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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 avril 2014.
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE HOMMES ET LES FEMMES, SUR la question des femmes et du système fiscal,
PAR
Mme Catherine COUTELLE,
Députée
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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.
La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Catherine Coutelle, présidente ; Mme Conchita Lacuey, Mme Monique Orphé, M. Christophe Sirugue, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-présidents ; Mme Édith Gueugneau ; Mme Cécile Untermaier, secrétaires ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Huguette Bello ; M. Jean-Louis Borloo ; Mme Brigitte Bourguignon ; Mme Marie-George Buffet ; Mme Pascale Crozon ; M. Sébastien Denaja ; Mme Sophie Dessus ; Mme Marianne Dubois ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Martine Faure ; M. Guy Geoffroy ; Mme Claude Greff ; Mme Françoise Guégot ; Mme Valérie Lacroute ; Mme Sonia Lagarde ; M. Serge Letchimy ; Mme Geneviève Levy ; Mme Martine Lignières-Cassou ; M. Jacques Moignard ; Mme Dominique Nachury ; Mme Ségolène Neuville ; Mme Maud Olivier ; Mme Bérengère Poletti ; Mme Barbara Pompili ; Mme Josette Pons ; Mme Catherine Quéré ; Mme Barbara Romagnan ; M. Philippe Vitel.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION………………………………………………………………..…… 5
I. UN SYSTÈME FISCAL DONT LES FONDEMENTS MÉRITENT D’ÊTRE RÉINTERROGÉS AU REGARD D’ÉVOLUTIONS INTERVENUES DEPUIS SA CRÉATION ET DE L’OBJECTIF D’ÉGALITÉ FEMMES - HOMMES 7
A. LES MODALITÉS ACTUELLES D’IMPOSITION DES COUPLES 7
1. Le mécanisme du quotient conjugal : un dispositif basé sur une répartition sexuée et inégale des rôles sociaux 7
2. Les implications de l’imposition commune et du quotient conjugal : un dispositif principalement avantageux pour les couples aisés et mono-actifs 8
3. Un système différent par rapport à d’autres pays européens 12
B. LES ÉVOLUTIONS INTERVENUES DEPUIS L’INSTITUTION DE CE SYSTÈME 15
1. Des travaux récents montrent que la mise en commun des revenus n’est pas systématique dans les couples 15
2. Les évolutions sociologiques concernant les couples : une fiscalité non neutre vis-à-vis des choix de vie individuels et favorisant certaines formes d’unions 17
3. Les dissonances dans le traitement fiscal et social des couples 18
II. L'INDIVIDUALISATION DE L'IMPÔT (IMPOSITION SÉPARÉE) : UNE PISTE INTÉRESSANTE QUI MÉRITE D’ÊTRE APPROFONDIE 20
A. UNE MESURE QUI PERMETTRAIT DE LEVER UN FREIN À L’EMPLOI DES FEMMES 20
1. L’augmentation de l’activité des femmes depuis plusieurs décennies 20
2. Une mesure nécessaire pour construire l’égalité professionnelle 22
3. Une mesure favorable à la croissance 26
B. UN MOYEN DE FAVORISER L’ÉQUITÉ FISCALE, LA NEUTRALITÉ VIS-À-VIS DES CHOIX DE VIE INDIVIDUELS ET L’EMANCIPATION DES FEMMES 27
1. Une mesure favorable au libre choix et à l’émancipation des individus 27
2. Une question d’équité 28
C. QUESTIONS EN SUSPENS 29
III. DES RECOMMANDATIONS DANS UN DOUBLE OBJECTIF D’AUTONOMIE DES FEMMES ET DE JUSTICE SOCIALE 31
A. AMÉNAGER LES MODALITÉS D’IMPOSITION DES COUPLES 31
1. Donner aux couples mariés ou pacsés qui le souhaitent la possibilité d’opter pour l’imposition séparée 31
2. Plafonner l’avantage fiscal lié au quotient conjugal pour les très hauts revenus 31
3. Approfondir d’autres pistes 32
B. AMÉLIORER LES DISPOSITIFS DE SOUTIEN AUX SALARIÉ-E-S MODESTES 33
C. AMÉLIORER L'ÉVALUATION ET LE PILOTAGE DES POLITIQUES FISCALES ET BUDGÉTAIRES 36
1. Améliorer les études d'impact, s’agissant en particulier des projets de loi de finances, et progresser en matière de gender budgeting 36
2. Renforcer les travaux d'évaluation pour mieux étayer la décision publique 38
TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 41
I. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 41
II. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 9 AVRIL 2014 : EXAMEN DU RAPPORT 77
RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 83
ANNEXES 83
ANNEXE 1 : ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE 87
ANNEXE 2 : MODALITÉS D’IMPOSITION SUR LE REVENU DES COUPLES EN ALLEMAGNE, EN BELGIQUE, AU DANEMARK, EN ESPAGNE, AUX PAYS-BAS ET AU ROYAUME-UNI 89
Dans le cadre de la réflexion sur la réforme de la fiscalité annoncée par le Gouvernement en novembre 2013, un groupe de travail pluraliste sur la fiscalité des ménages a été mis en place le 31 janvier dernier, sous la présidence de MM. Dominique Lefebvre, Député, et François Auvigne, inspecteur général des finances. Il a été chargé de remettre ses propositions en avril, avec comme objectif un impôt « plus efficace et plus juste » mais aussi mieux compris (1).
La question des impôts est éminemment politique. Elle détermine les possibilités budgétaires et donc la capacité de notre société à agir collectivement. Elle interroge le choix des citoyens et citoyennes quant aux ressources qu'ils veulent consacrer pour organiser leur vie commune (éducation, santé, prestations retraites, transport, etc.). La fiscalité participe de la citoyenneté et du lien entre l’individu et l’État, elle doit donc favoriser l’émancipation de tous et toutes.
Compte tenu du fait que l’égalité femmes-hommes est devenue une priorité structurante de l’action publique et a vocation à être prise en compte dans l’ensemble des politiques, la Délégation a souhaité se saisir de cette question afin de mieux appréhender l’impact du système fiscal sur les femmes et apporter ainsi sa contribution à la réflexion collective engagée sur la fiscalité des ménages.
Dans les délais relativement courts dont elle a disposé pour mener ces travaux, la Délégation a pu entendre plusieux économistes ainsi que les représentants d’associations familiales et féministes, au cours d’auditions qui ont commencé en février dernier (2). Ces travaux se sont également appuyés sur les différents rapports et articles publiés sur le sujet (3) ainsi que sur les éléments d’information que la Délégation a pu recueillir concernant les modalités d’imposition des couples dans plusieurs pays européens (4) .
La présente contribution se concentre essentiellement sur les modalités d’imposition des couples, compte tenu notamment de l’impact du quotient conjugal sur l’emploi des femmes et de l’émergence d’une critique de genre sur ces questions. Il est important de souligner que ce dispositif bénéficie en grande partie aux ménages les plus aisés, monoactifs et sans enfants ; plus de la moitié de l’avantage que constitue le quotient conjugal (53 %) se concentre dans le dérnier décile de niveau de vie (les 10 % des ménages les plus aisés). Plus largement, il convient d’interroger l’efficacité des choix fiscaux opérés, d’autant que les montants en jeu sont significatifs (au moins 5,5 milliards d’euros).
Ce modèle d’imposition a été pensé en 1945, en cohérence avec une certaine norme familiale. Il est important aujourd’hui de s’interroger sur l’efficacité fiscale de ce dispositif au regard des évolutions que notre société a connu ; mais aussi d’évaluer si les dispositifs dont nous avons hérité sont encore en cohérence avec les objectifs de justice fiscale et d’égalité femmes hommes que s’est fixés notre société.
Sont tout d’abord présentées les principales caractéristiques et spécificités du système actuel mais aussi les différentes évolutions depuis sa création, qui conduisent à en réexaminer les fondements, les objectifs et l’efficacité de ce dispositif dans un contexte aujourd’hui bien différent (I). Il convient à cet égard de souligner que l’avantage fiscal lié au quotient conjugal pour les couples mariés ou pacsés doit être distingué du quotient familial au titre des enfants à charge (5).
La question de l’individualisation de l’impôt sur le revenu est examinée dans un second temps (II).
Enfin, cette contribution formule plusieurs recommandations en vue de faire évoluer les modalités d’imposition des ménages, mais aussi les dispositifs de soutien aux salarié-e-s modestes ainsi que le pilotage des politiques budgétaires et fiscales, en s’inscrivant ainsi dans un double objectif d’autonomie des femmes et de justice sociale (III).
L’objectif de ces travaux n’est pas de réduire ou d’augmenter les prélèvements d’impôts, mais de mieux les répartir, selon les objectifs d’égalité et de justice. Par ailleurs, les propositions sont formulée de manière à être graduées ; elles ne prennent pas en compte ni n’excluent la possibilité une réforme fiscale de plus grande ampleur.
I. UN SYSTÈME FISCAL DONT LES FONDEMENTS MÉRITENT D’ÊTRE RÉINTERROGÉS AU REGARD D’ÉVOLUTIONS INTERVENUES DEPUIS SA CRÉATION ET DE L’OBJECTIF D’ÉGALITÉ FEMMES - HOMMES
A. LES MODALITÉS ACTUELLES D’IMPOSITION DES COUPLES
1. Le mécanisme du quotient conjugal : un dispositif basé sur une répartition sexuée et inégale des rôles sociaux
Pour l’imposition sur le revenu, le droit commun prévoit un régime fiscal des couples qui diffère selon les liens juridiques. Ainsi, les personnes vivant en concubinage déclarent séparément leurs revenus, sans prise en compte de la présence d’un conjoint, et sont donc traitées de la même manière que des personnes seules. En revanche, les personnes mariées ou pacsées effectuent une déclaration commune : l’ensemble des ressources du foyer sont agrégées, indépendamment de leur nature ou de l’apporteur de ressources, puis un mécanisme de quotient leur est appliqué.
En vertu du principe de mutualisation des ressources au sein du foyer, deux foyers ayant les mêmes revenus agrégés sont supposés avoir la même capacité contributive, et donc devoir le même montant d’impôt, quelle que soit la répartition des revenus en leur sein. Ceci soulève cependant une première question alors que moins de deux tiers des couples mettent intégralement en commun l’ensemble de leurs revenus.
L’imposition commune et le quotient conjugal des couples mariés ou pacsés peuvent être considérés comme une traduction pratique du principe constitutionnel visant à asseoir l’impôt sur les capacités contributives des individus. Dans les faits, l’application de ce principe dans le système fiscal français comprend deux dimensions : considérer comme unité fiscale de base le foyer, et non l’individu, afin de prendre en compte les solidarités existant entre les membres d’un même foyer ; ne pas considérer uniquement le revenu d’un individu, mais aussi la taille de la famille, ce qui se traduit par l’existence du quotient. Le principe sous-jacent à ces règles d’imposition fiscale est une certaine forme de neutralité de la fiscalité : à niveau de vie initial comparable, deux foyers de composition différente doivent disposer du même niveau de vie après impôt.
En pratique, le quotient conjugal attribue une part entière à chacun des membres du couple. Dans le cas d’un couple marié ou pacsé sans enfant, le revenu imposable du foyer est divisé par deux (R1+R2/2), puis soumis au barème. L’impôt ainsi obtenu est enfin multiplié par deux. L’impôt dû par le couple marié ou pacsé est donc égal au double de l’impôt dû par une personne seule ayant le revenu moyen des membres du couple.
Si l’impôt était purement proportionnel, ces opérations de division et de multiplication s’annuleraient alors et n’auraient finalement aucun effet sur le montant de l’impôt. Mais du fait de la progressivité, la division par le nombre de parts permet de tomber dans des tranches plus basses du barème et donc d’obtenir une réduction d’impôt d’autant plus forte que le revenu et le nombre de parts sont élevés (6).
Le quotient familial suivant la même logique tend à prendre en compte la présence d’enfants au foyer en attribuant des parts supplémentaires : une demi-part pour les deux premiers enfants et une part par enfant à partir du troisième enfant.
Ce système fiscal a été instauré en 1946 au moment où le système de protection sociale se met en place, avec la prégnance de préoccupations démographiques, et est au cœur du dispositif de « familialisation » de l’impôt sur le revenu. Ce modèle est cohérent avec une certaine norme familiale : celle de « Monsieur Gagnepain » et « Madame Aufoyer (7) », où le salaire des femmes, lorsqu’il existe est davantage considéré comme un « revenu d’appoint ». Il contribuait aux côtés d’autres dispositifs à soutenir cette forme d’organisation familiale, jugée souhaitable. S’agissant plus particulièrement du quotient conjugal, on peut d’ailleurs rappeler qu’initialement (loi de finances de décembre 1945), il était prévu que les couples mariés sans enfant à charge au bout de trois ans de mariage n’auraient droit qu’à 1,5 part de quotient, et non pas à 2 parts, ces dispositions ayant été supprimées en 1951.
En tout état de cause, le quotient conjugal en général réduit l’imposition du couple, mais augmente le taux marginal du conjoint ayant les ressources les plus faibles (souvent les femmes). Il peut être désincitatif à la biactivité et pénaliser la reprise d'activité du membre du couple le moins payé. L’analyse détaillée des effets de l’imposition commune et du quotient conjugal (cf. infra) fait clairement apparaître que celui-ci tend notamment à favoriser les couples monoactifs et peut même apparaître comme favorisant les couples inégaux.
2. Les implications de l’imposition commune et du quotient conjugal : un dispositif principalement avantageux pour les couples aisés et mono-actifs
Sauf configurations particulières (cf. infra), l’imposition conjointe se traduit ainsi par un avantage fiscal lorsqu’il existe une différence de revenus entre les conjoints, qui tient à la progressivité de l’impôt. En revanche, la déclaration commune est équivalente à la déclaration séparée lorsque les deux conjoints ont les mêmes revenus.
Le Haut conseil de la famille (HCF), dans une note de 2011, a rassemblé les principaux chiffres relatifs au quotient conjugal, reproduits ci-dessous. Il apparaît ainsi que ce dispositif représente un coût pour les finances publiques de l’ordre de 5,5 milliards d’euros selon le Trésor (8), avec un gain de l’ordre de 86 euros par mois dans un peu plus de la moitié des cas.
Il est également intéressant de souligner que ce dispositif bénéficie en grande partie aux couples sans enfants (70 % du total de l’avantage procuré par le quotient conjugal leur revient), mais aussi mécaniquement aux couples aisés : cet avantage fiscal peut par exemple dépasser 1 000 euros par mois pour les ménages les plus aisés avec un seul revenu, et le dernier décile de niveau de vie (ménages les plus aisés) concentre plus de 53% de la valeur du quotient conjugal. Par construction, il bénéficie également davantage aux couples monoactifs.
Les chiffres clés du quotient conjugal (QC)
– L’estimation globale du coût pour les finances publiques varie de 5,5 à 9,5 Mds € par rapport à̀ un impôt individualisé, en fonction des conventions retenues pour l’individualisation de l’impôt. Si l’on suppose que les ménages cherchent à minimiser leur montant d’impôt en cas d’individualisation, c’est le chiffre de 5,5 Mds € qu’il convient de retenir.
– La part des couples avec enfants est relativement faible : en effet, alors que les couples sans enfants représentent environ 40 % des ménages concernés par le QC, ils bénéficient de 70 % du gain lié à ce mécanisme. À l’inverse, les couples de trois enfants et plus ne bénéficient que de 7 % du gain lié au QC.
– Dans un peu plus de 50 % des cas, l’imposition commune avec QC conduit à un niveau d’impôt plus faible en moyenne de 86€/mois que dans une formule d’imposition séparée ; mais dans près de 30 % des cas, l’imposition séparée aboutirait au contraire à un niveau d’impôt plus faible d’environ 19€/mois en moyenne.
– Le gain varie selon le niveau de revenu et l’écart entre les revenus des deux membres du couple ; il peut dépasser 1 000 € par mois pour les ménages les plus aisés avec un seul revenu. Le dernier décile de niveau de vie concentre plus de 53 % de la valeur du quotient conjugal, les trois derniers déciles près de 75 %.
Source : note adoptée par le Haut conseil de la famille sur l’architecture des aides aux familles (avril 2011)
L’impact du quotient conjugal, et en particulier le profil des « gagnants » à l’imposition conjointe, peuvent également être appréhendés à travers les différentes études réalisées (9) pour mesurer l’impact de l’individualisation de l’impôt sur le revenu (cf. infra, dans la seconde partie de la présente contribution).
Plus récemment, il ressort d’une étude publiée par l’Insee sur l’imposition commune des couples mariés ou pacsés (Eidelman, 2013) que l’analyse de la distribution des revenus des couples unis légalement (12,4 millions de couples) montre que, pour 3,6 millions d’entre eux (29 %), les revenus des deux partenaires correspondent à la même tranche de l’impôt. Donc tous les autres couples (71 %) sont potentiellement bénéficiaires du quotient conjugal avec un gain dont l’amplitude est d’autant plus grande que le revenu global du ménage est élevé, mais d’autres éléments doivent être pris en compte (cf. encadré infra).
Ainsi, parmi les couples mariés ou pacsés, 60 % payent moins d'impôts que s'ils étaient imposés séparément, selon cette étude de l’Insee (10). Comme attendu, les bénéficiaires sont des couples assez aisés, ayant des revenus très inégaux et bénéficiant d’abattements. Ils paient en moyenne 1 840 euros de moins que s'ils étaient imposés séparément. À cet égard, une précédente étude (Insee, 2007) soulignait que les couples mono-actifs, en faveur desquels le quotient conjugal joue à plein, représentent de forts effectifs parmi les gagnants au mariage.
À l’inverse, 21 % des couples mariés gagneraient à être imposés séparément. Il s’agit notamment, selon cette étude, de couples avec des revenus assez élevés pour être soumis à l’impôt mais assez faibles pour être concernés par la PPE ou la décote. Une imposition séparée leur ferait gagner en moyenne 370 euros. Le gain fiscal au mariage n’est donc pas systématique. D’autres caractéristiques du barème interagissent avec le mode de déclaration. Plusieurs d’entre eux renforcent l’effet favorable du quotient conjugal, mais certains d’entre eux peuvent jouer en sens inverse. C’est par exemple le cas de la PPE, de la décote et du seuil de non perception de l’impôt.
Pour quelles raisons certains couples mariés ou pacsés gagneraient-ils à être imposés séparément ?
Si l’idée que le mariage permet de faire des économies d’impôts est largement répandue, certains dispositifs avantagent les couples imposés séparément (dispositifs de redistribution en faveur des revenus modestes en particulier). Autrement dit, le quotient conjugal n’est pas le seul dispositif fiscal qui modifie l’imposition des couples, d’autres dispositifs jouant plutôt en défaveur des déclarations communes.
C’est par exemple le cas de la prime pour l'emploi (PPE), qui est calculée individuellement : l’imposition commune ou séparée ne devrait donc pas avoir d’incidence. Mais il existe une condition sur le revenu total de la déclaration. Dans certains cas, déclarer en même temps qu'une personne ayant des revenus élevés peut écarter une personne du dispositif de la PPE et donc donner un avantage à la déclaration séparée. C’est aussi le cas du revenu de solidarité active (RSA) qui est calculé au niveau du couple, que celui-ci soit lié par contrat ou non. Le RSA activité est déduit du montant de la PPE calculée. En cas d’imposition séparée, l’administration demande à chaque conjoint de déclarer la moitié du RSA activité du couple. Si un seul des membres du couple peut bénéficier de la PPE (ce qui est souvent le cas pour les bénéficiaires du RSA éligibles à la PPE), il ne déduit qu’un demi-RSA activité et non le RSA activité complet. Sa PPE est donc amputée d’un montant plus petit, ce qui, au final, avantage la déclaration séparée.
Par ailleurs, une fois appliqué le barème, il existe un dispositif particulier qui diminue le montant d’impôt lorsque celui-ci est faible : la décote. Les 454 euros du couple avec 20 000 euros de revenus seront par exemple, ramenés à 248 euros après l’application de la décote. L’influence de la décote dépend des montants obtenus après application du barème. Toutefois ce dispositif peut s’appliquer deux fois en cas d'imposition séparée ce qui, la plupart du temps, rend cette déclaration séparée plus intéressante. Le minimum de perception de l’impôt de 61 euros peut aussi s’appliquer deux fois avec deux déclarations et a donc plus de chance d’intervenir dans ce cas qu’en cas d’imposition jointe. Ainsi, les couples en union libre sont-ils parfois avantagés, notamment lorsque les rémunérations du couple permettent d’appliquer deux fois la décote ou le seuil de perception minimum.
Enfin, la présence d’enfants peut aussi les conduire à optimiser leur impôt en répartissant ces enfants entre eux au mieux du quotient familial. En cas d’imposition séparée, il est en effet possible de choisir le conjoint qui déclare les enfants à sa charge et ainsi minimiser l'impôt sur le revenu dû par l'ensemble des deux conjoints, ce que ne permet pas par construction l’imposition commune.
Pour les autres couples (19 %), l’imposition commune ou séparée ne modifie pas le montant d'impôt (11). Les principaux résultats de l’étude de l’Insee précitée (Eidelman, 2013), sur les couples mariés ou pacsés gagnants et perdants l’imposition commune, sont présentés ci-après.
MONTANTS MOYENS DES GAINS OU DES PERTES À L’IMPOSITION COMMUNE PAR DÉCILE DE NIVEAU DE VIE DU COUPLE
PROPORTIONS DE COUPLES MARIÉS OU PACSÉS GAGNANTS ET PERDANTS À L’IMPOSITION COMMUNE SELON LE DÉCILE DE NIVEAU DE VIE DU COUPLE
Lecture : parmi les couples mariés ou pacsés du quatrième décile de niveau de vie, 68 % sont gagnants à l’imposition commune, 18 % sont perdants et pour 14 % d’entre eux, la situation est indifférente. Les couples sont classés suivant leur niveau de vie de 2011, l’année où ils paient l’impôt sur leurs revenus de 2010 (champ : France métropolitaine, couples mariés ou pacsés vivant en ménages ordinaires dont la personne de référence n’est pas étudiante).
Source : « L’imposition commune des couples mariés ou pacsés : un avantage qui n’est pas systématique », Alexis Eidelman, division des études sociales de l’Insee, Insee Analyses n° 9 (mai 2013)
3. Un système différent par rapport à d’autres pays européens
La prise en compte de la situation de couple dans l’imposition est très variable d’un pays à l’autre.
Comme l’a souligné récemment la ministre des Droits des femmes (12), en observant qu’il est « très coûteux de travailler pour le deuxième apporteur de ressources du ménage, qui est souvent la femme », seuls quelques pays de l’OCDE pratiquent la « familialisation obligatoire » de l’impôt sur le revenu.
Parmi les pays de l’OCDE, selon une étude portant sur les législations applicables en 2009 (13), on peut trouver des pays qui ont :
– une imposition conjointe et un quotient conjugal semblable à celui de la France : Luxembourg, Portugal et Suisse ;
– un système d’imposition séparée « pur », c’est-à-dire sans prise en compte du conjoint : Autriche, Danemark, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Mexique, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Suède, Turquie, Royaume-Uni ;
– un système d’imposition séparée avec abattements ou crédits pour les deux conjoints, quelle que soit leur situation, et possibilité de report de cet avantage sur le conjoint au plus fort revenu s’il ne bénéficie pas entièrement à l’autre : Belgique, Islande ;
– un système d’imposition séparée, mais avec des mécanismes d’abattements ou de crédits d’impôt lorsque le conjoint gagne moins qu’une certaine somme : Australie, Canada, République Tchèque, Japon, Corée, République Slovaque ;
– un système d’option donnant le choix entre l’imposition commune ou l’imposition séparée (option libre ou sous conditions). Ainsi, la Norvège, la Pologne, l’Espagne ont un système d’imposition séparée avec option pour une imposition commune. Inversement, l’Allemagne, l’Irlande et les États-Unis ont conservé un système d’imposition jointe, mais laissent le choix aux contribuables d’opter pour la taxation séparée dans certaines circonstances.
Maria Jepsen, économiste, a proposé en 1997 une classification basée sur le degré et le type d’imposition conjointe en vigueur dans les quinze pays que comptait alors l’Union européenne. Cette classification a été corroborée dans une récente étude de l’OCDE (14). Dans un article publié en 2012 (15), elle souligne que « d’après ces données, une majorité de pays utilise l’individu comme unité d’imposition mais (….) cela ne se traduit pas par un système fiscal totalement individualisé parce que des crédits d’impôt, des abattements, des mécanismes de transfert, ont été introduits pour reproduire certaines caractéristiques du système d’imposition conjointe. Dès lors, il n’existe pas dans l’Union européenne de systèmes d’imposition totalement individualisés. Seuls le Danemark, la Suède et la Finlande s’en rapprochent ; l’unité d’imposition est l’individu et il n’existe pas de déductions fiscales spécifiques liées à la situation du ménage. Mais ces trois pays permettent le transfert entre époux de certains abattements, en simulant ainsi des éléments d’imposition conjointe. Dans les systèmes d’imposition conjointe, la situation du ménage est prise en compte de différentes manières, d’abord via l’unité d’imposition et ensuite via une série de déductions liées à la composition du ménage. »
Il est également intéressant de regarder de manière plus détaillée la situation fiscale dans différents pays appartenant aux divers groupes établis par l’OCDE (16) :
– qu’il s’agisse des couples mariés, en concubinage ou ayant contracté un « partenariat civil », le Danemark pratique l’imposition individuelle sur le revenu de chacun des partenaires ; pour les couples mariés, toute déduction d’impôt applicable à l’un des deux époux peut être transférée à son conjoint ;
– concernant l’Allemagne, on observe que les époux ont le choix entre l’imposition conjointe (qui suppose l’accord des deux époux pour être mise en œuvre) et l’imposition séparée de leurs revenus, qui est choisie par la plupart des couples mariés ; la Cour constitutionnelle fédérale a jugé que ce mode de calcul de l’impôt sur le revenu devait aussi s’appliquer aux couples vivant en union civile dans le cadre d’un « partenariat de vie » ;
– au Royaume-Uni, le système d’imposition séparée ou indépendante (independant taxation) existe depuis 1990 ; avant cette date, les couples mariés étaient obligatoirement imposés sur une base commune ;
– en Espagne, les couples mariés, non mariés ou séparés ont le choix entre une déclaration individuelle (qui est la règle générale) ou une déclaration commune, ce choix devant être fait par tous les membres de la famille soumis à l’impôt et valable pour une année d’imposition (il est donc possible en principe de modifier son régime de déclaration fiscale chaque année) ; les déclarations communes sont soumises au même barème d’impôt sur le revenu que les déclarations individuelles, mais la déclaration commune ouvre droit à une déduction plus importante du revenu imposable (les couples mariés peuvent déduire 3 400 € et les couples non mariés ou légalement séparés 2 150 €) ;
– aux Pays-Bas, les couples mariés ou ayant contracté un partenariat civil constituent de facto un « partenariat fiscal », statut qui leur permet de choisir entre les systèmes de l’imposition conjointe ou de l’imposition individuelle de chacun des conjoints ; peuvent également être considérés comme « partenaires fiscaux », et imposés conjointement s’ils en font expressément la demande, toutes les personnes qui cohabitent officiellement à la même adresse, si cette cohabitation remplit certaines conditions ;
– enfin, en Belgique, dont le système fiscal était mentionné brièvement dans le rapport de Séverine Lemière (décembre 2013), le principe est l’imposition commune avec taxation séparée des revenus perçus par chacun des conjoints au barème de l’IPP. Sur la base des éléments déclarés par chaque conjoint sur la déclaration commune d’IPP, les services fiscaux déterminent si le couple a fiscalement un intérêt à se voir appliquer le quotient conjugal. Si tel est le cas, ce quotient est attribué d’office.
La tendance à l’individualisation de l’IR est très nette sur le plan international, la Suède ayant abandonné le quotient conjugal en 1971 et le Royaume-Uni en 1990, par exemple (Conseil des prélèvements obligatoires, 2010). Ce système a été mis en place en France en 1946 ; ses objectifs sont-ils toujours valables aujourd’hui, compte tenu notamment des différentes évolutions sociales intervenues depuis son institution ?
B. LES ÉVOLUTIONS INTERVENUES DEPUIS L’INSTITUTION DE CE SYSTÈME
1. Des travaux récents montrent que la mise en commun des revenus n’est pas systématique dans les couples
Le quotient conjugal repose sur le postulat d’un partage des ressources au sein du foyer, certains économistes soulignant même dans ce sens qu’il part « du principe normatif que le couple doit nécessairement fonctionner comme une entité unique qui met en commun l’ensemble des ressources de ses membres et prend toutes les décisions “comme un seul homme” » (Landais, Piketty et Saez, 2012).
