N° 1951
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 mai 2014.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement
PAR LE COMITÉ D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES
ET PRÉSENTÉ PAR
MM. Jean-Jacques GUILLET et François de RUGY
Députés
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SOMMAIRE
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Pages
SYNTHÈSE DU RAPPORT 7
INTRODUCTION 21
PREMIÈRE PARTIE : LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 25
I. DÉFINIR UNE NOUVELLE STRATÉGIE 25
A. DONNER UN SIGNAL POLITIQUE CLAIR ET À LONG TERME EN REFORMULANT LES OBJECTIFS DU PAQUET ÉNERGIE-CLIMAT 25
1. Hiérarchiser les objectifs du paquet énergie-climat 25
2. Passer de la notion d’émissions nationales à celle d’empreinte carbone 27
B. DÉGAGER LES VOIES D’UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DE L’ÉNERGIE 28
1. Les difficultés induites par les disparités de mix énergétique au sein de l’Union européenne 28
2. La nécessaire harmonisation entre États membres 29
C. REVOIR LES PRIORITÉS NATIONALES À L’AUNE DES PREMIERS RÉSULTATS 30
1. Mettre l’accent sur les transports et l’agriculture 31
2. Construire un modèle macro-économique fiable pour évaluer les impacts de la transition énergétique 32
II. IMPLIQUER DAVANTAGE LES CITOYENS DANS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 32
A. MIEUX INFORMER 33
1. Des informations souvent illisibles 33
2. Une demande forte d’accès à l’information et de maîtrise des données personnelles 34
B. ADOPTER DE NOUVELLES APPROCHES POUR CHANGER LES COMPORTEMENTS 35
1. Des campagnes de sensibilisation traditionnelles à de nouvelles formes de mobilisation collective 36
2. Quel équilibre trouver entre incitations et obligations ? 37
3. La responsabilisation des fournisseurs via les certificats d’économies d’énergie 38
C. ACCOMPAGNER LES MÉNAGES LES PLUS EN DIFFICULTÉ 38
1. Lutter contre la précarité énergétique 39
2. Faire évoluer la mobilité en réduisant les inégalités 40
III. ENCOURAGER LES INVESTISSEMENTS NÉCESSAIRES À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 40
A. RATIONALISER LES DISPOSITIFS 41
1. Stabiliser et simplifier les dispositifs 41
2. Des outils d’évaluation et de pilotage largement perfectibles 42
3. Mieux prendre en compte la dimension territoriale 43
B. MAXIMISER L’EFFET DE LEVIER DES INVESTISSEMENTS PUBLICS 45
1. Évaluer les coûts présents et futurs de la transition énergétique 45
2. Mobiliser les capitaux privés 48
3. Concevoir des modes de financements innovants 49
C. ADAPTER LE SYSTÈME PRODUCTIF À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 50
1. Veiller au maintien des activités sur le sol européen 50
2. Accompagner les entreprises dans la transition énergétique 51
3. Poursuivre l’effort de recherche pour lever les verrous technologiques 52
DEUXIÈME PARTIE : LES ENJEUX DES SECTEURS CLÉS DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 53
I. LES TRANSPORTS : LA NÉCESSITÉ DE REDÉFINIR LES PRIORITÉS 53
A. UN SECTEUR STRATÉGIQUE SOUMIS À UNE FORTE DEMANDE DE MOBILITÉ 53
1. Une priorité : cibler le secteur routier, principal émetteur de gaz à effet de serre 53
2. Une contrainte : tenir compte des besoins de mobilité 54
B. DES PRÉCONISATIONS ARTICULÉES AUTOUR DE TROIS AXES STRATÉGIQUES 56
1. Poursuivre les efforts en faveur de l’efficacité énergétique des véhicules 56
2. Penser le report modal de façon à adapter l’offre à la demande de transport 59
3. Optimiser l’usage de la route 60
II. LE BÂTIMENT : UN BESOIN DE STABILITÉ ET DE SIMPLIFICATION 62
A. UN SECTEUR STRATÉGIQUE QUI SOUFFRE D’UN DÉFICIT DE PILOTAGE 62
1. Des objectifs ambitieux dont la complémentarité avec les autres objectifs du paquet énergie-climat est questionnée 62
2. Une mise en œuvre difficile soumise à de fortes incertitudes 65
3. Des dispositifs pléthoriques et sous-évalués 67
B. LES PARTIES PRENANTES DEMANDENT DAVANTAGE DE SIMPLICITÉ ET UNE STABILISATION DES DISPOSITIFS 70
1. Clarifier les objectifs 70
2. Mieux accompagner les ménages 72
3. Stabiliser les dispositifs 73
III. LES ÉNERGIES RENOUVELABLES : UNE CLARIFICATION INDISPENSABLE 75
A. UN BILAN CONTROVERSÉ DES CONSÉQUENCES DU DÉVELOPPEMENT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES 76
1. L’absence de consensus sur la fixation d’un objectif contraignant de développement des énergies renouvelables 76
2. Des regards divergents sur les conséquences de l’intermittence des énergies renouvelables 77
3. Une appréciation différente des bénéfices du développement des énergies renouvelables en termes d’emploi et de compétitivité 79
B. UN CONSENSUS SUR LES MESURES PRIORITAIRES 81
1. Un besoin prégnant de simplification et de stabilisation 81
a. Une complexité administrative paralysante 81
b. Une instabilité juridique préjudiciable 83
2. Des verrous technologiques à lever, des filières à développer 83
a. Des réponses potentielles à l’intermittence des énergies renouvelables : stockage de l’énergie et réseaux intelligents 84
b. Biomasse et biogaz : des secteurs porteurs à encourager 84
3. Un système perfectible de soutien aux énergies renouvelables 85
IV. LE SYSTÈME COMMUNAUTAIRE D’ÉCHANGE DE QUOTAS DE CARBONE (SCEQE) : DE NOUVEAUX DÉFIS À RELEVER 88
A. LE SCEQE : UNE POLITIQUE PUBLIQUE EUROPÉENNE QUI SE DÉPLOIE PROGRESSIVEMENT 88
1. Un dispositif pionnier qui fonctionne en dépit des difficultés initiales 89
2. Un impact difficile à évaluer à ce stade 92
3. Le défi de la phase III : lutter contre le surplus de quotas 93
B. LES INDUSTRIELS ET LES EXPERTS INVITENT À ENVISAGER TOUT AJUSTEMENT AVEC PRUDENCE 94
1. La nécessité d’un objectif ambitieux 95
2. Les risques d’une régulation discrétionnaire des surplus de quotas de carbone 95
3. La compétitivité carbone des entreprises en débat 97
V. VERS DES COMPORTEMENTS PLUS SOBRES EN CARBONE ? 98
A. L’ACCEPTABILITÉ SOCIALE : UN CONCEPT FLOU 98
1. Réduire les incertitudes pour gagner la confiance des citoyens 98
2. Accompagner le changement et sensibiliser les citoyens 100
B. RENFORCER L’AUTONOMIE DES CITOYENS 101
1. Lever les freins aux changements de comportement 101
2. Donner la maîtrise de l’information 102
AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES 105
EXAMEN PAR LE COMITÉ 123
ANNEXE : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 137
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES SUR LA MISE EN œUVRE PAR LA FRANCE DU PAQUET « ÉNERGIE-CLIMAT » 141
Le jeudi 18 octobre 2012, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a décidé d’inscrire à son programme de travail « l’évaluation de la mise en œuvre du paquet énergie-climat de 2008 en France », sur proposition du groupe écologiste. Le « paquet énergie-climat » désigne l’ensemble de textes communautaires adoptés en 2008 (un règlement, trois directives et une décision) qui constituent la politique européenne de lutte contre le réchauffement climatique.
Le 13 décembre 2012, le CEC a désigné les deux rapporteurs de cette évaluation : M. François de Rugy, membre du groupe écologiste, pour la majorité, et M. Jean-Jacques Guillet, membre du groupe UMP, pour l’opposition. En application de l’article 146-3 du Règlement de l’Assemblée nationale, a été constitué un groupe de travail désigné par les commissions des Affaires économiques et du Développement durable et de l’aménagement du territoire, et composé de M. Julien Aubert (UMP) et de Mmes Sabine Buis (SRC), Marie-Hélène Fabre (SRC) et Catherine Quéré (SRC).
Par cette évaluation, il s’agissait de contribuer au débat national sur la transition énergétique annoncé par le Gouvernement lors de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012 et commencé au début de l’année 2013. À une phase de pédagogie et d’information de janvier à février 2013 a en effet succédé, de mars à juin 2013, une phase de consultation des acteurs et du grand public. Le Conseil national de la transition énergétique a entendu plusieurs experts et les parties prenantes. En juillet 2013, il a entamé ses travaux de synthèse des débats territoriaux, du débat citoyen et des travaux des groupes de travail thématiques. Adopté le 18 juillet 2013, un document de synthèse a été remis officiellement au Gouvernement lors de la conférence environnementale des 20 et 21 septembre 2013. Il fait état des points consensuels et des divergences demeurant à l’issue des travaux. Le Gouvernement a alors annoncé la préparation et le dépôt d’un projet de loi sur la transition énergétique.
Sur le fondement de l’article L. 132-5 du code des juridictions financières, le Président de l’Assemblée nationale a, sur proposition du CEC, demandé l’assistance de la Cour des comptes afin de réaliser cette évaluation. Par lettre du 24 décembre 2012, le Premier président de la Cour des comptes a confirmé son accord pour procéder à cette évaluation et précisé que le rapport de la Cour serait remis au CEC à la fin décembre 2013. L’évaluation relevant des compétences de deux chambres distinctes (la deuxième et la septième), elle a été confiée à une formation interchambres présidée par M. Christian Descheemaeker, ancien président de la septième chambre. Grâce à des rencontres régulières, les rapporteurs du CEC ont pu être tenus informés et faire part régulièrement de leurs réactions et demandes.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, a présenté le rapport de la juridiction financière le 16 janvier 2014 au cours d’une audition ouverte à la presse. Ce rapport, qui figure à la fin du présent rapport, analyse l’efficience et l’efficacité des différents instruments de la mise en œuvre du paquet énergie-climat. Il aborde leurs résultats et leurs impacts mais ne constitue pas, selon la définition qu’en donne elle-même la Cour, une évaluation de politique publique complète, ce qui aurait supposé, sur un champ aussi large de dispositifs et de mesures, d’interroger toutes les parties prenantes, ce qui n’a pas été possible dans le temps imparti. Ses conditions de préparation ont fait appel, autant que possible, à des méthodes de travail qui s’inspirent de certaines pratiques évaluatives, notamment la mise en place d’un comité d’experts indépendants, spécialistes des différents aspects du sujet, et la réalisation de nombreuses et riches comparaisons internationales. Ce rapport complète la production de la Cour sur le sujet des énergies, avec des enquêtes menées à la demande du Gouvernement, comme celle de janvier 2012 sur les coûts de la filière électronucléaire ou celle d’octobre dernier sur les certificats d’économie d’énergie. La Cour a également publié un rapport d’évaluation, décidé de sa propre initiative, sur la politique d’aide aux biocarburants en janvier 2012. Enfin, l’analyse s’appuie sur un rapport public thématique présenté en juillet 2013 sur la politique en faveur des énergies renouvelables.
De janvier à mars 2014, les rapporteurs du CEC ont conduit leurs propres travaux. Ils ont animé des tables rondes sur les principales thématiques (1) du paquet énergie-climat, destinées à recueillir la position des parties prenantes sur le constat établi par le rapport de la Cour des comptes. Ils ont par ailleurs consacré plusieurs auditions à la problématique du financement de la transition énergétique.
La présente évaluation visait à apprécier l’efficacité des mesures prises par la France pour atteindre les objectifs du paquet énergie-climat. Elle n’avait pas pour objet de porter un jugement sur la place du nucléaire dans le mix énergétique français, même si les rapporteurs, tout en ayant une appréciation différente de ce lien, ont bien conscience que les deux sujets sont liés.
Ainsi, M. Jean-Jacques Guillet se félicite que la France ait un mix énergétique parmi les moins carbonés du fait de la place qu’occupe le nucléaire. Même si cette place est appelée à se réduire mécaniquement, la production nucléaire d’électricité doit demeurer un élément incontournable de notre mix énergétique. Comme le relève la Cour des comptes dans sa contribution à la présente évaluation, l’électricité française, qui est aux trois quarts issue du nucléaire et pour un sixième de sources renouvelables, est produite à plus de 90 % à partir de sources non émettrices de CO2. Avec 79 g de CO2 par kWh produit, la France émet entre cinq et six fois moins que l’Allemagne ou les Pays-Bas pour sa production électrique. Cette énergie faiblement carbonée est offerte aux industries et aux ménages à moindre prix, notamment par rapport à l’Allemagne. Elle contribue à l’indépendance énergétique de la France, et est un facteur favorable à la compétitivité de ses entreprises. La filière nucléaire constitue enfin, dans le contexte énergétique mondial, un facteur de développement industriel et de rayonnement international de notre pays.
Pour sa part, M. François de Rugy souhaite attirer l’attention sur le coût croissant de l’énergie nucléaire, également démontré par la juridiction financière. Comme le relève la Cour des comptes dans son rapport sur les coûts de la filière électronucléaire de janvier 2012, la France doit faire face à une « falaise du nucléaire » et à « un mur d’investissement ». La diminution de la part du nucléaire dans le mix énergétique français apparaît donc nécessaire, et la mise en œuvre du paquet énergie-climat ne saurait faire abstraction de cette nécessité. Or, les investissements colossaux que nécessiteront l’entretien et le renouvellement du parc de centrales viendront en déduction des sommes qui pourraient être consacrées à l’efficacité énergétique et à la recherche d’énergies durables et non polluantes, sans compter les surcoûts liés au traitement des déchets et à la gestion du risque nucléaire.
En vue de contribuer à la préparation de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique annoncé par le Gouvernement, le présent rapport rend compte des positions exprimées devant les rapporteurs, afin de faire le partage entre les points qui font consensus et ceux sur lesquels les avis divergent. Il vise également à mettre en exergue les conditions qui, aux yeux des rapporteurs, constituent les clés de la réussite de la transition énergétique.
PREMIÈRE PARTIE :
LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
I. DÉFINIR UNE NOUVELLE STRATÉGIE
Face aux retards pris dans la réalisation des objectifs du paquet énergie- climat, la stratégie française doit se redéployer dans trois directions. Il s’agit d’abord de donner un signal politique clair et à long terme de la volonté de s’engager dans la transition énergétique, par une reformulation des objectifs du paquet énergie-climat. Les enjeux en cause dépassant le seul cadre national, il convient ensuite de promouvoir une politique européenne de l’énergie. Enfin, il apparaît nécessaire de réorienter les priorités nationales au regard des premiers résultats.
A. DONNER UN SIGNAL POLITIQUE CLAIR ET À LONG TERME EN REFORMULANT LES OBJECTIFS DU PAQUET ÉNERGIE-CLIMAT
L’affichage d’un signal politique clair et stabilisé, nécessaire pour favoriser les investissements dans la transition énergétique, implique d’abord que les objectifs du paquet énergie-climat soient plus lisibles. Cette exigence suppose une hiérarchisation des objectifs européens. Ensuite, il apparaît primordial que l’Union européenne cesse de déterminer les objectifs en termes d’émissions nationales pour se référer à la notion plus pertinente d’empreinte carbone.
1. Hiérarchiser les objectifs du paquet énergie-climat
Les investigations de la Cour des comptes, comme les propos des différents professionnels et experts entendus par les rapporteurs, ont mis en valeur une condition de la réussite des politiques de transition énergétique menées : l’affichage d’un signal politique clair et stabilisé, à destination des citoyens comme des investisseurs, de la nécessité et de la volonté des États de lutter contre le réchauffement climatique. Qu’il s’agisse des professionnels des énergies renouvelables, du secteur de l’efficacité énergétique des bâtiments, ou des industriels soumis au système communautaire d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre, tous ont posé cette condition comme un préalable nécessaire. Or, comme a pu le souligner la Cour des comptes, la définition des objectifs au niveau européen souffre d’un manque de lisibilité qui contrevient à ce besoin de clarté.
Le paquet énergie-climat constitue un ensemble composite aux objectifs différents, susceptibles d’interférences, voire de contradictions. L’objectif général affiché est de contribuer à limiter le réchauffement climatique en atteignant les « 3 x 20 % » : réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020, accroître la proportion d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale de l’Union européenne d’ici 2020 pour la porter à 20 %, accroître l’efficacité énergétique de 20 % d’ici 2020.
Cette pluralité des objectifs du paquet énergie-climat a suscité des critiques quant aux contradictions qu’elle engendre. La Cour des comptes met en évidence que la poursuite de l’objectif de développement des énergies renouvelables peut contrevenir à la réalisation de l’objectif de réduction des émissions de CO2. À la suite de l’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis, qui se substituent au charbon, ce dernier est devenu meilleur marché en Europe, où il tend à remplacer le gaz dans les centrales thermiques qui produisent une énergie complémentaire à celle issue des énergies renouvelables, dont la production est, par nature, variable. Ce phénomène, que la Cour appelle « recarbonation paradoxale », est principalement identifié en Allemagne où il aboutit à des résultats négatifs sur les émissions de CO2. La Cour des comptes relève également une contradiction entre la mise en place d’un système européen d’échange de quotas de carbone et la définition d’autres objectifs du paquet énergie-climat (cf. deuxième partie, IV.) : faute d’un mécanisme destiné à réguler les surplus de quotas de carbone en circulation, l’atteinte des objectifs sectoriels du paquet énergie-climat contribuerait à ces surplus, à une baisse du prix du carbone et donc à brouiller le signal attendu par les investisseurs.
En conséquence, la Cour des comptes propose de repenser l’articulation de ces objectifs, et préconise d’ « adopter, pour le futur Paquet énergie-climat, un unique objectif quantifié : la diminution des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, les autres objectifs devant lui être subordonnés ».
Cette critique de l’incohérence des objectifs fixés est partagée par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) qui préconise que le prochain paquet climat-énergie opère une distinction claire entre objectifs et outils (2). L’Union européenne fixerait un objectif unique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et le développement des énergies renouvelables serait conçu non comme un objectif, mais comme un outil au service de la réduction des émissions.
Différents acteurs plaident pourtant pour le maintien de trois objectifs contraignants et quantifiés. Par exemple, les membres du Parlement européen ont soutenu, en commission de l’environnement et de l’industrie le 9 janvier 2014, puis en séance plénière le 5 février 2014, le principe d’un triple objectif contraignant. Les professionnels des énergies renouvelables se sont montrés très inquiets des effets que pourrait avoir la disparition d’un objectif européen contraignant sur le développement des énergies renouvelables, dont les filières ne sont pas encore stabilisées. Les investisseurs pourraient interpréter une telle disposition comme un signal négatif qui les dissuaderait de s’engager dans ces filières. Les professionnels du bâtiment ont aussi insisté sur les bénéfices en termes d’emploi résultant de la fixation d’un objectif clair d’efficacité énergétique.
Le caractère potentiellement contradictoire des objectifs, et l’impact négatif qui en résulte sur la lisibilité et la définition des politiques publiques relatives au changement climatique, sont pourtant deux constats avérés. Dès lors, un équilibre doit pouvoir être trouvé entre une hiérarchisation qui permettrait d’envoyer un signal plus clair aux investisseurs, et le maintien d’objectifs contraignants à l’échelle des États membres, afin de ne pas compromettre les filières des énergies renouvelables (sur ce point, cf. deuxième partie III. A.) et de l’efficacité énergétique. La promotion d’un objectif contraignant européen unique ne préjuge en effet en rien de la possibilité, pour les États-membres, de fixer des objectifs contraignants complémentaires.
2. Passer de la notion d’émissions nationales à celle d’empreinte carbone
Au-delà de la question controversée d’une hiérarchisation des objectifs, leur inadaptation à la lutte contre le changement climatique peut être observée en raison de la cible actuellement visée par le paquet énergie-climat : les émissions nationales.
La notion d’émissions diffère en effet de la notion d’empreinte carbone, qui consiste à comptabiliser tant les émissions propres à l’activité nationale que le solde net des émissions associées au commerce extérieur. La différence est importante, puisque dans le cadre d’une économie ouverte et globalisée, mesurer les émissions nationales ou l’empreinte carbone d’un pays aboutit à des résultats très différents. Ainsi, pour le cas de la France, alors que les émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national en 2005 peuvent être évaluées à 410 MtCO2, l’empreinte carbone s’élève à 545 MtCO2 (3) puisqu’il faut ajouter les émissions liées aux importations desquelles on retranche les émissions associées aux exportations. L’évolution de la balance commerciale de la France et la délocalisation de certaines industries conduisent d’ailleurs à ce que les émissions nationales et l’empreinte carbone évoluent en sens contraire. Tandis que le niveau moyen d’émissions a diminué de 15 % sur le territoire national entre 1990 et 2007, l’empreinte carbone a, elle, augmenté de 5 % sur cette période. (4)
Dans ces conditions, un objectif de réduction des émissions nationales décliné pour chaque pays n’est pas satisfaisant pour plusieurs raisons. D’abord, il n’incite pas les États à harmoniser leurs cibles d’efficacité énergétique et de carbone, et favorise au contraire la délocalisation des productions intenses en carbone vers des pays moins exigeants. Plutôt que de favoriser les changements de comportements, cet objectif peut encourager des stratégies de contournement. Ensuite, cet objectif ne permet pas d’évaluer fidèlement la réalité de l’engagement des États dans la lutte contre le réchauffement climatique. Se concentrer sur les émissions nationales conduit en effet à ignorer la réalité qu’est le commerce mondial, et l’origine d’une part des émissions qui provient de la demande de consommation des pays importateurs.
Pour ces raisons, la Cour des comptes préconise de « privilégier la réduction de l’empreinte carbone plutôt que celle des émissions nationales » (recommandation n° 9).
Les rapporteurs, comme d’ailleurs les professionnels et experts auditionnés, adhèrent à cette suggestion. Raisonner en termes d’empreinte carbone permet en effet d’apprécier fidèlement l’efficacité des politiques climatiques menées, et incite les pays à se préoccuper non seulement de la diminution des émissions sur leur territoire, mais aussi à réfléchir à l’origine de la demande de consommation pour déclencher des changements de comportements.
À ce jour, la Commission européenne n’a pas retenu cette solution, ses propositions d’objectifs dévoilés dans le cadre des négociations du futur paquet énergie-climat s’exprimant toujours en termes de réduction des émissions.
B. DÉGAGER LES VOIES D’UNE POLITIQUE EUROPÉENNE DE L’ÉNERGIE
La définition des politiques énergétiques et de lutte contre le changement climatique par les États soulève un certain nombre de difficultés qu’une harmonisation européenne, notamment quant à la fiscalité, serait à même de surmonter.
1. Les difficultés induites par les disparités de mix énergétique au sein de l’Union européenne
La Cour des comptes a pu mettre en évidence les disparités de mix énergétique au sein de l’Union européenne. Les choix relatifs aux énergies, à l’instar de la part accordée au nucléaire ou aux énergies renouvelables, relèvent principalement des décisions souveraines des États membres. Ceci crée des disparités de mix énergétique importantes entre les États, la proportion des énergies renouvelables étant par exemple très variable d’un pays à l’autre de l’Union. La Cour des comptes a souligné à plusieurs reprises les différences entre le mix énergétique français, peu carboné et fortement nucléarisé, et le mix énergétique allemand qui s’oriente vers une sortie du nucléaire.
Or, la part croissante des énergies renouvelables dans le mix énergétique de certains États européens n’est pas allée sans créer un certain nombre de difficultés, en raison de l’intermittence de ces énergies et du manque de préparation des réseaux de transport et de distribution pour y faire face. La modification rapide du mix énergétique allemand a par exemple suscité des tensions avec la République tchèque menaçant l’équilibre global du marché électrique européen. Celui-ci est en effet garanti par les interconnexions qui facilitent les échanges entre les réseaux. La montée en puissance des énergies renouvelables en Allemagne a, du fait d’un réseau de très haute tension insuffisant dans le sud du pays, conduit à ce que le trop plein d’énergie intermittente produit dans le nord transite par le réseau tchèque, menacé de saturation. La République tchèque a averti qu'elle envisageait de bloquer à l'avenir tout nouvel afflux d'électricité renouvelable qui ferait courir le risque d'une panne à son réseau. La préservation des interconnexions des réseaux européens commande que les États se préoccupent de la solidité de leurs réseaux dans le cadre des politiques de soutien au déploiement des énergies renouvelables.
Or, la définition d’une politique européenne de l’énergie serait précisément de nature à favoriser une bonne programmation des investissements nécessaires sur les infrastructures et les réseaux de transport et de distribution. Pareille politique présenterait en outre l’avantage d’accroître le rendement des différents centres de production.
Lors de son intervention devant les rapporteurs, M. Jérôme Schmitt, directeur Développement durable et Environnement de Total, a en effet mis en avant la qualité du mix énergétique européen pris dans son ensemble. Alors que les corrections à apporter pour équilibrer les mix énergétiques de chaque État membre apparaissent importantes, l’ampleur des corrections nécessaires apparaît bien moindre si l’on considère le mix énergétique européen dans son ensemble. Il importe donc de « penser européen » et non pays par pays. Pareille approche permettrait, par exemple, une exploitation plus efficiente des énergies renouvelables : penser à l’échelle européenne permettrait d’orienter la localisation des installations de renouvelables sur les territoires les plus pertinents, par exemple l’Italie et l’Espagne s’agissant du photovoltaïque. Cette implantation optimale des infrastructures serait par ailleurs de nature à accroître le rendement et à limiter les problèmes des énergies de « back up » destinées à pallier les déficits des énergies intermittentes.
Pour ces différentes raisons, la définition d’une politique énergétique européenne serait de nature à résoudre une part des difficultés liées aux disparités des mix énergétiques nationaux.
2. La nécessaire harmonisation entre États membres
L’harmonisation des politiques énergétiques entre les États membres de l’Union européenne constitue une nécessité pour écarter les risques de « fuites carbone » qui peuvent résulter de l’efficacité des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre prises par un pays ou un groupe de pays.
Les « fuites carbone » se concrétisent lorsque la maîtrise des émissions de CO2 dans un pays tend à accroître les émissions dans un autre pays, soit parce que la chute de la consommation d’énergie fossile dans le pays vertueux suscite une chute du prix de l’énergie qui favorise l’accroissement de la demande dans d’autres pays, soit parce que l’effort demandé aux entreprises dans les pays vertueux conduit au développement des activités polluantes dans les pays moins vertueux où ces activités deviennent plus compétitives.
Ce risque peut d’abord se concrétiser au sein de l’Union européenne par une délocalisation des productions intenses en carbone vers les pays européens plus tolérants face aux émissions, et dont le niveau d’émission augmente en conséquence. La situation est alors doublement problématique. Non seulement elle crée des distorsions économiques entre États membres, mais elle contrevient aussi à l’objectif qui est de faire diminuer les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, et pas seulement à l’échelle de chaque État pris indépendamment.
Il est indispensable d’harmoniser la fiscalité écologique et de conduire les États membres à une coopération accrue sur ces sujets. Cette harmonisation pourrait intervenir à la faveur de la révision de la directive 2003/96 sur la fiscalité énergétique. Mais si l’échelon pertinent pour instaurer une fiscalité écologique est celui de l’Union européenne, l’instauration d’une telle fiscalité n’est pas sans rencontrer de grandes difficultés politiques comme le montre l’exemple de la taxe carbone européenne. Bien que ce système ait l’avantage de ne pas affecter la compétitivité des entreprises des États membres par rapport aux autres, le projet de taxe carbone européenne, présenté une première fois par le Commissaire à la fiscalité, M. Algirdas Semeta, le 23 juin 2010, n’a pas abouti à ce jour, en raison des réticences de certains États membres, hostiles à toute taxe imposée par l’Union européenne.
Le risque de « fuites carbone » peut encore se réaliser aux frontières de l’Union européenne. Il doit également être pris en considération, non seulement pour protéger l’industrie européenne, mais surtout pour garantir l’efficacité des politiques de lutte contre le changement climatique qui ne sauraient s’arrêter aux frontières de l’Union. Or, les délocalisations générées par les « fuites carbone » alourdissent le bilan des émissions mondiales, dans la mesure où les efforts pour limiter la pollution industrielle demeurent plus importants au sein de l’Union européenne que sur les sites industriels des pays bénéficiant de ces « fuites carbone ». Les débats en cours relatifs à l’instauration d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières répondent à cette préoccupation, mais se heurtent là encore à des résistances politiques et juridiques en raison des réglementations de l’organisation mondiale du commerce. En dépit des efforts déjà produits par la France pour faire progresser ce dossier, ceux-ci doivent être poursuivis pour emporter la conviction des autres États membres.
C. REVOIR LES PRIORITÉS NATIONALES À L’AUNE DES PREMIERS RÉSULTATS
Les travaux de la Cour des comptes ont permis d’observer l’insuffisance des mesures mises en place pour atteindre les objectifs du paquet énergie-climat dans deux secteurs clé : les transports routiers et l’agriculture. Les efforts doivent donc être accentués dans ces directions. Mais de façon générale, l’amélioration de la gouvernance en matière de transition énergétique impose surtout de repenser les outils de modélisation, indispensables à une prise de position éclairée.
1. Mettre l’accent sur les transports et l’agriculture
Le rapport de la Cour des comptes montre que la politique française de transition énergétique demeure largement tournée vers la production d’énergie électrique renouvelable, au détriment de la modification de l’usage de l’énergie. De substantiels progrès pourraient pourtant être réalisés par l’amélioration de l’efficacité énergétique. La France s’intéresse certes à ce sujet, mais principalement à l’aune de l’efficacité énergétique des bâtiments.
De façon générale, la Cour des comptes a pu relever que, si la France avait produit d’importants efforts s’agissant des énergies renouvelables et du bâtiment, il serait aujourd’hui pertinent de réorienter l’action pour insister davantage sur les secteurs des transports et de l’agriculture. Dans sa recommandation n° 7, la Cour préconise de ce fait d’accroître les moyens de la politique d’efficacité énergétique dans les transports (en insistant plus particulièrement sur la route), et dans l’agriculture, afin de limiter le recours aux engrais et développer la politique de la forêt et de l’utilisation des sols.
L’analyse de la répartition des émissions de gaz à effet de serre françaises en 2011 par secteur d’activités montre que ces deux domaines méritent en effet d’être davantage la cible des politiques d’efficacité énergétique. Ainsi, les transports, avec une part de 26,4 % des émissions nationales, constituent le premier secteur émetteur devant l’industrie manufacturière (21,5 %) et l’agriculture et la sylviculture (21,2 %).
Il ne s’agit évidemment pas d’abandonner toute action dans le secteur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique des bâtiments, mais d’accentuer les efforts là où des progrès significatifs peuvent encore être réalisés. S’agissant du secteur des transports, les efforts doivent cibler en priorité la route, qui totalise 94,8 % des émissions du secteur. En ce qui concerne l’agriculture, la nécessité de renforcer les dispositifs de diminution des émissions est d’autant plus urgente que l’agriculture française se singularise par l’ampleur de sa contribution aux émissions polluantes en comparaison des autres pays européens. Alors que l’agriculture française émet 21,2 % des émissions totales françaises, ce chiffre n’est que de 9 % au niveau européen (5). Selon la Cour des comptes, la nature de ces émissions se décompose comme suit : 51 % de protoxyde d’azote, 41 % de méthane et moins de 10 % de dioxyde de carbone. Autre donnée préoccupante : alors que les émissions de ce secteur ont diminué d’un peu plus d’1 % par an dans l’Union européenne entre 1990 et 2010, la baisse n’a été que de 0,5 % par an en France sur cette même période. Ces statistiques tendent à prouver que des marges de progression sont importantes.
L’évaluation des émissions du secteur agricole est au demeurant potentiellement sous-estimée, dans la mesure où ces statistiques reproduites par la Cour des comptes reposent sur une comptabilisation des émissions qui ne prend en considération que les émissions directes. Les données relatives aux émissions indirectes, liées à la production des intrants (engrais), des transports, ou de la consommation d’énergie en agriculture, ne sont donc pas incluses dans ces chiffres.
2. Construire un modèle macro-économique fiable pour évaluer les impacts de la transition énergétique
Par sa nature même, la transition énergétique oblige à considérer des transformations profondes et une temporalité longue. Dans de telles conditions, choisir et décider rend indispensable l’utilisation d’outils de modélisation. Leur objet est d’ailleurs ici bien moins de prévoir que de simuler des situations économiques diversifiées et des scénarios contrastés permettant de comparer plusieurs solutions possibles au regard des conditions qu’elles requièrent (l’investissement notamment), comme de leurs effets (sur l’emploi, la balance extérieure, etc.).
Or, force est de constater que les instruments existants sont soit encore trop limités au regard de ce qu’ils permettent de prendre en compte, soit encore balbutiants. En effet, les instruments actuellement disponibles relèvent, pour l’essentiel, d’une approche dite « technico-économique », ou encore « bottom up », qui ne s’articule que partiellement avec le champ économique. Cela explique que la Cour des comptes juge sévèrement les outils de simulation et les modèles de coûts utilisés par l’État, insuffisants pour détecter et empêcher le phénomène de « bulle financière », tel qu’il a pu se produire pour le photovoltaïque, notamment en raison d’un mauvais ajustement initial des tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque.
La refonte des outils de modélisation pourrait en outre être l’occasion d’une mise à disposition du grand public d’outils simplifiés. Le fait que les modèles français ne soient accessibles qu’aux experts semble en effet contradictoire avec l’objectif d’une appropriation des enjeux de la transition énergétique par le grand public, condition de l’efficacité des politiques menées.
Il incombe dès lors à l’État de se doter des capacités d’expertise et de pilotage nécessaires à une appréhension plus fine des enjeux et des conséquences de la transition énergétique.
II. IMPLIQUER DAVANTAGE LES CITOYENS DANS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
L’implication des citoyens dans la transition énergétique peut parfois s’opérer spontanément, notamment à la faveur de considérations économiques. Par exemple, sensibles à l’opportunité de consacrer une moindre part de leur budget à leurs déplacements, les citoyens se sont rapidement et massivement orientés vers de nouveaux modes de transport partagés tels que le co-voiturage. Cet exemple est d’autant plus intéressant qu’il témoigne aussi d’une évolution rapide des représentations des consommateurs. L’imaginaire attaché au véhicule individuel est en pleine mutation. Jadis symbole de liberté, il tend aujourd’hui à être connoté négativement en raison des contraintes qui s’y attachent (coût, congestion du trafic, difficultés de stationnement…). Les jeunes générations ne se montrent plus autant attachées au modèle de la possession de la voiture individuelle que les séniors. Les mentalités évoluent, des changements de comportement sont perceptibles. Mais pour avoir un impact massif sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le rôle des pouvoirs publics doit être d’encourager puis d’accompagner ces changements. Dans cette perspective, il importe à la fois d’améliorer l’information mise à disposition des citoyens, d’expérimenter de nouvelles approches susceptibles de favoriser les changements de comportements, mais aussi d’accompagner les ménages les plus en difficulté pour éviter qu’une partie de la population ne se retrouve à la marge de la transition énergétique.
La sobriété énergétique est un élément central des scénarios de transition énergétique. Elle nécessite la participation de tous. La diffusion de l’information sur la consommation d’énergie revêt donc une importance cruciale, d’autant que la sobriété énergétique induit certainement les investissements les plus rentables à court comme à moyen et long termes. Or, les informations délivrées aux consommateurs sont souvent illisibles, alors même que ces derniers expriment une réelle attente en matière d’accès à l’information et de maîtrise des données personnelles.
1. Des informations souvent illisibles
Les mesures prises en faveur d’un accès élargi à l’information procèdent d’une démarche louable mais génèrent parfois des résultats décevants au stade de la concrétisation pratique.
Le cas du diagnostic de performance énergétique (DPE), introduit à partir de 2006 en vertu de la directive 2002/91/C, en est un exemple révélateur. Supposé donner au futur acheteur ou locataire un aperçu de la performance énergétique du logement par une estimation de sa consommation énergétique et de son taux d'émission de gaz à effet de serre, le dispositif français voit sa fiabilité et sa pertinence remises en cause. Les instruments de mesure de l’énergie primaire sont inadaptés à l’information utile aux ménages, qui raisonnent en énergie finale, en consommation réelle et se sentent concernés par l’ensemble des usages du bâtiment. Dans ces conditions, l’utilité du dispositif paraît faible. Il convient donc de l’adapter pour prodiguer une information claire et fiable quant aux économies d’énergies réalisables.
Les expériences d’étiquetage environnemental illustrent également la difficulté de mise en œuvre concrète, tant la définition d’un équilibre entre simplicité et exhaustivité de l’information est difficile à trouver.
Il en est ainsi de l’obligation étendue d’étiquetage énergétique des produits domestiques utilisateurs d’énergie et d’autres produits liés à l’énergie. (6) Cet étiquetage, qui se présente désormais au moyen de symboles graphiques (flèche verte ou rouge avec des nuances de couleurs), est jugé obsolète, en dépit de l’ajout de trois classes supplémentaires (A+, A++ et A+++) en 2010. Grâce aux progrès réalisés par les constructeurs et faute d’une refonte globale des classes de consommation d’énergie, tous les appareils électro-ménagers sont désormais notés « A » voire « A+ » ou « A++ ». Il en résulte une mauvaise valorisation des innovations et un signal décrédibilisé auprès des consommateurs. (7)
En dépit des efforts des pouvoirs publics pour promouvoir l’information énergétique, des progrès sont encore possibles, et seront d’autant plus utiles que les consommateurs expriment une forte demande d’accès à l’information, mais aussi à la maîtrise des données personnelles.
2. Une demande forte d’accès à l’information et de maîtrise des données personnelles
L’accès à une information complète et de façon instantanée correspond à une attente réelle des consommateurs, notamment lorsqu’elle est susceptible de générer des économies.
En matière de consommation d’électricité par exemple, l’information incite aux économies d’énergie, et partant à la réduction de la facture énergétique. De ce point de vue, l’instauration du compteur Linky, compteur « intelligent » développé par ERDF, a suscité de grands espoirs en raison du potentiel informatif élevé du dispositif. L’Ademe et l’UFC Que-choisir ont pourtant exprimé leur déception au regard du caractère limité de l’information délivrée.
En effet, ces nouveaux compteurs ne transmettent au consommateur que les informations concernant les volumes d’énergie consommée, les informations relatives aux coûts induits restant réservées à ERDF. Il faut donc développer l’accès du consommateur à l’information afin de l’inciter à effectuer des économies d’énergie. De même, les compteurs Linky gagneraient à offrir de nouvelles solutions technologiques comme le pilotage des usages à distance. Enfin, en matière d’information, il semble essentiel de revoir le diagnostic de performance énergétique pour y inclure notamment la dimension « coût », traduite en euros, plus lisible pour le consommateur que le kWh.
Des solutions innovantes, fondées sur le « design d’information » qui permet de présenter l’information d’une façon parlante pour le consommateur, auraient notamment pu être explorées. Selon le cabinet Chronos, ce type d’innovation aurait fortement amélioré l’impact du dispositif sur les changements de comportements, qui ne s’appuient que difficilement sur une information brute, sans accompagnement ou décodeurs pour la déchiffrer. Il conviendrait donc à l’avenir que ce type de dispositif aille véritablement au bout d’une mise à disposition complète et intelligible de l’information au consommateur.
Cet exemple révèle d’ailleurs l’intérêt que recouvre l’open data comme source d’innovation et de sobriété énergétique. Consistant à rendre accessibles via Internet les données publiques non nominatives, l’open data peut en effet donner lieu à la création d’applications innovantes en matière d’économies d’énergie. Par exemple, l’application Waze est une application de trafic et de navigation communautaire. Les automobilistes membres de la communauté produisent et partagent en temps réel l’information sur le trafic et l’état des routes, ce qui permet aux automobilistes de choisir le tracé optimal de leur déplacement dans le but de réduire les frais de carburant et le temps de trajet. D’autres applications de ce type pourraient par exemple concerner le recensement des pistes cyclables sur un territoire. Mais la condition de ces innovations réside dans l’ouverture des données, point sensible à double titre : il soulève d’une part un enjeu de protection des données personnelles, et implique, d’autre part, que les collectivités ou entreprises détentrices de ces données acceptent de les mettre largement à disposition du public.
B. ADOPTER DE NOUVELLES APPROCHES POUR CHANGER LES COMPORTEMENTS
En vue d’inclure davantage les citoyens dans la transition énergétique, il paraît nécessaire d’appliquer de nouvelles approches pour les intéresser plus largement à ces thématiques. En ce sens, le temps de la campagne de communication classique est révolu. Il s’agit aujourd’hui d’éprouver de nouvelles formes de mobilisation, notamment collectives, afin d’accompagner le citoyen dans sa participation à la transition énergétique. Mais provoquer le changement peut aussi nécessiter de dépasser le stade de la communication, et d’employer incitations ou obligations. Le choix entre ces deux méthodes porte alors à débat. Enfin, responsabiliser les fournisseurs d’énergie constitue une autre piste à explorer.
