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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2014.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION (1)
sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025,
ET PRÉSENTÉ
PAR M. Jean-Christophe FROMANTIN, Président,
et
M. Bruno LE ROUX, Rapporteur,
Députés.
——
La mission d’information est composée de : M. Jean-Christophe Fromantin, président, et M. Bruno Le Roux, rapporteur ; M. Yves Albarello, M. Jean-François Lamour, M. Michel Lefait, Mme Martine Martinel, vice-présidents ; M. Michel Lesage, M. Noël Mamère, Mme Catherine Quéré, Mme Claudine Schmid, secrétaires ; M. Guillaume Bachelay, M. Alexis Bachelay, M. Thierry Benoit, M. Sylvain Berrios, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Christophe Bouillon, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Philip Cordery, M. Jean-Michel Couve, M. Olivier Dassault, M. Hervé Féron, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Goasguen, Mme Pascale Got, Mme Gilda Hobert, M. Jacques Kossowski, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Thierry Solère, membres.
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 13
PREMIÈRE PARTIE : LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES SONT-ELLES TOUJOURS D’ACTUALITÉ ? 15
I. LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES ONT UNE RICHE HISTOIRE 16
A. GENÈSE ET ÉPANOUISSEMENT D’UN PHÉNOMÈNE FOISONNANT 16
1. Des manifestations emblématiques de l’ère moderne 16
a. Une double origine révolutionnaire 16
b. La cristallisation londonienne et l’enclenchement de la dynamique 17
c. La construction spontanée d’un modèle foisonnant 19
2. Une ampleur croissante qui traduit des fonctions multiples et qui suscite des critiques de fond 20
a. Les huit fonctions caractéristiques des expositions universelles 20
b. Les interrogations et critiques suscitées par la course au modernisme et au gigantisme 22
B. MÉMOIRE ET HÉRITAGE D’UN GLORIEUX PASSÉ 24
1. Un trait d’union entre le passé et l’avenir 24
a. Un rassemblement en quête permanente de sens 24
b. L’héritage matériel et moral 25
2. Le lien particulier entre la France et les expositions universelles 27
a. Paris, ville par excellence des expositions universelles ? 27
b. La dette parisienne à l’égard des expositions universelles 29
II. LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES ONT UN MAÎTRE D’OUVRAGE PEU CONNU MAIS EXIGEANT 31
A. CES MANIFESTATIONS, SPONTANÉES À L’ORIGINE, ONT ÉTÉ SOUMISES À UNE CONVENTION INTERNATIONALE 31
B. LA CONVENTION DE 1928 IMPOSE AUX ÉTATS PARTIES TROIS ENGAGEMENTS 32
1. Les projets d’expositions doivent respecter la coutume diplomatique mise par écrit 32
2. La convention définit les expositions internationales pour en limiter la fréquence 34
3. La convention soumet les différends entre États à l’arbitrage d’une instance intergouvernementale, le BIE. 38
C. LE BIE FOURNIT LE CADRE RÉGLEMENTAIRE DES EXPOSITIONS 40
1. Le BIE encadre étroitement la procédure d’enregistrement 40
a. Le dépôt de la demande 40
b. Le contenu du dossier 41
c. L’organisation de l’exposition 42
2. L’examen des candidatures par le BIE commence par une enquête et s’achève par un scrutin 43
3. La procédure administrative d’enregistrement reste cependant un exercice de diplomatie 45
III. LES EXPOSITIONS INTERNATIONALES PEUVENT PARAÎTRE DÉSUÈTES 48
A. LES EXPOSITIONS DU XIXE SIÈCLE CÉLÉBRAIENT LE PROGRÈS UNIVERSEL 48
1. La foi en le progrès 48
2. Le progrès est devenu source de désillusion pour les Français 50
B. DOUTANT DU PROGRÈS, LES ÉTATS MEMBRES DU BIE L’ONT SUBORDONNÉ À DE NOUVELLES VALEURS 52
1. L’Exposition de 1958 marque un tournant 52
2. À partir du protocole de 1972, les expositions changent de finalité 53
3. Depuis 1994, toute exposition doit avoir pour thème les attentes de la société contemporaine 54
a. Les expositions doivent répondre à des attentes collectives 54
b. Les thèmes sont soumis à des négociations diplomatiques 55
c. Un passage à vide ? 56
4. Parallèlement, les thématiques ont également été infléchies par l’arrivée des pays émergents 57
C. L’ORGANISATION DES EXPOSITIONS A CONNU DE PROFONDES MUTATIONS 59
1. Le modèle financier des expositions révèle des divergences de conception 59
2. Une exposition enregistrée est un exercice de transformation urbaine dont les suites ont été trop souvent décevantes. 62
a. Une vaste transformation urbaine… 62
b. …Qui ne porte pas toujours ses fruits 63
3. Une exposition est de plus en plus un objectif pour séduire les partenaires économiques 65
4. Le modèle des expositions internationales n’est pas adapté à un urbanisme riche d’un abondant patrimoine 67
a. Les riverains ne veulent pas défigurer leur ville 67
b. Les utopies ne se sont pas concrétisées 68
c. La limite du « geste » architectural : le « vide » des pavillons. 69
d. Il n’existe pas actuellement d’autre modèle qui corresponde aux attentes du public. 70
DEUXIÈME PARTIE : LES CONDITIONS INDISPENSABLES À RÉUNIR POUR RELEVER LE DÉFI 73
I. ASSEOIR UNE CANDIDATURE SUR DES BASES SOLIDES EN TIRANT LES LEÇONS DE NOS MÉSAVENTURES PASSÉES 74
A. L’EXAMEN DES FORCES ET FAIBLESSES FRANÇAISES 74
1. Une expérience incontestable en matière d’organisation de grands événements internationaux 74
a. Un savoir-faire probant 74
b. Un faire-savoir aux effets contre-productifs 75
2. De non moins incontestables rendez-vous manqués 77
a. Les leçons à tirer des échecs olympiques 78
b. La présence française dans les expositions internationales. 80
B. L’INDISPENSABLE IMPULSION D’UNE DYNAMIQUE DU SOMMET À LA BASE 83
1. La mobilisation doit commencer au sommet 83
2. La mobilisation doit continuer avec les autres acteurs de la société française et la population 85
a. Une nécessité incontournable 85
b. Une population d’ores et déjà réceptive 86
C. L’IMPORTANCE DU THÈME 92
1. Le thème, un facteur clé du dossier de candidature 92
a. Un des éléments qui détermine le succès de la candidature 92
b. Le caractère universel du thème 93
c. La déclinaison du thème dans l’exposition 93
2. Quel thème pour réaffirmer une identité nationale positive ? 95
a. Tradition ou innovation ? 95
b. Comment présenter l’innovation ? 99
c. Réaffirmer la vocation universaliste de la France ? 100
d. Le bonheur et la fête ? 101
e. L’hospitalité et la révolution du partage ? 102
II. UN PROJET CONSENSUEL ET PROFESSIONNEL 106
A. UNE ORGANISATION OPTIMALE 106
1. Au sommet 106
a. L’indispensable consensus dans la réalisation du projet 106
b. Une nécessaire réflexion sur le statut de l’instance dirigeante 107
c. La gouvernance 110
2. Au sein de la population 110
a. La politique de la communication choisie 110
b. La mobilisation de tous les acteurs 111
B. LE MODÈLE ÉCONOMIQUE 112
1. Traditionnellement le coût des expositions universelles est élevé 113
2. Les enjeux financiers doivent être appréhendés en tenant compte d’une approche complètement nouvelle de l’exposition 116
a. Une organisation originale s’impose 116
b. Des modalités de financement nouvelles 117
TROISIÈME PARTIE : UNE EXPOSITION ADAPTÉE AUX VISITEURS DU XXIE SIÈCLE 123
I. ACCUEILLIR LE MONDE DANS LES MEILLEURES CONDITIONS 124
A. LES ENJEUX QUANTITATIFS ET QUALITATIFS DE L’ACCUEIL 124
1. Splendeurs et misères de l’accueil en France et à Paris 124
a. L’attractivité touristique française 124
b. Des appréciations contrastées sur la qualité de l’accueil 126
2. Les conséquences liées à l’accueil de dizaines de millions de visiteurs 128
a. La difficile estimation du nombre et de la nature des visiteurs attendus 128
b. Le syndrome de la file d’attente 130
c. Les volontaires, relais d’un accueil réussi 132
B. LE DÉFI DE L’HÉBERGEMENT 134
1. Une saturation de la capacité hôtelière ? 134
a. Le bilan de l’offre hôtelière à Paris 134
b. Des perspectives hôtelières « hors les murs » 136
2. Des voies alternatives et complémentaires à explorer 138
a. L’optimisation des modes d’hébergement existants 138
b. La voie de l’hébergement collaboratif 140
C. DE NOUVELLES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT POUR DE NOUVELLES MOBILITÉS 141
1. La liaison Paris-Roissy 142
a. Une liaison actuelle déplorable 142
b. Un projet – CDG Express – indispensable 143
c. La nécessité de désenclaver Orly et Le Bourget 145
2. Le Grand Paris-Express 146
a. Le développement du Grand Paris-Express 146
b. Les délais 148
c. Le financement 149
d. Les gares 150
e. La gestion des flux 151
f. Une accélération bienvenue du projet 153
3. Des propositions innovantes 154
a. Des moyens de transport novateurs 154
b. Une nouvelle conception des mobilités : des transports mis en scène, dans le cadre d’un autre urbanisme 156
D. UNE EXPOSITION POLYCENTRÉE 158
1. Une exposition polycentrée aurait plusieurs avantages 158
a. Le BIE est réticent à l’idée d’abandonner le champ clos de ses expositions 158
b. Le polycentrisme ne doit pas créer d’incident diplomatique et ne va pas à l’encontre de l’égalité des pays participants. 160
c. Le polycentrisme éviterait qu’un seul site, envahi par une foule, interdise une visite plaisante, détendue et festive 161
d. Le polycentrisme risquerait de renchérir l’intendance d’une exposition 164
e. Vue de l’étranger, la France est devenue petite et donc facile à visiter 166
f. Une exposition polycentrique éviterait les problèmes de reconversion du site 167
g. Des exemples de polycentrisme : les événements sportifs 167
2. L’exposition française comporterait trois cercles concentriques 168
3. L’exposition française pourrait également aller en 2025 de la Seine vers les métropoles 170
II. DES CHANTIERS IMMOBILIERS ET NUMÉRIQUES 171
A. LA RÉVOLUTION DU NUMÉRIQUE 171
1. Une démarche nouvelle liée au partage 171
a. Faire une exposition universelle sur le numérique n’aurait pas de sens 171
b. Le numérique, un moyen de susciter l’enthousiasme dès la préparation de la candidature 175
c. Le partage, pour quel type d’activités ? 176
2. De nouvelles modalités d’organisation de l’exposition 180
a. Une vitrine et une aide pour les transports 180
b. Un moyen de dématérialiser et de simplifier les procédures 182
c. Un moyen de décupler l’information et d’intégrer 184
3. La mise en œuvre de la révolution digitale dans un nouveau projet : Europa City 187
B. LA RÉUTILISATION OU LA CONSTRUCTION D’IMMEUBLES 189
1. La réutilisation de bâtiments patrimoniaux existants 190
2. La valorisation des abords des monuments 196
3. L’utilisation de bâtiments existants modifierait le contenu de l’exposition 198
4. Les nouvelles gares du Grand Paris-Express 199
5. Quelques gestes architecturaux mémorables 200
6. Des règles d’urbanisme à négocier avec le BIE et à inscrire dans la loi 203
7. Europa City et l’exposition universelle 206
C. LA SÉCURITÉ 206
1. Un problème majeur 206
2. Les atouts de la France 208
QUATRIÈME PARTIE : UNE EXPOSITION UNIVERSELLE POUR FAIRE DU BIEN À LA FRANCE 213
I. LA NÉCESSITÉ DE RÉCONCILIER LA FRANCE AVEC ELLE-MÊME… ET AVEC LE MONDE ! 214
A. RETROUVER LE CHEMIN DE LA CONFIANCE 214
1. La sinistrose française, un cercle vicieux qui s’auto-entretient 214
2. Les moyens d’en sortir et d’aller vers une nouvelle positivité 219
a. Le besoin d’un déclic 219
b. Les conditions préalables à une dynamique positive 221
B. DYNAMISER NOTRE STRATÉGIE D’INFLUENCE 222
1. L’image de la France dans le miroir du monde 222
2. L’exposition universelle au service de la stratégie d’influence française 225
II. DES RETOMBÉES IMPORTANTES 227
A. DES BÉNÉFICES TOURISTIQUES ET ÉCONOMIQUES EN MATIÈRE DE QUALITÉ DE VIE 227
1. Des retombées importantes sur l’économie 227
a. Un renforcement de notre diplomatie économique 227
b. Des retombées positives pour de nombreux secteurs 228
c. Des retombées pour Paris et le Grand Paris 231
d. Des retombées pour l’ensemble de l’économie française 233
B. EXPO versus JO : QUE FAIRE ? 236
1. Problématiques communes, logiques distinctes et effets contrastés 236
2. Des interrogations sur l’acceptabilité d’une organisation concomitante 240
a. Deux candidatures complémentaires ou souhaitables ? 240
b. Des réticences dues à la soutenabilité financière et à l’acceptabilité des citoyens 241
RECOMMANDATIONS 245
1. Organiser une exposition universelle en France en 2025 245
2. Renouveler la forme de l’exposition universelle 246
3. Asseoir l’exposition sur un nouveau modèle d’organisation 246
4. Des éléments connexes indispensables à la réussite de l’exposition 247
EXAMEN DU RAPPORT 249
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 255
ANNEXES 263
ANNEXE 1 : PALAIS-OMNIBUS PARIS 1867 265
ANNEXE 2 : LES FRANÇAIS ET LA CANDIDATURE DE LA FRANCE À L’EXPOSITION UNIVERSELLE 2025 : SONDAGE IFOP 267
ANNEXE 3 : ILS ONT DIT « OUI » À L’EXPOSITION UNIVERSELLE 283
ANNEXE 4 : VœU TYPE DE SOUTIEN D’UNE MUNICIPALITÉ À LA CANDIDATURE DE LA FRANCE À L’ORGANISATION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE 2025 287
ANNEXE 5 : CONTRIBUTION DE M. PIERRE-ALAIN SCHIEB, CONSULTANT AUPRÈS DE L’OCDE 289
ANNEXE 6 : LE BUDGET DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE SHANGHAI DE 2010 293
ANNEXE 7 : GRAND PARIS-EXPRESS 295
ANNEXE 8 : RER C - VERSAILLES 297
ANNEXE 9 : UNE EXPOSITION POLYCENTRÉE 299
ANNEXE 10 : POINTS D’ÉTAPE ET ÉVÉNEMENTS EXPOFRANCE 2025 301
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 307
Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du Bureau international des expositions (BIE) 309
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions (BIE), et de M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE 319
Audition, ouverte à la presse, de M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE) 329
Table ronde, ouverte à la presse, sur la mise en perspective historique et l’héritage des expositions universelles, avec M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions, Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne 337
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Peut-on encore aujourd’hui célébrer le progrès et les innovations ? », avec M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation, M. Joël de Rosnay, conseiller de la présidence d’Universcience et président de Biotics International, et M. Gérard Roucairol, président de l’Académie des technologies 349
Audition, ouverte à la presse, de Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP) 363
Présentation, ouverte à la presse, des travaux réalisés par des étudiants de Sciences Po Paris et du Centre Michel Serres, suivie d’un débat 372
Audition conjointe, ouverte à la presse, de représentants de l'Association ExpoFrance 2025 : M. Luc Carvounas, sénateur, M. Hervé Brossard, président de l'Omnicom Media Group France, M. Patrick Gautrat, ancien ambassadeur, ancien directeur des sports au ministère des affaires étrangères, M. Ghislain Gomart, directeur général de l'association 392
Audition commune, ouverte à la presse, sur l’influence française dans le monde avec M. Xavier Darcos, ancien ministre, président de l’Institut français ; M. Christophe Musitelli, directeur du département Langue française, livre et savoirs de l’Institut français ; Mme Mercedes Erra, présidente d’Euro RSCG ; M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure d’Ulm, et Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist 404
Audition commune, ouverte à la presse, de représentants du Commissariat général de la section française à l’Exposition universelle de Shanghai en 2010 : M. José Frèches, commissaire général, M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française, et chargé de mission auprès du commissaire général de l’exposition universelle de Milan, et M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Île de France 415
Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury Sport Organisation (ASO) et directeur du Tour de France, et de M. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint du cyclisme d’ASO 427
Audition, ouverte à la presse, de M. Armand de Rendinger, ancien directeur de la promotion internationale du projet « Paris 2012 » 434
Audition, ouverte à la presse, de M. Noël de Saint Pulgent, auteur du rapport sur la préparation de l’exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, ancien directeur général du GIP Paris Ile-de-France pour la candidature de Paris aux JO de 2008 440
Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Drut, ancien ministre, membre du comité international olympique 447
Audition, ouverte à la presse, de Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique 456
Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Lambert, ancien préfet, ancien directeur général de la FFF, coordinateur des services de l’État pour la préparation des JO de 1992, directeur du comité d’organisation de France 1998, président du comité de pilotage de l’Euro 2016 de football 461
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité et M. Jean-François Martins, adjoint à la Maire de Paris chargé des sports et du tourisme 468
Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers 482
Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile 492
Audition, ouverte à la presse, de M. Bertrand de Lacombe, directeur des affaires publiques d’Aéroports de Paris (ADP), et de Mme Alexandra Locquet, responsable du projet CDG Express chez ADP 500
Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris 509
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’Établissement public de Paris Saclay 515
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Messulam, directeur général adjoint de Transilien SNCF 520
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Simon, président de l’association Paris IDF Capitale économique, et de Mme Chiara Corazza, directrice générale 525
Audition, ouverte à la presse, de M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai 530
Audition, ouverte à la presse, sur le tournoi de Roland Garros, de M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis (FFT) 538
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP 544
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Comment accueillir le monde : l’offre touristique », avec M. Thierry Coltier, Managing partner de Horwath HTL France, M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France, M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve, et M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France 550
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « L’exposition universelle comme vecteur du renouvellement urbain », avec M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris, M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, Agence Duthilleul, M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine, M. Alexandre Labasse, architecte, directeur général du Pavillon de l’arsenal, et M. Jacques Ferrier, architecte, Agence Jacques Ferrier Architectures 557
Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux 568
Audition commune, ouverte à la presse, de M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, accompagnés de Mme Sandrine Bourgogne, et de M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF et président du Pôle économique, fiscal, innovation et numérique, de Mme Céline Micouin, directrice entreprises et société, accompagnés de M. Matthieu Pineda, chargé de mission 575
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur général d’Air France, et de Mme Patricia Manent, directrice adjointe des affaires publiques d’Air France 581
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Antoine Gailly président de la CCI Paris Ile-de-France, de M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts de Seine, de M Etienne Guyot, directeur général de la CCI Paris Ile-de-France, accompagnés de Mme Véronique Etienne-Martin, responsable du département Affaires publiques et Valorisation des études 586
Audition, ouverte à la presse, de de M. Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France, accompagné de Mme Sophie Mougard, directrice générale du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) 596
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, et M. Christian De Boissieu, membre du Cercle 605
Audition commune, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Martinez, président-directeur de l’établissement public du musée du Louvre, de M. Hervé Barbaret, administrateur général, et de M. Éric Spitz, directeur général de la Société d’exploitation de la Tour Eiffel (SETE) 611
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Exposition réelle, exposition virtuelle : quelle place pour le numérique ? », avec M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique, Mme Virginia Cruz, membre du Conseil, et M. Jean-Louis Fréchin, commissaire général de Futur en Seine 619
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Cluzel, président de La Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP) 633
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « L’exposition universelle et la sécurité », avec des représentants du ministère de l’Intérieur : M. Benoît Trevisani, sous-directeur des services d'incendie et des acteurs du secours, M. Jean-Marie Caillaud, chef du bureau de la réglementation incendie et des risques courants, et M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience 639
Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Dalstein, directeur exécutif d’Europa City, et de Mme Sophie Delcourt, directrice du marketing et des partenariats 645
Audition, ouverte à la presse, de M. Hugues de Jouvenel, président de Futuribles International, consultant international en prospective et stratégie 651
Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Berger, commissaire général de la section française à l’exposition universelle de Milan en 2015 658
Rendez-vous en France en 2025 !