Or les études sociologiques montrent combien les pratiques des couples sont aujourd’hui variées et parfois complexes en matière de gestion de leurs revenus, le long d’un continuum allant de la mutualisation totale à la séparation intégrale.
En France, une étude dirigée par l’économiste Sophie Ponthieux (Insee, 2012) a ainsi montré que parmi les couples qui vivent ensemble depuis au moins un an, et dont au moins un des conjoints est actif (qui représentent près de la moitié des couples français), moins des deux tiers déclaraient mettre leurs revenus intégralement en commun en 2010. Les autres se répartissent à peu près également entre ceux qui déclarent mettre en commun seulement une partie de leurs revenus et ceux qui déclarent les séparer totalement.
L’ORGANISATION DES REVENUS DANS LES MÉNAGES ACTIFS EN 2010
Champ : couples dont au moins un des conjoints est actif (ayant un emploi ou étant au chômage au moment de l’enquête)
Source : « La mise en commun des revenus dans les couples », Sophie Ponthieux, économiste, chargée de mission à l’Insee, Insee premières, n° 409 (juillet 2012), d’après l’enquête Emploi du temps 2010 (module « décisions dans les couples »)
Plus finement, il ressort de ces travaux que la mise en commun totale est plus répandue quand les conjoints sont mariés, ont des enfants et aussi, nécessairement, quand l’un d’eux est inactif. En sens inverse, la mise en commun totale des revenus est moins fréquente pour les couples pacsés ainsi que dans les couples recomposés lorsqu’il ne s’agit pas d’une première union (17). Selon l’auteure de cette étude, cela pourrait s’expliquer notamment par le fait que les partenaires ayant déjà eu une expérience de rupture peuvent être moins confiants dans la permanence des relations conjugales ou avoir expérimenté les difficultés d’une séparation au moment de « démêler » les comptes.
Le principe d’organisation des revenus varie également selon l’ancienneté du couple (18) et les caractéristiques économiques du ménage. En particulier, la mise en commun totale des revenus est moins fréquente dans les couples bi-actifset dans les couples où le diplôme ou le niveau de vie sont élevés (19).
Ces constats rejoignent ceux obtenus dans les études comparables menées à l’étranger. Ils suggèrent également que le modèle de mise en commun totale des revenus pourrait devenir moins fréquent, compte tenu de l’augmentation tendancielle de la part des couples bi-actifs, des évolutions des formes d’union et de la moindre stabilité des ménages (cf. infra). En tout état de cause, la mise en commun totale des revenus – postulat sur lequel repose le quotient conjugal – n’est pas systématique dans les couples.
Il convient d’ailleurs de rappeler que, depuis 1985, le code civil pose le principe de libre jouissance des revenus professionnels (20) et prévoit également que les époux contribuent aux charges du mariage « à proportion de leurs facultés respectives (21) », en reconnaissant ainsi que ces facultés peuvent être inégales. Autrement dit, le code civil n’associe pas automatiquement mariage et mise en commun intégrale des ressources entre conjoints. L’autonomie professionnelle des conjoints et le droit de disposer de son salaire sont donc reconnus dans le code civil, mais non dans la législation fiscale qui retient une vision globale des ressources et des dépenses du couple (Allègre et Périvier, 2013).
La mise en commun totale des revenus au sein des couples est par ailleurs moins durable du fait des séparations plus fréquentes. Pour ses détracteurs, le quotient conjugal reflète un modèle familial conservateur, sinon patriarcal et archaïque, dans lequel le « chef de famille » pourvoit aux besoins du ménage, son épouse restant au foyer – les couples monoactifs étant d’une certaine manière « subventionnés » par des dispositifs tels que le quotient conjugal, selon ce type de lecture –, et dans lequel le salaire de la femme est perçu comme un « revenu d’appoint ».
2. Les évolutions sociologiques concernant les couples : une fiscalité non neutre vis-à-vis des choix de vie individuels et favorisant certaines formes d’unions
Tout d’abord, les unions hors mariage se sont largement développées depuis une quarantaine d’années. Un rapport récent du CESE (22) sur les évolutions contemporaines de la famille souligne à cet égard que la progression du concubinage et du Pacs traduit « une volonté des individus de privilégier des formes d’union plus souples », en observant par ailleurs que « le désir d’émancipation des individus, la maitrise de la fécondité́, l’égalité́ des sexes et le travail féminin sont devenus des aspirations dominantes ».
Sur longue période, on observe également la progression du nombre de familles recomposées et monoparentales ainsi que celle du nombre de personnes vivant seules (23). Ces évolutions ne sont pas sans incidence sur l’imposition dans les ménages, au regard des pratiques de mise en commun des ressources (moins fréquentes dans les couples pacsés et recomposés par exemple), mais aussi des économies d’échelle permises par la vie en couple, qui ne sont pas suffisamment prises en compte dans le système actuel de parts, ce qui conduit à imposer davantage les célibataires par rapport à des couples (cf. infra, II).
Enfin, les séparations, aujourd’hui plus fréquentes, peuvent révéler des situations de vulnérabilités induites par une répartition trop sexuée des rôles, en particulier pour les femmes. Dès lors, tout ce qui peut donc favoriser la bi-activité au sein des couples évite aux individus de tomber dans la précarité une fois le couple défait, comme l’a souligné la ministre des Droits des femmes. En matière de fiscalité, « la critique de genre » est « associée à celle des droits sociaux dérivés », mis en cause en raison notamment de leur effet potentiel sur l’emploi des femmes, mais aussi parce qu’ils « reposent sur un lien de dépendance qui conduit à l'insécurité de leurs titulaires, en raison de la déstabilisation des liens matrimoniaux et de la vulnérabilité au chômage des familles monoactives » (Monnier, 2012).
À la diversité des pratiques (mise en commun des ressources), des caractéristiques socioéconomiques, des formes d’union et de la longévité des couples (évolutions sociologiques), s’ajoute enfin la disparité de leur traitement par le système socio-fiscal.
3. Les dissonances dans le traitement fiscal et social des couples
Depuis l’institution du quotient conjugal, plusieurs dispositifs fiscaux et sociaux ont été mis en place, en prenant en compte différemment (concubinage), voire pas du tout (individualisation) l’existence des couples.
S’agissant par exemple de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), les couples mariés et pacsés sont soumis à imposition commune, mais les revenus des « concubins notoires » sont également pris en compte dans son assiette, contrairement à l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), qui ne reconnaît que les couples unis juridiquement.
Il convient par ailleurs de rappeler, dans sa forme actuelle, le prélèvement direct sur les revenus des ménages comprend principalement deux composantes : l’IRPP, créé au début du vingtième siècle, mais aussi la contribution sociale généralisée (CSG), instituée en 1991, lesquels se différencient fortement par leur profil. En effet, la CSG est individualisée, calculée avec un taux proportionnel sur une assiette large, alors que l’IRPP est un impôt familialisé, calculé selon un barème progressif sur une assiette comportant une multiplicité d’allégements. De ce point de vue, la logique d’individualisation peut donc sembler d’ores et déjà prise en compte, au moins en partie, par le système de prélèvements sur le revenu (24).
C’est également le cas, dans une certaine mesure, pour la PPE crédit d’impôt en faveur des travailleurs-ses modestes, qui a d’abord un caractère individuel, et n’est que « faiblement et imparfaitement familialisé » (Cour des Comptes, 2011).
On observe également des divergences entre politique fiscale et politique sociale, comme l’illustre le revenu de solidarité active (25). En effet, le montant du RSA dépend de la composition du foyer, au sens de l’ensemble des personnes vivant sous le même toit, soit les enfants à charge de moins de 25 ans et les conjoints (mariés, pacsés ou en union libre). Le montant de cette prestation est donc identique, quel que soit le lien juridique unissant, ou non, les deux membres du couple. S’agissant du « RSA majoré » qui est destiné aux parents isolés (le plus souvent des femmes), il cesse d’être versé dès lors que son bénéficiaire vit en couple.
L’union libre (et non uniquement le mariage) est donc prise en compte comme une situation de mise en commun par le système social.
Le système socio-fiscal reconnaît ainsi les couples de concubins lorsque cela peut permettre de diminuer certaines dépenses sociales (suppression du RSA majoré en cas de concubinage), voire d’engranger de plus grandes rentrées fiscales (ISF), mais pas si cela peut conduire à accorder un avantage fiscal à un plus grand nombre de ménages (si le quotient conjugal était également reconnu à des couples de concubins).
Illustrant la grande complexité du système fiscal et social, ces quelques exemples soulèvent également la question de ce qui « fait couple » aujourd’hui : est-ce uniquement le contrat, le lien juridique qui unit deux individus – mariage ou pacs – ou bien encore le fait de vivre ensemble depuis plusieurs années, d’avoir des enfants, voire d’être co-acquéreurs d’une résidence principale par exemple ? Et dans quelle mesure cela doit-il être « validé », reconnu ou non par la réglementation ?
Par ailleurs, des dispositifs individualisés tels que la CSG et la PPE conduisent à s’interroger sur la possibilité d’une individualisation de l’IR, d’autant que celle-ci pourrait présenter plusieurs avantages du point de vue de l’autonomie des femmes.
II. L'INDIVIDUALISATION DE L'IMPÔT (IMPOSITION SÉPARÉE) : UNE PISTE INTÉRESSANTE QUI MÉRITE D’ÊTRE APPROFONDIE
A. UNE MESURE QUI PERMETTRAIT DE LEVER UN FREIN À L’EMPLOI DES FEMMES
1. L’augmentation de l’activité des femmes depuis plusieurs décennies
En France, 67 % des femmes âgées de 20 à 64 ans étaient en emploi en 2011, contre 75 % des hommes. Cet écart s’est toutefois significativement réduit depuis plusieurs années, tandis que la part des « femmes au foyer » a diminué de 12 points en vingt ans (Insee, 2013).
ÉVOLUTION DU TAUX D’EMPLOI DES FEMMES ET DES HOMMES DE 15 À 64 ANS
Source : Dares (décembre 2013)
Corrélativement, la part des couples monoactifs – qui bénéficient davantage du quotient conjugal– tend à diminuer, tandis que la contribution des femmes aux revenus des couples progresse depuis plusieurs années. Selon une étude de l’Insee publiée en mars 2014, les femmes contribuent aujourd’hui à hauteur de 36 % aux revenus du couple en moyenne (cf. graphique ci-après), la contribution des femmes aux revenus du couple étant plus faible quand elles sont mariées – 34 %, contre 41 % dans les couples en concubinage ou pacsés ; soulignons que cela ne prend pas en compte le production domestique non salariée telle que la garde d’enfants, le ménage, la cuisine, etc. Il est par ailleurs intéressant de relever que, contrairement à la vision traditionnelle des femmes comme « salaire d’appoint », aujourd’hui, une femme sur quatre gagne plus que son conjoint (Insee, 2014).
CONTRIBUTION DES FEMMES AUX REVENUS DU COUPLE DE 2002 À 2011
Lecture : en moyenne, la femme contribue à 36 % des revenus du couple en 2011. Champ : couples composés d’un homme et d’une femme âgés de 20 à 59 ans, hors étudiants.
Source : « Trois femmes sur quatre gagnent moins que leur conjoint », Insee Première n° 1492 (mars 2014)
Ces évolutions méritent d’être prises en compte dans le cadre d’une réflexion globale sur la fiscalité des ménages, et ce d’autant plus :
– que le taux d’inactivité des femmes reste sensiblement supérieure à celui des hommes (26) et qu’il persiste un décrochage important en termes d’emploi en ETP du fait de la féminisation importante des emplois à temps partiel (plus de 80 %), d’où l’importance de déployer des politiques publiques mobilisant l’ensemble des leviers, y compris fiscaux si nécessaire, pour lever les freins à l’emploi des femmes ;
– qu’il y a là un levier stratégique de croissance : l’annulation des écarts d’emploi pourrait en effet accroître le PIB potentiel de plus de 9 points d’ici 2030, et serait également de nature à consolider le système de protection sociale.
Il apparait donc nécessaire travailler à une refonte du système actuel en prenant en compte le deuxième apporteur de ressources (souvent les femmes).
TAUX D’EMPLOI EN ETP : UN ÉCART FEMMES-HOMMES QUI DIMIMUE MAIS RESTE SIGNIFICATIF EN RAISON DE LA FÉMINISATION DU TEMPS PARTIEL
Source : Insee (2013)
2. Une mesure nécessaire pour construire l’égalité professionnelle
Lorsque les revenus sont différents, le taux marginal d’imposition du second apporteur de ressources (souvent les femmes) est supérieur à ce qu’il serait dans le cas d’une déclaration séparée, avec ainsi une forme de « surtaxe », et un taux plus faible pour son conjoint.
Il peut donc y avoir une différence de gains au retour à l’emploi entre un couple en union libre et un couple uni juridiquement, comme l’illustre l’exemple présenté dans le graphique ci-après (Trésor), ce à quoi peut d’ailleurs s’ajouter la perte de certaines prestations sociales.
C’est la raison pour laquelle le quotient conjugal a été critiqué comme une désincitation financière à l’emploi pour le second apporteur de ressources, soit la femme le plus souvent.
Selon une étude publiée en 2003, l’individualisation de l’impôt – qui ne reposerait donc plus sur les revenus supposés mis en commun du couple – pourrait permettre d’accroître de 0,6 point le taux de participation au marché du travail et « se solderait donc au maximum (…) par près de 80 000 emplois supplémentaires » (Echevin, 2003).
GAIN AU RETOUR À L’EMPLOI POUR UNE PERSONNE REPRENANT UN EMPLOI À TEMPS PLEIN AU SMIC SELON LE REVENU DU CONJOINT ET LE STATUT DE L’UNION
Note : La différence de gains entre un couple en union libre et un couple en union juridique est exprimée en % des revenus nets salariaux du couple (échelle de droite). Le gain de revenu disponible associé au retour à l’emploi du conjoint est exprimé en valeur (échelle de gauche). Lecture : Le revenu disponible d’un couple monoactif où le conjoint en emploi gagne 3 SMIC et où le conjoint inactif reprend un emploi à temps plein au SMIC (1055 € nets par mois) progresse de 915 € pour les couples mariés ou pacsés et 1 045 €pour les couples de concubins. Le gain au retour à l’emploi est ainsi 3 % supérieur pour un couple de concubins que pour un couple uni juridiquement. L’évaluation du gain au retour à l’emploi va dépendre principalement des prestations et du taux marginal d’imposition.
Source : DG Tresor (annexe n° 3 au rapport du HCF sur l’architecture des aides aux familles, avril 2011)
Une autre étude plus récente sur les effets de l’individualisation (Carbonnier, 2007) conclut à une élasticité moyenne de l’offre de travail des conjoints aux taux d’imposition de 0,05 ce qui est certes faible, mais non négligeable (27), cette élasticité étant plus importante pour certaines catégories de femmes (cf. l’encadré ci-dessous).
TAUX D’ACTIVITÉ DES FEMMES MARIÉES ESTIMÉ AVANT ET APRÈS LA RÉFORME (INDIVIDUALISATION DE L’IMPÔT)
Décile de niveau de vie |
Taux d’activité estimé avant la réforme |
Taux d’activité estimé après la réforme |
Variation du taux d’activité |
Augmentation de la participation féminine |
1 |
41,4 % |
41,4 % |
0 |
+ 234 |
2 |
47,3 % |
47,5 % |
+ 0,1 % |
+ 1 630 |
3 |
55,7 % |
56,1 % |
+ 0,4 % |
+ 4 538 |
4 |
64,3 % |
65 % |
+ 0,7 % |
+ 7 334 |
5 |
72,1 % |
72,7 % |
+ 0,5 % |
+ 6 144 |
6 |
79,3 % |
80,1 % |
+ 0,8 % |
+ 9 898 |
7 |
83,7 % |
84,3 % |
+ 0,7 % |
+ 8 501 |
8 |
85,5 % |
86,3 % |
+ 0,9 % |
+ 11 231 |
9 |
88,7 % |
89,7 % |
+ 1 % |
+ 12 731 |
10 |
85,6 % |
87 % |
+ 1,4 % |
+ 16 762 |
Ensemble |
70,4 % |
71 % |
+ 0,6 % |
+ 79 003 |
Source : Damien Echevin, 2003 (enquête revenus fiscaux 1999 actualisés 2002)
Plusieurs travaux de l’OCDE ont également évoqué la question de l’impact de l’imposition conjointe sur l’activité des femmes, et notamment le dernier rapport annuel sur la France qui invite le gouvernement à encourager l’activité féminine en optant pour l’imposition individuelle des revenus. Dans un rapport sur l’égalité femmes-hommes paru en 2012, l’OCDE souligne aussi que « des taux d’imposition supérieurs pour le second apporteur de revenu dans le ménage réduisent l’activité des femmes, les incitations fiscales au temps partiel entrant également en ligne de compte. » (cf. également le tableau ci-après).
Les conclusions d’un rapport récent de l’OCDE sur la France : « l’imposition conjointe des revenus du ménage peut freiner l’activité des femmes »
« L’un des inconvénients majeurs de l’imposition conjointe est qu’elle peut dissuader le deuxième apporteur de revenu, souvent des femmes, de travailler si le premier relève d’une tranche d’imposition supérieure et que le nombre de parts est trop élevé : le deuxième apporteur qui entre dans la vie active est imposé à un taux marginal supérieur à celui d’une personne célibataire. Pour cette raison, nombre de pays de l’OCDE ont opté pour l’imposition individuelle (OCDE, 2011).
En France, le coin fiscal moyen, calculé en comparant le salaire net après impôts (CSG comprise) et le super brut, est pour un deuxième apporteur de revenu sans enfant supérieur d’environ 5 points à celui d’un travailleur célibataire. L’écart se creuse à 10 points avec deux enfants (OCDE, 2011, ibid.). Les taux marginaux effectifs et les taux d’imposition moyens du deuxième apporteur ont toutes les chances d’être encore nettement plus élevés si l’on tient compte des transferts en espèces et des prestations en nature. Les résultats de Carbonnier (2007) suggèrent que même si l’impact global de l’imposition jointe sur le taux de participation des femmes est limité, le taux d’activité de certaines catégories de femmes réagit plus fortement aux incitations, notamment les femmes sans enfants, avec des enfants de plus de trois ans, et celles dont le conjoint gagne entre 2,5 et 4 SMIC. Sur un échantillon de pays de l’OCDE, Jaumotte (2003) montre que l’imposition jointe diminue de façon significative le taux de participation des femmes. Le gouvernement devrait encourager l’activité féminine en optant pour l’imposition individuelle des revenus.»
Source : OCDE, Études économiques de l’OCDE : France (mars 2013)
ESTIMATIONS ÉCONOMÉTRIQUES DES DÉTERMINANTS DE L’ACTIVITÉ FÉMININE DANS LES PAYS DE L’OCDE DE 1980 À 2007
Le taux d’imposition du second apporteur de revenu est calculé à partir du ratio entre le taux d’imposition marginal du second revenu et le coin fiscal, pour un couple à un seul apporteur de revenu avec deux enfants, dont la rémunération équivaut à 100 % du salaire moyen. Le taux d’imposition marginal du second revenu se définit à son tour comme la part des revenus de la femme qui est consacrée au paiement du surcroît d’impôts du ménage. Les incitations fiscales au temps partiel sont mesurées par l’augmentation du revenu disponible du ménage constatée entre la situation où le mari génère l’intégralité du revenu du ménage (133 % des gains moyens) et la situation où les deux conjoints se partegent les revenus (100 % et 33% des revenus moyens respectivement), pour un couple avec deux enfants (28).
Source : estimations du secrétariat de l’OCDE (« Inégalités hommes-femmes : il est temps d’agir », 2012)
Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) a par ailleurs recommandé de réformer le quotient conjugal, dans son avis sur le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, publié en septembre 2013 (29).
Au regard de l’ensemble de ces travaux, il est donc permis de s’interroger sur l’opportunité d’une réforme du quotient conjugal en vue de lever une désincitation à l’emploi pour le second apporteur de ressources. Dans ce sens, le rapport récent de la mission coordonnée par Séverine Lemière sur l’emploi des femmes, remis à la ministre des Droits des femmes en décembre dernier, a ainsi préconisé de « lever les freins à l’emploi des femmes par la politique fiscale, notamment en étudiant l’hypothèse de l’individualisation de l’impôt sur le revenu et a minima en plafonnant le quotient conjugal ».
Une réforme de ce dispositif présenterait l’avantage d’assurer une plus grande cohérence dans les politiques publiques, compte tenu des actions et moyens importants mobilisés aujourd’hui pour soutenir l’emploi des femmes.
Rappelons à cet égard que le gouvernement s’est fixé pour objectif d’annuler d’ici dix ans l’écart de taux d’emploi entre femmes et hommes. La remise à plat de la fiscalité est un instrument qui ne peut être négligé pour atteindre cet objectif.
3. Une mesure favorable à la croissance
Lutter contre les inégalités en matière d’emploi des femmes est non seulement une question de justice, mais aussi de performance sur le plan macro-économique.
En effet, ce levier de la fiscalité mériterait d’autant moins d’être négligé que le développement de l’activité féminine peut constituer un levier de croissance stratégique pour notre pays.
À cet égard, l’OCDE souligne que si l’économie française venait à faire un usage plus efficace des compétences de chacun en termes d’éducation et de participation économique, et si la parité entre les sexes dans la participation au marché du travail était réalisée au cours des 20 prochaines années, cela conduirait à une augmentation de 5,2 % de la population active et à une hausse annuelle de 0,4 point du taux de croissance du PIB par habitant, soit une augmentation du PIB de 9,4 % entre 2010 et 2030 (30) (OCDE, 2013).
B. UN MOYEN DE FAVORISER L’ÉQUITÉ FISCALE, LA NEUTRALITÉ VIS-À-VIS DES CHOIX DE VIE INDIVIDUELS ET L’EMANCIPATION DES FEMMES
1. Une mesure favorable au libre choix et à l’émancipation des individus
L’équité du système actuel d’imposition pourrait également être interrogée au regard de la différence de traitement qu’il opère selon les formes d’union. En effet – et indépendamment d’autres considérations qui peuvent par ailleurs conduire à soutenir certaines formes d’union, au regard de la protection du conjoint par exemple (couples mariés ou pacsés) – il apparaît que des concubins peuvent être davantage imposés que d’autres couples mariés ou pacsés ayant un même niveau de vie (à ressources équivalentes et avec même nombre d’enfant(s) le cas échéant), ce qui, du seul point économique, peut être discuté en termes d’équité fiscale dès lors qu’ils ont les mêmes capacités contributives.
Ceci soulève aussi, plus largement, la question de la neutralité du système fiscal au regard des choix de vie individuels. Certains économistes considèrent ainsi que « l’administration fiscale doit cesser de se soucier de qui vit en couple avec qui. D’abord parce que cela change tout le temps, et parce que la législation fiscale n’est pas là pour récompenser ou blâmer les différentes formes de vie familiale. Il est plus que temps que cette question sorte du conflit politique et que l’impôt affiche une certaine neutralité par rapport aux choix individuels de vie en couple. La meilleure façon d’obtenir ce résultat est l’individualisation complète de l’impôt sur le revenu (31) ». L’un des avantages de ce système tient ainsi à sa neutralité vis-à-vis des formes de vies et de négociations familiales, tandis que le système actuel du quotient conjugal peut être susceptible de donner plus de pouvoir de négociation au premier (voire unique) apporteur de ressources du ménage.
En tout état de cause, ce n’est pas à la fiscalité de décider ou d’influencer le mode de vie des citoyens.
Avec un impôt individualisé, le mari et la femme (ou les partenaires d’un pacs) seraient considérés comme deux sujets économiques autonomes, en s’inscrivant ainsi dans ce qui peut apparaître comme une vision plus moderne de l’impôt qui porte en elle l’égalité entre femmes et hommes, dans la famille et dans la sphère professionnelle. Il pourrait également favoriser un rapport individuel et émancipé des citoyens à l’administration fiscale et à l’État social.
Sur le plan symbolique, cela conduirait à supprimer ce qui peut apparaître comme l’un des vestiges d’un système paternaliste et daté, dans lequel les femmes sont considérées comme un travail et un revenu d’appoint.
Il s’agit ainsi de reconnaître la pleine citoyenneté des femmes. En effet, comme l’a souligné Mme Nathalie Pilhes, présidente de l’Assemblée des femmes de Paris-Île de France lors de son audition, la mise en œuvre de droits universels passe par l’attribution de droits propres, attachés aux personnes et non accordés au titre du conjoint (32). Le système fiscal doit reconnaître les individus adultes comme autonomes, indépendamment de leur sexe et de leur statut familial : la pleine citoyenneté suppose une existence devant l'impôt et passe par un statut personnel du contribuable.
Il est clair que l’individualisation de l’impôt ou la réforme éventuelle du quotient conjugal peuvent aussi être défendus comme une question de principes qui peut être susceptible d’apporter une dimension émancipatrice à une réforme de l’imposition des ménages, et pas uniquement pour les femmes.
Le quotient conjugal conduit à créer des situations d’une équité discutable en termes de redistribution.
Tout d’abord, l’avantage procuré par ce système ne permet pas de prendre en compte les économies d’échelle liées à la vie en couple, telles que les reflète l’échelle d’unités de consommation de l’Insee (cf. tableau ci-après). Autrement dit, la présence d’un second adulte ne double pas le coût de la vie : un coefficient (quotient) de deux tend dès lors à favoriser les couples. Ce système a donc d’une certaine manière pour effet de surimposer relativement les célibataires, et donc notamment les familles monoparentales, au regard de leur niveau de vie et de leurs capacités contributives réelles.
COMPARAISON DES UNITÉS DE CONSOMMATION ATTRIBUÉES PAR L’ÉCHELLE D’ÉQUIVALENCE OCDE-INSEE, DES PARTS DONNÉES PAR LE SYSTÈME DE QUOTIENT FAMILIAL ET DE L’ÉCHELLE D’ÉQUIVALENCE APPLIQUÉE PAR LE RSA
Source : OFCE (Revue de l’OFCE, Débats et politiques n° 122, 2012)
D’autre part, comme cela a été évoqué plus haut, le quotient conjugal bénéficie mécaniquement davantage aux couples ayant des revenus élevés.
Par ailleurs, et plus généralement, le fonctionnement du système fiscal est aujourd’hui complexe. On peut observer que l’imposition conjointe et le quotient conjugal peuvent induire des avantages fiscaux lorsqu’un couple décide de se marier ou se pacser, mais aussi, parfois, une forme de « pénalité au mariage » pour certains niveaux de revenus et en fonction de la situation particulière du couple (en particulier les moins aisés). De ce point, l’individualisation de l’impôt présenterait l’avantage d’être un dispositif a priori plus simple.
Il s’agit d’une réforme qui aurait un impact important et mériterait d’être davantage évalué. Il apparaît tout d’abord que l’individualisation de l’impôt, et donc la suppression du quotient conjugal, se traduirait par un impact financier important pour les ménages.
On peut observer que les simulations faites s’entendent toutes choses égales par ailleurs – c’est-à-dire, par exemple, sans prendre en compte la création d’éventuels abattements ou crédits au titre des conjoints, comme cela peut se faire dans certains pays européens ayant un système d’imposition séparée, et qui pourraient donc conduire à limiter l’impact financier d’une telle réforme – , et ne prennent pas non plus en compte les gains financiers qui pourraient être générés (pour les ménages, mais aussi pour les finances publiques et sociales) par l’accroissement de l’activité de certaines femmes du fait de cette réforme.
Il serait bienvenu de disposer d’études complémentaires pour affiner l’analyse des impacts, directs et indirects, d’une individualisation de l’impôt et différents scenarii de réforme, y compris par exemple des formes d’individualisation « tempérée », comme cela se fait dans certains pays européens.
La question de l’impact d’une réforme du quotient conjugal sur l’activité des femmes suscite certaines réserves.
SITUATION DES FEMMES VIS-À-VIS DE L’EMPLOI SELON LA TRANCHE DE REVENU DU COUPLE
Source : « Trois femmes sur quatre gagnent moins que leur conjoint », Insee Première n° 1492 (mars 2014)
Les travaux d’Irène Dingeldey, qui datent toutefois de 2001, montrent que les comportements individuels de participation des femmes au marché du travail sont la conséquence d’arbitrages opérés au sein des couples et sont le produit de facteurs aussi différents que la régulation du travail à temps partiel, la politique de la famille et de l’emploi ou la configuration du système fiscal.
Il convient également de prendre en compte la conjoncture économique ainsi que les contraintes liées à la demande de travail.
