______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 novembre 2013
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGÈRES
sur l’Europe de la Défense
ET PRÉSENTÉ PAR
Mme Elisabeth GUIGOU
Présidente
——
SOMMAIRE
___
Pages
SYNTHÈSE DU RAPPORT 7
SUMMARY OF THE FACT-FINDING REPORT 15
INTRODUCTION 23
I. L’ÉCHEC DES PROJETS ÉLABORÉS APRÈS LA GUERRE FROIDE 27
1. Une Europe pacifiée 31
2. La crise irakienne de 2003 31
3. La crise du projet européen 32
II. LES DIFFICULTÉS COMMUNES À L’OTAN ET À L’UNION EUROPÉENNE 35
A. LES INTERROGATIONS SUR L’OPPORTUNITÉ DU RECOURS À LA FORCE 36
1. La montée du brouillard stratégique 36
2. La crise syrienne : un paroxysme ? 37
3. L’exception et le test maliens 38
a. Un test militaire mitigé pour l’Europe de la défense 38
b. Un test politique réussi 40
B. LES EFFETS DE LA CRISE ÉCONOMIQUE ET BUDGÉTAIRE 41
1. Les risques d’une rupture capacitaire 41
a. La baisse des budgets 41
b. Un décrochage européen ? 42
2. Une industrie de défense européenne en danger 43
C. LA NOUVELLE STRATÉGIE AMÉRICAINE 45
1. La fin de la « guerre contre le terrorisme » 45
2. Le « pivot » vers l’Asie 46
3. Un engagement moindre au Proche et Moyen Orient ? 48
III. LES DIFFICULTÉS INTRINSÈQUES A L’UNION EUROPÉENNE : L’ABSENCE DE CONSENSUS 49
A. TROIS PARTENAIRES CLÉS 49
1. La spécificité britannique 50
a. Une opposition de principe à l’intégration européenne 50
b. La crise britannique 51
c. La position britannique pour le prochain Conseil européen 52
2. La Pologne : une puissance militaire émergente en Europe ? 53
a. Une prise de distance à l’égard de l’OTAN 53
b. Une politique de défense ambitieuse 54
c. La position polonaise au prochain Conseil européen 54
3. L’Allemagne : une puissance militaire en sommeil ? 55
a. L’évolution de la politique de défense allemande 55
b. Des moyens militaires appréciables 57
c. La position allemande au Conseil européen 58
B. LA RESPONSABILITÉ FRANÇAISE 59
1. Maintenir notre position au sein de l’Alliance 59
2. Inscrire notre politique étrangère dans le cadre d’une politique étrangère européenne commune 61
3. Construire un moteur pour l’Europe de la défense ? 62
IV. UN NOUVEL ÉLAN 65
A. LES TROIS PRIORITÉS À L’ORDRE DU JOUR DU CONSEIL EUROPÉEN 67
1. Volet 1 : renforcer l’efficacité, la visibilité et l’impact de la PSDC 67
a. L’avenir des groupements tactiques européens 68
b. La plateforme d’aide à la décision 69
c. La rationalisation des moyens européens 71
d. Se préparer aux défis opérationnels 73
e. La question du partage du fardeau financier des opérations militaires 76
2. Volet 2 : améliorer le développement des capacités 77
a. Le ravitaillement en vol et l’extension de l’EATC 77
b. Les drones 80
c. La mise en place d’incitations fiscales 81
3. Volet 3 : renforcer l’industrie de défense européenne 82
B. UNE FEUILLE DE ROUTE AMBITIEUSE 84
1. Faire le bilan de ce qui existe déjà et de ce qui fonctionne 85
2. Élaboration d’une nouvelle stratégie européenne de sécurité 86
3. Clarifier la relation entre la Commission européenne et les États membres 87
4. Relancer de grands programmes en coopération. 88
5. Approfondir le partenariat euro-américain 89
CONCLUSION 91
EXAMEN EN COMMISSION 93
CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES 103
I. CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. GUY-MICHEL CHAUVEAU, AU NOM DU GROUPE SRC 105
II. CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. PIERRE LELLOUCHE, AU NOM DU GROUPE UMP 111
III. CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. ALAIN BOCQUET, AU NOM DU GROUPE GDR 117
IV. CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. GÉRARD CHARASSE, AU NOM DU GROUPE RRDP 121
COMPTE-RENDUS DES TRAVAUX DE LA COMMISSION 129
1. Mercredi 3 octobre 2012, séance de 9h30, compte-rendu n° 1 : audition, conjointe avec la commission de la défense et des forces armées, de M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, sur la mission d’évaluation sur le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Alliance atlantique et sur le développement de la relation transatlantique et les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune 131
2. Mercredi 5 décembre 2012, séance de 16h30, compte-rendu n° 19 : Audition, conjointe avec les commissions des affaires européennes et de la défense, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la politique européenne de défense (ouverte à la presse) 151
ANNEXES 173
ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE 175
ANNEXE N° 2 : CONTRIBUTIONS DES DIFFÉRENTS ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE À LA MISSION EUTM MALI 179
ANNEXE N° 3 : TABLEAU RÉCAPITULATIF : BUDGETS, EFFECTIFS, TAILLE DU SECTEUR INDUSTRIEL FR, DE, UK, IT, SP, PL, BE, SU 181
ANNEXE N° 4 : INDUSTRIES DE DEFENSE 183
Lors du prochain Conseil européen, les 19 et 20 décembre 2013, les 28 chefs d’État et de Gouvernement de l’Union européenne examineront les moyens de relancer l’Europe de la Défense. Ce rapport a pour objet de permettre à la Commission des affaires étrangères d’apporter sa contribution à cette réflexion collective.
L’émergence de l’Europe de la défense est difficile, mais absolument nécessaire pour au moins cinq raisons :
1. Le « pivot » américain doit conduire à un engagement européen plus important dans la gestion des crises.
2. Les nouvelles menaces appellent une coopération européenne.
3. Les contraintes budgétaires exigent davantage de mutualisation et de coopération.
4. La base industrielle de défense européenne doit être préservée et consolidée.
5. Enfin et surtout, l’Europe de la défense contribue à l’influence de l’Europe dans la mondialisation.
Les avancées qui ont été réalisées dans les années 90 et au début des années 2000, du traité de Maastricht au traité de Lisbonne, ont malheureusement fait long feu.
Des décisions ont eu le mérite de faire avancer l’Europe de la Défense dans le passé.
Par exemple, les relations avec l’OTAN sont désormais clarifiées, puisque, selon ce cadre, il est admis que l’Union puisse intervenir militairement, soit avec les moyens de l’OTAN, soit avec des moyens nationaux, mais toujours de manière autonome par rapport à l’Alliance atlantique.
Autre avancée importante sur le plan conceptuel, le Royaume-Uni a, par la déclaration de Saint Malo, reconnu en 1998 qu’une politique de défense commune peut se développer au sein de l’Union européenne.
Le Conseil européen d’Helsinki, en 1999, a fixé l’objectif à l’Union d’être capable de mener à bien les missions de Petersberg, avec des forces devant atteindre l’effectif de 50 à 60 000 hommes, dotées des capacités nécessaires de commandement, de contrôle et de renseignement, ainsi que, en cas de besoin, d’éléments aériens et navals.
De réelles avancées au plan industriel ont été réalisées comme la création d’EADS à l’été 2000, ou le lancement, en 1991, des études du programme A400M.
Le traité de Lisbonne offre à la PSDC une panoplie complète d’instruments (SEAE, coopération structurée permanente, etc.).
Ces difficultés ne sont pas propres à l’Union européenne. Il n’y a pas d’un côté une Alliance atlantique qui marche et une Europe à la traîne.
Tout d’abord, les interrogations croissantes sur l’opportunité du recours à la force concernent aussi bien les États-Unis que l’Europe. Une sorte de brouillard stratégique s’est levé progressivement depuis la crise irakienne. Cette guerre a ouvert un cycle de défiance croissante à l’égard des interventions extérieures qui a pris de l’ampleur au gré des crises : afghane, libyenne puis syrienne. L’intervention au Mali constitue une exception, dans la mesure où les objectifs militaires de l’intervention se sont accompagnés d’une stratégie politique et de développement crédible.
La baisse des budgets de défense en Europe a par ailleurs atteint un seuil critique et conduit à des ruptures capacitaires chez certains de nos partenaires, le Royaume-Uni en particulier. La rapporteure formule le vœu que la loi de programmation militaire soit respectée, sans quoi les capacités françaises pourraient elles aussi être mises en cause.
Enfin, la nouvelle stratégie américaine se caractérise par la fin de la guerre contre le terrorisme, mais aussi par un pivot vers l’Asie et un moindre engagement des États-Unis au Proche et Moyen Orient. L’envoi de troupes américaines sur des théâtres extérieurs est devenu plus qu’improbable. Les Américains demandent en conséquence aux Européens d’assurer davantage leur propre sécurité et celle de leur voisinage.
À ce contexte général s’ajoutent bien entendu les difficultés propres à l’Union européenne, l’absence de consensus entre ses membres sur les questions de défense.
Le Royaume-Uni est toujours sur une opposition de principe à l’intégration européenne ce qui n’empêche pas une coopération bilatérale très forte entre ce pays et la France. La crise budgétaire a conduit à de sérieuses réductions des capacités militaires britanniques.
La Pologne est entrée dans une phase de prise de distance à l’égard de l’Alliance atlantique qui l’a conduite à se rapprocher de l’Europe. C’est aussi l’un des rares pays européens à avoir une politique d’équipement ambitieuse. Mais la vision stratégique polonaise demeure essentiellement continentale, la Russie demeurant perçue comme une menace.
Quant à l’Allemagne, c’est une sorte de puissance militaire en sommeil. En effet, elle s’est, à partir des années 1990, engagée dans le maintien de la paix au-delà de ses frontières, mais l’emploi de la force demeure un tabou qui inhibe les dirigeants allemands, partagés entre le pacifisme et la conscience des responsabilités que l’Allemagne devrait assumer. Néanmoins, l’Allemagne dispose d’un budget militaire appréciable et la transformation de l’armée allemande est réelle.
Ce sont les raisons pour lesquelles l’avenir de l’Europe de la défense se situe au moins autant de l’autre côté du Rhin que sur l’autre rive de la Manche.
Les propositions sur les trois volets du Conseil européen de décembre 2013
Volet 1 : inciter l’Europe à davantage s’impliquer dans la gestion des crises, y compris dans leur dimension militaire.
Un consensus a émergé en faveur de ce que l’on appelle « l’approche globale », c’est-à-dire l’idée que la gestion des crises suppose la mobilisation et la coordination de divers instruments militaires et civils. La France soutient naturellement cette orientation, mais défend aussi la ligne que les outils militaires ne doivent pas être dilués ni dénaturés par cette approche.
Quatre sujets sont particulièrement importants.
1. L’avenir des groupements tactiques européens
Les groupements tactiques (Battle groups) de l’Union Européenne sont les seuls instruments de projection militaire de l’Union Européenne. Comme ils n’ont jamais été utilisés, certains États veulent les transformer en outils civilo-militaires alors que la France souhaite qu’ils demeurent des outils combattants, aptes à entrer en premier sur un théâtre d’opération. Ce rapport propose que l’on examine la possibilité de mettre ces groupes à la disposition de l’ONU, dans la phase préalable au déploiement d’une Opération de maintien de la paix (OMP) de l’ONU.
2. La plateforme d’aide à la décision
L’Union européenne et ses États membres devraient disposer d’une appréciation unique et commune de la situation de niveau stratégique, afin de faciliter la prise de décision, de permettre une meilleure synchronisation des actions de l’Union sur le terrain et de mesurer la performance de celle-ci. L’Allemagne et la Pologne sont favorables à ce projet ; en revanche les Britanniques sont réservés en raison de leur prévention à l’égard de tout ce qui ressemble à un état-major européen.
3. La rationalisation des moyens européens
Le Conseil doit réfléchir aux moyens de renforcer les pouvoirs de coordination de la Haute Représentante afin que l’Union puisse perfectionner les instruments qu’elle utilise pour mettre en œuvre l’approche globale de gestion des crises. Le fait, par exemple, que le SEAE planifie et conduise des actions de gestion de crise sans avoir le contrôle des instruments financiers de gestion de crise limite considérablement l’efficacité de son action.
4. Se préparer aux défis opérationnels
Le Conseil n’a pas pour objet de décider de nouvelles opérations, mais d’essayer de définir des stratégies ponctuelles.
Ainsi, la France propose une Stratégie de sûreté maritime de l’Union européenne afin de valoriser une approche globale et cohérente des sujets maritimes en capitalisant sur le succès de la mission Atalante. La nouvelle stratégie aurait comme champ d’intervention le golfe de Guinée où l’on constate un développement de la piraterie.
Le Conseil est également saisi de propositions dans les domaines de la cyberdéfense, du spatial et de la sécurité des frontières.
5. La question de la mutualisation financière des opérations extérieures
Cette question ne sera pas abordée lors du Conseil européen de décembre mais il serait logique d’aboutir à une plus grande mutualisation des dépenses induites par les opérations militaires qui contribuent à la défense européenne (élargissement du mécanisme Athena ou contributions volontaires à un fonds OPEX).
Volet 2 : améliorer le développement des capacités
La diminution des budgets militaires n’a pas spontanément abouti à une mutualisation des moyens. Le réflexe naturel lorsque les budgets baissent est de les réserver à l’industrie nationale. Il est paradoxalement plus facile de faire de la coopération dans le domaine des programmes d’armement lorsque les moyens sont en hausse.
Trois sujets sont particulièrement importants.
1. Le ravitaillement en vol et l’extension de l’EATC
L’initiative européenne sur le ravitaillement en vol est un projet emblématique de la démarche qui vise à optimiser le processus d’acquisition d’équipement et à mutualiser leur emploi. Elle peut se combiner avec une extension de l’EATC, structure de mutualisation des moyens de transport aérien militaire.
En proposant que l’EATC prenne en charge le ravitaillement des appareils qui assurent la composante aérienne de sa dissuasion, le ministre français de la Défense fait preuve d’une réelle volonté de faire progresser la mutualisation.
2. Les drones
La France a choisi d’acquérir 12 drones Reapers fabriqués aux États-Unis, décision qui, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie disposant déjà de Reapers, ouvre la possibilité de créer un « club d’utilisateurs européens » et de coopérer sur l’entrainement et la formation. Cela a été acté le 19 novembre 2013, entre le ministre français de la Défense et ses collègues allemand, grec, espagnol, italien, néerlandais et polonais. L’objectif, à terme, est de développer, à l'horizon 2020, un drone MALE européen de nouvelle génération, dans le cadre de l'Agence européenne de défense (AED).
3. Il serait utile de mettre en place des incitations fiscales qui n’existent pas dans l’Union.
Volet 3 : renforcer l’industrie de défense européenne
La Commission européenne a préparé un texte qui comporte un aspect positif, celui de mettre l’accent sur les concepts d’autonomie stratégique, de l’accès aux technologies et de la sécurité d’approvisionnement. Cela répond à la demande française de définition de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE).
Il faut être vigilant à ce que la Commission ne produise pas de nouvelles normes, par exemple sur le contrôle des exportations. Cette logique bureaucratique, qui conduit à un empilage de normes, est dommageable pour les industries européennes car elle constitue un frein à l’initiative et à l’innovation et affecte in fine la compétitivité.
Enfin, certaines pistes proposées dans la communication de la Commission européenne présentent le risque de traiter la défense comme les autres marchés, alors que sa spécificité est incontestable puisque les Etats sont les seuls clients.
Les propositions pour une « feuille de route »
Le Conseil européen de décembre doit amorcer une nouvelle dynamique de la politique de défense au plus haut niveau politique de l’Union européenne, en prenant des décisions immédiates et concrètes mais aussi en définissant des objectifs et le calendrier des étapes à franchir dans les années qui viennent.
Le Conseil européen de décembre ne sera un succès que s’il propose une vision politique à moyen et à long terme, avec une « feuille de route » ambitieuse que les Etats s’engagent à respecter.
Le suivi des évolutions rend nécessaire de mettre en place des rendez-vous réguliers du Conseil européen consacrés à la défense, au moins tous les ans.
Cinq éléments devraient être présents dans cette feuille de route.
1. Faire le bilan de ce qui existe déjà et de ce qui fonctionne
Il faut éviter les débats trop institutionnels ou philosophiques qui ne débouchent au mieux qu’à très long terme et se concentrer sur les possibilités que nous offrent les traités pour avancer efficacement (possibilités offertes par la coopération structurée permanente ou l’article 44 du traité sur l’Union européenne), sur les opérations civiles et militaires achevées ou en cours, et sur les progrès concrets réalisés dans le domaine industriel.
2. L’élaboration d’une nouvelle stratégie européenne de sécurité
Le rapport sur la Stratégie européenne de sécurité, rédigé sous l’autorité de Javier Solana, remonte à 2003. Cette stratégie a été actualisée en 2008, et c’est aujourd’hui le seul texte de référence sur le rôle de l’Union européenne dans le monde et sur une conception commune des menaces.
Il serait souhaitable que le Conseil européen donne un mandat aux institutions de l’Union européenne qui seront renouvelées en 2014 et de les charger d’ici 2015 de définir une stratégie européenne de sécurité.
3. Clarifier la relation entre la Commission européenne et les Etats membres
Aujourd’hui la Commission européenne intervient à deux niveaux dans le domaine de la défense : dans le domaine industriel et dans le domaine de la gestion de crise. Au niveau industriel, il faudra à l’avenir chercher à mieux coordonner les Etats membres, la Commission européenne et l’Agence européenne de défense et à ne pas traiter la défense comme les autres marchés, alors sa spécificité est incontestable puisque les Etats sont les seuls clients. En matière de gestion de crise, les capacités de l’UE sont donc réparties entre différentes entités de la Commission et non regroupées au sein du SEAE.
Il serait donc utile que ce Conseil européen initie une réflexion sur la clarification des relations entre la Commission et les Etats membres sur ces deux sujets, car cette absence de cohérence globale entre la politique et les moyens d’action est dommageable pour l’efficacité et la visibilité de l’action extérieure européenne.
4. Relancer de grands programmes en coopération.
Actuellement, la coopération en matière d’armement est faible. Or, c’est une nécessité pour les Etats européens, afin qu’ils puissent acquérir des équipements de défense, et pour les industriels, afin de maintenir des compétences technologiques de pointe.
5. Approfondir le partenariat euro-américain
La politique des États-Unis constitue l’un des facteurs majeurs d’évolution de la donne stratégique mondiale, qu’il s’agisse de leur positionnement énergétique ou de leur plus grand intérêt pour la zone asiatique. Pour l’Union européenne, les États-Unis restent le partenaire prioritaire.
Le Conseil européen devrait charger le SEAE d’initier une réflexion sur les options possibles pour approfondir le dialogue stratégique entre l’Union et les États-Unis, sur tous les aspects de leurs relations, bien au-delà de la relation classique et nécessaire entre l’Union et l’OTAN.
La France a donc une responsabilité historique lors de ce Conseil européen : présenter des propositions, lancer des initiatives concrètes et s’assurer que les décisions prises ne resteront pas sans lendemain.
Pour cela, trois conditions doivent être préalablement remplies. D’une part, la volonté politique des autorités françaises doit être suffisamment forte pour saisir cette opportunité. D’autre part, la France doit être à l’écoute de ses partenaires, afin de déceler les ouvertures possibles et éviter de générer des blocages par des propositions qui seraient mal perçues. Enfin, la France doit faire œuvre de pédagogie pragmatique pour expliquer les enjeux et les risques d’un déclassement stratégique de l’Europe.
SUMMARY OF THE FACT-FINDING REPORT
At the next meeting of the European Council, on 19-20 December, 2013, the 28 heads of state and of government of the European Union will consider the ways to re-launch the notion of “Defence Europe”. The aim of this particular report is to allow the Foreign Affairs Committee of the French National Assembly to add its contribution to this collective work.
The development of the idea of “Defence Europe” is not easy but it is absolutely essential for at least five reasons:
1. The United States’ « pivot strategy » must lead to greater European commitment in the management of crises.
2. New threats call for European cooperation.
3. Budget constraints require greater pooling of efforts and enhanced cooperation.
4. The industrial basis of European defence must be maintained and consolidated.
5. Finally, and in particular, “Defence Europe” must contribute to the influence of Europe in the realm of globalization.
The progress represented by the Maastricht Treaty in the 1990s and the Lisbon Treaty in the first decade of the 21st century, has unfortunately fizzled out.
Certain decisions in the past can be credited with allowing the notion of “Defence Europe” to progress.
For example, the relationship with NATO has been clarified, given that, in this particular framework, it is now accepted that the European Union may intervene militarily, in an autonomous way as regards the Atlantic Alliance, either with NATO capacities or with national capacities.
Another major step forward from a conceptual point of view is represented by the fact that the United Kingdom, in the Saint Malo declaration, recognized in 1998 that a common defence policy could be developed within the European Union.
The 1999 European Council of Helsinki, set down the goal for the European Union to be capable of fulfilling the Petersberg tasks with forces which could reach 50 to 60,000 troops and which would have the necessary command, monitoring and intelligence capabilities as well as, if necessary, being able to call upon air and naval support.
There has been real progress on the industrial front with the setting-up of EADS in the summer of 2000 or with the launching in 1991 of the study programme for the Airbus A400M.
The Lisbon Treaty has provided the CSDP with a complete range of instruments (the EEAS, permanent structured cooperation etc.).
Such difficulties do not only concern the European Union. It is certainly not a question of, on the one hand, an Atlantic Alliance which works and, on the other hand, Europe which is lagging behind.
First of all, the growing questions on the appropriateness of the use of force concern as much the United States as Europe. A kind of strategic fog has progressively settled since the Iraq crisis. That particular war opened up a cycle of growing reluctance as regards external intervention and this reluctance has become greater and greater as each new crisis appears: Afghanistan, Libya and then Syria. The intervention in Mali represents an exception insofar as the military objectives were backed up by a credible political and development strategy.
The decrease in defence budgets in Europe has, moreover, reached a critical point and has led to gaps in military capability for certain of our partners, notably for the United Kingdom. The rapporteure expresses the hope that the Law on Military Programming be maintained, for otherwise, French military capabilities could also be called into question.
In addition, the new American strategy is characterized not only by the end of the war on terrorism but also by a “pivot” towards Asia and by much decreased US involvement in both the Near and the Middle East. It is now highly unlikely that American troops would be sent to external theatres. Thus the Americans are requesting the Europeans to deal more with their own security and that of their neighbours.
On top of this general context of course must be added the difficulties inherent to the European Union – the absence of consensus between its members on defence questions.
The United Kingdom is still strongly opposed in principle to the idea of European integration. This however does not prevent it from cooperating bilaterally very closely with France. The budgetary crisis has led to heavy reductions in British military capability.
Poland has entered a phase in which it is distancing itself as regards the Atlantic Alliance and this has brought it closer to Europe. It is also one of the few European countries to have an ambitious defence equipment policy. However, Poland’s strategic vision remains essentially continental as Russia continues to be considered as a threat.
Germany can be considered to be a dormant military power. In fact, since the 1990s, it has been involved in peace-keeping operations outside of its borders. However the use of force remains a taboo which holds back German leaders who are torn between pacifism and their conscience of the responsibilities which Germany should take on. Nonetheless, Germany has a considerable military budget and the transformation of the German army has seen real progress.
It is for these reasons that the future of “Defence Europe” lies at least as much on the other bank of the Rhine as it does on the other side of the Channel.
Proposals based on the three strands of the December 2013 European Council
Strand 1: to encourage Europe to become more involved in crisis management, including on a military basis.
A consensus has appeared in favour of what is referred to as the “global approach”, i.e. the notion that crisis management requires the mobilization and the coordination of a variety of both civilian and military tools. France has a natural position of support for this approach but also defends the line that military means must not be watered down nor undermined by such a method.
There are four subjects which are particularly important:
6. The future of European Battle Groups .
The Battle Groups of the European Union are the Union’s only instrument of military projection. Since they have never before been used, certain states wish to transform them into civil-military tools. However France would prefer them to remain combat forces which would be capable of being the first to engage in an operational theatre. The current report recommends the examination of the idea that these groups be placed at the disposal of the UN during the preliminary phase prior to the implementation of a UN peace-keeping operation (PKO).
7. The decision support platform
The European Union and its member states should possess a single and common strategic assessment mechanism for any given situation. This would facilitate the decision-making process, would enable a better synchronization of Union actions on the ground and would lead to a clearer assessment of such operations. Germany and Poland are both favourable to such a project whilst the British are reticent on account of their reluctance to encourage any structure which might appear as a European Supreme Command.
8. The rationalization of European means
The Council must reflect upon the means necessary to strengthen the powers of the High Representative for Foreign Affairs and Security Policy, so that the European Union may fine-tune the instruments it uses to implement the global approach to crisis management. The fact, for example, that the EEAS plans and carries out all its crisis management actions without having control over the financial instruments for crisis management, considerably limits the effectiveness of such action.
9. Preparing for operational challenges
The mission of the Council is not to decide upon new operations but to attempt to lay down development strategies.
Thus France proposes a strategy for European Union maritime security so as to enhance a global and coherent approach to maritime matters by drawing on the success of Operation Atalanta. This new strategy would envisage intervention in the Gulf of Guinea where a growth in the levels of piracy has been noticed.
Other proposals, including in the areas of cyber-defence, space and border security, have also been referred to the Council.
10. The question of the sharing of the financial burden of external operations
This question will not be tackled by the December European Council but it would be logical to reach a level of greater sharing of the burden of expenses incurred by operations which contribute to European defence (broadening of the Athena mechanism, or voluntary contributions to an OPEX fund).
Strand 2: to improve the development of capabilities
The decrease in military budgets did not spontaneously lead to a pooling of means. The natural reflex when budgets are reduced is to reserve them for national industry. It is paradoxically easier to implement cooperation projects in the area of armament programmes when the means available are on the increase.
In this field, three subjects are particularly important:
4. Air-to-air refuelling and the extension of the EATC
The European initiative on air-to-air refuelling is an emblematic project as regards the idea of aiming to optimize the acquisition process for equipment and of pooling its use. It could be combined with an extension of the EATC which is a structure for the pooling of military air transport resources.
By proposing that the EATC should take command of the refuelling of aircraft which make up the air wing of its deterrent mechanism, the French Defence Minister is making a true gesture of his goodwill to have the pooling project move forward.
5. Drones
France chose to acquire 12 Reaper drones made in the United States. Given that the United Kingdom, Germany and Italy already possess such Reapers, this decision therefore opens up the possibility of establishing a “European club of Reaper users” and of cooperating on training and instruction. This idea was indeed settled on November 19, 2013 in an agreement between the French Defence Minister and his German, Greek, Spanish, Italian, Dutch and Polish colleagues. The overall objective is for the European Defence Agency (EDA) to develop, by 2020, a new generation European MALE drone.
6. It would be useful to implement tax incentives in the Union which for the moment do not exist.
Strand 3: to strengthen the European defence industry
The European Commission has prepared a text which has a very positive aspect: it emphasizes the concepts of strategic autonomy, of the access to technologies and also to supply safety. This is in answer to the French request for a definition of the European Defence Technological and Industrial Base (EDTIB).
Care must be taken so that the Commission does not produce new standards, for example on the monitoring of exports. Such a bureaucratic approach, which can lead to the piling-up of restrictions, can have a negative effect on European industries as it places a break on initiative and innovation and thus ultimately is damaging for competitivity.
In addition, certain of the ideas contained in the European Commission’s text risk dealing with the defence industry in the same way as other markets, whilst in fact its very particularity is indisputable given that the states are its only customers.
Proposals for a “roadmap”
The December European Council is due to create a new dynamic in defence policy at the highest political level of the European Union. It should do this by taking immediate and concrete decisions but also by setting out the aims and the timetable for the stages to be reached in the coming years.
The December European Council will only be successful if it proposes both a medium and long-term policy vision with an ambitious “roadmap” which the states can commit to fulfilling.
The development of such issues requires the setting-up of regular meetings of the European Council in charge of defence matters, at least once a year.
This « roadmap » should contain five elements:
1. It should sum up what already exists and that which already works.
It must avoid debates which are too institutional or philosophical and which lead, at best, only to very long term solutions. It must concentrate on the possibilities which are offered by the treaties to make efficient progress (possibilities offered by Permanent Structured Cooperation or by article 44 of the Treaty on European Union), on the civilian and military operations which have already been, or are in the process of being carried out, as well as on the concrete progress which has been made in the industrial field.
2. It should draw up a new European security strategy
The report on European security strategy, drawn up under the authority of Javier Solana, dates back to 2003. This strategy was updated in 2008 and today is the only reference text on the role of the European Union in the world and on the common conception of threats.
It would be desirable for the European Council to provide the European Union institutions, which will be renewed in 2014, with a new mandate and request them to provide a new definition of European security strategy before 2015.
3. It should clarify the relationship between the European Commission and the member states
Today the European Commission intervenes at two levels in the area of defence: in the industrial field and in the field of crisis management. At an industrial level, in the future it would be necessary to better coordinate the member states, the European Commission and the European Defence Agency. It would also be necessary to deal with the defence industry not in the same way as other markets, whilst in fact its very particularity is indisputable given that the states are its only customers. As regards crisis management, the capacities of the European Union are thus shared between different entities of the Commission and are not grouped together within the EEAS.
It would therefore be useful if this European Council were to initiate a reflection process on the clarification of the relationship between the Commission and the member states on these two subjects. This is important as the lack of overall coherence between policy and the means for action is damaging for the efficiency and visibility of external European action.
4. It should relaunch the large cooperation programmes.
At the present, cooperation in the field of armaments is weak. However cooperation is a necessity for European states so that they may acquire defence equipment as well as for the industrialists so that they may maintain their cutting-edge technological capacities.
5. It should strengthen the Euro-American partnership
United States’ policy represents one of the major factors in the development of the world’s strategic framework. This is the case concerning the US position as regards energy policy or as regards its greater recent interest in the Asian zone. For the European Union, the United States remains the priority partner.
The European Council should task the EEAS with initiating a process of reflection on the options possible to deepen the strategic dialogue between the European Union and the United States, on all the aspects of their relationship and certainly far beyond the classic (and necessary) relationship between the Union and NATO.
France therefore has an historic responsibility at this forthcoming European Council: it must put forward proposals, launch concrete initiatives and ensure that the decisions taken will be followed up in the future.
In order to do this, three prior conditions must be fulfilled. Firstly the political will of the French authorities must be strong enough to seize such an opportunity. Secondly, France must listen to its partners so as to understand the possible openings and avoid the creation of obstacles through proposals which could be badly received. Lastly, France must demonstrate a pragmatic pedagogical approach in explaining the issues and the risks of a strategic down-grading of Europe.
Lors du prochain Conseil européen, les 19 et 20 décembre 2013, les 28 chefs d’État et de Gouvernement de l’Union européenne examineront les moyens de relancer l’Europe de la Défense.
Ce rapport a pour objet de permettre à la commission des affaires étrangères d’apporter sa contribution à cette réflexion collective. Il complète d’autres travaux conduits par d’autres instances parlementaires, notamment deux rapports d’information présentés par la commission des affaires européennes (1); un rapport d’information présentée par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat (2) ; un colloque organisé à l’Assemblée nationale le 11 juillet dernier ; et naturellement les travaux que la commission de la défense nationale et des forces armées a conduit, notamment dans le cadre de l’examen du Livre Blanc et de la loi de programmation militaire.
Ce Conseil présente trois enjeux.
Il s’agit tout d’abord d’améliorer la capacité de gestion des crises de l’Union européenne dans ses deux dimensions : civile, car l’Union est, par sa nature même, une puissance d’influence civile qui par son rayonnement et ses moyens peut participer à la prévention et au maintien de la paix ; mais aussi militaire, car les pays européens doivent renforcer leur capacité d’agir de manière autonome dans ce domaine.
Il s’agit ensuite, alors que la crise budgétaire affecte la plupart des budgets militaires européens, de préserver les capacités militaires européennes, de combler des lacunes d’équipement et de donner l’impulsion politique indispensable à l’élaboration et à la mise en œuvre, soit de partages de capacités, soit de programmes militaires réalisés en coopération.
Il s’agit enfin, dans un contexte de globalisation des marchés d’armement et d’émergence de nouvelles industries, et alors que la crise frappe rudement les économies européennes, de renforcer l’industrie de défense européenne, dont la survie est une condition essentielle de l’indépendance de nos politiques de défense.
Pour cela il faudra, et ce sera difficile, relancer les réflexions et projets élaborés au cours des années 90 et au début des années 2000. Ces années, en effet, ont permis d’élaborer un cadre conceptuel dans lequel s’inscrit encore aujourd’hui la gestion des crises par l’Union européenne et de tracer une perspective pour l’élaboration d’une politique de défense commune.
Ces avancées ont été possibles parce que la France a su exploiter les opportunités ouvertes par le nouveau contexte stratégique de l’après-guerre froide. D’abord, pour la première fois depuis l’échec de la CED en 1954, en inscrivant dans le traité de Maastricht l’objectif d’une « politique étrangère et de sécurité commune », incluant « l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union européenne, y compris la définition à terme d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune. ». Puis, sur cette base, en lançant des initiatives concrètes de coopération européenne dans le domaine industriel, ou dans celui des capacités militaires. L’impulsion de la France a été décisive ; elle devra l’être encore. L’histoire de cette période fait apparaître que l’une des responsabilités historiques de notre pays est de porter cette dimension de la construction européenne. Aujourd’hui comme hier, nous pouvons aider à la réécriture du rôle politique de l’Europe dans la mondialisation. Sans initiative française au plus haut niveau, l’Europe de la Défense n’avancera pas.
Votre rapporteure, après plusieurs mois d’étude de cette question, mesure toute l’étendue des difficultés de ce chantier et en présentera une analyse sans complaisance.
Néanmoins, ces obstacles ne doivent jamais faire perdre de vue que la relance de l’Europe de la défense est une nécessité et qu’il est essentiel, dès le Conseil européen de décembre, de parvenir à des avancées concrètes, pour au moins cinq raisons.
1. Le « pivot » américain doit conduire à un engagement européen plus important dans la gestion des crises. Le rééquilibrage stratégique des États-Unis à l’égard de la région Asie-Pacifique résulte de leur volonté d’accroître leurs capacités diplomatiques et militaires dans cette région qui occupe une place croissante sur la scène internationale et dans le commerce mondial. Ce désengagement des États-Unis en Europe et dans son voisinage, en particulier au Moyen-Orient, pose avec d’autant plus d’acuité la question d’un renforcement de l’Europe de la défense.
2. Les nouvelles menaces appellent une coopération européenne. Les risques et les menaces pour notre sécurité sont globaux. Ces menaces sont aujourd’hui largement partagées au niveau européen : le terrorisme, les trafics, la piraterie, les attaques informatiques, la prolifération balistique et nucléaire, les déséquilibres régionaux, la déliquescence des États, qui ne sont plus à-mêmes d’exercer les fonctions de base de la souveraineté, l’affirmation de puissance d’autres États, qui peut aboutir à des tensions…La réponse ne peut donc plus être seulement nationale : elle doit s’inscrire dans un cadre régional ou multilatéral. Cela peut paraître comme une évidence, mais la mise en pratique s’avère compliquée du fait des réticences et des intérêts divergents des États-membres de l’Union Européenne.
3. Les contraintes budgétaires exigent davantage de mutualisation et de coopération. Les contraintes budgétaires ne permettent pas d’augmenter les budgets de défense alors qu’il convient de combler des lacunes capacitaires importantes. La mutualisation et la coopération dans certains domaines constituent un passage obligé – même s’il est important que chaque pays conserve des capacités d’appréciation et d’action autonomes.
4. La base industrielle de défense européenne doit être préservée et consolidée. L’industrie de défense est essentiellement non délocalisable, elle concerne des secteurs technologiques de pointe et elle exporte dans les marchés étrangers. Cela représente donc un atout non négligeable pour l’économie européenne et un élément essentiel de l’autonomie stratégique des politiques de défense.
5. Enfin et surtout, l’Europe de la défense contribue à l’influence de l’Europe dans la mondialisation. Votre rapporteure en est convaincue : l’Europe est une puissance qui s’ignore. L’Union européenne est non seulement la première économie mondiale, mais aussi le premier exportateur et investisseur au monde et le premier partenaire commercial de plus de 100 pays dans le monde. L’Union européenne doit affronter la question de son rôle dans le monde, qu’il s’agisse de la protection de ses intérêts et de ses populations, de ce qu’elle peut continuer à apporter au monde par les valeurs et principes qu’elle promeut (paix, solidarité, État de droit…) ou de sa contribution à la stabilité dans son voisinage. La politique étrangère de l’Union Européenne soit s’appuyer sur une défense européenne forte, afin de pouvoir continuer à peser dans le monde. Face à tous ces défis, l’Europe de la défense constitue une réponse évidente qui a pourtant du mal à s’imposer. Mais si nous voulons conserver notre crédibilité, éviter un déclassement stratégique et rester capables d’assurer la sécurité de notre continent et de nos ressortissants, alors nous sommes dans l’obligation de mutualiser, de partager, de trouver des points de convergence.
Ce Conseil sera utile s’il donne le signal d’un nouveau départ par des avancées concrètes immédiates et une feuille de route pour les années à venir. Il s’agit de définir quelques axes, d’exprimer une volonté politique ; les décisions qui seront prises supposeront nécessairement un suivi constant. Notre pays a une responsabilité historique sur ce dossier ; cette opportunité doit être saisie.
Afin de mieux mesurer les enjeux et les difficultés de ce projet, ce rapport présentera une analyse des difficultés auxquelles l’Europe de la défense est confrontée avant de proposer quelques pistes qui pourraient faire l’objet d’une feuille de route établie par le Conseil européen.
I. L’ÉCHEC DES PROJETS ÉLABORÉS APRÈS LA GUERRE FROIDE
L’histoire de l’Europe de la défense aurait pu commencer en 1950 quand la France a proposé la création de la Communauté européenne de défense. L’ironie de l’histoire a voulu que ce soit la France qui mette un terme à ce chapitre en rejetant le projet de traité qu’elle avait elle-même conçu. À partir de cet échec, l’Europe s’est construite comme une puissance économique et n’a conçu son influence sur le monde extérieur que comme un rayonnement de cette puissance. La contribution de la Communauté européenne pendant la guerre froide consistait essentiellement à proposer un modèle de société opposable au modèle soviétique.
La fin de la guerre froide a permis aux acteurs de la construction européenne de redéfinir les moyens de l’action extérieure de l’Europe. D’où un certain nombre d’initiatives qui ont relancé l’Europe de la défense.
Il convient d’analyser les raisons pour lesquelles ces initiatives ont été engagées au cours des années 90 et au début des années 2000 et pourquoi elles ont fait long feu.
A. LES AVANCÉES DES ANNÉES 1990 ET 2000
Du traité de Maastricht en 1992 au traité de Lisbonne en 2007, l’Europe de la défense a connu un certain nombre d’avancées conceptuelles dont le tableau qui suit présente une vision synthétique.
Chronologie de l’Europe de la défense entre 1992 et 2007
-Février 1992, traité de Maastricht: Maastricht institutionnalise sous forme de pilier intergouvernemental la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), pouvant aller, selon les termes de l’ex-article 11, à « la définition à terme d’une politique de défense commune qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ». L’Union de l’Europe occidentale était appelée à devenir le bras armé de l’Union en mettant en œuvre les décisions de celle-ci qui auraient des implications dans le domaine de la défense. Le traité précisait aussi que ces dispositions ne faisaient pas obstacle au développement d’une coopération plus étroite entre deux ou plusieurs États membres au niveau bilatéral, de l’UEO ou de l’OTAN. Ce progrès significatif trouve des prémices dans l’Acte unique de 1986, lequel appelait les États à formuler et à mettre en œuvre en commun une « politique étrangère européenne » et les invitait à « s'informer mutuellement et à se consulter sur toute question de politique étrangère ayant un intérêt général ». En matière de défense, l’Acte unique rappelait « qu’une coopération plus étroite sur les questions de la sécurité européenne [était] de nature à contribuer de façon essentielle au développement d'une identité de l'Europe en matière de politique extérieure ». En outre, les États s’engageaient « à préserver les conditions technologiques et industrielles nécessaires à leur sécurité ».
Juin 1992 : à l’issue d’une réunion à Petersberg, l’Union de l’Europe occidentale (UEO) définit les missions (dites de Petersberg) que ses membres pourront mener : missions humanitaires ou d’évacuation, missions de maintien de la paix, missions de forces de combat pour la gestion des crises y compris des opérations de rétablissement de la paix.
-Novembre 1996, création de l’OCCAr: L’organisation conjointe de coopération en matière d’armement est une organisation intergouvernementale européenne visant à assurer une coordination optimale des États membres dans la gestion des grands programmes d’armement. L’OCCAr compte aujourd’hui 6 États membres. L’OCCAr ne disposera cependant de la personnalité juridique qu’à compter du 28 janvier 2001.
-Octobre 1997, traité d’Amsterdam : le traité offre de nouvelles possibilités de coopération en matière d’armement. L’article 17 dispose que « la définition progressive d’une politique de défense commune, est étayée, dans la mesure où les États membres le jugent approprié, par une coopération entre eux en matière d’armement ». Amsterdam inclut dans les objectifs de l’Union Européenne la réalisation des missions de Petersberg.
-Décembre 1998, Sommet franco-britannique de St Malo : Les États, dans leur déclaration finale, s’accordent à vouloir donner au Conseil européen un rôle moteur qui doit permettre « le développement progressif d’une politique de défense commune dans le cadre de la PESC ».
-Avril 1999, accords de Berlin plus lors du sommet de l’OTAN à Washington : Accords prévoyant la mise à disposition de l’Union européenne des moyens et capacités de l’OTAN, notamment en matière de planification, pour des opérations dans lesquelles l’Alliance n’est pas impliquée. C’est au titre de ces accords que la mission ALTHEA a été déployée en Bosnie en 2004 ; cette mission est toujours en cours, avec un effectif de 840 soldats.
-Juin 1999, Conseil européen de Cologne: Les chefs d’États et de gouvernements approuvent les grandes lignes de la Politique européenne de défense commune. Ils fixent ensemble l’objectif de doter l’Union d’une capacité d’action autonome et d’une capacité militaire crédible. Ils suggèrent également la mise en place d’institutions militaires européennes.
-Décembre 1999, Conseil européen d’Helsinki : selon les conclusions de ce conseil : « les États membres devront être en mesure, d’ici 2003, de déployer dans un délai de 60 jours et de soutenir pendant au moins une année des forces militaires pouvant atteindre 50 000 à 60 000 personnes, capables d’effectuer l’ensemble des missions de Petersberg ». Le conseil décide aussi la création d’un « mécanisme pour la gestion non militaire des crises ».
-Juillet 2000, création d’EADS : En projet depuis une déclaration trilatérale de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni de 1998, EADS résulte d’une volonté politique commune d’établir un consortium d’entreprises aéronautiques et spatiales européennes.
-Février 2001, traité de Nice : Nice crée le Comité politique et de sécurité de l’Union Européenne (COPS), ainsi que l’État-Major de l’Union Européenne et le Comité Militaire de l’Union Européenne. Le traité donne également naissance à la Politique Européenne de Sécurité et Défense (PESD), composante opérationnelle militaire et civile de la PESC.
-Septembre 2003, lancement d’ARTEMIS : ARTEMIS est la première mission militaire de l’Union Européenne effectuée dans le cadre de la PESD, hors frontières européennes, sous mandat onusien. 18 nations ont participé à cette mission en RDC.
-Décembre 2003, adoption par le conseil du rapport Solana : Le Haut Représentant de l’Union Européenne pour la PESC a rédigé un rapport définissant la stratégie européenne de sécurité. Ce document de référence clarifie la stratégie de sécurité de l’Union Européenne afin que celle-ci assure une meilleure identification des menaces et définissent les objectifs stratégiques de l’Union. Il a fait l’objet d’une actualisation en 2008.
-Juillet 2004, création de l’Agence européenne de défense (AED) : cette agence a pour vocation d’impulser des programmes d’équipement en coopération.
-Octobre 2007, traité de Lisbonne : Les principales dispositions de ce traité sont présentées ci-dessous.
Ces décisions ont eu le mérite de faire avancer l’Europe de la Défense.
Par exemple, les relations avec l’OTAN sont désormais clarifiées, puisque, selon ce cadre, il est admis que l’Union puisse intervenir militairement, soit avec les moyens de l’OTAN (accord « Berlin plus »), soit avec des moyens nationaux, mais toujours de manière autonome par rapport à l’Alliance atlantique.
Autre avancée importante sur le plan conceptuel, le Royaume-Uni, par la déclaration de Saint Malo, reconnaît qu’une politique de défense commune peut se développer au sein de l’Union européenne. L’adhésion du Royaume-Uni à ce projet est demeurée sans lendemain pour des raisons sur lesquelles votre rapporteure reviendra ultérieurement.
L’un des projets les plus ambitieux de ces années est certainement celui fixé par le Conseil européen d’Helsinki, en 1999, à savoir l’objectif d’être capable de mener à bien les missions de Petersberg, avec des forces devant atteindre l’effectif de 50 à 60 000 hommes, dotées des capacités nécessaires de commandement, de contrôle et de renseignement, ainsi que, en cas de besoin, d’éléments aériens et navals. Ce projet n’a pas été réalisé, mais il établit un niveau d’ambition élevé : celui de permettre à l’Union de rester sur un théâtre de crise aussi longtemps que nécessaire. Même si cet objectif est sans doute trop élevé compte tenu de la situation actuelle, il a lui aussi le mérite d’exister.
De réelles avancées au plan industriel ont été réalisées comme la création d’EADS à l’été 2000, ou le lancement, en 1991, des études du programme A400M.
Le traité de Lisbonne offre à la PSDC une panoplie complète d’instruments :
– Le traité créé la fonction de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères. Le Haut représentant dispose d’une administration nouvellement crée, le Service européen d’action extérieure (SEAE), et récupère le contrôle des 139 ex-délégations de la Commission européenne. L’Union dispose ainsi d’un « ministre des affaires étrangères », qui préside le Conseil affaires étrangères, et d’une administration dédiée à l’action extérieure qui s’ajoute aux institutions créées par le traité de Nice : le Comité politique et de sécurité de l’Union Européenne (COPS), l’État-Major de l’Union Européenne et le Comité Militaire de l’Union Européenne. Le Haut Représentant, qui est aussi vice-président de la Commission européenne, coordonne une partie des services relatifs aux relations extérieures de l’Union.
– Les articles 42, paragraphe 5, et 44 du traité permettent au Conseil de confier à un groupe d’États membres la réalisation d’une mission. Ces dispositions tiennent compte du fait que les États européens n’ont pas tous les mêmes capacités et ne peuvent donc pas tous participer à une action militaire. Elles permettent de donner un mandat officiel à ceux qui disposent de ces moyens.
– Dans le même esprit, l’article 46 prévoit également la possibilité, pour un petit groupe d’États membres, de mettre en place des mécanismes de coopération structurée permanente en matière de défense (3). Ce mécanisme est beaucoup plus souple que celui des coopérations renforcées permises par l’article 20. Ces dernières doivent regrouper un nombre minimal de neuf membres, alors qu’aucun seuil n’est prévu pour la coopération structurée permanente qui est donc possible dès lors que deux membres en conviennent. Alors que la coopération renforcée suppose une décision du Conseil réunissant l’unanimité, la coopération structurée permanente peut être décidée à la majorité qualifiée. Ces dispositions ouvrent donc le champ à un noyau dur dédié à l’Europe de la défense.
– Enfin, le traité élabore, dans son article 42§7, en cas d’agression armée d’un des États membres, une clause d’assistance des autres États membres « par tous les moyens en leur pouvoir », en référence à l’article 5 du traité de l’Atlantique nord.
Le traité de Lisbonne signait l’acte de naissance de la nouvelle PSDC et de la mise en place d’une politique étrangère commune. Ses dispositions auraient pu permettre de réaliser des progrès substantiels ; en particulier le cadre très souple de la coopération structurée permanente aurait pu permettre à quelques États de progresser. Mais ces potentialités n’ont pas été exploitées jusqu’à présent.
La force projetable est toujours dans les limbes, et ses succédanés, les groupements tactiques européens, créés en 2004, nous le verrons, n’ont pas répondu aux attentes. Les industries de défense européennes sont en crise, du fait notamment des restrictions budgétaires et de l’apparition de nouveaux centres de production, et ne parviennent pas à constituer un front commun ; le nombre de programmes militaires en coopération a baissé et si l’Union a engagé quelques opérations militaires, celles-ci sont demeurées d’un niveau modeste.
C’est grâce à un contexte stratégique très particulier que les avancées enregistrées dans les années 1990 ont pu se produire.
La fin de la Guerre froide a frappé d’obsolescence les politiques de défense des pays européens organisées jusqu’ici autour d’un scénario, celui d’une bataille majeure au centre de l’Europe. La fin de la bipolarité libérait des forces centrifuges et rendait beaucoup plus probables des scénarios de crise pouvant conduire les pays européens à participer militairement à des conflits sur des théâtres lointains.
La première guerre du Golfe a provoqué une première prise de conscience. Elle a été l’occasion pour les pays européens de constater que leurs forces armées étaient largement inadaptées pour répondre à ce type de situation et a ouvert chez certains d’entre eux, notamment la France, une période de réformes et de restructurations afin de transformer leurs armées en forces « projetables ».
Par ailleurs, au même moment, éclatait la crise yougoslave. Pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Europe connaissait une guerre sur son propre sol et les États-Unis, et donc l’OTAN, jusqu’en 1995, restaient extrêmement distants. C’est cette prise de conscience qui a conduit les Européens à affirmer la volonté politique d’être capables à l’avenir de prendre en charge la gestion de ce type de crises et de définir le cadre de cette gestion.
