saisie de recommandations sur ce point par la CNAMTS. Nous estimons qu’il conviendrait de ne pas se focaliser sur le parcours de soins, mais de prendre également en compte les difficultés sociales et professionnelles auxquelles sont confrontés les patients – à l’instar de ce qui se fait dans le cadre de la prise en charge globale des personnes en perte d’autonomie, actuellement mise en œuvre à titre expérimental. Le panier de soins de la médecine de ville ne permet pas forcément une prise en charge complète des personnes concernées, ce qui nécessitera d’engager une réflexion sur ce point.
Cela dit, l’objectivation des critères et la définition d’un parcours de soins standardisé me paraissent constituer une première étape indispensable dans l’objectif d’une meilleure prise en charge par l’assurance maladie des patients atteints de fibromyalgie – une prise en charge qui pourrait d’ailleurs impliquer l’intervention d’autres acteurs, par exemple la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Je rappelle également que, à l’heure actuelle, 500 personnes par an sont prises en charge au titre de l’ALD, sur la base d’un protocole de soins établi par le médecin traitant.
M. Arnaud Viala. La plupart des personnes souffrant d’un syndrome fibromyalgique font état de souffrances physiques, mais aussi morales, sociales et professionnelles – puisque leur état les empêche parfois de travailler de manière régulière. Ces personnes, déjà confrontées à la difficulté d’obtenir un diagnostic définitif et fiable, à l’absence de traitement adapté et à la non-reconnaissance de leur maladie par l’assurance maladie et la société, se voient souvent accusées par leur employeur, et par la société dans son ensemble, d’être des simulateurs : de ce point de vue, elles subissent une double, voire une triple peine. J’insiste donc sur le fait que la reconnaissance de leur état constitue un point essentiel dans les attentes qu’elles expriment.
M. François Godineau. Je ne peux que partager le constat que vous venez de faire, et vous répéter que nous souhaitons entreprendre une démarche d’ensemble qui nous permette d’accompagner le mieux possible les personnes concernées, ce qui suppose que les critères de définition de la maladie soient objectivés. Cela dit, si la fibromyalgie doit bénéficier d’un statut, peut-être celui-ci ne doit-il pas se limiter à celui de l’ALD tel qu’il est actuellement défini. Dans certains cas, il arrive d’ores et déjà que l’assurance maladie prenne en charge à 100 % les frais exposés par un patient, lorsque certains motifs le justifient. En tout état de cause, si la situation actuelle n’est pas satisfaisante, elle n’est pas bloquée pour autant, et nous avons à cœur de trouver une solution afin que les personnes touchées par la fibromyalgie bénéficient de la meilleure prise en charge possible.
M. le rapporteur. Vous avez dit que 500 personnes souffrant de fibromyalgie se voyaient accorder chaque année le statut d’ALD. Or il y aurait actuellement entre 1,2 et 2 millions de personnes concernées par cette affection… autant dire qu’aucune solution n’est proposée à l’immense majorité de celles-ci ! Si l’on peut dire aux personnes souffrant d’arthrose que leur affection est douloureuse, mais pas mortelle, tout au plus conseille-t-on à celles atteintes par un syndrome fibromyalgique de s’occuper en jardinant, en voyageant, ou en pratiquant toute autre activité de nature à apaiser le stress, ce qui, étant sans véritable rapport avec ce dont elles souffrent et ne leur apportant aucune information, ne fait qu’entretenir la confusion et peut conduire ces personnes à penser qu’elles sont atteintes d’une maladie grave.
Pour moi, il ne fait pas de doute que nous accomplirions un grand progrès en reconnaissant leurs souffrances physiques et morales plutôt que de mettre en doute leur santé mentale, en leur disant clairement qu’elles sont atteintes d’une maladie appelée fibromyalgie, en les rassurant sur le fait que celle-ci n’a pas un caractère mortel, et qu’elles vont pouvoir être prises en charge au titre d’une ALD.
M. François Godineau. Encore une fois, je partage le constat que vous faites, et je regrette de ne pouvoir vous apporter une autre réponse que celle que je vous ai déjà faite, même si celle-ci peut sembler un peu technocratique. Les critères de l’ALD tels qu’ils ont été définis par le législateur pourraient éventuellement être revus : une telle démarche n’a d’ailleurs rien d’exceptionnel pour l’assurance maladie, qui a ainsi créé le suivi post-ALD afin d’étudier la mise au point de dispositifs de sortie d’ALD.
Comme vous l’avez dit, le fond du problème réside bien dans l’insuffisance de connaissances médicales sur la fibromyalgie, ainsi que dans la complexité de l’approche de cette pathologie pour le médecin traitant. Notre souhait consiste à être en mesure de tirer les conséquences, en termes de prise en charge, du diagnostic établi par le médecin : il s’agit, d’une part, d’évaluer aussi précisément que possible la gravité de la maladie et les conséquences sociales auxquelles elle expose la personne concernée, d’autre part, de définir un parcours de soins prévisionnel, comme nous le faisons actuellement pour les patients atteints de diabète, par exemple.
Cela dit, je suis conscient du fait que la solution que nous proposons n’est pas de nature à répondre à l’ensemble des situations de détresse que vous décrivez, produites par notre système institutionnel. On compte actuellement environ 10 millions de personnes ayant le statut d’ALD, et les chiffres que l’on avance au sujet des personnes souffrant de fibromyalgie – 600 000 personnes selon mes chiffres, plus de 1 million selon les vôtres – sont forcément préoccupants en termes de croissance potentielle de la dépense, mais croyez bien que nous nous employons à faire en sorte que tous les patients, quelle que soit l’affection dont ils souffrent, puissent bénéficier de la meilleure prise en charge possible.
M. le rapporteur. Nous vous avions transmis, préalablement à cette audition, un certain nombre de questions que nous n’avons pu évoquer ce matin, faute de temps. Pourrez-vous y répondre par écrit ?
M. François Godineau. Nous n’y manquerons pas.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous vous remercions d’avoir répondu à l’invitation de notre commission et d’avoir enrichi nos travaux de votre intervention.
Audition du docteur François-Xavier Brouck, directeur,
du professeur Luc Barret, médecin-conseil national à la Direction des assurés, de Mme Véronika Levendof, responsable du département juridique
et du docteur Geneviève Motyka, médecin conseil
de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés
(Procès-verbal de la séance du mardi 21 juin 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous allons entendre le professeur Luc Barret, médecin-conseil national de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, accompagné du docteur François-Xavier Brouck, directeur à la direction des assurés, de Mme Véronika Levendof, responsable du département juridique et du docteur Geneviève Motyka. Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue.
Je vous rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Luc Barret, M. François-Xavier Brouck, Mme Véronika Levendof et Mme Geneviève Motyka prêtent serment.)
M. Luc Barret, médecin-conseil national de la CNAMTS. Si je suis professeur de médecine, c’est en tant que médecin-conseil national que je vais intervenir sur la fibromyalgie, question relativement complexe, non seulement pour l’assurance maladie, mais pour le monde scientifique en général.
La trame de notre intervention sera constituée à partir des questions que vous avez bien voulu nous faire parvenir. Je laisse au docteur François-Xavier Brouck le soin de vous expliquer comment l’assurance maladie peut actuellement prendre en charge la fibromyalgie, notamment en cas de demandes de reconnaissance comme affection de longue durée (ALD). Nous vous donnerons ensuite les quelques chiffres dont nous disposons.
M. François-Xavier Brouck, directeur à la direction des assurés. La fibromyalgie ne fait pas partie de la liste des affections exonérantes, d’ailleurs actualisée par le décret du 19 janvier 2011 qui fixe la liste des affections dites ALD 29 – et non plus ALD 30, puisque l’hypertension artérielle n’en fait plus partie. Son inscription dans la liste nécessiterait une saisine par le ministère de la santé et un avis de la Haute Autorité en santé – HAS.
Aujourd’hui, l’article L. 174-4 du code de sécurité sociale définit des affections « hors liste », pouvant bénéficier de l’exonération du ticket modérateur, sur deux critères cumulatifs : l’affection doit être à la fois grave et caractérisée hors de la liste ; elle doit nécessiter un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse.
La circulaire ministérielle du 8 octobre 2009 relative à l’admission et au renouvellement des affections « hors liste » a précisé ces critères. « Ainsi, il peut être considéré qu’un avis favorable est justifié pour une admission en ALD hors liste, si les critères cumulatifs suivants sont vérifiés :
« – condition d’affection grave : validée si au moins un des critères médicaux est vérifié́ (risque vital encouru, morbidité́ évolutive ou qualité́ de vie dégradée) ;
« – condition de traitement prolongé : validée si la durée prévisible du traitement est supérieure à six mois ;
« – condition de traitement particulièrement coûteux. »
Au moins trois des cinq critères du panier de soins doivent être validés, dont un obligatoirement, c’est-à-dire : un traitement médicamenteux régulier et/ou un appareillage régulier ; des hospitalisations ; des actes techniques médicaux répétés ; des actes biologiques ; des soins paramédicaux.
Dans la plupart des cas, la durée de la prise en charge de la fibromyalgie est supérieure à six mois, et la qualité de vie est dégradée. On peut considérer que les deux premiers critères sont remplis. Le troisième critère fait l’objet de situations beaucoup plus disparates puisque, en réalité, seules les affections les plus évolutives et les plus sévères, c’est-à-dire celles qui font l’objet d’actes techniques répétés, d’hospitalisations et d’un traitement lourd, peuvent être reconnues coûteuses selon le troisième critère.
En réalité, nous sommes confrontés, à l’assurance maladie, à la grande hétérogénéité des demandes qui nous parviennent : leur nombre est très disparate d’une région à l’autre ; il en est de même des critères de prise en charge et du diagnostic établi par le médecin traitant. Certaines de ces demandes nous arrivent avec des qualificatifs différents. Bien qu’un code de la classification internationale des maladies ait été attribué à la fibromyalgie, les demandes ne sont pas systématiquement formulées sous ce libellé – parfois pour des syndromes dépressifs, des affections de type articulaire ou de l’appareil locomoteur.
Nous avons fait un recensement des demandes de fibromyalgie, dont le professeur Luc Barret va vous parler.
M. Luc Barret. Pour expliquer une partie des difficultés que l’on a à tracer la fibromyalgie, il faut rappeler que, sur le Système d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), qui est la base dont nous extrayons la plupart des données que délivre l’assurance maladie sur la question des remboursements de soins de ville, nous n’avons pas les diagnostics en clair. Nous procédons donc à l’aide d’algorithmes en recoupant divers éléments dans la grille de remboursement : types d’examens radiologiques, biologiques ou autres, pour parvenir à un diagnostic. C’est particulièrement difficile pour la fibromyalgie, car il n’y a pas vraiment d’acte traceur ou de recoupement d’actes permettant de faire cette analyse.
En revanche, nous avons des chiffres sur les demandes d’ALD. En 2012, 2013 et 2014, nous avons recensé 2 649 demandes s’agissant du syndrome fibromyalgique, ce qui est relativement peu sur trois ans, par rapport aux 2 millions d’avis qui nous sont demandés sur une année.
L’incidence de ces demandes est donc relativement faible, même si elles sont en nombre croissant – de 692 demandes en 2012 à 1 955 en 2014. Rappelons que nous travaillons uniquement sur celles qui émanent des médecins traitants. Si nous n’avons que peu de demandes, c’est peut-être que l’attention portée par les médecins est moindre qu’elle ne le devrait.
Cela étant, l’augmentation du nombre des demandes s’accompagne d’une stabilisation globale du nombre d’avis favorables donnés à ces demandes, toujours sur trois ans : 493 demandes avec avis favorable en 2012, contre 508 en 2014. Et a contrario, puisque le nombre des demandes a augmenté, celui des avis défavorables a connu une relative augmentation.
Ensuite, François-Xavier Brouck a parlé d’hétérogénéité. Quand on examine la situation région par région, on fait en effet plusieurs constatations. Le faible nombre de demandes n’est pas associé à une homogénéité ou à une stabilité du nombre d’accords ou d’avis favorables. Ainsi, la région Bourgogne représente 2,57 % des demandes totales, pour 23 % des avis favorables. L’Auvergne, dont le taux des demandes est équivalent, soit 2,08 %, présente un taux d’avis favorables de 78 %.
À l’inverse, s’il y a une forte demande, il n’y a pas forcément d’égalité dans le taux d’avis favorables. Ainsi, en PACA, qui représente 15,4 % des demandes, il y a 64 % des avis favorables. En Nord-Picardie, avec 11,4 % des demandes, il y a 47 % d’avis favorables.
Une forte population n’est pas forcément corrélée à la demande. Nous avons l’exemple de l’Île-de-France, qui ne représente que 9,36 % des demandes. On ne peut donc qu’observer l’hétérogénéité des réponses.
Enfin, sur la période 2010-2015, on a eu à donner 20 388 arrêts de travail, soit environ 3 400 par an. Sur la même période, nous avons donné 8 934 avis pour des arrêts de travail supérieurs à six mois, et seulement 1 500 concernaient la fibromyalgie, avec 45 % d’avis favorables. Toujours sur cette période, un dernier chiffre reprend les admissions en invalidité « sécurité sociale » : 3 883 admissions au titre de la fibromyalgie, soit environ 650 par an.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Les systèmes d’information vous permettent-ils d’estimer le coût de la fibromyalgie pour l’assurance maladie ?
Disposez-vous de données chiffrées relatives à la prescription de médicaments, aux consultations de généralistes et de spécialistes, aux examens médicaux, aux transports sanitaires, aux séjours en centres antidouleur, en structures hospitalières ou en cures thermales, et aux arrêts de travail ?
Quelles évolutions faut-il envisager pour parvenir à estimer le coût de la fibromyalgie ?
M. Luc Barret. Malheureusement, comme je vous l’ai indiqué, nous ne connaissons pas le coût de la fibromyalgie, principalement parce que nous n’avons pas, dans le SNIIRAM, qui est la base de remboursements, les diagnostics en clair. Il nous faut donc procéder par des algorithmes, et la construction d’algorithmes « fibromyalgie » est particulièrement compliquée. En tout état de cause, nous ne l’avons pas faite – sans que ce soit insurmontable.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Le codage se fait-il en milieu hospitalier ?
M. Luc Barret. Oui, sur le programme de médicalisation des systèmes d’informations – PMSI.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. A-t-on fait ce travail en milieu hospitalier ?
M. Luc Barret. Si le codage « fibromyalgie » a été fait soigneusement, c’est possible. Mais nous n’avons pas réalisé de regroupement. En outre, nous avons le PMSI avec retard ; on ne peut l’analyser qu’avec une année de décalage.
Cela ne fait que peu d’années que l’on peut chaîner le SNIIRAM avec le PMSI. Pour nous, ce fut un grand progrès. Mais il faut bien reconnaître que ce n’était pas possible il y a trois ou quatre ans. Le grand progrès sera de pouvoir aussi chaîner les causes de décès, dont on ne dispose pas actuellement. Le dispositif d’évaluation des données de l’assurance maladie va se compléter au cours des prochaines années de façon très efficace. Mais il restera limité par l’absence, en dehors du PMSI, des diagnostics sur les questions de remboursement des soins de ville.
M. François-Xavier Brouck. En ce qui concerne les fibromyalgies, l’approche est essentiellement clinique et nous n’avons pas d’acte traceur pour les suivre, ce qui pose problème pour évaluer, comme on peut le faire dans d’autres situations, le panier de soins et le reste à charge pour les assurés. Nous approchons la fibromyalgie au travers des demandes d’admission en ALD et du suivi des arrêts de travail.
La HAS évalue la prévalence de l’affection à 2,2 % de la population. Ainsi, les 20 000 arrêts de travail pour fibromyalgie représentent très peu de chose au regard des 2 millions d’arrêts de travail que nous accordons chaque année. En outre, les situations sont très disparates, qu’il s’agisse de leur niveau de gravité ou de la prise en charge.
La HAS s’est prononcée en 2009 au travers d’un rapport d’orientation, mais, cela a été dit tout à l’heure à propos de la demande d’admission en ALD, elle n’a pas fixé ce qui relève vraiment des critères de gravité justifiant l’exonération du ticket modérateur. Dès lors que nous disposerons de ses recommandations, nous aurons davantage de possibilités d’évaluation.
Au travers des séjours hospitaliers, il faut vérifier quel est le sujet des diagnostics principaux et des diagnostics secondaires. Mais les patients fibromyalgiques hospitalisés ne représentent qu’une petite part de la population globale des fibromyalgiques, et avec des spécificités liées au codage. Pour nous, il est assez difficile de constituer aujourd’hui ce type de situations.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Vous nous avez dit que le nombre des arrêts de travail pour fibromyalgie était peu important par rapport à l’ensemble. Mais nous ne savons pas si les personnes atteintes de fibromyalgie ont un travail. Celles qui n’en ont pas n’ont pas besoin d’arrêt de travail. N’oublions pas que cette maladie touche principalement des femmes, lesquelles ont plus de mal à trouver du travail et sont plus souvent au chômage que les hommes, et qu’elles peuvent renoncer à chercher du travail en raison de leur état de santé. Par ailleurs, les personnes atteintes de fibromyalgie nous ont dit qu’elles s’efforçaient de continuer à travailler – dans la mesure où leur état de souffrance le leur permet. Voilà pourquoi il faut manipuler ce chiffre avec précaution.
Il serait très intéressant de disposer d’une étude expliquant pourquoi cette maladie touche principalement des femmes, dans quelles conditions elle survient, etc. Nous manquons de données médicales, mais aussi de données « sociétales ».
M. le rapporteur. En l’absence d’autres traceurs, peut-on envisager d’autres moyens d’évaluation, par exemple par le biais du dossier médical personnel (DMP) ? Il faudra bien un jour trouver un traceur quelque part.
M. Luc Barret. Il nous sera toujours difficile de connaître les éléments qui tracent la fibromyalgie. Vous avez sûrement auditionné d’éminents spécialistes de la question, qui ont dû vous expliquer que, ce qui trace, c’est l’absence de traces en dehors des symptômes polyalgiques ! Nous n’avons pas véritablement de critères diagnostiques.
Comme le rappelait François-Xavier Brouck, nous avons saisi la HAS, à qui, par une lettre du 16 juin 2016, j’ai demandé d’aller au-delà de son rapport d’orientation et d’édicter des recommandations concernant aussi la sphère du diagnostic. Dès que nous en disposerons, nous pourrons bien mieux appréhender la réalité de cette affection, dont la prévalence est probablement sous-estimée. Les malades, les pouvoirs publics et l’assurance maladie ne peuvent que trouver avantage au fait que l’on cerne mieux dans quelles conditions le diagnostic doit être porté, et sur quelles bases.
Avant d’intégrer l’assurance maladie en 2014, j’étais professeur de médecine légale : je peux donc vous dire que la question de la fibromyalgie est prise en compte lorsqu’il s’agit de réparer des dommages corporels. En effet, c’est souvent à la suite d’un traumatisme, quelle qu’en soit la nature, que l’on développe une fibromyalgie, et on peut s’interroger sur l’imputabilité de ce dommage au traumatisme initial.
Il conviendrait en effet d’étudier les aspects sociétaux de la maladie, en évitant de tomber dans le piège qui consiste à ne pas la considérer comme telle. Son suivi est d’autant plus compliqué qu’il faut à la fois amener les fibromyalgiques à reconnaître qu’ils souffrent d’une maladie et les aider à en sortir – car on peut sortir de la fibromyalgie, mais ce n’est certainement pas en la niant et en multipliant les examens. Les médecins traitants doivent donc parvenir à un équilibre très subtil. C’est d’ailleurs peut-être ce qui explique qu’ils répugnent à se lancer dans des demandes d’invalidité – mais peut-être moins dans des demandes d’ALD. Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec vous : tout le monde gagnerait à ce qu’on l’on approfondisse ces questions, et pas seulement sous un angle purement médical.
M. le rapporteur. Avez-vous entendu parler des tests FIRST (Fibromyalgia Rapid Screening Tool) et FIQ (Fibromyalgia Impact Questionnaire) ? C’est peut-être un des moyens d’éviter l’errance médicale.
M. Luc Barret. Ces questionnaires, comme bien d’autres dans nombre d’affections, sont réalisés à titre de reconnaissance diagnostique. Le premier est un questionnaire d’évaluation de la douleur, et le second un questionnaire d’impact. Je ne suis pas certain qu’ils soient totalement spécifiques à ce syndrome, bien qu’ils aient été recommandés par les rhumatologues. Mais ils existent : autant les utiliser. Nous disposons d’instruments pour les diffuser : nous pourrions les mettre en ligne sur l’espace professionnel du site Ameli ; nous pourrions également établir une fiche « diagnostic » sur la question de la fibromyalgie.
M. François-Xavier Brouck. Le FIRST est un outil de dépistage intéressant : il est facile d’utilisation, il a une bonne sensibilité et une bonne spécificité. Il est d’ailleurs recommandé par la Société française de rhumatologie. Les médecins auraient intérêt à y recourir.
Je précise que la base des documents dont l’assurance maladie fait la promotion auprès des médecins est essentiellement constituée de questionnaires, de fiches, de synthèses, qui ont été labellisés par la HAS. Si la HAS considère effectivement que c’est un élément à prendre en compte, peut-être le mentionnera-t-elle dans les conclusions qu’elle soumettra à la demande que nous avons faite. Dans ces conditions, il sera possible d’en faire la promotion.
M. le rapporteur. Participez-vous à des actions de formation sur la fibromyalgie ?
M. Luc Barret. Non.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Partageons-nous nos interrogations et nos connaissances avec les autres pays européens ? On nous a dit, par exemple, que la maladie serait reconnue en Belgique. Qu’est-ce que cela signifie ? Le système belge n’est peut-être pas le même que le système français. On sait aussi que des parlementaires travaillent sur la santé au niveau européen. Au niveau mondial, l’OMS reconnaît la fibromyalgie. Avez-vous discuté de ce syndrome qui interroge certainement tous les médecins, voire tous les responsables politiques européens ?
M. Luc Barret. Non, nous n’avons pas de contacts spécifiques sur cette question au niveau européen.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Les médecins non plus ?
M. Luc Barret. Il est probable que les rhumatologues, les spécialistes de la prise en charge de la douleur échangent sur ce thème. Mais je n’ai pas d’informations à ce propos.
M. François-Xavier Brouck. Il est difficile de s’exprimer à la place de confrères qui auraient été amenés à en discuter. De notre côté, nous travaillons souvent avec les études internationales, pour faire le point. Mais ce n’est pas l’assurance maladie qui décide de prendre en charge telle ou telle pathologie. Pour qu’il y ait une suite, il faut une saisine ministérielle et un avis de la Haute Autorité en santé.
M. le rapporteur. Quelles sont les modalités de prise en charge de ce syndrome par l’assurance maladie ? Avez-vous édicté des recommandations de prise en charge auprès des caisses primaires ?
Les médecins-conseils sont-ils formés et sensibilisés au diagnostic de ce syndrome ? Pouvez-vous nous présenter le guide de procédure établi par les médecins-conseils de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) ? Vous avez dit que vous visitiez les gens qui étaient en arrêt de travail : cela suppose un minimum de formation.
La prise en charge par les caisses primaires des patients atteints de fibromyalgie est-elle harmonisée sur l’ensemble du territoire ? Comment assurer cette prise en charge équilibrée ?
Les malades chroniques atteints de fibromyalgie sont-ils pris en charge au titre des affections de longue durée ? Comment une maladie est-elle inscrite sur la liste des ALD 30 ? Avez-vous chiffré le coût d’une éventuelle prise en charge ?
La prise en charge de la fibromyalgie au titre de l’ALD 31 est-elle répandue ? À partir de quels critères ?
Je n’ai fait que reprendre les questions que vous aviez reçues auparavant.
M. François-Xavier Brouck. Nous avons en effet déjà répondu à certaines de ces questions – mais pas à celles relatives à la formation et aux actions menées.
Sur une pathologie donnée, nous sommes limités par la problématique du secret médical. Lorsque des actions sont menées vis-à-vis de patients et de professionnels de santé, dès lors qu’il faut recourir au dossier des patients, c’est le service médical de l’assurance maladie qui les assure.
Ensuite, les médecins-conseils prennent en compte un certain nombre de critères, comme je l’évoquais tout à l’heure à propos de l’exonération du ticket modérateur et de la prise en charge au titre de l’affection hors liste. De la même façon, nous avons un outil d’aide à la mise en invalidité, mais qui ne s’adresse pas seulement à la fibromyalgie. Dans de nombreuses situations, le médecin-conseil dispose en effet d’un référentiel pour comparer sa pratique, se poser l’ensemble des questions utiles, et décider de la façon la plus équitable possible. On souhaite en effet harmoniser les décisions – tout en étant conscient que chaque cas est propre. Il faut que, à situation identique, tous les assurés soient pris en charge de la même façon. Ces référentiels permettent d’harmoniser les décisions. Et nous travaillons notamment avec des revues de dossiers, pour faire le point sur le sujet.
Dans le cadre du développement professionnel continu, la fibromyalgie pourrait constituer un thème de formation pour l’ensemble des praticiens-conseils.
Reste que, aujourd’hui, nous rencontrons de grosses difficultés : d’une part, nous manquons de référentiels ; d’autre part, nous avons du mal à repérer l’immense majorité des malades, comme vous l’avez d’ailleurs souligné. Les chiffres montrent que nous ne suivons qu’une toute petite frange de la population atteinte de cette affection.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Messieurs, merci pour votre contribution.
Audition de M. Dominique Martin, directeur général
de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé
(Procès-verbal de la séance du mardi 28 juin 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Chers collègues, nous entendons ce matin M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, à qui je souhaite la bienvenue.
Je rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Dominique Martin prête serment.)
M. Dominique Martin, directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Comme son nom l’indique, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé s’occupe des produits en tant que tels, et non pas des stratégies thérapeutiques.
Je rappellerai quelques éléments simples sur la procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM), pour vous indiquer le cadre dans lequel nous travaillons. Pour bénéficier d’une AMM, un médicament doit d’abord faire l’objet d’essais cliniques. Actuellement, la quasi-totalité des AMM sont des autorisations dites « centralisées », c’est-à-dire prises au plan européen. Il n’y a quasiment aucune autorisation de mise sur le marché prise au plan français, en dehors des génériques. Pour les produits nouveaux, en tout cas, ce sont à peu près uniquement des autorisations centralisées, voire des autorisations dites « en reconnaissance mutuelle ». En outre, qu’elle soit centralisée ou en reconnaissance mutuelle, toute modification de l’AMM passe par le niveau européen. Concrètement, il n’y a donc que peu de perspectives d’un traitement purement national dans l’indication de la fibromyalgie.
À ce jour, aucun médicament n’a été commercialisé en Europe avec la fibromyalgie comme seule indication ou comme indication principale. Plusieurs produits ont fait l’objet d’études d’extension d’AMM au sein de l’Agence européenne du médicament (AEM), dans le cadre d’une commission, le Comité des médicaments à usage humain(CHMP), qui évalue le bénéfice-risque des produits, mais ils ont tous été rejetés, qu’il s’agisse de la duloxétine (ou Cymbalta, son nom de spécialité), un antidépresseur, le 23 octobre 2008, de la prégabaline (ou Lyrica) le 11 août 2009, du milnacipran, autre antidépresseur, le 8 avril 2010, ou de l’oxybate de sodium en 2012.
Pour qu’un produit soit étudié au plan européen, il faut qu’il y ait une demande, en particulier une demande de l’industriel pour l’extension de l’indication. Un pays rapporteur et un pays co-rapporteur sont ensuite nommés : ce sont eux qui font les analyses et les présentent au CHMP, qui, au vu du rapport, émet un avis positif ou négatif. Enfin, c’est la Commission européenne qui se prononce. Si le CHMP émet un avis négatif, la Commission le suit.
Il n’existe donc pas à ce jour, sur le territoire européen, de médicament qui aurait pour indication la fibromyalgie, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Monsieur le directeur, le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) relève qu’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Qu’en pensez-vous ?
M. Dominique Martin. Il est certain que la fibromyalgie est –au minimum – un syndrome qui préoccupe l’ensemble des acteurs que vous venez de mentionner, comme les associations spécialisées, le site Orphanet, portail des maladies rares, ou certains professionnels de santé qui se sont mobilisés autour du sujet. Et l’on peut imaginer assez aisément que, dans cet environnement, les industriels puissent avoir le souhait de développer des produits. Cela étant, il faut éviter les confusions. On reproche parfois à l’industrie pharmaceutique de vouloir couvrir des situations, comme la calvitie, qui ne relèvent pas de pathologies, en les présentant comme des maladies identifiées pour lesquelles il existerait des traitements. En l’occurrence, la situation est tout de même différente : la fibromyalgie est une réalité syndromique incontestable. Je suis directeur général de l’ANSM, mais je suis aussi psychiatre de formation, et j’ai eu à traiter des cas de fibromyalgie, y compris de patients qui étaient en fauteuil roulant.
Certes, on ne sait pas définir la fibromyalgie et en faire une pathologie parfaitement identifiée, on n’en connaît pas les causes, mais il est difficile de nier que des personnes souffrent énormément et que leur autonomie peut être gravement atteinte. Elles présentent des syndromes très invalidants – douleur, très grande fatigue, troubles du sommeil, troubles dépressifs –, qui, dans les cas extrêmes, peuvent les conduire à une quasi-immobilité.
On assiste cependant à une évolution. La fibromyalgie a été reconnue par l’organisation mondiale de la santé (OMS), mais aussi par l’Académie nationale de médecine laquelle n’en a pas fait une pathologie, mais en a reconnu la réalité. Le rapport d’orientation de la HAS reconnaît ce syndrome et sa fréquence puisque sa prévalence est évaluée entre 2 % et 4 % de la population. Ce n’est pas négligeable, même si les situations mineures sont nombreuses et les situations plus graves qui peuvent conduire au fauteuil roulant restent exceptionnelles. Ce syndrome est au moins sociétalement pris en compte dans notre pays, même si l’on n’en a pas encore tiré toutes les conséquences, probablement en raison de la difficulté à en établir les bases, les limites, les contours, comme on sait le faire dans la plupart des pathologies. Il est difficile de le caractériser sur un mode classique, comme on le fait dans la nosographie.
J’ajoute, monsieur le Rapporteur, et sans être ironique, que, s’il y a vraiment une pression de l’industrie pharmaceutique, elle n’a pas encore donné de résultats, puisque, pour les raisons que j’ai évoquées, il n’y a pas, sur le territoire européen, de médicament spécifiquement dédié à la fibromyalgie.
M. le rapporteur. Quelles sont les raisons pour lesquelles aucun médicament n’a pu obtenir d’autorisation de mise sur le marché pour l’indication de fibromyalgie ? Avez-vous reçu et traité de nombreuses demandes ?
M. Dominique Martin. Les demandes qui ont été faites l’ont été au niveau européen. Quatre produits seulement ont fait l’objet d’une demande d’extension d’AMM au plan européen, mais ces demandes ont été rejetées par la commission spécialisée de l’EMA, le CHMP, pour des raisons qui tiennent essentiellement au fait que le bénéfice-risque n’était pas favorable. Aucun élément, dans les essais cliniques présentés dans la demande d’extension de l’AMM, ne militait en faveur de l’efficacité de ces produits, que ce soit l’efficacité immédiate ou, surtout, l’efficacité à long terme. En revanche, ils avaient des effets relativement importants, et des risques d’effets secondaires non négligeables : la prégabaline, un anti-convulsivant, est un médicament majeur ; la duloxétine et le minalcipran sont des antidépresseurs, donc des médicaments qui présentent des risques.
Ces médicaments sont reconnus, notamment aux États-Unis, dans cette indication de fibromyalgie. J’ai essayé de savoir si les rapporteurs avaient étudié de manière attentive les raisons qui avaient poussé la FDA (Food and Drug Administration) à donner cette autorisation. Je n’ai pas trouvé grand-chose. Certains éléments laissent penser que les rapporteurs ont estimé que l’environnement européen – c’est-à-dire les populations concernées et les stratégies thérapeutiques – était très différent de l’environnement américain, et qu’il n’était pas possible de transférer en Europe ce qui se faisait aux États-Unis. Mais les rapporteurs ont essentiellement examiné les essais cliniques, qui ont révélé un rapport bénéfice-risque défavorable à l’extension de ces indications.
Présidence de Mme Annie Le Houerou, vice-présidente de la Commission d’enquête.
