N° 1926
——
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 mai 2014.
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
sur l’organisation commune du marché du sucre,
PAR M. Jean-Claude FRUTEAU, Philippe GOSSELIN, Patrick LEBRETON
Députés.
——
(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.
La Délégation aux outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, Mme Pascale Boistard, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Édouard Courtial, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes , M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Victorin Lurel, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Napole Polutélé, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Gérard Terrier, M. Jean-Paul Tuaiva, M. Jean Jacques Vlody.
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 5
I. L’ORGANISATION DU MARCHÉ DU SUCRE ET SES RÉFORMES : VERS UNE FIN PROGRAMMÉE DES QUOTAS EN 2017 9
A. LES GRANDS TRAITS DE L’ÉVOLUTION DE L’OCM « SUCRE » DEPUIS 1968 10
B. LE RÉGIME DE L’OCM « SUCRE » PRÉVU PAR LE RÈGLEMENT DU CONSEIL DU19 JUIN 2001 13
1. Le régime des quotas de production et des prix 13
2. Le régime aux frontières 15
a. Les exportations 15
b. Les importations 15
C. LE DIFFÉREND JUGÉ PAR L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE EN 2005 16
1. Les principes fondateurs du GATT et de l’OMC 16
2. La décision de l’OMC d’octobre 2005 17
D. LE RÉGIME DE L’OCM « SUCRE » PRÉVU PAR LE RÈGLEMENT DU CONSEIL DU 20 FÉVRIER 2006 19
1. Le régime des quotas de production 19
2. Le régime des prix 20
3. Le régime aux frontières 23
a. Les exportations 23
b. Les importations 25
E. LE RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL DU 17 DÉCEMBRE 2013 ET SES CONSÉQUENCES 27
II. LA FILIÈRE « SUCRE » DES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER : DES SPÉCIFICITÉS TRÈS MARQUÉES QUI NÉCESSITENT DES MESURES D’ACCOMPAGNEMENT LORS DE LA SUPPRESSION DES QUOTAS 31
A. LA FILIÈRE « SUCRE » DES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER : DES SPÉCIFICITÉS TRÈS MARQUÉES 32
1. La culture de la canne à sucre relève d’un ensemble de très petites exploitations 32
2. La filière « sucre » est fortement encouragée par les aides publiques 35
3. Le rhum traditionnel des DOM constitue un débouché de prestige pour une part limitée de la production annuelle de cannes à sucre 36
4. La canne à sucre, par le biais de la bagasse, joue un rôle significatif dans l’approvisionnement énergétique des départements de la Guadeloupe et de La Réunion 37
B. PLUSIEURS DE CES SPÉCIFICITÉS RENDENT TRÈS DIFFICILE LA RÉALISATION IMMÉDIATE DE GAINS DE PRODUCTIVITÉ 38
C. FACE À LA SUPPRESSION DES QUOTAS DE PRODUCTION, DES MESURES D’ACCOMPAGNEMENT EN FAVEUR DES DOM S’AVÈRENT INDISPENSABLES 40
1. Créer un observatoire chargé du suivi de l’évolution des prix sur le marché européen du sucre 40
2. Poursuivre une politique active de préservation du foncier agricole, et spécialement du foncier dédié à la culture de la canne à sucre 41
3. Augmenter le soutien de l’État en faveur de la filière « sucre » des DOM 41
4. Demander la réalisation d’une étude à EDF sur la possibilité d’augmenter le prix d’achat de la bagasse utilisée dans les centrales thermiques 42
5. Favoriser la reconnaissance de la qualité des différentes productions réalisées outre-mer 42
6. Écarter le sucre roux des libéralisations accordées par l’Union européenne dans le cadre des accords commerciaux conclus avec les pays tiers 43
7. Encourager de nouveaux débouchés pour la canne à sucre 43
TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 45
RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 53
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 55
Depuis 1968, le marché européen du sucre fait l’objet d’une organisation très précise. Il s’agit de ce que l’on appelle l’OCM « sucre », c’est-à-dire l’organisation commune du marché dans le secteur du sucre.
Au départ, il existait vingt-et-une organisations communes des marchés agricoles européens, correspondant à vingt-et-un secteurs séparés – le sucre étant l’un d’entre eux. Puis, le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur a fusionné les vingt-et-une organisations communes en une OCM unique. Certains secteurs, dans le cadre de cette OCM unique, conservent cependant des spécificités de fonctionnement. Tel est le cas pour le sucre.
Les caractéristiques générales de l’OCM « sucre » reposent sur des quotas nationaux de production (calculés en équivalent sucre blanc) et sur des prix de soutien. Dans le cadre de ces quotas, les producteurs de chaque État sont assurés d’écouler leur production auprès d’un organe d’intervention étatique, à un prix égal au prix de soutien, s’ils ne trouvent pas de contrats de livraison sur le marché européen.
Il existe aussi un quota européen d’exportation. Au départ, ce quota, calculé en liaison avec l’OMC – l’Organisation mondiale du commerce, créée en 1994 et destinée à veiller à la bonne application du traité du GATT (General Agreement on Tarifs and Trade), un accord multilatéral de libre-échange conclu en 1947 et renégocié lui-même en 1994 –, était assez avantageux pour les industries européennes.
En 2005 cependant, l’Organe de règlement des différends de l’OMC, à la suite d’une requête introduite par l’Australie, le Brésil et la Thaïlande – trois pays membres du GATT et qui accusaient l’Europe de dumping à l’exportation –, a contraint l’Union européenne à contingenter l’ensemble de ses exportations à hauteur d’un peu plus d’un million de tonnes de sucre.
Le résultat a été qu’à partir de 2006, les possibilités d’exportation de l’Union européenne sont devenues des plus réduites.
Cette situation est tout à fait défavorable aux producteurs de sucre, et spécialement aux producteurs de sucre de betterave. Elle pose également problème aux raffineurs, par exemple les raffineurs britanniques, qui n’ont plus la possibilité, dans le cadre de ce nouveau quota à l’exportation, d’importer puis de réexporter du sucre brut extra-européen.
Aussi bien, le Conseil européen a-t-il décidé, dès 2006, que cette situation ne pouvait pas être maintenue durablement.
En accord avec l’OMC, la Commission a donc prévu que le quota à l’exportation pour le sucre prendrait fin à l’issue de la campagne de commercialisation 2014/2015. Parallèlement, le régime des quotas de production et des prix soutenus prendrait également fin, à cette même date, au niveau du marché européen.
En fait, le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles a prévu une prorogation du régime existant des quotas jusqu’à la fin de la campagne de commercialisation 2016/2017.
Toutefois, en dépit de cette prorogation, il convient de noter qu’à compter du dernier trimestre de l’année 2017, la fin des quotas sera absolument définitive.
Il est clair que la suppression de tous les quotas ne va pas être sans effets sur le marché européen du sucre.
De ce point de vue, on peut formuler quatre remarques :
– Il est infiniment probable que les cours européens vont baisser et qu’ils vont s’aligner sur les cours mondiaux, ces derniers, à l’heure actuelle, étant plus bas que les cours européens.
– Par ailleurs, avec la fin du quota d’exportation, les industries sucrières les plus compétitives – c’est-à-dire principalement les entreprises produisant du sucre de betterave – vont pouvoir reprendre librement une politique active de vente sur le marché mondial.
– À l’inverse, il faudra que les producteurs de taille moyenne – ceux qui ne sont pas concernés par l’exportation sur le marché mondial – soient particulièrement compétitifs pour vendre leur production sur le marché européen. En effet, en cas de méventes, l’Union européenne ne sera plus présente à leurs côtés pour acheter, dans la limite des quotas et à un prix convenu, les quantités de sucre ne trouvant pas preneurs.
– Cette dernière remarque est également valable pour les départements d’outre-mer. Or, dans le cas des DOM, cette compétitivité ne va pas de soi, compte tenu des handicaps propres à leur situation de régions ultrapériphériques (éloignement, étroitesse des marchés, renchérissement des coûts de production et de transport, etc.). Il conviendra donc de prévoir un accompagnement juridique et financier spécifique pour ces départements, d’autant que la filière « sucre » des DOM est un secteur particulièrement sensible, regroupant près de vingt mille emplois, directs ou indirects.
D’où le cheminement retenu par les rapporteurs dans le cadre du présent rapport :
Dans un premier temps, ils analyseront, de manière détaillée, le fonctionnement de l’OCM, depuis sa création jusqu’à la période actuelle, et ils présenteront les conséquences de la fin des quotas pour les différents acteurs opérant sur le marché du sucre.
Puis, dans un second temps, ils montreront que cette disparition des quotas s’accorde mal avec les spécificités des DOM. La réforme de l’OCM, voulue par l’Union européenne, devra donc s’accompagner, à compter de 2017, de mesures volontaristes à l’intention des Outre-mer.
I. L’ORGANISATION DU MARCHÉ DU SUCRE ET SES RÉFORMES : VERS UNE FIN PROGRAMMÉE DES QUOTAS EN 2017
Sur longue période, c'est-à-dire depuis la fin des années 60 jusqu’à aujourd’hui, il est frappant de constater que la consommation mondiale de sucre, et donc la production, n’ont jamais cessé d’augmenter. En ce domaine en effet, les besoins de la consommation – dont plus des deux tiers émanent des industries agro-alimentaires – ont toujours soutenu et encouragé la production qui enregistre une progression régulière.
C’est ainsi qu’en considérant seulement la période 2001-2011, la consommation mondiale de sucre est passée de 124,1 millions de tonnes en 2001 à 151,4 millions de tonnes en 2011. La production mondiale est passée, pour sa part, de 127,2 millions de tonnes en 2001 à 163,5 millions de tonnes en 2011.
La consommation et la production de sucre ne devraient d’ailleurs pas baisser à l’horizon des années 2020-2021. En effet, l’OCDE et la FAO ont établi des projections qui montrent que la consommation mondiale devrait passer à 190,9 millions de tonne pour la campagne de commercialisation 2020/2021, tandis que la production devrait atteindre 192,7 millions de tonnes pour la même période.
Dans ce contexte, l’Europe est le second consommateur mondial de sucre en 2011 (avec 17,3 millions de tonnes) derrière la zone géographique constituée par l’Asie et par l’Océanie. Elle est également le troisième producteur mondial (avec 18,7 millions de tonnes) derrière le Brésil et l’Inde.
Par ailleurs, depuis les années 70, et notamment depuis la signature de la convention de Lomé en 1975, l’Union européenne a développé une politique active consistant à conclure des accords privilégiés avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et avec les pays PMA (pays les moins avancés) dans le secteur du sucre. C’est ainsi que l’on constate une présence de plus en plus forte des pays émergents sur le marché européen. En 2013, les importations préférentielles de sucre en provenance des pays ACP et PMA ont représenté 706 000 tonnes. En 2014, elles représenteront 789 000 tonnes.
Au total, le marché du sucre est donc un marché très important aussi bien au niveau mondial qu’au niveau européen. Par suite, la Communauté économique européenne a pensé très tôt à l’organiser.
Depuis la campagne 1968/1969, la régulation de ce marché est assurée, dans le cadre de la politique agricole commune, par une organisation commune des marchés dans le secteur du sucre ou OCM « sucre ».
Cette OCM « sucre » a fait l’objet, en 2006, d’une réforme en profondeur avant d’être intégrée, en 2007, au sein de l’OCM unique qui réunit l’ensemble des productions et des marchés agricoles réglementés.
Dans les pages qui suivent, les rapporteurs examineront d’abord les grands traits de l’évolution de l’OCM « sucre » depuis 1968.
Ils examineront ensuite, successivement, le régime de l’OCM « sucre » en vigueur jusqu’à la fin de la campagne de commercialisation 2005/2006 ; le différend porté devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et aboutissant à une condamnation de l’Europe en octobre 2005 ; et les modifications réglementaires qui ont suivi – modifications débouchant sur une nouvelle OCM applicable à compter du début de la campagne 2006/2007 et jusqu’à la fin de la campagne 2014/2015.
Enfin, ils analyseront le règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 qui proroge de deux ans les quotas pour le sucre avant d’en prévoir la suppression à la fin de la campagne 2016/2017 ; ils analyseront également les conséquences de ce règlement pour l’industrie sucrière à compter du dernier trimestre de l’année 2017.
A. LES GRANDS TRAITS DE L’ÉVOLUTION DE L’OCM « SUCRE » DEPUIS 1968
L’organisation du marché du sucre en Europe a connu une longue histoire.
La Communauté économique européenne a décidé de créer une organisation commune du marché du sucre en 1968.
Cette OCM « sucre » n’est pas la seule OCM existante. En fait, à partir de la fin des années 60, on a pu dénombrer pas moins de vingt-et-une organisations communes des marchés sectoriels, organisations mises en place dans le cadre de la PAC, c’est-à-dire de la politique agricole commune.
Les produits concernés par l’OCM « sucre » sont les betteraves, les cannes à sucre, les pulpes, les mélasses, l’isoglucose (depuis 1977), les produits de deuxième transformation à base de sucre et, depuis 1994, le sirop d’inuline (sirop de fructose issu de chicorées et de topinambours).
Jusqu’à la campagne de commercialisation 2000/2001, l’OCM « sucre » a été régie par le règlement CE n° 2038/1999 du Conseil du 13 septembre 1999 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre. Ce règlement réunit, dans un même texte, le règlement de base et ses nombreuses modifications, notamment la version adoptée en avril 1995 pour tenir compte des obligations nouvelles liées à l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce.
En effet, l’organisation du marché du sucre en Europe doit tenir compte des dispositions du traité du GATT (General Agreement on Tarifs and Trade), accord multilatéral de libre-échange conclu le 30 octobre 1947, à l’initiative des États-Unis, et sensiblement remanié le 15 avril 1994. Il doit tenir compte également de l’institution de l’OMC, créée à la même date, dans le cadre de la renégociation du GATT, mais par un instrument juridique distinct de ce traité.
L’OCM « sucre » régie par le règlement du 13 septembre 1999 repose sur les grands principes en usage au sein de la PAC, notamment le régime des prix garantis et celui des quotas de production.
Une nouvelle OCM « sucre » a ensuite été adoptée en 2001 avec le règlement (CE) n° 1260/2001 du Conseil du 19 juin 2001 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre. Celle-ci reconduit pour cinq ans, soit jusqu’au 30 juin 2006, les grands principes de l’OCM précédente. En particulier, les quotas de production, quoique réduits de 115 000 tonnes, continuent à être applicables.
En 2005 cependant, l’Organe de règlement des différends de l’OMC, à la suite d’une demande de consultation introduite par le Brésil et l’Australie en 2002 et par la Thaïlande en 2003 – trois pays membres du GATT et qui accusent l’Europe de dumping à l’exportation –, a réexaminé la politique d’exportation de sucre de l’Union européenne. Par une décision rendue en octobre 2005, l’Organe de règlement des différends a contraint l’Union européenne, à partir de la campagne 2006/2007, à prévoir un contingent pour l’ensemble de ses exportations. Ce quota, à partir de la fin de l’année 2006, s’élève à un peu plus d’un million de tonnes de sucre par an (dont 350 000 tonnes pour la France). Par suite, la capacité d’exportation de l’Union devient subitement très limitée, alors que celle-ci exportait jusqu’alors à des niveaux importants. Ainsi, l’Union européenne a-t-elle exporté 4 millions de tonnes de sucre pour la campagne 2003/2004 ; 5,1 millions de tonnes pour la campagne 2004/2005 et 7,6 millions de tonnes pour la campagne 2005/2006.
En novembre 2005, au regard de cette nouvelle donne, les ministres de l’agriculture de l’Union européenne sont parvenus à un accord politique pour une réforme du marché du sucre. L’idée poursuivie était – pendant une période de transition s’étalant de 2006 à 2015 – de réduire les capacités de production pour éviter les surplus – dans la mesure où l’Europe ne pouvait quasiment plus exporter – et de faire baisser le prix du sucre sur le marché européen, afin d’éviter un trop grand écart avec les cours mondiaux. Ces dispositions étaient compensées par des mesures de soutien et d’adaptation de l’industrie sucrière. Par ailleurs, à la fin de la période de transition, il était envisagé par l’Union européenne de reprendre les exportations, en gageant l’abandon du contingent imposé par l’OMC par un abandon semblable, au niveau européen, portant sur les quotas et sur les prix de soutien.
Il convient de remarquer, néanmoins, que l’Union européenne a souhaité que la baisse de la production programmée sur la période 2006/2015 ait un effet limité dans les départements d’outre-mer, compte tenu du poids économique et social de la filière « sucre » dans ces territoires.
Le règlement (CE) n° 318/2006 du Conseil du 20 février 2006 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre met en place la réforme décidée par les ministres de l’agriculture.
Ce règlement s’applique jusqu’à la campagne 2014/2015. Il prévoit une baisse des quotas progressive. Le quota de production pour la France passe ainsi à 4,384 millions de tonnes de sucre pour la campagne 2006/2007 ; à 4,121 millions de tonnes pour la campagne 2007/2008 et à 3,437 millions de tonnes à partir de la campagne 2008/2009 (ce dernier chiffre étant le chiffre retenu actuellement). Le règlement prévoit également une baisse du prix du sucre de 36 % étalée sur 4 ans et compensée par une aide découplée à hauteur de 64,2 %. Il crée un fonds de restructuration qui encourage la diversification et qui aide les producteurs souhaitant abandonner la production sous quota. Enfin, il prévoit pour l’Europe un contingent à l’exportation. Ce contingent a d’abord été fixé, le 7 décembre 2006, à 1,374 millions de tonnes de sucre par an pour les seules exportations pouvant prétendre à des « restitutions », c’est-à-dire les exportations subventionnées. Puis, à partir de 2008, le système des restitutions ayant pris fin, ce contingent a été ramené à 650 000 tonnes de sucre par an et n’a plus concerné que les exportations hors quota. Enfin, à partir de la campagne 2009/2010, ce contingent hors quota est passé à 1,350 million de tonnes de sucre par an.
Outre-mer, le quota de production (contenu à l’intérieur du quota général autorisé pour la France) passe de 510 244 tonnes pour la campagne 2005/2006 à 480 244 tonnes pour la campagne 2006/2007 et à 432 220 tonnes à compter du 20 octobre 2011. Par ailleurs, une aide spécifique est créée dans le cadre du POSEI (programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité). Il s’agit de l’aide forfaitaire d’adaptation de l’industrie sucrière des DOM. Cette aide est destinée à compenser la baisse du prix du sucre vendu par les usines et à leur permettre de continuer à payer au même prix la tonne de canne aux planteurs.
Compte tenu de cette aide, les producteurs des DOM ne sont pas éligibles au fonds de restructuration. En revanche, ils peuvent prétendre aux aides du POSEI en matière de diversification. Ils peuvent aussi bénéficier d’une aide fixe de l’État par application de l’article 16 du règlement (CE) n° 247/2006 du Conseil du 30 janvier 2006 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union. Cette aide, reconduite par l’article 3 du règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013, est de 59 millions d’euros à compter de la campagne 2006/2007. Elle passe à 90 millions d’euros à partir de la campagne 2010/2011.
À la suite de cette réforme, le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur a fusionné les vingt-et-une organisations communes des marchés en vigueur dans la PAC en une OCM unique.
Enfin, le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles a établi le mode de fonctionnement de l’OCM unique et a prévu une prorogation du régime actuel des quotas pour le sucre jusqu’à la fin de la campagne de commercialisation 2016/2017.
Au total, en 2017, on assistera donc à la fin des quotas et des prix de soutien dans le domaine du sucre.
La fin des quotas – qui était annoncée depuis 2006 et dont la date d’effet a été prorogée de deux ans par le règlement du 17 décembre 2013 – implique qu’à compter du dernier trimestre de l’année 2017, l’Union européenne ne sera plus obligée d’acheter, dans la limite de ces maxima et à un prix convenu, les quantités de sucre fabriquées et invendues. Il faudra donc que les producteurs soient particulièrement compétitifs pour vendre leur production au cours mondial – un cours qui pourra être très inférieur à l’actuel prix de soutien.
Il en va de même pour les départements d’outre-mer. Or, dans le cas des DOM, cette compétitivité ne va pas de soi compte tenu des handicaps propres à leur situation de régions ultrapériphériques (éloignement, étroitesse des marchés, renchérissement des coûts de production et de transport, etc.).
Il conviendra donc de prévoir un accompagnement juridique et financier spécifique face à ce mouvement de libéralisation du marché du sucre dans les départements d’outre-mer. L’objet du présent rapport est précisément de faire des propositions en ce sens.
B. LE RÉGIME DE L’OCM « SUCRE » PRÉVU PAR LE RÈGLEMENT DU CONSEIL DU19 JUIN 2001
Le règlement (CE) n° 1260/2001 du Conseil du 19 juin 2001 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre fixe les dispositions applicables pour la période qui court du début de la campagne de commercialisation 2001/2002 jusqu’à la fin de la campagne de commercialisation 2005/2006 – c'est-à-dire pour la période qui s’étend du 1er juillet 2001 au 30 juin 2006.
Ce texte prévoit un dispositif concernant le régime des quotas de production et des prix ; il prévoit également des dispositions concernant le régime aux frontières.
1. Le régime des quotas de production et des prix
L’OCM repose sur un régime de quotas de production répartis entre États.
Jusqu’à la fin de la campagne 2005/2006, il existait deux quotas : le quota A qui est le quota de base et le quota B qui est un complément venant s’ajouter au quota de base et visant à garantir la sécurité des approvisionnements.
En Europe, le quota A est fixé à 11,894 millions de tonnes de sucre et le quota B à 2,587 millions de tonnes.
Pour la France, le quota A s’établit à 2,970 millions de tonnes (2,506 millions de tonnes pour le sucre de betterave et 463 872 tonnes pour le sucre de canne) ; le quota B, pour sa part, s’établit à 798 632 tonnes (752 259,5 tonnes pour le sucre de betterave et 46 372,5 tonnes pour le sucre de canne).
Par ailleurs, depuis 1979 pour l’isoglucose et depuis 1994 pour le sirop d’inuline, des quotas de production ont été mis en place, quotas qui sont comptabilisés en supplément des quotas sucriers. Ainsi, s’ajoutent pour la France au titre du quota A : 15 747,1 tonnes d’isoglucose et19 847,1 tonnes d’inuline ; et au titre du quota B : 4 098,6 tonnes d’isoglucose et 4 674,2 tonnes d’inuline.
Une fois les quotas déterminés, ils sont ensuite répartis entre les différentes entreprises sucrières.
Dans le cadre de ces quotas, les producteurs de betteraves et de cannes à sucre et les entreprises sucrières s’entendent sur les quantités livrées. Par ailleurs, des accords interprofessionnels fixent les conditions générales d’achat de la betterave et de la canne à sucre.
Le régime des prix de soutien permet de garantir aux producteurs un prix minimum pour la livraison des betteraves ou des cannes à sucre aux entreprises. Pour la betterave, le prix garanti est fixé par la réglementation européenne elle-même (44,67 € la tonne pour la campagne 2005/2006). Pour la canne à sucre, il est fixé dans l’accord interprofessionnel (39,09 € la tonne, sur la même période, pour une canne à 13,8 % de richesse saccharine).
Le système permet donc de réguler la production et de fournir un revenu garanti aux producteurs.
Les entreprises elles-mêmes bénéficient d’un prix de soutien pour la vente du sucre brut (sucre issu des sucreries après transformation des cannes à sucre et destiné aux raffineries), ainsi que pour la vente du sucre blanc (sucre de betterave qui est produit blanc sans raffinage et sucre de canne à la sortie des raffineries). Le prix de soutien du sucre brut est de 523,70 € la tonne, pour la campagne 2005/2006. Le prix de soutien du sucre blanc est de 631,90 € la tonne, sur la même période.
Le système garantit donc également un revenu aux industriels du secteur du sucre. Si les industriels ne peuvent vendre leur production, des organismes d’intervention relevant de l’État la rachètent, au prix garanti, dans la limite du quota.
On notera enfin que, pendant toute la période d’application du règlement européen du 19 juin 2001, c'est-à-dire de 2001 à 2006, les prix d’intervention de l’Union européenne pour le sucre brut et le sucre blanc ont toujours été inférieurs aux prix pratiqués sur le marché européen pour ces deux produits.