La suppression du quotient conjugal peut tout d’abord poser la question du traitement fiscal de la présence du conjoint. Conviendrait-il par exemple de prendre en en compte, d’une manière ou d’une autre, la situation des couples dont l’un est au chômage, sinon le temps partiel subi ? Faudrait-il prévoir des dispositifs d’abattement, crédit d’impôt ou autre, comme cela peut exister dans d’autres pays européens, et le cas échéant selon quelles modalités ? Plus généralement, comment prendre en compte fiscalement la solidarité entre époux qui est inscrite dans les obligations du contrat de mariage ou du Pacs en cas de suppression du quotient conjugal ? Modifier l’unité de base de l’impôt ne conduit-il pas à repenser la politique fiscale et sociale dans son ensemble ?
Cette question se juxtapose à celle de l’articulation complexe entre un système d’imposition des revenus et des transferts sociaux qui demeurent familialisés. En effet, « si l’on refuse de tenir compte dans le calcul de l’impôt du partenaire riche de l’existence du partenaire sans revenu, a-t-on le droit de tenir compte de l’existence du partenaire riche, pour évaluer l’aide sociale à laquelle le partenaire démuni a droit (33) ?».
La question peut se poser également du traitement fiscal des enfants en cas d’individualisation de l’impôt. Il convient néanmoins de rappeler qu’aujourd’hui les concubins relèvent d’un régime d’imposition séparée, mais peuvent également bénéficier, s’ils ont des enfants à charge, de demi-parts supplémentaires au titre du quotient familial.
L’individualisation de l’impôt, qui constitue la voie de réforme la plus ambitieuse, soulève plusieurs questionnements. Pour autant, plusieurs aménagements pourraient être apportés en matière d’imposition des ménages, afin de corriger certains effets du système actuel, mais aussi d’améliorer le pilotage des politiques fiscales au regard de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes.
III. DES RECOMMANDATIONS DANS UN DOUBLE OBJECTIF D’AUTONOMIE DES FEMMES ET DE JUSTICE SOCIALE
A. AMÉNAGER LES MODALITÉS D’IMPOSITION DES COUPLES
Dans un objectif de justice sociale, de redistribution, d’autonomie des femmes et d’égalité des sexes, la Délégation se fixe comme objectif de supprimer à terme le quotient conjugal et préconise dans un premier temps de donner aux couples mariés ou pacsés qui le souhaitent la possibilité d’opter pour l’imposition séparée, d’une part, et de plafonner l’avantage fiscal pour les très hauts revenus, d’autre part.
1. Donner aux couples mariés ou pacsés qui le souhaitent la possibilité d’opter pour l’imposition séparée
Si appliquer sans transition l’individualisation de l’impôt (imposition séparée) soulève un certain nombre d’interrogations, il pourrait être envisagé de donner la possibilité aux couples mariés ou pacsés d’opter librement pour l’imposition commune ou la déclaration séparée. En effet, comme cela a été souligné précédemment, la France est l’un des rares pays de l’OCDE à pratiquer l’imposition commune obligatoire pour les couples mariés ou pacsés, tandis que d’autres pays européens, comme l’Allemagne ou l’Espagne, laissent le choix à ses contribuables d’opter pour une imposition séparée, et la Belgique applique le quotient conjugal d’office, dès lors qu’il est plus favorable aux couples que celle-ci (cf. annexe 2 à la présente contribution).
La France pourrait ainsi adopter ce système de droit d’option afin de permettre aux couples de choisir en toute liberté le type d’imposition (séparée ou conjointe) qui lui convient le mieux. Au-delà des questions de principe et des préférences des couples, certains couples mariés ou pacsés pourraient d’ailleurs gagner à être imposés séparément.
Dans cette hypothèse, l’administration fiscale devra prévoir la possibilité pour les couples concernés de faire des simulations. Cela signifie qu’il pourrait y avoir un gain de pouvoir d’achat pour certains ménages.
2. Plafonner l’avantage fiscal lié au quotient conjugal pour les très hauts revenus
Une autre piste de réforme réside dans le plafonnement de l’avantage tiré de l’application du quotient conjugal. Le rendement financier d’une telle mesure serait fonction du niveau du plafond retenu. En effet, aujourd’hui, si le bénéfice du quotient familial est plafonné par la loi à 1 500€ par demi-part, il n’en est pas de même pour le bénéfice du quotient conjugal qui n’est pas plafonné juridiquement, même s’il l’est de facto au-delà d’un certain niveau de revenus. Selon le Haut conseil de la famille (HCF, 2011), l’imposition conjointe et le quotient conjugal produisent un gain augmentant avec le revenu des couples, qui est mécaniquement plafonné lorsque l’écart de revenu entre membres du foyer dépasse deux fois le plancher de la dernière tranche d’imposition ; ce plafond vaut 12 462 €, soit plus de 1 000 € par mois. Certains économistes estiment que ce bénéfice pourrait même s’élever jusqu’à 19 000 € par an, voire plus (34). Cette mesure ne correspondrait pas à un changement de philosophie de l’impôt, mais serait beaucoup plus redistributive.
Par ailleurs, comme le faisait observer cette note adoptée par le HCF, qui examinait différents scénarios d’évolution, une éventuelle réforme du quotient conjugal pourrait le cas échéant être limitée aux seuls couples sans enfants à charge, ou être plus importante pour ces derniers. En 2011, la direction générale du Trésor avait simulé, à la demande du secrétariat général du HCF, l’instauration de deux plafonds, conduisant à diminuer respectivement de 20 et 40 % l’impact pour les finances publiques du système du quotient conjugal (35). Avec les conventions retenues pour cet exercice de simulation, il en ressortait notamment que la mise en place d’un plafond à 2 590 € conduirait à une diminution de la réduction d’impôt procurée par le mécanisme du quotient conjugal de l’ordre d’environ 1,35 Mds € (36).
La présidente de votre Délégation a sollicité le ministère du Budget pour obtenir des simulations afin de pouvoir mesurer l’impact d’un plafonnement du quotient conjugal, avec notamment des plafonds plus élevés (3 000 ou 4 000 € par exemple), mais il n’a pas été possible, dans les délais impartis, d’obtenir d’éléments d’information sur ce point.
Il conviendrait donc de réaliser des simulations sur ce point, en vue d’étudier la possibilité d’instaurer un plafonnement du quotient conjugal pour les couples mariés ou pacsés ayant de très hauts revenus. La plus-value d’IR, c’est-à-dire les recettes fiscales générées par cette mesure, pourrait être réaffectée à des familles avec enfants à charge, aux foyers les plus modestes (familles monoparentales), etc., dans un objectif redistributif.
3. Approfondir d’autres pistes
– Il serait par ailleurs intéressant de disposer d’études permettant de mesurer l’impact que pourrait avoir un aménagement du système de parts fiscales – en restant donc dans un système d’imposition conjointe –, pour se rapprocher de l’échelle d’équivalence utilisée par l’Insee (qui permet de comparer les niveaux de vie), comme l’ont proposé certains économistes, en suggérant également de le coupler à une réforme visant à instituer un système de libre choix (imposition séparée/conjointe).
– Il conviendrait également d’étudier la possibilité de prévoir des mesures susceptibles de bénéficier aux couples biactifs. Aujourd’hui, le quotient conjugal conduit à imposer de la même manière un couple monoactif et un couple biactif qui perçoivent le même revenu. La ministre des Droits des femmes a souligné que « la pression fiscale doit rester stable, ce qui n’exclut pas des incitations positives à la bi-activité ».
– Dans un système plus individualisé, des travaux pourraient également être engagés pour étudier les conditions dans lesquelles les recettes fiscales liées au passage à une imposition séparée (qui représenteraient plus de 5 milliards d’euros selon les estimations présentées plus haut) pourraient être intégralement redistribuées de manière plus juste aux ménages (par des allègements fiscaux, crédits d’impôts, voire un renforcement de certaines prestations sociales).
– Il conviendrait enfin d’étudier plus attentivement les modalités éventuelles d’introduction de mécanismes d’abattements au titre des conjoints (imposition séparée, mais possibilité par exemple de bénéficier d’une réduction d’impôt lorsque les personnes ont un conjoint à ressources nulles ou faibles ou au chômage etc.), ce qui limiterait l’impact d’une individualisation de l’IR, mais pourrait aussi perpétuer certains effets négatifs du mécanisme actuel.
B. AMÉLIORER LES DISPOSITIFS DE SOUTIEN AUX SALARIÉ-E-S MODESTES
En France, 8,6 millions de personnes, dont 4,7 millions de femmes, avaient en 2010 un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté́ estimé à 60 % du revenu médian (964 euros mensuels pour une personne seule). En France, comme en Europe, le taux de pauvreté des femmes (17% dans l’UE) est plus élevé que pour les hommes. (15,7 % dans l’UE).
En termes de pauvreté économique (37), 3,7 millions de personnes relèvent de la catégorie des « travailleurs pauvres », dont environ 70 % de femmes, exerçant un emploi leur procurant un revenu inférieur à 964 euros mensuels, selon un rapport récent du CESE (38) Par ailleurs, les deux-tiers des salariés à bas salaire sont des femmes (Dares, 2009). En effet, plus fréquemment à temps partiel et plus nombreuses que les hommes dans les services aux particuliers et le secteur social par exemple, elles perçoivent plus souvent des bas salaires que leurs collègues masculins (27 % contre 10 % des hommes), l’emploi non-qualifié étant par ailleurs de plus en plus féminisé́ (il est occupé́ à 62 % par des femmes aujourd’hui contre 56 % il y a vingt ans).
RÉPARTITION ET PROPORTION DES BAS SALAIRES SELON LE SEXE
Sexe |
Répartition |
Proportion de bas salaires | |
Bas salaires |
Ensemble | ||
Femmes |
65,1 % |
42 % |
26,8 % |
Hommes |
34,9 % |
58 % |
10,4 % |
Total |
% |
100 % |
17,3 % |
Lecture : en 2006, 65,1 % des salariés à bas salaires sont des femmes, contre 42 % de l’ensemble des salariés du secteur concurrentuel ; 26,8 % des femmes (champ : salariés du secteur concurrentiel, hors apprentis et stagiaires)
Source : Dares, Premières informations/premières synthèses (mai 2009, à partir des DADS 2006)
Les femmes sont également majoritaires parmi les allocataires du RSA dont elles représentaient 57 % des bénéficiaires en 2010. Au sein de cette population, la proportion de celles qui sont à la tête d’une famille monoparentale est significative (31 %). S’agissant du « RSA majoré » qui a remplacé l’allocation de parent isolé (API), environ 85% des bénéficiaires sont des femmes. Elles représentent aussi le tiers des bénéficiaires du « RSA activité » qui permet aux travailleurs dont les revenus sont faibles de compléter leur salaire (Cese, 2013). S’agissant en revanche de la prime pour l’emploi (PPE), qui repose sur un mécanisme fiscal de crédit d’impôt sur le revenu, il n’a pas été possible d’obtenir des précisions concernant la part des femmes parmi leurs bénéficiaires.
Les caractéristiques des deux principaux dispositifs actuels visant à soutenir les revenus d’activité – la PPE et le RSA activité – sont présentés dans le tableau ci-après.
Le constat est connu : ces deux dispositifs, qui poursuivent des objectifs proches, présentent des limites fortes qui justifient une réforme, comme le souligne le rapport remis au Premier ministre, en juillet 2013, par M. Christophe Sirugue, Député et Vice-président de la Délégation aux droits des femmes. On constate en particulier un faible impact redistributif vers les foyers modestes et une contribution limitée à la réduction de la pauvreté, avec en particulier un faible recours au RSA activité, la coexistence de deux dispositifs qui disperse les moyens et génère de la complexité pour les bénéficiaires, et notamment un décalage dans le temps avec la PPE en particulier, mais aussi l’existence d’autres dispositifs d’incitation conduisant à rendre le système complexe et peu lisible.
SYNTHÈSE DES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DE LA PPE ET DU RSA ACTIVITÉ
Prime pour l’emploi (PPE) |
RSA activité | |
Année de création |
2001 |
2008 |
Nature du dispositif |
Crédit d’impôt |
Aide sociale différentielle |
Objectifs (selon textes) |
« Inciter au retour à l’emploi ou au maintien de l’activité » |
« Lutter contre la pauvreté au travail et inciter au retour à l’emploi en complétant les revenus d’activité » |
Nombre de bénéficiaires (foyers) |
6,3 millions de foyers fiscaux |
0,7 million de foyers « RSA » |
Montant moyen (mensuel) |
36 € |
176 € pour le RSA activité seul, 159,8 € pour la partie « activité » des bénéficiaires du RSA « socle + activité » |
Périodicité de versement |
Annuelle – versement à n + 1 |
Mensuelle |
Démarche et guichet de versement |
Demande par la déclaration annuelle de revenus – DGFIP |
Déclarative et actualisation trimestrielle - CAF et MSA |
Taux de recours |
Environ 95 % |
32 % |
Source : rapport de M. Christophe Sirugue, sur les dispositifs de soutien aux travailleurs modestes (juillet 2013)
À ces limites générales, s’ajoutent par ailleurs des interrogations liées au fait que la PPE pourrait présenter le risque de rendre le temps partiel plus attractif pour des femmes en couple qu’auparavant (Allègre et Périvier, 2005), voire d’inciter des femmes vivant en couple et faiblement rémunérées à se retirer du marché du travail (Stancanelli, 2006 ; Monnier, 2012). La question peut d’ailleurs également se poser pour le RSA : la ministre des Droits des femmes a ainsi observé que du fait de sa forte dimension familiale, le barème du RSA peut avoir un effet désincitatif à la reprise d’emploi pour les conjoints, généralement des femmes (39).
S’agissant de la PPE, si les différentes études menées dans le milieu des années 2000 montrent que les risques pour l’emploi existent, les effets seraient cependant très faibles en raison des faibles montants attribués, des niveaux de plafonnement et du fait que l’effet est différé de plus d’un an par rapport à la décision d’offre de travail. En tout état de cause, le rapport précité de Séverine Lemière relève (au sujet d’une piste de réforme évoquée concernant la PPE et le RSA) qu’ici encore, les enjeux sur l’emploi des femmes ne semblent pas intégrés dans l’élaboration des dispositifs alors même qu’elles sont parmi les cibles de ces politiques.
Il est donc nécessaire d’améliorer les dispositifs de soutien aux travailleurs modestes, ce qui pourrait prendre plusieurs formes :
– diminution des cotisations salariales ce qui permettrait un gain de pouvoir d’achat pour les bas salaires (le cas échéant couplée à une suppression progressive de la PPE) ; des mesures en ce sens ont d’ailleurs été évoquées par le Premier ministre, lors de son discours de politique générale, le 8 avril dernier (40) ;
– voire la fusion de la PPE et du RSA activité (le rapport précité proposant en ce sens la mise en place d’une prime d’activité qui se substituerait à la PPE et au RSA activité, et qui reposerait sur les revenus individuels d’activité ;
– augmentation du montant du RSA activité (complément de revenus) pour les salarié-e-s modestes, etc. ;
– enfin, et au regard notamment de l’impact particulier que peuvent avoir des dispositions fiscales concernant certaines femmes, il conviendrait également d’étudier les possibilités de lisser les effets de seuil à l’ « entrée du barème » de l’IR (41).
À cet égard, le Premier ministre a indiqué, le 8 avril dernier (42), que le Gouvernement proposera d’alléger la fiscalité pesant sur les ménages modestes, en particulier ceux qui sont entrés dans le champ de l’impôt sur le revenu ces dernières années, alors même que leur situation ne s’était pas améliorée. L’ensemble de ces mesures en faveur des ménages modestes représentera 5 milliards d’euros à l’horizon 2017.
C. AMÉLIORER L'ÉVALUATION ET LE PILOTAGE DES POLITIQUES FISCALES ET BUDGÉTAIRES
1. Améliorer les études d'impact, s’agissant en particulier des projets de loi de finances, et progresser en matière de gender budgeting
Dans la mesure où les mesures fiscales mais aussi budgétaires peuvent avoir un impact particulier sur les femmes, il est important de veiller à la prise en compte de cette dimension dans le cadre de la préparation et de l’examen des projets de loi de finances.
La circulaire du 23 août 2012 relative aux études d’impact (43) prévoyait à cet égard que pour les projets de loi (PLF) et de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), « qui justifient une approche spécifique, les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes seront retracés dans les documents d’évaluation préalable, lorsque cela sera pertinent, à compter de la préparation des textes concernant l’exercice 2014 ».
Comme la présidente de votre Délégation a déjà eu l’occasion de le souligner concernant d’autres textes, des progrès restent à faire dans ce domaine, s’agissant par exemple de la production de statistiques sexuées, qui constituent un élément essentiel de pilotage et pour concevoir des mesures correctrices en faveur de l’égalité femmes-hommes.
PRISE EN COMPTE DE L’ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES DANS LES ETUDES D’IMPACTS : EXTRAIT DU GUIDE MÉTHODOLOGIQUE DU MINISTERE DES DROITS DES FEMMES (2013)
Axes de l’étude d’impact |
Volet sur les enjeux de l’égalité entre les femmes et les hommes |
Justification de la réforme (état du droit et diagnostic précisant la nécessité de légiférer) |
L’analyse de la situation respective des femmes et des hommes dans le champ couvert par le projet de loi doit être utilisée pour enrichir le diagnostic sur la situation existante. En particulier, les données chiffrées permettant de décrire la situation actuelle et de montrer la nécessité de la réforme doivent être déclinées par sexe autant que possible. |
Définition des objectifs poursuivis par le projet de loi |
Lorsque le projet de loi vise directement un objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, cela doit être clairement précisé. |
Recensement des options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles |
Lorsque l’étude d’impact a conduit à favoriser ou à écarter certaines options au motif qu’elles étaient défavorables à l’égalité entre les femmes et les hommes, cela peut être signalé. |
Analyse d’impact proprement dire, c’est-à-dire évaluations des incidences de toute nature |
Elle comporte plusieurs dimensions : économique ; financière, sociale, environnementale, etc. Il faut y ajouter une dimension « impact sur l’égalité entre les femmes et les hommes ». En fonction du plan général adopté, cet aspect peut être exposé pour chaque volet du projet de loi ou de façon globale pour l’ensemble du texte. |
Consultations menées avant la saisine du Conseil d’État |
Il est possible de consulter le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh). La consultation de ce dernier est obligatoire dans certains cas. |
Conditions de mise en œuvre de la réforme, dans le temps et dans l’espace, dont la liste des textes d’application prévus |
La liste des décrets doit permettre de définir les décrets qui donneront lieu à l’évaluation d’impact sur les inégalités entre les femmes et les hommes. |
Source : « Prendre en compte l’égalité entre les femmes et les hommes dans les études d’impact. Guide méthodologique », ministère des Droits des femmes (octobre 2013)
Il conviendrait cependant de poursuivre les efforts engagés dans ce domaine afin de mieux appréhender les effets sexués de toutes les politiques gouvernementales, leurs effets en termes de moyens et de résultats, et de les améliorer. Le récent rapport sur l’accès à l’emploi des femmes (décembre 2013) comporte à cet égard des recommandations intéressantes en vue de progresser en matière de « gender budgeting (44) ».
Les préconisations du rapport de la mission coordonnée par Séverine Lemière (décembre 2013)
Imposer l’analyse sexuée dans tous les rapports institutionnels concernant la politique de l’emploi et la lutte contre la précarité́ (préconisation 63). Intégrer un objectif et/ou un indicateur sur l’accès à l’emploi des femmes dans le programme 137, notamment via les dispositifs de la politique pour l’emploi - par exemple, un objectif d’évolution de la part des femmes dans chaque dispositif (préconisation 64). Développer « la budgétisation sensible au genre », au-delà̀ du seul programme 137. Veiller à̀ ce que toutes les dépenses de l’emploi soient analysées en termes de genre (préconisation 65). Veiller à̀ ce que les économies et restrictions budgétaires décidées par les pouvoirs publics en période de crise ne soit pas spécifiquement préjudiciables à l’Egalité femmes-hommes (…) (préconisation 66). Impulser l’approche intégrée de l’Egalité entre femmes et hommes au sein des axes et chantiers prioritaires des conférences sociales pour l’emploi (préconisation 67).
Votre rapporteure préconise en particulier de développer l’analyse sexuée dans l’ensemble des rapports concernant la politique de l’emploi et la précarité, d’étoffer autant que possible les annexes budgétaires (PAP) sur les aspects relatifs à l’égalité femmes-hommes, et d’envisager l’introduction d’un objectif ou d’un indicateur relatif à l’emploi des femmes dans le programme budgétaire 137.
2. Renforcer les travaux d'évaluation pour mieux étayer la décision publique
Votre rapporteure se félicite tout d’abord que, dans le cadre du comité interministériel sur les droits des femmes réuni en janvier 2014, une mission d’inspection ait été demandée à l’IGAS et l’IGF sur les stratégies les plus efficaces pour accroître le taux d’emploi des femmes, et chargée notamment de procéder à une revue transversale des effets des incitations financières et non financières à travailler pour le deuxième apporteur de ressources. La feuille de route 2014 du ministère du travail pour l’égalité femmes-hommes évoque à cet égard une mission d’inspection sur la fiscalité de la bi-activité.
En tout état de cause, comme cela est apparu au cours des travaux de la Délégation, il serait souhaitable de développer les travaux d’analyse et d’évaluation permettant de mieux appréhender l’impact du système fiscal sur les femmes, de disposer de davantage de données sexuées ainsi que d’éléments d’information concernant les pratiques des couples (organisation des revenus, patrimoine, décisions en matière de dépenses, etc.), mais aussi leurs perceptions et leurs attentes, en s’appuyant sur des enquêtes qualitatives auprès des ménages. Par exemple, si le système du libre choix (imposition séparée/imposition commune) venait à être mis en œuvre, il serait intéressant de faire réaliser une enquête pour connaître les motivations des couples ayant opté pour l’imposition individualisée. Le président de l’Unaf a souligné lors de son audition la nécessité d’études approfondies auprès des familles.
Ceci permettrait de mieux étayer la décision publique, ce qui suppose également de pouvoir disposer de simulations, et plus largement d’études approfondies sur l’impact de différentes options susceptibles d’être envisagées, et qui vont d’ailleurs bien au-delà du seul débat binaire « pour ou contre l’individualisation ».
En tout état de cause, quelles que soient les voies de réforme retenues, il est fondamental de prendre en compte la situation des femmes et l’objectif d’égalité des sexes dans les différents travaux et réflexions relatives à la fiscalité.
L’impôt n’est pas principalement une question technique, mais profondément politique, et peut contribuer à remodeler les relations entre les personnes et les groupes sociaux.
Il s’agit d’un véritable choix de société, qui peut concourir, aux côtés d’autres instruments et politiques publiques, à promouvoir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
– Audition de Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE), et de Mme Séverine Lemière, économiste, maîtresse de conférences à l’IUT Paris Descartes, auteure du rapport sur l’accès à l’emploi des femmes, remis à la ministre des Droits des femmes en décembre 2013, le mercredi 5 février 2014 42
– Audition de M. Jean-Marie Monnier, professeur d’économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne, le mardi 11 février 2014 49
– Audition de M. François Fondard, président de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), et de Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, accompagnés de Mme Claire Ménard, chargée des relations avec le Parlement, le mardi 18 février 2014 57
– Audition de Mme Nathalie Pilhes, présidente de l’Assemblée des femmes de Paris–Île de France, le mardi 8 avril 2014 68
Audition de Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE), et de Mme Séverine Lemière, économiste, maîtresse de conférences à l’IUT Paris Descartes, auteure du rapport sur l’accès à l’emploi des femmes, remis à la ministre des Droits des femmes en décembre 2013
Compte rendu de l’audition du mercredi 5 février 2014
Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous remercions d’avoir bien voulu répondre à notre invitation Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE), et Mme Séverine Lemière, économiste (IUT Paris-Descartes), auteure du rapport sur l’accès à l’emploi des femmes, publié en décembre 2013, dans le cadre d’une mission réalisée à la demande du ministère des droits des femmes.
Dans le contexte de la prochaine réforme fiscale annoncée par le Premier ministre, il apparaît opportun de se demander si notre système fiscal favorise le travail, et donc l’autonomie, des femmes.
En France, la déclaration commune des revenus est obligatoire pour les couples mariés ou pacsés, mais il n’y a pas nécessairement de mise en commun des ressources : chacun peut disposer librement de ses biens. Est-ce bénéfique pour les couples, pour les femmes ? Pourrait-on envisager d’ouvrir la possibilité de choisir entre une déclaration conjointe et une déclaration séparée des revenus ?
Bien que cette thématique ne figure pas actuellement à l’ordre du jour des travaux du Gouvernement, je compte informer le Premier ministre que la Délégation envisage de présenter des observations sur le sujet.
Auriez-vous des propositions à nous faire, notamment sur la question du quotient conjugal ?
Mme Séverine Lemière, économiste, maîtresse de conférence à l’IUT Paris Descartes et auteure du rapport sur l’accès à l’emploi des femmes, remis à la ministre des Droits des femmes en décembre 2013. Le rapport de la mission que j’ai pilotée, à la demande de la ministre des Droits des femmes, portait sur l’accès des femmes à l’emploi et sur la façon dont les politiques publiques – politiques de l’emploi, sociales, familiales – encouragent, ou au contraire freinent, l’emploi des femmes. Une toute petite partie de ce rapport, mais celle qui a été le plus souvent reprise par les médias, portait sur les effets du système fiscal sur l’emploi des femmes.
Je veux souligner ici qu’il est toujours intéressant d’examiner les politiques publiques sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes, même si cet enjeu n’y apparaît pas a priori comme le plus significatif. Cette perspective permet également de poser de façon originale la question des arbitrages au sein des couples, qui est souvent laissée à la sphère privée.
Mme Hélène Périvier, économiste au département des études de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), coresponsable du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE). Le débat sur la fiscalité et l’égalité entre les femmes et les hommes se cristallise souvent sur la question de l’individualisation de l’impôt, or c’est un sujet beaucoup plus subtil.
Est-ce que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes doit être mise en avant s’agissant de fiscalité ? C’est une évidence, parce que la fiscalité fait partie de l’intervention de l’État social. Le couple et la famille constituent un élément central, particulièrement en France où l’État social est familialiste. S’agissant de la fiscalité des ménages, il est donc essentiel d’adopter une perspective sexuée et une perspective d’égalité.
Le système fiscal français repose sur le postulat d’une mise en commun des ressources des couples pacsés et mariés ; les concubins n’ont pas accès à cette imposition conjointe. Dans la mesure où le droit constitutionnel impose de tenir compte des capacités contributives des citoyens, la taille de la famille est nécessairement prise en compte, et c’est donc davantage le niveau de vie des ménages que l’on cherche à imposer plutôt que le revenu stricto sensu. Mais, si tous les systèmes fiscaux européens prennent en considération la taille de la famille, aucun ne met à ce point l’accent sur la famille et le couple – c’est une vraie particularité française.
À cet égard, il convient de distinguer clairement ce qui relève du quotient conjugal de ce qui relève du quotient familial, même si les deux questions peuvent apparaître liées dès lors qu’il s’agit de déterminer dans quelle mesure on tient compte de la taille de la famille lorsque l’on impose les ménages.
En matière de revenus – l’imposition du patrimoine est une question distincte, et sur laquelle nous disposons de très peu de données sexuées –, le système fiscal français considère que les ressources d’un couple pacsé ou marié sont intégralement mises en commun, quelle que soit la façon dont elles ont été gagnées, avec un seul revenu, deux revenus ou encore un revenu à temps partiel et un autre à temps complet. Cette hypothèse est-elle juste, est-elle efficace ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre et sur laquelle nous disposons de peu de données, mais qu’il faudrait en tout cas poser dans le débat public. Une étude récente de Sophie Ponthieux, économiste et chargée de mission à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), a montré qu’environ deux tiers des couples mettaient effectivement en commun toutes leurs ressources. C’est un champ de recherches qu’il faudrait vraiment développer.
De plus, cette mise en commun des ressources ne dure évidemment que le temps du couple : or aujourd’hui, de nombreux couples se séparent, et toute séparation met à l’épreuve le système fiscal et social, puisqu’il faut décider de la meilleure façon d’accompagner cette rupture. Les juges doivent trancher et établir le partage qu’ils estiment le plus équitable possible, mais c’est très compliqué : comment prendre en compte une carrière qui n’a pas été menée, une progression de carrière qui n’a pas eu lieu ? Le Haut conseil de la famille, dont je fais partie, se penche d’ailleurs sur les ruptures familiales, qui posent des questions juridiques et économiques difficiles, à l’aune desquelles la fiscalité doit aussi être questionnée.
En tout cas, les hypothèses de notre système fiscal – mise en commun des ressources, et pendant une période très longue – ne correspondent que très partiellement à la réalité. Il ne serait donc pas inutile de le repenser, dans le contexte des modifications sociologiques de la famille.