1. Des campagnes de sensibilisation traditionnelles à de nouvelles formes de mobilisation collective
Pour être pleinement efficaces, les actions publiques menées en vue de mobiliser les citoyens dans la transition énergétique doivent répondre à un certain nombre de principes.
D’abord, exposer une pluralité d’arguments au citoyen est susceptible d’accentuer sa motivation à changer de comportement. Le martèlement d’un argument écologique unique et culpabilisant peut s’avérer contre-productif, là où une approche plus complète peut être porteuse d’une efficacité accrue. L’argument écologique compte, mais peut être renforcé par d’autres éléments qui sont pris en considération lorsque le consommateur fait un choix. Car si ce dernier s’intéresse aux considérations écologiques, il envisage d’autres critères : le coût, l’impact sur la santé, le confort, ou encore le temps passé. Par conséquent, lorsque le choix le plus compatible avec l’environnement rejoint l’un de ces autres critères, il convient de valoriser ce lien qui rendra plus facile de persuader le consommateur. Certes, il a pu être souligné que les arbitrages des consommateurs s’opèrent parfois spontanément en faveur de l’écologie, et ce au détriment de l’économie immédiate. Mais ce schéma de décision étant loin d’être généralisé, il importe d’inciter aux changements de comportement en ayant recours à toute la palette d’arguments mobilisables.
Ensuite, il est apparu que diffuser le message au gré de campagnes de sensibilisation par voie de presse ou télévisuelle ne suffit pas. Il faut aller au-delà en proposant un véritable accompagnement au changement de comportement, non seulement en le préparant en amont, mais aussi en le facilitant en aval de la prise de décision. L’Ademe insiste beaucoup sur la nécessité de créer un environnement facilitant. Un important travail doit être réalisé en amont des campagnes de communication pour s’assurer que le changement de comportement du consommateur ne le laissera pas démuni. Ainsi, tenter de promouvoir le report modal en zone rurale sans pourvoir au préalable aux besoins de transports en commun serait inefficace, et risquerait même de démobiliser les citoyens. Selon cette même logique, mener une campagne de sensibilisation en faveur de la rénovation thermique des bâtiments serait tout aussi inefficace s’il n’est pas pourvu en amont au besoin de formation professionnelle des artisans. En aval, il apparaît primordial de s’assurer de l’existence d’un dispositif informatif. Lorsque le citoyen prend la décision de s’investir dans la transition énergétique, il doit pouvoir trouver les renseignements nécessaires. Dans cette perspective, les « espaces information énergie » initiés par l’Ademe en 2001 afin de sensibiliser et d’informer le grand public gratuitement et de manière objective sur l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables constituent une initiative intéressante et mériteraient d’être renforcés.
Enfin, de nouvelles approches consistant à faire collaborer les citoyens pour qu’ils diffusent eux-mêmes des actions d’efficacité énergétique s’avèrent prometteuses. L’initiative « Famille à énergie positive », organisée par l’Ademe sous forme de défis lancés aux familles pour réduire leur consommation énergétique, en est une illustration. Le caractère ludique de l’expérience crée un effet d’émulation bénéfique à la diffusion d’un message positif sur les économies d’énergies, et, de ce fait, incite d’autres citoyens à s’y engager.
En amont de l’accompagnement au changement, l’action des pouvoirs publics peut aussi consister à mettre en place des incitations ou des obligations pour provoquer le changement. Le choix de l’une ou l’autre de ces méthodes prête actuellement à débat.
2. Quel équilibre trouver entre incitations et obligations ?
En dehors de la sensibilisation et de l’accompagnement, les changements de comportements peuvent être provoqués de façon plus efficace par des incitations ou des obligations posées par les pouvoirs publics. Un débat existe cependant sur le choix de la méthode à adopter. À partir de quand passer de l’incitation à l’obligation ? Lorsque les incitations n’ont pas prouvé leur capacité à provoquer des changements de comportement de masse, faut-il, et à quel moment, formuler des obligations ?
Les parties prenantes auditionnées par les rapporteurs ont fait état de divergences sur le sujet. La majorité des personnes auditionnées a considéré qu’il était pour le moment prématuré de substituer aux politiques d’incitation l’édiction d’obligations. En revanche, cette transition n’a pas été exclue. Au contraire, elle doit être envisagée dès à présent pour être programmée. Il est en effet plus efficient que le citoyen ait connaissance bien en amont du changement à venir, qu’il sache que le système incitatif ne durera qu’un temps et laissera place à une date connue à un système plus contraignant pour qu’il puisse échelonner dans le temps les mesures à prendre. L’évolution progressive et programmée de l’incitation vers l’obligation doit être la méthode à privilégier. Ainsi, lorsque le choix est fait de recourir à la norme, il est primordial que celle-ci soit simple, compréhensible, et que sa date de mise en œuvre soit préalablement connue. Cela permet au citoyen d’anticiper le changement, de s’organiser pour éviter les effets négatifs du non-respect de la norme. Il est encore possible de programmer l’obligation non pas à une date, mais à l’occasion d’un évènement, tel que la vente d’un bien immobilier : poser une norme d’efficacité énergétique imposée à la vente évite certains effets pervers observables lorsqu’une date butoir est prévue, comme la réalisation des travaux dans la précipitation ou les demandes de report. Il est également possible d’envisager le recours à l’expérimentation, afin de mesurer l’impact d’un système obligatoire sur les changements de comportements.
De façon générale, le choix entre incitation et obligation devra être opéré au cas par cas, pour réserver les obligations aux secteurs dans lesquels seule cette méthode est susceptible de générer le changement, et privilégier l’incitation dans les cas où la démarche volontaire des citoyens sera plus efficace. La rénovation énergétique des bâtiments par les bailleurs a été citée comme un cas pouvant nécessiter un passage à l’obligation pour provoquer un changement qui ne provient pas de l’initiative des acteurs concernés.
3. La responsabilisation des fournisseurs via les certificats d’économies d’énergie
L’idée de responsabiliser les fournisseurs d’énergie est envisagée en France à travers le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE). Prévus par la loi Pope du 13 juillet 2005, ce dispositif pose une obligation de réalisation d’économies d’énergie aux vendeurs d’énergie. Ceux-ci sont incités à promouvoir l’efficacité énergétique auprès de leurs clients afin d’atteindre un objectif triennal réparti entre les opérateurs en fonction de leurs volumes de ventes. Lorsque la période s’achève, le fournisseur d’énergie justifie l’accomplissement de ses obligations par la détention d'un montant de certificats équivalant à ces obligations. Le montant des primes peut varier selon les obligés et l’ampleur des travaux effectués.
Lors des tables rondes animées par les rapporteurs, une partie des intervenants s’est montrée favorable à une extension de ce dispositif à d’autres champs que celui de l’énergie, séduite par l’idée de la responsabilisation des fournisseurs. Le sujet prête cependant à débat. Certaines personnes entendues par les rapporteurs considèrent que les fournisseurs ne sont pas les mieux placés pour inciter à la réduction de la consommation d’énergie. D’autres soulignent la nécessité de perfectionner le dispositif s’il devait être étendu. Il conviendrait notamment d’accroître sa visibilité auprès des entreprises et des particuliers. Selon la Cour des comptes (8), l’efficacité du dispositif pourrait aussi être améliorée, en opérant une révision triennale des fiches qui servent à calculer les économies d’énergie des opérations éligibles aux CEE afin de supprimer celles dont l’efficacité est trop limitée, ou en renforçant l’accompagnement des investisseurs pour les inciter à réaliser des travaux plus performants. Surtout, la Cour insiste pour que des études a posteriori auprès des obligés soient réalisées, afin d’améliorer la connaissance des économies réelles obtenues grâce aux opérations financées par les CEE.
C. ACCOMPAGNER LES MÉNAGES LES PLUS EN DIFFICULTÉ
La réalisation de la transition énergétique suppose un investissement économique que tous ne sont pas en mesure d’assumer. Aussi, pour n’exclure personne de cette démarche, et pour ne pas aggraver la situation des plus démunis, il importe de prendre en compte la justice sociale dans la réalisation des politiques de lutte contre le réchauffement climatique. Cela passe par la lutte contre la précarité énergétique et la prise en considération des inégalités sociales lors de la définition des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.
1. Lutter contre la précarité énergétique
Selon la loi Grenelle II, la précarité énergétique désigne la situation dans laquelle « une personne éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». Elle concerne les ménages qui consacrent plus de 10 % de leurs revenus aux dépenses d’énergie dans le logement, à savoir 3,8 millions de ménages. L’accomplissement de la transition énergétique commande de se saisir du cas de ces ménages pour les aider à sortir de cette précarité.
Le programme « Habiter mieux » répond à cette exigence. Il vise à réaliser sur sept ans des travaux de rénovation thermique pour 300 000 ménages propriétaires occupants en situation de précarité énergétique. Le but est d’améliorer d’au moins 25 % la performance énergétique de leur logement. Piloté par l’Agence nationale de l’habitat (Anah), ce programme est doté de 1 100 millions d’euros sur la période 2010 – 2017. Concrètement, le programme consiste à apporter une aide financière pour la réalisation des travaux de rénovation énergétique. L’Anah apporte une aide représentant 35 ou 50 % du montant total des travaux, ce à quoi peut s’ajouter une aide forfaitaire d’un montant minimum de 3 000 euros au titre des "investissements d'avenir", ainsi éventuellement qu’une aide complémentaire délivrée par une collectivité territoriale. Ce programme permet en outre aux familles qui y ont recours d’être accompagnées tout au long du projet par un spécialiste qui réalise le diagnostic thermique du logement, élabore les projets de travaux et aide au montage financier du dossier comme au suivi du bon déroulement des opérations.
Toutefois, ce programme se heurte à des difficultés de repérage des ménages en situation de précarité énergétique. Il semble nécessaire de former les acteurs sociaux et les acteurs énergétiques à l’identification de ces ménages, car rares sont les personnes en difficulté qui prennent l’initiative de se signaler elles-mêmes. Ce volet formation devra par ailleurs être développé en étroite collaboration avec les acteurs sociaux dans la mesure où l’introduction au domicile des personnes touche à l’intime et peut susciter des comportements réfractaires.
Si, comme l’a souligné la Cour des comptes, le programme a connu un démarrage très lent, en raison tant de sa complexité que de la difficulté d’identification des publics cibles, M. Philippe Pelletier, chargé du pilotage et de la mise en œuvre du plan de performance thermique des bâtiments prévu par le Grenelle de l’Environnement, a insisté sur la mobilisation des acteurs du programme Habiter mieux.
Œuvrer par ce type de programme en faveur de l’accompagnement et de la sensibilisation à l’efficacité énergétique des ménages les plus démunis permet d’introduire une dimension de justice sociale dans la lutte contre le changement climatique. Or, cette problématique de précarité énergétique, souvent associée à la seule question du logement, concerne aussi les transports.
2. Faire évoluer la mobilité en réduisant les inégalités
Le traitement du secteur des transports en vue de la diminution des émissions polluantes se heurte lui aussi à une problématique de justice sociale. En effet, les mesures fiscales favorisant l’achat de véhicules propres et celles visant à dissuader l’entrée dans les villes en voiture (péage urbain) ne permettent pas aux ménages aux plus bas revenus d’être acteurs de la transition énergétique. Plus encore, ce sont ces ménages qui, détenteurs des véhicules les plus polluants, sont les premiers touchés par les mesures visant à faire payer les externalités négatives de l’usage de ces véhicules. Typiquement, le bonus-malus automobile ne leur profite pas dans la mesure où ces ménages, quand bien même ils le souhaiteraient, sont dépourvus des moyens nécessaires à l’achat d’un véhicule propre. Ces ménages sont pourtant parfois contraints de conserver un mode de transport individuel pour aller au travail, soit parce qu’ils ont des horaires qui ne leur permettent pas de réaliser leur trajet domicile-travail en transports en commun dans des conditions raisonnables, soit parce qu’éloignés des centres villes, ils ne peuvent opérer un report modal faute d’infrastructures de transports en commun suffisantes.
Il convient donc de prendre en compte la perception des mesures prises dans le cadre de la transition énergétique par le corps social. Les mesures écologiques peuvent en effet avoir un impact sociologique négatif, et partant générer des résistances à ces mesures considérées comme injustes. Lorsque la perception des mesures par le corps social est négative, cela contrevient à l’objectif d’associer tous les citoyens à la transition énergétique. C’est la raison pour laquelle il apparaît utile d’associer le traitement du secteur des transports à une réflexion sur le mode de vie et de travail. En parallèle des politiques de réduction des émissions du secteur routier fondées sur des taxes ou incitations financières, la réflexion sur le mode de vie peut permettre la mise en œuvre d’une politique moins discriminante pour les ménages à bas revenus. Envisager le développement du télétravail, ou créer des plateformes de travail collaboratif, des « tiers lieux » à proximité de zones résidentielles dans lesquelles les travailleurs peuvent venir accomplir leur journée de travail, sont autant de solutions qui permettent de réduire le besoin de mobilité, et emportent ainsi un impact positif en termes d’émission sans pour autant générer d’inégalités supplémentaires.
III. ENCOURAGER LES INVESTISSEMENTS NÉCESSAIRES À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Les besoins de financement de la transition énergétique représentent un défi considérable que la Cour des comptes n’a pas manqué de souligner. Alors que la réalisation de gains d’efficience et la maximisation de l’effet de levier des dépenses publiques pourraient permettre de consacrer davantage de moyens à la recherche et à l’adaptation de notre outil de production, la Cour déplore la faiblesse des instruments d’évaluation et de pilotage qui devraient permettre cette optimisation.
A. RATIONALISER LES DISPOSITIFS
Une rationalisation des dispositifs existants est une première nécessité. Les acteurs réclament unanimement davantage de visibilité et de prévisibilité.
1. Stabiliser et simplifier les dispositifs
De très nombreuses mesures fiscales et réglementaires soutiennent la mise en œuvre du paquet énergie-climat, formant un ensemble protéiforme et peu lisible. En outre, l’instabilité des dispositifs engendre des ruptures brutales qui découragent les investisseurs.
Le soutien à la rénovation thermique s’appuie par exemple sur 28 mesures de nature diverse que la Cour juge peu efficaces (cf. infra deuxième partie, III.). M. Pierre Ducret, référent du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans le domaine de la transition écologique et climatique, a aussi laissé entendre que l’éco-prêt à taux zéro n’était pas des plus efficients : un accord devrait être recherché avec le secteur bancaire pour financer les travaux de rénovation énergétique au même taux qu’un prêt immobilier. L’instabilité des principaux dispositifs comme le crédit d’impôt développement durable (CIDD) ou l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) obère en tous cas l’efficacité de ces mesures en suscitant une méfiance croissante de la part des ménages susceptibles d’y avoir recours. Les mesures fiscales (taxes ou crédit d’impôts) ont été qualifiées de « signaux brutaux » par M. Nicolas Mouchino, représentant de l’UFC Que-choisir. Elles s’appliquent immédiatement au consommateur sans lui laisser le temps de réorienter sa consommation de manière efficace, d’autant que rien n’est fait pour réduire sa captivité à l’égard de son mode de chauffage ou de transport.
La stabilisation est également un enjeu crucial du soutien aux énergies renouvelables. M. Stéphane Pasquier, directeur de Natixis Énergéco, a par exemple indiqué que l’irruption, en 2010, de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) a heurté le secteur de plein fouet. (9) Les actionnaires ont fait face à cette nouvelle taxe grâce aux réserves de précaution qu’ils avaient heureusement constituées sur les revenus d’exploitation des années précédentes. Mais le manque de prévisibilité de l’environnement réglementaire et fiscal est très mal vécu par les investisseurs comme par les entrepreneurs.
Principal outil de soutien, les tarifs d’achat (10) ne s’appuient pas toujours sur une connaissance fiable et actualisée de l’ensemble des paramètres conditionnant la rentabilité des installations (coûts de production, rémunération du risque, cumul de mesures de soutien) comme l’a montré le rapport public thématique publié par la Cour des comptes en juillet 2013. Cette dernière rappelle que le mauvais ajustement des tarifs d’achat des énergies renouvelables a conduit à la formation d’une véritable « bulle » du photovoltaïque entre 2009 et 2012.
En 2009, un groupe d’associations a saisi le Conseil d’État pour contester le tarif d’achat bonifié de l’énergie produite par les éoliennes fixé par l’État, une épée de Damoclès pour la filière éolienne. Saisie à son tour par le Conseil d’État, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée en décembre 2013. Selon l’arrêt de la Cour, le tarif d’achat de l’énergie éolienne, fixé par l’État et supérieur au prix du marché, remplit les conditions pour être qualifié d’aide d’État. Après plusieurs mois de négociation, la France a finalement obtenu en mars 2014 l’accord de la Commission européenne pour financer la filière éolienne par des aides d’État.
Alors qu’un nouveau système de tarifs plus vertueux est proposé par certains économistes (cf. infra deuxième partie, III.), les professionnels et l’Ademe demandent surtout une meilleure prévisibilité. Sans garantie de la pérennité des tarifs d’achat, les investisseurs et les organismes de financement ne seront pas incités à développer et à participer à des projets d’installations. Les entrepreneurs souhaiteraient une rationalisation des obligations déclaratives liées aux aides ou aux autorisations administratives dans les énergies renouvelables par une démarche de type « guichet unique ».
2. Des outils d’évaluation et de pilotage largement perfectibles
La faiblesse des outils d’évaluation et de pilotage a été relevée à plusieurs reprises par la Cour des comptes qui recommande de renforcer l’interministérialité de cette politique en plaçant le Comité interministériel du développement durable sous la présidence effective du Premier ministre et en confiant les travaux de prospective au commissariat général chargé de la stratégie et de la prospective (CGSP).
Le déficit de pilotage se manifeste en premier lieu par l’absence de chiffrage fiable des mesures fiscales et financières et d’évaluation de l’efficacité de ces mesures (cf. infra B.). Par exemple, l’impact de nombreuses mesures fiscales n’est pas évalué alors même qu’elles représentent un coût élevé pour les finances publiques. La Cour cite le taux réduit de TVA pour les travaux d’amélioration, de transformation, d’aménagement et d’entretien portant sur des logements achevés depuis plus de deux ans (5,23 milliards d’euros en 2012). De même, d’autres dispositifs fiscaux (taux réduit de TVA – abrogé en 2012 – pour les abonnements relatifs aux livraisons d'électricité ou de chaleur renouvelable, de petite puissance, exonération d’impôt sur le revenu et de TVA pour la vente de l'électricité produite par les petites installation photovoltaïques, amortissement dégressif et exceptionnel sur 12 mois pour l’achat de certains équipements de production d’énergies renouvelables) n’ont fait l’objet d’aucune évaluation, malgré un coût global qui pouvait atteindre 25 millions d’euros par an jusqu’en 2012.
En second lieu, la Cour déplore l’insuffisance des outils de simulation qui devraient pourtant aider les décideurs à comparer les scénarios de la transition énergétique. La Cour qualifie de « balbutiants » les instruments disponibles aujourd’hui. Elle regrette la prévalence d’une approche « technico-économique » ou « bottom-up » au détriment de modèles macroéconomiques, plus complets, prenant par exemple en compte la démographie atypique de la France. Ces modèles sont pourtant explorés dans la sphère universitaire. Mais ce n’est qu’en 2008 que l’Ademe a passé convention avec l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pour développer une modélisation dédiée à l’évaluation macroéconomique des effets de moyen et long terme des politiques d’environnement et de transition énergétique. Tout au long de son rapport, la Cour des comptes souligne l’insuffisante prise en compte du récent bouleversement du contexte énergétique (découverte des gaz de schiste aux États-Unis, crise économique), des spécificités françaises (démographie), ou des préférences des ménages (« effet rebond » après la rénovation thermique, préférences en termes de mobilité).
3. Mieux prendre en compte la dimension territoriale
Le champ de l’enquête réalisé par la Cour des comptes n’incluait pas les politiques conduites par les collectivités territoriales, qui n’ont donc pas fait l’objet d’une étude poussée. La Cour attire cependant l’attention sur plusieurs points: les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) ont une portée trop limitée et quant aux plans climats énergie territoriaux, ils suscitent une insuffisante implication des acteurs locaux.
Les collectivités territoriales jouent un rôle croissant dans la transition énergétique en favorisant la structuration de filières autour de la rénovation énergétique ou des énergies renouvelables, en coordonnant les artisans intervenant dans la rénovation des bâtiments, en adoptant des normes ambitieuses d’efficacité énergétique dans la construction des bâtiments publics, en favorisant des modes de transports moins émetteurs de CO2 mais adaptés aux territoires, la biodiversité, un traitement écologique des déchets, une bonne gestion de l’eau et en accompagnant les changements de comportement par des opérations d’information et de sensibilisation. À plusieurs égards, les collectivités régionales et communales apparaissent comme des niveaux pertinents de mise en œuvre de la transition énergétique. Une coordination avec l’État est d’autant plus souhaitable pour éviter les doublons.
Or, la coordination entre les politiques nationales et territoriales est encore insuffisante. Les dépenses des collectivités en faveur de la transition énergétique n’ont fait l’objet d’aucune synthèse, tant dans les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances que dans le débat national sur la transition énergétique. Certaines ne sont pas sans risques. Les conseils régionaux ont développé plusieurs mécanismes de « tiers financement », à l’instar de la société d’économie mixte (SEM) Énergie Posit’If, créée par la région Île-de-France avec quinze autres partenaires. M. Pierre Ducret, représentant de la Caisse des dépôts et des consignations, estime que l’objectif défini par Énergie Posit’If – les copropriétés – est ciblé et réaliste. C’est une bonne pratique à promouvoir, à la condition que la SEM ne devienne pas un organisme de crédit et que les financements soient faits par les banques sans passer par son bilan. La région Picardie, en revanche, a créé un service public de l’efficacité énergétique qui engage le bilan du conseil régional, sous forme de subventions et de prêts. Cette formule très ambitieuse ne maximise pas l’effet de levier. Les ressources consenties pour ces prêts et ces subventions devront être compensées par des réductions de dépenses sur d’autres postes.
À l’instar de leurs homologues allemandes, les communes et intercommunalités pourraient à l’avenir accompagner le développement d’une production délocalisée d’électricité et d’une autoconsommation locale. Le ministre chargé de l'énergie a annoncé, mi-octobre 2013, une concertation sur l’autoconsommation, qui pourrait figurer dans la future loi sur la transition énergétique, laissant les producteurs consommer directement leur électricité. La Cour invite à considérer cette idée avec prudence : « la politique dite d’appropriation des productions par les territoires n’apparaît pas automatiquement comme un facteur d’optimisation, ni technique, ni économique. » Elle considère en effet que l’adaptation des réseaux au développement des énergies renouvelables a un coût élevé, estimé à 5,5 milliards d’euros par les gestionnaires de réseaux (RTE et ERDF), coût dont il faut cependant relativiser l’importance en prenant en compte les investissements réguliers qu’il est nécessaire de consentir pour l’entretien et la modernisation du réseau.
Dans ce contexte, il serait souhaitable de s’appuyer davantage sur les syndicats d’énergie, c’est-à-dire sur les services publics locaux de distribution d’électricité et de gaz, pilotés par les collectivités territoriales. De la même manière qu’ils ont permis l’électrification des territoires, grâce à un fonds dédié, le FACÉ (Fonds d'amortissement des charges d'électrification), les syndicats d’énergie pourraient être l’instrument des politiques énergétiques territoriales, par exemple en finançant l’implantation de bornes de recharge pour véhicules électriques ou des travaux de rénovation énergétique. La loi de finances rectificative pour 2013 a marqué une première avancée en ce sens : son article 45 a en effet transféré aux autorités organisatrices de distribution de l’électricité (AODE) – syndicat intercommunal ou fédération départementale – la perception de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité (TCCFE). Dans un communiqué du 5 février 2014, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) souligne la pertinence de lier « la perception de la TCCFE [...] à l’exercice de la compétence d’autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité (AODE) ». Utilisée par les syndicats d’électricité, la TCCFE irait aussi à des actions liées à la transition énergétique : « un grand syndicat d’énergie contribue au maintien de l’indispensable solidarité territoriale, grâce à ses investissements et aux services que sa taille départementale lui permet d’assurer entre des zones à faible et à forte densités de population ».
B. MAXIMISER L’EFFET DE LEVIER DES INVESTISSEMENTS PUBLICS
Les investissements publics ne seront pas suffisants pour réaliser la transition énergétique. Leur pertinence doit être évaluée à l’aune de la mobilisation des capitaux privés qu’ils suscitent.
1. Évaluer les coûts présents et futurs de la transition énergétique
L’évaluation du coût d’ensemble de la mise en œuvre du paquet énergie-climat par les pouvoirs publics est malaisée. Elle se heurte à la multiplicité des dispositifs qui concourent plus ou moins directement à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES), dont la nature est diverse (fiscaux, réglementaires, financiers) et dont beaucoup n’ont d’ailleurs pas été évalués. Isoler la part des investissements directement imputable à la réduction des GES est une gageure. C’est le cas, par exemple, dans le secteur des transports : quelle part du développement de nouvelles lignes à grande vitesse retenir au titre de la réduction des émissions de GES ? En relevant ces difficultés, la Cour des comptes souligne aussi les faiblesses du « document de politique transversale » (DPT) censé retracer l’ensemble des crédits consacrés à la lutte contre le changement climatique, annexé au projet de loi de finances annuelle. Selon celui de 2013, les dépenses de l’État attribuées à la politique de lutte contre le changement climatique s’élèvent à 5,1 milliards d’euros. Mais les montants indiqués par les DPT évoluent considérablement d’une année à l’autre selon les modes de calcul retenus. (11) L’évaluation des crédits proposée est donc « très incertaine et fragile », selon la Cour.
RÉCAPITULATION DES COÛTS SECTORIELS
(en millions d’euros)
Fonds Chaleur |
628,0 |
1,4 milliard d’euros supplémentaire serait nécessaire d’ici 2020 |
Éco-PTZ |
571,0 |
Coûts générationnels 2009-2012 |
CIDD |
1 130,0 |
2012 (650 millions d’euros en 2013) |
Éco-PLS |
127,0 |
1ère et 2e générations (2009-2012) |
Habiter mieux |
1 350,0 |
Dont 0,5 milliard d’euros État |
Réhabilitation énergétique |
320,0 |
Dont 90 millions d’euros DOM (2009-2012) |
Total Habitat |
4 126 | |
Exonérations TICE biocarburants |
3 400 |
2005-2013 |
Déficit bonus-malus |
1 450 |
2008-2011 |
Total Transports |
4 850 | |
Prêts verts Oséo |
500 |
Dotation des investissements d’avenir |
Prêts éco énergie |
33 |
Dotation |
Utilisation rationnelle de l’énergie (Ademe) |
0,5 |
Annuel |
Total Industries |
533,5 | |
Fonctionnement du SCEQE |
0,6 |
Annuel |
Fraude à la TVA |
1 600 |
Plus de fraude depuis la mise en place de l’auto-liquidation en 2010 |
Réserve Nouveaux Entrants |
207 |
Taxe exceptionnelle en 2012 (112 millions d’euros) |
Total SCEQE |
1807,6 | |
Dépenses de soutien aux EnR |
19 400 |
2005-2013, s’y ajoute une prévision de 44,0 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2020 (dont 35,6 milliards de CSPE) |
Intégration au réseau |
5 500 |
Estimation RTE et ERDF à horizon 2020 |
Total EnR |
24 900 |
Source : d’après la Cour des comptes, rapport tome 1, page 113.
La Cour des comptes privilégie finalement les résultats du groupe de travail 4 du Conseil national du débat sur la transition énergétique, qui a estimé à 37 milliards d’euros l’ensemble des investissements annuels réalisés en faveur de la transition énergétique par l’État mais aussi les opérateurs publics ou encore les consommateurs. Ces chiffres sont, de l’aveu même du CNDTE, à considérer avec la plus grande prudence. (12)
Sur ces 37 milliards annuels, 53,3 % seraient financés par la puissance publique, chiffre de toute façon sous-estimé puisqu’il ne comprend pas les dépenses des collectivités territoriales. Le tableau ci-dessous indique le détail sectoriel des incitations de l’État selon le CNDTE.
RÉPARTITION DES INCITATIONS DE L’ÉTAT PAR SECTEUR EN 2012
(en milliards d’euros)
Secteur |
Incitations |
Agriculture |
0,04 |
Bâtiment (TVA réduite, CIDD, éco-PTZ…) |
7,36 |
Industrie manufacturière |
0,14 |
Précarité (tarifs) |
0,35 |
Production de biocarburants (défiscalisation, TIPCE) |
0,30 |
Production de chaleur (fonds chaleur) |
0,26 |
Production d’électricité renouvelable (CSPE, appels d’offre) |
2,20 |
Production d’électricité hors renouvelables (tarifs) |
4,00 |
Transport d’énergie, électricité et gaz (tarifs) |
5,14 |
Total |
19,80 |
Source : groupe 4 du CNDTE, cité par la Cour des comptes.
Les incertitudes sont encore plus grandes s’agissant des coûts futurs des différents scénarios proposés par le CNDTE pour atteindre les objectifs de réduction des GES fixés à horizon 2020 ou 2050. La Cour estime qu’un accroissement des investissements compris entre 11 et 40 milliards d’euros par an serait nécessaire, soit entre 0,5 et 2 points de PIB d’investissement supplémentaire jusqu’en 2050.
LES QUATRE SCÉNARIOS PROPOSÉS PAR LE CNDTE
Trajectoire |
DEC : Demande forte et décarbo-nation par l’électricité |
DIV : Demande moyenne et diversité des vecteurs |
EFF : Efficacité énergétique et diversification des vecteurs |
SOB : |
Actuel 2010 |
Scénario exploré par : |
Négatep, RTE, Ancre, UFE |
Ancre, RTE, DGEC |
Ademe, GRDF, Ancre, Cired (ENCILOCARBrenf) |
Négawatt, Greenpeace, WWF, Global Chance |
|
Consommation d’énergie primaire 2050 (Mtep) |
260 |
189 |
108 |
84 |
265 |
Part de l’énergie nucléaire en 2050 (%) |
70 |
50 |
25 |
0 |
84 |
Durée de vie des centrales nucléaires (ans) |
3 hypothèses : 40 ans pour toutes les trajectoires 55 ans pour DEC, 45 ans pour DIV, 40 ans pour EFF et SOB 55 ans pour toutes les trajectoires | ||||
CO2 énergie 2050 (Gt) |
102 |
115 |
61 |
25 |
391 |
Production d’électricité 2050 (TWh) |
886 |
596 |
399 |
431 |
541 |
Source : Cour des comptes.
Après avoir souligné l’importance considérable des investissements requis, « un mur d’investissement », la Cour s’alarme de la faiblesse des travaux de prospective et des outils de modélisation. De très fortes incertitudes demeurent sur le coût des différentes voies de la transition énergétique.
2. Mobiliser les capitaux privés
Compte tenu de l’ampleur des investissements à consentir, la transition énergétique représente un changement de société. Il ne s’agit pas uniquement de réorienter les dépenses publiques mais de leur donner un effet de levier maximal. C’est pourquoi une équipe composée d’experts de la direction générale du Trésor et du Commissariat général du développement durable s’est vue confier la rédaction d’un livre blanc sur le financement de la transition énergétique. Le document reconnaît que « la transition écologique suppose des investissements importants pour les quarante années à venir, et qui seront d’autant plus coûteux qu’ils seront différés. » Il ajoute que « les États n’ont ni la vocation ni la capacité, à eux seuls, d’assurer financièrement la transition écologique. Il s’agit donc avant tout d’orienter les choix d’investissement, de consommation et d’épargne des acteurs économiques (ménages et entreprises) dans un sens favorable. » La réunion d’une conférence bancaire et financière, prévue avant la fin du premier semestre 2014, devra être l’occasion d’associer étroitement le secteur bancaire et financier à cette mobilisation.
M. Pierre Ducret, référent du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans le domaine de la transition écologique et climatique, s’est montré plutôt optimiste lors de son audition par les rapporteurs. Les investissements requis lui paraissent tout à fait atteignables. Il a tenu à rappeler que l’effort de guerre aux États-Unis avait représenté jusqu’à 35 % du PIB pendant la Seconde guerre mondiale. En s’inspirant de la méthode allemande qui distingue les investissements spécifiques au climat des investissements relatifs au climat, la CDC évalue le montant des investissements directement réducteurs des émissions de gaz à effet de serre (GES) entre 23 et 27 milliards d’euros, sur les 37 milliards annuels dépensés aujourd’hui. Environ trois cinquièmes de ces investissements proviendraient de capitaux privés. Les 10 milliards supplémentaires proviendront de la réorientation d’investissements déjà réalisés. L’enjeu réside dans le basculement des flux d’investissements actuels vers les besoins de la transition. Pour y parvenir, il est n’est nullement besoin d’augmenter significativement le niveau actuel de subventions, selon M. Ducret. Il faut mobiliser les capitaux privés. Hors acquisition, les dépenses des ménages dans leur logement représenteraient déjà 45 milliards d’euros par an aujourd’hui. Le besoin d’investissement des particuliers pour la rénovation thermique de leur logement serait de l’ordre de 7,5 milliards. L’enjeu est donc d’inciter les ménages, par les signaux adéquats, à donner la priorité à la rénovation thermique. Il est possible d’orienter très fortement les comportements en donnant des signaux à long terme, des signaux qui ne coûtent rien aux finances publiques. Aujourd’hui, cet appareil de signaux est encore insuffisamment lisible, ordonné et clair. Le sujet est moins technique que politique, selon M. Ducret. Si le niveau de la contrainte fait l’objet d’un consensus large, il y aura un effet signal évident. C’est une condition, certes non suffisante, mais absolument nécessaire, selon M. Ducret, rejoint en cela par M. Xavier Bonnet, chef du service de l’économie, de l’évaluation et de l’intégration du développement durable au Commissariat général au développement durable et M. Robin Edme, conseiller Finance responsable, rapporteurs du Livre blanc sur le financement de la transition écologique.
Il conviendrait de réfléchir également aux niveaux de rentabilité acceptables pour les investisseurs privés et au complément qui peut leur être apporté par la puissance publique. Les Britanniques ont mis en place une plateforme entre certains fonds de pension et le Trésor britannique qui a le mérite de créer un espace de dialogue pour faire converger les approches des acteurs économiques.
3. Concevoir des modes de financements innovants
Des modes de financement innovants sont à l’étude, comme les financements participatifs (crowdfunding). La Caisse des dépôts et des consignations envisage d’apporter son expertise aux plateformes de crowdfunding, autrement dit, son « capital confiance ». Cela leur permettrait de réduire les coûts de conformité de ces plates-formes et d’attirer d’autres investisseurs que les particuliers.
Le développement des obligations vertes ou green bonds devrait être accéléré, selon M. Ducret. Les effets de substitution sont potentiellement très importants. Si les épargnants et les gérants de l’épargne demandent de la dette « verte », les investissements suivront. Il faut donc faire en sorte que ce soient des investissements attrayants pour les gestionnaires d’épargne, avec de bons équilibres rentabilité – risque. Pour M. Ducret, il s’agit là d’un levier colossal et peu coûteux pour orienter les capitaux. En dépit des problèmes de régulation et des problèmes comptables, qui dépassent le cadre national, c’est une cible pertinente. Les garanties sont un autre levier puissant et incontournable. MM. Bonnet et Edme, rapporteurs du livre blanc sur le financement de la transition énergétique, invitent aussi à étudier d’autres mécanismes peu connus en France, comme les social impact bonds, qui consistent à externaliser une problématique à un opérateur privé, financé collectivement de façon conditionnée. Aux États-Unis, ces « obligations sociales » ont été utilisées pour financer des programmes de lutte contre la délinquance.
En revanche, les mécanismes de tiers financement semblent difficiles à mettre en place pour les particuliers, surtout pour les ménages les plus modestes. Selon M. Ducret, l’amortissement et la rentabilité de la rénovation thermique par les économies d’énergie des particuliers est plus long que pour les entreprises (20 ans contre 7-8 ans). Le Royaume Uni en a fait l’amère expérience avec la Green Investment Bank. Dans ce système, le financement de la rénovation énergétique est attaché au logement lui-même et non plus à son propriétaire. Un tiers, par exemple une société de service du secteur privé, finance l’investissement initial permettant la rénovation. La rentabilité de l’investissement provient des économies d’énergie réalisées. Mais les gains se sont avérés très limités. Lorsqu’ils sortent de la précarité énergétique, les ménages privilégient le confort en augmentant la température de leur logement d’un ou deux degrés (« effet rebond »), ce qui limite les économies d’énergie et donc la rentabilité de l’investissement. M. Pierre Ducret mais aussi MM. Bonnet et Edme préconisent donc de sanctuariser le budget de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), opérateur du programme Habiter mieux. Les ressources de l’agence étant composées du produit de la vente des quotas de carbone – qui a dramatiquement chuté –, un complément sera vraisemblablement nécessaire.
Enfin, une évolution du rôle de la Banque publique d’investissement (BPI) a été proposée par M. Stéphane Pasquier, directeur de Natixis Energéco, sur le modèle de la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) allemande. La BPI intervient aujourd’hui soit directement dans le capital des projets, soit en accompagnement de prêteurs séniors tandis que la KfW apporte aux banques allemandes de la dette de long terme à des taux réduits (jusqu’à 1 %), ce refinancement avantageux leur permettant à leur tour de proposer des financements à long terme à des taux réduits, particulièrement intéressants pour le financement des énergies renouvelables.
C. ADAPTER LE SYSTÈME PRODUCTIF À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Comme le rappelle la Cour des comptes, « l’investissement dans la transition ne saurait en lui-même passer pour un substitut de politique industrielle. Celle-ci demeure indispensable. » (13) La transition énergétique constitue à la fois un défi et une opportunité pour les entreprises françaises. Adapter le système productif est un enjeu de compétitivité. Si des mesures protectrices peuvent être prises à l’égard des secteurs les plus exposés, il est surtout indispensable de donner des signaux lisibles et clairs à long terme et de lever les freins aux investissements de long terme que nécessite la transition énergétique.
1. Veiller au maintien des activités sur le sol européen
Comme l’a relevé la Cour des comptes à propos du système communautaire d’échange de quotas de carbone (SCEQE), le déploiement pourtant très progressif d’un marché du carbone n’a pas incité à la réalisation d’études en nombre suffisant sur la sensibilité des secteurs et des territoires à la concurrence résultant des limites géographiques du SCEQE (ou « fuites carbone »). Les effets de l’augmentation du prix du carbone sur la compétitivité sont donc encore peu connus. Tout au plus, une étude commandée par le Cembureau, la fédération européenne du ciment, suggère-t-elle que ces effets ne sont pas uniformes. Les industries produisant des biens aisément substituables et localisées dans des territoires ouverts sur le reste du monde subiront davantage la concurrence des pays qui n’ont pas adopté de système de quotas. Cette concurrence sera en revanche marginale dans certains territoires ou pour certaines industries dont la production n’est pas délocalisable. La réalisation d’un diagnostic précis et fiable est dans l’intérêt des secteurs les plus exposés ; il permettra de mieux accompagner ces secteurs en concentrant les dépenses publiques.
Les industriels entendus au cours des tables rondes ont demandé l’adoption d’un principe d’iso-fiscalité, tel qu’observé en Allemagne. Afin de préserver la compétitivité, le produit des taxes énergétiques devrait être reversé aux entreprises suivant des critères sociaux et environnementaux, pour préserver leur compétitivité. La nouvelle coalition allemande a récemment remis en cause cette pratique en réduisant les subventions versées aux entreprises. Il reste qu’une réforme cohérente de la fiscalité énergétique est indispensable en France et qu’elle pourrait être rendue plus acceptable voire plus efficace par l’adoption de mécanismes redistributifs conditionnés.
À plus long terme, il sera nécessaire de convaincre une majorité de pays dans le monde de la nécessité d’adopter des mécanismes contraignants à l’instar du SCEQE. Aujourd’hui, des expérimentations sont conduites aux États-Unis, en Chine, en Australie, tandis que d’autres pays annoncent s’engager sur cette voie comme le Québec, le Vietnam ou le Cambodge. La conférence Paris Climat 2015 devra marquer une étape décisive dans la négociation du futur accord international pour l’après-2020. Faute d’un accord de la part d’un nombre critique de parties, la France devra continuer à défendre le principe d’un « mécanisme d’inclusion carbone » aux frontières de l’Union européenne, limité à certains secteurs fortement exposés comme le ciment, par exemple.