M. Arnaud Viala. En l’état actuel de la connaissance scientifique, considérez-vous que les traitements qui doivent être développés sont des traitements ad hoc, ou qu’il faut ouvrir la délivrance de traitements actuellement existants pour d’autres troubles, afin de s’attaquer à ceux qui sont liés au syndrome de fibromyalgie ?
Selon vous, existe-t-il actuellement une réticence à délivrer des médicaments spécifiques à la fibromyalgie, liée à la non-reconnaissance de ce trouble en tant que maladie ? Peut-être ne souhaite-t-on pas en assumer la charge financière ?
M. Dominique Martin. Pour disposer d’un produit qui serait spécifiquement dédié à la fibromyalgie, il faudrait en avoir une idée plus précise. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est difficile d’imaginer un produit spécifiquement créé pour ce syndrome complexe qui combine douleurs, troubles de l’humeur, troubles du sommeil et une grande fatigue.
Ce n’est pas une réponse strictement scientifique, mais c’est une réponse de bon sens, de la part d’un praticien des thérapeutiques et des médicaments. Je ne vois pas comment on pourrait développer un médicament spécifique pour la fibromyalgie sans explication physiopathologique, sinon univoque, du moins suffisamment solide. Les explications liées aux seuils de douleur font aujourd’hui l’objet de controverses scientifiques.
Ma réponse sera très proche en ce qui concerne les extensions d’AMM. La prégabaline ou les antidépresseurs peuvent être efficaces sur certaines expressions de la fibromyalgie. Pourtant, en raison du caractère polymorphique du syndrome, on aurait tort d’étendre l’indication à la fibromyalgie en tant que telle. Un antidépresseur efficace dans une forme de fibromyalgie où domine la dépression sera sans doute moins efficace dans une forme où domine la douleur. Il faut approfondir les recherches pour voir s’il existe une physiopathologie de la fibromyalgie. Lorsque nous comprendrons ses mécanismes, il nous sera plus facile d’identifier les produits qui pourraient répondre à la pathologie.
Il n’y a pas de réticence d’origine financière à utiliser des médicaments avec l’indication de fibromyalgie. Nous sommes face à un refus d’extension de l’indication au niveau de l’EMA, laquelle ne s’est pas intéressée à la question de la prise en charge. Je dispose des trois rapports des pays qui ont étudié ces dossiers et les ont présentés devant le CHMP. Ce dernier, qui n’a pas à tenir compte de préoccupations économiques, qui dépendent de chaque pays, ne s’est prononcé, à partir de données scientifiques, que sur le bénéfice-risque des produits proposés.
On pourrait parler d’une réticence d’origine financière si, après avoir accepté l’extension d’AMM pour l’indication de fibromyalgie, on refusait la prise en charge au niveau de la sécurité sociale, ou s’il y avait une discussion sur le prix. Mais on n’en est pas là puisqu’il n’y a pas d’AMM avec indication totale ou partielle sur la fibromyalgie.
Quoi qu’il en soit, en tant que directeur de l’ANSM et ancien thérapeute, je suis convaincu qu’il faut favoriser une approche globale et graduée de la fibromyalgie, qui soit la moins médicamenteuse possible. C’est d’ailleurs ce qui ressort du rapport d’orientation de la HAS. Je ne dis pas que, dans certaines situations, il n’est pas utile de recourir à un antalgique ou à des benzodiazépines pour aider le patient à dormir. Mais on se trouve face à un tableau assez complexe, avec des symptômes variés, qui réagissent mal à la thérapeutique. Dans le cas de la fibromyalgie, les antalgiques ont peu d’effet sur la douleur, de même que les antidépresseurs sur la dépression.
Cette situation favorise l’errance médicale. Comme les professionnels eux-mêmes sont déroutés, les patients ont tendance à changer de médecin et à multiplier les thérapeutiques, ce qui n’est pas souhaitable. Prendre des thérapeutiques médicamenteuses, par exemple des benzodiazépines, pendant des années, n’est pas une bonne idée, car cela ne sert à rien. Mais si vous avez une pathologie qui ne se traite pas, qui vous angoisse, qui vous rend la vie difficile, vous pouvez rentrer dans un cycle vicieux, d’autant plus que certains de ces produits, qui sont à visée psychotrope, peuvent entraîner des addictions. En fait, il y a beaucoup de danger à prendre ces médicaments, pour des bénéfices très accessoires. Comme l’indique le rapport d’orientation de la HAS, la prise en charge de la fibromyalgie doit être plutôt physique, psychothérapique, sociale, globale, etc. Une aide médicamenteuse peut parfois être utile, mais, en l’état actuel des connaissances et des pratiques, le médicament me paraît être la moins bonne des thérapeutiques connues.
M. Vincent Ledoux. Parmi les causes de ce syndrome, peut-on écarter tout lien avec les adjuvants présents dans les vaccins ? J’ai rencontré cette semaine, dans ma permanence, une femme qui me disait qu’elle avait été vaccinée au cours de sa grossesse et que c’est à ce moment-là qu’étaient apparus des symptômes qui ont conduit à diagnostiquer une fibromyalgie.
Pourquoi certaines prises en charge, comme les thérapies par le froid ou les caissons hyperbare, sont-elles très peu étudiées et très peu reconnues en France, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis ? Pourquoi certaines recherches n’ont-elles pas été poursuivies, comme celles du professeur Patrick Cherin et du docteur Gérard Pello ?
Enfin, la patiente de ma circonscription était le pur produit d’une surdose médicamenteuse catastrophique qui avait déclenché chez elle de gros problèmes. Pourquoi continuer à prescrire, par exemple, des morphiniques ?
M. Dominique Martin. Il est très risqué de donner des morphiniques à quelqu’un qui souffre d’une fibromyalgie. C’est une vraie catastrophe ! On donne même parfois des anesthésiques, comme la kétamine, ce qui est particulièrement surprenant. Ces médicaments ont des effets secondaires majeurs, et je doute de leur efficacité.
Par ailleurs, l’ANSM finance actuellement une étude sur le rôle des adjuvants aluminiques, notamment dans la myofasciite à macrophages, assez voisine de la fibromyalgie, caractérisée notamment par une concentration de macrophages au lieu d’injection, et dont les symptômes peuvent être assez proches. Mais il n’y a pas, à ma connaissance, d’études sur les fibromyalgies en général, alors que la myofasciite à macrophages suscite une véritable préoccupation chez certains praticiens
Pour les fibromyalgies en général, on évoque le rôle des traumatismes physiques ou psychiques, mais pas celui des adjuvants de vaccin ou d’autres origines iatrogènes médicamenteuses.
Ce qu’il faut rechercher, surtout, ce sont les traitements adaptés à chaque patient. Dans le cadre d’une prise en charge globale, graduée, il peut être intéressant de faire appel à des techniques un peu innovantes. Mais il y a une limite : le risque est grand que ce type de pathologie, qui n’est pas prise en charge faute de connaissances, entraîne des prises en charge parallèles, voire sectaires, qui pourraient avoir des effets très nocifs pour les patients. On peut cependant essayer des techniques à la fois corporelles et psychothérapiques : psychothérapie cognitive, kinésithérapie, exercice physique et, pourquoi pas, caissons hyperbare. Dès lors que les thérapeutiques classiques sont peu efficaces, il n’est pas anormal de chercher à améliorer autrement la vie quotidienne des patients.
Encore une fois, je ne peux parler que d’expérience. La personne que j’évoquais tout à l’heure a été accueillie dans un service de psychiatrie : nous avions donc une approche plutôt psychiatrique de son cas – ou, du moins, psychothérapique, car elle ne présentait pas de pathologie mentale lourde. Mais elle était arrivée en fauteuil roulant et, au bout de quelques semaines, elle n’y était plus. Nous avons fait un travail assez peu médicamenteux, mais privilégiant la prise en charge, le soutien, la psychothérapie, ce qui lui a radicalement changé la vie.
Je le répète, le traitement médicamenteux est subsidiaire : il faut ne l’utiliser que faute de mieux et pour des durées aussi courtes que possible. Il faut avoir une approche symptomatique : si le patient est majoritairement déprimé, il n’est pas illogique de lui donner des antidépresseurs ; s’il a majoritairement des douleurs, il n’est pas illogique de lui donner des antalgiques. Mais cela ne doit pas être fait de manière systématique, prolongée ou non coordonnée. Il faut éviter que la personne prenne des médicaments non adaptés. Par exemple, il ne me viendrait pas à l’idée de donner des corticoïdes à quelqu’un souffrant d’une fibromyalgie.
M. Gérard Bapt. Vous avez abordé la question des benzodiazépines et des corticoïdes. Qu’en est-il du Subutex ou d’autres dérivés du cannabis ?
M. Dominique Martin. Vous connaissez le système endocannabinoïde, sur lequel agit le cannabis : on peut en effet imaginer des voies de recherche dans ce domaine, mais je n’ai pas vu de propositions allant dans ce sens.
La logique voudrait que l’on accède d’abord à un minimum de compréhension de la physiopathologie, pour pouvoir ensuite chercher les voies neurophysiologiques sur lesquelles agir. Mais nous n’avons pas d’éléments pour décrire la physiopathologie de la fibromyalgie, ou nous n’avons pas détecté une physiopathologie qui serait majoritaire, unique, dans cette pathologie. Certains ont bien émis des hypothèses, mais aucune n’a été vérifiée sur le plan scientifique.
M. Gérard Bapt. Il y a quelquefois des découvertes empiriques.
M. Dominique Martin. Cela peut arriver. La difficulté, c’est que l’on a affaire à un syndrome complexe, difficile à identifier. Il n’y a d’ailleurs pas qu’un symptôme, mais plusieurs. On voit bien que, d’une manière ou d’une autre, il affecte la psyché – douleur, troubles du sommeil, fatigue, etc. Je ne dis pas que l’origine de la fibromyalgie n’est pas organique, mais elle touche à des éléments qui sont clairement de cette nature.
M. le rapporteur. J’observe tout de même que la majorité des malades sont conduits à l’automédication et à prendre n’importe quoi. Vous avez beau dire qu’il ne faut pas prendre des médicaments de façon prolongée, ce sont eux qui décident, puisque les médecins ne leur prescrivent pas de traitements qui les soulagent ou qui les soignent.
M. Dominique Martin. Je ne peux qu’abonder dans votre sens. Du côté des patients, il y a probablement beaucoup d’automédication, notamment avec des antalgiques ou des anti-inflammatoires qui sont relativement accessibles. Mais les praticiens, notamment les médecins généralistes et les rhumatologues, sont assez démunis pour prendre ce syndrome en charge et ne cessent de s’interroger. La création de votre commission d’enquête et les rapports de la HAS ou de l’Académie nationale de médecine montrent que nombreux sont ceux qui réfléchissent à la question. Cependant, aujourd’hui, rien ne permet d’imaginer que nous disposerons, dans les prochaines années, d’un médicament plus efficace.
Il ne faut pas contester la prise en charge de ce syndrome, même si son diagnostic clinique est établi par élimination, et même si l’on n’arrive pas à le décrire classiquement. Il faut ensuite trouver des modes de prise en charge qui ne privilégient pas le médicament. Il faut assurer une prise en charge globale : physique, sociale, d’accompagnement, etc.
M. Vincent Ledoux. A-t-on, dans l’histoire médicale et dans la littérature, l’exemple d’un médicament capable de traiter un syndrome très complexe, fait de pathologies variées ? Pourra-t-on un jour trouver « le » médicament et « le » remède pour traiter celui-ci ?
M. Dominique Martin. Ma compétence en matière de prévision est forcément limitée. J’ai le sentiment que nous sommes loin du but. Je ne vois pas, dans un avenir proche, un médicament qui pourrait permettre une prise en charge thérapeutique du syndrome. Si l’on devait imaginer quelque chose, ce serait de tout faire pour éviter la prise en charge médicamenteuse, ou du moins de ne l’utiliser que si celle est nécessaire, adaptée, pour des durées courtes, de façon à avoir une vision de prise en charge plus globale, graduée, sur le moyen et long terme.
M. Arnaud Viala. Vous parlez de « prise en charge globale et graduée ». Est-ce parce que, selon vous, les causes de ces troubles appartiennent davantage à la sphère psychologique, psychiatrique, psychosomatique, qu’à la sphère physique ?
M. Dominique Martin. Il me paraît incontestable que l’on est dans la sphère psychosomatique. L’avantage du terme « psychosomatique », c’est qu’il renvoie à la psyché comme au corps. Cela dit, je n’ai pas d’idée sur l’étiologie – sur l’origine soit psychique, soit organique de la maladie. Comme vous, je lis la littérature et j’écoute ce qui se dit. Et je pense qu’il y a encore beaucoup à faire pour comprendre le syndrome.
Ce serait une erreur de le réduire à une pathologie psychiatrique, mais aussi d’en ignorer la dimension psychologique, notamment dans sa prise en charge. Quand vous dormez mal et peu, que vous avez mal toute la journée, que vous êtes fatigué du matin au soir, votre vie est effroyable. On ne sait pas si la dépression fait partie du syndrome, ou si elle est la conséquence de conditions de vie particulièrement difficiles. Il y a donc bien une dimension psychologique au problème. L’idée que l’on est dans un environnement psychosomatique me semble pertinente. Quant à l’étiologie, je ne la connais pas.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Visiblement, on tâtonne. Vous dites qu’il ne faut pas passer tout de suite à une thérapie médicamenteuse. Mais les antalgiques permettent de soulager les personnes qui souffrent. J’observe d’ailleurs que vous n’avez pas parlé des centres antidouleur.
M. Dominique Martin. Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas du tout utiliser de médicaments, et je vous ferai remarquer que, dans les centres antidouleur, on n’utilise pas uniquement des médicaments. Quoi qu’il en soit, il me semble évident qu’il ne faut pas administrer ces médicaments seuls, mais dans un cadre global. Par ailleurs, leur bénéfice étant très limité et leurs risques non négligeables, il ne faut les utiliser que lorsque l’on n’a pas d’autre solution. Reste que ces médicaments ne sont pas très efficaces. Au bout d’un certain temps, leur bénéfice-risque ne fait que s’aggraver. Une prise prolongée peut même entraîner des problèmes hépatiques.
Encore une fois, ces médicaments doivent être utilisés à bon escient, de manière subsidiaire, dans le cadre d’une prise en charge globale. Dans certains cas, il peut être nécessaire de mettre en place, par exemple, un traitement antidépresseur. J’ajoute que certains antidépresseurs ont aussi une activité antalgique. Je peux citer l’amitriptyline, commercialisée sous le nom de Laroxyl, qui fonctionne dans certains cas.
M. Vincent Ledoux. Je crains que le médicament ne soit aujourd’hui fortement recommandé pour traiter ce type de syndrome. Sur ma page Facebook, quelqu’un écrit : « Je suis dedans depuis six ans : cortisone et morphine, il y a pire, mais c’est dur quand même ». Nombreux sont ceux qui sont traités ainsi en France. Si, comme vous le dites, il est nécessaire de graduer la prise médicamenteuse, n’est-il pas urgent de faire passer un message de précaution mettant en garde contre la délivrance de médicaments ?
M. Dominique Martin. Ce message doit circuler, en effet. Je trouve surprenant qu’on prescrive des corticoïdes en cas de fibromyalgie. Il y a là un sérieux problème de bénéfice-risque. Le rapport d’orientation de la HAS stipule bien que le médicament ne doit pas être privilégié, et j’approuve cette conclusion. J’insisterai toutefois, en tant que directeur général de l’ANSM, sur les conséquences de certaines stratégies thérapeutiques compliquées et de certaines dérives comme celles dont vous venez de parler : un bénéfice-risque défavorable, et des effets secondaires qui viennent s’ajouter au syndrome de fibromyalgie lui-même. Si un patient prend des benzodiazépines à forte dose parce qu’il ne dort pas, il n’est guère surprenant qu’il soit fatigué dans la journée. Il faut donc être très prudent. Le médicament ne doit être utilisé que par défaut, et à bon escient.
Mme Annie Le Houerou, président. Monsieur le directeur général, je vous remercie.
Audition du docteur Bruno Toussaint, médecin,
directeur de la rédaction de la Revue prescrire
(Procès-verbal de la séance du mardi 28 juin 2016)
Présidence de Mme Annie Le Houerou, vice-présidente de la commission d’enquête
Mme Annie Le Houerou, présidente. Chers collègues, nous allons maintenant procéder à l’audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Toussaint, médecin et directeur de la revue Prescrire.
Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Bruno Toussaint prête serment).
M. Bruno Toussaint. Pour commencer, je précise que, comme toutes les personnes collaborant à la revue Prescrire, je n’ai aucun lien d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique ni avec aucune entreprise du domaine de la santé. Notre revue, faite pour et par des professionnels de la santé, est largement consacrée aux médicaments, puisque ceux-ci constituent une part importante des traitements prescrits par les médecins, et fonctionne sans aucune subvention ni publicité – elle n’est financée que par ses abonnements.
L’un des problèmes auxquels sont confrontés les médecins et les pharmaciens est l’arrivée de nouveaux médicaments, que les laboratoires décrivent souvent parés de toutes les vertus. L’information disponible sur les médicaments étant largement soumise à l’influence des firmes pharmaceutiques, il importe de pouvoir disposer d’un regard critique, capable de faire contrepoids à l’information officielle, historiquement faible. Par ailleurs, les effets indésirables des médicaments paraissent souvent un peu négligés, en particulier en ce qui concerne les nouveaux produits.
Au cours des années 2000, nous avons vu les firmes pharmaceutiques constituer des dossiers d’autorisation de mise sur le marché pour plusieurs médicaments destinés au marché de la fibromyalgie. Nous avons alors pensé qu’il serait utile aux abonnés de Prescrire de faire le point sur cette maladie et ses traitements, en particulier sur les nouveaux médicaments qui étaient annoncés. En 2008, nous avons publié une synthèse de quelques pages sur ce thème, d’où il ressortait qu’il y avait peu à attendre des médicaments pour ce syndrome. Les antalgiques classiques sont peu efficaces et ont des effets indésirables. Quant aux autres médicaments – des antidépresseurs et des anticonvulsivants, ou antiépileptiques –, ils apparaissaient soit peu évalués, soit ayant peu d’efficacité, mais produisant des effets indésirables – ceci ayant été déterminé au terme d’études effectuées sur quelques semaines ou quelques mois seulement, alors que la fibromyalgie est un problème de santé chronique.
Si certains de ces médicaments ont été autorisés aux États-Unis et au Canada, aucun ne l’a été en Europe, ce qui nous a semblé raisonnable compte tenu de leur dossier d’évaluation. En vue de cette audition, j’ai cherché à faire le point à partir d’autres synthèses méthodiques – en l’occurrence celles du réseau Cochrane – et, ce faisant, j’ai eu l’impression que l’évaluation plutôt médiocre faite dans les années 2000 se confirmait : les médicaments étudiés, qui sont souvent des psychotropes, ne sont pas efficaces, ou le sont très peu, pour soulager les symptômes de la fibromyalgie, alors qu’ils ont des effets indésirables importants et sans doute encore sous-estimés – dans ce domaine, la connaissance progresse lentement.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) de juillet 2010 relève que l’« on assiste à la diffusion de la notion de fibromyalgie ou de syndrome fibromyalgique dans l’espace public, sous le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Qu’en pensez-vous ?
M. Bruno Toussaint. L’affirmation que vous avez citée semble cohérente avec nos propres constatations des années 2000, à savoir la mise au point de plusieurs médicaments dont aucun n’a finalement été autorisé en France. La fabrication de maladie correspond à un phénomène connu, que l’on voit à l’œuvre dans de nombreux domaines. Si nous n’avons pas cherché à enquêter sur cette dimension du problème en ce qui concerne la fibromyalgie, force est de constater que nous n’avons pas assisté, depuis le début des années 2010, au dépôt d’une seule demande de mise sur le marché d’un médicament lui étant destiné, et nous n’avons pas l’impression qu’il y ait actuellement une pression particulière dans ce domaine. Cela dit, le concept de fabrication de maladie correspond à une réalité et est d’ailleurs à l’œuvre dans plusieurs domaines, que ce soit celui du cholestérol ou du syndrome métabolique, par exemple.
M. le rapporteur. Comment améliorer le diagnostic précoce de ce syndrome et éviter des situations d’errance médicale, dramatiques pour les malades ?
M. Bruno Toussaint. La revue Prescrire n’a pas vraiment étudié cet aspect du problème. Il nous semble que, en l’absence de traitement satisfaisant, il n’est pas urgent de faire un diagnostic précoce, puisqu’il n’y a pas vraiment de solution à proposer aux patients. Les critères de diagnostic étant discutables, ils ne sont sans doute pas très bien connus de tous les professionnels de santé, qui ont beaucoup à faire, et les traitements sont globalement décevants, voire contre-productifs : l’errance médicale n’a donc rien de surprenant. Malheureusement, nous n’avons pas de propositions à formuler pour accélérer le diagnostic de la fibromyalgie et réduire l’errance médicale, tout au plus pouvons-nous souligner l’importance d’une information indépendante et fiable en ce qui concerne les maladies et leurs traitements – précisément ce à quoi travaille Prescrire.
Une partie de l’errance est peut-être liée au fait que l’intérêt des médicaments est souvent surestimé, tandis que leurs effets nocifs sont sous-estimés : de ce fait, nombre de médecins qui se sentent démunis essayent tel ou tel médicament, alors que l’évaluation qui en a été faite a déjà montré qu’il n’y a pas grand-chose de bon à en attendre.
M. le rapporteur. Malheureusement, l’errance médicale se traduit également par une tendance des malades concernés à pratiquer l’automédication, ce qui pose souvent des problèmes de dosage.
Quelles sont les raisons pour lesquelles aucun médicament n’a pu obtenir d’autorisation de mise sur le marché pour l’indication fibromyalgie ? Qu’en est-il à l’étranger, notamment dans les autres pays de l’Union européenne, aux États-Unis et au Canada – qui semblent en avance sur notre pays de ce point de vue ?
M. Bruno Toussaint. Je rappelle que les médicaments sont des objets inanimés, et que ce ne sont donc pas eux qui obtiennent les autorisations de mise sur le marché, mais des firmes pharmaceutiques qui déposent des demandes en ce sens. Ces demandes sont examinées par les autorités de santé selon des modalités différant selon les pays, pour aboutir à une décision d’autorisation ou de refus de mise sur le marché. Les dossiers d’évaluation des médicaments que les laboratoires ont tenté de mettre sur le marché au début des années 2000 montraient, chez environ 10 % des personnes, une efficacité nulle ou faible ; dans le second cas, le médicament ne semblait agir que sur certains symptômes – par exemple les douleurs, mais non la fatigue ; le sommeil, mais non la qualité de vie. Les études n’ont duré que quelques semaines, parfois quelques mois, mais n’ont jamais donné lieu à des essais comparatifs rigoureux au long cours, ce qui était pourtant indispensable étant donné le caractère chronique de la maladie. Les effets nocifs étaient, quant à eux, plutôt sous-estimés. Globalement, ces médicaments semblaient donc soulager très partiellement environ une personne sur dix, et c’est dans la même proportion que certains utilisateurs étaient obligés d’arrêter le traitement du fait de ses effets indésirables.
Quand un dossier ne montre rien de probant ni dans un sens ni dans un autre, les autorités de santé peuvent prendre des décisions variables. C’est ce qui explique que les médicaments visant la fibromyalgie ont été autorisés dans certains pays et pas dans d’autres, selon que les autorités concernées ont privilégié la protection des patients ou préféré mettre les produits sur le marché en attendant de voir ce qui allait se passer. La même chose s’était produite avec le Mediator, autorisé en France, mais pas en Belgique, bien que le dossier présenté eût été identique dans les deux pays. De même, le rimonabant, commercialisé sous la marque Acomplia en Europe, n’a pas été autorisé aux États-Unis ; il a finalement été retiré en Europe lorsqu’on a considéré qu’il était plus toxique qu’utile – ce qui, selon nous, ressortait déjà de son dossier initial.
M. le rapporteur. Quels sont les médicaments les plus prescrits aux patients souffrant de fibromyalgie ? Quels sont leurs effets secondaires et leurs effets iatrogènes ? Certains des médicaments relèvent-ils du champ de la pharmacovigilance pour détournement d’usage ?
M. Bruno Toussaint. La revue Prescrire ne dispose pas de moyens particuliers pour étudier les consommations de médicaments. Le rapport d’orientation de la HAS auquel vous faisiez allusion présentait des données relatives aux ventes de médicaments qui étaient sans doute fiables, et la situation ne semble pas avoir évolué depuis. Étant donné le peu d’efficacité des solutions dont ils disposent, il est probable que les patients et les soignants sont conduits à tâtonner en essayant plusieurs médicaments, auxquels chacun réagit en fonction de sa sensibilité personnelle, qui le conduit à trouver tel ou tel médicament un peu plus efficace ou un peu moins nocif qu’un autre.
Les médicaments prescrits sont d’abord les antalgiques classiques – le paracétamol, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et les opioïdes plus ou moins forts –, dont aucun n’est vraiment satisfaisant ; au demeurant, même s’ils étaient efficaces, ces antidouleurs ne constitueraient que des médicaments palliatifs.
On a également recours à certains antidépresseurs et certains anticonvulsivants. L’évaluation des antidépresseurs de la famille des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine – des antidépresseurs classiques, très prescrits – a mis en évidence des effets indésirables, mais pas d’efficacité. Pour ce qui est des inhibiteurs de la noradrénaline – la duloxétine et le milnacipran, autorisés aux États-Unis –, le dossier d’évaluation fait apparaître une efficacité minime et limitée à certains symptômes de la maladie, ainsi que des effets indésirables, et cette appréciation datant du début des années 2000 est restée inchangée à ce jour.
Parmi les anticonvulsivants, on trouve la prégabaline, qui présente une petite efficacité sur la douleur et peut-être également sur le sommeil. Les autres médicaments ont manifestement été peu évalués ou, lorsqu’ils l’ont été, n’ont semblé présenter aucun intérêt.
Pour ce qui est de la toxicité de ces différents médicaments, on observe lorsqu’ils sont prescrits dans le cas d’une fibromyalgie les mêmes effets que dans d’autres situations. Le paracétamol, antalgique de première intention, est d’une efficacité modeste, mais réelle, et ses effets indésirables sont très acceptables du moment que l’on ne dépasse pas le maximum recommandé, à savoir trois à quatre grammes par jour chez l’adulte ; au-delà, le paracétamol présente une toxicité pour le foie qui devient rapidement très sérieuse.
Parmi les anti-inflammatoires non stéroïdiens, quelques-uns émergent du lot en présentant une toxicité digestive et cardiovasculaire plutôt moindre – c’est le cas de l’ibuprofène ou du naproxène à dose raisonnable. À l’inverse, certains sont plus dangereux que les autres : je pense aux coxibs, apparus dans les années 2000 – le rofécoxib a ainsi été retiré du marché, de même que le nimésulide, en raison de sa toxicité hépatique. La nocivité de ces médicaments peut consister en une toxicité digestive ou cardiovasculaire, en un risque d’insuffisance rénale ou des problèmes cutanés – des risques survenant peu fréquemment, mais qui finissent par toucher un grand nombre de patients quand les médicaments sont pris de façon chronique.
Les antidépresseurs ont des effets cardiovasculaires – antiagrégants ou hypertenseurs, notamment – et peuvent provoquer des réactions allergiques. Ils ont évidemment de nombreux effets neuropsychiques et peuvent provoquer une certaine dépendance qui doit inciter à les prescrire avec retenue, car une proportion notable de patients ressent, lors de l’arrêt du traitement, un syndrome de sevrage pouvant conduire à reprendre le traitement en dépit de son inefficacité.
Si la prégabaline est un anticonvulsivant plutôt mieux toléré que d’autres, elle peut tout de même provoquer des effets neuropsychiques, des œdèmes et des prises de poids. Je précise que l’énumération des effets indésirables des médicaments à laquelle je procède n’a rien d’exhaustif : pour connaître la liste complète de ces effets, il est nécessaire de consulter la fiche détaillant les caractéristiques des médicaments concernés, ou leur notice d’utilisation. Enfin, il faut être conscient de la faiblesse de l’évaluation des effets au long cours de ces médicaments pour les personnes qui seraient amenées à les prendre durant plusieurs années. Il n’est pas impossible que la médication de la fibromyalgie nous réserve de mauvaises surprises dans les années qui viennent, avec la révélation d’effets ne survenant qu’au long cours.
M. Jean-Pierre Decool. Le diagnostic de la fibromyalgie est extrêmement difficile à établir, notamment en raison du fait que l’on ne dispose pas pour cela de marqueurs physiques : ni les analyses de sang ni l’imagerie médicale ne permettent de détecter le moindre élément probant. On entend parfois dire à propos de telle ou telle maladie qu’il faudra encore cinq ou dix années de recherches pour acquérir les connaissances qui permettront de la combattre efficacement. En tant que médecin et directeur de publication, vous disposez assurément d’une vue prospective : puisqu’il semble que l’on n’ait pas encore épuisé toutes les ressources de la recherche scientifique, disposez-vous d’éléments vous permettant d’espérer que l’on identifie des marqueurs de la fibromyalgie dans les années à venir ?
M. Bruno Toussaint. J’espère que toutes les pistes de recherche ne sont pas épuisées, ou que d’autres seront prochainement découvertes. La prospective est un exercice difficile que les rédacteurs de Prescrire pratiquent peu : nous nous attachons plutôt à observer l’état du marché du médicament et les actualités en matière d’effets nocifs.
Comme vous, nous avons constaté qu’il n’existe pas de test fiable en biologie ou en imagerie médicale de nature à permettre d’établir un diagnostic simple de la plupart des cas de fibromyalgie. Pour autant, ce syndrome est une réalité, c’est pourquoi il faut continuer à chercher. Nous finirons sans doute par trouver une explication – au moins à une partie des cas – et à mettre au point des tests paracliniques permettant d’établir un diagnostic et éventuellement d’évaluer l’effet des traitements, mais je n’ai aucune idée du temps que cela prendra.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Y a-t-il des alternatives aux médicaments, puisque ceux-ci ne semblent pas être efficaces sur l’ensemble de la maladie ? On peut notamment s’interroger au sujet des cures.
M. Bruno Toussaint. Le manque d’efficacité des médicaments incite effectivement les patients à se tourner vers d’autres formes de traitement. En général, l’évaluation des traitements non médicamenteux est de plus faible niveau de preuve que celle des médicaments, ce qui fait qu’une grande incertitude règne dans ce domaine. En 2008, nous avions constaté que l’acupuncture et certaines formes d’exercice physique pouvaient peut-être apporter une certaine aide aux personnes souffrant de fibromyalgie. Je n’ai malheureusement pas été en mesure de mettre à jour notre base documentaire en vue de cette audition, mais, à ma connaissance, il n’existe pas de traitement alternatif présentant un niveau d’efficacité notable. Je ne suis pas non plus en mesure de vous répondre avec précision au sujet des cures.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Notre Rapporteur a cité tout à l’heure le rapport d’orientation de la HAS évoquant « le concept de fabrication de nouvelles maladies sous la pression des industries pharmaceutiques, des lobbies médicaux, des associations de malades et des compagnies d’assurance ». Or il n’existe pas actuellement de médicament efficace contre les effets de la fibromyalgie. Comment peut-on expliquer cela ? Est-ce lié au fait que l’on n’entreprend pas suffisamment de recherches dans ce domaine, l’industrie pharmaceutique n’escomptant pas tirer de bénéfices substantiels de la mise au point d’un médicament adapté ?
M. Bruno Toussaint. Il existe des affections pour lesquelles il n’y a pas de réponse médicale satisfaisante, et la fibromyalgie en fait partie. Pour ce qui est du concept de fabrication de maladie, je dois préciser qu’il est rare qu’une maladie soit entièrement inventée : le plus souvent, on part de quelque chose dont le cadre se trouve ensuite largement étendu afin d’élargir le marché des médicaments qui pourraient être proposés.
Nous n’avons pas l’impression que la fibromyalgie donne lieu à des pressions importantes. Certes, il serait tentant pour les firmes pharmaceutiques de voir s’ouvrir le marché d’une maladie chronique pour laquelle elles pourraient proposer des médicaments palliatifs. Ainsi ont-elles réussi à créer un marché ciblant le cholestérol, le diabète et l’asthme, pour lesquels elles proposent des traitements à visée uniquement suspensive : les médicaments palliatifs ne guérissent rien, mais constituent pour elles des rentes très intéressantes. Dans le cas de la fibromyalgie, les psychotropes essayés se sont révélés très décevants, et les antidépresseurs sont rarement efficaces.