Par suite, compte tenu de la forte demande du marché communautaire que ces prix élevés traduisent, toutes les quantités produites sous quota ont toujours trouvé preneur. L’Union européenne n’est jamais intervenue pour racheter des quantités invendues.
Ce régime comporte deux types de règles : les règles à l’exportation et les règles à l’importation.
Le sucre exporté par l’Union européenne vers les pays tiers peut être classé en deux catégories.
On distingue, d’une part, le sucre qui relève des quotas A et B mais qui excède la consommation de l’Union et, d’autre part, le sucre produit au-delà de ces quotas. Dans la terminologie du règlement européen du 19 juin 2001, ce sucre hors quota correspond à ce que l’on appelle le sucre C.
La part du sucre des quotas A et B qui dépasse la consommation communautaire bénéficie de restitutions à l’exportation. Les restitutions sont, en fait, des montants compensatoires. Il s’agit d’un différentiel versé par l’Union européenne pour compenser le fait que le prix mondial est inférieur au prix du marché européen. À partir de la campagne 2000/2001, le total annuel de ces exportations de l’Union européenne ne doit pas dépasser 1,273 million de tonnes. Le budget prévu par l’Union européenne pour les exportations avec restitutions est également plafonné à 499,1 millions d’euros par an.
Le sucre C, pour sa part, n’est pas contingenté à l’exportation. Il ne bénéficie d’aucune garantie de prix et ne donne pas lieu à restitutions.
Pendant toute la période 2001-2006, l’Union européenne a été extrêmement dynamique en matière d’exportations. En 2005, elle s’impose comme le second exportateur de sucre au monde, derrière le Brésil.
Les importations de sucre sont soumises au tarif douanier commun de l’Union européenne.
Toutefois, dans la limite de certaines quantités, la Commission peut suspendre tout ou partie des droits à l’importation pour des pays qui bénéficient alors d’un régime préférentiel. Tel est le cas pour un certain nombre de pays ACP, au titre des accords de Lomé de 1975, ainsi que pour l’Inde.
Pour la campagne 2005/2006, les pays ACP et l’Inde ont ainsi bénéficié d’un régime d’importations préférentielles pour un contingent fixé à 1,6 million de tonnes de sucre.
En pratique, le « sucre préférentiel » est bien souvent importé brut, raffiné et réexporté. En ce cas, les quantités de sucre réexportées peuvent bénéficier de restitutions à hauteur du quota d’importation. Ce quota et ces engagements sont distincts du quota et des engagements généraux relatifs aux exportations avec restitutions qui ont été mentionnés plus haut.
Enfin, il existe – pour le sucre comme pour les autres produits – une clause de sauvegarde destinée à assurer la préférence communautaire. Elle consiste à appliquer un droit additionnel à l’importation si le prix d’entrée des produits importés dans l’Union est inférieur à un certain seuil ou si le volume des importations dépasse, de manière très significative, le niveau des importations constatées pendant les trois années précédentes. Cette disposition n’est pas applicable au sucre bénéficiant d’un régime préférentiel.
C. LE DIFFÉREND JUGÉ PAR L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE EN 2005
En principe, le règlement européen du 19 juin 2001 était coordonné avec le traité du GATT (General Agreement on Tarifs and Trade) et avec les prescriptions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
D’ailleurs, en 1995, après la révision du traité du GATT et la création de l’OMC, l’Union européenne avait sensiblement diminué les exportations subventionnées de sucre – c’est-à-dire donnant lieu à restitutions –, les réduisant de 300 000 tonnes par rapport à la période de référence 1986/1990. De même, le plafond de 1,273 million de tonnes retenu pour ces exportations à partir de la campagne 2000/2001 correspondait-il à une baisse de 36 % par rapport à la campagne 1995/1996.
Ces limitations n’ont cependant pas empêché trois pays – le Brésil, l’Australie et la Thaïlande – d’ouvrir un contentieux devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC, contentieux portant sur la politique d’exportation de l’Union européenne.
Le règlement de ce différend a eu une forte influence sur l’organisation commune des marchés dans le secteur du sucre puisque c’est la décision de l’OMC qui a entraîné, à terme, l’abandon des quotas de production.
Il convient donc d’étudier succinctement ce contentieux. Auparavant, les rapporteurs feront un court développement sur les principes fondateurs du GATT et de l’Organisation mondiale du commerce.
1. Les principes fondateurs du GATT et de l’OMC
Le traité du GATT (General Agreement on Tarifs and Trade) est un accord multilatéral de libre-échange signé le 30 octobre 1947, à l’initiative des États-Unis. Il a été sensiblement remanié en 1994 avec l’accord de Marrakech qui est venu conclure un cycle de négociations, l’Uruguay round, dont la durée s’est étalée de 1986 à 1994. On parle d’ailleurs du GATT-47 et du GATT-94.
Contrairement au GATT-47, le GATT-94 concerne désormais presque tous les domaines d’échanges. Il n’existe que quelques rares secteurs à ne pas être intégralement régis par l’accord, tels que les investissements ou les biens culturels. L’accord a été signé par 135 pays, dont la France et tous les autres pays de l’Union européenne.
Le GATT-47 a pour objet de réaliser l’ouverture généralisée des marchés. Pour cela, il comporte des dispositions concernant l’abaissement progressif des droits de douane entre les pays signataires, ainsi que la disparition de tous les obstacles aux échanges internationaux. Pour réaliser ce dernier objectif, le traité du GATT prévoit que la clause de la nation la plus favorisée – qui figure traditionnellement dans les traités commerciaux bilatéraux – est généralisée à tous les signataires. De plus, le traité stipule que tout avantage concédé par un pays signataire – même dans le cadre d’un accord conclu avec un pays non signataire – s’applique aussi à tous les adhérents du GATT.
Le GATT-94 conserve ces dispositions. Il prévoit en outre l’interdiction d’un certain nombre de pratiques qui faussent la concurrence. Notamment, le traité prohibe le dumping, ce phénomène intervenant lorsque le prix de vente d’un produit à l’exportation apparaît inférieur, soit à sa valeur normale, soit à celle de son marché intérieur.
L’accord de Marrakech aboutit également, par un instrument juridique indépendant du traité du GATT, à la création de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, qui est une structure permanente établie à Genève. Son rôle consiste à analyser le commerce mondial, à préparer les négociations commerciales internationales, à suivre l’exécution de l’accord et à régler les différends entre signataires.
Pour apporter une solution aux litiges, l’OMC dispose d’un Organe de règlement des différends, l’ORD, qui ne se saisit que sur plainte d’un État membre. L’ORD joue un rôle important pour l’orientation du commerce international et c’est à la suite de sa décision d’octobre 2005 que l’Union européenne a été obligée de modifier sa réglementation concernant l’OCM « sucre ».
2. La décision de l’OMC d’octobre 2005
Au début des années 2000, trois pays ont introduit un recours devant l’ORD portant sur les engagements et sur la politique d’exportation de l’Union européenne. Il s’agit du Brésil et de l’Australie en 2002 et de la Thaïlande en 2003.
Leur argumentation est la suivante :
– Tout d’abord, le système européen des prix d’intervention garantit un prix élevé pour le sucre produit dans la limite des quotas de production (quotas A et B) ; ce système, analogue à une subvention, n’est pas accordé pour le sucre importé, ce qui soumet les importations à un traitement moins favorable ;
– D’autre part, en vertu de l’organisation commune des marchés du sucre, les exportateurs peuvent exporter le sucre produit au-delà de ces quotas (c’est-à-dire le sucre C) à un prix inférieur au prix européen, c'est-à-dire inférieur, en fait, au coût total de production ; cela n’est possible que parce que le régime communautaire accorde des subventions indirectes à l’exportation, subventions qui excèdent le niveau des engagements pris par l’Union européenne à l’égard de l’OMC au titre des campagnes s’échelonnant de l’année 1995/1996 jusqu’à l’année 2000/2001 ;
– Enfin, en ce qui concerne le sucre réexporté dans la limite du quota de 1,6 million de tonnes par an (c’est-à-dire le « sucre préférentiel »), ce dernier bénéficie également de subventions à l’exportation sous la forme de « restitutions » ; de même, ces subventions excèdent les engagements en matière de subventions à l’exportation spécifiés par l’Union européenne à l’OMC.
Au total, la pratique de l’Union européenne est contraire aux articles III paragraphe 4 et XVI du GATT de 1994.
L’article III paragraphe 4 dispose en effet qu’entre pays membres, un produit importé ne doit pas être moins bien traité qu’un produit fabriqué au niveau national ; l’article XVI prévoit, pour sa part, que les subventions qui ont pour objet de fausser la concurrence sont prohibées.
Face à cette argumentation, l’ORD a donné raison, en octobre 2005, aux trois pays requérants et a condamné l’Union européenne. Il lui a imposé de prévoir un plafond unique à l’exportation, ce contingent pouvant regrouper, le cas échéant, les exportations de sucre sur quota, les exportations de sucre hors quota et les réexportations de « sucre préférentiel ».
En pratique, cette décision limitait considérablement les possibilités d’exportation de l’Union européenne. Celle-ci a néanmoins suivi les prescriptions de l’OMC et a modifié le régime juridique de l’organisation commune des marchés du sucre à compter de la campagne 2006/2007.
Cette nouvelle OCM « sucre » prévoit donc un plafond unique à l’exportation. Ce plafond s’élève d’abord à 1,374 million de tonnes de sucre pour les exportations pouvant donner lieu à restitutions (exportations sur quota). Puis, en 2008, le système des restitutions à l’exportation a été supprimé. Le plafond a alors été abaissé à 650 000 tonnes, ne concernant que le sucre produit hors quota. Enfin, ce contingent est passé à 1,350 million de tonnes à partir de la campagne 2009/2010.
Il convient de noter, par ailleurs, que cette nouvelle OCM « sucre » constitue un régime transitoire jusqu’à la fin de la campagne 2014/2015. Ensuite, pour que l’Union européenne puisse réexporter librement, les ministres de l’agriculture ont décidé, dès la mise en place de l’OCM par le règlement du Conseil du 20 février 2006, que le contingent à l’exportation devait disparaître après 2015 (en fait il y aura une prorogation de la réglementation jusqu’à la fin de la campagne 2016/2017). Le corollaire à cette décision est la disparition du système des quotas de production et des prix de soutien sur le marché communautaire.
D. LE RÉGIME DE L’OCM « SUCRE » PRÉVU PAR LE RÈGLEMENT DU CONSEIL DU 20 FÉVRIER 2006
Le régime actuel de l’OCM « sucre » est déterminé par le règlement (CE) n° 318/2006 du Conseil du 20 février 2006 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre.
En effet, en 2007, le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur a bien fusionné les vingt-et-une organisations communes des marchés en vigueur dans la PAC en une OCM unique. Cependant, s’agissant du mode de fonctionnement des quotas relevant du secteur du sucre, les dispositions prévues par le règlement de 2006 restent applicables jusqu’à la fin de la campagne de commercialisation 2014/2015, c’est-à-dire jusqu’au 30 juin 2015. Par ailleurs, le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles a prorogé le système en vigueur jusqu’à la fin de la campagne de commercialisation 2016/2017, c’est-à-dire, en pratique, jusqu’au 30 septembre 2017.
Comme le règlement de 2001, le règlement du Conseil de 2006 prévoit un dispositif concernant le régime des quotas de production, le régime des prix et le régime aux frontières.
1. Le régime des quotas de production
Le texte de 2006 prévoit la fusion des quotas A et B et la disparition du « sucre C », cette dernière catégorie désignant, comme on l’a vu plus haut, les quantités de sucre exportées hors quotas.
Par suite, le règlement de 2006 ne mentionne plus, désormais, que la production sucrière effectuée « sur quotas » et celle réalisée « hors quotas ».
Le quota global de production de sucre pour l’Union européenne à 28, c’est-à-dire intégrant la Croatie à compter du 1er juillet 2013, s’élève à 13,5 millions de tonnes annuels.
La France, à cette même date, c’est-à-dire pour la campagne 2013/2014, dispose d’un quota de production annuel de 3,437 millions de tonnes. Dans le cadre de ce contingent, un quota de 432 220 tonnes concerne spécifiquement les départements d’outre-mer.
Par ailleurs, depuis la campagne 2006/2007, la France n’est plus soumise à un quota de production pour les sirops d’inuline et d’isoglucose.
Le tableau ci-dessous retrace l’évolution des quotas de production de sucre pour la France à compter de la campagne 2006/2007.
RÉCAPITULATIF DES QUOTAS DE PRODUCTION DE SUCRE POUR LA FRANCE
(En milliers de tonnes de sucre blanc)
Campagnes |
2006/2007 |
2007/2008 |
2008/2009 |
2009/2010 |
Du 20.10.11 à 2012/2013 |
2013/2014 |
Quota France métropolitaine |
3 552,22 |
3 640,45 |
3 640,45 |
2 956,79 |
3 004,81 |
3 004,81 |
Quota DOM |
480,24 |
480,24 |
480,24 |
480,24 |
432,22 |
432,22 |
Sous-total |
4 032,46 |
4 120,69 |
4 120,69 |
3 437,03 |
3 437,03 |
3 437,03 |
Quotas additionnels |
351,69 |
– |
– |
– |
– |
– |
Abandons de quotas |
– |
– |
683,66 |
– |
– |
– |
Total |
4 384,15 |
4 120,69 |
3 437,03 |
3 437,03 |
3 437,03 |
3 437,03 |
Source : FranceAgriMer (bulletin n° 513 – décembre 2013)
Dans ce tableau, on observe que le quota total attribué à la France a enregistré une baisse progressive jusqu’à la campagne 2008/2009. Depuis la fin de cette campagne, il est resté stable.
Le quota des DOM, pour sa part, a d’abord été fixé à 480 244 tonnes par an jusqu’au 20 octobre 2011. Ensuite, ce contingent est passé à 432 220 tonnes annuelles.
Enfin, il convient de noter que la production de sucre des DOM a toujours été inférieure à ce quota. Elle s’élève, pour l’année 2011, à 261 686 tonnes, dont 206 625 tonnes pour La Réunion, 51 280 tonnes pour la Guadeloupe et 3 781tonnes pour la Martinique. Le département de La Réunion est ainsi le premier et le principal département d’outre-mer en ce qui concerne la production sucrière. Á l’inverse, la Guyane n’est pas productrice de sucre. Ce département transforme la totalité de sa production de cannes à sucre en rhum agricole.
Comme dans le règlement de 2001, le règlement de 2006 prévoit un prix de soutien pour la betterave, pour le sucre blanc et pour le sucre brut.
Par ailleurs, s’agissant de la canne à sucre, un prix de référence a été fixé par la convention « Canne » qui est un accord professionnel conclu pour la période 2006-2015. Dans cette convention, le prix de base pour l’achat de la canne à sucre par les industriels est demeuré identique à son montant en vigueur au moment de la signature de l’accord, soit 39,09 € par tonne, pour une canne à sucre dotée de 13,8 % de richesse saccharine.
Les prix de soutien pour la betterave, le sucre blanc et le sucre brut, à compter de la campagne 2006/2007, apparaissent dans le tableau ci-dessous.
RÉCAPITULATIF DES PRIX DE SOUTIEN
(En euros)
Campagnes |
2006/2007 |
2007/2008 |
2008/2009 |
De 2009/2010 à 2014/2015 |
Betteraves (prix à la tonne) |
32,86 |
29,78 |
27,83 |
26,29 |
Sucre blanc (prix à la tonne) |
631,9 |
631,9 |
541,5 |
404,4 |
Sucre brut (prix à la tonne) |
496,8 |
496,8 |
448,8 |
335,2 |
La lecture de ce tableau appelle les commentaires suivants :
– Tout d’abord, on peut noter que les prix de soutien de la betterave et du sucre ont été progressivement abaissés pour atteindre leur niveau minimum à partir de la campagne 2009/2010. Ainsi, la réduction opérée, sur la période, pour le prix de soutien du sucre blanc correspond-elle à une diminution de -36 %.
– L’idée poursuivie par la Commission européenne consiste, en abaissant les prix de référence, à favoriser la restructuration du secteur sucrier européen. Il s’agit de faire disparaître les sociétés les moins rentables, leurs marges bénéficiaires ne pouvant être maintenues avec les nouveaux prix de soutien. Á l’inverse, il s’agit aussi de favoriser la concentration de la production pour réaliser des économies d’échelle et donc pour améliorer fortement la compétitivité des entreprises.
– Il en va tout autrement pour la canne à sucre. Le prix de référence de la canne à sucre n’est pas susceptible d’évoluer à la baisse sur la période 2006-2015. Il a même été complété, sous la forme de primes, en 2011 et il sera à nouveau augmenté, en 2015, avec le renouvellement de la convention « Canne ».
– En effet, ce prix a pour objet – contrairement à la stratégie de restructuration qui vient d’être évoquée et qui ne concerne que l’Europe continentale – de consolider les exploitations agricoles qui pratiquent la culture de la canne dans les DOM, compte tenu notamment de l’importance de cette culture pour le maintien de l’emploi. Le maintien du prix de référence pour l’achat de la canne à sucre a été rendu possible par l’intervention du POSEI qui subventionne, par un versement entre les mains de l’industriel, une partie des dépenses qui sont consenties en faveur du planteur. Ainsi, sur les 39,09 € que coûte une tonne de canne à sucre (hors primes), 22 euros sont pris en charge par le POSEI au titre de l’aide forfaitaire d’adaptation de l’industrie sucrière des DOM.
– Par ailleurs, on doit observer que pour la livraison d’une tonne de canne à sucre, le planteur peut encore recevoir d’autres éléments de rémunération, indépendamment du prix de base. Ces éléments peuvent être versés par l’industriel, par l’Europe et par l’État. De l’industriel, le planteur peut recevoir des primes variant entre 3 et 6 € la tonne, en fonction de la qualité de sa récolte et en intéressement à la production de la bagasse (la bagasse étant le résidu de la canne à sucre que l’industriel revend à EDF, à hauteur de 11 € la tonne, pour servir de combustible à des centrales thermiques). S’agissant de l’Europe, il peut recevoir une aide au transport de la récolte jusqu’au lieu de livraison (3,50 € la tonne). Enfin, de l’État, il reçoit l’aide à la production (21,50 € la tonne) et il peut recevoir l’indemnité compensatoire de handicaps naturels ou ICHN (2,50 € la tonne). Au total, en plus du prix de soutien, le planteur peut donc prétendre à un complément de rémunération qui est assez variable mais qui peut aller jusqu’à 33,50 € la tonne.
Enfin, dans un autre ordre d’idées, on peut noter que, compte tenu de la baisse des prix de soutien au niveau européen et compte tenu de la limitation des possibilités d’exportation de l’Union européenne – qui crée, au regard de la demande, une situation tendue au niveau international –, les prix des marchés mondiaux, à partir de la fin de l’année 2009, tendent à devenir supérieurs aux prix européens.
Cela apparaît clairement dans le graphique ci-dessous qui retrace le cours du sucre blanc, en euros par tonne, sur la période qui s’étend d’octobre 2008 à janvier 2014 et qui compare ce cours au prix de soutien européen à partir duquel s’organisent les transactions en Europe (la cotation internationale du sucre blanc se faisant sur la place financière de Londres).
ÉVOLUTION DES COURS MONDIAUX : SUCRE BLANC EN EUROS/TONNE (LONDRES)
Source : FranceAgriMer (InfoSucre n° 135, janvier 2014)
Dans ce tableau, on voit que les prix mondiaux du sucre blanc sont plus élevés que les prix européens sur la période comprise entre le mois d’octobre 2009 et le mois de janvier 2013.
Pour les quantités de sucre exportées à partir d’une production sur quota, cela a conduit l’Union européenne, en anticipation de ce phénomène, à supprimer les restitutions à l’exportation dès 2008 (elles n’étaient plus utiles puisque le différentiel de prix devenait favorable aux exportateurs européens).
Sur les marchés nationaux, la baisse des prix, notamment de 2006 à 2008, a nécessité des interventions des États pour racheter des quantités invendues (contrairement à la période 2001-2006 où il n’y avait pas eu d’interventions). Ces quantités sont stockées et revendues lors d’une campagne de commercialisation ultérieure.
De la même manière que le règlement de 2001, le règlement de 2006 prévoit des règles à l’exportation et des règles à l’importation.
Comme on l’a vu précédemment, la décision de l’ORD d’octobre 2005 est très restrictive pour l’Europe. En effet, avant cette décision, il n’existait de contingent à l’exportation que pour le sucre produit sur quotas et le « sucre préférentiel » importé et réexporté, ces deux catégories donnant lieu à restitutions. Le sucre C, ne bénéficiant pas de restitutions, ne donnait pas lieu à contingent à l’exportation. Depuis la décision de l’ORD, dans la mesure où l’OMC estime que le sucre C est subventionné indirectement, un plafond global a été institué sur toutes les exportations européennes qu’elles relèvent de quantités produites sur quotas ou hors quotas, qu’elles bénéficient ou non de restitutions.
Le règlement européen de 2006 tient donc compte de cette décision et prévoit un quota unique à l’exportation. Ce quota est défini chaque année, pour chaque campagne de commercialisation, par un autre règlement européen d’exécution émanant de la Commission.
Pour la campagne 2006/2007, l’Union européenne a négocié avec l’OMC un plafond à l’exportation de 1,374 million de tonnes de sucre, ce sucre étant produit sur quotas et donnant lieu à restitutions (décision du comité de l’Agriculture de l’OMC G/AG/W/106 et communiqué de presse de la Commission IP/06/1708 du 7 décembre 2006).
Dans le cadre de ce contingent, la France s’est vu attribuer un quota à l’exportation de 350 000 tonnes.
Le dispositif a été reconduit pour la campagne 2007/2008. Ensuite, les restitutions ont été supprimées dans le courant de l’année 2008. En effet, avec la hausse des prix mondiaux, elles n’étaient plus nécessaires aux exportateurs européens. Le principe des restitutions demeure néanmoins inscrit dans le règlement de 2006 et dans le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole.
Puis, pour la campagne 2008/2009, le règlement (CE) n° 924/2008 de la Commission du 19 septembre 2008 a prévu un contingent à l’exportation de 650 000 tonnes. Il s’agit, cette fois, de sucre produit hors quotas – c'est-à-dire de l’ancien sucre C.
Le remplacement, dans le cadre des exportations, du sucre produit sur quotas par le sucre produit hors quotas s’explique par le fait que, à cette date, avec la diminution progressive des quotas de production attribués à chaque pays, la production sur quotas a diminué de manière significative et qu’elle ne dégage plus d’excédents susceptibles d’être exportés.
Le chiffre de 650 000 tonnes a été modifié en cours d’année pour tenir compte des besoins mondiaux. En effet, avec le contingentement des exportations européennes, le marché mondial a connu une certaine tension dans le courant de l’année 2009. Ainsi la Commission a-t-elle décidé, dans son règlement (CE) n° 776/2009 du 26 août 2009, que le quota définitif de la campagne 2008/2009 serait fixé à 950 000 tonnes.
De la même manière, la campagne de commercialisation 2009/2010 a débuté avec un quota de 650 000 tonnes. Mais, dans le courant de l’année 2009, la Commission a décidé, dans son règlement (CE) n° 1044/2009 du 4 novembre 2009, que le quota définitif pour cette campagne s’élèverait à 1 350 000 tonnes.
Enfin, l’Union européenne a pris la décision de maintenir ce dernier chiffre inchangé pour les campagnes de commercialisation ultérieures. Le chiffre de 1,350 million de tonnes constitue donc le contingent actuel de l’Union européenne à l’exportation.
Dans ce contingent, la France retrouve le quota de 350 000 tonnes qui était le sien en 2006 pour la campagne de commercialisation 2012/2013 (ce quota correspond à la somme de tous les certificats d’exportation accordés pour cette campagne).
On notera par ailleurs que, depuis 2006, l’Europe a renoncé à la pratique de la réexportation des importations de « sucre préférentiel ». Ce type de sucre ne figure donc plus dans le quota global d’exportation de l’Union européenne.
Pour conclure, on notera que, même avec un contingent de 1,350 million de tonnes, les exportations enregistrent une baisse considérable depuis 2006. En fait, depuis cette date, l’Europe est passée du statut d’exportatrice nette à celui d’importatrice nette comme le montre le tableau ci-dessous.
