N° 843
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2013
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION (1)
sur les coûts de production en France,
ET PRÉSENTÉ
PAR M. Daniel GOLDBERG,
Député.
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La mission d’information sur les coûts de production en France est composée de : M. Bernard Accoyer, président ; MM. Philippe Baumel, Thierry Benoit, Mme Corinne Erhel et M. Laurent Furst, vice-présidents ; M. Daniel Goldberg, rapporteur ; Mme Michèle Bonneton, MM. Jean-Charles Taugourdeau et Olivier Véran, secrétaires ; MM.Frédéric Barbier, Christophe Borgel, Mme Marie-Georges Buffet, M. Olivier Carré, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Michel Destot, Mme Jeanine Dubié, MM. Christian Estrosi, Laurent Grandguillaume, Jean Grellier, Michel Lefait, Marc Le Fur, Mme Annick Le Loch, MM. Thierry Mandon, Jean-René Marsac, Pierre Morange, Alain Moyne-Bressand, Pierre-Alain Muet, Mme Marie-Line Reynaud, MM. Bernard Reynès et Claude Sturni.
AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT BERNARD ACCOYER
La constitution d’une mission d’information de la Conférence des présidents sur les coûts de production en France répond à une urgence. Sous la précédente Législature, une tentative consacrée à la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale n’avait pu aboutir à l’adoption d’un rapport et de propositions par la mission alors constituée. En tant que président de cette précédente mission d’information dont j’avais pris l’initiative de la création, tout en veillant à la désignation de deux co-rapporteurs représentant la majorité et l’opposition, j’avais néanmoins tenu à faire publier les auditions tenues devant cette mission d’information (2).
Si les intitulés de ces deux missions d’information ne sont pas exactement identiques, leurs champs de réflexion se recoupent néanmoins largement. La conclusion de nos travaux a pu, cette fois, aboutir plus sereinement car le temps consacré aux échanges au sein de la mission n’a pas été pareillement marqué par la proximité d’échéances électorales.
Au-delà de ce rappel factuel, il me parait important de souligner le caractère décisif des enjeux de compétitivité auxquels l’économie de notre pays est confrontée, y compris vis-à-vis d’autres pays membres de la zone euro. Certes, la crise économique de la fin des années 2000, d’une ampleur sans précédent depuis la Libération, a servi de révélateur. Mais le glissement de la compétitivité de notre économie et la vulnérabilité croissante des entreprises françaises, notamment les PME-PMI, ont de multiples causes. Elles ne résultent pas toutes de la mondialisation. Ni de son caractère supposé inéluctablement redistributif des positions aux dépens des anciens pays industriels, comme d’aucuns l’affirment. La montée en puissance de zones économiques émergentes appelle néanmoins une prise de conscience nationale de même que des réorientations de certaines des politiques conduites par l’Union européenne depuis deux décennies.
Force est de constater que la France a, plus que d’autres pays, manqué de lucidité dans la conduite de sa politique économique. En effet, notre pays a trop fréquemment fait preuve d’un conformisme voire d’un conservatisme favorisant plutôt le corporatisme que l’innovation économique. Il encourt ainsi un risque d’isolement et de déclin dans un monde « ouvert » et fortement marqué par les interpénétrations. Au cours de ses travaux, la mission a tenu à dépasser le seul prisme comparatif « franco-allemand » qui nous est manifestement défavorable. Les personnalités auditionnées, délibérément choisies dans des familles de pensée économique très différentes comme les entrepreneurs et syndicalistes réunis par la mission dans le cadre de tables rondes spécifiques, ont tous fait part de vives inquiétudes. Leurs propos ont souvent été illustrés par des exemples criants, qu’il s’agisse du devenir de nos industries alors que s’approfondit un processus de déstructuration du tissu industriel, du niveau et de la qualité des investissements et de la création voire de la simple sauvegarde des emplois.
Telles qu’elles ont été mises en œuvre, les lois relatives aux « 35 heures » sont très révélatrices. Leurs promoteurs ont notamment cru possible de faire fi de l’environnement économique international de la France. L’abaissement généralisé de la durée légale hebdomadaire du travail a nécessairement généré de puissants impacts en termes de coûts. Une telle généralisation concernant tout autant des secteurs fortement exposés à la concurrence internationale que des secteurs non marchands comme les activités de soins hospitaliers a grevé bien des disponibilités de nature budgétaire ou sociale en s’accompagnant durablement d’allègements de charges, coûteux pour l’État, bien qu’au demeurant partiels. L’équilibre économique général en a été lourdement affecté. Si l’adoption des « 35 heures » a pu, un temps, entrainer une certaine modération salariale, les salariés et les entreprises en acquittent toujours ensemble un surplus en tant que contribuables et également contributeurs des régimes de protection sociale, et sans doute aussi en tant que consommateurs lorsque sur le marché intérieur un rattrapage de la mesure par les prix est possible, ce qui n’est pas le cas pour les exportations.
Si le travail représente un coût généralement plus élevé que dans les autres pays européens, ce qu’il revient de payer au salarié, c’est à dire le salaire net perçu, est pourtant loin de correspondre à ce que son employeur doit acquitter. Les travaux de la mission ont d’ailleurs été l’occasion de recueillir les analyses éclairantes que les économistes auditionnés ont spontanément exprimées sur les « trappes à bas salaires » et les effets induits sur l’emploi du smic, qu’il convient cependant de considérer pour ce qu’il est en termes « nets » : un minimum qui permet à peine de vivre notamment dans les villes où le coût du logement représente une part de plus en plus importante du revenu. La question de l’alourdissement des charges supportées par les ménages, elle aussi, n’est pas sans conséquences économiques.
La situation de l’économie française s’est avérée marquée par des périodes de gaspillage des fruits de la croissance alors qu’elle était encore soutenue. À présent, dans un contexte de croissance faible et d’ailleurs durablement ralentie, notre économie souffre des conséquences d’une impréparation à faire face au défi de la concurrence internationale.
Les industriels français ont été laissés bien seuls dans le contexte de la mondialisation. Pour résister et exporter, ils ont été contraints de comprimer leurs marges ce qui a d’abord eu des conséquences sur leurs capacités d’investissement et d’innovation, les a également empêché de moderniser les outils de production et, au final, de conforter l’emploi. Toutes les données objectives, comme les statistiques de l’OCDE ou d’Eurostat, démontrent que les taux de marges des industries et aussi des services sont beaucoup moins élevés en France que ceux constatés dans d’autres grands pays qui sont, à la fois, nos concurrents et nos partenaires.
Ce glissement particulièrement inquiétant n’a malheureusement pas retenu suffisamment l’attention des pouvoirs publics. Sans doute parce que l’opinion a été entretenue, en France, dans une croyance fallacieuse qui consiste à confondre le taux de marge et la distribution de dividendes à des actionnaires toujours supposés lointains des préoccupations sociales et généralement dénoncés sous le seul registre de l’avidité voire de la cupidité ! Cette présentation caricaturale ne peut perdurer car le taux de marge est le résultat objectif de toute activité marchande. Transformer les plus-values d’activité en pouvoir d’achat est aussi une des missions naturelles de l’entreprise. Malheureusement, des polémiques, parfois fondées, sur la rémunération des dirigeants de certains grands groupes internationalisés ou encore sur les délocalisations massives d’entreprises pour lesquelles le marché français ne représente souvent qu’une faible part de l’activité ont compromis toute analyse concernant une situation de portée plus générale et aux lourdes conséquences. Une des incidences majeures de ce handicap français est de porter atteinte à la compétitivité de milliers de PME et PMI qui ne peuvent se développer. Trop souvent, elles ont purement et simplement disparu ou, dans la moins pire des hypothèses, ont vu leurs dirigeants contraints de les céder à des intérêts étrangers ! Le petit nombre d’entreprises de taille intermédiaires (ETI) par rapport à ce qui existe en Allemagne, notamment dans les industries exportatrices, trouve ainsi son explication. De même la structure de contrôle familial sur ces entreprises est bien moins solide et durable en France qu’outre-Rhin. Nombreux ont été les interlocuteurs de la mission qui ont insisté sur cette réalité.
Les efforts à accomplir et la nécessaire prise de conscience collective qui doit les soutenir relèvent donc bien de l’urgence. Mais de fortes contraintes handicapent nos possibilités d’action.
Notre pays peine chaque année un peu plus en raison du poids excessif des prélèvements obligatoires. Un alourdissement récent a porté ce poids à 46,5 % du PIB en 2013, un taux supérieur à celui de la Suède, et que seul le Danemark dépasse désormais parmi les quelque trente-cinq pays de l’OCDE. La situation est d’autant plus préoccupante que le taux des prélèvements obligatoires, déjà élevé, était de 42,9 % en 2010 et que l’on pensait que le taux atteint au terme de l’année 1999 (44,9 %) représenterait pour la France un maximum « historique ». Au sein des prélèvements obligatoires, les cotisations sociales, qui portent principalement sur le travail, ont, en France, un poids particulièrement lourd car elles atteignent 40 % du total de ces prélèvements, à comparer à la TVA et aux autres impôts concernant la consommation qui en représentent 25 %.
Fonder une analyse sur les seules comparaisons statistiques internationales peut parfois induire en erreur. Néanmoins, il convient d’admettre que la quasi-totalité des indicateurs de compétitivité sont plutôt défavorables à l’économie française. Même les statistiques relatives à la productivité des salariés en rapport au nombre d’heures effectivement travaillées dans une année méritent une attention particulière car elles ne sont pas aussi « excellentes » que d’aucuns se plaisent à souligner. D’autant que le renouvellement des machines et des process de production, notamment la robotisation, a pris du retard en comparaison d’autres économies.
Les charges et contraintes de toute nature qui entravent, en France, l’innovation et la création de richesses ne pourront être toutes levées à court terme. Pour autant, il revient aux pouvoirs publics d’agir dans la clarté pour rompre avec une logique de déclin qui pose d’ores et déjà de graves problèmes comme, par exemple, celui de l’insertion professionnelle des jeunes.
Le sérieux des travaux de la mission d’information et aussi la qualité d’expression des personnalités qu’elle a auditionnées ne suffisent, pour autant, à construire un programme de redressement économique au travers de la mise en œuvre de quelques « recettes miracle ». Il faut beaucoup de modestie pour aborder un à un les problèmes de coûts directs ou indirects (compétitivité «coûts» et compétitivité « hors coûts ») auxquels nos entreprises sont quotidiennement confrontées. Cette modestie n’interdit cependant pas la détermination et le courage d’engager les réformes structurelles qui modifieront enfin leur environnement dans un monde où chaque dirigeant d’entreprise doit être toujours plus réactif. Pour cela, la mission se devait de prendre en compte la demande exprimée devant elle par les entrepreneurs s’agissant d’une stabilité du cadre législatif, réglementaire et, bien évidemment, fiscal dont les bouleversements leur ont été trop souvent imposés hors de toute concertation et, parfois même, en totale ignorance de leurs problèmes. Au terme de sa réflexion, la mission livre sans tabous un bilan de situation et des pistes qui doivent pouvoir éclairer le chemin de la réforme.
SOMMAIRE
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Pages
AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT BERNARD ACCOYER 3
INTRODUCTION 15
I.— LE DÉCROCHAGE FRANÇAIS : DES COÛTS DE PRODUCTION EN AUGMENTATION DANS TOUS LES SECTEURS INSUFFISAMMENT COMPENSÉS PAR DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ 25
A.— UNE RÉFLEXION SUR LES NIVEAUX DE SALAIRES EST NÉCESSAIRE, MÊME SI ELLE N’EST PAS DÉTERMINANTE 26
1. Les salaires : le « prix du travail » 26
a) Des salaires français bruts plus élevés ? 26
b) La question du SMIC ou le SMIC en question ? 36
c) Le coût du capital 41
2. Une durée du travail tout au long de la vie plus faible que dans d’autres pays 42
a) Une durée hebdomadaire ou annuelle du travail controversée 42
b) Une durée du travail tout au long de la vie qui fait surtout la différence avec d’autres pays 45
3. L’impact de la fiscalité 46
a) Le montant de la fiscalité 46
b) La fiscalité d’investissement 49
c) La réduction du montant de la dépense publique 49
d) L’instabilité des règles fiscales 50
B.— DES COÛTS VARIABLES SELON LES SECTEURS QU’IL CONVIENDRAIT D’OPTIMISER 51
1. Une facture énergétique élevée en dépit d’atouts à préserver 52
a) L’augmentation du coût des énergies fossiles 53
b) La compétitivité de l’électricité d’origine nucléaire ne doit pas masquer les difficultés rencontrées par les entreprises électro-intensives 56
c) Les incertitudes du mix énergétique et des nouvelles techniques d’extraction. 59
2. La logistique et les transports, des enjeux de compétitivité au-delà des coûts 66
a) La logistique, un élément de compétitivité trop négligé 68
b) Un secteur des transports fragilisé n’est pas sans conséquences sur l’ensemble de l’économie 69
c) Des grandes infrastructures performantes à l’exception des installations portuaires 71
d) Le transport des personnes au service du développement économique, l’exemple du « Nouveau Grand Paris » 73
3. Les coûts d’accès au financement pèsent sur les coûts de production 76
a) Un marché du crédit bancaire et de la dette obligataire sous contrainte 76
b) Des difficultés d’accès aux fonds propres 80
c) Des problèmes de trésorerie préoccupants 81
4. Les coûts immobilier et foncier pèsent sur la compétitivité des entreprises 83
C.— LA DÉGRADATION DE LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES 85
1. La baisse inquiétante des taux de marge des entreprises françaises 85
2. Un niveau d’autofinancement largement insuffisant 88
3. L’étau de la concurrence 89
D.— L’IMPACT DE LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES SUR L’INVESTISSEMENT ET LA RECHERCHE 90
1. La France accuse un retard en termes d’investissement, d'automatisation et de robotisation 90
a) Un niveau d’investissement globalement comparable à celui des autres grands pays européens 90
b) L’investissement productif reste toutefois mal orienté 91
c) Le capital industriel français accuse un grave retard de modernisation 94
2. Des retards préoccupants en termes de recherche privée et d’innovation 95
a) La recherche est trop éloignée de ses débouchés industriels 95
b) La France souffre d’un déficit en innovation 97
3. Un « cercle vicieux de compétitivité » 100
4. Des disparités territoriales frappantes 101
II.— NE PAS ÊTRE « LA BELLE ENDORMIE » : AU-DELÀ DE LA SEULE QUESTION DES COÛTS DE PRODUCTION, S’ADAPTER AUX ATTENTES DU MARCHÉ GRÂCE A L’INNOVATION ET EN VALORISANT LA QUALITÉ 105
A.— EN DEHORS DES SEGMENTS « HAUT DE GAMME », LA CONCURRENCE S’EFFECTUE MAJORITAIREMENT PAR LES PRIX ET ILLUSTRE LA NÉCESSITÉ DE MONTER EN GAMME ET EN VISIBILITÉ 106
1. Un positionnement trop centré sur le « moyen de gamme » 108
2. Développer l’innovation mais aussi la valorisation de la recherche et la diffusion des techniques au sein des entreprises 110
a) Une culture de l’innovation trop peu présente 111
b) L’innovation doit faire l’objet d’une valorisation concrète et d’une diffusion au sein du tissu des PME-PMI 114
3. Promouvoir le « Fabriqué en France » et même un marketing patriotique 116
B.— LES PHÉNOMÈNES DE DÉLOCALISATION NE S’EXPLIQUENT PAS PRINCIPALEMENT PAR LES COÛTS DE PRODUCTION ET BROUILLENT LE PANORAMA DU COMMERCE INTERNATIONAL 119
1. Une motivation principale : rapprocher la production du marché 120
a) Les conquêtes de nouveaux marchés pour répondre à l’atonie de la demande en Europe 121
b) Délocalisations à la recherche de moindres coûts de main-d’œuvre 122
2. Sortir de l’alternative segmentation/délocalisation : la co-localisation 124
a) La stratégie allemande s’explique d’abord par la géographie 124
b) Une réponse française : la co-localisation 125
3. Un visage nouveau du commerce international 129
4. Les relocalisations de production : un phénomène réel mais d’une ampleur limitée 130
5. Mieux prendre en compte les enjeux économiques de la normalisation 132
C.— LA TROP FAIBLE CONVERGENCE DES ÉCONOMIES EUROPÉENNES : UN HANDICAP POUR LUTTER A ARMES ÉGALES AVEC LES AUTRES ZONES ÉCONOMIQUES 136
1. Les défaillances de la protection aux frontières 136
2. L’absence d’Europe sociale 138
3. Le risque accru d’un cavalier seul allemand 141
4. L’impact des politiques de redressement des comptes publics 143
5. Les problèmes de la zone euro : les conséquences d’un euro « fort » mais « cher » 144
6. Le retour de la contrainte extérieure 154
III.— LES PARIS DE L’INDUSTRIE, DE L’INNOVATION, DE LA MOBILISATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL : DES LEVIERS A ACTIONNER POUR ENDIGUER LA PERTE DE COMPÉTITIVITÉ LIÉE AUX COÛTS DE PRODUCTION 159
A.— LE RENOUVEAU DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE 159
1. L’industrie est au centre de toute économie compétitive 159
2. Une première réponse : le rapport Gallois et le CICE 162
a) Certains interlocuteurs de la mission ont mis en doute l’efficacité du CICE ou en ont même dénoncé le principe 163
b) Nombre de personnalités auditionnées ont salué l’opportunité et la qualité du dispositif... 164
c) …mais un dispositif qui resterait en l’état insuffisant 165
d) ...avec un champ d’application trop large 166
e) … et un effet différé dans le temps 166
f) Un dispositif compliqué et peu lisible ? 167
g) Un seuil inadapté ? 167
h) Le débat sur les conditionnalités et l’information des salariés 170
3. Réhabiliter la politique industrielle 172
a) Vers un État stratège 172
b) Renforcer le financement de nos entreprises, notamment en faveur des PME 181
c) Stimuler l’emploi en favorisant le développement des PME et des ETI 185
d) Stimuler la recherche et l’innovation 200
e) Encourager les exportations en facilitant l’internationalisation des entreprises 208
f) Un management des entreprises insuffisamment ouvert et diversifié 214
4. Une politique industrielle à construire au niveau communautaire 216
B.— LA RÉNOVATION DE LA FORMATION, DE L’APPROCHE ET DU CADRE SOCIAL DU TRAVAIL ET POUR UNE REFONDATION DU FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE 224
1. L’éducation, la formation professionnelle, le contrat de génération 224
a) La formation initiale : le manque d’ingénieurs, de techniciens et la fuite des « cerveaux » à l’étranger 224
b) La formation tout au long de la vie 226
c) Le contrat de génération 228
2. Fluidification du marché du travail et protection des salariés : deux enjeux conciliables ? 229
3. La nécessaire amélioration du dialogue social, outil de la compétitivité des entreprises et du pays 233
4. Un nouveau financement de la protection sociale 238
a) Lien entre cotisations sociales et compétitivité des entreprises à travers le débat sur le financement de la protection sociale 238
b) La compensation par la hausse de la TVA et de la CSG ? 239
c) La compensation par la hausse de la TVA ? 239
d) La compensation par la CSG ? 240
e) Une autre solution ? 241
C.— POUR UNE « NOUVELLE » ÉCONOMIE VERTE ET EN RÉSEAU 242
1. Les diagnostics convergent : un modèle économique à bout de souffle...et de nouvelles perspectives technologiques 242
2. La « croissance verte » facteur de progrès et d’emplois 244
3. Les pistes à choisir et les logiques à développer 245
4. Le nécessaire effort de recherche 247
EXAMEN DU RAPPORT 249
CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UMP 259
CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UDI 261
PROPOSITIONS 265
ANNEXES STATISTIQUES 277
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 297
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 301
Audition, ouverte à la presse, de M. E. M. Mouhoud, Professeur d’économie (Université de Paris Dauphine/CNRS) 303
Audition ouverte à la presse, de MM. Jean-Luc Gaffard, Directeur du département de recherche sur l’Innovation et la Concurrence et Christophe Blot, Directeur-adjoint du département de l’Analyse et de la Prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) 319
Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Chriqui, Directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS) 333
Audition, ouverte à la presse, de M. Christian de Boissieu, Professeur d’économie (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne), membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF) 343
Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Ferrand, Directeur général de COE-Rexecode 353
Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Beulin, Président de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) 365
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Cahuc, Professeur à l’École Polytechnique, chercheur au CREST (INSEE) au Center for Economic Research (Londres) et à l’Institute for the Study of Labor (Bonn) et M. Stéphane Carcillo, Maître de conférences à l’université de Paris 1, professeur affilié au département d’économie de Sciences Po (Paris) 377
Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Saint-Etienne, Professeur titulaire de la Chaire « Jean-Baptiste Say » d’économie industrielle au CNAM 391
Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Askenazy, Directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris 401
Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Camille Uring, membre du directoire du groupe Fives, Président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), Patrick Iltis, Directeur général de Staübli holding France et Vincent Schramm, Directeur général du SYMOP 409
Audition, ouverte à la presse, de MM. Pierre Gattaz, Président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI) et Vincent Moulin Wright, Directeur général du GFI 421
Audition, ouverte à la presse, de M. Gilbert Cette, Professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II 433
Audition, ouverte à la presse, de MM. Olivier Duha, Christian Poyau, ancien président de Croissance Plus, Antoine Colboc, coprésident de la Commission Création & Financement de CroissancePlus, François Bergerault, coprésident de la Commission Croissance Responsable de CroissancePlus 443
Table ronde, ouverte à la presse, avec M. Emmanuel Commault, directeur général de Cooperl Arc atlantique ; M. Gilles Benhamou, président-directeur général de Asteel Flash ; M. Matthieu Labbé, secrétaire général du Syndicat des professionnels des centres de contacts (SP2C) ; M. Dominique Decaestecker, directeur général du groupe Arvato ; M. Lionel Baud, président du Syndicat national de décolletage (SNDEC) ; M. Jérôme Akmouche, directeur du SNDEC ; M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT) ; M. François Pénard, directeur des affaires sociales de l’UIT ; M. Jean-François Hug, président-directeur général du groupe Chancerelle et responsable « Industrie du poisson » à l’Association des produits alimentaires élaborés (Adepale) ; M. Yves l’Épine, directeur général du groupe Guerbet ; M. David Warlin, responsable des affaires publiques du groupe Guerbet ; M. Philippe Robert, président-directeur général de la Générale du Granit ; M. Mathieu Coquelin, directeur de la Société de confection du Coglais ; M. Jacques Royer, président du groupe Royer ; M. Antonio da Silva, président de la Ferronnerie roncquoise ; M. Jérôme Frantz, directeur général de Frantz Electrolyse, vice-président de l’Institut de recherche en propriété industrielle (IRPI) et président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) ; M. Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) et Mme Irène de Bretteville, COOP de France 455
Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis 481
Audition, ouverte à la presse, de l’Association française des entreprises privées (AFEP), représentée par M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema, M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles d’Arkema, Mme Stéphanie Robert, directrice de l’AFEP et M. Olivier Chemla, chef économiste 493
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR) et M. Patrick Bouchez, président de l’Union des entreprises de Transport et de Logistique de France (Union TLF) 503
Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-François Roubaud, président de la Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises (CGPME), Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, et Pascal Labet, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales 515
Table ronde, ouverte à la presse, avec les syndicats : Confédération française démocratique du travail (CFDT), représentée par Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles et M. Emmanuel Mermet, secrétaire confédéral, économiste, Force ouvrière (FO), représentée par M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique et M. Philippe Guimard, assistant confédéral, Confédération générale du travail (CGT), représentée par M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques, Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), représentée par M. Joseph Thouvenel, vice-président, Confédération générale des cadres (CFE-CGC), représentée par M. Jean-Luc Haas, secrétaire national en charge du secteur économie-industrie-logement-développement durable, et M. Kévin Gaillardet, chargé d’études économiques, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), représentée par M. Jean-Marie Poirot, conseiller national, et M. Paul Jorgensen, chargé de la fédération de l’Industrie de l’UNSA, Union syndicale Solidaires (SUD – Solidaires, Unitaires, Démocratiques), représentée par Mme Catherine Lebrun, secrétaire nationale en charge des questions économiques et sociales, et M. Morvan Burel, membre de la commission économique de Solidaires. 525
Audition, ouverte à la presse, de MM. Dominique Seux, rédacteur en chef « France et international » des Échos, éditorialiste économique à France Inter et Guillaume Duval, rédacteur en chef d’ « Alternatives économiques » 553
Audition, ouverte à la presse, de Mme Colette Lewiner, conseillère énergie du président de Capgemini 565
Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Mathieu, président du réseau des Centres techniques industriels (CTI), M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), ainsi que de M. Olivier Peyrat, directeur général d’AFNOR et M. Alain Costes, directeur d’AFNOR Normalisation 579
Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, M. Jörn Bousselmi, directeur général de la chambre de commerce franco-allemande, M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, M. Christof Hennigfeld, ancien président de BBraun France, M. Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l’ambassade d’Allemagne en France, M. Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli SpA, M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion du risque cardiaque de Sorin SpA, M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France et M. Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France 591
Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif 607
« L'avenir n'est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n'as point à le prévoir mais à le permettre. »
Antoine de Saint Exupéry
MESDAMES, MESSIEURS,
Étudier la question des coûts de production en France appelle nécessairement à s’interroger sur les coûts des différents facteurs qui interviennent dans les processus productifs, leur part dans le prix du produit final et leur impact sur la croissance économique. Faire le constat d’une croissance faible voire « en panne » conduit également à formuler d’autres interrogations sur l’investissement, l’innovation, l’offre des produits et services et notamment l’« effet-gamme ». Cela interroge de fait l'ensemble de ce qui constitue notre modèle de développement : le retour chimérique à un taux de croissance très élevé connu par le passé n'étant en l'état actuel, ni atteignable, ni soutenable.
Si ce questionnement en tiroirs s’applique à l’économie française, il ne lui est évidemment pas spécifique. Tous les pays industriels sont confrontés à ces interrogations. L’émergence d’un mythe prétendument annonciateur d’une ère post-industrielle a pu, un temps, donner à penser que la « vieille industrie » allait être définitivement remplacée par les nouvelles technologies de services. Ainsi, quelques managers avaient cru pouvoir affirmer qu’il leur était possible de développer une offre mondiale en bâtissant des groupes « sans usines » ou encore des « usines sans ouvriers » sur les décombres de grandes entreprises industrielles. Dans de telles situations, la question des coûts de production aurait perdu beaucoup de son importance, car les économies des pays développés n’auraient plus principalement à supporter que des coûts de conception, de développement et de gestion. Or, rien de cela ne s’est avéré exact.
La pratique n’a pas validé de tels schémas. En dépit d’un fort mouvement de délocalisations, aucun des pays industrialisés ne s’est transformé en fournisseur quasi exclusif de services à haute valeur ajoutée, tant pour les besoins de sa population que pour son offre commerciale internationale. Des pays à coûts salariaux élevés voire très élevés et à hauts niveaux de protection sociale ont démontré qu’ils pouvaient conserver des outils industriels innovants. Les exemples du Canada, de la Suède, de l’Autriche mais aussi de la Suisse sont révélateurs à maints égards. Les places financières de Zurich et Genève ne font pas, à elles seules, vivre l’économie helvétique. Au contraire, le « Swiss made » est devenu un label particulièrement attractif : il s’identifie à une qualité industrielle qui trouve pleinement sa place sur les marchés d’exportation. Certes la taille ou le poids démographique de ces pays les ont amenés à faire des choix d’innovation et de spécialisation. Mais cette question se pose également pour des pays plus importants dans un contexte de mondialisation des échanges. Ainsi, le développement de la City de Londres n’a pas entrainé le complet effacement industriel du Royaume-Uni que d’aucuns prédisaient. Ce pays a même entamé avec un certain succès une phase de réindustrialisation qui, il est vrai, fait suite à de douloureuses mutations. (3)
La question des coûts de production peut être abordée sous de nombreux angles. En témoigne la distinction couramment pratiquée entre les composantes « prix » et « hors prix ».
Cependant, nombre d’interlocuteurs de la mission ont souligné le caractère quelque peu artificiel de cette distinction concernant des concepts qu’il ne s’agit pas d’opposer. Notre travail s’est ainsi attaché à dépasser le seul thème du coût salarial, c'est à dire le prix du travail, assorti des cotisations en étendant la réflexion à d’autres sujets comme, par exemple, le coût du capital, celui de l'accès au crédit ou à l’énergie pour les entreprises ou encore les contraintes du transport et de la logistique. Nos auditions ont montré que les facteurs de la compétitivité dite « hors prix » ne pouvaient constituer un champ résiduel d’interrogations, tant leur impact, bien qu’apparemment plus diffus, s’avère déterminant. Par exemple, le cadre réglementaire et normatif qui enserre certaines activités ou encore les charges immobilières peuvent s’imputer puissamment sur les coûts de production. En outre, la mission a évidemment conscience de l’appel lancé par les entrepreneurs à une plus grande stabilité des normes applicables à la vie des affaires, notamment des dispositions fiscales. Mais d’autres données tout autant essentielles relèvent de la seule responsabilité entrepreneuriale. Il en est ainsi de la capacité d’adaptation à l’évolution des marchés, de la question cruciale de l’acceptation ou non des transferts de technologies dans les contrats internationaux, de la fiabilité des services après-vente, du respect des délais de livraison, de l’image de marque, etc.
Des entreprises ou des pays bénéficient en certains domaines d’une réputation qui leur permet d’imposer leurs produits à l’exportation indépendamment des prix pratiqués. En général ces situations très favorables sont confortées par une recherche permanente de la qualité au moyen d’importants efforts d’innovation, que cette innovation concerne le produit lui-même ou les process de production.
Par ailleurs, la notion de compétitivité qui est par nature comparative, renvoie intuitivement aux performances commerciales des entreprises ou des pays. Ces performances sont généralement appréciées en termes de parts de marché. Pour être significatives, les comparaisons avec leurs principaux concurrents doivent être établies dans le cadre de séries statistiques « longues ». Mais, s’agissant de la compétitivité d’une économie nationale, il convient aussi de prendre en compte, avec une même attention, les capacités à atteindre un résultat aussi proche que possible de la notion de plein emploi et à garantir ainsi les revenus et la protection sociale (4).
La situation de l’économie française se caractérise par une vitesse de désindustrialisation plus élevée que dans les pays qui sont à la fois ses partenaires et ses concurrents. Au cours des trente dernières années, la destruction de l’emploi dans les seules activités industrielles a concerné au total plus de deux millions de postes.
Entre 2000 et 2010, le poids de l’industrie manufacturière a reculé de 3,7 points pour l’ensemble de la zone euro et ne représentait plus que 15,5 % de la valeur ajoutée de son PIB global. Mais le recul aura été encore plus fort en France : au cours de la décennie 2000, la part de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB a chuté de 5,2 points ce qui équivaut à plus de 100 milliards d’euros. Dans une note de mars 2012, l’institut COE-Rexecode soulignait : « Cette diminution ne résulte pas d’une croissance exceptionnelle des secteurs non industriels mais du recul de la part industrielle du PIB d’environ un tiers ». La question de la perte de compétitivité dans ce secteur est donc posée. L’industrie assurant plus de 75 % des exportations, le déficit de notre commerce extérieur au sein de zone euro s’est accentué, dans le même temps, d’une façon plus sensible encore qu’à l’égard des zones émergentes. Depuis 2000, les pertes françaises à l’exportation sont généralement évaluées à plus de 1000 milliards d’euros cumulés par rapport à nos principaux partenaires !
Le fléchissement de l’emploi dans le secteur marchand (non agricole) s’explique largement dans ce contexte. En effet, il s’établit, en 2012, à un niveau à peine équivalent à ce qu’il était en 1991.
Ce « décrochage » français a été trop tardivement perçu et, parfois même, vécu comme la conséquence d’une mondialisation inexorablement redistributrice du jeu économique. En ce sens, la crise de la fin des années 2000 aura plus été un révélateur de ce décrochage qu'une de ses causes.
Une vision aussi fataliste s’est traduite par une insuffisance de décisions susceptibles de stopper la glissade, première étape indispensable avant d’engager des mesures de reconquête.
Entre 1998 et 2007, la part des exportations françaises de marchandises (en valeur) dans les exportations de la zone euro à 17 membres a reculé de 16,9 % à 13.3 %. Après une certaine stabilisation sur la période 2007-2009, le glissement a repris pour s’établir, au terme de l’année 2012, à 12,7 %.
Au niveau mondial, le recul tendanciel de nos parts de marché est également confirmé ; notre pays ayant enregistré, depuis 1998, une chute de 44 % de ses exportations dans le commerce mondial, sa contribution ne représente plus, à présent, que 3,1 % des échanges mondiaux et notre cinquième rang mondial s’en trouve fragilisé.
Par ailleurs, de 2000 à 2008, le coût salarial unitaire a progressé nettement moins en Allemagne que dans les autres pays européens, et notamment qu'en France (5). En outre, cette évolution ne s'est pas accompagnée d'un pouvoir d'achat plus important dans notre pays. Cela provient singulièrement de la part fortement croissante que consacrent les ménages français au logement : celle-ci représente aujourd'hui environ le double de ce que les particuliers allemands engagent dans leur budget. Cet emballement du coût du logement en France ne permet en rien une modération salariale et pèse très négativement sur notre économie.
Aujourd'hui, l’évolution du coût salarial français accuse dorénavant une forte différenciation vis-à-vis des pays du sud de l’Europe. En Italie et en Espagne, des pays qui ont pourtant connu de très sensibles augmentations de leurs coûts salariaux dans l’industrie de 2000 à 2008 (respectivement + 26,7 % et + 28,3 %), on constate, de 2008 au deuxième trimestre 2012, une décélération en Italie et même une baisse dans certaines activités en Espagne. Sans que la course à la baisse des salaires ne puisse servir de vigie pour notre pays, il se dessine ainsi pour la France un risque supplémentaire d’écarts de performance défavorables avec deux de ses principaux partenaires commerciaux.
Force est de constater que l’état des lieux et les risques encourus avaient été exposés. En 2004, M. Christian Blanc, dans un rapport au Premier ministre « Pour un écosystème de croissance », soulignait la nécessité d’une restructuration économique avec l’émergence de pôles de compétitivité et de clusters, dont les premières déclinaisons ne seront véritablement concrétisées que trois années plus tard. À la même époque, dans « Le sursaut : vers une nouvelle croissance pour la France », le groupe de travail dirigé par M. Michel Camdessus s'inquiétait quant à l’urgence des défis à relever, spécialement au regard de nos objectifs de protection sociale en soulignant que « le décrochage s’opère sous anesthésie ». Il constatait déjà un sensible ralentissement de la croissance, en dépit d’une productivité encore élevée par heure travaillée, mais aussi un déficit d’investissement notamment dans les nouvelles technologies. Il préconisait notamment d’« agiliser l’État » sans suites significatives. Plus récemment encore, dans deux rapports successifs (janvier 2008 et octobre 2010), la Commission Attali « Pour la libération de la croissance française » formulait de nombreuses recommandations thématiques ou pistes de réforme. Toutefois, leur opportunité et un certain foisonnement en ont limité la portée.
Le rapport demandé par le Président de la République, dès le mois de juillet 2012, à M. Louis Gallois, nouvellement nommé Commissaire général à l’investissement, marque une étape décisive. Ce document, publié le 5 novembre 2012, a déclenché une prise de conscience collective. Résultat d'une concertation avec les acteurs économiques et sociaux, il renoue avec un volontarisme longtemps oublié. Il dresse avec précision un bilan destiné aux pouvoirs publics, au monde économique et aux acteurs sociaux en leur conférant des responsabilités d’action en faveur de mesures réalistes. Leur mise en œuvre suppose certes des efforts, mais elles relèvent d’une cohérence d’ensemble. C'est d'ailleurs un nouveau « pacte de confiance que le pays doit nouer avec lui-même » qu'il veut promouvoir. Cette confiance entre les différents acteurs sociaux, économiques et politiques fait défaut depuis trop longtemps dans notre pays et handicape notre développement. Cette confiance est à retrouver dans un nouveau pacte social destiné à servir de socle au pacte productif.
Le Gouvernement a répondu à ces réorientations proposées en arrêtant immédiatement des mesures directement inspirées par ce rapport dans le cadre du « Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi ».
Ce Pacte est fondateur. Il appelle non seulement à la responsabilité mais exige aussi certains comportements dans la durée qui doivent trouver à s’exprimer dans la concertation et la négociation. Le Premier ministre a ainsi chargé le Haut conseil du financement de la protection sociale, une instance installée le 6 septembre 2012, de coordonner une réflexion sur l’évolution des dépenses de chaque branche, de clarifier le partage de leur financement et, au terme de cette démarche évaluative, d’ouvrir des pistes de rééquilibrage de la part contributive pesant sur les salaires. Dans le même temps, les partenaires sociaux ont engagé une négociation sur la sécurisation de l’emploi. Cette démarche refondatrice ne peut aboutir qu’au moyen d’une mobilisation collective à l'écoute des différents besoins et des craintes qui s'expriment, notamment de déclassement individuel ou collectif, voire de celui de notre pays tout entier. Cette démarche devra s'appuyer, contrairement à certains diagnostics inaboutis précédents, sur une approche clarifiée du devenir de notre modèle économique, des conditions de son insertion dans le jeu mondialisé et des risques inhérents à ce dernier.
Cette étape déterminante pour le pays doit s’accompagner d’une réduction de l’endettement public dont le poids excessif et notamment la montée des charges d’intérêts est préjudiciable à la croissance et rend plus difficile encore toute réaction aux chocs économiques. Ainsi, la nécessaire diversité des efforts à accomplir de façon concomitante conditionne tout résultat probant.
Cette situation que d’aucuns assimilent à un défi n’est cependant pas particulière à la France. Les gouvernements et nombre d’économistes des principaux pays ont longtemps suscité, à intervalles plus ou moins réguliers, des ajustements monétaires de la part des Banques centrales, en négligeant l’importance des évolutions de la dette et du crédit, du moins jusqu’à l’éclatement de la crise financière de la fin des années 2000. La théorie économique dominante a pu même considérer l’endettement en tant que facteur d’amélioration de l’allocation des ressources. Il a effectivement donné aux entreprises mais aussi aux ménages le moyen de lisser l’investissement et la consommation face aux fluctuations de la demande comme aux aléas conjoncturels voire individuels. L’augmentation de la dette permettait ainsi de répartir les prélèvements entre les générations dans une relative insouciance. Dès lors que la richesse s’accroissait d’une façon que l’on pensait régulière et progressive, il était admis que les générations à venir, toujours supposées plus prospères, pourraient s’acquitter d’une accumulation de charges. Or, dans un contexte de croissance beaucoup plus irrégulière voire ralentie sur une longue durée, ce schéma ne trouve plus à s’appliquer. Et surtout, l'endettement crée n'a pas toujours été de l'endettement utile à faire fructifier une croissance future. Force est de constater qu'il a aussi contribué à recourir à des formes à moyen et long termes de soutien public en faveur de certaines activités à l'utilité sociale discutable par le biais de niches fiscales dont le coût perdure longtemps après leur extinction, ou encore à des formes de traitement social du chômage. Leur financement ayant aussi été partiellement assuré par l’endettement, ce recours a sans doute retardé des réorientations, certes difficiles, mais qui auraient conduit à ne pas repousser dans le temps des échéances financières et sociales alourdies.
Les marges budgétaires et monétaires étant désormais contraintes, il convient d’ouvrir d’autres perspectives pour ne plus sacrifier les générations futures aux nécessités du présent. Le rythme du désendettement et son articulation avec des mesures structurelles visant à restaurer la croissance sont des éléments-clés. Toutefois, ces deux facteurs ne peuvent a priori être conçus comme intangibles. Leur conjugaison exige des ajustements aussi précis que possible pour ne pas étouffer l’investissement et la consommation ainsi qu’il en résulterait de la mise œuvre de politiques d’austérité. Nombreux sont ceux qui, à l’image des experts de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ou de M. Philippe Askenazy, économiste également auditionné par la mission, expriment d’ores et déjà une inquiétude concernant d’éventuels effets contreproductifs face à une crise de la demande.
Ainsi, la qualité du pilotage des réformes constitue donc un enjeu décisif. En effet, dans un article récent, MM. Olivier Blanchard, Chef économiste du FMI et Daniel Leigh, économiste de cette même institution, ont reconnu que, pour des pays développés, les politiques de compression de la dépense publique et d’augmentation de la fiscalité qu’ils nomment « consolidation fiscale » avaient un effet multiplicateur dépressif sur la croissance qui pourrait même être deux à trois fois plus important que les résultats quantifiés par les modèles économiques par trop fondés sur une analyse historique. Les remèdes à nos maux ne peuvent être apportés sans se soucier de leurs effets globaux sur la santé du malade.
Au long de ses auditions et notamment des tables rondes organisées avec des entrepreneurs et les organisations syndicales de salariés, la mission d’information a constaté l’inquiétude de ses interlocuteurs. Elle a néanmoins perçu leur volonté partagée d’un rétablissement soutenu par une détermination à relancer une machine économique qui dispose de réels atouts. Toutefois, nombre d’observations ou de critiques illustrées par des exemples frappants, également exprimés devant la mission, ont relevé les insuffisances du gouvernement économique de l’Union européenne et en particulier de la zone euro. Ouverte aux vents de la concurrence internationale en ayant oublié de faire valoir auprès des autres grandes zones commerciales des obligations de réciprocité, la zone euro fragilise d’autant plus ses positions que certains de ses membres confondent ce qui relève de la compétitivité « intra zone » avec des mesures de dumping social et fiscal. Ils mettent ainsi en œuvre des politiques qui dissolvent les solidarités, exacerbent les divergences de politique économique et affaiblissent toute démarche de cohésion en Europe.
Votre rapporteur peut affirmer que ses collègues de la mission considèrent unanimement que certains errements européens ne peuvent perdurer. L’Europe souvent s’épuise, parfois même s’enlise et altère ainsi ses principes fondateurs. Aucun gouvernement ne peut s’exonérer de conduire des réformes d’adaptation absolument nécessaires. Mais les politiques relevant d’un court termisme à visées principalement nationales n’ont plus leur place dans une même zone monétaire : les quelques gains temporairement engendrés de la sorte au bénéfice de certains membres ne résisteront pas à un affaiblissement des ressorts de la croissance globale dans la zone et au creusement des inégalités. Un risque majeur est déjà perceptible, celui d’un glissement en continu qui ferait perdre à l’Union européenne son rang de première zone économique mondiale, au moins autant en raison d’un dynamisme devenu insuffisant dans ses échanges internes que d’un affaiblissement de sa position commerciale vis-à-vis des pays émergents.
La stratégie de Lisbonne, telle que définie par le Conseil européen au début de la décennie 2000, n’a pas atteint ses objectifs qui visaient à faire de l’Union européenne « ... l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
Les conséquences de la crise économique majeure des années 2008 et 2009 n’expliquent qu’en partie l’insuffisance du résultat. Car les divergences des politiques économiques entre pays membres ruinent cette perspective, en dépit des évolutions espérées avec les mises en place successives du marché unique puis de l’euro impliquant une irrévocabilité des taux de change dans un espace bénéficiant d’une faible inflation. Les objectifs de Lisbonne, équilibrés au départ, ont été en partie détournés par une lecture visant à toujours plus de libéralisation dans les échanges et toujours plus de concurrence entre les États européens, alors qu'il aurait été nécessaire de promouvoir de réelles politiques industrielles, de recherche, de développement économique, social et environnemental cohérentes à l'échelle européenne.
La mission d’information a aussi constaté une survivance tenace de la disparité des coûts salariaux unitaires en Europe. Ses interlocuteurs en ont évidemment souligné l’importance.
Toutefois, les coûts salariaux – le prix du travail - ne peuvent être tenus responsables, à eux seuls, du déficit de la compétitivité française vis-à-vis de nos partenaires. D’autant que les écarts statistiques de productivité entre travailleurs ne sont pas défavorables à la France. Alors que l’Europe se conçoit toujours comme un espace de développement économique harmonieux supposant une convergence des niveaux de vie, d’autres différences, au moins aussi profondes, dans le fonctionnement des marchés nationaux du travail et dans les modalités comme les objectifs de la protection sociale restent de puissantes sources d’hétérogénéité. De telles disparités qui éloignent la perspective d’une « Europe sociale » cohérente trouvent nécessairement des traductions en termes de coût du travail. Elles ont aussi des effets structurels majeurs empêchant tout progrès significatif en faveur de la réalisation de l’objectif, pourtant supposé premier, de convergence des économies européennes.
En outre, l’élargissement de l’Union n’a pas été sans effet sur les écarts intra européens de compétitivité. Toutes les études montrent que l’allocation des fonds régionaux aux nouveaux États membres n’a pas freiné un phénomène croissant d’agglomération spatiale des activités innovantes à forte valeur ajoutée. En conséquence, les pays encore défavorisés dans l’Union n’ont souvent pour principal recours que la valorisation de leurs bas coûts de fabrication comme le démontre aujourd’hui les choix d’implantation de l’industrie automobile européenne, lorsqu’ils n’offrent pas à des activités d’autres pays membres (agriculture, industries agroalimentaires, bâtiment, transports routiers etc..), des avantages difficilement contrôlables par la mise à disposition d’une main-d’œuvre à meilleur marché.
Les problèmes structurels irrésolus de l'Europe, institutionnels notamment, qui tendent à privilégier une contraction économique et un manque d'investissement dans les secteurs d'avenir, handicapent notre développement. De même, le pilotage de l'euro avec pour seul dessein la maîtrise de l'inflation et non des objectifs de croissance et d'emploi nous sont défavorables.
Les efforts structurels accomplis par chaque économie nationale ne permettront de franchir une étape décisive qu’à la condition d’une remise en cause de certaines postures de l’Union qui doit constamment garder à l’esprit la nécessité de protéger son savoir-faire et ses entreprises. Pour l’essentiel, les grands groupes français ont pu résister et même croître dans un contexte de large ouverture des marchés. Il n’en va pas de même des plus petites entreprises, y compris dans des activités de pointe. Leur potentiel de compétitivité est atteint par le fait qu’elles se trouvent prises en tenaille entre des groupes internationalisés qui sont souvent leurs donneurs d’ordres de plus en plus exigeants, et une concurrence extérieure particulièrement agressive par les prix. Cette réalité est à l’origine de la faiblesse de leurs marges d’exploitation, ce qui réduit d’autant leurs capacités d’innovation et in fine la création d'emplois.
Pour autant, cette situation d’une Europe inaboutie et parfois inconséquente n’interdit évidemment pas toute prise de décision nationale. C'est le sens du Pacte pour la croissance, la compétitivité et l'emploi que met en œuvre le gouvernement et des trente-cinq mesures qu'il contient. De nombreux autres sujets purement nationaux appellent des évolutions en profondeur, comme le déficit d'adéquation de notre formation professionnelle aux besoins actuels, les conditions à adapter pour le financement de la protection sociale, les difficultés d'accès à la commande publique pour nos entreprises ou encore le déséquilibre persistant des relations entre les producteurs ou transformateurs et la grande distribution, plus marqué en France que dans tout autre pays européen.
Votre Rapporteur tient à souligner l’atmosphère très constructive des travaux de la mission d’information due à l’approche résolument ouverte et dépassionnée de ses collègues. Il remercie en particulier celles et ceux qui se sont le plus investis dans nos travaux et ont ainsi apporté de la richesse à notre réflexion collective et à ce rapport en particulier. La disponibilité des différentes personnalités auditionnées et la qualité des propos tenus devant la mission justifiaient cette attention. Il a pleinement conscience que le travail présenté ne peut prétendre à l’exhaustivité en raison des multiples dimensions du sujet étudié.
Nous pensons vivre un temps particulier de l'histoire économique de notre pays et c'est sans doute le cas : difficultés structurelles et manque d'anticipation, nécessaire adaptation continue à un monde changeant toujours plus vite, inévitable transition énergétique et redéfinition de notre modèle de croissance, pertes de repères quant à notre destin commun et modèle social à préserver. Ne serait-il pas temps de jeter les bases d'une économie de marché enfin plus vertueuse car conjuguant modèle social et développement économique ? Loin d'un déclin trop souvent prédit, tout concourt aujourd'hui à une prise de conscience collective qui peut nous permettre un sursaut. De fait, il s'agit donc bien encore et toujours d'ordonner le présent pour permettre l'avenir.
I.— LE DÉCROCHAGE FRANÇAIS : DES COÛTS DE PRODUCTION EN AUGMENTATION DANS TOUS LES SECTEURS INSUFFISAMMENT COMPENSÉS PAR DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ
Définition des coûts de production
Les coûts de production sont des coûts auxquels une entreprise doit faire face afin d’assurer sa production de biens ou de services.
Les coûts de production se soustraient des revenus (par exemple le produit des ventes) afin de déterminer la marge brute réalisée par une entreprise.
L’objectif d’une entreprise est donc de maintenir les coûts de production au niveau le plus bas possible.
Les coûts complets comportent :
– les charges directes, directement affectées aux coûts des produits, car la consommation de ces charges par chaque type de produit est connue.
– les charges indirectes, regroupées dans les centres d’analyse (approvisionnement, production, distribution, administration, service après-vente …).
Le cycle d’exploitation d’une entreprise industrielle suit le schéma suivant : achat de matières premières, stockage de celles-ci, production des produits, stockage des produits finis, vente des produits finis.
Il est plus court dans une entreprise commerciale : achat de produits, stockage puis vente de ceux-ci.
Des opérations diverses de manutention, transport et autres peuvent générer des charges entre ces différentes étapes.
Différents types de coûts correspondent aux différentes étapes de fabrication et de vente d’un produit :
– le coût d’acquisition : prix d’achat + frais d’approvisionnement ;
– le coût de production : coût d’acquisition + charges de fabrication ;
– le coût de distribution : charges de diffusion + charges de vente ;
– le coût de revient : coût de production + coût de distribution + charges ne relevant pas de la fabrication ;
Le résultat est égal au chiffre d’affaires dont on retranche le coût de revient.
A.— UNE RÉFLEXION SUR LES NIVEAUX DE SALAIRES EST NÉCESSAIRE, MÊME SI ELLE N’EST PAS DÉTERMINANTE
1. Les salaires : le « prix du travail »
Selon une thèse largement répandue, les coûts salariaux constituent le facteur déterminant de la réduction des marges des entreprises à tel point que la seule perspective utile à notre développement économique serait de les réduire tout en modifiant notre mode de protection sociale.
Si le prix du travail est un coût certain de la chaine de production, la focalisation excessive sur ce seul item ne permet pas d’expliquer le décrochage français. De même, ne considérer le niveau de protection sociale que comme une charge fait oublier souvent que les cotisations versées, considérées dès l’origine comme une part de salaire indirect, sont utiles à la collectivité. Ceci posé, l’assujettissement au seul travail des besoins de financement des différentes branches de notre système de prévoyance collective mérite aujourd’hui d’être questionné.
Il faut d’ailleurs d’ores et déjà préciser, que c’est le niveau des cotisations sociales qui fait débat et non celui des salaires nets, à l’exception notable de l’agriculture, où le caractère anormal de la concurrence intra-européenne sera examiné ci-après.
Une autre remarque s’impose de surcroît : même si les comparaisons internationales sont inévitables et précieuses, elles s’avèrent toutefois délicates, tant la législation sociale et l’encadrement du marché du travail diffèrent d’un pays à l’autre.
Votre Rapporteur estime également qu’il convient d’examiner l’ensemble des coûts de production. Comme l’a souligné devant la mission. M. Jean-Luc Gaffard, directeur du département de recherche sur l’innovation et la concurrence de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les coûts de production ne sont pas réductibles au seul coût du travail, et notamment aux charges sociales. Aux coûts d’utilisation d’une capacité de production s’ajoutent les coûts d’investissements, sans cesse plus élevés. « La nécessaire maîtrise des coûts suppose d’optimiser la chaîne de valeur, c’est-à-dire de trouver l’équilibre entre la hausse des coûts d’investissement et la baisse recherchée des coûts de fonctionnement ». L’ensemble des personnalités auditionnées par la mission a d’ailleurs souhaité élargir le débat à la totalité des coûts de production.
a) Des salaires français bruts plus élevés ?
i) Cette question a déjà été abordée au long des années précédentes. Avant même que la mission ne soit créée, le rapport présenté à la Conférence nationale de l’industrie en février 2012 sur « les déterminants de la compétitivité de l’industrie française » estimait que « si les salaires horaires dans l’industrie sont actuellement équivalents en France et en Allemagne, ils ont progressé beaucoup moins vite outre-Rhin ces dernières années…les charges qui s’y ajoutent sont nettement plus faibles chez nos voisins (6), où la protection sociale repose davantage sur la fiscalité : le niveau de charges sociales par rapport au salaire est en France supérieur de plus de quinze points (7) à celui constaté en Allemagne ».
M. Jean-Louis Beffa, président d’honneur de Saint-Gobain, auditionné (8) par la commission des affaires économiques avec M. Louis Schweitzer, président d’honneur de Renault, avait souligné que la mondialisation avait apporté des changements considérables, avec l’ouverture de certains pays (notamment la Chine et ceux de l’Europe de l’est) qui disposent aujourd’hui de personnes qualifiées et recevant des salaires équivalents à 20 % des nôtres, voire 5 %, ce qui a entraîné une chute des coûts de production des biens industriels dans des proportions jusque-là inconnues, impliquant une révision des stratégies.
Mais cette question doit aussi être examinée à l’intérieur de l’Union européenne, où les coûts du travail diffèrent, M. Jean-Louis Beffa indiquant qu’en 5 ans, le coût du travail s’est accru de 15 % en France par rapport à l’Allemagne.
ii) La responsabilité du prix du travail dans la réduction des marges des entreprises, et donc dans la diminution de leur compétitivité, est diversement appréciée par les organisations représentant les salariés que la mission a reçus.
Pour certaines organisations syndicales, les coûts salariaux ne sont en aucune façon la cause des difficultés de l’économie française. M. Nasser Mansouri-Guilani, conseiller confédéral, responsable des questions économiques de la CGT, estime que « la réduction du coût du travail ne saurait tenir lieu de stratégie de développement économique et social ». La réflexion sur la compétitivité suscite de la défiance, ainsi que le souligne M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral chargé du secteur économique de FO, pour qui la compétitivité est « un prétexte à la modération salariale, voire, à terme, à la remise en cause du financement de la protection sociale » et qui « dénonce la stigmatisation du coût du travail à laquelle se livrent le rapport Gallois et le Pacte de compétitivité ». Pour M. Morvan Burel, membre de la commission économique de SUD, « la question du coût du travail dissimule la remise en cause du financement de la protection sociale, c’est-à-dire de l’égalité entre les citoyens ».
De leur côté, dans un rapport intitulé « Approche de la compétitivité française » cosigné en 2011, la CGPME, l’UPA, le MEDEF, la CFTC, la CFDT et la CFE-CGC ont pris acte de cette question, comme l’ont confirmé à la mission Mme Isabelle Martin, secrétaire confédérale en charge des politiques industrielles de la CFDT, « le coût du travail ne doit pas être ignoré, mais il n’est qu’un des éléments à prendre en compte, d’autant qu’il est très variable selon les secteurs professionnels », ou M. Jean-Marie Poirot, conseiller national (UNSA), « la compétitivité n’est pas un gros mot, pourvu qu’on ne la limite pas à la réduction du coût du travail ». Selon M. Joseph Touvenel, vice-président (CFTC), « nous manquons d’outils statistiques fiables », comme le montre le rapport précité.
Ce rapport, examinant le coût horaire de la main-d’œuvre, constate une dégradation de la compétitivité du coût salarial en France par rapport à la moyenne de la zone euro entre 2000 et 2010. Vis-à-vis de l’Allemagne, cette dégradation a atteint 20 %. Si l’on prend en compte les gains de productivité et si l’on considère donc l’évolution du coût salarial par unité produite, on constate que celui-ci s’est accru davantage en France que dans la moyenne de la zone euro entre 2000 et 2009 (annexe n°2).
iii) L’impact du prix du travail a également été reconnu par nombre de personnalités auditionnées par la mission, notamment par des économistes.
Les économistes que la mission a reçus ont mis l’accent sur l’importance du montant des cotisations sociales et de leur part essentielle dans l’augmentation des coûts salariaux globaux en France, notamment par rapport à l’Allemagne. Même si les chiffres diffèrent selon les sources et si leurs interprétations varient, le diagnostic est très semblable.
C’est aussi le cas de M. Louis Gallois qui, dans son rapport « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », préconise un choc de confiance qui « déchargerait d’abord le travail dans l’entreprise du poids du financement d’une partie des prestations sociales, notamment celles de solidarité, en le reportant sur la fiscalité et la réduction de la dépense publique…ce serait d’ailleurs une mesure d’harmonisation avec la plupart des pays européens ».
Le prix du travail, cotisations sociales comprises, est plus élevé en France qu’en Allemagne et dans nombre de pays européens et cette différence, non seulement ne se justifie pas par le différentiel de productivité, mais est accrue par le positionnement de gamme.
– le prix du travail
M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique, a souligné que le coût horaire moyen d’une heure de travail effectif (9) se situait en 2008 – la situation ayant peu changé depuis - à 31,80 euros, soit un niveau significativement supérieur à celui de la zone euro : il est plus élevé en Belgique et au Danemark, mais inférieur en Allemagne, en Italie ou en Espagne (annexe n°3). Les coûts salariaux dans la seule industrie sont toujours restés en France proches de ceux de l’Allemagne, alors que dans l’ensemble du secteur marchand, on observe dans notre pays une augmentation depuis les années 2000, et un fléchissement des coûts unitaires allemands entre 2002 et 2007, liés au niveau de salaires très faibles dans les emplois de services peu qualifiés outre-Rhin. En effet, 23 % des salariés allemands, soit 7,8 millions de personnes, perçoivent un salaire qualifié de « bas » en Allemagne, c’est-à-dire inférieur à 9,15 euros brut de l’heure. De plus, il existe en Allemagne 7,3 millions de « mini-jobs » rémunérés à 400 euros par mois et exemptés de cotisations sociales et d’impôt pour les salariés. En France, les coûts ont augmenté dans les services, ce qui pèse sur la compétitivité globale, puisque l’industrie a de plus en plus recours aux services de conseil, de maintenance ou d’informatique
La constatation est du même ordre pour M. Denis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode. Dans l’industrie manufacturière le coût du travail est quasi identique en France et en Allemagne : pour une heure de travail, il était respectivement de 36,8 et 36,20 euros au deuxième trimestre 2012. Entre 2000 et 2007, il a augmenté de 53,4 % en France et de 27,2 % en Allemagne, la moyenne s’établissant à 38,3 % dans la zone euro (annexe n°4).
Pour l’ensemble de l’économie, ce coût horaire est plus élevé en France (35,10 €) que dans l’ensemble de la zone euro (28,20 €) et en Allemagne (31,40 €), mais l’évolution est du même ordre que celle relevée pour l’industrie manufacturière : la progression a été de 43,7 % en France et de seulement 19,2 % outre-Rhin (10) (annexe n°5).
La consommation intermédiaire de services représente 17 % de la valeur de la production dans l’industrie et la valeur de la production de ces services est composée à 40 % par le coût salarial : l’évolution de ce dernier influence donc pour 8 points les prix de production dans l’industrie.
En ce qui concerne l’évolution du coût salarial unitaire (11), M. Vincent Chriqui fait remarquer que la France se trouve dans une situation intermédiaire entre l’Espagne ou l’Italie, d’une part, et l’Allemagne, d’autre part, qui a réalisé au cours des dernières années des progrès considérables, après le choc de la réunification : depuis les années 1980, la dynamique du coût salarial unitaire est relativement modérée en France par rapport à l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni ; entre 1995 et 2010, le coût salarial unitaire a progressé de plus de 20 % alors qu’il est resté globalement stable en Allemagne (annexe n°6).
M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, confirme cette évolution du coût salarial unitaire en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, constatant – bien que la quantification de la productivité soit délicate – qu’à la création de l’euro ces coûts étaient plus bas dans les trois autres pays qu’en Allemagne, alors que le rapport s’est inversé pour la France et l’Italie depuis 2004 et 2005. En France, le coût salarial unitaire a considérablement cru au cours des années récentes par rapport au prix de la valeur ajoutée (annexe n°7)
L’augmentation du coût unitaire du travail a été de 20 points supérieure en France par rapport à l’Allemagne ; parmi les grands pays de la zone euro, seules l’Espagne et l’Italie ont fait moins, selon M. Gilbert Cette, professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II : « la distance s’est creusée entre la France et l’Allemagne jusqu’à devenir abyssale en matière de coûts salariaux », Cette différence tient à une modération salariale beaucoup plus forte en Allemagne, et non à de meilleures performances de celle-ci en termes de productivité du travail. Une étude de l’INSEE révèle que si les coûts salariaux moyens sont les mêmes en France et en Allemagne, le prix du travail dans les services est de 25 % supérieur en France. De ce fait, le prix du travail indirect (c’est-à-dire compte tenu des services) pour l’industrie manufacturière est beaucoup plus bas en Allemagne. Comme d’autres intervenants, M. Gilbert Cette souligne également que cette dernière bénéficie de coûts inférieurs grâce la délocalisation d’une partie de sa production dans les pays limitrophes de l’Europe de l’est.
La différence entre le coût « superbrut » (12)et le salaire versé est particulièrement importante en France, du fait des charges sociales, ce qui traduit des choix différents en matière de financement de la protection sociale, ainsi que l’a souligné M. Vincent Chriqui (annexe n°8). Il constate que « La stratégie ciblant les allègements de charges sur les bas salaires a profité aux services plus qu’à l’industrie dans la mesure où celle-ci compte plus d’emplois relativement qualifiés ou très qualifiés et verse des salaires plus élevés. Ce décrochage n’a pas été constaté en Allemagne. Ce n’était pas le seul ni même le principal objectif des allègements de charges : ils ont peu favorisé la compétitivité industrielle, mais ils avaient pour objectif de ramener vers l’emploi des personnes peu qualifiées, particulièrement sensibles à la rémunération ».
Il a ajouté que la part de la rémunération du travail (13) dans la valeur ajoutée est stable en France, mais plus élevée que dans les pays comparables (Allemagne, Finlande, Royaume Uni, Espagne, Italie) ; elle tranche avec la baisse des salaires observée en Allemagne ou la progression en Italie ou au Royaume-Uni (annexe n°9). Ce niveau élevé, qui favorise les salariés, limite la capacité des entreprises à constituer des marges permettant un investissement suffisant. En Allemagne, sa diminution, entre 1995 et 2010, a permis aux entreprises de renforcer leur compétitivité.
M. Denis Ferrand (COE-Rexecode) note que, pour produire 100 euros, l’économie utilise en France 59,6 euros de consommations intermédiaires, et en Allemagne 58,4 euros, si bien que la valeur ajoutée représente 40,4 euros pour l’une et 41,6 euros pour l’autre. Cette valeur ajoutée se décompose, notamment (14) pour la France, en 27 euros de rémunération des salariés et 12,2 € d’excédent brut d’exploitation, alors qu’en Allemagne, les chiffres sont respectivement de 24,9 et 17,2 euros (annexe n°10).
La part de la rémunération des salariés dans la valeur de la production a augmenté d’un point par rapport à 2000 en France, alors qu’elle a diminué de 3,4 points en Allemagne. Si l’on ne considère que l’industrie, on constate un recul de la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée de 0,6 point en France et de 5 points en Allemagne.
Selon M. Jean-Luc Gaffard (OFCE), une analyse plus fine montre que dans les grandes entreprises du secteur industriel, le coût du travail reste plus élevé en Allemagne qu’en France mais ce n’est pas le cas dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, ni dans les services.
– prix du travail et productivité
Les différents intervenants, aussi bien les économistes que les chefs d’entreprises, ont mis l’accent sur le lien existant entre salaire et productivité et sur l’insuffisance des gains de productivité en France.
Selon M. Vincent Chriqui, le salaire « superbrut » progresse plus fortement que la productivité, à la fin des années 1970, ce qui entraîne un coût pour les entreprises. La courbe s’inverse ensuite et dans les années 1980, le salaire net évolue peu, même quand le salaire « superbrut » augmente assez fortement, car la hausse est absorbée par la protection sociale. Le phénomène n’est pas propre à la France, mais celle-ci est particulièrement touchée. La situation a cependant été stable pendant les années 1990 au long desquelles le ralentissement des gains de productivité s’accompagne d’une certaine modération salariale.
Depuis 1995, la productivité de l’Espagne ou de l’Italie, inférieure à la moyenne européenne, n’a pas rattrapé celle des autres pays ; comme l’Allemagne a fait preuve de plus de modération salariale, les écarts de compétitivité se sont au contraire creusés au sein de la zone euro.
M. Christian de Boissieu, professeur d’économie (Paris I) et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a fait remarquer que « la compétitivité prix, qui dépend en grande partie du coût salarial unitaire, c’est-à-dire du rapport entre salaire et productivité du travail, joue également un rôle non négligeable. Ainsi, la perte de la compétitivité- prix de la France par rapport à celle de l’Allemagne au cours des années 2000 s’explique-t-elle à la fois par l’évolution des coûts salariaux (le numérateur du ratio) des deux pays- l’Allemagne a mené une politique salariale sévère afin de tirer les conséquences de sa réunification - et par celle de leurs gains de productivité (le dénominateur), - la France étant certes bien classée en termes de niveau de productivité du travail, mais pas en termes de gains de productivité ».
Lors de son audition du 7 novembre dernier (15), M. Louis Gallois, a d’ailleurs souligné que la productivité restait forte en France, mais qu’elle ne croissait pas suffisamment, ce qui commençait à poser problème, soulignant qu’il existait en France 35 000 robots, contre 150 000 en Allemagne.
M. Pierre Cahuc a fait la même analyse : si les salaires sont plus élevés dans l’industrie allemande, c’est en partie parce que la productivité des salariés y est élevée : le niveau élevé des salaires traduit la bonne santé de l’industrie manufacturière en Allemagne.
Selon M. Denis Ferrand (COE-Rexecode) le coût de l’heure de travail peut évoluer plus vite dans un pays que chez ses partenaires, si cette évolution est compensée par des gains de productivité supérieurs, or les niveaux de productivité par heure travaillée dans l’industrie évoluent en France à rythme sensiblement parallèle à celui qu’on observe pour la zone euro ou pour l’Allemagne. L’évolution de la productivité ne justifie donc pas que l’augmentation du coût horaire du travail soit plus élevée en France qu’en Allemagne : « Le coût salarial unitaire – c’est – à dire le coût de la rémunération des salariés par unité de valeur ajoutée de l’industrie manufacturière accuse par conséquent une dérive progressive par rapport à l’Allemagne, mais non par rapport aux autres pays de la zone euro. Toutefois, les efforts violents consentis en Espagne ces dernières années se traduisent ces dernières années par une réduction de l’écart de coût salarial unitaire entre la France et les pays du sud de l’Europe ».
– prix du travail et niveau de gamme
Les constats bruts ci-dessus peuvent être mis en perspective avec d’autres éléments, ce qui permet une approche plus fine de la situation des coûts salariaux. M. Patrick Artus estime en effet que les coûts salariaux dans l’industrie, cotisations sociales comprises, sont pratiquement les mêmes en France et en Allemagne – légèrement plus élevés en France. Mais ceux-ci doivent cependant être corrigés en tenant compte du niveau de gamme, que l’on peut quantifier en examinant la sensibilité de la demande aux prix : plus un produit est banal et bas de gamme, plus la demande est sensible aux prix. D’après ses calculs, le salaire horaire dans l’industrie, au niveau de gamme de l’Allemagne, est de 45 € de l’heure en France, contre 34 € outre-Rhin. Il en conclut donc que « l’égalité des coûts salariaux est une illusion ». (16)
Le prix d’un produit industriel comporte le montant des salaires des services consommés – et ils sont nombreux. Or, les salaires des services sont aujourd’hui plus bas en Allemagne qu’en France : avec cette correction, M. Patrick Artus juge que « même si ce chiffre est un peu exagéré, les grandes entreprises françaises qui opèrent dans les deux pays à la fois affichent des écarts de coûts de l’ordre de 30 %. »
– salaires et état de l’économie
La France se caractérise, souligne là aussi M. Patrick Artus, par la disjonction entre l’évolution des salaires et l’état de l’économie : « Dans beaucoup de pays – l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni ou l’Allemagne –, quand le chômage augmente, la croissance des salaires ralentit rapidement alors qu’on observe le contraire en France : la montée du chômage ne fait pas obstacle à celle des salaires. (…) ; le salaire ne réagit à rien – ni à la compétitivité, ni à la profitabilité, ni au chômage. Il a une vie autonome, augmentant toujours dans la même proportion, quelle que soit la situation économique ».
Il y trouve deux raisons : « le fait que l’évolution du SMIC suive, non celle de la conjoncture, mais plutôt celle des prix - quand il ne la devance pas » d’une part, et, d’autre part, une situation où les organisations syndicales représentent les seuls « insiders », « les salariés qui ont un travail dans l’entreprise – et non ceux qui l’ont perdu. » Il constate qu’alors « les salaires ont tendance à augmenter en période faste et à simplement stagner en période difficile, mais ils n’évoluent jamais de manière à ramener les chômeurs à l’emploi. » Cet « effet de cliquet …explique qu’en France l’inertie du chômage lors des périodes de reprise économique soit la plus élevée de tous les pays de l’OCDE ».
M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, a d’ailleurs fait remarquer à la mission que « l’accord signé par la direction de Renault en Espagne prouve que le groupe a opté, dans ce pays, pour la baisse des salaires alors qu’il se borne à les geler en France ».
– prix du travail et taux de change
La question du taux de change ne doit pas non plus être négligée, même si, comme on l’a vu, le prix du travail en France est parmi les plus élevés de la zone euro et non pas seulement par rapport aux autres pays du monde.
Ainsi que l’a souligné M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, l’évolution des taux de change est essentielle lorsque l’on compare le prix du travail.
« Je voudrais insister sur la question du taux de change de l’euro qui est absolument centrale : l’euro valait 0,9 dollar en 2000 et un plus de 1,5 en 2008. Cette hausse représente un choc de compétitivité gigantesque ! Elle est pourtant rarement évoquée dans le débat public, peut-être parce que l’on considère qu’on y peut pas grand-chose. Pourtant cela veut dire qu’une heure de travail aux États-Unis, qui valait en 2000 14 % de plus qu’une heure de travail en France en valait 14 % de moins en 2010. Il en va de même avec le Japon : une heure de travail dans l’industrie manufacturière japonaise valait 18 % de plus qu’une heure de travail française en 2000 mais 21 % de moins en 2010. C’est phénoménal. Et c’est tout aussi vrai des pays émergents : une heure de travail en Corée valait 46 % d’une heure de travail en France en 2000 et 41 % en 2010 ; une heure de travail à Taïwan valait 34 % d’une heure de travail en France en 2000 et 21 % en 2010. Les salaires dans les pays émergents ont pourtant augmenté, mais l’effet de cette hausse a été plus que compensé pour l’industrie européenne par la hausse de l’euro. Une des seules bonnes nouvelles de la crise, c’est donc la – légère - chute du cours de l’euro qui est aujourd’hui à 1,30 dollar. Mais l’on peut craindre que ce cours ne remonte. On pourrait portant agir. Les traités prévoient la possibilité d’une politique de change ; pour les Allemands, je le sais bien, ce n’est pas un sujet, et cela ne doit pas le devenir. Mais je suis surpris de la timidité des pouvoirs publics français sur ce point, dont Louis Gallois a pourtant souligné l’importance. »
– la politique d’allègement des cotisations sociales
La politique d’allègements des cotisations sociales à la charge des employeurs a été une constante des deux dernières décennies, quels que soient les gouvernements successifs, comme l’a fait remarquer M. Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’École d’économie de Paris : les « réductions » Aubry et Fillon » ont représenté le double de celles auxquelles avait procédé le gouvernement Juppé, et ont également été maintenues par les gouvernements Jospin et Raffarin. Parce qu’elles n’étaient pas en situation de le faire ou parce que cela ne leur apparaissait pas comme une nécessité, ce choix politique continu n’a pas été mis à profit par les entreprises afin de faire des investissements productifs et d’innovation.
De plus, la stratégie ciblant les allègements de cotisations sur les bas salaires a profité aux services plus qu’à l’industrie dans la mesure où, comme nous l’avons déjà vu, celle-ci compte plus d’emplois relativement qualifiés ou très qualifiés et verse des salaires plus élevés.
iv) Nombre des chefs d’entreprises auditionnés par la mission ont également souligné le handicap que représente pour eux les coûts salariaux.
M. Pierre Gattaz, président de Radiall et du Groupe des fédérations industrielles (GFI) a évoqué « l’explosion des charges industrielles qui a conduit à un écart global de 70 milliards d’euros avec l’Allemagne ». M. Lionel Baud, président du Syndicat national de décolletage (SNDEC) a indiqué qu’un salarié de ce secteur coûtait 44 000 euros, cotisations comprises en France, contre 34 000 euros en Allemagne, l’écart provenant non des salaires, mais des cotisations sociales, qui représentent 10 % du chiffre d’affaire des sociétés françaises, contre 5 % des sociétés allemandes. M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT) a précisé que l’heure de travail coûtait dans l’industrie textile française 23,02 euros contre 20,85 en Allemagne. M. Philippe Robert, président-directeur général de la Compagnie du Granit, subit depuis des années la concurrence des entreprises chinoises ou indiennes, et, depuis 3 ans, la forte concurrence de l’Espagne et du Portugal.
La mission a également invité des industriels dirigeant en France des filiales d’entreprises allemandes et italiennes afin de bénéficier de leur vision de la réalité française.
M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France a noté de manière intéressante que le prix du travail, notamment le coût horaire des contrats de travail à durée indéterminée (CDI) était plus élevé en France qu’en Italie d’environ de 25 à 30 %, « non seulement parce que le coût du travail est généralement plus cher en France qu’ailleurs, mais également parce que le consommateur français est de plus en plus attiré par des produits issus des sociétés qui auront démontré une vraie responsabilité sociétale. Contrairement aux entreprises italiennes, les entreprises françaises ont ainsi intégré la question sociétale dans leur stratégie, ce qui a un coût ». De même, M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion des troubles du rythme cardiaque de Sorin SpA, a fait remarquer que le prix du travail sur le site de Clamart, en France, était supérieur de 30 % à celui de Saluggia, dans la région de Turin, en raison à la fois de la différence de salaires et de cotisations sociales ; cela n’a pas empêché le groupe de choisir d’implanter son centre d’excellence mondial à Clamart en raison de l’existence d’une école de cardiologie de niveau mondial.
On peut ainsi constater que la question du niveau des coûts salariaux peut aussi être contrebalancée par d’autres facteurs. Il serait d’ailleurs ainsi sûrement profitable aux entreprises françaises ou installées en France de mettre beaucoup mieux en valeur vis-à-vis de leurs acheteurs ou des consommateurs certains avantages comparatifs – lorsqu’ils sont manifestes -, notamment ceux liés à la responsabilité sociale des entreprises.
D’une manière plus générale, le niveau de certaines cotisations sociales plus élevé comparativement dans notre pays doit inviter à s’interroger sur les causes de cette situation. Il correspond en partie au choix décisif fait en France d’une assurance collective pour la vieillesse, la maladie, le chômage et les charges de la famille ; on peut d’ailleurs remarquer que le niveau global de ces dépenses, privées et publiques, dans les pays développés qui ont fait le choix inverse – une assurance privée individuelle – est au total au moins équivalent.
Mais, dans les causes de cette situation, la très faible part de salariés séniors en activité pèse aussi naturellement sur nos dépenses sociales. Cela provient d’une forme particulière de managériat qui considère que, passé 50 ans, leur utilité économique est réduite, alors qu’ils sont tout à fait en situation de travailler et d’apporter à l’entreprise. Enfin, ce faible niveau d’emploi des séniors est aussi à mettre en lien avec le nombre élevé de celles et ceux qui, suite à des années de travail pénible, ne sont plus en situation physique de travailler.
b) La question du SMIC ou le SMIC en question ?
Le salaire minimum de croissance (SMIC) joue un rôle très important dans l’économie française, comme l’ont fait remarquer plusieurs économistes.
Défini comme un salaire minimum horaire, ses augmentations qui doivent garantir son pouvoir d’achat et faire en sorte qu’il incorpore les « fruits de la croissance », ont très peu évolué depuis son instauration. Jusqu'en février 2013, il est ainsi revalorisé chaque année par décret en tenant compte de l’indice national des prix à la consommation, sans que son évolution ne puisse être inférieure à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat du taux de Salaire horaire de base ouvrier (SHBO). En outre, le Gouvernement, par l'intermédiaire de qu'on appelle les « coups de pouce », est libre de porter le SMIC à un taux supérieur à celui qui résulterait de la seule mise en œuvre des mécanismes précités.
Au 1er janvier 2013, le niveau du SMIC est de 9,43 euro brut par heure, qui correspond pour un temps plein, à un montant mensuel brut de 1430 euros, soit 1122 euros net.
– un salaire minimum élevé par rapport aux autres salaires
Depuis les années 1970, au contraire d’autres pays, le salaire médian a moins progressé que le SMIC entraînant un resserrement du bas de l’échelle des salaires resserrent. M. Gilbert Cette attribue cette évolution à une « très forte augmentation du SMIC ». Il estime qu’« on ne peut pas parler du coût du travail sans poser la question du SMIC », ajoutant qu’« il est plus élevé que dans les autres pays et qu’il "plombe" la compétitivité de nos entreprises ». Il estime en outre que c’est « un outil totalement inefficace pour lutter contre la pauvreté ». Néanmoins, le manque de dynamique contractuelle, avec des accords de branche débutant sous le niveau SMIC, peut aussi être incriminé.
MM. Pierre Cahuc, Professeur à l’École Polytechnique, chercheur au CREST (INSEE), au Center for Economic Research (Londres) et à l’Institute for the Study of Labor (Bonn) et Stéphane Carcillo, Professeur affilié au département d’économie de Sciences Po. Paris ont mis l’accent sur la spécificité française du salaire minimum.
Ils ont tout d’abord souligné que la comparaison des coûts planchers est plus significative que celle des salaires parce qu’elle ne dépend pas directement de la productivité des salariés, mais de la loi. De plus, le niveau du salaire minimum est une référence et a des répercussions sur l’ensemble des salaires.
