______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 octobre 2013
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 14 novembre 2012,
Lutte contre les paradis fiscaux :
si l’on passait des paroles aux actes
ET PRÉSENTÉ
PAR MM. Alain BOCQUET et Nicolas DUPONT-AIGNAN
Rapporteurs
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 15
PREMIÈRE PARTIE : UN OUTIL DE FRAUDE ET D’ÉVASION FISCALES COMME DE CRIMINALITÉ FINANCIÈRE 23
I. LES PARADIS FISCAUX AUJOURD’HUI 23
A. DES ETATS ET TERRITOIRES ASSEZ BIEN IDENTIFIÉS 23
1. Une prépondérance de petits Etats ou territoires de nature parasitaire sans activité économique réelle et prédateurs de la richesse des autres 23
a. Un tableau général largement connu 23
b. Un secteur bancaire et financier hypertrophié 24
2. Une boîte à outils commune 26
3. A chaque territoire, sa spécialité 28
a. Comptes bancaires, négoce et port franc : le rôle majeur de la Suisse, notamment de Genève, vis-à-vis de la France 28
b. La montée en puissance des places asiatiques 30
c. Le rôle de tête de réseau des très grandes places financières : l’exemple de la City de Londres 30
B. PARTICULIERS, ENTREPRISES, MAFIAS : CHACUN Y TROUVE SON COMPTE 32
1. Les particuliers : des dynasties aux anonymes 32
a. Une certaine protection des grandes fortunes en situation de fraude fiscale, en dépit de la signature d’accords d’échange d’informations sur demande depuis 2009 32
b. Les « happy few » d’OffshoreLeaks 34
2. La captation des profits des entreprises 34
a. Les manipulations de prix de transfert sur les biens, notamment pour le pillage des ressources naturelles et produits de base des pays en développement 35
b. Les abus de la sous-capitalisation des filiales pour justifier le versement d’intérêts dans les pays sans impôt 36
c. La localisation des droits de propriété intellectuelle et des redevances dans des pays qui ne peuvent manifestement pas en être à l’origine, et la manipulation des prix de transfert sur les services et l’immatériel 36
d. Le détournement des conventions fiscales et des directives européennes mère/filiale et intérêts/redevances pour en faire des instruments de non-imposition, et non plus d’élimination des doubles impositions 37
e. La forme la plus achevée de cette planification : la reconfiguration des entreprises ou business restructuring selon une pratique qui relève du dépeçage fiscal 38
f. Un exemple d’entreprise idéale du « business model » dominant : la vente à distance à partir du Luxembourg 40
3. Une spécialité des grandes multinationales récentes, notamment du numérique, qui s’exonèrent de l’impôt sur les sociétés : les risques d’un modèle APPLE/GOOGLE ou AMAZON/STARBUCK 42
a. Un problème général qui soulève partout l’opprobre, y compris aux Etats-Unis et au Royaume-Uni 42
b. Des circuits complexes de circulation des profits pour les localiser là où ils ne sont pas taxés ou bien sont très faiblement taxés en laissant les charges dans les Etats normaux 42
c. Le chiffrage par la Fédération française des télécoms du préjudice de la France au titre de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft : 800 millions d’euros de pertes de recettes pour le budget 44
d. La vulnérabilité des règles actuelles face au numérique 45
4. Les carrousels de TVA : de la fraude au pillage de l'Etat 46
a. Le fonctionnement 46
b. L’exemple du carrousel sur les crédits carbone : entre 1,5 et 1,8 milliard d’euros perdus en quelques mois pour la France 46
c. Un vol fiscal 48
d. Une contamination potentielle de plusieurs secteurs économiques 49
e. Une perte globale aussi considérable qu’effrayante pour la France, et totalement sous-estimée par le ministère des Finances 49
f. Les abus connexes du régime douanier 42 50
5. La présence de la grande criminalité internationale, jusqu’aux dictateurs 51
a. Terrorisme, piraterie et grands trafics internationaux 51
b. Le pillage du tiers monde, notamment de l’Afrique, et l’argent des dictateurs et autres « personnes politiquement exposées » 53
II. DE FATALES CONSÉQUENCES : UN DANGER POUR LES ETATS 55
A. DES MONTANTS GLOBAUX PAR DÉFINITION INCERTAINS, MAIS DONT L’ORDRE DE GRANDEUR, IMPRESSIONNANT, EST BIEN APPRÉHENDÉ 55
B. UNE MENACE INTOLÉRABLE POUR LA PÉRENNITÉ DES ETATS 57
1. Le risque budgétaire : des Etats et des régimes sociaux qui ne peuvent plus se financer, et un impôt qui n’est plus accepté 57
a. Des pertes de recettes sensibles et couplées à la perte de légitimité de l’impôt 57
i. Des ordres de grandeur significatifs 57
ii. Une menace pour la légitimité de l’impôt 57
b. Des gouvernements sous pression en raison de la menace permanente de la délocalisation fiscale : la course à la baisse de l’impôt sur les sociétés en Europe 58
c. Une disparité du niveau de l’impôt entre les grandes et les petites entreprises qui introduit des distorsions de concurrence 59
2. Le risque économique : des flux financiers et commerciaux et internationaux faussés qui biaisent le pilotage économique 61
a. Des flux d’investissements directs étrangers entrants et sortants démesurés par rapport à la taille de certaines économies 61
b. Des balances commerciales faussées – Jersey, premier exportateur mondial de bananes – et, pour la France, une surcharge certaine du déficit commercial 62
c. Des aberrations statistiques patentes 63
3. Le risque pour l’ordre public : une grande criminalité qui se pense hors d’atteinte 64
4. Un risque de contamination des marchés publics, et de corruption, en France 65
III. FACE À CELA, L’IMPUISSANCE PUBLIQUE 66
A. AU NIVEAU MONDIAL 66
1. Une coopération internationale qui avance surtout « sur le papier » 66
a. Les années 1990 : la lutte contre le blanchiment et la politique des listes 66
i. La lutte contre le blanchiment de capitaux avec la création du GAFI dès 1989, la première directive anti-blanchiment au niveau européen, et l’introduction du principe de la connaissance du client 66
ii. L’approche fiscale au sein de l’OCDE ainsi qu’au sein de la Communauté européenne par le biais des pratiques fiscales dommageables 67
iii. Une première étape vers la fiscalisation des revenus de l’épargne non résidente : la directive « épargne » de 2003 sur la fiscalité des revenus de l’épargne sous forme d’intérêts ; le programme Qualified Intermediary aux Etats-Unis 68
iv. La lutte contre la corruption et les progrès de la coopération pénale internationale, les efforts en matière de création de l’Espace européen de liberté, de sécurité et de Justice 68
v. L’approche prudentielle et la liste du Forum puis du Conseil de stabilité financière 69
b. La pause au cœur des années 2000 : des listes qui se vident, mais quelques actions aussi discrètes qu’essentielles grâce à l’OCDE 70
i. L’amenuisement du nombre des pays menacés d’une mise à l’index 70
ii. Une initiative cependant discrète mais extrêmement efficace pour la suite au sein de l’OCDE : l’établissement d’une convention fiscale normalisée permettant l’échange de renseignements sur demande et l’adoption du principe de l’évaluation par les pairs en matière de coopération fiscale 70
c. La relance de la lutte internationale contre les paradis fiscaux à partir de 2009 : un sujet inscrit en permanence à l’Agenda du G 20 et du G 8 71
i. Les facteurs de déclenchement : les affaires LGT, UBS et HSBC, ainsi que la crise financière 71
ii. Des initiatives dès 2009 72
iii. De nouvelles listes de paradis fiscaux fondées sur un critère de transparence : l’application effective de l’échange d’informations sur demande 72
iv. Les résultats plus lents ou moins médiatisés en matière de lutte contre le blanchiment : la révision des recommandations du GAFI et l’inclusion de fraude fiscale dans la liste des infractions primaires ; la troisième directive européenne sur la lutte contre le blanchiment 74
v. Une amélioration moins significative sur le plan prudentiel au niveau international, compensée en Europe par le travail de l’Union européenne sous l’impulsion du Commissaire au marché intérieur et aux services financiers, M. Michel Barnier 75
vi. Le G20 de Séoul et le plan d’action global contre la corruption 76
2. Mais les intermédiaires devancent les mesures 76
a. Les banques et les professionnels du droit et du chiffre au cœur des paradis fiscaux 76
i. Des établissements autonomes en Suisse, mais la prédominance de filiales des grandes banques européennes et américaines dans les petits territoires 76
ii. La place particulière de l’activité, très rentable, de la gestion de fortune ou gestion privée 78
iii. L’optimisation fiscale des banques pour et par elles-mêmes 79
iv. Les grands cabinets juridiques et comptables, également présents 79
v. Des implantations justifiées par des motifs peu convaincants de neutralité et de technicité 81
b. Une capacité d’adaptation toujours soupçonnée et textuellement confirmée pour les banques par le témoignage de M. Hervé Falciani 81
i. Une organisation copiée sur celle d’un Etat en guerre : culture du secret, système de surveillance et lanceurs d’alerte, fragmentation 81
ii. Une anticipation permanente des failles des dispositifs anti-fraude ou anti-abus en préparation de manière à pouvoir toujours en contourner l’application 83
iii. Une répartition des rôles en fonction des pays : la gestion éclatée 84
iv. Une restructuration du traitement de la clientèle en fonction du changement de climat international avec un recentrage des activités de gestion privée sur les seules très grandes fortunes 84
v. Une capacité à se renforcer dans l’adversité qui ne doit pas être sous-estimée 84
3. Le niveau de coopération est variable selon les Etats et les territoires 85
a. Une coopération fiscale encore empreinte de retenue 85
i. Le cas de la Suisse en matière fiscale : l’interprétation de la clause d’échange d’informations sur demande conclue avec la France 85
ii. La question de la disponibilité des informations pour l’Etat requis 87
iii. L’information du contribuable mis en cause et la complexité des voies de recours qui lui sont offertes 88
iv. Une opacité maintenue des structures écrans, trusts, sociétés offshore faute d’information centralisée de type registre du commerce et des sociétés 89
v. Le fiasco de l’application des conventions fiscales d’échange d’informations sur demande, notamment de la part de la Suisse mais aussi du Luxembourg 89
b. Une coopération pénale qui va du pire au meilleur 91
i. Une réelle coopération en Europe, y compris avec la Suisse 91
ii. Des difficultés récurrentes avec certains pays tiers 92
iii. Une articulation fiscal/pénal qui offre encore des possibilités de fraude lorsqu’elle est bien maîtrisée 92
B. AU NIVEAU EUROPÉEN 92
1. Un secret bancaire largement préservé en Autriche et au Luxembourg, même dans le cadre de la directive de 2003 sur la taxation des revenus de l’épargne en Europe : deux paradis fiscaux au cœur de l’Europe 94
2. Les Etats « tunnels » vers les paradis fiscaux extérieurs à l’Union européenne : les exemples de l’Irlande ainsi que des Pays-Bas et les abus du « double irlandais » et « sandwich néerlandais » par Google et bien d’autres sociétés 96
C. AU NIVEAU NATIONAL 97
1. Des affaires qui mettent en exergue la naïveté de l’Etat face à la finance et à la fraude fiscale 98
a. L’affaire LGT dite aussi Liechtenstein II à la suite de l’achat de données par les services secrets allemands 98
b. L’affaire UBS mise au jour assez tôt aux Etats-Unis, et plus tard en France 100
c. L’affaire Falciani ou l’affaire HSBC 101
d. La lenteur des poursuites fiscales contre les grandes fraudes des plus fortunés grâce aux trusts, sociétés écran et secret bancaire : l’exemple de l’affaire Wildenstein 106
2. Une organisation inadaptée et des moyens insuffisants face aux défis de la délinquance et de la criminalité fiscales et financières 107
a. La faiblesse persistante des moyens 107
b. Une approche trop cloisonnée et donc inadaptée : le cas emblématique de la très faible pénalisation des infractions fiscales 108
i. L’origine du problème : le filtre de la commission des infractions fiscales et le monopole du ministre pour porter plainte 108
ii. La faiblesse du nombre des plaintes et des peines 110
iii. Un cercle vicieux à rompre 112
3. Une lenteur préjudiciable dans la lutte contre la nouvelle criminalité : la lutte contre les carrousels de TVA 113
a. Des redressements tardifs, et donc des recouvrements très faibles 113
b. Des cloisonnements incompréhensibles dans l’accès à l’information : l’exemple du service national de la douane judiciaire 113
DEUXIÈME PARTIE : UNE ERADICATION À PORTÉE DE MAIN DÈS LORS QUE LA VOLONTÉ POLITIQUE EST AFFIRMÉE SANS RÉSERVE AUX TROIS NIVEAUX D’ACTION : L’INTERNATIONAL, L’EUROPÉEN ET LE NATIONAL 115
I. AU NIVEAU INTERNATIONAL 115
A. LA NOUVELLE NORME DE TRANSPARENCE FISCALE QUI S’IMPOSE AU NIVEAU INTERNATIONAL 116
1. Un impératif : Mettre en place et généraliser l’échange automatique d’informations grâce à l’effet d’entraînement du dispositif américain FATCA 116
a. La réponse aux insuffisances de l’échange d’informations sur demande 116
b. FATCA : une obligation de déclaration de leurs clients américains par toutes les banques dans le monde à partir de 2014 116
c. Les initiatives du Royaume-Uni : la perspective d’un UK FATCA avec les dépendances de la Couronne, partagé avec les autres pays du G 5 : l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne 117
d. La Suisse doit renoncer à étendre les accords Rubik et accepter FATCA : un ralliement significatif sur le principe 118
e. Le résultat des négociations pour l’application de FATCA par la France : un enjeu politique sur la réciprocité des informations communiquées par les Etats-Unis 118
2. Les résultats du G 8 de Lough Erne en juin 2013 et le G 20 de Saint-Pétersbourg en septembre : une règle incontestée sur le plan mondial et des perspectives de mise en application assez rapide 119
a. La décision de principe 119
b. Un calendrier précis d’ici 2015 120
3. Cinq enjeux d’une véritable réussite du passage à l’échange automatique d’informations pour tous les pays et territoires, y compris les actuels paradis fiscaux 121
a. Maintenir la fiabilité et la sincérité des évaluations par les pairs : le cas exemplaire du refus du Forum mondial d’admettre la Suisse en phase 2 de l’évaluation 121
b. Etablir à bref délai l’instrument efficace de mise en œuvre du risque de réputation : une notation de chaque pays et territoire, et une liste internationale unique, au lieu des trois listes actuelles de l’OCDE, du GAFI et du Conseil de stabilité financière 122
c. Imposer, grâce à des registres centralisés, la transparence sur les bénéficiaires effectifs des structures interposées en particulier pour toutes les formes de trust, et pour les fiducies, fondations, sociétés, contrats d’assurance vie, ainsi que les dépôts et autres fonds fiduciaires 126
d. Veiller à ce que les professionnels soient obligés de savoir et de transmettre 128
e. Promouvoir également, à terme, le fichier centralisé des comptes bancaires type FICOBA dans les normes de transparence internationale 128
B. EFFECTUER LA MISE À JOUR DES NOTIONS DE BASE DE L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS POUR METTRE FIN AU DÉTOURNEMENT DES BÉNÉFICES ET BASES FISCALES VERS LES PAYS ET TERRITOIRES SANS SUBSTANCE ÉCONOMIQUE 129
1. Retenir de nouvelles règles adaptées à l’ère numérique 129
a. La décision de principe du G 8 de Lough Erne 129
b. Le plan d’action présenté par l’OCDE le 19 juillet : 15 actions à la disposition des Etats membres, parmi lesquelles la perspective d’une nouvelle définition de l’établissement stable adaptée à l’ère numérique 129
c. La déclaration du G 20 de Saint-Pétersbourg les 5 et 6 septembre 131
2. Eliminer de manière coordonnée les dispositifs hybrides 131
3. Engager les démarches pour exercer un contrôle international des Etats sur le Bureau international des normes comptables 132
II. AU NIVEAU EUROPÉEN 133
A. ASSURER À PARTIR DE 2015 LE PASSAGE À L’ÉCHANGE AUTOMATIQUE D’INFORMATIONS SUR LE REVENU DES PERSONNES PHYSIQUES, Y COMPRIS POUR LE LUXEMBOURG ET L’AUTRICHE 133
1. Tirer parti d’une mécanique juridique inéluctable 133
a. La convergence de trois mécanismes : la fin de la période transitoire de la directive épargne, la directive de 2012 sur la coopération et la pression de FATCA 133
b. Le ralliement, progressif, même si jamais fermement confirmé, du Luxembourg et de l’Autriche 136
c. La perspective d’un échange d’informations au 1er janvier 2015 137
2. La faculté de faire valoir cette cohérence sur le plan international pour promouvoir cette même transparence 137
a. Continuer à affirmer la volonté politique de transparence au sein des Conseils Ecofin et des Conseils européens comme du G 7, G 8 et du G 20 137
b. Utiliser si nécessaire les négociations commerciales comme levier de la transparence fiscale avec les Etats places financières, voire avec les Etats Unis 138
c. L’intérêt politique d’une liste européenne commune des paradis fiscaux 138
B. HARMONISER EN TOUT ETAT DE CAUSE L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS AVEC UN TAUX MINIMUM AU NIVEAU EUROPÉEN 139
1. Un impôt plancher sur les sociétés avec les pays volontaires 139
a. Un impératif : faire cesser le dumping fiscal 139
b. Un constat que ne parvient toujours pas à faire partager la Commission européenne : déclarer contraires aux règles de la concurrence les avantages octroyés par les rulings des Pays-Bas, de l’Irlande et du Luxembourg 139
c. La nécessité d’un taux minimum et d’une base aussi harmonisée que possible 140
2. Un aménagement à prévoir, en tout état de cause, aux directives mère/filiale et intérêts/redevances : n’appliquer l’exemption de la retenue à la source que dans le cas où les sommes sont effectivement imposées dans l’autre Etat membre 141
3. Bien confirmer le principe de transparence des activités non seulement des banques et établissements financiers, mais de toutes les entreprises, y compris celles qui ne sont pas cotées, pays par pays 142
C. COMPLETER L’ARSENAL PÉNAL EUROPÉEN DES DISPOSITIFS ANTI-BLANCHIMENT 143
1. Un texte nécessaire pour faire face à l’évolution des menaces 143
2. Des dispositions de transparence essentielles soutenues par l’Allemagne et la France 143
a. Les innovations 144
b. Deux dispositions essentielles pour l’accès à l’information, dans la lutte contre les paradis fiscaux. 145
III. AU NIVEAU NATIONAL 146
A. BÂTIR UNE STRATÉGIE NATIONALE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ASSOCIANT LE GOUVERNEMENT, LE PARLEMENT ET LE PEUPLE 146
1. Une intégration explicite de la fraude fiscale dans les infractions primaires pouvant donner lieu à blanchiment et un lien essentiel avec la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations. 146
a. Une intégration explicite de la fraude fiscale dans les infractions primaires pouvant donner lieu à blanchiment 146
b. Un lien essentiel avec la mise en œuvre de l’échange automatique de données fiscales d’origine bancaire, qui impose une adoption rapide 147
2. Un Etat-major de pilotage : créer auprès du Premier ministre, un comité interministériel associant les principaux ministres 147
a. Une structure indispensable 147
b. Des réunions régulières 148
3. L’exigence d’une approche intégrée de la nouvelle délinquance économique et financière 148
4. Une association du Parlement 149
a. Transmettre au Parlement et publier des statistiques plus détaillées du contrôle fiscal faisant notamment apparaître les résultats de la lutte contre la fraude internationale 149
b. Créer un Observatoire parlementaire 150
5. Des bénéfices directs pour la population : le financement de la transition énergétique et de l’équipement du territoire pour le numérique 151
B. DES MOYENS, MÉTHODES ET PROCÉDURES REMIS À LA HAUTEUR DES ENJEUX 153
1. Un préalable : une liste interne crédible des paradis fiscaux 153
a. Actualiser la liste fiscale, actuellement trop modeste, des Etats et territoires non coopératifs au regard de l’application de l’échange automatique d’informations 153
b. Des mesures connexes à ne pas négliger : l’exemple de la liste des Etats et territoires interdits pour certaines opérations d’aide au développement 154
2. Faire systématiquement une analyse de risque pour les mesures nouvelles 154
a. Une démarche indispensable 154
b. L’exemple d’un secteur à haut risque en plein développement : la monnaie électronique 155
3. Donner aux administrations financières et à la justice financière les moyens d’être aussi réactives que les professionnels et les banques 157
a. Avoir une meilleure connaissance des montages à caractère fiscal grâce à une obligation de déclaration des montages et à la solidarité entre le conseil et le payeur en cas de redressement fiscal sur un élément qui n’a pas été préalablement déclaré à l’administration fiscale 157
b. Donner aux services de contrôle et à la justice financière des moyens à la hauteur des enjeux en les retirant du champ des règles de réduction ou de maîtrise des effectifs et des budgets publics 158
c. Faciliter, au-delà du rattrapage actuellement en cours, l’accès aux fichiers des autres administrations pour tous les services de recherche et de contrôle 159
d. Décloisonner le fiscal et le pénal en supprimant l’accord préalable de la commission des infractions fiscales (CIF) et le monopole du ministre pour les poursuites pénales en cas de fraude fiscale 160
i. La portée limitée des nouvelles mesures d’amélioration de la coopération entre la justice et l’administration fiscale 160
ii. Une suppression objectivement justifiée par l’insuffisance des poursuites pénales actuellement autorisées par la CIF et engagées par le ministre dans le cadre de son monopole 160
e. Enrichir l’expérience professionnelle des magistrats en rendant obligatoire leur mobilité interrégionale au moins une fois dans leur carrière 162
4. Elargir au maximum les possibilités de recours au renseignement et à la preuve d’origine illicite, pour ceux venant de sources étrangères 163
a. Admettre sans restriction les renseignements d’origine illégale, en s’appuyant sur l’exemple de l’Allemagne et l’utilisation des fichiers achetés par les services secrets 163
b. Rétablir la rémunération des aviseurs en matière fiscale, de manière à compléter le statut de repenti nouvellement créé 167
c. Parachever le statut des lanceurs d’alerte en prévoyant pour les fonctionnaires et agents publics une sanction en cas de non-respect de l’article 40 du code de procédure pénale 168
C. METTRE FIN AUX CARROUSELS DE TVA NOTAMMENT EN PRENANT EXEMPLE SUR LA BELGIQUE ET LE ROYAUME-UNI 169
1. Les enseignements du décloisonnement et la réactivité : les exemples à suivre de réussite contre les carrousels de TVA en Belgique et au Royaume-Uni 169
a. Le Royaume-Uni 169
b. La Belgique : la mise en place d’une structure de détection et la transmission rapide au Procureur des cas frauduleux 171
2. La nécessité pour la France de mettre en œuvre le plus rapidement possible la nouvelle approche 173
a. Donner davantage d’efficacité à l’arsenal législatif renforcé depuis 2006 173
b. Passer au régime de l’auto-liquidation pour les secteurs sensibles en application des nouvelles directives du 22 juillet dernier 174
c. Faire aboutir dans les meilleurs délais les projets actuels de recours à l’analyse des données (datamining et datamatching), pour permettre à la DNEF, et au SNDJ, d’être plus réactifs et d’exploiter au mieux les données fournies par Eurofisc, pour réduire le préjudice pour le Trésor et pour déclencher les poursuites pénales le plus tôt possible 175
d. Un complément indispensable au dispositif de contrôle précoce prévu par loi sur la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière 177
3. Prévoir également quelques aménagements très techniques à la législation et aux règles administratives actuelles 178
a. Inclure les greffes des tribunaux de commerce dans le champ de la déclaration de soupçon et obliger les créateurs de sociétés à communiquer leurs CV 178
b. Imposer des déclarations mensuelles de TVA pour les secteurs sensibles, comme en Belgique, pour mettre fin aux abus du régime simplifié 178
c. Donner aux sociétés de domiciliation un statut assurant davantage de sécurité 179
d. Développer la prévention et communiquer sur les risques en direction des entreprises comme au Royaume-Uni 180
4. Appliquer un même niveau de vigilance pour le régime douanier dit 42 180
D. METTRE AU PLUS HAUT NIVEAU LE DROIT DU CONTRÔLE FISCAL POUR LES PARTICULIERS RECOURANT AUX AVOIRS NON DÉCLARÉS À L’ÉTRANGER 181
1. Les apports de la loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière 181
a. L’extension de la notion de fraude fiscale aggravée à tous les cas de fraude avec recours à des comptes, contrats ou montages à l’étranger et non seulement dans un paradis fiscal 181
b. L’élargissement des compétences de la BNRDF 181
c. La capacité de l’administration fiscale à utiliser hors ESFP les comptes bancaires à l’étranger 182
d. Le renforcement des sanctions lorsque les avoirs non déclarés à l’étranger ont permis de rester sous le seuil d’assujettissement à l’ISF 182
2. Actualiser les conventions fiscales 183
a. L’exemple de la Suisse avec la remise en cause fin 2012 du bénéfice de la convention de 1966 sur les impôts sur le revenu et sur la fortune pour les contribuables au forfait et la renégociation de la convention de 1953 sur les successions 183
b. Un précédent à suivre pour la révision des conventions les plus anciennes conclues avec nos principaux voisins 185
3. Etablir un droit de communication auprès des établissements payeurs pour les usagers réguliers en France de cartes de crédit étrangères 185
4. Rendre obligatoire la déclaration des comptes à l’étranger utilisables par les dirigeants et personnels des sociétés commerciales 186
5. Assurer comme en Allemagne un droit de suite fondé sur la nationalité pour lutter contre les faux transferts de domicile à l’étranger 186
E. MODERNISER LES RÈGLES À HAUTEUR DES NOUVELLES PRATIQUES DES ENTREPRISES TRÈS INTERNATIONALISÉES 188
1. Contrôler les sous-traitances et les prix de transfert pour les marchés publics faisant appel à des fournisseurs et prestataires établis à l’étranger 188
2. Taxer les restructurations internationales au sein des groupes : l’exemple de l’Allemagne 188
3. Renforcer les pouvoirs de contrôle sur les prix de transfert 189
a. Aller jusqu’au bout de la logique du risque de réputation : communiquer les données pays par pays non seulement aux actionnaires et au public, mais aussi à l’administration fiscale 189
b. Renforcer encore les obligations documentaires des entreprises sur les prix de transfert, notamment en matière de calcul des coûts et prix de facturation intragroupe 190
F. COMBLER ENCORE LA PRINCIPALE LACUNE DE NOTRE DROIT PÉNAL FINANCIER SUR LE BLANCHIMENT 192
1. Une mise à niveau essentielle par la loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière 192
2. Un impératif supplémentaire : mettre en conformité la répression du blanchiment avec la convention du Conseil de l’Europe en rendant l’infraction de blanchiment encore plus autonome par rapport à l’infraction sous-jacente 192
CONCLUSION 195
TRAVAUX DE LA COMMISSION 197
I. AUDITION DE M. RAMON FERNANDEZ, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU TRÉSOR (3 JUILLET 2013) 197
II. EXAMEN EN COMMISSION 209
LISTE DES PROPOSITIONS 225
ANNEXES 231
I. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET VISITES EFFECTUÉES 233
II. ELÉMENTS COMMUNIQUÉS PAR L’ADMINISTRATION FISCALE SUR LES CARROUSELS DE TVA 237
Mesdames, Messieurs,
Les paradis fiscaux sont désignés comme tels car historiquement ce sont des Etats ou des territoires où l’impôt direct sur les particuliers ou sur les sociétés est nul ou très faible, soit pour tous, soit pour ceux qui n’y ont pas la qualité de résident fiscal ou, s’agissant des sociétés, n’y exercent aucune activité.
Leur développement est historiquement jumeau de celui de l’impôt. La Suisse et le Liechtenstein sont devenus des paradis fiscaux à la suite de la Première Guerre mondiale lorsque les autres Etats européens, ruinés, endettés au-delà de tout précédent, et aux économies désorganisées – notamment à cause du démantèlement de l’Autriche-Hongrie –, ont dû considérablement développer leur fiscalité. Impôt sur le revenu et impôt sur le patrimoine, impôt sur le capital ou impôt sur les successions, furent alors alourdis, créés ex nihilo, comme l’impôt sur l’accroissement des fortunes en Allemagne, ou bien bâtis sur des modèles étrangers.
Leur attractivité et leur performance ont été d’autant plus grandes qu’à la même période la fragilité généralisée des monnaies continentales, en raison de l’inflation, conjuguée au risque politique des nouveaux Etats d’Europe centrale, en a fait le havre idéal pour des élites à la recherche de sécurité.
Au même moment, l’apparition du premier mécanisme international de sécurité collective, avec la Société des Nations (SDN), a mis les petits Etats à l’abri de tout risque d’un recours à la force de la part des Etats gouvernés selon les valeurs démocratiques et pacifiques.
De manière corrélative se sont ainsi manifestées deux autres caractéristiques du paradis fiscal : la stabilité monétaire, mesurée par le respect de la parité entre la monnaie et l’or, ou l’argent et, de manière liée, la stabilité politique.
Les problèmes posés ont d’ailleurs fait l’objet d’une prise de conscience dès cette époque. Les travaux sur l’élimination des doubles impositions dans le cadre de la SDN ont élargi la compétence de l’organisation à « l’évasion de capitaux en vue d’échapper à l’impôt ». Dès 1923, Charles Clavier, chef de l’administration fiscale belge, indiquait que le secret des banques ne devait pas être un dogme international, comme le rappelle MM. Christian Chavagneux et Ronen Palan dans leur ouvrage Les paradis fiscaux (collection Repères, La Découverte). Il faut également mentionner le rapport d’Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor, dénonçant dès 1937 l’abus des paradis fiscaux, dans le cadre d’un rapport ; selon l’éditorial d’Eric Chol dans Courrier international le 10 avril dernier, « le Congrès américain, à l’époque, livra en pâture quelques noms lors de ses auditions : la famille DuPont, l’acteur Charles Laughton, le violoniste Fritz Kreisler, des cadres dirigeants de General Motors ou d’US Steel… ».
Historiquement, les paradis fiscaux ont été dans les années 1920 et 1930 l’apanage des élites ou de certaines d’entre elles. Elles seules avaient la capacité financière de mobiliser à l’étranger une épargne en surplus dont elles étaient sûres qu’elles n’auraient pas besoin de disposer. Elles seules avaient également la capacité matérielle de voyager à l’étranger, la maîtrise des réseaux et des codes permettant de se mouvoir dans l’univers des banques étrangères.
La motivation a été non seulement économique mais aussi politique, selon d’ailleurs un mécanisme qui est longtemps resté en place en France. Pour notre pays, les vagues d’ouverture de comptes à l’étranger ont ainsi coïncidé avec les grands bouleversements sociaux, 1936, 1968 et 1981, réponse des élites face au risque d’une révolution ou de réformes éventuellement défavorables.
Une rupture est ensuite intervenue après la Seconde guerre mondiale, avec la reconstruction de l’Europe sur la base du contrôle des changes.
Les avoirs clandestins à l’étranger, en Suisse notamment mais pas seulement, ont été accrus des profits non rapatriés dans les pays comme la France ou la Belgique et des exportations illicites d’argent soit sous forme d’espèces, soit dans le cadre de compensations illicites. C’est pour les particuliers l’époque des valises de billets et des comptes anonymes, des comptes numérotés.
Le développement du transport aérien et du téléphone a été l’un des accessoires du recours aux comptes à l’étranger. Ensuite, le fax, puis Internet, le téléphone portable et le Smartphone ont rendu les opérations sur comptes à l’étranger encore plus simples.
Le deuxième aspect de la question est d’ordre pénal. Il s’est manifesté au même moment, mais sur un autre continent. Les îles Caraïbes déjà habituées aux franchises de toutes sortes concédées en des temps très anciens aux colons, peu éloignées des Etats-Unis, ont servi de base arrière aux trafiquants d’alcool lors de la Prohibition, notamment les Bahamas. L’absence de coopération pénale internationale à l’époque, à un moment où il n’y avait pas non plus de régime pénal et policier au niveau fédéral aux Etats-Unis, a garanti la sécurité des marchandises et des éventuels capitaux qui pouvaient y transiter temporairement.
Dans tous les centres offshore, dans toutes les places financières, le blanchiment s’est alors développé sans entrave jusque dans les années 90. C’est à la suite du G7 dans le cadre du Sommet de l’Arche, en juillet 1989, que la lutte contre le recyclage des capitaux, contre leur blanchiment, a commencé à faire l’objet d’une action internationale concertée, à l’initiative de la France.
Le troisième aspect, celui du développement de places financières sans aucune proportion avec le poids économique d’ensemble du pays, celui des centres offshore selon la terminologie qui a prévalu en raison du nombre croissant d’Etats insulaires ou de petits territoires disposant d’une souveraineté fiscale, juridique et financière, s’est développé après la Seconde Guerre mondiale.
Le Luxembourg et la Suisse, ainsi que les îles anglo-normandes, ont été imitées par un nombre croissant d’Etats ou de territoires dans la zone caraïbe, en Asie avec Hong Kong, Macao et Singapour, puis dans le Pacifique. Le modèle en a été la City de Londres qui a développé ses activités d’intermédiaires pour des opérations sans liens avec le Royaume-Uni.
La première étape de ce développement a été concomitante de l’émergence du marché des eurodollars, lequel consiste en dépôts, par des entreprises ou des particuliers, de dollars en dehors des Etats-Unis, auprès de banques effectuant des opérations bancaires et financières en dollar sur cette base. Le développement du commerce international en dollar dans les années 1950 et 1960 a considérablement accru les montants des avoirs non-résidents en dollar et même en d’autres devises, ainsi que des opérations en dollar en dehors de tout contrôle de la Réserve fédérale américaine.
La deuxième étape a suivi les chocs pétroliers de 1974 et 1979. Le recyclage des excédents commerciaux des pays producteurs de pétrole – les pétrodollars – a considérablement accru les mouvements de capitaux.
Ensuite, et ce fut la troisième étape, l’expansion du marché des capitaux internationaux a été démultipliée par la financiarisation de l’économie fondée sur la dérégulation des années 1980, sous l’impulsion de l’administration du président Reagan aux Etats-Unis et du Premier ministre Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Leurs initiatives ont permis aux politiques économiques libérales prônées par l’Ecole de Chicago de sortir de leur terrain d’expérimentation, le Chili du Général Pinochet, auquel elles avaient été jusque-là cantonnées.
C’est le point de départ du développement sans limite de « l’innovation financière », c'est-à-dire d’un développement illimité et sur une base purement mathématique de produits financiers complexes rendus à dessein incompréhensibles pour tout autre que les initiés ; avec pour conséquence directe, comme on l’a vu dès 1998 avec l’affaire du LTCM (1), que des opérations financières nouvelles même en nombre limité peuvent présenter un risque systémique, car elles peuvent mettre en péril la solvabilité ou la liquidité de l’ensemble du système financier international.
Enfin, depuis les années 1990, la mondialisation, conséquence de la chute du Mur de Berlin, a ouvert sans restriction les circuits internationaux du commerce et des capitaux, comme la division internationale du travail, à tous les pays, notamment la Chine.
Au même moment, le Tiers-monde s’est divisé entre les pays en croissance, les pays émergents, notamment les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), et les autres, catégorie de plus en plus résiduelle au fur et à mesure qu’un nombre grandissant de pays est entré en phase de développement, en Asie et en Amérique latine, mais aussi en Afrique.
C’est la quatrième phase du phénomène. Elle est toujours en cours.
De trois manières, la mondialisation a renforcé le rôle des paradis fiscaux et centres offshore. D’abord, le niveau des transactions financières n’y a jamais été aussi élevé, à la mesure de leur volonté d’attirer toujours davantage d’activité, notamment avec des règlementations très souples et un véritable dumping juridique. Le cas des îles Caïman où s’est localisé l’essentiel des fonds spéculatifs, les hedge funds, est caractéristique.
Ensuite, les schémas d’optimisation fiscale autrefois réservés aux seules très grandes entreprises multinationales se sont diffusés. L’importation croissante de biens à très bas coûts dans le pays de production mais à prix de vente maintenu élevé dans le pays de consommation, notamment en Europe, a rendu très rentable la création de structures intermédiaires permettant, par la maîtrise de la fixation des prix de transfert, la localisation du montant souhaité des profits là où ils seront le moins taxés.
Enfin, la mondialisation s’est accompagnée d’un accroissement considérable des inégalités. De fait, au lieu de profiter autant que possible à l’ensemble des nations et, à l’intérieur de celles-ci, à toutes les classes sociales, elle s’est traduite par « un transfert de richesses des pauvres des pays riches vers les riches de pays pauvres » (Jean-Louis Bourlanges). Comme le point commun de certaines grandes fortunes est de vouloir échapper à l’impôt dans leur pays d’origine, la gestion privée a pris une ampleur particulière, non seulement en Suisse et au Luxembourg, point de rencontre ancien des immenses fortunes mondiales, mais aussi et notamment en Asie dans les places financières de Singapour et d’Hong Kong, ainsi qu’à Dubaï.
Parallèlement au développement des transactions commerciales, financières ou fiscales, les circuits financiers criminels ont appris, depuis les années 1990, à tirer parti de la mondialisation pour déjouer la plupart des mesures destinées à les traquer. Non seulement l’effet de masse joue en leur faveur, mais ils ont également muté pour prendre des apparences plus banales.
Ainsi, la puissance gigantesque des mécanismes économiques et financiers sous-jacents à la mondialisation a été largement sous-estimée. On le constate dans le domaine économique, industriel notamment, mais aussi pour ce qui concerne les paradis fiscaux.
Si le secret bancaire a été ébréché, d’abord dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, puis de la lutte contre la fraude fiscale, le recours aux structures écran que sont les trusts et les sociétés non résidentes a permis le maintien de l’opacité.
Si la traçabilité des capitaux frauduleux se développe grâce aux efforts des magistrats, elle demeure néanmoins inopérante dans de nombreux cas, car dépassée par le développement d’Internet. Les nouveaux moyens de communication offrent en effet aux opérations bancaires le pouvoir de voyager en quelques instants sans limite géographique, permettant de multiplier les coupe-circuits qui brouillent efficacement les pistes, quand la moindre demande d’entraide judiciaire prend plusieurs semaines. Ainsi, la fraude, la délinquance et la criminalité ont su s’adapter à la vitesse du « clic » informatique, ce que la justice et le fisc n’ont pas été en mesure de faire.
En résumé, le recours aux paradis fiscaux, centres offshore et autres juridictions non coopératives, repose sur un réseau d’opérateurs aussi influents qu’habiles, qui a parfaitement su adapter ses pratiques et ses recettes pour mettre en échec les mesures destinées à combattre un phénomène devenu une industrie mondialisée florissante.
Coup sur coup la crise financière de Chypre, l'affaire Cahuzac et l’enquête de l'International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) plus connu sous le nom d’OffshoreLeaks (2), ont mis au grand jour ces pratiques et leur ampleur insupportable.
Nul ne peut plus ignorer aujourd’hui que les paradis fiscaux cachent un enfer : par l’évasion fiscale, la fraude organisée, le blanchiment d’argent, c’est la saine concurrence entre les entreprises qui est faussée, l’égalité devant l’impôt bafouée, les caisses des Etats flouées et le triomphe de la voyoucratie assuré.
Comment en est-on arrivé là alors que depuis des années des journalistes, des ONG, des magistrats, des fonctionnaires tirent la sonnette d’alarme ? Pourquoi le colossal travail parlementaire réalisé sur la question des paradis fiscaux, centres offshore et juridictions non coopératives en matière fiscale, pénale ou prudentielle (la liste des rapports ci-dessous en atteste), est–il resté lettre morte, ou presque ?
C’est ce que vos rapporteurs ont cherché à comprendre en auditionnant plus d’une centaine de personnes exerçant des fonctions très différentes et dont la liste est reproduite en annexe.
Cette liste n’est cependant pas exhaustive, car certains n’ont pas souhaité courir le risque de s’exposer en raison de la sensibilité des sujets qu’ils ont pu évoquer.
A Paris, les auditions ont été menées à huis-clos dans les locaux de l’Assemblée nationale. Vos rapporteurs se sont également rendus à Londres les 4 et 5 avril, plus précisément à la City, premier paradis fiscal d’Europe, puis en Suisse, d’abord à Genève puis à Berne, les 13 et 14 mai. Un déplacement à Bruxelles le 4 juin a permis de rencontrer tant des magistrats que des fonctionnaires belges chargés de la lutte contre la fraude aux carrousels de TVA, et les autorités européennes.
Un dernier déplacement prévu au Luxembourg n’a pas eu lieu car, pour dire les choses sans détour, les autorités de ce pays récusant la qualité peu enviable de « paradis fiscal » n’ont pas voulu donner suite aux sollicitations des rapporteurs. Ce déni, d’autant plus regrettable qu’il émane d’un pays voisin de la France et de longue date partie prenante de la construction européenne, ne peut qu’être compris comme une volonté d’opacité vis-à-vis de tout regard extérieur dont on craint qu’il puisse être trop affûté.
Le présent rapport dresse un constat accablant de l’impuissance publique face aux paradis fiscaux : l’Europe souffre d’une paralysie congénitale et la France d’une frilosité coupable.
Certes, notre pays ne peut prétendre éradiquer seul un fléau d’ampleur mondiale mais cela ne doit pas l’empêcher, à travers des mesures proprement nationales comme d’initiatives communautaires et internationales, de mener contre lui une guerre totale pour rétablir les principes de la République - l’égalité devant la loi, la justice et l’impôt – et sauver la démocratie française d’une fatale banqueroute. En France même, les marges de progression dans la lutte contre l’argent sale sont substantielles, tant le pays a pris du retard par rapport à d’autres pays comparables.
C’est à cette conclusion que sont parvenus vos rapporteurs, au terme d’une démarche pragmatique visant à mettre en valeur les solutions concrètes expérimentées avec succès par des pays tiers, parfois nos voisins. Alors que la France suffoque par excès d’impôt et que la révolte gronde parmi un peuple étrillé par la crise et des contraintes internationales sans fin, ce serait un comble que l’Etat ne se donne pas les moyens de mettre la main sur les 60 à 80 milliards d’euros de perte fiscale qui soulageraient grandement ses comptes et le pouvoir d’achat de nos concitoyens !
Quant à l’Union européenne, sur ce terrain majeur aussi, à l’heure où elle s’alarme - enfin ! - de l’évasion fiscale généralisée, alors qu’elle réclame sans cesse des sacrifices inouïs aux peuples pour rétablir l’équilibre de leurs comptes publics, elle doit désormais faire la démonstration de sa valeur ajoutée et non plus de sa nocivité : mettre au ban les paradis fiscaux en Europe au lieu de les protéger par son impuissance chronique, lutter sans merci contre ceux localisés hors de ses frontières en mettant réellement tout son poids dans la balance, et faciliter l’indispensable coopération entre ses membres dans ce combat pour la survie de la démocratie, sont les défis qu’elle devra obligatoirement relever, sous peine de voir les Etats-nations y répondre chacun de leur côté…
Ce n’est pas seulement une exigence politique, mais aussi morale, car l’Union européenne doit faire respecter les valeurs fondatrices qu’elle invoque souvent sans toujours convaincre : le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité, l'État de droit ainsi que le respect des Droits de l'homme, dans un marché intérieur où la concurrence, libre et non faussée, ne saurait servir d’alibi à la loi de la jungle et au dépérissement de la puissance publique.
Vos rapporteurs avancent des propositions pour progresser de conserve sur les trois fronts : l’international, l’européen, et le national.
Un travail parlementaire considérable Si l’on s’en tient aux quinze dernières années et à l’essentiel, le nombre de rapports parlementaires traitant des paradis fiscaux et de l’évasion fiscale représente une somme de données considérable : 1998 - Rapport n° 1105 : « Fraude et évasion fiscales : une intolérable atteinte à l’impôt citoyen » par M. Jean-Pierre Brard, député de Seine-Saint-Denis. 1999 - n° 1802 : « Retrouver l’égalité devant l’impôt » par M. Jean-Pierre Brard, député de Seine-Saint-Denis. 2001 : rapport n° 2311 de la mission d’information commune sur les obstacles au contrôle et à la répression de la grande délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe, présidée par M. Vincent Peillon et dont M. Arnaud Montebourg était le rapporteur. 2009 : rapport d’information n° 1938 sur la révision de la directive sur la fiscalité de l’épargne et la lutte contre les paradis fiscaux, les centres offshore et les juridictions non coopératives, présenté par M. Daniel Garrigue et Mme Elisabeth Guigou rapporteurs, au sein de la Commission des affaires européennes (documents E 4096, E 4264, E 4267, E 4467 et E 4555). 2009 : rapport d’information n° 1902 par M. Didier Migaud, président, et M. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Les mesures de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale internationales ont également donné lieu à des commentaires complets au fur et à mesure que l’arsenal législatif a été complété par les lois de finances ou les lois de finances rectificatives qui se sont succédées. 2012 : rapport n° 673 « L’évasion fiscale internationale, et si on arrêtait ? » par la commission d’enquête sénatoriale dont le président était M. Philippe Dominati et le rapporteur M. Eric Bocquet. 2013 : rapport n° 1243 de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international, présenté par M. Pierre Alain Muet, rapporteur, et M. Eric Woerth, président de la mission d’information. 2013 : rapport n° 1235 de la commission des finances de l’Assemblée nationale relatif au traitement par l'administration fiscale des informations contenues dans la liste HSBC reçue d'un ancien salarié, présenté par le rapporteur général, M. Christian Eckert. |
PREMIÈRE PARTIE : UN OUTIL DE FRAUDE ET D’ÉVASION FISCALES COMME DE CRIMINALITÉ FINANCIÈRE
I. LES PARADIS FISCAUX AUJOURD’HUI
A. DES ETATS ET TERRITOIRES ASSEZ BIEN IDENTIFIÉS
1. Une prépondérance de petits Etats ou territoires de nature parasitaire sans activité économique réelle et prédateurs de la richesse des autres
a. Un tableau général largement connu
Il n’appartient pas au présent rapport de dresser la liste des paradis fiscaux. Néanmoins, on peut mentionner les caractéristiques les plus communément admises :
- une fiscalité faible ou inexistante, notamment pour les non-résidents ;
- un secret bancaire ;
- des structures écrans type trust ou société offshore, n’ayant aucune activité sur le territoire ;
- une réglementation peu exigeante et des instances de régulation vouées à un rôle davantage figuratif qu’actif ;
- une coopération internationale inexistante ou insuffisante en matière fiscale, en matière pénale et/ou en matière prudentielle.
En appliquant ces critères, l’ONG Economie solidaire notamment, comme d’autres organismes, fait apparaître sur une carte les principaux pays concernés, dont le nombre atteint toujours, au demeurant, plusieurs dizaines, quarante, cinquante ou soixante, selon les auteurs.
Selon d’autres modalités, le site Contrepoints d'inspiration libérale, qui croise les données de l’OCDE et de deux des auteurs de guides sur les paradis fiscaux, obtient la carte suivante :
On observe une prédominance de petits Etats ou de territoires de petite taille qui ne sont pas indépendants et n’ont donc pas de personnalité juridique au niveau international, mais qui disposent néanmoins d’une certaine souveraineté pour fixer leurs règles de droit et, surtout, leur régime fiscal.
Cette prépondérance des petits pays et territoires s’explique : les paradis fiscaux et centres offshore reposent sur le principe d’asymétrie. Ils peuvent fortement diminuer les impôts jusqu’à ne les percevoir qu’à un niveau symbolique ou même nul, car l’activité financière, juridique, bancaire et comptable qu’ils vont ainsi attirer compensera et, même au-delà, la perte de recettes initiale. Les grands Etats, à l’opposé, ne peuvent bien entendu se permettre une telle stratégie.
b. Un secteur bancaire et financier hypertrophié
Les paradis fiscaux se sont spécialisés dans la finance car les activités correspondantes n’exigent pas d’investissements lourds contrairement à d’autres et peuvent connaître des rythmes de développement fulgurants. Ainsi, à partir des années 1950 et 1960, de nombreux petits Etats ou territoires, qui sont encore ou ont été considérés comme des paradis fiscaux, se sont lancés dans ces activités. Le développement de la place financière de Singapour est ainsi consécutif à son indépendance en 1965, avec la volonté d’en faire une place de référence en Asie, clairement concurrente de Hong Kong, dont l’épanouissement a été lié à sa proximité avec les grands marchés commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Extrême-Orient, ainsi qu’à l’application stricte des principes de l’économie libérale et de la souplesse règlementaire.
Tel a été également le cas des îles Caïman qui se sont séparées du reste de l’Archipel des Bahamas en 1962, et ont démultiplié l’effet des anciennes franchises fiscales concédées lors de la colonisation aux quelques dizaines de familles de colons, pour créer ex nihilo un centre financier.
Dans une note de mai 2011 (La note d’analyse n° 222 : « Centres financiers offshore et système bancaire fantôme »), le Centre d’analyse stratégique, placé auprès du Premier ministre, relève un « noyau dur » constitué des juridictions à l’imposition inexistante et où l’importance des transactions financières est étonnante au regard de leur économie.
Il regroupe les îles Caïman, le Luxembourg, les Bahamas, Jersey, Bahreïn, Guernesey, les Antilles néerlandaises, la République de Maurice, l’île de Man, les îles Marshall et la Barbade. L’exportation de services financiers par les îles Caïman est particulièrement significative. Le Luxembourg est également présent en tant que nœud central en Europe des transactions entre fonds : en 2010, c’est le troisième gestionnaire mondial de fonds en total d’actifs financiers, après le Royaume-Uni et les États-Unis, et le deuxième marché des fonds communs de placement, en étant notamment le principal destinataire.
Deux critères quantitatifs sont retenus.
Il s’agit d’abord de la position extérieure bancaire (PEB) rapportée au PIB (autrement dit l’état du stock des avoirs et engagements extérieurs par rapport au PIB). Sur le graphe suivant apparaissent les pays dont le rapport entre PEB/PIB est deux fois supérieur à la moyenne mondiale. Aux îles Caïman, la PEB est égale à 13.000 fois le PIB. A Jersey, le rapport est de 120 :
Source : Centre d’analyse stratégique
Il s’agit ensuite du rapport entre les investissements de portefeuille et le PIB, qui permet d’identifier les juridictions les plus orientées vers la finance structurée ou vers la gestion d’opérations financières pour les non-résidents. Les Bermudes sont les plus « dynamiques » devant Guernesey, Jersey et le Luxembourg :
Source : Centre d’analyse stratégique
Les deux graphes montrent une déconnexion totale entre l’économie réelle du pays ou du territoire et leurs « activités paradisiaques » qui ne profitent même pas aux habitants.
Les éléments communs aux différents Etats et territoires communément considérés comme des paradis fiscaux sont bien identifiés : secret bancaire, structures écran, assurance vie, opacité, taxation inexistante ou réduite, présence sur place d’intermédiaires professionnels du droit, du chiffre ou de la finance.
Il faut d’abord mentionner le secret bancaire : même lorsqu’il n’est pas absolu, il sert de coupe-circuit.
Il s’agit ensuite de structures écrans, les trusts et les sociétés offshore.
Dans les études sur les paradis fiscaux et plus généralement sur la fiscalité internationale, le trust tient une place de choix. La formule est troublante car elle revient à mettre des biens entre les mains d’un tiers, mais elle est facile à comprendre dans ses effets.
Une personne, le constituant du trust, se dessaisit, de manière temporaire ou définitive, révocable ou irrévocable, de biens mobiliers (actions, obligations, parts sociales, tableaux, animaux de type chevaux de course etc.) ou immobiliers, voire des droits dans un autre trust, et les confie à un tiers, le trustee, qui va les administrer selon les orientations qui lui auront été données dans une lettre d’intention. Les revenus et produits du trust, et le cas échéant la jouissance des biens, sont réservés aux bénéficiaires du trust : ceux-ci peuvent être désignés par avance, avec toutes les complexités possibles, notamment la faculté d’alterner les bénéficiaires, ou bien être laissés à la discrétion du trustee (le trust est alors discrétionnaire). Pour surveiller le trustee, un protecteur peut également être désigné. La dévolution des biens à l’extinction du trust est aussi prévue.
L’avantage du trust, qui peut s’emboîter dans des montages complexes, est de masquer la réalité de la propriété, par une formule de suspension de celle-ci qui a les effets de certaines formes de démembrement, sans répondre aux mêmes contraintes.
Comme l’illustre le tableau ci-dessous, la principale caractéristique du trust est l’anonymat qu’il garantit à la personne physique bénéficiaire effectif des biens et revenus correspondants. La difficulté pour les administrations fiscales et pour les juges est justement d’identifier ces bénéficiaires réels, ou bénéficiaires économiques, des trusts.
La société offshore (société créée à un but d’activité hors du territoire de l’Etat ou de la juridiction dont elle est ressortissante) présente des caractéristiques similaires. La formule est en générale très tolérante, avec des obligations comptables qui peuvent être inexistantes voire délocalisées, la faculté de recourir à des prête-noms, la faculté de disposer de comptes bancaires ailleurs etc. C’est d’ailleurs l’un des arguments des fournisseurs « sur étagère » de ces sociétés souvent toutes prêtes, comme l’illustre le tableau ci-joint figurant sur le site Internet http://www.azfh.ch à la date de rédaction du présent rapport, qui est assorti d’un commentaire particulièrement éclairant sur les avantages des sociétés offshore : « Pas d’impôt sur les sociétés ni sur les bénéfices ; Pas de T.V.A. ; Pas de droit de succession sur les actions détenues par les non-résidents ; Pas d’obligation de maintenir les pièces et livres comptables ; Pas de comptabilité à présenter annuellement ; Pas de capital minimum pour constituer une société ». Enfin, les derniers éléments sont bien connus : l’impôt notamment pour les non-résidents est faible ou inexistant ; la coopération fiscale inexistante ou a minima ; la coopération judiciaire également réduite au minimum.
Tableau comparatif des sociétés offshore
Les 2,5 millions de fichiers d’OffshoreLeaks ont révélé 120 000 trusts et sociétés prête-noms dans les îles Caïman et les îles Vierges, ou ailleurs.
Certaines formules sont moins connues mais tout aussi opaques.
Tel est le cas de l’assurance-vie, avec le transfert de la propriété temporaire de biens d’une personne ou d’une société à une compagnie d’assurance. Il peut s’agir d’un transfert fictif lorsque des clauses ad hoc et maintenues secrètes permettent de dénouer le contrat. Lors de son audition par la commission d’enquête du Sénat sur le rôle des banques et acteurs financiers, M. Pierre Condamin Gerbier, qui a exercé plusieurs fonctions dans le family office, lequel s’apparente à la gestion privée de fortune en Suisse, a souligné cet élément.
Tel est également le cas des fonds fiduciaires, ou placements à durée jusqu’à un an avec une indisponibilité pour le propriétaire réel des fonds.
Enfin, comme le relève le rapport précité de M. Christian Eckert sur l’affaire HSBC, il y a le cas des employés de banques, dont 169 rattachés à une adresse en France, qui portent des comptes au nom de leurs clients, jouant chacun le rôle de prête-nom ou de « rabatteur ».
3. A chaque territoire, sa spécialité
a. Comptes bancaires, négoce et port franc : le rôle majeur de la Suisse, notamment de Genève, vis-à-vis de la France
Parmi les paradis fiscaux et les centres financiers offshore, la Suisse tient une place de choix.
Le secteur financier représente en Suisse 10% du PIB et comprend plusieurs places hors de proportion avec la taille du pays. Fin 2012, la place de Zürich représentait 1.233 milliards de dollars, soit le 13ème rang mondial et même le 12ème si l’on ne sépare pas les deux branches de NYSE Euronext.
Les avoirs sous gestion en Suisse s’élevaient selon l’unité d’entraide judiciaire de l’Office fédéral suisse à 5.500 milliards de francs suisses en 2011, soit plus de 4.000 milliards d’euros.
Le tiers de la fortune offshore mondiale serait géré par les institutions financière de la Suisse, soit 800 milliards de dollars.
Le cabinet Hevea a réalisé en 2009 une étude selon laquelle près de 80% des avoirs étrangers en Suisse ne seraient pas déclarés, soit 725,8 milliards de francs suisses et 600 milliards d’euros pour les Européens. Les Allemands auraient alors détenu 159 milliards d’euros, les Italiens 152 et les Français 75,4.
Selon d’autres sources, la gestion des fonds non-résidents en Suisse concerne essentiellement une fortune des investisseurs institutionnels (68%). Les entreprises (10%) et les particuliers (22%) représentent chacun une part moindre.
On atteindrait le chiffre de 580 milliards de francs suisses pour les fonds offshore des particuliers. L’essentiel serait placé auprès d’UBS et de Crédit Suisse, avec chacun 100 milliards de francs suisses, puis de Julius Baer, avec 70 milliards de francs suisses.
Un élément accrédite la thèse d’une proportion de 20 à 30% de ces fonds comme étant non déclarés ou « fiscalement à risque » : l’ampleur de la décollecte, c'est-à-dire de la diminution en 2012 des avoirs détenus par les banques suisses. Cette diminution ou décollecte est estimée à 14 milliards de francs suisses pour Julius Baer. Les autorités allemandes évalueraient à 30 milliards d’euros la décollecte totale pour leurs ressortissants ces dernières années. Au total, pour l’Europe de l’Ouest, on arriverait à un ordre de grandeur de 60 milliards de francs suisses retirés des banques. Cette évolution est attribuée au sentiment des détenteurs de fonds non déclarés que la Suisse n’est plus aussi sûre.
Le volume des activités de Genève fait que la Suisse est au premier rang mondial pour le négoce des matières premières, en particulier du pétrole, notamment parce que les deux tiers du pétrole russe s’y négocient. On estime que 35% du négoce du pétrole, 60% des métaux et 35% des céréales y sont concentrés. 500 sociétés interviennent dans le secteur et emploient 8.000 à 10.000 personnes, selon les sources. L’activité représente 3,5% du PIB suisse. L’attractivité de la place de Genève est défendue par les représentants du GTSA Geneva Trade Shipping Association au nom d’un savoir-faire, selon une logique de cluster, et en raison de l’application de la règle des sociétés auxiliaires qui limite à 12% le niveau de l’impôt sur les sociétés. En outre, selon un article du quotidien Les Echos de novembre 2010, les actionnaires des sociétés concernées bénéficient du régime du forfait fiscal, c'est-à-dire d’une imposition au titre de l’impôt sur le revenu selon la dépense estimée, et non selon le revenu total du foyer.
Les places de Singapour et Dubaï sont présentées comme les concurrents les plus menaçants, la seconde ne prélevant aucun impôt sur les sociétés.
Bien qu’elle ne soit pas un pays maritime, la Suisse présente la particularité d’avoir le port franc de Genève. Celui-ci a la réputation d’être particulièrement secret et d’abriter un nombre particulièrement élevé d’œuvres d’art et de biens culturels qui échappent à tout pointage. Les arrivées, les départs et le stockage en transit, ne font en effet l’objet d’aucun contrôle de la part d’aucune administration.
Lorsqu’ils se sont rendus à Genève, le 13 mai 2013, vos rapporteurs ont pu rencontrer différents professionnels exerçant des fonctions dans le droit ou les marchés.
En revanche, en dépit d’une formulation en temps utile, leur demande de rencontrer les autorités responsables du port franc et d'en faire une visite, s’est heurtée à une fin de non-recevoir.
C’est clairement un élément qui ne peut que conforter les soupçons sur le caractère singulier de certaines activités qui sont réputées intervenir dans le cadre du port franc. Des transactions peuvent y avoir lieu sans aucune perception de taxe, sans aucun contrôle des paiements ou de leur origine, sans aucun contrôle quant aux qualités de ceux qui vendent et de ceux qui achètent.
Cette situation est incompréhensible. D’ailleurs, un article du magazine suisse L’Hebdo de mai 2013 consacré aux ports francs, cite le dialogue suivant : à la question : « Comment expliquez- vous que l’Union européenne, qui accroît sa pression fiscale sur la Suisse, ne s’intéresse pas de plus près aux ports francs ? », un expert en art répond : « Tout cela tient du miracle. » Et il ajoute : « Il est difficile d’expertiser les valeurs de telles collections. »
b. La montée en puissance des places asiatiques
D’une manière générale, les observateurs constatent la montée en puissance des places asiatiques, notamment d’Hong Kong et Singapour dans les pays ou territoires communément considérés comme des paradis fiscaux.
L’un des enseignements d’OffshoreLeaks est également la mise en évidence des territoires caraïbes, notamment des îles Vierges britanniques et les Caïman, dans les relations de la Chine et des places asiatiques avec le reste du monde.
Selon les éléments diffusés, les Chinois qui jouent de l’offshore apprécient les investissements via Hong Kong sous le couvert d’une des îles Vierges, société communément désignée comme BVI.
A l’inverse, le directeur général de la banque autrichienne Raffeisen International (RBI), Herbert Stepic, a dû récemment démissionner en raison des investissements immobiliers qu’il prévoyait à Singapour notamment via Hong Kong et une BVI. De même, les relations d’affaires avec la Chine de l’homme d’affaires français Jean-Marc Augier ont été nouées dans le cadre d’une société constituée aux îles Caïman.
c. Le rôle de tête de réseau des très grandes places financières : l’exemple de la City de Londres
Nombre d’observateurs considèrent que la City de Londres est le plus important des paradis fiscaux en Europe, faisant certainement peu de cas des autorités de régulation et de contrôle du Royaume-Uni. Cette qualification repose sur une réalité rappelée par Nicholas Shaxson dans son ouvrage intitulé « les paradis fiscaux : enquête sur les ravages de la finance néolibérale » (André Versaille Editeur) : Londres est la première place financière mondiale pour le marché financier international. New-York est la première place financière, mais son poids résulte avant tout de l’importance du marché domestique américain. Selon Tax Justice Network, la City représentait en 2008 un total de 3.200 milliards de dollars de capitaux. Elle représentait aussi la moitié du trading international des actions, 45% des échanges de gré à gré de produits dérivés, 35% des échanges de devises et 55% des émissions publiques internationales, selon l’ouvrage précité. Londres est ainsi la principale place offshore.
Comme l’ont expliqué aux rapporteurs la presque totalité des personnalités de la finance, du chiffre et du droit, qu’ils y ont rencontrées, c’est dans la culture du Royaume-Uni qui accepte de ne pas appliquer ses règles, notamment fiscales, mais pas uniquement, aux opérations pour lesquelles ses professionnels n’interviennent que comme intermédiaires entre des parties prenantes établies dans des pays étrangers.
C’est ainsi que la City est la place où convergent en Europe les réseaux de tous les grands établissements financiers de dimension internationale, et par voie de conséquence, où sont aussi les grandes banques françaises, américaines, allemandes, les grands cabinets d’audit (les Big Four), les grands cabinets de conseil, les grands cabinets d’avocat et également, en arrière-plan, les sociétés de communication. Les principales banques d’affaires américaines se sont implantées à partir de la dérèglementation du milieu des années 1980.
Sur le plan financier, c’est la place où convergent les capitaux des trois îles anglo-normandes et de l’île de Man, les capitaux qui transitent par les îles Caraïbes, anciennes colonies et maintenant dépendances de la Couronne, mais aussi les capitaux de Chypre qui a été la place de transit des capitaux russes vers la City et la place de Londres, avec les conséquences désastreuses que l’on sait.
Ainsi la City a-t-elle pu successivement recycler les pétro-dollars du Proche-Orient, les fonds des armateurs grecs, des entrepreneurs indiens et maintenant chinois, ainsi que des oligarques russes.
Sur le plan juridique, la City of London Corporation, qui détient des prérogatives auxquelles même la Couronne doit se plier, a les moyens de faire perdurer cette situation. Sur le plan de la communication, comme l’a relevé Marc Roche dans un billet du quotidien Le Monde du 10 avril, la presse britannique est discrète : la majorité des propriétaires de journaux sont domiciliés dans les zones offshore.
Les établissements juridiques, financiers, comptables qui y sont situés sont soit pilotés depuis les sièges ou établissements situés à Londres, soit dans une situation de sous-traitance stricte.
Rencontrée dans la capitale britannique par vos rapporteurs, une avocate fiscaliste française en poste dans une entreprise spécialisée dans « l'optimisation fiscale », a ainsi évoqué avec une ingénuité déconcertante le recours massif de multiples entreprises à ses services. Ce, dans un climat de parfaite bonne conscience : dans la mesure, expliquait-elle, où la localisation d'opérations financière garantit en toute légalité leur « neutralité » fiscale, autrement dit l'absence totale d'imposition, celle-ci ne lèserait personne.
La faculté de contourner l'impôt, pudiquement baptisée « neutralité », apparaît donc morale puisqu'elle n'est pas illicite. Tout ce qui n'est pas interdit étant ainsi autorisé, on mesure combien seules les rigueurs d'une loi régulant strictement et efficacement ces pratiques seront en mesure de les juguler.
Du point de vue juridique, l’absence de secret bancaire au Royaume-Uni n’est pas un désavantage comparativement au Luxembourg ou à la Suisse, car les capitaux qui sont placés à Londres peuvent très bien l’être par l’intermédiaire des structures écran qui sont d’une part le trust, et d’autre part la société offshore, lesquels sont constitués dans un territoire dépendant et au sein duquel la société n’exerce pour sa part aucune activité. Les relations avec les territoires dépendants de la Couronne tels que les îles anglo-normandes ou les entités caraïbes sont étroites.
B. PARTICULIERS, ENTREPRISES, MAFIAS : CHACUN Y TROUVE SON COMPTE
Lorsque l’on combine, d’une part, les différents éléments de la gamme d’outils juridiques et financiers présents dans les paradis fiscaux et, d’autre part, la diversité de ces territoires, avec leurs spécialisations plus ou moins fortes, le champ des possibilités apparaît immense.
La présence sur place ou dans les grandes métropoles économiques et financières de professionnels et d’intermédiaires aussi organisés, réactifs que diversifiés, explique par conséquent que les capitaux de publics aussi divers que les très grandes fortunes, les entreprises, le monde du crime et des mafias, s’y retrouvent.
1. Les particuliers : des dynasties aux anonymes
Sans qu’il soit besoin d’évoquer ici des noms particuliers, chaque mise au jour de comptes et d’avoirs détenus dans les paradis fiscaux par des ressortissants de pays européens ou nord-américains montre que les paradis fiscaux ne sont l’apanage ni des grandes dynasties, ni de personnalités connues du grand public, ni des anonymes, mais que l’ensemble de ces catégories fortunées retrouve.
a. Une certaine protection des grandes fortunes en situation de fraude fiscale, en dépit de la signature d’accords d’échange d’informations sur demande depuis 2009
Pour ce qui concerne les particuliers, la détention d’avoirs non déclarés comme la perception à l’étranger de revenus qui ne le sont pas davantage, sont constitutifs d’une fraude fiscale. Tel est le cas pour tous les impôts dus par les personnes physiques : impôt sur le revenu, impôt sur la fortune et impôt sur les mutations à titre gratuit (successions ou donations). L’obligation fiscale des personnes fiscalement résidentes est mondiale ou illimitée : elle s’applique à tous les revenus quelle que soit leur origine comme à tous les éléments de patrimoine quelle que soit leur localisation. Seules les conventions fiscales visant à éliminer les doubles impositions peuvent déroger à ce principe.