La France donne rendez-vous au monde.
Il n’est pas fréquent qu’un rapport parlementaire suscite autant d’enthousiasme de la part de ceux que nous avons rencontrés.
Il n’est pas fréquent non plus qu’une telle mission ait cette formidable ambition de donner rendez-vous au monde.
Cette mission, dont l’objectif consistait à étudier la pertinence d’une candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025 a été une occasion de relire notre héritage, de valoriser nos atouts et de questionner notre avenir.
Grâce à la créativité de sa population, à sa culture et à sa passion pour la modernité, la France a su transformer chaque cycle de changement en un nouveau temps de développement et de rayonnement à travers le monde. Depuis toujours, elle a su s’inscrire dans une dynamique d’innovation, de découverte et de progrès. La période difficile que nous traversons est une transition, qui ne doit entamer ni nos projets, ni notre fierté, ni notre motivation à perpétuer cette ambition.
L’organisation en France d’une exposition universelle donnerait corps à cette détermination.
Elle permettrait de montrer aux peuples de la terre combien notre pays a gardé cette envie de contribuer à développer un monde plus juste, plus beau et plus respectueux des valeurs humaines. Elle donnerait à nos enfants un espoir, un nouvel horizon, et une formidable occasion de s’impliquer dès à présent dans un cycle de renouveau. Elle marquerait un coup d’arrêt à ce mal qu’est le pessimisme français, reflet dans bien des cas d’un manque de perspectives.
Depuis 75 ans la France n’a plus accueilli aucune grande exposition mondiale. Pourtant en 1900 l’Exposition du Siècle organisée à Paris a attiré plus de 50 millions de visiteurs, un chiffre extraordinaire pour l’époque. Dans le prolongement de celles de 1855, de 1867, de 1878 et de 1889, ces événements planétaires furent d’extraordinaires leviers de développement pour nos cultures, nos industries et notre urbanisme. Ils ont stimulé notre confiance en l’avenir et favorisé les conditions de notre entrée dans le XXe siècle. Ils ont été ces détonateurs positifs grâce auxquels beaucoup de nos entreprises, de nos villes et de nos savoir-faire sont devenus pour longtemps des références universelles.
En ce début de XXIe siècle, alors que notre pays a besoin, plus que jamais, de faire valoir ses atouts, nous proposons de réenclencher cette dynamique ; nous plaidons pour une candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025 pour, qu’à nouveau, le monde se donne rendez-vous chez nous ; nous imaginons organiser la première exposition dont les formes immatérielles d’expression et de communication permettraient aux citoyens du monde de se retrouver et d’échanger ; nous imaginons une exposition qui réinvestisse notre patrimoine pour y accueillir tous les pays ; nous proposons que le Grand Paris et les métropoles régionales françaises soient les pivots de cette organisation. Il y a urgence à mettre l’ensemble du projet en place car 2025 c’est demain ! C’est la raison pour laquelle nous souhaitons dès maintenant vous mobiliser pour partager avec nous notre passion pour cette immense aventure, pour être avec nous les témoins d’un grand dessein et d’un extraordinaire appel à l’innovation.
La mission que nous avons conduite montre à quel point cet événement permettrait de mobiliser tous ceux qui veulent contribuer à construire l’avenir de notre pays. Nous sommes convaincus, à partir des auditions que nous avons menées avec des chefs d’entreprises, des élus, des intellectuels, des économistes, des hauts fonctionnaires ou des architectes, nous pouvons créer cette « union sacrée » entre tous ceux qui feront la France du XXIe siècle. Nous pensons que les retombées économiques seraient déterminantes pour l’avenir de la France car la durée de préparation – 7 ans – et la durée de l’événement – 6 mois – donnent le temps nécessaire pour susciter un élan et valoriser nos atouts. Nous sommes également convaincus que ce projet n’aura de sens que s’il procède d’une adhésion populaire et si chacun d’entre nous peut imaginer dès à présent comment il pourra, à son niveau, depuis son territoire, y contribuer en valorisant sa culture et son savoir-faire.
Le 13 octobre dernier le Premier ministre a annoncé que l’État apporterait son soutien à ce grand projet.
Depuis deux ans des entreprises, des étudiants et de nombreux élus se mobilisent pour lancer cette idée.
Chaque exposition universelle a été depuis toujours un incroyable appel à projets. Aujourd’hui notre mission appelle à ce que nous renouvelions cet appel…
Jean-Christophe Fromantin, Président de la mission parlementaire, Député des Hauts-de Seine.
Bruno Le Roux, Rapporteur de la mission parlementaire, Député de Seine-Saint-Denis.
PREMIÈRE PARTIE : LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES SONT-ELLES TOUJOURS D’ACTUALITÉ ?
Marcel Galopin, ancien délégué de la France au Bureau international des expositions, a consacré en 1997 un ouvrage fort instructif aux expositions internationales et universelles dans lequel il observe que tout semble avoir été dit sur ces manifestations : « Éditorialistes et chroniqueurs en tous genres ont été, en leur temps, intarissables. Il n’est pas de politicien, de philosophe, d’écrivain ou d’artiste qui n’ait exprimé son point de vue au retour de l’“Expo”». (2)
De fait, les sources abondent pour retracer ce siècle et demi d’histoire : rapports officiels, catalogues raisonnés, monographies, mémoires, articles de journaux illustrés. Au risque peut-être de conforter l’idée que les expositions universelles, aussi glorieuses qu’elles aient pu être, appartiennent essentiellement au passé !
Il n’est pas question ici de retracer l’histoire exhaustive des expositions universelles : nombre d’historiens se sont penchés sur le sujet et continuent d’y travailler. Il convient cependant de s’intéresser à cette histoire dans le sens où elle nous aide à définir ce type de manifestation et à cerner les grands traits de son évolution à travers le temps.
Définir une exposition universelle est à la fois simple et complexe : simple parce que la notion renvoie à un imaginaire solidement ancré dans la mémoire des nations, et tout particulièrement en France ; complexe car au-delà de l’image d’Épinal, le « phénomène » en question est à la fois protéiforme et évolutif. À l’heure où notre pays s’interroge sur l’opportunité d’accueillir à nouveau une telle manifestation en 2025, la question de son adéquation au temps présent se doit, en tout état de cause, d’être examinée.
Ainsi convient-il tout d’abord de retracer l’histoire des premières expositions universelles, d’appréhender leur signification et l’héritage matériel et moral qu’elles nous ont légué.
Il s’agit ensuite de présenter le cadre dans lequel ces manifestations internationales ont été organisées depuis la création du Bureau international des expositions en 1928.
Au regard des évolutions observées au cours du dernier demi-siècle, il est enfin nécessaire de s’interroger sur sa résilience. En d’autres termes, les expositions sont-elles une survivance désuète d’un monde révolu ou peuvent-elles encore signifier quelque chose pour nos contemporains ?
I. LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES ONT UNE RICHE HISTOIRE
A. GENÈSE ET ÉPANOUISSEMENT D’UN PHÉNOMÈNE FOISONNANT
1. Des manifestations emblématiques de l’ère moderne
On associe spontanément les expositions universelles au phénomène multiséculaire des foires marchandes dont elles constituent assurément le prolongement. Cependant, il faut bien avoir conscience de ce qui les singularise, au niveau de leur origine, de leur dynamique propre et du modèle protéiforme qui en résulte.
a. Une double origine révolutionnaire
Les expositions sont apparues dans un contexte bien particulier, celui de l’essor industriel européen au XIXe siècle. Elles sont à la fois des événements et des symboles d’une époque où l’on considère majoritairement que le progrès matériel et le progrès humain vont systématiquement de pair. Se situant au point de rencontre du modèle anglais de l’exposition de produits d’art et d’industrie et du modèle français de l’exposition nationale, elles sont, selon l’heureuse formule de M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, à la fois « filles de la Révolution industrielle et de la Révolution française » (3).
Dès 1761, William Shipley, fondateur de la Royal Society for the Encouragement of Arts, Manufactures and Commerce, avait développé l’idée d’exposer des machines et des produits manufacturés, sur le modèle des expositions d’œuvres d’art. La Royal Society, présidée par le prince Albert, époux de la reine Victoria, sera encore, en 1851, à l’initiative de la Great Exhibition of the Works of Industry of all Nations, qui se tient à Londres.
Entre-temps, c’est la France révolutionnaire qui forge à partir de 1798, à l’initiative de François de Neufchâteau, ministre de l’Intérieur sous le Directoire, un modèle d’exposition préfigurant par bien des aspects les futures expositions universelles, dans un cadre national. Les expositions françaises, qui se tiennent avec succès sous tous les régimes jusqu’en 1848, poursuivent en effet des objectifs qui vont bien au-delà de la dimension purement économique. Certes, elles visent en premier lieu à célébrer la réputation et la qualité de la production nationale. Il existe ainsi, selon M. Édouard Vasseur (4), conservateur du Patrimoine, une filiation directe entre l’abolition des corporations, la suppression de l’inspection des manufactures et la naissance des expositions industrielles. C’est au travers de la concurrence et de l’émulation que la qualité doit désormais s’imposer, arbitrée le cas échéant par des instances académiques. Cependant, ces expositions se veulent également un instrument de prestige national, signifiant que la France a retrouvé sa prospérité. Au surplus, elles s’inscrivent pleinement dans la filiation de l’esprit des Lumières et de l’Encyclopédie : il s’agit d’y dresser un tableau général des efforts de l’esprit humain afin de contribuer au progrès de la connaissance, au bénéfice de tous.
« Les années 1850 sont marquées par l’essor industriel, le culte du progrès, la prééminence du modèle capitaliste, le développement des banques, l’apparition du rail et de la machine à vapeur, la production à grande échelle, la conquête des campagnes » a rappelé à la mission Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’ESCP-Europe. Le contexte était favorable à un nouveau type de manifestation.
C’est à Londres, capitale d’un Empire britannique qui s’engage alors résolument dans la voie du libre-échange, suite à l’abolition des Corn Laws, en 1846, que s’opère en 1851 la cristallisation du phénomène. La France de la Monarchie de Juillet avait envisagé de donner aux expositions françaises une dimension internationale, mais la Révolution de février 1848 ne lui a pas laissé le temps de concrétiser cette intention, nonobstant les réticences persistantes des milieux protectionnistes français à affronter la concurrence anglaise.
b. La cristallisation londonienne et l’enclenchement de la dynamique
L’Exposition de Londres apparaît d’emblée, aux yeux de ses contemporains, comme une réussite éclatante, avec 28 nations participantes, 14 000 exposants privés et près de six millions de visiteurs qui affluent dans le célèbre Crystal Palace de Joseph Paxton, spécialement construit pour l’occasion.
Un tel succès d’affluence n’aurait pas été possible sans l’essor des moyens mécanisés de transport, qui permettent de faire face à d’importants mouvements de population. Au demeurant, certains observateurs y voient l’acte fondateur du tourisme de masse tel que nous le connaissons aujourd’hui : au premier rang de ceux qui organisent le voyage et le séjour à Londres d’ouvriers et employés pour visiter l’exposition, on trouve notamment un certain Thomas Cook, fondateur d’une entreprise promise à un bel avenir, comme l’a souligné Mme Florence Pinot de Villechenon.
L’événement marque à tel point les esprits que le Gouvernement français prend immédiatement le relais pour organiser l’exposition suivante à Paris. Une dynamique vertueuse est enclenchée pour près d’un demi-siècle, significativement perçu comme étant celui de l’Âge d’or des expositions universelles. Londres accueille à nouveau une exposition en 1862 mais c’est surtout Paris qui se distinguera par la suite, puisque la manifestation y prend un rythme décennal : 1855, 1867, 1878, 1889, 1900. L’empire austro-hongrois prend le relais en 1873, avec la Weltausstellung de Vienne, puis c’est au tour des États-Unis de l’accueillir en 1876 à Philadelphie et en 1893 à Chicago. Des expositions ont également lieu à Melbourne en 1880, à Barcelone en 1888 et à Bruxelles en 1897.
On observera que les Allemands se refusent à organiser la manifestation, plaçant davantage leurs espoirs dans les expositions spécialisées qui émergent à compter des années 1880, avec la tenue à Paris d’une importante exposition consacrée à l’électricité. L’historienne Madeleine Rebérioux explique également la réticence allemande par le fait que nombre de grandes firmes n’avaient guère envie de jouer « le rôle ingrat des vieux colonels dans les maisons de jeux » (5).
En l’absence de toute convention internationale régissant leur organisation et leur périodicité, ces expositions peuvent être caractérisées comme des initiatives spontanées. À partir de 1904, toutefois, le phénomène s’emballe et chaque année, ou presque, voit l’organisation d’une nouvelle exposition. Cette profusion anarchique conduira à la signature en 1928 de la convention internationale instituant le Bureau international des expositions (BIE). On retiendra que vingt-deux expositions universelles, reconnues aujourd’hui comme « historiques » par le BIE (6), sont organisées entre 1851 et 1933.
LISTE DES EXPOSITIONS UNIVERSELLES DITES « HISTORIQUES »
Année |
Pays organisateur |
Ville hôte |
1851 |
Royaume-Uni |
Londres |
1855 |
France |
Paris |
1862 |
Royaume-Uni |
Londres |
France |
||
1873 |
Autriche-Hongrie |
Vienne |
1876 |
États-Unis |
Philadelphie |
1878 |
France |
Paris |
1880 |
Australie |
Melbourne |
1888 |
Espagne |
Barcelone |
1889 |
France |
Paris |
1893 |
États-Unis |
Chicago |
1897 |
Belgique |
Bruxelles |
1900 |
France |
Paris |
1904 |
États-Unis |
Saint-Louis |
1905 |
Belgique |
Liège |
1906 |
Italie |
Milan |
1910 |
Belgique |
Bruxelles |
1911 |
Italie |
Turin |
1913 |
Belgique |
Gent |
1915 |
États-Unis |
San Francisco |
1929 |
Espagne |
Barcelone |
1933 |
États-Unis |
Chicago |
c. La construction spontanée d’un modèle foisonnant
Pendant toute cette période, les expositions procèdent ainsi des États qui décident de les organiser. Elles n’obéissent pas à un modèle gravé dans le marbre : les puissances s’observent, s’inspirent les unes des autres et apportent chacune leur pierre à l’édifice tout en cherchant à se singulariser par des innovations. Ce faisant, plusieurs traits caractéristiques peuvent être dégagés.
La manifestation dure environ six mois et accueille sur un site fermé à l’accès payant, qui tend rapidement à croître en surface, l’ensemble des participants. Si les trois premières expositions occupent un site de moins de 15 hectares, le site parisien s’étendra dès 1867 sur près de soixante-huit hectares, avant qu’on atteigne 233 hectares à Vienne en 1873, puis 290 hectares à Chicago en 1893. Les pavillons nationaux y feront progressivement leur apparition à partir de 1867 et occuperont, symboliquement, une place de plus en plus importante.
Quand bien même l’organisation d’une exposition est une affaire de prestige national, les acteurs privés y tiennent un rôle essentiel. Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine, a rappelé, lors de son audition par la mission, que « les expositions universelles sont des initiatives publiques [qui] fonctionnent selon le système de la concession : une partie de l’espace est louée à des industriels, des manufacturiers et des commerçants qui sont censés l’animer. ». M. Pascal Ory a souligné pour sa part que les « expositions ont, dès l’origine, supposé une coopération entre secteur public et secteur privé ».
Se manifeste durant toute la période un véritable souci de classification et de mise en ordre, qui occupe nombre de comités ad hoc. Avec un esprit de système directement hérité du saint-simonisme, on dresse l’inventaire du génie humain en poursuivant « le rêve d’un lieu clos où l’univers communierait dans le Catéchisme des industriels » (7). On y décerne des médailles et des prix. Un volumineux rapport général est rédigé au terme de la manifestation. Les expositions s’intéressent par ailleurs à des domaines de plus en plus larges : les Beaux-Arts y font leur apparition dès 1855, l’économie sociale émerge également comme sujet de préoccupation à partir de 1867, à l’initiative de Frédéric Le Play, tandis que la culture et l’éducation se trouvent au centre de l’Exposition de Vienne de 1873.
Très tôt, il apparaît que les expositions n’ont pas de vocation directement marchande. À la suite de Walter Benjamin, M. Régis Debray a observé que « l’exposition universelle [transfigurait] la valeur d’échange des objets, [suspendait] un instant leur valeur d’usage, [sublimait] l’univers matériel du besoin dans la féerie du spectacle. » (8). Les expositions contribuent ce faisant à la popularisation de toutes les grandes innovations et à leur appropriation par un public avide de curiosités : galeries des machines, téléphone, machine à coudre, machine à écrire, « Fée électricité », ascenseur, phonographe, cinématographe, etc.
Selon M. Pascal Ory, « on vendait aux foules la modernité, avec une dose de pédagogie, tout en leur disant : “Admirez l’étendue du génie humain sans trop chercher à comprendre…” ». Se manifeste ainsi une certaine ambiguïté dans la démarche des initiateurs : face à l’envahissement des techniques et de la production mécanisée, les expositions se veulent une entreprise de vulgarisation, mais d’après Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, « les visiteurs veulent surtout se distraire, se dépayser, rêver ; comme les organisateurs souhaitent rentabiliser la manifestation au mieux, l’intérêt de tous est de faire venir le public le plus nombreux possible, grâce à des attractions. ». On y encourage ainsi un véritable foisonnement des genres, qui se décline aussi sur le plan architectural. Un jugement de 1855 extrait de la Revue contemporaine, éclaire bien cet aspect : « Le tour de force des expositions universelles, c’est qu’on y harmonise les disparates, qu’on y fait l’unité à coup de contrastes violents. » (9).
2. Une ampleur croissante qui traduit des fonctions multiples et qui suscite des critiques de fond
Si l’on admet que l’unité des expositions universelles procède ainsi paradoxalement de la profusion qu’elles suscitent, il est néanmoins possible d’identifier plusieurs fonctions caractéristiques que l’on retrouve, à des degrés variables, dans toutes les manifestations qui ont été organisées jusqu’à ce jour. Leur ampleur n’a cependant pas été sans susciter des critiques de fond.
a. Les huit fonctions caractéristiques des expositions universelles
M. Pascal Ory a identifié, lors de son exposé devant la mission, huit fonctions historiques propres aux expositions universelles :
− La fonction d’exhibition technologique a déjà été évoquée. Les expositions sont perçues comme des « Olympiades du progrès », qui mettent ce dernier en scène : elles sont, en quelque sorte, une utopie non seulement concrétisée, mais qui par ailleurs le fait savoir. Il n’est ainsi pas anodin qu’elles soient les contemporaines de l’invention de la photographie.
− De même, il a déjà été fait mention de la fonction de foire commerciale, que l’on retrouve du reste dans l’intitulé anglo-saxon de ces manifestations. L’expression « world’s fair » fait même son apparition en 1893 pour désigner l’Exposition universelle de Chicago.
− L’exercice architectural est également un fait remarquable, l’idée s’enracinant peu à peu dans l’esprit du public et des organisateurs que l’on ne pouvait en rester à une foire exclusivement éphémère. L’exposition est l’occasion de montrer des prototypes architecturaux, elle permet l’édification de constructions durables pour certaines, provisoires pour d’autres. M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions, a insisté sur le fait que « c’est la trace architecturale qui symbolise l’exposition universelle ».
− Dans ce prolongement, la fonction de levier urbanistique est essentielle. Du fait de l’ampleur croissante de ces manifestations, tant en ce qui concerne son étendue que le nombre de ses visiteurs, elles entraînent d’importants remaniements de l’espace urbain et la modernisation des infrastructures d’accueil. « On ne peut se permettre, sous le regard de l’étranger, de laisser les problématiques urbanistiques irrésolues », selon M. Pascal Ory.
− L’exposition universelle tient également lieu d’exposition d’art et de culture, fonction qui se greffe sur le modèle originel dès 1855 : de grandes rétrospectives sont organisées dans ce cadre mais l’exposition elle-même est aussi un chantier de commandes qui permet aux artistes, y compris ceux d’avant-garde, de se mettre en valeur.