La France est un des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) où le prix du travail au niveau du salaire minimum est le plus élevé en tenant compte de toutes les exemptions (17) : il est environ plus élevé de 80 % que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Il est par exemple deux fois plus faible en Espagne. Si l’on excepte le Luxembourg – dont l’économie est spécifique – l’Irlande et la Belgique, la France se situe juste derrière le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Australie (annexe n°11), pays qui prévoient par ailleurs des exemptions au salaire minimum, les jeunes étant parfois payés à un taux beaucoup plus bas. Les comparaisons réalisées par Eurostat montrent également que le salaire minimum est élevé en France (annexes n°12 et 13).
L’OCDE conclut que le SMIC est un instrument peu efficace de redistribution des revenus, car « la pauvreté est principalement liée à l’insuffisance du nombre d’heures travaillées et non à la faiblesse des salaires horaires : seulement 1 % des personnes employées à temps plein pendant toute l’année sont pauvres ».
Si l’OCDE affirme que le SMIC à un niveau jugé élevé évince de l’emploi les travailleurs les plus fragiles, ces derniers sont de facto concernés par les emplois aidés. De plus, la baisse du SMIC n’est pas non plus un facteur décisif pour l’embauche : malgré une forte baisse des salaires, le chômage a continué de progresser en Espagne.
– pour un nombre de salariés important
Conséquence du niveau relativement élevé du SMIC, la moitié des salariés, ce qui est considérable, gagnent entre 1 et 1,5 SMIC, le salaire médian en France s'élevant à 1675 euros net. La proportion de personnes employées à plein-temps recevant le salaire minimum est beaucoup plus importante que dans les pays comparables, même si elle tend à diminuer. (annexe n°14)
– entraînant une politique d’allègement de charges sur les bas salaires
MM. Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo soulignent que « la France a fait le choix d’un salaire minimum élevé progressant plus vite que les gains de productivité. Ce choix est en partie le résultat d’une protection sociale qui fait assumer à la politique salariale une partie du rôle normalement dévolu à la politique de redistribution. Dès le début des années 1990, les conséquences néfastes de cette politique sur le développement de l’emploi peu qualifié ont été identifiées. La réaction des pouvoirs publics fut alors le développement progressif de réductions générales de cotisations patronales sur les bas salaires, afin de déconnecter l’évolution du coût du travail de celle du salaire net, tandis que le SMIC continuait à progresser à un rythme soutenu, notamment sous l’effet des 35 heures. Cette politique a désormais un coût d’environ un point de PIB chaque année » (18).
Selon M. Gilbert Cette, l’effet négatif du SMIC est amorti en bonne partie par des allègements de cotisations « qui représentent plus de 20 milliards d’euros par an…mais sans lesquelles des centaines de milliers d’emplois disparaîtraient rapidement ».
M. Philippe Askenazy a jugé que le fait de concentrer les allègements de cotisations au niveau du SMIC risquait d’en faire « une trappe à bas salaires ».
– un salaire minimum interprofessionnel n’existant pas dans tous les pays comparables
Un salaire minimum interprofessionnel n’existe pas en Allemagne, en Autriche, en Italie, ni dans les pays scandinaves. Dans certains d’entre eux, comme la Suède et le Danemark, où les distributions de revenus sont les plus égalitaires, il existe des minima de branche. Toutefois, un salaire minimum existe dans 21 pays de l’Union européenne sur 27.
En Allemagne, du fait de l’autonomie des partenaires sociaux, les grilles de salaires sont fixées dans le cadre d’accords collectifs qui s’appliquent à tous les salariés et à toutes les entreprises dépendant de la branche dans laquelle l’accord est signé. Toutefois, un salaire horaire minimal a été instauré dans neuf secteurs d’activité particulièrement exposés au risque de dumping social et dans lesquels il n’existait pas d’accords collectifs (19). Le débat sur la mise en œuvre d’un salaire minimum général est récurrent en Allemagne. La Chancelière, Mme Angela Merkel, s’est prononcée récemment en faveur de cette réforme, préconisée depuis des années par les sociaux-démocrates.
Comme l’a souligné M. Pierre Cahuc, « les pays qui s’en sortent bien aujourd’hui n’ont pas de salaire minimum, mais le dialogue social y est extrêmement bien structuré. » Votre Rapporteur ne peut que constater que ce type de dialogue ne correspond actuellement pas au cas français, en dépit de la récente conclusion d’un accord interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi.
– un salaire minimum uniforme
M. Gilbert Cette souligne qu’il a le défaut d’être du même niveau dans toutes les régions, alors qu’on ne vit pas de la même façon avec un SMIC à Paris et en zone rurale.
Observation à laquelle les syndicats objectent qu’il convient de ne pas multiplier les SMIC et de compliquer ce système : tel est le cas de M. Jean-Luc Haas (CFE-CGC).
MM. Cahuc et Carcillo font en outre remarquer qu’il n’existe pas en France d’exception au salaire minimum au-delà de 18 ans, à la différence de la plupart des pays équivalents : le SMIC est applicable à l’ensemble de la population, donc plus contraignant. Créant un salaire minimum au Royaume-Uni en 1999, le gouvernement de M. Tony Blair a instauré un niveau 20 % moins élevé pour les salariés de 18 à 20 ans. Si certains soutiennent que le caractère uniforme du SMIC français peut expliquer au moins en partie le niveau très important du taux de chômage des jeunes (24% en juin 2012), on peut remarquer que ce dernier est du même ordre au Royaume-Uni (21% à la même date).
En outre, dans les pays où a été adopté le principe d’un salaire minimum, son évolution n’est pas toujours fixée par la loi, mais par des accords de branche.
– avec un impact important pour les entreprises
M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME fait remarquer que dans les entreprises de moins de 20 salariés, 30 % des effectifs sont au SMIC, alors qu’ils ne sont que 8 % dans les entreprises de plus de 500 salariés ; l’augmentation de celui-ci affecte donc plus massivement les petites entreprises, avant même tout effet induit sur l’ensemble de l’échelle des salaires. Il est selon lui « essentiel d’éviter les coups de pouce – mêmes faibles - par exemple pour un contrat de mandature, de façon à permettre aux chefs d’entreprise d’avoir une lisibilité du dispositif à moyen terme ».
M. Jean-François Roubaud estime que le SMIC peut constituer un frein à la création d’emplois et que « l’on devrait réfléchir à la mise en place, pour le premier emploi des jeunes et des stagiaires d’école, d’un SMIC spécifique, moins élevé, de façon à leur mettre le pied à l’étrier ».
Ainsi que l’ont souligné MM. Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, les entreprises, pour préserver leur productivité, vont chercher à diminuer le salaire net afin de compenser l’augmentation directe du coût du travail, qu’elles ne peuvent répercuter sur le salaire minimum, d’où une baisse du pouvoir d’achat.
Pour insérer les jeunes et les personnes à bas salaire dans le marché du travail, la France a choisi la baisse des cotisations sociales au niveau du SMIC plutôt que de baisser celui-ci.
– mais défendu par les organisations syndicales
Les organisations syndicales se sont prononcées en faveur du SMIC actuel, voire pour son amélioration. Pour M. Joseph Thouvenel (CFTC), sans le salaire minimum, « la valeur travail ne serait pas respectée et la société devrait supporter des charges qu’il appartient aux entreprises d’assumer. Or le salaire minimum est trop souvent l’objet de discours idéologiques, qui font fi de sa nécessité économique et sociale ».
M. Pascal Pavageau (FO), n’est pas « favorable à la démarche consistant à rompre avec le caractère national et interprofessionnel du SMIC pour mettre en place des SMIC de branche ou territoriaux ». La revendication de FO est de porter le SMIC à 80 % du salaire médian, afin d’encourager la consommation et de renouer avec la croissance. De même, M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT) considère qu’il ne faut pas affaiblir le SMIC, mais l’améliorer.
M. Emmanuel Mermet (CFDT) a estimé que « le SMIC ne devait pas être l’alpha et l’oméga dans le débat sur le pouvoir d’achat en France, puisqu’il n’est perçu que par 10 % des salariés ». Mais comme les autres salaires peuvent être impactés par ses réévaluations, il faut mettre en œuvre une stratégie plus large du pouvoir d’achat « qui passe par une dynamisation de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires ».
– une réflexion nouvelle sur le salaire minimum
Pendant la campagne présidentielle, M. François Hollande a proposé de réformer sa formule de revalorisation en fonction de la croissance.
M. Patrick Artus a indiqué à la mission que « les réflexions académiques sur le sujet s’accordent sur la nécessité de rendre le niveau du SMIC dépendant de la croissance, afin qu’il augmente davantage lorsque la situation est bonne, et qu’il augmente moins, voire qu’il baisse, en cas de récession ».
Cette proposition a été abandonnée au profit d’une simplification de la règle de calcul (20): on prendra désormais pour référence l’indice d’inflation mesurée pour les ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie (les 20 % de revenu le plus bas par foyer) ; en outre, le salaire de référence est celui des ouvriers et employés et non plus celui de l’ouvrier seul. Le changement d’indice de référence pour l’inflation aura comme effet une revalorisation du SMIC plus étroitement liée au prix des produits de premières nécessités et aux dépenses contraintes, donc plus importante. En cas de hausse des prix des denrées alimentaires, par exemple, les 2 % d’inflation pourraient être plus rapidement atteints.
Le groupe d’experts mis en place en 2008 par le précédent gouvernement et présidé par M. Champsaur sera renouvelé intégralement ainsi que l’a annoncé M. Michel Sapin, ministre du travail. Ses observations sur les éventuelles mises en place d’un SMIC jeunes voire d’un SMIC régionalisé ont été rejetées. La composition du futur groupe sera plus diversifiée ; il ne devra pas seulement avoir une approche macro-économique mais également une vision plus sociale du SMIC et mener un dialogue plus direct avec les partenaires sociaux.
Le SMIC semble un élément structurant en France bien qu’il ne puisse remplacer une dynamique de négociations salariales. Sa modération ne peut se concevoir sans endiguer la hausse des dépenses contraintes pour les ménages les plus modestes.
Si l’Allemagne adopte à son tour un salaire minimum, les pays de l’Union européenne sans cet outil seront des exceptions. Toutefois, des évolutions du type de la déflation salariale décidée en Espagne peuvent, en l’absence d’action des autorités européennes, briser la nécessaire convergence progressive des salaires à l’échelle continentale.
Certaines personnalités auditionnées ont mis l’accent sur l’évolution récente du coût du capital, en contrepoint de celle du travail.
Les syndicats estiment que le coût du capital est responsable de la baisse de la compétitivité des entreprises.
Ainsi, pour M. Morvan Burel (SUD), le recul de la compétitivité de l’économie de la France s’explique bien davantage par le coût du capital que celui du travail. « Depuis 20 ans, le niveau des dividendes a quadruplé en France ; en dépit de la crise, leur part a continué d’augmenter depuis 2008, obligeant même les entreprises à s’endetter pour financer l’investissement ». Pour M. Jean-Marie Poirot (UNSA), « il est temps d’affirmer, à rebours du théorème de Schmidt (21), que les dividendes d’aujourd’hui sont la diminution de l’investissement de demain et le chômage d’après-demain ». M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT) déplore qu’on évoque très peu le coût du capital, bien qu’on observe « une quasi stabilité de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis les années 1990 après une chute dans les années 1980, alors que celle du capital augmente de façon continue et régulière. Si le manque de compétitivité de nos entreprises est dû au coût des facteurs de production, c’est plutôt le coût du capital que celui du travail qu’il convient d’incriminer ».
L’économiste Philippe Askenazy observe que le taux de redistribution des dividendes nets des entreprises non financières a atteint en 2011 le chiffre record de 9 % alors qu’il était historiquement de l’ordre de 4 % et d’à peine 5 % voilà 10 ans.
M. Gilbert Cette note également que les dividendes versés ont triplé depuis le premier choc pétrolier, passant de 3 à 9 points de valeur ajoutée en 2011, cette orientation résistant même à la crise actuelle : « la rémunération de l’actionnaire a donc augmenté continûment depuis quarante ans ». Mais la hausse des dividendes a été contrebalancée par la baisse des frais financiers payés par les sociétés non financières, si bien que la rémunération de la propriété a diminué. « Cette situation perdure jusqu’aux années 2000 qui voient une stabilisation des frais financiers, d’où une augmentation des revenus de la propriété (du fait de l’augmentation des dividendes), qui passent de 8 points à 11 points de valeur ajoutée. C’est ce qui explique que le taux d’épargne des sociétés est orienté à la baisse depuis le début de la décennie 2000, alors que le taux de marge reste stable jusqu’en 2007-2008 ». Il ajoute que la part des dividendes en France n’est pas considérable en comparaison des autres pays. En fait, la distribution des dividendes partait de très bas, puisqu’elle représentait deux points de valeur ajoutée lors du premier choc pétrolier ; malgré la progression de la rémunération des actionnaires, « elle reste cependant près de 10 points inférieure à ce qu’elle est en Allemagne ».
Conclusion corroborée par M. Denis Ferrand (COE-Rexecode) : le coût du capital, à savoir la rémunération des apporteurs extérieurs de capitaux banques et actionnaires, est de 3,90 euros en France et de 8,20 euros en Allemagne. La part de la rémunération du capital, soit la somme des intérêts et dividendes nets, restée stable en Allemagne, a progressé en France de 0,6 point dans l’ensemble de la production des sociétés non financières entre 2000 et 2010.
M. Louis Gallois a indiqué, lors de son audition, que le rapport entre les montants distribués et les fonds propres des entreprises, qui est le ratio pertinent, n’a pas beaucoup évolué, même s’il n’en demeure pas moins que les grandes entreprises ont distribué assez généreusement des dividendes au cours des dernières années.
Par ailleurs, le mécanisme des offres publiques de rachat d'actions (OPRA) qui permet à une entreprise de racheter ses propres actions pour les annuler par la suite, faisant ainsi croitre mécaniquement le cours de l'action et donc le dividende versé, comporte des risques pour l'entreprise du fait des sommes investies qui ne peuvent être utilisées pour des investissements productifs. De plus, ces rachats d'actions sont sujets à débats au vu de la situation de l'entreprise, comme cela a été le cas pour le Groupe PSA qui a procédé en 2011 à un rachat d'actions d'un montant de 199 millions d'euros.
2. Une durée du travail tout au long de la vie plus faible que dans d’autres pays
a) Une durée hebdomadaire ou annuelle du travail controversée
Le coût de la durée hebdomadaire du travail de 35 heures a été largement évoqué par les personnes entendues par la mission. Les auditions ont permis de mettre en lumière l’existence, au sein des économistes, d’analyses bien plus contrastées qu’il ne paraît de prime abord sur l’impact, présumé négatif, de la durée hebdomadaire du travail.
Pour M. Vincent Chriqui, « il est difficile de l’évaluer, mais il existe et il est élevé. Le passage aux 35 heures peut s’analyser comme un choc de compétitivité négatif, puisqu’il s’agit de faire moins travailler les salariés avec un mécanisme de compensation financé par le budget de l’État, mais supporté in fine par les entreprises. »
La méthode choisie pour les 35 heures, selon le Professeur de Boissieu, « n’a pas été la bonne », il a regretté que la mesure ait été mise en œuvre de « manière uniforme et homogène ».
En revanche, pour M. Christian Saint-Étienne le choix des 35 heures n’est pas la cause des difficultés de l’industrie, mais l’effet, les Français s’étant convaincu que le monde était entré dans l’ère post-industrielle, marquée par le déclin du travail.
Un article récent de M. Éric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision de l’OFCE (22) a souligné que, dans la période 1997-2002, la France est, parmi les grands pays, l’un de ceux qui a le plus réduit ses coûts salariaux unitaires. L’augmentation du salaire horaire lié au passage aux 35 heures a été compensée par la modération salariale et l’État, sous forme de baisses des cotisations sociales, a amorti le choc.
En termes de durée effective annuelle moyenne de travail, la France est dans la moyenne des pays comparables. Selon une étude d’Eurostat, citée par M. Vincent Chriqui, la durée effective annuelle moyenne de travail de l’ensemble des salariés était en France de 1 761 heures en 1998 et de 1 550 en 2010 ; pour l’Allemagne, les chiffres sont respectivement de 1 823 heures et 1 637, pour l’Italie de 1 862 et 1 691. Le temps de travail en France est égal à celui de la Suède. Seuls Malte, le Danemark et les Pays–Bas ont un temps de travail moins important (annexe n°15).
Quant au lien entre durée du travail et productivité, M. Chriqui a souligné que cette durée est relativement faible par rapport à la moyenne mondiale et européenne, mais que la productivité horaire demeure élevée. Encore faut-il examiner les raisons de cette productivité satisfaisante. Les deux éléments sont liés : « dans les pays où l’on travaille plus, le marché du travail accueille des personnes dont la productivité est plus faible ». Par exemple, les États-Unis ont une productivité comparable à celle de la France mais, en situation économique normale, même les personnes dont la productivité est faible occupent un emploi. Et d’en conclure : « il est très positif d’avoir une productivité horaire élevée, mais ce résultat ne doit pas être obtenu par l’expulsion des travailleurs les moins productifs ». En fait, en matière de productivité, la France se situe dans la moyenne des pays européens (annexe n°16).
De même, M. Dominique Seux, rédacteur en chef « France et international » du quotidien Les Échos fait remarquer : « on vante souvent une productivité française qui serait la plus élevée du monde ; mais cette statistique n’est là encore pas pertinente, puisqu’en France les plus jeunes et les plus âgés, qui ne sont pas productifs, sont éliminés du marché du travail ; la base de comparaison est donc faussée. La productivité française est bonne, certes, mais elle n’est pas exceptionnelle ».
Ainsi que l’a indiqué M. Louis Gallois, « je n’ai pas abordé en tant que telle la question de la durée du travail, non pas parce que je serais un fanatique des 35 heures – ce n’est pas le cas – mais parce que la durée hebdomadaire n’est pas vraiment un problème…le vrai problème concerne le taux d’emploi. La population active est extrêmement faible par rapport à la population totale ».
La durée hebdomadaire du travail a également été commentée par les industriels que la mission a reçus.
D’aucuns ont fortement regretté la mise en place des 35 heures. M. Philippe Robert, président directeur général de La Générale du granit, a évoqué les difficultés croissantes de son entreprise : « la loi sur les 35 heures, l’augmentation du coût des transports, de l’énergie et des salaires ont rongé notre rentabilité ». M. Jacques Royer, président du Groupe Royer, une entreprise en forte croissance et spécialisée dans la production et la vente de chaussures, déplore également « les charges liées à l’immobilier et les charges salariales, du fait des 35 heures ». Pour M. Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM), « le point de rupture s’est produit en 2000-2001, du fait de la loi sur les 35 heures, que j’avais d’abord soutenue car cette forme du partage du travail me semblait une piste intéressante. Je m’étais lourdement trompé ». M. Olivier Duha, président de CroissancePlus, « la mise en place des 35 heures a engendré il y a quinze ans une hausse immédiate du coût du travail de 11 % dont les effets dévastateurs n’ont toujours pas été absorbés par les entreprises, notamment dans les secteurs qui nécessitent beaucoup de main-d’œuvre ». Quant à M. Christian Poyau, ancien président de CroissancePlus, il a indiqué à la mission que «le coût du travail, en Allemagne, une fois prise en compte la durée hebdomadaire d’activité, est de 12 à 15 % inférieur à ce qu’il est en France » et que « les 35 heures ont constitué une erreur monumentale qui, accessoirement, coûte 15 milliards d’euros par an à l’État ».
Malgré leurs critiques, il convient de remarquer que ces différents dirigeants d’entreprise n’ont pas souhaité une modification de la durée hebdomadaire de travail.
Pour d’autres interlocuteurs de la mission, la durée légale de 35 heures ne peut pas ou ne doit pas être remise en cause.
M. Pierre Gattaz, président du GFI, tout en soulignant que la durée annuelle effective du travail était moindre en France que dans les pays comparables, ne souhaite pas de modification : « nous avons éprouvé tant de mal à mettre en place les 35 heures en 2000 et 2001 que nous ne sommes pas favorables à leur remise en cause : le « détricotage » d’une telle mesure, avec son lot de négociations sociales, soulèverait aujourd’hui plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. Mais il est certain qu’on ne travaille pas assez en France. ».
M. Vincent Moulin Wright, directeur général du GFI, a ajouté que « la réduction de la durée légale du travail à 35 heures constitue toujours pour le patronat une source de regret, mais elle n’est plus aujourd’hui le cœur du problème. Et s’il doit y avoir une évolution sur ce point, elle ne doit pas être négociée au niveau national, mais au niveau des branches ou, mieux encore, des entreprises, seules à même de connaître parfaitement leurs propres besoins. Le vrai problème réside dans la durée effective du travail et, plus précisément, parce que la situation n’est pas si dramatique que cela en ce qui concerne la durée effective hebdomadaire […] dans le volume annuel d’heures effectivement travaillées, qui est inférieur de 260 heures à ce qu’il est en Allemagne ». Sa conclusion est qu’« il serait bon de s’attaquer à cette spécificité française qu’est l’entrée trop tardive sur le marché du travail suivie d’une sortie trop précoce ».
Votre Rapporteur tient à souligner que le passage aux 35 heures n’a pas seulement donné du temps aux salariés ; il a aussi développé la consommation et l’emploi. Ce dispositif n’a ensuite qu’été assoupli : la loi du 17 janvier 2003 dite « Fillon » a augmenté le contingent d’heures supplémentaires de 130 à 180 heures, les branches ayant même la capacité de négocier un contingent d’heures supplémentaires encore supérieur. Un décret de 9 décembre 2004 a ensuite porté ce contingent à 220 heures par an. Dans le même temps, la loi de 2003 a réduit pour l’entreprise le coût de ces heures supplémentaires. La défiscalisation des heures supplémentaires a été introduite en 2007. Mais la précédente majorité s’est gardée de remettre complètement en cause ce dispositif.
b) Une durée du travail tout au long de la vie qui fait surtout la différence avec d’autres pays
La durée hebdomadaire du travail ne suffit pas à rendre compte du nombre d’heures travaillées au cours de la vie.
Le nombre d’heures travaillées au cours de la vie est affecté par l’entrée trop tardive sur le marché du travail des jeunes, mêmes qualifiés, et a fortiori des 150 000 d’entre eux qui quittent chaque année le système scolaire sans diplôme, ainsi que par notre taux d’emploi des seniors, l’un des plus faibles d’Europe. M. Gattaz faisait remarquer qu’on touche en France son premier salaire entre 20 et 25 ans et en Allemagne, dès 17 ou 18 ans ; on cesse de travailler en France entre 55 et 62 ans et en Allemagne, entre 60 et 67 ans.
Le fait que la population active soit numériquement faible par rapport à la population totale entraîne deux conséquences selon M. Louis Gallois : notre croissance potentielle est limitée, puisque c’est la population active qui génère l’activité économique, et les cotisations sont plus lourdes, puisque le poids des inactifs est plus élevé qu’ailleurs. M. Stéphane Carcillo fait le même constat : les Français vivant longtemps mais partant plus tôt à la retraite, la France est l’un des pays qui finance le plus grand nombre d’années à partir de l’âge de la retraite, ce qui fait peser un poids très important sur la collectivité, d’où la nécessité d’avoir plus de personnes en emploi. Selon lui, à source inchangée de financement des retraites, l’âge légal de la retraite influence donc grandement le taux d’emploi des seniors.
Votre rapporteur estime néanmoins que l’âge légal de départ à la retraite n’est pas, loin s’en faut, l’explication dominante du trop faible taux d’emploi des séniors dans notre pays. Il y a un sentiment trop répandu en France qu’un salarié plus âgé serait beaucoup moins utile à l’entreprise.
Trois problèmes se posent en matière fiscale : le niveau de la fiscalité, l’attractivité de la fiscalité d’investissement ainsi que la lisibilité de la fiscalité. S’y ajoute la question de la réduction de la dépense publique.
Les comparaisons internationales sont malaisées et ne peuvent être exhaustives dans le cadre de ce rapport.
Le document « Approche de la compétitivité française » (23), rappelle une donnée bien connue : le taux de prélèvements obligatoires en France figure parmi les plus élevés en Europe.
D’après le même rapport, le taux de prélèvements sur les entreprises est également parmi les plus importants d’Europe, après la Suède, en raison de cotisations et d’impôts plus élevés qu’ailleurs (annexe n°17) : « ainsi, globalement, le système français de prélèvements pèse plus fortement qu’ailleurs sur les facteurs de production, qui sont par essence mobiles dans un marché européen unifié et une économie mondialisée ».
Le tableau de l’Observatoire européen de la fiscalité des entreprises (OEFE) de la Chambre de commerce de Paris, place même la France en tête pour le taux de prélèvement obligatoire des entreprises (annexe n°18).
Comme l’a souligné M. Guy Maugis, président de Bosch France et président de la chambre de commerce franco allemande, les approches culturelles de la France et de l’Allemagne sont opposées : « pour les Français, c’est l’entreprise qui doit être taxée, plus que les particuliers, car ils sont persuadés que si le pouvoir d’achat va bien, l’entreprise ira bien ; aux yeux des Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendant de la santé et de la pérennité de l’entreprise, ainsi que de sa compétitivité ».
La taxation est en Allemagne plus souple pour l’entreprise : la taxe en France est fixe – l’entreprise paie d’abord – alors que l’imposition allemande repose sur une taxe variable : les entreprises paient des taxes en cas de profit, ce qui leur permet, comme le montrent les études micro-économiques, de prendre plus de risques, d’investir davantage dans la recherche et d’embaucher.
M. Philippe Askenazy a souligné l’effondrement du taux de l’impôt sur les sociétés en Allemagne (baisse de 20 points au cours de la décennie 2000) : « ...avec initialement un taux dans la moyenne, la France se trouve désormais dans une fourchette haute, compte tenu de la tendance à la baisse chez nos voisins ; toutefois, l’instauration du crédit d’impôt atténue la hausse du taux apparent et nuit à la lisibilité de la situation ».
Les impôts locaux ont également une incidence sur les entreprises ; mais ils varient considérablement d’un pays à l’autre et rendent difficile toute comparaison.
En France, votre rapporteur regrette que la réforme de la taxe professionnelle ait été mal conduite : alors qu’il existait un quasi consensus à ce sujet, elle a été conçue et mise en place trop rapidement.
M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, a estimé que la réforme de la taxe professionnelle, conçue pour favoriser l’industrie, a rempli sa mission. Il a en outre fait remarquer qu’« il est indispensable de garder le lien entre l’entreprise et son territoire : si l’on supprime toute taxe locale, plus une ville ne voudra d’usine ; il faut donc trouver un équilibre. Le problème de la CFE tient à l’augmentation très importante de la cotisation minimum qui n’a pas toujours été prise en compte par les assemblées locales au moment du vote des taux…le Parlement vient de voter des amendements autorisant les collectivités à revoir le montant de la CFE pour 2012. La levée de boucliers avait été violente dans les territoires touchés par les augmentations les plus significatives ; depuis, la réforme a bien évolué, mais il reste beaucoup à faire ». Quant à la contribution économique territoriale (CET), M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME, souhaite que sa stabilité soit assurée. La CGPME entend d’ailleurs être associée à la prochaine étape de la révision des valeurs locatives, actuellement en cours.
Les chefs d’entreprises interrogés ont fait valoir leurs doléances, mettant l’accent à la fois sur le haut niveau de la fiscalité et sur son inadaptation.
Selon M. Pierre Gattaz (GFI), « la compétitivité passe par une fiscalité incitative, et non coercitive ou punitive » ; il a souhaité « assurer la sérénité en matière fiscale » et estimé que notre législation « n’a pas su protéger les entreprises patrimoniales,…il y a eu l’ISF, les droits de succession confiscatoires. …, la loi Dutreil a permis, enfin, la transmission des entreprises dans de bonnes conditions ».
Se fondant sur son expérience, M. François Bergerault, (CroissancePlus), a constaté que « le prélèvement global avant le paiement de l’impôt sur les sociétés atteignait 3,5 % du chiffre d’affaires au Royaume-Uni alors qu’il dépassait les 19 % en France : pour une entreprise qui n’est pas ultra bénéficiaire et ne verse pas de dividendes, un tel taux représente une menace ». M. Olivier Duha a déploré l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail adoptée au cours des derniers mois et ses conséquences sur l’investissement.
Différentes taxes grèvent également les ressources des entreprises ; M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles, les a égrenées : taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), contribution au service public de l’électricité (CSPE) et impôts fonciers (CFE) sont en progression et atteignent 2,5 % de la valeur ajoutée, pesant sur la compétitivité coût des entreprises.
M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France, a souligné qu’ « en ce qui concerne la pression fiscale… on assiste en France à des débats anxiogènes…en outre, l’année dernière, une fois l’impôt prélevé, il n’est rien resté des10 millions d’euros de résultats supplémentaires que Ferrero France avait obtenus….cette situation sera difficile à supporter à long terme ».
Dans le secteur agricole, M. Xavier Beulin, le président de la FNSEA, a souhaité « une révision des dispositifs réservés aux agriculteurs, notamment la dotation pour investissements (DPI) et la dotation pour aléas (DPA)… il faut également prendre en compte, outre les risques climatiques et sanitaires, les risques de marchés liés à la volatilité des prix agricoles, en faisant bénéficier les exploitations imposées sur leur bénéfice réel d’une gestion fiscale interannuelle [afin] de lisser des fluctuations de prix devenues insupportables. » À titre de comparaison, le forfait fiscal agricole en Belgique n’est pas plafonné, l’agriculteur pouvant choisir entre le système forfaitaire et une déclaration au bénéfice réel ; au Danemark, les taux d’amortissement atteignent 30 % ; en Allemagne, il existe trois dispositifs différents de DPI avec des montants plus élevés qu’en France. En revanche, la fiscalité française sur les carburants agricoles est parmi les plus attractives d’Europe.
En revanche, le crédit d’impôt recherche est très largement apprécié. M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson (CGPME) a souligné que certaines mesures étaient décisives pour les PME, telles que le maintien en l’état de l’ISF-PME, qui permet de leur amener davantage de financements.
b) La fiscalité d’investissement
Les chefs d’entreprises rencontrés ont souhaité que la fiscalité d’investissement soit plus attractive que la fiscalité de placement, notamment M. Christian Poyau, au nom de CroissancePlus.
Pour le Professeur Christian Saint Étienne, « appliquer un taux d’imposition sur les sociétés à 20 % sur les bénéfices réinvestis tout en vérifiant, comme le préconise Arnaud Montebourg, que c’est bien en France qu’ils le sont, peut permettre la reconstitution rapide des fonds propres des entreprises et leur redonner les moyens d’investir [ce qui] coûtera 5 à 6 milliards d’euros ».
M. Louis Gallois propose que les bénéfices réinvestis fassent l’objet d’un avantage fiscal.
Dès sa conférence de presse du 13 novembre, le Président de la République a annoncé que le taux de l’impôt sur les sociétés serait modulé afin d’encourager l’investissement dans les entreprises plutôt que la distribution de dividendes aux actionnaires.
c) La réduction du montant de la dépense publique
Plus généralement, nombre des chefs d’entreprises interrogés par la mission ont souligné que la diminution du niveau des dépenses publiques devenait impérative et qu’il devait être ramené à celui de la zone euro, afin de pouvoir diminuer la pression fiscale pesant sur les entreprises. M. Olivier Duha a fait remarquer que « relancer la compétitivité de notre économie et la consommation implique une diminution de cette pression fiscale et donc de la dépense publique » soulignant que la dépense publique est « de l’ordre de 57 % de notre PIB, soit 10 % de plus que dans la zone euro ». Il a estimé que si la France avait le même niveau de dépenses publiques que la zone euro, elle économiserait 170 milliards d’euros.
M. Dominique Seux a rappelé que, pour son journal Les Échos, le niveau des dépenses publiques en France ne paraissait pas tenable depuis 10 ans !
M. Louis Gallois avait également évoqué, parmi les faiblesses structurelles expliquant les difficultés des industries françaises le niveau élevé des dépenses publiques, qui entraîne une importante pression fiscale. Mais il a rappelé qu’il fallait agir avec discernement, car une grande partie de la dépense publique est orientée vers la cohésion nationale, les dépenses de la protection sociale étant égales à la somme des dépenses de l’État et de celles des collectivités territoriales.
Le Fonds monétaire international (FMI) lui-même, dans sa mission de consultation de 2012 concernant la France, fait remarquer que « la qualité de l’effort budgétaire serait améliorée si l’effort entrepris reposait davantage sur une réduction des dépenses publiques…avec un taux de fiscalité et de dépenses publiques parmi les plus élevés d’Europe, l’alourdissement de la fiscalité en 2012 et 2013 réduit encore les incitations au travail et à l’investissement et met la France dans une position de désavantage compétitif vis-à-vis de ses pairs ».
Dans son rapport public de 2013, la Cour des Comptes note que « le rapport des dépenses publiques au PIB augmenterait en France de 56 % en 2011 à 56,3 % en 2012, alors qu’il serait stable dans la zone euro (à 49,5 % du PIB) et dans l’Union européenne (à 49,1 %).
Le rapport des recettes publiques au PIB augmenterait d’un point de PIB en France pour s’établir à 51,8 % du PIB en 2012, tandis qu’il s’accroîtrait de 0,8 point dans la zone euro et l’Union européenne, pour s’établir respectivement à 46,2 % et à 45,5 % du PIB.
La réduction du déficit public en France en 2012 reposerait donc plus sur les recettes que dans d’autres pays ».
À cet égard l’annexe n°19 comparant les dépenses publiques dans les pays européens en 2010 est tout à fait éclairante.
Devant la commission des finances, le ministre de l’économie et des finances M. Pierre Moscovici a rappelé que la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques prévoyait d’ores et déjà 50 milliards d’euros d’économies sur 5 ans et annoncé la réunion d’un comité interministériel pour la modernisation de l’action publique.
Dans sa conférence de presse du 13 novembre dernier, le Président de la République a annoncé un plan d’économies supplémentaires de 10 milliards d’euros qui viendront s’ajouter aux 10 milliards déjà inscrits dans le projet de loi de finances, « ce qui représentera un effort jamais accompli depuis 50 ans », précisant qu’il ne s’agira pas de coupes aveugles mais de la « redéfinition stratégique des missions de service public ».
d) L’instabilité des règles fiscales
L’instabilité fiscale est également mal perçue.
Les chefs d’entreprises italiens ou allemands reçus par la mission l’ont souligné. Pour M. Stefano di Lullo, président de l’activité gestion des troubles du rythme cardiaque de Sorin SpA, une mesure fiscale doit être intégrée à une planification stratégique de long terme : la politique fiscale doit donc être simple, prévisible et stable, comme l’est le crédit d’impôt recherche. L’opinion de M. Guy Maugis, exprimée au nom de la Chambre de commerce franco-allemande, est semblable : l’attractivité de la France aux yeux des entrepreneurs allemands diminue depuis 6 ans et l’une des principales raisons en est le risque : « si l’on ajoute au risque de marché le risque fiscal et le risque social, cela fait beaucoup pour l’entrepreneur, qui choisira donc, touts choses égales par ailleurs, de s’implanter la où la sécurité est maximale ».
Pour M. Olivier Duha, président de CroissancePlus, l’absence de permanence de la règle fiscale provoque de l’attentisme de la part des chefs d’entreprise qui, en tout état de cause, ne vont investir ou réduire leurs prix qu’en 2014, une fois le Crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises (CICE) effectivement perçu.
Or, comme le fait remarquer M. Pierre Gattaz (GFI), « il est facile de modifier la législation fiscale tous les six mois, mais les investissements dans l’industrie se font à l’échéance de 20 ou 30 ans ».
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson (CGPME) s’est dit très attaché au « test PME » qui impose d’évaluer, pour toute mesure nouvelle, les effets qu’elle pourrait avoir sur les PME.
M. Louis Gallois a également appelé de ses vœux un choc de confiance impliquant, notamment, d’assurer un environnement favorable à l’investissement grâce à la stabilité et à la visibilité des règles. Sa première proposition est que l’État doit s’engager à ne pas modifier cinq dispositifs, au moins, au cours du quinquennat, dont quatre fiscaux : le crédit d’impôt-recherche, les règles dites « Dutreil » favorisant la détention et la transmission des entreprises, la contribution économique territoriale
M. Arnaud Montebourg a confirmé que le gouvernement avait fait le choix de stabiliser cinq grands impôts qui touchent de près la vie des entreprises : transmission, investissement, innovation et taxes locales.
B.— DES COÛTS VARIABLES SELON LES SECTEURS QU’IL CONVIENDRAIT D’OPTIMISER
Il n’est pas d’économie compétitive sans ressources énergétiques disponibles, abordables, abondantes sinon pérennes et sans infrastructures et moyens de transport performants. En matière de ressources énergétiques les pays ont longtemps été tributaires de la richesse de leur sous-sol, particulièrement des combustibles fossiles (gaz naturel, pétrole, charbon) et des matières premières (uranium).
Comme pour tout autre facteur de production, une hausse des prix de l’électricité, du gaz naturel ou des produits pétroliers augmente les coûts de production des entreprises situées sur le territoire national. Dans une telle hypothèse, soit elles ne peuvent pas répercuter cette hausse sur le prix de leurs produits, ce qui réduit d’autant leurs marges qui sont déjà très faibles et réduit leur capacité d’investissement. Soit elles augmentent leurs prix, ce qui diminue le pouvoir d’achat des ménages français. Pour autant cette perte de compétitivité n’est pas inéluctable car, d’une part, la hausse des prix de l’énergie peut améliorer la compétitivité de l’économie française si celle-ci est moins intensive en énergie et, d’autre part, la hausse des prix de l’énergie peut entraîner un redéploiement des activités vers des procédés moins consommateurs en énergie et accélérer le développement d’une « économie verte » potentiellement créatrice d’emplois, à la condition que des filières françaises soient à même de s’imposer sur ces nouveaux marchés.
La situation française en ce domaine est porteuse de quelques avantages, fruits de la politique ambitieuse menée à compter de 1945, en dépit des incertitudes liées à la transition énergétique et à la nouvelle donne mondiale des hydrocarbures.
Les activités de transport et de logistique sont, elles aussi, particulièrement structurantes pour l’économie puisque tous les secteurs d’activité ont plus ou moins recours à ces services. Les coûts de livraison et d’acheminement pèsent d’ailleurs lourdement dans les comptes d’exploitation de certaines entreprises. Le fait que ces activités aient souvent été considérées essentiellement sous l’angle de leur impact sur l’environnement a considérablement alourdi les contraintes et les coûts.
Les fluctuations et l’inéluctable augmentation du prix des carburants et la future « écotaxe » routière vont contraindre les entreprises de transport à répercuter ces coûts supplémentaires sur leurs clients français, ce qui pèsera inévitablement sur la compétitivité de ces entreprises. Le dumping social et salarial existant entre transporteurs intra-européens ne peut constituer la solution.
1. Une facture énergétique élevée en dépit d’atouts à préserver
Selon les données figurant dans le rapport « énergies 2050 » (24), la production nationale d’énergie primaire (25) s’est élevée en 2010 à 138,6 Mtep (26). Le nucléaire assure à lui seul 80 % de cette production, mais la production d’origine renouvelable (hydraulique, éolien, photovoltaïque, énergie renouvelable thermique, déchets) est en forte hausse depuis le début des années 2000 et atteint désormais 22,7 Mtep. En revanche, la production nationale d’énergies fossiles classiques (pétrole, charbon, gaz naturel) est faible mais stable à 2,5 Mtep, soit l’équivalent de seulement cinq jours de consommation finale.
Dans la mesure où la consommation totale d’énergie primaire de notre pays se situe aux alentours de 260 Mtep, il est nécessaire d’importer près de la moitié de notre consommation énergétique. Le solde importateur d’énergie primaire qui en découle est donc lui aussi stable, aux alentours de 130 Mtep depuis le début des années 2000. Les importations sont constituées de charbon, pétrole brut, produits pétroliers raffinés et gaz naturel. Les exportations se composent principalement de produits pétroliers raffinés et, dans une moindre mesure, d’électricité.
a) L’augmentation du coût des énergies fossiles
La facture énergétique de la France est structurellement déficitaire et se situe chaque année à un niveau proche de celui du déficit commercial. Ainsi le solde négatif des échanges en matière d’énergie s’est élevé à 48 Mds € en 2010 (déficit de la balance commerciale de 52 Mds €), 62,4 Mds € en 2011 (déficit de 74 Mds €) et 69 Mds € en 2012 (déficit de 67,1 Mds €).
La plus lourde charge concerne, de très loin, les échanges de produits pétroliers et en particulier les importations de pétrole brut. Les cours du pétrole sont sujets à une grande volatilité : en 2008, les prix ont flambé, atteignant une moyenne de 100 dollars, et même 150 dollars en juillet. En pleine crise économique, en 2009, le cours est retombé à 60 dollars le baril. En 2011, la facture pétrolière de la France s’est élevée à plus de 50 Mds €, en hausse de 14 milliards (+ 37 %) par rapport à 2010. Cette forte progression de la facture pétrolière est liée à l’envolée du prix du Brent, passé de 79 $/baril en moyenne en 2010 à plus de 111 $/baril en 2011 (+ 40 %). Mécaniquement, le prix du brut importé et ceux des produits raffinés ont progressé respectivement, de 34 % et 29 % (prix moyens CAF à l’importation en €/t). À noter toutefois que la France importe deux fois moins de pétrole en 2011 qu’en 1973.
Cette évolution quelque peu erratique mais néanmoins haussière du cours du pétrole a été rappelée par Mme Colette Lewiner, conseillère énergie du président de Capgemini, « il a atteint 150 dollars par baril en 2008 avant de retomber aujourd’hui aux alentours de 100 dollars – ce qui reste néanmoins élevé : le baril était à 20 dollars en 2002. » (27). Si le prix du pétrole demeure élevé et volatil sur le court terme, M. Patrick Artus a indiqué à la mission que ce prix pourrait être revu rapidement à la baisse en raison d’une diminution prévisible des importations de la part des États-Unis et de la faiblesse de la croissance économique mondiale. Selon lui, « les prévisions qui nous annonçaient un baril à 200 dollars en 2020 sont totalement démenties. Le cours actuel de 100 dollars ne tient qu’en raison de la politique de baisse de la production de l’Arabie saoudite, qui a besoin de maintenir le cours à un niveau artificiellement élevé pour financer ses dépenses. Dans un marché véritablement concurrentiel, ce cours se serait effondré, s’établissant probablement aux alentours de 30 dollars le baril. (28)»
Dans le secteur industriel, c’est le gaz naturel, consommé à la fois comme source d’énergie et comme matière première, qui constitue la principale ressource énergétique utilisée. Bénéficier d’un prix du gaz compétitif est donc un enjeu particulièrement important pour l’industrie française, notamment pour le secteur de la chimie, qui représente le tiers du gaz consommé dans l’industrie, dont 40 % en tant que matière première. Effet de la crise économique, la consommation d’énergie brute dans l’industrie manufacturière hors IAA et hors scieries (29) s’est élevée en 2011 à 29,7 millions de tonnes-équivalent pétrole (TEP), hors carburants, soit une baisse de 2,6 % par rapport à 2010. Malgré la baisse des consommations, la facture énergétique du secteur industriel a continué d’augmenter en 2011, sous l’effet d’une hausse des prix des énergies. Elle s’est ainsi élevée à 12,4 milliards d’euros (+ 7,5 %), soit un montant proche de celui de 2008, pour une consommation bien inférieure.
Le gaz naturel et l’électricité sont, de loin, les produits énergétiques les plus consommés par l’industrie française, ainsi que l’illustre le graphique suivant :
Selon les études régulièrement actualisées par l’entreprise spécialisée NUS Consulting Group (30), le prix moyen du kWh de gaz en France se situait en 2012 à 3,34 centimes d’euros contre 4,29 centimes d’euros en Allemagne et 1,47 centime d’euros aux États-Unis. Comme l’indique le rapport du Centre d’analyse stratégique précité, « l’évolution des prix du gaz est tout aussi incertaine mais avec trois marchés qui fonctionnent avec des logiques distinctes et des niveaux de prix actuellement fortement contrastés : Europe, Amérique, Asie. Le marché américain est marqué par la véritable révolution que constitue l’exploitation des gaz de schiste. (31)». Les gaz non conventionnels américains ont eu pour effet de maintenir les prix de marché de court terme (« spot ») à des niveaux historiquement bas depuis 2009. En Europe, au contraire, les prix spot sont orientés à la hausse. Ils restent néanmoins inférieurs aux prix des contrats long terme : indexés majoritairement sur les produits pétroliers, ceux-ci suivent mécaniquement l’évolution haussière de ce marché.
b) La compétitivité de l’électricité d’origine nucléaire ne doit pas masquer les difficultés rencontrées par les entreprises électro-intensives
En raison de l’importance économique et stratégique que représente la production d’électricité et pour préserver autant que faire se peut son indépendance, notre pays s’est doté d’une importante industrie de production d’électricité d’origine nucléaire. La filière nucléaire a permis de développer des technologies innovantes et un savoir-faire mondialement reconnu. La part conséquente de l’électricité d’origine nucléaire dans la production nationale, 75 % à l’heure actuelle mais devant être réduite à 50 % à l’horizon 2025, explique le coût modéré de l’électricité domestique et constitue un avantage comparatif pour nombre d’entreprises.
La forte compétitivité de l’électricité produite en France est un incontestable atout pour notre économie et particulièrement pour les entreprises industrielles. Comme l’a souligné Mme Colette Lewiner, « grâce au nucléaire l’électricité produite en France est parmi les moins chères d’Europe. Ainsi, le prix de l’électricité fournie aux entreprises (à l’exclusion des grandes entreprises très fortement consommatrices d’énergie) est plus élevé de 60 % en Allemagne.» (32)
Pour la plupart des activités industrielles, le prix de l’énergie n’est qu’un paramètre parmi d’autres, dont l’effet sur la marge des entreprises est encore faible voire résiduel. Pour autant les évolutions liées à la libéralisation du secteur initiée par l’Europe aboutissent à un renchérissement significatif du coût de l’électricité pour les entreprises les plus consommatrices, dans les secteurs, dits « énergo-intensifs ».Quatre secteurs industriels représentent les deux tiers du total de la consommation d’énergie industrielle. Il s’agit de la chimie (26 %), de la sidérurgie (16 %), de l’agro-alimentaire (14 %) et du papier et carton (10 %).
Répartition par secteurs de la consommation d’énergie de l’industrie française en 2009 ( %)
Source : Enquêtes EACEI (INSEE et SSP), calculs SOeS. Syndicat français de l’industrie cimentière (Sfic) pour l’industrie des chaux et ciments.
Avec la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (loi NOME) (33), les tarifs réglementés de vente pour les grandes et moyennes entreprises, seront supprimés au plus tard le 31 décembre 2015. Pour satisfaire les exigences posées par le droit communautaire, elles seront contraintes de se fournir sur le marché, sans disposer de solutions alternatives.
Certaines entreprises électro-intensives bénéficient de contrats de long terme avec le fournisseur historique. Ces contrats dits « historiques » permettaient à ces entreprises de s’assurer un prix de l’électricité stable et bon marché, mais de tels contrats sont désormais en voie d’extinction, là encore pour respecter la réglementation européenne. Les industriels des pays hors de l’Union européenne, eux, continuent de s’approvisionner sur la base de contrats de long terme, qui sont particulièrement adaptés à leur activité.
Pour contourner l’impossibilité de conclure des contrats de long terme, les entreprises électro-intensives ont décidé de mettre en place un projet alternatif dénommé Exeltium. En contrepartie d’un investissement en propre, au côté d’EDF, dans le développement du futur parc nucléaire français, elles devaient avoir accès, sur le long terme, à un prix de l’électricité compétitif garanti. Alors que la levée du financement de cet investissement s’est faite dans des conditions particulièrement coûteuses – du fait de la crise financière –, les industriels électro-intensifs français constatent aujourd’hui que le prix de l’électricité fournie par Exeltium est proche des prix de marché (de 47 à 50 €/MWh). Leurs concurrents qui n’ont pas fait l’effort d’apporter du capital peuvent se fournir, via l’ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), à un prix inférieur (de l’ordre de 42 €/MWh), qui reflète les coûts d’un parc nucléaire historique déjà amorti.
Cette situation est préjudiciable aux industriels électro-intensifs français à un double titre. D’une part les entreprises françaises n’ont aucune assurance quant au prix futur de l’ARENH (34), d’autre part l’accès à l’ARENH est limité pour les industriels électro-intensifs membres du consortium Exeltium car, aux termes de l’article L. 336-4 du code de l’énergie, les droits à l’ARENH viennent en déduction des quantités d’énergie auxquelles les partenaires du consortium peuvent prétendre. De plus les contrats d’approvisionnement du consortium sont dépourvus de montant de garantie de capacité contrairement au dispositif ARENH. La proposition de loi « visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes » (35) propose d’établir le même traitement entre la fourniture de l’électricité par le dispositif ARENH et par Exeltium.
M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe Arkema numéro un français du secteur de la chimie et membre fondateur d’Exeltium, a indiqué devant la mission (36) qu’il est « urgent de restructurer cet outil, sur la compétitivité duquel la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunt prévue par la loi de finances pour 2013 aura de lourdes conséquences. Nous nous demandons donc pourquoi Exeltium, qui était conçu pour être compétitif, n’est pas exempté d’une telle mesure de limitation, d’autant que le prix de l’énergie qu’il fournit se répercute directement sur la compétitivité des sites qui en dépendent. »
D’une manière plus générale, M. Thierry Le Hénaff a relevé que « l’Allemagne met par ailleurs en œuvre un certain nombre de mesures très favorables, qui requièrent toute notre vigilance car une différence est en train de se créer de part et d’autre du Rhin, s’agissant de l’accès à l’électricité des grands consommateurs électro-intensifs. Pour ceux-ci, l’avantage en faveur de l’Allemagne atteint aujourd’hui 20 %, alors que la situation était inverse il y a quelques années. Le coût de l’électricité, souvent encore perçu comme un avantage français, risque ainsi de devenir un handicap de compétitivité par rapport à des pays tels que l’Allemagne ou les États-Unis. (37)»
Cette crainte est également celle de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN) qui estime que l’Allemagne protège ses très grands industriels exportateurs qui bénéficient d’un taux d’exemption des frais de transport pouvant atteindre jusqu’à 80 % (38). De plus, l’« interruptibilité » ou « l’effacement », c’est-à-dire la capacité des entreprises à baisser leur charge à la demande en période de grand froid, est mieux rémunérée en Allemagne qu’en France. L’UNIDEN considère donc que les « électro-intensifs » allemands paient l’électricité 25 % moins cher qu’en France. La légalité des aides ainsi accordées, particulièrement l’exonération de la taxe sur les réseaux, pourrait toutefois être mise en cause par des recours introduits par des associations de consommateurs allemands et par la Commission européenne qui vient d’ouvrir une enquête pour distorsion de concurrence à cet égard.
COMPARAISON DU PRIX DE L’ÉLECTRICITÉ POUR LES INDUSTRIELS
EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE
e/MWh |
Commentaire | |||
Allemagne |
Fr |
Fr Exeltium |
||
Énergie |
48,5 |
42,3 |
47 |
- Allemagne : prix marché Allemagne 2013 coté depuis 01 juin 2012 |
Transport |
- |
6 |
6 |
- Allemagne : exemption 7 000 h - France : Turpe 4 = prix pour utilisateur 7 500 h (moyenne HTB1-HTB2) |
Taxes/CSPE |
0,5 |
1 |
1 |
- Allemagne = EEG plafonnée à 0.5 €/MWh et exemption KWG - France = plafonnement CSPE (600 k€) + TICFE - exemptée à 80 % = 1 € |
Interruptibilité |
De -2,5 à-7 |
- |
- |
L’Allemagne travaille actuellement à la mise en place d’un mécanisme de rémunération de l’interruptibilité industrielle |
Compensation CO2 indirect |
-5 |
- |
- |
Les EU ¨guidelines¨ laissent la possibilité aux États membres de compenser le C02 intégré dans le prix de l’électricité |
Total |
37 à 41,5 |
49,3 |
54 |
Source : UNIDEN
c) Les incertitudes du mix énergétique et des nouvelles techniques d’extraction.
Notre pays doit bien entendu poursuivre la mutation du mix-énergétique en développant les énergies renouvelables et en renforçant l’efficacité énergétique. Il s’agit là d’engagements européens structurants et nécessaires pour diminuer les atteintes à l’environnement. Pour autant, il faut remarquer que la donne énergétique mondiale a connu récemment une évolution conséquente avec l’exploitation en masse des gaz non conventionnels aux États-Unis. À court terme, le coût du gaz a été fortement baissé pour les industries américaines, ce qui peut conduire les industriels européens à privilégier le développement de capacités nouvelles aux États-Unis, dans l’industrie chimique notamment (39). Sur le plus long terme c’est l’équilibre géostratégique lié à l’autosuffisance américaine par rapport aux pays producteurs de pétrole qui est conduit à se modifier.
La notion de transition énergétique consiste à faire évoluer notre modèle basé essentiellement sur des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) pour promouvoir progressivement la production d’énergies renouvelables et émettre ainsi moins de CO2. L’accident de Fukushima, au Japon, a accentué le mouvement en faveur des énergies renouvelables. Ainsi, les projections des différents pays européens pour 2025 font apparaître une diminution de la part du nucléaire, du charbon et du lignite et une augmentation des énergies renouvelables et du gaz. Le développement de l’énergie nucléaire est important en Asie, mais il est ralenti en Europe car un certain nombre de pays européens (dont la France et surtout l’Allemagne) souhaitent diminuer la part qu’il représente dans leur production d’électricité.
La France bénéficie d’un pôle d’excellence internationalement reconnu en matière de recherche dans ce domaine. L’IFP énergies nouvelles (IFP-EN), ancien Institut Français du Pétrole, contribue à développer les technologies et matériaux du futur dans les domaines de l'énergie, du transport et de l'environnement. Il doit apporter aux acteurs publics et industriels de l'énergie des solutions innovantes pour une transition maîtrisée vers les énergies propres et sûres, les matériaux de demain, plus performants, plus économiques, plus respectueux de la santé et durables. L'institut travaille par exemple sur le captage/stockage et la valorisation du CO2, sur la production de biocarburants (1ère, 2ème et 3ème générations), sur l'électrification des véhicules ou encore sur la mise en place d'éoliennes offshore flottantes.
Selon les experts auditionnés, cette évolution sera coûteuse. Votre rapporteur pense que ce choix n'en est pas un. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut aller ou non vers une transition énergétique : il s'agit plutôt d'admettre qu'elle est inéluctable et que la question est d'en mesurer le rythme et le calendrier. D'autant qu'un ajustement adéquat peut être source d'avantages compétitifs à l'avenir si l'on arrive à combiner engagements à consommer moins et mieux, stratégie industrielle et filières innovantes.
En ce qui concerne tout d’abord notre pays, où l’on envisage de ramener à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique en 2025, Mme Colette Lewiner a souligné que « parmi les modes de production de l’électricité, l’hydraulique est certes le moins onéreux, mais on ne peut guère envisager de construire plus de barrages. Ensuite viennent, dans l’ordre, le nucléaire, le charbon, le gaz, l’éolien terrestre, l’éolien maritime et le solaire. L’éolien terrestre commence à pouvoir être compétitif, puisque son coût de production – 80 euros par kilowattheure – est du même ordre de grandeur que le coût prévu pour l’électricité produite par le nouveau réacteur EPR de Flamanville. » (40)
Selon l’union française de l’électricité (UFE) qui rassemble les producteurs d’électricité, il faudrait investir 590 milliards d’euros d’ici 2030 pour réaliser la transition énergétique décidée par le Président de la République François Hollande (dont 422 milliards pour le système électrique et 170 milliards pour les efforts d’efficacité énergétique) (41). L’augmentation du coût de l’électricité serait de 30 à 40 euros par Mégawattheure, soit l’équivalent de l’augmentation consécutive au Grenelle de l’environnement. Le différentiel avec l’Allemagne resterait toutefois en notre faveur.
Les choix allemands sont en effet très différents en ce domaine. Parallèlement à l’abandon total du nucléaire prévu en 2022, l’Allemagne entend poursuivre sa politique de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, donc augmenter la part des énergies renouvelables. Comme l’a indiqué Mme Colette Lewiner, elle ne se heurte pas tant à un problème de production, puisqu’elle a remis en service des anciennes centrales au charbon et, encore plus polluant, au lignite, qu’à un problème de transport électrique : les sites éoliens qu’elle veut continuer de développer sont en mer ou sur les côtes, dans le nord, alors que la consommation industrielle, notamment pour l’automobile, est plutôt concentrée dans le sud. Or il est très difficile aujourd’hui de construire des lignes électriques à haute tension car la population y est hostile. Mme Colette Lewiner a souligné que « le coût de la transition énergétique en Allemagne a été estimé au départ à 400 milliards d’euros, dont la moitié pour les réseaux. La transition énergétique, ce n’est pas seulement remplacer des centrales nucléaires par des éoliennes ; cela implique aussi de revoir entièrement le réseau. Siemens avance pour sa part le chiffre de 1 000 milliards d’euros, un spécialiste allant même jusqu’à 2 000 milliards, soit le coût de la réunification allemande ! Le prix de l’électricité payé par les industriels pourrait augmenter de 70 % d’ici à 2025. » (42)
En regard de ces coûts qui peuvent peser lourdement sur la compétitivité des entreprises, la question se pose de l’exploitation des hydrocarbures non-conventionnels. Cela est particulièrement vrai pour les gaz non-conventionnels. Dans la plupart des scenarii de transition énergétique, la part du gaz connaît en effet une évolution positive ou, à tout le moins, demeure stable.
Mme Colette Lewiner a largement abordé ce sujet devant la mission. Préférant parler de « gaz d’argile » plutôt que de « gaz de schiste », elle a rappelé que « c’est en 1970 que le Département Américain de l’Énergie, voyant que les réserves de gaz des États-Unis allaient baisser, a décidé de travailler sur le fracking (fracturation hydraulique), déjà utilisé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans les puits verticaux classiques. La technique développée consiste à injecter dans la roche un mélange d’eau et de sable additionné de polymères qui permettent de reconstituer la roche. Depuis qu’une petite société texane a mis au point, en 1998, ce mélange nommé slick water (eau visqueuse), l’exploitation des gaz de schiste s’est développée de manière fulgurante aux États-Unis. En 2010, elle représentait 20 % de la production totale de gaz dans ce pays. »
Les États-Unis possèdent et exploitent également du pétrole de schiste issu des schistes bitumineux. Selon, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) (43), ils deviendraient ainsi en 2020 le premier pays producteur de pétrole, dépassant l’Arabie saoudite et devenant autosuffisants à la fois en gaz et en pétrole. Toutefois, contrairement aux gaz de schistes, l’exploitation des schistes bitumineux a un coût de revient dans la fourchette supérieure de l’exploitation pétrolière et répond d’abord à une logique d’indépendance énergétique plus que de compétitivité. Son développement se heurte néanmoins à de fortes résistances, qui se cristallisent par exemple autour de l’oléoduc Keystone XL.
Il s’agit donc d’une nouvelle donne et, même d’une véritable révolution selon Mme Colette Lewiner (44) : « Bref, s’il y a eu une révolution dans l’énergie au cours des vingt dernières années, c’est bien celle du gaz et du pétrole non conventionnels. Le prix du gaz des contrats européens de long terme est trois fois supérieur au prix du gaz au États-Unis, où les industries énergétivores comme la chimie ou les engrais bénéficient d’un avantage compétitif considérable. Les Américains estiment qu’ils ont créé 600 000 emplois grâce aux gaz de schiste. »
C’est également l’avis de l’économiste Patrick Artus qui considère que « la baisse du coût de l’énergie aux États-Unis est un phénomène considérable, comparable en ampleur au début de l’exploitation du charbon dans le Royaume-Uni des années 1820. En outre, cette évolution se fait sans rencontrer d’obstacle d’ordre environnemental puisqu’on passe du charbon au gaz, ce qui divise par deux les émissions de CO2. ». Il faut donc s’attendre selon lui « à une réindustrialisation massive de l’Amérique du nord grâce à une énergie à faible coût, qui plus est écologiquement vertueuse. (45)»Votre rapporteur considère que la vertu écologique de l'exploitation des gaz de schiste reste encore à démontrer, leur exploitation ne pouvant in fine que contribuer au relâchement de gaz à effet de serre (46). Par ailleurs, les entreprises investies dans ce domaine aux États-Unis profitent de dispositifs fiscaux de l’État fédéral (47).
Le débat autour de ce type d'exploitation est lié à une réflexion quant à la compétitivité des industries concernées au premier chef par ces matières premières. Or, il apparaît qu’un grand différentiel de compétitivité s’est formé entre l’Europe et les États-Unis. Mme Colette Lewiner a rappelé lors de son audition que, « selon une étude commanditée par des industriels allemands, les prix de l’électricité devraient augmenter de 90 (aujourd’hui) à 98-110 euros par Mégawattheure en 2020 en Allemagne, alors que cette augmentation ne serait que de 48 à 54 euros aux États-Unis. L’électricité deviendrait deux fois plus chère pour les industriels allemands alors qu’ils sont exportateurs et en concurrence directe avec les industriels américains. (48) ».
Cette nouvelle configuration est étudiée de près par les industries fortement consommatrices de cette ressource, comme matière première et comme source d’énergie, et oriente leurs futurs investissements. C’est l’analyse présentée par Thierry Le Hénaff, Président-Directeur général d’Arkema, qui observe très concrètement ce phénomène et en mesure la portée dans son secteur d’activité : « Le développement des gaz non conventionnels procure un indéniable avantage compétitif aux États-Unis : nous le constatons tous les jours, puisque nous y achetons du gaz et de l’électricité. Cet avantage se ressent aussi, de façon très sensible, sur le prix de revient des produits dérivés du gaz, comme certains plastiques, dont les exportations sont amenées à se développer. C’est là un point d’importance pour la pétrochimie et les fabricants de ces plastiques en France. En Europe, le prix du gaz relève de deux mécanismes : une formule industrielle d’une part, indexée sur le prix du pétrole brut, et le prix spot, apprécié à Zeebrugge. Selon que l’on se réfère à l’un ou l’autre de ces niveaux de prix, la différence entre le prix du gaz entre les États-Unis et l’Europe peut atteindre un rapport de 1 à 3, voire 1 à 4. » (49).
Toutefois, des voix se font entendre, notamment aux États-Unis, pour mettre en garde sur l’emballement concernant cette ressource. Dès 2011 le New York Times (50) a alerté sur des surestimations du rendement des exploitations et le volume des gisements. En effet, depuis 2009, la Securities and Exchange Commission (SEC) autorise les compagnies à chiffrer leurs réserves sans vérification par une institution indépendante (51). Le directeur de l’Institute for Policy Resarch and Development de Brighton, M. Nafeez Mosaddeq Ahmed, rappelle la décroissance rapide du rendement des gisements après leur mise en exploitation, ce qui incite à multiplier de manière rapide le nombre de forages de façon à dégager suffisamment de liquidités, alors même que la croissance rapide de l’exploitation a fait chuter les cours (52), rendant la dette de sociétés ayant fortement investi difficilement supportable. M. Ahmed met en garde contre une « bulle gazière » (53), dont les premiers effets sont perceptibles sur des sociétés leaders du secteur comme Chasepeake (54), ce qui devrait se traduire selon lui par une correction et une réévaluation des prix du gaz aux États-Unis, rendant le différentiel avec notre continent moins prononcé qu’aujourd’hui.
Les questions qui se posent avec une incontestable acuité à notre pays face à cette situation sont de deux ordres. Il s’agit tout d’abord de savoir si nous pouvons durablement maintenir une position d’interdiction totale d'exploration et d'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique conformément à l’article 1er de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011. (55) Cet article dispose qu’« en application de la Charte de l'environnement de 2004 et du principe d'action préventive et de correction prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national. ». De leur côté, les pays d’Europe orientale dont l’approvisionnement en gaz dépend à 100 % de la Russie envisagent sérieusement cette possibilité, la Pologne et l’Ukraine notamment. Ces pays se rappellent qu’il y a quelques années l’opérateur russe gazier (Gazprom) avait fermé les robinets de gaz en plein hiver ! L’exploitation des gaz de schiste représente pour eux une possibilité d’amélioration conséquente de leur indépendance énergétique. L’Allemagne et la Grande-Bretagne, pour leur part, ont lancé des études pour examiner les conditions d’exploration et d’éventuelle exploitation qui seraient régies par des lois spécifiques. En Europe, seules la Roumanie, la Bulgarie et la France interdisent de telles initiatives.
Par ailleurs, l’expert pétrolier Jean-Louis Schilanski, président de l’Union française des industries du pétrole, considère qu’en raison des différences de densité et de législation environnementale les coûts d’exploitation en France seraient nettement supérieurs à ceux des États-Unis (56). De même, M. Janez Potocnik, Commissaire européen chargé de l’Environnement, pense que : « la structure géologique du continent européen ne ressemble en rien à celle des États-Unis et (que) ces derniers disposent de beaucoup plus d’infrastructures pour le forage, le transport et le stockage. L’Europe est aussi handicapée par des questions d’accès aux terrains. » (57)
La seconde interrogation porte sur le niveau pertinent d’élaboration d’une telle politique. À l’heure actuelle l’Union européenne ne joue pas un rôle majeur dans ce débat, se bornant aux dires du commissaire chargé de l’environnement, M. Janez Potocnik, « à s’assurer qu’il n’y ait pas de danger pour la santé publique et l’environnement » (58) en cas d’exploration ou d’exploitation de réserves de gaz de schiste. M. Louis Gallois, dans son rapport (59), suggérait, lui, que la France puisse, conjointement avec l’Allemagne, prendre l’initiative de proposer à ses partenaires européens un programme sur ce sujet.
Votre rapporteur tient à souligner l’existence d’un véritable paradoxe français dans le domaine des gaz de schiste. En effet, d’un côté le législateur est intervenu pour interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et, de l’autre, plusieurs grands groupes français comme Total, CGGVeritas (leader dans les domaines de la géophysique et de la sismique), l’entreprise minière Imerys ou Vallourec ont des positions fortes « à l’international », y compris aux États-Unis, sur le marché des gaz de schiste et des techniques concernant tant son exploration que sa production.
La recherche pour développer ou perfectionner des techniques moins agressives que l’actuelle facturation hydraulique et de réduire les taux de fuites, pourrait néanmoins faire évoluer le débat. Les expérimentations en cours sur le gaz de houille en Lorraine et les permis récemment accordés par la Ministre de l’Environnement pour la géothermie profonde (aux techniques voisines de la fracturation hydraulique) (60) permettront le moment venu de pouvoir, si nécessaire, reconsidérer le choix français actuel.
Il n’appartient pas à la mission d’adopter une position définitive sur ce sujet complexe qui touche aussi bien à l’indépendance énergétique du pays qu’à la soutenabilité de ce type d’exploitation pour le sous-sol, les nappes phréatiques et l’environnement d’une manière générale. Mais consciente des enjeux économiques potentiels pour plusieurs filières industrielles, la mission approuve le fait que la recherche sur de possibles techniques d’exploitation des gaz de schistes préservant à long terme l'environnement soit poursuivie. Les travaux que vient d’engager l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (61) pourront contribuer utilement au débat
Par ailleurs, la renégociation des contrats à long terme de gaz indexés sur le cours du pétrole présente des possibilités de gains de coûts à explorer.
Votre rapporteur considère que, même si elle était techniquement possible dans notre pays, l’apparition d’une telle source d’énergie fossile bon marché risquerait fort d'avoir un impact négatif pour nos entreprises engagées dans les énergies renouvelables. L'exemple du secteur des panneaux photovoltaïques promu par le « Grenelle de l’Environnement », puis privé brutalement de soutien, démontre que la base industrielle et le savoir-faire perdus sont difficiles à recréer une fois les coûts ajustés.
À moyen terme, l’effet « économiquement dopant » des gaz des schistes pourrait aussi se révéler contre-productif (62), empêchant la baisse de la dépendance de la France aux énergies fossiles et à ses conséquences en cas de hausse des cours pétroliers. Le recours aux gaz de schistes avant que les énergies renouvelables nouvelles n’aient atteint une taille critique pourrait donc avoir un effet négatif, là où l’Allemagne privilégie la stabilité et une vision de long terme.
Il ne faudrait donc pas que la croyance en un nouveau Graal énergétique – les gaz non-conventionnels – obère la nécessaire transition de notre pays vers l'utilisation d'énergies renouvelables à coût maîtrisé et une baisse de notre consommation énergétique, notamment dans le bâti et les déplacements automobiles.
2. La logistique et les transports, des enjeux de compétitivité au-delà des coûts
Que la qualité des infrastructures de transport soit un atout majeur pour la compétitivité et l’attractivité d’un territoire est une évidence et la France n’est pas dépourvue d’atouts en ce domaine. D’ailleurs depuis la création du corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées en 1716 puis la mise en place d’une formation spécifique à ce corps, via la création d’une école nationale en 1747, la qualité des routes françaises est unanimement saluée. Déjà, lors de ses voyages en France entrepris entre 1787 et 1790, l’agronome britannique Arthur Young (63) ne manquait pas de relever la qualité et la beauté des routes françaises qu’il comparait à la médiocrité de nos infrastructures portuaires.
Cette donnée reste valable aujourd’hui, comme l’indique le tableau de bord de l’attractivité de la France que publie l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) : « le site France se caractérise par des infrastructures de transport de grande qualité, offrant des connexions rapides et efficaces avec le reste du monde, en particulier l’Europe, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. » (64)
Pour autant, comme l’a souligné M. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR), lors de son audition, « la France, à la différence des Pays-Bas, par exemple, n’a jamais eu de grandes ambitions en termes de transport, alors qu’elle dispose d’un très vaste territoire. Elle n’a pas suivi non plus l’exemple allemand, qui s’appuie, d’une part sur des ports très solides, d’autre part sur un maillage logistique et des transports terrestres performants ». (65).
Des industriels auditionnés ont également fait part de leurs attentes en ce domaine. M. Thierry Le Hénaff, président-directeur général du groupe chimique Arkema a relevé que « les transports constituent un autre point de vigilance : qu’il s’agisse du fret ferroviaire, des ports, des pipelines ou de la route, certaines évolutions suscitent des inquiétudes. » (66)
Bien entendu à l’ère de la globalisation et de l’immédiateté, les infrastructures de transport comprennent également les autoroutes numériques du réseau internet. Comme l’ont souligné de nombreux rapports parlementaires (67), le déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire constitue une opportunité à saisir pour la compétitivité de nos entreprises et plus largement pour le développement de nouveaux services pour l’ensemble de la population. La récente décision du gouvernement de mobiliser 20 Mds€ d’investissements publics et privés sur une période de dix ans va dans ce sens. Ce plan permettra de connecter sur une période de dix ans 100 % des foyers au très haut débit, avec un premier objectif de 50 % et à la fin du quinquennat en 2017.
Pour s’en tenir au transport de marchandises physiques dont l’intensification va de pair avec l’expansion du commerce international, il n’est sans doute pas exagéré de parler de maillon faible au sein de la chaîne de production et de distribution de notre pays. Le constat vaut en premier lieu pour la logistique.
a) La logistique, un élément de compétitivité trop négligé
Avant d’être un objet d’aménagement du territoire, la logistique est une composante essentielle de l’organisation, de la gestion et de la stratégie des entreprises, qui a pour objectif de mettre en place l’ensemble des moyens nécessaires à la réalisation d’un produit ou d’un service et à sa commercialisation, et à la qualité de service, notamment après-vente (68).
C’est une démarche qui a pour objet de gérer les flux physiques et d’information, afin d’assurer la coordination et la synchronisation des rythmes entre les clients, la production et les fournisseurs, pour mettre à disposition au moindre coût, les marchandises demandées, dans la quantité et la qualité définies, tout en minimisant le niveau des stocks.
Selon l’Association française pour la logistique (ASLOG), « elle concerne toutes les opérations déterminant le mouvement des produits telles que la localisation des usines, des entrepôts, l’approvisionnement, la gestion physique des en-cours de fabrication, l’emballage, le stockage, la gestion des stocks, la manutention et la préparation des commandes, le transport et les tournées de livraison. » (69)
Elle dépasse donc très largement les fonctions de transport et d’entreposage, qui sont essentielles, mais sont loin d’être les seules dans le processus logistique. Elle inclut de ce fait la maîtrise des opérations de gestion de l’information, qui sont décisives pour la réalisation d’une logistique efficace. M. Jean-Paul Deneuville, (FNTR), l’a souligné lors de son audition, « une chaîne logistique n’est efficace que si chaque maillon de la chaîne est optimisé : une logistique de transport ne peut se concevoir que du premier au dernier kilomètre » (70).
Mais quel est le poids économique de la logistique ?
M. Philippe Duong, directeur du cabinet spécialisé Samarcande, définit la logistique comme l’intermédiaire entre l’économie et le transport. Il a estimé lors d’une audition à l’Assemblée, que « les coûts de logistiques représentent 10 % du PIB, soit 200 milliards d’euros dans notre pays. Ces coûts constituent donc un enjeu considérable pour la compétitivité de l’économie et ils pourraient d’autant plus facilement être abaissés qu’il s’agit d’une activité non-délocalisable (71)».
Votre Rapporteur souligne l’importance de rechercher une meilleure efficacité logistique pour améliorer la compétitivité des entreprises. À cet égard, une concentration des activités va incontestablement dans le sens d’une massification des flux et donc d’une optimisation des transports.
Dans ce domaine, il semble que les orientations prises par l’Allemagne en matière de fret méritent d’être regardées attentivement. Ainsi, toujours selon M. Philippe Duong, « dans sa politique de fret, l’Allemagne a une vision cohérente : un plan logistique national décliné en volets ferroviaire, fluvial et portuaire extrêmement efficaces. Le rail et les canaux desservent notamment à la perfection les ports de Hambourg et de Brême. Cette articulation de la stratégie industrielle, exportatrice, entre le Bund et les Länder n’existe pas en France. S’il y a un bon exemple à prendre en Allemagne, c’est certainement celui-ci, plus encore que dans la thématique de la compétitivité. C’est un enjeu essentiel pour maintenir à flot notre économie et notre industrie dans les territoires. » (72)
b) Un secteur des transports fragilisé n’est pas sans conséquences sur l’ensemble de l’économie
Les différents modes de transport sont complémentaires et non-concurrents comme on a trop souvent tendance à le penser. Comme le souligne l’ASLOG, « il n’est guère possible d’imaginer que chacun disposera d’un terminal ferré à sa porte. Certes le fluvial est en plein développement mais il est impossible d’envisager de détourner un bras de la Seine vers chacune des liaisons en région parisienne. On ne peut donc pas jouer l’opposition entre les modes de transport. On ne peut jouer que leur complémentarité car le transport routier est le mode de transport leader de par sa flexibilité et son atout à pouvoir livrer les marchandises destinées aux clients finals sur le dernier kilomètre. Toute la question est de savoir comment utiliser au mieux chacun de ses modes. »
Le secteur du transport routier est en effet un acteur économique de première importance. Il représente 87 % du transport de marchandise contre 11 % pour le transport ferroviaire et 2 % pour le transport fluvial. La route reste le moyen le plus flexible, le plus fiable, et le plus réactif en dépit d’un prix au km parcouru de plus en plus onéreux compte tenu de l’augmentation du prix du gazole.
Ainsi que l’a rappelé M. Jean-Paul Deneuville (FNTR), il s’agit effectivement d’un secteur économique de première importance : « le secteur du transport et de l’entreposage compte environ 90 000 entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 190 milliards d’euros et dégageant une valeur ajoutée d’environ 80 milliards d’euros. Le transport routier seul représente 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour une valeur ajoutée de 40 milliards d’euros. La filière « poids lourds » dans son ensemble, c'est-à-dire du constructeur à l’utilisateur, représente 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus d’un million d’emplois en France. (73)» Il s’agit en outre de l’un des tout premiers pourvoyeurs d’emplois « ouvriers » en France, puisqu’il se situe dans les cinq premiers secteurs employeurs.
L’année 2012 a été celle d’un nouveau choc énergétique pour ce secteur, avec une augmentation du prix du gazole de 9 %, après une hausse de 16,5 % du prix de l’énergie en 2011. Le poste carburant représentant 25 % des coûts, cette augmentation aura, aux dires de ses représentants, un impact très significatif sur l’équilibre du secteur.
M. Jean-Paul Deneuville considère, en outre, que les entreprises françaises de transport routier évoluent « dans un contexte de concurrence fiscale et sociale très inégalitaire », qui leur « vaut un lourd déficit de compétitivité, en particulier par rapport à nos voisins immédiats. » Selon lui, « l’heure de conduite coûte 30 % moins cher en Allemagne » (74). D’où ce constat cruel : en un peu moins de vingt ans, le pavillon routier français a chuté de 67 % à l’international et nos véhicules ne représentent plus que 17 % du trafic routier d’importation et d’exportation sur le territoire national.
L’enquête annuelle réalisée par la Banque de France (75), en liaison avec les services de la FNTR, sur la situation du transport routier indique qu’un tiers des entreprises disposent d’une capacité faible à honorer leurs engagements financiers, voire même très faible. C’est dans ce contexte que va prochainement intervenir la mise en place de l’écotaxe sur les poids lourds qui fait l’objet de critiques virulentes de la part des professionnels concernés. Ce dispositif très complexe qui a connu diverses moutures a été entièrement revu, dans un souci de simplification, par le ministre chargé des Transports, M. Frédéric Cuvillier. L’une des interrogations majeures concerne les modalités de répercussion de ladite taxe sur les chargeurs. Celle-ci devrait avoir la forme d’un système simple : une majoration forfaitaire, « de plein droit », incluant les frais de gestion que devront supporter les transporteurs, avec un taux fixé par région et un taux distinct pour les trajets interrégionaux. L’entrée en vigueur de ce dispositif, prévue initialement pour le 20 juillet 2013, a été repoussée au 1er octobre afin que soit évaluée son impact économique concret pour les professionnels comme pour les territoires et que soit assurée la fiabilité technique du système de collecte.