Pour les non-résidents, le droit d’imposer de l’Etat relève du principe de l’obligation fiscale « restreinte », limitée aux seuls revenus à l’origine desquels ils se trouvent. Là encore les conventions visant à éliminer les doubles impositions jouent un rôle clef.
Outre l’appétit pour l’économie fiscale illicite, certains particuliers trouvent dans les paradis fiscaux un intérêt sur le plan du droit civil : échapper aux règles successorales et favoriser au-delà de la quotité disponible ; cacher de telles inégalités entre les héritiers ; favoriser l’épouse par rapports aux enfants de lits précédents ; ne pas laisser choir celle ou celui que la loi ou les règles sociales n’ont pas permis d’épouser et son éventuelle descendance, etc.
De telles considérations ne concernent que les très grosses fortunes, même si depuis plusieurs années le niveau de patrimoine des personnes recourant à la fraude fiscale internationale a diminué.
Comme l’ont montré dans leurs ouvrages sur les élites et l’argent, et l’ont fort bien expliqué lors de l’entretien qu’ils ont bien voulu accorder à la mission, M. Michel Pinçon et Mme Monique Pinçon-Charlot, sociologues, le compte à l’étranger est, dans ce contexte, perçu par certains parmi les élites et ceux qui pensent les intégrer ainsi, comme un privilège légitime. Il est alors l’un des éléments destinés à assurer la pérennité de la place, élevée, de la famille, de la lignée, dans une perspective intergénérationnelle. Il n’est pas assimilé dans l’esprit des élites à une faute. Il n’implique aucun sentiment de culpabilité.
Ce sentiment repose aussi sur le fait que les capitaux en cause ne sont pas très actifs, donnant ainsi comme l’avait relevé le rapporteur général de l’époque, M. Gilles Carrez, en 2009, à la fraude et aux fraudeurs, un caractère assez « passif », sauf lorsque ce sont les biens au cœur de l’activité professionnelle, comme ce fut le cas dans l’affaire Wildenstein exposée ci-après.
Depuis 2009, la signature d’accords d’échange d’informations fiscales sur demande de l’administration a cependant fortement accru le risque lié à la détention secrète de comptes et d’avoirs à l’étranger.
Ces accords notamment signés par la Suisse et tous les Etats européens à secret bancaire rendent en principe obligatoire la transmission d’informations de l’administration fiscale du pays de résidence du contribuable, en cas de demande.
Un certain nombre de « clients » sont partis, profitant notamment des mesures de régularisation comme celle en vigueur en France, à l’époque ou diverses mesures d’amnistie sont intervenues, notamment en Irlande et en Italie.
D’autres au contraire se sont organisés avec l’aide des professionnels, banques et juristes, pour échapper au risque d’être pris.
Pour ce qui concerne la France, Genève est considéré tant en raison de la proximité géographique que de la communauté de langue, comme la place privilégiée pour les avoirs non déclarés des grandes fortunes.
La principale raison de ce tropisme pour la Suisse est d’ordre juridique. La Suisse a garanti dès 1934 son secret bancaire par la loi, non pas pour protéger les avoirs des juifs persécutés par l’Allemagne alors sous le régime nazi, mais pour réagir contre la France dont la police avait pris sur le fait, en octobre 1932, le versement en France de coupons d’intérêts et de dividendes non déclarés dans les locaux de la Banque commerciale de Bâle. Ce fut un scandale en raison des notabilités concernés, dont trois sénateurs parmi lesquels l’ancien ministre de l’Intérieur du Cartel des Gauches, M. Schrameck.
b. Les « happy few » d’OffshoreLeaks
L’opération OffshoreLeaks, engagée par le Consortium international de journalistes d’investigation, dont le quotidien Le Monde, a suffisamment levé le coin du voile pour que l’on sache qui se croise ou se succède dans les paradis fiscaux. On constate la présence d’un « grand monde », de niveaux, fonctions et réputations, variables et variés.
A côté de ces anonymes ou personnes peu connues figurant parmi les 130 français, « entrepreneurs, hommes d’affaires, notables de provinces, professions libérales » (Le Monde, samedi 6 avril 2013), et aux côtés de ceux plus connus et dont les noms ont été révélés, on trouve un ancien mari allemand d’une actrice française, une ex-parolière de Céline Dion qui a été l’épouse d’un américain à l’origine d’un scandale sur la spéculation du prix du pétrole en 1973-1974, l’actuel Premier ministre d’un Etat du Caucase, par le truchement d’une BVI, société offshore des îles Vierges, des Colombiens et même un ancien ministre des finances d’un Etat d’Asie de l’Est particulièrement enclavé.
L’essentiel des interlocuteurs des rapporteurs ont insisté sur les trois facteurs qui ont permis l’explosion - et même au-delà, selon certains sites Internet ayant pour objectif de « démocratiser les paradis fiscaux » - du recours aux paradis fiscaux et aux comptes à l’étranger : l’avion, Internet, le téléphone portable.
2. La captation des profits des entreprises
Le commerce réalisé au sein des multinationales (le commerce intragroupe), représente une part considérable du commerce international. Il est au cœur de la mondialisation. Dans le cas français, il a été estimé en 1999 à un tiers des exportations et un quart des importations à destination ou en provenance de filiales d'une même multinationale, et à 70 % des échanges réalisés par les filiales de groupes industriels internationaux situées en France. Ces parts se sont certainement accrues. Pour les Etats-Unis, l’OCDE (OECD Trade Policy Paper n° 114, 2011) a estimé à partir des données douanières qu’en 2009, 48% des importations de biens et 30% des exportations relevaient des transactions intragroupes. On estime parfois à près de la moitié du commerce mondial les transactions intragroupes. Les prix d’échange entre les différentes branches d’un groupe international peuvent faire l’objet de manipulations pour transférer clandestinement les profits d’un pays à l’autre.
a. Les manipulations de prix de transfert sur les biens, notamment pour le pillage des ressources naturelles et produits de base des pays en développement
La première forme d’utilisation des paradis fiscaux par les entreprises est la manipulation des prix de transfert. Un exemple traditionnel en est donné par le T-shirt, comme l’illustre le schéma suivant disponible sur Internet à la date de la rédaction du présent rapport :
Parfois, les opérations sont encore plus grossières. Des livres sur les paradis fiscaux mentionnent des anecdotes amusantes : des seaux en plastique à des prix plus élevés que ceux de certains détaillants, etc.
Certaines le sont moins. Tel est le cas lorsqu'il s'agit d’armes vendues à prix très faibles pour alimenter des rébellions ou des circuits terroristes ou mafieux.
b. Les abus de la sous-capitalisation des filiales pour justifier le versement d’intérêts dans les pays sans impôt
Un deuxième exemple est la sous-capitalisation des filiales. Il repose sur le fait que les intérêts sont déductibles du résultat imposable dans l’Etat d’implantation de la filiale. La contrepartie en est un bénéfice non imposable dans la société mère.
L’exemple suivant permet d’en comprendre le fonctionnement :
- une entreprise implantée en France bénéficie non d’un apport en capital, mais d’un prêt à 5%, d’un montant d'un million d’euros de la part d’une société liée implantée dans une juridiction étrangère : les intérêts, d’un montant de 50.000 euros, sont déduits du résultat imposable, soit une diminution de l’impôt payé de 17.000 euros ;
- ils ont pour contrepartie un bénéfice non imposable de 50.000 euros dans l’Etat de la société qui prête ;
- l’économie d’impôt est donc 17.000 euros au total pour le groupe et une augmentation de 1,7 point du rendement du capital.
c. La localisation des droits de propriété intellectuelle et des redevances dans des pays qui ne peuvent manifestement pas en être à l’origine, et la manipulation des prix de transfert sur les services et l’immatériel
Le procédé le plus moderne notamment utilisé par les entreprises du numérique est celui de la localisation de droits de propriété intellectuelle ou de prestations de services diverses telles que celles de groupement d’achat, d’aide au management etc. dans des structures ad hoc localisées dans les paradis fiscaux. Les professionnels appellent ce procédé la licence box.
Ces éléments sont particulièrement bien détaillés dans le rapport précité présenté par MM. Pierre-Alain Muet et Eric Woerth, députés.
Il en résulte pour l’entreprise censée profiter des prestations correspondantes, toujours établie dans un pays à fiscalité normale, une augmentation de ses charges et donc une diminution de son bénéfice.
En contrepartie, le profit non imposé de la société liée établie dans un paradis fiscal augmente.
Dès lors que les prix n’ont aucun lien avec une quelconque réalité économique, mais ont un niveau purement « fiscal », ils sont clairement le résultat d’une logique de manipulation des prix de l’immatériel et de la prestation de services.
d. Le détournement des conventions fiscales et des directives européennes mère/filiale et intérêts/redevances pour en faire des instruments de non-imposition, et non plus d’élimination des doubles impositions
Les conventions d’élimination des doubles impositions ont pour objectif de favoriser l’acquisition par les entreprises d’une dimension internationale, en évitant qu’un bénéfice, ne soit imposé deux fois : dans l’Etat de source, celui où a été réalisée l’activité à l’origine du bénéfice ; dans celui de la résidence fiscale de l’entreprise.
En Europe, les principes de libre circulation des capitaux et de libre établissement ont conduit à adopter deux directives pour favoriser la circulation d’un Etat membre à l’autre des revenus dits passifs en évitant les doubles taxations. Ils concernent la remontée des bénéfices d’une société filiale vers une société mère (directive mère/filiale 435/90/CEE du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents et aux intérêts, modifiée depuis), et la circulation des redevances et intérêts d’emprunt d’un Etat membre à l’autre (directive 2003/49/CE du 3 juin 2003 concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d'États membres différents). Les paiements d'intérêts et de redevances sont exonérés de tout impôt et toute retenue à la source dans l’Etat d’origine, à condition que le bénéficiaire effectif du paiement soit une société ou un établissement stable d'un autre État membre. En principe en effet, c’est là que sont imposés les revenus correspondants.
Tel n’est pas cependant le cas. En effet, ces dispositifs jugés nécessaires à la construction de l’Europe des entreprises et des capitaux ont clairement favorisé le treaty shoping, c'est-à-dire la possibilité pour les entreprises de chercher dans les différents Etats membres les dispositions les plus favorables au transfert dans ou hors de l’Union européenne des bénéfices pour les mettre à l’abri de toute imposition. Ils sont clairement devenus pour les grandes multinationales, mais pas seulement elles, la garantie de l’accès aux mécanismes néerlandais, irlandais, luxembourgeois ou autres, permettant l’absence d’imposition en Europe ou dans un pays ou territoire tiers.
Ainsi, à force de démanteler les législations nationales au nom d'une construction européenne par trop idéologique, qui défait l'existant sans même s'assurer préalablement de pourvoir à son défaut, on a de facto laissé se développer un système fou qui récompense la fraude, voire le crime, et décourage le respect de la loi.
e. La forme la plus achevée de cette planification : la reconfiguration des entreprises ou business restructuring selon une pratique qui relève du dépeçage fiscal
La forme la plus achevée de ces opérations est la reconfiguration complète de l’entreprise ou business restructuring à des fins purement fiscales : tout ce qui coûte est laissé dans le pays d’origine ; tout ce qui rapporte ou peut rapporter va être transféré dans un pays à faible taxation.
L’entreprise est donc dépecée entre plusieurs entités qui vont avoir dorénavant des relations commerciales, exprimées en termes financiers, et non plus fonctionnelles entre services, sans autre considération que les éventuelles préoccupations classiques de comptabilité analytique.
Le procédé a été utilisé par Colgate notamment, qui, au passage, a transféré son siège fiscal en Suisse.
Les déclinaisons les plus classiques sont les suivantes :
– un distributeur est transformé en commissionnaire, agissant pour un donneur d’ordre étranger, et sa rémunération est fixée de manière à couvrir les seuls coûts, avec une marge la plus faible possible ;
– une entreprise de fabrication est transformée en simple sous-traitant voire façonnier, à qui les matières premières et les prestations de direction et de savoir-faire sont facturées, et qui livre ses produits à des distributeurs issus du même groupe dans des conditions de prix a minima ;
– une formule intermédiaire consiste à délocaliser tout ce qui est intellectuel et incorporel.
Lors des auditions, il est apparu que la reconfiguration totale des entreprises était la principale menace sur le maintien à terme d’une base substantielle d’impôt sur les sociétés pour les pays comme la France.
Ce constat général est celui tant des universitaires et journalistes que celui, également, des représentants de l’Etat.
L’actualité récente l’a illustré. Au début du mois d’août 2013, le groupe Total a indiqué prévoir le transfert à Londres de ses activités de gestion de trésorerie et de communication financière. Il a invoqué l’intérêt de se rapprocher des interlocuteurs quotidiens. Le centre de trading pétrolier du groupe est déjà basé à Londres.
Total a naturellement démenti que l’objectif était fiscal et argué que le centre de profits correspondant resterait imposé en France.
Cette pratique de business restructuring est inacceptable car non seulement elle amenuise l’assiette fiscale de la France, mais en outre les entreprises qui y restent, les PME ancrées dans le territoire, celles qui créent de l’emploi, subissent une concurrence déloyale qui lamine leurs marges et menace directement leur existence.
Certains secteurs de l’économie sont particulièrement touchés.
Ainsi, la grande distribution est caractérisée par les centrales d’achat « offshore ». Ce sont des sociétés liées aux multinationales françaises du secteur, situées à l’étranger et qui ne paient pas d’impôt en France.
Le mécanisme est le suivant. Ces entités étrangères recueillent les commissions versées par les industriels qui souhaitent que leurs produits soient distribués et elles sont censées participer au développement du groupe au niveau international, ce qui n’est pas avéré.
Les sommes en jeu sont importantes. Les produits lactés donneraient lieu à un taux de commission de 2%. Ce dernier serait de 5% pour les salaisons. Au total, les sommes concernées s’établiraient à un à deux milliards d’euros par an.
A l’occasion de l’examen au Sénat du projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière, un amendement particulièrement bienvenu présenté par M. Jean Arthuis, sénateur, a été adopté contre l’avis du Gouvernement, lequel s’y est opposé en raison de la complexité technique de la matière.
Cet article additionnel a été supprimé à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, le Gouvernement invoquant ces éléments techniques et estimant qu’une rédaction plus précise est nécessaire à l’efficacité de la disposition : hélas, ce n'est pas la première fois que le gouvernement et l'Administration, au nom de la « complexité juridique », s'opposent aux initiatives parlementaires visant à lutter contre les délocalisations et le pillage de l'Etat. Tandis que cet argument n'est jamais invoqué lorsqu'il s'agit de favoriser les multinationales...
Même l’Etat est atteint par ce phénomène et fait preuve d’une schizophrénie coupable et de double langage.
Un article publié par le quotidien économique néerlandais Het Financieele Dagblad (FD) et repris par Courrier International (janvier 2013) explique comment « les entreprises comme EDF, GDF Suez, France Télécom, Thales ou encore Veolia… dont l’État est actionnaire, utilisent des filiales financières aux Pays-Bas. »
Celles-ci permettent de bénéficier des accords fiscaux bilatéraux entre les Pays-Bas et d’autres pays, afin d’optimiser au mieux leurs impôts sur les bénéfices.
France Télécom a ainsi placé aux Pays-Bas les bénéfices de ses activités en Espagne, en Suède, en Irak, en République démocratique du Congo et en Moldavie, au sein d’un groupe financier administré par une société fiduciaire.
EDF a trois holdings à Amsterdam, dont deux créées fin 2011, concernant, selon les informations publiées, deux centrales en Pologne reprises à EnBW.
Par ailleurs, GDF Suez a soumis en 2012 à son comité d’entreprise le projet d’une filiale, basée au Luxembourg, chargée de gérer les revenus provenant de Storengy, une autre filiale chargée du stockage souterrain du gaz à l’international.
Quant à EADS, c’est une société anonyme de droit néerlandais. L’argument du terrain neutre entre la France et l’Allemagne ne saurait être invoqué sérieusement ; la raison est plutôt à chercher du côté des avantages fiscaux offerts par les Pays-Bas lorsque la holding s’y est installée en 2000 - notamment les cessions de participations en exonération de plus-values.
Il est très regrettable que l’État français, en acceptant l’installation d’EADS au Pays-Bas, ait paru encourager l’optimisation fiscale pour ses propres entreprises.
Comment dans ces conditions, peut-il demander aux entreprises françaises de ne pas se lancer dans l’optimisation fiscale ?
f. Un exemple d’entreprise idéale du « business model » dominant : la vente à distance à partir du Luxembourg
A la suite de l’audition de l’un de ses responsables, le 12 novembre 2012 par la Commission des comptes publics de la Chambre des Communes, présidée par Mme Margaret Hodge, Amazon a rendu publique son organisation. Elle a pour base essentielle en Europe le Luxembourg (auparavant, il y a eu une société à Gibraltar, mais qui a disparu).
Le schéma diffusé sur Internet est le suivant :
On observe une prédominance du Luxembourg avec non seulement une holding - Amazon.com Europe Holding Technologies qui détient les droits de propriété intellectuelle sur les sites d’achat pour l’Europe, et fait payer des royalties à ses filiales européennes - mais aussi Amazon EU sarl, par laquelle transitent toutes les ventes.
La filiale anglaise Amazon.co.uk Ltd présente une certaine importance : 500 personnes au Luxembourg, contre 15 000 au Royaume-Uni.
Cette branche anglaise n’est cependant pas destinée à être profitable, car elle ne pourvoit quant à elle que la logistique et elle est pour cela rémunérée a minima, naturellement. Son chiffre d'affaires est donc « une marge sur les coûts opérationnels engendrés par les services fournis en Grande-Bretagne aux autres sociétés du groupe : logistique, service client, comptabilité, fiscalité, ressources humaines, assistance marketing... » Selon Amazon, la filiale britannique « reçoit une compensation pour ces services, et n'est donc pas une succursale ».
Le Luxembourg présente dans ce schéma deux avantages :
– d’abord, celui d’un régime fiscal où, au titre de l’impôt sur les sociétés, les revenus issus de la propriété intellectuelle sont exonérés à 80% ;
– ensuite du point de vue de la TVA, car actuellement seules les ventes à distance de biens matériels sont soumises à cet impôt dans l’État de consommation (au-delà d’un certain seuil qui est de 100.000 euros pour notre pays), et non dans l’État d’établissement de l’entreprise expéditrice. Pour les prestations de services électroniques fournies à une personne non assujettie à la TVA (ce qui est le cas des particuliers, notamment), la TVA est due dans l’État d’établissement du prestataire. La vente de textes, de films et de musique au format numérique étant assimilées à de telles prestations, l’implantation au Luxembourg permet aux « européennes de distribution » de bénéficier d’un taux normal de 15 % (contre par exemple 19,6 % – et 20 % à compter du 1er janvier 2014 en l’état actuel du droit – en France).
Pour les livres électroniques, les e-books, qui sont considérés comme des services en ligne, le Luxembourg applique, comme la France d’ailleurs, depuis 2012, un taux réduit, qui est de 3%. Ce même taux de 3% s’applique aux livres classiques sur support papier. Comme pour la France, la Commission européenne conteste l’application du taux réduit aux livres électroniques.
Cet avantage n’est cependant que temporaire, car la situation est appelée à évoluer : à partir du 1er janvier 2015, la TVA sur les services rendus par voie électronique sera due dans l’État de consommation, selon les règles qui y sont applicables. Collectée dans l’État d’implantation du prestataire, la TVA sera reversée à l’État de consommation, par un système de guichet unique. L’entrée en vigueur de ces nouvelles règles sera progressive, puisque seulement 70 % du produit de la TVA seront reversés à l’État de consommation en 2015 et 2016, puis 85 % en 2017 et 2018.
Les autorités luxembourgeoises ayant poliment décliné les demandes d’entretien de vos rapporteurs, ces derniers s’en tiendront à ces faits connus et publiés. Ils tiennent le Luxembourg pour un paradis fiscal, un renégat à l’idéal européen dont il fut pourtant l’un des artisans.
3. Une spécialité des grandes multinationales récentes, notamment du numérique, qui s’exonèrent de l’impôt sur les sociétés : les risques d’un modèle APPLE/GOOGLE ou AMAZON/STARBUCK
a. Un problème général qui soulève partout l’opprobre, y compris aux Etats-Unis et au Royaume-Uni
Les grands Etats sont tous affectés par la faiblesse de l’impôt collecté auprès des grandes sociétés multinationales, notamment celles du numérique et de la vente par Internet, mais pas uniquement, eu égard à l’importance de leur activité.
Les parlements s’en sont préoccupés. Au Royaume-Uni, les auditions menées le 12 novembre 2012 par Mme Margaret Hodge, présidente de la Commission des comptes publics de la Chambre des Communes, ont mis en difficulté les représentants de Google, d’Amazon et de Starbucks qui n’ont pas été en mesure de justifier le faible impôt ou l’absence d’impôt payé au Royaume-Uni. Le maintien au Royaume-Uni de Starbucks, qui en quinze ans n’y a eu qu’un seul exercice bénéficiaire, n’a pu non plus être justifié. Aux Etats-Unis, la sous–commission d’enquête présidée par M. Carl Levin, sénateur, a publié en mai 2013 un rapport chiffrant à 3,45 milliards de dollars pour 2010 et 9 milliards de dollars pour 2011, le préjudice résultant pour le Trésor américain du circuit alambiqué qui permet à Apple de localiser aux Bermudes ses bénéfices. Plus récemment dans notre pays, le rapport d’information précité n° 1243 présenté le 10 juillet dernier par MM. Pierre-Alain Muet et Eric Woerth a exprimé les mêmes préoccupations.
b. Des circuits complexes de circulation des profits pour les localiser là où ils ne sont pas taxés ou bien sont très faiblement taxés en laissant les charges dans les Etats normaux
Dans le schéma classique, la relation commerciale internationale ne fait intervenir que deux sociétés : celle de fabrication du produit dans le pays d’origine, et celle de la vente dans le pays de destination ou un nombre un peu plus élevé, mais toujours restreint, d’entités - un exportateur, un importateur, un grossiste et un détaillant.
Dans le schéma dit d’optimisation ou de planification fiscale agressive, un très grand nombre de sociétés interviennent. Elles sont liées entre elles, mais ne sont pas localisées dans les mêmes pays. Elles font entre elles des transactions qui leur laissent plus ou moins de marge bénéficiaire selon le principe suivant : les prix de facturation aux sociétés localisées dans un pays où le taux de l’impôt est élevé, mais où une présence est nécessaire à la desserte des clients, sont très importants et ne laissent pas ou peu de marge bénéficiaire ; les facturations entre entités localisées dans des pays à fiscalité faible dépendent de l’endroit où l’on veut en définitive transférer les bénéfices.
Ce schéma est notamment celui de toutes les sociétés multinationales récentes, donc du numérique, mais pas seulement. Il concerne tous les Etats anciennement industrialisés, même lorsque l’imposition est au bénéfice mondial, car il suffit de jouer habilement sur l’articulation des conventions fiscales en interposant dans les pays où il le faut des sociétés holding. Pour ce qui est de l’Union européenne, il joue sur les directives précitées mère/filiales et intérêts/redevances, qui ont visé à la neutralité fiscale des transferts européens intragroupes, mais constituent aussi comme on l’a vu plus haut, par l’intermédiaire de l’Irlande et des Pays-Bas, un point de départ vers les paradis fiscaux. En outre, la part de l’immatériel et notamment de la valorisation des données rend très difficilement localisable la valeur ajoutée.
Aux Etats-Unis, les entreprises « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont fait l’objet des mêmes critiques de la part des sénateurs de la sous-commission permanente d’enquête du Sénat, présidée par M. Carl Levin Démocrate, Michigan), selon le rapport précité publié le 20 mai dernier.
Selon ses conclusions, Apple a notamment créé une filiale Apple Operations International, qui de 2009 à 2012 à enregistré un bénéfice net de 30 milliards de dollars, mais n’a déclaré aucune domiciliation fiscale ni rempli aucune déclaration de résultat, ni acquitté aucun impôt sur les bénéfices pendant ces quatre années. Pour sa part, Apple Sales International a généré un chiffre d’affaires de 74 milliards de dollars en quatre ans, mais à cause du statut de non résident a acquitté une imposition minime pendant cette même période.
En outre, Apple Inc. a transféré l’exploitation de droits de propriété intellectuelle dans le cadre d’accord de partage des coûts avec ses propre filiales offshore de manière à y transférer des milliards de dollars et à éviter l’imposition aux Etats-Unis. De même, Apple Inc. a utilisé les lacunes de la réglementation fiscale américaine, dont la règle « check the box » qui évite l’imposition des bénéfices non rapatriés aux Etats-Unis des filiales étrangères, pour éviter que 44 milliards de bénéfice taxable ne se traduisent par 10 milliards d'impôt annuel.
La structure utilisée pour l’optimisation, établie par le rapport précité, est la suivante :
Comme l’a relevé le rapport sur la fiscalité du secteur numérique présenté le 20 janvier dernier par la mission d’expertise constituée de MM. Pierre Collin, Conseiller d’Etat, et Nicolas Colin, Inspecteur des finances, les entreprises du numérique ou d’Internet sont particulièrement friandes de ces schémas d’organisation. Ce sont des entreprises récentes, d’emblée internationalisées et conçues dès l’origine pour eux.
c. Le chiffrage par la Fédération française des télécoms du préjudice de la France au titre de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft : 800 millions d’euros de pertes de recettes pour le budget
Le site Internet de la Fédération française des télécoms mentionne une étude estimant que par rapport à une localisation en France, les cinq entreprises multinationales du Net que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft bénéficiaient d’une division par 22 du montant de l’impôt sur les sociétés : 37,5 millions d’euros contre 828,7 millions d’euros.
N’étant pas officielle, cette estimation doit être considérée avec les précautions d’usage quant à son détail, mais certainement pas quant à son principe : l’ordre de grandeur de l’évasion fiscale ainsi réalisée est immense.
Source : Fédération française des télécoms
d. La vulnérabilité des règles actuelles face au numérique
La révolution numérique est fondée sur l’accès à distance et ainsi sur l’abolition des frontières physiques.
Elle ouvre pour le consommateur et les entreprises la faculté d’acquérir des produits et des services qui, trop souvent, n’entrent dans le champ d’application du système fiscal d’aucun État en particulier. Les règles fiscales nationales n’ont pas évolué au même rythme que la mondialisation des entreprises et l’économie numérique, et sont ainsi apparues des failles que les entreprises à dimension internationale peuvent exploiter pour réduire abusivement mais légalement leurs impôts et obtenir dans les cas les plus extrêmes que leurs bénéfices ne soient pas taxés.
Pour Google, Edouard Tétreau indique dans un article intitulé De l’enfer au Paris fiscal (Les Echos, 18 septembre 2013), qu’une « SARL au capital de 7.500 euros dont les gérants sont respectivement basés à Palo Alto (un juriste) et à Dublin (un directeur financier pour la zone Europe, Afrique et Moyen-Orient) » permet à Google d’intervenir sur le marché français, pour capter environ 2 milliards de recettes publicitaires en s’affranchissant de la TVA en France grâce à ses structures irlandaises.
4. Les carrousels de TVA : de la fraude au pillage de l'Etat
Se jouant de la porosité des frontières intra et extra-communautaires, de véritables criminels ont monté une escroquerie à grande échelle dont la victime, par le truchement de remboursements indus de TVA, n'est autre que l'Etat lui-même.
En France, le montant du préjudice subi s'élèverait annuellement à une dizaine de milliards d'euros, sans qu'il soit semble-t-il possible de le quantifier avec précision et certitude.
Ces « carrousels » sont apparus dans les années 1970 au sein du Bénélux qui, le premier, a expérimenté l'abolition des frontières douanières. Selon des mécanismes et circuits sophistiqués, ils consistent tout simplement à feindre une activité commerciale avec des pays de l'Union européenne ou tiers, pour réclamer à l'Etat des remboursements de TVA qui n'ont pas lieu d'être. Les produits fictifs sont amenés à circuler à plusieurs reprises entre pays, décrivant comme des cercles, ce qui a donné, par analogie avec les manèges, leur nom aux « carrousels » de TVA. Et, à chaque passage supplémentaire dans le pays escroqué, est généré un nouveau remboursement de TVA qui s'ajoute au précédent...
Les administrations nationales des pays membres de l'Union européenne ne recoupant pas automatiquement leurs données en la matière, il est aujourd'hui impossible à l'administration fiscale française de détecter à temps la fraude et d'en confondre les auteurs.
La TVA étant par ailleurs déclarative et soumise à des délais de recouvrement se comptant en mois, les fraudeurs ont toutes latitudes pour disparaître dans la nature lorsque le fisc découvre le subterfuge – s'il le découvre.
A cet égard, la récente polémique entre la Commission européenne et le ministère de l'Economie et des Finances, à propos du manque à gagner en TVA par l'Etat français - qui s'élèverait à plus de 30 milliards d'euros selon Bruxelles -, en dit long sur les défaillances et les insuffisances d'un système qu'il convient au plus vite d'améliorer à la lumière d'expériences réussies chez certains de nos voisins européens.
b. L’exemple du carrousel sur les crédits carbone : entre 1,5 et 1,8 milliard d’euros perdus en quelques mois pour la France
Le carrousel de TVA a donné lieu à une fraude de très grande ampleur et connue de l’ordre de 1,5 à 1,8 milliard d’euros pour la France de 2008 à 2009, et a touché un grand nombre de pays européens, notamment le Royaume-Uni, pour un même ordre de grandeur que la France, le Danemark et l’Allemagne, pour 1 milliard.
Cette fraude s’explique par l’instauration du système des crédits carbone échangeables par la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003, établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre. Elle a fait l’objet d’un rapport de la Cour des comptes rendu public en février 2012, retenant les estimations de 1,6 milliard d’euros de préjudice pour la France et 5 milliards pour l’ensemble des Etats membres.
Un mécanisme d’échange de quotas a en effet été prévu dans le cadre d’une bourse, Bluenext, organisée à partir de 2007 par NYSE Euronext et la Caisse des dépôts.
La fraude sur ce marché a été permise par quatre éléments : d’abord, le quota a été considéré comme un bien meuble incorporel et donc comme tel soumis à la TVA au taux normal, et non comme un instrument financier, notamment en France ; ensuite, Bluenext a été organisée de manière à faire l’avance du paiement TTC au vendeur de quota, à charge pour elle d’être payée par l’acquéreur, faisant de la Caisse des dépôt tant le teneur des registres du marché que l’agence bancaire des intervenants, dans un souci de performance ; de plus, n’importe quelle petite entreprise, même non soumise aux quotas de carbone, a eu accès à la Bourse, moyennant de très simples formalités, ce qui a permis de créer des entreprises ad hoc spécialisées dans l’échange sans contrôle du CV des gérants ; enfin, les paiements ont même pu être effectués sur des comptes à l’étranger dans des Etats ou territoires peu concernés par les quotas (Hong Kong, Monténégro, Singapour, la Géorgie).
La « recette » a été rapidement mise au jour par les fraudeurs: société créée ad hoc ; achat à l’étranger de quotas hors TVA ; revente sur Bluenext en facturant la TVA, jamais reversée ensuite ; disparition de la société.
Le schéma établi par la Cour des comptes a été le suivant :
Il a été le fait non pas de fraudeurs fiscaux classiques mais du Milieu, qui, comme le montre le livre d’Aline Robert Carbone Connexion TVA Le casse du siècle (Editeur Max Milo), a pu pénétrer, infiltrer et contaminer le monde de la finance et de l’entreprise avec une facilité déconcertante, et même des complicités soupçonnées dans la police. On y trouve notamment les détails des sociétés de trading de quota carbone, des prête-noms à qui personne n’a demandé de CV, notamment lors de l’accréditation auprès de l’organisme organisateur du marché (la Caisse des dépôts en l’occurrence), des sociétés du textile inactives rachetées et transformées pour l’occasion, des banques étrangères « exotiques », basées à Hong Kong, à Chypre et au Monténégro notamment, avec un accès aux comptes à partir d’un simple ordinateur en France, des trafiquants de drogue qui fournissent les fonds pour amorcer l’affaire, et pour couronner le tout, la Caisse des dépôts qui verse hors de France, et même à Hong Kong, des sommes TVA comprises, TVA qu’il appartiendra au bénéficiaire du virement de reverser le moment venu au Trésor public.
Le rôle des paradis fiscaux et juridictions non coopératives a été certes un peu périphérique, mais essentiel, dans leur fonction de coupe-circuit, pour retarder ou empêcher la traçabilité des capitaux. Des arrestations et condamnations sont intervenues, mais elles restent marginales et l’on n’a pas mis la main sur les capitaux détournés.
Le constat est général dans tous les pays et tous les services : les carrousels de TVA sont le point d’entrée du Milieu dans le domaine économique et fiscal. Mais certains comme la Belgique ont pris le « taureau par les cornes » et réussi en quelques années à réduire drastiquement la fraude à la TVA. Vos rapporteurs ont été stupéfaits d’apprendre de leurs interlocuteurs belges que les autorités françaises avaient été averties, en leur temps, des fraudes à la TVA carbone, sans réaction appropriée de leur part. Un manque de réactivité qui dénote un sérieux dysfonctionnement des systèmes anti-fraude dans notre pays.
Les carrousels de TVA ne relèvent pas de la fraude fiscale « classique » à plusieurs titres.
D’abord, parce qu’ils ne sont pas liés au taux de l’impôt, ni à une quelconque résistance à la pression fiscale. Ensuite parce qu’ils visent non pas à se soustraire à l’impôt, mais à aller directement prendre des fonds dans les caisses publiques. Plus que de fraude, c’est d'escroquerie qu'il s'agit, d'une spoliation pure et simple de la Nation, et d'une porte d’entrée royale pour le blanchiment d’argent.
Les carrousels sont en effet un moyen de blanchir des capitaux, notamment ceux de la drogue avec en outre l’avantage de multiplier la mise de fonds initiale.
Enfin, ils reposent sur un abus caractérisé des simplifications opérées pour faciliter les formalités des petites entreprises et des entreprises nouvelles, notamment du régime simplifié de TVA qui prévoit une déclaration annuelle.
d. Une contamination potentielle de plusieurs secteurs économiques
L’affaire des quotas carbone est emblématique, mais ce n’est que la partie émergée de l'iceberg, d'une réalité qui a pénétré tous les secteurs économiques : téléphonie mobile, composants électroniques, informatique, fourniture de gaz et d’électricité, céréales, métaux, etc. Certes de façon plus diffuse, mais les carrousels de TVA sont aujourd’hui une pratique généralisée qui coûte au moins 10 milliards d’euros chaque année à la France. C’est donc une menace globale qui pèse sur l’ensemble de l’économie nationale.
Vos rapporteurs l’ont constaté auprès d’un très grand nombre de leurs interlocuteurs. Magistrats, fonctionnaires, journalistes, représentants des ONG : tous y ont vu une menace directe, majeure et dont l’éradication dépend essentiellement de la volonté de l’Etat et de sa rapidité.
Les transactions s'opèrent sur le territoire et l’essentiel est d’arrêter les responsables et les opérations avant que les capitaux extorqués ne soient encaissés et expédiés dans des comptes cachés, à l’étranger.
e. Une perte globale aussi considérable qu’effrayante pour la France, et totalement sous-estimée par le ministère des Finances
Une étude réalisée à la demande de la Commission européenne, estime la fraude totale aux prélèvements obligatoires dans l’Union européenne à 2 000 milliards d’euros, contre 1 000 milliards antérieurement.
Pour la TVA, la perte ou VAT Gap est chiffrée avec précision à 193 milliards d’euros par an, soit 1,5% du PIB européen. L’étude a été publiée sur le site de la Commission européenne le 20 septembre dernier.
Les deux Etats membres où elle est estimée la plus importante sont : l’Italie (36,1 milliards d’euros par an) et la France (32,2 milliards d’euros par an). L’Allemagne (27 milliards d’euros) et le Royaume-Uni (19,5 milliards), sont en retrait.
Sur ce total, les carrousels représenteraient le tiers, soit 10 milliards d’euros par an.
Cette estimation est très largement supérieure à celle des 10 milliards d’euros par an au total, pour la totalité de la fraude à la TVA, encore récemment rappelée au Sénat par le ministre de l’économie et des finances, M. Pierre Moscovici.
On peut s’étonner de ce que le ministère minore ce phénomène, car cet écart de 1 à 3 ne saurait s’expliquer uniquement par des questions de méthode.
D’abord, la Cour des comptes a appelé par deux fois l'attention du Gouvernement sur ce problème de l’écart TVA :
– d’abord, en mars 2012, en estimant qu’un plan de lutte massif était nécessaire ;
– ensuite, lors de la remise du rapport sur l’exécution du budget 2012, dans la partie relative aux recettes.
Dans le cadre de ce dernier rapport, la Cour a observé que l’écart entre les recettes attendues de TVA et les recettes encaissées en 2012 s’explique pour moitié par la conjoncture et des facteurs techniques, notamment le déplacement de la consommation vers les produits moins taxés.
Elle considère par conséquent qu’un « travail complémentaire d’analyse doit être mené à bien rapidement afin d’explorer les autres facteurs susceptibles d’expliquer l’écart, y compris l’hypothèse d’une fraude importante non décelée. »
La réponse de l’administration fiscale attribuant ce phénomène à la consommation et à des éléments économiques structurels ne peut que laisser la représentation nationale « sur sa faim »…
Ensuite, vos rapporteurs rappellent que tous les observateurs extérieurs à l’administration, représentants des ONG ou journalistes comme les représentants des syndicats de fonctionnaires de l’administration des finances et des douanes, insistent sur l’ampleur du phénomène.
Le sentiment donné d’une telle méconnaissance, voire d’un tel déni, de l’ampleur du problème, suscite une totale incompréhension.
Il convient donc que le ministère des Finances cesse de minorer le phénomène, et actualise ses données sur le sujet. En témoignent les éléments écrits communiqués aux rapporteurs peu de temps avant la fin de la rédaction du présent rapport, qui traduisent l'inadaptation, voire le désarroi, des services compétents, et figurant en annexe 2.
Ce sont de toute évidence des données dépassées qui conduisent à une erreur de diagnostic catastrophique.
f. Les abus connexes du régime douanier 42
Le régime européen douanier dit 42 permet à un importateur de biens provenant de pays tiers de ne pas acquitter la TVA dans le pays du port ou de l’aéroport, ou de la gare, de déchargement, mais d’expédier la marchandise correspondante dans l’Etat membre de destination, où la TVA sera alors acquittée.
Il s’agit techniquement de fluidifier le marché intérieur.
En réalité, lorsque l’on tient compte d’une part de la réalité des flux commerciaux venant des pays tiers, qui passent essentiellement pour nous par Anvers et surtout Rotterdam, et de l’impact, très positif, en termes de trésorerie de ce dispositif pour les entreprises d’importation, on constate que l’Europe a pris une mesure qui favorise objectivement les importations des pays extérieurs, et qu’elle le fait de manière totalement contraire à l’esprit du marché commun.
D’abord, les points d’entrée que sont les ports bénéficient de toutes les facilités pour faire venir des produits qui concurrencent nos productions locales.
Ensuite, alors même que ces biens importés font l’objet d’un triple dumping - fiscal, social et environnemental - dans leur pays d’origine, on leur fait bénéficier de la règle du décalage entre la perception et le versement de la TVA pour supprimer ainsi le seul avantage comparatif administratif dont bénéficient nos propres produits.
C’est un non-sens complet.
Sur le plan administratif, les conditions d’application sont les suivantes : une déclaration en douane doit être remplie ; elle doit être accompagnée d’une déclaration d’échange de biens.
Les marchandises arrivent ainsi en France, en provenance d’Anvers ou de Rotterdam, sans que la TVA ait été acquittée. Seules des déclarations administratives indiquant qui doit la payer ont été remplies.
Il suffit de faire habilement des déclarations erronées, et de vendre les produits sur des étals de marchés plus ou moins organisés, par exemple dans la banlieue ou aux portes de Paris, pour récolter des espèces qui ne donneront lieu à aucune comptabilité officielle.
Des méthodes similaires au vieux système de la Mafia américaine des débuts, avec vente à prix cassé de marchandises volées, dans la rue et contre des espèces.
Là encore, le recours en amont à des sociétés écran établies en juridiction non coopérative permet de placer des coupe-circuits pour la part des espèces que les organisateurs souhaitent blanchir.
5. La présence de la grande criminalité internationale, jusqu’aux dictateurs
a. Terrorisme, piraterie et grands trafics internationaux
La lutte contre le terrorisme a été l’un des facteurs de renforcement des règles de lutte contre le blanchiment de capitaux. La capacité des groupes terroristes à partager les mêmes procédés que les organisateurs des grands trafics internationaux a été avérée. Les paradis fiscaux, centres offshore et autres juridictions non coopératives, représentent un point d’entrée dans l’économie légale ou dans le circuit des transferts internationaux, qui permettent d’échapper aux contraintes du fractionnement des transferts physiques de billets - ou « schtroumfage » - pour amener les capitaux là où ils sont jugés nécessaires.
Notamment, le recyclage des rançons issues de la piraterie maritime a été facilité par ces mêmes juridictions opaques, impliquant entre autres Dubaï et même Londres, comme l’indique la dépêche suivante, de l’AFP, en 2010 :
« Des millions de dollars en petites coupures : les rançons touchées par les pirates somaliens excitent les convoitises et alimentent une économie parallèle dans toute la région et au-delà, assurent policiers et experts internationaux.
« S’il a commencé de façon artisanale, avec d’anciens pêcheurs montant à l’abordage de ce qui passait à leur portée, le business de la piraterie au large de la Somalie est désormais aux mains de gangs structurés, riches, disposant de réseaux de financement, de renseignements et de négociation dans plusieurs pays. (…) Un autre spécialiste de la question, basé lui dans les Emirats arabes unis, ajoute : "c’est l’ironie de Dubaï : les négociations sont menées ici, les parachutages d’argent sont organisés par des sociétés de sécurité qui sont basées ici. Une fois l’argent livré, une partie revient ici, discrètement". Selon lui, ce sont encore une fois les "hawalas", système informel de transfert d’argent qui ne laisse aucune trace écrite, qui seraient utilisés.
« (..) dans l’édition 2010 de son rapport stratégique sur le contrôle des narcotiques (INCSR), le Département d’Etat américain écrit : "il est rapporté que les Emirats sont utilisés comme centre financier par les réseaux de pirates opérant au large de la Somalie". Autre pays de la région, le Kenya, où les prix de l’immobilier se sont envolés par endroits de façon étrange depuis trois ans, est également désigné dans ce rapport qui estime que "le système financier kenyan pourrait blanchir plus de 100 millions de dollars par an, provenant des trafics de drogue et des fonds liés à la piraterie somalienne".
« (…) Et les sommes en jeu suscitent des vocations bien au-delà de la Corne de l’Afrique. Pour Birgen Keles, auteur d’un rapport remis en avril au comité des affaires politiques de l’Otan, "une nouvelle économie a fleuri dans le monde entier, avec des sociétés de sécurité, des avocats et des négociateurs spécialisés tirant profit de leur implication dans les affaires de piraterie".
« "Londres semble être devenu le point de ralliement pour ces firmes qui aident les armateurs à résoudre les problèmes juridiques posés par le paiement des rançons", selon elle. »
Récemment, des éléments ont été portés à la connaissance des rapporteurs sur les pratiques ayant cours pour blanchir l’argent de la drogue, en région parisienne.
L’argent liquide est remis à des professionnels du droit, semble-t-il, et réapparaît ensuite selon des modalités qui ne sont pas élucidées : il s’agirait d’une compensation entre, d'une part, des personnes ayant des comptes à l’étranger et ayant besoin d’espèces en France et, de l'autre, des personnes pouvant abriter leurs fonds à l’étranger.
Les vieilles recettes perdurent donc.
b. Le pillage du tiers monde, notamment de l’Afrique, et l’argent des dictateurs et autres « personnes politiquement exposées »
Les révolutions arabes ont confirmé ce que les ONG et les associations de lutte contre la corruption dénoncent depuis longtemps : les pays en développement sont pillés de l’extérieur comme de l’intérieur. Le CCFD Terre Solidaire estime à 520 milliards d’euros la fraude dans les pays du Sud, soit plus de dix fois l’aide au développement. Selon l’ONG Action Aid, 46% des investissements réalisés par les multinationales dans ces pays transitent par les paradis fiscaux, tout comme une partie des avoirs des chefs d’Etat des pays les moins démocratiques, qui prennent notamment le chemin de la Suisse.
C’est d’ailleurs le cas de Sani Abacha, au Nigéria, responsable du détournement de l'aide au développement et de la rente pétrolière, ce qui a conduit, en 2003, à identifier au niveau de la convention de l’ONU contre la corruption la notion de « personne politiquement exposée ». Le montant de ce pillage était estimé à plusieurs milliards d’euros entreposés dans des comptes bancaires au Royaume-Uni et en Suisse.
Pour tenter de parer les critiques, le Conseil fédéral suisse a d’ailleurs décidé en septembre 2013 de présenter un projet de loi permettant de faciliter la confiscation et la restitution des avoirs des dictateurs et de leur entourage, après une phase de consultation. Ce dispositif serait le premier de ce type, selon la presse suisse (Le Temps).
Les procédures de recouvrement des avoirs des chefs d’Etat déchus lors du « printemps arabe » sont en cours, mais comme il a été précisé à vos rapporteurs lors de leur visite dans les locaux de la FINMA, aucun établissement financier helvète n’a été poursuivi dans ce cadre. Pourtant, comme le recel, l’infraction de blanchiment est une infraction permanente et elle était vraisemblablement constituée lors de la chute des personnalités concernées, sans aucune contestation possible pour les avoirs les plus récents.
L’ampleur du pillage du continent africain est soulignée par tous les auteurs, notamment Xavier Harel, dans son ouvrage La grande évasion, le vrai scandale des paradis fiscaux : le détournement de la manne des matières premières, au Congo par exemple, est caractérisé, connu et parfois poursuivi. En France, les procédures en cours sous la dénomination des « biens mal acquis » en sont une traduction.
Le dernier rapport de l’Africa Progress Panel (APP) estime à 38,5 milliards de dollars l’évasion fiscale pratiquée par les grandes entreprises et les dirigeants en Afrique entre 2008 et 2010.
II. DE FATALES CONSÉQUENCES : UN DANGER POUR LES ETATS
A. DES MONTANTS GLOBAUX PAR DÉFINITION INCERTAINS, MAIS DONT L’ORDRE DE GRANDEUR, IMPRESSIONNANT, EST BIEN APPRÉHENDÉ
Par définition, il n’y a pas de statistiques officielles sur les paradis fiscaux, au-delà de la question de leur définition. Comme pour tout ce qui est secret, on ne peut s’en remettre qu’à des évaluations.
Le montant pour l’ensemble du monde est le plus couramment estimé entre 5.000 et 10.000 milliards de dollars. Certaines estimations vont jusqu’à 20.000 ou 30.000 milliards de dollars qui seraient cachés dans les paradis fiscaux, comme l’a indiqué M. Xavier Harel dans le cadre d’un entretien à La Tribune le 4 avril dernier.
L’an dernier, un ancien économiste du cabinet Mc Kinsey a réalisé une étude pour Tax Justice Network, donnant une fourchette située entre 17.000 et 32.000 milliards de dollars, soit une estimation moyenne de 26.000 milliards de dollars.
Ces éléments ont été cités par Le Monde dans un article du 23 juillet 2012.
C’est le même ordre de grandeur que la moitié de la dette publique mondiale (51.000 milliards de dollars au moment de la rédaction du présent rapport), ou encore que le PIB des Etats-Unis et du Japon réunis (autour de 22.000 milliards de dollars). C’est plus de dix fois le PIB français.
A l’opposé, selon le FMI (données rapportées par L’Expansion le 4 avril dernier), les fonds concernés se monteraient à 5.500 milliards d'euros, soit près de trois fois le PIB de la France.
Globalement, 50% des transactions mondiales transiteraient par des paradis fiscaux, qui compteraient 4.000 banques et 2 millions de sociétés écrans. Cela représente un tiers des ressources financières mondiales, et une somme qui pourrait générer entre 148 et 218 milliards d'euros de recettes fiscales pour les Etats. Par comparaison, l’aide publique au développement est de quelque 100 milliards d'euros par an.
Dans son ouvrage intitulé « Les six cent milliards d’euros qui manquent à la France » (Seuil 2012), Antoine Peillon mentionne les travaux de M. Gabriel Zucman, auteur d’une thèse sur les paradis fiscaux à l’Ecole d’économie de Paris, fondée sur les écarts des données du FMI dans les balances des paiements au niveau mondial. L’estimation est de 6.000 milliards de dollars détenus par les ménages sur des comptes offshore, soit 8% de la richesse financière totale. Pour la France, cette proportion de 8% de la richesse financière des ménages (2.740 milliards d’euros fin 2010), conduit à une estimation de l’ordre de 200 milliards d’euros pour les avoirs détenus par des résidents français dans les paradis fiscaux, soit 10% du PIB en 2012 et plus de 10% de la dette publique de notre pays. Pour la seule Suisse, Antoine Peillon avance le chiffre de 100 milliards d’euros, à raison de 100.000 à 150.000 comptes non déclarés.
En y ajoutant les 370 milliards attribués aux grandes entreprises, on atteint la somme de 570 milliards d’euros pour notre seul pays.
Pour le Boston Consulting Group, au niveau européen, ce sont 2.275 milliards d’euros qui seraient concernés, dont un tiers, 775 milliards d’euros, en Suisse.
A partir d’autres données, notamment du GAO américain, les journalistes Anne Michel et Claire Gatinois ont établi dans un article du quotidien Le Monde un tableau sur l’origine et la destination des fortunes offshore qui fait ressortir pour l’Europe trois destinations privilégiées : la Suisse (27% de la fortune privée), le Royaume-Uni (25%) et les territoires qui sont le relais de la City, le Luxembourg et le groupe des places du Pacifique (Hong Kong, Singapour et Panama), qui représentent 13%.
B. UNE MENACE INTOLÉRABLE POUR LA PÉRENNITÉ DES ETATS
1. Le risque budgétaire : des Etats et des régimes sociaux qui ne peuvent plus se financer, et un impôt qui n’est plus accepté
a. Des pertes de recettes sensibles et couplées à la perte de légitimité de l’impôt
i. Des ordres de grandeur significatifs
Les deux chiffrages les plus cités sur l’ampleur de l’évasion et de la fraude fiscales sont concordants, autour de 50 à 60 milliards d’euros par an.
Ainsi, en juillet 2012, la commission d'enquête précitée du Sénat sur l'évasion fiscale a estimé entre 30 et 60 milliards d'euros son coût annuel pour les finances publiques. Le syndicat Solidaire-Finances Publiques, qui a établi un nouveau rapport début 2013 par extrapolation des résultats du contrôle fiscal, estime que la fraude obère les caisses de l'Etat à hauteur de 60 à 80 milliards d'euros chaque année. Pour sa part, cité par Antoine Peillon, M. Gabriel Zucman estime à 15 milliards par an le montant de l’impôt qui serait dû à condition que les actifs français détenus par les particuliers en Suisse soient tous rapatriés.
Selon d’autres sources, le montant de la fraude fiscale internationale serait estimé à 20 à 30 milliards par an pour l’Allemagne comme pour la France, dont un tiers aurait pour origine les particuliers.
En tout état de cause, les montants sont significatifs pour les finances publiques. En 2012, le PIB français a été de 2 033 milliards d’euros. La dette publique s’est établie à 90,2% du PIB et le déficit public à 4,8% du PIB, soit 98 milliards d'euros environ.
Dans ce contexte, chaque tranche de 20 milliards d’euros représente 1% du PIB et le montant de la fraude et de l’évasion fiscales internationales est à raison de 1,5% du même ordre de grandeur que l’écart de l’actuel déficit à la norme de 3%, écart qui sert de levier pour imposer à la France une politique d’austérité mortifère.
ii. Une menace pour la légitimité de l’impôt
Pour les Etats, le passage de l’ordre ancien à la modernité est caractérisé par l’abandon d’une société d’ordres, fondée sur l’inégalité juridique entre les personnes – l’inégalité des états, comme l’on disait alors –, à une société de femmes et d’hommes égaux en droit, avec trois conséquences : l’égalité civile, celle devant la loi, qui est la même pour tous, aucune personne n’étant inférieure ni supérieure à une autre ; l’égalité devant la justice, avec l’abandon des privilèges de juridiction permettant à certains pour les mêmes faits d’être jugés par leurs pairs, et non par les tribunaux de droit commun ; enfin, l’égalité devant l’impôt, car seule l’égalité devant les charges publiques est de nature à garantir la tolérance à l’impôt.
De ce point de vue, si la question des paradis fiscaux n’est pas réglée, la question de l’allergie fiscale croissante ne manquera pas de se poser avec une acuité sans cesse grandissante. Elle a d’ailleurs été largement développée ces dernières semaines.
b. Des gouvernements sous pression en raison de la menace permanente de la délocalisation fiscale : la course à la baisse de l’impôt sur les sociétés en Europe
Avec son taux de 12,5%, et en outre sa capacité à servir de point de départ vers les Bermudes, l’Irlande a été l’un des éléments essentiels de la concurrence fiscale en Europe et de la baisse de l’impôt sur les sociétés. Son « modèle » a fait école dans les pays d’Europe de l’Est.
Comme le relève l’étude annuelle, pour l’année 2009, de KPMG sur l’impôt sur les sociétés et l’impôt indirect, le taux de l’impôt sur les sociétés a diminué de 10 points en dix ans, passant de 34,12% à 23%, tandis qu’en Asie Pacifique, pourtant région des émergents les plus importants, la diminution a été moindre alors même que le niveau de l’impôt est plus élevé qu’en Europe.
Pour l’Asie-Pacifique, le diagramme est le suivant :
La conclusion est que l'Union européenne est une zone de basse pression fiscale pour l’impôt sur les sociétés en raison de la concurrence interne à laquelle se livrent ses pays membres.
c. Une disparité du niveau de l’impôt entre les grandes et les petites entreprises qui introduit des distorsions de concurrence
Présenté le 6 juillet 2011, le rapport n° 3631 de M. Gilles Carrez, alors rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire - commission qu’il préside actuellement –, a tenté de donner des explications sur les différences de taux d’imposition entre les entreprises du CAC 40, les grandes entreprises, et les petites entreprises.
L’objectif était d’éclaircir la conclusion du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires d’octobre 2009 (Les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée), selon laquelle le taux implicite d'imposition à l’impôt sur les sociétés était en moyenne de 18% (p. 158). Il ressortait à 30% pour les entreprises de moins de 10 salariés, à 20% pour celles qui comptent moins de 500 salariés et à 13% pour les grands groupes de plus de 2000 salariés, selon un graphe présenté page 159 du rapport. Pour les entreprises CAC 40, la comparaison entre la part dans l’Excédent net d’exploitation (30%) et dans l’impôt sur les sociétés (13%) permettait de corroborer un taux d’imposition de 8%. Pour celles n’ayant pas de participation publique, le chiffre de 3,3% a été avancé.
Les chiffres du rapport de M. Gilles Carrez sont sensiblement différents, mais ont confirmé ce constat : le taux implicite d'imposition serait en moyenne de 27,5%, de 39,5% pour les PME et de 18,6% pour les grandes entreprises.
Les plus grandes entreprises, celles de plus de 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, paient entre 15 et 20% de l'impôt sur les sociétés, alors qu'elles réalisent entre 50 et 70 % du chiffre d'affaires total.
Selon les éléments alors diffusés par la presse (Marianne du 8 juillet 2011), 40% de l’impôt sur les sociétés du CAC 40 étaient acquittés par quatre entreprises : EDF, GDF, France Telecom et Renault.
Le niveau d'imposition de beaucoup des entreprises du CAC 40 apparaît donc anormalement faible. Il y a des facteurs internes d’ordre technique, qui se résument ainsi : à législation identique, les plus grandes entreprises paient moins d’impôt, car elles profitent davantage des dispositifs fiscaux. Tel est par exemple le cas du crédit d’impôt recherche.
Mais il y a une dimension internationale, car c’est avec la réintégration des profits réalisés dans le reste du monde, où l’impôt payé peut être moindre, que l’on mesure l’écart entre le taux effectif d’une grande entreprise et celui d’une petite entreprise, pour une prestation identique avec un taux de marge similaire.
Ces éléments sont régulièrement dénoncés comme minant la concurrence sur le marché national.
Néanmoins, le sujet fait toujours débat. Une étude réalisée par le cabinet Landwell et Associés et diffusée le 24 juillet, a indiqué que les entreprises du CAC 40 ont acquitté 35 milliards d’euros d'impôt dans le monde entier, avec un taux moyen d’imposition de 32,4%.
Cette opération de communication ne remet pas en cause le fond du problème : en dépit de chiffres d’affaires substantiels, ces entreprises ne paient pas l’impôt en France. En 2011, Total aurait payé 300 millions d’euros d’impôt sur les sociétés, après n’avoir rien payé certaines années, pour un total de 1,3 milliard d’euros d’impôts.
Dans le même temps, le rapport de CCFD Terre Solidaire indique que les 50 premiers groupes européens ont 4.858 filiales dans les paradis fiscaux, et que le nombre de leurs filiales offshore n’a pas diminué depuis 2009.
Vos rapporteurs sont indignés par ces chiffres.
Ce qu’ils révèlent est aussi dramatique qu’inacceptable : le traitement fiscal d’ensemble des grands groupes est bien plus avantageux que celui des PME.
L’impôt étant un élément de coût comme les autres, il y a clairement rupture caractérisée des règles de concurrence. Au fur et à mesure que l’internationalisation et la planification fiscale agressive se développent, les PME se trouvent condamnées par des multinationales qui les dominent.
2. Le risque économique : des flux financiers et commerciaux et internationaux faussés qui biaisent le pilotage économique
a. Des flux d’investissements directs étrangers entrants et sortants démesurés par rapport à la taille de certaines économies
Les paradis fiscaux et centres offshore donnent une image déformée de la réalité des investissements directs étrangers.
Comme ce sont des places de transit, ils apparaissent à la fois comme de grands investisseurs et comme d’importants bénéficiaires de ces investissements : il y a donc un décalage entre les flux financiers et l’économie réelle, ce qui est cohérent avec le fait que les paradis fiscaux et réglementaires ont justement une stratégie uniquement centrée sur le transit de capitaux étrangers.
Ainsi, pour l’Union européenne, la moitié des investissements du reste du monde en 2011 ont pour origine les Etats-Unis (115 milliards d’euros). Viennent ensuite la Suisse (34 milliards d’euros), les centres financiers offshore (16 milliards d’euros), le Canada (7 milliards d’euros), Hong Kong (6 milliards d’euros), ainsi que le Japon et le Brésil (5 milliards d’euros chacun).
Les principales destinations des investissements de l'Union européenne ont été les Etats-Unis (111milliards d’euros), les centres financiers offshore (59 milliards), la Suisse (32 milliards), le Brésil (28 milliards), la Chine (18 milliards) ainsi que le Canada et l'Inde (12 milliards chacun).
En 2011, Le Luxembourg, avec des investissements de 110 milliards d’euros, a été le principal investisseur hors des Vingt-sept, suivi du Royaume-Uni (89 milliards), de l'Allemagne (34 milliards), de la France (21 milliards), de l'Espagne (19 milliards) et de la Belgique (16 milliards). Le Luxembourg a également été le principal bénéficiaire des investissements en provenance des pays tiers (86 milliards), devant la Suède (16 milliards), l'Espagne (15 milliards), le Royaume-Uni (14 milliards), la France (12 milliards) et l'Allemagne (11 milliards).
Aussi les données brutes doivent-elles être retraitées comme le fait la Banque de France régulièrement (graphe ci-dessous), pour notre pays. Cet écart tend d’ailleurs à s’accroître comme l’indiquent Dominique Nivat et Bruno Terrien dans leur article sur Les investissements directs étrangers en France de 2005 à 2011. L’opération consiste à neutraliser la part des investissements réalisés à partir du Luxembourg, des Pays-Bas et de la Belgique.
On constate donc que la part de ces trois pays est réattribuée pour l’essentiel à la France et dans une moindre mesure aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Comme l’a conclu sur ce point le rapport précité de la commission d’enquête du Sénat, le premier investisseur étranger en France est la France : les filiales non résidentes des groupes français, filiales qui peuvent être financières, sont les premiers investisseurs internationaux en France.
C’est uniquement le résultat d’une stratégie de diminution de l’impôt, alternative au chemin le plus direct d’un investissement depuis la France vers la France sans passer par les voies tortueuses.
b. Des balances commerciales faussées – Jersey, premier exportateur mondial de bananes – et, pour la France, une surcharge certaine du déficit commercial
Les perturbations provoquées par les paradis fiscaux et l’offshore sur la compréhension de l’économie réelle sont patentes.
L’exemple le plus éclairant est celui de l’île de Jersey, où la localisation de structures intermédiaires du circuit du négoce international de la banane, fait que c’est un exportateur essentiel de ce fruit pour l’Union européenne.
C’est le résultat non d’une aberration climatique, mais d’une pure stratégie fiscale.
Cette manipulation s’opère dès 2007, ce que souligne d’ailleurs le rapport précité présenté par Mme Elisabeth Guigou et M. Daniel Garrigue. Elle figure ci-après sous une forme plus pédagogique selon les données du Guardian.
Pour les pays comme la France, la manipulation des prix de transferts intragroupes et la majoration artificielle des prix des importations est un élément économiquement très nocif.
Il majore en effet le déficit commercial de notre pays dans des proportions qu’il n’est pas possible de chiffrer ici, mais dans des conditions qui ne sont peut-être pas neutres lorsque le déficit commercial atteint de tels niveaux : il était de 67 milliards en 2012, dont plus du tiers avec la Chine, soit 26 milliards d’euros.
c. Des aberrations statistiques patentes
Comme le remarque M. Christian Chavagneux, dans ses contributions sur le site internet d’Alternatives économiques, de simples règles de trois mettent au jour les aberrations économiques auxquelles on aboutit dans les paradis fiscaux.
Par exemple, dans le secteur financier, le ratio moyen est en principe d’un million de dollars d’actifs par salarié. Dans les paradis fiscaux, les montants de la valeur des actifs par employé sont très supérieurs à cette moyenne : l’Irlande, les Pays-Bas et le Suisse sont autour de 4 à 5 millions de dollars ; les Bermudes à 45 millions de dollars !
Difficile de croire qu’un seul employé du secteur financier des Bermudes soit 45 fois plus performant que son homologue du reste du monde...
Par ailleurs, le rapport du profit après impôt à la masse salariale est également hors norme dans les paradis fiscaux : 160% en Suisse ; 660% en Irlande et 3 500% aux Bermudes.
3. Le risque pour l’ordre public : une grande criminalité qui se pense hors d’atteinte
Lors de plusieurs entretiens, la capacité de la grande criminalité et de la grande délinquance internationale à se couler dans les rouages de l’économie normale par l’intermédiaire des paradis et centres offshore a été évoquée - même si ce ne sont pas les masses financières les plus importantes - par exemple dans les territoires comme les îles Caïman où ce sont les fonds spéculatifs qui représentent la presque totalité des finances transitant dans le territoire.
Le rapport moral sur l’Argent dans le monde 2011-2012, établi par la Caisse des dépôts et l’Association d’économie financière, a souligné l’ampleur de la menace que représente pour les Etats la criminalité financière.
Le montant des flux illégaux est estimé à 5% du PIB mondial pour les différentes formes de criminalité organisée. La menace s’exprime en outre concrètement sur une base géographique ou ethnique qui ne peut que heurter les principes et les convictions républicaines. En octobre 2012, l’arrestation en Espagne de Gao Ping, a mis au jour la manière dont « la mafia chinoise » a gangréné l’économie espagnole. Les mécanismes mêlent tous les trafics : l’entrepreneur chinois importe une main d’œuvre clandestine qu’il exploite jusqu’à ce qu’elle ait remboursé la « dette » de sa venue illégale en Europe. Dans le meilleur des cas, le secteur concerné est le commerce ou la restauration. Dans d’autres, il s’agit de la prostitution, du jeu ou du trafic de drogue. Une fois la première « dette » payée, une nouvelle dette apparaît, pour obtenir la régularisation, avec l’aide de cabinets conseil eux-aussi constitués de Chinois. Puis, en fin de course, l’immigrant va monter sa propre affaire, mais là encore, aidé par les ressortissants de la communauté qui lui consentent une nouvelle dette. Les migrants venant de la même région de Chine, un contrôle territorial est soupçonné. Les juridictions non coopératives sont probablement utilisées pour le dépôt et le transfert des avoirs en vue d’un retour en Chine pour les vieux jours.
Un autre exemple est celui de la banque américaine Wachovia, petite banque de Caroline du Nord à l’origine, spécialisée dans l’économie agricole, mais devenue la quatrième banque américaine à la faveur des fusions et acquisitions successives. Elle est devenue filiale de Wells Fargo en raison de son incapacité à surmonter ses erreurs qui l’ont mise en difficulté après le déclenchement de la crise financière. Wachovia a dû payer 160 millions de dollars pour clore la procédure intentée contre elle pour avoir blanchi 380 milliards de dollars entre 2003 et 2008 dans des transactions réalisées dans les « casas de cambio », bureaux de change répartis près de la frontière mexicaine. La banque est notamment restée insensible aux alertes de celui qu’elle avait recruté en Europe pour lutter contre le blanchiment.
Un dernier exemple est celui de la City de Londres, que le Président de la FSA en 2005, M. Callum McCarthy, avait indiqué comme faisant l’objet de tentatives d’infiltration dont certaines réussies, par des organisations criminelles de type mafieux et des organisations terroristes, comme le relevait un article du Figaro du jeudi 17 novembre 2005.
4. Un risque de contamination des marchés publics, et de corruption, en France
Lors de leurs auditions, vos rapporteurs ont eu certaines surprises, mais aucune n’a égalé celle de découvrir que le secteur des marchés publics était également affecté par des pratiques relevant de la grande délinquance financière internationale.
La surprise a été d’autant plus importante que la mise au jour de ces affaires de fraude très grave sur marché public n’a pas forcément eu pour origine une investigation à caractère financier, mais au contraire une enquête banale sur une infraction de droit commun touchant à la dignité de la personne humaine.
Deux affaires, bien qu’elles aient été présentées de manière anonyme, ont particulièrement attiré leur attention.
La première est dans le cadre d’un marché classique de fournitures. Les produits concernés, fabriqués en Asie comme beaucoup de produits nécessaires à la préservation de la santé ou de dispositifs médicaux de consommation courante, ont fait l’objet, comme les T-Shirts du schéma précédent, d’une facturation intermédiaire dans un territoire considéré comme peu coopératif. La différence entre le prix d’achat à l’importateur dans le pays d’origine et le prix de facturation au fournisseur français de la collectivité publique, majore d’autant le prix du marché acquitté par la collectivité publique. Cet argent reste hors de France et, grâce à un circuit plus ou moins compliqué, il est ensuite versé sur un compte dans un paradis fiscal.
La deuxième affaire concerne une prestation de services, de construction, avec recours à un sous-traitant communautaire, et versement de fonds dans un paradis fiscal également. L’entreprise titulaire du marché fait appel à un fournisseur qui lui est lié, de manière là encore à disposer d’une marge confortable, quitte à faire travailler des ressortissants « low cost » d’un autre Etat membre privant du même coup la collectivité de l’avantage d’un prix moins élevé.