Cependant, toutes ces initiatives ont perdu de leur urgence à mesure que le continent européen se pacifiait. Paradoxalement, les difficultés que nous rencontrons à construire une Europe de la défense résultent en partie du climat de paix qui règne en Europe depuis la fin de la crise yougoslave.
La crise irakienne a provoqué en Europe une rupture politique entre les États membres qui a eu certainement des effets sur l’Europe de la défense. Un élan a été brisé qui explique en partie que les initiatives prises au cours des années 90 n’ont pas eu de suites convaincantes.
Cette crise a provoqué une tension très forte entre, d’une part, la France et l’Allemagne, et d’autre part, les pays d’Europe centrale, qui avaient pris la décision d’accompagner les États-Unis et le Royaume-Uni. Alors que l’Union européenne était en train de s’élargir à la Pologne et à la République tchèque, ces deux États ont choisi de suivre les États-Unis et la réaction du Président de la République française à cette décision n’a pas contribué à apaiser la tension.
Elle a également contribué à tempérer les ambitions pro-européennes du Premier ministre Tony Blair. Celui-ci avait joué un rôle majeur lors de la déclaration de Saint Malo, notamment pour compenser le fait que le Royaume-Uni ait décidé de ne pas se joindre à la monnaie unique. En acceptant le principe qu’une politique de défense commune puisse se développer, il avait accompli un pas qui aurait pu se révéler décisif mais qui, du fait de la crise irakienne, n’a été suivi d’aucun autre, au point qu’aujourd’hui les blocages traditionnels du Royaume-Uni à l’égard de la PSDC paraissent invariables.
Les progrès de la PSDC ne peuvent se réaliser dans un climat de tension avec les États-Unis, car aussitôt toute proposition est comprise et présentée par ses adversaires comme un coup contre la solidarité transatlantique et parce que ces progrès supposent des contacts réguliers entre les responsables des politiques de défense qui supposent un climat de confiance. C’est un constat qui naturellement n’enlève rien aux excellentes raisons qui ont conduit la France et l’Allemagne à s’opposer à ceux qu’elles considéraient et considèrent toujours comme des alliés, à savoir les États-Unis et le Royaume-Uni. Qui aujourd’hui affirmerait que ces derniers ont eu raison de se lancer dans cette malheureuse aventure ?
3. La crise du projet européen
Les avancées des années 90 correspondent aussi à une période faste pour l’Europe qui a su se construire autour de projets fédérateurs : l’accomplissement du marché unique, la création de la monnaie unique, la préparation de l’élargissement, le processus de Barcelone, pour ne citer que les plus emblématiques.
Le traité de Maastricht est à la fois l’illustration et l’un des facteurs de ce phénomène. À travers lui, les pays membres de l’Union ont pris en mains à la fois leurs problèmes internes – la crise était déjà là, sévère et inquiétante – ainsi que les défis que leur posait leur voisinage immédiat. Ce traité prévoyait en effet, non seulement la création de l’Union économique et monétaire mais aussi les premiers éléments pouvant conduire à une politique étrangère commune. Surtout, ce traité était un acte politique qui donnait une réponse aux bouleversements du continent européen : chute de l’Union soviétique, démocratisation des pays d’Europe centrale et orientale, des Balkans, de l’Europe de l’Est, réunification allemande, pour ne citer que les principaux.
Le Royaume-Uni était lui aussi sensible à ce mouvement. C’est parce que l’Europe était en mouvement que certains de ses dirigeants – Tony Blair le premier - ont acquis la conviction que leur pays ne devait, ni empêcher la création de la monnaie unique, ni même rester durablement à l’écart. Certes le débat interne qui s’est ouvert ces années-là n’a pas infléchi l’opinion majoritaire, mais il était révélateur de la puissance d’attraction qu’exerçait l’Europe en marche.
Ainsi, même si les États membres ne parvenaient pas encore à définir une politique étrangère commune sur tous les sujets, au moins, un projet européen était-il défini. Les progrès de l’Europe de la défense participaient de ce mouvement et étaient entretenus par lui.
Depuis, l’Europe connaît les difficultés que l’on sait. C’est à partir du début des années 2000 qu’un écart de croissance est apparu entre le continent américain et le continent européen, ce qui a contribué à détourner les Britanniques des projets européens. L’échec du traité constitutionnel en 2005 puis la crise économique de 2008 se sont traduits par une concentration de l’Europe sur ses problèmes intérieurs et l’effacement du projet européen des agendas politiques. La crise de l’Europe de la défense n’est probablement que l’une des facettes de cette crise plus générale du projet européen.
II. LES DIFFICULTÉS COMMUNES À L’OTAN ET À L’UNION EUROPÉENNE
Avant d’examiner les raisons internes qui empêchent les pays européens d’avancer dans le domaine de la défense, il est nécessaire d’examiner celles qui d’une manière plus générale limitent les capacités d’agir des Occidentaux aujourd’hui.
En effet, il n’y a pas d’un côté une Alliance atlantique qui marche et une Europe de la défense à la traine. La France a rejoint l’organisation militaire intégrée alors que l’organisation était en pleine crise existentielle. Alliance défensive et dédiée à la défense collective d’un espace territorial précis, l’OTAN n’a pas réussi à redéfinir clairement ses missions. Comme l’avait prédit un conseiller de Mikhaïl Gorbatchev, Gorgi Arbatov, en 1989 : « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi ».
L’Alliance demeure une machine de guerre puissante et sophistiquée et la culture de défense qu’elle a entretenue demeure vivace parmi la plupart de ses membres. Mais la solidarité politique des Alliés a été soumise à rude épreuve, notamment au moment de la crise irakienne, et l’organisation n’a pas su réellement trouver une nouvelle raison d’être via les opérations hors zone. Elle n’a pas non plus joué de rôle positif évident dans le domaine du maintien à niveau des capacités de ses membres ; on peut même soupçonner que certains ont déduit de leur appartenance à l’organisation qu’ils pouvaient déléguer aux autres le soin de cette mise à niveau.
Dans la période plus récente, le ralentissement de la construction de l’Europe de la défense a coïncidé avec un ralentissement global des activités de l’OTAN. Pas davantage que les groupements tactiques de l’Union européenne, la force de réaction rapide de l’OTAN n’a connu de mise en situation, depuis sa création en 2002. La France voudrait que l’Union prenne le relais de la KFOR au Kosovo. De nombreux arguments plaident pour cette solution, mais un seul y fait réellement obstacle : l’OTAN ne veut pas renoncer à ce qui serait sa dernière opération extérieure après son retrait programmé d’Afghanistan en 2014.
Tous les membres de l’Alliance atlantique sont confrontés aux mêmes difficultés que l’on peut identifier comme, tout d’abord, les interrogations sur l’opportunité de recourir à la force et, ensuite, les difficultés dans un contexte budgétaire tendu de maintenir des capacités militaires suffisantes.
A. LES INTERROGATIONS SUR L’OPPORTUNITÉ DU RECOURS À LA FORCE
La défiance croissante de l’opinion publique vis-à-vis des engagements militaires affecte aussi bien l’OTAN que l’Union Européenne.
Or, comme le confiait la ministre des affaires étrangères d’Italie, Emma Bonino, à votre rapporteure, la question essentielle est de savoir si les Européens (mais aussi les Américains) souhaitent être des acteurs de paix ou bien qu’on les laisse en paix.
1. La montée du brouillard stratégique
Depuis une dizaine d’années, le contexte stratégique se qualifie par une grande difficulté à analyser les crises et à mesurer exactement quelles pourraient être les suites d’une intervention militaire dans telle ou telle situation. Ces difficultés sont encore plus grandes quand il s’agit de les expliquer à l’opinion. Comme si les décideurs étaient plongés dans un « brouillard stratégique », pour reprendre une expression utilisée par Mme Nicole Gnesotto.
La guerre en Irak a ouvert aux États-Unis et en Europe, un cycle de défiance croissante à l’égard des interventions extérieures et des discours tendant à les justifier. Alors qu’aucune arme de destruction massive n’a été découverte en Irak après son invasion et en dépit des affirmations péremptoires des autorités anglo-saxonnes, la guerre civile en Irak acheva de modifier la perception des opinions publiques dans le sens d’une plus grande retenue vis-à-vis des opérations extérieures. Les États qui se sont engagés derrière les Américains, en ressentent aujourd’hui les effets. Cela a été particulièrement ressenti au Royaume-Uni, avec retard il est vrai, puisque c’est seulement lors de la crise syrienne, en septembre dernier, que les réserves de l’opinion publique sont apparues au grand jour.
Par ailleurs, l’intervention américaine était censée être suivie par la construction rapide d’une nouvelle démocratie et une reconstruction au même rythme de l’économie du pays, à l’image de ce qui avait été réalisé en Allemagne et au Japon après la seconde guerre mondiale. Très vite cependant, les divisions communautaires de l’Irak ont démontré que ce scénario était exagérément optimiste pour ne pas dire irréaliste.
Le long engagement en Afghanistan a également eu un impact négatif sur la perception des opérations extérieures. L’engagement initial, en 2001, au titre de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, rappelons-le, a été compris par les opinions car il s’agissait de riposter à une attaque terroriste particulièrement grave et meurtrière en neutralisant le régime des talibans. En revanche, la prolongation de l’opération et l’intervention de troupes au sol, ont suscité très vite des interrogations sur la stratégie employée. Les pertes subies et les faibles résultats après treize années de présence ont achevé de saper le soutien de l’opinion publique. Quant à la construction d’un État démocratique en Afghanistan, il paraît lui aussi improbable à moyen terme.
Aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés à des menaces et à des crises beaucoup plus proches géographiquement que celles qui ont fondé les actions en Irak et en Afghanistan, Américains comme Européens paraissent inhibés par ces malheureuses expériences.
La guerre en Libye est, elle aussi, typique de ce nouveau cycle.
Engagée pour répondre à la menace plus que vraisemblable d’un massacre de population civile et alors que le printemps arabe était encore dans sa phase optimiste, marquée par la chute de deux dictateurs réputés indéboulonnables, cette action a été un succès militaire incontestable. Mais, il n’a pas été suivi d’une consolidation politique.
Aujourd’hui, les nouvelles autorités libyennes ont les plus grandes difficultés à construire un État digne de ce nom, faute de soumettre les milices qui ont contribué au succès militaire. Comme les alliés s’étaient interdit, pour des raisons par ailleurs parfaitement fondées et compréhensibles, tout envoi de troupes au sol, les « katibas » sont aujourd’hui en position de force. Ni les Européens, ni les Américains ne paraissent aujourd’hui avoir la possibilité d’aider les autorités, pourtant légitimement élues, à reprendre le contrôle de la situation. L’Union a dépêché une mission civile qui a toutes les peines du monde à se déployer.
A posteriori, cette action souligne les inconvénients d’une intervention armée lorsqu’elle n’est pas suivie d’une solution politique et d’un soutien civilo-militaire efficace. Par ailleurs, cette guerre a contribué à installer un climat de défiance vis-à-vis du printemps arabe.
2. La crise syrienne : un paroxysme ?
La crise syrienne apparait comme un paroxysme cumulant les caractéristiques des crises de ce nouveau siècle.
C’est un nouveau cas de brouillard stratégique, plus épais sans doute que celui de la crise libyenne. En effet, si les motifs humanitaires d’une intervention militaire sont largement réunis, jamais la question de l’après-conflit ne s’est posée avec autant d’acuité que dans cette crise. La prolongation de la guerre civile s’est traduite par une montée des extrêmes. L’opposition syrienne est divisée et les mouvements fondamentalistes les plus dangereux gagnent du terrain. L’identité syrienne qui reposait sur la co-existence pacifique entre plusieurs communautés est aujourd’hui très gravement menacée. Dans de telles conditions, on ne voit pas quels buts de guerre la communauté internationale pourrait se fixer si tant est qu’elle souhaiterait s’engager dans cette voie.
À ce phénomène s’ajoute les conséquences délétères de la guerre irakienne. Alors que la situation dramatique de la population civile en Syrie aurait pu inciter l’opinion à appuyer une action, voire à s’indigner de l’inaction occidentale, le souvenir de la guerre en Irak et le contre-exemple libyen l’ont conduite à la plus grande circonspection. Ainsi, alors que les massacres de Markale, en févier 1994 et en août 1995, ont conduit l’OTAN à intervenir avec le soutien de l’opinion publique occidentale indignée par une centaine de morts Bosniaques, les massacres de la Ghouta, en août 2013, d’une tout autre ampleur (1 500 morts) et largement médiatisés, n’ont pas suffi à ébranler ce scepticisme.
On relèvera aussi que l’opinion, en 1995, était restée indifférente aux affirmations délirantes selon lesquelles les massacres de Markale auraient été perpétrés par les Bosniaques pour provoquer l’intervention de l’OTAN, alors qu’en 2013, elle a été beaucoup plus sensible aux interrogations émises par certains milieux quant à l’origine des attaques chimiques d’août 2013, ce qui à l’évidence est une autre conséquence de la guerre en Irak.
Cette lassitude et ce scepticisme sont aujourd’hui largement partagés par les deux rives de l’Atlantique. Infiniment plus concerné par les guerres d’Irak et d’Afghanistan, le peuple américain a porté au pouvoir un président mandaté pour terminer les guerres engagées par son prédécesseur.
3. L’exception et le test maliens
L’intervention au Mali paraît être une exception par rapport aux observations qui précèdent dans la mesure où les objectifs militaires de l’intervention se sont accompagnés d’une stratégie politique réaliste ayant des chances de succès élevées même si, bien entendu, beaucoup reste à faire pour garantir la stabilisation de ce pays.
C’est aussi un test de ce que l’Europe peut accomplir dans ce type de situation d’un double point de vue militaire et politique.
a. Un test militaire mitigé pour l’Europe de la défense
D’un point de vue militaire, l’intervention française au Mali est souvent citée en exemple pour démontrer que l’Europe de la défense serait une chimère dans la mesure où les pays membres de l’Union européenne auraient laissé l’armée française assumer l’essentiel des risques de l’opération.
Votre rapporteure ne partage pas ce jugement sévère.
Aucun de nos alliés n’a envoyé de troupes au sol, il est vrai, ni même d’avions de chasse ; le groupement tactique européen d’alerte est resté armes au pied. Cependant, l’opération Serval étant à la portée de nos forces, la formation d’une coalition internationale n’était pas indispensable sur le plan militaire ; elle aurait même pu se révéler contre-productive compte tenu des difficultés de fonctionnement inhérentes à toute coalition. La France dans une telle situation d’extrême urgence n’a d’ailleurs jamais demandé la participation directe de ses alliés.
Ce que la crise malienne a mis en exergue, c’est moins l’absence de solidarité des Européens, que le fait que seule l’armée française était capable de mener ce type d’opération. Les Britanniques, en particulier, ont réalisé à cette occasion à quel point l’armée française les distançait.
Ceci démontre sans doute que peu de pays européens disposent de la volonté et de la capacité d’entrer en premier sur un théâtre d’opération. On peut le déplorer, mais il est sans doute préférable d’en prendre acte et de réfléchir à un objectif plus modeste que l’Union pourrait se fixer sur ce plan, à savoir, être capable d’intervenir en second sur un théâtre, pour aider à la stabilisation de la situation post-conflit, avant le déploiement d’une force de maintien de la paix de l’ONU ou d’une organisation internationale régionale.
Par ailleurs, la solidarité européenne n’a pas été si négligeable et le soutien américain n’a pas été plus élevé alors que la menace qu’un groupe terroriste prenne le contrôle d’un État africain comme le Mali était perçu par tous comme extrêmement préoccupante. Il n’est donc pas exact de présenter ceci comme un échec propre à l’Europe.
Le soutien allié a permis de pallier des lacunes capacitaires bien connues : le transport de troupes, le ravitaillement en vol et le renseignement. Dès le début de l’opération Serval, de nombreuses forces armées étrangères, alliées au sein de l’OTAN et membres de l’Union européenne, ont apporté leur soutien militaire à la France. Ce soutien, particulièrement adapté et diligent, a confirmé la solidité de nos coopérations bilatérales. La fourniture de capacités-clés a permis de renforcer la projection de nos forces et l’élongation de nos missions de chasse. Il convient aussi de ne pas minimiser l’aide apportée à nos opérations, de manière beaucoup moins visible, par le soutien ISR (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) fourni par deux de nos alliés (États-Unis, Royaume-Uni).
Nos partenaires britanniques, canadiens, belges et américains, puis allemands, danois (4), espagnols et néerlandais, ont fourni des avions de transport stratégique, tactique intra-théâtre ainsi que des avions ravitailleurs. Le soutien de la plupart de nos alliés se poursuit à l’heure actuelle.
Nos alliés britanniques (logistique et renseignement), canadiens (logistique), et américains (renseignement puis logistique), avec lesquels nous partageons la même culture opérationnelle et expéditionnaire, ont apporté dès les premiers jours un soutien essentiel pour la réussite de la mission.
Le soutien allemand n’est intervenu qu’au terme d’une longue procédure, mais, une fois l’accord du Bundestag obtenu, il s’est avéré particulièrement fiable et consistant, hissant l’Allemagne au rang des principaux contributeurs (premier en nombre de vols réalisés). La coopération avec la Belgique dès le début des opérations a été remarquée et a permis d’assurer les missions de transport intra-théâtre. Mis à disposition sans limitation d’emploi, ce soutien a offert la même souplesse d’utilisation que les avions français.
À la lumière de cette expérience, on peut se demander si cette opération au Mali ne pourrait pas être un modèle dans certaines situations. Il y a des cas où l’urgence commande une réaction immédiate qui ne peut être le fait d’une coalition, même bien entraînée. Une nation doit alors nécessairement prendre la responsabilité d’entrer en premier sur le champ de bataille. Dans ces cas, l’Europe devrait pouvoir apporter un appui logistique et prendre le relais, dans une seconde phase, en attendant que la situation soit suffisamment stabilisée pour permettre le déploiement d’une opération de maintien de la paix.
Le soutien politique de nos alliés européens était indispensable pour conforter la légitimité de cette intervention et, de ce point de vue, le test a été réussi. À cet égard, la mission EUTM-Mali, est importante non seulement par l’objet de sa mission – forger une armée malienne robuste – mais aussi parce qu’elle concrétise le soutien politique de nos alliés par un engagement au sol, certes limité, mais réel.
Les contributions des États européens figurent dans une annexe de ce rapport. L’Espagne est le premier contributeur après la France, la Belgique le deuxième, l’Allemagne le troisième et le Royaume-Uni le quatrième. Initialement, la contribution française assurait la protection de ces forces et l’on avait pu regretter qu’aucun de nos partenaires ne soit disposé à assumer cette mission plus exposée. En réalité, la France envisageait d’assurer seule cette fonction de protection et c’est seulement dans un second temps qu’elle a demandé le concours des membres de l’Union qui ont de ce fait mal compris qu’on leur fasse un tel procès. Cette polémique est aujourd’hui close puisque trois sections de 27 soldats espagnols ont pris le relais.
Par ailleurs, le Mali est aussi un test pour ce qu’il est convenu d’appeler « l’approche globale » de la gestion des crises par l’Union européenne, sujet qui sera abordé d’une manière plus approfondie dans la suite de ce rapport.
Les expériences des dix dernières années, qu’il s’agisse de l’Irak, de l’Afghanistan ou de la Libye, nous ont confirmé qu’il n’y avait pas de solution purement militaire à un conflit. Après un conflit, l’approche globale consiste à passer le relais aux autorités nationales et régionales légitimes et à promouvoir des politiques d’aide au développement. Elle consiste aussi à prévenir la survenance ou la contagion régionale d’une crise en intervenant le plus possible en amont afin d’éviter notamment la déliquescence des États.
Justement, la stratégie pour le Sahel définie par l’Union européenne mobilise les services de l’aide au développement et de l’aide humanitaire de la Commission européenne, en intégrant complètement les questions sécuritaires.
B. LES EFFETS DE LA CRISE ÉCONOMIQUE ET BUDGÉTAIRE
1. Les risques d’une rupture capacitaire
Ni l’Union européenne, ni l’OTAN dont c’est pourtant l’une des fonctions, ne sont parvenues à prévenir les conséquences de la crise budgétaire sur les moyens que les Européens consacrent à leur défense.
Dès le début des années 1990 la baisse des budgets militaires était d’ores et déjà une réalité dans de nombreux États. La fin de la guerre froide succédait à l’ère de la détente et offrait un environnement stratégique propice à la réduction des dépenses militaires du continent européen. Il s’agissait alors de « toucher les dividendes de la paix ».
Parallèlement à ce mouvement, les États-Unis accédaient au rang d’ « hyperpuissance », garantissant ainsi une sécurité globale, et les dettes publiques des États européens commençaient à peser dans l’élaboration de budgets nationaux amincis. Le « retour à la normale », auquel les États ont procédé dès les années 1990, s’est poursuivi dans les années 2000 selon un mouvement d’ensemble post-guerre froide qui répondait à la disparition de la menace soviétique, celle-là même pour laquelle les États s’étaient lancés dans une course à l’armement qui n’avait plus lieu d’être.
Cependant, la baisse continue des budgets militaires depuis la crise financière de 2008 ne s’inscrit plus dans cette logique de rationalisation.
Jusqu’à il y a peu, la baisse des budgets de défense européens n’affectait pas les capacités opérationnelles des modèles d’armées. Aujourd’hui, chaque réduction annoncée des budgets de la défense d’un État membre laisse poindre le risque du « déclassement » stratégique. La crise financière, à laquelle succéda une crise des dettes publiques, conduit les États à faire des arbitrages afin de trouver un équilibre entre souveraineté budgétaire et souveraineté militaire et certains sont tentés de sacrifier la seconde à la première…
Les dépenses militaires cumulées de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de l’Italie représentent, de nos jours, 13% des dépenses militaires mondiales contre presque 20% en 2000 (5). Ces chiffres certifient que la baisse des budgets européens se corrèle à une hausse significative qui prévaut sur l’ensemble des budgets des pays du monde, réduisant progressivement la place des États européens sur l’échiquier international.
Dans le même temps, l’on assiste à la montée en puissance fulgurante de la Chine. Puissance commerciale dans un premier temps, la Chine est désormais une réalité stratégique. L’empire du Milieu ne cesse d’accroitre son budget militaire, disputant à l’Europe la deuxième position mondiale en passant de 183Mds€ en 2010 à 216Mds€ en 2012 (6), comme le relevait le rapporteur de notre commission sur le projet de programmation militaire. Ce développement capacitaire inquiète et entraine dans son sillage des dommages collatéraux provoquant une hausse des tensions régionales. L’Asie est peut-être la poudrière de demain. Aux tensions provoquées par les revendications chinoises à l’égard de ses voisins, se superpose l’antagonisme de puissance entre la Chine et les États-Unis. De ce fait des crises régionales pourraient très bien un jour dégénérer en un affrontement de grande ampleur.
En ce qui concerne les États-Unis, leur budget a sensiblement baissé – de l’ordre de 100 milliards de dollars en dix ans - mais il est encore, de loin, le premier au monde en matière de dépense militaire avec, pour l’année 2013, près de 655Mds€. Cependant, ces chiffres doivent être mis en perspective avec le repositionnement stratégique qu’ils ont opéré depuis quelques années sur la zone Asie-pacifique au travers du « pivot ». Il a été donné ainsi un signal inédit aux États de l’Union européenne afin que ceux-ci prennent désormais en charge, à minima, leur propre sécurité ainsi que celles des pays historiquement et culturellement intégrés à leur sphère d’influence.
Peut-on pour autant parler de décrochage européen ? Certains États, comme la France, la Pologne ou le Danemark, empêchent qu’un bilan aussi pessimiste puisse être dressé au niveau européen. Mais il existe cependant des risques de déclassement à l’échelle d’un pays comme cela peut être le cas des Pays-Bas ou bien un risque que des puissances militaires importantes, comme le Royaume-Uni, perdent une partie de leur capacité d’action.
La situation des budgets militaires est très hétérogène. Le tableau annexé à ce rapport illustre ces contrastes. Les comparaisons des volumes et des pourcentages de PIB dédiés à la défense conduisent à un premier constat : trois pays assurent 75% de l’effort de défense européen et six en assurent 86%. Par rapport aux États-Unis, les États de l’Union dépensent trois fois moins et, ce qui est beaucoup plus significatif, leurs capacités militaires représentent le cinquième des capacités américaines.
Le cas des Pays-Bas est aujourd’hui emblématique des conséquences que peuvent avoir de petites coupes successives et significatives sur le budget de la défense. Tous les responsables militaires et spécialistes assurent que les Pays-Bas ont aujourd’hui atteint un seuil tel que leurs capacités de projection sur des théâtres d’opérations extérieures en sont sérieusement affectées. Progressivement, sans qu’il s’agisse réellement d’un choix politique, les Pays-Bas ont perdu tout rayonnement stratégique. Ils ont certes conservé leur triple A mais sont aujourd’hui une nation militairement déclassée en comparaison à ce qu’elle pouvait encore faire il y a quelques années.
Plus préoccupant, pour les mêmes raisons, le Royaume-Uni accuse une perte de capacités. Il ne dispose pas des capacités lui permettant de réaliser l’équivalent de l’opération Serval et les guerres auxquelles il a participé ont fait apparaître des lacunes inquiétantes.
La France fait aujourd’hui face à de sérieuses contraintes budgétaires, mais elle a décidé de ne pas sacrifier son budget militaire. Les risques capacitaires qui pesaient lourdement sur les forces armées lors de l’élaboration du dernier Livre Blanc sont désormais éloignés grâce aux arbitrages effectués par le Président de la République. Cependant il n’en reste pas moins que la LPM, qui est l’incarnation opérationnelle du Livre Blanc sur la période 2014-2019, a été élaborée sur « le fil du rasoir ». Comme l’a souligné le Rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères sur la loi de programmation militaire, l’exécution de celle-ci doit être optimale si nous voulons éviter tout risque capacitaire.
La France a donc fait le choix de conserver un modèle d’armée cohérent face à l’incertitude du contexte géopolitique. La LPM, si elle consacre la réduction du format de nos armées, ne prévoit l’abandon d’aucune capacité, dotant ainsi nos forces d’un large spectre d’intervention, celui-là même qui a permis la réussite de l’opération Serval.
2. Une industrie de défense européenne en danger
En France, le chiffre d’affaires total du secteur de l’industrie de la défense et de sécurité représente 44,4 Md€ (dont 74% dans le domaine civil) et ce secteur d’activité génère 165 000 emplois directs (7). En Europe, le secteur de la défense, de la sécurité et du spatial emploie plus de 752 000 personne et représente un chiffre d’affaires de 186,8 Md€ (8).
L’industrie de défense européenne est confrontée à l’émergence de nouveaux concurrents sur les marchés extérieurs alors que la santé de l’industrie américaine ne se dément pas. Le marché américain représente 46% du marché mondial et demeure très largement fermé. Or, la baisse des crédits nationaux contraint les industries de défense européenne à accentuer leurs efforts à l’export ou à diversifier leur production vers le civil comme le fait EADS.
Cette industrie est également peu intégrée par rapport à ses concurrents américains. Peu d’entreprises ont atteint le degré d’intégration de MBDA. À l’origine, les entreprises qui composent cette société étaient concurrentes mais coopéraient sur des programmes d’armement. En 1996, ces entreprises ont été rattachées à une holding, mais demeuraient responsables de leurs résultats ; depuis 2006, cette responsabilité incombe globalement à la holding. Actuellement, MBDA travaille à une spécialisation de ses filiales afin de supprimer les doublons pour la mise en place du missile antinavire, programme franco-britannique mis en œuvre dans le cadre des accords de Lancaster House.
Les programmes d’armement en coopération peuvent faciliter un tel processus. Malheureusement, leur nombre est beaucoup moins important que ceux conduits pendant les décennies précédentes.
L’Agence européenne de défense (AED) a été créée en juillet 2004 pour stimuler la coopération européenne. Dotée d’un budget de 30 millions d’euros, l’AED comprend 4 directions opérationnelles qui correspondent à ses quatre fonctions principales : direction des capacités, direction recherche et technologie, direction de l’armement et direction de l’industrie et du marché.
L’AED entend être une « force de proposition ». Elle a été conçue comme un organe de préparation de l’avenir, et non comme une entité de gestion de programmes en coopération comme peut l’être, par exemple, l’OCCAr (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (9)). Sa vocation est de rechercher, préparer et impulser des programmes en coopération, qui peuvent ensuite être confiés à des entités de maîtrise d’ouvrage ou à des agences nationales d’acquisition.
L’AED a entrepris de représenter les intérêts militaires vis-à-vis des politiques communautaires ayant un impact direct sur les appareils de défense des États membres. C’est le cas s’agissant du projet « Ciel unique européen » (10) et de son volet technologique SESAR (11)pour lequel l’AED joue un rôle moteur. Elle préside ainsi le forum informel réunissant les différents acteurs de ce dossier (États membres de l’Union Européenne, OTAN, Commission européenne, Agence Eurocontrol…), ainsi que des États non membres de l’Union Européenne comme la Turquie et le Canada.
En matière de développement capacitaire, l’AED a choisi, en 2010, de concentrer son activité sur la mutualisation et le partage des capacités (« pooling and sharing ») comme moyen de répondre aux risques induits par les réductions des budgets militaires. Lors de la réunion du comité directeur du 30 novembre 2011, une liste de 13 domaines prioritaires a été adoptée, en particulier le ravitaillement en vol, le soutien médical, les communications par satellite, la formation des pilotes ainsi qu’un projet « pool de frégates » et la lutte contre les engins explosifs improvisés.
Lors du comité directeur de l’AED du 19 novembre 2012, les ministres de la défense ont par ailleurs adopté un Code de conduite sur le partage et la mutualisation capacitaire. Ce document propose d’envisager systématiquement, dans le domaine des capacités militaires, une possible coopération européenne avant de considérer un projet sous le seul angle national. Ce Code de conduite suggère en outre de protéger les budgets alloués à des programmes menés en coopération.
L’AED – qui, depuis 2008, a déjà favorisé l’investissement de 600 millions d’euros dans le domaine de la recherche technologique – entend renforcer la coordination avec la Commission européenne afin d’améliorer la complémentarité et les synergies entre les moyens communautaires et les actions engagées à titre national et intergouvernemental. À ce titre, elle porte une attention poussée aux technologies duales, c’est-à-dire celles qui peuvent avoir des implications tant civiles que militaires. Dans cette perspective, l’AED a lancé 3 programmes de recherche ayant une implication en matière de lutte NRBC (12), d’insertion des drones dans le trafic aérien civil et concernant les technologies innovantes.
La direction « Industrie et Marché » de l’AED travaille à l’identification des lacunes industrielles européennes. Le domaine des systèmes aériens futurs, pour lequel les pays membres ont marqué un intérêt commun, est traité en priorité.
Avec l’AED, l’Union dispose d’un outil qu’il conviendrait sans doute de renforcer car, en dépit de ces efforts, le bilan reste maigre.
C. LA NOUVELLE STRATÉGIE AMÉRICAINE
La nouvelle stratégie américaine illustre bien les difficultés communes aux deux rives de l’Atlantique. Son analyse est aussi un préalable indispensable à celle des politiques de défense de nos partenaires et aux évolutions qu’elles pourraient connaître dans les prochaines années.
1. La fin de la « guerre contre le terrorisme »
L’élection présidentielle américaine de 2008 a ouvert une nouvelle phase dans la stratégie américaine. Barak Obama a été élu pour rétablir la situation économique et sociale interne des États-Unis, en difficulté suite aux conséquences désastreuses de la crise financière. Le candidat démocrate n’a guère fait campagne sur les questions internationales sauf sous l’angle du retour des troupes engagées en Irak et en Afghanistan pour lequel il s’engagea avec conviction afin de clore un chapitre de l’histoire américaine.
Au terme du deuxième mandat de George Bush, les citoyens américains constatèrent en effet que, malgré les succès militaires en Irak et Afghanistan, les avancées politiques sur ces deux terrains d’engagement étaient faibles. L’Irak sombrait dans la guerre civile avant que le général Petraeus n’adopte la stratégie du « surge » en 2006 afin de rétablir une stabilité sécuritaire à minima. Le nombre croissant de civils et de militaires tués (13), ainsi que l’enlisement des troupes, finirent par faire basculer l’opinion publique américaine.
En Afghanistan, le tableau n’était guère plus brillant, avec un enlisement tout aussi insupportable qui touchait à cette occasion l’ensemble des opinions publiques des pays de l’alliance participant à cette guerre. Les progrès de l’administration Karzai, couplés aux efforts de l’alliance et de la communauté internationale pour rétablir l’État de droit en Afghanistan, n’ont pas suffi à assurer une quelconque victoire, de fait ou de droit, sur les talibans.
Ce constat a conduit le Président Obama à renouveler les grandes lignes de la nouvelle politique étrangère des États-Unis.
Il mit un terme à l’interventionnisme tout azimut qui prévalait au lendemain du 11 septembre au nom de la lutte contre le terrorisme et s’engagea dans une diplomatie de réconciliation globale, avec le monde musulman (Discours du Caire du 4 juin 2009) et également avec la Russie. Cette politique s’accompagnait d’une main tendue à l’Iran.
Il se démarque aussi de son prédécesseur par une démarche consistant à revoir les canons du traditionnel hard power américain vers un smart power économiquement plus réaliste et politiquement plus réfléchi. L’hégémonie américaine se fera désormais discrète, s’appuyant davantage sur l’influence culturelle et financière.
Le Président Obama annonça, lors d’un discours devant le Parlement australien en novembre 2011 (14), une réorientation des priorités stratégiques des États-Unis vers l’Asie qui prendra officiellement le nom de « pivot » lequel s’est traduit par une réduction importante des forces américaines navales, terrestres et aériennes stationnées en Europe au profit d’une présence accrue dans le Pacifique. En 2020, 60% de la marine américaine sera présente en Asie.
Cette politique américaine n’est pas une nouveauté, mais elle s’est affirmée ces dernières années, sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs.
Les États-Unis souhaitent consolider leur position dans la région Asie-Pacifique tant pour les opportunités qu’elle offre (en termes de croissance économique, d’innovation et de perspectives commerciales) que pour les risques qu’elle porte (en termes de sécurité, de rivalités interétatiques, de courses aux armements).
Les États-Unis cherchent également à rassurer leurs partenaires dans cette région, inquiets par la montée en puissance de la Chine, tout en évitant toute opposition frontale avec celle-ci.
Ce rééquilibrage intervient par ailleurs dans un contexte général de réorientation de la politique étrangère américaine, notamment la volonté des États-Unis de se désengager vis-à-vis du Moyen-Orient qui a concentré ces dernières années une grande partie de leur attention, de leurs ressources et de leur capital politique. La fatigue de l’opinion publique après plus d’une décennie d’engagements militaires se conjugue à une crise économique affectant les capacités budgétaires du pays et aux développements dans le secteur de l’énergie qui devraient permettre aux États-Unis de devenir le plus gros producteur de gaz et de pétrole vers 2017 et d’assurer ainsi leur indépendance énergétique.
Aujourd’hui, il y a environ 65.000 soldats américains en Europe. L’armée de terre y disposait, jusqu’à peu, de quatre brigades de combat. Deux de ces brigades ont été retirées, soit 7.000 hommes, entraînant le retrait des unités blindées américaines de notre continent. D’ici 2015, les effectifs de l’US Army devraient atteindre 30.000 soldats contre 200.000 à la fin de la guerre froide. En fait, vue de Washington, l’Europe devient un point d’appui, servant notamment à la projection de forces, et non plus un continent dont il faut assurer la sécurité.
En parallèle, les États-Unis se sont engagés à baser 60 % de leurs forces navales dans le Pacifique d’ici à 2020, soit 8 navires de plus alors qu’actuellement la répartition entre l’Atlantique et le Pacifique est équilibrée. L’une des manifestations du pivot a aussi été le déploiement de Marines à Darwin, en Australie, à partir de la mi-2012. Aujourd’hui, il y en a 2.500 et il y en aura 2.000 de plus à terme.
Les crédits militaires ont baissé et vont continuer à baisser compte tenu de la situation budgétaire, mais ils demeurent à un niveau très élevé. Le marché américain représente près de 50% du marché mondial de l’armement. Le budget de défense américain est trois fois supérieur à l’ensemble des budgets européens et même quatre fois supérieur en termes d’équipement et huit fois supérieur en termes de recherche.
3. Un engagement moindre au Proche et Moyen Orient ?
Le conflit en Libye a pu laisser croire que les États-Unis continueraient malgré tout à assumer toutes leurs responsabilités dans la région du Proche et Moyen Orient. En effet, tout en laissant la France et le Royaume-Uni occuper le devant de la scène, les États-Unis jouèrent un rôle essentiel grâce à leur flotte basée en Méditerranée et leur force de frappe. Autorisant l’usage des moyens de commandement de l’OTAN par l’état-major franco-britannique, ils ont fourni une puissante assistance sans jamais revendiquer un quelconque leadership.
Cependant, on peut se demander si les derniers rebondissements de la crise syrienne ne constituent pas un démenti à cet espoir. En effet, avant que la Russie ne fasse sa proposition à propos de la destruction des armes chimiques syriennes, il était probable que le Président américain ne parviendrait pas à obtenir du Congrès l’autorisation de recourir à la force contre le régime syrien, et ce alors que cette action était présentée, à la fois, comme indispensable pour faire respecter la parole et l’autorité des États-Unis dans le monde et comme une opération limitée. Même si l’initiative russe a eu la vertu d’éviter que ce scénario se réalise, il est clair que cet épisode doit nous conduire à réévaluer le degré d’engagement des États-Unis dans cette région et peut-être aussi ailleurs.
Deux conclusions peuvent être tirées de ces évolutions s’agissant de l’Europe de la défense :
– d’une part, pour des raisons internes, l’envoi de troupes américaines sur des théâtres extérieurs est devenu plus qu’improbable et les autres formes de participation américaine à une intervention sont très incertaines ;
– d’autre part, les États-Unis attendent des Européens qu’ils prennent part davantage à la protection de leur propre sécurité et n’ont jamais été mieux disposés à l’égard de l’Europe de la défense.
Autrement dit, les États-Unis poussent l’Union, qui n’est plus considérée comme un enjeu sécuritaire, à devenir un véritable partenaire. Ils souhaitent que les Européens assument et assurent leur propre sécurité. C’est ce qu’a affirmé l’ancien Secrétaire américain à la défense, Robert Gates, en juin 2011 : « si [les Européens] continuaient à diminuer leurs dépenses de défense au lieu de les augmenter, les futurs dirigeants politiques américains qui n’ont pas connu la Guerre froide, estimeront que le retour sur investissement des États-Unis dans l’OTAN n’en vaut pas la peine ».
Quelles conclusions nos partenaires européens vont-ils tirer de cette exhortation ?
Pour beaucoup d’entre eux, la tentation est sans doute forte de ne rien faire du tout et de parier que leur impuissance et leur passivité contribueront à placer les États-Unis devant leurs responsabilités en cas de crise grave. La stratégie du vide stratégique est certainement une option pour les États européens qui n’ont ni la volonté, ni les moyens, d’assurer des responsabilités. C’est un moyen comme un autre de maintenir le « couplage » entre les deux rives de l’Atlantique.
L’alternative que la France privilégie est au contraire de saisir cette occasion pour tenter de faire émerger une Europe de la défense, maintenant que les adversaires de cette option ont perdu l’argument que les États-Unis y seraient hostiles.
III. LES DIFFICULTÉS INTRINSÈQUES A L’UNION EUROPÉENNE : L’ABSENCE DE CONSENSUS
Les réflexions qui précèdent ne doivent pas occulter naturellement les difficultés des pays européens à forger l’Europe de la défense.
Dans ce domaine, l’Europe est le lieu de toutes les hétérogénéités, chaque membre de l’Union ayant sa propre histoire, des politiques de défense différentes, des politiques étrangères distinctes, etc. Par exemple, parmi les 28 pays membres de l’Union, 23 sont membres de l’OTAN et 5 sont officiellement « neutres » (15). De même, l’un des États de l’Union – le Danemark –n’est pas partie prenante à la PSDC.
Il convient de réfléchir aux raisons qui expliquent que des États par ailleurs très proches et qui sont exposés très largement aux mêmes menaces, ne parviennent pas à s’entendre sur des questions aussi essentielles pour leur sécurité.
Trop souvent, le débat entre Européens sur les sujets de défense est teinté d’incompréhension, voire d’intolérance. Par exemple, nous autres Français avons tendance à considérer nos voisins comme des « vassaux des États-Unis » et eux-mêmes mettent notre souci d’indépendance sur le compte de la nostalgie de notre grandeur passée.
L’un des rôles de la commission des affaires étrangères dans ce débat est de faire reculer la part de méconnaissance de l’autre. Votre rapporteure voudrait agir dans ce sens en expliquant les positions de nos principaux partenaires et en s’interrogeant sur la manière dont la position française est perçue.
Trois membres de l’Union ont été plus particulièrement étudiés dans le cadre de ce rapport : le Royaume-Uni et la Pologne car ce sont deux États qui affichent une ambition stratégique et disposent de moyens conséquents ; on peut donc penser a priori que c’est avec ces deux États que la France doit travailler en priorité. Cependant, ces deux États ne sont pas forcément les mieux disposés à faire progresser l’Europe de la défense alors que l’Allemagne est un acteur essentiel de la construction européenne et dispose de moyens militaires non négligeables. Par ailleurs, les avancées réalisées pendant les années 90 s’expliquent par le fait que la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont convergé sur les questions de défense. Travailler à une convergence de ces pays est certainement l’axe qu’il convient de privilégier.
Il ne faut pas pour autant dédaigner l’apport des autres États membres. L’Italie, l’Espagne, la Belgique, la Suède, restent des acteurs importants en raison de leurs budgets militaires, de leurs industries de défense, de leurs participations aux OPEX.
a. Une opposition de principe à l’intégration européenne
Ces dernières années, la France et le Royaume-Uni ont accompli un rapprochement spectaculaire dans le domaine de la défense, mais qui n’a pas débouché sur les avancées espérées. Les espoirs soulevés par la déclaration de Saint Malo ont vite été douchés ; ceux soulevés par les accords de Lancaster House en 2010 se sont évaporés encore plus rapidement, les Britanniques ayant posé la condition expresse et formelle que cette coopération ne débouche jamais sur une politique européenne, ni même qu’elle puisse être présentée comme telle.
Or la décision française de rejoindre l’organisation militaire intégrée de l’OTAN avait pour principale motivation de faire tomber les préventions de nos partenaires à l’égard des projets français relatifs à l’Europe de la défense et ces préventions étaient particulièrement fortes chez les Britanniques. L’on pouvait penser que notre retour dans l’OTAN serait rapidement payé de retour par un accueil plus favorable de nos idées.
Sans ce retour, dira-t-on, les accords de Lancaster House n’auraient pas été possibles et la France et le Royaume-Uni n’auraient pu conduire conjointement les opérations en Libye de la même manière. Rien ne permet de valider ce raisonnement purement intuitif. D’ailleurs, serait-il exact, que la réponse à la question centrale demeurerait négative. La coopération entre la France et le Royaume-Uni est excellente, à tous points de vue, mais elle ne paraît pouvoir déboucher en aucun cas sur des progrès significatifs de la PSDC.
Pour les Britanniques, la PSDC doit demeurer une politique complémentaire et auxiliaire de l’OTAN. Sa dimension militaire doit demeurer diluée dans une approche centrée sur le civilo-militaire, et dont le développement institutionnel et les initiatives capacitaires doivent être limités. Les Britanniques poussent parfois jusqu’à l’obsession le souci que les initiatives européennes ne créent pas de duplication.
Cette orientation est naturellement enracinée profondément dans l’histoire de ce pays. C’est l’alliance avec les États-Unis qui a permis aux Britanniques de triompher du nazisme et d’en libérer l’Europe toute entière. La fameuse « relation spéciale » entre le Royaume-Uni et les États-Unis - sa réalité et son mythe - s’est nouée pendant les années de guerre. Le souverainisme britannique s’accommode très bien des contraintes imposées par l’Alliance atlantique puisque celle-ci est fondée sur le principe d’une égalité absolue de chacun de ses membres. Alors que l’Union européenne, qu’il s’agisse de la Commission ou du Service d’action extérieure, inspire une grande méfiance.
Elle est peut-être aussi enracinée dans une prévention, beaucoup plus ancienne, des Britanniques à l’égard de l’émergence d’une puissance continentale en Europe.
Cette position qui parait immuable s’inscrit dans un contexte de crise de la politique de défense britannique.
La Strategic Defence and Security Review de 2010 (équivalent du Livre Blanc) a été réalisée dans le contexte d’un déficit de financement des projets d’équipement du ministère de la Défense de 38 milliards de livres (44,3 milliards d’euros). Elle avait donc acté une diminution de 7,7% du budget. Cette diminution a été obtenue au prix de réductions d’effectifs drastiques et de coupes capacitaires importantes (réduction du nombre de frégates et de sous-marins nucléaires d’attaque, suppression de la flotte d’avions d’attaque au sol Harrier, etc.)
Les fortes réductions d’effectifs, notamment au sein de l’armée de terre, ont contraint Londres à modifier l’organisation de ses forces avec une montée en puissance d’unités de réserves. Cette évolution rend plus difficiles des déploiements du type de ceux menés en Irak ou en Afghanistan et le Royaume-Uni tend donc à s’éloigner du modèle expéditionnaire pur pour favoriser une approche interministérielle et centrée sur la prévention, la stabilisation et le développement.
Rétrospectivement, les accords de Lancaster House apparaissent comme un moyen pour les Britanniques de sauvegarder leurs capacités en s’engageant dans une politique de mutualisation dictée par la nécessité. Rappelons que ces accords, signés en 2010, prévoient la montée en puissance d’ici 2016 d’une Force expéditionnaire commune interarmées avec la création d’un état-major conjoint de niveau opératif non permanent. Ils s’accompagnent aussi de nombreuses coopérations dans le domaine de l’acquisition d’équipements et d’une coopération dans le domaine du nucléaire militaire. Elle traduit également une large convergence de vues stratégiques, les deux pays partageant les mêmes responsabilités au Conseil de Sécurité et les mêmes analyses et conceptions sur la plupart des dossiers de crise.
Certes, cette coopération s’inscrit dans un cadre purement bilatéral, en dehors de tout cadre institutionnel multilatéral, mais, si l’on fait abstraction de ce dernier trait, elle constitue un modèle de ce qu’il faudrait faire émerger en Europe et elle prouve que la contrainte budgétaire peut conduire à l’engagement de coopérations fortes.
Dans le domaine industriel, le Royaume-Uni n’est pas hostile à une plus grande intégration des entreprises de défense dès lors que ces dernières l’estiment pertinente. C’est ainsi que MBDA, on l’a vu, a pu se constituer dans le cadre de Lancaster House. Le gouvernement était également bien disposé à l’égard du projet de fusion entre BAE et EADS qui aurait permis de conforter BAE et d’ouvrir le marché américain à EADS. Le projet a échoué en octobre 2012 selon toute vraisemblance à cause des réticences allemandes face au risque que cette fusion faisait encourir au tissu industriel allemand.
À moyen terme, la politique de défense britannique peut-elle évoluer ? En 2013, elle aura subi deux chocs. En janvier, à la lueur de la crise malienne, elle a pris un peu plus conscience de ses lacunes opérationnelles ; en septembre, les autorités britanniques ont réalisé à quel point l’opinion britannique était lasse de ces expéditions. Le vote de la Chambre des Communes contre les frappes en Syrie pourrait également faire date, même si les autorités britanniques le considèrent ou font mine de le considérer davantage comme un accident de parcours que comme un vote ayant valeur de précédent.
Néanmoins, compte tenu de ce qui précède, il convient de se poser une question fondamentale : est-il indispensable de faire dépendre les progrès de l’Europe de la défense du Royaume-Uni ? N’est-ce pas se condamner par avance à la paralysie ? Ne pourrait-on progresser sans lui quitte à ce qu’il nous rejoigne plus tard, suivant ainsi une ligne que ce pays a suivie dans d’autres dossiers européens ? Votre rapporteure estime qu’il est possible :
– de coopérer le plus possible dans le cadre des accords de Lancaster House avec le Royaume-Uni qui est le seul État de l’Union à avoir des capacités militaires comparables aux nôtres ;
– sans renoncer à notre ambition pour l’Europe de la défense, c'est-à-dire en proposant au Royaume-Uni de se joindre à nos initiatives sans se laisser arrêter par leur non-participation.
c. La position britannique pour le prochain Conseil européen
La conséquence immédiate de ces événements, est que le Royaume-Uni se fait à son tour le chantre de l’approche globale s’agissant de la gestion des crises et plaide pour que l’Union européenne renforce ses capacités civiles et se spécialise dans ce domaine.
Par ailleurs, comme nous le verrons ultérieurement plus en détail, il est possible de progresser sur certains dossiers concrets, à condition que cela ne soit pas perçu comme une intégration européenne plus poussée : coopération dans le domaine de l’armement ; stratégie maritime ; développement de coopérations militaires régionales, autant de pistes à explorer.
2. La Pologne : une puissance militaire émergente en Europe ?
a. Une prise de distance à l’égard de l’OTAN
Le tropisme atlantiste de la Pologne demeure puissant ce qui s’explique bien entendu par l’histoire lointaine – les invasions successives de la Pologne par la Russie – et plus proche – le rôle des États-Unis et de l’OTAN face à l’Union soviétique.
Sa vision stratégique demeure profondément inspirée par la conviction que la menace russe demeure une donnée fondamentale. Pour cette raison, ce pays est celui qui illustre le mieux les difficultés de définir une stratégie européenne commune et globale.
Cependant, l’évolution du dossier de la défense anti-missile l’a conduite à se rapprocher de l’Union et s’est traduite par une dégradation de la relation de confiance polono-américaine.
L’accord proposé par Washington en 2002 proposait le stationnement d’intercepteurs américains en Pologne ce qui sécurisait le stationnement de troupes américaines sur son sol.