M. Jean-Paul Deneuville a souligné « qu’outre le choc économique pour le secteur, le mode de collecte retenu constitue une difficulté supplémentaire : le système de géolocalisation mis en place utilisera 4 100 péages virtuels répartis sur des sections de tarification de 3,8 kilomètres en moyenne, et générera 3,6 milliards de lignes de facturation par an. » (76)
c) Des grandes infrastructures performantes à l’exception des installations portuaires
La France dispose de 11 000 km d’autoroutes, du réseau TGV le plus étendu d’Europe, de 155 aéroports dont 13 dépassent le million de passagers par an, et d’un hub mondial – Paris-Charles de Gaulle est le deuxième aéroport européen – et enfin, de plusieurs ports historiquement importants mais en déclin (Marseille et Le Havre).
Les infrastructures de transport françaises sont globalement bien placées vis-à-vis de celles de nos principaux concurrents économiques :
Source : Tableau de bord de l’attractivité de la France, édition 2010.
La France qui, par sa géographie (deuxième espace maritime au monde en superficie après les États-Unis) et son histoire, devrait être une grande puissance commerciale maritime est hélas relativement mal placée dans cette activité essentielle. Lors de son audition, M. Jean-Paul Deneuville a relevé qu’« en dépit de l’importance de notre façade maritime, nos portes d’entrée maritime sont moins performantes que les grands ports européens. (77)». Il est symptomatique que le groupe CMA CGM, armateur français basé à Marseille et n° 3 mondial dans le domaine du conteneur, ne réalise que 5 % de son chiffre d'affaires sur le marché français.
Le sénateur Charles Revet (78) a récemment rappelé que si « dans les années 1980 notre pays se situait en quatrième ou cinquième position au niveau de sa flotte de commerce, nous sommes actuellement en trentième position. Aujourd’hui 85 à 90 % du commerce mondial se fait par la mer et l’Europe est l’une des premières destinations au monde. Pourtant, nos ports sont relégués parmi les moins dynamiques d’Europe. Marseille, premier port français et en Méditerranée, voit sa position s’effriter : il pointe à la cinquième place pour le tonnage total et ne figure pas dans les dix premiers ports d’Europe pour les conteneurs. Quant au Havre, premier port français pour le trafic de conteneurs, il n’occupe que la 8e position sur ce segment en Europe. Le tonnage du seul port de Rotterdam dépasse celui de nos sept grands ports maritimes réunis. Et le port d’Anvers, qui traite plus de conteneurs que l’ensemble des ports français, est devenu aux yeux de nombreux acteurs économiques le « premier port français » par le nombre de conteneurs à destination ou en provenance de l’Hexagone… Corsetés par des règles de gouvernance surannées, affaiblis par des mouvements sociaux dégradant leur fiabilité auprès des entreprises clientes, entravés par des infrastructures de transport insuffisantes ou inadaptées pour desservir leurs arrière-pays, les ports français ont connu un déclin constant et dramatique depuis ces vingt dernières années. »
La loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire ne visait que les ports autonomes maritimes de l’Hexagone – Dunkerque, Rouen, le Havre, Nantes/Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux et Marseille –, qu’elle a transformés en grands ports maritimes : ils représentent, à eux sept, près de 80 % du tonnage total des ports français (271 millions de tonnes en 2009 sur un total de 345 millions).
La loi comprenait quatre axes de réforme:
– la réforme de la gouvernance des ports, à travers la création d’un directoire, d’un conseil de surveillance, d’un conseil de développement et d’un éventuel conseil de coordination portuaire pour les ports appartenant à une même façade maritime ;
– l’élaboration de projet stratégique pour chaque port, révisable régulièrement, qui détermine sa « feuille de route » à court, moyen et long termes ;
– la cession de tous les outillages de manutention des ports, sauf exceptions énumérées par la loi ;
– et le transfert des personnels du port qui conduisent ces outillages, tous salariés de droit privé, vers les opérateurs privés de terminaux.
Cette réforme d’ampleur ne s’est pas faite sans crispations et plusieurs mouvements de grève, notamment à Marseille, n’ont sans doute pas amélioré l’image des ports français. Pour autant, les grands ports maritimes répondent désormais aux exigences de performance et de compétitivité qu’impose l’évolution du commerce maritime international. Le développement de la multimodalité et l’amélioration de la desserte de l’arrière-pays sont les enjeux clés rendus possibles par cette réforme. A cet égard, les travaux d’aménagement d’un terminal « trimodal » (fluvial, ferroviaire et routier) dans le grand port maritime du Havre doivent permettre d’accroitre considérablement la compétitivité et l’attractivité de ce port. A moyen terme, l’amélioration de la connexion fluviale du port de Marseille via le Rhône est également nécessaire pour améliorer la desserte de son arrière-pays.
Pour conforter cette tendance, le gouvernement a pris l’initiative d’une stratégie nationale portuaire qui rejoint également les problématiques en matière de transport car les questions sont liées et les solutions doivent être complémentaires. Cette stratégie s'articulera autour de trois axes majeurs : la logistique et l’inter-modalité des transports, le développement industriel, ainsi que l'aménagement des espaces.
d) Le transport des personnes au service du développement économique, l’exemple du « Nouveau Grand Paris »
Le transport des personnes est un sujet crucial, car on ne peut penser compétitivité économique d’un territoire sans que les salariés puissent circuler dans de bonnes conditions entre leur domicile et leur lieu de travail, mais aussi sans que des visiteurs étrangers ou des acheteurs potentiels puissent facilement se rendre par des transports publics de qualité dans les zones à forte activité économique. La compétitivité économique dans notre pays passe aussi par le tourisme ou l’activité des foires et salons qui ont besoin d’un réseau de transports de personnes performant.
Tous les territoires de notre pays, notamment les métropoles régionales, sont confrontées à ces besoins, mais le cas de l’Île-de-France est particulier quand on sait que 8,5 millions de voyageurs empruntent quotidiennement les transports en commun en Île-de-France. Alors qu’elles accueillent sur 10 % du réseau près de 40 % du trafic national, les infrastructures ferroviaires d’Île-de-France ont besoin d’être modernisées et développées pour faire face à l’augmentation importante du trafic (21 % en dix ans). C’est l’un des enjeux majeurs du projet « Grand Paris express» désormais dénommé « Nouveau Grand Paris » et présenté par le Premier ministre le 6 mars 2013, lors d'un déplacement à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée.
C’est tout d’abord un enjeu de qualité de vie en Île-de-France, pour que les conditions d’exploitation du réseau soient plus fiables, plus confortables, et apportent une meilleure qualité de service aux usagers. Le temps de transport quotidien, qui n’a cessé d’augmenter pour atteindre en moyenne 1h20, contre dix minutes il y a 60 ans, doit diminuer pour redevenir raisonnable.
Votre rapporteur souligne que les conditions de transport et de logement des Franciliens, car les deux questions sont intimement liées, ont un impact direct sur la compétitivité des entreprises. Les Franciliens bénéficient d’un haut niveau de qualité de vie, mais qui tend à se dégrader. Cela se traduit notamment par un solde migratoire négatif de l’Île-de-France par rapport au reste du pays pour la population active. Or cette détérioration de la qualité de vie est due principalement à deux facteurs, à savoir une offre insuffisante et inadaptée de logements ainsi qu’une saturation liée à un sous-investissement pendant trop d’années et un aménagement déficient éloignant pour beaucoup les lieux de travail des domiciles. Par son inadaptation à la montée des besoins et son organisation uniquement radiale, il demande à être profondément modernisé.
Le nouveau réseau de transport en rocade et l’amélioration des réseaux existants qui entendent répondre à ces préoccupations ont dû être redimensionnés pour mieux correspondre à l’enveloppe financière prévue sans remettre en cause son ambition, notamment, en adaptant la capacité de certains tronçons aux besoins de mobilité et à la réalité des trafics.
Dans un contexte de croissance rapide des flux touristiques (à horizon 2020, jusqu’à 10 millions de touristes supplémentaires pourraient visiter l’Île-de-France chaque année, soit un total atteignant environ 40 millions de visiteurs/an) et de concurrence accrue entre les destinations au niveau mondial, la réponse apportée par le « Nouveau Grand Paris » aux besoins des touristes, notamment en matière de mobilité, constitue également un enjeu clé à la fois en termes économiques et en termes d’image et d’attractivité.
Autre grand enjeu économique incontournable, le secteur des foires, salons et congrès dont les retombées économiques en Île-de-France sont estimées en 2011 à 5,6 milliards d’euros. Paris Île-de-France est la première place mondiale de surface d’exposition avec plus de 680 000 m² d’espaces couverts. Cependant, si la région Île-de-France bénéficie de nombreux atouts, la compétition internationale se renforce. Pour les évènements professionnels (salons, congrès, conventions), la concurrence fait valoir ses atouts. Londres, Barcelone, Milan et plus à l’est, Vienne, Prague et Budapest sont des concurrents redoutables.
Enfin, le développement du tourisme professionnel et d’agrément représente une opportunité à saisir, d’autant qu’un réel potentiel de progression existe : le nombre de voyageurs devrait doubler au cours de la décennie à venir au niveau mondial. On estime que le tourisme représente 10% du PIB francilien et que 10 000 nouveaux emplois non délocalisables sont créés chaque année en moyenne.
Une liaison directe pour relier l’aéroport Charles de Gaulle est envisagée depuis de nombreuses années pour renforcer et dynamiser les différentes activités qui viennent d’être évoquées. Comme l’a souligné le Premier ministre, « l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ne peut se satisfaire des liaisons qui le relient au centre de Paris, même en tenant compte de la réalisation de la branche du réseau du Grand Paris Express qui desservira Roissy. La plupart des grands aéroports (Heathrow, Oslo, Stockholm, Hongkong, ou encore Tokyo) disposent d’une liaison directe et dédiée avec le centre de la capitale, véritable porte d’entrée vers celle-ci. Il s’agit d’un élément indispensable à l’amélioration de l’attractivité de la Région et du pays. ». C’est pourquoi le Gouvernement décidera, avant l’été, du lancement d’une nouvelle procédure de consultation présentant de nouveaux montages pour ce projet, « en y impliquant RFF mais aussi, et surtout, Aéroports de Paris qui sera le premier bénéficiaire de cette “porte d'entrée de l'aéroport dans la capitale. » Tout financement public de cette liaison est néanmoins écarté.
En ce qui concerne les retombées économiques attendues da la mise en œuvre de ce grand projet structurant, les économistes de la Société du Grand Paris ont élaboré leur propre appareil statistique interne, en s'appuyant sur les travaux d'Émile Quinet(79), mais aussi sur une instruction administrative portant sur « les méthodes d'évaluation des grands projets d'infrastructure de transport » et sur l'exemple du « Crossrail » pour le Grand Londres.
Ces travaux classent les avantages économiques selon trois scénarios(80). Le moins favorable escompte 39,2 milliards d'euros de bénéfices à terme pour l'économie nationale, et le plus avantageux, 102,9 milliards. Le scénario médian évalue à 73,5 milliards d'euros ces avantages. Plus du tiers des gains économiques escomptés proviendrait de gains de temps pour les usagers. En outre, le fait d'avoir des lignes plus automatisées, donc plus régulières, avec plus de place par passager suscite un confort estimé à près de 5 milliards. S'ajoutent enfin des effets positifs sur l'environnement, évalués à 10,6 milliards: non seulement la pollution automobile est réduite, mais une population plus dense consomme traditionnellement moins d'énergie qu'une population plus dispersée. À ces effets «classiques» s'ajoute ce que les experts appellent des «externalités d'agglomération»: les entreprises et les salariés se trouvant dans une zone dense ont tendance à être plus productifs que ceux qui se situent dans une zone moins dense.
3. Les coûts d’accès au financement pèsent sur les coûts de production
a) Un marché du crédit bancaire et de la dette obligataire sous contrainte
Au cours de son audition (81) par la mission d’information, M. Gilbert Cette, Professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II a souligné que « dans l’ensemble, les entreprises n’ont pas de problème d’accès au crédit en France. […] Même pendant la crise de 2008-2009, il n’y a pas eu de rationnement du crédit accordé aux PME. Il en a été de même pour les grandes entreprises […] ».
Pour M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France (82), le crédit aux grandes entreprises « est en recul, de 5.6 % à peu près en France », sans toutefois les pénaliser en raison d’un accès aux marchés financiers orientés vers une reprise, tandis que « le crédit aux PME [est en hausse] de 2,5 % [sur l’année] ».
Ce constat doit être cependant nuancé. S’il n’y a pas eu de rationnement, les entreprises françaises n’en connaissent pas moins des difficultés certaines d’accès au crédit bancaire, en particulier les PME. Si l’on prend en compte des statistiques depuis 2006, afin de mesurer l’impact de la crise, les flux de crédits nouveaux qui leur sont accordés ont connu une baisse marquée depuis la crise financière.
Ils sont en effet passés, selon les statistiques de la banque de France, de près de 30 milliards d’euros avant la crise de 2008 à moins de 24 milliards en 2011, ce qui témoigne d’une situation d’assèchement du crédit – notamment en crédit de trésorerie.
Les difficultés d’accès au crédit des PME sont d’autant plus pénalisantes qu’en raison d’un taux d’autofinancement au plus bas et d’un accès limité aux marchés financiers, elles sont très dépendantes du crédit bancaire. Elles sont, de ce fait, particulièrement vulnérables à la persistance de conditions de crédit resserrées et à une remontée des primes de risques.
FLUX DE CRÉDITS NOUVEAUX AUX PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES
(en milliards d’euros)
Source : Banque de France.
Cette baisse des flux de crédits nouveaux aux PME s’est accompagnée d’une hausse des taux d’intérêt relatifs proposés aux PME indépendantes par rapport à ceux offerts aux grands groupes, mais également par un durcissement global des conditions d’octroi des crédits (volumes proposés, taux d’intérêt, garanties demandées).
CONDITIONS D’OCTROI DE CRÉDIT AUX PME (83)
(en %)
Source : Banque de France.
Le secteur industriel apparaît particulièrement pénalisé. Les encours de crédit à l’industrie manufacturière ont baissé de plus de 10 % entre 2008 et 2011.
Lors de son audition (84) par la mission, M. Pierre Gattaz, Président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles GFI), a souligné ces difficultés : « Le crédit est devenu plus rare et plus difficile à obtenir depuis la crise des subprimes. Un contrat qui, avant 2007, tenait en une dizaine de pages en comporte aujourd’hui une centaine, tellement les garanties exigées sont lourdes et complexes. Ce sont les PME industrielles qui ressentent le plus ce durcissement ».
Le risque d’un retournement conjoncturel a été souligné, de manière générale pour l’ensemble des sociétés non financières (85), par M. Gilbert Cette (86), compte tenu du degré de dépendance au financement bancaire des entreprises françaises : « Il faut noter également que l’écart de taux d’endettement entre la France et l’Allemagne était de 25 points de valeur ajoutée au début de la décennie 2000, et qu’il est désormais de plus de 50 points : alors que les sociétés non financières allemandes se désendettent, les sociétés non financières françaises s’endettent de plus en plus. Cela signifie que ces dernières, partant d’une situation patrimoniale particulièrement dégradée par rapport aux sociétés allemandes, souffriront bien davantage de l’augmentation des taux d’intérêt qui ne manquera pas d’arriver ».
La situation est d’autant plus préoccupante que les difficultés d’accès des PME aux financements bancaires risquent d’être amplifiées par l’application anticipée des nouvelles normes prudentielles dites « Bâle III » (87), destinées à renforcer le système financier à la suite de la crise financière de 2007, ainsi que par le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui devrait se traduire par une augmentation temporaire du coût des crédits.
Les accords de Bâle III vont en particulier introduire de nouvelles contraintes en termes de liquidité (88) et d’effet de levier (ratio minimal exigé entre fonds propres et expositions de bilan et hors bilan). D’ores et déjà, les accords de Bâle II et III ont contraint les banques françaises à doubler, voire tripler, leurs fonds propres pour 2013 (89). Il y a donc lieu de craindre que les coûts de financement bancaire n’augmentent sous l’effet des nouveaux ratios de fonds propres.
Les banques françaises sont particulièrement concernées par les nouveaux ratios de liquidités. Lors de son audition (90), M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, a rappelé que « Si ce ratio [de liquidité] devait être imposé dans sa définition actuelle, l’ensemble des banques françaises seraient amenées à réduire de quelque 25 % les crédits inscrits à leur bilan. Les Banques populaires, avec lesquelles travaillent 70 % des entreprises françaises, auraient ainsi à ramener leur ratio crédits sur dépôts de 150 % à 100 % environ. […]».
Alors que l’entrée en vigueur de Bâle III est prévue pour 2019 et que les États-Unis ont reporté sine die leur application pour les établissements de crédit situés sur leur territoire, les nouvelles exigences en termes de fonds propres sont déjà anticipées par les banques européennes et ont ainsi valeur de normes.
Il y a donc un risque de voir le secteur bancaire réduire le montant de leurs actifs pondérés des risques. Le crédit aux PME étant le plus risqué et donc le plus consommateur en fonds propres pour les banques, il sera le premier visé par ces restrictions. Il y a donc lieu de craindre une restriction plus marquée encore du crédit dans un proche avenir.
Or, du fait de leur taille modeste et de contraintes juridiques disproportionnées, les PME françaises n’ont quasiment pas accès au marché obligataire, qui est pourtant une source de financement à long terme importante pour les grandes entreprises.
Comme l’a indiqué M. Antoine Colboc, coprésident de la Commission « Création & Financement » de CroissancePlus et senior advisor chez Omnes Capital, lors de son audition par la mission (91), « les obligations constituent un autre vecteur de financement des entreprises, mais il est peu développé en France contrairement à l’Allemagne ; le Gouvernement doit l’encourager, l’un des enjeux résidant dans la possibilité de noter le risque pour les petites entreprises ».
b) Des difficultés d’accès aux fonds propres
Bien avant la crise, l’accès aux fonds propres était problématique en France, notamment pour les PME et les TPE innovantes. Cette situation s’explique par le fait que le financement par la dette a été privilégié par rapport à celui sur fonds propres - évitant ainsi des prises de contrôle -, et car l’épargne des ménages est insuffisamment dirigée vers les entreprises françaises(92). Comme l’a souligné M. Olivier Duha, président de CroissancePlus, au cours de son audition (93) par la mission, « les particuliers n’ont aucun intérêt à acquérir des actions de société puisque cet investissement est le plus risqué et le plus taxé ».
De ce fait, la France souffre d’une difficulté structurelle à faire croître ses PME. La croissance d’une PME aboutit trop souvent à sa cession ou à sa perte d’autonomie par absorption au sein d’un grand groupe.
Les entreprises innovantes sont particulièrement confrontées à des difficultés structurelles de financement. L’investissement y est particulièrement risqué, voire implique d’assumer des pertes pendant plusieurs années avant de percevoir des revenus. De ce fait, les entreprises innovantes ont des difficultés à lever des fonds - notamment lors des phases d’amorçage (« la vallée de la mort ») et des premiers développements. Une des explications réside dans un phénomène d’aversion au risque des investisseurs, qui se tournent vers des placements plus sûrs que le capital-risque ou le capital-développement.
Les États généraux de l’industrie ont ainsi évalué le déficit d’apport aux PME à 100 milliards d’euros (94).
Ces difficultés d’apports en fonds propres se sont renforcées avec la crise. Comme le souligne le rapport Gallois, les levées de fonds de capital-risque ont quasiment été divisées par deux depuis le début de la crise financière, passant de 13 milliards d’euros en 2008 à 6,5 milliards en 2011.
Or, comme l’indiquait déjà en 2006 le rapport du conseil d’analyse économique relatif à « une stratégie PME pour la France », les difficultés de financement rencontrées par les PME doivent être impérativement résolues, leur développement conditionnant le redémarrage de la croissance économique et le retour des créations d’emploi.
c) Des problèmes de trésorerie préoccupants
Le crédit commercial interentreprises reste la principale source de financement des entreprises en France. Son volume est cinq fois plus important que le crédit bancaire de trésorerie des entreprises. La loi LME de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a permis une réelle amélioration des pratiques, en réduisant le délai de paiement à 60 jours à compter de la date d’émission de la facture.
Les travaux de la mission ont permis de constater que ce délai n’était pas respecté, si bien que le délai moyen de paiement est en réalité de 72 jours. Ces retards occasionneraient une perte estimée à 13 milliards d’euros par an, selon le rapport annuel 2012 de l’Observatoire des délais de paiement.
M. Olivier Duha, président de CroissancePlus, a ainsi fait valoir, lors de son audition (95) par la mission que « dans la chaîne de financement, le temps que prennent les grandes entreprises pour payer leurs sous-traitants et leurs fournisseurs est trop long. La loi fixe à soixante jours le délai de paiement. Or seul un tiers des sociétés respectent ce plafond, ce qui contribue à porter le délai moyen à soixante-douze jours. La loi le fixe à trente jours en Allemagne et deux tiers des entreprises ne dépassent pas ce seuil, si bien que le paiement intervient en moyenne au bout de trente-huit jours. En France, un jour de retard dans l’acquittement de la facture représente un manque global de 1 milliard d’euros dans les trésoreries des TPE et des PME, alors même que ce crédit interentreprises est leur première source de financement – il représente plus du double des encours bancaires mobilisés en leur faveur. Une étude conduite par la Commission européenne a montré qu’un quart des défaillances d’entreprises dans l’Union européenne était lié au non-respect des délais de paiement. Lorsqu’un simple contribuable s’acquitte de ses impôts en retard, il subit des pénalités. Lorsqu’il s’agit d’un grand groupe, rien ne se passe. L’État doit se doter d’un organe de contrôle et de sanction pour faire respecter la loi, car les entreprises n’ont pas les moyens de contraindre les mauvais payeurs à honorer leurs dettes ».
Le non-respect des délais de paiement suscite des difficultés d’autant plus grandes que les crédits bancaires de trésorerie aux TPE, PME et ETI sont en baisse de 3,5 % par rapport à l’année dernière, comme l’a indiqué le ministre de l’Économie et des finances Pierre Moscovici(96). En effet, le secteur bancaire tend à restreindre ses financements de court terme, par exemple en réduisant les autorisations de découvert, afin de réduire leurs engagements dans des délais rapides.
Afin de résoudre ces difficultés, le Gouvernement s’est engagé, dans le cadre du projet de loi sur la consommation présenté au 1er trimestre 2013, à ce que les retards dans les délais de paiement puissent être directement sanctionnés par l’administration. Le rapport annuel 2012 de l’Observatoire des délais de paiement préconise ainsi d’améliorer l’efficacité du dispositif de sanctions, afin de mettre un terme aux pratiques illicites ou abusives, en remplaçant les sanctions civiles et pénales par des sanctions administratives, et d’accroître les contrôles ciblés de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF). Votre rapporteur juge cette démarche indispensable puisqu’il est extrêmement délicat pour un fournisseur de poursuivre en justice un donneur d’ordre.
Ne pourrait-on pas, toutefois, aller en au-delà de cette mesure, en réduisant les délais légaux de paiement à 40 jours comme cela est pratiqué en Allemagne, et en renforçant les sanctions financières en vigueur ? Afin de veiller au principe de stabilité juridique, cette mesure pourrait être appliquée à raison d’un jour par an, afin de ne pas déstabiliser les trésoreries des entreprises concernées.
M. Pierre Moscovici a récemment (97) précisé ses intentions et des pistes nouvelles de réflexions : « L’État va progressivement étendre ses centres de traitement et de paiement unique des factures pour permettre le respect d’un délai global de vingt jours d’ici à 2017 et mes services accompagneront les collectivités locales pour les aider à réduire elles aussi leurs délais. ». Il propose également de promouvoir la médiation interentreprises et même d’aller plus loin afin « d’engager notre pays vers une dématérialisation totale de ses factures. » Cette perspective audacieuse donnerait à notre pays, si elle était atteinte, une avance importante en termes de compétitivité.
4. Les coûts immobilier et foncier pèsent sur la compétitivité des entreprises
Certaines analyses pourraient laisser entendre que les prix du foncier ne pèsent pas sur la compétitivité des entreprises françaises.
Ainsi, une étude (98) récente du cabinet de conseils KPMG indique que la France est le pays d’Europe où les coûts d’implantation sont les plus faibles. L’acquisition du foncier figure parmi les points forts de la France en matière de coûts d’implantation.
Las, ce constat optimiste ne résiste pas à une analyse plus poussée, comme le souligne le rapport économique, social et financier pour 2012-2013(99). L’inflation immobilière observée depuis 15 ans pèse indéniablement sur la compétitivité industrielle de la France, par le biais de différents canaux.
La France subit, en effet, une flambée des prix de son immobilier tout à fait hors norme.
Comme l’a indiqué M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, lors de son audition (100) par la mission, les prix de l’immobilier « n’ont pas bougé depuis quinze ans en Allemagne, et ils ont été multipliés par 2,5 en France, c’est-à-dire presque autant qu’en Espagne et dans les pays qui ont connu les bulles immobilières les plus importantes ».
Paris est devenue, en termes de loyers de bureaux, la troisième ville la plus chère d’Europe, après Londres et Genève, et la cinquième ville la plus chère au monde. Le prix du mètre carré de bureau à Paris « se situe autour de 830 euros par an dans les quartiers les plus en vue (101) », contre 430 euros à Francfort (classée sixième) et 390 euros à Munich (classée neuvième).
En conséquence, le coût du foncier représente une charge directe et incontournable pour les entreprises, qui pénalise leur compétitivité. La hausse du prix de l’immobilier pèse en effet sur les coûts directs des entreprises, au travers de leurs loyers et de leurs investissements immobiliers.
De plus, les Français consacrent une partie croissante de leurs revenus pour se loger. En vingt ans, le poste logement des Français représente désormais 25 % à 28 % du budget des ménages contre 12 % à 15 % en Allemagne. Les difficultés de logement en centre-ville les poussent de plus en plus à la périphérie, entraînant coûts de transport et perte de temps.
Des phénomènes sociologiques expliquent le caractère plus fragile des unions et conduisent à la fois à une diminution de la taille moyenne des ménages et à une augmentation du nombre de ménages français. La dispersion des familles a accru les besoins en volume. Des conditions de crédits favorables ont alimenté l’augmentation de la demande en matière immobilière. Les politiques de soutien à la demande de biens immobiliers (comme les déductions fiscales des taux d’intérêt) ont contribué à alimenter les tensions. Dans le même temps, l’offre est demeurée rigide. Le manque de terrains pèse sur les constructions nouvelles. Il manquerait actuellement 800 000 logements en France.
La flambée des prix immobiliers a également un impact direct au niveau salarial : les entreprises sont contraintes d’en tenir compte dans la détermination de leurs masses salariales. Il en résulte pour les entreprises des tensions à la hausse sur leurs masses salariales, ainsi que des freins pour la mobilité et le recrutement des salariés.
Selon le rapport économique, social et financier pour 2012-2013 précité, annexé au projet de loi de finances pour 2013, des études ont montré pour la zone euro une corrélation positive entre 2000 et 2010 entre l’évolution du prix de l’immobilier et celle des coûts salariaux unitaires. La hausse des prix immobiliers en France contribue à « renchérir le coût du travail ».
À l’inverse, la faiblesse relative des prix de l’immobilier en Allemagne explique en grande partie l’acceptation, au sein de la population allemande, de la politique de modération salariale.
M. Guillaume Duval a rappelé que « selon Eurostat, le poste « logement » dans la consommation des ménages était, en 1999, en Allemagne de 18 % supérieur à la moyenne européenne, et en 2011, il était devenu inférieur de 1 %. En France, il est resté stable, à environ 10 % au-dessus de la moyenne européenne. De tels chiffres expliquent pourquoi la modération salariale a été bien acceptée [en Allemagne] ! »
Comme le souligne le rapport économique, social et financier pour 2012-2013 précité, la flambée des prix de l’immobilier et du foncier a enfin un impact sur l’ensemble de l’économie, en orientant l’épargne vers les crédits immobiliers plutôt que vers le financement des entreprises.
Selon ce rapport, « on observe entre 1993 et 2012 que la part des crédits aux entreprises dans les crédits au secteur privé (entreprises et ménages) a diminué de 13 points (de PIB) au profit des crédits à l’habitat ».
Ce sont donc bien les investissements productifs – et donc la préparation de notre avenir – qui in fine « paient le prix » de la flambée des prix de l’immobilier et du foncier. L’inflation immobilière est ainsi devenue un frein à la compétitivité de l’économie française.
La situation est suffisamment grave pour que le Gouvernement, par le biais du rapport précité, considère que « la lutte contre l’inflation immobilière dans les zones tendues est une priorité de [sa] politique économique et sociale ».
La mission ne peut que souscrire à cet impératif : il est urgent, pour les entreprises comme leurs salariés de faire évoluer cette situation extrêmement défavorable à la compétitivité de l'ensemble de notre pays.
Comme l’a souligné M. Guillaume Duval, cette politique ne sera pas « indolore non plus, puisque cela reviendrait à appauvrir les ménages : le Crédit suisse a ainsi calculé que la France possède le quatrième patrimoine mondial, et que ce patrimoine est immobilier aux trois quarts. C’est un vieux problème français : on privilégie, historiquement, la rente foncière par rapport au capital productif ; et psychologiquement, c’est une question très sensible. Mais ce serait sans doute le levier interne le plus efficace pour rediriger l’épargne vers la production et relancer l’industrie ».
M. Louis Gallois a récemment convenu (102) avoir un regret concernant son rapport qui est de n’avoir pas pensé à citer le logement : « c’est une différence décisive pour la compétitivité des deux pays (la France et l’Allemagne) et c’est une pression très forte sur les salaires des Français. »
Les travaux de la mission aboutissent à la conclusion que des mesures urgentes doivent être prises en faveur de la mobilisation du foncier, tant public que privé, et du soutien à la construction de logements neufs pour desserrer les contraintes pesant sur l’offre immobilière.
C.— LA DÉGRADATION DE LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES
1. La baisse inquiétante des taux de marge des entreprises françaises
Les travaux de la mission débouchent sur un constat inquiétant : la situation financière des entreprises françaises ne cesse de se dégrader, comme en témoigne la baisse de leur taux de marge.
Définition du taux de marge des sociétés non financières
La valeur ajoutée mesure la richesse crée par l’entreprise au cours d’une période donnée.
Valeur ajoutée (VA) = Excèdent brut d’exploitation (EBE)
+ Rémunérations des salariés (S)
+ Impôts sur la production (I) – subventions d’exploitation
L’EBE est une des mesures du profit dégagé par l’entreprise. Il mesure le solde dégagé par l’activité courante de l’entreprise avant prise en compte de sa politique d’investissement et de sa gestion financière. L’EBE permet de rémunérer les actionnaires (via des dividendes), de servir les frais financiers dûs aux prêteurs (charges financières), le solde étant mis en réserve et pouvant servir à la politique d’investissement de la société.
Excèdent brut d’exploitation (EBE) = dividendes
+ charges financières
+ épargne brute
Le taux de marge des sociétés non financières est défini comme l'excédent brut d'exploitation divisé par la valeur ajoutée brute. Cet indicateur de profitabilité indique la part de la valeur ajoutée créée au cours du processus de production qui sert à la rémunération du capital.
Taux de marge = EBE / VA
Lors de son audition (103) par la mission M. Gilbert Cette, Professeur associé de sciences économiques à l’Université d’Aix-Marseille II, en a conclu que : « Le diagnostic qui doit être posé à partir de l’indicateur du taux de marge est que la situation des sociétés non financières est mauvaise en France. Il faut remonter jusqu’en 1985 pour retrouver ce niveau de taux de marge. La situation est d’autant plus dramatique que toutes les prévisions dont nous disposons indiquent que ce taux continuera de baisser en 2012 et 2013, année où l’on devrait revenir à des niveaux de taux de marge qu’on n’avait pas connus depuis 1983 ».
En 2011, le taux de marge des sociétés non financières (104) est, en effet, tombé à 28,61 %, son plus bas niveau depuis 1985. Cette baisse est d’autant plus préoccupante que le taux de marge s’élève, en 2011, à 41,25 % en Allemagne et à 38,61 % dans la zone euro.
Cette dégradation touche tout particulièrement les PME, les groupes du CAC 40 dégageant des profits sur les marchés étrangers. Lors de son audition (105) devant la mission, M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), a ainsi précisé que 2012 marquait « la troisième année consécutive de perte de marge pour les PMI et les ETI ».
M. Christian Saint-Étienne, Professeur titulaire de la Chaire « Jean-Baptiste Say » d’économie industrielle au CNAM, a souligné au cours de son audition (106) par la mission que « hors CAC 40, la France est aujourd’hui celui des grands pays industriels qui a le secteur productif le moins rentable : si l’on applique le taux de marge de l’Allemagne tel qu’il est mesuré par Eurostat, à la valeur ajoutée française, il manque 105 milliards d’euros d’excédent brut d’exploitation dans nos comptes, soit un tiers en moins. [….] Notre taux de marge, hors CAC 40, est inférieur d’un tiers non seulement à celui de l’Allemagne, mais aussi de l’Italie, du Royaume Uni, des États-Unis, du Canada, et bientôt de l’Espagne ».
Comme le souligne le rapport Gallois, cette baisse s’inscrit dans un mouvement de moyen terme. Les marges ont ainsi baissé en France, pour les industries manufacturières, de 9 points sur la période 2000-2011, alors qu’elles progressaient de 7 points en Allemagne sur la même période.
Il y a donc là une spécificité purement française.
Part des profits dans la valeur ajoutée des sociétés non financières
(en %)
Source : Eurostat.
2. Un niveau d’autofinancement largement insuffisant
La dégradation des taux de marge des sociétés non financière a pour conséquence de réduire leur taux d’autofinancement. Comme l’indique le rapport Gallois, celui-ci est passé de 85 % en 2000 à 64 % en 2012 pour les industries manufacturières – situation inédite depuis 30 ans –, contre près de 100 % en 2012 dans la zone euro.
La conséquence en est que pour conserver son taux d’investissement, l’entreprise doit s’endetter, ce qui peut réduire encore ses marges, ou ouvrir son capital, ce qui peut aliéner son indépendance et la conduire, sous la pression d’investisseurs soucieux de rentabilité, à une stratégie de court terme.
M. Christian Poyau, ancien président de CroissancePlus et cofondateur de Micropole, a indiqué, lors de son audition (107) par la mission que « les PME allemandes ont principalement recours à l’autofinancement ; elles peuvent se le permettre, car leur taux de rentabilité s’établit à 15 % contre 5 % en France ».
Le faible niveau d’autofinancement des entreprises françaises les expose inéluctablement à une montée brutale de leurs charges financières – le faible coût du crédit n’est pas durable – et les pénalise en termes d’investissement et d’innovation.
Il convient donc de mener une politique vigoureuse de redressement des taux de marge des entreprises. Les marges dépendant des coûts – plus ou moins flexibles – et des prix, il est impératif que le tissu productif français monte en gamme rapidement pour être en mesure d’augmenter ses prix ou tout au moins d’échapper à la concurrence internationale sur ce poste.
Quelle interprétation donnée à la baisse de rentabilité des sociétés françaises ? Sur ce sujet, comme sur celui du coût salarial unitaire ou du rôle de la durée hebdomadaire de travail, les avis des économistes sont partagés.
Le rapport Gallois met en cause la concurrence de l’industrie allemande et celle des pays émergents et des pays de l’Europe du Sud et de l’Est. Les entreprises françaises seraient prises en étau entre « cette double et grandissante concurrence ». Contraintes de conserver des prix compétitifs, les industries françaises auraient été conduites à rogner leurs marges.
Lors de son audition (108) devant la mission, M. Jean-Luc Gaffard, Directeur du département de recherche sur l’Innovation et la Concurrence de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a également souligné l’impact du coût du travail dans la dégradation des taux de marge des entreprises françaises : « la thèse, aujourd’hui privilégiée, est que la hausse relative du coût du travail a contraint les entreprises à réduire leurs marges pour se maintenir sur les marchés au détriment des dépenses de R & D ».
La thèse selon laquelle les coûts unitaires du travail seraient à l’origine de la baisse des taux de marge des entreprises ne fait toutefois pas l’unanimité parmi les économistes.
Dans un article (109) du 8 janvier 2013, M. Liêm Hoang-Ngoc, maître de conférences à l’université de Paris I et député au Parlement européen, met en cause la dégradation de la demande et le cycle de productivité comme facteurs de baisse de la profitabilité des entreprises françaises : « la baisse du taux de marge est avant tout est liée à une dégradation de la demande. La conjoncture, devenue morose à partir de 2008, a en effet amenuisé les carnets de commandes des entreprises, qui ont donc réduit leurs ventes. Leur production fut donc moins forte, sans que les entreprises n’ajustent immédiatement l’emploi à la baisse. La productivité a donc mécaniquement baissé. Le coût unitaire de la main-d’œuvre a donc augmenté et, symétriquement, le taux de marge a diminué. Inversement, lorsque la reprise interviendra, la productivité et le taux de marge se redresseront. Il s’agit du cycle de productivité qu’observent les conjoncturistes ».
Lors de son audition (110) devant la mission, M. Jean-Luc Gaffard (OFCE) a également souligné ce rôle moteur de la demande dans la formation : « Les entreprises cherchent naturellement à être compétitives en baissant leurs coûts et leurs prix pour accroître leurs parts de marché. Au niveau global, les choses sont différentes. Les mesures en faveur de la compétitivité des entreprises qui pèseraient sur le pouvoir d’achat pourraient être de peu d’effet sur leurs performances en raison d’une baisse induite de la demande des ménages. Le Nobel d’économie Paul Krugman le dit depuis longtemps, la compétitivité d’une nation n’est pas celle d’une entreprise ».
La baisse des taux de marge a un impact en termes d’investissement productif et de recherche et développement (R&D), lesquels conditionnent la croissance potentielle de la France.
D.— L’IMPACT DE LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES SUR L’INVESTISSEMENT ET LA RECHERCHE
1. La France accuse un retard en termes d’investissement, d'automatisation et de robotisation
a) Un niveau d’investissement globalement comparable à celui des autres grands pays européens
Globalement, le taux d’investissement en France est comparable à celui des grands pays industrialisés. Selon l’OCDE, il s’élève, en France, à 18,9 % du PIB en moyenne sur la période 1970-2009, contre 19,0 % en Allemagne, 16,4 % au Royaume-Uni et 20,2 % en Italie.
Taux d'investissement par pays
(investissements/PIB)
(En valeur, en %)
1970-1979 |
1980-1989 |
1990-1999 |
2000-2009 |
1970-2009 | |
Ÿ France |
21,5 |
18,8 |
17,3 |
18,2 |
18,9 |
Ÿ Allemagne |
20,7 |
18,6 |
19,8 |
16,9 |
19,0 |
Ÿ États-Unis |
17,9 |
18,3 |
16,6 |
17,3 |
17,5 |
Ÿ Royaume-Uni |
18,1 |
16,8 |
15,7 |
15,2 |
16,4 |
Ÿ Canada |
20,7 |
19,7 |
17,4 |
19,0 |
19,2 |
Ÿ Japon |
30,3 |
26,6 |
26,1 |
21,1 |
26,0 |
Ÿ Italie |
23,3 |
20,9 |
18,0 |
18,6 |
20,2 |
Source : Perspectives économiques de l’OCDE, juin 2010, Comptes nationaux.
En 2011, selon Eurostat, le taux d’investissement en France (20,09 % du PIB) est supérieur à la moyenne des 27 pays de l’Union européenne (18,9 %), à celui de l’Allemagne (18,12 %), de l’Italie (19,56 %) et du Royaume-Uni (14,17 %).
Taux d’Investissement par États membres
(en % du PIB)
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 | |
Investissement total | ||||||||||||
Ÿ UE (27 pays) |
21,13 |
20,74 |
20,20 |
19,89 |
19,97 |
20,39 |
21,25 |
21,59 |
21,43 |
19,27 |
18,82 |
18,90 |
Ÿ France |
18,89 |
18,88 |
18,22 |
18,30 |
18,68 |
19,34 |
20,04 |
20,91 |
21,31 |
19,49 |
19,45 |
20,09 |
Ÿ Allemagne |
21,47 |
20,06 |
18,38 |
17,79 |
17,39 |
17,28 |
18,06 |
18,44 |
18,58 |
17,21 |
17,44 |
18,12 |
Ÿ Espagne |
25,85 |
26,01 |
26,29 |
27,20 |
28,06 |
29,41 |
30,57 |
30,69 |
28,69 |
23,61 |
22,26 |
21,06 |
Ÿ Italie |
20,49 |
20,52 |
21,09 |
20,51 |
20,64 |
20,94 |
21,37 |
21,46 |
20,99 |
19,39 |
19,61 |
19,56 |
Ÿ Royaume-Uni |
17,13 |
16,84 |
16,90 |
16,44 |
16,70 |
16,61 |
17,03 |
17,71 |
16,80 |
14,89 |
14,91 |
14,17 |
Source : Eurostat.
En recul depuis 2008, le taux d’investissement des sociétés non financières en France (20,14 %) s’inscrit également dans la moyenne communautaire (20,1 %) et est supérieur à celui de l’Allemagne (17,89 %).
Toutefois, ce taux stagne depuis 10 ans, ce qui ne permet d’envisager ni montée en gamme de l’industrie française, ni reconquête industrielle.
Taux d’investissement des sociétés non financières
(en %)
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 | |
Ÿ UE (27 pays) |
22,99 |
22,31 |
21,43 |
20,77 |
20,63 |
21,64 |
22,19 |
22,63 |
22,83 |
20,08 |
19,72 |
20,10 |
Ÿ France |
18,92 |
19,01 |
17,97 |
17,48 |
17,66 |
18,09 |
18,67 |
19,72 |
20,22 |
18,25 |
19,23 |
20,14 |
Ÿ Allemagne |
21,26 |
19,96 |
18,07 |
17,69 |
17,49 |
17,67 |
18,54 |
19,03 |
19,31 |
17,19 |
17,24 |
17,89 |
Ÿ Espagne |
30,40 |
29,85 |
29,57 |
30,24 |
31,45 |
33,61 |
35,07 |
35,80 |
32,03 |
24,47 |
24,23 |
24,06 |
Ÿ Italie |
22,59 |
22,61 |
23,42 |
22,66 |
22,63 |
23,02 |
23,75 |
23,65 |
23,09 |
20,73 |
22,05 |
22,20 |
Ÿ Royaume-Uni |
19,67 |
18,38 |
17,45 |
16,09 |
15,13 |
17,75 |
16,05 |
17,09 |
17,55 |
16,15 |
15,31 |
14,64 |
Source : Eurostat.
b) L’investissement productif reste toutefois mal orienté
Cet effort d’investissement, globalement satisfaisant, cache en réalité des difficultés profondes quant à l’orientation de l’investissement productif.
Comme l’ont souligné le Conseil d’analyse économique dans son rapport de 2011 intitulé « Crise et croissance : une stratégie pour la France » (111) et les études de l’Insee sur les investissements dans l’industrie, l’investissement des entreprises françaises souffre de quatre faiblesses :
● les entreprises de petite taille font l’objet d’un déficit d’investissement assez prononcé, notamment au regard de l’Allemagne, ce qui handicape leur croissance et leur spécialisation ;
taux d’investissement des entreprises
selon leur taille
(Moyenne 2000-2007 – En %)
Taille des entreprises |
France |
Allemagne |
Italie |
Petites entreprises : |
12,1 |
16,0 |
18,2 |
Entreprises moyennes : |
16,0 |
18,6 |
12,8 |
Grandes entreprises : |
19,3 |
21,5 |
16,0 |
Source : Commission Européenne – Données BACH
Les données sous-jacentes à ce tableau sont directement issues de la comptabilité d’entreprise et ne sont donc pas directement comparables et cohérentes avec des données émanant d’Eurostat.
Il s’agit là d’un problème majeur, les PME et ETI étant le réservoir de croissance et d’emplois en France. Ce sujet a été évoqué par M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, au cours de son audition (112) devant la mission : « Des études de la Banque de France ont montré que 80 % des PME françaises investissaient très peu, n’exportaient pas, ne grandissaient pas et n’embauchaient pas, se limitant à une stratégie de consolidation de leur bilan en vue d’une autarcie financière durable qui assure leur simple survie. Selon le Conseil d’analyse économique, seulement 10 % d’entre elles contribuent à la croissance, contre 50 % en Allemagne ».
● le taux d’investissement est relativement faible dans l’industrie manufacturière, pourtant exposée à la concurrence internationale, comparativement aux taux d’investissement dans les services marchands (il est relativement faible pour les biens intermédiaires, les biens de consommation et les biens d’équipement) ;
● les investissements dans l’industrie tendent à se concentrer sur le renouvellement des capacités existantes, et non sur la modernisation ou la rationalisation de nature à générer des gains de productivité ;
● l’investissement a un relativement faible contenu en technologies de l’information et de la communication (TIC), qui jouent un rôle pourtant essentiel dans l’accroissement de la productivité au travail.
Comme nous l’avons vu précédemment sur d’autres sujets, les économistes divergent sur l’origine des faiblesses de l’investissement productif en France.
M. Patrick Artus a fait valoir, lors de son audition (113), que : « pour ce qui est de l’automatisation, le problème majeur réside dans l’incapacité des entreprises à investir, en raison de leur trop faible niveau d’autofinancement».
Lors de son audition (114) devant la mission, M. Vincent Chriqui, Directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS) est allé plus loin en mettant en cause le poids des salaires dans la valeur ajoutée : « En France, la part de la rémunération du travail qui entre dans la valeur ajoutée est relativement stable, mais son niveau élevé, qui favorise les salariés, limite la capacité des entreprises à constituer des marges susceptibles, en particulier, de permettre un niveau élevé d’investissement. En Allemagne, sa diminution, entre 1995 et 2010, a permis aux entreprises de renforcer leur compétitivité ».
Pour M. Liêm Hoang-Ngoc, maître de conférences à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne (115), en revanche, il faut rechercher l’origine des faiblesses de l’investissement productif en France dans l’insuffisance de la demande : « l’insuffisance de la demande est précisément à l’origine de la panne d’investissement de notre économie. La contraction des carnets de commandes a en effet provoqué une baisse du taux d’utilisation des capacités de production, qui se situe à son plus bas historique. Dans ce contexte, les entreprises n’ont aucune raison d’investir (i.e. d’accroître leur stock de capital), même en présence d’une baisse du coût du travail. Elles ont d’ores et déjà tendance à déclasser leur stock de capital inutilisé et à « ajuster » leur main-d’œuvre. Ce phénomène est la véritable cause de la baisse du potentiel de croissance de l’économie française ».
Sans trancher ce débat, il est indéniable que les faiblesses de l’investissement dans les PME et l’industrie en France constituent un motif majeur d’inquiétude pour l’avenir.
Ce retard ne les prépare ni à la concurrence internationale, ni à la croissance, les investissements étant d’abord consacrés au renouvellement des capacités existantes et non à la modernisation de l’appareil productif. Il obère lourdement la croissance des PME et ETI industrielles françaises. Si aucun renversement de tendance n’est mis en œuvre, cette situation handicapera lourdement la capacité du secteur productif français à monter en gamme.
c) Le capital industriel français accuse un grave retard de modernisation
D’ores et déjà, la France accuse un retard inquiétant en matière de robotisation.
Les flux sont sensiblement inférieurs à ceux de nos partenaires européens, si bien que le parc de machines-outils français connaît un retard et un vieillissement préoccupants. L’industrie française investit six fois moins que son homologue allemande dans la modernisation de son appareil productif : en 2012, elle n’a ainsi acheté que 3 300 robots, alors que l’industrie allemande en achetait 19 000.
nombre de robots industriels achetés
(Unités)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012* | |
Ÿ Allemagne |
15248 |
8507 |
14061 |
19533 |
19000 |
Ÿ France |
2605 |
1450 |
2049 |
3058 |
3300 |
Ÿ Espagne |
2296 |
1500 |
1897 |
3091 |
2500 |
Ÿ Italie |
4793 |
2883 |
4517 |
5091 |
4600 |
*Prévisions
Source : IFR International Federation of Robotics.
Lors de son audition (116) devant la mission, M. Jean-Camille Uring, président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), a indiqué que [la modernisation de notre outil industriel] ne fait l’objet en France que de 28 % des investissements productifs. Avec seulement 6,1 % du PNB consacré à l’investissement en machines, nous sommes parmi les derniers pays de l’OCDE, l’Italie ou l’Allemagne faisant bien mieux avec 9 % et 7,2 % respectivement. [….]. En 1999, l’âge moyen du parc de machines-outils était de dix-sept ans en France, de dix ans en Italie et de neuf ans en Allemagne. Autrement dit, une part notable de nos machines a été financée par le plan Marshall ! De plus, notre taux de robotisation est très faible en comparaison de ce qu’il est chez nos voisins : il y avait l’année dernière 34 500 robots installés en France, 62 000 en Italie et 157 000 en Allemagne, soit 122 robots pour 10 000 emplois industriels en France, 159 en Italie et 261 en Allemagne ».
Ce retard français a un fort impact sur le niveau de la productivité, mais aussi peu avoir des conséquences sur des différentiels de qualité. Si son niveau reste élevé, elle ne croît plus suffisamment et la France souffre d’un retard en investissements visant à accroître la productivité. Or, sans augmentation de la productivité, il sera difficile à l’économie française de générer de la croissance.
Faute de conserver et d’accroître ses parts de marché, le retard de la France en termes de robotisation va à l’encontre de l’emploi. En effet, un effort de robotisation n’est en aucun cas synonyme d’usine sans ouvrier, et il ne s’agit en aucun cas de substituer la machine à l’homme. Bien au contraire, l’automatisation des entreprises vise à améliorer leur compétitivité, afin de leur permettre de gagner des parts de marché et ainsi de favoriser l’emploi, y compris en emplois plus qualifiés. Comme l’a souligné M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, lors de son audition (117) par la mission, « l’augmentation de la productivité et l’automatisation créent des emplois, même s’ils se transforment ». C’est d’ailleurs pourquoi le Gouvernement s’apprête à relancer la filière robotique, qui accuse un grave retard en France.
La France ne gagnera pas la bataille de la lutte contre le chômage sans politique volontariste de modernisation de son appareil de production.
2. Des retards préoccupants en termes de recherche privée et d’innovation
a) La recherche est trop éloignée de ses débouchés industriels
Même si la France dispose d’indéniables atouts en matière de recherche et développement (R&D), notamment au regard des niveaux de formation et de la qualité professionnelle de ses chercheurs, celle-ci souffre d’handicaps structurels, qui pénalisent notre pays dans la compétition internationale.
Selon Eurostat, l’effort global de R&D est en France de 2,25 % en 2011. Ce niveau est supérieur à la moyenne communautaire (2,03 %) et à la moyenne de la zone euro (2,09 %). Cependant, il est moins élevé que dans certains pays du nord et de l’est de l’Europe (118)et s’inscrit en recul depuis 1993.
Le différentiel d’effort de R&D entre la France et ses principaux concurrents s’explique par un effort trop limité des entreprises françaises en la matière, même si là encore le niveau français est supérieur à la moyenne communautaire (1,26 %) et à la moyenne de la zone euro (1,31 %).
En 2011, selon Eurostat, l’effort de R&D des entreprises françaises – orienté à la baisse jusqu’en 2008 – s’élève à 1,43 % du PIB, contre 1,9 % en Allemagne (119), ce qui représente un écart de 30 % entre les deux pays. En particulier, l’effort de R&D des entreprises de l’industrie manufacturière est faible en France, notamment en comparaison avec l’Allemagne.
Comme l’a résumé, devant la mission (120), le Professeur de Boissieu (Paris I -Panthéon-Sorbonne), également membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF) : « La question centrale est donc de savoir comment inciter les entreprises privées à faire plus de R&D si elles ne le font pas spontanément ».
Le retard de l’industrie française en termes de R&D est d’autant plus lourd de conséquences que nos concurrents internationaux mènent une politique dynamique en la matière. On rappellera à cet égard que les pays d’Asie, qui sont en train de devenir les laboratoires du monde, s’apprêtent à conquérir les secteurs à haute valeur ajoutée.
Au-delà de ces aspects quantitatifs, la R&D française souffre de déficiences d’ordre culturel, qui conduisent à éloigner la recherche fondamentale de ses débouchés industriels.
Même si cette situation est en voie d’amélioration avec les pôles de compétitivité, les liens entre les sites de production industriels et les centres de recherche ne sont pas assez développés en France. Les liens entre le système public de l’enseignement supérieur et de recherche et les entreprises sont trop faibles en France, qu’il s’agisse de la valorisation professionnelle des jeunes doctorants ou du transfert de connaissance et de technologie vers les entreprises. Outre-Rhin, l’industrie et la recherche travaillent dans des cadres d’étroites collaborations, débouchant sur des PME innovantes et dynamiques.
Comme l’a souligné M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, de son audition (121) devant la mission : « Alors que la France bénéficie d’une excellente recherche fondamentale, celle-ci profite peu à l’industrie […]. Ainsi le nombre d’ETI entretenant des rapports réguliers avec un laboratoire de recherche serait de l’ordre de 750 en France, contre 15 000 en Allemagne ».
En conséquence, la R&D française n’est pas assez orientée vers la notion de process industriel. Contrairement à l’Allemagne, la France a du mal à opérer la transition entre la recherche fondamentale et l’application pratique et l’intégration dans un process industriel. Les travaux de la mission ont permis de souligner l’importance de ce phénomène pour les entreprises d’outre-rhin. La maîtrise et l’amélioration continue des process sont au cœur de la performance des entreprises industrielles allemandes.
M. Vincent Schramm, directeur général du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), a indiqué, lors de son audition (122) par la mission, que « la performance du tissu industriel allemand [s’explique par le fait] que les entreprises allemandes réfléchissent de manière continue à l’amélioration de leurs process de production. Cela leur assure un avantage en termes de prix, mais aussi de qualité et de compétitivité hors coûts ».
b) La France souffre d’un déficit en innovation
Conséquence de l’effort insuffisant en termes de R&D du secteur productif français, la France souffre d’un déficit d’innovation, laquelle traduit les efforts de recherche et développement en débouchés commerciaux
M. Jean-Camille Uring, président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), a indiqué, lors de son audition (123) par la mission, que « si [la France dépense] quelque 32 milliards d’euros en recherche et développement, dix milliards seulement vont aux dépenses d’innovation : installation de nouvelles machines ou de nouveaux logiciels ou composants ». Ce niveau de dépenses est largement insuffisant, comme en témoignent les indicateurs internationaux.
Le tableau de bord de l’innovation de l’Union de 2011 montre en effet que, sur la base de 24 indicateurs, la France occupe la 11ème place et est considérée en Europe comme un pays « suiveur » en termes d’innovation, derrière les pays leaders que sont le Danemark, la Finlande, l’Allemagne et la Suède. Pour la Commission européenne, cet écart s’explique par le défaut d’investissement des entreprises et le manque d’innovateurs.
S’il convient de regarder avec une certaine circonspection les classements globaux, le rang de notre économie au titre de l’indice de la compétitivité 2010-2011 (124) est peu satisfaisant : la France se situe à la 15ème position, derrière la Suisse, la Suède, Singapour, les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, la Finlande, les Pays-Bas, le Danemark, le Canada, Hong-Kong, le Royaume-Uni, Taïwan et la Norvège.
Situation de la France au regard de l’innovation
Critère |
Rang |
Capacité d’innovation |
8 |
Qualité des institutions de recherche scientifique |
19 |
Dépenses de recherche et développement des entreprises |
13 |
Collaboration université/industrie dans la recherche et développement |
44 |
Commande publique de produits de haute technologie |
48 |
Disponibilité de scientifiques et d’ingénieurs |
12 |
Brevets d’invention par million d’habitant |
21 |
TOTAL |
19 |
Source : The Global Competitiveness Report 2010-2011© 2010 World Economic Forum.
Autre symptôme du déficit d’innovation en France : les entreprises françaises déposent trois fois moins de brevets que leurs homologues allemandes (17 000 contre 60 000). Comme l’indique le Pacte national pour la croissance, ce déficit est particulièrement observé dans les PME françaises, qui représentent 25 % de l’effort de R&D mais seulement 17 % du dépôt des brevets. Cet écart permet d’appréhender le différentiel dont souffre la France en matière de réussite de ses processus d’innovation.
NOMBRE DE BREVETS TRIADIQUES (125)
(par million d’habitants)
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 | |
États-Unis |
50,3 |
51,0 |
51,8 |
51,9 |
53,1 |
49,9 |
46,3 |
45,2 |
44,8 |
Suède |
77,7 |
75,2 |
77,4 |
92,1 |
99,0 |
101,2 |
97,8 |
93,5 |
94,1 |
Allemagne |
66,7 |
66,0 |
68,3 |
70,1 |
72,4 |
72,2 |
69,9 |
68,7 |
69,5 |
Japon |
112,2 |
117,7 |
118,7 |
116,3 |
117,8 |
113,8 |
102,6 |
102,5 |
117,7 |
France |
37,0 |
37,6 |
39,7 |
39,3 |
39,5 |
40,0 |
39,7 |
38,8 |
39,0 |
Sources : OCDE, Eurostat, principaux indicateurs de la science et de la technologie.
M. Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris, a précisé, au cours de son audition (126) que « pour analyser les succès de l’économie allemande, tournée vers l’exportation, il faut revenir sur une quinzaine d’années d’enchaînement de décisions dynamiques. [….] Au milieu des années 1990, les entreprises allemandes [….] ont [….] décidé de jouer sur [le levier] de l’innovation : les courbes de l’effort de recherche et développement [entre l’Allemagne et la France] se coupent en 1995 et la part de la richesse nationale consacrée à cet effort, jusque-là supérieure en France, baisse dans notre pays et augmente à vitesse accélérée en Allemagne, comme dans la plupart des pays européens. Nous n’avons jamais rattrapé ce retard ; le gouffre n’a même jamais cessé de se creuser ».
L’innovation est ainsi au cœur du processus industriel allemand.
M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, a souligné, au cours de son audition (127) par la mission, que « le cercle vertueux des entreprises familiales du Mittelstand tient au fait que la plupart d’entre elles se concentrent sur des niches et consolident leur avantage concurrentiel grâce à des innovations incrémentales, qui sont des améliorations modestes et graduelles dont la caractéristique est de ne pas modifier fondamentalement le produit. C’est ainsi que la Golf de Volkswagen n’a cessé de changer d’aspect depuis sa création – les matériaux ainsi que les normes légales ont changé –, mais sans que ces modifications aient entraîné une dévaluation complète de la version précédente [….]. Si la plupart des sociétés allemandes industrielles ou de recherche anticipent l’évolution des techniques et des législations, elles le font dans le cadre d’une amélioration continue des projets ».
Pourtant, au travers des innovations de produit, de processus, de marketing et d’organisation, l’innovation est devenue le levier majeur de croissance et de développement industriel et créé de nouveaux marchés. A ce titre, la contrainte de l’innovation pèse aujourd’hui sur toutes les entreprises, qu’il s’agisse d’entreprises à forte intensité technologique ou d’entreprises plus classiques.
Elle est essentielle pour les pays confrontés à une concurrence par les coûts sur des marchés de produits matures, comme c’est aujourd’hui le cas pour la France. L’innovation est le seul moyen pour la France de « monter en gamme » et de retrouver des parts de marché mondial et de la croissance.
Comme l’a fort justement résumé M. Denis Ferrand, Directeur général de COE-Rexecode, lors de son audition (128) par la mission : « c’est évidemment l’innovation qui créera les conditions de la compétitivité à moyen et long terme ».
La Chine ne s’y est pas trompée et fonde dorénavant sa stratégie industrielle sur l’innovation.
Comme le souligne le rapport « Le nouvel impératif industriel » du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie de mai 2012, la Chine a désormais l’ambition de devenir « le laboratoire du monde », après avoir été « l’atelier du monde ». Son objectif est de promouvoir une société chinoise de l’innovation. Elle développe ainsi une politique d’innovation reposant sur une base scientifique et technologique, en assimilant les innovations venues de l’étranger et en promouvant une politique d’innovation locale. Elle multiplie les investissements publics dans la R&D et se fixe comme objectif de déposer deux millions de brevets par an à compter de 2015.
Des mesures ont été prises ces dernières années pour favoriser l’innovation : la création des pôles de compétitivité, le rapprochement initié par la loi LRU (129) des universités du monde des entreprises, la création du Crédit impôt recherche (CIR) et du crédit impôt innovation, le lancement du programme des investissements d’avenir (PIA). De tels dispositifs doivent toutefois être consolidés par un contrôle plus fin de leurs usages, afin qu’ils servent bien l’économie réelle et la réindustrialisation. En effet, le CIR a principalement bénéficié aux banques qui l’ont utilisé pour développer leurs activités spéculatives.
La mission salue, à cet égard, les initiatives prises par les pouvoirs publics pour stimuler l’innovation en France : le soutien accordé à la recherche et à son transfert vers le tissu économique, le renforcement des partenariats recherche-entreprise, le lancement d’un nouveau programme d’innovations de rupture dans le cadre du PIA, la priorité donnée aux technologies numériques, la simplification des dispositifs publics de soutien à l’innovation, le financement de l’innovation et de l’industrialisation des produits qui en sont issus par la BPI, la mise en place d’un crédit d’impôt en faveur de l’innovation sont autant de mesures vont dans la bonne direction.
Votre Rapporteur abordera, dans le chapitre consacré à la politique industrielle, les mesures préconisées par la mission pour stimuler encore davantage l’innovation en France.
3. Un « cercle vicieux de compétitivité »
Au terme des travaux de la mission, il apparaît clairement que la modernisation de l’appareil de production français constitue la seule chance de maintenir une activité industrielle sur notre territoire.
La France est aujourd’hui prisonnière d’un « cercle vicieux de compétitivité », qui appelle des mesures urgentes et d’ampleur pour rebâtir son système productif.
Confrontée à un manque de compétitivité, l’industrie française a rogné sur ses marges pour « rester dans la course ». Mais la dégradation des taux de marge handicape les entreprises pour mener l’effort d’investissement, de recherche et d’innovation qui leur permettrait de rester compétitive et de monter en gamme. Les pertes de marché qui en découlent conduisent progressivement à une « atrophie » du tissu industriel français. Insuffisamment compétitives, les entreprises livrent bataille sur le terrain des prix, alors que la concurrence des pays émergents ne laisse que peu de chance de remporter la bataille.
M. Jean-Luc Gaffard, (OFCE), a résumé ainsi la situation lors de son audition (130) par la mission : « Un manque de compétitivité courante, prix ou hors prix, se traduira par une chute des taux de marge, laquelle fera obstacle à la réalisation des investissements nécessaires pour restaurer à terme cette compétitivité prix ou hors prix ».
Pourtant, à l’image de l’Allemagne en 2000, le redressement du tissu productif français est possible, sous réserve d’un consensus national sur cet objectif.
Le Professeur Christian Saint-Étienne a ainsi appelé, au cours de son audition (131) par la mission, à une reconstruction d’un système productif compétitif, afin de sauver le modèle français : « entre 1999 et 2011, […] nous avons défait en douze ans le tiers des acquis des Trente Glorieuses. Si, de nation vaincue et écrasée en 1944, la France est repassée au quatrième rang des puissances industrielles du monde, c’est que par miracle, pendant toute cette période, nous étions tous d’accord pour reconstruire nos infrastructures énergétiques et physiques, conformément à la politique définie par le Conseil national de la Résistance (CNR). […] À l’époque, tout le monde comprenait la nécessité de reconstruire un système productif compétitif […] ».
4. Des disparités territoriales frappantes
Nombre de territoires se trouvent, avec la crise, dans une situation qui s’aggrave.
Laurent Davezies, professeur au CNAM et à Sciences Po, a dressé un constat préoccupant (132) et qui distingue quatre France :
« – une France productive, marchande et dynamique, concentrée dans les plus grandes villes, où se forgent les nouveaux atouts de la compétitivité (36% de la population ;
– une France non productive, non marchande et pourtant dynamique, située à l’ouest d’une ligne Cherbourg-Nice, qui vit d’une combinaison de tourisme, de retraites et de salaires publics (44% de la population) ;
– une France productive, marchande et en difficulté, composée de bassins industriels déprimés, principalement dans la moitié nord du pays (8% de la population)
– une France non productive, non marchande et en difficulté, située également dans le nord-est du pays et faite de territoires si frappés par le déclin industriels qu’ils dépendent essentiellement des injections de revenus sociaux (12% de la population) ».
Les secteurs les plus touchés, qui ont régulièrement perdu de l’emploi depuis 1993 (mais pas plus rapidement en 2008-2009), sont ceux où l’on retrouve l’essentiel de l’industrie traditionnelle française (industries textiles, meuble, imprimerie, chimie, sidérurgie, papier, fabrication de machines) ; d’autres progressaient rapidement jusqu’au début des années 2000 et ont subi ensuite un déclin marqué.
Quant aux territoires les plus atteints, c’est « une descente aux enfers » dans certaines zones d’emploi des territoires du nord-est ; en revanche, les régions de l’ouest et du sud ont été relativement épargnées. Les six régions les plus affectées (Limousin, Haute-Normandie, Franche-Comté, Lorraine, Picardie et Champagne Ardennes) sont industrielles, à une exception près, et subissent 30% des pertes d’emploi, alors qu’elles ne représentent que 15% de la population. Un fait nouveau apparaît avec la crise de 2008-2009, les grandes villes résistent mieux que le reste du pays, car les activités productives modernes, notamment dans le secteur du tertiaire supérieur n’ont pas subi le même contrecoup.
La crise de 2008-2009 a donc « attaqué prioritairement les territoires déjà blessés » et il conclut que « ce n’est pas le secteur, mais le territoire industriel …qui a été le plus durement touché ». L’effet d’amortissement de l’emploi public a joué, mais il joue d’autant moins que les territoires ont été affectés par la crise ; les régions les plus dépendantes de l’emploi public sont celles qui ont les problèmes économiques et sociaux les plus aigus (133) .Il en est de même pour l’effet de compensation lié par la consommation.
Le choc, pour les territoires défavorisés, risque d’être plus brutal que les précédents, car ceux-ci seront moins bien protégés du fait de l’assèchement des finances publiques. L’économie de nombreux territoires est en effet jusqu’à présent portée par les emplois publics. M. Laurent Davezies évoque « la fin d’une époque », même si d’autres ressources de ces territoires, comme le tourisme ou les pensions de retraite ne devraient pas connaître un fléchissement aussi net.
Les nombreux interlocuteurs rencontrés par la mission ont mis l’accent sur la nécessité de politiques « au plus près des territoires », donc d’une meilleure prise en compte des besoins territoriaux.
La politique de l’emploi reste très nationale et manque de flexibilité : M. Philippe Askenazy a fait remarquer que le dispositif des emplois aidés, mis en œuvre de Paris, applique les mêmes critères à tous les départements. Or, la France se caractérise par des différences territoriales importantes : il en conclut donc que les politiques françaises de l’emploi et de l’innovation devaient donner plus de place aux territoires, considérant que les succès de certaines régions italiennes et de certains Länder allemands s’expliquaient par l’autonomie dont ils disposaient.
M. Jean-Camille Uring, Président du syndicat des machines et technologies de production (SYMOP) a souligné qu’il fallait que « nos entreprises puissent s’ancrer dans leur terroir », car il est plus facile de défendre son entreprise lorsqu’elle est immergée dans un territoire, que lorsque les décisions se prennent dans un état-major lointain, à des milliers de kilomètres : « l’essentiel est que les organes de décision restent au niveau local ».
Cette politique « au plus près des territoires » se pratique largement chez nos voisins européens. Lors de la table ronde de la mission avec des industriels allemands et italiens, M. Gianluca Greco, conseiller économique de l’ambassade d’Italie en France, a souligné que le modèle italien était très lié à la régionalisation de son tissu ainsi qu’à l’existence d’un nombre élevé de très petite entreprises. En Allemagne, a rappelé M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la Chambre de commerce franco-allemande, les Länder jouent un rôle majeur et M. Jörn Bousselmi, directeur général de cette même chambre de commerce a ajouté que l’ « écosystème » en Allemagne était très régionalisé, en particulier sur le plan financier. M. Frédéric Thil, directeur général de Ferrero France a noté qu’il était difficile de faire venir des talents en Haute-Normandie et de travailler au niveau local avec les pouvoirs publics et les autres entreprises pour résoudre ce problème : « les Italiens réussissent mieux que nous dans ce domaine ; au lieu de faire de même, nous subissons individuellement les injonctions gouvernementales relatives au handicap, aux seniors, aux stagiaires etc., et nous n’osons pas agir de peur des taxes afférentes».
II.— NE PAS ÊTRE « LA BELLE ENDORMIE » : AU-DELÀ DE LA SEULE QUESTION DES COÛTS DE PRODUCTION, S’ADAPTER AUX ATTENTES DU MARCHÉ GRÂCE A L’INNOVATION ET EN VALORISANT LA QUALITÉ
Une idée assez consensuelle s’est dégagée au travers des travaux de la mission. L’économie française ne connaît pas une crise brutale mais davantage un lent et relatif déclin, assorti d’un déphasage de politique économique avec notre partenaire allemand, lequel s’est traduit par un décrochage des parts de marché à l’international à compter du début des années 2000. En fait, le choc économique des années 2008-2009 a plus été un révélateur de cette situation qu'une cause. C’est donc bien une sorte d’endormissement qui caractérise l’état de notre économie. Endormissement partiellement masqué par la rémanence des images de luxe, d’élégance et de sophistication qui viennent spontanément aux observateurs étrangers les mieux disposés. Certes la France n’est pas le seul pays à avoir laissé se creuser ses déficits intérieurs et extérieurs mais les points de croissance de son PIB ont essentiellement résulté de la stimulation de la consommation et non pas de la production et des exportations.
Même si les signaux n’avaient pas fait défaut auparavant (134), l’un des grands mérites du rapport du commissaire général à l’investissement, M. Louis Gallois (135), est d’avoir hiérarchisé les différents maux dont souffre notre économie, en mettant la compétitivité de notre industrie au cœur du débat et en la replaçant au sein d'un objectif de restauration de la confiance en notre destin collectif et d'une certaine fierté nationale sans lesquels il n’est pas de progrès durable.
Les diverses auditions ont permis de constater qu’il existe désormais un consensus pour dépasser l’opposition traditionnelle entre compétitivité « prix » et « hors-prix », les deux facettes se révélant indissociables. Il est possible de vendre cher des produits hauts de gamme et/ou différenciés, il est surtout nécessaire de tenter de répondre au mieux aux besoins des économies en croissance tout en favorisant l’innovation et la qualité des produits « fabriqués en France ». Comme l’a souligné le ministre du redressement productif lors de son audition par la mission(136), la nécessité de redynamiser notre appareil productif va bien au-delà de la remontée de tel ou tel agrégat économique, c’est bien plus fondamentalement l’indépendance et le rayonnement de la France qui sont en cause.
La compétitivité prix consiste, pour une économie ou une entreprise, en la capacité de pouvoir fournir, dans le but de développer ses activités, des biens et services de même qualité et dans le même temps que les autres fournisseurs à un niveau de prix au plus égal à ceux-ci et pour un bénéfice équivalent. Celle-ci dépend, au-delà des évolutions de taux de change, des coûts salariaux et de ceux du capital.
De son côté la compétitivité « hors prix », moins visible, est la capacité de faire valoir des avantages compétitifs autres que le prix. Les critères « hors prix » sont très diversifiés, on peut principalement citer : la qualité, le contenu en innovation technologique, l’ergonomie et le design, la performance des réseaux de distribution (rapidité et respect des délais de livraison), le service après-vente, l’étendue de la garantie ou l’image associée aux produits. Le fait que ces critères évoluent plus lentement et sont moins sensibles aux fluctuations conjoncturelles que les prix explique la difficulté à en saisir l’importance exacte dans les relations commerciales.
A.— EN DEHORS DES SEGMENTS « HAUT DE GAMME », LA CONCURRENCE S’EFFECTUE MAJORITAIREMENT PAR LES PRIX ET ILLUSTRE LA NÉCESSITÉ DE MONTER EN GAMME ET EN VISIBILITÉ
Cette problématique structurante a été illustrée lors des auditions par M. Patrick Artus (137) qui a eu recours à l’image du sandwich pour décrire la situation de l’industrie française : « le haut de gamme part vers des pays qui s’y spécialisent, et le bas ou le milieu de gamme vers des pays qui ont des coûts salariaux ou des coûts d’énergie plus faibles. »
Cette situation ne peut perdurer car elle met en péril l’avenir. M. Patrick Artus a mis en lumière l’écart de rentabilité qui se creuse entre les entreprises allemandes et françaises au détriment de ces dernières :
« Depuis la fin des années 1990, les coûts salariaux unitaires dans l’industrie ont certes davantage augmenté en France qu’en Allemagne, mais ce sont surtout les prix qui font la différence de rentabilité entre les deux pays : alors qu’ils augmentent un peu plus vite que les coûts en Allemagne, la France est obligée de baisser les siens pour pouvoir vendre. Cela tient, à nouveau, au niveau de gamme de nos produits : lorsqu’on fabrique du bas de gamme, on se retrouve concurrent de pays à coûts salariaux faibles, et on est obligé de baisser les prix pour continuer à vendre. L’écrasement des marges des entreprises françaises trouve ainsi sa cause dans la baisse des prix plutôt que dans la hausse des coûts, ou encore dans l’impossibilité, pour les industriels, de répercuter les hausses de leurs coûts – salaires ou matières premières – sur leurs prix. »
C’est là l’origine de l’effet « vortex » évoqué par M. Jean-Luc Haas (138), au nom de la CFE-CGC, pour décrire la spirale infernale qui voit s’enchaîner la réduction des marges des entreprises donc la réduction de leur capacité d’autofinancement, qui entraîne à son tour la dégradation de la note des entreprises cotées, un renchérissement du coût du capital et de ce fait une diminution de l’investissement et, in fine, un cantonnement dans la production de bas ou de milieu de gamme : « L’industrie française a été conduite à préserver sa compétitivité-prix au détriment de sa compétitivité hors prix », résume le rapport Gallois (139). De plus, ainsi que l’a relevé M. Christian de Boissieu, les entreprises françaises, quel que soit leur secteur d’activité, « sont toutes « preneuses de prix » (price takers) » et « ne devraient pas trop compter sur la constitution d’un pouvoir de marché pour reconstituer leurs marges » (140). On retrouve à cette occasion une des différences, réelle ou supposée, avec les entreprises allemandes, censées disposer d’un pouvoir de marché leur permettant d’être des entreprises price makers, « proposant un produit que les gens acceptent de payer plus cher, comme une BMW » (141).
De plus, la concurrence s’est intensifiée au cœur même de l’Europe en se déplaçant des seuls éléments de fiscalité vers une pression à la baisse des rémunérations. En effet, les salaires baissant dans les pays du sud de l’Europe, ceux-ci gagnent en compétitivité sur le milieu et le bas de gamme. C’est tout particulièrement le cas de l’Espagne dont les coûts salariaux unitaires baissent de plus en plus rapidement, ce qui fait de ce pays un compétiteur de plus en plus direct et de plus en plus dangereux pour notre pays.
Au-delà de la nécessaire montée en gamme de pans entiers de l’économie, l’attention doit porter sur les demandes pérennes du marché, sur l’existence de marchés de renouvellement et sur le lien indéfectible entre, d’une part, l’utilisation de matériels performants de production, l’élaboration de machines et biens intermédiaires et, d’autre part, le savoir-faire qui s’attache aussi bien à l’utilisation qu’à la conception et à la production de tels biens.
Plusieurs intervenants ont mis en avant devant la mission ce risque de perte de savoir-faire et ses conséquences pour la productivité de notre industrie, sans compter l’incapacité de transmettre ces savoirs techniques aux jeunes, contribuant ainsi à alimenter le discrédit de certaines filières. Un autre souci voisin touche au faible volume et au vieillissement du parc de machines automatisées en France. Partant de ce constat, le Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP) (142) propose de dresser urgemment un état des lieux de l’outil de production en France, pour déterminer dans quels secteurs, dans quelles régions et pour quelles technologies l’obsolescence est la plus manifeste.
1. Un positionnement trop centré sur le « moyen de gamme »
C’est le constat dressé par l’économiste Christian Saint-Étienne pour expliquer le rôle défavorable d’un euro trop cher pour notre économie : « L’euro a joué un rôle parce que, à l’exception de quelques sous-secteurs industriels, notre industrie se situe dans les gammes moyennes et que l’élasticité-prix de nos exportations est très forte, contrairement à celle de l’Allemagne. » (143)
Le problème de l’industrie française, désormais assez clairement perçu, tient sans doute au niveau du prix du travail mais aussi au niveau de gamme de nos produits. La banque d’investissement Natixis a élaboré un indicateur permettant de comparer plus finement le niveau des salaires en fonction du niveau de gamme des produits et de dépasser le trompe l’œil découlant du fait que les coûts salariaux dans l’industrie, cotisations sociales comprises, restent encore proches en France et en Allemagne.
Ainsi que nous l’avons déjà vu précédemment(144), l’idée est que ces coûts « doivent cependant être corrigés en tenant compte du niveau de gamme, que l’on peut notamment quantifier en analysant la sensibilité de la demande aux prix : plus un produit est banal et bas de gamme, plus la demande est sensible à son prix ». Ainsi, d’après les calculs de notre service de recherche, le salaire horaire dans l’industrie, au niveau de gamme de l’Allemagne, est de 45 euros de l’heure en France, contre 34 euros outre-Rhin. L’égalité des coûts salariaux unitaires est donc une illusion, la différence s’élevant en réalité à quelque 30 %. » (145).
Cette approche plus fine et plus concrète, apporte une incontestable plus-value dans la compréhension du décrochage français. Encore une fois ce n’est pas le prix du travail en lui-même qui pose problème, et si cela était le cas des pays comme la Suisse ou la Suède connaîtraient de grandes difficultés, mais bien l’articulation entre un prix et un niveau de gamme. C’est dans ce rapport relatif, qui souvent d’une longue histoire et non dépourvu d’éléments irrationnels, que réside l’explication masquée derrière les équivalences nominales.