− C’est aussi une manifestation politique, ce que résume la formule de garden-party de la puissance invitante. Le régime en place recherche la consécration de sa légitimité dans une manifestation supposée renforcer la cohésion de son peuple. C’est pourquoi tous les organisateurs ont attaché une importance particulière au succès et à la fréquentation de l’événement.
L’obsession du chiffre : des visiteurs toujours plus nombreux ?
Les expositions universelles constituent assurément la première manifestation de masse de l’ère moderne. Les chiffres fournis dans les rapports officiels doivent cependant être appréhendés avec précaution. On y trouve à la fois des comptabilités globales et des comptabilités qui ne tiennent compte que des entrées payantes. Ainsi, lorsqu’on évoque les 50 millions de visiteurs de l’Exposition universelle de Paris, en 1900, faut-il être conscient du fait que les tourniquets qui comptabilisaient les entrées ne tenaient pas compte des abonnements ni des entrées multiples. Quoi qu’il en soit, si l’on considère que la France comptait alors 40 millions d’habitants, ce chiffre, même revu à la baisse, est considérable et en fait la plus grande exposition de l’époque dite « historique ».
Les premières expositions, de Londres (1851) à Philadelphie (1876) ont accueilli entre 5 millions et 10 millions de visiteurs. Paris se distingue à partir de 1878, par le succès croissant de ses manifestations : 16 millions de visiteurs en 1878, 28 millions en 1889, 50 millions en 1900. Les expositions américaines de 1893 et de 1904 connaissent également une importante affluence, avec respectivement 27 et 20 millions de visiteurs.
Si chaque ville hôte cherche à attirer le plus grand nombre de personnes, les chiffres de fréquentation sont en fait fort variables d’une manifestation à l’autre – ils le demeurent jusqu’à aujourd’hui. Cela peut tenir au lieu de l’exposition ou à la capacité d’accueil de la ville hôte. La multiplication des expositions en Europe entre 1905 et 1913 contribue également à un certain essoufflement en termes de fréquentation.
Il conviendrait encore de distinguer la part des visiteurs ressortissants du pays d’accueil des visiteurs étrangers, à mettre en rapport avec le lieu de l’Expo et les moyens de transport permettant d’y accéder.
− L’exposition apparaît encore comme une véritable société des nations : elle occasionne la visite de nombreux chefs d’États et de gouvernements étrangers et donne lieu à d’importantes rencontres diplomatiques. Au-delà des contacts bilatéraux, elles favorisent l’émergence de la dimension multilatérale des relations internationales. Ainsi, le Congrès international de la propriété industrielle, le Congrès de la propriété littéraire et artistique ainsi que l’Union postale universelle ont-ils été inaugurés à Paris à l’occasion de l’Exposition de 1867.
− Enfin, la dernière fonction notable est celle de fête populaire que M. Régis Debray évoque opportunément en citant Eugène Melchior de Vogüe : « Une exposition fructueuse, c’est une machine savante que l’on regarde peu, encadrée par un corps de ballet que l’on regarde beaucoup », et d’en conclure : « il faut enseigner mais aussi amuser ». Au-delà du site même, c’est la ville hôte qui devient, le temps de l’exposition, un gigantesque lieu récréatif.
b. Les interrogations et critiques suscitées par la course au modernisme et au gigantisme
Les grandes expositions du XIXe siècle ont suscité de multiples commentaires. Leur succès populaire indéniable traduit, certes, un fort mouvement d’adhésion aux idéaux qu’elles véhiculent mais il importe également de prendre en considération les critiques qu’elles suscitent.
Sur la forme, le gigantisme de la manifestation impressionne mais laisse également sceptiques certains observateurs privilégiés à la plume acérée. « Je ne dis pas qu’il n’y a rien à voir, mais qu’il y a trop de choses à voir », écrit Charles Dickens après avoir visité l’Exposition de 1851. Gustave Flaubert consacre pour sa part une définition lapidaire aux expositions dans son Dictionnaire des idées reçues : « sujet de délire du XIe siècle ».
Sur le fond, c’est la course à la modernité triomphante qui fait l’objet de sévères remises en cause.
En 1855, Charles Baudelaire interroge la pertinence même de l’idée de progrès : « Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l’enfer. Je veux parler de l’idée de progrès. Ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance ; la liberté s’évanouit, le châtiment disparaît. Qui veut y voir clair dans l’histoire doit avant tout éteindre ce fanal perfide. Cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la volonté de tous les liens que lui imposait l’amour du beau. ».
Et de dénoncer la confusion entre l’ordre matériel et l’ordre spirituel que l’exposition consacre, qui porterait en elle rien moins que la fin de la civilisation : « Je laisse de côté la question de savoir si, délicatisant l’humanité en proportion des jouissances nouvelles qu’il lui apporte, le progrès indéfini ne serait pas sa plus ingénieuse et sa plus cruelle torture ; si, procédant par une opiniâtre négation de lui-même, il ne serait pas un mode de suicide incessamment renouvelé. »
Dans le même ordre d’idées, Dostoïevski exprime, dans ses Notes d’hiver sur des impressions d’été, la peur que lui inspire le triomphalisme du palais de l’Exposition de Londres, en 1862 :
« Vous percevez la force terrifiante qui a rassemblé ces hommes sans nombre, venus des quatre coins du monde, en un troupeau unique ; vous devinez une pensée titanesque ; vous sentez qu’ici quelque chose est déjà réalisé, qu’il y a victoire, il y a triomphe […] vous voilà pris d’une vague terreur. Serait-ce là, en effet, un idéal atteint, vous demandez-vous, serait-ce la fin ? Serait-ce déjà effectivement le troupeau unique ? […] Le souffle vient à vous manquer : tout semble si triomphal, si victorieux, si fier. En regardant ces centaines de milliers, ces millions de gens qui, venus docilement du monde entier, venus avec une pensée unique, se sont réunis là et lentement, obstinément, s’entassent en silence dans ce colossal palais, vous comprenez que quelque chose de définitif s’est ici accompli – accompli et achevé. ».
Selon le philosophe allemand Peter Sloterdijk, l’écrivain russe pressent le caractère inévitablement exclusif de la globalisation, ce qu’il nomme le « devenir-monde du monde », soit la création d’une structure de confort et la construction d’un espace intérieur qui avale les humains devenus des consommateurs (10).
À travers l’exposition universelle, c’est la dynamique du capitalisme planétaire et de la globalisation qui fait l’objet d’une critique sans concessions. Karl Marx observe ainsi, dès 1851, que « cette exposition est une preuve éclatante de la puissance concentrée avec laquelle la grande industrie moderne renverse partout les barrières nationales, effaçant de plus en plus les particularités locales de la production, les rapports sociaux et le caractère de chaque peuple » (11).
On ne saurait cependant réduire les expositions universelles à la fonction de vitrines d’un monde en voie d’unification. Elles furent également le reflet de la diversité et de la complexité de ce même monde.
B. MÉMOIRE ET HÉRITAGE D’UN GLORIEUX PASSÉ
1. Un trait d’union entre le passé et l’avenir
Les expositions universelles se situent à l’interface d’un passé dont elles dressent l’inventaire et d’un avenir dont elles cherchent à entrevoir les potentialités. C’est à l’aune de cette double dimension que leur héritage doit être médité.
a. Un rassemblement en quête permanente de sens
Il n’est pas exagéré de voir dans les expositions universelles les premiers grands événements médiatiques de portée planétaire et qui se sont voulus comme tels. Les organisateurs conçoivent très vite qu’il ne suffit pas d’exhiber des machines et de glorifier le progrès, encore faut-il que la manifestation fasse sens. Des objections et des doutes s’expriment souvent durant la période de préparation, qu’il convient de lever, le mot d’ordre étant celui du rassemblement.
Pour ce faire, un détour par l’Histoire peut s’avérer nécessaire, si tant est qu’« il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va », selon l’adage de l’historien Fernand Braudel. Ainsi, en 1876 à Philadelphie, célèbre-t-on le centenaire la déclaration d’indépendance des États-Unis. En 1889, la France des républicains opportunistes, dans un contexte politique sensible (12), commémore la Révolution française et les progrès des sciences et techniques depuis 1789. En 1900, toujours en France, ce n’est rien moins que le bilan d’un siècle qu’il s’agit de dresser et l’on se garde en mémoire le banquet des maires, dans le jardin des Tuileries, qui réunit près de 23 000 convives, à l’initiative du Président de la République Émile Loubet et de son président du Conseil, Waldeck-Rousseau. On retrouvera cette dimension commémorative dans l’Exposition de Séville, en 1992, célébrant le 500e anniversaire de la découverte de l’Amérique. La mobilisation peut également s’opérer par le choix d’un thème fédérateur, élément qui demeure jusqu’à ce jour.
Dans tous les cas, les expositions sont un exercice d’introspection pour le pays organisateur, qui se doit d’adresser au monde un message tourné vers l’avenir, en s’appuyant sur ses propres forces et sur son passé. Il en va du reste de même des nations participantes, dans une moindre mesure.
Selon M. Régis Debray, « qui feuillette l’album des expositions universelles parcourt la meilleure galerie qui soit des autoportraits du siècle ». Se voulant un moment privilégié où l’Humanité porte un regard sur elle-même, ces événements apparaissent rétrospectivement comme d’importants marqueurs temporels.
À rebours de l’idéal saint-simonien, et sans pour autant le renier, l’utopie d’un univers clos et parfaitement ordonné cède rapidement le pas devant la diversité et la complexité du monde qui l’environne, quand bien même ce serait pour l’apprivoiser.
On a déjà mentionné l’exemple des rassemblements ouvriers de 1862, il faut également évoquer les mouvements féministes, qui se font particulièrement entendre à compter de l’Exposition de Chicago, en 1893. Un colloque international doit se tenir à l’Université Paris-Descartes, les 23 et 24 octobre 2014, sur le thème des femmes dans les expositions internationales et universelles, entre 1878 et 1937.
Ce mouvement n’est certes pas univoque. On sait par exemple que les expositions de l’âge d’or ont particulièrement contribué à la mise en valeur du fait colonial et que les exhibitions qu’elles ont accueillies ont parfois pris un tour détestable. Pendant près d’un demi-siècle, les expositions accompagnent cependant l’évolution des esprits et alimentent la controverse, première étape d’une prise de conscience sur le sujet. Ainsi l’Exposition coloniale de Vincennes, en 1931, donne-t-elle lieu en réaction à la tenue d’une contre-exposition, au parc des Buttes-Chaumont.
En tout état de cause, l’effet rassembleur des expositions ne doit pas occulter les controverses qu’elles ont parfois suscitées, et dont elles se sont nourries le cas échéant.
b. L’héritage matériel et moral
Les expositions universelles nous ont légué un précieux héritage sur le plan matériel : des bâtiments prestigieux, des collections qui ont servi de base à la création d’importants musées, des infrastructures de transport et d’accueil. Quand bien mêmes les pavillons ont souvent été dispersés ou recyclés, on en retrouve encore des traces disséminées au sein des villes organisatrices.
À Londres, le Palais de Cristal fut transféré, quelque temps après la fermeture de l’Exposition de 1851, de Hyde Park au Sydenham Park ; le bâtiment fut détruit par incendie en 1936. Plusieurs institutions culturelles sont en revanche directement les héritières de l’événement, notamment le Victoria and Albert Museum. De Vienne, en 1873, on retient bien entendu la célèbre Rotonde du Prater, mais également toute la reconstruction de la partie ancienne de la ville, le fameux Ring. Des Expositions américaines de Philadelphie (1876) et de Chicago (1893), très peu de bâtiments ont subsisté en l’état mais l’héritage s’est en quelque sorte diffusé, si l’on considère l’influence qu’a pu avoir la Ville blanche de Chicago sur le mouvement architectural et urbanistique du City beautiful.
Inévitablement, la question du coût des investissements nécessités par l’organisation des expositions a fait débat. D’après M. Pascal Ory, « une des raisons pour lesquelles les Anglais ont décidé très tôt d’en finir, c’est qu’ayant fait leurs calculs, ils ont constaté que les expositions universelles leur coûtaient plus cher qu’elles ne leur rapportaient ». Force est néanmoins de constater que cette considération n’a pas dissuadé d’autres villes d’avoir « leur » exposition. Nonobstant la dimension de fierté nationale et d’affirmation sur la scène mondiale, qui n’est pas négligeable, il faut y voir en fait une double forme d’investissement : d’une part, des investissements structurants ont ainsi pu être réalisés, dont la portée a largement dépassé la simple utilité pour une manifestation d’environ six mois ; d’autre part, à long terme, les expositions ont fortement contribué à l’image des pays organisateurs, vis-à-vis de l’extérieur et vis-à-vis d’eux-mêmes, et il s’agit là d’un investissement immatériel, très difficile à mesurer.
À cet effet, citons cet extrait du roman policier à succès Le Diable dans la Ville blanche, dont l’action se situe précisément au cours de l’Expo de 1893 :
« L’exposition universelle eut un impact puissant et durable sur la psyché de la nation, à toutes sortes de niveaux. Le père de Walt Disney, Elias, participa à la construction de la Ville blanche ; les “royaumes enchantés” pourraient bien en descendre. […] Le romancier L. Frank Baum et son complice l’illustrateur William Wallace Denslow visitèrent la Ville blanche, dont la splendeur les inspira pour la création du pays d’Oz. […] L’exposition incita le Président Harrison à créer le 12 octobre un jour férié en hommage à Christophe Colomb, le Columbus Day, qui aujourd’hui encore donne lieu chaque année à quelques milliers de défilés et à un week-end de trois jours. Toutes les fêtes foraines des États-Unis depuis 1893 ont leur “midway” et leur grande roue, et toutes les épiceries proposent encore à la vente des produits lancés durant l’Expo – y compris le Shredded Wheat. Toutes les maisons sont équipées de dizaines d’ampoules à incandescence alimentées par du courant alternatif, deux procédés ayant prouvé la première fois leur utilité à grande échelle pendant la foire mondiale ; et presque toutes les villes américaines, quelle que soit leur taille, possèdent leur petit morceau de Rome antique sous la forme d’un édifice à colonnade hébergeant une banque, une bibliothèque ou un bureau de poste. […] Le Lincoln Memorial de Washington lui-même en porte l’héritage. […] Le plus grand effet de l’exposition universelle fut peut-être de transformer la perception qu’avait le peuple des États-Unis de ses villes et de ses architectes. […] En éveillant l’Amérique à la beauté, l’exposition universelle constitua un passage nécessaire et fondateur pour des créateurs tels que Frank Lloyd Wright et Ludwig Mies van der Rohe. » (13).
Il n’a pas été question de Paris jusqu’à présent : c’est que l’héritage des expositions universelles dans notre capitale mérite amplement un développement spécifique.
2. Le lien particulier entre la France et les expositions universelles
M. Xavier Darcos, président de l’Institut français, a évoqué, lors de son audition par la mission, le lien particulier entre la France et la notion d’universalité en soulignant que, « généralement, dans les milieux les plus divers, cette prétention de la France à parler pour l’Humain et pas seulement pour des identités, ne nous est pas totalement déniée ». En tout état de cause, l’histoire des expositions universelles suppose un détour obligatoire par la France et sa capitale.
a. Paris, ville par excellence des expositions universelles ?
Si la contribution française à la naissance des expositions universelles a déjà été plusieurs fois soulignée, elle ne suffit pas à expliquer l’investissement placé par notre pays dans l’organisation de la manifestation, à cinq reprises entre 1855 et 1900, quel que soit le Gouvernement en place. Peut-être cette instabilité institutionnelle et politique a-t-elle précisément contribué au besoin des gouvernants de ressourcer leur légitimité dans l’organisation d’un tel événement.
Une chose, en tout cas, est certaine, pour reprendre la formule de M. Pascal Ory : « qui dit exposition universelle en France dit exposition universelle à Paris » (14), ce qui n’a jamais été, du reste sans susciter des objections dans le reste du pays, à l’instar de Maurice Barrès vitupérant contre le fait qu’« une fois de plus, Paris se sert ». L’historien Christophe Prochasson (15) rappelle même qu’une Ligue lorraine de décentralisation s’était constituée en 1895 pour réclamer une délocalisation hors les murs de la capitale de l’Exposition de 1900, dont l’organisation était accusée de contribuer à la dévitalisation de la province. Nonobstant notre pente centralisatrice historiquement bien établie, il faut insister sur la dynamique propre aux expositions parisiennes, qui tient à leur périodicité.
D’une part c’est une organisation très rôdée qui a permis la tenue à un rythme décennal de ces événements, de 1855 à 1900. L’historienne Madeleine Rebérioux résume ainsi le dispositif mis en œuvre :
« Les lieux d’exposition – on n’échappe pas au Champ-de-mars –, les partenaires – la Ville de Paris d’abord –, les réseaux de pouvoirs eux-mêmes, le voudrait-on, on ne peut guère s’en évader. C’est toujours le ministre du Commerce et de l’Industrie qui assume la responsabilité politique avec un commissaire général. Quelques grands ingénieurs bétonnent l’affaire et se partagent de longue date les grandes directions : Alphand, l’inventeur des parcs et jardins de Paris, a pris une part active aux Expos de 1867 et 1878 tout comme Berger, la bête noire de la Revue socialiste. Frédéric Le Play est mort en 1882 mais ses disciples lui restent fidèles – voyez Émile Cheysson – et la classification qu’il a élaborée en 1867 ne subit en 1889 que de légers remaniements. (16) »
D’autre part, c’est dans une capitale en pleine transformation que les expositions se déploient. Dans le prolongement des travaux de la Commission des embellissements de Paris, mise en place en 1853 sous la direction du comte Siméon, un schéma directeur est établi, dont les plans serviront de base, sous le Second Empire, à un vaste plan de rénovation conduit par le baron Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870. Des boulevards et des avenues sont percés ou réaménagés afin d’améliorer les flux de personnes et de marchandises dans la capitale, des parcs et jardins sont créés et plusieurs communes limitrophes sont absorbées. Dans le vaste chantier que constitue alors Paris, les aménagements provisoires ou pérennes dus aux expositions universelles participent donc d’une dynamique plus vaste.
Outre un contexte propice, s’il y a eu beaucoup d’expositions universelles à Paris, c’est aussi parce de nombreux sites s’y prêtaient : les Champs-Élysées, le Champ de Mars, les Invalides et les deux rives de la Seine, entre le Trocadéro et les Champs-Élysées, constituaient encore un espace aisément modulable. Une cité éphémère, hétéroclite et colorée se dressait ainsi au cœur de la ville pérenne, tendant de plus en plus à déborder de son périmètre circonscrit pour façonner le paysage urbain tel que nous le connaissons jusqu’à ce jour.
Nombre des bâtiments construits pour l’occasion n’existent plus en tant que tels : le Palais de l’Industrie de 1855, le « Palais Omnibus » de 1867 (annexe n° 1), l’ancien Palais du Trocadéro de 1878, les Palais des Beaux-Arts et des Arts Libéraux et la Galerie des machines de 1889. Il convient néanmoins de noter que le moyen de respecter les délais de construction d’une exposition revenait souvent à « vampiriser » les constructions de la précédente. De surcroît, les bâtiments construits pour les expositions universelles étaient très souvent réutilisés. L’immensité d’un bâtiment n’était en effet pas le gage de sa pérennité.
Ainsi, les structures de la Galerie des machines de l’Exposition universelle de 1878 furent-elles recyclées pour plusieurs usages et en différents lieux : le long du bassin de La Villette pour construire des bâtiments métalliques – deux de ces bâtiments subsistent, dans lesquels sont aujourd’hui installés les cinémas MK2 ; pour édifier ce qui est la halle de l’actuel gymnase Jean-Jaurès dans le XIXe arrondissement de Paris ; pour monter, à Meudon, le Hangar Y d’où est parti le premier ballon dirigeable.