Cet accord n’a en définitive été signé qu’en 2008 et le 17 septembre 2009 – date anniversaire de l’invasion de la Pologne par les Soviétiques – le Président Barak Obama annonçait un nouveau plan américain pour la défense anti-missile (European Phased Adaptive Approach - EPAA) qui repoussait de cinq années ce déploiement d’intercepteurs.
Cet épisode a été d’autant plus mal vécu que Varsovie avait fait des gestes importants à l’égard de Washington : engagements militaires en Afghanistan, puis en Irak, achat du F-16 notamment.
Par la suite, le 15 mars 2013, le ministre de la défense américain Chuck Hagel a annoncé la suppression de la phase 4 de l’EPAA. La phase 3, qui prévoit l’installation d’une base d’intercepteurs SM3 bloc II-A dès 2018 en Pologne, est plus déterminante pour Varsovie que la phase 4, qui prévoyait d’améliorer les intercepteurs en SM3 bloc II-B en 2020 et élargissait significativement le domaine d’engagement. Toutefois, malgré un impact en définitive limité de cette décision (puisque la base polonaise n’est pas remise en question), l’absence de concertation préalable à ces décisions a créé chez les Polonais un sentiment de défiance, vis-à-vis de Washington, même s’ils continuent d’en espérer beaucoup.
Ceci a entraîné un renforcement de fait de la politique européenne de Varsovie et participé au rééquilibrage de la politique extérieure polonaise au profit de l’Europe de la Défense. Cela dit, l’importance de ce facteur d’évolution ne doit pas être exagérée, ne serait-ce parce que la Pologne apprécie peu les positions de la France à propos de la défense anti-missile.
Cette évolution, d’ailleurs, ne se traduit pas – à ce stade – dans les contributions opérationnelles, nettement moins volumineuses que celles au profit des opérations de l’OTAN, tandis que sur nombre de dossiers (engagement opérationnel dans la Corne de l’Afrique, projet de ravitaillement en vol, OPS center…), Varsovie peine à franchir le cap de la déclaration d’intention.
b. Une politique de défense ambitieuse
Il convient d’être d’autant plus attentif à cette évolution que la Pologne maintient un effort conséquent en matière de défense. Son budget de défense a été sanctuarisé à hauteur de 1,95% du PIB, soit 6,77 Mds Euros pour l’exercice 2012, soit une hausse de 4,6% par rapport à 2011. 20% de ces crédits sont consacrés à l’équipement et 20% de ces investissements sont dédiés à l’acquisition d’un système de défense antimissile national ce qui en dit long sur la perception de la menace par la Pologne. L’axe prioritaire de Varsovie demeure le processus de transformation et de modernisation des forces armées engagé au cours des vingt dernières années pour permettre sa mise en conformité aux standards OTAN. Elle fait ainsi figure d’exception au regard de l’érosion continuelle des efforts de défense de ses voisins et de leur incapacité à préserver les capacités critiques.
L’exécutif polonais marque sa volonté de recentrer sa priorité sur un schéma de modernisation plus traditionnel, alors que les engagements opérationnels en Afghanistan et en Irak n’avaient pas produit les effets transformationnels escomptés. La poursuite des efforts de professionnalisation des forces, par la transformation des formations et de l’entrainement, conjuguée au renouvellement et à la modernisation de matériels, fait l’objet d’un véritable mandat. Une réforme de l’état-major et du processus de planification, visant à raccourcir les chaines de décision et de commandement, est en cours de mise en œuvre. Le Président polonais a récemment réaffirmé son choix, après l’Afghanistan, de se concentrer sur la modernisation des forces armées en limitant les opérations extérieures.
Quelle peut-être à terme l’évolution de la politique de défense polonaise ? On peut imaginer un scénario où l’évolution de la Russie et celle de la relation polono-russe seraient favorables. La Pologne est à la recherche d’une place et d’un rôle à sa mesure et relativise ce qu’elle peut attendre des États-Unis. Il est probable qu’elle deviendra l’un des éléments moteurs de l’Europe de la défense. En revanche, il paraît plus incertain qu’elle s’intéresse à autre chose qu’à son voisinage continental.
c. La position polonaise au prochain Conseil européen
Pour le Conseil européen de décembre, la Pologne entend se positionner comme un pays disposé à assumer ses responsabilités, notamment sur le volet opérationnel en se présentant comme une « nation cadre » affirmant son leadership sur le groupement tactique assuré par le groupe de Visegrad. Toutefois, elle n’envisage pas que cette capacité puisse être utilisée pour des crises telle celle du Mali et ne paraît pas très intéressée par des projets telle la stratégie maritime de sécurité malgré l’importance de sa flotte commerciale.
Elle est attachée également au développement des capacités européennes en insistant sur la nécessité de faire converger le processus de planification capacitaire de l’Union avec celui de l’OTAN.
Elle est opposée à une ouverture incontrôlée des marchés de défense mais n’entend pas donner la priorité à des acquisitions d’équipements européens. Les États-Unis demeurent des interlocuteurs importants. Elle a décidé en 2005 d’acquérir des F16 et fait jouer la concurrence pour son système de défense anti-missile entre les entreprises américaines et MBDA ; tout comme entre la France et l’Allemagne pour l’acquisition de sous-marins.
3. L’Allemagne : une puissance militaire en sommeil ?
a. L’évolution de la politique de défense allemande
Le rôle de l’armée allemande (Bundeswehr) a évolué sensiblement depuis la fin de la guerre froide et le traité 2+4 du 12 septembre 1990 qui a permis à l’Allemagne de recouvrer son entière souveraineté externe.
Deux évolutions ont été interprétées sans doute trop hâtivement comme des ruptures majeures.
D’une part, à partir des années 1990, l’Allemagne s’est impliquée dans le maintien de la paix internationale au-delà de ses frontières. Durant la guerre du Golfe de 1991, l’Allemagne a participé par une diplomatie du chéquier et l’envoi d’avions destinés à protéger la Turquie d’une hypothétique attaque irakienne. Sous l’autorité du Chancelier Helmut Kohl et de son ministre de la Défense Volker Rühe (1992-1998), la Bundeswehr s’est déployée dans des opérations de maintien de la paix, d’abord au Cambodge (1992) puis en Somalie (1993). L’Allemagne s’est investie par ailleurs en ex-Yougoslovie, avec notamment la participation de 3 000 soldats aux missions de rétablissement de la paix en Bosnie (IFOR et SFOR) consécutives aux accords de Dayton en 1995.
Le tournant s’est accentué en 1999, c’est-à-dire sous la coalition rouge-vert, quand l’Allemagne a participé aux côtés de l’OTAN aux frappes aériennes contre la Serbie. Depuis les années 2000, les missions extérieures de la Bundeswehr se sont poursuivies : Timor oriental, Macédoine, Afghanistan (où l’Allemagne a été le troisième contributeur en troupes de l’ISAF avec quelque 5 000 hommes), Congo, Liban, Corne de l’Afrique (opération Atalanta), etc.
D’autre part, lors de la crise irakienne, l’Allemagne a démontré son indépendance à l’égard des États-Unis en refusant de participer à la coalition que les États-Unis tentaient de rassembler.
Cependant, ces évolutions ont été quelque peu contredites au cours des années récentes. Un nouveau tournant a été pris en 2009 avec la formation d’une coalition CDU-FDP, le FDP étant sur des positions « pacifistes » beaucoup plus accentuées que son partenaire et ayant, outre le portefeuille des affaires étrangères, un pouvoir de blocage. Il a été encouragé par les difficultés en Afghanistan et sans doute aussi par la crise du Tchad en 2009. L’opinion allemande n’a pas compris la hâte de la France à se porter au secours des autorités tchadiennes. Par la suite, lors des crises libyennes puis syrienne ces réticences se sont accentuées.
La doctrine allemande d’emploi des forces armées demeure strictement encadrée par trois principes essentiels : l’impératif du multilatéralisme, l’autorisation parlementaire – préalable – et l’exigence de morale. La nécessité de ce cadre multilatéral et constitutionnel est exprimée dans un arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en date du 12 juillet 1994.
La procédure parlementaire est particulièrement contraignante puisque l’autorisation du parlement est exigée quel que soit le niveau d’engagement. Par exemple, faute d’autorisation parlementaire, les pilotes allemands affectés sur les AWACS de l’OTAN n’ont pu participer aux opérations en Libye. Cette procédure est totalement incompatible avec les impératifs de l’urgence. Elle se déroule d’ailleurs en deux temps : autorisation par les commissions des affaires étrangères et de la défense, puis vote en séance. Elle inhibe la décision au point que les exercices de planification eux-mêmes sont prohibés.
L’ensemble des interventions extérieures de la Bundeswehr sont toujours menées sous la houlette de l’ONU, de l’OTAN ou de l’Union Européenne. Le respect du droit international ainsi que certaines considérations d’ordre moral apparaissent comme les critères prégnants d’action (ou d’inaction) de l’armée allemande et participent d’une « culture de la retenue ».
L’emploi de la force est un tabou et les débats de politique étrangère et de défense restent délicats outre-Rhin, contrastant avec le relatif consensus qui règne en France sur ce sujet. Par exemple, le Livre blanc de 2006 stipule clairement que l’armée allemande doit non seulement garantir l’intégrité du territoire national, mais également la liberté des voies de commerce et la sécurité d’approvisionnement en matières premières, mais les prises de position des responsables politiques allemands en ce sens entraînent de l’émoi dans l’opinion.
Par ailleurs l’ancrage de l’Allemagne dans l’OTAN demeure, en dépit de la crise irakienne. Pour de nombreux responsables politiques, l’Alliance atlantique reste la référence en matière de protection du territoire national et de l’Europe.
L’affirmation pacifiste de l’Allemagne fait parfois apparaître le pays comme un partenaire de défense peu fiable aux yeux de ses principaux partenaires occidentaux. Cette vue a prévalu lorsque l’Allemagne, en mars 2011, alors membre non permanent du Conseil de Sécurité, s’est abstenue lors du vote de la résolution 1973 présentée par la France et le Royaume-Uni et visant à instaurer une zone d’exclusion aérienne en Libye. Il est possible que cette abstention ai été inspirée d’ailleurs par une erreur d’analyse à propos de la position américaine. Les Allemands n’auraient pas anticipé que les États-Unis soutiendraient l’opération franco-britannique… Ceci dit, en maintenant son contingent en Afghanistan, l’Allemagne fait preuve d’une solidarité atlantiste que certains responsables allemands, que votre rapporteure a rencontrés, n’ont pas manqué de souligner.
b. Des moyens militaires appréciables
Paradoxalement, l’Allemagne poursuit l’adaptation de son armée au contexte stratégique post-guerre froide et mène une politique active d’exportation d’armement.
L’Allemagne dispose d’un budget militaire appréciable et d’un outil militaire dont les évolutions récentes permettraient qu’elle devienne un pilier de l’Europe de la défense. Elle dispose aujourd’hui du troisième budget de défense en Europe et pourrait avoir le premier budget de défense européen en 2020, hors prise en compte des moyens que la France et le Royaume-Uni consacrent à la dissuasion.
La réforme de la Bundeswehr participe du reformatage des armées européennes consécutif à la fin de la Guerre froide et rendu pressant par les contraintes budgétaires. Le principe du passage à une armée de métier a été voté par le Parlement le 24 mars 2011. Cette réforme a été votée dans une indifférence qui contraste avec les débats qui se sont déroulés en France en 1995 alors qu’il s’agit d’un pas important vers la constitution d’un corps expéditionnaire…
La transformation de la Bundeswehr se décline en une réduction de ses effectifs. Après être passé de 350 000 soldats en 1990 à 240 000 en 2010, le ministère de la Défense vise un chiffre de 185 000 soldats pour 2015. Cette diminution des effectifs a été suivie de la fermeture d’une centaine de sites militaires sur six cents. La part du budget de la défense dans le PIB a également suivi cette courbe descendante depuis la Guerre froide, se stabilisant à 1,4 % en 2010. L’armée allemande procède ainsi à la mutation que l’armée française a réalisée au cours des années 90 afin de devenir une force projetable.
En 2012, le gouvernement allemand mettait un peu plus de 7 000 soldats à disposition de l’OTAN, de l’Union Européenne et de l’ONU. Par comparaison, la France comptait à la fin de l’année 2011 un peu plus de 10 000 militaires engagés en opérations extérieures.
La base industrielle et technologique de défense allemande est importante et diversifiée. L’Allemagne produit ainsi une vaste gamme d’armements conventionnels : chars (Leopard), véhicules blindés, frégates, sous-marins, avions de combat Eurofighter Typhoon (16). Elle possède des entreprises de référence dans ce secteur, telles Rheinmetall, ThyssenKrupp, Krauss-Maffei, Diehl BGT Defence, MTU Friedrichshafen, etc.
L’Allemagne se classe au troisième rang mondial des exportateurs d’armement. En 2011, les ventes totales d’armement du pays ont atteint 5,4 milliards d’euros, soit une augmentation de 13,9 % par rapport à 2010. Sur la décennie 2000-2010, les premiers clients de l’Allemagne en matière d’armement sont la Grèce (2,48 milliards de dollars d’exportations sur la décennie), la Turquie (2,17 milliards), l’Afrique du Sud (1,70 milliard), la Corée du Sud (1,65 milliard) et l’Australie (1,50 milliard). En 2011, 42% des exportations d’armes allemandes étaient destinées à des États qui ne sont membres ni de l’Union Européenne, ni de l’OTAN.
L’Allemagne a toutes les caractéristiques d’une puissance militaire, à l’exception d’une seule, déterminante : la volonté de s’en servir.
Il apparaît peu probable que l’opinion allemande puisse évoluer du tout au tout, surtout dans le contexte décrit en deuxième partie de ce rapport. L’évolution sociétale et démographique ne joue d’ailleurs pas dans ce sens.
Cependant, une certaine mauvaise conscience est perceptible chez les dirigeants allemands, tout comme la conscience que la diplomatie économique n’est pas l’alpha et l’oméga de l’influence. C’est d’ailleurs le sens des propos tenus, le 3 octobre dernier, à l’occasion des cérémonies de l’unité allemande, par le Président Joachim Gauck : « Notre pays n’est pas une île. Nous ne devrions pas nous livrer à l’illusion d’être épargnés par les conflits politiques et économiques, écologiques et militaires si nous ne participons pas à leur solution. ».
À court terme, une nouvelle coalition politique CDU-SPD peut-elle se traduire par une politique plus engagée dans la mesure où ce sont surtout les petits partis, forces d’appoint des coalitions alternatives, qui sont le plus empreints de cette culture de la retenue ?
À l’heure de la publication de ce rapport, la nouvelle coalition qui dirigera l’Allemagne n’est pas encore connue mais il paraît probable que l’Allemagne sera bientôt dirigée par une grande coalition CDU-SPD. On peut espérer que cette nouvelle équipe déterminera un nouvel équilibre, plus conforme à nos vues, entre la culture de la retenue et les responsabilités que l’Allemagne doit assumer.
c. La position allemande au Conseil européen
Au Conseil européen, l’Allemagne défendra une ligne privilégiant les aspects civils de la PSDC, rejoignant ainsi la ligne défendue par le Royaume-Uni afin de promouvoir l’approche globale. Elle souhaite que l’Union participe davantage à la prévention des conflits en mettant l’accent sur la formation et l’entretien des forces de sécurité des pays tiers, mais également leur équipement ce qui est en phase avec la politique allemande d’exportation d’armements…
Elle est également attachée à une convergence des processus de planification capacitaires de l’Union et de l’OTAN et manifeste un enthousiasme mesuré à l’égard de la mutualisation et des programmes d’armement en coopération.
Sur le plan industriel, l’Allemagne nous rejoint sur la nécessité de soutenir les PME ; elle a d’ailleurs un tissu de PME dans le secteur de défense beaucoup plus riche que le nôtre. Elle reconnaît aussi la nécessité de soutenir la base industrielle et technologique, mais cette reconnaissance est largement rhétorique car elle demeure aussi attachée au libre jeu du marché même si elle protège ses industries de défense. L’évolution du groupe EADS, en particulier le transfert du siège à Toulouse, a déçu l’Allemagne ce qui explique sans doute ses réticences à l’égard de la fusion avec BAE.
B. LA RESPONSABILITÉ FRANÇAISE
Quelles premières conclusions synthétiques pouvons-nous tirer des développements qui précédent s’agissant de la politique française au sein de l’Union européenne ?
La France a une responsabilité particulière s’agissant de l’avenir de l’Europe de la défense ; elle doit l’assumer en étant une force de proposition, mais aussi en étant à l’écoute de ses partenaires, y compris et peut-être surtout, lorsqu’ils nous critiquent, et en plaidant patiemment pour ses propres convictions.
Elle doit aussi déterminer une stratégie au sein de l’Union pour faire prévaloir ses idées.
1. Maintenir notre position au sein de l’Alliance
Pour les trois pays que nous venons d’analyser, le lien transatlantique demeure central et les positions de la France à l’égard de l’OTAN demeurent sibyllines. La décision du général de Gaulle de retirer la France du commandement militaire intégré de l’OTAN n’a jamais été comprise par nos alliés européens et il n’est pas certain que notre retour ait été davantage compris.
La première décision a été perçue comme une manifestation irrationnelle de l’hubris français mettant en péril la solidité de l’Alliance. Les alliés sont restés indifférents à nos arguments, comme celui de la nécessité d’une transparence minimale entre alliés. Comme le rappelait Hubert Védrine lors de son audition devant notre commission (17), lorsque le général de Gaulle revint au pouvoir « l’Alliance n’était qu’une simple structure hiérarchique permettant au Pentagone de transmettre ses instructions aux alliés. ». Il tenta d’obtenir une réforme de son fonctionnement mais ne parvint même pas à obtenir des informations aussi élémentaires que l’emplacement des armes nucléaires de l’OTAN entreposées en France. La guerre du Vietnam et l’adoption de la riposte graduée achevèrent de le persuader qu’il convenait que la France se retire en 1966 des organes militaires intégrés.
En dépit de nos efforts, nos alliés n’ont jamais compris non plus la raison profonde pour laquelle la France a longtemps maintenu sa position. Ils n’ont jamais compris que la France souhaitait maintenir sa singularité afin de préserver la qualité du message qu’elle entend adresser aux pays tiers, celui d’un pays non aligné a priori, distinct du bloc occidental, ouvert à l’émergence d’un monde multipolaire.
Ils ont compris les nombreux arrangements que la France a conclus avec l’OTAN non pas comme la manifestation d’une solidarité et d’une conviction que l’OTAN demeurait l’alliance militaire centrale, mais comme des preuves que nous n’étions pas profondément convaincus que cette singularité était rationnelle.
En mars 2008, le Président Nicolas Sarkozy a décidé le retour de la France dans l’organisation militaire intégrée et a argumenté que cela permettrait de faire progresser l’Europe de la défense en faisant tomber les préventions de nos partenaires à notre égard. En réalité, c’était aussi une décision qui s’inscrivait dans une politique plus générale, un choix délibéré de signifier que la France appartenait au « club occidental ». L’opposition avait alors vivement contesté le bien-fondé de cette décision avec deux arguments principaux : rien ne garantissait les progrès de l’Europe de la défense ; la France perdrait en autonomie et surtout en influence stratégique.
Or, cette décision a été interprétée par nos partenaires comme un simple retour à la normale qui n’avait pas à être payée de retour. Par ailleurs, nous devons être conscients que les doutes quant à la sincérité de notre engagement dans l’Alliance n’ont pas été levés. Ils ressurgissent dès lors que la France prend une décision discordante. Une initiative comme le retrait anticipé d’Afghanistan, par exemple, les réanime aussitôt.
L’on pourrait bien entendu établir le bilan de ce retour et en tirer des conclusions radicales s’il s’avérait négatif. À l’absence de progrès de l’Europe de la défense, il faudrait ajouter le prix, difficile à évaluer, du renoncement à notre singularité dans le monde arabe ou en Afrique où la France est particulièrement attendue. On opposerait alors à ce passif, un possible accroissement de notre influence au sein de l’OTAN, lui aussi difficile à mesurer, notamment parce que l’OTAN est aujourd’hui en sommeil, pour ne pas dire en crise.
Mais, un nouveau retrait provoquerait une crise qui ne créerait pas un climat favorable pour faire avancer nos conceptions dans le domaine de l’Europe de la défense.
Le Président de la République, François Hollande, a décidé de ne pas revenir sur la décision de 2008 et d’en exploiter les potentialités en déployant notre influence au sein de l’OTAN. La France doit participer activement à la réflexion stratégique au sein de l’Alliance et tirer le meilleur parti possible de sa participation à tous les organes militaires de l’OTAN.
2. Inscrire notre politique étrangère dans le cadre d’une politique étrangère européenne commune
Nos partenaires nous soupçonnent de vouloir faire l’Europe de la défense pour pouvoir utiliser les moyens européens au profit de la politique étrangère française – et de compromettre l’approche européenne, lorsque nos intérêts nationaux sont en jeu.
Cette analyse a été exprimée en son temps par Zbigniew Brzezinski en une formule célèbre (18) : « À travers la construction européenne, la France vise la réincarnation de sa puissance ». En Allemagne, les initiatives de notre pays sont souvent présentées comme inspirées par ce désir ; la France y est surnommée par dérision : « la grande Nation ».
Il est probable que nous ne parviendrons pas à nous disculper totalement compte tenu de notre passé politique et militaire et de notre volonté de demeurer une puissance d’influence globale.
Mais nous pouvons sans doute limiter les effets de ce soupçon en expliquant davantage certains aspects de notre politique étrangère qui sont sources d’interrogations chez nos alliés. À l’exception des Britanniques sans doute, qui partagent nos préoccupations, ces derniers sont souvent dubitatifs.
Notre politique africaine, en particulier, est souvent perçue comme une tentative de préserver coûte que coûte une influence héritée du passé. Ainsi, comme il a été rappelé à votre rapporteure lors d’une visite à Berlin, l’intervention française au Tchad, en 2009, a été diversement appréciée par les Allemands.
À ce titre, le Mali est à nouveau un test, celui de notre capacité à faire comprendre à nos alliés que cette politique a de toutes autres motivations. Avant janvier 2013, ce dossier a été abondamment discuté entre Européens puisque la mission EUTM Mali a fait l’objet d’un long travail de préparation. L’attaque de janvier 2013 a validé l’analyse de la menace que nous faisions à l’époque et qui nous conduisait déjà à plaider pour une action de la communauté internationale, en soutien à l’armée malienne, afin que le Mali puisse recouvrer sa souveraineté. Ce travail préparatoire n’a pas suffi bien sûr pour que nos partenaires participent pleinement aux opérations de janvier 2013, mais il aura contribué à ce que la légitimité de ces opérations soit admise.
Si nous voulons que l’Allemagne et la Pologne se rapprochent de nos positions sur l’Afrique ou sur les relations avec le monde méditerranéen, nous devons aussi entreprendre une réflexion et une action communes sur la politique à l’égard de la Russie et la politique orientale de l’Union.
Notre politique à l’égard de la Russie, à ce titre, est perçue comme trop amicale par la Pologne. Certes, celle-ci a entrepris un rapprochement spectaculaire avec son « ennemie héréditaire », mais on demeure encore très loin du niveau que la France et l’Allemagne avaient atteint dans les années 60. On ne peut non plus adhérer à la position défiante de la Pologne à l’égard de la Russie, ne serait-ce parce que la France et la Russie doivent coopérer au sein du Conseil de sécurité. Mais il serait sans doute utile que la France participe à l’effort de définir une stratégie européenne à l’égard de la Russie qui réunirait un consensus minimal au sein de l’Union. À cet égard, nous devons attacher une importance particulière à la politique orientale de l’Union.
L’Europe ne pourra se faire tant que les nations qui la composent partiront du principe que chacune doit se dédier à telle ou telle zone géographique ou que chacune peut conduire une politique radicalement distincte.
À ce titre, certaines réorientations de notre politique étrangères sont particulièrement bienvenues. Depuis le début du présent quinquennat, la France et la Pologne ont des relations beaucoup plus sereines alors que les deux précédents quinquennats avaient été marqués par une sorte de glaciation.
En particulier, le Président de la République a bien compris la crainte de la Pologne d’être maintenue en marge de la construction européenne. Contrairement à son prédécesseur, il s’est exprimé clairement en faveur d’une association de la Pologne aux discussions sur l’avenir de l’Union économique et monétaire, renouant ainsi une alliance historique qui s’était manifestée avec éclat lorsque la France avait obtenu de l’Allemagne la reconnaissance de la frontière Oder-Neisse.
3. Construire un moteur pour l’Europe de la défense ?
L’heure n’est pas aux grandes avancées institutionnelles, ni aux grandes déclarations, mais à une approche pragmatique, sujet par sujet, pour obtenir des avancées concrètes.
Pour autant, nous ne pouvons faire l’économie d’une approche plus générale sur une stratégie pour l’Union européenne.
La France a une responsabilité particulière s’agissant de l’Europe de la défense, mais elle ne peut réussir seule. L’Union européenne s’est construite, on le sait, en grande partie grâce au couple franco-allemand, ce moteur entrainant l’ensemble sur la voie de l’intégration.
S’agissant de l’Europe de la défense, on a souvent tendance à penser que seul le couple franco-britannique est susceptible de jouer ce rôle. Les deux pays partagent souvent les mêmes visions stratégiques, ont des responsabilités communes comme membres permanents du Conseil de Sécurité, un même statut de puissance nucléaire, et des conceptions communes quant à la légitimité de l’usage de la force. Par ailleurs, ils ont initié une coopération militaire très étroite dans de nombreux domaines et ont des traditions et des forces militaires très proches.
Il est possible que le précédent Président de la République ait estimé que le retour dans l’intégration militaire de l’OTAN et les accords de Lancaster House déboucheraient sur un couple moteur pour l’ensemble de l’Europe.
Cependant, pour les raisons exposées précédemment, il paraît très peu probable que ce scénario se réalise. Le pari pris en 2008 n’a pas été tenu. Il est plus probable que le Royaume-Uni demeure au cours des prochaines années sur les mêmes positions, quitte à rejoindre l’Europe de la défense, si elle se fait, au moment qui lui paraitra opportun.
La coopération et l’entente franco-britanniques doivent absolument être préservées mais une réflexion s’impose à son sujet notamment parce que l’Allemagne peut en retirer le sentiment que la France conçoit ce « couple » comme un contrepoids à son leadership économique. Les progrès de cette coopération n’ont-ils pas pour prix les freins de la concertation entre la France et l’Allemagne ?
Votre rapporteure a la conviction que l’avenir de l’Europe de la défense se trouve autant outre-Rhin que sur l’autre rive de la Manche.
Comme il a été démontré, l’Allemagne n’est pas une puissance négligeable sur le plan militaire ; son outil militaire poursuit lentement mais sûrement son adaptation avec des moyens budgétaires solides. Elle n’a probablement pas aujourd’hui la volonté d’en faire un instrument d’influence politique, mais rien ne dit que l’Allemagne prenne la peine d’entretenir un tel outil pour ne pas s’en servir.
Le moment est venu d’engager un dialogue politique approfondi avec l’Allemagne sur les questions de défense. Il faut pour cela prendre acte de son système institutionnel différent du nôtre, de sa réticence à des opérations purement militaires, miser sur la durée et non pas tenter de l’entraîner dans telle ou telle action immédiate.
Ce que le couple franco-allemand produira dans ce domaine conditionnera le succès ou l’échec du Conseil de décembre. Les dirigeants allemands sont conscients que leur leadership est en partie en jeu ; ils l’ont mesuré lors de la crise libyenne. Nous devons approfondir avec eux les sujets comme : la dimension civilo-militaire, une réflexion sur le partage des rôles lorsqu’une opération militaire est envisagée, une réflexion sur la stratégie maritime… Il faut les encourager à s’impliquer davantage dans les missions et dossiers dans lesquels leurs intérêts économiques sont le plus en jeu.
Le rapprochement avec la Pologne doit aussi être approfondi. Du fait des décisions américaines sur la défense antimissile, elle a pris ses distances avec l’OTAN. Toutefois, elle demeure préoccupée par la Russie, sujet à propos duquel il serait opportun que la France engage un dialogue avec la Pologne. Un effort de pédagogie et de dialogue est nécessaire concernant la politique européenne vis-à-vis de la Russie. De fait, depuis un an, le dialogue s’est intensifié. Le Président de la République a souhaité que le sujet de la défense soit traité dans le cadre du triangle de Weimar qui paraît le cadre approprié. Les ministres de la défense français et polonais se sont réunis en séminaire et les deux armées ont participé à un exercice commun.
Nous verrons dans la dernière partie de ce rapport comment cette stratégie peut se développer lors du prochain Conseil européen.
Le Conseil européen de décembre 2013 constitue à la fois un évènement – les questions de défense n’y étaient plus abordées depuis 2008 et le dernier véritable Conseil européen sur ce sujet remonte à 2003 – et un moment de vérité – car il révèlera le niveau d’ambition et de volonté politique de l’Union européenne pour que des avancées se concrétisent dans ce domaine.
La relance de l’Europe de la défense implique une conjugaison de volonté politique et de projets communs. Sans projets, l’Europe de la défense n’aura pas le souffle nécessaire pour progresser et les déclarations, toutes ambitieuses qu’elles soient, ne seront pas suivies d’effets. Nous retomberons alors dans des logiques nationales qui, comme votre rapporteure l’a souligné dans les parties précédentes, sont mortifères pour l’avancée de l’Union dans son ensemble.
Depuis un an, les institutions européennes et les États-membres de l’Union européenne ont fait preuve d’un activisme, parfois forcé, afin de préparer ce Conseil.
Les États-membres ont, seuls, à deux ou à plusieurs, rédigé de nombreux « non-papiers » visant à tester certaines idées ou peser sur les discussions à Bruxelles.
Ces travaux sont révélateurs du degré d’investissement de chaque État dans ce dossier et des alliances qui peuvent se nouer. Le Royaume-Uni a présenté un papier sur les groupements tactiques et un autre sur les technologies duales et les PME, ce dernier ayant été signé aussi par la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Suède.
La France et l’Allemagne ont présenté en mai un non-papier intitulé « Efficacité, lisibilité et réactivité de la PSDC » puis ont adressé une lettre commune à la Haute Représentante le 15 juillet, qui contient quinze propositions sur l’ensemble des trois sujets à l’ordre du jour du Conseil (19). Les réactions britanniques à ces documents ont été négatives sur la forme, car le Royaume-Uni apprécie peu les initiatives du couple franco-allemand, mais plus positives sur le fond.
La France est aussi à l’origine d’un papier sur la stratégie maritime de l’Union ainsi que d’une proposition sur le ravitaillement en vol. L’Allemagne a pris aussi l’initiative d’un papier sur l’approche globale (20)et d’un autre sur le renforcement des moyens des partenaires pour faire face aux crises.
Par ailleurs, la Commission européenne a publié une communication sur le secteur de la défense et de la sécurité, le 24 juillet 2013, réalisée à la demande des États dans la perspective du Conseil européen de décembre et qui s’inscrit dans le cadre des travaux qu’elle mène depuis la fin des années 2000 (en particulier dans le cadre du « paquet défense » de 2009 (21)). Les Commissaires européens Michel Barnier et Antonio Tajani ont créé en novembre 2011 une « Task force défense » visant à suivre la bonne application des directives du « paquet défense », susciter le débat sur la politique industrielle, réfléchir aux moyens d’exploiter pleinement les synergies entre les secteurs de la sécurité et la défense et répondre au défi de la sécurité d’approvisionnement. La communication de la Commission européenne est avant tout le fruit du travail de cette « Task force », en collaboration avec le SEAE et l’AED, et elle révèle l’intérêt porté par la Commission à un secteur qui relève généralement de la compétence du Conseil européen et des États-membres. Dans ce document, la Commission affirme sa volonté de faire émerger une véritable politique industrielle de défense et insiste sur la nécessité de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) afin d’assurer la crédibilité de la PSDC.
Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) a également été sollicité en décembre 2012 pour apporter une contribution dans la perspective du Conseil de décembre 2013, en présentant des propositions visant à renforcer la PSDC. Après une version intérimaire publiée en juillet 2013, un rapport final a été présenté le 15 octobre 2013. Ce rapport traite des trois sujets qui seront à l’ordre du jour du Conseil de décembre, à savoir le renforcement de la PSDC, l’amélioration des capacités de défense européennes et la consolidation de l’industrie européenne de la défense. Ce rapport identifie quatre priorités capacitaires : le développement au niveau européen d’un drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) à l’horizon 2020 ; le renforcement des capacités spatiales de l’Union Européenne, qui sont aujourd’hui trop fragmentées ; la cyberdéfense ; le ravitaillement en vol.
Le Parlement européen a également apporté sa contribution à la réflexion sur ce sujet. Trois rapports méritent d’être évoqués. Le premier est le rapport sur la mise en œuvre de la politique de sécurité et de défense commune, de Maria Eleni Koppa, du 30 octobre 2013, qui promeut un cadre stratégique pour la PSDC permettant à l’Union européenne d’être un véritable acteur politique global et d’affirmer son autonomie stratégique à travers sa politique étrangère. Le second est celui de Michael Gahler sur la base industrielle et technologique de défense européenne, daté du 30 octobre 2013, qui exprime une inquiétude concernant la baisse des dépenses de défense en Europe, ce qui impacte l’autonomie stratégique de l’Union, et invite à plus d’effort en matière de mutualisation. Enfin, Elmar Brok et Roberto Gualtieri ont adressé en juin 2013 une recommandation à la Haute représentante, au Conseil et à la Commission concernant l’organisation et le fonctionnement du SEAE.
A. LES TROIS PRIORITÉS À L’ORDRE DU JOUR DU CONSEIL EUROPÉEN
Le Conseil européen de décembre 2012 a fixé un mandat de travail à la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à la Commission européenne et à l’Agence européenne de défense, selon trois axes prioritaires :
Volet 1 : Renforcer l’efficacité, la visibilité et l’impact de la PSDC
Volet 2 : Améliorer le développement des capacités
Volet 3 : Renforcer l’industrie de défense européenne
1. Volet 1 : renforcer l’efficacité, la visibilité et l’impact de la PSDC
L’une des trois priorités du Conseil européen de décembre 2013 sera de redynamiser le volet opérationnel de la PSDC en incitant l’Europe à davantage s’impliquer dans la gestion des crises, y compris dans leur dimension militaire.
Les entretiens réalisés par votre rapporteure avec des responsables politiques français et européens témoignent de la volonté partagée par l’ensemble des pays européens de promouvoir une logique avant tout pragmatique afin d’améliorer l’efficacité et la réactivité de la réponse européenne aux crises.
Au Conseil de décembre, l’enjeu sera de réaffirmer l’investissement de l’Union dans la gestion des crises en faisant valoir les atouts dont elle dispose et en fixant des axes d’amélioration de ces outils. Un consensus a émergé en faveur de ce que l’on appelle « l’approche globale », c’est-à-dire l’idée que la gestion des crises suppose la mobilisation et la coordination de divers instruments et de divers acteurs intervenant dans des registres différents. L’Union dispose ainsi de toute une panoplie d’outils qui, correctement coordonnés, peuvent participer positivement à cette gestion. Même le Royaume-Uni est favorable à cette approche et fait valoir au sein de l’OTAN qu’il s’agit d’une compétence européenne et que l’OTAN, au nom du principe de non duplication, ne devrait pas créer ses propres instruments civilo-militaires.
La France soutient naturellement cette orientation, mais défend aussi la ligne que les outils militaires ne doivent pas être dilués ni dénaturés par cette approche.
Quatre domaines sont particulièrement importants.
a. L’avenir des groupements tactiques européens
Les groupements tactiques de l’Union Européenne (GTUE) sont les seuls instruments de projection militaire de l’Union Européenne. Ils sont issus du conseil informel des ministres de la Défense de Noordwijk (septembre 2004), qui a décidé la création de neuf (qui deviendront treize) « groupements tactiques », composés de 1 500 hommes, déployables en 15 jours pour une période d’au moins 30 jours (120 grâce aux rotations).
Les discussions à leur propos sont révélatrices des différences de conception à propos de l’approche globale. Certains États veulent en effet les adapter pour faire prévaloir une vision civile alors que d’autres, comme la France, souhaitent qu’ils demeurent des outils combattants, aptes à entrer en premier sur un théâtre d’opération, comme d’ailleurs leur appellation en anglais le définit très bien (Battle Group).
Ces GTUE sont depuis plusieurs années l’objet de critiques car ils n’ont jamais été utilisés. Par exemple, le groupe en alerte lors de la crise malienne (France-Allemagne-Pologne), pourtant composé de pays impliqués avec des troupes entrainées, n’a pas été mobilisé et un groupe – britannique - qui aurait pu participer au démantèlement de l’arsenal chimique syrien non plus. Cette inaction est vivement critiquée par des pays comme la Suède car le groupe auquel participe ce pays a servi de colonne vertébrale à ses réformes militaires et de justification de son effort budgétaire en faveur de la défense.
Par ailleurs, le tour d’alerte pour la période 2013-2016 n’est pas assuré en raison d’un retard dans la génération des forces ; un seul GTUE sera en alerte jusqu’en 2017 alors que l’objectif est fixé à deux groupes mobilisables sous faible préavis.
Diverses propositions émanant du Royaume-Uni, d’Allemagne et d’Italie, visent à réduire le niveau d’ambition de cet outil en proposant de le transformer pour le dédier à des actions de basse intensité ou des missions non-combatives, par exemple pour des crises humanitaires.
Votre rapporteure estime que la pression qui s’exerce aujourd’hui sur l’utilisation de ces GTUE ne doit pas conduire à prendre des décisions qui pourraient être dommageables à la relance de l’Europe de la défense. Supprimer ces groupes ou les transformer en outils de gestion civile, reviendrait à renoncer à l’identité militaire de la PSDC.
En outre, les GTUE n’ont jamais été utilisés jusqu’à présent avant tout en raison d’un manque de volonté politique des États-membres, souvent réticents à s’impliquer dans des opérations militaires dans un cadre européen. Leur non-utilisation reflète en ce sens l’état de la volonté politique en matière de défense européenne, comme la non-utilisation de la force de réaction rapide de l’OTAN reflète la situation de cette dernière.
Transformer ces groupes en instrument civilo-militaire ne paraît ainsi pas une bonne option, d’autant plus qu’ils constituent un véritable instrument de transformation, d’intégration militaire, de rapprochement des cultures stratégiques, de modernisation du format des armées.
Au regard de leur concept d’emploi, parfaitement souple et adapté à un large spectre d’interventions, il ne paraît pas opportun de le modifier, sauf à vouloir en réduire les capacités d’intervention militaire et par conséquent les affaiblir.
En revanche, il conviendrait de mieux les intégrer à la planification européenne en accroissant leurs propres capacités de planification. Les faire participer davantage à des exercices serait aussi un moyen d’affuter cet outil.
Votre rapporteure estime également que ces groupes pourraient être très utiles pour soutenir l’action de l’ONU. En effet, l’ONU se trouve de plus en plus souvent confrontée à des situations où le déploiement d’une Opération de maintien de la paix (OMP) est impossible ou risque d’intervenir trop tardivement. Les Opérations de maintien de la paix, comme leur nom l’indique, n’ont pas pour vocation de rétablir la paix mais de la maintenir ; par ailleurs, mobiliser les contributions nationales pour une opération est un processus lent et complexe qui prend au minimum six mois.
Cette observation a été vérifiée tragiquement sur des théâtres comme celui de la République démocratique du Congo en novembre 2012 lorsque les rebelles du M23 ont pu s’emparer de Goma et se livrer à des exactions innommables faute de trouver en face d’eux des forces suffisamment efficaces.
Les Européens, qui rechignent à fournir des contingents de Casques bleus, pourraient réfléchir à la possibilité d’utiliser les groupements tactiques pour certaines missions de l’ONU. Ces groupes, plus rapidement déployables qu’une OMP, pourraient jouer un rôle très positif dans la phase de démarrage d’une OMP, pour stabiliser une situation avant le déploiement de l’OMP. Le mandat défini par le Conseil de Sécurité fournirait un cadre légal incontestable à cet emploi.
L’Union, par ses missions civiles et militaires, fournit déjà une aide appréciable à l’ONU dont les conceptions sont très proches des siennes s’agissant de la gestion des crises. Elle a actuellement des missions déployées en République démocratique du Congo, en Somalie et au Mali. Par ailleurs l’Union prend en charge, par la Facilité africaine de paix, les soldes des troupes déployées en Somalie. De la même façon, l’Union pourrait participer aux actions de stabilisation de la République centrafricaine.
b. La plateforme d’aide à la décision
L’Union européenne et ses États membres devraient disposer d’une appréciation unique et commune de la situation de niveau stratégique. Ils doivent aussi être capables d’évaluer dans la durée la performance de l’action extérieure de l’Union Européenne.
Le Service d’action extérieure de l’Union, en liaison avec le COPS, se sont déjà attelés à cette tâche. Les directions géographiques du SEAE, les directions de la Commission compétentes et les structures militaires de l’Union ont pris l’habitude de se réunir fréquemment pour analyser les situations et définir des réponses, ce qui est une excellente chose.
Il serait donc opportun de systématiser ces rencontres en dotant les institutions d’une plateforme d’échange d’informations et d’appréciation commune de situation afin de faciliter la prise de décision, de permettre une meilleure synchronisation des actions de l’Union sur le terrain et de mesurer la performance de celle-ci.
L’Allemagne, s’appuyant sur la lettre conjointe des ministres français et allemands des Affaires étrangères et de la Défense adressée le 15 juillet à la Haute représentante, et compte tenu de ses intérêts industriels, s’est investie dans la promotion de cette action qui a reçu un écho favorable de la part de l’Espagne et de la Pologne.
Ce projet se heurte toutefois aux réticences du Royaume-Uni, qui y voit le premier pas de la mise en place d’un quartier général européen (OHQ).
Par ailleurs, il importe que les structures de crise du SEAE demeurent autonomes par rapport aux autres services et directement liées au Haut Représentant. Les contacts doivent être réguliers et des habitudes de travail se développer afin qu’une certaine fusion des cultures progresse entre civils et militaires, mais il ne serait sans doute pas souhaitable que les directions géographiques du SEAE les absorbent.
Il convient également que les structures militaires de l’Union poursuivent leur travail d’implantation d’une culture militaire au sein de ce service.
Le Comité militaire de l’Union européenne (CMUE) a été créé par une décision du Conseil du 22 janvier 2001. Il est composé des chefs d’État-major des États membres, lesquels sont le plus souvent représentés par leurs Représentants permanents. Son président est depuis novembre 2012 un général français, Patrick de Rousiers, ce qui a contribué à ce que ce comité démultiplie ses activités.
Le CMUE est l’organe militaire le plus élevé auprès du Conseil. Il a pour mission de fournir au Comité politique et de sécurité (COPS) des recommandations et avis sur tous les aspects militaires de la PSDC. Il évalue les options stratégiques de gestion des crises et de développement des capacités définies par l’État-major de l’Union européenne (voir infra), auquel il donne ses directives. En cas de crise, le CMUE suit la bonne exécution des opérations militaires en cours menées sous la responsabilité du commandant d’opération.
Le Comité politique et de sécurité (COPS) est une structure permanente du Conseil. Il a également été créé par une décision du Conseil du 22 janvier 2001 et son existence a été reprise par l’article 38 du Traité sur l’Union européenne. C’est l’organe de conception et de développement de la PSDC. Il réunit, deux fois par semaine, des représentants des 27 États membres ayant rang d’ambassadeur. Il assure le suivi de la situation internationale, définit et suit les réponses de l’Union Européenne en cas de crise, émet des « avis » à l’intention du Conseil (propositions d’objectifs politiques et recommandations d’options stratégiques). Par délégation permanente du Conseil, il exerce également le contrôle politique et la direction stratégique de toutes les opérations militaires, aidé en cela par les avis et recommandations du CMUE soutenu lui-même par l’État-major militaire (EMUE).
Structure militaire permanente intégrée de l’Union européenne, l’État-major (EMUE) est constitué de militaires mis à la disposition du Secrétariat général du Conseil. Il est la source de l’expertise militaire de l’Union et est habilité à fournir ses analyses à la Haute Représentante. Il travaille sous la direction du CMUE, auquel il rend compte, et assure le lien entre ce dernier et les moyens militaires mis à la disposition de l’Union Européenne par les États membres.
Il remplit 3 fonctions opérationnelles principales : l’alerte rapide, l’évaluation des situations et la planification stratégique et logistique pour les missions de l’Union Européenne. Il est également chargé de mettre en œuvre les politiques et les décisions arrêtées par l’Union, en fonction des directives du CMUE. Il regroupe environ 250 militaires détachés par les États membres, dont 17 Français.
Votre rapporteure a pu constater, lors de ses visites à Bruxelles, à quel point ces structures étaient utiles pour éclairer la réflexion du SEAE.
c. La rationalisation des moyens européens
Le constat de l’échec des politiques européennes de développement au Mali, pour lesquelles les États membres et l’Union Européenne ont dépensé plus d’un milliard depuis 2003, doit susciter une réflexion conduisant les États membres à demander une plus grande responsabilité financière de l’Union.
Les actions de long terme en faveur du développement ne peuvent en effet être menées à bien que dans des contextes où un certain niveau de sécurité est assuré. L’approche globale de l’Union Européenne, présentée comme la véritable plus-value de celle-ci sur la scène internationale, doit désormais impérativement se matérialiser à travers ses mécanismes de financement. Il est donc nécessaire que les fonds communautaires puissent être réactifs face à une situation de crise et prennent également en compte les aspects liés à la sécurité (notamment le volet équipement), au risque sinon de fragiliser et de compromettre l’ensemble de la politique extérieure.
Ce chantier est sans doute l’un de ceux qui présente le plus de difficultés car il s’agit de définir un nouveau mode de fonctionnement des relations entre le SEAE et la Commission. Le statut du Haut Représentant lui donne théoriquement une certaine autorité puisqu’il est vice-président de la Commission ; cependant, lors de la création du SEAE, le Conseil européen et le Président de la Commission européenne ont rendu des arbitrages défavorables à l’affirmation de son autorité.
Le Conseil européen, contrairement à la vision plus large défendue par la France, n’a pas souhaité lui attribuer l’ensemble des compétences de l’ancienne Relex. Il n’a donc aucune compétence sur le commerce, ni l’élargissement et il n’a pas repris la responsabilité directe du voisinage.
Le Président de la Commission lui a accordé un rôle de coordination sur trois services qui relèvent des relations extérieures de l’Union : le voisinage, le développement et l’aide humanitaire. Mais, dans la pratique, cette fonction de coordination s’est révélée difficile à assurer, car, comme le soulignait déjà votre rapporteure dans son rapport publié au nom de la Commission des affaires européennes en 2010 (22), la formule des Commissaires coordinateurs n’a jamais fonctionné parce que les Commissaires forment un collège d’égaux.
En outre, au terme d’une discussion entre la Commission et la Haute Représentante, cette dernière a accepté que les trois plus importants instruments d’assistance financière reviennent principalement à la Commission pour l’élaboration des propositions et des documents de programmation.
Comme le détaillait votre rapporteure dans son rapport précité :
« Finalement, la responsabilité de la HR et du Service sur la rubrique 4 du budget 2010 concernant l’Union européenne comme acteur mondial, d’un montant global de 8,1 milliards d’euros, se répartit approximativement de la manière suivante :
« - une responsabilité directe sur le budget de la PESC (281 millions d’euros), sur une partie des crédits de l’instrument de stabilité, pour répondre en urgence aux situations de crise, et sur l’instrument de coopération avec les pays industrialisés (58 millions d’euros), représentant un peu plus de 4 % du budget global ;
« - une contribution importante du Service sur les trois premières phases du cycle de programmation de l’instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme (164 milliards d’euros), l’instrument de coopération avec les pays industrialisés (58 millions d’euros), l’instrument de coopération pour la sûreté nucléaire (70 millions d’euros), l’instrument de stabilité pour l’assistance dans le cadre de coopération stable (art. 4 du règlement (CE) no 1717/2006 du 15 novembre 2006) doté globalement de 219 millions d’euros, représentant près de 5 % du budget global ;
« - une contribution limitée du Service sur l’instrument de coopération au développement (2,4 milliards d’euros) et sur l’instrument européen de voisinage (1,6 milliards d’euros) qui représentent 50,8 % du budget global, auxquels s’ajoute le F.E.D. (3,7 milliards d’euros) hors budget global ;
« - une absence de contribution du Service sur l’instrument d’aide de préadhésion (1,5 milliard d’euros soit 19,5 % du budget global), l’aide humanitaire (800 millions d’euros), l’assistance macro-économique (98 millions d’euros), la réserve d’aide d’urgence (248 millions d’euros), le mécanisme d’aide alimentaire (170 millions d’euros), les autres actions et programmes y compris les agences décentralisées (300 millions d’euros), représentant 39,4 % de la rubrique 4 du budget global 2010. »
Il conviendrait certainement de redéfinir le champ de compétence du Haut Représentant, en lui donnant une réelle capacité de coordination des services qui participent de l’action extérieure de l’Union.
La réflexion sur l’opportunité de créer un poste d’adjoint auprès du Haut Représentant afin que ce dernier puisse se concentrer davantage sur certains dossiers et mieux exercer sa fonction de vice-président de la Commission est digne d’intérêt. Mais il ne dispensera pas de la nécessité que le Haut Représentant dispose de tous les moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission.
De la même manière, le fait que le SEAE planifie et conduise des actions de gestion de crise sans avoir le contrôle des instruments financiers de gestion de crise limite considérablement l’efficacité de son action. Il est urgent de donner plus de cohérence à l’architecture financière de la PSDC. Pour cela, une véritable autonomie financière du SEAE doit être recherchée. Ces propositions relativement novatrices, que la France a présentées lors de la discussion des propositions du SEAE, n’ont pour le moment pas suscité de réactions de la part de nos partenaires.