La notion de niveau de gamme est donc éminemment relative et son appréhension très souvent indirecte, au travers des réactions aux évolutions du taux de change. Plusieurs intervenants ont souligné l’avantage dont disposent les produits allemands en ce domaine. Ainsi pour le Professeur Christian de Boissieu (146), l’enquête précitée relative à l’image hors prix des produits français auprès de certains importateurs étrangers « montre qu’en la matière, depuis vingt à vingt-cinq ans, la France a comblé une partie de son retard face à l’Allemagne. Les entreprises allemandes conservent cependant une avance pouvant expliquer pourquoi elles sont moins sensibles que leurs homologues français au taux de change, et en l’occurrence à la surévaluation de l’euro. Plus généralement, en Europe, les différentiels de compétitivité "hors prix" sont tels que les pays européens sont inégalement sensibles aux taux de change, d’où la difficulté de définir un point de vue européen sur le taux de change idéal. »
M. Patrick Artus a dressé le constat de la baisse du niveau de gamme « pour à peu près tous les produits français, à l’exception du matériel de transport et de la pharmacie »(147). Il avait en outre précédemment relevé une différence d’approche entre les industriels français et leurs homologues européens, à savoir « que la France avait une logique de montée de gamme par niches, alors que les autres pays avaient adopté une logique de montée de gamme globale. C’est ainsi que les Allemands ou les Italiens peuvent être très bons sur tous les produits et faire du "haut de gamme" dans la chimie, le plastique, le bois, le textile, etc. et pas seulement dans les trains et les avions. » (148). Il ne faut pas non plus se cantonner au seul haut de gamme mais, dans l’idéal, disposer d’une offre diversifiée. Mais, de fait, le système productif allemand propose une offre de techniques et de produits qui correspond souvent au mieux à la demande des pays émergents lorsqu’ils sont à la recherche d’une haute qualité.
La question de la montée en gamme est donc capitale. Outre le fait que cette évolution n’est visible qu’à moyen terme, elle nécessite l’articulation entre les efforts de recherche et développement et la stratégie des entreprises. L’innovation cristallise les enjeux et les espoirs de toute stratégie de montée en gamme, plusieurs intervenants devant la mission ont regretté « l’absence en France d’un réseau comparable à celui des instituts Fraunhofer », même si les missions de nos Centre techniques industriels (CTI) pourraient être mieux connus donc mieux mobilisés avec quelques moyens supplémentaires. (149). Pour autant notre pays n’est pas totalement dépourvu de ressources en ce domaine et c’est sans doute en tentant de créer un continuum entre innovation, valorisation de la recherche et diffusion des techniques que des gisements de productivité restent à exploiter. La question d’une meilleure articulation entre les recherches publique et privée reste toutefois posée.
2. Développer l’innovation mais aussi la valorisation de la recherche et la diffusion des techniques au sein des entreprises
Ce sujet n'est pas nouveau : M. Alain Peyrefitte partant déjà à la recherche du « Mal français », notait, que la France est très forte pour les prototypes et moins pour la fabrication en série(150).Un trait caractéristique de notre pays est sans doute une dichotomie entretenue entre recherche privée et recherche publique d'un côté, et entre recherche dite « blanche » et recherche appliquée de l'autre. Il est communément admis aujourd'hui que, dans chacun de ses deux couples, les deux facteurs sont dépendants et s'alimentent l'un l'autre.
L’innovation est protéiforme, ainsi Mme Agnès Benassy-Quéré avait souligné que « nous exportons essentiellement des hautes technologies et des produits haut de gamme – l’un n’étant pas nécessairement lié à l’autre comme en témoigne le vin. » (151)
Nous avons vu précédemment que la question de la compétitivité hors coûts rejoint celle de la montée en gamme. Or, selon M. Patrick Artus, « alors que la France bénéficie d’une excellente recherche fondamentale, celle-ci profite peu à l’industrie, en dépit du crédit d’impôt recherche. Ainsi le nombre d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) entretenant des rapports réguliers avec un laboratoire de recherche serait de l’ordre de 750 en France, contre 15 000 en Allemagne. » (152) Cette constatation interroge donc aussi sur l'utilisation des fonds du Crédit impôt recherche (CIR) tantôt qu'ils constituent un atout pour l'attractivité d'un territoire ou bien un réel soutien à des activités de recherche.
Il s’est également interrogé sur les moyens de « corriger cette situation et faire en sorte que nos industriels aillent puiser des idées dans les laboratoires universitaires. Cette pratique, aussi courante que spontanée aux États-Unis, a donné par exemple les succès du stylo-bille ou de la poêle Tefal. ». S’agit-il là d’un défaut d’appétence à l’égard des applications concrètes, voire triviales, d’un procédé génial ou, plus prosaïquement, d’une conséquence du cloisonnement entre la recherche publique et les applications qui peuvent en découler ? La responsabilité de cette situation est sans doute à rechercher à la fois du côté des chercheurs et des entrepreneurs.
M. Jean-Philippe Bourgoin (153), directeur de la stratégie et des programmes du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, avait d’ailleurs précédemment rappelé cette difficulté française à traduire les progrès de la recherche en process industriel : « Afin de maximiser l’effet de la R&D sur l’innovation, il est indispensable de combler ce que l’on appelle la " vallée de la mort ", c’est-à-dire de ne pas oublier qu’il faut passer de l’idée à la technologie, de la technologie au produit et du produit à sa fabrication en grande série. »
a) Une culture de l’innovation trop peu présente
Au-delà des efforts financiers consacrés à la Recherche & Développement, un ensemble d’éléments permettent d’appréhender la culture d’innovation d’une entreprise. D’une manière générale, l’innovation peut tout d’abord être qualifiée de rupture lorsqu’elle modifie profondément les conditions d’utilisation par les clients et/ou qu’elle s’accompagne d’un bouleversement technologique. Constituent de tels exemples d’innovation : le passage du moteur à vapeur au moteur à explosion, du télégraphe au téléphone, du téléphone à internet… ou encore passage de la cassette VHS au DVD. L’innovation peut également être « incrémentale » : elle consiste en de modestes, graduelles mais continuelles améliorations de techniques ou de produits existants afin d’y apporter une amélioration sensible et permettre à l’entreprise de conserver son avance technologique sur ses concurrentes.
On peut penser que le modèle allemand, le Mittelstand constitué de PME recherchant l’innovation dans une perspective de long terme, est plus sensible à l’innovation incrémentale que le modèle français. Point de vue partagé lors des auditions par M. Wolfgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France, selon qui, « une étude réalisée pour le Fonds stratégique d’investissement montre que le cercle vertueux des entreprises familiales du Mittelstand tient au fait que la plupart d’entre elles se concentrent sur des niches et consolident leur avantage concurrentiel grâce à des innovations incrémentales, qui sont des améliorations modestes et graduelles dont la caractéristique est de ne pas modifier fondamentalement le produit ».
Il ajoutait pour la grande industrie : « C’est ainsi que la Golf de Volkswagen n’a cessé de changer d’aspect depuis sa création – les matériaux ainsi que les normes légales ont changé –, mais sans que ces modifications aient entraîné une dévaluation complète de la version précédente, alors que si l’aspect ou la technologie d’un produit est totalement modifié, le modèle précédent perd toute valeur. Si la plupart des sociétés allemandes industrielles ou de recherche anticipent l’évolution des techniques et des législations, elles le font dans le cadre d’une amélioration continue des projets. » (154)
D’autres éléments, comme le design et l’ergonomie, qui peuvent de prime abord paraître secondaires, surtout si l’on considère le secteur des biens intermédiaires et d’équipement plutôt que celui des biens de consommation, n’en constituent pas moins des champs ouverts à l’innovation en vue de gains de part de marché.
Selon une étude de l’institut COE-Rexecode consacrée au design et à l’innovation(155), deux pays alternent à la première place en ce qui concerne le design-ergonomie des biens intermédiaires et d’équipement : le Japon et l’Italie. En moyenne sur la période 2001-2009 c’est le Japon qui, de très peu, tient la tête. Ce pays est aussi en moyenne le premier pour le design des biens d’équipement mécanique et électrique. Le design italien, premier pour les biens de consommation, se trouve second pour les biens intermédiaires et d’équipement. L’Allemagne occupe en moyenne la troisième place, avec souvent, d’une enquête à l’autre, des positions plus avantageuses encore pour l’équipement électrique ou la mécanique.
Quant à la France, qui est classée deuxième pour le design des biens de consommation, elle ne se place qu’en cinquième position pour le design des biens intermédiaires et d’équipement. Pour expliquer cet écart, les auteurs avancent le fait que beaucoup de designers français, dans la lignée des Arts décoratifs, négligeraient encore de s’intéresser à des produits autres que ceux de consommation, laissant ces produits, plus techniques, aux bons soins des seuls ingénieurs.
Un intéressant tableau montre le positionnement de différents pays en fonction des qualités de leurs produits :
Classement des productions nationales pour l’ensemble des biens de consommation selon le critère (moyenne 2000-2008)
La situation française est plus défavorable en matière d’innovation technologique : la France n’apparaît en moyenne qu’en cinquième position sur ce critère. C’est dire que, à l’exception du sous-secteur de l’agro-alimentaire, pour lequel les produits français sont classés deuxièmes, le niveau technologique des biens de consommation français est relativement peu apprécié. Ce critère constitue donc pour la France un handicap concurrentiel. Ceci reflète, une fois de plus, malgré un assez bon niveau en matière de recherche, une difficulté spécifique à appliquer cette recherche dans le domaine industriel et à procéder à des transferts de technologie.
Les auteurs relèvent que la France souffre depuis longtemps d’une image de moindre innovation technologique de ses productions. Jusqu’ici, en ce qui concerne les biens de consommation, un bon design et de bons services palliaient en grande partie la faiblesse perçue en contenu technologique, ce qui ce qui avait permis jusqu’en 2006 de conserver une compétitivité hors prix, en deuxième place derrière l’Allemagne. Selon M. Denis Ferrand, Directeur général de COE-Rexecode, une prochaine enquête, qui porte sur les biens de consommation, fait déjà apparaître des conclusions comparables à celles que l’on peut tirer des données relatives aux biens d’équipement et intermédiaires pour les dix dernières années.
Il est symptomatique de retrouver des conclusions similaires en matière de dépôts de brevets. Un rapport du Conseil d’analyse économique met d’ailleurs en lumière les processus de transfert qui se mettent en place dans le financement privé de la recherche : plus les entreprises participent au financement en amont, plus elles en bénéficient en aval en terme de brevets triadiques (156) déposés. Dans la mesure où une large part des brevets déposés proviennent de la recherche privée, la France, parce qu’elle investit relativement moins en recherche industrielle, dépose relativement moins de brevets (157).En ce sens, la faiblesse des moyens consacrés aux dépenses de recherche et développement dans notre pays, dans les crédits publics et encore plus dans les crédits privés, constituent un handicap aujourd'hui et pour l'avenir. L’appel lancé par le directeur du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), M. Philippe Choderlos de Laclos, est parfaitement illustratif de cet état de fait et des moyens d’y remédier : « Les instituts Fraunhofer ont trois fois plus de moyens que le CETIM pour l’innovation : ils déposent donc trois fois plus de brevets que nous ! Donnez-nous des moyens, et nous ferons la même chose ! ». (158)
b) L’innovation doit faire l’objet d’une valorisation concrète et d’une diffusion au sein du tissu des PME-PMI
Il apparaît bien que c’est au stade de la valorisation concrète des produits de la recherche que se situe la perte la plus significative.
Selon M. Jean-Camille Uring, membre du directoire du groupe d’ingénierie industrielle Fives et Président du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP), « si nous dépensons en France quelque 32 milliards d’euros en recherche et développement, dix milliards seulement vont aux dépenses d’innovation : installation de nouvelles machines ou de nouveaux logiciels ou composants. Or, dans toute entreprise, l’introduction d’une technologie nouvelle implique bien souvent une révision globale du processus de fabrication et l’acquisition de nouvelles compétences. Et même si cette technologie n’est pas nouvelle absolument, elle n’en doit pas moins être regardée comme une innovation, en particulier pour une PME, et mérite à ce titre une incitation similaire au crédit d’impôt recherche, ou une inscription dans le champ d’application du crédit d’impôt innovation » (159).
Il convient à cette occasion de souligner que l’article 71 de la loi de finances pour 2013 a complété le dispositif du crédit impôt recherche par un crédit innovation réservé aux petites et moyennes entreprises(160).
Pour rester compétitive, notre industrie doit offrir des produits de haute qualité, fabriqués dans des délais conformes aux attentes des clients et à des coûts de production adéquats.
Pour atteindre ces objectifs, a encore souligné M. Jean-Camille Uring, « il nous faut automatiser et, plus largement, développer le recours aux nouvelles technologies qui ne cessent d’évoluer, de la soudure laser aux fours à cristal désormais automatisés et numérisés. ».
Nous retrouvons à ce stade la nécessité d’une jonction entre recherche fondamentale et développement industriel, articulée en Allemagne autour des instituts Fraunhofer. Or, et c’est un aspect assez peu connu en dehors du milieu industriel lui-même, la France dispose elle aussi d’un outil performant quoique sous dimensionné par rapport à l’exemple allemand, il s’agit du réseau des centres techniques industriels, les CTI, créés en 1948 et qui n’ont pas depuis cessé d’apporter leur concours aux PMI-PME.
Illustrant cet état de fait, M. Jean-Camille Uring a indiqué devant la mission : « toutes les actions que nous entreprenons – « Robot Start PME » ou « Productivez ! »– sont réalisées en étroite collaboration avec les centres techniques qui nous sont alliés : le Centre technique des industries mécaniques (CETIM), doté d’un maillage territorial de premier plan, l’Institut de soudure, etc. Ces centres, financés par des taxes parafiscales acquittées par les employeurs, assurent la diffusion des nouvelles technologies et offrent une assistance pour l’installation et l’utilisation des nouvelles machines. ».
La récente signature entre le CETIM et l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) d’une convention destinée à sensibiliser les PME de la mécanique aux enjeux de la propriété industrielle et à les accompagner dans leurs démarches illustre le rôle de facilitateur et d’accompagnateur des CTI à l’égard des entreprises.
Il convient d’insister sur la diffusion des innovations technologiques au sein des entreprises, en effet lorsqu’une PME ou une ETI fait un investissement, il est important que celui-ci soit totalement réussi ; pour cela, toute arrivée d’une nouvelle machine doit s’effectuer dans un environnement préparé, qu’il s’agisse du processus de fabrication ou de la formation des personnels comme l’a encore souligné M. Jean-Camille Uring.
Cette réflexion doit être entendue. Elle touche la maille la plus fine du tissu industriel français, c’est cette maille qu’il faut consolider et moderniser pour disposer, à terme, d’un outil de production compétitif. À cet égard l’idée « d’inclure dans la définition de l’innovation la mise en œuvre par une entreprise d’une technologie nouvelle pour elle » (161) apparaît pertinente. Cette innovation suppose en effet l’installation d’une nouvelle machine, une évolution du processus de fabrication et l’acquisition de nouvelles compétences. Il faut souligner le fait qu’à ce stade la relation entre les entreprises et les centres techniques est essentielle.
Les missions des CTI se déclinent en quatre volets, tous fondés sur le progrès technique et l’innovation. Le premier est la création de la connaissance : nous contribuons à de nombreux projets de recherche, en France et sur la scène européenne. Le deuxième est la codification de la connaissance. C’est tout l’enjeu de l’organisation de la normalisation française, avec les trois volets sur lesquels les CTI interviennent : pré-normalisation, normalisation, diffusion et appropriation des normes par les entreprises. Viennent ensuite la transmission de la connaissance, qui recouvre l’assistance technique aux entreprises, les publications et la formation continue, domaine qui nous tient particulièrement à cœur, et enfin l’accompagnement de l’utilisation de la connaissance par des projets au profit des entreprises, autrement dit des prestations d’études. M. Christophe Mathieu, président du réseau des Centres techniques industriels (CTI) (162) |
Devant la mission, le directeur du CETIM a plaidé avec beaucoup de conviction en faveur de l’innovation à l’échelle de l’entreprise : « Nous devons absolument aider l’innovation, et non la recherche. Même si nous sommes contraints par le cadre européen, nous pouvons trouver de meilleures solutions qu’aujourd’hui. Les aides accordées via le Fonds unique interministériel (FUI) et les pôles de compétitivité sont trop orientées vers les centres de recherche, au détriment des entreprises. Nous faisons de la recherche, pas de l’innovation. Pour faire de l’innovation, il faut des sujets plus en aval. Surtout, il faut éviter de mettre dix personnes autour de la table lorsqu’on tient un sujet d’innovation : c’est l’assurance de perdre deux ans à faire un contrat de confidentialité, et au final, de ne pas s’en sortir. Il faut absolument aller vers des contrats plus petits, à la portée des PME. » (163)
Si distinction il y a entre recherche et innovation et si la partie innovation - ou encore valorisation - doit être mieux soutenue, ces deux fonctions doivent se comprendre comme s'alimentant réciproquement l'une de l'autre. Il apparaît donc essentiel de développer massivement dans notre pays des formations encore plus adaptées et surtout beaucoup mieux valorisées aux métiers de techniciens et d'ingénieurs. La formation par la recherche et pour la recherche, appliquée comme théorique, doit aussi être généralisée pour donner encore plus d'appétence à ce type de métiers porteurs d'avenir, permettant de solides carrières professionnelles et absolument nécessaires à la compétitivité de notre industrie.
Il convient de regarder précisément le mode de financement des CTI. Sur les quinze organismes sous tutelle du ministère du redressement productif, cinq CTI bénéficient de dotations budgétaires et neuf perçoivent le produit d'une taxe affectée, quant au CTI « Forêt, Cellulose, Bois, Ameublement » (FCBA) il bénéficie des deux modes de financement. Cette architecture mixte de financement apparaît à la fois complexe et source d’insécurité financière en raison de la tendance baissière des dotations budgétaires.
3. Promouvoir le « Fabriqué en France » et même un marketing patriotique
Face à la mondialisation, une nouvelle donne est nécessaire, associant l’État, les responsables politiques, les entreprises et leurs salariés pour mieux « vendre » notre pays. Améliorer l’image de la France est une nécessité car, actuellement, trop de chefs d’entreprises ont l’impression de n’être ni suivis ni même entendus dans le soutien qu'ils espèrent à ce sujet : cela nécessite une prise de conscience collective.
Alors même que les consommateurs sont manifestement demandeurs de plus de transparence, la mondialisation des processus de production conduit aujourd’hui à une véritable perte d’identité de la plupart des produits dont les origines n’apparaissent plus clairement aux consommateurs. La crise qui s'est faite récemment jour dans les défauts de contrôle du circuit de l'alimentation, défauts qui semblent assez généralisés, renforce d'autant ce constat et doit amener à des évolutions majeures.
À cette exigence de traçabilité s’ajoute désormais une volonté plus ardente, celle du « patriotisme économique » encouragé et soutenu par le ministre du redressement productif, M. Arnaud Montebourg. Du coup, au-delà de renforcement légitime de notre fierté nationale, le « Fabriqué en France » doit s'imposer et donc se justifier comme un gage supplémentaire de qualité et de confiance vis à vis des consommateurs.
La réflexion autour de ce sujet avait été initiée sous la précédente Législature avec le rapport rédigé par notre collègue M. Yves Jego. Son analyse de la mondialisation des chaînes de production et de ses conséquences sur l’identification de l’origine des produits mérite d’être rappelée :
« Cette perte d’identité connaît deux grands types d’exceptions : le produit qui bénéficie d’une marque très prestigieuse (de Chanel à Coca-Cola par exemple) ou celui connu pour son prix très abordable. Dans ces deux cas, l’image du produit semble « écraser » son origine. Cette évolution n’est pas sans conséquences. L’absence de valorisation de l’origine est à la fois l’effet et la cause du développement de la mondialisation des processus de production. Identifier et marquer l’origine d’un produit ne doit pas conduire à une remise en cause de la mondialisation en favorisant une forme de protectionnisme économique. Mais cela peut permettre de la rendre moins anonyme en augmentant la transparence et la traçabilité. Le " Made in monde ", c’est-à-dire l’opacité et l’anonymat, est une des raisons de l’image négative de la mondialisation partagée par de nombreux citoyens. » (164)
Une des idées du rapport Jego consistait à lever le « voile d’ignorance » sur le découplage entre l’image nationale de certaines marques et l’origine internationale de leurs produits. Il constatait en outre que de plus en plus d’États développent des stratégies de marque nationale (Suisse, États-Unis, Chine, Canada, Australie).
Pour valoriser le marquage de l’origine et plus largement les valeurs positives associées à la « Marque France », le rapport préconisait la mise en place de deux instruments pouvant être mis en place : un « made in France » facultatif à étoiles, d’une part ; une nouvelle labellisation volontaire plus valorisante pour le producteur et plus fiable pour le consommateur d’autre part.
L’objectif de ce « made in » à étoiles était de différencier les produits en fonction de leur degré de fabrication française, c’est-à-dire de leur impact économique et social plus ou moins important sur le territoire national. Aujourd’hui, en application du code des douanes communautaires, il n’y a pas de distinction entre des produits dont les conditions de fabrication peuvent être profondément différentes. C’est d’ailleurs notamment pour cette raison que la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ne se satisfait pas des critères douaniers pour l’apposition d’un « made in » et pratique une interprétation au cas par cas peu compréhensible pour les acteurs économiques.
Pour les cas où il serait trop difficile d’appliquer le critère de la valeur ajoutée, le rapport proposait l’attribution des étoiles en fonction du nombre d’étapes du processus de fabrication réalisé dans le pays d’origine. Sans nier les difficultés pratiques de mise en œuvre d’un tel label, une telle démarche apporterait une incontestable visibilité à ces produits et permettrait d’impliquer producteurs et consommateurs. C’est tout le sens du marketing patriotique que le ministre du redressement productif, M. Arnaud Montebourg souhaite voir adopter par les entreprises, à commencer par les enseignes de la grande distribution (165).
L’idée d’une extension des indications géographiques protégées IGP aux produits manufacturés, comme semble le permettre les règles de l’OMC sans que le droit communautaire ne l’autorise à ce jour, est une autre idée figurant dans le rapport Jego dont la proposition n° 6 visait à « Conduire une action d’influence en faveur d’un règlement européen étendant le champ des indications géographiques protégées (IGP) aux produits non alimentaires afin de prendre en compte la situation des entreprises victimes de la concurrence déloyale de produits fabriqués à l’extérieur de l’Union européenne et utilisant la même dénomination pour leurs produits (cf. exemples des verreries de Murano, du cristal de Bohème, des couteaux Laguiole, de la porcelaine de Limoges etc.). »
Il s’agit effectivement d’une piste de travail intéressante qui a notamment retenu l’attention de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale (166) et qui pourrait trouver un prolongement législatif dans le futur projet de loi sur la consommation. En effet l’étude de faisabilité d’une protection des IG pour les produits non agricoles décidée le 28 décembre 2011 par la Commission européenne ne constituera en tout état de cause qu’une photographie de l’existant. Dans ces conditions il apparaît nécessaire et urgent de mettre en place un cadre national pour les IGP non alimentaires afin de renforcer l’information des consommateurs et surtout pour permettre aux producteurs, artisans, PME, de mieux mettre en avant leurs produits et savoir-faire dans une économie toujours plus ouverte.
B.— LES PHÉNOMÈNES DE DÉLOCALISATION NE S’EXPLIQUENT PAS PRINCIPALEMENT PAR LES COÛTS DE PRODUCTION ET BROUILLENT LE PANORAMA DU COMMERCE INTERNATIONAL
La problématique du prix du travail était particulièrement mise en avant sous la précédente majorité qui voyait dans l’instauration d’une TVA dite « anti-délocalisation », le remède efficace à ce phénomène. Dans les faits, les délocalisations obéissent à une pluralité de causes parmi lesquelles la recherche de coûts du travail réduits est relativement marginale. La raison principale avancée par les entreprises qui ont recours à cette stratégie est d’accéder à des marchés en pleine croissance et d’être ainsi présentes au plus près des lieux de consommation de leurs produits.
La fragmentation de la chaîne de valeur n’est pas à proprement parler une novation pour les entreprises depuis que la mondialisation de l’économie et des échanges ainsi que la très forte montée en puissances des BRICS (167) ont totalement modifié les modes de production et de commercialisation des entreprises. Le scénario de développement des sociétés multinationales moqué dans la fable de René-Victor Pilhes (168), s’est transmis à l’ensemble des entreprises qui cherchent à diminuer leurs coûts de production. Elles ont alors recours soit à la délocalisation pure et simple de l’ensemble de leur production dans des pays à bas coûts, soit à l’externalisation d’une partie intermédiaire de la production (outsourcing) qui correspond à la délocalisation de certains segments de valeur ajoutée, soit encore au choix des différents composants d’un produit dans le monde entier à la recherche du meilleur coût (global sourcing). Il est en revanche important de relever que les entreprises françaises ont majoritairement choisi de délocaliser en globalité le processus de production et de réimporter, le cas échéant, le produit final alors que leurs homologues allemandes contrôlent mieux ce processus dans le cadre de délocalisations verticales.
Ce constat est largement partagé comme en témoignent les propos tenus par plusieurs économistes ou experts devant la mission. Il en va notamment ainsi de M. Vincent Chriqui, Directeur général du Centre d’analyse stratégique (CAS) qui a souligné (169) que « la réussite de l’Allemagne tient en grande partie à ce qu’elle apporte de la valeur ajoutée à des biens d’Europe centrale et orientale en conservant la partie la plus intensive de la production, comme l’assemblage, en main-d’œuvre qualifiée. ». Selon lui, cet avantage est toutefois amené à évoluer à l’avenir car « au fur et à mesure que les pays d’Europe centrale ou orientale convergeront, ces coûts augmenteront, réduisant d’autant son avantage concurrentiel. »
L’observation de ces phénomènes complexes reste difficile au travers des données traditionnelles du commerce international qui reposent sur le modèle largement obsolète de la production d’un bien par un pays et l’exportation de ce bien vers un autre pays pour y être consommé. L’OMC et l’OCDE ont récemment modifié leur approche statistique du commerce international pour mieux tenir compte de la fragmentation des chaînes de production.
1. Une motivation principale : rapprocher la production du marché
Contrairement à l’idée la plus répandue dans l’opinion et dans le débat politique, l’essentiel des délocalisations n’est pas imputable à la simple recherche de coûts du travail moins élevé qu’en France. L’audition du Professeur Mouhoud (170) a été particulièrement éclairante à cet égard. Selon lui, en effet, il convient de distinguer deux grandes logiques de délocalisation :
– « Certains investissements à l’étranger sont liés aux différences de croissance et de demande, Il s’agit le plus souvent d’investissements directs, dont l’objectif est la conquête de marchés » ;
– « Une seconde logique est plus inquiétante, car elle remet directement en cause l’activité sur notre territoire. Je veux parler des délocalisations qui sont motivées par les différences de coût de main-d’œuvre ».
Ces conclusions rejoignent celles d’une enquête (171) réalisée en 2011 auprès de 730 conseillers du commerce extérieur et responsables d’entreprises françaises implantées à l’étranger : pour 87 % des entreprises l’implantation à l’étranger répond à la nécessité d’accéder à des marchés en croissance et pour 78 % elle répond à l’intérêt de se rapprocher des clients étrangers ; en revanche, la recherche de bas salaires ou d’une fiscalité avantageuse ne serait pas considérée comme une motivation pour respectivement 71 % et 73 % des sondés… en considérant que les sondés ne se soient pas auto-censurés !
La littérature économique tente de dissocier les deux motivations – accès à des marchés et réduction des coûts de production – en distinguant, au titre des investissements directs à l’étranger (IDE), IDE horizontal et IDE vertical. L’IDE horizontal correspond à la réplication de l’unité de production afin de desservir le marché local, tandis que l’IDE vertical consiste à fragmenter son processus de production dans plusieurs pays, afin de tirer parti des différences internationales de coût des facteurs. Cette distinction est évidemment théorique : les investissements dans les pays émergents (Pays d’Europe centrale et orientale [PECO] et Chine en tête) visent à la fois à accéder à de nouveaux relais de croissance et à bénéficier de faibles coûts de production. Cela explique en partie pourquoi la théorie ne permet guère de prédire l’impact des investissements à l’étranger sur l’activité de la maison-mère.
Selon certains auteurs (172) l’internationalisation des entreprises a un effet positif sur leur chiffre d’affaires, leur innovation et leur emploi en France, elle contribue donc au développement de l’activité industrielle en France. D’un autre coté, elle profite surtout aux emplois qualifiés (conception, fonctions supports) et provoque la destruction d’emplois peu qualifiés. Ce phénomène est tout à fait nouveau : depuis 2008, les groupes multinationaux (dont ceux du CAC 40) ont créé plus d’emplois dans les pays émergents que dans les pays industriels pour la simple raison que les marchés se trouvent là-bas. Or, l’essentiel des délocalisations pour des motifs d’accès aux marchés s’opèrent par des fusions-acquisitions, ce qui peut conduire à délocaliser aussi la recherche et développement (R&D), au risque d’une dilution de nos avantages comparatifs à long terme.
a) Les conquêtes de nouveaux marchés pour répondre à l’atonie de la demande en Europe
Les auditions ont montré que l’essentiel des délocalisations correspond à une stratégie de conquête de marchés en raison de la faiblesse de la demande en Europe et au déplacement du centre de gravité de la croissance vers l’Asie. Il s’agit le plus souvent d’investissements directs. L’illustration la plus pertinente de cette tendance concerne l’industrie automobile pour lequel le constat des experts est sans appel :
Si le marché automobile mondial, qui représente environ 80 millions de véhicules par an, est en croissance (+ 3 % par an), il se caractérise par de fortes disparités régionales. L’Asie – majoritairement la Chine – représente la moitié de ce marché et connaît une croissance de 30 % par an. D’autres zones de forte croissance existent en Amérique latine (+ 15 %), en Russie (+ 4 %) et en Amérique du Nord (+ 3 %). Le marché européen, qui représente un quart du marché mondial, est en revanche fortement déprimé. Après un pic de production en 2007 avec 23 millions de véhicules, il a connu une forte baisse pour atteindre un niveau de 17 millions de véhicules produits en 2009. Ce niveau de production s’établit à 19 millions de véhicules fin 2011 et les dernières estimations l’évaluent à 17 millions de véhicules en 2012. Ce marché européen déprimé se caractérise par des faiblesses structurelles. En premier lieu, il s’agit d’un marché saturé dont la production est uniquement orientée sur le renouvellement du parc existant. En second lieu, avec une démographie stable, ce marché n’est pas porteur contrairement à celui de l’Amérique du Nord, par exemple. Enfin, il comprend des pays durement affectés par la crise financière comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce. D’après le comité des constructeurs français automobiles (CCFA), la France en 2012 enregistre une baisse de production de 14 %, soit son niveau de vente le plus bas depuis 15 ans. (M. Emmanuel Sartorius (173), co-auteurs du rapport, commandé par le Gouvernement, sur la situation de PSA) |
La plupart des actuelles restructurations dans l’industrie automobile sont liées à l’atonie de la demande en Europe. Les groupes sont alors tentés de rechercher de nouveaux marchés, principalement dans les pays à forte croissance et les pays émergents et à investir à l’étranger en procédant à des fusions-acquisitions, en rachetant des entreprises existantes, ou en s’assurant le contrôle de la production – comme l’a fait Renault avec Nissan au Japon.
b) Délocalisations à la recherche de moindres coûts de main-d’œuvre
Cette démarche consiste à faire assembler des biens de consommation dans des pays à bas salaires. Elle concerne des secteurs comme le textile, l’habillement, le cuir ou la chaussure qui ont recours à une main-d’œuvre importante et ne peuvent automatiser que marginalement leurs process. Une fois assemblé dans les pays à bas salaires, le produit final revient ensuite en France.
Contrairement aux précédentes, les délocalisations liées aux différences de coût de main-d’œuvre ne passent pas par des investissements massifs à l’étranger. Il s’agit simplement de sous-traiter des opérations intensives en travail non-qualifié à des entreprises implantées en Chine ou encore dans le bassin méditerranéen. Il ne s’agit pas d’investissements directs, mais ce sont tout de même des délocalisations : on substitue à l’assemblage en France, un assemblage au Maroc, en Tunisie, en Chine ou en Inde.
Il est possible d’avoir une mesure de ces délocalisations à partir des statistiques du commerce international, notamment celles des importations de biens contenant des exportations préalables de composants et de biens finis destinés à la consommation finale des ménages. Selon les différents économistes auditionnés, ce phénomène de délocalisation reste relativement marginal. Il s’agit bien entendu là d’une approche purement macro-économique car d’un point de vue micro-économique, ce phénomène frappe lourdement certains territoires très spécialisés dans des secteurs soumis à la concurrence des pays à bas salaires.
Pour autant la capacité d’intervention des pouvoirs publics apparaît limitée et l’on ne peut que constater que les politiques mises en œuvre depuis trente ans ne sont pas adaptées à ces phénomènes de délocalisation. Elles passent presque toujours par des aides aux entreprises en difficulté, alors que les stratégies auxquelles obéissent les délocalisations verticales sont assez hétérogènes. Selon le Professeur Mouhoud (174), celles-ci obéissent à trois logiques bien distinctes.
– La première est une logique défensive. Elle s’observe aussi bien dans le secteur des biens de consommation comme le textile-habillement, le cuir, la chaussure ou le jouet, que dans celui des services depuis le développement des technologies de l’information et de la communication, qui rendent possible la délocalisation des activités de services aux entreprises tels que les centres d’appel ou la saisie informatique. Réimporter le produit final pour être consommé en France permet à l’entreprise de diminuer ses prix afin de rester dans la course de la compétitivité : la délocalisation compétitive ou défensive, est pratiquée par environ 30 % de nos entreprises, en particulier des PME ;
– Une deuxième logique concerne les entreprises qui développent des comportements de marge. Il s’agit là notamment, selon le professeur Mouhoud, des grands distributeurs qui seraient les champions de cette logique. Ils délocalisent l’ensemble de leur processus de production et le produit revient ensuite pour être consommé en France. La grande différence avec l’hypothèse précédente tient en ce que l’entreprise aligne le prix de vente final non pas sur le coût de production du pays de délocalisation, comme dans la logique défensive, mais sur le coût de production français. Le différentiel entre le coût de production du pays à bas salaires et le coût de production français passe essentiellement dans la marge. Environ 40 % des entreprises de biens de consommation qui délocalisent adopteraient ce type de comportement ;
– La troisième logique n’est pas toujours liée aux coûts de main-d’œuvre puisqu’il s’agit des délocalisations forcées. L’idée est que si les technologies ne sont pas les mêmes dans les différents segments de la filière de production, la délocalisation de l’assemblage peut induire une délocalisation de la filière amont – quand bien même celle-ci n’a pas de raison objective d’être – par le seul jeu des effets de demande et d’offre à l’intérieur de la filière. Il en va, par exemple, ainsi de la filière textile dont l’amont – filature, tissage – est totalement automatisé alors que l’aval – habillement, bonneterie – restent complètement manuels, car les activités à matières souples ne sont pas automatisables.
Le Professeur Mouhoud lie cette problématique aux relations entre distributeurs et fabricants qui constituent une spécificité française. Face à des producteurs atomisés en une myriade de PME, les distributeurs qui sont eux très concentrés bénéficient d’un avantage incontestable. Ce déséquilibre très ancien entre distributeurs et fabricants perdure en dépit des réformes législatives telles que la loi de modernisation de l’économie (175) qui entendait pourtant s’attaquer à certaines pratiques très contestables telles que l’abus du crédit inter-entreprises.
Les distributeurs ont un pouvoir de marché qui leur permet d’imposer des conditions de livraison et de marge très strictes. Dès lors, les fabricants sont contraints de délocaliser pour reconquérir des marges qui leur ont été confisquées. Les rapports inégaux entre distributeurs et fabricants concourent donc à expliquer les délocalisations forcées et constituent une différence notable avec la situation qui prévaut en Allemagne.
2. Sortir de l’alternative segmentation/délocalisation : la co-localisation
Plusieurs rapports (176) ont souligné que le recours à la segmentation de la chaîne de production est beaucoup plus développé en Allemagne qu’en France. Le rapport du Conseil d’analyse économique sur la comparaison des performances commerciales de la France et de l’Allemagne a bien mis en évidence des différences de stratégie des entreprises en matière d’internationalisation entre les deux pays. Les grandes entreprises françaises semblent avoir privilégié l’investissement à l’étranger et la production depuis leurs filiales étrangères, tandis que les entreprises allemandes segmentent plus la chaîne de valeur et utilisent leurs fournisseurs étrangers comme source de compétitivité pour des activités industrielles maintenues outre-Rhin.
Une autre donnée confirme la différence de stratégie : le pourcentage de consommations intermédiaires importées en provenance des pays émergents, ou en transition, qui traduit l’importance de la part d’externalisation du processus de fabrication, se situait autour de 8 % seulement pour la France en 2006 alors qu’il était deux fois plus élevé en Allemagne.
On retrouve à cette occasion une des explications avancées par le Professeur Mouhoud pour expliquer que les entreprises françaises délocalisent tous les processus de production et réimportent le produit final dans le cadre de délocalisations horizontales alors que leurs homologues, en Allemagne, contrôlent mieux le processus – elles ont procédé à des délocalisations bien avant – : c’est que la taille des entreprises distributrices et fabricantes est relativement comparable dans ce dernier pays. Selon lui, « le fait que ces entreprises soient de taille comparable les a poussées à coopérer. Ainsi, en Allemagne, un accord tacite a été passé entre les fabricants et les distributeurs afin que les seconds se fournissent à plus de 60 % auprès des premiers, ce qui n’a pas été possible en France. » (177)
a) La stratégie allemande s’explique d’abord par la géographie
Les auditions ont été l’occasion de souligner l’avantage économique que donne à l’Allemagne la proximité de la « nouvelle Europe » à la suite de l’élargissement intervenu en 2004 (Chypre, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie). L’analyse a été particulièrement développée par M. Philippe Askenazy (178) selon qui « le mode d’organisation des entreprises réclame en effet souvent que les sous-traitants soient situés à proximité de l’établissement où est réalisé l’assemblage – souvent à moins de 24 heures de délai de livraison. Les entreprises allemandes ont donc immédiatement adopté une stratégie consistant à délocaliser vers l’Europe de l’Est les opérations à faible valeur ajoutée pour maintenir en Allemagne les segments à forte valeur ajoutée. Ainsi, bon nombre des coûts intermédiaires sont plus bas pour les entreprises allemandes que pour les entreprises françaises ou espagnoles, et les pays européens qui présentent les plus grands succès à l’exportation dans les deux dernières décennies sont précisément ceux qui sont géographiquement proches des pays de l’Est, qu’il s’agisse de la Finlande, de l’Allemagne, de l’Autriche ou de l’Italie. »
Mais cette orientation est en réalité tout sauf une nouveauté. Les firmes allemandes délocalisent depuis longtemps la production de « morceaux » de biens intermédiaires dans les pays d’Europe centrale et orientale, ce qui leur donne un avantage de coût. Selon le Professeur Mouhoud les entreprises allemandes pratiquent depuis 1958 une stratégie de division du travail dans les pays d’Europe centrale et orientale : elles ont délocalisé plus et plus tôt que nous, mais principalement les biens intermédiaires. Elles incorporent ainsi dans le bien final des biens fabriqués à des niveaux de productivité et de qualification élevés, mais pour des coûts – en particulier salariaux – plus faibles. Cela leur confère un avantage évident. Cette caractéristique se combine avec le fait que l’Allemagne est plutôt spécialisée dans les biens d’équipement, les biens intermédiaires et les machines-outils, qui sont des biens très sensibles à la croissance mondiale, ce qui donne un fort avantage à ses exportations.
L’économie allemande, souvent qualifiée d’économie « de bazar » selon le concept lancé par le professeur Hans Werner Sinn de l’Institut für Wirtschaftsforschung (Ifo) à Munich (179), repose donc en partie sur ce mécanisme : les activités où les entreprises allemandes apportaient peu de valeur ajoutée ont été externalisées, ce qui a été plus que compensé par une hausse du volume de leurs exportations : si la valeur ajoutée par euro exporté a diminué, l’augmentation des volumes exportés a permis au final une croissance de la valeur ajoutée totale des exportations.
b) Une réponse française : la co-localisation
À l’occasion d’un déplacement au Maroc au mois de décembre 2012, le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, a souligné les mérites d’une nouvelle forme de partenariat industriel qu’il a qualifiée de « co-localisation ». Si selon le professeur Mouhoud cette appellation n’est pas parfaitement satisfaisante, préférant quant à lui parler de « co-production », ou de « co-traitance », il s’agit néanmoins d’une évolution significative de la stratégie des grandes entreprises françaises. Ainsi, « le concept s'inspire des partenariats industriels que la RDA a mis en place avec les pays d'Europe de l'Est dès la fin des années cinquante, et que l'Allemagne réunifiée a développés de manière exponentielle après la chute du Mur. Il consiste, pour un pays donneur d'ordres, à faire fabriquer des composants intermédiaires industriels à forte valeur ajoutée par une main d'œuvre qualifiée mais moins onéreuse, dans un pays étranger. Cela s'apparente, à première vue, à de la délocalisation. Mais cela en diffère car la délocalisation verticale telle que nous la pratiquons actuellement dans beaucoup de pays en voie de développement ne concerne que l'assemblage des produits de masse, et poursuit une réduction des coûts à court terme. Les effets induits sont la perte d'emploi pour la France et une paupérisation des qualifications dans le pays fabricant. » (180)
Notre collègue Pouria Amirshahi, élu dans la 9ème circonscription des Français de l’étranger, plaide en faveur de partenariats scientifiques et industriels « gagnants-gagnants » dans le cadre d’un Projet Euro-Méditerranéen qui s’appuierait notamment sur l’espace économique du Maghreb. Dans ce cadre, le renforcement de stratégies communes en matière de formation, d’innovation et d’industrialisation pourrait aboutir à la mise en place de consortiums aptes à développer des filières durables et riches en emplois. La constitution d’un secteur euro-méditerranéen des énergies nouvelles lui paraît ainsi concevable, au même titre que ce que des pays européens ont su bâtir ensemble dans l’aéronautique et les activités spatiales. La volonté politique des gouvernements mais aussi l’ambition manifestée par des entrepreneurs des deux rives de la Méditerranée peuvent insuffler un esprit d’entreprenariat en soutenant des actions de co-formation (par exemple, un nouveau programme Erasmus francophone) favorables à la mise en place de co-localisations industrielles.
La ministre chargée du commerce extérieur, Mme Nicole Bricq (181), a d’ailleurs eu l’occasion de préciser un nouveau concept qui trouve surtout à s’appliquer avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. L’idée rejoint celle du partenariat industriel. À titre d’illustration, la France a signé des protocoles d’accord avec le Maroc et l’Algérie qui souhaitent avoir des productions locales pour leur marché intérieur, mais aussi des formations pour leurs jeunes. Ainsi, lorsque Renault s’implante à Tanger – et ce sera bientôt le cas en Algérie –, les emplois qui sont créés dans le pays devraient aussi être profitables à l’industrie française : loin de lui nuire, ils viennent en complémentarité des emplois restés en France. Le concept vaut également pour les plans agricoles que ces pays souhaitent mettre en œuvre. L’idée consiste à la fois à procéder à des transferts de compétences, voire de technologies en destination de ces pays et à permettre en retour à la France d’accéder à d’autres marchés, au Moyen Orient ou en Afrique subsaharienne. C’est ce que certains appellent une stratégie « gagnant-gagnant » : dans la co-localisation, chacun trouve sa place dans une chaîne de valeur ajoutée où les uns et les autres ne se situent pas sur les mêmes segments.
c) Ne pas passer à côté du décollage économique de l’Afrique
Une des principales raisons pour lesquelles la France a beaucoup souffert de la crise de 2008, notamment dans le secteur crucial de l’industrie automobile, réside dans sa trop forte dépendance à l’égard des marchés méditerranéens qui se sont eux-mêmes effondrés. Ces réticences traditionnelles à l’égard de marchés plus éloignés ou en raison de la barrière linguistique doivent être dépassées pour s’adapter aux évolutions des échanges et à la croissance des nouveaux pays émergents. En effet après les BRIC (182) et les CIVETS (183), les observateurs ont identifiés une série partiellement nouvelle de pays émergents susceptibles d’avoir un impact sur l’économie mondiale : ce sont les « Next eleven » (184) ou « N-11 ». Au-delà de leurs différences, ces pays ont en effet trois points communs que sont le fait d’avoir beaucoup à gagner de la croissance de la Chine, de réaliser des investissements d’infrastructures qui transforment leur économie et de disposer d’un marché intérieur contribuant à la réduction de leur dépendance à l’égard des économies développées.
Les marchés aujourd’hui en plein développement ne sont donc plus la Chine ou la Turquie, mais davantage l'Indonésie, le Vietnam ou le Pakistan, des pays dotés d’une population jeune et en expansion. C'est là que les groupes asiatiques (Hong-Kong, Japon, Singapour, Corée du Sud et Chine) mais aussi américains, canadiens, britanniques et hollandais y réalisent des croissances à deux chiffres par an, alors que la France est encore trop timide sur ces marchés.
Surtout, il existe un continent entier qui connait depuis 2005 une croissance de 5% par an (avec de pointes à 20% comme en Angola par exemple qui suscite une émigration à rebours du Portugal vers l’Angola) : c'est l'Afrique. Richesse du sous-sol en hydrocarbure, matières premières, potentiel énorme de développement en matière d’énergie photovoltaïque et hydroélectrique et richesse démographique. A titre d’illustration les échanges commerciaux entre le France et l’Afrique sont dix fois moindres que les échanges entre la France et les autres pays de l’Union européenne.
La Chine qui est depuis le début de la décennie 2000 l'un des moteurs de l'économie mondiale a contribué à l'accélération de la croissance africaine en tirant à la hausse les cours des matières premières.
Entre 2000 et 2007, la multiplication par sept du commerce sino-africain - de 10 à 70 milliards de dollars - classe la Chine au premier rang des fournisseurs du continent et au second rang de ses partenaires commerciaux derrière les États-Unis. (185) Cette progression spectaculaire a arrêté le processus de marginalisation de l'Afrique dans le commerce mondial qui avait débuté en 1980. Une plus grande stabilité politique et des réformes économiques ont permis au secteur privé de s’épanouir dans nombre des économies diverses qui composent le continent.
En outre, la pauvreté recule et une nouvelle classe de consommateurs apparaît. En 2035, la main-d’œuvre en Afrique sera plus conséquente que celle de n’importe quel pays du monde.
Or, l’Afrique ne compte pas moins de 31 pays francophones et les liens demeurent très forts avec nombres d’entre eux. Bien entendu les groupes comme Total pour les hydrocarbures, Areva pour l’uranium, Eramet pour le manganèse ou encore Technip dans les secteurs pétrolier et pétrochimique sont présents de longue date. Il en va de même pour le groupe Bolloré qui a investi dans la logistique portuaire, le transit et le transport de marchandises et la CFAO dans les secteurs de la distribution d’automobiles et de produits pharmaceutiques, l’Oréal, Bouygues et Orange. Plus récemment la création d’une usine Renault-DACIA à Tanger et la création d'une unité de montage de voitures à Oran, devant assembler la nouvelle Renault « Symbol », sont venues renforcer cette tendance.
Pour autant, la France prend du retard par rapport aux investissements colossaux réalisés par les chinois sur le continent africain. Mais il faut faire vite : il y a déjà presque autant d'expatriés chinois en Algérie que de Français ! Dès 2009, la Chine a remplacé les grands pays européens ou les États-Unis comme premier partenaire commercial de l’Afrique. Les échanges dans les deux sens ont quadruplé en sept ans. Entre 2010 et 2011, ils ont bondi de 127 milliards de dollars à 166, soit autant que le commerce Chine-Allemagne.
Notre pays a un fort potentiel d’investissements et de développement en Afrique, à condition de disposer sur place de personnels compétents pour renforcer notre présence consulaire. Sur le plan géographique nous disposons d’un atout de proximité par rapport aux Allemands pour mettre en œuvre le concept de co-localisation. C’est pourquoi il faut saluer l’infléchissement de notre diplomatie en direction de la diplomatie économique. Comme l’a souligné le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, le « réflexe économique sera désormais une instruction prioritaire et permanente »(186). Le plan d’action du Quai d’Orsay, visant à faire de la diplomatie économique une priorité, s’est notamment traduit par la création d’une direction spécialement dédiée aux entreprises, la direction des entreprises et de l’économie internationale, et l’augmentation des moyens dévolus aux régions les plus dynamiques sur le plan économique.
Concrètement, cette attention accrue portée aux questions économiques au sein de notre réseau diplomatique doit permettre de mieux articuler les analyses macro-économiques conduites par les missions économiques et les postes d’expansion économique dans les ambassades et les consulats avec l’action des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF) résidant à l’étranger qui disposent d’informations plus fines pour aider les PME à aborder de nouveaux marchés à l’international.
3. Un visage nouveau du commerce international
Les entreprises du CAC 40 réalisent désormais 72 % de leurs chiffres d’affaires hors de France (la croissance de leurs activités « hors France » est une tendance qui s’est même nettement accélérée au cours des 3 dernières années).
La fabrication de produits manufacturés mobilise de plus en plus d’acteurs à travers le monde, cette fragmentation du processus de production s’apparente à une nouvelle appellation, le « made in world » qui redessine les contours du commerce international (187).
Alors que des produits haut de gamme bénéficient de « l’effet marque » et de l’identification à un pays qui s’y attache, la réalité du processus de production est beaucoup plus complexe comme en témoigne l’exemple de l’iPhone qui incorpore un écran tactile, une mémoire flash, des transistors et une batterie fabriqués au Japon, une mémoire DRAM coréenne, des bandes de bases et des émetteurs-receveurs allemands, un logiciel conçu en Grande-Bretagne, le tout assemblé en Chine. Dès lors et ainsi que l’a relevé un intervenant devant la mission, « la définition même d’un produit « français » ou « allemand » renvoie certes à des représentations qui pourraient faire l’objet de longs débats – pourquoi, par exemple, un véhicule Porsche Cayenne, dont la fabrication incorpore 90 % d’intrants produits hors d’Allemagne, est-elle universellement perçue comme un produit allemand ? » (188).
Le biais statistique créé par l'imputation de la totalité de la valeur commerciale au dernier pays d'origine peut fausser le débat sur l'origine des déséquilibres, et donc amener à prendre des décisions mal fondées, donc contre-productives. Ainsi pour reprendre l’exemple de l’iPhone, les règles commerciales en vigueur le comptabilisent comme un déficit de 400 dollars des États-Unis vis-à-vis de la Chine alors que seul l’assemblage est réalisé dans ce pays pour une valeur ajoutée estimée à 4 % de son prix.
Cette constatation est à l’origine de l’initiative conjointe de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) (189) sur les échanges en valeur ajoutée. Elle rompt avec les statistiques commerciales classiques qui mesurent les flux bruts de biens et de services à chaque franchissement de frontière. Elle cherche en fait à analyser la valeur ajoutée par pays dans la production des biens ou services exportés et offre ainsi une vision plus complète des relations commerciales entre les nations.
Selon le Directeur général de l’OMC, M. Pascal Lamy (190), 60 % du commerce mondial sont des produits intermédiaires et le contenu en importations des exportations est passé de 20 % il y a vingt ans à 40 % aujourd’hui.
En analysant la situation du commerce extérieur de la France, on observe depuis plusieurs années de telles distorsions de perception au regard des chiffres officiels. Il en va notamment ainsi des échanges avec la Chine. Si la Chine se différencie des autres BRIC par une montée en gamme de ses exportations, en 2008, les achats de biens de haute technologie (ordinateurs, téléphones, produits électroniques grand public) ont représenté 29 % de l’ensemble des importations françaises depuis ce pays. Cette montée en gamme des produits chinois doit cependant être relativisée. Elle reflète pour partie l’internationalisation croissante des processus de production. Selon les douanes chinoises, en 2009, la moitié des exportations de la Chine relèverait ainsi d’opérations de perfectionnement, elles-mêmes réalisées à hauteur des deux tiers par des filiales étrangères. Par ailleurs, un bilan des échanges entre la France et les BRIC, éloignés géographiquement, nécessiterait de prendre en compte l’activité des filiales françaises implantées dans cette zone.
4. Les relocalisations de production : un phénomène réel mais d’une ampleur limitée
Le thème de la relocalisation sur le territoire français d’activités précédemment délocalisées témoigne de la prise de conscience de la nécessité d’arrêter l’hémorragie qui touche aussi bien l’industrie que les services. On a en effet longtemps considéré, à tort, que les services ne pouvaient faire l’objet de délocalisation, mais les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont rapidement rendu cette vision obsolète.
Plusieurs exemples comme les entreprises Rossignol, Geneviève Lethu ou encore les Taxis bleus (pour leurs centres d’appels) se sont inscrits dans cette contre-dynamique. L’audition du Professeur Mouhoud (191) a particulièrement permis de mesurer l’ampleur de ce phénomène et d’en analyser les causes. Les développements qui suivent y font largement appel.
Dans le cadre de la distinction évoquée précédemment entre les délocalisations horizontales et les délocalisations verticales, les relocalisations concernent presque exclusivement ces derniers cas de figure. Elles peuvent être considérées comme étant « le phénomène inverse des délocalisations verticales ».
Les relocalisations qui font suite à une délocalisation verticale sont motivées par quatre facteurs :
– l’automatisation de la production. Il est de fait que l’automatisation de la production et la délocalisation verticale dans les pays à bas salaires pour réimporter le bien final sont deux techniques concurrentes pour la rentabilité et donc la viabilité des entreprises. Une entreprise qui réduit la part des coûts salariaux dans ses coûts de production grâce à l’automatisation et à la robotisation gagne en compétitivité coût unitaire et en étant proche des marchés, elle peut faire de petites séries et répondre ainsi au mieux à la demande ;
– L’imperfection des produits finis en provenance des pays de délocalisation. Ce déficit de qualité par rapport à la production en France peut résulter d’une moindre dotation en outils performants, d’une moins bonne formation des personnels et/ou d’une moindre productivité ou tout simplement de l’éloignement culturel avec les clients. Le phénomène n’est pas nouveau puisqu’un rapport parlementaire publié en 2004 relevait déjà que « la compagnie parisienne Les Taxis Bleus a renoncé à ses centres d'appels marocains au bout de trois mois après avoir constaté une dégradation de la qualité de l'accueil téléphonique ; aux États-Unis, c'est le fabricant d'ordinateurs Dell qui a dû rapatrier une partie des services délocalisés en Inde en raison des trop nombreuses plaintes de ses clients (192). » Ces entreprises ont perdu en parts de marché ce qu’elles avaient gagné en termes de coûts de production. Plus récemment, plusieurs entreprises ont également fait le choix de la relocalisation : Le Coq sportif, les skis Rossignol, le shampooing Petrole Hahn, les jouets Smoby, les lunettes Atol, les chaussettes Kindy ou encore les linges de table Geneviève Lethu ;
– L’augmentation des coûts de transport et de coordination. Il s’agit d’un facteur plus récent lié à l’augmentation des coûts de transports au cours des dernières années après une longue période orientée à la baisse ;
– L'adaptation et la réactivité à la demande du client ou du consommateur final est une donnée nouvellement pris en compte, les défauts en ces domaines pesant plus fortement avec une chaine de production éloignée.
En dépit de cette tendance récente il est incontestable que les deux flux ne revêtent pas, et de loin, la même importance. Le rapport s’établit de la manière suivante : « on ne compte qu’un emploi recréé pour dix délocalisé »(193).
Si les délocalisations vers des pays à moindres coûts ne sont pas une fatalité, il est tout aussi vrai que les relocalisations ne constituent pas la panacée. L’époque est à la complexité, à l’imbrication des flux et la multiplicité des sources d’approvisionnement. L’ère de la mondialisation des échanges et de la globalisation (194) de la production et du commerce peut certes présenter des risques accrus de défaut de traçabilité et de sécurité, mais on ne peut nier sa capacité à transformer l’économie en profondeur. Les maîtres mots du nouveau commerce international sont ceux de fluidité et de remise en cause, « il n’y a plus de positions acquises » et « le capitalisme moderne est devenu à la fois plus efficace et plus stressant » (195). Toute la problématique consiste donc à prendre la mesure du phénomène pour y instiller davantage de régulation et de réciprocité, la question étant de savoir si l’OMC est en capacité ou non de le faire, et quelles sont les nouvelles règles à mettre alors en place.
5. Mieux prendre en compte les enjeux économiques de la normalisation
Tout d’abord une précision s’impose, notre pays est régulièrement pointé du doigt pour la prolifération des normes administratives, sanitaires ou environnementales. À titre d’illustration, pas moins de 400 000 textes réglementaires ou circulaires encadrent l’action des élus locaux et par conséquent des entreprises répondant à la commande publique (196).Il s’agit là d’un vrai sujet qui entrave nos possibilités de développement. Faisant l’objet d’une prise de conscience récente comme en témoigne la création en 2008 de la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN) et la nomination d’un commissaire à la simplification(197). Le gouvernement a également lancé dès le début 2013 un programme de simplification des démarches administratives et de l’environnement réglementaire des entreprises.
Une autre problématique récurrente concerne la transposition en droit français des textes communautaires qui a pris ces dernières années une importance considérable. Les Directives européennes comportent des dispositions affectées d’une intensité normative variable selon qu’elles sont d’harmonisation maximale, il s’agit alors d’une véritable obligation de conformité, ou plutôt d’une simple obligation de compatibilité. Or notre pays fait partie de ceux qui procèdent régulièrement à une sur-transposition de ces textes en renforçant certaines obligations ou en étendant le champ d’application. Cette tendance, qualifiée de « gold plating », est critiquée à la fois par le Commission européenne elle-même et par les entreprises (198). À cet égard, la multiplication des projets de loi « portant diverses propositions ... » a largement contribué à renforcer la complexité du droit applicable aux entreprises.
Mais le cœur des préoccupations de cette mission nécessite de décrire ici les enjeux d'une autre forme de normalisation, celle qui recouvre la détermination par les industriels des normes-produits qui structurent les marchés et les échanges économiques. Lors de son audition, M. Olivier Peyrat, directeur général d’AFNOR, a d’ailleurs insisté sur « la différence entre la norme réglementaire qui interdit, parfois qualifiée à bon droit d’absurde, et la norme volontaire, qui correspond à une pratique volontaire. (199)» Ainsi, l’utilisation de feuilles de papier de format A4 – ou 21/29,7 – découle d’une norme ISO au même titre que le CD ROM. On considère qu’il existe environ 30.000 normes de ce type en vigueur actuellement dans notre pays(200).
Afin d’être facilement diffusable, une innovation technologique ne peut se passer de normalisation. L’apport de la normalisation est certes difficilement quantifiable, mais les exemples de batailles industrielles destinées à imposer un standard d’enregistrement vidéo, de diffusion audio ou une norme comptable sont nombreux. Dans son récent rapport (201) consacré à ce sujet, Mme Claude Revel souligne que « l’influence sur les règles et normes internationales, c'est-à-dire sur les règles du jeu économique, est une composante essentielle quoique peu visible de la compétitivité des entreprises et des États. »
Le développement de normes internationales participe de l’expansion du commerce international, selon Pascal Lamy, « les réseaux de production mondialisés dépendent à bien des égards des normes internationales. Sans elles, le modèle de production « Fabriqué dans le monde » serait certainement moins répandu qu’il ne l’est aujourd’hui. (202)». Dans l’optique de l’OMC, les normes font partie des mesures non tarifaires, les MNT, qui doivent être réduites voire supprimées si elles constituent une restriction non nécessaire au commerce. Deux accords clés de l’OMC, l’accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC) et l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) encouragent les États à utiliser les normes internationales, notamment produites par l'organisation internationale de normalisation (International Organization for Standardization), ou ISO, pour ne pas instaurer de telles restrictions.
Ces accords comportent également une présomption, certes réfragable mais néanmoins d’une portée non négligeable, consistant à dire que si les pays membres fondent leurs mesures sur des normes internationales pertinentes, ils sont présumés être en conformité avec les règles de l’OMC.
En France, comme l’a indiqué M. Olivier Peyrat (AFNOR), « il y a vingt-cinq ans, les normes sur lesquelles nous travaillions étaient « franco-françaises » : les Français faisaient des normes pour les Français. C’est désormais l’inverse : 90 % des normes travaillées avec AFNOR sont des normes d’essence européenne ou internationale. (203)»
Il ne semble pas exagéré de dire que les enjeux autour de la définition et de la maîtrise des normes constituent parmi les gisements de productivité et d’efficience les plus importants pour un pays comme la France qui dispose d’une importante culture sur ces questions, l’AFNOR a été créée en 1926, et d’un vivier d’ingénieurs de haut niveau. Or, selon le récent rapport de Mme Claude Revel, « contrairement à l’Allemagne ou au Royaume-Uni, les responsables d’entreprises françaises ne se sont pas dans l’ensemble saisis au plus haut niveau de ces sujets, se reposant sur l’État. » (204)
Pourtant l’implication sur le terrain des normes a des implications économiques directes ainsi que l’a souligné M. Olivier Peyrat :
« Réduction des coûts, car qui dit normalisation dit économies d’échelle, encouragement de la formation des intervenants, c’est-à-dire de ceux qui aident l’entreprise à produire, des jeunes qui entrent dans l’entreprise, des sous-traitants, clients et installateurs… On mesure là les bénéfices liés à une meilleure utilisation de l’information disponible ou à une meilleure exploitation du stock d’informations disponibles. La codification de l’information permet un libre partage de celle-ci. Avec l’effet de halo qui entoure la norme, nous sommes dans une logique d’optimisation des coûts. (205) »
Selon les études conduites en 2009 par l’AFNOR et en 2010 et 2011 par ses homologues allemande et britannique, la normalisation contribuerait directement à la croissance de l’économie. En moyenne annuelle, cette contribution s’établirait à 0,8 % sur la période 1950-2007 ce qui est loin d’être négligeable. Bien entendu cette contribution résulte d’un effort continu car la normalisation est un processus de long terme. Comme l’a indiqué M. Olivier Peyrat, « le travail sur une norme internationale peut prendre trois ou quatre ans ; une intervention politique lors de l’étape finale ne sert à rien car toutes les options ont déjà été discutées. Il faut donc s’impliquer dans la durée en faisant preuve de cohésion et de cohérence. Contrairement à nous, nos amis Allemands savent s’en tenir collectivement et définitivement à une position unique. (206)»
Le titre du rapport de Mme Claude Revel a d’ailleurs valeur d’impératif catégorique, il faut développer une influence normative internationale stratégique pour la France. La concurrence pour participer aux enceintes de décision se fait de plus en plus ouverte, ainsi le président du CETIM, M. Philippe Choderlos de Laclos (CETIM), a-t-il déclaré devant la mission que « s’agissant de la mécanique, la normalisation s’opère au niveau de l’ISO, organisme au sein duquel les Allemands contrôlent 130 commissions, comme les Américains ; les Français, 70, et les Chinois 45 au lieu de 3 ou 4 il y a cinq ans. Aujourd’hui, ces derniers sont donc candidats à tous les postes ; ils ont compris qu’accéder à la présidence ou au secrétariat d’un comité technique, c’est détenir le pouvoir. Il est clair que nous ne devons pas négliger ce débat. (207)». Il est donc impérieux de développer la présence française dans les instances internationales car en matière de normalisation, comme dans beaucoup d’autres, les Français sont souvent supplantés par les anglo-saxons. Nous sommes pénalisés par une pratique insuffisante de l’anglais et une préférence pour les interventions ex-cathedra du personnel politique au détriment d’une forme de lobbying plus soutenu et plus offensif. Un défaut de pragmatisme qui se trouve sanctionné par une influence réduite.
Il faut insister sur les rapports entre innovation, normalisation et propriété intellectuelle. Certains disent que la norme nuit à l’innovation. Il n'en est rien : la norme volontaire est utile à l’innovation. Dans certains cas, c’est précisément grâce à la norme que l’innovation peut être développée de manière industrielle. M. Olivier Peyrat a notamment présenté la relation entre norme et propriété intellectuelle :
« Deux approches sont ici possibles. La propriété intellectuelle – le fait d’avoir un brevet – vous rend propriétaire exclusif d’une innovation, moyennant quoi vous la remettez dans le domaine public au terme du brevet. C’est l’échange qui a été trouvé par la société : le partage de l’innovation en contrepartie d’un monopole temporaire. La normalisation correspond à l’inverse : tout le monde peut faire ce qui est dans la norme. Lorsque les partenaires travaillent sur des normes au plan européen ou international, si des titulaires de brevets laissent ceux-ci « embarquer » dans la norme, ils doivent s’engager à accorder une licence à tous ceux qui la demanderont. Autrement dit, ils échangent une stratégie « d’épicerie fine » – celle du brevet – contre une stratégie de très grande distribution, en cherchant la valorisation maximale. Imaginons que sur un produit, un institut Fraunhofer ait développé un brevet, qui est embarqué par ce produit, et qu’il y ait quelques centimes d’euro dans chacun des téléphones qui font venir, par exemple, du Bluetooth. La propriété intellectuelle a été développée une fois, en partenariat, par exemple, entre un groupe d’entreprises et un institut Fraunhofer ; les Allemands sont capables de faire « embarquer » la norme, et prêts à licencier tous ceux qui le souhaitent ; d’une certaine manière, ils se transforment en bureau d’études européen ou mondial, et ils sont prêts à licencier tous ceux qui le souhaitent, sur la base du brevet que leur technologie et leurs moyens d’investissement auront permis de développer. Nous avons là des mécanismes très puissants et très vertueux. ». On mesure bien là la puissance de la normalisation et son aspect « winner takes all » au fait qu’il ne peut y avoir durablement deux normes concurrentes sur un même segment de marché ; la standardisation et les économies d’échelle imposant le choix d’une norme au dépend des autres. C’est ce qu’a souligné M. Olivier Peyrat (AFNOR),en indiquant que « les véritables enjeux concernent en fait la normalisation verticale – par exemple en matière de santé, d’infrastructures, de smart grids, de carburants propres… La règle du jeu que nous proposons est ici confrontée à celles que proposent nos voisins. Et si la règle du jeu du voisin s’impose, les coûts microéconomiques de mise en conformité augmenteront nécessairement. (208)»
Enfin, au niveau européen, l'extrême attention à la libre concurrence pousse parfois la Commission à confondre concertation sur les normes futures à développer entre acteurs économiques européens et recherche de constitution de cartels. Cette crainte exacerbée afin de permettre à des acteurs non-européens d'être présents sur notre marché intérieur mériterait d'être pour le moins atténuée !
C.— LA TROP FAIBLE CONVERGENCE DES ÉCONOMIES EUROPÉENNES : UN HANDICAP POUR LUTTER A ARMES ÉGALES AVEC LES AUTRES ZONES ÉCONOMIQUES
1. Les défaillances de la protection aux frontières
Cette absence de protection – soulignée là aussi par M. Louis Gallois dans son rapport, (« il faut mettre en place le principe de réciprocité : ceux qui exportent chez nous doivent appliquer les règles que nous nous imposons pour exporter chez eux, qu’il s’agisse du domaine social, de l’environnement, de la santé, de la sécurité ou de la propriété intellectuelle. De même, un pays dans lequel on ne peut pas acheter des entreprises ne devrait pas pouvoir en acheter chez nous ») a largement été mentionnée par les interlocuteurs de la mission qui y voient un handicap majeur, qu’il s’agisse de normes ou de taxes. Cette constatation fait l’objet d’un consensus total, d’autant que les cas cités sont innombrables.
M. Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) juge indispensable de « faire mieux respecter les règles européennes à nos frontières. De plus en plus de cerises consommées en Europe sont produites en Turquie, alors que des produits phytosanitaires utilisés dans ce pays sont interdits dans l’Union. Pourtant les contrôles restent centrés sur les produits français ou européens, et ignorent les produits d’importation ».
Autre secteur, même difficulté : M. Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM) rapporte qu’« une entreprise mexicaine qui souhaite vendre ses produits en Europe paiera des droits d’entrée à hauteur de 1,7 % en moyenne. À l’inverse, une entreprise française acquittera, au Mexique, des droits de douane de 32 % ».
Des dirigeants d’entreprises de taille mondiale ont fait le même constat. M. Philippe Varin, président du directoire de PSA Peugeot Citroën avait réclamé, lors d’une audition en juillet dernier (209), que les accords envisagés avec le Japon et l’Inde soient soumis à une véritable étude d’impact, précisant qu’il s’est vendu sur le marché européen 438 767 véhicules d’origine sud-coréenne, alors que, dans le même temps, l’Europe n’a exporté en Corée que 78 762 véhicules.
De même, M. Jean-Louis Beffa, président d’honneur de Saint Gobain (210) avait fait remarquer que les États-Unis ont rapidement taxé à 30 % les panneaux photovoltaïques chinois, alors que l’Union européenne n’a rien fait.
En matière de télécommunications, M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, s’est déclaré « inquiet de voir qu’Alcatel ne bénéficie pas d’une protection européenne équivalente à celle dont se sont dotés les États-Unis face aux équipementiers chinois ».
M. Morvan Burel (SUD) a dénoncé la non réciprocité des accords de libre échange, qui n’ont jamais fait l’objet « ni d’une évaluation, ni d’une consultation démocratique ». Par exemple, « l’accord signé en 2010 avec la Corée du Sud s’est traduit par des conséquences mesurables quant à la pénétration du marché européen, mais il reste impossible aux automobiles européennes de pénétrer le marché coréen ».
M. Joseph Touvenel (CFTC) s’est élevé également contre l’entrée en Europe des produits qui échappent aux normes écologiques que nous imposons à nos industriels et qui augmentent leurs coûts de production : « l’Europe fait preuve d’une faiblesse coupable ». Ce déséquilibre lui fait dire que « si l’Europe n’est pas capable d’obtenir que les règles du jeu de la mondialisation soient respectées par tous, elle sera le dindon de la farce ».
De ce fait, M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, proclame que « nous sommes les idiots du village global », faisant allusion à ces « pays émergents sans vergogne » qui rient « avec le reste du monde » de la « naïveté » européenne (211) ».
M. Pascal Lamy, directeur général de l’OMC doute pour sa part que la réciprocité soit souhaitable dans tous les cas (212) : elle ne serait peut-être pas bien accueillie dans le domaine agricole avec l’Australie et la Nouvelle Zélande. Il lui semble que « désormais, l’horizon ne peut plus être que de réduire les différences entre les normes et les standards ».
Devant le Parlement européen, le 6 février dernier, M. François Hollande a mis l’accent sur les défaillances de la protection aux frontières : « l’Europe s’honore d’être un grand marché, mais elle le défend mal, face aux concurrences déloyales ».
Dans ce domaine également, les exemples abondent, notamment dans l’agriculture. M. Xavier Beulin, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) a souligné que « le coût horaire brut d’un salarié de l’agriculture rémunéré au niveau du SMIC est de 10,82 euros en France, de 6 euros en Allemagne, de 7,37 euros en Belgique et de 7,80 euros en Espagne ». L’exemple de la filière des fruits et légumes, qui subit une forte concurrence de la part de l’Allemagne, est marquant : « entre 1996 et 2010, la France a perdu environ 50 % de surface de production pour l’asperge, 25 % pour la carotte et 39 % pour la fraise, alors que durant la même période, l’Allemagne augmenté ces mêmes surfaces, respectivement de 73 %, de 30 % et de 64 % » et de préciser : « aujourd’hui, on peut faire venir en Allemagne, en vertu d’une convention signée il y a deux ans avec ces deux pays, des salariés bulgares ou romains qui sont employés en l’absence de tout contrat pour des périodes de six mois, sans cesse renouvelées ». En conclusion, dans cette filière, « tout ce qui tient au coût du travail nous met progressivement hors-jeu dans la compétition internationale ».
M. Emmanuel Commault, directeur général de Coperl Arc atlantique, coopérative du secteur porcin, livre un diagnostic similaire : « le coût de la main-d’œuvre est trois fois moins élevé en Allemagne qu’en France. Cet écart a un impact sur la production qui décroît de 2 à 3 % par an en France, alors qu’elle progresse de 5 % en moyenne annuelle depuis une décennie en Allemagne. Aujourd’hui, l’existence de cette industrie de la viande – qui emploie 50 000 personnes en France – est menacée ». Ces écarts tiennent à l’emploi en Allemagne de travailleurs européens moins payés : « tandis que nous payons un salarié français 22 euros de l’heure, charges comprises, nos concurrents allemands paient un Roumain, un Ukrainien ou un Balte 7 euros de l’heure ».
« Nous nous heurtons non pas à un excès, mais à un manque d’Europe », souligne M. Luc Barbier, président de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF). « En 2003-2004, l’Allemagne a décidé de déréguler le marché du travail. À 200 kilomètres de chez moi, un producteur de mirabelles allemand peut embaucher du personnel pour seulement 4 ou 5 euros l’heure…il peut même employer pendant 180 jours, sans aucune contrainte administrative, des personnes d’origine bulgare ou roumaine ». Ces distorsions l’amènent à penser qu’« il faudrait …commencer par mettre en place des règles sociales communes, au moins à l’intérieur de la zone euro. Si les pays ont été capables d’adopter une monnaie commune, je comprends mal qu’ils ne puissent établir un socle social européen, afin d’éviter les distorsions. On peut imaginer un salaire minimum général ou interne à chaque branche ».
De même, M. Emmanuel Commault conclut : « si nous n’avançons pas sur la question d’une Europe sociale, nous serons incapables de maintenir les emplois de la filière agro-alimentaire française ».
Les syndicats ont également dénoncé l’absence de mesures d’harmonisation dans le domaine social ou dans celui du droit du travail, quel que soit le secteur.
« L’alignement permanent sur le « moins-disant » social ne nous parait rien d’autre qu’une politique suicidaire » a déclaré M. Morvan Burel, SUD). M. Pascal Pavageau (FO) a jugé indispensable de revoir la directive européenne relative au détachement de travailleurs, pour combattre le dumping social. (213)
Votre rapporteur s’associe à cette revendication. Droit fondamental de l’Union européenne, la mobilité des travailleurs en son sein ne doit pas conduire à des distorsions de concurrence choquantes.
La directive de 1996 sur le détachement des travailleurs, entrée en vigueur en 1999 s’applique dans le cas d’une prestation de services transnationale effectuée par une entreprise dans un autre État membre que celui où elle exerce habituellement son activité. L’employeur doit, dans ce cas, garantir à son salarié l’application des règles de protection sociale mis en œuvre sur le territoire de l’État membre où est exécutée la prestation : les normes applicables concernent le salaire minimum, la durée du travail, la durée minimale des congés payés, la santé et la sécurité au travail.
Ces règles doivent être fixées au sein de l’État d’accueil par voie législative ou réglementaire, ou par des conventions collectives ou sentences arbitrales (si celles-ci sont décrétées d’application générale).
Une déclaration doit intervenir au début du détachement, sans que cela ne soit nettement fixé par la directive : cette imprécision, en limitant la mise en œuvre de contrôles, peut favoriser un certain nombre d’abus.
Elle a également donné lieu à des arrêts de la Cour de justice européenne qui a davantage mis l’accent sur les libertés économiques que sur la pertinence de l’application des conventions collectives(214).
Il s’avère donc indispensable de réfléchir à une nouvelle directive garantissant mieux les droits des travailleurs concernés. Le Conseil économique et social européen (CESE) a appelé la Commission à clarifier certaines dispositions prévues dans la directive et, dans un avis adopté le 19 septembre dernier, a souhaité que les États – membres adoptent des conditions d’emploi minimales.
Outre ces distorsions de concurrence internes, l’Europe doit en outre réfléchir aux conséquences de la mondialisation.
Selon M. Joseph Touvenel (CFTC), « Il faut que la mondialisation ait un socle social » : en effet, il est « moralement et économiquement suicidaire d’accepter comme nous le faisons de commercer avec des pays qui ne respectent aucune norme sociale et font travailler les enfants ».
« Le dialogue social est un peu en berne », déplore M. Emmanuel Mermet (CFDT) : « la Confédération européenne des syndicats a insisté à plusieurs reprises sur les risques que les politiques d’austérité faisaient peser sur la croissance et l’emploi. Elle a proposé un contrat social en faveur de la solidarité et de la coopération en Europe, qui porte notamment sur le soutien et la promotion du dialogue social européen. Les nouvelles ne sont guère bonnes de ce côté, puisqu’aucun accord sur la révision de la directive sur le temps de travail n’a été obtenu ». Il faut que les normes soient prises en compte dans les accords internationaux de libre-échange, notamment celles de l’Organisation internationale du travail.
Non seulement l’Europe n’a pas eu de politique sociale très développée, mais, comme l’a souligné devant la mission M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, « l’écart se creuse en raison du dumping des pays d’Europe du sud, à commencer par l’Espagne et l’Italie, qui, pour remettre en ordre leurs comptes publics, ont adopté des mesures de déflation, lesquelles ont encore intensifié la compétition entre les pays de la zone euro. Elles montrent aussi à quel point la question du coût du travail est devenue centrale ».
À propos des salariés détachés par leur pays d’origine, M. Arnaud Montebourg a indiqué avoir sonné l’alarme au plan européen : « les cas d’illégalité sont nombreux : être payé au SMIC polonais ou tchèque en France est illégal…nous avons fait le choix de combattre ces pratiques illégales et nous demandons à nos partenaires de faire de même et de pousser à la hausse des salaires partout en Europe ».
Devant les députés européens, le Président de la République a mis l’accent sur la solidarité qui doit être mise en œuvre et impose, en particulier, d’« ouvrir le chantier du salaire minimum ».
3. Le risque accru d’un cavalier seul allemand
Déjà, en octobre 2010, l’OFCE publiait un article « Allemagne : cavalier seul » (215), déplorant qu’au pragmatisme qui avait prévalu dans la gestion de la crise en 2008 et 2009 – avec la mise en œuvre de plans de relance - succède le dogme de la vertu de l’équilibre budgétaire : « avec cette stratégie de sortie de crise, l’Allemagne refuse de jouer véritablement la locomotive de la zone euro en proposant un schéma de croissance inadapté à l’ensemble des pays membres, ce qui ne fera qu’accroître l’écart du niveau de PIB par habitant ».
En janvier 2012, un rapport de l’Organisation internationale du travail (216) avait dénoncé la politique allemande de compétitivité par les salaires en y voyant la cause structurelle de la crise de la zone euro. La baisse des coûts unitaires de main-d’œuvre en Allemagne par rapport à ceux des concurrents durant la décennie écoulée a entraîné des pressions sur la croissance de ces économies, avec des conséquences néfastes pour leurs finances publiques. De surcroît, les pays en crise ne pouvaient pas exporter pour pallier l’insuffisance de leur demande intérieure, faute d’augmentation de la demande en Allemagne. Ces problèmes sont l’héritage du passé, quand des politiques mises en œuvre lors de la réunification du pays ont provoqué une forte hausse du chômage, contre laquelle on a lutté ensuite par des politiques salariales déflationnistes.