Ensuite, pour valider la mise en commun des ressources, notre système fiscal considère qu’il faut être pacsé ou marié – il faut un contrat entre deux individus, que le juge prendra en considération en cas de séparation. Les concubins, eux, ne peuvent pas faire une déclaration conjointe. Si cela peut leur permettre d’optimiser leur situation fiscale, notamment par le biais du quotient familial, la plupart du temps, les gagnants sont les couples pacsés ou mariés. Dans tous les cas, les arbitrages et les optimisations sont extrêmement complexes, en raison de la grande opacité de notre système fiscal et social : ainsi, c’est souvent seulement au tout début du barème qu’il peut être avantageux pour un couple de demeurer en union libre, mais les facteurs à prendre en compte, de nature à la fois individuelle et familiale, sont très nombreux – revenus, décote, mais aussi prime pour l’emploi (PPE), par exemple.
Notre système social, en revanche, considère souvent, pour les transferts sociaux vers les plus démunis, que le concubinage suffit à assurer une mise en commun des ressources. C’est, par exemple, le cas pour le revenu de solidarité active (RSA) majoré : une femme perd la majoration liée à son statut de mère isolée si elle vit en concubinage. Il existe donc ici une vraie dissonance entre nos systèmes fiscal et social. Mais c’est un débat qu’il est très difficile d’ouvrir.
Comment, enfin, notre système fiscal doit-il prendre en considération la taille du ménage ? À l’évidence, un célibataire qui gagne 10 000 euros par mois aura un meilleur niveau de vie qu’un couple qui gagne la même somme à deux, mais il n’aura pas un niveau de vie deux fois supérieur. C’est pourquoi les économistes ont mis au point des échelles d’équivalence qui, bien que toujours imparfaites et contestables, permettent de comparer les niveaux de vie de ménages de taille différente. Selon ces échelles, la première personne d’un ménage vaut une part, la deuxième personne 0,5 part et la troisième 0,3 part. Autrement dit, il suffit qu’un couple dispose de revenus seulement 1,5 fois supérieurs à ceux d’une personne isolée pour jouir d’un niveau de vie équivalent ; il n’est pas nécessaire d’avoir deux fois plus de revenus pour avoir un niveau de vie équivalent quand on est deux. Ce n’est pas le calcul que fait le système fiscal, qui compte deux parts pour un couple : c’est un gain fiscal important pour les couples mariés ou pacsés.
Le même système fiscal compte une demi-part pour chacun des deux premiers enfants. Quant au troisième enfant, il compte pour une part entière, depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing : il s’agit clairement d’une mesure nataliste, d’une incitation à avoir un troisième enfant. Il faut donc soigneusement distinguer les « parts politiques » – qui vont au-delà de la recherche d’une forme d’égalisation des niveaux de vie – des parts telles qu’elles sont calculées par les chercheurs et les économistes.
Il existe, là aussi, une dissonance avec le système social : dans le cas du RSA, la première personne compte pour une part et la seconde pour une demi-part seulement ; on est donc plus proche des estimations des économistes.
La question du quotient conjugal est potentiellement très subversive, on le voit dès que l’on compare quotient conjugal et quotient familial. En effet, ce dernier – qui marque la façon dont le système fiscal envisage les enfants à charge – est plafonné depuis le début des années 80, à la demande d’Yvette Roudy et des mouvements féministes, dans une logique de redistribution. Le Gouvernement a, tout récemment encore, choisi d’abaisser ce plafond. En revanche, on n’a jamais touché au quotient conjugal, qui n’est pas plafonné – sauf mécaniquement, pour des revenus très élevés. C’est, là encore, un choix politique : on favorise les couples mariés, mais aussi, et de façon importante, ceux où l’écart de revenus est grand. L’idée de plafonner le quotient conjugal – soit l’avantage fiscal lié à la présence d’un conjoint, qu’il soit ou non à charge, ou lié à des différences de revenus entre conjoints – n’a jamais été posée dans le débat public, contrairement au plafonnement du quotient familial.
L’enfant est pourtant de façon certaine une personne à charge, ce qui n’est pas nécessairement le cas d’un conjoint… Par exemple, un couple dont l’un des membres est cadre supérieur avec des revenus nettement supérieurs à ceux de son conjoint peut bénéficier d’un quotient conjugal important, car les écarts de revenus sont importants, mais de fait, on ne comprend pas bien pourquoi cet écart serait subventionné au point que cet avantage fiscal ne soit pas plafonné, alors qu’il l’est lorsque l’on a un enfant à charge…
Je ne dispose pas de réponse politique à cette question, mais il pourrait être utile de porter ce débat sur la place publique : c’est tout de même un avantage fiscal qui peut aller jusqu’à 30 000 euros par an ! Certes, il ne s’agit que de quelques rares cas, mais symboliquement, du point de vue de la fiscalité, cela peut sembler aberrant. Il y a là, me semble-t-il, un problème de cohérence des politiques publiques et d’équité fiscale, qui tient à l’idée même de départ de la mise en commun des ressources d’un couple.
Il y aurait plusieurs possibilités de réforme. On pourrait d’abord modifier le calcul des parts fiscales pour se rapprocher des estimations produites par les économistes – au lieu de deux parts, un couple compterait alors pour 1,5 à 1,7 part. On pourrait également plafonner le quotient conjugal, solution qui présente l’intérêt de ne pas toucher les ménages modestes. On pourrait encore autoriser les couples à choisir entre imposition commune et imposition individuelle, mais il serait alors nécessaire de modifier le calcul des parts ; mon collègue Guillaume Allègre a travaillé sur cette hypothèse. Il est, en tout cas, possible de réformer sans impact négatif pour les ménages les plus modestes.
Toutes ces réformes imposent d’ouvrir cette boîte noire qu’est aujourd’hui la mise en commun des ressources.
M. Christophe Sirugue. Vous comparez système fiscal et système social, mais le premier, avec toutes ses bizarreries et tous ses recoins, concerne tous nos concitoyens – et je suis, pour ma part, extrêmement attaché au droit commun –, quand le second répond à des situations particulières. Ils ne reposent ni sur les mêmes bases, ni sur les mêmes financements, et n’ouvrent pas les mêmes droits : n’est-ce pas alors difficile de les comparer comme vous le faites ?
Mme Hélène Périvier. Vous avez raison, les deux systèmes sont très différents, et je ne proposais pas une uniformisation ; je voulais mettre en évidence qu’ils appréhendent la notion de famille et de couple de façon différente. Dès lors, c’est peut-être le principe même du couple et de la famille qu’il faudrait questionner. En prenant un peu de hauteur sur le sujet, on constate que notre système fiscal a été pensé pour l’essentiel dans les années 50, avec une vision particulière et datée de la famille, comme d’ailleurs du célibat. Notre système social s’est plutôt construit au plus proche de la réalité et des situations de détresse que l’on voulait accompagner.
C’est peut-être intellectuellement séduisant, mais il est aujourd’hui difficilement concevable, je crois, d’imaginer aller vers une individualisation complète de l’impôt : ce ne serait ni techniquement facile, ni politiquement faisable, car cette question est de celles qui crispent immédiatement le débat politique.
Il faut essayer de penser la question de façon très large : comment, aujourd’hui, faisons-nous société ? Vous le voyez, je n’apporte guère de réponse, je pose plutôt des questions.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Tout élu local connaît l’infinie complexité de la prise en considération, par exemple pour des tarifs préferentiels à la piscine ou à la médiathèque, de la taille des familles et de la situation des personnes par les différents barèmes appliqués dans une même ville ! Il est donc certainement utile de porter ce débat sur la place publique, même si je ne suis pas sûre que l’on arrive à des conclusions définitives.
Il ne s’agit pas, je le souligne, de s’attaquer à la famille, mais de comprendre quels sont les effets de notre système fiscal sur les choix des femmes. Nous ne sommes évidemment pas contre le fait que des femmes choisissent de rester à la maison, mais la fiscalité ne doit pas, inversement, constituer un frein lorsqu’elles veulent reprendre un emploi !
M. Jacques Moignard. Pour comprendre comment les couples utilisent et mettent en commun leurs ressources, et donc pour réformer le système fiscal, pourquoi ne pas s’intéresser à la façon dont ils gèrent leurs comptes bancaires ? Certains couples ont un compte commun, d’autres des comptes séparés, et d’autres encore optent pour les deux solutions. Chaque couple choisit d’affecter ses ressources aux différents postes de dépense.
Mme Séverine Lemière. Comment une politique publique intervient-elle, même de façon indirecte, dans des choix qui sont considérés comme relevant de la sphère privée ? Plus que des enjeux d’égalité entre femmes et hommes uniquement, il y a là plus exactement des enjeux d’émancipation. Cela renvoie à la symbolique du rapport direct d’une personne avec l’administration fiscale. Cela renvoie aussi aux évolutions sociologiques du couple : les travaux sur la mise en commun des ressources montrent par exemple que plus les deux membres d’un couple sont diplômés, moins ils mettent en commun leurs ressources.
La question qui nous avait été posée par la ministre des Droits des femmes était celle du rôle des politiques publiques dans l’accès des femmes à l’emploi. Des études indiquent qu’il pourrait y avoir création d’emplois avec la réforme fiscale, mais c’est à nuancer. Il faut ici être très prudent : plafonner ou supprimer le quotient conjugal peut supprimer une désincitation à la reprise d’emploi, mais cela ne revient absolument pas à créer une incitation, surtout dans le contexte économique actuel.
Par ailleurs, cette façon de penser l’accès à l’emploi repose sur le principe d’une politique de l’offre – l’incitation à la reprise d’un emploi suffirait à augmenter le travail des femmes. Mais il existe aussi des enjeux de demande, de lutte contre les discriminations, d’accompagnement vers l’emploi des femmes les plus éloignées du marché du travail et d’une politique de l’emploi plus favorable.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous avez absolument raison ; c’est d’ailleurs pour cette raison que l’on n’a pas modifié radicalement le congé parental, dans la mesure où, si l’on diminuait brutalement sa durée, un certain nombre de femmes en congé parental risqueraient de ne pas retrouver pas un emploi demain. Il ne faut pas dissuader de reprendre un emploi, mais la question de la création d’emplois est très complexe.
De manière analogue, le revenu minimum d’insertion (RMI) pouvait avoir un effet désincitatif sur l’emploi, ce qui a conduit à son remplacement du par le revenu de solidarité active (RSA).
M. Christophe Sirugue. Dispose-t-on de statistiques sexuées sur les personnes non imposables ?
Mme Hélène Périvier. Je ne saurais pas vous le dire. D’une façon générale, nous manquons énormément de données.
Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est frappant : on manque souvent d’études, notamment sur les différences entre hommes et femmes. Ce serait pourtant indispensable pour mettre en place des politiques efficaces. Ainsi, on sait peu de choses sur les conséquences des divorces : quelques études montrent que les recompositions familiales sont plutôt défavorables aux femmes, mais les travaux restent peu nombreux.
Mme Hélène Périvier. Quant aux comptes bancaires joints ou séparés, Sophie Ponthieux s’y est intéressée de façon très approfondie. Ce qui compte, c’est la façon dont chacun contribue aux dépenses du ménage : des comptes séparés ne signifient pas qu’il n’y a pas de mise en commun – par exemple, il y a des cas dans lesquels chacun a un compte, mais celui qui a un compte mieux fourni acquitte 90 % des dépenses du ménage. Cela ne peut donc pas constituer une assise solide pour une politique fiscale.
À mon sens, c’est le logement – ou l’habitat au sens large, si vous voulez – qui peut le mieux montrer la mise en commun des ressources : c’est là qu’il y a des économies d’échelle, et c’est là aussi qu’il y a des engagements forts, avec une prise de risque commune sur le long terme etla construction d’un patrimoine. Si le mariage est aujourd’hui un tel nœud de crispation, c’est à cause de l’importance que lui donne notre système fiscal et social quand il paraît obsolète à beaucoup.
Sur la question du divorce, effectivement, on sait très peu de choses. Le règlement d’un divorce n’est pas vraiment un solde de tout compte : on ne prend pas en considération la carrière qui ne s’est pas déroulée ou la promotion qui n’a pas eu lieu. Ce qui se joue dans la division sexuée du travail au sein des couples mariés est complexe. Or nos institutions envoient aujourd’hui des signaux très flous en matière de prise de risque : les gens ne se rendent pas compte des risques que leurs choix leur font courir ; ils se sentent, et notamment les femmes, protégés par le système fiscal et social. Pour les couples mariés, cette protection est réelle : le divorce sera réglé par un juge, même s’il demeure une incertitude sur l’équité de ce règlement qui dépend de nombreux facteurs, en particulier des revenus de chacun. La mise en commun des ressources, c’est aussi le choix de l’un, c’est-à-dire le plus souvent de l’une, de s’occuper plus des enfants, de se consacrer plus au ménage, etc., mais c’est très difficile à mettre en évidence et à calculer.
Il ne s’agit évidemment pas d’être contre les enfants, le couple, la famille, mais de montrer les risques que prend chacun. La décision de s’arrêter de travailler a un coût élevé, et il serait peut-être bon que nos institutions envoient à ce sujet des signaux plus clairs.
Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est un problème qui nous est apparu au moment de la réforme des retraites : le partage des droits à la retraite quand un couple divorce est, dans notre système, une question insoluble. C’est souvent au moment du divorce ou de la retraite que les femmes comprennent le coût énorme des choix qu’elles ont faits – alors même qu’une femme qui élève des enfants a une vraie valeur pour la société. Il faudrait commencer par offrir une meilleure information, notre système demeurant très opaque.
Mme Séverine Lemière. Ce sont des choix faits par le couple et la famille pour le couple et la famille ; or ce sont souvent les femmes qui en subissent les conséquences. Le problème, c’est ce déséquilibre.
Mme Hélène Périvier. Non seulement on en sait très peu sur les divorces, mais on en sait moins encore sur les ruptures en général – celles des couples mariés, des couples pacsés, mais aussi des couples en union libre. Ceux-ci sont très mal protégés – même si l’on peut considérer qu’ils ont choisi de se placer hors de la logique du système, et qu’il est donc normal qu’ils ne soient pas protégés. On pourrait aussi choisir de réformer le système.
Sur la question du patrimoine, je pense que les arbitrages des couples sont aussi très sexués.
M. Christophe Sirugue. Il n’y a pas de réforme fiscale possible sans réflexion sur les nouveaux modes de vie de nos concitoyens. Sinon, on fossilise le système. Plutôt que de se focaliser sur la seule cause des femmes, il faut se pencher sur le vrai problème, qui est l’équité fiscale. Mais il est difficile de révolutionner notre organisation, même pour s’approcher de la réalité vécue.
Je plaide, pour ma part, pour que chacun paye un impôt : moins on est dans le droit commun, et moins on se sent légitime pour demander la solidarité nationale. C’est une question qui se pose tout spécialement pour les femmes.
Mme Maud Olivier. Existe-t-il des simulations des recettes fiscales que pourrait retirer l’État d’une réforme du quotient conjugal ? Qui serait touché ?
Mme Hélène Périvier. L’OFCE n’a pas accès aux enquêtes Revenus fiscaux – ce qui pose d’ailleurs un problème pour l’évaluation des politiques publiques par des organismes indépendants de recherche. En revanche, Bertrand Fragonard, président du Haut conseil de la famille, avait, me semble-t-il, demandé des simulations à Bercy.
Tout dépend, bien sûr, des hypothèses de départ, mais il me semble qu’un plafonnement du quotient conjugal à 2 400 euros rapporterait de l’ordre de 2 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires. Une individualisation totale de l’impôt – qui ne serait en fait pas souhaitable, pour de nombreuses raisons – rapporterait, je crois, une dizaine de milliards. Ce sont des sommes considérables.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, mesdames.
Audition de M. Jean-Marie Monnier, professeur d’économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne
Compte rendu de l’audition du mardi 11 février 2014
Mme la présidente Catherine Coutelle. Monsieur Monnier, nous vous remercions d’avoir répondu à notre invitation. Vous êtes l’auteur de travaux portant notamment sur l’impôt sur le revenu, l’emploi des femmes et les inégalités de genre. Ce sujet, qui fait le titre de l’un de vos articles, nous intéresse particulièrement dans le contexte de la réforme de la fiscalité sur laquelle une réflexion s’engage actuellement. Comment la fiscalité française, fondée sur le couple et la famille, répond-elle au principe constitutionnel d’égalité entre les femmes et les hommes et tient compte de ce que les citoyens sont égaux et doivent pouvoir avoir une vie autonome ?
La spécificité de notre système fiscal, pour lequel les Français, dès lors qu’ils sont mariés ou pacsés, ne peuvent être considérés que comme un couple, au sens où ils sont nécessairement soumis à une imposition conjointe, peut-elle perdurer ? Ce système est en effet fondé sur le postulat que les ressources sont intégralement mises en commun au sein du couple, ce qui ne correspond plus à la réalité.
Ce schéma repose sur le modèle, dominant à la fin de la Seconde guerre mondiale, du couple mono-actif dans lequel le chef de famille travaille et la mère reste au foyer, alors que les femmes sont aujourd’hui très actives. Le système hérité de ce modèle favorise-t-il les femmes ou les pénalise-t-il ?
Par ailleurs, l’individualisation de l’impôt favoriserait-elle l’emploi des femmes ? Pour certains analystes, en effet, le fait que les revenus du ménage soient comptabilisés ensemble n’incite pas les femmes ayant de petits salaires, travaillant à temps partiel ou occupant des emplois précaires à reprendre une activité.
Avons-nous dans ce domaine la capacité de réaliser des projections fines permettant d’évaluer en amont le montant des impôts ? De fait, la complexité et l’opacité du système fiscal sont telles qu’il est très difficile pour le contribuable de savoir quel sera le montant de ses impôts lorsqu’il remplit sa déclaration de revenus. Les couples concernés, en particulier les femmes qui s’interrogent sur l’opportunité de reprendre une activité professionnelle, examinent en revanche de très près la perte d’avantages fiscaux ou familiaux, ainsi que les charges annexes, liées notamment à la garde d’enfants et aux transports, qui découleraient d’une telle décision et qui peuvent être prohibitives pour les bas salaires.
Faut-il maintenir un calcul de l’impôt fondé sur les ménages ? Faut-il conserver le quotient conjugal – obtenu, je le rappelle, en divisant par le nombre de parts, soit deux pour un couple, les revenus du ménage ? Faut-il réformer le quotient familial, calculé en fonction du nombre de parts dans le ménage ?
Enfin, disposons-nous d’études et de projections claires permettant de savoir si l’individualisation de l’impôt sur le revenu ferait des gagnants et des perdants – et si oui lesquels ?
M. Jean-Marie Monnier, professeur d’économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne. La question de l’impôt sur le revenu et des critères d’équité du système français d’imposition des ménages est le sujet de bon nombre de mes travaux. Pour Amartya Sen, on ne peut traiter réellement des problèmes d’injustice sans prendre en compte et, pour ainsi dire, « à parité » les questions d’égalité entre les sexes, au même titre que les autres facteurs d’inégalité sociale. Or, les inégalités de genre sont une préoccupation récente dans les travaux de recherche et les prises de position sur l’impôt sur le revenu et la fiscalité des ménages.
À sa création en 1946, dans le cadre de l’impôt sur le revenu, le quotient familial a fait l’objet de critiques nourries quant à son impact redistributif – un ministre intervenant à la tribune a notamment critiqué l’avantage trop important qu’il procurerait aux familles les plus aisées ayant de nombreux enfants. Cette critique a nourri les débats jusqu’aux années 80 et 90, où le système du quotient familial a fait l’objet d’ajustements.
En 1946, le quotient familial prolongeait la règle de l’imposition par foyer, issue de la loi Caillaux sur l’impôt sur le revenu, et s’inscrivait dans une combinaison d’instruments organisant le système de transfert monétaire qui est l’un des piliers de la politique familiale. L’exonération des prestations familiales, instaurée en 1926, et le quotient familial formaient un ensemble qui s’ajoutait aux dispositions prises en 1946. Dans son discours du 6 août 1946 à l’Assemblée constituante, Ambroise Croizat, ministre du travail et de la sécurité sociale, déclarait que la politique familiale, comme l’ensemble du plan français de sécurité sociale, était soumise à l’impératif démographique : c’est là le modèle bien connu de « Monsieur Gagnepain » et « Madame Aufoyer ».
Depuis lors, la société a connu de nombreuses modifications, comme la forte croissance de la participation des femmes au marché du travail et la transformation des modèles familiaux, puis la crise et le chômage de masse. À partir des années 70, la politique familiale est ainsi devenue dépendante, en quelque sorte, de la politique de l’emploi. Dans le même temps, la fiscalité des ménages a elle-même évolué, avec notamment la fusion de l’impôt sur le revenu en 1959, la création de la contribution sociale généralisée (CSG) en 1991 et de la prime pour l’emploi (PPE) en 2001.
Le dispositif régissant l’impôt sur le revenu a toutefois vu s’accentuer les logiques qui étaient à l’œuvre en 1946, avec une familialisation systématique des dépenses fiscales, et donc de la prime pour l’emploi (PPE), et une augmentation de ces dépenses. Le nombre de parts dont bénéficient les familles a également augmenté – l’attribution d’une part complète pour tous les enfants au-delà du troisième, au lieu d’une demi-part,ne date que de 1987 – et le quotient familial a été plafonné pour répondre à des impératifs redistributifs.
Toute cette architecture se met en place jusqu’à une période assez récente, pour des considérations familiales ou redistributives et sans tenir compte de l’impact de ces mesures sur les inégalités de genre, ni donc sur le travail des femmes. Malgré les critiques radicales exprimées dans la littérature consacrée au genre, aucune modification n’a été apportée à ce dispositif qui est resté ancré dans des logiques de l’après Seconde guerre mondiale ou est lié à des préoccupations redistributives.
L’une des critiques formulées porte sur le système de droits dérivés : les femmes vivant en couple étant d’une certaine manière rattachées à leur conjoint – et le quotient familial relève de cette logique –, le système actuel pénaliserait le deuxième salaire et inciterait les femmes vivant en couple à ne pas travailler, à se retirer du marché du travail ou à travailler au noir.
Par ailleurs, l’imposition par foyer et l’attribution de deux parts pour un couple – le quotient conjugal – supposent un partage égalitaire des ressources au sein du foyer : chacun vaut un. Or, on sait que ce schéma n’est pas exact et que ce qui domine est l’inégalité du partage au sein des couples, au détriment des femmes, voire des enfants – les organismes internationaux recommandent ainsi de distribuer aux femmes plutôt qu’aux hommes les allocations destinées aux enfants, afin que celles-ci parviennent bien à leurs destinataires. C’est un élément qui inciterait à rompre avec la fiction égalitaire du quotient conjugal pour aller vers l’individualisation de l’imposition.
D’autres soulignent que le dispositif est coûteux, qu’il profite aux ménages ayant des revenus élevés et payant des impôts, et non aux contribuables plus modestes et non imposables, qu’il surimpose relativement les personnes seules et avantage excessivement les couples mono-actifs ayant des revenus élevés.
Ces critiques ont néanmoins des limites et ne sont pas elles-mêmes exemptes de critiques.
Pour ce qui est du principe de l’attribution de deux parts aux couples au titre du quotient conjugal, il est vrai que, selon l’échelle d’équivalence de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le pouvoir d’achat de deux personnes adultes représenterait plutôt 1,5 unité de consommation, mais on peut aussi considérer que la loi fiscale serait l’un des vecteurs d’un projet politique et viserait à promouvoir l’égalité entre hommes et femmes en dépit de pratiques souvent inégalitaires.
Une deuxième limite des critiques évoquées tient à ce que notre système fiscal comporte deux impôts sur le revenu et que, s’il tient compte des facultés contributives, conformément à un principe de justice fondamental inscrit dans notre Constitution et dans la Déclaration des droits de l’homme, il en fait cependant deux applications différentes en recourant à deux critères complémentaires. En effet, tandis que l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) est familialisé et répond au critère de compensation des charges de famille en taxant, non les apporteurs de revenus, mais l’entité au sein de laquelle s’effectue le partage du revenu, la CSG – dont le produit est supérieur à celui de l’IRPP – est individualisée et taxe selon une règle paritaire les apporteurs de revenus au sein d’un même foyer. Un équilibre aurait donc déjà été trouvé entre deux formes d’appréciation des facultés contributives – conjugalisation et familialisation, d’une part, et individualisation, d’autre part.
Une troisième limite tient aux tests auxquels a été soumise l’idée d’individualiser l’IRPP. Un article de Damien Échevin, repris par Henri Sterdyniak, a ainsi montré que l’individualisation de l’IRPP aurait tendance à défavoriser les couples mono-actifs à revenus très faibles – les couples mono-actifs se recrutant généralement dans le bas de l’échelle de revenus.
J’ajouterai à ces éléments deux autres considérations. Tout d’abord, le débat sur l’impact du système de taxation des revenus des ménages oppose le plus souvent l’imposition conjointe à l’individualisation. Or, la réalité des systèmes fiscaux, en particulier en Europe, est beaucoup plus contrastée et on observe un continuum des combinaisons possibles entre ces deux systèmes, comme le montrent – dans des systèmes certes différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui – Cathal O’Donoghue et Holly Sutherland dans un article de 1999.
En outre, la participation des femmes au marché du travail dans différents pays ne correspond pas à ce qu’elle devrait être si l’on appliquait la théorie. C’est particulièrement le cas en France, où le niveau de participation des femmes au marché du travail – plus de 75 %, taux proche des pays nordiques – ne serait pas aussi élevé si l’individualisation de la fiscalité était le seul facteur favorisant le travail des femmes. Du reste, certains pays où la fiscalisation des revenus est individualisée présentent des taux beaucoup plus faibles en la matière. On observe donc des discordances entre la théorie et la pratique.
Pour Irene Dingeldey, chercheuse allemande qui a étudié de nombreux systèmes fiscaux, les comportements d’activité des femmes vivant en couple sont plutôt la conséquence d’arbitrages opérés au sein des couples et résultant de divers facteurs culturels, économiques et fiscaux, c’est-à-dire, en quelque sorte, de l’ensemble des déterminants de la politique familiale en vigueur dans les différents pays. Elle met ainsi en évidence l’existence de schémas familiaux de participation des ménages au marché du travail qui dépendent de cette diversité de facteurs.
Enfin, on ne peut réduire l’impôt sur le revenu français au seul quotient familial, même si celui-ci est le cœur du système en ce qu’il permet de déterminer l’impôt brut à acquitter par les contribuables, sous réserve de correction par le plafonnement du quotient familial ou par la décote. En effet, l’IRPP est aussi une combinaison complexe de dispositifs juxtaposés à différentes époques et la généralisation de la familialisation, explicite ou implicite, a également pu avoir des effets relativement défavorables sur la participation des femmes au marché du travail et sur les inégalités professionnelles de genre.
Ces effets sont inconnus, car il n’existe pas d’obligation d’évaluer l’impact des nouveaux allégements familialisés en termes d’inégalité professionnelle de genre. Il pourrait être très intéressant de procéder à de telles évaluations et de généraliser celles-ci à l’ensemble des dispositifs existants. Ainsi, le régime des emplois familiaux, créé en 1992 et modifié depuis lors, a certes permis des créations d’emplois, mais ce sont des emplois occupés à 80 % ou 90 % par des femmes et de qualité médiocre, souvent à temps partiel et à employeurs multiples, assortis d’un niveau de rémunération très faible et d’une très grande précarité. La forte féminisation de ces emplois s’explique sans doute par la forme qu’ils ont prise et par l’instrument fiscal utilisé.
Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est-à-dire une réduction d’impôt pour les familles ?
M. Jean-Marie Monnier. Plus précisément, une réduction d’impôt et un crédit d’impôt associés. On aurait pu songer dès l’origine à une extension de l’exonération de cotisations sociales ou à d’autres dispositifs de ce type – mais, faute d’évaluation des conséquences des mesures projetées en termes de genre, on ignore si ces autres démarches auraient abouti. Ces questions ont notamment fait l’objet d’un article de Clément Carbonnier.
Quant à la prime pour l’emploi (PPE), il s’agit de la version française de l’« impôt négatif » américain, puis britannique. En 1998, j’ai travaillé avec Pierre Concialdi, à la demande de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, à un rapport sur les scénarii d’évolution de la CSG vers un dispositif progressif. Lors de sa publication, en 2002, ce rapport a été complété par une étude de la prime pour l’emploi, fondée sur l’examen des impôts négatifs américain et britannique, récents à l’époque. Nous avons observé que ces impôts avaient une incidence forte sur le travail des femmes vivant en couple et dont le foyer disposait de faibles revenus.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Qu’entendez-vous au juste par « impôt négatif » ?
M. Jean-Marie Monnier. C’est l’« earned income tax credit », une sorte de crédit d’impôt – on donne de l’argent aux foyers remplissant certaines conditions.