A la lecture des rapports d’information de nos collègues Anne Grommerch (n° 3150 du 8 février 201) et Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron (n° 1087 du 29 mai 2013), sur le détachement des travailleurs, on ne peut que subodorer une fraude de grande ampleur avec une dimension fiscale et sociale. Les abus du détachement et les faux détachements, forme moderne de l’esclavage, sont aussi un gouffre pour la sécurité sociale.
C’est un vrai scandale, au-delà du délit fiscal et du risque de corruption, car se pose un problème de droit du travail mais surtout de dignité humaine et la question – plus prégnante à chaque élargissement de l’Union européenne – exige que les Gouvernements des Etats membres s’y attèlent de concert.
III. FACE À CELA, L’IMPUISSANCE PUBLIQUE
Malgré la prise de conscience croissante des graves conséquences de la « délinquance en col blanc », et de l’origine criminelle d'une partie de cet argent sale, la réaction des Etats depuis une vingtaine d'années s'est révélée pour une large part inopérante.
A cause bien sûr de la multiplication des paradis fiscaux, la complexification des mécanismes de dissimulation et l'explosion des moyens modernes de communication qui, conjugués à la grande fluidité des flux financiers et au démantèlement toujours plus grand des frontières étatiques - pour laisser circuler aussi bien les marchandises, les hommes que les capitaux -, ont fait entrer le nomadisme financier dans l'ère de l'instantanéité et d'une opacité sans précédent.
La disproportion de moyens par rapport aux armées de fiscalistes et comptables œuvrant à « l'optimisation fiscale » laisse parfois des administrations nationales aux moyens inadaptés à la traîne de ceux qu'elles poursuivent. Le « trop peu, trop tard » paraît également aggravé par une insuffisante volonté politique de la part des gouvernants, qui doivent en la matière faire preuve de constance et de fermeté.
1. Une coopération internationale qui avance surtout « sur le papier »
a. Les années 1990 : la lutte contre le blanchiment et la politique des listes
i. La lutte contre le blanchiment de capitaux avec la création du GAFI dès 1989, la première directive anti-blanchiment au niveau européen, et l’introduction du principe de la connaissance du client
C’est lors du Sommet de l’Arche, à Paris, sur l’initiative de la présidence française, qu’est décidée la première action internationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, en application de la Convention des Nations Unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants. La déclaration finale du 16 juillet 1989 est à l’origine de la création du Groupe d’Action Financière (GAFI). Un groupe spécial d’experts financiers est chargé de remettre un rapport en avril 1990. C’est l’origine des Quarante Recommandations présentant un plan complet des actions nécessaires pour lutter contre le blanchiment de capitaux. Le GAFI veille ainsi à l’élaboration des normes et assure leur application. Il procède à des exercices mutuels d’évaluation, dits de revue par les pairs, et suit les progrès réalisés dans la mise en œuvre des Recommandations. Progressivement, le GAFI s’élargit. En 2000, le GAFI comptait 31 membres, puis 33 en 2003 et 34 depuis 2007. Se sont également mis en place des homologues régionaux du GAFI, ce qui permet de couvrir la presque totalité des Etats et territoires.
Cette première phase a été clôturée par la publication en 1999 d’une liste de 29 territoires faisant l’objet d’un doute, préalable à la publication de la liste de 15 pays et territoires non coopératifs en 2000. En 2001, à la suite des attentats du 11 septembre, le GAFI émet neuf recommandations spéciales complémentaires aux quarante initiales, pour contrer le financement du terrorisme, puis plus généralement les autres menaces liées pesant sur l’intégrité du système financier international.
En France, c’est alors qu’est mis en place, en 1990, Tracfin, à la suite du Sommet de l’Arche, pour lutter contre les circuits financiers clandestins. La Communauté européenne adopte dès 1991 la première directive anti-blanchiment et prend l’initiative d’un renforcement avec une deuxième directive en 2001. Les textes anti-blanchiment ont été à l’origine de la généralisation du principe de la connaissance du client ou KYC selon l’acronyme anglais : Know your customer.
ii. L’approche fiscale au sein de l’OCDE ainsi qu’au sein de la Communauté européenne par le biais des pratiques fiscales dommageables
Le comité des affaires fiscales de l’OCDE décide en 1988 la création d’un groupe de travail sur la lutte contre la concurrence fiscale dommageable, le Forum sur les pratiques fiscales dommageables. Dix ans après, est publié un rapport sur la question qui ouvre la porte à la création d’une liste de paradis fiscaux, au nombre de 45 en 1999, avant que ne soit publiée en juin 2000 une liste officielle de 35 pays ou territoires.
L’effet de la liste et du risque de réputation qui lui est associé, selon le principe anglo-saxon du name and shame, est suffisant pour que six entités se soient engagées à entreprendre un minimum de réformes en contrepartie de leur non inclusion dans la liste officielle de juin 2000 : Bermudes, îles Caïman, Chypre, Malte, Maurice et Saint-Marin.
Au niveau européen, deux initiatives interviennent également. D’abord, avec l’adoption par le Conseil ECOFIN du 1er décembre 1997 du code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises pour éliminer les mesures fiscales existantes qui engendrent une concurrence fiscale dommageable et s'abstenir d'introduire toute nouvelle mesure ayant cet effet. Fonctionnant sur une base volontaire associant de manière non contraignante les Etats membres et la Commission européenne, le groupe de travail issu de cette initiative a démantelé plus de 160 régimes.
iii. Une première étape vers la fiscalisation des revenus de l’épargne non résidente : la directive « épargne » de 2003 sur la fiscalité des revenus de l’épargne sous forme d’intérêts ; le programme Qualified Intermediary aux Etats-Unis
C’est en 1998 qu’a été prise l’initiative d’une harmonisation de la taxation de l’épargne, mais la question a été posée dès juin 1988. S'en est suivie une proposition de la Commission européenne visant à instaurer une retenue à la source de 15 % sur les revenus de l’épargne, à savoir sur les intérêts versés. Celle-ci s’est heurtée à l’opposition du Royaume-Uni et du Luxembourg. L’unanimité étant nécessaire en matière fiscale, elle n’a donc pas abouti. Cet échec n’a pas été définitif. En réponse à une demande du Conseil, la Commission européenne a de nouveau présenté, en juin 1998 le « paquet Monti », comprenant notamment une proposition de directive visant à garantir un minimum d’imposition effective des revenus de l’épargne sous forme d’intérêts à l’intérieur de la Communauté. Lors du Conseil européen de Santa Maria de Feira des 19 et 20 juin 2000, les Etats membres ont décidé à l’unanimité d’aller plus loin et de faire de l’échange d’informations, sur une base aussi large que possible, l’objectif ultime de l’Union. Adopté en 2003, le texte de la directive dite « épargne » 2003/48/CE a cantonné le secret bancaire à trois pays de l’Union européenne, devenus deux, le Luxembourg et l’Autriche, et leur a imposé en contrepartie de son maintien, ainsi qu’à cinq Etats tiers européens (la Suisse, Monaco, Saint-Marin, le Liechtenstein et Andorre) et aux territoires de la Manche et des Caraïbes liés au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, une imposition sous la forme d’une retenue à la source dont une partie du produit (75%) est reversée aux pays d’origine des détenteurs de fonds clandestins. Nous verrons plus loin que les banques s'étaient préparées à ces mesures et, les ayant anticipées, qu'elles ont pu efficacement les contourner.
A partir de 2001, les Etats-Unis ont mis en application un dispositif unilatéral adopté en 1997, de même inspiration, pour assurer la perception de l’impôt sur les intérêts des avoirs américains expatriés et investis en titres américains. Est ainsi instituée une retenue à la source de 30% ou 31% dans certains cas sur les paiements à l’étranger des dividendes et intérêts de source américaine. Cette retenue peut cependant être supprimée au profit des taux préférentiels des conventions fiscales dans certaines conditions de transparence ou de coopération des établissements financiers étrangers. Tel est le cas pour ceux qui adhèrent au programme dit Qualified Intermediary (QI), obligeant seulement à transmettre à l’IRS l’identité des clients américains détenant des avoirs à l’étranger et les paiements correspondants.
iv. La lutte contre la corruption et les progrès de la coopération pénale internationale, les efforts en matière de création de l’Espace européen de liberté, de sécurité et de Justice
La prise de conscience de l’importance croissante de la corruption, pour le développement de laquelle les paradis fiscaux jouent un rôle de havre, date également des années 1990. Déplorant leur impuissance en raison de la faiblesse tant juridique qu’organisationnelle des moyens qui leur sont impartis, des magistrats anti-corruption lancent en octobre 1996 l’Appel de Genève, relayé au niveau européen en octobre 1998 par l’Appel d’Avignon : il demande que l’Europe donne aux magistrats les moyens de lutter contre la criminalité transfrontière, les paradis fiscaux et l’argent sale, et en appelle à la Garde des Sceaux française pour transmettre le texte correspondant à la Présidence finlandaise de l’Union européenne. Il a un écho certain. Adopté sous Présidence finlandaise, le programme de Tampere donne une impulsion décisive à la création de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Interviennent ainsi la convention d’entraide judiciaire en matière pénale du 29 mai 2000, qui repose sur le principe de la transmission directe des procédures entre les autorités judiciaires, sans passage préalable par une autorité diplomatique ou centrale, pour fluidifier la circulation des demandes et de nouveaux modes d’entraide, les nouvelles procédures telles que l’utilisation de la vidéoconférence pour procéder à des auditions sur le territoire d’un autre Etat membre, les livraisons surveillées et les enquêtes discrètes, la création des équipes communes d’enquête ou encore la communication d’informations bancaires. Est également adoptée la décision-cadre sur le mandat d’arrêt européen du 13 juin 2002 et la création d’Eurojust. Le mandat d’arrêt européen permet d’éviter les procédures d’extradition pour les infractions les plus graves et l’harmonisation des législations des Etats membres pour la criminalité organisée, notamment.
L’intention d’avancer est affichée de manière permanente. Le programme de La Haye succède en 2005 à celui de Tampere. En 2009, c’est le programme de Stockholm qui couvre la période 2010-2014. En 2008 est aussi adoptée la décision cadre sur le mandat européen d’obtention de preuves.
Au sein de l’OCDE, est adoptée en 1997 la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, laquelle, en mars 2009, avait été ratifiée par trente-huit pays.
Globalement, conjointement avec la lutte contre le blanchiment, la lutte contre la corruption est le vecteur d’une progression de la coopération pénale internationale. Pour le juge, le secret bancaire peut être levé dans le cadre de commissions rogatoires internationales, même si c’est trop tard et de manière limitée. Le secret bancaire peut même être levé pour les cas de fraude fiscale les plus graves, mais qui restent en nombre de cas très limité. Même si les résultats sont peu spectaculaires, l’évolution sur le plan des principes a été décisive pour la suite.
v. L’approche prudentielle et la liste du Forum puis du Conseil de stabilité financière
A la fin des années 1990, l’accumulation des crises financières à composante régionale forte, avec la crise russe et la crise asiatique succédant aux crises sud-américaines, mais présentant des risques systémiques en raison de la spéculation, comme le montre l’affaire du LTCM, Hedge fund se retrouvant en faillite en raison de l’évolution imprévue des spreads - c’est-à-dire des écarts de taux d’intérêt -, conduit à la création en 1999, sur l’initiative du G7, du Forum de stabilité financière, ensuite remplacé par le Conseil du même nom, organisme ayant son siège à Bâle auprès de la Banque des règlements internationaux et regroupant des banques centrales et des autorités financières, et à la publication en 2000 d’une liste de 44 pays présentant des insuffisances au regard des normes reconnues comme nécessaires.
b. La pause au cœur des années 2000 : des listes qui se vident, mais quelques actions aussi discrètes qu’essentielles grâce à l’OCDE
i. L’amenuisement du nombre des pays menacés d’une mise à l’index
Au début de la décennie 2000, la volonté politique n’est plus la même. Tel est le cas, mais pas seulement, aux Etats-Unis après l’élection du Président George W. Bush. Les procédures continuent mais la technique l’emporte sur le politique, faute d’impulsion. Seules font exception les mesures prises après le 11 septembre 2001, avec notamment l’adjonction par le GAFI des neuf recommandations spécifiques à la lutte contre le terrorisme aux quarante édictées dès 1990 pour la lutte contre le blanchiment. Par conséquent, faute d’un renforcement des normes et le contrôle opéré restant essentiellement d’ordre formel, les listes se vident. L’impact politique des évaluations mutuelles du GAFI est trop peu visible. A l’automne 2008, la liste du GAFI est vide, mentionnant uniquement deux Etats : le Myanmar (Birmanie) et le Nigéria. Celle du Forum de stabilité financière se réduit également. Menés pourtant par le FMI, les travaux d’évaluation constatent des progrès sur le plan de la réglementation interne. La liste est considérée en 2005 comme n’ayant plus de raison d’être. Pourtant, l’état de la coopération internationale et de l’échange d’informations est jugé insuffisant, mais il est vrai que l’approche intégrée du contrôle prudentiel des établissements financiers des grands Etats rend en principe secondaire un contrôle accru des petites entités politiques. La liste de l’OCDE comporte certes des noms, mais ils ne sont plus qu'au nombre de trois, Monaco, Andorre et le Liechtenstein, lorsqu’éclate la crise financière de 2008. Ils n’étaient déjà plus que sept lors de la publication de la mise à jour de 2002.
ii. Une initiative cependant discrète mais extrêmement efficace pour la suite au sein de l’OCDE : l’établissement d’une convention fiscale normalisée permettant l’échange de renseignements sur demande et l’adoption du principe de l’évaluation par les pairs en matière de coopération fiscale
En 2002, l’OCDE donne une impulsion décisive au dialogue avec les pays à secret bancaire, dont certains en son sein, avec la création du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, comprenant des pays de l'OCDE et des juridictions qui acceptent de s’engager à mettre en place dans le futur des normes de transparence et d'échange de renseignements à des fins fiscales. L’objectif principal du Forum mondial est le développement des normes de transparence et d'échange de renseignements à travers le Modèle d'accord sur l'échange de renseignements en matière fiscale publié le 18 avril 2002 (et dénommé «modèle de convention de l'OCDE»).
Les normes d’échange de renseignements sont conformes aux trois principes suivants : l’échange, sur demande, de renseignements « vraisemblablement pertinents » pour l’administration ou l’application de la législation interne du cosignataire ; la possibilité d’accéder à des renseignements fiables et l’utilisation des pouvoirs permettant de les obtenir dans
le respect des droits des contribuables ; le strict respect de la confidentialité des renseignements échangés.
Ils sont repris dans le cadre de l’article 26 de la convention type OCDE visant à éliminer les doubles impositions.
A partir de 2006, le principe du regard extérieur sur les pratiques de chacun est acté : le Forum publie une évaluation, annuelle, du cadre légal et administratif pour la transparence et l'échange d'information dans plus de 80 juridictions. C’est sur cette base que va être relancée à partir de 2009, par le G 20, la lutte contre les paradis fiscaux.
c. La relance de la lutte internationale contre les paradis fiscaux à partir de 2009 : un sujet inscrit en permanence à l’Agenda du G 20 et du G 8
i. Les facteurs de déclenchement : les affaires LGT, UBS et HSBC, ainsi que la crise financière
Quatre éléments sont dans l’ensemble considérés comme ayant conduit à une prise de conscience de la nécessité d’une relance de la lutte contre les paradis fiscaux : les trois affaires bancaires évoquées ci-après, LGT, UBS et HSBC, et la crise financière. S’agissant de cette dernière, ses premiers symptômes sont apparus dès 2007, mais ses conséquences aussi graves qu’inéluctables sont brutalement apparues en septembre 2008 après la mise en faillite de Lehman Brothers.
Bien qu’ils s’en défendent puisque l’origine de la crise, les subprimes, est clairement aux Etats-Unis et est liée aux excès et aux failles de la titrisation d’un nombre croissant de prêts consentis à des foyers de moins en moins solvables, les paradis fiscaux et centres offshore ont été clairement impliqués dans les aspects les plus délicats de cette crise : les défaillances bancaires.
Dès 2008, un rapport du GAO montre que les banques américaines ont un système bancaire parallèle ou fantôme dans les paradis prudentiels. Ils y développent les actifs qui se révèleront toxiques aux îles Caïman. Bears Stern est emporté par les excès de sa filiale aux îles Caïman et Madoff monte son escroquerie grâce à des filiales relais et coupe-circuit au Luxembourg, en Suisse ainsi qu’aux îles Vierges britanniques et aux Bermudes. Deux exemples de banques européennes doivent aussi être cités : Northern Rock fait faillite à cause des excès de son financement à court terme logé dans sa filiale Granite à Jersey ; Hypo Real Estate est victime de la spéculation de ses filiales irlandaises.
C’est au sommet du G 20 de Londres les 1er et 2 avril 2009 que la lutte contre les paradis fiscaux est de nouveau inscrite à l’agenda international. Ses conclusions indiquent textuellement que « l’ère du secret bancaire est révolue » et que des actions seront entreprises contre les juridictions non coopératives, y compris les paradis fiscaux et que les plus grands pays sont prêts à aller jusqu'à des sanctions pour protéger leurs finances publiques et leurs systèmes financiers. Elles notent que l’OCDE vient de publier le même jour une liste de pays ne respectant pas les normes de transparence fiscale internationale selon le Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations en matière fiscale.
C’est ainsi à l’issue de cette réunion qu’est relancée de manière active la politique des listes dans les trois domaines concernés : fiscal, prudentiel et lutte contre le blanchiment. Néanmoins, entre les déclarations et les décisions suivies d'effet, la route allait se révéler plus longue qu'on aurait pu l'espérer. Jacques Attali avait ainsi pu commenter la force des résolutions prises lors - toujours selon son expression - de ce « G vain » : « Des réunions d'alcooliques anonymes qui se promettent de ne plus boire et fêtent ça autour d'un dernier verre... »
Lors du Sommet suivant à Pittsburgh, les 24 et 25 septembre 2009, les chefs d’Etat et de Gouvernement confirment l’engagement.
iii. De nouvelles listes de paradis fiscaux fondées sur un critère de transparence : l’application effective de l’échange d’informations sur demande
En matière fiscale, le G 20 a donc pris acte du fait que le secret bancaire n’était levé que dans des cas de coopération pénale : mouvements d’argent de type mafieux, délits d’initié, manœuvres fiscales frauduleuses, mais pas en cas d’absence ou insuffisance de déclaration.
La mission du Forum mondial est donc relancée pour établir une nouvelle liste fondée sur deux critères essentiel : l’acceptation de répondre à toute requête d’information sur demande de la part des Etats qui la font, selon le modèle dit de l’article 26 des conventions normes OCDE ; l’obligation de conclure un nombre minimum de conventions fiscales fondés sur cette norme, le nombre étant fixé à 12.
En septembre 2009, lors de la réunion au Mexique du G 20, un groupe de revue par les pairs (PRG), selon le modèle d’évaluation déjà créé, a été mis en place avec une mission très précise en deux phases :
– une phase dite 1 pour vérifier que les engagements à la transparence ont été respectés ;
– une phase dite 2 pour vérifier l’application effective de la transparence, avec selon dix critères précis, la vérification de la disponibilité des renseignements fiscaux, de la faculté d’accès à ces renseignements et de leur transmission à l’autorité fiscale de l’Etat demandeur.
L’objectif a été de s’assurer que les engagements à la transparence n’étaient pas formels, ce qui était l’un des reproches fait au GAFI, mais réels.
La publication des rapports fait partie des éléments de pression et évite d’avoir, même pour les pays qui passent les tests, des pratiques marginales mais faisant obstacle à la transparence.
Les trusts dans les juridictions de type anglo-saxon tels que les Bermudes et les Caïman sont ainsi mis en évidence, de même que les actions au porteur en Suisse.
La publication de la première liste en 2009 a donné lieu à certains commentaires en raison de sa dimension politique. Rien n’est écrit sur les trois Etats fédérés régulièrement mis en cause aux Etats-Unis : le Delaware, le Wyoming et le Nevada. Hong Kong et Macao ne sont visés que par l’intermédiaire d’une note de bas de tableau. Et devant ce silence total, ne doit-on pas conclure à une hypocrisie des pays de l’OCDE ?
Il n’en reste pas moins que les effets de la démarche ont été sensibles : des pays ou des territoires non coopératifs ont conclu des conventions fiscales, même Singapour pourtant considéré comme un havre sûr, et qui ne l’est plus après la conclusion d’une convention d’échanges d’informations sur demande avec la France.
Au total, le Forum peut mettre à son actif plus de 900 conventions. Mais, il ne faut pas négliger une certaine hypocrisie de la démarche, qui consiste à signer des conventions entre paradis fiscaux pour sortir des listes, et atteindre le nombre minimal fixé. C’est au niveau de la revue par les pairs cependant que ce procédé a été mis en cause.
Une nouvelle avancée est intervenue en juillet 2012 avec l’abandon du caractère nominatif des demandes lorsqu’il s’agit de viser un groupe de personnes présentant les mêmes caractéristiques.
Comme l’indique l’OCDE, « la mise à jour autorise explicitement les demandes concernant des groupes. Ce qui signifie que les autorités fiscales peuvent demander des renseignements sur un groupe de contribuables, sans les nommer de manière individuelle, à condition que la demande ne constitue pas de la pêche aux renseignements. Cette mise à jour représente une avancée vers davantage de transparence ».
L’OCDE a également développé un support multilatéral pour l’échange de renseignements à des fins fiscales : l’élargissement du champ et la modification de la convention multilatérale OCDE-Conseil de l’Europe de 1988. L’OCDE et le Conseil de l’Europe ont ainsi développé un protocole d’amendement à la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, d’une part, pour l’aligner sur la norme internationale sur l’échange de renseignements et, d’autre part, pour permettre à tous les pays d’y adhérer. L’avantage de ce modèle multilatéral est que, pour un Etat signataire, la convention vaut engagement de transparence vis-à-vis de tous les autres pays signataires.
iv. Les résultats plus lents ou moins médiatisés en matière de lutte contre le blanchiment : la révision des recommandations du GAFI et l’inclusion de fraude fiscale dans la liste des infractions primaires ; la troisième directive européenne sur la lutte contre le blanchiment
Pour ce qui concerne la lutte contre le blanchiment, la relance de la l’action du GAFI n’a encore donné que des résultats partiels, car l’important travail réalisé est essentiellement préparatoire.
La principale action a été de refaire des listes, ce qui a abouti à la distinction de deux catégories de pays : ceux qui ne sont pas conformes ; ceux dont la conformité doit être améliorée.
Ces listes sont actuellement les suivantes, datées de juin dernier.
Juridictions à l’encontre desquelles le GAFI appelle ses membres et les autres juridictions à appliquer des contre-mesures afin de protéger le système financier international des risques permanents et significatifs de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (BC/FT) émanant de ces juridictions.
Iran
République démocratique Populaire de Corée
Juridictions présentant des défaillances stratégiques en matière de LBC/FT et qui n’ont pas réalisé de progrès suffisants ou qui ne se sont pas engagées à suivre un plan d’action élaboré avec le GAFI afin de corriger leurs défaillances. Le GAFI appelle ses membres à tenir compte des risques que représentent les défaillances de chacune de ces juridictions, qui sont décrites ci-dessous.
Dans certains cas, le GAFI a appelé ses membres à renforcer les mesures préventives et à appliquer des contre-mesures efficaces. Tel a été le cas vis-à-vis de l’Iran et de la République populaire démocratique de Corée (RPDC), depuis respectivement février 2009 et février 2011.
Le GAFI a également opéré une révision de ses recommandations, ce qui a été achevé en 2012, en liaison avec la lutte contre le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive identifiées comme des menaces pour la sécurité mondiale et l’intégrité du système financier.
C’est dans le cadre de cette révision qu’a été incluse la fraude fiscale à la lutte contre les infractions sous-jacentes ou primaires (en effet, le blanchiment est toujours le recyclage du produit d’une infraction pénale de base).
Cette opération sur les normes du GAFI vise à doter les gouvernements d’outils plus robustes pour sanctionner les infractions graves.
Le GAFI vient également d’adopter le 22 février dernier une nouvelle méthodologie, sur la base de laquelle ses évaluations vont être affinées. Celle-ci est en effet destinée à la mise en œuvre d’une analyse intégrée, incluant à la fois le niveau de conformité d’un pays avec les Recommandations du GAFI et le niveau d’efficacité, c’est à dire d’application effective et de résultats, de son régime de lutte contre le blanchiment de capitaux/lutte contre le terrorisme. Elle va être mise en œuvre par le GAFI, les groupes régionaux de type GAFI et les autres organismes d’évaluation tels que le FMI et la Banque mondiale. Un nouveau cycle d’évaluation est prévu pour 2014.
v. Une amélioration moins significative sur le plan prudentiel au niveau international, compensée en Europe par le travail de l’Union européenne sous l’impulsion du Commissaire au marché intérieur et aux services financiers, M. Michel Barnier
Sur le plan prudentiel, le FMI et le Conseil de stabilité financière, qui a succédé au Forum, ont été chargés d’un suivi des règles prudentielles et de la stabilité financière. La démarche a abouti dans des conditions qui ont au mieux suscité le scepticisme, avec la publication en 2011 d’une liste de deux pays non conforme : la Libye et le Vénézuela.
Dans ce contexte, ce sont les règles nationales, comme celles de la loi Dodd-Frank aux Etats-Unis, qui prévalent.
Pour ce qui concerne l’Union européenne, il faut saluer l’important travail de régulation opéré sous l’égide du commissaire au marché intérieur et aux services financiers, M. Michel Barnier, avec l’adoption de plus de trente textes selon les orientations suivantes : le renforcement des normes prudentielles ; la règlementation des marchés de capitaux, pour éviter qu’un produit financier puisse échapper à toute règle ; le rôle des autorités européennes de surveillance ; l’union bancaire.
vi. Le G20 de Séoul et le plan d’action global contre la corruption
Lors du Sommet de Toronto les 26 et 27 juin 2010, les chefs d’Etat et de Gouvernement ont institué un groupe de travail anti-corruption, cette question ayant déjà été évoquée. L’année suivante, lors du Sommet de Séoul, les 11 et 12 novembre 2011, le plan prévu par ce groupe a été avalisé et, ultérieurement, à Los Cabos, le mandat du groupe de travail a été renouvelé pour un plan révisé.
Le plan de Séoul portant sur la période 2011-2012 a été essentiellement fondé sur la mise en œuvre de la convention des Nations Unies contre la corruption de 2003, qui à la fin du mois de mai 2013 avait été ratifiée par plus de 160 pays. Cette convention est fondée sur : l’adoption et la mise en application de lois contre la corruption d’agents publics étrangers; l’interdiction de l’accès d’agents corrompus au système financier international ; l’étude d’un cadre de coopération portant sur le refus de l’admission d’agents corrompus ; l’extradition et le recouvrement des avoirs; la protection des lanceurs d’alerte ; la protection des organismes de lutte contre la corruption.
2. Mais les intermédiaires devancent les mesures
a. Les banques et les professionnels du droit et du chiffre au cœur des paradis fiscaux
i. Des établissements autonomes en Suisse, mais la prédominance de filiales des grandes banques européennes et américaines dans les petits territoires
Les paradis fiscaux n’existent que par la présence sur place de professionnels qui n’en sont pas originaires, et plus précisément de trois professions : les banques et établissements financiers ; les avocats et plus généralement les juristes ; les experts comptables, notamment les grands cabinets d’audit.
Même s’il existe des entités bancaires autonomes sur place, des cabinets d’avocats ou des cabinets indépendants, il est clair que dans la plupart des paradis fiscaux et centres offshore, l’armature de ces professions est en symbiose avec celle des grandes banques ou des grands cabinets implantés dans les grandes capitales financières. Dans ce paysage, la Suisse fait naturellement exception en raison de sa taille et de sa situation non pas isolée, mais placée au contraire au centre de l’Europe continentale.
Dans les pays ou les territoires les plus petits, l’implantation de toutes les grandes banques européennes, américaines, japonaises et même israéliennes, ainsi que des grands cabinets d’avocats et d’audit anglo-saxons, est souvent dénoncée, notamment par les organisations non gouvernementales.
Pour les banques françaises, une étude de 2012 de CCFD Terre Solidaire a conduit à la carte suivante :
513 filiales étaient dénombrées. En retenant une définition plus rigoureuse, excluant les pays qui ne sont pas toujours considérés comme des paradis fiscaux, on reste quand même sur plusieurs centaines. Dès 2001, le rapport précité établi par MM. Peillon et Montebourg avait mis en évidence une forte présence des banques dans les paradis fiscaux.
En 2009, Alternatives économiques a publié le diagramme suivant qui montre que les banques et les sociétés d'assurances sont les premiers « clients » des paradis fiscaux :
Lors de leurs auditions, les représentants des grandes banques françaises ont indiqué réduire leur implantation dans les pays ou territoires régulièrement dénoncés, preuve – selon eux – que la situation a malgré tout évolué ces dernières années. Mais ils n’ont apporté aucune réponse précise et, dans le même temps, le CCFD a noté en 2012 une augmentation de ces implantations.
L'un de ces banquiers, basé à Londres, poussé dans ses retranchements par les questions précises et insistantes de vos rapporteurs, a fini par faire preuve d'une parfaite franchise, avouant que sa seule mission est de « faire de l'argent » pour le compte de son employeur, sans autre forme de considération d'intérêt général...
Il est à espérer que la question sera rendue plus lisible avec la mise en œuvre de la disposition adoptée dans le cadre de la loi sur la sécurité et la régulation financière.
L’aspect le plus délicat de la question est celui des pratiques qui alimentent le soupçon. Des documents « d’optimisation » adressés à la clientèle circulent régulièrement. Ils ne sont pas, en principe, le fait du siège ou des structures françaises, car il a été rappelé qu’ils n’avaient pas le droit de faire du conseil fiscal. Ils sont donc nominalement au moins le fait des filiales étrangères qui ne sont tenues que de respecter les règles locales. BNP-Paribas et le Crédit agricole ont ainsi été dénoncés dans le cadre d’OffshoreLeaks comme facilitateurs d’ouverture de comptes offshore et d’un recours banalisé aux paradis fiscaux (Le Monde samedi 6 avril 2013).
S’agissant des banques étrangères, on observe de la part des banques anglo-saxonnes une approche assez différente, plus « dynamique », liée au fait que la City et Wall Street sont au cœur de la mondialisation.
ii. La place particulière de l’activité, très rentable, de la gestion de fortune ou gestion privée
La gestion de fortune est l’apanage des grandes banques, des banques suisses et américaines essentiellement, mais pas seulement. Selon le classement du cabinet Scorpio Partnership régulièrement publié hier, UBS est la première banque en la matière, devant Bank of America Merrill Lynch (BoA). Viennent ensuite les grandes banques américaines : Wells Fargo à la troisième place, puis Morgan Stanley, puis Crédit suisse, puis Royal Bank of Canada, HSBC, Deutsche Bank, BNP Paribas et Pictet, banque genevoise, à la dixième place. Ensuite, on trouve JP Morgan, Citi Private Bank et Goldman Sachs.
L’activité est des plus rentables. Selon les éléments communiqués, en 2009, HSBC Genève réalisait 1 milliard d’euros de bénéfice annuel avec 1.200 employés, soit un bénéfice de l’ordre de 800.000 euros par employé.
Pour les grandes banques anglo-saxonnes, l’implantation dans les paradis fiscaux est jugée intéressante. Ainsi, cité par L’Expansion le 4 avril dernier, l’économiste James Henry, auteur en 2012 d'une étude sur l'économie offshore présentée sur le site du Guardian, a calculé que les 10 banques les plus importantes du monde en matière de gestion de patrimoine privé, des expertes de l'optimisation fiscale dont Goldman Sachs, le Crédit suisse et UBS, sont passées de 1.800 milliards d'euros gérés en 2005 à 4.800 milliards d'euros en 2010.
Cet économiste a également calculé, selon ce même article, que si une dizaine de millions de personnes ont placé des biens dans les paradis fiscaux, la moitié des sommes, soit à peu près 8 000 milliards d'euros, était entre les mains d'un tout petit nombre de 92 000 super-riches, soit 0,001% de la population mondiale.
iii. L’optimisation fiscale des banques pour et par elles-mêmes
Comme l’observent plusieurs connaisseurs attentifs, les banques sont dans les paradis fiscaux, comme toute entreprise, pour « les besoins » de leur clientèle, mais aussi pour minorer leurs propres impôts.
Elles cherchent à y localiser les profits lorsqu’elles le peuvent. Les mécanismes sont simples, et d’autant plus efficaces qu’ils portent sur des sommes importantes.
Un exemple simple est donné par les produits financiers d’assurance : si la prime et le risque sont localisés en France par exemple, mais si l’indemnisation est dans un paradis fiscal, il y aura perte en France et perception de l’indemnité dans le paradis fiscal. Ainsi, les CDS localisés dans des centres offshore ont-ils vraisemblablement généré, au cœur de la crise financière, des profits dans ces territoires, tandis que des pertes étaient constatées sur les titres sous-jacents en Europe.
Barclays réduit ses impôts grâce à 300 sociétés offshore
Dans un billet paru dans le quotidien Le Monde, daté du 6 mars 2013, M. Marc Roche indique comment, dirigée par Roger Jenkins, la Structured Capital Market de Barclays a minoré l’impôt sur les bénéfices versé au HM Treasury.
Spécialisée dans les SPV pour les clients de la banque, pour diminuer leurs impôts, grâce à un produit phare STARS commercialisé auprès de banques moyennes, 300 sociétés offshore avaient été mises en place pour réduire l’impôt.
En contrepartie, la rémunération de M. Jenkins était de 40 millions de livres sterling, soit 60 millions d’euros en moyenne chaque année.
iv. Les grands cabinets juridiques et comptables, également présents
Participent également à cette culture commune de la diffusion la plus large possible des montages « sur étagère » des professionnels de la finance et du droit des principaux cabinets anglo-saxons les Big Four ; Deloitte Touche Thomatsu, Pricewaterhouse Coopers, Ernst & Young et KPMG. L’une de leur force est que leurs différents établissements travaillent en réseau en permanence, ce qui n’est pas le cas par nature des administrations fiscales.
Deloitte est leader mondial avec un chiffre d'affaires atteignant 28,8 milliards de dollars en 2011. Il s'agit également du plus grand cabinet d'audit au monde avec une masse de 182.000 employés dans plus de 150 pays. Depuis 2009, Deloitte est aussi le premier cabinet d'audit en France. Il est réputé être l’auditeur des plus grandes références françaises du monde de l’entreprise, notamment BNP Paribas. Deloitte est une Private company limited by guarantee, dont le siège est à New York. Ce type de structure juridique, sans actions, mais avec un système de garant, est, en principe, fait pour les organismes non lucratifs.
PwC est organisé en réseau dont l’équivalent en chiffre d’affaires s’élèverait à 31 milliards de dollars en 2012, et en effectif à 180.000 personnes, dans 158 pays.
Avec 152.000 collaborateurs, 23 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2010/ 2011, Ernst & Young est considéré comme le numéro 3. C’est une Private Limited Company dont le siège est à Londres. Ce type de société de capitaux interdit les cessions de parts dans le public.
KPMG employait en 2012 près de 152.000 personnes dans 156 pays et a généré un chiffre d’affaires consolidé de 23,03 milliards de dollars. KPMG est une coopérative de droit suisse. Son siège social est à Amsterdam.
L’abus de schémas d’optimisation fiscale a valu en 2007 à KPMG, faute de les avoir déclarés ou faits déclarer à l’administration fiscale américaine, l’IRS, une amende pénale de 456 millions de dollars, dans le cadre d’une négociation avec la justice américaine après reconnaissance de sa culpabilité. La procédure de plaider coupable concerne les neuf dixièmes des cas pénaux aux Etats-Unis. 2,5 milliards de dollars ont été reconnus avoir été éludés grâce aux conseils du cabinet. En août 2013, KPMG a été engagée dans un bras de fer avec l’administration fiscale Revenu Canada sur la communication des noms de riches clients québécois à qui elle a vendu des comptes offshore considérés comme illégaux.
Le 26 avril dernier, la Chambre des Communes a d’ailleurs mis publiquement en cause les cabinets comptables pour leur responsabilité dans l’évasion fiscale.
L’un des éléments de leur domination, qui n’est pas sans influence sur la question fiscale – en matière d’imposition des entreprises, toute assiette a une base comptable –, tient à ce que les règles comptables sont définies au niveau international par le Bureau international des normes comptables l’International Accounting Standards Board » - IASB, établi à Londres - lequel est un organisme privé sans aucun contrôle international public.
Un exemple des professions offshore : les trusts à Jersey
Dans un article du quotidien Le Monde daté du 19 juin dernier, Marc Roche rappelle les principaux éléments sur l’activité du trust à Jersey :
-180 gestionnaires de trust, trustees ;
- entre 10.000 et 20.000 livres sterling pour la constitution d’un trust simple ;
- plusieurs centaines de milliers de livres pour les trusts complexes ;
- une facturation à l’heure pour la gestion ;
- 300 à 500 milliards de livres d’actifs gérés.
v. Des implantations justifiées par des motifs peu convaincants de neutralité et de technicité
Le motif avancé de l’implantation dans les paradis fiscaux, les centres offshore et les juridictions non coopératives, est celui de la neutralité juridique et fiscale, qui évite le choix entre les législations des grands pays, celui de la parfaite adaptation des règles ainsi que celui de la technicité, régulièrement avancé en ce qui concerne les assurances aux Bermudes ou le financement des avions par crédit-bail dans les îles Vierges britanniques, ou pour expliquer la concentration de 80% des Hedge Funds, des fonds spéculatifs, aux îles Caïman. Il y a également l’argument du secret des affaires, qui laisse court à toute interprétation possible et celui également du « terrain neutre ».
Ce sont autant d’éléments qui résistent mal à l’analyse, car les effectifs sur place, même s’ils ne sont pas publics, sont trop faibles pour constituer l’armature d’un centre de compétence réelle. L’exécution seule se trouve sur place : stratégie, orientations de direction, arbitrage etc., tout remonte à Londres, New York, Zürich, Paris ou Francfort. Les aberrations de la domiciliation fictive sont connues : les 18.000 Hedge funds des Caïman, les 800 entreprises anglaises domiciliées dans un restaurant de Saint Hélier, à Jersey etc.
b. Une capacité d’adaptation toujours soupçonnée et textuellement confirmée pour les banques par le témoignage de M. Hervé Falciani
i. Une organisation copiée sur celle d’un Etat en guerre : culture du secret, système de surveillance et lanceurs d’alerte, fragmentation
Une mission d’information parlementaire ne peut se rendre à l’étranger dans des établissements bancaires pour y rencontrer les membres du personnel et procéder à leur audition. C’est pour ce qui concerne les banques, notamment les banques suisses, éminemment regrettable.
Néanmoins, l’audition de M. Hervé Falciani a permis de prendre connaissance de certains éléments essentiels des relations des banques avec leur personnel. Le caractère public de celle de M. Condamin Gerbier au Sénat, également.
En contrepartie de relations fondées sur un degré de confiance élevé, les banques suisses manifestent une exigence particulière.
Tel est d’abord le cas du respect du secret, sachant que celui-ci est en Suisse depuis 1934, garanti par la loi, dans les conditions suivantes. Un article récemment publié dans le numéro 164 de la revue « Fiscalité européenne et Droit international des affaires », rappelle ainsi que l’article 47 de la loi fédérale sur les banques ne contient toutefois aucune définition du secret bancaire. Elle se limite à assortir sa violation de sanctions pénales. Le réel fondement du secret bancaire repose sur les dispositions du Code civil relatives à la protection de la personnalité, ainsi que sur les dispositions contractuelles qui régissent la relation entre le banquier et son client. En effet, la plupart des contrats bancaires sont des contrats mixtes, qui contiennent des éléments du mandat, en particulier une obligation générale de fidélité et de discrétion à la charge de la banque. Ce principe a son pendant dans les contrats de travail. Lors de l’ouverture d’un compte, le profit client, notamment revenu et patrimoine, est noté, ce qui permet d’évaluer son « potentiel ». Ces éléments doivent impérativement rester secrets.
Le deuxième élément est l’exigence d’une adhésion très forte à la culture d’entreprise, au-delà même du conformisme souvent constaté qui est l’apanage des méthodes de gestion courantes.
Par ailleurs, il est demandé aux employés de partager les objectifs des projets de la banque, même lorsqu’ils seraient en contradiction avec la réglementation ou lorsqu’ils ne représenteraient pas le niveau de sécurité exigible pour des raisons de souplesse d’interprétation, propre à la banque, de ces mêmes règles propres. Ainsi, il a clairement été indiqué que dans le cadre d’un projet précis chez HSBC, le choix d’un support d’archive réenregistrable, et non définitif, pouvait ouvrir une opportunité de réécriture de l’historique de comptes bancaires, même s’il ne présentait pas par ailleurs un niveau de sécurité suffisant.
D’autre part, et cet élément a été relevé par le rapporteur général, M. Christian Eckert, dans le cadre de son rapport précité, des employés sont clairement chargé de faire du portage de compte, de sommes et aussi très probablement de valeurs, pour le compte de clients. M. Falciani a même évoqué que des sommes relevant du 3ème pilier du régime de retraite, à savoir les complémentaires facultatives ou surcomplémentaires, soient inscrites sur des comptes au nom d’un employé de la banque, pour expliquer les montants astronomiques recensés au titre de certains d’entre eux.
En tout état de cause, vos rapporteurs estiment que la situation des quelques employés dont les comptes nominatifs dépassaient pour la période 100 millions de dollars, ceux-ci notamment mais pas seulement eux, appellent des explications qui n’ont pas été données. Au-delà d’un million, on doit même avoir des doutes.
Le troisième élément est très étroitement lié au deuxième, et tient à l’existence d’un mécanisme de surveillance avec notamment des lignes téléphoniques qui permettent aux lanceurs d’alerte « maison » d’exercer ce qu’ils pensent relever de leur devoir lorsque par exemple le comportement de leur collègue leur paraît peu conforme aux codes ou obligations « maison ».
En contrepartie, et c’est un élément essentiel, on se trouve en ce qui concerne les obligations de régulation face à une certaine permissivité dès lors que le volume des affaires n’en pâtit pas.
ii. Une anticipation permanente des failles des dispositifs anti-fraude ou anti-abus en préparation de manière à pouvoir toujours en contourner l’application
Les banques établies dans les paradis fiscaux, notamment les banques suisses telles que UBS et Crédit suisse, ont une approche extrêmement réactive vis-à-vis des mesures anti-abus ou anti-fraude.
Elles dédient des moyens considérables à leurs cellules chargées d’élaborer les schémas d’optimisation fiscale et n’hésitent pas à se doter du matériel ad hoc : M. Falciani a rapporté comment HSBC, en trois ans, a investi 100 millions d’euros en matériel informatique, ce qui donne une idée des intérêts en jeu, notamment pour la gestion privée qui constitue le cœur de leur métier et aussi la branche la plus rentable.
Etant par définition en situation délicate vis-à-vis des autorités fiscales de son propre pays, la clientèle peut manifester des inquiétudes lorsque des mesures nouvelles sont annoncées. Il est par conséquent impératif de la rassurer et même selon l’expression utilisée lors d’une audition, de la rasséréner.
Pour cela, les juristes des cellules précitées ont un rôle stratégique, ils doivent exercer une veille et, en permanence, détecter les failles des projets gouvernementaux ou européens. C’est une action qui est indépendante de celle de lobbyistes, même si ceux-ci utilisent les argumentaires de juristes pour tenter de bloquer des mesures, ce à quoi ils parviennent parfois.
La veille juridique et fiscale permet en effet de prévoir les mesures. C’est ainsi que comme l’a indiqué devant la commission d’enquête précitée du Sénat M. Pierre Condamin Gerbier, des sociétés écran ont été créées dans des pays ou territoires tiers, pour faire échec au prélèvement à la source prévu par la directive « épargne ». Tel a été le cas dès 2003. Ainsi, pour HSBC, des sociétés écran à Panama ont été créées à cette époque, a indiqué M. Falciani.
On mesure ainsi la raison tant de la modestie des reversements effectués à la France, que du passage déjà observé de certaines juridictions à l’échange automatique d’informations, telles que les îles Caïman : lorsque rien n’est en nom propre, l’échange automatique d’informations n’est pas une difficulté.
iii. Une répartition des rôles en fonction des pays : la gestion éclatée
Lors de leur déplacement en Suisse, vos rapporteurs ont souvent entendu qu’il y avait deux sortes de pays parmi ceux qui, historiquement, faisaient partie de ceux que les autres considèrent comme des paradis fiscaux : ceux où la règle du KYC est respectée, comme la Suisse, et où l’on sait tout mais où l’on ne peut rien dire ; ceux où l’on dit tout, mais l’on ne sait rien. Cette dernière catégorie vise, on l’a bien compris, le paradis fiscal anglo-saxon et les trusts.
On peut exclure cependant, et c’est un euphémisme, que l’ingénierie financière et juridique n’ait pas su tirer parti de ces éléments pour constituer pour sa clientèle la plus fortunée une répartition géographique des éléments de manière que les obligations de transparence soient certes respectées, mais uniquement de manière très segmentée, empêchant ainsi toute vision d’ensemble à une autorité fiscale ou judiciaire qui demanderait des éléments.
En la matière, on peut considérer que l’organisation de type Wildenstein est emblématique de cas qui ne sont pas uniques. Les organigrammes reconstitués avec grande difficulté par Me Dumont-Beghi, dans son ouvrage sur l’Affaire Wildenstein (l’Archipel), à la page 227, font apparaître sur un même schéma Londres, les Caïman, Zürich, New-York et les Bahamas, pour la simple détention de tableaux et d’œuvres d’art.
iv. Une restructuration du traitement de la clientèle en fonction du changement de climat international avec un recentrage des activités de gestion privée sur les seules très grandes fortunes
Ainsi qu’il l’a été indiqué aux rapporteurs, la pression internationale a entraîné une certaine restructuration du traitement de la clientèle.
La gestion privée a éliminé un certain nombre de clients, notamment les petits clients, qui ont eu alors le choix selon leur niveau de fortune et leur pays de résidence, entre la régularisation ou l’amnistie dans leur pays d’origine, la clôture du compte et la conservation d’espèces, ou le transfert sur des comptes simples de la banque de détail, sans aucune garantie d’accès aux montages protecteurs.
D’une certaine manière, il y a eu segmentation de la clientèle étrangère en Suisse et « bunkerisation » de la gestion privée.
v. Une capacité à se renforcer dans l’adversité qui ne doit pas être sous-estimée
Le système bancaire des paradis fiscaux réagit en définitive d’une manière paradoxale, qui vaut également pour les professions du droit et du chiffre : toutes les mesures prises à l’encontre des intérêts de leur clientèle donnent lieu à des prestations supplémentaires et donc à la facturation de prestations supplémentaires qui augmente ses revenus voire sa rentabilité.
Il se renforce donc. Il le fait d’autant plus que la menace sera durement ressentie par sa clientèle, car celle-ci sera d’autant plus encline à payer des frais supplémentaires pour éviter la mise au jour de ses secrets.
En outre, à chaque fois qu’un niveau supplémentaire de contre-mesures intervient, la partie de la clientèle qui ne peut pas suivre cesse d’être cliente, mais une nouvelle clientèle est susceptible de venir dans les établissements qui sont réputés les plus efficaces pour se protéger. Dans ces circonstances, il s’ensuit un recentrage de la gestion privée sur le segment le plus rentable du marché et son renforcement.
UBS ayant montré, du point de vue de la clientèle des paradis fiscaux, sa capacité de survie notamment en raison de sa taille, qui rend impossible d’envisager sa disparition sans un plan préparé de longue date visant à éviter tout risque systémique de type Lehman Brothers, on est en droit de supposer que son retour à la première place dans la gestion privée l’an dernier, sur le plan international, relève de cette logique de renforcement par l’arrivée d’une nouvelle clientèle qui s’y sent davantage en sécurité. Les parlementaires français n’ayant pas de pouvoirs d’enquête en Suisse, aucun élément pouvant corroborer cette hypothèse très vraisemblable ne leur est, malheureusement, accessible.
Comme en a fait part l’AGEFI le 12 juillet dernier, « avec 1.705 milliards de dollars (1.327 milliards d'euros) d'actifs sous gestion à fin 2012, [UBS] reprend la tête du classement mondial à Bank of America Merrill Lynch (BoA). Leurs encours n'égalent toutefois pas leurs records passés. A son faîte, fin 2007, UBS affichait 1.896 milliards de dollars d'actifs gérés, tandis que BoA tutoyait les 2.000 milliards fin 2010. »
3. Le niveau de coopération est variable selon les Etats et les territoires
a. Une coopération fiscale encore empreinte de retenue
i. Le cas de la Suisse en matière fiscale : l’interprétation de la clause d’échange d’informations sur demande conclue avec la France
La Suisse a une longue histoire juridique qui fait obstacle à la coopération internationale en matière fiscale, avec en droit interne la distinction, subtile, entre trois cas :
- la contravention de soustraction fiscale, définie comme un comportement qui aboutit à ce qu’une taxation ne soit pas effectuée alors qu’elle devrait l’être ou qu’une taxation entrée en force soit incomplète ;
- l’escroquerie fiscale, délit réprimé et pour lequel la Suisse autorisait déjà l’échange international d’informations ;
- le délit de fraude fiscale, qui se définit comme une soustraction d’impôt qualifiée, car elle s’accompagne de l’usage de titres faux (double comptabilité, fausses factures, bilans ou comptes de pertes et profits incorrects, commandes fictives, etc.). La fraude fiscale ouvre la voie à un échange d’informations de longue date.
Avec le même esprit de restriction subtil, l’avenant à la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 insère à l’article 28 une disposition relative à l’échange d’information sur demande reprenant l’article 26 du Modèle de convention fiscale de l’OCDE dans sa version de 2005. Cette disposition a été assortie d’un protocole XI ainsi rédigé :
« Dans les cas d’échanges de renseignements effectués sur le fondement de l’article 28 de la Convention, l’autorité compétente de l’Etat requérant formule ses demandes de renseignements après avoir utilisé les sources habituelles de renseignements prévues par sa procédure fiscale interne.
« La référence aux renseignements « vraisemblablement pertinents » a pour but d'assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible, sans qu'il soit pour autant loisible aux Etats contractants « d'aller à la pêche aux renseignements » ou de demander des renseignements dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé.
« L’autorité compétente requérante fournit les informations suivantes à l’autorité compétente de l’Etat requis :
« a) le nom et une adresse de la personne faisant l'objet d’un contrôle ou d'une enquête et, si disponible, tout autre élément de nature à faciliter l’identification de la personne (date de naissance, état-civil…) ;
« b) la période visée par la demande ;
« c) une description des renseignements recherchés, notamment leur nature et la forme sous laquelle l’Etat requérant souhaite recevoir les renseignements de l’Etat requis ;
« d) le but fiscal dans lequel les renseignements sont demandés ;
« e) dans la mesure où ils sont connus, les nom et adresse de toute personne dont il y a lieu de penser qu’elle est en possession des renseignements demandés.
« Les règles de procédure administratives relatives aux droits du contribuable s’appliquent dans l’Etat requis, sans pour autant que leur application puisse entraver ou retarder indûment les échanges effectifs de renseignements. »
Cette interdiction de la « pêche au renseignement » et cette exigence de renseignements pertinents a fait l’objet, en février 2010, d’un échange de lettres entre les autorités administratives, indiquant que « dans tous les cas où l’Etat requérant, dans le cadre d’une demande d’échange de renseignements de nature bancaire, aura connaissance de l’établissement bancaire tenant le compte du contribuable concerné, il communiquera cette information à l’Etat requis. » Cela conduit à demander ce que l’on sait déjà.
ii. La question de la disponibilité des informations pour l’Etat requis
L’un des freins à l’échange d’informations sur demande est la disponibilité de l’information pour l’Etat requis : pour qu’une information puisse être communiquée à l’Etat demandeur, il faut qu’elle soit disponible et qu’elle soit accessible. C’est l’enjeu des évaluations précédemment mentionnées dans le cadre de la revue par les pairs, dans le cadre des travaux du Forum mondial.
Il serait vain et inopportun de faire un recensement de toutes les pratiques actuelles.
En principe, l’indisponibilité de l’information permettant d’identifier la personne physique qui est derrière une structure écran ne devrait plus être opposée car sous l’effet des exigences croissantes des règles anti-blanchiment, le principe de la connaissance du client (KYC ou know your customer) est devenu une norme impérative.
Ce n’est cependant pas si évident que cela pour certaines autorités, d’après les journalistes entendus par vos rapporteurs.
C’est même officiellement reconnu. Ainsi lors de son audition au Sénat le 1er juin 2011, M. John Harris, directeur général de la commission des services financiers de Jersey a indiqué que l’information était parfois longue à trouver pour les raisons suivantes : « La demande ne doit pas être dépourvue des informations de base, c'est-à-dire le nom de la personne. Les accords prévoient que soient fournis les éléments expliquant la raison de la demande du pays demandeur. Si l'identification du compte bancaire n'est pas obligatoire, elle est, en pratique, bienvenue en raison du grand nombre de banques présentes sur l'île (plus d'une quarantaine). En l'absence d'une telle indication, les autorités de Jersey font face à des difficultés pour obtenir les informations requises dans les délais prévus. Le manque de précision, notamment quant à l'identité de l'institution financière, ne conduit pas à un refus de notre part. Cependant, dans un tel cas, la recherche d'informations peut s'avérer longue. Nous n'exigeons pas d'avoir toutes les informations, contrairement à certains territoires. »
Le discours tenu aux rapporteurs dans un cadre moins formel n’a pas été aussi précis, mais rien n’indique que cette approche prudente et contournée ne soit plus de mise.
iii. L’information du contribuable mis en cause et la complexité des voies de recours qui lui sont offertes
L’information du contribuable sur les demandes le concernant est un élément de difficulté. Celle-ci est notamment présente en Suisse où par l’intermédiaire de son conseil notamment, le contribuable est informé de l’existence d’une demande le concernant et de la teneur de la réponse.
Dans le droit anglo-saxon, le principe de base est qu’aucune mesure de contrainte ne peut intervenir sans l’accord du juge, ce qui a été confirmé à vos rapporteurs à propos des îles anglo-normandes, notamment.
Cet élément représente indéniablement un frein aux procédures, même s’il ne peut en principe y avoir entrave, car les accords d’échange de renseignements avec Jersey, Gibraltar, Guernesey et l’île de Man, stipulent : « Les droits et protections dont bénéficient les personnes en vertu des dispositions législatives ou réglementaires ou des pratiques administratives de la partie requise restent applicables dans la mesure où ils n’entravent ou ne retardent pas indûment un échange effectif de renseignements. » Tout est question d’appréciation sur « l’indûment ».
La difficulté est aussi qu’il n’y pas toujours de délai dans les accords. L’accord avec Gibraltar fait exception avec des délais précis : l’autorité requise a 60 jours pour aviser l’autorité requérante d’une éventuelle lacune de la demande ; elle dispose ensuite de 90 jours pour fournir les éléments demandés ; une fois ce délai passé, elle doit, le cas échéant, indiquer à la partie requérante les raisons pour lesquelles elle n’est pas en mesure de répondre à sa demande. Ce n’est pas toujours le cas.
On mesure ainsi la manière dont les blocages viennent se nicher dans les détails comme autant de grains de sables.
De même, les Pays-Bas ont été cités, lors des entretiens, étant donné l’obligation de notifier au contribuable le contenu de la demande de l’administration fiscale étrangère.
Sous la pression internationale cependant, les lignes bougent. Ainsi, le Conseil fédéral suisse a pris une initiative législative qui, si elle est adoptée, fera que les contribuables étrangers soupçonnés d'avoir fraudé le fisc ne seront informés qu’a posteriori d'une demande d'entraide administrative les concernant.
C’est impératif pour se conformer à la norme internationale en matière d'échange de renseignements.
La révision prévue change aussi les règles du jeu pour les requêtes fondées sur les données volées. Les demandes pourraient désormais être traitées si l'Etat n'a pas acquis les informations de manière active, mais passive, par exemple via un autre Etat. Il n'y aura en revanche toujours pas d'entrée en matière si la demande viole le principe de la bonne foi.
iv. Une opacité maintenue des structures écrans, trusts, sociétés offshore faute d’information centralisée de type registre du commerce et des sociétés
Dans les études sur les paradis fiscaux et plus généralement sur la fiscalité internationale, le trust est au premier rang. La difficulté pour les administrations fiscales, et pour les juges aussi, est d’en identifier les bénéficiaires réels, ou bénéficiaires économiques. Les magistrats entendus par vos rapporteurs ont clairement indiqué que c’était encore l’un de leurs principaux problèmes.
Même lorsque l’information sur les personnes détentrices réelles des intérêts détenus par le trust leur parvient, c’est avec difficulté et retard.
L’idée déjà défendue en son temps par le rapport précité présenté par MM. Vincent Peillon et Arnaud Montebourg d’un registre centralisé, d’un fichier des trusts, n’a pas été mise en œuvre.
Ainsi dans le cadre de l’audition précitée au Sénat, M. John Harris, directeur général de la commission des services financiers de Jersey, indique que si les trustees font l'objet d'une surveillance et doivent connaître les personnes physiques bénéficiaires économiques, l’alternative, qui « consisterait à enregistrer l'ensemble des trusts se heurte, en effet, à leur grand nombre, plus d'une dizaine de milliers à Jersey. »
C’est la confirmation officielle des éléments recueillis lors des auditions.
Pour ce qui concerne les sociétés offshore, c'est-à-dire les sociétés créées à un but d’activité hors du territoire de l’Etat ou de la juridiction dont elles sont ressortissantes, la formule est en générale très tolérante avec des obligations comptables qui peuvent être inexistantes voire délocalisées, la faculté de recourir à des prête-noms, la faculté de disposer de comptes bancaires ailleurs etc. et également l’absence d’équivalent du registre du commerce et des sociétés.
v. Le fiasco de l’application des conventions fiscales d’échange d’informations sur demande, notamment de la part de la Suisse mais aussi du Luxembourg
Les échanges d’informations fiscales font l’objet d’un rapport annuel de suivi. Le rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d’échange de renseignements annexé au projet de loi de finances pour 2013 rappelle que l’objet de ces demandes vis-à-vis des Etats et territoires dont la coopération fiscale est récente, énonce les motifs principaux de demandes : l’identité des actionnaires des structures enregistrées localement ; la réalité de la substance économique entre les entités liées et les résultats réalisés ; la nature et l’origine des flux financiers ; l’identification des propriétaires effectifs des actifs.
Il ne présente cependant pas de chiffres précis. Ceux communiqués aux rapporteurs sont éclairants : sur 1 136 demandes présentées entre 2011 et 2013, seules 548 ont reçu une réponse. Ce taux de 50% environ n’est cependant pas homogène. L’essentiel du défaut de réponse, sans parler de l’insuffisance qualitative, vient de la Suisse, à raison de 142 réponses, pour 618 demandes, soit un déficit de 476 réponses en attente. Quant à la qualité des réponses, elle laisse à désirer dans l’ensemble. Sur 100 demande intervenues sur l’affaire UBS, cinq avaient reçu une réponse en juillet dernier, selon le Rapporteur général.
Le second pays à afficher un niveau inacceptable d’absence de réponse est le Luxembourg : 168 réponses, pour 214 demandes. Le tableau qui suit récapitule ces éléments.
Pays |
2011 |
2012 |
PERIODE |
2013 |
PERIODE | |||||
demandes envoyées |
réponses reçues |
demandes envoyées |
réponses reçues |
demandes envoyées |
réponses reçues |
demandes envoyées |
réponses reçues |
demandes envoyées |
réponses reçues | |
Suisse * |
98 |
55 |
507 |
85 |
605 |
140 |
13 |
2 |
618 |
142 |
Luxembourg |
68 |
32 |
108 |
92 |
176 |
124 |
38 |
44 |
214 |
168 |
Iles Vierges britanniques |
41 |
31 |
41 |
34 |
82 |
65 |
5 |
0 |
87 |
65 |
Iles Caïmans |
17 |
9 |
1 |
9 |
18 |
18 |
0 |
0 |
18 |
18 |
Jersey |
17 |
17 |
10 |
3 |
27 |
20 |
0 |
3 |
27 |
23 |
Guernesey |
12 |
12 |
2 |
2 |
14 |
14 |
0 |
0 |
14 |
14 |
Andorre |
10 |
10 |
6 |
2 |
16 |
12 |
0 |
0 |
16 |
12 |
Belgique ** |
10 |
0 |
26 |
19 |
36 |
19 |
19 |
12 |
55 |
31 |
Bahamas |
8 |
8 |
3 |
1 |
11 |
9 |
0 |
2 |
11 |
11 |
Bermudes |
4 |
4 |
9 |
9 |
13 |
13 |
0 |
0 |
13 |
13 |
Saint Marin |
4 |
4 |
0 |
0 |
4 |
4 |
0 |
0 |
4 |
4 |
Gibraltar |
2 |
2 |
5 |
3 |
7 |
5 |
1 |
2 |
8 |
7 |
Malte |
2 |
2 |
6 |
2 |
8 |
4 |
0 |
3 |
8 |
7 |
Singapour |
2 |
2 |
20 |
14 |
22 |
16 |
2 |
4 |
24 |
20 |
Ile de Man |
2 |
2 |
4 |
2 |
6 |
4 |
1 |
1 |
7 |
5 |
Liechtenstein |
1 |
1 |
6 |
4 |
7 |
5 |
0 |
0 |
7 |
5 |
Antigua et Barbuda |
1 |
0 |
1 |
1 |
2 |
1 |
0 |
0 |
2 |
1 |
St Vincent et les Grenadines |
1 |
1 |
0 |
0 |
1 |
1 |
0 |
0 |
1 |
1 |
Uruguay |
1 |
1 |
0 |
0 |
1 |
1 |
0 |
0 |
1 |
1 |
Malaisie |
0 |
0 |
1 |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 |
1 |
0 |
TOTAL |
301 |
193 |
756 |
282 |
1057 |
475 |
79 |
73 |
1136 |
548 |
* Précision: les années 2012 et 2013 comptabilisent 355 demandes groupées exceptionnelles concernant des personnes physiques ** Ces demandes ne portent que sur des informations bancaires, la loi belge ayant évolué sur ce point en 2011 Source : Ministère de l’économie et des finances |
b. Une coopération pénale qui va du pire au meilleur
i. Une réelle coopération en Europe, y compris avec la Suisse
La coopération pénale fonctionne bien d’une manière générale, sauf avec certains Etats régulièrement désignés, comme le Royaume-Uni.
Elle est notamment facilitée par Eurojust qui depuis 2002 renforce la coordination et la coopération entre les autorités nationales dans la lutte contre la criminalité transfrontalière grave engagée dans l’Union européenne. Chacun des Etats membres y est représenté.
Les Etats qui jouent sur le caractère attractif de leur fiscalité tels que le Luxembourg coopèrent aussi. Chaque année, Eurojust traite approximativement 1 400 affaires et organise environ 140 réunions de coordination. Ces réunions rassemblent les autorités judiciaires ainsi que les autorités chargées des enquêtes et des poursuites des États membres et des Etats tiers, le cas échéant. Elles ont pour but de résoudre les problèmes rencontrés dans le cadre des dossiers traités et d’élaborer des plans pour la mise en œuvre d’actions opérationnelles, telles que des arrestations et des perquisitions simultanées.
Les réunions de coordination portent spécifiquement sur des types de criminalité identifiés par le Conseil comme des priorités : le terrorisme, le trafic de drogue, la traite des êtres humains, la fraude, la corruption, la cybercriminalité, le blanchiment d’argent, ainsi que d’autres activités liées à la criminalité organisée dans la sphère économique.
La coopération fonctionne également correctement avec la Suisse sur le plan pénal, alors que tel n’est pas le cas sur le plan fiscal.
La coopération pénale se fonde sur la loi fédérale sur l’entraide pénale internationale, entrée en vigueur en 1983, ainsi que sur les différentes conventions internationales, notamment celle du Conseil de l’Europe sur l’entraide judiciaire en matière pénale de 1959, et les instruments de coopération européenne que sont la convention Schengen (la Suisse a intégré l’espace Schengen en 2005 et participe donc à la coopération policière, mais n’est pas membre de l’Union douanière) et, surtout, l’accord de 2004 avec la Communauté européenne et ses Etats membres sur la lutte contre la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte à leurs intérêts financiers. Cet accord est particulièrement efficace en cas de fraude à la TVA ou sur les droits indirects, de type carrousel ou autre, de telles fraudes étant d’ailleurs considérées comme des escroqueries.
Un juge français peut donc demander à la justice suisse dans le cadre d’une commission rogatoire internationale de lui communiquer des informations ou de procéder à des auditions de témoins ou à des perquisitions, soit directement, soit par l’intermédiaire du bureau de l’entraide judiciaire. Depuis la suppression en 2011 des juges d'instruction en Suisse, les commissions rogatoires internationales (CRI) sont adressées aux procureurs généraux des cantons lorsque c’est la voie directe qui est utilisée. Lors de leur déplacement à Berne, vos rapporteurs ont pu constater que côté suisse, la coopération était jugée satisfaisante et très efficace.
ii. Des difficultés récurrentes avec certains pays tiers
La coopération internationale en matière pénale a fait de grands progrès depuis l’Appel de Genève en 1996, mais elle n'est pas pour autant parfaite avec les pays tiers. Elle fonctionne naturellement bien mieux lorsqu’il y a sur place un magistrat de liaison, ou pour ce qui concerne les questions policière, un policier de liaison ou attaché de sécurité intérieure.
Néanmoins, la marge de progrès est substantielle, notamment avec Hong Kong qui fait payer par exemple les frais de photocopie. Il y a aussi la durée de conservation des pièces dans certains pays. Israël est également cité parmi les pays pour lequel les facultés d’amélioration sont importantes, avec en outre le problème de la non extradition de ses nationaux, qui est mal ressentie lorsqu’il s’agit de binationaux dont l’autre nationalité est la nationalité française.
Là encore la situation n’est pas figée.
Sur le fond, le principal problème est maintenant celui des trusts et des sociétés offshore car même lorsque les structures sont percées, les délais sont tels que les éléments de preuve ou les biens à saisir ont disparu depuis longtemps.
En l’absence de relais bilatéral, la seule stratégie possible consiste à faire remonter l’information dans les forums internationaux, comme le GAFI.
iii. Une articulation fiscal/pénal qui offre encore des possibilités de fraude lorsqu’elle est bien maîtrisée
L’absence d’homogénéité de traitement entre la coopération pénale et la coopération fiscale dans certains pays et territoires permet d’organiser des circuits aussi complexes qu’efficaces de transferts de capitaux.
Ces stratégies relèvent cependant d’une compétence de plus en plus rare car elle joue sur les interstices des règles fiscales et pénales qui ne sont plus aussi étanches qu’avant, au fur et à mesure que les sommes issues de la fraude fiscale, même simple, relèvent aussi du blanchiment.
A l'origine, la construction européenne regroupait des pays aux structures, traditions et niveaux de vie proches ou comparables. Ils formaient un ensemble suffisamment cohérent et homogène pour mettre sur pied, pas à pas, un marché intérieur unique, protégé à ses frontières notamment par un tarif extérieur commun.