Cette réorganisation n’exigerait pas une modification des traités, mais une volonté d’organiser autrement la Commission. C’est dans un secteur, comme dans celui de la politique économique de l’Union Européenne, que la création d’un pôle de coordination autour de vice-présidents, serait très utile.
d. Se préparer aux défis opérationnels
C’est sur le terrain opérationnel que l’on jugera l’Union européenne.
Néanmoins, il paraît peu probable que l’Union décide prochainement de créer de nouvelles missions. Par exemple, on aurait pu imaginer que l’Union prenne le relais de la KFOR au Kosovo à l’occasion de la réduction de son format de 5 000 à 2 500 hommes. Ce relais serait cohérent avec le rôle éminent que l’Union a joué dans le processus de rapprochement de la Serbie et du Kosovo et en phase avec la situation qui prévaut sur le terrain, situation qui relève davantage d’une action civilo-militaire que d’une action militaire.
Il conviendrait aussi que la mission EUBAM, qui a débuté en mai 2013 en Libye, se renforce. Il s’agit d’une mission civile de taille réduite – il est prévu de déployer 165 personnes – et qui doit aider au renforcement des capacités libyennes de contrôle et de surveillance des frontières. Son déploiement est gravement compromis par la situation sécuritaire. Les conditions sécuritaires limitent tout à la fois le recrutement (43 personnes seulement sont sur place) et l’exécution du mandat. La question migratoire donne une nouvelle importance à la mission qui reste le principal instrument de l’Union Européenne sur place. Malheureusement, il est difficile d’imaginer des moyens de renforcer la mission tant que la situation sur le terrain reste ce qu’elle est. Il en ira probablement autrement dans quelques mois lorsque la mission se sera installée dans un « compound » sécurisé. Elle se trouve pour le moment dans un hôtel de Tripoli, celui où le Premier ministre libyen avait été enlevé…Par ailleurs, une réflexion et une coordination des actions conduites par les différents acteurs seraient bienvenues pour aider à la stabilisation de ce pays.
La France soutient également la création d’une mission civile au Mali pour renforcer les forces de sécurité intérieure. Une telle initiative serait opportune et conforterait la stratégie européenne dans cette région.
Si des actions concrètes ne peuvent être envisagées pour le moment, le Conseil pourrait malgré tout engager un processus débouchant sur des actions concrètes.
La Stratégie de sûreté maritime de l’Union européenne (SSMUE) proposée par la France et en cours d’élaboration devra valoriser une approche globale et cohérente des sujets maritimes.
Il s’agit ainsi de capitaliser sur le succès de la mission Atalante. Cette mission protège les navires de la piraterie au large des côtes de la Somalie et dans le golfe d’Aden, qu’il s’agisse des navires marchands ou des navires ravitaillant l’AMISOM ou de ceux affectés au Programme alimentaire mondial acheminant l’aide alimentaire aux populations déplacées de Somalie.
La France, l’Espagne et l’Allemagne déploient en permanence des moyens navals dans la zone ; l’Italie, les Pays Bas, la Suède et la Belgique contribuent occasionnellement ; le Royaume-Uni assure le commandement stratégique depuis Northwood mais n’a encore déployé aucun moyen.
Le bilan de cette opération est très satisfaisant ; depuis plus d’un an, aucun navire n’a été détourné.
La France est à l’origine d’une initiative visant à définir une stratégie maritime ; la Grèce et l’Espagne sont particulièrement favorables à cette démarche, pour laquelle l’article 44 du traité sur l’Union européenne pourrait être utilisé (23).
Elle aurait comme champ d’intervention le golfe de Guinée où l’on constate un développement de la piraterie (60 actes ont été recensés en 2012) et aussi de la pêche illicite et du narcotrafic. Comme l’opération Atalanta, une action aurait un double intérêt : aide à la stabilisation d’une région où l’autorité des États est défaillante et protection des ressortissants et des intérêts européens.
Il est probable que cette stratégie ne pourra être complètement adoptée dès décembre, notamment parce que le Royaume-Uni manque d’enthousiasme. Selon lui, les problèmes du Golfe de Guinée sont spécifiques, mais surtout, sans doute, la pérennisation de fait d’une structure de commandement comme celle de Northwood (qui n’emploie jamais que 140 personnes) pose un problème de principe…
Par ailleurs, afin de faire face aux défis sécuritaires émergents comme le cyber ou le spatial, la Haute Représentante propose que les instruments, politiques et activités existants soient coordonnés et priorisés. La France soutient cette démarche permettant la performance de l’action de l’Union Européenne selon l’approche globale.
Il conviendrait de doter l’Union européenne d’une capacité de cyberdéfense en commençant par la cybersécurisation de l’ensemble des réseaux des institutions et des programmes associés et le renforcement des capacités des États membres. L’affaire Snowden a révélé l’extrême vulnérabilité des Européens dans ce domaine et surtout que ce segment de leur sécurité ne peut être confiée aux États-Unis !!! Il faut espérer que cette cuisante expérience aura la vertu de faire murir une prise de conscience par nos partenaires que leur sécurité est avant tout leur affaire.
La Commission pourrait avoir aussi accès à une capacité de surveillance des objets spatiaux en participant au financement de la modernisation des capacités existantes parmi les États membres (Allemagne, France).
En matière de sécurité des frontières, il est important de renforcer l’appui de l’Union Européenne aux États tiers en coordonnant mieux les outils qui existent déjà sur le terrain et en finançant des infrastructures et des équipements pour les forces de sécurité locales. Une première étape consisterait à élaborer, dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie de l’Union Européenne pour le Sahel, un plan d’action de l’Union Européenne sur la gestion des frontières au Sahel. L’Allemagne et la France soutiennent l’élaboration d’une stratégie européenne de gestion et de sécurité des frontières.
Enfin, un défi plus immédiat se pose au Européens : celui de leur rapidité de réaction. Il a fallu sept réunions des ambassadeurs du COPS pour l’engagement au Mali alors qu’entre la décision du Président de la République d’intervenir et les premières frappes, seules quatre heures se sont écoulées. Ce chantier a été confié au général de Kermabon (chargé fin 2012 par le SEAE de faire une évaluation relative à l’organisation des services, aux procédures et aux capacités d’analyse et d’anticipation de cette structure pour la mise en œuvre de la PCSD) dont le rapport a été approuvé par Catherine Ashton. Il recommande l’adoption d’un système de « fast track » (à savoir réduire à trois les réunions du COPS pour valider un engagement militaire). C’est une piste de progrès certaine pour l’efficacité et la visibilité de la PSDC.
e. La question du partage du fardeau financier des opérations militaires
Actuellement, les opérations conduites par un État membre sont entièrement à sa charge même lorsqu’elles bénéficient du soutien politique des membres de l’Union. Ainsi, de l’opération Serval, dont le surcoût élevé (637 millions d’euros en 2013) est supporté entièrement par le budget national. Le soutien logistique apporté par nos partenaires est naturellement gratuit.
Alors que les opérations civiles de la PSDC sont financées entièrement par le budget européen, les opérations militaires de l’Union sont, à hauteur de 90%, à la charge des États membres qui les mènent, les 10% restant étant, depuis la création du mécanisme Athéna en 2004, pris en charge par tous les membres de l’Union en application d’une clé de répartition calculée en fonction de leurs PIB respectifs. En 2013, le budget Athéna s’élève ainsi à 53 millions d’euros.
Cette règle contraste avec celle qui prévaut pour les opérations de l’ONU. En effet, pour les Opérations de maintien de la paix de l’ONU, dont le budget a atteint près de 8 milliards de dollars, le financement est assuré par les contributions obligatoires des membres, sachant que pour les membres permanents la quote-part au budget des OMP est majorée. Pour la France, cette quote-part s’élève à 7,219% alors qu’elle est de 6,12% pour le budget ordinaire de l’ONU, ce qui place notre pays au rang de troisième contributeur devant l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Signalons également que l’Union européenne prend en charge, à travers la Facilité africaine de paix, les soldes des Casques Bleus de l’AMISOM en Somalie, ce qui représente un coût de 210 millions d’euros en 2013.
C’est un sujet qui ne sera pas abordé au Conseil européen de décembre, mais il serait souhaitable qu’il le soit par la suite car il serait logique que les progrès de l’Europe de la défense se traduisent par une plus grande mutualisation des dépenses induites par les opérations militaires qui contribuent à la sécurité de l’Europe.
Une révision du mécanisme Athena devrait aboutir au cours du deuxième semestre 2014. Le Gouvernement français demande à juste titre que le mécanisme soit étendu aux missions de formation et d’entraînement (EUTM Mali et EUTM Somalie) et que soit pérennisée l’extension du mécanisme au transport stratégique des groupements tactiques de l’Union.
La contribution du groupe UMP annexée au présent rapport, propose, quant à elle, la création d’un « fonds OPEX européen », partant du principe que les États membres qui décideraient de ne pas participer à une opération militaire conduite par un membre de l’Union pour la sécurité commune de l’Europe devraient cofinancer cette intervention en proportion de leur PIB.
Votre rapporteure estime que la création de ce fonds serait utile et légitime. Il serait sans doute plus opportun toutefois, dans un premier temps, que ce fonds soit alimenté, non par des contributions obligatoires, mais par des contributions volontaires, afin qu’il ne soit pas un motif qui conduirait des États à se désolidariser de telle ou telle initiative.
2. Volet 2 : améliorer le développement des capacités
Les capacités militaires ne se définissent pas en fonction de la probabilité de conduire une opération militaire dans un avenir proche : elles sont nécessaires à tout pays qui a l’ambition de disposer d’un outil de défense performant. C’est sur ce constat que doit s’engager une réflexion.
La diminution des budgets militaires n’a pas spontanément abouti à une mutualisation des moyens. Le réflexe naturel lorsque les budgets baissent est de les réserver à l’industrie nationale. Il est paradoxalement plus facile de faire de la coopération dans le domaine des programmes d’armement lorsque les moyens sont en hausse.
Le domaine capacitaire est pourtant décisif pour l’avenir de l’Europe de la défense. Mais les récentes opérations ont mis à jour les lacunes des pays européens pour un certain nombre de capacités (ravitaillement en vol, observation spatiale et aérienne). Pour concrétiser l’ambition opérationnelle de l’Union Européenne, les États membres doivent réussir à combler leurs lacunes capacitaires, grâce à des coopérations efficientes et en évitant les redondances. Il s’agit d’un volet où une volonté politique constante devra se manifester pour venir à bout des obstacles et où le moteur franco-allemand peut jouer un rôle majeur afin de créer une nouvelle dynamique dans ce domaine.
Pour ce deuxième volet, votre rapporteure identifie trois priorités.
a. Le ravitaillement en vol et l’extension de l’EATC
L’initiative européenne sur le ravitaillement en vol est un projet emblématique de la démarche de pooling and sharing qui vise à optimiser le processus d’acquisition d’équipement et à mutualiser leur emploi. Elle peut se combiner avec une extension de l’EATC, structure de mutualisation des moyens de transport aérien militaire.
Le projet de ravitaillement en vol est emblématique. Il fait partie des lacunes capacitaires mises en relief au cours des opérations récentes en Libye et au Mali : ainsi, lors de l’opération « Protecteur Unifié », 80% des missions de ravitaillement en vol ont été effectuées par l’US Air Force, faute de capacités européennes suffisantes. Lors du comité directeur de l’AED du 22 mars 2012, les États ont adopté une déclaration politique en vue de renforcer les capacités européennes de ravitaillement en vol.
Cette initiative devrait être orientée selon deux grands axes. Tout d’abord, créer de nouvelles capacités - par l’acquisition d’appareils en cherchant à rationaliser les coûts d’achat - mais aussi partager des infrastructures, de la maintenance, du soutien logistique et de l’entraînement. Enfin, mieux coordonner l’emploi des moyens existants et préparer celui des moyens futurs. La France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont réitéré leur engagement en faveur de cette initiative et ont annoncé qu’ils piloteraient ensemble les travaux du projet dans le cadre de l’AED.
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a abattu une carte importante en proposant :
– la mise à disposition de l’expertise française dans les domaines de la certification, de la qualification et de la réception des appareils ;
– l’ouverture aux partenaires de l’agence de maintenance française ;
– une offre française pour la formation et l’entrainement des équipages ;
– un emploi mutualisé des avions, la base d’Istres pouvant être mise à disposition de cette plateforme multinationale.
Les avions ravitailleurs pourraient ainsi être mutualisés au sein de l’EATC (24).
L’EATC, situé à Eindhoven (Pays-Bas), est un exemple de réussite de la démarche de mutualisation et de partage des capacités qui vise à optimiser l’emploi des moyens de transport aérien militaire de cinq nations (Belgique, Allemagne, France, Pays-Bas, Luxembourg).
Jusqu’à maintenant, la France a transféré le contrôle opérationnel d’une grande partie de sa flotte d’avions de transport mais a conservé le contrôle de sa flotte d’avions ravitailleurs en raison de sa mission spécifiquement nationale : le ravitaillement des appareils qui assurent la composante aérienne de sa dissuasion. En proposant que l’EATC prenne en charge ce type d’appareils, le ministre français de la Défense fait preuve d’une réelle volonté de faire progresser la mutualisation. Cette initiative mérite d’être saluée car il a fallu passer outre aux objections de ceux qui considéraient que ce qui contribue à la dissuasion nationale ne pouvait, ni de près, ni de loin, être mutualisé.
Dès que le nombre d’appareils acquis le permettra, la France, dans une optique de gestion optimisée des moyens européens mettra à disposition de l’EATC sa flotte disponible d’Airbus A330 MRTT, sous réserve des priorités nationales.
Sur le plan opérationnel, l’EATC assure le contrôle opérationnel de la plupart des avions de transport et de ravitaillement en vol des cinq nations, soit 150 appareils, permettant ainsi de réaliser le maximum de synergies tout en offrant un maximum de souplesse aux nations. (25)Ce volet, qui sert de soutien au pilier opérationnel, constitue le pôle d’expertise du transport aérien militaire des cinq nations. Il est principalement affecté à l’harmonisation des règlements, la standardisation des procédures, la préparation du futur et l’organisation d’exercices conjoints.
L’EATC offre une plus-value à ses États membres tout en respectant leur souveraineté ; il permet ainsi de contribuer à un effort collectif sans pour autant faire partie d’une opération (exemple de l’Allemagne dans le cas des opérations en Libye). Symétriquement, toute nation peut recouvrer à tout instant le contrôle total de ses moyens aériens pour mener des opérations nationales.
L’Espagne est en phase d’adhésion pour une participation complète en septembre 2014. L’Italie a également officiellement annoncé son souhait de rejoindre la structure sans pour autant entamer la procédure officielle. Les pays scandinaves se disent également intéressés. Si les pays du Nord ne souhaitent pas intégrer l’EATC, un statut d’observateur pourrait leur être proposé et un lien privilégié devrait alors être défini. Enfin, l’absence de lien formel avec l’Union Européenne ou l’OTAN pourrait permettre à l’EATC d’attirer d’autres États réticents comme la Norvège ou la Suisse. Votre rapporteure a constaté, lors d’un déplacement à Londres, l’intérêt marqué des responsables politiques britanniques, ce qui ouvre de larges perspectives d’évolution.
Alors que l’EATC englobe les différents domaines du transport aérien militaire (tactique, stratégique, VIP) ainsi que le ravitaillement en vol, les prochaines années verront la mise en service de l’A400M au sein de plusieurs armées de l’air, ainsi que de l’A330MRTT, deux appareils aux capacités sans commune mesure avec les avions de générations précédentes (rayon d’action, charge offerte, polyvalence tant en termes de transport que de ravitaillement en vol). Ces mises en service conduiront en outre à restructurer les flottes européennes autour de flottes de type enfin partagé, offrant ainsi des possibilités accrues de synergies.
Ce mouvement se superposera cependant à une érosion des ressources européennes de transport comme de ravitaillement en vol en raison du retrait de service de flottes anciennes et de la réduction générale du format des armées de l’air, ce qui aura pour conséquence un besoin d’optimisation plus important encore. Au-delà de ces sauts capacitaires essentiels, ces appareils offrent aux nations acquéreuses l’opportunité unique de faire converger collectivement leurs normes d’emploi et d’utilisation. Ce travail revêt une importance première car il permettra non seulement une utilisation pleine et entière du ciel unique européen, en temps de crise comme au quotidien, mais constitue le prérequis de schémas de coopération plus ambitieux encore qui, selon les nations, les réuniront demain au sein d’unités multinationales ou d’escadres aériennes européennes.
Aéronefs sans pilote dont l’utilité est apparue de plus en plus évidente au cours de la dernière décennie, le secteur des drones offre d’intéressantes perspectives de coopération en Europe (26).
En matière de drones tactiques, c’est-à-dire de drones mis en œuvre par l’armée de terre, la France, qui doit remplacer des appareils actuels, va prochainement tester le système britannique Watchkeeper. Au sein des deux pays, les régiments concernés sont jumelés depuis l’an dernier et collaborent activement.
En revanche, l’industrie de défense européenne ne dispose pas d’un drone MALE (dédié à la surveillance et à l’observation) qui puisse être acheté immédiatement alors qu’il s’agit d’une lacune capacitaire importante. Les pays européens sont donc contraints d’acheter du matériel américain ou israélien. La France a choisi d’acquérir 12 drones Reapers fabriqués aux États-Unis, décision qui a été peu appréciée par les industriels européens, mais qui, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie disposant déjà de Reapers, ouvre la possibilité de créer un « club d’utilisateurs européens » et de coopérer sur l’entrainement et la formation. Les Britanniques semblent disposés à mettre à disposition le centre de commandement qu’ils utilisent pour les opérations en Afghanistan, centre qui devrait être rapatrié des États-Unis prochainement.
Tout récemment, le 19 novembre, le ministre français de la Défense et ses collègues allemand, grec, espagnol, italien, néerlandais et polonais, ont lancé un « club des utilisateurs de drones » afin, dans un premier temps, d'échanger leurs expériences et d'identifier les opportunités de coopération dans divers domaines (entraînement, logistique, maintenance, développement) et, à terme, de développer, à l'horizon 2020, un drone MALE européen de nouvelle génération, dans le cadre de l'Agence européenne de défense (AED).
Cette décision, comme celles qui ont été expliquées précédemment, témoignent qu’une certaine dynamique s’est enclenchée dans la perspective du Conseil européen et que la France est toujours à l’origine de ces initiatives pragmatiques et européennes qui peuvent intéresser un nombre appréciable d’États membres.
Dans un avenir plus lointain, les avions de chasse pilotés pourraient s’effacer au profit d’aéronefs non pilotés : les drones de combat. Le démonstrateur NEURON, qui a fait son premier vol le 1er décembre 2012, appartient à cette catégorie. C’est un programme associant la France, l’Espagne, la Grèce, l’Italie, la Suède et la Suisse avec pour objectif la préparation du futur système aérien de combat européen. La maîtrise d’œuvre a été confiée à Dassault Aviation.
Enfin, l’AED s’est rapprochée de la Commission dans le cadre du programme Horizon 2020 (programme de recherche sur la période 2014-2010) pour mieux articuler les investissements européens sur les technologies à usage potentiellement dual, dans le but, notamment, de permettre l’insertion des drones dans le trafic aérien civil. La Commission pourrait notamment acquérir des drones dédiés à la surveillance des frontières par Frontex.
c. La mise en place d’incitations fiscales
Le programme européen de ravitaillement en vol a permis de mettre en relief l’absence de structure européenne à même de bénéficier d’un régime fiscal favorable, comme c’est le cas pour la NSPA (27)(l’agence prestataire de services et de logistique intégrée de l’OTAN).
La mise en place d’incitations fiscales pour l’acquisition et/ou la mise en œuvre de capacités en commun dans un cadre européen permettrait ainsi :
– de disposer en Europe d’un dispositif permettant, à l’image de ce que peut réaliser la NSPA pour l’OTAN, d’héberger une unité multinationale européenne dont les capacités seraient acquises et mises en œuvre en exonération de TVA ;
– de mettre en place un accélérateur puissant de coopération.
Le lancement de réflexions au niveau européen pour mettre en place le plus rapidement possible les incitatifs fiscaux est un objectif prioritaire à atteindre lors du Conseil européen de décembre. À cet égard, votre rapporteure ne peut que se réjouir de voir ce thème figurer explicitement dans le rapport du SEAE.
3. Volet 3 : renforcer l’industrie de défense européenne
Ce dernier volet est aussi l’un des plus décisifs pour l’avenir. L’Europe de la défense ne peut exister sans industries de défense européennes et réciproquement.
En effet, comme les conclusions du Conseil de décembre 2012, la communication de la Commission européenne de juillet et le rapport du SEAE l’indiquent, le renforcement du développement capacitaire de l'UE passera par une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) forte et compétitive. Dans un contexte budgétaire contraint, cette BITDE contribue à l’autonomie stratégique des Européens, avec la sécurité d’approvisionnement, l’accès aux technologies et la maîtrise de celles-ci.
Toutefois, c’est un sujet de tension entre les pays européens, car tous les pays européens ne disposent pas d’une industrie de défense et ceux qui en ont une ne partagent pas les mêmes conceptions. Avec la France, les grands pays industriels européens de la défense, sont le Royaume-Uni, puis l’Allemagne et l’Italie avec des chiffres d’affaires de l’ordre de la dizaine de milliards d’euros et un nombre d’emploi de l’ordre de la centaine de milliers (28) . En second rang, on peut noter l’Espagne, la Suède et la Pologne (quelques milliards de chiffres d’affaires et quelques dizaines de milliers d’emplois). La Belgique arrive derrière. Dès lors, le Conseil européen ne peut se focaliser sur cette question sans risquer d’aliéner une partie des pays européens.
La communication de la Commission « Vers un secteur de la défense plus compétitif et plus efficace » du 24 juillet 2013 constitue la réponse de la Commission européenne au mandat du Conseil européen de décembre 2012 et le point d’ancrage autour duquel se sont organisées les réflexions en vue du Conseil européen.
La Commission propose :
– d’approfondir le marché intérieur en appliquant pleinement les deux directives du paquet défense de 2009 (29), en traitant les distorsions de marché créées par les compensations (offsets) et les aides d’État, et en améliorant la sécurité d’approvisionnement entre les membres ;
– le renforcement de la compétitivité de la BITDE via un appui à la compétitivité du secteur et le soutien aux PME, notamment en développant des « réseaux d’excellence » qui regroupent des maîtres d’œuvre, des PME, des instituts de recherche et d’autres organismes scientifiques. La Commission européenne reconnaît qu’une BITDE forte est un prérequis pour développer et soutenir les capacités nécessaires et pour assurer l’autonomie stratégique européenne ;
– l’exploitation des synergies civilo-militaires.
Elle propose aussi d’explorer de nouvelles pistes, comme la possibilité pour l’Union de bénéficier de capacités à double usage susceptibles de compléter les moyens nationaux dans le secteur sécuritaire ou de lancer une action préparatoire pour des travaux de recherche liés à la PSDC.
Par ailleurs, on relèvera que la Commission ne fait aucune référence à l’accord de libre-échange et d’investissement entre l’Union et les États-Unis alors qu’elle souhaitait initialement inclure les marchés de défense dans la négociation.
L’un des aspects positifs de ce texte est que la Commission, tout comme d’ailleurs la Haute Représentante, met l’accent sur les concepts d’autonomie stratégique, de l’accès aux technologies et de la sécurité d’approvisionnement. Cela répond à la demande française de définition de la BITDE, des règles applicables et des objectifs à atteindre pour soutenir cette BITDE.
Il faudra bien entendu que ce premier pas soit suivi d’une définition précise du concept de BITDE. Une définition claire et partagée de ce concept est un préalable si l’Union souhaite la renforcer et en mesurer les progrès. L’enjeu aujourd’hui est de parvenir à une définition de ce qu’est une entreprise européenne de défense, car en l’état actuel des textes, une entreprise peut être considérée comme européenne même si elle n’est qu’une filiale d’une entreprise étrangère et fait office de simple intermédiaire pour vendre la production de sa maison mère. Le marché de la défense est un marché spécifique : c’est un marché de souveraineté. Ce sera un des enjeux du Conseil de décembre, mais il serait par la suite nécessaire de poursuivre cet objectif.
La Commission s’interroge également à propos du contrôle des actifs stratégiques sur l’opportunité d’un Livre vert, l’objectif des législations sur le contrôle des investissements étrangers étant d’éviter les risques de prolifération et de garantir la sécurité d’approvisionnement. Cette question est donc liée à l’autonomie stratégique et doit donc être liée à la définition d’une BITDE agréée par tous et non examinée séparément.
Il est par ailleurs regrettable aussi que la Commission envisage de produire de nouvelles normes, par exemple sur les contrôle des exportations. Cette logique bureaucratique, qui conduit à un empilage de normes, est dommageable pour les industries européennes car elle constitue un frein à l’initiative et à l’innovation et affecte in fine la compétitivité.
Enfin, certaines pistes proposées dans la communication de la Commission européenne présentent le risque de traiter la défense comme les autres marchés, alors que sa spécificité est incontestable puisque les États sont les seuls clients.
Le Royaume-Uni partage nos réserves sur la prise en compte de la spécificité des marchés de défense. De même, des discussions sur la mobilisation d'instruments de l'UE sur le financement des biens à double usage et les questions de recherche et développement peuvent faire l'objet d'une convergence bilatérale. L’Italie et l’Espagne partagent également les mêmes positions que la France. En revanche, l'Allemagne considère que le secteur industriel de défense européen n'est pas assez compétitif et que l’ouverture du marché européen à des entreprises extra-européenne est un levier. L'approche de la Suède est quant à elle ambivalente. Si ce pays soutient fortement quelques industries stratégiques (liées à la fabrication de l’avion de combat Gripen notamment), elle a adopté pour le reste de ses besoins d'équipement une politique très libérale d'achat sur étagère qui se fait souvent au détriment de l'industrie de défense européenne.
B. UNE FEUILLE DE ROUTE AMBITIEUSE
Le constat de votre rapporteure est que si nous n’y prenons garde, l’Europe risque de se trouver dans l’incapacité d’assurer sa propre sécurité et de peser face aux défis stratégiques du monde. Le Conseil européen de décembre peut et doit faire cette analyse, de manière transparente et lucide et en tirer les conséquences. Le Conseil européen de décembre doit assumer la responsabilité d’amorcer une nouvelle dynamique de la politique de défense au plus haut niveau politique de l’Union européenne, en prenant des décisions immédiates et en définissant des objectifs et le calendrier des étapes à franchir dans les années qui viennent.
Le Conseil européen de décembre ne sera un succès que s’il propose, outre des décisions immédiates, une vision politique à moyen et à long terme, avec un plan d’action, qui soit une « feuille de route » ambitieuse que les États s’engagent à respecter. Cette méthode ne sera efficace que si cette feuille de route est substantielle et ne renvoie pas à plus tard les objectifs à atteindre.
Cette méthode a fait ses preuves, comme votre rapporteure l’a constaté dans le domaine de la coopération judiciaire, pour laquelle le Conseil européen de Tampere en octobre 1999 a joué un grand rôle en établissant une feuille de route pour dix ans.
L’important est de ne pas laisser retomber la dynamique après le mois de décembre. Cela nécessite que des étapes soient clairement définies et qu’une procédure de suivi des évolutions sur les trois volets se mette en place.
Le suivi des évolutions rend nécessaire de mettre en place des rendez-vous réguliers du Conseil européen consacrés à la défense, au moins tous les ans. Au niveau institutionnel, se pose également la question d’instituer un conseil des ministres de la défense européens qui ne soit plus une émanation du Conseil des affaires étrangères, réunissant les ministres des Affaires étrangères européens. D’autres évolutions institutionnelles seront à terme nécessaires, comme la réforme du SEAE, en le dotant de l’autonomie financière, de moyens humains conséquents et d’une capacité d’action sur l’ensemble du spectre de la politique étrangère et de défense européenne.
Cinq éléments devront être présents dans la future feuille de route.
1. Faire le bilan de ce qui existe déjà et de ce qui fonctionne
En quelques années, l’Union Européenne s’est dotée d’outils qu’il était difficile d’imaginer quand les bases du projet de défense commune ont été posées à Saint-Malo en 1998.
En une décennie, l’Union a réussi à mettre en place des structures politico-militaires, un mécanisme de financement des opérations militaires, une force de réaction rapide avec des groupements tactiques et un centre opérationnel, embryon de quartier-général européen.
Sur cette base, l’Union a lancé 30 opérations civiles et militaires sur trois continents. 13 sont achevées et 17 sont actuellement en cours (13 opérations civiles et 4 opérations militaires) :
– 3 en Europe (Balkans et Caucase) ;
– 4 en Asie, au Moyen-Orient et en Asie centrale ;
– 7 en Afrique.
Le traité de Lisbonne a permis des avancées, en renforçant la cohérence de l’action extérieure autour du SEAE au profit de l’affirmation d’un rôle de l’Union européenne sur la scène internationale, en élargissant le champ des missions de l’Union, en améliorant la solidarité entre les États européens pour assurer leur défense et leur sécurité.
L’Union a également favorisé le rapprochement industriel de grandes entreprises de défense.
Le développement d’une feuille de route pour l’avenir nécessite une bonne compréhension du passé et du présent. La méthode doit être pragmatique, en partant du bilan des outils et des structures en place, des duplications potentielles et des difficultés rencontrées. Il faut éviter les débats trop institutionnels ou philosophiques qui ne débouchent au mieux qu’à très long terme et se concentrer sur les possibilités que nous offrent les traités pour avancer efficacement.
2. Élaboration d’une nouvelle stratégie européenne de sécurité
Le rapport sur la Stratégie européenne de sécurité, rédigé sous l’autorité de Javier Solana, remonte à 2003. Cette stratégie a été actualisée en 2008, et c’est aujourd’hui le seul texte de référence sur le rôle de l’Union européenne dans le monde et sur une conception commune des menaces : terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, conflits régionaux, déliquescence des États, criminalité organisée.
Mais le monde a changé. Identifier les menaces qui concernent l’Europe et les intérêts que l’Union européenne entend défendre, par elle-même ou en coordination avec l’Alliance atlantique, et définir des intérêts communs de sécurité et des priorités stratégiques serait un exercice utile. De même une réflexion sur nos partenariats (notamment notre voisinage) semble essentielle.
L’idée d’un Livre blanc européen est un sujet récurrent. Aujourd’hui, le consensus n’existe toujours pas entre les 28 États membres de l’Union européennes pour se livrer à ce type d’exercice, qui implique non seulement une analyse commune des menaces, la définition des intérêts communs de sécurité, l’identification de priorités stratégiques, mais aussi des scénarios d’intervention, une doctrine d’emploi de la force, un modèle d’armée ou du moins de capacités militaires disponibles, et une organisation conséquente des forces.
Dans le cadre actuel, aboutir à un consensus sur toutes ces questions apparait difficilement réaliste. En revanche, il serait souhaitable que le Conseil européen donne un mandat aux institutions de l’Union européenne qui seront renouvelées en 2014 et de les charger d’ici 2015 de définir une stratégie européenne de sécurité, idée d’ailleurs portée par plusieurs pays du Nord et de l’Est de l’Europe.
Le Conseil européen devrait demander que cette nouvelle stratégie de sécurité adaptée au monde de 2014-2015, comprenne :
– Une analyse du contexte stratégique et des intérêts européens.
– Une réflexion sur les priorités stratégiques, en particulier les zones où nos propres intérêts sont directement en jeu.
– Une affirmation d’une ambition commune, conduisant au développement de capacités autonomes et/ou mutualisées soutenant la vision stratégique qui aurait été définie.
Le Conseil européen pourrait également mandater plusieurs groupes de travail pour des études plus spécifiques, notamment sur la menace terroriste, la sécurité en Afrique, les enjeux énergétiques, la cybersécurité, la stratégie de sécurité maritime, etc.
Il faudra au préalable définir un calendrier précis, avec des objectifs et des échéances. Il serait d’ailleurs souhaitable que tous les cinq ans, à chaque changement de législature européenne, une nouvelle stratégie de sécurité soit proposée.
3. Clarifier la relation entre la Commission européenne et les États membres
Aujourd’hui la Commission européenne intervient à deux niveaux dans le domaine de la défense.
Elle intervient tout d’abord dans le domaine industriel. La communication de la Commission européenne de juillet 2013 exprime implicitement la volonté de cette dernière d’investir davantage le domaine civilo-militaire au niveau européen. Ses compétentes en matière de régulation et de financement de la recherche et développement (R&D) en matière de sécurité ont conduit la Commission à progressivement investir le domaine de la défense en élargissant son rôle à l’acquisition de capacités, en mettant en avant le caractère dual de certains programmes (tels que les drones par exemple). Le secteur de la sécurité crée un pont vers la défense, dans des domaines stratégiques comme la protection des infrastructures critiques, la cybersécurité ou la protection des aéroports.
L’absence d’initiative et de consensus entre les États européens dans le domaine de la défense a permis à la Commission d’avancer ses propositions. C’est un constat qui, s’il est ni à déplorer ni à approuver, mérite d’être étudié de près. Il faudra à l’avenir chercher à mieux coordonner les États membres, la Commission européenne et l’Agence européenne de défense dans le domaine industriel.
Elle intervient également dans le financement de la reconstruction après-crise : la direction générale de l’aide humanitaire et de la protection civile (ECHO) de la Commission européenne est ainsi en charge de l’aide apportée aux victimes de crises ou de catastrophe d’origine naturelle ou humaine, y compris en dehors de l’Union européenne. L’Union européenne est en outre le premier donateur mondial d’aide publique au développement, dont la Commission européenne est l’opérateur privilégié (via la direction générale « Développement et coopération »).
Les capacités de gestion de crise de l’Union européenne sont donc réparties entre différentes entités de la Commission et non regroupées au sein du SEAE. Ce dernier dispose pourtant d’une unité de réponse aux crises chargée de suivre de près les évolutions mondiales, afin lui de permette de réagir très rapidement à l’avènement et au développement d’une crise, et d’une cellule de crise (Situation Room), organisme de surveillance en alerte permanente.
Cette absence de cohérence globale entre la politique et les moyens d’action est dommageable pour l’efficacité et la visibilité de l’action extérieure européenne.
Il serait donc utile que ce Conseil européen initie une réflexion sur la clarification des relations entre la Commission et les États membres sur ces deux sujets.
4. Relancer de grands programmes en coopération.
En grande partie en raison des lacunes capacitaires européennes (en matière de transport stratégique, de ravitaillement aérien, d’observations aérienne et spatiale), le moteur opérationnel de la PSDC est déficient. Si l’Europe souhaite donner corps et crédibilité à son action extérieure et assurer son autonomie stratégique, elle doit pouvoir s’appuyer sur une industrie de défense solide et tous les moyens d’action couvrant les différents aspects d’une crise.
Or, le renforcement de l’industrie de la défense ne sera viable que si de grands programmes en coopération sont relancés. C’est une nécessité pour les États européens, afin qu’ils puissent acquérir des équipements de défense, dans un environnement où les coûts unitaires augmentent alors que les budgets diminuent, et pour les industriels, afin de maintenir des compétences technologiques de pointe. Il est illusoire de penser que nous pourrons relever les défis industriels individuellement : les contraintes budgétaires et le renforcement de la concurrence internationale, notamment en Asie, nous imposent des partenariats, des regroupements et des partages de tâches.
Pourtant, la coopération en matière d’armement est faible et les sources de malentendus et d’incompréhensions existent. Contrairement aux idées reçues, le contexte budgétaire incite avant tout au repli sur soi et non à la recherche de partenaires. « Inhibées » par la crise, les entreprises de défense affichent une sage prudence. La crise et le patriotisme économique incitent en outre à privilégier les industries nationales (pour les pays qui en disposent). Les programmes en coopération donnent lieu à des alliances et des partages industriels qui souvent perçues comme incompatibles avec les principes d’efficacité et de rationalisation.
Le Conseil européen de décembre doit pouvoir offrir des pistes d’avenir concrètes dans ce domaine :
– La relance de programmes en coopération ne peut s’affranchir d’une harmonisation des concepts (notamment ceux de BITDE et d’autonomie stratégique) et de la définition des besoins en amont : de nombreux projets achoppent dans l’expression du besoin faute de partager des concepts d’emploi communs.
– Cette première étape permettra ensuite d’identifier les lacunes capacitaires communes.
– Un soutien politique fort est indispensable pour encourager, accompagner et consolider les propositions de coopération émanant des militaires.
– Les projets initiés par un petit nombre de pays sont à privilégier. À ce titre, l’approche régionale (Cluster of Nations) est reconnue comme étant la plus prometteuse. En outre, il est désormais démontré que plus les entreprises de défense sont intégrées, plus le programme a des chances de réussir.
5. Approfondir le partenariat euro-américain
La politique des États-Unis constitue l’un des facteurs majeurs d’évolution de la donne stratégique mondiale, qu’il s’agisse de leur positionnement énergétique ou de leur plus grand intérêt pour la zone asiatique. Pour l’Union européenne, les États-Unis restent le partenaire prioritaire, et il est clair que leurs évolutions ne manqueront pas d’influer sur l’avenir de l’Alliance atlantique comme sur celui de l’Europe de la défense. Les négociations pour la création d'un marché transatlantique sont également susceptibles de modifier considérablement les termes de l’échange entre l’Union et les États-Unis. Les industries d’armements, en Europe comme aux Amériques, seront un jour amenées à s’adapter à ces nouvelles donnes.
Il est donc important que les Européens réfléchissent ensemble à ces différentes évolutions américaines, et à la meilleure façon de s’adapter pour renforcer le partenariat qui nous lie depuis plus de soixante ans.
Le Conseil européen pourrait charger le SEAE d’initier une réflexion sur les options possibles pour approfondir le dialogue stratégique entre l’Union et les États-Unis, sur tous les aspects de leurs relations, bien au-delà de la relation classique et nécessaire entre l’Union et l’OTAN.
Ce rapport est le fruit de plusieurs mois de réflexion et d’entretiens au plus haut niveau. Ce travail a convaincu votre rapporteure d’une chose : seule la France peut impulser une nouvelle dynamique dans le domaine de l’Europe de la défense. C’est sur la France que repose une grande partie du succès du Conseil européen de décembre 2013. Ses partenaires et les autorités bruxelloises nourrissent de grandes attentes à cet égard. La relance de l’Europe de la défense ne doit pas seulement être une conviction qui rassemble les partenaires européens, mais une nécessité qui s’impose.
La France a donc une responsabilité historique lors de ce Conseil européen : présenter des propositions, lancer des initiatives concrètes et s’assurer que les décisions prises ne resteront pas sans lendemain.
Pour cela, trois conditions doivent être préalablement remplies. D’une part, la volonté politique des autorités françaises doit être suffisamment forte pour saisir cette opportunité. Un engagement sans faille de la France est une condition nécessaire, mais certes pas suffisante, pour que des avancées concrètes aient lieu. D’autre part, la France doit être à l’écoute de ses partenaires, afin de déceler les ouvertures possibles et éviter de générer des blocages par des propositions qui seraient mal perçues. Enfin, la France doit faire œuvre de pédagogie pragmatique pour expliquer les enjeux et les risques d’un déclassement stratégique de l’Europe. L’absence d’un sentiment de menace immédiate conduit la plupart des pays européens à négliger leur outil de défense, alors que le reste du monde se réarme. Europe, continent de paix ? Mais pour combien de temps ? Une fois les compétences perdues, il sera long, coûteux et difficile de reconstruire un appareil de défense efficace.
L’Union européenne, déjà confrontée à des défis majeurs (vieillissement de ses populations, faiblesse de la croissance et des investissements, poids de la dette), doit décider si elle souhaite demeurer une puissance d’influence. Si les États européens veulent renoncer à toute ambition, à tout rôle d’influence collective sur les enjeux globaux, et privilégient le repli, alors la question de l’utilité, de l’existence même, de l’Union européenne se posera un jour ou l’autre. Si, au contraire, ils font le choix de s’affirmer ensemble comme pôle d’influence, économique, diplomatique et militaire mondial, alors l’Union européenne pourra s’affirmer comme une puissance globale de premier plan.
La commission a examiné le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 27 novembre 2013.
Après l’exposé de la rapporteure, un débat a lieu.
M. Guy-Michel Chauveau. Mme la Présidente, je ne reviendrai pas sur les trois premières parties de votre rapport, mais sur la quatrième partie, celle qui concerne la feuille de route.
Vous disiez que cette feuille de route devait être conçue comme un cadre global permettant aux Européens d’insérer leurs politiques de défense dans un cadre plus collectif. La feuille de route pourrait donc comprendre des corbeilles qui seraient à la fois indépendantes les unes des autres, afin de ne pas faire dépendre les avancées de l’une aux avancées de l’autre, mais qui se renforceraient mutuellement.
La première corbeille correspondrait peu ou prou au périmètre de la stratégie européenne de sécurité (SES) qui date de 2003 et a été actualisée en 2008 mais n’a pas été révisée depuis alors que l’OTAN a adopté un nouveau concept stratégique en 2010. L’absence de nouvelle SES symbolise aujourd’hui l’absence de l’Union européenne en tant qu’organisation politique sur la scène internationale. Il est nécessaire que l’Union ait une expression politique renouvelée qui lui soit propre en matière de sécurité. Les pays baltes et nordiques, la Pologne et même l’Allemagne, souhaitent une révision de la SES. Les pays baltes et nordiques ont exprimé le souhait que l’Union européenne définisse ce que sont ses intérêts. Ils témoignent aussi de leur inquiétude face à la politique du pivot des Américains.
La SES doit être un document de politique étrangère et de sécurité et non un simple document de sécurité comme l’est notre Livre blanc sur la défense et la sécurité. Il est nécessaire par ce biais de prendre en compte les atouts et spécificités de l’Union notamment par rapport l’OTAN. Le document doit rappeler le rôle économique joué par l’Union, sa vocation à être un pôle de paix et de stabilité, sa stratégie de prévention des conflits et ses moyens civils aux cotés des moyens militaires. Il doit être un document positif et ouvert et non pas être basé exclusivement sur une analyse des menaces. À ce titre, il serait nécessaire de changer le nom de ce document pour lui donner une plus grande visibilité politique et une plus grande solennité. On pourrait imaginer de l’intituler : « l’Union européenne dans le monde : paix, développement, stabilité et sécurité ». C’est un document qui devrait être adopté au niveau des chefs d’État et de Gouvernement afin de donner une impulsion par le haut.
Cette SES révisée doit déboucher sur deux autres corbeilles : la corbeille sur la stratégie d’action et celle sur les moyens d’action.
La stratégie d’action de l’UE devrait comprendre un document général portant sur l’approche globale de l’UE auquel seraient annexées toutes les stratégies régionales de l’UE. Élaborer une stratégie globale de l’UE est l’une des propositions faite par la Haute représentante pour la PESC pour le Conseil européen de décembre.
À cette stratégie globale serait annexées les nouvelles stratégies régionales qui viendraient compléter les stratégies existantes : stratégie pour le Sahel, pour le Caucase… Il serait nécessaire d’harmoniser le contenu de ces stratégies, celles-ci devant comprendre un volet relatif à la coopération régionale et aux intérêts de sécurité. Ces stratégies seraient mixtes, comprenant des moyens civils et militaires, défensifs ou d’action, qui seraient bien identifiés ce qui n’est pas le cas actuellement. A priori, il n’y a pas d’opposition de principe à une extension du nombre de stratégies de sécurité régionale.
Vous en donnez un exemple dans votre rapport, Madame la Présidente : si nous voulons que l’Allemagne et la Pologne partagent notre approche à propos de l’Afrique ou du pourtour méditerranéen, nous devons engager une réflexion avec eux sur la politique européenne à l’égard de la Russie ou la politique orientale de l’Union. De la même façon, alors que le Président de la République a relancé le dialogue 5+5 en Méditerranée, nous devons avoir une réflexion sur l’élargissement de ce dialogue aux cinq pays sahéliens.
Enfin, la troisième corbeille qui touche aux moyens d’actions de l’UE, devrait comprendre trois volets. Un volet sur la gestion des crises, un volet capacitaire et un volet industrie de défense.
Nous devons discuter de ces sujets avec nos partenaires. Le couple franco-allemand peut aboutir à des résultats dans ce domaine.
M. Pierre Lellouche. Je voudrais simplement partager quelques réflexions sur un sujet qui préoccupe l’Europe depuis le début de l’histoire de l’Union européenne. Tout commença à l’Assemblée nationale, en août 1954, lorsque celle-ci rejeta le projet de la CED. Cela fut suivi par la création du commandement intégré de l’Alliance et la remilitarisation de l’Allemagne au sein de l’Alliance. Puis vint le plan Fouchet imaginé par le général de Gaulle pour créer l’Union politique, projet rejeté par le Bundestag lorsqu’il adopta le fameux traité de l’Élysée. Puis nous avons eu la querelle franco-américaine à propos de l’OTAN et notre retrait de l’organisation intégrée en 1966.
Le projet de défense européenne a donc été gelé par la Guerre froide et le veto implicite des États-Unis doublé de l’attitude de l’Allemagne qui entre la France et les États-Unis ont toujours choisi ces derniers. Cette situation était valable jusqu'à la chute du mur de Berlin.
Vingt-cinq ans après la chute du mur, l’Europe est réunifiée mais nous faisons face à un nombre de crises sans précédent dans l’histoire européenne. Aujourd’hui, la conjonction stratégique que nous vivons est probablement la plus dangereuse depuis la première guerre mondiale. L’heure est grave, car nous avons une Europe caractérisée par trois choses : la dénucléarisation du continent européen, le désarmement budgétaire unilatéral, et une forte tendance à la neutralisation.
L’ambition de l’Europe est de devenir une grande Suisse grasse et confortable très peu ouverte aux problèmes du monde. En dépit des efforts de la France et des plaidoyers que nous avons les uns et les autres multipliés, l’Europe de la défense n’intéresse personne à part nous et nous sommes les seuls à gérer les crises.
Alors en effet Mme la Présidente, votre rapport est excellent car il présente toutes les difficultés de l’entreprise et il est vrai que nous n’avions besoin de personne au Mali. Les contributions de nos partenaires se sont limitées à la mise à disposition de quelques avions de transport, guère plus, et nous allons à nouveau nous engager seuls en République centrafricaine.
Mais, au-delà des déclarations qui seront lues lors de ce Conseil européen, il faut que nous tirions des leçons politiques.
Nous disons à l’UMP que la défense européenne commence à la maison par une politique de défense sérieuse. Je ne reprendrai pas le discours de François Fillon qui a fait un long réquisitoire contre la loi de programmation militaire hier soir. Je crains que les réductions de nos crédits ne permettent ni de répondre aux défis actuels, ni de lancer un embryon de défense européenne.
Il convient bien entendu de préserver notre outil industriel sans nous faire d’illusions quant aux perspectives d’intégration, car, comme vous le releviez Mme la Présidente, en période de restriction budgétaire, le réflexe est plutôt le repli national. La piste des mutualisations doit être suivie et, à ce titre, le succès de l’EATC est aussi une bonne nouvelle.
Nous faisons une proposition simple : puisqu’il est impossible de demander le moindre sacrifice en Europe et qu’à chaque fois qu’il y a une crise, c’est la France qui s’en occupe alors que nous avons de plus en plus de difficultés à financer ces opérations, qu’il y ait au moins un partage du fardeau à travers une caisse commune alimentée par chaque Etat au prorata de son PNB. Nous proposons donc la création d’un fond européen OPEX.
En conclusion, faisons notre travail à la maison, essayons de mutualiser certains moyens et essayons d’avancer sur une mutualisation des financements. Pour moi, l’Europe ne fera pas de défense commune parce que c’est comme ça, sauf si une catastrophe fait office de déclencheur. Nous sommes pour l’instant dans cette logique : dénucléarisation, désarmement budgétaire et tentation de la neutralisation.
M. Gérard Charasse. Je ne vous ferai pas la lecture de la contribution du groupe Radical Républicain Démocrate et Progressiste qui a été distribuée. Nous faisons le constat que l’Europe de la défense est en panne : après les traités de Maastricht, Nice, Lisbonne et la déclaration de St Malo, l’Europe de la défense marque désormais le pas et l’Union a été absente lors des récentes crises libyenne ou malienne.
Vu le contexte stratégique, on ne peut qu’être inquiet vis-à-vis des menaces qui pointent à nos frontières. Nous devons faire l’amer constat que l’Europe de la défense est en perte de vitesse et qu’il existe bel et bien un risque de déclassement stratégique. Les États-Unis ont choisi d’axer leurs priorités sur l’Asie en se désengageant du continent européen. Nos dépenses de défense, au sein des États membres, ont fortement diminué et nous sommes en phase d’être rattrapés par des pays comme le Japon ou la Chine.
La question est de savoir ce que nous pouvons faire à l’échelle européenne. Nous devons sauvegarder notre intégrité territoriale et notre mode de vie dans le cadre d’une Europe plus intégrée en matière de défense.
Nous avons un certain nombre de propositions à faire. Par exemple l’Union pourrait avancer sur le plan opérationnel, avec un quartier général unique de commandement permanent et une mutualisation de nos capacités. La possibilité nous est offerte de dégager des économies tout en constituant un outil de défense plus performant. Le Conseil européen de décembre va établir une feuille de route dans ce domaine et j’espère que nos attentes ne seront pas déçues.
Il en va de la survie de notre industrie de défense. La constitution de grands groupes européens de défense peuvent relever les défis. Nous souhaitons aller vers une agence européenne de l’armement avec un processus de décision à la majorité qualifiée.
Il faut également améliorer la gouvernance et les questions de défense devraient être traitées au moins une fois par an par le Conseil européen. Nous souhaitons également que le contrôle démocratique de la défense européenne se fasse par les parlements nationaux et le Parlement européen. C’est ainsi que nous pourrions populariser l’idée d’une politique de défense commune et prendre des décisions renforçant cette politique.