Ce crédit d’impôt incitait donc les femmes vivant dans un couple faiblement rémunéré à se retirer du marché du travail. C’est là probablement, comme le montre Elena Stancanelli en 2006, l’une de conséquences de la prime pour l’emploi (PPE), au-delà même de son inefficacité redistributive – les sommes distribuées étant relativement faibles. Comme le montrent Guillaume Allègre et Hélène Périvier, l’économie actuelle de la PPE est centrée sur l’emploi à temps partiel, ce qui a sans doute une influence sur le travail des femmes mariées. Cependant, je le répète, l’absence d’études dans ce domaine ne nous permet pas d’être plus précis.
Le fait d’opposer, dans le débat, la familialisation de l’impôt sur le revenu à l’individualisation dispense trop souvent de l’examen d’autres dispositifs comme l’exonération des prestations familiales, même si l’incidence de celle-ci est sans doute moins forte aujourd’hui qu’à l’époque de l’allocation de salaire unique. Lorsqu’une femme recommence à travailler, elle perd en effet diverses prestations et la rémunération de son travail doit donc non seulement être supérieure à ce qu’elle perd, mais aussi lui permettre de payer l’impôt correspondant à un revenu qui, à la différence des allocations, n’est plus exonéré. Ce phénomène a été mis en lumière pour l’allocation de salaire unique et d’autres raisons encore rendent cette exonération contestable.
En tout état de cause, nous aurions beaucoup à gagner, je le répète, à examiner systématiquement l’impact sur l’emploi des femmes de tout dispositif adopté ou révisé.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Ces réflexions nous confortent dans l’idée que chaque texte doit être accompagné d’une étude d’impact en termes d’inégalité femmes-hommes, si complexes soient les facteurs à prendre en compte.
Je me félicite que notre Délégation ait décidé de se saisir de ce sujet très important, même si je ne suis pas certaine que cette question pourra être prise en compte dans la réforme fiscale qui se prépare, d’autant que le groupe de travail sur la fiscalité des ménages doit rendre ses conclusions dès le mois d’avril. Du moins pouvons-nous poser la question de l’impôt au regard de l’égalité entre les femmes et les hommes – c’est là un débat très récent.
Un autre facteur important, que vous n’avez pas évoqué, est l’évolution des familles, dont le parcours est désormais beaucoup moins linéaire que dans le passé, les familles recomposées étant de plus en plus nombreuses. Avertis peut-être par l’expérience de leur premier mariage ou de leur premier pacte civil de solidarité (PACS), les couples qui se recomposent sont moins nombreux à mettre en commun les revenus. L’évolution du système semble donc inéluctable.
Sur le plan des principes, au regard de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, on ne peut qu’être favorable à une individualisation de l’impôt qui semble susceptible de favoriser l’autonomie et la responsabilisation des femmes. Je rappelle à ce propos que la CSG est prélevée à la source. À cet égard, le prélèvement de l’impôt à la source implique-t-il l’individualisation ?
Mais au-delà des principes, il importe d’évaluer aussi les impacts de cette mesure. Par ailleurs, le fisc se mêle de nos vies de couple ; il nous demande comment nous vivons. Et dès lors que nous sommes mariés ou pacsés, nous n’avons pas le choix : la déclaration est commune. Est-ce au fisc de trancher s’agissant de nos choix de vie ?
Par ailleurs, Christophe Sirugue, vice-président de l’Assemblée nationale, a rendu récemment un rapport sur la prime pour l’emploi (PPE) et le revenu de solidarité active (RSA). Si certaines primes sont individualisées, le RSA tient compte du revenu du ménage au sens large.
Notre Délégation est parfaitement dans son rôle lorsqu’elle montre l’importance de cette question encore peu étudiée. En l’absence de simulations, nous ne pouvons pas savoir qui va gagner ou perdre, et combien. Cette inconnue dissuade de modifier le système, de crainte de provoquer d’importantes modifications de l’imposition. Un passage progressif à l’individualisation est-il possible, ou sommes-nous condamnés à une alternative stricte entre deux systèmes ? Dans ce cas, la perspective d’un saut dans l’inconnu risque de susciter des réticences.
Sur le plan sociologique, enfin, l’individualisation de l’impôt peut-elle être perçue comme une attaque contre la famille ?
M. Jean-Marie Monnier. En matière de calcul de l’impôt, certains pays ont choisi un système d’option, tandis que les choix du contribuable français sont irrémédiables. À titre d’exemple, le fisc français ne corrige par les erreurs en la défaveur du contribuable
Mme la présidente Catherine Coutelle. Quand ce dernier s’en aperçoit, une négociation est toutefois possible.
M. Jean-Marie Monnier. Ayant été inspecteur des impôts pendant dix ans, je puis témoigner que cette relation individuelle n’est pas encouragée par la hiérarchie.
Certains systèmes fiscaux, comme celui de la Belgique me semble-t-il, ont prévu une possibilité d’option, c’est-à-dire que coexistent familialisation et individualisation de l’impôt, et, en cas d’erreur du contribuable, le fisc signale à celui-ci qu’une solution plus favorable aurait pu être envisagée. Un tel système peut faciliter des transitions douces et permettre aux contribuables de se rendre compte que ce système n’est pas destiné à augmenter leur charge fiscale et peut leur être profitable.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faudrait pour cela que les services des impôts mettent à la disposition du contribuable un site lui permettant de réaliser des simulations comparatives.
M. Jean-Marie Monnier. L’administration fiscale propose déjà sur Internet un simulateur performant et de nombreux contribuables remplissent déjà leur déclaration en ligne. Pour ceux qui n’ont pas facilement accès à l’informatique, l’administration organise des campagnes d’accueil au moment du dépôt des déclarations de revenus, et conseille les contribuables sur la manière de remplir leur déclaration.
On pourrait envisager ce type de dispositif, qui permettrait de démontrer que l’individualisation peut se faire en faveur des contribuables, et non pas en leur défaveur, et les recettes fiscales dégagées pourraient être redistribuées.
Le passage à l’individualisation pose toutefois la question de l’attribution des avantages fiscaux liés au système de parts. Il faudrait soit conserver le principe des parts, qui seraient alors attribuées à l’un des deux conjoints – ou aux deux – dans un système individualisé, soit supprimer ce principe et attribuer des avantages forfaitaires, auquel cas l’avantage en impôt diminuerait avec l’augmentation du revenu. L’avantage donné par le quotient familial aux familles nombreuses les plus aisées disparaîtrait, mais une redistribution s’opérerait alors – à la condition bien sûr que la circulation des recettes se fasse en circuit fermé.
Le fait que peu d’études aient été réalisées précédemment sur les conséquences de l’individualisation tient à ce que les modèles de micro-simulation étaient rares. Aujourd’hui, les organismes concernés, comme la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), disposent tous de tels modèles et il est donc facile de tester les hypothèses de réforme.
Pour ce qui est du prélèvement de l’impôt à la source, ce dispositif ne suppose nullement l’individualisation, car il ne supprime pas la déclaration, qui peut toujours être établie pour le ménage : le taux d’imposition est alors transmis aux entreprises, qui effectuent le prélèvement à la source. À l’étranger, la plupart des systèmes sont individualisés et des pays comme l’Allemagne prévoient des systèmes de partage du revenu.
Mme la présidente Catherine Coutelle. La retenue ne s’effectue-t-elle pas à la source et ne figure-t-elle pas sur la feuille de paie, comme la CSG ?
M. Jean-Marie Monnier. L’impôt français est personnalisé et tient compte des caractéristiques du ménage et de différents facteurs tels que l’âge ou le handicap éventuel.
La retenue à la source peut s’effectuer, comme c’est le cas dans de nombreux pays, dans le cadre d’un système familialisé : la question se pose alors de savoir quelles sont les informations à transmettre aux entreprises. Il convient en effet de limiter ces informations, tant parce qu’il s’agit de données personnelles que pour ne pas alourdir les coûts de gestion de ces données par les entreprises, qui sont déjà collectrices d’impôt. Il faudrait donc transmettre aux entreprises un simple taux, à l’exclusion de toute information individuelle.
Nonobstant les fantasmes qui subsistent, comme la crainte d’une double imposition la première année, la retenue à la source ne poserait donc aucun problème, car les difficultés techniques peuvent être réduites.
Quant à savoir si le fisc se mêle de la vie des individus, cela ne fait aucun doute !
Mme Pascale Crozon. Je vous remercie, monsieur Monnier, pour cette intervention qui a permis de bien situer les problèmes, notamment sur la question de la retenue à la source et de l’individualisation Dans un couple non marié, celui qui a le salaire le plus élevé peut déclarer à sa charge l’enfant ou les enfants. Une vraie réflexion s’impose donc, et ce n’est pas simple, d’autant plus que, comme l’a souligné la présidente, nous ne pouvons guère réaliser d’analyses fines sur cette question.
L’intérêt de l’individualisation de l’impôt m’est apparu lorsque j’ai rencontré des femmes qui, après un divorce, se trouvaient en grande difficulté car elles devaient faire face, avec un salaire très inférieur à celui de leur conjoint, à la moitié des crédits souscrits par le couple. Comment gérer de telles situations ?
M. Jean-Marie Monnier. Un système de calcul de l’impôt dans lequel « chacun vaut un » est utilitariste et n’est en effet pas très juste, car il ne correspond pas à la réalité des ménages. On peut arguer que la promotion de ce système est une manière de peser sur les comportements au sein des ménages, mais ce qui est vrai pour l’impôt n’est pas toujours suivi d’effet dans les autres aspects de la vie, en particulier au moment du divorce ou de la retraite – les exemples de contradictions ente les critères d’équité sont nombreux et sans doute faudra-t-il trancher en fonction des évolutions.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Les juges aux affaires familiales rencontrent également de grandes difficultés pour définir le montant des pensions alimentaires et laissent parfois cette question à la négociation, ce qui est regrettable dans de telles circonstances si peu favorables.
Les inégalités se creusent aussi en cas de divorce au moment de la retraite. Il serait donc bon d’intégrer cette réflexion sur l’égalité dans la réforme fiscale qui s’engage.
M. Jean-Marie Monnier. Les problèmes que vous soulevez sont ceux que posent les droits dérivés.
Mme Pascale Crozon. Je tiens à préciser qu’il existe désormais un cadre légal auquel les juges peuvent se référer pour la fixation des pensions alimentaires.
Mme la présidente Catherine Coutelle. La question d’une fiscalité favorable à l’égalité entre femmes et hommes est facile à poser, mais il est plus difficile d’en mesurer les impacts. Peut-être pourrait-on au moins laisser aux couples la possibilité d’opter pour l’un ou l’autre système.
M. Jean-Marie Monnier. Il faudrait aussi que le fisc puisse jouer un rôle de conseil dans ce processus, afin d’éviter les erreurs.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut pour cela pouvoir procéder à des simulations – même s’il n’est pas certain que nos grands argentiers verront d’un bon œil une telle optimisation des impôts. Il s’agit, en tout état de cause, d’une question de principe.
Notre Délégation transmettra une contribution – c’est le mieux qu’elle pourra faire dans les délais dont elle dispose. Peut-être pourra-t-elle ainsi peser sur les débats.
Du reste, à défaut d’études très approfondies, le sujet suscite déjà nombre de débats, tribunes, articles et travaux de recherche. Nous avons déjà auditionné des chercheurs sur ce thème et nous entendrons prochainement l’Union nationale des associations familiales. Il est surprenant, en revanche, que le rapport élaboré par le Conseil économique, social et environnemental sur l’évolution des familles n’aborde pas cette question.
Audition de M. François Fondard, président de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), et de Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, accompagnés de Mme Claire Ménard, chargée des relations avec le Parlement
Compte rendu de l’audition du mardi 18 février 2014
Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans le cadre de la réflexion sur la réforme fiscale engagée par le Gouvernement, des groupes de travail ont été mis en place. L’un d’eux traitera de l’imposition des ménages. Il m’a semblé que la Délégation avait vocation à se saisir de la question des femmes et du système fiscal et j’en ai informé le Premier ministre. J’ai par ailleurs rencontré Dominique Lefebvre, qui préside le groupe de travail sur la fiscalité des ménages, et Christian Eckert, le rapporteur général de la Commission des finances, qui mènent des travaux sur ces questions.
J’imagine que l’UNAF se sent particulièrement concernée. Vous avez d’ailleurs publié le 31 janvier un communiqué intitulé : « Ne décidez pas pour les familles, sans les familles ! ». J’aimerais que vous nous disiez pourquoi vous vous êtes manifestés de cette façon, et si vous pensez que la question de la fiscalité et femmes » mérite d’être traitée.
J’espère que la réforme fiscale apportera davantage de clarté et de justice sociale, et je m’interroge plus particulièrement sur l’intérêt que présenterait une individualisation de l’impôt. La France est en effet un des quatre derniers pays de l’Europe, avec le Luxembourg et la Suisse –, à conserver ce système fondé sur la déclaration commune qui est obligatoire dans notre pays, à partir du moment où les conjoints sont mariés ou pacsés ; il en va différemment s’ils sont en union libre. Il est d’ailleurs à noter que certains dispositifs, comme le revenu de solidarité active (RSA), prennent en compte les revenus de l’ensemble des personnes vivant sous le même toit, y compris en union libre, et d’autres encore sont calculés individuellement, comme c’est le cas de la prime pour l’emploi (PPE).
Il ressort de certaines études que la non individualisation de l’impôt serait un frein à l’emploi des femmes – reprise ou continuation. Ces études s’appuient sur le fait qu’aujourd’hui les femmes françaises sont majoritairement actives – et dans la majorité des cas, elles gagnent moins que leur conjoint –, et que 64 % seulement des ménages mettent la totalité de leurs revenus en commun. Mais, pour autant, nous ne connaissons pas suffisamment les conséquences qu’aurait, sur les ménages ou pour l’État, une individualisation, d’où l’intérêt d’études d’impact en la matière. Je pense qu’il serait intéressant de savoir ce qu’il en est. Pour moi, l’individualisation est une question d’autonomie et de responsabilité. De fait, les couples durent moins longtemps que dans le passé. D’ailleurs, en cas de séparation et de recomposition de la famille, la mise en commun des ressources est moins fréquente.
J’aimerais avoir votre point de vue sur tous ces sujets, connaître les propositions que vous pourriez faire en faveur d’une fiscalité plus juste, notamment à l’égard des femmes. Je précise tout de suite qu’il n’est pas question de s’en prendre aux familles, bien au contraire. Il s’agit plutôt d’instaurer davantage de justice entre elles.
M. François Fondard, président de l’Union nationale des associations familiales (UNAF). Il est exact que nous avons fait un communiqué et sommes intervenus auprès du Premier ministre, plus précisément auprès de son conseiller social.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans ce communiqué du 31 janvier, vous écrivez que « la loi fait obligation aux pouvoirs publics d’entendre l’UNAF sur les sujets concernant les familles ». À quelle loi faites-vous allusion ?
M. François Fondard. Je faisais référence aux textes qui régissent l’UNAF, et plus précisément aux articles du code de l’action sociale et des familles qui font obligation aux pouvoirs publics de recueillir l’avis de l’UNAF sur toutes les questions qui concernent la famille. De fait, lors de sa création en 1945 (décret du 3 mars), quatre missions ont été assignées à l’UNAF : donner son avis aux pouvoirs publics sur toutes les questions qui concernent la famille ; représenter l’ensemble des familles françaises et étrangères ; gérer les services d’intérêt familial que lui confiera le Gouvernement, notamment la gestion des mesures de tutelle ; ester en justice, à partir du moment où elle considère qu’il y a discrimination envers les familles.
Ces dernières années, nous avons beaucoup travaillé les questions fiscales avec le Gouvernement. Nous restons en contact très étroit avec le Premier ministre, la ministre déléguée chargée de la Famille et la ministre des Affaires sociales et de la santé. C’est ainsi qu’en 2013, nous avons discuté de la réduction du déficit de la branche famille et de l’abaissement du plafond du quotient familial à 1 500 euros – privilégié par rapport à une mise sous condition de ressources des allocations familiales.
Mais vous m’avez interrogé sur le quotient conjugal. Nous tenons à souligner que celui-ci fait partie intégrante de la politique familiale. Il existe trois leviers dans ce domaine : le levier fiscal, avec le quotient familial et le quotient conjugal, les prestations familiales, comme celles qui visent à concilier vie familiale et vie professionnelle, et les services, comme les crèches et structures d’accueil des jeunes enfants. Le système est un peu complexe, mais il est efficace. L’indice de fécondité de notre pays, notamment par rapport à d’autres pays européens, atteste de la réussite de cette politique familiale.
Mais revenons au quotient conjugal. Je rappelle d’abord qu’avec la réforme du quotient familial, les parents d’enfants à charge ont été amenés à contribuer au redressement des comptes publics…
Mme la présidente Catherine Coutelle. En quoi le quotient conjugal fait-il partie de la politique familiale ? Est-ce au fisc de s’occuper des familles et des ménages ?
M. François Fondard. Le fisc ne fait là que se conformer à des choix politiques qui remontent à 1945.
Mme la présidente Catherine Coutelle. En 1945, le Gouvernement menait une politique nataliste et familialiste. Mais nous sommes en 2014.
M. François Fondard. La politique nataliste mise en place après 1945 et dans les années cinquante a porté ses fruits. L’indice de fécondité était très élevé et les allocations familiales très conséquentes. Nous n’en sommes plus là. Aujourd’hui, il n’y a plus de politique nataliste, mais une politique familiale.
Pour nous, il est important, dans une société et un pays comme les nôtres, de permettre aux jeunes familles de concrétiser leur désir d’enfant. Aujourd’hui, les enfants qui naissent ont été désirés ; ce n’était pas le cas il y a deux générations, dans la mesure où le contrôle des naissances n’était pas possible. Et comme le relevait la ministre déléguée chargée de la Famille, Mme Dominique Bertinotti, ce matin sur France Inter, les jeunes mettent aujourd’hui la famille au premier rang de leurs valeurs.
Nous avons réussi notre politique familiale, et nous pouvons faire des comparaisons avec ce qui se passe en Allemagne, où 40 % des jeunes femmes cadres ont décidé de ne pas avoir d’enfants. Je trouve catastrophique que, dans une société moderne, de jeunes familles ne puissent pas avoir les enfants qu’elles souhaitent. Les jeunes familles françaises sont beaucoup plus heureuses – et encore, la récente enquête que nous avons menée montre qu’aujourd’hui, elles souhaiteraient avoir davantage d’enfants.
Nous n’allons donc pas dissocier le débat de la fiscalité du débat sur la politique familiale, et des prestations et services. Dans notre société, c’est un tout. Au Gouvernement de s’interroger sur l’intérêt de maintenir, ou non, les dispositifs existants. Il faut bien reconnaître que le système est très complexe et que personne ne s’y retrouve. Mais si l’on s’attaque à des fondamentaux, dont le quotient conjugal fait – selon nous – partie, les conséquences ne se feront pas attendre.
Nous l’avons déjà dit à propos du quotient familial : on peut encore descendre son plafond, qui est aujourd’hui à 1 500 euros, mais cela finira par avoir des conséquences sur le choix des jeunes familles de concrétiser, ou pas, leur désir d’enfants. Je pense donc que c’est au Gouvernement de prendre ses responsabilités et de dire jusqu’où il envisage d’aller.
Encore une fois, notre politique familiale est bonne dans la mesure où elle a réussi. C’est ce nous disent les jeunes familles, qui bénéficient, notamment, de dispositifs leur permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle – même si les places en crèche sont en nombre insuffisant.
Malgré la crise, la natalité n’a fléchi que légèrement l’année dernière – de 2,01 à 1,99 enfant par femme. C’est peu si l’on pense à l’effondrement de la natalité qui s’était produit en 1993, autre année de crise, où le taux de natalité était descendu à 1,65. Le Gouvernement avait alors consulté les jeunes familles dans le cadre de la Conférence de la famille. Mme Gisserot, dans son rapport, a montré que les jeunes femmes françaises ne faisaient pas d’enfants parce qu’il n’y avait pas de politique permettant de concilier la vie familiale et la vie professionnelle. À partir de 1996, cette politique s’est considérablement développée : en 2000, premiers plans crèche, avec Mme Royal ; en 2003, prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), avec M. Jacob. Ensuite, tous les ministres successifs en charge de la famille ont pris des mesures pour continuer à développer les dispositifs de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.
Mme la présidente Catherine Coutelle. L’UNAF a-t-elle fait des simulations, s’agissant du quotient conjugal ?
M. François Fondard. Non, pour le moment, nous n’avons pas travaillé au fond. Nous nous référons aux dernières études qui ont été faites et selon lesquelles l’impact qu’aurait le quotient conjugal sur l’emploi féminin en France ne repose sur aucune certitude scientifique.
Une étude de 2003 avançait un chiffre très modeste : 80 000 femmes de plus au travail – et 3,5 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires en cas d’individualisation totale de l’impôt. De la même façon, une note du Trésor, en 2007, concluait à un effet très faible dans les deux cas. Je souligne qu’il s’agissait d’analyses reposant sur des modélisations de données fiscales, et non d’enquêtes menées auprès des familles. Or, selon nous, un débat scientifique sur l’impact du quotient conjugal ne correspond pas à la réalité vécue par les couples.
Le Haut conseil de la famille, auquel nous participons, avait pour sa part précisé en 2011, dans sa note relative à l’architecture de la politique familiale, que l’ « on ne dispose pas d’éléments objectifs sur cette éventuelle dissuasion, et il est vraisemblable que la fiscalité ne joue qu’un rôle modeste sur le taux d’activité féminine ».
Enfin, la plus récente de ces études, celle d’Olivier Thévenon, de mai 2013, mérite d’être portée au débat. Elle s’appuie sur l’évolution du système socio-fiscal des pays de l’OCDE entre 1987 et 2007. Son auteur conclut que dans ces pays, il n’existe aucun effet négatif sur l’emploi féminin qui serait lié au différentiel de fiscalité dans le couple.
Ainsi, selon un certain nombre d’experts, le quotient conjugal n’a pas d’influence sur le taux d’activité féminine.
Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est une bataille d’experts ! Certains vont dans un sens, d’autres vont dans l’autre sens.
Peut-être n’est-ce pas forcément le quotient conjugal en tant que tel qui a un impact négatif sur le taux d’activité des femmes, mais, du fait notamment des effets de seuil, l’ensemble des aides et avantages que les femmes risquent de perdre en se mettant ou en se remettant à travailler ? Pour une mère de famille peu formée ou qui a un travail à temps partiel, il peut être plus intéressant de rester à la maison. Il n’en reste pas moins que les chercheurs que nous avons entendus ont évoqué des études selon lesquelles le quotient conjugal n’était pas favorable à l’activité des femmes. J’aimerais que Bercy nous donne des éléments d’appréciation. De nombreux pays sont passés à l’individualisation.
M. François Fondard. Le quotient conjugal n’est pas une exception française. Le système existe aussi en Allemagne, en Espagne, en Irlande, au Portugal et en Pologne. Aujourd’hui, la moitié des couples européens ont la possibilité de déclarer leur imposition conjointement.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Mais en France – et dans trois autres pays, d’après ce que j’ai entendu – la déclaration commune est obligatoire dès qu’il y a mariage ou pacs. Ne pourrait-on pas imaginer de laisser les ménages choisir ? Les couples iraient sur le site des impôts, entreraient leurs revenus, préciseraient leur situation et verraient ce qui est le plus intéressant pour eux, quotient conjugal ou individualisation. Peut-être que, finalement, la majorité des couples resterait au quotient conjugal. Mais peut-être pas. Après tout, depuis 1945, les familles ont changé. Il y a une grande part de familles monoparentales.
M. François Fondard. Tous les ans, nous sortons ce que l’on appelle « les chiffres clés » et nous avons constaté que le nombre des couples s’établissait, depuis plus de cinq ans, à 15 millions. Parmi ces couples, 80 % sont toujours mariés.
Les derniers chiffres que nous avons sortis sur 2013 et que nous sommes en train de finaliser, tout comme l’enquête INSEE de l’année dernière, nous ont montré que, finalement, la configuration des familles avait peu évolué.
Ainsi, 75 % des couples – pas forcément mariés – vivent avec leurs enfants. Autrement dit, 75 % des enfants vivent avec leurs deux parents. Pourtant, on a l’impression du contraire et on entend souvent dire qu’un couple sur deux divorce. Mais c’est faux. Il y a par ailleurs 7 % de familles recomposées et 18 % de familles monoparentales. Ce dernier pourcentage n’a pas évolué depuis dix ans. Il faut dire que les familles monoparentales sont, en majeure partie, dans une situation transitoire puisqu’elles évoluent souvent vers la recomposition et le mariage.
Les chiffres de 2011 illustrent cette stabilité. Les mariages sont toujours aux alentours de 250 000 par an et les divorces de 140 000 par an – dont la moitié, soit un peu plus de 70 000, sont avec des enfants à charge. Le premier enfant est à 60 % hors mariage, le deuxième à 40 % hors mariage, mais s’il y en a un troisième et au bout de dix ans de vie commune, le taux de « régularisation » se situe entre 75 et 80 %.
Ensuite, le Pacs a connu une montée en charge importante, avec une apogée, en 2010, à près de 200 000. Mais ce nombre est aujourd’hui descendu aux alentours de 160 000. Quant au concubinage, il reste stable.
Aujourd’hui, les jeunes couples ont pris conscience que le mariage garantissait certains droits et devoirs. Ils se marient parce que, au moins, en cas de séparation, il n’y aura pas de spoliation. Et si le Pacs est monté en charge en 2006, c’est en raison de l’alignement des droits fiscaux sur ceux du mariage.
Mais allons au-delà du débat d’experts. L’UNAF demande une étude d’impact documentée à l’épreuve de la réalité vécue par les familles. Quand vous parlez du quotient conjugal autour de vous, vous constatez que personne n’a une idée précise de son impact. Moi-même, je préside la section des affaires sociales et de la santé au Conseil économique, social et environnemental, mais lorsque nous avons travaillé à l’avis sur l’évolution contemporaine de la famille, je vous avoue très humblement que je n’avais pas réalisé qu’à partir du moment où les deux conjoints gagnaient exactement la même chose, le quotient conjugal était complètement neutralisé.
De notre point de vue, le quotient conjugal est utile en cas de différence de revenus entre les conjoints, par exemple lorsque l’un des deux – souvent la femme – décide de ne pas travailler. Mais on voit bien aussi que l’aspiration des jeunes femmes françaises est de travailler.
Le tableau qui figure à la page 150 du rapport de Séverine Lemière est intéressant. On y apprend que le taux d’activité des femmes est plus important dans les hauts déciles, du sixième au dixième : entre 80 et 88 % ; ce sont des femmes qualifiées. À l’inverse, le taux d’activité féminin le plus bas, autour de 40 %, concerne les déciles 1 et 2, là où se trouvent les 14,3 % de la population en dessous du seuil de pauvreté ; ce sont des femmes non qualifiées. Seules les formations qualifiantes permettront de relever ce taux d’activité. Mais cette observation vaut aussi pour les hommes puisque les 20 % d’hommes non qualifiés sont majoritairement au chômage.
Par ailleurs, le quotient conjugal n’a d’impact que sur les plus hauts déciles, du sixième au dixième, là où les taux d’emploi des femmes sont les plus forts. Il ne peut pas en avoir sur les plus bas déciles, puisque 50 % des ménages ne paient pas d’impôts. Modifier aujourd’hui les pratiques du quotient conjugal ne changerait rien pour 50 % de la population, où les formations qualifiantes doivent être plus particulièrement concentrées, et ne ramènerait pas les femmes à l’emploi.
Venons-en à la question de la mise en commun des ressources au sein du couple. Malheureusement, nous n’avons étudié le comportement de séparation et de mise en commun des ressources que pour la moitié de ces 15 millions de couples, à partir d’une enquête INSEE de juillet 2012. Il en ressort que 49 % seulement d’entre eux étaient en situation d’activité, pour au moins un membre du couple, les autres étant des retraités, pour lesquels cela ne changera rien. Il ressort également de cette enquête que le partage total est la norme très majoritaire, puisque c’est le cas de 64 % des couples ; nous avons en effet le même chiffre que vous.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela prouve aussi que 36 % des couples ne mettent pas leurs moyens en commun.
M. François Fondard. Tout à fait. La mise en commun partielle est néanmoins de 18 %. On apprend également que chez les couples les plus aisés, la mise en commun totale demeure à un niveau important : environ 57 %.
Mais revenons au quotient conjugal. Pour nous, il permet la solidarité au sein du couple, sans approche de genre, face aux aléas de la vie. Les projections statistiques montrent que 55 % des couples finiront leur vie ensemble, mais aussi que la probabilité de connaître une période de chômage est aujourd’hui de 50 % ; par les temps qui courent, l’homme comme la femme peuvent être concernés. En cas de perte de revenus, le quotient conjugal est très efficace. L’individualisation ne garantira pas automatiquement cette solidarité entre les conjoints. Il faudra trouver un autre moyen de compensation.