Mais la politique de la « préférence communautaire », déjà ébranlée par l'admission sans harmonisation préalable de nouveaux entrants comme l'Irlande, le Royaume-Uni, l'Espagne, le Portugal et la Grèce, aux standards économiques, fiscaux et sociaux parfois fortement divergents avec les Six, fut définitivement vidée de son contenu par l'élargissement aux pays de l'ancienne aire soviétique.
Par ailleurs, délicate dès le commencement, la gouvernance européenne est entrée - selon l’expression de l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine - dans un véritable « labyrinthe » avec la profusion de pays membres, aux intérêts nationaux souvent divergents, voire contradictoires.
Difficulté supplémentaire, l'affaiblissement de la cohésion interne de l'espace communautaire a été accéléré par la généralisation du libre-échange ces vingt dernières années, qui a ajouté au dumping fiscal, économique et social interne à l'Union européenne, la concurrence déloyale de pays émergents à bas coûts de main d'œuvre et aux normes - sanitaires, écologiques,... - très inférieures aux nôtres.
Victime de son hétérogénéité et soumise aux vents mauvais de la concurrence la plus sauvage, l'Union européenne – de surcroît handicapée par une monnaie unique inadaptée à la plupart de ses membres - tend à devenir un sous-ensemble de l'économie mondiale où l'expression de toute politique volontariste et mieux-disante se heurte à l'égoïsme de quelques-uns, comme à la complaisance de ceux pour qui le « laisser-faire, laisser-aller » tient lieu de contrat social.
Aussi, toute tentative d'harmonisation visant à lutter contre le dumping social, le nivellement par le bas et le moins-disant économique et social, est aujourd'hui condamnée à l'échec. Annoncée depuis 1992, « l'Europe sociale » promise lors du référendum sur la ratification du traité de Maastricht, demeure dans les limbes plus de vingt années après...
Les tentatives de mettre un terme aux paradis fiscaux en et en dehors d'Europe ne connaissent pas bien entendu de meilleur sort, tant et si bien que l'Union européenne tolère en son sein des États qui pratiquent le recel de fraude fiscale au détriment de leurs voisins.
C'est sur ce terrain que l'Union européenne renaîtra ou périra : soit elle relève le défi de cette nécessaire harmonisation – d'autant plus nécessaire qu'elle impose des politiques sacrificielles d'assainissement des finances publiques aux peuples – et parvient à surmonter la défiance quasi-généralisée qu'elle suscite parmi les citoyens. Soit elle entrera dans un coma définitif.
Les politiques à mettre en œuvre sont connues et proportionnées à la gravité, comme à l'urgence, de la situation. En particulier, il convient de :
– procéder à une harmonisation juridique et fiscale à marche forcée, en n'hésitant pas à imposer des contreparties financières aux pays membres qui refuseraient le taux moyen d'imposition européen ;
– conditionner le plein fonctionnement du marché unique à la mise en œuvre de cette harmonisation ;
– exercer sur les pays tiers une pression politique maximum pour obtenir de leur part une transparence totale quant aux détenteurs et bénéficiaires de comptes bancaires qu'ils abritent.
Naturellement, de telles mesures peuvent être jugées contraires aux principes et dispositions des traités en vigueur. Le strict respect des traités et des mécanismes de décision communautaires, autant que la soumission des institutions européennes aux dogmes libéraux et aux gros intérêts, menant à l'impasse, il faudra de fait savoir dépasser ce cadre stérile pour laisser le champ libre aux quelques nations déterminées à agir. Une crise européenne pourrait en toute probabilité s'ensuivre, mais une crise salutaire. Car n'est-ce pas, encore une fois, le prix à payer pour une Europe dont la survie dépend clairement de sa capacité à opérer un réel sursaut ?
1. Un secret bancaire largement préservé en Autriche et au Luxembourg, même dans le cadre de la directive de 2003 sur la taxation des revenus de l’épargne en Europe : deux paradis fiscaux au cœur de l’Europe
Les associations et les ONG qui ont fait de la lutte contre les paradis fiscaux l’une de leurs priorités ne manquent pas de souligner la particularité que constitue la présence au sein de l’Union européenne de deux Etats membres qui continuent à opposer le secret bancaire pour la coopération fiscale systématique en matière d’impôt direct, à savoir le Luxembourg et l’Autriche, et la présence d’Etats ou de territoires similaires qui soit sont à ses portes soit y sont enclavés. Cette particularité est inhérente au fait que l’harmonisation et la coopération fiscales n’ont pas été d’entrée de jeu incluses dans la construction européenne pour les impôts directs déclaratifs des entreprises et des ménages. Ils ne l’ont été que pour les seuls impôts indirects.
S’agissant du Luxembourg, vos rapporteurs trouvent choquant que son Premier ministre, ministre de l’économie qui plus est, ait été amené à présider l’Eurogroupe pendant toutes ces années.
Les difficultés posées par le secret bancaire sont apparues avec la levée du contrôle des changes et la mise en œuvre de la libre circulation généralisée des capitaux à la fin des années 1980 dans la perspective du marché unique. Leur importance s’est accrue avec le passage à la monnaie unique prévue par le traité de Maastricht dès 1992. La mobilité des capitaux exige en effet un minimum de coordination de la fiscalité de l’épargne, de manière à éviter que celle-ci soit systématiquement placée dans le pays de moindre taxation.
Les travaux d’harmonisation se sont alors imposés aux autorités européennes ; ils ont pris corps avec la proposition de directive présentée par M. Mario Monti, alors Commissaire européen chargé de la fiscalité, à la fin des années 1990. En 2003, à l’issue de plus de 4 ans de travaux, le Conseil a adopté la directive dite « épargne » 2003/48/CE en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts.
La directive épargne concerne les seuls intérêts, à l’exclusion des dividendes et des plus-values. L’essentiel du revenu du capital est donc hors champ, et en outre on ne touche pas au capital. Et pourtant, ce petit pas dans l’harmonisation a demandé dix ans… C’est dire le coup d’accélérateur qui s’impose !
Entrée en vigueur en 2005, cette directive a contourné la question du secret bancaire puisqu’elle a prévu la coexistence en principe temporaire, mais qui dure, de deux dispositifs pour assurer la fiscalisation des revenus de l’épargne investie en produits de taux dans un Etat membre autre que celui de la domiciliation fiscale de leur bénéficiaire : soit la transmission automatique des données à l’Etat membre de résidence ; soit une retenue à la source à un taux progressivement portée de 15% à 35% sur ces mêmes revenus. 75 % des recettes tirées de cette retenue à la source sont reversés à l'État de résidence de l’investisseur. La directive a également prévu les conditions d’un passage in fine à l’échange automatique de données généralisées.
Des négociations ont permis l’application d’un système similaire par les Etats ou territoires d’accueil de l’épargne européenne : d’une part, cinq Etats européens, à savoir la Suisse, le Liechtenstein, Saint-Marin, Monaco et Andorre ; d’autre part, dix territoires dépendants ou associés des États membres (îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey, île de Man et territoires dépendants ou associés des Caraïbes du Royaume-Uni et des Pays-Bas).
L’échange automatique de données a été au départ retenu par tous les Etats membres sauf trois d’entre eux : la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche. Ce nombre a été réduit à deux après le passage de la Belgique à l’échange automatique d’informations à partir du 1er janvier 2010, avec la perspective du passage de 20% à 35% du taux de la retenue à la source.
De même, le champ de la retenue à la source a été réduit avec le passage de plusieurs Etats ou territoires à l’échange automatique d’informations : ainsi Aruba, Anguilla, les îles Caïman et Montserrat sont passés à l'échange automatique d'informations à partir de la date d'application des accords, le 1er juillet 2005. Puis tel a été le cas des territoires dépendants ou associés du Royaume-Uni : Guernesey à partir du 1er juillet 2011; l’île de Man à partir du 1er juillet 2011; les îles Vierges Britannique à partir du 1er janvier 2012, et Turques et Caïques (3) à partir du 1er juillet 2012.
Plus de dix ans après ce premier texte, l’échange automatique d’informations n’est donc pas réalisé entre les pays européens.
2. Les Etats « tunnels » vers les paradis fiscaux extérieurs à l’Union européenne : les exemples de l’Irlande ainsi que des Pays-Bas et les abus du « double irlandais » et « sandwich néerlandais » par Google et bien d’autres sociétés
Deux Etats membres donnent lieu à « sandwich » au sens fiscal du terme, c'est-à-dire à passage dans une société créée dans le cadre de leur droit, mais sans que les sommes qui y transitent ne donnent lieu à taxation.
L’Irlande est ainsi un Etat de passage vers les Bermudes, les Caïman ou tout autre paradis fiscal. Le « sandwich irlandais » consiste à créer une société de droit irlandais, mais qui ne sera pas fiscalement résidente car ni sa direction ni son contrôle n’y seront localisés. Ainsi, une direction implantée aux Bermudes fera l’affaire.
Les Pays-Bas sont souvent présentés par les associations et les ONG comme un paradis fiscal, non pas tant en raison de sa fiscalité mais en raison des facultés qu'offre son réseau de conventions fiscales d’échapper à l’impôt en Europe.
D’une manière générale, les Pays-Bas ont conclu 76 conventions fiscales bilatérales, permettant de réduire la retenue à la source sur les paiements de dividendes ainsi que les taxes sur les redevances (royalties) et les intérêts versés ou reçus.
Particulièrement avantageuses sont les dispositions de la convention dite BRK conclue entre les Pays-Bas et ses anciennes colonies caraïbes, les Antilles néerlandaises. Elles exonèrent totalement de retenue à la source (de prélèvement fiscal) les versements effectués par des sociétés liées au titre des intérêts versés ou bien au titre des redevances ou encore des sommes versées en contrepartie de prestations de services. L’interposition aux Pays-Bas d’une société écran abritant par exemple des droits de propriété (une licence box) permet par conséquent à une société établie dans un autre Etat membre de faire échec au mécanisme de retenue à la source qui a été mis en place dans son Etat de résidence fiscale.
La combinaison de deux sociétés de droit irlandais et d’une société néerlandaise interposée donne lieu au « double irlandais » et « sandwich néerlandais » qui est un moyen d’éviter l’impôt, y compris en Irlande, avec une concession en cascade des droits de propriété intellectuelle :
– la première société irlandaise perçoit directement les sommes auprès des clients établis dans les différents pays de l’Union européenne ;
– elle verse à sa société mère aux Pays-Bas une redevance exonérée de la retenue à la source en application de la directive intérêts/redevances ;
– cette même société reverse la totalité au titre des droits de propriété intellectuelle à une autre société irlandaise, de droit, mais fiscalement non résidente, et dont les instances dirigeantes sont par exemple aux Bermudes.
Le schéma est le suivant :
Google est en l’espèce incriminée, mais selon les éléments publiés sur Wikipédia, sont également concernés par ce montage Adobe Systems, Apple, Microsoft, Oracle Corp., Starbucks, General Electric, les groupes pharmaceutiques Eli Lilly, Pfizer et Forest Laboratories, la firme de matériel médical Johnson & Johnson…
Vos rapporteurs ont auditionné des magistrats, des douaniers, des hauts fonctionnaires, des syndicalistes... Certains dans un bureau de l’Assemblée, d’autres sur leur lieu de travail. Ce sont des personnes intègres, au professionnalisme reconnu qui ne manquent ni de courage, ni de volonté pour agir, mais qui ont le sentiment désespérant de crier dans le désert.
Et c’est là tout le paradoxe : alors que la France peut s’appuyer sur un Etat structuré et compter sur des fonctionnaires de grande qualité, elle reste pour le moins à la traîne dans la lutte contre la fraude fiscale. Pourquoi ? La question a été posée à leurs homologues de pays voisins, lors de déplacements en Belgique et au Royaume-Uni, deux pays qui ont pris la fraude à la TVA à bras le corps, avec succès. La différence avec la France est stupéfiante ! C’est d’ailleurs parce que ce contraste a frappé vos rapporteurs que la question est longuement abordée dans ce rapport, alors qu’elle dépasse le cadre des paradis fiscaux qui sont le cœur de la mission confiée par la Commission des affaires étrangères.
Quand la Belgique fait travailler ensemble des magistrats, des douaniers, des policiers, des fiscalistes fonctionnaires des impôts pour faire barrage aux fraudeurs, en France, le cloisonnement des administrations reste la règle. Et c’est le fiscal qui mène le train.
Bien sûr, l’Etat français ne reste pas les bras croisés : depuis 2009, les projets de lois de finances ont tous leur article anti-fraude. Mais pour quel résultat ?
Seulement 1 000 affaires fiscales sont transmises chaque année aux tribunaux, avec une stabilité déconcertante ! Comment peut-on s’en contenter alors que le pays est la 5e puissance économique mondiale, qu’il compte 3,6 millions d’entreprises dont 200 000 de plus de dix salariés, et des dizaines de millions de contribuables ?
A plusieurs reprises dans ses rapports successifs, la Cour des comptes a pointé la stagnation des redressements depuis une dizaine d’années et même leur baisse en euros constants, ainsi que le faible taux de recouvrement des créances issues du contrôle fiscal qui n’excède pas 40 % et qui tombe à 0,2% pour les redressements de TVA en 2010 ! On touche le fond.
Les affaires LGT, HSBC, UBS ou Wildenstein décrites plus bas ont mis en exergue ce dysfonctionnement des services de l'Etat face à la fraude organisée dont les paradis fiscaux sont le cœur. Le sujet est revenu comme une antienne dans tous les entretiens menés par vos rapporteurs. La différence de moyens est vertigineuse entre nos administrations et les armées de fiscalistes, avocats, expert-comptables et autres banquiers qui défendent sans états d’âme les intérêts des fraudeurs.
Certes le gouvernement affiche de bonnes intentions et la loi sur la fraude fiscale et la délinquance financière apporte des améliorations mais, sans moyens adaptés, ce nouveau texte s’apparentera vite à un emplâtre sur une jambe de bois. Il est donc urgent d’ouvrir un grand débat en France sur la criminalité fiscale et financière qui la gangrène et sur les moyens à lui opposer.
1. Des affaires qui mettent en exergue la naïveté de l’Etat face à la finance et à la fraude fiscale
a. L’affaire LGT dite aussi Liechtenstein II à la suite de l’achat de données par les services secrets allemands
La première affaire bancaire mettant en cause un paradis fiscal a été mise au jour avec la publication par la presse allemande en février 2008, à l’issue d’une perquisition au domicile de M. Klaus Zumwinkel, jusque-là P-DG de la Deutsche Post, des premiers éléments d’une mise au jour d’un circuit de fraude fiscale des plus grandes fortunes en Allemagne, ainsi que dans d’autres grands pays, dont la France et les Etats-Unis.
Cette fraude au profit de très grandes fortunes a été organisée au sein de la banque du Liechtenstein LGT, et reposait sur l’utilisation de fondations imposées sur une base fixe de quelque 635 euros par an et pouvant être dissoutes à tout moment, ou bien sur des structures ad hoc, des SPV (Special purpose vehicule) implantés ailleurs. L’Allemagne avait connu une première affaire de fraude en 1997 avec la principauté, ce qui l’avait conduite à revoir une première fois ses règles internes contre le blanchiment.
Cette seconde affaire, baptisée Liechtenstein II, a été particulièrement sensible, la famille princière souveraine du Liechtenstein ayant des intérêts dans LGT et les informations à l’origine de la découverte ayant été acquises par les services secrets allemands auprès d’Heinrich Kieber, un ancien informaticien ayant opéré dans l’établissement.
Pour la France, 200 noms ont été communiqués aux autorités fiscales. Pour les Etats-Unis, il s’agissait d’une fraude au programme de Qualified intermediary permettant aux établissements financiers de bénéficier de certains avantages en contrepartie du respect d’obligations vis-à-vis du fisc américain, l’IRS.
Un bilan de l’affaire LGT a été établi par M. Gilles Carrez, alors rapporteur général, dans le cadre du rapport n° 3631 du 6 juillet 2011 sur l’application de la loi fiscale.
« S’agissant de la liste dite « Liechtenstein », dont l’administration fiscale a eu connaissance début 2008 par des administrations étrangères qui l’avaient achetée, tous les contribuables français ont fait l’objet d’une régularisation.
« Elle comportait 66 groupes familiaux français (concernant 211 personnes). Vingt groupes (55 personnes) concernaient des non-résidents et deux groupes (deux personnes) concernaient des personnes décédées. 19 groupes (58 personnes) n’ont pas été examinés eu égard à l’absence de transmission de documents pertinents ou du caractère inexploitable des informations.
« Deux groupes (8 personnes) sont toujours en cours d’examen.
« Trois ont fait l’objet d’une transmission au procureur de la République en application des dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale, et vingt ont été soumis à contrôle fiscal.
« Les redressements ont concerné 31 millions d’euros d’actifs et ont conduit à la mise en recouvrement de 2,5 millions d’euros d’ISF, 1,8 million d’euros d’IR et 1 million d’euros de pénalités.
« Aucune plainte pour fraude fiscale ne résulte de l’exploitation du listing des comptes détenus au Liechtenstein. »
b. L’affaire UBS mise au jour assez tôt aux Etats-Unis, et plus tard en France
L’affaire UBS aux Etats-Unis a confirmé que le programme précédemment évoqué Qualified Intermediary était aussi contourné par les banques suisses.
Après enquête, l’administration fiscale américaine a mis au jour les pratiques illégales d’UBS aux Etats-Unis. Son travail a été facilité par l’arrestation d’un ancien salarié d’UBS, gérant de fortune, qui a accepté de témoigner et de coopérer avec la justice américaine : Bradley Birkenfeld. Son témoignage a été également recueilli par la sous-commission d’enquête présidée par le sénateur Carl Levin en 2008, qui s’est attaquée d’une manière particulièrement efficace et marquée aux paradis fiscaux. M. Birkenfeld a été pénalement condamné, mais il a aussi été récompensé par le versement d’une prime de 104 millions de dollars, comme lanceur d’alerte.
Les méthodes incriminées ont permis à UBS de progresser d’une manière spectaculaire sur le marché américain puisque la banque est passée de 11.000 à 22.000 comptes entre 2002 et 2007.
Les méthodes employées par UBS sont connues : conseil à la clientèle sur les manières d’échapper aux obligations du programme QI ; recours à des structures écrans ou à des trusts pour faire échec à l’obligation de déclaration prévue par QI ; aide à l’utilisation des avoirs non déclarés (cartes de crédits utilisables à l’étranger pour payer des dépenses etc.) ; démarchage illégal aux Etats-Unis par des équipes de chargés de clientèle venues de Suisse, avec, entre autres, des formations pour apprendre aux employés à éviter les contrôles des douanes américaines ; recours à des manifestations artistiques, avec à la clef la possibilité de transferts illégaux d’argent à l’étranger en utilisant le procédé des œuvres d’art surfacturées.
Aux Etats-Unis, l’affaire s’est conclue pour UBS par une amende de 780 millions de dollars versée à l’IRS, la banque reconnaissant dans la foulée avoir aidé 17 000 clients à cacher leur argent. Deux autres banques suisses, Julius Baer et Wegelin, ont été poursuivies et condamnées pour les mêmes motifs.
En France aussi, UBS a effectué du démarchage illégal : des chargés de clientèle, ou d’affaires, suisses sillonnaient illégalement le pays en notant leurs résultats sur des documents délicatement nommés « carnet de lait », comme pour une tournée de vaches à traire. Ces pratiques et l’inertie de certaines autorités ont été dénoncées et démontrées par M. Antoine Peillon dans son livre Les 600 milliards qui manquent à la France (Seuil 2012), grâce au concours de salariés de la banque dont vos rapporteurs saluent le courage.
Mais l’affaire est loin d’être jugée. UBS n'a été mise en examen que le 6 juin dernier, et seulement pour «démarchage illicite», six jours après la mise en examen de sa filiale française pour «complicité de démarchage illicite». Entre la révélation à l'opinion publique et l'action judiciaire, de longues années ont ainsi été perdues, inexplicablement ! Elle a également été placée sous statut de témoin assisté pour «blanchiment de démarchage illicite» et «blanchiment de fraude fiscale».
L’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) lui a infligé une amende de 10 millions d’euros pour « laxisme » dans le contrôle de pratiques commerciales susceptibles de relever du blanchiment de fraude fiscale.
C’est une sanction dérisoire tant au regard du plafond de 50 millions d’euros applicable à l’époque (celui-ci a été relevé à 100 millions d’euros depuis), que de la faculté de passer directement à des sanctions plus lourdes comme le retrait d’agrément.
Pas étonnant qu’au lieu de jouer profil bas, la banque fasse preuve d’arrogance comme le Rapporteur général a pu le mesurer dans son rapport précité sur l’affaire HSBC :
« Je ne me suis exprimé [sur la sanction contre UBS] qu’après le jugement de la commission des sanctions, dont je n’ai eu connaissance que lorsqu’il a été publié à la fin du mois de juin, mais j’ai reçu cette semaine une curieuse lettre de la part d’UBS, quasiment insultante, me demandant pourquoi je m’intéresse à cette affaire, quand j’ai rencontré l’ACP, quels sont mes contacts, etc. Je la tiens à votre disposition et je me réserve le droit de la publier. »
C’est dire en quelle estime la banque tient les élus de la République, les lois et la démocratie !
c. L’affaire Falciani ou l’affaire HSBC
Un troisième scandale a été lié à l’affaire Falciani ou l’affaire HSBC.
Celle-ci est souvent perçue comme confuse. D’abord, elle présente deux volets : l’un fiscal ; l’autre pénal. Ensuite, elle a deux chronologies : le volet fiscal a débuté, ou plus exactement aurait dû débuter, en 2008, mais n’a réellement démarré qu’après son volet pénal qui, lui, a commencé début 2009 en France, mais a ensuite connu une longue éclipse jusqu’en 2013. Enfin, le volet fiscal a débouché sur des procédures d’enquête judiciaires fiscales, lancées par le ministère des finances, et non par le Parquet.
Elle est maintenant assez bien documentée par deux rapports récents : le rapport précité n° 1235 du rapporteur général, M. Christian Eckert, et l’avis n° 1127 présenté par Mme Sandrine Mazetier, au nom de la commission des finances, sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
C’est donc en 2008 que les premiers contacts entre l’administration française et M. Falciani, alors informaticien d’HSBC à Genève, interviennent. Il s’agissait dans un premier temps des services de la police judiciaire (la DNIF) puis, sans que M. Falciani soit averti du changement d’interlocuteur, de la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), service administratif de la direction générale des impôts.
Pour être précis, la première voie exploitée est la voie fiscale, alors que cela aurait pu être d’emblée la voie judiciaire pour blanchiment de fraude fiscale. Pourquoi une affaire aussi grave n'a-t-elle pas donné lieu immédiatement à l'ouverture d'une information judiciaire ? A cet égard, cette décision incombait nécessairement au pouvoir politique dont le refus de s'engager dans la voie judiciaire ne peut que laisser perplexe... Si M. Falciani n'avait pas par la suite fui et si le procureur de Nice n'avait pas fait le maximum pour que la copie des données et non l'original fût restituée à la Suisse, aurait-on seulement entendu parler de cette affaire ? Qu'il soit permis d'en douter.
M. Falciani a indiqué à la DNEF détenir des informations sur des personnes physiques ou morales disposant ou ayant disposé de comptes auprès de la banque HSBC, et il a remis cinq CD Roms dès la fin de l’année 2008. Ces supports informatiques ont ensuite été décryptés.
Le volet judiciaire commence en 2009. La Suisse demande et obtient en janvier 2009 le bénéfice de l’entraide judiciaire en matière pénale à l’encontre de M. Hervé Falciani, mis en cause pour une infraction de droit commun à l’intitulé complexe : tentative d’introduction frauduleuse dans un système d’information. M. Falciani, qui a déjà été interrogé par la police suisse mais n’a pas été mis sous contrôle judiciaire, ne s’est pas rendu à un interrogatoire et a quitté la Suisse peu avant Noël. Il séjourne alors en famille à proximité de Nice.
Le 20 janvier 2009, le Procureur territorialement compétent, M. Eric de Montgolfier, alors en poste à Nice, fait procéder à une perquisition au domicile de M. Falciani en présence, pour la partie suisse, du Procureur fédéral de Berne, notamment. Ce déplacement montre d’emblée l’importance de l’affaire. M. Falciani appelle l’attention sur l’intérêt pour la France du contenu de son ordinateur.
Ce qui pour les Suisses est une infraction est une aubaine pour les autres Etats, pour peu que leur administration fiscale et leurs magistrats soient en mesure de les exploiter.
L’intérêt de ces informations n’est pas démenti : celles-ci permettent d’identifier les numéros de comptes des clients, leurs coordonnées et des noms de gestionnaires de fortune. Des courriers internes e-mails sont également enregistrés, de même que les statistiques par pays des clients HSBC Genève. Toute la question est maintenant celle de leur exploitation.
Déjà ardue, elle est rendue plus complexe par la demande de restitution des données par la Suisse.
Celle-ci l’a souhaité dès la perquisition, en vain. La question se pose alors différemment : la France doit-elle rendre l’original ou une copie ?
C’est un choix à la discrétion de l’Etat requis, car le b de l’article 2 de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale permet de refuser l’entraide judiciaire « si la partie requise [la France en l’occurrence] estime que l'exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de son pays ».
La différence entre un original, qui permet d’engager des poursuites pénales, et une copie, qui n’a pas la même valeur probante, est très loin d’être neutre.
Il y a eu des débats et des tensions diplomatiques. En France même, le procureur Montgolfier réclame à sa hiérarchie une instruction écrite s'il doit s'agir de remettre l'original aux autorités suisses. Celle-ci ne venant pas, après débats entre le Parquet et la Chancellerie, ce sont des copies des fichiers et non les originaux qui sont rendus à la Suisse. Cependant, est-ce un hasard, le dossier est dépaysé en 2010 et il faut encore attendre trois années supplémentaires pour que le Parquet en soit officiellement saisi...
Le décryptage est effectué, selon des modalités précisées par le rapporteur général dans son rapport précité. A l’issue de ces opérations, les deux listes, celles transmise à la DNEF, et celle recueillies à Nice, sont les mêmes.
Le résultat est là. Selon les éléments diffusés par le Magazine Cash Investigations de France 2, le 11 juin dernier, ce sont 183 pays ou territoire qui sont concernés, avec le cas de l’île Bouvet qui n’a pas d’habitant, mais fournirait une domiciliation pour un client d’HSBC Genève, et plus de 121 000 comptes, à raison de 10 922 lignes de comptes pour le Royaume-Uni, 10 900 pour l’Italie, plus de 8 000 suisses, 1 835 pour l’Espagne, 1 329 pour la Grèce, 2 406 pour la Turquie et 2 841 pour le Liban, 6 003 pour les Etats-Unis et 1 817 pour le Japon.
Pour la France, les résultats sont mentionnés ci-après.
La voie fiscale est alors exploitée, mais se heurte d’abord à une difficulté juridique, relative à l’origine de la preuve.
Dans deux arrêts du 31 janvier 2012, la Cour de Cassation a confirmé qu’une visite domiciliaire intervenue en application de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, ne pouvait être autorisée sur de tels documents d’origine illicite en ce qu’ils provenaient d’un vol. A été argué le fait que la DNEF avait eu les fichiers avant que l’autorité judiciaire ne les ait elle-même et ne puisse donc régulièrement les lui transmettre.
La transmission le 9 juillet 2009 par le Procureur général de Nice, des informations dont il disposait, à l’administration fiscale, conformément à l’article L. 101 du livre des procédures fiscales n’a donc pas régularisé les contacts antérieurs.
Par ailleurs, la procédure a été assez lente. Elle a été confiée au départ à un seul service, la Direction Nationale des Vérifications de Situations Fiscales (DNVSF), sans que ses moyens aient été adaptés en conséquence. Comment s'en étonner, lorsque l'on sait que la liste HSBC comprend trois fois plus de noms que les services compétents de l'administration fiscale peuvent en traiter en l'espace d'une année ?
Pourtant, le nombre et la complexité des dossiers (tout dossier de fiscalité internationale est complexe), exigeait des moyens à la hauteur des enjeux. Les vérifications ont donc été engagées en plusieurs vagues : entre février et décembre 2010, avec des examens contradictoires de situation fiscale personnelle (ESFP), pour 528 contribuables ayant plus d’un million de dollars ; entre janvier et novembre 2011, le seuil a été réduit à 500.000 dollars et 202 affaires supplémentaires ont été ouvertes ; puis, le niveau a été réduit à 300.000 dollars à partir de janvier 2012, avec certaines exclusions dont les contribuables de plus de 85 ans. Ensuite, des attributions de dossiers à d’autres services que la DNVSF pour descendre au seuil de 50.000 dollars.
En outre, les taxations ne sont intervenues qu’au titre de l’ISF, et donc à taux faible. La raison invoquée est l’impossibilité d’identifier les flux.
Une cinquantaine d’enquêtes judiciaires fiscales ont été ouvertes seulement, sur près de 3.000 dossiers.
Enfin, les comptes des personnes morales n’ont donné lieu pour des raisons de prescription comme de droit comptable des sociétés, semble-t-il, à aucun redressement.
Le bilan de la procédure fiscale est donc dans l’ensemble mauvais, comme l’indiquent les éléments mentionnés dans le rapport précité du Rapporteur général, M. Christian Eckert :
« A l’issue de l’exploitation des fichiers informatiques, réalisée au cours de l’année 2009, l’administration fiscale est parvenue à dresser une liste de 127 311 personnes, dont 107 181 personnes physiques et 20 130 personnes morales. Parmi celles-ci, 6 313 étaient, selon toute probabilité, domiciliées fiscalement en France. Pour près de la moitié, les en-cours des comptes étaient nuls ou négatifs, tandis que d’autres n’ont pu être localisées, et in fine, ce sont 2 932 personnes, dont 2 846 personnes physiques et 86 personnes morales, qui étaient effectivement susceptibles d’être imposées au titre d’avoirs non déclarés. Il est à noter que sur les 2 846 personnes physiques, seules six avaient effectivement déclaré leur compte à l’administration fiscale...
« Les avoirs totaux dissimulés sur les comptes de la « liste HSBC » représentent environ 5 milliards de dollars. Ils s’avèrent assez concentrés sur un petit nombre de comptes, 60 d’entre eux dépassant un montant de 15 millions de dollars. Des opérations de contrôle fiscal, placées sous la responsabilité de la Direction nationale des vérifications de situations fiscales, ont été engagées dès le début de l’année 2010, et se sont concentrées dans un premier temps sur les avoirs les plus importants, dans un souci de rendement. Elles se sont ensuite poursuivies par vagues successives, avec, outre les examens de situation fiscale personnelle, des contrôles sur pièces. Elles sont en cours d’achèvement pour les comptes dont les avoirs sont supérieurs à 50 000 dollars. En tout état de cause, les règles de prescription sont suffisamment longues pour que l’administration fiscale dispose du temps nécessaire pour taxer les sommes dissimulées, sans se trouver dans l’urgence.
« Du fait des conditions d’obtention de la « liste HSBC », l’administration n’a pu directement opposer les informations dont elle disposait aux contribuables, et elle s’est trouvée confrontée à des contribuables niant la possession des avoirs non déclarés, dans environ 30 % des cas. Une partie de ces contribuables, qui détenaient les montants les plus élevés ou dont les dossiers apparaissaient particulièrement frauduleux, fait l’objet d’enquêtes judiciaires fiscales ; au nombre de 50, elles sont conduites par la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF). L’administration étudie par ailleurs la possibilité de revenir vers les personnes en dénégation, qui ne font pas l’objet d’enquêtes, afin de leur opposer les nouvelles dispositions issues de la dernière loi de finances rectificative pour 2012, combinées à celle qui devrait figurer dans la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale, en cours d’examen, en matière de recevabilité de la preuve.
« Au 15 juin 2013, les opérations de contrôle fiscal avaient conduit à la régularisation de 950 millions d’euros d’avoirs dissimulés et au paiement de 186 millions d’euros de droits et de pénalités, mais ces montants seront revus à la hausse une fois les dossiers conduits par la BNRDF achevés et les nouvelles dispositions juridiques mises en œuvre. »
Sur le plan judiciaire, où les poursuites pouvaient être engagées pour blanchiment de fraude fiscale, deux seuls éléments sont à mentionner, qui caractérisent une lenteur encore plus importante :
– le dépaysement du dossier de Nice à Paris, fin 2010 ;
– l’ouverture d’une information judiciaire trois ans après, fin avril 2013.
Vos rapporteurs partagent donc l’observation du Rapporteur général selon laquelle « Une telle inertie peut légitimement susciter des interrogations, d’autant que la justice dispose de moyens d’investigation autrement plus puissants que ceux de l’administration fiscale, et n’est pas limitée en matière pénale par l’origine litigieuse des données transmises. »
Sans que la chronologie ne permette de préciser pourquoi, la suite relève un peu du roman. Avant même l’arrêt de la Cour de Cassation, dans le cadre d’une opération au nom de code peu commun de « Chocolat », le ministre du Budget, M. Eric Woerth a indiqué en août 2009 détenir une liste de 3 000 noms de titulaires de comptes en Suisse, sans citer HSBC, et a invité les personnes qui se sentaient concernées à régulariser leur situation. Une cellule a été mise en place.
Le résultat a été le suivant : 4.725 personnes, dont 66 seulement de la liste HSBC, se manifestent, avec à la clef un redressement de 1,2 milliards d’euros et le rapatriement en France de 6 milliards d’actifs. Les Etats étrangers ont également communication de ce qui les concerne. Mme Christine Lagarde, alors ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, transmet ainsi à la Grèce la liste des contribuables qui la concerne.
Aux Etats-Unis, la banque HSBC a également connu des difficultés du fait de sa mise en cause en 2012 par un rapport du Sénat américain : elle a été accusée de blanchir des capitaux issus des cartels mexicains de la drogue et d’organisations terroristes, ainsi que d’avoir réalisé 16 milliards de dollars de transactions secrètes avec l’Iran sur une période de 6 ans. Elle a dû acquitter une amende de 1,9 milliard de dollars, pour mettre fin aux poursuites. En Espagne de même, HSBC fait l’objet d’une instruction judiciaire en cours. Il convient d’observer que les attendus de l’arrêt de l’Audiencia Nacional du 8 mai dernier (AUTO n° 19/2013) concluant à la validité du refus de l’extradition de M. Hervé Falciani, pointe, dans ses attendus, des agissements frauduleux ou contestables d’HSBC, dont certains anciens.
d. La lenteur des poursuites fiscales contre les grandes fraudes des plus fortunés grâce aux trusts, sociétés écran et secret bancaire : l’exemple de l’affaire Wildenstein
L’affaire Wildenstein est l’une des très rares plaintes pour fraude fiscale qui vise une dynastie, celle des marchands d’art du même nom établis notamment à Paris, New-York et Londres.
Il s’agit d’une affaire où la fraude poursuivie porte sur l’impôt sur les successions, et concerne ainsi l’impôt sur le revenu.
Elle a été mise au jour non pas par l’administration fiscale, mais en raison du conflit civil entre Sylvia Wildenstein et MM. Guy et Alec Wildenstein, les deux fils du premier mariage de son époux, Daniel, décédé en 2001. Elle l’a été grâce au talent et au courage de Me Claude Dumont-Beghi, avocate de Sylvia Wildenstein, qui en a tiré un ouvrage aussi remarquable que précis, L’affaire Wildenstein, histoire d’une spoliation (L’Archipel).
Après la mort de son mari, Sylvia Wildenstein a été en conflit avec ses beaux-fils sur les revenus et biens qui lui étaient alloués. Elle et son conseil ont ainsi découvert que des biens censés lui appartenir avaient été soustraits dans le cadre de trusts.
L'ouvrage révèle ainsi des montages à très haut degré de complexité, emboîtant les trusts et les sociétés offshore, de manière à éviter que n’apparaissent les personnes physiques réellement bénéficiaires de biens et des capitaux qui y sont abrités. Ainsi, le contrôle des galeries de tableaux était effectivement exercé par les membres de la famille, mais officiellement par des administrateurs de trusts, avec en outre des protecteurs en principe chargé de les superviser le cas échéant.
La facilité avec laquelle les biens meubles que sont notamment les tableaux changent de propriétaire apparent a rendu le mécanisme totalement incompréhensible. La complexité des schémas est telle qu’il n’est pas possible de les reproduire ici. En outre, des tableaux sont en dépôt dans des musées, dont un Caravage estimé à 80 millions d’euros.
L’objectif était non seulement de dissimuler patrimoine, activité professionnelle sur le marché de l’art et revenus du vivant de Daniel Wildenstein, pour faire échec à l’impôt, mais également d’échapper le plus largement possible aux droits de succession le moment venu pour conserver le patrimoine au sein de la dynastie. Les membres de la famille Wildenstein ont ainsi pu profiter de l’une des plus grosses fortunes française et même mondiales sans payer d’impôt. Daniel Wildenstein était officiellement retraité et non imposable, semble-t-il, en France, depuis des décennies lors de son décès.
Lors de son audition, Me Dumont-Beghi a relaté comment elle a dû faire nombre de démarches auprès des différentes autorités administratives, car elle a été confrontée à des comportements suspects.
Ce n’est qu’en juillet 2011, après avoir notamment été alertée sur les risques de prescription d’une créance fiscale de l’ordre de 600 millions d’euros en cas d’inaction de l’Etat par Me Dumont-Beghi, que l’administration fiscale a porté plainte pour fraude fiscale, juste avant que ladite prescription ne tombe, et qu’un redressement de 600 millions d’euros a été confirmé à l’encontre des héritiers.
En comptabilisant les amendes et les intérêts de retard, ce sont près de 2 milliards d'euros dont notre pays se prive. Vos rapporteurs ont interrogé le ministre de l'Economie et des Finances dont la réponse n'est pas connue, ce dernier ayant à deux reprises annulé la réunion de travail lors de laquelle celle-ci devait être remise...
2. Une organisation inadaptée et des moyens insuffisants face aux défis de la délinquance et de la criminalité fiscales et financières
a. La faiblesse persistante des moyens
En matière de contrôle fiscal, la France n’est pas suradministrée, loin s’en faut ! Selon les éléments communiqués dans un rapport ancien de la Commission des finances du Sénat de 2007, l’Allemagne déployait pour le contrôle fiscal externe, sur place, 16.667 agents pour 7,3 millions d’entreprises et l’Italie 15.248 pour 5,75 millions d’entreprises, quand la France en avait 5.093 pour 3,6 millions d’entreprises.
La disparition de 26.000 postes à la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) depuis 2002, soit 18%, est donc paradoxale pour un Etat qui affiche la volonté de lutter contre la fraude fiscale. Elle l’est d’autant plus que les effectifs affectés au contrôle fiscal « rapportent ».
Pour l’année 2012, le contrôle fiscal a permis de récolter 18 milliards d’euros, dont 14,3 milliards au titre des droits simples rappelés et 3,7 milliards au titre des pénalités. Un tiers des montants récupérés l’a été sur la grande fraude et la délinquance.
Les quelque 495 agents de la Direction des Vérifications Nationales et Internationales (DVNI) ont permis de collecter auprès des grandes entreprises, 4,6 milliards d’euros l’an dernier, dont 42% dans le cadre du contrôle fiscal interne.
Quant à la DNVSF, elle ne dispose que de 270 agents pour étudier la situation des contribuables personnes physiques à très fort enjeu, ce qui explique que le traitement de la liste HSBC n’a pu être encore achevé.
A l’évidence, les moyens humains manquent dans l’administration fiscale française. Et les méthodes évoluent trop lentement, même si l’évolution est positive : davantage de travail en équipe, pour éviter que le vérificateur ne se trouve seul dans une entreprise ou auprès d’un particulier, face à plusieurs interlocuteurs ; progression de la programmation ; assouplissement de l’approche statistiques pour avoir un meilleur résultat global.
Le même constat vaut pour les moyens de la justice financière. Les magistrats financiers notamment au pôle financier de Paris ne disposent collectivement que de quelques assistants spécialisés, là où ils devraient bénéficier de l’aide d’un bataillon de juristes, de fiscalistes, etc.
b. Une approche trop cloisonnée et donc inadaptée : le cas emblématique de la très faible pénalisation des infractions fiscales
i. L’origine du problème : le filtre de la commission des infractions fiscales et le monopole du ministre pour porter plainte
Le monopole du ministre et de l’avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF) pour engager des poursuites pénales au titre de la fraude fiscale, est l’exemple type du cloisonnement organisé qui nuit à l’efficacité de l’Etat. Il est prévu à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales.
La commission des infractions fiscales
La CIF est composée de douze membres titulaires et de douze membres suppléants choisis parmi les conseillers d'État et les conseillers maîtres à la Cour des comptes en activité ou en retraite, nommés par décret pour une durée de trois ans. La Commission peut siéger en formation plénière, rare, ou en sections ; celles-ci, au nombre de quatre, comportent chacune trois membres. Les sections et la Commission se prononcent à la majorité des voix, celle du président étant prépondérante en cas de partage égal des votes.
Les rapporteurs ne sont pas désignés parmi ses membres, mais parmi les fonctionnaires et magistrats figurant sur une liste arrêtée par le ministre chargé du Budget. Le rapporteur n’a certes que voix consultative, mais c’est lui qui formule des propositions devant la commission en formation plénière ou en section.
Dans la procédure de droit commun, le contribuable a trente jours pour faire valoir ses observations, mais il n'est pas lui-même entendu. La CIF n’étant pas une juridiction, l’obligation du procès équitable prévu par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne la concerne pas. Elle se prononce sur les faits (saisine in rem), et non sur les personnes (saisine in personam).
Vos rapporteurs entendent naturellement les arguments opposés de manière classique aux parlementaires qui soulèvent la question.
Ils conçoivent que tous les redressements fiscaux, ni même les quelque 50.000 issus des procédures les plus lourdes de vérification de comptabilité ou d’ESFP, ne peuvent conduire à des procédures pénales : ce serait excessif et contre-productif.
Ils conçoivent aussi que la technicité des dossiers, la compétence des agents des impôts, la nécessité d’une doctrine suffisamment homogène pour ne pas porter atteinte au principe de l’égalité devant l’impôt, sont autant d’arguments que l’on ne peut écarter d’un revers de la main.
Ils conviennent qu’il faut bien distinguer le redressement fiscal et la fraude fiscale. En cas d’infraction au code général des impôts, la procédure fiscale vise, dans le cadre d’un redressement, à recouvrer l’impôt, avec des pénalités et amendes à caractère fiscal, alors que la procédure pénale vise à faire sanctionner par un juge l’infraction en vue d’une amende comme d’une peine de prison.
Le délit pénal de fraude fiscale est ainsi défini à l’article 1741 du code général des impôts et puni d’une amende de 500 000 euros et d’un emprisonnement de cinq ans, indépendamment des sanctions fiscales par ailleurs applicables. Il vise « quiconque s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts (…), soit qu’il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu’il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l’impôt, soit qu’il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d’autres manœuvres au recouvrement de l’impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse ». Deux niveaux d’aggravation de cette infraction sont prévus. L’amende est portée à 750 000 euros – mais la peine d’emprisonnement encourue reste fixée à cinq ans – lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen soit d’achats ou de ventes sans facture, soit de fausses factures, ou qu’ils ont eu pour objet d’obtenir de l’État des remboursements injustifiés. L’amende est portée à 1 million d’euros et l’emprisonnement à sept ans lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis dans un État ou un territoire non-coopératif, soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis dans l’un de ces États.
Mais, vos rapporteurs constatent aussi qu’il faut entendre les magistrats, les représentants des associations, dire que la très faible pénalisation des infractions fiscales nuit à la crédibilité de l’Etat et de la Justice et confirment le sentiment général que frauder l’impôt n’est pas si grave que cela. Le consentement à l’impôt en est atteint.
Ils entendent aussi l’argument juridique : ce monopole du ministre, de l’Exécutif, est une dérogation au principe suivant lequel c’est le Parquet qui est seul juge de l’opportunité des poursuites.
Bref, le « verrou de Bercy » nuit gravement à l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale.
ii. La faiblesse du nombre des plaintes et des peines
Plusieurs éléments montrent les défaillances du dispositif actuel.
En premier lieu, le nombre des plaintes déposées par l’administration fiscale, est très réduit et extraordinairement stable : un peu plus 1.000 par an. La fraude augmente pourtant.
Le nombre de dossiers admis par la CIF est lui aussi assez régulier : un peu moins de 1.000 par an.
Plus précisément, les données des dernières années sont les suivantes.
Cette stabilité reflète il est vrai celle de l’amont avec un nombre extrêmement régulier de procédures lourdes de contrôle sur place susceptibles de débusquer les cas de fraude avérées : les vérifications de comptabilité sont autour de 50.000 pour les entreprises ; les examens de situation fiscale personnelles, les ESFP, au nombre de 4.000 pour les personnes physiques.
En deuxième lieu, seules deux affaires majeures ont donné lieu ces dernières années à plainte de l’administration pour fraude fiscale.
Il s’agit d’abord de l’affaire Wildenstein, déjà citée. Il s’agit ensuite de l’affaire Wendel pour laquelle une information judiciaire est ouverte depuis le mois de juin 2012, contre quatorze dirigeants et anciens cadres de Wendel. Ernest-Antoine Seillière, mais aussi Jean-Bernard Lafonta, l'ex-président du directoire du holding, et Bernard Gautier, membre du directoire, figurent parmi les personnes visées par ces plaintes.
Cette instruction est distincte de l'enquête préliminaire ouverte au printemps dernier pour « soupçon de délit d'initiés et manipulation de cours » par des dirigeants du groupe. Le montage en cause aurait permis d’éluder 80 millions d’euros d’impôts, grâce à la qualification jugée abusive d’intéressement, de plus-values sur cession d’actions. Le comité des abus de droit en a jugé ainsi.
En troisième lieu, les condamnations prononcées par les juridictions pénales sont extrêmement faibles : en 2010, 1.207 condamnations ont été prononcées, dont 68 peines de prison ferme, 201 peines d’amende ferme et 57 décisions d’interdiction d’exercer une profession. Selon les éléments disponibles, les condamnations médianes sont de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et les amendes s'élèvent à 5 000 euros.
Les peines d’amende sont rarement prononcées, mais il est vrai que les pénalités et amendes fiscales ont déjà rempli le même office. Ce sont donc des peines de prison qui sont prononcées, mais elles sont assorties de sursis. Il n’y aurait qu’un seul cas récent d’emprisonnement.
La réintégration de la fraude fiscale dans le droit pénal commun s’impose donc.
Ce ne sont pas les mesures de transparence (un rapport au parlement) sur l’activité de la CIF, ni l’élargissement de sa composition aux magistrats de l’ordre judiciaire et à des personnalités qualifiées, comme le prévoit la loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière, qui peuvent modifier ce constat.
En quatrième lieu, la démarche séquentielle qu’organise la CIF (le fiscal d’abord et toujours, le pénal ensuite et le cas échéant) a déjà dû faire l’objet d’exceptions, ce qui est l’aveu de son inadaptation.
La première exception concerne la TVA. Les poursuites peuvent être engagées très rapidement par l’administration du chef de l’escroquerie, définie à l'article 313-1 du Code pénal. Cela vise une partie des actions pénales engagées par l’administration contre les fraudes à la TVA.
La deuxième résulte de la création d’une « police fiscale », la Brigade nationale de Répression de la Délinquance Fiscale (BNRDF), par la 3ème loi de finances rectificative pour 2009, afin de répondre au développement de schémas complexes de fraudes fiscales. Comme il s’agit d’un service de police judiciaire rattaché au ministère de l’Intérieur, a été instaurée une procédure dérogatoire et confidentielle d’examen en amont des dossiers devant la CIF.
L’administration peut ainsi déposer plainte en amont des procédures administratives de contrôle, sur la base de présomptions caractérisées de fraude et non plus uniquement après achèvement de la procédure de vérification fiscale. Participent aux enquêtes judiciaires des agents des services fiscaux dotés de pouvoirs de police judiciaire, au sein d’un service spécialisé à compétence nationale. La BNDRF ainsi créée a vu son champ de compétences progressivement étendu. Cependant, la liste limitative des cas autorisant la saisine de la BNDRF l’empêche d’appréhender les autres infractions économiques et financières autrement que sous l’angle de la connexité avec le délit de fraude fiscale complexe dont elle est saisie à titre principal.
La loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière a prévu l’extension du champ de compétences d’attribution de la BNRDF afin de permettre également la saisine de ce service sur la base de la seule infraction de blanchiment de fraude fiscale. L’étude d’impact précise que « cette modification permettra une saisine plus souple du service, en évitant, le cas échéant, l’obligation d’une plainte préalable des services fiscaux et en offrant, de ce fait, une souplesse accrue et une meilleure réactivité ».
La troisième exception est d’origine jurisprudentielle. Elle est réputée mal acceptée par l’administration fiscale. En 2008, la Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence antérieure de 2000, a en effet jugé que le délit de blanchiment de fraude fiscale n'est pas soumis aux articles L. 228 et suivants du livre des procédures fiscales, et qu’il n’y a donc pas lieu d’exiger que « des poursuites aient été préalablement engagées ni qu'une condamnation ait été prononcée du chef du crime ou du délit ayant permis d'obtenir les sommes d'argent blanchies mais qu'il suffit que soient établis les éléments constitutifs de l'infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses » (arrêt de la chambre criminelle - Audience publique du mercredi 20 février 2008 - n° de pourvoi: 07-82977).
iii. Un cercle vicieux à rompre
Le fonctionnement parallèle du fiscal et du pénal conduit clairement à un cercle vicieux. Le faible nombre des affaires fait que les magistrats sont perçus comme insuffisamment au fait du fiscal. Les délais sont longs. L’augmentation des moyens de la justice n’apparaît pas justifiée.
Pour sortir de cette mécanique, il suffit d’inverser la tendance : plus les magistrats seront saisis de questions fiscales, plus ils pourront les traiter efficacement et plus les moyens supplémentaires s’imposeront d’eux-mêmes.
3. Une lenteur préjudiciable dans la lutte contre la nouvelle criminalité : la lutte contre les carrousels de TVA
a. Des redressements tardifs, et donc des recouvrements très faibles
Les éléments communiqués par les services spécialisés de Bercy dans la lutte contre la fraude (voir en annexe 2), la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF), confirment que les pouvoirs publics dans notre pays peinent à détecter et poursuivre efficacement la fraude à la TVA, comme à en recouvrer le produit. Rappelons que la Commission européenne évalue le manque à gagner sur les recettes de TVA en France à 32 milliards d'euros par an – soit un cinquième des recettes potentielles – là où le ministère de l'Economie et des Finances en concède « seulement » 10. A retenir ce dernier chiffre, sachant que le montant de l'escroquerie des carrousels de TVA est lui-même évalué à une dizaine de milliards d'euros annuels, cela signifierait que la fraude sur cette taxe, en dehors des carrousels proprement dits, n'existerait tout simplement pas...
Le nombre de détections, d'enquêtes et de recouvrements demeurent modeste pour un pays comme le nôtre, et leur stabilité relative montre, à tout le moins, une efficacité insuffisante. S'agissant du recouvrement, les services fiscaux admettent eux-mêmes que moins d'1% des sommes redressées est recouvré, ce que ne manque pas de pointer la Cour des Comptes, parmi les multiples observations qu'elle formule régulièrement sur les performances insatisfaisantes de l'administration fiscale...
Non pas qu'il faille mettre en cause la probité ou le professionnalisme des services : dans l'ensemble, la France a la chance de disposer de fonctionnaires intègres et efficaces. C'est bel et bien l'organisation défaillante, le manque de moyens, les failles d'un système reposant sur un régime déclaratif simplifié et des délais de réaction sans commune mesure avec le « temps » des fraudeurs, ou encore la survivance d'une prérogative d'Ancien régime laissant à Bercy la faculté de passer ou non par la voie judiciaire, qui expliquent l'ampleur du phénomène.
Le dénuement et la lenteur consécutive des services judiciaires affectés au traitement de ces affaires expliquent aussi, de leur côté, la quantité infime de poursuites et de condamnations.
Les éléments correspondants figurent en Annexe 2.
b. Des cloisonnements incompréhensibles dans l’accès à l’information : l’exemple du service national de la douane judiciaire
Un exemple du cloisonnement des services en est donné par le service national de la douane judiciaire (SNDJ) si utile dans la lutte contre les carrousels de TVA. Alors que les services administratifs des douanes fonctionnent avec une certaine capacité d’accès aux fichiers des autres administrations, le service national de la douane judiciaire fonctionne lui comme un service judiciaire (il n’est saisi que des affaires qui lui sont confiées par un magistrat, procureur ou juge d’instruction) et n’a accès que sur requête aux informations contenues dans les grandes administrations de contrôle : fisc, URSAFF etc. Les délais de réponse et de réaction du service sont par conséquent ralentis de quelques jours voire de quelques semaines à chaque fois.
C’est le résultat d’une conception qui est clairement trop stricte de la séparation du judiciaire et de l’administratif.
En effet, le SNDJ est un service d’enquête doté de la compétence de police judiciaire, et constitué d’officier des douanes judiciaires, d’ODJ.
Il en résulte des délais et des lourdeurs parfaitement incompréhensibles à notre époque.
DEUXIÈME PARTIE : UNE ERADICATION À PORTÉE DE MAIN DÈS LORS QUE LA VOLONTÉ POLITIQUE EST AFFIRMÉE SANS RÉSERVE AUX TROIS NIVEAUX D’ACTION : L’INTERNATIONAL, L’EUROPÉEN ET LE NATIONAL
La fraude fiscale, qui sape l'ensemble des pays développés, a pris une ampleur vertigineuse qui déstabilise désormais l'équilibre économique et social, déjà fragilisé par la crise, des Etats. Elle forme une sorte de pieuvre aux ramifications innombrables, dont les paradis fiscaux sont la tête. Une tête qu'il convient de démanteler si l'on veut durablement et significativement juguler ce péril mortel pour l'avenir de la démocratie.
La force des paradis fiscaux reposant sur l'opacité, l'anonymat de leurs bénéficiaires, le secret et la sophistication de leurs montages financiers, il faut à l'évidence parvenir à lever le voile sur l'identité des détenteurs de comptes. Le bilan très insuffisant des échanges à la demande démontre à cet égard que seul l'échange automatique et généralisé permettra d'atteindre cet objectif.
Le contexte paraît plus propice aujourd'hui à l'échange automatique, plusieurs pays ayant efficacement durci leurs exigences vis-à-vis des paradis fiscaux : les Etats-Unis ont adopté la loi FATCA qui impose à tous les pays tiers une communication de l'identité de leurs ressortissants titulaires d'un compte. Pour sa part, l'Allemagne a finalement rejeté les accords dits « Rubik », jugés trop indulgents vis-à-vis de la Suisse. S’appuyant sur les récentes décisions du G8 et du G20, la France doit à son tour faire preuve de la plus grande fermeté envers les paradis fiscaux. Mieux, elle doit sur ce terrain devenir une véritable force d'entraînement, en Europe et dans le monde.
Toutefois, l'échange automatique, pour indispensable qu'il soit, n'est pas suffisant : il convient également d'en finir avec tous les montages sophistiqués, trusts, fondations et tout autre mécanisme idoine, afin que le ou les réels bénéficiaires apparaissent désormais au grand jour.
A cet égard, la loi FATCA n'est pas dénuée de faiblesse, sinon d'ambiguïté, dans la mesure où elle ne s’attaque qu'aux seuls comptes bancaires – spécialité suisse – sans cibler les autres véhicules financiers qui font la prospérité des Etats plus exotiques.
Outre la volonté politique constante à déployer au niveau diplomatique et communautaire pour mobiliser la communauté internationale, les rapporteurs préconisent la création d'outils appropriés pour lutter concrètement contre les paradis fiscaux : établissement d'une liste unique des pays concernés, instauration d'obligations accrues pour les professions juridiques et financières, constitution d’un fichier centralisé des comptes bancaires...
De même, pour lutter contre la « planification fiscale agressive » pratiquée par certaines entreprises, une lutte accrue devra s'engager contre les domiciliations de complaisance et les dispositifs hybrides.
A. LA NOUVELLE NORME DE TRANSPARENCE FISCALE QUI S’IMPOSE AU NIVEAU INTERNATIONAL
1. Un impératif : Mettre en place et généraliser l’échange automatique d’informations grâce à l’effet d’entraînement du dispositif américain FATCA
1ère proposition : Appliquer et généraliser au niveau international les dispositifs de transfert automatique d’informations de type FATCA
a. La réponse aux insuffisances de l’échange d’informations sur demande
Vos rapporteurs ont tout au long de leurs entretiens et de leurs déplacements acquis la conviction que c’était bien l’échange automatique d’informations à caractère fiscal qui permettrait de venir à bout de la fraude fiscale internationale, et qui aiderait aussi à éradiquer le blanchiment des capitaux frauduleux.
Il faut, en effet, que les opérations faites entre deux pays étrangers par un ressortissant français soient connues de l’administration pour être imposées, si c’est bien notre droit fiscal qui s’applique.
La voie a été ouverte par les Etats-Unis avec l’adoption du dispositif FATCA. Le dispositif doit être appliqué au niveau mondial par tous les pays et territoires.
Sur le fond, l’échange d’informations sur demande est en effet mis en échec par les pratiques actuelles de certains pays. En outre, quand bien même l’administration fiscale obtiendrait de ses homologues des réponses rapides et de qualité, elle ne pourrait pas traiter le grand nombre. Il est en revanche nécessaire de le conserver pour les cas complexes avec des empilements de structures, notamment de structures croisées, de manière à pouvoir procéder pas à pas à leur mise au jour.
L’application générale de l’échange automatique d’informations est donc la première proposition qui s’impose.
b. FATCA : une obligation de déclaration de leurs clients américains par toutes les banques dans le monde à partir de 2014
L’impôt sur le revenu aux Etats-Unis est fondé non seulement sur un critère de résidence, comme en France, mais également sur un critère de nationalité : tout citoyen américain déclare et paye en principe l’impôt aux Etats-Unis, avec des aménagements prévus par les conventions fiscales pour tenir compte de l’impôt dû au pays de résidence, le cas échéant.
Dans cette logique, le Hire Act (Hiring Incentives to Restore Employment Act), loi adoptée le 18 mars 2010 par les États Unis, comprend les dispositions du Foreign Account Tax Compliance Act ou dispositif FATCA.
Celui-ci repose sur une obligation, pour les établissements financiers étrangers (FFI), de fournir à l’Internal Revenue Service (IRS), autorités fiscales des États-Unis, des informations sur les comptes bancaires détenus directement ou indirectement par des contribuables américains et les flux financiers concernant ces comptes. L’absence de respect de cette obligation est sanctionnée par l’application d’une retenue à la source, dont le taux est fixé à 30 %, appliquée aux flux financiers perçus sur ces comptes et dont la source se situerait a priori aux Etats-Unis et aussi des sanctions plus lourdes allant jusqu’au retrait de la licence bancaire. Par ailleurs, les établissements financiers sont également dans l’obligation de clôturer le compte d’un client qui refuserait, à l’issue d’une période raisonnable, de fournir les informations sollicitées par l’IRS.
Deux modèles d’accords peuvent être conclus pour la mise en œuvre de FATCA : le modèle I correspond à la transmission automatique des données d’administration fiscale à administration fiscale, sur un mode intergouvernemental et a été initié par la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. Le modèle II, correspondant à l’accord-cadre conclu entre les Etats-Unis et la Suisse, avec une déclaration aux autorités fiscales américaines, par les banques suisses, des comptes dont les titulaires sont des Américains.
c. Les initiatives du Royaume-Uni : la perspective d’un UK FATCA avec les dépendances de la Couronne, partagé avec les autres pays du G 5 : l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne
Juste avant la réunion du G8 de juin dernier, le Premier ministre David Cameron a réuni les dix territoires d'outre-mer et dépendances de la Couronne britannique qui se sont engagés à signer la convention multilatérale de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les échanges de renseignements fiscaux. Cette politique de transparence est plus développée pour Jersey, l’Ile de Man et Guernesey qui ont conclu leur propre FATCA avec le Royaume-Uni.
A la même période, les dépendances de la Couronne situées dans les Caraïbes, les îles Vierges et les îles Caïman, ont fait de même. En mai, cet engagement de transparence vis-à-vis du Royaume-Uni a été assorti d’une obligation similaire pour l’Espagne, la France, l’Allemagne et l’Italie.
Si le projet est conforme aux annonces, seront transmis les noms, dates de naissance, adresses, numéros de comptes, soldes et détails des transactions. Les trusts seraient également concernés. Seules les Bermudes ont manifesté leur opposition selon les informations disponibles.
d. La Suisse doit renoncer à étendre les accords Rubik et accepter FATCA : un ralliement significatif sur le principe
Présenté le 14 juin dernier par la conseillère fédérale suisse chargée de l’économie, Mme Widmer-Schlumpf, un rapport d’experts remis au Conseil fédéral a préconisé l’abandon de la politique des prélèvements bilatéraux, tels que ceux équivalents à la directive « épargne » ou ceux du mécanisme Rubik. Ce rapport a reçu le soutien de l’Association suisse des banquiers. La procédure parlementaire n’a pas, bloqué la ratification.
Le 9 septembre 2013, le Conseil national a accepté l’accord FATCA, à la suite du Conseil des Etats.
C’est un progrès car en mai dernier, M. Michael Ambühl, secrétaire d’Etat aux affaires financières internationales, vantait à vos rapporteurs les mérites de son système Rubik avec ses formules mathématiques ultra complexes :
– avec Rubik, les Etats des contribuables percevaient l’équivalent des impôts, et bénéficiaient après l’accord, d’un arriéré au titre de l’apurement du passé (le « vieil argent ») ;
– l’anonymat restait garanti, avec un secret bancaire consolidé ;
– les banques suisses gardaient leur clientèle.
Pour la Suisse, après le succès de la conclusion d’un accord avec le Royaume-Uni, un premier coup de semonce est intervenu avec le refus du Bundesrat d’accepter Rubik. Les parlementaires allemands, c'est heureux, ont compris le vice fondamental d'un accord qui, non content de n'offrir aucune garantie réelle quant à la récupération des sommes perdues à cause de la fraude fiscale, aurait consolidé le secret bancaire, c'est à dire la fraude elle-même. Ce refus a donc été bienvenu. Sa pertinence a été confirmée par les résultats des G 8 et G 20.
e. Le résultat des négociations pour l’application de FATCA par la France : un enjeu politique sur la réciprocité des informations communiquées par les Etats-Unis
Comme tout autre pays, la France est concernée par FATCA. Elle a choisi le modèle I de transmission des données d’administration fiscale à administration fiscale. Comme ses partenaires européens du G5 (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni), elle a en effet estimé qu’un accord international entre les autorités étatiques concernées était préférable à une application unilatérale de la loi américaine, car il implique une logique de réciprocité et offre une meilleure sécurité juridique aux opérateurs français comme une meilleure garantie de protection des données transmises. Les négociations avec les Etats-Unis, se sont conclues, le ministre de l’Economie ayant annoncé que l’accord était techniquement prêt le 20 juillet dernier.
Sur le fond, on vise à ce stade la transmission de toutes les informations de nature financière, notamment les comptes et les revenus financiers. Ce n’est qu’à un stade ultérieur que l’on pourra envisager de transmettre les éléments sur les revenus immobiliers et les salaires ou autres revenus d’activité professionnelle.
Pour sa part, l’IRS transmettra un ensemble de données incluant, pour ce qui concerne les résidents français, l’identification des actifs financiers (comptes bancaires et contrats d’assurance-vie) et les revenus correspondants.
Il existe une asymétrie regrettable sur la question du montant des actifs financiers puisque la France, comme ses partenaires, devra le transmettre pour les contribuables américains, alors que les Etats-Unis ne le feront pas, car la législation américaine ne permet pas, en l’état, à l’IRS de disposer de cette information sur une base automatique.
L’administration fiscale relativise cette asymétrie. Elle considère que dès lors que l’existence d’un compte bancaire ou d’un contrat d’assurance-vie est connue des autorités françaises, notamment par le biais de l’échange automatique, le solde pourra être demandé dans le cadre de l’échange d’informations sur demande, ce qui limite l’impact pratique de la restriction. De plus, selon les éléments communiqués, le secrétaire d’État au Trésor des Etats-Unis, M. Jack Lew, a indiqué par écrit à la France que son gouvernement ferait tout pour promouvoir auprès du Parlement américain une réforme permettant de parvenir à la pleine réciprocité attendue.
Cette dernière considération est pour le moins étonnante : FATCA est un dispositif unilatéral par lequel les Etats-Unis imposent au reste du monde de modifier sa législation. Il apparaîtrait logique qu’ils modifient simultanément la sienne pour faciliter les conséquences de leur propre demande.
Enfin, la dimension de réciprocité ouverte par les accords intergouvernementaux négociés par de nombreux pays pour la mise en œuvre de FATCA avec les États-Unis s’inscrit désormais dans le cadre plus large des relations entre chacun des autres États concernés, avec la perspective qu’ils puissent échanger directement entre eux, pour leur utilité respective, des informations équivalentes.
Cette évolution passe par la définition d’un standard international d’échange automatique d’informations qui fait actuellement l’objet de travaux au sein de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
2. Les résultats du G 8 de Lough Erne en juin 2013 et le G 20 de Saint-Pétersbourg en septembre : une règle incontestée sur le plan mondial et des perspectives de mise en application assez rapide
Au niveau international aussi, l’opportunité d’un passage à l’échange automatique d’informations est vite apparue nécessaire en matière fiscale.
La possibilité d’en faire la nouvelle norme de transparence fiscale internationale a figuré à l’agenda du G 20 dès la réunion de Los Cabos du 20 juin 2012. C’est le point de départ d’une évolution encore en cours qui laisse entrevoir la possibilité d’une fin des paradis fiscaux, dès lors que la volonté politique internationale ne fléchit pas.
Tel n’est pour l’instant pas le cas. Ainsi, les 18 et 19 avril 2013, à Washington, les ministres des Finances du G 20 ont rappelé leur attachement à ces sujets dans un contexte où chacun a pu constater que tout s’accélérait sur ce dossier. Au niveau européen comme au niveau international, le rôle de la France et de l’Allemagne est moteur, notamment pour ce qui concerne la question des trusts. Réunis à Lough Erne en Irlande du Nord les 16 et 17 juin derniers, les pays du G 8 ont adopté un document préparé par l’OCDE et intitulé « Un tournant pour la transparence fiscale », actant ce principe.
La déclaration des chefs d’Etat et de Gouvernement du G 20 issue de la réunion de Saint-Pétersbourg des 5 et 6 septembre dernier, a reconnu explicitement l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales sur la base de conventions bilatérales ou de l’adhésion à une convention multilatérale comme la norme.
Elle est assortie d’une annexe fiscale avec plusieurs éléments d’application concrète et de calendrier.
On observera que dans un contexte international par ailleurs tendu en raison de la situation en Syrie, les luttes contre les paradis fiscaux et l’optimisation fiscale des grandes entreprises ont été unanimement perçues comme les deux seuls points de consensus entre les grands pays.
b. Un calendrier précis d’ici 2015
Le document adopté par le G 8 à Lough Erne a prévu les quatre mesures concrètes à prendre pour pouvoir instaurer un système vraiment multilatéral, sécurisé et efficace en termes de coûts d'échange automatique de renseignements fiscaux : l’adoption par chaque pays d'une base légale ; la définition du socle juridique de l'échange de renseignements ; l’adaptation des obligations d'information et de vigilance et la coordination des directives en la matière ; la définition de normes de transfert d’informations communes ou compatibles.