Actuellement, plutôt que de s’intéresser au traitement des affections chroniques, les firmes cherchent des niches dans lesquelles elles peuvent vendre très cher certains médicaments : on voit apparaître, par exemple, des médicaments anticancéreux ciblant précisément certains types de cancers, touchant tel ou tel organe ou survenant dans telle ou telle situation, et vendus à des prix astronomiques. C’est également le cas pour l’hépatite C, pour laquelle il existe des médicaments présentant une certaine efficacité pour un ou des génotypes donnés.
La préférence accordée aux stratégies de ce type explique la faiblesse des efforts consacrés à la recherche visant les maladies chroniques telles que la fibromyalgie – d’autant que, si les prix très élevés pratiqués au sein des niches lucratives que j’ai décrites bénéficient d’une certaine acceptation sociale, cela n’est pas le cas pour les maladies chroniques.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Pouvez-vous développer un peu ce que vous nous avez dit au sujet des traitements alternatifs, notamment des cures ?
M. Bruno Toussaint. Il ressortait de notre synthèse méthodique de 2008 que l’acupuncture et certaines modalités d’exercice physique étaient susceptibles d’apporter un certain soulagement aux personnes souffrant de fibromyalgie, mais il ne semble pas que des découvertes aient été faites dans ce domaine au cours des dernières années. Cela ne signifie pas pour autant qu’aucune solution n’existe dans ce domaine, et sans doute faut-il continuer à chercher.
D’une manière générale, l’évaluation des interventions non médicamenteuses est souvent beaucoup moins étoffée que celle des médicaments, ce qui s’explique par le fait que l’essentiel du financement de la recherche portant sur les traitements provient des firmes pharmaceutiques. Par ailleurs, si la recherche clinique de traitements coûte souvent beaucoup moins cher que ce qu’affirment les laboratoires, elle a tout de même un coût, expliquant également leur réticence – mais nous abordons là un autre débat, celui du financement de la recherche médicale, qui dépasse le cadre de la fibromyalgie.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Au nom de notre commission, je vous remercie pour votre intervention.
Audition du docteur Michel Varroud-Vial, conseiller médical,
de M. Philippe Magne, conseiller expert
et du docteur Gaël Rimbault, conseiller médical
de la Direction générale de l’offre de soins
(Procès-verbal de la séance du mardi 28 juin 2016)
Présidence de Mme Annie Le Houerou, vice-présidente de la commission d’enquête
Mme Annie Le Houerou, présidente. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Michel Varroud-Vial, M. Philippe Magne et M. Gaël Raimbault prêtent serment.)
M. Michel Varroud-Vial, conseiller médical à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Je vous dirai la vision qu’a la DGOS de l’organisation de l’offre de soins pour la fibromyalgie, maladie caractérisée par des douleurs diffuses chroniques accompagnées d’une fatigue souvent intense et de troubles du sommeil, fréquemment associées à une anxiété ou une dépression. Elle a été reconnue en 1992 par l’Organisation mondiale de la santé comme une maladie rhumatismale, puis, en 2006, comme une entité nosologique indépendante à laquelle a été attribué un code spécifique de la classification internationale des maladies. La prise en charge globale de la fibromyalgie a fait l’objet de recommandations internationales en 2007, et en juillet 2010 d’un rapport d’orientation – recensement des connaissances plutôt que recommandations à proprement parler – de la Haute Autorité de santé (HAS).
Les mesures visant à organiser la prise en charge de ce syndrome doivent satisfaire trois objectifs. Le premier est le repérage du syndrome lors des soins primaires. Il est rendu difficile par l’absence de symptômes spécifiques et par une prévalence peu élevée en médecine générale : selon les données du panel Thales/Cegedim de 2008, qui est le dernier disponible, les médecins généralistes posent le diagnostic de fibromyalgie pour trois patients par an, soit 0,2 % de leur activité, contre 2 % pour les rhumatologues libéraux. Cela montre à quel point il est nécessaire, pour ne pas laisser des personnes atteintes de fibromyalgie non reconnues, de former et d’outiller les professionnels de santé.
Le second enjeu est celui du diagnostic positif, qui inclut nécessairement un temps de diagnostic différentiel avec des maladies aux expressions cliniques voisines. Cela suppose d’orienter les patients vers les services de médecine interne ou de rhumatologie ou vers les rhumatologues libéraux ayant une expertise sur ce plan.
Le troisième enjeu est celui d’une prise en charge thérapeutique spécifique, qui nous paraît devoir être multidisciplinaire. Le traitement pharmacologique de la douleur peut être engagé au mieux dans les structures d’étude et de prise en charge de la douleur chronique (SDC) qui, selon deux enquêtes convergentes de ce qui était alors la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins – devenue la DGOS – et de la HAS, consacrent 11 % de leur activité aux patients pour lesquels le diagnostic de fibromyalgie a été porté. Mais à ce traitement doivent être associés les traitements non pharmacologiques que sont les soins psychologiques et les médecines complémentaires dites aussi médecines alternatives. Cela implique la coopération entre soignants, particulièrement entre médecins généralistes et SDC, et l’utilisation raisonnée des médecines complémentaires ; le professeur Jean Sibilia, vice-président de la conférence des doyens des facultés de médecine, avec qui je me suis entretenu en préparant cette audition, nous a indiqué projeter la création d’un observatoire des médecines complémentaires, ce qui permettrait de progresser sur ce plan.
De ces enjeux multiples découle la nécessité de mobiliser les acteurs à ces différents niveaux et d’organiser leur coordination plutôt que de créer une filière spécifique de la fibromyalgie. Cela correspond à la préconisation de la HAS visant à organiser une prise en charge précoce et graduée, reprise à l’article 68 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 qui ajoute aux missions du médecin généraliste de premier recours celle « d’administrer et coordonner les soins visant à soulager la douleur », précisant que, « en cas de nécessité, le médecin traitant assure le lien avec les structures spécialisées dans la prise en charge de la douleur ».
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Quel est l’état de la recherche française sur la fibromyalgie ? Quels programmes sont actuellement financés sur crédits publics, quel est leur objet et à quel montant les estimez-vous ?
M. Gaël Raimbault, adjoint au sous-directeur du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins à la Direction générale de l’offre de soins. Pour les équipes françaises, la recherche sur la fibromyalgie s’exerce dans le domaine psychosomatique, qui a fait l’objet d’une littérature internationale assez abondante, et dans celui des sciences « dures », où les publications sont plus rares. Un seul des programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) financés par la DGOS depuis 2010 est centré sur la fibromyalgie. Intitulé « Impact d’un programme d’entraînement spécifique sur la neuro-modulation des douleurs chez les sujets fibromyalgiques » et promu par le centre hospitalier universitaire de Brest depuis 2013, ce projet avance à un rythme correct puisqu’il a dépassé 50 % des inclusions prévues. Plus largement, trente-cinq PHRC sont en cours qui portent sur la douleur chronique ou la douleur rebelle, pour un financement total de quelque 7, 5 millions d’euros. Enfin, la recherche bibliographique des publications relatives à la fibromyalgie en France met à jour huit articles depuis 2014, dont trois sont consacrés à la validation d’outils de repérage de la fibromyalgie en médecine générale ou en rhumatologie.
M. le rapporteur. Comment assurer une prise en charge harmonisée du syndrome sur l’ensemble du territoire ?
M. Michel Varroud-Vial. Nous pouvons vous dire les cinq leviers à disposition de la DGOS à cet effet. C’est d’abord le développement professionnel continu. Il y a aussi le développement des équipes de soins primaires réglé par l’article 64 de la loi du 26 janvier 2016, ainsi que les possibilités permises par la mise en place des communautés professionnelles territoriales de santé, prévue à l’article 65 de la même loi, et des plateformes territoriales d’appui, prévues à l’article 74. Ces dispositions concernent principalement la médecine ambulatoire, mais l’article 108 de la loi nous donne, avec les groupements hospitaliers de territoire, un autre levier qui peut être utilisé dans les projets médicaux hospitaliers. Projets et coopérations peuvent donc voir le jour pour répondre aux enjeux précédemment évoqués. Le cinquième levier est plus directement à la main de la DGOS : ce sont la labellisation selon un cahier des charges et le suivi des SDC financées par une mission d’intérêt général. Nous avons publié le 13 mai 2016 une instruction relative au renouvellement de ces structures.
En appui des soins délivrés en ville et à la demande du médecin traitant, la prise en charge des différentes douleurs chroniques est réalisée par un réseau de 260 SDC, structures spécialisées pluriprofessionnelles polyvalentes. L’éventualité de consacrer certaines de ces structures au traitement de types déterminés de syndromes douloureux pour lesquels l’errance thérapeutique est rapportée a été évoquée par un groupe de travail réuni le 3 juillet 2014 sous l’égide de la DGOS, qui associait des professionnels, des représentants de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) et Mme Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France. Ce groupe de travail a conclu que les SDC devaient rester polyvalentes, et qu’il était préférable d’élargir leurs compétences en leur demandant de s’engager dans la recherche et l’enseignement et de disposer d’une masse critique. Le cahier des charges régissant le renouvellement du dispositif national des SDC tient compte de ces dispositions nouvelles ; j’ai rappelé la circulaire du 13 mai 2016 diffusée à cet objet.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Vous avez évoqué l’errance diagnostique dont sont victimes certains patients et le rôle crucial du médecin généraliste dans la coordination des soins. Nous avons constaté la tendance à des prescriptions multiples de traitements médicamenteux dont l’efficacité n’est pas avérée, mais dont les effets iatrogènes sont possibles. Il est donc peu surprenant que la pathologie s’accompagne souvent d’un syndrome dépressif dont on ne sait s’il s’explique par la difficile prise en charge de la maladie. La formation des médecins n’est-elle pas en cause ?
M. Michel Varroud-Vial. L’errance diagnostique s’explique par le fait qu’en dépit des importants progrès réalisés, notamment grâce aux associations, les généralistes sont encore peu au fait d’une maladie dont la faible prévalence fait obstacle à un diagnostic précoce. Le diagnostic relevant exclusivement de l’examen clinique, il est indispensable que les médecins disposent d’une formation adéquate et d’un outil simple de dépistage clinique. L’errance thérapeutique peut en effet conduire à la prescription de molécules antidépressives ou antalgiques aux effets iatrogènes possibles, d’autant que les malades, faute d’un nom donné à l’affection dont ils souffrent, consultent de multiples spécialistes. L’efficacité thérapeutique suppose, je l’ai dit d’emblée, un partenariat renforcé entre médecins généralistes, spécialistes et SDC, car la prise en charge pharmacologique ne suffit pas. La prise en charge psychologique est souvent très importante et le recours aux « médecines complémentaires » doit probablement être promu. Cette coopération thérapeutique pourra éviter des traitements lourds qui ne font pas toujours la preuve de leur efficacité.
M. Gaël Raimbault. La préoccupation que vous exprimez, madame la présidente, vaut pour toutes les maladies rares. C’est pourquoi il était nécessaire d’inscrire les médecins généralistes dans un système de prise en charge graduée et dans un environnement dans lequel ils peuvent disposer de ressources. C’est un axe majeur de la politique du ministère de la santé, conscient que l’on ne répondra jamais à ces questions par la seule formation individuelle. Parce qu’il y a trop à savoir, il faut construire des filières très diffusantes, y compris en médecine de ville, de manière que les généralistes disposent des outils d’appui qui leur sont nécessaires dès la première prise en charge des patients.
M. Arnaud Viala. Les auditions s’enchaînent et nos frustrations persistent. Alors que le constat est unanimement partagé – il faut parfaire la formation des médecins, la méthodologie du diagnostic, la prise en charge globale des malades et le traitement –, quels verrous empêchent la prise en charge, la reconnaissance de la maladie et son traitement ? Manque-t-il une commande politique ? En ce sens, l’existence de cette commission d’enquête sera-t-elle perçue comme un premier niveau de prise en charge devant conduire à une décision politique pour permettre d’améliorer la reconnaissance sociétale et peut-être financière de la fibromyalgie ?
M. Gaël Raimbault. Il y a, me semble-t-il, deux niveaux de réponse à votre question. La première difficulté tient à ce que la fibromyalgie étant rarement rencontrée, les généralistes ne s’orientent pas spontanément vers ce diagnostic ; il faut donc les former aux symptômes de la maladie et parvenir à ce qu’ils travaillent davantage en réseau. Il y a une volonté politique forte en ce sens, qui trouve sa traduction dans la stratégie nationale de santé, définie pour que les professionnels de santé accèdent aux ressources dont ils ont besoin.
Plus largement, une place a été faite depuis la fin des années 1990 à la prise en charge de la douleur dans l’organisation des soins et les 260 SDC forment un maillage assez dense sur le territoire français. La question est de savoir comment faire pour que les généralistes leur adressent les patients qui se trouveraient bien de les consulter. Il est important de faire comprendre que le traitement des patients fibromyalgiques est pris au sérieux ; cependant, plutôt que d’afficher que l’on fait de la fibromyalgie une priorité nationale alors qu’elle demeurera une pathologie assez rare, mieux vaut privilégier le travail souterrain qu’est l’organisation de la filière de soins selon les modalités décrites.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Il est singulier d’entendre qualifier de « rare » une affection qui touche, selon les estimations, de 2 % à 4 % de la population.
M. Gilles Lurton. C’est également un sujet d’étonnement pour moi. Peut-on vraiment dire qu’une maladie est rare tout en expliquant que les médecins généralistes ne savent pas toujours la reconnaître ? Dans nos circonscriptions, nombreux sont ceux qui se plaignent de souffrir de cette maladie et de ne pas être pris en charge comme ils le souhaiteraient. Il faudrait pour commencer définir la pathologie.
M. Michel Varroud-Vial. Gaël Raimbault a qualifié la fibromyalgie de « maladie rare », car telle est la réalité dans la patientèle des médecins généralistes qui, selon les seules données dont nous disposons, portent chacun ce diagnostic trois fois l’an. C’est tout à fait disproportionné par rapport aux enquêtes épidémiologiques menées à l’échelle internationale, qui font état d’une prévalence de 2 % à 3 %. Nous en déduisons comme vous que le diagnostic n’est pas fait pour de nombreux patients. La difficulté tient à ce que la pathologie est perçue comme assez peu fréquente par les généralistes, mais beaucoup plus par les rhumatologues libéraux, et c’est une préoccupation quotidienne pour les centres de la douleur. L’obstacle à la prise en charge vaut pour tous les problèmes de santé dont la perception est inégale selon le niveau de soin.
Il en va autrement, par exemple, pour le diabète de type 2, dont un généraliste diagnostique cinquante cas par an. La difficulté que vous soulignez tient à la répartition « en entonnoir » du diagnostic selon le niveau de soin. De plus, la fibromyalgie, n’étant pas considérée comme une maladie rare, ne bénéficie pas de cette filière de prise en charge spécifique. Plusieurs verrous doivent sauter : le faire-savoir, la formation, l’outillage, la coopération, l’ouverture des centres de la douleur. Et, comme toujours en de tels cas, il faut hiérarchiser les actions nécessaires. Il est probable que la préparation de cette audition nous a permis d’y réfléchir davantage.
M. Gaël Raimbault. Peut-être la prise de conscience par les professionnels de santé de ce que les symptômes fibromyalgiques doivent être pris en charge sérieusement n’est-elle pas encore suffisamment ancrée dans les esprits, et pour cela une expression politique peut être utile, mais elle ne permettra pas en soi d’aboutir au maillage et à la prise en charge coordonnée souhaitables.
M. Frédéric Reiss. Pour certaines maladies rares, le diagnostic est certain ; pour la fibromyalgie, l’incertitude est complète. La prise en charge médicamenteuse ne suffit pas, avez-vous dit, mettant l’accent sur l’apport des « médecines complémentaires ». Pourriez-vous nous dire à quels types de soins vous faites allusion et si l’on obtient par ce biais des résultats avérés par une évaluation scientifique ?
M. Michel Varroud-Vial. L’effet de ces thérapies pour les patients est indéniable, particulièrement pour ce qui est du reconditionnement à l’effort. Ces méthodes qui vont de la réadaptation physique aux cures thermales sont les plus efficaces. Mais, faute d’études et de classification de ces types de médecine, dire que l’on en a la preuve scientifique serait s’avancer. C’est pourquoi l’initiative prise par la conférence des doyens de créer un observatoire des médecines complémentaires est fondamentale ; cela permettra de rationaliser l’usage et de l’évaluer. Ce serait certainement un progrès pour de nombreux patients fibromyalgiques.
M. Jean-Pierre Decool. Comment estimer le nombre de patients atteints des mêmes symptômes alors que tous ne consultent pas ? Une corrélation est-elle possible entre fibromyalgie et myopathies ? Si tel est le cas, peut-on envisager de faire cause commune en menant des recherches sous l’égide de l’Association française contre les myopathies ?
M. Michel Varroud-Vial. La fibromyalgie n’est pas un dérèglement musculaire ou neuropathique ; c’est une maladie du contrôle central de la douleur, ce qui la différencie nettement des myopathies. On note néanmoins la présence fréquente de symptômes de l’inflammation musculaire et des études ont évalué les effets du reconditionnement à l’effort sur ces syndromes biologiques d’inflammation aspécifiques, mais qui peuvent diminuer à la reprise de l’effort ; là encore, le cadre étiologique n’est pas clair. Les troubles du sommeil sont présents dans 90 % des cas, ce qui est très important, mais non spécifique ; anxiété, douleur, troubles de l’articulé dentaire, hypotension, dépression sont très inégalement répartis. On observe aussi une très nette prévalence de la maladie dans la population féminine, ce qui ne permet pas de tirer quelque conclusion que ce soit.
M. le rapporteur. Comment sont financés les centres antidouleur et quelle a été l’évolution de leur financement depuis 2012 ? Sont-ils répartis de manière équilibrée sur le territoire ? Sont-ils en mesure de répondre à la demande ? Comment font-ils face à la baisse de leurs moyens humains ?
M. Philippe Magne, conseiller expert à la Direction générale de l’offre de soins. Il existe environ 260 structures labellisées SDC en France. Ce sont pour moitié des consultations pluriprofessionnelles et pour moitié des centres, mais l’appel à candidatures de ces structures pour 2017, lancé le 13 mai dernier, prévoit une répartition à terme d’environ deux tiers de consultations et un tiers de centres. Les centres sont tenus de réaliser au moins une réunion mensuelle de concertation pluridisciplinaire pour les cas complexes, et ils ont une mission de recherche et/ou d’enseignement : soit la responsabilité pédagogique d’un diplôme universitaire sur la douleur, soit une activité de recherche formalisée par des publications référencées.
Dans chaque région, il doit exister au moins un centre polyvalent et un centre pédiatrique. Pour les prises en charge hors hospitalisations, les SDC sont financées, outre le remboursement des consultations externes par l’assurance maladie, par une dotation de mission d’intérêt général de 61 millions d’euros en tout. Ce montant a été stable ces dernières années, après qu’une revalorisation importante a eu lieu dans le cadre du plan national d’amélioration de la prise en charge de la douleur 2006-2010. Cette dotation permet de prendre en charge des frais de structure au-dessus d’une certaine masse critique et la DGOS s’est attachée à en préserver le montant en dépit du plan d’économies de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Le financement est indexé sur l’activité de chaque SDC puis régionalisé ; les agences régionales de santé sont libres de l’affectation définitive des financements entre les structures, qu’elles peuvent éventuellement moduler en fonction de critères de qualité.
La couverture nationale est satisfaisante. L’activité des SDC augmentant
– l’accroissement a été de 15 % entre 2013 et 2015 –, il est prévu de revoir la modélisation de leur financement et de le rationaliser. Plusieurs mesures ont été prises dans ce cadre. Je citerai l’inscription des SDC dans le suivi de la statistique annuelle des établissements de santé de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, pour permettre le suivi des effectifs et des activités, et le lancement, prévu à l’automne 2016, d’une enquête sur l’activité externe des SDC qui visera à déterminer son coût rapporté au nombre d’équivalents temps plein financés.
L’objectif de la labellisation est que le délai d’attente en première consultation dans un centre de la douleur soit inférieur à un mois, délai concevable pour des maladies chroniques ; selon une étude de la SFETD, ce délai est actuellement compris entre deux et huit mois. Enfin, je n’ai pas connaissance d’une diminution des effectifs des SDC, mais les deux outils mentionnés permettront de suivre l’affectation des personnels dans ces structures en fonction de l’activité enregistrée.
Mme Annie Le Houerou, présidente. Messieurs, je vous remercie.
Audition du docteur Isabelle Gremy, directrice des maladies non transmissibles et traumatismes de l’Agence nationale de santé publique
(Procès-verbal de la séance du mardi 5 juillet 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je souhaite la bienvenue au docteur Isabelle Grémy.
Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions ; celles-ci sont donc ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Isabelle Grémy prête serment.)
Mme Isabelle Grémy, directrice des maladies non transmissibles et des traumatismes à l’Agence nationale de santé publique (ANSP). Le directeur général de l’Agence nationale de santé publique – que l’on appelle aussi Santé publique France – m’a demandé de le représenter car, dans le cadre de la nouvelle organisation de cette agence, le département des maladies non transmissibles et des traumatismes serait le plus à même de prendre en charge la surveillance de la fibromyalgie.
Dans un premier temps, je souhaite vous expliquer la façon dont nous effectuons la surveillance des maladies non transmissibles. J’aborderai ensuite, en répondant aux questions que vous m’avez adressées, le cas spécifique de la fibromyalgie. Il est important que vous connaissiez le contexte contraint dans lequel nous assurons la surveillance épidémiologique dans de nombreux domaines, depuis la santé périnatale jusqu’aux maladies neurodégénératives
Cette surveillance concerne principalement les cancers, les maladies neuro-cardiovasculaires, le diabète, la santé mentale – avec un volet sur le suicide, puisque nous sommes très impliqués dans l’Observatoire national des suicides mis en place par la ministre des affaires sociales et de la santé. Nous assurons également la surveillance de tout ce qui concerne les traumatismes. S’agissant des cancers, nous assurons la surveillance de vingt-cinq localisations de cancers, et sommes également en charge du dépistage organisé du cancer et de son évaluation. Toutes les informations émanant des cent structures de gestion nous reviennent également.
Le champ de notre surveillance est donc important pour une direction qui compte cinquante personnes, réparties en quatre unités : affections cardio-respiratoires et diabète ; santé mentale, cancer et maladies neurodégénératives ; tabac, alcool et santé périnatale ; traumatismes.
La surveillance épidémiologique est faite de manière à assurer le suivi des maladies chroniques et des traumatismes, ainsi que de leurs déterminants et de leurs complications. Il s’agit pour nous de surveiller la fréquence et la gravité des pathologies, leurs tendances temporelles, les disparités géographiques et socio-démographiques, les déterminants de l’état de santé.
Comme vous le savez, on estime entre 10 et 11 millions le nombre de personnes en affection de longue durée (ALD) actuellement. Nous constatons chaque année 355 000 nouveaux cas de cancer et 148 000 décès des suites de cette maladie. Les maladies cardio-vasculaires sont responsables de 30 % des décès. Le diabète touche 5 % de la population, l’asthme 10 % des enfants et 6 % des adultes. Une personne sur deux est en surpoids, et 17 % de la population est en situation d’obésité. Les troubles neuro-psychiatriques sont la première cause d’invalidité et la quatrième cause d’ALD. Le champ de notre surveillance est donc extrêmement vaste, et encore faut-il y ajouter les décès consécutifs à des traumatismes, au nombre de plus de 30 000.
Il nous est demandé de faire la surveillance épidémiologique de l’ensemble de ces pathologies et de produire des indicateurs fiables, qui rendent compte de l’épidémiologie d’une pathologie chronique et des traumatismes. Ces indicateurs doivent être à la fois réactifs, produits en routine et déclinables au niveau infra-régional, à un niveau géographique correspondant au niveau d’action, puisque nous ne récoltons des données qu’en vue d’actions pour le suivi épidémiologique des plans de santé publique comme le plan cancer 3, le plan national nutrition-santé, le plan maladies neurodégénératives, pour n’en citer que trois parmi ceux qui sont en cours.
Le contexte de notre action est en forte évolution, le big data nous ouvrant l’accès à des bases de données de plus en plus complexes. Nous nous aidons de trois sources de données principales pour la surveillance. En premier lieu, des enquêtes transversales répétées. En deuxième lieu, des dispositifs spécifiques, tels que, par exemple, des registres de morbidité permettant de recenser de façon exhaustive, sur un territoire donné, les cas de cancer. En troisième lieu, les bases de données médico-administratives, qui proviennent pour la plupart de l’assurance maladie : elles n’ont pas été construites à des fins épidémiologiques, mais elles peuvent être utilisées à cette fin, moyennant des validations et une méthode assez complexes. Il s’agit du système national d’information interrégimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), qui regroupe le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), les ALD et tout ce qui concerne les traitements et les actes médicaux.
L’utilisation de ces trois sources de données nous donne un panorama assez exhaustif des principales pathologies dont le fardeau, en termes de mortalité et de morbidité, est important. Nous privilégions la surveillance des pathologies accessibles à des mesures de santé publique. Il faut que la pathologie retenue puisse faire l’objet d’une prévention – qu’elle soit primaire, secondaire ou tertiaire, qu’elle soit sélective ou universelle – ou d’un plan de santé publique. En général, si les pathologies font l’objet d’un plan de santé publique, c’est qu’il y a matière à les faire évoluer. Ce sont les choix qui ont été faits pour établir les priorités de prévention.
Notre département a été créé en 1999. Pour lancer le plan de surveillance, nous avons eu recours à la méthode Delphi. En regroupant une centaine d’experts, nous avons essayé de définir un plan de développement de notre département et de surveillance. Naturellement, c’est le suivi des grosses pathologies des maladies non transmissibles qui a d’abord été mis en place : diabète, maladies cardiovasculaires, cancer, maladies respiratoires chroniques. La santé périnatale, la santé mentale, les maladies neurodégénératives et des approches par population – santé de l’enfant et santé des personnes âgées – sont venues s’y ajouter dans un second temps.
Telle est la façon dont Santé publique France surveille les maladies non transmissibles.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Quels sont les principaux obstacles à l’amélioration de la surveillance de la fibromyalgie par l’ANSP ?
Mme Isabelle Grémy. Nous ne surveillons pas la fibromyalgie. Notre agence résulte de la fusion de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) et de l’Institut national de veille sanitaire (INVS). J’ai demandé si l’INPES avait mis en place des mesures concernant la fibromyalgie ; la réponse est négative, s’agissant de la surveillance comme d’éventuelles actions de prévention à l’égard des professionnels de santé ou des patients atteints de fibromyalgie.
De mon point de vue, les obstacles à cette surveillance sont nombreux.
Le premier est que la fibromyalgie n’a pas de poids de mortalité, et que son poids de morbidité est extrêmement difficile à évaluer, son incidence étant estimée entre 0,5 % et 5 %. Dans le questionnaire que vous m’avez fait parvenir, vous l’évaluez entre 2 % et 5 %, mais j’ai passé en revue la littérature de manière extensive, et j’y ai trouvé une étude extrêmement intéressante : une grande enquête du National Health Intervention Survey des États-Unis, répétée depuis de nombreuses années. En 2012, elle a été consacrée à la fibromyalgie, et il en ressort que, si l’on élimine les faux positifs, la variabilité de la prévalence est beaucoup plus importante : entre 0,5 % et 5 %.
Le deuxième obstacle est que la fibromyalgie est une entité nosologique mal définie. L’évolution des critères de l’American College of Rheumatology – ceux de 1990, puis ceux de 2010, enfin ceux de 2010 modifiés – en est la preuve. De 1990 à 2010, nous sommes passés d’une définition purement musculaire à une définition beaucoup plus large, qui incluait des indicateurs tels que troubles du sommeil, fatigue persistante ou troubles cognitifs. Nous avons donc beaucoup de mal à identifier et à cerner cette entité nosologique.
Une autre étude américaine a comparé les résultats obtenus respectivement sur la base des critères de 1990, de ceux de 2010 et de ceux de 2010 modifiés. Ces derniers permettent de recourir à un questionnaire standardisé sans passer nécessairement par un médecin clinicien, ce qui pourrait être un instrument intéressant pour une enquête transversale. Mais, selon les critères retenus, les résultats donnent une prévalence de 1,7 %, de 1,2 % ou de 5 %.
Il me semble que la fibromyalgie est encore une pathologie en cours de délimitation, en cours d’étiologie. Pour l’instant, ce n’est pas un objet candidat à la surveillance épidémiologique, c’est-à-dire la production d’indicateurs réguliers.
Deux études françaises ont été menées sur la fibromyalgie. Elles aboutissaient à une prévalence de 1,4 %, en se fondant à la fois sur les critères retenus par les Américains et sur le classement des données probantes proposé par le Centre for Evidence Based Medicine (CFEBM) d’Oxford, car la politique de l’Agence nationale de santé publique est de fonder l’épidémiologie sur des données probantes.
Ces éléments expliquent que la fibromyalgie n’ait pas fait l’objet d’une surveillance épidémiologique jusqu’à présent, et qu’elle n’en fera probablement pas l’objet dans un avenir proche. Elle ne répond pas aux critères de fardeau de la maladie et de « préventabilité » - excusez le néologisme ! En revanche, d’autres critères interviennent, et les inquiétudes de la société en font partie. Ce sont des indicateurs qui pourraient être pris en compte dans le cadre d’une surveillance épidémiologique.
Selon nos critères, la précision nosologique n’existe pas encore, et le fardeau est absent. Mon département doit réaliser la surveillance épidémiologique de la préconception jusqu’à l’Alzheimer avec des ressources limitées...
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par absence de « fardeau » ?
Mme Isabelle Grémy. Je reconnais que la terminologie est totalement inappropriée. Du point de vue épidémiologique, le fardeau est le poids de morbidité et le poids de mortalité. Il n’y a pas de poids de mortalité dans le cas de la fibromyalgie. Quant au poids de morbidité, il n’est pas connu à ce jour. Le poids de morbidité se mesure par différents indicateurs, notamment les années de vie passées en bonne santé ou la qualité de vie.
Le poids de morbidité de la fibromyalgie est incontestable, et il ne faut absolument pas le nier. Mais, dans l’immédiat, il est préférable d’orienter les efforts vers la recherche thérapeutique, la délimitation, la recherche des causes de la maladie. Pour l’instant, nous n’avons pas de cause identifiée ni de marqueurs biologiques de cette maladie, dont la définition a évolué de manière importante au cours des dernières décennies. Je pense que la fibromyalgie est un sujet pour la recherche, mais il n’y a pas encore beaucoup de recherches en cours, et l’objet n’est donc pas encore accessible à la surveillance épidémiologique.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Au vu des personnes que nous rencontrons et des témoignages qui nous parviennent, je peux vous assurer que cette maladie constitue bien un « fardeau » !
Hier, avec le rapporteur Patrice Carvalho, nous avons visité un centre de la douleur. Nous avons rencontré un groupe de femmes atteintes de fibromyalgie qui suivent un programme d’éducation thérapeutique.
Il est étrange d’entendre dire, à propos de ce syndrome, que ce n’est pas une maladie, qu’il faut faire des recherches, alors que nous constatons que des milliers de personnes souffrent de ce syndrome et que les moyens manquent pour les prendre en charge. Il semble qu’il n’y ait pas d’engagement de la part des différents agents pour essayer de mieux surveiller et mieux comprendre la maladie, sans attendre que la recherche ait trouvé quelque chose. Certaines personnes nous disent avoir cherché pendant dix ans, et avoir vécu dix années d’errance médicale.
Nous avons d’ailleurs une question à vous poser sur le coût de ce syndrome. Les personnes que nous avons rencontrées hier ont passé des scanners et des examens multiples, et elles-mêmes nous disaient avoir coûté beaucoup d’argent à la sécurité sociale avant que quelqu’un, enfin, leur dise qu’elles souffraient de fibromyalgie et qu’elles pourraient suivre un programme d’éducation thérapeutique. Et encore ces programmes ne sont-ils pas accessibles à tout le monde, faute de moyens.