S’agissant enfin des pavillons nationaux, structures provisoires par essence, on se reportera avec profit au bel ouvrage que M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du BIE, a publié il y a quelques années (17) sur le sujet, qui nous permet d’apprécier la richesse de ce patrimoine diffus légué par les expositions, qui subsiste à Paris et bien au-delà, sans que nous en ayons toujours parfaitement conscience.
b. La dette parisienne à l’égard des expositions universelles
La ville de Paris doit à l’Exposition universelle de 1889 la construction d’un édifice, la tour Eiffel, qui constitue assurément jusqu’à ce jour son symbole le plus fort aux yeux du monde entier. Arrêtons-nous un instant sur cette histoire emblématique. Le programme du concours ouvert pour les constructions de l’Exposition de 1889 comprenait la construction d’une « tour de 300 mètres », pour laquelle plusieurs projets furent déposés, d’un goût plus ou moins sobre. Le projet de tour métallique de Gustave Eiffel apparut alors d’abord et avant tout comme une prouesse technologique, ce qui ne l’empêcha pas de susciter de violentes critiques. On garde en mémoire la pétition d’écrivains, peintres, sculpteurs et architectes renommés qui fut publiée dans la presse en 1887, en guise de protestation contre l’inutile et monstrueuse tour Eiffel ». Rétrospectivement, cette controverse fait sourire mais elle peut également donner lieu à réflexion. Si l’on en croit M. Pascal Ory, ce qui fait précisément la supériorité mondiale et historique de la tour Eiffel ne résiderait en effet ni dans sa taille ni dans son élégance, mais dans « son inutilité radicale, marque définitive de l’esprit d’exposition » (18). Cette inutilité mérite cependant d’être nuancée : rappelons à cet égard que l’édifice parisien est l’un des monuments les plus visités et que des hommes et des femmes viennent encore, 125 ans après son inauguration, des quatre coins du monde pour l’admirer. Ajoutons que nous devons la perspective de la colline du Trocadéro telle que nous la connaissons à l’Exposition de 1937, pour laquelle furent construits le Palais de Chaillot, le Palais de Tokyo et le Palais d’Iéna.
Qu’ont par ailleurs en commun le Grand Palais et le Petit Palais ? La gare, devenue Musée d’Orsay ? La gare des Invalides ? La gare de Lyon ? Le métropolitain et ses célèbres édicules Art nouveau conçus par Hector Guimard ? Le pont Alexandre III ? Ils constituent l’héritage de l’Exposition de 1900.
L’exposition « Paris 1900, la Ville spectacle », qui s’est tenue avec succès, au printemps 2014, dans l’enceinte du Petit Palais, nous a récemment invités à revivre les heures fastes de notre capitale, au tournant du siècle dernier, sur fond d’exposition universelle. Ce moment privilégié où Paris a rayonné comme jamais est aussi celui où la ville a assis sa position de cité des arts, du luxe, du plaisir et de l’art de vivre. La mission a pu apprécier, lors d’une visite de l’exposition en compagnie du directeur du Petit Palais, M. Christophe Leribault, combien les innovations techniques, l’effervescence culturelle et le raffinement ont été mis en scène comme autant de symboles dont l’imaginaire du monde entier n’a cessé depuis de se nourrir.
La France de la Belle Époque, qui n’était pas exempte de convulsions de divers ordres et de doutes sur elle-même, a ainsi su puiser dans ses ressources propres des capacités d’audace, de rayonnement et d’ouverture sur l’extérieur.
« L’exposition avait été, non seulement un succès, mais un bienfait. Elle avait détendu les nerfs des Français, elle avait marqué une trêve, sinon entre les partis, du moins entre les hommes ; […] on avait fait connaissance ; les trains de militaires s’étaient changés en train de plaisir ; placide comme un garde-barrière, le pays avait regardé défiler des wagons pleins d’Iroquois, de Musulmans, de Vénézuéliens. Jamais Paris n’avait été plus beau. On avait rebronzé à neuf la tour Eiffel. » (19).
Nombreux sont les interlocuteurs de la mission à avoir, à l’instar de, l’académicien Paul Morand évoqué le succès quasi-mythique de cette manifestation, qui pourrait de ce fait apparaître comme un point d’orgue indépassable, qui du reste, pour ce qui concerne la France, ne fut d’ailleurs pas dépassé. Certes, notre pays organisa par la suite des expositions internationales tout à fait importantes, en particulier celle de 1937 consacrée aux « Arts et Techniques appliqués à la Vie moderne ». Le contexte international de cette manifestation, dont le principal souvenir demeure la confrontation spectaculaire des pavillons nazi et soviétique, en prélude à la tragédie guerrière à venir, explique sûrement son moindre retentissement.
Quoi qu’il en soit, à l’heure où la France envisage de renouer avec une tradition dans laquelle elle a excellé, il convient de ne pas être paralysé par le poids de ce passé glorieux pour en retenir surtout l’idée que chaque époque doit répondre différemment aux défis qui lui sont lancés. Là réside le principal enjeu d’une éventuelle candidature pour 2025.
II. LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES ONT UN MAÎTRE D’OUVRAGE PEU CONNU MAIS EXIGEANT
A. CES MANIFESTATIONS, SPONTANÉES À L’ORIGINE, ONT ÉTÉ SOUMISES À UNE CONVENTION INTERNATIONALE
Depuis leur origine franco-britannique, les expositions internationales ont présenté les avancées techniques de la production industrielle. Selon M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du Bureau international des expositions : « les premières, organisées pour la plupart en Europe ou, dans une moindre mesure, aux États-Unis, étaient destinées à démontrer la puissance des pays organisateurs en la matière et leur capacité d’innovation technologique. »
À la différence des foires et salons, ces expositions ne rapportaient de profit commercial ni à leur organisateur ni à leurs exposants, parce que la coutume internationale a exclu que les uns y vendent leur production et que l’autre prélève des taxes sur les produits exposés. Puisque les expositions internationales ne produisent que des recettes d’entrée, forfaitaires et limitées, leur coût aurait dû suffire à limiter leur fréquence. Or des expositions générales ou spécialisées de grande ampleur se sont tenues presque tous les ans entre 1885 et 1915.
Les États et les villes qui les ont organisées ont accepté d’en supporter le coût en raison du prestige tiré du succès de ces manifestations. Ils sont entrés en concurrence pour les accueillir. Cette concurrence n’a toutefois pas été poussée jusqu’à tenir en même temps ou bien la même année deux expositions rivales, sauf en 1894 et 1911.
Afin de limiter les rivalités entre États, il a été décidé de la soumettre à des règles de droit.
Des négociations diplomatiques ont été engagées en 1907, par le gouvernement français, en vue de mettre par écrit la coutume établie par cinquante années d’expositions internationales et d’obtenir que les États s’engagent à la respecter.
Reprises par l’empire allemand en 1910, ces négociations ont abouti à la tenue d’une conférence internationale à Berlin en 1912. Cette conférence s’est conclue par la signature d’une première convention sur les expositions internationales. La convention devait éviter que des expositions ne se tiennent en même temps, pour ne pas encourager la manifestation diplomatique d’alliances rivales, ou de manière trop rapprochée, pour ne pas les dévaloriser ou ruiner organisateurs et exposants.
Afin de garantir l’équilibre financier des expositions, la convention réglait leur fréquence et leur déroulement. La ratification de cette convention a été rompue par la première guerre mondiale. Après la signature, en 1919, du traité de paix à Versailles, les négociations diplomatiques sur les termes de la convention de 1912 ont repris, alors qu’aucune exposition n’avait été organisée depuis celle de San Francisco, en 1915, leur principe semblant compromis par la guerre.
Tandis que la France organisait une exposition spécialisée à Grenoble en 1925 et soutenait le projet d’une exposition universelle qui devait se tenir à Barcelone en 1929, une nouvelle conférence internationale s’est déroulée à Paris, du 12 au 22 novembre 1928. Elle s’est achevée par l’adoption d’une deuxième convention, différente de celle de 1912. Le texte de 1928 a été plusieurs fois modifié (20).
B. LA CONVENTION DE 1928 IMPOSE AUX ÉTATS PARTIES TROIS ENGAGEMENTS
En cinq titres, le texte toujours en vigueur pose des définitions, fixe des conditions générales d’organisation des expositions internationales ainsi que les formalités de leur enregistrement. Il décrit les obligations qui incombent aux organisateurs des expositions enregistrées et celles qui s’imposent aux États qui y participent en tant qu’invités. Il se conclut par des dispositions institutionnelles.
Les termes de cette convention obligent les États qui la ratifient à respecter trois engagements principaux. Ils doivent respecter la coutume diplomatique convenue. Ils doivent accepter le droit international des expositions et en particulier les restrictions de fréquence qu’il impose. Lorsque les États entrent en concurrence pour l’organisation d’une exposition, ils doivent se soumettre à un arbitrage, qui les départage en attribuant un privilège exclusif à l’un d’eux.
1. Les projets d’expositions doivent respecter la coutume diplomatique mise par écrit
La convention soumet la rivalité entre organisateurs concurrents à des règles écrites. Ces règles reprennent les usages coutumiers de la diplomatie moderne, qui pacifient les relations entre États par les égards qu’ils se témoignent, par l’égalité de principe qu’ils se reconnaissent, par la délibération de leurs différends et par le recours à l’arbitrage pour les résoudre.
Ces règles substituent au jeu des rivalités une compétition ouverte et publique, dans laquelle les intentions concurrentes doivent être déclarées longtemps à l’avance, afin d’empêcher les tractations secrètes.
Ces dispositions promeuvent l’entente et la courtoisie dans les relations internationales en dépit des enjeux de richesses commerciales et de puissance industrielle que les expositions recèlent. Il s’agit d’éviter que les expositions soient subordonnées aux alliances et aux hostilités internationales, en obtenant qu’elles soient considérées comme des trêves festives, sur le modèle des jeux Olympiques, dont les règles diplomatiques sont comparables.
La convention a accentué le caractère diplomatique que les expositions internationales n’avaient pas à l’origine et qu’elles ont pris à la fin du XIXe siècle. La représentation diplomatique des États, par des sections nationales séparées, ne s’est imposée que progressivement dans la coutume des expositions.
La fête s’en trouve suspendue aux rapports internationaux. Pour qu’ils ne la ruinent pas, la convention réglemente strictement l’accueil des puissances invitées. Elle soumet les échanges diplomatiques préalables à la tenue de l’exposition d’abord au contrôle collégial des parties à la convention, puis à celui de l’instance administrative permanente qui les réunit. Elle exige une égalité de traitement entre les États, manifestée depuis l’envoi d’invitation par le pays organisateur jusqu’à la division en concessions pavillonnaires du site de l’exposition.
Le texte de la convention assimile l’organisation d’une exposition à un acte de droit international public dont elle réserve l’exclusivité aux États.
Les invitations adressées à un État, qu’il soit ou non partie à la convention, et celles adressées aux personnes physiques ou morales qui relèvent de son autorité, doivent lui parvenir par la voie diplomatique, de même que les réponses et les vœux de participation émis par d’autres personnes morales. Mais le texte admet, en sus des sections nationales, la présence d’organisations internationales qui peuvent être invitées directement.
Les États invités aux grandes expositions enregistrées peuvent y bâtir à leur frais un pavillon abritant leur section nationale. L’État invitant en loue ou en prête à ceux qui ne le souhaitent ou ne le peuvent pas, selon l’usage retenu pour des expositions de durée et de taille plus modeste. Des États qui ne sont pas ou plus parties à la convention, peuvent être invités à une exposition, y installer un pavillon et bénéficier des garanties juridiques apportées par la convention.
Le respect de l’égalité de traitement entre les puissances invitées imposé, en dépit des différences de richesses ou d’intérêt des États pour ce genre de manifestation, peut s’exercer au détriment de l’attrait public et de l’équilibre financier de l’exposition, lorsque la participation des États invités n’est pas conforme aux espérances de la puissance invitante.
Lors de son audition, M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE, a indiqué que : « Chaque pays organise son pavillon selon son génie propre, en fonction des visiteurs attendus et du budget qu’il est prêt à consacrer à cette opération, quitte à produire parfois des manifestations décevantes. »
M. Pascal Rogard a ajouté que : « Sur les 170 États qui sont venus à Shanghai, 70 ont véritablement construit leur pavillon, 70 se sont installés dans un cluster construit par les Chinois, et les autres ont accepté, faute de moyens, un pavillon déjà construit qu’ils payaient au mètre carré à des conditions plutôt favorables. Il faut dire que les Chinois tenaient à une forte participation.
« Aujourd’hui, Milan est à la traîne. Même si 130 États ont fait part de leur intérêt, seuls 40 devraient construire leur propre pavillon ; des clusters abriteront là aussi plusieurs pays, mais les Italiens n’ont pas prévu de construire des bâtiments qu’ils fourniraient à d’autres États, de sorte que le nombre de participants ne devrait finalement pas dépasser une centaine (21). ».
En octobre, les chiffres officiels font état de 144 pays, 73 d’entre eux construisant des pavillons.
En dépit des contraintes diplomatiques imposées par la convention de 1928, les expositions internationales ont connu un succès qui n’a été interrompu que par les deux guerres mondiales. Entre 1851 et 2012, 85 expositions se sont tenues, soit en moyenne une tous les deux ans. C’est ce rythme que la convention de 1928 tente de maintenir.
2. La convention définit les expositions internationales pour en limiter la fréquence
Au droit commercial coutumier, appelé lex mercatoria, qui pouvait régir les premières expositions en leur appliquant un régime analogue à celui des foires internationales, la convention de 1928 a substitué un droit positif dont elle a inventé les catégories juridiques principales.
Les catégories de ce droit public international, définies par le titre premier de la convention, ont souvent changé depuis 1928.
La convention ne mentionne plus que des expositions enregistrées et des expositions reconnues. Ces distinctions juridiques ne reposent plus sur les classifications par branches de l’activité industrielle, mais sur plusieurs critères, les uns tenant à la durée et à l’étendue de l’exposition, les autres aux obligations imposées aux sections nationales invitées pour l’installation de leur pavillon, les derniers à des particularités de procédure. Ce que l’on appelle communément les expositions universelles sont les « expositions enregistrées », alors que les expositions dites internationales sont les « expositions reconnues ».
Comment s’appellent les expositions internationales ? À ses débuts, le BIE reconnaissait trois catégories d’expositions : les expositions dites générales de première catégorie, générales de deuxième catégorie ainsi que les expositions dites spéciales. Après la signature d’un nouveau protocole en 1972, les expositions générales ont porté un seul nom, expositions universelles, et les expositions spéciales ont adopté l’appellation de spécialisées. Enfin, le 19 juillet 1996 entre en vigueur un amendement de 1988 à la Convention de 1928, selon lequel les expositions universelles s’appellent maintenant expositions internationales enregistrées ou universelles et les expositions spécialisées prennent le nom d’expositions internationales reconnues ou internationales. Convention de 1928 Protocole de 1972 Amendement de 1988 Expositions générales de 1ère catégorie et expositions générales de 2ème catégorie Expositions universelles Expositions internationales enregistrées ou expositions internationales Expositions spéciales Expositions spécialisées Expositions internationales reconnues ou expositions internationales Quelles sont les appellations des différents pays ? En 1796 et 1797 se tiennent des Assises de l’Industrie Française qui servirent de modèle aux expositions nationales des produits de l’industrie tenues à Paris de 1798 jusqu’en 1849 et aux expositions nationales qui sont encore régulièrement organisées en Suisse. L’Angleterre prend le relais avec l’ouverture à Londres, en 1851, d’une exposition non plus nationale mais internationale, intitulée « The great Exhibition of the works of industry of all Nations », qui est imitée à New York en 1853 sous l’intitulé : « Exhibition of the Industry of All Nations ». À la mention de toutes les nations, la traduction française des catalogues de ces manifestations a préféré l’adjectif universel qui ne qualifie plus les œuvres industrielles mais l’exposition elle-même. Les termes d’exposition universelle sont repris dans l’intitulé de la manifestation organisée à Paris en 1855 et sont traduits en « Welt Austellung », c’est-à-dire exposition mondiale lors de l’Exposition de Vienne de 1873. Celle de Philadelphie en 1876 revient à l’usage anglais du mot « exhibition » employé sans qualificatif. Celle de Sydney en 1879 s’intitule International Exhibition. L’expression anglo-américaine usuelle « world’s fair » apparaît à l’occasion de l’Exposition de Chicago en 1893 qui s’intitule officiellement « World exposition ». À ces expressions usuelles ou choisies par les organisateurs s’ajoutent ensuite celles des versions de la convention internationale de Paris. Le titre français de la convention de 1928 mentionne les expositions internationales et la version anglaise « international exhibitions » mais l’usage en anglais international a consacré l’expression de « world expo », abrégée en « Expo » avec la majuscule d’un nom propre en contrepartie de l’abandon du génitif saxon, tandis que l’usage américain s’en tient à celle de « world’s fair ». Dans le texte français de la convention, au fil de ses modifications, les expositions internationales ont en outre été réparties en catégories qualifiées, entre 1929 à 1972, de générale ou de spéciale, entre 1972 et 1988, d’universelle ou de spécialisée et, depuis 1988, d’enregistrée ou de reconnue. Les prochaines expositions internationales enregistrées s’intitulent officiellement Expo Milan 2015 et Expo Dubaï 2020 en anglais international. |
La convention limite la fréquence des expositions afin d’en préserver la fréquentation, l’équilibre financier et la pérennité. Sa classification des expositions permettait à l’origine de différer les expositions universelles, les plus coûteuses, pour favoriser les expositions spécialisées, susceptibles d’être tenues plus fréquemment parce qu’elles intéressaient des domaines de production différents.
La convention initiale imposait à un État d’attendre quinze ans entre deux expositions universelles mais cinq ans seulement entre deux expositions spécialisées. Il ajoutait à ces délais des écarts minima à l’accueil d’expositions par des pays différents. Ces délais allaient de quelques mois pour les expositions spécialisées à quelques années pour les expositions universelles.
Bien que les parties à la convention dussent s’engager à respecter ces rythmes et ces écarts, les fréquences imposées se sont avérées à ce point litigieuses et inapplicables qu’elles ont été plusieurs fois modifiées jusqu’en 1988 (22).
Le protocole de 1972 prévoyait des délais entre les expositions : un État devait attendre vingt ans entre deux expositions universelles et cinq ans entre une exposition universelle et une exposition spécialisée ou bien entre deux expositions spécialisées.
Le même texte n’admettait d’expositions universelles successives, dans deux États différents, que tous les dix ans. L’écart imposé était de cinq ans entre deux expositions spécialisées de même nature et de deux ans entre des expositions spécialisées différentes. Il prévoyait toutefois que ces écarts soient exceptionnellement réduits. Cette exception était laissée à la discrétion d’une décision des parties, réunies en assemblée générale, par un amendement de 1982 (23), adopté à l’initiative du gouvernement français.
Selon M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE), entendu par la mission d’information, « la France souhaitant organiser une exposition en 1989 pour le Bicentenaire de la Révolution, il fallait amender la convention, ce qui nécessitait un vote des deux tiers de l’assemblée générale, mais aussi un processus de ratification par les quatre cinquièmes des États membres.
« Grâce à une campagne formidable de la France, trois lignes ont été introduites dans notre convention selon lesquelles le délai de dix ans pouvait être modifié par un simple vote des deux tiers de l’assemblée générale. À partir de là, il a été possible d’organiser des expositions à tout moment : il y en eut ainsi en 1982, 1984, 1985, 1986, 1988… Cette prolifération d’expositions a été préjudiciable aux expositions et aux États qui se sont retrouvés obligés d’y participer. »
Un amendement de 1988 (24) a rétabli des règles strictes de fréquence pour les deux catégories d’expositions nouvellement définies. À partir de 1995, l’espacement entre deux expositions enregistrées doit être de cinq ans au moins. Les dates retenues aboutissent tacitement à la tenue d’une exposition enregistrée chaque millésime multiple de cinq.
Si une exposition enregistrée peut être anticipée ou retardée d’un an pour célébrer un événement international exceptionnel, elle ne peut avoir lieu la même année qu’une exposition reconnue. Une seule exposition reconnue peut se tenir entre deux expositions enregistrées, exceptions faites de la triennale de Milan et des expositions horticoles.
Se seront ainsi succédées régulièrement, depuis 1995, l’Exposition de Hanovre en 2000 (25), d’Aichi en 2005, de Saragosse en 2008 (26), de Shanghai en 2010, de Yeosu en 2012 puis celle prévue à Milan en 2015, qui sera suivie l’année suivante d’une Triennale (27) dans la même ville. L’Exposition d’Astana se tiendra en 2017 et celle de Dubaï en 2020.
L’alternance régulière qui semble s’établir indique que la distinction juridique entre expositions enregistrées et expositions reconnues ne favorise plus les secondes, plus courtes et moins coûteuses, au détriment des premières. Le coût, la fréquence et l’étendue des deux catégories d’expositions sont également limités, de telle sorte que la plupart des États parties puissent en accueillir une, chacun à son tour, selon ses moyens.