2. Accompagner les entreprises dans la transition énergétique
Selon M. Pierre Ducret, référent du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans le domaine de la transition écologique et climatique, les investissements en matière d’efficacité énergétique des sites industriels français peuvent être limités pour trois raisons principales. Premièrement, les procédés d’efficacité énergétique ne constituent pas nécessairement le cœur de métier de ces sites industriels et la mise en œuvre de tels projets peut leur paraître complexe. Deuxièmement, les investissements effectués par les industries sont généralement rentables au bout de trois ans maximum. Or, les investissements en matière d’efficacité énergétique ne sont rentables qu’au bout de six à huit ans. De tels délais ne les font pas passer en priorité lors des décisions effectuées par les industriels. Enfin, les entreprises sont contraintes par des plafonds d’endettement qui limitent leurs investissements et les rend plus réticentes à effectuer des investissements ambitieux en matière de transition énergétique.
À la suite du durcissement des règles prudentielles, les banques sont moins enclines à financer des projets de long terme, plus consommateurs de fonds propres. Sur les 800 millions d’euros de flux d’investissement que la banque publique d’investissement (BPI) consacre aux entreprises dans le cadre de la transition énergétique, la moitié est consacrée aux énergies renouvelables et l’autre aux entreprises chargées de la gestion du cycle de vie des ressources naturelles ou à l’optimisation de leur consommation. La réduction de la dépendance aux hydrocarbures est un enjeu de compétitivité identifié par la BPI, qui considère qu’elle fait partie de ses missions. Elle propose désormais un nouveau prêt « vert » bonifié ; 360 millions d’euros y seront consacrés pour 2014-2016. Elle devrait aussi proposer aux réseaux bancaires de distribuer entre 3 000 et 4 000 prêts éco-énergie par réseau bancaire et par an, sur trois ans. Elle propose aussi d’introduire un axe efficacité énergétique dans les investissements BPI France et le recours à des « lettres de progrès » échangées chaque année avec les chefs d’entreprises.
Les représentants du secteur du bâtiment ont également demandé le maintien du dispositif de formation aux économies d’énergie (Feebat) copiloté par les pouvoirs publics et les fédérations professionnelles. Les collectivités publiques peuvent également favoriser l’approfondissement des logiques de filières en élaborant leurs appels d’offres de façon à ce qu’ils soient accessibles pour les petites entreprises ou des consortiums. Elles peuvent également favoriser l’organisation des artisans dans une région pour des interventions coordonnées, comme l’a fait la communauté de communes Biovallée avec le programme DORéMI, cité dans le palmarès 2013 des initiatives locales pour la rénovation énergétique (cf. infra deuxième partie, III.).
3. Poursuivre l’effort de recherche pour lever les verrous technologiques
La recherche n’est pas le moindre des investissements à consentir. Tous les scénarios de la transition énergétique reposent sur des paris technologiques ambitieux. Pour séduisantes qu’elles soient, les solutions technologiques régulièrement évoquées dans le débat public (les biocarburants, le biogaz, l’hydrogène pour le stockage de l’énergie) sont balbutiantes. Plusieurs d’entre elles sont même confrontées à des impasses technologiques en l’état actuel des connaissances. C’est dire l’importance de la recherche dans ces domaines où règnent de grandes incertitudes. Selon la Cour des comptes, le stockage de l’énergie issue de sources renouvelables intermittentes est la clé de la massification de ces énergies propres. Ce doit être une priorité.
Là encore, la BPI a la mission de soutenir les éco-entreprises innovantes et les développeurs. Elle soutient 11 000 entreprises directement productrices de technologies ou de services liés à la transition énergétique. Des encours de l’ordre de 350 millions d’euros d’investissement correspondent à des développeurs régionaux, à des fonds partenaires (tels que les fonds Démeter) ou encore à des actions de capital risque. Par exemple, le Fonds Écotechnologies est géré par la BPI et doté de 150 millions d’euros dans le cadre de la mise en œuvre des actions du programme d’investissements d’avenir confiées à l’Ademe.
DEUXIÈME PARTIE :
LES ENJEUX DES SECTEURS CLÉS DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
I. LES TRANSPORTS : LA NÉCESSITÉ DE REDÉFINIR LES PRIORITÉS
Le secteur des transports a été négligé lors du lancement du débat sur la transition énergétique, comme en témoigne l’absence de groupe de travail dédié à ce sujet. Ce secteur est pourtant fortement émetteur de CO2, et est, à ce titre, susceptible de contribuer utilement à la réalisation des objectifs du paquet énergie-climat. C’est la raison pour laquelle les rapporteurs ont organisé une table ronde afin d’entendre experts et professionnels sur la question suivante : « Comment renforcer la contribution du secteur des transports à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? ». Les personnes invitées à cette table ronde ont souligné la nécessité de redéfinir les priorités et de renforcer les actions autour de trois axes stratégiques.
A. UN SECTEUR STRATÉGIQUE SOUMIS À UNE FORTE DEMANDE DE MOBILITÉ
La France s’est donné des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de CO2, puisqu’elle s’est fixé un objectif de diminution de 20 % des émissions de CO2 d’ici 2020 par rapport à 2005, allant au-delà de l’objectif de 14 % fixé par la décision 406/2009 du 23 avril 2009 dite « partage de l’effort ». Selon toute vraisemblance, les objectifs ne seront pas atteints. Cour des comptes et professionnels du secteur s’accordent sur la nécessité de cibler en priorité le secteur routier, tout en tenant compte de la demande de mobilité afin de ne pas compromettre l’acceptabilité sociale des dispositifs engagés.
1. Une priorité : cibler le secteur routier, principal émetteur de gaz à effet de serre
Les transports constituent en France le premier poste d’émissions de gaz à effet de serre. En 2011, ce secteur a émis 138 Mteq de CO2,soit 27,9 % des émissions nationales.
Compte tenu du caractère stratégique de ce secteur dans la mise en œuvre du paquet énergie-climat, la Cour des comptes a réalisé un bilan circonstancié, et très critique, des politiques menées en vue d’atteindre les objectifs fixés. La Cour déplore en effet l’absence de réflexion globale qui conduit à la mise en œuvre d’une politique parcellaire, donnant « l’impression d’un catalogue de mesures ». Elle juge aussi la plupart des mesures mises en place peu efficaces, bien que très onéreuses. Une étude de la DGEC, qui évalue l’impact des mesures prises, estime à seulement 9 % les émissions de CO2 évitées dans ce secteur (14).
Surtout, la Cour des comptes considère l’enjeu de la contribution du secteur des transports à la réduction des émissions de CO2 insuffisamment pris en considération. C’est la raison pour laquelle elle préconise d’ « accroître les moyens de la politique d’efficacité énergétique dans les transports, où l’effort principal doit porter sur la route ».
La grande majorité des professionnels auditionnés ont partagé tant le constat que l’ordre de priorité formulé par la Cour. S’ils ont regretté que l’approche du paquet énergie-climat, qui ne concerne que les émissions de CO2 et non la qualité de l’air dans son ensemble, n’ait pas été davantage critiquée, ils se sont montrés en accord avec l’idée de faire des transports une cible prioritaire pour atteindre les objectifs fixés, et dans ce but d’accentuer les efforts sur la route. La priorité donnée à la route s’explique par des statistiques éloquentes relatives à la répartition des émissions en fonction du mode de transport : la route est en effet de très loin le plus grand émetteur, avec 94,8 % des émissions, devant le transport aérien domestique (3,6 %), le transport fluvial et maritime domestique (1,1 %) et le transport ferré ou par oléoduc (0,5 %).
Le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) a cependant fait part de son désaccord sur certains des constats réalisés. Il a par exemple relativisé la position première du secteur des transports dans les émissions de CO2 du fait du caractère décarboné de l’énergie en France. Dans un mix énergétique moins décarboné comme celui de l’Allemagne, le secteur des transports n’est que le second poste émetteur, tout en étant plus émetteur qu’en France. Le CCFA a aussi insisté pour que les émissions totales des transports routiers soient mises en relation avec la croissance démographique, afin de ne pas masquer les progrès significatifs réalisés en termes de performance intrinsèque des véhicules, et ce en dépit de leur alourdissement lié à une réglementation plus stricte en la matière pour des raisons de sécurité. Il a tenu à attirer l’attention des rapporteurs sur l’importance de ne pas faire peser des obligations excessives sur le secteur des transports, qui tient par ailleurs un rôle primordial dans l’économie française. Ce dernier argument n’est pas sans mettre en évidence l’une des contraintes de traitement du secteur : la nécessité de tenir compte des besoins de mobilité.
2. Une contrainte : tenir compte des besoins de mobilité
Cour des comptes et professionnels auditionnés ont identifié une même difficulté dans la définition des politiques destinées à accentuer les efforts du secteur des transports : la nécessaire prise en compte des besoins de mobilité. Comme l’a rappelé M. Kovarik, représentant la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), le code des transports pose la nécessité de concilier la protection de l’environnement et de la santé avec les besoins en matière de mobilité (15). Dans le même ordre d’idées, le Livre blanc sur les transports de la Commission européenne précise que « freiner la mobilité n’est pas une option » (16). La Cour des comptes a également insisté sur l’acceptabilité des mesures comme condition de leur efficacité, et a expliqué que dans le cas des transports, cette acceptabilité sociale est elle-même fonction de l’impact des mesures sur la demande de mobilité.
Le sujet est de première importance puisque, une fois prise la décision d’accroître les efforts du secteur routier, il sera inévitable de s’intéresser aux déplacements individuels sur route qui sont responsables de 58 % des émissions des transports routiers. Dans une approche sociologique développée dans l’annexe IV de son rapport, la Cour des comptes propose en conséquence une classification des leviers mobilisables selon qu’ils modifient peu, moyennement ou beaucoup le service à la mobilité. Cette grille de lecture permet de comprendre la difficulté de mise en œuvre d’un certain nombre de mesures pesant sur la demande de mobilité. En effet, la plupart des mesures qui ne modifient qu’à la marge le service à la mobilité reposent essentiellement sur le progrès technique et l’amélioration des performances énergétiques des véhicules, et ont déjà été engagées. Parmi les pistes qui modifient moyennement le service à la mobilité, la Cour mentionne notamment l’introduction de nouveaux véhicules adaptés à certains contextes (véhicules petits et légers pour les trajets courts, poids lourds de grande capacité sur autoroute) et l’exploitation optimale des réseaux, pistes qui ne sont pas véritablement soutenues et mériteraient d’être explorées. Surtout, la Cour relève qu’un travail doit encore être mené sur le transfert modal, qui modifie de façon importante le service à la mobilité : les temps de parcours peuvent être plus longs, et les infrastructures qui permettent de passer d’un mode de transport à l’autre sont insuffisantes. L’appréhension de cette problématique de la demande de mobilité doit permettre une meilleure adéquation de l’offre à la demande lors de la définition des politiques qui visent à réduire l’usage d’un véhicule automobile individuel. Sur ce point, les personnes auditionnées ont pu rappeler que l’abandon de la voiture individuelle n’était pas envisageable partout. Si les centres villes sont aujourd’hui bien équipés en transports collectifs, tel n’est pas le cas des zones moins denses du territoire où il n’existe que peu d’alternatives à la propriété d’une voiture individuelle, sans que le besoin de mobilité soit moindre pour autant.
Selon cette même logique, les auditions ont souligné l’intérêt de mener une réflexion sur l’origine même de la demande de mobilité, c'est-à-dire sur les modes de vie et de travail. L’urbanisme constitue par exemple un levier important pour minimiser les déplacements domicile-travail, par une proximité accrue des zones de travail et d’habitation. Dans cette perspective, le télétravail, l’adaptation de l’offre à la demande par la définition d’horaires de travail alternatifs, la création de lieux mutualisés de travail à proximité des domiciles sont autant de possibilités pour décongestionner les routes et réduire les émissions. Dans une perspective de long terme, cette réflexion sur la restructuration des modes de vie, du rapport au travail et à l’habitat, semble nécessaire pour parvenir à réduire significativement les émissions liées aux transports.
Les échanges entre les parties prenantes comme le rapport de la Cour des comptes ont mis en évidence le caractère pléthorique des mesures envisageables. La complexité du secteur des transports, la multiplicité des besoins et des modes de mobilité conduisent à ce que ce secteur ne puisse faire l’objet d’une réponse unique. Pour autant, au terme des débats, il est possible de dégager trois axes stratégiques autour desquels les mesures pourraient être articulées pour améliorer la contribution des transports à la diminution des émissions polluantes.
B. DES PRÉCONISATIONS ARTICULÉES AUTOUR DE TROIS AXES STRATÉGIQUES
Les trois axes autour desquels gravitent la plupart des mesures envisagées par la Cour des comptes et les professionnels auditionnés consistent à agir en faveur de l’efficacité énergétique des véhicules, à penser le report modal de façon à adapter l’offre à la demande de transport et à optimiser l’usage de la route.
1. Poursuivre les efforts en faveur de l’efficacité énergétique des véhicules
Cour des comptes et professionnels du secteur des transports partagent l’idée selon laquelle la poursuite des efforts en faveur de l’efficacité énergétique des véhicules constitue un enjeu important pour atteindre l’objectif de réduction des émissions moyennes de CO2 du parc automobile de 176g CO2/km à 130g CO2/km en 2020 (17), fixé par la loi Grenelle I du 3 août 2009.
Dans son rapport, la Cour des comptes a pu relever qu’une série de mesures vise à encourager le renouvellement du parc vers des véhicules plus performants, donc moins émetteurs. L’étiquetage CO2 obligatoire pour les véhicules particuliers, le plan de développement des véhicules électriques et hybrides rechargeables, la modulation de la taxe annuelle sur les véhicules de société, ou encore le bonus-malus automobile relèvent de cette approche. La Cour des comptes ne conteste pas l’efficacité de ces mesures. Au contraire, elle constate que la moyenne des émissions de CO2 des véhicules neufs en France a connu une baisse significative entre 2007 et 2011, tant en raison des progrès techniques réalisés par les constructeurs que de l’efficacité de certaines mesures.
Si la Cour des comptes et les professionnels constatent de façon unanime les progrès réalisés et le succès de certains des dispositifs mis en œuvre, quelques nuances ont tout de même été exprimées.
D’abord, s’agissant des mesures visant à orienter la consommation vers des modèles moins polluants, le bonus-malus automobile a fait l’objet d’un constat d’efficacité commun de la part de la Cour des comptes et des professionnels. Ce dispositif est bien parvenu à orienter la consommation vers des véhicules faiblement émetteurs de CO2, et le CCFA considère qu’il a en outre permis un retour sur investissements des constructeurs dans les gammes de véhicules vertueux en compensant les surcoûts de recherche et développement. La Cour des comptes a néanmoins soulevé une réserve importante tenant au coût du bonus-malus, largement déficitaire (1,45 milliard d’euros en quatre ans), et préconisé un rééquilibrage financier. Si celui-ci devait advenir, M. Dominique Auverlot, membre du commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), a proposé de modifier le bonus-malus afin qu’il permette également de favoriser la vente de petits véhicules.
Le débat a été plus contrasté sur la question de la fixation de normes d’efficacité énergétique aux poids-lourds, actuellement inexistantes. Le CCFA et l’Institut français du pétrole – énergies nouvelles (IFP-EN) ont ainsi fait valoir la difficulté d’établir de telles normes qui, en outre, seraient inutiles dans la mesure où les transporteurs sont davantage sensibles à la contrainte économique, c’est-à-dire à la diminution de la consommation par l’utilisation de véhicules moins polluants. Cette dernière remarque n’a pas emporté l’adhésion des autres participants, M. Auverlot opposant le caractère tout à fait réalisable de la fixation d’une norme fondée sur une comparaison des émissions de gaz à effet de serre selon la capacité des différents véhicules.
Les parties prenantes ont également réagi sur les solutions possibles en vue de décarboner l’énergie utilisée, par l’usage des biocarburants et de la voiture électrique. Il s’agit là d’un objectif juridiquement formulé par la directive 2009/28/CE qui fixe à la France un objectif d’incorporation d’une proportion de 10 % d’énergie renouvelable dans la consommation totale des transports à horizon 2020.
La France a concentré son action sur un plan national destiné à porter la part de biocarburants dans les carburants traditionnels à 7 % en 2010, dans la mesure où les techniques telles que le véhicule électrique ou la pile à combustion ne semblaient pas en mesure, à court terme, d’aider à la réalisation des objectifs. À cette fin, deux outils fiscaux ont été mobilisés : la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), dispositif incitatif payé par les opérateurs pétroliers qui n’atteignent pas l’objectif d’incorporation, et l’exonération partielle de taxe intérieure sur la consommation (TIC) pour les biocarburants, permettant aux producteurs d’amortir leurs installations. La Cour des comptes en a fait une évaluation contrastée, développée dans un rapport public thématique publié en janvier 2012 (18). Elle a notamment relevé les incertitudes tenant au bénéfice environnemental des biocarburants de première génération. Une évaluation réalisée par l’Ademe fondée sur l’analyse du cycle de vie laisse apparaître des résultats peu engageants, en raison de la compétition qui existe entre la production de biocarburants et de nourriture, des problèmes liés aux changements d’affectation des sols, et de l’énergie nécessaire à la production. Dans son rapport thématique, la Cour recommande de redéfinir les cibles d’incorporation afin de les adapter aux contraintes techniques de distribution et des motoristes, et d’accélérer la réduction de l’exonération de TIC.
Les personnes auditionnées par les rapporteurs ont formulé un avis plus positif sur les biocarburants, mettant en valeur les progrès rapides des biocarburants de seconde génération qui seraient désormais proches de la rentabilité. L’IFP-EN a abondé en ce sens, et a souligné les efforts réalisés par les industriels en ce domaine, mentionnant les projets « Futurol » et BioTfueL qui visent à développer des chaines de biocarburants de seconde génération.
Une autre solution possible pour décarboner l’énergie repose sur le déploiement de la voiture électrique. Les constats sont ici inversés. Si la Cour des comptes envisage le déploiement des véhicules électriques et hybrides rechargeables comme une opportunité économique et environnementale pour la France, les professionnels auditionnés se sont montrés moins optimistes. Mais les divergences concernent surtout le calendrier envisageable de déploiement de cette technique. En effet, les professionnels ont émis des doutes quant à la possibilité de déployer le véhicule électrique en zone urbaine à court terme, en raison des difficultés techniques tenant au manque de fiabilité, de performance et de longévité des batteries. Dans la mesure où cette solution n’est pas avantageuse financièrement, M. Auverlot a jugé peu réaliste l’idée d’exclure les hydrocarbures des centres villes au profit des voitures électriques à court terme. Cette exclusion lui semble davantage envisageable à horizon 2025 ou 2030 au profit des voitures hybrides. Le Gart a également émis des réserves quant au développement massif de la voiture électrique dont le rendement lui paraît faible, et dont le développement aurait de surcroît des conséquences importantes sur les réseaux électriques qu’il conviendrait de renforcer. La Cour a elle-même reconnu l’existence de freinsau déploiement de cette technologie, mais considère que la volonté de les lever impose de prendre ce sujet en considération dès à présent.
Si les professionnels se sont montrés prudents sur le cas de la voiture électrique, ils ont fait part d’un optimisme plus certain s’agissant des moteurs thermiques, des véhicules thermiques, des véhicules hybrides rechargeables, ou de l’amélioration des pneumatiques en vue de diminuer les frottements. Ces différentes technologies promettent selon eux d’importants gains d’efficacité énergétique, et méritent pour cette raison un investissement de recherche et développement accru.
2. Penser le report modal de façon à adapter l’offre à la demande de transport
Le report modal constitue une réponse envisagée favorablement tant par les professionnels que la Cour des comptes pour limiter l’ampleur des déplacements individuels sur route. Si ce principe fait l’objet d’un consensus, des divergences se sont fait jour sur la façon de le réaliser.
Ainsi, la Cour des comptes a abordé ce sujet sous l’angle des investissements liés au ferroviaire dans la mesure où l’orientation des politiques vers le rail lui est apparue prédominante. Celle-ci fait en effet écho à l’objectif fixé par la loi du 3 août 2009 de réaliser 2 000 km de lignes ferroviaires à grande vitesse (LGV). Dans le cadre d’une analyse du Schéma national des infrastructures de transports (Snit), prévu par la loi du 3 août 2009 pour définir les projets de développement, de modernisation et d’entretien des réseaux d’infrastructures, la Cour note que la majorité des projets retenus sont des projets ferroviaires. Or, la Cour oppose au Snit un « constat d’inefficacité » : une étude de la DGEC révèle que ce dispositif n’a permis d’éviter que 2 à 3 Mteq CO2, portant le coût public de la tonne de CO2 évitée à plus d’un millier d’euros. La Cour ne se montre pas plus indulgente au sujet des lignes à grande vitesse, dont la construction dégage un bilan carbone tel que la réduction des émissions ne débute qu’après douze années de fonctionnement des lignes. Dans ces conditions, la juridiction financière juge la politique française excessivement centrée sur le rail au détriment de la route, et ce en dépit de la bonne position du réseau français au regard de ses voisins (19). La Cour en conclut que les pouvoirs publics devraient s’intéresser davantage aux transports collectifs routiers et ne pas tout miser sur les infrastructures ferroviaires.
Les professionnels interrogés ont tenu des propos moins orientés sur le ferroviaire, et, sans contredire le bilan de la Cour des comptes, ont davantage insisté sur la nécessité de penser le report modal en fonction des territoires et des demandes de mobilité. Ils ont, par cette recommandation, confirmé l’idée selon laquelle le ferroviaire ne peut, et ne doit, être envisagé partout. Ils se sont d’ailleurs montrés conscients des enjeux financiers en cause. Le Gart estime en effet qu’une augmentation de l’ordre de 10 % du report modal de la voiture vers les transports en commun nécessite une augmentation de l’ordre de 50 % de l’offre de transports publics. Dans ce cadre, le développement des transports collectifs, et a fortiori du rail, ne peut constituer une réponse unique. Par ailleurs, la voiture individuelle ne pouvant disparaître totalement, le Gart a souligné qu’il fallait tendre non pas à la supprimer, mais à réduire son usage à ses créneaux de pertinence.
Il convient donc d’adapter les dispositifs de report modal aux territoires : réserver le choix du ferroviaire sur les lignes faisant l’objet d’un taux de fréquentation élevé, et privilégier des solutions plus adaptées dans les zones rurales aux densités de population moindres. La Cour des comptes partage ce constat lorsqu’elle préconise de développer les services de bus interurbains rapides, comprenant peu d’arrêts.
De façon générale, les professionnels ont appelé à la mise en place de mesures destinées à faciliter toutes les formes de report modal. Ainsi, la construction d’infrastructures adaptées telles que des garages à vélo est de nature à encourager le report d’un mode passif à un mode actif de transport. L’Ademe a d’ailleurs regretté que cette question des modes actifs de transport (marche, vélo) n’ait pas été davantage prise en considération par la Cour des comptes, dans la mesure où le renforcement des infrastructures serait de nature à les favoriser (le vélo électrique, qui a fait l’objet de progrès importants, pose par exemple une difficulté de stationnement une fois l’usager arrivé à destination). Les choix des voyageurs devraient également être facilités par une information délivrée en temps réel sur les difficultés de circulation, les temps de parcours etc. La création de pass de transports en commun identiques d’une ville à l’autre, de même que l’unification des tarifs entre les communes d’une même zone géographique sont également au nombre des mesures susceptibles d’encourager le choix du voyageur vers le report modal.
Une autre façon d’inciter au report modal, mais cette fois de façon négative, peut aussi consister à dissuader l’usager de la route par l’implantation de péages urbains aux abords des villes. Évoquée par la Cour des comptes, cette solution a été commentée par les professionnels entendus par les rapporteurs qui ont souligné les difficultés de la mettre en œuvre. La loi Grenelle II a pourtant introduit la possibilité de mise en place d’un péage urbain (20). Mais, outre les retards pris dans l’adoption des décrets d’application, des considérations politiques président la plupart du temps à la réticence des maires de s’engager dans cette voie, face à une idée difficilement acceptée des électeurs. M. Auverlot a pourtant fait remarquer qu’en réalité, l’idée de péage urbain serait déjà implicitement en vigueur à travers les tarifs de stationnement. Pour soutenir le concept, le Gart a évoqué l’existence de modèles pertinents, à l’exemple du couplage de parkings de rabattement à des péages urbains, l’idée étant que les automobilistes faisant le choix de laisser leur voiture au péage soient subventionnés pour prendre les transports en commun, subventions financées par le paiement du péage par les automobilistes qui conservent leur voiture.
3. Optimiser l’usage de la route
Puisque le besoin de mobilité conduit à ce que l’abandon de la possession de la voiture individuelle ne soit pas envisageable à court terme, et ne le sera probablement jamais dans certaines zones du territoire, il importe de trouver des solutions qui rendent l’usage de la route compatible avec l’objectif de diminution des émissions de CO2. Dans cette perspective, la Cour des comptes et les professionnels auditionnés ont formulé un certain nombre de propositions tendant à optimiser l’usage de la route.
Le premier axe consiste à encourager le taux de remplissage des véhicules. L’occupation moyenne du moyen de transport utilisé est en effet identifiée par la Cour des comptes comme l’un des cinq facteurs influant sur le niveau des émissions. Diverses propositions ont été émises en vue d’améliorer ce taux. D’abord, l’Ademe a suggéré que soit promu, dans le cadre d’une campagne de communication, un objectif clair de « deux personnes au moins par véhicule ». Ensuite, les professionnels ont évoqué plusieurs façons d’encourager les nouvelles modalités de transport que sont le covoiturage et l’auto-partage. Par exemple, la création de parkings de rabattement ou de co-voiturage (qui existent déjà dans certaines villes françaises), ou encore la création de voies réservées aux transports en commun ou aux véhicules affichant un bon taux de remplissage.
Ces nouvelles pratiques de transport ont d’ailleurs été perçues comme témoignant d’une évolution des mentalités qui rendrait possible le passage d’une économie de la possession à une économie de l’usage. La DGITM a ainsi mis en évidence un début d’évolution. Tandis que la voiture, au XXe siècle, apparaissait comme un « prolongement de soi-même » et portait un idéal de liberté et d’autonomie, l’accroissement des contraintes (embouteillages, coût) et les campagnes de communication relatives aux méfaits de la pollution ont conduit à une modification de cette image et à une évolution du rapport à la voiture, particulièrement perceptible chez les plus jeunes.
Le Gart a souligné son attachement au principe de la « voiture servicielle ». Dans ce cadre, la voiture devient un mode de transport partagé et non plus individuel. La prudence doit néanmoins rester de mise pour éviter certains effets d’aubaine qui pourraient faire croire, à tort, à l’existence de changements de comportements. Sur ce point, le modèle de la voiture en libre-service sur abonnement, à l’image de l’Autolib’ proposé en région parisienne, a été pris en exemple. En dehors du fait que la rentabilité économique du phénomène n’est pas encore établie, les professionnels ont souligné qu’il est à ce stade difficile de savoir si les usagers de ce service ont véritablement renoncé à la possession d’une voiture individuelle, ou si leur abonnement répond à un effet d’aubaine qui vient donc ajouter de nouveaux déplacements automobiles à des déplacements antérieurement réalisés en transports en commun. La faible proportion de véhicules privatifs à Paris accroît ce doute dans la mesure où elle vient limiter les potentiels abandons de véhicules.
Le deuxième axe consiste à réduire la consommation d’énergie utilisée par distance parcourue. Cet axe rejoint le problème de l’efficacité énergétique des véhicules, mais renvoie aussi à une meilleure utilisation des réseaux pour éviter la surconsommation. Sur ce point, les professionnels auditionnés se sont montrés optimistes sur les bénéfices attendus des nouvelles technologies en termes d’optimisation de l’organisation des transports et des temps de trajets. La conférence nationale sur les transports intelligents (21) organisée le 11 février 2014 par le ministre délégué en charge des transports de la mer et de la pêche a été perçue de manière positive. Les professionnels ont souligné l’utilité des applications de mobilité proposant des itinéraires adaptés, informant les utilisateurs quant aux places de parking disponibles ou aidant à la décision en fonction de la congestion du trafic. Le CCFA a par exemple cité le cas de la recherche de stationnement par les usagers, qui justifie environ 30 % (22) des trajets effectués en ville. Le développement d’applications délivrant aux conducteurs l’information en temps réel sur les places disponibles et l’itinéraire optimal pour y parvenir pourrait donc réduire les émissions liées aux déplacements urbains. Le CCFA et l’IFP-EN ont aussi souligné le rôle de l’éco-conduite pour limiter les émissions, qui leur apparaît nécessaire pour parvenir à l’objectif de consommation de deux litres aux 100 kilomètres d’ici à 2018 (23).
II. LE BÂTIMENT : UN BESOIN DE STABILITÉ ET DE SIMPLIFICATION
Avec 15 milliards d’euros d’investissement par an, la rénovation thermique des bâtiments constitue le premier poste national de dépenses en faveur de la transition énergétique. (24) Sur ces 15 milliards d’euros, l’État consacre chaque année près de 7,36 milliards d’euros à diverses mesures incitatives : le crédit d’impôt développement durable (CIDD), l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), la TVA à taux réduit etc. Mais l’atteinte des objectifs très ambitieux que la France s’est fixés en matière de rénovation énergétique s’avère plus difficile que prévu.
A. UN SECTEUR STRATÉGIQUE QUI SOUFFRE D’UN DÉFICIT DE PILOTAGE
La Cour des comptes comme les parties prenantes anticipent que l’objectif de réduction de 20 % de la consommation d’énergie du parc de bâtiment prévu par le paquet énergie-climat (PEC) à horizon 2020 ne sera pas atteint. Plusieurs facteurs l’expliquent : certes, les objectifs ont été réévalués à la hausse mais la mise en œuvre des dispositifs souffre surtout d’un déficit de pilotage et d’une instabilité pénalisante.
1. Des objectifs ambitieux dont la complémentarité avec les autres objectifs du paquet énergie-climat est questionnée
La France s’est donné des objectifs ambitieux en matière d’efficacité énergétique des bâtiments dès 2005 avec la loi n° 2005-781 de programmation fixant les orientations de la politique énergétique de la France (dite « loi Pope »). À partir de 2009, la rénovation des bâtiments existants s’impose comme une priorité, à commencer par les bâtiments et logements directement gérés par la puissance publique. Alors que le Grenelle de l’environnement avait fixé un objectif de 400 000 rénovations lourdes par an, les dernières annonces gouvernementales ont porté ce chiffre à 900 000 par an d’ici 2020.
Le secteur du bâtiment (résidentiel et tertiaire) est le premier en termes de consommation d’énergie finale avec 68,6 mégatonnes équivalent pétrole en 2011 soit 44 % de la consommation finale énergétique française. 88 % des économies d’énergie attendues à l’horizon 2020 seront, d’après les scénarios français (25), issues de ce secteur. Mais il n’est que le quatrième poste d’émissions de gaz à effet de serre (GES), avec 18,2 % des émissions françaises en 2011. Ce secteur est donc prépondérant pour l’atteinte de l’objectif d’efficacité énergétique de 20 % du PEC mais il ne compte que pour un quart dans l’atteinte de l’objectif de réduction des émissions de GES de ce même PEC.
Ce constat alimente l’une des critiques de la Cour sur l’hétérogénéité des objectifs du PEC : « chaque composante du paquet se propose d’atteindre sa cible de façon autonome […] cette multiplicité des horizons et des objectifs, si elle est aussi un obstacle à l’évaluation, est d’abord une difficulté et un risque pour une mise en œuvre cohérente et un suivi efficace de la politique de lutte contre le changement climatique. » Au niveau européen, les mesures contraignantes en matière d’efficacité énergétique, et qui contribuent à l’atteinte de l’objectif de 20 % de gain à horizon 2020 fixé dans le PEC, sont du reste soit antérieures, soit postérieures au PEC lui-même.
En outre, cela contribue à expliquer que la Cour classe, dans l’ordre des priorités pour réduire les émissions de GES, le secteur du bâtiment-tertiaire après les secteurs des transports et de l’agriculture.
OBJECTIFS FRANÇAIS DANS LE SECTEUR BÂTIMENT-TERTIAIRE
Loi n° 2005-781 |
– réduction de l’intensité énergétique finale de 2 % par an d’ici 2015 ; – réduction de l’intensité énergétique finale de 2,5 % par an à partir de 2015 jusqu’en 2030. |
Grenelle I (2009) |
– fixation d’une consommation maximum de 50 kWh par m² et par an pour les constructions neuves ; – réduction de 3 % des consommations d’énergies du parc des bâtiments existants d’ici 2020, par le biais notamment ● d’audits énergétiques systématiques dans les bâtiments de l’État pour réduire leurs consommations d’énergie de 40 % et leurs émissions de GES d’au moins 50 % d’ici 2017 ; ● par la rénovation de l’ensemble des logements sociaux, en commençant par les 800 000 plus énergivores d’ici 2020. |
OBJECTIFS EUROPÉENS DANS LE SECTEUR BÂTIMENT ET TERTIAIRE
Directive 2006/32/CE : |
– objectif d’économies d’énergie de 9 % par rapport au niveau de 2001-2005 d’ici 2016 ; – chaque État-membre doit présenter un plan d’action en matière d’efficacité énergétique en vertu de cette directive (PAEE) à dates fixes (2007, 2011, 2014) ; – principe de l’exemplarité du secteur public dans le domaine de l’efficacité énergétique. |
Directive 2010/31/UE : |
– objectif non contraignant de 20 % d’économies d’énergie en 2020 ; – fixation du mode de calcul des performances énergétiques ; – définition de performances minimales dans le neuf et l’ancien rénové ; – obligation d’inspection régulière des systèmes de chauffage et de climatisation. |
Directive 2012/27/CE : |
– chaque État membre doit se doter d’un objectif indicatif, la France a annoncé qu’elle communiquerait le sien en avril 2014, après le débat sur la transition énergétique ; – 3 % des bâtiments du gouvernement central* doivent être rénovés chaque année à partir de 2014. |
(*) Pour être précis : 3 % de la surface au sol totale des bâtiments chauffés ou refroidis appartenant au gouvernement central et occupés par celui-ci.
Reste que la priorité donnée au secteur du bâtiment repose sur d’autres considérations que l’efficacité climatique proprement dite, en particulier l’emploi.
La Cour des comptes reste très prudente sur les potentiels effets bénéfiques de la transition énergétique sur l’emploi : « la sobriété détruit des emplois dans les branches qui fournissent l'énergie, mais réduit la facture énergétique, libérant du pouvoir d'achat qui sera dépensé dans d'autres branches, où il va créer des emplois […] ce que montre clairement l’étude c’est que derrière l’effet global sur l’emploi, de très importants mouvements de main d’œuvre devraient se produire au niveau des branches, certains positifs, mais d’autres très conséquemment négatifs. Outre le fait qu’est ainsi soulignée la nécessité d’une politique très active de reconversion, de formation professionnelle et d’accompagnement des personnes concernées, cela pose aussi très directement la question des conditions de l’acceptabilité sociale d’une telle transition. » L’étude citée est celle de M. Philippe Quirion, économiste et directeur de recherche au CNRS, qui a réagi en soulignant que « les enjeux en termes de reconversion se posent quelles que soient les options retenues en matière d’écologie et de climat ». (26)
La Commission européenne a adopté une posture d’attente sur les objectifs d’efficacité énergétique à horizon 2030. Sa proposition sur un nouveau paquet énergie-climat à horizon 2030 ne contient pas d’objectif relatif à l’efficacité énergétique. Elle publiera en juillet 2014 un rapport expliquant les avancées réalisées pour atteindre les objectifs sur l’efficacité énergétique à l'horizon 2020 et réfléchir aux objectifs de 2030.
Pour les professionnels du secteur, il ne fait aucun doute que l’efficacité énergétique est porteuse de croissance, d’emploi et de pouvoir d’achat pour les ménages, ce qui justifierait un fort investissement de la puissance publique. À l’annonce des propositions de la Commission européenne, M. Riccardo Viaggi, secrétaire général d’EBC, a affirmé que « l’efficacité énergétique ne doit pas être vu comme un outil, mais comme un objectif en soi. » De même, selon M. Philippe Pelletier, en charge de la mise en œuvre du Plan Bâtiment Durable, « l'enjeu est majeur : il en va à la fois de la reprise d'activité du secteur du bâtiment, de la maîtrise du pouvoir d'achat des ménages et, au-delà, du retour de la croissance ». (27) Lors de ses vœux à la presse, le 28 janvier 2014, le président de l’Ademe, M. Bruno Lechevin, a affirmé que l’efficacité énergétique des bâtiments devait revêtir le caractère d’une « priorité absolue » : « il faut [en] faire notre priorité absolue ! Car la transition énergétique est porteuse d’emplois et de croissance. » Ses services ont ainsi calculé qu’en 2030, environ 330 000 emplois supplémentaires pourraient être créés et entre 690 000 et 875 000 emplois à l’horizon 2050.
Lors du lancement de la feuille de route sur l'efficacité énergétique des bâtiments de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) en février 2014, à Bruxelles, M. Paul Hodson, le chef de l'unité Efficacité énergétique de la Commission européenne, a évoqué plusieurs mesures destinées à « améliorer la production d'énergies renouvelables dans les bâtiments et de chauffages urbains, [à maximiser] l'électricité sans carbone à partir de sources éloignées ainsi qu’à alimenter des dispositifs comme des pompes à chaleur. » Il a toutefois laissé entendre qu'il était probable d'assister plutôt à de légères modifications des mesures existantes qu’à une réorientation générale de la politique. Selon M. Paul Hodson, il est préférable de se concentrer sur le comportement du consommateur plutôt que d'imposer de nouvelles obligations aux États membres ; et ce en raison de finances publiques en berne. Les économies d'énergie « ne peuvent et ne devraient pas être réalisées à l'aide d'argent public, sauf de manière marginale. » (28)
2. Une mise en œuvre difficile soumise à de fortes incertitudes
Les scénarios français reposent sur des hypothèses ambitieuses de construction neuve de logements et d’efficacité énergétique. Or, ces hypothèses impliquent une croissance forte (+33,7 %) du nombre de logements vacants et un quadruplement du nombre de démolitions de bâtiments anciens (de 43 000 à 160 000 par an). La Cour souligne que « il n’est pas possible de connaître le solde net des constructions neuves, déduction faite des démolitions dans l’année […] le ministère ne dispose pas de statistiques sur le nombre de logements démolis et leur taille. » De 2001 à 2012, 373 000 nouveaux logements ont été mis en chantier mais la majorité des constructions nouvelles viennent accroître le parc de logement. La Cour estime qu’à ce rythme, le renouvellement du parc de logements prendra plus de 90 ans.
La rénovation thermique du parc existant de bâtiments est donc centrale pour atteindre les objectifs d’efficacité énergétique. Le chauffage est le premier poste de consommation d’énergie dans le résidentiel-tertiaire, même si les consommations unitaires des autres usages sont en augmentation constante (bureautique, climatisation). Le seul paramètre allant dans le sens d’une réduction des consommations d’électricité spécifique est l’équipement croissant en ampoules à basse consommation. En conséquence, selon la Cour, « l’atteinte des objectifs d’efficacité énergétique devra reposer sur la rénovation thermique du parc existant de bâtiments. » 60 % des 25,7 millions de résidences principales occupées ont été construites avant 1975, date de la première réglementation thermique. D’après le ministère chargé du logement, 30 % des logements auraient une étiquette de diagnostic de performance énergétique (DPE) F ou G même s’il estime que la consommation réelle est moindre. D’après la même étude, en effet, seuls 25 % des logements consommeraient plus de 330 kWhep/m²/an et pratiquement 60 % des logements auraient une consommation réelle comprise entre 150 et 330 kWhep/m²/an.
En outre, selon la Cour des comptes, les gains théoriques susceptibles d’être obtenus grâce à la rénovation thermique doivent sans doute être revus à la baisse. Les projections prennent insuffisamment en compte les comportements des ménages qui profitent le plus souvent de l’amélioration de l’isolation de leur logement pour augmenter leur confort thermique d’un ou deux degrés (« effet rebond »). Une autre source d’écart entre les économies d’énergie réelles et projetées provient des défauts de qualité dans le déroulement des travaux. Au final, l’inspection générale des finances a estimé qu’il faudrait diviser par 4,5 les économies d’énergie théoriques calculées actuellement.