En vous écoutant, nous avons l’impression que ce n’est pas demain que Santé publique France s’occupera de cette maladie. Je pense qu’il serait tout de même intéressant de mettre en place une surveillance sur ce sujet. Ne serait-il pas possible de faire des exceptions, même si les données sur l’origine et la définition de la maladie sont manquantes ? Nous avons l’impression qu’elle ne se soigne pas, qu’aucun médicament ne viendra guérir cette maladie.
La commission d’enquête a l’impression que l’on tourne en rond…
Mme Isabelle Grémy. La fibromyalgie est un diagnostic par défaut, que l’on pose lorsque toutes les autres causes ont été éliminées. Elle est donc propice à l’errance médicale. La définition même de la fibromyalgie fait que l’on ne peut poser ce diagnostic qu’après avoir éliminé l’ensemble des autres causes rhumatismales. C’est assez compliqué, je ne sais pas comment faire pour que les problèmes de fibromyalgie soient mieux pris en charge, mais mon propos n’est pas du tout de nier ces problèmes.
Le fait est que nous ne savons pas surveiller une maladie dont la définition est aussi imprécise et dont la prévalence fait l’objet d’une variabilité aussi importante selon les critères retenus. Par exemple, entre la première enquête sur les critères de 1990 et celle réalisée avec les critères de 2010 modifiés, le rapport est passé de treize femmes pour un homme à deux femmes pour un homme.
On ne peut pas repérer la fibromyalgie dans les bases médico-administratives. Elle a un seul code selon la classification internationale des maladies (CIM) : M79.7. J’ai fait une recherche avec ce code dans les bases de données médico-administratives, en diagnostic principal et en diagnostic associé. Sur une trentaine de millions d’hospitalisations annuelles, j’ai trouvé un code de diagnostic de la fibromyalgie dans 15 024 hospitalisations, mais pour seulement 2 000 hospitalisations en diagnostic principal ; dans le reste des cas, c’était un diagnostic associé, qui n’était donc pas la première cause d’hospitalisation.
Dans les bases de données médico-administratives, qui n’ont pas été créées pour l’épidémiologie, tous les professionnels de santé retiennent-ils la même définition de la fibromyalgie ? Tous les actes sont-ils parfaitement codifiés, appréhendés, connus, identifiés ? Je ne le pense pas. Par conséquent, les efforts à faire portent sur la connaissance de la maladie : je ne crois pas avoir eu un seul cours sur la fibromyalgie. Il est vrai que je ne suis plus toute jeune et que cette maladie a été identifiée récemment, mais je ne crois pas qu’il y ait actuellement beaucoup de cours sur elle.
Quand votre commission m’a demandé de travailler sur la fibromyalgie, j’ai pensé qu’il fallait que nous nous penchions sur ce problème, que nous étudiions l’amplitude de la littérature qui existe, l’étendue de la mortalité et de la morbidité, ainsi que le dommage physique et moral impliqué. La question est ouverte. Il y a, à l’évidence, une vraie pathologie et la reconnaissance de cette maladie est en train de progresser rapidement. Votre commission y contribue.
Lorsque nous avons créé notre département, nous avons commencé par les grandes pathologies, puis nous nous sommes intéressés à la santé mentale, aux maladies neurodégénératives, à des approches par populations vulnérables, à la santé des détenus. Il faut avoir conscience de l’énorme éventail de pathologies à surveiller et du peu de ressources dont je dispose. Je ne pense pas qu’il faille commencer par la surveillance épidémiologique, car je doute que l’on puisse fournir des données fiables.
M. Arnaud Viala. Votre réponse et votre argumentation sont compréhensibles, mais aussi perturbantes. Vous dites qu’il faut faire progresser la prise en compte des dommages de tous ordres causés par ce trouble, mais que cela ne peut pas être mis à la charge de votre département car l’état de la science est insuffisamment avancé.
Nous avons du mal à trouver comment faire avancer ce sujet. Selon vous, par où faudrait-il commencer ? Vous dites qu’il faut approfondir la recherche, mais lorsque nous recevons les chercheurs, ils nous disent qu’ils ont besoin d’éléments statistiques et objectifs pour cela. C’est un cercle vicieux, et si personne ne décide de commencer, nous n’allons jamais pouvoir avancer.
Pour que des députés se saisissent d’un tel sujet et décident de la création d’une commission d’enquête, procédure éminemment rare, c’est qu’il suscite un émoi et une large préoccupation. Est-ce que cela alerte vos structures sur la nécessité de repenser votre posture à l’égard de ces troubles ? Que diriez-vous si, parmi ses conclusions, la commission d’enquête demandait formellement à votre département d’inscrire ce trouble parmi vos sujets d’étude ?
Mme Isabelle Grémy. Les principaux critères qui nous font retenir un thème pour la surveillance épidémiologique sont la possibilité d’une prévention et le fardeau en termes de mortalité et de morbidité. D’autres critères peuvent évidemment intervenir, et les inquiétudes de la société – que vous représentez – doivent indéniablement être prises en compte.
Je poserai la question à la direction générale de l’INVS, et nous serons peut-être amenés à en discuter dans le cadre de nos comités d’évaluation interne ou lors du prochain conseil scientifique de l’Agence.
La revue de littérature montre qu’il existe un problème, un véritable fardeau, qui doit être pris en considération. La Haute Autorité de santé (HAS) a commencé à s’y intéresser et a formulé des préconisations. Autant que je sache, ces préconisations ne concernent pas la surveillance épidémiologique ; elles portent sur la prise en charge, l’accompagnement et la reconnaissance des patients, les traitements médicamenteux et non médicamenteux. Si nous sommes officiellement saisis pour exercer une surveillance épidémiologique de la fibromyalgie, nous le ferons. Mais je pense toujours à l’intérêt général global, et il me semble concentrer nos moyens sur un système de surveillance particulier se ferait forcément au détriment d’un autre. Aussi ces décisions doivent-elles être mûrement pesées. Je suis consciente que ma réponse ne vous satisfait pas complètement…
M. Alain Ballay. Vous avez parlé de taux de morbidité et de mortalité. Sachant que la fibromyalgie peut être liée à un syndrome dépressif, avez-vous des données sur le nombre de suicides ou de tentatives de suicide de personnes atteintes de fibromyalgie ?
Par ailleurs, dès lors que vous pensez qu’une étude épidémiologique risque de ne pas faire avancer la prise en charge de ce syndrome, que proposez-vous pour progresser ?
Mme Isabelle Grémy. Pour une bonne surveillance épidémiologique, il faut des instruments de mesure susceptibles d’être utilisés lors d’enquêtes sur la population générale. C’est ce qui a été fait dans la grande enquête réalisée aux États-Unis, qui porte tout de même sur 222 millions de personnes. C’est la plus grande étude qui ait été faite en population générale. Elle montre la grande variabilité du diagnostic clinique et du diagnostic épidémiologique lorsque l’on introduit un questionnaire dans une enquête.
La première étape devrait consister à faire valider la définition et les instruments de mesure. On ne peut pas commencer à faire de la surveillance épidémiologique sans disposer d’un instrument de mesure fiable. À ce jour, un tel instrument n’existe pas ; ce qui existe est très imparfait.
Cet instrument de mesure devra être validé en langue française, et il faudra s’assurer que, lorsqu’il est appliqué à une population, il repère tous les fibromyalgiques sans retenir ceux qui ne le sont pas. Si l’on ne repère pas tous les fibromyalgiques, l’instrument de mesure manque de sensibilité ; s’il retient des non-fibromyalgiques, il manque de spécificité.
Pour la surveillance épidémiologique, il nous faut des instruments calibrés. La surveillance épidémiologique impose de répéter de façon régulière des indicateurs, tant au niveau national que régional. Il faut que la mesure soit fiable, précise, reproductible. Elle ne doit pas varier selon les personnes qui font passer le questionnaire. À l’aune de toute cette série de critères, il n’y a pas encore d’instrument de mesure qui soit au point.
Il n’est pas possible de commencer à faire de la surveillance épidémiologique en un claquement de doigts. Il faut disposer de l’ensemble des instruments et des méthodes qui permettent d’assurer une mesure fiable. Autrement, nous donnerions des chiffres qui ne correspondent pas à la réalité, ce que nous ne pouvons pas nous permettre. Il nous faut donc ces structures qui permettent d’établir un diagnostic épidémiologique fiable, et ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Le diagnostic de la fibromyalgie s’est considérablement étendu entre 1990 et 2010, et plus encore avec l’adoption des critères de 2010 modifiés. Il repose sur quarante et un symptômes. Il faut essayer de quantifier les douleurs, d’identifier sur quels points elles portent. D’autres critères sont plutôt d’ordre psychologique : il faut identifier un mal-être dont on ne sait pas s’il est la cause ou la conséquence de la fibromyalgie. Or, il est très important de le savoir pour être en mesure de vous répondre sur le suicide et la dépression. La dépression n’est pas un critère de la fibromyalgie, il s’agit plutôt de choses plus diffuses, comme les troubles du sommeil, des troubles cognitifs, le fait de se réveiller très fatigué et de ressentir une fatigue chronique. Ce sont les syndromes plus psychiques associés à la fibromyalgie, qui font maintenant partie de la définition alors que ce n’était pas le cas auparavant.
Quant à votre question sur les suicides, je suis incapable d’y répondre.
M. Christophe Premat. Vous avez évoqué les données numériques – big data – qui seraient extrêmement complexes à manier. Est-ce que l’accès à ces données permet de croiser les données et de disposer d’une définition plus précise ?
Vous avez parlé de la classification internationale des maladies et du code M79.7. Comment pourrions-nous nous approprier cette définition pour obtenir une définition plus précise de la fibromyalgie ? Est-ce une question de culture méthodologique ?
Enfin, une surveillance épidémiologique impose de disposer d’un instrument de mesure fiable, avec la difficulté que cela induit en termes de moyens et de précision : si l’on isole la maladie, doit-on commencer par isoler un certain nombre de symptômes ? Votre agence se place plutôt sur une surveillance multithématique. Vous dites ne pas disposer des instruments de mesure fiables, et que ce ne sera pas le cas dans les années proches. Quelle serait la meilleure méthode pour avancer dans ce débat ?
Mme Isabelle Grémy. Vous avez auditionné, je crois, un représentant de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Nous avons accès à leurs bases, et je les ai consultés pour préparer cette audition. Il n’y a pas d’ALD spécifique pour la fibromyalgie. Dans ces bases de données, les personnes fibromyalgiques qui sont en ALD sont classées sous le code 31. En 2013, on en décomptait 185, mais ce chiffre ne correspond probablement pas à la réalité. Il correspond sans doute aux cas les plus sévères, aux patients à qui on a fini par proposer une ALD car on ne savait plus quoi faire pour les prendre en charge. Cela montre aussi que ce code est très peu connu des codificateurs, et que la connaissance même de la maladie est déficiente chez les professionnels de santé.
On peut repérer une maladie dans les bases de données de l’assurance maladie soit par le diagnostic CIM qui accompagne les hospitalisations, soit par les déclarations d’ALD – mais il n’existe pas d’ALD spécifique à la fibromyalgie –, soit par un acte traceur. Une biopsie de la prostate, par exemple, est un bon indicateur de soupçon de cancer de la prostate. Pour la fibromyalgie, il n’existe pas un tel acte traceur. Dans la base SNIIRAM, les diabétiques sont souvent hospitalisés pour d’autres causes, mais on pourra identifier ceux qui consomment des antidiabétiques oraux ou de l’insuline : par exemple, tous ceux qui auront reçu trois traitements d’antidiabétiques oraux pendant plus de trois mois consécutifs ou qui prennent de l’insuline seront définis comme diabétiques. Nous avons des critères très objectifs dans ce cas.
Mais, actuellement, il est impossible de repérer la fibromyalgie en utilisant les bases médico-administratives. Ce serait la solution la plus commode, et c’est la première chose que j’ai faite en apprenant que je serais auditionnée par votre commission. J’ai interrogé la base PMSI et la base ALD : interroger les autres bases aurait été inutile, car il n’y a pas de médicament ni d’acte médical spécifique à la fibromyalgie.
Dans la CIM10, la codification M79.7 comporte un seul intitulé : « fibromyalgie », et trois sous-intitulés : « fibromyosite », « fibrosite » et « myofibrosite ».
M. le rapporteur. Merci de votre franchise. Même si elle ne nous satisfait pas, elle corrobore ce que nous avons constaté lors des précédentes auditions.
Il a fallu un siècle pour interdire l’amiante, et tout le monde en a utilisé pendant des décennies. Combien de décès du cancer du poumon ont été imputés à d’autres causes avant que l’amiante soit reconnue cancérogène ? Nous sommes peut-être dans la même situation. L’amiante est une fibre, la comparaison n’a pas forcément de sens, mais si l’on ne fait pas de recherches afin d’identifier les causes réelles du problème en discutant avec les gens, on n’avancera jamais.
Sans enquête de votre part, s’il n’y a pas de moyens consacrés à la recherche, il est clair que dans cinquante ans, nous serons dans la même situation.
Mme Isabelle Grémy. Le processus de connaissance et d’appropriation scientifique est un processus lent. Je ne veux pas excuser le fait que nous ne nous occupions pas de la fibromyalgie, mais nous avons constaté la même chose pour le sida et le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
Les interpellations par la société civile affectent les agences, l’ANSP au même titre que les autres. Il s’agit d’un sujet dont il faudra discuter à l’avenir. Mais, encore une fois, il faut absolument l’approfondir au préalable. Nous avons identifié un périmètre nosologique, mais nous n’avons pas de causes identifiées, ni d’étiologie. Il faut commencer par aller à la recherche de ces causes et de ces étiologies.
Je suis d’accord avec vous : il faut que nous nous interrogions sur beaucoup de nouvelles maladies, sur lesquelles la recherche doit progresser.
Dans ce cas précis, il me semble que l’un des premiers éléments qu’il faudrait mettre en place est une recherche autour des causes et des déterminants. Le fait que, parmi les personnes atteintes, il y ait un homme pour treize femmes en 1990 et un homme pour deux femmes aujourd’hui soulève des questions.
Il reste beaucoup de choses à préciser, et le problème des instruments de mesure pour la surveillance épidémiologique à long terme reste entier. Je pense que nous devons étudier cette question de plus près, certainement de façon plus attentive, mais je ne suis pas sûre qu’il faille commencer par la surveillance épidémiologique. L’absence d’instrument de mesure interdit la surveillance épidémiologique, et l’instrument de mesure doit absolument être développé et reconnu pour sa fiabilité. Il faut mettre en place cet instrument de mesure, et c’est plutôt l’affaire des chercheurs.
L’identification des déterminants, c’est-à-dire les facteurs de risque qui aboutissent à cette fibromyalgie, et des étiologies, est aussi du domaine de la recherche. Cela me paraît fondamental.
L’autre chose fondamentale à mes yeux, cette fois en tant que citoyenne et non en tant qu’épidémiologiste, est que soient reconnues la douleur et de la peine de ces patients. C’est indispensable, et la prise en charge doit être adéquate.
L’errance médicale est compliquée à combattre, la fibromyalgie est définie par défaut. Il faut éliminer toutes les autres causes pour conclure à une fibromyalgie. Il est donc compliqué d’éviter l’errance. La fibromyalgie n’est pas un sujet facile.
Audition de Mme Nadine Randon, présidente,
et de Mme Ghyslaine Baron, vice-présidente de FibromyalgieSOS
(Procès-verbal de la séance du mardi 5 juillet 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Nadine Randon, présidente de l’association FibromyalgieSOS, et de Mme Ghyslaine Baron, vice-présidente.
Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mmes Nadine Randon et Ghyslaine Baron prêtent serment.)
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Madame Randon, je vous donne la parole pour un bref exposé, qui précédera un échange sous la forme de questions et de réponses.
Mme Nadine Randon. Âgée de soixante-six ans, j’ai été diagnostiquée fibromyalgique en 2000 ; je présente également un syndrome de Gougerot-Sjögren, et suis atteinte d’une pseudo-polyarthrite rhizomélique (PPR). Souffrant de douleurs et d’une fatigue chronique depuis l’âge de dix ans – des troubles qui ne s’expliquaient pas à l’époque –, c’est en essayant de comprendre ce qu’était la fibromyalgie que j’ai découvert, début 2005, le premier forum et le site de l’association FibromyalgieSOS. Très vite, je me suis engagée dans le combat associatif et je préside depuis 2009 l’association au nom de laquelle je m’exprime devant vous aujourd’hui.
Mme Ghyslaine Baron. Âgée de soixante-sept ans, je suis engagée depuis 2006 au sein de l’association FibromyalgieSOS, dont j’assure actuellement la vice-présidence. Je suis atteinte du syndrome de fibromyalgie, mais aussi du syndrome de Gougerot-Sjögren et du syndrome d’Ehlers-Danlos, qui est une maladie génétique.
Mme Nadine Randon. FibromyalgieSOS est une association de type loi de 1901, fondée en avril 2005 et agréée en 2014 au niveau national par le ministère de la santé. Elle a été créée pour sortir de l’isolement les malades atteints de fibromyalgie et les renseigner au maximum, au moyen d’un forum et d’un site très documenté conçus par l’ancien président : internet permettait d’aider efficacement les malades en manque de renseignements et bien souvent incapables de se déplacer.
En 2008, nous avons mis en place un numéro d’appel unique, avec une permanence téléphonique de grande amplitude, tenue par des bénévoles toutes atteintes de fibromyalgie et formées à l’écoute – cette permanence reçoit environ 1 000 appels par an. Nous organisons des réunions locales et des permanences dans les hôpitaux – bien entendu ouvertes à tout malade, ainsi qu’à sa famille et ses amis, et gratuites. Nous répondons quotidiennement à tous les mails sans distinction.
Nous apportons aide administrative, soutien et écoute à tout malade et à sa famille, que ces personnes adhèrent ou non à notre association. Nous diffusons une newsletter à plus de 6 500 contacts et envoyons très régulièrement des informations à nos adhérents : comptes rendus de toutes les actions, réunions, congrès, conférences, articles médicaux, journaux, etc.
Nous mettons aussi à la disposition de nos adhérents une liste de contacts sur laquelle sont inscrites les coordonnées réduites des adhérents qui ont accepté d’y figurer – bien entendu, il ne s’agit pas du fichier des adhérents, dont les informations sont protégées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Cette liste classée par régions et départements favorise les échanges d’informations médicales régionales, ainsi que d’éventuelles rencontres.
Vous l’avez compris, notre but est d’informer, aider et soutenir les malades, mais aussi de faire connaître la fibromyalgie. Pour cela, nous avons également publié un livret d’information, constituant la synthèse de documents médicaux et de recherche ; créé en 2008, mis à jour en 2010 et en 2013, il a été relu et corrigé par le professeur Perrot, du centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) rattaché à l’Hôtel-Dieu et à Cochin.
Il est distribué gratuitement à chaque adhérent, ainsi qu’à deux thérapeutes de son choix – car nous savons que nombre de médecins se trouvent démunis devant la fibromyalgie. Dans toute pathologie, mais sans doute encore plus pour la fibromyalgie, la relation patient-médecin est importante : il est donc appréciable que l’un et l’autre puissent engager le dialogue sur la base du même support d’information, ce qui nous est confirmé par les très bons retours qui nous parviennent. Ce livret a été remis à chacun des membres de la commission.
Nous organisons des conférences et participons à des congrès et salons. Depuis 2010, nous tenons notamment un stand au salon des Thermalies. Durant quatre jours, nous renseignons environ mille personnes et avons des contacts avec les établissements thermaux. Nous nous informons sur les nouveaux programmes de cures thermales spécifiques à la fibromyalgie et les informations recueillies sont mises à jour sur notre site et envoyées à nos adhérents, qui disposent ainsi d’informations détaillées et actualisées.
Nous travaillons en étroite collaboration avec les établissements thermaux, mais en complète indépendance vis-à-vis d’eux. Nous avons participé aux groupes de travail sur le programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) pour les cures « fibromyalgie » avec le Conseil national des établissements thermaux (CNETh) et l’Association française pour le développement de l’éducation thérapeutique (AFDET). Nous pourrons approfondir le sujet des cures thermales si vous le désirez car nous avons remarqué, lors des auditions précédentes, que les informations sur ce point semblaient faire défaut.
La prise en charge multidisciplinaire étant recommandée pour la fibromyalgie, nous mettons l’accent sur les cures thermales, mais aussi sur d’autres formes de prise en charge telles que les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), la balnéothérapie, l’ostéopathie, l’hypnose, le reconditionnement à l’effort, sans oublier la sophrologie, la relaxation, la méditation, la naturopathie, la nutrition, etc. Certaines de ces thérapies ne sont malheureusement pas remboursées par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et les mutuelles ; aussi de nombreux malades ne peuvent-ils y avoir accès faute de moyens financiers. Je précise que de nombreuses structures antidouleur ne proposent pas ces programmes, soit par choix, soit par manque de dotations financières ; nous avons donc négocié avec certains thérapeutes des tarifs préférentiels pour nos adhérents, bien entendu sans en tirer aucun bénéfice : seul compte pour nous de permettre un accès plus facile à ces soins pour les malades.
Parmi les problèmes rencontrés par les personnes atteintes de fibromyalgie, il y a la mauvaise prise en charge et le scepticisme des médecins, notamment des médecins-conseils. Notre association a vocation à renseigner les malades et à leur faire prendre conscience que les médicaments ne sont pas la panacée, et nous avons été ravies de constater que ce dernier point semblait faire l’objet d’un consensus au cours des auditions précédentes. Nous sommes bien souvent effarées des cocktails de médicaments prescrits : comment se prendre en charge quand on est transformé en zombie ? Comme cela a été dit, ces prescriptions à long terme de médicaments peuvent même aggraver l’état des fibromyalgiques.
Une bonne prise en charge peut éviter la perte de travail, l’invalidité, voire le fauteuil roulant. La fibromyalgie seule ne doit pas mener au fauteuil roulant, car elle ne provoque pas de lésions, mais il arrive que certaines personnes se trouvent réduites à cette extrémité en raison d’autres pathologies ou d’une mauvaise prise en charge. Il est cependant possible de recourir au fauteuil roulant lorsqu’une personne a des difficultés pour rester debout ou pour marcher longtemps, et que cela la gêne dans sa vie sociale – pour accompagner sa famille lors de sorties ou pour visiter des expositions, par exemple. Seulement 1 % des personnes ayant répondu à une enquête que nous avons menée, et dont je parlerai tout à l’heure, utilisent quotidiennement le fauteuil, et 5 % de façon occasionnelle. Quant à la canne et au déambulateur, 17 % ont répondu en faire usage.
La fibromyalgie ne provoquant pas d’inflammation, il est surprenant de constater des prescriptions d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) dans 54 % des cas, et de corticoïdes dans 13 % des cas. Dans 9 % des cas, il est prescrit de la kétamine, alors même qu’il n’existe aucune étude démontrant sa supériorité sur un placebo dans le traitement de la fibromyalgie et en dépit des effets secondaires non négligeables que peut avoir cet anesthésiant – hallucinations, changement de personnalité, paranoïa, voire idées suicidaires. Il est très difficile de se sevrer de ce produit classé parmi les stupéfiants et nous avons malheureusement connu, au sein de notre association, un cas de passage à l’acte sous kétamine. Il faut « être acteur de sa maladie » et ne pas attendre le médicament miracle qui n’est malheureusement pas près d’être mis sur le marché.
Il est également important d’arriver à vivre avec une pathologie chronique : c’est, avec le sommeil, la qualité de vie ou les médicaments, l’un des thèmes abordés dans les programmes d’éducation thérapeutique du patient. Au sein de l’association, nous développons notre capacité à participer aux programmes d’ETP, puisque trois de nos bénévoles ont suivi la formation de patients experts, et deux d’entre elles interviennent dans les programmes d’ETP en cure thermale, dont Mme Baron, ici présente.
En ce qui concerne les médecins très « fibrosceptiques », notamment certains médecins-conseils, ils peuvent détruire un malade. Certes, ces médecins-conseils sont là pour étudier un dossier et défendre les intérêts de l’État, mais en principe ils sont aussi – et même avant tout – médecins, et devraient donc être à l’écoute du patient ! Il est totalement aberrant et révoltant que certains puissent se montrer odieux envers des malades, au point de les déstabiliser totalement et de les pousser au suicide, comme cela a malheureusement déjà été le cas.
Le suicide est une blessure qui reste ouverte en permanence au sein de notre association, car ce drame nous a frappés à plusieurs reprises, qu’il soit provoqué par la prise de kétamine, à cause de l’attitude d’un médecin-conseil ou simplement parce que les souffrances physiques et morales ont eu raison de la résistance d’un malade – nous avons connu une personne qui a demandé un suicide assisté en Suisse.
Notre enquête permet d’avancer des chiffres sur la question du suicide. Bien entendu, les chiffres réels sont certainement plus élevés que ceux résultant de notre enquête, puisque seules les personnes ayant survécu à leur tentative de suicide ont pu répondre à notre questionnaire… Quoi qu’il en soit, 20,5 % des répondants déclarent avoir des idées suicidaires peu fréquentes ; ces idées sont fréquentes pour 15,6 % et très fréquentes pour 3,5 %. Par ailleurs, 7,7 % des personnes ayant répondu à notre enquête ont fait au moins une tentative de suicide, contre 5,5 % pour l’ensemble de la population française selon le Baromètre santé 2010.
Le but de FibromyalgieSOS est également d’aider la recherche clinique. Pour ce faire, sous le parrainage de l’Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR), à laquelle nous sommes affiliés, nous avons mis en ligne une grande enquête ; des scientifiques tels que les professeurs Serge Perrot, Pascale Vergne-Salle, Christian-François Roques, Françoise Laroche, et d’autres médecins nous ont aidés dans l’établissement du questionnaire.
Une partie importante est consacrée à la place du travail chez les fibromyalgiques, une interne en médecine du travail faisant sa thèse de doctorat sur le sujet. Le questionnaire de notre enquête inclut également des items du Questionnaire d’impact de la fibromyalgie (QIF –FIQ en anglais) et du Fibromyalgia rapid screening tool (FiRST). Ces questionnaires proposent une aide au diagnostic pour une prise en charge meilleure et plus précoce, mais aussi en vue d’une utilisation en recherche clinique.
Le QIF a été recommandé par l’Académie de médecine dans son rapport de 2007 et le FiRST a été mis en place en 2010 par les professeurs Serge Perrot et Didier Bouhassira du Cercle d’étude de la douleur en rhumatologie (CEDR). Vous pouvez retrouver ces questionnaires sur notre site web, où ils ont leur place depuis leur création, et nous les mentionnons également dans nos documents d’information.
L’enquête comprenant 423 questions a été mise en ligne par la société Sanoïa, symboliquement lors de la journée mondiale de la fibromyalgie le 12 mai 2014 et jusqu’au 15 septembre 2014 ; en quatre mois, dont deux mois d’été, nous avons recueilli 4 536 réponses dont 4 522 exploitables, ce qui prouve que les personnes atteintes de fibromyalgie sont très désireuses d’apporter leur témoignage afin d’aider la recherche, comme nous l’avons déjà constaté lorsque nous proposons des participations à diverses études.
Cette importante base de données, unique à ce jour en France, intéresse les chercheurs, et des publications scientifiques sont en cours, comme l’a indiqué le professeur Perrot lors de son audition, notamment en ce qui concerne l’impact de la fibromyalgie sur le travail. Ces résultats ont été présentés par FibromyalgieSOS aux Rencontres nationales sur les rhumatismes (RNR) de décembre 2015 ; chaque membre de votre commission a été destinataire de cette présentation qui en fait ressortir les grandes lignes.
La partie « travail » y a été très peu abordée, car elle faisait partie d’une présentation séparée, plus approfondie. Afin de faciliter la lecture de l’analyse et une meilleure diffusion, nous avons élaboré une synthèse des résultats sous la forme d’une collection de trois brochures « Les malades ont la parole », dont un exemplaire a également été remis à chacun d’entre vous. La brochure n° 1 concerne l’épidémiologie, le diagnostic et les symptômes, la brochure n° 2 la prise en charge, la brochure n° 3 les conséquences et répercussions. Ces brochures, offertes à nos adhérents et à deux de leurs thérapeutes s’ils le désirent, ont été distribuées à grande échelle aux établissements thermaux et lors de congrès et de salons. Elles sont aussi envoyées à tout médecin ou scientifique qui en fait la demande ; il en est de même pour l’analyse complète qui vous a été adressée par mail.
Une lettre ouverte a été adressée à tous les députés, présentant la problématique de la fibromyalgie à travers l’enquête de FibromyalgieSOS, et des campagnes de presse ont été lancées, tout ceci dans le but de faire connaître la fibromyalgie et d’informer au maximum sur le vécu des malades. Nous espérons que ces résultats vous aideront à mieux appréhender les problématiques rencontrées par les malades et nous sommes prêtes à répondre à vos questions.
En conclusion, j’aimerais vous faire part d’un témoignage recueilli hier soir sur notre forum, particulièrement révélateur des problèmes que les malades peuvent rencontrer dans leurs relations avec les médecins. Une personne qui venait de consulter son médecin afin de disposer d’un regard neuf sur sa maladie s’est ainsi entendu répondre, lorsqu’elle a évoqué le « cocktail » migraine-dépression-fibromyalgie dont elle souffre, des mots tels que ceux-ci : « cette soi-disant maladie qui n’en est pas une », « si vous aviez un cancer, ça serait différent, c’est une vraie maladie », « sortez, vous oublierez vos douleurs, et si vous avez mal au moins vous saurez pourquoi », « vous vous complaisez dans votre soi-disant état de maladie », « pourquoi avez-vous besoin de la compréhension de votre entourage, vous vous en fichez s’ils ne comprennent pas »… Cela se passe de commentaires, mais la personne concernée nous a confié qu’en rentrant chez elle, elle est restée prostrée un moment avant de connaître un violent sentiment de rage et de dégoût.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je vous remercie pour cette présentation très complète. Il nous est également arrivé de recevoir des témoignages de ce type. Il semble que la personne dont vous avez relaté l’expérience n’ait pas eu la chance d’avoir affaire à un médecin à l’écoute – fort heureusement, tous les professionnels de santé ne sont pas dans ces dispositions d’esprit.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Votre association est-elle financée uniquement par vos adhérents, ou l’est-elle aussi, directement ou indirectement, par des laboratoires pharmaceutiques ou par des établissements de cures thermales ou des instances représentant leurs intérêts ? Sur ce dernier point, j’ai cru comprendre que vous organisiez de grandes manifestations où interviennent des personnes s’exprimant sur l’intérêt que présentent les cures – ce qui suppose qu’un droit de place vous soit réglé.
Mme Nadine Randon. La politique de FibromyalgieSOS a toujours été d’être indépendante, notamment vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques : elle ne reçoit donc aucun financement de leur part. Aucun médicament n’ayant obtenu d’autorisation de mise sur le marché pour la fibromyalgie en Europe, les laboratoires ne s’intéressent plus à cette maladie et aux associations compétentes en la matière ; ils ne pourraient guère intervenir qu’au titre de la lutte contre la douleur.
En ce qui concerne les établissements thermaux, nous sommes, là aussi, complètement indépendants et neutres. Nous ne privilégions aucun établissement quand nous faisons la liste des établissements présentant un programme « fibromyalgie ».
Mme Ghyslaine Baron. Pour ma part, si j’interviens au sein des établissements thermaux, je le fais toujours à titre gratuit, en demandant uniquement le remboursement de mes frais de transport.
Mme Nadine Randon. Effectivement, alors qu’il avait été proposé à Mme Baron et à une autre personne intervenant au sein des établissements thermaux dans le cadre des ETP d’être indemnisées, nous avons refusé, souhaitant simplement obtenir le remboursement des frais de transport.
En ce qui concerne les conférences que nous organisons lors des journées mondiales de la fibromyalgie, durant lesquelles nous proposons à une quinzaine d’établissements thermaux de tenir un stand d’information dans une salle attenante, il est vrai que nous demandons à chacun d’eux une participation financière forfaitaire de 500 euros, ce qui nous permet de compenser très partiellement le coût élevé de la location d’une salle en Île-de-France.
Le fonctionnement de l’association est assuré par les seuls dons et cotisations des adhérents et sympathisants. Les personnes atteintes de fibromyalgie ont bien souvent des revenus modestes, notamment à cause de la perte d’emploi qu’elles ont subie ; nous ne voulons pas que le manque d’argent soit un frein pour adhérer à une association, d’autant que cela permet non seulement de recevoir des informations en grand nombre, mais aussi de se sentir utile et actif.