La lecture de ce tableau doit être assortie de deux remarques : tout d’abord, à l’intérieur de ce tableau, la somme : production + importation n’est pas égale à la somme : consommation + exportation. Cela est dû, avant 2006, au fait qu’il y a du sucre importé qui est réexporté et, après 2006, au fait qu’il y a des interventions de l’État aboutissant au stockage de certaines quantités de sucre, quantités qui sont remises sur le marché lors d’une campagne ultérieure. Par ailleurs, toujours dans le tableau, après 2006, les quantités exportées annuellement sont supérieures au quota de 1,350 million de tonnes. Cela s’explique par le fait que l’on peut avoir des reports de certificats d’exportation d’une année sur l’autre.
STATISTIQUES DE PRODUCTION, CONSOMMATION, IMPORTATIONS ET EXPORTATIONS DE SUCRE DE L’UE À 27
Production de sucre en MT Eq. Sucre blanc |
Consommation de sucre en MT Eq. Sucre blanc |
Importations de sucre en MT Eq. Sucre blanc |
Exportations de sucre en MT Eq. Sucre blanc | ||
2001/2002 |
17,7 |
17,1 |
|||
2002/2003 |
19,9 |
17,3 |
|||
2003/2004 |
18,4 |
17,3 |
1,9 |
4,0 | |
2004/2005 |
20,0 |
17,2 |
2,3 |
5,1 | |
2005/2006 |
19,1 |
16,9 |
2,2 |
7,6 | |
2006/2007 |
16,7 |
16,8 |
2,3 |
2,2 | |
2007/2008 |
17,6 |
17,0 |
2,6 |
1,5 | |
2008/2009 |
16,0 |
16,7 |
3,0 |
1,0 | |
2009/2010 |
17,9 |
16,8 |
2,5 |
2,2 | |
2010/2011 |
16,0 |
17,1 |
3,5 |
0,7 | |
2011/2012 |
18,7 |
17,3 |
3,4 |
2,1 | |
Source : Rapport AG CGB 11 décembre 2012 et 6 décembre 2011 pour les importations et les exportations Données initiales exprimées en sucre brut, converties en sucre blanc Selon le taux de conversion 1T de sucre brut = 0,92 T de sucre blanc |
Le règlement de 2006 prévoit un dispositif analogue à celui de 2001 en ce qui concerne les importations.
Pour la campagne 2011/2012, le montant des importations de l’Union européenne s’est élevé à 3,4 millions de tonnes de sucre. Pour la campagne 2012/2013, ce montant devrait atteindre au moins 3,1 millions de tonnes.
Ces importations, qu’il s’agisse de sucre brut ou de sucre blanc, sont destinées à compléter la production de chaque pays pour satisfaire les besoins de l’industrie alimentaire ainsi que ceux des consommateurs.
Les importations proviennent, pour 70 %, de différents États qui sont traditionnellement de gros producteurs de sucre (Brésil, Inde, Thaïlande…). Elles proviennent également, pour 30 %, de très nombreux pays émergents. Dans ce dernier cas, le fait d’importer constitue aussi, pour l’Union européenne, une action relevant de l’aide au développement.
La convention de Lomé avec les pays ACP a pris fin en septembre 2009. Elle a été remplacée par un certain nombre d’accords conclus par l’Union européenne avec les ACP et les PMA (c’est-à-dire les « pays les moins avancés »).
Globalement, les accords passés par l’Union européenne avec les pays émergents peuvent être classés en trois catégories :
– les accords PMA (que ces pays soient ACP ou non) ; ils garantissent un accès illimité au marché européen ;
– les accords ACP (ou accords de partenariat économique dits APE) ; ils permettent un libre accès au marché européen, sous réserve de l’application d’un mécanisme de sauvegarde en cas d’exportations excessives ;
– les accords concernant les ACP non titulaires d’un APE ; ils reposent sur un accès préférentiel non réciproque au marché européen et relèvent d’une réglementation que l’on appelle « système de préférences généralisées ».
Quelle que soit leur nature, ces accords garantissent aux pays concernés, d’une part, une absence de contingentement dans leurs livraisons à l’Europe et, d’autre part, soit le paiement de droits minima à l’entrée aux frontières (ACP non titulaires d’un APE), soit l’application d’un taux 0 (PMA et ACP disposant d’un APE). Par ailleurs, depuis 2012, le prix appliqué dans les contrats d’importation est le prix du marché mondial.
Le tableau suivant montre les quantités de sucre exportées par les ACP et les PMA en 2013 et en 2014, sachant que les ACP non PMA ont été classés par région géographique selon une terminologie de l’ONU (SACD désigne l’Afrique du Sud et ESA l’Afrique de l’Est).
IMPORTATIONS PRÉFÉRENTIELLES DE SUCRE 2014/2013
Importations sucre ACP et PMA (2014 et 2013) |
Certificats délivrés |
Certificats délivrés |
Taux de progression |
PMA non ACP |
11 810,5 |
– |
– |
PMA - ACP |
295 692,0 |
207 446,2 |
+ 42,53 % |
ACP non PMA |
481 731,2 |
498 624,0 |
– 3,39 % |
Afrique centrale |
– |
– |
– |
Afrique occidentale |
– |
112,5 |
– |
SACD |
78 356,9 |
119 287,3 |
– 34,32 % |
EAC |
– |
– |
– |
ESA |
202 351,8 |
189 972,3 |
+ 6,51 % |
Pacifique |
90 074,6 |
100 000,0 |
– 9,93 % |
Cariforum |
110 947,8 |
89 252,0 |
+ 24,30 % |
Total ACP |
777 423,2 |
706 070,2 |
+ 10,10 % |
Total ACP + PMA non ACP |
789 233,7 |
706 070,2 |
+ 11,77 % |
Source : FranceAgriMer (bulletin n° 514, janvier 2014)
On peut noter un dynamisme incontestable des importations en provenance de ces différents pays, puisque le taux de progression enregistré au cours de l’année 2014 est de plus de 11 %.
Ce dynamisme ne doit pas être négligé dans l’avenir. Il peut être de nature à alimenter une concurrence très réelle à l’égard des produits européens d’ici quelques années, et cela d’autant plus que d’autres accords sont actuellement en cours de négociation – notamment l’accord avec le Mercosur qui est un marché regroupant la plupart des pays d’Amérique latine.
Il convient de noter, cependant, que ces sucres préférentiels sont exclus des marchés des DOM par le règlement (CE) n° 1528/2007 du Conseil du 20 décembre 2007. Cette exclusion est valable pour une période de 10 ans et est renouvelable une fois. Elle s’applique donc jusqu’au 1er janvier 2028.
E. LE RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL DU 17 DÉCEMBRE 2013 ET SES CONSÉQUENCES
Le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles prévoit une prorogation du régime actuel des quotas pour le sucre et des prix garantis jusqu’à la fin de la campagne de commercialisation 2016/2017. Ensuite, il est entendu que ce système disparaîtra.
Il en résulte qu’à compter du 1er octobre 2017, l’Union européenne ne sera plus obligée d’acheter à un prix convenu les quantités de sucre ne trouvant pas preneur. Les entreprises devront composer avec le marché mondial, même si son cours est inférieur à celui de l’actuel prix garanti. En contrepartie, les entreprises, à la même date, pourront reprendre librement les exportations sans quotas. Il s’agit là de la libéralisation complète du marché européen du sucre.
Il est à craindre cependant que ce processus de libéralisation entraîne mécaniquement une baisse des prix sur les différents marchés.
En effet, avec la reprise des exportations, les entreprises européennes vont avoir tendance à diminuer leurs prix pour reprendre pied sur le marché mondial.
À l’inverse, mais de manière complémentaire, l’augmentation des quantités de sucre disponibles sur le marché mondial va également provoquer la baisse des prix.
On doit observer d’ailleurs que ce n’est qu’avec le blocage des exportations européennes – blocage qui a rendu les marchés tendus – que les prix mondiaux du sucre, malgré les différences dans le coût de la main d’œuvre, ont pu être supérieurs aux prix européens de 2009 à 2013. Dès que le quota européen à l’exportation a pu être significativement augmenté, c’est-à-dire à partir de la campagne de commercialisation 2009/2010, ils ont eu tendance à nouveau à baisser, pour repasser sous la barre du prix de soutien et des prix européens en 2013. La suppression de tout quota à l’exportation, en augmentant encore les quantités offertes, devrait donc agir une nouvelle fois sur les prix et les faire à nouveau baisser.
Face à cette situation, les producteurs de sucre de betterave auront les moyens de supporter la baisse des cours. En effet, depuis 2006, ces entreprises auront pratiqué des restructurations en prévision de ce moment et elles seront en mesure, à terme, de compenser la diminution des prix par un accroissement des quantités vendues. En revanche, dans les DOM, les planteurs et les industries sucrières se trouveront très vite en difficulté ; car ces acteurs économiques sont déjà dans une situation de forte dépendance vis-à-vis de la dépense publique – les subventions attribuées à la filière ayant pour but, en accord avec l’Union européenne, de maintenir l’activité et l’emploi – et il ne leur sera pas possible de compenser les pertes par des gains de productivité rapides et significatifs.
Les producteurs d’outre-mer vont donc enregistrer une perte de rémunération qui va être exactement égale à la baisse des prix.
À ce phénomène s’ajoute, pour les entreprises des DOM, le montant du déficit de compétitivité qui existe par rapport à la fabrication du sucre de betterave au sein de l’Union européenne.
En effet, on note, tout d’abord, un déficit de compétitivité au niveau de la production qui fait que le prix de revient du sucre brut de canne à la sortie des sucreries est plus élevé que le prix de revient du sucre blanc de betterave. Selon les producteurs de sucre de canne de La Réunion, ce déficit est actuellement de 350 euros par tonne (280 euros de surcoût dans le prix de revient de la matière première, c’est-à-dire la canne à sucre, et 70 euros de surcoût dans le processus de transformation industrielle). Il est de l’ordre de 100 euros la tonne après la prise en compte des aides publiques. Ce dernier montant, calculé seulement pour les industries de La Réunion, peut être évalué à 135 euros pour toutes les entreprises sucrières des DOM.
Par ailleurs, de manière structurelle, le sucre blanc de canne – parce qu’il doit faire l’objet d’un raffinage – ne peut être produit que moyennant un second surcoût par rapport au sucre de betterave (qui sort naturellement blanc après son passage au sein des sucreries). Ce second déficit de compétitivité lié à la phase du raffinage peut être évalué à 65 euros par tonne (pour le calcul de ce déficit on a neutralisé le coût des transports).
Enfin, après la suppression des quotas, les industries sucrières des DOM prévoient l’existence d’un déficit de compétitivité de 37 euros par tonne vis-à-vis des industries sucrières opérant sur le sucre de betterave, lors de la transformation de la matière première.
Pour permettre aux industries ultramarines d’aborder la suppression des quotas dans de bonnes conditions, il faudrait donc pouvoir compenser l’ensemble de ces désajustements.
Il est très difficile de produire un calcul permettant un chiffrage des pertes liées à la baisse des prix. En effet, pour cela, il faudrait connaitre le montant exact de la baisse, ce qui n’est pas possible.
En revanche, en ce qui concerne les pertes qui relèvent du déficit de compétitivité enregistré par rapport à la fabrication du sucre de betterave, il est possible de chiffrer le coût total annuel de ces pertes en appliquant la somme de 237 euros (qui correspond à l’ensemble des déficits recensés) à une production annuelle de 160 000 tonnes.
Ces 160 000 tonnes sont égales à la production annuelle des DOM (c’est-à-dire 260 000 tonnes de sucre) dont on a retiré les 100 000 tonnes qui correspondent à la fabrication du sucre roux de La Réunion. En effet, le sucre roux de La Réunion – qui n’est concurrencé en Europe que par la production de l’île Maurice, une production qui est d’ailleurs assujettie à des droits de douane – est le seul type de sucre pour lequel une hausse des prix n’entraîne pas immédiatement un effet négatif sur la demande.
Au total, la somme des déficits à compenser représente donc 38 millions d’euros.
Il est certain que cette somme – qui est aussi une proposition de subvention – ne comblera pas tous les handicaps qui sont liés à la suppression des quotas. Néanmoins, cette subvention, si son principe est adopté, aura pour effet de remettre à égalité, au moment de la vente sur un marché européen, le sucre de canne et le sucre de betterave. Plus techniquement, on peut dire aussi que cette mesure aura pour effet d’égaliser le coût de revient du sucre de canne raffiné en blanc et le coût de revient du sucre blanc de betterave produit dans les sucreries européennes.
Cette dotation pourrait être attribuée aux producteurs, à partir de l’année 2017, soit au titre du POSEI, soit au titre de l’aide nationale prévue par le règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union. Ce règlement en effet – en remplaçant le règlement (CE) n° 247/2006 du Conseil du 30 janvier 2006 qui avait le même objet, notamment depuis 2010 – autorise la France à attribuer une aide fixe annuelle d’un montant de 90 millions d’euros à la filière « sucre » des départements d’outre-mer. Les crédits autorisés par ce règlement pourraient ainsi être majorés, atteignant le chiffre de 128 millions d’euros.
Les rapporteurs reviendront sur ces différents points dans le chapitre qui suit.
II. LA FILIÈRE « SUCRE » DES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER : DES SPÉCIFICITÉS TRÈS MARQUÉES QUI NÉCESSITENT DES MESURES D’ACCOMPAGNEMENT LORS DE LA SUPPRESSION DES QUOTAS
Pour la filière « sucre » – que celle-ci se trouve en Europe continentale ou dans les départements d’outre-mer – le point clé de la future OCM est la suppression des quotas de production et d’exportation à compter du 1er octobre 2017.
Cette libéralisation du marché européen du sucre, décidée par Bruxelles, devrait provoquer une baisse significative des prix.
Dans l’absolu, les prix européens pourraient s’aligner sur les cours mondiaux actuels, c’est-à-dire 296, 22 euros la tonne de sucre blanc au 29 janvier 2014, soit un décrochage de plus de 26 % par rapport au prix de soutien.
Cependant, les évolutions sont difficiles à évaluer dans la mesure où elles dépendent beaucoup d’un certain nombre de paramètres, tels que l’évolution de la consommation mondiale, l’évolution de la production mondiale, la progression des importations européennes en raison des libéralisations accordées dans le cadre des accords commerciaux, l’évolution de la production d’isoglucose (qui se substitue au sucre pour certains produits comme les boissons sucrées), le dynamisme de la filière du raffinage, le niveau de change monétaire, etc.
Quoi qu’il en soit, trois exigences relativement incontournables se font jour pour l’avenir de la filière « sucre », tant hexagonale qu’ultramarine : l’augmentation du niveau de la production, l’augmentation de la compétitivité concernant les prix et l’intensification de la compétitivité hors prix (qualité, logistique, sécurité des approvisionnements, etc.).
La filière « sucre » de l’hexagone a la possibilité de relever ces différents défis et elle s’y est préparée depuis 2006. En revanche, pour la filière « sucre » des DOM, les choses vont être plus délicates. Des gains de productivité sont, certes, envisageables, mais, compte tenu des spécificités du secteur, ils seront longs et difficiles.
Par suite, il sera nécessaire d’apporter une aide à la filière dans le cadre d’un plan cohérent qui prenne en compte différents éléments : l’amélioration de la compétitivité par le biais d’un soutien volontariste aux planteurs et aux entreprises sucrières, le développement de la valorisation des sucres spéciaux, la mise en place de démarches de qualité à haut niveau, le développement de tous les coproduits qui peuvent exister pour la canne à sucre, etc.
La réflexion des rapporteurs s’articulera donc en trois temps :
Dans un premier temps, ils montreront que la filière « sucre » des DOM présente des spécificités très marquées ;
Dans un second temps, ils montreront que plusieurs de ces spécificités rendent très difficile la réalisation immédiate de gains de productivité dont l’objet serait de contrebalancer efficacement la baisse des prix liée à la suppression des quotas ;
Enfin, dans un troisième moment, ils présenteront un certain nombre de mesures de nature à compenser, à très court terme, pour les Outre-mer, la suppression des quotas de production et d’exportation décidée par l’Union européenne à compter du 1er octobre 2017.
A. LA FILIÈRE « SUCRE » DES DÉPARTEMENTS D’OUTRE-MER : DES SPÉCIFICITÉS TRÈS MARQUÉES
La filière « sucre » des départements d’outre-mer, et plus particulièrement la filière « canne-sucre-rhum-bagasse », présente des particularités très fortes.
1. La culture de la canne à sucre relève d’un ensemble de très petites exploitations
En 2010, la SAU (surface agricole utile) plantée en cannes à sucre est de 42 750 hectares pour les quatre DOM de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane, soit respectivement 57 % de la SAU totale à La Réunion, 45 % à la Guadeloupe, 16 % à la Martinique et 7 % à la Guyane.
À la même date, le nombre des exploitations pratiquant cette culture s’élève à 8 081, la plupart de ces exploitations étant exploitées en faire valoir direct. La taille moyenne des exploitations est de 5 hectares. À La Réunion – qui est le principal département producteur de cannes – la taille moyenne des exploitations est de 7 hectares.
La culture de la canne à sucre relève donc d’un ensemble de très petites exploitations de type familial.
Ce phénomène apparaît clairement dans les deux tableaux ci-dessous :
STRUCTURE DES EXPLOITATIONS AGRICOLES, SURFACES ET PRODUCTIONS EN 2010
Départements |
Nombre d’exploitations agricoles |
Nombre de distilleries |
Nombre d’exploitations cannières |
Guadeloupe |
7 852 |
12 |
4 312 |
Martinique |
3 307 |
8 |
278 |
La Réunion |
7 623 |
3 |
3 473 |
Guyane |
5 980 |
1 |
18 |
Total |
24 800 |
24 |
8 081 |
Départements |
SAU totale (ha) |
SAU Cannes (ha) |
Production de cannes (T) |
Dont cannes pour le rhum agricole |
Guadeloupe |
31 768 |
14 173 45 % |
699 152 |
64 831 |
Martinique |
24 975 |
4 067 16 % |
203 293 |
133 818 |
La Réunion |
42 810 |
24 336 57 % |
1 907 630 |
0 |
Guyane |
25 133 |
174 7 % |
5 913 |
5 913 |
Total |
124 686 |
42 750 |
2 815 988 |
204 562 |
Source : Agreste-ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt
Dans ce contexte, la question du maintien des structures foncières est une question essentielle. En effet, on note – notamment depuis l’année 2000 – une forte pression pour la transformation des terres agricoles en terrains constructibles.
Selon les chiffres d’Agreste (c’est-à-dire du département « statistiques, évaluation et prospective agricole » du ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt), tous les DOM (hors Mayotte) enregistrent, de 2000 à 2010, une perte de leur SAU, à l’exception de la Guyane.
Ainsi, on passe, en Guadeloupe, de 41 662 hectares cultivés en 2000 à 31 768 hectares en 2010 (- 23,75 %) ; en Martinique, on passe de 32 041 hectares cultivés en 2000 à 24 975 hectares en 2010 (- 22,06 %) et à La Réunion de 43 692 hectares cultivés en 2000 à 42 810 hectares en 2010 (- 2,02 %).C’est seulement dans le département de la Guyane que l’on constate une hausse de la SAU, celle-ci progressant de 23 176 hectares en 2000 à 25 133 hectares en 2010 (+ 8,44 %).
Ce phénomène a naturellement une incidence forte sur les surfaces cultivées en cannes à sucre dont la superficie tend à diminuer.
Pour enrayer cette tendance, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui a été examiné, en première lecture, à l’Assemblée nationale au début du mois de janvier 2014, a prévu, à l’initiative de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée, un certain nombre de dispositions :
– La simplification de la mise en place des zones agricoles protégées ou ZAP (article 12 du projet de loi) ;
– La modification des règles de vote en usage dans les indivisions successorales portant sur une exploitation agricole ultramarine, les décisions pouvant être prises désormais à la majorité des deux tiers en cas de location ou de vente du bien indivis (article additionnel après l’article 34) ;
– La communication, dès leur réalisation, des études d’impact et des évaluations environnementales aux commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers ; ainsi, en recevant ces études très en amont de leur saisine officielle, les commissions pourront faire immédiatement des prescriptions et donc participer à une sorte de cogestion des projets (article 36) ;
– Enfin, l’allongement de la durée des projets d’intérêt général ou PIG (également article 36).
La préservation des espaces agricoles face aux pressions foncières, et tout particulièrement des espaces consacrés à la culture de la canne à sucre, est un point tout à fait important. En effet, l’augmentation possible de la productivité pour compenser les effets négatifs de l’abandon des quotas sur les prix n’a de sens que si les structures foncières demeurent inchangées. Si elles diminuent sans cesse, la hausse de la productivité ne pourra, au mieux, que compenser la diminution même des surfaces. Et dans ce cas, elle ne jouera aucun rôle, ni pour contrebalancer la perte des quotas, ni pour maintenir le revenu des exploitants.
Pour finir, les deux tableaux ci-dessus appellent encore les trois remarques suivantes :
– S’agissant de la production de cannes à sucre et de sucre, il convient de noter que l’ensemble de la production de cannes s’est élevée, en 2010, à 2,815 millions de tonnes ; sur ces 2,815 millions de tonnes, 204 562 tonnes ont été orientées vers la fabrication de rhum agricole ; le solde, soit 2,611 millions de tonnes, a été transformé en 266 050 tonnes de sucre (le processus de fabrication générant environ 110 kilos de sucre à partir d’une tonne de canne) ; le département de La Réunion, en 2010, a ainsi produit 206 808 tonnes de sucre (dont environ 100 000 tonnes de sucre roux) ; la Guadeloupe a produit 55 187 tonnes de sucre et la Martinique 4 055 tonnes ;
– La production de rhum concerne les quatre DOM de la Martinique, de la Guadeloupe, de La Réunion et de la Guyane ; on peut recenser 7 distilleries de sucrerie (c’est-à-dire 7 distilleries qui tirent le rhum de la mélasse, cette dernière étant un dérivé qui apparaît dans le cadre du processus lié à la fabrication du sucre) et 17 distilleries agricoles (c’est-à-dire 17 distilleries qui fabriquent le rhum en partant directement de la canne) ; l’ensemble de ces distilleries a produit, en 2011, 275 400 hectolitres d’alcool pur (HAP), dont 106 000 HAP de rhum agricole (soit 38 % de la production de rhum) ;
– Enfin, la production de rhum agricole n’est pas semblable d’un DOM à l’autre ; plus de 80 % du rhum produit en Martinique est du rhum agricole et plus de 50 % des cannes récoltées sont livrées aux distilleries ; près de 50 % du rhum produit en Guadeloupe est également du rhum agricole ; à l’inverse, moins de 1 % du rhum produit à La Réunion est agricole ; et de même, la production de rhum agricole est très faible en Guyane (2 800 HAP) ; ce département ne dispose que d’une seule distillerie à laquelle la totalité de la production de cannes à sucre est livrée.
2. La filière « sucre » est fortement encouragée par les aides publiques
Les aides publiques concernant la filière « sucre » des DOM sont de deux ordres : les aides européennes et les aides nationales.
Les aides européennes sont issues du POSEI. Elles représentent annuellement une somme de 74,90 millions d’euros et elles se ventilent en trois lignes : l’aide aux planteurs pour le transport des cannes à sucre du bord du champ à la balance de pesée (10 millions d’euros) ; l’aide aux industries sucrières pour garantir le maintien du prix d’achat, à la tonne, des cannes à sucre aux planteurs (59,20 millions d’euros) et l’aide aux distilleries au titre de la transformation des cannes à sucre en rhum agricole (5,70 millions d’euros).
Les aides nationales, apparues en 2006, sont actuellement autorisées par le règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union. Depuis 2010, le montant de ces aides a été fixé à la somme de 90 millions d’euros. Généralement, cette somme est dépensée dans son intégralité. Néanmoins, il peut y avoir des variations dans la liquidation des dépenses parce que l’un des éléments de l’enveloppe (l’aide à l’écoulement du sucre des DOM sur le marché européen) correspond à des remboursements de frais réels. Ainsi, en 2013, les paiements ont été de 86 millions d’euros (56 millions d’euros d’aide à la production, 20 millions d’euros d’aide à l’écoulement du sucre des DOM sur le marché européen et 10 millions d’euros de complément national à l’aide forfaitaire d’adaptation versée dans le cadre du POSEI).