Enfin, la nouvelle réglementation thermique de 2012 (RT 2012) n’aura qu’un impact limité. Tout d’abord, les économies de CO2 susceptibles d’être obtenues s’entendent par rapport à un scénario tendanciel et non par rapport au niveau des émissions de 2005. En d’autres termes, la RT 2012 permet seulement de contenir les émissions de CO2. Ensuite, les scénarios de la direction générale de l’énergie et du climat cités par la Cour des comptes se fondent sur l’hypothèse d’une mise en œuvre à 100 % dès 2013 de la réglementation thermique alors que tous les outils ne sont pas disponibles et que la diffusion des formations professionnelles dans le secteur du bâtiment est encore très limitée. La Cour note ainsi que « l’adaptation du secteur de la construction à la nouvelle réglementation technique est loin d’être achevée ». Par ailleurs, le contrôle du système repose désormais sur des déclarations du maître d’œuvre lors du dépôt du permis de construire et sur une attestation à faire réaliser par un professionnel. Selon la Cour, « le contrôle par les services de l’État du respect de cette réglementation restera extrêmement marginal. À titre d’illustration, les statistiques du contrôle du respect des règles de construction par l’État montrent que le respect de la RT 2005 a été contrôlé pour 19 logements en 2008 et 84 logements en 2009… » La Cour relève en outre que « la sortie des textes est souvent tardive » : notamment, les textes permettant la labellisation de bâtiments aux performances énergétiques supérieures à la RT 2012 n’ont pas été publiés à ce jour alors que les scénarios du ministère supposent une augmentation progressive des bâtiments allant au-delà de la RT 2012. En tout état de cause, l’impact de la RT 2012 sera limité aux 15 % de logements neufs venant en substitution de logements anciens plus consommateurs d’énergie. La Cour en déduit que « la nouvelle réglementation thermique est avant tout un instrument de frein à la croissance de la consommation d’énergie et des émissions de CO2 liée à l’accroissement du parc de bâtiments. »
3. Des dispositifs pléthoriques et sous-évalués
Le plan d’action français en matière d’efficacité énergétique comprend 28 mesures que la Cour juge sous-évaluées (cf. tableau infra). L’atteinte des objectifs du PEC nécessiterait des ruptures radicales dans les tendances observées aujourd’hui en termes de rénovation et donc, des investissements très importants. Le choix des dépenses publiques à consentir est rendu difficile par l’absence d’études sur le rapport coût-efficacité des différentes mesures. Les investigations de la Cour témoignent également de freins non négligeables dans l’application des textes de loi.
RÉSUMÉ DE L’ANALYSE DE LA COUR DES COMPTES SUR LES MESURES COMPOSANT LE PLAN D’ACTION FRANÇAIS EN MATIÈRE D’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE
Réglementation thermique des bâtiments (introduite à partir de 2007 en vertu de la directive 2002/91/CE) |
« l’impact de cette mesure n’est évalué ni au titre des économies d’énergie, ni à celui des émissions de CO2. Le coût de la mesure n’est pas non plus évalué. Le seul indicateur disponible est celui du nombre de labels attribués. » |
Diagnostic de performance énergétique (DPE) (introduit à partir de 2006 en vertu de la directive 2002/91/CE) |
« Ni le PNAEE de 2011, ni le rapport sur les mécanismes de surveillance (RMS) de 2013 ne contiennent d’éléments sur le coût de cette mesure, sur ses indicateurs de suivi, sur les moyens de contrôle ou sur son évaluation. […] le dispositif français de DPE a néanmoins fait l’objet de critiques en raison du caractère trop théorique des mesures de consommation d’énergies contenues dans les DPE et de la fiabilité relative des DPE réalisés. » |
Mesures ayant trait aux chaudières et aux systèmes de climatisation |
« aucun développement […] sur le coût de la mesure, sur ses indicateurs de suivi, sur les moyens de contrôle ou sur son évaluation. […] Le ministère chargé du logement reconnaît que sur le contrôle du respect de ces obligations, qui incombe notamment aux DGCCRF, “très peu de retours sont disponibles”. » |
L’obligation de travaux dans les bâtiments tertiaires (loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle II) |
« le décret d’application […] n’est toujours pas sorti. […] Le ministère chargé du logement semble d’ailleurs abandonner la publication de ce décret puisqu’il indique à la Cour qu’un scénario alternatif a été récemment défini qui propose […] “l’instauration de chartes volontaires… » |
L’étude de faisabilité des approvisionnements en énergie (loi du 13 juillet 2005) |
« le ministère n’indique aucune évaluation du coût de la mesure, aucun indicateur de suivi de sa mise en œuvre, ni aucun éléments d’évaluation de la mesure. » |
L’audit énergétique des copropriétés (loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle II) |
aucun développement […] sur le coût de la mesure, sur ses indicateurs de suivi, sur les moyens de contrôle ou sur son évaluation. […] Si le décret n° 2012-111 du 27 janvier 2012 précise l’obligation de réalisation de l’audit énergétique, son arrêté d’application n’a pas encore été publié. […] aucune sanction en cas de non-respect de l’obligation. » |
Les certificats d’économies d’énergie (CEE) |
Traités dans un précédent rapport (29) de la Cour qui juge que « si les objectifs quantitatifs du dispositif des CEE ont été jusqu’à présent dépassés, l’efficacité du système est difficile à mesurer et peut être améliorée. » |
Le crédit d’impôt développement durable (CIDD) (loi du 13 juillet 2005) |
« Depuis sa création, la liste des équipements éligibles au CIDD ainsi que les taux dont ils bénéficient ont été régulièrement modifiés. Son coût est estimé à 1,13 milliard d’euros en 2012 et 650 millions d’euros en 2013 […] Afin de rééquilibrer le soutien public en faveur des rénovations lourdes, la loi de finances (LFI) pour 2012 a prévu une modulation du CIDD […] le ministère reconnaît que les données statistiques concernant le crédit d’impôt sont pauvres […] d’importantes disparités du coût public du carbone évité entre les différents équipements éligibles […] ces coûts diffèrent beaucoup d’une filière à l’autre […] le dispositif du CIDD n’est pas suffisamment contrôlé en raison de sa complexité technique et des moyens des services fiscaux. » La Cour cite plusieurs évaluations de l’impact de la mesure qui reste incertain en raison des effets dits « d’aubaine » ou « rebond ». |
L’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) (loi de finances pour 2009) |
« La dépense fiscale est très nettement inférieure à celle qui avait été prévue initialement du fait à la fois d’une distribution des éco-PTZ inférieure aux objectifs fixés et de la baisse des taux d’intérêts. » D’après les différents modèles, l’éco-PTZ permettrait d’économiser 2,8 MtCO2 et 14,9 TWhep d’ici 2020 pour un coût public de 56 euros par tonne de CO2 évité et de 10 euros par MWhep évité. |
L’éco-prêt logement social (éco-PLS) (loi du 3 août 2009 dite Grenelle I) |
« en quatre ans, l’éco-PLS a permis la rénovation de 117 900 logements sociaux » « le ministère indique que l’éco-PLS “pérennisé jusque fin 2020 a pour objectifs la rénovation de 70 000 logements sociaux par an.” Dans son discours du 21 mars 2013, le président de la République a annoncé un objectif de 120 000 rénovations de logements sociaux par an, soit un quadruplement du rythme actuel. […] Le surcoût pour le fonds d’épargne de cette évolution est évalué par la CDC à 140 millions d’euros… » |
Le programme « Habiter mieux » de l’Anah |
« la convention du 14 juillet 2010 signée entre l’État et l’Anah confie à l’Agence la mise en œuvre de ce programme P3331 “Rénovation thermique des logements” qui mobilise au total 1,35 milliard d’euros. » Pas d’évaluation jusqu’à présent. « La complexité du programme et la difficulté d’identification des publics cibles ont conduit à un démarrage très lent et à un retard qui ne semble pas pouvoir être comblé. » |
Le livret développement durable (LDD) |
« les travaux finançables sont ceux éligibles au crédit d’impôt développement durable » |
Les fonds Feder |
« aucune évaluation » |
La répartition des économies d’énergie entre propriétaire et locataire (loi du 25 mars 2009) |
« aucun élément d’évaluation n’est disponible à ce stade » |
L’évolution des règles de décision en copropriété (loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle II) |
« Ni le PNAEE de 2011, ni le rapport sur les mécanismes de surveillance (RMS) de 2013 ne contiennent d’éléments sur le coût de cette mesure, sur ses indicateurs de suivi, sur les moyens de contrôle ou sur son évaluation. Le décret d’application qui fixe la liste des travaux concernés a été publié seulement le 3 décembre 2012 dernier. Le ministère n’a donc pas à ce jour d’éléments sur sa mise en œuvre. » |
L’individualisation des frais de chauffage (loi du 29 octobre 1974) |
« le décret n° 2012-545 du 23 avril 2012 est venu rappeler cette obligation et en faciliter la mise en œuvre en redéfinissant les impossibilités techniques d’installer ces compteurs et imposant une installation des compteurs avant le 31 mars 2017 […] l’administration n’est pas en mesure de se prononcer sur la rentabilité économique de sa mesure. […] le conseil constitutionnel a notamment censuré l’article 2 de la loi Brottes sur le bonus-malus écologique par le fait “que, pour les logements situés dans des immeubles collectifs qui ne seraient pas dotés au 1er janvier 2015 d’un dispositif de comptage alors qu’ils ne sont pas concernés par l’impossibilité technique précitée, la répartition du bonus-malus entre les logements n’est pas déterminée en fonction de l’objectif poursuivi”, et qu’il était très hypothétique qu’à la date du 1er janvier 2015, les compteurs individuels aient pu être mis en place dans tous les logements non équipés. » |
La possibilité de dépassement des COS (coefficient d’occupation des sols) (loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle II) |
« Le ministère indique ne pas disposer de données fiables pour évaluer le nombre de délibérations prises en application de cette disposition. Il est donc impossible d’évaluer l’impact de cette mesure. » |
Les signes de qualité dans le bâtiment |
La Cour indique seulement que « devant la multiplication des signes de qualité et le manque de lisibilité qui en résulte pour les particuliers, les professionnels et le ministère ont créé un label “Reconnu Grenelle Environnement” ». |
Les programmes de formation et de recherche |
La Cour se borne à décrire le dispositif. |
L’État exemplaire (loi du 3 août 2009 dite Grenelle I) |
« Si la politique "État exemplaire" n’omettait donc pas initialement les questions bâtimentaires, elle a vite connu des limites. Les surfaces concernées ont été circonscrites aux surfaces de l’administration centrale. […] les audits n’ont pas été suivis, en règle générale, de travaux, en raison de la situation budgétaire de l’État […] nécessite la mobilisation de programmes budgétaires différents […] la difficulté à dégager des moyens dans le contexte économique conduit à arbitrer en interministériel » |
Les investissements à consentir sont pourtant colossaux, comme l’indique le tableau ci-dessous. Le Fonds chaleur est le seul dispositif dont l’efficacité est reconnue par la Cour des comptes, qui recommande d’en augmenter les ressources. D’autres acteurs – syndicats et associations – vont même jusqu’à préconiser le doublement du fonds.
RÉCAPITULATION DES COÛTS SECTORIELS
(en millions d’euros)
Fonds Chaleur |
628,0 |
1,4 milliard d’euros supplémentaire serait nécessaire d’ici 2020 |
Éco-PTZ |
571,0 |
Coûts générationnels 2009-2012 |
CIDD |
1 130,0 |
2012 (650 millions d’euros en 2013) |
Éco-PLS |
127,0 |
1ère et 2e générations (2009-2012) |
Habiter mieux |
1 350,0 |
Dont 0,5 milliard d’euros État |
Réhabilitation énergétique |
320,0 |
Dont 90 millions d’euros DOM (2009-2012) |
TOTAL Habitat |
4 126 | |
Total Transports |
4 850 | |
Total Industries |
533,5 | |
Total SCEQE |
1807,6 | |
Total EnR |
24 900 |
Source : Cour des comptes
B. LES PARTIES PRENANTES DEMANDENT DAVANTAGE DE SIMPLICITÉ ET UNE STABILISATION DES DISPOSITIFS
Face à la multiplicité et à l’instabilité des dispositifs, les ménages comme les professionnels demandent désormais une phase de clarification et d’approfondissement.
De l’avis général, les objectifs assignés par la France au secteur du bâtiment sont inatteignables quand bien même des marges de progrès importantes existent dans ce secteur. Alors que moins de 100 000 rénovations par an ont été réalisées entre 2009 et 2012, l’objectif de 500 000 rénovations par an d’ici 2017 puis 900 000 d’ici 2020 semble irréaliste. L’ampleur des objectifs fixés masque les progrès déjà réalisés par le secteur. La Fédération française du bâtiment (FFB) et la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) ont rappelé en particulier les efforts consentis pour l’acquisition de nouvelles compétences dans le domaine de l’efficacité énergétique. Les collectivités territoriales se sont mobilisées et d’importants progrès ont été réalisés concernant les bâtiments scolaires, par exemple. La région Rhône-Alpes s’est ainsi fixé un objectif de 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) issues de son parc immobilier. (30) L’ensemble des intervenants a aussi salué les progrès du parc social, facilités par le fait que les logements sociaux sont la plupart du temps des immeubles, avec un bailleur unique. Les bailleurs sociaux ont acquis une expertise indéniable dans la gestion des investissements et rénovations avec un amortissement sur le temps long. L’aide apportée par les collectivités locales au logement social est un autre facteur de cette réussite. M. Philippe Pelletier, chargé du pilotage et de la mise en œuvre du plan de performance thermique des bâtiments prévu par le Grenelle de l’Environnement, a aussi souligné la mobilisation des acteurs du programme Habiter mieux. Après des débuts difficiles, départements et intercommunalités se sont saisis à bras-le-corps du programme. Trois cents ménages sont tirés hors de la précarité énergétique chaque jour, un chiffre jugé considérable par M. Philippe Pelletier au regard de la capacité de mobilisation des opérateurs.
De l’avis général, une parole publique forte et coordonnée entre l’État et les collectivités territoriales est nécessaire. De nouveaux objectifs simples, lisibles et de long terme doivent être définis, en donnant la priorité à la rénovation de l’ancien et aux économies d’énergie. Le taux de renouvellement du parc par la seule construction est en effet de l’ordre de 1 % par an seulement, tandis que 30 % du parc immobilier français est constitué de bâtiments antérieurs à 1950, et que 40 % du parc a été construit entre 1951 et 1980, les 30 % restants après 1981.
Les avis divergent davantage sur la méthode. M. Jean Bergougnoux, ancien président-directeur général d’Électricité de France (EDF), président de l’association Équilibre des énergies, a préconisé de réaliser en priorité les investissements les plus rentables. L’amélioration thermique des bâtiments doit s’envisager de manière progressive, les investissements les plus rentables en économies d’énergies par euro investi devant être effectués en priorité. Des actions simples à mettre en œuvre, telles que la rénovation des combles, le remplacement des chaudières, la mise en place de robinets thermostatiques doivent être privilégiées, avant d’envisager des rénovations lourdes. La priorité donnée à ces actions simples ne doit pas, pour autant, s’opposer à une rénovation intelligente de l’habitat. Certains rapports de la fondation Abbé Pierre rendent compte de l’existence d’habitations aux toitures et aux isolations délabrées mais équipées de fenêtres en PVC neuves. Les rapporteurs préconisent d’encourager une programmation globale, progressive et intelligente de la rénovation, en accompagnant davantage les ménages.
À l’exemple du Royaume-Uni, qui a prévu l’interdiction à la location des logements les moins performants d’ici 2018 (31), fixer des obligations à longue échéance pourrait être un vecteur de changement moins coûteux et plus acceptable que des mesures fiscales, dont la brutalité a été déplorée. (32) Sur ce modèle, l’association The Schift Project a déjà proposé de définir des échéances de mise en conformité progressive, par exemple à chaque changement de propriétaire. (33) Évoquée par Mme Cécile Duflot, ministre de l’Égalité des territoires et du Logement, lors de rencontres organisées par l’association Effinergie, l’idée d’une norme contraignante à long terme fait son chemin. M. Philippe Pelletier a salué le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové qui prévoyait, dans sa rédaction initiale, l’exclusion du parc locatif privé des logements ayant un niveau de consommation énergétique excessif. Mais pour les représentants des professionnels et des propriétaires entendus par les rapporteurs, les incitations financières doivent encore rester le principal outil de la politique de rénovation pour quelques temps.
2. Mieux accompagner les ménages
La nécessité d’offrir aux ménages une information concrète sur leur consommation d’énergie a été soulignée dans plusieurs tables rondes. La responsabilisation des occupants passe par la connaissance de leur facture énergétique, ce qui justifie la nécessité des compteurs individuels, selon M. Jean Bergougnoux. Le diagnostic de performance énergétique (DPE) fait l’objet de nombreuses critiques. Les instruments de mesure de l’administration (énergie primaire, consommation conventionnelle, distinction de cinq usages du bâtiment…) sont incompréhensibles pour les ménages qui raisonnent en énergie finale, en consommation réelle et se sentent concernés par l’ensemble des usages du bâtiment. Un plan de fiabilisation décidé en 2012 devrait contribuer à l’amélioration de cet outil. (34) M. Yann Ménager, chef de bureau des économies d'énergie et de la chaleur renouvelable à la direction générale de l’énergie et du climat du ministère du développement durable, a tenu à rappeler les efforts consentis pour améliorer la qualification des diagnostiqueurs, désormais formés et accrédités par des organismes reconnus. Le DPE, quelle que puisse être sa fiabilité, est actuellement purement indicatif ; il n’est pas juridiquement opposable. Il reste que cet outil suscite la méfiance des représentants des propriétaires et des consommateurs entendus par les rapporteurs, qui mettent fortement en doute sa qualité ou sa pertinence. La question se pose de rendre le DPE juridiquement opposable, à condition de veiller à sa mise à jour et à sa vérification régulière.
Évoquant une récente étude du think tank La Fabrique écologique (35), M. Philippe Pelletier, le directeur du Plan Bâtiment durable, a jugé nécessaire de rénover la communication autour de valeurs plus positives et d’améliorer la lisibilité. Il est encore trop tôt pour juger des effets de la campagne « J’éco-rénove, j’économise » qui insiste plutôt sur l’argument économique. La plupart des enquêtes d’opinion identifient en effet les économies financières comme un argument majeur pour les ménages. Mme Sabine Basili, vice-présidente de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), a également proposé d’élaborer une communication coordonnée sur l’amélioration de la qualité de vie et l’augmentation de la valeur des biens immobiliers. La Fabrique écologique a en effet résumé les principaux moteurs du passage à l’acte par la formule suivante : « ni écologie, ni temps de retour, mais esthétique, bien-être et confort, baisse des mensualités et valeur patrimoniale ». La directrice de l’Ademe, Mme Virginie Schwartz, a aussi préconisé de communiquer autour de valeurs plus positives, moins culpabilisantes, comme la santé, le bien-être, la qualité de vie. Les défis ludiques entre familles se sont également révélés efficaces pour inciter à des comportements plus sobres. (36)
Des aspects psychologiques doivent également être pris en compte. De l’avis des professionnels (Capeb) et des propriétaires (UNPI), les ménages ne se reconnaissent pas volontiers dans une situation de précarité énergétique. Selon M. Philippe Pelletier, plusieurs visites sont souvent nécessaires afin de convaincre un ménage de s’engager dans un processus de rénovation énergétique, en dépit des subventions existantes. En outre, la précarité énergétique va souvent de pair avec la précarité économique.
Afin d’accompagner les ménages et de les informer efficacement des diverses aides à leur disposition dans le cadre de travaux de rénovation énergétique, plusieurs intervenants ont estimé que la mise en place de guichets uniques faciliterait les démarches tout en réduisant le temps de mise en œuvre des travaux. C’est l’approche privilégiée par les passeports de la rénovation énergétique (37), sorte de carnet de santé du logement, dont la mise en place a été annoncée lors de la conférence environnementale de septembre 2013.
La stabilisation des dispositifs destinés aux particuliers a été réclamée unanimement par toutes les personnes entendues par les rapporteurs. L’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) et le crédit d’impôt en faveur du développement durable (CIDD), réformés à de multiples reprises, doivent être stabilisés. (38) Il convient d’en faciliter l’accès aux banques et aux particuliers. En revanche, alors que Mme Basili (Capeb) et M. Pelletier (Plan Bâtiment durable) se sont montrés attachés au principe du bouquet de travaux, qui conditionne désormais l’octroi d’un éco-PTZ ou du CIDD, Mme France Bauvin, administratrice de l’Union nationale de la propriété immobilière (UNPI), l’a jugé inopportun, du fait des coûts qu’il induit à travers le remplacement d’équipements non obsolètes, qui voient leur durée de vie raccourcie. Le dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE) (39), créé par les articles 14 à 17 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (loi POPE), a été jugé globalement intéressant mais peu visible ; il est peu connu des entreprises comme des particuliers. Seule voix dissonante, le Gimélec a critiqué le calcul « d’économies d’énergies ex ante fondé sur une analyse du rendement théorique de l’équipement ». Dans sa contribution, il souligne que « la simple mise en œuvre d’un équipement au rendement supérieur ne garantit en rien des économies d’énergie à la hauteur de ce rendement énergétique […], l’usage qui en est fait dans le temps est […] à prendre en compte ». L’approche de l’efficacité énergétique « par le seul prisme du rendement des équipements » serait ainsi « réductrice au regard des innovations industrielles proposées sur le marché ». Le Gimélec propose un appui des CEE « sur les normes applicables pour évaluer la pertinence des technologies et solutions innovantes dont les gains énergétiques associés ont fait l’objet de travaux normatifs français et européens. » (40)
S’agissant de la réglementation, les professionnels et les experts réclament moins une stabilisation qu’une rationalisation. Des réglementations concurrentes peuvent en effet retarder les actions de rénovation énergétique. Le durcissement des règles relatives à l’éradication de l’amiante a par exemple entraîné des coûts supplémentaires importants en amont des rénovations énergétiques, selon M. Philippe Pelletier. La pertinence de la réglementation thermique de 2012 est déjà au cœur de vifs débats entre les acteurs du secteur. Elle est perçue comme adaptée mais complexe par l’association Effinergie ou la FFB, tandis que l’UNPI a dénoncé une augmentation du prix du mètre carré neuf de 8 à 10 %, en partie du fait du coût élevé des techniques de bâtiments à basse consommation ou à énergie positive. D’autres acteurs comme la Coalition France pour l’efficacité énergétique (CFEE) et le Gimelec (41) se montrent très critiques envers les méthodes de calcul retenues, qui constitueraient désormais des obstacles à l’innovation. Les outils de modélisation et de calcul de performance « doivent être entièrement “ouverts” » selon le Gimélec. Un innovateur devrait pouvoir « modifier si nécessaire tous les paramètres et hypothèses de calcul pour que la simulation permette de valoriser entièrement les potentiels de gain de son innovation. » L’association Effinergie travaille d’ores et déjà à la définition d’un nouveau label, « Bepos » (42), devant inciter à la construction de bâtiments à énergie positive. Dans une perspective de long terme et afin de donner une meilleure visibilité aux professionnels, M. Philippe Pelletier a recommandé d’anticiper et de préparer la réglementation thermique 2020. Enfin, la CFEE prône une réforme globale du contexte législatif et réglementaire dans lequel évolue le secteur de la rénovation énergétique par la transposition rapide des dernières directives européennes. Elle préconise aussi l’adoption d’une feuille de route à horizon 2050.
Enfin, les professionnels du secteur ont insisté sur l’importance de pérenniser les aides à la montée en compétences du secteur du bâtiment. La Capeb et la FFB ont demandé le maintien du dispositif de Formation aux économies d’énergie dans le bâtiment (FeeBat), élément clé dans la formation des entreprises et artisans en matière de formation énergétique. (43) Il serait également souhaitable que les appels d’offres publics soient rendus accessibles aux petites entreprises. Par exemple, la FFB a regretté les modalités d’un appel d’offres récent de la Ville de Paris pour la rénovation de plusieurs immeubles réservés à l’éducation. Seules trois ou quatre entreprises en France ont la capacité de répondre à un tel appel d’offres qui comprend un lot unique d’une centaine de bâtiments à rénover en contrat de performance énergétique. (44)A contrario, certaines collectivités territoriales encouragent la constitution de groupement d’artisans, afin d’optimiser la réalisation des travaux, comme la communauté de communes Biovallée avec le programme DORéMI, cité dans le palmarès 2013 des initiatives locales pour la rénovation énergétique. (45)
III. LES ÉNERGIES RENOUVELABLES : UNE CLARIFICATION INDISPENSABLE
Le développement des énergies renouvelables, qui vise, s’agissant de la France, la réalisation d’un objectif contraignant de 23 % de la consommation énergétique finale à horizon 2020, a fait l’objet de développements substantiels dans le rapport de la Cour des comptes. Celle-ci a souligné un certain nombre de difficultés liées à l’accroissement de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français. C’est la raison pour laquelle les rapporteurs ont organisé une table ronde, réunissant des professionnels ou des experts des énergies renouvelables, pour répondre à la question suivante : comment accroître la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français ? Les échanges ont d’abord permis d’observer un certain nombre de désaccords entre les professionnels du secteur et la Cour des comptes, dont les observations ont parfois été jugées excessivement pessimistes. Mais les débats ont aussi mis en évidence l’existence d’un consensus sur les mesures prioritaires à adopter en vue de faciliter le développement de ces énergies.
A. UN BILAN CONTROVERSÉ DES CONSÉQUENCES DU DÉVELOPPEMENT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES
S’agissant de la fixation d’un objectif contraignant européen de développement des énergies renouvelables, de l’impact d’un tel objectif sur le mix énergétique et du bénéfice qu’il suscite en termes d’emploi et de compétitivité, les professionnels auditionnés ont apporté quelques nuances aux constats opérés dans le rapport de la Cour des comptes.
1. L’absence de consensus sur la fixation d’un objectif contraignant de développement des énergies renouvelables
Alors que les négociations européennes sur le futur paquet énergie-climat sont en cours, la Cour des comptes a émis des réserves quant à l’opportunité de fixer un nouvel objectif européen contraignant de déploiement des énergies renouvelables, considérant la pluralité des objectifs génératrice de contradictions. La Cour a notamment mis en avant le fait que, pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables, le recours indispensable à des énergies de soutien se traduit dans les faits par un besoin accru de centrales thermiques telles que les centrales à charbon et donc in fine par une recrudescence des émissions de CO2. La Cour appuie cette analyse par une référence à l’Energiewende allemande fondée sur une sortie rapide du nucléaire et une accélération du recours aux énergies renouvelables. Selon la Cour, « la contrepartie en est que, du fait de la nécessité de faire appel à des énergies de soutien pour faire face à l’intermittence des énergies renouvelables, l’Allemagne a, de fait, renoncé à la priorité de diminution des émissions de CO2, celles-ci connaissant désormais, au contraire, une hausse ».
Cette proposition de la Cour de ne pas maintenir d’objectif contraignant européen n’a pas emporté l’adhésion des professionnels des énergies renouvelables, qui ont tenu à rappeler le bénéfice de l’objectif contraignant initial sur le lancement des filières en France. Or, ces filières n’étant pas encore matures, les professionnels auditionnés ont jugé prématuré et peu judicieux de renoncer dès à présent à la fixation d’un objectif européen contraignant. Ils se sont dits très inquiets des conséquences que l’abandon de cette contrainte pourrait avoir sur le dynamisme de ces filières, et ont fait part de leur déception à l’égard des négociations européennes en cours, fondées sur la définition d’un objectif global non contraignant de 27 % d’énergies renouvelables au niveau européen à horizon 2030.
L’analyse proposée par la Cour des comptes au sujet de l’Energiewende, attribuant à l’intermittence des énergies renouvelables la hausse des émissions de CO2, a également été remise en cause (46), au motif que la situation actuelle outre-Rhin proviendrait d’abord de la baisse de compétitivité du gaz face à un charbon peu cher principalement importé des États-Unis. En conséquence, les professionnels du secteur ont jugé infondé l’argument tenant à la contradiction entre réduction des émissions de CO2 et développement des énergies renouvelables.
La Cour des comptes a néanmoins précisé que son soutien à la définition d’un objectif unique de réduction des gaz à effet de serre ne concerne que le niveau européen, et lui seul. Cela ne préjugerait donc pas de la possibilité, pour chaque État, de fixer de nouveaux objectifs contraignants pour le développement des énergies renouvelables.
Les rapporteurs ont une position divergente sur le contenu de la contrainte fixée au niveau de l’Union européenne en matière d’énergies renouvelables.
Afin d’éviter les risques de contradiction entre les objectifs supra nationaux, M. Jean-Jacques Guillet se déclare favorable à la proposition de la Cour des comptes de définir au niveau communautaire un objectif contraignant unique de réduction des gaz à effet de serre, auquel sera subordonné un objectif de développement des énergies renouvelables fixé au niveau national.
M. François de Rugy soutient au contraire le maintien de la fixation d’un objectif contraignant de développement des énergies renouvelables au niveau européen. Il considère qu’un tel objectif constitue un signal indispensable à l’essor de la filière, et qu’il n’interdit pas la fixation d’objectifs plus ambitieux par les États membres.
2. Des regards divergents sur les conséquences de l’intermittence des énergies renouvelables
La Cour des comptes a dressé un constat assez pessimiste des conséquences de l’intégration massive des énergies renouvelables dans le mix énergétique français. Outre les risques pesant sur la continuité de l’approvisionnement du fait de l’intermittence de ces énergies, la Cour a insisté sur l’ampleur des investissements nécessaires à l’adaptation des réseaux de transport et de distribution. Le réseau électrique français, fortement centralisé, doit non seulement être adapté à la logique décentralisée des énergies renouvelables, mais doit encore être renforcé pour faire face à l’intermittence de certaines énergies renouvelables dont la production peut connaître des variations brutales et imprévisibles. Si ces investissements n’ont pas été spécifiquement chiffrés par les opérateurs, le coût global d’intégration des gigawatts (GW) d’éolien terrestre et de solaire a en revanche été évalué par ERDF et RTE à 5,5 milliards d’euros à horizon 2020. La Cour des comptes insiste d’autant plus sur la nécessité de ces investissements que les risques de saturation suscitent des tensions diplomatiques (par exemple entre l’Allemagne et la République tchèque) menaçant l’équilibre global du marché électrique européen garanti par les interconnexions qui facilitent les échanges entre les réseaux.
La Cour des comptes recense de nombreuses difficultés auxquelles il n’existe selon elle pas de solution immédiate. Le foisonnement des énergies renouvelables, par exemple, est jugé insuffisant pour garantir la continuité d’approvisionnement. De même, les innovations liées au stockage de l’énergie ou à la gestion intelligente des réseaux par les smart grids (47) ne sont pas considérées comme matures. La Cour des comptes en conclut que le recours à des unités de soutien (back up) est aujourd’hui la seule solution fiable pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables. Mais cette solution est elle-même menacée par la crise du marché européen de l’électricité. En effet, la possibilité de recours aux énergies fossiles (les centrales à charbon ou au gaz, « réserves à froid», qui peuvent intervenir en quelques heures) est mise en cause par le sérieux ralentissement que connaissent les centrales thermiques en Europe depuis plusieurs mois : les énergéticiens européens ont déjà fermé ou arrêté temporairement 50 GW de capacité depuis deux ans et le cabinet IHS estime que 110 GW supplémentaires sont menacés d'ici à 2016. La continuité d’approvisionnement pourrait alors être mise en péril, faute d’unités de back-up suffisantes.
Les rapporteurs souhaitent néanmoins nuancer l’analyse de la Cour. En effet, les outils développés par RTE permettent déjà de pallier certaines de ces difficultés. En particulier, l’opérateur a mis en place un dispositif qui lui permet de connaître à chaque instant l’état de la production d’énergie éolienne, afin d’en gérer les flux. En outre, une partie de l’intermittence des énergies renouvelables est prévisible, comme celle de l’énergie solaire qui n’est pas produite la nuit. De même, les énergies renouvelables peuvent être complémentaires dans la mesure où leur intermittence n’est pas simultanée : la variabilité de l’éolien peut par exemple être compensée par celle du solaire.
Lors de la table ronde consacrée aux énergies renouvelables, les professionnels du secteur ont d’ailleurs eux-mêmes tenu à tempérer le constat de la Cour, et ont relativisé l’ampleur des difficultés générées par le développement des énergies renouvelables, aucune ne leur paraissant insurmontable.
S’agissant de la gestion de l’intermittence, les professionnels, préférant se référer à la « variabilité » des énergies, ont fait valoir qu’elle pouvait parfaitement être gérée à condition d’être correctement prise en compte en amont, au stade de l’implantation des installations, en vertu d’une cartographie mûrement réfléchie. De même, ERDF et l’Association française du gaz (AFG) ont précisé que l’intégration optimale des énergies renouvelables dans le réseau dépend surtout de la pertinence de la localisation des sites de production. Leur installation à une distance acceptable des lieux de consommation permet une distribution effective de l’énergie produite. L’AFG a ainsi expliqué que, dans 30 % des projets analysés, des solutions alternatives sont recherchées pour mieux tenir compte de la structure du réseau.
Concernant les investissements à réaliser, il a d’abord été objecté que des investissements seront nécessaires quelle que soit la composition du mix énergétique à l’avenir. ERDF a aussi souligné que le réseau avait su s’adapter à la croissance du nombre de sites de production d’énergies renouvelables. Par ailleurs, pour faciliter ces investissements, les professionnels ont insisté sur la nécessité de leur programmation. Les travaux ne doivent en effet pas être réalisés trop en amont pour être en phase avec les installations concrètes, sans pour autant être opérés trop tardivement, pour éviter de générer des problèmes de raccordement.
Les professionnels se sont également montrés plus optimistes sur les smart grids, dont ils ont encore souligné les bénéfices attendus. Outre l’avancée technique, mentionnée par M. Pierre Radanne, tenant à ce qu’ils permettent d’améliorer l’information sur le réseau de distribution et de lisser la consommation et la courbe de charge, ERDF a identifié l’utilité d’une meilleure connaissance des comportements des citoyens en matière de consommation d’électricité.
Ainsi, les professionnels et experts auditionnés n’ont pas nié que des investissements importants seront nécessaires, mais ils se sont montrés plus optimistes sur la possibilité de les réaliser sans difficulté excessive.
3. Une appréciation différente des bénéfices du développement des énergies renouvelables en termes d’emploi et de compétitivité
La Cour estime que, compte tenu de l’ampleur de la dépense publique engagée dans le soutien aux énergies renouvelables, les bénéfices en termes de compétitivité demeurent limités. Elle met en balance le coût cumulé de l’ensemble des dispositifs (48) estimé à 14,3 milliards d’euros entre 2005 et 2011 et l’impact nuancé sur le commerce extérieur et la relocalisation des activités. La Chine oppose par exemple une concurrence très forte, notamment dans le secteur du photovoltaïque. Dans son rapport public thématique consacré à la politique de développement des énergies renouvelables, la Cour des comptes constate que l’amont de la filière photovoltaïque échappe aux industriels français. Or, le positionnement français sur l’aval de la filière, fortement soutenue, contribue au déséquilibre de la balance commerciale pour un montant évalué à près de 2,1 milliards d’euros en 2011. La Cour ne se montre pas plus optimiste quant au manque d’envergure mondiale de la filière éolienne française.
Les professionnels du secteur des énergies renouvelables ne remettent pas en cause ce constat, mais persistent néanmoins à voir le développement des énergies renouvelables comme une réelle opportunité à saisir pour la compétitivité de l’industrie européenne et française. Ils ont notamment présenté la méthanisation comme une voie d’avenir pour la filière gazière, l’AFG soulignant le fait que des entreprises françaises sont très avancées sur ces technologies. Ces filières présenteraient de ce fait un large potentiel d’excellence et d’exportation pour la France.
La Cour exprime la même réserve quant à l’impact du développement des énergies renouvelables sur l’emploi. Reprenant les données de l’Ademe, elle recense dans un tableau, reproduit ci-dessous, les créations d’emplois intervenues dans les différentes filières entre 2006 et 2012.
CRÉATIONS D’EMPLOI PAR FILIÈRE
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011(e) |
2012(p) | |
Solaire |
4 770 |
6 020 |
9 220 |
13 930 |
35 100 |
32 470 |
21 810 |
Eolien |
6 000 |
6 320 |
8 790 |
9 790 |
11 670 |
10 420 |
10 240 |
Biomasse |
23 330 |
20 840 |
22 460 |
22 770 |
24 710 |
24 460 |
25 020 |
Pompes à chaleur |
14 430 |
17 130 |
28 900 |
23 100 |
15 260 |
14 200 |
14 200 |
Hydraulique |
9 150 |
9 530 |
9 850 |
10 430 |
11 030 |
10 770 |
10 790 |
Géothermie |
780 |
720 |
730 |
760 |
810 |
1 000 |
1 200 |
Total énergies renouvelables |
58 460 |
60 560 |
79950 |
80 780 |
98 580 |
93 320 |
83 260 |
Source : Cour des comptes, données Ademe.
En dépit de chiffres qui apparaissent globalement positifs, la Cour des comptes a précisé que les estimations de l’Ademe sur lesquelles ils se fondent constituent la fourchette haute des estimations. En tout état de cause, la Cour juge ces résultats très en retrait au regard des ambitions exprimées dans le plan d’action national de la France en faveur des énergies renouvelables.
L’Ademe propose une analyse plus positive de ces chiffres et a pu souligner lors de la table ronde que la plupart des emplois créés sont non délocalisables, à l’exemple des emplois d’installation des infrastructures sur le territoire. L’Ademe a aussi mentionné le potentiel de la filière biomasse comme secteur porteur en termes d’emplois. Elle a encore rappelé l’existence de dispositifs destinés à stimuler les créations d’emplois, tels que le Fonds Chaleur qui favorise l’emploi et l’investissement dans le secteur de la production de chaleur à partir d’énergies renouvelables. Dans le même ordre d’idées, le potentiel de la méthanisation souligné par l’AFG pourrait avoir un impact positif sur les créations d’emplois.
B. UN CONSENSUS SUR LES MESURES PRIORITAIRES
Si quelques divergences existent, Cour des comptes, professionnels et experts des énergies renouvelables ont des points de vue convergents sur la nécessité de simplifier et stabiliser l’encadrement normatif des énergies renouvelables, sur le besoin d’accroître la recherche et développement pour lever certains verrous technologiques, et, de façon moins tranchée, sur l’utilité de réformer, mais progressivement, le système de soutien financier aux énergies renouvelables.
1. Un besoin prégnant de simplification et de stabilisation
Les inconvénients qui résultent de la complexité des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables et de l’instabilité juridique des normes qui y sont afférentes ont été mis en évidence de façon unanime.
a. Une complexité administrative paralysante
La réglementation relative aux énergies renouvelables peut opposer un certain nombre de freins à leur développement.
L’obstacle juridique provient parfois d’une contrainte réglementaire trop forte. Dans son rapport public thématique (49), la Cour cite en ce sens l’hydroélectricité, dont elle estime le potentiel réduit par le volume des contraintes réglementaires, liées à la contrainte environnementale et à la protection des milieux aquatiques.
La complexité des procédures freine également le développement des énergies renouvelables. La filière éolienne terrestre en est une illustration symptomatique puisque le temps qui s’écoule entre le dépôt d’un projet de construction d’éolienne terrestre et sa mise en service est estimé entre six et huit ans, contre deux ans et demi en Allemagne (50).
L’installation d’un parc éolien en France : illustration d’une procédure réglementaire complexe et changeante
Une première étape : la définition de zones favorables dans le schéma régional éolien
En dépit de la simplification opérée par la loi Brottes en 2013 qui supprime les zones de développement de l’éolien et le seuil de cinq mâts pour la construction d'un parc, demeure une première étape consistant en la définition d’un schéma régional éolien (SRE). Établis par chaque région au sein du schéma régional climat air énergie, les SRE définissent les zones favorables au développement de projets éoliens. Des études de préfaisabilité permettent de choisir les zones favorables au développement des parcs, le SRE étant adopté après consultation du public, approbation par le conseil régional puis validation par le préfet.
L’obtention d’un permis de construire : une procédure lourde, requérant diverses études préalables
Un projet éolien doit être situé dans les zones définies par le SRE, obtenir un permis de construire et une autorisation d’exploiter. La demande de permis de construire est déposée en mairie (elle n’est pas nécessaire pour les éoliennes dont le mât mesure moins de 12 mètres). Les éoliennes de taille moyenne (mât de 12 à 50 mètres) doivent fournir une notice d’impact dans le dossier de permis de construire. Le dossier des éoliennes de plus de 50 mètres ou des projets d’un montant supérieur à 1,82 million d’euros doit comporter une étude d’impact et ces projets sont soumis à enquête publique. Les études ou notices d’impact comprennent une évaluation environnementale. Enfin, au vu du dossier, le préfet de département délivre ou non le permis de construire.