Aussi, en lieu et place de la cotisation normale de 30 euros par an, valable de date à date, payable si nécessaire en trois fois et déductible des impôts à hauteur de 66 %, nous proposons une cotisation réduite à 10 euros par an, pouvant être payée en deux fois, pour les personnes percevant des revenus équivalents au revenu de solidarité active (RSA) – ce qui représente environ 3 % de nos adhérents.
Comme je vous l’ai dit, tous nos adhérents et deux thérapeutes de leur choix reçoivent un livret d’information et un lot de trois brochures des résultats de l’enquête, ce qui représente un coût non négligeable, sans oublier que les personnes ne disposant pas d’un accès à internet reçoivent toutes les informations par voie postale. Notre budget de fonctionnement est donc assez conséquent.
Nous avons actuellement 1 400 adhérents à jour de cotisations et ce nombre reste en croissance – même si celle-ci est moindre ces deux dernières années –, avec un taux de renouvellement de 70 %, ce qui est très satisfaisant. Il faut croire que, malgré le désintérêt croissant des personnes pour les associations en général et l’émergence des réseaux sociaux, où il arrive souvent que des informations obsolètes circulent, les adhérents savent faire la part des choses et nous disent apprécier recevoir autant d’informations et d’aide. Parmi nos adhérents, environ 11 % n’ont pas accès à internet – ou seulement depuis un téléphone –, mais nous ne les délaissons pas pour autant : toutes les informations leur sont envoyées sur papier.
Je voudrais préciser que notre numéro d’appel unique – un numéro Contact, ex-Indigo – n’est absolument pas surtaxé, contrairement à ce qui est parfois affirmé. Non seulement les appels ne nous rapportent pas d’argent, mais ceux-ci représentent un coût important pour l’association, d’autant que, pour éviter des frais aux personnes – 0,09 euro la minute –, nous leur proposons dès le début de la communication de les rappeler immédiatement. L’un de nos objectifs était d’obtenir un numéro vert dédié à la fibromyalgie mais nous avons dû y renoncer, ce dispositif étant trop onéreux pour nous.
FibromyalgieSOS a perçu jusqu’en mai 2016 une subvention annuelle de 150 euros de la ville de Villeneuve-d’Ascq, où était domicilié le siège social de l’association. Mon déménagement personnel ayant entraîné celui du siège social, nous ne percevons plus cette subvention.
Pour ce qui est de l’enquête lancée le 12 mai 2014, qui représente un coût très important, nous avons reçu des dons de nos adhérents, mais aussi 2 000 euros de l’Association française de lutte anti-rhumatismale (AFLAR), qui a parrainé l’enquête. Nous avons également obtenu 1 000 euros du CNETh, en raison du fait qu’une partie de l’enquête portait sur les cures thermales et en montrait les bénéfices.
M. Arnaud Viala. Vous avez évoqué le fait que le syndrome fibromyalgique s’accompagnait souvent de difficultés sociales. Avez-vous observé un lien entre la situation socioprofessionnelle des personnes et l’apparition des troubles : en d’autres termes, pensez-vous qu’il puisse exister un déterminisme social ?
Par ailleurs, la prise en charge de la fibromyalgie apparaît comme l’un des plus importants problèmes qu’elle pose. Selon vous, par où faut-il commencer ? Est-ce par la recherche scientifique, par la mise en œuvre d’une meilleure prise en charge par la sécurité sociale et les assurances, ou par des enquêtes épidémiologiques plus poussées ?
Mme Ghyslaine Baron. Une fiche étant établie à chaque appel que nous recevons sur notre numéro Contact, nous sommes en mesure de constater que la population touchée est constituée de femmes pour 60 % à 70 % – bien qu’il y ait de plus en plus d’hommes et d’enfants – dont l’activité principale consiste à aider les autres. Ainsi, nous comptabilisons un grand nombre d’enseignants et de personnes du secteur médical et paramédical – je pense notamment au personnel des maisons de retraite. Il s’agit donc majoritairement de personnes donnant beaucoup de leur temps et étant soumises à un important niveau de stress : or, on sait que le stress favorise l’apparition de la fibromyalgie.
Mme Nadine Randon. Si je ne crois pas que le fait de percevoir des revenus peu élevés soit de nature à provoquer une fibromyalgie, il est probable en revanche que les personnes atteintes voient leur état s’aggraver faute de pouvoir bénéficier d’une prise en charge adéquate. Les mères de famille nombreuse, qui constituent un profil que l’on retrouve fréquemment parmi les personnes atteintes, consacrent plus de temps aux autres qu’à elles-mêmes, alors que la fibromyalgie exige que l’on prenne soin de soi. Pour aller mieux, un fibromyalgique devrait apprendre à devenir égoïste : or, d’une part, cela va à l’encontre de son tempérament altruiste, d’autre part, ses conditions de vie ne le lui permettent généralement pas, car il n’y a personne pour le remplacer auprès des autres et pour s’occuper de lui.
Pour ce qui est de la meilleure façon de s’attaquer au problème de la fibromyalgie, je pense que tous les aspects devraient être abordés simultanément. Il faut travailler la prise en charge multidisciplinaire des malades et mieux les informer, mais aussi améliorer la formation des médecins. Parallèlement, les scientifiques doivent continuer à rechercher les causes de la fibromyalgie, car c’est essentiel à la mise au point d’un traitement efficace. L’enquête à laquelle nous avons procédé, qui avait pour but d’aider la recherche clinique – nous n’avons pas la prétention de prendre part à la recherche fondamentale –, était la plus grande enquête épidémiologique en langue française sur le sujet, et ses résultats ont impressionné les professeurs Perrot et Laroche. Une telle étude ne peut que conforter les médecins impliqués à nos côtés dans leurs démarches visant à ce que la fibromyalgie soit prise en charge, et à ce que la recherche clinique et la recherche fondamentale puissent obtenir des crédits.
M. Christophe Premat. La relation que votre association entretient avec les professionnels de santé doit être assez complexe, du fait qu’il n’existe pas de traitement médicamenteux efficace et que vous préconisez donc de recourir à des prises en charge relevant de la médecine alternative, de type ostéopathie, ce qui doit susciter une résistance de la part de certains médecins. J’aimerais connaître votre avis sur ce point, et savoir si vous hiérarchisez les différents traitements que vous suggérez.
Mme Ghyslaine Baron. Nous ne sommes pas médecins, mais nous travaillons en étroite collaboration avec de grands chercheurs, notamment les professeurs Perrot, Laroche, Vergne-Salle, et nous efforçons de les sensibiliser afin que le conseil de l’Ordre des médecins communique largement auprès de ses membres au sujet de la fibromyalgie qui, jusqu’à une période récente, n’avait pas d’existence officielle, les personnes atteintes étant considérées comme des hystériques – une conception qui subsiste malheureusement dans la mentalité de certains médecins.
Lorsque nous avons été reçues au ministère de la santé en 2013, nous avons demandé à ce que le site internet du ministère rappelle qu’une Journée mondiale de la fibromyalgie a lieu chaque année le 12 mai : cette annonce, qui équivaudrait à une forme de reconnaissance, serait de nature à faire prendre conscience aux médecins fibrosceptiques de la réalité de la maladie. Il y a encore un très long chemin à faire en la matière, qui nécessitera des efforts conjoints de la part des pouvoirs publics, des caisses d’assurance maladie et de la Haute Autorité de santé (HAS).
Mme Nadine Randon. Comme je vous l’ai dit, nous adressons des livrets d’information non seulement à nos adhérents, mais à deux médecins de leur choix – nous leur envoyons nous-mêmes cette documentation, accompagnée d’un courrier personnalisé – sous réserve que les médecins concernés soient d’accord : or, il arrive que ceux-ci refusent, affirmant ne pas être intéressés ! Le seul conseil que nous puissions donner à un fibromyalgique dont le médecin est fibrosceptique est de changer de médecin, mais cela n’est pas toujours simple, car avec le phénomène de désertification médicale des zones rurales, certaines personnes ne peuvent trouver aucun autre médecin à proximité de leur domicile : elles se retrouvent donc coincées avec un médecin qui ne veut pas les entendre.
Le rappel sur le site du ministère de la santé de la Journée mondiale de la fibromyalgie pourrait effectivement contribuer à convaincre certains médecins et constituer une forme de reconnaissance pour les malades, mais le ministère nous a fait savoir qu’il souhaitait attendre de connaître les résultats d’une enquête de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) avant de prendre position sur ce sujet.
Nous avions également demandé à ce que soit organisée une campagne d’information dans les médias, à l’instar de ce qui s’est fait en 2013 pour la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Or, comme nous l’a fait remarquer le ministère, cela risque d’inciter un grand nombre de personnes à consulter leur médecin traitant afin de savoir si leurs symptômes sont effectivement ceux de la fibromyalgie, alors que la majorité des médecins ne sont pas encore formés : il serait donc contre-productif de lancer une telle campagne avant que le monde médical soit convaincu de l’existence de la fibromyalgie et sache la reconnaître.
M. Jean-Pierre Decool. Mesdames, je vous félicite pour la qualité de vos publications. Dans l’une de celles-ci, vous indiquez que trois molécules ayant bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis pour l’indication de fibromyalgie n’ont pas obtenu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en Europe. Je ne pense pas que notre commission puisse faire venir des spécialistes d’outre-Atlantique afin de les entendre sur ce point, mais il serait intéressant que nous obtenions au moins des témoignages écrits de leur part. À votre connaissance, les trois médicaments dont il est question ont-ils une certaine efficacité contre la fibromyalgie ?
Mme Ghyslaine Baron. Justement non, et c’est bien pourquoi ils n’ont pas obtenu d’AMM pour l’Europe. Ils peuvent même être dangereux pour les patients.
Mme Nadine Randon. Comme cela a été dit lors d’une précédente audition, ces médicaments peuvent avoir certains effets bénéfiques, mais sur très peu de personnes, et si l’on établit le rapport bénéfice-risque, le risque se révèle beaucoup plus important que le bénéfice : peut-être certaines pressions se sont-elles exercées de manière plus importante aux États-Unis, ce qui pourrait expliquer que des AMM aient été délivrées.
Nous ne sommes pas absolument opposées à ce que ces médicaments soient prescrits : s’ils ont une efficacité chez une personne, cela lui permettra de souffler un peu et peut-être de mettre en place une prise en charge multidisciplinaire. Cela dit, il est très rare que ce soit le cas : ces médicaments étant le plus souvent inefficaces, le médecin prescripteur va être incité à augmenter la dose, ce qui non seulement ne servira à rien, mais aura pour effet de transformer le fibromyalgique – hypersensible dans la majorité des cas – en véritable zombie, incapable de se prendre en charge pour aller suivre des séances de kinésithérapie ou de balnéothérapie qui, elles, pourraient être bénéfiques. Quand ces médicaments sont prescrits, ils doivent l’être à très faible dose et sur une très courte durée, en tout état de cause limitée à un an. Or, on assiste souvent à tout le contraire, à savoir des doses trop importantes de médicaments administrés en cocktails et sur des durées excessives, ce qui donne l’impression que certains médecins jouent aux apprentis sorciers…
M. Gilles Lurton. L’une des activités essentielles de votre association consiste à informer les personnes qui vous contactent, mais aussi à établir un lien avec elles afin de compenser l’absence de réponse de la part du corps médical. J’aimerais savoir ce qu’attendent les associations comme la vôtre : considérez-vous que votre rôle se limite à cette action d’information et d’échange avec les personnes concernées, ou militez-vous activement pour que la fibromyalgie soit reconnue – le cas échéant, au moyen de quelles démarches ? J’aimerais également savoir si vous espérez qu’un médicament soit mis au point prochainement. Pour ma part, je vous avoue qu’il me semble peu probable que l’on découvre un produit agissant sur tous les symptômes de la fibromyalgie, ceux-ci étant extrêmement nombreux – fatigue, douleur, dépression, etc.
Mme Ghyslaine Baron. Il n’existe pas une fibromyalgie, mais des fibromyalgies, et les origines de la maladie sont totalement différentes d’une personne à une autre, ce qui fait que l’on ne peut effectivement espérer un médicament miracle. Il ressort de la brochure n° 2 de notre enquête « Les malades ont la parole », consacrée à la prise en charge de la fibromyalgie, que la prise en charge médicamenteuse a très peu d’efficacité, tandis que les prises en charge multidisciplinaires associant la kinésithérapie, la balnéothérapie – consistant en un acte de kinésithérapie réalisée en bassin aquatique, ce soin est remboursé par la sécurité sociale, contrairement à ce que croient encore trop de personnes –, mais aussi la sophrologie, la relaxation ou les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), ont fait leurs preuves.
Malheureusement, certaines techniques de soin ne sont pas prises en charge par la sécurité sociale, c’est pourquoi nous plaidons en faveur de la mise en place d’un forfait annuel, s’appliquant à toutes les techniques dont l’efficacité a été prouvée scientifiquement. Un tel système est d’autant plus justifié que certaines techniques ne nécessitent de recourir à un professionnel que durant quelques heures, le temps pour le patient d’apprendre les techniques de base qui lui permettent ensuite de pratiquer seul et d’obtenir ainsi un soulagement : je pense notamment à l’autohypnose, à la sophrologie ou à la relaxation.
Mme Nadine Randon. Apporter aide, assistance et information aux malades constitue l’objectif principal de notre association, mais nous souhaitons également aider la recherche à progresser, car la pilule miracle, si elle existe, n’est pas pour demain. Nous nous efforçons de faire comprendre aux malades qu’ils ne doivent pas placer tous leurs espoirs dans une solution médicamenteuse, encore moins se laisser envahir par l’impatience et le stress en attendant, mais au contraire accepter le fait que la science n’ait pas encore de réponse à leur proposer, donc apprendre à vivre avec leur fibromyalgie.
Si nous nous battons à notre âge, ce n’est pas dans l’espoir de bénéficier un jour d’un médicament – s’il arrive un jour, nous ne serons plus là pour le voir –mais pour aider les malades, notamment les enfants, et leur éviter l’errance diagnostique que nous avons nous-mêmes vécue, en faisant connaître la pathologie le plus largement possible. Un diagnostic tardif laisse en effet à la fibromyalgie le temps de s’installer et de faire des dégâts – qui, s’ils ne sont pas irréversibles, nécessiteront une prise en charge. C’est ce qui justifie notre action auprès des médias, mais aussi du ministère, étant précisé, en ce qui concerne ce dernier, que nous ne le considérons pas comme un adversaire : il sait, depuis longtemps, que la fibromyalgie existe. La plus forte résistance à laquelle nous nous heurtons vient des CPAM et, à l’intérieur de celles-ci, de certains médecins-conseils – qui, dans le secret de leur cabinet, agissent en fonction de leurs convictions et peuvent très bien décider de ne pas suivre les consignes données par le directeur de la caisse.
M. le rapporteur. Ce n’est pas une critique de ma part, mais force est de constater que vous êtes très favorables aux prises en charge alternatives – les cures ou la sophrologie, par exemple. Or, cela peut procurer un soulagement aux patients, mais ne soigne pas leur maladie. Dans le monde de l’automobile, l’introduction de l’électronique a multiplié les causes de pannes possibles et considérablement compliqué leur diagnostic. J’ai l’impression que nous en sommes au même point aujourd’hui avec l’organisme humain, et qu’il est essentiel de faire progresser la recherche dans ce domaine. Qu’en pensez-vous ?
Par ailleurs, nous nous sommes rendus hier au centre antidouleur de Cochin, où nous avons rencontré des patients qui nous ont parlé de leurs souffrances et fait part du soulagement qu’ils éprouvent à ce qu’un nom puisse être mis sur leur maladie, mais aussi à pouvoir en parler. Cela confirme ce que vous nous avez dit au sujet de l’importance de voir la fibromyalgie reconnue.
Mme Nadine Randon. Les médecines alternatives complémentaires (MAC) n’ont effectivement pas pour objet de guérir, mais puisqu’il n’existe pas de médicaments efficaces à l’heure actuelle, il ne sert à rien de prendre ceux qui ne le sont pas : cela pourrait même provoquer une intoxication de l’organisme se traduisant par une aggravation de l’état général de la personne concernée. De même que les programmes d’éducation thérapeutique du patient aident les personnes à mieux vivre avec leur maladie – il existe des ETP sur le sommeil, sur la prise de médicaments et bien d’autres thèmes –, les MAC ne sont pas mises en œuvre pour obtenir une guérison mais, dans le meilleur des cas, une rémission des symptômes durant une période souvent limitée à un ou deux jours au départ – ce qui est déjà très appréciable pour les malades –, mais pouvant augmenter avec le temps.
Lorsque j’ai été diagnostiquée, j’ai essayé tous les antidépresseurs jusqu’à en arriver à ne plus pouvoir marcher, passant mon temps prostrée sous la couette, en proie à des idées suicidaires. J’avais alors cinquante ans et, à la perspective de devoir passer le reste de ma vie dans cet état, j’ai réagi un jour en décidant d’entreprendre un sevrage pour arrêter de prendre ces antidépresseurs aussi inutiles que dangereux – je prenais pour dormir des benzodiazépines qui, parmi les psychotropes, constituent l’une des classes de molécules les plus redoutables. Alors même que je ne prenais pas d’antidouleurs de type tramadol, je peux vous assurer que je me porte beaucoup mieux depuis que j’ai abandonné les médicaments pour faire de la balnéothérapie et de la kinésithérapie, ce qui m’a permis de remarcher – en fait, depuis que j’ai cessé d’être en révolte contre ma maladie pour en devenir acteur.
Pour aller mieux lorsqu’on est atteint de fibromyalgie ou d’une autre pathologie chronique, il faut accepter de vivre avec, et c’est en cela que les médecines alternatives complémentaires peuvent aider. La thérapie cognitivo-comportementale (TCC), par exemple – dispensée par un psychiatre comportementaliste, et non un analyste –, se révèle souvent très efficace. Lors d’une précédente audition, un psychiatre vous a d’ailleurs exposé le cas d’une personne qui, à l’issue de quelques semaines d’une prise en charge associant écoute et psychothérapie, a pu se passer du fauteuil roulant où elle se trouvait lors de sa consultation initiale.
Mme Ghyslaine Baron. En matière de médicaments, je suis allée beaucoup plus loin que Mme Randon, puisque j’ai pris jusqu’à 400 milligrammes de tramadol, en association avec bien d’autres choses, et les antidépresseurs m’ont conduite à faire une tentative de suicide, alors même que je n’étais pas dépressive… Il a fallu que je touche le fond pour réagir et décider d’arrêter tout cela.
Pour ce qui est des centres antidouleur, j’assure des permanences tous les mois à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, au sein du service du professeur Perrot, et je peux vous dire que nous ne savons plus où mettre les malades désireux de prendre part à des groupes d’échange, tant ils sont nombreux. Ce que le malade trouve dans un centre antidouleur, c’est d’abord une écoute et des informations de la part du personnel, qui assure souvent une prise en charge multidisciplinaire. La fibromyalgie est, au même titre que le diabète ou l’asthme, une maladie chronique avec laquelle il faut apprendre à vivre.
Mme Nadine Randon. La seule réserve que j’émettrai au sujet des centres antidouleur, c’est que nombre d’entre eux ne mettent pas en place la prise en charge multidisciplinaire que vient d’évoquer Mme Baron, soit parce qu’ils n’y croient pas, soit par manque de moyens financiers. Ils se contentent donc d’administrer des médicaments aux malades, ce qui a pour effet de les transformer en zombies. Ce n’est évidemment pas le cas du service dirigé par le professeur Perrot à Cochin, qui a mis au point un programme d’éducation thérapeutique dit Fibroschool, qui obtient d’excellents résultats.
M. le rapporteur. Les patients que nous avons rencontrés nous ont effectivement confirmé l’importance d’être écoutés.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je suis assez intriguée par ce que vous avez dit tout à l’heure sur le fait que les fibromyalgiques comprennent une importante proportion de femmes venant de milieux professionnels exigeant un grand investissement sur le plan humain. Je ne sais s’il faut y voir une coïncidence mais, parmi les malades que nous avons rencontrés hier, il se trouvait justement une femme travaillant dans le milieu du handicap, une autre dans l’éducation nationale, une autre encore dans la police, ce qui me conduit à me demander si la fibromyalgie ne pourrait pas résulter d’une forme de burn-out survenant dans l’exercice – surtout chez les femmes – de professions demandant beaucoup d’investissement et une grande empathie.
Mme Ghyslaine Baron. Certes, on peut se poser la question, mais je ne pense pas que ce soit forcément d’ordre professionnel : nous savons en effet que les mères de famille n’exerçant pas d’activité professionnelle au sens strict sont, elles aussi, largement touchées par la fibromyalgie. Le critère déterminant, s’il existe, semble plutôt résider dans le fait de se consacrer aux autres avec dévouement, en s’oubliant soi-même et en faisant preuve d’une générosité et d’une empathie peut-être excessives, en lesquelles on retrouve cette notion d’hypersensibilité qui caractérise les fibromyalgiques, qui les pousse à vouloir aider les autres en dépit de leurs propres fragilités.
M. le rapporteur. Vous évoquez le cas des mères de famille mais, à l’inverse, il est de plus en plus fréquent que, pour des raisons financières, les enfants soient amenés à assumer eux-mêmes la prise en charge au quotidien de leurs parents âgés.
Mme Ghyslaine Baron. C’est exact.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Mesdames, je vous remercie pour vos contributions. Si vous n’avez pas obtenu du ministère l’inscription sur son site de la Journée mondiale de la fibromyalgie, je pense que la création de notre commission d’enquête constitue une forme de reconnaissance du problème auquel se consacre votre association.
Audition de M. Christophe Donchez, président,
de M. Nicolas Vignali, vice-président
et de M. Olivier Masson, secrétaire de Fibro’Actions
(Procès-verbal de la séance du mardi 5 juillet 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole en vos qualités respectives de président, vice-président et secrétaire du collectif Fibro’actions, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Christophe Donchez, Nicolas Vignali et Olivier Masson prêtent serment).
M. Christophe Donchez, président du collectif Fibro’Actions. Je laisserai à Olivier Masson le soin de vous décrire l’impact de la fibromyalgie sur les patients qui en souffrent, et je me limiterai dans un premier temps à vous dire que le collectif, créé en 2015, rassemble dix-sept associations partenaires et compte environ 1 200 membres. Nous avons pour seul financement les cotisations de nos membres et le produit de la vente de notre magazine bimestriel.
M. Olivier Masson, secrétaire du collectif Fibro’Actions. Parce que la pathologie se définit par éliminations successives, les patients atteints de fibromyalgie connaissent une errance diagnostique assez longue. Ce temps, qui a son importance puisqu’il permet de ne pas passer à côté de maladies beaucoup plus graves, va diminuant ; il est désormais de cinq à six ans en moyenne. Il peut y avoir des approches diagnostiques par l’absurde : des médecins prescrivent des médicaments « pour voir », affinant ensuite leur diagnostic selon que les médicaments prescrits ont eu un effet ou n’en ont pas eu. J’ai du mal à cautionner de telles pratiques.
Le temps nécessaire à la détermination du diagnostic peut être relativement serein pour les malades car, sur le plan administratif, ils ont tous leurs droits, mais les difficultés commencent lorsque le diagnostic est posé. À ce moment, les malades sont soumis à une loterie, leur sort dépendant des avis sur la maladie – sinon des croyances – des médecins auxquels ils ont affaire, et de leurs critères d’évaluation. Pour les médecins-conseil de l’assurance maladie, nous ne sommes pas « malades » : nous avons un « syndrome ». Cela pose un grave problème. Il en va de même pour les médecins des assurances complémentaires. Avec les médecins du travail et ceux des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), les choses, en général, se passent mieux car ils se fondent sur un handicap défini.
Ce flou artistique a pour conséquence une propension à faire valoir le diagnostic de syndrome dépressif, stratégie de contournement qui donne droit à un congé de longue durée et à une meilleure prise en charge que celle à laquelle peuvent prétendre les malades fibromyalgiques, sans que nous comprenions pourquoi. Cette pratique a été confirmée par certains des médecins que vous avez auditionnés. Des chiffres que nous avons rassemblés, il ressort que 95 % au moins des malades fibromyalgiques pris en charge le sont parce qu’ils sont déclarés dépressifs, le syndrome fibromyalgique étant considéré associé à la dépression. Il semble que nul ne soit pris en charge pour la fibromyalgie seule.
Le fait que, tels des balles de ping-pong, les malades soient renvoyés de médecin en médecin aux positionnements différents a parfois un effet tragique. Le recensement du suicide chez les fibromyalgiques échappe à la statistique, mais les données que nous avons rassemblées dans nos associations font apparaître un taux annuel de 2,5 pour mille – tentatives de suicide et suicides confondus. Pour mémoire, la prévalence du suicide est de 17,5 pour 100 000 individus dans la population générale en France.
Lorsqu’un patient fibromyalgique a la chance d’avoir une activité professionnelle, il doit entreprendre un nouveau parcours du combattant pour obtenir que cette activité soit adaptée à son état. Les travaux physiques sont d’évidence hors de sa portée, mais la difficulté n’est pas moins grande pour les travaux intellectuels car, sans que l’on sache si c’est à cause de la maladie ou parce qu’ils sont en permanence souffrants et épuisés, les malades atteints de fibromyalgie éprouvent les plus grandes difficultés à se concentrer. Outre cela, leur état varie au cours de la journée. Les employeurs doivent donc faire preuve d’une extrême souplesse ; on comprendra qu’ils préfèrent avoir affaire à un salarié atteint d’un handicap consolidé plutôt qu’à un salarié fibromyalgique dont l’affection est bel et bien consolidée mais dont les manifestations quotidiennes sont fluctuantes. La seule adaptation proposée est bien souvent le travail à temps partiel ; cela entraîne une perte de revenus qui n’est pas acceptable par tous les malades.
L’instant où le diagnostic de fibromyalgie est posé est donc un moment de grand soulagement mais aussi celui où les ennuis commencent. Ainsi, beaucoup d’assurances locatives considèrent la fibromyalgie comme une cause d’exclusion – alors même que la maladie n’est pas reconnue ! Mais, souvent les assureurs sont des précurseurs... La plupart des assurances considèrent que la fibromyalgie ne donne pas droit à compensation en cas d’arrêt de travail de longue durée ; c’est aussi le cas pour la dépression. Il est paradoxal qu’un malade soit couvert par son assurance jusqu’au jour où le diagnostic est porté, et qu’après cela il ne le soit plus.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Les compagnies d’assurance auprès desquelles on souscrit un contrat pour acheter un bien immobilier reconnaissent-elles également la fibromyalgie pour une maladie alors que l’assurance maladie elle-même ne la reconnaît pas en tant que telle ?
M. Olivier Masson. Nous devons toujours mentionner ces troubles dans les questionnaires de santé, sous peine d’être déchus de nos droits.
Dans son rapport d’orientation sur le syndrome fibromyalgique de l’adulte, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande aux malades de tout faire pour conserver une activité professionnelle. Or nos adhérents nous disent que le travail est pour eux une source de difficultés supplémentaires et un frein majeur à l’accès aux soins non médicaux, ceux qui, en général, leur conviennent le mieux. Qu’il s’agisse de kinésithérapie, de sophrologie, de séances chez un psychologue ou un hypno-thérapeute, chaque séance est longue de près d’une heure. Si l’on a aussi une vie de famille et une activité professionnelle, on ne se soigne plus, et la situation peut devenir critique.
La fibromyalgie a une incidence notable sur les finances de tous les malades. Non seulement les soins non médicamenteux sont coûteux en ressources comme ils le sont en temps, non seulement le travail à temps partiel entraîne une perte de revenus, mais bien des malades doivent abandonner leur emploi, se retrouvant au chômage. La fibromyalgie est source d’une paupérisation criante. Elle a d’autre part un impact marqué sur la vie de famille, la vie de couple et la vie sociale, a fortiori si l’on travaille à temps plein. C’est mon cas : c’est une grande chance, mais c’est au prix de difficultés supplémentaires dans ma vie privée et pour l’accès aux soins.
Les médecins expriment parfois des injonctions de reprise d’activité physique de manière vexante. Outre que la prescription « il faut vous remettre au sport » ne vaut pas pour tous les malades, tout dépend du sport envisagé et de la manière dont il est pratiqué. La natation et les autres sports d’eau mais aussi, paradoxalement, la musculation, apportent des bénéfices réels s’ils sont pratiqués en douceur, mais 95 % des sports doivent être écartés. De plus, le temps qu’il faut consacrer à ces activités et leur financement compliquent les choses.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. La très forte proportion de femmes parmi les malades a été soulignée plusieurs fois devant nous. Nous avons entendu plusieurs représentantes d’associations, et le point de vue de malades hommes sur les implications psycho-sociales de cette maladie invisible vue nous intéresse tout autant.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Comment, selon vous, mieux diffuser auprès des médecins généralistes des méthodes de diagnostic et de traitement de la fibromyalgie ?
M. Nicolas Vignali, vice-président du collectif Fibro’Actions. Lorsque nous avons été reçus par la cellule d’écoute du Conseil national de l’Ordre des médecins, en décembre 2015, voici ce qui nous a été dit : « C’est une sorte de déni de la part des médecins. Il ne faut pas essayer de faire connaître la maladie mais combattre ce déni. Le médecin a horreur de l’échec : ce n’est pas la connaissance de la maladie qui est en cause, c’est son déni, et les médecins vont même jusqu’à simuler la méconnaissance. » Et encore : « C’est une responsabilité énorme pour le médecin de coller l’étiquette de fibromyalgie à un patient, car cela signifie maladie non curable et très difficile » Mais aussi : « Le médecin évite de pêcher par excès. Il est difficile pour un médecin de diagnostiquer une fibromyalgie
– contrairement à une spondylarthrite ankylosante, pour laquelle il y a des marqueurs ; cela peut aussi contribuer à nier la maladie. »
Non seulement les généralistes n’osent pas prononcer le diagnostic, mais certains, nous a-t-il été dit clairement, ne veulent pas de nous dans leur patientèle car recevoir un fibromyalgique suppose de lui consacrer une quarantaine de minutes quand une consultation « ordinaire » dure entre sept et huit minutes en moyenne. Le temps étant de l’argent, ces médecins font tout pour que nous partions et, en nous disant que nous ne sommes pas malades, ils sont certains que nous ne reviendrons pas, si bien que nous errons de généraliste en généraliste. Pour ma part, j’en ai consulté vingt-deux pour avoir un diagnostic ; les quatre derniers ont confirmé le pré-diagnostic que j’avais établi en faisant mes propres recherches sur Internet. On comprend que, dans l’intervalle, n’importe qui puisse entrer en dépression… De nombreux médecins ne veulent surtout pas nous prendre en charge parce qu’ils ne savent comment nous aider et qu’ils ne supportent pas d’être en échec. Il est plus facile de soigner une gastro-entérite ou une grippe qu’un patient fibromyalgique, et cela prend moins longtemps : il y faudra des années, et les résultats ne seront pas excellents.
Au moins faudrait-il que les médecins généralistes qui ne veulent pas de nous nous dirigent vers un centre anti-douleur mais ils ne le font pas systématiquement, soit qu’ils ignorent leur existence, soit qu’ils sachent que certains sont en passe de fermer ou que la faiblesse de leur budget ne leur permet pas de proposer la prise en charge pluridisciplinaire qui, au moins, fonctionne un peu, mais seulement un traitement médicamenteux.
Une fois le diagnostic posé, nous nous trouvons donc à nouveau en errance. L’injonction principale s’apparente à un « débrouillez-vous », quand on ne s’entend pas dire que la fibromyalgie n’existe pas et que tout est « dans notre tête ». Renvoyer ainsi la « faute » de son état à un malade dont la vie est chamboulée et qui n’a vraiment pas besoin de cette épreuve supplémentaire me paraît douteux sur le plan déontologique.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Le défaut de sensibilisation de la médecine de premier recours à la fibromyalgie est mentionné répétitivement depuis le début de nos travaux et nous en tiendrons compte dans notre rapport, mais je nuancerai votre propos. Je suis députée d’une circonscription de Vendée. Le département connaît une désertification médicale telle que les généralistes en exercice sont débordés, et l’on comprend qu’ils ne puissent consacrer trois quarts d’heure à un patient. On ne peut donc leur jeter la pierre ; la situation que vous décrivez s’explique par un problème général de formation des médecins et d’organisation des soins qui relève du législateur et de l’exécutif.