M. Louis Gallois a refusé de faire de l’industrie allemande un modèle dans la mesure où la pauvreté s’est développée en Allemagne – deux millions de salariés ont un salaire inférieur ou égal à 4 euros de l’heure, ajoutant : « le marché intérieur est le lieu où s’affrontent des économies qui sont inégalement compétitives et il ne doit pas devenir une mécanique au service des plus forts ».
Les interlocuteurs de la mission se sont également élevés contre le prétendu « modèle allemand » dénonçant le rôle de « cavalier seul » joué par l’Allemagne.
M. Arnaud Montebourg a souligné que les salaires allemands devaient remonter pour faire cesser la désinflation compétitive « si les Allemands ne font rien, ils risquent de précipiter l’Europe dans la récession et eux avec ».
M. Jean-Luc Haas, (CFE-CGC) dénonce la compétitivité allemande qui « est due à une diminution phénoménale en dix ans du coût du travail en Allemagne, à l’origine d’une augmentation significative du taux de pauvreté dans ce pays », ce qui conduit d’ailleurs à un débat dans ce pays sur l’instauration d’un salaire minimum. En écho, M. Morvan Burel (SUD) ajoute que les mesures prises par le gouvernement Schröder ont généré de l’austérité, une déflation salariale et un creusement des inégalités.
Pour M. Christian Saint-Étienne, Mme Angela Merkel nous exhorte d’adopter le modèle allemand « dans le cadre d’une gouvernance punitive qui est en train de se mettre en place. Le bloc France-Italie-Espagne-Portugal, dont le PIB représente plus de 50 % de celui de la zone euro risque en effet de subir trois années de croissance nulle, pour se rapprocher le plus possible du modèle allemand… le rebond allemand s’est en partie fait grâce à l’effondrement français. La stratégie allemande nous a coûté 0,4 point de croissance par an pendant 10 ans car, comme l’Allemagne, qui constituait notre plus gros marché, a gelé les salaires, nous n’avons pas pu continuer à lui vendre nos produits ». Il a conclu à la nécessité d’«une fédéralisation autour d’un noyau dur ». Toutefois, le redressement français serait un préalable à cette éventuelle fédération, et si elle se constitue, il estime que ce sera non au sein de l’Union européenne, mais plutôt entre huit ou neuf États : « à cet égard, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) a ouvert la voie ». Ce noyau dur deviendrait la deuxième puissance économique mondiale. C'était d'ailleurs aussi un enjeu du débat en 2005 sur le Traité constitutionnel européen qui comportait une approche restrictive de ce type de coopération renforcée.
Devant le Parlement européen, M. François Hollande n’a pas exposé la même vision que Mme Angela Merkel ; refusant que le désendettement et l’amélioration de la compétitivité ne condamnent l’Europe « à l’austérité sans fin », il a prôné une politique « adaptée aux situations nationales ». Envisageant une nouvelle architecture de l’Union, il a « plaidé pour une Europe différenciée…ça ne serait pas une Europe à deux vitesses, qui deviendrait d’ailleurs vite une Europe inégale, ou une Europe divisée, ce n’est pas davantage une Europe à la carte. Non, l’Europe différenciée, c’est une Europe où les États, pas toujours les mêmes, décident d’aller de l’avant, d’engager de nouveaux projets, de dégager des financements, d’harmoniser leurs politiques, au-delà du socle substantiel, qui doit demeurer, des compétences communes ».
Le chemin sera certainement long avant d’atteindre un tel objectif, mais votre rapporteur ne doute pas que ce soit celui qui doive être poursuivi.
4. L’impact des politiques de redressement des comptes publics
Selon deux économistes du FMI, MM. Olivier Blanchard (chef économiste) et Daniel Leigh, l’utilisation par cette institution d’un mauvais coefficient de calcul a débouché sur une sous-estimation des effets négatifs de l’austérité en Europe. Ce coefficient lie l’évolution des dépenses publiques aux taux de croissance de l’économie. En fait, l’impact de l’austérité serait de deux à trois fois plus important que prévu. M. Paul Krugmann, lauréat en 2008 de la récompense usuellement appelée prix Nobel d’économie, a fustigé les dirigeants européens, qui ont créé des souffrances dignes de la crise de 1929.
De fait, la directrice générale du FMI, Mme Christine Lagarde, a appelé les Européens à prendre plus de temps, collectivement, pour réduire leurs déficits, après avoir reconnu que l’effet des plans d’austérité sur la croissance était plus fort que ce que le FMI avait anticipé il y a trois ou quatre ans.
Le président de la Banque centrale européenne (BCE), M. Mario Draghi, a déploré que, même si l’année 2012 avait été celle de la relance de l’euro, des progrès semblables n’eussent pas été réalisés du côté de l’économie réelle.
Faisant de la relance le grand sujet du premier semestre 2013, M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, plaide pour que la France et l’Allemagne discutent d’un juste équilibre à trouver entre la poursuite des efforts structurels à moyen terme et le soutien de la croissance à court terme.
Cependant, le 8 février 2013, de longues négociations ont débouché sur un accord prévoyant, pour la première fois, une programmation budgétaire européenne en baisse, d’un montant de 960 milliards d’euros de crédits d’engagements entre 2014 et 2020, contre 994 milliards entre 2007 et 2013. Les coupes les plus importantes concernent les grands travaux d’infrastructures ; les projets d’avenir font également les frais de la rigueur.
Il ne faut toutefois pas oublier l’importance des restes à liquider (RAL) concernant la période 2007-2013 qui vient compléter cette analyse. Les restes à liquider sont les engagements qui n’ont pas encore donné lieu à paiements, en raison du caractère pluriannuel de la plupart des programmes européens. L’accroissement de ces restes se poursuit : le rapport annuel de la commission européenne sur la gestion budgétaire et financière concernant l’exercice 2011 souligne que le RAL représentait à la fin de cette année, 194,4 milliards d’euros (en augmentation de 7% par rapport à l’année précédente), et les dernières estimations de la Commission européenne font apparaître un montant de 207,3 milliards d’euros à la fin de 2013. Elle estime que celui-ci est un facteur de rigidité pour le prochain cadre financier pluriannuel, puisque 18% de l’enveloppe des paiements 2014-2020 devraient y être consacrés.
Le Parlement européen ont néanmoins très massivement désapprouvé ce projet de budget le 13 mars dernier – démarche que votre rapporteur approuve pleinement –, rejetant le manque d’ambition de celui-ci pour soutenir la compétitivité de l’industrie européenne. Outre un relèvement des plafonds de dépenses prévus, les eurodéputés ont notamment réclamé une plus grande flexibilité des règles budgétaires afin de pouvoir déplacer les crédits non employés d’une rubrique à une autre.
5. Les problèmes de la zone euro : les conséquences d’un euro « fort » mais « cher »
Un euro originellement surévalué dans une union marquée par des divergences ?
Il est fréquemment affirmé que l’Allemagne a été et demeure grandement bénéficiaire de la mise en place de l’euro. L’idée que ce pays aurait ainsi fait payer aux autres membres de l’union monétaire une partie du coût de sa réunification peut être avancée. Mais, vouloir trouver ainsi une explication majeure à la crise de la croissance en Europe ne résiste guère à la chronologie et aux orientations de politique économique et budgétaire arrêtées par l’Allemagne, au lendemain de sa réunification d’ailleurs intervenue près d’une décennie avant la mise en œuvre de l’euro.
L’euro « fort » a, en fait, naturellement succédé au mark « fort ».
Initialement, la réunification allemande a pu effectivement contribuer à renforcer le Deutsche Mark (DM) du fait des importants besoins de financement ainsi créés et qui ont été accompagnés par le rapatriement de capitaux détenus à l’étranger. L’appréciation du DM face au dollar mais aussi aux autres monnaies européennes s’est accentuée lorsque la Bundesbank a relevé ses taux d’intérêt pour contrer des pressions inflationnistes liées à la réunification. Ses partenaires qui avaient soumis leur monnaie à un régime de parités fixes (avec d’étroites marges de fluctuation) dans ce qui constituait alors le système monétaire européen (SME) ont dû, à leur tour, relever leurs taux d’intérêt ce qui a pénalisé, un temps, leur croissance.
Certains considèrent que l’union monétaire allemande décidée le 1er juillet 1990, soit huit mois après la chute du Mur, porterait une responsabilité initiale avec la parité de change accordée au mark est allemand vis-à-vis du mark de l’Ouest (217). Un accord avait même été conclu avec les syndicats, en 1991, afin que les salaires de l’Est soient alignés au terme de 5 ans. Cet accord, d’ailleurs dénoncé dès 1993, traduisait une double inquiétude à l’égard de délocalisations d’activités vers l’ex-RDA et d’un afflux de travailleurs est-allemands dans les Länder de l’Ouest. Si la hausse des salaires a vite été enclenchée notamment dans les trois années suivant la réunification, le rattrapage n’est toujours pas achevé puisque la rémunération moyenne à l’Est en 2009 représentait 80 % de celle constatée à l’Ouest. Dans un premier temps, le pouvoir d’achat des Allemands de l’Est a pu être conforté, mais une chute de la production et de l’emploi est néanmoins intervenue dans l’industrie du fait des importants écarts de productivité entre les deux parties du pays. En fait, la modernisation de l’appareil productif est-allemand et la mise à niveau de sa compétitivité résultent des efforts consentis, année après année, par les contribuables, en conséquence de deux pactes nationaux successivement mis en œuvre : « Solidarpakt 1 » entre 1995 et 2005 puis « Solidarpakt 2 » qui sera effectif jusqu’en 2019. Depuis 1991, un impôt spécifique existe (le « Solidaritätzuschlag ») : le montant de l’impôt sur les revenus des personnes et des entreprises a ainsi été majoré de 5,5 %. En outre, l’État fédéral a consenti d’importantes subventions et une péréquation financière entre Länder, toujours active, a été décidée principalement au bénéfice de l’Est.
Dès 1996, l’Allemagne a pris des mesures pour réduire son déficit budgétaire, soulager les tensions inflationnistes et rétablir le solde de sa balance courante mise à mal par la réunification. Ce programme a ouvert une période de modération salariale, y compris par un ralentissement significatif de l’augmentation des traitements du secteur public, dans le but de pouvoir satisfaire aux exigences du Traité de Maastricht mais aussi de mieux préparer l’adoption d’une monnaie unique en 1999.
Le 31 décembre 1998, les États participants à la zone euro ont retenu une parité entre leurs monnaies fixant à 1,1665 dollar la valeur de l’euro.
Il convient de rappeler que de sa création à la fin de l’année 2000, l’euro s’est déprécié d’environ 20 % (son cours historiquement le plus bas étant de 0,823 dollar, le 28 octobre 2000). Postérieurement, l’euro s’est tendanciellement apprécié de 70 % sur la période 2001-2008 pour franchir le cap d’1,40 dollar à l’automne 2007 puis atteindre 1,50 dollar au mois de février 2008, c’est-à-dire au plus fort de la crise américaine qui a agi par effet de contagion.
Ce renchérissement de la monnaie unique n’a évidemment pas été sans conséquence sur la compétitivité des pays de la zone euro. En France, la productivité demeurant plus élevée que dans d’autres pays, le rebond de l’euro ne s’est pas traduit immédiatement par une perte de compétitivité, l’adoption des 35 heures ayant même été partiellement compensée par une certaine modération salariale. Globalement, l’appréciation de l’euro n’en a pas moins déstabilisé les positions commerciales à l’intérieur de la zone, car une telle appréciation a notamment eu pour effet de détourner une partie de la demande des pays membres vers les pays non membres.
Une stratégie anticipatrice de réduction des coûts a permis à l’Allemagne de contrebalancer l’appréciation de l’euro. Les entreprises allemandes qui bénéficient d’ailleurs d’une élasticité-prix plus favorable de leurs produits en offrant une gamme « qualitative », n’ont pas eu à réduire leurs marges autant que leurs homologues en Europe. Elles ont renforcé leurs positions au sein de la zone euro tout en parvenant à stabiliser leurs positions sur les autres grands marchés. Pour leur part, les entreprises françaises ont été contraintes de comprimer fortement leurs marges afin de maintenir une compétitivité-prix compatible mais au détriment de l’investissement et de l’innovation. Cette course à la sauvegarde de la compétitivité a probablement eu pour effet d’éliminer certaines entreprises des activités exportatrices, particulièrement des PME-PMI. En témoigne la baisse continue du nombre des entreprises exportatrices : les statistiques douanières sur les déclarations des entreprises ayant accompli dans l’année au moins une activité d’exportation montrent que la France a perdu 14 600 exportateurs sur la période 2000 à 2011. (218)
L’euro « fort » n’affecte pas seulement les PME-PMI mais évidemment les grands groupes dont l’essentiel de la production est facturé en dollar. L’exemple le plus souvent cité est celui d’Airbus, d’ailleurs majoritairement contrôlé par l’Allemagne et la France, qui a été amené à créer, principalement en raison des « surcoûts » monétaires, une implantation d’assemblage aux États-Unis ; une part importante de ses clients relevant de la « zone dollar » de même qu’un grand nombre de ses fournisseurs. M. Louis Gallois qui a été président exécutif EADS, la maison-mère d’Airbus, a constamment souligné que le taux de change de l’euro était en partie responsable d’une perte de compétitivité. En 2008, confronté à l’envolée de l’euro, M. Gallois avait dû intensifier un plan d’économies dit « Power 8 », en précisant que chaque fois que le dollar perdait 10 cents contre l’euro, EADS perdait 1 milliard d’euros ; la faiblesse du dollar gommant mécaniquement les efforts de productivité d’Airbus. Cet exemple a été maintes fois repris en citation depuis lors. Quatre années plus tard, M. Gallois a rappelé, à l’occasion de la présentation de son rapport sur la compétitivité que le taux de change « acceptable » de l’euro devrait durablement se situer entre 1,15 et 1,2 dollar.
Les propos tenus au cours de son audition par M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques illustrent parfaitement la situation. Le taux de change de l’euro renchérit considérablement le prix du travail. Il ajoute toutefois :
« Une baisse du cours de l’euro ne serait pas indolore : les consommateurs y perdraient du pouvoir d’achat – ils trouvent leur compte au cours élevé de l’euro, et c’est peut-être pour cela que l’on ne se plaint pas trop - et notre facture énergétique augmenterait. Malgré les problèmes qu’elle pose, notamment pour nos finances publiques, il est donc plus urgent que jamais d’accélérer la transition énergétique : nous ne pouvons pas espérer une réindustrialisation que si le cours de l’euro baisse, et cette baisse ne se fera sans trop de pertes de pouvoir d’achat et sans trop de difficultés de tous ordres que si nous importons moins de pétrole et moins de gaz ».
En l’état, la zone euro ne peut évidemment être considérée comme une zone monétaire optimale. Elle souffre, depuis l’origine, de la divergence des politiques économiques, budgétaires et fiscales entre ses membres. Les disparités macroéconomiques entre participants, qui constituent l’héritage de déséquilibres passés, risquent encore de s’aggraver du fait des mesures d’austérité que sont contraints d’arrêter dans l’urgence certains pays membres. Même en agissant de façon plus affirmée sur les taux d’intérêt et le change, ce qui est indispensable, la Banque centrale européenne (BCE) ne pourra tout régler par ses seules interventions. Les ajustements actuellement en cours dans les pays les plus fragilisés par les déficits et la dette creusent les écarts de performance économique. Toutefois, cette lacune pourrait être en partie comblée par une cohérence enfin marquée des politiques budgétaires et fiscales, première étape d’un fédéralisme économique.
Or, il n’en est rien. La volonté politique fait défaut. Le sauvetage de l’Irlande, un temps nommé le « Tigre celtique », en témoigne. Ce pays a connu entre 1997 et 2007 une croissance exceptionnellement élevée (7 % en moyenne). L’excès d’endettement, l’afflux d’investissements directs étrangers (IDE) et l’explosion d’une bulle immobilière ont mis à mal l’ensemble de son système financier, rapidement atteint par contagion à la suite de la crise américaine des subprimes. Le renflouement de l’État (le déficit budgétaire irlandais représentait, en 2010, 32,3 % de son PIB) et la recapitalisation des banques ont nécessité des apports en prêts très importants (85 milliards d’euros) de la part du FMI et de l’Union européenne. Ces apports ont été décidés à la fin de l’année 2010(219). En contrepartie d’un tel effort, aucun accord n’a pu être dégagé pour demander à l’Irlande de relever, même à terme, son taux d’impôt sur les sociétés fixé à 12,5 % et de revoir son régime de faible taxation des dividendes, voire d’exonération dans certains cas. Cette abstention permet à un membre de la zone euro de maintenir un dumping fiscal : il profite particulièrement à de grandes entreprises américaines qui localisent leur siège en Irlande pour des activités qu’elles exercent majoritairement dans les autres pays européens !
Il est d’ailleurs intéressant de relever que c’est à l’initiative de l’OCDE, une organisation de 34 membres au sein de laquelle les États-Unis ou encore le Japon ont pourtant des rôles importants, qu’une réflexion contre les dérives de l’optimisation fiscale et l’érosion des bases d’imposition des groupes internationalisés a été récemment engagée, et non dans le cadre de l’Eurogroupe. À ce jour, la zone euro s’est en effet abstenue de se saisir de ces questions essentielles auxquelles le G20 semble, à son tour, vouloir apporter de premières réponses.
Une flexibilité du marché du travail en Allemagne au service unique du développement économique
Le trait caractéristique de la politique économique allemande est d’avoir conduit sur plus de deux décennies l’effort de la réunification tout en décidant, chaque fois que nécessaire, des mesures correctives et ciblées. Cette stratégie soutenue par une aptitude à la négociation collective sur des réformes relatives à l’emploi qui ont d’ailleurs succédé à de premières décisions de modération salariale a permis à l’Allemagne d’être mieux préparée que ses partenaires à l’adoption de l’euro. Les préoccupations concernant la compétitivité-prix ont été anticipées en comparaison des autres membres de la zone euro. Les modes de négociations salariales ont évolué, dès la fin des années 1990. Ainsi, le secteur de la chimie a mis en place, à partir de 1998 et avec l’accord des partenaires sociaux, un « corridor » d’évolution salariale permettant de réduire de 10 % le nombre d’heures travaillées et les salaires en fonction de l’activité. Plus généralement, de nombreux secteurs ont négocié à la baisse les éléments variables de la rémunération ou en ont indexé l’évolution en fonction des profits de l’entreprise, comme cela a été le cas dans le secteur bancaire.
À partir de 2004, certaines entreprises ont réintroduit la semaine de 39 heures, sans augmentation des salaires, alors qu’elles avaient quelques années auparavant adopté un régime de travail de 35 heures pour mieux absorber les creux d’activités.
Enfin, l’Allemagne a augmenté, à compter de 2007, de 3 points son taux normal de TVA (le portant à 19 % alors que son taux réduit restait fixé à 7 %), en diminuant ses cotisations sociales.
L’Allemagne a ainsi pu accumuler des excédents commerciaux indépendamment du niveau de l’euro. Elle a également su conjuguer des réformes structurelles internes avec l’avantage de voisinage que lui confère la géographie en lui permettant de refondre assez largement son processus de production industrielle. Par la délocalisation d’une partie de ses fabrications dans des pays d’Europe de l’Est, elle génère d’abord des flux d’importations concernant une production qu’elle contrôle puis l’exporte revêtue du label « made in Germany » (220).
La plus importante des réformes structurelles conduites par l’Allemagne concerne son marché du travail.
Il s’agit d’une stratégie de reconquête de la compétitivité mise à mal par la réunification visant à abaisser les coûts salariaux mais aussi de la protection sociale, en dépit de positions industrielles extérieures demeurées fortes. Sur la base d’un rapport demandé à M. Peter Hartz, ancien chef du personnel du groupe Volskwagen, le Chancelier Schöder qui avait rompu avec les principes keynésiens une année après son accession au pouvoir en 1998, a engagé des réformes encore plus profondes dans le cadre de l’« Agenda 2010 », dès le début de son second mandat et en dépit d’une majorité parlementaire étroite.
L’ensemble de ces mesures s’inscrit dans une logique de flexibilité accrue de l’emploi. Mais ce plan se distingue toutefois d’autres mesures prises par la Suède et le Royaume-Uni, où elles ont été théorisées par le programme du New Labour, car le travail demeure régi dans le cadre de la loi et non pas aux seuls niveaux de la branche voire de l’entreprise, bien qu’il n’existe pas en Allemagne un salaire minimum interprofessionnel comparable au Smic. En fait, les réformes dites « Hartz » ont voulu rétablir la situation des finances publiques et sociales de l’Allemagne, difficilement maîtrisables du fait de l’extension de l’économie sociale de marché à sa partie Est et contrer les effets de l’euro « fort » qui a succédé au mark « fort ».
Entre 2002 et 2005, quatre grands textes (les lois Hartz I à IV) ont modifié le cadre législatif du marché de l’emploi :
Plus particulièrement, la loi Hartz IV, entrée en vigueur en 2005, a considérablement modifié le système des allocations chômage en réduisant à la fois la durée maximale d’indemnisation, quelles que soient les durées de cotisations, et le montant de l’allocation qui, au-delà d’une année, devient forfaitaire : ce montant est, le cas échéant, complété par des aides tenant compte de la situation de famille et du logement mais aussi modulé en fonction de l’épargne et du patrimoine du bénéficiaire. Ce système soumet les demandeurs d’emploi de la catégorie « Hartz IV » à des contrôles d’autant plus rigoureux que pèse désormais sur les chômeurs de longue durée l’obligation d’accepter un travail même peu rémunéré, sauf à voir l’allocation réduite voire supprimée. Les organismes à but non lucratif ont ainsi pu créer des « Jobs à 1 euro » (exonérés de cotisations sociales) pour lesquels des salariés sont rémunérés entre 1 et 2 euros par heure en complément de leur allocation chômage.
Les réformes « Hartz » ont rapidement eu un effet sur l’emploi : entre 2006 et 2008, le nombre des personnes sans emploi depuis plus d’une année a diminué de 35 % et la durée moyenne des vacances de postes a enregistré un reflux. Dans le même temps, la part des emplois à temps partiel a dépassé en Allemagne la moyenne constatée dans la zone euro (19,6 % en 2009, selon Eurostat) pour atteindre le quart des emplois au total. La part des « mini jobs » dépassait 13,5 % de l’emploi total dès 2007. Le taux d’emploi des seniors a également progressé pour atteindre 57 %de la classe d’âge des 55-64 ans, en dépassant ainsi l’objectif du Traité de Lisbonne fixé en 2007 à 50 % (la moyenne des pays de la zone euro était de 46 %en 2009).
S’agissant de l’emploi des jeunes et des femmes, les résultats restent plus que nuancés. En effet, si le taux de chômage des moins de 25 ans qui avait atteint un point bas au milieu de l’année 2008 (9,3 %) reste très inférieur à celui de l’ensemble de la zone euro (près de 20 % en 2009), une remontée traduit certaines difficultés dans l’accès à l’emploi. Le système de l’apprentissage présenté comme une spécificité allemande et souvent loué pour son efficacité est dorénavant parfois délaissé par les jeunes eux-mêmes qui ne privilégient plus ce cursus au moment où le secteur tertiaire a une importance croissante dans l’économie allemande. Par ailleurs, la forte spécialisation à laquelle conduit l’apprentissage peut constituer un handicap de mobilité et de conversion professionnelles en périodes de difficultés économiques. Pour leur part, les entreprises arbitrent dorénavant souvent aux dépens des charges d’apprentissage car le droit du travail les autorise à plus de souplesse dans l’ajustement des effectifs les plus jeunes qui, en outre, sont régis par un régime spécifique de leur période d’essai pouvant aller jusqu’à deux années ! Enfin, le taux d’emploi des femmes dont 85 % sont employées dans les services, reste inférieur à celui constaté dans l’ensemble la zone euro (66,2 % contre 75,3 %). Elles occupent d’ailleurs en Allemagne près de 80 % des emplois à temps partiel.
Mais l’Allemagne est confrontée à un défi démographique dont il reste difficile d’apprécier aujourd’hui toutes les conséquences, pour elle-même comme pour ses principaux partenaires L’accroissement constaté du taux d’activité compensera encore pendant quelques années la diminution de la population ; le report de l’âge de départ à la retraite à 67 ans ne pouvant constituer qu’un palliatif temporaire au choc de la sortie du marché du travail des générations du « babyboom ». Certains interlocuteurs de la mission d’information ont toutefois relativisé l’impact de cette situation. Ils ont insisté sur l’attractivité allemande pour s’attacher une immigration dynamique, en prenant pour exemple un mouvement déjà engagé auprès de jeunes espagnols ou grecs justifiant de qualifications supérieures.
Dans un livre récent, M. Guillaume Duval (221), relativise le caractère supposé positif des remises en cause du modèle social ainsi réalisées. Cet auteur souligne la montée de la pauvreté et des inégalités en rappelant que les mesures « restrictives », notamment budgétaires, prises entre 1997 et 2002, n’avaient pas été sans conséquences sur la croissance du PIB allemand (inférieure sur la période à celle de la France : 8,6 % contre 13,8 %) et la création d’emplois (1,1 million de postes créés contre 1,9 million en France).
Sinon totalement préparée à la brutalité de la crise de 2007-2008, l’Allemagne s’est néanmoins trouvée à ce moment plus robuste que les autres pays de la zone euro. Sa capacité de résistance résultait sans doute, en partie, de mesures arrêtées bien antérieurement et sur la durée. De plus, son économie a l'opportunité de correspondre aux besoins des pays émergents, tant du point de vue des attentes importantes en volume de secteurs économiques en forte expansion (nécessité de machines outils performantes par exemple) que des attentes de leurs nouvelles classes dirigeantes (tels que des véhicules haut de gamme).
La part des salaires dans la valeur ajoutée de ce pays est passée de 67,9 % en 1993 à 57,6 % en 2007. De même, le taux de marge des entreprises (rapport de l’excédent brut d’exploitation sur la valeur ajoutée) atteignait 41,9 % en 2007, alors qu’il n’était que de 31,8 % en 1993.
Pour autant, l’Allemagne a-t-elle mis en œuvre une stratégie de désinflation compétitive parfois même qualifiée de « non coopérative » ?
Cette stratégie lui a, en effet, permis de faire face à l’appréciation de l’euro mais en pesant sur les performances commerciales de ses partenaires naturels : ses principaux gains de parts de marché ayant été enregistrés au sein même de la zone euro. Si un tel jugement fait fi des efforts demandés à l’ensemble de la population allemande, il amène néanmoins à s’interroger sur l’absence de convergence des politiques économiques au sein de la zone euro. Les choix allemands de politique de l’emploi ne peuvent être cependant considérés comme la mise en œuvre d’un dumping. Mais une compression durable des salaires qui offre d’indéniables atouts de compétitivité à l’exportation, notamment en direction de pays voisins, peut effectivement avoir pour conséquence d’assécher la consommation, au point de compromettre durablement la croissance d’un ensemble économique (la zone euro) dans lequel les interpénétrations sont importantes.
Toutefois, l’Allemagne semble pouvoir renouer avec une dynamique de croissance. Pour la troisième année consécutive, les salaires réels y ont enregistré, en 2012, une augmentation (+ 0,6 %), selon l’Office fédéral de la statistique. Désormais, l’Allemagne pourra bénéficier d’un rebond de croissance en raison d’une remise à niveau de ses facteurs de production : entre 2002 et 2008, le coût unitaire du travail (hors inflation) n’augmentait dans ce pays que d’un peu plus de 2 %, alors qu’il progressait sur la période de 15 % pour l’ensemble de l’Union européenne, et de façon la plus marquée en Italie et en Espagne.
Les conséquences des situations italienne et espagnole, notamment pour la France
Il a toujours paru tentant d’établir certaines analogies entre les situations économiques de l’Italie et de l’Espagne souvent considérées comme représentatives des pays du Sud de l’Europe voire des « pays Club Med » selon une qualification péjorative ayant émergé outre-Rhin, il y a plus d’une décennie. Or, ces pays, qui ont en commun d’être des partenaires commerciaux de première importance pour la France, ont des histoires économiques sensiblement différentes.
L’Italie est d’abord un pays industriel qui exporte des produits finis de qualité et a su établir dans certains secteurs une réputation de savoir-faire et d’innovation : la production manufacturière occupe une part plus importante dans l’activité totale du pays qu’en Espagne mais aussi qu’en France, ce qui reste peu connu. Si l’Italie a effectivement en commun avec l’Espagne de fortes disparités régionales dans ses activités, la tradition industrielle et marchande y est plus solidement ancrée. Le développement économique de l’Espagne est plus récent. Au cours des trois dernières décennies, il a été principalement fondé sur les services et une financiarisation ou bancarisation massive qui a abondamment soutenu l’émergence d’infrastructures nouvelles et plus spécialement le secteur de la construction.
L’Espagne et l’Italie ont cependant chacune un marché du travail « dual » qui se singularise par de fortes disparités sectorielles entre grandes entreprises ou institutions publiques assurant aux salariés d’assez larges garanties matérielles et nombre de petites entreprises caractérisées par la disparité de leur productivité, sans omettre l’importance d’un secteur informel qui apporte un soutien souvent irremplaçable à l’activité de certaines régions. Dans ces contextes, les marchés nationaux du travail se sont traditionnellement accordés dans un « mix » conjuguant, d’une part, protection voire corporatisme et, d’autre part, flexibilité de fait.
Face à la crise, les deux pays ont d’abord établi des programmes d’économies budgétaires et de lutte contre la fraude fiscale qui concernent également les régions et les municipalités aux modes de gestion considérés dispendieux ; l’Italie décidant même de réduire le nombre de ses entités provinciales. Par ailleurs, une profonde réforme du marché du travail italien, adoptée par le Parlement en juin 2012, a notamment assoupli les règles de licenciement dans les grandes entreprises en échange d’une amélioration de la protection sociale dans les petites entreprises. Mais le gouvernement Monti a surtout agi sur le système des retraites en repoussant l’âge de départ, en abolissant la retraite dite « d’ancienneté » qui prévalait et ouvrait un droit au départ à 60 ans en contrepartie de 36 années d’ancienneté tout en mettant en œuvre des processus de désindexation.
En Espagne, l’année 2012 aura été marquée par une remise en cause encore plus profonde des droits acquis, notamment sous la pression de l’OCDE, avec une réduction des indemnités de licenciement, la possibilité pour les entreprises en difficulté de baisser les salaires sans consultation préalable, l’extension à une année de la période d’essai pour certains contrats à durée indéterminée et l’abandon de toute autorisation administrative préalable à la mise en œuvre de plans sociaux. Les résultats de ces mesures récentes ne peuvent encore être évalués dans un pays où le chômage concerne plus du quart de la population active et toujours la moitié des jeunes de moins de 25 ans. Il semble toutefois que ce démantèlement de règles pourtant établies du droit du travail a eu un premier résultat. Non sur l’emploi mais au sein les marchés financiers qui, depuis l’automne 2012, considèrent à nouveau attractive la dette espagnole du fait de taux d’intérêt nécessairement supérieurs à ceux des autres grands pays de la zone euro. Cet attrait qui est, en outre, renforcé par la garantie résultant de la décision de rachat de dettes publiques par la BCE, s’est manifesté par un retour des investisseurs étrangers à l’occasion des émissions d’emprunts du Trésor espagnol.
Néanmoins, rien n’indique qu’une flexibilité à ce point accrue du marché du travail permette un rétablissement rapide de la situation économique.
La participation à la zone euro a interdit aux membres de l’union monétaire de procéder aux « dévaluations compétitives » auxquelles ils avaient recours, notamment de façon très traditionnelle en Italie, en tant qu’instrument de relance du commerce extérieur. La croissance économique du pays s’en est trouvée durablement affaiblie et les échanges de l’Italie avec ses partenaires européens longtemps équilibrés ont enregistré des déficits postérieurement aux dernières dévaluations des années 1992/1995. Au contraire, l’Espagne a pu longtemps continuer à enregistrer une progression de son solde commercial « intra zone euro » en bénéficiant d’une croissance dopée par le boom des activités immobilières, du moins jusqu’à 2007. Si la crise a eu des effets particulièrement sévères en Italie et en Espagne, c’est en raison d’une envolée salariale conjuguée à une insuffisance de gains de productivité sur la période 2000 à 2007 (*voir tableau à insérer) et de la croissance de l’endettement, peut-être plus problématique en Espagne qu’en Italie dont la position nette débitrice est plus faible (part de l’endettement détenue par des investisseurs étrangers). Disposant d’actifs réels conséquents (immobiliers et fonciers) dont les valeurs ont été plus faiblement affectées par la crise qu’en Espagne, les ménages italiens se trouvent dans une situation moins vulnérable, car ils supportent des niveaux d’endettement parmi les moins élevés d’Europe en pourcentage de leurs revenus. Leurs engagements financiers qui représentent au total 48 % du PIB de l’Italie restent effectivement parmi les plus faibles de la zone euro, alors qu’ils s’établissent à 90 % en Espagne, 70 % en France et en Grèce et à 65 % en Allemagne. En outre, l’Italie a régulièrement dégagé un excèdent budgétaire primaire (recettes totales moins charges de la dette) : ce n’est qu’en 2009, au cœur de la crise, que le déficit budgétaire a représenté 0,7 % du PIB, bien moins que le déficit moyen de 3,5 % des pays de la zone euro dans leur ensemble pour cette même année.
En fait, l’émergence de la zone euro a eu un effet délétère en faisant bénéficier tous les pays membres, du moins jusqu’à la crise, de taux d’intérêt bas et trop peu discriminants en fonction des situations économiques, à l’évidence contrastées, avec pour certains pays des taux d’inflation toujours très supérieurs à la moyenne de la zone.
Ce qui s’est trop durablement apparenté à une « facilité de caisse » accordée par les marchés aux pays emprunteurs, pourtant en situation divergente d’un point de vue financier, a évidemment contribué à l’accumulation de la dette par les pays du Sud. Une dette dont la gestion leur est devenue impossible. Car postérieurement à la faillite de Lehman Brothers, les marchés ont radicalement changé d’attitude en exigeant des taux prohibitifs à court terme des mêmes pays qu’ils avaient abondamment servis ! Cette facilité originelle de la zone euro s’est traduite par une trop longue période d’expansion du crédit au cours de laquelle des taux réels très bas ont contribué à alimenter le déficit extérieur et la bulle immobilière qui, en Espagne mais aussi en Irlande, a attiré des capitaux étrangers dans le cadre d’un système administratif et fiscal délibérément attractif. Elle a donc longtemps retardé la mise en œuvre d’un rattrapage positif au moyen de réformes structurelles que l’Italie et l’Espagne sont tardivement contraintes de réaliser « dos au mur ». La dette publique italienne dépasse 120 % du PIB !
Pour indispensables qu’elles soient, les réformes conduites depuis deux ans et dans l’urgence par les gouvernements espagnol et italien ont des conséquences sur leurs partenaires de la zone euro. La France subit ainsi dans ses relations commerciales l’agressivité de véritables « chocs de compétitivité » brutalement déclenchés. Le contexte déflationniste créé au sein des marchés intérieurs de deux de ses principaux partenaires (baisse des rémunérations, effondrement de la demande en maints domaines et atonie de l’investissement) a d’ores et déjà atteint nos exportations. Dans le même temps, les entreprises italiennes se montrent à nouveau très présentes à l’exportation en bénéficiant de nouveaux avantages de coûts et cela en dépit d’un profond « credit crunch » national qui handicape leurs financements. Ce rebond commercial illustre bien la souplesse du tissu industriel italien dont la réactivité a toujours été une caractéristique majeure. Néanmoins, une spirale de crise par insuffisance de la croissance dans une partie significative de la zone euro menace toujours.
Il convient de garder à l’esprit que l’Italie et l’Espagne forment avec l’Allemagne et la France le « noyau économique » de la zone euro. À elles seules ces quatre économies représentent près de 80 %du total de la production de la zone. De fait, que les économies de la Grèce, de Chypre ou encore du Portugal se trouvent en situation de faible corrélation avec ce noyau central reste secondaire pour l’ensemble de la zone, du moins en termes de croissance. Cette situation s’avère néanmoins cruciale en termes de garantie de solvabilité internationale car décider de soutenir en ce sens ces pays exige un accord entre les grands acteurs de la zone, donc une cohérence de leur situation économique et de leur action.
6. Le retour de la contrainte extérieure
La mise en place de l’Euro au 1er janvier 2002 visait notamment à s’affranchir de la contrainte extérieure(222). À l’époque, la politique « du franc fort » se traduisait par des taux d’intérêt élevés, prix payé par la France pour rester arrimée au Deutschemark, qui pénalisait déjà la croissance française. Avec l’introduction d’une monnaie unique, l’euro devait permettre à la France de supprimer la « prime de risque » liée au franc fort et de stimuler la croissance. La contrainte extérieure devait être allégée.
Plus de dix ans après sa création, force est de constater que l’euro n’a pas permis à la France d’échapper à la contrainte extérieure, même si la concurrence internationale exacerbée liée à la mondialisation, conjuguée aux contraintes liées à la crise des dettes souveraines notamment dans les pays de la zone euro, ont également joué un rôle important dans cette évolution.
Bien au contraire, l’économie française connaît, au travers de la perte de sa compétitivité soulignée par le rapport Gallois et par le Pacte national pour la croissance, un retour de la contrainte extérieure. Ce défaut de compétitivité se traduit, en effet, par une balance commerciale et un solde courant en dégradation constante.
Le solde de la balance commerciale connaît une dégradation forte depuis 2002, passant d’un excédent de 3,5 milliards d’euros en 2002 à des déficits « record » de 74 milliards d’euros en 2011 et de 67 milliards d’euros en 2012.
Ni la facture énergétique, ni l’euro cher n’expliquent en totalité cette détérioration. Elle est imputable, pour partie, aux faiblesses structurelles de l’offre française à l’exportation. Ce décrochage à l’exportation s’explique en effet essentiellement par le manque de compétitivité de ses produits, qu’il s’agisse de leur compétitivité « prix » ou de leur compétitivité « hors prix »(223).
C’est pourquoi les parts de marché des exportations françaises dans le commerce international sont en baisse de 36 % depuis 2000 selon le Pacte national pour la croissance. Hors facteur monétaire, les exportations françaises décrochent également au sein de la zone euro, leur part de marché étant passée de 12,7 % en 2000 à 9,3 % en 2011 selon le rapport Gallois.
En tout état de cause, la montée en puissance des pays émergents dans le commerce international tend mécaniquement à réduire les parts de marché françaises dans le total des exportations mondiales. Il n’en demeure pas moins que la France n’arrive plus à répondre de manière satisfaisante à la demande mondiale qui lui est adressée. Les débouchés effectifs des produits français croissent donc moins vite que la demande mondiale à laquelle il lui est donné de répondre.
Croissance moyenne annuelle des exportations
( % par an, 2000-2010, valeur nominale)
Source : Nations unies. Comtrade, analyses McKinsey
Le déficit commercial est à l’origine de la dégradation continue de la balance des paiements courants (224) observée depuis 1999. Depuis 2005, la France enregistre un déficit courant. Celui-ci a atteint 38,9 milliards d’euros en 2011 (225) (1.9 % du PIB). Cette dégradation du solde de la balance des paiements courants engendre un manque de liquidité et accentue le besoin de financement de la nation.
Dans son rapport sur l’État et le financement de l’économie(226), la Cour des comptes souligne le besoin de financement (227) qui résulte de la dégradation continue de la balance des paiements courants. Ce besoin de financement s’élève à 51 milliards d’euros en 2011 (soit 2.6 % du PIB).
Avec les charges liées au vieillissement de la population (financement des retraites, accroissement des dépenses de santé et de dépendance), le besoin de financement de la nation s’accroît.
La voie d’un endettement accru n’étant plus soutenable compte tenu du niveau atteint par la dette française (1 818,1 milliards en 2012, soit 89,9 % du PIB), le besoin de financement de la Nation impose de résorber le déficit de la balance courante, voire de générer un excédent de la balance des paiements courants.
La Commission européenne l’a effectivement souligné dans son rapport du 30 mai 2012 sur les mécanismes d’alerte visant à prévenir de nouvelles crises dans la zone euro. Selon la Commission, « la lecture des indicateurs montre que les principaux défis sont liés à la position extérieure ».
La contrainte extérieure est devenue telle qu’elle impose désormais de revoir les objectifs de pilotage du niveau de la monnaie commune pour associer à la nécessaire maîtrise de l'inflation d’autres objectifs liés à la croissance et à l'emploi, à l'instar de ce que pratiquent d'autres Banques centrales. Pour la France, il est nécessaire de viser une remontée de la balance commerciale vers des excédents sur la durée afin de rééquilibrer notre balance des paiements. Nous devons donc réapprendre à exporter plus et mieux. L’enjeu est de retrouver au plus tôt une économie suffisamment compétitive pour atteindre cet objectif.
Les travaux menés par la mission d’information tendent à souligner une insuffisante prise de conscience du défaut de compétitivité de l’économie française et de la nécessité de renouer avec un excédent courant. Au-delà des experts et du monde de l’entreprise, l’opinion doit savoir ce qu’il est en est et ce qui pourrait résulter d’un statu quo qui contraindrait inévitablement notre pays à perdre son rang, y compris au sein de l’Union européenne.
III.— LES PARIS DE L’INDUSTRIE, DE L’INNOVATION, DE LA MOBILISATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL : DES LEVIERS A ACTIONNER POUR ENDIGUER LA PERTE DE COMPÉTITIVITÉ LIÉE AUX COÛTS DE PRODUCTION
A.— LE RENOUVEAU DE LA POLITIQUE INDUSTRIELLE
Avec la perte de plus de 2 millions (228) d’emplois industriels en 30 ans, dont 750 000 (229) sur les dix dernières années, la question se pose de savoir si l’industrie française a encore un avenir ou si la désindustrialisation a atteint un point de non-retour.
M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, a relevé, lors de son audition (230) par la mission, que « la désindustrialisation a été accélérée par la crise et [la France approche], pour certaines branches et pour certains territoires, du point de non-retour, quand il n’est pas déjà atteint ».
Les fermetures d’usines et les suppressions d’emplois industriels s’accélèrent en France.
Depuis 2009, la France a subi la fermeture de plus de 1 000 usines, pour seulement 700 ouvertures, et ce mouvement s’accélère depuis 2012, année qui enregistre une augmentation du rythme des fermetures d’usines de 42 % (231). L’industrie manufacturière a perdu 120 000 emplois depuis 2009, dont 24 000 pour la seule année 2012. Au total, depuis 2009, la France compte 384 sites industriels de moins, ce qui en fait un des pays d’Europe ayant connu une des plus fortes désindustrialisations.
Le délitement du tissu industriel français s’aggrave, alors que dans le même temps les États-Unis, l’Allemagne et les pays du sud de l’Europe regagnent du terrain sur le plan industriel.
Les travaux de la mission aboutissent à la conclusion que non seulement la désindustrialisation française n’est pas une fatalité, mais que la réindustrialisation est possible et indispensable.
1. L’industrie est au centre de toute économie compétitive
La désindustrialisation française n’est pas simplement la résultante de contraintes économiques. Elle est également le résultat d’un choix culturel.
En misant sur les services, la société française a cru, à tort, être entrée dans une ère « post-industrielle », où l’emploi industriel aurait perdu sa valeur. La stratégie des années 80 et 90 d’une croissance reposant presque exclusivement sur les services fut sans nul doute une erreur collective.
M. Christian Saint-Étienne, professeur au Conservatoire national des arts et métiers a clairement analysé cette dérive lors de son audition (232) par la mission :
« À partir de 1993, face aux difficultés économiques de leur pays, les Allemands élaborent le Standort Deutschland, se donnent pour objectif de redevenir un site industriel compétitif [ ]. À l’époque, tout le monde [en France] explique l’on est entré dans une ère postindustrielle et post-travail [ ]. Les Français, [ ], se convainquent collectivement – la gauche comme la droite, et avec le soutien du monde intellectuel – que le monde est entré dans l’ère post-industrielle, post-travail. En 1996, le livre de Jeremy Rifkin intitulé « La Fin du travail » est traduit en français et il se vend mieux chez nous qu’aux États-Unis.
[ ] Nous définissons donc une stratégie d’accélération de notre entrée dans cette nouvelle ère [ ]. Supérieure à 70 % dans l’économie française [ ], la part des services dans notre économie conforte encore cette vision. Dès lors, et pendant quatorze ans, nous qui avions une grande tradition industrielle avons laissé chuter notre industrie. Nous n’avons plus traité les fermetures d’usines que sous l’angle social et non plus stratégique, d’aucuns les considérant même comme un moyen de prendre de l’avance sur les Allemands ! [ ]. C’est en comprenant comment la France s’est elle-même convaincue de son entrée dans le monde post-industriel post-travail que nous pourrons nous en sortir. Nous daterons sans doute du rapport Gallois le changement de cap, mais nous n’en sommes qu’au tout début ».
L’industrie joue un rôle central dans la création de richesse d’un pays. Comme l’a indiqué M. Christian Saint-Étienne : « sans industrie, il n’y a ni exportations, ni innovation privée ».
En effet, l’industrie tire les exportations : les produits manufacturés représentent plus de 80 % des exportations mondiales de biens et services. Sans base industrielle, il n’y a presque pas d’exportations. Or, la promotion des exportations de biens est incontournable pour restaurer la balance courante d’un pays et échapper à la contrainte extérieure.
L’industrie tire l’innovation : près de 85 % des dépenses de recherche et de développement (R&D) au niveau mondial sont réalisées dans l’industrie. Sans base industrielle, il n’y a donc pas d’innovation. Un pays fortement désindustrialisé cesse d’innover et, à supposer qu’il innove, son faible tissu industriel appauvrit le processus d’innovation.
L’industrie tire enfin le secteur des services aux entreprises : elle est nécessaire à ses emplois, l’industrie et les services associés représentant 45 % de l’ensemble du secteur marchand en France. Sans base industrielle, les services à valeur ajoutée sont menacés.
Faute d’une industrie puissante, la France serait condamnée au déclin économique. Il est donc vital de réhabiliter la politique industrielle et de mener une politique volontariste dans ce domaine.
La comparaison France Allemagne :
un vieux thème suscitant bien des commentaires
« Comme tous les pays européens occidentaux, la France ne peut vivre que par la supériorité technique. Par suite, la solution spécifique consiste à former des hommes dans des professions ou qualifications où ils font défaut dans le monde ou risquent de faire défaut. ... L’industrie doit rester longtemps encore, la grande pourvoyeuse d’emplois et cela dans les branches les plus avancées. »
« Dans les deux branches d’avant-garde types, chimie et construction électrique, la supériorité appartient à l’Allemagne (4 % et 4,6 % de sa population industrielle, contre 3,4 % et 3,1 % à la France) ».
« Et pourquoi serait-il impossible à la France d’étendre son industrie ? Les Allemands vendent 10 fois plus que nous en produits d’équipement, ces produits nobles qui procurent à un pays richesse et emplois. ...
Elle exporte (1957) 55 % de matières premières et 34 % de produits fabriqués, alors que pour l’Allemagne, les proportions respectives sont 19 % et 75 % ! ».
« Nous exportons aux États-Unis, en machines-outils, 2 fois et 1/2 moins que la Suède, 4 fois moins que l’Italie, 7 fois moins que l’Angleterre et que la Suisse et 15 fois moins que l’Allemagne. Les voilà les emplois ! Ils attendent les jeunes ».
Ces quelques lignes sous la plume du démographe et économiste Alfred Sauvy ont été écrites en ... 1959. Elles sont extraites de son livre « La montée des jeunes » publié quelques mois avant qu’il ne participe aux travaux du Comité Rueff-Armand dont les conclusions ont marqué une rupture dans l’approche de la politique économique qui prévalait jusqu’alors.
Dans le même chapitre où ont été relevées les citations précédentes, Alfred Sauvy énonçait d’ailleurs deux principes dont la portée reste probante à plus d’un demi-siècle de distance :
« Les questions de prix de revient, de rentabilité financière, ne font que traduire des défauts de structure ».
« La balance des comptes est le terrain de la vérité; c’est le confluent de toutes les faiblesses, une sorte de jugement dernier ».
2. Une première réponse : le rapport Gallois et le CICE
Publié le 5 novembre 2012, le rapport de Louis Gallois, intitulé « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française » formule 22 propositions.
L’une d’entre elles est de « créer un choc de compétitivité en transférant une partie significative des charges sociales jusqu’à 3,5 SMIC – de l’ordre de 30 milliards d’euros, soit 1,5% du PIB – vers la fiscalité et la réduction de la dépense publique ». Il suggère de transférer cette somme (répartie en 20 milliards de cotisations patronales et 10 milliards de cotisations salariales), vers la fiscalité (taux intermédiaires de TVA, fiscalité écologique, niches fiscales, CSG) et la réduction de la dépense publique.
Le but est « d’apporter un ballon d’oxygène aux entreprises pour l’investissement et d’amorcer la montée en gamme ».
Le gouvernement a reconnu qu’« il est nécessaire de redonner aux entreprises les moyens d’un repositionnement offensif durable dans la concurrence international » (233) mais a choisi une approche quelque peu différente en mettant en place le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).
Le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE)
Prévu à hauteur de 20 milliards d’euros, il sera financé par 10 milliards d’économies dans les dépenses publiques et 10 milliards par la restructuration du taux de TVA et la fiscalité écologique. Cet allègement sera mis en œuvre sur 3 ans, pour un montant de 10 milliards d'euros dès la première année et de 5 milliards supplémentaires chacune des deux années suivantes. Il portera sur les salaires compris entre 1 et 2,5 fois le SMIC.
Le CICE bénéficiera à l’ensemble des entreprises employant des salariés, imposées à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu d’après leur bénéfice réel, quel que soit le mode d’exploitation, et quel que soit le secteur d’activité. En bénéficieront également les entreprises dont le bénéfice est exonéré transitoirement, en vertu de certains dispositifs d’aménagement du territoire ou d’encouragement à la création ou à l’innovation (entreprises nouvelles, jeunes entreprises innovantes), ainsi que les coopératives et les organismes HLM (234).
Le CICE portera sur l’ensemble des rémunérations versées aux salariés au cours d’une année civile qui n’excèdent pas 2,5 fois le SMIC calculées sur la base de la durée légale de travail, augmentée le cas échéant des heures complémentaires ou supplémentaires.
Le taux du crédit d’impôt sera de 4% pour les rémunérations versées en 2013, puis 6% à compter de 2014. Il pourra être comptabilisé dans les comptes de 2013 de manière à améliorer le résultat des entreprises ; il ne constituera pas un produit imposable, ni à l’impôt sur les sociétés, ni à la CVAE.
La créance de CICE pourra être cédée à un établissement de crédit.
Le CICE ayant pour objet le financement de l’amélioration de la compétitivité des entreprises à travers notamment des efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés et de reconstitution de leur fonds de roulement, l’entreprise devra retracer dans ses comptes annuels l’utilisation du crédit d’impôt conformément à ces objectifs. Elle ne pourra ni financer une hausse de la part des bénéfices distribués, ni augmenter les rémunérations de ses dirigeants.
Le dispositif concernera 85% des emplois dans tous les secteurs et 83% dans l’industrie (235).
Ce dispositif qui est une mesure fondamentale pour stimuler la confiance, a néanmoins suscité des interrogations de la part des interlocuteurs de la mission.
Pour sa part, M. Louis Gallois a approuvé le dispositif retenu, car le crédit d’impôt, calculé à partir des résultats de 2013 et payé en 2014, n’aura aucun impact fiscal en 2013. En outre, les 20 milliards de réduction de cotisations sociales constituent un avantage net, alors que le transfert qu’il proposait ne tenait pas compte de l’éventuelle augmentation des bénéfices et de l’impôt sur les sociétés qu’il pourrait induire dans certaines sociétés. Le montant qu’il indiquait « était donc un montant brut, même si la différence n’aurait pas été nécessairement très importante, dans la mesure où une marge plus importante peut se traduire par des emplois plus nombreux, un surcroît d’investissement ou une baisse des prix, et donc n’avoir aucun effet sur les bénéfices ».
a) Certains interlocuteurs de la mission ont mis en doute l’efficacité du CICE ou en ont même dénoncé le principe
M. Philippe Askenazy met en doute l’efficacité du système et analyse la baisse du coût du travail ainsi proposée comme une dévaluation interne. Il constate aujourd’hui « la coexistence du versement de dividendes record et la difficulté structurelle que rencontrent certains secteurs à dégager des marges suffisantes, à laquelle s’ajoute un choc macroéconomique global ». Il en conclut que « toute mesure qui viserait à améliorer, par des crédits d’impôt ou des réductions de cotisations, les marges des entreprises risque donc de se traduire par des augmentations de dividendes sans investissements supplémentaires » et suggère plutôt de baisser le taux de l’impôt sur les sociétés, compte tenu du dumping fiscal existant actuellement en Europe et de la capacité des grandes entreprises faire faire circuler les profits d’un pays à l’autre, réduisant ainsi la base fiscale .
Alors que Mme Isabelle Martin (CFDT) a dit comprendre la logique du CICE, même si ce choix n’était pas celui de sa centrale, et que M. Jean-Luc Haas (CFE-CGC) l’a jugé positif, il a vivement été dénoncé par d’autres syndicats qui se sont élevés contre le principe même d’un crédit d’impôt. Pour M. Morvan Burel (SUD), il aura pour effet immédiat de provoquer des baisses de ressources de l’État et des organismes de sécurité sociale. M. Pascal Pavageau (FO) a déploré que sa mise ne place n’ait donné lieu à aucune discussion entre le gouvernement et les confédérations syndicales, alors que le Premier ministre s’y était engagé et assuré qu’il n’existera aucun lien a priori entre ce crédit d’impôt et le niveau des salaires dans l’entreprise. M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT) a critiqué le CICE qui s’inscrit dans un objectif de réduction du coût du travail, qui est « un nouveau cadeau fait aux employeurs » et coûtera cher à la collectivité.
b) Nombre de personnalités auditionnées ont salué l’opportunité et la qualité du dispositif...
« Le CICE ne doit en aucun cas être considéré comme un cadeau fait aux entreprises » ont affirmé M. Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques, M. Olivier Duha, Président de CroissancePlus, ainsi que M. Thierry le Hénaff, président directeur général du groupe chimique Arkema, une entreprise de taille mondiale, et membre de l’Association française des entreprises privées (AFEP), pour qui il s’agit d’une mesure positive, car trop d’entreprises sont en grande difficulté. D’autres personnalités auditionnées ont également salué la mise en place de cette mesure, comme M. Gilles Benhamou, président directeur général du groupe Asteel Flash, qui a calculé que les cotisations sociales en seraient réduites non pas de 6%, mais de 9%, M. Yves Dubief, président de l’Union des industries textiles (UIT), pour qui le CICE a le mérite de monter en puissance en deux ans seulement, si bien que 20 milliards d’euros seront perçus dès 2014, tout en s’ajoutant aux allègements de cotisations sociales. M. Dominique Decaestecker, directeur général du groupe Arvato, a jugé essentiel que ce crédit d’impôt soit considéré, dans le cadre des normes comptables internationales IFRS, non comme une réduction d’impôt, mais comme une diminution du coût horaire du travail, qui est un critère déterminant dans la décision de groupes étrangers en France.
M. Jean-François Roubaud (CGPME) a qualifié le crédit d’impôt de « ballon d’oxygène » pour les PME, à la fois industrielles et de services, ce qui bénéficiera d’une certaine façon doublement aux premières puisqu’elles sont également consommatrices de services.
Pour M. Christian Saint Etienne, il s’agit d’un mécanisme bien conçu et à un bon rythme, mais qui doit être complété par un effort supplémentaire de 20 à 30 milliards d’euros à fournir immédiatement.
M. Patrick Artus juge que le Pacte gouvernemental va dans la bonne direction puisque « pour la première fois depuis les chocs pétroliers des années 70, la France s’engage dans une politique économique de soutien à la production alors qu’elle avait jusque-là privilégié la consommation » et que « les aides à la consommation n’[avaient] fait qu’accroître les importations » (236).
c) …mais un dispositif qui resterait en l’état insuffisant
Certains interlocuteurs jugent qu'il serait insuffisant à la fois d’un point de vue macro-économique et micro-économique.
M. Patrick Artus met en garde : « il ne faut pas …attendre des résultats spectaculaires des mesures récemment adoptées. D’abord parce qu’elles sont de faible ampleur. En 2013, elles annuleront les hausses d’impôt sur les entreprises décidées par ailleurs…mais il ne faut pas en escompter une relance des investissements et de l’emploi : aujourd’hui les entreprises françaises détruisent des capacités de production et n’expriment par conséquent aucun besoin d’investissement. On évitera surtout des dépôts de bilan ».
M. Olivier Duha a estimé que le CICE, fixé à 20 milliards d’euros, ne compenserait même pas l’accroissement de 30 milliards d’euros de la pression fiscale pesant sur les entreprises mis en œuvre par les dernières lois de finances. Pour M. Pierre Gattaz, « l’explosion des charges sociales » conduit à un écart global de 70 milliards d’euros avec l’Allemagne ; un important fossé restera à combler malgré le crédit d’impôt pour améliorer sensiblement la compétitivité des entreprises.
M. Yves L’Epine, directeur général du groupe Guerbet a jugé le mécanisme intéressant ; mais il permettra à peine de compenser l’alourdissement des cotisations sociales décidé au cours des derniers mois, si bien que, selon lui, son impact net en termes de compétitivité sera faible, voire quasiment nul. De même, pour M. Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM), « on nous redistribue l’impôt qu’on nous a prélevé » et le Pacte ne dégagera que 20 milliards, « quand nous en attendions 80 ».
Certains chefs d’entreprises, avant même de connaître toutes les modalités d’application du CICE ont légitimement cherché à évaluer l’impact du CICE pour des entreprises de tailles et de secteurs très différents. Pour M. Jean-François Hug, président-directeur général du groupe Chancerelle et responsable de l’industrie du poisson à l’Association des produits alimentaires élaborés (Adepale), le gain escompté ne dépassera pas 0,3%. M. Thierry Le Hénaff souligne que pour son entreprise, le CICE correspondra à un gain de 7 millions d’euros, à comparer aux 12 millions de taxes et contributions sociales supplémentaires qu’il faudra acquitter à la suite des mesures nouvelles prises depuis juillet dernier. Pour M. Antonio da Silva, président de La Ferronnerie Roncquoise, le montant du CICE ne représentera, pour 2013, que 4% d’un salaire annuel à temps complet, dans la limite de 2,5 SMIC : la première année, pour un SMIC à temps plein, l’entreprise recevra 57 euros par mois. Quant aux sociétés qui ne font plus de bénéfices, elles ne pourront plus être remboursées que dans trois ans : « plus les entreprises connaissent de difficultés, moins le CICE est opérant », ce qui l’amène à conclure : « le CICE est un mirage ».
d) ...avec un champ d’application trop large
M. Gilles Benhamou (Asteel flash) a formulé une réserve : contrairement à ce que préconisait le rapport Gallois, les mesures ont un champ d’application tellement large que leur impact sur la relance de la compétitivité risque d’être insuffisamment significatif ; pour obtenir un effet de levier plus important, il aurait fallu concentrer les aides sur les entreprises compétitives. M. Jean-Marie Poirot (UNSA) l’a jugé insuffisamment centré sur l’industrie. Pour M. Jérôme Frantz (FIM), il devrait concerner les entreprises soumises à la concurrence internationale.
e) … et un effet différé dans le temps
Lorsque M. Louis Gallois a proposé dans son rapport une réduction des cotisations sociales, proposition à laquelle le gouvernement a préféré le CICE, il a préconisé une mise en place sur une année, voire sur deux ans si les contraintes l’imposent, sans aller au-delà de deux ans, « sinon on courrait un risque de dilution ». Il a toutefois reconnu que dans le contexte économique actuel, il était difficile d’aller plus vite. Il a estimé que la charge serait reportée sur 2014, 2015 et partiellement sur 2016, en évitant l’année 2013, l’année la plus difficile, où le saut budgétaire sera le plus important.
Plusieurs chefs d’entreprises ont regretté un délai trop long : M. Vincent Moulin Wright (GFI) a souhaité que le CICE entre en vigueur dès 2013 ; M. Jean-François Hug a déploré qu’il ne porte que sur deux ou trois ans et que l’économie pour les entreprises en soit différée dans le temps. Quant à M. Pascal Labet, directeur des affaires économiques juridiques et fiscales de la CGPME, il a fait remarquer que le système fiscal français étant déclaratif, ce n’est qu’au deuxième trimestre 2014 que les entreprises pourront déterminer l’assiette du crédit d’impôt, le problème étant plus aigu pour celles dont l’exercice comptable est décalé par rapport à l’année civile : les TPE et les plus petites des PME ont donc peu de chances de bénéficier du CICE dès 2013.
f) Un dispositif compliqué et peu lisible ?
Plusieurs députés appartenant à la mission ont fait valoir que telles étaient les critiques venant des entrepreneurs de leur circonscription. M. Jean-François Hug l’a jugé également complexe. A l’opposé, M. Thierry Le Hénaff l’a déclaré simple et lisible, de même que M. Haas.
Votre rapporteur remarque qu'à ce titre le gouvernement a mis en place un site internet explicatif qui permet aux chefs d'entreprise de simuler le montant du crédit d'impôt qu'il pourra obtenir.
M. Louis Gallois avait proposé que le transfert des cotisations sociales puisse avoir lieu jusqu’à 3,5 fois le SMIC : « dans ces conditions, 35% de l’avantage crée irait directement vers l’industrie et les services à haute valeur ajoutée associés (237). » Pour l’instauration du CICE, le gouvernement a retenu le seuil de 2 ,5 SMIC seulement. Au cours de son audition, M. Louis Gallois a justifié son choix de 3,5 pour favoriser la compétitivité dans l’industrie ; le gouvernement a retenu 2,5 parce qu’il cherche plutôt un effet sur l’emploi.
Faut-il aider les bas salaires ou les salaires plus élevés ? La philosophie n’est pas la même ; le tout est de savoir quel est l’objectif visé, l’emploi ou la compétitivité.
M. Patrick Artus a ainsi livré son analyse : « le CICE résulte d’un compromis entre deux objectifs très différents : d’une part, poursuivre la baisse des charges sur les bas salaires afin de créer des emplois pour des jeunes non qualifiés ; d’autre part, fournir des marges à l’industrie pour qu’elle puisse se moderniser. Le premier, en favorisant l’emploi dans les services à la personne, dans la distribution, dans l’artisanat, tous secteurs sans grand potentiel de croissance, contribue à faire descendre en gamme l’économie française. Poursuivre efficacement le deuxième aurait nécessité un CICE beaucoup plus ambitieux. En effet, si l’on compare nos coûts salariaux avec ceux des autres pays européens, c’est pour les jeunes ingénieurs et les techniciens supérieurs qu’on constate l’écart le plus important – il serait de l’ordre de 30% avec l’Allemagne. C’est pourquoi Louis Gallois proposait initialement que le CICE jouât jusqu’à 3,5 SMIC. Ne pas l’avoir écouté est une erreur au détriment de la localisation des industries en France ».
Il ajoute que les salaires dans le secteur des services à l’industrie étant plus élevés que dans celui des services aux particuliers, le CICE ne pourra profiter à nombre d’entre eux en raison de la fixation du seuil à 2,5 SMIC seulement.
L’économiste M. Pierre Cahuc a fait valoir que les effets d’un allègement du coût du travail sur les salaires et l’emploi étaient très variables selon qu’il s’agit du salaire minimum ou de salaires plus élevés : « si vous voulez créer des emplois, il faut cibler les bas salaires ». En effet, « c’est au niveau du salaire minimum que la baisse du coût du travail est un levier efficace…au dessus du salaire minimum, une baisse des charges favorise l’augmentation des salaires beaucoup plus que l’emploi. Les salaires sont liés à la structure du marché du travail. Si l’on veut améliorer durablement la compétitivité des entreprises françaises, il faut modifier les conditions de formation des salaires, qui sont désormais mal adaptés aux contraintes des entreprises ».
Au contraire, M. Stéphane Carcillo a trouvé « hors de question d’alléger le coût du travail à hauteur de 1 400 euros bruts pour un salarié qui gagne 5 000 euros par mois ».
Les chefs d’entreprise se sont prononcés généralement pour un seuil porté à au moins 3 SMIC.
Comme l’a fait remarquer M. Jérôme Frantz (Fédération des industries mécaniques), la Corée du Sud, qui fabriquait des produits bas de gamme il y a 25 ans « a décidé d’arrêter du jour au lendemain les aides aux bas salaires pour aider les salaires qualifiés. En vingt ans, les Coréens ont monté une industrie qui force le respect dans nombre de secteurs ». De même, M. Pierre Gattaz (GFI) aurait été favorable à un seuil de 3,5 SMIC afin de faciliter l’embauche de techniciens et d’ingénieurs qui, depuis des années, ont tendance à déserter l’industrie au profit des services et du secteur financier. M. Vincent Moulin Wright a précisé au nom du GFI, qu’à défaut d’un élargissement à 3,5 SMIC, on pourrait, tout au moins, considérer que son assiette soit constituée des salaires bruts « chargés » pour ne pas avantager les services au détriment de l’industrie.
Selon M. Lionel Baud, président du syndicat national de décolletage (SNDEC), le seuil aurait dû être de 3,5 SMIC, car le seuil choisi ne cible pas suffisamment l’industrie.
M. Le Hénaff a déploré que plus de la moitié des salariés de son entreprise, hautement qualifiés, ne puisse entrer dans le calcul du CICE, et demandé que cette mesure soit ajustée aux industries délocalisables et inclue dans ses modalités de calcul les salaires allant jusqu’à 3 SMIC.
M. Yves L’Epine a fait remarquer que, pour un seuil fixé à 2,5 SMIC, un chef d’entreprise aura tendance à ne pas augmenter le salaire de ceux de ses collaborateurs qui ont un revenu équivalent à 2,49 fois le SMIC : « pour éviter qu’ils ne partent dans une autre entreprise, ce plafond doit s’appliquer au salaire uniquement, et non à la rémunération globale. Ainsi, pour conserver le bénéfice du CICE, le chef d’entreprise maintiendra le salaire de ses collaborateurs sous le plafond, mais il augmentera la partie variable de la réglementation. Il apparaît en outre indispensable que le seuil soit linéaire et non dégressif afin de privilégier les entreprises industrielles dont les salaires sont plutôt situés entre 2 et 3 fois le SMIC, surtout si ces entreprises ont fait l’effort de produire du haut de gamme. Si le plafond devait être porté à 3,5 SMIC dans l’avenir, nul n’ignore que cette hausse serait compensée par une dégressivité du taux de crédit d’impôt. Cela favoriserait les entreprises produisant du haut de gamme qui pourraient gagner des parts de marché au niveau international ».
M. Jean-Luc Haas (CFE-CGC), qui aurait préféré que soit retenu le seuil de 3,5 SMIC afin d’embrasser la population active de l’ensemble du tissu industriel, a proposé d’appliquer le principe marginaliste, comme dans notre système fiscal : pour les rémunérations supérieures à 3,5 SMIC, l’employeur devrait pouvoir bénéficier du CICE sur la partie supérieure ou égale à 2,5 SMIC.
M. Vincent Moulin Wright a prôné également une sortie en biseau, non entre 2 et 2,5 SMIC, mais entre 2,5 et 3 SMIC.
Les économistes et les chefs d’entreprises se rejoignant, M. Gilbert Cette a mis en garde contre les effets de seuil : si, dès qu’ils dépassent 2,5 SMIC, les salariés ne sont plus éligibles au crédit d’impôt, des conséquences négatives risquent d’apparaître, car, pour l’euro de salaire mensuel net en plus, le travail augmentera mécaniquement de 200 euros. Il est donc favorable à un système inspiré de celui des impôts : jusqu’à 2 ou 2,5 SMIC, on est éligible, au-dessus, on ne l’est pas, ce qui signifie que celui qui gagne dix fois le SMIC serait éligible pour une partie, certes faible, du salaire.
L’un des syndicalistes reçus par la mission, M. Jean-Marie Poirot (UNSA), a également estimé que le CICE renforçait trop les allègements sur le coût du travail non ou peu qualifié.
Votre rapporteur considère que ces remarques et observations sur le seuil du CICE fixé à 2,5 fois le SMIC méritent l’attention dans la mesure où les plus bas salaires bénéficient déjà – hors CICE – de 20 milliards d’allègement de cotisations jusqu’à 1,6 SMIC. N’aurait-il pas été préférable de « décaler » en partie le barème des salaires concernés par le CICE, afin de cibler plutôt – par exemple – les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC, d’autant que l’élargissement de l’aide en direction de salariés plus qualifiés ne serait pas très coûteux, puisque 90% des salaires, dans le secteur industriel, sont inférieurs à 2,5 SMIC.
Il se demande en outre si le dispositif qui bénéficiera aux entreprises dès 2013, leur permettra de valoriser leur bilan auprès des banques, sachant que les crédits bancaires sont soumis à des faisceaux de conditions renforcées dans l’optique des nouvelles normes prudentielles dites de Bâle III.
Concernant le ciblage du dispositif, Votre Rapporteur fait remarquer que, d'après M. Mathieu Plane (OFCE) (238), « le CICE abaisserait en moyenne de 2,6 % le coût du travail du secteur marchand : l’impact sectoriel le plus fort de la mesure sur le coût du travail serait dans la construction (-3,0 %), l’industrie (-2,8 %) et les services marchands (-2,4 %). (….) Le CICE représente 1,8 % de la valeur ajoutée des entreprises industrielles, 1,9 % de la valeur ajoutée de la construction et 1,3 % de celle des services marchands. Globalement, le CICE pèse pour 1,4 % dans la valeur ajoutée des entreprises du secteur marchand. » Sur 20 milliards d’euros, ce dernier chiffre la répartition sectorielle à 4,4 milliards pour l’industrie, 2,2 milliards pour la construction et 13,4 milliards pour les services marchands : « L’industrie récupérerait donc 22 % de l’enveloppe globale, soit plus que son poids dans la valeur ajoutée qui n’est que de 17 %. Si cette mesure a vocation à relancer l’industrie en France, en revanche ce secteur n’est pas le premier bénéficiaire du dispositif en valeur absolue mais reste, avec la construction, celui qui y est relativement le mieux exposé en raison de sa structure salariale. De plus, l’industrie peut bénéficier des effets induits liés à la baisse des prix des consommations intermédiaires conséquente à la diminution des coûts de production dans d’autres secteurs. »
h) Le débat sur les conditionnalités et l’information des salariés
Dès l’annonce du Pacte pour la compétitivité, a été posé le problème des conditions d’attribution du CICE, certains jugeant qu’il était inacceptable que de telles aides soient accordées sans contreparties et qu’elles puissent être redistribuées sous forme de dividendes plutôt qu’être redirigées vers l’investissement. M. Louis Gallois ne s’est pas déclaré favorable à la conditionnalité car « il faut éviter la complexité ou les effets pervers », même si le débat lui a paru légitime.
Le débat s’est poursuivi avec acuité tout au long des auditions que la mission a menées.
Certains chefs d’entreprise se sont élevés avec vigueur contre tout contrôle. L’AFEP, représentée par sa directrice Mme Stéphanie Robert, a espéré que cet outil ne serait pas soumis à un certain nombre de critères, tels que les investissements ou la non-distribution de dividendes, car « cela empêcherait d’anticiper la comptabilisation de la créance qu’il représente dans les comptes et, partant, le priverait de son efficacité ». M. Jean-François Roubaud (CGPME) a fait savoir qu’introduire des contreparties importantes à l’octroi du CICE serait contre-productif, car on ne peut demander à une petite entreprise d’en détailler la ventilation ; l’exigence de contreparties vérifiables dès 2013 poserait un problème de comptabilisation et rendrait impossible le préfinancement. M. Olivier Duha a déploré « une suspicion permanente [qui] pèse sur les chefs d’entreprises », ajoutant : « pour certains d’entre eux, c’est une question de survie. D’autres le réinvestiront dans l’innovation ou encore diminueront le prix de leur produit final pour redevenir compétitifs. D’autres enfin verseront peut-être des dividendes à leurs actionnaires, mais, sans ces financeurs, il n’y a pas d’entreprise et il n’est pas répréhensible de les rémunérer davantage afin de les conserver et d’éviter qu’ils n’aillent fiancer, à la place, des entreprises allemandes, britanniques ou italiennes ».
À l’inverse, les syndicats ont demandé une évaluation de ce dispositif. Mme Isabelle Martin (CFDT) a estimé que l’enjeu était de s’assurer que les marges ainsi dégagées iraient bien à l’investissement productif et à l’emploi et non aux dividendes. L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2012, signé par les organisations patronales et trois syndicats, prévoit que les instances représentatives du personnel devront être consultées sur l’affectation du crédit d’impôt. M. Pascal Pavageau (FO) s’est interrogé sur la façon dont l’État pourra effectivement contrôler que le dispositif servira bien à développer l’activité de l’entreprise, à investir et à améliorer l’outil de travail et des conditions de travail. M. Jean-Marie Poirot (UNSA) a souhaité qu’au sein de l’entreprise soit mis à la disposition des représentants des salariés des outils d’analyse sur la performance économique de l’entreprise et sur l’efficience des choix opérés quant à sa gouvernance, son modèle économique et sa stratégie ; il a également souhaité que soit garanti un certain droit de regard aux services de l’État, mais « la situation générale des finances publiques et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ne permet hélas pas d’envisager de leur confier de nouvelles missions sans leur donner de moyens supplémentaires ».
Le dispositif mis en place prévoit que l’entreprise devra retracer dans ses comptes annuels l’utilisation du crédit d’impôt conformément à ces objectifs. Elle ne pourra ni financer une hausse de la part des bénéfices distribués, ni augmenter les rémunérations de ses dirigeants.
En avril 2013, le gouvernement se réunira en séminaire pour dresser un premier bilan de la mise en examen du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi et, notamment, du CICE.
Il sera alors utile d'envisager les effets macroéconomiques de la mesure qui ne seront sans doute pas immédiats. M. Mathieu Plane (OFCE) (239) indique que, entre les avantages du CICE (aide à l'emploi, baisse des prix liés à la baisse des coûts de production engendrant des gains de compétitivité, amélioration des marges des entreprises donnant lieu à de possibles investissements) et ses inconvénients liés à son financement (hausse de la TVA, réduction de la dépense publique et fiscalité écologique), les effets seront différents à court et moyen terme : après un effet légèrement récessif entre 2014 et 2016, le CICE « devrait permettre de créer, cinq ans après sa mise en place, environ 150 000 emplois faisant baisser le taux de chômage de 0,6 point et il générerait 0,1 point de PIB en 2018 ».
3. Réhabiliter la politique industrielle
Face au risque de « décrochage » de la France dans la mondialisation, il convient de mener une politique industrielle volontariste et de définir quel doit être en conséquence le rôle de l’État.
Le renouveau du libéralisme à partir des années 1980 a déconsidéré - temporairement – le fait même de penser à définir toute politique industrielle. Celle-ci était perçue comme un frein au libre jeu des forces du marché, voire comme une entrave au développement économique. Cette perception se traduisait au mieux par un scepticisme à l’égard de la politique industrielle, voire par son rejet, cette dernière étant souvent associée à un État « interventionniste » et jugé moins efficace que les choix des marchés.
Un consensus s’est alors fait jour pour promouvoir des politiques « horizontales » en faveur de la compétitivité des entreprises et de l’attractivité des territoires. Le rôle de l’État a été circonscrit à celui d’un « facilitateur », soutenant l’activité des entreprises.
Force est toutefois de constater les difficultés économiques actuelles des pays comme la Grande-Bretagne, l’Espagne ou la France qui, ayant renoncé à défendre ou à promouvoir leur industrie en optant consciemment ou non pour une économie de services, ont fait respectivement le choix d’une spécialisation dans la finance, l’immobilier et la tertiarisation.
Face au déclin de son industrie et au retour de la contrainte extérieure, la France n’a d’autres choix que de rattraper le retard accumulé en matière industrielle. Cet objectif appelle un renouveau du rôle de l’État.
i ● Définir la vision à long terme de l’industrie française
A l’heure de la mondialisation des échanges, promouvoir le rôle de l’État dans le domaine de la politique industrielle ne peut pas être synonyme du retour à un État planificateur sous sa forme passée des années 1960 ou 1970, qui, par le biais de « grands programmes », aurait la maîtrise de l’appareil productif national.
Ce constat ne doit pas pour autant être synonyme d’impuissance : il est possible de promouvoir un État stratège, chargé de définir une vision à long terme de notre économie et de sa spécialisation et de mettre en œuvre cette stratégie.
Or, force est de constater que devant les difficultés économiques actuelles et la montée du chômage qu’il s’efforce d’endiguer, l’État en France n’est pas en situation de défendre une vision à long terme de l’économie. Pire, à l’exception de la politique mise en œuvre pour redresser notre commerce extérieur, il a semblé trop souvent comme embourbé dans le court terme, sans vision stratégique d’ensemble. Comment, dans ces conditions, la France pourrait-elle échapper à une forme de pessimisme ambiant qui nuit à notre développement ?
Certes, des réflexions existent à moyen terme, comme en témoigne l’étude de 2011 sur les « technologies-clés 2015 » menée par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie pour identifier, de manière prospective, les principales technologies stratégiques (240), pour l’industrie française à l’horizon de cinq à dix ans. Mais l’État ne mène pas l’analyse jusqu’au bout en définissant, avec les industriels, les priorités stratégiques de long terme.
Néanmoins, la mise en place en 2012 d’un ministère du redressement productif, ayant notamment la charge des questions industrielles témoigne d’un début de prise de conscience. Lors de son audition (241) par la mission, M. Arnaud Montebourg, a ainsi rappelé que « s’agissant du moyen et long terme, l’État avait déserté le terrain industriel depuis des années. Sans ministère de l’industrie autonome, les titulaires étaient subordonnés aux intérêts de leur tutelle. Il n’y avait donc plus personne pour porter la contradiction et défendre les enjeux industriels face au ministère de l’environnement, à celui de l’économie ou de l’agriculture. Ce gouvernement a recréé les conditions d’un véritable débat public ».