Enfin, lorsque les inégalités sociales augmentent, il peut être utile de recourir à l’impôt sur le revenu. À l’UNAF, nous avons toujours défendu cet impôt, qui nous semble le plus juste, dans la mesure où il est progressif – le taux moyen d’imposition augmente avec le revenu – et « familialisé » – on tient compte de la composition de la famille. De ce point de vue, le débat sur la suppression partielle ou totale du quotient conjugal est critiquable. Certains proposent d’appliquer un quotient inférieur à 2, voir égal à 1 pour les couples monoactifs, c’est-à-dire avec un seul salaire. Une telle mesure serait particulièrement injuste car elle nierait la réalité budgétaire du couple. Un couple a plus de besoins qu’une personne célibataire.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Certaines études montrent que par rapport à un célibataire, le ratio n’est pas de 2, mais de 1,5. Un couple n’a pas deux fois plus de dépenses, pour la maison, pour l’entretien, etc. Le célibataire doit faire face, pour sa part, à des charges fixes. On se rend d’ailleurs compte qu’au moment du divorce, les femmes ont une perte de revenus très importante, plus importante que le mari.
J’observe également que le quotient conjugal a pour effet de diminuer l’impôt sur le revenu des familles les plus aisées, puisqu’il est proportionnel aux revenus, sans plafonnement.
M. François Fondard. Dans la mesure où il n’est pas plafonné, il est en effet plus avantageux pour les déciles les plus aisés, où 85 % des femmes travaillent – et a fortiori aux 15 % de ces familles, où la femme ne travaille pas.
J’observe par ailleurs que pour calculer les pensions alimentaires et les prestations compensatoires, le juge s’appuie sur le revenu fiscal du ménage et non sur un revenu médian de référence. Ainsi, s’il y a des différences importantes de revenus dans le couple, le mariage garantit à certaines femmes, en cas de séparation, un revenu décent. Malheureusement, nous constatons dans nos associations familiales, et notamment dans nos associations de familles monoparentales, que les femmes n’osent pas ou ne savent pas défendre leurs intérêts. De fait, lorsqu’une mère de famille a élevé plusieurs enfants, alors que le mari a une situation conséquente, la prestation compensatoire n’est pas toujours mise en place en cas de séparation. C’est dramatique.
Nous sommes en train de travailler, au Haut conseil de la famille, sur toutes les questions de rupture. On voit bien que dans le cadre des séparations, majoritairement, ce sont les femmes qui sont spoliées. Et c’est encore pire si elles ne sont pas mariées. Si elles sont pacsées, si elles vivent en concubinage, même depuis vingt ans, elles n’ont droit à rien. Nous assistons aujourd’hui à la montée de la judiciarisation de la séparation du pacs et nous constatons, une fois encore, que les femmes s’aperçoivent trop tard qu’elles auraient dû se marier. C’est un vrai problème.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut savoir aussi, et on l’a dit lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, que le non versement de la pension alimentaire est un sport national : 40 % des hommes s’en dispensent. Ensuite, s’agissant de la prestation compensatoire, j’ai découvert récemment que le juge pouvait y introduire des éléments concernant la retraite. Mais cela ne se fait jamais, parce que les femmes n’en sont même pas informées.
Comme vous l’avez dit, en cas de séparation, les femmes peuvent être spoliées, et cela commence dès la négociation. Souvent, les juges aux affaires familiales demandent aux deux conjoints, dans le cadre d’une médiation, de discuter et de négocier. Or les femmes ne s’en sortent pas toujours au mieux.
Avez-vous été voir sur le site du ministère des Droits des femmes ? Il est possible d’y calculer le montant d’une pension alimentaire. Est-ce que cela correspond à vos critères ?
M. François Fondard. Je ne suis pas allé voir. Il existe depuis quelques années un barème indicatif. Au Haut conseil de la famille, nous y avons travaillé ces derniers mois.
C’est le barème couramment appliqué par les juges aux affaires familiales. Nous allons plus loin à l’UNAF en disant qu’un barème indicatif est insuffisant. Il faudrait mettre en place un barème minimum obligatoire, dans la mesure où il arrive que le juge aux affaires familiales décide d’un montant de pension alimentaire inférieur à ce barème.
Pour ma part, je milite, depuis ces dernières années, en faveur d’un barème obligatoire. Les juges aux affaires familiales pourraient y déroger, mais moyennant une solide argumentation. Je sais bien qu’ils n’y tiennent pas, au nom de leur indépendance. Mais il me semble important qu’une société puisse se fixer des obligations de cette nature. Dans 90 % des cas, en matière de pension alimentaire, ce sont les femmes qui « trinquent », ce qui est tout à fait inadmissible. De la même façon, les prestations compensatoires sont particulièrement méconnues. Cela dit, depuis quelques années, il y a des juges spécialisés dans les divorces, qui sont majoritairement des femmes, et des offensives sérieuses ont été menées pour faire en sorte que personne ne passe au travers de la prestation compensatoire – sauf dans les cas de très grande faiblesse de la part de la femme ou de l’homme, où le droit n’est pas pris en compte.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Jusqu’à présent, nous avons surtout traité du quotient conjugal. En matière de quotient familial, voyez-vous des évolutions possibles ?
M. François Fondard. L’UNAF en a abondamment parlé ces dernières années, en réaffirmant l’utilité de son principe.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Qui est le principe horizontal.
M. François Fondard. Absolument. Lors des échanges que nous avons eus le 3 juin avec le Premier ministre, au moment de la conclusion du plan de redressement de la branche famille, nous avons dit que le montant du quotient familial relevait de la responsabilité des politiques. On connaît aujourd’hui quelles seront les conséquences du plafonnement du quotient familial à 1 500 euros. 12 % des foyers avec enfant(s) à charge seront concernés, ce qui signifie que la mesure ne change rien pour les autres familles. Cela peut apparaître comme une juste participation des familles au redressement de la branche famille, mais nous regrettons que seules les familles avec charge d’enfants aient été mises à contribution.
J’ajoute que, de notre point de vue, ce serait une erreur de descendre plus bas. Je précise que si on supprimait le quotient familial, 25 % des familles seraient réassujetties à l’impôt sur le revenu. Il ne resterait donc que 25 % de familles qui ne paieraient pas d’impôt sur le revenu. Heureusement que la solidarité nationale joue en faveur de ces familles-là, qui en ont besoin.
Voilà la position de l’UNAF. Je reviendrais, pour conclure, sur le quotient conjugal. Constitue-t-il un frein au retour dans l’emploi des femmes ? Je pense que ce serait une erreur de l’affirmer. Dans aucune étude, d’ailleurs, la fiscalité n’est citée comme étant une barrière au retour dans l’emploi. L’effondrement de la natalité que l’on a connu au milieu des années quatre-vingt-dix était lié à une raison majeure bien affichée : les mères de famille voulaient travailler pour avoir leur indépendance. Cela ne changera pas, et je pense que c’est une bonne chose. Pour moi, la remise en cause du quotient conjugal ne serait pas une mesure d’égalité femmes/hommes, mais risquerait de remettre en cause l’ensemble de l’architecture de la politique familiale actuelle, comme je le disais en introduction.
Mme Claude Greff. Madame la présidente, je comprends bien le travail qui a été mené sur le quotient conjugal. Mais je m’inquiète de l’orientation qui est prise aujourd’hui : nous nous dirigeons vers une individualisation, qui se fera au détriment de la solidarité qui doit exister dans le couple. Or le quotient conjugal est un des éléments de cette solidarité. Pour moi, c’est une véritable dérive.
Votre préoccupation est de protéger les femmes. Mais je n’ai pas le sentiment qu’aujourd’hui, les femmes soient lésées par le quotient conjugal. Vous parliez des familles monoparentales, mais le quotient conjugal ne les impacte pas. Ces familles bénéficient d’ailleurs d’autres prestations.
Certes, il faut aller chercher de l’argent partout, mais je trouve que les familles sont très souvent, trop souvent sollicitées, alors que la solidarité peut passer par l’impôt. Vous avez parlé des familles aisées, et je suis d’accord avec vous : l’impôt est un juste vecteur de la solidarité. Mais pourquoi faire croire que dans les familles, il y aurait des gens aisés qu’il conviendrait de sanctionner ?
Mme la présidente Catherine Coutelle. Ce n’est pas cela, la démarche de la Délégation. À l’origine, nous travaillions sur les deux textes relatifs, respectivement, à l’égalité entre les femmes et les hommes et à la formation professionnelle, quand a été lancé le travail sur la fiscalité. J’ai appris que deux groupes de travail avaient été créés : l’un sur la fiscalité de l’entreprise et l’autre sur celle de la fiscalité des ménages. Je me suis alors demandée s’il ne serait pas intéressant de travailler sur la question des femmes et de la fiscalité. J’ai découvert qu’en France il était obligatoire, pour les conjoints mariés et pacsés, de faire une déclaration commune. Comme ma préoccupation première est l’autonomie des femmes, je me suis interrogée, sans a priori aucun, sur le quotient conjugal. Je souhaite travailler sur ce sujet, avec les collègues qui s’y intéressent. Mais mon objectif n’est évidemment pas, par ce biais, de s’attaquer de quelque façon que ce soit à la famille.
En réfléchissant sur le quotient conjugal, je me suis dit que les couples pourraient peut-être avoir le droit d’opter entre une déclaration commune ou séparée, et que ce n’était pas au fisc de choisir pour eux. Ils pourraient se décider en se rendant sur le site des impôts et en faisant une simulation. Ils pourraient ne rien vouloir changer ou choisir l’individualisation si elle s’avérait plus intéressante ou si la femme se sentait ainsi plus libre. Il ne s’agirait pas d’imposer un choix aux couples, mais de tenter d’apporter un peu plus de liberté, sans remettre en cause la famille.
Mme Claude Greff. Sur le fond, je ne critique pas une telle démarche. Mais en pratique, je crains qu’elle ne soit pas forcément favorable aux femmes. Bien sûr, je ne vise pas toutes les femmes, et notamment pas celles de la génération de nos filles, qui savent faire la part des choses. Mais nous devons être conscients que certaines femmes risquent de se faire spolier, et même dans les familles très aisées. Il est louable de vouloir favoriser l’autonomie des femmes, mais en l’occurrence, il me semble essentiel de préserver la solidarité dans le couple.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Les femmes cadres n’ont en effet pas de souci pour calculer leurs impôts. Mais j’observe que dans les familles où la femme est la moins formée et doit se contenter d’un travail précaire, le raisonnement le plus souvent tenu est qu’elle a intérêt à rester à la maison ; ce n’est pas un choix délibéré.
Mme Claude Greff. Cette situation n’a rien à voir avec le couple, mais le niveau de formation professionnelle. C’est pour cela que je pense qu’il ne faut toucher ni au couple ni à la famille, mais travailler sur la formation professionnelle et sur la compatibilité entre la vie familiale et la vie professionnelle.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je ne touche pas à la famille ! Je réfléchis simplement aux dispositifs liés à la famille qui peuvent se révéler être un frein à l’égalité femmes/hommes.
Mme Claude Greff. Mais on voit bien où nous mènent certaines réflexions. Aujourd’hui, la tendance n’est plus de considérer le couple dans son ensemble, mais l’homme et la femme l’un à côté de l’autre, dans le couple. Or c’est cet « ensemble » du couple que nous avons à préserver. Le couple n’a d’ailleurs pas autant évolué qu’on le laisserait entendre, comme le président de l’UNAF vient de le mettre en évidence.
Donc, plutôt que de toucher au quotient familial et au quotient conjugal, avec toutes les conséquences que cela pourrait entraîner, faisons en sorte que les femmes puissent concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle, par exemple en développant les crèches. Les femmes d’aujourd’hui veulent travailler. Nous devons leur en donner la capacité, et elles acquerront facilement leur autonomie.
M. François Fondard. La conséquence de l’individualisation sera qu’il n’y aura plus d’obligation de solidarité entre les deux conjoints. Vous ne pourrez plus l’imposer ni dans un sens, ni dans l’autre.
Aujourd’hui, les règles du mariage garantissent à chacun, à l’homme et à la femme, des droits relevant du principe de solidarité ; je veux parler de la pension alimentaire et la prestation compensatoire. Il y a d’ailleurs un travail d’information très important à développer sur ces questions.
Mme la présidente Catherine Coutelle. On ne va pas changer les dispositions du code civil relatives au mariage. Chaque époux, en fonction de ses revenus, contribue aux charges de la famille. Ce n’est pas pour autant que le fisc doit leur imposer de les déclarer ensemble.
Mme Claude Greff. Mais c’est autre chose, l’esprit de solidarité ! Or il est insidieusement mis à mal…
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je n’ai aucune intention insidieuse de cette sorte !
Mme Claude Greff. Je le sais bien, mais c’est une tendance de la société.
Mme Guillemette Leneveu, directrice générale de l’UNAF. La question posée au départ par la présidente portait sur le fait que la déclaration commune est une obligation pour les conjoints mariés ou pacsés : faut-il leur laisser la possibilité de choisir entre la déclaration commune ou la déclaration individuelle ? Mais les conjoints ont déjà le choix : ’ils décident de vivre en union libre, ils seront dans un système d’individualisation.
Le système du mariage possède sa cohérence et suppose la solidarité dans le couple. Les conjoints s’engagent en effet à être solidaires, y compris dans les difficultés – en cas de chômage, notamment, comme l’évoquait le président. On peut donc parler d’un système de solidarité familiale, que vient compléter la solidarité publique.
En fait, si l’on ouvrait la possibilité d’individualisation à tous les modes d’union, on peut se poser la question de savoir quelle serait la caractéristique liée à chacun de ces modes. De ce point de vue, le débat que l’on a eu autour de la prestation compensatoire est intéressant.
Certains conjoints ne savent pas que s’ils se séparent, ils risquent – et c’est souvent le cas des femmes – de rencontrer des difficultés sur le plan financier. Dans la mesure où il y a trois modes d’union – le mariage, le Pacs et l’union libre –, il est essentiel de bien expliquer aux uns et aux autres quels sont les droits et obligations qui y sont attachés. Pendant la vie commune, la solidarité doit jouer, mais si la séparation intervient, celui qui gagne davantage a l’obligation de compenser la baisse de revenus de l’autre. Ces modes d’union ne doivent pas être considérés comme des carcans, mais comme différents moyens de protection des personnes.
Mme la présidente Catherine Coutelle. L’individualisation suppose en effet que l’on clarifie les modes de contrats. Mais si j’ai engagé cette réflexion, c’est parce qu’un certain nombre de chercheurs estimaient que notre fiscalité des ménages, qui suppose une déclaration commune, dissuadait les femmes de travailler ou de se remettre au travail.
Bien sûr, on ne peut pas comparer la France à l’Allemagne, qui a une autre culture et où, longtemps, les femmes ont moins travaillé que dans notre pays – même si, aujourd’hui, le taux d’activité féminine y est le même qu’en France. On ne peut pas la comparer aux Pays-Bas où, il y a une dizaine d’années, il n’était pas question de faire garder les enfants à domicile ou de les faire prendre à l’école par quelqu’un d’autre que la mère. Les Néerlandais ont donc travaillé sur l’emploi à mi-temps pour éviter qu’en raison des contraintes sociales, les femmes ne quittent le marché du marché du travail dès qu’elles avaient un enfant. Mais j’observe que, malgré des différences, ces femmes, comme les femmes françaises, revendiquent leur autonomie, et que cette autonomie passe, notamment, par le travail.
Mon intention n’est pas de détruire la famille ou de m’y attaquer, mais simplement de savoir si notre fiscalité est favorable, ou non, aux femmes. Voilà pourquoi je vous ai demandé d’exprimer votre point de vue.
Mme Guillemette Leneveu. La fiscalité est-elle dissuasive ? Assure-t-elle une certaine compensation ? Y a-t-il plus d’avantages à l’individualisation qu’à la déclaration commune ?
Mme la présidente Catherine Coutelle. Très sincèrement, nous manquons d’études sur le sujet.
Mme Claude Greff. Les études sont très intéressantes, mais je ne suis pas sûre qu’elles puissent nous apporter la solution. Je crois que nous devons nous appuyer sur notre expérience du terrain. Et sincèrement, même si une femme a intérêt économiquement à rester à la maison plutôt que de prendre l’emploi qu’on lui propose, elle choisira l’emploi. C’est la mentalité des jeunes femmes aujourd’hui, qui ont envie de s’épanouir professionnellement, tout en s’épanouissant familialement en tant que mères.
Je n’ai pas envie de remettre la femme au foyer. Notre mentalité, du moins celles de nos filles, a changé. Maintenant, elles veulent un « job ». Travaillons ensemble sur l’amélioration de la formation professionnelle et la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, plutôt que sur l’intérêt de tel ou tel dispositif fiscal.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie.
Audition de Mme Nathalie Pilhes, présidente de l’Assemblée des femmes
de Paris -Île de France
Compte rendu de l’audition du mardi 8 avril 2014
Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, madame, pour votre disponibilité.
Le groupe de travail sur la fiscalité devrait rendre ses conclusions cette semaine. La Délégation a décidé, de son côté, de s’emparer du sujet dans la mesure où la prochaine réforme portera, entre autres, sur la fiscalité des ménages, qui concerne évidemment les femmes. Il se trouve que depuis 1945, les personnes mariées ou pacsées doivent remplir une déclaration de revenus commune. La France est l’un des trois pays où perdure un tel système et nous nous demandons quelles conséquences entraînerait, pour ces personnes comme pour le budget de l’État, l’individualisation généralisée des déclarations de revenus. Un rapport est en cours de finalisation mais j’aurais aimé qu’en tant que présidente de l’Assemblée des femmes de Paris – Île-de-France, vous nous en parliez.
Mme Nathalie Pilhes, présidente de l’Assemblée des femmes de Paris – Île-de-France. Je vous remercie de l’honneur que vous me faites de m’entendre aujourd’hui, au nom de notre association. Je centrerai mon propos sur le quotient conjugal et son impact sur l’égalité femmes-hommes.
S’agissant de l’impact du quotient conjugal sur l’égalité hommes-femmes, j’aborderais trois points : les effets négatifs que nous constatons sur la situation des femmes, les réponses que nous apportons aux arguments de ceux qui sont en faveur du maintien du quotient conjugal, et enfin nos recommandations.
Tout d’abord, les effets négatifs du quotient conjugal relèvent d’un constat général.
Premier constat : le quotient conjugal crée un système inégalitaire entre les couples : d’une part, il ne bénéficie pas aux foyers qui ne sont pas imposables ; d’autre part, il est fiscalement injuste et discriminant selon le statut du couple, dans la mesure où c’est un avantage fiscal qui bénéficie aux couples mariés et pacsés mais pas aux couples en concubinage ou union libre. Cette discrimination crée une inégalité horizontale du point de vue fiscal. En 2011, un rapport du Haut conseil de la famille a relevé que le quotient conjugal ne tenait pas compte des économies d’échelle réalisées au sein du couple et s’éloignait donc du principe d’équité horizontale. Parmi les foyers non mariés, un tiers sont des concubins et ne bénéficient pas du même avantage fiscal que ceux qui sont mariés ou pacsés.
Le système est par ailleurs incohérent fiscalement parlant, puisque les couples en concubinage doivent faire une déclaration commune pour le calcul de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), alors qu’ils ne le font pas pour le calcul de l’impôt sur le revenu (IR).
Il est également incohérent par rapport au traitement social des couples. En effet, le concubinage et l’union libre sont reconnus comme des situations de mise en commun des revenus du couple par le système social, mais pas par le système fiscal. C’est le cas pour le revenu de solidarité active (RSA), dont le montant est le même qu’il soit versé à un couple marié, pacsé ou en union libre, et pour l’allocation de parent isolé.
Enfin, il est anti-redistributif, dans la mesure où il accorde aux couples mariés ou pacsés un avantage qui augmente avec le revenu. Toujours en 2011, le Haut conseil de la famille a relevé que près des deux tiers de l’avantage du quotient conjugal, comparativement à une imposition séparée, bénéficiait aux 20 % des foyers les plus aisés. De même, 10 % des foyers les plus aisés recueillent 53 % de la valeur du quotient conjugal. Ce mode d’imposition est donc davantage concentré sur les hauts revenus.
Deuxième constat : le quotient conjugal est discriminant selon le sexe. Comme l’impôt est progressif en France, le taux effectif d’imposition augmente évidemment avec le revenu, mais le système devient inégalitaire si l’on y ajoute le dispositif du quotient conjugal. En effet, si les revenus des conjoints sont inégaux, le quotient conjugal procure une réduction d’impôt au foyer fiscal soumis à une imposition commune par rapport au foyer fiscal dont l’imposition n’est pas conjointe.
Le quotient conjugal augmente le taux d’imposition du conjoint à plus faible revenu, alors qu’il diminue le taux d’imposition du conjoint qui a le plus fort revenu. Et comme c’est la femme qui a le plus faible revenu, dans la majorité des cas, cela conduit, s’il y a une imposition commune, à une discrimination indirecte envers les femmes.
À revenu identique pour l’homme, plus le revenu de la femme est faible, plus le système favorise le couple, et la réduction d’impôt est maximale si la femme reste au foyer. En 2011, le Conseil des prélèvements obligatoires a d’ailleurs relevé que plus l’un des deux conjoints perçoit des revenus élevés, plus la configuration dans laquelle l’autre conjoint n’a pas d’activité professionnelle est fréquente.
Le quotient conjugal agit, d’une part, comme une prime à l’inégalité de revenus à l’intérieur des couples et, d’autre part, comme une prime à l’inactivité professionnelle pour l’un des conjoints.
C’est le troisième constat que nous faisons : le quotient conjugal exerce un effet d’éviction des femmes sur le marché du travail. Pour nous, c’est le constat le plus important, qui m’amène à formuler quatre observations.
Première observation : ce quotient conjugal favorise une certaine forme de répartition du travail à l’intérieur du couple. Plus le couple est inégalitaire, plus la réduction d’impôt est importante et génère une prime à la spécialisation de l’activité pour l’un ou l’autre conjoint. Ce modèle fiscal n’encourage pas celui du couple qui a potentiellement un revenu plus faible à trouver du travail. Or, dans l’immense majorité, c’est la femme qui est dans cette situation. Le Conseil des prélèvements obligatoires fait le constat suivant : l’imposition commune entraîne pour le conjoint aux revenus les moins élevés une moindre incitation à obtenir des revenus d’activité ; et puisque cela concerne majoritairement les femmes, elle conforte la répartition traditionnelle des tâches au sein du ménage.
Ces constats sont confirmés par une récente étude de l’INSEE parue en mars 2014, et qui met en lumière une corrélation entre le niveau de revenu des femmes et leur statut marital. Il a été ainsi noté que la contribution des femmes aux revenus du couple est plus faible quand elles sont mariées ; elle représente en effet 34 % pour les femmes mariées, contre 41 % dans les couples en concubinage ou pacsés. Deuxième observation : à partir du moment où cet effet d’éviction pèse sur le conjoint qui a le revenu le moins élevé, les femmes sont victimes d’une double discrimination : elles sont d’abord victimes de l’écart structurel de rémunération entre elles et les hommes ; ensuite, elles font l’objet d’un effet d’éviction sur le marché du travail. Cette situation pèse sur les arbitrages internes au sein des couples et crée une discrimination entre l’un et l’autre conjoint.
On a pu également constater que l’offre de main d’œuvre des femmes est sensible aux effets incitatifs ou « désincitatifs » à l’emploi qui résultent des politiques familiales et sociales, pour des raisons liées aux normes sociales sur les rôles sexués. Je vous rappelle qu’en 1994, l’extension de l’allocation parentale d’éducation (APE) aux parents de deux enfants – au lieu des parents de trois enfants – a entraîné une baisse de quinze points du taux d’activité des femmes éligibles à cette mesure : on est passé de 70 à 55 %, ce qui est colossal. En effet, les femmes ont été beaucoup plus nombreuses à prendre cette allocation.
Un certain nombre d’études récentes ont établi une corrélation positive entre l’imposition séparée et l’emploi des femmes. J’ai relevé deux études intéressantes. L’une a été réalisée par Damien Échevin, qui a estimé que la suppression du quotient conjugal augmenterait de 0,6 point le taux de participation des femmes au marché du travail. Cette corrélation peut ne pas paraître très importante, mais elle existe malgré tout.
Une autre étude, due à M. Clément Carbonnier, estime que l’élasticité moyenne de l’offre de travail des conjoints aux taux d’imposition est négative, même si elle est très faible, soit de 0,05 point. Cela signifie que sur 400 couples qui voient leur taux marginal passer de 10 à 11 %, un conjoint parmi les 200 actifs décidera de s’arrêter de travailler. La corrélation est donc là, même si elle apparaît modérée.
Une dernière conséquence de cet effet d’éviction est le développement du travail à temps partiel féminin. En France, le temps partiel représente 30 % dans l’emploi total des femmes, il est de 6,9 % pour les hommes. En Allemagne, il est de 45 % pour les femmes et de 10 % pour les hommes. C’est une conséquence très importante des arbitrages au sein des couples.
Nous en tirons la conclusion que l’imposition conjointe des couples aboutit, en pratique, à traiter le travail des femmes comme un revenu d’appoint – c’est une idée qui n’a malheureusement pas disparu – et que c’est sur le seul salaire des femmes que l’on projette le calcul coût/bénéfice des politiques fiscales et sociales pour le couple. L’imposition conjointe des couples contribue donc à renforcer les inégalités professionnelles femmes-hommes que l’on cherche par ailleurs à combattre.
Quatrième constat : le quotient conjugal est un modèle archaïque contraire à l’égalité des sexes. C’est un modèle que vous connaissez bien, qui est né en 1945, et dont l’objectif était alors de promouvoir un certain type de modèle de famille : l’homme était le chef de famille, son salaire permettant à sa femme de se consacrer à l’éducation des enfants. C’était un système fiscal orienté vers une politique nataliste, qui y associait le retrait des femmes du marché du travail. De fait, pendant quelques années, de 1945 à 1953, on a retiré une demi-part fiscale aux couples qui n’avaient pas d’enfants. Ce modèle, où l’on considérait que les femmes étaient des charges familiales, comme les enfants, est aujourd’hui dépassé.
Ce modèle est également contraire à la reconnaissance de la pleine citoyenneté des femmes, puisqu’il n’y a pas de reconnaissance des individus devant l’impôt, dès lors qu’ils sont mariés ou pacsés. De fait, du point de vue de l’administration fiscale, aujourd’hui encore, c’est l’époux qui demeure a priori le seul contribuable. Même si l’épouse a un revenu, les déclarations électroniques restent encore attachées au conjoint homme. Les femmes mariées sont systématiquement nommées par l’administration fiscale du nom de leur conjoint, même si elles ont fait savoir qu’elles souhaitaient être appelées de leur nom de naissance – ce qui est pourtant contraire aux circulaires réitérées du Premier ministre sur le sujet.
Nous considérons que la mise en œuvre des droits universels passe par l’attribution de droits propres attachés aux personnes et non attachés au titre de conjoint. Donc, de notre point de vue, la pleine citoyenneté suppose une existence devant l’impôt et passe par un statut personnel du contribuable. Le système fiscal doit reconnaître les individus adultes comme autonomes, indépendamment de leur sexe et de leur statut familial.
Ce modèle est dépassé et inadapté du point de vue des mœurs, dans la mesure où il ne permet pas de prendre en compte l’évolution actuelle des familles, avec les unions libres, les séparations, les recompositions familiales, le développement de foyers monoparentaux, etc. Comme je le disais tout à l’heure, il y a contradiction entre la politique fiscale et la politique sociale en matière de reconnaissance des couples.
Il y a également contradiction avec les politiques publiques actuelles qui favorisent l’égalité femmes-hommes. Le système actuel a un effet contreproductif : d’un côté, on encourage l’emploi des femmes en développant les modes de garde, en favorisant le passage de l’emploi à temps partiel à un emploi à temps plein, et de l’autre côté, on taxe lourdement l’offre de travail par le système du quotient conjugal.
Je conclurai en disant que le quotient conjugal est fondamentalement contraire à l’objectif d’égalité des sexes, puisque l’accès à un emploi rémunéré est la condition nécessaire de l’autonomisation des femmes.
Comme vous le disiez tout à l’heure, madame la présidente, ce quotient conjugal reste une spécificité française. Avec le Luxembourg et le Portugal, la France est le seul pays de l’OCDE à exiger l’imposition conjointe pour les couples mariés ou pacsés. Elle est même le seul et le dernier pays de l’OCDE à exiger cette imposition conjointe, complétée par l’attribution de parts pour les enfants – c’est-à-dire le quotient familial.