M. Christophe Donchez. La HAS, autorité publique la mieux à même de préconiser de bonnes pratiques médicales, nous a dit de la manière la plus claire qu’elle ne pourrait émettre de recommandations relatives à la fibromyalgie tant que la recherche n’aurait pas progressé. Il faut donc aussi pousser les recherches, sans quoi on tournera en rond de nombreuses années encore.
M. le rapporteur. Comment se comportent les médecins-conseil de l’assurance maladie une fois posé le diagnostic de fibromyalgie ?
M. Christophe Donchez. Les relations entre malades et médecins-conseil sont bien souvent conflictuelles. Les rendez-vous ont lieu dans des conditions choquantes pour les malades ; au terme de six mois, en outre, il est mis fin aux indemnités journalières et le salarié est invité à retourner travailler alors que, bien souvent, ce n’est pas possible.
M. Nicolas Vignali. Le déroulement de ces rendez-vous est plus que choquant : il est traumatisant, et certains procédés devraient valoir radiation immédiate pour manquement aux règles déontologiques. Que dire d’un médecin-conseil qui se permet d’accueillir une patiente en l’enjoignant de courir dans le couloir et qui l’accuse de simulation au motif qu’elle sourit et qu’elle porte un joli chemisier, ce qui, selon lui, ne se concevrait pas si elle était aussi mal en point qu’elle le prétend ? Que dire de ceux qui n’auscultent pas les patients, faute morale du point de vue du Conseil de l’Ordre ? En réalité, les médecins-conseil considèrent que la fibromyalgie n’existe pas pour la raison qu’aucun code ne lui est attribué dans les logiciels mis à leur disposition. Je le sais de source sûre pour avoir travaillé auprès de médecins-conseil : le code M79.7, qui est celui de la fibromyalgie dans la classification internationale des maladies CIM10, n’apparaît pas dans les deux logiciels de l’assurance maladie qui répertorient les maladies. Pour moi, cette exclusion est un choix délibéré.
M. Olivier Masson. L’absence de codage est intéressante sur le plan symbolique car elle montre que non seulement notre handicap est invisible mais aussi que personne ne souhaite en connaître l’existence. Faute de codage CIM10, nous n’apparaissons dans aucune statistique. Depuis qu’ils fonctionnent sous le régime de la tarification à l’activité (T2A), les hôpitaux généraux sont dotés d’une enveloppe de ressources définie en fonction des pathologies qu’ils soignent. La fibromyalgie n’étant pas codée, elle n’a pas d’enveloppe, et il faut trouver un financement alternatif. Puisque l’on nous dit que notre maladie est « dans notre tête » et que la psychiatrie ne relève pas de la T2A, on peut imaginer que soit utilisée pour la fibromyalgie l’enveloppe allouée aux activités thérapeutiques intersectorielles en psychiatrie. Mais, ayant recherché ce qu’il en était dans le département de l’Oise, qui compte quelque 850 000 habitants, je me suis rendu compte qu’un seul diagnostic de fibromyalgie a été posé en cinq ans. Ainsi, les patients fibromyalgiques ne sont pas répertoriés dans ce cadre non plus. Où sommes-nous donc ? Nous nous sentons bien seuls.
M. Jean-Pierre Decool. Quelles devraient être, à votre sens, les deux priorités d’action à mettre en exergue ?
M. Nicolas Vignali. Il est difficile de faire un choix, mais il faut en premier lieu renforcer la formation des médecins, de manière qu’ils cessent de nous prendre pour des fous – certains utilisent ce terme – et s’intéressent à la fibromyalgie, dont il a été démontré à l’étranger par une imagerie médicale particulière qu’il ne s’agit pas d’une forme de dépression. De nombreuses études ont été menées au Brésil et au Canada ; en France, aucune. Or, la situation est si éprouvante pour les malades qui n’en peuvent plus de ne pas voir leur pathologie reconnue et prise en charge que certains se suicident ou tentent de le faire ; une de nos adhérentes est partie en Suisse demander un suicide assisté. Des enfants sont déjà en fauteuil roulant alors qu’ils n’ont que dix ans. Il est urgent d’agir, au moins pour eux.
M. Christophe Donchez. Au moins faudrait-il faire progresser la recherche fondamentale, sans laquelle il n’y aura pas de recommandations, et une prise en charge décente des malades par les organismes concernés.
M. Gilles Lurton. Vous avez fait état d’un procédé d’imagerie médicale révélateur de la fibromyalgie. De quoi s’agit-il précisément ?
M. Nicolas Vignali. Je ne suis pas médecin, mais je sais qu’il s’agit d’une technique d’imagerie à infrarouges qui permet de visualiser la réaction à des stimulations douloureuses ; appliquée d’une part à des personnes dépressives qui ne souffrent pas et d’autre part à des fibromyalgiques non dépressifs, elle a mis en évidence que les zones du cerveau activées lors de ces stimuli diffèrent nettement. On peut certes être fibromyalgique et dépressif – quoi de plus logique ? – mais la fibromyalgie n’est pas une dépression déguisée, contrairement à ce que certains médecins se permettent d’affirmer sans preuves.
M. le rapporteur. La fibromyalgie doit-elle être prise en charge en tant qu’affection de longue durée ?
M. Christophe Donchez. Certaines affections de longue durée (ALD) sont « exonérantes », d’autres sont « non exonérantes ». L’ALD non exonérante permet que l’indemnisation des arrêts de travail soit prolongée au-delà de six mois, ce qui n’est pas négligeable pour nous car, habituellement, dans ce laps de temps, le diagnostic n’est pas fait ni le traitement établi. Or, sauf en cas de polypathologie, elle nous est refusée, sans raison apparente. L’option de l’ALD exonérante est écartée car il est avancé que le critère de « soins coûteux » n’est pas rempli, ce qui est exact pour les traitements médicaux. Dans son rapport de 2006, la HAS avançait l’idée intéressante d’intégrer dans les protocoles de traitement de certaines maladies chroniques des types de médecine non prises en charge par l’assurance maladie, mais cette recommandation est restée sans suite.
M. Olivier Masson. Tous les médicaments qui nous sont prescrits le sont pour leurs effets annexes – ainsi, les antidépresseurs le sont pour leur effet antalgique. Cela signifie que les traitements, qu’ils soient efficaces ou qu’ils ne le soient pas, sont dispensés hors autorisation de mise sur le marché (AMM), ce qui donne aux malades fibromyalgiques le désagréable sentiment de servir de cobayes. Obtenir la prise en charge de la fibromyalgie au titre de l’ALD 31 dite « hors liste », n’est pas notre objectif premier puisque les soins efficaces étant, paradoxalement, hors du circuit classique, restent à notre charge.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Sans doute ce coût effraye-t-il l’assurance maladie et la communauté médicale. Nous l’avons constaté hier en visitant un centre antidouleur, renforcer l’éducation thérapeutique du patient suppose du personnel de santé en nombre suffisant et cela coûte. Il en va de même pour le « sport santé » ; un service de ce type a été créé au sein d’une clinique dans ma commune, et ce sont les patients qui financent leurs soins. Au fil des auditions se dessine l’hypothèse d’instaurer un forfait pour soins pluridisciplinaires ; qu’en pensez-vous ?
M. Nicolas Vignali. Il faut en effet une prise en charge pluridisciplinaire, puisqu’il faut à la fois soigner les conséquences de la maladie et donc la psyché, et réadapter les malades à l’effort de manière encadrée et à un rythme raisonnable. C’est une bonne idée, mais est-ce réalisable au moment où les robinets se ferment ?
M. Olivier Masson. Une séance de sophrologie étant facturée 50 euros, et sachant le prix d’un abonnement à un club de sport, un forfait pour soins pluridisciplinaires aurait un intérêt réel pour les malades dont les revenus sont faibles.
M. Christophe Donchez. L’allocation mensuelle d’adulte handicapé étant de 800 euros au mieux, un forfait complémentaire pour soins par des médecines alternatives serait une bonne chose.
M. Christophe Premat. Au Danemark et en Suède, une somme forfaitaire, comprise entre 50 et 150 euros, est systématiquement remboursée aux salariés qui s’abonnent à un club de sport, parce que l’on considère que c’est bon pour la santé mentale. Peut-être serait-il préférable de s’orienter vers une solution de ce type, car je ne suis pas convaincu que la réforme portant modernisation de notre système de santé prévue pour s’appliquer en 2017 intègre une prise en charge spécifique par l’assurance maladie. Prévenir les troubles au travail permettrait de retrouver une harmonie. D’autre part, la généralisation du tiers payant permettra de faire une partie du chemin vers la reconnaissance et la prise en charge de la maladie, soit dans le cadre d’une ALD, soit comme polypathologie. Qu’en pensez-vous ?
M. Christophe Donchez. En l’état actuel de la réglementation, l’obtention d’une ALD n’a que peu d’impact pour les malades puisque les traitements médicamenteux sont peu efficaces. Ce qui serait intéressant pour nous, c’est que l’assurance maladie intègre dans les protocoles de soin les médecines alternatives qui nous sont utiles, acceptant ainsi que leur coût nous soit remboursé.
M. Nicolas Vignali. Nous ouvrons des antennes un peu partout en France pour sortir les malades de l’isolement dans lequel les maintient une douleur constante. Ils se rencontrent, ils se parlent et on les croit, ce qui, souvent, n’est pas le cas, y compris dans leur entourage familial – singulièrement quand le mari accompagnant son épouse à une consultation entend le médecin lui dire qu’elle est atteinte d’une maladie imaginaire. Ces incompréhensions sont souvent source de divorce et d’éclatement de la famille. Dans nos antennes, nous demandons à des intervenants divers, sophrologues ou hypno-thérapeutes, de venir. À titre gracieux ou pour une somme modique, ils dispensent des cours collectifs une fois par mois et ces soins, même s’ils n’aboutissent pas à des guérisons complètes, donnent des résultats. En d’autres termes, nous faisons ce que l’assurance maladie ne fait pas.
M. le rapporteur. Vous paraît-il pertinent de prévoir un volet consacré à la fibromyalgie dans le cadre du diagnostic territorial partagé prévu par la loi de modernisation de notre système de santé ?
M. Nicolas Vignali. C’est primordial et urgent. Tous les médecins disent que les malades atteints de fibromyalgie sont de plus en plus nombreux. Il faut s’occuper d’eux comme il faut s’occuper de ceux qui souffrent de la maladie de Lyme et tenir compte de ces pathologies dans la réforme à venir. Or, nous en sommes exclus de fait, faute que la fibromyalgie soit codifiée par l’Assurance maladie. Nous sommes pourtant 3 millions de personnes en France – et 14 millions en Europe – dont la maladie, donc, n’existe pas, sinon pour les assureurs…
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Messieurs, je vous remercie pour votre contribution à nos travaux.
Audition du professeur Marcel-Francis Kahn
(Procès-verbal de la séance du mardi 12 juillet 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Monsieur le professeur, je vous souhaite la bienvenue.
Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques ; elles sont donc ouvertes à la presse et retransmises en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale. Avant de vous céder la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Marcel-Francis Kahn prête serment).
M. Marcel-Francis Kahn. Je suis très honoré que vous m’ayez invité à traiter devant vous d’un sujet qui m’a toujours tenu à cœur. Je suis professeur émérite de rhumatologie. Par cet euphémisme courtois il faut entendre que je suis à la retraite, à la nuance près que l’éméritat me confère la possibilité de poursuivre des travaux académiques, ce que je continue de faire, dans l’édition médicale notamment. J’approche de mes 87 ans, mais une santé encore assez bonne me permet de continuer à travailler correctement.
J’ai été amené à m’intéresser à la fibromyalgie au milieu des années 1970. Mon maître, Stanislas de Sèze, qui dirigeait le centre de rhumatologie Viggo-Petersen de l’hôpital Lariboisière, s’apprêtant à prendre sa retraite, j’ai pensé, avec certains de ses collaborateurs, qu’il serait intéressant de recenser les consultations qui avaient été faites au cours de sa dernière année d’activité dans ce centre exemplaire où l’on se consacrait à plein temps aux soins, à l’enseignement et à la recherche. Passant en revue tous les dossiers des malades, nous avons vu défiler sous nos yeux l’ensemble des pathologies habituellement traitées dans un centre de rhumatologie, mais il est aussi apparu un ensemble de quelque 250 patients – des femmes, à une immense majorité – elliptiquement définis comme « polyalgiques ».
Intrigué par cette imprécision diagnostique, j’ai étudié les dossiers de plus près et constaté des appellations et des commentaires variés : « polyalgies » ici, « plaintes de douleurs diffuses » là. J’ai lu aussi, et cela m’a irrité, des appréciations portées sur le psychisme et surtout le comportement des patientes, certaines étant explicitement accusées de se plaindre pour ne pas travailler ou pour obtenir des modifications de leur poste de travail. Ces considérations m’ont paru déplaisantes et déplacées.
Ma curiosité décidément excitée et bien que ce ne soit nullement mon domaine de recherche – je m’intéressais aux maladies inflammatoires systémiques –, j’ai repris la littérature médicale et me suis rendu compte que ces diagnostics fumeux, variables ou simplement absents ne se trouvaient qu’en Europe continentale ; nos confrères anglo-saxons avaient de longue date une connaissance précise de cette pathologie. Dans son Traité de rhumatologie, paru en 1944, Comroe avait déjà consacré un chapitre à la fibrositis, et dans les multiples publications que j’ai recensées figuraient en particulier les articles récents de deux Canadiens qui avaient procédé à des études précises : Harvey Moldofsky s’était intéressé aux troubles du sommeil et à l’influence de la fatigue sur les symptômes, Hugh Smythe à la différenciation des sensations douloureuses chez des patients pour lesquels le diagnostic de fibrositis avait été porté.
Incidemment, le terme fibrositis était malvenu, puisqu’il renvoie, de manière impropre, à une maladie des tissus fibreux qui n’a rien à voir avec la pathologie en cause. Et s’il y a bien myalgie, la douleur musculaire n’est pas au premier plan du tableau clinique. Quand j’ai commencé de publier des articles
– qui ont reçu un accueil variable – relatifs à cette pathologie, j’ai proposé la dénomination descriptive de « syndrome polyalgique idiopathique diffus » ou SPID. Elle a fait florès en France mais, faute de traduction anglaise qui lui aurait donné une audience internationale, elle a été abandonnée et le terme « fibromyalgie » s’est finalement imposé dans la littérature internationale.
Les travaux scientifiques se sont progressivement multipliés, et les récolements ont mis en évidence que des milliers de publications avaient été consacrées aux différents aspects de cette pathologie reconnue par l’Organisation mondiale de la santé, qui l’a codifiée dans la classification internationale des maladies. En France, la fibromyalgie a fait l’objet d’une étude tout à fait pertinente de l’Académie de médecine. L’Assurance maladie a d’autre part réuni divers spécialistes, dont j’étais, pour connaître leur opinion sur l’incidence de la fibromyalgie sur le travail.
Depuis cinquante ans maintenant, j’organise la publication de L’Actualité rhumatologique. Les médecins du centre Viggo-Petersen et ceux du service de rhumatologie de l’hôpital Bichat, que j’ai dirigé pendant une vingtaine d’années, y font le point sur l’avancée des connaissances en rhumatologique. Des opinions contradictoires sont toujours exprimées, certains continuant de ne pas croire en l’existence de cette maladie. Comme je m’intéressais à la pathologie rhumatologique liée au travail, j’ai publié dans L’Actualité rhumatologique 2013 une revue générale, aussi complète que possible, des éléments de diagnostic, de pronostic, de physiopathologie, de thérapeutique et de prise en charge de la fibromyalgie.
Je continue de m’intéresser à l’aspect médico-social de la maladie et j’ai beaucoup travaillé, un temps, avec les associations de patients avant de m’en éloigner quand, malgré mes objurgations, elles ont proliféré et commencé à croisé le fer. Je leur ai fait savoir que je travaillerai à nouveau avec elles si elles se regroupaient et s’abstenaient de prendre des positions contradictoires et parfois agressives ; ce n’est pas encore tout à fait le cas.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Vous avez été l’un des premiers à reconnaître le syndrome fibromyalgique en France. Quel accueil vos confrères ont-ils fait à vos travaux, au début des années 1980 ? Le scepticisme demeure-t-il ? Si c’est le cas, comment l’expliquez-vous ?
M. Marcel-Francis Kahn. L’accueil a souvent été favorable car mes articles apportaient un peu de lumière à des praticiens que cette pathologie embarrassait beaucoup. Des confrères s’y sont opposés, certains pour des raisons personnelles – c’est qu’il m’arrive d’exprimer des opinions, politiques ou médicales, assez tranchées… – mais je me souviens aussi avoir lu en 1999 un article écrit par un professeur de médecine interne du centre de la France qui se demandait si la fibromyalgie passerait le siècle… Certains considéraient qu’il s’agissait d’une construction intellectuelle qu’il n’était pas justifié de défendre, y compris dans ses aspects relatifs à la médecine du travail. Selon eux, on parlait, dans le meilleur des cas, d’une affection purement psychosomatique ; leur opinion n’était donc pas très éloignée de celle qui s’exprimait au milieu des années 1970, période pendant laquelle la bonne foi des patientes était durement mise en doute.
M. le rapporteur. N’est-ce pas encore le cas ?
M. Marcel-Francis Kahn. Cela a beaucoup changé, en tout cas chez les médecins. Ayant longtemps travaillé aux États-Unis, je suis membre de sociétés savantes anglaises et américaines et j’ai constaté que, dans la littérature scientifique, ceux qui contestent l’existence du syndrome fibromyalgique ont bien peu d’arguments à faire valoir. La fibromyalgie ne se traduit pas par une lésion : c’est un trouble fonctionnel de la modulation de la douleur. Contrairement à ce que pensait Descartes, la douleur n’est pas un phénomène à l’explication simple mais un processus physiologique d’une extrême complexité qui met en jeu les nerfs périphériques, la moelle épinière et le cerveau ; à chaque étape, des troubles peuvent apparaître. Hugh Smythe a montré que la fibromyalgie était vraisemblablement une pathologie de la fonction douleur. Outre que la compréhension de cette fonction a beaucoup progressé depuis une centaine d’années, on s’aperçoit maintenant que des troubles qui avaient été qualifiés de fonctionnels ne l’étaient pas.
À la fin du XIXe siècle, l’illustre clinicien Jean-Martin Charcot, ayant décrit la transe hypnotique, a été violemment contesté, et son approche considérée comme une fumisterie ; dans Les Morticoles, un ouvrage affreux paru en 1894, Léon Daudet en disait pis que pendre. Charcot avançait que les troubles fonctionnels pour lesquels les données anatomiques manquaient trouveraient une explication à mesure que les connaissances scientifiques progresseraient. Il avait raison : l’imagerie cérébrale enregistre les effets physiologiques, bien réels, de la transe hypnotique. De même, pour la fibromyalgie, alors qu’on ne pouvait, à l’origine, se référer qu’au discours des patients, le seul test physique étant l’existence de points douloureux provoqués ; les tests de la fonction douleur apportent de plus en plus d’éléments de preuve.
M. Alain Ballay. Le syndrome fibromyalgique est souvent considéré comme l’expression d’une souffrance psychosomatique. Pourrait-on la traiter par l’hypnose ?
M. Marcel-Francis Kahn. Je le pensais, et je mettais beaucoup d’espoir dans cette thérapeutique qui n’est ni médicamenteuse ni physique ; j’ai même dirigé une thèse à ce sujet. On a essayé, et les résultats obtenus n’ont malheureusement pas été probants, ce qui est très décevant. Les études ont concerné peu de patientes mais, pour le moment, les résultats sont plutôt négatifs.
Mme Florence Delaunay. Avez-vous une idée des raisons pour lesquelles la fibromyalgie touche essentiellement les femmes ? Avez-vous connaissance de cas de guérison ou considérez-vous la maladie comme incurable ?
M. Marcel-Francis Kahn. La plupart des travaux scientifiques montrent une prévalence considérable de femmes parmi les malades. J’ai reçu en consultation à l’hôpital Bichat, à Paris, plusieurs centaines de patients qui m’étaient souvent envoyés par des confrères que cette pathologie mettait mal à l’aise ; neuf sur dix étaient des femmes, et la littérature scientifique fait état d’une proportion de 85 à 95 % de femmes parmi les malades. D’autres maladies somatiques, telles la polyarthrite ou le lupus érythémateux systémique, frappent les femmes dans des proportions similaires, sans que l’on en sache non plus la raison.
La dernière recherche que j’ai conduite a consisté à comparer l’arrière-plan psychique des malades fibromyalgiques selon les sexes ; il est apparu que les terrains diffèrent nettement. On trouve chez les femmes un terrain anxio-dépressif, et dans certains cas des crises d’angoisse respiratoire – ce que l’on appelait « tétanie » ou « spasmophilie » et dont on sait maintenant qu’il s’agit également d’une pathologie d’origine centrale. Les hommes ne présentaient pas ces caractéristiques, mais pratiquement tous des troubles obsessionnels compulsifs. Pour expliquer la très forte proportion de femmes souffrant de cette pathologie, l’hypothèse d’une influence hormonale ou biochimique a été avancée, mais rien n’est exactement connu. Aucun travail scientifique n’a mis en cause la considérable prédominance des femmes au nombre des patients fibromyalgiques.
Il est très compliqué de promettre la guérison à une patiente fibromyalgique. Je soulignais dans l’article que j’ai publié dans L’Actualité rhumatologique 2013 combien il est important d’expliquer aux patientes ce dont elles sont atteintes. Elles n’ont pas toujours eu une écoute compatissante et se sont souvent entendu dire que leur maladie était « dans la tête » – mais tout est « dans la tête », à commencer par le visionnage d’un film ou l’écoute d’une musique ! Si on leur a dit que leurs troubles sont d’origine psychique, je leur explique que les travaux les plus récents infirment cette opinion, qu’il s’agit d’une anomalie de la transmission de la douleur et que la pathologie est réelle. Le bon côté de la chose est que je peux leur promettre que la fibromyalgie ne fera jamais d’elles des invalides majeures, qu’elles ne risquent pas de finir paralysées, qu’il n’y a pas de liaison identifiable touchant viscères, muscles ou nerfs et que la situation s’améliorera quand elles avanceront en âge.
La majorité des patientes sont d’âge moyen. Sur l’âge de survenue de la maladie, j’ai une divergence d’appréciation avec certains auteurs, allemands notamment. Un médecin israélien de l’Université de Beer Sheva a fait état de cas de fibromyalgie apparus avant la puberté ; je n’en ai jamais vu ne serait-ce qu’un seul chez les centaines de malades venus consulter. Pour certaines patientes, les troubles avaient commencé entre la puberté et l’âge adulte, mais elles sont peu nombreuses dans ce cas. On admet en général, dans la littérature, que les enfants ne sont pas atteints de ce syndrome, qu’il faut distinguer des « douleurs de croissance ». La fibromyalgie ne se déclare pas non plus chez les individus âgés de plus de soixante-dix ans, autrement dit chez les vieillards, catégorie à laquelle j’appartiens théoriquement, mais chacun sait qu’un vieillard est quelqu’un qui a dix ans de plus que soi… (Sourires). Même si des symptômes épars peuvent apparaître auparavant, le pic très net de l’apparition des symptômes est autour de la ménopause.
Les malades que j’ai suivies très longtemps à l’hôpital Bichat ont pu constater qu’au terme de quinze à vingt ans elles n’étaient pas invalides, que les traitements prescrits avaient eu une certaine efficacité et que leur sort s’était amélioré. Bien entendu, cela ne résolvait pas les problèmes dus à l’incidence de la fibromyalgie sur le travail, la vie familiale et la nécessité d’élever ses enfants. Il m’est aussi arrivé d’expliquer que la pathologie retentit forcément, comme d’autres, sur la vie personnelle, et légitime dans certains cas une approche psychologique ou même psychiatrique. Diriger d’emblée une patiente vers un psychologue ou un psychiatre est catastrophique, mais l’on peut expliquer posément à une patiente qu’il est normal qu’une maladie qui l’invalide, lui pose un problème au travail et un problème de reconnaissance par certains organismes ait un effet anxiogène ou dépressif et que, de même qu’on lui prescrit des antalgiques, elle peut avoir besoin d’un soutien psychologique ou même psychiatrique.
M. le rapporteur. La difficulté tient à la durée nécessaire à l’établissement du diagnostic. Les malades nous disent que l’énoncé du diagnostic change leur vie, parce qu’ils savent enfin qu’ils ne sont pas atteints d’une maladie mortelle. Mais, pour en arriver là, il faut parfois entre dix et quinze ans, faute que le diagnostic soit posé.
M. Marcel-Francis Kahn. Ce problème est en effet difficile, sinon impossible, à résoudre car le manque de médecins traitants se fait sentir un peu partout, y compris à Paris. Cela a une incidence sur le temps que chaque généraliste peut accorder à ses patients. Or, recevoir une patiente fibromyalgique en consultation prend du temps car il faut l’écouter, lui donner des explications et, souvent, les renouveler. À cela s’ajoutant la persistance, catastrophique, d’un certain scepticisme au sujet de la maladie elle-même, le problème demeure irrésolu.
M. Jean-Pierre Decool. Je vous remercie pour votre engagement ; il tranche avec le scepticisme de certains de vos confrères. En l’état de la science, quelles sont les meilleures thérapies allopathiques, homéopathiques ou d’autre nature ? Les données anatomiques ne permettent pas, pour l’instant, de trouver des signes tangibles de ce syndrome. Peut-on penser que les connaissances sont encore insuffisantes et que l’on aura, demain, de nouveaux indicateurs, ou est-ce que la recherche ne peut aller plus loin ?
M. Marcel-Francis Kahn. Certains examens neurophysiologiques assez sophistiqués permettent de démontrer le trouble de la transmission douloureuse mais les réaliser suppose des équipes compétentes. Il est très difficile d’en faire un examen de routine car très peu de laboratoires sont en mesure de le pratiquer. Il en va autrement en Suisse et en Angleterre, mais en France, cela n’intéresse pas beaucoup : un certain snobisme, qui remonte à loin, voulait d’ailleurs qu’il soit plus « noble » pour un neurologue de s’occuper des fonctions cérébrales centrales que des nerfs périphériques. Il y a déjà moyen, par des études neurophysiologiques pointues, d’authentifier le trouble, ou plus exactement les troubles, de transmission de la douleur qui caractérisent la fibromyalgie. Il est en effet à peu près admis maintenant que la fibromyalgie n’est pas une maladie mais un syndrome, dont les déterminants différents rendent l’étude physiologique très difficile.
Vous m’avez interrogé sur la thérapeutique, et j’ai cru entendre le mot « homéopathie ». Sachez que je suis un ennemi juré de l’homéopathie. Selon moi, et Alfred Jarry ne m’en voudra pas, cela relève des Patamédecines ; j’ai d’ailleurs été condamné par le conseil national de l’Ordre des médecins pour avoir dit du mal publiquement de cette discipline. Dans L’Actualité rhumatologique 2013, j’ai fait la revue des articles publiés sur les effets des médecines dites parallèles sur la fibromyalgie : rien n’a jamais été démontré – sinon peut-être pour l’acupuncture, que je ne mets pas dans le même sac car il y a là une réalité physiologique peut-être intéressante.
Médecin, je n’ai jamais eu de conflits d’intérêts, m’étant abstenu, pour des raisons idéologiques, de toutes relations avec l’industrie pharmaceutique, sauf une fois, il y a une quinzaine d’années, lorsque je me suis rendu, à la demande du laboratoire Pierre Fabre, aux Entretiens du Carla ; j’étais défrayé, mais aucuns honoraires ne m’étaient versés. Le laboratoire voulait promouvoir le milnacipran – commercialisé sous le nom d’Ixel en France, où il a l’indication d’antidépresseur – comme traitement spécifique de la fibromyalgie. On m’avait fait parvenir le dossier retraçant le travail expérimental censé prouver son efficacité à ce titre. L’ayant étudié, j’ai dit que l’utilité de cette molécule dans le traitement de la fibromyalgie n’avait pas été démontrée, ce qui a beaucoup déçu le laboratoire ; j’ai assez vite cessé d’être invité aux Entretiens du Carla… Le laboratoire Pierre Fabre a ensuite vendu son brevet aux États-Unis, où le médicament a trouvé une seconde jeunesse sous le nom de Savella. Je précise pour la petite histoire que l’Agence européenne des médicaments a refusé à l’Ixel l’indication « fibromyalgie », et que les publicités pour le Savella qui inondaient les journaux américains ont disparu ces temps-ci. Le Fibromyalgia Network, association qui regroupe la majorité des patients américains atteints de fibromyalgie, est tout à fait sceptique sur l’effet de certains produits prescrits à ses membres.
Quand j’exerçais, j’avais sélectionné un dérivé des antidépresseurs tricycliques, le Laroxyl, une solution buvable que l’on peut prescrire à toutes petites doses, en partant d’une goutte le soir pour arriver à trois gouttes si nécessaire. Ce médicament n’est pas toujours très bien toléré mais ses effets secondaires ne sont pas très ennuyeux et c’est le seul qui, avec les antalgiques simples tels que le paracétamol, a un effet chez les fibromyalgiques. Aux États-Unis, on a vanté les bienfaits de médicaments en principe anxiolytiques et antidépresseurs, qui auraient un effet possible dans le traitement de la fibromyalgie ; je n’ai jamais été convaincu de leur efficacité. Cette indication existe aux États-Unis, et pour certaines molécules en France mais, comme le Fibromyalgia Network, je juge les résultats obtenus par ce biais tout à fait insuffisants. Une étude conduite aux États-Unis fait état de la propagande intensive des laboratoires pharmaceutiques en faveur de produits antiépileptiques ou antalgiques qui obtiennent 30 % de résultats relativement favorables, ce qui est très peu. Dans cette indication, ces médicaments n’ont jamais véritablement percé en France.
Selon moi, le traitement de la fibromyalgie est surtout pluridisciplinaire. En dehors du dialogue avec les malades, du traitement médicamenteux et de l’éventuel abord psychothérapeutique, je suis très partisan des méthodes physiques. Des auteurs suisses ont démontré l’efficacité de la rééducation, de la balnéothérapie, des massages et des applications chaudes, toutes méthodes qui présentent en outre l’avantage de montrer aux patientes qu’on les prend au sérieux. La plupart des grandes stations françaises de crénothérapie ont d’ailleurs ajouté la fibromyalgie à leurs indications antirhumatismales. Il en est ainsi de Lamalou-les-Bains, station où Alphonse Daudet soignait les complications de sa syphilis et de son tabès, et où je me suis rendu il y a quelques années lors d’une réunion scientifique de bon niveau sur la fibromyalgie, dont les Actes ont été publiés.
Enfin, j’ai mis en garde contre l’erreur malheureuse consistant à utiliser des antalgiques majeurs, dont les dérivés morphiniques, dans le traitement de la fibromyalgie. On a vanté, à tort selon moi, leur prescription dans le traitement des syndromes rhumatologiques bénins alors que leur maniement requiert la plus grande prudence. On peut utiliser les morphiniques faiblement dosés tels que le Tramadol, mais pas les autres, qui provoquent addiction, épuisement de l’effet et effets secondaires ; la contre-indication est très nette. J’ai fait le point, dans L’Actualité rhumatologique 2013, sur les recommandations internationales ; elles diffèrent aux États-Unis, en Allemagne, en France… J’espère que ces divergences s’aplaniront et que l’on trouvera un médicament présentant plus d’avantages que d’inconvénients ; actuellement, il faut être très prudent dans l’utilisation des médicaments et en particulier des morphiniques.
M. Christophe Premat. Puisque la difficulté du diagnostic, disent de nombreux malades, tient à l’existence de symptômes diffus, ne serait-il pas judicieux d’en revenir à la dénomination descriptive que vous aviez proposée ? Considérez-vous qu’il y ait des causes environnementales, professionnelles et sociales au déclenchement du syndrome ? La collaboration entre spécialistes a-t-elle progressé ?
M. Marcel-Francis Kahn. Plusieurs enquêtes, dont certaines portent sur des jumeaux, ont montré qu’il pouvait y avoir un facteur familial dans l’apparition de la fibromyalgie, mais les résultats obtenus ne sont, statistiquement, pas très convaincants. Il semble qu’il y ait une prédisposition génétique, mais elle n’est pas déterminante.