Les procédures relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ralentissent davantage le processus, surtout pour les plus grands projets
La loi Grenelle II a classé les éoliennes dans la réglementation ICPE. Les éoliennes de taille moyenne (mât de 12 à 50 mètres) sont soumises au régime de déclaration des ICPE tandis que les éoliennes de plus de 50 mètres sont soumises au régime de l’autorisation au titre des ICPE. Ces règles imposent des prescriptions techniques, des autorisations et des délais supplémentaires pour la création et l’exploitation des éoliennes. Une étude de dangers doit par exemple être conduite, afin d’évaluer les potentiels impacts sanitaires ou environnementaux des projets. L’autorisation d’exploiter est enfin délivrée par le ministre en charge de l’énergie.
À cette complexité s’ajoute la difficulté tenant à la multiplicité des recours déposés par les opposants aux projets. Ainsi, un projet éolien sur trois en moyenne fait l’objet de recours juridictionnel. Cet important contentieux, signe d’une acceptabilité sociale limitée, est de nature à ralentir les procédures mais aussi à dissuader les investissements.
Ce constat étant fait, l’une des pistes d’amélioration proposées repose sur un allégement de la réglementation et une simplification des procédures. Les professionnels des énergies renouvelables ont par exemple suggéré la création d’un dossier unique en substitution à la multiplicité des documents (ICPE, permis de construire, instructions spéciales…). À cet égard, le SER et AFG ont tous deux salué l’ordonnance de simplification administrative permettant l’expérimentation du permis unique (51) dont ils souhaitent la généralisation. En réduisant le nombre d’actes susceptibles de recours, cette simplification pourrait aussi avoir pour effet de réduire le contentieux.
En dehors des procédures d’instruction des projets, les professionnels ont également appelé à une simplification administrative de la distribution des aides aux producteurs d’énergies renouvelables, par exemple par l’instauration d’un guichet unique préconisée par M. Pierre Radanne, président de l'association 4D.
b. Une instabilité juridique préjudiciable
L’essor des énergies renouvelables souffre encore de l’instabilité juridique qui dissuade les investisseurs et décourage les producteurs. Tous les acteurs auditionnés ont insisté sur le besoin de projection à long terme pour que les investisseurs sachent comment orienter les projets. Cour des comptes et professionnels se rejoignent donc sur la nécessité d’une stabilisation du droit. Il importe non seulement de stabiliser l’encadrement législatif et réglementaire des filières d’énergie renouvelable pour sécuriser les projets, mais aussi de renforcer la visibilité et la pérennité de l’encadrement économique pour rassurer les investisseurs.
Le SER a toutefois précisé qu’il est certes toujours possible de faire évoluer le cadre juridique et économique, mais qu’il convient surtout de programmer les évolutions pour ne pas compromettre les projets en cours et les investissements futurs.
Tentant de retracer l’origine de cette instabilité normative, le SER a identifié le déficit de pilotage interministériel efficient comme l’une des causes possibles. Dans le livre blanc qu’il a publié (52), le SER dénonce en effet un manque de synergie entre les ministères compétents. Pour y remédier, il propose que la mise en place d’un pilotage d’ensemble passe par la création d’une direction dédiée aux énergies renouvelables, chargée d’organiser une concertation permanente avec les professionnels.
Outre cet effort de simplification et de stabilisation, les professionnels et la Cour des comptes appellent de leurs vœux un effort de recherche et développement accru pour obtenir des progrès technologiques ou développer des filières susceptibles de remédier au problème de l’intermittence des énergies renouvelables.
2. Des verrous technologiques à lever, des filières à développer
Pour que le développement des énergies renouvelables ne contrevienne pas à l’objectif de décarbonisation de l’économie, la Cour des comptes mentionne deux solutions conduisant à ce qu’il ne soit plus fait appel aux productions de back-up carbonées : soit favoriser la gestion de l’intermittence par des technologies telles que le stockage de l’énergie et les réseaux intelligents, soit recourir à des filières renouvelables non intermittentes telles que la biomasse et le biogaz. Dans tous les cas, un effort de recherche et développement accru est indispensable à la maturation de ces dispositifs.
a. Des réponses potentielles à l’intermittence des énergies renouvelables : stockage de l’énergie et réseaux intelligents
La Cour des comptes présente le stockage de l’énergie comme un enjeu crucial. Cette technologie, qui consiste à absorber les excédents de production pour les restituer dans les périodes de forte consommation, est de nature à pallier les difficultés liées à l’intermittence des énergies renouvelables et à accroître leur développement sans pour autant intensifier le recours aux centrales de back-up carbonées.
Toutefois, aucun système de stockage de l’électricité n’est encore totalement mature. Sur les cinq grandes familles de techniques de stockage existantes, seule l’une d’entre elles a été déployée en France. Il s’agit des stations de transfert d’énergie par pompage hydraulique (STEP). La Cour des comptes préconise dès lors d’intensifier la politique de recherche et de réalisation de démonstrateurs, préconisation partagée par l’Ademe.
Parallèlement à la question du stockage, les réseaux intelligents ou smart grids peuvent également apporter une réponse au problème de l’intermittence. Ils consistent à diffuser largement l’information sur les conditions de production et de consommation entre les différents acteurs du système énergétique, permettant ainsi une meilleure gestion des tensions entre l’offre et la demande. Les professionnels des énergies renouvelables ont également constaté le bénéfice escompté d’une telle technologie, qualifiée de « technologie de rupture » par la Cour des comptes. La Cour met cependant en évidence des réserves tenant à l’acceptabilité sociale et aux difficultés d’assemblage des technologies pour étendre ce système à grande échelle, difficultés qui là encore incitent à un effort accru de recherche et développement.
Parallèlement aux efforts qui doivent être portés pour contribuer au déploiement de ces innovations technologiques, un consensus existe sur le développement souhaitable de deux filières prometteuses et dont la production n’est pas intermittente ou variable : la biomasse et le biogaz.
b. Biomasse et biogaz : des secteurs porteurs à encourager
Les professionnels des énergies renouvelables ont fait le constat d’une insuffisante exploitation des filières que sont le biogaz et la biomasse et ont regretté qu’il ne soit pas davantage fait état de ces filières dans le rapport de la Cour.
La biomasse désigne l’ensemble de la matière organique végétale ou animale (bois, déchets végétaux, graisse animale…), qui peut être utilisée pour produire de la chaleur ou de l’électricité. M. Jacques Percebois et l’Ademe ont souligné l’intérêt du développement de cette filière. L’Ademe a insisté sur les enjeux en cause, estimant que 50 % de la réalisation des objectifs nationaux reposent sur la mobilisation de la biomasse, en particulier forestière. Elle a émis plusieurs propositions destinées à accroître la sollicitation de la biomasse forestière par la stimulation de la demande de bois. Des mesures telles que l’augmentation du niveau obligatoire d’incorporation du bois dans la construction neuve, l’instauration d’un objectif d’incorporation dans les travaux de rénovation, le maintien du fonds chaleur ou encore l’arrêt du financement public de nouvelles installations électrogènes lorsque la chaleur n’est pas valorisée de manière optimale pourraient être prises. L’Ademe préconise en outre de structurer l’offre de biomasse forestière dont une partie de la ressource est inaccessible et n’est pas suffisamment valorisée. Si la Cour des comptes n’a pas consacré de substantiels développements à cette filière, elle rejoint néanmoins ce constat, regrettant la sous-exploitation de la forêt française en dépit d’un constat opéré depuis déjà trente ans.
Le biogaz est un gaz produit à partir d’un processus naturel de fermentation (la méthanisation). Il peut être utilisé comme combustible afin de produire de la chaleur et de l’électricité. Là encore, les professionnels auditionnés ont insisté sur le potentiel de cette filière. À ce titre, l’AFG a rappelé l’importance que prend cette filière dans les scénarios énergétiques, citant par exemple le scénario GRDF qui prévoit à horizon 2050 une part de plus de 70 % de gaz renouvelable dans le gaz de réseau. Le scénario de l’Ademe présente également des résultats optimistes bien qu’en retrait au regard du scénario GRDF, puisque l’agence estime que le gaz vert représentera 14 % du réseau en 2030, et 56 % à horizon 2050. Le rapport de la Cour des comptes apparaît sur ce point moins optimiste. Si la Cour reconnaît les espoirs suscités par cette filière, elle considère que « beaucoup reste à démontrer », et renvoie notamment à l’Allemagne qui n’est pas parvenue à produire les capacités prévues de biométhane sur son territoire. L’une des difficultés de cette filière tient à la compétition pour les terres, la production pouvant entrer en concurrence avec les productions à usage alimentaire. Tout en reconnaissant que la France dispose d’importantes ressources, la Cour des comptes dresse donc un bilan plus mesuré des potentialités du biogaz que les professionnels des énergies renouvelables.
3. Un système perfectible de soutien aux énergies renouvelables
Les professionnels admettent que le dispositif de tarifs de soutien au développement des énergies renouvelables a connu des dysfonctionnements, qui ont notamment conduit à la « bulle du photovoltaïque » entre 2009 et 2011. L’urgence de la réforme et les nouvelles modalités à retenir ont cependant davantage prêté à débat.
L’obligation d’achat est le principal outil de la politique de soutien à la production d’électricité renouvelable en France.
Conformément à l’article L. 314-1 du code de l’énergie, les fournisseurs historiques d’électricité sont tenus d’acheter aux producteurs l’électricité produite à partir de sources d’énergies renouvelables. Ce tarif d’achat peut être fixé selon deux procédures distinctes.
Le tarif d’achat peut d’abord être fixé par arrêté du ministre chargé de l’énergie après avis de la Commission de régulation de l’énergie. Dans ce cas de figure, l’opérateur, tenu par l’obligation d’achat sur une durée de 15 à 20 ans, est remboursé d’une partie de cette charge par le biais de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) payée par les consommateurs d’électricité. Ce dispositif, destiné à encourager le développement des énergies renouvelables, est calculé de façon à garantir la rentabilité des capitaux investis. Or, selon la Cour des comptes, la fixation des tarifs ne s’appuie pas toujours sur une connaissance fiable et actualisée de l’ensemble des paramètres conditionnant la rentabilité des installations. Cette faille a conduit à la « bulle du photovoltaïque » entre 2009 et 2011. M. Jacques Percebois (53) a rejoint et complété cette analyse. Ce système, qui prend aussi le nom de « feed in tariffs (FIT) », pose en effet problème lorsque les prix de l’électricité deviennent négatifs : en cas de surproduction d’énergie, la chute des prix de l’électricité sur le marché spot incite les centrales thermiques à pratiquer des prix négatifs, leur mise en arrêt étant plus coûteuse. Il en résulte que ce dispositif est non seulement coûteux pour le consommateur mais fait aussi peser un risque de black-out sur le système énergétique si les investisseurs cessent d’investir sur les centrales de back-up. Si M. Jacques Percebois souligne que ce système a eu le mérite d’encourager le développement des énergies renouvelables, l’insensibilité des producteurs aux prix du marché dans cette configuration est problématique. Il a alors évoqué deux autres systèmes de soutien qui connectent davantage le producteur au prix du marché. D’abord, le système des « contrats pour différence », qui conservent le principe d’un prix garanti mais exposent davantage les producteurs au prix du marché, à travers un complément de recette reçu ou reversé (si le prix de garantie est plus faible ou plus élevé que le prix de marché). Le producteur est moins incité à la surproduction et reste sensible au prix du marché. Ensuite, le système des feed in tariffs mais associés au versement d’une prime (système du feen in tariffs avec premium, dit FIP) dont M. Jacques Percebois a souligné les mérites : la vente d’électricité se fait au prix du marché et s’accompagne du versement d’une prime en fonction de la quantité d’électricité injectée ou de la capacité installée. Cette prime permet de tenir compte des coûts d’investissement des producteurs et de valoriser l’externalité positive résultant de la production d’énergie renouvelable. Plusieurs modalités de versement de cette prime sont envisageables. L’économiste a émis une préférence pour une prime ex post qui serait versée en fonction de la puissance installée, et qui pourrait être aisément modulée.
Le second système de fixation des tarifs d’achat instauré en France a consisté à fixer contractuellement ces tarifs dans le cadre d’appels d’offres passés par l’administration en vue de soutenir le développement des filières les moins matures. L’article L. 311-10 du code de l’énergie dispose que le ministre chargé du secteur peut passer des appels d’offres afin d’atteindre les objectifs définis dans la programmation pluriannuelle des investissements. EDF et les entreprises de distribution sont tenues de conclure un contrat d’achat de l’électricité avec les producteurs lauréats, selon les conditions définies dans leurs offres. Ici encore, la Cour des comptes souligne le mésusage de cette procédure lorsqu’elle est employée pour soutenir des filières déjà matures, comme ce fut le cas de la filière photovoltaïque qui a bénéficié de tels appels d’offres entre 2011 et 2013. La Cour constate en outre que ces procédures se sont parfois avérées peu efficaces et n’ont pas permis d’atteindre les objectifs de puissance attendus pour diverses raisons (nombre insuffisant de candidats, cahiers des charges non respectés…). Les dispositifs ne sont, de plus, pas parvenus à obtenir un prix préservant les intérêts de la collectivité, soit parce que les appels d’offres ont été mal articulés avec les tarifs d’achat, soit parce que les conditions n’étaient pas réunies pour permettre une réelle concurrence entre les candidats (l’appel d’offres de 2011 relatif à l’éolien en mer ne laissait que six mois aux entreprises pour déposer une offre : ce délai limité a offert un avantage compétitif important à la seule entreprise bénéficiant déjà d’études des vents sur les zones concernées). M. Jacques Percebois a pu préciser que l’un des défauts du système d’enchères « à la française », qui sont des enchères à « prix limite », tient à ce que tous les offreurs retenus au terme de l’ouverture des plis reçoivent le même prix garanti pour le mégawattheure, ce qui aboutit à ce que les producteurs bénéficient d’une rente différentielle correspondant à la différence entre le prix garanti obtenu et le prix qu’ils étaient prêts à accepter dans leur offre pour produire leur électricité. L’asymétrie d’information entre l’État qui ne connaît pas le coût réel des offres, et les opérateurs est également problématique. M. Jacques Percebois a alors présenté le système d’enchère « à la hollandaise » comme étant préférable. Il s’agit d’enchères discriminantes : les producteurs retenus reçoivent le prix qu’ils ont demandé, et non le prix-limite. Ce système a le mérite de faire disparaître la rente différentielle, mais présente néanmoins un risque de renchérissement des offres des producteurs, voire d’entente entre eux pour émettre des offres au prix élevé. En tout état de cause, M. Jacques Percebois a préconisé que les appels d’offre par exemple utilisés en France pour l’éolien soient réservés aux grands projets, en raison de l’importance des coûts de transaction.
Les professionnels présents ont jugé admissible l’évolution du système de soutien vers le système du feed in tariffs avec prime. En revanche, l’urgence de cette réforme a été relativisée. L’Ademe et le SER ont notamment fait valoir que l’exposition plus grande au prix du marché devait se faire avec précaution, par exemple en menant des expérimentations d’ici trois ou quatre ans, afin de ne pas déstabiliser les filières. Dans cette perspective, M. Pierre Radanne a aussi suggéré d’envisager la mise en place de contrats de filières avec des tarifs d’achat réévalués progressivement à la baisse pour une exposition plus grande au marché.
Le 28 février 2014 s’est achevée une phase de consultation de l’ensemble des acteurs impliqués dans le développement des énergies renouvelables, initiée par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie afin de réaliser le diagnostic du fonctionnement actuel du système électrique. L’évolution du système de soutien aux énergies renouvelables est donc actuellement à l’étude. Elle devra tenir compte du contentieux en cours relatif à la légalité de la compensation de l’obligation d’achat.
L’association Vent de Colère ! a en effet formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État contre les arrêtés organisant le mécanisme de compensation des surcoûts résultant de l’obligation d’achat de l’électricité produite par éoliennes, financement actuellement supporté par tous les consommateurs finals de l’électricité. Afin de statuer sur la légalité de ces arrêtés, le Conseil d’État (54) a posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour qu’elle détermine si le mécanisme de financement mis en place par la législation française constitue une intervention de l’État ou une intervention « aux moyens de ressources de l’État », première condition pour qu’une mesure soit qualifiée d’aide d’État. La CJUE ayant répondu de façon positive par un arrêt du 19 décembre 2013 (55), il appartient désormais au Conseil d’État d’en tirer les conséquences sur la légalité du dispositif.
Anticipant une annulation juridictionnelle, le Gouvernement a toutefois entamé, dès octobre 2013, une procédure de notification formelle du dispositif de soutien à l’éolien terrestre auprès de la Commission européenne. Le 27 mars 2014, celle-ci a autorisé les aides françaises en faveur du secteur des éoliennes terrestres, mais a lancé parallèlement une enquête sur la compatibilité du dispositif au droit de l’Union européenne. Dans ce contexte, il appartient au Gouvernement de veiller à ce que le réexamen du système de soutien aux énergies renouvelables intègre ces considérations pour garantir la sécurité juridique et donc la stabilité du nouveau dispositif.
IV. LE SYSTÈME COMMUNAUTAIRE D’ÉCHANGE DE QUOTAS DE CARBONE (SCEQE) : DE NOUVEAUX DÉFIS À RELEVER
A. LE SCEQE : UNE POLITIQUE PUBLIQUE EUROPÉENNE QUI SE DÉPLOIE PROGRESSIVEMENT
L’adoption d’un système d’échange de quotas carbone résulte d’un compromis jugé acceptable par les parties prenantes et les signataires du protocole de Kyōto. Le recours à un mécanisme de marché répondait aux vœux des entreprises et à ceux des États qui refusaient la mise en place d’une taxe collectée directement par une organisation internationale.
1. Un dispositif pionnier qui fonctionne en dépit des difficultés initiales
Comme l’a rappelé M. Benoît Leguet, directeur de la recherche à CDC-Climat, membre du comité des experts du débat national sur la transition énergétique, le système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SCEQE) est une politique publique et non un marché au sens strict du terme. Un système d’échange de quotas de carbone a le même objectif qu’une taxe carbone : réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais en créant une taxe, les autorités fixent un prix au carbone – ce qui impose de définir ex ante quel est son coût social, environnemental, économique etc. – tandis qu’en instaurant un système d’échange, elles fixent directement le volume des émissions à réduire.
Les quotas de carbone en circulation en Europe
Il existe aujourd’hui deux principaux systèmes d’échange :
– le système d’échange international entre États, organisé par le protocole de Kyōto ;
– le système d’échange européen, qui couvre les grandes entreprises des secteurs de l'industrie et de l'énergie de l'Union européenne.
En conséquence, deux types de quotas circulent sur le marché européen :
1.- les quotas d’émission de CO2 ou EUA (European Union Allowance) qui constituent l’instrument du SCEQE ;
2.- les quotas dits « projets », prévus par le protocole de Kyōto :
– l’unité de réduction certifiée des émissions (URCE) est délivrée à l’issue d’un long processus de validation par la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) aux porteurs ayant réalisé des projets de réduction des émissions dans un pays en développement ;
– l’unité de réduction des émissions (URE) est également attribuée par la CCNUCC pour des projets de réduction d’émission réalisés au sein des pays industrialisés.
Bien que relatif, le succès du SCEQE est indéniable : il a permis de fixer un prix pour 40 % des émissions de GES en Europe et concerne 31 pays, soit davantage que la seule zone euro.
Il a aussi inspiré d’autres systèmes similaires dans le monde. Aux États-Unis, sept États du Nord-Est (le Connecticut, le Delaware, le Maine, le New Hampshire, le New Jersey, l'État de New York et le Vermont) ont créé l'initiative régionale contre l'effet de serre (Regional Greenhouse Gas Initiative ou RGGI). La Chine teste depuis 2012 des marchés locaux dans sept de ses plus grandes villes (Pékin, Shanghai, la province de Canton, Chongqing...) avec l'objectif d'instaurer un système national d'ici à 2015. L'Australie, qui impose depuis juillet 2012 une taxe de 23 dollars australiens (18,52 euros) aux 300 plus grandes entreprises du pays, doit également mettre en place un marché d'échange de quotas en 2015. La Californie est la plus avancée, avec un véritable système d'échange prévu pour début 2014. D'autres États ou régions, notamment la Corée du Sud ou le Québec, et plus récemment le Cambodge et le Vietnam, envisagent la mise en place de tels systèmes. Selon M. Leguet, qui a jugé que ce point aurait pu davantage être souligné par le rapport de la Cour des comptes, le SCEQE a permis un flux d’investissements des pays du Nord vers ceux du Sud dans des projets bas carbone.
Le système européen d’échange de quotas de carbone : principes et fonctionnement
Le système communautaire d’échange de quotas européens (SCEQE) est un système de plafonnement et d’échange d’émissions (cap and trade) applicable à des installations émettrices de gaz à effet de serre (GES). Le niveau global admissible des émissions de GES est fixé par le régulateur qui, dans un même temps, alloue aux installations émettrices un certain nombre de permis d’émissions (« quotas ») de façon gratuite ou payante. Les installations sont autorisées, jusqu’à cette limite, à échanger des quotas d’émission selon leurs besoins.
Toutes les installations ne sont pas éligibles au système de quotas. Seules les installations de certains secteurs (les installations des secteurs de la production d’énergie, de la production et du traitement des métaux ferreux, l’industrie minérale – ciment, céramique, verre – et la production de papier et cellulose) atteignant un seuil de production et d’émission minimal, défini secteur par secteur par la directive 2003/87/CE, sont concernées.
En cas de cessation d’activité ou de passage en-dessous des seuils d’éligibilité, les installations sont exclues du système d’échange de quotas. Elles doivent alors restituer leurs quotas. En cas d’extension d’activité ou de création nouvelle, il est prévu une réserve dite « nouveaux entrants » (RNE), gérée par chaque État-membre jusqu’en 2012.
La mise en œuvre du SCEQE a eu lieu en trois phases successives, la dernière venant à peine de commencer.
La première période (2005-2007) a servi de phase pilote. Les quotas ont été distribués de manière gratuite pour la plupart (99 %), sur la base des émissions passées des installations industrielles. Le niveau réel des émissions couvertes par le système était mal connu au départ, du fait de l'absence de comptabilisation préexistante. Par ailleurs, il était impossible de conserver des quotas non utilisés pour la phase suivante. Les quotas excédentaires n'ayant plus de valeur après 2007, leur prix a logiquement chuté à des niveaux quasi-nuls dès lors qu'il est apparu qu'il y avait plus de quotas disponibles que d'émissions à couvrir sur la fin de période.
La période II (2008-2012) correspond à la période d'engagement du protocole de Kyōto. Trois modifications majeures ont été introduites. D'abord la quantité de quotas alloués a été réduite de 10 %, tout en conservant le principe d'une allocation essentiellement gratuite (96 % des quotas). Ensuite, les quotas non utilisés ont été autorisés à être conservés pour plus tard (dispositif dit de banking), apportant une incitation supplémentaire à réduire les émissions. Enfin, il est devenu possible d'utiliser des quotas issus de mécanismes de projets Kyōto, jusqu'à un montant correspondant à 13,5 % de l'allocation en moyenne. En 2012, le système européen d'échange de quotas a été élargi aux émissions des compagnies aériennes au cours de leurs vols européens.
Période III (2013-2020) : en avril 2009, l'Union européenne a adopté officiellement le paquet législatif dit « paquet énergie-climat » qui l'engage unilatéralement à réduire de 20 % ses émissions entre 1990 et 2020. Le marché de quotas doit jouer un rôle primordial pour atteindre ces objectifs à moindre coût. En matière d'allocation, le plafond de quotas distribués, défini au plan communautaire, se réduit progressivement pour être ramené à 21 % en dessous du niveau de 2005 en 2020. De plus la quasi-totalité de l'allocation des quotas au secteur de la production d'électricité s'effectue par mise aux enchères dès 2013 ; les autres secteurs reçoivent une part croissante de leurs quotas par enchères, sauf s'ils sont considérés comme étant soumis à une compétition internationale. Dans ce cas, leur allocation reste gratuite mais basée sur des facteurs de référence (benchmarks). La couverture du marché est élargie aux émissions de gaz non CO2 de l'industrie chimique et de la transformation d'aluminium. Le CO2 stocké de manière durable dans des réservoirs géologiques peut de plus être exempté de l'obligation de restituer des quotas. Enfin la surveillance du marché est accrue et centralisée, la traçabilité des quotas étant renforcée par la mise en place d'un registre unique se substituant aux 27 registres des États membres.
Le SCEQE a connu des débuts difficiles.
D’abord, la sécurité et la fiabilité du système ont été remises en cause dès la phase I par une fraude massive à la TVA pour une perte estimée à 1,6 milliard d’euros par la Cour des comptes. La justice suit son cours : plusieurs mises en examen ont été annoncées en janvier 2014. La Commission européenne a pris plusieurs mesures dans le sens d’une plus grande fiabilité. La migration vers un registre européen est de nature à sécuriser le dispositif et la proposition de la Commission européenne de sortir les petits exploitants aériens du système devrait limiter davantage les risques de blanchiment.
Ensuite, il est désormais avéré que la grande liberté laissée aux États membres dans le calcul des allocations de quotas en phase I a conduit à l’effondrement du prix du carbone ; les correctifs apportés en phase II (non reconduction des quotas alloués en phase I et réduction de 10 % des nouvelles allocations) n’ont pas produit leurs effets en raison de la baisse de l’activité causée par la crise économique.
Enfin, l’irruption des gaz de schiste sur le marché mondial de l’énergie a encore accru la baisse du prix du carbone de façon inattendue.
Le mauvais calibrage de la réserve « nouveaux entrants »
La dotation de la réserve « nouveaux entrants » (RNE) – 13,7 millions de tonnes de CO2 pour 2008-2012 – s’est rapidement épuisée. En 2010, l’État a donc racheté des quotas pour doter les installations nouvelles. Afin de financer l’achat de ces quotas supplémentaires, il a été décidé, en 2012, de prélever une taxe exceptionnelle sur les entreprises soumises au SCEQE pour redistribuer l’excès de quotas dont elles avaient bénéficié. La Cour des comptes réitère les critiques déjà formulées dans son analyse de l’exécution budgétaire 2012 consacrée au compte de commerce « gestion des actifs carbone » : le choix de ne pas avoir affecté le produit de la taxe RNE au compte de commerce rend peu transparent le suivi des actifs carbone de l’État. Au total, le coût pour l’État de l’abondement de la RNE se monte à 95,2 millions d’euros pour 2012-2013. La Cour critique la décision de ne pas reconduire la taxe RNE en 2013 dès lors que le raisonnement qui avait présidé à son adoption pour 2012 demeurait valable en 2013. Ce choix revient in fine à faire supporter par le budget général le coût des quotas attribués en surnombre aux installations durant la phase II du SCEQE.
2. Un impact difficile à évaluer à ce stade
La Cour des comptes reste très prudente dans son évaluation de l’efficacité du SCEQE ; elle rappelle que la phase III vient de commencer et que toute évaluation du SCEQE est, à ce stade, prématurée.
La question de l’impact du SCEQE sur la compétitivité des entreprises a été longuement débattue. La fixation d’un prix du carbone trop élevé risque en effet d’avantager la concurrence extra-européenne sur les produits concernés, d’inciter à la délocalisation de certaines activités particulièrement émettrices de carbone et donc de favoriser des « fuites » carbone vers des pays moins soucieux de réglementations climatiques, en diminuant l’efficacité globale de la lutte contre le changement climatique. La prise en compte de ce risque avait abouti à une allocation presque entièrement gratuite des quotas en phases I et II, pour laisser aux industries européennes le temps de s’adapter à une perte de compétitivité librement consentie et proportionnée, en phase III. Dans le souci que la perte de compétitivité soit strictement proportionnée aux objectifs, la phase III doit donc s’accompagner de deux dispositifs :
– la possibilité pour les installations de certains secteurs « exposés à un risque important de fuites de carbone » de recevoir jusqu’en 2020 des quotas gratuits ;
– la possibilité, pour les États membres, d’aider financièrement certains secteurs à forte intensité énergétique.
En tout état de cause, la Cour des comptes considère que l’impact du passage à la phase III devrait être faible sur la compétitivité des installations concernées, notamment en raison du surplus de quotas accumulés en phase II. La question du prix du carbone et de son impact sur la compétitivité demeure néanmoins posée à moyen terme. Mais le manque d’analyses sur la sensibilité des différents secteurs au prix du carbone ne permettrait pas, à l’heure actuelle, de cibler efficacement les dispositifs censés préserver la compétitivité. La Cour cite une étude du Boston Consulting Group conduite en 2008 à la demande de la Fédération européenne du ciment (Cembureau) qui proposait une carte mesurant l’impact de la concurrence méditerranéenne sur l’activité cimentière. Sans surprise, les zones de production côtières, plus sensibles à la concurrence du ciment importé par voie maritime, apparaissent les plus menacées. Cette étude mériterait d’être complétée par d’autres, dans les secteurs concernés, selon la Cour.
3. Le défi de la phase III : lutter contre le surplus de quotas
La faiblesse actuelle du prix du carbone est problématique : elle freine l’innovation et les investissements de long terme et conduit à privilégier le recours au charbon, devenu moins cher depuis la découverte des gaz de schiste aux États-Unis. Si le coût optimal de la tonne de carbone fait largement débat, les économistes s’accordent sur le fait que sa valeur en Europe est trop faible pour rentabiliser les investissements dans des sources d’énergies alternatives et dans les projets de captation et de stockage du carbone. Mais a contrario, si les objectifs du paquet énergie-climat étaient atteints, s’agissant du développement des énergies renouvelables ou des projets de captation et de stockage du carbone, ces technologies concourraient à déprimer davantage le marché du carbone. La Cour des comptes en déduit que la conciliation des différentes composantes du paquet énergie-climat, parfois contradictoires, impose une grande flexibilité et une excellente réactivité, qui ne sont pas les caractéristiques premières du système actuel.
En phase III, la fixation d’un plafond désormais européen devrait améliorer la prévisibilité du système et la stabilité réglementaire. Le nouveau mode d’attribution des quotas gratuits devrait, malgré sa complexité, permettre d’éviter la surestimation à laquelle s’étaient livrés certains États-membres et diminuer la concurrence entre eux. Désormais européanisée et plafonnée, la réserve « nouveaux entrants » verra ses besoins couverts par un montant réservé correspondant à 5 % du total des quotas gratuits alloués par la Commission européenne en phase III. Mais aucun mécanisme d’ajustement n’a été prévu en cas de ralentissement d’activité et toute aggravation de la crise accentuerait le surplus de quotas observé aujourd’hui. La Cour juge indispensable la mise en place d’un mécanisme permettant, en cas de ralentissement économique potentiellement durable, d’ajuster le plafond de quotas à la réalité de l’activité.
Les pistes de réforme avancées par la Commission européenne dans son rapport du 14 novembre 2012 (56) relèvent, selon la Cour, davantage de mesures d’urgence que de réformes structurelles. La Cour considère que les discussions sur un nouveau paquet énergie-climat 2030 sont une occasion unique de tirer les enseignements des périodes passées. Elle estime que l’adoption d’un cadre de plus long terme (2040 au lieu de 2030) pourrait donner aux entreprises la visibilité qui leur est nécessaire pour envisager des investissements. Cette visibilité est d’autant plus nécessaire que les dates butoirs structurant actuellement le SCEQE manquent de cohérence : par exemple, la liste des entreprises considérées comme sujettes au risque de « fuite carbone » est valable jusqu’en 2014 tandis que le calendrier de mise aux enchères des quotas affiche une progression allant jusqu’en 2027, date au-delà de laquelle 100 % des quotas, hors correctifs pour raison de fuites carbone, devront être mis aux enchères.
Enfin, les risques de « fuites carbone » appelleront sans doute davantage d’harmonisation de la fiscalité énergétique européenne et une coopération accrue des États membres dans ce domaine. Au-delà des réformes du SCEQE, la Cour des comptes évoque plusieurs propositions pour lutter contre les fuites-carbone, « globaliser » la politique climatique de l’Union européenne (UE) et fixer un prix minimal du carbone :
– l’instauration d’une taxe carbone, qui n’aurait de sens qu’au niveau européen ou, à défaut, compte tenu des échecs rencontrés jusqu’ici, un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières de l’Europe qui serait limité à des secteurs fortement carbonés, comme le ciment, par exemple ;
– une harmonisation de la fiscalité énergétique européenne qui pourrait intervenir à la faveur de la révision de la directive 2003/96 sur la fiscalité énergétique et qui contribuerait à fixer un prix significatif au carbone.
L’élargissement du SCEQE à l’aviation, y compris extra-européenne, constitue aussi un test pour la politique volontariste de l’Union. L’inclusion de l’aviation dans le SCEQE a été contestée par 26 États extérieurs à l’Union européenne (États-Unis, Canada, Chine, Inde, certains pays du Moyen-Orient, la Russie etc.) devant le conseil de l’Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Lors de sa 38e assemblée, en octobre 2013, l’OACI a proposé d'attendre 2016 pour adopter un mécanisme de marché mondial sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l'aviation. Ce mécanisme entrerait en vigueur d'ici 2020. Si l’OACI ne parvient pas à faire accepter un tel système à ses membres, le problème risque cependant de ressurgir.
B. LES INDUSTRIELS ET LES EXPERTS INVITENT À ENVISAGER TOUT AJUSTEMENT AVEC PRUDENCE
La résorption du surplus de quotas observée depuis le début de la phase I est une nécessité qu’aucun intervenant n’a contestée. En revanche, les moyens de parvenir à ce rééquilibrage font débat. Les industriels comme les experts invitent à la plus grande prudence et écartent toute idée d’une régulation discrétionnaire des surplus de quotas de carbone.
1. La nécessité d’un objectif ambitieux
De l’avis des experts entendus, le bas prix du carbone constaté aujourd’hui n’est pas en lui-même le signe d’un dysfonctionnement. Il est la résultante normale de la confrontation de l’offre et de la demande de quotas de carbone et la traduction de la baisse d’activité en Europe. M. Geoffrey Célestin-Urbain, chef du bureau environnement – agriculture à direction générale du Trésor, a rappelé qu’un système d’échange de quotas de carbone reposait sur une certitude du résultat environnemental mais une incertitude sur les coûts, à la différence d’une taxe qui fixerait un prix, un coût au carbone, sans certitude sur le résultat environnemental.
Le faible prix du carbone observé actuellement refléterait un des atouts du système, qui fonctionne de manière contra-cyclique. En période de crise, de hausse du chômage et de baisse de l’activité économique, le prix du carbone est bas, ce qui est favorable aux entreprises émettrices ou consommatrices d’électricité. Si le prix du carbone était relevé, une « double peine » serait subie par les secteurs déjà affectés par la crise.
Selon M. Benoît Leguet, directeur de la recherche à la CDC-Climat, ce faible prix de la tonne de carbone traduit un manque d’ambition politique au niveau européen. De l’avis général, un objectif clair et ambitieux à horizon 2030 est indispensable pour relever le prix du carbone et donner une visibilité propice aux investissements.
Les propositions pour 2030 de la Commission européenne sont donc vues de manière positive. La Commission a en effet retenu un objectif quasiment unique de réduction des gaz à effet de serre de 40 % décliné en un objectif de réduction de 43 % pour les secteurs visés par le système communautaire d’échange de quotas d’émissions. Comme l’a souligné M. Célestin Urbain, l’objectif 2030 de la Commission devrait agir comme un signal politique et devrait permettre de redynamiser le marché du carbone. Jugé indispensable par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), l’affirmation de cette ambition de long terme est la seule solution opportune pour la CDC-Climat.
2. Les risques d’une régulation discrétionnaire des surplus de quotas de carbone
Outre la fixation d’une nouvelle ambition européenne, plusieurs pistes ont été évoquées pour ajuster le système en cas de ralentissement de l’activité économique. Mais l’idée d’un mécanisme de régulation conjoncturelle du prix du carbone ne fait pas l’unanimité ; elle semble contradictoire avec les principes qui régissent le fonctionnement du SCEQE et pourrait être contreproductive.
Selon M. Leguet (CDC-Climat), approuvé par M. Célestin-Urbain (Trésor), le gel des quotas (ou back loading) est théoriquement neutre du point de vue du marché, à moins que les acteurs n’y voient un prélude à l’annulation définitive de quotas. Dans cette dernière hypothèse, le système d’échange européen changerait de nature. Selon M. Leguet, qui n’a pas approuvé le parallèle entre économie du carbone et économie monétaire, un système de « banque centrale » ne constitue pas la solution. Un mécanisme trop discrétionnaire entraînerait une volatilité du cours du carbone qui serait préjudiciable aux investissements.
Mme Croguennec (DGEC) a mis en avant certaines pistes explorées par la Commission européenne, et notamment la mise en place d’une régulation par les prix, par l’instauration d’un prix plancher et/ou plafond. Une intervention sur les prix pourrait ainsi favoriser les investissements « bas carbone ». Les entreprises supporteraient cependant la hausse du prix du carbone. M. Célestin-Urbain (Trésor) a souligné que la Commission européenne était restée très prudente, ne proposant pas une intervention directe des autorités européennes, mais un « corridor de surplus » afin d’encadrer un minimum les surplus de quotas.
M. Jérôme Schmitt, représentant de Total, a indiqué qu’une augmentation du prix du carbone ne constituerait pas la solution au faible développement des projets de capture et de stockage du carbone (CSC). En raison de limites d’ordre géologique, aucun grand projet de CSC n’est possible en France. Or, aucune technologie efficace ne permet aujourd’hui de transporter du CO2 sur de longues distances. Du reste, la France n’aurait que peu de carbone à stocker ; c’est l’Allemagne et la Pologne qu’il conviendrait « d’aider », selon M. Schmitt. Les projets de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui propose la mise en place de capacités de stockage de l’ordre de 8 milliards de tonnes de CO2 par an à l’horizon 2050, sont donc irréalistes. L’industrie pétrolière a une production de l’ordre de 11 milliards de tonnes équivalent pétrole par an, pour un investissement d’environ 700 milliards de dollars par an. Or, un investissement de plus de 500 milliards de dollars par an serait nécessaire afin d’arriver aux objectifs fixés par l’AIE. L’utilité directe des techniques de captage et stockage du carbone, qui demandent des investissements colossaux, pour des zones de stockage éloignées (l’Allemagne et la Pologne étant les deux pays les plus émetteurs de CO2) est donc limitée. Pour autant, Total poursuit ses investissements dans le souci d’être en pointe sur ce secteur et de se positionner dans les pays particulièrement émetteurs de CO2.
Enfin, M. Leguet (CDC-Climat) a préconisé des mécanismes alternatifs susceptibles d’éviter un surplus trop important de quotas en circulation. Un système de « quotas fondants » pourrait être mis en place. La valeur d’un quota diminuerait ainsi au court du temps (s’il valait une tonne hier, il en vaudra un peu moins aujourd’hui). Un facteur de réduction linéaire, ou encore un « plafond roulant » révisé périodiquement mais avec une ambition de long terme, pourraient également être adoptés. Une telle révision du plafond à moyen terme est ainsi proposée pour le futur système d’échange de quotas devant voir le jour en 2015 en Australie. (57)
3. La compétitivité carbone des entreprises en débat
En plus d’infliger une « double peine » aux entreprises en période de crise, les industriels estiment qu’un relèvement rapide du prix du carbone pourrait avoir des effets paradoxaux. Faute d’alternative au charbon clairement identifiée, la « recarbonation paradoxale » observée par la Cour des comptes pourrait s’accentuer. À cet égard, M. Schmitt (Total) a évoqué l’exemple de l’Energiewende allemande. Si l’Allemagne a considérablement développé sa production d’énergies renouvelables, elle a dû mettre en place en parallèle de nombreuses centrales, dites de « back up », fonctionnant au charbon, et de ce fait, fortement émettrices de CO2. Une forte augmentation du prix du carbone dans le contexte actuel enverrait un signal prix tout à fait délétère aux fournisseurs de gaz basés en Europe de l’Est et en Russie, lesquels en profiteraient, selon M. Felzinger (Uniden), pour accroitre leurs marges, au détriment des consommateurs européens. En effet, si l’on augmente les prix du CO2 afin de favoriser l’utilisation de centrales de back up fonctionnant au gaz, la demande de gaz est stimulée sans que les fournisseurs n’aient aucun effort à faire en termes de prix. Cela ne ferait qu’accélérer le processus de désindustrialisation européenne, selon M. Felzinger.
Le risque des « fuites carbone » existe même s’il ne s’est pas réalisé à ce jour. Il est inhérent aux limites géographiques du SCEQE bien que son ampleur reste difficile à évaluer faute d’études sur la sensibilité carbone des secteurs et des territoires. D’après M. Felzinger (Uniden), faire remonter artificiellement les prix du CO2 dégraderait davantage l’empreinte carbone globale de l’Union européenne. Les entreprises délocaliseraient leurs activités les plus émettrices hors de l’UE, ce qui serait dommageable pour l’emploi et le climat.