A ce stade, les informations concernées pourraient être idéalement tous les revenus du capital (dividendes, intérêts, produits des participations dans les sociétés offshore).
Le calendrier a été précisé lors de la réunion à Saint-Pétersbourg, parant ainsi la principale critique antérieurement émise à l’encontre des décisions du G 20 et du G 8, à savoir l’absence d’échéance précise.
Les chefs d’Etat et de Gouvernement ont en effet soutenu les objectifs d’une définition de la norme d’échange en 2014 et d’une présentation par l’OCDE des modalités techniques de cet échange en milieu d’année 2014.
Ils ont également indiqué souhaiter pour fin 2015 le début de l’échange automatique d’informations entre membres du G 20.
3. Cinq enjeux d’une véritable réussite du passage à l’échange automatique d’informations pour tous les pays et territoires, y compris les actuels paradis fiscaux
a. Maintenir la fiabilité et la sincérité des évaluations par les pairs : le cas exemplaire du refus du Forum mondial d’admettre la Suisse en phase 2 de l’évaluation
En matière de norme internationale de transparence, la liste sanctionne les pays et territoires dont le comportement n’est pas coopératif selon la logique anglo-saxonne du risque de réputation, du name and shame.
En matière de transparence et de coopération fiscale, pénale et aussi prudentielle, l’évaluation ne doit pas se contenter d’être formelle, car un trop grand nombre de législations peuvent rester inappliquées ou mal appliquées.
Comme on l’a vu en première partie, le Forum mondial, qui comprend 119 membres et une douzaine d’observateurs (FMI, Banque mondiale, GAFI etc.), est devenu le cadre privilégié d’instauration d’une discipline internationale en matière de transparence fiscale.
Cette autorité repose sur le mécanisme de surveillance généralisée fondé sur le principe de l’examen mutuel. Des revues par les pairs sont effectuées selon deux phases : la phase 1, avec l’évaluation de la législation et de la règlementation du pays concerné, et de son réseau de coopération ; la phase 2, qui vise à apprécier l’application effective des engagements de coopération.
La Forum a assis sa crédibilité sur la manière dont il a traité le cas de la Suisse.
Il a en effet refusé de l’admettre en phase 2 faute de coopération fiscale suffisante en 2012.
Cette position est cohérente avec les modifications demandées par le GAFI à la Suisse et sur lesquelles, en février dernier, le Gouvernement a lancé une consultation, prévue pour s’étendre jusqu’à la mi-juin, avec l’objectifs de mettre aux normes internationales la législation contre le blanchiment, notamment sur les points suivants :
– la transparence des personnes morales, notamment sur l’action au porteur ;
– l’interdiction du paiement en espèces, si le prix convenu lors d’une vente immobilière ou d’une vente mobilière est supérieur à 100 000 francs ;
– l’identification de l’ayant droit économique ;
– une obligation générale prévue par la loi, et non par les ordonnances (textes de niveaux moindres) d’identifier les personnes politiquement exposées (PPE), ainsi que des obligations de diligence particulières relatives aux PPE nationales et aux PPE d’organisations internationales ;
– l’extension de la liste des infractions préalables au blanchiment d’argent aux « infractions fiscales pénales graves » ;
– la clarification de l’entraide judiciaire internationale en matière pénale internationale (EIMP), de manière qu’elle soit accordée pour les infractions préalables comme pour le blanchiment du produit d’infractions préalables, y compris les nouvelles infractions fiscales.
b. Etablir à bref délai l’instrument efficace de mise en œuvre du risque de réputation : une notation de chaque pays et territoire, et une liste internationale unique, au lieu des trois listes actuelles de l’OCDE, du GAFI et du Conseil de stabilité financière
2ème proposition : Etablir une liste unique de paradis fiscaux selon trois critères (fiscal, lutte contre le blanchiment, prudentiel), à la place des trois listes actuelles (OCDE, GAFI et Conseil de stabilité financière), avec notation des Etats et des territoires fiscalement souverains
Les travaux d’évaluation du Forum mondial ont abouti à deux résultats.
Quatre points juridiques précis ont été mis au jour, parmi les obstacles au respect de normes internationales : l’absence ou l’indisponibilité d’information sur les détenteurs effectifs de titres au porteur ; le secret bancaire et d’autres règles de confidentialité ou de secret professionnel ; les trusts, pour lesquels 40 Etats ou territoires ont été estimés par le Forum être défaillants ; le respect des obligations comptables.
La liste ainsi établie en avril dernier par le Forum mondial dispose d’une grande crédibilité, sous réserve pour les juridictions les plus récemment ralliées à la transparence, que la pratique suive l’intention et dure.
Juridictions ayant subi une revue du Forum Mondial et identifiées comme mettant en œuvre les standards internationaux en matière de transparence fiscale | |||
Andorre |
Danemark |
Italie |
Portugal |
Anguilla |
Estonie |
Jamaïque |
Qatar |
Argentine |
Finlande |
Japon |
Russie |
Aruba |
France |
Jersey |
Samoa |
Australie |
ARYM |
Corée |
Singapour |
Autriche |
Allemagne |
Luxem. |
Sint Maarten |
Bahreïn |
Ghana |
Macao |
Slovaquie |
Belize |
Gibraltar |
Malaisie |
Slovénie |
Bermudes |
Grèce |
Malte |
Afr. du Sud |
Brésil |
Grenade |
Ile Maurice |
Espagne |
Canada |
Guernesey |
Mexique |
St Kitts & Nev. |
Iles Caïmans |
Hong-Kong |
Monaco |
Ste Lucie |
Chili |
Hongrie |
Montserrat |
St Vincent & G |
Chine |
Inde |
Pays-Bas |
Suède |
Iles Cook |
Indonésie |
N. Zélande |
Bahamas |
Curaçao |
Islande |
Norvège |
Turquie |
Chypre |
Irlande |
Philippines |
Royaume-Uni |
Rép. Tchèque |
Ile de Man |
Pologne |
Etats-Unis |
Total : 72 pays ou territoires - En gras ceux ayant subi une revue combinée ou achevé leur examen de Phase 2. |
Juridictions qui n'ont pas été initialement admises en phase 2 à l'issue de leur examen de phase 1 | |||
Juridictions |
Juridictions réintroduites dans la programmation des phases 2 | ||
Botswana |
Niue1 |
Antigua et Barbuda |
|
Brunei |
Panama |
Barbados |
|
Rép. Dominicaine |
Arabie Saoudite |
Iles vierges britanniques |
|
Guatemala1 |
Trinité & Tobago |
Costa-Rica |
|
Liberia |
Emirats arabes unis |
San Marin |
|
Liban² |
Vanuatu |
Seychelles |
|
Iles Marshall |
Turks & Caïcos |
| |
Nauru1 |
Uruguay |
| |
|
|
Belgique |
|
Suisse |
|
Liechtenstein |
|
Total : 15 pays |
Total : 10 pays | ||
1 pays figurant encore sur la liste grise "OCDE" en date du 18 mai 2012 | |||
² juridiction évaluée bien que non membre du Forum mondial | |||
Autres juridictions adhérentes dont le 1er examen par le Forum Mondial est programmé à une date ultérieure | |||
Albanie |
Gabon |
Lesotho |
Roumanie |
Azerbaïdjan |
Géorgie |
Lituanie |
Sénégal |
Burkina Faso |
Israël |
Mauritanie |
Tunisie |
Cameroun |
Kazakhstan |
Maroc |
Ouganda |
Colombie |
Kenya |
Nigéria |
|
Salvador |
Lettonie |
Pakistan |
|
Total : 22 pays |
Cette liste a un défaut : elle n’est pas coordonnée dans sa présentation, dans sa publication et dans la méthode d’évaluation avec celle du GAFI notamment.
Tout plaide pour que tel soit le cas et que l’on aboutisse à une liste unique avec trois critères : le fiscal, la lutte contre le blanchiment et le prudentiel.
D’abord, même si elles ne relèvent pas de la même logique et font référence à des corps de règles différents, les évaluations qui vont être relancées par le GAFI et celles du Forum mondial portent sur le même sujet, celui de l’argent illégal, des fonds illicites. Il y a donc une certaine convergence sur leurs recherches et leurs travaux, laquelle conduit à recommander les échanges entre les institutions.
Ensuite, il est essentiel d’aller vers un diagnostic commun, sur les questions très techniques qu’il reste à éclaircir dans les pays et territoires jugés insuffisamment transparents et même, dans une phase ultérieure, il est impératif de constituer des équipes communes et pluridisciplinaires de manière à avoir des approches d’ensemble et communes sur les questions complexes telles que les registres des trusts ou autres, ou les obligations de réponse des trustees.
Cette liste pourrait être étendue aux résultats du Conseil de stabilité financière, même si la convergence des problématiques avec celles du Forum mondial et du GAFI est plus ténue. Mais l’intérêt d’une notation des pays et d’une liste unique avec trois critères s’impose.
Sur le plan de la méthode, une telle liste exige d’établir une notation claire et précise des différents pays et territoires, ce qui est l’intention du Forum mondial. Elle pourrait aller de A à D ou E, AAA étant réservé aux pays les plus transparents.
D’ailleurs, Tax Justice Network note déjà chaque pays sur une échelle de transparence, en utilisant les critères suivants : le secret bancaire, la capacité de créer des structures écran ou offshore comme au Delaware, les barrières à la coopération et à l’échange d’informations.
Les pays où le secret est le moindre sont le Danemark et l’Espagne. Les Maldives et Nauru sont les plus opaques.
On peut être surpris par certains éléments du classement, mais Tax Justice Network donne des explications pays par pays.
Il ne serait donc pas illégitime que ce type de notation soit fait d’une manière officielle par les organismes chargés de l’évaluation du respect des normes internationales : le Forum mondial, qui est auprès de l’OCDE, sur l’aspect fiscal ; le GAFI pour la lutte contre le blanchiment ; le Conseil de stabilité financière pour l’aspect prudentiel.
c. Imposer, grâce à des registres centralisés, la transparence sur les bénéficiaires effectifs des structures interposées en particulier pour toutes les formes de trust, et pour les fiducies, fondations, sociétés, contrats d’assurance vie, ainsi que les dépôts et autres fonds fiduciaires
3ème proposition : Inclure la transparence effective des structures écrans actuelles (sociétés, trusts, fondations etc.) dans les obligations de transparence grâce à des registres centralisés dans tous les pays
Vos rapporteurs ont constaté lors de leur déplacement en Suisse combien cette question de la transparence des structures écrans est essentielle.
Les Suisses considèrent que faute de transparence sur les trusts, l’échange automatique d’informations sera essentiellement à l’avantage des places financières anglo-saxonnes et qu’il conduira à vider la place suisse au profit de Londres et New York, par l’intermédiaire de leurs relais insulaires.
L’argument est réel : FATCA a bien été conçu comme une machine de guerre pour empêcher la délocalisation des grosses fortunes américaines.
Il est en raccourci le résultat du succès précité d’UBS dans le détournement du programme Qualified Intermediary (QI).
Il ne faut cependant pas être naïf, car au-delà des enjeux de place, très matériels et concrets, il y a la réalité.
On constate ainsi que les structures écrans existent dans tous les paradis fiscaux sous des formes diverses, y compris en Suisse et au Liechtenstein : fiducies, Stiftung, Anhalt, fondations de droit germanique, sociétés offshore, etc., sans parler des formules de dépôts fiduciaires etc.
Les Suisses eux même mentionnent les trusts dans l’accord Rubik conclu avec le Royaume-Uni.
Dans les jours qui ont précédé le G 8 de Lough Erne, des magistrats anticorruption de plusieurs pays ont adressé aux chefs d’Etat et de Gouvernement une lettre demandant que « les registres des sociétés existantes recueillent des renseignements sur les véritables propriétaires de toutes les entreprises (…) et que ces renseignements soient dans le domaine public. »
Appuyée notamment par Mme Eva Joly, députée européenne, cet appel, qui fait écho à celui de Genève (1996), a été entendu et la demande reprise dans les conclusions du G 8 de Lough Erne, en particulier grâce à l’intervention de la France et de l’Allemagne. Ces conclusions précisent en effet : « Nous convenons de publier des plans d’actions nationaux visant à permettre aux autorités fiscales et aux services opérationnels et répressifs d’accéder aux informations sur les personnes qui détiennent réellement les sociétés et les fiducies et en tirent profit, par exemple par le biais de registres centralisés sur la propriété effective des entreprises. »
Pour leur part, les conclusions du sommet de Saint-Pétersbourg prévoient que le Forum mondial devra mettre en place ce mécanisme de contrôle et définir avec le GAFI les normes permettant de connaître les bénéficiaires effectifs.
L’annexe à caractère fiscal indique que le Forum travaillera avec le GAFI sur la question du bénéficiaire effectif et qu’il s’assurera que tous les pays disposent bien de l’information nécessaire pour connaître les bénéficiaires effectifs des entités opérant dans leur juridiction.
Il est clair que cette disposition doit être interprétée d’une manière efficace et non d’une manière retenue ou hypocrite.
Les mesures d’application au niveau international doivent organiser une transparence pour les trusts, fiducies et autres structures comparables : Stiftung, Anhalt, fondations etc., grâce à des registres centralisés du même type que les registres du commerce et des sociétés.
Pour les trusts, cette obligation doit viser tous les trusts, qu’ils soient irrévocables ou discrétionnaires, et doit s’attacher à identifier tant les constituants que les bénéficiaires. Comme l’a relevé Tax Justice Network, les trusts discrétionnaires font l’objet d’un traitement de faveur dans l’accord Rubik conclu entre la Suisse et le Royaume-Uni. Un tel traitement de faveur des trusts ou d’une catégorie d’entre eux serait au niveau international inacceptable.
Tel doit également être le cas pour les contrats d’assurance vie, les fonds fiduciaires et toutes les autres formes juridiques qui permettent de substituer un nom à un autre sans que la propriété réelle et ultime de biens ou de capitaux ne soit réellement changée.
Ces efforts de transparence ne sont pas très exigeants au regard des formalités actuelles : en Suisse par exemple, le formulaire T fait que les banques doivent déjà exiger pour un trust les noms des constituants, du trustee et des bénéficiaires.
Pour sa part, dans le cadre de la loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, la France a institué un registre public des trusts déclarés et a prévu des sanctions renforcées en cas de non-respect de leurs obligations par les administrateurs de trusts (les trustees).
Cette obligation de transparence doit être la plus étendue possible et viser toutes les formes de maquillage de la propriété réelle, y compris les fiducies, fondations, sociétés, contrats d’assurance vie, ainsi que des dépôts et autres fonds fiduciaires.
d. Veiller à ce que les professionnels soient obligés de savoir et de transmettre
4ème proposition : Inclure dans les normes internationales l’obligation pour les professionnels (administrateurs et protecteurs de trusts, gérants de sociétés offshore etc.) l’obligation de connaître les personnes physiques bénéficiaires effectifs, y compris en cas d’empilement de telles structures écrans
L’information qui intéresse les autorités fiscales, les autorités de lutte contre le blanchiment et les juges doit toujours être entre les mains des professionnels. Il n’est pas admissible qu’il puisse y avoir encore à l’avenir quelques échappatoires.
Cette information doit donc faire l’objet de deux obligations pour que le principe de coopération internationale ne soit pas qu’un vœu pieu et que les accords ne soient pas considérés comme des alibis, ce qui est trop souvent le cas :
- les Etats et territoires doivent obliger effectivement les professionnels à connaître les personnes physiques qui sont les bénéficiaires réels des structures intermédiaires et les personnes qui les contrôlent, même lorsqu’il y a cascade de structures établies dans des Etats ou territoires étrangers. La norme de transparence doit leur interdire de se réfugier derrière la complexité d’une organisation ;
- ensuite, ils doivent obliger les professionnels à communiquer les données en cas d’échange automatique d’informations, comme d’échange d’informations sur demande.
Il n’est plus acceptable que les actuels cas de figure du professionnel « qui peut tout dire mais ne sait rien » et de celui « qui sait tout mais ne peut rien dire » puissent perdurer.
e. Promouvoir également, à terme, le fichier centralisé des comptes bancaires type FICOBA dans les normes de transparence internationale
5ème proposition : Promouvoir l’insertion d’un fichier centralisé des comptes bancaires de type FICOBA dans les normes internationales de transparence s’imposant aux Etats et territoires juridiquement et fiscalement autonomes
En complément des éléments qui précèdent, vos rapporteurs estiment que les obligations de réponse du trustee ou du gérant de société ou de fondation doivent être très clairement définies au niveau du G8 ou du G 20 : le trustee doit avoir vis-à-vis des juges, vis-à-vis des organismes de lutte contre le blanchiment et vis-à-vis des demandes à caractère fiscal, les mêmes obligations de transparence, sans restriction sur l’origine, l’affectation et la destination des fonds.
Ils considèrent par conséquent qu’il est impératif d’introduire l’exigence d’un seul ou d’un petit nombre de fichiers centralisés des comptes bancaires de type FICOBA dans les normes internationales de transparence et d’accès à l’information.
Ces éléments figurent déjà dans les demandes de l’Assemblée nationale au Gouvernement, car dès 2009, elles avaient été insérées par Mme Elisabeth Guigou et M. Daniel Garrigue, dans la proposition de résolution européenne figurant en annexe à leur rapport d’information précité.
Une telle demande ne peut cependant aboutir qu’à terme, étant donné que FICOBA est une certaine manière d’exception française.
B. EFFECTUER LA MISE À JOUR DES NOTIONS DE BASE DE L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS POUR METTRE FIN AU DÉTOURNEMENT DES BÉNÉFICES ET BASES FISCALES VERS LES PAYS ET TERRITOIRES SANS SUBSTANCE ÉCONOMIQUE
1. Retenir de nouvelles règles adaptées à l’ère numérique
a. La décision de principe du G 8 de Lough Erne
Dans ses conclusions du G 8 de Lough Erne, le G 8 soutient les travaux de l’OCDE « pour remédier à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices. »
Les pistes envisagées ont été la création d’un modèle commun de déclaration fiscale afin que les multinationales indiquent aux autorités fiscales dans quels pays du monde elles réalisent des bénéfices et paient des impôts, ainsi que pour aider les pays en développement à collecter les impôts qui leur sont dus grâce à l’accès aux informations fiscales mondiales pertinentes.
Dans le cadre du rapport publié en février dernier par l’OCDE sur l’Erosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices, dit BEPS (Basis Erosion and Profit Shifting), plusieurs initiatives concrètes ont été envisagées, notamment l’information préalable de l’administration fiscale sur les dispositifs de planification fiscale, permettant ainsi aux gouvernements de prendre les mesures nécessaires. De telles règles de communication préalable ont permis au Royaume-Uni de réduire de plus de 12 milliards de livres, en base, les possibilités d’évasion fiscale.
b. Le plan d’action présenté par l’OCDE le 19 juillet : 15 actions à la disposition des Etats membres, parmi lesquelles la perspective d’une nouvelle définition de l’établissement stable adaptée à l’ère numérique
Le 19 juillet dernier, l’OCDE a présenté un plan comprenant 15 actions pour la lutte contre l’érosion des bases fiscales.
Lors de sa présentation, le secrétaire général de l’OCDE a préconisé un calendrier de mise en œuvre dans les deux ans à venir, et insisté sur la bonne adaptation des règles proposées eu égard à l’ancienneté des règles actuelles, qui datent des années 1920. Les quinze actions sont les suivantes :
– adapter les règles de l’impôt au numérique ;
– neutraliser les montages hybrides ;
– renforcer les mesures vis-à-vis des sociétés étrangères contrôlées, c'est-à-dire des entités uniquement créées pour y localiser de manière artificielle une partie des profits dans des conditions qui échappent à l’impôt ;
– limiter les déductions des intérêts et autres frais financiers ;
– lutter contre les pratiques fiscales dommageables en prenant en compte la transparence et la substance ;
– empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales par une mise à jour de la définition de l’établissement stable ;
– empêcher l’accès artificiel à ce statut d’établissement stable ;
– trois actions pour veiller à la conformité des prix de transfert à la réalité de la création de valeur : l’une sur les actifs incorporels, l’autre sur les risques et le capital, la dernière sur les transactions à haut risque ;
– réexaminer la documentation OCDE des prix de transfert ;
– construire un outil commun de suivi et d’évaluation des pratiques d’érosion des bases fiscales et des contre-mesures adoptées ;
– obliger les contribuables à faire connaître leurs dispositifs de planification fiscale agressive ;
– accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends entre Etats sur le droit d’imposer ;
– établir un instrument multilatéral de mise en œuvre des mesures qui seront arrêtées, jugé plus efficace qu’une vaste opération de renégociation des conventions fiscales.
Les mesures relatives à la refondation de la notion d’établissement stable sont incontestablement parmi les plus importantes qui découleront de ce plan.
Cette notion est au cœur de la souveraineté fiscale : on impose dans un pays les résultats d’une entreprise qui y détient un établissement stable.
Sa conception est mise à mal par l’économie numérique, laquelle permet une déconnexion entre le lieu de l’acte d’achat et le lieu de transaction. Ainsi, même si elles sont dans un même pays, les filiales locales d’une entreprise multinationale ne sont plus des distributeurs mais des prestataires de services, sans lien entre elles, pour leur maison mère.
Il convient a priori de centrer prioritairement la réflexion sur l’origine de la valeur marchande, et donc sur la valeur intrinsèque de la clientèle sans laquelle aucune création de valeur ne peut trouver à se concrétiser.
La question est cependant suffisamment complexe pour ne pas s’engager plus avant dans le cadre de ce rapport.
6ème proposition : Etablir une nouvelle notion de l’établissement stable adaptée à l’ère numérique, fondée sur l’origine de la création de valeur et le rôle de la clientèle
Les 15 actions précitées ont été approuvées le 20 juillet lors de la réunion des ministres des Finances et dirigeants des banques centrales des pays du G 20, à Moscou.
c. La déclaration du G 20 de Saint-Pétersbourg les 5 et 6 septembre
La déclaration des chefs d’Etat et de Gouvernement reconnaît les dangers de la fraude et de l’évasion fiscales transfrontalières pour la légitimité de l’impôt et approuve le contenu des mesures proposées pour contrer la fraude, les pratiques fiscales dommageables et la planification fiscale agressive. Elle reprend à son compte le plan BEPS de l’OCDE pour lutter contre l’érosion des bases fiscales de l’impôt sur les sociétés et les transferts de profits, et rappelle que les principaux pays estiment que ces profits doivent être taxés là où sont les activités qui les génèrent ainsi que là où la valeur est créée.
Elle demande notamment aux Etats de réexaminer les points de leur législation et de veiller à ce que leurs règles de droit et celles du droit international ne permettent pas aux multinationales de réduire leurs impôts et de les transférer vers les pays à faible taxation.
2. Eliminer de manière coordonnée les dispositifs hybrides
7ème proposition : Eliminer de manière coordonnée les dispositifs hybrides
Le rapport de l’OCDE sur les dispositifs hybrides dénonce les cas où l’articulation des dispositifs nationaux conduit à des doubles non-impositions, même en appliquant les conventions fiscales. Connus des praticiens, leur usage se répand. L’objectif est d’y mettre fin.
Le cas le plus fréquent est celui du versement d’un intérêt à une société liée qui a fait un prêt spécifique : dans le pays d’origine, l’intérêt est déductible du résultat imposable ; dans l’autre, il est considéré comme un dividende et donc non imposable.
Comme ces dispositifs reposent sur les asymétries entre les législations des Etats, leur suppression ne peut intervenir que de manière coordonnée, soit dans un cadre multilatéral, soit à la suite d’initiatives bilatérales.
3. Engager les démarches pour exercer un contrôle international des Etats sur le Bureau international des normes comptables
8ème proposition : Organiser un contrôle international des Etats sur le Bureau international des normes comptables
Les professions du chiffre, les professions comptables, sont très présentes dans les paradis fiscaux et très concernées par les montages qui y donnent accès.
L’un des éléments essentiels à la compréhension de leurs actions est la maîtrise de leurs règles et de leurs normes.
Or celles-ci sont définies par le Bureau international des normes comptables, qui est un organisme privé dont le siège est à Londres. Cette structure est sous la tutelle de l’I.A.S.C.F. (International Accounting Standards Committee Foundation).
Il s’agit d’une fondation créée en février 2001, sous la forme d'une entité à but non lucratif enregistrée dans l'État du Delaware aux États-Unis. L’I.A.S.C.F. est composée de vingt-deux membres appelés trustees qui ont pour fonction d'assurer la direction de l’I.A.S.B. ainsi que des entités qui lui sont associées.
La légitimité de cette institution peut être mise en doute, pour émettre des normes internationales comme des normes qui s’applique à l’Europe : elle n'a de compte à rendre à personne sinon aux fondations qui la financent, lesquelles ne sont pas sans lien avec les grands établissements financiers et les principaux cabinets d'audit.
Cette autorégulation doit prendre fin, avec un certain regard du politique.
Après en avoir largement parlé avec M. Prem Sikka, universitaire anglais et membre de Tax Justice Network, lors de son audition, vos rapporteurs estiment qu’un contrôle international doit s’exercer sur cette instance. Le G 8 ou le G 20 sont les enceintes où la question doit être posée.
Au niveau européen, les questions qui se posent sont similaires à celles inscrites à l’Agenda international. On aurait pu envisager une présentation commune sur l’impôt sur les sociétés, l’échange automatique d’informations ou la liste des paradis fiscaux.
Tel n’a pas été le choix.
En effet, d’une part, les mécanismes de la construction communautaire font que la problématique n’est jamais tout à fait la même. D’autre part, les Etats membres sont en droit d’attendre des autres Etats membres davantage de solidarité que des pays tiers et dans des délais plus brefs.
A. ASSURER À PARTIR DE 2015 LE PASSAGE À L’ÉCHANGE AUTOMATIQUE D’INFORMATIONS SUR LE REVENU DES PERSONNES PHYSIQUES, Y COMPRIS POUR LE LUXEMBOURG ET L’AUTRICHE
9ème proposition : Assurer à partir de 2015 le passage à l’échange automatique d’informations fiscales pour tous les Etats membres, y compris le Luxembourg et l’Autriche
1. Tirer parti d’une mécanique juridique inéluctable
a. La convergence de trois mécanismes : la fin de la période transitoire de la directive épargne, la directive de 2012 sur la coopération et la pression de FATCA
A peine entrée en vigueur en 2005, la directive « épargne » a montré ses limites. D’abord, comme tout texte européen, le compromis dont elle a fait l’objet n’a pas été parfait sur le plan technique. Ensuite, elle a clairement fait l’objet de stratégies de contournement pour le prélèvement de la retenue à la source dans les pays ayant opté pour elle, en raison de leur attachement au secret bancaire : d’une part, sur son champ d’application, les revenus de l’épargne sous forme d’intérêts ont fait l’objet de substituts non visés ; d’autre part, l’interposition de structures écran de type personne morale ou bien trust a permis de faire échec au dispositif qui ne visait que les personnes physiques.
Comme l’a expliqué M. Falciani à vos rapporteurs, dès 2003, des sociétés au Panama ont été utilisées pour y incorporer les actifs jusque-là détenus en propre par des particuliers, Français ou autres, auprès d’HSBC à Genève.
La stabilité des restitutions opérées à la France, qui comme le prévoit le texte, est censée percevoir 75% du produit de la retenue à la source prélevée sur les comptes détenus en Suisse par ses résidents fiscaux, laisse penser que les stratégies d’évasion ont été mises en place très tôt.
La Commission européenne a par conséquent présenté le 13 décembre 2008 une proposition pour corriger les lacunes du texte initial : extension du champ à tous les produits de taux et à certains produits innovants et d’assurance vie ; extension de l’obligation de paiement de la retenue à la source aux intérêts transitant par des structures intermédiaires de type société, fonds d’investissement ou trust, pour toucher le bénéficiaire effectif du versement.
Cette proposition a été approuvée par l’Assemblée nationale, lorsque la résolution présentée par M. Daniel Garrigue et Mme Elisabeth Guigou, en conclusion de leurs travaux menés en 2009 au sein de la Commission des affaires européennes (cf. rapport précité) est devenue définitive.
Elle a été bloquée en revanche au niveau du Conseil Ecofin en raison de l’opposition des deux Etats membres à secret bancaire : le Luxembourg et l’Autriche.
Toujours difficiles sur un texte fiscal en raison de l’exigence de l’unanimité du Conseil, les débats se sont compliqués à mesure que les conclusions du G20 et les travaux du Forum mondial ont fait reculer le secret bancaire.
En effet, le dispositif de la retenue à la source est conçu par la directive comme transitoire et s’appliquant dans une période elle-même qualifiée de « période de transition ». C’est le régime de l’échange automatique d’informations sur demande qui est considéré comme le régime normal et donc définitif.
Or, d’après l’article 10 de la directive, la période de transition s'achève à la fin du premier exercice fiscal complet qui suit la dernière des dates suivantes :
– la date à laquelle entre en vigueur le dernier accord que la Communauté européenne, après décision du Conseil statuant à l'unanimité, aura conclu respectivement avec la Confédération suisse, la Principauté de Liechtenstein, la République de Saint-Marin, la Principauté de Monaco et la Principauté d'Andorre, accord qui prévoit l'échange d'informations sur demande conformément au modèle de convention de l'OCDE, pour le paiement d'intérêts ;
– la date à laquelle le Conseil convient à l'unanimité que les États-Unis d'Amérique s'engagent à échanger des informations sur demande conformément au modèle de convention de l'OCDE en ce qui concerne également le paiement d'intérêts.
Lors de la négociation du texte de 2003, cette disposition équilibrée n’est pas apparue comme menaçante pour les pays à secret bancaire, car le passage à l’échange d’informations sur demande paraissait hors de portée.
Ce qui est intervenu depuis 2009 a montré le contraire.
L’application de l’accord intervenu à l’unanimité des Etats membres sur la révision du fond de la directive est cependant suspendue au résultat de la négociation avec la Suisse, ainsi qu’Andorre, Saint-Marin, le Liechtenstein et Monaco, qui appliquent un système équivalent.
Les conclusions du Conseil européen du 22 mai dernier indiquent, en effet, qu’à « la suite de l'accord intervenu le 14 mai 2013 sur le mandat visant à améliorer les accords de l'Union européenne avec la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, Andorre et Saint-Marin, les négociations commenceront dès que possible afin que ces pays puissent continuer à appliquer des mesures équivalentes à celles qui sont en vigueur dans l'Union européenne » et que « compte tenu de ce qui précède et prenant note du consensus sur le champ d'application de la directive révisée sur la fiscalité des revenus de l'épargne, le Conseil européen a demandé que son adoption intervienne avant la fin de l'année ».
Le deuxième élément essentiel a été l’adoption en 2011 de la directive du Conseil 2011/16/UE sur la coopération administrative dans le domaine fiscal, entre les Etats membres, en remplacement de l’ancienne directive de 1977.
Les principales innovations sont les suivantes :
– le champ est étendu à tous les impôts et taxes, excepté la TVA, les droits de douane, les droits d'accises et les cotisations sociales obligatoires déjà couvertes par d'autres dispositions ;
– les échanges d'informations peuvent porter sur des personnes physiques ou morales, sur des associations de personnes ou sur toute autre entité juridique ;
– la directive prévoit que l'échange automatique d'informations entrera en vigueur le 1er janvier 2015 pour cinq catégories de revenus et de produits de capital : revenus professionnels, jetons de présence, produits d'assurance-vie non couverts par d'autres directives, pensions, propriété et revenus de biens immobiliers.
En outre, la directive contient, à l’article 19, une disposition comparable à celle de la «Nation la plus favorisée». En clair, si un État membre établit avec un autre État une coopération plus étendue que celle prévue par la directive, il ne peut refuser cette coopération étendue aux autres États membres.
Avec l’adoption de la loi FATCA, qui prévoit un transfert automatique de données détenues par les banques étrangères à l’administration fiscale américaine, cette disposition qui pouvait paraître anodine a pris un relief particulier. En effet, comment le Luxembourg et l’Autriche pourraient-ils envisager de refuser aux autres Etats membres ce qu’ils accordent aux Etats-Unis avec FATCA ?
Le troisième élément a été l’initiative des pays du G 5 (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et Espagne) en faveur de l’échange d’informations au niveau européen. Ces 5 pays souhaitant transposer à l’échelle européenne le modèle FATCA.
Dans une déclaration commune publiée le 14 mai, douze autres pays se sont déclarés en faveur du « FATCA européen » : la Belgique, la République tchèque, le Danemark, la Finlande, l’Irlande (présidente en exercice de l’UE), les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède, soutiennent « avec vigueur le développement d’un standard mondial unique sur l’échange automatique d’informations qui couvrirait un large spectre de revenus et d’entités » (les trusts, en particulier).
A la suite du Conseil européen, le 22 mai dernier, le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso a indiqué qu’au 1er janvier 2015, l’Union européenne devrait disposer d’un système d’échange automatique d’informations.
On observera qu’après certaines hésitations, selon les éléments communiqués, le Luxembourg a opté pour le modèle I de mise en œuvre de FATCA, à savoir la transmission des informations d’administration fiscale à administration fiscale. La Suisse a quant à elle préféré le modèle II, de transmission directe des informations à l’administration fiscale américaine, par les banques étrangères.
Une modification de la directive de 2011 a été présentée pour que cet échange automatique soit le plus large possible, comme précisé au c) ci-après.
b. Le ralliement, progressif, même si jamais fermement confirmé, du Luxembourg et de l’Autriche
Le Luxembourg et l’Autriche, les deux seuls Etats à secret fiscal membres de l’Union européenne, ont eu une position ambigüe, même si le Premier ministre du Luxembourg, M. Jean-Claude Juncker, est assez vite convenu des implications de FATCA pour les relations de son pays avec ses partenaires européens.
Plusieurs signes sont cependant favorables : l’accord pour la négociation avec la Suisse et les quatre autres pays européens sur la révision de la directive épargne, sachant que sur le fond, la teneur précise des révisions à opérer, a été « gelée » ; la signature à Paris de la convention multilatérale précitée de l’OCDE et du Conseil de l’Europe, d’application mondiale, sur la convention fiscale, qui admet pour tous les impôts, les échanges d’information sur demande, y compris les demandes groupées et ouvre des perspectives sur l’échange automatique d’informations.
Le fait que Singapour ait signé le même jour cet accord, de même que l’Arabie saoudite et le Belize (ex Honduras britannique) peut être vu comme un effet d’entrainement.
De ce point de vue, au fur et à mesure que la situation évolue dans les pays tiers, l’argument du Luxembourg pour conserver tout ou partie de son secret bancaire, celui d’une égalité entre les places financières appliquant actuellement ce secret, disparaît.
c. La perspective d’un échange d’informations au 1er janvier 2015
La directive précitée relative à la coopération administrative prévoit l’échange automatique d’informations à compter du 1er janvier 2015 s’agissant des revenus professionnels, des jetons de présence, des assurances-vie, des pensions et de la propriété de biens immobiliers.
La proposition présentée à la Commission européenne le 12 juin dernier vise à ce que l'échange automatique d’informations s’applique également, à partir de la même date, aux dividendes, aux plus-values, aux autres revenus financiers et aux soldes des comptes.
C’est donc cette échéance qui peut en l’état être retenue. Vos rapporteurs restent cependant prudents. Ils ne seront convaincus que lorsque le système de l’échange automatique d’informations sera effectivement en fonctionnement.
Sur le plan des normes de transmission, on assiste avec le développement de la mise en œuvre de FATCA et les travaux de l’OCDE, à une certaine préemption de la question par le niveau international sur le niveau européen.
2. La faculté de faire valoir cette cohérence sur le plan international pour promouvoir cette même transparence
a. Continuer à affirmer la volonté politique de transparence au sein des Conseils Ecofin et des Conseils européens comme du G 7, G 8 et du G 20
La question étant en principe réglée au niveau européen, l’enjeu maintenant pour les dirigeants européens n’est plus que de veiller à ce que les perspectives ainsi tracées se concrétisent.
Deux conditions aussi simples qu’essentielles s’imposent à ce stade : maintenir la question à l’agenda politique des réunions des Conseils Ecofin et des Conseils européens, tant que l’échange automatique d’informations n’est pas appliqué ; veiller sur le fond à ce que des imperfections ou des amendements de détail ne viennent empêcher ou retarder la mise en œuvre effective de cet échange.
b. Utiliser si nécessaire les négociations commerciales comme levier de la transparence fiscale avec les Etats places financières, voire avec les Etats Unis
10ème proposition : Utiliser les négociations commerciales internationales de l’Union européenne comme levier pour obtenir la transparence et la coopération fiscales entre les Etats membres et les pays tiers
L’Union européenne est un marché de 500 millions de consommateurs. Par conséquent, les accords commerciaux, essentiellement les accords de libre- échange conclus avec elle, sont étroitement marqués par le principe d’asymétrie : ils sont structurellement plus avantageux en termes d’élargissement du marché pour l’autre partie que pour l’Union européenne. Seules l’Inde et la Chine feraient exception à ce principe si leur niveau de développement était déjà celui escompté pour le futur.
Par conséquent, et cela vaut notamment pour les petits Etats comme Singapour, la conclusion des futurs accords commerciaux par l’Union européenne doit, si nécessaire, être subordonnée au passage à l’échange automatique d’informations fiscales vis-à-vis de l’ensemble des Etats membres.
La même remarque vaut aussi pour les Etats-Unis avec lequel la négociation sur le partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement (TTIP) est en cours. Vos rapporteurs estiment que si l’occasion se présente, la question de l’accès aux informations des sociétés et autres structures pour l’instant opaques, constituées dans le Delaware notamment, devra être posée.
La Suisse est d’ailleurs dans cette logique, car le débat sur la fin du secret bancaire a été lié pour ce qui concerne l’Union européenne, à celui de la libre prestation de services des banques suisses, à savoir la possibilité de démarcher directement des clients dans les Etats membres sans y avoir nécessairement d’établissements alibis qui sont, il ne faut pas l’oublier, avant tout des centres de coût, dès lors que toutes les opérations de gestion privée sont faites à Genève ou Zürich, par exemple.
c. L’intérêt politique d’une liste européenne commune des paradis fiscaux
11ème proposition : Etablir une liste européenne commune des paradis fiscaux pour affirmer la communauté de vue des Etats membres sur la question
Il n’existe pas de liste européenne des paradis fiscaux. Sa création a été proposée par la Commission européenne.
L’idée d’une telle liste noire n’a cependant pas reçu à ce stade, l’aval de nombre de pays européens. La France et l’Italie y seraient favorables.
Qu’elles soient réellement motivées par des considérations d’ordre technique ou qu’elles s’abritent derrière celles-ci pour d’autres motifs, les réserves parfois formulées doivent être écartées d’emblée. L’intérêt d’une telle liste que l’OCDE comme les Etats membres peuvent faire seuls, est moins technique que politique : elle permettrait à l’Union européenne d’afficher sur ce problème une communauté de vues à même de faire réfléchir, et fléchir, les gouvernements des pays qui seraient réticents quant au respect des normes de transparence et de coopération fiscale et pénale internationales.
B. HARMONISER EN TOUT ETAT DE CAUSE L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS AVEC UN TAUX MINIMUM AU NIVEAU EUROPÉEN
1. Un impôt plancher sur les sociétés avec les pays volontaires
a. Un impératif : faire cesser le dumping fiscal
La question d’un impôt plancher comme première marche vers l’harmonisation fiscale doit éventuellement être posée en allant jusqu’à la crise s’il le faut : les Etats qui le refuseraient verraient leurs produits et leurs prestations de services taxés dans le cadre d’un mécanisme compensatoire aux frontières.
Le précédent, à l'automne 2010, de l'aide de 85 milliards d'euros à l'Irlande sans avoir obtenu la contrepartie d'un relèvement de son taux d'impôt sur les sociétés, démontre clairement qu'aucune harmonisation fiscale en Europe ne pourra être issue du système communautaire. Sauf à le réformer en profondeur, ce qui ne paraît pas envisageable dans un avenir prévisible. L'Union européenne ne voulant, ou ne pouvant pas, il est évident qu'il faut désormais s'en remettre à l'échelon national. Au reste, toutes les grandes étapes de la construction européenne ne furent-elles pas ponctuées d'épreuves de vérité ? La politique de la « chaise vide » du général de Gaulle à propos de la PAC, l'obstination de Margaret Thatcher sur la question de la contribution britannique ou encore la fermeté d'Helmut Kohl concernant la réunification allemande ont ainsi permis de sortir de l'impasse communautaire des questions majeures pour l'avenir du continent.
Les derniers développements de la question de l'harmonisation fiscale en Europe ne démentent pas ce constat, tout au contraire.
b. Un constat que ne parvient toujours pas à faire partager la Commission européenne : déclarer contraires aux règles de la concurrence les avantages octroyés par les rulings des Pays-Bas, de l’Irlande et du Luxembourg
Le 12 septembre, la Commission européenne a confirmé avoir demandé à trois Etats membres, les Pays-Bas, l’Irlande et le Luxembourg, des renseignements sur les accords fiscaux que l’on appelle les ruling, qu’ils négocient au cas par cas pour attirer les multinationales.
L’objectif est de vérifier qu’il n’y a pas une violation des règles relatives aux aides d’Etat et donc atteinte au principe de la loyauté de la concurrence.
C’est pour les Etats concernés un coup de tonnerre dans un ciel qui était de moins en moins bleu, mais restait cependant rassurant de leur point de vue.
C’est pour les observateurs objectifs une manière de révolution intellectuelle que d’admettre enfin que le dumping fiscal est l’un des vecteurs du dumping économique et de la régression.
Il convient cependant que la Commission européenne reste ferme sur la logique de son initiative et qu’elle aille au bout de son raisonnement : la fiscalité directe est bien un élément de la concurrence entre les Etats et un niveau trop peu élevé d’impôt sur les sociétés est de manière générale, et non uniquement comme c’est le cas de manière spécifique sur quelques cas particuliers, totalement incompatible avec les règles et l’esprit de la coopération entre les Etats européens, quelles que soient d’ailleurs ses modalités.
c. La nécessité d’un taux minimum et d’une base aussi harmonisée que possible
12ème proposition : Assurer un niveau minimum d’impôt sur les sociétés au niveau européen
A l’issue de leurs travaux, vos rapporteurs considèrent que les vingt-huit pays membres de l'Union européenne ne se mettront pas d'accord sur cette question. Il convient en conséquence de l'envisager sur une base nationale, les pays volontaires agissant de manière coordonnée.
Un impôt plancher sur les sociétés doit être instauré assorti de règles contraignantes et d'obligations coopératives. De même, des mécanismes compensatoires communs devront être mis en place vers les pays-membres qui refuseront de se joindre à cette démarche, prenant notamment la forme de taxes à l'importation pour maintenir les conditions d'une concurrence loyale.
Il s’agit d’un impôt avec un taux minimum comme il en existe pour la TVA, et également avec une certaine harmonisation de l’assiette, de manière à garantir la comparabilité des taux et éviter que la réduction de l’assiette à sa plus simple expression par un pays, ne réduise à néant l’effet de la mise en place du taux minimum.
Sans ce minimum, le dumping continuera sans autre limite que l’anéantissement de l’impôt sur les sociétés, et par conséquent, le report de la charge fiscale sur les ménages et sur les PME créatrices d’emplois et ancrées dans nos territoires.
Une autre alternative serait un rapprochement des Etats, en présence de la Commission européenne, dans le cadre d’un renouvellement du mandat du groupe « code de conduite » élargi entre autres aux « licence boxes », aux dispositifs hybrides et à l’adaptation des règles à l’entreprise numérique.
En dépit de son bilan très positif et de son utilité actuelle, notamment dans les relations avec la Suisse, le groupe « code de conduite » a largement épuisé son mandat initial.
Il a traité le plus facile en matière de concurrence fiscale dommageable.
Ainsi qu’il l’a été fait observer à vos rapporteurs, il est parfaitement envisageable de lui confier un mandat sur le recours aux structures qui permettent de transférer au titre d’usages plus ou moins avérés et quantifiables, des droits de propriété intellectuelle ou des prestations de management.
En fait, il s’agirait de faire le tri entre les structures spécialisées dans ce type de facturation, dont les « licence boxes », de manière à isoler des autres celles qui n’ont pas de réalité économique, et qui sont purement artificielles.
La même démarche pourrait également concerner les holdings totalement artificielles qui ne sont destinées qu’à faire transiter les bénéfices par un pays donnant par convention fiscale accès au grand large des paradis fiscaux caraïbes.
Elle pourrait s’appliquer aussi aux dispositifs hybrides évoqués au niveau de l’OCDE et porter sur la question de l’adaptation des règles aux enjeux de l’économie numérique.
Complémentaire des travaux entrepris à ce niveau-là, l’impulsion politique serait déterminante pour trouver une solution à ce qui, en l’état, oppose les grandes économies continentales aux trois pays insulaires ou maritimes davantage ancrés dans les rouages de la mondialisation : l’Irlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.
La conception qui sous-tend le fonctionnement du groupe de conduite, avec des décisions par consensus associant les Etats membres et la Commission européenne, sans suprématie de cette dernière, paraît plus séduisante que la règle communautaire de l’unanimité.
Cependant, peut-on donner à un groupe qui n’a effectué que des travaux techniques sur des questions précises, un mandat aussi large ?
2. Un aménagement à prévoir, en tout état de cause, aux directives mère/filiale et intérêts/redevances : n’appliquer l’exemption de la retenue à la source que dans le cas où les sommes sont effectivement imposées dans l’autre Etat membre
Les directives européennes précitées intérêts/redevances et mère/filiale ont pour objectif de n’imposer les revenus correspondants, dit passifs, au titre de l’impôt sur les bénéfices des entreprises, que dans un seul Etat membre.
Lorsqu’il y a transfert de tout ou partie des sommes correspondantes dans un autre Etat membre, il y a absence de retenue à la source dans l’Etat membre d’origine.
Comme on l’a vu, le mécanisme est détourné par les sociétés, notamment les sociétés du numérique qui jouent beaucoup sur les mécanismes de redevances, pour aller vers les Etats tunnels de type Pays-Bas ou Irlande, voire Luxembourg.
Il convient donc de modifier les textes pour que l’exonération de retenue à la source n’intervienne plus que lorsque l’imposition est effective dans l’Etat membre de destination.
3. Bien confirmer le principe de transparence des activités non seulement des banques et établissements financiers, mais de toutes les entreprises, y compris celles qui ne sont pas cotées, pays par pays
13ème proposition : Rendre obligatoire pour toutes les entreprises d’une certaine taille la transparence de leurs activités et de leurs bénéfices pays par pays
Introduite dans la législation française par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation du secteur bancaire, la transparence ou le reporting des activités bancaires et non bancaire pays par pays a d’abord été adopté sur l’initiative du Parlement européen.
C’est en effet le 28 février dernier que dans le cadre du trilogue, la disposition qui demande aux banques européennes de fournir à partir du 1er janvier 2015, le montant du chiffre d'affaires qu'elles réalisent pays par pays, ainsi que le nombre d'employés, les profits réalisés, les impôts payés et les subventions publiques reçues, a été intégrée à l’accord sur la proposition de directive CRD IV. L’obligation est prévue à partir de 2014, mais subordonnée à une évaluation de la Commission européenne.
L’objectif de la Commission européenne, dans le cadre d’une nouvelle proposition de directive, est d’étendre ces déclarations à l’ensemble des entreprises d’une certaine taille, y compris lorsqu’elles ne sont pas cotées, comme Ikea par exemple.
Cette intention doit être confirmée, de manière qu’il y ait dans toute l’Europe une capacité d’observation et donc de réaction à la politique des entreprises en matière de localisation des profits.
A l’origine, la disposition a été prévue par la loi Dodd-Frank en 2010 aux Etats-Unis, pour les entreprises du secteur des matières premières extractives. Plus précisément, il s’agit non seulement de déclarer les revenus pays par pays, mais aussi les versements, pays par pays, que les entreprises effectuent auprès des gouvernements concernés. On rappellera que 90% des compagnies pétrolières et gazières internationales et 80% des entreprises du secteur minier sont cotées aux Etats-Unis et relèvent donc de ce dispositif.
C. COMPLETER L’ARSENAL PÉNAL EUROPÉEN DES DISPOSITIFS ANTI-BLANCHIMENT
14ème proposition : Compléter l’arsenal pénal européen en adoptant rapidement la 4ème directive anti-blanchiment
1. Un texte nécessaire pour faire face à l’évolution des menaces
En avril 2012, la Commission européenne a adopté un rapport analysant la mise en œuvre des dispositions des trois premières directives en matière de lutte contre le blanchiment. Si aucune carence majeure n’a été relevée, la Commission européenne a indiqué qu’elle examinerait plusieurs questions sensibles, notamment :
• les éléments fondés sur l’analyse de risques, pour mieux les cibler et affecter les ressources aux domaines où elles sont le plus nécessaires ;
• l’extension du champ d'application des règles, de manière par exemple à couvrir de manière plus générale le secteur des jeux de hasard ;
• l’inclusion des infractions fiscales comme une infraction principale du blanchiment de capitaux;
• l’intégration de nouvelles dispositions portant sur les personnes politiquement exposées (PPE) qui travaillent à l'échelon national et pour des organisations internationales;
• le renforcement des pouvoirs et de la coopération entre les cellules de renseignement financier (CRF) des différents pays, qui ont pour mission de recevoir, d'analyser et de diffuser auprès des autorités compétentes, les déclarations d'éventuels soupçons de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme en vue de faciliter leur coopération.
2. Des dispositions de transparence essentielles soutenues par l’Allemagne et la France
La France et l’Allemagne ont appelé la Commission européenne à adopter une approche européenne « ambitieuse » dans la lutte contre le blanchiment d’argent et la criminalité financière à travers l’Union européenne, dans une lettre commune adressée le 24 avril à la Commission.
La lutte contre la fraude et l’évasion fiscale est, effectivement, étroitement liée au blanchiment et doit donc être examinée dans le cadre des Conseils Ecofin.
« La protection de l’intégrité du marché intérieur contre les flux financiers illicites et contre les juridictions non coopératives qui privent nos budgets nationaux de ressources fiscales indispensables est un objectif central des politiques économiques de la France et de l’Allemagne », indiquent les deux pays.
Concrètement, dans leur lettre, les ministres des Finances allemand et français, respectivement M. Wolfgang Schäuble et M. Pierre Moscovici, appellent la Commission à « identifier, avec les Etats membres, les juridictions non coopératives et développer un paquet de mesures destinées à protéger l’intégrité du marché intérieur contre ces Etats ou territoires, y compris en limitant la capacité des établissements financiers européens à opérer avec ou dans ces territoires ».
Sur la révision des règles européennes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, l’objectif partagé est de franchir « une étape importante pour doter les autorités nationales de la capacité de connaître les bénéficiaires ultimes des personnes morales et des trusts, et ainsi d’accroître la transparence des flux financiers »
Sur le fond, la proposition de révision de la « troisième directive anti-blanchiment » 2005/60/CE vise à prévenir l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Elle s’accompagne d’une modification du règlement relatif aux informations accompagnant les virements de fonds.
Parmi les innovations de la proposition de la Commission européenne, toujours difficiles à déceler dans un texte de refonte, plusieurs mesures doivent être signalées :
– l’extension du champ d’application de la déclaration de soupçon à tous les paiements en espèces, au-delà de 7 500 euros, ce qui vise le commerce et la prestation de services ;
– une même extension au secteur des casinos et jeux de hasard ;
– le développement d’une approche fondée sur l’analyse des risques, avec une obligation d’analyse des risques auxquels ils sont exposés tant pour les Etats que pour les entités soumises à la déclaration de soupçon. L’objectif est celui d’une réflexion préventive ;
– des informations sur le bénéficiaire effectif, pour les personnes morales. Pour les constructions juridiques type trust, les fiduciaires devront avoir obligation de déclarer leur statut, lorsqu’ils deviendront clients d’une entité soumise à obligation ;
– le renforcement de la coopération des cellules de renseignement financier, de type Tracfin.
b. Deux dispositions essentielles pour l’accès à l’information, dans la lutte contre les paradis fiscaux.
Il s’agit d’abord de celle qui inclut les infractions fiscales pénales liées aux impôts directs et indirects, parmi les infractions primaires. Le texte devient explicite par rapport à celui de la troisième directive.
Il s’agit ensuite de la disposition qui impose l’identification, comme on l’a vu, du bénéficiaire effectif défini comme la personne physique qui, en dernier lieu, contrôle ou détient une entité, avec un seuil de 25% des biens pour les entités telles que les fondations et les constructions juridiques telles que les fiducies.
Contre la corruption, le texte de la future directive, qui est de refonte, reprend une définition exhaustive des personnes politiquement exposées, étrangères ou nationales. Trois notions de base viennent à l’appui : celle des personnes physiques qui sont ou ont été chargées de fonctions publiques importantes, celle de membres de la famille, qui vise aussi tout partenaire considéré comme l’équivalent d’un conjoint, et celle de personnes connues pour être étroitement associées.
Lors de leurs auditions, vos rapporteurs ont souvent eu le sentiment que la législation française avait pris du retard sur la lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux, et que nombre de mesures techniques, de «rustines » destinées à combler des lacunes, n’avaient pas été présentées au Parlement ces dernières années. Ce fut le constat général des magistrats, des représentants syndicaux, des ONG et des journalistes, et au-delà.
L’ampleur des dispositions pénales et fiscales adoptées dans le cadre de la loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qu’il n’y a pas lieu de reprendre ici, montre qu’une part importante de cet écart entre l’indispensable et le réel a été comblée.
Cependant, il reste encore un certain nombre d’éléments à mettre en œuvre pour réduire encore les espaces et interstices dans lesquels la grande fraude internationale peut se développer.
Il ne s’agit pas d’empiéter sur les compétences de la commission des Finances ou de la commission des Lois, mais uniquement, dans un esprit constructif, de faire part et de suggérer des pistes dont l’évidence s’est imposée à vos rapporteurs dans le cadre de leurs travaux.
A. BÂTIR UNE STRATÉGIE NATIONALE DE LUTTE CONTRE LA FRAUDE ASSOCIANT LE GOUVERNEMENT, LE PARLEMENT ET LE PEUPLE
1. Une intégration explicite de la fraude fiscale dans les infractions primaires pouvant donner lieu à blanchiment et un lien essentiel avec la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations.
a. Une intégration explicite de la fraude fiscale dans les infractions primaires pouvant donner lieu à blanchiment
Parmi les mesures emblématiques qui pourraient être prises pour réprimer la fraude et œuvrer en faveur de la justice fiscale, la mobilisation des fonds recouvrés pour faire baisser d'autant l'impôt des contribuables particuliers constituerait un geste à la fois audacieux et pédagogique. Il serait de nature à favoriser l'établissement d'un climat de confiance fiscale, en lieu et place d'une « grogne » pour une large part alimentée par le sentiment légitime que les honnêtes citoyens sont mis à contribution et inquiétés en cas de manquement, là où les fraudeurs s'en sortent avec aisance et la meilleure conscience du monde. Renforcer ainsi le civisme fiscal permettrait de raffermir à la fois le consentement à l'impôt et la vigueur de notre démocratie, laquelle passe par un respect effectif de ses principes.
Hélas, il faut s'attendre à de vives et sourdes résistances, comme l'ont constaté vos rapporteurs en défendant un amendement (n°44 inséré à l’article 2 bis du projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale) visant à rendre totalement autonome le délit de blanchiment. Ainsi, lorsque les autorités publiques découvrent une forte somme en espèces, elles ne seraient plus obligées de rattacher cet argent à une infraction sous-jacente – trafic de drogue, corruption,... - mais ce serait au détenteur des fonds de prouver leur origine légale. Malgré les réticences embarrassées du Gouvernement, invoquant d'obscurs obstacles juridiques, il fut adopté par l'Assemblée nationale avec le soutien du rapporteur de la loi et de la quasi-unanimité des parlementaires. Néanmoins, l'amendement n'a pas survécu à son passage au Sénat. Il a été finalement réintroduit par le gouvernement, mais dans une rédaction à ce point alambiquée qu'elle en réduit fortement la portée.
b. Un lien essentiel avec la mise en œuvre de l’échange automatique de données fiscales d’origine bancaire, qui impose une adoption rapide
Lors de leurs entretiens à Bruxelles, il a été bien précisé aux rapporteurs que les éléments cités précédemment sur l’identification des personnes physiques qui sont les bénéficiaires effectifs des sociétés et structures écrans de type fondation, fiducie ou trust, étaient essentielles à la mise en œuvre des dispositions sur l’échange automatique d’informations. Sur le fond, et avec des amendements si nécessaires de manière à s’assurer que le seuil précité de 25% pour qualifier le contrôle ne fasse pas écran pour atteindre le bénéficiaire effectif du paiement lorsque ses intérêts sont moindres que ce seuil, le texte de la proposition de directive précitée apparaît tout à fait opportun.
2. Un Etat-major de pilotage : créer auprès du Premier ministre, un comité interministériel associant les principaux ministres
15ème proposition : Un comité interministériel de lutte contre la fraude, auprès du Premier ministre, pour un pilotage au plus haut niveau
a. Une structure indispensable
La menace que les organisateurs de la fraude et de l’évasion fiscale à grande échelle font peser sur les finances publiques et par conséquent sur la pérennité de l’Etat relève clairement d’une logique de guerre.
Vos rapporteurs estiment donc qu’il est impératif de rebâtir au plus haut niveau de l’Etat une organisation de lutte reposant sur l’Exécutif, sur le Gouvernement, et associant comme il se doit le Parlement et les Français, notamment grâce à un emprunt obligatoire pour les fonds rapatriés des paradis fiscaux.
Une telle stratégie repose sur la création d’un Etat-major, sous la forme d’un comité interministériel auprès du Premier ministre, associant notamment le ministre de l’Economie et des Finances, le ministre de l’Intérieur, le Garde des Sceaux, le ministre chargé du Budget, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de Affaires européennes.
Ce comité se réunirait régulièrement, au moins une fois par mois. Il permettrait d’avoir une vision transversale, ainsi que nationale, internationale et européenne de la question.
3. L’exigence d’une approche intégrée de la nouvelle délinquance économique et financière
Dans le cadre de son rapport sur le contrôle fiscal, en 2012, sur le pilotage du contrôle fiscal au niveau national, et plus précisément sur les trois directions de contrôle à caractère national, la DNVI, la DNVSF et la DNEF, la Cour des comptes a observé plusieurs faiblesses que vos rapporteurs ont également pu noter : un manque de coordination qui concerne tous les services de l’Etat, à commencer par les directions de la DGFiP, mais aussi la direction générale des douanes ; un manque de veille stratégique, dont l’affaire de la fraude TVA sur les crédits carbone est un parfait exemple ; la stabilité des objectifs quantitatifs ; le manque de mobilité des moyens, dont l’affectation repose sur la reconduction.
On se trouve donc face à une administration dont les agents sont de qualité et travaillent bien, très bien même, mais que l’absence de mobilité et de fluidité rend trop peu réactive face aux nouveaux enjeux de la fraude.
A l’opposé, en effet, la fraude fiscale la plus menaçante est le fait de personnes très bien organisées, très déterminées et bien conseillées, qui non seulement opposent à l’administration fiscale une vision globale, ce qui lui manque, mais mêlent en outre tous les aspects de la délinquance et criminalité classique de droit commun aux techniques les plus élaborées de la délinquance que l’on qualifiait autrefois d’astucieuse.
Cette approche transversale d’un nouveau Milieu, bien conseillé par des professionnels avertis, est clairement identifiée par les magistrats, les policiers les douaniers, et aussi par une partie de l’administration des impôts.
Comme le résume fort clairement Mme Aline Robert dans son ouvrage précité sur la fraude aux crédits carbone, le champ fiscal et financier a été investi par une délinquance et une criminalité qui a compris qu’escroquer l’Etat avec des ordinateurs, des comptes en banque, du papier était moins risqué que les trafics en tout genre.
Cette délinquance a en outre la capacité, via des mécanismes de connaissance territoriaux, claniques, voire mafieux ou s’en approchant, de se donner une façade de respectabilité en associant des « cols blancs ».
Jouant sur le spectre allant du diplômé peu scrupuleux à l’éternel homme de paille qui veut bien volontiers prêter son concours dès lors que c’est très rémunérateur à son échelle, ces organisations veillent aux failles des dispositifs que l’Etat met en place à l’intention des opérateurs honnêtes qui représentent l’essentiel de la population.
Il faut donc une nouvelle approche de la délinquance et de la criminalité financière, de sa porosité avec les autres secteurs plus traditionnels, ce qui conduit inéluctablement à faire coopérer des services qui, par tradition, ne sont pas habitués à collaborer, comme à faire preuve d’une vigilance accrue face aux risques de détournement des procédures et innovations fiscales, juridiques ou économiques qui peuvent être animées des intentions les plus louables. L’exemple des carrousels TVA en donne une parfaite illustration.
4. Une association du Parlement
Le Parlement n’est pas toujours bien associé à la lutte contre la fraude. Les commissions des Finances des deux Assemblées le sont davantage, notamment les rapporteurs généraux et les présidents, auxquels le secret fiscal ne peut être opposé, mais ce n’est pas non plus toujours à la hauteur de ce qui se fait à l’étranger.
Deux pistes sont apparues indispensables dès le début et se sont confirmées : d’une part, des statistiques plus détaillées ; d’autre part, la création d’un observatoire parlementaire.
a. Transmettre au Parlement et publier des statistiques plus détaillées du contrôle fiscal faisant notamment apparaître les résultats de la lutte contre la fraude internationale
16ème proposition : Améliorer les statistiques publiques transmises au Parlement sur le contrôle fiscal, en détaillant notamment les résultats de la lutte contre la fraude internationale
Les statistiques du contrôle fiscal telles qu’elles sont présentées dans le cadre du fascicule « Voies et moyens » annexé au projet de loi de finances de l’année, mériteraient sans aucun doute d’être davantage détaillées.
Cette remarque récurrente des parlementaires, vos rapporteurs la font naturellement leur.
Au-delà, ils estiment qu’elles devraient faire apparaître les résultats de la lutte contre la fraude internationale et contre les implantations illégales commises dans les paradis fiscaux, ainsi que contre les carrousels de TVA.
C’est en partie faute de communication claire sur ces questions que l’on peut avoir le sentiment d’une impunité des personnes qui pensent se mettre à l’abri de l’administration fiscale en interposant une frontière et sa compétence territoriale.
b. Créer un Observatoire parlementaire
17ème proposition : Créer un Observatoire parlementaire de lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, pour un lien plus étroit avec les administrations concernées
Les auditions ont fait apparaître un écart entre la conscience qu’ont les administrations fiscales et douanières de base de l’évolution des techniques de fraude et les résultats en termes de modifications dans les lois de finances.
Cet écart est traditionnel et intrinsèque à toute organisation de type hiérarchique et pyramidal : il y a toujours filtrage au fur et à mesure que l’information remonte la chaîne hiérarchique.
Aussi vos rapporteurs estiment-ils que les services de l’administration devraient pouvoir directement adresser au Parlement copie des aménagements et réformes qu’ils proposent, de manière à permettre aux initiatives parlementaires d’être préparées le plus en amont possible des lois de finances.
Un Observatoire parlementaire, structure ad hoc, pourrait être établi avec une représentation dans chacune des Assemblées, sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), en liaison avec les commissions des Finances de chacune des Assemblées.
Un exemple de disposition simple à prendre qui n’a pas été prise depuis près de vingt ans et qui a été insérée par amendement parlementaire dans la loi précitée sur la lutte contre la fraude fiscale, en donne une illustration : celle de la garantie les créances fiscales et sociales grâce à un renforcement des règles de publicité en cas de transmission universelle du patrimoine (TUP) d’une société française à une personne morale ou physique étrangère.
Lorsque toutes les actions d’une société française sont entre les mains d’une société étrangère, celle-ci peut reprendre la charge de tout son patrimoine, y compris les dettes fiscales et sociales. Or, en matière de recouvrement de ces créances, en dépit des règles de coopération européenne, les administrations sociales et fiscales se trouvent toujours en difficulté. La TUP a donc jusqu’à présent permis de faire obstacle au recouvrement des dettes envers le Trésor et l’URSAAF, en raison de l’absence d’information suffisante de l’administration.
De même, la réactivité de la France face aux carrousels de TVA eût certainement été plus forte, si le Parlement avait été saisi de la matière plus directement.
5. Des bénéfices directs pour la population : le financement de la transition énergétique et de l’équipement du territoire pour le numérique
18ème proposition : Placer les sommes rapatriées des paradis fiscaux dans un emprunt obligatoire, finançant la transition énergétique et l’équipement du territoire
Associer le peuple à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales, c’est montrer le bénéfice direct des sommes rapatriées.
C’est également un moyen de faire comprendre à ceux qui avaient des comptes non déclarés à l’étranger l’utilité de ce rapatriement. Les dispositions actuelles incitent au rapatriement uniquement en réduisant les pénalités encourues.
Le Gouvernement a publié la circulaire dite « Cazeneuve » du 21 juin dernier qui fixe le traitement des déclarations rectificatives des contribuables détenant des avoirs à l’étranger. Elle prévoit : la taxation dans des conditions de droit commun, avec des pénalités allégées pour certains contribuables ; la distinction des contribuables passifs, qui ne sont pas à l’origine de la présence à l’étranger des fonds considérés ou qui les ont acquis à l’étranger pendant une période d’activité hors de France ; la taxation des contribuables actifs dont la stratégie de délocalisation d’une partie du patrimoine financier a été volontaire.
Pour les premiers, le taux de la majoration pour manquement délibéré est de 15% contre 40% et l’amende pour non déclaration d’avoirs à l’étranger est de 1,5% de la valeur des avoirs, contre 5% pour le droit commun. Cette amende a été instituée par la loi de finances rectificative du 14 mars 2012. Pour les seconds, la modulation est moindre à raison de 30% contre 40% et 3% contre 5%.
Lorsque la remise transactionnelle excèdera le seuil de 200.000 euros, la proposition de transaction sera soumise à l'avis du Comité du contentieux fiscal, douanier et changes.
L’intérêt de retard au taux annuel de 4,80% prévu à l'article 1727 du code général des impôts est maintenu.
Il n’y a pas de poursuite pénale prévue, condition évidente d’une régularisation des situations.
Il n’y a pas non plus anonymat et les dossiers sont centralisés à la DNVSF, pour traitement, contrairement à ce qui s’était produit lors de la régularisation de 2009 avec une cellule ad hoc.
Vos rapporteurs estiment que, pour justifiée qu’elle soit, cette opération manque cruellement de lisibilité. D’une part, les sommes récupérées par l’administration sont noyées dans le budget général. D’autre part, le capital est, lui, utilisé de la manière la plus diverse.
L’importance des sommes susceptibles d’être rapatriées, plusieurs dizaines voire centaines de milliards d’euros – nul ne le sait – et la hauteur des défis auxquels notre pays fait face pour affronter le futur, invitent à davantage d’ambition.
Aussi vos rapporteurs considèrent-ils qu’à l’achèvement du dispositif en cours, il faudra prévoir un emprunt obligatoire, un emprunt forcé, à long terme pour les sommes rapatriées.
Cet emprunt porterait un intérêt réduit. Les sommes rapatriées seraient en contrepartie diminuées d’un prélèvement à définir sur le capital.
L’emprunt serait à long terme, d’au moins dix ans.