Quelques pays comme l’Allemagne, l’Irlande, l’Espagne offrent le choix entre l’imposition conjointe et séparée. Mais la majorité des pays a opté pour l’individualisation. Il faut tout de même reconnaître que rares sont les cas d’individualisation totale de l’impôt. Les pays qui s’en rapprochent le plus sont les pays nordiques : Danemark, Suède et Finlande, où l’unité d’imposition est l’individu. Mais dans la plupart des cas, existent des mécanismes de transfert – transferts de revenus, abattements divers, etc. – qui viennent dénaturer ce caractère individuel.
Je voudrais également appeler l’attention sur ce que l’on appelle le système mixte lorsque le contribuable a le choix entre imposition conjointe et séparée. Selon moi, c’est un piège parce qu’un tel système ne permet pas de sortir de la pression que peut exercer le conjoint mieux payé, et donc de renverser les logiques de négociation qu’il y a à l’intérieur du couple.
J’en viens au deuxième point de mon intervention sur le quotient conjugal : les quelques réponses que l’on peut faire à ceux qui souhaitent son maintien.
Le premier argument est qu’une individualisation de l’impôt ne serait pas un élément déterminant dans la décision des femmes de travailler ou de ne pas travailler, et que le taux d’activité des femmes n’a cessé de croître en France. Or les différentes études dont nous disposons montrent que c’est principalement le second apporteur de revenu – que sont les femmes – qui est le plus sensible à l’arbitrage « travailler ou rester à la maison ».
Le deuxième argument est que l’imposition séparée ne serait pas équitable et dégraderait la redistribution du système fiscal. Nous répondons que l’individualisation de l’impôt sur le revenu ne remet pas en question la solidarité familiale entre les familles, avec ou sans enfants, précisément parce qu’il convient de distinguer le quotient conjugal du quotient familial. Il ne s’agit pas, en supprimant le quotient conjugal, de supprimer ce qui relève du soutien aux familles avec enfants.
J’observe par ailleurs qu’aujourd’hui, les couples monoactifs sont les grands gagnants du système. Il faut renverser la perspective. Ces couples n’ont pas besoin d’externaliser en payant une partie des tâches domestiques et familiales, contrairement aux couples biactifs. Pour ces derniers, la charge est considérable, alors que dans les couples monoactifs, la femme produit un service gratuit et, en outre, défiscalisé.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Les familles à revenus modestes ne risquent-elles pas, en cas de suppression du quotient conjugal, de voir leur impôt augmenter significativement ?
Mme Nathalie Pilhes. Mais vous pouvez utiliser le bénéfice de la suppression du quotient conjugal, qui est fiscalement considérable, pour faire de la redistribution. J’y reviendrai dans mes recommandations.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faudra réinventer d’autres mécanismes. Sinon, il y aura des perdants, y compris parmi les familles modestes.
Mme Nathalie Pilhes. Le législateur pourra accompagner la réforme en question.
Le troisième argument est que l’individualisation remettrait en cause la reconnaissance des solidarités familiales. Mais il part de l’hypothèse que les couples mariés et pacsés mettent l’ensemble de leurs revenus en commun. Or moins des deux-tiers des couples déclarent mettre leurs revenus entièrement en commun.
Enfin, l’imposition individuelle priverait les femmes du libre choix d’avoir ou non un emploi. Pour nous, ce n’est pas du tout un argument. Il ne s’agit pas d’obliger les femmes au foyer à avoir une activité professionnelle, mais surtout de ne pas les en décourager. Cette idée qu’il faudrait défendre le « libre choix » de travailler ou non pour les femmes en couple relève d’une conception du couple qui a institutionnalisé la dépendance des femmes par rapport au conjoint. Cela pose des problèmes importants et a de graves conséquences en cas de séparation ou après la retraite. Le nombre de femmes seules avec enfants a plus que doublé en quarante ans et il continue à augmenter. Une femme sur trois vit au-dessous du seuil de pauvreté.
Par ailleurs, beaucoup de femmes ont renoncé à une activité professionnelle aussi par manque de modes de garde ou en raison de leur coût trop élevé. Il manquerait aujourd’hui 500 000 places d’accueil en France. Le Gouvernement a promis d’en créer 275 000. C’est absolument stratégique. En Allemagne, le taux d’emploi des femmes est à peu près le même qu’en France, mais les Allemandes arbitrent clairement entre l’emploi et la maternité. Dans certains pays, le manque de modes de garde aboutit à une exclusion des femmes du marché de l’emploi.
J’en viens à mon troisième point : nos recommandations.
Comme vous l’avez compris, notre recommandation principale est de refonder l’impôt sur le revenu autour de l’égalité hommes-femmes en individualisant l’impôt et en supprimant le quotient conjugal. Individualiser l’impôt permettra de réduire les taux marginaux imposés aux revenus des femmes. De notre point de vue, seule l’imposition individuelle permet d’assurer l’égalité de traitement devant l’impôt. Elle est en cohérence avec la généralisation des droits propres attachés aux personnes, en lieu et place des droits dérivés. Elle est en cohérence avec l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, et elle permet de rééquilibrer les rapports de force en termes de négociation au sein du couple.
Je rappellerais ensuite que le quotient conjugal coûte entre 5,6 et 9,6 milliards d’euros, et le quotient familial environ 13,9 milliards d’euros. Certains chercheurs ont indiqué qu’ils étaient médusés de voir des sommes aussi importantes distribuées sur la base d’objectifs très approximatifs. Je dois dire que je partage cette stupéfaction. Mais nous suggérons d’accompagner la suppression du quotient conjugal. Comme vous le disiez très justement tout à l’heure, il y aurait des perdants, notamment parmi les familles modestes.
Dans un premier temps, nous proposons de distinguer clairement la politique familiale de la politique fiscale puisque la prise en compte des charges familiales dans l’impôt provoque des effets inégalitaires et des incohérences. Cela rendrait l’impôt plus visible, plus transparent, plus juste et donc plus acceptable.
Nous proposons ensuite d’utiliser le gain des rentrées fiscales liées à la suppression du quotient conjugal pour instaurer une meilleure redistribution, à la fois verticale et horizontale, de ces rentrées fiscales. Les foyers à plus hauts revenus y perdraient, puisque la perte moyenne augmente avec le niveau de vie. Mais la redistribution de ce supplément permettrait de neutraliser l’effet de cette suppression sur les contribuables les plus modestes. Le législateur pourrait définir un seuil en dessous duquel on refuserait que les couples y perdent.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Mais c’est compliqué. Si vous décidez par exemple que ce seuil est de 4 000 euros, une famille avec deux enfants, où chacun des conjoints gagne 2 000 euros – famille qu’on peut considérer comme appartenant à la classe moyenne – risque d’être touchée.
Mme Nathalie Pilhes. Selon certaines simulations économétriques, la moyenne de la perte se situe autour de 300 euros par foyer fiscal.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Une famille de quatre personnes, avec 5 000 ou 6 000 euros de revenus, est une famille aisée. Appartient-elle à la classe moyenne ? Des propositions comme celles-là ne sont pas faciles à cibler.
Mme Nathalie Pilhes. En effet. Mais le dernier décile des revenus fiscaux représente 50 % du quotient conjugal. Il y aurait donc au moins cela à redistribuer.
Après, il faut tenir compte des enfants. Le quotient familial est encore autre chose. Plusieurs possibilités sont envisageables : redistribution de caractère universel, prestation sociale, etc.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Le quotient familial a été plafonné.
Mme Nathalie Pilhes. En effet. Et j’observe que si l’on a débattu du quotient familial, on a laissé complètement de côté la question du quotient conjugal. J’ai lu dans la presse un certain nombre de déclarations de responsables politiques – masculins, en général – qui évacuaient cette question d’un revers de main en disant : la société française n’est pas prête à débattre sur la remise en cause du quotient conjugal. Je me demande si ce n’est pas eux qui n’y sont pas prêts. Car il est beaucoup plus subversif de remettre en cause le quotient conjugal que le quotient familial, puisqu’on est là sur le terrain de la négociation et du pouvoir au sein du couple, ce qui n’est pas tout à fait le cas du quotient familial.
En conclusion, nous souhaitions mettre en exergue que ce quotient conjugal génère des inégalités, des discriminations, des incohérences. Qu’attend-on pour neutraliser l’ensemble de ses effets négatifs ? Les effets de la suppression du quotient conjugal, qu’il conviendra de neutraliser, seront probablement bien moindres que les effets de celui-ci, que l’on déplore aujourd’hui. Je souhaitais faire passer ce message : le devoir de la représentation nationale est de ne plus faire un tabou du quotient conjugal.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Je suis d’accord avec vous sur ce point et je peux vous assurer, pour l’avoir constaté, que le sujet a été complètement occulté lorsqu’on a parlé de la réforme de l’impôt des ménages. En outre, il y a une confusion entre quotient conjugal et quotient familial.
Mme Nathalie Pilhes. Beaucoup font la confusion, par ignorance. Mais je me demande aussi s’il n’y aurait pas quelque chose qui relèverait de l’inconscient et qui serait lié au fait que la suppression du quotient conjugal s’accompagnerait d’un certain abandon de pouvoir…
Mme la présidente Catherine Coutelle. Personnellement, je ne suis pas sûre que le quotient conjugal ait autant d’effet que vous le dites sur l’emploi des femmes qui, par ailleurs, ont bien du mal à en trouver un. Mais je suis tout à fait d’accord sur les principes d’égalité et d’autonomie que vous avez mis en avant.
Je souhaiterais que l’administration fiscale soit à même de faire des simulations, à partir desquelles les ménages seraient libres de choisir entre la déclaration commune et la déclaration individuelle. Bien sûr, les femmes souhaitant retravailler devraient sans doute négocier, alors même que, la plupart du temps, elles ne sont pas en position de force. Mais ce pourrait être une première étape avant la suppression du quotient conjugal.
Mme Nathalie Pilhes. Je crois que c’est piste évoquée par le rapport Lemière. Personnellement, je considère que cela ne résout pas le problème de la négociation dans le couple.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela peut faire au moins prendre conscience de la réalité.
Mme Nathalie Pilhes. On pourrait inscrire cette suppression du quotient conjugal comme étant une perspective, et décider de procéder par étapes.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame Pilhes, pourriez-vous nous transmettre votre contribution écrite ?
Mme Nathalie Pilhes. Je vous l’enverrai.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Ce serait parfait. Vos propos correspondent aux conclusions du rapport que je vais présenter demain au titre de la Délégation. Il ne serait pas normal qu’on aille vers une réforme fiscale sans aborder au moins le sujet du quotient conjugal. Malheureusement, nous n’avons pas d’études d’impact le concernant, et Bercy, que nous avons sollicité, ne nous a pas répondu.
Mme Nathalie Pilhes. Il n’est pas sûr que ce soit une priorité de l’administration de Bercy.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Ces études d’impact figureront dans nos recommandations. De telles études sont nécessaires quand on fait des réformes, et je vais le rappeler à la ministre aux Droits des femmes, Mme Najat Vallaud-Belkacem. Encore faut-il qu’il s’agisse de véritables études d’impact. Il arrive trop souvent que l’on se contente d’écrire : « il est possible que la loi… » ou « on souhaite que la loi aboutisse à cela… ». Il faudrait également que ces études présentent des données sexuées. Il me semble d’ailleurs que l’on ne dispose même pas de données statistiques sexuées sur la prime pour l’emploi.
Madame, je vous remercie pour votre intervention concise et très intéressante.
II. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 9 AVRIL 2014 : EXAMEN DU RAPPORT
La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a examiné le rapport d’information présenté par la rapporteure, Mme Catherine Coutelle, au cours de sa réunion du mercredi 9 avril 2014.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Lorsqu’a été annoncée une réforme de la fiscalité, s’agissant notamment des ménages, il m’a semblé que les femmes pouvaient être concernées par cette question. Le groupe de travail sur la fiscalité des ménages, présidé par MM. Dominique Lefebvre et François Auvigne, devrait rendre ses conclusions très prochainement. Dans la mesure où il ne s’agit pas d’un projet de loi, il n’y a pas eu de saisine de la Délégation, mais j’ai informé de notre initiative le Premier ministre par courrier, ainsi que la ministre des Droits des femmes, le ministre délégué du Budget, le rapporteur général de la commission des Finances, M. Christian Eckert, et M. Dominique Lefebvre.
L’objectif de ces travaux était d’examiner dans quelle mesure la fiscalité peut avoir un impact sur les revenus et l’autonomie des femmes. Il s’agit là d’un sujet particulièrement complexe, mais il est essentiel que nous, parlementaires, puissions pleinement comprendre et faire comprendre un système fiscal, qui gagnerait d’ailleurs à être rendu plus transparent et plus juste. La présente contribution s’attache donc, tout d’abord, à rendre ces questions compréhensibles, en présentant également des éléments de comparaison internationale.
L’une des particularités du système fiscal français tient au quotient conjugal, qui doit être distingué du quotient familial au titre des enfants à charge. En France, les couples mariés ou pacsés sont obligés de procéder à une déclaration commune de revenus. Concrètement, dans le cas d’un couple sans enfant, le revenu imposable du foyer, constitué de la somme des revenus de chaque membre du couple, est divisé par deux, puis soumis au barème. Il est ensuite multiplié par deux, une part fiscale étant attribuée à chaque membre du couple.
Le montant de l’avantage fiscal lié au quotient conjugal augmente avec les revenus du couple et peut représenter des sommes significatives pour certains ménages. L’estimation globale de son coût pour les finances publiques est de l’ordre de 5,5 à 9,5 milliards d’euros. Le quotient conjugal soulève aujourd’hui plusieurs questionnements.
Tout d’abord, la mise en place de ce dispositif après la seconde guerre mondiale s’inscrivait dans le contexte de politiques démographiques et familialistes, alors que prévalait le modèle du couple où le mari travaille, tandis que son épouse reste au foyer. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans cette vision. Par ailleurs, ce ne devrait pas être à l’administration fiscale de dire de quelle façon les couples doivent déclarer leurs revenus.
Le quotient conjugal ne favorise pas le travail des femmes, car il augmente le taux marginal d’imposition du second apporteur de ressources. Si certains estiment que les femmes ne sont pas le sujet d’une éventuelle réforme de la fiscalité, il me semble au contraire important de souligner que le système fiscal ne reconnaît pas suffisamment l’autonomie et la pleine citoyenneté des femmes, comme l’a fait observer la représentante d’une association féministe que nous avons entendue.
D’autre part, le quotient conjugal se fonde sur l’idée que les deux membres du couple mettent en commun leurs revenus. Or la mise en commun intégrale des ressources ne concerne que moins des deux tiers des couples dont au moins un des conjoints est actif, selon une étude récente de l’Insee. Il convient également de tenir compte d’évolutions sociologiques concernant les ménages, avec notamment la progression des couples en union libre et des familles recomposées.
En outre, la France est aujourd’hui l’un des rares pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec le Luxembourg et la Suisse, à avoir un système d’imposition conjointe obligatoire, même s’il est vrai que dans plusieurs pays européens, l’impôt n’est pas totalement individualisé. Dans un rapport récent, l’OCDE invite d’ailleurs la France à opter pour l’imposition individuelle.
Au regard de ce constat, plusieurs voies de réforme pourraient être envisagées.
Si l’individualisation de l’impôt aurait des effets positifs, mais aussi des effets négatifs pour certains ménages, il m’a semblé que les couples pourraient tout d’abord avoir la possibilité d’opter ou non pour la déclaration commune et l’application du quotient conjugal. L’administration fiscale pourrait faire des simulations afin d’aider les ménages à choisir ce qui leur est le plus favorable – ce qui peut donc entraîner une perte de recettes fiscales. Nous pourrions proposer cette piste du libre choix en se fixant l’objectif d’aller à terme vers la suppression du quotient conjugal, mais il faut y aller par étapes. Il est donc proposé de donner aux couples le choix quant au mode de déclaration – conjointe ou séparée – de leurs revenus, sachant toutefois que cela supposera une négociation dans le couple, comme cela a été souligné lors de l’audition qui a eu lieu hier.
Il conviendrait également de plafonner le montant de l’avantage fiscal procuré par le quotient conjugal pour les ménages à très hauts revenus. Il s’agirait alors de redistribuer ces revenus vers les familles les moins aisées.
Mme Marie-Noëlle Battistel. Comment fonctionne l’avantage fiscal lié au quotient conjugal ?
Mme la présidente Catherine Coutelle. Les revenus des deux membres sont divisés par deux, puis on applique le barème. Cet avantage est lié à la progressivité de l’impôt. L’imposition conjointe avec quotient conjugal favorise aujourd’hui les couples mono-actifs ou ceux au sein desquels existe une inégalité de revenus, mais ce système est totalement neutre pour les couples dans lesquels les conjoints ont des revenus proches. Dans les familles les plus aisées qui correspondent aux plus hauts déciles de revenus, l’avantage fiscal peut dépasser 1 000 euros par mois. Il faudrait redistribuer cet argent vers les familles monoparentales et les familles les moins aisées. Mais il faut naturellement veiller aux classes moyennes.
Mme Maud Olivier. Je suis favorable à la suppression à terme du quotient conjugal, comme vous le proposez. Mais si on laisse les ménages choisir entre l’imposition conjointe et séparée, ils vont choisir le plus favorable pour eux et l’État va perdre de l’argent. Et ceux qui ont intérêt à l’imposition conjointe choisiront de toute façon de rester dans ce système. En tout état de cause, il faudrait que cette liberté de choix soit limitée dans le temps.
Mme la présidente Catherine Coutelle. En effet, il s’agit bien d’une forme d’optimisation fiscale pour les couples en cas de droit d’option.
Mme Maud Olivier. De quelle façon le plafonnement du quotient conjugal peut-il se concilier avec le système du libre choix ? Si l’institution d’un plafond les conduisait à perdre de l’argent, quel intérêt présenterait le système du libre choix entre imposition séparée et conjointe ?
Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous avons demandé des simulations à Bercy, mais n’avons pu obtenir d’éléments de réponse dans les délais impartis. Ce sujet ne semble pas être étudié attentivement par l’administration fiscale. Pourtant, le système fiscal est fondé sur des options qui ne sont pas neutres. Il convient donc d’interroger les choix ainsi opérés et de revoir des dispositifs qui défavorisent l’emploi, et donc l’autonomie des femmes. Le rapport récent de Séverine Lemière évoque d’ailleurs clairement le caractère potentiellement désincitatif de la fiscalité sur l’emploi des femmes. C’est un choix de politique fiscale qui se justifiait peut-être en 1945, mais aujourd’hui, quelle est sa pertinence ?
Par ailleurs, combien de temps peut durer la transition ? C’est difficile à déterminer. En cas de suppression de quotient conjugal, on pourrait réfléchir à une forme de compensation pour des ménages qui y seraient perdants. Il convient également de rappeler que les couples sans enfant bénéficient aujourd’hui d’environ 70 % du gain lié à ce mécanisme du quotient conjugal. L’institution d’un plafonnement s’inscrit dans un objectif de redistribution.
S’agissant du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime pour l’emploi (PPE), notre collègue Christophe Sirugue, vice-président de la Délégation, a remis au Premier ministre, en juillet dernier, un excellent rapport sur les dispositifs de soutien aux revenus d’activité modeste. À cet égard, il est à noter que l’ensemble des revenus du foyer sont pris en compte pour le RSA dès lors que les personnes vivent sous le même toit, que le couple soit marié, pacsé ou en union libre, et que la PPE est calculée individuellement. Il y a donc certaines incohérences dans le système socio-fiscal. Il conviendrait de réfléchir à une refonte de la PPE et du RSA, mais aussi d’étudier les possibilités de lisser les effets de seuil à l’entrée du barème de l’impôt sur le revenu, dans la mesure où certaines mesures fiscales peuvent avoir pour effet de faire rentrer dans l’impôt des familles modestes.
Un troisième axe de recommandations porte sur l’amélioration de l’évaluation et du pilotage des politiques fiscales et budgétaires. Il est nécessaire de mieux mesurer l’impact de certaines mesures sur l’égalité entre les femmes et les hommes et d’avoir les éléments nécessaires pour pouvoir mieux étayer la décision publique.
L’ensemble de ces propositions visent ainsi à promouvoir l’égalité, le travail et l’autonomie des femmes. Nous pourrions transmettre ces conclusions au ministre du Budget, à la ministre des Droits des femmes, ainsi qu’à MM. Christian Eckert et Dominique Lefebvre.
Mme Ségolène Neuville. Dans le contexte actuel, il est difficile d’envisager la mise en œuvre d’une mesure ayant pour effet d’accroître la charge fiscale.
Mme Maud Olivier. Comme cela a été souligné, nous manquons de données pour pouvoir appréhender précisément l’impact de réformes dans ce domaine. Je suis pour ma part réservée quant à la possibilité d’instituer une forme de droit d’option, car les effets vont être longs. La possibilité d’un plafonnement peut être peu efficace.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Certains pays ont mis en place une imposition séparée avec abattements ou crédits au titre des conjoints. Par ailleurs, un système d’option donnant le choix entre l’imposition conjointe et l’imposition séparée (option libre ou sous conditions) existe aujourd’hui dans plusieurs pays. Ainsi, la Norvège, la Pologne, l’Espagne ont un système d’imposition séparée avec option pour une imposition commune. Inversement, l’Allemagne, l’Irlande et les Etats-Unis ont conservé un système d’imposition jointe, mais laissent le choix aux contribuables d’opter pour la taxation séparée dans certaines circonstances.
L’OCDE a invité la France à opter pour un système d’imposition individuelle, dans la mesure où l’’imposition conjointe des revenus du ménage peut freiner l’activité des femmes. Dans ce rapport récent, l’OCDE soulignait que l’un des inconvénients majeurs de l’imposition conjointe est qu’elle peut dissuader le deuxième apporteur de revenu, souvent des femmes, de travailler si le premier relève d’une tranche d’imposition supérieure et que le nombre de parts est trop élevé. Le deuxième apporteur qui entre dans la vie active est ainsi imposé à un taux marginal supérieur à celui d’une personne célibataire. Pour cette raison, nombre de pays ont opté pour l’imposition individuelle. Le gouvernement était ainsi invité à encourager l’activité féminine en optant pour l’imposition individuelle des revenus.
L’individualisation de l’impôt peut représenter un choc brutal, c’est pourquoi je préconise une transition avec un droit d’option entre imposition séparée et conjointe pour les couples mariés ou pacsés. Évidemment, il est possible de s’interroger sur le calendrier et le rythme.
Mme Maud Olivier. Je ne comprends pas comment on peut plafonner l’avantage fiscal si on supprime le quotient conjugal.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Il serait possible de réaliser des simulations pour les ménages, mais même plafonné, le quotient conjugal resterait avantageux pour beaucoup. Après, dire quel sera précisément l’impact financier de cette mesure, je l’ignore, et c’est d’autant plus complexe à évaluer qu’il s’agit de choix individuels.
Mme Ségolène Neuville. C’est infaisable !
Mme la présidente Catherine Coutelle. En tout cas, faire des simulations fines est un exercice difficile. Si l’on prend l’exemple des instituteurs et des professeurs des écoles, ils avaient le choix entre partir à la retraite à 55 ans et rester instituteurs, ou partir à 60 ans et devenir professeurs des écoles. Finalement, ils ont majoritairement fait le choix individuel de partir à 60 ans, contrairement aux prévisions qui avaient été établies. Le phénomène inverse s’est produit pour les infirmières.
La suppression du quotient conjugal rapporterait entre 5 et 9 milliards d’euros. Compte tenu notamment des évolutions de la société, une réforme de la fiscalité des ménages devrait être envisagée. En tout état de cause, l’administration fiscale n’a pas à se mêler des choix de vie.
Mme la présidente Catherine Coutelle. Il convient d’affirmer les principes d’autonomie et de citoyenneté des femmes. Sur le plan des résultats économiques, c’est plus compliqué.
Mme Maud Olivier. Il faut aussi penser au traitement fiscal des enfants.
La Délégation adopte les recommandations suivantes et le rapport présentés par la rapporteure.
• Supprimer à terme le quotient conjugal (imposition conjointe obligatoire des couples mariés ou pacsés) afin de promouvoir l’égalité femmes-hommes et une plus grande progressivité de l’impôt.
• Dans un premier temps :
– ouvrir aux couples mariés ou pacsés qui le souhaitent la possibilité d’opter pour l’imposition séparée ;
– plafonner l’avantage fiscal lié au quotient conjugal pour les plus hauts revenus dans une optique de redistribution plus juste.
• Renforcer les dispositifs de soutien aux salarié-e-s modestes (diminution des cotisations salariales, refonte de la PPE et du RSA activité, augmentation de ce dernier, lissage des effets de seuil à l’entrée du barème de l’impôt sur le revenu).
• Améliorer l’évaluation et le pilotage des politiques budgétaires et fiscales (développer la prise en compte de l’égalité dans les études d’impact et documents budgétaires, ainsi que les études et simulations afin de mieux étayer la décision publique).
ANNEXES
ANNEXE 1 : Éléments de bibliographie 87
ANNEXE 2 : Modalités d’imposition sur le revenu des couples en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni 89
ANNEXE 1 : ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE
ALLEGRE G. et PERIVIER, H., « Réformer le quotient conjugal », OFCE le blog, octobre 2013.
AMAR E. et GUERIN S., « Se marier ou non : le droit fiscal peut-il aider à choisir ? », Insee, Economie et statistique, n° 401, 2007.
BARGAIN O. « Réformer la prime pour l’emploi (PPE) ? Aides au retour à l’emploi et activité des femmes en couple », Revue de l’OFCE, n°88, janvier 2004.
CARBONNIER C., « L’impact de la fiscalité sur la participation des conjoints au marché du travail », document de travail de la Direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE), n°2007/05, septembre 2007.
CAPDEVILLE B., rapporteur du Conseil économique, social et environnemental (CESE), sur Les évolutions contemporaines de la famille et leurs conséquences en matière de politiques publiques (notamment page 16, « Faut-il réformer le quotient familial et le quotient conjugal ? »), novembre 2013.
CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES, Prélèvements obligatoires sur les ménages : progressivité et effets redistributifs (« Les effets redistributifs et économiques du quotient conjugal », pp. 203 et s.), mai 2011.
COUR DES COMPTES, « La prime pour l’emploi (PPE) : une dépense fiscale aux objectifs de plus en plus confus », Rapport public annuel, 2011.
DG TRESOR, annexe 3 au rapport du Haut conseil de la famille (HCF) sur l’architecture des aides aux familles « Simulations réalisées par la DG Trésor », avril 2011.
DUHANEL E. et JOYEUX H., Femmes et précarité, rapport de la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental (CESE), février 2013.
ECHEVIN D., « L’individualisation de l’impôt sur le revenu : équitable ou pas ? », Économie et Prévision, n° 160-161, 2003.
EIDELMAN A., « L’imposition commune des couples mariés ou pacsés : un avantage qui n’est pas systématique », Insee Analyses, n° 9, mai 2013.
HAUT CONSEIL À L’ÉGALITÉ (HCEfh), 60 Recommandations pour une politique d’égalité entre les femmes et les hommes cohérente et ambitieuse (« Recommandation n° 7 : Réformer le quotient conjugal »), septembre 2013.
HAUT CONSEIL DE LA FAMILLE, Architecture de la politique familiale. Éléments de problématique, note adoptée par le HCF, avril 2011.
JAUMOTTE F., « Les femmes sur le marché du travail : évidence empirique sur le rôle des politiques économiques et autres déterminants dans les pays de l’OCDE », Revue de l’OCDE, n° 37, 2003.
JEPSEN M., « Vers une individualisation de nos systèmes fiscaux ? », Travail, genre et sociétés, n°27, 2012.
LANDAIS C., PIKETTY T., SAEZ E., Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXI e siècle, La République des idées, Seuil, janvier 2011, et « Controverse : pour ou contre l’imposition séparée ? Réponse de Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez », Travail, genre et sociétés, n°27, 2012.
LEMIERE S., L’accès des femmes à l’emploi, une question de politiques, rapport (45) remis à la ministre des Droits des femmes en décembre 2013.
MONNIER J.-M., « Pour la réforme sans l’individualisation », Travail, genre et sociétés, n° 27, avril 2012.
MONNIER J.-M., « L’impôt sur le revenu, l’emploi des femmes et les inégalités de genre », Revue Interventions économiques, n° 41, mai 2010.
MORIN T., « Écarts de revenus au sein des couples : trois femmes sur quatre gagnent moins que leur conjoint », Insee Premières, n° 1492, mars 2014.
NYBERG A. et TRONC H., « Retour sur l’imposition séparée en Suède », Travail, genre et sociétés, n° 27, avril 2012.
OCDE, « Efficacité et équité du système de prélèvements et de transferts », Études économiques de l’OCDE : France, mars 2013, et Inégalités hommes-femmes. Il est temps d’agir, décembre 2012.
PONTHIEUX S., « La mise en commun des revenus dans les couples », Insee premières, n°1409, juillet 2012.