L’idée d’un mécanisme d’inclusion carbone (MIC) aux frontières de l’UE, autrement dit d’une « taxe carbone aux frontières », suscite beaucoup d’interrogations concrètes. Si un effort technique important a déjà été fourni par la France pour rendre ce projet crédible, un gros travail de conviction reste à faire, selon M. Leguet (CDC-Climat). Une telle politique représente en effet tant un défi politique qu’un risque juridique, le projet de MIC devant être accepté par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Un rapport publié en 2009 par l’OMC et le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) (58) laisse entendre qu’un tel mécanisme serait possible. Néanmoins, le débat n’est pas complètement tranché, l’OMC n’ayant pas explicitement approuvé le MIC. Les intervenants ont jugé dans l’ensemble que cette solution est peu réalisable à court et moyen terme.
En conséquence, si une régulation par les prix devait être adoptée, M. Schmitt (Total) a préconisé l’octroi de subventions aux industriels sur le modèle allemand, afin d’alléger la charge pesant sur les entreprises qui bénéficient de subventions financées sur fonds publics. En principe, les taxes environnementales doivent être neutres pour la compétitivité et leur produit intégralement reversé aux entreprises, suivant des critères environnementaux. La nouvelle coalition allemande prévoit néanmoins une baisse de ces subventions et une réforme de la loi sur les énergies renouvelables. Le gouvernement allemand a aussi approuvé en janvier 2014 des réductions sur l'abattement des prix de l'énergie pour les entreprises.
V. VERS DES COMPORTEMENTS PLUS SOBRES EN CARBONE ?
Pour nécessaire qu’elle soit à la transition énergétique, l’évolution des comportements ne fait pas l’objet d’un traitement spécifique dans le rapport de la Cour des comptes, qui l’aborde de façon transversale, à travers la problématique de l’acceptabilité sociale et de la conduite du changement.
C’est pourquoi les rapporteurs ont réuni plusieurs experts et parties prenantes au sein d’une table ronde intitulée « Comment changer les comportements pour favoriser une consommation plus sobre en carbone ?», qui a mis en évidence les injonctions paradoxales auxquelles sont soumis les individus ainsi que la nécessité de nouvelles approches pour leur permettre de s’approprier davantage la transition énergétique et écologique.
A. L’ACCEPTABILITÉ SOCIALE : UN CONCEPT FLOU
La question du comportement des citoyens est abordée à diverses reprises dans le rapport de la Cour. D’une part, elle estime que l’acceptabilité sociale est un enjeu essentiel pour le développement des innovations nécessaires à la transition énergétique et qu’il convient de l’évaluer. D’autre part, elle montre que la lutte contre le changement climatique devrait s’accompagner de plusieurs changements significatifs de comportements, qu’il convient d’accompagner.
1. Réduire les incertitudes pour gagner la confiance des citoyens
Concept dont la définition s’avère malaisée, l’acceptabilité sociale désigne, dans le rapport de la Cour, un ensemble de freins au changement ou aux évolutions technologiques formés par tout ou partie de la population.
C’est, par exemple, un frein supplémentaire au déploiement des projets de captage et de stockage du carbone (CSC) à court terme : « Le principal risque d’un projet de CSC consiste en une fuite massive de CO2 lors des différentes étapes du processus. Or, si les risques liés au captage et au transport s’apparentent aux risques industriels classiques, assez bien connus des acteurs et diffèrent assez peu de ceux des installations classées, les risques liés au stockage touchent à des questions d’acceptabilité sociale, en particulier du fait de la longue durée. » Ici, le risque objectif, avéré, se double d’un problème de crédibilité : l’acceptabilité sociale est obérée par un manque de confiance dans la capacité d’une entreprise à maîtriser des risques dans la durée. Elle varie suivant les pays : ainsi, la Cour indique qu’on ne relève pas de problème d’acceptabilité sociale des projets de CSC au Royaume-Uni.
L’acceptabilité sociale entre en compte dans la décision de réaliser un investissement. La Cour des comptes considère qu’elle peut s’avérer dirimante : « au-delà des incertitudes techniques et de l’ampleur de l’effort financier que la collectivité devra consentir, il est d’autres défis à relever. Défi, d’abord, de l’acceptabilité sociale : celle des effets pratiques de la transition, par exemple, d’avec une interconnexion accrue, qui suppose la création de nombreuses lignes à très haute tension supplémentaires. Celle aussi liée à une défiance de l’opinion vis-à-vis du nucléaire, encore aggravée depuis l’accident de Fukushima... »
La Cour des comptes souligne aussi que « l’acceptabilité sociale [des] conséquences pratiques du développement des EnR – la création de lignes supplémentaires, notamment à très haute tension, l’effacement de la demande - reste à vérifier, alors même qu’elle en est l’une des conditions. » Le souci de préserver des paysages pourrait rendre intolérable le déploiement de lignes à haute tension tandis que l’effacement de la demande renvoie aux habitudes, aux droits acquis, à l’équilibre entre droits individuels et collectifs. Autre exemple : le recours aux smart grids interroge les rapports entre individu et collectif mais aussi des enjeux plus vastes de protection de la vie privée et des données personnelles : « le changement de paradigme qu’elles [ces nouvelles technologies] impliquent nécessite à la fois un esprit de mutualisation chez les consommateurs, mais aussi une intrusion de ces technologies dans leur vie ». La Cour cite aussi plusieurs études analysant les conséquences de la transition énergétique sur l’emploi : « est ainsi soulignée la nécessité d’une politique très active de reconversion, de formation professionnelle et d’accompagnement des personnes concernées, cela pose aussi très directement la question des conditions de l’acceptabilité sociale d’une telle transition. »
Derrière le terme d’acceptabilité sociale coexistent donc plusieurs problématiques : la gestion des risques avérés, l’appréhension des risques incertains, la perception des risques par les non experts, le maintien des droits acquis, l’équité, la justice sociale, la crédibilité des mesures de protection et de la réglementation, l’efficacité de la politique de l’emploi. Les réponses qu’appelle une faible acceptabilité sociale sont aussi multiples : approfondissement de la recherche, information et transparence sur les risques, mesures de précaution, innovations technologiques, rénovation de la gouvernance, définition de normes réglementaires, mesures d’accompagnement et de redistribution…
Le rapport de la Cour des comptes invite à mieux évaluer l’acceptabilité sociale. Il importe surtout d’en identifier les différentes composantes pour y apporter des réponses adaptées. La suspension de l’écotaxe kilométrique sur les poids lourds a récemment donné la mesure des risques encourus.
2. Accompagner le changement et sensibiliser les citoyens
La conduite du changement ne semble pas être le point fort de la mise en œuvre du paquet énergie-climat. Tous les scénarios français de réduction des émissions de gaz à effet de serre reposent sur une perspective de réduction de la consommation d’énergie. De telles économies d’énergie supposent néanmoins de profonds changements dans les comportements. Ces changements doivent bien sûr être possibles et pensés en amont, ce qui ne semble pas toujours être le cas selon la Cour.
Ainsi, à propos du scénario 2030-2050 élaboré par l’Ademe, la Cour des comptes note que « le scénario postule deux changements radicaux de comportement : une inversion de la composition du parc de logements (la part des maisons individuelles passerait de 60 % aujourd’hui à 40 % en 2050) et une réduction de 20 % de la surface de bureaux par employé. La première tendance va à l’encontre de la préférence collective des Français depuis plusieurs dizaines d’années pour les maisons individuelles. La seconde tendance est une rupture dont le caractère réaliste ou non n’est pas discuté dans les documents de l’Ademe. Elle nécessiterait un fort développement du télétravail. Or le scénario de l’Ademe ne semble pas incorporer l’augmentation moyenne de la surface des logements, pour y systématiser les zones de bureaux, que rendrait nécessaire cette hausse massive du télétravail. »
En outre, les changements demandés doivent être pertinents et adaptés, car les comportements « sont eux-mêmes singulièrement différenciés selon les niveaux de vie et les habitus sociaux ». La Cour relève que l’Ademe propose une modification significative du modèle alimentaire. Son scénario suppose : une diminution de la valeur calorique journalière de 3 500 kcal/jour à 2 700 kcal/jour ; une diminution de la part des aliments à fort impact carbone (viande, œufs, poissons) ; une évolution forte de nos modes de consommation alimentaire avec la baisse des pertes évitables, du gaspillage alimentaire, le développement des circuits courts, de la consommation de saison et de l’autonomie territoriale là où elle est réalisable. La Cour estime que « le changement de contenu assez drastique de la ration alimentaire qui est postulé supposera de veiller à son acceptabilité. Le levier identifié dans ce domaine reste le lien entre régime alimentaire et préoccupations de santé et de qualité des produits. » En d’autres termes, les préoccupations environnementales pourraient rejoindre les préférences des consommateurs et leurs préoccupations concernant leur santé et leur bien-être, association que la Cour recommande de promouvoir.
B. RENFORCER L’AUTONOMIE DES CITOYENS
Sur la base du constat plutôt critique de la Cour des comptes, les rapporteurs ont interrogé plusieurs experts et responsables associatifs au cours d’une table ronde sur les moyens de promouvoir des modes de consommation ou des comportements plus sobres en carbone.
Il ressort de ces débats que le modèle traditionnel de la campagne de communication verticale a fait long feu. Il n’est d’ailleurs pas exempt de contradictions. En outre, les incitations financières, en plus d’être coûteuses pour le contribuable, ne sont pas toujours suffisantes. Il importe avant tout de créer les conditions du changement de comportement.
1. Lever les freins aux changements de comportement
La nécessité de créer un « environnement facilitant » pour les changements de comportements est le premier enseignement de la table ronde animée par les rapporteurs. Avant de mettre en place des incitations financières et de lancer des campagnes de communication, il est indispensable de lever les freins aux changements de comportements.
Comme l’a souligné Mme Laurence Sellincourt, conseil en prospective et management des transformations au sein du cabinet de sociologie et de prospective Chronos, l’individu est soumis à des injonctions contradictoires. Il est placé dans une situation de dépendance à l’énergie qu’il n’a pas choisie : toutes ses activités, tous ses biens sont énergivores. La philosophie du développement durable contrevient à la norme consumériste. Considéré avant tout comme un consommateur ultra-rationnel et parfaitement informé, l’individu voit peser sur lui la charge d’une évolution des comportements et des modes de vie sur la base de signaux très faibles. Les messages qui lui sont adressés par les pouvoirs publics sont tout aussi contradictoires : il doit être persuadé que les économies d’énergies sont indispensables à la transition énergétique mais on lui laisse entendre que la société de progrès finira par trouver une solution permettant de fournir une énergie illimitée et propre.
Les incitations financières se heurtent à des limites, comme des freins matériels, économiques et souvent un manque d’information concrète. Par exemple, il peut être difficile de coordonner les différents artisans intervenant dans la réalisation d’un « bouquet de travaux » éligible au crédit d’impôt développement durable (CIDD). Les ménages concernés par la précarité énergétique sont rarement enclins à se reconnaître dans cette situation. (59) Dans ces conditions, Mme Virginie Schwarz, directrice générale déléguée de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), a plaidé en faveur d’un d’une approche globale, d’un « environnement facilitant », par la levée des différents freins. À titre d’exemple, il serait inutile de promouvoir l’utilisation de transports en commun en zone rurale en l’absence d’offre ; une telle démarche ne ferait que démobiliser les habitants. Un travail en amont doit ainsi être effectué, avant même d’avoir recours à des campagnes de communication. L’accompagnement des particuliers, la mise en place de dispositifs de formation professionnelle ou encore la facilitation des démarches sont autant d’outils qui devraient être renforcés.
Les mesures fiscales (taxes ou crédit d’impôts) ont été qualifiées de « signaux brutaux » par M. Nicolas Mouchino, représentant de l’UFC Que-choisir. Modifiée en permanence, d’application souvent immédiate, la fiscalité s’applique au consommateur sans lui laisser le temps de réorienter sa consommation de manière efficace. Et rien n’est fait pour réduire sa captivité à l’égard de son mode de chauffage ou de transport.
Plusieurs changements de comportement à long terme ont des conséquences en termes de justice sociale. Certaines mesures peuvent avoir un impact négatif et générer des résistances car une partie de la population les jugera injustes. Mme Sellincourt a ainsi évoqué la question du parc automobile. Les voitures les plus polluantes sont détenues par les ménages aux plus bas revenus. Sans une politique de l’aménagement du territoire adéquate, le développement du télétravail et la « démobilité » peuvent renforcer la précarité et l’isolement. Mais comme l’a souligné M. Nicolas Mouchino, la réduction de la consommation d’énergie par la rénovation thermique des logements ou encore le covoiturage facilitent la maîtrise de leur budget par les ménages. Les comportements sobres en carbone ne sont donc pas nécessairement plus coûteux. C’est d’ailleurs lorsque l’avantage économique apparaît le plus clairement que le changement est le plus rapide. À cet égard, le succès récent des solutions de covoiturage, facilité par les nouvelles technologies, est tout à fait exemplaire. Les comportements ont évolué rapidement sans incitation fiscale ou réglementaire. Selon la directrice de l’Ademe, il faut combiner plusieurs arguments pour mobiliser les individus. Les motivations des Français sont en effet le plus souvent liées à leur santé, aux questions financières, à la sphère personnelle et familiale.
De façon générale, Mme Sellincourt et M. Mouchinot ont regretté un manque d’analyses sur les impacts économiques et sociaux de la transition énergétique ou encore sur les moteurs d’implication des individus (cognitifs, affectifs, conatifs). Ces analyses permettraient un emploi plus efficace des finances publiques en permettant de trouver un équilibre entre obligation, incitation financière et sensibilisation. Pour être acceptable, un changement doit être annoncé, prévisible, réalisable et ne doit pas générer d’exclusion.
2. Donner la maîtrise de l’information
La disponibilité de l’information est un enjeu-clé de la transition énergétique. Elle est indispensable pour convaincre les individus et les rendre autonomes. Or, de nombreuses critiques ont été formulées au cours de la table ronde sur sa qualité, son exhaustivité et sa neutralité.
L’étiquetage énergie des appareils domestiques est jugé obsolète, en dépit de la nouvelle directive européenne adoptée en 2010. (60) Grâce aux progrès réalisés par les constructeurs et faute d’une refonte globale des classes de consommation d’énergie, tous les appareils électro-ménagers sont désormais notés « A » voire « A+ » ou « A+++ ». Il en résulte une mauvaise valorisation des innovations les plus économes et un signal décrédibilisé auprès des consommateurs.
L’UFC Que-choisir a aussi évoqué la problématique des « coûts cachés » à propos du développement du chauffage électrique. Le développement massif de ce mode de chauffage représente un coût supporté par tous les consommateurs d’électricité quel que soit leur mode de chauffage. L’électricité ne pouvant être stockée, afin de répondre à la demande lors des pics de consommation, « la taille du parc de production a dû être doublée ». Ces surcoûts représentent même une double peine pour les ménages qui ne se chauffent pas à l’électrique. Ils sont « presque invisibles » selon l’association, tandis qu’« ils seront mis en lumière avec les augmentations tarifaires très douloureuses pour les ménages se chauffant à l’électricité consécutives à l’application de la loi Nome qui ajuste les prix aux usages, marqués par une envolée des prix de 50 % d’ici 2020. » (61)
Les diagnostics de performance énergétique (DPE) ont aussi été critiqués. Bien que les pouvoirs publics rappellent régulièrement que l’étiquette énergie des logements est purement théorique et indicative, qu’elle ne tient pas compte de la consommation réelle des occupants, le DPE a vocation à jouer un rôle dans la fixation du prix d’un bien immobilier et à encourager la réalisation de travaux. Dans ces conditions, les propriétaires et les acquéreurs sont très critiques envers cet étiquetage, dont l’ergonomie et la simplicité leur semblent obtenues au détriment de la qualité de l’information. (62)
À cette demande d’une information exhaustive et de qualité s’ajoute un souhait d’être mieux accompagné par des médiateurs indépendants, c’est-à-dire de pouvoir disposer d’une information simplifiée mais avec des garanties sur sa neutralité. Le manque de confiance relevé à propos des diagnostiqueurs, opérateurs du DPE, caractérise aussi les fournisseurs d’énergie. Plusieurs associations, à l’instar de Négawatt, considèrent qu’ils limitent leur distribution de services économes en énergie. A contrario, les Espaces Info-Énergie (EIE) ont été cités comme un exemple de bonne pratique. Ces espaces, qui renseignent gratuitement le grand public sur les réflexes simples à adopter et les solutions à mettre en œuvre afin de réduire sa consommation d’énergie et de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre depuis maintenant treize ans, n’ont pas d’assise légale, ce qu’a regretté M. Raphaël Claustre, directeur du comité de liaison Énergies renouvelables (Cler) et représentant de l’association Négawatt. Sur ce modèle, l’UFC Que-Choisir a proposé qu’un tiers indépendant soit chargé de coordonner l’intervention des artisans dans le cadre des rénovations des logements. Cet interlocuteur unique devrait être responsable en cas de problème. C’est un service que proposent déjà nombre d’entrepreneurs et de cabinets d’architecte, a rappelé la directrice de l’Ademe, mais pour un coût supplémentaire que les ménages ne sont pas toujours prêts à supporter.
Les technologies numériques constituent une opportunité pour la transition énergétique. Les communautés d’utilisateurs constituent de petites entités délibératives qui peuvent assurer un travail de médiation et d’apprentissage à partir d’une information de qualité. En s’appuyant sur les nouvelles technologies, des dispositifs d’information sur la consommation d’énergie et la formation d’une communauté ludique autour des économies d’énergie, l’Ademe encourage l’initiative « Familles à énergie positive » : un concours d’économies d’énergie entre familles. Mmes Sellincourt et Schwartz ont toutefois mis en garde contre une interprétation simpliste des bons résultats obtenus : le simple apport d’information ne suffit pas à changer les comportements. Encore faut-il que les freins au changement aient été correctement identifiés et réduits et que l’information soit parlante pour les individus.
Plusieurs intervenants ont alerté les rapporteurs sur les enjeux de l’ouverture des données (open data). Alors que les nouvelles technologies permettent l’émergence de communautés d’utilisateurs susceptibles de produire eux-mêmes des services d’information, les entreprises productrices des données de consommation ont obtenu de pouvoir commercialiser ces données. M. Nicolas Mouchino et Mme Virginie Schwartz ont évoqué un corpus juridique faible et des occasions manquées. Le cas du compteur Linky serait exemplaire. Ce compteur, qui équipera 35 millions de foyers d’ici à 2020, transmettra uniquement des informations sur le volume d’énergie consommé tandis que l’Ademe avait plaidé pour une information complète, formulée en euros, directement compréhensible par les ménages et disponible sur le lieu de consommation. L’information sur les prix devra finalement être transmise parallèlement, par le bais de « box » distribuées par les fournisseurs d’énergie. Le consommateur se verra obligé de payer un abonnement afin de connaître les prix de l’énergie, tandis que les fournisseurs d’énergie garderont la mainmise sur le système, au détriment de l’innovation, selon l’UFC Que-choisir. Pour l’Ademe, on est « passé à côté d’une opportunité de faire passer la maîtrise de l’énergie chez tous les Français. »
AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES
Lors de sa séance du 16 janvier 2014, le Comité entend M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur l’évaluation de la mise en œuvre du paquet « énergie-climat » de 2008 en France, réalisée par la Cour des comptes à la demande du Comité.
M. le président Claude Bartolone. Nous sommes heureux de recevoir M. Didier Migaud qui va nous présenter la contribution de la Cour des comptes à l’évaluation de la mise en œuvre du paquet énergie-climat. Je vous rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande du groupe écologiste et que nous avons demandé l’assistance préalable de la Cour des comptes.
Le Premier président de la Cour est accompagné de M. Christian Descheemaeker, président de la formation interchambres chargée de cette évaluation, et de MM. Arnold Migus et Jacques Rigaudiat, conseillers-maîtres, qui en ont été les rapporteurs généraux.
Cette audition est ouverte à la presse, et je vous rappelle que nos deux rapporteurs sont M. François de Rugy, pour la majorité, et M. Jean-Jacques Guillet, pour l’opposition. Ils seront accompagnés dans leurs travaux par un groupe de travail désigné par les commissions concernées et composé de M. Julien Aubert et de Mmes Sabine Buis, Marie-Hélène Fabre et Catherine Quéré.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Je suis heureux de vous présenter le rapport que votre Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a demandé à la Cour le 6 novembre 2012, au titre de l’article L. 132-5 du code des juridictions financières. Ce rapport a pour objet « la mise en œuvre par la France du paquet énergie-climat de 2008 ». Il constitue, avec le rapport sur le réseau culturel extérieur de la France, l’une des deux contributions que la Cour s’était engagée à apporter au CEC pour l’année 2013. Celle-ci se réjouit de travailler, pour l’année 2014, sur deux sujets : le développement des services à la personne et la politique de la douane en matière de lutte contre la fraude et les trafics.
L’expression « paquet énergie-climat » regroupe, vous le savez, un ensemble de textes européens adoptés en 2008 : un règlement, trois directives et une décision. Ces textes constituent la politique communautaire de lutte contre le réchauffement climatique qui crée ou modifie des dispositifs et financements européens, fixe des objectifs globaux mais, pour l’essentiel, laisse à chaque État membre la responsabilité de définir des objectifs et de fixer les moyens d’y parvenir. C’est la transposition de ces textes et la bonne mise en œuvre nationale de cette politique que la Cour a cherché à analyser.
Le rapport qui vous est présenté aujourd’hui analyse l’efficience et l’efficacité des différents instruments de la politique de mise en œuvre du paquet énergie-climat. Il aborde leurs résultats et leurs impacts, mais une évaluation complète de cette politique aurait supposé, sur un champ aussi large de dispositifs et de mesures, d’interroger toutes les parties prenantes, ce qui n’a pas été possible dans le temps imparti.
Ses conditions de préparation ont fait appel, autant que possible, à des méthodes de travail qui s’inspirent de certaines pratiques évaluatives, notamment la mise en place d’un comité d’experts indépendants, spécialistes des différents aspects du sujet et la réalisation de nombreuses et riches comparaisons internationales. Ce rapport complète la production de la Cour sur le sujet des énergies, avec des enquêtes menées à la demande du Gouvernement, comme celle de janvier 2012 sur les coûts de la filière électronucléaire ou celle d’octobre dernier sur les certificats d’économie d’énergie. La Cour a également publié un rapport d’évaluation, conduit à sa propre initiative, sur la politique d’aide aux biocarburants en janvier 2012. Enfin, l’analyse qui vous est livrée s’appuie sur un rapport public thématique présenté en juillet dernier sur la politique en faveur des énergies renouvelables.
Par ailleurs, je me réjouis une nouvelle fois de la méthode de travail qui a été retenue avec les parlementaires rapporteurs. Grâce à des rencontres régulières, MM. de Rugy et Guillet ont pu être tenus informés et faire part régulièrement de leurs réactions et demandes.
Pour vous présenter le rapport de la Cour, je suis entouré de M. Christian Descheemaeker, président de la formation interchambres qui a préparé cette évaluation, et de MM. Arnold Migus et Jacques Rigaudiat, conseillers maîtres et coordonnateurs de l’enquête. Je tiens à remercier ceux qui ont contribué à ce rapport et à ses riches annexes : M. Alain Resplandy-Bernard et M. Jean-Luc Tronco, conseillers référendaires, M. Loïc Batel, rapporteur, et Mme Quitterie Martin-Vidal, assistante. J’adresse également tous mes remerciements à M. Henri Paul, conseiller maître et contre-rapporteur.
Avant de répondre à vos questions, je vous présenterai les principaux constats et recommandations de ce rapport, sous la forme de quatre messages. Le premier est que la France s’est fixé des objectifs ambitieux, sans tenir assez compte de ses spécificités propres. La France est en effet l’une des économies les moins émettrices de carbone. Le secteur des transports y est le premier émetteur de carbone et l’agriculture la principale émettrice des autres gaz à effet de serre (GES).
Le deuxième message est que les instruments communautaires de réduction des gaz à effet de serre ont pour le moment échoué. Les mesures prises au niveau national sont quant à elles foisonnantes, insuffisamment évaluées et n’ont pas la cohérence nécessaire, y compris au sein de chaque filière. La Cour recommande de renforcer le pilotage de cette politique qui est interministérielle par nature.
Le troisième message est que les premiers résultats sont positifs, mais ambivalents, car liés en partie à une dégradation de la situation économique. Les objectifs pour 2020 sont atteignables, mais difficilement car ils supposent des investissements massifs, une priorité donnée aux économies d’énergie, et une réorientation des outils pour impliquer davantage les transports et l’agriculture. Ces efforts ne seront pas sans impact sur nos modes de vie.
Le dernier message est qu’il apparaît préférable, afin de limiter le réchauffement climatique, que les pays de l’Union européenne se fixent un objectif de réduction de leur empreinte écologique plutôt que de leurs émissions nationales.
Je reviens sur le premier message : les objectifs du paquet énergie-climat attribués à la France ne tiennent pas assez compte de ses caractéristiques propres.
La lutte contre le changement climatique a d’abord relevé d’engagements internationaux. Ceux de la conférence de Rio de Janeiro de 1992, précisés par le protocole de Kyoto entré en vigueur en 2005, visent à stabiliser les émissions à leur niveau de 1990 – objectif largement atteint pour la France. Depuis 2009, la négociation internationale a échoué à fixer des objectifs contraignants pour les États. Mais, dans un contexte qui n’était pas encore marqué par la crise économique, l’UE, dont les émissions ne représentent actuellement que 8 % du total mondial, a fait le choix de définir une politique ambitieuse et contraignante qui s’est traduite par l’adoption du paquet énergie-climat en 2008. Les différentes composantes de ce paquet forment un ensemble hétérogène visant, à horizon 2020, un triple objectif, décliné dans chaque État de façon différente : le premier est de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 – et non simplement les stabiliser. Au niveau national est évoqué un objectif plus ambitieux de diviser par quatre les émissions, à un horizon plus lointain, fixé à 2050. Le deuxième objectif européen est de faire progresser, d’ici à 2020, la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale – électricité et chaleur – pour qu’elle atteigne la proportion de 20 % – la France a accepté un objectif de 23 %. Enfin, le troisième objectif pour 2020 consiste à augmenter l’efficacité énergétique de 20 %. Ce dernier objectif est mentionné sans qu’un texte vienne le rendre contraignant pour les États. La France s’est engagée à communiquer la cible d’efficacité énergétique qu’elle vise en 2014.
La poursuite de chacun de ces trois objectifs n’est pas indépendante de celle des autres. Ces objectifs se confortent le plus souvent, par exemple lorsqu’il s’agit de faire progresser le rendement énergétique des moyens de chauffage, mais ils peuvent parfois se contrarier. Les sources renouvelables solaires et éoliennes produisent de l’électricité de façon irrégulière selon les conditions climatiques. Cette intermittence désorganise la production et la distribution d’électricité. Le développement des énergies renouvelables en Allemagne n’a pas été accompagné d’une réflexion suffisante sur cette intermittence. Pour y faire face, et en l’absence pour le moment de moyens de stockage massif de cette énergie, il est nécessaire, à certains moments, d’avoir recours à un complément de production électrique issu de centrales thermiques au charbon ou au gaz, ou à des importations. C’est toute l’ambivalence de la politique allemande qui a, certes, fait le choix d’un développement ambitieux des énergies renouvelables, dont la production a été multipliée par six en quinze ans, en remplacement de ses capacités nucléaires, mais au prix d’une recarbonisation de son électricité.
J’en viens à la situation particulière de la France. L’émission de gaz à effet de serre peut se mesurer en termes absolus. Pour la France, on peut relever une réduction progressive dans le temps. Mais il est plus pertinent de rapporter ces émissions à la production, mesurée par le PIB. On parle alors d’intensité des émissions. Celle de la France, de 227 tonnes d’équivalent CO2 par million d’euros de PIB, est l’une des plus faibles d’Europe : elle représente les deux tiers de la moyenne. L’économie française est donc l’une des moins carbonées d’Europe.
La principale explication est que les sources thermiques fossiles d’énergie électrique ne représentent que 9,6 % de la production électrique, dont plus de 90 % proviennent donc de sources non carbonées, nucléaires et renouvelables. La production d’électricité est entre cinq et six fois moins émettrice de carbone que celle de l’Allemagne ou des Pays-Bas, et de l’ordre de dix fois moins que celle de la Pologne ou de la Chine. Cette caractéristique, qui fait jouer à la production d’énergie un rôle d’émetteur de gaz à effet de serre bien plus faible que dans d’autres pays, a des conséquences majeures. Elle explique la moindre intensité des émissions en niveau absolu dans l’économie française, et la place plus importante que représentent, au sein de celles-ci, les émissions des autres secteurs.
Il s’agit en premier lieu des émissions dues aux transports, qui représentent 27,9 % des émissions totales et sont liées dans leur quasi-totalité au transport routier. Ces émissions se sont nettement accrues entre 1990 et 2004, et la baisse qui peut être observée depuis n’a pas encore fait revenir leur niveau à celui de 1990.
Les émissions de l’industrie – 22 % des émissions totales – se sont réduites sans qu’on puisse actuellement faire la part entre ce qui relève respectivement de l’amélioration des techniques de production, de la moindre production industrielle ou des délocalisations de celle-ci. Une lourde incertitude existe donc quant à l’effet de la reprise économique sur les émissions du secteur industriel.
L’agriculture représente 21,2 % des émissions nationales, contre 9 % au niveau européen. Ce n’est pas le dioxyde de carbone qui en est principalement responsable ; ce sont le protoxyde d’azote et le méthane, issus de la fertilisation des sols pour le premier et de l’élevage pour le second. Les émissions du secteur agricole français se sont réduites à un rythme deux fois moindre que la moyenne de l’Union, malgré le niveau de départ dont partait la France, sensiblement plus élevé que la moyenne européenne.
Le dernier secteur est le bâtiment résidentiel et tertiaire où les émissions françaises sont stables alors que nos voisins parviennent à les réduire. La tendance à l’amélioration de l’efficacité énergétique des logements est perceptible, mais ses effets sont contrebalancés par l’augmentation des surfaces dans le parc de logements, elle-même alimentée par une vitalité démographique qui est l’une des deux plus vives d’Europe, avec l’Irlande.
Ainsi, la France présente certaines caractéristiques dont il faut tenir compte pour fixer ses objectifs. Puisque son niveau de départ en termes d’intensité d’émissions est plus faible, la fixation d’objectifs en termes de pourcentage de réduction lui impose une contrainte plus forte, en comparaison avec la fixation d’un niveau d’intensité d’émissions commun à atteindre pour les pays européens. Ensuite, les différences de dynamisme démographique auraient pu être prises en compte au niveau européen.
Ces caractéristiques ont des conséquences sur la nature des mesures à mettre en œuvre pour réduire significativement les émissions de notre économie. Au regard de leur potentiel, les transports et l’agriculture devraient contribuer de façon beaucoup plus importante aux efforts de réduction des émissions. Paradoxalement, ce sont eux qui ont été les moins ciblés par les mesures prises au niveau national. C’est le deuxième message : les mesures sont foisonnantes mais n’ont pas la cohérence nécessaire, y compris au sein de chaque filière.
J’évoquerai en premier lieu les instruments communautaires, en m’appuyant notamment sur les analyses faites par la Cour des comptes européenne. Le système d’échange de quotas européens n’est pas parvenu, pour le moment, à faire émerger un prix du carbone à la hauteur des objectifs de réduction des émissions qui sont visés. La dégradation de la conjoncture a rendu les quotas surabondants et fait presque disparaître le signal prix. Le système des quotas, malgré sa lourdeur, n’a donc joué qu’un rôle très marginal. Des défaillances doivent être relevées : la fraude massive à la TVA, qui a privé l’État français d’1,6 milliard d’euros de recettes, et des erreurs de calibrage des quotas attribués aux entreprises nouvelles entrantes dans le système, qui ont contraint l’État à dépenser 207 millions d’euros d’achat sur les marchés.
Les financements européens en faveur de l’efficacité énergétique ont été peu sollicités par la France : celle-ci n’a bénéficié, entre 2007 et 2013, que de 5,7 % de l’enveloppe communautaire disponible, soit 48 millions d’euros par an. Ces crédits n’ont contribué à financer en moyenne qu’1,3 % des investissements réalisés en France sur la période. La part de la France dans les financements européens est en régression par rapport à la période allant de 2000 à 2006 où elle atteignait 8,4 %. La Cour des comptes européenne émet un jugement critique sur les projets retenus dans les pays qu’elle a examinés, principaux bénéficiaires de ces financements : la République tchèque, l’Italie et la Lituanie.
Enfin, l’échelon communautaire a été privilégié pour développer des projets de captage et de stockage du carbone. La faible rentabilité des projets compte tenu de la faible valorisation sur les marchés des quotas carbone, et les incertitudes techniques importantes qui demeurent, ont conduit à un échec des appels à projets lancés.
J’en viens à la France. Les mesures mises en place sont très diverses et font appel à toute la panoplie des actions publiques : incitations fiscales, subventions et réglementation. Elles ont un coût qui a été évalué par le Gouvernement, de manière approximative, à 19,8 milliards d’euros, dont 3,6 milliards d’euros de crédits budgétaires de l’État. La Cour observe, au demeurant, que le document de politique transversale consacré à la lutte contre le changement climatique, annexé à la loi de finances, reste très lacunaire et gagnerait à livrer une information plus complète et plus fiable.
L’impact des divers dispositifs publics sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas toujours évalué. Lorsque c’est le cas, l’efficience des mesures apparaît très variable. Ainsi, le crédit d’impôt développement durable finance indifféremment toute une diversité de travaux dans les logements. Le dispositif peut être efficient, lorsqu’il soutient des travaux d’isolation des toits et des murs, avec un coût public de la tonne de CO2 évitée de 21 euros. Mais lorsque le crédit d’impôt soutient des travaux de production d’énergie solaire thermique, la dépense fiscale est très peu efficiente, avec un coût de la tonne de CO2 évitée de 432 euros, soit vingt fois plus cher que l’isolation. La Cour a constaté que d’autres mesures sur le logement, comme l’éco-prêt à taux zéro, manquaient d’efficacité. Les diagnostics de performance énergétique dans les logements ont une fiabilité insuffisante. Le fonds chaleur vise à stimuler le recours à des sources de chaleur d’origine renouvelable dans les logements, par exemple le chauffage au bois ou la géothermie. Compte tenu du retard de la France dans la chaleur renouvelable, par rapport à l’électricité, les moyens dont dispose ce fonds sont insuffisants. Le soutien aux énergies électriques renouvelables repose sur des tarifs d’achat, dont le consommateur est le financeur final via la contribution au service public de l’électricité. Les tarifs d’achat ont été mal ajustés, entraînant, vous le savez, une bulle dans l’énergie photovoltaïque. La filière éolienne a vu son développement freiné par la rigidité du cadre réglementaire. La géothermie, quant à elle, demeure soumise aujourd’hui à la lourdeur du code minier, dans l’attente de textes d’application des récents assouplissements que vous avez votés dans la loi du 22 mars 2012 de simplification du droit et d’allégement des procédures administratives.
Les mesures concernant le secteur agricole sont très peu nombreuses et ne font pas l’objet d’évaluation. Elles sont concentrées sur les émissions de CO2 des exploitations, laissant de côté le protoxyde d’azote et le méthane qui représentent 92 % des émissions du secteur agricole. Au mieux, les quelques mesures ont concerné une exploitation sur cent. Au contraire, en Allemagne, les exploitations ont beaucoup bénéficié du soutien aux énergies renouvelables. Le regain de compétitivité des exploitations porcines allemandes doit beaucoup à l’installation de panneaux photovoltaïques bénéficiant d’un tarif de rachat d’électricité généreux.
Les dispositions touchant au secteur des transports sont onéreuses et faiblement efficientes. Ainsi, les investissements prévus dans le Schéma national des infrastructures de transport – routes, lignes ferroviaires, canaux – ont un coût pour la tonne de CO2 évitée qui dépasse le millier d’euros. La diminution de la consommation des véhicules s’est trop reposée sur les annonces a priori des constructeurs, les mesures réalisées ultérieurement affichant une consommation réelle supérieure.
La politique de l’État exemplaire en matière d’émissions a achoppé jusqu’ici sur le manque de moyens pour engager les travaux d’efficacité énergétique nécessaires dans ses bâtiments.
Ainsi, les mesures ne forment pas un ensemble cohérent. Elles se concentrent sur le logement et le tertiaire, qui ne sont pas les principaux émetteurs, traitent les transports par des mesures coûteuses mais peu efficaces, et font presque l’impasse sur l’agriculture, qui contribue de façon importante aux émissions dans notre pays. Enfin, les dispositifs publics souffrent de contradictions, avec par exemple le soutien, au même moment, des véhicules électriques et du diesel. Il paraît nécessaire de procéder à une remise en ordre en privilégiant les dispositifs les plus utiles et concentrés dans les secteurs les plus émetteurs.
Pour cela, le pilotage par l’État doit être renforcé. Il repose avant tout sur une direction d’administration centrale du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, la direction générale de l’énergie et du climat. Mais celle-ci ne joue qu’un rôle de coordination et de centralisation de l’information. La Cour estime que le caractère interministériel de cette politique devrait être plus affirmé, en donnant un rôle plus important au comité interministériel du développement durable, assisté par un secrétariat permanent relevant de la direction générale de l’énergie et du climat.
Concernant le troisième message, les premiers résultats sont positifs : les émissions de gaz à effet de serre se sont repliées de 13 % en France depuis 2005. Les résultats sont contrastés selon les secteurs – j’ai déjà évoqué la faible contribution des transports et de l’agriculture, qui sont pourtant fortement émetteurs. La crise économique a beaucoup joué dans la réduction des émissions industrielles. Les objectifs pour 2020 sont atteignables, même si la Cour considère que les projections retenues reposent sur des hypothèses souvent volontaristes et parfois irréalistes en matière de construction de logements neufs ou de rénovation thermique. Une reprise de la croissance pourrait fragiliser la réalisation des objectifs – c’est toute l’ambivalence des premiers résultats obtenus. Pour éclairer les choix, et mieux informer le débat sur la transition énergétique, les outils de modélisation et de simulation doivent être rendus plus performants. Ces outils doivent prendre en compte l’interaction entre les mesures prises et la situation macroéconomique.
La production d’énergies renouvelables a connu de sensibles progrès : celles-ci représentent 13,1 % de la production d’énergie contre 9,6 % en 2005. Ces progrès ont, pour l’essentiel, porté sur l’électricité renouvelable plutôt que sur les sources de chaleur d’origine renouvelable. Mais l’objectif fixé pour 2020, plus ambitieux que l’obligation européenne moyenne de 20 %, sera très difficile à atteindre. Au cours des sept prochaines années, il rendrait nécessaire, pour l’électricité renouvelable, un effort d’accroissement de la production six fois plus important qu’entre 2005 et 2011, et sept fois plus pour la chaleur renouvelable. Cette évolution s’accompagnerait d’un accroissement très fort de la contribution au service public de l’électricité pour financer les investissements nécessaires.
Parmi ces investissements, il faut compter l’adaptation du réseau de distribution à une production moins centralisée et plus intermittente, et l’effort de recherche sur les moyens de stockage de la production doit être accentué, afin de prendre en compte le risque accru que fait porter cette intermittence sur la sécurité électrique. Ces coûts systémiques doivent être intégrés dans celui des nouveaux investissements de production électrique. L’atteinte des objectifs en matière d’énergie renouvelable suppose donc des investissements massifs.
Plus généralement, la France consacre chaque année de l’ordre de 37 milliards d’euros d’argent public ou privé aux investissements énergétiques, pour des projets aussi divers que l’installation d’une pompe à chaleur chez un particulier ou la construction de nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse. Pour assurer la transition écologique, ce rythme d’investissements devra s’accroître d’un tiers, voire doubler chaque année jusqu’en 2050. Il faut, par ailleurs, souligner qu’investir n’entraîne pas mécaniquement la structuration de filières industrielles durables au niveau national ou européen, créatrices d’emploi. L’exemple du développement de l’énergie photovoltaïque en atteste. Une politique d’investissements accrus devra s’accompagner d’une stabilité des règles et des incitations et d’une concurrence internationale loyale.
Pour amplifier la trajectoire de réduction des émissions, dans une économie déjà peu carbonée, l’effort devra porter avant tout sur les économies d’énergie plutôt que sur la décarbonisation de la production d’énergie. Les outils devront être réorientés pour toucher davantage les secteurs les plus émetteurs et qui ont le moins contribué jusqu’ici aux réductions. Il s’agit, dans l’ordre, des transports, de l’agriculture et du bâtiment résidentiel et tertiaire. Les mesures à prendre ne seront pas sans impact sur les modes de vie, avec une nouvelle organisation de la mobilité, de l’aménagement de l’espace et du bâti, un raccourcissement des circuits reliant les lieux de production et de consommation. Ce sont bien ces évolutions qu’implique avant tout la transition énergétique, bien davantage que la dégradation de la compétitivité des économies européennes souvent invoquée.