Conformément à la vocation de l’emprunt public, il serait utilisé pour financer deux investissements :
– la transition énergétique, pour réduire la tension sur notre commerce extérieur ;
– l’achèvement de l’équipement numérique, pour remettre notre pays au premier plan des technologies de pointe.
C’est une solution avantageuse pour les capitaux rapatriés. Elle doit donc être unique.
En contrepoint, les sanctions futures seraient considérablement alourdies pour les capitaux et avoirs qui ne seraient pas rapatriés dans le cadre de cet emprunt.
Selon le modèle espagnol, la prescription serait considérablement allongée et portée à 20 ans.
L’Espagne, acculée par les circonstances exceptionnelles que nous connaissons, a en effet mis en œuvre une disposition dérogatoire hors normes, à savoir l’imprescriptibilité des biens et avoirs à l’étranger qui ne seraient pas déclarés avant le 30 avril dernier, ainsi qu’un taux d'imposition de 52 %, et des amendes pouvant aller jusqu'à 150 % du bien non déclaré.
Le quotidien Le Monde rapporte que plus de 130 000 contribuables et 1 500 entreprises ayant leur résidence fiscale en Espagne, ont déclaré détenir des biens à l’étranger pour une valeur de 87,7 milliards d'euros, pour échapper aux sanctions.
Pour la France, passer de 10 à 20 ans pour le délai de prescription aurait déjà une valeur dissuasive.
19ème proposition : Allonger à 20 ans, pour le futur, le délai de prescription des avoirs et sommes détenues illégalement à l’étranger, sans aller jusqu’à l’imprescriptibilité prévue par l’Espagne, pour les avoirs non régularisés.
B. DES MOYENS, MÉTHODES ET PROCÉDURES REMIS À LA HAUTEUR DES ENJEUX
1. Un préalable : une liste interne crédible des paradis fiscaux
a. Actualiser la liste fiscale, actuellement trop modeste, des Etats et territoires non coopératifs au regard de l’application de l’échange automatique d’informations
20ème proposition : Réviser la liste des paradis fiscaux en fonction de l’application effective des conventions d’échange d’informations à caractère fiscal
Le préalable à une mise en œuvre efficace de la stratégie de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est l’élaboration d’une liste nationale crédible des paradis fiscaux.
Actuellement, l’article 238-0 A du code général des impôts vise les pays et territoires situés hors de l’Union européenne avec lesquels la France n’a pas signé d’accord d’échange d’informations sur demande selon la norme de l’OCDE et qui n’en ont pas signé avec 12 autres Etats ou territoires.
Les dispositions d’application sont fixées par arrêté.
L’arrêté du 12 février 2010 a retenu 18 territoires ou Etats : Anguilla, Guatemala, Niue, Belize , Iles Cook, Panama, Brunei , Iles Marshall, Philippines, Costa Rica, Liberia, Saint-Kitts-et-Nevis, Dominique, Montserrat, Sainte-Lucie, Grenade, Nauru, Saint-Vincent et les Grenadines.
Plusieurs actualisations sont ensuite intervenues. Au 1er janvier 2012, la liste a été réduite à six pays ou territoires : Botswana ; Montserrat ; Brunei ; Nauru ; Guatemala ; Niue ; les Iles Marshall et les Philippines.
L’article 6 de la loi n°2013-672 du 26 juillet 2013 a prévu que cette liste fasse l'objet d'un débat chaque année devant les commissions permanentes compétentes en matière de Finances et d'Affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat, en présence du ministre chargé des Finances.
La liste actualisée fixée par l’arrêté du 21 août 2013 a exclu les Philippines et intégré les Bermudes, les îles Vierges britanniques et Jersey.
Cette actualisation est opportune, mais elle ne tient pas compte de la qualité de la coopération fiscale qui est pourtant un critère plus important que le seul principe de la coopération fiscale. Si l’échange effectif d’informations jouait, la Suisse figurerait sans doute sur la liste.
De ce point de vue, une modification du dispositif de l’article 238-0 A du code général des impôts est nécessaire. Il faut la prévoir.
b. Des mesures connexes à ne pas négliger : l’exemple de la liste des Etats et territoires interdits pour certaines opérations d’aide au développement
21ème proposition : Développer les initiatives concrètes mettant en cause les paradis fiscaux, telles que l’interdiction des transferts de fonds vers certains pays décidée par l’Agence française de développement
La lutte contre les paradis fiscaux peut concerner de manière connexe d’autre dossiers que le fiscal et le pénal, notamment le développement des pays du Sud. Elle doit donc être aussi menée sur tous les aspects.
En mai dernier, l’Agence française de développement (AFD) a ainsi établi, sur la demande de M. Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement, une liste de juridictions non coopératives. Ni cet établissement public, ni sa filiale ad hoc Proparco pour l’aide transitant par le secteur privé, ne pourront acquérir des participations financières dans ces Etats ou territoires ni faire transiter des investissements par eux.
Outre la Suisse, le Liban et Panama (par lequel transite aujourd'hui une large part de l'aide publique vers l'Amérique latine), la liste est constituée du Botswana, de Brunei, du Guatemala, des Iles Marshall, de Montserrat, de Nauru, de Niue, des Philippines, du Costa Rica, de la Dominique, des Emirats arabes unis, du Liberia, de Trinidad et Tobago et du Vanuatu.
Dans le même ordre d’idée, la campagne « stop paradis fiscaux » initiée par le CCFD Terre solidaire pour sensibiliser les collectivités locales, a conduit certaines Régions, à partir de 2010, à conditionner la poursuite de leurs relations avec les banques à un minimum de transparence.
2. Faire systématiquement une analyse de risque pour les mesures nouvelles
22ème proposition : Faire systématiquement une analyse du risque de fraude pour les nouvelles mesures législatives et règlementaires
Au cours de leurs entretiens, vos rapporteurs ont souvent constaté que des mesures législatives ou administratives inspirées par les meilleures intentions avaient été rapidement détournées de leurs objectifs pour devenir des instruments de fraude patentée. Cela a été clairement le cas pour les mesures d’ouverture aux tiers du marché du crédit carbone, comme on l’a vu plus haut.
Mais on peut citer également à l’envi les mesures de simplification, qu’il s’agisse des mesures fiscales ou de création d’entreprises. Mises en œuvre utilement pour encourager l’entreprenariat, elles sont aussi mises à profit par les fraudeurs pour créer de sociétés dont la durée de vie est celle de la fraude : quelques semaines ou quelques mois seulement.
Il convient de mettre fin à cette situation en développant très en amont l’analyse de risque sur les mesures nouvelles envisagées, avant toute prise de décision, et pour les mesures législatives, en insérant systématiquement dans les études d’impact des projets de loi, les éléments sur la robustesse du dispositif concerné vis-à-vis du risque de fraude.
Comme l’a rappelé un représentant syndical, le crédit carbone a été beaucoup plus rémunérateur et beaucoup moins risqué qu’un braquage de fourgon de transport de fonds. Le seul problème a été de trouver parmi les professions juridiques les relais nécessaires.
b. L’exemple d’un secteur à haut risque en plein développement : la monnaie électronique
La monnaie électronique peut receler des risques, dans la mesure où elle ne serait pas traçable.
Il faut regretter qu’une telle analyse préventive n’ait pas été faite pour les cartes prépayées anonymes. C’est une préoccupation de l’Autorité de contrôle prudentiel, notamment.
Le scandale de la monnaie virtuelle Bitcoin cet été, avec des soupçons de blanchiment, a montré que, dans ce domaine, les repères fondamentaux étaient bousculés par des opérateurs peu scrupuleux s’appuyant sur l’enthousiasme innovant de quelques inventeurs qui mesurent mal les conséquences de leurs initiatives.
A l’origine, la directive 2000/46/CE a souhaité ouvrir le marché du prépayé à de nouveaux opérateurs, les établissements de monnaie électronique (EME), lesquels s’ajoutaient ainsi aux banques. Ensuite, la directive 2007/64/CE du 13 octobre 2007 sur les services de paiement, a créé les établissements de paiement, puis la directive 2009/110/CE du 16 septembre 2009 relative à la monnaie électronique, a procédé à la suppression de la limitation des activités et à l’alignement du statut des EME sur celui des établissements de paiement, sauf spécificités.
Commercialisées sous des marques diverses, notamment PCS (Prepaid Cash Services), Transcash, Neocash, Tonéo ou Ultreia, ces cartes dites «prépayées» qui ne permettent aucun solde débiteur, sont affiliées aux réseaux internationaux MasterCard ou Visa.
Utilisables comme une carte bancaire normale, elles sont du « cash » sans « cash ». Elles se rechargent en achetant auprès d’un buraliste un coupon qui permet d’obtenir en échange un ticket correspondant à la somme souhaitée, puis d’en transmettre le numéro via un SMS ou Internet à un serveur informatique, qui chargera automatiquement cette somme sur la carte.
En outre, Visa et MasterCard autorisent certaines cartes bancaires prépayées à envoyer et recevoir instantanément de l’argent entre cartes. Ce sont alors des alternatives à Western Union ou Money Gram.
Comme l’a observé M. Christophe Caresche, député, dans le cadre son rapport (n° 469) du 4 décembre 2012 sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et monétaire, « la monnaie électronique permet de bénéficier, pour certains de ses instruments, de l’anonymat dans les opérations de paiement. » Elle bénéficie donc d’une certaine tolérance en la matière, mais limitée à un seuil précis, puisque, aux termes de l’article 5 du règlement de 2002, « les unités de monnaie électronique incorporées dans un instrument qui ne permet pas l’identification du porteur ne peuvent excéder à aucun moment 150 euros » et ce seuil est fixé à 30 euros par opération.
Toutefois, à l’occasion de la transposition de la directive 2005/60/CE dite anti-blanchiment de capitaux, ces seuils ont été nettement rehaussés, de façon quelque peu paradoxale d’ailleurs. Désormais, aux termes de l’article R. 561-16 du code monétaire et financier dans la rédaction issue du décret n° 2009-1087 du 2 septembre 2009, un établissement n’a pas l’obligation de connaître l’identité du détenteur de monnaie électronique jusqu’à 250 euros pour les supports qui ne peuvent être rechargés, et, si le support peut être rechargé, jusqu’à 2 500 euros pour les opérations réalisées sur une année civile. Toutefois, les dispositions du règlement de 2002 n’ont pas été modifiées en conséquence, ce qui se traduit par une incohérence des montants évoqués par les deux textes, les uns étant très faibles, et les autres sans doute un peu trop élevés.
Une autre difficulté est celle posée par le compte en banque dit « low cost » ou compte « Nickel » porté par la Financière des paiements électroniques.
Comme le décrit le quotidien Le Monde, le nom du compte a été choisi : « pour en symboliser l'accès simple et le bas tarif. Des moyens de paiement y seront associés : pas de chèques, mais des virements et, surtout, une carte bancaire Mastercard acceptée en France et à l'étranger à 20 euros l'an.
« Aucun découvert ne sera autorisé, ce qui exclura de facto les tarifications "punitives". S'il manque de l'argent sur le compte avant la tombée d'un prélèvement, le titulaire sera prévenu par texto. Le coût annuel du compte ne devrait pas excéder 50 euros.
« Ce compte sera accessible sans condition de revenus, dépôts ou patrimoine : toutes les personnes âgées de plus de dix-huit ans en possession d'un document d'identité valide (carte d'identité, permis de séjour...) pourront en faire la demande. Elles se verront remettre un "coffret Nickel" de la taille de deux paquets de cigarettes.
« L'ouverture du compte ne durera pas plus de quelques minutes, le temps pour le buraliste de scanner les pièces d'identité sur sa "borne Nickel", afin de les authentifier et les croiser avec les mêmes fichiers que ceux des banques (personnes sensibles, terroristes, etc.), enregistrer le numéro de portable du client, recueillir une signature électronique et, finalement, activer la Mastercard et remettre un RIB. »
Par leur dimension internationale, ces moyens de paiement ne peuvent pas ne pas inquiéter.
L’obligation prévue par la loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière, d’une déclaration des montants cumulés de plus de 10.000 euros, lors du franchissement des frontières, n’est clairement qu’une première réponse.
3. Donner aux administrations financières et à la justice financière les moyens d’être aussi réactives que les professionnels et les banques
a. Avoir une meilleure connaissance des montages à caractère fiscal grâce à une obligation de déclaration des montages et à la solidarité entre le conseil et le payeur en cas de redressement fiscal sur un élément qui n’a pas été préalablement déclaré à l’administration fiscale
23ème proposition : Mieux informer l’administration fiscale sur les montages fiscaux en prévoyant, pour les formules qui ne lui auraient pas été préalablement déclarées, la solidarité du contribuable et de son conseil, ou de l’intermédiaire, pour le paiement des redressements fiscaux correspondants
Qu’il s’agisse des ONG, des syndicats ou de l’OCDE, le constat est général. Le monde du conseil à caractère fiscal manque de transparence.
Il convient d’y mettre fin en obligeant les professionnels à porter préalablement à la connaissance de l’administration les conseils qu’ils prodiguent à leurs clients, et d’étendre cette obligation aux intermédiaires lorsque le « produit » est commercialisé par des officines non juridiques.
C’est la solution préconisée par l’OCDE dans son rapport de février 2011 intitulé « Lutter contre la planification fiscale agressive par l’Amélioration de la Transparence et de la Communication de Renseignements ».
Vos rapporteurs ont notamment observé que les règles de communication de renseignements applicables aux dispositifs d’évasion fiscale ont permis au Royaume-Uni de réduire de plus de 12 milliards de livres les possibilités d’évasion fiscale, en base.
Devant le faible succès de la procédure d’accord préalable de l’administration en France (cette procédure est appelée rescrit), on peut être tenté de prévoir en complément une mesure qui placerait les professionnels face à leur responsabilité et d’instituer ainsi une solidarité entre celui qui a conseillé la solution fiscale et le contribuable, en cas de redressement.
Actuellement, une telle solidarité n’est prévue qu’en cas de condamnation pénale du contribuable et que si le professionnel est lui-même condamné pour complicité, et uniquement dans certains cas. L’article 1742 du code général des impôts sur la complicité permet ainsi, d’atteindre ceux qui ont aidé à la réalisation du délit, notamment les professionnels.
Les agents d'affaires, experts-comptables, comptables agréés et teneurs de livres sont certes susceptibles de tomber également sous le coup des sanctions pénales édictées par l'article 1772-1-1° du même code qui réprime l'établissement de faux bilans et autres documents produits pour la détermination des bases imposables, mais la condamnation pour complicité n’implique une solidarité du paiement de l’impôt, selon l’article 1691 que pour « les individus qui, en application de l'article 1742, ont été condamnés comme complices de contribuables s'étant frauduleusement soustraits ou ayant tenté de se soustraire frauduleusement au paiement de leurs impôts soit en organisant leur insolvabilité, soit en mettant obstacle, par d'autres manœuvres, au paiement de l'impôt », pour l’essentiel.
On mesure l’intérêt d’une banalisation d’une telle solidarité dès lors que le procédé litigieux n’aurait pas été notifié préalablement à l’administration fiscale.
b. Donner aux services de contrôle et à la justice financière des moyens à la hauteur des enjeux en les retirant du champ des règles de réduction ou de maîtrise des effectifs et des budgets publics
24ème proposition : Donner aux administrations financières de contrôle et à la justice financière les moyens qui leur sont nécessaires en les exonérant des règles de réduction ou de maîtrise des effectifs et des budgets publics
Aucune bataille contre la grande délinquance fiscale et financière ne pourra être gagnée si le manque d’effectif chronique, perdure, notamment mais pas seulement dans certains segments des administrations financières et dans la justice financière.
Lorsque des défis nouveaux apparaissent, l’Etat lui aussi doit être réactif.
Dans le domaine financier, il peut également faire le même raisonnement que celui que ferait une entreprise : affecter dans les services fiscaux et les juridictions financières des personnels tant que le rendement reste très positif.
Or, comme on l’a vu, les postes de contrôle des administrations financières, et aussi probablement de la justice financière, alimentent les recettes de l’Etat.
Il convient donc de placer hors champ des normes de réduction en tout genre des effectifs et des budgets, les moyens des services de contrôle des administrations des impôts et des douanes, ainsi que leurs budgets.
Vos rapporteurs souhaitent notamment insister sur les moyens informatiques. Quand des projets d’équipements sont bloqués ou étalés pour quelques millions d’euros pour les administrations, les banques et établissements financiers investissent jusqu’à 100 millions d’euros sur trois ans dans des programmes qui leur permettront de proposer à leur clientèle des produits d’optimisation fiscale en toute sécurité.
Une modernisation des approches des moyens de l’Etat sur ces questions est clairement aussi indispensable qu’inéluctable.
c. Faciliter, au-delà du rattrapage actuellement en cours, l’accès aux fichiers des autres administrations pour tous les services de recherche et de contrôle
25ème proposition : Elargir au maximum les facultés d’usage des fichiers administratifs par les services de contrôle fiscaux et douaniers et les services de recherche chargés de la délinquance fiscale, douanière et financière
En ce qui concerne les accès aux fichiers, vos rapporteurs ont eu connaissance d’améliorations récentes ou en cours dont il n’y a pas lieu de reprendre ici le détail. On ne peut cependant que rester pantois en découvrant que de tels accès croisés ne sont pas déjà en place.
Tel est notamment le cas du Service national de la douane judiciaire dont les facultés d’accès sont moindres que celles des services de la douane administrative.
A l’arrière-plan, il y a clairement la question des autorisations de la CNIL, parfaitement dans son rôle de défenseur des libertés publiques, mais pour laquelle une démarche globale expliquant non pas, au cas par cas, mais sur un plan général, les enjeux actuels du développement de la fraude, devrait être entreprise par le ministère des Finances.
d. Décloisonner le fiscal et le pénal en supprimant l’accord préalable de la commission des infractions fiscales (CIF) et le monopole du ministre pour les poursuites pénales en cas de fraude fiscale
26ème proposition : Supprimer la commission des infractions fiscales et le monopole du ministre en matière de poursuite pénale pour fraude fiscale.
i. La portée limitée des nouvelles mesures d’amélioration de la coopération entre la justice et l’administration fiscale
Deux mesures de renforcement des relations entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale ont été incluses dans la loi précitée sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Leur enjeu est par nature restreint car elles ne visent qu’à préciser les conditions du dialogue régulier qui doit naturellement se nouer entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale :
– obliger l’administration fiscale à transmettre au juge ou au Procureur les suites données aux dossiers qui lui ont été communiqués par l’autorité judiciaire, en les déliant par conséquent du secret professionnel pour ce faire ;
– prévoir un rapport au Parlement sur ces éléments.
Le Sénat a uniquement apporté des précisions sur la teneur de ce rapport.
On le voit, ce dispositif ne règle pas la question de fond, qui est celle de l’impossibilité pour l’autorité judiciaire d’engager proprio motu des poursuites pour fraude fiscale.
ii. Une suppression objectivement justifiée par l’insuffisance des poursuites pénales actuellement autorisées par la CIF et engagées par le ministre dans le cadre de son monopole
L’insuffisance actuelle des poursuites pénales en matière fiscale plaide pour la suppression de la CIF et du monopole du ministre, comme on l’a vu précédemment.
Un motif supplémentaire de suppression est intervenu avec la création du Procureur de la République financier.
La spécialisation de certains magistrats dans le domaine financier est apparue comme une nécessité dans les années 1990. La loi n° 94-89 du 1er février 1994, avec les dispositions des articles 704 et 705 du code de procédure pénale, a établi la compétence d'un ou de plusieurs tribunaux de grande instance par cour d'appel aux fins de poursuivre, instruire et éventuellement juger un certain nombre d'infractions limitativement énumérées, ressortissant à la matière économique et financière. Les tribunaux de grande instance de Paris, Marseille, Lyon et Bastia ont été retenus.
Opérationnels depuis le 1er juin 1999, les pôles économiques et financiers ont bénéficié de l'affectation non seulement de magistrats, mais aussi d’agents des greffes et d'assistants de justice, ainsi que de la collaboration d'assistants spécialisés - fonctionnaires de catégorie A ou B mis à disposition par leur administration, voire personnes issues du secteur privé - chargés d'assister les magistrats, en les faisant bénéficier de leurs savoirs économique et financier.
Aujourd’hui, le traitement des infractions économiques et financières peut être assuré à quatre niveaux :
– soit au niveau du tribunal de grande instance (TGI) territorialement compétent, si l’affaire ne justifie pas une compétence spécialisée ;
– soit au niveau d’un des 91 pôles de l’instruction, si l’affaire donne lieu à une co-saisine en raison de sa gravité et de sa complexité ;
– soit au niveau d’une juridiction régionale spécialisée (JRS) en matière économique et financière, si l’affaire est d’une « grande complexité » (premier alinéa de l’article 704 du code de procédure pénale) ; une JRS existant dans le ressort de chaque cour d’appel, les JRS sont donc au nombre de 36 ; Celles de Bastia, Lyon et Marseille sont appelées pôles économiques et financiers ;
– soit au niveau d’une juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) en matière économique et financière, si l’affaire est d’une « très grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel [elle s’étend] ».
La loi précitée relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière prévoit une nouvelle architecture pour traiter la délinquance économique et financière : la suppression des JRS et la redéfinition et l’extension des compétences de JIRS.
Les JIRS sont ainsi maintenues et renforcées, le critère de leur compétence devenant la « grande complexité » qu’il n’y aurait plus lieu de distinguer de la « très grande complexité ». Leur compétence est élargie à deux nouvelles catégories d’infractions : le trafic d’influence en vue de l’obtention d’une décision judiciaire favorable et les délits d’influence illicite sur les votes.
La mesure la plus importante est donc la création du Procureur de la République financier :
– celui-ci a une compétence nationale pour exercer les poursuites dans des affaires que le projet de loi qualifie également –comme l’article sur les JIRS – d’une « grande complexité », en raison notamment du grand nombre des auteurs, des complices et des victimes ;
– sa compétence financière vise en particulier les carrousels de TVA, la fraude fiscale en bande organisée, les cas de présomption de fraude fiscale grave, internationale ou nationale, dans lesquels la CIF autorise actuellement les poursuites sans que le contribuable soit informé : utilisation de comptes ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un Etat ou territoire qui n'a pas conclu avec la France, depuis au moins trois ans au moment des faits, une convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale française ; interposition, dans un Etat ou territoire non coopératif de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable ; usage d'une fausse identité ou de faux documents ; domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger… Autant de manœuvres destinées à égarer l'administration. Ces éléments sont ceux de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales.
Le juge d’instruction de Paris a également une compétence nationale qui suit celle du Procureur de la République financier, lequel sera placé sous l’autorité du Procureur général près la Cour d’appel de Paris.
La question du conflit de compétence territoriale devrait être réglée aux travers d’instructions générales du Garde des Sceaux fixant les critères généraux de répartition des affaires financières entre les parquets locaux, les JIRS et le nouveau Procureur financier.
Pour sa part, le rapporteur du projet de loi, M. Yann Galut, a estimé ce système acceptable considérant que comme en matière de terrorisme où il y a également compétence concurrente, le « dialogue entre magistrats et le sens de l’intérêt général des chefs de Parquet permettra de résoudre de façon satisfaisante les éventuels conflits de compétence.» (Rapports n° 1348 et 1349). L’usage le dira.
En tout état de cause, la compétence du Procureur financier en matière fiscale est clairement reconnue, et cet élément plaide pour la suppression du dispositif de la CIF.
e. Enrichir l’expérience professionnelle des magistrats en rendant obligatoire leur mobilité interrégionale au moins une fois dans leur carrière
27ème proposition : Mettre à l’étude une mobilité interrégionale des magistrats au moins une fois dans leur carrière
La mobilité des magistrats ne va pas de soi, car elle ne paraît pas nécessairement compatible, pour les magistrats du siège, avec le principe de leur indépendance.
Une mutation est toujours une opération qui n’est pas forcément très éloignée des notions de sanction ou de récompense.
A l’opposé, elle est une nécessité professionnelle au regard des exigences que la République est en droit d’attendre de ses juges, comme d’ailleurs de ses Procureurs. Les décisions de justice les meilleures sont celles qui sont bien comprises par la société, car elles sont fondées sur la perception de ses valeurs et de ses attentes dans leur diversité.
De ce point de vue, les obligations de mobilité des magistrats sont trop faibles.
Pour résumer, aujourd’hui pour obtenir un avancement de carrière, un magistrat doit changer de poste, mais pas forcément de région. Et, en l’absence d’avancement, rien ne l’oblige à bouger.
La question est aussi récurrente que délicate. En 2010 le Syndicat de la magistrature s’est ému d’un projet prévoyant que les magistrats ne puissent rester à l’occasion d’une mutation dans le ressort de la même Cour d’Appel (Observations du Syndicat de la magistrature sur le projet d’adaptation des règles statutaires applicables aux magistrats – publié le 7 octobre 2010) : «Il n’y a aucune raison de limiter la durée d’exercice de fonctions dans un ressort de cour d’appel donné. L’exigence de mobilité pour l’avancement et la limitation de durée fonctionnelle sont déjà des moteurs importants pour inciter les magistrats à la mobilité géographique ; ceux qui ne s’y résolvent pas ont souvent des raisons familiales impérieuses (par exemple un conjoint exerçant une activité libérale). Ils -et la plupart du temps elles- sont déjà pénalisés dans leur carrière, d’autant que cette règle peut être beaucoup plus contraignante dans certaines Cours de province qu’en région parisienne. »
Vos rapporteurs estiment pour leur part que la mobilité interrégionale des magistrats, au moins une fois dans leur carrière, doit être mise à l’étude.
4. Elargir au maximum les possibilités de recours au renseignement et à la preuve d’origine illicite, pour ceux venant de sources étrangères
a. Admettre sans restriction les renseignements d’origine illégale, en s’appuyant sur l’exemple de l’Allemagne et l’utilisation des fichiers achetés par les services secrets
28ème proposition : Admettre l’utilisation par l’administration fiscale et la justice financière de toutes les preuves d’origine illicite, notamment celles recueillies à l’étranger
La question de la loyauté des preuves, des conditions de leur obtention, dans la procédure de contrôle fiscal est étroitement liée à la conception que chacun se fait de la gravité de la fraude. Le droit français relève jusqu’à maintenant d’une conception assez retenue dans ce domaine, comme l’a illustré l’affaire HSBC.
Par deux arrêts abondamment commentés du 31 janvier 2012 , la Chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé « l’annulation des autorisations de visites et saisies délivrées sur la foi de documents provenant d'un vol, peu important que ces derniers aient été communiqués à l'administration par un Procureur de la République en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales ». Ils ont été rendus au vu de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’homme.
Certes, il s’agit d’une jurisprudence bien établie, mais il est déplorable que l’opportunité d’un retournement de jurisprudence du juge judiciaire n’ait pas été saisie. C’était en effet l’occasion.
D’une part, le juge administratif est plus flexible sur les documents obtenus suite à une perquisition annulée. Il autorise l’administration à utiliser les éléments obtenus lors d’une perquisition policière intervenue dans le cadre du code de procédure pénale, même lorsque celle-ci a été annulée. En revanche, lorsqu’une perquisition fiscale, prévue par le livre des procédures fiscales, est annulée par un juge judiciaire, le juge de l’impôt déclarera irrégulière la procédure d’imposition correspondante.
D’autre part, en Allemagne, par un arrêt en date du 9 novembre 2010, le Tribunal constitutionnel fédéral allemand a validé l’exploitation d’une preuve d’origine illicite pour fonder une autorisation de perquisition fiscale, et son acquisition auprès d’une personne privée par le Gouvernement, dans le cadre de l’affaire précitée LGT. Il s’agit en l’espèce d’un CD-Rom de données contenant une liste de contribuables allemands possédant des comptes au Liechtenstein, support acheté par les services secrets allemands à un ancien employé de la LGT Bank, lequel, à l’occasion de son licenciement, s’en était emparé. Le Tribunal constitutionnel a estimé que la proportionnalité de l’atteinte aux droits du justiciable était respectée.
L’administration fiscale fédérale aurait également recouvré 1,6 milliard d’euros grâce à l’achat de données volées à la Suisse.
Le ministre fédéral allemand des finances, M. Wolfgang Schäuble, a considéré que ces documents étaient utilisables par l’administration fiscale allemande pour « régler le passé », tant que les États disposant d’un secret bancaire fort n’auront pas accepté de mettre fin à ce dernier.
Dans ces circonstances, c’est au législateur qu’il revient d’intervenir pour élargir la liste des documents utilisables par l’administration fiscale et par les douanes comme c’est prévu aux articles 10, 10 bis et 10 ter de la loi précitée relative à la lutte contre la fraude fiscale.
L’article 10, figurant au projet initial du Gouvernement, vise à autoriser l’administration fiscale à « utiliser toutes les pièces et documents qu’elle reçoit, quelle qu’en soit l’origine, pourvu que ceux-ci lui soit régulièrement transmis », à l’exception des visites domiciliaires de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales et du droit de visite de l’article L. 38 pour les contributions indirectes.
Une double restriction est donc édictée : d’abord, les pièces et documents doivent avoir été régulièrement portés à la connaissance de l’administration dans deux cas, soit par l’autorité judiciaire, soit dans le cadre de l’assistance administrative internationale par les autorités étrangères concernées ; ensuite, les visites domiciliaires (perquisitions fiscales) sont exclues.
L’article 10 ne revient donc pas sur les jurisprudences administratives et judiciaires, qui tendent à faire peser sur l’administration un principe de loyauté dans ses investigations, au nom de « l’égalité des armes ».
Il permet donc à l’administration fiscale d’engager des procédures de contrôle dans un cadre purement fiscal, et non plus pénal.
Les procédures qui permettront de purger l’illicéité du document sont:
– l’article L. 101 du livre des procédures fiscales, qui impose à l'autorité judiciaire de communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ;
– l’article L. 82 C du livre des procédures fiscales, qui prévoit que, à l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances ;
– les articles L. 114 et L. 114 A du livre des procédures fiscales, sur les échanges de renseignements entre l’administration fiscale métropolitaine et les administrations des collectivités relevant d’un régime fiscal spécifique (Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna, etc.), d’une part, et d’autre part, les administrations des États ayant conclu avec la France une convention d’assistance réciproque en matière d’impôts, et les États membres de l’Union européenne sous réserve de réciprocité ;
– les informations collectées auprès des autorités compétentes des États membres en application du règlement (UE) n° 904/2010 du Conseil du 7 octobre 2010 concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée.
En première lecture, l’Assemblée nationale a ajouté à cette liste les droits de communication dont l’administration dispose auprès de certains organismes (personnes versant des honoraires ou des droits d'auteur (Article L. 82 A du livre des procédures fiscales), employeurs et débirentiers (Article L. 82 B), administrations et entreprises publiques, établissements ou organismes contrôlés par l'autorité administrative (Articles L. 83 à L. 84), Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (Article L. 84 A), autorité de régulation des jeux en ligne (Article L. 84 B), établissements de jeux (Article L. 84 C), personnes ayant la qualité de commerçant (Article L. 85), personnes versant des revenus de capitaux mobiliers (Article L. 85-0 A), artisans (Article L 85-0 B), agriculteur (Article L. 85 A), membres de certaines professions non commerciales (Articles L. 86 à L. 86 A), institutions et organismes versant des rémunérations ou répartissant des fonds (Article L. 87), personnes effectuant des opérations d'assurance (Article L. 89), entrepreneurs de transport (Article L. 90), redevables du droit d'accroissement (Article L. 91), dépositaires de documents publics (Article L. 92), sociétés civiles (Article L. 94 A), caisses de mutualité sociale agricole (Article L. 95), formules de chèques non barrées (Article L. 96), opérations de transfert de fonds à l'étranger (Article L. 96 A), déplacements intracommunautaires de biens. Assujettis et façonniers astreints à la tenue d'un registre des biens. Obligations du titulaire de l'entrepôt fiscal (Article L. 96 B), Organisme gestionnaire d'un plan d'épargne en actions, Etablissements diffuseurs ou distributeurs de services payants de programmes de télévision (Article L. 96 E), Fiducie (Article L. 96 F), Opérateurs de communications électroniques (Article L. 96 G), Fabricants et marchands de métaux précieux (Article L96 H), Agences immobilières (Article L. 96 I).
Cet élément a été supprimé par le Sénat puis rétabli en nouvelle lecture.
En tout état de cause, le dispositif initial du Gouvernement restait très en retrait par rapport à l’Allemagne alors qu’en règle générale, le Tribunal constitutionnel n’accepte les restrictions aux droits fondamentaux que lorsqu’elles sont « nécessaires, adéquates et proportionnées au sens strict ». La Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) ne condamne pas non plus, in abstracto, l’utilisation de preuves illicites.
Pour pallier, en partie, cette carence du droit français par rapport au droit allemand, l’Assemblée nationale a donc adopté en première lecture l’article 10 bis ouvrant à l'administration fiscale la possibilité de demander l'autorisation au juge des libertés et de la détention d'effectuer des visites sur le fondement de preuves illicites. Afin d'encadrer juridiquement cette possibilité qui, dans le cas contraire, risquerait d'entrer en conflit avec la jurisprudence de la CEDH, il est précisé que cette autorisation peut être donnée « à titre exceptionnel ». Le Sénat a jugé cette mention inutile.
L’article 10 ter ajouté par l’Assemblée nationale en première lecture, est de coordination, pour autoriser la douane à exploiter les informations qu’elle reçoit, quelle qu’en soit l’origine, et l’article 10 quater a été adopté pour permettre les perquisitions dans les mêmes conditions que l’administration fiscale.
A l’issue des navettes, la combinaison des articles 10 et 10 bis ne permet cependant toujours pas à l’administration fiscale d’utiliser directement les fichiers illicites pour les procédures de contrôle fiscal sans intervention du juge (la visite domiciliaire ou perquisition fiscale doit toujours être autorisée par le juge).
Cet « angle mort » laisse ainsi entière la question de l’utilisation des fichiers illicites pour des procédures moins lourdes que la perquisition fiscale et pour lesquelles un concours de circonstances tel que celui qui a permis à la justice d’avoir les fichiers HSBC n’interviendrait pas.
Il convient d’aller plus loin en permettant le recours à des documents authentiques obtenus à l’étranger d’une manière non licite : dès lors que les contribuables recourent à des dispositifs à l’étranger pour faire obstacle à l’exercice du contrôle fiscal, le principe de la loyauté des conditions de l’obtention des preuves ne peut s’appliquer de la même manière que pour les autres contribuables.
b. Rétablir la rémunération des aviseurs en matière fiscale, de manière à compléter le statut de repenti nouvellement créé
29ème proposition : Rétablir la rémunération des aviseurs fiscaux
La rémunération des aviseurs de l’administration fiscale a été supprimée en 2004, selon les éléments communiqués. Elle a en revanche été maintenue pour les douanes, prévue par arrêté 18 avril 1957 qui permet aux douanes de recevoir et d’utiliser les documents et renseignements des personnes étrangères à l’administration ; elle existe également pour la police.
Il convient, selon vos rapporteurs, de la rétablir.
D’une part, dans le même Etat de droit, ce qui est considéré comme acceptable pour les douanes doit nécessairement l’être pour l’administration fiscale et réciproquement.
D’autre part, dans de nombreux pays de l’OCDE, la pratique de la rémunération des aviseurs fiscaux est légale, et ne suscite pas de réserve dans l’opinion publique, notamment en Allemagne, comme on l’a vu, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis vis-à-vis de l’IRS.
Dans ce dernier pays, l’aviseur remplit un formulaire (FORM 211) dans lequel il doit motiver sa démarche en indiquant, d’une part, les faits suspects et les raisons pour lesquelles il croit qu’il s’agit d’une violation de la loi, d’autre part, les circonstances dans lesquelles il en a pris connaissance et, enfin, le montant estimé de la fraude. Cette démarche citoyenne y est assez habituelle.
La rémunération de celui qui révélé la fraude d’UBS, Bradley Birkenfeld, a été de 104 millions de dollars, et s’est ajoutée aux avantages du statut de « repenti ».
L’avantage du formulaire est de fiabiliser l’information car le déclarant la signe en mentionnant bien qu’il encourt une sanction pénale pour parjure en cas de fausse information.
Au Royaume-Uni, le HMR&C a mis en place une procédure pour être avisé par Internet des cas de fraude fiscale.
Pour notre pays, une telle disposition de rémunération des aviseurs fiscaux viendrait utilement compléter la disposition de réduction ou d’exemption de peine pour les « repentis » en matière de blanchiment, corruption et trafic d’influence ainsi que de fraude fiscale qui vient d’être adoptée dans le cadre de la loi précitée sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Cela rendrait plus favorable le statut des aviseurs.
c. Parachever le statut des lanceurs d’alerte en prévoyant pour les fonctionnaires et agents publics une sanction en cas de non-respect de l’article 40 du code de procédure pénale
30ème proposition : Compléter pour les fonctionnaires et agents publics le statut de lanceur d’alerte en sanctionnant tout manquement à l’obligation prévue à l’article 40 du code de procédure pénale, les obligeant à transmettre au Procureur de la République les infractions délictuelles ou criminelles dont ils pourraient avoir connaissance.
Les Etats Unis ont, les premiers, créé un dispositif spécifique sur les lanceurs d’alerte, en 1863, pour lutter contre les fraudes dans l’approvisionnement des armées pendant la Guerre de Sécession, avec un intéressement au pourcentage de la fraude mise au jour.
Depuis une législation très complète s’est développée, étendue d’ailleurs à un grand nombre de domaines dont la protection de l’environnement.
La loi précitée relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière a créé un statut du lanceur d’alerte avec deux éléments clefs :
– d’abord, une protection contre toute mesure de rétorsion insérée tant dans le code du travail que dans la loi n° 83-634 du 16 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires, en faveur du salarié, du fonctionnaire ou agent public qui, de bonne foi, témoignerait sur des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit ;
– ensuite, l’inversion de la charge de la preuve concernant cette bonne foi, de manière que le subordonné ne soit pas dans une situation d’infériorité renforcée vis-à-vis de ses employeurs ou de ses supérieurs, lorsque les faits présumés délictuels ou criminels les concerneraient.
Enfin, elle prévoit, lorsqu’il le demande, une mise en relation du lanceur d’alerte avec le service central de prévention de lutte contre la corruption, dont le rapport annuel pour 2011 a mis en évidence leur rôle essentiel pour lutter contre ce fléau.
Bien que jugé peu conforme à la tradition française, ce dispositif a le mérite de la cohérence avec notamment l’article 434-1 du code pénal qui prévoit trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende contre quiconque ne dénonce pas aux autorités judiciaires ou administratives, les auteurs d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou ne dénonce pas les auteurs d’un crime qui pourrait être renouvelé.
En revanche, il ne prévoit pas l’articulation avec les obligations prévues à l’article 40 du code de procédure pénale exigeant des fonctionnaires et agents publics qu’ils transmettent au Procureur de la République les éléments constitutifs d’une infraction délictuelle ou criminelle dont ils pourraient avoir connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.
De fait, aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de ces dispositions.
La protection légale du lanceur d’alerte étant maintenant acquise, il est possible d’envisager des sanctions de manière à sensibiliser les fonctionnaires et agents publics aux responsabilités qui leur incombent en matière d’exemplarité.
Le débat porte non pas tant sur le principe des sanctions que sur leur niveau. On peut songer à une gradation allant de la simple contravention pour les cas les moins graves d’abstention de l’information du Procureur de la République jusqu’à des sanctions plus substantielles.
Lors de leurs auditions, vos rapporteurs se sont vus proposer d’aller jusqu’à la révocation pour les hauts fonctionnaires les plus laxistes.
Au demeurant, la réforme qu’ils proposent est conforme avec l’approche de l’administration fiscale. En effet, selon les éléments écrits communiqués, « dans la perspective d’une répression plus efficace de la délinquance économique et financière, les services fiscaux doivent faire une application active de la circulaire commune Chancellerie-Budget du 5 novembre 2010, en portant à la connaissance des autorités judiciaires les infractions dont ils ont connaissance à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, notamment en matière de droit des affaires et de droit du travail. L’article 40 du code de procédure pénale est mis en œuvre pour dénoncer des infractions de droit commun pour lesquelles l’administration fiscale n’a pas subi de préjudice direct. Il en est ainsi notamment pour les délits d’abus de biens sociaux, de banqueroute, d’abus de confiance, de faux ou usage de faux, de corruption, de blanchiment,… ».
C. METTRE FIN AUX CARROUSELS DE TVA NOTAMMENT EN PRENANT EXEMPLE SUR LA BELGIQUE ET LE ROYAUME-UNI
1. Les enseignements du décloisonnement et la réactivité : les exemples à suivre de réussite contre les carrousels de TVA en Belgique et au Royaume-Uni
Au Royaume-Uni, la lutte contre les carrousels de TVA a changé de dimension lorsque l’administration fiscale, le HMR&C, s’est rendu compte de l’implication de la criminalité organisée.
Les secteurs les plus affectés ont été les téléphones portables, les composants d’ordinateurs, les quotas carbone, les métaux et les produits électroniques.
Une unité de coordination a alors été créée le MNCU pour Missing Trader Coordination Unit, avec cinq objectifs : l’analyse prévisionnelle (horizon scanning), notamment pour analyser les risques sur les nouveaux produits ou les prestations de services ; la contribution à la définition de la stratégie de l’administration fiscale ; la liaison entre le HMR&C et les autres acteurs essentiels de la lutte contre les carrousels, notamment les régulateurs sectoriels (tel est le cas pour l’électricité) ; les réunions au niveau directorial et ministériel ; le conseil opérationnel en matière politique, par exemple pour le passage à l’auto-liquidation, et en matière de contentieux.
La coordination concerne dorénavant 14 catégories d’acteurs de l’administration.
La stratégie repose d’abord sur la prévention de la fraude, et si une action préventive n’a pu être mise en œuvre ou efficace, sur une intervention à la première occasion, ainsi que sur l’application de sanctions fiscales et pénales.
Elle est appliquée dans le cadre d’une série de mesures coordonnées qui impliquent une coordination étroite avec les administrations ou agences chargées de leur mise en œuvre, ainsi que sur la surveillance par les services concernés de deux catégories d’acteurs :
– d’abord, les personnes et entreprises considérées comme à haut risque (high risk traders) ;
– ensuite, les intermédiaires pouvant servir de coupe-circuit entre deux entreprises actives, y compris en les testant selon le test de Kittle : aucune raison autre que celle qu’il a dû savoir n’explique qu’un intermédiaire a été impliqué dans une chaîne de transactions suspecte.
L’efficacité de la méthode se retrouve dans les statistiques pour ce qui concerne les pertes de recettes fiscales : la fraude aux carrousels était estimée responsable de pertes situées entre 3 et 4 milliards de livres pour l’année budgétaire 2005-2006. Elle est estimée maintenant entre 500 millions et 1 milliards de livres.
C’est donc une réduction des trois quarts du montant de la fraude qui a été constatée.
L’exemple du secteur du téléphone portable permet de mesurer la réussite de l’approche britannique.
La fraude a pu être détectée par la surveillance des exportations des téléphones portables. Leur augmentation, alors que le Royaume-Uni n’en produit pas, a été un indice révélateur de transactions artificielles. Ensuite, la mesure de prévention est intervenue avec la mise en place de l’auto-liquidation. Aussitôt, les transactions ont cessé.
Le graphique suivant montre le calendrier précis de cet événement.
b. La Belgique : la mise en place d’une structure de détection et la transmission rapide au Procureur des cas frauduleux
En Belgique, le succès de la lutte contre les carrousels de TVA est spectaculaire. La perte de recettes liée à la fraude a été estimée à 1,1 milliard d’euros en 2001. Elle est maintenant réduite à 18 millions d’euros.
Cette réussite a été fondée sur la détection le plus en amont possible de la fraude, de manière à pourvoir engager également dans des délais les plus brefs les poursuites pénales et les mesures conservatoires telles que la saisie des avoirs.
Le dispositif a été mis en place en 2000 dans le cadre du Protocole relatif à la lutte contre les carrousels du 20 juillet 2000, entre les trois ministères concernés : Finances, Intérieur et Justice.
Il repose sur deux outils que sont le Datamatching (rapprochement et croisement des données d’une ou plusieurs banques de données) et le Datamining (extraction de données par recherche automatique sur la base du profil des auteurs).
Le succès résulte de l’important travail qui a été fait au sein de L’Office Central de la lutte contre la Délinquance Economique et Financière Organisée (OCDEFO), qui est l’une des composantes de la police judiciaire fédérale belge, et par les magistrats belges.
D’une part, des fiscalistes officiers de police judiciaire ont été mis en place au sein de l’OCDEFO.
D’autre part, une cellule de soutien a été créée, composée de policiers et de fiscalistes. Elle n’a pas de rôle opérationnel ; sa mission consiste à procurer aux enquêteurs les informations, analyses et renseignements utiles en étant en quelque sorte une « interface » permanente entre les finances d’une part, les enquêteurs de la police et les autorités judiciaires d’autre part, tout en restant dans les limites de la loi.
De par leur mission, les membres fiscalistes de cette cellule ont donc accès aux bases de données des Finances.
Les fiscalistes de cette cellule ne sont pas détachés à la police fédérale. Ils sont installés physiquement dans ses locaux mais restent à part entière fonctionnaires des Finances et à ce titre, soumis à la charte du contribuable. Ils ne rédigent aucun procès-verbal, n’assistent pas aux auditions, ni aux perquisitions, ni à aucun autre devoir d’enquête.
Le schéma ci-dessous représente la ligne de partage des fonctions et la manière dont la charte du contribuable reste respectée.
Dans le cas où l’analyse démontre qu’il s’agit d’un délit, le coordinateur judiciaire communique les informations au chef de la section TVA et, après complément par les données des services de police, un procès-verbal est adressé au Procureur du Roi.
S’il s’agit d’infractions administratives, il y a transmission à l’administration fiscale.
La détection très précoce des cas qui relèvent du droit pénal permet de prendre très rapidement les mesures conservatoires de saisie de patrimoine qui empêchent les fraudeurs de mettre à l’abri le produit de leur délit, ce qui est particulièrement dissuasif.
Elle rend possible également la mise en place des procédures judiciaires de flagrant délit qui permettent de viser d’emblée le sommet de la pyramide.
Le système est peu coûteux : l’analyse de risque proprement dite repose, compte tenu des habilitations, sur un à deux postes pour toute la Belgique.
2. La nécessité pour la France de mettre en œuvre le plus rapidement possible la nouvelle approche
a. Donner davantage d’efficacité à l’arsenal législatif renforcé depuis 2006
Un arsenal législatif « anti-carrousels » a été adopté par la France dès 2006 : il permet de remettre en cause le droit à déduction de la TVA lorsqu’un acquéreur a connaissance qu’il participe à une fraude carrousel ou ne peut ignorer l’existence de celle-ci (article 272-3 du CGI) ; il institue une solidarité de paiement de l’acquéreur avec l’opérateur défaillant situé en amont dans la chaîne des transactions (article 283-4 bis du CGI) ; il permet de taxer les livraisons communautaires lorsqu’il est démontré que le fournisseur français savait ou ne pouvait ignorer que son client n’avait pas d’activité réelle (article 262 ter du CGI).
Fin 2010, une mesure d’auto-liquidation de la TVA sur les quotas CO2 (article 283-2 septies du CGI) a été adoptée pour mettre un coup d’arrêt à cette fraude massive.
De nouvelles mesures ont été adoptées dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012: extension de la prescription notamment en matière de TVA afin de permettre à l’administration de tirer les conséquences fiscales d’un manquement révélé par une instance judiciaire, même après l’expiration du délai de reprise de droit commun ; institution d’une solidarité en paiement de la TVA éludée due en France en matière de négoce intracommunautaire de véhicules d’occasion.
L’objectif des rapporteurs est de donner à ces mesures leur efficacité maximale comme tel est le cas à l’étranger.
b. Passer au régime de l’auto-liquidation pour les secteurs sensibles en application des nouvelles directives du 22 juillet dernier
31ème proposition : Appliquer les nouvelles règles européennes permettant de passer à l’auto-liquidation pour les secteurs structurellement à risque comme pour les secteurs à risque de fraude imminent
Les fraudes au carrousel de TVA reposent sur le paiement fractionné, suivant lequel la TVA est collectée par paiement et déduction de son montant à chaque stade du réseau de production et de distribution. Le fournisseur collecte ainsi la TVA auprès de son client et déduit celle qu’il a versée à son propre fournisseur. Seul le destinataire final, consommateur, association, collectivité, entreprise relevant d’un secteur non assujetti comme les banques, ne déduit pas, puisqu’il n’a personne à qui refacturer la TVA.
L’auto-liquidation consiste à inverser le redevable. Elle conduit à prélever la TVA non pas auprès du fournisseur, mais du client, qui calcule lui-même le montant à acquitter.
C’est un mécanisme courant au niveau européen. Mais sa mise en place est lourde, car il est dérogatoire aux règles de la directive 2006/112/CE qui a remplacé la « sixième directive » TVA. L’Etat membre qui souhaite y recourir doit actuellement obtenir une dérogation, dans le cadre de l’article 395, selon un délai variable allant de cinq mois jusqu’à un an.
Aussi convient-il de mettre en œuvre les deux directives du 22 juillet dernier visant à aménager la directive de 2006 pour y introduire deux modifications : d’une part, une liste des secteurs pour lesquels les Etats membres pourraient proprio motu appliquer l’auto-liquidation ; d’autre part, pour les secteurs hors liste, un mécanisme dit de « réaction rapide ».
Les secteurs pour lesquels les Etats membres peuvent appliquer l’auto-liquidation, pour une période d’au moins deux ans, sont les suivants : téléphonie mobile ; composants électroniques, dont microprocesseurs ; fourniture de gaz et électricité ; certificats de gaz et d’électricité ; services de télécommunication ; consoles informatiques, PC et tablettes ; céréales et plantes industrielles, notamment oléagineux et betteraves à sucre ; métaux, notamment métaux précieux. Ils s’ajoutent aux quotas carbone, pour lesquels ce dispositif a été adopté dès 2009.
Pour les secteurs hors liste, le mécanisme de réaction rapide (MRR) est destiné à permettre aux Etats membres d’appliquer l’auto-liquidation en attendant d’obtenir une dérogation dans le cadre de l’article 395. Pour éviter que les fraudeurs ne jouent pas des délais administratifs propres aux procédures européennes, les conditions de ce recours par les Etats sont les suivantes : un risque de fraude massive menaçant leurs finances de manière grave et irréparable ; une notification à la Commission européenne, qui peut donner son aval ou s’y opposer ; une durée maximale d’application de neuf mois ; le dépôt d’une demande de dérogation dans le cadre de l’article 395.
c. Faire aboutir dans les meilleurs délais les projets actuels de recours à l’analyse des données (datamining et datamatching), pour permettre à la DNEF, et au SNDJ, d’être plus réactifs et d’exploiter au mieux les données fournies par Eurofisc, pour réduire le préjudice pour le Trésor et pour déclencher les poursuites pénales le plus tôt possible
32ème proposition : Mettre en œuvre le projet en cours d’analyse de risque fondé sur l’extraction de données (datamining) et le rapprochement de données (datamatching), comme en Belgique, pour réduire le préjudice du Trésor et déboucher le plus en amont possible sur la voie pénale
Comme le montrent les éléments transmis par l’administration fiscale précédemment évoqués (annexe 2), les taux de recouvrement des redressements de la DNEF en matière de TVA sont faibles.
En réaction, la DNEF a développé « une stratégie en matière de recouvrement selon trois axes :
- Identifier rapidement les sociétés déductrices ayant sollicité des remboursements de crédit de TVA afin de demander aux comptables des Finances publiques de ne pas rembourser les sommes demandées. Plusieurs dossiers ont ainsi donné lieu à des décisions du juge des référés favorables à l’administration ;
- Permettre aux comptables des Finances publiques de mettre en œuvre la solidarité de paiement prévue à l’article 283-4 bis du code général des impôts afin d’impliquer les sociétés bénéficiaires de la fraude qui sont souvent des entreprises pérennes de taille importante. Ce mécanisme a été mis en œuvre dans 4 dossiers pour des montants réclamés de 83 980 731 € en 2011. Il n’a pu l’être en 2012 mais le sera en 2013 ;
- Demander des mesures conservatoires sur les valeurs et créances des fraudeurs. »
Cet approfondissement des pratiques actuelles n’apparaît pas aux yeux de vos rapporteurs à la hauteur des enjeux.
Les éléments qu’ils ont pu recueillir en Belgique et au Royaume-Uni mais aussi auprès de leurs interlocuteurs français, montrent que les maîtres-mots en matière de lutte contre les carrousels sont la détection précoce et la réactivité.
D’abord, une intervention en amont évite le pillage du Trésor : plus le carrousel est bref, moins le préjudice est élevé.
Ensuite, la pénalisation précoce du dossier est l’élément le plus dissuasif, car c’est le maximum de peine encouru pour le minimum de bénéfice, du point de vue de l’organisateur de carrousel. Les « ex-carrouselistes » de Belgique l’ont confirmé aux magistrats, fonctionnaires financiers et policiers chargés de mettre fin à leurs agissements.
Attendre que les éléments soient suffisamment caractérisés conduit à intervenir trop tard : c’est la crainte d’une sanction certaine qui seule peut mettre fin à ce scandale.
Aussi faut-il mettre en place un dispositif de coopération des services calqué sur celui en œuvre en Belgique et également accélérer le projet en cours sur l’extraction et le rapprochement de données pour utiliser au mieux Eurofisc.
Eurofisc
Le règlement (UE) n° 904/2010 organise la coopération des administrations nationales en matière de TVA et définit des règles et des procédures permettant aux autorités compétentes des États membres de coopérer et d’échanger entre elles toutes les informations susceptibles de permettre l’établissement et le contrôle de la TVA, notamment sur les opérations intracommunautaires, et de lutter contre la fraude à la TVA. Il définit les procédures permettant aux États membres de collecter et d’échanger par voie électronique lesdites informations. Il s’agit donc d’un réseau d’échange rapide d’informations ciblées par lequel les éléments essentiels à la détection des fraudes carrousels sont transmis. Eurofisc intervient en complément des données sur les échanges intracommunautaires transmises dans le cadre du système VIES de transmission électronique d'informations concernant la validité des numéros de TVA des entreprises enregistrées dans l'Union européenne et des livraisons intracommunautaires, exonérées, de l’Etat membre de départ vers l’Etat membre de destination. Les Etats membres ont décidé de concentrer leur action sur quatre domaines d’activité permettant de couvrir l’ensemble de la fraude transfrontalière à la TVA : la fraude carrousel pouvant être détectée dans tous les secteurs et notamment ceux de l’énergie (gaz, électricité, quota de CO2, commerce électronique) ; la fraude aux véhicules et aux moyens de transport (y compris la fraude TVA sur les yachts) ;le troisième porte sur le respect des conditions d’exonération de TVA d’une importation suivie d’une livraison intracommunautaire ; un observatoire des nouvelles fraudes à la TVA. Chaque administration membre qui découvre un nouveau procédé de fraude ou une fraude dans un secteur auparavant peu exposé à la fraude informe immédiatement les autres.
Les services concernés de la DGFiP ont indiqué avoir engagé les procédures pour s’équiper de manière similaire à l’administration belge. Les études sont en cours. Selon les éléments communiqués, « une mission dédiée au datamining a été constituée au sein de la DGFiP pour offrir aux services de nouveaux outils de détection des fraudes les plus graves. Cette mission vise un triple objectif de recensement, d’optimisation des outils existants de détection des fraudes, mais aussi de développement d’un outil de requêtage et de valorisation des données fiscales, grâce à des techniques d’analyse statistique, voire prédictive. »
Le coût estimé, de l’ordre de 10 millions d’euros, est à comparer aux 10 milliards d’euros que la fraude à la TVA de type carrousel coûte chaque année à notre pays.
Reste à savoir si ces outils seront propres à la DGFiP ou s’ils seront partagés avec la direction générale des douanes dans une logique de synergie entre les services et compte tenu notamment des compétences constatées au sein du service national de la douane judiciaire (SNDJ).
Vos rapporteurs préfèrent nettement la seconde solution, qui répond à la logique stratégique reposant sur les procédures de flagrant délit et de saisie sans délai du patrimoine des délinquants.
Tel doit d’autant plus être le cas que la coopération entre les douanes et la DGFiP se renforce dans le contexte de dématérialisation des procédures douanières. Depuis 2009 la DGFiP a accès à la base de données des douanes DELTA contenant les justificatifs d’exportations dématérialisés ; depuis 2010, elle accède aux importations en franchise de TVA et depuis 2012, aux importations bénéficiant du régime douanier 42 (importations exonérées sous condition d’une livraison intracommunautaire subséquente). Les développements techniques nécessaires à l’accès par la DGFiP à l’ensemble des informations de la base DELTA sont en cours. La DGFiP et la Douane ont conclu en mars 2011 un protocole de coopération organisant leurs échanges d’informations.
En outre, la compétence judiciaire douanière est déjà acquise et irremplaçable pour passer le plus rapidement au pénal.
Une autre solution comme la présence d’ODJ, à savoir d’OPJ douaniers, au sein du ministère de l’Intérieur ne serait clairement pas adaptée aux enjeux.
d. Un complément indispensable au dispositif de contrôle précoce prévu par loi sur la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Dans le cadre de la loi précitée sur la lutte contre la fraude fiscale, une disposition insérée par l’Assemblée nationale en première lecture à l’initiative du groupe GDR et modifiée par le Sénat, permet un renforcement de la lutte contre les carrousels de TVA.
La version adoptée par l’Assemblée nationale prévoyait que lorsqu’un assujetti à la TVA effectue des opérations intracommunautaires et exerce des activités dans des secteurs dits à risque, le centre de formalités des entreprises pouvait lui demander des informations complémentaires préalablement à la délivrance du numéro d’identification de la TVA. Elle indiquait également que des éléments complémentaires pouvaient être demandés hors secteurs dits à risque en présence de présomption de fraude et que l’administration pouvait procéder à des contrôles inopinés de TVA dans les conditions prévues à l’article L. 80 F du livre des procédures fiscales.
Pour sa part, le Sénat a adopté un amendement du Rapporteur général instituant une procédure plus sécurisée de délivrance du numéro de TVA permettant de ne pas le délivrer ou de le retirer lorsque les éléments complémentaires demandés par l’administration ne sont pas satisfaisants.
Ce dispositif est clairement le complément de celui évoqué au point précédent.
3. Prévoir également quelques aménagements très techniques à la législation et aux règles administratives actuelles
a. Inclure les greffes des tribunaux de commerce dans le champ de la déclaration de soupçon et obliger les créateurs de sociétés à communiquer leurs CV
33ème proposition : Inclure les greffes des tribunaux de commerce dans le champ des déclarations de soupçon et rendre obligatoire le dépôt de CV par les créateurs, repreneurs et gérants de sociétés
Originellement créé par l’Allemagne, le registre du commerce et des sociétés a été institué en France en 1919, selon le dispositif en vigueur dans les territoires recouvrés d’Alsace-Lorraine. Chaque registre est tenu par les greffes des tribunaux de commerce. La centralisation dans le RNCS (registre national du commerce et des sociétés) est assurée par l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle). L’affaire précitée du carrousel de TVA sur les crédits carbone a montré que la création d’entreprises ou bien leur reprise avec changement d’activité, se faisait avec un recours aux prête-noms, lesquels n’avaient de toute évidence pas les qualifications requises.
Aussi, pour éviter les fausses créations d’entreprises, sans entraver la liberté d’entreprendre, convient-il d’autoriser les greffes des tribunaux de commerce à exiger et à conserver les CV des personnes créant ou reprenant une entreprise, et à les faire entrer dans le champ de la déclaration de soupçon. Naturellement, la communication de faux CV serait, elle aussi, soumise à sanctions pénales.
En pratique, le Greffe devrait donc assumer une vigilance vis-à-vis des éléments qui lui sont communiqués par le centre de formalités des entreprises, dont le rôle de guichet unique ne saurait être remis en cause.
On peut aussi songer à accompagner ce dépôt d’un entretien avec le créateur ou le repreneur de la société.
b. Imposer des déclarations mensuelles de TVA pour les secteurs sensibles, comme en Belgique, pour mettre fin aux abus du régime simplifié
34ème proposition : Imposer des déclarations mensuelles de TVA pour les sociétés nouvelles des secteurs sensibles et celles changeant d’activité
Les fraudes à la TVA reposent sur un usage abusif du régime simplifié de TVA qui prévoit une déclaration annuelle, au lieu de la déclaration mensuelle de droit commun (déclaration qui peut être trimestrielle en dessous de 4.000 euros de taxe exigible par an).
Comme les sociétés taxis chargées de collecter l’impôt dans un carrousel de TVA, exercent leurs activités sur des périodes plus courtes que l’année, elles ont cessé toute activité avant d’avoir été dans l’obligation de verser quelque somme que ce soit. Elles ne peuvent donc pas être détectées à temps comme défaillantes.
Par conséquent, il convient de prévoir pour les secteurs sensibles aux carrousels et non soumis à l’auto-liquidation, une obligation mensuelle de déclaration de TVA dès après la création ou le changement d’activité de la société.
Un tel délai est en vigueur en Belgique, pays qui a connu le succès que l’on sait dans la lutte contre ce fléau.
c. Donner aux sociétés de domiciliation un statut assurant davantage de sécurité
35ème proposition : Donner aux sociétés de domiciliation un statut offrant davantage de garanties contre le recours abusif à leurs services, par la transmission régulière de la liste de leurs clients à l’administration fiscale
Les sociétés de domiciliation sont nécessaires à la création d’entreprises et sont l’un des éléments essentiels à une véritable liberté d’entreprendre. La domiciliation de l'entreprise lui donne une adresse administrative (siège social) et doit être déclarée. L'inscription d'une personne physique au registre du commerce et des sociétés (RCS) ou au répertoire des métiers (RM) ou l'immatriculation d'une société impose d'avoir une domiciliation qui permette de l'identifier. Sans domiciliation, l'immatriculation est refusée. L'adresse des locaux professionnels doit figurer sur les documents commerciaux (devis, factures, etc.).
Néanmoins, les sociétés de domiciliation sont l’un des éléments vulnérables de la chaîne économique, car elles sont le support des sociétés éphémères utilisées comme sociétés taxis pour les carrousels de TVA.
Elles relèvent déjà des obligations de lutte contre le blanchiment. Tracfin a d’ailleurs publié en novembre 2010 des lignes directrices à leur endroit, conjointement établies avec la DGCCRF.
Il faut aller au-delà et leur donner un statut avec notamment une obligation de transmettre régulièrement à l’administration fiscale la liste des entreprises qu’elles domicilient.
d. Développer la prévention et communiquer sur les risques en direction des entreprises comme au Royaume-Uni
36ème proposition : Développer la communication en temps réel vers les entreprises à risque de fraude, comme au Royaume-Uni
Lors de leur déplacement au Royaume-Uni, vos rapporteurs ont pu constater que l’administration fiscale y informait les entreprises des risques encourus dans leur secteur vis-à-vis des fraudes de type carrousel.
Ayant à la fois une vertu pédagogique et une vertu dissuasive, ce procédé mérite d’être développé.
En effet, la DNEF n’a entrepris cette démarche qu’en 2011 et elle ne réalise que deux opérations par an de prévention consistant à réaliser des droits de communication et d’enquête chez les principaux opérateurs de certains secteurs à risque afin de les sensibiliser à la fraude et d’identifier des clients ou fournisseurs à risque.
4. Appliquer un même niveau de vigilance pour le régime douanier dit 42
37ème proposition : Développer une approche similaire pour les abus du régime douanier dit 42 de transport intracommunautaire de biens en suspension de TVA entre Etats membres
Le régime douanier dit 42 de transport de marchandises en suspension de TVA du port de débarquement au pays de destination est un régime européen.
Il fait l’objet d’une fraude importante, détectée en 2011 au niveau européen : la fraude s’établit à 2,2 milliards d’euros dont 29% pour la France, soit 700 millions d’euros.
Selon les éléments communiqués aux rapporteurs, les services concernés, DGFiP et direction générale des douanes, se sont rapprochés pour identifier la difficulté et y remédier par un renforcement de l’application des obligations déclaratives avec une mention de l’identifiant TVA non seulement de l’importateur mais également du destinataire, par la mise en place d’un contrôle de la recevabilité de toutes les déclarations au titre du régime 42 pour s’assurer de la pertinence des numéros, et par les rapprochements des déclarations au titre du régime 42 avec les déclarations de TVA.
Un groupe de travail a été constitué au sein de la DGFiP associant notamment la DNEF et la DRNED, qui a identifié plus de 170 sociétés sur lesquelles des vérifications ont été opérées. L’essentiel de celles-ci a cependant été exclu du champ de tout contrôle après que l’administration a constaté qu’il s’agissait uniquement de décalages. Un certain nombre de cas suspects a donné lieu à d’autres démarches.
Sur le plan européen, les Douanes ont indiqué dans le cadre d’Eurofisc qu’elles souhaitaient recevoir systématiquement les déclarations du régime 42 déposées à Anvers et Rotterdam de manière à pouvoir faire des recoupements croisés avec les autres pays destinataires.
D. METTRE AU PLUS HAUT NIVEAU LE DROIT DU CONTRÔLE FISCAL POUR LES PARTICULIERS RECOURANT AUX AVOIRS NON DÉCLARÉS À L’ÉTRANGER
1. Les apports de la loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
a. L’extension de la notion de fraude fiscale aggravée à tous les cas de fraude avec recours à des comptes, contrats ou montages à l’étranger et non seulement dans un paradis fiscal
Comme on l’a vu, la fraude fiscale est définie à l’article 1741 du code pénal. La fraude est considérée comme aggravée et les peines alourdies dans plusieurs circonstances, en cas de recours à des fausses factures et en cas de « recours à un paradis fiscal », c’est-à-dire lorsque la fraude a été réalisée ou facilitée au moyen soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits dans un Etat ou un territoire n’ayant pas conclu avec la France, depuis au moins cinq ans au moment des faits, une convention d’échange de renseignements, soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable, établis dans un tel pays ou territoire.
Les peines sont alors portées à un million d’euros d’amende et sept ans d’emprisonnement.
La loi précitée sur la lutte contre la fraude fiscale a prévu trois aménagements :
– une aggravation de la peine d’amende à deux millions d’euros ;
– une extension de la notion de fraude fiscale aggravée lorsque les faits ont été commis en bande organisée ;
– une même extension aux cas de recours à des comptes, contrats et structures établis à l’étranger, et non plus seulement dans les paradis fiscaux, ainsi qu’en cas de recours à des faux, ou encore de domiciliation fictive ou artificielle à l’étranger, ou encore de recours à des actes fictifs ou artificiels ou d’interposition d’une entité fictive ou artificielle.
b. L’élargissement des compétences de la BNRDF
La « police fiscale », la BNRDF, qui comprend 13 officiers fiscaux judiciaires, a été créée par l’article 23 de la loi de finances rectificative pour 2009, inspirée de la qualité d’officier de police judiciaire de certains agents de douanes (ODJ).
Placés au sein du ministère de l’Intérieur, mais exclusivement sous la direction du Procureur de la République, sous la surveillance du Procureur général et sous le contrôle de la Chambre de l’instruction, ses agents ont compétence pour rechercher sur l’ensemble du territoire national les infractions de fraude fiscale lorsqu’il existe des présomptions caractérisées que ces infractions ont été commises grâce à l’utilisation de comptes ou de contrats dans des pays qui n’ont pas de convention d’échange de renseignements avec la France, soit par l’interposition de structures intermédiaires de type société, fiducie ou trust également établies dans de tels pays ou territoires, soit par l’usage de faux documents, soit par fausse domiciliation à l’étranger, soit par toute autre manœuvre.