Afin de reconstruire un appareil productif français et de promouvoir une politique cohérente en la matière, la mission en appelle à une vision du rôle de l’État comme stratège, en capacité d’initier ou d’encourager des stratégies cohérentes, notamment de filières.
Il s’agit de définir, sur le long terme, quelles doivent être la vision et la place de la France dans un monde globalisé et hyper concurrentiel. Cette vision de long terme consiste à définir les priorités nationales à horizon de vingt ans, à décliner sur le moyen terme les politiques nécessaires pour y parvenir – une trajectoire cohérente – et à décider des mesures de court terme applicables.
Cette remise à plat est désormais urgente, comme en témoignent la dégradation de la compétitivité de notre industrie et la détérioration de la balance de notre commerce extérieur.
Comme l’a souligné M. Stephan Bourcieu, directeur général de l’ESC Dijon-Bourgogne et enseignant-chercheur en management stratégique, dans un article de février 2012 intitulé « l’État peut-il agir en stratège ? », « l’État français ne semble pas avoir de vision de la France à long terme : la crise et les enjeux de sauvegarde de l’emploi, la sanction des urnes et la pression des médias font que le politique a tendance à se focaliser sur des questions de court terme […] ».
Ce diagnostic est également partagé par M. Augustin de Romanet, ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans un ouvrage intitulé « Non aux Trente Douloureuses » : « la priorité, c’est de dresser une feuille de route pour une génération. Où veut-on être dans 20 ans ? ».
M. Christian Saint-Étienne n’a pas dit autre chose lors de son audition (242) : « C’est donc la reconstruction de nos capacités d’ingénierie en électronique qui sera au cœur de notre redémarrage industriel et la réponse à la crise industrielle réside dans la reconstitution d’une fonction d’État stratège. Dans les années 1950-1960, l’État dépensait très peu mais était extrêmement stratège et volontariste. J’en appelle donc à un amaigrissement massif des dépenses publiques couplé à une consolidation extrêmement forte, volontariste et stratégique de notre État devenu le plus lourd et le plus « court-termiste » d’Europe ».
Concrètement, une vision à long terme de la France devrait être celle d’une économie de la connaissance, privilégiant des filières d’avenir, définies en concertation avec les industriels en fonction des avantages comparatifs de la France et des marchés porteurs.
Elles pourraient être les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et du numérique, les matériaux et les transports du futur, les nouvelles énergies et les industries liées aux énergies renouvelables, la santé et les biosciences – ces quatre secteurs constituant actuellement le front de la recherche technologique.
Certes des efforts sont faits en la matière. Une stratégie nationale de recherche et d’innovation (S.N.R.I.) a été définie (243) pour la période 2009-2012 et a servi à orienter le programme des investissements d’avenir. Toutefois, il ne s’agit pas d’une stratégie de long terme ; elle est portée par le seul ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et non par le ministère de l’économie et des finances et le Gouvernement tout entier ; il s’agit d’un exercice de prospective scientifique, qui n’oriente ni l’effort public de recherche, ni le crédit impôt innovation, ni les crédits budgétaires. Pire, la nomenclature de la LOLF, conçue avant la SNRI, ne permet pas de flécher les crédits destinés aux priorités définies par ce biais.
En fonction d’une vision de long terme, il convient ensuite de définir une trajectoire, c’est-à-dire des orientations structurantes accompagnées d’arbitrages, sans doute difficiles dans un contexte budgétaire sous contrainte, sur le choix des allocations de ressources.
Une politique industrielle « offensive » est déjà pour partie en œuvre en France – mais sans stratégie globale –, au travers des mesures en faveur de l’innovation et de la recherche (pôles de compétitivité, crédit d’impôt recherche, investissements d’avenir), de la promotion de nos exportations, du soutien aux PME et des ETI, mesures sur lesquelles la mission avancera des propositions. Mais cette trajectoire n’est pas au service d’une vision claire et partagée, si bien que ces efforts perdent de leurs significations.
L’organisation industrielle de l’aéronautique, le GIFAS, s’est doté en 2008 d’un Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile (CORAC). Suite à des engagements pris lors du « Grenelle de l’Environnement », il regroupe sous l'impulsion de la DGAC et du GIFAS, l’ensemble des acteurs français du secteur du transport aérien : l’industrie aéronautique, les compagnies aériennes, les aéroports, l'ONERA, les institutionnels et ministères concernés. Il s’inscrit dans une volonté de mise en cohérence des efforts de recherche et d’innovation notamment face aux contraintes grandissantes du développement durable. Il a établi une Feuille de route technologique pour la recherche aéronautique, base de la mise en œuvre d’une stratégie de recherche ambitieuse et coordonnée autour d’objectifs de maîtrise de l’empreinte environnementale du transport aérien, à l’horizon 2020. Cette stratégie donne des lignes directrices à la recherche et au développement pour les prochaines années, avec pour certains programmes un soutien public affirmé, susceptible de permettre au secteur de garder une avance technologique dans un domaine créateur d’emplois en France. Cette stratégie concertée pourrait avoir valeur d’exemple pour d’autres filières.
La définition d’une trajectoire sous-tend également une capacité de prospective économique et industrielle – actuellement inexistante – et donc d’anticipation des chocs. Un État stratège doit aussi savoir anticiper les filières qui risquent d’être en perte de vitesse, notamment celles qui seront affectées à court ou moyen terme par la concurrence internationale, au travers d’aides à la modernisation quand cela est envisageable ou bien à la reconversion quand cela est nécessaire, en ayant la capacité de protéger les salariés concernés et de les former vers de nouveaux secteurs. Autrement dit, mener une politique industrielle stratégique suppose également de protéger les salariés des chocs de la mondialisation.
Il ne s’agit pas là d’une vision utopique du rôle de l’État. En orientant la stratégie des conglomérats nippons – les Keiretsu –, le METI (Ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie, ex-MITI) japonais met déjà à l’œuvre cette politique, avec à la clé des succès. En dépit d’un endettement record et d’un coût du travail très élevé, l’économie japonaise a pu enregistrer avant l’accident de Fukushima des excédents commerciaux, qui témoignent d’un bon positionnement stratégique. De même, l’Allemagne a su au début des années 2000 décider d’une nouvelle stratégie économique en vue de son redressement industriel, avec les succès que l’on sait en termes de balance commerciale.
S’agissant des instruments susceptibles de promouvoir le rôle de l’État comme stratège, le récent rapport (244) de Mme Yannick Moreau remis au Premier ministre préconise la création d’un Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) qui se substituerait au Centre d’analyse stratégique (CAS). Cette proposition a été reprise par le Président de la République en janvier dernier qui en a annoncé la mise en place prochainement. Il serait rattaché directement au Premier ministre et comprendrait notamment dans son réseau le Conseil d’analyse économique (CAE) et le Conseil national de l’industrie (CNI). Mme Yannick Moreau a suggéré que le CGSP puisse avoir comme thèmes possibles de travail le fait de « renforcer la France dans la mondialisation », de « repenser notre appareil productif dans la troisième révolution industrielle » ou encore de « stimuler l’innovation technique et sociale dans le secteur agro-alimentaire ».
Au vu de des travaux de la mission, cette évolution des outils de l’État correspond pleinement aux nécessités actuelles, à condition de faire de ce nouvel organisme un maillon essentiel de la décision publique et de l’évaluation des politiques menées. Néanmoins, pour éviter la juxtaposition d’avis sur des sujets identiques, il sera nécessaire de trouver la bonne articulation avec, d’un côté, le Conseil économique, social et environnemental pour ce qui concerne l’association voulue des acteurs sociaux aux travaux du CGSP, et, de l’autre, avec la Cour des Comptes, compte-tenu de sa responsabilité dans l’évaluation des politiques publiques.
Concernant le sujet de la mission, votre rapporteur propose que le futur CGSP mette en place, de manière spécifique et permanente, une Commission pour l’innovation économique et la compétitivité (CIEC), à laquelle le Parlement sera associé. Celle-ci envisagera les réponses à apporter pour une reconquête industrielle de la France dans le cadre de l’économie mondialisée et d’un nécessaire nouveau modèle de croissance, dégagera les stratégies et le niveau d’intervention les plus pertinents pour l’action du nouvel État stratège et coordonnera les travaux du CNI.
Dans la même logique, afin que le Parlement ne soit pas seulement destinataire de rapports mais acteur de cette démarche essentielle d’un nouvel État stratège pour le développement économique et l’emploi, votre rapporteur suggère que, sous des modalités à définir, le CGSP puisse être sollicité par le Parlement pour renforcer puissamment sa mission essentielle – mais encore trop peu effective - de contrôle efficace de l’action publique. Le Parlement pourrait ainsi être en capacité d’engager à son initiative des études d’impact sur le développement économique concernant des dispositions législatives ou réglementaires, existantes ou à venir.
C’est d’ailleurs le sens d’une des propositions du rapport Gallois, qui préconise que « toute nouvelle disposition législative ou réglementaire significative, toute nouvelle politique lancée par l’État [soit] accompagnée d’un document précisant son impact sur la compétitivité industrielle et les moyens d’en réduire les effets négatifs éventuels. »
ii ● Valoriser les filières industrielles
C’est dans la définition et la structuration des filières industrielles que le rôle de stratège de l’État est appelé à s’exercer, en concertation avec les industriels.
La structuration des filières industrielles françaises a été lancée en 2009.
Les États généraux de l’industrie (octobre 2009 – février 2010) se sont en effet traduits par l’installation, en 2010, de la Conférence nationale de l’industrie (245), réunissant industriels et partenaires sociaux, et par la structuration des filières industrielles françaises (246) autour de douze comités stratégiques de filières et de quatre groupes de travail transversaux (247).
Ces instances ont permis de dresser, pour chacune des douze filières industrielles identifiées, un diagnostic partagé par l’ensemble des acteurs identifiant les forces, les faiblesses, les menaces et les opportunités de chacune de ces filières et définissant une feuille de route pour en améliorer la compétitivité.
La mise en place des comités stratégiques de filières a ainsi permis de construire un dialogue constructif entre les acteurs d’une même filière et, devenant un lieu de concertation, d’introduire un début de pilotage des filières qui manquait en France.
La mission juge opportune l’intervention de l’État dans la structuration des filières industrielles françaises, face aux politiques mises en œuvre par nos concurrents.
Comme l’a rappelé, au cours de son audition (248) par la mission, M. Pierre Gattaz, Président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), « il faut donc arrêter de dire qu’on n’a pas besoin de réflexion à long terme, de plan, de conseil national ou de ministère de l’industrie. […] J’estime que des décisions régaliennes importantes sont nécessaires. Les Coréens ont développé en trente ans dix filières superbes, les Chinois se sont dotés d’une machine de guerre terriblement efficace et aux États-Unis, l’adoption de la National Strategy for Homeland Security s’est soldée par un investissement annuel de 4 milliards de dollars en recherche et développement ! ».
Il convient toutefois de relever que l’intervention de l’État dans la définition des filières ne fait pas l’unanimité.
Ainsi, M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, a fait valoir, au cours de son audition (249) qu’il était « par principe, très méfiant vis-à-vis des politiques par filières. Les facteurs qui concourent au succès du secteur industriel sont extrêmement divers ! En Allemagne, les filières s’organisent d’ailleurs elles-mêmes, sur le plan social en particulier, mais plus généralement aussi, et c’est sans doute une des choses que ce pays fait bien. Je ne suis pas sûr qu’un nouveau Plan calcul soit la solution miracle pour redresser notre industrie. Il vaudrait mieux que l’État s’occupe plus efficacement d’éducation, de cadre général ».
Cette appréciation corrobore la nécessité d’un pilotage fin et au bon niveau de l’intervention de l’État, entre les rôles d’acteur ou de facilitateur.
Par ailleurs, la mission partage le diagnostic du rapport Gallois sur l’apport des comités stratégiques de filières. Ce dernier a en effet souligné qu’ils « sont des lieux d’élaboration et de stratégies communes et de dialogue social. Ils permettent à tous les acteurs de s’exprimer et de définir ensemble les orientations des filières. Ils jouent donc un rôle essentiel dans l’émergence de ces dernières ». Leur rôle pourrait nécessiter de les doter de moyens d’analyse et d’expertise et de renforcer leur gouvernance.
Devant la mission, M. Pierre Gattaz, Président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), a également confirmé que la conférence nationale de l’industrie constituait « un cadre où État, patronat et salariés peuvent réfléchir ensemble à l’avenir ».
Toutefois, plusieurs interrogations demeurent.
Ø Quelle cohérence entre la vision à long terme de l’industrie française et la politique des filières ?
La structuration de l’industrie française en filières doit être cohérente avec la vision à long terme que la mission appelle de ses vœux. Ce travail-là reste à élaborer.
Au sein des douze filières déjà identifiées, quelles sont celles qui seront au cœur de l’industrie française dans 20 ans ? Quelles sont celles qui devront faire l’objet d’avancées technologiques, de restructurations profondes, voire d’abandons ?
Quelles filières privilégier ? Comment hiérarchiser les filières entre elles au regard des leviers de développement possibles, de leur potentiel de croissance et de création d’emplois ?
Pour quels débouchés ? La politique des filières industrielles devrait être cohérente avec la stratégie mise en œuvre dans le domaine du commerce extérieur.
Ce travail d’analyse prospective devrait relever des missions prioritaires de Commission pour l’innovation économique et la compétitivité, en collaboration avec les comités stratégiques de filière.
Devant la mission, M. Pierre Gattaz (GFI) a souligné qu’il convenait de « constituer de nouvelles filières et prendre pied sur de nouveaux marchés. D’abord, comme les Allemands l’ont déjà compris, il faudra équiper les pays émergents : Chine, Inde, Russie, Amérique latine… Il y a donc un avenir pour nous ! En second lieu, de nouveaux besoins se font régulièrement jour dans nos propres sociétés – énergie, santé, mobilité, sécurité, développement durable, efficacité énergétique, chimie verte… Pour y répondre, il faut des infrastructures numériques très haut débit et des infrastructures électriques intelligentes, les smart grids. Ce sont là aussi des opportunités gigantesques ! [….] Il faut par conséquent rapprocher l’État, les entrepreneurs, les salariés, les chercheurs, et choisir cinq ou dix filières sur lesquelles nous pourrons prendre des positions fortes ».
Nos concurrents industriels ne restent pas inactifs, notamment la Chine et la Corée, pour structurer leur offre au regard de l’évolution de la demande mondiale et des nouveaux marchés.
Ø Des filières pour quel pilotage ?
Lors de son audition (250) par la mission, M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, a évoqué la stratégie défensive et offensive mise en œuvre dans chacune des filières.
Au titre de la politique défensive, le ministre a évoqué les « fonds de recapitalisation, donc de modernisation des équipements industriels », mis en œuvre dans chacune des filières avec l’aide de la BPI.
Au titre de la politique offensive, le ministre a indiqué « [procéder] à des choix technologiques en concertation. […] En ce qui me concerne, je réunis les professionnels, les partenaires sociaux, les pôles de compétitivité et je leur fais choisir les orientations et les options technologiques. Les décisions ne sont pas prises par des ministres dans la solitude de leur bureau, ou par des hauts fonctionnaires aussi talentueux soient-ils. La décision vient d’en bas et le politique l’appuie grâce à son leadership ».
Prenant l’exemple de l’automobile, le ministre a détaillé les choix technologiques en cours, visant à définir de nouveaux débouchés : « Dans une guerre, qu’elle soit économique ou pas, la stratégie enseigne de renforcer les points forts. Ainsi, face aux difficultés de la filière automobile, nous développons une stratégie d’endiguement pour préserver nos outils et nos savoir-faire, mais sans exclure l’innovation technologique. Le Premier ministre a fixé le cap du véhicule à 2 litres. Pour la première fois, nous avons réuni les deux constructeurs et les quatre grands équipementiers que sont Plastic Omnium, Valeo, Michelin et Faurecia, pour procéder ensemble à des choix : hydrogène, ou pas ; hybridation chez Peugeot, qui occupe la deuxième place sur ce créneau sur le marché européen – je rappelle que Toyota construit ses « Yaris » hybrides en France –, et tout électrique chez Renault qui a pris de l’avance dans ce domaine en repoussant à 120 kilomètres les limites de l’autonomie ».
Cet exemple souligne que des choix stratégiques sont à effectuer au sein de chaque filière, afin de préparer l’avenir et de les piloter à moyen terme.
Il serait sans doute souhaitable de mettre mieux en avant ces stratégies peu connues du grand public. Le récent train « Industrie et Innovation » qui parcourt la France afin de populariser les performances de certaines de nos filières va dans le sens souhaité. Ce mouvement mérite sans doute d’être amplifié pour montrer que nos réussites industrielles sont souvent liées à un écosystème favorable et consciemment entretenu entre acteurs différents au sein d’une même filière.
Ø Accentuer le dialogue des différents acteurs d’une filière
Les travaux de la mission aboutissent à la conclusion qu’il convient d’accentuer encore le dialogue entre les acteurs d’une même filière.
Évoquant (251) devant la mission la filière automobile, M. Lionel Baud, président du Syndicat national de décolletage (SNDEC), a jugé que « toutes les mesures de cette nature sont bienvenues. Il est indispensable que, dans chaque filière, tous les acteurs – clients, fournisseurs – soient représentés et puissent se parler. Dans le secteur automobile, les discussions ne doivent pas se résumer à des échanges entre les constructeurs et les fournisseurs de rang 1 ; elles doivent impliquer le réseau des fournisseurs dans son ensemble. Il convient que tous réfléchissent ensemble à la stratégie de la filière. Beaucoup d’efforts restent à faire dans ce domaine. L’absence de véritables filières constitue un handicap important pour la France par rapport à ses concurrents ».
Le rapport Gallois a souligné, pour sa part, la nécessité pour les grands groupes de s’impliquer encore davantage, au travers de « Chartes », dans la structuration et la compétitivité des filières industrielles.
C’est la raison pour laquelle le Pacte national pour la croissance propose la mise en place de « contrats de filière », dans le cadre du CNI, afin que les différents acteurs d’une même filière nouent des engagements réciproques en matière d’innovation, d’investissement et d’emploi.
La mission approuve pleinement cette démarche.
b) Renforcer le financement de nos entreprises, notamment en faveur des PME
Ø La création de la Banque publique d’investissement (BPI)
Face à la crise financière et les difficultés d’accès au crédit que votre Rapporteur a précédemment décrit, le Gouvernement a réagi en suppléant aux mécanismes de marché (investissements du FSI et de la CDC entreprises, prêts de long terme et dispositifs de garantie d’OSEO), mais sans compenser le recul des financements privés.
Une nouvelle étape a été franchie avec la création (252) de la Banque publique d’investissement (BPI) au 1er janvier 2013. Selon l’expression employée par le ministre de l’Économie et des finances, M. Pierre Moscovici (253), la BPI sera « le bras armé » du Pacte national pour la croissance, en devenant « le guichet unique » de financement des entreprises, et prioritairement des PME et des ETI. La BPI doit permettre ainsi d’éviter toute pénurie de crédit (le « credit crunch »).
La création de la BPI est également une réponse à la financiarisation croissante de l’économie qui conduit le secteur bancaire à privilégier les opérations de marché spéculatives au détriment du financement de l’économie réelle, voire à de possibles pillages technologiques par des groupes étrangers (254).
Regroupant, dans une même structure, les activités exercées par Oséo, le FSI et CDC entreprises, la BPI servira de guichet unique pour financer les PME et ETI. Ses interventions prendront la forme de prêts bancaires et de fonds propres, permettant ainsi de contrecarrer les carences de financement du secteur privé. Elle est chargée d’accompagner, sur le long terme, la croissance des entreprises et ce, à chaque étape de leur développement (création, croissance, internationalisation). À ce titre, la BPI leur offrira « un bouquet de services », distribuant, au travers d’un « guichet unique » l’ensemble des outils de soutien et de conseils financiers nécessaires à la croissance des entreprises. De nouveaux services sont prévus, notamment un dispositif de trésorerie.
Disposant de plus de 60 milliards d’euros de ressources (255), la BPI devrait permettre de mobiliser, en jouant un rôle de levier, une « puissance de feu » de plus de 200 milliards d’euros de financement au service des entreprises. La BPI a vocation à donner les moyens aux entreprises pour innover, se développer et exporter. Son action sera relayée au niveau des territoires. La BPI a ainsi vocation à devenir la banque du tissu économique des territoires, en accompagnant au plus près du terrain, les projets porteurs de développement. Au travers d’antennes régionales, la BPI sera puissamment ancrée dans les territoires.
La création de la BPI a été saluée par les personnalités entendues par la mission. M. Vincent Moulin Wright, directeur général du GFI, a appelé de ses vœux (256) que la BPI desserre « un peu l’étau » lié aux difficultés d’accès au financement bancaire. M. Christian de Boissieu, professeur d’économie (Paris I - Panthéon-Sorbonne), membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a fait valoir (257) que « Oséo enregistre de bons résultats depuis quelques années et la mise en place de la Banque publique d’investissement (BPI) pourra aussi contribuer à ce financement [….] ».
Si la mesure va clairement dans le bon sens, plusieurs questions restent en suspens : l’effet de levier jouera-t-il suffisamment pour répondre à l’ampleur des besoins de financement ? M. Christian de Boissieu résume ainsi le défi : « La capacité de financement de la BPI sera de 40 milliards d’euros, chiffre que l’on peut espérer doubler avec des cofinancements privés. Compte tenu de la faiblesse des marges de manœuvre, tout est bon à prendre. Espérons que la BPI saura engendrer des synergies, sans casser les dynamiques à l’œuvre avant sa création ».
Il convient également de savoir quelle sera l’articulation entre le niveau national et régional. M. Pierre Gattaz, président du directoire de Radiall et président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), s’est ainsi interrogé (258): « Quel sera le rôle des régions ? Il est important que les entreprises trouvent des interlocuteurs à ce niveau, mais attention aux clientélismes locaux et aux dérives politiques ! La fâcheuse expérience des sociétés de développement régional (SDR), qui s’est soldée par un gouffre financier, doit nous inciter à contrôler de près les investissements ».
Les défis à relever par la BPI sont immenses. Sa création suscite espoirs et attentes. Sa réussite dépendra de sa capacité à répondre, sur le terrain, en concertation avec les régions, aux besoins concrets et disparates des PME. A cette fin, la mission recommande que les PME soient représentées au sein du conseil d’administration de la BPI, afin de faire valoir leurs besoins et leurs spécificités.
Mais il ne faut pas tout attendre de la BPI. Celle-ci a une capacité d’action limitée, qui sera centrée, qui plus est, sur les entreprises « qui ont le moteur , mais pas le carburant ». Elle n’aura donc pas vocation à compenser les effets d’un euro surévalué, ni à venir en aide aux entreprises structurellement déficitaires.
Au-delà de la création opportune de la BPI, les travaux de la mission ont permis de souligner la nécessité de renforcer les fonds propres des entreprises françaises, en favorisant les placements en actions et en soutenant le capital-risque.
Ø Renforcer les fonds propres des entreprises françaises
À cette fin, il conviendrait en premier lieu de créer une Bourse dédiée aux PME, afin de leur donner accès au marché financier. Avec les accords « Bâle III », il sera de plus en plus difficile pour les banques de les financer.
Actuellement, le secteur bancaire finance le secteur productif à hauteur de 70 % et les marchés financiers pour 30 %. Seules 0,3 % des entreprises sont cotées si bien qu’en 2011, la France ne comptait que 562 PME et ETI cotées sur le marché (259). Le total de la capitalisation des PME et ETI cotées représente moins que la capitalisation de la première grande valeur française. Le rapport Rameix-Giami de 2011 a souligné, à cet égard, l’inadaptation du marché Nyse-Euronext pour les PME.
Cette situation s’explique notamment par les contraintes de coût, de publicité et de normes comptables applicables aux sociétés cotées. Comme l’a souligné M. Pierre Gattaz, (GFI) lors de son audition par la mission (260), une introduction en Bourse génère « des dépenses supplémentaires, en rapports obligatoires, en honoraires d’analystes financiers, en frais de communication divers… […]. En outre, cela contraint à une totale transparence vis-à-vis des concurrents qui, quand il s’agit par exemple d’entreprises familiales allemandes, ne livrent rien de leurs affaires et de leur stratégie. Enfin, une fois entré en bourse, on peut difficilement s’en retirer : il suffit qu’un actionnaire « flottant » détenant plus de 5 % du capital fasse preuve de mauvaise volonté pour que vous en restiez prisonnier ».
Annoncée par le Gouvernement, dans le cadre du Pacte national pour la croissance, pour le 1er semestre 2013, cette bourse permettrait de lever les fonds en actions et en obligations indispensables à la croissance des PME.
Il serait ainsi nécessaire de s’appuyer sur des technologies de pointe de façon à réduire les coûts de cotation, d’alléger les exigences requises lors des introductions en Bourse et pour les publications de comptes et de faciliter les sorties pour les entreprises cotées.
Afin de « susciter la participation d’autres financements privés », selon l’expression utilisée par M. Antoine Colboc, coprésident de la commission Création & Financement de CroissancePlus et senior advisor chez Omnes Capital, lors de son audition (261) par la mission, il convient de prendre des mesures permettant d’orienter l’épargne des particuliers vers des investissements de long terme, en faveur du secteur industriel.
L’économie réelle a en effet besoin, à l’image des entreprises allemandes, d’un financement stable, reposant sur une vision de long terme. Il faut donc encourager l’épargne des Français vers l’industrie, ce qui permettra d’éviter la pression de fonds d’investissement parfois plus soucieux de rentabilité à court terme que de stratégie industrielle de long terme.
Un nouveau « PEA-PME » est annoncé par le Gouvernement dans le cadre du Pacte national pour la croissance pour le 1er semestre 2013. Afin de garantir son attractivité, pourquoi ne pas doubler son plafond avec, comme contrepartie, une exonération fiscale liée à la durée de détention des titres (par opposition à l’exonération actuelle, induite par la date d’ouverture du PEA) ? Cette mesure encouragerait la détention d’actions sur le long terme et contribuerait à atténuer la volatilité des placements des investisseurs à la recherche d’une rentabilité de court terme.
Dans le même but, pourquoi ne pas chercher également à orienter l’un des placements privilégiés des Français – l’assurance-vie – vers le financement des entreprises via une modification de la durée d’exonération fiscale ? Cette mesure est prônée par le rapport Gallois.
L’assurance-vie est actuellement un support trop liquide pour contribuer efficacement au financement des PME. Le droit de rachat permanent du souscripteur constitue une contrainte de gestion lourde pour l’assureur, qui le conduit à investir dans des titres sûrs et liquides, comme de la dette publique.
Afin de renverser cette tendance, pourquoi ne pas encadrer les droits de rachats des contrats souscrits dans le cadre d’une assurance-vie, quelle que soit la nature du contrat, et porter de 8 à 12 ans la durée de détention ouvrant droit à exonération fiscale pour les contrats en euros, afin de rendre ceux-ci moins attractifs et d’encourager l’assureur à se porter vers des investissements plus productifs et de long terme ?
À l’instar de ce que propose le rapport Gallois, pour contribuer au développement des contrats souscrits en unités de compte, la durée de détention dans ce cas de figure pourrait être maintenue à 8 ans, afin de leur conférer un avantage fiscal vis-à-vis des contrats en euros, moyennant une information accrue des souscripteurs compte tenu des risques inhérents aux contrats en unités de compte, dont les rendements sont nécessairement plus soumis aux aléas boursiers.
Cette mesure permettrait de renforcer les fonds propres des entreprises tout en compensant le retrait des compagnies d’assurance du marché des actions induites par les nouvelles règles prudentielles européennes dites « Solvency II (262)».
c) Stimuler l’emploi en favorisant le développement des PME et des ETI
Avec plus de 2 millions de créations entre 2009 et 2012, la France est, de loin, le premier pays créateur d’entreprises au sein de l’Union européenne. La France est ainsi « contrairement aux idées reçues une terre d’émergence de PME innovantes » selon l’expression du rapport Gallois.
Ce constat encourageant doit être, toutefois, tempéré à l’aune d’une triple défaillance : le taux de pérennité des entreprises nouvellement créées est faible - la moitié d’entre elles disparaissant au bout de 5 ans -, la création d’entreprises s’accompagne rarement d’embauche de salariés et les entreprises nouvellement créées ont du mal à croître, qui plus est sans se faire racheter.
i● Un déficit en entreprises de croissance
Dans un rapport (263) de 2006, le Conseil d’analyse économique soulignait le déficit français en PME employant entre 20 et 500 salariés, et notamment celles – les « gazelles » – qui en raison de leur capacité d’innovation ont une croissance deux à trois fois plus rapide que la moyenne des PME.
En 2005, le nombre de « gazelles » était évalué à 4 000. En 2012, elles seraient de l’ordre de 2 000 en y incluant les entreprises à forte croissance de plus de 10 salariés, contre 11 000 au Royaume-Uni.
Ces fameuses « gazelles » sont au cœur des processus de créations d’emplois, de recherche et de croissance. Elles se distinguent en effet des autres PME pérennes par un taux annuel de création d’emplois très élevé (18 % contre 7 %). La croissance des gazelles est généralement très concentrée dans le temps. Au cours de leur année de plus forte croissance par exemple, les gazelles doublent de taille, et ce, même en période de faible conjoncture. Leur croissance est due à la fois à une forte croissance interne fondée sur des innovations, et à une forte croissance externe assise sur des rachats d’entreprises.
Les gazelles sont également une source décisive de gains de productivité, notamment en raison des effets indirects d’incitation à l’innovation qu’elles exercent sur leurs concurrents. En ce sens, les gazelles jouent un rôle de catalyseur en matière d’innovations.
Selon les auteurs de l’étude, le développement des gazelles se heurte en France à « un univers social et règlementaires » moins favorable que dans les autres États membres de l’Union européenne. Les PME innovantes françaises seraient handicapées par des cotisations et des contraintes trop fortes.
Les jeunes entreprises innovantes sont également confrontées à des difficultés de financement aux différents stades de leur développement.
Ce problème de financement se pose en phase de départ (le coût moyen de financement de départ d’une entreprise de croissance se situe autour de 300 000 euros) et lors du franchissement de la « vallée de la mort », expression désignant le passage entre le projet de recherche et sa concrétisation commerciale. Il se rencontre ensuite pour assurer la pérennité des entreprises concernées, ce qui explique que les entreprises innovantes grandissent en France moins vite qu’ailleurs : sur leurs sept premières années d’existence, l’effectif des entreprises françaises croit de 7%, contre 226% aux États-Unis, 32% en Italie, 22% en Allemagne (264).
C’est la raison pour laquelle, lors de son audition (265) par la mission, M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, a souhaité que les pouvoirs publics se « [concentrent sur le financement] des start-up, des entreprises innovantes et des créateurs ».
La création de la BPI précédemment évoquée, vise précisément à répondre à ces difficultés, en devenant « la » banque des PME, chargée d’accompagner sur le long terme leur croissance.
Le rapport Hayat « Pour un New Deal entrepreneurial – Créer des entreprises de croissance » d’octobre 2012 préconise, pour sa part, une série de mesures destinées à « créer des entreprises de croissance » en France. Selon son auteur, il est en effet possible de doubler leur nombre d’ici à 5 ans – objectif repris dans le cadre du Pacte national pour la croissance –, afin de créer ainsi 200 000 emplois supplémentaires par an.
Soucieux d’orienter l’action publique vers l’entrepreneuriat de croissance, le rapport Hayat préconise notamment de populariser l’entrepreneuriat auprès du grand public et des jeunes, d’inciter fiscalement l’entrepreneur à la prise de risque et à mettre en place un « small business act » français en faveur des PME.
A l’instar du « small business act » américain de 1953 en faveur des PME, cette initiative législative rassemblerait l’ensemble des mesures prises en faveur des PME. Le rapport Hayat préconise notamment de concentrer les politiques d’achats des grands groupes – privés comme publics – sur les PME, afin que 50 % de ces achats leur soient affectés. S’agissant de la commande publique, cette mesure nécessite, toutefois, une révision de la directive sur les marchés publics, sur laquelle votre Rapporteur reviendra.
La mission est également favorable à l’idée d’un « small business act » français, qui regrouperait l’ensemble des mesures visant à stimuler l’activité des PME et tout particulièrement des PME de croissance. Votre rapporteur encourage donc les actions initiées en ce sens par le gouvernement dans le cadre du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi et réaffirmée à l'occasion du Conseil interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) tenu en décembre 2012 qui visent à simplifier les démarches pour les entreprises, et notamment le projet « Dites-le nous en une seule fois ». Au vu des attentes fortes entendues dans le cadre de la mission, votre rapporteur souhaite que, avant la fin 2013, des résultats concrets puissent être ressentis par les entrepreneurs dans leur réalité de terrain.
ii● un nombre insuffisant d’entreprises de taille intermédiaire (ETI)
La France souffre ainsi d’un déficit ETI (266), alors que celles-ci, en raison de leur capacité d’innovation et de leur ouverture internationale, jouent un rôle essentiel dans l’activité économique. Les ETI sont en effet suffisamment grandes pour exporter et suffisamment petites pour innover !
Lors de son audition (267) par la mission, M. Pierre Gattaz, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), a évalué le nombre d’ETI en France à « 4 500, contre 12 500 en Allemagne, mais, sur ce nombre, il y en a moins de mille qui soient des ETI industrielles patrimoniales, contre 5 000 à 6 000 Outre-Rhin ».
Le nombre d’ETI en France serait trois fois moins élevé qu’en Allemagne et deux fois moins élevé qu’en Angleterre. Le rapport Gallois estime ainsi qu’il faudrait au minimum doubler le nombre d’ETI en France pour être aux standards européens.
Le COE-Rexecode a mené, en 2011, une étude (268) approfondie sur l’origine des divergences de compétitivité entre la France et l’Allemagne. Sur la base d’une analyse comparative reposant sur l’année 2007, cette étude souligne les différences de composition du tissu industriel entre les deux pays.
Celles-ci sont particulièrement sensibles pour les grosses PME (50 à 249 salariés) et pour les ETI de petite taille (250 à 999 salariés), dont le nombre est plus de deux fois supérieur en Allemagne. Par ailleurs, la taille moyenne des entreprises industrielles allemandes est systématiquement supérieure à celle de leurs homologues françaises, quelle que soit la taille de l’entreprise.
Le résultat de cette étude aboutit à la conclusion que l’industrie française compterait 400 000 salariés de plus si l’on appliquait la taille moyenne des entreprises françaises – pourtant systématiquement inférieure à celle des entreprises allemandes – à la structure de l’industrie allemande.
Cette comparaison met en lumière la densité du tissu industriel allemand, qui repose sur des entreprises moyennes, souvent familiales, particulièrement solides sur le plan financier, dynamiques et pérennes. Il s’agit là de l’une des forces du Mittelstand allemand. Les entreprises du Mittelstand constituent la principale force de frappe de l’industrie allemande.
M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique, a ainsi résumé la situation dans laquelle se trouve l’industrie française lors de son audition (269) par la mission : « Notre pays est porté par de grands champions nationaux alors que l’Allemagne et d’autres pays ont réussi à tisser un réseau d’entreprises de taille intermédiaire et exportatrices ».
Néanmoins, sur ce sujet comme sur tant d’autres, il ne faudrait pas idéaliser ou chercher simplement à reproduire un « modèle » allemand qui reste à définir précisément, comme cela a été mis récemment en lumière par Mme Jacqueline Hénard (270) ou encore par M. Guillaume Duval (271) dans leurs ouvrages respectifs. L’Allemagne peine d’ailleurs elle-même à dupliquer ses réussites indéniables dans les territoires de l’ex-RDA. De plus, si le Mittelstand peut être aujourd’hui envié, il ne faut pas oublier qu’il était considéré comme un handicap il y a 20 ans. Ensuite, son succès actuel est fortement lié à l’organisation séculaire décentralisée, au rôle économique décisif des Länder ainsi qu’à un réseau de formation par alternance de haut niveau. Enfin, le vrai succès des ETI allemandes vient aussi d’une forte spécialisation, là aussi ancienne, dans la production de biens d’équipement indispensables au fonctionnement de l’économie des pays anciennement industrialisés comme au décollage des pays émergents (BRICS).
Cette dernière constatation ne doit pas nous exonérer de progresser tant les causes du déficit français en ETI sont anciennes et connues. Elles ont été rappelées par le rapport Gallois : « les raisons pour lesquelles les PME françaises grandissent trop rarement pour devenir des véritables ETI sont multiples : d’abord le manque de fonds propres, mais aussi les obstacles juridiques et fiscaux (fiscalité de la transmission d’entreprises et des plus-values, seuils fiscaux et sociaux multiples), le manque de soutien des donneurs d’ordre parfois tentés d’ailleurs de les racheter, la crainte des entrepreneurs de prendre les risques associés au grossissement de leurs entreprises (embauches de personnel, perte de contrôle si une ouverture du capital est nécessaire, capacité à gérer…), l’attirance de certains jeunes entrepreneurs pour les gains associés à la vente de leur entreprise…. ».
Lors de son audition (272) par la mission, M. E.M Mouhoud, professeur d’économie à l’Université de Paris-Dauphine/CNRS, a également souligné le rôle joué en France par les rachats d’entreprises : « si nos PME n’atteignent pas une taille critique, c’est essentiellement en raison du phénomène de rachats d’entreprises ! ».
Les solutions au déficit d’ETI en France ont été identifiées. Elles ont fait l’objet d’analyses poussées dans le cadre du rapport de Mme Françoise Vilain présenté au nom du Conseil économique et social en 2008 (273) et de celui de M. Bruno Retailleau, remis au Premier ministre en 2010 (274).
L’enjeu est désormais de mettre en œuvre les mesures qui sont à la fois les plus efficaces et compatibles avec les contraintes pesant sur nos finances publiques.
Les travaux de la mission conduisent à privilégier les axes suivants :
Ø Campagne de communication visant à valoriser les capacités créatrices et d’innovation des entreprises
Il est frappant de constater le décalage entre la France et les pays limitrophes sur le rôle de l’entreprise. En Allemagne, l’entreprise est perçue comme créatrice de richesses, si bien qu’il existe un consensus national pour assurer sa pérennité.
Lors de son audition (275) par la mission, M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, a ainsi souligné que « le consensus national autour de la compétitivité des entreprises est une caractéristique culturelle allemande. Pour les Allemands, l’entreprise est un outil fragile que tous les acteurs doivent contribuer à protéger et à aider, en évitant notamment de freiner son développement. Au contraire, le consensus français porte sur le maintien du pouvoir d’achat. [….]. L’Allemagne et la France sont donc à front renversé puisqu’aux yeux des Allemands, l’emploi et le pouvoir d’achat dépendent de la santé et de la pérennité de l’entreprise, ainsi que de sa compétitivité, notamment à l’exportation ».
S'il est là aussi illusoire de vouloir copier un modèle allemand qui s'appuie sur des fondements très anciens – les Français ne deviendront jamais des Allemands parlant notre langue ! -, il est nécessaire de rééquilibrer la priorité trop souvent donnée dans notre pays au consommateur plutôt qu’à l’entrepreneur en démontrant que leurs intérêts réels et raisonnés peuvent se rencontrer. Tout en se gardant d’un excès inverse tout autant nuisible à notre compétitivité, il est nécessaire de réaffirmer que c'est bien au niveau des ETI et des PMI, créatrices de richesses, que se joue la bataille de l’emploi et de l’innovation.
La France ne pourra sortir de la crise actuelle qu’à la condition de revaloriser le rôle des PME et des ETI. Un consensus national doit s'établir sur cette question, afin que les mesures en leur faveur s’inscrivent dans la durée.
Ø Évaluer l’impact des mesures législatives à l’aune de leurs effets en termes de création de richesses
Le consensus national allemand sur l’entreprise créatrice de richesses explique que la réglementation, au sens large du terme, soit systématiquement évaluée et adoptée à l’aune de son impact positif sur la croissance des entreprises.
Lors de son audition (276) par la mission, M. Pierre Gattaz, président du Groupe des fédérations industrielles (GFI), a relevé que « le modèle allemand […] est intéressant parce que tout est mesuré dans ce pays à l’aune du développement de l’emploi ».
M. Pierre Gattaz a appelé de ses vœux un environnement réglementaire, stable dans la durée, et favorable à la création et à la transmission des entreprises : « Si la France pouvait enfin mesurer l’importance d’un environnement favorable au développement économique, ce serait merveilleux. Nous souhaiterions ainsi une réglementation sociale, fiscale, environnementale simplifiée et surtout stabilisée. Il est facile de modifier la législation fiscale tous les six mois, mais les investissements dans l’industrie se font à échéance de vingt ou trente ans. Constituer une entreprise patrimoniale prend des décennies ; […..]. Nous avons impérieusement besoin d’un environnement réglementaire propice à la transformation de nos PME en entreprises de taille intermédiaire, dont nous manquons, mais aussi à la création d’entreprises en France plutôt qu’ailleurs ».
Dans un souci d’efficacité, ne pourrait-on pas compléter les études d’impact jointes à tout projet législatif en évaluant systématiquement ses retombées en termes de création de richesses et d’emploi ? Cela irait dans le sens de la mesure envisagée par le Gouvernement, le « Test PME », qui doit permettre de vérifier les conséquences de nouveaux dispositifs réglementaires ou législatifs sur ce type d’entreprises.
Ø Améliorer la législation en faveur de la transmission des entreprises
Depuis la loi Dutreil, les pouvoirs publics ont multiplié les dispositifs pour améliorer les transmissions d’entreprises. La stabilité recherchée par les entrepreneurs a conduit le Gouvernement à ne pas modifier le dispositif existant.
Toutefois, la transmission familiale des entreprises continue de poser problème en France, notamment lors du passage de la deuxième à la troisième génération. La multiplicité des dispositifs déroute souvent les chefs d’entreprise. La valorisation des sociétés, en recul, est également un frein. La proposition du rapport Gallois de modifier l’évaluation d’une société cotée en cas de transmission est, à cet égard, opportune.
Devant ces obstacles, il est souvent plus simple de vendre l’entreprise familiale.
Confrontée à un problème identique – de 2011 à 2016, plus de 22 500 entreprises sont concernées -, l’Allemagne a pris les devants dès 2009 avec une loi sur les successions extrêmement poussée, qui met en place des allègements fiscaux pour les transmissions familiales dès lors que l’héritier conserve, sous certaines conditions, l’entreprise pendant une certaine durée.
Lors de son audition (277), M. Godz Schmidt-Bremme, conseiller économique de l’ambassade d’Allemagne en France, a rappelé que l’Allemagne « en ce qui concerne la transmission des PME, [a] introduit avec quelque succès une réduction de l’assiette d’imposition à hauteur de 85 %, voire 100 %, si l’héritier conserve l’entreprise pendant sept ou dix ans ». Ces allègements fiscaux jouent un rôle essentiel dans la transmission familiale des ETI allemandes.
Par ce biais, la transmission d’une entreprise familiale allemande au capital de 2.7 millions d’euros peut être transmise sans droit de succession. Cette législation, certes inégalitaire, a donné pour priorité le maintien de l’emploi et donc la sauvegarde de l’entreprise.
À cette législation, s’ajoute la notion de « fondation », qui permet d’éviter les divisions des familles après plusieurs générations en y regroupant le capital d’une entreprise.
M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, a précisé, lors de son audition (278) par la mission, le rôle joué par les fondations : « En ce qui concerne les fondations, il s’agit d’une formule allemande originale qui permet de loger les actifs de l’entreprise afin d’organiser sa succession, y compris lorsque les enfants ne souhaitent pas en reprendre la gestion. [….]. Il s’agit en quelque sorte d’un modèle vertueux dont la France pourrait s’inspirer, notamment pour venir en aide aux nombreuses PME dont les fondateurs parvenus à l’âge de la retraite restent sans successeur ».
La législation allemande se traduit par des résultats marquants en matière de transmission d’entreprises. M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME, a en effet souligné, lors de son audition par la mission (279), qu’« en Allemagne, 50 % des transmissions d’entreprise s’effectuent au sein de la famille, contre seulement 10 % en France [….] ».
Ne pourrait-on pas s’inspirer en France de cet exemple ? Les travaux de la mission aboutissent à la conclusion que le renforcement du tissu industriel français passe par un renforcement de la législation en faveur de la transmission des entreprises.
iii● Rénover la relation entre donneurs d’ordre et sous-traitants
Malgré des progrès récents – Pacte PME (280) en 2010, Charte des relations inter-entreprises en 2009, nomination d’un médiateur des relations inter-entreprises et de la sous-traitance en 2010, Label Relations fournisseurs responsables en 2012 –, la relation entre donneurs d’ordre et sous-traitants reste, en France, déséquilibrée, au risque de pénaliser les fournisseurs et la compétitivité de notre tissu industriel.
Sous la pression de la crise et de la mondialisation, qui toutes deux accentuent la compétition, les donneurs d’ordre ont cherché à réduire leurs coûts, quitte à faire peser sur leurs fournisseurs cette contrainte. En France, cette situation a exacerbé les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants. Certains sous-traitants ont ainsi pu avoir le sentiment de servir de variables d’ajustement face aux fluctuations d’activité des donneurs d’ordre. Mais cette stratégie du « cost-killing » détruit progressivement les PME sous-traitantes, dont les marges sont progressivement rognées et tue à petit feu notre tissu industriel.
Les travaux de la mission ont permis de mettre en exergue le fait que les donneurs d’ordre tendent à négliger l’établissement d’une relation stratégique de long terme avec leurs sous-traitants. De ce fait, les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants sont trop souvent tendues, gouvernées par l’intérêt particulier des parties en position de force et selon une logique de court terme.
M. Dominique Seux, rédacteur en chef des Échos, a ainsi rappelé, lors de son audition (281) par la mission « que les relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants sont […] difficiles dans notre pays, contrairement à ce qui se passe en Suisse, en Allemagne ou en Belgique : les prix finissent par constituer la variable d’ajustement quasi unique. On peut le reprocher aux donneurs d’ordre, mais il faut tout de même s’interroger sur cette spécificité française ».
Pourtant, l’établissement de relations étroites entre clients et fournisseurs, entre grands groupes et PME, est une des clés du succès de l’industrie allemande. Il est désormais clair qu’un tissu industriel compétitif nécessite un écosystème structuré et dynamique, ce qui passe nécessairement par des relations contractuelles équilibrées et partenariales.
La France gagnerait à reprendre certaines manières de faire développées outre-Rhin, en structurant en filières les entreprises d’un même secteur dans une logique partenariale « gagnant-gagnant » de long terme. Les donneurs d’ordre et sous-traitants doivent devenir des « co-traitants », qui organisent dans la concertation leurs relations.
L’objectif est de construire des relations interentreprises qui ne soient plus le simple résultat des attentes des donneurs d’ordre, mais correspondent à un compromis entre l’ensemble des acteurs d’une filière donnée. Cette évolution, autant juridique qu’économique et culturelle, est une des conditions pour construire un tissu industriel compétitif.
À cette fin, il convient d’encourager le développement de « bonnes pratiques » au sein des filières industrielles.
Le rapport Gallois préconise ainsi que les grands groupes s’engagent, au travers de « chartes », à mener des actions de long terme de nature à renforcer les liens avec leurs fournisseurs, à inscrire dans le long terme leur stratégie d’achat et ainsi à structurer leur filière pour en renforcer la compétitivité. Les comités de filière, issus de la Conférence nationale de l’industrie, pourraient être chargés d’impulser cette politique.
Le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi du Gouvernement va également dans le même sens, en préconisant la mise en place de contrats de filières entre les entreprises, afin de créer des « solidarités partenariales » entre les grands groupes et les PME.
La mission se félicite de cette évolution, nécessaire au redressement de notre tissu productif.
Il conviendrait également de simplifier le droit applicable aux relations interentreprises industrielles, afin de le rendre plus lisible et plus compréhensible. Celui-ci est le résultat d’une longue sédimentation, dont les textes les plus anciens remontent à 1804 !
S’inspirant de la législation italienne, le médiateur des relations interentreprises industrielles propose ainsi, dans son rapport (282) de 2010, une loi-cadre qui fixerait les grands principes de ces relations, afin de lutter contre les mauvaises pratiques encore trop souvent observées. Selon le médiateur, « une telle loi apporterait une contribution décisive à la mise en place des filières stratégiques. Elle pourrait même conduire à la mise en place de conseils des relations interentreprises dans chaque branche ».
iv● Favoriser l’accès des PME à la commande publique
Comme l’a souligné M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, lors de son audition (283) par la mission, « 18 % du PIB européen provient de la commande publique ».
En France, selon les données du rapport Hayat précité, les achats publics représentent 81 milliards (284) d’euros, dont 35% sont attribués aux PME. La part revenant aux PME s’élève à 20% pour les commandes de l’État et à 40% pour celles des collectivités locales.
La passation des marchés publics est régie, en France, par le code des marchés publics. Celui-ci transpose en droit interne la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services.
Dans le but d’assurer « l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics », le code des marchés publics repose sur trois principes, édictés à l’article 1er :
– liberté d’accès à la commande publique ;
– égalité de traitement des candidats ;
– transparence des procédures.
Ces trois critères sont la transposition simplifiée de ceux édictés au considérant 2 (285) de la directive précitée.
Les travaux de la mission permettent de souligner que la pratique, en France, du code des marchés publics répond davantage à un souci de concurrence qu’à la volonté de stimuler la croissance intérieure.
La première critique concerne l’absence de protection des marchés publics de l’Union européenne vis-à-vis de concurrents de pays tiers. Concrètement, l’Europe ne prévoit aucune disposition pour protéger ses marchés publics du dumping social et environnemental.
La directive 2004/18/CE précitée est en cours de renégociation. Il a été envisagé des dispositions permettant d’exclure les offres présentées en réponse à des appels d’offre communautaires qui ne respecteraient pas les normes intérieures sociales et environnementales ou équivalentes. Las, en raison de l’opposition des pays anglo-saxons et du nord de l’Europe, cette proposition ne devrait pas être mise en place, malgré le soutien de la France et celui du Parlement européen.
Autrement dit, au nom du principe de la libre concurrence, l’Europe ne sait pas actuellement protéger ses marchés publics d’une concurrence déloyale et ne s’en donne pas les moyens.
La deuxième critique repose sur l’absence de prise en compte de l’impact économique sur le plan local des offres à un marché public.
Alors que la commande publique opère dans un monde concurrentiel, les règles imposées dans l’Union européenne sont plus strictes, interdisant toute disposition concernant « le contenu local » des offres.
À l’inverse, aux États-Unis, la loi fédérale de « Buy American Act » impose que « toutes les marchandises destinées à l’usage public doivent être produites aux États-Unis et toutes les marchandises manufacturées doivent être fabriquées aux États-Unis, à partir de produits américains ».
Au cours de son audition par la mission (286), M. Gilles Benhamou, président-directeur général du groupe Asteel Flash, numéro 2 en Europe du manufacturing électronique, a ainsi fait part de son expérience des marchés publics à l’international, son groupe étant présent dans huit pays – France, Chine, États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, République Tchèque, Tunisie et Mexique.
Il a souligné que les pays asiatiques recouraient à des clauses de « local contain » dans le cadre de leurs marchés publics, obligeant ainsi les industriels français à s’y implanter, alors qu’en Europe, au contraire, la commande publique ne favorise pas la fourniture locale : « L’une de nos préoccupations essentielles est relative aux distorsions en matière d’approche des marchés, qui existent entre notamment les Américains, les Chinois et les Français. Si nos industriels français développent tous leurs marchés dans des pays étrangers qui imposent eux-mêmes des règles significatives de « local contain », comment voulez-vous, à terme, avoir une industrie en France ? Quels que soient nos efforts en matière de prix ou de réduction de salaire, rien n’y fera si une telle distorsion subsiste. On ne créera pas d’emplois si l’on n’a pas de marchés en France. Même nos radars civils sont implémentés en Malaisie ! »
M. Gilles Benhamou a souligné que beaucoup de pays n’hésitent pas à favoriser les entreprises situées sur le sol en introduisant des contraintes de production locale : « lorsque les autorités chinoises accordent une licence pour fabriquer des véhicules en Chine, elles spécifient que 60 % de l’équipement doit être fabriqué sur leur territoire (287). Tous les constructeurs étrangers concourent selon les mêmes règles et doivent se conformer à cette spécification du marché public ».
Fort de son expérience sur les marchés publics européens, M. Philippe Robert, président-directeur général de La Générale du granit, entreprise familiale et leader français dans le domaine des roches ornementales dures, a déploré que l’appréciation des offres ne prenne pas en compte l’impact, en termes de croissance et d’emploi, sur le tissu économique local : « Dans notre secteur, les emplois sont durables et ne sont pas susceptibles d’être délocalisés. Or, nos clients sont avant tout des collectivités territoriales. La richesse que nous redistribuons […] représente 53 % de celle que nous créons. On comprend mal, dans ces conditions, que des collectivités achètent moins cher à un concurrent étranger au risque de faire perdre cette richesse à l’économie locale, voire d’être confrontées à des suppressions d’emplois. […] On demande aux entreprises d’être citoyennes, mais c’est aux collectivités de montrer l’exemple ! »
La question se pose donc de savoir s’il serait possible, dans le respect du principe du libre accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats, d’introduire des clauses de « production locale », afin de favoriser l’emploi.
La réponse à cette question est fondamentale si l’on veut mener une politique volontariste en termes de marchés publics, afin de favoriser l’emploi au sein des territoires.
Pour M. Gilles Benhamou, la réponse est assurément positive : « Recourir à des spécifications ne constitue en rien une mesure anticoncurrentielle : c’est définir la manière dont on souhaite qu’un produit soit fabriqué. Ainsi, une collectivité publique qui préciserait, dans un cahier des charges, que 70 % d’un produit doit contribuer à créer de la richesse sur son territoire ne contreviendrait pas pour autant à la réglementation européenne. Toutes les entreprises en concurrence, qu’elles soient françaises ou étrangères, seraient soumises aux mêmes règles et devraient répondre à cette exigence définie par le commanditaire ».
La question est toutefois complexe.
Le code des marchés publics impose de juger les offres - et seulement les offres - à l’exclusion de leur impact sur le tissu économique local. Un marché public est en effet attribué à « l’offre économiquement la plus avantageuse », ce critère étant apprécié soit sur la base de son seul prix, soit sur la base de son « rapport qualité-prix » évalué en tenant compte de « critères (288) non discriminatoires et liés à l’objet du marché » (article 53 du code des marchés publics).
Au nom du principe de « non-discrimination » - ostensible ou dissimulée - en raison de la nationalité et de celui d’égalité de traitement entre candidats, la « préférence locale » est strictement interdite dans l’attribution des marchés publics de l’Union européenne (289). Elle serait passible de poursuites pénales pour délit de favoritisme.
Le droit des marchés publics ne permet donc pas de retenir des critères de sélection des offres liés à l’origine ou à l’implantation géographique des candidats.
Une éventuelle refonte du code des marchés publics n’y changerait rien : il s’agit là de veiller au respect d’un principe – celui de la non-discrimination en raison de la nationalité – à l’origine même de la construction européenne.
Toutefois, il devrait être possible de juger les offres en tenant compte de leurs performances en matière de protection de l’environnement, sous réserve d’une modification en ce sens de l’article 53 du code des marchés publics.
Au titre de l’évaluation d’une offre, le pouvoir adjudicateur a la faculté de tenir compte de « ses performances en matière de protection de l’environnement » et par conséquent de l’empreinte carbone d’une offre.
Cette solution permettrait de conférer un avantage comparatif aux offres émanant de prestataires établis dans l’Union européenne et soumis à ce titre au respect de normes environnementales strictes.
Selon les informations réunies par votre Rapporteur, les négociations en cours sur la révision de la directive 2004/18 viseraient à tenir compte « du cycle de vie du produit » et par ce biais de son empreinte carbone. Cette nouvelle approche doit être vigoureusement soutenue par la France.
Cette solution est toutefois complexe à mettre en œuvre pour les collectivités locales.
Le critère du bilan carbone doit être lié à l’objet du marché et ne doit pas conduire à introduire des discriminations entre candidats. Il implique un exercice de précision de la part des collectivités locales : compte tenu de la multiplicité des méthodes de comptabilisation du bilan des émissions à effet de serre, l’utilisation d’un critère lié « au bilan carbone » d’une offre suppose que le pouvoir adjudicateur indique les éléments essentiels du bilan carbone à fournir, ou bien qu’il mentionne une méthode d’élaboration de ce bilan à suivre impérativement. L’objectif est que les critères de sélection soient déterminés avec précision, afin de respecter le principe d’égalité de traitement des candidats.
Sans doute conviendra-t-il de modifier l’article 53 du code des marchés publics pour indiquer explicitement que l’empreinte carbone relève des critères permettant d’évaluer les offres.
Il serait donc souhaitable que le Ministère de l’économie et des finances publie un guide des bonnes pratiques, afin d’indiquer comment tenir compte de critères environnementaux dans l’appréciation des offres, dans le but de faire jouer pleinement le principe de concurrence dans des conditions équitables.
D’ailleurs, la loi "Le Texier" n°99-478 adoptée en mai 1999 par l’Assemblée nationale et le Sénat - sur proposition du Parlement des enfants - demande notamment aux collectivités publiques et aux établissements scolaires de veiller à ne pas acheter de produits fabriqués par des enfants. Cette introduction réussie de critères sociaux dans les achats publics pourrait sans doute être élargie et amplifiée.
La troisième critique souligne la complexité du code des marchés publics pour les PME. Or, les commandes publiques représentent des sommes considérables, évaluées (290) à 60 milliards d’euros pour l’État et à 20 milliards pour les collectivités locales.
Sur le plan juridique, plusieurs dispositifs ont été introduits pour faciliter l’accès de PME aux marchés publics.
Le code des marchés publics prévoit ainsi la faculté de passer des marchés allotis et a introduit l’obligation de rendre compte des marchés passés auprès des PME. La constitution de groupements conjoints a été facilitée.
Une plateforme a été ouverte en 2008 pour consulter les annonces de marchés publics et y répondre.
Un médiateur des marchés publics a été nommé en décembre 2012 et un guide des bonnes pratiques destiné à faciliter l’accès des TPE et PME aux marchés publics a été publié à la même période par le ministère de l’économie et des finances.
La loi LME a instauré un dispositif expérimental, pour cinq ans, afin d’inciter l’acheteur public à traiter de manière préférentielle les PME innovantes ou à leur réserver une part de leurs marchés publics de R&D.
Le rapport Gallois propose d’approfondir ce mécanisme, en orientant une partie des achats de l’État vers les innovations ou les prototypes élaborés par les PME. Dans le cadre du Pacte national pour la croissance, le Gouvernement s’est engagé à donner suite à cette proposition : un dispositif de suivi de l’objectif de 2 % des achats publics de l’État effectués auprès des entreprises de croissance innovantes d’ici 2020 sera finalisé à cette fin au 1er trimestre 2013 ; un guide sur l’achat public innovant et une charte destinée à promouvoir l’achat public innovant seront élaborés.
Ces mesures vont dans le bon sens. Mais ne témoignent-elles pas également des difficultés des PME à accéder à la commande publique ?
Les travaux menés par la mission plaident en faveur de ce diagnostic.
Au cours de son audition par la mission (291), M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, a souligné « la complexité de la réglementation et de l’environnement administratif ».
Il est vrai que les pièces exigées lors de la candidature, ainsi que celles exigées du candidat retenu, fixées aux articles 44 à 46 du code des marchés publics, sont parfois lourdes pour des petites structures.
Afin d’alléger les formalités administratives des PME, une proposition consisterait à déployer une plateforme unique, sur laquelle les candidats viendraient déposer, selon une durée restant à déterminer, les documents liés à leur candidature, à charge pour les pouvoirs adjudicateurs de venir retirer les documents ad-hoc.
M. Jean-François Roubaud a ainsi indiqué à la mission que la CGPME « travaille sur la mise en place du « coffre-fort électronique » et du principe « only once », une fois pour toutes, qui permettrait à l’entreprise de ne pas soumettre la même information aux administrations plusieurs fois. Pour l’heure, à chaque fois qu’une entreprise répond à un appel d’offres public, elle doit fournir des pièces identiques, le volume du dossier et la perte de temps qu’implique sa constitution pouvant se révéler rédhibitoires pour le chef d’une TPE ».
Le Ministère de l’économie et des finances ne pourrait-il pas élaborer une telle plateforme ?
Dans l’attente de cette mesure, le rapport de M. Jean-Luc Warsmann de 2011 relatif à la simplification du droit au service de la croissance et de l’emploi recommandait que la périodicité de fourniture des pièces susmentionnées passe de 6 mois à 1 an. Cette mesure irait dans le sens d’une simplification des procédures de passation et d’exécution des marchés publics.
d) Stimuler la recherche et l’innovation
i● Les pôles de compétitivité
Mis en œuvre en 2004, à la suite du rapport de M. Christian Blanc « Pour un écosystème de la croissance », les pôles de compétitivité visent à rassembler des entreprises, des centres de recherche et des organismes d’enseignement supérieur autour d’une stratégie commune de développement, en soutenant des projets collaboratifs d’innovations, développés en partenariat public-privé.
Les pôles de compétitivité constituent l’un des outils les plus efficaces pour renforcer la compétitivité des entreprises françaises et lutter contre la désindustrialisation en favorisant l’émergence d’activités à fort contenu technologique.
Ils jouent un rôle décisif pour rapprocher la recherche publique de l’industrie et pour renforcer les liens entre recherche publique et recherche privée. L’objectif est ainsi de lutter contre le découplage entre des zones d’investissement en Recherche & Développement et les zones de production, auquel la mondialisation conduit, cela en favorisant l’émergence d’écosystèmes d’innovation et de croissance, favorables aux PME innovantes.
À ce titre, les pôles de compétitivité constituent un exemple réussi de « coopétition », des entreprises unissant leurs forces dans une démarche coopérative – en l’espèce en matière de recherche et d’innovation – pour faire face à la compétition. Comme l’a souligné (292) le groupe de travail « Entreprendre à gauche », « la compétitivité seule ne suffit plus car nous vivons dans une économie complexe dans laquelle la circulation de l'information et les interactions jouent un rôle essentiel. Dans ce contexte, et face à l'hyperlibéralisme et la loi du plus fort, se développe un nouveau modèle, celui de la "coopétition", c'est à dire la coopération nécessaire pour faire face à la compétition ».
Les pôles de compétitivité sont ainsi devenus des acteurs majeurs de l’innovation en France, débouchant sur de premières retombées économiques prometteuses.
M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), a ainsi estimé, lors de son audition (293) par la mission, que « les pôles de compétitivité ont joué un rôle très positif en confortant les collectivités territoriales dans des politiques d’innovation et de R&D, et en rapprochant la recherche et le pôle développement des entreprises ».
À ce jour, la France compte 71 pôles de compétitivité, dont 7 pôles mondiaux et 11 à vocation mondiale.
Une évaluation des pôles de compétitivité a été menée par le groupe Bearing Point en juin 2012.
Celle-ci fait apparaître que les pôles de compétitivité se sont durablement inscrits dans le paysage français de l’innovation. Ainsi, entre 2008 et 2011, 3 748 projets ont été financés au sein des pôles, donnant lieu à 977 dépôts de brevets et à la création de 93 start-up.
Les pôles de compétitivité ont été un instrument efficace pour créer des synergies entre l’industrie, la recherche et l’enseignement supérieur.
Néanmoins, ils ne sont toutefois pas exempts de critiques.
Les travaux de la mission font ainsi apparaître que le nombre de pôles de compétitivité est sans doute excessif et inadapté face à la concurrence internationale.
M. Philippe Choderlos de Laclos, (CETIM), a constaté, lors de son audition (294) par la mission, que « de nombreux pôles de compétitivité ont vu le jour alors qu’aucun n’a été supprimé. Avons-nous vraiment les moyens d’une telle pratique ? »
M. Jean-Luc Gaffard, Directeur du département de recherche sur l’Innovation et la Concurrence (OFCE), a ainsi fait valoir lors de son audition (295) par la mission que « les pôles de compétitivité […] [sont] beaucoup trop. Dans ma seule région, en plus des pôles nationaux, vingt-cinq pôles locaux ont été créés, ce qui pose le problème du mode de gouvernance […] ».
Cette analyse est partagée par l’Institut de l’Entreprise, qui fait valoir, dans une étude de décembre 2012, que l’Allemagne ne compte que 15 clusters d’excellence et la Finlande 6. A l’inverse, en France, sur les 71 pôles de compétitivité, 62 se partagent 50% des financements disponibles, ce qui reflète un saupoudrage certain des financements nationaux. Ce saupoudrage serait à l’origine des performances décevantes des pôles de compétitivité en termes d’innovation (296), un quart seulement des projets suivis par les pôles débouchant sur une innovation effective. L’Institut de l’Entreprise conclut à la nécessité de réduire le nombre de pôles à une quinzaine, en les concentrant sur les secteurs à forts potentiels.
Cette analyse semble confortée par celle du cabinet Bearing Point, qui fait valoir que le paysage français de l’innovation est devenu peu lisible et que la distinction entre, d’une part, les pôles de compétitivité mondiaux ou à vocation mondiale et, d’autre part, les autres pôles est devenue obsolète et doit être révisée. Toutefois, tout en étant plus prudent, le cabinet Bearing Point estime que sur les 71 pôles de compétitivité, 20 sont « très performants » et 16 « moins performants ».
Tout se passe comme si ces pôles étaient tiraillés entre leurs ambitions en termes de compétitivité et celles en termes d’aménagement du territoire. Le Gouvernement ayant appelé, dans le cadre du Pacte national pour la croissance, à donner la priorité à la montée en gamme des entreprises, cet objectif appelle sans doute une clarification du rôle des pôles de compétitivité.
Dans ce contexte, il convient d’encourager le regroupement de pôles et de simplifier leur gouvernance. De plus, si leur bilan démontre que leur champ d’action n’est pas d’intérêt national, il serait bon qu’un autre dispositif leur soit appliqué et qu’alors l’acquis de leur action soit transféré aux conseils régionaux qui en auraient le suivi.
Ces évolutions devront être mises en œuvre avec souplesse. Le rapporteur relève, à cet égard, qu’actuellement toute modification du périmètre d’un pôle relève d’un décret en Conseil d’État et se révèle donc lourde. Il serait donc utile que les procédures de rectification des périmètres des pôles de compétitivité soient allégées, que celles-ci relèvent du droit commun (extension de zone) ou d’une mesure de regroupement de pôles.
L’Institut de l’Entreprise fait également valoir que l’action des pôles de compétitivité n’est pas assez orientée vers la mise sur le marché de l’innovation, alors que la France accuse un retard en innovation « aval ». Selon l’Institut, 23% des entreprises françaises ont recours à l’innovation non technologique (marketing, design, techniques de commercialisation) contre 47% en Allemagne. Il est vrai qu’à l’origine les pôles de compétitivité ont davantage été conçus dans une optique de R&D plus que de mise sur le marché.
Ce diagnostic est partagé par le cabinet Bearing Point, qui indique que « l’action des pôles de compétitivité [est] plus orientée sur le soutien aux projets de R&D que sur la mise sur le marché des innovations ».
Les travaux de la mission aboutissent à une conclusion identique. M. Philippe Choderlos de Laclos, (CETIM), a souligné, lors de son audition, (297) qu’il convient d’« aider l’innovation, et non la recherche. […]. Les aides accordées via le Fonds unique interministériel (FUI) et les pôles de compétitivité sont trop orientées vers les centres de recherche, au détriment des entreprises. Nous faisons de la recherche, pas de l’innovation. Pour faire de l’innovation, il faut des sujets plus en aval ».
Cette question est problématique pour l’avenir. Comme l’a relevé M. Jean-Luc Gaffard, (OFCE) lors de son audition, « les coûts de l’investissement sont très importants et augmentent systématiquement […]. Mais ces coûts ne doivent pas être réduits aux seuls coûts de R & D, ils englobent les coûts de marketing et d’exploration des nouveaux marchés, qui augmentent eux-mêmes sans cesse ».
Les pôles de compétitivité doivent donc impérativement renforcer leur offre en matière de commercialisation, de design et de marketing, afin d’obtenir des retombées économiques accrues. Cette orientation complémentaire doit dorénavant être requise par l’État.
Telle semble être l’orientation du Gouvernement, qui, en janvier 2013, a prôné, au titre de la troisième phase des pôles de compétitivité, que ceux-ci soient davantage tournés vers les débouchés économiques, en accompagnant les entreprises de la recherche jusqu’à la commercialisation de leurs produits. A cette fin, le Gouvernement a annoncé, dans le cadre du Pacte national pour la croissance, que les contrats d’objectifs 2013-2015 des pôles devront être orientés vers des projets ou des prototypes destinés in fine au marché. Ils seront évalués sur la base de leurs retombées économiques et celles-ci conditionneront le soutien de l’État.
Le rôle des PME au sein des pôles est également sujet à controverse. Comme le relève le cabinet Bearing Point, les PME représentent près de 80 % des entreprises membres. L’Institut de l’Entreprise considère que, de ce fait, les grands groupes ne sont pas assez impliqués dans les pôles de compétitivité alors qu’ils jouent un rôle majeur dans le développement économique.
À l’inverse, d’aucuns considèrent que les pôles de compétitivité ont vocation à accompagner le développement économique des PME et s’inquiètent des évolutions en cours.
M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM), a constaté, lors de son audition (298) par la mission, que « les seuils des projets éligibles aux pôles de compétitivité ont été remontés. Il faut désormais un projet à un million d’euros. Mais un million d’euros, c’est trop cher pour une PME. Bref, on a écarté les PME de tous les projets aidés dans le cadre du FUI (299) ».
Le cabinet Bearing Point a également fait valoir que les projets de R&D de taille intermédiaire, souvent portés par des PME, rencontrent des difficultés pour obtenir des financements publics.
Compte tenu du manque de PME et d’ETI innovantes en France, la mission considère que les pôles de compétitivité doivent conforter le développement économique de ces entreprises, qui jouent un rôle moteur en termes de croissance et d’emploi, et contribuer à renforcer leurs liens avec les grands groupes nationaux. L’objectif est donc bien que les pôles de compétitivité deviennent « des usines à croissance » des PME et ETI.
ii● Le crédit impôt recherche (CIR) et le crédit impôt innovation (CII)
Ø Le crédit d’impôt recherche
Le crédit impôt recherche (CIR) représente l’instrument le plus important (300) de l’État en termes d’aide à la recherche et à l’innovation pour les entreprises. Il représente à lui seul le quart de l’effort budgétaire en faveur de la recherche.
Simplifié en 2008, le CIR permet aux entreprises de bénéficier d’une déduction fiscale pour leurs opérations de recherche (301). Le CIR concerne aussi bien la recherche appliquée que les développements expérimentaux. Le CIR représente une dépense fiscale de 5 milliards d’euros en 2011. Plus de 18 000 entreprises recourent à ce dispositif.
Les travaux de la mission ont permis de mettre en exergue que le CIR a fait preuve d’une efficacité remarquable pour stimuler l’effort de R&D des entreprises françaises, qui le plébiscitent, et renforcer l’attractivité de la France dans ce secteur. Le CIR s’est révélé très incitatif pour la recherche privée : pour un euro investi, la dépense induite en termes de R&D par l’entreprise serait de l’ordre de 2,6 euros (302).
Il constitue, par conséquent, un élément décisif dans les décisions d’implantation et de maintien des centres de recherche en France. Il permettrait (303) ainsi de réduire d’un tiers le coût d’un chercheur en France.
Comme l’ont souligné les travaux de la Conférence nationale de l’industrie, le CIR a également permis d’amortir l’impact de la crise sur l’effort de R&D des entreprises.
Le CIR n’est toutefois pas exempt de critiques.
Ainsi, en volume, il a davantage bénéficié aux groupes – notamment ceux intégrés fiscalement - qu’aux PME isolées, pourtant plus fragiles en termes de situation financière et d’innovation. La mise en place du CII, réservé aux PME, devrait permettre de résorber cette situation.
Il aurait également peu d’effet sur la recherche partenariale et pourrait perturber la carrière des jeunes chercheurs. Enfin, il est indéniable que le CIR crée des effets d’aubaine et des comportements d’optimisation fiscale.
Ces critiques ont été particulièrement développées par M. Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École d’économie de Paris, lors de son audition (304) par la mission, qui souligne le risque d’interactions contre-productives entre la recherche publique et la recherche privée : « En effet, certains laboratoires de recherche publics obtiennent aujourd’hui assez facilement des commandes de la part de laboratoires privés qui externalisent leur recherche pour profiter du fait que le crédit d’impôt recherche est doublé lorsque la recherche est confiée à une entité publique. Paradoxalement, cette politique peut avoir pour effet une diminution de l’effort de recherche global : des fonctionnaires, qui reçoivent moins de crédits de la part des organismes publics dont ils dépendent, effectuent des recherches sous-traitées par le secteur privé, lequel réduit son propre effort de recherche. Cette dynamique est particulièrement visible dans le secteur des sciences de la vie, où certaines grandes entreprises licencient leurs chercheurs et signent des contrats de plus en plus nombreux avec des laboratoires publics. Au total, le capital humain et la capacité de recherche diminuent ».
Les travaux de la mission aboutissent toutefois à la conclusion que la pérennité du CIR est essentielle. Même si ses effets ne se feront sentir qu’à moyen terme, le CIR est l’un des moyens les plus efficaces pour améliorer la compétitivité de l’économie française.
On assiste en effet actuellement, dans le monde, à un découplage géographique des zones de production et d’investissement en R&D. Il convient donc d’éviter à tout prix une délocalisation des centres de R&D. Le CIR étant l’instrument le plus efficace pour pérenniser et stimuler l’effort de recherche en France, il doit être « sanctuarisé » au cours des cinq prochaines années, au titre de la stabilité de l’environnement réglementaire des entreprises.
Il en est de même pour le nouveau crédit d’impôt à l’innovation (CII), dont le succès éventuel ne doit pas conduire à remettre en cause le CIR ou les aides aux entreprises innovantes.
Cette « sanctuarisation » ne doit toutefois pas faire obstacle à une évaluation quant aux effets réels du CIR sur l’économie. Celle-ci pourrait avoir lieu en 2015, pour déboucher, si nécessaire, sur un réaménagement du CIR en 2017.
Elle pourrait être l’occasion de réfléchir alors à un CIR spécifiquement renforcé pour les PME, évoqué par M. Christian de Boissieu : « [Le CIR] profite plus aux grandes entreprises qu’aux PME. C’est logique, puisque le crédit d’impôt est proportionnel aux dépenses de R&D effectuées. Je ne suis pas hostile à l’idée de rendre le CIR plus sélectif, à condition d’avoir bien en tête les inconvénients potentiels des politiques trop sélectives. […] La sélectivité permet de cibler les mesures, mais elle suscite des contournements. […]. En théorie, je suis plutôt favorable à un CIR à plusieurs vitesses, peut-être renforcé pour les PME. Nous manquons d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) en France. Augmenter leur nombre et renforcer le CIR au bénéfice des PME ne pourrait qu’avoir des résultats positifs à terme. […] ».
Par ailleurs, le contrôle du CIR doit être amélioré. Comme le note la Cour des comptes dans son rapport de 2011, le contrôle de l’assiette du CIR est délicat en raison des difficultés de définition des opérations éligibles. En réalité, ces difficultés se traduisent par le fait qu’un contrôle (305) sur deux donne lieu à rectification, comme l’a souligné M. Philippe Choderlos de Laclos, directeur général du Centre technique des industries mécaniques (CETIM) lors de son audition (306) par la mission.
Dans le souci là encore de stabiliser l’environnement réglementaire des entreprises, il conviendrait, au vu des rectifications effectuées, de clarifier les instructions ministérielles définissant l’assiette éligible au CIR.
Enfin, les délais de traitement du CIR doivent être réduits. Lorsque le CIR n’est pas imputé sur l’impôt dû, il débouche sur une créance vis-à-vis de l’État. Or, il n’existe aucun délai légal de traitement en matière de remboursement de créance. Par ailleurs, en cas de demande de remboursement immédiat de ladite créance, cette demande peut se traduire par des contrôles approfondis, qui concernent aussi bien les aspects fiscaux que scientifiques et techniques du dossier. Autant dire que les demandes de remboursement immédiat d’une créance du CIR ne se traduisent pas systématiquement par le versement de la créance en question !
Comme le préconise le Pacte national pour la croissance, il est donc urgent de mettre en place un préfinancement du CIR, en ciblant en priorité les entreprises subissant des difficultés de trésorerie.
Ø Le crédit d’impôt à l’innovation
Dans le prolongement du CIR, la loi de finances pour 2013 a mis en place un crédit d’impôt à l’innovation en faveur des PME. Cette décision s’inscrit dans une démarche plus générale visant à favoriser la compétitivité des PME innovantes et à stimuler leur potentiel d’innovation.
Cette mesure comble une lacune majeure de notre dispositif d’aide à l’innovation, le secteur privé seul ayant tendance à ne pas soutenir la recherche jusqu’au stade du prototype industriel en raison de son coût. Or, c’est le passage du laboratoire à l’usine qui de nos jours emporte un avantage décisif en matière de compétitivité.
Le CII se traduira par un soutien fiscal aux dépenses de prototypes ou d’installations pilotes de nouveaux produits (307), à l’exclusion des dépenses de marketing.
Le CII est bien plus modeste sur le plan des soutiens financiers qu’il apporte aux entreprises éligibles, qui ne pourront déclarer plus de 400 000 euros de dépenses d’innovations et bénéficier d’une exonération qu’à hauteur de 20 % de leurs dépenses. Autrement dit, le CII est plafonné à 80 000 euros par entreprise et par an.
Mais cette novation constitue un progrès. Il soutient les parties « aval » de la recherche. Pour la première fois, la loi définit ce qu’est un produit ou un bien incorporel éligible : le bénéfice du CCI ira à des innovations qui ne doivent évidemment pas être à disposition immédiatement sur le marché. Elle se distingue donc de l’ «existant » par ses apports en termes techniques, de conception, d’ergonomie, voire de fonctionnalité. Le prototype ou l’installation pilote préfigurant un nouveau produit ou système est ainsi concerné.