L’ensemble de l’aide à la filière « sucre » des DOM s’élève donc, en 2013, à la somme de 161 millions d’euros.
Une critique que l’on entend assez souvent est que cette aide peut paraître relativement élevée, surtout si l’on rapporte son montant à la surface cultivée en cannes à sucre, soit 42 750 hectares. En effet, on obtient alors une subvention qui s’élève à 3760 euros par hectare.
Si l’on compare cette somme, qui avoisine les 4000 euros, aux 300 euros par hectare – très exactement 309 euros – qui, selon une étude d’Agreste de 2011, correspond à l’aide publique moyenne attribuée aux producteurs de céréales et d’oléo-protéagineux dans l’hexagone, on sera également frappé par le fait que la différence est de 1 à 13 en faveur des départements d’outre-mer.
Cependant, ces appréciations doivent être considérablement nuancées.
En effet, tout d’abord, il faut tenir compte des différences dans la taille des exploitations.
La surface moyenne des exploitations de céréales et d’oléo-protéagineux dans l’hexagone est de 119 hectares (dont généralement 15 hectares sont dédiés à la production de betteraves). En revanche, comme on l’a vu plus haut, la superficie moyenne des exploitations de cannes à sucre dans les DOM est égale à 5 hectares.
La vraie comparaison consiste alors à mettre en relation le chiffre d’environ 36 000 euros qui correspond à l’aide pour l’exploitation de céréales et d’oléo-protéagineux dans l’hexagone et celui d’environ 20 000 euros qui correspond à l’aide pour l’exploitation de cannes à sucre dans les DOM. De ce point de vue, les DOM ne sont nullement favorisés.
En outre, lorsque l’on rapporte l’aide publique versée non plus à l’hectare ou à l’exploitation mais aux emplois générés, il apparaît également que le secteur de la canne à sucre est beaucoup moins soutenu que d’autres filières présentes dans l’hexagone.
Ainsi, toujours selon Agreste, il faut 96 hectares de céréales pour créer un emploi agricole à temps plein, alors qu’il faut 5 hectares de cannes à sucre pour créer ce même emploi.
Par conséquent, un emploi dans le secteur des céréales et des oléo-protéagineux est accompagné à hauteur d’environ 29 000 euros d’aide publique. En revanche, un emploi dans le domaine de la canne à sucre mobilise seulement un crédit d’environ 20 000 euros. De la sorte, à nouveau, la comparaison ne montre pas que les DOM soient particulièrement favorisés.
3. Le rhum traditionnel des DOM constitue un débouché de prestige pour une part limitée de la production annuelle de cannes à sucre
Comme on l’a vu précédemment, en 2010, l’effectif de cannes à sucre prélevé sur la production annuelle dans le but de fabriquer du rhum s’est élevé à 204 562 tonnes, soit 7,26 % de la récolte totale.
La fabrication de rhum constitue ainsi un aspect très important de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse ». En même temps, les quantités de cannes à sucre utilisées par cette activité demeurent limitées.
Avec ces 200 000 tonnes de cannes à sucre, les DOM ont produit, en 2011, 275 400 HAP de rhum, dont 106 000 HAP de rhum agricole.
En règle générale, le rhum de sucrerie est revendu par les distilleries aux grandes entreprises spécialisées dans la commercialisation de l’alcool (par exemple le groupe Pernod-Ricard). Une fois que ce rhum est revendu, il est conditionné dans des bouteilles correspondant aux marques distribuées par ces entreprises. Ces bouteilles sont généralement des bouteilles de 70 centilitres pour un titrage d’alcool de 37,5°. Les bouteilles ne précisent pas l’origine du rhum. Elles portent juste la mention : « rhum de canne ».
En revanche, le rhum agricole est commercialisé de manière parfaitement individualisée. Il est vendu dans des bouteilles qui ont des formats plus grands que les autres types de rhums (généralement il s’agit de bouteilles d’un litre). Le titrage en alcool est aussi plus élevé (généralement 50°). Ces bouteilles portent la dénomination spécifique : « rhum traditionnel », dénomination qui est reconnue au niveau européen. Pour obtenir cette appellation, il faut, en particulier, que l’intégralité de la matière première et du processus de fabrication relève du territoire du DOM où la distillerie exerce son activité.
Le rhum traditionnel est aidé fiscalement en accord avec l’Union européenne. Moyennant un contingent de production annuel de 120 000 HAP – contingent qui n’est d’ailleurs pas atteint par les DOM – il bénéficie d’une réduction de 42 % des droits d’accise.
Cela correspond à une aide indirecte évaluée à 111 millions d’euros en 2012. Pour une bouteille de rhum d’un litre à 50°, l’aide représente ainsi environ 4,50 euros, ce qui permet de maintenir le prix de vente de la bouteille aux alentours de 17 euros.
4. La canne à sucre, par le biais de la bagasse, joue un rôle significatif dans l’approvisionnement énergétique des départements de la Guadeloupe et de La Réunion
C’est le département de La Réunion qui, le premier, a valorisé la bagasse, c’est-à-dire le résidu fibreux de la canne après pressage et récupération du sucre, comme source d’énergie dans la production d’électricité.
À l’heure actuelle, il existe trois centrales thermiques – une en Guadeloupe et deux à La Réunion – qui produisent de l’électricité à partir de cette matière première.
Plus exactement, ces centrales opèrent avec deux sources d’énergie : la bagasse pendant la campagne sucrière et le charbon en inter-campagne ; elles produisent également deux types d’énergie : la vapeur d’eau qui alimente les sucreries et les distilleries et l’électricité qui alimente le réseau public.
Pour servir de combustible aux trois centrales thermiques, EDF rachète aux industriels la bagasse à raison de 11,05 euros la tonne. Ce montant est récupéré au moyen de la CSPE, la contribution pour le service public d’électricité, qui est acquittée par les usagers.
La quantité totale d’électricité produite avec de la bagasse s’élève, en 2012, à 104,3 mégawatt (MW), soit 31 MW en Guadeloupe et 73,3 MW à La Réunion.
Cette production permet de couvrir, selon les années, de 10 à 12 % de la consommation totale en électricité des deux départements.
B. PLUSIEURS DE CES SPÉCIFICITÉS RENDENT TRÈS DIFFICILE LA RÉALISATION IMMÉDIATE DE GAINS DE PRODUCTIVITÉ
En 2006, la filière « sucre » des départements d’outre-mer n’a procédé à aucune restructuration. En effet, l’analyse de l’Union européenne avait conclu, à cette époque, que l’industrie sucrière des DOM ne disposait pas, contrairement au secteur sucrier continental, d’un gros potentiel de gains de productivité. Le nombre de producteurs de cannes à sucre était trop important pour réaliser de véritables concentrations ; à l’inverse, les sucreries et les distilleries étaient trop peu nombreuses pour espérer de véritables économies d’échelle. En outre, l’Union européenne ne souhaitait pas remettre en cause l’emploi dans les DOM. C’est la raison pour laquelle les entreprises sucrières des DOM n’ont pas été assujetties à la taxe à la restructuration. En contrepartie, elles ont été privées de la possibilité de bénéficier des crédits du fonds de restructuration de l’industrie sucrière.
Aujourd’hui, avec la suppression des quotas de production, la filière va être confrontée à une baisse du prix du sucre sur les différents marchés. Pour compenser cette baisse, il serait nécessaire d’augmenter le niveau de la production. Cependant, comme en 2006, certaines des spécificités du secteur du sucre dans les départements d’outre-mer, en rendant la réalisation d’économies d’échelle presque impossible, vont empêcher, du même coup, l’obtention immédiate de gains de productivité.
Les facteurs de blocage sont les suivants :
– Tout d’abord, il y a le nombre des exploitations agricoles productrices de cannes à sucre. Comme on l’a vu précédemment, celles-ci sont très nombreuses (plus de 8000). Compte tenu de ce nombre, il n’est pas possible d’envisager une hausse de la productivité en recourant au remembrement. Par ailleurs, comme cela a été aussi indiqué, compte tenu du poids de la pression foncière, toute fluidité dans l’attribution des parcelles finit toujours par se faire en faveur de la construction neuve. De la sorte, la question principale, du point de vue des structures agricoles, n’est pas tant celle de la productivité que celle de la préservation des surfaces cultivées. La hausse de la productivité passe donc principalement par des progrès techniques (amélioration des semences, amélioration des variétés cultivées, augmentation de la durée de campagne…). Mais la diffusion du progrès technique est longue et l’on ne peut sans doute pas s’attendre à des évolutions significatives en ce domaine, du moins à très court terme.
– À l’inverse, les sucreries sont peu nombreuses dans les DOM. À l’heure actuelle, on dénombre, en effet, seulement 5 sucreries en activité : deux en Guadeloupe (l’usine de Gardel au Moule et l’usine de Grand-Bourg sur l’île de Marie-Galante) ; une en Martinique (l’usine du Galion sur l’île de La Trinité) et deux à La Réunion (l’usine de Bois Rouge et celle du Gol). Or, aucune restructuration n’est envisageable pour un effectif d’unités de production si réduit.
– La même remarque peut être effectuée pour les distilleries de rhum. Celles-ci sont au nombre de 24 dans les DOM (17 pour le rhum agricole et 7 pour le rhum de sucrerie). La marge de manœuvre pour réaliser des concentrations d’entreprises n’est donc pas très étendue.
– Enfin, on remarquera, pour conclure, qu’il ne faut pas trop compter, le cas échéant, sur la hausse de la production de rhum agricole – production qui est d’ailleurs contingentée fiscalement – pour absorber les excédents susceptibles d’intervenir dans le cadre des récoltes annuelles de cannes à sucre (notamment en cas d’invendus liés à la chute des cours du sucre).
En effet, la production de rhum agricole est totalement dépendante de son régime fiscal, c’est-à-dire des 42 % de réfaction des droits d’accise qui lui sont concédés. Or, cet avantage, quoique reconduit par la décision n° 189/2014/UE du Conseil du 20 février 2014, va connaître une légère réduction au cours de la période 2014-2020.
L’explication de cette diminution est la suivante : au cours des années 2012 et 2013, avec la création de la « vignette de sécurité sociale » ou « VSS » à compter du 1er janvier 2012, le taux d’accise (y compris les 42 % de réfaction) s’est appliqué à une somme correspondant au prix de base de la bouteille de rhum auquel est venu s’ajouter le montant de la VSS ; de ce fait, la réduction totale consentie est allée au-delà de 50 % du taux plein d’accise sur l’alcool ; en réalité, en 2012 et en 2013, l’aide totale a représenté 56 % du taux national d’accise ; cependant, le plafond de 50 % ne pouvant être dépassé du fait de l’article 3 de la directive 92/84/CEE du Conseil du 19 octobre 1992, la décision du Conseil du 20 février 2014 a fixé désormais un maximum dans l’application des taux spécifiques d’accise et de VSS concernant le rhum traditionnel ; c’est ainsi qu’à partir de 2014, l’application de ces taux ne peut plus aboutir à générer une aide fiscale qui soit supérieure à 50 % du taux plein sur l’alcool.
Par suite, compte tenu de la légère baisse de l’avantage fiscal (- 6%), il est probable que le prix de la bouteille de rhum agricole augmente légèrement dans l’avenir, passant sans doute de 17 euros à un peu plus de 18 euros (pour un litre à 50°). De la sorte, les ventes de rhum traditionnel ne devraient pas sensiblement s’accroître dans les années qui viennent, pas plus que le niveau de la production.
Au total, la situation de la filière « sucre » des DOM est donc caractérisée par un équilibre très fragile, équilibre que la baisse prévisible des prix risque de perturber fortement.
La situation est tout à fait différente pour le secteur de la betterave.
Une étude du Centre européen des fabricants de sucre (CEFS) de 2012 a procédé à des simulations sur l’impact de la suppression des quotas sur le coût de la transformation industrielle des betteraves effectuée par les sucreries européennes. La simulation porte uniquement sur les coûts en usine, incluant les coûts de réception et de transport des betteraves. Par contre, elle ne tient pas compte du coût d’achat des betteraves, des frais de recherche et de développement, des coûts de stockage et de ceux liés à la commercialisation du sucre. Elle ne prend pas en compte non plus les gains de productivité aux champs découlant du progrès technique. Cette étude montre que l’industrie du sucre de betterave s’attend, dans un contexte de hausse de la production à la suite de la suppression des quotas, à une réduction non négligeable de ses coûts de production. La réduction peut être chiffrée à 37 euros par tonne de sucre.
Face à tous ces éléments, la meilleure solution pour la filière « sucre » des DOM est donc bien la mise en place par l’État, au moment de la suppression des quotas, de mesures d’accompagnement diversifiées.
Ce sont ces mesures d’accompagnement que les rapporteurs vont examiner à présent.
C. FACE À LA SUPPRESSION DES QUOTAS DE PRODUCTION, DES MESURES D’ACCOMPAGNEMENT EN FAVEUR DES DOM S’AVÈRENT INDISPENSABLES
Selon les rapporteurs, les mesures d’accompagnement nécessaires sont au nombre de sept.
1. Créer un observatoire chargé du suivi de l’évolution des prix sur le marché européen du sucre
Les marchés internationaux de matières premières sont difficiles à suivre, à cause de leur volatilité, et encore plus à anticiper.
Comme la situation des industriels est très dépendante des prix, de leur hausse ou de leur baisse, et, en cas de baisse, de leur compensation éventuelle, il pourrait être utile de créer un observatoire des prix sur le marché européen du sucre.
Cet observatoire, rattaché au ministère des Outre-mer, permettrait de dégager les grandes tendances propres au marché du sucre au sein de l’Union ; il permettrait également d’analyser l’impact réel de la suppression des quotas sur la production des DOM, que ce soit en termes de prix ou de quantité ; enfin, il permettrait aux pouvoirs publics, en disposant d’études statistiques pertinentes, d’intervenir rapidement et à coup sûr, en cas de difficultés particulières.
En ce domaine en effet, le délai de réaction est très important. Si les gouvernants, nationaux ou européens, réagissent trop tard, la filière peut déjà avoir subi des dommages irréparables.
Proposition 1. Créer un observatoire chargé du suivi de l’évolution des prix sur le marché européen du sucre.
2. Poursuivre une politique active de préservation du foncier agricole, et spécialement du foncier dédié à la culture de la canne à sucre
Comme cela a été indiqué précédemment par les rapporteurs, différentes mesures ont déjà été prises par le passé pour préserver le foncier (par exemple la création, en 2011, de la Commission départementale de la consommation des espaces agricoles).
D’autres mesures sont actuellement à l’étude, dans le cadre de l’examen au Parlement du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Il convient en tout cas de souligner ici fortement que la préservation d’un espace foncier suffisant consacré à la culture de la canne à sucre – ce que les professionnels appellent la « sole cannière » – reste l’une des conditions essentielles pour assurer le développement futur de la filière « sucre » dans les DOM.
Proposition 2. Poursuivre une politique active en matière de préservation des espaces fonciers consacrés à la canne à sucre. En effet, si la filière « sucre » des DOM a poursuivi et poursuit encore ses efforts en termes de productivité et de rendements, le maintien d’une sole cannière importante reste une condition clé de son développement futur.
3. Augmenter le soutien de l’État en faveur de la filière « sucre » des DOM
L’article 3 du règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques de l’Union prévoit la possibilité pour la France d’accorder un crédit de 90 millions d’euros annuels en faveur de la filière « sucre » des DOM, en supplément des aides européennes allouées au titre du POSEI. Les crédits sont liquidés par l’Agence de services et de paiement (ASP).
Comme cela a été montré par les rapporteurs dans les pages qui précèdent, les déficits de compétitivité que la filière subit déjà et ceux qu’elle va supporter avec la suppression des quotas peuvent être évalués à 38 millions d’euros par an.
Il est donc proposé de réviser le niveau d’intervention prévu par le règlement européen du 13 mars 2013 et de porter ce niveau à 128 millions d’euros.
Proposition 3. Augmenter le soutien de l’État en faveur de la filière « sucre » des DOM, en faisant passer le niveau d’intervention autorisé par le règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 de 90 millions d’euros à 128 millions d’euros annuels.
4. Demander la réalisation d’une étude à EDF sur la possibilité d’augmenter le prix d’achat de la bagasse utilisée dans les centrales thermiques
La bagasse est revendue 11,05 euros la tonne par les industriels à EDF, ce résidu de la canne à sucre servant de combustible pour les centrales thermiques.
Il serait intéressant que le Gouvernement puisse demander à EDF de réaliser une étude sur la possibilité d’augmenter le prix d’achat de cette source d’énergie.
Il va de soi que si la bagasse pouvait être achetée plus cher par les centrales, ce dispositif permettrait de réduire d’autant les subventions complémentaires issues de l’État et demandées précédemment en faveur de la filière.
Ainsi, si le prix d’achat de la bagasse passait de 11 à 14 euros la tonne, une tonne de canne à sucre donnant 350 kilos de bagasse, sur la base d’une production de cannes à sucre de 2,815 millions de tonnes, les industriels pourraient percevoir près de 3 millions d’euros supplémentaires.
L’aide additionnelle demandée à l’État, sur le fondement du règlement européen du 13 mars 2013, pourrait donc être ramenée à 35 millions d’euros.
Proposition 4. Solliciter EDF pour la réalisation d’une étude visant à augmenter le prix d’achat de la bagasse, lorsque celle-ci est utilisée pour alimenter les centrales thermiques.
5. Favoriser la reconnaissance de la qualité des différentes productions réalisées outre-mer
Il pourrait être intéressant d’aider la filière « sucre » de chaque DOM à faire reconnaître la qualité de ses produits auprès de l’Union européenne.
Le sigle correspondant à cette reconnaissance de qualité est le sigle IGP, c’est-à-dire « indication géographique protégée ». Ce sigle atteste du haut niveau de valeur ajoutée du produit et il établit que ce dernier tire ses caractéristiques propres du lien étroit qu’il entretient avec son territoire d’origine.
Déjà, la filière « sucre » de La Réunion a déposé une demande de labellisation auprès de l’Union européenne, et plus particulièrement auprès d’un organisme certificateur reconnu par l’Union et appelé OCTROI (organisme certificateur Tropique, Réunion, Océan Indien). Il serait souhaitable que les autres DOM puissent procéder de la même manière et qu’ils soient accompagnés, dans leurs démarches, par le Gouvernement.
Proposition 5. Accompagner les démarches des DOM visant à obtenir, au niveau européen, l’identification de leur production par le sigle IGP.
6. Écarter le sucre roux des libéralisations accordées par l’Union européenne dans le cadre des accords commerciaux conclus avec les pays tiers
Le sucre roux est un sucre particulier, produit, en Europe, principalement par le département de La Réunion.
Les quantités produites par ce département se montent à environ 100 000 tonnes par an et elles ne sont écoulées que sur le marché européen.
Le sucre roux n’est pas concurrencé, actuellement, sur ce marché, sauf par l’île Maurice ; mais cette dernière, ne disposant pas d’un accord commercial préférentiel, acquitte des droits de douane à l’entrée aux frontières.
Demain cependant, l’île Maurice peut obtenir un accord privilégié de la part de l’Europe ; et il en va de même pour d’autres pays producteurs, tels que l’Australie ou Cuba.
Il serait donc souhaitable, pour préserver le marché de niche dont bénéficie le sucre roux, d’exclure ce produit des libéralisations accordées par l’Union européenne aux pays tiers.
Proposition 6. Exclure le sucre roux des libéralisations accordées par l’Union européenne dans le cadre des négociations internationales concernant les importations de sucre sur le marché européen, ou bien – ce qui revient au même – prévoir le maintien des tarifs douaniers pour ce type de sucre quand il est produit par des pays tiers.
7. Encourager de nouveaux débouchés pour la canne à sucre
En dernier lieu, il pourrait être intéressant d’accroître les revenus des acteurs de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » grâce au développement des produits dérivés de la canne à sucre.
Ces produits dérivés sont en effet nombreux et leurs débouchés potentiels paraissent prometteurs.
À titre d’exemple, on citera : l’utilisation de la bagasse pour produire des panneaux d’ameublement ; la fabrication, à partir de la cellulose de la canne, de rames de papier d’imprimerie ; la réalisation, à partir des molécules organiques contenues dans la tige de la canne, de bioplastiques – ces derniers permettant, notamment, la fabrication de sacs biodégradables ; ou encore, la composition chimique, à partir d’une bactérie présente dans la canne, de l’albicidine, un médicament de la famille des antibiotiques.
Les études sur les « coproduits » de la canne à sucre sont conduites par le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et par eRcane, un établissement de recherche de tout premier plan au niveau mondial. Ce centre est établi à La Réunion et il est spécialisé sur toutes les questions ayant trait à la canne à sucre, notamment les questions se rapportant à la sélection variétale.
Au total, l’ensemble de ces recherches devraient permettre dans un délai raisonnable – c’est-à-dire lorsqu’elles auront débouché sur des applications susceptibles d’être commercialisées à un certain niveau – d’ajouter à l’activité traditionnelle de la filière – c’est-à-dire la production du sucre – de nombreuses autres activités complémentaires. Ces recherches doivent donc être fortement encouragées.
Proposition 7. Renforcer le rôle central de la culture de la canne à sucre en valorisant fortement ses différents coproduits.
La Délégation aux outre-mer a examiné le présent rapport d’information au cours de sa réunion du mardi 6 mai 2014.
M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, nous voici réunis pour entendre la présentation du rapport d’information sur l’OCM « sucre » et pour procéder aux votes sur ce rapport. Je vous présente les excuses de M. Patrick Lebreton qui n’a pas pu faire le déplacement mais qui m’a confié son intervention.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. Mon propos sera un propos introductif. Je voudrais présenter, à grands traits, la problématique qui a justifié la réalisation du rapport que nous étudions aujourd’hui sur l’OCM « sucre ».
L’Organisation commune du marché du sucre a été créée en 1968. Elle est actuellement régie par le règlement CE n° 318/2006 du Conseil du 20 février 2006 qui repose sur un système classique de quotas de production et de prix de soutien.
Il est possible de dire quelques mots sur ces quotas et sur ces prix de soutien :
– Actuellement, c’est-à-dire pour la campagne de commercialisation 2013/2014, le quota global de production de sucre pour l’Union européenne à 28, c’est-à-dire intégrant la Croatie à compter du 1er juillet 2013, s’élève à 13,5 millions de tonnes annuels, cette quantité étant calculée en équivalent sucre blanc. La France, à cette même date, dispose d’un quota de production annuel de 3,437 millions de tonnes. Dans le cadre de ce contingent, un quota de 432 220 tonnes concerne spécifiquement les départements d’outre-mer.
– Le prix de soutien pour le sucre blanc est de 404,4 euros la tonne. Ce prix est supérieur au prix mondial du sucre blanc qui s’élève à 296,2 euros la tonne, sur le marché de Londres, en janvier 2014.
– Enfin, compte tenu de l’aide apportée par Bruxelles au secteur du sucre, le niveau des exportations de l’Union européenne est très encadré par l’Organisation mondiale du commerce. Ainsi, la capacité d’exportation de l’Europe est-elle limitée à un peu plus d’un million de tonnes de sucre par an. Dans le cadre de ce contingent, la France exporte environ 350 000 tonnes de sucre par an.
La durée de validité du règlement européen de 2006 prend fin à l’issue de la campagne de commercialisation 2014/2015. Elle a cependant été prolongée de deux ans, dans le cadre de l’OCM unique créée en 2007, par le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013.
À compter du 1er octobre 2017, l’Union européenne va donc retrouver toute sa capacité d’exportation. À l’inverse, il n’y aura plus de prix de soutien pour les producteurs de sucre nationaux, ni de garantie d’achat en cas de mévente. Par ailleurs, les prix européens du sucre vont probablement perdre leur autonomie qui était liée aux prix de soutien. Ils vont très certainement s’aligner sur les prix du marché mondial.
Cette situation ne peut que préoccuper les industriels des départements d’outre-mer producteurs de sucre, c’est-à-dire la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion.