Les expositions reconnues durent de trois semaines à de trois mois sur 25 hectares au plus, à raison de 1 000 mètres carrés par section nationale, les expositions enregistrées de six semaines à six mois, sur un site plus vaste.
En 1958, les expositions spécialisées avaient été dépouillées de leurs pavillons nationaux. L’obligation d’en installer était même devenue facultative pour les expositions universelles.
Depuis 1988, la convention (28) ne fait plus mention de ces pavillons et renvoie au règlement général de l’exposition le soin d’en prévoir, mais il exige cependant que des emplacements, construits par l’organisateur, soient mis à la disposition des États invités, même dans le cas d’une exposition reconnue.
3. La convention soumet les différends entre États à l’arbitrage d’une instance intergouvernementale, le BIE.
Le troisième engagement pris par les États parties à la convention de 1928 est de soumettre leurs désaccords à propos de l’exécution de celle-ci et les différends concernant la préparation d’expositions concurrentes, à l’arbitrage d’une instance intergouvernementale autonome.
La convention non ratifiée de 1912 prévoyait (29), lorsqu’une exposition était projetée la même année par plusieurs pays, que ces derniers procèdent à un échange de vue et fassent part de son résultat aux autres parties. Lorsque deux expositions étaient organisées simultanément, l’une par une partie à la convention, l’autre par un pays non adhérent, les parties à la convention devaient accorder leur préférence à la première.
La convention de 1928 (30) a rompu avec la pratique diplomatique coutumière des échanges de vues conduisant à une conférence internationale publique. Elle a instauré une autorité arbitrale permanente, appelée Bureau international des expositions (BIE), inspirée par les principes juridiques de l’époque, déjà repris par les conventions sur la justice internationale et surtout par l’exemple de la Société des Nations, mise en place par le traité de Versailles.
Le BIE installé en 1931, doit assurer le respect, par les États, des engagements conventionnels auxquels ils ont souscrit. Il doit en particulier être saisi des différends s’élevant entre les pays désireux d’organiser des expositions internationales la même année ou trop proches, en attribuant à l’un d’eux un privilège exclusif, contraignant pour son bénéficiaire, mais reconnu par toutes les autres Parties à la convention.
Même lors des périodes de ruptures diplomatiques et de guerres mondiales, les puissances ennemies n’ont pas organisé d’expositions simultanées servant de tribunes à la manifestation de leurs alliances rivales. Elles ont, au contraire, accepté de participer à des expositions tenues en territoire neutre, ne rivalisant, pour l’occasion, que par le faste de leurs pavillons. Ce fut le cas lors des expositions internationales installées à San Francisco en 1915, puis en 1939 et 1940 et, dans une moindre mesure, lors de l’Exposition internationale de Paris en 1937.
Cet arbitrage correspondait au souhait des promoteurs d’un droit international positif et public désireux de mettre un terme aux négociations diplomatiques secrètes et de substituer aux conflits latents des compétitions ouvertes et prévisibles.
Un jury collégial, composé des représentants des gouvernements ayant adhéré à la convention, arbitre les différends élevés entre ses membres par un scrutin secret. Celui-ci attribue à l’un des concurrents un privilège exclusif : cette exclusivité a, pour contreparties, des garanties juridiques offertes aux États invités qui sont autant d’obligations pour l’État invitant.
La puissance invitante doit en premier lieu organiser l’exposition dont elle a obtenu le privilège. Un dédit de sa part crée un préjudice dont les parties à la convention peuvent obtenir réparation lorsqu’elles ont engagé des dépenses en prévision de leur participation. L’État qui se dédit doit en outre verser une indemnité au BIE.
Ce régime indemnitaire a été mis en place à la suite du désistement de la France qui avait obtenu le droit d’organiser une Exposition universelle en 1989. Il a été appliqué en 2002 lors de son second désistement. Selon le rapport établi à la demande du Premier ministre, par M. Noël de Saint Pulgent, sur l’Exposition internationale prévue en 2004, à Dugny, en Seine-Saint-Denis, l’abandon du projet devait entraîner le versement de deux millions d’euros au BIE.
Les parties à la convention, en acceptant le privilège attribué à l’un d’eux, s’engagent à ne pas participer à une exposition internationale concurrente. Elles ont en échange la garantie, lorsqu’elles sont invitées à l’exposition, d’être traitées à égalité par la puissance invitante. Cet engagement n’est assorti d’aucune sanction sinon l’assurance, pour l’État qui y dérogerait, de s’exposer à des manquements semblables, par mesure de rétorsion.
Les relations entre les participants et l’État invitant suivent la coutume commerciale qui consiste à désigner, pour représenter chaque partie, une seule personne physique en qualité de commissaire. Les commissaires de section des États invités ont ainsi pour interlocuteur le commissaire de l’exposition désigné par l’organisateur.
Depuis 1994, les États invités qui sont éligibles à l’aide du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) bénéficient de remises et d’avantages, consentis par la puissance invitante, pour diminuer le coût de leur participation à l’exposition. Ils peuvent louer à moindre prix ou partager des pavillons mis à leur disposition.
Le Bureau international des expositions veille à ce que ces aides permettent la représentation du plus grand nombre d’États afin d’éviter un écart manifeste entre nations riches et pauvres qui nuirait à l’équilibre des relations internationales et mettrait en cause le modèle des expositions retenu.
Lors de son audition, M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du BIE, a attiré l’attention de la mission sur le plan d’aide aux pays les moins avancés : « C’est la précision de leur plan d’aide, destiné en particulier à l’Afrique, qui a permis aux Italiens de l’emporter face à la Turquie. C’était aussi un atout de Dubaï.
« Ce plan, requis pour toute candidature, n’engendrera pas nécessairement un coût supplémentaire mais supposera de réorienter la politique de coopération et les crédits de l’Agence française de développement vers de nombreux États membres de l’assemblée générale du BIE. »
C. LE BIE FOURNIT LE CADRE RÉGLEMENTAIRE DES EXPOSITIONS
1. Le BIE encadre étroitement la procédure d’enregistrement
Le Bureau international des expositions est une institution intergouvernementale dotée d’une personnalité juridique, installé à Paris.
Chargé de veiller et de pourvoir à l’application de la convention (31) , il est officiellement composé des gouvernements des parties contractantes, dont les représentants sont périodiquement réunis en sessions par un secrétariat, dotés de services administratifs, placés sous l’autorité d’un secrétaire général élu.
Le BIE comprend en outre une assemblée générale, une commission exécutive, des commissions spécialisées et autant de vice-présidents que de commissions. Les délégués des gouvernements qui composent ces instances débattent et adoptent des règlements qui complètent le droit international des expositions posé par la convention. Ils sont réunis périodiquement par le Président de l’assemblée générale pour statuer sur les demandes d’enregistrement d’expositions qui leur sont soumises par les États.
C’est le secrétariat général qui, en maîtrisant l’ordre du jour des instances du Bureau, conduit la politique de l’institution et impose l’autorité du droit des expositions.
Les résolutions de 1994 (32) concernent le contenu du dossier soumis à l’enregistrement, le thème et le lieu des expositions, ainsi que les obligations faites à l’État invitant.
Selon la convention (33), un gouvernement qui souhaite organiser une exposition internationale doit déposer une demande pour obtenir son enregistrement ou sa reconnaissance. Il peut le faire même si l’État qu’il représente n’a pas adhéré à la convention de 1928.
Cette déclaration d’intention est un acte unilatéral réservé au gouvernement d’un État, qualifié de gouvernement invitant. Depuis 1972, la convention admet que les organisations internationales et non gouvernementales puissent être invitées à une exposition. Mais elle n’admet pas qu’elles puissent déposer une demande d’enregistrement d’une exposition, même si l’une d’elles pourrait s’en voir déléguer l’organisation par l’État invitant.
La demande d’enregistrement prend la forme d’une lettre de candidature adressée par le chef de l’État ou du gouvernement au secrétaire général du BIE. La lettre doit mentionner le thème, le lieu et les dates d’ouverture et de clôture de la manifestation. Selon M. Bernard Testu, « Pour renforcer le sérieux de notre candidature, il faut que le projet de loi ou d’ordonnance correspondant soit déjà écrit – sinon déposé – et annexé au dossier, attestant de l’engagement de l’État ».
Les délais de dépôt des lettres de candidature distinguent deux catégories d’exposition. Ces délais sont fixés en fonction de la date prévue d’ouverture de l’exposition. La demande d’organisation d’une exposition enregistrée doit parvenir au secrétariat du Bureau International au plus tôt neuf ans et au plus tard six ans avant la date de son ouverture.
Pour les expositions reconnues, elle doit lui être adressée au plus tôt six ans et au plus tard cinq ans avant leur ouverture.
Le rythme adopté à partir de 1995 pour la tenue des expositions implique qu’une candidature pour l’organisation d’une exposition enregistrée en 2025 devrait être déposée entre 2016 et 2019 au plus tard.
La date à laquelle une lettre de candidature est portée à la connaissance des membres du BIE ouvre une période de six mois pendant laquelle les projets concurrents sont appelés à se manifester. À l’issue de cette période, chaque demande déposée doit être complétée par un dossier administratif (34).
Il appartient au BIE de déterminer le contenu de ce dossier. Celui-ci est précisé par des règlements obligatoires et par des résolutions adoptées par l’assemblée générale (35).
L’une d’elles (36) prescrit aux organisateurs d’exposition de transmettre au secrétariat du BIE, à l’appui de leur demande, « indépendamment des Règlements, afin qu’il puisse étudier plus précisément les conditions d’enregistrement et son calendrier de mise au point... [un] plan financier ; un plan préliminaire relatif au thème (choix, définition, développement, application) et aux rencontres de type congrès et colloques concomitants et à leur diffusion ; un plan préliminaire de promotion de l’exposition au niveau national et international ; le programme préliminaire du site ; les conditions de base (loyer éventuel, redevances appliquées aux activités commerciales, etc.) faites aux participants. »
Le dossier de candidature doit inclure le plan du site de l’exposition et le calendrier selon lequel les installations seront mises à la disposition des sections internationales pour y bâtir leur pavillon ou y installer leurs produits. Le dossier doit aussi contenir un projet de réutilisation du site après l’exposition dont les installations sont supposées temporaires.
c. L’organisation de l’exposition
À chaque étape de l’organisation de l’exposition, la puissance invitante est accompagnée et incitée à collaborer étroitement avec le secrétariat général du Bureau international. La planification et la préparation des programmes, la finalisation des règlements spéciaux, l’élaboration d’un guide de participation, celle du plan de promotion et de communication bénéficient du concours de ce secrétariat, qui informe deux fois par an les parties à la convention de l’avancée du chantier. Même à l’issue de l’exposition, le secrétariat du BIE s’assure que le plan de réutilisation du site est respecté.
Le gouvernement invitant peut organiser lui-même l’exposition ou bien confier ce soin à une tierce personne morale. Néanmoins l’attribution à l’État invitant du privilège d’organisation d’une exposition par son enregistrement emporte les obligations décrites précédemment, dont il ne peut se décharger entièrement sur une autre personne, publique ou privée.
Même lorsqu’il délègue l’organisation, le gouvernement invitant doit désigner une personne physique en qualité de commissaire de l’exposition et, à ce titre, d’interlocuteur diplomatique de ses homologues, les commissaires de section qui seront désignés par les gouvernements invités.
Dans le cas d’une délégation, le Gouvernement invitant doit garantir l’exécution des obligations de la personne morale organisatrice (37). Le statut légal de cette personne et le principe juridique de sa responsabilité quant aux dettes qui subsisteraient à l’issue de l’exposition devront avoir été posés.
Ces dispositions emportent une garantie de bonne fin de la tenue de l’exposition, mais aussi une garantie financière de l’acquittement de ses dettes, comme la France en a fait l’expérience en 2002, à l’occasion de l’annulation de l’exposition prévue en Seine-Saint-Denis.
2. L’examen des candidatures par le BIE commence par une enquête et s’achève par un scrutin
À l’expiration du délai de dépôt des candidatures concurrentes d’une demande d’enregistrement, le secrétariat du BIE soumet chaque dossier de candidature reçu à un examen. Une enquête est conduite sur pièce et sur place, dans chaque État.
Selon M. Vicente Gonzales Loscertales, « pour étudier les candidatures, notre organisation mène des enquêtes en lien avec les représentants des pays. Nous évaluons la conformité des projets aux règles fixées par notre assemblée générale : la capacité de l’exposition à répondre aux priorités de la communauté internationale, son utilité, son caractère innovant, le soutien des différentes forces du pays – groupes politiques, écologistes, syndicalistes, organisations de citoyens, etc... Cette évaluation nous permet de déclarer si un projet est viable ou pas. Nous ne comparons pas les différents projets. »
Il est constitué autant de missions que de candidatures en lice. Chacune réunit un vice-président du BIE et des délégués représentants des parties qui ne sont pas impliquées dans la compétition. La mission peut être assistée d’experts, selon la nature du projet.
Cette équipe dépouille les pièces du dossier de candidature qui lui ont été transmises. Elle interroge l’organisateur par questionnaire. Elle négocie avec lui un programme de visites sur place, afin de vérifier que la superficie du site et l’espace de la concession alloué à chaque participant sont en rapport avec le nombre de visiteurs attendus. Les frais de visite sur place sont pris en charge par le candidat.
L’équipe évalue aussi l’impact environnemental des aménagements prévus et des équipements nécessaires. Elle examine la desserte du site et le coût de participation des sections nationales, selon les dispositions matérielles prévues pour les accueillir et selon qu’elles aient ou non les moyens financiers de bâtir leur propre pavillon. Elle contrôle les moyens d’acheminement des produits présentés, les logements des équipes techniques mobilisées et les formalités douanières et de transit auxquelles les uns et les autres seront soumis.
La mission d’enquête vérifie également l’équilibre financier du projet et la solidité des garanties financières que lui apporte le gouvernement invitant. Elle s’assure, par des entretiens, que les autorités locales et les représentants des groupes d’intérêts soutiennent le projet et qu’il bénéficie d’une large approbation de la part des riverains du site et des citoyens de la puissance invitante.
Cette enquête se conclut par le dépôt d’un rapport. M. Pascal Rogard a brièvement décrit devant la mission la mission d’enquête sur la candidature de Dubaï à l’Exposition de 2020 à laquelle il a participé : « Pendant cinq jours, la ville candidate présente son projet, ses infrastructures, ses services de santé, justifie ses hypothèses de fréquentation – c’était particulièrement nécessaire à Dubaï, où l’on attend 25 à 30 millions de personnes en plein désert –, explique comment sera géré le flux des entrées. Le rapport qui en est issu se compose de quelque 800 pages. »
Selon M. Bernard Testu, « La mission d’enquête, composée de délégués membres du BIE, rédige un document qui entre dans les détails techniques et financiers du projet ; ce rapport est ensuite attentivement étudié par le secrétariat du BIE qui fait appel à l’expertise de consultants privés extérieurs.
« Ayant participé à quatre missions et en ayant présidé deux, je sais que l’investigation ne laisse rien dans l’ombre : on auditionne le Président de la République, les chefs de l’opposition, les principales villes concernées, les entreprises, les différents groupes de pression intéressés, les opposants, les banques, éventuellement les médias ; on vérifie différents documents relatifs à l’engagement financier de l’État et on examine la solidité de sa détermination en se penchant sur le projet de loi joint au dossier.
« En somme, on tente de s’assurer, dans la mesure du possible, qu’à ce stade de la procédure – soit neuf ans avant la tenue de l’exposition –, l’État concerné, dans toutes ses composantes, s’est mis en ordre de bataille pour préparer l’événement. Le rapport de la mission d’enquête est un document très épais et complexe, et la majorité des délégués ne le lisent pas ; mais la commission exécutive du BIE – que j’ai longtemps présidée – en fait une analyse avant de rendre un avis strictement technique, statuant sur la viabilité du projet et sur les éventuelles améliorations à y apporter.
« Ce rapport est voté par les membres de la commission exécutive – dont dix-huit pays font actuellement partie –, généralement à l’unanimité. Ainsi cette approbation ne signifie pas grand-chose, aucun projet sérieux n’étant rejeté à ce stade. »
Le rapport atteste le sérieux du projet et le respect des exigences conventionnelles. En revanche, il ne prend pas position sur la qualité de la candidature. La commission exécutive se garde de hiérarchiser les projets concurrents. Elle donne un avis sur chacun d’eux. Elle n’écarte que les demandes d’organisation mal fondées, sans garantie financière, ainsi que les projets d’expositions manifestement dépourvus du soutien public et du sérieux économique requis.
Le rapport et l’avis qu’il a reçu, sont ensuite transmis aux représentants des autres États membres du BIE. Tous sont convoqués par son Président pour une assemblée générale au cours de laquelle le lauréat sera désigné par scrutin. N’y aurait-il qu’une seule candidature, l’assemblée générale est néanmoins appelée à se prononcer sur l’enregistrement ou la reconnaissance de l’exposition projetée.
Le choix du lauréat se fait par scrutin secret, afin de garantir l’autorité de l’arbitrage rendu. Les scrutins tenus par l’assemblée générale du BIE respectent le principe d’égalité entre les États, retenu par celle des Nations Unies. Chaque État membre du Bureau dispose d’une voix. Le droit exclusif d’organiser une exposition une année donnée est attribué à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés lorsqu’il y a plus de deux candidats en lice.
Lorsque la majorité requise n’est pas atteinte au premier tour de scrutin, le candidat qui a obtenu le moins de voix est éliminé des scrutins suivants. Lorsqu’il ne reste plus que deux candidats ou s’ils n’étaient que deux au premier tour, le lauréat est désigné au plus grand nombre de voix. À titre d’exemple, la candidature de Dubaï pour l’Exposition universelle de 2020, présentée par les Émirats arabes unis, a été retenue au troisième tour de scrutin lors de l’assemblée générale du BIE tenue à Paris le 27 novembre 2013, au palais d’Iéna, construit à la suite de l’Exposition universelle de 1937.
Si l’un des deux candidats encore en lice n’est pas membre du BIE, il doit obtenir une majorité des deux tiers des suffrages, la convention privilégiant les expositions organisées par les parties à la convention. Ces dernières n’ont pas à justifier leur suffrage. Toutefois, comme elles y sont invitées par les règlements, elles ne manquent pas de tenir compte non seulement du rapport d’enquête reçu et de l’avis de la commission exécutive du BIE, mais aussi de l’intérêt universel du thème retenu par chaque projet et, bien sûr, des relations internationales.
3. La procédure administrative d’enregistrement reste cependant un exercice de diplomatie
L’examen préalable des demandes d’enregistrement, soumis aux formalités administratives décrites, a pour but d’assurer le respect des engagements souscrits par les parties et, plus largement, du droit international des expositions internationales.
Les instances administratives du BIE doivent être convaincues de l’opportunité et de l’économie des projets d’exposition qui leur sont transmis. Leur opinion sur chaque candidature pèse sur les suffrages que leur accordent les représentants des membres du BIE qui ne prennent connaissance des dossiers que le temps de la session de l’assemblée générale.
Lors de l’assemblée générale, le déroulement des scrutins obéit aux principes de la diplomatie, d’autant que les pays candidats sont autorisés à faire campagne auprès des autres membres afin d’obtenir leurs suffrages. Cette campagne peut mobiliser des moyens considérables pour emporter l’adhésion.
M. Pascal Rogard a évoqué les négociations diplomatiques et financières auxquelles cette campagne électorale peut donner lieu : « Comment convaincre un nombre suffisant d’États membres du BIE de voter pour nous ? Pouvons-nous leur proposer des contrats ? Bien que le vote soit secret, je sais que de nombreux États membres de l’Union européenne ont voté pour Dubaï. Parmi eux, l’Espagne, comme l’Italie, a opéré un revirement puisqu’elle avait initialement annoncé son soutien au Brésil. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu des tractations...
« L’équilibre géopolitique pose un autre problème, même si M. Loscertales ne partage pas mon point de vue à cet égard. Après le choix de Hanovre en 2000 et de Milan pour 2015, quelles sont les chances d’une nouvelle candidature européenne face à l’Amérique du Sud ou à l’Asie du Sud-Est, dans une économie bien plus globalisée où les candidatures se multiplient ? ».