Conçu pour soutenir les PME et PMI, le CII marque une nouvelle étape décisive pour renforcer les compétences utiles à l’innovation et lever les freins actuels pour que l’entrepreneuriat aboutisse à des innovations.
Il conviendra d’en évaluer le dispositif au terme de sa première et deuxième année de mise en œuvre, d’en préciser sans doute encore de façon plus fine son articulation avec le CIR qui, déjà, prenait partiellement en compte la notion de prototype.
En l’état, le CII traduit une volonté de soutenir l’accompagnement vers le marché des efforts de recherche appliquée des entreprises. En cela, il est extrêmement important de tout faire pour en assurer le développement et d’abord d’informer les entreprises des modalités de son utilisation.
e) Encourager les exportations en facilitant l’internationalisation des entreprises
Avec une croissance en berne sur le plan national et européen, la France doit trouver sa place dans la mondialisation, afin de tirer profit du dynamisme du commerce international. Au cours des prochaines années, avec une consommation et des investissements intérieurs en panne et une conjoncture européenne déprimée, le moteur de la croissance française risque de reposer exclusivement sur le dynamisme des exportations hors zone euro.
Le Pacte national pour la croissance a rappelé les piètres performances de la France en matière de commerce extérieur : « la part de marché des exportations françaises dans le commerce international a reculé de 36 % depuis 2000, de 5,1 % à 3,3 %, contre un recul de moins de 10 % pour l’Allemagne ou l’Espagne. Le déficit des échanges de marchandises hors énergie […] n’a cessé de croître depuis 2007 pour atteindre plus de 25 milliards d’euros en 2011 […] ».
En 2012, le déficit commercial français s’élève à 67 milliards, contre 74 milliards en 2011. Le déficit hors énergies est toutefois en baisse sensible, passant de 29 milliards d’euros en 2011 à 15 milliards d’euros en 2012.
Au-delà du défaut de compétitivité de son économie, il est vrai que la France souffre de difficultés structurelles en matière d’exportations.
La France possède en effet un nombre trop faible d’entreprises exportatrices.
Sur un total de 3,9 millions d’entreprises, la France compte 117 170 entreprises exportatrices en 2011, contre 131 000 en 2000. Ce chiffre est certes en augmentation (119 000 entreprises exportatrices en 2012), mais reste sensiblement inférieur aux performances de nos voisins européens. A titre de comparaison, l’Allemagne comptait 400 000 entreprises exportatrices en 2011 et l’Italie 200 000.
Le tissu exportateur de la France est faible et fragile.
Ce sont les grands groupes qui font la force du commerce extérieur français : 1 % des exportateurs représentent à eux seuls 70 % de nos exportations, selon Henri Baissas (308), directeur des opérations d’Ubifrance.
En revanche, les PME exportatrices ne sont pas assez nombreuses – leur nombre est passé de 120 000 en 2002 à 95 000 en 2012 – tout comme le nombre d’ETI exportatrices (309), dont manque cruellement le tissu industriel français. En comparaison, l’Allemagne dispose de quatre fois plus de PME exportatrices !
La France souffre également d’un taux de disparition des entreprises exportatrices considérable : sur 10 entreprises qui exportent en année N, il n’en reste que 3 en année (N + 3). Le taux de disparition des entreprises exportatrices se concentre sur les PME indépendantes primo-exportatrices.
Ce bilan débouche sur un constat : pour augmenter ses exportations, la France doit encourager le développement à l’international de ses PME et faire croître le nombre de ses ETI, qui ont la masse critique nécessaire pour se tourner vers l’international.
Enfin, la présence française est trop timide auprès des pays émergents, pourtant en forte croissance. Ils ne représentent que 20 % de nos exportations.
L‘industrie française, a beaucoup souffert de la crise financière de 2008 parce que très dépendante, notamment pour l’automobile, des marchés méditerranéens touchés par une violente contraction de leur consommation. L’insuffisante diversification vers des débouchés internationaux (Turquie, BRICS,…) s’est fait brutalement ressentir, alors que des concurrents étrangers moins touchés par la crise investissent fortement sur les marchés les plus dynamiques (ASEAN, Inde, Pakistan,…) dont l’importance démographique recèle des possibilités de croissance considérables. La France y est souvent peu présente sauf par exception (Eurocopter notamment).
Par ailleurs, comme votre rapporteur l’a précédemment souligné, la France ne valorise pas suffisamment ses atouts en Afrique alors que ce continent représente connaît un taux de croissance élevé et représente un intérêt stratégique de poids dans le commerce international, comme l’ont parfaitement identifié la Chine et la Turquie.
Le commerce extérieur français est en crise depuis 2003. Mais il était excédentaire auparavant. Le déficit commercial français n’est donc pas une fatalité. Malgré l’euro « fort », il est possible redresser notre balance commerciale, comme en témoigne l’exemple allemand.
A cette fin, le Gouvernement a fixé un objectif ambitieux – le retour à l’équilibre commercial, hors énergie, d’ici 2017 – et définit une stratégie présentée par Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, lors de son audition (310) par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.
L’objectif est que la France trouve enfin sa place dans la mondialisation et tire profit du dynamisme des zones en forte expansion économique. Des emplois sont à la clé : 1 milliard d’euros de plus à l’exportation crée 10 000 emplois en France.
Mme Nicole Bricq a notamment évoqué les axes suivants :
i● Structurer l’offre française pour répondre à la demande mondiale
Avec 50 % des exportations françaises réalisées dans la zone euro et 60 % au sein de l’Union européenne, l’Europe demeure le 1er débouché de la France. Toutefois, l’atonie de la croissance en Europe impose de trouver des relais de croissance auprès des marchés lointains, en forte expansion. A titre d’exemple, la Chine devrait connaître en 2013 une croissance de 8 % et l’Afrique de 5 %.
La demande mondiale est portée par 47 pays en forte croissance, qui concentrent à eux seuls 80 % des importations mondiales.
Afin d’être en mesure de répondre à cette demande, l’offre française en matière d’exportation est désormais structurée autour de quatre grandes familles intégrées (« mieux se nourrir », « mieux vivre en ville », « mieux se soigner » et « mieux communiquer »), susceptibles de répondre au dynamisme de la demande internationale.
La cartographie famille / pays prioritaires permettra de rendre plus efficace l’offre commerciale française et de répondre à des besoins porteurs et identifiés. Ainsi, à titre d’illustration, la Chine absorbera, d’ici 2022, le tiers de la croissance du commerce agroalimentaire mondial, soit 30 milliards sur 100 milliards d’euros. Il convient que la filière agroalimentaire française soit positionnée pour y répondre.
ii● La rationalisation et la personnalisation des soutiens à l’exportation
Pour aller à l’exportation, les entreprises doivent être solides en fonds propres et en trésorerie. Il faut donc que la puissance publique puisse les soutenir et les accompagner à l’international dans la durée.
Ce sera le rôle de la BPI, qui sera dotée d’un volet international et servira de guichet unique pour accéder à l’ensemble des soutiens financiers à l’exportation. Cette mesure permettra de démocratiser, au bénéfice des PME et ETI, l’accès à ces mesures de soutien. La BPI sera dotée de 150 millions d’euros pour soutenir l’internationalisation des PME et des ETI.
Devant la multiplicité et la complexité des dispositifs de soutien financier à l’exportation, ceux-ci seront simplifiés et rationalisés – ce lourd chantier ayant débuté dès 2008.
Les financements d’aide à l’exportation feront également l’objet d’une amélioration sensible, afin de se caler sur les meilleures pratiques observées auprès de nos concurrents, comme le recommandait le rapport Gallois (311). Ces mesures, pour partie votées dans le cadre du collectif budgétaire de fin 2012, permettront d’offrir des conditions de financement compétitives, de nature à remporter des marchés à l’exportation.
Le Pacte national pour la croissance prévoit enfin la mise en place, dès 2013, d’un mécanisme de « prêteur direct », comme il en existe déjà en Allemagne, en Italie, aux États-Unis, en Suède et en Finlande, afin d’enrayer le repli des banques françaises des activités de financement export.
Mais surtout, l’agence Ubifrance d’accompagnement des entreprises à l’étranger devra mettre en place, dès 2013, un suivi personnalisé des entreprises à l’exportation, en accompagnant, dans la durée et de manière personnalisée, 250 ETI et PME de croissance en 2013, 600 en 2014 et 1 000 en 2015. Il s’agit désormais de s’adapter aux besoins des entreprises, en leur proposant un appui sur et non pas l’inverse !
iii● La mise en place d’un écosystème régional favorable aux entreprises exportatrices
Forte de leur connaissance du tissu productif et de leurs compétences en matière de développement économique et d’innovation – appelées à se renforcer avec l’acte III de la décentralisation –, les régions doivent devenir les « pilotes à l’exportation ».
Conformément à l’accord de partenariat conclu avec l’État le 18 septembre dernier, les régions seront dotées, dès 2013, de plans régionaux d’internationalisation des entreprises, intégrés aux schémas régionaux de développement économique et d’innovation.
Les régions auront pour rôle de détecter et de sélectionner les PME de croissance et les ETI ayant le potentiel de développement le plus solide à l’exportation – toutes ne sont pas aptes à exporter. Elles organiseront sur le territoire le dispositif d’appui à l’exportation en liaisons avec l’ensemble des acteurs concernés.
La BPI prendra alors le relais pour les financer et les accompagner à l’exportation. Au travers du guichet unique de la BPI, Ubifrance disposera alors d’un réseau régional pour proposer des services de conseil et d’accompagnement à l’exportation (312).
Au titre de cet accord, les régions se sont engagées à faire progresser le nombre de PME et ETI exportatrices supplémentaires de 10 000, en ciblant les entreprises innovantes. Cet engagement est assorti de deux autres : l’implantation à l’international doit être durable et associée à une augmentation du chiffre d’affaires réalisé à l’exportation.
L’objectif est ici de rapprocher le décideur au plus près de l’entreprise, pour favoriser l’émergence d’un écosystème favorable à l’exportation.
iv● Des actions en faveur du portage des PME et ETI par les grands groupes demeurent indispensables
Les travaux de la mission ont permis de souligner à quel point l’accompagnement des PME à l’exportation est un facteur essentiel à leur succès. Or, en France, les PME se sentent insuffisamment soutenues – même si la situation commence à évoluer.
La France accuse, à cet égard, un retard important en termes de portage de ses PME comparativement à l’Italie et à l’Allemagne. Une grosse entreprise allemande qui exporte et s’installe à l’étranger est aujourd’hui systématiquement entourée de son tissu de PME allemandes.
M. Guy Maugis, président de Bosch France et de la chambre de commerce franco-allemande, a rappelé, au cours de son audition (313) par la mission, que « […..] l’Allemand […..] chasse en meute. Ainsi, quand Volkswagen part en Chine, il emmène tous ses sous-traitants avec lui. C’est aussi un gage de sécurité : bien que très entreprenants et disposés à s’implanter à l’étranger, les Allemands préfèrent, par crainte de l’inconnu, éviter de faire appel à un sous-traitant local. Les grands groupes français n’ont pas joué ce rôle d’ « aspirateur à l’exportation » vis-à-vis des PME. Des changements s’opèrent, mais ils sont progressifs et lents ».
M. Gilbert Khawam, directeur général de la filiale française de Bonfiglioli SpA, a également souligné au cours de son audition (314) par la mission, le retard français : « Quant à la capacité à exporter, il suffit pour la mesurer d’observer, dans les salons internationaux, le nombre d’entreprises allemandes, mais aussi italiennes, qui se regroupent. Je l’ai constaté au sein de mon groupe, les Italiens, même lorsqu’ils investissent en Chine ou en Inde, appliquent intuitivement une sorte de préférence nationale en travaillant avec des entreprises italiennes, même si ce phénomène est moins marqué qu’en Allemagne. Les entreprises françaises ne me paraissent guère pratiquer ce type de portage […] ».
De nombreux exemples témoignent de la réussite des expériences de portage. Il s’agit d’une relation « gagnant-gagnant » : l’entreprise gagne en crédibilité et en savoir-faire à l’exportation tandis que le grand groupe consolide ses projets grâce à la qualité de ses sous-traitants.
Lors de son audition (315) par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, a cité de nombreux exemples en la matière :
« J’ai accompagné il y a quelques semaines le Premier ministre à Singapour où nous avons visité le chantier d’un des plus grands complexes sportifs au monde. C’est parce que Bouygues, qui en est le maître d’œuvre, a emmené avec lui Delta Dore, une ETI, que cette entreprise a pu remporter le marché dans sa spécialité (le chaud et le froid) et pourra ensuite se développer sur d’autres marchés internationaux ».
« [….] J’ai rencontré récemment en Bretagne une ETI qui s’apprête à construire la plus grosse unité de production de yaourts du monde aux États-Unis, après y avoir été introduite par Danone ».
« En Chine, la semaine dernière, sur le site de l’EPR de Taishan, j’ai réuni les grands du nucléaire (Areva, Alstom, EDF) avec les représentants d’un groupement de quatre-vingt-cinq PME, dotées d’un savoir-faire exceptionnel en robinetterie ou mécanique et mobilisées sur ce chantier immense. Portées sur ce chantier par Areva et EDF, elles peuvent désormais développer leur activité dans d’autres secteurs que le nucléaire ».
Les progrès existent donc, mais ils sont encore insuffisants. Une PME qui décide d’exporter n’a pas droit à l’erreur. C’est pourquoi le soutien et l’expérience d’un grand groupe sont indispensables.
M. Jean-Noël de Galzain, président-directeur général de Wallix, éditeur de logiciels de sécurité informatique, a ainsi rappelé lors de son audition (316) par l’Assemblée nationale que « pour mieux exporter, nous avons besoin d’avoir des bases solides, donc des marchés, ce qui suppose la confiance de nos grandes entreprises privées et publiques, qui détiennent ces marchés. Pour que nos chefs d’entreprise puissent entamer sereinement une démarche d’export, il faut qu’ils aient systématiquement accès à des marchés auprès des grandes entreprises. Les principaux donneurs d’ordres doivent jouer le jeu. J’ai pu vérifier que leurs dirigeants en avaient la volonté, mais il y a, semble-t-il, un blocage au niveau des achats. Je profite donc de l’occasion qui m’est offerte pour rappeler [….] qu’il faut que les grandes entreprises nous aident et qu’elles nous emmènent dans leurs déplacements à l’étranger, afin de nous permettre de développer nos offres. Nous en avons un besoin impératif ».
Au vu de ses travaux, la mission considère que l’internationalisation des PME et ETI, sur laquelle la France accuse un retard certain, nécessite, au-delà des mesures préconisées par le Pacte national pour la croissance, d’encourager le développement du portage par les grands groupes.
f) Un management des entreprises insuffisamment ouvert et diversifié
Les politiques de soutien au développement des PME et des ETI et à leur internationalisation ne pourront réussir que si la France parvient à faire évoluer son modèle de management des entreprises, encore trop souvent conservateur et peu tourné vers l’international. L’élite économique est caractérisée par une certaine endogamie de dirigeants issus de quelques grands établissements prestigieux. Contrairement à l’Allemagne, où les dirigeants industriels peuvent sortir des écoles d’ingénieurs ou de la promotion interne (Jürgen Schrempp devenu patron de Daimler après avoir été apprenti), en France, les PDG sont presque exclusivement issus de quelques grandes écoles (X, Ponts, ENA...) et se cooptent parfois même entre eux. Rares sont les profils atypiques qui permettent d’ouvrir vraiment le débat dans les conseils d’administration. La France compte peu d’entrepreneurs iconoclastes comme l’a été Antoine Riboud, fondateur et ancien Président de Danone. Le succès d’entreprises fondées par des personnalités atypiques comme Xavier Niel (Iliad et Free), Jacques-Antoine Granjon (Venteprivée.com) n’est pas comparable à la réussite de Steve Jobs (Apple) ou de Larry Page / Sergei Brin (Google).
Les salariés ont jusqu’à très récemment eux aussi été tenus en marge de la gouvernance d’entreprise, alors qu’ils sont particulièrement intéressés par une vision de long terme. Tel est aussi le regret des collectivités locales (317). Le mode de recrutement des élites françaises, qui donne peu de place aux ingénieurs en comparaison de l’Allemagne voire des États-Unis, peut aussi être un des facteurs des relations déséquilibrées entre donneurs d’ordre et sous-traitants.
Contrairement aux États-Unis qui favorisent, surtout depuis la crise, le recrutement de femmes au sein des conseils d’administration, le déséquilibre entre les hommes et les femmes à ce niveau de responsabilité reste criant en France. La loi n°2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises impose un minimum de nominations de 20 % de femmes d’ici 2014 et 40 % en 2017.
La France a peu intégré les « minorités visibles » aux réseaux de responsabilités et d’influences français. Le polytechnicien Tidjane Thiam n’est pas devenu PDG en France, mais chez l’assureur britannique Prudential ! Aux niveaux intermédiaires et dans le managérat, la diversité en entreprise repose encore sur des démarches volontaires et non sûr une perception généralisée de son bénéfice pour l’entreprise. Nombre de jeunes diplômés s’expatrient faute de voir les compétences reconnues pour cause de discriminations ou de préjugés (318) ou acceptent des emplois peu qualifiés.
Le caractère conservateur du management français se fait également lourdement sentir en termes d’internationalisation. Une des clés du succès de L’Oréal est sans doute d’avoir su intégrer depuis longtemps une grande variété de profils dans ses directions pour mieux comprendre les enjeux commerciaux des peaux ou cheveux autres qu’européens. Ce groupe recrute, il est vrai, dans tous les pays où il est implanté, mais sait aussi valoriser les compétences multiculturelles dans son recrutement et ses ressources humaines en France.
A contrario, on peut s’interroger sur le point de savoir si les choix managériaux du groupe PSA n’ont pas joué un rôle dans ses réticences, et désormais ses retards, à s’internationaliser. Fort de son expérience indo-britannique, Philippe Varin a su donner une vraie priorité au marché chinois (319), qu’il visite régulièrement, quand le développement international conduit par Jean-Martin Folz est resté inabouti ; l’absence de personnes capables de sentir les enjeux et les exigences d’une internationalisation réussie a pu contribuer à cet état de fait qui n’est pas unique en France. En se privant d’allonger significativement ses séries à l’étranger, le groupe PSA garde des coûts de conception dans le prix de vente final supérieur à certains de ses concurrents. Cet exemple contraste avec Carlos Ghosn, Président du groupe Renault, détenteur d’une triple nationalité parlant sept langues, au cursus professionnel transcontinental, qui a engagé l’internationalisation du groupe dès 1999 au travers de l’alliance avec Nissan.
Les entreprises françaises ont un management trop endogamique et conservateur, avec encore trop de services des ressources humaines trop homogènes ce qui nuit à sa créativité et à l’appréhension de certains enjeux. De même, les pouvoirs publics tireraient profit à mieux favoriser la diversification des profils variés et des parcours internationaux en leur sein et dans les entreprises publiques.
On le voit la politique industrielle de la France est largement à repenser : rôle de l’État à repenser, aides aux entreprises mieux ciblées, favoriser le développement des PME et des ETI, notamment dans les relations de sous-traitance et d’accès à la commande publique, favoriser la recherche et l’innovation, faciliter les dynamiques à l’exportation, diversifier le management des entreprises. Si ce chantier est important, nous n’avons surtout pas le choix pour rebâtir une système économique appuyé sur une industrie compétitive en France comme à l’étranger.
4. Une politique industrielle à construire au niveau communautaire
Avec le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951, l’Europe s’est construite historiquement au travers d’une politique industrielle commune. L’échec de la mise en place de la Communauté de l’énergie atomique prévue par le traité Euratom de 1957 a toutefois sonné le glas de l’interventionnisme industriel européen. Les États membres se sont alors repliés sur des projets communs à caractère intergouvernemental, tels qu’Ariane ou Airbus, selon des formats et des modèles coopératifs distincts.
Les années 1980 et 1990 ont ensuite été marquées, au travers de l’Acte unique de 1986, puis du Traité de Maastricht de 1992 (320), par la primauté donnée à la réalisation du marché unique et de la monnaie unique. Sur ces bases, l’ouverture et l’intégration des économies, menées conjointement avec la libéralisation des marchés, devaient seules dynamiser la croissance en Europe.
Il est, à cet égard, révélateur que le Traité de Maastricht ne parle de politique industrielle que par allusions ponctuelles. Son article 130 énonce une simple orientation générale, en souhaitant que les États membres veillent « à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie … soient assurées » (c’est bien le moins !). Les actions de la Commission et des États membres sont définies de manière excessivement générales, leurs actions devant viser à « accélérer l’adaptation de l’industrie aux changements structurels » ou à « encourager un environnement favorable à l’initiative et au développement des entreprises ».
En tout état de cause, les Traités restent au stade de la concertation entre États membres et reposent sur des objectifs généraux, qui, à eux seuls, ne constituent pas une politique industrielle.
L’Europe du consommateur l’a emporté en fait sur l’Europe de la production. La primauté a donc été donnée à la politique communautaire de la concurrence, au détriment d’une politique industrielle active, jugée obsolète. Le leitmotiv de la Commission et de ses grandes directions est : « offrir avant tout au consommateur le meilleur service possible au meilleur prix ! ».
L’Union européenne s’est ainsi dotée progressivement d’une politique de la concurrence (321) de plus en plus rigoureuse et exigeante, mais sans contrepoids. Elle vise à protéger les intérêts des consommateurs, fût-ce au détriment des intérêts stratégiques de l’Europe. La priorité a alors été donnée à la lutte contre les abus de position dominante et les ententes illicites.
Comme le souligne fort justement le rapport Gallois, la politique communautaire de la concurrence « domine toutes les politiques européennes » alors qu’elle « souffre de deux faiblesses » : « elle intègre mal la dimension de la compétition mondiale à laquelle l’industrie européenne est confrontée » et repose sur des critères essentiellement juridiques, qui « prennent mal en compte la dimension économique » de cette politique.
Avec la stratégie de Lisbonne en 2000, sa révision en 2005 puis la stratégie définie en 2010 relative à l’« Europe 2020 », une prise de conscience s’est néanmoins faite jour sur la nécessité de répondre aux défis de la mondialisation, marquant ainsi un certain retour de la question industrielle à l’échelon européen, mais bien tardif. Il s’agissait alors de combler le déficit européen en matière d’éducation, de recherche et d’innovation, de répondre aux défis environnementaux et de doter l’Europe d’une stratégie de compétitivité face à la mondialisation. Mais dans cette perspective, les « vieilles industries » ont été souvent méconnues sinon abandonnées et donc livrées à leur sort !
Force est de constater l’échec de cette orientation. Aucun projet ni aucun champion industriel n’émerge, à de très rares exceptions. La Commission européenne se contente de fixer des objectifs aux États membres, mais sans introduire de nouveaux financements ou de nouveaux leviers communautaires. Aucune politique industrielle « active » n’existe véritablement,
Ce n’est que le 10 octobre 2012 que la Commission a enfin énoncé ce qui devrait instituer sa nouvelle stratégie industrielle avec pour objectif désormais déclaré d’inverser le processus de désindustrialisation en faisant « repasser » l’industrie manufacturière de 15,6 % à 20 % du PIB européen en 2020. Certes, mais avec quels moyens ? L’innovation bien sûr mais qui ne serait pas d’accord avec cette vision conjuguée à la politique des filières. Mais l’enjeu est de faire émerger de vrais « champions européens ».
Or, face aux ambitions de conquête des pays émergents et aux conséquences de la crise, l’Europe a besoin d’une véritable stratégie industrielle. À défaut, elle court le risque de se voir marginalisée face aux États-Unis et à l’Asie.
Lors de son audition (322) par la mission d’information, M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, a souligné l’impact de la révolution énergétique conduite par les États-Unis sur leur économie, fruit d’une stratégie de réindustrialisation : « La baisse du coût de l’énergie aux États-Unis est un phénomène considérable, comparable en ampleur au début de l’exploitation du charbon dans le Royaume-Uni des années 1820. [….] Il faut donc s’attendre à une réindustrialisation massive de l’Amérique du nord grâce à une énergie à faible coût, qui plus est écologiquement vertueuse. Ce sera le produit d’une stratégie mûrie depuis vingt ans et en faveur de laquelle l’économie des États-Unis a déjà fortement investi pour obtenir à terme son indépendance énergétique ».
Conjuguée à leur avance technologique et aux effets d’entraînement de leurs investissements militaires – l’essor d’Internet n’aurait pas été possible sans l’investissement initial du Pentagone dans le projet ARPANET dès les années 60 -, cette stratégie devrait permettre aux États-Unis de réduire leurs coûts de production et de se réindustrialiser massivement, y compris dans des régions qui ont lourdement souffert du déclin d’anciennes industries.
Il en est de même pour les pays émergents d’Asie, dont l’essor économique est le fruit d’une stratégie volontariste de long terme.
C’est notamment le cas de la Chine : s’il y a un pays au monde qui mène une politique industrielle active, c’est bien la Chine ! Celle-ci explique en grande partie la croissance économique que connaît la Chine depuis 2000 : en moyenne 10% par an. Son 11ème plan quinquennal (2006-2010) a ainsi identifié onze industries stratégiques, portant notamment sur les industries de hautes technologies, les industries d’équipements et les technologies de l’information. Un 12ème plan quinquennal (2011-2015) met l’accent sur la croissance innovante : technologies de l’information de nouvelle génération, industries d’équipement haut de gamme (trains à grande vitesse), les matériaux de pointe, la biotechnologie et l’énergie alternative et protectrice de l’environnement.
Le développement industriel de la Chine ne doit rien au hasard : il procède d’une volonté étatique et non d’une logique de marché. La Chine mène une politique d’investissements massifs dans les secteurs identifiés comme stratégiques, contrôle la politique d’ouverture aux investissements étrangers via des « joint-ventures ». Elle leur impose des transferts technologiques, protège le cas échéant ses industries nationales en limitant ou fermant l’accès de son marché. Dans le même temps, elle mène une politique intensive de recherche et d’innovation afin d’accélérer le rattrapage technologique chinois.
Le 12ème plan quinquennal de la Chine - 2011-2015
Le 12ème plan quinquennal chinois met l’accent sur la hausse du pouvoir d’achat, guidée par le rééquilibrage de la croissance chinoise – avec un objectif de croissance annuelle de 7 % en moyenne – ainsi que sur les industries et technologies liées au développement durable.
Concrètement, ce rééquilibrage doit passer par :
– le développement de la consommation et des services. La part des services dans le PIB doit passer de 43 % à 47 % (objectif non contraignant) ;
– un accent sur le bien-être des individus : salaires, éducation, santé avec un objectif (non contraignant) de porter de 73,5 à 74,5 ans l’espérance de vie ;
– des objectifs contraignants en matière de lutte contre le changement climatique : réduction des émissions de CO2 (-17 % par unité de PIB), augmentation de la part des énergies non-fossiles dans le mix énergétique (11,4 % en 2015 contre 8,3 % en 2010) – et aussi des approches plus conceptuelles comme la promotion de l’« économie circulaire ».
Le plan insiste sur l’innovation et la recherche et prévoit une augmentation des dépenses de R&D de 1,75 à 2,2 % PIB (non contraignant – un objectif de 2 % en 2010 n'a pas été atteint lors du 11ème plan).
Sept industries émergentes stratégiques, qui bénéficieront de soutiens spécifiques et dont la valeur ajoutée cumulée (5 % aujourd’hui) devra atteindre 8 % en 2015 et 15 % en 2020 ont été identifiées :
– Technologies liées aux énergies propres
– Technologies de l’information de nouvelle génération
– Biotechnologies
– Fabrication d’équipements haut de gamme (aéronautique, ferroviaire…)
– Énergies alternatives
– Nouveaux matériaux
– Véhicules à énergie propre
Source : Le nouvel impératif industriel, Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, Mission innovation et production en Europe, mai 2012.
Il en est de même pour la Corée du Sud, dont le développement repose tout autant sur une politique industrielle associant étroitement l’État stratège et les grandes entreprises. Cette concertation débouche sur la définition de domaines prioritaires, la mise en place de mesures de protectionnisme « déguisées » pour permettre l’essor de champions nationaux et une politique active de recherche et développement articulée autour de partenariats publics-privés.
Face à la concurrence des États-Unis et des nouveaux pays émergents, l’Europe doit mener elle aussi une ambitieuse politique industrielle. Partout dans le monde, l’interventionnisme public est actif. Pourquoi ne serait-ce pas le cas en Europe ? Il convient de garder à l’esprit qu’une industrie dynamique nécessite une politique industrielle volontariste. Celle-ci viendra ainsi pondérer la priorité donnée en Europe à la monnaie et à la concurrence.
Il ne doit pas s’agir pour chaque État membre de jouer sa partition : seule l’Europe possède désormais la taille critique pour mener une politique efficace. Pour autant, il ne peut s’agir de contourner le principe de subsidiarité en confiant au niveau communautaire des responsabilités que l’Union européenne exercerait moins efficacement que ses membres.
Pour peser dans la mondialisation, l’Europe doit renouer avec une ambition industrielle collective et rompre avec son immobilisme en la matière depuis les années 2000 (323).
À cette fin, il conviendrait en premier lieu d’identifier les enjeux industriels qui revêtent une importance stratégique pour l’Europe, soit pour des raisons d’indépendance (défense, transition énergique, aérospatiale), soit pour des raisons purement économiques liées à leurs effets d’entraînement sur la croissance de demain (NTIC, biotechnologies, nanotechnologies, transport durable), afin de définir de grands projets d’innovation industrielle.
L’Europe concentrerait son effort sur des projets stratégiques porteurs, en se donnant les moyens d’interventions communes au même titre que ses concurrents américains et asiatiques (recherche, infrastructures). Ces grands projets d’avenir incarneraient l’Europe de l’industrie. Ils pourraient être financés par un grand emprunt européen, ainsi que par la Banque européenne d’investissement (BEI) qui doit être un instrument de soutien puissant.
Un exemple est revenu au cours des travaux de la mission : celui de l’énergie photovoltaïque. Est-il cohérent d’assister à la destruction de 14 500 emplois (324) en France dans cette filière alors qu’il serait possible, pour reprendre les propos (325) de Mme Colette Lewiner, conseillère énergie du président de Capgemini, d’ « orienter la dépense vers la recherche et le développement […..] pour mettre au point des cellules photovoltaïques à meilleur rendement et développer une technologie française ou européenne de génération 2 » ? Au lieu de quoi, l’Europe achète en masse des panneaux photovoltaïques de qualité très moyenne à la Chine.
Pour M. Pascal Pavageau (326), secrétaire confédéral chargé du secteur économique de Force Ouvrière, « cet exemple montre aussi que s’il existait dans le domaine des panneaux photovoltaïques une coopération européenne du type de celle qui a donné naissance à EADS, […], une capacité de production européenne réelle pourrait être au service d’une politique publique que partagent les Vingt-Sept sur les plans environnemental et énergétique ».
Le projet d’une Europe de l’industrie peut encore sembler utopique à certains voire hors de portée. Pourtant, à l’heure où les financements publics sont contraints, quel sens y-a-t-il à gaspiller des efforts dans des voies strictement nationales en dupliquant les dépenses de recherche et en multipliant les prises de risque industriel alors que la mutualisation permet d’accroître l’efficacité des projets ? Comme le montrent les exemples des industries aéronautiques et spatiales, c’est en s’alliant que les États membres ont su conquérir des avantages compétitifs décisifs et affronter la concurrence internationale.
En deuxième lieu, la politique communautaire de la concurrence devrait être assouplie au bénéfice des enjeux industriels.
Actuellement, la direction générale de la concurrence et les services juridiques de la Commission européenne partent systématiquement du principe qu’une position dominante entraîne mécaniquement un abus de position dominante. Ils empêchent ainsi l’émergence de groupes de taille mondiale. Ainsi, hormis EADS en 2000 et Air-France-KLM en 2004, aucun grand groupe industriel européen n’a ainsi émergé depuis 2000.
Pourtant, la promotion de champions nationaux est menée activement par les concurrents de l’Union européenne. La Chine s’efforce ainsi de favoriser un ou deux champions nationaux par secteur. On citera à titre d’illustration : Lenovo pour les ordinateurs, Huawei pour les équipements de télécommunications, l’opérateur China Mobile … Il en est de même pour la Corée-du Sud, qui favorise la concentration de grands groupes industriels nationaux.
Il conviendrait donc d’adopter une approche européenne plus pragmatique concernant la constitution de champions communautaires si l’Union européenne entend rivaliser avec ses concurrents internationaux. La question des rapprochements d’entreprises devrait faire l’objet de « task forces » internes à la Commission européenne entre les directions générales de la concurrence et celle de l’entreprenariat et de l’industrie, qu’il serait judicieux de rebaptiser en direction de la politique industrielle, afin de marquer le volontarisme de l’Union européenne en la matière. Le rapprochement d’entreprises au sein de l’Union européenne nécessite également une inflexion des politiques nationales, qui tendent souvent à faire le choix d’un patriotisme économique exclusif, quitte à attiser les rivalités vis-à-vis des autres États membres (327).
Cette inflexion de la politique communautaire de la concurrence devrait également concerner l’encadrement des aides d’État, qui semble beaucoup plus contraignant en Europe que chez tous ses concurrents internationaux. Cet assouplissement pourrait être notamment autorisé en cas de crise exceptionnelle nécessitant des mesures temporaires de soutien (automobile) ou des mesures de modernisation (sidérurgie).
On rappellera, à cet égard, que la France a accordé 7,8 milliards d’aides, essentiellement sous forme de prêts lors de la récente crise automobile, contre 17 milliards de dollars aux États-Unis, auxquels s’ajoutent 25 milliards de dollars d’aides au développement des voitures électriques. Ce que font les États-Unis, pourquoi l’Europe s’autolimiterait-elle à le faire alors que des aides peuvent utilement permettre à des secteurs viables économiquement d’échapper à la faillite ?
Comme le résume fort justement Louis Gallois, « la politique de la concurrence doit être davantage mise au service de l’industrie européenne et de sa compétitivité ».
Afin de stimuler ses industries, l’Europe doit, en troisième lieu, retrouver le réalisme, d’abord en ce qui concerne ses protections aux frontières.
L’Europe ne peut pas imposer à ses entreprises des standards écologiques et sociaux, auxquels échappent les produits importés du reste du monde. Il conviendrait donc de taxer en conséquence les importations ne respectant pas les standards minimaux en la matière, afin de rétablir un équilibre de la concurrence.
Dans le même esprit, une réciprocité doit être exigée concernant l’ouverture des marchés publics des pays tiers, mais aussi le respect de la propriété industrielle et le contrôle des investissements étrangers dans les secteurs considérés comme stratégiques.
Cette exigence doit être portée en premier lieu à la Commission européenne, trop souvent prête à sacrifier les industriels de l’Europe à l’aune du libre-échange.
En témoigne l’accord signé avec la Corée en 2010, visant à supprimer 98% des droits de douane sur les produits industriels et agricoles échangés entre les parties dans les cinq ans suivant l’entrée en vigueur de l’accord, prévue au 1er juillet 2011. La nature des échanges entre l’Union européenne et la Corée souligne la volonté de la Commission d’ouvrir ses marchés aux produits coréens dans le domaine industriel en contrepartie de l’accès pour les États membres au marché des services sud-coréens.
Certes, une étude semble indiquer que l’accord de libre-échange permettra de doubler le commerce bilatéral entre les deux zones (actuellement de 54 milliards d’euros) au cours des vingt prochaines années. Mais à l’heure où le secteur de l’automobile subit une crise profonde de surproduction, cet accord était-il opportun ? Cet accord n’est pas clairement porté par l’affirmation d’une politique industrielle communautaire, comme si les services pouvaient à eux seuls assurer la croissance de l’économie européenne. C’est un exemple de plus en faveur de la création d’une direction générale de la politique industrielle à vocation stratégique au sein de la Commission européenne.
Néanmoins, l’Union européenne a la possibilité de s’appuyer sur la force de son marché. Il lui revient de ne pas poursuivre la baisse, voire le démantèlement, de ses tarifs douaniers sans que l’on puisse déclencher, le cas échéant, des clauses de sauvegarde. La France a obtenu ce point de haute lutte dans les négociations commerciales entre l’Union européenne et le Japon. Il convient également que tout accord commercial futur donne lieu à une étude d’impact sur le potentiel d’emplois qu’il serait susceptible de créer en Europe. En aval, chaque accord commercial conclu par l’Union doit pouvoir faire l’objet d’une étape d’évaluation à 2, 4 puis 6 ans. Il ne s’agit pas pour l’Union de promouvoir en permanence le « libre » échange mais bien de s’assurer que toutes les grandes zones commerciales acceptent le « juste » échange. L’Union a déjà trop tardé. La dimension et la diversité de son marché intérieur lui permettent pourtant de peser en ce sens et de faire savoir à ses partenaires qu’elle met en pratique une volonté sans faille.
B.— LA RÉNOVATION DE LA FORMATION, DE L’APPROCHE ET DU CADRE SOCIAL DU TRAVAIL ET POUR UNE REFONDATION DU FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE
1. L’éducation, la formation professionnelle, le contrat de génération
a) La formation initiale : le manque d’ingénieurs, de techniciens et la fuite des « cerveaux » à l’étranger
Le maintien de nos talents en France apparaît tout à fait important à la mission. M. Christian de Boissieu a constaté que nombre de nos chercheurs qui partaient à l’étranger ne revenaient pas ; c’est le cas, par exemple, de certains économistes. Rendre le système attractif et aborder la question de leur rémunération exige des mesures difficiles à mettre en œuvre en période de crise : « il faut reposer la question de l’attractivité de la France pour la matière grise ».
Il convient en outre de rapprocher l’entreprise et l’université tout en maintenant leur rôle respectif, et de vaincre « la méfiance presque culturelle entre ces deux mondes » : les pôles de compétitivité ont permis de progresser dans cette voie, même si leur bilan reste nuancé. Resserrer encore davantage les liens passe par la multiplication des chaires industrielles ; beaucoup ont été créées, mais surtout dans les grandes écoles : « j’appelle donc les entreprises à rééquilibrer leur politique de chaires en faveur des universités, même si les laboratoires d’excellence et les IDEX (328) ont permis -enfin - de multiplier les passerelles entre grandes écoles et universités ».
Votre rapporteur s’inquiète de ce que les métiers scientifiques sont beaucoup moins attractifs qu’autrefois : nombre de bacheliers, y compris scientifiques, ne poursuivent pas dans cette voie, ce qui nous pose problème vis-à-vis de l’Allemagne, mais aussi de la Chine ou de l’Inde, où le nombre d’ingénieurs formés est très supérieur avec ce qu’il peut être en France.
Le constat de M. Vincent Chriqui n’est pas différent : « l’enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies de l’industrie représente 25% de nos formations supérieures, contre environ 50% en Chine et 75% à Singapour ».
De surcroît, la proportion de diplômés de l’enseignement supérieur n’est pas très élevée en France (tableau 18). Il convient donc de combattre l’échec scolaire et de faire progresser de nouveau le nombre d’étudiants pour que notre pays maintienne son niveau.
Quant à la formation initiale technique, elle est également insuffisante. Or, celle-ci est à relier au faible niveau de robotisation de nos entreprises souligné par plusieurs intervenants, dont M. Jean-Camille Uring, Président du syndicat des machines et technologies de production (SYMOP) : il y avait l’année dernière 34 500 robots en France, contre 62 000 en Italie et 157 000 en Allemagne, soit 122 robots pour 10 000 emplois industriels en France, 159 en Italie, et 261 en Allemagne. Dans ce contexte, la question de la formation est centrale ; or il est difficile de recruter des collaborateurs qualifiés : « nous ne pouvons que regretter que les lycées professionnels ferment chaque année des sections industrielles ». Votre rapporteur juge en effet essentiel que l’Education nationale sauvegarde des formations professionnelles répondant à des besoins avérés et se donne pour ambition d’y attirer plus de jeunes en formation plutôt que les fermer de manière parfois précipitée pour de seules raisons comptables.
M. Vincent Schramm, directeur général du SYMOP, a mis l’accent sur les efforts entrepris pour informer, attirer non seulement les jeunes, mais leurs familles, vers les métiers de l’industrie, notamment par la participation à des « Salons », tels que le Salon européen de l’éducation, afin de remédier au problème d’image dont souffre l’industrie. La Fédération des industries métallurgiques (FIM) a signé avec l’ONISEP une convention de partenariat qui vise à améliorer l’information sur les métiers de l’industrie.
Tout en déplorant que l’enseignement technique et professionnel ne bénéficie pas toujours en France de la priorité qu’il mérite, M. Louis Gallois a proposé lors de son audition par la Commission des affaires économiques que « les entreprises soient associées à la gouvernance de l’enseignement technique et professionnel, soit au niveau des établissements, en étant représentées au conseil d’administration, soit au niveau régional, en participant à l’élaboration des cartes de formation, soit au niveau national ». Il a également proposé dans son Pacte de doubler le nombre de formations en alternance sur la durée du quinquennat.
Toutefois, il convient de noter que chaque année des milliers de jeunes inscrits dans ces filières abandonnent leurs études faute d’entreprise d’accueil. Cette situation contribue aussi à des difficultés de recrutement - et donc de fonctionnement – de certains centres de formation. Aussi, dans un contexte économique dégradé et pour sortir la volonté de développer l’apprentissage d’un vœu pieu souvent répété dans notre pays, votre rapporteur recommande de faire renforcer l’accompagnement des élèves entrant dans une formation par alternance afin de leur donner, dès le début, le plus de chances de succès et ne pas altérer l’attractivité de cette voie.
Quel que soit le secteur d’activité, il faudrait développer l’apprentissage pour les jeunes sans diplôme, et les incitations pour les entreprises, ainsi que le préconise M. Stéphane Carcillo, ce qui suppose des centres de formation coordonnés avec des structures de suivi local. Mais l’apprentissage pourrait aussi être une voie de réussite (329), y compris pour des études supérieures. Les filières d’apprentissage dans le supérieur restent mal connues.
b) La formation tout au long de la vie
- la nécessité d’une perpétuelle adaptation
La formation continue tout au long de la vie s’avère de plus en plus cruciale : ainsi que l’indique M. Pierre Gattaz, la mondialisation produit des à-coups extrêmement brutaux ; ne pas condamner les ouvriers au chômage de longue durée implique qu’« ils aient été formés tout au long de leur vie professionnelle, qu’ils aient amélioré leur qualification, peut-être même qu’ils aient eu l’expérience d’autres métiers : la formation continue est tout à fait cruciale pour garantir cette employabilité ».
« La cœxistence d’un niveau élevé de chômage et d’un grand nombre d’offres d’emploi non pourvues est un défi lancé à notre système de formation initiale » a déclaré M. Vincent Chriqui, directeur général du centre d’analyse stratégique. En effet, certains secteurs souffrent d’une pénurie de main–d’œuvre, selon M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson (CGPME) : c’est le cas de l’hôtellerie-restauration, ou des secteurs industriels techniques (tourneurs-fraiseurs, découpe de verre, filière bois,…), ou des experts comptables. Selon le « référentiel métiers » de Pôle emploi, 250 000 offres d’emplois sont restées non pourvues pendant plus d’un an. Il faut effectivement une adéquation entre l’appareil de formation et les besoins de notre économie.
- la part de l’entreprise dans la formation
L’entreprise doit être partie prenante de la formation : en Allemagne, comme l’a indiqué M. Jörn Bousselmi au nom de la Chambre de commerce franco-allemande, les entreprises décident elles-mêmes du contenu de la formation : celle-ci est alors généralement mise en place par les chambres de commerce et validée a posteriori par l’État. L’initiative part ainsi de la base vers le sommet.
M. Olivier Duha (CroissancePlus) a estimé que lorsqu’une entreprise se portait bien, il relevait de la responsabilité de ses dirigeants d’assurer « une capacité de rebond » pour ses salariés en investissant dans leur formation, ce qui permet d’anticiper d’éventuelles difficultés pour eux-mêmes comme pour l’entreprise.
Par ailleurs, la préparation opérationnelle à l’emploi découle d’un accord entre partenaires sociaux, comme l’a précisé le président de la CGPME, M. Jean-François Roubaud : Pôle emploi identifie une offre d’emploi non pourvue, puis cherche un demandeur d’emploi dont les compétences potentielles paraissent correspondre au poste et lui propose une formation adaptée, à l’issue de laquelle plus de 85% des intéressés sont embauchés. Cette formule mériterait une vraie promotion ; malheureusement, les agents de Pôle emploi sont souvent trop surchargés en nombre de demandeurs à suivre pour avoir la possibilité de la développer.
– une réforme du système actuel
Il a semblé à M. Louis Gallois « sain » d’effectuer un audit du dispositif afin d’en mesurer l’efficacité. Il a plaidé pour un dispositif beaucoup plus orienté vers l’employabilité des salariés, et notamment des salariés non qualifiés des PME, qui en bénéficient le moins, alors qu’actuellement, la durée des formations se réduit, ce qui indique qu’elles sont de plus en plus orientées vers l’adaptation au poste de travail. Il a donc prôné le développement des formations qualifiantes et diplômantes et de celles donnant lieu à des validations des acquis de l’expérience (VAE). Il a également suggéré un compte individuel de formation, attaché à la personne et « crédité » soit au début de la vie active, soit chaque année.
Cette analyse est partagée par M. Stéphane Carcillo pour qui les marges de manœuvre en termes d’efficacité et d’évaluation sont énormes. Plusieurs questions doivent être étudiées : il n’est pas facile pour les demandeurs d’emploi de trouver une formation adéquate, ce ne sont pas toujours les personnes qui en ont le plus besoin qui sont formées et la qualité des formations dispensées n’est pas évaluée, ce qui est une vraie lacune. Une réforme profonde de la formation professionnelle est indispensable, celle de 2009 n’ayant permis que très peu d’avancées (330).
M. Pierre Cahuc a dénoncé ce qu’il considère être une bureaucratisation du système de formation professionnelle, il a suggéré ainsi que les personnes en formation en paient une partie, comme le font les cadres en Allemagne. Une autre piste lui semble être la mutualisation du système de formation, qui passe aujourd’hui par les Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), d’où des transactions coûteuses. Il a également plaidé pour la mise en œuvre d’autres sources de financement de ceux-ci, comme le propose d’ailleurs un rapport de l’Institut Montaigne de 2011 qui met l’accent sur le fait que la formation professionnelle est inégalitaire et insuffisamment ciblée (le tableau 19, issu du rapport de 2011 des partenaires sociaux, démontre la même inégalité). La formation ne peut jouer un vrai rôle de promotion sociale qu’en proposant des formations longues et coûteuses, alors que les dispositifs indifférenciés de courte durée ne font qu’accroître les inégalités existantes : en 2007, le taux d’accès à la formation professionnelle continue était de 23,4% pour les titulaires d’un CAP ou d’un BEP et de 44,3% pour les diplômés de l’enseignement supérieur. En outre, l’obligation légale de financement nuit à l’efficacité de la dépense de formation en raison de sa rigidité, et entraîne des gaspillages et une utilisation des fonds parfois sans rapport avec ses objectifs. Les salariés contribuent peu, à hauteur de 4%, à la dépense globale de formation (331). De plus, le système se caractérise par une certaine opacité liée également à l’absence de certification ou d’évaluation de la qualité des formations proposées.
Il formule quatre propositions : remplacer progressivement le système « former ou payer » par un système de subventions ; instituer un « chèque -formation » pour les chômeurs ; transférer aux URSSAF la collecte de la cotisation spécifique (332) ; évaluer et certifier les formations.
Votre rapporteur tient à souligner que le budget de la formation professionnelle est très important : il dépasse 31 milliards d’euros par an, plus élevé encore que celui de la Défense nationale. Ce système appelle des évolutions profondes afin d’améliorer la compétitivité « hors coût » des entreprises françaises. Or, il a perçu certaines réponses dilatoires voire une réticence à prendre position des acteurs sociaux auditionnés quant aux améliorations à apporter à un dispositif aussi massif mais aux modalités de mise en œuvre encore trop complexes et mal évaluées.
Toutefois, l’Accord national interprofessionnel (ANI) conclu le 11 janvier dernier augure certaines avancées, telles que la création d’un compte personnel de formation, semblable à celui que proposait M. Louis Gallois, universel pour toute personne dès son entrée sur le marché du travail, individuel, intégralement transférable (tout au long de sa vie professionnelle), ainsi que l’assouplissement des conditions d’accès des salariés de moins de 30 ans au CIF-CDD. L’articulation de la négociation sur la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et du plan de formation est également un progrès, de même que la création d’un conseil en évolution professionnelle pour tous les salariés, notamment ceux des TPE et PME. Par ailleurs, le gouvernement lancera d’ici peu une concertation entre partenaires sociaux qui doit aboutir à une réforme profonde et attendue en 2013 afin de mieux gérer et de mieux cibler l’utilisation des fonds disponibles.
Dans notre monde aux changements rapides, anticiper le renouvellement des compétences est une nécessité économique et sociale.
Ce contrat, qui faisait partie des engagements de M. François Hollande pendant la campagne présidentielle, vise à permettre l’embauche par les entreprises, en contrat à durée indéterminée, de jeunes, accompagnés par un salarié plus expérimenté, qui sera maintenu dans l’emploi jusqu’à son départ à la retraire. Il s’agit donc d’une forme de tutorat, qui vise à transmettre des savoir-faire et à intégrer durablement les jeunes dans la vie professionnelle. Le faible taux d’emploi des jeunes et des seniors trouve donc une même solution : le contrat de génération doit permettre d’agir pour l’emploi et la qualité du travail. Les dispositions de la loi reprennent le contenu de l’accord national interprofessionnel signé en ce sens par tous les partenaires sociaux le 19 octobre 2012.
Les entreprises de moins de 300 salariés bénéficieront d’une incitation pour mettre en œuvre ce contrat. L’aide de l’État est importante : 4 000 euros par an, soit 12 000 sur 3 ans. Les entreprises petites et moyennes ont la possibilité de bénéficier d’un appui en termes d’ingénierie pour concevoir et mettre en place leur politique de gestion active des âges. Les entreprises de 300 salariés et plus doivent ouvrir une négociation sur le contrat de génération et conclure un accord. A défaut d’accord, ou au terme d’une négociation, l’employeur peut élaborer un plan d’action. En cas d’absence d’accord injustifiée, une pénalité peut être appliquée.
A terme, le contrat de génération devrait être une possibilité offerte à l’intégralité des salariés jeunes et seniors des entreprises de 300 salariés et plus. Quant à l’aide prévue pour les entreprises de moins de 300 salariés, l’objectif est de favoriser 500 000 embauches de jeunes sur 5 ans, associées au maintien d’un salarié senior. En 2016, l’aide incitative devrait représenter un engagement financier de l’État d’environ 880 millions d’euros.
Il devrait de surcroît permettre à certaines petites entreprises de plus facilement trouver un repreneur, en favorisant la transmission à un jeune.
2. Fluidification du marché du travail et protection des salariés : deux enjeux conciliables ?
« Il faut nous habituer à vivre dans un monde sans croissance…dans ce contexte peu réjouissant, ceux qui tireront le mieux leur épingle du jeu seront les plus flexibles, les plus agiles et les plus rapides », ainsi M. Guy Maugis (Bosch France) perçoit-il les années à venir. Pour M. Olivier Duha, (CroissancePlus) « ce ne sont plus les gros qui mangent les petits, mais les rapides qui dévorent les lents ». La constatation de M. Dominique Seux du quotidien Les Échos est encore plus alarmante : « nous sommes frappés de la vitesse à laquelle le monde change, de la rapidité avec laquelle l’Occident perd le monopole de la puissance économique ».
Ces diagnostics font écho à celui de M. Louis Gallois qui souligne à la fin de son rapport que, « dans cet environnement international de plus en plus compétitif, la capacité d’adaptation, la réactivité deviennent décisives. En même temps, l’industrie a besoin de plus d’intelligence collective, de plus de capacité à partager, à anticiper. Les chefs d’entreprises demandent légitimement de la reconnaissance, de la visibilité sur l’avenir et de la stabilité, mais aussi de la souplesse ; leurs personnels souhaitent être reconnus comme des acteurs majeurs de l’entreprise, être associés aux stratégies, et, bien sûr, être mieux sécurisés dans un monde qui exige d’eux toujours plus de mobilité et de capacité d’adaptation ».
Il existe aujourd’hui un lien souvent polémique entre protection de l'emploi et ce qui est vu comme une rigidité du marché du travail. Certains économistes et chefs d'entreprise auditionnés considèrent que la première entraînerait la seconde. Comme sur d’autres sujets, cette causalité est loin d'être partagée par tous.
Pour mesurer le niveau de protection de l’emploi, l’OCDE prend en compte non seulement la protection assurée par le CDI, mais également le degré de recours au CDD ou le régime du licenciement économique : cet index révèle que la France figure dans le premier tiers des pays de l’OCDE par son niveau de protection de l’emploi. Malgré tout, notamment depuis la mise en place de la rupture conventionnelle – 1 million de ruptures homologuées depuis 2008 -, ce seul index peut apparaître comme insuffisant pour mesurer le degré de protection de l’emploi.
M. Pierre Cahuc relève ce qu’il considère être une ambiguïté de la situation française : « il faut protéger l’emploi, ou plus exactement les salariés, en les aidant à trouver un emploi adapté à l’évolution de la structure productive. Or, paradoxalement, l’emploi est mal protégé en France. En effet, les entreprises n’utilisent pratiquement plus le licenciement économique, lui préférant les plans de départ volontaires ou les licenciements pour motif personnel à grande échelle…une telle évolution…se traduit par une explosion du nombre des embauches en CDD, qui a augmenté de dix points en dix ans ». La procédure régime du licenciement économique est de surcroît d’une complexité redoutable pour les entreprises. En Allemagne, le juge ne contrôle pas la validité des licenciements au regard des performances économiques des entreprises.
M. Gilbert Cette lui fait écho : « notre droit du travail est le plus complexe de tous les pays industrialisés, le plus difficile à prendre en charge par les partenaires sociaux, qui sont précisément censés s’assurer de sa bonne mise en œuvre dans les entreprises, et le moins protecteur, en raison de sa complexité. ». Sa thèse est de faciliter la conclusion de compromis via les accords collectifs, forcément majoritaires depuis la loi du 20 août 2008 : « ces compromis mordraient à la fois sur la réglementation et sur l’autonomie du contrat de travail…l’accord collectif [pourrait] déroger à de multiples dispositions du code du travail, hormis celles qui constituent le cœur du droit du travail – toutes celles qui relèvent de l’ordre public social et du droit international, dont le droit communautaire…de la même façon, l’accord collectif pourrait mordre sur l’autonomie du contrat de travail », comme en Allemagne.
Les entrepreneurs auditionnés partagent ces analyses et il n’est pas possible de les citer tous. Pour M. Olivier Duha : « les entrepreneurs ont peur d’embaucher, car cela représente un investissement difficilement réversible. Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est une procédure lourde, complexe et longue – entre 9 et 18 mois. Son coût est élevé : dans mon entreprise, il s’élève à 40 000 euros par salarié, ce qui représente 8,5 ans de contrat par employé. Vecteur de rigidité, le PSE ». M. Christian Poyau ajoute qu’en France, le licenciement d’un cadre coûte 6 à 9 mois de son salaire, alors qu’en Allemagne, le coût, fixe et donc connu à l’avance, est de 4 ou 5 mois. M. Olivier Duha a plaidé pour « un contrat de travail unique assorti de droits progressifs et d’un barème d’indemnités de chômage tenu à jour sur le fondement de critères sociaux et d’ancienneté [qui] permettrait au employeurs de bénéficier de plus de souplesse tout en assurant la protection des salariés ». Cet assouplissement doit aller de pair avec une formation tout au long de la vie : « si les salariés savent qu’ils retrouveront un emploi parce qu’ils sont formés, leur crainte – légitime – du licenciement en sera atténuée. Inversement, si le licenciement devient plus facile pour l’entreprise et cesse de représenter pour elle un risque juridique majeur, elle redoutera moins d’embaucher. Il faut faire reculer simultanément ces deux peurs qui nous paralysent collectivement depuis des années ».
M. Yves L’Epine (groupe Guerbet)va dans le même sens : « nous aurons un frein tant que nous n’assouplirons pas le marché du travail ».
Selon M. Jérôme Frantz (FIM), « la stratification du marché du travail est catastrophique, alors que l’un des enjeux majeurs de notre pays sera de transférer les compétences des secteurs qui ne marchent pas vers ceux qui avancent ».
L’analyse est la même quelle que soit la taille de l’entreprise : M. Jean-François Roubaud (CGPME) prône également l’assouplissement des CDI pour les rendre plus attractifs.
Pour M. Pierre Gattaz (GFI), qui réclame également plus de flexisécurité, il convient en particulier d’assouplir et de simplifier le recours au chômage partiel, comme cela est le cas en Allemagne ; mais chaque entreprise étant un cas particulier, c’est à ce niveau qu’il faut agir, ou, tout au plus, celui de la branche. Ces mesures sont indissociables d’un discours de vérité en cas de difficultés, en appelant à la responsabilité collective, tout en ouvrant la perspective d’un retour à meilleure fortune.
Quant à la complexité du droit du travail, M. Gilles Benhamou (groupe Asteel Flash) « défie n’importe quel député d’arriver à établir un bulletin de salaire tellement c’est compliqué ! », mettant l’accent sur le travail que cela représente pour des entreprises qui, de surcroît, se voient appliquer des pénalités « après six mois passés à procéder à des vérifications ».
Ces prises de position très tranchées sont loin de faire l'unanimité. Les organisations syndicales ont un avis partagé sur la rigidité du marché du travail et sur l’accord qui vient d’être signé par trois d’entre elles.
L’ANI du 11 janvier dernier prévoit qu’en cas de graves difficultés conjoncturelles rencontrées par une entreprise, il sera possible de conclure des accords d’entreprise de maintien dans l’emploi permettant, pour une durée limitée dans le temps, de trouver un nouvel équilibre dans l’arbitrage global temps de travail/salaire/emploi, au bénéfice de l’emploi. Ces accords, qui ne pourront pas déroger aux éléments de l’ordre public social, seront des accords majoritaires conclus pour une durée maximale de deux ans. En outre, devant l’urgence de la situation, et le besoin des entreprises, le recours à l’activité partielle sera possible en s’inspirant du modèle allemand, qui a su mieux préserver les capacités de l’industrie. Cela implique une modification des règles relatives au licenciement économique.
Mme Isabelle Martin (CFDT), dont la centrale vient de signer l’accord, a jugé inadapté de parler de rigidité du marché du travail : « nous avons au contraire à faire face à une hyper-flexibilité sauvage – que nous avons cherché à encadrer ». M. Joseph Thouvenel (CFTC) a salué l’accord signé le 11 janvier dernier. Il est prévu une sanction pénale pour l’employeur qui n’a pas respecté les termes de l’accord : « cette sécurisation des salariés est un progrès ».
M. Pascal Pavageau (FO) a estimé que la notion de compétitivité est un prétexte à l’introduction d’une plus grande flexibilité dans le droit du travail ; dénonçant l’élaboration du droit « dans un esprit quelque peu anglo-saxon », au niveau de l’entreprise, il a réaffirmé l’attachement de sa centrale aux accords interprofessionnels ou de branche au niveau national : « c’est donc la logique même du texte que nous contestons ». Pour M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT), la défense des droits sociaux des travailleurs et des représentants des salariés est fondamentale et « le projet d’accord sur la sécurisation de l’emploi est loin d’être à la hauteur de ces enjeux ». Mme Catherine Lebrun (SUD) a considéré que l’ANI du 11 janvier 2013 portait en germe une vraie régression sociale : « cet accord est une attaque contre la notion même de contrat de travail ». Quant à l’engagement de maintenir pour deux ans dans leur emploi les salariés auxquels s’appliquent les ajustements, elle a considéré qu’il s’agissait d’un « jeu de dupes », car il est précisé dans l’accord que si la situation économique change, cet engagement pourra être revu. « Voilà trente ans que nous ne cessons d’introduire des mesures de flexibilité…au bout du compte, le chômage et les licenciements continuent à augmenter ! ».
Votre rapporteur souligne que les volontés d’une fluidification renforcée du marché du travail s’appuient surtout sur une demande de prévisibilité pour les employeurs, notamment au moment de l’embauche d’un nouveau salarié, cela afin de pouvoir s’adapter au mieux aux aléas économiques. Cette demande de prévisibilité peut alors rencontrer le besoin de sécurité d’un salarié soumis à des évolutions professionnelles si les garde-fous à une flexibilité débridée sont effectifs. Suivant le terme défendu par Bernard Gazier, économiste et professeur émérite de l’Université Paris 1, c’est en fait une « mobilité protégée » – plus qu’une flexisécurité dans laquelle chacun lit ce qu’il voudrait voir écrit – qui doit être recherchée par le dialogue social et encouragée par les pouvoirs publics.
3. La nécessaire amélioration du dialogue social, outil de la compétitivité des entreprises et du pays
● Contrairement à ce qui précède, l'amélioration nécessaire du dialogue social a été soulignée unanimement. Néanmoins, celle-ci dépend de conditions qu'il reste à définir.
Ainsi que l’a souligné M. Stéphane Carcillo, les partenaires sociaux jugent le dialogue social extrêmement mauvais. L’enquête sur les relations entre employeurs et employés menée par le World Economic Forum dans 142 pays a montré que la France se situait à la 133e place (333).
La difficulté du dialogue traduit une différence de mentalité. « En France, pour évoquer les relations, souvent conflictuelles, au sein des entreprises, on oppose le patron au travailleur » souligne M. Wolgang Ebbecke, ancien président de la société Stihl France « alors qu’en Allemagne, on parle de l’entrepreneur et du collaborateur. Cette différence sémantique est très importante : en effet, en Allemagne, un entrepreneur entreprend un projet et un collaborateur y participe en travaillant aux côtés de l’entrepreneur, alors qu’en France un vrai fossé existe entre le patron et le travailleur ».
Remédier à cette situation est une responsabilité partagée. La désunion syndicale en France n’encourage certes pas au dialogue social. Mais, attendre des organisations syndicales qu’elles s’inscrivent dans une politique contractuelle dans l’entreprise nécessite pour les dirigeants, d’accepter enfin la légitimité des représentants des salariés d’être associés à la gouvernance de l’entreprise, et, pour ceux des PME, la légitimité même de l’existence d’une représentation syndicale.
Comme l’ont fait remarquer de très nombreux interlocuteurs, dont M. Pierre Cahuc, le taux de syndicalisation des salariés en France est le plus faible de tous les pays de l’OCDE, de l’ordre de 7%. Plusieurs pistes pourraient être étudiées selon lui pour le développer : « la limitation de la durée des mandats des représentants syndicaux (334), la transparence financière – en la matière, la loi du 20 août 2008 constitue une première avancée, l’incitation des salariés à participer à l’action syndicale…un levier consisterait à instaurer un crédit d’impôt (335)…il faudrait également que les syndicats développent des services spécifiques….le fait de pouvoir bénéficier de certaines caractéristiques des accords collectifs lorsqu’on est syndiqué est une piste à laquelle il faudrait réfléchir ».
M. Wolgang Ebbecke a noté que les modalités du dialogue différaient beaucoup dans les deux pays. En Allemagne, un seul syndicat négocie face à une association ou un groupe représentant le patronat et chacun peut négocier au sein de sa société suivant ses besoins, car les ouvriers et les employés, que la cogestion met au fait de la situation de l’entreprise, parlent et décident en conséquence. En France, les syndicats peuvent être cinq ou plus à négocier et il est beaucoup plus difficile à l’employeur de pratiquer une cogestion.
Les syndicats en Allemagne
La loi sur les conventions collectives ne reconnaît de capacité de négocier qu’aux syndicats, sans pour autant définir de règles concernant leur représentativité. Celle-ci résulte de la combinaison de critères issus de la jurisprudence : la capacité de négocier est réservée aux organisations respectueuses des principes démocratiques, librement constituées, établies à un niveau supérieur à celui de l’entreprise, financièrement indépendantes de l’État, des Eglises, des partis politiques et des employeurs, ayant un nombre significatif d’adhérents et prêtes à mener un conflit du travail.
Ils sont organisés en fédérations professionnelles par branches branche. Il existe donc un syndicat pour l’ensemble des salariés de la métallurgie, un autre pour ceux de l’industrie chimique, etc. L’adhésion n’est pas liée à l’activité exercée dans l’entreprise : dans le cas d’un constructeur automobile, sont affiliés à IG Metall aussi bien les techniciens, que les agents commerciaux et les employés du service du personnel.
La majorité des syndicats sont regroupés au sein de la puissante Confédération des syndicats allemands (Deutscher Gewerkschaftsbund, DGB) qui compte plus de 6 millions d’adhérents et revendique 80% des salariés syndiqués. Toutefois, seulement 17% des salariés sont syndiqués, contre 40% en 1990 : les syndicats dans l’industrie restent puissants, alors que ceux du secteur des services sont très faibles. Leur rôle reste toutefois important dans l’économie allemande.
● La représentation des salariés a été prise en compte par l’ANI et prévue dans l’organe de gouvernance de tête qui définit la stratégie de l’entreprise (conseil d’administration ou conseil de surveillance) : leur participation avec voix délibérative doit être assurée dans les entreprises d’au moins 10 000 salariés à l’échelle mondiale ou 5 000 en France. Le nombre de représentants des salariés sera au moins égal à deux dans les entreprises dont le nombre d’administrateurs est supérieur à 12 et à un dans les autres cas.
Pour M. Jean-Marie Poirot, l’UNSA relève l’intérêt de l’accord sur la sécurisation de l’emploi, notamment dans le domaine de l’information des salariés et en matière de consultation des instances représentatives des personnels auxquelles il ouvre les organes de gouvernance.
M. Nasser Mansouri-Guilani (CGT) a estimé totalement insuffisante cette représentation. Il a en effet fait remarquer que les entreprises de plus de 5000 salariés ne sont qu’au nombre de 229. En outre, deux administrateurs ne suffisent pas pour peser sur les choix de l’entreprise.
Pour M. Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, le management à la française, autoritaire et hiérarchique est une spécificité qui coûte très cher à l’entreprise : «l’accord interprofessionnel du 11 janvier aborde un peu le problème, mais il faut changer beaucoup plus profondément qu’il ne le prévoit : il faut systématiser la structure à conseils de surveillance et directoires, il faut donner comme en Allemagne la moitié des postes aux salariés dans les conseils d’administration et des pouvoirs très étendus aux comités d’entreprise. En Allemagne, l’accord du comité d’entreprise est indispensable pour toute restructuration ».
M. Bernard Gazier rappelle à cet titre l’utilité du dialogue social : « Des salariés bien formés et sûrs d’eux-mêmes, capables de retrouver un poste en cas de licenciements sont davantage en mesure de négocier que ceux qui protestent au pied du mur et dans le désespoir. La protestation des gens humiliés et sans perspective doit être entendue, mais la protestation de ceux qui ont pu discuter, étudier la productivité, les investissements, la situation économique de l’entreprise est plus efficace. On sait qu’on peut bouger, mais d’abord on négocie les solutions de préservation de l’emploi ». (336)
Votre rapporteur s’inscrit fortement dans la nécessité de favoriser une meilleure représentativité des acteurs sociaux. Cela implique, du côté des salariés, d’aider à l’accroissement du nombre de syndiqués et à la participation lors des élections professionnelles. Cela permettra aux organisations syndicales d’être aussi représentatives que possible et de voir leur position confortée dans le dialogue social et dans l’association aux décisions de l’entreprise, ce qui peut être également un atout du point de vue de l’entrepreneur. Par ailleurs, les nouvelles règles de représentativité syndicale issues de la loi du 20 août 2008 entreront en vigueur en 2013 et permettront de faire évoluer une situation figée.
Du côté des organisations patronales, une meilleure représentativité devrait aussi enfin passer par la prise en compte des 200 000 organismes (entreprises, coopératives, mutuelles…) du secteur de l’économie sociale et solidaire qui emploient plus de de 2 millions de salariés, organismes qui ne sont de fait pas représentés lors des négociations.
● Quant au niveau le plus utile pour les négociations sociales, les avis restent partagés.
M. Patrick Artus suggère de se rapprocher du modèle allemand ou scandinave, pour y inclure, outre les salariés en CDI, les chômeurs et les salariés en CDD ou encore les intérimaires : « une négociation très décentralisée – par usine ou par établissement – favorise les syndicats d’« insiders », alors qu’une négociation par branche est plus propice à une démarche macro-économique visant à ramener au travail les chômeurs. Le modèle allemand de négociation par branche semble donc supérieur au modèle français, très décentralisé ».
M. Luc Barbier, président de la fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) s’est prononcé en faveur des accords de branche.
M. Olivier Duha s’est dit « très favorable à la cogestion, au rapprochement des salariés et le monde entrepreneurial et du capital, ainsi qu’au renforcement de la participation des représentants des salariés à nos prises de décision de management. » Il a également souhaité qu’un accord signé par la majorité des salariés d’une entreprise puisse prévaloir sur le Code du travail. Votre rapporteur souligne que cette dernière disposition, sans limite aucune, mettrait tout simplement fin au droit du travail en France.
En revanche, M. Pascal Pavageau (FO) a dénoncé (à propos du CICE). « toute logique de cogestion ou de co-orientation du choix : il n’est pas du rôle des élus représentants des salariés d’indiquer la destination ou les conditions d’attribution de l’argent public. Ils ont en revanche un rôle de garde-fou à jouer pour veiller à ce que ce dernier ne serve pas à payer le déménageur qui délocalisera les activités de l’entreprise vers l’Europe de l’est ».
La signature de l’ANI du 11 janvier dernier peut probablement ouvrir une nouvelle voie. En plus des éléments évoqués par les différents intervenants, notamment la formation, il entend permettre aux salariés de mieux sécuriser les parcours professionnels, tels que la création de droits rechargeables à l’assurance chômage, de la majoration de la cotisation d’assurance chômage des contrats à durée déterminée, la création d’un droit à une période de mobilité externe volontaire avec droit de retour et l’encadrement des contrats à temps partiel qui devra avoir une durée minimale de travail de 24 heures par semaine. La prise en charge à parité de la couverture complémentaire des frais de santé est généralisée. La majoration de la cotisation d’assurance chômage des contrats à durée déterminée permettra de limiter les recours de plus en plus abusifs à cette forme de contrat. Enfin, le contrat de travail intermittent sera expérimenté.
L’accord vise aussi un renforcement de l’information due aux salariés sur les perspectives et les choix stratégiques de l’entreprise pour améliorer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences : une base de données unique sera mise en place dans l’entreprise regroupant les données existantes ; consultable à tout moment aussi bien par les IRP et les délégués syndicaux que par l’employeur, elle portera sur les 3 années à venir. La négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences sera articulée avec le plan de formation. La participation des salariés avec voix délibérative dans l’organe de gouvernance de tête qui définit la stratégie de l’entreprise dans les entreprises d’au moins 10 000 salariés à l’échelle mondiale ou 5 000 en France est une avancée. Leur nombre sera égal à deux si le nombre d’administrateurs est supérieur à 12 et à un dans les autres cas. Rappelons que M. Louis Gallois préconisait dans son rapport d’introduire dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 5 000 salariés, au moins 4 représentants des salariés, sans dépasser le tiers des membres, avec voix délibérative, y compris dans les comités des conseils.
Cet accord est présenté par les organisations signataires comme « équilibré », car selon elles, il renforce certains droits mais en donnant plus de souplesse aux entreprises : des leviers d’adaptation rapide à un monde en mutation et très concurrentiel. L’accord majoritaire d’entreprise devient la référence.
Il revient ensuite au Parlement de traduire dans le droit le contenu de cet accord. L’avancée certaine que constitue la nouvelle dynamique d’une démocratie sociale confortée doit trouver un équilibre avec les responsabilités propres à la démocratie politique. Ne devant se contenter d’être des greffiers législatifs, les parlementaires devront trouver les moyens de jouer pleinement leur rôle, sans déjouer celui qu’ils veulent voir jouer aux partenaires sociaux. Il convient notamment de mettre de la couleur dans les « zones blanches » de l’accord et de décrire notamment les garanties de recours possibles, les limites que peut aménager l’État pour que l’esprit de l’accord soit respecté sur le terrain et dans les faits, les moyens que l’État lui-même se donnera pour valider ou non le déroulement des procédures, les conditions de l’application des mesures différées dans le temps, sans oublier les modalités d’évaluation des nouveaux dispositifs afin de voir leurs retombées en termes de création ou de maintien de l’emploi.
Ce nouveau temps de la démocratie sociale et la manière dont l’articulation avec la démocratie politique sera ou non trouvée serviront de référence pour les nombreux sujets à venir que notre pays devra traiter pour construire le « Nouveau modèle français » défendu par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault (337).
Cette étape va rapidement être suivie d’un projet de loi sur la gouvernance des entreprises qui sera soumis prochainement au Parlement, qui veillera sans doute à introduire des mesures visant à permettre aux salariés de siéger dans les conseils d’administration, de mettre fin à certains comportements de dirigeants d’entreprises en matières de rémunérations, et de protéger les entreprises contre les OPA hostiles.
4. Un nouveau financement de la protection sociale
a) Lien entre cotisations sociales et compétitivité des entreprises à travers le débat sur le financement de la protection sociale
La France présente fait reposer le financement de notre protection sociale majoritairement sur les salaires. Le rapport du Haut Conseil de la protection sociale du 31 octobre 2012 intitulé « État des lieux du financement de la protection sociale en France » évoque, à propos des ressources de la protection sociale, « un processus de diversification en cours », soulignant que le financement « repose largement sur les revenus d’activité, et pour plus d’un tiers sur les cotisations sociales acquittées par les employeurs » et que « plus des trois quarts des ressources perçues par le système de protection sociale sont assis sur les revenus du travail ».
Or, le débat que peut poser ce mode de financement est souvent utilisé pour réintroduire celui sur la compétitivité des entreprises, en considérant d'abord les cotisations sociales comme une « charge », alors que la cotisation est redistribuée.
Au cours de son audition, M. Louis Gallois a fait remarquer que le plan du gouvernement instaurant le CICE n’avait pas abordé le problème du transfert des charges « si bien qu’une question reste posée, celle de savoir qui doit assumer le coût de certaines prestations relevant de la solidarité nationale, comme les allocations familiales ou une partie de la sécurité sociale…la solidarité nationale doit être financée par la fiscalité, et non par le travail, pour ne pas pénaliser l’emploi ».
Depuis, le projet de loi de finances rectificative, adopté le 20 décembre 2012, modifie à partir de 2014 les taux de TVA : le taux de 5,5% est passé à 5%, le taux intermédiaire de 7 à 10% et le taux normal de 19,6 à 20%.
La mission s’est interrogée sur le transfert du financement de la protection sociale.
Elle a constaté au préalable que les cultures variaient profondément d’un pays à l’autre. Comme l’a souligné M. Guy Maugis, « le consensus national autour de la compétitivité des entreprises est une caractéristique culturelle allemande. Pour les Allemands, l’entreprise est un outil fragile que tous les acteurs doivent contribuer à protéger et à aider, en évitant notamment de freiner son développement. Au contraire, le consensus français porte sur le maintien du pouvoir d’achat. Pour les Français, c’est l’entreprise qui doit être taxée ».
Il convient également de remarquer qu'une fois encore, aucun moyen envisagé (hausse de la TVA et/ou de la CSG) ne recueille l'unanimité des économistes et des chefs d'entreprise, y compris en leur sein.
b) La compensation par la hausse de la TVA et de la CSG ?
Pour M. Christian de Boissieu, qui se prononce en faveur de la hausse des deux contributions – TVA et CSG –, la vitesse de basculement est aussi importante que son ciblage en hausse sur l’une ou l’autre. Afin de ne pas trop peser sur la croissance, il préfèrerait cependant « une transition graduelle plutôt qu’un choc ». En conclusion, « je serais plutôt partisan d’une combinaison d’une hausse du taux de la TVA et de celui de la CSG par une démarche graduelle, l’important étant d’afficher un cap, et pas nécessairement de créer un choc ». Estimant que la France disposait alors d’une certaine marge pour augmenter la TVA dans la mesure où, aujourd’hui, elle est en dessous de la moyenne européenne, puisque nos partenaires ont augmenté leurs taux depuis 3 ans, il préconisait une hausse d’un point de TVA : « avec un passage de 19,6% à 20,6%, l’effet inflationniste reste gérable, et le taux normal comparable à celui en vigueur chez nos partenaires. Un point de TVA représente 6 à 7 milliards d’euros de recettes supplémentaires, et un point de CSG environ 11 milliards. Une hausse d’un point de la TVA et de la CSG rapporterait donc près de 20 milliards de recettes supplémentaires, toutes choses égales par ailleurs ».
La plupart des chefs d’entreprises ou de leurs représentants réclament le financement d’une partie de la protection sociale par l’impôt, sans toutefois choisir entre la TVA et la CSG. M. Pierre Gattaz (GFI) propose de transférer une partie des cotisations sociales pesant sur les entreprises vers les deux ; il en est de même pour M. Antonio da Silva, président de La Ferronnerie Roncquoise, pour M. Dominique Decaestecker, directeur général du groupe Arvato, pour M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, qui a rappelé avoir déjà proposé cette piste voici plusieurs années.
c) La compensation par la hausse de la TVA ?
M. Denis Ferrand directeur général de COE-Rexecode s’est montré favorable à un transfert des charges vers la TVA plutôt que vers la CSG, afin de stimuler le pouvoir d’achat, du moins à moyen terme. Quant à la taxe carbone, il en écarte l’usage pour financer la protection sociale, car elle présente l’inconvénient de devoir être augmentée de façon continue pour maintenir la même recette si elle produit les effets escomptés.
Au nom de la FNSEA, M. Xavier Beulin, prône une « TVA-emploi » afin « d’abaisser à la fois les charges, et donc de nous rendre plus compétitifs et de transférer sur des produits importés – majoritairement taxés au taux de 19,6% - une part des coûts de notre modèle social ».