PERIVIER H. et SILVERA R., « Pour ou contre l’imposition séparée ? », Travail, genre et sociétés, n° 27, 2012.
PIKETTY T., « Refonder l’impôt sur le revenu autour de l’égalité femmes-hommes », Femmes-hommes. Enfin l’égalité ?, février 2012.
PILHES N., Assemblée des femmes de Paris-Île de France, et PENNEQUIN G., Femmes-hommes. Enfin l’égalité ?, février 2012.
Rapport au Premier Ministre de M. Christophe SIRUGUE, Député, Réforme des dispositifs de soutien aux revenus d’activité modestes, juillet 2013.
STERDYNIAK H., « Contre l’individualisation des droits sociaux », Revue de l’OFCE, n°90, juillet 2004, et « Le système fiscal français doit rester familial », Travail, genre et sociétés, n° 27, 2012.
ANNEXE 2 : MODALITÉS D’IMPOSITION SUR LE REVENU DES COUPLES EN ALLEMAGNE, EN BELGIQUE, AU DANEMARK, EN ESPAGNE, AUX PAYS-BAS ET AU ROYAUME-UNI
Les éléments d’information présentés ci-après, concernant les modalités d’imposition sur le revenu des couples dans six pays européens, ont été recueillis :
– auprès des services de l’Ambassade de France en Belgique, en réponse au questionnaire adressé par la présidente de votre Délégation en février 2014 ;
– auprès du service des affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), pour les cinq autres pays européens, en mars 2014.
——fpfp——
ALLEMAGNE : Imposition conjointe ou individuelle et quotient conjugal 90
BELGIQUE : Modalités d’imposition des conjoints et de prise en compte des charges de famille 90
DANEMARK : Imposition individuelle et absence de quotient familial 93
ESPAGNE : Imposition individuelle ou conjointe et réductions familiales 93
PAYS-BAS : Imposition séparée ou conjointe et absence de quotient familial 94
ROYAUME-UNI : Imposition individuelle 95
ALLEMAGNE
Imposition conjointe ou individuelle et quotient conjugal
Les époux ont le choix entre l’imposition conjointe et l’imposition séparée de leurs revenus.
L’imposition conjointe est choisie par la plupart des couples mariés. Elle suppose l’accord des deux époux pour être mise en œuvre. Dans ce cas, les revenus des deux époux sont d’abord globalisés, puis on applique le quotient conjugal en divisant le revenu global en deux parts pour le calcul de l’impôt. Le barème de l’impôt sur le revenu est appliqué à chaque part, puis doublé. Ainsi, l’abattement de base est doublé pour un couple marié ayant opté pour l’imposition conjointe.
La Cour constitutionnelle fédérale a jugé que ce mode de calcul de l’impôt sur le revenu devait également s’appliquer aux couples vivant en union civile dans le cadre d’un partenariat de vie (Lebenspartnerschaft).
L’application du quotient conjugal n’est pas assortie d’un plafond de revenus et ne prend pas en compte le nombre d’enfants du couple.
S’il n’existe pas de quotient familial en droit fiscal allemand, les enfants du couple peuvent ouvrir droit soit à une réduction de l’impôt sur le revenu (Kinderfreibetrag), soit au versement d’allocations familiales (Kindergeld). L’administration fiscale applique à chaque ménage le système qui lui est le plus favorable.
——fpfp——
BELGIQUE
Impôt des personnes physiques : modalités d’imposition des conjoints et de prise en compte des charges de famille
1. Principales caractéristiques de l’impôt des personnes physiques
Le régime d’imposition à l’impôt des personnes physiques (IPP) diffère du système français sur de nombreux aspects :
– L’IPP belge est très progressif par rapport à l’IR français (taxation au taux de 25% au-delà d’une quotité exonérée de 6.800 € (46) (+ 270 € si le revenu imposable ne dépasse pas 25 270 €), le taux de 50 % étant atteint au-delà de 36 300 €) ;
– Imposition du patrimoine relativement plus faible (plus-values globalement non imposées, imposition de la plupart des revenus du patrimoine au taux fixe de 25%) ;
– Imposition commune des conjoints mais taxation séparée de leurs revenus, l’imposition commune n’étant que la résultante de deux impôts séparés dus par chaque conjoint ;
– Pas de quotient conjugal ou familial sur le modèle du système existant en France.
2. Imposition commune mais taxation séparée des revenus des conjoints
L’article 216 du code des impôts sur le revenu (« CIR92 ») dispose qu’« une imposition commune est établie au nom des deux conjoints. Nonobstant cette imposition commune, qui est la règle, le revenu imposable de chaque conjoint est fixé séparément ». Ainsi, si une déclaration commune doit être déposée par un couple et si un seul avis d’imposition est reçu, chaque conjoint est considéré comme un contribuable distinct dont les revenus doivent être taxés de manière distincte.
En pratique, les revenus propres de chaque conjoint, revenus professionnels par exemple, leur sont attribués. Les revenus réalisés de manière commune par les conjoints leur sont attribués pour moitié. Le barème progressif de l’IPP est appliqué à chaque masse de revenus ainsi déterminée. L’impôt commun est la somme de ces deux taxations séparées.
3. Mise en œuvre du quotient conjugal et prise en compte des charges de famille
Application du quotient conjugal
Afin de modérer les effets de la taxation séparée des revenus des conjoints, la législation belge prévoit des dispositifs d’atténuation. Toutefois, il ne s’agit pas comme en France de cumuler les revenus des époux puis d’en attribuer fictivement la moitié à chacun d’entre eux pour l’application du barème de l’impôt.
En Belgique, lorsqu’un des conjoints ne perçoit pas de revenus professionnels ou lorsque ses revenus professionnels sont inférieurs à 30% des revenus professionnels du couple, une quotité de revenus professionnels de l’autre conjoint peut lui être attribuée. Cette quotité est fixée à 30 % des revenus professionnels du couple, diminué des revenus propres du conjoint qui la reçoit, dans la limite de 9 810 €.
Exemple : Revenus professionnels Monsieur : 9 000 €. Revenus professionnels Madame : 31 000 €. L’application du quotient conjugal conduirait à imposer 30 % des revenus professionnels du couple soit 12 000 € dans le chef de Monsieur et donc de transférer 3 000 € des revenus professionnels de Madame vers Monsieur. Toutefois, la limite de 9 810 € posées par la loi conduit à limiter ce transfert à 810 €. In fine, Monsieur est imposé sur 9 810 € et Madame sur 30 190 €.
L’application du quotient conjugal ne résulte pas d’un choix des conjoints. Elle s’opère d’office, sans option possible, dès lors qu’elle est plus favorable aux couples que l’imposition séparée de leurs revenus. Le calcul est opéré directement par les services fiscaux belges.
Trois autres dispositifs assurent aussi un transfert de revenus professionnels entre conjoints :
– possibilité de transférer le reliquat de quotité exonérée non utilisée sur les revenus professionnels de son conjoint ;
– possibilité pour un professionnel indépendant de transférer une partie de ses revenus professionnels au conjoint aidant (situation des commerçants ou artisans), sous réserve que ce conjoint n’ait pas perçu de revenus professionnels supérieurs à 12 740 € nets de charges ;
– possibilité d’imputer les pertes professionnelles ne pouvant être apurées par ses propres revenus professionnels sur les revenus professionnels de son conjoint. La perte qui peut être imputée est proportionnelle à la part des revenus professionnels du conjoint qui la reçoit dans les revenus du couple.
*
En Belgique, il n’existe pas de possibilité d’option pour l’imposition séparée ou commune. Le principe est l’imposition commune avec taxation séparée des revenus perçus par chacun des conjoints au barème de l’IPP. Sur la base des éléments déclarés par chaque conjoint sur la déclaration commune d’IPP, les services fiscaux déterminent si le couple a fiscalement un intérêt à se voir appliquer le quotient conjugal. Si tel est le cas, ce quotient est attribué d’office.
Lorsque le quotient conjugal a été mis en place en Belgique en 1990, ce quotient était d’application automatique, y compris dans les situations où il pouvait se révéler plus défavorable aux couples que sa non-application. Par arrêt du 18 février 1998, la Cour d’arbitrage a jugé contraire à la Constitution belge l’application du quotient conjugal lorsque celle-ci conduisait à une imposition plus lourde que l’imposition séparée des revenus du conjoint. Aussi, et depuis les exercices d’imposition 2002 (revenus 2001), le quotient conjugal est appliqué dans les seules situations où il se traduit par un gain en impôt.
Au titre de l’année 2012 (impôt 2011, dernière année pour laquelle des statistiques sont disponibles), les autorités belges ont été en mesure de communiquer les statistiques suivantes :
EXERCICE D'IMPOSITION 2012 (REVENUS DE L'ANNÉE 2011) | |||
|
Nombre |
Montant | |
|
| ||
Nombre d’impositions enrôlées |
6 798 788 |
| |
Total des revenus professionnels compris dans ces impositions |
179 249 015 947,15 | ||
Quotient conjugal (QC) |
| ||
revenu attribué au conjoint |
811 703 |
4 347 550 000,00 | |
revenu reçu du conjoint |
67 996 |
266 365 578,45 | |
Total |
879 699 |
4 613 915 578,45 | |
Attributions conjoint aidant (ACA) |
|
7 690 |
94 130 944,89 |
Le quotient conjugal a été appliqué dans 880 000 cas, dont près de 812 000 ont consisté à un transfert de revenu de Monsieur vers Madame. Comparativement au nombre d’impositions mises en recouvrement, l’application du quotient conjugal a été réalisée dans environ 13 % des impositions, le montant de revenus transférés entre conjoint étant cependant très faible (2,6 % des revenus professionnels déclarés en Belgique).
*
La règle du cumul des revenus sans application du quotient conjugal a prévalu en Belgique jusqu’au 1er janvier 1989. Jusqu’à cette date, les revenus des conjoints étaient additionnés et soumis au barème progressif. Ce système était jugé particulièrement défavorable au travail féminin car conduisant à taxer leurs rémunérations au taux le plus élevé du barème de l’impôt. A contrario, ce système conduisait à favoriser les co-habitants légaux qui étaient imposés séparément alors que les couples mariés l’étaient conjointement.
À partir de 1990, le décumul partiel des revenus a été introduit, reposant sur le principe de l’imposition commune des conjoints mais la taxation séparée des revenus professionnels. Les autres revenus du couple continuaient à être ajoutés au revenu du conjoint ayant les revenus professionnels les plus élevés et soumis au barème. Bien que plus favorable à l’emploi des femmes, ce régime constituait toujours une discrimination vis-à-vis des co-habitants légaux.
La loi du 10 août 2001 a introduit le décumul total des revenus des conjoints. Les revenus de chaque conjoint sont désormais soumis au barème de l’impôt de manière séparée (47) et les deux cotisations qui en résultent sont ajoutées pour former l’impôt du couple. Le quotient conjugal s’applique dans les conditions décrites ci-dessus. À compter de l’exercice d’imposition 2005 (revenus 2004), la même règle est applicable aux co-habitants légaux (couples vivant sous le même toit mais non mariés).
——fpfp——
DANEMARK
Imposition individuelle et absence de quotient familial
Qu’il s’agisse des couples mariés, en concubinage ou ayant contracté un « partenariat civil », le Danemark pratique l’imposition individuelle sur le revenu de chacun des partenaires. Pour les couples mariés, toute déduction d’impôt applicable à l’un des deux époux peut être transférée à son conjoint.
Il n’existe par ailleurs pas de quotient familial, les enfants n’étant pas pris en compte dans le calcul de l’impôt. Le soutien aux familles passe par un généreux système d’allocations, versées à l’un des parents, dont les taux dépendent de l’âge des enfants (les montants d’allocation les plus élevés sont versés pour les enfants les plus jeunes). Néanmoins, les pensions alimentaires versées sur décision judiciaire pour des enfants vivant en dehors du domicile font l’objet de déductions spécifiques.
——fpfp——
ESPAGNE
Imposition individuelle ou conjointe et réductions familiales
En Espagne, les couples mariés, non mariés ou séparés ont le choix entre une déclaration individuelle (qui est la règle générale en Espagne) ou une déclaration commune. Ce choix doit être fait par tous les membres de la famille soumis à l’impôt et est valable pour une année d’imposition (un autre choix peut être fait les autres années ; il est donc possible en théorie de modifier son régime de déclaration fiscale chaque année). C’est la situation des familles au 31 décembre de l’année d’imposition qui fait foi.
Les cellules familiales se composent de la manière suivante :
– si le couple est marié : des époux et, s’il y a lieu, des enfants mineurs et des enfants majeurs incapables ;
– en cas de séparation légale ou d’absence de mariage : le père et la mère et tous les enfants vivant avec l’un ou l’autre, dans les mêmes conditions d’âge et de capacité que pour les couples mariés (article 82 de la loi 35/2006 sur l’impôt sur le revenu).
Les déclarations communes sont soumises au même barème d’impôt sur le revenu que les déclarations individuelles. La déclaration commune ouvre cependant droit à une déduction plus importante du revenu imposable : les couples mariés peuvent déduire 3 400 € et les couples non mariés ou légalement séparés 2 150 €.
Il n’existe pas de quotient familial mais des réductions pour charges familiales, indépendantes du revenu imposable et identiques quelle que soit le type de déclaration, pour tout enfant de moins de 25 ans ou enfant majeur incapable, à condition que l’enfant vive avec le contribuable et ait un revenu inférieur à 8000 € par an. En cas de déclaration individuelle du père et de la mère vivant ensemble, cette réduction est divisée par deux et s’applique à chacun d’entre eux : 50 % pour la mère et 50 % pour le père.
Les montants de ces réductions sont de 1 836 € pour le premier enfant, 2 040 € pour le second enfant, 3 672 € pour le troisième enfant et 4 182 € pour le quatrième enfant et au-delà. Les enfants de moins de trois ans (pour le premier et le second) donnent droit à une réduction de 2 244 €.
On peut noter enfin que certaines collectivités locales appliquent une réduction majorée à partir du troisième enfant (c’est le cas pour Madrid).
——fpfp——
PAYS-BAS
Imposition séparée ou conjointe et absence de quotient familial
Aux Pays-Bas, les couples mariés ou ayant contracté un « partenariat civil » constituent de facto un « partenariat fiscal », statut qui leur permet de choisir entre les systèmes de l’imposition conjointe ou de l’imposition individuelle de chacun des conjoints.
Peuvent également être considérés comme « partenaires fiscaux », et imposés conjointement s’ils en font expressément la demande, toutes les personnes qui cohabitent officiellement à la même adresse – ce qui peut impliquer un « partenariat fiscal » multiple –, si cette cohabitation remplit certaines conditions.
Ainsi, les personnes qui cohabitent officiellement à la même adresse peuvent se constituer en « partenariat fiscal » s’ils remplissent l’une au moins des conditions suivantes (règles applicables pour l’année fiscale 2014) : a) ils ont signé un contrat notarié de cohabitation ; b) ils ont eu au moins un enfant ensemble ; c) l’un des cohabitants a reconnu l’enfant de son partenaire ; d) l’un des cohabitants est co-bénéficiaire de la pension de son partenaire ; e) ils sont copropriétaires de leur logement ; f) l’un des cohabitants a au moins un enfant mineur qui vit sous le même toit ; g) ils formaient déjà un « partenariat fiscal » en 2013.
Le régime fiscal néerlandais ne pratique pas le système du quotient familial. Il prend toutefois en compte la présence d’enfants au sein du foyer sous la forme d’allocations versées directement par l’administration fiscale en fonction des revenus déclarés de l’ensemble du « partenariat fiscal ».
——fpfp——
ROYAUME-UNI
Imposition individuelle
Le système fiscal au Royaume-Uni fonctionne sur une base individuelle. Les crédits d’impôt auxquels les contribuables peuvent prétendre – le crédit d’impôt enfant et le crédit d’impôt activité – sont fonction de la situation de famille.
Le système d’imposition séparée ou indépendante (independant taxation) existe depuis 1990. Avant cette date, les couples mariés étaient obligatoirement imposés sur une base commune selon un principe vieux de près de deux cents ans selon lequel les revenus de l’épouse n’étaient qu’une part de ceux de l’époux.
Lors de la suppression de l’imposition commune et pour atténuer les effets de cette réforme sur les couples mariées avec enfants, le gouvernement conservateur de l’époque aménagea une allocation supplémentaire pour personnes mariées (married couple’s allowance, MCA). Cet abattement qui intéressait principalement les hauts revenus s’est vu progressivement réduit puis supprimé en 2000 sauf pour les couples âgés de 65 ans. Aujourd’hui, cet abattement ne concerne donc plus que les couples au sein desquels l’un des conjoints est né avant décembre 1935.
À la suite d’un étude, parue en juillet 2007, d’un think tank conservateur, le Centre pour la Justice sociale, qui a pointé l’idée d’une « pénalisation des couples » (couple penalty), le thème d’un transfert de crédit entre personnes mariées ou partenaires civils est redevenu d’actualité et a fait l’objet d’une promesse électorale du parti conservateur en 2010. Dans l’objectif de « soutenir l’institution du mariage en raison notamment de ses avantages pour les enfants », le Parti conservateur avait ainsi proposé d’introduire une certaine « reconnaissance » du mariage dans le système fiscal britannique, en permettant un transfert d’une part de l’abattement MCA entre époux ou partenaires civiles à revenus fiscaux faibles. Son montant devait s’élever à 150 £.
Une fois au pouvoir, cette promesse électorale ne s’est soldée par aucune proposition fiscale avant l’automne 2013, date à laquelle le Premier ministre, David Cameron, a proposé qu’à compter d’avril 2015, les conjoints et partenaires civils puissent transférer 1000 £ de leur crédit à leur conjoint ou partenaire sous la condition qu’aucun des membres du foyer ne soit un contribuable à tranche imposable la plus élevée. La mesure devrait concerner plus de 4 millions de couples dont un tiers avec enfants.
——fpfp——
1 () Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, le 31 janvier 2014.
2 () Voir la liste des personnes entendues par la Délégation en annexe à la présente contribution.
3 () Voir la bibliographie présentée en annexe n° 1.
4 () Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Pays-Bas et Royaume-Uni (voir l’annexe n° 2).
5 () Le « quotient familial » au sens strict désigne le fait que la présence à charge ouvre droit à une réduction d’impôt, dans une logique d’équité horizontale visant à compenser les charges de famille. S’agissant du « quotient conjugal », il fait référence au fait qu’un couple marié ou pacsé est imposé conjointement (indépendamment de la présence d’éventuels enfants).
6 () Autrement dit, le quotient conjugal « moyennise » les revenus du couple et leur applique un taux d’imposition moyen moindre que la moyenne des taux d’imposition associés aux revenus de chacun.
7 () Expression employée notamment par Hélène Périvier et Guillaume Allègre (2013) ou Jean-Marie Monnier (2013), économistes (le modèle du « male breadwinner » étant développé dans les travaux du sociologue danois Gosta Esping Andersen, dans ses travaux sur l’Etat providence).
8 () À noter à cet égard qu’un rapport de la Cour des comptes, publié en 2007, indiquait que « le coût du quotient conjugal est (…) estimé à 23,9 Md€ »… En mars 2014, le ministère du Budget a été sollicité afin d’actualiser l’estimation réalisée par le Trésor en 2011 (5,5 milliards d’euros), mais il n’a pas été possible d’obtenir de réponse sur ce point dans les délais impartis.
9 () Par exemple, l’étude de Damien Echevin (2003), qui s’est fondée sur un modèle de micro-simulation à partir de 500 000 déclarations de revenus et des enquêtes sur les revenus fiscaux de 2002.
10 () L’auteur s’est appuyé sur le modèle de microsimulation Ines : le principe consiste à repartir des déclarations jointes des couples et à simuler les niveaux d’impôt qui résulteraient d’une imposition séparée.
11 () Il s'agit des couples non imposables mais aussi des conjoints gagnant un revenu assez proche l'un de l'autre, se situant dans la même tranche d'impôt et dont les revenus sont suffisamment élevés pour les exclure des dispositifs de la PPE, du RSA ou de la décote.
12 () « Seuls trois pays dans l’OCDE pratiquent la familialisation obligatoire de l’impôt sur le revenu : la France, le Portugal et le Luxembourg… » (entretien au journal Les Échos, 12 décembre 2013).
13 () Sources : DG Trésor (annexe 3 au rapport du HCF, 2011) et OCDE (Taxing Wages. Country details 2009).
14 () OCDE, Neutrality of tax/benefit systems (2011).
15 () « Vers une individualisation de nos systèmes fiscaux ? », Maria Jepsen, Travail, genre et sociétés (2012).
16 () Voir également l’annexe n° 2 à la présente contribution comportant une analyse de ces six pays européens.
17 () Quand l’un des conjoints au moins a déjà eu une expérience de vie en couple, seuls 52 % des couples mettent tous leurs revenus en commun, contre 68 % de ceux dont les deux conjoints sont dans leur première union. Par ailleurs, 74 % des couples mariés déclaraient mettre totalement en commun leurs ressources, mais seulement 30 % des couples pacsés et 37 % des couples en union libre.
18 () La mise en commun totale des revenus ne concerne ainsi que 31% des couples ayant une vie commune depuis moins de cinq ans et 45 % des couples dont la vie commune est de 5 à 10 ans.
19 () Ainsi, 77 % des couples dont l’un des conjoints est retraité et 75% des couples où l’un des conjoints est inactif (non retraité) collectivisent totalement les revenus, contre 59 % pour les couples bi-actifs
20 () Aux termes de l’article 223 du code civil, « Chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s'être acquitté des charges du mariage ».
21 () Aux termes de l’article 214 du code civil, « Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. »
22 () Les évolutions contemporaines de la famille et leurs conséquences en matière de politiques publiques, M. Bernard Capdeville, rapporteur, CESE, octobre 2013.
23 () Cette proposition a augmenté régulièrement depuis 50 ans, passant de 6 % en 1962 à 14 % en 2007.
24 () Certains économistes considèrent ainsi que « la familialisation est aujourd’hui un aspect relativement marginal de l’imposition des revenus en France, et non la pierre de touche de notre système fiscal » et que « Dans le système actuel, il n’y a que 3 % du revenu national qui soit prélevé de manière familialisée via l’IR, contre 6 % pour la CSG (individualisée), 10 % pour les cotisations sociales dites non-contributives (individualisées également), etc. L’individualisation des prélèvements sur le revenu est donc une réalité quotidienne pour les Français, qui ne semblent pas s’en être offusquer outre mesure… » (Landais, Piketty, Saez, 2012).
25 () Institué par la loi du 1er décembre 2008, le RSA constitue à la fois : un revenu minimum pour ceux qui ne travaillent pas, qui s’est substitué à l’allocation de parent isolé (API) – « RSA majoré » – et au RMI ( « RSA socle ») ; un complément de revenu pour ceux qui travaillent, qui prennent ou reprennent un emploi mais dont les ressources n’atteignent pas un certain niveau, variable selon la composition du foyer (« RSA activité ) ; un dispositif d’accompagnement social et professionnel.
26 () En 2011, on comptait 12,6 millions de femmes et 9,1 millions d’hommes considérés comme inactifs (CESE, 2013).
27 () Concrètement, cette élasticité de 0,05 signifie que « pour une proportion de conjoints actifs de l’ordre de 50 % en France, (…) si 400 couples voient leur taux marginal passer de 10 % à 11 % (soit une hausse de 10 %), un conjoint parmi les 200 actifs décidera d’arrêter de travailler » (Carbonnier, 2007).
28 () Couverture nationale : Allemagne, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis, Finlande, France, Irlande, Italie, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède.
29 () Avis n° 2013-0912-HCE- 007, 60 Recommandations pour une politique d’égalité entre les femmes et les hommes cohérente et ambitieuse (« Recommandation n° 7 : Réformer le quotient conjugal », pages 19 et 20), septembre 2013.
30 () À l’inverse, « si les taux actuels de participation au marché du travail devaient rester les mêmes qu’en 2010 (66 % pour les femmes, 75 % pour les hommes), la population active diminuerait de 0,8 % au cours des vingt prochaines années ».
31 () Piketty, Saez et Landais (2011).
32 () La non-reconnaissance des individus devant l'impôt, dès lors qu'ils sont mariés ou pacsés, est contraire au principe de pleine citoyenneté. Comme l’a souligné Mme Pilhes, c’est l'époux qui demeure, a priori, le seul contribuable, les femmes sont rattachées au déclarant, même si l'épouse a un revenu : les déclarations électroniques restent attachées au conjoint homme les femmes mariées sont systématiquement nommées par l'administration fiscale sous le nom de leur conjoint, (qui n'est qu'un nom d'usage) même si elles ont dûment fait savoir qu'elles souhaitaient être nommées par leur nom patronymique.
33 () Sterdyniak, 2004.
34 () Selon Allègre et Périvier (2013), ce bénéfice peut s’élever à 19 000 € par an (pour des revenus supérieurs à 300 000€, niveau de revenus qui atteignent la dernière tranche d’imposition) et même à 32 000€ (pour les revenus supérieurs à 1 000 000 €) si on inclut le bénéfice de l’imposition commune à la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus. Selon ces auteurs, un plafonnement du quotient conjugal à 3 000 € toucherait les 20 % des ménages les plus aisés.
35 () Ces simulations ont été effectuées à titre illustratif, en comparant la situation actuelle à une situation fictive d’imposition séparée avec optimisation, qui constitue la situation par rapport à laquelle est estimé l’avantage lié à l’imposition commune et au quotient conjugal.
36 () Dans cette hypothèse, 4 % des couples mariés ou pacsés soit environ 500 000 ménages, verraient leur revenu disponible réduit de 210€/mois en moyenne. Les trois quarts de ces perdants appartiendraient au dernier décile de niveau de vie (21 % des couples mariés ou pacsés de ce décile seraient concernés par le plafonnement, pour une perte moyenne de 267€/mois), et les deux tiers des couples sans enfant ; 140 000 couples avec enfants seraient concernés, appartenant pour les trois quarts au dernier décile de niveau de vie.
37 () La « pauvreté économique » est mesurée au seul niveau de l’individu dès lors que son revenu d’activité (y compris indemnités de chômage ou de maladie), tandis que la notion de « pauvreté monétaire » renvoie aux ressources du ménage (la somme de tous les revenus perçus par ses membres étant divisée par le nombre d’unités de consommation) : en 2010, elle concernait 14,5 % de femmes et 13 % d’hommes en France.
38 () Femmes et précarité, étude du Conseil économique, social et environnemental (CESE), présentée par Mme Evelyne Duhanel et M. Henri Joyeux, rapporteurs de la Délégation aux droits des femmes, février 2013.
39 () Entretien au journal Les Echos, décembre 2013.
40 () Le Premier ministre a ainsi indiqué que « Le pacte, je l’ai dit, le Président de la République l’avait indiqué, est aussi un pacte de solidarité. Il doit améliorer le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes. Le meilleur moyen, c’est d’agir sur les cotisations salariales pour augmenter le salaire net, celui que l’on touche à la fin du mois. Dès le 1er janvier 2015, elles seront diminuées pour les salaires au niveau du SMIC, de façon à procurer 500 euros par an de salaire net supplémentaire. C’est presque la moitié d’un treizième mois pour un salarié payé au SMIC. Ce gain sera dégressif entre le SMIC et 1,3 fois le SMIC » (compte rendu de la première séance de l’Assemblée nationale du mardi 8 avril 2014).
41 () Une hausse de revenus, même limitée, pouvant faire passer un seuil qui rend imposable à la taxe d’habitation, la redevance audiovisuelle et la taxe foncière.
42 () Compte rendu de la première séance de l’Assemblée nationale du mardi 8 avril 2014.
43 () Circulaire du 23 août 2012 relative à la prise en compte dans la préparation des textes législatifs et réglementaires de leur impact en termes d’égalité entre les femmes et les hommes.
44 () Selon le rapport d’un groupe de spécialistes (Conseil de l’Europe, 2004), il s’agit de « la mise en œuvre de l’intégration de la dimension de genre dans la procédure budgétaire. Ce qui comporte une évaluation des budgets fondée sur le genre en englobant la perspective de genre à tous les niveaux de la procédure budgétaire et en restructurant les recettes et les dépenses de manière à promouvoir l’égalité de genre ».
45 () Ont également participé à ce rapport Marie Becker, juriste, Défenseur des droits, Pauline Domingo, économiste, Cnaf, Mathilde Guergoat-Larvière, économiste, Cnam, Céline Marc, économiste, Cnaf, Anne Maurage-Bousquet, DGCS-SDFE (ministère), Rachel Silvera, économiste, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Mage.
46 () Tous les seuils sont ceux applicables pour l’impôt 2013 calculé sur les revenus 2012.
47 () Lorsque les revenus sont perçus par le couple, ils sont par principe attribués pour moitié à chacun de ses membres (exemple des revenus fonciers afférents à un bien acquis en commun).
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