Je terminerai cette présentation par le quatrième message : il apparaît préférable que, pour l’avenir de la lutte contre le réchauffement climatique, l’Europe et la France se fixent un objectif de réduction de l’empreinte écologique plutôt que des émissions nationales.
La fixation d’objectifs de réduction des émissions sur le territoire d’un pays peut inciter le secteur industriel, volontairement ou non, à délocaliser des productions intenses en carbone vers des pays plus tolérants aux émissions de gaz à effet de serre. Plus le coût du carbone est élevé dans le pays d’origine, plus ces « fuites de carbone » s’amplifient. Se concentrer sur les seules émissions sur un territoire, c’est prendre le risque que ces effets s’amplifient. Cela peut conduire à des paradoxes. Ainsi, l’installation de panneaux photovoltaïques a été soutenue par les politiques nationales mais, selon les calculs menés par la Cour, lorsque les plaques de silicium qui composent ces installations sont importées de Chine, et lorsque les émissions de carbone comprises dans ces importations sont prises en compte, le bilan carbone global du panneau photovoltaïque sur son cycle de vie devient négatif.
Pour éviter de tels effets pervers, les gaz à effet de serre liés aux importations gagneraient à être mieux pris en compte. C’est ce que permet le raisonnement sur l’empreinte carbone de la consommation. Le calcul de cette empreinte comprend les émissions liées à la production nationale, et leur ajoute le solde net des émissions liées au commerce extérieur. Dans le cas de la France, ce solde est positif et important : l’empreinte carbone du pays est sensiblement supérieure aux émissions sur son sol.
Surtout, l’empreinte carbone par personne a augmenté de 5 % de 1990 à 2007 – autrement dit notre consommation est plus intense en carbone qu’avant – alors que nos émissions se réduisaient de 15 %.
Ce constat montre que, pour prendre en compte l’impact réel de nos économies et de nos comportements sur le réchauffement climatique, l’Europe et la France devraient accorder plus de place à la notion d’empreinte carbone. Une telle évolution aurait également incité à modifier davantage les comportements de consommation. La Cour estime que, dans les négociations communautaires, l’objectif de réduction de l’empreinte carbone de la consommation devrait prendre le pas sur celui de réduction des émissions. Cela éloignerait la possibilité que puissent se produire à l’avenir des délocalisations motivées par un coût du carbone croissant.
En conclusion, la transition énergétique suppose de fixer des objectifs plus adaptés aux enjeux de la lutte contre le réchauffement et aux spécificités de notre pays. Les dispositifs publics devraient être mieux évalués, revus et hiérarchisés selon leur niveau d’efficacité. La contribution des différents secteurs devrait être mieux proportionnée à leurs émissions et aux efforts qu’ils peuvent fournir. Des investissements massifs doivent être conduits avec discernement, en tenant compte d’un contexte en rapide évolution. Plutôt que de soutenir des filières de production ou des techniques insuffisamment matures, l’effort de recherche doit être privilégié, car la réussite de la transition énergétique suppose des technologies de rupture dont on ne peut présumer ni l’apparition ni le rendement énergétique. Il ne suffit pas de vouloir décarboniser la production d’énergie, il faudra également mieux maîtriser la consommation. Cela nécessite le concours de chaque citoyen, les comportements et les modes de vie devant inévitablement évoluer. Un débat large et éclairé est donc nécessaire, afin d’examiner une pluralité de scénarii pour l’avenir, en fonction des objectifs et des mesures envisagées pour les atteindre.
M. François de Rugy, rapporteur. Monsieur le Premier président, nous tenions tout d’abord à vous remercier pour la coopération qui a accompagné l’élaboration de ce travail, même si nous avons pu rencontrer quelques divergences d’appréciation sur certains choix méthodologiques.
Vous appelez à un changement d’ampleur de la politique de lutte contre les dérèglements climatiques liés aux émissions de gaz à effet de serre et à la résolution des failles des dispositifs français et européens en la matière. L’UE ne s’est dotée de quasiment aucun outil pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. Que préconiseriez-vous pour le marché des quotas de carbone ? D’où vient la fraude à la TVA de 1,6 milliard d’euros que vous avez évoquée dans votre intervention ?
Vous avez opéré un calcul du coût global des panneaux photovoltaïques qui laisse apparaître une forte différence entre la France et l’Allemagne. Cette estimation évalue l’intérêt relatif de substituer ces panneaux à des énergies existantes, et, si une telle substitution est plus intéressante pour l’Allemagne, c’est parce que le système de production d’électricité de celle-ci est plus carboné que celui de la France. Cependant, ce mode de calcul présuppose que le système est fixe alors qu’il évolue dans le temps. En outre, le parc nucléaire français est vieillissant, voire en fin de vie pour de nombreux réacteurs, ce qui exige de très lourds investissements pour maintenir la part du nucléaire dans la production électrique française. Or cet élément n’entre pas en compte dans votre calcul.
L’utilisation des énergies renouvelables suppose par ailleurs que l’on procède à des investissements importants sur les réseaux pour faire face au problème des variations et des pointes de consommation, mais un tel effort permettra, au bout du compte, de réaliser des économies, et les réseaux ont de toute façon besoin d’investissements importants.
Enfin, nous ne pouvons que partager votre constat sur le caractère émietté des outils de politique publique dans ce domaine. Quelles sont vos préconisations en matière de fiscalité, de tarif d’achat et de certificat d’économie d’énergie ?
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Je me joins à M. François de Rugy pour vous remercier, monsieur le Premier président, messieurs les magistrats, de ce travail effectué en copilotage. Ce rapport arrive à un moment opportun, quelques mois avant le débat parlementaire sur la transition énergétique ; je remercie donc le groupe écologiste d’en avoir été à l’initiative.
Contrairement à certaines idées reçues, les résultats de la mise en œuvre du paquet énergie-climat sont décevants. Votre recommandation de privilégier l’empreinte carbone sur les émissions de gaz à effet de serre est pertinente, mais une telle décision doit être européenne et non nationale. Les dernières conférences mondiales sur le climat qui se sont tenues à Rio de Janeiro et à Copenhague ont abouti à un échec, alors même que nous devons nous attaquer à ce problème globalement, et pas seulement à l’échelle européenne.
En matière de réseaux et d’intermittence – qui porte le risque d’une recarbonisation –, l’Allemagne a engagé une politique unilatérale, preuve que la politique énergétique a été subordonnée à la politique climatique. En outre, la politique énergétique reste de compétence nationale et l’on constate que les mesures allemandes induisent des effets pervers en France. Les résultats sont d’ailleurs contrastés en Allemagne, car les énergies renouvelables sont produites au nord du pays alors que les industries se trouvent au sud. Cela oblige parfois à envoyer de l’électricité en République tchèque, ce qui a incité les autorités tchèques à programmer pour 2017 la mise en place de transformateurs à leur frontière afin de soulager leur réseau. La France se trouve confrontée au même problème puisqu’elle est contrainte d’absorber, à certains moments, une part des énergies renouvelables allemandes du fait de l’interconnexion. En outre, nous devons mettre en place, dans le cadre de la transition énergétique, des réseaux de plus en plus décentralisés. Tout cela concourt à alourdir les investissements dans les réseaux. Avez-vous évalué le risque représenté par cette lourde charge ?
La Cour des comptes a rédigé deux rapports sur la politique de développement des énergies renouvelables en 2013 et sur celle d’aide aux biocarburants en 2012. Devons-nous privilégier une filière, et quelles sont les perspectives d’amélioration des rendements des cellules photovoltaïques ou des biocarburants de troisième génération ? Les biocarburants de première génération ne sont pas performants, ce qui pose des problèmes pour le développement de l’agriculture des pays africains.
Comment adapter les outils que nous avons déployés – fiscalité, tarif d’achat et certificat d’économie d’énergie ? Certains de ces instruments se révèlent-ils positifs malgré la faiblesse de leur volume ? Devons-nous les développer et nous centrer sur un système particulier ?
M. Didier Migaud. Je remercie MM. les rapporteurs de l’appréciation qu’ils ont portée sur le travail que nous vous présentons aujourd’hui.
S’agissant des divergences de méthode de calcul, il va de soi qu’un prix s’apprécie à un moment donné et qu’il peut évoluer dans le temps.
La Cour des comptes avait mis en lumière, dans un rapport plus ancien, une importante fraude sur la TVA, représentant 1,6 milliard d’euros sur un total de 5 milliards d’euros au plan européen. Une telle fraude n’est plus possible en France depuis la transposition d’une directive européenne dans la loi de finances rectificative pour 2010 qui a mis en place un mécanisme d’autoliquidation de la TVA pour les transactions de quotas d’émission. La TVA est désormais acquittée par l’acheteur, et non plus par le vendeur. Une quarantaine de personnes ont été mises en examen dans le cadre de cette fraude à la TVA.
Le système européen d’échange de quotas a échoué, mais il a permis l’émergence d’une valeur carbone dont le principe et l’existence sont aujourd’hui admis par tous.
Nous n’avons pas consenti beaucoup d’efforts dans les secteurs où ils auraient pu être concluants – je pense au transport routier et à l’agriculture où les marges de progrès sont importantes.
Le manque d’évaluation en amont et en aval de la mise en œuvre des dispositifs est regrettable. Il est nécessaire de mesurer davantage l’impact des décisions prises. Au Royaume-Uni, par exemple, le ministère du budget impose des règles d’appréciation des dispositions arrêtées, ce qui permet d’estimer les pertes d’efficacité liées aux effets de rebond ou d’aubaine. Il est également indispensable de conduire des études ex post permettant de vérifier la pertinence des hypothèses centrées sur ces deux effets. La France souffre d’une lacune en matière d’études d’impact et d’évaluation.
M. Jacques Rigaudiat, conseiller-maître. S’agissant des réseaux, le rapport – pages 146 et 147 – s’est fondé sur les coûts fournis par Réseau de transport d’électricité (RTE) et Électricité réseau distribution France (ERDF) ; selon les opérateurs, ils représentent le montant nécessaire au renforcement et au raccordement des réseaux en liaison avec les objectifs de 2020 en matière d’éolien et de photovoltaïque. Ces coûts s’élèvent à 1,2 milliard d’euros d’ici à 2020 pour RTE et à 4,3 milliards d’euros pour ERDF, soit un investissement total dans le réseau – au-delà de l’entretien courant – de 5,5 milliards d’euros. En Allemagne, l’estimation se situe entre 19 et 23 milliards d’euros d’ici à 2020.
Ces coûts découlent de la décentralisation de cette énergie renouvelable intermittente – les unités produisant peu, de l’ordre de 2,5 mégawatts pour les éoliennes – qui nécessite le raccordement d’une multiplicité de sources. En outre, il faut remonter en haute, voire en très haute tension une énergie produite en moyenne tension et faire face à l’intermittence qui, dans un délai court, est trop forte pour que le réseau et le consommateur la supportent. Afin que le réseau puisse tolérer ces variations rapides de charge, des amortisseurs doivent être mis en place. Le coût de 5,5 milliards d’euros est donc spécifiquement lié au renforcement du réseau rendu nécessaire par la nature des sources d’électricité éolienne et photovoltaïque.
M. Arnold Migus, conseiller maître. En matière de photovoltaïque, on ne peut raisonner de manière universelle, hors du temps ou de la géographie. Nous avons donc examiné la situation pour les vingt-cinq prochaines années, durée de vie communément admise pour les panneaux photovoltaïques. Selon les chiffres de l’ADEME, avec des panneaux de silicium fabriqués en Chine, les économies en CO2 réalisées en France grâce au photovoltaïque sont quasiment nulles, dans la mesure où notre énergie électrique est peu carbonée, ce qui ne devrait pas changer dans les vingt ans à venir. En Allemagne au contraire, le photovoltaïque est intéressant dans la mesure où l’énergie est très carbonée. De même, en Arabie saoudite, où l’éclairement est continu et où la production est en phase avec la consommation d’air conditionné, le recours au photovoltaïque a un sens. En France, sauf peut-être dans le sud, la production et les pics de consommation ne sont pas corrélés, ce qui est plutôt négatif pour le climat.
Le photovoltaïque n’est donc pas une solution universelle. Cela dépend du climat et des mix énergétiques à un instant donné. C’est pourquoi il importe d’intensifier les efforts de recherche et la mise en place de démonstrateurs préindustriels, pour faire évoluer les technologies. En effet, ce n’est pas parce que les rendements du photovoltaïque sont de 30 % en laboratoire qu’il en est de même à grande échelle et que ce type d’énergie reste économiquement compétitif.
Dans le rapport sur les biocarburants publié en janvier 2012, nous avions à peine abordé le problème des carburants de deuxième et troisième générations, qui ne sont pas issus de produits alimentaires. La Cour avait en revanche signalé que, compte tenu du changement d’affectation des sols, une culture pouvant se substituer par exemple à une forêt, on pouvait douter de l’efficacité environnementale des biocarburants de première génération.
Pour les carburants de deuxième et troisième générations, si tous les espoirs sont permis à petite échelle, par exemple pour la production d’éthanol à partir de bactéries ou d’algues – ce qui exige des lacs, des étangs ou un milieu marin –, il n’est pas encore prouvé que ces carburants peuvent, à grande échelle, se substituer à ceux de première génération.
M. Christian Bataille. Le rapport de la Cour des comptes, aux conclusions duquel j’adhère, témoigne des tentatives de l’Union européenne pour coordonner les politiques énergétiques des États membres, ce qui, compte tenu de la diversité des situations, apparaît difficile, voire insurmontable.
Je m’arrêterai un instant sur le cas de l’Allemagne, notre alter ego, qui se targuait jusqu’à présent de mener, en matière énergétique, une politique éthique, incitant certains d’entre nous à en faire le modèle à suivre. Nous en sommes loin aujourd’hui : l’essor des hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis met sur le marché mondial du charbon peu cher, que l’Allemagne achète massivement. Si l’on ajoute à cela les abondants gisements de lignite de la Ruhr, notre voisin « éthique », grand producteur d’énergie fossile, s’est en réalité reconverti dans les énergies les plus polluantes, avec un taux de rejet de carbone record, entraînant dans son sillage des pays comme la Tchéquie ou la Pologne. Peut-on, dans ces conditions, espérer une meilleure cohérence des politiques européennes ? Pourrait-on faire en sorte que les militants allemands ne traversent pas la frontière pour venir en Alsace protester contre la politique nucléaire française, pendant que nous avons la politesse de ne pas leur envoyer de manifestants brandissant des slogans « Stop CO2 » ou « Stop carbone » ?
Ma deuxième remarque porte sur la mise en commun des moyens de recherche. Il me paraît essentiel en effet de développer celle-ci, notamment sur le stockage de l’énergie, car, à l’exception de l’hydroélectricité, le développement des énergies renouvelables butte sur cette question du stockage.
Ma dernière question portera sur le prix du kilowattheure en France, qui augmente non pas du fait du renchérissement de nos coûts de production, mais pour des raisons externes, liées notamment à l’obligation que nous avons d’acheter et d’intégrer dans nos prix les énergies renouvelables que les Allemands produisent massivement à certaines heures et qui sont prioritaires sur notre réseau. Afin de protéger le revenu des Français les plus modestes, n’est-il pas indispensable de limiter la hausse du prix du kilowattheure ?
Mme Danielle Auroi. Je souhaite avant tout savoir si le coût du stockage des déchets nucléaires, certes difficile à évaluer, a été intégré dans l’évaluation du coût global du système énergétique.
Cela étant, Paris s’apprêtant à accueillir en 2015 la Conférence mondiale sur le climat, il serait souhaitable, après l’échec des deux précédents rendez-vous, que la France et surtout l’Europe puissent faire des propositions permettant de parvenir à un accord, ce qui implique de répondre à plusieurs questions.
En premier lieu, j’aimerais connaître le point de vue de la Cour sur la mutualisation des politiques énergétiques européennes et sur ce qu’elle implique – notamment financièrement – en termes d’affaiblissement de la subsidiarité.
Vous avez souligné par ailleurs qu’il fallait prendre en compte le coût des énergies entrantes. Avec Pierre Lequiller, nous travaillons actuellement à un rapport sur l’établissement d’une taxe énergie-climat aux frontières de l’Union européenne. La Commission n’y est pour l’heure pas favorable ; votre point de vue est-il différent ?
Je ne m’étendrai pas sur la question du stockage des énergies – nucléaire ou renouvelables –, qui nous oblige à importer de l’énergie allemande lorsque nos centrales nucléaires sont en période de surchauffe.
J’aimerais aussi connaître l’avis de la Cour sur la décision européenne d’assigner aux agrocarburants une part de 10% dans les carburants globaux.
Il existe un programme de recherche européen orienté vers l’environnement. Peut-on envisager qu’il soit financé de manière plus transparente et plus efficace ?
Enfin, vous insistez sur la notion d’empreinte carbone, qui intègre les coûts de chaque énergie en matière de santé, du fait de ses impacts sur la qualité de l’air ou de l’eau. Quelles sont les réflexions chiffrées dont vous disposez sur le sujet ?
M. Jean-Christophe Fromantin. Nous avons évoqué les responsabilités nationales et les enjeux européens, mais il faut également s’interroger sur la dimension régionale de la politique énergétique, dès lors notamment qu’il s’agit de la délicate question des transports ou de l’agriculture.
Les transports sont en effet un élément stratégique de l’aménagement du territoire, et il me semble qu’une politique visant à améliorer les gains environnementaux en matière de transport routier doit impliquer nos régions et nos collectivités territoriales.
S’il est pertinent, ensuite, de fixer des objectifs européens à l’agriculture, les réglages doivent tout autant se faire à l’échelle territoriale, a fortiori dans un pays comme le nôtre où la diversité des filières agricoles et l’existence de régions à dominante céréalière, viticole ou fruitière appellent des solutions radicalement différentes en matière de gains d’énergie. Ces deux remarques plaident selon moi pour que la mise en œuvre du paquet énergie-climat intègre la territorialisation des politiques énergétiques.
J’ajoute que, si l’on veut optimiser les investissements majeurs dont le Premier président a souligné la nécessité, il est essentiel de les adapter à des configurations économiques et sociales très différentes selon nos territoires, tout comme il convient de territorialiser, selon un calendrier spécifique, les objectifs et les moyens pour y parvenir, afin d’éviter les à-coups sur la croissance de politiques de rupture d’autant plus délicates à mettre en œuvre que notre pays est en phase de désindustrialisation.
Mme Catherine Quéré. À vous entendre, nous avons le choix entre deux maux : le nucléaire, sur lequel on peut avoir toutes les réserves possibles, et les énergies renouvelables, lesquelles, au bout du compte, augmentent les émissions de CO2. Pensez-vous néanmoins que les énergies renouvelables pourront un jour être nos seules sources d’énergie ?
Vous avez dit par ailleurs qu’il valait mieux parler d’empreinte carbone que d’émissions, expliquant que, alors qu’elle diminuait ses émissions, la France augmentait son empreinte carbone. Si l’on assimile cette empreinte à un bilan carbone, serait-il envisageable que, en Europe ou en France, tout appel d’offre ou tout appel à projet, quel que soit le secteur de l’économie qu’il concerne, comporte des critères obligatoires en matière de bilan carbone ?
M. le président Claude Bartolone. La politique de lutte contre le réchauffement climatique est davantage vécue aujourd’hui par nos concitoyens comme une contrainte européenne que comme une nécessité environnementale. Il importe donc d’accroître la concertation et de faire œuvre de pédagogie. Un débat doit avoir lieu à l’Assemblée ; j’espère qu’il contribuera à cette prise de conscience.
Je note ensuite que, si certains investissements qu’implique cette politique peuvent apparaître comme une incitation à rentrer dans un nouveau cycle industriel, cela ne fait l’objet d’aucune coordination à l’échelle européenne.
Enfin, nous accueillerons en 2015 la Conférence mondiale sur le climat. Nous devons réfléchir aux actions que la France et l’Europe doivent mettre en avant pour que cette conférence soit à la hauteur de ce que l’on attend d’elle. Dans cette perspective, la mobilisation de tous est cruciale.
M. Didier Migaud. Nombre de vos questions appellent des réponses politiques qu’il n’appartient pas aux magistrats de la Cour des comptes que nous sommes de donner… Notre rôle est de vous apporter des éléments techniques, qui vous permettent de mieux apprécier la situation et de décider en conséquence, de la façon la plus éclairée possible.
La question du prix du kilowattheure n’est pas abordée dans ce rapport, mais elle a fait l’objet d’autres travaux de la Cour, tandis qu’une commission d’enquête parlementaire a été mise en place. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir.
Au plan européen comme au plan national, il est évident qu’il faut accentuer l’effort de recherche sur le stockage des énergies renouvelables, compte tenu notamment des questions posées par l’intermittence.
Le paquet énergie-climat relève d’une politique européenne relativement récente, l’Europe ayant longtemps privilégié, en matière d’énergie, les questions liées à l’ouverture des marchés à la concurrence. Elle admet aujourd’hui la nécessité de mieux harmoniser certaines aides, notamment dans le domaine des énergies renouvelables.
Concernant le prix « marché » du carbone, le rapport précise qu’il est très insuffisant au regard de sa « valeur tutélaire », telle que l’avait estimée le rapport Quinet en 2008. D’où un paradoxe : la faiblesse de ce prix combinée à la baisse du prix du charbon induite par la montée en puissance des gaz de schiste américains a pu conduire les énergéticiens européens à préférer le charbon, très émissif, au gaz naturel, qui l’est beaucoup moins. Cela explique très largement la décarbonisation de l’économie américaine et, corrélativement, la recarbonisation européenne.
Quant à savoir s’il est plus réaliste, pour obtenir un prix significatif du carbone, de s’en remettre, comme l’a choisi l’Europe, aux mécanismes de marché, ou de passer par une taxe carbone, c’est un choix éminemment politique.
Enfin, nous faisons observer à plusieurs reprises dans le rapport que les sujets ne se posent pas partout dans les mêmes termes. D’où l’intérêt de l’approche territoriale évoquée par M. Fromantin. Néanmoins, s’il a été un moment question de plans énergie-climat territoriaux, la réflexion en est encore au stade embryonnaire.
M. Christian Descheemaeker, président de la formation interchambres chargée de l’évaluation de la mise en œuvre du paquet énergie-climat. Il ne faut pas assimiler énergies renouvelables et énergies intermittentes. Je pense par exemple à la biomasse : lorsqu’on se chauffe au bois – qui contient du carbone – on n’utilise pas d’énergie intermittente. On ne cite souvent que l’éolien et le photovoltaïque mais, à terme, la biomasse devrait peser assez lourd dans les énergies renouvelables.
M. Jacques Rigaudiat. Il ne doit pas y avoir de malentendu. Toutes les énergies renouvelables ne sont pas intermittentes, et les énergies intermittentes, lorsqu’elles sont prévisibles – l’énergie hydraulique marine – ne posent guère problème. Les difficultés surgissent lorsque l’intermittence devient imprévisible et aléatoire, notamment du fait des problèmes d’intégration dans le réseau ou du stockage.
M. Arnold Migus. Les énergies renouvelables intermittentes n’augmentent pas la quantité de carbone émise, madame Quéré, et remplacer des centrales à charbon par des énergies intermittentes constitue donc une amélioration.
Pour savoir jusqu’où nous pourrions aller s’agissant de la part de ces énergies dans la production totale, nous nous sommes appuyés sur les travaux et les modélisations de l’association négaWatt ou sur ceux de l’ADEME et de l’OFCE. Selon le schéma négaWatt, une modélisation d’ingénieur qui s’intéresse assez peu aux coûts et au bouclage macroéconomique, notre énergie pourrait, à l’horizon 2050, provenir en quasi-totalité des énergies renouvelables, grâce à l’utilisation de la biomasse. L’ADEME, quant à elle, construit toutes ses simulations sur l’hypothèse du maintien d’un reliquat d’énergie nucléaire.
Face à cette incertitude, nous recommandons donc d’intensifier la recherche, notamment grâce à des démonstrateurs à grande échelle. Notre pays contribue pour 4 à 5 % à la recherche mondiale, ce qui est conforme au poids de son PIB. Il a donc intérêt à établir des partenariats européens, sur le modèle de l’alliance qui regroupe en France les organismes travaillant sur l’énergie. Une alliance du même type existe en Europe, mais elle ne fait pas partie du programme cadre de recherche et développement et ne bénéficie pas de ses crédits. Il y a donc dans ce domaine des améliorations possibles.
M. le président Claude Bartolone. Monsieur le Premier président, messieurs, nous vous remercions pour cette contribution aux travaux du CEC.
Il appartient désormais aux rapporteurs du Comité de formuler, à partir des analyses de la Cour, des propositions visant à améliorer la transition énergétique.
Le Comité autorise la publication du rapport de la Cour des comptes.
Lors de sa séance du 15 mai 2014, le Comité examine le présent rapport.
M. Jean-Paul Chanteguet, président. Nous examinons aujourd’hui le rapport d’évaluation de la mise en œuvre du paquet « énergie-climat ». Cette évaluation, réalisée à la demande du groupe écologiste, a fait l’objet d’une demande d’assistance à la Cour des comptes, dont l’étude nous a été présentée par le Premier président Didier Migaud le 16 janvier dernier.
Nos deux rapporteurs sont M. François de Rugy pour la majorité et M. Jean-Jacques Guillet pour l’opposition. Le groupe de travail désigné par les commissions était composé de M. Julien Aubert et de Mmes Sabine Buis, Marie-Hélène Fabre et Catherine Quéré.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Ce travail a en effet été mené en étroite coopération avec la Cour des comptes, dont le Premier président, lors de son audition sous la présidence du président Bartolone, a présenté une analyse critique de la façon dont notre pays a mis en œuvre le paquet « énergie-climat ». Ce rapport évaluait l’efficacité des nombreux instruments mobilisés et formulait un certain nombre de recommandations que nous reprenons en partie dans notre propre rapport.
Suite à ce rapport, M. de Rugy et moi-même avons organisé des auditions et des tables rondes sur les principales thématiques du paquet « énergie-climat », afin de recueillir la position des différentes parties prenantes. Ces réunions ont porté sur l’amélioration du système communautaire d’échange de quotas de carbone déployé progressivement en Europe depuis 2005 – sujet que nous aborderons peu dans cette présentation mais qui fait l’objet de longs développements dans le rapport –, sur la contribution du secteur des transports à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sur l’efficacité énergétique dans le secteur du bâtiment, sur le développement des énergies renouvelables, sur les changements de comportement des consommateurs et, enfin, sur le financement de la transition énergétique.
À l’issue de ces travaux, nous vous présentons aujourd’hui « dix clés pour réussir la transition énergétique », passées en revue dans la première partie de notre rapport, la seconde étant consacrée à la synthèse des différentes tables rondes – ce qui explique qu’elle puisse refléter des positions contradictoires.
M. François de Rugy, rapporteur. Je tiens à souligner que M. Guillet et moi-même avons travaillé en bonne intelligence. D’autre part, même si nous n’étions pas d’accord avec toutes ses conclusions, le rapport de la Cour des comptes a constitué un précieux support pour nos auditions, qui nous ont elles-mêmes fourni une riche substance.
La première clé que nous avons identifiée pour réussir la transition énergétique consiste à passer de la notion d’émissions nationales – ou européennes – de gaz à effet de serre à celle d’empreinte carbone. En effet, le calcul sur la base des émissions, utilisé jusqu’ici, ne nous semble pas complètement pertinent si l’on en juge par la comparaison suivante : alors qu’au niveau national, ces émissions ont diminué de 15 % entre 1990 et 2007, l’empreinte carbone, incluant les émissions de CO2 comprises dans les importations, a progressé de 5 %.
M. Jacques Myard. Quelle est la définition de l’empreinte carbone ?
M. François de Rugy, rapporteur. Elle prend en compte les émissions de gaz à effet de serre liées au processus de production des produits consommés, y compris les produits importés.
M. Jacques Myard. C’est donc le bilan carbone du produit.
M. François de Rugy, rapporteur. Oui. La notion d’empreinte carbone nous paraît donc constituer un outil plus intéressant que celle d’émissions nationales. La substitution proposée est directement en relation avec un sujet qui fait fortement débat aujourd’hui : celui des délocalisations. En poussant le raisonnement à l’extrême, il serait en effet possible de parvenir à une réduction des émissions de CO2 au sein de l’Union européenne, ou de notre pays, par la délocalisation d’un certain nombre de productions fortement émettrices de carbone. Nous pourrions par exemple imaginer de faire produire la totalité de notre ciment de l’autre côté de la Méditerranée. Mais il faut aussi tenir compte du fait que le même produit peut être beaucoup moins émetteur de CO2 lorsqu’il est fabriqué dans l’Union européenne que lorsqu’il l’est en Chine.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Ce point est essentiel. Il a d’ailleurs fait l’objet d’une recommandation appuyée de la Cour des comptes.
D’autre part, il nous paraît particulièrement important de distinguer l’objectif des outils. Si l’objectif est bien de réduire les émissions de gaz à effet de serre, les outils peuvent être définis à l’échelle nationale, et non à l’échelle européenne, même si dans le cadre de sa politique climatique, l’Union peut être conduite à donner des indications ou à imposer des contraintes en matière d’empreinte carbone.
Deuxième clé pour réussir la transition énergétique : dégager les voies d’une politique européenne de l’énergie. C’est peut-être une « tarte à la crème », mais c’est une nécessité qui demeure. Historiquement, l’Europe s’est construite sur le charbon, avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), fondée en 1951. Il semble aujourd’hui nécessaire d’avoir une politique européenne de l’énergie, ne serait-ce qu’en raison des interconnexions existantes sur le continent. Nous nous trouvons aujourd’hui devant une contradiction : alors que la politique climatique est européenne, les choix en matière énergétique relèvent des décisions souveraines des États membres. C’est ainsi que le mix énergétique européen se caractérise par une composition très diversifiée selon les États – la comparaison entre la France et l’Allemagne en donne une illustration –, mais, paradoxalement, et ce point a été souvent souligné au cours des auditions et des tables rondes, le mix européen pris dans son ensemble est relativement satisfaisant.
La diversité peut susciter des difficultés en rapport avec les infrastructures du fait de l’interconnexion des réseaux, par exemple lorsque le réseau d’un État n’est pas équipé pour faire face à un afflux d’énergie renouvelable. C’est ainsi que la République tchèque souffre d’être « encastrée » dans le réseau allemand, entre les sites du nord de ce pays où sont produites les énergies renouvelables et les sites industriels du sud où cette électricité est consommée. C’en est au point que les Tchèques envisagent de fermer leurs « frontières électriques » à l’électricité allemande en 2017.
Il faut définir une politique européenne de l’énergie pour tirer profit de la richesse du mix énergétique de l’Union, en « pensant européen ». Cela passe par une bonne programmation des investissements nécessaires dans les infrastructures et dans les réseaux de transport et de distribution à l’échelle de l’Union, et par une implantation optimale des sites de production des énergies renouvelables, privilégiant par exemple les pays du sud pour la production d’énergie photovoltaïque et ceux du nord pour celle d’énergie éolienne.
Enfin, l’harmonisation de la fiscalité écologique européenne apparaît indispensable pour combattre les « fuites carbone » identifiées par la Cour des comptes, fuites qui peuvent se concrétiser au sein de l’Union européenne par une délocalisation des productions intenses en carbone vers les pays européens les plus laxistes. Ces « fuites carbone » créent des distorsions économiques entre les États membres et contreviennent à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, et pas seulement à l’échelle de chaque État pris isolément, puisque les délocalisations peuvent intéresser des pays tiers. On en revient ici à l’idée, qui n’a pas abouti à ce jour, d’une taxe carbone aux frontières européennes.
M. François de Rugy, rapporteur. Il apparaît – ce n’est pas une découverte pour les familiers du sujet – que la politique énergie-climat est souvent focalisée sur l’énergie, particulièrement sur la production d’électricité. Or ce n’est qu’une partie du problème car, parmi les principales sources de gaz à effet de serre, on trouve le transport routier et l’agriculture, secteurs où peu d’actions ont été entreprises pour réduire ces émissions. Le constat vaut spécialement pour notre pays, où l’agriculture est à l’origine de plus de 21 % des émissions nationales de gaz à effet de serre alors que cette proportion n’est que de 9 % en moyenne au niveau européen. Il est vrai que la France est un grand pays agricole et que ses émissions sont moindres dans d’autres secteurs. En outre, l’agriculture est, comme les transports, un secteur où il est difficile d’introduire des évolutions rapides.
M. Jacques Myard. Quelles sont les sources matérielles des émissions dans l’agriculture ?
M. François de Rugy, rapporteur. Principalement l’élevage et les intrants, notamment les engrais.
Il existe des pistes pour faire de l’agriculture et des transports nos nouvelles cibles prioritaires – c’est la troisième clé que nous proposons pour réussir la transition énergétique. En ce qui concerne le transport routier, nous pensons bien sûr au report modal, qui a néanmoins ses limites, compte tenu des moyens financiers et des services à mettre en place comme des investissements à réaliser, à la fois longs et coûteux. On peut discuter, comme nous l’avons fait avec la Cour des comptes, de la pertinence du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT), qui n’est pas vraiment calibré, disons-le, pour atteindre des objectifs de ce type. En revanche, les actions portant sur l’usage de la voiture – comme le covoiturage – sont relativement simples à organiser et ont un effet assez immédiat. Elles se développent beaucoup et ont perdu leur caractère marginal. Je vous renvoie par ailleurs au rapport sur les véhicules écologiques rédigé par M. Denis Baupin et Mme Fabienne Keller pour le compte de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
En ce qui concerne l’agriculture, les éléments clés seront la limitation du recours aux engrais et le développement de la politique forestière.
M. Arnaud Leroy. Permettez-moi, en tant que président du groupe d’études sur les changements climatiques, de vous féliciter pour vos travaux.
Je suis cependant surpris de voir que, dans les données que vous nous présentez, les « autres transports » ne représenteraient que 2 % des émissions de gaz à effet de serre, alors que nous entendons parler de 4 % pour le transport maritime et de 3 % pour le transport aérien.
Quant au report modal, il a en effet ses limites et on constate que les incitations mises en place à l’échelle européenne n’ont pas fonctionné alors même qu’elles ont coûté très cher. Une approche moins simpliste s’impose donc.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Quatrième clé pour réussir la transition énergétique : diversifier les approches pour susciter des changements de comportements. Il s’agit de faire répondre l’intérêt collectif aux intérêts particuliers, c’est-à-dire de faire en sorte que le citoyen ait un intérêt à changer de comportement. Le consommateur s’intéresse aux considérations écologiques, mais celles-ci ne sont pas suffisantes pour susciter des changements de comportements, à moins que l’on n’y ajoute la prise en compte d’autres critères – le coût, l’impact sur la santé, le confort ou encore le temps passé. Plusieurs cibles identifiées par la Cour des comptes sont ainsi difficiles à atteindre à moyen terme. C’est le cas du changement de la ration alimentaire : il est difficile de changer très rapidement les habitudes des Français en ce domaine, encore que la consommation de viande ait beaucoup diminué dans notre pays. C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, du développement du télétravail et de l’habitat collectif.
Mais d’autres changements, qui paraissaient inimaginables hier, sont advenus très soudainement, notamment grâce aux nouvelles technologies. Ainsi nous développons actuellement dans ma communauté d’agglomération une plateforme numérique destinée à faciliter le covoiturage ; Autolib favorise l’auto-partage en région parisienne… Ces nouveaux comportements témoignent d’une évolution de la société. Il y a quarante ou cinquante ans, on rêvait d’avoir une voiture de sport ; aujourd’hui, la voiture n’est plus un signe de promotion sociale : ne compte plus que sa fonction utilitaire.
Il reste que la conduite du changement n’est pas le point fort de la mise en œuvre du paquet « énergie-climat ». Les campagnes de communication sont assez mal adaptées. Les incitations fiscales sont d’application immédiate et en évolution constante. Notre rapport insiste donc sur la nécessité d’étendre à de nouveaux producteurs le dispositif des certificats d’économie d’énergie, très efficace et largement utilisé à l’échelle des collectivités locales, mais souvent méconnu.
Nous avançons trois idées pour favoriser des comportements plus sobres en carbone : lever les freins pratiques au changement avant de lancer des campagnes de communication et de mettre en place des incitations financières, donner la maîtrise de l’information aux citoyens consommateurs, et enfin s’appuyer sur les stratégies comportementales. Le jeu « Famille à énergie positive » lancé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), qui est une vraie réussite, est à cet égard un exemple.
M. François de Rugy, rapporteur. Les changements de comportements vont de pair avec le renforcement de l’information du citoyen – qui est la cinquième clé que nous identifions pour réussir la transition énergétique. Nous souhaitons attirer l’attention sur trois points.
Avec le diagnostic de performance énergétique (DPE), on a franchi un pas important dans le secteur de l’immobilier, d’abord pour les ventes, puis pour les locations. C’est un bon outil, que maîtrisent aujourd’hui aussi bien les propriétaires et les locataires que les professionnels de ces transactions. Les acteurs du marché nous ont d’ailleurs confirmé qu’il jouait un rôle dans la valorisation des biens. Pour autant, ce diagnostic pourrait voir sa crédibilité utilement améliorée et l’on pourrait même envisager, à condition précisément qu’il soit incontestable, de le rendre juridiquement opposable, par exemple via l’imposition d’une norme de consommation d’énergie pour la vente d’un bien.
L’étiquetage environnemental des produits domestiques a lui aussi le mérite d’exister, mais, faute de révision de son « échelle », il est devenu obsolète, tous les appareils apparaissant également performants.
Enfin, nous voudrions alerter sur le fait que le compteur « intelligent » Linky, dans sa configuration actuelle, ne donne pas au consommateur une information complète et transparente. En réalité, cette information sera surtout aux mains de l’opérateur et il est peu probable dans ces conditions qu’il contribue à faire évoluer les comportements. S’il veut connaître en temps réel le coût de l’énergie qu’il utilise, le consommateur devra en effet payer en sus une « box » distribuée par son fournisseur d’énergie. Nous le regrettons, car la connaissance de leur consommation en temps réel est un excellent moyen de faire évoluer les comportements des Français.
Mme Claude Greff. Ma circonscription a été pilote pour l’expérimentation du dispositif. Cela fonctionne très bien !
M. François de Rugy, rapporteur. L’un des principaux obstacles aux changements de comportements dans le domaine de la consommation d’énergie domestique tient au fait que les consommateurs avancent à l’aveuglette. Ils connaissent leur consommation annuelle ou mensuelle, mais ils n’ont pas la possibilité de savoir ce qu’un appareil consomme, ce qui permettrait une maîtrise individuelle des consommations et une meilleure gestion des phénomènes de pointe, qui sont à l’origine de beaucoup d’émissions de CO2 en France puisqu’elles imposent de recourir aux centrales thermiques ou aux importations d’électricité thermique.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. La généralisation du compteur Linky coûtera tout de même 5 ou 6 milliards d’euros ! Le compteur communicant Gazpar, pour le gaz, a le même défaut : il ne fournit que des informations brutes, à moins qu’on ne dispose de la « box ». Ces informations sont données en kilowattheures pour Linky, en mètres cubes pour Gazpar, mais pas en euros. Or le consommateur a besoin d’une information proche de ses préoccupations ; c’est la maîtrise de l’information sur sa consommation qui le conduira à la sobriété énergétique, et non des informations techniques.
Sixième clé pour réussir la transition énergétique : aider les ménages en difficulté. Ce thème a été abordé par M. François Brottes dans sa proposition de loi instaurant une tarification progressive de l’énergie, mais ce texte a été censuré par le Conseil constitutionnel sur un point important, l’instauration du bonus-malus. Le problème de la précarité énergétique – qui concerne 3,8 millions de ménages – reste donc à traiter. Pour cela, nous devons agir à la fois dans le domaine de l’habitat et dans celui des transports.
Dans le domaine de l’habitat, nous savons que les ménages en difficulté hésitent, même avec des aides, à investir dans la rénovation thermique de leur logement. Et les enquêtes montrent que lorsqu’ils se décident, ils ont tendance à privilégier le confort plus que la rénovation thermique elle-même. Les résultats risquent donc d’être décevants.
Le programme « Habiter mieux » piloté par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) répond à notre objectif, mais il est parfois méconnu. Il mériterait de faire l’objet d’une publicité plus large et d’être davantage soutenu, en particulier par les collectivités locales. Les familles qui y ont recours sont accompagnées tout au long du processus par un expert qui réalise le diagnostic, élabore le projet de travaux et participe au montage du dossier de financement. L’ANAH apporte une aide représentant 35 % à 50 % du coût des travaux, qui peut être complétée par des aides des collectivités ou par un tiers-financeur, comme la société d’économie mixte (SEM) Énergies posit’If en Île-de-France ou les dispositifs du même type qui existent en Rhône-Alpes.