En effet, M. Vicente Gonzales Loscertales a déclaré à la mission que l’histoire récente des expositions… montrait « que la tendance ne va pas obligatoirement vers les pays émergents ou ceux qui veulent montrer d’eux une nouvelle image », et que « au cours des dernières années, notre assemblée générale a toujours décidé, à la quasi-unanimité qu’il n’était pas nécessaire d’introduire une rotation géographique ».
S’agissant de la composition du corps électoral, dans lequel chaque partie à la convention peut être représentée par un à trois délégués mais ne dispose que d’une seule voix, M. Bernard Testu a rappelé que « le BIE étant une organisation internationale de droit public, c’est le pouvoir politique qui nomme les trois délégués nationaux.
« Dans les grandes démocraties occidentales, il s’agit généralement de fonctionnaires, souvent de l’ambassadeur du pays. Quelquefois, pourtant, ce n’est pas le cas ; il est ainsi arrivé que le représentant d’un pays – généralement petit – soit une personne privée qui n’en avait même pas la nationalité, mais qui disposait d’amis haut placés.
« Si un tel électeur est plus vulnérable que d’autres aux pressions des lobbies, sa voix pèse pourtant autant que celle de l’ambassadeur de la République populaire de Chine. La liste des délégués est publique ; cependant, ce n’est pas forcément le délégué qui sera l’électeur. Le rôle des services diplomatiques est ici essentiel : à eux de s’informer du cheminement de la réflexion dans chaque pays. »
Selon M. Pascal Rogard, la compétition, préalable au scrutin, entre les pays organisateurs s’est ravivée depuis qu’un nouvel engouement, vraisemblablement lié au succès de l’Exposition de Shanghai, s’est emparé des États, augmentant le nombre de candidatures concurrentes pour chaque exposition :
« Pour l’Exposition de 2020, cinq candidatures ont été déposées, ce qui était tout à fait nouveau puisque deux candidats seulement étaient en lice pour 2000 comme pour 2015. En outre, les États occidentaux traditionnels n’étaient plus représentés parmi les pays candidats puisque les cinq étaient Dubaï, la Turquie, le Brésil, la Russie et la Thaïlande – qui a finalement retiré sa candidature pour des raisons qu’il serait d’ailleurs intéressant d’étudier. »
« Chef de la délégation française depuis 2009, j’ai vécu, outre la campagne pour l’organisation de cette Exposition universelle de 2020, celle qui a opposé Astana, au Kazakhstan, à Liège, en Belgique, en vue de l’Exposition spécialisée de 2017. Toutes deux montrent que ce sont les pays les plus mobilisés qui l’emportent, et de loin... Pour 2020, la Russie et la Turquie, qui ont plusieurs millénaires d’histoire derrière elles, se sont inclinées devant un pays vieux d’un demi-siècle à peine, puisque l’exposition coïncidera avec le cinquantenaire des Émirats arabes unis.
« Voilà qui conduit à relativiser le poids du facteur historique et culturel dans le choix de tel ou tel pays, au regard des arguments économiques. Le Royaume-Uni, premier pays à s’être prononcé, très tôt, en faveur de Dubaï, a obtenu en échange la rénovation du port de Londres par les Émirats. Alors que Rome avait promis son soutien à la Russie, le président du conseil italien a finalement choisi lui aussi Dubaï… ».
III. LES EXPOSITIONS INTERNATIONALES PEUVENT PARAÎTRE DÉSUÈTES
A. LES EXPOSITIONS DU XIXE SIÈCLE CÉLÉBRAIENT LE PROGRÈS UNIVERSEL
Les expositions internationales du XIXe siècle célébraient le Progrès. Elles répondaient aux aspirations des encyclopédistes à dresser un tableau général des efforts de l’esprit, répartis par domaines des sciences et des techniques, par des démonstrations illustratives. Elles exhibaient des machines industrielles dans des galeries en les alignant à la place des statues des dieux antiques : les années 1850 étaient en effet marquées par l’essor industriel, le développement des banques, l’apparition du rail et de la machine à vapeur, la production à grande échelle, la conquête des campagnes.
Ces expositions accomplissaient aussi une mission pédagogique, en présentant au public les prodiges du génie humain. Selon Mme Florence Pinot de Villechenon, cette mission engageait les expositions dans « une démarche de vulgarisation scientifique et d’éducation des peuples sous l’influence des Lumières, du Saint-Simonisme et du positivisme d’Auguste Comte... Cette démarche, qui consiste à mettre à la portée des masses la vision des élites, engendrera le suffrage universel et légitimera la colonisation... ».
« Le progrès est la lumière des nations » affirmait l’immense inscription qui se trouvait sur le mur du fond du pavillon des machines, lors de l’Exposition de 1900, rappellent Gilles Babinet et Nicolas Colin (38), ajoutant : « notre nation ne doutait pas d’elle-même. C’était la Belle époque, une ère de croissance économique et de propagations d’innovations technologiques majeures ». Les expositions universelles sont d’abord un moteur, elles ont un effet de catalyseur et une dimension pédagogique.
Une évolution se serait pourtant produite au tournant du XXe siècle : « Au tournant du siècle, la mystique du progrès et la foi inébranlable dans le progrès commencent à s’effriter. On prend du recul, on s’interroge sur le bien-fondé de la démarche, mais le camp des sceptiques n’est pas suffisamment puissant pour enterrer le concept d’exposition universelle » a estimé Mme Florence Pinot de Villechenon.
Les désillusions du progrès atteignent les expositions internationales, dès 1900 selon certains, dans les années 1930 selon d’autres. Au lieu d’un fait historique, attesté par la présentation au public de machines industrielles, le Progrès devient un idéal abstrait. Les salles de machines disparaissent des expositions : « la dématérialisation des expositions va de pair avec la mutation de notre appareil productif, qui est de moins en moins industriel ». Leurs organisateurs, « embarrassés devant l’ambition prétendue des expositions de cerner exhaustivement tout ce qu’est capable de produire le génie humain, décident de présenter des idées plutôt que des machines, ce qui favorise l’émergence de quelques thèmes. »
« La première exposition mettant en avant un thème précis fut celle de Bruxelles en 1935, suivie de celle de New York en 1939. L’exposition qui s’est tenue à Paris en 1937 à Paris était spécifiquement dédiée aux arts et techniques de la vie moderne. »
Parallèlement, la notion de fête commence à apparaitre dès 1900 car on s’aperçoit que les expositions trop austères n’attirent pas le public.
L’Exposition de Chicago de 1933 se présente encore comme le lieu d’illustration d’« un siècle de progrès ». Elle adopte une devise plus explicite, qui décrit la marche volontariste du progrès : « la science trouve, l’industrie applique, l’homme s’adapte (39) ».
L’Exposition de Bruxelles, en 1935, intitulée Exposition universelle et internationale, est plus modeste par son ampleur comme par son ambition. Elle ajoute à son intitulé une thématique restrictive, celle des transports et de la colonisation, qui l’apparente à une exposition spécialisée.
Celle de Paris en 1937 choisit une voie moyenne entre l’universalisme américain et la modestie bruxelloise, en s’appelant : « Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne ». Il ne s’agit plus du Progrès universel mais seulement de celui des arts et des techniques, qui traite du progrès de la civilisation dans la vie moderne. L’Exposition de New York, deux ans plus tard, retrouve l’ambition de celle de Chicago en présentant « Le monde de demain ».
L’Exposition de New York de 1939 est la première à ne plus présenter, de manière didactique, les progrès techniques accomplis, mais à anticiper l’évolution de la civilisation selon le modèle du récit illustré de science-fiction, à la mode à l’époque. Le caractère fictif de cette présentation était accusé par les progrès de la guerre en Asie et en Europe, qui ont brisé les anticipations généreuses de l’exposition. En renouvelant les désastres de la première guerre mondiale, la deuxième en a répandu les désillusions parmi les États membres du BIE, interrompant le cycle des expositions internationales.
Les expositions peuvent paraitre dépassées, dans la mesure où le progrès est une source d’interrogations pour beaucoup, notamment pour les Français.
2. Le progrès est devenu source de désillusion pour les Français
Plusieurs intervenants, interrogés sur la perte de la foi dans le progrès, ont répondu que la déception produite par le progrès technique et scientifique était plus française qu’universelle.
M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, a restitué les doutes qui ont détruit cette foi dans les croyances de la population française :
« À l’occasion de la préparation du rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective sur la question « Quelle France dans dix ans ? », j’ai été frappé de constater que les Français nourrissent aujourd’hui de nombreux doutes à l’égard de la notion de progrès – qu’il s’agisse du progrès scientifique ou du progrès économique et social.
« Je ne crois pas qu’ils aient perdu foi en la science, dont ils considèrent toujours qu’elle peut transformer leur vie, dans le bon sens. Toutefois, il semble qu’ils aient perdu confiance dans la capacité de nos institutions publiques et privées à faire bon usage des découvertes scientifiques et des innovations.
« Ils craignent qu’on ne manipule l’opinion, que des données gênantes ne soient occultées, que les découvertes scientifiques ne soient enrôlées au service d’intérêts particuliers ne coïncidant pas avec ceux de la société. Sur ce point, nous avons beaucoup régressé. J’en veux pour preuve les débats que suscitent l’application du principe de précaution à l’apparition de toute innovation importante – les OGM, par exemple...
« J’ai également été frappé par le doute qui s’exprime à l’égard de la croissance elle-même. Malgré leurs différends, les Français s’accordaient à considérer la croissance comme une forme de progrès économique et social – indépendamment d’éventuels conflits de répartition. Ce fut le cas, après 1945, au sortir de la stagnation relative de l’entre-deux-guerres. Or il semble que ce consensus soit aujourd’hui brisé.
« Cela s’explique par le fait que, depuis six ans, la croissance est en berne… l’idée même de croissance s’apparente désormais à un rêve, surtout pour les jeunes générations. D’autre part, les dommages environnementaux qu’elle peut provoquer ont suscité un rejet de la croissance.
« Le doute d’une minorité, qui milite pour la notion de « décroissance », rejoint celui, plus large, qui prévaut dans l’opinion. Enfin, on craint que la croissance et le progrès ne profitent qu’aux villes et aux métropoles, au détriment des territoires ruraux, que la répartition des revenus se modifie au seul profit de ceux qui maîtrisent les savoirs, que certains soient sacrifiés au nom de la croissance.
« Une exposition universelle doit prendre en compte ces interrogations. Au-delà des aspects spécifiquement français, elle doit faire écho à une question plus large, d’envergure internationale : quel est l’effet du progrès technique sur la répartition des revenus ? »
« Dans un livre récent, The Second Machine Age (Le Deuxième Âge de la machine), deux chercheurs du Massachusetts Institute of Technology montrent que l’on va vers une économie dans laquelle les machines grignotent de plus en plus sur le travail qualifié. Le partage ne se fait plus seulement entre travail qualifié et travail non qualifié puisque, même à l’intérieur du travail qualifié, certaines tâches peuvent être mécanisées. Cela explique l’angoisse de la classe moyenne. Cette évolution est la conséquence des progrès de l’intelligence artificielle. »
« Au-delà, le progrès technique favorise de plus en plus ces « superstars » qui sont capables, par leur talent, de démultiplier leur productivité et de capter l’essentiel des gains du progrès technique à leur profit… On peut donc s’attendre à une captation des bénéfices sociaux du progrès par une toute petite minorité. La question des effets sociaux du progrès technique pourrait donc être un thème intéressant autour duquel structurer un projet d’exposition universelle. »
M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation, a confirmé le propos de M. Pisani-Ferry : « La France est fâchée avec le progrès, mais cela ne date pas d’hier... Notre pays est celui qui croit le moins au progrès. C’est le plus pessimiste de la terre ! Un journal ne titrait-il pas : « Survivre au progrès » ?... La France n’est donc pas leader en matière de progrès. Les nombreux livres que j’ai pu lire à ce propos sont désespérants : pour les « intellos » qui en sont les auteurs, croire au progrès, c’est américain, c’est scout, cela ne peut conduire qu’à la catastrophe... »
« Si la France invitait la terre entière sur le thème du progrès, cela pourrait constituer pour elle une bonne psychothérapie. Elle ne peut pas continuer à répandre sur le monde son horrible pessimisme. Cela suppose qu’elle se réconcilie avec le progrès et renoue avec la juste vision qu’elle en avait. Stefan Zweig considérait que ce n’était pas pendant la Première Guerre mondiale ni pendant la Seconde Guerre que nous avons eu raison, mais lorsque nous avions une vision pasteurienne du progrès. Tous les partis étaient progressistes et l’on essayait de faire en sorte que tout aille mieux – ce qui est tout de même l’objectif de la recherche. »
« La France avait remporté haut la main la grande bataille des expositions universelles, mais la situation changea du tout au tout après 1900. À l’exposition universelle de Paris de 1937, ce fut l’horreur totale, car la Seconde Guerre mondiale se préparait. Il y avait très peu de pays participants, et certains d’entre eux s’opposaient. Ce n’était pas du tout l’esprit des expositions universelles...
Sa vision pessimiste du progrès « s’explique par le fait que l’Europe a été le cadre de deux conflits mondiaux et que, depuis la Première Guerre mondiale, on en est venu à douter que la connaissance entraîne automatiquement le progrès humain. Reconnaissons que, si le progrès est un idéal de la raison vers lequel nous devons tendre, le chemin n’est pas continu, qu’il peut y avoir des retours en arrière, et que la barbarie n’est pas exclue... ».
B. DOUTANT DU PROGRÈS, LES ÉTATS MEMBRES DU BIE L’ONT SUBORDONNÉ À DE NOUVELLES VALEURS
1. L’Exposition de 1958 marque un tournant
Empêchées pendant les dix années de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide, ces expositions reprennent leur cours à l’initiative du gouvernement belge, avec l’Expo 1958 de Bruxelles. Selon le BIE, c’est de cette exposition que date une vision plus distanciée du progrès du génie humain, révéré auparavant comme une manifestation providentielle.
Le Bureau indique, sur son site Internet, que « l’éloge inconditionnel du progrès technique en tant qu’idée principale des précédentes expositions Universelles a été largement mis en cause à Bruxelles. À partir d’Expo 1958, toutes les expositions internationales chercheront désormais à dresser un bilan objectif de l’activité humaine dans tous les domaines de la vie moderne. »
Le terme de bilan employé balance les effets favorables et défavorables des activités humaines, suggérant que le progrès technique n’est pas toujours souhaitable. Cette inflexion inspire de nouveaux thèmes aux expositions, tels ceux de l’Expo 58 : « Bilan du Monde pour un Monde plus Humain. La Technique au service de l’Homme. Le Progrès Humain à travers le Progrès Technique ».
Les thèmes des expositions subordonnent les progrès techniques accomplis ou attendus à des valeurs appelées à limiter leurs inconvénients. À cette condition, l’Expo 58 demeure confiante dans l’avenir. Elle ne renonce pas à une représentation symbolique d’un progrès universel, entraîné par celui du savoir humain.
Tandis que la menace d’un anéantissement nucléaire mutuel retient les hostilités entre les deux principaux vainqueurs de la deuxième guerre mondiale, l’Expo 58 se donne pour monument une représentation conventionnelle, en trois dimensions, agrandie 165 milliards de fois, des relations atomiques d’une phase du cristal de fer, appelée par la presse internationale Atomic Tower, par allusion à la puissance nucléaire (« atomic power ») des deux adversaires du moment.
L’Expo ne donne pas lieu à controverses entre les États-Unis et l’Union soviétique. Leurs conceptions antagonistes de l’humanisme et de son progrès n’ont guère troublé la manifestation, alors qu’un roman récent (40) imagine qu’elle fut le théâtre de conflits sourds entre leurs services secrets. La coexistence pacifique permet à la plupart des pays du bloc de l’est d’adhérer à la convention sur les expositions internationales en 1960.
En pleine course aux étoiles entre les deux blocs, l’Exposition de Seattle de 1962 fait encore l’éloge de l’élan technologique donné à la recherche spatiale américaine par le programme Apollo, lancé par le Président Kennedy en réponse au programme soviétique Spoutnik. L’exposition propose, à la manière romancée de celle de New York, « un aperçu de la vie de l’Homme au siècle prochain » qu’elle projette dans une ère spatiale de paix, de progrès culturel et de développement économique.
En revanche, les thèmes des expositions suivantes, même celles organisées en Amérique, abandonnent la célébration du progrès technique et les présentations didactiques au profit d’illustrations utopiques, répondant à des valeurs différentes. Le thème de l’Exposition de New York de 1964 promeut la paix par la compréhension. Celui de Montréal en 1967 rend hommage à la Terre des hommes. Celui d’Osaka en 1970 appelle au Progrès humain dans l’Harmonie.
Ces thèmes subordonnent le progrès à de plus hautes valeurs humanistes. Ce changement s’impose parmi les membres du BIE jusqu’à les convaincre de modifier la définition officielle des expositions internationales ; ils constituent, en 1966, une commission spéciale chargée de réécrire entièrement le texte de la convention, même si cette définition n’est pas la préoccupation principale de la commission (41).
2. À partir du protocole de 1972, les expositions changent de finalité
En 1972 – année de la publication du premier rapport Meadows du Club de Rome, qui dénonce la croissance de la production industrielle – intervient une modification des textes : les expositions internationales ont changé de finalité.
La convention de 1928 (42) attribuait aux expositions internationales un seul but principal, celui « de faire apparaître les progrès accomplis par les différents pays dans une ou plusieurs branches de la production ».
Selon la définition des expositions adoptée en 1972, « Une exposition est une manifestation qui, quelle que soit sa dénomination, a un but principal d’enseignement pour le public, faisant l’inventaire des moyens dont dispose l’homme pour satisfaire les besoins d’une civilisation et faisant ressortir dans une ou plusieurs branches de l’activité humaine les progrès réalisés ou les perspectives d’avenir. »
Le but n’est plus de faire voir un progrès tangible mais d’instruire le public en suivant deux voies vers ce but. Il y a d’un côté « l’inventaire des moyens dont dispose l’homme pour satisfaire les besoins d’une civilisation » et de l’autre « les progrès réalisés ou les perspectives d’avenir », présentés par branches. Ces branches ne sont plus les spécialités de la production, des techniques industrielles, ou de la science, mais celles, plus générales, de l’activité humaine.
En apparence, la rédaction de 1972 reste fidèle aux principes des Lumières du XVIIIe siècle. Mais le texte autorise des interprétations, auparavant inimaginables, qui dresseraient de sombres perspectives d’avenir ou opposeraient, dans certaines activités humaines, les besoins de la civilisation aux progrès techniques et leurs perspectives d’avenir aux progrès réalisés.
Une nouvelle rédaction, en 1988 dispose que les expositions reconnues illustrent un thème précis, sans rien imposer d’analogue aux expositions enregistrées. Les expositions enregistrées pouvaient encore, en 1988, se donner un thème vague ou général.
Une nouvelle inflexion intervient en 1994.
3. Depuis 1994, toute exposition doit avoir pour thème les attentes de la société contemporaine
a. Les expositions doivent répondre à des attentes collectives
Une résolution (43) dispose que « toute exposition devra avoir un thème d’actualité correspondant aux attentes de la société contemporaine... tout en étant suffisamment large pour permettre à tout participant de l’illustrer ».
Les deux catégories d’exposition ne sont plus distinguées par leur thème. Celui-ci n’a plus pour objet l’enseignement des progrès scientifiques et techniques, mais ce que la résolution qualifie d’ « attentes de la société contemporaine ».
Le principe initial des expositions se trouve renversé. Il ne s’agit plus d’expliquer le progrès du génie humain par les disciplines et les industries dans lesquels il se produit mais en partant d’attentes originaires. Les expositions ne transmettent plus un savoir, même de manière ludique ou didactique, mais répondent en quelque sorte à des désirs collectifs.