Nous ne ferons rien sans une avant-garde européenne comme cela a été démontré lors de l’instauration de la monnaie unique. Nous devons utiliser la coopération structurée permanente mise en place par le traité de Lisbonne. Cette procédure est plus souple que les coopérations renforcées car elle n’est pas soumise à un nombre minimal de participants. Tous les États membres ont vocation à participer à cette avant-garde.
En conclusion il n’est plus temps de tergiverser. Si nous voulons que cette défense européenne s’établisse, les États membres doivent tenir compte de l’évolution stratégique des États-Unis et faire en sorte que ceux qui le veulent se réunissent pour prendre en charge la défense de leur territoire et d’une certaine forme de civilisation.
M. Jean-Paul Bacquet. J’ai écouté avec beaucoup d’attention la présentation de votre rapport que j’ai lu hier soir. Je ne peux pas m’empêcher de faire référence au rapport du Sénat. Je vais en lire quelques phrases : « L’Europe de la défense : une impasse conceptuelle, une situation désormais contreproductive… L’Europe de la défense est un ensemble informe, intraduisible pour nos partenaires européens... Il n’y a plus en Europe ni capacité militaire, ni surtout aucune volonté politique de poursuivre en direction de la défense européenne... L’Europe de la défense dispose d’une pléthore d’outils mais toujours pas de cerveau européen… Il y a dans les pays européens des coupes importantes budgétaires alors que les puissances émergentes augmentent leurs efforts de défense… L’Europe est donc menacée de sortir de l’histoire... L’Europe doit être en mesure d’intervenir de manière autonome, sinon elle sera une « grande Suisse » neutre, sinon une « Super ONG », qui paie mais ne décide rien…Un certain nombre de propositions ont été faites : à long terme, redonner souffle et vie au projet politique européen ; à moyen terme, créer un Eurogroupe, et capitaliser sur le traité franco-britannique de défense. »
La critique est acerbe et me semble parfaitement justifiée, mais les propositions manquent totalement d’originalité car ce sont exactement les mêmes recommandations qui sont faites depuis Maastricht. Les résultats sont très faibles, à l’exception peut-être de la lutte contre la piraterie que vous évoquiez. Il existe en effet des éléments pour cette lutte à Djibouti mais ceux-ci sont en très mauvais état : un Casa espagnol de 65 ans, un Breguet Atlantique qui a 55 ans… Quelle crédibilité peut-on avoir dans de telles conditions ?
Je pense qu’il y a un manque total de volonté politique et une indifférence totale de la population européenne par rapport au problème de la défense. Je crains que la défense européenne ne puisse exister qu’en période de crise grave car si la population ne se sent pas réellement menacée, elle ne comprendra pas l’utilité de faire des efforts budgétaires, éventuellement des sacrifices, pour travailler ensemble et avoir une véritable crédibilité sur la scène internationale.
M. Lionnel Luca. Merci Madame la Présidente pour ce rapport, mais je pense malheureusement qu’il ne s’agira que d’un rapport de plus… Comme l’a rappelé un peu plus tôt notre collègue Pierre Lellouche, l’Europe de la défense est surtout une arlésienne, et une arlésienne qui va malheureusement continuer à bien se porter.
L’Europe de la défense n’est qu’un leurre, tout simplement parce que nous sommes bien les seuls à la vouloir et pendant longtemps à nous donner les moyens de la faire. Nos amis européens, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, se sont convaincus que tout ce qui avait un rapport avec la défense, et donc avec la guerre, était un sujet tabou. Ce désarmement moral précède le désarmement général du continent européen. Il faut aussi dire que dans le contexte de la Guerre froide, le parapluie américain était tellement confortable qu’il dispensait de faire des efforts… Il suffit de se souvenir de la crise qui a éclaté lorsque la France a repris sa liberté par rapport à l’OTAN en 1966 en voulant s’affirmer et s’afficher comme une puissance nucléaire et indépendante. La fin de la Guerre froide, en écartant la menace directe, notamment soviétique, a renforcé encore un peu plus ce désarmement moral.
Pourquoi donc vouloir faire une Europe de la défense ? Cela n’a aucun sens et les crises méditerranéennes à répétition que nous vivons depuis quelques mois maintenant n’intéressent absolument pas nos partenaires européens, et en particulier les pays du Nord. Ils concèdent que la France puisse jouer un rôle puisque ses intérêts sont plus directs sur le continent africain et c’est bien l’explication pour laquelle ils nous laissent faire seuls les opérations militaires. Quelque part, c’est nous qui avons remplacé les Américains pour le continent africain.
Si nous voulons changer les choses, je pense que cela pourrait passer par des mesures très concrètes. Pourquoi, dans le traité de Maastricht, n’a-t-on pas neutralisé les budgets de la défense en les sortant de la règle comptable du déficit structurel ? Voilà un élément qui pourrait inciter un certain nombre de nos collègues européens à, peut-être, faire un effort sur leurs budgets. Il est évident que ce problème comptable pèse dans la logique des traités européens qui ont pu être signés.
Mais je le répète : tout ceci n’est qu’un leurre. Les réunions et les discours permettent de sensibiliser un certain nombre d’acteurs mais, dans la pratique, rien ne change. L’Europe de la défense dépend de la volonté politique d’un État : la France. Il n’y aurait pas d’Europe spatiale s’il n’y avait pas eu la volonté politique du gouvernement français de bâtir une puissance spatiale et d’y agréger ensuite ses partenaires. A partir du moment où il n’y a plus non plus de volonté en France de se défendre – et la loi de programmation militaire, catastrophe annoncée, en est un exemple - il n’y a plus de capacité d’entrainement de nos partenaires. L’addition des faiblesses ne fera jamais une force.
Il n’y a pas de volonté politique ni de volonté morale, de même qu’il n’y a pas non plus de volonté budgétaire : l’Europe de la défense se terminera exactement comme s’est terminée la Communauté européenne de défense.
M. Gwenegan Bui. Le rapport qui nous est présenté permet une intéressante mise en perspective. Les positions des uns et des autres sont bien présentées. On constate notamment que l’intégration de la France à l’OTAN n’a pas convaincu tous nos partenaires de notre bonne foi quant à la défense européenne. Nos interventions en Afrique restent perçues plutôt comme néo-colonialistes et liées à nos intérêts propres que motivées par la défense des intérêts européens. Il faut donc construire la confiance. Pour cela, nous pourrions nous intéresser moins exclusivement aux problèmes qui se posent au sud, mais prendre aussi en compte les préoccupations de nos partenaires à l’est et au nord. Le rapport présente les positions de la Pologne, de l’Allemagne et du Royaume-Uni ; il serait intéressant de se pencher aussi sur celles des Baltes et des Scandinaves.
J’ai une autre suggestion liée à l’actualité. La mer de Chine est un espace stratégique, car un quart du commerce mondial y transite, et un espace de tension, comme on le voit encore avec l’envoi d’avions américains pour survoler les îles Senkaku en réponse aux revendications de contrôle de leur espace aérien par la Chine. L’Europe est totalement absente de ce théâtre, car aucun de nos pays n’a les moyens de maintenir à résidence des moyens navals. Mais il serait possible d’y avoir en permanence une frégate d’un État membre, en alternance.
M. Jacques Myard. Loin de faire une fois de plus retentir les trompettes de la renommée à la gloire de l’Europe, le rapport montre bien les limites de l’Europe de la défense.
On constate qu’il n’y a aucune vision stratégique commune des Européens, la plupart des États ayant décidé de laisser les questions de défense à l’OTAN. Même le Royaume-Uni est en cours de déclassement compte tenu des coupes budgétaires effectuées dans son budget militaire. La France est bien seule.
En matière d’armements, des coopérations sont possibles, mais à une condition : il faut un pilote dans l’avion, un chef de file. Et il faut aussi éviter de limiter par principe le champ de ces coopérations à l’isthme étroit de l’Europe. Le moteur développé ensemble par la SNECMA et General Electric équipe la moitié des avions civils du monde ; il est possible de coopérer avec les Américains.
Enfin, il faut bien voir que pour trop de nos partenaires, l’armement est un commerce comme un autre. Le fait que l’on ait pu envisager de l’intégrer à la négociation de l’accord de libre-échange transatlantique est significatif. Le programme Joint Strike Fighter aura pour effet qu’il n’y aura plus en Europe de capacité autonome de construire des avions de combat en dehors de Dassault. La France doit muscler ses armées, préserver leur indépendance et ne pas céder au miroir aux alouettes de la défense européenne.
M. François Loncle. Le rapport que nous étudions, complété par les contributions des groupes politiques et nos débats, sera plus intéressant que celui du Sénat qui a été cité, car ce dernier fait peu de propositions.
Je voudrais revenir sur le constat que j’ai fait avec Pierre Lellouche sur l’opération Serval : il n’y a pas eu d’aide européenne. Lorsque Laurent Fabius est allé pour la première fois en demander à Bruxelles, seule la République tchèque a répondu positivement. Ensuite, quelques autres pays ont un peu contribué, par exemple les Pays-Bas, le chef de la MINUSMA, Bert Koenders, étant néerlandais, mais cela reste limité. Faute d’obtenir une réelle participation de nos partenaires européens aux opérations extérieures, on pourrait leur demander une solidarité financière à travers un fonds destiné aux OPEX.
M. Jean-Pierre Dufau. Ce sont les États qui exercent les pouvoirs régaliens, notamment en matière de politique étrangère et de défense. Il est difficile de les leur faire partager. Nous sommes donc tenus de pratiquer une politique de « petits pas » pour avancer, comme le préconise d’ailleurs votre rapport.
Alors que l’Europe a pris ses responsabilités, dans une certaine mesure, en matière de politique étrangère, nous avons besoin d’avoir son pendant dans le domaine de la défense, faute de quoi aucune crédibilité n’est possible. Il faut avancer sur nos deux jambes.
En cas de menace directe, il est bien sûr plus facile de trouver des alliances ou des participants à des actions communes. Lorsque la menace directe n’est pas directement visible, la tâche est plus délicate, et l’on a souvent tendance à se défausser sur ceux qui disposent de capacités d’intervention. C’est ce que l’on voit notamment en Afrique.
D’où la nécessité d’une politique de « petits pas », mais aussi de coopérations renforcées dans deux domaines : une défense commune, ainsi que la construction de matériels, qui peut servir de courroie d’entraînement vers d’autres réalisations. On peut ainsi être amené à utiliser plus facilement ensemble des matériels élaborés en commun.
S’agissant du fonds « OPEX », je suis entièrement d’accord avec ce qui a été dit : on ne peut pas accepter que seuls certains États interviennent et qu’en plus ils assument seuls la charge des opérations.
Mme la présidente Elisabeth Guigou. Merci, chers collègues pour vos remarques. J’ai été extrêmement intéressée par vos observations.
Je fais miens les propos de Guy-Michel Chauveau sur la nécessité d’actualiser le papier « Solana » et de bâtir une stratégie européenne de sécurité comportant des priorités. Pour autant, je ne préconise pas de nous lancer dans ce débat dès le mois de décembre, car nous risquerions ainsi de tout noyer. Il faudrait plutôt quelques avancées sur des sujets concrets, afin de relancer la dynamique. Le Conseil européen pourrait donner un mandat pour actualiser la stratégie européenne de sécurité à partir de 2015, une fois qu’une nouvelle Commission aura été mise en place. J’ai eu le sentiment hier, lors du débat sur la loi de programmation militaire, que le ministre de la défense était d’accord avec une telle idée.
Pierre Lellouche a bien fait de rappeler, comme je le fais également dans mon rapport, que nous avons une longue histoire derrière nous en la matière. Il a fallu quarante ans, après l’échec de la CED, pour que l’on aborde de nouveau le sujet, même timidement, dans le traité de Maastricht. Sur cette idée, qui a toujours été française, seul notre pays peut jouer un rôle d’impulsion.
La question est de savoir si l’on préfère s’attarder sur les difficultés, bien réelles, ou bien si l’on veut réellement avancer. Il ne faut pas baisser les bras, parce que les enjeux sont considérables, parce que les contraintes budgétaires actuelles conduisent à une prise de conscience, mais aussi parce que les États-Unis s’en vont. Par des mutualisations, par des « petits pas » aussi, nous pourrions éviter le déclassement stratégique que nous redoutons tous.
Je partage les constats pessimistes de Pierre Lellouche sur la situation actuelle. Emma Bonino a d’ailleurs dit ceci, qui me paraît très vrai, lors de la Conférence des ambassadeurs : le peuple américain et le peuple européen veulent-ils être en paix, ou bien plutôt qu’on les laisse en paix ?
S’agissant de la participation des Européens au Mali, il faut distinguer, d’une part, l’opération Serval, dont le relais est progressivement assumé par la MINUSMA, à laquelle participent 350 Hollandais, et d’autre part l’EUTM MALI, mission chargée d’aider l’armée malienne à se reconstruire, ce qui est bien différent. Y participent, par ordre d’importance des contributions : l’Espagne (105 soldats), la Belgique (72), l’Allemagne (55), le Royaume-Uni (36) et la République tchèque (33). La France fournit 109 soldats pour l’EUTM, en plus de l’opération Serval. Nos partenaires ont apporté d’autres contributions, tels que les avions de transport ou encore le renseignement. Ces contributions ne sont certes pas comparables à la nôtre, mais elles n’ont rien d’insignifiant et elles ont aidé au succès de l’opération Serval.
La proposition d’un fonds OPEX me paraît très intéressante mais je crois qu’il faut faire attention au moment où la France la formulerait. L’opération au Mali nous donne une fenêtre, nos partenaires reconnaissent notre rôle en faveur de leur propre sécurité, mais il ne faut pas présenter les choses comme une manière pour la France de se dégager de ses responsabilités quand elle fait face à des difficultés budgétaires. Il ne faut pas que cela se traduise par une baisse de notre crédibilité et le souhait de voir les efforts des autres pays augmenter. Je souhaite que l’on évoque cela dans le rapport sous cet aspect.
Le gouvernement français demande l’extension du mécanisme Athéna, mécanisme de financement des coûts communs des opérations militaires de l’Union. C’est un premier pas, le début du commencement. Il est bien que le sujet soit aujourd'hui sur la table et il faudra veiller à ce qu’il y reste.
Je ne suis pas d’accord avec le pessimisme de Lionnel Luca. L’effort de défense de la France est maintenu au même niveau, soit 32,4 milliards, dans le cadre de la loi de programmation et cela doit être souligné.
Gérard Charasse dit avec raison qu’il faut avancer à petits pas. Ce n’est pas à 28 que l’on peut progresser sur ces sujets ; il faut constituer une avant-garde. En même temps, il faut prendre garde de ne pas donner trop de contenu institutionnel d’entrée de jeu ; proposer de créer une coopération structurée permanente risque d’en rebuter certains, tel le Royaume-Uni. Il vaut mieux faire des choses concrètes puis, dans un deuxième temps, traduire de manière institutionnelle ce qui peut l’être. Par ailleurs, outre la coopération structurée permanente prévue à l’article 46 du traité, il existe aussi l’article 44 qui permet de lancer des missions à plusieurs avec souplesse. Je suis en revanche tout à fait d’accord sur l’idée que la France doit maintenir l’impulsion forte.
Jean-Paul Bacquet a fait référence au rapport du Sénat. Je crois qu’il faut écouter nos partenaires. L’Allemagne, le Royaume-Uni, la Pologne ont des positions et des préoccupations dont il faut tenir compte. Il ne faut pas baisser les bras. Le rapport du Sénat d’ailleurs se termine par un net volontarisme quant à l’Europe de la défense puisqu’il propose la création d’un « Eurogroupe de la défense ». Je suis d’accord avec cette proposition si tant est qu’elle soit réalisable ; là aussi, tout est question de moment.
Pour répondre à la réflexion de Gwenegan Bui sur l’Asie du Sud-Est, j’indique que la France et le Royaume Uni travaillent d'ores et déjà à la mutualisation des moyens, notamment s’agissant de l’harmonisation des périodes de disponibilité des porte-avions. La prochaine mission d’information sur l’Asie du Sud-Est pourra certainement approfondir cette réflexion.
Jean-Pierre Dufau a bien synthétisé notre démarche : il importe d’être très concret pour espérer avancer. La seule façon d’avancer est d’être pragmatique ; il faut être très lucide quant aux grandes difficultés. Nous pouvons partager le même constat sur le passé être d’accord sur le fait que la France a des responsabilités et des possibilités d’entraînement sur ses partenaires. Dans le clivage entre optimistes et pessimistes, je reste personnellement optimiste.
La commission autorise la publication du rapport d’information.
CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES
I. CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. GUY-MICHEL CHAUVEAU, AU NOM DU GROUPE SRC
L’EUROPE DE LA DEFENSE, UN OBJECTIF LOINTAIN ENCORE EN DEVENIR
Le Conseil européen du 20 décembre 2013 a inscrit à son ordre du jour la politique de défense. Il s’agit là d’une question difficile, qui, dans le passé, n’a jamais reçu de réponse totalement satisfaisante. Sans doute ne faut-il pas en être surpris, compte tenu du caractère national par définition de cette politique. Elle est en effet, comme le rappelait le 11 juillet 2013, le ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius, « au cœur de la souveraineté des États ». L’Union européenne repose depuis sa mise en projet concret sur le pari de la mutualisation. Il apparaît donc cohérent avec cette démarche, après le commerce, l’agriculture, la monnaie et la circulation des personnes, qu’un effort de travail collectif soit là aussi mis en œuvre dans l’intérêt de chacun.
Ce principe étant posé et universellement admis dans ses lignes générales par les pays membres de la Communauté européenne, il convient si l’on veut être positif et constructif d’intégrer dans la réflexion et les propositions le sentiment général d’une réalité enlisée dans une toute une série de sous-entendus, voire de malentendus et de contradictions. L’Europe puissance est dans la nature des choses pour un petit groupe d’Européens, ce qui induit nécessairement dans leur esprit l’existence un volet armé commun. Mais l’Europe de la défense pour certains n’aurait pas lieu d’exister, puisque la quasi-totalité de ses nations composantes adhèrent à une alliance de sécurité et de défense collective, l’OTAN, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. D’autres entendent préserver des marges de manœuvre nationales,- un secret-défense national-, faute de confiance et de compréhension suffisantes avec tout ou partie des pays partenaires dans l’Union. Un dernier groupe enfin considère que ses moyens financiers ne lui permettent pas d’inventer quelque défense que ce soit et préfère sous couvert de formes diverses de neutralité consacrer ses ressources à d’autres priorités nationales comme européennes.
Cet état des lieux doit être fait avec clarté et sincérité par tous ceux qui ne se satisfont pas de l’impasse actuelle. En de nombreuses occasions le collectif des six, douze, quinze ou vingt-sept a rendu public d’ambitieuses déclarations présupposant l’existence comme allant de soi d’un intérêt général européen, et donc de défis et menaces partagés par tous de façon identique. Ce préalable posé avec un priori exagérément optimiste a certes donné lieu à la création de cadres institutionnels qui prétendent incarner une volonté commune et partagée, mais relevant d’un volontarisme pêchant sans doute d’un excès d’optimisme : la Politique étrangère et de sécurité commune en 1992, la Politique européenne de sécurité et de défense en 1998, la création d’un poste de Haut représentant pour la PESC en 1999, la stratégie de sécurité commune adoptée par le Conseil européen du 12 décembre 2003, la Politique de sécurité et de défense commune en 2009 et la création en 2010 d’un Service européen pour l’action extérieure. D’ambitieuses et généreuses déclarations, l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne de 2007, l’article 222 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ont apporté une légitimation formelle à cet ensemble qui manquait de fondements pleinement assumés.
Afin de surmonter les réticences, les incompréhensions ou les refus inavoués, générateurs de statu quo, faudrait-il comme l’écrivent ou le disent certains, chercher les voies en ce domaine comme dans d’autres permettant « de réenchanter l’Europe », vers l’imaginaire magique, l’émotion ou l’au-delà ? S’agit-il comme le signale le général Patrick de Rousiers, président du Comité militaire de l’Union européenne, « de croire en l’Europe de la défense », et donc pour répondre correctement à un enlisement reflétant des interrogations et des doutes très concrets de faire appel à des convictions exprimées de façon quasi religieuse ? Le sujet est éminemment délicat, il touche en effet à ce qui relève par excellence de la compétence souveraine et donc de décisions européennes prises par consensus. Affronter cette difficulté relève de l’analyse lucide et sans préjugés de faits très terre à terre. Par exemple celle de la perception des risques et menaces, et celle des héritages géopolitiques, qui ne sont pas les mêmes à Riga, Athènes, Londres, Berlin, ou Paris. L’approche de cette question européenne complexe et difficile par la voie de la foi et des convictions est souvent proposée par ceux qui exercent des fonctions institutionnelles européennes. Elle est de ce point de vue compréhensible, mais inadéquate. Elle ne nous parait pas la meilleure, les choses étant ce qu’elles sont, si l’on veut permettre l’émergence d’une feuille de route ayant une crédibilité et une faisabilité collectives, européennes, effectives.
PARTIR DU CONCRET, POUR ALLER DE L’AVANT DE FACON REALISTE
Le pragmatisme, la prise en compte de ce qui marche, afin de le bonifier, seuls nous paraissent de nature à faire avancer les coopérations en matière de défense européenne. Ce qui suppose de poser ensemble un certain nombre de questions préalables. Les réponses à ces questions seules peuvent permettre d’identifier les variables pour l’action. Comment identifier les défis auxquels nous sommes tous confrontés ? Quel contenu entendons-nous donner à la paix acquise après les douloureuses expériences des guerres mondiales ? La défense de ce que nous sommes, de nos sociétés et de leurs valeurs, la protection de nos intérêts, de nos voies d’approvisionnement et d’échanges supposent-ils un effort collectif et coordonné en matière militaire ?
Les réponses curieusement existent et sont connues. Il suffit d’évoquer ici ce qui peut être considéré comme des acquis en cette matière, ce qui a été mis en chantier pour répondre aux urgences du moment. Beaucoup d’initiatives, diplomatiques comme sur le terrain ont en effet été prises. Mais elles n’ont pratiquement jamais été examinées sous l’angle de leur cohérence et de leurs convergences. Le plus souvent ont été mis en évidence leurs limites, ou au contraire leur éventail exagérément ouvert, en tous les cas et en conclusion leur inadéquation et leur insuffisance. Pourtant si l’on regarde ce dont l’Europe dispose dans son rayonnage défense, les dotations existent et peuvent permettre des rebondissements bonifiant. Cette prise en compte des acquis accumulés, certes dans un désordre qui les a rendus peu lisibles, conduit à faire deux constats, qui sont aussi des voies susceptibles d’orienter les initiatives pour demain.
1/Sans doute conviendrait-il, premier constat, si l’on veut être efficace de regarder le passé en privilégiant ce qui a pu être développé avec succès sur le terrain du concret. Cet examen offre en effet des clefs plus pertinentes pour déverrouiller les blocages que celles semblables aux huisseries à la Salvador Dali qui présentent un aspect extérieur ferme mais sont de texture molle, et donc inadaptées, faute de justifications suffisamment fondées de ce qu’il faut comprendre par intérêt général européen. Pour exprimer les choses selon le vocabulaire dominant de la communication, il convient d’aller au-delà ou en deçà du discours présentant l’Europe comme dotée « d’une capacité narrative », assimilable à celui et à celle de chacune des nations qui composent le vieux continent. Les questions signalées supra courent de façon transversale et plus ou moins avouée dans les déclarations et décisions à caractère « théologique », pour reprendre le qualificatif utilisé par le ministre des affaires étrangères, ou idéologique, qui ont pu être élaborées et diffusées dans ces différentes occasions.
Première observation, de nombreuses missions militaires ont été engagées: l’opération dite Concordia de retour de la paix en Macédoine, une opération de stabilisation en Bosnie depuis 2004 (Althea), deux en République démocratique du Congo en 2003 et 2006, une au Tchad et une autre en République centrafricaine pour faire face aux conséquences humanitaires de la crise du Darfour en 2008-2009, une opération maritime de lutte contre la piraterie dans l’Océan indien, dite Atalante, depuis 2008.
Plusieurs missions civiles de sécurisation et de prévention des conflits sont également à mettre à l’actif de l’action commune : Missions de police en Afghanistan, Bosnie, Macédoine, République démocratique du Congo, Palestine.
Missions d’observation dans les Balkans et en Indonésie (à Aceh)
Mission de surveillance de cessez-le-feu en Géorgie depuis 2008.
Missions de formation à la sécurité au Mali, en Guinée-Bissau, en République Démocratique du Congo, au Soudan, en soutien de l’action menée par l’Union africaine, en Somalie
Mission civile de souveraineté (douanes, justice police) au Kossovo à partir de 2008 (mission Eulex) et missions destinées à renforcer l’État de droit en Géorgie et en Irak. Mission d’assistance douanière à la frontière Égypte-Palestine (à Rafah) et entre Moldavie et Ukraine.
Deuxième observation, les Européens ont par ailleurs ouvert la voie de coopérations visant à mutualiser la construction de matériels militaires d’intérêt commun. L’avion de transport militaire A-400M est issu de cette ambition, tout comme le système de communication à double usage Galileo
2/ Il convient, deuxième constat, d’intégrer à la réflexion sur la sécurité partagée, les initiatives qui ont pu être prises par quelques pays membres en matière de défense dans un cadre extérieur à l’Union :
Un certain nombre de pays membres ont en effet participé à plusieurs opérations militaires en Afghanistan en 2003, dans les Balkans, (en Bosnie-1993, puis au Kossovo-1999), en Libye-2011.
L’Allemagne, la France et le Royaume-Uni sont partie prenante du dossier du nucléaire iranien, avec l’Union européenne en tant que telle, la Chine, et la Russie.
France et Allemagne ont été à l’origine de la constitution d’un Eurocorps auquel se sont joints 11 autres pays européens du nord et du sud ainsi que la Turquie
Un démonstrateur de surveillance maritime, MARSUR, coordonne depuis 2011 les réseaux de surveillance des espaces maritimes de six pays situés sur les pourtours européens : Finlande-Suède-Royaume-Uni-France-Espagne- Italie.
La mise en œuvre de ces différentes initiatives, que leur périmètre ait été exclusivement européen, menées dans le cadre de l’Alliance atlantique ou dans un autre contexte a ouvert la voie à des réflexions très concrètes, visant à fixer un cadre coordonné pour l’action :
France et Royaume-Uni ont le 4 décembre 2008 à Saint-Malo décidé de réfléchir ensemble à ce que pourrait être une défense européenne dotée de capacités articulées sur une Alliance atlantique rénovée. Cet accord a été décliné en propositions le 2 novembre 2010.
Six pays européens dotés de polices militarisées ont décidé en 2006 de les coordonner en Force de gendarmerie européenne. Ces six pays couvrent l’éventail géographique de l’Union (Espagne-France-Italie-Pays-Bas-Portugal-Roumanie)
Les pays nordiques comme les Européens centraux et du sud ont institutionnalisé leur approche des coopérations et de la gestion des risques sur les flancs nord (coopération nordique de défense), est (groupe de Visegrad) et sud de l’Union, (coopération dite 5+5).
A la jonction des deux Europe, Allemagne, Pologne et France ont créé un triangle dit de Weimar afin de faciliter les mutualisations
Ces réflexions ont, au fil des années, facilité l’émergence d’ambitions collectives, exprimant les différents dénominateurs générés par la gestion du présent :
Les coopérations civilo-militaires dites de Petersberg encadrent depuis 1992 les Euroforces destinées à donner corps aux missions terrestres (Eurofor) et maritimes (Euromarfor)
Une Agence européenne de défense a été créée en 2004 afin de mutualiser les besoins des pays membres en matériels militaires.
Étape supplémentaire tout à la fois collective et pragmatique l’initiative de Gand prise en 2010 à l’initiative de l’Allemagne et de la Suède, engage les pays membres sur la voie de la mutualisation et du partage. Cela concerne l’évaluation des besoins, la recherche, la formation, les exercices communs, la coordination des structures de commandement, la gestion des crises par un Quartier général, la mise en action de groupes de combat. Dans ce cadre un État-membre, dit « nation-cadre », a la faculté de proposer des actions communes, ouvertes à tous ceux qui souhaiteraient s’y associer et en assure la coordination. Un Commandement européen du transport aérien a ainsi été constitué.
PROPOSITIONS, POUR RAPPROCHER, RASSEMBLER, BONIFIER L’EXISTANT
Le bilan n’est pas évident à tirer tant les actions et initiatives ont été multiples et désordonnées, ce qui n’a pas facilité son plein épanouissement. Elle mériterait une évaluation positive permettant d’améliorer la lisibilité de ce qui a été fait, permettant ainsi de replacer la politique de défense et de sécurité commune sur rail. Comme l’a déclaré le Président de la République, François Hollande, le 5 décembre 2013, devant le Parlement européen, « il est temps d’en finir avec la dispersion des initiatives, de rassembler nos forces et nos moyens, de rapprocher nos industries, d’harmoniser aussi nos positions dans les instances internationales où l’Europe doit parler d’une voix, d’agir pour résoudre les conflits qui heurtent les consciences humaines ». (..) La France », a-t-il ajouté, « y est prête ».
L’Europe de la défense, en effet, ne peut se construire à 28. La voie la plus fructueuse, si l’on souhaite produire des initiatives permettant d’aller de l’avant, nous parait être celle de l’approfondissement de ce qui fonctionne, sous l’impulsion d’une nation-cadre. La France a en cette matière pour le groupe SRC une responsabilité spéciale. Elle pourrait notamment proposer de :
– renforcer l’efficacité de la PSDC sur le terrain, afin de répondre aux interpellations en matière de sécurité affrontées par tel ou tel État membre. Cette réflexion aurait pour objectif la prise en compte effective par les 27, de leur géopolitique commune. L’Europe a quatre points cardinaux. Sa sécurité collective suppose la prise en compte de la menace ou de la perception de celle –ci par les Finlandais, comme par les Grecs, les Français comme les Polonais ;
– renforcer la feuille de route de l’AED sur des questions stratégiques d’intérêt commun, comme ceux de l’industrie de défense, la gestion militaire du ciel unique, le renforcement des coopérations intellectuelles en matière de défense
– ouvrir une réflexion sur la gestion des crises ayant supposé une initiative commune et les outils collectifs, manifestement sous-utilisés, Eurocorps, Brigade franco-allemande, groupements tactiques ;
– approfondir les opérations de sécurité maritime et leur gestion, à partir des instruments existant (voir supra) ;
– assurer un suivi effectif des opérations engagées depuis vingt ans en particulier dans les Balkans et en Afrique centrale, en faire une évaluation partagée ;
– identifier les matériels répondant à un besoin collectif susceptible d’être chapeauté par l’Agence européenne de défense (drones ; avions ravitailleurs) ;
– confirmer et encourager afin d’agiliser tout ce qui peut être fait ensemble la démarche de l’initiative de Gand, à savoir la possibilité pour un État cadre de piloter une initiative ouverte à toutes les bonnes volontés sans obligation dans une phase initiale de participation collective ;
– enfin sans doute conviendrait-il de rappeler que ce qui a été engagé, collectivement, ou en groupes de périmètre variable, a un coût, qui supposerait, au-delà des déclarations de soutien, une mutualisation des coûts sous une forme à déterminer. Le traité de Lisbonne permet le financement en particulier, par le budget de l’Union « d’activités » dites « préparatoires ». Mais il n’est pas interdit d’être plus créatif et imaginatif en cette matière.
II. CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. PIERRE LELLOUCHE, AU NOM DU GROUPE UMP
Le 14 décembre 2012, réunis à Bruxelles, les chefs d’États et de gouvernement de l’Union ont convenu de remettre les questions militaires à l’ordre du jour et de les évoquer lors d’un sommet prévu en décembre 2013.
La déclaration finale indiquait l’importance de «renforcer l’efficacité de la politique commune de sécurité et de défense ». Elle donne pour cela des pistes de réflexions et des objectifs précis :
– Augmenter l’efficacité, la visibilité et l’impact de la PSDC (Politique de sécurité et de défense commune) en poursuivant le développement d’une approche globale en matière de prévention des conflits et en renforçant la capacité de l’UE à déployer de manière rapide et efficace les capacités et le personnel civils et militaires appropriés...
– Renforcer le développement des capacités en matière de défense en recensant les doubles emplois actuels et les lacunes de capacités, en facilitant une coopération européenne plus systématique…y compris par le recours à la mutualisation et au partage des capacités militaires….
– Renforcer l’industrie européenne de défense en développant une base industrielle et technologique de défense plus intégrée, plus durable et en créant des synergies accrues entres les aspects civils et militaires de la recherche et du développement …..
A la veille du conseil européen des 19 et 20 décembre 2013, consacré aux questions de défense et sécurité, 10 mois après le début de l’intervention française au Mali, à l’heure où la France s’engage dans une nouvelle loi de programmation militaire pour les années 2014-2019, quelques mois avant des échéances électorales européennes majeures, alors que l’Europe ne consacre globalement plus que 1,20% (et tendant à se rapprocher de 1% à terme) il est grand temps d’avoir un regard lucide sur ce que pourrait être une défense européenne crédible.
Au-delà des clichés maintes fois répétés et des bonnes intentions, on rappellera que la construction d’un début d’embryon de défense européenne au sein d’un monde bi-polaire à bien des égards plus simple et compréhensible que la période actuelle fût un des grands échecs de la construction européenne. L’Union dans laquelle nous vivons actuellement est en grande partie le fruit de cet échec. Elle n’a eu de cesse depuis de tenter –sans grand succès il faut le reconnaître- de « rattraper » cet échec initial !
L’Union Européenne (UE) subit une crise multiforme (faible taux de croissance, vieillissement de la population, fragilisation du soutien des opinions publiques à la construction européenne) tandis que l’idée d’Europe de la défense reste à ce jour pour large partie lettre morte : « Les Européens ne comprennent l’intervention extérieure qu’avec parcimonie et au cas par cas […] ils fournissent volontiers des capacités de soutien, mais sont plus réticents à engager la force » (Discours du Chef d’État-major des Armées, Ouverture de la 21ème promotion de l’École de Guerre, 30 septembre 2013). La récente crise malienne comme auparavant l’intervention libyenne étayent parfaitement cette conception de nos partenaires européens et le décalage entre la capacité et la volonté d’intervention de la France et du Royaume-Uni par rapport à leurs partenaires.
Nous devons être lucides et tirer toutes les conséquences d’une réalité implacable : nombre d’États européens ont renoncé à construire ou entretenir leur propre capacité d’action au profit d’un unique « parapluie OTANien », moins onéreux que l’entretien d’une armée moderne.
Le basculement d’intérêt stratégique des États-Unis devrait pourtant amener les pays européens à dépasser les consensuelles déclarations de fin de Conseil… Au-delà des positions politiques de principe, l’Europe de la défense n’existe aujourd’hui qu’au travers des capacités nationales, elles-mêmes, hélas en réduction, effectives de certains de ses membres (France, Royaume-Uni, Allemagne, et dans une certaine mesure, Italie, Espagne et Pologne). Les progrès viendront donc des coopérations bilatérales et intergouvernementales.
Il faut aussi impérativement reconnaître la divergence des conceptions de Défense des différents pays de l’UE. Tandis que l’outil de défense de la Pologne et des pays nordiques est structuré par leur relation avec la Russie, la posture de l’Allemagne et d’autres pays (Autriche, République Tchèque, Roumanie, Irlande, Bulgarie, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Portugal) peut être qualifiée de « post-moderne». Ces États relèguent en effet la force au rang de moyen secondaire dans la protection de leur souveraineté et la conduite des relations internationales au profit de la diplomatie et du droit international. L’Italie et l’Espagne sont, quant à elles, caractérisées par un recentrage de leurs concepts d’emploi, leur outil militaire venant concrétiser des prises de positions diplomatiques. En outre, l’héritage historique et la tradition jouent un rôle central dans la justification du maintien de leur outil de défense.
Enfin, la France et le Royaume-Uni, bien qu’ayant en commun une envergure militaire mondiale, n’en demeurent pas moins fortement différents. La stratégie britannique favorise plutôt une vision européenne conforme à ses intérêts, tant au niveau économique que géopolitique, ce qui l’amène à préférer un alignement sur Washington, malgré le désir de retrait évident des Américains.
L’Europe de la défense a toujours été portée par la France. Notre pays doit continuer d’insuffler l’esprit d’initiative, à commencer par la réalisation d’un livre blanc européen qui serait le document de référence pour fonder une politique ambitieuse de défense à l’échelle européenne. Reconnaissons toutefois que les résultats de l’Europe de la défense ne sont pas encore à la hauteur des nécessités. Devant les difficultés de sa mise en place, il nous faut alors être pragmatique, en favorisant dans un premier temps les coopérations entre États. La signature du traité de Lancaster House en novembre 2010 avec le Royaume-Uni constitue un premier pas dans ce sens.
À chaque fois que cela est possible, la France doit promouvoir une coopération renforcée à géométrie variable avec ses alliés en fonction des enjeux, notamment, mais pas exclusivement, dans le cadre de l’OTAN.
L’expérience de Commandement du transport aérien européen (European Air Transport Command dit « EATC ») est intéressante. Officiellement lancée en 2010, cette initiative de mutualisation et de partage des moyens regroupe une partie de la flotte d’avions de transport tactiques et stratégiques de cinq États européens : la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Cette mise en commun permet d’accroître le rendement de chaque appareil, offrant des capacités opérationnelles plus souples aux États membres. Cas à part dans la défense européenne – l’EATC ne relève ni de l’OTAN ni de l’Union Européenne, cette initiative est la concrétisation de la volonté de cinq pays de travailler ensemble.
Au-delà de l’engagement de troupes au combat qui suscite de légitimes divergences en matière de règles d’engagements et de restrictions d’emploi, les futures coopérations pourraient se concentrer sur les fonctions de soutien (mutualisation des prestations de maintien en condition opérationnelle, des pièces détachées) et de formation (pilotes et mécaniciens). Ce type de coopération pourrait s’opérer dans un cadre inter-étatique, européen ou otanien. Les rapprochements sur ces deux fonctions seront favorisés par l’entrée en service d’appareils de même type dans plusieurs pays européens (avions de transport A400M et A330 MRTT, hélicoptère NH90). Enfin, la coopération en matière de cyber-sécurité devrait être renforcée, notamment dans le domaine de la recherche et des moyens (L’European Network and Information Security Agency (ENISA) s’occupant principalement du développement d’une culture de la sécurité des réseaux et de l’information vis-à-vis du grand public et des acteurs économiques). À ce titre, la France devrait accroître sa participation au Centre d’excellence de cyberdéfense de l’OTAN.
Reste que la question fondamentale du partage du fardeau entre partenaires européens est désormais posée : il est clair que dans la plupart des crises qui concernent l’Europe, c’est-à-dire dans la façade sud du continent, la majorité des États européens continuera à ne manifester aucune appétence pour intervenir militairement aux côtés de la France voire du Royaume-Uni qui, implicitement, se voient placer dans le rôle de gendarmes de la sécurité collective des Européens. Il est évident que ce rôle exigera des efforts financiers que la France seule ne peut plus assumer. La solidarité est aujourd’hui un principe évident en matière économique, financière ou monétaire et a vu naitre un certain nombre de mécanismes visant à concrétiser les disciplines communes, ce qui devrait s’appliquer y compris dans le domaine de la Défense. Concrètement, cela veut dire que même si un ou plusieurs États décident de ne pas participer à une opération militaire conduite par exemple par la France pour la sécurité commune des européens, à tout le moins, ils s’engageraient à cofinancer cette intervention en proportion de leur PIB. Un fonds OPEX européen devrait donc pouvoir être créé, qui consacrerait cette solidarité commune face à des opérations conduites dans l’intérêt de tous. Voilà, à notre sens, quelle devrait être la proposition de la France lors du sommet de décembre.
Mais le leadership de la France passe aussi par une politique de défense suffisamment robuste et cohérente. La capacité de conviction du Chef de nos armées est donc un élément déterminant. François Hollande fait perdre de la crédibilité à la France, tant par ses promesses publiques d’interventions (Syrie), que par le décalage grandissant entre les contrats opérationnels et les choix capacitaires. Ainsi, l’exercice de rédaction du Livre blanc 2013 n’a pas visé à contrer efficacement ces menaces, mais à adapter la stratégie militaire française aux contraintes budgétaires de choix électoralistes.
À ce titre, les orientations budgétaires présentées dans la loi de programmation 2014-2019 sont particulièrement préoccupantes. Après les scénarios les plus catastrophiques, le Président de la République s’est finalement engagé à maintenir le budget de la Défense à 1,5% du PIB de 2014 à 2016 (31,4Mds€), promettant une hypothétique augmentation pour l’avenir.
Comment demeurer un leader de la défense en Europe quand on prépare méthodiquement la casse de notre outil de défense au travers d’une LPM sous-calibrée qui repose, de surcroît, sur quatre paris par nature aléatoires :
– le pari de l’export, notamment pour le Rafale ;
– le pari des ressources exceptionnelles (REX) fixées à un niveau particulièrement élevé (6,1Mds€) ;
– le pari du financement des opérations extérieures (OPEX). La LPM prévoit que la dotation annuelle s’élèvera à 450 millions d’euros. Or, les OPEX ont en moyenne coûté sur la période 2009-2012 961M€, le montant pour l’année 2013 se chiffrant déjà à 1,2Md€. Il apparaît ainsi clairement que l’enveloppe annuelle dédiée aux OPEX est sous dotée ;
– le pari de la préservation de l’industrie de défense par la conservation de tous les programmes d’acquisition en cours.
À cet aspect s’ajoute une nouvelle déflation d’effectif de plus de 23 500 postes sur la période.
La part de la défense passera de 1,5 % du PIB en 2014 et seulement 1,3 % en 2019 ce qui constitue indéniablement la marque du déclin de la France et son affaiblissement non seulement sans ses capacités d'intervention extérieures mais aussi de sa politique étrangère et de son influence dans le concert des nations.
Pour le groupe UMP la mise en œuvre crédible d’une Europe de la Défense passe par assumer une conception réaliste de l’Europe de la Défense, pour en finir avec les incantations jamais suivies d’effets. Pour cela, nous proposons d’avancer dans quatre directions :
– maintenir l’effort budgétaire en matière de Défense et cesser d’en faire une variable d’ajustement de nos finances publiques ;
– faire évoluer l’Europe de la défense vers des coopérations bilatérales et multilatérales ainsi que des coopérations renforcées à géométrie variable en fonction des menaces (ex. les questions de cyberdéfense) et des enjeux (mutualisation de certaines fonction de soutien et de formation) ;
– créer un Fonds OPEX européen ;
– favoriser le développement de leaders européens dans le domaine de l’industrie de défense.
III. CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. ALAIN BOCQUET, AU NOM DU GROUPE GDR
Au moment où rapports de forces et relations internationales sont en reconfiguration, il faut adapter notre Défense nationale à la donne géostratégique de ce début de XXIe siècle. Celle-ci est marquée par l’avènement d’un monde multipolaire complexe et interdépendant confronté à la montée de menaces non étatiques ou transnationales : le terrorisme certes, mais aussi les forces de l’argent. La crise du capitalisme est un facteur de déstabilisation à résoudre pour une sécurité collective durable. La mondialisation a changé de nature en faisant de l'Union européenne l'homme malade de l'économie globalisée. La finance s’est autonomisée du politique et de nombreuses entreprises transnationales ont une puissance et des pouvoirs supérieurs à la plupart des États-nations. Les États-nations ont perdu le monopole de cette fonction régalienne de la violence militaire. La délégation en faveur de l’Union européenne (et par voie de conséquence, de l’OTAN) de cette part de souveraineté est-elle une solution viable ?
1. L’Europe de la Défense : un projet embryonnaire dans l’impasse politique
Lancée en 1998, l'Europe de la Défense se concrétise à partir de 2003 avec notamment la mise en place d'une force de réaction rapide et la conduite d'opérations militaires européennes. Le développement de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) doit cependant surmonter de nombreux obstacles : différences d'appréciation entre États sur des questions internationales, sur les relations avec l'OTAN, contraintes budgétaires... Avec la crise économique, les budgets de Défense des pays de l’Union s’effritent à grande vitesse.
Si les perspectives de guerre en Europe et même aux frontières de l’Europe se sont estompées, l’Europe décline militairement. La politique européenne de Défense n’est pas une priorité des États membres… et l’Europe n’a pas les moyens de conduire seule une opération militaire d’envergure. Aujourd’hui, c’est l’idée même d’une politique de sécurité et de défense commune (PSDC), qui est mise en doute. La recherche du « partage et de la mutualisation » (pour reprendre l’expression du Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale) ne revient-elle pas à mettre la charrue avant les bœufs, alors que la Défense européenne est inexistante ?
2. Au nom de l’indépendance nationale : penser notre Défense en dehors de l’OTAN
Le projet d’« Europe de la Défense » est fondé sur une contradiction fondamentale entre la « volonté » affichée d’autonomie et de réactivité de nos forces et l’inscription de notre stratégie au sein de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne. Du reste et en régression par rapport aux choix politiques faits en 1966, Paris réintégrait en mars 2009, le commandement intégré de l’OTAN, en présentant cette initiative comme un prélude nécessaire pour relancer la PSDC. Pis, dans le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale qui définit la doctrine militaire de notre pays pour les quinze ans à venir, il est écrit que « notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne ». Le Livre blanc 2013 confirme que notre pays n'a plus, ni stratégie de défense indépendante, ni véritable visée propre de politique étrangère. Il établit une liaison dangereuse entre le concept de défense et celui de sécurité intérieure. Il se réfère à une chimérique « Europe de la Défense » pour mieux s'enfermer dans une communauté occidentale « de valeurs et d'intérêts » sous contrôle de l'OTAN. Il revendique des « interdépendances librement consenties » qui ne sont en fait que servitudes vis-à-vis de l'Alliance atlantique et de l'Union européenne.
Tous ces constats renforcent le poids de l’exigence que le Parlement français joue un rôle central à la fois dans la définition et la mise en œuvre de la politique de Défense nationale, et à la fois dans l’engagement de nos forces armées hors du territoire national, qui doit systématiquement faire l’objet d’un vote contraignant pour l’exécutif, du Parlement réuni en congrès.
Les travaux du Livre blanc ont été émaillés d’annonces qui entraînent des modifications stratégiques fondamentales, dont le retour complet dans le commandement militaire intégré de l’Otan. Or la pleine réintégration dans la structure militaire de l’Otan est en rupture complète avec le consensus national sur l’indépendance et l’autonomie de décision de notre pays. La politique européenne de Défense se trouve de facto sous la supervision de l’Otan. Ce renoncement implicite à une Europe de la Défense autonome, qui fait de la France une puissance moyenne alignée sur les États-Unis, est en totale contradiction avec les ambitions proclamées !
Nous rejetons cette volonté d’asservissement à la puissance américaine. La position du Front de gauche défend un impératif de paix : rupture de l’Europe avec l'atlantisme et avec l'alignement sur les États-Unis notamment dans le cadre de l'OTAN, organisation occidentaliste et motivée par une aspiration pro-américaine ; refus de se laisser embrigader dans la politique militariste des États-Unis ; engagement ferme en faveur du désarmement ; politique extérieure visant à la résolution des conflits dans le respect des droits humains et du droit de chaque peuple à disposer de lui-même et de ses ressources, tout en prônant le désarmement multilatéral et la paix ; promotion de la notion de biens publics communs universels et du partage des savoirs et des savoir-faire. Nous ne voulons pas que l’Europe participe à la partie de dominos que jouent les États-Unis dans le monde, mais qu’elle mette tout son poids dans la résolution pacifique des conflits et le respect du droit international et des résolutions de l’ONU.
3. L’OTAN : la puissance américaine contre une « Europe de la Défense »fondée sur la paix
L’OTAN est une organisation du passé, qui ne connaît que la logique de la force et n’est pas réformable. S’agissant de notre industrie de Défense, nous n’acceptons pas que notre base industrielle soit jetée en pâture sur l’autel de « la concurrence libre et non faussée ». L'OTAN est une organisation subornée aux objectifs politiques et stratégiques des États-Unis. Elle phagocyte toute possibilité d’une Défense européenne basée sur l’indépendance et la sécurité collective.
Avec l’OTAN, les États-Unis contrôlent les politiques de Défense des États membres de cette organisation. Ils maintiennent ainsi une présence militaire sur le territoire européen qui n’a plus lieu d’être depuis la fin de la guerre froide.
L’OTAN plombe l’ensemble des budgets de Défense européens au profit du complexe militaro-industriel anglo-américain. Depuis la fin de la guerre froide, et à l’exception notable des États-Unis, de la Pologne, de la Grèce et de la Turquie, les budgets de Défense des pays de l’OTAN ont fortement diminué. Ils seraient aujourd’hui suffisants pour assurer la sécurité de chaque pays, s’ils n’étaient pas captés au profit des missions de l'OTAN et des programmes d’armement surdimensionnés imposés par les États-Unis. Les standards d’armement et de communication OTAN dont les États-Unis s’exonèrent, rendent plus coûteux les matériels et subordonnent leurs mises en œuvre au bon vouloir du Pentagone.
Sous la domination de l’OTAN, trois pôles militaires européens s’organisent et divisent l’Europe :
– l’Allemagne et les Pays-Bas avec autour d’eux, les pays baltes, la zone d’influence économique allemande en Europe centrale ;
– la Pologne en liaison directe avec les États-Unis face à la Bélarusse et à l’Ukraine ;
– les deux ex-grandes puissances coloniales maritimes que sont la France et la Grande-Bretagne à partir des accords de Lancaster House. Outre les enjeux industriels (drones et avions de combat), ce duo a vocation à assurer les interventions extérieures de l’OTAN sous-traitées aux Européens : Libye, Mali,…
L’appétence de l'OTAN pour des stratégies de guerres préventives, pour l’usage du nucléaire tactique et l’implantation d’anti-missiles en Europe constitue un facteur d’insécurité et de danger pour la paix dans le monde.