M. Jérôme Frantz (FIM), propose la hausse de la TVA plutôt que celle de la CSG : transférer une partie de cotisations sur la TVA reviendrait à taxer les importations : « il convient de refermer, dans une certaine mesure, le marché européen ». L’augmentation de la TVA ne devrait pas trop peser sur le consommateur : « en Allemagne, où le gouvernement a transféré une partie des charges sociales sur la TVA, les entreprises ont restauré leurs marges et donc baissé leurs prix : il n’y a eu aucune incidence sur le consommateur ». Tel est également l’argument de M. Jean-Luc Haas (CFE-CGC), qui propose une cotisation sociale sur la consommation. D’après le rapport de la Conférence nationale de l’industrie piloté par MM. Jurgensen et Hirtzman et la quantification réalisée par l’Ecole Centrale de Paris et par le Trésor, des travaux cités par les interlocuteurs de la mission, le passage, en Allemagne, de 16 à 19% du taux de TVA n’a pas donné lieu à une dérive inflationniste. Ils ont donc estimé que l’élasticité devrait être de 0,2 à 0,3% d’inflation. De son côté, M. Patrick Artus déclarait il y a quelques temps (338) que les relèvements de la TVA en Allemagne en 2007 ou au Royaume-Uni en 2011 « se sont traduites dans les deux cas par des hausses de prix ». L’avantage de la cotisation sociale sur la consommation est qu’elle fait contribuer les importations au financement de notre protection sociale.
La CFDT reste défavorable à une compensation par la TVA, comme l’a expliqué M. Emmanuel Mermet, « qui entraînerait une hausse des prix et aurait un effet régressif – c’est-à-dire pèserait davantage sur les faibles revenus que sur les hauts revenus ».
Votre rapporteur partage en partie cette crainte : ainsi le financement d’un tiers du coût du CICE par l’ajustement des taux de TVA pourrait avoir des conséquences sur les projets des investisseurs et des bailleurs sociaux, ou encore sur certaines grandes commandes publiques, par exemple dans le domaine des transports ou de la construction.
d) La compensation par la CSG ?
Sur ce moyen également, les avis divergent.
M. Louis Gallois a souligné qu’on ne pourrait faire l’économie de l’utilisation d’un impôt à large assiette : la hausse de certains taux intermédiaires de la TVA, de la fiscalité écologique, de la fiscalité immobilière, du réexamen de certaines niches et de l’éventuelle taxation des transactions financières : « mais, si on ne peut pas faire appel au taux normal de la TVA, la plus grande part devra provenir- probablement de l’ordre de 2/3 du relèvement de la CSG ». L’augmentation de la CSG est pour lui en quelque sorte un « deuxième choix ». Il a ajouté toutefois, au cours de son audition, que la CSG avait un avantage, celui d’être modulable.
Selon M. Gilbert Cette, « l’équité suppose que les protections universelles soient financées par une assiette de financement large » : le financement de la famille pourrait donc à long terme être financé sur une assiette correspondant à l’ensemble des revenus, par exemple la CSG : « en renforçant l’équité, on abaisserait ainsi le coût du travail ».
La CFDT est plutôt favorable à l’utilisation de la CSG, dans l’hypothèse d’un basculement des cotisations sociales qui financent des services dits universels tels que l’assurance maladie ou la politique familiale, « qui présente l’avantage d’être entièrement fléchée vers le financement de la protection sociale » selon M. Emmanuel Mermet « plutôt que vers un outil fondé sur la contribution climat-énergie, dont l’objet est de servir à la transition énergétique et non d’alléger le coût du travail ou les coûts de production ».
Dans sa mission de la consultation de 2012 consacrée à la France (339), le FMI préconise en premier lieu la réduction des dépenses publiques. Elle n’est pas très favorable à la hausse de la CSG qui « n’aurait probablement que des effets temporaires si ce transfert ne s’accompagnait pas de gains de productivité qui permettent aux salaires réels de compenser progressivement la perte de pouvoir d’achat. Elle aurait aussi un effet négatif sur l’investissement en accroissant la pression fiscale sur les revenus du capital. Transférer le cout des allègements de cotisations patronales vers les taxes indirectes (par exemple la TVA, les taxes foncières ou les droits d’accises) dont une part est acquittée par les importations aurait plus d’avantages économiques. Dans ce cas, l’efficacité de la mesure serait strictement liée à un effort de modération salariale, notamment au niveau du SMIC ».
Dans sa conférence de presse du 13 novembre 2012, le Président de la République s’est déclaré hostile à l’augmentation de la CSG qui conduirait à une amputation du pouvoir d’achat des Français, aux effets très récessifs.
La solution ne passerait-elle pas également par une limitation des dépenses sociales ? Telle est la question posée par M. Denis Ferrand (COE-Rexecode) : « ces dernières représentent aujourd’hui 32% du PIB, contre 29% en Allemagne et 30% dans l’Union européenne ; nous pourrions les rendre plus efficaces, plus économes, en les centrant au nom du devoir de solidarité sur les personnes qui en ont le plus besoin….pouvons-nous reconduire les choix de société que nous avons faits, ou devons-nous concentrer davantage la dépense ? Tel est l’enjeu ».
M. Jean-François Roubaud (CGPME) a préconisé l’instauration d’une flat tax (340) afin d’éviter que la protection sociale ne soit financée uniquement par les cotisations sociales.
Votre rapporteur souligne qu’il n’y a donc pas de « remède miracle » à la situation que nous connaissons. Par ailleurs, le vieillissement de la population, le progrès dans l’utilisation de techniques médicales de pointe et la recherche de financements adéquats pour la prise en charge de la dépendance invitent notamment à avoir une réflexion globale pour un financement équitable de notre protection sociale qui sauvegarde notre système mutualisé tout en n’handicapant pas le développement de notre économie. Par ailleurs, pour des pays comparables, notre système de protection assis sur une répartition collective des ressources a un coût global qui, au final, n’est pas plus important que les systèmes de protection individuelle qui existent dans d’autres pays : la seule différence notable est justement son caractère collectif et, pour la santé, généralisé !
Par contre, il y a aujourd’hui une nécessité de clarifier ce que notre pays considère relever de l’assurance mutualisée d’un côté et de la solidarité nationale de l’autre, et donc ce qui se finance par des cotisations pour la première et par l’impôt pour la seconde. Cette clarification est un préalable à toute évolution de la structuration des financements (341). Plusieurs évolutions ont eu lieu depuis deux décennies qui ont déjà modifié la part des cotisations dans le financement de la protection sociale, notamment par la montée en puissance de la CSG ou l’affectation de ressources liées à la consommation et à la santé publique. Ainsi la part des cotisations finançant la branche maladie est passée de 96% à 49%, de 88% à 65% pour la branche famille. C’est le sens de la réflexion qui doit être menée, à la suite des préconisations qui seront apportées par le Haut conseil du financement de la protection sociale mis en place en septembre 2012.
C.— POUR UNE « NOUVELLE » ÉCONOMIE VERTE ET EN RÉSEAU
1. Les diagnostics convergent : un modèle économique à bout de souffle...et de nouvelles perspectives technologiques
C’est particulièrement dans le sillage de la crise de 2008 qu’est apparu un nouveau sujet de débat, la « croissance verte », dans les forums internationaux, aux Nations–Unies, à l’OCDE, dans les institutions des grands ensembles économiques régionaux (Union européenne, USA, Chine).
L’ère des trente glorieuses est achevée depuis longtemps ; il faut s’attendre pour les années à venir à une croissance molle de longue durée. Comme le souligne un rapport rédigé en décembre 2012 par le « Sustainable Europ Research Institute » (SERI), de Vienne (342), notre monde est confronté à des défis graves et pluriels et les remèdes traditionnels des politiques de croissance échouent ; parallèlement, l’environnement naturel de la planète pâtira de dégradations irréversibles. Au cours des dernières années, l’innovation s’est peu intéressée aux moyens de réduire l’impact de la croissance sur l’environnement.
Le rapport du Conseil économique pour le développement durable « croissance verte » de 2009 pose un diagnostic également pessimiste : le processus de croissance des deux dernières décennies a reposé sur l’essor des nouvelles technologies de l’information et sur le développement d’une économie fondée sur l’immatériel et le capitalisme actionnarial mondialisé. Ce modèle est désormais épuisé.
De même, M. Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, déclarait en 2011 que, « si nous ne voulons pas voir s’interrompre la progression du niveau de vie que nous connaissons depuis 50 ans, il nous faut trouver de nouveaux moyens de produire et de consommer. Et même redéfinir ce que nous entendons par le " progrès" ».
L’économiste Jeremy Rifkin, promoteur de « La troisième révolution industrielle », estime que, dans un avenir proche « la réussite des entreprises aura plus à voir avec le coût de l’énergie qu’avec le coût du travail ». À l’instar des progrès engendrés dans le passé par l’association d’une nouvelle source d’énergie et d’un progrès technologique en matière de communication - le charbon et la machine à vapeur liés à l’imprimerie au XIXème siècle, puis l’électricité avec la radio, la télévision accompagnant l’ère du pétrole, de l’automobile et de la consommation de masse au XXème siècle - il défend un nouveau modèle de croissance où les énergies renouvelables associées au développement d’internet permettraient une croissance soutenable et partagée horizontalement. Loin d’être une seule vue de l’esprit, plusieurs collectivités territoriales dont la Région Nord-Pas de Calais s’engagent dans cette voie. Cette vision pourrait constituer un nouvel élan porté conjointement par la France et l’Allemagne pour une dynamique européenne enfin ranimée.
Le meilleur exemple concret de cette démarche est l’intérêt que suscitent les imprimantes 3D qui annoncent, selon Chris Anderson, ancien rédacteur en chef de la revue Wired, une ère où chacun pourra développer ses propres objets (selon le précepte « Faites-le vous-même ») (343). La fabrication de 10 000 objets différents et adaptés pourrait prendre le dessus sur une production de masse de 10 000 objets semblables. Le procédé technique n’est pas nouveau – la stéréolithographie a près de 30 ans – et M. Georges Taillandier, président de l’Association française de prototypage rapide (AFPR), indique que « la nouveauté n’est pas la technologie, mais la multiplication de ses applications grâce au numérique et à internet ». Plusieurs industriels investissent déjà ce procédé pour fabriquer des produits finis et non plus seulement des prototypes comme par le passé, comme Boeing, Airbus ou encore Jeff Bezos, l’un des fondateurs d’Amazon. Le Président des États-Unis, Barack Obama, voit également dans ce type de procédé une opportunité pour la relocalisation de la production dans son pays.
2. La « croissance verte » facteur de progrès et d’emplois
La « croissance verte » doit désormais être considérée comme un véritable objectif. Le rapport du Substainable Europe Research Institute (SERI) met l’accent sur la hausse de la productivité de la main d’œuvre, si bien que moins de personnes suffisent pour produire le même résultat ; un accroissement de la productivité des ressources et de l’efficacité énergétique peut contribuer à une productivité du capital. Il souligne que de nombreuses opportunités peuvent être saisies sur des marchés en pleine croissance, telles que l’agriculture biologique, l’énergie renouvelable, et l’écotourisme ; d’autres possibilités apparaissent dans la gestion des déchets, la chimie verte et les produits à base biologique.
Ce rapport en conclut qu’« une économie plus verte ne génère pas seulement de la croissance, notamment en termes de capital naturel, mais elle produit également une croissance plus importante du PIB et du PIB par habitant ». La transition vers une économie verte crée de nouveaux emplois qui, peu à peu, excèdent les pertes d’emploi dans l’économie traditionnelle.
L’OCDE estime également que le verdissement de la croissance s’accompagnera de créations d’emplois, en particulier dans des activités émergentes innovantes et vertes. Cela nécessitera le reclassement des salariés entre les secteurs et entreprises en déclin et ceux en expansion, notamment ceux qui remplacent les activités polluantes par d’autres plus propres.
Elle propose des incitations à une plus grande efficience dans l’utilisation des ressources et actifs naturels, en développant l’innovation, la création de nouveaux marchés par la stimulation de la demande de technologies et de biens et services verts. Elle en conclut que ces actions conduiront à la restauration de la confiance des investisseurs par l’amélioration de la prévisibilité et de la stabilité de l’action des pouvoirs publics face aux grands problèmes d’environnement, ainsi qu’à un meilleur équilibre macro-économique grâce au réexamen de la composition et de l’efficience des dépenses publiques et à un accroissement des recettes par le biais de la tarification de la pollution.
Selon le Conseil économique pour le développement durable, « la triple crise écologique, économique et financière à laquelle nos économies sont confrontées impose de repenser le contenu de la croissance…en termes d’innovation, l’enjeu [est l’]…innovation de rupture pour permettre la transition vers un nouveau modèle de croissance verte ». Il note que « sur les 2 800 milliards de dollars consacrés à la relance mondiale depuis fin 2008, 15% sont consacrés à des investissements verts ventilés en trois grands postes : les économies d’énergie, la gestion de l’eau, le traitement des déchets et techniques de dépollution et le développement des énergies sobres en carbone ».
Le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), qui représente 200 multinationales et 7 000 milliards de dollars de revenus, estime dans sa profession de foi « Vision 2050 » que les opportunités dans les seuls domaines des ressources naturelles, de la santé et de l’éducation représenteraient autour d’un millier de milliards de dollars en 2020 et jusqu’à 4,5% du PIB mondial. L’Organisation internationale du travail (OIT), quant à elle, prévoit que le verdissement de l’économie devrait rapporter entre 15 et 60 millions d’emplois dans le monde.
Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), dans son rapport de février 2011, conclut qu’il n’y aura pas de croissance si l’économie n’est pas verte. Il envisage un investissement de 1 300 milliards de dollars par an entre 2010 et 2050 répartis en 10 secteurs (344). Il conclut que la croissance resterait sur la période identique à celle d’un statu quo optimiste « tout en évitant d’importants inconvénients tels que les effets du changement climatique, une plus grande rareté de l’eau et la perte de services environnementaux ».
En fait, les prévisions varient considérablement, faute notamment de pouvoir chiffrer le rapport entre les emplois créés et les emplois détruits par cette évolution.
3. Les pistes à choisir et les logiques à développer
Pour M. Louis Gallois, le développement de l’industrie verte est une des trois priorités qu’il a suggéré de fixer pour le Commissariat général à l’investissement.
M. Albert Merlin, vice-président de l’Institut Prospective, recherches et études appliquées à la justice et à l’économie souligne (345) qu’aujourd’hui, il s’agit d’inventer une révolution industrielle avec des investissements que l’on ne sait pas vraiment chiffrer. Il propose donc de privilégier le dosage secteur par secteur, moins risqué sur le plan financier : par exemple, l’économie d’énergie par l’isolation, dont les logements anciens, au nombre de 33 millions, offrent un marché considérable, avec des travaux créateurs d’emplois dans un délai rapide. Moyen de rendre du pouvoir d’achat aux ménages en réduisant leurs dépenses contraintes, cette question est donc doublement un facteur de compétitivité de notre pays.
Le Président de la République vient d’ailleurs de rappeler l’objectif de rénover 500 000 logements, dont 120 000 logements sociaux d’ici à la fin 2017, afin d’atteindre une diminution de 38% de consommation d’énergie en 2020. Le gouvernement devrait utiliser le crédit d’impôt développement durable et le prêt à taux zéro, mais en les ajustant pour éviter les effets d’aubaine, le tout à budget constant. Une troisième aide, financée sur les investissements d’avenir, sera créée afin de permettre aux ménages précaires de rénover leur logement, en complément des autres aides. Elle sera mise en œuvre pendant deux ans, à l’issue desquels sera mis au point, en 2015, un mécanisme de tiers financement (346). Pour faciliter les démarches des particuliers, un guichet unique de la rénovation énergétique sera mis en œuvre d’ici à l’été 2013 sur tour le territoire.
Votre rapporteur salue également l’objectif que le Premier ministre a fixé aux constructeurs automobiles, à l’occasion de la conférence environnementale de septembre 2012, et qu’il a qualifié d’« ambitieux » : mettre au point des véhicules consommant deux litres aux 100 kilomètres d’ici 10 ans, soit un niveau 4 fois plus faible que la moyenne du parc automobile actuel. Le but est de développer et de structurer une filière industrielle, de promouvoir l’efficacité énergétique et d’accorder une très large place à l’innovation technologique.
Dans le même ordre d’idée, on peut citer la filière prometteuse des biocarburants (micro algues,…) qui pourraient être utilisées dans l’aéronautique (347), ou encore les biotechnologies développées pour le traitement des eaux usées.
Plus globalement, le verdissement de l’économie peut permettre de retrouver une certaine forme de croissance. Il comprend des processus et fonctionnements économiques qui contribuent à « verdir » aussi bien l’industrie que les services :
– l’écoconception qui consiste, dès l’élaboration d’un produit, à chercher à réduire l’ensemble de ses impacts environnementaux tout au long de son cycle de vie ;
– l’écologie industrielle, qui consiste à organiser les différents types de relations entre acteurs économiques d’un territoire donné pour que les déchets des uns soient des ressources pour d’autres. Par exemple, certains déchets d’une usine de traitement peuvent alimenter une usine de méthanisation qui elle-même fournira en biogaz des véhicules ;
– l’économie de fonctionnalité, dans laquelle l’usage prédomine sur la propriété et qui, ainsi, vend des services plutôt que des biens (à l’exemple de Velib’ ou d’Autolib’...) que des services (développement du cloud computing) ;
– la réparation des biens, la réutilisation de leurs composants et le recyclage des matériaux qui les composent.
Il ne s’agit pas de théorie, mais de pratiques existantes à encourager : Renault vante l’écoconception de ses modèles comme étant depuis plusieurs années un avantage compétitif ; Michelin qui, dans l’attente d’avancées technologiques afin de pouvoir réutiliser du caoutchouc recyclé pour produire des pneumatiques neufs, les vend aux industriels du ciment pour remplacer les besoins en charbon.
Les quelques exemples où des stratégies de territoire d’une écologie industrielle ont tenté d’être mis en place en France ont montré les obstacles qui existaient, qu’ils soient réglementaires (attentes de plusieurs années pour avoir des autorisations) ou économiques avec des réticences liées au partage d’informations entre partenaires industriels potentiels.
Votre rapporteur considère que la transition écologique de notre appareil productif est une source de rebond économique déterminante pour l’avenir. L’État doit engager cette dynamique et favoriser la prise de conscience des entrepreneurs, notamment dans le cadre de la Responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Cela demande une stratégie forte de structuration des filières concernées, de l’écoconception au recyclage, dans lesquelles la France a d’ores et déjà des atouts et des savoirs faire qui convient de développer et de valoriser.
Source de compétitivité pour nos entreprises et notre pays, il s’agit de développer une économie de la sobriété choisie : nous devons ainsi passer d’une culture de la rédemption en matière de développement durable à une dynamique portée par la conviction de l’intérêt économique que sous-tend ce nouveau paradigme de croissance.
4. Le nécessaire effort de recherche
Pour réaliser des progrès décisifs, l’innovation est fondamentale dans le verdissement de l’économie, car il faut briser la dépendance à l’égard des manières de faire établies. Or, nombre de coûts environnementaux induits par certaines activités ne sont pas répertoriés dans le prix du produit, mais reportés sur la collectivité. Il convient d’internaliser ces coûts afin de responsabiliser les consommateurs comme les producteurs. De plus, certaines technologies nouvelles peuvent avoir des difficultés à trouver un avantage compétitif par rapport à celles qui existent déjà. L’évolution inéluctable des coûts des matières premières qui, à ce moment, inversera sans doute ce rapport donnera en outre une avance considérable en termes de compétitivité à ceux qui auront su l’anticiper.
Le verdissement de la croissance impose en outre de mettre en place des infrastructures de réseau adaptées aux technologies de nouvelles générations, en particulier dans les secteurs de l’énergie, des transports, de l’eau, et des communications.
De plus, un État stratège en la matière pourrait engager notre pays dans quelques secteurs d’avenir avec des projets structurants. On pourrait citer comme exemple le secteur du vivant avec l’industrie pharmaceutique, la microtechnique et la microtechnologie, une industrie mécanique à faible consommation d’énergie carbonée, l’économie du numérique pour l’audiovisuel et la culture.
La faible capacité montrée par les pays européens à coordonner leurs efforts et bénéficier des complémentarités entre leurs politiques de recherche et développement est à déplorer, malgré la stratégie « Europe 2020 » qui affiche l’ambition de promouvoir une économie « plus efficace dans l’utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive ». Il est urgent d’envisager la mise en place d’une véritable filière européenne des industries vertes.
Comme on le voit, la compétitivité, l’évolution des coûts de production dépendent avant tout du retour de l’industrie dans notre vision collective d’un modèle économique national. Si une économie compétitive ne peut s’exonérer d’une réflexion sur une maîtrise raisonnée des coûts salariaux, notre avenir s’écrit avant tout en termes de recherche et d’innovation, de structuration de filières industrielles alliant la force des grandes entreprises et la souplesse de PME et d’ETI performants. C’est une réforme de l’État faisant de cet acteur incontournable un facilitateur économique porté par une vision de long terme et des choix structurants.
Notre avenir économique, c’est aussi un dialogue social innovant permettant un rapport gagnant/gagnant entre entrepreneurs et salariés, refusant la précarité et la concurrence stérile. C’est reconnaître l’apport que tous les citoyens peuvent amener à notre pays en luttant contre toutes les formes de discrimination qui nous privent de talents et de compétences. C’est encore une qualité de vie mêlant des systèmes d’éducation, de santé, de transports et de logement répondant efficacement aux besoins de tous et au meilleur coût. C’est aussi un système de protection sociale qui ne freine pas l’emploi.
Notre avenir, c’est une adaptation précoce aux évolutions en cours en étant l’exemple d’un mix énergétique soutenable et performant, d’une économie verte et en réseau nous donnant l’avantage compétitif du lendemain déjà si proche. Notre avenir, c’est aussi une Europe enfin réorientée au service du développement partagé. Notre avenir, c’est enfin penser notre développement en lien avec celui du continent africain – chacun pouvant être le levier de la croissance économique de l’autre -, en s’appuyant notamment sur la francophonie qui est aussi un atout économique à préserver.
Demain est donc bien un présent à mettre en ordre, un avenir à permettre.
La commission a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mercredi 27 mars 2013.
M. Bernard Accoyer, président. Nous allons examiner, ce matin, le rapport et les propositions qui résultent du travail de notre collègue Daniel Goldberg, au moment où notre pays connaît une situation économique et sociale d’une extrême gravité, en tout cas jamais connue de longue date. Je pense évidemment aux destructions d’emplois qui génèrent tant de drames humains. Avant que nous en débâtions, je tiens à souligner, à titre personnel, qu’une crise d’une telle gravité nous appelle à transcender nos clivages face à des problèmes d’une considérable portée. La question de la compétitivité de notre économie est bien réelle et, en conséquence, le sérieux des travaux que nous avons conduits exige que nous exprimions de la façon la plus collective possible des propositions précises.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je tiens tout d’abord à souligner l’excellent état d’esprit qui a présidé aux quelque 39 heures d’audition que nous avons menées dans le cadre de cette mission d’information. J’ajoute que nous avons tenu une réunion sur le plan du rapport qui a permis d’échanger à ce sujet.
Je partage tout à fait le sentiment quant à la gravité de la situation que vient d’exprimer le Président de la mission, c’est d’ailleurs pourquoi j’ai fait figurer en exergue du rapport la citation d’Antoine de Saint Exupéry : « L'avenir n'est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n'as point à le prévoir mais à le permettre ».
Le rapport fait le constat du décrochage économique de notre pays et tente d’identifier les moyens d’un redressement. Il se veut le plus factuel possible et a l’ambition de reprendre l’ensemble des points de vue qui ont été exprimés à l’occasion des travaux de la mission. La première partie pose le constat du « décrochage » et analyse les différentes composantes des coûts de production. Sont ainsi présentés le prix du travail, les coûts de l’énergie, de la logistique ou encore de l’immobilier et le logement dont Louis Gallois a récemment regretté de ne pas lui avoir consacré un développement dans son rapport. Les charges liées au logement constituent en effet une part très significative des dépenses contraintes des ménages. Au-delà, le rapport dresse le constat de la dégradation de la situation financière des entreprises et par conséquent du déficit d’investissements, par exemple en matière de robotisation, et de moyens consacrés à la recherche privée. Ainsi s’est créé un cercle vicieux de la compétitivité qui mêle aussi bien les aspects « coût » que « hors coût » pour aboutir à l’image du « sandwich » décrite par M. Patrick Artus.
La deuxième partie du rapport décrit un certain nombre de phénomènes tels que la désindustrialisation, une production trop centrée sur le moyen de gamme, un réel déficit d’innovation sans oublier les délocalisations, qui indiquent que la France s’est assoupie face à la nouvelle donne de l’économie mondialisée. Pour ne pas être « la Belle endormie », le rapport détaille les tendances à suivre et à amplifier que sont la colocalisation, la création de la valeur ajoutée d’un produit sur notre territoire comme l’a fait l’Allemagne avec les pays de l’Est. Il pointe également le fait que la réglementation européenne fait souvent obstacle à la mise en place des projets de grande ampleur permettant de disposer de la taille critique sur les différents marchés.
Enfin la troisième partie correspond à une série d’orientations, elles-mêmes déclinées en propositions, afin de réorganiser la production de biens et de services dans le sens d’une plus grande efficacité. Il en va ainsi de l’orientation que j’ai finalement choisie de placer en tête et qui concerne la mise en œuvre d’un véritable État-stratège en faveur d’une politique industrielle innovante. La création dans le cadre du futur Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), d’une commission pour l’innovation économique et la compétitivité (CIEC), spécifique et permanente et à laquelle le Parlement sera associé, va dans le même sens. Il convient également, à mes yeux, de favoriser la montée en gamme de notre industrie par l’innovation et la robotisation et de populariser le « Fabriqué en France » comme synonyme de qualité et d’envisager l’extension des Indications géographiques protégées (IGP) aux produits manufacturés.
Il est également important, et c’est l’orientation n°4 que je propose, que l’État se dote des capacités d’anticiper en matière d’aménagement aussi bien sur le plan de la logistique que des transports. Cette capacité à l’anticipation est particulièrement nécessaire dans la situation de baisse des dépenses publiques que nous connaissons. Il apparaît également nécessaire de fusionner certains pôles de compétitivité pour renforcer leur efficacité et de conforter le développement économique des PME par les pôles existants. Il convient de sanctuariser le crédit impôt recherche (CIR) jusqu’en 2017, tout en engageant son évaluation d’ici 2015 pour mesurer ses effets réels sur l’économie et envisager pour la suite un CIR renforcé en faveur des PME.
L’amélioration de la compétitivité de l’économie française repose pour une large part sur les PME et les ETI. Cela passe par un accès facilité au crédit, la réforme de l’assurance-vie, la création d’une bourse dédiée et la représentation des PME au conseil d’administration de la Banque publique d’investissement. Dans le même sens, le rapport propose d’adopter un small business act français afin de regrouper l’ensemble des mesures visant à stimuler l’activité des PME, d’améliorer la législation sur les transmissions d’entreprises et de lutter contre le rachat d’entreprises par les donneurs d’ordre dans le but de favoriser l’apparition de nouvelles ETI. Dans le même ordre d’idée, les relations interentreprises doivent être améliorées et la gouvernance des entreprises doit valoriser comme facteurs accrus de compétitivité la diversité de la société française et les parcours non conventionnels.
Le rapport formule, en outre, des propositions très concrètes en matière de marchés publics, en faisant évoluer la rédaction de l’article 53 du code afin de prendre en compte les performances des offres en matière de protection de l'environnement sur la base de leur empreinte carbone et en demandant aussi la publication d’un guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics. Il convient également de favoriser l’investissement des entreprises en matière de définition des normes-produit, de renforcer la réglementation sociale à l’échelon européen, d’appliquer le droit de l’État membre quand des travailleurs détachés y effectuent une prestation et d’instaurer un plancher européen pour les salaires minimum nationaux dits « de récolte » en vigueur pour les contrats courts applicables aux activités agricoles et de transformation agroalimentaires.
Selon moi il est absolument nécessaire de relancer la construction massive de logements socialement accessibles au plus grand nombre et la rénovation du parc existant afin de réduire la part trop lourde des dépenses contraintes dans le budget des ménages, car cela handicape aussi notre compétitivité. On peut également réfléchir à une modification du seuil du CICE en déclarant éligibles, sous une forme à définir, les salaires compris entre 2,5 et 3,5 SMIC qui sont plus nombreux dans l’industrie. La question du financement de la protection sociale, qui va faire l’objet de débats au sein du Haut conseil, n’est pas oubliée puisque le rapport préconise de différencier ce qui relève de l’assurance mutualisée d’un côté et de la solidarité nationale de l’autre. Les questions de la formation, initiale ou continue, font également l’objet de propositions. Il faut, tout d’abord, des mesures concrètes pour favoriser l’apprentissage, il faut également que le débat à venir autour de la formation professionnelle permette d’améliorer un dispositif à la fois coûteux, quelque 40 milliards d’euros par an, et qui échoue dans sa fonction puisque les salariés les moins qualifiés sont ceux qui en bénéficie le moins.
L’échelon européen n’est pas oublié, il faut notamment permettre l’émergence de champions communautaires susceptibles de rivaliser avec leurs concurrents internationaux, en assouplissant si besoin les règles internes de la concurrence. Il n’est pas certains que des groupes comme Airbus ou EADS pourraient voir le jour dans les conditions réglementaires actuelles ! Ainsi, il est nécessaire de les assouplir, de les réviser, pour développer une véritable industrie européenne. J’ajoute qu’il est tout autant nécessaire de lutter contre les dérives de l’optimisation fiscale de certains grands groupes.
À l’international, j’ai déjà dit que l’exemple de la collaboration entre l’Allemagne et ses voisins d’Europe de l’Est est intéressant et que nous devons nous en inspirer. J’invite donc à parier sur la colocalisation pour mener une nouvelle stratégie de croissance réciproque avec le continent africain et notamment le pourtour méditerranéen. Enfin, c’est l’évolution même du modèle de croissance qu’il nous revient de mieux prendre en compte et faire de la transition écologique une source de rebond économique. Il faut optimiser l’efficacité énergétique des réseaux existants en utilisant les technologies informatiques, les smart grids, pour améliorer la maîtrise de la production, de la distribution et de la consommation. J’ajoute qu’il faut aider les industries électro-intensives, mais aussi réfléchir à l’écologie industrielle qui passe par l’écoconception ou l’industrie du recyclage.
En conclusion, c’est bien parce que nous sommes face aux difficultés qu’il convient de se doter d’une stratégie ambitieuse et offensive afin de susciter le rebond de notre économie.
M. Laurent Furst. Je regrette que des délais de distribution trop courts ne m’aient pas permis de prendre connaissance du rapport avant cette réunion. La présentation du rapporteur contient des éléments intéressants, mais il est particulièrement regrettable que la logique qui vient d’être saluée à propos des auditions et du travail des membres de la mission n’ait pas été menée à son terme, ce qui aboutit à une sorte de « crash » du rapport.
Celui-ci ne traite pas véritablement de la problématique fondamentale, à savoir les coûts de production. Les orientations proposées ne vont pas au cœur du sujet. Celui-ci concerne les comparaisons relatives au partage de la valeur ajoutée entre la France et l’Allemagne ; les prélèvements fiscaux et sociaux réduisent le taux de marge des entreprises françaises. Il est historiquement faible dans notre pays et atteint aujourd’hui son plus bas niveau.. Le rapport est à côté du problème car il ne précise pas comment faire remonter le taux de marge.
M. Olivier Carré. Je déplore de ne retrouver que partiellement dans les orientations du rapporteur les analyses ou encore les propositions des personnalités auditionnées. .Il y a ainsi une différence entre ce qui nous a été dit et ce que nous entendons, du moins à la lecture du rapport. Le tiers des 25 premières recommandations du rapporteur aurait même pour effet d’augmenter les coûts de production, ce qui est grave pour la compétitivité des entreprises : par exemple, certaines d’entre elles entraîneraient un accroissement des normes. Les propositions relatives à la croissance sobre font fi de la transition énergétique en cours aux États-Unis qui augmente la compétitivité de cette grande économie, comme l’a souligné devant la mission M. Patrick Artus. Il n’est pas non plus mentionné que le taux de productivité élevé de l’économie française s’explique par le fait que ne sont employés que les salariés les plus employables, comme l’a notamment rappelé M. Pierre Cahuc, alors que les jeunes de moins de 25 ans sont laissés sur le côté de la route. Il n’est d’ailleurs pas indiqué que le niveau du SMIC pourrait être un obstacle à l’entrée des jeunes sur le marché du travail. À mon sens, il aurait fallu diminuer les a priori pour parvenir à une lecture nouvelle des problèmes de l’économie française. Il y avait plus de pistes à explorer, certes plus dérangeantes, pour tous les partis, d’ailleurs. Le rôle des parlementaires est de tirer des conclusions à partir des analyses qu’ils ont entendues, afin d’en tirer de nouveaux axes.
Mme Marie-Anne Chapdeleine. Je tiens à remercier le rapporteur M. Daniel Goldberg d’avoir permis d’aborder en profondeur la question des coûts de production en dépassant la problématique habituelle du poids des cotisations dans les salaires. La mission qui s’achève révèle un problème principal : la difficulté, en l’état actuel des choses, de formuler un diagnostic global sur la compétitivité de l’économie française et de ses entreprises, et plus encore, celle de proposer un remède miraculeux et immédiat à leurs difficultés. Gagner en compétitivité n’est plus ni moins que de déterminer la meilleure manière d’apporter de la valeur ajoutée, c’est-à-dire de travailler en particulier sur la compétitivité hors coût.
Au-delà des gains de productivité et des questions de compétitivité, on ne peut faire l’économie d’une réflexion et d’une action sur le pilotage stratégique des politiques industrielles, sur le renforcement des régions comme échelon décisif donc favorable à la cohérence d’une politique d’accompagnement des entreprises. De même, le travail de lisibilité des dispositifs de soutien à l’innovation et des processus de réglementation est une nécessité pour renforcer la réactivité des acteurs de notre économie.
Si l’on ajoute à cela le maintien d’un haut niveau de protection sociale, l’augmentation de la qualité de nos infrastructures, l’espace francophone encore si peu mis en valeur et la perspective d’un cadre européen harmonisant la fiscalité des entreprises, l’économie française peut être compétitive sans l’être au détriment des salariés.
Les propos tenus lors des nombreuses auditions me confortent dans l’opinion qu’il s’agit d’une condition fondamentale du développement de notre modèle économique et social. Il n’y a pas d’incompatibilité entre sécurisation des entreprises d’une part et des salariés de l’autre, comme le montre le récent Accord national interprofessionnel (ANI). Les orientations proposées vont en ce sens, à charge à nous et aux partenaires sociaux de les porter.
Mme Jeanine Dubié. Je tiens à souligner que la notion de « fabriqué en France » sera abordée dans le projet de loi sur la consommation dont le Parlement aura bientôt à connaître. Par ailleurs, on évoque l’accueil des talents étrangers, c’est bien mais encore faudrait-il garder les nôtres !
M. Laurent Grandguillaume. Les débats ont été très intéressants et je salue le travail collectif de la mission. Le rapport fait le point sur tous les éléments des coûts de production et propose une analyse objective ainsi qu’une grille de réflexion nouvelle à mettre en œuvre pour conduire le redressement économique de notre pays. Il met en valeur le travail parlementaire.
M. Olivier Véran. Au terme de travaux ayant duré plusieurs mois, ce rapport, très attendu, est à la hauteur des espoirs portés par l’intitulé de la mission. Il tient compte des particularismes de chaque grande catégorie productive, industrie et services. Il ne se borne pas à analyser la compétitivité « coûts », mais aborde aussi les problèmes liés à la formation, à l’innovation, à la recherche. Avant-hier, dans ma circonscription, j’ai présenté à 40 chefs d’entreprises la politique du gouvernement avec le Pacte national de compétitivité, le contrat de génération, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la Banque publique d’investissement ; s’y ajoutera désormais un nouvel arsenal avec les propositions de ce rapport : le renforcement de l’efficacité des pôles de compétitivité, le transfert du pilotage en régions, la montée en gamme des produits français, la promotion des filières industrielles. Je voterai ce rapport avec enthousiasme.
M. Claude Sturni. Je ne découvre que ce matin le rapport et je suis effectivement déçu. Je suis en revanche d’accord avec la suggestion du rapporteur pour changer l’ordre des orientations, car il faut changer notre regard sur l’économie de la France et la considérer comme un pays où les industries ont de l’avenir. L’orientation « pour un nouvel État stratège d’une politique industrielle innovante » me pose problème dans la mesure où il ne faut pas négliger ni décourager les entreprises qui n’appartiennent pas aux filières d’avenir mais qui se battent jour après jour. L’orientation « pour un État mobilisateur du développement économique et de l’emploi en France » me convient mieux. Il ne faut pas laisser à penser qu’il existe de bonnes industries et de moins bonnes. S’il est possible de compléter le rapport, je suis prêt à faire des propositions.
M. Jean-Charles Taugourdeau. Je suis tout autant déçu par le rapport. Les conclusions ne reflètent pas la diversité des analyses des auditions. Parmi les coûts de production, il aurait fallu insister sur les normes, comme le Président de la République l’a rappelé à Dijon, en particulier sur les normes dites environnementales. Le temps, c’est de l’argent : il convient donc de réduire les délais administratifs, comme l’a également souhaité le Président de la République.
C’est l’activité privée qui crée la richesse. Elle finance donc tout en France, même les dépenses de solidarité ; il est donc impératif de revoir le fonctionnement de l’État : chaque emploi au sein de l’État doit apporter de la valeur ajoutée, en termes financiers ou d’amélioration des services. Il est urgent de ne pas alourdir le fonctionnement de l’État : la création de 60 000 postes ne se justifie pas.
M. Jean Grellier. Je salue le travail de la mission. La comparaison avec la mission de la précédente législature à laquelle vous faisiez allusion, M. le Président, montre que nos débats restent les mêmes. Il faut jouer sur plusieurs leviers en même temps : il est donc nécessaire de définir une chronologie pour « prioriser » la mise en œuvre des orientations. Les comités stratégiques de filières devraient avoir un rôle déterminant. En ce qui concerne les pôles de compétitivité, quand faudra-t-il agir pour les restructurer et donner la priorité aux PME ?
M. Christophe Borgel. Je crois qu’il faut chercher à dépasser les débats partisans. Par exemple, des choix devront être faits concernant la transition énergétique. Ils peuvent avoir un impact sur les coûts de production, mais l’enjeu est tel que des choix de cette nature doivent pouvoir être assumés politiquement. Autrement dit, le débat sur les coûts de production n’empêche pas les choix politiques.
Je voudrais insister sur trois points, qui me paraissent d’une importance majeure.
Tout d’abord, l’accent mis sur l’innovation et les secteurs d’avenir ne doit pas nous interdire d’accompagner les secteurs moins innovants et souvent en plus grande difficulté du fait de leur retard en termes de montée en gamme.
Ensuite, concernant les pôles de compétitivité, je soutiens les propositions du rapporteur visant à mieux distinguer ceux d’entre eux qui ont une vocation mondiale et européenne et ceux à vocation plutôt régionale.
Enfin, s’agissant des PME, on ne peut nier qu’il existe en France, contrairement à l’Allemagne, un problème de fond entre donneurs d’ordre et sous-traitants. Les responsables « achats » des grands groupes, parfois contre l’idée de leurs collègues de la fabrication, recherchent systématiquement à opérer sur les sous-traitants des économies de « bout de ficelle » qui ne devraient pas être. À ce problème, s’ajoutent les difficultés à faire passer les PME dans la catégorie des ETI. Faute de quoi, beaucoup de PME, dans l’impossibilité de se développer, sont souvent rachetées par leurs donneurs d’ordre. Il faut donc tout faire pour favoriser l’émergence d’ETI en France.
En conclusion, le rapport examiné ce matin est un travail à la fois sérieux et solide. Il apporte des réponses concrètes aux difficultés que nous rencontrons.
M. Thierry Mandon. Ce rapport s’inscrit dans des réflexions entamées de longue date par l’Assemblée nationale, afin que les parlementaires partagent un même diagnostic sur les coûts de production en France. Pour que la Nation relève la tête, il est indispensable que ce diagnostic soit fait de façon collective et donc qu’il soit partagé par les différents groupes de notre assemblée.
Les travaux réalisés sur ce thème sous la précédente législature n’ont pu être approuvés et publiés. Le présent rapport est donc l’occasion d’établir ce diagnostic et d’affirmer qu’il existe bel et bien un problème de coût de production en France. Toutefois, nos difficultés actuelles ne se résument évidemment pas à ce seul problème. L’issue réside dans la promotion de l’innovation qui doit innerver toute décision politique et dans un changement culturel de nos rapports vis-à-vis de la croissance et de l’entrepreneuriat.
Le rapport de la mission constitue précisément un socle minimum sur lequel les parlementaires peuvent se retrouver pour établir un diagnostic que personnellement je vous invite à partager.
Les orientations présentées par le rapporteur sont de nature diverses. Elles sont, pour certaines, des vœux de long terme, c’est effectivement le cas de la plupart des propositions à destination de l’Union européenne, mais elles représentent aussi des choix opérationnels concrets qui portent sur le tissu industriel, soit même des propositions susceptibles de nourrir des travaux en cours.
Pour ma part, je vous proposerai de les amender sur un seul point : au nom de la stabilité du cadre juridique et notamment fiscal, les parlementaires ne pourraient-ils pas s’appliquer une autodiscipline afin d’éviter tout amendement qui aboutirait à rendre toujours plus complexe notre droit ? Dans certains États, comme aux Pays-Bas, il existe des systèmes de filtrage préalable qui analysent les conséquences de tel ou tel amendement.
M. Jean-René Marsac. Je souhaite souligner la qualité du rapport, pour sa rigueur et la façon dont il rend compte des opinions parfois contradictoires des uns et des autres. Les intervenants auprès de la mission d’information sont entrés dans des débats qui allaient bien au-delà des seuls coûts de production : en cela, le rapport reflète bien la diversité et la pertinence des personnalités auditionnées.
Pour ma part, je souhaiterais mettre en exergue quatre points.
Il convient tout d’abord d’ouvrir un débat, que lance d’ailleurs le rapport, sur la question des cotisations sociales et du financement de notre système de protection sociale. Son poids est tel que les entreprises de main-d’œuvre se sentent pénalisées.
Par ailleurs, il convient de poursuivre les efforts pour l’accès individuel à la formation. C’est une condition indispensable pour assurer la mobilité professionnelle et pouvoir passer d’une filière à une autre.
Ensuite, la question des marchés publics a été longuement abordée par les chefs d’entreprise auditionnés. Il s’agissait donc d’apporter des réponses concrètes aux problèmes soulevés. À ce titre, la proposition avancée par le rapporteur d’utiliser l’empreinte carbone comme critère d’attribution d’un marché me semble excellente, en ce qu’elle permet de favoriser les entreprises de proximité.
Enfin, le rapport devrait donner un mode opératoire quant aux suites qui lui seront données, sachant que chaque orientation nécessiterait sans doute, à elle seule, un travail approfondi.
M. Éric Alauzet. Je vais formuler six observations.
En premier lieu, la fiscalité écologique peut être un élément décisif pour alléger le coût du travail. Des travaux sont actuellement en cours pour renforcer la contribution des énergies fossiles. Je tiens d’ailleurs à rappeler que le financement du CICE repose, pour un tiers, sur la fiscalité écologique. Celle-ci est une piste susceptible de permettre aux entreprises françaises de gagner en compétitivité.
En second lieu, les propositions relatives à l’harmonisation fiscale en Europe mériteraient, à elles seules, un chapitre dans le rapport, au regard de l’importance des enjeux.
En troisième lieu, les propositions portant sur l’économie verte et en réseaux devraient, selon moi, se situer au même niveau hiérarchique que celles consacrées à l’État-stratège. Elles ont en effet vocation à innerver l’ensemble de notre économie.
Quatrième point concernant les coûts du logement : je souhaiterais évoquer les coûts d’usage du logement et notamment des charges locatives qui forment un second loyer et qui pèsent lourdement sur les ménages. Il faut d’urgence mener une politique de rénovation thermique.
Cinquième point : s’agissant du CICE, avant toute modification de la cible actuelle, il convient de mesurer l’impact de la mesure sur l’emploi. Au vu de cette première évaluation, il conviendra – et seulement alors – de mesurer l’impact que pourrait avoir toute modification portant sur le niveau des salaires compris dans le système du CICE.
Sixième point : l’utilisation que font les États-Unis du gaz de schiste est tout sauf une transition énergétique, laquelle consiste à fonder le développement économique sur les énergies décarbonnées.
M. Bernard Accoyer, président. Comment ne pourrions-nous pas être d’accord pour dépasser certains clivages partisans, alors que, chaque jour, notre pays compte 1000 chômeurs de plus. L’urgence de la situation appelle des propositions les plus opérationnelles possibles. Si c’est effectivement ce qui fait défaut à ce rapport, je crois nécessaire de poursuivre la réflexion en trouvant un moyen de prolonger notre travail sur les coûts de production et sur la compétitivité de notre économie. Je vais voir avec le Président de l’Assemblée nationale comment pourrait-on mettre en place un cadre propice à ce travail nécessairement collectif et afin qu’il soit en rapport avec la gravité des sujets qu’il nous revient d’analyser encore plus profondément.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Je dois dire que si aux yeux de certains membres de la mission le seul moyen d’améliorer la compétitivité de nos entreprises consiste à baisser les coûts, nous ne serons pas à la hauteur du défi qui est devant nous. C’est parce que les enjeux sont complexes que j’ai voulu faire un état des lieux le plus complet possible, une sorte de socle commun qui puisse nous rassembler. Je n’ai d’ailleurs pas mentionné le CICE car selon moi ce rapport ne doit pas être un catalogue des mesures prises par le Gouvernement pour améliorer la situation de notre économie. Je ne conteste pas par ailleurs le fait que les cotisations sociales représentent un poids important pour les entreprises. Ce sujet est abordé dans une des orientations proposées dans le rapport et il s’agit selon moi d’un sujet majeur.
Cela étant, il me semble que les questions de formation, initiale et professionnelle, sont essentielles. Il faut former des salariés par l’apprentissage et pas seulement les salariés les moins qualifiés. Là encore nous pouvons prendre exemple avec ce qui se passe en Allemagne où l’accès aux fonctions les plus élevées dans l’entreprise peut se faire via l’apprentissage. En ce qui concerne la formation professionnelle, il est clair que les milliards d’euros qui lui sont consacrés ne le sont pas de manière efficace, c’est pourquoi je plaide pour la construction d’un cadre de certification des actions de formation afin d’atteindre les publics les moins mobiles professionnellement. J’indique à cette occasion que je préfère parler de « mobilité protégée » plutôt que de « flexi-sécurité ».
En ce qui concerne les différentes industries, pour moi les industries d’avenir ne se résument pas aux industries du futur. Il est tout à fait possible de construire des filières industrielles d’avenir à partir des industries présentes, à condition toutefois de se tourner vers l’innovation, la qualité et l’internationalisation. Il me semble par exemple que l’industrie automobile peut constituer une industrie d’avenir, à condition de ne pas louper son internationalisation comme cela a été le cas pour PSA.
Je suis tout à fait d’accord avec l’idée de plusieurs intervenants de faire agir différents leviers et d’établir un ordre de priorité entre les propositions qui ne peuvent toutes, à l’évidence, être mises en œuvre dans le court terme. Je crois qu’avec les sujets de la réforme de la commande publique ou les délais de paiement nous sommes bien dans la problématique des coûts de production. Il en va de même pour les mesures de nature à faciliter le rebond des PME et éviter qu’elles soient phagocytées par leurs donneurs d’ordre.
Je pense également que la stabilité des règles est nécessaire et que l’évaluation est également fondamentale. La commission permanente pour l’innovation économique et la compétitivité constitue une structure qui pourra aider les parlementaires face à des choix ayant un impact économique. Je n’ai pas mentionné à cet égard le « test PME » qui existe d’ores et déjà.
Je peux évidemment comprendre que certains membres de la mission éprouvent une certaine déception mais j’ai tenté pour ma part de répondre aux préoccupations qui sont ressorties des auditions. Il n’est pas contestable que les délais d’examen du rapport n’ont pas permis à chacun de faire valoir ses propositions C’est pourquoi je vous propose de faire figurer dans le rapport les commentaires et autres propositions que vous souhaitez. Je conclus en vous indiquant que j’ai favorablement répondu du Syndicat des machines et technologies de production (SYMOP) qui souhaitait organiser à l’Assemblée nationale la remise de ses labels « Productivez ! ». Cette manifestation se tiendra le 10 avril prochain à 18h dans la salle Colbert, vous y êtes bien entendu conviés.
Au terme de ces échanges, la mission d’information a adopté le rapport et les propositions présentés par le rapporteur, autorisant ainsi leur publication. Les membres de la mission appartenant aux groupes UMP et UDI ont voté contre.
CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UMP
Les députés du groupe UMP ayant participé à cette mission ont souhaité apporter une contribution au rapport afin de préciser leur position.
Ils rappellent que les travaux de la mission se sont déroulés de manière sérieuse et sereine, voire cordiale, avec l’ensemble des députés membres de la mission, en particulier avec le Rapporteur.
Si les constats révélés lors des auditions sont partagés, les députés UMP ne sont pas en phase avec les propositions émises.
Le coût du travail horaire en France est le 2ème de la zone Euro (348). Il a depuis 12 ans augmenté plus vite que les gains de productivité. La compétitivité coût et la compétitivité hors coût ne font qu’un. En effet, le coût du travail en France a réduit pour la plupart des PME les marges, au point qu’elles survivent souvent difficilement, sans les moyens de développer la R&D, ni l’amélioration de gamme et les innovations. Autrement dit, les PME françaises offrent des produits trop chers par rapport à leur niveau de gamme et perdent des parts de marché, ce qui explique la baisse de nos exportations.
Les propositions, pour nombre d’entre elles, ne sont pas dans le champ de la mission, qui ciblait précisément les coûts de production, ou ne reflètent pas les suggestions émises lors des auditions. Agir sur les coûts de production doit permettre incontestablement de donner de l’oxygène aux entreprises dont les marges sont laminées par le poids des charges, de renforcer le marché du travail dont le cadre est trop rigide, et donc de garantir l’emploi. Tels sont les objectifs prioritaires et urgents qu’il convient de ne pas perdre de vue.
Certes, les vingt-cinq orientations dégagées sont, pour la plupart, sérieuses et s’inscrivent d’ailleurs souvent dans la continuité du rapport de Louis Gallois, « Pacte pour la compétitivité de l’économie française », remis le 5 novembre 2012 au Premier ministre, mais elles ne visent pas directement les coûts de production. Ainsi, si la baisse des dépenses contraintes des ménages (orientation n°2) est un objectif partagé par les députés UMP, car il est essentiel d’agir sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens, cette orientation est hors du champ d’application de la mission. De même, affirmer que l’Etat doit être stratège d’une politique industrielle innovante en dégageant une vision à long terme de l’industrie française (orientation n°7) ou anticipateur en matière d’aménagement (orientation n°10) n’apportent rien à la question précise des coûts de production. L’enjeu réel de la mission, sur lequel étaient d’accord les députés UMP, est donc perdu de vue. Pire, plusieurs de ces propositions se traduiraient par un surenchérissement des coûts directs ou indirects (augmentation des normes et durcissement réglementaire) alors que les entreprises et les économistes auditionnés sont unanimes pour recommander de les alléger.
Alors que la gravité de la situation économique et de l’emploi impose de prendre des mesures concrètes et significatives, les députés UMP regrettent que ces orientations soient trop générales et éloignées des recommandations des personnes auditionnées. Elles ne permettent pas d’apporter de solutions immédiates et rapides au redressement de notre économie.
Réduire les coûts de production en France, les plus élevés de la zone euro, pour impulser de l’énergie au sein de notre économie et du marché de l’emploi, c’est améliorer la situation des entreprises, c’est se donner les moyens d’une économie compétitive. Cette mission aurait pu être l’occasion de procéder, sans tabou et avec courage, à des propositions nouvelles comme sur le temps de travail, la situation du marché du travail des jeunes, la simplification des normes, la suppression des seuils sociaux, ou encore sur le juste niveau du financement de la protection sociale par les entreprises. Seul un constat dépassionné donnerait ainsi les moyens de créer le choc de compétitivité attendu depuis la restitution du rapport Gallois.
Il n’est pas ici question de refaire le travail de la mission, mais il nous a paru essentiel de préciser notre vision et de regretter que ce long et intéressant travail n’ait finalement pas permis de déboucher sur des propositions adaptées à l’urgence de la situation.
Il convient avec la volonté de dépasser les idéologies de poursuivre le travail afin que l’Assemblée nationale apporte sa contribution à la lutte indispensable contre le décrochage économique de la France.
CONTRIBUTION DES DÉPUTÉS DU GROUPE UDI
Depuis plusieurs années, nos entreprises françaises font face à de nombreuses difficultés dans un contexte de compétition internationale toujours plus accrue. Le constat de leur déficit de compétitivité semble faire consensus au-delà des clivages politiques traditionnels puisqu’il a conduit l’Assemblée nationale à créer une mission d’information sur les coûts de production.
La crise économique de 2008 n’a fait qu’accentuer les écarts de compétitivité de la France vis-à-vis de ses partenaires commerciaux. La mise en place de cette mission d’information et sa réussite semblaient donc primordiales pour réorienter les politiques économiques françaises et mieux cerner les attentes entreprises et des entrepreneurs français vis-à-vis de nos politiques publiques.
Nous partageons certaines propositions du rapporteur, notamment en ce qui concerne la promotion des cursus technologiques et d’apprentissage, insuffisamment valorisés en France alors même qu’ils offrent de réelles perspectives d’avenir et de professionnalisation pour les futurs actifs de demain ;la convergence des salaires européens, notamment dans le milieu agricole, comme le demande depuis plusieurs années le groupe centriste à travers le dépôts de nombreuses propositions de loi ; la mise en place d’une IGP (Indication Géographique Protégée) sur les produits manufacturés issus du savoir-faire français qui permettrait une véritable reconnaissance du patrimoine industriel français et la création d’un label qualité qui valorisera nos entreprises sur les marchés internationaux…
Cependant, le rapport de la mission d’information ne répond pas, selon nous, à toutes les problématiques évoquées pendant les différents cycles d’auditions par les intervenants des milieux professionnels et syndicaux.
Sur la question de la formation, nous appelons le Gouvernement, en lien avec les régions et les partenaires sociaux, à mettre en œuvre un véritable plan de formation qui constitue à nos yeux, l’axe fondamental pour relancer notre économie et permettre l’adaptation du marché du travail à la réalité de la situation de l’emploi : réforme de la gouvernance de la formation professionnelle, réorientation des moyens vers les personnes les plus éloignées de l’emploi et plan massif d’apprentissage à destination de nos jeunes nous semblent constituer un triptyque indispensable au succès de ce plan que nous appelons de nos vœux.
La sécurisation et la diversification des parcours professionnels constituent également des notions qu’il convient de valoriser compte-tenu des évolutions récentes des marchés de l’emploi. Le décloisonnement des branches professionnelles mais aussi, du secteur public et du secteur privé à travers la facilitation des passerelles entre deux mondes qui se connaissent peu, contribuerait à « dérigidifier » notre économie, et à apporter des perspectives professionnelles diverses, tant aux agents publics qu’aux salariés du privé.
Nous regrettons que le rapport n’aborde pas la question pourtant centrale du temps du travail hebdomadaire à travers une étude comparée des législations sociales de nos principaux partenaires et concurrents économiques. Il aurait pourtant été intéressant de s’appuyer sur les études de l’OCDE qui montrent clairement que la France est l’un des pays où le nombre d’heure travaillé par habitant en 2009 est l’un des plus faibles à l’échelle planétaire (616 heures travaillées par habitant, contre 684 en Allemagne, 768 au Royaume-Uni, 804 aux Etats-Unis et 850 au Japon). Elles montrent également que le temps de travail hebdomadaire a un impact évident sur la création de richesses de l’économie nationale.
Sur ce sujet, la mission aurait pu émettre des pistes de réflexion visant à conférer davantage de souplesse dans l’application du temps de travail, à l’issue d’un dialogue social approfondi et décliné branche par branche, entreprise par entreprise, afin de l’adapter en fonction des spécificités de chaque secteur d’activité,
Par ailleurs, le poids des charges qui pèse sur le travail doit impérativement être allégé, à l’heure où la France détient la 4ème place en Europe et la 2ème place dans la zone euro en termes de coût horaire du travail.
Nous continuons à considérer que le transfert des charges de la production vers la consommation constituait une condition nécessaire au dynamisme économique de notre pays. La taxation des produits en lieu et place de la taxation des outils de production, des charges sociales et donc des salaires, permettrait de toucher aussi bien les productions nationales que les importations étrangères. C’était tout l’esprit de la TVA compétitivité abrogée par le Gouvernement actuel.
En ce sens, les préconisations contenues dans le rapport de M. Louis GALLOIS nous offraient une opportunité quasi historique de tous nous retrouver sur cet impératif économique que représente la baisse des charges pesant sur le travail. Nous restons convaincus qu’une baisse immédiate de ces charges à hauteur de 30 milliards d’euros dès l’année 2013 aurait eu des effets déjà perceptibles sur la compétitivité de nos forces productives.
Nous déplorons donc que, malgré l’explosion du chômage et la situation critique de la compétitivité de la France, le Gouvernement ait préféré attendre 2014 pour aider, timidement, nos entreprises, à hauteur de 10 milliards d’euros, puis 5 milliards d’euros en 2015 et 2016, avec la mise en place du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), mécanisme peu compréhensible qui est loin du « choc de compétitivité » prôné par les chefs d’entreprises du pays.
Autre impératif essentiel à nos yeux, la question des normes qui entravent trop souvent le développement de nos entreprises et compromettent leur compétitivité. Il faut impérativement alléger la surrèglementation française afin de donner les moyens à nos entreprises de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens et internationaux. La simplification administrative dont également aller dans ce sens afin de faciliter l’installation des porteurs de projets qui souhaiteraient investir en France.
Enfin, la question de la compétitivité de nos entreprises ne peut s’aborder hors du cadre européen. Trop souvent présentée comme une menace, nous tenons à réaffirmer ici que l’Europe constitue une chance et une source d’innombrables d’opportunités pour le développement de nos entreprises nationales, Elle restera une chance si elle parvient à se départir de la naïveté dont elle fait trop souvent fait preuve dans ses échanges commerciaux avec le reste du monde.
Le rôle de la France est d’influer sur le destin des entreprises européennes, à travers la mise en place d’un véritable gouvernement économique de la zone euro, capable d’imposer la réciprocité et de justes accords de libre-échange dans le cadre d’un commerce international équitable.
Elle doit continuer d’œuvrer pour une harmonisation des politiques économiques, sociales, fiscales et environnementales qui permettront d’éviter les distorsions de concurrence entre Etat-membres.
Le défi de la compétitivité de nos entreprises constitue le principal défi qui nous est posé en ce début de 21ème siècle. Il ne pourra être relevé que si nos politiques publiques s’inscrivent dans une démarche pragmatique, exemptes de toute vision dogmatique de l’économie et perpétuellement à l’écoute de nos forces productives.
Efficacité économique au service de l’homme, telle a été l’approche privilégiée par l’UDI dans le cadre de cette mission d’information.
Faire le pari de l’industrie, de l’innovation et de la mobilisation
Orientation n° 1 : Pour un nouvel État stratège d’une politique industrielle innovante ● Dégager une vision à long terme de l’industrie française portée par une économie de la connaissance et qui privilégie, en concertation avec les industriels, des filières d’avenir, définies en fonction des avantages comparatifs de la France et des marchés porteurs. On peut citer par exemple : les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les matériaux et transports, les énergies renouvelables, la santé et les bio-sciences. ● Doter les comités stratégiques de filières de moyens d’expertise et renforcer leur gouvernance. ● Réformer le mode de financement actuel des centres techniques industriels (CTI) afin de le sécuriser et de simplifier, dans le but de conforter la compétitivité de l'industrie et l'innovation. |
Orientation n° 2 : Inclure l’innovation économique et la compétitivité à tous les moments de la décision au niveau national ● Créer une Commission pour l’innovation économique et la compétitivité (CIEC), de manière spécifique, permanente et à laquelle le Parlement sera associé, dans le cadre du futur Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Ses objectifs consisteront à : envisager les réponses à apporter pour une reconquête industrielle de la France dans le cadre de l’économie mondialisée, engager une analyse prospective des filières industrielles dans le cadre du nécessaire nouveau modèle de croissance, dégager les stratégies et le niveau d’intervention les plus pertinents pour l’action de l’État, développer les stratégies de colocalisation, analyser objectivement les phénomènes et les flux de délocalisation et de relocalisation, et coordonner les travaux du Conseil national de l’industrie. ● Permettre au Parlement de solliciter le CIEC pour engager à son initiative des études d’impact sur le développement économique concernant des dispositions législatives ou réglementaires, existantes ou à venir. |
Orientation n° 3 : Pour un État mobilisateur du développement économique et de l’emploi en France ● Favoriser la montée en gamme de notre industrie par l’innovation et la robotisation : engagement national massif en faveur de la filière robotique, installation de nouvelles machines ou de nouveaux automatismes dans les entreprises. ● Populariser le « Fabriqué en France » comme synonyme de qualité et envisager l’extension des Indications géographiques protégées (IGP) aux produits manufacturés. ● Faire mesurer aux entreprises le coût d’une possible délocalisation de leur production et les gains estimés d’une relocalisation (qualité, transport, logistique, réactivité). |
Orientation n° 4 : Pour un État de nouveau anticipateur en matière d’aménagement ● Mettre en place un plan logistique national avec des volets ferroviaire, portuaire et fluvial cohérents ; évaluer l’impact économique pour les territoires et les transporteurs de l’éco-taxe poids lourds. ● Favoriser des réseaux performants de transports collectifs de voyageurs pour le déplacement des salariés, le développement des activités de tourisme ainsi que des foires et salons, en lien avec les régions. ● Évaluer le plus en amont possible les conséquences pour les territoires de la diminution de la dépense publique et leurs possibilités de rebond. |
Recherche-Innovation
Orientation n° 5 : Recentrer l’action des pôles de compétitivité ● Fusionner certains pôles de compétitivité pour renforcer leur efficacité, simplifier leur gouvernance et mieux orienter leurs activités vers des retombées économiques accrues ; envisager des évolutions plus souples des périmètres géographiques des pôles. ● Transférer aux régions le pilotage des pôles dont le champ d’action n’est pas d’intérêt national. ● Conforter le développement économique des PME par les pôles existants et les activités de commercialisation, de design et de marketing. |
Orientation n° 6 : Pour une efficacité des aides fiscales à la R&D et au développement économique ● Sanctuariser le Crédit impôt recherche (CIR) jusqu’en 2017, tout en engageant son évaluation d’ici 2015 pour mesurer ses effets réels sur l’économie et envisager pour la suite un CIR renforcé en faveur des PME. ● Clarifier les instructions ministérielles définissant l’assiette éligible au CIR, afin de réduire difficultés d’interprétation de ses modalités. ● Évaluer au bout de deux ans le Crédit d’impôt à l’innovation (CII) créé par la loi de finances pour 2013, afin de préciser son articulation avec le CIR. ● Réorienter la fiscalité des entreprises pour favoriser l’investissement. |
Conforter le rôle économique des PME et les ETI
Orientation n° 7 : Engager les placements financiers au service de l’économie réelle ● Créer un PEA-PME au plafond attractif liant l’exonération fiscale à la durée longue de détention des titres, cela afin d’accroître leurs fonds propres. ● Conférer un avantage fiscal aux contrats des assurances vie en unités de compte, en portant de 8 à 12 ans la durée de détention minimale permettant l’exonération des contrats en euros. ● Mettre en place en 2013 une Bourse PME afin d’adapter à ce type d’entreprise les exigences demandées aux entreprises cotées. ● Permettre la représentation des PME au conseil d’administration de la Banque publique d’investissement afin que celle-ci leur soit particulièrement utile. |
Orientation n° 8 : Appuyer notre redressement industriel sur l’essor des PME et des ETI ● Adopter un small business act français afin de regrouper l’ensemble des mesures visant à stimuler l’activité des PME et tout particulièrement des PME de croissance, et notamment la valorisation de leurs produits auprès des grands groupes pour leur politique d’achats. ● Améliorer la législation sur les transmissions d’entreprises par des allègements fiscaux liés à la durée de conservation de l’entreprise transmise. ● S’engager spécifiquement pour le développement des ETI, en particulier en luttant contre le rachat d’entreprises par les donneurs d’ordre. |
Orientation n° 9 : Pour des relations interentreprises équitables ● Établir dans une loi-cadre les principes devant régir les relations interentreprises, afin de lutter contre des pratiques abusives encore observées notamment entre la grande distribution et ses fournisseurs, de simplifier le droit applicable et de mettre en place une instance spécifique de la médiation des relations inter-entreprises. ● Structurer en filières les entreprises d’un même secteur dans une logique gagnant/gagnant de long terme, notamment par des contrats de filières ainsi qu’un positionnement réciproque en termes de co-traitants pour les donneurs d’ordre et les sous-traitants. ● Réduire les délais de paiement effectifs par des sanctions administratives et des contrôles efficaces, et envisager la réduction des délais légaux, à raison d’un jour par an, voire engager le projet d’une dématérialisation totale des factures. |
Gouvernance et conduite des entreprises
Orientation n° 10 : Faire de notre diversité une force économique ● Valoriser comme facteurs accrus de compétitivité la diversité de la société française et les parcours non-conventionnels, les promouvoir dans les organes de direction des entreprises et la gestion des ressources humaines à tous les niveaux dans le but d’une meilleure approche des marchés, notamment à l’international. ● Renforcer la lutte contre toutes les discriminations à l’embauche et dans le déroulement de carrière par des procédures de ressources humaines évaluées de manière indépendante et obligatoirement décrites dans les réponses aux appels d'offres des marchés publics. |
Orientation n° 11 : Améliorer le dialogue social comme outil ● Assurer une gouvernance plus partenariale des entreprises et une meilleure représentativité des partenaires sociaux : conforter partout le rôle des représentants des salariés, favoriser la participation aux élections professionnelles, prendre en compte le secteur de l'économie sociale et solidaire dans la représentativité des organisations d'employeurs, informer en amont les salariés des choix stratégiques de l'entreprise. |
Pour des régulations utiles à notre économie
Orientation n° 12 : Pour des marchés publics les plus utiles possible ● Soutenir fortement une évolution la directive européenne 2004/18/CE afin de pouvoir tenir compte de normes sociales et environnementales au niveau communautaire, et notamment du cycle de vie du produit. ● Modifier l'article 53 du code des marchés publics afin de prendre en compte les performances des offres en matière de protection de l'environnement sur la base de leur empreinte carbone et engager les pouvoirs adjudicateurs à définir l’objet de leurs marchés publics en liaison explicite avec leur impact environnemental. ● Obtenir que les institutions publiques fassent évoluer la pondération des critères de leur décision finale en rehaussant celui visant à l'insertion professionnelle des personnes en difficulté ; évaluer systématiquement la possibilité d'inscrire les efforts en recherche et développement dans les autres critères justifiés par l'objet du marché. ● Publier un guide des bonnes pratiques en matière de marchés publics, indiquant aux pouvoirs adjudicateurs comment faire jouer des conditions équitables pour les offres de nos entreprises, dans le cadre du principe de concurrence. ● Déployer une plateforme unique de dépôt des pièces administratives liées aux candidatures afin d’alléger les formalités des PME, cela pour une durée restant à déterminer, en laissant aux pouvoirs adjudicateurs la charge de retirer ces documents ad-hoc, et porter, en cours d’exécution du marché, la périodicité de fourniture de ces pièces de 6 mois à 1 an. ● Évaluer le dispositif en faveur des PME innovantes mis en place dans la LME et engager rapidement l'orientation des achats de l’État vers les entreprises innovantes de croissance. |
Orientation n° 13 : Défendre nos positions dans l’établissement des règles économiques ● Promouvoir un réflexe AFNOR dans les PME et les PMI en les sensibilisant aux gains de temps et de sûreté liés à la connaissance des normes existantes et à la nécessité de s’inscrire le plus tôt possible dans une démarche de normalisation de leurs produits. ● Rompre avec la sur-transposition du droit communautaire par la mise en pratique d’une méthode de transposition « sèche » des directives européennes. |
Salaires et emploi
Orientation n° 14 : Faire converger les salaires et les droits en Europe
● Renforcer l’application du droit de l’État membre où les travailleurs détachés effectuent leur prestation.
● Instaurer un plancher européen pour les salaires minimum nationaux dits « de récolte » en vigueur pour les contrats courts applicables aux activités agricoles et de transformation agroalimentaires. Favoriser un règlement européen sur les conditions d’hébergement des salariés agricoles temporaires sur les exploitations pour interdire les hébergements indignes.
● Encourager l’instauration d’un salaire minimum interprofessionnel en Allemagne, étape indispensable pour une convergence européenne progressive ultérieure.
Orientation n° 15 : Baisser les dépenses contraintes des ménages
● Relancer durablement la construction massive de logements socialement accessibles au plus grand nombre et la rénovation du parc existant afin de réduire la part trop lourde des dépenses contraintes dans le budget des ménages qui handicape notre compétitivité.
● Mobiliser l’ensemble du foncier disponible dans les zones tendues, public comme privé, en facilitant aussi, quand cela est nécessaire, l’immobilier d’entreprise.
Orientation n° 16 : Encourager le travail qualifié et les savoir-faire
● Valoriser les compétences des jeunes et les savoir-faire des seniors afin d’augmenter notre compétitivité globale.
● Envisager une modification du seuil du CICE en déclarant éligibles, sous une forme à définir, les salaires compris entre 2,5 et 3,5 SMIC, ces niveaux de salaires correspondant à des emplois facteurs de compétitivité.
Orientation n° 17 : Clarifier les ressources de la protection sociale
● Différencier ce qui relève de l’assurance mutualisée d’un côté et de la solidarité nationale de l’autre, et donc ce qui se finance par des cotisations pour la première et par l’impôt pour la seconde, préalable à toute évolution de la structuration des financements.
Formation initiale et continue
Orientation n° 18 : Encourager les formations initiales technologiques et scientifiques ● Encourager l’inscription des bacheliers dans les cursus scientifiques et technologiques, courts et longs, par des campagnes d’information et de sensibilisation positives sur le savoir-faire français, les métiers d’avenir et nos filières dynamiques ; associer les entreprises au positionnement des filières technologiques et professionnelles. ● Renforcer l’accompagnement des candidats à l’apprentissage par des structures de suivi locales et des incitations fermes pour développer des entreprises d’accueil. |
Orientation n° 19 : Réorienter la formation professionnelle et adapter
les actions pour l’emploi
● Rendre effectif le droit à la formation professionnelle des salariés les moins qualifiés et articuler l’offre de formation avec les missions de Pôle emploi dont les effectifs devraient être renforcés en conséquence.
● Construire un cadre de certification des actions de formation, établir une programmation afin de réactualiser leurs contenus et de définir des modalités objectives d’évaluation.
● Dans le cadre d’une nouvelle étape de la décentralisation, conforter l’échelon régional comme cadre privilégié des actions dans le domaine de l’emploi et de la formation professionnelle, y compris pour les aides et cofinancements européens.
● Favoriser une structuration au niveau adéquat des directions de Pôle Emploi en rapport avec les échelons efficaces de l’action économique (Conseils régionaux / EPCI), ce qui incitera à de meilleurs partenariats.
Pour une Union européenne forte et industrielle
Orientation n° 20 : Construire une réelle politique industrielle communautaire ● Définir les enjeux industriels qui revêtent une importance stratégique financés notamment par un grand emprunt et par la BEI ; lancer de grands projets européens d’innovation industrielle. ● Permettre l’émergence de champions communautaires susceptibles de rivaliser avec leurs concurrents internationaux, en assouplissant si besoin les règles internes de la concurrence. ● Rendre moins contraignant l’encadrement des aides d’État en cas de crise exceptionnelle nécessitant des mesures temporaires de soutien ou des mesures de modernisation ; de manière générale, faire que les règles de concurrence favorisent surtout le développement de l’industrie européenne. ● Revoir la politique de l’euro cher dénuée d’objectifs de croissance et d’emploi. ● Lutter contre les dérives de l’optimisation fiscale des grands groupes à l’intérieur des frontières de l’Europe. |
Orientation n° 21 : Pour un juste échange de progrès économique, social et environnemental ● Mettre en place des standards minimums sanitaires, écologiques et sociaux, reporter sur le produit importé la charge de la preuve de leur respect et taxer les produits importés qui y contreviennent. ● Exiger la réciprocité et le respect de la propriété intellectuelle lors de la conclusion d’accords bilatéraux de libre-échange ; contrôler les investissements étrangers dans les secteurs considérés comme stratégiques. ● Obtenir une forte réactivité de la Commission européenne pour prendre des mesures de protection, en cas de dumping, relatif ou non à un accord de libre-échange. ● Évaluer régulièrement chaque accord de libre-échange en regard de la situation des barrières non-tarifaires et du degré d’ouverture des marchés publics du pays tiers, avec des sanctions prévues pouvant aller jusqu’à la suspension de l’accord. ● Procéder, pour tout accord commercial futur, à une étude d'impact sur ses conséquences pour l’emploi en Europe. |
Renouveler notre approche du commerce international
Orientation n° 22 : Parier sur la colocalisation pour mener une nouvelle stratégie de croissance réciproque avec le continent africain ● Diversifier nos débouchés et conforter l’assise exportatrice de nos entreprises par une stratégie gagnant/gagnant d’implantation sur les marchés africains et méditerranéens, à la croissance soutenue, en s’appuyant notamment sur un nouveau rôle économique majeur pour la francophonie. ● Engager des partenariats scientifiques et industriels euro-méditerranéens dans des filières potentiellement riches en emplois. ● Faire de la France un lieu d'accueil des talents étrangers, notamment dans notre système universitaire (programme Erasmus dans l'espace de la francophonie). |
Orientation n° 23 : Mieux organiser nos entreprises pour répondre aux besoins les plus porteurs du commerce international ● Stimuler le portage des PME et ETI par les grands groupes, afin d’encourager l’internationalisation de celles-ci. ● Encourager les entreprises exportatrices par des écosystèmes au niveau des régions françaises, une structuration de l’offre commerciale priorisant certains pays et une personnalisation des soutiens dans la durée et par une diplomatie économique volontaire. ● Adapter les chiffres des échanges commerciaux bilatéraux à la fragmentation de la chaîne de production afin de disposer d’une mesure plus précise du processus de création de la valeur ajoutée. |
Un nouveau modèle choisi de croissance sobre
Orientation n° 24 : Pour une nouvelle économie verte et en réseau ● Faire de la transition écologique une source de rebond économique : généralisation en France de l’écoconception, de l’écologie industrielle de l’économie de la fonctionnalité et des actions de recyclage dans des stratégies de territoires affirmées. ● Engager un nouveau modèle de croissance européen, porté par la France et l’Allemagne, qui met en avant les énergies renouvelables et le numérique, dans le cadre de programmes européens de recherche et d’innovation des industries vertes. ● Internaliser les coûts environnementaux dans le prix des produits. |
Orientation ° 25 : Viser l'excellence énergétique environnementale ● Optimiser l’efficacité énergétique des réseaux existants en utilisant les technologies informatiques pour améliorer la maîtrise de la production, de la distribution et de la consommation (smart grids (349)). ● Dans le cadre d’une révision souhaitable de la législation sur l’énergie et la transition énergétique, accorder aux industries électro-intensives des conditions contractuelles d’approvisionnement et de tarif au moins équivalentes à celles consenties aux activités comparables dans les pays de l’Union européenne et notamment en Allemagne. ● Accroître l'interconnexion européenne pour améliorer la part des énergies renouvelables dans les réseaux, conformément aux engagements de l’Union européenne à l’horizon 2020 (réduire de 20 % les émissions de gaz à effets de serre et incorporer au moins 20 % de sources d’énergie renouvelable à la consommation finale). ● Dans le cadre de la réglementation actuelle, permettre des recherches sur de possibles techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour les hydrocarbures non conventionnels, sans attendre un nouvel eldorado énergétique qui nous exonérerait de la nécessaire transition écologique. |
Annexe n° 1
Niveau et évolution du coût de l’heure de travail
(En euros)
Dans l’ensemble de l’industrie et des services marchands | ||||||
2000 |
2004 |
2008 |
2e trim. 2012 |
2e trim. 2012 |
2e trim. 2012 | |
Zone Euro (1) |
20,8 |
24,4 |
26,1 |
28,2 |
35,7 |
0,8 |
Allemagne |
26,3 |
27,8 |
29,3 |
31,4 |
19,2 |
0,8 |
Espagne |
14,2 |
16,3 |
18,9 |
20,8 |
46,0 |
0,8 |
France |
24,4 |
28,7 |
32,2 |
35,1 |
43,7 |
1,5 |
Italie |
19,0 |
22,8 |
24,9 |
27,3 |
43,9 |
0,8 |
Pays-Bas |
23,0 |
27,2 |
29,2 |
31,0 |
34,8 |
0,1 |
Dans l’industrie manufacturière | ||||||
Zone Euro (1) |
21,9 |
25,6 |
27,7 |
30,3 |
38,3 |
2,1 |
Allemagne |
28,5 |
30,8 |
33,4 |
36,2 |
27,2 |
2,1 |
Espagne |
15,1 |
17,4 |
20,3 |
22,4 |
48,3 |
2,9 |
France |
24,0 |
29,3 |
33,2 |
36,8 |
53,4 |
2,2 |
Italie |
18,3 |
22,2 |
24,0 |
27,2 |
48,7 |
2,5 |
Pays-Bas |
24,1 |
28,1 |
30,3 |
32,5 |
34,8 |
1,5 |
(1) Zone euro à 11 en 2000, à 13 en 2004 et à 17 depuis 2008.
Source : Eurostat, enquêtes ECMOSS prolongées depuis 2008 par les indices trimestriels de coût de l’heure de travail.
Tableau publié par COE Rexecode dans « Document de travail » N° 38 (novembre 2012).
Annexe n° 2
Annexe n° 3
Annexe n° 4
Annexe n° 5
Annexe n° 6
Évolution du coût salarial unitaire dans quelques pays européens
Annexe n° 7
Annexe n° 8
La divergence entre coût salarial et salaire
Annexe n° 9
La part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée
Annexe n° 10
Part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée
Annexe n° 11
Coût horaire du travail au niveau du salaire minimum 2010
Source : OCDE
Annexe n° 12
Annexe n° 13
Salaires minima
Annexe n° 14
Proportion des personnes employées à plein temps
recevant le salaire minimum