Les inquiétudes de ces industriels peuvent être résumées en rappelant les données suivantes :
– La fin des quotas, décidée depuis 2006, sera effective en 2017 ; on ne peut pas remettre en cause cette mesure qui a recueilli un large assentiment au niveau européen. En effet, les sucreries européennes continentales – celles qui produisent du sucre de betterave – y voient une opportunité pour augmenter leur production qui ne sera plus limitée par ces contingents.
– L’évolution des marchés du sucre, tant européens que mondiaux, est difficile à anticiper, notamment en termes de prix ; on se heurte là à la volatilité des marchés de matières premières.
– Ainsi, les cours des marchés mondiaux ont-ils été plus élevés que ceux des marchés européens sur la période qui s’étend du mois d’octobre 2009 au mois de janvier 2013. En revanche, depuis 2014, les cours des marchés mondiaux sont en baisse et, comme je l’ai indiqué précédemment, ils sont inférieurs au prix de soutien européen.
– Toutefois, malgré les incertitudes qui peuvent subsister sur l’évolution des cours, si les prix mondiaux n’évoluent pas significativement, il existe de fortes probabilités pour que les prix européens, en 2017, enregistrent une forte baisse – et cela d’autant plus que les sucreries européennes vont augmenter leur production.
– On devrait donc constater une baisse du prix du sucre blanc sur les marchés européens.
– Les sucreries européennes continentales, plus compétitives, pourront supporter cette baisse des prix ; elle sera compensée, en outre, comme je viens de le dire, par l’augmentation de la production.
– Mais les choses seront plus difficiles pour les industries sucrières des DOM.
– À terme, la filière « sucre » des DOM sera conduite, elle aussi, à augmenter sa compétitivité (grâce, notamment, à la mécanisation et à la recherche). Elle pourra poursuivre son développement en tablant sur la production de sucres spéciaux (notamment le sucre roux). Elle pourra également augmenter la valorisation des coproduits de la canne à sucre, ce qui permettra de viser de nouveaux débouchés et donc d’accroître les marges bénéficiaires dégagées par le secteur.
– Cependant, dans l’immédiat, avec la baisse du prix du sucre sur le marché européen, la filière va avoir le plus grand mal à conserver sa rentabilité. La filière « sucre » des DOM en effet – outre les difficultés économiques structurelles des régions ultrapériphériques, difficultés reconnues par l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne conclu le 13 décembre 2007 – souffre de deux handicaps majeurs : des coûts de production plus élevés que dans l’hexagone et une quasi-impossibilité de réaliser rapidement des économies d’échelle. Par suite, la filière ne pourra pas compenser la baisse des prix par une hausse équivalente de la production. Elle risque donc de connaître très vite une situation de crise.
Face à ce constat, il paraît évident qu’il faudra aider la filière « sucre » des DOM, au moment de la mise en œuvre de la réforme de l’OCM.
Comme vecteur pour cette aide, on pourrait penser spontanément au POSEI. Toutefois, ce programme ne paraît pas aujourd’hui être le support idéal. Il se heurte en effet à deux difficultés. D’une part, certains craignent la baisse de l’enveloppe « sucre », ne serait-ce que parce qu’il faudra bien dégager des crédits pour des actions nouvelles ou de nouveaux attributaires du programme. Or, si cela est avéré, il peut paraître un peu illusoire de penser que l’on pourra mobiliser de nouveaux crédits d’accompagnement au titre d’un POSEI dont les dotations globales concernant le secteur en cause sont en baisse. Et, d’autre part, il est certain que l’Europe ne voudra pas s’engager dès 2017 ; elle ne voudra le faire qu’après constatation des dommages éventuels survenus à la filière à la suite de la disparition des quotas, c’est-à-dire au cours d’une période qui sera postérieure à l’année de suppression ; or, au moment où l’Europe procédera à ces évaluations, il sera peut-être trop tard pour les industries concernées.
Nous proposons néanmoins dans le rapport qu’à partir de 2017, il y ait un suivi de l’évolution des prix sur le marché européen qui puisse être mis en place pour voir l’impact réel de la suppression des quotas sur la production des DOM (prix et quantités). En fonction de cette évolution, une compensation financière pourra être demandée à l’Europe.
Mais, dans l’immédiat, il paraît indispensable de recourir à une aide gouvernementale. Le règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 autorise un soutien de l’État à la filière à hauteur de 90 millions d’euros annuels. Selon nous – mais en accord avec les professionnels du sucre – il faudrait le déplafonner et le porter à 128 millions d’euros.
M. le président Jean-Claude Fruteau. Après le propos liminaire de M. Philippe Gosselin, je voudrais aborder le cœur du rapport, c’est-à-dire, en fait, ses propositions qui sont au nombre de sept et qui sont destinées à compenser les effets négatifs de la suppression des quotas par des mesures d’accompagnement dont le but est d’aider et de consolider la filière « sucre » des départements d’outre-mer.
Parmi ces propositions, la plus importante est la proposition 3 qui prévoit une augmentation de l’aide annuelle accordée par l’État aux acteurs de la filière.
Comme M. Philippe Gosselin l’a indiqué, la baisse des prix consécutive à la suppression des quotas va être révélatrice d’une situation où les industries sucrières des DOM ne pourront pas augmenter immédiatement les quantités produites pour opérer un rattrapage ; où les handicaps structurels liés au fait de produire dans des régions ultrapériphériques de l’Union européenne vont perdurer et où l’on va enregistrer, immédiatement, une perte de compétitivité par rapport aux industries sucrières opérant sur le sucre de betterave – cette perte de compétitivité nouvelle s’ajoutant à des désajustements déjà anciens entre les deux secteurs.
Les industries sucrières intervenant sur le sucre de betterave se sont en effet restructurées depuis 2006 ; elles peuvent aisément accroître les quantités produites et l’augmentation de leur productivité – qui n’attend pour démarrer que la disparition des quotas de production – va générer des économies d’échelle. La profession a ainsi évalué à 37 euros par tonne l’économie réalisée au titre de l’accroissement de productivité qui va faire suite à la réforme de l’OCM en 2017.
À l’inverse, les industries sucrières des DOM n’ont pas procédé à de telles restructurations. En particulier, les industries des DOM n’ont pas été éligibles au fonds de restructuration européen qui a été mis en place en 2006. En effet, la filière emploie près de 20 000 personnes – que ce soit de manière directe ou indirecte – et le Conseil des ministres de l’Europe avait jugé, à l’époque, que ce qui était prioritaire pour les DOM, c’était de maintenir l’emploi dans un secteur de culture traditionnelle. D’où les aides attribuées par le POSEI.
Ces aides n’empêchent pas, comme je viens de le dire, qu’il existe un différentiel de compétitivité – avant même la disparition des quotas européens – entre le sucre de canne et le sucre de betterave.
Ce différentiel repose sur deux chiffres : il y a un surcoût de revient (après transformation de la matière première) de la tonne de sucre de canne (brut) dans les DOM, après subventions, par rapport à la tonne de sucre de betterave (qui sort directement sous la forme de sucre blanc à l’issue du traitement au sein des sucreries) ; ce déficit s’élève à 135 euros (100 euros pour La Réunion et 135 euros en incluant les Antilles) ; et il y a, en outre, un surcoût (avant la vente) lié au raffinage, ce dernier « pénalisant » le sucre de canne (qui doit être raffiné avant de devenir du sucre blanc) par rapport au sucre de betterave (qui ne nécessite pas d’être raffiné) ; ce surcoût peut être évalué à 65 euros par tonne. L’ensemble des surcoûts s’élève ainsi à 200 euros.
C’est ainsi, au total, que les industries sucrières des DOM vont perdre une grande partie de leur rentabilité, en 2017, avec la baisse des prix du sucre qui ne pourra pas être compensée par une hausse de la production ; par ailleurs, elles vont subir une perte de compétitivité par rapport à la production du sucre de betterave (37 euros par tonne) ; enfin, cette perte de compétitivité va s’ajouter aux déficits de compétitivité déjà existants par rapport à ce secteur (200 euros par tonne).
Par conséquent, si l’on ne veut pas aboutir à une crise très profonde en 2017, il serait bon d’aider la filière « sucre » des DOM, en apportant une compensation à ces différents désajustements.
Le premier désajustement à compenser est donc la baisse des prix. Malheureusement, comme on ne peut pas savoir à quel niveau celle-ci va se fixer exactement en 2017, il est pour ainsi dire impossible de proposer un niveau de subvention à effet « contra-cyclique ».
Le second désajustement à compenser est la perte de compétitivité de la filière par rapport au secteur du sucre de betterave.
De ce point de vue, les choses sont plus simples : il suffit d’appliquer le montant de 237 euros par tonne (200 euros de surcoûts antérieurs à 2017 et 37 euros de déficit liés à la suppression des quotas en 2017) à un effectif de 160 000 tonnes, soit la totalité de la production des DOM, sauf celle du sucre roux, un sucre qui, assez peu concurrencé sur le marché européen, bénéficie d’un statut de « niche ». Le total donne 38 millions d’euros.
Il est donc proposé de compenser annuellement cette somme en faveur de l’industrie sucrière des DOM, en ajoutant ce montant à la dotation de 90 millions d’euros qui est allouée annuellement, en accord avec Bruxelles, à la filière « sucre » des Outre-mer par le Gouvernement.
Il est certain que cette dotation ne comblera pas tous les déficits. Néanmoins, cette mesure aura pour effet de restaurer les conditions normales de concurrence, à produit égal, sur le marché européen, entre le sucre de canne et le sucre de betterave. Plus techniquement, on peut dire aussi que cette mesure aura pour effet d’égaliser le coût de revient du sucre brut de canne raffiné en blanc et le coût de revient du sucre blanc de betterave produit dans les sucreries européennes.
Je vais maintenant présenter les autres propositions du rapport, en parlant au nom de M. Patrick Lebreton qui, comme je l’ai indiqué, a été retenu à La Réunion.
À part la proposition 3 que je viens de commenter, le rapport comporte encore six propositions.
– La première vise la création d’un observatoire chargé du suivi de l’évolution des prix sur le marché du sucre (proposition 1).
Il s’agit d’un observatoire public, tout particulièrement centré sur l’activité des départements d’outre-mer.
Cet observatoire, rattaché au ministère des Outre-mer, permettrait de dégager les grandes tendances propres au marché du sucre au sein de l’Union européenne ; il permettrait également d’analyser l’impact réel de la suppression des quotas sur la production des DOM, que ce soit en termes de prix ou de quantité ; enfin, il permettrait aux pouvoirs publics, en disposant d’études statistiques pertinentes, d’intervenir rapidement et à coup sûr, en cas de difficultés particulières.
– La seconde proposition s’analyse plutôt comme une résolution. Il s’agit d’affirmer le caractère indispensable de la poursuite d’une politique active de préservation du foncier agricole, et spécialement du foncier dédié à la culture de la canne à sucre (proposition 2).
Différentes mesures ont déjà été prises par le passé pour préserver le foncier (par exemple la création, en 2011, de la Commission départementale de la consommation des espaces agricoles).
D’autres mesures sont actuellement à l’étude, dans le cadre de l’examen au Parlement du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Il convient en tout cas de souligner fortement que la préservation d’un espace foncier suffisant consacré à la culture de la canne à sucre – ce que les professionnels appellent la « sole cannière » – reste l’une des conditions essentielles pour assurer le développement futur de la filière « sucre » dans les DOM.
– La troisième proposition consiste à demander à EDF la réalisation d’une étude sur la possibilité d’augmenter le prix d’achat de la bagasse utilisée dans les centrales thermiques (proposition 4).
La bagasse est revendue 11,05 euros la tonne par les industriels à EDF, ce résidu de la canne à sucre servant de combustible pour certaines centrales produisant de l’électricité outre-mer.
Il serait intéressant que le Gouvernement puisse demander à EDF de réaliser une étude sur la possibilité d’augmenter le prix d’achat de cette source d’énergie.
Il va de soi que si la bagasse pouvait être achetée plus cher par les centrales, ce dispositif permettrait de réduire d’autant les subventions complémentaires issues de l’État et demandées précédemment en faveur de la filière « sucre ».
– La quatrième proposition consiste à demander que le Gouvernement accompagne les démarches des DOM visant à obtenir, au niveau européen, l’identification de leur production par le sigle IGP (proposition 5).
Ce sigle signifie « indication géographique protégée ». Il atteste du haut niveau de valeur ajoutée des produits labellisés, ainsi que du fait que ces produits tirent leurs caractéristiques propres du lien étroit qu’ils entretiennent avec leurs territoires d’origine.
Il est bien certain que la possession de ce label constitue une plus-value indéniable pour les productions des DOM, à commencer par les différents types de sucre.
– La cinquième proposition consiste à écarter le sucre roux des libéralisations accordées par l’Union européenne dans le cadre des accords commerciaux conclus avec les pays tiers (proposition 6).
Le sucre roux est un sucre particulier, produit, en Europe, quasi exclusivement par le département de La Réunion. Il n’est pas concurrencé sur ce marché, sauf par l’île Maurice ; mais cette dernière ne dispose pas d’un accord commercial préférentiel et elle acquitte donc des droits de douane à l’entrée aux frontières.
Demain cependant, l’île Maurice peut obtenir un accord privilégié de la part de l’Europe ; et il en va de même pour d’autres pays producteurs, tels que l’Australie ou Cuba.
Il serait donc souhaitable, pour préserver le marché de niche dont bénéficie le sucre roux, de maintenir les tarifs douaniers existants pour ce type de sucre, lorsqu’il est produit par des pays extra-européens.
– Enfin, la dernière proposition consiste à encourager de nouveaux débouchés pour la canne à sucre (proposition 7).
La canne à sucre est en effet susceptible de produire de très nombreux dérivés dans des domaines assez variés. Ces coproduits sont intéressants, dans la mesure où ils pourront accroitre les revenus des acteurs de la filière, dès lors qu’ils seront commercialisables.
Les recherches en ce sens doivent donc être fortement encouragées. Elles doivent passer le plus vite possible au stade de la recherche appliquée.
Au total, je propose donc à la Délégation l’adoption de l’ensemble de ces propositions.
Mme Gabrielle Louis-Carabin. Ces propositions représentent un grand espoir pour la filière. Il faut espérer que le Gouvernement pourra dégager les crédits nécessaires, malgré les impératifs imposés par la régulation budgétaire.
M. le président Jean-Claude Fruteau. Dans la proposition 3, l’élément le plus important est le déplafonnement des crédits. On peut concevoir que le Gouvernement module son niveau d’intervention de manière progressive, mais il faut impérativement demander à Bruxelles le déplafonnement de l’autorisation de subvention accordée par l’Europe au titre de l’article 3 du règlement du 13 mars 2013. Voilà pourquoi il faut mener une action aussi bien au niveau du Gouvernement que de l’Union européenne.
M. Philippe Gosselin, rapporteur. C’est tout à fait exact. Et il convient d’ajouter qu’en faisant cela, on ne place pas la filière « sucre » des DOM sous perfusion. On lui permet seulement, au moment de la suppression des quotas, de prendre un nouveau départ, en rétablissant les conditions d’une concurrence équilibrée entre le sucre blanc raffiné de canne et le sucre de betterave.
J’observe, en outre, qu’il ne faudrait pas tout attendre de ce déplafonnement. La situation est assez difficile et nous allons devoir trouver d’autres débouchés. L’augmentation du prix d’achat de la bagasse par EDF est une piste, mais n’oublions pas que cet établissement doit avoir des coûts de production compétitifs. On peut aussi tabler sur la recherche, qui fait des progrès, et sur des améliorations dans le domaine de la productivité. Pendant la période de transition qui s’annonce, et qui risque de durer plusieurs années, nous devrons chercher dans plusieurs directions.
M. le président Jean-Claude Fruteau. S’il n’y a plus de questions, je mets aux voix les propositions contenues dans le rapport qui vient de vous être présenté.
Les propositions sont adoptées à l’unanimité.
M. le président Jean-Claude Fruteau. Je mets maintenant aux voix le rapport lui-même.
Le rapport est adopté à l’unanimité.
1. Créer un observatoire chargé du suivi de l’évolution des prix sur le marché européen du sucre.
2. Poursuivre une politique active en matière de préservation des espaces fonciers consacrés à la canne à sucre. En effet, si la filière « sucre » des DOM a poursuivi et poursuit encore ses efforts en termes de productivité et de rendements, le maintien d’une sole cannière importante reste une condition clé de son développement futur.
3. Augmenter le soutien de l’État en faveur de la filière « sucre » des DOM, en faisant passer le niveau d’intervention autorisé par le règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 de 90 millions d’euros à 128 millions d’euros annuels.
4. Solliciter EDF pour la réalisation d’une étude visant à augmenter le prix d’achat de la bagasse, lorsque celle-ci est utilisée pour alimenter les centrales thermiques.
5. Accompagner les démarches des DOM visant à obtenir, au niveau européen, l’identification de leur production par le sigle IGP.
6. Exclure le sucre roux des libéralisations accordées par l’Union européenne dans le cadre des négociations internationales concernant les importations de sucre sur le marché européen, ou bien – ce qui revient au même – prévoir le maintien des tarifs douaniers pour ce type de sucre quand il est produit par des pays tiers.
7. Renforcer le rôle central de la culture de la canne à sucre en valorisant fortement ses différents coproduits.
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION
Audition de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur le régime de l’organisation commune du marché du sucre et sur ses perspectives, ainsi que sur les orientations concernant les futurs projets de loi relatifs à l’économie outre-mer, à l’octroi de mer, à la transition énergétique et à la biodiversité 57
Table ronde réunissant les acteurs de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » 71
Audition de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur le régime de l’organisation commune du marché du sucre et sur ses perspectives, ainsi que sur les orientations concernant les futurs projets de loi relatifs à l’économie outre-mer, à l’octroi de mer, à la transition énergétique et à la biodiversité
Compte rendu de l’audition du mercredi 19 février 2014
M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le ministre, pour évoquer avec vous l’organisation commune du marché du sucre, ses perspectives, et les orientations contenues dans les projets de loi relatifs à l’économie outre-mer, à l’octroi de mer, à la transition énergétique et à la biodiversité.
L’Organisation commune du marché du sucre (OCM sucre) est actuellement régie par le règlement du Conseil du 20 février 2006 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre et qui instaure un système, assez classique dans le cadre de la PAC, de quotas de production et de prix garantis.
Le règlement est coordonné avec les dispositions du traité du GATT – General Agreement on Tarifs and Trade –, accord multilatéral de libre-échange signé le 30 octobre 1947, à l’initiative des États-Unis, et sensiblement remanié par l’accord de Marrakech en 1994, lequel a également abouti à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a pour objet de réguler les relations commerciales internationales, de faire disparaître in fine tout contingentement à l’importation et à l’exportation, et d’éviter les distorsions de concurrence. En conséquence, le règlement européen limite les exportations de sucre de l’Union européenne à un quota qui s’élève à un peu plus d’un million de tonnes par an.
Pour sortir de cette contrainte, la réglementation européenne doit nécessairement évoluer.
La validité du règlement communautaire de l’OCM sucre s’achève dans le courant de l’année 2015. Ensuite, après une période transitoire de deux ans, c’est-à-dire dans le courant de l’année 2017, tous les quotas seront supprimés, qu’ils s’appliquent à l’exportation ou au marché intérieur.
Cette suppression devrait entraîner une baisse très sensible du prix du sucre sur le marché européen et son alignement sur celui du commerce international, mais aussi intensifier la concurrence sur le marché de l’Union.
La suppression des quotas concerne La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe – et non la Guyane, qui transforme presque exclusivement le sucre produit par les cultures de canne en rhum agricole.
La Délégation aux outre-mer a souhaité étudier cette question. À cet effet, elle a nommé trois rapporteurs qui devraient, à la fin du mois d’avril, présenter un rapport d’information. Il s’agit de M. Philippe Gosselin, député de la Manche, de M. Patrick Lebreton, député de La Réunion, et de moi-même, en tant que président de la Délégation mais également rapporteur sur l’OCM sucre en 2006 alors que j’étais député au Parlement européen.
M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir organisé cet échange sur un certain nombre de sujets qui constituent de véritables enjeux pour nos Outre-mer.
Je vous rappelle quelques textes importants initiés par le Gouvernement, et auxquels j’aimerais vous associer, mesdames et messieurs les députés : la déclinaison pour l’outre-mer du Pacte de responsabilité, la mise à plat fiscale demandée par le Premier ministre, le toilettage des lois organiques de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, et la réforme de l’octroi de mer, qui devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2014 après consultation des instances européennes.
D’autres textes intéressent les Outre-mer : le recours à la procédure accélérée pour la loi de finances, qui nous permettra de dégager 50 milliards d’euros sur trois ans, dont 18 milliards en 2015, la loi d’avenir pour l’agriculture et son volet outre-mer, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, ainsi que les projets de loi sur la décentralisation.
J’en viens au premier objet de notre réunion, à savoir la fin programmée des quotas sucriers en 2017 qui inquiète les élus et les acteurs socioprofessionnels. Il convient d’aider la filière à préparer l’après-2017 et sur ce point je serai attentif aux conclusions de votre rapport.
Le Gouvernement inscrit résolument son action dans le cadre du soutien à l’agriculture des territoires d’outre-mer. Ce soutien est parfaitement justifié compte tenu du poids du secteur agricole dans nos territoires en termes de PIB, d’emploi, d’occupation de l’espace et de paysage. Il n’y a pas de doute à avoir quant à la détermination du Gouvernement, comme en témoignent les décisions prises au cours des vingt derniers mois.
Ainsi le titre outre-mer de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, à laquelle votre délégation a directement contribué, permettra d’accompagner nos agricultures vers un nouveau modèle agro-écologique de production, tout en maintenant des dispositions très spécifiques en direction de nos priorités – installation des jeunes, préservation du foncier, valorisation de la production locale ; quant à la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, elle a permis de revaloriser significativement les retraites agricoles.
La question de la canne fait l’objet depuis quelques mois de polémiques inutiles et de contrevérités, mais surtout elle suscite des inquiétudes légitimes auxquelles il est de ma responsabilité de répondre.
S’il en est encore besoin, je rappelle une évidence : il n’a jamais été question d’organiser « la fin de la canne ». Je connais trop bien le rôle des cultures traditionnelles sur le plan de l’emploi, de l’aménagement rural ou de la création de valeur, et je sais que les cultures susceptibles de se substituer aux cultures traditionnelles ne sont pas encore au point, ni en mesure d’occuper les superficies que la canne ou la banane occupent aujourd’hui.
En revanche, s’il n’est pas dans notre intention de voir disparaître la canne, il convient que nous nous préparions à une évolution qui va modifier substantiellement l’organisation du marché du sucre.
Les quotas sucriers – c’est-à-dire le mécanisme d’encadrement du marché sucrier, qui se résume schématiquement par la fixation de quotas de production dont le prix d’achat est garanti au-dessus du cours mondial du sucre – ont été condamnés en 2005 par l’OMC au motif que ce mécanisme de régulation portait une atteinte disproportionnée à la concurrence.
Cette perspective de réforme du mécanisme de soutien au secteur sucrier n’est donc en rien une nouveauté. À tel point que le POSEI – programme d’options spécifiques pour l’éloignement et l’insularité – mis en place en 2006 a intégré cette perspective et qu’une part essentielle de l’aide au secteur est constituée d’une « aide forfaitaire à la réforme de l’OCM sucre ».
Le seul élément vraiment nouveau est le calendrier, car après un accord passé entre la Commission, le Parlement et le Conseil, les quotas sucriers disparaîtront en 2017. Il nous reste donc peu de temps pour nous préparer à cette échéance.
J’en viens aux grands équilibres du secteur. La production de sucre de canne dans les DOM s’élève à 260 000 tonnes – à comparer aux 4,5 millions de tonnes de sucre de betterave produits en métropole, aux 18,5 millions produits en Europe et aux 175 millions produits au niveau mondial.
La France, 8ème producteur mondial et premier producteur européen de sucre, reste un acteur non négligeable du marché.
Dans les DOM, le poids de la filière est considérable : 15 000 emplois, plus de 42 000 hectares de terres agricoles, cinq sucreries – Bois-Rouge et Le Gol à La Réunion, les sucreries du Moule et de Marie-Galante en Guadeloupe, la sucrerie du Galion en Martinique, sans compter que quelques grands groupes industriels – Tereos à La Réunion, COFEPP en Guadeloupe – ont investi dans la filière.