Parmi ces attentes, celles qui portent sur des domaines d’innovation technique sont désormais satisfaites par les salons professionnels et moins par les expositions. M. Marc Giget a expliqué qu’« aujourd’hui, on fait des expositions sur tout, dans tous les domaines, et on peut imaginer que le Salon international de l’agroalimentaire (SIAL) est plus complet en ce domaine que ne le sera la prochaine Exposition universelle de Milan, pourtant consacrée à la nourriture. »
Un salon professionnel est plus didactique et plus exhaustif qu’une exposition internationale. Il s’adresse à un public averti, dont il ravive l’intérêt pour un domaine bien connu, en ne lui présentant que les innovations, tandis qu’un pavillon d’exposition doit plaire au grand public, en retenant son attention par des attractions sans pouvoir compter sur un intérêt acquis d’avance, ni sur une curiosité intellectuelle ou professionnelle.
Quant aux attentes générales mentionnées par la résolution de 1994, la résolution les caractérise en ajoutant que le thème des expositions « devrait faire ressortir l’état des progrès scientifiques, technologiques et économiques dans le domaine considéré et la problématique née de la prise en considération des aspirations humaines et sociales ainsi que de la nécessaire protection de l’environnement naturel. »
Le texte promeut donc, pour la première fois, la protection de l’environnement, qui semble primer parmi les attentes actuelles.
b. Les thèmes sont soumis à des négociations diplomatiques
Le choix du thème a été soumis aux règles d’une négociation diplomatique par la résolution de 1994.
Cette négociation se déroule en pratique avec le secrétariat général, avant la convocation de l’assemblée générale et parfois même avant le dépôt d’une candidature officielle. Le thème négocié doit recueillir la caution institutionnelle de l’Organisation des Nations Unies.
Selon la résolution, « le choix du thème et l’étude de son développement devra impliquer une concertation étroite entre l’organisateur et le BIE ainsi qu’une liaison avec les plus hautes autorités mondiales, telles que l’ONU, dans le but de rechercher une caution auprès de ces dernières. Le BIE est invité à préciser les voies lui permettant, de veiller à l’application du thème par une fonction de guidage et d’assistance auprès des participants et des organisateurs. »
Le BIE partage donc désormais cette responsabilité avec les instances des Nations Unies. Ce lien s’est affermi en pratique parce que le BIE et l’ONU partagent une même conception, multilatéraliste et institutionnelle, du droit international.
La résolution de 1994 prescrit à l’État invitant de « programmer des rencontres associant les experts les plus reconnus dans le domaine du thème, ainsi que les organisations de caractère économique et professionnel, représentatives au plan international et régional, ayant un lien avec le thème » et de rechercher, en toutes circonstances, « l’accord et le concours des plus hautes autorités mondiales en la matière pour garantir l’excellence et le succès de ces rencontres. »
Après l’adoption de la résolution de 1994, pendant quelques années, les préoccupations écologiques ont prévalu, conformément à l’orientation donnée par la convention-cadre des Nations Unies sur le développement durable.
M. Vicente Gonzales Loscertales a plutôt souligné devant la mission l’affirmation du caractère universel du thème des expositions : « ce critère a été rempli en 2000, à Hanovre, avec le thème de “ L’homme, la nature, la technologie ”, en lien avec l’Agenda 21 de la conférence de Rio, ainsi qu’en 2005, au Japon, avec “ La sagesse de la nature ”, après la signature du protocole de Kyoto… ».
Ce changement des thématiques n’a pas été un succès lors de l’Exposition de Hanovre de 2000 qui avait pourtant pris pour thème le développement durable.
Selon M. Marc Giget, « l’Exposition universelle de Hanovre fit un flop : elle avait pris pour thème les problèmes, alors que l’intérêt de ce genre d’exposition est de montrer les solutions. On avait manqué d’ambition... Je ne peux que mettre en garde contre la dérive des petits pavillons à l’architecture travaillée, mais vides. À Hanovre, les pays invités ont fourni un service minimum et cela a déplu aux Allemands. Il n’y avait rien à voir. »
M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE, a confirmé cet échec en ajoutant que la « réorientation des thématiques, vers 1990, a été suivie d’un passage à vide : près de huit ans se sont écoulés sans exposition universelle après celle de Séville, en 1992, puis une décennie entière, entre 2000 et 2010. »
M. Vicente Gonzales Loscertales a toutefois rappelé que l’orientation en faveur du développement durable avait encore prévalu « pour les expositions suivantes avec les thèmes de “ L’eau et le développement durable ” à Saragosse, en 2008 ; “ Meilleure ville, meilleure vie ” en Chine, en 2010 ; “ Pour des côtes et des océans vivants : diversité des ressources et activités durables ” en Corée du Sud, en 2012 ; “ Nourrir la planète, énergie pour la vie ”, à Milan en 2015. »
En revanche, les thèmes de l’Exposition reconnue d’Astana, au Kazakhstan, « l’énergie du futur », initialement complétés par la mention ensuite supprimée d’une « action pour la durabilité mondiale » et de l’Exposition enregistrée de Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, en 2020, « connecter les esprits, construire le futur » dessinent une perspective ou expriment un vœu sans plus prendre parti entre un progrès durable et un progrès technique, éphémère, réversible.
Le secrétaire général en a conclu devant la mission que les expositions sont « de grands exercices de diplomatie publique dans un objectif d’amélioration de la qualité de vie ».
Cette longue évolution met peu à peu le progrès entre parenthèses. Son attrait demeure tout de même : comme on le verra ci-dessous, nombre des interlocuteurs de la mission – en particulier le monde des entreprises – ont jugé souhaitable de le raviver et appelé de leurs vœux la tenue d’une exposition universelle pour redonner du sens à la notion de progrès.
De même, M. Alain Berger, commissaire général de la France à l’Exposition de Milan, s’est félicité que le thème de celle-ci, « nourrir la planète, énergie pour la vie », permette de montrer comment le progrès scientifique et technique pourrait répondre aux défis auxquels l’humanité doit faire face dans ce domaine : « on peut relever ce défi en croyant dans le progrès scientifique et technique, en assurant un débat véritablement démocratique sur la manière d’introduire ce progrès et en promouvant la coopération internationale ». D’ailleurs, il a prévu un programme scientifique avec une conférence chaque semaine, pendant toute la durée de l’exposition.
4. Parallèlement, les thématiques ont également été infléchies par l’arrivée des pays émergents
La composition de l’assemblée générale du BIE n’est pas identique à celle des Nations Unies. La décolonisation de l’immédiat après-guerre mondiale et celle des années 1960 n’ont pas provoqué l’adhésion des nouveaux États à la convention de 1928, ni le déplacement des lieux habituels d’exposition internationale jusqu’aux années 1990. Celle d’Haïti en 1949 mise à part, les expositions internationales sont demeurées un privilège des premières nations industrielles.
Ce n’est qu’à l’initiative des organisateurs de l’Exposition de Séville de 1992 et en particulier de M. Vicente Gonzales Loscertales, devenu par la suite secrétaire général du BIE, qu’une campagne de promotion des expositions internationales auprès des pays en voie de développement a conduit à leur adhésion en grand nombre. En 1993, le BIE ne comprenait, comme l’a rappelé son secrétaire général, que 42 États membres, dont 27 européens :
« Il en compte aujourd’hui 168, ce qui en fait la quatrième plus grande organisation par le nombre de pays participants. D’une organisation de pays développés, elle est devenue une organisation globale, représentative de la communauté internationale, la plupart des États membres étant aujourd’hui des pays en voie de développement. Cette nouvelle réalité implique une adaptation de la nature des expositions. Aujourd’hui, une exposition doit non seulement être utile au pays organisateur, mais aussi apporter un élément de progrès, de qualité de vie, tout en contribuant à la création de réseaux de coopération internationale et de solidarité. De vitrine des découvertes scientifiques et technologiques, les expositions sont devenues la grande vitrine de l’innovation au service des citoyens. Dans une société globalisée, ces derniers peuvent y trouver des informations sur les moyens dont ils disposeront pour satisfaire leurs besoins. Ainsi, la première condition d’une exposition réussie est d’être utile aux citoyens, c’est-à-dire de contribuer à l’amélioration de leur qualité de vie. »
M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai, a expliqué l’intérêt de la Chine, devenue la deuxième puissance industrielle mondiale, pour l’organisation d’une exposition internationale :
« C’est une exposition que nous avons attendue cent ans. Il y avait une légende selon laquelle un écrivain chinois a rêvé que la Chine, devenue une puissance forte, trouvait une incarnation. Cette incarnation devait venir des pays qui avaient le droit d’organiser des expositions universelles. C’était la France. C’était la Grande Bretagne.
« D’après cet écrivain, il fallait que la Chine, dans cent ans, organise une exposition universelle. Il en a fait un roman. Cent ans plus tard, nous l’avons organisée. L’exposition a été conçue à travers les deux rives du Huangpu. C’était l’exposition d’un rêve. Elle incarnait la reconnaissance d’une renaissance. Toute la Chine, tous les Chinois se sentent fiers d’avoir organisé cette exposition. »
Selon M. Pascal Rogard, le succès de l’Exposition de Shanghai, en 2010 a suscité, auprès des autres pays émergents, de l’intérêt pour ces manifestations : « Un nouvel engouement, vraisemblablement lié au succès de l’Exposition de Shanghai, s’est ensuite emparé des États : pour l’Exposition de 2020, cinq candidatures ont été déposées, ce qui était tout à fait nouveau puisque deux candidats seulement étaient en lice pour 2000 comme pour 2015.
« En outre, les États occidentaux traditionnels n’étaient plus représentés parmi les pays candidats puisque les cinq étaient Dubaï, la Turquie, le Brésil, la Russie et la Thaïlande – qui a finalement retiré sa candidature pour des raisons qu’il serait d’ailleurs intéressant d’étudier. »
Selon M. Marc Giget, « l’Exposition de Shanghai a permis à la Chine de faire son grand show. De la même façon, le Brésil veut absolument organiser une Exposition universelle à São Paulo, après les jeux Olympiques et le Mondial. »
Les nouvelles adhésions et l’augmentation du nombre des candidatures ont accru le rôle institutionnel du BIE. Elles ont conduit au renforcement de son administration. La médiation du secrétariat général s’est imposée dans la recherche d’un consensus entre des membres désormais très nombreux.
Les pays industriels émergents sont désormais les premiers candidats à l’organisation d’une exposition internationale.
Comme l’a indiqué le secrétaire général, cette adaptation a infléchi les orientations thématiques, d’autant que les pays émergents se sentent moins concernés par les conventions environnementales, mais plutôt par la coopération et la solidarité internationale. Ces thèmes peuvent certes affaiblir la mission pédagogique des expositions, faute de contenu tangible à présenter sous le slogan affiché.
C. L’ORGANISATION DES EXPOSITIONS A CONNU DE PROFONDES MUTATIONS
1. Le modèle financier des expositions révèle des divergences de conception
Les expositions doivent être, sinon financées, du moins garanties par les fonds publics de l’État invitant. Les pays de common law et en particulier les États-Unis et le Canada préfèreraient qu’elles redeviennent les manifestations privées qu’elles étaient à l’origine, éventuellement patronnées par une autorité publique pour veiller au respect des usages diplomatiques.
Ces pays placent plus volontiers les expositions internationales sous le régime juridique de la coutume commerciale, applicable aux foires et salons, que sous celui du droit public international posé par la convention de 1928. Ils n’admettent qu’avec réticence de confier leur organisation aux États et d’imposer à ces derniers de garantir leur financement. Ces divergences juridiques, qui se retrouvent dans la dénomination des expositions internationales, appelées world Expos en anglais international et world’s fair en anglais américain, ont des conséquences sur l’économie des manifestations.
La coutume appliquée aux foires et salons laisse libre cours aux tractations lors des invitations et de la mise aux enchères des concessions. Les droits d’entrée sont différents selon les publics, afin de maximiser les recettes de billetterie. La convention de 1928 a interdit ces facilités dans les expositions internationales homologuées et le protocole de 1972 a maintenu ces interdictions jusqu’à nos jours.
La Grande-Bretagne n’ayant pas organisé d’exposition internationale sous ce régime, ces interdictions ont surtout embarrassé les États-Unis qui ont participé à chacune des négociations de la convention mais ne l’ont ratifiée qu’en mai 1968. Plusieurs expositions américaines, dont celles de Seattle en 1962, de San Antonio en 1968 ont été enregistrées ou reconnues par le BIE avant cette adhésion, compte tenu du poids mondial des États-Unis au XXe siècle.
Les désaccords juridiques et diplomatiques entre les États-Unis et le BIE ont été avivés par l’Exposition de New York de 1964, qui a donné lieu à une controverse entre le secrétariat général et ses organisateurs sur les conditions de son financement.
Par souci de rentabilité, puisqu’ils la finançaient par une souscription, les organisateurs souhaitaient que l’exposition, installée sur le site de celle de 1939, puisse durer deux ans, de façon à accueillir les 70 millions de visiteurs requis pour en amortir le coût et faire payer les surfaces concédées aux exposants. Mis en cause devant la presse internationale par l’urbaniste Robert Moses, qui dirigeait le projet, le BIE a refusé de reconnaître l’exposition et appelé ses membres à ne pas y participer.
Cet incident fut sans conséquence fâcheuse sur les relations entre le BIE et les États-Unis puisque ces derniers adhéraient enfin à la convention quatre ans plus tard. Il explique qu’ils ne soient cependant pas parvenu à peser suffisamment sur la négociation du protocole de 1972 pour obtenir une révision des conditions de financement et de l’initiative privée ou étatique des expositions internationales dans un sens plus favorable à la coutume commerciale.
Vingt ans plus tard, à la suite de l’expérience malheureuse d’une exposition ratée, qui les a confortés dans leur critique des règles établies par le BIE, les États-Unis puis le Canada ont élevé leur différend avec le BIE jusqu’à se retirer de ses instances, sans toutefois dénoncer officiellement la convention de 1928.
Le Canada avait adhéré à la convention avant-guerre puis l’avait dénoncée en 1944 comme la Grande Bretagne, avant d’adhérer de nouveau en décembre 1957, pour obtenir l’enregistrement d’une exposition prévue à Montréal dix ans plus tard. Cette exposition, qui a attiré plus de 50 millions de visiteurs, a accusé un déficit d’exploitation imputé sur le budget fédéral canadien.
Une mésaventure identique est arrivée à l’Exposition de la Nouvelle-Orléans, tenue en 1984 (44). L’organisateur privé de l’exposition a fait faillite avant sa clôture, faute de fréquentation suffisante pour couvrir les dépenses engagées. La dette qu’il a laissée a été reportée sur le budget fédéral américain.
Ces deux échecs coûteux pour les finances fédérales ont donné lieu à des campagnes de presse défavorables au BIE dans les deux pays.
Ces campagnes ont achevé de convaincre le Congrès des États-Unis, en septembre 2000, et, après la défaite sur le fil de Toronto face à Hanovre pour l’Expo 2000, le Parlement du Canada, en octobre 2012, a décidé de supprimer définitivement de leur budget fédéral, le premier après l’avoir plusieurs fois reportée (45), la contribution annuelle au budget du BIE imposée à chaque État membre par la convention.
Les États-Unis, qui avaient perdu leur droit de vote en assemblée générale après trois années de retard de paiement, ont dénoncé la convention en 2001. Le Canada l’a dénoncée à son tour en 2013. Libres d’organiser les expositions internationales qui leur plaisent sans assurance d’obtenir la présence des États membres du Bureau, en droit prohibée mais nullement sanctionnée par la convention, ils peuvent aussi être invités à participer à une exposition internationale dûment enregistrée ou reconnue par ce Bureau.
Le Congrès américain a supprimé en même temps les crédits prévus pour le financement de pavillons dans ces expositions, empêchant les États-Unis d’installer un pavillon à celle de Hanovre. Les 60 millions de dollars du pavillon américain de Shanghai ont dû, comme les sommes nécessaires pour bâtir celui de l’Exposition d’Aichi, être réunis par des souscriptions privées, lancées par le département d’État américain, faute de crédits publics. En l’absence de soutien fédéral, la candidature d’Edmonton, en Alberta à l’accueil d’une exposition reconnue en 2017 a été abandonnée.
M. Bernard Testu a évoqué devant la mission le désaccord à l’origine de ces départs :
« Le Canada est parti récemment, pour des raisons de personne, le candidat français à la présidence de l’assemblée générale l’ayant emporté sur le candidat canadien au terme d’une élection très conflictuelle. Les États-Unis se sont retirés il y a plus longtemps car l’organisation des expositions leur semblait trop chère et insuffisamment libérale.
« L’événement n’intéressant pas les gros opérateurs commerciaux tels que Disney – auxquels il fait concurrence –, ce pays a préféré ne pas participer. Cela dit, s’ils se portent un jour candidats à l’organisation d’une exposition
– possibilité à ne pas exclure –, les États-Unis devront à nouveau adhérer au BIE. »
Les États-Unis et le Canada retrouvent toute liberté dans l’organisation d’expositions internationales, privées ou commerciales, prisées par les touristes et rentables, même si elles se tiennent en même temps qu’une exposition concurrente dans un pays adhérent du BIE.
Leur retrait laisse donc les expositions enregistrées par le BIE aux pays émergents et à l’Europe, qui font moins cas de la distinction entre les deux modèles, publics et privés, de financement des expositions. Des projets ne manquent pas pour accueillir une exposition à Houston, San Francisco, Minneapolis ou encore Toronto dans les années 2020, même s’ils tardent à se concrétiser, tandis que ceux des métropoles émergentes s’accumulent sur le Bureau international des expositions.
Ce déplacement des expositions vers les pays émergents peut également s’expliquer par la difficulté, pour des États occidentaux surendettés, de les financer sans subventions publiques, en raison du caractère imprévisible de leur fréquentation. Les difficultés économiques actuelles justifieraient de trouver des sources de financement qui n’alourdissent pas les charges de l’État, sans pour autant contrevenir aux règles du BIE.
Quoiqu’il en soit, elles expliquent aussi que les métropoles des pays émergents sachent désormais damer le pion à leurs rivales occidentales dans ces opérations d’urbanisme commercial à grande échelle qui nourrissent la compétition économique internationale.
2. Une exposition enregistrée est un exercice de transformation urbaine dont les suites ont été trop souvent décevantes.
a. Une vaste transformation urbaine…
Dans leur stratégie de conquête du marché mondial, les États émergents utilisent les expositions internationales pour vanter les atouts de leurs métropoles tout en suscitant, dans la population nationale, un sursaut de fierté patriotique.
Bien qu’une candidature à l’enregistrement d’une exposition soit portée par l’État, c’est le nom de la ville hôte qui sera retenue par l’opinion publique et les médias internationaux. Il ne s’agit pas nécessairement de la capitale de l’État ni même d’une mégapole. M. Bernard Testu a rappelé que des expositions universelles se sont tenues dans des villes de taille moyenne : « Hanovre est une ville de 700 000 habitants, Séville de 400 000 seulement ; Milan – qui organise l’Exposition de 2015 – en compte un peu plus d’un million. »
La ville choisie par le BIE tirera les principaux bénéfices commerciaux, touristiques et financiers de la manifestation en recevant l’équivalent d’un label international.
M. Vicente Gonzales Loscertales explique qu’une exposition « constitue un grand projet de transformation urbaine, de dynamisation économique, mais aussi de création de l’image de marque d’un pays. En présentant la manière dont celui-ci veut être perçu dans le monde, elle contribue à changer son image, à projeter une vision... Une expo est utile à condition d’être une vitrine de l’économie du pays, de sa culture, de ses relations internationales, au service des citoyens... »
Mme Florence Pinot de Villechenon, ajoute que : « l’exposition doit faire partie d’un grand projet d’aménagement d’infrastructures pour devenir non pas un frein mais un accélérateur. Ainsi l’Exposition de Séville était constitutive d’un plan plus vaste visant à désenclaver l’Andalousie. Il faut préparer l’exposition très en amont, et c’est ce que nous faisons, et l’intégrer à un plan ambitieux de réaménagement du territoire. Les expositions universelles ont toutes imposé des opérations de chirurgie urbaine et la construction de nouvelles infrastructures. »
L’exposition parachève le plan de développement économique d’une métropole par l’aménagement d’une friche urbaine. Elle fait désormais connaître la qualité des infrastructures de cette métropole. Elle démontre l’efficacité juridique et commerciale de sa diplomatie d’affaires.
L’enquête du BIE s’assure du respect des exigences qui imposent au site une surface et une division réglementaires des concessions diplomatiques, ainsi que de l’état des infrastructures et des dessertes et du respect des standards internationaux de transit.
Cette preuve est donnée depuis l’aéroport international qui devient la porte monumentale des expositions contemporaines jusqu’à la reprise du site, après la clôture de l’exposition.