Aujourd’hui, en dépassant la notion « d’arc de crise » et en utilisant le concept de « zone d’intérêt national », les stratèges français proches de l'OTAN et du Pentagone, voudraient que la France s’implique à part entière dans les politiques de confrontation que l’Alliance mène hors de la zone euro-atlantique. C’est pourquoi la France ne doit pas être le bras armé de l’OTAN en Afrique et doit mettre fin aux « accords de défense » la liant à des puissances réactionnaires comme le Qatar.
La France doit retrouver la maîtrise de son espace aérien afin que l’usage de celui-ci ne soit plus subordonné au bon-vouloir des États-Unis et de l’OTAN comme l’a montré l’affaire Evo Morales.
Les principes d’une Défense nationale indépendante et progressiste, qui impliquent que nos concitoyens soient mis en situation de reprendre le pouvoir sur les enjeux de défense et de paix - et cela vaut à l’échelon européen pour les peuples de l’Union- impliquent également que notre pays prenne la décision de quitter l’OTAN. C'est-à-dire de sortir à la fois du Traité de l’Atlantique Nord et du commandement militaire intégré. Une telle décision produirait un choc salvateur qui permettrait d’ouvrir le débat sur la fondation d’une politique de Défense européenne et méditerranéenne bâtie sur la paix, la sécurité collective, la coopération et l’indépendance de chaque peuple.
IV. CONTRIBUTION PRÉSENTÉE PAR M. GÉRARD CHARASSE, AU NOM DU GROUPE RRDP
A. UNE EUROPE DE LA DÉFENSE EN PANNE
1. De Maastricht à Lisbonne
Au lendemain de l'éclatement du conflit en ex-Yougoslavie, les États membres de l'Union européenne ont pris conscience de la nécessité d'entreprendre un rapprochement en matière de réponse aux crises internationales, en élargissant le cadre de l’intégration politique en matière de sécurité et de défense.
Dès lors, l’Europe de la défense progressait sur plusieurs fronts.
À commencer par les traités. En 1992, suite aux conclusions du Traité de Maastricht, est née la politique étrangère et de sécurité commune [PESC] visant à faire de l'UE un acteur de sécurité à part entière. En 1998, le sommet franco-britannique de Saint-Malo évoquait lui « le développement progressif d'une politique de défense commune » en même temps qu’une « capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles ». Le traité de Nice de 2001 allait plus loin, en consacrant la « politique européenne de sécurité et de défense » (PESD), rebaptisée « politique de sécurité et de défense commune » (PSDC) par le traité de Lisbonne de 2007. Ce dernier lançant l’objectif de parvenir à la « définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune »
Sur le plan institutionnel, l’Union européenne s’est alors progressivement dotée de plusieurs structures, en particulier : un Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, le Service européen pour l’Action extérieure (SEAE), le Comité politique et de sécurité (COPS), le Comité militaire de l’Union européenne (CMUE), l’État-major de l’Union européenne (EMUE) et l’Agence européenne de défense (AED).
Sur le front opérationnel, outre la création de groupements tactiques, vingt missions civiles et huit opérations militaires ont été lancées sur trois continents et ont abouti au déploiement, au total, de plus de vingt mille personnels.
Concernant les aspects industriel et capacitaire, la création en 2001 d’EADS dans le domaine aéronautique et de MBDA dans le domaine des missiles a été une réussite. Ces entreprises ont été construites autour de programmes structurants : l’avion de transport militaire A400M et les missiles Air-Air très longue portée Meteor et Sol-Air (FSAF). L’Organisation Conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) a permis une gestion efficace de ces programmes ainsi que l’Agence européenne de défense (AED) qui joue un rôle important dans la coordination en amont des projets, en œuvrant à la convergence des besoins opérationnels.
Cependant, après une décennie prometteuse, la politique de défense marque le pas. Preuve en est que l’Union européenne n'a lancé aucune nouvelle opération, civile ou militaire depuis 2010 - à l'exception de la mission de formation des troupes somaliennes « EUTM Somalia » - donnant la démonstration d’un repli aux causes bien définies.
2. Une autonomie militaire inexistante et des capacités lacunaires
L’absence d’un authentique quartier général européen permanent, permettant de faire une « planification à froid » des opérations et susceptible de les conduire est criante.
En Libye, l’Union européenne a été singulièrement absente face à une crise à proximité immédiate de ses frontières, comme cela avait été le cas, dix ans auparavant, dans les Balkans. Même une opération européenne de surveillance maritime de l’embargo sur les armes n’a pu être menée, du fait de l’opposition de certains États-membres. Faute de quoi, l’opération Unified Protector, menée par les États-Unis dans le cadre de l’OTAN, a pris le relais, en matière de ravitaillement en vol, de moyens de renseignement, de reconnaissance et de surveillance.
Les enseignements de « l’opération Serval » au Mali sont du même ordre. Les conditions idéales étaient réunies pour permettre le déploiement d’un groupement tactique de l’Union européenne. À nouveau, sans l’aide des États-Unis en particulier, l’intervention française et - dans une certaine mesure - britannique aurait été plus longue et difficile, faisant apparaitre au grand jour des lacunes capacitaires en matière de ravitaillement en vol, de drones MALE et de transport stratégique et tactique des deux premières puissances militaires européennes.
Au moment où notre voisinage proche est marqué par de nombreux défis, depuis la Syrie et l’Iran avec la possibilité de frappes, mais aussi en Turquie, et du Sahel à l’Ukraine en passant par l’Égypte, à quoi s’ajoutent des menaces plus diffuses, comme la prolifération, la cyberguerre ou le terrorisme ; l’Europe de la défense est en perte de vitesse.
3. Le risque d’un déclassement stratégique
Alors que les États-Unis ont officialisé leur stratégie de faire pivoter leur priorité de l’Europe vers l’Asie - commençant donc leur désengagement du continent européen - et continuent d’occuper la première place au niveau mondial en matière de dépenses de défense, avec près de la moitié des dépenses militaires mondiales, les nations européennes, ont, elles, effectué des coupes importantes dans leurs budgets de défense.
En effet, la part des dépenses de défense dans le PIB des États-membres est passée en moyenne de 1,9 % en 2001 à 1,25 % en 2012. Aujourd’hui, seul le Royaume-Uni atteint l’objectif de 2 % du PIB dédié à la défense, cinq pays seulement y consacrent entre 2 et 1,5 % (dont la France avec 1,54 %), tandis que sept autres entre 1,5 et 1 % (dont l’Allemagne avec 1,1 %) et quatorze moins de 1 %. Quand, au cours de la même période, les dépenses de défense des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) ont fortement augmenté, passant de 8 à 13,5 % des dépenses militaires mondiales, que les dépenses militaires du Japon sont au même niveau que celles de la France (3,6 %) et que l’Arabie Saoudite (2,9 %) a dépassé l’Allemagne (2,7 %). Tandis que la Chine, avec 5,5 % des dépenses militaires mondiales, domine tous les pays européens, et qu’en 2015, son budget de défense devrait correspondre au total cumulé des dépenses de défense des huit premiers pays européens.
Le déclassement stratégique de l’Union européenne menace.
D’autant que les capacités et programmes industriels sont redondants : dix-sept programmes de véhicules blindés en Europe, sept programmes de frégates, dix-sept chantiers navals militaires – contre deux seulement aux États-Unis - ; que les marchés de défense restent fragmentés, générant des surcoûts et des gaspillages et que les faibles crédits de R & D sont consacrés à faire des recherches identiques.
Que, par ailleurs, du côté de l’offre, aucune entreprise de défense européenne n’est véritablement intégrée. Nos industries souffrant donc d’un sous-dimensionnement structurel qui affecte leur compétitivité par rapport à leurs concurrentes sur le marché international. De ce point de vue, le renoncement au projet de fusion BAE-EADS est regrettable tout comme la non réalisation de l’objectif principal du « paquet défense » de 2009 qui était de constituer une base industrielle et technologique de défense européenne.
Face à ce constat, il est indispensable d’orienter l’Europe de la défense dans une autre direction.
B. L’INDISPENSABLE IMPULSION DU PROCHAIN CONSEIL EUROPÉEN DE DÉCEMBRE 2013
Le prochain Conseil européen de défense représente une réelle opportunité : celle que les chefs d’État et de gouvernement se saisissent enfin des questions de défense, en donnant de véritables orientations politiques. Plusieurs chantiers pourraient être alors lancés afin de progresser vers une défense commune européenne.
1. Avancer sur le plan opérationnel
À l'instar du nouveau concept stratégique de l'OTAN renouvelé en 2010, l’UE doit engager une réflexion sur une stratégie de sécurité commune européenne décrivant le contexte international dans lequel l’UE doit opérer. Ainsi les chefs d’États et de gouvernement ne pourront faire l’écueil de répondre à la question fondamentale qui est celle de savoir quelles responsabilités les pays européens veulent assumer en matière de défense. Et de là à toute une série d’autres questions en découlant : que doit faire l'Europe pour les opérations militaires ? Se donner les moyens d'une autonomie de décision ou accepter une dépendance de l'OTAN et des États-Unis ? Se limiter aux opérations humanitaires ou civilo-militaires ?
Seulement après cette « mise à plat », l’UE pourrait avancer sur le plan opérationnel.
D’abord par la création d’un quartier général unique et permanent qui permettrait de se doter d’une véritable capacité européenne de planification et de conduite des opérations ainsi que des moyens autonomes de renseignement.
Ensuite, dans la perspective de se doter de capacités de réaction rapide, de réactiver les « groupements tactiques » (inactifs depuis leur création en 2004) qui, composés d’une force de 1500 à 2000 hommes bien entrainés, permettrait de gérer rapidement des situations de crise loin des frontières de l’Europe, avec une durée de stationnement qui pourrait être d’un an minimum. Dans un souci d’efficacité et avec une ambition plus élevée, l’UE pourrait aussi adopter une approche modulaire plus flexible et décider de disposer d’un volume plus important et souple de ces forces.
2. Renforcer les capacités par une mutualisation des moyens
Un constat : il n’y a plus eu de lancement de grands programmes d’équipement militaire européens depuis l’A400M en 2003, c’est aussi le cas des drones, de l’aviation de combat future, de l’espace militaire et de la défense antimissile balistique.
Ces lacunes capacitaires nécessitent des actions communes. Les États européens doivent se regrouper pour pouvoir développer en commun des capacités qu’aucun d’entre eux n’a les moyens de mener seul ou, à tout le moins, partager et mutualiser leur usage. D’après l’AED, en mutualisant leurs efforts, les États membres pourraient réaliser 1,8 milliard d’euros d’économies dans le domaine du spatial militaire, 2,3 milliards d’euros sur les navires de surface, 5,5 milliards sur les véhicules blindés sur les dix prochaines années.
Les chefs d’État et de gouvernement, lors du Conseil européen de décembre, doivent établir une « feuille de route » dans ce domaine. Car, faute d'une solide industrie européenne de l'aéronautique, de l'espace et de la défense, il n'y aura plus à terme de défense européenne.
D’autant que cette industrie concerne près de 900 000 emplois en Europe pour un chiffre d'affaires de 96 milliards € : il s’agit donc d’un moteur de croissance possible, d’une source d'innovation et d'excellence technologique, et d’un chantier de coopération voire d'intégration européenne accrue.
Consolider l’industrie de défense sur une base géographique européenne est par conséquent un objectif à atteindre. En constituant de grands groupes européens de défense afin de bénéficier des avantages que confère la taille : partage des coûts non récurrents, concentration des efforts de recherche, équilibrage des gains et des pertes sur plusieurs centres de profit. Ces grandes entités doivent assurer à l’Europe l’autonomie de ses équipements. Elles doivent également être mieux à même de concourir dans la compétition internationale.
Cette proposition doit relever d'une approche conjointe entre les dirigeants de groupes industriels à centre de gravité européen et les responsables publics (civils et militaires, professionnels et politiques). Pouvoirs publics et industriels européens doivent intégrer que, à l'instar de nos principaux concurrents mondiaux, la distinction dans ce domaine entre industrie de nature civile et industrie de nature militaire est dangereuse pour le devenir desdites industries et préjudiciable à nos capacités de défense. Il faut réconcilier la logique politique et opérationnelle avec la logique industrielle et technologique.
En ce sens, les nations européennes doivent pouvoir s’appuyer sur le conseil d’experts indépendants à leur propre service. Au niveau européen, nous disposons de l’AED et de l’OCCAr. Ces deux institutions ont signé récemment un accord afin de renforcer leur coopération. Il semble nécessaire aujourd’hui d’aller plus loin et de les fusionner afin de créer une Agence européenne de l’armement, avec un processus de décision à la majorité qualifiée.
Enfin, il est de l’intérêt commun des Européens de se regrouper pour développer une base industrielle en matière de cyber défense et, plus largement, dans le secteur des technologies de l’information et de la communication.
3. Améliorer la gouvernance
Afin d’assurer un suivi effectif et régulier des décisions prises et de donner davantage de visibilité à la politique de défense, plusieurs améliorations sont souhaitables dans le fonctionnement actuel des institutions.
Les questions de défense devraient, en premier lieu, figurer à l’ordre du jour d’au moins un Conseil européen par an.
Puis, les réunions régulières des ministres de la défense « s’institutionnaliser » dans le cadre d’un « Conseil Défense » en devenant ainsi une formation à part entière du Conseil des ministres. Dès lors, sans rattachement au Conseil « Affaires étrangères » - dont il dépend aujourd’hui - et doté d’une présidence stable, exercée par le Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ce Conseil « défense » gagnerait en lisibilité et autorité. Renforcé, à terme, par la mise en place d’un ministre européen de la défense, distinct du Haut Représentant.
Enfin, concernant le contrôle démocratique de la défense européenne, les Parlements nationaux devraient être davantage associés à l’élaboration et au suivi des décisions prises en ce domaine, en sus de la conférence interparlementaire sur le suivi de la PESC/PSDC. Ce qui leur permettrait, en liaison avec le Parlement européen, de débattre ensemble des questions de défense à l’échelle européenne et d’exercer un suivi effectif et régulier de la défense européenne.
En parallèle, il faut permettre à un certain nombre d’États membres qui le veulent et qui le peuvent de progresser vers une défense commune.
C. VERS UNE « AVANT-GARDE » DE DÉFENSE EUROPÉENNE
Chaque fois que la voie de la construction européenne s’est trouvée obstruée par un obstacle de souveraineté, les nations européennes ont eu recours à la méthode du groupe pionnier. Ce fut le cas pour instaurer une monnaie commune : l’euro. Ce fut le cas pour supprimer les frontières intérieures : Schengen. La défense commune européenne doit prendre le même chemin, tant une démarche à vingt-huit, dans un premier temps, ne semble aujourd’hui ni réaliste, ni réalisable.
Il s’agit de la sorte de pouvoir continuer à réaliser à plusieurs ce qu’aucun État membre n’est plus capable de faire seul : disposer, lorsque ses intérêts sont en jeu, d’une capacité militaire autonome pour intervenir militairement hors de son territoire, y compris lorsque les États-Unis ne souhaitent pas agir.
1. Un mécanisme à suivre : la coopération structurée permanente (CSP)
Ce mécanisme, établit par le traité de Lisbonne, pourrait s’avérer être un instrument salutaire pour permettre à un groupe d’États membres de renforcer leur coopération en matière de défense, sans en être freinés par les autres. Puisque une coopération structurée permanente peut être mise en place entre « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes » (articles 42 paragraphe 6 et 46 du TUE modifié).
Par ailleurs, cette procédure présente l’avantage d’offrir plus de souplesse que les autres coopérations renforcées, puisque non soumise à un nombre minimal de participants.
L’adhésion d’un État membre à la CSP est autorisée par le Conseil à la majorité qualifiée, après consultation du Haut représentant. Afin de garantir l’efficacité opérationnelle de la coopération, les membres de cette « avant-garde » peuvent, à la majorité qualifiée également, suspendre la participation des États qui ne remplissent plus les critères de capacités ou qui ne peuvent assumer les engagements qu’ils ont souscrits. Enfin, si un État participant souhaite quitter la CSP, il peut le faire par notification de sa décision au Conseil.
Soulignons également que la règle de la majorité qualifiée ne concerne que l’adhésion à la CSP. Les États qui n’adhèrent pas à la CSP ne peuvent pas, ensuite, bloquer les décisions des États qui y adhèrent : la règle de la majorité qualifiée ne s’applique plus aux décisions prises dans le cadre de la CSP, qui bénéficie donc d’une autonomie de gestion.
2. Des contours souples
Tous les États membres ont vocation à participer à cette « avant-garde ».
Là encore le traité détaille clairement les modalités de fonctionnement de la CSP. Il précise notamment qu’elle est ouverte à tout État membre qui s’engage à procéder plus intensivement au développement de ses capacités de défense, par le développement de ses contributions nationales et la participation, le cas échéant, à des forces multinationales, aux principaux programmes européens d’équipement et à l’activité de l’Agence européenne de défense. État membre qui doit aussi s’engager à avoir la capacité de fournir, soit à titre national, soit comme composante de groupes multinationaux de forces, des unités de combat ciblées pour les missions envisagées, configurées sur le plan tactique comme un groupement tactique, avec les éléments de soutien, y compris le transport et la logistique, capables d’entreprendre, dans un délai de 5 à 30 jours, des missions, en particulier pour répondre à des demandes de l’ONU et soutenables pour une période initiale de 30 jours, prorogeable jusqu’à au moins 120 jours.
Il n’est plus temps de tergiverser : les États membres doivent tenir compte de l’évolution stratégique des États-Unis de faire pivoter leur priorité de l’Europe vers l’Asie dans le domaine de la défense et pour ceux qui le veulent, de se réunir pour prendre enfin en charge leur Défense et leurs intérêts légitimes.
COMPTE-RENDUS DES TRAVAUX DE LA COMMISSION
1. Mercredi 3 octobre 2012, séance de 9h30, compte-rendu n° 1 : audition, conjointe avec la commission de la défense et des forces armées, de M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, sur la mission d’évaluation sur le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Alliance atlantique et sur le développement de la relation transatlantique et les perspectives de la politique de sécurité et de défense commune
Mme la présidente Élisabeth Guigou. La commission des affaires étrangères et la commission de la défense nationale et des forces armées accueillent aujourd’hui M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, pour une audition consacrée au développement de la relation transatlantique et aux perspectives de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir accepté notre invitation. Vos qualités d’expertise et votre expérience internationale sont reconnues. Il était donc naturel que le Président de la République vous charge de cette mission délicate, qui consiste à évaluer les conséquences du choix que, en mars 2008, la France a fait de réintégrer les structures militaires de l’Organisation atlantique. On se souvient que la décision avait été vivement critiquée à l’époque et que le sujet a ensuite été débattu lors de la campagne pour l’élection présidentielle. En vous confiant cette mission, le Président de la République manifeste sa volonté de laisser toute la place qui convient à la réflexion et au débat.
La lettre de mission du Président de la République vous invite à adopter un point de vue très large. Il ne s’agit pas seulement d’apprécier si la décision a accru l’influence de la France dans l’OTAN, si elle a inhibé notre esprit d’indépendance, si elle a affecté notre image dans le monde, augmenté nos moyens et l’efficacité de nos forces. Pour intéressantes qu’elles soient, ces questions n’épuisent pas la problématique. Il s’agit aussi de réfléchir à l’avenir de notre relation transatlantique, aux perspectives de la politique européenne de sécurité et de défense dont on a pu expliquer qu’elles étaient appelées à s’élargir du seul fait du retour de la France dans le commandement intégré.
M. Nicolas Bays, président. Je vous prie de bien vouloir excuser la présidente Patricia Adam, qui participe ce matin à la Commission chargée de préparer le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Il me paraît extrêmement profitable que nos deux commissions associent leurs travaux sur des sujets de compétence ou d’intérêt commun. À ce titre, et même s’il n’a pas été possible de faire une réunion conjointe, j’invite les députés de la commission des affaires étrangères qui le souhaiteraient à participer, demain jeudi 4 octobre à 9 h 30, à l’audition que la commission de la défense organise de M. Jean-Marie Guéhenno, président de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Je tiens à remercier M. Hubert Védrine de venir nous présenter un premier état de ses réflexions sur la mission qui lui a été confiée par le Président de la République le 18 juillet dernier et dont le terme est prévu pour le 31 octobre : évaluer le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Alliance atlantique et le développement de la relation transatlantique dans la décennie à venir.
Sur le fond, la question de la place de la France dans l’OTAN est extrêmement structurante pour notre politique de défense. D’un point de vue plus formel, on ne peut que se réjouir d’avoir l’occasion de mener un débat politique dépassionné, puisque nous avions été nombreux à regretter d’en avoir été privés en 2007-2008, lorsque le précédent Président de la République avait arrêté cette inflexion majeure dans notre stratégie sans soumettre la question, au préalable, à la Commission du Livre blanc qu’il venait pourtant d’installer.
Trois ans après le sommet de l’OTAN à Strasbourg-Kehl, le moment est venu de dresser un premier bilan des avantages et des inconvénients pour notre pays de son retour dans le commandement intégré qui avait été officialisé en cette occasion.
M. Hubert Védrine. Depuis le mois de juillet, j’ai eu l’occasion de nouer de nombreux contacts, à Paris, à Washington, à Berlin ou ailleurs, mais, Mme la présidente l’a dit, il est encore trop tôt pour présenter au public les conclusions d’un rapport que je n’ai pas encore commencé à rédiger. Du reste, j’espère bien que nos échanges me permettront d’approfondir certains points, de corriger certaines analyses. Je me contenterai donc de vous exposer mon raisonnement et de vous expliquer ma méthode.
Le Président de la République ne m’a pas seulement confié une mission d’évaluation, il m’a demandé de réfléchir aux développements de la relation transatlantique dans la décennie à venir. Avant son élection, François Hollande avait en effet annoncé que, s’il était nécessaire d’évaluer l’impact d’une décision aussi importante, aussi controversée, y compris au sein de la majorité de l’époque, il était exclu de ressortir du commandement intégré. Quel est l’objet, dans ces conditions, une mission d’une mission d’évaluation ? Il me semble qu’il faut inscrire notre réflexion non seulement dans le cadre politique, historique, parlementaire et diplomatique de notre pays, mais dans un espace plus vaste. Nous devons nous interroger sur la nature de cette alliance, sur la vision qu’en ont les principaux alliés, à commencer par les États-Unis, avant de tirer les conclusions qui s’imposeront.
Il est bon de situer notre réflexion actuelle dans une perspective historique. Lorsque, en 1958, le général de Gaulle revint au pouvoir, l’Alliance n’était qu’une simple structure hiérarchique permettant au Pentagone de transmettre ses instructions aux alliés. Cela répondait, il faut le noter, à un souhait unanime des Européens – à commencer par la France, militante active de cette alliance –, qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avaient eu peur que les États-Unis ne se désengagent, comme ils l’avaient fait après la Première Guerre, et qui avaient voulu trouver un moyen de les attacher durablement à la défense de l’Europe. Cela n’avait pas été sans débats aux États-Unis, car une telle alliance permanente était étrangère à la tradition américaine, a fortiori avec une obligation de solidarité et d’intervention, comme celle inscrite à l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.
Toutefois, le fonctionnement de l’Alliance ne paraissant pas satisfaisant au général de Gaulle, il envoya un mémorandum aux Américains pour demander la création d’un directorat tripartite – États-Unis, Grande-Bretagne, France. Eisenhower comme Kennedy refusèrent. En outre, le général de Gaulle n’arrivait pas à savoir dans quelles bases de l’OTAN étaient entreposées, en France, les armes nucléaires, le commandant en chef des forces de l’OTAN ayant instruction de ne le révéler à personne. Les États-Unis s’engagèrent ensuite dans la guerre du Vietnam, au risque d’être pris dans un engrenage. Ils voulurent en même temps imposer la stratégie dangereuse de la riposte nucléaire graduée – flexible response –, qui impliquait la possibilité d’une guerre nucléaire limitée à l’Europe – hypothèse qui explique d’ailleurs en partie longtemps après l’obsession des Allemands en matière nucléaire.
L’accumulation de ces éléments incita le général de Gaulle à sortir, en 1966, non pas de l’Alliance, mais des organes militaires intégrés – il faut en effet distinguer l’Alliance issue du traité de Washington de 1949 et l’organisation intégrée qui se mit en place quelques années plus tard, en réaction à la guerre de Corée. Si, au lieu de Johnson, il avait eu en face de lui Nixon et Kissinger, qui avaient une immense admiration pour lui, les choses auraient sans doute tourné différemment – mais on ne peut refaire l’histoire.
Quoi qu’on pense de la décision de Nicolas Sarkozy et de ses motivations, nous ne sommes plus du tout aujourd’hui dans le même cas de figure. L’état du monde, les États-Unis, la stratégie de l’Alliance et les nombreux problèmes qu’elle pose – ceux d’une bureaucratie envahissante – n’ont aucun rapport avec les années 60.
Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand s’accommodèrent de la situation, développant des arrangements pragmatiques pour rendre possible la collaboration sur le plan militaire, sans jamais remettre en cause une posture qui était devenue un élément de consensus politique : la France était dans l’Alliance, mais dans une position particulière, et ne participait pas à tous les organes intégrés.
Jacques Chirac essaya de revenir sur cette situation, les chefs d’état-major lui répétant qu’il était absurde que la France ne soit pas dans les organes de décision alors qu’elle était l’un des plus gros contributeurs et l’un des seuls pays capables de mener à bien des actions précises. Il fit une première tentative à partir de 1995, présentant diverses demandes aux Américains en échange d’un retour éventuel de la France. Il réclamait notamment que soit attribué à la France le commandement sud de l’OTAN à Naples, mais comme celui-ci, couvrant le Proche-Orient, revêtait une importance stratégique particulière, les Américains s’y opposèrent. Ces négociations avaient déjà échoué au moment où l’Assemblée nationale fut dissoute, et le gouvernement de cohabitation conduit par Lionel Jospin assuma l’héritage post-gaullien, devenu gaullo-mitterandien.
Dans le cadre d’une politique plus générale de rupture avec certaines lignes de la Ve République, Nicolas Sarkozy, élu Président de la République, décida de remettre en cause cette position. Sa décision, qui prit effet sous la présidence Obama, avait en fait été annoncée à la fin de la présidence de George W. Bush. Les arguments avancés à l’époque étaient non seulement fonctionnels, de commodité, de logique – la France est l’un des plus gros contributeurs –, mais concernaient la relance de la défense européenne.
Un chapitre de mon rapport sera consacré à l’évaluation de cette décision. A-t-elle accru l’influence de la France dans l’OTAN ? Les militaires répondent qu’ils ont obtenu un certain nombre de postes pour des généraux. Mais les généraux en question ont-ils de l’influence ? En ont-ils eu, par exemple, sur la question des armes antimissiles ? Et en ont-ils davantage qu’avant, quand la France, plus autonome, avait une stratégie plus défensive, gérait les sommets de l’OTAN comme des rencontres à risque et devait se prémunir contre des décisions qui pouvaient l’engager au-delà de ce qu’elle était prête à faire ?
Pour étudier la dimension budgétaire de la question, je m’appuierai sur un récent rapport qui a été commandé à la Cour des comptes par la commission des finances de l’Assemblée nationale. Le retour dans le commandement intégré devait permettre de mutualiser certaines dépenses et de réaliser des économies, mais risquait de nous engager un peu plus dans des programmes pour lesquels nous serions taxés automatiquement. Je procéderai donc à cette évaluation, mais il paraît trop tôt pour conclure dans un sens ou dans l’autre.
L’influence est difficile à mesurer. Avons-nous eu une influence en Afghanistan ? Sans doute, nous avons exercé une sorte de contrôle à la marge sur ce que faisait la France elle-même, jusqu’à la récente décision de retrait, prise en deux temps, par Nicolas Sarkozy puis par François Hollande, mais avons-nous eu une influence véritable sur l’ensemble de la politique de l’Alliance en Afghanistan ?
En outre, nous ne pouvons évidemment pas mesurer notre influence sur de grandes questions concernant l’avenir de l’Alliance qui n’ont pas été abordées depuis que nous sommes rentrés dans les organes de commandement – sans réintégrer, toutefois, le comité des plans nucléaires. Voulons-nous conserver une alliance à perpétuité avec les États-Unis ? Cette alliance doit-elle garder un caractère militaire défensif ? Sur ce second point, plusieurs thèses sont en présence. Le secrétaire général de l’OTAN, qui se préoccupe de l’avenir de l’organisation après l’Afghanistan, plaide pour un élargissement des missions. On parle d’une alliance globale, politique. La question des opérations hors zone, qui fut longtemps primordiale, est aujourd’hui un peu dépassée. Je rappelle que, pendant longtemps, sous la IVème République, et même la Vème, la France demandait que l’alliance soit globale, afin que les États-Unis aient à l’aider dans les guerres coloniales. C’est plus tard que l’on revint à la définition stricte de l’Atlantique Nord, avant de changer encore plus tard, avec l’Afghanistan.
Sur la stratégie de l’Alliance, la dimension nucléaire a été discutée. Barack Obama avait déclaré à Prague que la disparition des armes nucléaires était souhaitable, tout en ajoutant qu’il ne la verrait pas de son vivant. D’ailleurs Nicolas Sarkozy a obtenu, à Lisbonne avec le président Obama, et contre l’Allemagne, que le caractère nucléaire de l’alliance soit réaffirmé. Pour autant, la question de la stratégie est-elle définitivement tranchée ? Depuis le discours fondateur de Ronald Reagan sur l’initiative de défense stratégique, en mars 1983, le projet de bouclier antimissile a connu bien des vicissitudes : certains présidents l’ont abandonné, d’autres l’ont relancé. Aujourd’hui se pose une question de principe : le système antimissile que développe l’Alliance – invoquant la menace iranienne tout en assurant que l’Iran n’aura jamais de missiles – est-il compatible avec la dissuasion nucléaire que les États-Unis garantissent aux membres de l’Alliance ? Doit-elle, à terme, rendre la dissuasion caduque ?
Le Président Hollande a écarté l’hypothèse d’une nouvelle sortie du commandement intégré. Moi-même, après avoir critiqué le retour de la France dans l’OTAN, car notre situation politique antérieure me paraissait plus confortable, je dois reconnaître que le contexte actuel n’a aucun rapport avec la situation qui avait obligé de Gaulle à en sortir. Les partenaires européens ne cessent d’ailleurs de se réjouir de notre retour, les uns parce qu’ils considèrent que la France s’est normalisée, les autres parce qu’ils entrevoient des possibilités de développer de nouvelles actions de défense avec notre pays. Ainsi, certains considèrent que l’intervention en Libye aurait été impossible si la France n’était pas revenue dans le commandement intégré et sans le climat de confiance qui s’en est suivi. D’autres estiment que c’est le retour de la France qui a permis la signature du traité de Lancaster House avec la Grande-Bretagne.
Il faut ensuite se demander à quoi doit servir l’Alliance. Dans la situation antérieure, nous avons pu maintenir une capacité stratégique de réflexion, une capacité militaire de haut niveau, en nous tenant un peu à l’écart du débat sur son avenir. Si nous ne développons pas désormais une véritable pensée, il ne servira à rien de parler de politique d’influence : une influence ne peut se limiter au nombre de postes ? Peu importe la nationalité des gens qui appliquent les instructions du Pentagone ! Si, en revanche, il s’agit d’exercer une véritable influence sur la façon dont l’Alliance évolue et répondre aux questions : Quelle alliance ? Pour se défendre contre qui ? Pour intervenir de quelle manière ? Dans quelles zones ?, il faudra affirmer notre propre pensée. Réfléchir aux deux volets de cette politique – vigilance et influence –, car la machinerie de l’OTAN peut également servir à obliger les membres à participer, sur le plan industriel, à des actions collectives qui assèchent leurs capacités militaires, par ailleurs de plus en plus faibles, au point qu’il ne leur reste rien pour entreprendre des coopérations entre Européens.
Ainsi, on en vient logiquement à la question de la défense européenne. Je tâcherai, à cet égard, de faire œuvre de clarification sémantique. Lorsqu’on parle de « défense européenne », il ne s’agit en fait jamais de la « défense de l’Europe ». Si, par malheur, l’Europe était menacée militairement, les Européens seraient incapables de défendre eux-mêmes le continent. Seuls deux pays ont des capacités réelles – encore s’amenuisent-elles jour après jour : la Grande-Bretagne – mais les Américains (et les Anglais eux-mêmes) ont été surpris par la faiblesse des moyens britanniques dans l’affaire libyenne – et la France, malgré les contraintes budgétaires qui pèsent aussi sur elle. Les Allemands ont une capacité moindre, mais ils sont surtout frappés de paralysie politique. Dès qu’il s’agit d’entreprendre une quelconque action militaire, ils s’en remettent au civilo-militaire.
Inutile donc de se gargariser avec des expressions telles qu’« Europe de la défense » ou « défense européenne » si l’on ne précise pas de quoi il s’agit. Or s’il ne s’agit pas d’une éventuelle défense collective – assurée en réalité par l’Alliance et par l’article 5 du traité –, cela ne peut être que d’autres missions à vingt-sept, ou ce qui est réalisé dans des coopérations ad hoc. Dans le premier cas, toute une mécanique se met en branle, au nom de la construction européenne, avec ses volets de politique étrangère, de sécurité et de défense. À cet égard, l’accord franco-britannique de Saint-Malo a représenté un compromis intelligent, levant les réserves de principe que la Grande-Bretagne mettait au développement d’un certain degré d’intervention sur les questions militaires. Mais, en réalité, la mécanique à vingt-sept – qui n’est qu’une mécanique de papier – tourne un peu en rond : les moyens de l’Agence européenne de défense sont en diminution, le processus ne s’est pas enclenché.
Les Américains se plaignent volontiers des manques de capacités et de moyens de l’Europe. Mais, n’est-ce pas la conséquence paradoxale du succès de l’Alliance, qui a déresponsabilisé les pays européens ? N’est-ce pas aussi le fruit d’une politique à courte vue – non pas celle de l’administration Obama, mais plutôt de la longue période précédente –, les Américains s’étant mobilisés contre toute initiative européenne dans le domaine de la défense, sous prétexte qu’elle ferait double emploi avec l’OTAN ?
Aujourd’hui, après les débats et les controverses, aussi légitimes soient-ils, il nous faut tenir compte de l’état du monde. Les États-Unis se sont d’abord préoccupés de la question asiatique : leur grande orientation stratégique, c’est le « pivot vers l’Asie » annoncé par l’administration Obama. Toute la question, à Washington, est de savoir jusqu’où aller dans ce mouvement, nombre d’experts considérant qu’ils ne doivent pas donner l’impression d’abandonner l’Europe, ce qui n’est pas le cas. Toutefois, lorsqu’on demande aux Américains – que ce soient les responsables actuels ou les anciens, des démocrates ou des républicains, les équipes de Mitt Romney ou celles de Barack Obama – quel est l’avenir de l’Alliance, la réponse est unanime : ils ne conçoivent pas une situation dans laquelle les États-Unis seraient prêts à renoncer au traité de 1949. Leur vision est plus relative en ce qui concerne l’organisation de l’OTAN : ils pensent en tous cas que les Européens devraient faire davantage.
Selon une vision française enracinée, l’OTAN serait la courroie de transmission du Pentagone et du complexe militaro-industriel américain. Or, à Washington, les responsables sont souvent beaucoup moins « otaniens » que les Anglais ou les Allemands. Ainsi, quand on leur demande ce qu’ils ont pensé de l’affaire libyenne, s’il est acceptable que des pays européens prennent l’initiative, sous couvert d’une résolution du Conseil de sécurité prise sous le régime du chapitre VII de la Charte des Nations unies, et utilisent la logistique de l’OTAN, avec l’accord du président des États-Unis qui, pour une multitude de raisons, préfère ne pas être en première ligne, la plupart répondent que c’est acceptable sous certaines conditions. Seule l’équipe de Romney, fidèle à une vision classique du leadership, considère que, lorsque l’Amérique s’engage, elle doit tout diriger, qu’il est impossible qu’elle reste derrière le rideau.
Les Américains ont toujours réclamé un meilleur « partage du fardeau », mais ils se sont toujours montrés hostiles au partage des décisions avec les européens. Barack Obama, lui, semble prêt à leur accorder davantage de responsabilités. S’il est réélu, l’OTAN aura peut-être, jusqu’à un certain point, une marge d’européanisation.
Ce n’est plus avec les États-Unis que nous aurons les principales difficultés, c’est avec la plupart de nos partenaires européens qui, à propos de l’Europe de la défense, font du déclaratoire, mais ne sont pas prêts à s’organiser au sein de l’OTAN, car, au fond, ils ne veulent ni responsabilités supplémentaires ni risques nouveaux.
Mon but n’est pas – vous le voyez - de réveiller ou d’entretenir des controverses théoriques. Partant de l’état du monde tel qu’il est, de l’idée qu’on peut se faire des menaces dans dix ou vingt ans, je me propose de réfléchir à l’avenir de la relation transatlantique et du rôle que la France doit y jouer. Je n’ai pas non plus l’intention d’opposer ce qu’on devrait faire dans l’Alliance, ce qu’on devrait faire à vingt-sept – en surmontant les déceptions que nous inspire l’état que j’ai observé, c’est-à-dire peu de choses, en dehors de la création de procédures, de postes et de sigles – et ce que l’on pourrait faire avec quelques pays européens déterminés et convaincus. Je raisonnerais en termes de complémentarité.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. La France et le Royaume-Uni ont été incapables de mener seuls l’opération en Libye et ont dû faire appel au soutien logistique de l’Alliance. Vous avez dit que l’on pouvait imaginer d’autres formes de coopération de ce genre. Certains députés vous poseront peut-être des questions à ce sujet, mais je voudrais, pour ma part, vous interroger sur les réactions des Européens.
Lorsque la France a décidé de réintégrer l’ensemble des organes de commandement, sauf le comité des plans nucléaires, on nous a expliqué que, en désarmant la méfiance de nos partenaires européens, qui sont très attachés à l’Alliance atlantique, nous allions pouvoir développer la politique de sécurité et de défense européenne. Vous avez raison de rappeler qu’il faut se mettre d’accord sur ce que cela veut dire et que ce n’est pas la défense de l’Europe. Vous avez évoqué l’état d’esprit des Britanniques et des Allemands. Avez-vous noté une évolution dans les pays d’Europe centrale et orientale, qui, lorsqu’ils nous ont rejoints, ont toujours considéré que la seule protection efficace de leurs intérêts de sécurité viendrait des États-Unis et de l’Alliance atlantique ? Le fait que nous ayons rejoint les organes militaires de l’Alliance a-t-il pu désarmer leur méfiance vis-à-vis de la France et les amener à considérer de façon plus positive une politique de sécurité et de défense européenne ?
Si nous voulions développer une telle politique et nous doter de capacités de projection extérieure, il faudrait naturellement passer par le mécanisme de coopération structurée prévu par le traité, qui peut rassembler un petit nombre de pays – qui n’ont pas besoin d’être neuf au minimum, comme dans le cadre de la coopération renforcée, et qui peuvent même n’être que deux ou trois, à condition qu’ils aient les capacités militaires nécessaires. Dans les contacts que vous avez pu avoir, ce mécanisme de coopération structurée est-il encore évoqué ou est-il définitivement tombé dans les oubliettes ? Avons-nous une chance de pouvoir le ressortir un jour pour des projets concrets ?
Quel regard portez-vous sur les alliances industrielles ? Quand, à la fin des années 90 et au début des années 2000, nous avons fait de véritables progrès en matière de politique de sécurité et de défense, il y avait, à la base, des alliances industrielles qui ont abouti à la création d’EADS. Comment considérez-vous aujourd’hui le projet de fusion EADS-BAE ? Quelles conséquences stratégiques doit-on tirer de cette opération, si elle se réalise ?
Enfin, je souhaiterais vous interroger sur les possibilités de coopération franco-britannique. S’il est un partenaire avec lequel nous pouvons coopérer, c’est bien la Grande-Bretagne, comme on l’a vu à Saint-Malo. Cela présente d’ailleurs un grand avantage, car, comme nous ne sommes à peu près d’accord sur rien avec nos partenaires britanniques quand il s’agit de la politique de l’Union européenne, nous avons là un sujet au moins sur lequel nous pouvons développer des coopérations positives avec cet important pays. Pendant longtemps, nous avons cru qu’allait émerger un couple franco-britannique. De récentes décisions budgétaires ont au minimum tempéré ces espoirs. Quelle est votre évaluation sur ce qu’il est possible de réaliser en matière de coopération franco-britannique ?
M. Hubert Védrine. Nicolas Sarkozy avait fait valoir, en effet, l’argument selon lequel le retour de la France dans le commandement intégré réduirait la méfiance à notre égard, et permettrait ainsi aux initiatives de notre pays d’être mieux accueillies. En fait, cela n’a eu aucun effet en matière de défense européenne, à moins de considérer que le traité franco-britannique de Lancaster House en est la conséquence, mais on sait que, si les Britanniques le tiennent pour très important, ils préféreraient tout arrêter plutôt que de savoir Paris obligé, pour des raisons politiques, de dire que cela préfigure la défense européenne. Pour eux, seul le bilatéral est acceptable. Le Président Sarkozy a donc eu tort d’employer un tel argument, d’autant que c’était pour d’autres raisons que la défense européenne était bloquée.
Certains ont considéré, c’est vrai, que l’opération de Libye n’aurait pas pu avoir lieu sans ce retour. Mais ce n’est pas en raison d’un reste de méfiance que les Français et les Britanniques se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas improviser en urgence un quartier général binational capable de gérer l’opération, que le système européen était tout aussi incapable de le faire, et qu’il fallait par conséquent utiliser l’OTAN comme un « prestataire de services ». Ce fut possible dès que le président des États-Unis eut dit qu’il ne voulait pas s’engager – même si les États-Unis ont contribué militairement à l’opération beaucoup plus qu’on ne le dit en France –, mais qu’il acceptait que l’on se serve de la logistique de l’OTAN. Je rappelle d’ailleurs que l’évolution de la position américaine a pris les Allemands à contre-pied : ils avaient cru que les États-Unis refuseraient toute participation, et cela explique sans doute la position qui fut celle de M. Westerwelle.
Aujourd’hui, si les propositions françaises sont mieux accueillies, il reste une ambiguïté dans l’attitude de nos partenaires. Pour certains d’entre eux, le retour de la France est une simple normalisation. C’est ce dont on se réjouit au ministère allemand de la défense. On y considère que de Gaulle avait eu tort et qu’il n’y a pas à nous récompenser d’avoir corrigé une erreur historique. C’est peut-être la fin de la méfiance, mais elle est stérile et ne produira rien.
Pour le moment, personne ne m’a parlé de « coopération structurée » – peut-être Mme Ashton, ou ses collaborateurs le feront-ils. Il semble plutôt que la préférence aille aux coopérations ad hoc, en fonction des capacités respectives des pays.
En Allemagne, le ministère de la défense suit donc une ligne très classique, très otanienne. Le ministère des affaires étrangères est un peu plus ouvert, mais on ne peut pas dire qu’il ait des attentes particulières. Seuls les collaborateurs directs de Mme Merkel, pour des raisons plus générales, plus stratégiques, considèrent qu’il faut essayer de faire quelque chose. Ils développent une réflexion globale, géopolitique, sur nos rapports avec la Chine, l’Inde, la Russie. Si nous voulons entreprendre des coopérations avec l’Allemagne, il faudra donc d’abord traiter à ce niveau.
Avec les Britanniques, nous avons dû commencer par faire sauter un verrou. Auparavant, dès que la France s’exprimait sur le sujet, ils étaient persuadés qu’elle voulait remplacer l’Alliance par une Europe de la défense, ou la concurrencer sur son terrain. Or, pour la Grande-Bretagne, il était hors de question que l’Union européenne puisse parler de défense et de sécurité, domaines qui étaient de la seule compétence de l’OTAN. À Saint-Malo, la France a reconnu que la défense européenne qu’elle appelle de ses vœux s’inscrirait dans le cadre général et sous le parapluie de l’Alliance, et la Grande-Bretagne a levé son opposition de principe à l’idée que l’Europe puisse agir dans ce domaine, sans préciser les réalisations envisageables.
Plus récemment, le traité de Lancaster House a trahi l’affaiblissement de la Grande-Bretagne après l’engagement en Irak. Elle envisage donc des coopérations qu’elle n’aurait pas envisagées auparavant. Il est à noter que ce projet avait été conçu sous Gordon Brown. Le traité rencontre des difficultés d’application, mais il faut le faire vivre et éviter de l’opposer à une défense européenne théoriquement plus orthodoxe, à vingt-sept, selon les mécanismes prévus, voire sous forme de coopération structurée.
En ce qui concerne les alliances industrielles, l’idéal serait de combiner les capacités industrielles et technologiques françaises, allemandes et britanniques. Mais, en politique, le projet présente bien des difficultés pour chaque pays, chaque gouvernement devant veiller à ses intérêts. L’idée est d’accéder au marché américain, qui représente 46 à 47 % du budget mondial de la défense, et qui est aussi important que les dix plus gros budgets de la défense après lui. Même s’il baisse de 15 % en cinq ans, comme l’a annoncé M. Obama, il sera simplement ramené à la situation d’il y a cinq ou six ans, ce qui reste colossal.
Dans l’affaire particulière que vous avez évoquée, madame la présidente, BAE Systems, affaibli, cherche à se consolider et EADS tente de pénétrer le marché américain, ce qui, de tout temps, sous la présidence de Louis Gallois comme sous celle de Thomas Enders, a été sa priorité, car cela permettrait de rééquilibrer EADS entre ses activités civiles et ses activités militaires. On a vu, dans l’affaire des avions ravitailleurs, comment l’administration américaine a pu annuler, au profit de Boeing, le premier appel d’offres remporté par EADS. Je n’ai pas accès à tous les éléments du dossier, et j’ignore donc si nous avons obtenu les garanties politiques, juridiques et économiques nécessaires. Si cette opération est un succès, on ne pourra que s’en réjouir. Dans le cas contraire, il y aura un coût et un contrecoup sévères.
J’évoquerai enfin la question de l’Europe de l’Est. Après la fin du système soviétique, les pays anciennement contrôlés par l’URSS n’ont eu qu’une idée : se protéger en entrant dans l’OTAN, dont l’Union européenne ne leur paraissait qu’un sous-département économique. Il faut les comprendre : sortant du joug soviétique, ils se précipitaient dans l’endroit le plus sûr qu’ils connaissent. Avec le temps, ils sont devenus un peu plus européens. Les Polonais ont ainsi été très perturbés par l’abandon d’une partie du projet antimissile qui devait se réaliser chez eux. Mais ils restent attachés à l’OTAN, alliance défensive face à la menace. Si on ne sait plus très bien où se situe la menace aujourd’hui, les Polonais et les Baltes, eux pensent qu’elle peut venir de leur voisin russe, et sont donc obsédés par la nécessité de conserver une alliance avec un article 5. Si le développement de la défense européenne devait se faire contre l’OTAN, ils y seraient opposés. Si cela doit se faire en plus de l’OTAN, la Pologne serait capable de s’y associer. Nous devons considérer ce pays comme un partenaire sérieux pour l’avenir.
M. Gilbert Le Bris. On ne peut pas vous soupçonner, monsieur le ministre, d’avoir été un avocat du retour vers l’OTAN. En 2007, vous considériez même que « la réintégration de la France dans l’OTAN lui donnerait sur les États-Unis une influence comparable à celle des autres alliés, c’est-à-dire quasi nulle ». Cinq ou six ans plus tard, on peut constater que, si nos partenaires ont un peu modifié leur perception à notre égard, cela n’a pas suffi à enclencher le cercle vertueux de la défense européenne, alors que c’était l’un des principaux arguments des défenseurs du retour dans le commandement intégré.
Je souhaite cependant vous interroger sur ce qu’on a appelé le « partage du fardeau » et sur la façon dont les États-Unis considèrent désormais leur mainmise sur l’OTAN. Aujourd’hui, mutualiser les capacités militaires, cela signifie, pour eux, acheter américain. Lorsqu’ils conçoivent le programme AGS – Alliance Ground Surveillance –, ils prévoient l’achat de drones américains. Lorsqu’ils parlent de défense antimissile balistique (DAMB), ce sont encore des matériels américains, avec les systèmes SM3 ou Aegis, qui sont en jeu. Ils utilisent la menace iranienne pour vendre des matériels américains à des pays du Moyen-Orient qui sont assez faibles, mais très riches. La DAMB restant la pierre d’achoppement entre la Russie, l’OTAN et les États-Unis, n’est-ce pas dans ce domaine et dans notre relation avec la Russie que nous pourrions disposer d’une véritable marge de manœuvre vis-à-vis des Américains, et ne faudrait-il pas l’utiliser au maximum ?
M. Pierre Lellouche. Mon ami Hubert Védrine a l’honnêteté intellectuelle de prendre l’exacte mesure de son mandat – faire le point sur une décision sur laquelle on a déjà décidé qu’on ne reviendrait pas – et de reconnaître que, de toute façon, ce n’est plus la même Alliance. C’est d’ailleurs l’argument que j’avais développé dans L’Allié indocile, un livre sur les relations franco-américaines et sur le retour de la France dans l’OTAN.
Nous avons récemment assisté à un débat à fronts renversés. En 1966, la gauche et François Mitterrand étaient de farouches partisans du maintien de la France dans l’OTAN, tandis que les gaullistes militaient pour la sortie. Or, il y a quatre ou cinq ans, les premiers ont cru devoir nous donner des leçons de gaullisme !