Reste posée la question des critères de diagnostic. Frederick Wolfe, médecin à Wichita Falls, en a proposé une série en 1990 au Collège américain de rhumatologie, dont je suis membre. J’ai critiqué cette liste dès l’origine dans La Revue du rhumatisme pour diverses raisons : elle ne prenait pas en compte les symptômes de première importance que sont les troubles du sommeil, l’angoisse et la fatigue ; son auteur mélangeait curieusement fibromyalgies « primaires » et « secondaires » ; un des critères retenus était que les symptômes devaient être présents depuis « trois mois au moins », ce qui est un peu court. Mais la démarche était intéressante en ce qu’était reprise la liste de points douloureux à la palpation établie par Hugh Smythe, dont l’accumulation est un test semi-objectif permettant de poser le diagnostic de fibromyalgie.
Ces critères, avalisés par le très puissant Collège américain de rhumatologie, sont toujours très utilisés. Mais, étrangement, Frederick Wolfe a entièrement révisé sa première liste en supprimant les points douloureux à la palpation et les formes secondaires à d’autres pathologies et en ajoutant les troubles du sommeil, la fatigue et les troubles du comportement. Il s’en est suivi une bagarre entre rhumatologues pour savoir laquelle des deux listes utiliser. La plupart des médecins s’en tiennent à la première car elle contient les signes semi-objectifs que sont les points douloureux à la palpation, dont personne ne comprend pourquoi Frederick Wolfe les a supprimés de sa seconde liste. Comme je vous l’ai indiqué, aussi longtemps que l’on n’utilisera pas de manière routinière des tests de neurophysiologie, on devra fonder le diagnostic sur ces tests semi-objectifs, difficiles à affirmer, reconnaître ou éliminer.
L’environnement ne semble pas jouer de rôle dans le déclenchement de la fibromyalgie ; l’exposition à des toxiques, y compris au travail, peut susciter des troubles douloureux, mais aucun ne provoque un tableau qui corresponde exactement à celui de la fibromyalgie. Pour le moment, l’influence de l’environnement sur le développement de la maladie n’est pas avérée.
Un traitement pluridisciplinaire est naturellement souhaitable. On peut l’écrire, mais, en pratique, il est extrêmement difficile à obtenir, sinon quasiment impossible.
Un des points dont j’ai longuement discuté avec les associations de patients et qui explique, ai-je cru comprendre, la création de votre commission d’enquête, est celui de la reconnaissance de la fibromyalgie au travail et pour le remboursement des soins. Depuis vingt ans, les associations de malades m’incitent à demander que la fibromyalgie soit incluse dans la liste des affections de longue durée (ALD). Ma réponse a toujours été ambiguë et si je dois préciser ma position sur la pertinence de cette requête, je vous dirai que mon opinion n’est pas, pour le moment, entièrement positive. Je ne dis pas que la fibromyalgie n’est pas la cause d’une gêne considérable ; elle pourrait d’ailleurs entrer dans le cadre des ALD si elle entraînait une dépression grave. Mais je considère qu’adjoindre le syndrome fibromyalgique en tant que tel à la liste des ALD entraînerait des complications graves, et qu’il faut procéder au cas par cas. Les commissions départementales peuvent être saisies de cas particuliers : elles examinent alors les patients extrêmement handicapés dont des tests montrent qu’ils peuvent entrer à bon droit dans la liste des ALD. Est-ce que cela doit être automatique pour la fibromyalgie ? Ma position à ce sujet est très hésitante, pour ne pas dire plus.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Avez-vous envisagé des explications sociologiques au syndrome fibromyalgique ? Des études ont-elles été conduites sur le milieu d’origine, la profession, le niveau d’éducation, la vie familiale des patientes ? De ce que nous avons entendu ici lors des auditions successives et au centre antidouleur de l’hôpital Cochin, il ressort que les femmes atteintes du syndrome fibromyalgique ont souvent des professions tournées vers les autres, des vies compliquées qui les conduisent à s’occuper de tous, au point qu’un moment vient peut-être où c’est trop. N’est-ce pas alors qu’apparaissent les symptômes ? La physiologie féminine n’étant pas en cause, une étude sociologique permettrait-elle de dire si ces symptômes traduisent une maladie de société ?
Mme Annie Le Houerou. Dans le même esprit, y a-t-il une corrélation entre la prévalence de la maladie et les conditions de vie sociales ? Pour ce qui est de la prise en charge de la maladie une fois qu’elle est diagnostiquée, ne faudrait-il pas favoriser la prévention en allégeant les modalités de travail en cas de crises, de manière que les individus fibromyalgiques parviennent à concilier maladie, vie sociale et vie professionnelle ?
M. Marcel-Francis Kahn. Il est évident que les conditions de vie, de travail et familiales ont une influence ; cela m’a frappé au cours de mes consultations même si, ayant uniquement exercé comme praticien hospitalier, sans jamais donner de consultations privées, ma patientèle s’en est trouvée sélectionnée d’office puisque je ne voyais pas le milieu social qui ne vient pas à l’hôpital hors d’une consultation privée. J’ai publié dans L’Actualité rhumatologique 2011 un article assez long qui portait sur les pathologies rhumatologiques liées au travail ; la fibromyalgie en fait partie. La maladie a un volet social incontestable, mais le dire ne suffit pas à apporter une solution facile. Que faire quand une femme travaille à la chaîne ? Que faire quand une femme dépèce des poissons dans le froid, avec des gestes répétitifs, à une cadence imposée ? Tout cela favorise grandement l’apparition des symptômes. Les solutions sont incontestablement d’ordre médico-social mais je suis bien en peine d’en dire plus.
Des espoirs thérapeutiques résident peut-être dans des moyens différents des prescriptions actuelles, médicamenteuses ou de rééducation : les méthodes agissant sur l’intégration de la douleur. Ainsi, le professeur Serge Perrot, qui exerce à l’Hôtel-Dieu, à Paris, se sert de la stimulation magnétique transcrânienne, déjà utilisée par les psychiatres à la place des électrochocs.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Je vous remercie, monsieur le professeur, pour ces éclaircissements apportés avec passion, conviction et humour.
Audition du professeur Christian Roques, président
du Conseil scientifique de l’Association française pour la recherche thermale,
et de M. Claude-Eugène Bouvier, délégué général
du Conseil national des établissements thermaux
(Procès-verbal de la séance du mardi 12 juillet 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous poursuivons nos travaux avec l’audition du professeur Christian Roques, président du conseil scientifique de l’Association française pour la recherche thermale (AFRETH), et de M. Claude-Eugène Bouvier, délégué général du Conseil national des établissements thermaux (CNETh). Je vous souhaite la bienvenue, messieurs.
Je rappelle que notre commission d’enquête a décidé de rendre ses auditions publiques. Par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Christian Roques et M. Claude-Eugène Bouvier prêtent serment.)
M. Christian Roques, président du conseil scientifique de l’Association française pour la recherche thermale. J’interviens ici en ma qualité de président du conseil scientifique de l’AFRETH. Je suis par ailleurs professeur émérite des universités en médecine physique et de réadaptation à l’université de Toulouse et membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. Je précise que je préside le conseil scientifique de l’AFRETH à titre bénévole. Je ne suis ni salarié ni actionnaire d’un établissement thermal. Je n’ai aucun lien de subordination avec une structure représentative du thermalisme.
L’AFRETH a été créée en octobre 2004, avec l’objectif de promouvoir des recherches destinées à évaluer le service médical rendu par les cures thermales, à l’initiative de trois organismes : le CNETh, syndicat patronal ; l’Association nationale des maires de communes thermales, regroupement d’élus ; la Fédération thermale et climatique française, branche nationale de la Fédération mondiale du thermalisme et du climatisme, organisme reconnu par l’Organisation mondiale de la santé au titre des médecines traditionnelles et complémentaires.
L’AFRETH est gérée par deux comités : un conseil d’administration, au sein duquel siègent les représentants des organismes créateurs et qui prend les décisions de financement des études qui lui sont présentées par le conseil scientifique ; ledit conseil scientifique, composé d’une dizaine de personnalités indépendantes et reconnues – des universitaires, un médecin thermal, un représentant de l’échelon médical de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés –, qui gère, en amont, tout le volet scientifique.
L’AFRETH fonctionne sur la base d’appels à projets scientifiques annuels. À ce jour, onze appels à projets ont été réalisés, et un douzième est en cours. Ils ont permis d’engager une enveloppe de 12 millions d’euros consacrée à la recherche. Au total, 122 projets nous ont été soumis ; 79 ont été déclarés éligibles ; 63 ont été validés par le conseil scientifique. Le conseil d’administration a décidé d’apporter un soutien financier à 43 de ces 63 projets validés sur le plan scientifique. À ce stade, quinze articles ont été publiés, dans des revues de langue anglaise avec comité de lecture et à facteur d’impact. Neuf de ces articles concernent le service médical rendu par la cure thermale dans des domaines tels que l’arthrose du genou, le surpoids et l’obésité, le syndrome métabolique, le trouble d’anxiété généralisé, l’insuffisance veineuse chronique ou les suites de cancers. Vingt-six études sont en cours, à des stades divers – mise en place, réalisation, exploitation des données, écriture, publication.
S’agissant de la prise en charge thermale de la fibromyalgie, deux essais contrôlés randomisés sont en cours. Ils conforteront les données de la littérature scientifique internationale dans le domaine de la balnéation thermale, qui sont, il faut le dire, assez modestes : j’ai identifié une vingtaine de références d’études publiées dans des revues en langue anglaise à facteur d’impact – c’est-à-dire avec un haut niveau de qualité scientifique. Parmi celles-ci, six peuvent être retenues comme représentatives de la prise en charge thermale telle qu’elle est réalisée en France. Cela contraste avec l’importance de la recherche thérapeutique concernant la fibromyalgie : dans la base de données la plus traditionnellement utilisée en médecine, on identifie plus de 5 000 références de publications relatives à ce domaine.
M. Claude-Eugène Bouvier, délégué général du Conseil national des établissements thermaux. Le CNETh est le syndicat professionnel des entreprises thermales françaises. Il représente 106 des 110 établissements thermaux de notre pays. Comme tout syndicat professionnel, il est l’interlocuteur des autorités de tutelle, qui sont, pour le thermalisme, à la fois l’État, au travers du ministère de la santé et des agences régionales de santé (ARS), et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), qui réunit les trois régimes de l’assurance maladie.
Nous vous remercions de nous permettre de nous exprimer dans le cadre de vos travaux. Il nous semble légitime que les représentants de la médecine thermale soient entendus et participent au débat, dans la mesure où nombre de patients atteints de fibromyalgie privilégient cette médecine et où celle-ci constitue une solution médicalement et économiquement pertinente. À cet égard, je rappelle que la Haute Autorité de santé (HAS) a reconnu l’intérêt de la balnéologie dans ses recommandations de 2010. De même, dans des recommandations émises en 2006, la Ligue européenne contre le rhumatisme (EULAR) a reconnu l’intérêt de la balnéologie en eau chaude – pas spécifiquement du thermalisme – et lui a attribué le plus haut grade parmi les techniques non pharmacologiques. L’EULAR a également reconnu l’intérêt des techniques adjuvantes à la balnéologie qui peuvent être déployées dans les établissements thermaux, à savoir les programmes d’exercices physiques, la relaxation, la réadaptation et le soutien psychologique.
Le thermalisme est l’utilisation à des fins thérapeutiques de l’eau minérale et de ses dérivés, les boues thermales et les gaz thermaux, sur le lieu d’émergence de ces eaux.
La cure thermale est indiquée dans la prise en charge de maladies chroniques, qui représentent 63 % des dépenses de l’assurance maladie. C’est le cœur d’activité des établissements thermaux, qui prennent en charge à ce titre 563 000 curistes par an – chiffre très significatif –, dans le cadre de douze orientations thérapeutiques. Précisons que la fibromyalgie n’est pas identifiée comme l’une de ces douze orientations. Quelque 78 % des curistes viennent en cure pour traiter essentiellement des pathologies liées à l’appareil locomoteur.
Le format de la cure thermale est nécessairement de dix-huit jours. C’est une démarche médicale, qui fait l’objet d’une prescription et qui est suivie, pendant toute sa durée, par un médecin thermal.
Rappelons aussi qu’il s’agit d’une médecine sociale, dans la mesure où de nombreux curistes sont issus des classes moyennes : 15 % d’entre eux ont des ressources inférieures au plafond de la sécurité sociale ; environ 3 % sont bénéficiaires soit de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), soit de l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS). D’autre part, 23 % des curistes bénéficient d’une prise en charge à 100 %, dont 20 % pour une affection de longue durée (ALD).
On entend parfois dire que la médecine thermale coûte cher. Je vais sans doute vous surprendre en accréditant cette assertion : elle coûte effectivement cher, mais elle coûte cher au curiste. On constate que l’investissement personnel du curiste représente 70 à 75 % des coûts engagés dans le cadre de la cure thermale.
À l’échelle macroéconomique, le budget des cures thermales représente 0,15 % des dépenses de l’assurance maladie.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Quel est le coût moyen d’une cure ?
M. Claude-Eugène Bouvier. Le tarif moyen d’une cure est d’environ 560 euros pour ce qui est des prestations liées aux soins. L’assurance maladie intervenant à hauteur de 65 %, le coût pour la collectivité est de l’ordre de 300 à 350 euros.
M. le rapporteur. Quel est le coût pour le malade ?
M. Claude-Eugène Bouvier. Il est en moyenne de 1 600 euros, lorsque l’on inclut l’ensemble des postes : le déplacement, l’hébergement sur place, les autres frais liés au séjour, les honoraires médicaux. C’est donc une dépense assez importante.
Il existe trois modalités d’accueil et de prise en charge des curistes atteints de fibromyalgie dans les établissements thermaux. La première est la cure thermale standardisée de trois semaines telle que je viens de la décrire. La fibromyalgie peut être prise en charge dans le cadre de trois orientations thérapeutiques : la rhumatologie, dans quatre-vingt-cinq stations thermales ; la neurologie, dans trois stations ; les affections psychosomatiques, dans cinq stations. Selon le mode d’expression du syndrome fibromyalgique, c’est-à-dire selon que prédominent la douleur ou bien les problèmes psychosomatiques – dépression, anxiété, troubles du sommeil, voire tendances suicidaires –, le patient sera dirigé vers un établissement agréé pour l’une de ces trois orientations.
Second mode de prise en charge de la fibromyalgie : les forfaits créés par certains établissements thermaux, en dehors de la prise en charge par l’assurance maladie. Ces forfaits associent en général des soins thermaux et des techniques éducatives. Ces ateliers d’apprentissage sont proposés, en plus des soins thermaux, à un tarif qui oscille entre 100 et 250 euros. Ils sont donc à la charge du curiste.
Troisième modalité de prise en charge : l’éducation thérapeutique du patient. Le CNETh a élaboré, en coopération avec les associations de patients, un programme d’éducation thérapeutique, désormais proposé dans quatre stations thermales. Dans la mesure où ces programmes ne bénéficient d’aucune prise en charge institutionnelle, ils sont entièrement financés par le curiste ou par l’établissement thermal.
M. le rapporteur. Je tiens tout d’abord à vous féliciter : alors que la fibromyalgie est contestée par certains médecins des hôpitaux, par de nombreux médecins libéraux et, surtout, par les médecins de la sécurité sociale, les médecins thermaux sont tous d’accord pour dire qu’il s’agit d’une vraie maladie, qu’il faut la soigner et qu’il faut faire venir les patients dans les stations thermales. Le thermalisme est le seul domaine où je n’ai pas trouvé d’opposition.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Il y a aussi celui des assurances.
M. le rapporteur. C’est juste.
Disposez-vous d’une évaluation du nombre de patients souffrant de fibromyalgie qui suivent une cure thermale dans vos établissements ? Quelle proportion des curistes pris en charge dans le cadre de l’orientation « rhumatologie » représentent-ils ? Nombre des malades qui ont suivi des cures nous ont dit que cela leur avait fait beaucoup de bien.
M. Claude-Eugène Bouvier. Nous le confirmons.
Lorsque l’on s’intéresse à la « prévalence » de la fibromyalgie dans les établissements thermaux, il faut distinguer, d’une part, les malades atteints de fibromyalgie et, d’autre part, les patients pris en charge en tant que tels. Il s’agit de deux notions bien différentes : certains patients atteints de fibromyalgie sont traités dans les stations thermales non pas au titre de la fibromyalgie, mais au titre de l’une des manifestations du syndrome, par exemple la dépression. Chaque année, 12 000 à 15 000 patients atteints de fibromyalgie, diagnostiqués comme tels par un médecin ou, parfois, autodiagnostiqués – l’étude de l’association FibromyalgieSOS a révélé l’existence de cette pratique –, sont pris en charge dans les établissements thermaux. Ils représentant 2,8 % des curistes français, proportion légèrement inférieure à celle qu’avait estimée l’EULAR en 2006, qui était de l’ordre de 4,4 %.
M. le rapporteur. Pouvez-vous nous décrire les dispositifs ou soins particulièrement adaptés aux patients souffrant de fibromyalgie lors d’une cure thermale ? Sont-ils différents de ceux que les établissements proposent pour l’ensemble des curistes relevant de l’orientation « rhumatologie » ? En quoi diffèrent-ils de ceux qui sont proposés dans les centres de balnéothérapie ?
M. Christian Roques. Dans le cadre des cures rhumatologiques, on propose aux patients atteints de fibromyalgie des soins adaptés à leur tolérance, qui est inférieure à celle des rhumatisants traditionnels, en particulier à celles des sujets porteurs d’arthrose, qui représentent l’essentiel des curistes rhumatologiques.
Il y a quatre ans, nous avons organisé au niveau national une réflexion à laquelle ont participé des médecins, des professionnels de santé, des représentants des établissements thermaux et des représentants d’associations de patients. À l’issue de ces quelque dix jours de travail en commun, nous avons, d’une part, optimisé le bouquet de soins hydrothermaux et, d’autre part, construit un programme d’éducation thérapeutique, qui est actuellement en place dans un certain nombre de régions, après avoir été validé par les ARS concernées.
Les soins hydrothermaux proprement dits ne diffèrent pas fondamentalement de ceux qui sont délivrés habituellement dans le cadre d’une cure rhumatologique : il s’agit de bains individuels, d’applications de boues, de massages, d’exercices collectifs de mobilisation en piscine d’eau minérale sous la direction d’un masseur-kinésithérapeute diplômé d’État. Les différences peuvent porter sur la température des produits – eau minérale ou boues –, la durée des soins et la pression exercée lors des massages. Sur les patients atteints de fibromyalgie, on ne réalise que des massages très superficiels ou « effleurages » destinés à activer les récepteurs cutanés de la sensibilité non douloureuse, lesquels bloquent l’entrée des influx douloureux au niveau de la moelle épinière. C’est ce qu’on appelle le « contrôle des portes ». A contrario, en rhumatologie, compte tenu de l’importance des contractures musculaires, on réalise très souvent des massages profonds qui visent à faire travailler les muscles. Un patient atteint de fibromyalgie ne tolérerait pas de tels massages. Il va de soi qu’on ne le traite pas comme un joueur de rugby ! La plupart du temps, les soins hydrothermaux sont complétés par des activités physiques adaptées et assortis de recommandations diététiques.
De la même manière, dans les établissements thermaux qui traitent les problèmes neurologiques ou les affections psychosomatiques, la température des bains et la durée des soins sont adaptés aux patients atteints de fibromyalgie. S’agissant plus spécifiquement des patients pour lesquels les troubles relationnels sont au premier plan du tableau clinique et qui sont pris en charge dans les établissements agréés pour l’orientation « affections psychosomatiques », la pression des douches – qui ont une grande importance dans le traitement de ces affections – est modulée pour rester à des niveaux relativement faibles, afin d’éviter de réveiller la douleur. Rappelons que les points douloureux provoqués par la fibromyalgie sont diagnostiqués lorsque le patient réagit à une pression de 4 bars, c’est-à-dire à la pression qui fait apparaître une ligne blanche au niveau du doigt.
Pour faire simple, il s’agit donc des soins habituels, mais « taillés sur mesure » de manière globale pour la population des patients atteints de fibromyalgie et adaptés très spécifiquement à la personne concernée, lors de la première consultation, qui vise à prescrire les soins, et de la consultation de suivi, qui a lieu en général une dizaine de jours après le début de la cure.
Les différences entre la cure thermale et la balnéothérapie conventionnelle sont de plusieurs ordres.
Premièrement, l’offre de soins proposée dans le cadre d’une cure thermale, en particulier d’une cure rhumatologique, est plus riche que celle que l’on peut faire en médecine ambulatoire, notamment en médecine de ville. Pour trouver une offre qui s’en approche, il faut s’adresser à des structures hospitalières publiques ou à des centres de rééducation fonctionnelle disposant de plateaux techniques lourds.
Deuxièmement, on n’a pas nécessairement la possibilité d’accéder, près de chez soi, à des structures techniques aussi lourdes, d’autant que celles-ci ont essentiellement vocation à être utilisées soit par des polytraumatisés graves, soit par des patients présentant des lésions neurologiques, en particulier par des hémiplégiques vasculaires – on compte 75 000 nouveaux cas d’hémiplégie vasculaire chaque année en France. Les perspectives de retrouver une autonomie optimale sont liées à une rééducation précoce, multidisciplinaire et intensive, qui ne peut être dispensée que dans ce type de structures. L’accès aux soins est plus confortable dans un établissement thermal, dans lequel tous les soins sont regroupés et qui se trouve, par définition, à proximité des patients.
Troisièmement, la cure thermale revêt plusieurs dimensions thérapeutiques différentes. On parle d’ailleurs d’ « intervention thérapeutique complexe ». Les soins hydrothermaux, eux-mêmes multiples, ont la particularité d’agir de manière diffuse sur le corps, à la différence des techniques de kinésithérapie ou de physiothérapie conventionnelle, qui sont plus souvent segmentaires. En outre, le séjour thermal s’accompagne d’un changement de cadre de vie et, le cas échéant, d’un changement de climat. A contrario, lorsque l’on reste au domicile familial, les possibilités de repos sont beaucoup plus restreintes, en particulier pour les femmes, car il leur est difficile de se soustraire à un minimum de tâches domestiques.
Quatrièmement, il y a l’apport analgésique propre de l’élément minéral. Nous disposons d’un certain nombre d’études, toutes effectuées dans le domaine de la rhumatologie, qui ont consisté à comparer des groupes de patients de manière scientifiquement valable – c’est-à-dire en tirant les patients au sort. Il s’est agi de comparer, d’une part, des patients traités par des bains d’eau minérale et des patients traités par des bains d’eau de réseau et, d’autre part, des patients recevant des applications de boues thermominérales, appelées « péloïdes », et des patients recevant des applications de paquets chauds ou de boues neutres.
Dans le domaine de la fibromyalgie, une étude a permis de comparer un groupe de patients bénéficiant de la balnéothérapie thermale à un groupe témoin traité par hydrothérapie à l’eau de réseau. En termes d’action sur la douleur, les résultats ont été les suivants : avant le début du traitement, les patients des deux groupes avaient évalué en moyenne leur douleur à un niveau quasi identique, respectivement 72 et 71 sur une échelle de 100 ; au bout de trois mois, les patients du premier groupe ont évalué en moyenne leur douleur à 29, contre 42 pour le second groupe. La différence est donc significative.
Nous disposons de données plus riches dans le domaine de la lombalgie : la balnéation en eau minérale réduit la douleur de 24 points en moyenne, contre 8,5 points pour la balnéation en eau de réseau.
Dans le domaine de l’arthrose du genou, la diminution de la douleur est en moyenne de 20 points en cas d’applications de péloïdes, contre 4 points en cas d’applications de paquets chauds.
Donc, dans les soins hydrothermaux, il semble qu’il y ait, en plus des caractéristiques physiques – chaleur, immersion –, une certaine dimension apportée par la minéralité. Cela peut, au demeurant, se comprendre, sachant que la perméabilité de la peau est accrue tant par la balnéation que par les applications de boues.
Enfin, j’insiste sur la question du coût, évoquée précédemment par M. Bouvier. Ainsi que je l’ai indiqué, seuls des centres de rééducation ou des services de rééducation de centres hospitaliers publics équipés de plateaux techniques lourds sont capables de délivrer des soins comparables à ceux qu’offrent les établissements thermaux. Or le coût moyen d’une journée en hospitalisation de jour dans de tels centres ou services varie de 70 à 100 euros – sachant que les soins sont généralement concentrés sur une demi-journée. Précisons toutefois que ces chiffres sont un peu anciens, la notion de prix de journée étant devenue plus floue avec les modifications de la tarification hospitalière. Le coût de la cure thermale s’établit, quant à lui, à environ 35 euros par jour. La différence de coût est donc très grande entre les deux types de prestation, en tout cas pour l’assurance maladie.
Mme Annie Le Houerou. Pouvez-vous revenir de manière plus détaillée sur la question des coûts ?
Vous avez évalué entre 12 000 et 15 000 par an le nombre de patients fréquentant vos établissements dont la fibromyalgie a été diagnostiquée. Pouvez-vous nous donner des éléments précis ou des chiffres concernant la nature de leur prise en charge ? Viennent-ils tous en cure sur prescription d’un médecin ou non ? Sont-ils pris en charge dans le cadre d’une ALD ou non ? Viennent-ils sur leur temps de congé ou bien dans le cadre d’un arrêt de travail ?
M. Claude-Eugène Bouvier. Le forfait moyen pour les soins thermaux est de l’ordre de 560 euros. L’assurance maladie prenant en charge 65 % de ce forfait, le coût pour la collectivité est de l’ordre de 350 euros. Le solde est à la charge du curiste ou de sa complémentaire santé lorsqu’il en a une.
M. le rapporteur. Il s’agit de la partie constituée par les soins.
M. Claude-Eugène Bouvier. Oui. Par ailleurs, il y a un forfait de « surveillance thermale » : au cours de la cure, le médecin thermal donne trois consultations et facture un forfait global de 80 euros, sur lequel l’assurance maladie intervient à hauteur de 70 %.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Sans doute convient-il de préciser que c’est pour la durée de la dure.
M. Claude-Eugène Bouvier. En effet.
Rappelons les caractéristiques de la cure : sa durée est nécessairement de dix-huit jours de soins, répartis sur vingt et un jours de séjour, et elle est toujours prescrite par un médecin, généraliste ou spécialiste. Quelque 20 % des curistes atteints de fibromyalgie sont pris en charge dans le cadre d’une ALD, sans que nous soyons en mesure de distinguer entre ALD 30, ALD 31 et ALD 32. Un début de réponse figure cependant dans l’étude réalisée par FibromyalgieSOS : 43 % des patients bénéficiant d’une prise en charge dans le cadre d’une ALD le seraient au titre d’une ALD 30, un peu plus de 33 % au titre d’une ALD 31, et pratiquement aucun au titre d’une ALD 32, c’est-à-dire d’une polypathologie.
M. Christophe Premat. Vous avez indiqué que la fibromyalgie ne figurait pas parmi les douze orientations pathologiques pour lesquels les établissements thermaux sont agréés. Est-ce dû tout simplement à l’absence de consensus sur le diagnostic ou aux priorités des établissements ?
Vos établissements accueillent-ils des patients étrangers en cure ? Comment appréhende-t-on les pathologies de ce type dans d’autres pays ?
M. Christian Roques. Il existe douze orientations thérapeutiques générales : rhumatologie, voies respiratoires, affections du tube digestif et troubles du métabolisme, phlébologie, maladies cardio-artérielles, etc. À chacune de ces orientations sont associées un certain nombre d’indications thérapeutiques qui correspondent à telle ou telle pathologie. Lorsque la fibromyalgie se manifeste de manière prépondérante par des troubles musculo-squelettiques, elle peut être prise en charge dans le cadre d’une cure rhumatologique. Lorsqu’elle se traduit avant tout par des troubles relationnels, elle peut l’être dans le cadre du traitement des affections psychosomatiques.
En outre, la fibromyalgie étant souvent associé à des troubles fonctionnels somatiques tels que le syndrome du côlon irritable ou la dyspepsie gastrique, il est vraisemblable que, compte tenu de la prépondérance de tels symptômes digestifs, un certain nombre de malades atteints de fibromyalgie, diagnostiqués comme tels ou non, bénéficient d’une cure thermale digestive. Cependant, nous n’avons pas de chiffre à vous donner sur ce point. En tout cas, les études montrent que les cures thermales permettent une amélioration très significative de l’état de santé des patients atteints de dyspepsie gastrique, du syndrome du côlon irritable ou de certaines gênes fonctionnelles respiratoires.
M. Claude-Eugène Bouvier. Actuellement, les établissements thermaux français accueillent très peu de patients étrangers dans le cadre d’une cure thermale de trois semaines. Bien sûr, un certain nombre d’étrangers bénéficient de prestations de bien-être dans nos stations, hors circuit thermal. Les choses évolueront peut-être avec la mise en œuvre de la directive européenne sur les soins de santé transfrontaliers, qui va permettre les transferts de curistes d’un pays à l’autre. De ce point de vue, la France aura certainement une carte à jouer, le thermalisme français étant reconnu, à l’échelle européenne, voire mondiale, comme l’un des plus efficients et des plus stricts en matière de réglementation et de contrôles. Il y a donc fort à parier que les patients étrangers qui souhaitent suivre une cure thermale hors de leurs frontières privilégieront notre pays plutôt qu’un autre.
Mme Florence Delaunay. Le thermalisme est un moteur économique majeur, notamment en Aquitaine, en particulier sur le territoire de l’agglomération dacquoise. Le cluster thermal aquitain AQUI O Thermes accompagne le dynamisme du secteur. Le programme d’éducation thérapeutique que vous avez évoqué y est dispensé depuis 2013. L’AFRETh a validé la mise en place d’un essai clinique pour évaluer l’efficacité de ce programme en cure thermale standardisée chez les patients atteints de fibromyalgie. Pouvez-vous nous en dire plus sur la démarche, sur ses résultats et sur les préconisations qui en découlent ?
M. Christian Roques. Je ne peux vous donner d’indications ni sur les résultats ni sur les préconisations, car l’étude est encore en cours.
Ainsi que je l’ai évoqué précédemment, ce programme d’éducation thérapeutique, intitulé Fibr’eaux, a été construit au niveau national en partenariat avec les associations de patients. Il a été mis en place dans plusieurs régions, notamment en Aquitaine, après avoir été validé par les ARS compétentes. Son objectif est de permettre au patient qui souffre d’un certain nombre de handicaps
– c’est le public que nous avons choisi –, d’améliorer ses activités, c’est-à-dire ce qu’il fait sans sa vie quotidienne, et sa participation, c’est-à-dire son implication dans les diverses dimensions de sa vie, qu’il s’agisse de sa vie familiale, professionnelle ou sociale.
Ce programme fait effectivement l’objet d’une évaluation scientifique dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé, appelé FIETT, mené dans une dizaine d’établissements thermaux du cluster AQUI O Thermes. Au total, 152 patients doivent être enrôlés dans le cadre de cet essai – ce nombre a été calculé pour pouvoir valider des résultats scientifiquement pertinents. Tous ces patients bénéficient d’une cure thermale standardisée, selon les principes que j’ai exposés précédemment. Les uns, tirés au sort, suivent le programme d’éducation thérapeutique pendant la cure. Les autres ne bénéficient que des soins hydrothermaux ; il leur est proposé de bénéficier du programme d’éducation thérapeutique l’année suivante, dès lors qu’ils ne participeront plus à cette étude, dans laquelle ils jouent le rôle de groupe témoin.
Comme tous les programmes d’éducation thérapeutique, le programme Fibr’eaux répond à un cahier des charges organisationnel extrêmement strict. Il comprend, d’une part, des entretiens individuels entre le patient et la personne qui le suit. Lors d’un premier entretien, au début du programme, on établit avec le patient un diagnostic éducatif partagé, dans lequel ses besoins éducatifs sont identifiés. Au cours d’un deuxième entretien, pendant le programme ou à l’issue de celui-ci, on lui propose des objectifs concrets à mettre en œuvre après le retour à son domicile. Lors d’un troisième entretien, téléphonique – la plupart des curistes vivent loin des établissements thermaux –, on détermine si le patient a pu mettre en œuvre ses objectifs et comment il les a atteints, et on identifie ce qu’il y a lieu de modifier.