Depuis de nombreuses années, le secteur bénéficie d’un soutien public conséquent, tant au niveau européen que national. Depuis la réforme de l’OCM sucre, les conventions canne 2006-2015 encadrent le soutien apporté à la filière dans chaque DOM.
L’ensemble du secteur – canne, sucre, rhum – est soutenu par le biais du POSEI à hauteur de 75 millions d’euros par an, dont 59 millions au titre de l’aide forfaitaire.
Ces aides sont complétées par des aides nationales annuelles. Celles-ci sont autorisées par la Commission européenne dans la limite d’un plafond de 90 millions d’euros, dont 56 millions pour les planteurs, en complément du prix de la canne, 10 millions pour les industriels du sucre, en complément de l’aide forfaitaire POSEI, et 24 millions consacrés à l’écoulement du sucre DOM en métropole – dont le montant, payé au réel, n’est pas réparti.
Ces aides ont fait l’objet d’une augmentation inversement proportionnelle à la baisse du prix de référence du sucre sur le marché européen, ce qui a favorisé la stabilité économique de la filière et permis aux sociétés sucrières d’engager des investissements importants.
J’ai lu récemment dans la presse que ces aides bénéficiaient plus aux Antilles qu’à La Réunion. De telles polémiques ne devraient pas avoir lieu, d’autant que certains éléments ne peuvent être comparés, en particulier l’efficacité industrielle des usines. Au lieu d’entrer dans les détails des chiffres, concentrons-nous sur l’essentiel, vérifions que les modalités des aides correspondent bien aux surcoûts rencontrés par la filière et que le dispositif de soutien est efficace.
Comment l’État pourrait-il favoriser un territoire au détriment des autres sachant que ce n’est pas lui qui fixe le prix de la canne ? Celui-ci est construit à partir du prix industriel de base, auquel s’ajoutent la valorisation énergie, diverses primes liées aux zones difficiles, une aide à la production, une fraction d’ICHN – les indemnités compensatoires de handicaps naturels –, une aide au transport. Toutes ces aides sont détaillées dans la convention canne de chaque département qui est signée par les planteurs.
Les conventions cannes ont fixé le prix industriel d’achat de la tonne de canne à 34,76 euros en Martinique, pour une richesse de 8 %, à 23,81 euros en Guadeloupe, pour une richesse de 9 %, et à 39,09 euros à La Réunion, pour une richesse de 13,8 %. Ainsi, en Martinique, le total des aides aboutit à un montant de 84,84 euros la tonne de canne ; à La Réunion, la même assiette d’aides s’élève à 85 euros la tonne, hors prime bagasse.
L’écart entre les richesses retenues s’explique par les conditions de production – climat, saisons – qui diffèrent selon les territoires.
Il est donc délicat de vouloir comparer la situation de chaque territoire par rapport aux autres. Je pense que nous devons jouer l’unité et non la dispersion.
Enfin, l’implication du Gouvernement en faveur de la filière s’est manifestée à l’occasion de l’épineuse question de la fiscalité du rhum des DOM, qui, vous le savez parfaitement, comportait des risques de fragilisation durable et irréversible de la filière. Cette question devrait trouver une issue favorable. Encore une fois, les actes parlent pour nous, au-delà de toute interprétation.
Nos Outre-mer abordent la perspective de la fin des quotas sucriers avec des situations de départ très différentes.
La Réunion, avec une production moyenne de 205 000 tonnes de sucre, est le territoire le plus directement concerné. C’est sur la part de la production destinée au raffinage en Europe, qui s’élève à 100 000 tonnes, que peut intervenir une baisse des prix liée à la fin de l’encadrement du marché, car cette production se trouvera en concurrence directe avec la production européenne et internationale et devra s’aligner sur les prix pratiqués sur le marché européen. Or les coûts de production sont largement supérieurs en outre-mer à ce qu’ils sont en Europe continentale. Les professionnels estiment ce surcoût à 350 euros par tonne, dont 100 euros non compensés par les subventions. L’étude en cours permettra naturellement d’objectiver ces données et de déterminer s’il convient d’adapter les aides au secteur.
L’autre part de la production est vendue sous forme de sucres spéciaux, à forte valeur ajoutée. Cette production, plus rémunératrice, doit être encouragée. La Réunion se positionne en leader sur ce marché. Mais, je ne vous le cache pas, j’espère que ce débouché ne sera pas limité par des ouvertures successives du marché européen, notamment dans le cadre d’accords internationaux et bilatéraux. Nous avons engagé une réflexion au niveau interministériel pour étudier la possibilité de demander l’exclusion de ce secteur des accords commerciaux à venir.
Les Antilles sont moins concernées par la suppression des quotas sucriers. En Guadeloupe, la production moyenne avoisine les 52 000 tonnes de sucre, et celui-ci est raffiné à Marseille par l’entreprise Saint-Louis Sucre.
En Martinique, la production moyenne ne dépasse pas les 3 000 tonnes et alimente uniquement le marché local.
Les cinq sucreries des DOM produisent toutes du rhum de sucrerie, ce qui permet de valoriser la mélasse et d’améliorer la situation financière des unités. Ceci est d’autant plus vrai pour la Guadeloupe, où l’usine de Gardel dispose de contingents fiscaux en propre.
J’en viens aux conséquences probables de la fin des quotas.
La fin des quotas peut entraîner une modification de l’équilibre actuel du marché du sucre et une baisse du prix européen. Toutefois cette baisse est difficile à anticiper, en termes de niveau et de progression, du fait d’un nombre important de variables comme l’évolution de la consommation et de la production mondiale de sucre, l’évolution de la production d’isoglucose, la progression des importations en raison des libéralisations accordées dans le cadre des accords commerciaux, la production des pays ACP et des pays les moins avancés (PMA), mais également le niveau des exportations, étroitement lié au différentiel entre prix mondial et prix européen, l’avenir de la filière du raffinage, le niveau de change monétaire.
Pour se préparer à la fin des quotas, la filière doit répondre à trois exigences relativement incontournables : améliorer sa compétitivité, élever son niveau de production et intensifier la compétitivité hors prix en agissant sur la qualité, la sécurité d’approvisionnement, la logistique.
Pour y parvenir, elle peut agir de différentes façons.
Tout d’abord, aider les industriels à améliorer leur compétitivité en calibrant au mieux le dispositif d’aide dans le cadre du POSEI et l’aide nationale – l’étude en cours doit nous permettre d’objectiver les situations, d’évaluer l’efficacité des dispositifs de soutien publics et les éventuels besoins ;
Elle peut par ailleurs soutenir la production de canne, notamment en organisant la défense du foncier par le biais des commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA) et en favorisant l’utilisation optimale des terres agricoles, conformément à une disposition relative à l’indivision contenue dans la loi d’avenir pour l’agriculture ;
Elle peut également miser sur le développement de la filière « sucre spéciaux » et la reconnaissance de la qualité en développant les indications géographiques protégées (IGP), encourager les nouveaux débouchés comme la chimie verte, l’innovation, la recherche, et enfin assurer la recette « rhum » des usines en maintenant le régime fiscal du rhum – sur ce point, nous attendons la décision du Conseil, qui interviendra le 21 février prochain.
De nombreux groupes de travail – comité sectoriel canne, groupe sucre – se réuniront au cours du premier semestre 2014 afin de définir une stratégie d’ensemble pour la filière et arrêter un plan d’adaptation à la fin des quotas.
M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous vous remercions pour votre analyse, monsieur le ministre, que naturellement nous partageons.
Il est indispensable en effet de développer la labellisation des sucres produits dans les Outre-mer sur le marché européen et de faire de l’indication géographique protégée une réalité.
M. Jean Jacques Vlody. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour les paroles rassurantes que vous avez prononcées.
L’échéance de 2017 est connue de longue date, en effet, et il est surprenant que les responsables politiques et la filière ne s’en préoccupent que maintenant. Quoi qu’il en soit, c’est à notre majorité qu’il appartiendra d’en assumer les conséquences.
Nous sommes d’accord sur la nécessité de préparer la transition, mais nous n’en avons pas détaillé les pistes et les montages financiers. Or il est temps pour nous de proposer des solutions à la filière.
Vous avez rappelé l’importance de la filière canne à La Réunion, la place du sucre de canne dans la production française et la place de celle-ci en Europe. Il appartient à l’État de garantir cette production de niche. Qu’avons-nous à proposer aux acteurs de la filière pour les aider à anticiper la fin de la compensation financière et garantir la pérennité de la filière ?
Mme Brigitte Allain. Monsieur le ministre, j’ai écouté attentivement votre intervention. La cessation des quotas était annoncée depuis longtemps, il nous faut à présent la préparer de façon concrète.
La production de tabac en Dordogne a été confrontée aux mêmes problématiques que la canne. Or, la fin des aides découplées s’est traduite par la perte d’un grand nombre de producteurs, qui sont passés d’un millier à moins de 200 en moins de dix ans. Et un certain nombre d’exploitations n’ont pas été reprises par un jeune parce que les agriculteurs, compte tenu du faible niveau de leur retraite, préfèrent conserver leurs terres pour percevoir l’aide découplée à l’hectare.
L’Institut du tabac de Bergerac a été repris par une entreprise internationale et est à la veille de fermer ses portes. Il reste à Sarlat une usine de première transformation du tabac. Le jour où elle sera vendue à une entreprise internationale, celle-ci oubliera l’histoire de cette production et n’hésitera pas à la déplacer. Il est indispensable de trouver de nouveaux débouchés pour le sucre de canne, autres que le rhum dont le marché est fragilisé par la question fiscale. L’IGP ne doit pas s’arrêter à la production. Le sucre ne doit pas être transformé ailleurs que là où il est produit, faute de quoi, dans les Outre-mer, vous perdrez à la fois la production et la valorisation.
M. Daniel Gibbes. Bien que député d’une île dont l’économie est essentiellement liée au tourisme, je m’associe aux propos de mes collègues. Comment encourager la diversification et éviter la disparition des terrains agricoles ?
M. François Scellier. La problématique du maintien des cultures se pose en outre-mer, mais aussi dans nombre de régions de la métropole et même en Ile-de-France, où la consommation excessive des terres agricoles pour la construction dénature profondément les paysages.
Même s’ils sont attachés au pouvoir d’achat des populations qui vivent de l’agriculture, les responsables politiques ne peuvent se satisfaire éternellement des aides publiques à la production, et leur devoir est d’impulser une politique de valorisation des produits agricoles. Dans cet objectif, la recherche peut permettre de trouver les moyens de valoriser le sucre de canne, comme c’est le cas par exemple pour l’huile d’olive de qualité supérieure produite en Provence. Et comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, cette valorisation doit être territorialisée.
M. Boinali Said. J’ai été très sensible aux propos de Mme Allain. Il est en effet urgent de protéger l’emploi dans les Outre-mer, d’où l’importance de l’innovation.
M. le ministre. Vous avez évoqué les perspectives pour les Outre-mer. Faute d’être anticipée, la modernisation risque d’aboutir à des pertes d’emplois. Dans ce contexte, les acteurs professionnels et les élus doivent être étroitement associés à l’action gouvernementale, dont je vous ai présenté les grandes lignes.
Je le rappelle : nous avons commandé une étude et des groupes de travail devraient être opérationnels avant la fin du mois juin. Afin de mettre au point une stratégie d’ensemble pour la filière et arrêter un plan d’action et de modernisation, plusieurs axes ont été retenus : le soutien à la production de canne, la défense du foncier affecté à la canne, l’aide aux filières de diversification et à la valorisation des coproduits. À cet égard, la canne est un produit miraculeux ! Les débouchés potentiels sont en effet nombreux : bioplastique, cosmétique, biocarburant, médicaments. Dans ce dernier domaine, je pense au policosanol de canne à sucre, fabriqué à Cuba et indiqué contre le cholestérol. Parmi les autres coproduits, citons l’alcool, produit grâce à la mélasse, comme la levure, les micronutriments, les engrais biologiques, les composés pour les animaux. Je pourrai encore vous parler des panneaux agglomérés, de la production d’énergie. Vous le voyez : la canne à sucre a un grand avenir ! Dans un contexte de concurrence potentielle, les progrès technologiques devront permettre de mieux valoriser la production cannière. Il existe même des possibilités dans le secteur chimique, avec le furfural pour la fabrication de résine, de plastique, d’herbicide, d’acide, etc. Nous allons étudier toutes ces perspectives prometteuses, sur la base du rapport que nous attendons des professionnels. Ces derniers sont d’ailleurs optimistes, puisque les grands groupes comme Tereos et Cofepp ont d’ores et déjà investi massivement à La Réunion et à la Guadeloupe.
Concernant la loi sur la biodiversité, nous devrons tous être vigilants. La Réunion a déjà des perspectives grâce à l’ananas Victoria, ou encore aux déchets de mangues pour lesquels les antioxydants représentent un marché de plus d’un milliard d’euros. Oui, l’innovation peut offrir un nouvel avenir à nos territoires grâce à la canne à sucre.
M. le président Jean-Claude Fruteau. Nous en venons à la seconde partie de votre audition, monsieur le ministre.
M. le ministre. Sur l’octroi de mer, le dossier s’avère délicat, notamment s’agissant des délais dont nous disposons pour boucler la procédure : le dispositif actuel s’éteint le 30 juin 2014. La Commission européenne a débuté l’examen de notre dossier très tardivement, en janvier 2014, alors même que notre demande a été déposée le 7 février 2013 et que les listes de produits sur lesquels des différentiels de taux ont été demandés lui ont été transmises en mai 2013.
Pour Mayotte, il y a rétroactivité : l’octroi de mer s’applique depuis le 1er janvier – les textes seront publiés ultérieurement.
La DG TAXUD achève actuellement l’examen des listes de produits pour La Réunion. Elle a fait des demandes complémentaires pour les autres territoires.
A priori, elle table sur une proposition de décision au début du mois de mars, avec un examen au Parlement européen dans sa session d’avril, ce qui signifierait une décision du Conseil à la fin du mois d’avril. Cette hypothèse de travail tend notre calendrier national, si l’on souhaite aboutir, avant le 30 juin 2014. J’émets donc quelques doutes…
En cas de retard, nous demanderons une prorogation pour un ou deux mois – et non pour une ou trois années comme certains le demandent –afin de donner le temps à la Commission européenne de finir son examen et à la représentation nationale de finaliser la transposition en droit national. Nous avons commencé à travailler pour être prêts, sitôt la décision de l’Union européenne disponible, à soumettre la procédure de transposition à l’Assemblée et au Sénat, sans doute selon la procédure d’urgence.
En tout état de cause, il n’y aura pas de vide juridique sur le régime de l’octroi de mer. Le Gouvernement est mobilisé sur cette question, en particulier le ministre délégué aux relations avec le Parlement, M. Alain Vidalies, pour trouver les créneaux nécessaires à l’examen du texte au Parlement.
Sur la déclinaison outre-mer du Pacte de responsabilité, je planche actuellement sur les dispositions qui pourraient intéresser directement nos économies : c’est la feuille de route qui m’a été assignée. En réalité, il faudra mettre en œuvre, dans un calendrier bref, le Pacte de responsabilité, la mise à plat fiscale, mais aussi voter la loi de finances et la loi sur l’octroi de mer.
Dans le cadre du Pacte de responsabilité, devraient être supprimées d’ici à 2017 l’équivalent des cotisations sociales employeurs, soit 30 milliards d’euros, y compris l’équivalent de 20 milliards de baisse de charges du CICE pour les entreprises. Il reste donc à trouver 10 milliards. Des dispositifs avantageux existent dans les Outre-mer, notamment sur les bas salaires. La suppression du CICE serait donc problématique. Il ne faudrait pas défavoriser les emplois peu qualifiés et, par ricochet, favoriser les revenus les plus élevés.
Une réflexion est engagée sur la façon de préserver l’attractivité dans les Outre-mer. En tout état de cause, il y aura une déclinaison du Pacte de responsabilité outre-mer. Nous devrons, tous ensemble, œuvrer pour aboutir à un texte de qualité.
Concernant le projet de loi sur la biodiversité, une communication a été faite récemment à l’Assemblée nationale.
Cette question de la biodiversité est au cœur des préoccupations du Gouvernement. Le processus d’élaboration du texte est en cours et il reste deux points majeurs à arbitrer.
Le premier est de savoir à quel niveau on place le pouvoir d’instruction et de délivrance des déclarations et autorisations : au niveau de l’État ou bien, de manière décentralisée, au niveau des collectivités locales d’outre-mer. L’arbitrage est en cours : ce serait plutôt les régions qui devraient décider.
Le second est de savoir comment on procède au partage des avantages au bénéfice des populations locales au regard de notre Constitution. Le projet de loi définit la notion de communautés d’habitants outre-mer pouvant bénéficier de ce dispositif de partage des avantages, ce qui n’a pas été un exercice facile entre les exigences du protocole de Nagoya et les principes intangibles de notre Loi fondamentale.
Les professionnels des régions d’outre-mer sont inquiets, sachant qu’aucune autorisation n’est exigée actuellement pour pouvoir étudier, par exemple, les molécules de la mangue ou de l’ananas Victoria. Le texte ne va-t-il pas créer une discrimination entre entreprises et écarter les TPE et PME ? Nous serons très vigilants sur ces questions et nous nous attacherons à instaurer un partage juste et équitable des avantages tirés de la biodiversité de nos régions.
Je vous rappelle par ailleurs que le Gouvernement va engager la refonte du code minier. Il utilisera en partie la procédure des ordonnances pour la mise en œuvre de cette réforme. Comme pour la biodiversité, un certain nombre d’articles porteront sur le niveau de décision. Là aussi, le Gouvernement souhaite associer les régions. Mais il devra également trouver le moyen de permettre à ces dernières d’instruire, comme l’État le fait actuellement, les permis de recherche et les permis d’exploitation face aux multinationales toutes puissantes. Nous y réfléchissons. En outre, il faut se demander si un opérateur public s’impose pour certains produits, comme l’or et les terres rares. Une réflexion est engagée à ce sujet. Enfin, la fixation d’une redevance, partagée entre l’État, le département, la région, la commune où se trouve le site minier, est envisagée. Vous serez bien sûr associés à cette réflexion.
M. Daniel Gibbes. Monsieur le ministre, vous m’avez sollicité sur le toilettage des lois organiques. J’ai consulté les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy et les CESC (conseil économique social et culturel). Si cette dernière a déjà indiqué, par une délibération du 20 décembre 2013, la direction dans laquelle elle veut aller, ce n’est pas le cas pour Saint-Martin, dont un conseil territorial, le 27 février, permettra la création d’une commission ad hoc pour évoquer ces sujets.
Concernant l’octroi de mer, la collectivité de Saint-Martin est-elle également au centre des préoccupations, sachant qu’une mission dédiée a été créée ?
M. Jean Jacques Vlody. Monsieur le ministre, vous négociez actuellement avec les instances européennes sur l’octroi de mer. Quelle sera, selon vous, l’orientation de l’Union européenne en la matière ?
Mme Brigitte Allain. Monsieur le ministre, la transition énergétique appelle d’autres modes de production et de consommation et donc des créations d’emplois. Avec la valorisation des ressources locales, elle constitue une chance pour les Outre-mer.
En matière de production géothermique, la Guadeloupe enregistre une certaine avance par rapport aux autres territoires. Comment cette question est-elle appréhendée pour les territoires ?
M. Boinali Said. Dans le contexte de concurrence que nous connaissons, je pense qu’un changement de paradigme s’impose.
M. le ministre. Monsieur Gibbes, le toilettage des lois organiques sera réalisé, je l’espère, avant la fin de l’année. La réflexion est engagée pour Saint-Barthélemy, dont je reçois demain le président, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Pour Saint-Martin, la commission des lois de l’Assemblée nationale a créé une mission d’information et la collectivité elle-même a constitué une commission ad hoc.
L’octroi de mer n’est pas applicable à votre collectivité, aux termes des textes qui la régissent. Celle-ci a donc engagé un contentieux contre l’État au motif que l’octroi de mer que versait la région Guadeloupe, lorsque votre collectivité était une commune, n’a pas été pris en compte dans la dotation globale de compensation. Le Conseil d’État a renvoyé cette affaire devant le tribunal de Paris. Le toilettage peut être l’occasion de changer la législation, comme vous le souhaitez. Je vous rappelle que nous avons diligenté une mission de l’Inspection générale de l’administration, qui a rendu un rapport d’étape sur la dotation globale de compensation. J’évoquerai cette question demain avec le président de la collectivité.
Par ailleurs, puisque vous cherchez des recettes nouvelles, nous étions disposés à envisager quelques pistes avec vous, notamment en matière de carburant pour éviter un détournement du trafic entre la partie française et la partie hollandaise de Saint-Martin. Il y a là une marge de manœuvre.
Monsieur Vlody, s’agissant de l’octroi de mer, l’économie générale du système est maintenue. Nous avions envisagé avec vous la baisse du seuil d’assujettissement – nous verrons comment décliner cela dans le texte. L’Europe examine actuellement le différentiel entre les trois listes de produits. Nous avons demandé aux instances européennes si les taux des dix dernières années sont encore appropriés. Nous leur avons également demandé s’il est possible d’octroyer une protection aux produits nouveaux et aux produits émergents, autrement dit d’assurer une protection aux industries naissantes pour faciliter leur développement pendant un temps déterminé. À cet égard, l’Europe est quelque peu réticente sur le taux de 15 % que nous avons proposé.
Madame Allain, concernant la transition énergétique, le texte porté par M. Philippe Martin comporte treize articles pour tenir compte de la valorisation énergétique outre-mer – ils sont une sorte de préfiguration de ce qui pourrait se faire de mieux en métropole. Ces treize propositions d’articles sont en cours de mise au point avec mes collègues du Gouvernement, dont les plus significatives sont : la mise en place d’une stratégie de rénovation énergétique du bâti existant et de retrait des équipements électriques les moins performants ; l’amélioration du dispositif des certificats d’économie d’énergie ; le développement de la filière photovoltaïque en autoconsommation avec stockage et gestion intelligente (à Mayotte, une expérimentation a été réalisée par EDM, et nous attendons la parution du décret) ; la création d’une redevance communale en matière de géothermie ; l’obligation de mise en place d’une autorité organisatrice unique de transports à l’échelle de chaque territoire (la Martinique a demandé une habilitation) ; le développement des bornes de recharge des véhicules électriques (une expérimentation avait commencé avec Renault à La Réunion, et j’ai demandé qu’elle soit relancée) ; et enfin une évolution des paramètres d’analyse des projets par la Commission de régulation de l’énergie qui permette la poursuite du développement des projets innovants et une meilleure intégration des moyens de production dans les territoires.
Monsieur Said, le changement de paradigme impose une petite révolution intellectuelle. Nous avons tenté de le faire avec vous, et votre Délégation a joué un rôle important lors du vote de la loi relative à la régulation économique outre-mer. Je ne souhaite pas que cette loi soit réduite au « bouclier qualité-prix ». Des changements structurels s’imposent ; j’en veux pour preuve la confrontation qui a eu lieu sur les carburants. Le retour de l’État est le changement de paradigme souhaité, sans pour autant sombrer dans l’économie administrée. Il est possible d’introduire plus de transparence, de concurrence et d’initiatives dans les économies insulaires.
D’autres révolutions restent à faire. Certains partis politiques prônent une réforme de la fiscalité – y compris du régime douanier, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Certains veulent passer en PTOM (pays et territoire d’outre-mer), comme c’est le cas pour Saint-Barthélemy ; d’autres, comme un ancien ministre des Outre-mer, proposent la création de zones franches totales. Reste à savoir si nos populations soutiendront ces audaces intellectuelles, si les conditions sont réunies pour le changement de paradigme que vous appelez de vos vœux.
M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci, monsieur le ministre, de cette audition très riche. Je tiens également à saluer votre détermination et votre courage.