On l’a bien vu en Afghanistan, l’Alliance n’est pas le Pacte de Varsovie. L’Allemagne ne souhaitait pas aller dans des zones de combat, et elle n’y est pas allée. Quand la Hollande a voulu repartir, elle l’a fait, comme le Canada à sa suite, comme la France. Je voudrais d’ailleurs dire à Mme Guigou que la commission pourrait s’intéresser à ce qu’implique notre retrait. À Tagab, par exemple, c’est l’armée américaine qui remplace le contingent français : c’est dire que nous comptons sur l’allié américain pour terminer, à notre place, une mission que nous n’avons pas achevée.
Il ne serait pas mauvais non plus de faire, comme les Allemands, des auditions sur la fusion EADS-BAE Systems.
Nous sommes retournés dans le commandement intégré au moment où l’Alliance se cherchait une raison d’être. Il faut donc, comme Hubert Védrine, s’interroger sur sa finalité, se demander s’il est dans notre intérêt national de conserver un lien militaire avec les États-Unis, si cela doit concerner la lutte contre le terrorisme ou les problèmes Nord-Sud. Avec les Anglais, nous sommes désormais bien seuls en Europe, les Allemands restant très ambigus, notamment en ce qui concerne la dissuasion nucléaire. Il est dans notre intérêt de peser autant que possible sur les choix stratégiques, mais, pour cela, il faut de l’argent. J’ai eu à négocier avec Richard Holbrooke : nous ne pouvons prétendre influer sur la stratégie américaine en Afghanistan lorsque nous y envoyons 4 000 soldats alors que les autres en ont 140 000. De même, quand on souhaite maintenir la dissuasion nucléaire en Europe et qu’on émet des réserves sur la DAMB, il faut pouvoir se doter d’une capacité industrielle. La défense, c’est d’abord une question de moyens.
Je n’ai pas l’impression que la décision prise il y a cinq ans ait affaibli notre souveraineté. La vérité, c’est que l’Alliance est en panne et que la France a intérêt à la préserver. On peut s’interroger sur les formes que prendra l’Alliance de demain, et, en la matière, les idées d’Hubert Védrine sont les bienvenues. Pour le reste, le sujet est trop grave pour que nous nous contentions de le traiter par de vaines polémiques.
M. Serge Janquin. La situation de la France au sein de l’OTAN reste singulière. Toute la question est de savoir si notre pays veut rester singulier, s’il en a les moyens, ou s’il accepte peu ou prou de les mutualiser, et donc de se banaliser. Au rang de ses singularités, la France dispose de bases militaires en Afrique. La situation politique actuelle, notamment la présence d’AQMI dans la bande sahélienne, semble interdire toute évolution. Toutefois, ces outils de défense française en Afrique n’ont-ils pas vocation à évoluer pour être mutualisés par l’Europe ? À terme, ne faudrait-il pas négocier avec l’Union africaine, à qui revient la responsabilité d’assurer la sécurité sur ce continent, mais qui n’en a guère les moyens et ne semble pas disposée à se les donner ? Je n’ai pas évoqué l’OTAN, car la situation paraît déjà assez complexe et délicate, compte tenu de la souveraineté des États africains, notamment arabo-africains, qui s’y engageraient, à moins d’y être contraints pour des raisons de survie. Pensez-vous que les évolutions en ce domaine soient possibles et nécessaires ?
M. Philippe Folliot. À l’époque où il fut question de réintégrer le commandement intégré de l’OTAN, j’avais exprimé quelques réserves. Mais, trop souvent, la France offre à ses partenaires une image d’instabilité et il importe que sa politique ne soit pas remise en cause à chaque alternance.
En effet, notre pays a quelques singularités : d’une part, il est l’un des deux seuls membres de l’Alliance à disposer d’une force nucléaire crédible et indépendante ; d’autre part, les outre-mer et son domaine maritime lui confèrent une place à part du point de vue géopolitique et géostratégique.
On peut constater que nous n’avons pas obtenu les résultats escomptés dans la réorganisation de l’Alliance et dans le développement de la défense européenne. Les contraintes budgétaires limitent la marge de manœuvre des Européens. Cependant, les Américains réorientent leur stratégie en direction du Pacifique. Ainsi, on comptait autrefois neuf bâtiments des forces océaniques stratégiques en permanence à la mer : cinq dans l’Atlantique, quatre dans le Pacifique. Les Américains en auraient basculé un dans le Pacifique. Ne voyez-vous pas là des raisons d’espérer la constitution d’un véritable pilier européen au sein de l’Alliance, faute de développer une véritable défense européenne ?
M. Hubert Védrine. Certains diplomates, qui étaient plutôt favorables au retour de la France dans le commandement intégré, reconnaissent que la méfiance s’est dissipée, mais qu’on ne peut pas plus qu’avant parler du « pilier européen », car, craignant que les États-Unis n’abandonnent l’Europe au profit du Pacifique, la plupart des alliés européens pensent que toute initiative européenne leur en offrirait le prétexte ! Aussi, la disparition de la méfiance à l’égard de la France n’entraîne rien de constructif. Il va être, on le voit, difficile de développer une politique d’influence mais c’est indispensable.
Les équipes de M. Obama tiennent à ce propos un langage aussi nouveau et nous disposons désormais peut être d’une petite marge d’européanisation au sein de l’OTAN. Cependant cela ne sera possible que dans le cadre d’une entente pragmatique avec les États-Unis, sans qui les autres européens n’oseront pas aller dans ce sens. Cette plus grande européanisation de l’Alliance ne s’opposerait pas aux autres volets de notre action. Il ne s’agit pas de choisir une enceinte plutôt qu’une autre, mais de poursuivre une même politique de défense à travers différentes enceintes.
Il est vrai que toute la machinerie otanienne, les normes américaines et le complexe militaro-industriel relayé par l’OTAN, tendent à faire acheter du matériel américain. C’est d’ailleurs le choix que font sans états d’âme la plupart des Européens. Que la France soit en dehors ou à l’intérieur des organes intégrés ne change pas grand-chose à cette réalité. La légère contraction du budget américain de la défense va même conduire les entreprises américaines à se montrer encore plus agressives envers les capacités industrielles qui subsistent en Europe. Il faudra non seulement que nous soyons vigilants et offensifs, mais que nous ayons des partenaires résolus.
Quant aux singularités de la France, elles sont indéniables. Elles expliquent d’ailleurs les différentes attitudes de nos partenaires européens, la plupart se réjouissant que la France se soit « normalisée » - selon eux - mais considérant qu’elle est un pays comme les autres et que nous sommes désormais, comme on disait autrefois à l’appel à l’armée, « présents couchés », quelques-uns estimant que cela peut permettre une nouvelle politique d’influence de la France.
Les questions africaines de l’heure au Sahel sont militairement assez simples, mais politiquement complexes. Comment faire en sorte qu’une action éventuelle soit perçue comme vraiment légitime, et que les Africains soient en première ligne ? Ont-ils la capacité et la volonté de tenir ce rôle ? Il semble qu’ils ne soient pas encore tout à fait d’accord entre eux, et que l’Algérie freine le mouvement. Imaginons que les conditions soient réunies et qu’une opération militaire ait lieu au Sahel, il faudra, ensuite, restaurer l’intégrité de pays qui, depuis longtemps, est incapable de contrôler les milliers de kilomètres de ses frontières ? Certes, il s’agirait d’une action légitime, avec l’aval du Conseil de sécurité, de l’Union africaine, et de la CEDEAO. Elle devrait être complétée et suivie par un plan durable permettant la reconstruction d’États capables d’exercer leurs fonctions normales sur leur territoire.
Les États-Unis sont une puissance mondiale, globale, et même si le président M. Obama sait très bien que le leadership américain est encore réel mais relatif, contesté et concurrencé, ils n’abandonneront jamais complètement aucune partie du monde. M. Obama a d’ailleurs clairement arbitré en faveur du maintien de flottes américaines sur tous les océans. Il ne faut donc pas imaginer que les Américains vont se transporter avec armes et bagages dans le Pacifique. Certes, on peut imaginer un basculement jusqu’à un certain point, et c’est d’ailleurs logique : nous en ferions autant à leur place, nous nous occuperions en priorité du Pacifique et de l’Asie. Cette situation crée-t-elle pour les européens un espace, une disponibilité ? Peut-être, même si l’on ne prend pas au pied de la lettre les déclarations les plus ouvertes de l’administration Obama, avons-nous une occasion qui ne s’était jamais présentée eux Européens, ni au début de l’Alliance, ni lorsque de Gaulle dû se retirer du commandement intégré, ni depuis le retour de la France. Il serait triste et paradoxal que, dans ce moment historique, alors même que les États-Unis sont enfin ouverts à une certaine évolution, où une politique plus ambitieuse devient possible, les Européens se trouvent dans l’incapacité de saisir cette occasion.
M. Jacques Myard. Si je me suis opposé au retour dans l’OTAN, c’est moins pour des raisons techniques que pour des raisons d’affichage diplomatique. En effet, dès 1966, la France avait réglé la dimension technique de ses relations avec l’OTAN, notamment grâce aux accords Lemnitzer-Ailleret. Ce qui fait problème, c’est la capacité d’influence que nous pouvons avoir sur cette machine, d’autant que nos petits camarades européens sont complètement aliénés mentalement par le dispositif otanien. Je doute donc très sérieusement que nous puissions exercer la moindre influence sur une machine dont le logiciel est entièrement américain.
L’OTAN n’est-elle plus qu’un prestataire de services ? La mutualisation des moyens techniques permet-elle qu’ils soient utilisés par les seuls Européens ? Vous avez rappelé que l’ancienne secrétaire d’État américaine Madeleine Albright ne voulait pas entendre parler de découplage, bien que l’idée ait été approuvée au congrès de Berlin. Donald Rumsfeld a pu dire que « c’est la mission qui commande la coalition ». Sans doute, la maxime reste-t-elle valable, mais à condition que les Européens cessent de faire de la défense une valeur d’ajustement.
D’autre part, j’ai été très surpris de constater que, dans le dossier des antimissiles, François Hollande s’alignait à Washington sur la position américaine. Il s’agit en effet d’une machine américaine destinée à s’assurer la mainmise sur l’industrie d’armement européenne. Pourriez-vous nous apporter quelques éclaircissements à ce sujet ?
M. Nicolas Dhuicq. Monsieur le ministre, vous n’avez parlé ni de la Fédération de Russie ni des offres que le président Poutine a faites en 2001 et récemment renouvelées. La situation particulière de la France par rapport à ce grand pays n’a-t-elle pas changé après son retour dans le commandement intégré de l’OTAN ? Dès lors qu’on change de vocabulaire, dès lors qu’on ne parle plus seulement de défense antimissile balistique de théâtre, mais que l’on passe à une échelle beaucoup plus large, dans l’exoatmosphérique, les relations ne risquent-elles pas d’en être entachées ?
M. Nicolas Dupont-Aignan. Vous avez beaucoup parlé de la capacité de la France, malgré le retour dans l’organisation militaire intégrée, à avoir une influence supérieure. Je constate à l’inverse que c’est le retour dans l’OTAN qui a eu une influence sur la politique étrangère de la France, notamment en ce qui concerne le basculement de notre effort de défense vers l’Afghanistan et le golfe Persique. Je me rappelle une réunion de notre commission en 2008, où M. Morin, alors ministre de la défense, nous avait expliqué qu’il fallait absolument basculer l’effort de défense de l’Afrique vers le Moyen-Orient, comme un gage de bonne volonté à l’occasion de notre retour dans l’OTAN. La France n’a sans doute pas gagné beaucoup d’influence sur l’OTAN, mais l’OTAN a gagné de l’influence sur notre politique étrangère.
Le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus multipolaire, mais, au-delà de considérations sur la relation transatlantique, je ne vous ai guère entendu parler des dégâts symboliques forts que le retour de la France dans l’OTAN a pu entraîner auprès des puissances émergentes, de l’Afrique, du monde arabe, de la Chine. À ce propos, je pourrais dire à Pierre Lellouche que nous aurons du mal à disposer des mêmes moyens que les États-Unis et que la liberté d’un pays peut justement lui permettre de compenser des inégalités de moyens financiers.
Nous devons bien évidemment maintenir un important effort de défense, notamment en matière de dissuasion nucléaire, si nous voulons pouvoir peser. Mais je ne crois pas que ce soit en rentrant à tout prix dans ce système intégré que nous gagnerons en influence, tant à l’intérieur du système qu’au-dehors, notamment auprès des pays émergents.
Enfin, je suis particulièrement inquiet des positions qui ont été prises à propos du bouclier antimissile, qui représente le grand défi de demain. J’aimerais connaître votre sentiment sur la possibilité de concilier le bouclier antimissile et la force de dissuasion, sur les conséquences industrielles de la mise en œuvre du bouclier antimissile et sur les moyens dont disposent les États-Unis pour enfermer définitivement les pays européens dans une soumission totale.
M. Hervé Gaymard. Je vous remercie pour votre exposé très intéressant et toujours très brillant, monsieur le ministre. On sait, depuis le cardinal de Retz, qu’« on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ». Sans vouloir anticiper sur les résultats de la commission sur l’actualisation du Livre blanc, je voudrais cependant vous interroger sur l’angle mort, ou sur l’impensé, de la réflexion stratégique actuelle, au confluent de trois facteurs. Le premier est l’avenir de la dissuasion française et de sa doctrine d’emploi : on sait que, à la fin de ce quinquennat, ou au début du suivant, il faudra prendre des décisions très importantes, budgétaires, techniques et politiques, sur notre politique de dissuasion. Le deuxième est la question des missiles antibalistiques : quel effet la poursuite ou l’abandon de ce projet aura-t-il sur l’attitude de nos partenaires européens et sur celle de la France au sein de l’Alliance ? Le troisième concerne le devenir, dans les dix ou vingt prochaines années, de la garantie nucléaire implicite des États-Unis pour nos partenaires européens, dans le cadre du « pivot » dont vous avez parlé. La conjonction de ces questions paraît décisive : nous allons avoir à prendre les décisions stratégiques les plus importantes depuis la Seconde Guerre mondiale. J’aimerais connaître votre sentiment prospectif à cet égard.
M. Yves Fromion. Vous avez dit que nulle part on ne vous avait parlé des coopérations. Je voudrais rappeler que le traité de Lisbonne prévoit, dans ses articles 42 et 46, la « coopération structurée permanente », mécanisme développé dans un protocole additionnel extrêmement précis. Chargé par le précédent Premier ministre d’une mission sur le sujet, j’ai eu l’occasion de sillonner l’Europe et de rencontrer des parlementaires de différents pays qui tous m’ont dit l’intérêt qu’ils portaient à ce mécanisme subtil, intelligent, souple, qui n’est pas contraignant et qui est compatible avec l’OTAN. Je suis donc très étonné du black-out qui, dans notre pays comme dans d’autres en Europe, frappe une disposition qui figure pourtant dans un traité que nous avons ratifié, comme tous les États membres de l’Union. Il serait bon, pourtant, que nous posions sur ce mécanisme un regard positif, que nous réfléchissions à la façon de tirer le meilleur parti de cette initiative. Comme je l’ai dit à Pierre Vimont, la France se grandirait à faire germer cette semence d’espoir, au lieu de continuer à la piétiner.
M. Hubert Védrine. Je suis d’accord avec vous, monsieur Fromion. Je me suis tout à l’heure borné à constater que, jusqu’ici, aucun interlocuteur, ni aucun des responsables que j’ai rencontrés hier à Berlin, ne m’a parlé spontanément des coopérations structurées. Je prendrai connaissance de votre rapport avec intérêt et ne manquerai pas de mentionner en termes positifs la possibilité de « coopérations structurées permanentes ».
Le Président Hollande ne m’a pas chargé de faire un rapport sur l’ensemble de la politique étrangère de la France. Certaines de vos questions débordent le cadre de ma mission. J’évoquerai cependant tout à l’heure, en conclusion, l’une d’entre elles, celle concernant la Russie.
L’idée d’une OTAN « prestataire de services » et non ordonnateur de tout peut paraître paradoxale. Mais il est vrai que l’on constate une sorte de lassitude de l’Amérique face à l’organisation. Au Kosovo, ce sont les ministres du groupe de contact, dont je faisais partie, qui, constatant que les longues négociations et médiations n’avaient abouti à rien, conclurent qu’une intervention était inévitable pour arrêter l’action des milices de Milosevic, et firent appel à l’OTAN. L’OTAN n’avait pas décidé, elle mettait en œuvre dans une certaine tension. Le commandant en chef des forces de l’OTAN, le général Clark, était furieux d’avoir à se concerter quotidiennement avec les chefs d’état-major des armées françaises, allemande, italienne, britannique sur les cibles des bombardements. C’est l’époque où Jacques Chirac s’opposait, avec l’accord du gouvernement Jospin, au bombardement des ponts de Belgrade. Le Pentagone tira de cette expérience la conclusion qu’il valait mieux éviter toute concertation, même au sein de l’OTAN, même avec des pays proches ! Cela fut une étape de la désaffection de l’establishment américain militaro-politique à l’égard de l’Alliance, une sorte d’épuisement renforcé par le changement de priorité, au « pivot vers l’Asie ». Il ne faut donc pas croire que les États-Unis soient obsédés, comme dans le passé, par le contrôle de l’OTAN. Le recours à l’organisation comme prestataire de services devient donc possible dans certains cas, comme en Libye. Cette idée de « leadership from behind » de la part des États-Unis est certes contestée aux États-Unis, mais il est probable qu’elle resservira si Obama est réélu. Ne négligeons pas cette piste sous prétexte que l’OTAN a longtemps été et pourrait être encore un rouleau compresseur.
En ce qui concerne le dossier des antimissiles, il me semble que, lors de son premier contact avec Barack Obama, François Hollande, qui voulait parvenir à un accord sur l’Afghanistan, a cherché à éviter d’accumuler les contentieux. Il faut rappeler que ce n’est pas à Chicago que la France a été obligée d’accepter, à contrecœur, le nouveau programme antimissile, mais déjà dès lors de sommets antérieurs, tout en obtenant – ce qui fut confirmé à Chicago – que, contrairement au vœu des Allemands, il ne se substituerait pas à la dissuasion. J’ai évoqué l’affrontement qui avait eu lieu lors d’un sommet de l’OTAN à Lisbonne, sous Nicolas Sarkozy. Le président Obama a eu beau prononcer le discours de Prague sur l’élimination future des armes nucléaires à très long terme, ce n’est pas demain qu’un président américain sera sûr que la sécurité des États-Unis a trente ou quarante ans de distance peut se passer complètement de la dissuasion nucléaire.
En outre, je ne crois toujours pas, d’un point de vue technique, que l’antimissile puisse se substituer complètement à la dissuasion, c'est-à-dire arrêter 100% des missiles. En 1983-1985, François Mitterrand avait demandé à quelques-uns de ses collaborateurs d’étudier la portée des déclarations de Ronald Reagan, qui affirmait que le nucléaire, « immoral », serait bientôt dépassé, et qui avait lancé l’Initiative de Défense Stratégique. À l’époque, on ne croyait pas que le projet puisse être opérationnel avant une trentaine d’années, car il fallait d’abord lancer un nombre astronomique de satellites et mettre au point des armes extraordinaires, qui n’existaient que dans les dessins animés du Pentagone. La conclusion de l’étude fut que, même après vingt années de lancements répétés, le dispositif ne serait jamais parfaitement hermétique, qu’il y aurait toujours le risque qu’un missile traverse le bouclier : si mille missiles ont été détruits mais qu’un mille et unième s’abat sur Washington, le dispositif n’aura servi à rien.
Ce que Ronald Reagan avait lancé, George Bush père et Bill Clinton l’abandonnèrent, puis George Bush fils le relança sous la forme, excellente pour le complexe militaro-industriel américain, d’une super défense aérienne, et les américains le proposent/imposent maintenant comme une « défense de territoire ». En tout état de cause, il n’est plus question d’un contrôle et d’une protection systématique du globe, permettant de détecter instantanément n’importe quel missile, partant de n’importe où, et de le détruire en deux minutes.
Du reste, en raison de la phobie qu’inspirent le nucléaire et l’incompréhension du principe même de dissuasion, le remplacement de la dissuasion nucléaire par un système défensif peut séduire. Le retour de la France dans le commandement intégré ne change rien à la nécessité de tenir bon sur le principe de la dissuasion, au plus bas niveau possible bien sûr.
Il faut approuver les négociations russo-américaines – START III et bientôt START IV : il leur reste 9 000 têtes, leur marge de réduction est considérable.
Toutefois, la question industrielle se pose. Les Américains vendent de la « protection de théâtre » au Proche-Orient – Israël, Émirats, Arabie –, au Japon et en Europe. Mais leurs arguments de vente changent sans arrêt. À l’origine, ils ne pouvaient pas invoquer la menace iranienne, qui a représenté une véritable aubaine par la suite. Le jour où elle aura été éliminée, comment justifieront-ils le programme ? Diront-ils qu’on est trop avancé pour reculer ? Quoi qu’il en soit, ce système défensif est loin de pouvoir se substituer à la dissuasion.
Je voudrais dire à M. Dupont-Aignan que la perte d’influence qu’il déplore n’est pas liée mécaniquement au retour de la France dans l’OTAN, mais à l’évolution du monde et au fait que, ces dernières années, un courant néoconservateur – à droite comme à gauche – a influencé la conduite de la politique étrangère de la France. Cette vision « occidentaliste », selon laquelle l’Occident est menacé par le monde entier, et la France avait tout de la famille « occidentale », a influé sur la définition des priorités. La décision de Nicolas Sarkozy découlait en partie de cette vision.
Il faut distinguer l’influence de l’OTAN et l’influence américaine. Après l’OTAN, la bureaucratie otanienne se cherche de nouvelles missions. Face à cela, nous devons avoir notre propre vision. Les Allemands sont inhibés par tout ce qui est militaire, beaucoup plus qu’à l’époque où Joschka Fischer et Gerhard Schröder avaient réussi à faire accepter par les Verts l’intervention au Kosovo. Guido Westerwelle est représentatif de l’état d’esprit actuel. Ils n’acceptent donc, je l’ai dit, que de faire du civilo-militaire, avec le moins de militaire possible et beaucoup de civil. Dans le même temps, l’OTAN, qui prépare l’avenir, a pris le chemin inverse en développant un concept « global » : elle est prête à gérer tous les aspects militaires et civils des crises, et elle se propose également de s’occuper de reconstruction et d’économie. Les organismes entrent donc en compétition.
L’existence même de cette bureaucratie pourrait en principe être remise en cause, puisque après tout, l’organisation intégrée a été mise en place après la guerre de Corée, après des attaques qui avaient amené à penser que Staline était capable de faire la même chose en Europe, et qu’il fallait donc s’organiser en temps de paix comme si l’on était déjà en temps de guerre. L’Allemagne avait été ensuite intégrée dans l’Alliance, en 1955, après l’échec de la Communauté européenne de défense – laquelle était surtout une astuce pour faire accepter aux français le réarmement allemand. Il n’y a pas d’armée allemande, il n’y a qu’une sorte de département allemand de l’armée occidentale, et c’est pourquoi le système militaire allemand ‘a jamais été favorable aux idées françaises sur la défense européenne. Tout ce que la France a pu proposer en la matière, à l’époque de Mitterrand, ou de Chirac, le système militaire allemand le rejette. L’Allemagne est à 99 % intégrée dans le système OTAN et ne dispose d’aucune marge. C’est pourquoi elle s’en tient à une vision otanienne, plus rigide encore que celle de Washington.
Je conclurai en évoquant la Russie. On aurait pu penser que, la menace soviétique ayant disparu, l’OTAN n’a plus de raison d’être. Au moment de l’effondrement de l’URSS, François Mitterrand avait malicieusement fait dire cela par Roland Dumas, sans remettre en cause l’existence de l’Alliance. Il avait essuyé la colère de James Baker, le secrétaire d’État américain de l’époque, et tous les perroquets européens avaient répété ensuite que c’était abominable, et que, une fois de plus, la France révélait son antiaméricanisme primaire. En tous cas le test était concluant : en 1991-1992, les États-Unis et tous les Européens, sauf la France, s’étaient coalisés pour que l’OTAN survive à la disparition de la menace qui avait justifié sa création. Après cela, l’Alliance ne pouvait que tourner en rond. C’est Arbatov, conseiller de Mikhaïl Gorbatchev, qui disait : « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi. »
Pour toutes les questions qui nous préoccupent – notre indépendance conceptuelle, notre capacité de décision, notre autonomie de pensée stratégique –, ce qui compte, ce n’est plus de savoir si nous sommes à l’intérieur ou à l’extérieur des différents mécanismes, c’est de savoir si nous avons une pensée stratégique qui nous soit propre. La question russe est distincte. Rien, dans notre situation actuelle, ne nous interdit d’avoir une politique russe. Nous ne sommes pas obligés de traduire mécaniquement dans notre politique étrangère le fait que l’Alliance a un projet antimissile et que, pour diverses raisons, les Russes le contestent. Nous restons libres, de nous poser des questions de politique étrangère : comment analysons-nous l’évolution de la Russie ? Poutine représente-t-il un problème ? Pouvons-nous faire avec, et comment ? Pour ma part, je suis de l’école réaliste et je pense que c’est en ayant une politique active avec la Russie que nous éviterons que l’Allemagne soit le seul pays d’Europe à avoir une politique russe. Il est préférable qu’il existe aussi une politique russe de la France, et si possible une politique franco-allemande et européenne.
M. Nicolas Bays, président. Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour cette audition passionnante et objective.
2. Mercredi 5 décembre 2012, séance de 16h30, compte-rendu n° 19 : Audition, conjointe avec les commissions des affaires européennes et de la défense, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la politique européenne de défense (ouverte à la presse)
Mme la présidente Danielle Auroi. Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation à cette audition, que je suis heureuse de coprésider avec Mme Patricia Adam et Mme Elisabeth Guigou – vous voyez que la parité progresse ! Ce travail en commun, nous pouvons et devons le développer pour que l’Assemblée tout entière prenne conscience des enjeux européens. Nous avons souhaité vous entendre sur la vision et les priorités du Gouvernement en matière de politique européenne de défense. Notre commission a engagé la réflexion sur ce sujet en confiant à nos collègues Joaquim Pueyo et Yves Fromion la préparation d’un rapport d’étape qu’ils nous présenteront dès la semaine prochaine.
Nous avons déjà constaté avec plaisir combien la relance de l’Europe de la défense vous tenait à cœur. Depuis votre nomination au Gouvernement, vous n’avez en effet pas ménagé vos efforts, allant à la rencontre de nos partenaires européens pour les convaincre de poursuivre avec nous cet objectif énoncé par François Hollande lorsqu’il était candidat. Ces efforts ont porté leurs fruits puisque vous avez rallié plusieurs de nos partenaires à l’idée d’une opération au Nord-Mali début 2013. À propos de ce sujet sensible, nous pourrions réfléchir ensemble aux moyens de tirer l’Afrique de plusieurs mauvais pas.
Plus généralement, avec vos homologues de la défense et les ministres des affaires étrangères du groupe « Weimar+ » – qui réunit l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et la Pologne –, vous avez abouti à une déclaration commune sur la nécessité de relancer l’Europe de la défense, déclaration qui témoigne d’une ferme volonté politique de développer la coopération en Europe. De fait, cette volonté, couronnée par le prix Nobel décerné à l’Union, contribue bien plus que l’approche budgétaire à dessiner l’avenir que nous devons bâtir ensemble. « Si vis pacem, para bellum », disaient les Romains ; mais nous devons aujourd’hui contribuer d’abord à la paix.
Je souhaite vous interroger en premier lieu sur le rôle de la Grande-Bretagne qui reste, avec la France, la principale puissance militaire européenne. Les Britanniques ont-ils manifesté le souhait de s’associer à la relance de l’Europe de la défense ? Dans bien des domaines, ils donnent plutôt l’impression de vouloir de nouveau se mettre en retrait. La Grande-Bretagne s’est toutefois fermement engagée aux côtés de la France, de la Suède et d’autres pays européens lors des discussions relatives au traité sur le commerce des armes, en vue de réguler le commerce licite et de lutter contre le commerce illicite des armes classiques.
À ce propos, je souhaite également vous interroger sur les dégâts effroyables causés par les armes de petit calibre sur les civils et régulièrement dénoncés par les ONG, en particulier par Handicap International. Où en sont les négociations sur les engagements français et européens en la matière ?
Où en sont enfin les réflexions sur le lancement d’opérations de prévention des conflits à l’échelle européenne ? Le rapport de Catherine Lalumière avait en son temps proposé des pistes très convaincantes en vue d’instaurer une force d’interposition européenne. Cette idée est-elle encore à l’ordre du jour ? Est-elle définitivement abandonnée ? Va-t-elle renaître sous d’autres formes ?
Écologiste, venue comme telle de la culture pacifiste, consciente du fait que l’Europe est un espace de paix à construire jour après jour, j’aimerais que vous nous assuriez de la volonté européenne de parler d’une seule voix en matière de politique de défense.
Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le ministre, nous avons auditionné avant vous, selon la même procédure conjointe, M. Jean-Marie Guéhenno, au sujet du Livre blanc, et M. Pierre Vimont, à propos du Service européen d’action extérieure. Vous avez longtemps été membre de notre commission ; nous n’avons donc pas à vous convaincre du rôle essentiel que les parlementaires ont à jouer dans la définition, la mise en œuvre et l’évaluation de notre politique de défense. Les députés français s’y emploient de longue date au niveau national mais, avec le développement progressif d’une politique de sécurité et de défense commune, la question du contrôle parlementaire de la politique de défense se pose désormais aussi à l’échelon européen, non seulement pour le Parlement européen mais aussi pour les parlements nationaux. J’espère d’ailleurs que notre rencontre avec nos homologues allemands en compagnie de nos collègues sénateurs, prévue lundi prochain, nous permettra d’appuyer votre démarche. La première réunion, les 9 et 10 septembre derniers, de la Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune – PESC – et la politique de sécurité et de défense commune – PSDC –, où l’Assemblée nationale était représentée par Daphna Poznanski-Benhamou, constituait déjà un progrès sur cette voie. Nous aimerions donc vous entendre sur la participation des parlements à la construction de l’Europe de la défense.
Dans les démarches que vous avez entreprises, quels États membres vous ont paru prêts à suivre la France et quels sont ceux qui résistent ? Par ailleurs, quelles pourraient être au cours des mois à venir les conséquences concrètes du sommet que l’OTAN a tenu à Chicago au printemps dernier et qui a conclu à l’importance d’une implication accrue des Européens dans l’Alliance, soutenue par les Britanniques et les Américains ?
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, je me réjouis moi aussi que nos trois commissions vous entendent conjointement sur ce sujet d’intérêt commun – et que ce soient trois femmes qui président la réunion, chose inhabituelle en ces lieux.
L’Europe de la défense a une longue histoire, très contrastée. Après l’échec de la CED, en 1954, il a fallu attendre quarante ans pour que l’on recommence à envisager une politique étrangère et de défense européenne, avec le traité de Maastricht. Alors que celui-ci n’offrait guère de moyens juridiques à la mesure de ses grandes ambitions, nous avons progressé en la matière à chaque nouveau traité – Amsterdam, Nice, Lisbonne. Par le dispositif des coopérations structurées, ce dernier permet aux États membres qui le peuvent et le souhaitent d’avancer à quelques-uns. En outre, l’initiative franco-britannique de Saint-Malo, en 1998, a débouché sur une coopération bilatérale très fructueuse sur laquelle vous pourriez faire le point pour nous, monsieur le ministre, et levé l’opposition britannique aux progrès des discussions entre États membres sur l’Europe de la défense. Au cours des deux ou trois années qui ont suivi, des fusions industrielles ont eu lieu, qui ont donné naissance à EADS, et des initiatives souvent françaises, mais très suivies par nos partenaires, ont abouti à des décisions importantes aux Conseils européens d’Helsinki et de Cologne. Les attentats du 11 septembre 2001 ont donné un coup d’arrêt brutal à cette évolution, l’Europe se focalisant tout à coup, à la suite des Américains, sur la seule lutte contre le terrorisme au détriment de toute initiative visant à développer l’Europe de la défense. Ont ainsi été abandonnées nombre de coopérations engagées pour atteindre les objectifs précis découlant d’Helsinki et de Cologne, dont la constitution d’une armée de 100 000 hommes dotée de 400 avions de combat.
Je me réjouis, monsieur le ministre, que vous repreniez ce flambeau. Ce ne sera pas simple, car comme l’ont confirmé les auditions d’Hubert Védrine et de Jean-Marie Guéhenno, en dépit d’avancées juridiques non négligeables dans les traités, des divergences très nettes demeurent. Nous aimerions donc savoir lesquels de nos partenaires sont selon vous prêts à avancer avec nous pour relancer l’Europe de la défense. À cet égard, nous avons noté avec un grand intérêt les conclusions de la réunion de Weimar+. Je ne crois pas que l’on puisse prendre le prétexte de la crise économique dans laquelle notre continent est malheureusement encore englué pour se détourner de cet objectif, car si l’Europe montre qu’elle peut jouer un rôle au niveau mondial, cela contribuera à résoudre ses difficultés.
Quelle est votre appréciation des menaces pesant sur l’Europe ? Il est regrettable que le document stratégique très intéressant publié en 2003 par Javier Solana n’ait pas été mis à jour depuis.
Les États-Unis semblent aujourd’hui désireux de nous voir prendre non seulement notre part du fardeau, mais aussi nos responsabilités, comme on l’a vu en Libye. Que pensez-vous de cette évolution ?
Après la triste histoire de l’avion de combat européen, où en sont les perspectives de coopération industrielle en Europe, en vue de nous doter d’armements et d’équipements communs ?
Enfin, monsieur le ministre, j’aimerais que vous fassiez le point sur la crise malienne. Un concept d’intervention éventuelle – puisqu’il faut laisser toute leur place aux négociations politiques et à l’aide humanitaire – a été défini au niveau européen. Quel est votre sentiment ? Pourriez-vous nous préciser la nature et le calendrier de cet engagement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Mesdames les présidentes, je vous remercie de votre invitation. Je vais m’efforcer de répondre à vos questions.
L’Europe de la défense est une question majeure pour le Président de la République et pour la France. Le moment est favorable à sa relance puisque le président du Conseil européen, M. Van Rompuy – que j’ai rencontré à deux reprises, assez longuement, à ce sujet –, vient de décider de proposer au Conseil européen de décembre d’intégrer à ses conclusions une feuille de route d’un an qui devrait aboutir fin 2013 à de nouvelles orientations de l’Union en matière de défense et de sécurité . En outre, à l’initiative du commissaire Barnier soutenu par le président Barroso, la Commission européenne a installé une task force sur la défense qui rendra ses conclusions mi-2013. Nous devons nous inscrire dans cette évolution favorable et la nourrir par un engagement politique sans faille.
L’ambition que je porte est d’abord celle du Président de la République appelant, dans son discours du 11 mars, à une relance de la construction européenne en matière de défense. De fait, la démarche bilatérale de Lancaster House, que je ne juge pas antinomique avec le projet européen, avait suscité des interrogations, voire des incompréhensions chez plusieurs de nos partenaires ; j’ai pu le mesurer lors de rencontres bilatérales avec mes homologues. On attendait donc de nous que nous réaffirmions la priorité européenne mise en avant, de façon continue et obstinée, par plusieurs Présidents de la République et gouvernements successifs, en particulier depuis la fin de la guerre froide et les initiatives franco-allemandes qui conduisirent au traité de Maastricht. Aujourd’hui, une conviction nous rassemble autour de l’objectif de construction européenne en matière de défense, et nous retrouvons le cours naturel de la vision de la France dans ce domaine.
Je suis conscient de l’engagement de vos trois commissions sur ce sujet, des auditions que vous menez et de votre travail conjoint avec vos collègues du Parlement européen, que je souhaite rencontrer au premier semestre 2013. Je salue également l’important travail en cours de vos collègues MM. Pueyo et Fromion. Votre contribution à la préparation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale sera également essentielle, car l’Europe de la défense et la question de notre pleine participation à l’OTAN en constituent deux éléments structurants. Vous aurez d’ailleurs observé la novation que constitue la participation directe de nos principaux partenaires européens aux travaux du Livre blanc : la commission compte un Britannique et un Allemand, et elle a auditionné de nombreuses personnalités européennes, qui en ont été honorées et y ont vu la marque de notre engagement dans le projet d’Europe de la défense.
Les mots ont leur importance. Je préfère parler d’« Europe de la défense » plutôt que de « défense européenne », notamment parce que cette dernière expression renvoie à la manière dont les Européens se défendent collectivement en cas de menace ou d’agression directe. Or soyons réalistes et pragmatiques : comme l’a souligné Hubert Védrine dans son rapport au Président de la République, si nous pouvons nourrir l’ambition à très long terme de confier à l’Union européenne la défense militaire de l’Europe contre des menaces militaires directement tournées contre elle, cette fonction est aujourd’hui assumée par les États, avec l’aide des États-Unis, dans le cadre de l’OTAN. Le traité de Lisbonne reconnaît lui-même cette complémentarité dans la clause d’assistance mutuelle.
L’Europe de la défense, quant à elle, vise à faire de l’Union européenne un acteur crédible et efficace en matière de défense, pour qu’elle puisse intervenir dans des zones ou sur des sujets qui mettent directement en jeu les intérêts des Européens en matière de sécurité. C’est d’autant plus essentiel que cela conduit les Européens à définir ces intérêts communs, à déterminer les zones où ils sont en jeu ou peuvent être menacés, bref à poser les fondements même d’une politique commune. En témoigne la mobilisation européenne sur les enjeux de sécurité au Sahel et l’engagement qui se dessine au Mali – j’y reviendrai.
L’Europe de la défense comporte aussi un volet industriel : disposer, à l’échelle européenne, d’un tissu industriel composé de grands groupes, comme de PME robustes, innovantes et compétitives au niveau international. Il y va de l’autonomie stratégique européenne.
Dès lors – je m’appuie ici sur les conclusions du rapport Védrine, que j’approuve pleinement –, notre démarche en matière de défense en Europe doit suivre deux axes d’égale importance. D’une part, une pleine participation à l’Alliance atlantique qui implique d’y développer notre vision, en fonction de nos intérêts et de ceux de l’Union, en lien avec nos partenaires et en association avec les États-Unis, qui continueront de jouer un rôle majeur dans la défense du continent européen et avec lesquels nous devons rester capables d’agir militairement. D’autre part, un engagement permanent, concret et volontariste dans l’Europe de la défense telle que je viens de la définir.
Sur le premier point, la France devra défendre sa vision au sein de l’Alliance sans complexe et en totale solidarité avec elle, comme l’a fait le Président Hollande dès le sommet de Chicago, quelques jours après son investiture. Car la France y est chez elle : c’est, comme il l’a souligné, « notre » Alliance. N’oublions jamais, en effet, que cette alliance représente d’abord un engagement à la défense collective conclu entre les deux rives de l’Atlantique, que nous avons choisi librement et qui est structurant ; ensuite, c’est le cadre normal des actions militaires conjointes des Américains et des Européens lorsqu’ils veulent ensemble défendre des intérêts communs ; enfin, c’est l’un des outils de notre partenariat stratégique transatlantique. Cette vision claire, nous devons la promouvoir activement et en faisant preuve de volonté. Puisque nous y sommes, pourrait-on résumer, autant y être pleinement.
Deuxièmement, la France doit développer avec ses partenaires, dans un cadre bilatéral ou multilatéral, un projet pragmatique visant à construire l’Europe de la défense. Dans tous les pays de l’Union européenne, en effet, les politiques de défense sont à la croisée des chemins. Du point de vue géostratégique, la diversité, l’intensité et l’imprévisibilité des menaces nous commandent d’évoluer sans baisser la garde ; du point de vue économique, les tensions budgétaires auxquelles nous sommes soumis appellent des efforts partagés par l’ensemble des missions de l’État. Dans ce double contexte connu de tous les Européens et où chacun doit faire mieux avec moins, l’Europe de la défense se présente à la fois comme une nécessité et comme une chance unique. En d’autres termes, le désir devrait naître de la nécessité.
J’aimerais développer ce point en revenant sur trois raisons qui fondent notre démarche européenne en matière de défense.
Premièrement, nous devons tirer les enseignements du rééquilibrage des intérêts stratégiques américains vers la région Asie-Pacifique – pivot to Asia – affiché le 5 janvier dernier et exposé par le secrétaire à la défense Leon Panetta aussi bien dans les différents entretiens que j’ai eus avec lui, que publiquement, par exemple à Singapour et lors des dernières rencontres de l’OTAN à Bruxelles. Cette nouvelle donne doit conduire l’Europe à cesser d’être un consommateur de sécurité pour devenir un producteur de défense, au profit des États européens, mais aussi dans une logique de responsabilité régionale et internationale, vers le Sud et vers l’Est. Les Américains sont d’ailleurs aujourd’hui beaucoup plus favorables à l’Europe de la défense, ce qui comporte des avantages et des inconvénients : d’un côté, on nous laisse le champ libre mais de l’autre, nous sommes placés face à nos responsabilités. Tel est le sentiment que m’ont inspiré mes échanges avec l’ancienne administration Obama, la nouvelle n’est pas encore installée, mais il me semble qu’elle devrait reprendre une vision similaire.
Deuxièmement, plusieurs des menaces auxquelles nous sommes confrontés justifient, au-delà du cadre des États, des réponses multinationales. L’Union européenne est la première d’entre elles. Elle dispose d’une palette d’outils unique pour faire face aux menaces qui pèsent sur notre sécurité commune. Je songe, au-delà de l’action proprement militaire, à la lutte contre les trafics, à la formation en matière de police, de renseignement ou de sécurité civile, à la coopération sanitaire, à l’aide au développement. Mais il reste à coordonner ces outils et surtout à développer une vision politique globale qui fasse enfin de l’Europe un acteur reconnu des relations internationales.
Troisièmement, les contraintes budgétaires qui grèvent les budgets de défense de tous les États membres nous semblent pouvoir et devoir être compensées par une coopération accrue. L’enjeu consiste à maintenir certaines capacités, à en développer d’autres, à éviter les duplications – de capacités comme d’outils industriels –, à accroître nos interdépendances et à parer ainsi au risque de déclassement stratégique.
Au moment où nombre de pays européens s’apprêtent à renoncer à des capacités qu’ils ne sont plus à même de développer et d’entretenir à l’échelle nationale, il est vital d’organiser, à l’échelle de l’Union, des interdépendances capacitaires mutuellement consenties. Je sais les réticences que cela peut susciter, et je connais l’histoire de nos différents partenaires. À nous de leur faire comprendre que, pour certaines capacités, l’alternative est claire : nous les partagerons ou nous y renoncerons.
Voilà, en quelques mots, les fondements de notre démarche. Je ne la conçois pour ma part que concrète, pragmatique. Jusqu’à présent, les différentes tentatives de relance de l’Europe de la défense ont été d’ordre déclaratif ou institutionnel. Cette dernière approche a un moment recherché un quartier général commun, mais cette étape importante n’a pas été franchie. Il importe désormais de construire l’Europe de la défense par l’action. À cette fin, nous poursuivrons le travail engagé par le Gouvernement dans la perspective du Conseil européen de décembre 2013, qui comporte trois objectifs : le volet opérationnel, le volet capacitaire et le volet industriel.
Sur le premier aspect, il est clair que notre ambition n’a de sens que si nous nous projetons réellement afin que l’Union européenne soit enfin un acteur majeur, reconnu comme tel, dans la gestion de crises internationales. Sur cette question en particulier, il faut partir d’une analyse géopolitique commune. Pour les Européens, quelles sont les zones de crise ? Nos visions sont-elles, comme on le dit trop souvent, opposées, ou, comme je le crois, largement convergentes lorsque nous étudions avec lucidité nos intérêts en matière de sécurité ? Nous devons aussi être capables de ne pas fermer les yeux sur les points de crispation. Je songe en particulier aux groupements tactiques, ces réservoirs de forces terrestres interarmes composés de 1 500 hommes, armés par des contributions volontaires d’un ou plusieurs États membres et prenant chacun leur tour d’alerte semestriel. Déclaré opérationnel avec enthousiasme en 2007, ce dispositif permet de disposer en permanence d’une force militaire de réaction rapide, déployée dans les dix jours suivant la décision politique. Il pourrait constituer une réponse à la question que vous m’avez posée sur la prévention, madame Auroi. Nous constatons malheureusement que cette belle idée est restée sans effet, la veille des groupements tactiques étant inexistante ou partielle et ces groupements n’ayant encore jamais été projetés, ce qui démotive les contributeurs éventuels. Faut-il continuer ? La question reste à l’ordre du jour. Je pense également à la mission EULEX au Kosovo, qui doit faire l’objet d’un retour d’expérience. L’Europe de la défense ne saurait transférer une partie de ses responsabilités à la KFOR, dont ce n’est pas la mission première.
Mais il faut aussi mettre en valeur ce qui fonctionne. L’exemple de la piraterie, au large de la Corne de l’Afrique, montre ainsi que lorsque l’analyse est commune, l’Europe sait se doter des moyens d’agir et faire la preuve de sa valeur ajoutée en matière de défense. Depuis le début de l’opération Atalante, aucune attaque n’a visé les navires du Programme alimentaire mondial et de l’AMISOM et le taux de réussite des attaques connait aujourd’hui une baisse significative.
Notre deuxième objectif est d’accroître la disponibilité des capacités militaires en Europe. La volonté de se projeter ne fait pas tout ; pour y parvenir, il faut disposer de moyens militaires crédibles. Je l’ai dit, l’équation budgétaire pourrait menacer le développement et l’entretien de capacités nationales. Si nous voulons tenir notre rang stratégique, nous devons donc européaniser certains moyens.
Pour ce faire, il faut avoir le réflexe de mutualisation et de partage capacitaire – le pooling and sharing de l’Agence européenne de défense –, y compris pour la conception des futurs programmes d’armement. C’est une dynamique européenne que nous devons viser, à travers des coopérations concrètes à même d’intéresser tous les États, y compris ceux dont les capacités sont plus modestes.
Enfin, le troisième axe de notre action est la consolidation de l’industrie européenne, pour relever le défi de la projection et contribuer au développement de nos entreprises. Il nous faut réfléchir aux synergies industrielles qui nous permettraient d’être plus compétitifs. Malgré l’échec de la fusion entre EADS et BAE, le seul fait que cette initiative ait été possible nous montre la voie, même s’il y va d’abord de la responsabilité des entreprises. Nous devons également valoriser les PME. De ce point de vue, la création de la task force au sein de la Commission européenne est un signal fort et devrait nous être très utile à l’avenir.
L’approche pragmatique que je défends depuis sept mois suppose que nous soyons ouverts à toutes les initiatives. Ainsi, nous entendons bien poursuivre notre coopération avec les Britanniques sur la base des traités de Lancaster House ; le Président de la République l’a confirmé au Premier ministre Cameron et nous l’avons également dit à nos autres partenaires européens. Mais cela suppose que la relation ne soit pas exclusive ; voilà la nouveauté.
Soyons là encore pragmatiques. Dans le traité de Lancaster House, le volet nucléaire, essentiel à notre sécurité, est mis en œuvre de manière satisfaisante puisque l’on peut dire, même si le sujet est pour partie confidentiel, que le projet Teutates évolue favorablement. D’autres coopérations fonctionnent bien du point de vue opérationnel. Ainsi avons-nous pu constater récemment la qualité de l’exercice Corsican Lion. Nous constituons une force expéditionnaire commune interarmées qui sera dotée de sa pleine capacité opérationnelle en 2016. En matière de capacité et d’armement, nous avons conclu plusieurs accords sur les drones, notamment sur le drone tactique Watchkeeper et sur une étude relative au futur démonstrateur de drone de combat. Nous voulons progresser sur chaque dossier, y compris ceux qui sont plus difficiles comme la coopération de nos groupes aéronavals.
En outre, en informant tous nos partenaires de notre action, nous avons été à l’origine de la relance de Weimar+, dont la dynamique, engagée il y a quelques années, avait ensuite été stoppée, en particulier par la signature de Lancaster House. Nous avons ainsi réuni à Paris, il y a quelques jours, les ministres des affaires étrangères et de la défense des États concernés afin de formuler la déclaration dont vous avez eu connaissance, et qui témoigne de notre volonté de relancer l’Europe de la défense dans les trois domaines précédemment évoqués – toujours sans exclusive et en tenant les Britanniques informés.
J’aimerais dresser un bilan de l’action que nous avons menée depuis six mois dans ces trois domaines – opérations, capacités, industrie.
S’agissant des opérations, j’évoquerai d’abord le Mali sur lequel vous m’avez interrogé. C’est à l’initiative de la France qu’a été lancée, lors de la réunion informelle des ministres de la défense à Chypre, une dynamique qui laissait nombre d’observateurs sceptiques. Grâce à elle, pourtant, les vingt-sept ministres des affaires étrangères ont pu examiner le 15 octobre un concept de gestion de crises qui devrait déboucher, lundi prochain, sur un accord visant à lancer une opération de formation et de soutien à la reconstitution d’une armée malienne, indispensable à la sécurisation durable du pays et à la reconquête de son intégrité territoriale. Il convient de distinguer, d’une part, la MISMA, principale force permettant de soutenir la reconquête de l’intégrité malienne, qui devrait être mandatée dans quelques jours par les Nations Unies et réunira plusieurs pays de la CEDEAO, de l’Ouest africain et de l’Union africaine, mais à laquelle l’Europe contribuera sans doute également sous une forme à déterminer, et, d’autre part, l’EUTM Mali, mission proprement européenne qui se concentrera sur la reconstitution des forces armées maliennes et dont la France est la nation-cadre.
Toujours en vue de construire l’Europe de la défense par l’action – par la preuve, si l’on veut –, nous avons réexaminé lors de la réunion de Weimar+ le problème débattu depuis longtemps de la génération de forces aux Balkans, afin de proposer une stratégie européenne ambitieuse et concrète dans la région. La France est prête à consacrer sa réflexion et ses moyens à ce secteur. Enfin, nous avons commencé de réfléchir au rôle que pourrait jouer l’Europe dans une stratégie de sortie de crise en Syrie, dans les jours d’« après ».