Le programme comprend, d’autre part, plusieurs ateliers. Certains ateliers sont proposés à tous les patients. Ils portent, respectivement, sur la connaissance et la compréhension de la maladie, sur la gestion de la douleur et du stress, sur le sommeil et sur l’activité physique. Il y a, en outre, deux ateliers optionnels : l’un portant sur le traitement, en particulier sur le traitement médicamenteux, pour ceux qui ont besoin de renforcer leurs connaissances dans ce domaine ; l’autre, intitulé « vivre avec sa maladie » ou « ma maladie, les autres et moi », qui vise à aider le patient à gérer les problèmes relationnels que peut créer cette maladie généralement mal perçue et mal comprise dans son entourage professionnel, familial ou social.
Comme tout programme d’éducation thérapeutique, le programme Fibr’eaux doit faire l’objet d’une évaluation systématique, d’une part d’une auto-évaluation annuelle – évaluation, essentiellement, de la file de patients et de la manière dont se sont déroulés les ateliers –, d’autre part d’une évaluation quadriennale, destinée aux ARS, dans laquelle on doit reprendre tous ces éléments, mais aussi déterminer dans quelle mesure les patients ont atteint les objectifs éducatifs qui leur avaient été assignés.
Cependant, il s’agit là d’une évaluation de type médico-administrative. Pour démontrer le bien-fondé de la prise en charge dans le cadre de ce type de programme, il faut procéder à une évaluation scientifique du service médical rendu. En l’espèce, ainsi que je l’ai indiqué, nous avons choisi l’essai contrôlé randomisé, qui permet de comparer un traitement à un autre, avec tirage au sort des patients.
Quels sont les critères qui ont été retenus dans le cadre de cet essai FIETT ? Le critère de jugement principal est la qualité de vie – c’est l’élément sur lequel on s’est basé pour calculer l’effectif qu’il convient d’enrôler pour avoir une puissance statistique suffisante. La qualité de vie est appréciée au moyen du questionnaire d’impact de la fibromyalgie (QIF), questionnaire spécifique à cette maladie, d’origine anglo-saxonne, qui a été validé en français. Lorsque le patient a amélioré sa qualité de vie de 14 % au regard de ses réponses à ce questionnaire, cela signifie qu’il a transformé sa qualité de vie. Ce repère permet d’établir la pertinence du résultat clinique. Il y a, en outre, des critères de jugement secondaires : l’intensité de la douleur ; le soulagement de la douleur ; la peur du mouvement, mesurée au moyen de l’échelle TAMPA ; la fonction des membres inférieurs, mesurée par l’index WOMAC ; les troubles de l’humeur, l’anxiété et la dépression ; le sommeil, apprécié au moyen de l’échelle d’Epworth ; la fatigue, mesurée au moyen de l’échelle de Pichot. Il s’agit donc d’une évaluation multidisciplinaire.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. L’éducation thérapeutique est effectivement une option intéressante pour les patients souffrant de fibromyalgie. C’est probablement une piste à développer. Lors de notre déplacement à l’hôpital Cochin dans le service du professeur Serge Perrot, nous avons discuté avec des personnes qui participaient à un atelier de cette nature. On voit que la pluridisciplinarité est une dimension importante des soins qui peuvent être apportés aux malades. Nous serons attentifs aux résultats du programme Fibr’eaux. Une prise en charge analogue se fait dans les centres antidouleur.
M. Christian Roques. Les programmes d’éducation thérapeutique tels qu’ils sont mis en œuvre en milieu thermal ne diffèrent en rien, sur le plan de la conception, de ceux qui sont mis en œuvre dans les centres antidouleur. En revanche, en milieu thermal, ces programmes bénéficient de la dynamique thérapeutique propre à la cure.
D’abord, la cure thermale implique une démarche active du patient, qui doit régler un certain nombre de problèmes pour partir de chez lui pendant trois semaines. Ensuite, les soins hydrothermaux étant dispensés sur une demi-journée, les curistes disposent de temps. Non seulement ils ont besoin de ce temps pour se reposer, car les soins sont relativement fatigants – nous ne sommes plus au XIXe siècle, lorsque l’on buvait un verre d’eau minérale en levant le petit doigt ! –, mais ils peuvent aussi, s’ils le souhaitent, consacrer une partie de ce temps à quelque chose qui leur apporte un « plus » du point de vue sanitaire, à plus forte raison s’agissant d’une maladie telle que la fibromyalgie.
Enfin, le programme d’éducation thérapeutique est plus facilement accessible au patient lorsqu’il suit une cure, car ce programme lui est proposé sur place, que lorsqu’il reste chez lui et doit se rendre dans un centre antidouleur, ce qui peut être lourd, coûteux et compliqué. Les ressources humaines sont, elles aussi, sur place, avec la multidisciplinarité que vous avez évoquée, madame la présidente. En outre, la station thermale est la plupart du temps un espace aménagé pour l’activité physique, avec, souvent, des parcours de marche calibrés. Il est beaucoup plus facile de marcher ou de bouger dans une station thermale que dans une grande ville.
Telles sont les spécificités de l’éducation thérapeutique en milieu thermal, qui la rendent plus accessible au patient, mais aussi, probablement, plus efficiente, car elle s’inscrit dans une démarche où le patient se consacre uniquement à sa santé, celle-ci n’étant plus seulement une préoccupation qui s’ajoute à celles de la vie quotidienne.
M. Gilles Lurton. L’objectif d’une cure thermale est d’améliorer l’état de santé du patient. Disposez-vous d’études ou d’indications sur l’amélioration de la santé des patients atteints de fibromyalgie à la suite des cures thermales qu’ils ont suivies ? Est-il nécessaire pour eux de procéder à la répétition de ces cures à une échéance prédéterminée ?
M. Christian Roques. Ainsi que je l’ai évoqué précédemment, on peut faire fond sur les résultats de six études de haut niveau scientifique publiées dans des revues de langue anglaise avec comité de lecture et à facteur d’impact.
Les cures apportent d’abord une amélioration en ce qui concerne la douleur. Cette amélioration est manifeste au troisième mois ou au sixième mois, délais après lesquels les patients sont généralement évalués. Selon l’une des études, elle se poursuit au neuvième mois, ce que nous avons aussi observé chez des patients souffrant d’une arthrose du genou. Elle porte à la fois sur la douleur spontanée et sur la douleur à la pression : le nombre de sites douloureux à la pression diminue chez les curistes.
On constate aussi une amélioration en ce qui concerne la fatigue chronique – de 18 à 30 % au troisième mois, de 42 % au neuvième mois –, l’anxiété – de 32 % au premier mois, de 34 % au sixième mois, de 46 % au neuvième mois – et la dépression – de 31 % au troisième mois, de 51 % au sixième mois, de 18 % au neuvième mois.
L’amélioration porte également sur les troubles du sommeil, tant dans leur expression clinique que dans leur expression neurophysiologique – il s’agit alors d’enregistrer le fonctionnement cérébral pendant le sommeil.
De même, on note une amélioration en ce qui concerne les troubles fonctionnels somatiques. Elle est d’environ 30 % tant pour le syndrome du côlon irritable – selon deux études – que pour la dyspepsie gastrique – selon une étude.
Une autre étude a montré une amélioration de la fonction respiratoire : au sixième mois, l’essoufflement des patients est diminué de 58 %, et leur capacité respiratoire augmentée de 36 %
Enfin, la qualité de vie a pu être évaluée tant au moyen du questionnaire spécifique à la fibromyalgie que j’ai évoqué précédemment – l’amélioration est de l’ordre de 30 %, sachant que le seuil à partir duquel le changement est significatif dans la vie du patient est de 14 % – qu’au moyen de questionnaires génériques utilisés pour toutes sortes de déficiences – l’amélioration observée est alors d’environ 20 %. Quant à la satisfaction de vie, que l’on peut mesurer avec une échelle visuelle analogique (EVA), elle est améliorée de 30 % au sixième mois.
Pour résumer, ces études montrent l’impact des cures thermales sur les diverses dimensions de la fibromyalgie : la douleur, la dimension somatique, les troubles de l’humeur, la fatigue et, in fine, la qualité de vie, qui est la résultante de toutes les autres.
M. Frédéric Reiss. Ma question porte sur la géographie des établissements thermaux français. Certaines stations thermales soignent-elles davantage de patients atteints de fibromyalgie que d’autres ? Certaines stations sont-elles plus spécialisées que d’autres dans la prise en charge de ces patients ? On sait, par exemple, qu’il y a plus de cas de maladie de Lyme dans l’est de la France que dans les autres régions. La maladie de Lyme pourrait d’ailleurs être à l’origine de certaines fibromyalgies.
M. Christian Roques. Je n’ai rien lu de très significatif concernant la distribution géographique de la fibromyalgie.
Les stations thermales exploitent les ressources thermominérales sur le lieu de leur jaillissement. Leur situation est donc déterminée par l’hydrogéologie de notre pays : elles se trouvent essentiellement dans les massifs montagneux et, éventuellement, dans les piémonts. Dès lors, elles sont assez mal réparties sur le territoire français : elles sont concentrées dans le massif pyrénéen et son piémont, le massif central, les Alpes et les Vosges. On ne trouve que deux stations thermales au nord d’une ligne qui va de la côte basque jusqu’à l’Alsace : une en Normandie et une dans le département du Nord, à Saint-Amand-les-Eaux. Cela pose un problème d’accès. Cette inégalité territoriale est le fait non pas de l’homme, mais de l’hydrogéologie.
J’en viens à votre question sur la spécialisation des stations thermales dans la prise en charge de la fibromyalgie Le terme « spécialisation » est peut-être un peu excessif, car la prise en charge des patients atteints de fibromyalgie ne diffère pas fondamentalement de la prise en charge des autres patients. Simplement, il faut vouloir s’occuper de ces patients en prenant en compte leurs spécificités, qui sont très prégnantes. Si l’on ne respecte pas leurs besoins spécifiques, la cure va mal se passer : si l’on pratique sur un patient atteint de fibromyalgie un massage plutôt destiné à un sportif, si on lui fait prendre des bains trop chauds ou si on lui applique des boues trop chaudes, il ne le tolérera pas. Toute station rhumatologique a théoriquement les moyens de prendre en charge un patient atteint de fibromyalgie. Il faut simplement que l’équipe humaine – la direction de l’établissement, les médecins, les soignants – ait reçu l’information nécessaire concernant la fibromyalgie et s’inscrive dans une dynamique. Si l’on observe les choses de l’extérieur – je ne suis pas exploitant thermal –, on se rend compte que certaines stations thermales se sont plus impliquées dans ce domaine, intellectuellement et humainement, que d’autres.
M. Claude-Eugène Bouvier. Vingt-quatre établissements thermaux ont mis au point et proposent, en sus des soins de rhumatologie, des forfaits adaptés aux patients atteints de fibromyalgie.
Il est difficile pour nous d’apprécier le gradient géographique, mais gardons à l’esprit que, en moyenne, 70 % des curistes soignés dans une station thermale donnée viennent de l’extérieur du département et qu’une grande proportion d’entre eux viennent de l’extérieur de la région. Ce n’est pas sans conséquence : cela ne facilite pas l’attribution de financements par les ARS aux stations thermales, en particulier au titre du fonds d’intervention régional (FIR), pour les programmes d’éducation thérapeutique du patient. C’est une vraie difficulté pour nous. Fort heureusement, quelques ARS commencent à mesurer l’intérêt de ces programmes. Tel est notamment le cas de l’ARS d’Aquitaine, qui a marqué un soutien très affirmé à ce que nous proposons dans les stations thermales.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. On nous a souvent dit que de nombreux médecins étaient « fibrosceptiques ». Les prescriptions de cures dans les stations thermales qui prennent en charge les patients atteints de fibromyalgie viennent-elles toujours des mêmes médecins, notamment de ceux qui se sont penchés sur la question ou ont organisé des ateliers thérapeutiques dans un centre antidouleur ? Disposez-vous de statistiques sur ces prescriptions ou d’indications sur leur répartition géographique ?
M. Claude-Eugène Bouvier. À ce stade, nous n’avons pas étudié ce point. Nous ne disposons pas d’analyse sur la répartition géographique. Je peux seulement vous dire que 80 % des prescriptions de cures émanent de médecins généralistes. Les spécialistes interviennent peu dans la prescription.
M. Christian Roques. Je souscris tout à fait à ce que vient de dire M. Bouvier.
En France, environ 150 000 médecins ont une activité clinique, et plus de 500 000 cures thermales sont prescrites chaque année. Cela signifie qu’il y a certainement quelques médecins, notamment des spécialistes, qui ne prescrivent pas de cure, mais qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de généralistes qui n’en prescrivent jamais. En revanche, ce qui peut varier, c’est l’intérêt avec lequel les médecins prescrivent ces cures, surtout s’agissant d’une maladie qui se heurte encore, malheureusement, ainsi que vous l’avez fort justement relevé, madame la présidente, à un certain scepticisme du corps médical, même si celui-ci tend à beaucoup se réduire.
Pour répondre à la question de M. Lurton, la prescription d’une première cure est suivie, huit fois sur dix, de la prescription d’autres cures. On estime que les patients suivent en moyenne quatre à cinq cures, le taux de renouvellement étant inférieur à 20 % par an. Cela montre bien que la cure thermale ne guérit pas la maladie ; elle n’en a d’ailleurs pas la prétention. En effet, les cures visent à traiter des maladies chroniques. S’agissant de la fibromyalgie, la multiplicité des mécanismes à l’œuvre et des facteurs en jeu, à commencer par les facteurs génétiques dont on commence à mesurer toute l’importance, rend peu pertinente l’idée que l’on puisse identifier un remède permettant de guérir la maladie de manière globale, compte tenu du niveau de connaissances qui est le nôtre à l’heure actuelle. Certes, celui-ci ne cesse de s’enrichir, et peut-être va-t-on mettre le doigt, demain, sur un élément essentiel, mais je ne suis malheureusement pas en mesure de le prédire.
Dans le cas de la fibromyalgie et de toutes les autres maladies chroniques, on cherche à permettre aux gens de trouver un équilibre avec leur maladie, de vivre avec elle, de la gérer au quotidien. Dès lors, il est nécessaire de combiner plusieurs moyens. De ce point de vue, la cure thermale est un moyen pertinent pour permettre l’utilisation optimale d’autres moyens qui sont, eux, potentiellement plus agressifs pour la santé des patients – je pense en particulier aux traitements médicamenteux. Pour traiter la fibromyalgie, au-delà des analgésiques simples, on recourt essentiellement à des médicaments à visée psychotrope, en particulier à des antidépresseurs et à des anticomitiaux. Or le taux de patients répondeurs à ces traitements est relativement limité – 30 à 40 %, 50 % au mieux –, et ces médicaments exposent à des risques d’effets secondaires qui sont loin d’être négligeables. Dès lors, on se trouve dans une situation extrêmement douloureuse : les gens ont mal, et on leur donne de telles médications. Notons que le risque d’effets secondaires est d’autant plus faible que les doses utilisées sont elles-mêmes faibles. D’où l’intérêt de la cure thermale.
Lorsque les patients ont perçu une amélioration de leur état de santé à l’issue d’une cure, ils en font la plupart du temps une autre, s’ils en ont la capacité sociale. Rappelons en effet que, sauf dans le cas d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qui donne droit à un congé maladie, la cure thermale se fait dans le cadre des congés annuels.
M. le rapporteur. Cela n’a pas toujours été le cas.
M. Christian Roques. Cela a toujours été le cas en droit, mais pas nécessairement dans la pratique. Actuellement, il n’y a pratiquement plus de cures thermales effectuées dans le cadre d’un arrêt maladie simple. Mais il est exact, monsieur le rapporteur, que la situation était tout à fait différente il y a trente, quarante ou cinquante ans.
Pour une femme jeune qui a une vie professionnelle et familiale, il n’est pas facile de s’extraire de cette vie pendant trois semaines pour se soigner, même si c’est évidemment souhaitable. Néanmoins, les patientes qui vont en cure et constatent une amélioration de leur état clinique souhaitent généralement renouveler la cure.
Dans le cas d’une infection des sinus, l’oto-rhino-laryngologiste dira probablement à son patient que ce n’est pas la peine de continuer les cures si ses sinus ne sont pas désinfectés au bout de quatre cures. Dans le cas de la fibromyalgie, la situation est tout à fait différente.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Merci beaucoup, messieurs, d’avoir participé à nos travaux.
Audition de M. Yves Lévy, président-directeur général,
de Mme Sophie Nicole, coordonnatrice de l’expertise collective fibromyalgie, chargée de recherche,
et de M. Laurent Fleury, responsable du pôle Expertise collective
de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale
(Procès-verbal de la séance du mardi 19 juillet 2016)
Présidence de Mme Sylviane Bulteau, présidente de la commission d’enquête
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous allons entendre M. Yves Lévy, président-directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Mme Sophie Nicole, coordonnatrice de l’expertise collective fibromyalgie et M. Laurent Fleury, responsable des expertises collectives, à qui je souhaite la bienvenue.
Je vous rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale. Je vais passer la parole à M. Yves Lévy pour une intervention liminaire d’une durée maximale de dix minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions réponses.
Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Yves Lévy, Mme Sophie Nicole et M. Laurent Fleury prêtent successivement serment).
M. Yves Lévy, président-directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Je propose que nous nous mettions d’abord d’accord sur les termes et sur la définition du syndrome fibromyalgique. Je vous livrerai ensuite un aperçu rapide des recherches menées à l’INSERM sur cette question, mais aussi sur les troubles qui lui sont associés, troubles du sommeil et douleurs chroniques. Je vous parlerai enfin des autres actions que nous menons en lien avec les associations de malades, ainsi que des retombées éventuelles de l’expertise collective en cours sur la fibromyalgie et dont nous attendons les résultats.
Nous n’avons pas aujourd’hui de marqueur précis de diagnostic pour le syndrome de la fibromyalgie, caractérisé par des douleurs diffuses, ressenties comme musculaires ou osseuses et qui sont associées à des troubles du sommeil, des troubles fonctionnels, psychologiques et cognitifs, avec une prédominance à l’âge adulte et chez les femmes. J’insiste sur cette absence de biomarqueur, qui est l’un des problèmes gênant aujourd’hui le diagnostic et jetant le trouble dans l’identification de la prévalence. Elle peut ainsi varier selon les études, mais, d’après des études d’échantillonnage, on peut l’estimer à 1,6 % de la population.
L’étiologie n’est donc pas déterminée, mais le stress physique et le stress psychologique constituent des facteurs de risque ; le ressenti individuel est extrêmement important. Cela a souvent pour implication l’errance de diagnostic, la répétition des examens, un risque de surmédicalisation. Malgré les critères mis en place par les associations de rhumatologie, l’on constate que les difficultés de diagnostic restent importantes.
Sur les travaux menés à l’INSERM, j’associerai les douleurs chroniques, les troubles du sommeil et le syndrome fibromyalgique. Aujourd’hui, nous avons à l’INSERM sept unités qui travaillent sur les douleurs chroniques. Un réseau sur les douleurs s’est mis en place. Le 12 mai dernier, un colloque associant médecins, associations de patients et psychologues s’est tenu sur la mise en place de ces réseaux, formulant des recommandations sur la recherche. Je pense qu’il importe de prendre également en compte l’aspect de la douleur chronique. Nous pouvons vous fournir le détail de ces unités et de leur localisation sur le territoire.
Six unités de recherche travaillent sur le sommeil et ses troubles. Elles s’associent parfois avec celles qui travaillent sur les douleurs chroniques, ce qui montre bien l’intrication de ces deux signes objectifs et notables dans la définition du syndrome. Nous avons sept équipes de recherche qui ont publié ou qui mènent des travaux aujourd’hui sur le syndrome fibromyalgique et sur des thématiques proches. Elles ont publié des articles importants au cours des cinq dernières années ; je vais revenir sur ce bilan.
La mise en place de cohortes statistiques de patients sera un élément essentiel pour la définition du syndrome et, peut-être, sur l’identification de biomarqueurs. Beaucoup de ces équipes travaillent en association sur les troubles du sommeil et les douleurs chroniques. Nous pourrons aussi vous fournir le nom des directeurs de ces unités.
Au total, 146 personnes travaillent aujourd’hui dans six unités de recherche de l’INSERM. Cela représente en 2015 une masse salariale d’environ 9,6 millions d’euros, en termes de subventions de l’État ou de ressources propres au niveau de l’INSERM. Je veux citer un centre d’investigation clinique qui mène des essais de traitement sur le syndrome fibromyalgique. Situé à Clermont-Ferrand, il conduit actuellement un essai randomisé en double aveugle, testant une molécule qui est un inhibiteur de la recapture de la sérotonine, dans le traitement de la fibromyalgie. Nous attendons les analyses statistiques. Cette étude importante porte sur le médicament Milnacipran. Voilà nos actions concrètes.
S’agissant des publications, non moins de 490 sont parues au sujet des troubles du sommeil, 520 autres ont porté sur les douleurs chroniques et 82 ont été spécialement consacrées à la fibromyalgie. La bibliométrie couramment pratiquée à l’INSERM a permis de les recenser. Au total, l’INSERM est associée à environ 30 % de ces publications, qui figurent pour certaines dans le premier décile mondial.
Il me paraît important de citer les actions que nous menons en lien avec les associations de patients, notamment les communications destinées au grand public. Un certain nombre de programmes associent les chercheurs aux associations de malades comme les publications de l’INSERM sur la douleur dans des magazines de sciences et santé ou les dossiers d’information que nous mettons à disposition du public.
Je veux citer, parce que c’est spécifique à l’INSERM, le lien avec les associations de malades. Nous avons aujourd’hui un groupe de réflexion avec elles, créé en 2003. Un partenariat existe avec 487 associations de malades. Les trois quarts d’entre elles participent régulièrement aux différentes actions de l’INSERM. Sur ces associations, onze sont impliquées dans le syndrome fibromyalgique ou le syndrome de fatigue chronique ; elles participent aux missions de l’INSERM dans un certain nombre d’actions, telle la relecture de projets de recherche ou la mise en place de recherches cliniques. Toutes ces associations ont été invitées au colloque et séminaire du 12 mai sur les douleurs chroniques.
M. Patrice Carvalho, rapporteur. Quelle appréciation portez-vous sur l’état de la recherche fondamentale et clinique sur la fibromyalgie dans notre pays par rapport à certains pays, tels que les États-Unis, le Canada ou même ailleurs en Europe. Faute d’autorisation de mise sur le marché européen de médicaments pour cette indication, les laboratoires pharmaceutiques ne semblent pas en faire une priorité. Ne revient-il pas à la recherche publique de prendre l’initiative d’augmenter notre effort de recherche sur l’étiologie et sur la physiopathologie de la fibromyalgie ? Avez-vous financé ou identifié des travaux novateurs récents dans ce domaine ?
M. Yves Lévy. Six ou sept unités de recherche travaillent très spécifiquement dans le domaine de la fibromyalgie, sans compter celles qui travaillent à l’interface, sur les douleurs chroniques ou sur les troubles du sommeil.
Certes, il est toujours possible de faire mieux. Nous entendons l’observation que la recherche n’est peut-être pas à la hauteur de la demande sociétale ou de la demande des patients. Je crois que c’est la difficulté de la définition de ce syndrome. Mais que devons-nous mettre en place ? Nous ne devons pas anticiper sur les conclusions du rapport d’expertise qui pourraient nous stimuler, comme l’ont fait de précédents rapports. Comme je vous l’ai dit, 30 % à 40 % des publications sur le sujet associent l’INSERM. Il faudrait disposer d’une définition plus précise du syndrome pour mettre en place des cohortes de patients, comme l’on commence à le faire, et essayer de l’appréhender avec une approche beaucoup plus large que celle des outils que nous utilisons aujourd’hui. Nous pourrions alors identifier peut-être des biomarqueurs permettant de mesurer tant l’évolution du syndrome chez les patients que les effets d’une intervention thérapeutique éventuelle.
Avant de délivrer des autorisations de mise sur le marché pour des médicaments, il faut prouver la capacité de ces médicaments à améliorer les symptômes. La composante psychique et l’implication du patient dans ces symptômes rendent ces évaluations difficiles. Nous attendons que l’expertise collective nous donne des lignes claires. Je ne sais pas si la France est en retard ou non par rapport à d’autres pays ; je dirais plutôt que les chercheurs sont confrontés partout aux mêmes difficultés pour identifier clairement ces symptômes en dépassant l’hétérogénéité des cas.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. En quoi consistent exactement ces expertises ?
M. Yves Lévy. Je vous propose que Laurent Fleury vous explique à quoi correspond une expertise collective de l’INSERM, qui répond à une méthodologie extrêmement précise et désormais éprouvée depuis un certain nombre d’années. Mme Sophie Nicole, chargé de recherche qui a la responsabilité de cette expertise précise, vous en donnera les orientations, en vous exposant ensuite ce qu’il faut en attendre.
M. Laurent Fleury, responsable des expertises collectives. Les expertises collectives de l’INSERM ont été créées il y a vingt-deux ans et nous en sommes à la quatre-vingtième.
Elles répondent à une démarche très précise et s’effectuent en six grandes étapes. Premièrement, nous discutons avec le commanditaire des instructions envisagées et d’un cahier des charges précis, qui sert de base à la convention signée avec lui. Deuxièmement, un fonds documentaire est créé sous la houlette d’un chargé d’expertise et d’une documentaliste ; l’accent est mis sur l’exhaustivité et il comprend rarement moins de mille articles. Troisièmement, un groupe pluridisciplinaire d’experts est constitué, choisis en fonction de leurs publications, sur la base du corpus bibliographique constitué, de leur domaine scientifique, de leur complémentarité et de leur absence de conflit d’intérêt – nous sommes particulièrement vigilants sur ce point ; il arrive qu’ils soient sollicités à l’étranger. Quatrièmement, chaque expert reçoit une partie des articles à examiner et il rédige une partie de l’expertise, qui sera discutée de façon collégiale : c’est ce qu’il est convenu d’appeler une « analyse critique de la littérature », menée au cours de réunions qui ont lieu environ une fois par mois. Cinquièmement, une synthèse est établie, assortie de recommandations ; elle fait entre 80 et 100 pages. Sixièmement, après la mise en page et l’édition qui demandent quelques mois, viennent la publication et la mise à disposition du public.
Pour organiser tout cela, nous avons mis au point un système de gouvernance, en l’occurrence un comité d’orientation stratégique qui regroupe différents acteurs de la santé publique. Chaque expertise collective a son comité de suivi spécifique, qui se réunit deux à trois fois par an et s’assure du bon suivi scientifique. Enfin, l’expertise est coordonnée par le pôle d’expertise collective dont j’ai la responsabilité et qui se compose aujourd’hui de deux documentalistes, de cinq équivalents-temps-plein qui sont des chargés d’expertise comme Sophie Nicole, et de moi-même.
Si l’on fait le bilan de ces expertises, l’on peut dire qu’elles sont en général commandées par les pouvoirs publics. Elles sont destinées à leur permettre de prendre des recommandations ou des actions. L’une des dernières, consacrée en février 2015 à l’activité physique, a inspiré la Caisse nationale des Allocations familiales (CNAF) pour la définition de son référentiel « Équilibre ». L’expertise collective consacrée aux conduites addictives chez les adolescents, leurs usages et leur prévention a de même beaucoup inspiré le plan gouvernemental de lutte contre les drogues de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017.
Les participants à l’expertise collective consacrée aux pesticides ont été entendus par la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture. Les données de l’expertise ont beaucoup contribué à la reconnaissance de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle dans ce secteur. Nous pourrions vous fournir une liste complète d’exemples. Nous avons le sentiment que ces expertises sont en définitive prises en compte et reconnues, qu’elles servent à quelque chose.
Mme Sophie Nicole, coordonnatrice de l’expertise collective fibromyalgie. Généticienne humaine de formation, je suis chargée de recherches à l’INSERM, spécialisée dans les maladies neurologiques. Je ne travaille pas moi-même sur le syndrome fibromyalgique ni sur des douleurs chroniques, mais je dirige des recherches sur des maladies neuromusculaires rares. Dans ce cadre, je travaille depuis de nombreuses années avec des neurologues et des associations de patients. C’est pourquoi j’ai partagé mes activités entre mon action de chercheur à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et le pôle d’expertise collective où je coordonne la recherche sur le syndrome fibromyalgique.
Son cahier des charges a été défini avec la Direction générale de la santé dans le courant de l’année 2015. Nous avons décidé de mettre l’accent sur la physiopathologie du syndrome fibromyalgique, sur les outils et les échelles d’évaluation de la douleur et de la fatigue, qui sont notamment très pertinents pour évaluer les essais thérapeutiques ; nous avons également voulu analyser les syndromes fibromyalgiques pédiatriques. Ce cahier des charges a été défini de telle sorte qu’il ne soit pas trop redondant avec le rapport d’orientation de la Haute Autorité de santé de 2010, qui s’était concentré sur l’aspect clinique.
Par rapport au déroulement que vous a décrit mon collègue Laurent Fleury, nous nous situons entre la deuxième et la troisième étape. Nous réalisons en ce moment le fonds documentaire avec une documentaliste. Pour ce faire, nous interrogeons des bases de données qui recensent les publications scientifiques en y entrant comme termes de recherches les mots-clé de fibromyalgie, de prévalence, de diagnostic différentiel, de génétique, de modèles expérimentaux… Nous avons choisi de restreindre notre interrogation aux dix dernières années pour être au dernier état de l’art. Cela a déjà fourni plus de 1 300 documents. Cela représente une somme énorme à analyser, alors même que nous n’avons pas terminé la constitution du fonds : seulement la moitié des bases de données ont été interrogées ; au niveau international, sur ces cinq dernières années, 3 452 publications scientifiques ont traité des syndromes fibromyalgiques. Nous devons déjà disséquer les résumés de ces publications, pour savoir lesquelles seront retenues dans le cadre de l’expertise.
Nous avons déjà élaboré un programme scientifique qui reste provisoire. Il faudra l’affiner en fonction du fonds documentaire final.
Les cinq parties essentielles seront : enjeux sociétaux, économiques et individuels autour du syndrome fibromyalgique à l’étranger et en France ; connaissances médicales actuelles ; physiopathologie du syndrome fibromyalgique ; prise en charge médicale ; syndrome fibromyalgique juvénile et comparaison avec celui des adultes. Chacun de ces thèmes se divisera en plusieurs questions. On a identifié les treize disciplines scientifiques qui se retrouveront dans le groupe d’experts et dont la présence permettra de couvrir l’ensemble des sujets.
En plus de l’élaboration du fonds documentaire avec la mission « Associations, recherche et société », on a contacté les vingt-deux associations de patients françaises que l’on a recensées. Nous les avons invitées à une réunion d’information sur l’expertise collective, tenue le 12 mai dernier. Nous avons mis en place un comité de suivi pour l’expertise et nous souhaitons que deux associations représentent leurs homologues au sein de ce comité. Les associations ne participeront pas aux travaux du groupe d’experts, mais celui-ci les auditionnera pour prendre en compte leurs attentes.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. Nous vous remercions pour vos propos, qui montrent l’importance du travail qu’aura à accomplir le groupe d’experts. Quand celui-ci rendra-t-il ses conclusions ?
M. Yves Lévy. Le processus sera extrêmement long, car le groupe produira une analyse exhaustive de la situation et formulera des recommandations, qui seront publiées au début de l’année 2018, donc probablement pas au même moment que le rapport de votre commission.
Mme la présidente Sylviane Bulteau. On peut le comprendre, l’ampleur et les objectifs de vos travaux diffèrent des nôtres !
M. Arnaud Viala. Le travail que vous entreprenez équivaut à une thèse de doctorat de troisième cycle, si ce n’est son caractère collectif et pluridisciplinaire. Quelles applications concrètes peut-on espérer de ce travail théorique, conceptuel et documentaire ? Outre son intérêt pour le traitement médical, notre commission espère que cette étude augmentera la reconnaissance sociétale et financière des conséquences des troubles liés à la fibromyalgie. Les auditions de la commission d’enquête montrent la nécessité de cette expertise, car il s’avère indispensable de regrouper les résultats des recherches conduites de manière dispersée. Quelles avancées concrètes peuvent en attendre les patients ? Quels décideurs ou instances pourront mettre en œuvre les conclusions de vos travaux ?
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