La BNRDF est en effet saisie des affaires sur lesquelles la commission des infractions fiscales a autorisé l’engagement de poursuites pour fraude fiscale sur le seul fondement de présomptions. Le contribuable n’est pas informé de ces poursuites, puisque l’objectif est de permettre un travail d’enquête avec des moyens de police pour éviter tout risque de disparition de preuves.
La loi précitée sur la lutte contre la fraude fiscale a procédé à un renforcement des compétences de la BRNDF. D’une part en matière de blanchiment de fraude fiscale, dans la suite de l’arrêt « Talmon » précité de la Cour de cassation de 2008 qui permet la poursuite du blanchiment de fraude fiscale sans même qu’une autorisation de la commission des infractions fiscales soit nécessaire ; d’autre part ; à travers les extensions qui viennent d’être évoquées de la notion de fraude fiscale aggravée.
c. La capacité de l’administration fiscale à utiliser hors ESFP les comptes bancaires à l’étranger
Sur l’initiative de M. François Marc, rapporteur général, le Sénat a inséré dans la loi une disposition permettant à l’administration d’étudier hors procédure d’examen de situation fiscale personnelle ou de vérification de comptabilité, les relevés de comptes des contribuables ayant omis de déclarer des comptes bancaires à l’étranger. Ces relevés sont transmis par des tiers, notamment par l’autorité judiciaire. La mesure vise aussi les contrats d’assurance-vie.
d. Le renforcement des sanctions lorsque les avoirs non déclarés à l’étranger ont permis de rester sous le seuil d’assujettissement à l’ISF
La loi précitée sur la lutte contre la fraude fiscale a mis fin à une asymétrie en cas d’absence de déclaration d’avoirs à l’étranger.
La pénalité fiscale était de 40% lorsque la personne dépassait déjà le seuil d’assujettissement à l’ISF et de 10% lorsque tel n’était pas le cas mais que les avoirs à l’étranger lui faisaient franchir ce seuil.
Une uniformisation de la pénalité au taux de 40% a été décidée.
2. Actualiser les conventions fiscales
38ème proposition : Mieux appliquer et renégocier, le cas échéant, les conventions fiscales dans un sens plus respectueux des règles fiscales françaises, suivant l’exemple des conventions franco-suisses
a. L’exemple de la Suisse avec la remise en cause fin 2012 du bénéfice de la convention de 1966 sur les impôts sur le revenu et sur la fortune pour les contribuables au forfait et la renégociation de la convention de 1953 sur les successions
Comme l’observe Me Philippe Kenel dans son ouvrage Délocalisation et investissements : les personnes étrangères fortunées en Suisse (Guide et pratique juridique – Analyse politique, Favre)¸ l’imposition selon les conditions de droit commun, au rôle, n’est pas très avantageuse pour un étranger qui transfère son domicile fiscal en Suisse. Tel est notamment le cas en Suisse romande, et plus particulièrement à Genève en raison de l’impôt sur la fortune, au taux de 1% au-delà d’un certain seuil.
Pour attirer les étrangers, personnes physiques, la Suisse a donc établi un dispositif d’imposition selon la dépense ou d’imposition au forfait. Elle l’a adapté pour que ce mode d’imposition soit considéré comme garantissant aux personnes concernées l’application des conventions visant à l’élimination des doubles impositions qu’elle a conclues avec les pays concernés. Vis-à-vis des Français, elle a établi le système du forfait majoré : comme l’a précisé la doctrine administrative française14 B-2211 n° 7 10 décembre 1972, est considéré comme résident suisse, au sens de la convention du 9 septembre 1966 en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales, une personne assujettie à l’impôt au forfait en Suisse dont le montant de dépenses servant de base à l’imposition est augmenté de 30%. La base retenue pour l’estimation de la dépense est dans le cas courant le quintuple de la valeur locative annuelle du logement occupé.
Le 26 décembre 2012, le Gouvernement a rapporté cette tolérance en modifiant la doctrine administrative, de manière non rétroactive, ce qui implique ipso facto l’imposition en France des personnes concernées pour les années ultérieures.
En 2010, la Suisse comptait selon le quotidien Le Monde 4 445 résidents étrangers bénéficiant du forfait fiscal, dont 2 000 Français environ. Ces ordres de grandeur ont été confirmés aux rapporteurs lors de leur déplacement sur place. L’essentiel des Français se trouvaient dans le canton de Vaud (1400), celui du Valais (plus de 1100), puis à Genève (690) et Neuchâtel (28).
Le Gouvernement a par ailleurs renégocié la convention en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur les successions signée le 31 décembre 1953 et modifiée par l'avenant du 22 juillet 1997.
Il s’agissait d’obtenir une actualisation, notamment en raison des problèmes techniques qu’elle posait, sur les biens mobiliers entre autres, avec la fiscalisation des SCI dans le pays de résidence de la personne physique détenteur des parts, quand les biens immobiliers détenus directement par les personnes physiques sans structure intermédiaire étaient taxés dans le pays d’implantation. La délocalisation en Suisse et l’incorporation de biens immobiliers dans une société civile permettait ainsi d’échapper à l’impôt sur les successions en France.
Le projet d’accord a soulevé d’importantes difficultés côté suisse et la négociation a été difficile, avec de la part de la France, la mise en avant de la faculté de dénoncer de manière unilatérale la convention actuelle.
En effet, l’application des règles de l’article 750 ter du code général des impôts, maintenant acquise depuis 1999, conduit à l’imposition non plus seulement du fait de la résidence du défunt, mais aussi de celui du bénéficiaire de la succession.
Cette imposition des personnes résidant en France, sur la totalité de leur part, y compris lorsque les biens sont situés à l’étranger, a créé une difficulté du point de vue suisse, car elle rend taxables des biens situés en Suisse et appartenant à des Suisses résidant en France, même lorsqu’il s’agit de biens d’origine suisse.
De plus, la presque totalité de la taxation revient à la France, car le mécanisme d’élimination de la double imposition n’est pas opérant : en Suisse, la fiscalité sur les successions est plus faible qu’en France puisqu’en principe, les cantons ont une taxation annuelle du capital.
Enfin, un certain nombre de Suisses résident en France, par choix personnel ou par contrainte professionnelle, et ils ont ressenti comme une injustice la taxation de biens de famille qui ne relèvent en aucun cas de la juridiction de la France.
Un compromis a été paraphé sur les bases suivantes, qui permettent pour la France de mettre fin à des délocalisations purement fiscales :
– l’instauration d’une période de résidence minimale pour les héritiers vivant en France (huit ans) ;
– une disposition sur les sociétés de famille détenues permettant de taxer en France leurs immeubles qui y sont situés lorsqu’ils représentent plus d’un tiers de leur patrimoine. Cette disposition vise toutes les sociétés détenues à plus de 50% par le défunt et ses parents, même celles des pays tiers, de manière à faire échec aux stratégies d’interposition des structures écrans pour éviter les droits de succession. Elle s’ajoute à celle de la taxation en France des sociétés à prépondérance immobilière, celles qui détiennent plus de 50% de patrimoine immobilier dans notre pays, selon la disposition classique.
La convention a été signée le 11 juillet dernier. Son application est prévue en 2014, mais elle doit recevoir au préalable l’accord des deux parlements pour sa ratification. Le processus de ratification a été engagé en Suisse.
b. Un précédent à suivre pour la révision des conventions les plus anciennes conclues avec nos principaux voisins
Selon les éléments communiqués, le Gouvernement a l’intention de poursuivre la démarche pour mettre à jour les conventions les plus anciennes, celles d’ailleurs conclues avec nos voisins.
C’est une démarche tout à fait pertinente.
On observe ainsi notamment qu’avec la Belgique, la convention date de 1959 en matière d’impôt sur les successions et de 1964 pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu.
3. Etablir un droit de communication auprès des établissements payeurs pour les usagers réguliers en France de cartes de crédit étrangères
39ème proposition : Etablir un droit de communication auprès des établissements payeurs, pour identifier les utilisateurs réguliers en France de cartes de crédit étrangères
Les utilisations en France par des résidents français de cartes de crédit étrangères sont en infraction avec les règles fiscales dès lors que les débits correspondants sont imputés sur un compte non déclaré.
Etant ainsi un mode de blanchiment de sommes frauduleuses, elles sont un indice conduisant à elles.
En 2011, près de 100 contrôles ont été lancés ; une quarantaine ont été terminés et ont rapporté 9 millions d'euros.
Ce type d’investigation semble devoir être poursuivi avec davantage de vigueur, notamment en prévoyant un droit de communication vis-à-vis des établissements de paiement.
En effet, selon les éléments communiqués, c’est auprès des commerçants concernés, ce qui est lourd, que le droit de communication avait été mis en œuvre.
4. Rendre obligatoire la déclaration des comptes à l’étranger utilisables par les dirigeants et personnels des sociétés commerciales
40ème proposition : Rendre obligatoire la déclaration des comptes professionnels auxquels ont accès à l’étranger les résidents fiscaux français
L’obligation de déclaration des comptes à l’étranger, ouverts, utilisés éventuellement par procuration, ou clos, ne s’impose en droit fiscal français qu’aux personnes physiques, aux associations et sociétés n’ayant pas la forme commerciale, mais pas aux sociétés commerciales, selon l’article 1649 A du code général des impôts.
En effet, les sociétés commerciales ont des obligations comptables. La non-déclaration d’un compte à l’étranger est une infraction.
On observe cependant que le débat sur une telle obligation, pour redondant qu’il soit, occulte une autre question, qui est celle des comptes à l’étranger pour lesquels les dirigeants et personnels d’encadrement peuvent avoir la signature et l’usage, par l’intermédiaire de sociétés étrangères, liées ou non à l’entreprise française pour laquelle ils travaillent.
Même si formellement ces comptes relèvent en principe de l’obligation de l’article 1649 A, il n’est pas certain que le support sur lequel cette obligation s’exerce (les déclarations de revenus et les déclarations d’ISF, qui relèvent de la fiscalité personnelle) soit le meilleur moyen pour que leur usage soit révélé.
En outre, il faut tenir compte des usages indirects de comptes par le biais de moyens de paiement tels que les cartes de crédit.
Il convient par conséquent de prévoir l’obligation de déclaration des comptes à l’étranger et moyens de paiement imputés par des comptes à l’étranger utilisables par les dirigeants et personnels des sociétés commerciales.
5. Assurer comme en Allemagne un droit de suite fondé sur la nationalité pour lutter contre les faux transferts de domicile à l’étranger
41ème proposition : Etablir un droit de suite fondé sur la nationalité pour les Français qui transfèrent ou déclarent transférer leur domicile fiscal à l’étranger, dans le respect des conventions fiscales
Sans qu’il soit utile de donner ici des chiffres, le transfert de domicile à l’étranger des personnes physiques peut souvent être regardé avec suspicion.
Beaucoup d’efforts ont été fait pour lutter contre ce fléau, notamment la création de la police fiscale qui dispose de moyens d’enquête, alors que l’administration fiscale est par nature une administration qui vérifie des déclarations.
Sur le plan juridique cependant, il reste une marge de progrès en taxant non seulement selon la résidence fiscale, mais également selon la nationalité.
Cette idée est séduisante, et d’ailleurs les Etats-Unis l’appliquent avec un mécanisme destiné à éviter la double imposition.
Elle a notamment été évoquée par la Cour des comptes en 2011, mais elle a été trop vite écartée au motif qu’elle implique la renégociation des conventions fiscales.
Vos rapporteurs sont d’avis que cette renégociation doit être entreprise pour les pays de destination les plus courus.
Sans attendre la renégociation des conventions, l’imposition selon la nationalité peut être d’ores et déjà retenue dans au moins deux cas :
– d’une part, pour les contribuables qui déclarent ne plus être en France, tant qu’ils ne sont pas en mesure de prouver qu’ils sont établis dans un autre pays ayant une convention de non double-imposition avec la France, en produisant copie de leur avis d’imposition ou de tout autre document similaire ;
– d’autre part, les personnes qui conservent un lien avec la France en assurant une représentation de ses intérêts au sens large ou ceux de ses professionnels notamment dans des instances consultatives européennes ou internationales.
Il n’est en effet pas admissible que des personnes nommées ou désignées pour siéger dans de telles instances puissent être des exilés fiscaux. Il convient donc de leur appliquer sur le plan fiscal les mêmes règles qu’aux fonctionnaires, ce qui est une question d’interprétation des conventions.
De manière liée, la question de la faculté de suivre les contribuables pendant dix ans en les imposant, comme le fait l’Allemagne, peut être posée vis-à-vis des pays non membres de l’Union européenne.
La loi fiscale allemande, datant de 1972, prévoit en effet que certains expatriés sont astreints à l'obligation fiscale limitée étendue, définie comme l’imposition en Allemagne des revenus de source allemande et de source indéterminée.
Cette obligation touche les personnes de nationalité allemande qui remplissent chacune des conditions suivantes :
- elles ont résidé en Allemagne pendant au moins cinq ans dans les dix années qui ont précédé leur expatriation ;
- elles perçoivent des revenus annuels de source allemande supérieurs à 16 500 € ;
- elles ont « d'importants intérêts économiques » en Allemagne ;
- elles se sont installées dans un pays « à faible imposition ».
Cette obligation fiscale crée un « droit de suite » de dix ans, appelé également « quarantaine fiscale ».
E. MODERNISER LES RÈGLES À HAUTEUR DES NOUVELLES PRATIQUES DES ENTREPRISES TRÈS INTERNATIONALISÉES
1. Contrôler les sous-traitances et les prix de transfert pour les marchés publics faisant appel à des fournisseurs et prestataires établis à l’étranger
42ème proposition : Informer dès l’origine l’administration fiscale des sous-traitances et prix de transfert lorsque les titulaires de marchés publics font appel à des fournisseurs et prestataires établis à l’étranger
Les marchés publics ayant une dimension internationale par le biais de la sous-traitance, peuvent donner lieu à surfacturation et ainsi à soupçon de corruption, avec recours aux Etats ou territoires les moins coopératifs.
Pour y remédier, il convient de donner à l’administration fiscale, et le cas échéant aux douanes, les moyens de détecter les cas de sous-traitance abusive et d’éventuelle corruption dans les marchés publics, en obligeant les titulaires à communiquer les noms de leurs sous-traitants.
Un délai d’un mois est prévu à compter de l’acceptation du sous-traitant par la personne publique qui attribue le marché, ou de trois jours suivant le début des prestations.
2. Taxer les restructurations internationales au sein des groupes : l’exemple de l’Allemagne
43ème proposition : Etablir un dispositif de taxation systématique des délocalisations d’activités hors de France suivant l’exemple du dispositif allemand de la Funktionverlagerung
En 2008, pour lutter contre le business restructuring et contre le coût fiscal des transferts d’activité, la législation allemande sur les prix de transfert a intégré un dispositif visant à taxer les transferts de fonction ou Funktionsverlagerungsverordnung.
Lorsqu'une entreprise allemande transfère à une entité étrangère une fonction économique (production, exploitation, recherche, développement, achat, prestations de service, pour reprendre les exemples qui figurent dans l'instruction administrative sur le sujet) avec les chances de profit et les risques correspondants, elle doit fournir à l'administration fiscale une documentation sur l'opération et une valorisation de l'ensemble des éléments concernés. Généralement, il n'y a pas de valeur de marché, et on prend donc plutôt en compte les perspectives de cash flow qui leur sont attachées, par l’intermédiaire du calcul de leur valeur actualisée.
La valeur des actifs délocalisés est considérée comme un produit imposable de l'entreprise allemande, et elle est intégrée dans son bénéfice fiscal.
Cette législation a été adaptée en 2010, notamment pour préserver les activités de recherche et de développement situées en Allemagne. A cet effet, les modalités d’évaluation sont assouplies lorsque le contribuable établit que le transfert porte sur un ou plusieurs actifs immatériels identifiés.
Un tel dispositif mériterait d’être créé en France.
Dans notre pays en effet, la taxation des délocalisations d’activité est plus difficile, car fondée soit sur l’abus de droit, soit sur l’absence d’indemnité alors que la valeur de l’entreprises diminue, sans que la base légale soit aussi solide et précise qu’en Allemagne.
3. Renforcer les pouvoirs de contrôle sur les prix de transfert
44ème proposition : Renforcer la capacité de contrôle des prix de transfert en prévoyant non seulement la publication, mais surtout la communication à l’administration fiscale des activités et résultats des entreprises pays par pays, et en autorisant l’administration fiscale à accéder à l’ensemble de la comptabilité analytique des entreprises et à l’ensemble des documents des entreprises sur le calcul des coûts de revient et les prix de facturation intragroupe
a. Aller jusqu’au bout de la logique du risque de réputation : communiquer les données pays par pays non seulement aux actionnaires et au public, mais aussi à l’administration fiscale
Tous les interlocuteurs des rapporteurs l’ont rappelé, notamment les ONG, ATTAC et le CCFD Terre solidaire, la transparence des activités des entreprises, notamment bancaires, est essentielle dans la lutte contre les paradis fiscaux. C’est elle qui permet de faire apparaître le caractère artificiel et fictif de l’implantation dans des territoires où aucune activité économique réelle ne le justifie.
Ce type de dispositif joue sur le mécanisme dit de réputation, auquel les acteurs, notamment bancaires, sont très sensibles.
La loi de séparation et de régulation des activités bancaires a prévu deux obligations : l’une pour les banques, vis-à-vis de l’autorité de contrôle prudentiel, et vis-à-vis du public ; l’autre pour les sociétés d’une certaine taille, celles dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires et le nombre de salariés excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d’État.
Ces mesures méritent cependant d’être complétées en élargissant cette obligation à toutes les entreprises ayant une dimension internationale significative (de petites entreprises spécialisées dans le négoce international peuvent loger des pratiques peu orthodoxes) et en imposant surtout la déclaration de tous ces éléments à l’administration fiscale.
D’une part, cela facilitera le travail de l’administration. On rappellera notamment que la seule DVNI couvre 3.500 groupes et qu’il lui est plus simple de disposer directement de ces déclarations.
D’autre part, ce type de dispositif joue sur le mécanisme dit de réputation, auquel les acteurs, à commencer par les banques, sont très sensibles.
b. Renforcer encore les obligations documentaires des entreprises sur les prix de transfert, notamment en matière de calcul des coûts et prix de facturation intragroupe
La question des prix de transfert a fait l’objet d’un travail récent de l’inspection générale des finances (note n° 2012-M-032-03 publiée le 5 juin dernier et établie par MM. Nicolas Colin, Pierre Painaud et Nathanaël Mason-Schuler, inspecteurs des finances sous la supervision de M. François Auvigne, inspecteur général des finances). C’est en effet une question particulièrement sensible, car c’est l’un des éléments clefs de la maîtrise de la localisation de la base fiscale en France.
Les conclusions de cette note sont fondées sur une analyse des cas des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne et des Pays-Bas.
La mission a fait quatre propositions :
– un renversement sélectif de la charge de la preuve en cas de situation à risque comme la restructuration d’entreprises, l’existence d’une ou de plusieurs entités bénéficiant d’un régime fiscal privilégié ou bien la récurrence de déficits ou d’une marge nette négative ;
– le renforcement des pénalités en cas de manquement à l’obligation documentaire prévue à l’article L. 13 AA du livre des procédures fiscales. Celle-ci est limitée à 5% du montant de l’éventuelle rectification et ne s’applique naturellement que si rectification il y a ;
– donner à l’administration la capacité d’accéder à l’information pertinente, notamment la comptabilité analytique, et le faire sous forme numérique ;
– appliquer également la méthode du partage des bénéfices, concurremment avec celle du prix.
On rappellera que l’article L. 13 AA ne joue qu’en cas de vérification de la comptabilité de l’entreprise. Comme il n’y a que 50.000 vérifications par an, cela rend de fait sa teneur très peu concrète. De plus cet article joue a posteriori, alors que toute obligation ex ante en ce domaine ferait entrer l’entreprise dans une logique préventive d’autocontrôle.
Des modifications au régime des prix de transfert sont en effet nécessaires. La loi précitée sur la lutte contre la fraude fiscale a prévu une obligation de transmission annuelle de documentation sur les prix de transfert à l’administration fiscale.
Le dispositif adopté par l’Assemblée nationale en première lecture a été profondément modifié par le Sénat, sur l’initiative de son rapporteur général et avec l’accord du Gouvernement.
Est ainsi prévue la communication à l’administration fiscale dans les six mois suivant la déclaration de résultat, des informations générales sur le groupe d’entreprises associées, l’activité déployée, les actifs incorporels détenus, une description générale de la politique des prix de transfert, et des informations équivalentes sur l’entreprise, notamment la méthode de détermination des prix de transfert.
Cette obligation déclarative en amont représente un progrès essentiel. Cependant, elle n’est pas suffisante.
C’est pourquoi le Sénat a ajouté l’obligation pour l’entreprise de mettre à la disposition de l’administration sa comptabilité analytique territoire par territoire lors d’un contrôle fiscal.
Cette dernière disposition a été supprimée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. C’est regrettable.
Le contrôle des transferts internationaux de bénéfices repose en effet sur l’appréciation par l’administration des marges des entreprises, c’est-à-dire de la différence entre les coûts des produits et des prestations, et les prix de facturation à l’étranger. Lorsque la marge est très faible, c’est le signe qu’il y a transfert de bénéfice à l’étranger.
Pour évaluer ce transfert, non seulement la comptabilité analytique pays par pays doit être accessible mais également, pour les cas les plus complexes, l’ensemble de la comptabilité analytique sans restriction.
Néanmoins, cet accès n’est pas non plus suffisant. Il faut également prévoir l’accès de l’administration aux clefs de compréhension de cette comptabilité analytique, c’est-à-dire l’accès à tous les documents internes qui définissent les principes et les règles de l’entreprise dans l’estimation de ses coûts comme dans la détermination de ses prix pour la facturation de ses opérations et prestations intragroupes.
F. COMBLER ENCORE LA PRINCIPALE LACUNE DE NOTRE DROIT PÉNAL FINANCIER SUR LE BLANCHIMENT
1. Une mise à niveau essentielle par la loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Le nombre des mesures adoptées en matière pénale dans le cadre de la loi précitée sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière donne l’impression qu’un très important retard accumulé depuis de très nombreuses années vient d’être comblé, notamment en matière de sanctions des personnes morales, de saisie et de confiscation des avoirs criminels (un trou béant a été notamment comblé sur les assurances-vie), de confiscation en valeur des biens dont le condamné à la libre disposition, de simplification de l’entraide pénale en matière internationale.
Autant de mesures ne sont donc plus à proposer, ni même à suggérer.
2. Un impératif supplémentaire : mettre en conformité la répression du blanchiment avec la convention du Conseil de l’Europe en rendant l’infraction de blanchiment encore plus autonome par rapport à l’infraction sous-jacente
45ème proposition : Rendre l’infraction de blanchiment encore plus autonome vis-à-vis de l’infraction principale
Le blanchiment est par définition lié à une autre infraction dite infraction primaire ou infraction sous-jacente, qui est à l’origine des capitaux recyclés.
Le droit français a reconnu une certaine autonomie du blanchiment par rapport à l’infraction sous-jacente, mais celle-ci reste insuffisante : l’infraction sous-jacente ne doit pas être jugée ni prouvée, mais elle doit continuer à être caractérisée de manière assez précise.
Cette exigence pose problème car elle ne permet pas d’appréhender sur le terrain les sommes litigieuses qui passent hélas le plus souvent « sous le nez » des forces de l’ordre, et permet ainsi au corps du délit de disparaître trop facilement.
Ce dispositif peut être amélioré en rendant l’infraction de blanchiment plus autonome, selon ce qui est le cas en Belgique, comme l’ont indiqué aux rapporteurs leurs interlocuteurs lors de leur déplacement sur place.
C’est d’ailleurs ce que recommande le 6 de l’article 9 de la convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et du financement du terrorisme, dont le Sénat vient d’autoriser la ratification et qui va être soumise à l’Assemblée. Cet article permet de « s’assurer qu’une condamnation pour blanchiment est possible (…) sans qu’il soit nécessaire de prouver de quelle infraction principale il s’agit ».
En clair, l’impossibilité de lever une présomption frauduleuse des capitaux suffit à permettre la mise en place des mesures conservatoires offertes par la procédure pénale.
Une telle disposition ne force pas davantage le renversement de la charge de la preuve que ne le font tant l’article 321-6 du code pénal sur le délit de non justification de ressources, qui concerne la non justification de l’origine d’un bien détenu, que l’article 131-21 relatif à la confiscation des biens d’une personne condamnée, pour ce qui concerne des biens dont l’origine ne peut être prouvée.
Aussi vos rapporteurs se sont-ils félicités de l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale d’un amendement en ce sens présenté sur leur initiative au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière.
La commission des lois du Sénat a cependant supprimé cette disposition qui n’a pas été rétablie par le Sénat en séance plénière.
Sur l’initiative de M. Eric Bocquet, le Sénat a adopté un dispositif permettant de faire passer de la moitié à la totalité des sommes délictuelles, le montant maximum de la peine d’amende qui peut être prononcée par le juge en cas de condamnation pour blanchiment.
Cette dernière mesure est effectivement bienvenue, mais elle ne saurait se substituer à celle de la plus grande autonomie de l’infraction de blanchiment, qui en simplifiant le régime de la preuve, permettrait de lutter efficacement contre le blanchiment.
Le dispositif adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture sur l’initiative de son rapporteur, M. Yann Galut, appelle une remarque similaire, même si il va dans le bon sens.
Il se limite en effet à assouplir la charge de la preuve pour les seuls cas où la complexité du procédé, du circuit financier, montre de manière évidente qu’il y a eu blanchiment. Autrement dit, il facilite les poursuites quand celles-ci sont manifestement fondées.
Clairement il faut aller au-delà : une présomption très solide, même si non irréfragable, de blanchiment devrait s’appliquer à toute somme dont l’origine ne peut être justifiée.
Si les paradis fiscaux étaient encore un sujet d’initiés au début de cette mission d’information, ils ont en quelques mois, et notamment du fait de la crise économique et financière, envahi la place publique révélant au grand jour l’ampleur d’un phénomène qui met à mal les Etats.
Les ONG, les journalistes, les chercheurs, rejoints par des « repentis » mènent depuis des années un travail colossal pour dénouer les fils d’un système opaque à dessein, qui permet évasion fiscale et blanchiment d’argent, et au bout du compte : concurrence déloyale, dumping social, assèchement des finances publiques, mainmise de la finance sur les Etats, pillage des nations.
Les auditions menées par vos rapporteurs ont confirmé que tout le monde mesure les conséquences néfastes des paradis fiscaux pour la puissance publique et les peuples. Des fonctionnaires des finances et des douanes, aux responsables politiques européens et français, en passant par les magistrats, tout le monde sait. Beaucoup le dénoncent et luttent courageusement. Mais le combat est bien trop déséquilibré pour être efficace. Pire, nous avons accumulé un retard impressionnant par rapport à d’autres pays.
La France, comme les autres grands Etats occidentaux, est aujourd’hui à la croisée des chemins : soit elle continue à se laisser gangréner par un système financier qui l’instrumentalise et l’asphyxie ; soit elle se donne les moyens de se libérer de l’hydre pour réaffirmer la primauté de la politique et de la démocratie. C’est un choix de société, un devoir républicain, qui s’impose à nous.
Evidemment, notre pays seul ne viendra pas à bout des paradis fiscaux, ni des secrets bancaires et structures écrans qui les nourrissent. La coopération internationale est d’ailleurs l’un des défis pointés par vos rapporteurs. En s’appuyant sur le remarquable travail des organismes internationaux comme l’OCDE ou le GAFI, les G8 et G20 avancent dans le bon sens. Mais, il est illusoire d’espérer un consensus mondial, quand on n’arrive même pas à obtenir une cohésion européenne.
Il est à tout le moins déplorable qu’au lieu de se présenter unie et solidaire face à l’évasion fiscale, l’Europe tolère en son sein des paradis fiscaux, des Etats qui pratiquent le dumping fiscal et social. Leur mise au pas est nécessaire et implique que des pays comme la France ou l’Allemagne prennent la tête d’une action dénuée de complaisance, comme les Etats Unis la mènent en imposant leur loi FATCA à tous les Etats, hors de leur territoire. Une telle évolution ne peut qu’être salutaire pour l’Europe.
En parallèle, bien des actions sont à mener au plan national. Vos rapporteurs ont acquis la conviction qu’il faut redonner des moyens à l’administration fiscale et à la justice, renforcer les moyens d’investigation de nos administrations, en finir avec les prés carrés, être plus exigeant vis-à-vis des informations demandées aux entreprises, cesser de faire aveuglément confiance aux banques qui sont trop souvent les premiers artisans de l’évasion fiscale… Il est à cet égard impératif de faire de la lutte contre la fraude fiscale une grande cause nationale à même de mobiliser chacun de nos concitoyens : cela nécessite d'établir un vrai climat de confiance, d'assurer les contribuables que la récupération d'une partie des 60 à 80 milliards d'euros qui sont annuellement soustraits à la Nation, seront en totalité affectés à une baisse sensible de la pression fiscale, de créer un pôle public financier capable d’établir le rapport de force nécessaire avec l’ensemble des banques pour qu’elles favorisent les investissements utiles au détriment de la spéculation. Le Parlement a fait un premier pas en légiférant, même insuffisamment, sur la séparation et la régulation des activités bancaires, l’évasion fiscale et la délinquance financière. Il doit amplifier la démarche.
Comme le soulignent unanimement nos collègues, le moment politique n’a jamais été aussi propice à des avancées réelles et profondes en la matière. Il est temps de passer des paroles aux actes.
I. AUDITION DE M. RAMON FERNANDEZ, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU TRÉSOR (3 JUILLET 2013)
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous accueillons M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, pour parler de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Étant donné la diversité des questions qu’un tel sujet soulève, je propose que notre débat soit centré sur les aspects internationaux et européens à propos desquels notre commission a constitué une mission d’information, dirigée par nos collègues Alain Bocquet et Nicolas Dupont-Aignan, qui doivent remettre leur rapport en septembre.
Il nous a semblé, il y a quelques jours, qu’une volonté de réaliser des progrès concrets s’était manifestée au G8 sur la question des paradis fiscaux ; je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement du Président de la République dans ce dossier. Cependant, nous avons appris à nous méfier des effets d’annonce, car leur concrétisation est souvent des plus modestes. Depuis une vingtaine d’années, nous avons assisté à la création du Groupe d’action financière (GAFI) au sommet de l’Arche en 1989, à celle du Conseil de stabilité financière, à celle du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, et à de multiples proclamations du G8 et du G20, mais d’abondantes critiques sont émises à l’encontre de ces instances, concernant leur nombre – certains souhaiteraient les fusionner –, la longueur et l’illisibilité de leurs processus de décision et la place laissée dans leur fonctionnement à des pays considérés comme douteux, ce qui met en cause leur crédibilité.
Monsieur le directeur général, pensez-vous – puisque la volonté de progresser paraît réelle et que l’initiative provient de manière surprenante du Premier ministre britannique, M. David Cameron – que nous pouvons espérer l’instauration au plan international de dispositifs vraiment efficaces ? Que faut-il faire pour y parvenir ? Quels sont les enjeux qui s’attachent à la proposition du Premier ministre britannique ? La question des registres – qui permettraient d’identifier ceux qui se cachent derrière les sociétés-écrans et les fiducies – s’avère fondamentale : en effet, si nous continuons à tolérer l’existence des sociétés-écrans, tous les systèmes d’échange automatique d’informations pourront être contournés ; il faut protéger le secret des affaires, mais l’administration fiscale et les magistrats doivent avoir accès à tous les renseignements dont ils ont besoin. Où en sommes-nous sur ce sujet avec nos partenaires, mais également dans notre pays où l’on peut s’inquiéter de l’introduction dans notre droit de la catégorie juridique des sociétés-écrans ? Jusqu’où doit-on exiger la transparence des activités et des bénéfices des entreprises dans les différents États et territoires où elles sont implantées – sachant que, dans le cadre de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, nous disposerons sur ce point d’une des législations les plus avancées ?
Avant de prétendre imposer la transparence fiscale dans le monde, il conviendrait de la réaliser en Europe, comme nous le rappellent légitimement beaucoup de pays non européens.
Monsieur le directeur général, à quelle échéance l’Union européenne disposera-t-elle d’un système complet et automatique d’échange d’informations fiscales, incluant l’Autriche et le Luxembourg, ainsi que tous les États et toutes les juridictions non membres mais liés à l’Union, comme la Suisse, le Liechtenstein et diverses dépendances de la couronne britannique ?
M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor. La direction générale des finances publiques (DGFiP) pilote l’action administrative dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, mais la direction générale du Trésor (DG Trésor) travaille en étroite collaboration avec elle sur ces sujets. Mon homologue de la DGFiP, M. Bruno Bézard, et moi-même avons d’ailleurs mis en place il y a quelques mois un groupe de coordination chargé de préparer les réunions internationales – du G20, du G8 et de l’Ecofin, notamment – où sont traitées les matières fiscales.
Notre action a connu une accélération ces dernières semaines ; elle s’inscrit dans un cadre général de combat contre les juridictions non coopératives (JNC) et s’articule autour de trois grands axes.
Le premier concerne l’identification des JNC – les pays qui présentent des défaillances et qui ne coopèrent pas au niveau international en matière de transparence fiscale, de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et de supervision prudentielle –, tâche réalisée au sein du conseil de stabilité financière pour le volet prudentiel, du GAFI pour la partie blanchiment, de l’OCDE et surtout du Forum mondial pour la dimension fiscale. Cette identification – que les Anglo-Saxons appellent « name and shame » – vise à inscrire des États sur des listes afin que la pression médiatique permette quelques changements ; on notera toutefois que certains pays considèrent que cette approche est excessive et va à l’encontre de l’esprit de coopération.
Le deuxième pivot de notre politique repose sur la promotion d’une plus grande transparence des personnes morales et des « constructions juridiques » – terme pudique pour évoquer les trusts –, action essentielle pour les luttes contre le blanchiment et contre la fraude fiscale, qui sont étroitement liées.
Le dernier pilier vise à renforcer le cadre législatif et réglementaire – international comme national – afin de rendre la traque de l’évasion fiscale et du blanchiment plus efficace.
Tous ces thèmes comportent une forte dimension internationale, puisque l’action dans un seul pays est condamnée à l’impuissance. Lorsque les Etats opposés à toute évolution parviennent à bloquer les avancées dans les instances internationales en charge, le rôle d’impulsion du G20 est fondamental. Le G20 de Londres, en 2009, a lancé un mouvement qui, s’il n’a pas donné tous les résultats escomptés, a permis de fonder le concept de JNC autour des questions fiscales, prudentielles et de blanchiment ; depuis 2009, la France a obtenu qu’une référence à ce thème figure dans chaque communiqué du G20. Cela donne de la visibilité aux instances compétentes – OCDE, Forum mondial, GAFI et conseil de stabilité financière – et permet de réaliser quelques avancées. L’OCDE publia une première liste de paradis fiscaux en 2009, innovation importante, mais obtenue de haute lutte. Si aujourd’hui la liste est presque vide et sa portée limitée, elle a permis d’enclencher un premier mouvement, et d’inciter les Etats qui y figuraient à signer au minimum douze accords de coopération bilatérale pour en sortir.
L’élan de ces derniers mois résulte notamment d’Offshore Leaks et de la lutte contre les déficits publics qui rend insupportable le contournement de l’impôt. Nous avons pu constater ce tournant lors de l’Ecofin informel tenu à Dublin en avril, au cours duquel les ministres des finances français, britannique, allemand, italien, espagnol et polonais ont affirmé la nécessité de prendre des initiatives dans ce domaine. Cela a conduit, dès la semaine suivante lors de la réunion du G20 à Washington, à l’adoption de nouvelles résolutions : échange automatique d’informations – appelé à devenir le nouveau standard international – et nécessité de mettre à l’ordre du jour la question des trusts – mot qu’un communiqué du G20 employait pour la première fois. Ensuite, la réunion du G8 sous présidence britannique en juin a consolidé cette approche. Ainsi, en deux mois, l’initiative européenne fut endossée par le G20, puis par le G8. La prochaine réunion ministérielle du G20, prévue dans quinze jours à Moscou, préparera le prochain sommet du G20, programmé en septembre à Saint-Pétersbourg, et traitera de ces sujets sous quatre angles différents.
Le premier touche à l’échange automatique d’informations à des fins fiscales ; nous sommes en effet convaincus que la coopération internationale ne peut pas reposer exclusivement sur des demandes d’informations. Un échange automatique d’informations permettra d’obtenir beaucoup plus rapidement des identifications utiles ; cette notion ne faisait pas consensus, mais la réunion du G20 à Washington a opéré une rupture. Les États-Unis ont élaboré un standard – qui ne sera pas forcément repris au plan international – avec le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), loi sur la conformité fiscale des comptes étrangers, dont les Européens s’inspirent. Notre objectif vise à soutenir l’OCDE qui a été mandatée pour élaborer la référence internationale à laquelle se rallieraient l’ensemble des États membres et que pourrait reprendre le G20 à Saint-Pétersbourg.
La deuxième priorité est d’obtenir la transparence des personnes morales et des trusts. Depuis quelques années, les communiqués du G20 promeuvent une transparence des personnes morales conforme aux exigences du GAFI. Comme vous l’avez affirmé, madame la présidente, ces structures juridiques opaques constituent des vecteurs privilégiés pour le blanchiment des capitaux. Le communiqué du G20 d’avril a mentionné pour la première fois l’attention particulière qu’il convenait de porter aux trusts. Le G8 sous présidence britannique a endossé cette position, progrès significatif puisque le Royaume-Uni ne défendait pas cette position précédemment ; en outre, les États du G8 se sont engagés lors du sommet de Lough Erne à publier des plans d’action nationaux pour améliorer la transparence des sociétés et des autres constructions juridiques – y compris les trusts – au moment du G20 de Saint-Pétersbourg. Cette nouvelle orientation permettra d’identifier les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des trusts.
Le troisième axe, concernant l’érosion des bases fiscales et la sous-imposition des profits, s’incarne dans l’initiative Base erosion and profit shifting (BEPS). Les textes internationaux ont cherché à éviter la double imposition des profits, ce qui a conduit certains d’entre eux à être doublement exonérés. Dans le contexte de consolidation des finances publiques, ce mode légal d’évasion fiscale s’avère de moins en moins toléré ; sous l’impulsion de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne, l’OCDE élabore un plan d’action qui sera discuté par les ministres du G20 et par les gouverneurs de banques centrales les 19 et 20 juillet à Moscou, afin qu’il puisse être entériné par les chefs d’État et de gouvernement à Saint-Pétersbourg. L’une des priorités de cette mobilisation se concentrera sur l’économie numérique.
Enfin, le quatrième point a pour objet l’établissement d’une nouvelle liste de JNC en matière fiscale, réalisée en lien avec les travaux du Forum mondial. Nous avons obtenu cette année que le G20 fasse référence aux 14 juridictions non coopératives et que des travaux soient conduits en vue de disposer d’une évaluation globale – utilisant une échelle de quatre notes – du degré de coopération de l’ensemble des juridictions ; le Forum mondial a par ailleurs instauré une procédure d’examen non seulement de la conformité légale, mais également de la mise en œuvre des textes adoptés.
L’impulsion donnée, notamment par la France, au G20 et au G8 a permis de déclencher un nouveau mouvement. Il y a déjà eu des communiqués et des initiatives dans le passé, mais les initiatives actuelles sont indispensables pour que les droits internationaux et nationaux se mettent en conformité avec les objectifs politiques proclamés.
En Europe, cet agenda se décline avec un temps d’avance, comme l’a montré l’Ecofin informel de Dublin. Les pays de l’UE ont donc défendu une position unie au G20 de Washington, ce qui n’a pas toujours été le cas. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Pologne ont affirmé à la suite de la réunion de Dublin vouloir mettre en place un dispositif d’échange automatique d’informations au sein de l’Union européenne, qui soit similaire au FATCA américain. Les ministres des finances de ces pays ont également appelé à une révision de la directive 2003/48/CE sur la fiscalité des revenus de l’épargne, à l’ouverture de négociations avec les pays tiers et ont souhaité transmettre les travaux de l’Union européenne sur l’érosion des bases fiscales à l’OCDE et au G20. Des discussions sur la directive Épargne et sur la directive 2011/16/EU relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal se sont amorcées, même si l’engagement des États varie face au risque de voir des flux financiers quitter certaines places situées dans l’Union. Les États membres ont décidé, lors de l’Ecofin du 21 juin, de donner un mandat à la Commission européenne pour négocier la directive épargne avec les États tiers et de réviser la directive Épargne avant la fin de l’année, sachant que certains Etats membres posent pour condition à la renégociation de cette directive la conclusion préalable des négociations sur le sujet avec les pays tiers. Beaucoup de travail reste à faire, mais l’orientation politique a été clairement affichée.
Les négociations sur le projet de quatrième directive anti-blanchiment ont débuté ; ce sujet est lié à celui de la fraude fiscale, puisque celle-ci est définie comme l’une des infractions sous-jacentes au blanchiment d’argent. M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, et son homologue allemand, M. Wolfgang Schäuble, ont écrit à la Commission européenne en avril pour faire part de leurs attentes, qui impliqueraient un texte plus ambitieux dans ce domaine. Les deux ministres souhaitent que la Commission s’implique dans la mise en œuvre d’une politique européenne de lutte contre le blanchiment reposant sur une évaluation des risques auxquels le marché unique est exposé et sur l’application des dispositifs nationaux, et permettant de réaliser des progrès dans l’identification des structures juridiques opaques. Sur ce dernier point, l’un des moyens soulignés par la France serait que chaque État membre produise un registre faisant apparaître les personnes physiques bénéficiaires des sociétés. Enfin, les ministres pensent que l’Union européenne doit disposer d’une politique active de lutte contre les JNC, comprenant une liste des JNC européennes – établie sur des critères plus ambitieux que la liste internationale – et un répertoire de sanctions pouvant leur être appliquées.
En outre, nous souhaitons accroître la transparence et la responsabilité des entreprises européennes, et obliger les établissements financiers et les grands groupes à publier leurs lieux d’activité pour identifier d’éventuelles anomalies et pour comprendre les raisons incitant une entité à se localiser dans un endroit particulier. De ce point de vue, avec le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, vous êtes sur le point d’insérer dans le droit français, mesdames et messieurs les députés, des dispositions permettant des avancées comparables à celles obtenues par la France à l’échelon de l’Union européenne ; en effet, le projet de directive CRD IV sur les exigences de fonds propres se limitait d’abord aux seuls standards prudentiels internationaux ; son champ concerne désormais également la transparence, imposée aux activités des banques dans tous les territoires. Cette obligation de transparence devrait également être étendue par la future directive comptable à l’ensemble des grands groupes dans tous les secteurs.
Une commission mixte paritaire, prévue la semaine prochaine, permettra un accord sur le texte puis le vote du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui crée des obligations de transparence en matière de chiffre d’affaires, d’effectif, de résultat, de subventions publiques et d’impôt sur les sociétés (IS) pour les établissements bancaires, et qui met la France en pointe en la matière dans l’Union européenne. Le ministère va également publier prochainement la mise à jour annuelle de la liste française des paradis fiscaux, qui identifiera les États n’ayant pas souhaité négocier des accords de coopération bilatérale – huit pays sont à ce jour inscrits sur la base de ce critère –, et ceux ayant consenti à l’échange d’informations, mais qui ne respectent en pratique pas les engagements souscrits. En outre, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, voté en première lecture par l’Assemblée nationale le 25 juin, prévoit pour 2016 l’introduction d’un nouveau critère correspondant à l’existence d’un accord d’échange automatique d’information avec la France, et l’utilisation concrète de cet accord. Nous avons promu cette démarche auprès d’établissements impliqués dans les échanges internationaux, comme l’Agence française de développement (AFD) qui, à notre demande, a renforcé depuis un an son système de lutte contre le blanchiment, la corruption, la fraude et les paradis fiscaux ; le conseil d’administration de l’AFD a adopté, à la fin de l’année dernière, un nouveau dispositif de sécurité financière qui utilise à la fois la liste internationale du Forum mondial et la liste française des paradis fiscaux. Une réflexion similaire est actuellement conduite avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et avec la Banque publique d’investissement (BPI).
Au total, nous devons maintenir notre mobilisation au plan international et dans l’Union européenne, qui nous permettent de conforter nos dispositions nationales – sachant que par ailleurs donner l’exemple peut avoir un effet d’entraînement. Depuis quelques mois, un mouvement s’est en tout cas enclenché pour que le fléau de la fraude et de l’évasion fiscales soit plus fortement combattu.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous vous remercions, monsieur le directeur général, pour cet exposé complet et précis qui nous fait espérer que des progrès concrets seront réalisés.
Il est vrai que le sommet du G20 à Londres a remis au goût du jour des listes identifiant les JNC ; cependant, ces trois listes – sur le blanchiment, sur l’évasion fiscale et sur l’évasion réglementaire – avaient déjà été élaborées à la fin des années 90, mais on s’est aperçu, à l’occasion de la faillite de Lehman Brothers, qu’elles avaient été vidées de leur substance et que les paradis fiscaux existaient toujours.
Je me souviens d’avoir refusé, à une époque où j’exerçais d’autres responsabilités, l’introduction en droit français des trusts et des fiducies, malgré des pressions importantes. Je persiste à me demander pourquoi il a été jugé utile de procéder à cette intégration, car je ne suis pas tout à fait convaincue que la protection contre les concurrents justifie leur existence. Ne faudrait-il pas supprimer ces structures de notre ordre juridique, même si l’effet d’une telle mesure prise isolément sera limité ?
M. Alain Bocquet. Monsieur le directeur général, vous avez souligné l’impasse qui consisterait à conduire des actions nationales ou européennes qui divergeraient des décisions prises au plan international. Comme les chœurs de l’Opéra, nous répétons « Marchons ! Marchons ! », et nous piétinons sans avancer. Pendant que nous exposons nos intentions généreuses, les recettes des administrations publiques accusent un déficit de 60 milliards d’euros à cause de l’évasion fiscale – sans compter les carrousels de TVA qui augmentent ce montant de 15 milliards d’euros. De quels moyens dispose le Trésor pour lutter contre cette triche, sachant que les multinationales, accompagnées par le secteur bancaire, délocalisent leurs profits et développent des systèmes légaux de contournement de l’impôt de plus en plus sophistiqués ? Quelles actions pouvez-vous conduire avec nos partenaires pour régler la question des prix de transfert ?
Les organisations mafieuses réussissent à contourner en six mois nos instructions et nos administrations, grâce à des sociétés-écrans – le scandale de la TVA carbone fut sur ce point édifiant. Quels instruments la France peut-elle mettre en œuvre, sachant que le Royaume-Uni a réduit le carrousel de TVA sur des téléphones portables de 21 milliards à 6 millions d’euros et que la Belgique a ramené son carrousel de TVA de 1,2 milliard à 2 millions d’euros ? Notre action est peut-être entravée par une mauvaise coopération entre les administrations, mais nous devons régler ces problèmes pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales.
M. Nicolas Dupont-Aignan. Depuis six mois, Alain Bocquet et moi-même avons auditionné une centaine de personnes et nous sommes rendus dans plusieurs pays, dont la Suisse ; la plupart de nos interlocuteurs nous ont confirmé que l’on en avait fait davantage depuis 2009 qu’au cours des trente années précédentes. Il est donc juste de constater un progrès. Mais c’est qu’il s’agit d’une question de survie pour les États, et cela explique l’action vigoureuse des États-Unis et du Royaume-Uni. Cependant, nombre de magistrats et d’agents des services fiscaux affirment que les déclarations de principes ne se concrétisent pas dans les faits ; ainsi, la bulle de la fraude fiscale continue de croître, et la base fiscale ne cesse de s’éroder – les fraudes à la TVA, notamment en France, n’ont jamais atteint un tel niveau.
Mais la récente mobilisation ne résulte-t-elle pas du rapport de force instauré par les États-Unis et symbolisé par la loi FATCA, qui impose l’extraterritorialité et a incité les pays européens à évoluer ? Sans cela, l’échange automatique des données aurait-il été décidé ? Comment la France négocie-t-elle l’application de FATCA ? Acceptera-t-elle qu’il n’y ait pas de réciprocité entre les informations sur les citoyens américains que nos banques fourniront au fisc américain et les renseignements sur les ressortissants de notre pays que les banques américaines donneront au fisc français ?
Au sein de l’Union européenne, l’Irlande et les Pays-Bas ont mis en place un système sur lequel s’appuie l’industrie numérique ; or les pays européens ont donné plusieurs milliards d’euros pour sauver l’Irlande sans imposer le moindre changement de son système fiscal. Nous construisons ainsi une Union tragiquement déséquilibrée sur le plan fiscal – notamment sur l’imposition des entreprises –, tout en prétendant vouloir lutter contre les montages fiscaux ; dans les faits, nous n’avons aucune envie de nous attaquer à ces mécanismes et nous finançons même des pays qui pratiquent le dumping fiscal à grande échelle. Comment pouvons-nous changer cette situation ?
Alors que les fonctionnaires français font preuve d’un sens du service public exceptionnel, on s’aperçoit que ce sont les États-Unis, le Royaume-Uni et la Belgique qui mettent en place une organisation efficace pour lutter contre la fraude fiscale. Nous pâtissons d’un cloisonnement des services qui rend difficile la lutte contre les réseaux. Dans l’affaire UBS, les plaintes ont été enregistrées le 6 juin 2013 en France alors qu’elles datent de 2008 aux États-Unis ; UBS a pu installer en toute impunité un système de détournement d’argent en France pendant des années. L’exploitation de la liste de HSBC marque un progrès, mais la criminalité organisée a développé une fraude à la TVA, en liaison avec le Pakistan et Israël, qui prive la France de 10 milliards d’euros de recettes fiscales ; or la Belgique, l’Espagne et le Royaume-Uni ont éradiqué de telles malversations. Les services fiscaux souhaitent simplifier la vie des entreprises – ce qui est positif et doit être encouragé –, mais ils nous demandent d’élaborer des dispositifs qui ne favorisent pas la fraude et l’évasion fiscales. Comment la direction générale du Trésor intègre-t-elle les dangers du contournement de l’impôt dans les dispositifs, parfois complexes, qu’elle met en œuvre pour soutenir les entreprises ?
Mme Françoise Imbert. Monsieur le directeur général, nous recevons régulièrement dans nos permanences des représentants des syndicats des finances publiques qui évoquent depuis longtemps le problème de la fraude fiscale et en estiment le montant à 60 ou 80 milliards d’euros ; ils dénoncent le manque de moyens qui les empêche d’accomplir leurs missions et ils souhaitent retrouver une plus grande capacité d’action. Est-ce possible ? Les ressources de cette administration peuvent-elles augmenter ?
Ma circonscription se situe en Haute-Garonne, département limitrophe d’un paradis fiscal – l’Andorre : pourrait-on disposer de moyens accrus dans ce département ?
M. Michel Terrot. On évoque le chiffre approximatif de 300 à 400 ménages qui quitteraient le territoire chaque année pour des raisons fiscales. Il est étonnant de constater que l’on ne dispose pas de données précises sur ce sujet qui irrite nos concitoyens. Ne pourrait-on pas élaborer un instrument de mesure fiable, public et actualisé chaque année ?
M. Jacques Myard. Monsieur le directeur, ce que vous dites est bel et bon, mais la transposition de vos propos dans les faits s’avère des plus lacunaires. Jersey et Gibraltar appartiennent-ils à l’Union européenne ? Le Delaware fait-il partie des États-Unis ?
Une loi de 1980 avait permis d’opérer un transfert automatique de données au profit des États-Unis ; dans le même temps, un code de conduite à l’OCDE avait été élaboré parce que les Américains utilisaient les informations sur les comptes bancaires pour lancer des procès anti-trusts aux États-Unis. Quelles sont donc les garanties dont nous disposons en matière d’échange automatique d’informations ?
L’une des dispositions de la future directive sur le blanchiment d’argent portera sur le paiement des joueurs : aujourd’hui, on peut payer en liquide les gagnants jusqu’à 5 000 euros ; ce seuil sera abaissé à 3 000, puis à 1 000 euros. Le paiement par chèque n’est pas recyclé dans les jeux, ce qui crée un manque à gagner pour les recettes fiscales. Nous devons lutter contre le blanchiment, mais d’autres moyens existent.
M. Pierre Lellouche. Nous pouvons tous nous féliciter du mouvement que vous décrivez, monsieur le directeur, mais il bute sur l’inexistence de sanctions et sur l’attitude des grands émergents. Je ne perçois pas de monde vertueux si seuls l’UE et les États-Unis le sont.
Deux plaques tournantes du blanchiment sont membres de l’Union européenne : le Luxembourg et Chypre. Avant d’entrer au Gouvernement, M. Montebourg dénonçait les pratiques du Luxembourg et je regrette qu’il ait cessé de le faire ; nous sommes venus au secours de Chypre après la panique bancaire qu’elle a connue, cette crise monétaire résultant de la nature spéculative des dépôts placés à Chypre, qui proviennent notamment de grands pays d’Europe de l’Est. Tant que l’Union européenne n’aura pas combattu les pratiques douteuses développées par certains de ses membres, les avancées dans la lutte contre le blanchiment resteront illusoires.
On découvre au Sahel et au Mali que beaucoup d’argent provient de fondations islamiques installées dans des pays du Golfe. Les États affirment toujours que ce sont des entités privées qui financent la construction de mosquées et de madrasas à l’étranger, et qui soutiennent également des mouvements militaires que nous combattons. Le G8 a-t-il évalué les montants en jeu et place-t-il les pays concernés devant leurs responsabilités ? M. Gordon Brown a suggéré que cet argent soit placé dans un fonds qui financerait des investissements dans les pays du Sahel et en Afrique du Nord, où les besoins sont colossaux. Il s’agit de l’une des questions centrales des années à venir pour la sécurité internationale.
M. Philip Cordery. Il faut changer notre législation, car l’évasion et l’optimisation fiscales s’opèrent souvent dans le cadre de la loi.
Disposez-vous d’une estimation du montant de recettes fiscales que générerait l’échange automatique d’informations ? Où en est-on de l’harmonisation de l’assiette et du taux de l’impôt sur les sociétés ? Ne devrait-on pas tenter d’élaborer, au sein de l’Union européenne, un mécanisme permettant d’imposer la richesse là où elle est créée, plutôt que là où elle est déclarée ? Une telle évolution nous dispenserait notamment d’exit tax.
M. Jean-Claude Guibal. Les élus locaux qui reçoivent des informations sur des risques de blanchiment éprouvent bien des difficultés à joindre un interlocuteur de l’État qui ne soit pas la DGFiP ; or les procédures fiscales sont longues et débouchent rarement sur une action pénale. Cette situation fait perdre d’importantes opportunités de contrôle. Certaines entreprises mafieuses sont connues de l’État mais pas des collectivités locales, alors qu’elles se portent candidates à l’attribution de marchés publics et sont parfois retenues.
M. André Schneider. Monsieur le directeur général, pensez-vous disposer des moyens suffisants pour récupérer les 70 à 75 milliards d’euros de recettes fiscales qui échappent chaque année au fisc français ?
Mme Marie-Louise Fort. L’économie parallèle est importante en France et, si l’on réussissait à taxer certaines filières internationales, la situation budgétaire serait meilleure. Quelles actions sont envisagées dans ce domaine ?
M. Meyer Habib. Quelles positions défend la Chine – dont je n’ai pas encore entendu parler – sur ces sujets ?
Ne faudrait-il pas harmoniser l’imposition en Europe ?
Le Président de la République a affirmé, lors d’une réunion du conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), que tous les fonds provenant du Qatar seraient contrôlés par un organisme chargé ensuite de distribuer ces capitaux, mais pourquoi les plus-values immobilières réalisées en France par cet État ne sont-elles pas imposées ?
M. Ramon Fernandez. C’est la DGFiP – avec la direction de la législation fiscale (DLF) – qui est le chef de file en matière fiscale. La DG Trésor et la DGFiP collaborent étroitement ensemble – avec M. Bruno Bézard, nous avons installé un groupe de travail conjoint pour suivre les sujets fiscaux ayant une dimension internationale –, la DG Trésor défendant nos objectifs politiques dans les enceintes économiques internationales. Ma direction assiste en effet le ministre de l’économie et des finances au G20, au G8, à l’Ecofin, à l’Eurogroupe et au Conseil de stabilité financière. L’organisation administrative des autres pays est d’ailleurs comparable à la nôtre avec une filière fiscale représentée dans des groupes de travail à l’OCDE, et un Trésor qui négocie les communiqués des sommets internationaux et accompagne le ministre lors des entretiens avec ses homologues.
La Chine, au terme de nombreuses discussions au G20, a accepté la publication de la liste des JNC ; elle a ensuite annoncé qu’elle allait signer – probablement avant le sommet du G20 de Saint-Pétersbourg – la convention multilatérale de l’OCDE en matière fiscale. Chaque pays présidant le G20 peut inviter jusqu’à trois États non membres à participer aux discussions : la Russie a convié la Suisse, si bien que celle-ci a signé le communiqué d’avril sur l’échange automatique d’informations et la transparence des trusts. Notre stratégie est de faire endosser les démarches en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales par les forums où les économies émergentes sont représentées ; elles sont peu présentes à l’OCDE alors que cette organisation élabore les standards fiscaux, mais le Forum mondial a justement été créé pour pallier cette lacune ; il comprend environ 110 membres qui participent à l’évaluation des textes et de leur application.
J’ignore où en est la négociation bilatérale entre les États-Unis et la France sur FATCA, qui est conduite par la DGFIP, mais la France a insisté au cours de cette négociation pour que des informations lui soient également transmises en retour par les Etats-Unis, et donc que l’accord ne soit pas asymétrique. Le principe en la matière repose sur l’échange automatique d’informations dans une relation d’égalité, et nous espérons que le modèle élaboré par l’OCDE sera adopté par l’ensemble des pays du G20 et de l’Union européenne.
La France poursuit l’objectif d’harmoniser la fiscalité au sein de l’Union et a notamment lancé des initiatives bilatérales avec l’Allemagne, mais chaque pays – dont la France – reste soucieux de sa souveraineté fiscale. Comme, en cette matière, les décisions se prennent à l’unanimité, les progrès sont lents, mais les discussions existent. Lorsque l’Union européenne a soutenu l’Irlande, la question de conditionner l’octroi de cette aide à l’augmentation du taux d’IS, fixé à 12,5 %, s’est posée. Cette faible imposition faisant l’objet d’un consensus général en Irlande et le gouvernement nous ayant affirmé qu’il était impossible d’envoyer ce signal aux entreprises après une telle crise et dans le contexte d’un programme d’ajustement très strict, l’Union n’a pas contraint l’Irlande à modifier le taux de son IS. En revanche, elle a exigé que le taux d’IS chypriote – alors établi à 10 % – soit aligné sur celui de l’Irlande lors de la négociation du plan de soutien à Chypre. Le Président de la République et le ministre de l’économie et des finances insistent régulièrement au Conseil européen et à l’Ecofin pour mettre ce sujet à l’ordre du jour. Pour la France, le rapprochement des régimes fiscaux doit faire partie de l’approfondissement et du renforcement de la zone euro, au même titre que l’union bancaire.
Les Britanniques ont engagé des discussions avec les dépendances de la couronne qui bénéficient d’une souveraineté en matière fiscale ; ils ont ainsi récemment signé des conventions avec beaucoup de ces territoires, ce qui était inimaginable il y a seulement quelques mois.
Le régime français des fiducies et des trusts nous permet d’ores et déjà de nous mettre au niveau de transparence recommandé par le G8 et le G20. Nous disposons d’un registre des fiducies, et nos services fiscaux identifient d’ores et déjà les bénéficiaires effectifs résidents fiscaux français des trusts situés à l’étranger ; nous souhaitons que ce mécanisme soit étendu aux autres pays.
Je comprends le scepticisme affiché à l’égard de la transposition dans des actes de l’ensemble des proclamations contenues dans les communiqués des réunions internationales. Depuis quelques années, nous avons néanmoins progressé grâce à l’impact du dispositif d’identification des territoires non coopératifs, car les États n’aiment pas être inscrits sur ces listes. Nous prenons en outre des dispositions fortes en droit interne et dans celui de l’Union européenne : identification des territoires et des lieux d’implantation des acteurs économiques, mise en place de l’échange automatique d’informations et régime FATCA – qui entrera en vigueur en 2015. Ce délai est nécessaire, car il faut mettre en place des instruments dans les administrations fiscales qui permettent d’utiliser ces dispositifs ; ainsi chaque fisc national doit développer un mécanisme avec l’ensemble des établissements financiers pour alimenter une base de données qui pourra être transférée aux administrations des pays partenaires. Ces systèmes d’information sont très lourds à déployer et ne fonctionneront qu’à partir de 2015.
D’ici là, certains pays ont décidé d’avancer : ainsi, l’initiative lancée par six États européens à Dublin en avril est désormais soutenue par dix-sept pays. Ceux-ci ont décidé d’instaurer un système pilote d’échange automatique d’informations entre eux, sans attendre l’aboutissement de la négociation sur l’application d’un régime similaire à l’échelle de toute l’Union européenne. Par ailleurs, une fois les accords bilatéraux FATCA signés avec les Etats-Unis, il ne pourra pas y avoir de blocage, même dans le cas où l’un des États membres refuserait d’amender la directive Épargne ; en effet, la directive sur la coopération administrative dans le domaine fiscal contient une clause de la nation la plus favorisée et tous les pays de l’Union européenne engagés dans un accord FATCA devront appliquer le même niveau de coopération aux autres États membres.
Le sujet est d’une grande complexité et touche à la souveraineté des États, ce qui explique les lenteurs. On enregistre néanmoins des progrès reposant sur des instruments juridiques, et pas seulement sur des communiqués. Le mouvement engagé me paraît irréversible en raison de la pression collective et de la nécessité d’alimenter les recettes publiques.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous vous remercions, monsieur le directeur général, pour vos propos passionnants et très précis.
Je trouve très encourageant que la coordination entre les administrations françaises s’améliore.
La commission des affaires étrangères a examiné le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 9 octobre 2013.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mes chers collègues,
Nous examinons ce matin le rapport d’information de MM. Alain Bocquet et Nicolas Dupont Aignan sur la lutte contre les paradis fiscaux.
Ce sujet revient régulièrement à l’ordre du jour de notre commission, notamment à l’occasion de l’examen des conventions relatives à l’échange de renseignements entre administrations fiscales.
Nous avons également auditionné sur ce sujet le directeur du Trésor, M. Ramon Fernandez, le 3 juillet dernier, quelques jours après une réunion du G8 où cours de laquelle des mesures en faveur de la transparence des trusts avaient été annoncées.
Votre rapport d’information s’ajoute à de nombreux autres qui ont été publiés sur ce sujet au cours des dernières années, mais il n’est pas redondant car les choses évoluent. Une loi sur la lutte contre la fraude fiscale va être adoptée définitivement dans les prochains jours et les initiatives nouvelles se sont multipliées au niveau international et européen.
M. Alain Bocquet, co-rapporteur. Nous avons, au cours des neuf mois de travaux qui s’achèvent, rencontré et entendu quelque 120 personnes, dont certaines deux fois, permettant de couvrir l’ensemble du sujet : représentants d’ONG, journalistes, lanceurs d’alerte, juristes, avocats, juges, responsables de structures permettant l’évasion fiscale, procureurs, représentants des administrations, parlementaires étrangers. Nous nous sommes rendus à Londres, à la City, au cœur de l’argent, où nous avons rencontré les autorités britanniques, nous sommes allés à Bruxelles, pour rencontrer les services du Gouvernement belge, et aussi des représentants de l’Union européenne, ainsi qu’en Suisse. Nous voulions également faire un déplacement au Luxembourg, mais il nous a été fait savoir que ce pays n’était pas un paradis fiscal et qu’on n’envisageait pas de nous recevoir.
L’intitulé du rapport est très clair « lutte contre les paradis fiscaux : si l’on passait des paroles aux actes ». Nous avons formulé quarante-cinq propositions, qui, pour certaines, pourraient être mises en œuvre rapidement.
La question est à l’ordre du jour depuis un certain nombre d’années. Elle a fait l’objet d’un certain nombre de rapports parlementaires, dont ceux de M. Peillon et de M. Montebourg, de Mme Guigou et de M. Garrigue et de M. Brard. La commission des finances a aussi étudié le sujet. Celui-ci est revenu à l’ordre du jour tant en raison de la malheureuse « affaire Cahuzac », qu’avec la mise en œuvre de la loi américaine FATCA sur la transmission automatique des informations bancaires.
Certes les G8, les G20, les sommets européens ont pris la mesure de ce fléau, après la crise financière. Mais, nous considérons qu’il convient de porter les moyens à la hauteur de l’enjeu. On est encore loin de ce qu’il faudrait faire, alors qu’il s’agit d’une véritable guerre.
Les « paradis » fiscaux cachent en fait un véritable « enfer » : la fraude fiscale, l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent. Ils détruisent les conditions d’une saine concurrence entre les entreprises, font le lit du « dumping social », bafouent l’égalité devant l’impôt et vident les caisses des Etats. Nous en savons quelque chose.
Les chiffres sont édifiants : 6 000 milliards de placement des ménages à l’échelle mondiale ; 600 milliards d’euros d’avoirs français, dont plus de 200, soit 10% du PIB, détenus par les Français les plus riches et 360 milliards au titre des entreprises. La fraude fiscale totale entraîne un perte de 60 à 80 milliards d’euros pour le budget, à comparer au produit de l’impôt sur les sociétés prévu en 2013, de 53 milliards.
Les 400 plus grands groupes européens disposent de 4 458 filiales dans les paradis fiscaux, surtout les banques et les groupes d’assurance.
Il s’agit d’une véritable industrie mondialisée, qui facilite la fraude et l’évasion, et, face à cela, les conventions bilatérales, qui ont certes leur utilité, apparaissent insuffisantes eu égard aux enjeux.
La mondialisation de l’économie financière, doublée de l’amélioration des technologies de l’information, a décuplé le phénomène. C’est devenu un jeu d’enfant, accessible à tout le monde, que d’ouvrir instantanément un compte dans un paradis fiscal avec un smartphone. Par exemple, sur le site Internet d’une société dont le siège est à Genève, quelques « clics » donnent accès aux rubriques suivantes : tarifs, juridictions, inscription. Il est mentionné que la société se plie entièrement aux lois en vigueur dans les juridictions où elle offre ses services. On trouve 15 paradis fiscaux, dont les Seychelles où il n’y a ni impôt ni obligation comptable, 1 euro de capital à verser et un à cinq jours de délai d’ouverture de compte. Les frais sont de 790 euros et ensuite les frais annuels de 690 euros. Il y a aussi le Delaware, aux Etats-Unis, qui n’est pas mal placé. Je pourrais encore citer l’île Maurice et d’autres pays.
On atteint des aberrations : Jersey exportateur mondial de bananes ; la Suisse premier négociateur de matières premières, dont le pétrole ; le Luxembourg premier investisseur d’Europe hors Union européenne et première destination des investissements en Europe.