En matière de capacités, nous avons cherché à faire progresser concrètement les onze dossiers identifiés dans le cadre du pooling and sharing de l’Agence européenne de défense. Notre potentiel de construction capacitaire commune est réel. Vous connaissez notre action en matière de transports, avec l’EATC – European Air Transport Command. Nous avons beaucoup œuvré pour que le ravitaillement en vol soit progressivement mutualisé et nous avons signé le 19 novembre, aux côtés de la Belgique, de l’Espagne, de la Grèce, de la Hongrie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de la Pologne, du Portugal et de la Norvège, une lettre d’intention afin de lancer une coopération européenne dans ce domaine où nous souffrons d’un déficit capacitaire significatif qui nous rend dépendants des Américains. Nous commençons par la mutualisation, chaque pays disposant d’un droit de tirage sur le ravitaillement en vol fourni par les autres, ce qui est tout à fait nouveau. Les acquisitions viendront ensuite. Les autres dossiers concernent notamment le système d’information maritime Marsur, l’interopérabilité de nos communications tactiques, l’observation spatiale, les missiles sol-air.
Ces opérations d’échange ou d’acquisition capacitaire peuvent tout à fait réunir un nombre limité de partenaires, au sein de l’Agence européenne de défense, afin de bénéficier du label européen. Tout cela exige de la détermination, du temps, des compromis, chaque question appelant une réponse spécifique. Ainsi avons-nous progressé sur plusieurs sujets lors du sommet franco-italien qui s’est tenu à Lyon lundi, comme en témoigne une déclaration commune malheureusement un peu éclipsée par l’actualité.
En matière industrielle, enfin, nous devons nouer des relations et faire preuve d’imagination afin de réinvestir le champ ouvert par l’opération avortée entre EADS et BAE, par exemple en matière terrestre ou maritime. Sans doute est-il quelque peu prématuré d’en parler. Nous avons toutefois décidé avec nos amis italiens, lors du même sommet, de conduire une investigation sur la manière dont nous pourrions associer nos entreprises de défense dans plusieurs domaines, notamment spatial, afin de développer nos capacités et d’améliorer nos performances au niveau européen. C’est une nouveauté.
Telle est la méthode que je souhaite développer, tels en sont les premiers résultats. Le travail sera long. À mon sens, la dimension institutionnelle viendra ensuite, lorsque la situation sera mûre. Nous disposons d’une boîte à outils qui nous offre toutes les possibilités institutionnelles d’agir. N’en créons pas une autre, mais commençons par mettre en œuvre, par-delà les difficultés et les incompréhensions, un processus que les institutions viendront parachever. La France, qui a toujours été à l’initiative de la construction européenne, doit l’être plus que jamais pour bâtir l’Europe de la défense.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. À mon avis, cette méthode est la bonne. Elle renoue d’ailleurs avec une tradition qui a connu quelque succès dans le passé. Les traités actuels nous offrant des marges de progression qui n’ont pas été utilisées au cours des dernières années, rien ne sert de se lancer dans des innovations institutionnelles : progressons concrètement et nous verrons si des changements institutionnels sont nécessaires. Cela vaut de la défense comme d’autres domaines.
M. Joaquim Pueyo. Merci, monsieur le ministre, de votre intervention. L’Europe de la défense, que vous êtes manifestement décidé à faire progresser, est une nécessité dans le contexte actuel de contrainte budgétaire en Europe et de réorientation stratégique des États-Unis vers l’Asie.
Je souhaite vous poser deux questions. Premièrement, l’opération prévue au Sahel en 2013 ne pourrait-elle s’appuyer sur la coopération structurée permanente permise par le traité de Lisbonne ? Deuxièmement, vous avez annoncé, le 27 novembre, le lancement d’un « pacte défense PME » composé de quarante mesures visant à faciliter l’accès des PME aux marchés publics de la défense. La mesure n° 18 tend à soutenir les PME au niveau européen et s’intitule « Prendre des initiatives au sein de la task force ». Quelles initiatives avez-vous à l’esprit ? Plus généralement, quelles retombées les PME pourraient-elles escompter d’une relance de l’Europe de la défense ?
M. Yves Fromion. Monsieur le ministre, je me félicite de vos propos sur les conclusions du rapport Védrine à propos de la réintégration pleine et entière de la France dans l’OTAN. Il est heureux que cette initiative reçoive aujourd’hui l’approbation générale ; cela confirme que les déclarations qu’elle a d’abord inspirées à certains n’étaient guère de bonne foi. On constate la même évolution au sujet de l’accord franco-britannique et du volet nucléaire qui en est le cœur : tous perçoivent aujourd’hui sa portée concrète pour les Britanniques et – surtout – pour nous.
De nombreuses initiatives ont été prises en matière de défense européenne au cours des dix dernières années, mais elles ne sont pas visibles. Les lecteurs du rapport d’étape que j’ai préparé avec Joaquim Pueyo seront ainsi surpris du nombre d’actions concrètes, et souvent fructueuses, que nous avons identifiées. Nous ne sommes pas dans un paysage de terre brûlée et l’Europe de la défense n’est pas une expression sans contenu que nous remâcherions tristement depuis une décennie.
Sur l’aspect institutionnel, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. S’il ne faut assurément pas inventer pour le plaisir un nouveau cadre institutionnel, c’est bien dans le traité de Lisbonne, et notamment dans son protocole sur la coopération structurée permanente, que nous trouverons un outil doté de la souplesse et du pragmatisme que vous défendez et qui donnera visibilité et crédibilité à toutes les initiatives en la matière. C’est en quelque sorte le principe actif de la PSDC. Il suscite d’ailleurs un grand intérêt en Europe, comme mon collègue Pueyo et moi-même en avons fait l’expérience. Ne devrions-nous pas être plus pédagogues à ce sujet ? Précision essentielle : la coopération structurée permanente n’est pas antagoniste de l’OTAN.
Mme Daphna Poznanski-Benhamou. Lors de la réunion de la Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), à Chypre, la présidence chypriote a repoussé sans explication tous les amendements au règlement intérieur que les délégations française et allemande avaient préparés comme on le leur avait demandé, n’acceptant – sans s’expliquer davantage – que les amendements britanniques. Le diable se nichant dans les détails, je vous l’indique, monsieur le ministre, afin que nous puissions comprendre les raisons de cet escamotage.
Je souhaite par ailleurs vous poser une question. La semaine dernière, le président du Burkina-Faso, M. Blaise Compaoré, a reçu à Ouagadougou toutes les factions maliennes, y compris les mouvements que nous considérons comme terroristes, dont Ansar Eddine. Ces factions ont fait part de leur attachement aux frontières actuelles du Mali, ce qui est plutôt sympathique, mais aussi, de manière surprenante, de leur rejet du terrorisme. Dès lors, quel crédit accorder à ce type de réunion et de déclaration ? Ne s’agit-il pas simplement de diluer la volonté d’intervenir des Européens et des Africains ?
M. Philippe Baumel. Le continent africain accueille aujourd’hui une grande partie des opérations de maintien de la paix de l’ONU. L’Europe est impliquée en Somalie et s’apprête à l’être au Mali. Pourtant, il semble difficile d’avancer : la France et le Royaume-Uni sont en pointe, mais peinent à entraîner les autres pays de l’Union.
Or les États-Unis, suivant leur stratégie de rééquilibrage, regardent ailleurs et souhaitent nous déléguer certaines interventions dans des zones où l’on ne peut plus laisser la situation perdurer.
Comment voyez-vous, dans ces conditions, l’avenir de la politique européenne de sécurité et de défense en Afrique ? Comment l’Europe pourra-t-elle agir efficacement au Sahel ? Est-elle susceptible d’intervenir dans d’autres régions du continent, en particulier dans l’est de la République démocratique du Congo où le Rwanda et le M23 occupent une partie du territoire ? L’ONU n’ayant pas montré une grande efficacité, ne conviendrait-il pas de « muscler » la MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC) en lui adjoignant des forces européennes ?
M. Christophe Léonard. Pourriez-vous préciser votre analyse de la stratégie « dichotomique » poursuivie par la France en matière d’Europe de la défense ? D’un côté, notre pays veut aller plus loin dans l’intégration de ses forces conventionnelles au sein du groupe « Weimar + » ; de l’autre, il signe les accords de Lancaster House pour établir avec les Britanniques une coopération stratégique en matière nucléaire.
Le mouvement vient en marchant, dit-on. Pour s’assurer un bon équilibre, mieux vaut, certes, marcher avec les deux pieds. Encore faut-il que leurs mouvements soient coordonnés ! Bref, quelle est votre stratégie pour mettre en synergie institutionnelle et opérationnelle les deux éléments essentiels de l’Europe de la défense que sont Weimar + et Lancaster House, et faire ainsi émerger une politique européenne de défense intégrant tous les paramètres qui conditionnent son efficacité ?
M. William Dumas. La crise économique européenne ayant contraint les États membres à restreindre leurs budgets, la défense est reléguée au second plan. Cette réduction ne risque-t-elle pas de conduire au déclin stratégique de l’Union européenne ? De nombreux spécialistes pensent que l’on pourrait pallier cette baisse si une véritable défense européenne intégrée se faisait jour.
Par ailleurs, la France a confirmé récemment sa participation au centre d’excellence de cyberdéfense de l’OTAN. Pourriez-vous nous donner des informations à ce sujet ?
M. Daniel Boisserie. La réunion à laquelle vous avez participé le 15 novembre avec vos collègues européens de la défense et des affaires européennes aura été fructueuse en matière de défense.
Depuis, l’OTAN a fait savoir qu’elle allait déployer des batteries de missiles Patriot en Turquie. L’Allemagne et les Pays-Bas sont parties prenantes. Ce déploiement a-t-il fait l’objet d’une concertation ? Une participation de nos forces sur ce territoire est-elle possible ?
Mme Marie Récalde. L’Asie investit aujourd’hui plus que l’Europe dans ses budgets militaires. La crise économique, le rôle stratégique des grands pays émergents et les changements de la politique extérieure américaine obligent les Européens à repenser leur place. Dans sa volonté de promouvoir une Europe ambitieuse, le Président de la République a fait de la relance de l’Europe de la défense une priorité et nous nous en félicitons.
Or, comme le souligne le rapport Védrine, si le retour dans le commandement intégré de l’OTAN a permis à la France d’exercer un rôle stratégique croissant, les investissements gigantesques de l’industrie militaire américaine placent de nombreux partenaires européens dans une situation de dépendance technologique. Selon les industriels auditionnés par la Commission de la défense, les achats de certains de nos partenaires européens relèvent d’une volonté de protection : il s’agirait de se placer de fait sous le parapluie américain.
Déterminer le cadre d’une nouvelle politique de sécurité et de défense commune suppose la mise en œuvre d’une stratégie industrielle coordonnée au niveau européen. Dans vos discussions avec vos homologues, l’angle industriel apparaît-il comme un facilitateur dans la recherche d’une stratégie commune ?
M. Gilbert Le Bris. Je souscris à votre postulat, monsieur le ministre : de consommateur de sécurité, il faut devenir producteur de défense. À cet égard, un projet pragmatique et concret se présente à nous, celui de la défense antimissile balistique, la DAMB. Il faut un pilier européen dans ce domaine comme il y aura un pilier américain, sachant qu’il existe deux logiques très différentes : la défense de théâtre, qui est plutôt la logique européenne, et la défense de territoire, qui est plutôt la logique américaine puisque les États-Unis, situés entre deux océans, bénéficient de milliers de kilomètres de profondeur stratégique – ils n’ont en outre qu’un seul décideur, leur président.
La question est de savoir si le système DAMB sera réellement européen ou s’il sera seulement installé en Europe. Il est important que notre contribution soit constituée de briques technologiques et pas seulement d’un apport financier. Où en est-on en la matière ?
M. Nicolas Dhuicq. Le Premier ministre britannique a récemment proposé la vente de l’Eurofighter à la Jordanie et à Oman, avec l’appui de l’Arabie Saoudite. Que vous inspire cette démarche quant au soutien politique à nos exportations d’armement ?
M. Damien Meslot. En matière de défense comme sur un plan général, l’Europe a toujours avancé grâce à l’axe franco-allemand. Le groupe « Weimar + » s’est réuni récemment et il semble que certaines divergences et incompréhensions se fassent jour entre les positions allemande et française. Pourriez-vous faire le point sur les positions de nos deux pays concernant l’Europe de la défense ?
Mme Chantal Guittet. Vous avez souligné l’importance de la mutualisation et du partage capacitaire pour construire l’Europe de la défense. Y incluez-vous la mutualisation et le partage de l’investissement humain, notamment en matière de formation ?
Même si certains projets ont été de grands succès, ne voyez-vous pas des limites dans ce partage ? Il est à mon sens plus facile de partager des moyens de défense que des moyens offensifs. Aller au bout de l’Europe de la défense n’implique-t-il pas de constituer une Europe politique, donc, pour la France, de renoncer à une certaine indépendance ? Enfin, l’objectif de partage et de mutualisation se rapproche-t-il du concept de smart defence défendu par l’OTAN ?
M. Axel Poniatowski. Je partage globalement vos vues sur la poursuite de la construction de l’Europe de la défense : il est difficile d’envisager que celle-ci devienne plus globale et plus intégrée tant qu’il n’existe pas d’Europe politique. La semaine dernière encore, les États européens se sont prononcés de manière différente lors du vote sur la reconnaissance de l’État palestinien. La France, à raison, a voté pour, les Britanniques se sont abstenus et certains pays européens ont même voté contre.
La poursuite de l’Europe de la défense à travers les coopérations renforcées est donc la bonne solution, en particulier en matière industrielle où nous sommes depuis longtemps trop timides.
En revanche, vos propos sur le Mali m’inquiètent. Vous êtes visiblement en train de préparer quelque chose et j’aimerai en savoir plus. Si je comprends bien ce que vous dites, la France pourrait participer d’une façon ou d’une autre aux initiatives des États africains de la CEDEAO sous le couvert de l’ONU. Elle contribuerait également à la réorganisation de l’État malien et au rétablissement de ses grandes fonctions régaliennes.
Il faut faire attention, car la problématique est fondamentalement régionale. Si la France montait en première ligne, ce serait en totale contradiction avec la position que le ministre des affaires étrangères a défendue devant nous, il y a quinze jours, en expliquant que s’il ne s’était pas rendu au sommet de Tombouctou, c’était pour que la France n’apparaisse pas comme étant en première ligne dans l’intervention qui se prépare.
Bref, je suis inquiet de ce que vous annoncez et préparez au sujet du Mali.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je n’ai pas entendu la même chose, mais toutes les questions sont légitimes.
M. le ministre. Je veux dissiper toute ambiguïté.
J’ai parlé du Mali en termes d’exemple de contribution à la constitution de l’Europe de la défense. J’ai rappelé la première initiative que nous avons prise, lors de la réunion informelle des ministres de la défense en septembre à Chypre pour discuter du sanctuaire terroriste qui était en train de se former au nord du Mali. Au cours de cette réunion, j’ai indiqué que la question me semblait être européenne puisque, à terme, la sécurité de l’Europe pouvait être menacée.
Ensuite, les ministres des affaires étrangères des vingt-sept sont convenus qu’il fallait élaborer un concept de gestion de crise au Mali.
Parallèlement, les Nations unies ont rendu, à la demande des États africains, une décision visant à prévoir une intervention des pays de la CEDEAO et de l’Union africaine pour reconquérir le nord du Mali.
Ce qui se prépare n’est nullement une intervention de la France au Mali : c’est une intervention de l’Europe en soutien de la reconstitution de l’armée malienne, laquelle devra participer à l’action que mèneront les pays d’Afrique de l’Ouest en fonction d’objectifs que les Nations unies devraient prochainement valider.
Il ne s’agit donc pas de se mettre en première ligne. Le fait est que l’Europe prend ses responsabilités pour assurer la reconstitution d’une armée qui n’est pas aujourd’hui en situation d’accomplir ses missions. Nous ne serons en aucun cas en première ligne : nous assurons un soutien de formation.
M. Axel Poniatowski. On verra bien qui est l’Europe au Mali !
M. le ministre. Lundi prochain, les ministres des affaires étrangères de l’Union valideront une feuille de route pour la gestion de la crise, après quoi il sera fait appel aux partenaires qui voudront bien envoyer des formateurs auprès de l’armée malienne sur le terrain. Le nombre de ces formateurs devrait être d’environ 250. La France a déjà indiqué, comme d’autres pays, qu’elle serait présente.
En parallèle, l’Union européenne sera amenée à participer, toujours en soutien, à la bonne articulation de la mise en œuvre des forces des pays africains concernés.
Je tenais à faire cette mise au point. Si vous avez compris que nous devions nous retrouver en première ligne, c’est que j’ai dû très mal m’exprimer.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Si un doute avait pu subsister, il était bon de le dissiper.
M. Alain Lamassoure, député européen. Je partage votre philosophie, monsieur le ministre.
Dans l’Europe de la défense, ce qui a manqué jusqu’à présent aux dirigeants est le sens de l’urgence. La montagne a accouché d’un grand nombre de souris, de beaucoup de bureaucratie et d’états-majors. Mais nous avons laissé passer les grandes occasions qu’ont constituées la fin de la guerre froide et la tragédie de 2001. Nous avons aussi manqué, d’une certaine manière, l’occasion présentée par le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.
Survient aujourd’hui une nouvelle occasion formidable : nous sommes ruinés ! Comme non seulement nous n’avons plus d’argent mais nous n’avons plus d’ennemis, tous les pays font porter leur effort d’économies d’abord sur le budget de la défense.
Il y a dès lors deux options. Soit nous continuons la réduction des budgets nationaux engagée depuis plusieurs années, et nous nous retrouverons bientôt avec vingt-sept armées d’opérette incapables de mener le moindre combat. Soit nous essayons de mutualiser. Nous nous réjouissons que vous vous engagiez dans cette voie.
Cela étant, il est clair qu’on ne peut aller très loin en ce sens dans le cadre de l’Union des 27. Il faut faire de la coopération structurée. J’ai du mal à comprendre, à cet égard, votre méthode et votre calendrier. Le document adopté par le groupe « Weimar + » est une liste de tâches, ce n’est pas une analyse commune des menaces. Or cette analyse est la première chose à mutualiser, pour en déduire ensuite une stratégie et l’établissement d’un programme d’action, d’un calendrier, d’une méthode de travail et d’une structure de travail et de décision.
La France a par ailleurs engagé la rédaction d’un Livre blanc qu’il aurait mieux valu placer dans le cadre d’un Livre blanc européen. Elle s’apprête à mettre en place une programmation d’équipement sans attendre un accord plus vaste, si bien qu’elle imposera à ses partenaires ses propres choix.
Bref, je discerne mal la cohérence de cette démarche. Les souris précédemment mentionnées ne donneront pas tout de suite un tigre, certes. Mais si l’on pouvait arriver à un chat, ce serait déjà un progrès !
M. Pierre Lequiller. Avant de passer à l’institutionnel – que nous n’utilisons pas assez, du reste –, il faut du concret, notamment en matière industrielle. De ce point de vue, votre propos manque de précision. Sachant que, dans le domaine de l’industrie militaire, la programmation doit se faire très en amont, de nouveaux programmes européens de construction militaire ont-ils été définis ?
Seules des coopérations structurées permanentes permettront d’aboutir. Ces coopérations sont le fait de ceux qui le veulent et qui le peuvent, comme dirait Jacques Delors. Nous savons quels sont ces pays, pourtant nous n’avons pas donné de traduction écrite aux projets. Quand le ferons-nous ?
Je remarque enfin que vous n’avez cité à aucun moment le nom de Mme Ashton. Est-ce un hasard ?
M. Jacques Myard. Je salue le réalisme du ministre face aux difficultés quotidiennes pour « faire avancer le Schmilblick ». Il faut bien sûr mener des projets industriels à deux ou trois pays, mais à condition qu’il y ait un pilote dans l’avion. Lorsqu’il y a une cohérence et un maître d’œuvre, cela peut marcher. Mais ce n’est pas en additionnant les canards boiteux qu’on aura un canard valide !
Nos camarades européens ont aliéné leur volonté de défense en la plaçant entre les mains des Américains. Les États-Unis sont le passager clandestin de la défense européenne. Même lorsque nous coopérons avec les Britanniques en matière nucléaire, nous savons que les Américains sont au fond de la salle avec leur veto.
Il nous appartient donc de forcer les choses dans différents domaines. Cela suppose que nous ayons des projets définis et crédibles et arrêtions de soutenir des coopérations structurées dont personne ne veut.
La question fondamentale, de ce point de vue, est celle du bouclier antimissile. Je n’arrive plus à discerner la position de la France à ce sujet. Si c’est pour être les porteurs de valises des Américains, plions les gaules !
Mme Nicole Ameline. Entre l’institutionnel et le concret, le politique a son importance. Comme vous l’avez dit, il faut redéfinir et réévaluer les enjeux relatifs à la sécurité de l’Europe dans à un monde qui change, qui se réarme et dont les Américains ont déjà anticipé l’évolution. Quels instruments doit-on envisager pour cette réévaluation commune des enjeux sans laquelle on ne peut fonder une démarche opérationnelle ? La cyberdéfense ne constitue-t-elle pas un élément fédérateur qui pourrait amener l’Europe à prendre conscience de sa propre sécurité collective ?
Par ailleurs, le rééquilibrage entre les États-Unis et l’Europe rend nécessaire le renforcement du lien transatlantique. Faut-il rapprocher davantage l’Agence européenne de défense et l’OTAN ? Comment jugez-vous le nouveau partenariat qui semble trouver sa première traduction dans la smart defence mais qui pourrait aussi se dessiner dans ce que Mme Clinton appelle le smart power ? Ne pourrait-on imaginer une plus grande cohérence entre les politiques de développement et les politiques de défense en matière de prévention des conflits et de reconstruction des nations en sortie de crise ? Selon la nouvelle conception américaine, il faut davantage lier les différentes politiques.
M. Philippe Folliot. Contrairement à la grande majorité des États membres, qui sont uniquement continentaux, la France – tout comme l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas et la Grande Bretagne – a un caractère ultramarin. Les progrès de l’Europe de la défense ne représentent-ils pas un risque pour ce trait spécifique de notre souveraineté ? A-t-on mis en place des garde-fous ? C’est en effet une chance pour notre pays que de disposer du deuxième domaine maritime au monde, avec 11 et bientôt 12 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive.
M. le ministre. Au sujet du Mali, je précise que seuls le MNLA et Ansar Eddine ont participé à la rencontre organisée par le président Compaoré. Si une avancée politique permet d’éviter une situation de conflit, tant mieux. Du reste, cette initiative a été prise parce que l’Union européenne d’une part, le Conseil de sécurité de l’ONU d’autre part, avaient clairement montré la perspective vers laquelle nous nous dirigeons.
Notre politique au Sahel repose sur deux piliers : un objectif militaire, pour lutter contre le terrorisme, et un objectif de solution politique avec les groupes du Nord à condition que ceux-ci rejettent tout à la fois le terrorisme et l’idée d’une partition du Mali. Nous restons vigilants car ce n’est pas la première fois que ces groupes font les déclarations que vous mentionnez, Madame Poznanski-Benhamou.
Concernant le traité sur le commerce des armes, madame la présidente Auroi, la France a adopté une position très en pointe, comme je l’ai exposé lors de mon audition devant les commissions de la défense et des affaires étrangères sur les exportations d’armes. L’Assemblée générale des Nations unies s’est prononcée pour la tenue d’une conférence finale en 2013. Un accord en la matière est indispensable.
Comme vous le soulignez, les armes de petit calibre sont aujourd’hui celles qui tuent le plus de personnes. L’Union européenne est très active dans différents programmes visant à les contrôler et à les retirer des théâtres de crise. La France veillera à ce qu’elle continue de financer ces initiatives qui permettent le désarmement des milices, le retrait des armes et la démobilisation.
La question se pose tout particulièrement en Libye, où l’Europe de la défense a une opportunité de mener des actions de prévention à caractère civil. L’Union européenne, je le répète, dispose d’une panoplie de capacités complémentaires pour mener une action globale dans ce pays. Après les missions de diagnostic qui ont été menées, peut-être sera-t-il possible de mener une mission civile plus large afin que l’Union européenne soit plus active dans la gestion post-conflit. Le sujet, qui relève plus de la compétence du ministre des affaires étrangères que de la mienne, est d’actualité.
Oui, monsieur Dumas, la cyberdéfense est un sujet majeur pour l’avenir. Nous apporterons notre contribution au centre d’excellence de cyberdéfense de l’OTAN de Tallin en y envoyant des officiers, dont un cadre juriste.
Pour en revenir aux questions, notamment celle de M. Fromion, portant sur l’articulation avec l’OTAN, l’idée du rapport Védrine est que, puisque nous sommes dans l’OTAN et que nous n’en sortons pas, nous devons y prendre notre place sans complexe et y afficher notre volonté européenne. C’est ce que nous faisons et allons faire. L’exemple de la cyberdéfense montre que l’on peut agir de manière européenne au sein de l’OTAN.
S’agissant des coopérations renforcées et de la coopération structurée permanente, nous sommes d’accord sur les concepts mais, en l’état actuel des positions des différents pays, l’adoption de ces formules ne permettrait pas d’aboutir. Là encore, il faut être pragmatique. La réunion de Weimar + a déjà demandé beaucoup de compréhension et de discussions, d’autant qu’il existait une certaine amertume à notre égard concernant les accords de Lancaster House, passés alors que d’autres initiatives existaient par ailleurs. Nous avons réuni Weimar + quelques jours seulement après l’exercice Corsican Lion. C’est à nous de dire à nos partenaires que nous travaillons avec les Britanniques dans le cadre de Lancaster House et que, parallèlement, nous nous engageons dans la construction progressive et pragmatique l’Europe de la défense. Les coopérations structurées sont une bonne réponse, mais elles sont aujourd’hui prématurées.
J’en viens aux questions sur la défense antimissile. L’accord intervenu à Chicago prend en compte notamment quatre points que nous avons fait valoir : premièrement, la défense antimissile ne remet pas en cause la dissuasion ; deuxièmement, les coûts doivent être maîtrisés sans extension du financement commun ; troisièmement, le contrôle politique des décisions doit être respecté ; quatrièmement, on ne s’interdit pas une coopération future avec la Russie.
Le concept de défense antimissile adopté au sommet de l’OTAN de Lisbonne a ajouté la notion de défense de territoire à celle de défense de théâtre, comme l’a dit M. Le Bris. Le système intérimaire mis en œuvre aujourd’hui est essentiellement américain. Nous n’avons décidé de nous engager financièrement que sur le C2, c’est-à-dire le système de commandement et de contrôle. Nous avons indiqué que nous envisagions par la suite une contribution en nature grâce à notre système sol-air de moyenne portée terrestre (SAMP-T) et au dispositif d’alerte avancée que nous pourrons mettre en œuvre, tout en gardant le contrôle de nos propres moyens.
Le processus est donc engagé. L’objectif est de protéger nos territoires d’agresseurs potentiels qu’il est assez aisé d’identifier, sans que soient reniés les « fondamentaux » que j’ai mentionnés. Le rapport Védrine, certes, se demande pendant combien de temps ces fondamentaux ne seront pas remis en cause. Mais pour l’instant, nous nous en tenons à cette contribution et à cette affirmation de nos principes et de notre identité de décision.
Par ailleurs, le déploiement des missiles Patriot en Turquie a été validé hier par la réunion des ministres des affaires étrangères de l’OTAN. Je précise que c’est une mesure uniquement défensive et que seuls les États-Unis, l’Allemagne et le Pays-Bas sont impliqués.
Au sujet des projets de ventes d’Eurofighter par les Britanniques, monsieur Dhuicq, j’ai indiqué à la Commission de la défense lors d’une audition récente qu’il ne fallait pas confondre les rôles en matière d’exportation de matériel militaire. Les responsables politiques doivent créer les conditions politiques permettant à l’industriel de faire son commerce, et non pas l’inverse. On a pu constater par le passé que la confusion des genres menait à l’échec. En revanche, lorsque les conditions sont réunies, on peut réussir. Au Brésil, où je me suis rendu récemment, un vrai partenariat stratégique nous a permis de vendre six sous-marins et de participer à la réalisation d’une base navale pour les accueillir.
J’ai constaté comme vous les démarches récentes effectuées pour promouvoir l’Eurofighter, mais elles avaient déjà commencé au salon aéronautique de Dubaï, à un moment où une situation de crise affectait un autre avion. Je pense que notre démarche actuelle est bien comprise, y compris par les responsables politiques des pays avec lesquels nous souhaitons collaborer. En Inde, par exemple, les discussions se passent bien. Je me rendrai sur place quand le moment sera opportun. Là encore, je veux que mon action soit pragmatique.
Entre les deux notions de smart defence et de pooling and sharing, que plusieurs intervenants ont évoquées, nous soutenons le pooling and sharing dans le cadre de l’Agence européenne de défense, où nous sommes impliqués dans plusieurs projets.
Le pooling and sharing doit également être envisagé en matière d’acquisitions. Nous nous réjouissons à cet égard de l’accord intervenu entre l’Agence européenne de défense et l’OCCAR (Organisme conjoint de coopération en matière d’armement), la première identifiant le manque capacitaire et élaborant avec les États la manière d’y remédier, la seconde, dans le rôle d’une sorte de « DGA européenne », se chargeant de l’acquisition. La France est pleinement partenaire de l’OCCAR, qui intervient dans une bonne partie des programmes qu’elle partage avec d’autres pays.
La smart defence relève d’une logique différente. Elle a été élaborée après que l’Europe se fut dotée de l’Agence européenne de défense et de la stratégie du pooling and sharing, puis confirmée à Chicago. L’OTAN ayant constaté des insuffisances capacitaires dans différents programmes, vingt-six initiatives ont été lancées afin de trouver les voies et moyens pour y remédier. La France est présente dans quatorze de ces vingt-six groupes de travail et en préside deux.
Notre volonté reste néanmoins d’établir une complémentarité entre la smart defence et le pooling and sharing. C’est la condition pour que l’Europe de la défense prenne toute sa place dans ce dispositif. Tel n’est pas toujours le cas. Nous devons veiller à ce que la smart defence ne devienne pas une démarche commerciale d’industriels américains.
La force de l’Europe, madame Ameline, est de proposer une réponse globale. Le dispositif Atalante mis en place dans la corne de l’Afrique en est une bonne illustration. Six bateaux européens (espagnol, italien, maltais, français, portugais, roumain) et quatre avions de surveillance maritime assurent une présence permanente dans la zone. Le quartier général de l’opération est situé en Grande-Bretagne et le commandement en est assuré par un Britannique. En outre, l’Europe mène un programme de formation de l’armée somalienne destiné à structurer l’État somalien et à permettre à ce pays d’exercer lui-même ses propres responsabilités dans la zone. Enfin, la mission EUCAP-Nestor aide les pays de la corne de l’Afrique à se doter des moyens maritimes et juridiques pour lutter contre la piraterie. Elle est dirigée par un amiral français.
La globalité et la coordination de toutes ces actions donnent à l’intervention européenne une grande force.
Parmi les programmes européens en cours, monsieur Lequiller, celui qui me préoccupe le plus est celui des drones. L’Europe ne doit pas manquer cette opportunité considérable. Tous les pays susceptibles d’être intéressés par cette capacité n’en sont pas au même degré de préparation, qu’il s’agisse de la volonté d’acquisition, de la volonté d’agir en commun ou de l’état capacitaire propre. Mais les divergences ne sont pas assez importantes pour bloquer l’éventualité d’une action commune. J’espère que le travail bilatéral que nous menons actuellement pourra ensuite s’élargir.
D’autres projets se dessinent, notamment en matière spatiale. Pour la succession du satellite militaire Hélios, la France est en pointe mais il serait utile que plusieurs pays envisagent ensemble cette nouvelle génération satellitaire. Il y a là des perspectives de coopération prometteuses.
La question de la guerre des mines pourrait elle aussi donner lieu à des initiatives communes.
En tout état de cause, il existe de nombreuses perspectives d’action et de coopération pour structurer l’industrie européenne.
M. Christophe Léonard m’interroge sur la compatibilité entre Weimar + et Lancaster House. La dissuasion nucléaire ne se partage pas, mais l’accord « gagnant-gagnant » passé avec les Britanniques est une avancée majeure. Pour le reste, aucune des orientations décidées n’est exclusive de l’autre. Ceux qui le veulent doivent pouvoir rejoindre l’initiative franco-britannique ; de même, les Britanniques doivent pouvoir prendre part aux initiatives du groupe « Weimar + ». C’est cela, l’Europe pragmatique qui avance par l’action. Toutes les participations – qu’il s’agisse des drones ou d’autres sujets – seront autant de briques dans la construction de l’Europe de la défense. Nous ne mettons aucune exclusive car nous savons que c’est ce qui a entravé jusqu’à présent les avancées souhaitables.
En matière de coopération des industries de la défense, l’OCCAr est un outil important. Différents partenariats n’en devront pas moins être engagés avec des pays européens. Certains projets d’accord ont failli aboutir, d’autres pourront se faire demain. Les gouvernements, par le biais de la task force ou de rencontres bilatérales approfondies, peuvent essayer d’établir des connexions. En matière maritime, terrestre ou satellitaire, les perspectives de coopération sont importantes pour peu qu’elles soient soutenues par une volonté politique.
La France n’est pas la seule en Europe, monsieur Folliot, à disposer d’un espace maritime important. De plus, l’outre-mer est une chance pour nous dans le débat européen puisqu’il ouvre de grandes possibilités de développement, y compris en matière de défense. Je suis persuadé que l’enjeu maritime sera déterminant pour l’Europe de la défense. On voit d’ailleurs qu’une des opérations européennes les plus efficaces aujourd’hui est maritime.
Pour ce qui est d’un éventuel Livre blanc européen, monsieur Lamassoure, je place beaucoup d’espoirs dans l’approche de M. Van Rompuy. J’ai rencontré le président du Conseil européen par deux fois et j’ai trouvé qu’il était en phase avec les initiatives françaises. Le dossier de l’Europe de la défense va monter dans l’échelle des priorités. L’exigence est d’aboutir à un dispositif qui ait du sens avant la fin de l’année 2013, parallèlement aux travaux de la task force.
Cela se traduira peut-être par l’élaboration d’un Livre blanc, peut-être par la réactualisation du paquet défense en identifiant les menaces et les risques sécuritaires et en affirmant une volonté commune, pour peu que les États membres s’accordent sur l’initiative Van Rompuy.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. M. Védrine a souligné dans son rapport et dans des propos qui ont été relevés outre-Rhin qu’il était nécessaire que l’Allemagne s’engage davantage. Je ne doute pas de la qualité de vos relations avec M. de Maizière. Néanmoins, comment ressentez-vous la position de nos partenaires à ce sujet ?
M. le ministre. Je prendrai un exemple. En dépit d’une histoire différente et alors que l’on pouvait s’interroger sur leur attitude, les Allemands se sont montrés actifs dans l’initiative européenne prise à Chypre sur le Mali. Ils sont cependant contraints à une certaine réserve en matière d’intervention et de projection, puisque leur Constitution limite fortement la capacité de décision de leur gouvernement dans ce domaine.
Mais l’effort de défense allemand reste significatif. Nous avons une brigade franco-allemande. Nos rencontres sont fréquentes. L’anniversaire du traité de l’Élysée, en janvier prochain, sera l’occasion de souligner que l’Allemagne est un acteur à part entière de l’Europe de la défense. Moins sévère que M. Védrine, j’appelle à une plus grande collaboration.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci, monsieur le ministre, d’avoir été si disponible pour répondre à des questions aussi vastes.
ANNEXE N° 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE
(par ordre chronologique)
1) A Paris
– Mme Julia Maris, Conseillère pour les affaires européennes, cabinet du Ministre de la Défense (16 novembre 2012 et 24 avril 2013)
– M. Christian Lechervy, Conseiller Affaires stratégiques, Asie, Présidence de la République (11 avril 2013 et 30 septembre 2013)
– M. Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen (18 avril 2013)
– M. Jacques Audibert, Directeur général des affaires politiques et de sécurité du Ministère des Affaires étrangères (2 juillet 2013)
– Mme Claude-France Arnoult, Directrice de l’Agence européenne de défense (11 juillet 2013)
– M. Michel Barnier, Commissaire européen (11 juillet 2013)
– Mme Nicole Gnesotto, professeur de la chaire Europe au Conservatoire Nationale des Arts et Métiers (25 septembre 2013 et 12 novembre 2013)
– M. Marwan Lahoud, Directeur de la Stratégie et du Marketing d’EADS (25 octobre 2013)
– M. Antoine Bouvier, PDG de MBDA (14 novembre 2013)
2) A Londres (18 octobre 2012)
– Lord Boswell, Président de la commission des affaires étrangères et européennes de la Chambre des Lords
– M. Mark Simmonds, Secrétaire d’Etat au FCO
3) A Bruxelles (31 janvier 2013)
– M. Hermann Van Rompuy, Président du Conseil européen
– Général Patrick de Rousiers, Président du Comité militaire de l’Union européenne
– M. Michel Barnier, Commissaire en charge du marché intérieur et des services
– M. Olivier Guersent, chef du cabinet de M. Michel Barnier, Commissaire en charge du marché intérieur et des services
– M. Philippe Etienne, Ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne
4) A Bruxelles (25 avril 2013)
– M. Pierre Vimont, Secrétaire général du Service européen d’action extérieure
– M. Jean-Louis Falconi, Ambassadeur, Représentant de la France auprès du comité politique et de sécurité de l’Union européenne
– Mme Christine Roger, prédécesseur de M. Falconi
– M. Elmar Brok, Président de la commission des affaires étrangères du Parlement européen
– M. Philippe Etienne, Ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne
5) A Varsovie (21 et 22 mars 2013)
– M. Piotr Serafin, secrétaire d’Etat aux affaires européennes
– M. Grzegorz Schetyna, président de la commission des affaires étrangères de la Diète
– M. Tadeusz Iwinski, vice-président de la commission des affaires étrangères
– M. Robert Tyszkiewicz, vice-président de la commission des affaires étrangères
– M. Witold Waszczykowski, vice-président de la commission des affaires étrangères
– S. Exc. M. Pierre Buhler, ambassadeur de France en Pologne
6) A Rome (5 et 6 juin 2013)
– S. Exc. M. Enzo Moavero, Ministre pour les Politiques européennes
– Mme Emma Bonino, Ministre des affaires étrangères
– M. Mario Monti, ancien Président du Conseil
– M. Pier Luigi Bersani
– S. Exc. M. Alain Le Roy, ambassadeur de France en Italie
7) A Madrid (12 – 14 juin 2013)
– M. Josep Duran i Lleida, Président de la Commission des Affaires étrangères du Congrès des Députés
– M. Gerardo Camps Devesa, Président de la Commission mixte pour les affaires européennes
– Mme Soraya Rodriguez, Porte-parole du PSOE au Congrès des Députés
– M. Hansi Escobar, Ambassadeur en charge des questions méditerranéennes
– M. Inigo Mendez de Vigo, Secrétaire d’Etat aux affaires européennes
– M. Jorge Moragas, Directeur de Cabinet du Président du gouvernement
– M. José Manuel Garcia Margallo, Ministre des Affaires étrangères et de la coopération
– S. Exc. M. Jérôme Bonnafont, Ambassadeur de France en Espagne
8) A Berlin (27 et 28 juin 2013)
– M. Maurice Gourdault-Montagne, Ambassadeur de France en Allemagne
– M. Michael Flügger, Conseiller adjoint de la Chancelière pour les Affaires Politiques et de Sécurité
– Mme Susanne Kastner, députée et présidente de la Commission de la Défense du Bundestag
– M. Ruprecht Polenz, president de la Commission des Affaires étrangères du Bundestag
– Mme Barbara Kunz (Fondation Genshagen)
– Mme Berrnhard Müller-Härlin (Fondation Körber)
– Mme Emily Haber, secrétaire d’Etat du ministère fédéral des Affaires étrangères
9) A Bruxelles (26 septembre 2013)
– M. Dominique Ristori, directeur général du Centre commun de recherche (JRC, Joint Research Centre), commission européenne
– M. Pierre Vimont, Secrétaire général du Service européen d’action extérieure
– M. Philippe Setton, Ambassadeur, Représentant de la France auprès du comité politique et de sécurité de l’Union européenne
– Général Gilles Rouby, Représentant militaire auprès de l’OTAN et de l’Union européenne
– Général Patrick de Rousiers, Président du Comité militaire de l’Union européenne
– M. Sven Biscop, directeur Europe à Egmont
10) A Londres (23 et 24 octobre 2013)
– M. Vernon Coaker MP, Secrétaire d’Etat à la Défense du Cabinet Fantôme
– M. Richard Ottaway, Président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des Communes
– M. Philip Hammond, Ministre de la défense
– M. James Arbuthnot, MP, Président de la commission de la Défense de la Chambre des communes
– M. David Lidington, Ministre des affaires européennes
– S. Exc. M. Bernard Emié, Ambassadeur de France au Royaume-Uni
11) A New-York (19 et 20 novembre 2013)
– M. Gérard Araud, Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès des Nations Unies
– Mme Samantha Power, Ambassadeur, Représentante permanente des Etats-Unis auprès des Nations Unies
– M. Ron Prosor, Ambassadeur, représentant permanent d’Israël
– M. Vitali Tchourkine, Ambassadeur, représentant permanent de la Russie auprès des Nations Unies
– M. Hervé Ladsous, Secrétaire Général Adjoint chargé des opérations de maintien de la paix (OMP)
– M. Riyad Mansour, ambassadeur, Observateur permanent de la Palestine
– M. Oscar Fernandez-Taranco, Sous-Secrétaire général aux affaires politiques
– M. Jan Elliasson, Vice-Secrétaire général des Nations Unies
– M. Bertrand Lortholary, Consul général de France
CONTRIBUTIONS DES DIFFÉRENTS ÉTATS MEMBRES
DE L’UNION EUROPÉENNE À LA MISSION EUTM MALI
Pays |
Effectifs (au 09/09) |
Allemagne |
55 |
Autriche |
13 |
Belgique |
72 |
Bulgarie |
4 |
Chypre |
|
Danemark |
|
Espagne |
105 |
Estonie |
2 |
France |
109 |
Grèce |
4 |
Hongrie |
10 |
Irlande |
8 |
Italie |
19 |
Lettonie |
2 |
Lituanie |
3 |
Luxembourg |
2 |
Malte |
|
Nordique (SE, FI) |
19 |
Pays Bas |
1 |
Pays |
Effectifs (au 09/09) |
République Tchèque |
33 |
Roumanie |
5 |
Royaume-Uni |
36 |
Pologne |
19 |
Slovaquie |
0 |
Slovénie |
|
États Tiers | |
Albanie |
0 |
Géorgie |
0 |
Serbie |
0 |
Ukraine |
0 |
Budget défense : |
France |
Allemagne |
Royaume-Uni |
Italie |
Espagne |
Pologne |
Belgique |
Suède |
Pourcentage PIB |
|
|
|
|
|
|
|
|
Effectifs totaux |
228 850 actifs |
196 000 militaires |
165 650 actifs |
181 450 actifs |
129 000 actifs |
96 000 actifs |
32 650 actifs |
20 500 actifs |
Terre 122.500 Marine38.650 Air 49.850 ; 29.650 réservistes |
Terre 70.050 ; Marine 15.850 ; Air 33.450 ; 40.320 réservistes |
Terre 96.850 ; Marine 32.000 ; Air 36.800 80 550 réservistes |
Terre 105.900 ; Marine 33.000 ; Air 42.550 18.300 réservistes |
Terre 70.800 ; Marine 22.200 ; Air 21.200 32.000 réservistes |
Terre 45.600 ; Marine 7.600 ; Air 16.500 |
Terre 11.950 ; Marine 1.500 ; Air 5.450 ; |
Terre 5.500 ; Marine 3.000 ; Air 3.300 | |
Taille du secteur industriel |
4è exportateur mondial (SIPRI)* 14 MD€ chiffre d'affaires (2010)² 165 000 emplois³ |
3ème exportateur mondial (SIPRI) 16 MD€ chiffre d'affaires (2010) 80 000 emplois |
6ème exportateur mondial (SIPRI) 26 MD€ chiffre d'affaires 80 000 emplois |
8ème exportateur mondial (SIPRI) 17 MD€ chiffre d'affaires 62 000 emplois |
7ème exportateur mondial (SIPRI) 5,4 MD€ chiffre d'affaires 20 000 emplois |
2,1 MD€ chiffre d'affaires 30 000 emplois |
19ème exportateur mondial (SIPRI) 500 M€ chiffre d'affaires 15 000 emplois |
12ème exportateur mondial (SIPRI) 3,2 MD€ chiffre d'affaires 31 000 emplois |
* SIPRI : exportation en volume d'armes conventionnelles majeures en 2012
² Source: calepin international DGA
³Source: calepin international DGA
DE : Allemagne - FR : France - IT : Italie - SE : Suède- SP : Espagne - UK : Royaume-Uni
1 () Rapports n° 536 et 911 de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion. du 12 décembre 2012 et du 9 avril 2013.
2 () Rapport n° 713 (2012-2013) de MM. Daniel Reiner et Jacques Gautier, du 3 juillet 2013.
3 () Votre rapporteure tient toutefois à rappeler que l’idée de coopérations plus poussées entre certains États en matière de défense existait antérieurement au traité de Lisbonne. Ainsi les traités de Maastricht et d’Amsterdam mentionnaient-ils clairement que les dispositions relatives à la PESC ne faisaient « pas obstacle au développement d'une coopération plus étroite entre deux ou plusieurs États membres au niveau bilatéral, dans le cadre de l'UEO et de l'Alliance atlantique ». De même, le traité d’Amsterdam rappelait-il que « la définition progressive d'une politique de défense commune [était] étayée, dans la mesure où les États membres le [jugeaient] approprié, par une coopération entre eux en matière d'armements ».
4 () Le Danemark n’est pas partie prenante de la PSDC.
5 () Avis n° 1540 de M. Gwenegan Bui, présenté au nom de la commission des Affaires étrangères sur le projet de programmation militaire.
6 () Montants convertis au taux de parité de pouvoir d’achat de l’euro en France.
7 () Chiffres du GIFAS pour 2012.
8 () Chiffre de « AeroSpace and Defence Industries Association of Europe » pour 2012.
9 () Créée en 1996 par les ministres de la défense allemand, français, italien et britannique, l’OCCAr a pour mission d’organiser la gestion en commun de programmes d’armement. Elle est aujourd’hui composée de six pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Belgique et Espagne). L’OCCAr et l’AED ont conclu en 2012 un accord de partenariat.
10 () Ce projet a pour but d’instaurer des règles de gestion communes du trafic aérien en Europe.
11 () Single European Sky ATM Research.
12 () Lutte contre le terrorisme nucléaire, radiologique, biologique et chimique.
13 () 4.807 soldats de la coalition périrent dans cet engagement : 4.488 Américains, 179 Britanniques et 140 de pays alliés.
14 () Hilary Clinton, pour sa part, exposa cette stratégie dans son article “America’s pacific century” dans la revue Foreign affairs de novembre 2011.
15 () L’Autriche, la Finlande, l’Irlande, Malte et la Suède.
16 () L’avion de combat Eurofighter Typhoon est développé par l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne, regroupés dans le consortium Eurofighter GmbH.
17 () Le compte-rendu de cette audition figure en annexe de ce rapport.
18 () Le Grand échiquier.
19 () Voir infra.
20 () Signé par la Pologne, l’Estonie, la Slovaquie, la Slonévie et la Grèce.
21 () Ce qui est communément appelé « paquet défense » correspond à deux directives européennes adoptées en 2009 relatives au transfert et au marché des armements au sein de l’Union européenne. L’objectif est de favoriser la mise en place d’un marché intérieur des produits de défense.
22 () Rapport n°2631, de Mme Elisabeth Guigou et M. Yves Bur, présenté au nom de la commission des affaires européennes, le 16 juin 2010.
23 () Il s’agit de l’article qui permet au Conseil de confier une mission à un État ou un groupe d’États membres.
24 () European Air Transport Command.
25 () Une nation peut ainsi bénéficier d’un surcroît de capacités auprès de ses partenaires. En outre, les États membres peuvent disposer de certaines ressources particulièrement rares : avions de transport stratégiques et ravitailleurs en vol (A310, A340, KCD10 aujourd’hui, A400M et MRTT demain).
26 ()Pour mémoire, votre rapporteure tient à rappeler qu’on distingue généralement cinq types de drones :
- les mini-drones, appareils de courte portée mis en œuvre au profit des forces au contact et ne nécessitant pas de piste d’atterrissage ;
- les drones tactiques, lesquels opèrent également en soutien des forces engagées en opération mais ont des capacités bien supérieures au premier ;
- les drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE) qui évoluent entre 5.000 et 15.000 mètres et qui réalisent généralement des missions de surveillance et de reconnaissance même si certains d’entre eux peuvent être armés ;
- les drones haute altitude et longue endurance (HALE) qui, plus rares, ont une autonomie pouvant dépasser les 30 heures de vol ;
- enfin, les drones de combat qui, encore à l’état de projets ou de prototypes, pourraient, à terme, remplacer les avions de chasse.
27 () NATO Support Agency.
28 () Voir Annexe 4.
29 () Les deux directives relatives au transfert et au marché des armements au sein de l’Union européenne – le « paquet défense » –adoptées en 2009 ont pour objectif de favoriser la mise en place d’un marché intérieur des produits de défense entre États membres en harmonisant le cadre juridique (directive 2009/43/CE du 6 mai 2009 sur les transferts intracommunautaires) et en harmonisant les procédures de passation de marchés de matériels de défense (directive 2009/81/CE du 13 juillet 2009 sur les marchés publics de sécurité et de défense).
© Assemblée nationale