Table ronde réunissant les acteurs de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse »
Compte rendu de la réunion du mardi 6 mai 2014
M. le président Jean-Claude Fruteau. Notre ordre du jour appelle l’audition des acteurs socio-professionnels de la filière « sucre » des DOM. Cette audition s’inscrit dans le cadre des travaux de la Délégation sur l’OCM « sucre », travaux qui ont donné lieu à l’établissement d’un rapport dont le contenu vous sera présenté à l’issue de cette réunion.
Nous accueillons donc pour cette table-ronde :
- Mme Isabelle Chmitelin, directrice de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer), accompagnée de Mme Sandrine Chevillon, chef du pôle « canne-sucre-rhum » ;
- M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion, accompagné de Mme Sylvie Lemaire, déléguée générale ;
- M. Patrick Lorcet, président directeur général de l’usine Gardel au Moule (Guadeloupe) ;
- M. Emmanuel Detter, consultant auprès d’EURODOM (Association de promotion des territoires ultramarins), accompagné de Mme Laetitia de La Maisonneuve, chargée des relations avec le Parlement.
Le but de cette rencontre est de faire le point sur les conséquences pour la filière de la suppression par l’Union européenne, au 1er octobre 2017, des quotas de production.
Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, d’avoir accepté notre invitation.
Mme Sylvie Lemaire, déléguée générale du syndicat du sucre de La Réunion. La filière « canne-sucre-rhum-bagasse » à La Réunion est une filière historique. Née il y a 230 ans, elle a traversé de nombreuses vicissitudes mais elle perdure car elle est particulièrement adaptée au climat et aux conditions environnementales de notre territoire, contrairement à d’autres cultures comme le café ou les épices. Avec 10 % d’emplois dans l’industrie, la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » est la première filière agro-industrielle intégrée et la première filière agricole du territoire de La Réunion dont elle occupe plus de 57 % de la surface agricole utile, regroupant 3 500 exploitations familiales dont la taille moyenne est de 7,5 hectares.
L’industrie est répartie sur l’ensemble du territoire – toutes les communes de l’île sont concernées, à l’exception d’une seule – et elle s’attache non seulement à la fabrication du sucre mais aussi à celle des coproduits : la bagasse, utilisée pour la production d’énergie, la mélasse, destinée à la nourriture animale et à la distillation du rhum, et les écumes utilisées comme fertilisants dans les champs.
La filière totalise 12 000 emplois directs et 18 300 emplois indirects ou induits, ce qui représente 13,3 % de l’emploi privé. Elle a donc un poids significatif dans l’économie de l’île, en particulier en termes d’emploi. Si nous transposions ces chiffres à l’échelle métropolitaine, la filière représenterait 2,3 millions d’emplois, et 4 millions d’emplois au niveau de l’ensemble des DOM. Elle joue donc un rôle considérable.
La filière « canne-sucre-rhum-bagasse » est également la première filière en matière d’exportations. Le sucre représente 50 % de la valeur et 80 % des volumes des exportations, et si l’on ajoute le rhum, la valeur exportée de la filière atteint 66 % des exportations.
La filière est également l’un des piliers de l’agriculture de l’île. La garantie qui lui était donnée par le passé d’écouler toute sa production de canne permettait de sécuriser les revenus des planteurs, de stabiliser leur activité et de diversifier les cultures. C’est ce qui nous a permis d’atteindre 80 % d’autonomie alimentaire dans le domaine des produits frais et de développer des complémentarités entre les filières. Ainsi, la canne à sucre permet aux filières d’élevage d’épandre leurs effluents et, à l’inverse, la filière fournit de la paille pour les élevages et des écumes utilisées pour améliorer la qualité des sols dans le cadre du maraîchage.
Parmi les produits valorisés, la bagasse, en tant que matière organique issue du processus de fabrication du sucre, constitue la deuxième source d’énergie renouvelable du territoire. Elle fournit 12 % de l’électricité produite et jusqu’à 30 % en période de campagne sucrière.
En conclusion, la filière n’a jamais cessé de se développer et d’innover. Les DOM sont les seuls territoires européens qui produisent du sucre de canne, tandis que le sucre produit en Europe est essentiellement issu de la betterave. Le savoir-faire de La Réunion est reconnu dans le monde, en témoigne la présence sur l’île d’un centre de recherche dans le domaine de la sélection variétale. Notre expérience dans ce domaine est telle qu’au cours des six dernières années, cinq innovations mondiales ont été réalisées sur notre territoire.
M. Patrick Lorcet, président directeur général de l’usine Gardel au Moule (Guadeloupe). Je vais, pour ma part, vous présenter la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » en Guadeloupe et en Martinique.
Sur le territoire de la Guadeloupe, l’exploitation de la canne occupe 14 000 hectares, sachant qu’environ 10 000 hectares supplémentaires sont potentiellement exploitables.
La capacité de production de la Guadeloupe avoisine les 800 000 tonnes de canne.
Avec 3 000 hectares consacrés à la canne, Marie-Galante constitue un bassin cannier qui produit de 100 à 120 000 tonnes de canne, réparties entre 1 700 exploitations de très petite taille, ce qui constitue un handicap pour le développement de la filière. Afin de conforter la position de la sucrerie, le choix a été fait récemment d’y associer une centrale thermique fonctionnant en faisant appel à la bagasse.
En Guadeloupe continentale, la canne occupe 11 000 hectares, exploités par 4 300 planteurs sur des propriétés généralement de petite taille – moins de 2 hectares ; si 71 % des planteurs sont pluriactifs, la canne, à l’instar de la banane, reste le pivot du développement de l’agriculture de l’île, permettant de développer des complémentarités entre les filières et de diversifier les cultures
La sucrerie Gardel transforme entre 600 et 700 000 tonnes de canne. Depuis un certain nombre d’années, elle procède à des investissements importants afin de développer la fabrication de sucres de qualité qui représentent aujourd’hui 30 % de sa production. Destinés aux besoins du marché local, ils sont actuellement orientés vers les marchés régionaux, en particulier la Martinique ou la Guyane, cette dernière ne produisant pas de sucre.
La sucrerie Gardel dispose en Guadeloupe d’une centrale thermique, opérationnelle depuis un certain nombre d’années.
S’agissant de la production sucrière de Martinique, cette dernière souffre de la forte concurrence qui frappe la sucrerie du Galion.
La sucrerie du Galion, dont la production théorique repose sur le traitement d’environ 110 000 tonnes de canne, a malheureusement vu son tonnage diminuer fortement du fait de la survenue de périodes de sécheresse, du fait de l’existence de problèmes phytosanitaires – car nous ne disposons pas, à l’heure actuelle, des produits de traitement nécessaires pour endiguer l’enherbement des parcelles – et du fait enfin de la concurrence entre les cannes destinées à la distillerie et celles destinées à la sucrerie – le prix de la tonne de canne destinée à la distillerie étant plus élevé. Je rappelle que 71 % des planteurs martiniquais, dont la production moyenne s’élève à 18 tonnes à l’hectare, livrent leurs cannes aux distilleries.
Aujourd’hui, il nous faut développer de nouvelles techniques pour favoriser la fertilisation des sols et l’amélioration des rendements à l’hectare. Ce sont là des sujets de réflexion qui mobilisent notre groupement interprofessionnel Iguacanne, ce groupement mettant en place des outils et des structures susceptibles d’aider les planteurs qui ont besoin d’un encadrement technique.
Considérant l’évolution des marchés, la sucrerie Gardel, comme je l’ai dit, s’efforce de diversifier sa production et de l’orienter vers les sucres spéciaux, dits de qualité, destinés à la consommation de bouche et aux besoins des industries agroalimentaires. Cependant, nous allons évoluer désormais dans un marché européen au sein duquel il sera difficile de trouver un équilibre.
Mme Gabrielle Louis-Carabin. Ce que dit le président de la sucrerie Gardel est juste, mais il préconise d’augmenter les surfaces de plantation de canne. Or, il est difficile de trouver des terres disponibles et de nombreux agriculteurs demandent le déclassement de leurs terrains.
Je ne nie pas l’importance de la culture de la canne et de la banane, mais certains planteurs choisissent, depuis quatre ans, de planter du melon sur les terres cultivées en canne. Qu’en pensez-vous ?
M. Patrick Lorcet. En Guadeloupe, les surfaces consacrées à des rotations banane-canne représentent une superficie qui, selon les années, oscille entre 300 et 400 hectares. Elles sont situées essentiellement sur la Basse-Terre. Ces rotations sont nécessaires pour stabiliser le sol et assurer la pérennité des cultures.
Il est vrai que la culture du melon, pratiquée principalement sur la Grande-Terre, progresse fortement, mais tous les acteurs de la filière sucre, qu’il s’agisse des industriels ou de l’interprofession, essaient de défendre leurs surfaces agricoles.
Il est d’ailleurs tout à fait indispensable d’assurer une diversification des cultures. Nous devons réserver des parcelles au maraîchage, à condition toutefois de tenir compte, à Grande-Terre, de la disponibilité en eau. La Grande-Terre souffre en effet d’une pénurie en ce domaine, due, en partie, à la disparition de 40 à 50 % de la réserve, à cause du très mauvais état du réseau.
En ce qui concerne le foncier, nous sommes conscients de la nécessité absolue d’augmenter les rendements à l’hectare, en développant, par exemple, de nouvelles variétés. Pour cela, nous travaillons en collaboration avec une structure réunionnaise, eRcane, avec qui nous avons signé une convention dans le but de transposer les variétés les mieux adaptées aux terrains, aux climats et à la nature des sols de Guadeloupe.
L’usine Gardel dispose en propre de 930 hectares de terrain, ce qui fait d’elle une exploitation agricole. Cette surface constitue une vitrine permettant à eRcane d’implanter des variétés diversifiées et de présenter de nouvelles pratiques culturales. Nous avons ainsi initié la pratique du double rang que nous tentons de développer dans les bassins canniers de la Guadeloupe, sous la réserve absolue de disposer de suffisamment d’eau et de soleil.
Il reste en Guadeloupe 10 000 hectares de terres qu’il faudrait remettre en culture. Les collectivités et administrations disposent d’un certain nombre d’outils permettant de contrôler l’évolution du foncier – par exemple le SAR (Schéma d’aménagement régional) ou la CDCEA (Commission départementale de consommation des espaces agricoles). Nous cherchons à nous impliquer dans ces différentes instances, mais la maîtrise du foncier exige une prise de conscience très forte de la part des responsables politiques. Ainsi, Madame la députée, vous êtes très impliquée dans le développement du bassin du Moule, mais vous êtes aussi sollicitée, et cela est bien naturel, pour faciliter le développement d’activités industrielles et commerciales dans le département. Les arbitrages constituent un exercice difficile.
La taille de notre sucrerie nous permet tout juste d’atteindre le seuil de rentabilité. Malheureusement, nous ne pouvons engager de nouvelles restructurations industrielles. Pour rendre la sucrerie plus performante, il nous manque donc des surfaces de canne.
Au total, la filière doit se mobiliser pour augmenter la superficie agricole utilisée (SAU), développer la recherche variétale et améliorer les rendements à l’hectare.
M. Philippe Labro, président du syndicat du sucre de La Réunion. Je vais tenter de dresser le tableau d’une situation inédite. Depuis 1969, et même après la réforme de 2005, les filières « canne-sucre » des départements d’outre-mer évoluaient dans un marché entièrement réglementé par l’Union européenne.
En 2017, la réforme de l’OCM mettra fin aux quotas sucriers et au marché réglementé. À partir du 1er octobre 2017, il n’y aura plus de quotas en Europe, ce qui impactera l’ensemble de la profession, les sucreries de betterave européennes mais plus encore les sucreries de canne des départements d’outre-mer. Car nous serons plongés, à partir de cette date, dans un monde de compétitivité totale, et la filière sera connectée aux marchés internationaux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
La politique ultralibérale menée par l’Union européenne va aboutir à ce qu’une partie du sucre que nous fabriquons outre-mer – sucre qui n’est pas directement concurrent du sucre de betterave puisqu’il n’est pas destiné à être transformé en sucre blanc – soit confrontée aux marchés mondiaux.
L’ensemble des départements d’outre-mer produit, en moyenne, près de 260 000 tonnes de sucre par an, ce sucre étant livré sur le marché communautaire et écoulé dans tous les pays d’Europe, essentiellement en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne. Cette production se retrouve sur un marché européen face à des opérateurs continentaux qui fabriquent environ 16 millions de tonnes de sucre, pour une consommation moyenne de sucre de 18 millions de tonnes. L’Union européenne produit donc moins de sucre qu’elle n’en consomme. Elle en importe 3,5 millions de tonnes par an, mais elle ne peut en exporter que 1,5 million de tonnes.
Ces chiffres sont le résultat de la politique européenne mise en place en 2005, à la suite d’une contestation portée devant le GATT par le Brésil, la Thaïlande et l’Australie qui reprochaient à l’Union européenne de pratiquer des prix trop élevés sur le marché intérieur afin de permettre aux opérateurs européens d’exporter d’importantes quantités de sucre. D’exportateur net en 2005, l’Union européenne est devenue l’un des principaux importateurs mondiaux.
La suppression des quotas permettra aux sucriers européens de produire sans limite. D’après les prévisions de la Commission européenne, publiées en décembre 2013, cette production augmentera fortement dès lors que la limitation des quotas aura disparu. En termes de compétitivité, l’Europe a beaucoup gagné au cours des dernières années car la réforme de 2005 a entraîné la fermeture de 45 % des sucreries existantes et le licenciement de 40 % du personnel, ce qui a considérablement augmenté la production des sucreries restantes. En 2005, les deux sucreries de La Réunion produisaient chacune 100 000 tonnes de sucre, tandis que les sucreries européennes en produisaient, en moyenne, 109 000 tonnes. Du fait de la fermeture de 45 % des sucreries européennes et de l’allongement de la campagne sucrière, les sucreries en Europe produisent aujourd’hui 170 000 tonnes de sucre et l’Europe des Quinze, qui est la plus performante, en produit 207 000. En quelques années, la production européenne est devenue deux fois plus importante que la production réunionnaise.
Lorsque les quotas et la limitation à 1,5 million de tonnes des exportations des sucriers européens auront disparu, il est vraisemblable que l’Europe retrouvera sa compétitivité et sa place sur les marchés internationaux, et qu’elle redeviendra un gros exportateur de sucre.
En outre, les productions de l’outre-mer, qui n’ont jamais atteint leurs quotas du fait de l’exiguïté des territoires et des difficultés d’accès à la matière première, se trouveront privées de la garantie qui existait depuis 1969. Les prix pratiqués en Europe seront ceux du marché mondial, ce qui offrira à l’Europe la possibilité d’importer des quantités de sucre très importantes, notamment dans le cadre des accords avec les PMA (pays les moins avancés) et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) qui autorisent, depuis 2009, un accès sur le marché européen sans quotas et sans droits.
Pour nous, producteurs de l’outre-mer, cette situation pose deux types de questions.
Sur les 260 000 tonnes de sucre produites outre-mer, environ 60 %, soit près de 160 000 tonnes, sont appelés à être transformés dans les raffineries européennes pour y devenir du sucre blanc, après quoi il n’est plus possible de les distinguer du sucre de betterave dont la production, en 2015, atteindra 18 millions de tonnes. Notre sucre se retrouvera donc en pleine concurrence pour l’accès à un marché devenu totalement libre et dans lequel les consommateurs, les chaînes d’hypermarchés et les grands utilisateurs industriels – Danone, Nestlé, Coca Cola – auront le choix entre acheter du sucre de betterave, fabriqué dans l’une des nombreuses sucreries européennes, ou acheter du sucre blanc raffiné, issu d’une raffinerie alimentée par des sucres de canne provenant soit de l’outre-mer français, soit de pays ayant conclu des accords commerciaux avec l’Europe ou ayant déjà des accès privilégiés – les PMA, les ACP et, depuis peu, la Colombie, le Pérou et les pays du pacte andin qui sont nos concurrents potentiels dans le domaine du sucre de canne. Nul doute que nous rencontrerons des problèmes de compétitivité.
Actuellement, notre production sucrière est assurée de trouver des débouchés et si nous ne parvenons pas à la vendre, l’Europe s’est engagée à nous l’acheter à un prix déterminé. Demain, cette garantie n’existera plus.
Près de 40 % de la production de sucre des départements d’outre-mer concernent des sucres de qualité supérieure, appelés parfois sucres spéciaux. Près de 60 % de ces sucres, qui ont vocation à être consommés en Europe en tant que « sucre roux de canne », sont destinés aux industries agroalimentaires, notamment les fabricants de produits diététiques – Bjorg, Gerblé – et les confituriers – Andros, Bonne Maman –, et 40 % de ces sucres deviennent du sucre de bouche vendu dans les hypermarchés, en tant que sucre roux, sous les marques La Perruche, Blonvilliers, L’Antillaise ou Daddy. Nous ne risquons pas de voir disparaître les débouchés de ces sucres au profit du sucre de betterave, puisque celui-ci est forcément blanc, mais le risque peut venir des sucres en provenance de Colombie et du Panama, dont les coûts de production et les normes environnementales sont très différents des nôtres. Or, ces pays, dont la production entre librement sur le marché européen, au titre des accords conclus il y a deux ans, sans acquitter la moindre taxe, sont assujettis à un quota global de 300 000 tonnes, y compris les sucres spéciaux et le sucre blanc raffiné, mais à l’exception du sucre roux. Par comparaison, le marché global des sucres spéciaux en Europe s’élève à 240 000 tonnes.
Nous sommes donc en compétition avec des pays qui ne respectent pas les mêmes standards que nous.
Tous les sucres que l’on trouve sur les marchés en Europe sont vendus à des prix en relation avec le prix du sucre blanc. Or, le prix du sucre blanc, déjà en baisse, pourrait s’effondrer et converger vers les prix pratiqués sur les marchés mondiaux. De même, le prix des sucres spéciaux pourrait subir une baisse parallèle.
Ma collègue Sylvie Lemaire vous parlera des démarches que nous avons engagées auprès des autorités européennes et nationales pour éviter que l’hémorragie ne s’accélère et pour obtenir des protections spécifiques dans le cadre des futurs accords commerciaux, afin que le dispositif propre à la Colombie et au Panama ne s’étende pas au Pérou, ainsi qu’à tous les autres pays signataires de ces accords.
J’en reviens à la question des quotas, qui n’est que l’un des aspects de la politique globale ultralibérale de l’Europe. Dans le domaine du sucre blanc, la compétition repose sur le seul coût du produit. Sont éliminés les producteurs qui proposent les prix les plus élevés. C’était le cas, en 2005, pour les 45 % des entreprises qui produisaient du sucre de betterave et qui ont fermé.
La périphérie de l’Europe a cessé, petit à petit, de produire du sucre et la production s’est concentrée au cœur de l’Europe dans les pays les plus performants : Allemagne, Autriche, Pays-Bas, France, Pologne.
Quel impact aura pour nous la fin des quotas ? Nous vendons nos sucres, y compris ceux qui doivent être raffinés, dans les différents pays d’Europe. Il est fort probable que nous perdrons les marchés de l’Allemagne et de la France, puisque les sucreries de betterave pourront produire sans limite. Il nous faudra, si nous parvenons à être compétitifs, réorienter nos exportations vers les pays du pourtour de l’Europe dans lesquels la consommation de sucre est plus importante que la production : sud de l’Italie, Espagne, Portugal, Roumanie, Bulgarie, Grèce. Mais les opérateurs d’Athènes s’intéresseront au prix du sucre de betterave d’Allemagne qui, arrivant par la route, sera moins cher que le sucre fabriqué en Guadeloupe ou à La Réunion, sucre qui sera acheminé par bateau et qui devra encore être raffiné. Et les opérateurs d’Italie et d’Espagne feront de même pour le sucre français.
Pour ce qui concerne les coûts, aujourd’hui, la production de sucre d’outre-mer subit, à la sortie d’usine, un surcoût de production, par rapport aux producteurs de sucre de betterave, de 385 euros par tonne de sucre brut, duquel il convient de déduire les aides mises en place par l’Union européenne et la France en 2005, aides qui s’élèvent à 250 euros par tonne, ce qui porte le handicap à 135 euros.
La plus grosse part du coût de revient d’un kilo de sucre est le coût de la matière première, qu’il s’agisse de la canne ou de la betterave, auquel il faut ajouter le coût du transport. Or, compte tenu de la teneur des plantes en saccharose, il faut, pour faire une tonne de sucre, 5,6 tonnes de betterave mais 9,1 tonnes de canne.
En 2005, la France et l’Union européenne ont fait le constat suivant : l’effort de restructuration imposé aux sucreries de betterave ne peut être demandé à la filière « sucre » des départements d’outre-mer, dans la mesure où le secteur a déjà spontanément engagé ces réformes et concentré ses outils industriels. À La Réunion, il existait, à l’époque, 180 sucreries. Il n’en reste, aujourd’hui, que deux, situées aux deux extrémités de l’île, et les coûts de transport ne permettent pas d’amener les cannes d’un bassin à l’autre.
Contrairement à l’Europe, condamnée par le GATT à réduire sa production, les départements d’outre-mer ne produisaient pas les quotas attendus. Il leur a donc été demandé de produire plus. Les pouvoirs publics ont fini par comprendre que le système économique mis en place outre-mer, fondé sur des exploitations familiales, était créateur d’emplois et qu’il n’était pas concevable de demander aux planteurs de vendre la canne moins cher – et donc de réduire leurs revenus – comme ont pu le faire les betteraviers grâce à des aides européennes découplées. Aujourd’hui, pour produire une tonne de sucre, ceux-ci achètent 5,6 tonnes de betteraves à 26 euros alors que nous achetons 9,1 tonnes de canne à 42 euros, conformément à l’engagement que nous avons pris de maintenir le prix de la canne.
Par ailleurs, une autre cause – et non des moindres – du différentiel en matière de coûts de production vient de l’importance des quantités de sucre produites dans les sucreries européennes, d’autant que leurs investissements sont dimensionnés pour traiter 5 tonnes de betterave là où nous avons à traiter 9 tonnes de canne.
Il convient d’ajouter que le surcoût de 135 euros s’applique à du sucre blond qui doit être raffiné. Il faut pour cela le transporter en Europe – mais le coût du transport est correctement compensé par les aides communautaires et nationales – et le transformer. Le coût de la transformation peut être évalué à 65 euros par tonne.
Enfin, lorsque la suppression des quotas entrera en vigueur, nos collègues betteraviers feront exactement ce qu’ils ont fait en 2005, à savoir fermer des sucreries et augmenter l’amplitude de la campagne sucrière. En 2005, la campagne sucrière à La Réunion durait 120 jours, ce que nous considérions, à l’époque, comme un avantage, en comparaison de la campagne des betteraviers qui dure 90 jours. Aujourd’hui, la campagne sucrière moyenne en Europe dure 133 jours.
Les betteraviers seront ainsi en mesure d’augmenter leur production tout en abaissant leurs coûts de revient de près de 40 euros.
Au total, en ajoutant les 135 euros de surcoût, les 65 euros du raffinage et le gain de 40 euros, nous parvenons à un handicap de compétitivité, après déduction des aides, de 240 euros par tonne.
Cette difficulté ne pourra pas être surmontée. On me suggère souvent de produire plus de sucre, mais le marché européen correspond à 240 000 tonnes de sucre roux, dont 45 % sont produits par les départements d’outre-mer. Notre principal concurrent est l’île Maurice et bientôt, sans doute, le Malawi et le Swaziland, qui ne pouvaient pas entrer sur le marché avant 2009, mais qui ont désormais la possibilité de le faire grâce aux accords PMA et ACP.
Nous pouvons peut-être gagner de 2 à 4 % de parts de marché, mais la plupart de nos clients refusent d’être approvisionnés par une seule île, de peur qu’une grève ne survienne. Il est vrai qu’à La Réunion, récemment, une grève des personnels du port a empêché la filière « sucre » d’assurer ses livraisons pendant trois semaines. Nos clients ne veulent pas non plus voir figurer sur les paquets de sucre vendus en Europe la mention « sucre roux de La Réunion » car ils complètent le contenu de ces paquets avec du sucre de l’île Maurice, du Malawi, du Panama ou de Colombie.