Evidemment, notre pays tout seul ne viendra pas à bout des paradis fiscaux, ni des secrets bancaires, ni des structures écrans qui les nourrissent. La coopération internationale est d’ailleurs l’un des défis pointés par notre rapport.
Au niveau européen, si des mesures ne sont pas prises, il y a à terme un risque d’implosion et nous considérons qu’il est essentiel que la France et l’Allemagne prennent la tête d’une action dénuée de complaisance pour aller vers une harmonisation fiscale, et sociale, qui ne pourra qu’être salutaire. Il est inadmissible que lors de la crise irlandaise, que j’appellerai le « scandale irlandais », le plan d’aide de 85 milliards d’euros ait été accordé sans contrepartie : le taux de l’impôt sur les sociétés est resté à son très faible niveau. L’Irlande est de plus un « tunnel » pour l’évasion fiscale, notamment les Bermudes.
A force, la concurrence exacerbée des législations fiscales nationales au sein de l’Union européenne encourage un système fou qui récompense la fraude, voire le crime organisé, et décourage le respect de la loi.
Les grands groupes et les multinationales ont organisé, de manière tout à fait légale, leurs structures de manière sophistiquée, jouant sur les prix de transfert, les prêts intragroupes, les produits hybrides, de manière à localiser les profits là où ils ne sont pas taxés et laisser les déficits et les difficultés dans les pays où l’impôt est le plus élevé. Tout est parfaitement légal, mais la moitié du commerce international se fait en intragroupe. Il faut donc, comme le propose le rapport, opérer une refondation des notions de base de l’impôt sur les sociétés ainsi que lutter contre le business restructuring, qui conduit à l’érosion des bases fiscales et nourrit la délocalisation et le chômage. Celui-ci est de plus en plus courant. Total veut ainsi implanter à Londres sa gestion financière. Les sièges sont plus fréquemment aux Pays-Bas, au Luxembourg, à Genève ou à Londres, y compris pour les entreprises à participation publique.
Il faut donc moderniser le droit fiscal à hauteur de pratiques agressives d’optimisation des entreprises mondialisées pour pouvoir résister et faire en sorte qu’il y ait une plus grande justice fiscale.
Les maîtres mots sont donc transparence et maîtrise publique, avec une association du Parlement dans le cadre d’un Observatoire pour qu’il puisse contribuer plus directement à cette lutte impérative contre la fraude et l’optimisation fiscales.
M. Nicolas Dupont-Aignan, co-rapporteur. Nous sommes partis d’un sujet relevant de la commission des affaires étrangères, celui des paradis fiscaux, et en tirant les fils de la pelote, nous avons été conduits à nous intéresser à un champ plus vaste.
En premier lieu, la vision que l’on a traditionnellement de la fraude fiscale ou de l’évasion fiscale ne correspond pas à la réalité d’aujourd’hui. L’image du « sport national » lié à l’allergie fiscale et à des niveaux de prélèvement excessifs n’est plus la bonne. Ces niveaux sont certes excessifs, c’est un fait, mais il ne s’agit plus de cela. Quand des sociétés négocient des accords de ruling pour être imposées à 2%, quand des entreprises françaises à participation publique s’implantent aux Pays-Bas pour bénéficier de conventions fiscales, quand le crime organisé recycle l’argent de la drogue dans l’escroquerie à la TVA, quand il y a une telle rupture d’égalité entre les PME françaises et les grands groupes, il ne s’agit plus d’un « sport national » ou d’un transfert d’argent sur des comptes à l’étranger, avec le « folklore traditionnel», il s’agit d’un pillage organisé, d’une fuite fiscale considérable qui affaiblit durablement nos Etats démocratiques.
Pour les pays émergents, la situation est encore plus douloureuse, puisque le phénomène d’accumulation des bénéfices, qui a permis au XIXème siècle notre développement, ne peut pas se produire. Les capitaux sont immédiatement transférés ailleurs. Je pense à l’Inde et son textile avec l’île Maurice.
Les dizaines de pays et territoires concernés ont mis en place un réseau de fuite fiscale qui rompt la concurrence et détruit un libéralisme organisé.
En deuxième lieu, il faut distinguer et éviter de confondre plusieurs fraudes : d’abord, celle des riches particuliers, qui ont eu l’habitude de ne pas respecter la règle du jeu, et qui représentent un tiers des avoirs ; ensuite, l’optimisation fiscale des entreprises, légale ; enfin l’entrisme du crime organisé, qui recycle l’argent dans les paradis fiscaux et le mêle aux autres capitaux.
En deuxième lieu, il faut relever l’inadaptation des réponses françaises. Ce qui nous a le plus surpris, c’est le retard pris par notre pays par rapport à d’autres : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et même, davantage, la Belgique.
Nos propositions reprennent donc des mesures en vigueur ailleurs. Nous n’avons en France pas la capacité, quels que soient les nombreux rapports parlementaires, remarquables, qui ont été publiés, de comprendre le caractère de cette guerre fiscale véritable et d’imiter ce qui se fait ailleurs.
C’est notamment le cas sur l’absence de stratégie globale. Il y a une stratégie globale au Royaume-Uni, pour récupérer des milliards de livres, que complète d’ailleurs une baisse de l’impôt sur les sociétés. Il y en a aussi une en Belgique. Celle des Etats-Unis est très intéressante, notamment avec la loi FATCA qui vise aussi à éliminer la concurrence suisse et à rapatrier les capitaux dans leurs propres paradis fiscaux. Il y a enfin une stratégie globale en Allemagne où le ministre des finances, M. Schäuble, a indiqué que tant qu’il y aurait le secret bancaire, il achèterait des listes volées à l’étranger. La Cour de Karlsruhe a validé le procédé.
De notre côté en France, nous avons constaté la disproportion des forces : une brigade de la police financière très intéressante, mais qui compte trop peu d’agents ; des services de douanes complètement démunis ; des magistrats complètement débordés etc. J’ajouterai l’absence de réponse pénale. D’après nos informations, il y aurait une personne en prison pour fraude fiscale aggravée. Il y en a des centaines aux Etats-Unis et dans d’autres pays. En résumé, il n’y pas de dissuasion pénale et les négociations interviennent trop tardivement. Le « scandale des scandales » est l’escroquerie à la TVA : on est a priori loin des paradis fiscaux, mais ce n’est pas le cas, car l’argent y part immédiatement. Les chiffres sont largement sous-estimés par le ministère des finances. Quand des services belges ont réussi en quelques années à éradiquer l’escroquerie à la TVA et à augmenter les recettes fiscales, d’un milliard d’euros par an, quand 700 personnes ont été recrutées au Royaume-Uni pour mettre fin aux escroqueries à la TVA et que nous sommes toujours à nous interroger pour savoir comment nous allons investir dans un dispositif d’exploitation de fichier, alors que la fraude représente 10 milliards minimum par an, on peut s’interroger sur l’inertie de notre administration, sur l’absence de réponse politique, quels que soient les Gouvernements, comme si, en vérité, nous en étions restés, dans notre réponse nationale, à la fraude ancienne, c'est-à-dire une négociation fiscale et comme nous n’avions pas pris la mesure de l’investissement du crime organisé dans la financiarisation de l’économie. Il ne s’agit pas de faire des miracles, mais au moins pourrait-on prendre certaines dispositions. La loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière prévoit plusieurs mesures favorables, mais à mon sens, elle pourrait encore faire mieux.
Nous avons fait des propositions sur ces points, notamment le lien entre les marchés publics, les paradis fiscaux et la concurrence déloyale. Aujourd’hui, pour obtenir des marchés publics, une entreprise est de fait obligée, soit de faire de l’optimisation fiscale, j’allais dire légale, soit de mettre en place des structures à la limite de la criminalité. Il faut écouter le Service national de la douane judiciaire, il faut écouter les magistrats du pôle financier, il faut voir comment cette gangrène a pénétré notre système financier pour réaliser le retard qu’a pris notre pays.
Au niveau international, en troisième lieu, on observe quand même quelques motifs d’espérance. Le premier, fondamental, c’est la loi FATCA. Il a fallu que les Etats-Unis votent cette loi de rapport de force, extraterritoriale - en fait, la Suisse a été menacée d’une interdiction de ses banques – pour débloquer la situation notamment dans l’Union Européenne où l’on espère pour 2015 la transmission automatique des informations par les banques. Au-delà, il faut cependant pouvoir traiter les données. Quand l’administration fiscale française sera submergée de centaines de milliers d’informations, il faudra être capable de les exploiter.
Un deuxième point cependant n’est pas réglé au niveau international celui des trusts, notamment : Les Etats-Unis sont très déterminés pour agir sur les comptes bancaires, car c’est un moyen d’éradiquer la concurrence suisse, européenne, mais bien évidemment, ils ne veulent pas s’attaquer de la même manière aux trusts, qui permettent de dissimuler des sommes considérables dans des dispositifs de type poupée russe empêchant de connaître les bénéficiaires effectifs des capitaux.
Pour conclure, tous les pays qui réussissent dans la lutte contre la grande fraude fiscale ont associé la population à ce combat. Il faut voir au Royaume-Uni et aux Etats-Unis les photos des fraudeurs fiscaux, publiées sur Internet, il faut voir le boycott des entreprises qui fraudent le fisc comme Starbucks. Il y a un aspect culturel. Tant qu’en France, on considérera la fraude comme un « sport » légitime, on ne pourra rien faire. Il me paraît donc important que l’Etat montre l’exemple, ce qui exige de nettoyer au plus vite les écuries, mais au-delà, aussi, peut-être, faut-il, négocier un pacte de modération fiscale, affectant les sommes provenant de la lutte contre la fraude fiscale à des baisses d’impôt plutôt que de nourrir la dépense publique.
Nous avons aussi fait une proposition un peu différente dans le rapport, la proposition n° 18, qui me paraît fondamentale. Elle vise à ce que les fonds qui seront rapatriés, notamment de Suisse, sous la menace de l’échange automatique d’informations, puissent être utilisés dans le cadre d’un emprunt d’Etat, pour en faire bénéficier, notamment, la transition énergétique. Ce sont des dizaines de milliards d’euros qui peuvent revenir si l’Etat joue intelligemment la carte d’un traitement différencié, et en aucun cas une amnistie – nous y sommes hostiles –, de ces fonds, qui s’investiraient à long terme pour le bien-être de notre pays. Ils risquent sinon de repartir vers des destinations plus secrètes dans des trusts au Delaware, aux îles Caïman ou ailleurs. Il y a là une occasion historique avec l’application de loi FATCA et le changement de mentalité - du moins en Europe et peut être en Suisse-, à faire revenir des capitaux qui peuvent être utiles à notre pays.
Mme la Présidente Élisabeth Guigou. Je souhaite, avant de passer la parole aux autres commissaires, souligner la qualité du travail que vous avez effectué mais faire savoir également que je ne partage pas toutes les propositions du rapport d’information.
D’abord, ce rapport traite un problème essentiel et contre lequel il est encore nécessaire d’agir avec beaucoup de résolution : les paradis fiscaux. C’est un sujet sur lequel j’ai travaillé notamment comme parlementaire, sous la précédente législature, en 2009, dans le cadre de la commission des affaires européennes, avec Daniel Garrigue. Il y a eu d’autres travaux parlementaires sur cette question depuis une quinzaine d’années.
Sur le constat général, nous sommes tous d’accord. Les paradis fiscaux et autres centres offshore sont des pays et territoires qui captent une large part de la finance mondiale et des capitaux sans que l’ensemble du reste du Monde en tire un quelconque avantage. Ce sont des trous noirs qui abritent des sommes que l’on ne connaît pas vraiment, mais dont l’ordre de grandeur est estimé de 10.000 à 20.000 milliards de dollars. Ces montants sont d’autant plus inacceptables que nous sommes en situation de crise et que nous demandons beaucoup d’efforts aux citoyens. Ces territoires sont le refuge de ceux qui veulent fuir la régulation – la plus dangereuse –, comme de la fraude fiscale et de l’évasion fiscale. Ils sont aussi les points de passage qui permettent aux entreprises multinationales, notamment celles de l’Internet, de diminuer leur impôt. Ils servent aussi - et c’est encore plus grave à mes yeux, à organiser le blanchiment de capitaux douteux et criminels. Ils ne profitent qu’à quelques-uns dans des conditions qui ne sont pas acceptables : ceux qui s’y abritent ; ceux qui organisent les circuits et montages. Au moment où nos Etats ont besoin de se rétablir financièrement, c’est non seulement inadmissible sur le plan moral, mais c’est aussi vital.
Nous serons aussi, j’en suis sûre, d’accord pour convenir que les mesures décisives en la matière pour régler le problème sont les suivantes.
Pour les particuliers, on avance dans la voie de l’échange d’informations et il convient de dépasser les limites de l’échange sur demande au cas par cas actuellement en vigueur. Le G20 et le G8 en ont décidé ainsi cette année. FATCA est un progrès en la matière. Nous sommes aussi d’accord sur le fait qu’il va falloir suivre avec attention la mise en œuvre de ces accords FATCA de même que les différents travaux menés au niveau du G20, du G8 comme de l’Union européenne pour que cet échange automatique de données soit effectivement appliquée aux échéances annoncées de 2015/2016. Dans une étape ultérieure, il faudra également que les revenus non financiers soient eux aussi concernés par les échanges entre administrations fiscales.
Je crois essentiel que ces dispositifs soient complétés par la transparence effective des structures écran, au premier rang desquels les trusts, fiducies, Anstalt et sociétés offshore, qui ne servent qu’à organiser l’opacité de la propriété effective. Cette transparence ne peut être assurée que par un registre centralisé des personnes physiques qui sont leurs bénéficiaires réels, dans chaque pays ou territoire. Il faut aussi c’est vrai une évaluation rigoureuse du niveau de coopération effective des Etats, comme le fait le Forum mondial pour l’échange de données fiscales sur demande et comme doit le faire le GAFI en manière de lutte contre le blanchiment. Dans l’idéal, il faudrait obtenir la reconnaissance du fichier centralisé des comptes bancaires type FICOBA comme norme internationale applicable à tous les pays et territoires.
Pour les entreprises, c’est plus difficile, parce qu’il faudrait harmoniser les souverainetés fiscales pour éviter les dispositifs hybrides qui permettent le cumul des non impositions dans la circulation internationale des bénéfices - mais c’est un sujet qui commence à être posé - et concevoir un impôt sur les sociétés adapté au numérique.
Il y a aussi dans le rapport des idées nouvelles comme un contrôle du politique sur les instances comptables internationales, car la comptabilité n’est pas qu’une question technique, et la prise en compte de la coopération fiscale dans les négociations commerciales internationales de l’Union européenne.
Les rapporteurs ont raison d’insister sur ces points. Ce sont des éléments clef car il nous faut aller traquer les recoins dans lesquels il sera encore possible de faire des transactions illicites ou d’échapper à l’impôt.
Il convient plus que jamais que le Parlement français réaffirme son attachement à ces objectifs et mesures. Le contexte international est favorable à ces réformes. Si elles étaient pleinement réalisées, la question des paradis fiscaux serait enfin réglée.
Je tiens néanmoins à dire que je ne partage pas le point de vue des rapporteurs, d’abord lorsqu’ils laissent libre cours à leur scepticisme quant à l’action internationale et européenne.
D’abord, ce point de vue conduit à minorer l’importance des avancées intervenues depuis plus de 20 ans, qui ne sont pas toujours connues. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas encore au point d’arrivée souhaité qu’il faut méconnaître le rôle des étapes qui ont été franchies. Les initiatives ont été nombreuses depuis le Sommet de l’Arche, dans la lutte contre le blanchiment, contre la fraude et l’évasion fiscales internationales et pour la régulation financière. La relance des initiatives à partir de 2009, après une pause que comme vous, je déplore, au cœur des années 2000, a fait évoluer les choses : le secret bancaire n’est plus absolu.
Sur le plan européen aussi, la coopération judiciaire a avancé. Certes, la directive épargne de 2003 a des limites, mais elle a donné un point d’entrée dans un domaine sur lequel on n’avait auparavant pas de prise.
Le titre du rapport « si l’on passait des paroles aux actes » n’est donc pas exact : il y a déjà eu des actes. Disons que c’est un titre d’appel pour inciter à la lecture.
Ensuite, le rapport fait état de quelques réserves sur FATCA. Pourtant, FATCA est l’élément essentiel qui a permis de tout débloquer : les États-Unis ne sont pas un frein au G 20, sur ce sujet, mais au contraire, ils sont, de même que la France et l’Allemagne, un moteur.
Enfin, à propos de l’Union européenne, nous déplorons tous qu’elle n’aille pas suffisamment loin en matière d’harmonisation juridique et fiscale. L’idée d’un plancher, d’un niveau minimum pour l’impôt sur les sociétés, est déjà largement partagée dans cette commission et il faudrait y parvenir.
Mais je ne peux pas suivre le rapport sur la méthode proposée pour parvenir à une telle harmonisation. Nos rapporteurs proposent en effet, à l’encontre des pays qui refuseraient l’harmonisation, de taxer aux frontières leurs produits et leurs prestations de services (pages 142 et 143). Le rapport propose une « crise purificatrice » en mettant hors-jeu l’instrument et les modalités du dialogue et de la négociation entre les pays européens. Je doute que l’on puisse organiser une coopération en détruisant les seuls outils existants et je ne suis pas d’avis que ce soit très efficace.
Cette même divergence de conception sur l’Europe me conduit également à regretter que le rapport ne mentionne pas la proposition de directive sur la décision d’enquête européenne, car celle-ci simplifierait considérablement la collecte dans tout Etat membre autre que celui des poursuites, et complèterait utilement l’Espace de Liberté, de sécurité et de Justice.
J’ai aussi quelques observations sur vos nombreuses propositions concernant le niveau national.
Il faut d’abord être très attentif à ne pas empiéter sur les compétences de la commission des finances et de la commission des lois. Certaines propositions appellent donc discussion, réflexions et approfondissement avec nos collègues des commissions concernées.
Sur le fond, je regrette que les avancées récentes ne soient pas suffisamment rappelées, même si vous en avez fait mention dans vos interventions. Là encore, des actes et non seulement des paroles sont intervenus.
Par ailleurs, certains sujets ne relèvent clairement pas du cadre initial du rapport et débordent notre compétence. Tel est le cas de la mise à l’étude d’une mobilité interrégionale des magistrats, de l’élargissement des possibilités de recours aux fichiers, ou encore de la création d’une sanction en cas de manquement à l’article 40 du code de procédure pénale.
Sur ce dernier point, pourquoi est-il vraiment indispensable d’assortir d’une sanction, pouvant aller dans certains cas jusqu’à la révocation, si j’ai bien compris le texte page 172, cette obligation qu’ont les fonctionnaires de transmettre au procureur de la République les éléments d’un délit ou d’un crime? Comme le relève le rapport en plusieurs passages, les fonctionnaires français sont honnêtes et de qualité, engagés dans leur travail. Il serait beaucoup moins déstabilisant pour eux de prévoir une circulaire du garde des Sceaux rappelant les modalités de cette procédure. D’ailleurs, le rapport observe que la Chancellerie et les Finances ont déjà fait cette démarche. On peut tout à fait la rendre plus visible et plus générale.
Par ailleurs, les modalités d’organisation interne de l’administration du contrôle fiscal sont en pleine évolution. Je vous invite à lire à cet égard le supplément des Échos du week-end dernier qui comprend un dossier sur ce sujet. Il est dit notamment que la DVNI a récupéré l’an passé 4,6 milliards d’euros, soit un quasi-doublement en cinq ans. Je le souligne pour nuancer votre appréciation selon laquelle l’État baisserait les bras. Peut-être y a-t-il des améliorations à apporter en suivant l’exemple des états américain, belge, et d’autres qui ont pris conscience que ce champ d’action est majeur pour la réduction des déficits et des dettes publiques. Mais des choses sont faites.
Voilà les remarques que je voulais faire à propos de ce rapport. Nous avons des divergences, mais leur expression n’enlève rien à l’appréciation positive que je porte sur la qualité de votre travail. Vous avez mené une véritable enquête et auditionné de nombreuses personnes. Le livre que M. Dupont Aignan a publié la semaine dernière et que M. Bocquet a préfacé met en valeur ce travail. L’on peut regretter qu’il ait été publié avant notre réunion, mais, d’un autre côté, on peut espérer aussi que notre commission bénéficiera également de la publicité qui l’entoure.
Avant de passer la parole à nos collègues, je rappellerai qu’il n’appartient pas à la commission d’approuver le rapport, ni les propositions qu’il contient, mais seulement d’autoriser sa publication.
M. Jean-Paul Bacquet. Je suis très admiratif pour le travail qui a été effectué par les rapporteurs dont je mesure l’ampleur. Il est tout à fait remarquable et met parfaitement en lumière la fraude institutionnalisée et mondialisée ; j’en suis indigné. Je relève deux de vos expressions : vous parlez de la paralysie congénitale de l’Europe et de la frilosité coupable de la France. Vous soulignez que l’Europe favorise l’importation dans nos pays ce qui est aujourd'hui gravissime dans le contexte actuel et cela doit nous appeler à revoir nos règles en matière de commerce extérieur. Vous soulignez aussi le laxisme, la naïveté peut-être, de la France, qui est dramatique, alors même que la Cour des comptes ne cesse de mettre en garde les pouvoirs publics, qui ne tiennent pas compte de ses avis.
Je suis très solidaire de votre démarche et je propose que chaque année un rapport soit fait au Parlement sur l’évolution de la lutte contre la corruption et le blanchiment afin de dénoncer cette fraude, ce laxisme et cette paralysie. Comme vous l’avez dit, il faut passer de la parole aux actes !
Mme Elisabeth Guigou, présidente. Je suis d’accord avec cette proposition de rapport qu’il faudra soumettre aux présidents des commissions des finances et des lois.
M. Philippe Cochet. Je m’associe aux félicitations qui ont été adressées aux rapporteurs tout en notant les réserves qui ont été émises par la présidente. Je voudrais souligner que l’on a une administration fiscale qui est d’une créativité hors norme, mais que certaines pratiques posent des problèmes de déontologie lorsque des fonctionnaires de grande qualité passent ensuite de l’autre côté pour détricoter ce qu’ils ont eux-mêmes mis en place. Il y a certes une vie après Bercy, mais c’est un véritable sujet. Ma deuxième remarque porte sur le fait que l’on a des entreprises qui partent à la conquête des marchés extérieurs, et l’on sait que pour les remporter, parfois, elles sont contraintes de verser des sous-commissions ; c’est sans doute très condamnable, mais c’est la réalité des pratiques d’aujourd'hui. Il faut en tenir compte. La proposition d’Alain Bocquet est intéressante ; peut-être serait-il aussi utile d’indiquer quels marchés sont perdus de ce fait.
Mme Danièle Auroi. Je m’associe à mon tour aux félicitations adressées aux rapporteurs et je ferai deux remarques. J’ai été étonnée de ne pas voir prises en compte les dernières évolutions qui sont intervenues au niveau de l’Europe, qui sont une réalité, car même l’Autriche aujourd'hui a accepté d’être beaucoup plus transparente. On ne peut donc pas dire que rien ne se passe au niveau de l’UE ; si l’harmonisation européenne n’est sans doute pas suffisante, il y a cependant une réelle évolution. En second lieu, vous mentionnez curieusement le Royaume-Uni comme exemple, mais il ne faudrait tout de même pas oublier la City, qui est le plus grand paradis fiscal. Londres est peut-être quelque peu incohérent, à la fois très grand lieu de fraude tout en étant mobilisé sur certains aspects.
Cela étant, je vous soumets deux suggestions. Tout d'abord, on voit aujourd'hui avec les négociations bilatérales entre les Etats-Unis et l’UE à quel point les grandes sociétés jouent sur la question de la dématérialisation ; il serait peut-être utile d’avoir une attention particulière sur ce sujet, qui n’est pas valable pour l’exception culturelle. Ensuite, votre très bonne proposition d’un observatoire parlementaire me semble devoir être soumise au Parlement européen, avec la même idée d’un rapport annuel ; cela en renforcerait l’efficacité.
M. Jacques Myard. C’est un chantier qui doit être ouvert, surtout dans notre commission. Cela dit, attention aux utopies : l’harmonisation fiscale, ce n’est pas pour demain ! cela dit, il serait utile que l’assiette d’un certain nombre d’impôts soit harmonisée.
Aux Etats-Unis, il y a une liberté totale de concurrence fiscale et ça ne nuit pas à l’économie américaine. Ce n’est pas là une piste à explorer.
Vous n’avez pas évoqué que nous sommes dans un monde de libre circulation des capitaux. L’Union européenne garantit la libre circulation interne – sauf dans le cas de Chypre en violation des traités –mais elle garantit aussi la libre circulation vers l’extérieur. Il faudrait pouvoir bloquer dans certains cas.
Vous avez dit qu’en Grande-Bretagne et qu’aux Etats-Unis, on lutte contre la fraude fiscale. Cela est surprenant. Qu’en est-il de Gibraltar et de Jersey ? Montrer en exemple le Royaume-Uni, voire les Etats-Unis avec le Delaware, c’est un peu surprenant.
Vous n’avez pas parlé de Tracfin. Or, ça fonctionne grâce à l’obligation des banques de signaler tout mouvement supérieur à telle masse. Ensuite c’est un problème de justice.
Je suis réservé sur l’affichage des fraudeurs. Il y a des limites à la vindicte populaire !
Vous n’avez pas souligné le fait qu’aujourd’hui on ne peut poursuive en France une fraude à un ordre public étranger. Si quelqu’un, en France, fraude une loi fiscale italienne, il ne peut y être poursuivi. Il faudrait reconnaître au niveau de l’Union européenne qu’on puisse agir, sur le plan judiciaire, dans ce genre de cas. On résoudrait beaucoup de choses.
Mme Pascale Boistard. Je suis membre de la commission d’enquête sur le dossier Goodyear. C’est un exemple éclairant de montage légal où la matière première appartient à une société basée au Luxembourg, qui la fait transférer en France ou ailleurs tout en conservant la propriété sur toute la chaîne jusqu’au retour au Luxembourg pour la commercialisation. On sait où vont les bénéfices ! Des sociétés françaises peuvent faire la même chose d’ailleurs. La taxation aux frontières peut être séduisante intellectuellement mais nous sommes dépassés. Mais nous pouvons réfléchir à l’interdiction de ce type de montages. Ça a des conséquences concrètes. Aujourd’hui, à Amiens, 1.200 emplois sont en péril.
M. Jean-Louis Christ. Comment explique-t-on qu’au sein de l’Europe le Luxembourg échappe à toute tentative de moralisation de la financiarisation de l’économie ? Comment se fait-il qu’on n’ait pas accès aux informations ?
Mme Marie-Louise Fort. Quel est le bilan de toutes les conventions fiscales que nous avons adoptées ces dernières années ? Je pense qu’il faut faire des préconisations mais aussi faire le bilan de ce qui s’est fait. On pourrait ajouter l’économie parallèle qui règne dans notre pays. Tout ça pourrait amener un peu plus de ressources. Enfin, en ce qui concerne le système de « délation bonne conscience », j’ai bien compris l’esprit mais je pense qu’il faut faire attention à ce genre de choses. Il faudrait peut-être, aux niveaux européen et international, essayer de tous aller dans le même sens.
M. Serge Janquin. Voilà un rapport bien renseigné, illustré par des cas concrets qui sont accablants, aussi complet que la dissimulation en vigueur dans ce domaine permet de l’être, et comportant des pistes de travail intéressantes.
Je suis toutefois d’avis, moi aussi, que des correctifs devraient être apportés en ce qui concerne le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
J’éprouve également quelques regrets. Sur un tel sujet, il faut essayer de tout dire. La crise financière aidant, l’ancienne majorité avait pris conscience du problème et s’était engagée. Le Président Sarkozy était allé jusqu’à déclarer que les paradis fiscaux étaient finis. C’était sans doute un effet d’anticipation un peu primesautier, mais il y avait malgré tout l’affirmation d’une volonté. Le Gouvernement actuel poursuit le mouvement en l’amplifiant. De même, l’Union européenne n’est pas indifférente à la question : elle y travaille aussi. Si c’est insuffisant, il faut le dire – et je crois effectivement qu’il faut aller plus loin.
Je suis par ailleurs favorable à ce qu’il y ait davantage de moyens de contrôle, mais cela signifie aussi plus de fonction publique.
M. Jean-Claude Guibal. Comment ne pas être pour le passage des paroles aux actes ?
En matière de blanchiment, toutes les avancées concernent des mécanismes sur lesquels personne n’a véritablement de prise. Mais il faut aussi s’occuper de ce que l’on peut maîtriser. Je pense en particulier aux élus locaux qui sont saisis de demandes de permis ou d’offres moins-disantes dans le cadre de marchés publics et qui ont toutes les raisons de croire qu’il s’agit d’argent sale. TRACFIN existe, mais ce n’est qu’une banque de données.
En matière fiscale, la procédure pénale est interminable et elle n’a aucune vertu pédagogique lorsqu’elle aboutit. Ceux qui sont confrontés à une sanction, quand elle arrive, ont eu le temps de trouver des solutions de rechange pour « sauver » ce qui pouvait l’être.
Il me semble que le rapport pourrait rappeler les possibilités d’action qui existent au plan français. Même si elles ne prennent pas nécessairement une grande ampleur, elles peuvent présenter une réelle efficacité.
Un mot sur l’article 40 du Code de procédure pénale, qui n’est guère applicable. Un procureur, M. Eric de Montgolfier, m’a un jour demandé d’y recourir alors que je lui demandais un feu vert pour délivrer un permis de construire – nous étions à la limite de la légalité, m’a-t-il dit, et il n’avait pas les moyens de mener des investigations. Je n’utilise jamais cet article, pour ma part, car je ne sais pas qui est en face de moi. Politiquement, je ne veux pas courir le risque de dénoncer un innocent et de laisser passer quelqu’un qui ne l’est pas.
M. François Loncle. Merci pour ce rapport passionnant.
Les conventions fiscales nous parviennent régulièrement, mais nous ne pouvons pas en modifier une virgule. Or, depuis des décennies, celles signées avec la Suisse sont systématiquement favorables à ce pays qui, refusant les contraintes de l’Union européenne, ne veut en tirer que les avantages – pour ne pas dire plus. A titre personnel, je me suis juré de ne plus jamais voter une seule convention fiscale entre la France et la Suisse, mais cela n’engage bien sûr que moi.
J’étais membre de la mission d’information dont le président était Vincent Peillon et le rapporteur Arnaud Montebourg. Son travail considérable avait conduit à des conclusions aussi évidentes que les vôtres, avec de surcroît des volumes entiers consacrés aux pays recourant aux pratiques que vous dénoncez. Rétrospectivement, on peut se demander à quoi l’on sert, mais il ne faut pas baisser les bras. Il faut un contrôle systématique de ce que vous proposez et de ce que font – ou non – les Etats concernés.
M. Alain Bocquet. J’ai appris d’un théoricien que je respecte, Engels, que la « patience est une vertu révolutionnaire ».
La question n’est pas de savoir si l’on a agi ou non à tel ou tel niveau. Il faut être clair : nous n’avons pas une connaissance exacte du niveau de la criminalité financière en France, en Europe, comme dans le monde. Même si l’on avance grâce à la levée du secret bancaire ou à l’échange d’informations, les banques et les structures d’aide à l’optimisation fiscale sont engagées dans une course de vitesse. Ces acteurs ne veulent pas quitter le marché et ils ont toujours plusieurs temps d’avance.
Ce que nous avons voulu mettre en évidence, c’est l’urgence de mettre la barre un peu plus haut en matière de riposte et de résistance. Il y a aussi un bal d’hypocrites. L’Autriche s’abrite ainsi derrière le Luxembourg…
Je fais mienne aussi la remarque sur le pantouflage. Ceux qui ont mis au point les systèmes sont les mieux placés pour les détourner. Il y aurait donc des règles à mettre en place. Sinon c’est trop facile !
Nicolas Dupont-Aignan. Les réserves exprimées par notre Présidente me semblent en définitive mineures, car elles portent sur le passé. Nous ne mésestimons pas ce qui a été fait. Nous constatons un retard. Les organisateurs de la fraude et l’évasion fiscales vont toujours plus vite que l’Etat.
Sur les égards dont il faut faire preuve vis-à-vis des autres commissions, je rejoins tout à fait la remarque. Nous nous sommes posés à un moment, la question de savoir de savoir où nous nous arrêtions. Nous avons voulu montrer que l’on peut aussi agir sur le plan national sans nécessairement aller chercher des solutions, impossibles, au niveau international.
Nous sommes en désaccord sur la méthode, s’agissant de l’Europe. On dit que l’Union européenne est un espace d’harmonisation. Non, ce n’est pas le cas. Nous avons intégré dans le rapport des graphiques établis par la société KPMG : on constate très clairement que le taux moyen d’imposition des sociétés a diminué dans l’Union européenne de 10 points en dix ans, passant de 34% en 1999 à 23% en 2009 –il a encore diminué depuis. Pendant ce temps, en Asie, parfois présentée comme un lieu de « débauche libérale », il n’a baissé que de trois points. C’est le logiciel de l’Union européenne tel qu’il est construit qui est un logiciel de moins disant social et fiscal permanent.
Nous ne demandons pas de mettre des taxations aux frontières dans toute l’Union Européenne, mais nous estimons que si à un moment, nous voulons sortir des vœux pieux sur l’harmonisation fiscale et sociale, on ne le fera que par une « crise salvatrice » du type politique de la « chaise vide ». C’est ainsi que l’on a créé la PAC, et que Margaret Thatcher, a récupéré son « chèque » le jour où elle a dit « stop ».
A l’échelle européenne, on peut multiplier les discussions à Vingt-huit, mais rien ne changera. Le logiciel est de favoriser les Etats qui s’affranchissent de toute règle. M. Juncker a dirigé la zone euro alors même qu’il vient d’un Etat que je qualifierai de « limite », « trichant » avec toutes les règles et disant « il y a Monaco », quand Monaco disait « il y a la Suisse ». Nous disons simplement qu’il y a un moment où il va falloir agir pour mettre fin au pillage des grands Etats.
Nous avons d’ailleurs là un formidable terrain d’entente possible avec l’Allemagne, et aussi avec le Royaume-Uni. Ce dernier nous a surpris. Il peut, il est vrai, jouer un double, voire un triple ou quadruple jeu sur la City, Jersey et les autres territoires, mais il faut reconnaître qu’il a une véritable stratégie. Il utilise la City et Jersey pour telle opération, mais, en revanche, il lutte contre l’escroquerie à la TVA pour éviter de se laisser piller. Celle-ci a pu être éradiquée en trois ans. La France, en revanche, donne l’impression de ne pas choisir ses cibles. Elle n’a pas de stratégie globale. Il y a des efforts, mais nous disons, et c’est le fond de notre rapport, qu’à législation et à mentalité constantes, l’on ne changera rien. S’il n’y a pas dans notre pays une « révolution culturelle » sur ce qu’est la grande criminalité financière et les moyens nécessaires, nous passerons notre temps à courir derrière.
Tracfin marche très bien il est vrai, mais quand Tracfin signale et transmet une situation en apparence illégale au fisc ou qu’il transmet au pénal, il n’y a aucune conséquence car il y a un « embouteillage » du côté de Bercy, avec des choix difficiles à faire et une insuffisance de moyens. Il faut aussi poser la question du monopole du ministre pour engager les poursuites en matière fiscale sur avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF). Nous proposons d’ailleurs, tout en ayant conscience de l’audace cette proposition, la suppression de ce dispositif, mais on peut aussi imaginer une solution intermédiaire.
A propos de l’affichage des fraudeurs, je n’ai pas dit qu’il fallait mettre des affiches « Wanted » sur tous les murs de Paris, mais nous constatons que les Anglais et les Américains ont une réelle volonté de traquer la délinquance financière. Il faut prendre en considération les aspects culturels de la lutte contre la grande criminalité financière.
Par ailleurs, il n’y a aucune coordination interministérielle sur les conventions fiscales. Quand on interroge des ambassadeurs, ils nous disent « tout va bien », mais quand on demande aux ONG, elles répondent que c’est une catastrophe. Il faut donc une vraie coordination, beaucoup plus étroite, au sujet des conventions fiscales.
Enfin, concernant les magistrats, j’ai lu le rapport Montebourg et il est quand même aberrant qu’un magistrat puisse rester en place dans la même région toute sa vie. Nous demandons simplement à ce que les magistrats, au moins une fois dans leur carrière, soient amenés à changer de région.
Mme Elisabeth Guigou, présidente. Je voudrais ajouter une ou deux informations. Il est vrai qu’il y a chaque année en annexe au projet de loi de finances des éléments sur la lutte contre la fraude fiscale. Je pense néanmoins que la proposition de Jean-Paul Bacquet selon laquelle il est nécessaire de dissocier la lutte contre la fraude fiscale de la routine budgétaire doit être retenue.
Vous avez bien fait d’insister sur l’escroquerie à la TVA. Simplement, sur la question de savoir, s’il y a ou non en France croisement de fichier comme c’est le cas en Belgique, je me suis entretenue avec M. Christian Eckert, rapporteur général de la Commission des finances, lequel m’a expliqué que tel était déjà le cas. Est-ce qu’ils travaillent comme en Belgique dans la même pièce ? Cela fait partie des choses qu’il faut absolument éclaircir et sur lesquelles j’attirerai son attention lorsque je lui transmettrai le rapport.
Sur la méthode européenne, je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas la politique de la chaise vide qui a créé la PAC puisqu’elle était déjà dans le traité de Rome : cette politique a permis d’aboutir au compromis de Luxembourg. Deuxièmement, Mme Thatcher a peut-être dit non mais quand Kohl et Mitterrand lui ont dit non à leur tour au sommet de Fontainebleau en 1984 elle a accepté qu’on ne lui rende pas tout son argent…
M. Nicolas Dupont Aignan. On lui en a pourtant rendu beaucoup…
Mme Elisabeth Guigou, présidente. Oui mais néanmoins il faut dire qu’à l’époque les crédits de la PAC représentaient 70% du budget européen et que le Royaume Uni en recevait très peu. On ne videra pas cette querelle. Je partage entièrement votre indignation. Je pense qu’on peut faire davantage : il faut mettre en œuvre des stratégies interministérielles et européennes. On peut avoir des différences sur la façon de faire au niveau national ou européen mais fondamentalement, il faut sonner l’alarme et je pense que vous l’avez fait.
La commission autorise la publication du rapport d’information.
Les propositions visant à concrétiser les déclarations du G 20 en matière de transparence et de coopération en matière fiscale
1ère proposition : Appliquer et généraliser au niveau international les dispositifs de transfert automatique d’informations de type FATCA
2ème proposition : Etablir une liste unique de paradis fiscaux selon trois critères (fiscal, lutte contre le blanchiment, prudentiel), à la place des trois listes actuelles (OCDE, GAFI et Conseil de stabilité financière), avec notation des Etats et des territoires fiscalement souverains
3ème proposition : Inclure la transparence effective des structures écrans actuelles (sociétés, trusts, fondations, etc.) dans les obligations de transparence grâce à des registres centralisés dans tous les pays
4ème proposition : Inclure dans les normes internationales l’obligation pour les professionnels (administrateurs et protecteurs de trusts, gérants de sociétés offshore etc.) l’obligation de connaître les personnes physiques bénéficiaires effectifs, y compris en cas d’empilement de telles structures écrans
5ème proposition : Promouvoir l’insertion d’un fichier centralisé des comptes bancaires de type FICOBA dans les normes internationales de transparence s’imposant aux Etats et territoires juridiquement et fiscalement autonomes
La refondation des notions de base de l’impôt sur les sociétés
6ème proposition : Etablir une nouvelle notion de l’établissement stable adaptée à l’ère numérique, fondée sur l’origine de la création de valeur et le rôle de la clientèle
7ème proposition : Eliminer de manière coordonnée les dispositifs hybrides
8ème proposition : Organiser un contrôle international des Etats sur le Bureau international des normes comptables
La coopération et la transparence fiscales entre Etats membres comme vis-à-vis des pays tiers
9ème proposition : Assurer à partir de 2015 le passage à l’échange automatique d’informations fiscales pour tous les Etats membres, y compris le Luxembourg et l’Autriche
10ème proposition : Utiliser les négociations commerciales internationales de l’Union européenne comme levier pour obtenir la transparence et la coopération fiscales entre les Etats membres et les pays tiers
11ème proposition : Etablir une liste européenne commune des paradis fiscaux pour affirmer la communauté de vue des Etats membres sur la question
La lutte contre l’optimisation fiscale des sociétés
12ème proposition : Assurer un niveau minimum d’impôt sur les sociétés au niveau européen
13ème proposition : Rendre obligatoire pour toutes les entreprises d’une certaine taille la transparence de leurs activités et de leurs bénéfices pays par pays
14ème proposition : Compléter l’arsenal pénal européen en adoptant rapidement la 4ème directive anti-blanchiment
Une stratégie nationale de lutte contre la fraude associant l’Exécutif, le Parlement et la population
15ème proposition : Un comité interministériel de lutte contre la fraude, auprès du Premier ministre, pour un pilotage au plus haut niveau
16ème proposition : Améliorer les statistiques publiques transmises au Parlement sur le contrôle fiscal, en détaillant notamment les résultats de la lutte contre la fraude internationale
17ème proposition : Créer un Observatoire parlementaire de lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, pour un lien plus étroit avec les administrations concernées
18ème proposition : Placer les sommes rapatriées des paradis fiscaux dans un emprunt obligatoire, finançant la transition énergétique et l’équipement du territoire
19ème proposition : Allonger à 20 ans, pour le futur, le délai de prescription des avoirs et sommes détenus illégalement à l’étranger, sans aller à l’imprescriptibilité prévue par l’Espagne pour les avoirs non régularisés
Des méthodes et procédures renouvelées
20ème proposition : Réviser la liste des paradis fiscaux en fonction de l’application effective des conventions d’échange d’informations à caractère fiscal
21ème proposition : Développer les initiatives concrètes mettant cause les paradis fiscaux, telles que l’interdiction des transferts de fonds vers certains pays décidée par l’Agence française de développement
Développer une approche renouvelée, stratégique et décloisonnée et fondée sur l’information et le renseignement de la lutte contre la fraude fiscale internationale
22ème proposition : Faire systématiquement une analyse du risque de fraude pour les nouvelles mesures législatives et règlementaires
23ème proposition : Mieux informer l’administration fiscale sur les montages fiscaux en prévoyant, pour les formules qui ne lui auraient pas été préalablement déclarées, la solidarité du contribuable et de son conseil, ou de l’intermédiaire, pour le paiement des redressements fiscaux correspondants
24ème proposition : Donner aux administrations financières de contrôle et à la justice financière les moyens qui leur sont nécessaires en les exonérant des règles de réduction ou de maîtrise des effectifs et des budgets publics
25ème proposition : Elargir au maximum les facultés d’usage des fichiers administratifs par les services de contrôle fiscaux et douaniers et les services de recherche chargés de la délinquance fiscale, douanière et financière
26ème proposition : Supprimer la commission des infractions fiscales et le monopole du ministre en matière de poursuite pénale pour fraude fiscale
27ème proposition : Mettre à l’étude une mobilité interrégionale des magistrats au moins une fois dans leur carrière
28ème proposition : Admettre l’utilisation par l’administration fiscale et la justice financière de toutes les preuves d’origine illicite, notamment celles recueillies à l’étranger
29ème proposition : Rétablir la rémunération des aviseurs fiscaux
30ème proposition : Compléter pour les fonctionnaires et agents publics le statut de lanceur d’alerte en sanctionnant tout manquement à l’obligation prévue à l’article 40 du code de procédure pénale, les obligeants à transmettre au Procureur de la République les infractions délictuelles ou criminelles dont ils pourraient avoir connaissance
Eradiquer les carrousels de TVA en s’inspirant notamment des exemples belge et anglais
31ème proposition : Appliquer les nouvelles règles européennes permettant de passer à l’auto-liquidation pour les secteurs structurellement à risque comme pour les secteurs à risque de fraude imminent
32ème proposition : Mettre en œuvre le projet en cours d’analyse de risque fondé sur l’extraction de données (datamining) et le rapprochement de données (datamatching), comme en Belgique, pour réduire le préjudice du Trésor et déboucher le plus en amont possible sur la voie pénale
33ème proposition : Inclure les greffes des tribunaux de commerce dans le champ des déclarations de soupçon et rendre obligatoire le dépôt de CV par les créateurs, repreneurs et gérants de sociétés
34ème proposition : Imposer des déclarations mensuelles de TVA pour les sociétés nouvelles des secteurs sensibles et celles changeant d’activité
35ème proposition : Donner aux sociétés de domiciliation un statut offrant davantage de garanties contre le recours abusif à leurs services, par la transmission régulière de la liste de leurs clients à l’administration fiscale
36ème proposition : Développer la communication en temps réel vers les entreprises à risque de fraude, comme au Royaume-Uni
37ème proposition : Développer une approche similaire pour les abus du régime douanier dit 42 de transport intracommunautaire de biens en suspension de TVA entre Etats membres
Aligner sur le plus haut niveau des règles de contrôle fiscal pour les particuliers ayant des comptes non déclarés à l’étranger
38ème proposition : Mieux appliquer et renégocier, le cas échéant, les conventions fiscales dans un sens plus respectueux des règles fiscales françaises, suivant l’exemple des conventions franco-suisses
39ème proposition : Etablir un droit de communication auprès des établissements payeurs, pour identifier les utilisateurs réguliers en France de cartes de crédit étrangères
40ème proposition : Rendre obligatoire la déclaration des comptes professionnels auxquels ont accès à l’étranger les résidents fiscaux français
41ème proposition : Etablir un droit de suite fondé sur la nationalité pour les Français qui transfèrent ou déclarent transférer leur domicile fiscal à l’étranger, dans le respect des conventions fiscales
Moderniser le droit fiscal à hauteur des pratiques agressives d’optimisation des entreprises mondialisées
42ème proposition : Informer dès l’origine l’administration fiscale des sous-traitances et prix de transfert lorsque les titulaires de marchés publics font appel à des fournisseurs et prestataires établis à l’étranger
43ème proposition : Etablir un dispositif de taxation systématique des délocalisations d’activités hors de France suivant l’exemple du dispositif allemand de la Funktionverlagerung
44ème proposition : Renforcer la capacité de contrôle des prix de transfert en prévoyant non seulement la publication, mais surtout la communication à l’administration fiscale des activités et résultats des entreprises pays par pays, et autorisant l’administration fiscale à accéder à l’ensemble de la comptabilité analytique des entreprises et à l’ensemble des documents des entreprises sur le calcul des coûts de revient et les prix de facturation intragroupe
Combler la principale lacune de notre droit sur la lutte contre le blanchiment
45ème proposition : Rendre l’infraction de blanchiment encore plus autonome vis-à-vis de l’infraction principale
I. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET VISITES EFFECTUÉES
AVERTISSEMENT : Cette liste, chronologique, n’est pas exhaustive, certaines des personnes interrogées ayant demandé à ne pas y figurer.
1) à Paris
– M. Philippe Dominati, sénateur, président de la Commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales,
– M. Eric Bocquet, sénateur, rapporteur de la Commission d’enquête
– M. Antoine Peillon, journaliste
– M. Xavier Harel, journaliste
– Maître Roland Sanviti, avocat
– M. Jean-Louis Gautier, conservateur général des hypothèques, ancien chef du service du contrôle fiscal à la DGFiP
– M. Daniel Lebègue, Transparency international, accompagné de Mme Marina Young
– M. Charles Prats, membre du conseil scientifique, Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique
– Maître Dumont-Beghi, avocate de Sylvie Wildenstein
– M. Vincent Drezet, syndicat SNUI SUD Trésor Solidaires
– MM. Jean Marie Favre, Guillaume David et Vincent Thomazo, Union Nationale des Syndicats Autonomes Douanes,
– M. Christian Chavagneux, journaliste, rédacteur en chef d’Alternatives économiques
– Mme Mathilde Dupré, CCFD
– M. Grégoire Niaudet, Secours Catholique Caritas France
– M. Jean Merckaert, Association Sherpa
– M. Dominique Plihon et M. Gérard Gourguechon, ATTAC
– M. François d’Aubert, ancien délégué général aux juridictions et territoires non coopératifs et président du Groupe de revue par les pairs au sein du Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations en matière fiscale, accompagné de Mme Pascale Beracha, déléguée générale adjointe
– M. Paul Jorion, universitaire
– M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscale, OCDE
– M. Kevin Vandergrift, Mme Lia Umans et Mme Solène Philippe, GAFI (organisme international de supervision de l’application des règles contre le blanchiment)
– M. Michel Pinçon et Mme Monique Pinçon-Charlot, sociologues, spécialistes des élites et de la fortune
– M. Bruno Monziols et Mme Hélène Guerra, CGT Finances
– M. Prem Sikka, universitaire, Tax Justice Network
– Visite du Service national de la douane judiciaire : Mme Solange Moracchini, magistrate, chef du service, et Mme Laurence Larhant, adjointe au chef de service
– M. Edouard Fernandez-Bollo, secrétaire général adjoint de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), accompagné de Mme Véronique Bensaïd, conseiller auprès du gouverneur de la Banque de France
– M. Jean-Jacques Santini, directeur des affaires institutionnelles de la BNP, accompagné de M. Jean Clamon, délégué général Conformité et Coordination du Contrôle Interne du Groupe BNP Paribas
– M. Jérôme Brunel, membre du comité exécutif de Crédit agricole SA, directeur des affaires publiques, accompagné de M. Jean-Charles Balat, directeur fiscal du Groupe Crédit agricole
– Direction de la législation fiscale : M. Edouard Marcus, sous-directeur, Prospectives et Relations internationales, M. Matias de Sainte Lorette, chef de bureau et M. Guillaume Drano, chef de section
– M. Jean-Baptiste Carpentier, directeur de TRACFIN, ministère de l'Economie et des Finances
– M. Frédéric Iannucci, directeur de la direction nationale des enquêtes fiscales, accompagné de Mme Marie-Aimée Musy, et de M. Christian Jacob
– Mme Maïté Gabet, directrice de la direction nationale de vérification des situations fiscales
– M. Olivier Sivieude, directeur de la direction des vérifications nationales et internationales
– Mme Anne Michel, journaliste, Le Monde
– M. Michel Debacq, magistrat, ancien conseiller de Mme Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux, et de Mme Christiane Taubira, Garde des Sceaux
– M. Alexandre Gardette, chef du service du contrôle fiscal
– Mme Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes, accompagnée de M. Jean-Paul Balzamo, sous-directeur chargé des affaires juridiques, du contentieux, des contrôles et de la lutte contre la fraude, et de Mme Solange Moracchini, chef du service national de la douane judiciaire
– M. Bruno Bézard, directeur général des finances publiques, accompagné de MM. Alexandre Gardette, chef du service contrôle fiscal, Bastien Llorca, sous-directeur, et de M. Matias de Sainte-Lorette, chef de bureau
– M. Hervé Falciani, ancien employé d’HSBC en Suisse
– M. Eric de Montgolfier, ancien Procureur général près la cour d'appel de Bourges
2) à Londres (les 4 et 5 avril 2013)
– M. Stephen Barclay, MP, député du North East Cambridgeshire
– M. Marc Roche, journaliste, correspondant du journal Le Monde
– M. Richard Hay, Stikeman Eliott London, conseil de l’International Financial Center Forum
– Mme Joanne Cheetham, MTIC National Co-ordinator, HMRC
– M. Ian Young, International Tax Expert, ICAEW (Institute of Chartered Accountants in England and Wales)
– S.E. M. Bernard Emié, ambassadeur de France
– M. Mike Williams, directeur, Business and International Tax, HM Treasury
3) en Suisse (les 13 et 14 mai 2013)
– MM. Jacques-Olivier Thomann et Stéphane Graber, président et secrétaire général la Geneva Trading and Shipping Association (GTSA)
– Me Xavier Oberson, avocat
– Me Philippe Kenel, avocat
– M. Bruno Perdu, consul général de France à Genève
– M. François Nordman, ancien ambassadeur, chroniqueur au journal Le Temps
– M. François Schaller, journaliste, AGEFI
– M. Michel Dérobert, secrétaire général de l’Association des banquiers privés suisses
– S.E. M. Michel Duclos, ambassadeur de France
– M. Christophe Darbellay, membre du Conseil national (PDC, Valais, Président de la Commission de l’Economie et des redevances)
– M. Jean-François Rime, membre du Conseil national (UDC, Fribourg)
– M. Fulvio Pelli, membre du Conseil national (PLR, Tessin)
– M. Claude-Alain Margelisch, directeur exécutif de l’Association suisse des banquiers (ASB)
– M. Philippe Brunel, chef du Service économique de l’Ambassade de France
– Mme Virginie Perrey, attachée de sécurité intérieure à l’Ambassade de France
– M. Pascal Gossin, chef de l’Unité d’entraide judiciaire de l’Office fédéral de la justice
– M. Nicholas Shaxson, journaliste, Tax Justice Network
– M. Jean-Philippe Keil, partenaire chez Mazars Suisse, conseiller du Commerce Extérieur de la France
– Prof. Anne Héritier-Lachat, présidente du Conseil d’Administration de la FINMA, accompagnée de M. Léonard Bole, chef de la Division blanchiment et analyse des marchés, et de M. Jan Blöchiger, secrétaire général,
– M. Michael Ambühl, secrétaire d’Etat aux questions financières internationales,
4) à Bruxelles (le 4 juin 2013)
– M. Baudouin Baudru, chef de cabinet adjoint de M. Algirdas Šemeta, commissaire chargé de la fiscalité, des douanes, des statistiques, de l'audit et de la lutte antifraude
– S.E. M. Philippe Etienne, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, et M. Olivier Palat, attaché fiscal
– MM. Yannic Hulot, président d'Eurofisc, coordinateur fiscal de la cellule de soutien fraude à la TVA
– M. Michel Claise, juge d'instruction
– M. Bruno Frans, représentant le directeur général de la police judiciaire
– M. Johan Denolf, directeur, direction de la lutte contre la criminalité économique et financière
– Mme Veerle De Wolf, chef de service, office central de lutte contre la délinquance économique et financière organisée (OCDEFO)
– M. Jean-Pierre Der Vuyst, chef de section, fraude fiscale organisée
– M. José Heuse, inspecteur OPJ du service public fédéral finances
– M. Marc De Backer, chef de section, blanchiment
– M Marc Holsteyn, chef de section, fraude organisée à la TVA
– M. Michel Barnier, Commissaire chargé du marché intérieur et des services, et M. Olivier Guersent, chef de cabinet
– M. Philip Kermode, directeur de la fiscalité directe, de la coordination fiscale, de l'analyse économique et de l'évaluation - direction générale Fiscalité et Union Douanière (TAXUD)
II. ELÉMENTS COMMUNIQUÉS PAR L’ADMINISTRATION FISCALE SUR LES CARROUSELS DE TVA
• Sur l’écart TVA :
« Il n’existe pas d’évaluation spécifique de la fraude carrousel TVA. En revanche, des travaux ont été menés au cours de ses dernières années sur l’ensemble de la fraude TVA.
« Dans son rapport de 2007 relatif à la fraude aux prélèvements obligatoires, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a publié une estimation de la fraude fiscale à la taxe sur la valeur ajoutée comprise entre 7,3 et 12,4 milliards d’euros. Conscient de la nécessité de fiabiliser l’exercice, il a préconisé la mise en place de travaux complémentaires en ce domaine.
« En 2009, la Commission européenne a publié une étude portant sur les pertes de recettes de TVA au sein de l’Union. Elle évalue l’écart de TVA, à l’échelle communautaire, entre 90 et 113 milliards d’euros par an, soit une perte de recettes théoriques de 12 % sur la période 2000-2006.
« S’agissant de la France, l’écart de TVA est évalué entre 6 et 8 %, ce qui représente un manque à gagner allant de 5,2 milliards d’euros en 2000 à 9,8 milliards d’euros en 2006. Cette évaluation est inférieure à celui des principaux Etats comparables : Allemagne (10,3 %), Belgique (11 %), Italie (22,1%) et Royaume Uni (17,3 %).
« L’étude précise que ces écarts ne sont pas uniquement imputables à la fraude mais aussi aux dettes de TVA non acquittées pour cause d’insolvabilité. La méthode retenue dans ce cadre est dite « top down ». Elle consiste à partir d’une TVA théorique issue de calculs macroéconomiques pour la comparer aux recettes constatées.
« La délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) a notamment dans ses missions, l'amélioration de l'évaluation existante des fraudes ayant un impact sur les finances publiques ainsi que le suivi de son évolution. Dans ce cadre, la DGFiP travaille avec la DNLF depuis 2009 à l’élaboration d’une méthodologie visant à évaluer la fraude fiscale à la TVA. La méthode retenue consiste à l’évaluer par extrapolation des résultats des contrôles fiscaux, approche similaire à celle appliquée par le CPO dite « bottom up ».
« Fin 2009, la DGFiP a ainsi procédé à une évaluation basée sur une extrapolation des résultats des opérations de contrôle fiscal externe achevées en 2008 à l’ensemble des redevables de la TVA par la méthode de post-stratification et corrigeant le ciblage de l'échantillon d'opérations de contrôles fiscaux.
« Sur cette base, le montant de la TVA éludée avait été évalué entre 7,7 milliards d’euros et 9,7 milliards d’euros sur l’exercice 2008, soit entre 6 et 7,7 % de la TVA nette budgétaire. »
• Sur les méthodes et résultats de lutte contre la fraude
« Dans le cadre de sa mission de lutte contre la fraude à la TVA, la DNEF détecte des dossiers de fraudes TVA et rédige des propositions de vérification de comptabilité qu’elle transmet aux différentes directions de la DGFIP pour mise en œuvre du contrôle. Elle réalise elle-même le contrôle des dossiers de fraudes les plus graves. Par ailleurs, la mise en œuvre des vérifications de comptabilité est parfois précédée de perquisitions fiscales (article L. 16B du livre des procédures fiscales).
« Les données indiquées ci-dessous concernent l’ensemble des fraudes à la TVA traitées par la DNEF (carrousel « pur », fraude TVA sur les moyens de transport et régime douanier 42).
« Cependant, la lutte contre la fraude à la TVA étant une mission partagée par l’ensemble des services de contrôle de la DGFIP, ces données ne recouvrent pas l’intégralité des fraudes à la TVA détectées par la DGFIP.
Les principaux chiffres concernant la DNEF sont les suivants :
|
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
Dossiers de fraudes TVA détectées par la DNEF |
109 |
120 |
237 |
207 |
253 |
300 |
148 |
Dont dossiers ayant donné lieu à perquisitions fiscales. |
5 |
5 |
10 |
17 |
41 |
48 |
19 |
Vérifications TVA mises en œuvre par la DNEF |
112 |
103 |
93 |
66 |
81 |
79 |
47 |
« Au sein de la DNEF, la mission de lutte contre la fraude à la TVA est pilotée par une division qui rassemble plusieurs services complémentaires : une brigade nationale d’investigation (BNI), chargée de la détection de la fraude (21 personnes) ; 3 brigades d’intervention rapide (BIR) notamment chargées du contrôle fiscal des sociétés carrouselistes (28 personnes) ; des services de direction traitant des assistances administratives internationales en matière de TVA, des traductions, des suspensions de numéro de TVA et d’EUROFISC (13 personnes) ; une cellule juridique, pénale et contentieuse chargée du contentieux des vérifications, des suites pénales des dossiers vérifiés et de toute analyse juridique rencontrée par les services de la DNEF (12 personnes). La division rassemble ainsi 74 personnes travaillant quasi exclusivement sur la fraude TVA.
« Les actions menées s’appuient également, ponctuellement, sur d’autres services de la DNEF (…).
« La stratégie de détection des fraudes à la TVA repose à la fois sur la recherche des sociétés défaillantes – les Taxis- et sur celle des bénéficiaires économiques de la fraude, les Déducteurs.
« D’un point de vue pratique, la détection se fait soit par recoupements (nominatifs et informatiques) soit par l’analyse risque.
« Les recoupements reposent notamment sur :
- le réseau d’échange d’informations européen EUROFISC (plus de 8 000 entreprises françaises signalées du 1er janvier 2011 au 30 juin 2013) ;
- les assistances administratives internationales (entre 1700 et 2000 par an) ;
- l’exploitation de requêtes informatiques INFOCENTRE (veille TVA) réalisées grâce au logiciel SAS statistique ;
- la réalisation de droits de communication et droits d’enquête auprès des opérateurs (banques / clients / fournisseurs…);
« La démarche d’analyse risque repose sur plusieurs outils informatiques développés par la DNEF. Ces outils utilisent la cotation d’une trentaine de facteurs de risques pré-identifiés et/ou le profilage de la fraude. »
Vos rapporteurs constatent qu’il y a donc détection, mais les suites sont insuffisantes, ce qui est imputable à la lenteur des procédures, comme l’ont constaté vos rapporteurs lors de leur déplacement en Belgique.
Ainsi, le niveau de recouvrement des redressements opérés est excessivement faible.
Comme le montrent les éléments transmis par l’administration fiscale, le recouvrement des redressements de la DNEF en matière de TVA sont faibles :
Rappels de TVA issus des vérifications faites par les 3 brigades de vérification de la DNEF (BIR)
|
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
Vérifications DNEF |
112 |
103 |
93 |
66 |
81 |
79 |
47 |
Montant Droits |
377 517 828€ |
184 795 884€ |
72 240 900€ |
226 808 474€ |
496 301 436€1 |
984 268 557€2 |
36 553 686 € |
Montant Pénalités |
1 211 792 369€ |
226 112 061€ |
71 857 852€ |
220 113 792€ |
169 635 753 € |
527 637 774 € |
20 248 849 € |
1. Dont 4 dossiers CO2 : 417 391 907 €
2. Dont 2 dossiers CO2 : 897 179 587 €
Les montants redressés ne sont pas négligeables. On atteint 1 milliard pour 2012, soit entre 1/5e et 1/10e du préjudice total liés aux carrousels.
C’est le taux de recouvrement des vérifications effectuées par la DNEF qui est clairement indigent et donc extrêmement préoccupant.
L’administration indique qu’il est « par construction faible puisque les contrôles visent des entités qui s’organisent pour faire obstacle à l’action de l’administration », et qu’il « doit être regardé en relation avec les poursuites pénales, qui, rapportées en nombre de contrôles fiscaux, sont particulièrement nombreuses. »
Taux de recouvrement sur les créances issues du contrôle fiscal de la DNEF,
deux ans après leur mise en recouvrement
Années de mise en recouvrement des créances |
Prises en charges brutes (droits + pénalités) |
Recouvrements bruts (droits + pénalités) |
Taux de recouvrement (TRCF) |
2008 |
312 590 463 |
867 957 |
0,3% |
2009 |
166 679 453 |
2 007 481 |
1,2% |
2010 |
518 784 899 |
1 258 457 |
0,2% |
En réaction, la DNEF a développé « une stratégie en matière de recouvrement selon trois axes :
- Identifier rapidement les sociétés déductrices ayant sollicité des remboursements de crédit de TVA afin de demander aux comptables des Finances publiques de ne pas rembourser les sommes demandées. Plusieurs dossiers ont ainsi donné lieu à des décisions du juge des référés favorables à l’administration ;
- Permettre aux comptables des Finances publiques de mettre en œuvre la solidarité de paiement prévue à l’article 283-4 bis du code général des impôts afin d’impliquer les sociétés bénéficiaires de la fraude qui sont souvent des entreprises pérennes de taille importante. Ce mécanisme a été mis en œuvre dans 4 dossiers pour des montants réclamés de 83 980 731 € en 2011. Il n’a pu l’être en 2012 mais le sera en 2013 ;
- Demander des mesures conservatoires sur les valeurs et créances des fraudeurs. »
A défaut, les procédures débouchent sur des plaintes pénales, soit sur plainte de l’administration, soit lorsque l’Etat se constitue partie civile, dans les conditions suivantes :
« L’administration fiscale se constitue partie civile systématiquement dans tous les dossiers de fraude fiscale ainsi que dans toutes les affaires d’escroquerie fiscale de type carrousel qu’elles aient été initiées ou non suite à une plainte de ses services (en matière d’escroquerie, la constitution de partie civile est faite au nom de l’Etat français). S’agissant des affaires pénales dont l’administration n’est pas à l’origine, la constitution de partie civile de l’Etat français est effectuée généralement après réception d’un avis à victime ou d’un avis d’audience adressé par les magistrats instructeurs ou du parquet. Toutefois, l'envoi d'avis à victime ou d’avis d’audience n'est pas systématique de la part des magistrats et il arrive parfois que la DGFIP se porte partie civile en l'absence de ce document quand elle a eu connaissance par une autre voie de l’existence de la procédure pénale. »
Les données relatives aux plaintes déposées par la DNEF suite aux vérifications de comptabilités faites en matière de TVA sont les suivantes :
|
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
Plaintes pour escroquerie |
1 |
7 |
11 |
11 |
12 |
Propositions de poursuites pour fraude fiscale |
41 |
43 |
29 |
27 |
26 |
article 40 du CPP |
9 |
8 |
1 |
2 |
1 |
Total |
51 |
58 |
41 |
40 |
39 |
Pour sa part, l’évolution du nombre de plaintes pour fraude fiscale autorisées par la Commission des infractions fiscales et pour escroquerie, visant des rappels de TVA, pour l’ensemble de la DGFIP, est la suivante :
|
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
Plaintes pour escroquerie |
54 |
71 |
67 |
91 |
82 |
Il y a donc quelque 100 plaintes par an.
On peut s’étonner du faible nombre d’affaires TVA relevant de l’article 40 du code de procédure pénale. L’administration fiscale invoque en réponse deux éléments : l’un administratif, selon lequel « la mise en œuvre des dénonciations effectuées en application de l’article 40 du code de procédure pénale est totalement déconcentrée et la DGFIP ne centralise pas pour le moment le nombre de ces dénonciations » ; l’autre juridique, d’après lequel « les dénonciations visant des infractions à la TVA doivent être logiquement peu nombreuses car ce mode d’information de l’autorité judiciaire est exclu pour les délits de nature fiscale pour lesquels, conformément aux recommandations de la circulaire commune Chancellerie-Budget du 5 novembre 2010, en cours de révision, prévoyant que le choix d’une plainte, pour escroquerie ou fraude fiscale, doit être privilégié. »
1 () Long Term Capital Management : le LTCM est un fonds de couverture ou fonds spéculatif (Hedge fund) apparu en 1994 et dont la quasi-faillite en 1998 fit courir un risque majeur au système bancaire international et créa des perturbations importantes sur les marchés financiers.
2 () l'International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) est un réseau indépendant de journalistes, basé à Washington, et de 36 titres de la presse internationale, dont notamment la BBC, le Washington Post, le Guardian, le Süddeutsche Zeitung et Le Monde, qui ont eu accès à une base de données de plus de 2,5 millions de documents concernant près de 120 000 sociétés offshore.
3 () Situées dans l’océan atlantique au Sud-Est des Bahamas et au Nord d’Haïti, ces deux groupement d’îles faisaient partie de la colonie britannique de la Jamaïque jusqu’en 1962, avant d’être rattachés aux Bahamas jusqu’en 1973, comme c’était le cas avant 1848. Ces îles sont depuis un territoire de la couronne britannique et figuraient sur la liste des territoires non coopératifs établie par la France en 2011.
© Assemblée nationale