Néanmoins, il faut avoir en tête que les ressources de l’ANAH proviennent de la vente des quotas de carbone, dont le cours a chuté avec la crise économique. L’enveloppe financière dévolue au programme « Habiter mieux » s’établit à 1,1 milliard d’euros pour la période 2010-2017, mais elle est compromise par cette incertitude sur les ressources.
En matière de transports, les choses sont plus complexes. Les ménages les moins aisés sont en effet les plus touchés par les mesures destinées à pénaliser les comportements polluants : le bonus-malus écologique ne profite pas aux ménages qui n’ont pas les moyens d’avoir une voiture neuve ; les éventuels péages urbains pénalisent ceux qui ne peuvent se passer d’une voiture individuelle en raison de leurs horaires ou de leur éloignement des centres villes. Il convient donc d’engager une réflexion sur les modes de vie et l’aménagement du territoire, en développant le télétravail, en créant des « tiers lieux » à proximité des zones résidentielles ou en limitant l’étalement urbain. Je vois aujourd’hui des « tiers lieux » se créer sur mon territoire ; c’est une tendance qui va aller croissant.
M. François de Rugy, rapporteur. Septième clé de réussite de la transition énergétique : stabiliser et simplifier les dispositifs d’aide fiscale et l’encadrement réglementaire en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables. Le constat est connu : les dispositifs sont à la fois instables et lourds. Alors qu’ils devraient jouer un rôle d’incitation au développement de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables, ils font plutôt figure de freins. Je pense notamment à la longueur des procédures dans le secteur des énergies renouvelables : il faut entre six et huit ans pour construire une éolienne en France, contre deux à quatre ans chez nos voisins européens.
De même, il convient de stabiliser les dispositifs fiscaux applicables aux ménages. Nous devons éviter le « yo-yo » sur le crédit d’impôt développement durable (CIDD) ou sur les taux de TVA, qui empêche ces dispositifs d’être aussi incitatifs qu’ils devraient l’être.
Nous souhaitons également que les collectivités locales soient davantage associées à la transition énergétique, et qu’on leur donne les moyens – pas nécessairement financiers – d’accompagner ces politiques, y compris le développement d’une production décentralisée d’énergie. L’action des syndicats intercommunaux de distribution d’électricité doit être réorientée en ce sens.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Notre rapport s’inscrivant dans le cadre de la préparation du débat sur la transition énergétique, la question du coût de celle-ci a évidemment son importance. Pour les dispositifs publics actuels – dont la Cour des comptes a relevé que leur efficacité n’était pas évaluée –, le Conseil national du débat sur la transition énergétique (CNDTE) a estimé ce coût à 37 milliards d’euros par an. Ce chiffre doit bien sûr être considéré avec prudence et le CNDTE estime lui-même qu’il est difficile d’apprécier la dépense de manière certaine. Quant aux investissements à consentir pour l’avenir, leur évaluation reste incertaine faute de modèles macro-économiques adéquats. On peut néanmoins estimer que l’effet de levier des investissements publics et la participation du secteur privé au financement de la transition énergétique sont relativement faciles à obtenir. L’enjeu n’est donc pas tant de trouver de nouvelles ressources que de réorienter les dépenses publiques existantes.
La réunion de la conférence bancaire et financière prévue avant la fin du premier semestre 2014 doit être l’occasion d’associer le secteur bancaire à cette mobilisation et de déterminer les niveaux de rentabilité acceptables pour les opérateurs privés, ainsi que le complément qui pourrait leur être apporté par la puissance publique. Nous pourrions aussi développer les « obligations vertes » – ou green bonds – pour orienter l’épargne des ménages vers les investissements nécessaires. Enfin, nous proposons de faire évoluer le rôle de la Banque publique d’investissement (BPI) – qui finance déjà le développement de 11 000 entreprises dans le domaine de la recherche et des services – sur le modèle de son homologue allemande, la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), de sorte qu’elle puisse proposer un refinancement à long terme, avec des taux réduits, propre à faciliter le développement des énergies renouvelables.
Il faut aussi concevoir des modes de financement innovants. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) envisage de partager son expertise dans le domaine du financement participatif, ou crowdfunding, cependant que les mécanismes de tiers-financement, que j’ai évoqués tout à l’heure et qui peuvent être très efficaces, sont sans doute appelés à se développer dans les années qui viennent.
M. François de Rugy, rapporteur. Le neuvième point concerne l’accompagnement des entreprises, un sujet transversal mettant en jeu aussi bien l’environnement réglementaire et fiscal que les questions relatives à l’information des entreprises ou au financement de leurs investissements. Comme le soulignent les professionnels, les entreprises sont réticentes à investir dans l’efficacité énergétique, car la rentabilité n’est alors atteinte qu’au bout de six à huit ans, voire davantage, alors que, selon les critères habituels, elle devrait l’être dans les cinq ans. La réponse peut toutefois venir de la BPI, qui a d’ailleurs fait des propositions en ce sens.
En ce qui concerne la structuration du tissu économique et la création de logiques de filières, les collectivités locales nous semblent devoir jouer un rôle essentiel. La prochaine réforme territoriale devrait être l’occasion de leur en donner les moyens.
D’une manière plus générale, il convient de lutter contre les délocalisations car, nous l’avons vu, celles-ci tendent à aggraver les émissions de CO2.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Le dixième point est fondamental : on ne peut envisager la transition énergétique sans poursuivre, et même développer, l’effort de recherche. C’est donc sur ce point qu’il faut concentrer une grande partie des investissements.
Tous les scénarios de transition énergétique reposent sur des paris technologiques, dont certains sont très ambitieux. Mais ces technologies sont encore balbutiantes : la performance des biocarburants n’atteint pas un niveau suffisant, notamment du point de vue de l’empreinte carbone, pour que l’on puisse en généraliser l’usage ; le biogaz représente incontestablement une solution technologique d’avenir, mais qui n’est pas encore vraiment opérationnelle ; et je ne parle même pas du recours à l’hydrogène pour le stockage de l’énergie. Dans tous ces domaines, il est impératif d’investir massivement pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve la recherche.
De même, le stockage de l’énergie – en particulier de l’électricité – est une technologie embryonnaire : aucun système n’a encore atteint sa maturité. Des différentes familles de techniques existantes, une seule est employée en France : l’usage des stations de transfert d’énergie par pompage hydraulique (STEP). Il est donc souhaitable d’intensifier la recherche dans ce domaine et de réaliser des démonstrateurs.
Enfin, dans le secteur des transports, l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules suppose de poursuivre le développement des moteurs thermiques et des véhicules hybrides rechargeables, ou encore d’améliorer les pneumatiques en vue de diminuer les frottements, car les solutions les plus simples sont souvent les plus efficaces ; mais encore faut-il améliorer notre effort de recherche.
Ces dix points sont amplement développés dans le rapport. Je remercie l’équipe du CEC qui nous a assistés dans ce travail de plus d’une année. Les recommandations que nous faisons peuvent sembler de simple bon sens, mais le bon sens est parfois la chose la moins partagée du monde.
Mme Danielle Auroi. Je vous remercie pour ce rapport qui ouvre de nouvelles pistes et rassemble de nombreuses informations jusqu’alors disséminées.
L’actualité nous rappelle combien il est nécessaire de poursuivre, au niveau de l’Union européenne, la marche vers une société décarbonée. En effet, la crise ukrainienne a mis en évidence la dépendance au gaz russe d’une partie des membres de l’Union. Le moment est donc venu de relancer l’idée d’une Europe de l’énergie et du climat, sur le modèle historique de la Communauté européenne du charbon et de l’acier.
Au sein de la commission des affaires européennes, nous travaillons, Pierre Lequiller, Arnaud Leroy et moi-même, sur l’hypothèse d’une taxe écologique aux frontières de l’Union européenne. Dans ce domaine, il reste du chemin à faire, malgré une première tentative à Bruxelles. L’institution de la taxe sur les transactions financières devrait toutefois faciliter les choses, en donnant un premier exemple d’impôt commun à l’Union avec effet redistributif. Les déclarations relatives à l’« Airbus de l’énergie » ou les conclusions de votre rapport, qui vont dans le même sens, devraient d’ailleurs venir à l’appui de ce travail, dans lequel nous plaçons de grands espoirs.
En matière d’économies d’énergie, il faut certes demander des efforts aux ménages, mais à condition de donner l’exemple. À cet égard, les communes et les intercommunalités peuvent faire beaucoup. Vous auriez ainsi pu auditionner la représentante des agences locales de l’énergie et du climat (ALE). En effet, par l’aide qu’elles apportent aux collectivités locales, ces agences constituent une référence en Europe : elles délivrent des informations aux collectivités, leur permettent de faire des choix et de se regrouper pour agir. Ensemble, elles sont les accompagnatrices du plan climat.
Quand la collectivité montre l’exemple, les citoyens comprennent mieux. De ce point de vue, l’expérience consistant à évaluer l’efficacité énergétique dans les bâtiments de l’Assemblée nationale et du Sénat donnerait sans doute des résultats amusants. Cela conduirait peut-être à supprimer certains systèmes inopportuns d’éclairage et de climatisation.
Les collectivités bien accompagnées font souvent les bons choix ou aident à les faire. C’est pourquoi je regrette certains comportements de résistance liés à une culture politique. Ainsi, dans certaines communes proches de ma circonscription, le premier acte de la municipalité nouvellement élue a souvent été de rétablir l’éclairage public pendant la deuxième partie de la nuit ou de recourir à nouveau aux pesticides quand ils avaient été supprimés. Non seulement ces communes vont vite découvrir le coût d’une telle politique, mais elles auront plus de mal à demander aux citoyens de faire des efforts en termes d’efficacité énergétique. Votre rapport devrait donc contribuer à leur faire prendre conscience que les économies d’énergie sont sources d’économies tout court.
Enfin, dernière remarque : les ménages en difficulté ne sont souvent pas propriétaires de leur logement. Ils peuvent donc bénéficier du travail de rénovation énergétique effectué par les offices HLM ainsi que des nombreux dispositifs d’aide existants. Mais je suis plus inquiète au sujet des copropriétaires appartenant à la classe moyenne. Vous avez indiqué des pistes en matière de rénovation des copropriétés, mais ce travail est à peine entamé. Pourtant, les gains que l’on peut en attendre, en termes d’économies d’énergie ou d’économies tout court, sont considérables.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Danielle Auroi a parfaitement raison d’insister sur le rôle des collectivités locales, un point auquel nous avons nous-mêmes été très attentifs. De même, les ALE sont évoquées dans le rapport. Je constate cependant que la région Île-de-France en compte très peu. Elles jouent pourtant un rôle fondamental en matière d’information du citoyen et d’aide à la décision.
L’exemplarité dont doivent faire preuve les collectivités locales est un enjeu d’autant plus important qu’elles sont soumises à de fortes contraintes financières. Dès lors, les économies attendues jouent pour beaucoup dans la décision de lancer des programmes de rénovation thermique des bâtiments.
À cet égard, les syndicats d’énergie – je préside moi-même le plus gros syndicat de France – constituent un outil important à la disposition, non seulement des collectivités locales, mais aussi des particuliers. Ainsi, ils peuvent parfaitement intervenir dans la rénovation thermique des copropriétés. Il existe déjà le système du tiers payant ; mais il serait aussi envisageable que les collectivités locales complètent les aides de l’ANAH lorsque cela apparaît absolument nécessaire.
Je partage votre analyse sur la dépendance de l’Europe à l’égard du gaz russe. L’Union européenne a été en partie créée grâce à Staline ; peut-être la politique européenne de l’énergie prendra-t-elle forme grâce à Poutine !
Il est vrai qu’il existe en Europe une forte disparité des mix énergétiques : certains pays sont dépendants à 100 % du gaz russe ; d’autres, comme la France, le sont très peu, ce dont on peut se réjouir. Pour autant, il ne faut pas faire de cette question un épouvantail : les Russes n’ont aucun intérêt, à l’heure actuelle, à refuser de fournir l’Europe en gaz, bien au contraire. Il n’en demeure pas moins que l’Europe commence à prendre conscience, au moins depuis la crise ukrainienne de 2006, et encore plus à partir de celle de 2009, qu’elle doit assurer son indépendance énergétique. Or la recherche de l’indépendance énergétique et la politique climatique se rejoignent.
M. François de Rugy, rapporteur. Je continue de penser que l’application aux frontières de l’Union d’une « taxe carbone », quel que soit le nom qu’on lui donnera, constitue un enjeu essentiel. En effet, les représentants des industries électro-intensives, que nous avons auditionnés, disent bien que l’instauration de nouvelles contraintes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre ou de consommation d’énergie inciterait certaines entreprises à délocaliser leur production dans des pays où, de surcroît, une quantité équivalente d’énergie émet une plus grande quantité de gaz à effet de serre. La seule façon de résoudre cette contradiction est de prévoir un mécanisme d’« inclusion carbone » aux frontières de l’Union.
S’agissant de la rénovation des logements, nous avons besoin d’une meilleure connaissance statistique, car les chiffres avancés jusqu’à présent manquent de précision. On parle ainsi de trois millions de ménages touchés par la précarité énergétique – une notion dont tout le monde ne donne pas la même définition. Une part importante d’entre eux est constituée de propriétaires occupants, assez âgés, vivant dans des maisons individuelles en milieu rural ou périurbain.
S’il existe des leviers d’action en faveur de ces personnes, on comprend aussi quels sont les freins : les difficultés à investir, mais également le fait que la valeur des biens concernés, situés dans des zones peu dynamiques d’un point de vue démographique et économique, risque de n’augmenter que faiblement, même après travaux.
En revanche, le logement social, même s’il connaît des disparités, est un des secteurs les plus dynamiques en termes d’efficacité énergétique. En effet, pour chaque immeuble ou groupe d’immeubles, il n’existe qu’un seul décisionnaire, habitué à effectuer des travaux – y compris de rénovation – dont les coûts sont amortis sur une longue période. Dans les copropriétés, tout est plus compliqué. La loi pour l’accès au logement et l’urbanisme rénové apporte un début de solution, mais il conviendra de s’attaquer vraiment à ce problème dans le cadre de la loi sur la transition énergétique.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Une des questions auxquelles nous avons été confrontés est celle de l’équilibre entre incitation et obligation. À partir de quel moment faut-il obliger les citoyens à changer leurs comportements ? Pour notre part, nous sommes plutôt favorables à des mesures incitatives, quitte à prévoir une date à partir de laquelle l’incitation se transformerait en obligation. Il est également possible de programmer l’obligation non pas à une date préfixe, mais à l’occasion d’un événement tel que la vente d’un bien immobilier. Ainsi le propriétaire de ce bien serait incité à procéder à des travaux de rénovation énergétique s’il veut pouvoir le vendre.
Mme Marie-Noëlle Battistel. Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de François Brottes, retenu par l’examen du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, et qui m’a donc demandé de le représenter.
Je salue le travail que vous avez accompli tous deux. Même si la France peut se féliciter d’avoir un des mix énergétiques les moins carbonés, votre rapport montre qu’il reste de grands progrès à faire. De même, si des changements de comportements s’amorcent, il importe de conforter ces évolutions grâce à des impulsions de l’État.
Vous avez mentionné les STEP, le seul outil efficace dont dispose aujourd’hui la France pour le stockage d’énergie. Même s’il paraît difficile d’envisager de la développer fortement, en raison des fortes contraintes qui y sont associées, la production d’énergie hydraulique peut jouer un rôle très important dans la réussite de la transition énergétique. Or on évoque souvent l’hypothèse d’une ouverture du secteur à la concurrence. Il me paraît pourtant essentiel de conserver une maîtrise nationale de cet outil : comment, en effet, réduire la part du nucléaire, en augmentant celle des énergies renouvelables intermittentes, si le seul outil de stockage d’énergie vraiment efficace dont nous disposons doit être remis en cause ?
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. N’oublions pas que l’hydraulique est également une énergie renouvelable. Il est cependant difficile d’accroître la part qu’elle représente dans le mix énergétique, et qui est aujourd’hui de 9 ou 10 %.
Mme Marie-Noëlle Battistel. Elle est plutôt de 12 ou 13 %. En outre, tout le monde juge possible d’augmenter la production de 6 % grâce à une optimisation des installations. Mais le plus important est que cette forme d’énergie constitue un pilier de l’équilibre du système électrique. Ce sont donc moins ses possibilités de développement qui doivent être mises en valeur que son usage aux fins de régulation et de stockage.
M. Jean-Jacques Guillet, rapporteur. Je note que, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la France est, en Europe, un des pays où l’énergie hydraulique est la plus développée.
M. François de Rugy, rapporteur. Je saisis l’occasion pour revenir sur l’intermittence, ou la variabilité – le choix du terme a fait l’objet d’un débat sémantique –, qui caractérise les énergies renouvelables. Dans ce domaine, on parle surtout de la production, en oubliant trop souvent que la consommation, elle aussi, varie. Or la France a massivement recours à une énergie de base, l’électricité nucléaire, qui n’est pas du tout capable de faire face aux variations de consommation, parce qu’elle est très peu maniable et qu’il est difficile d’en faire varier la production. À cet égard, le rôle complémentaire que joue l’hydraulique grâce à ses capacités de stockage peut s’accroître avec l’optimisation des installations.
À tous les niveaux, l’optimisation est d’ailleurs la clé de la transition énergétique, qu’elle concerne la consommation – et c’est pourquoi la question des compteurs est si importante – ou les échanges entre pays voisins, car les périodes de consommation de pointe et les moyens de production ne sont pas tout à fait les mêmes d’un côté et de l’autre d’une frontière. L’optimisation peut en effet permettre de résoudre certains problèmes qui, comme celui de la variabilité, sont mis en avant pour justifier l’inaction. C’est d’autant plus vrai que la variabilité des énergies renouvelables est en partie prévisible, comme l’est d’ailleurs, également en partie, la variabilité de la consommation. Il est donc possible de trouver des solutions d’optimisation ne passant pas nécessairement par le recours, en renfort, à de nouveaux moyens de production de type thermique en période de consommation de pointe, ce qui accroît fortement les émissions de CO2.
Mme Danielle Auroi. J’ai oublié d’évoquer la biomasse, notion qui n’englobe pas seulement les agrocarburants, mais aussi, outre les énergies provenant des ressources forestières, le biogaz. Sous réserve de maîtriser ses éventuels effets sur la santé et l’environnement – mais c’est désormais le cas –, cette dernière source d’énergie peut contribuer à améliorer le bilan carbone de l’agriculture, dont vous avez bien montré qu’elle pouvait aujourd’hui être considérée comme un « mauvais élève ». Ceux d’entre nous qui sont élus de zones rurales devraient bien mettre cet aspect en valeur, car c’est aussi une façon de convaincre la population.
M. Jean-Paul Chanteguet, président. La loi du 28 mai 2013, qui instituait l’écotaxe, prévoit également l’élaboration d’un schéma national de la logistique. Si nous voulons réduire la contribution du secteur des transports aux émissions de gaz à effet de serre, il convient d’engager rapidement ces travaux.
M. Régis Juanico. Je souhaite faire une remarque relative à nos méthodes de travail. La mise en œuvre du paquet énergie-climat est un sujet fondamental, mais l’examen du rapport de MM. de Rugy et Guillet a lieu dans le cadre du Comité d’évaluation et de contrôle, à un moment où se tiennent de nombreuses réunions, ce qui se traduit par une faible présence des députés. Nos collègues ne pourraient-ils pas le présenter à nouveau dans le cadre de la semaine de contrôle, dans l’hémicycle ou en salle Lamartine, mais en tout cas devant toutes les commissions concernées – c’est-à-dire devant pratiquement toutes les commissions permanentes ?
Bien sûr, cela exigerait que l’exécutif ne nous prive pas systématiquement de notre semaine de contrôle pour les besoins de son ordre du jour, comme ce sera encore le cas en juin. Il est temps d’en finir avec cette mauvaise habitude.
M. François de Rugy, rapporteur. Sans aborder la question de l’organisation de nos travaux, je signale que le groupe écologiste, en lien avec la commission des affaires européennes, a demandé et obtenu l’inscription à l’ordre du jour de la séance publique d’un débat sur la politique climatique européenne, débat pour lequel ce rapport pourra servir de support.
J’admets par ailleurs qu’il faudrait revoir les conditions dans lesquelles il est rendu compte des travaux du CEC.
M. Jean-Paul Chanteguet, président. Le débat annoncé par François de Rugy aura lieu le 28 mai, mais l’après-midi et non plus le soir.
Je remercie les rapporteurs pour l’important travail qu’ils ont effectué. Ce rapport devrait largement contribuer à la qualité du projet de loi sur la transition énergétique que nous attendons tous avec impatience.
Le Comité autorise la publication du présent rapport.
ANNEXE :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS
1. Tables rondes :
• « Comment faire émerger un prix du carbone dans une situation de crise économique ? » (6 février 2014) :
– M. Benoît Leguet, directeur de la recherche à CDC-Climat, membre du comité des experts du débat national sur la transition énergétique, accompagné de Mme Maria Scolan, responsable communication et relations institutionnelles, et de Mme Lise Bazalgette, chargée des relations institutionnelles à la Caisse des dépôt et consignations ;
– M. Fernand Felzinger, représentant l’Union des industries électro-intensives, et président de l’IFIEC-Europe ;
– M. Jérôme Schmitt, directeur développement durable et environnement de Total, accompagné de M. François Tribot-Laspiere, responsable relations institutionnelles ;
– Mme Stéphanie Croguennec, chef du département de lutte contre l'effet de serre à la direction générale de l’énergie et du climat ;
– M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du bureau environnement – agriculture à la direction générale du trésor.
• « Comment renforcer la contribution du secteur des transports à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? » (13 février 2014) :
– M. Dominique Auverlot, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, chef du département développement durable au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) ;
– M. Pierre-Henri Bigeard, directeur général adjoint, en charge de la recherche scientifique et technologique d'IFP Energies nouvelles (IFPEN), accompagné de Mme Armelle Sanière ;
– M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales et techniques du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) ;
– M. Guy Le Bras, directeur général du Groupement des autorités responsables de transport (GART) ;
– M. Jean-Bernard Kovarik, adjoint au directeur général des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM), accompagné de Mme Lise Sutto, chargée de mission au département de la lutte contre l'effet de serre à la direction générale de l’énergie et du climat ;
– M. José Caire, directeur Villes et territoires durables de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), accompagné de M. Yann Tréméac, chef de service adjoint Transports et mobilité.
• « Quelles priorités pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments ? » (20 février 2014) :
– M. Philippe Pelletier, avocat, chargé du pilotage et de la mise en œuvre du plan de performance thermique des bâtiments prévu par le Grenelle de l’Environnement, président du Plan Bâtiment Durable, accompagné de Thomas Matagne, chargé de mission ;
– M. Pascal Payet, conseiller énergie du président de la Fédération française du bâtiment (FFB), accompagné de M. Bertrand Hannedouche, chef du service énergie-environnement du département des affaires techniques ;
– Mme Sabine Basili, présidente de la commission nationale des affaires économiques de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), accompagnée de M. Alain Chouguiat, chef du service des affaires économiques, et de M. Dominique Proux, chargé des relations avec le Parlement ;
– M. Jean Bergougnoux, ancien président-directeur général d’EDF, président de l’association Équilibre des énergies, accompagné de M. Gilles Rogers, conseiller spécial du Président, et de M Daniel Aubert, délégué général d’EdEn ;
– M. Yann Dervyn, directeur de l’association Effinergie, accompagné de M. Benoît Leclair, vice-président de la Région Rhône-Alpes, représentant de M Jean-Jack Queyranne, Président d'Effinergie ;
– Mme France Bauvin, administrateur de l’Union nationale de la propriété immobilière (UNPI) et vice-présidente de l’Union internationale de la propriété immobilière (UIPI) ;
– M. Yann Ménager, chef de bureau des économies d'énergie et de la chaleur renouvelable à la direction générale de l’énergie et du climat.
• « Comment accroître la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français ? » (27 février 2014) :
– M. Pierre Radanne, président de l'association 4D ;
– M. Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden) ;
– M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables, accompagné de M. Damien Mathon, délégué général, et de M. Alexandre de Montesquiou, consultant en relations institutionnelles ;
– M. Michel Derdevet, membre du directoire d’Electricité Réseau Distribution France (ERDF) ;
– M. Georges Bouchard, délégué général de l’Association française du gaz (AFG), accompagné de M. Anthony Mazzenga, délégué stratégie ;
– M. Philippe Germa, directeur général de WWF France, accompagné de M. Pierre Cannet, responsable du Programme Climat/Energie, de Mme Silvia Marcon, chargée de mission auprès de la directrice générale, et de Mme Aurélie Pontal, chargée de partenariat ;
– M. Damien Siess, directeur adjoint Productions et énergies durables à l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'Energie (ADEME).
• « Comment changer les comportements pour favoriser une consommation plus sobre en carbone ? » (12 mars 2014) :
– Mme Virginie Schwarz, directrice générale déléguée de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ;
– M. Raphaël Claustre, représentant l’association Negawatt, et directeur du Comité de liaison énergies renouvelables (CLER) ;
– Mme Celia Gautier, chargée des politiques européennes à Réseau Action Climat-France (RAC-F) ;
– M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie à UFC-Que-choisir ;
– M. Philippe Joguet, directeur développement durable à la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), accompagné de M. Antoine Sauvagnargues, chargé de mission affaires publiques ;
– Mme Laurence Sellincourt, conseil en prospective et management des transformations au sein du cabinet de sociologie et de prospective Chronos.
2. Auditions :
– M. Pierre Ducret, référent du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans le domaine de la transition écologique et climatique, accompagné de Mme Marie-Michèle Cazenave et de Mme Maria Scolan (2 avril 2014) ;
– M. Xavier Bonnet, chef du service de l’économie, de l'évaluation et de l'intégration du développement durable au Commissariat général au développement durable (CGDD), et M. Robin Edme, conseiller Finance responsable au CGDD et co-rapporteur du Livre blanc sur le financement de la transition écologique (2 avril 2014) ;
– Mme Magali Joessel, directrice de la stratégie et du pilotage de Bpifrance, accompagnée de M. Stéphane Hayez et de M. Jean-Baptiste Marin-Lamellet, responsable des relations institutionnelles (2 avril 2014) ;
– M. Stéphane Pasquier, directeur exécutif de Natixis Energéco (2 avril 2014).
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES SUR LA MISE EN œUVRE PAR LA FRANCE DU PAQUET « ÉNERGIE-CLIMAT »
Cette communication peut être consultée
sur le site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i1951.pdf
1 () Cinq tables rondes ont été organisées, portant sur les thèmes suivants : comment faire émerger un prix du carbone dans une situation de crise économique ? ; comment renforcer la contribution du secteur des transports à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? ; quelles priorités pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiment ? ; comment accroître la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français ? ; comment changer les comportements pour favoriser une consommation plus sobre en carbone ?
2 () CGSP, La crise du système électrique européen, Rapports et documents, janvier 2014.
3 () Ces chiffres, cités par la Cour des comptes, proviennent d’une étude « CO2 et activités économiques de la France », Études et documents, n°27 août 2010, CGDD, SOeS.
4 () Selon le Commissariat général au développement durable : Observations statistiques n° 114, mars 2012.
5 () L’agriculture représentait 2,1 % du PIB en France en 2008 contre 1,7 % au niveau de l’Union européenne.
6 () Directive 2010/30/UE.
7 () D’après l’UFC Que-choisir, aucun réfrigérateur-congélateur vendu en magasin n’appartient plus aux classes B à G. Pour les sèche-linge, seules les classes A et B sont encore usitées. En revanche, pour beaucoup d’autres produits ou secteurs (ampoules, automobiles, logement), la classe A reste la meilleure. L’association de consommateurs réclame l’extension du système de bonus-malus applicable aux automobiles.
8 () Cour des comptes, rapport public thématique, Les certificats d’économie d’énergie, octobre 2013.
9 () L’IFER, qui s’applique à compter des impositions dues au titre de 2010, est une imposition constituée de neuf composantes et qui concerne certains redevables exerçant leur activité dans le secteur de l’énergie, du transport ferroviaire et des télécommunications. Les énergies renouvelables sont présentes parmi ces composantes. Les installations terrestres de production d’électricité utilisant l’énergie éolienne, les installations de production d’électricité utilisant l'énergie marine ou encore les centrales de production d’énergie électrique d’origine photovoltaïque ou hydraulique sont par exemples soumises à cette imposition forfaitaire. De nombreuses installations liées au gaz naturel (installations, stockage, canalisations de transport) sont également soumises à l’IFER, au côté d’autres entreprises de réseaux.
10 () L’obligation d’achat par les distributeurs est le principal outil de la politique de soutien à la production d’électricité renouvelable. Mais la méthode de fixation des tarifs est légalement encadrée. Elle doit tenir compte du coût évité pour l’acheteur, auquel peut s’ajouter une prime qui reflète la participation de la source d’énergie aux objectifs de la politique énergétique de la France : indépendance, sécurité des approvisionnements, compétitivité économique et lutte contre les gaz à effet de serre, mais qui ne peut conduire à ce que la rémunération des capitaux immobilisés excède une rémunération normale. L’application de ces dispositions s’est toutefois révélée impossible pour les sources d’énergies renouvelables, dans la mesure où la contribution aux objectifs de la loi ne suffisait pas à assurer la rentabilité des projets. Aussi, le critère aujourd’hui retenu pour fixer le bon niveau de tarif est celui de la rentabilité des capitaux investis, dont l’appréciation par les services de l’État n’est pas toujours suffisamment actualisée.
11 () Voir le tableau n° 19 dans le rapport de la Cour des comptes, tome 1, page 115.
12 () À cet égard, voir le rapport de la Cour des comptes, tome 2, à partir de la page 396.
13 () Rapport de la Cour des comptes, tome 1, page 15.
14 () soit 12 Mteq CO2 évités sur un total de 138 Mteq CO2.
15 () L’article L. 1214-2 du code des transports dispose notamment : « Le plan de déplacements urbains vise à assurer :
1° L'équilibre durable entre les besoins en matière de mobilité et de facilités d'accès, d'une part, et la protection de l'environnement et de la santé, d'autre part ;
2° Le renforcement de la cohésion sociale et urbaine, notamment l'amélioration de l'accès aux réseaux de transports publics des personnes handicapées ou dont la mobilité est réduite. »
16 () Livre blanc sur les transports du 28.3.2011, point 18.
17 () Cet objectif est porté à 120gCO2/km pour le parc neuf.
18 () Cour des comptes, rapport public thématique, La politique d’aide aux biocarburants, janvier 2012.
19 () La France, première des 27 Etats de l’Union européenne s’agissant du nombre de km effectués en train par habitant et par an, n’est qu’à la 27ème place concernant les déplacements en autobus ou autocar.
20 () L’article 65 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « loi Grenelle II » fixe les conditions d’expérimentation du « péage urbain », possible dans les agglomérations de plus de 300 000 habitants.
21 () Intitulée « Mobilité 2.0 : Une stratégie pour les transports intelligents ».
22 () Ce chiffre est notamment cité dans l’étude d’un professeur d’urbanisme à UCLA : Donald Shoup, "Cruising for Parking," Access, No. 30, Spring 2007, pp.16-22.
23 () Objectif fixé par le Président de la République le 20 septembre 2013 au secteur automobile lors de la conférence environnementale.
24 () 15 milliards d’euros, selon le conseil national du débat sur la transition énergétique (CNDTE), auxquels il faut ajouter 6 milliards d’euros pour la rénovation des bâtiments du secteur tertiaire.
25 () Dans le scénario avec mesures existantes (AME) comme dans le scénario avec mesures supplémentaires (AMS).
26 () « L’effet net sur l’emploi de la transition énergétique en France : Une analyse input-output du scénario négaWatt », Philippe Quirion, CIRED Working Paper 2013-46.
27 () Rapport d’activité 2013 du Plan Bâtiment durable.
28 () « L'efficacité énergétique des bâtiments au cœur du paquet énergie-climat 2030 », Euractiv.fr, 5 février 2014.
29 () Dans son rapport public thématique sur les certificats d’économies d’énergie, la Cour fait état d’un outil souple qui devrait être mieux piloté. Elle recommande des mesures de simplification (standardiser les documents), d’adapter plus régulièrement les fiches action, de prendre des mesures en faveur de la professionnalisation des travailleurs du bâtiment et d’accompagner davantage les ménages.
30 () Le Plan Climat de la région Rhône-Alpes fixe des objectifs, en adéquation avec le plan national. Un objectif de 40 % de réduction des émissions de GES par rapport à 1990 d’ici 2020 a été fixé. Il sera mené en concertation avec d’autres plans déjà lancés, tels que le plan lycée mis en place en 2008 et visant à une meilleure efficacité énergétique des bâtiments.
31 () Dans le cadre du Green Deal, les propriétaires devront s’assurer d’ici 2018 que les logements soumis à la location satisfont des critères de performance énergétique minimaux, n’allant pas en-deçà de la catégorie E.
32 () Voir infra partie V.
33 () The Shift Project - GT Rénovation Thermique du Bâtiment v3.0 – Version du 23 juin 2013. Document disponible sur le site du débat national de la transition énergétique : http://www.transition-energetique.gouv.fr/sites/default/files/cahiers/tsp_-_renovation_thermique_du_batiment_v3.0.pdf
34 () 6 mesures pour améliorer le DPE ont été proposées en 2011, pour une application en 2012, par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement et M. Benoist Apparu, ministre délégué chargé du logement. Ces mesures comprennent une transparence accrue, une amélioration de la méthode de calcul, l’utilisation de logiciels validés, la présence d’une base de données des DPE en ligne, une montée en compétences des diagnostiqueurs et un contrôle plus efficace.
35 () Le think-tank La fabrique écologique de M. Géraud Guibert a publié un rapport le 6 février 2014 identifiant un manque d’engouement chez les Français pour la rénovation énergétique. Le rapport résume le problème ainsi: « l’efficacité énergétique, c’est ennuyeux ».
36 () Voir infra partie V.
37 () Les passeports de la rénovation ont pour objectif de fournir aux particuliers un guichet unique qui leur permettra de les accompagner lors de la rénovation de leur habitat.
38 () La loi de finances pour 2014 prévoit la réforme du crédit d’impôt en faveur du développement durable (CIDD) et l’aménagement de l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ). Concernant le CIDD, le nouveau crédit d’impôt de 25 % sera accordé aux ménages réalisant des rénovations lourdes, relevant d’un bouquet de travaux, tandis qu’un taux de 15 % sera accessible aux ménages les plus modestes pour des travaux isolés. Le périmètre du CIDD est réduit : sont exclus les panneaux photovoltaïques, les appareils de régulation de chauffage et les équipements de récupération et de traitement de l'eau de pluie. L’éco-PTZ est prolongé jusqu’en 2015 et ses conditions sont assouplies. Par exemple, le délai maximal de réalisation des travaux est porté de deux à trois ans, tandis qu’une personne seule gagnant moins de 25 000 euros par an pourra cumuler les deux aides, de même qu'un couple sous le seuil des 35 000 euros.
39 () Ce dispositif repose sur une obligation de réalisation d’économies d’énergie imposée par les pouvoirs publics aux vendeurs d’énergie appelés les « obligés ». Ceux-ci sont ainsi incités à promouvoir activement l’efficacité énergétique auprès de leurs clients : ménages, collectivités territoriales ou professionnels. Un objectif triennal est défini et réparti entre les opérateurs en fonction de leurs volumes de ventes. En fin de période, les vendeurs d’énergie obligés doivent justifier de l'accomplissement de leurs obligations par la détention d'un montant de certificats équivalent à ces obligations. Le montant des primes peut varier selon les obligés et l’ampleur des travaux effectués.
40 () Contribution écrite du Gimélec aux travaux des rapporteurs.
41 () La Coalition France pour l’efficacité énergétique (qui fédère l’association des responsables de copropriété, les syndicats professionnels Gesec, Gimélec, Cler et Effinergie, l’association France nature environnement, le collectif d’industriels Isolons la terre contre le CO2, le réseau Action Climat, et l’UFC Que-choisir) et le Gimélec (Groupement des industries de l'équipement électrique, du contrôle-commande et des services associés) ont adressé chacun une contribution écrite aux rapporteurs.
42 () Le label Bepos-effinergie est un label pilote, applicable à court terme. Il s’appuie sur la RT 2012 et le label effinergie+. Pour l'instant, il n'est disponible que pour les logements, les bureaux, les crèches et les locaux d'enseignements.
43 () Le dispositif FeeBat est un dispositif de formation construit sous l’égide des pouvoirs publics et d’un comité de pilotage composé de la Capeb, la FFB, EDF, la FF3C, la Fedene, la FNSCOP, l’AFG et l’UFE et d'un représentant de la distribution professionnelle (FNAS, FGME, FNMC).
44 () La directive CE 2006/32 du 5 avril 2006, relative à l’efficacité énergétique dans les utilisations finales et aux services énergétiques, définit le CPE comme « un accord contractuel entre le bénéficiaire et le fournisseur (normalement une Société de Services Énergétiques) d’une mesure visant à améliorer l’efficacité énergétique, selon lequel des investissements dans cette mesure sont consentis afin de parvenir à un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique qui est contractuellement défini. »
45 () Ce palmarès est disponible sur le site du ministère du Logement et de l’Égalité des territoires : http://www.territoires.gouv.fr/IMG/pdf/131213_dp_palmares_reno_energetique.pdf
46 () Dans une étude remise aux rapporteurs l’association WWF s’attache d’ailleurs à déconstruire certains « mythes » associés à la transition énergétique allemande. Voir WWF, « Mythes et réalités sur le rôle des énergies renouvelables dans la transition énergétique en Allemagne », septembre 2012.
47 () L’appellation smart grid, ou réseau électrique intelligent, désigne un réseau d’électricité équipé de technologies informatiques et d’automates qui permettent de piloter et communiquer avec les infrastructures.
48 () La TVA à taux réduit sur les travaux, le crédit d’impôt développement durable, l’éco prêt à taux zéro, le soutien à la recherche et développement, les subventions à la production de chaleur d’origine renouvelable, le fonds Feder et le programme Ademe Bois-énergie.
49 () Cour des comptes, rapport public thématique, La politique de développement des énergies renouvelables, juillet 2013.
50 () Selon l’association de professionnels France énergie éolienne, citée par la Cour des comptes.
51 () La loi du 2 janvier 2014 permet l’expérimentation du permis unique, des zones d’intérêt économique et écologique et du certificat de projet.
52 () Le livre blanc des énergies renouvelables, SER, janvier 2012.
53 () Jacques Percebois, « Les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables, forces et faiblesses », in La Revue de l’Énergie, 2014, n° 617.
54 () CE, 15 mai 2012, Association Vent de Colère! Fédération Nationale et autres, n°324852.
55 () CJUE, affaire C-262/12.
56 () Les pistes de réforme envisagées par la Commission européenne sont les suivantes : faire passer l’objectif de réduction de l’Union européenne à 30 % ; retirer une certaine quantité de quotas en phase III ; réviser par anticipation le facteur annuel de réduction linéaire ; étendre le SCEQE à d’autres secteurs ; limiter l’accès aux crédits internationaux.
57 () Le système australien d’échange de quotas d’émissions, devant remplacer l’actuelle taxe carbone à compter du 1er juillet 2015, verra son plafond d’émissions fixé sur 5 ans glissants, en tenant compte d’un objectif de réduction à plus long terme (PointClimat, 15 mai 2012, CDC Climat).
58 () Commerce et changement climatique, PNUE-OMC, 26 juin 2009.
59 () Voir supra II.
60 () Directive 2010/30/UE du Parlement européen et du Conseil européen. L’étiquetage énergétique ne concerne plus seulement les produits utilisateurs d’énergie mais s’étend aux produits liés à l’énergie (ex. double-vitrages, isolants thermiques). L’étiquette a été entièrement renouvelée par l’introduction de symboles graphiques à la place des éléments linguistiques (pour être comprise partout) et par l’ajout de 3 classes supplémentaires A+, A++ et A+++ pour tous les appareils (auparavant, seuls les appareils de réfrigération pouvaient être A+ ou A++). Les flèches de couleur restent, le vert foncé indiquant la classe la plus performante. Le rouge seul peut être multiplié, l’échelle peut être révisée lorsqu’une proportion importante de produits sur le marché intérieur atteint les 2 classes supérieures et que des économies supplémentaires peuvent être réalisées.
61 () « Coûts cachés du chauffage électrique Les “grille-pains” occasionnent des tartines de surcoûts pour l’ensemble des consommateurs ! », communiqué du 27 novembre 2012 sur le site Internet de l’association : http://www.quechoisir.org
62 () Voir supra II.
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