En 2017, nous n’aurons pas la possibilité de concentrer nos productions, mais nous devrons impérativement restaurer notre compétitivité. Actuellement, nous souffrons déjà de déficits de compétitivité, mais nous sommes certains de vendre notre sucre, dans la mesure où les betteraviers, eux, n’ont pas le droit de produire plus. Demain, non seulement les surcoûts ne seront pas entièrement compensés – les aides étant destinées à soutenir les revenus des exploitants agricoles, ce qui nous permet d’acheter la canne à La Réunion plus cher qu’en 2005 – mais nous ne serons plus sûrs de vendre. Et il ne saurait être question, non plus, de diminuer les recettes déjà peu élevées des planteurs.
Nous sommes pris dans un étau car il nous est totalement impossible de gagner 240 euros sur nos coûts de production. Les industriels achètent la canne à La Réunion, avant déduction des aides, au prix de 42 euros la tonne. Il faut 9,1 tonnes de canne pour produire une tonne de sucre, ce qui porte le prix de la tonne de sucre à environ 400 euros. Or, c’est le prix de la tonne de sucre blanc prévu par l’Europe pour 2017. Et pour les producteurs d’outre-mer, ce prix ne tient compte ni du transport de la canne, ni de sa transformation, ni du transport du sucre brut vers l’Europe, ni de son raffinage.
Il est vrai que le coût d’achat de la canne fait l’objet de différentes aides au titre du premier pilier de la PAC et du POSEI – 75 millions d’euros d’aides communautaires et 90 millions d’euros d’aides nationales – ce qui permet d’abaisser les coûts de production globaux. Mais il subsiste néanmoins un déficit de compétitivité par rapport à la production de sucre de betterave de 135 euros. D’autre part, le coût du raffinage demeure.
Nous avons peu de marges de manœuvre. L’Europe nous impose une vraie gageure à l’horizon de 2017.
J’ajouterai enfin qu’il existe un centre d’études européen : l’Observatoire des prix en Union européenne qui publie des statistiques globales concernant les marchés du sucre. Cet organisme nous donne une bonne connaissance de la situation.
M. le président Jean-Claude Fruteau. Votre tableau est particulièrement alarmant. Pourtant, je suis certain que l’industriel avisé que vous êtes n’est pas résigné et qu’il a des solutions à proposer… Comment voyez-vous l’avenir de la filière ?
M. Thierry Robert. Après le tableau qu’il vient de dresser, il est absolument nécessaire que M. Philippe Labro nous rassure !
M. Jean Jacques Vlody. Quelles sont les perspectives industrielles envisagées par le groupe Tereos ?
S’agissant des aides publiques, lorsque l’Europe fait défaut, c’est vers l’État que l’on se tourne. L’État parviendra-t-il à garantir le prix de la canne aux agriculteurs et à préserver un modèle social auquel tous les acteurs de la filière sont attachés ?
Loin de moi l’idée d’abandonner la filière sucre, que je défends ardemment, en particulier à La Réunion. Mais où en est la recherche concernant les molécules issues de la canne qui pourraient offrir des débouchés en termes de produits dérivés ? Cette piste peut-elle être sérieusement envisagée ? Permettrait-elle d’offrir des revenus aux industriels et surtout aux agriculteurs ?
M. Philippe Labro. J’aimerais, Messieurs les députés, pouvoir vous apporter des réponses, mais je ne suis pas en mesure de le faire.
Avant de rechercher de nouvelles pistes de valorisation de la canne à sucre, demandons-nous si le sucre est la meilleure valorisation de la canne. Pour ma part, je le pense, et pour longtemps encore. La valorisation due à la production d’énergie, qui représente à La Réunion 12 % de la production d’électricité depuis la mise en place, en 2009, du tarif EDF, est de l’ordre de 13 euros par tonne de canne. Ce chiffre est à comparer aux 80 euros par tonne du revenu global moyen des planteurs. Aucune valorisation ne saurait égaler celle du sucre.
Quant aux molécules, elles font actuellement l’objet de recherches, notamment la lignine, la cellulose et l’hémicellulose ; mais il s’agit là de recherches fondamentales et nous sommes encore loin des recherches appliquées. Et même si les études font un jour l’objet d’applications, nous nous heurterons à une problématique liée non pas à l’utilisation de la molécule mais au lieu où sera fabriqué le produit contenant la molécule, pour une simple raison d’économie d’échelle propre à toutes les économies insulaires.
Nous aurons deux possibilités. La première consiste à nous insérer dans un schéma de recherche très large, en collaboration avec des instituts importants ou de grandes firmes cosmétiques comme L’Oréal, afin de déposer un brevet ou un co-brevet et afin d’en percevoir ensuite les rémunérations.
Je suis beaucoup plus réservé sur la seconde solution qui consisterait à produire industriellement à La Réunion ce qui pourrait l’être en Afrique du Sud, en Australie ou au Brésil à des coûts beaucoup plus faibles. Le département de La Réunion ne disposant que d’une récolte annuelle d’un peu plus d’un million de tonnes de canne, contre 40 millions de tonnes pour le Brésil, nous souffririons d’un manque de matière première, sans oublier que, pour approvisionner les marchés européens, il faudrait transporter le produit fini. C’est pourquoi je suis dubitatif quant à la fabrication sur notre territoire, sauf à trouver la molécule à très forte valeur ajoutée que les clients voudront voir produite selon les normes et la qualité européennes. Dans ce cas, La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe sont les seuls endroits au monde qui pourront le faire.
Je nourris beaucoup d’espoirs sur le projet de valorisation des cires d’écume de sucrerie. Nous avons des contacts avec des industriels allemands désireux que la production soit située dans un univers européen. Mais cette valorisation ne représente que 4 ou 5 emplois et ne peut donc remplacer les débouchés actuels.
Monsieur le député, vous me demandez de vous rassurer. Moi aussi, j’aimerais être rassuré…
Actuellement nous essayons, avec le concours de Tereos, de réorienter nos flux de vente de sucre du cœur de l’Europe vers de nouveaux pays comme la Roumanie et la Bulgarie. Mais pour ce qui est de la survie du modèle social réunionnais, nous n’avons pas de réponse. Les exploitants agricoles qui cultivent 20 hectares de betterave cultivent également des céréales, souvent sur une centaine d’hectares. À La Réunion, les exploitations sont de 7 hectares, auxquels s’ajoute un demi-hectare de cultures diversifiées. La façon la plus rationnelle d’abaisser les coûts de la canne serait de créer des exploitations de 30 hectares, sachant qu’au Brésil leur superficie varie, en moyenne, entre 150 et 200 hectares.
À La Réunion, le coût de la matière première, à l’entrée de l’usine, représente 70 % du coût global de fabrication. Je n’ai pas de solution à vous présenter, sauf à payer la canne au même prix que nos concurrents colombiens ou panaméens. Pour cela, il faudrait remembrer les exploitations, ce qui aurait pour conséquence de faire chuter de 18 000 à 6 000 les emplois de la filière, et il nous faudrait gérer les 12 000 personnes privées de leur emploi. Je n’ose pas proposer cette solution, même si, comme tout industriel, je dois avant tout diminuer les coûts en augmentant les volumes ou en restructurant. Si les planteurs avaient des revenus 5 à 10 fois supérieurs au SMIC, nous pourrions leur demander de baisser leurs revenus, mais ils ne perçoivent que 1,2 fois le SMIC. Nous sommes confrontés à un problème de choix politique, de modèle social, et ce n’est pas l’entrepreneur que je suis qui peut vous donner la réponse.
Ce que peut faire le chef d’entreprise, en revanche, c’est optimiser au maximum les outils industriels. C’est ce qu’ont fait les sucreries de La Réunion en termes de qualité, de rendement, de réduction de la consommation énergétique, ce qui nous place parmi les deux ou trois pays les plus performants au monde. Les deux plus grands exportateurs mondiaux, les Brésiliens et les Thaïlandais, viennent chez nous pour voir comment fonctionne notre modèle.
Nous allons essayer d’orienter nos ventes vers les pays les plus éloignés du cœur de l’Europe et, avec l’appui du Gouvernement français, tenter d’exclure les sucres spéciaux, vitaux pour notre économie, des accords à venir. Cela ne devrait pas contrarier les autres pays européens car ils ne sont pas producteurs, mais, précisément, parce que cette exclusion ne protégerait que la France, elle n’intéresse guère nos partenaires de l’Union européenne et il nous est difficile de trouver des soutiens.
Nous allons également essayer de vendre une petite part de ces sucres – entre 5 000 et 10 000 tonnes – sur les marchés du Japon et de la Corée, où nous entrerons en concurrence avec des exportateurs déjà implantés. Mais, une partie des aides européennes qui compensent les handicaps de surcoût étant destinées à accompagner la logistique, je ne suis pas certain que l’Union les maintiendra.
Nous allons poursuivre nos efforts, mais, avant de renouveler la convention « Canne » avec les planteurs, nous avons besoin d’obtenir des engagements sur le cadre institutionnel de la filière, notamment sur le montant des aides. Certes, grâce au report de la réforme du POSEI, celui-ci ne connaîtra aucune modification pendant deux ans, mais nous attendons de l’État un cadre réglementaire qui nous permette de dire aux exploitants que nous pourrons leur acheter la canne au même prix que précédemment. Il va de soi que nous ne prendrons pas l’engagement de leur acheter des cannes si nous ne sommes pas certains de vendre le sucre.
Notre devoir d’industriel est de moderniser nos équipements, d’utiliser les aides qui nous sont allouées pour payer la canne, d’engager des actions en faveur des planteurs et d’élever le niveau de notre production. Sur tous ces points, nous avons accompli ce qui nous avait été demandé. Face aux nouvelles modifications introduites par l’Europe, nous faisons entendre notre voix, mais notre sucre pèse 200 000 tonnes sur un marché de 16 millions de tonnes. L’État doit exercer une pression sur l’Europe, car la réponse ne peut venir d’un surcroît de performance de nos productions.
Il nous reste toutefois un certain nombre d’espoirs. Le premier est que l’Europe se trompe dans ses prévisions, ce qui est déjà arrivé…
Lorsque le sucre entrera sur le marché au coût le plus bas, il nous faudra investir dans la qualité de nos produits. Nous l’avons déjà fait par le passé, ce qui nous a valu d’être les premiers bénéficiaires, à La Réunion, de la norme ISO 22 000 sur la sécurité des denrées alimentaires. C’est un gage de qualité recherché par une partie de nos clients.
Je place également beaucoup d’espoir dans la sélection variétale. Nous essayons de trouver des cannes de plus en plus performantes, en termes de rendement et de résistance au manque d’eau – car le territoire de La Réunion, du fait du changement climatique, connaît de plus en plus de périodes de sécheresse – et nous investissons chaque année 5 millions d’euros en recherche et développement.
Nous agissons sur tous les leviers que nous avons à notre disposition, mais nous n’avons pas la main sur tout.
Cela dit, je reste optimiste pour cette filière qui existe depuis deux siècles et a traversé des étapes difficiles. Nous avons réussi, en 2005, à faire valoir nos arguments de façon logique et cohérente. Nous avons piloté la filière au mieux de ses intérêts, en partenariat avec les pouvoirs publics, européens et nationaux. Nous sommes sûrs qu’il continuera à en être de même, après l’échéance de 2017.
M. Patrick Lorcet. Pour prolonger la réponse de M. Philippe Labro sur les nouveaux débouchés possibles de la canne à sucre, je dirai que nous ne sommes pas dans la même échelle de temps.
Notre activité s’inscrit dans le concret de la gestion quotidienne et nous avons besoin d’une vision sur plusieurs années pour réaliser des choix techniques et des investissements. Les espoirs de nouvelles productions ou de nouvelles valorisations de la canne n’en sont qu’au stade de la recherche fondamentale et il faudra attendre un certain nombre d’années pour qu’elles parviennent au stade industriel.
Par ailleurs, les relations entre les planteurs et les industriels sont gérées par des conventions pluriannuelles. La dernière, en vigueur depuis 2007, arrivera à échéance à l’issue de la campagne de commercialisation 2015/2016. Nous devrons alors préparer une nouvelle convention interprofessionnelle à compter du début de la campagne de commercialisation 2016/2017. Lorsque nous connaîtrons le cadre réglementaire et le niveau du soutien de l’État, nous engagerons une négociation constructive avec les planteurs pour trouver un accord. Mais, pour l’instant, nous ne savons pas ce que sera l’avenir après l’abandon des quotas, le 1er octobre 2017. En l’absence de garantie sur la vente de nos sucres, nous ne savons pas quel prix attribuer à la tonne de canne. Pourrons-nous convaincre les planteurs de négocier une convention interprofessionnelle a minima ou de prolonger l’existante de deux ans, sachant que le prix de la tonne de canne est figé depuis 2007 ? Il est clair que les planteurs chercheront surtout à augmenter le prix de leur matière première. C’est là une problématique immédiate et très sensible. Elle prime sur la recherche de nouveaux produits.
Il nous reste cependant des pistes à explorer dans le domaine des coproduits. Nous avons un projet en cours visant le développement de substances fertilisantes obtenues en mélangeant les écumes et les cendres de bagasse et de vinasse. Une autre piste, qui n’a pas encore été étudiée, consiste à récupérer les pailles restant dans les champs pour les valoriser ou les brûler.
Enfin, la dernière question que je voudrais évoquer est celle de la pérennité des trois unités de production sucrière des Antilles, en particulier celle du Galion en Martinique et celle de Marie-Galante en Guadeloupe. Il s’agit là d’un sujet de réflexion qui est autant politique qu’économique.
Je rappelle que c’est grâce au soutien des collectivités locales que la sucrerie du Galion doit sa survie.
De même, la sucrerie de Marie-Galante est confrontée au coût de la double insularité et au fait que la plupart des décideurs la considèrent comme un outil industriel classique, alors qu’il s’agit, bien autant, d’un outil d’aménagement du territoire. Ainsi, le projet de centrale thermique alimentée par la bagasse, qui représente un investissement de 80 millions d’euros, marque le pas actuellement parce que le coût du kilowatt produit – un coût qui est très élevé – n’a pas été validé par la Commission de régulation de l’énergie.
Nous attendons une prise de conscience des collectivités locales et des responsables politiques. Maintenir ou pas ce type d’unité relève d’un choix politique.
En Guadeloupe, la sucrerie Gardel a anticipé les difficultés éventuelles en procédant à de nouveaux investissements et en développant les sucres de qualité. Mais elle va conserver un handicap structurel important dû à l’impossibilité d’augmenter les tonnages de cannes. Si des aléas climatiques se produisent, au cours des trois ou quatre prochaines années, elle sera confrontée à un problème très réel d’approvisionnement.
Le choix a été fait, en 2006, de maintenir l’activité des sucreries des DOM. La prochaine étape exige un soutien politique si nous voulons pérenniser la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » dans les départements d’outre-mer.
Mme Isabelle Chmitelin, directrice de l’ODEADOM (Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer). L’ODEADOM est un établissement public placé sous la double tutelle du ministère de l’Agriculture et du ministère de l’Outre-mer. L’Office, qui emploie 39 personnes, est l’organisme payeur des aides communautaires de la PAC en outre-mer, à savoir le POSEI, et d’une grande partie des 280 millions d’euros destinés à l’agriculture ultramarine, dont 75 millions à la filière « canne-sucre-rhum-bagasse ».
Les aides communautaires se déclinent sous trois formes : une aide forfaitaire d’adaptation à l’industrie sucrière, d’un montant de 60 millions d’euros, au profit des cinq industries sucrières de La Réunion, de la Guadeloupe et de la Martinique ; une aide au transport, destinée à alléger le coût du transport de la canne entre les bords des champs et le lieu où elle est regroupée ; enfin, une aide à la transformation de la canne en rhum agricole, d’un montant de 6 millions d’euros. L’Office assure la gestion et le paiement de ces aides.
Il intervient en outre pour attribuer des aides nationales, dans le cadre des programmes de développement ruraux (PDR) établis dans chaque département ; les crédits nationaux de l’Office, qui représentent 500 000 euros par an, sont mobilisés en contrepartie des crédits du FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) ou en top-up pour accompagner des investissements dans des exploitations agricoles ou des industries.
L’Office intervient également en faveur de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse » à travers d’autres actions comme la conduite d’études susceptibles d’éclairer les décideurs publics et les différents acteurs professionnels sur la situation du secteur. Dans le domaine qui nous intéresse, il faut citer une étude financée sur des crédits communautaires et destinée à évaluer les soutiens publics à la filière « sucre ». L’étude doit envisager aussi l’adaptation de ces aides publiques. Elle devrait être publiée dans quelques semaines.
Il faut citer également l’étude réalisée en 2012/2013 sur le développement de l’agriculture biologique dans les Outre-mer. Cette étude très attendue, mise en ligne sur le site Internet de l’Office, montre que le développement d’une filière biologique pour le sucre pourrait apporter des solutions, mais de façon très marginale.
L’Office intervient par ailleurs, en appui des crédits publics communautaires, sur des missions qui peuvent concerner le secteur du sucre. À ce titre, deux missions relatives à la valorisation énergétique de la biomasse, dont la bagasse, ont été conduites.
L’Office intervient enfin par le biais du comité sectoriel de concertation qui réunit, une fois par an, l’ensemble des acteurs de la filière « canne-sucre » pour évoquer la situation économique et tracer des perspectives d’évolution. Le comité, qui s’est réuni en avril, s’est intéressé à un projet transversal, initié à la demande du ministre de l’Agriculture, M. Stéphane Le Foll, et dont le thème est la construction de nouvelles filières à l’horizon 2025. Les travaux conduits au sein de ce comité sectoriel se poursuivent dans chaque département avant d’être présentés au conseil d’administration.
Beaucoup de choses qui ont été dites durant cette table ronde – en particulier les problématiques évoquées par les professionnels et les pistes de travail présentées par M. Philippe Labro – figurent dans le projet en cours d’élaboration.
En ce qui concerne les quotas de production, l’Office, qui n’intervient pas dans leur gestion, n’est pas directement concerné par leur suppression au 1er octobre 2017. Les dispositifs qui sont mis en œuvre ne seront pas remis en cause à cette date, mais ils devront certainement être adaptés au nouveau contexte. D’ailleurs, un certain nombre de soutiens qui ont été cités, en particulier l’aide d’adaptation à l’industrie sucrière, ont été mis en place en 2006, après la réforme de l’OCM.
La réforme du POSEI, qui a été reportée en attendant la mise en place de la nouvelle Commission européenne, sera débattue par celle-ci au cours des prochains mois.
Mme Sylvie Lemaire. J’insiste sur la nécessité de maintenir l’industrie sucrière des départements d’outre-mer sur le marché des sucres roux de canne car, en Europe, seuls les DOM sont capables de les produire. Nous n’avons pas réagi lors de la signature de l’accord concernant l’entrée de la Colombie et du Pérou sur le marché ; ne refaisons pas la même erreur avec les accords en cours de négociation, car ils concernent les États-Unis et peut-être l’Inde. Nous avons demandé au Gouvernement d’intervenir pour exclure des accords commerciaux les sucres de canne non destinés au raffinage. Les ACP producteurs seront solidaires de notre démarche, de même que les industries sucrières de l’Europe continentale, dans la mesure où la demande ne concerne pas le marché du sucre de betterave.
M. Patrick Lorcet. Nous nous efforçons d’assurer le développement durable de la canne et d’améliorer les rendements à l’hectare, mais nous sommes confrontés à l’envahissement des parcelles par l’herbe à riz. La Martinique a enregistré des pertes de rendement de 25 %. La Guadeloupe a été sévèrement frappée par ce parasite et La Réunion le sera prochainement. À l’heure actuelle, nous sommes incapables de lutter contre cette graminée parce qu’il n’existe pas, sur le marché, de molécule active susceptible de la combattre. On trouve, en métropole et en Europe, une diversité de produits qui pourraient aider efficacement les exploitants, mais leur utilisation n’est pas autorisée dans les DOM et le marché ultramarin est de trop petite taille pour intéresser les grands laboratoires. Nous sommes donc obligés, en permanence, de solliciter des autorisations provisoires d’importation. Avec l’appui des administrations et des élus, nous avons obtenu le droit de traiter les champs de cannes à sucre avec de l’Asulam ou de l’Asulox, mais cette autorisation est temporaire. Nous devons pouvoir assurer la protection phytosanitaire des plantations dans les départements d’outre-mer, grâce à des traitements spécifiques.
M. le président Jean-Claude Fruteau. C’est un point qu’il faudra veiller à ne pas négliger.
Mes chers collègues, je ne voudrais pas que vous gardiez en vous des interrogations non satisfaites. Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Mme Gabrielle Louis-Carabin. Nos questions seront toujours insatisfaites. Notre département, la Guadeloupe, souffre de pénuries d’eau, et je vois mal le conseil général augmenter l’irrigation dans les zones agricoles.
Le tableau de M. Philippe Labro est sombre. La filière « canne » a toujours été aidée car elle est l’un des piliers de l’économie guadeloupéenne. Mais, compte tenu du contexte économique et de l’entrée de nouveaux pays sur le marché du sucre, peut-on espérer qu’elle le sera encore demain ?
Les décisions des industriels sont d’ordre économique, mais, dans la mesure où elles concernent la population de nos îles, ce sont des décisions politiques. J’étais une jeune conseillère générale lorsqu’il a été question de supprimer les usines productrices de sucre en Guadeloupe. La seule usine qui reste est celle de la société Gardel. Je me suis battue pour cela. À Marie-Galante, nous nous sommes battus pour implanter une usine comme celle du Moule, mais les élus ont toujours refusé.
M. Jean Jacques Vlody. Je voudrais faire écho aux propos de notre collègue, peut-être avec moins de pessimisme. La canne en outre-mer, en particulier à La Réunion, ce sont 250 ans d’histoire, ponctués de nombreuses crises, dont la prochaine étape sera un nouveau défi pour la production sucrière. Les responsables politiques, en accord avec les industriels et les professionnels, devront prendre les décisions qui s’imposent.
Je tiens à le dire devant la Délégation, certains souhaitent déréglementer le système et proposent de cultiver autre chose que de la canne à sucre. Que cela soit clair, ce n’est pas possible. D’autres considèrent que nous mettons trop d’argent dans la filière « sucre » et qu’il serait plus intéressant de consacrer ces ressources à d’autres productions. La question de la réorientation et du découplage des aides a été posée au sein même du Gouvernement et elle réapparaît en filigrane chaque fois que la canne doit surmonter une nouvelle étape.
Je crois, pour ma part, en l’avenir de la canne. La Réunion ne peut pas faire l’impasse sur cette production. Les agriculteurs et les transformateurs ont compris qu’ils devaient travailler ensemble. À nous tous de trouver les conditions susceptibles d’assurer le revenu des agriculteurs et le maintien de l’activité. J’aimerais que la volonté politique de trouver des solutions propres à assurer la pérennité de la production dans les Outre-mer, ainsi que la stabilité de la filière « canne-sucre-rhum-bagasse », soit clairement réaffirmée.
Mme Chantal Berthelot. L’histoire économique et culturelle des territoires des Antilles et de La Réunion est liée à la filière « canne » et elle montre la capacité des hommes à affronter de multiples défis.
Mais nous devons être lucides : les trois territoires producteurs de canne ne sont pas homogènes. La Réunion a basé son développement sur l’activité sucrière, mais la question de son maintien se pose de manière fondamentale en Martinique et en Guadeloupe.
Lorsque les quotas seront libérés, nous devrons faire des choix d’orientation et de diversification. Et si nous voulons que l’économie de nos territoires perdure, nous devrons faire preuve d’imagination.
M. le président Jean-Claude Fruteau. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs.
Vous ne serez pas étonnés de découvrir dans le rapport, lorsque celui-ci sera rendu public, un grand nombre de vos préoccupations. M. Philippe Labro sait que je suis un ardent défenseur de la filière « canne-sucre » et que je crois à son avenir, en particulier à La Réunion où elle constitue un pôle économique considérable. La disparition de la filière serait une hérésie économique et une catastrophe sociale, car abaisser le revenu des planteurs reviendrait à en terminer avec la culture de la canne. Nous ne pouvons imaginer que 18 000 personnes se retrouvent au chômage du fait de l’absence de volonté des pouvoirs publics.
Nous ferons ce que nous pourrons, par l’intermédiaire de la Délégation, comme nous l’avons fait dans d’autres cas. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, et je compte pour cela sur le soutien de la majorité. Je vous remercie.
© Assemblée nationale