L’organisateur de l’exposition doit faire l’avance des frais de l’aménagement du site, voire de ceux des infrastructures adjacentes. Selon M. Pascal Rogard, « à Milan, l’organisateur a préféré prendre à sa charge certaines infrastructures d’accès pour s’assurer que les délais prévus seraient respectés, mais ces aménagements peuvent aussi être compris dans le plan directeur d’une région ou d’un État. »
b. …Qui ne porte pas toujours ses fruits
Si l’Exposition de Shanghai est le meilleur exemple d’une réussite en matière d’urbanisme, ce n’est pas toujours le cas.
À Shanghai, l’exposition a permis le développement d’une ville qui a transformé son réseau de transports avec la construction plus de 500 kilomètres de lignes de métro, ce qui a changé profondément la ville. En outre, c’est un endroit à l’abandon, les anciens chantiers navals, où les gens vivaient dans des conditions misérables, qui a été choisi. Cela a permis « une régénération de la ville », selon M. Xu Bo.
Les infrastructures de viabilisation et de desserte du site ont été rentabilisées par la hausse de la valeur marchande des parcelles desservies.
M. Xu Bo a précisé : « L’exposition a été bénéficié aux dirigeants de la ville, mais également à la population... nous n’avons gardé que quelques pavillons, dont ceux de la France, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Arabie Saoudite, les autres ont été détruits, du fait de la croissance considérable du prix du foncier, le prix du m2 étant passé de 5 000 yuans en 2003 à près de 70 ou 90 000 aujourd’hui ; la municipalité est satisfaite de pouvoir disposer de ces terrains. »
Une exposition réussie doit amortir la viabilisation du site, des infrastructures et des équipements par la revente ou à location à long terme, des surfaces libérées après l’exposition, qu’elles soient remises à nu par le démontage des pavillons ou que ces derniers soient réutilisés. Les lendemains sont souvent décevants.
Reprenant l’exemple de l’Exposition de Séville, M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers, a expliqué que : « la plupart des bâtiments construits pour les expositions ont un usage unique et sont éphémères. Aujourd’hui, douze ans après l’événement, le site de l’Exposition universelle de Séville inspire un sentiment de désolation. Après trois faillites, Isla Mágica, l’un des anciens bâtiments de l’Expo transformés en parc d’attractions, vient d’être repris par un opérateur français pour l’euro symbolique.
« Afin d’éviter que les sites des expositions universelles ne finissent par devenir des poubelles – le mot peut paraître abusif, mais je parle d’expérience –, la question de l’avenir des bâtiments devrait faire l’objet d’une réflexion en amont, dès leur conception, comme ce fut le cas pour l’Exposition internationale de Lisbonne en 1998, dont les pavillons abritent aujourd’hui un casino, la plus belle salle de spectacle de la ville, un musée d’art et de science, et le plus grand aquarium public d’Europe. Parce que le projet avait été pensé en amont et qu’il s’inscrivait dans le développement urbain de la capitale portugaise, le site accueille aujourd’hui 15 millions de touristes par an. »
M. Vicente Gonzales Loscertales a comparé le bilan urbain de plusieurs expositions en insistant pour que la reconversion du site soit considérée comme déterminante pour la réussite de la manifestation :
« L’utilité d’une exposition, son succès dépendent aussi de ce qui se passe après. Ce point est fondamental pour le BIE. Une exposition peut être formidable, mais aboutir à une situation désastreuse si l’on n’est pas capable de rendre les infrastructures utiles immédiatement, comme cela fut le cas après celle Séville...
« J’ai été déçu par l’utilisation de certaines infrastructures créées pour l’Exposition de Séville. Sur les 214 hectares du site, 40 ont été transformés en parc scientifique et technologique, qui est aujourd’hui le troisième de ce type en Espagne. Par contre, le reste des pavillons a été abandonné ou détruit, faute d’implication des autorités locales et nationales – je pense notamment aux œuvres du fantastique programme d’art urbain.
« À Montréal, les îles créées sur le fleuve Saint-Laurent pour l’Exposition de 1967 n’ont pas été réutilisées pendant pratiquement vingt ans. Par contre, à Shanghai, les Chinois envisagent de donner au site des fonctions différentes – des hôtels sont en construction, certains pavillons sont réutilisés. Il est primordial d’anticiper l’après-expo afin de s’assurer que toutes les créations seront intégrées, réutilisables rapidement, ce qui nécessite de nommer une entité responsable de l’après-exposition. C’est un devoir : il faut investir dans des infrastructures durables, conçues pour être réutilisées. Sur ce sujet, une étudiante parisienne en architecture a parlé dans sa thèse d’une architecture évolutive. Cette idée d’adaptation rapide est extrêmement importante ».
Les investisseurs internationaux vérifient sur place l’intégration de la métropole au marché mondial. Pour eux, le site d’une exposition n’est pas de même nature que celui d’une grande manifestation sportive ou culturelle. Il peut être beaucoup plus rentable que des installations des jeux Olympiques par exemple. C’est la raison pour laquelle ils peuvent être disposés à financer une exposition qui peut assurer à long terme l’image de marque d’un quartier d’affaires.
L’exposition doit donc désormais, à son terme, attirer des investissements à long terme, en accordant aux investisseurs des privilèges d’exploitation foncière des terrains libérés ou reconvertis par l’exposition, dans l’espoir sinon d’équilibrer les comptes de l’opération, du moins d’obtenir un surplus local d’activité et de consommation par un surcroît de demande internationale adressée à la métropole exposée.
3. Une exposition est de plus en plus un objectif pour séduire les partenaires économiques
Les suffrages sont accordés non pas sur le seul examen désintéressé d’une candidature, mais à la suite de l’évaluation d’opportunités économiques.
M. Xu Bo n’a pas caché que l’appétit des principaux membres du BIE pour les opportunités commerciales du marché chinois et en particulier pour les dessertes aériennes des grandes villes chinoises, tout comme les aides offertes aux États les plus petits, avaient emporté l’adhésion des uns et des autres à la candidature de Shanghai, face à des projets concurrents tout aussi bien ficelés mais moins avantageux pour eux :
« … il faut dire honnêtement que le marché chinois a donné à notre candidature un atout inégalé. Derrière la parole de la diplomatie publique, les pays développés comme les pays en voie de développement attachent de l’importance au marché. Chaque voix compte et il y a des tractations... Les pays nordiques, par exemple, qui sont neutres dans les relations internationales, considèrent les expositions universelles comme un jeu, une rencontre culturelle entre les peuples moins importante que les autres événements internationaux. Mais, pour ces pays, le marché chinois est très attirant. Les négociations ont porté sur la création de liaisons aériennes entre les aéroports chinois et ceux des pays qui allaient voter pour nous.
« Il y a eu des négociations semblables avec des pays qui, même s’ils n’ont pas l’intention d’investir en Chine, veulent attirer les touristes chinois. Cela concerne un grand nombre de pays qui, s’ils n’ont pas d’investissements en Chine, y ont des intérêts... Le délégué de la Grande-Bretagne a dit très clairement qu’il choisirait le candidat qui présenterait le meilleur dossier, afin de soutenir la tradition de diplomatie publique et afin de promouvoir l’image du pays et non pas de gagner de l’argent. Cela a été dit très clairement. »
Des trois points de vue du BIE, des visiteurs et des investisseurs, l’Exposition de Shanghai a passé haut la main en 2010 l’épreuve de sa réintégration au marché mondial. Elle est devenue un exemple à suivre pour de nombreuses autres mégapoles émergentes à travers le monde.
De la même façon, des sommes considérables ont été dépensées pour la campagne de Dubaï et la valorisation de son aéroport international auprès des investisseurs privés et des institutions publiques à la recherche de partenariats avantageux. Ce sont ces investissements qui ont emporté la décision des électeurs du BIE qui avaient à choisir entre plusieurs candidatures sérieuses.
Selon M. Pascal Rogard : « Pour 2020, la Russie et la Turquie, qui ont plusieurs millénaires d’histoire derrière elles, se sont inclinées devant un pays vieux d’un demi-siècle à peine, puisque l’exposition coïncidera avec le cinquantenaire des Émirats arabes unis. Voilà qui conduit à relativiser le poids du facteur historique et culturel dans le choix de tel ou tel pays, au regard des arguments économiques.
« Le Royaume-Uni, premier pays à s’être prononcé, très tôt, en faveur de Dubaï, a obtenu en échange la rénovation du port de Londres par les Émirats. Alors que Rome avait promis son soutien à la Russie, le président du conseil italien a finalement choisi lui aussi Dubaï… à la veille du sommet italo-russe de novembre 2013. »
Les États-Unis et le Canada n’ont pas le même intérêt que les États émergents à organiser une exposition universelle sur leurs deniers publics, puisque leurs métropoles commerçantes détiennent encore des parts substantielles du marché mondial, ainsi qu’une réputation établie et des réseaux d’infrastructures qui servent de modèle à l’élaboration et à la diffusion des standards internationaux. Ces métropoles n’ont guère besoin de concours internationaux pour susciter l’admiration des autres nations.
Le bilan des dernières expositions internationales organisées par des États européens suffirait à expliquer qu’ils hésitent à se lancer dans l’aventure, les municipalités comme Liège, tentées par la compétition, préférant déposer une candidature à la reconnaissance d’une exposition modeste plutôt qu’à celle d’une grande exposition enregistrée. Très endettés et en manque de recettes fiscales, États et municipalités sont réticents à engager une opération immobilière aussi risquée, en garantissant l’investissement initial requis par des opérations de rénovation urbaine de grande ampleur.
Selon M. Marc Giget : « Beaucoup ne voient dans l’exposition universelle qu’une occasion exceptionnelle pour orienter des flux touristiques. À Shanghai, le pavillon de l’Alsace était presque aussi grand que celui de la France ! ».
Ces résultats mitigés n’ont pas dissuadé les autorités municipales de Milan, très soutenues par le Gouvernement italien, d’organiser à leur tour une exposition enregistrée en 2015, sur un site d’une centaine d’hectares, suivie d’une Triennale l’année suivante. Les surfaces de ces expositions n’atteignent pas la moitié des 438 hectares annoncés de l’Exposition de Dubaï en 2020.
Une évolution, parfois qualifiée de muséification, attache les métropoles à un patrimoine urbain vieillissant. Elle les fige parfois dans l’image nostalgique qu’elles ont pu inspirer à leurs visiteurs à un moment de leur histoire. Elle ne satisfait guère l’exigence économique de rentabilisation des sommes investies sur le site et dans les infrastructures d’une grande exposition internationale.
4. Le modèle des expositions internationales n’est pas adapté à un urbanisme riche d’un abondant patrimoine
a. Les riverains ne veulent pas défigurer leur ville
En même temps que les expositions, l’urbanisme et l’architecture sont devenus internationaux par la reprise, dans le monde entier, des mêmes styles élevés selon les mêmes techniques de planification et de construction.
Des agences internationales d’urbanisme se sont spécialisées dans la composition d’un dossier de candidature et dans sa promotion à la fois auprès des métropoles émergentes et des instances du BIE, permettant parfois à un candidat d’emporter les suffrages grâce en particulier à la réputation des architectes, des urbanistes et des publicitaires internationalement connus, auxquels il aura fait appel.
Cet exercice d’urbanisme international risque d’éliminer l’ancien parcellaire. Il fait hésiter les villes qui se refusent à sacrifier davantage de zones agricoles ou péri-urbaines ou bien à raser leurs anciens quartiers pour y dégager la friche de plusieurs centaines d’hectares, nécessaire à l’installation des pavillons d’une exposition enregistrée.
Il heurte les aspirations des populations citadines à la préservation du patrimoine technique, architectural et paysager de leurs villes. Ces populations éprises d’écologie, nostalgiques d’une société préurbaine imaginée en harmonie avec une faune et une flore idéalisées, se détournent des manifestations de prouesse architecturale.
Les habitants et les riverains du site de l’exposition pourraient refuser de quitter leur ancien quartier pour le livrer aux aménageurs et engager un combat politique contre un projet d’exposition qui ne leur est pas destiné mais s’adresse aux populations nationales et internationales qui ne connaîtront que le site bâti et n’auront pas subi les inconvénients de sa construction.
Le BIE reconnaît, sur la page web qu’il consacre à l’Expo de Hanovre, que les citoyens allemands n’étaient pas tous enthousiastes à l’idée d’organiser cette manifestation et que « des manifestations de protestation ont eu lieu jusqu’à l’instant même de l’inauguration de l’exposition. » La déchéance du Progrès dans l’imaginaire des citadins européens est telle qu’ils préfèrent réhabiliter d’anciens immeubles auxquels ils prêtent un charme et donnent une valeur déniés aux constructions faites selon le standard international.
Pour ne prendre que le cas de l’Île-de-France, le projet de création d’une métropole du Grand Paris est consensuel car il étend à bon escient le réseau de transports collectifs. Il ne peut se comparer aux aménagements haussmanniens qui ont modifié et agrandi la capitale française au XIXe siècle et moins encore aux plans d’urbanisme Voisin-Le Corbusier de 1922-1925 ou Lopez-Holley de 1959. Ce dernier, adopté par les autorités publiques, mais jamais mis en œuvre, prévoyait de raser et d’excaver 1500 hectares d’habitat dans l’est et le sud de Paris, pour les couvrir de tours et de grands ensembles. On eut sans peine, sur des surfaces de cette taille, trouvé l’espace d’une exposition internationale. Il serait aujourd’hui difficile d’obtenir le consentement des populations locales à un tel chantier. Sa seule évocation susciterait un tollé alors que ce qu’il prévoyait est devenu un standard mondial de la construction et de l’urbanisation des métropoles des pays émergents.
b. Les utopies ne se sont pas concrétisées
L’absence d’alternative concrète à l’urbanisme international en dehors d’expérimentations limitées ne permet pas, pour le moment, d’exposer le prototype d’une métropole européenne du XXIe siècle, qui serait à la fois durable, à énergie positive ou faible consommation d’énergie, sans rejet toxique et sans béton armé et qui abriterait, dans les mêmes îlots voire dans les mêmes immeubles, les résidences, les lieux collectifs et les activités commerciales et surtout productives, y compris agricoles.
M. Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité, a appelé de ses vœux devant la mission d’information le développement d’un nouvel urbanisme, adapté à l’évolution des besoins et des techniques et des bâtiments innovants.
Cette utopie n’a pas d’exemple en Europe. En dépit des thèmes écologistes des précédentes expositions internationales comme celle de Hanovre, aucune n’a échappé au modèle d’urbanisme industriel dont la commission du règlement du BIE vérifie le respect et qui a pour lui l’engouement des pays émergents.
Selon M. Pascal Ory, « L’espace-temps des expositions universelles me paraît être une utopie, mais une utopie qui laisse des traces matérielles. Tous les organisateurs se demandent ce que laisse l’exposition, une fois achevée. Il me paraît normal qu’au XXIe siècle on s’interroge sur la durabilité urbanistique d’une exposition universelle – une utopie, soit, mais une utopie concrète qui doit résonner durablement. »
L’indifférence du public international à l’utopie architecturale peut, de la même manière, provenir de la banalité des attractions de la fête promise par l’exposition.
Or plusieurs intervenants ont rappelé que le succès d’une exposition dépend de l’attrait populaire de cette fête donnée en contrepartie d’un billet d’entrée payant. Pour M. Bernard Testu : « les visiteurs viennent y chercher le plaisir et le divertissement... Le caractère festif de l’exposition universelle semble évident, l’immense majorité des visiteurs se souvenant avant tout d’un endroit magique et merveilleux... C’est enfin une manifestation populaire... chaque public – groupes scolaires, familles, comités d’entreprise, touristes – doit trouver un intérêt. »
M. Pascal Ory n’a cité cette fête populaire qu’au dernier rang des huit fonctions de l’exposition qu’il a décrites, parce qu’elle passait pour frivole dans l’esprit des premiers organisateurs : « La huitième fonction d’une exposition universelle est celle de fête populaire, d’abord mise sous le boisseau : pour les organisateurs, le propos était la pédagogie et la communion dans la religion du progrès et non le divertissement, le glissement vers le Luna Park – lequel est au demeurant une des conséquences de l’Exposition universelle de Chicago, en 1893. »
« De fait, la dimension ludique des expositions est celle que le public retiendra : on présente une production à caractère économique, un progrès technique, mais tout cela doit passionner, surprendre et intriguer, si bien que, finalement, la leçon s’efface quelque peu derrière l’attraction, qui peut être architecturale ou technologique. »
c. La limite du « geste » architectural : le « vide » des pavillons.
Mais une fête réduite à des prodiges d’architecture et de technologie, surajouté au décor urbain des infrastructures d’un futur quartier d’affaire, risque de ne pas attirer les foules. M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope, a d’ailleurs mis en garde la mission contre la dérive architecturale et numérique d’expositions qui ont perdu le sens de la fête du Progrès.
Menacées par la culture des loisirs virtuels, ces manifestations lasseraient des visiteurs condamnés, après une longue attente, à déambuler au prix fort dans des allées de pavillons vides, décorés d’écrans: « Les expositions universelles du passé ont su mettre en scène les mutations de l’industrie en présentant de nouvelles machines au public. Depuis le basculement dans une société du tertiaire, fondée sur la relation plus que sur la production, l’expérience de l’innovation est beaucoup plus difficile à transformer en contenu.
« Les expositions universelles ont désormais du mal à raconter une histoire comme en témoigne la place majeure progressivement prise par l’architecture et par la forme au détriment du contenu et du traitement d’un thème. Depuis quinze ans, la principale prouesse des expositions universelles n’est plus à l’intérieur des pavillons, mais à l’extérieur ; elle ne réside plus dans le contenu de ce qui y est présenté, mais dans la présentation elle-même.
« À Shanghai, la beauté du pavillon français, œuvre de l’architecte Jacques Ferrier, a permis d’attirer un flux considérable de visiteurs ; nous nous vantons même d’en avoir reçu le plus grand nombre, mais c’était, d’une certaine manière, au détriment du contenu.
« Quant au pavillon de la Grande-Bretagne, il est sans doute parvenu au terme de cette évolution puisqu’il ne contenait rien, et que seul importait le geste architectural. Sorte d’immense oursin dont les piquants, constitués de 60 000 tuyaux de sept mètres de long, renfermaient chacun l’une des graines de la végétation de notre planète, il a été primé comme le plus beau bâtiment de l’exposition.
« Le fait que la modernité s’incarne aujourd’hui uniquement dans un signal architectural, aussi magnifique et chargé de sens qu’il puisse être, me semble poser un certain nombre de questions. De façon un peu semblable, dans le domaine artistique, on observe un « syndrome Guggenheim », du nom du musée de Bilbao davantage reconnu pour son apparence extérieure que pour son contenu… »
En outre, selon M. Dominique Hummel, la dérive architecturale nuit autant à l’esprit de fête qu’au respect de l’égalité entre les puissances représentées, exigé par les règles diplomatiques en raison des moyens considérables qu’elle exige.
d. Il n’existe pas actuellement d’autre modèle qui corresponde aux attentes du public.
Ne sachant plus que fêter ni comment plaire au public, les organisateurs n’ont pour modèle d’attraction que ceux des spectacles sportifs, qui ne retiennent périodiquement l’attention du public mondial que par les enjeux d’une compétition ou ceux des parcs de loisirs, qui se développement en périphérie des métropoles sans obtenir la fréquentation espérée.
Pour M. Dominique Hummel : « La France est championne du monde des hypermarchés, mais les développeurs ont compris que ce modèle s’essoufflait. S’inspirant d’expériences nord-américaines, ils cherchent à offrir une nouvelle vie aux très grandes surfaces commerciales en introduisant en Europe le « fun shopping » – le groupe immobilier Unibail-Rodamco est souvent au cœur de ces projets, et l’on parle par exemple de la construction d’une sorte de Las Vegas en Espagne.
« En la matière, le West Edmonton Mall dans l’Alberta canadien constitue la référence mondiale. Ce centre commercial géant comptant 2 millions de mètres carrés de commerces a cherché à doper sa fréquentation pour qu’elle se hisse au niveau de celle des parcs de loisirs en installant des attractions au milieu des boutiques : un aquarium, des mini-golfs, un roller-coaster… Le West Edmonton Mall est aujourd’hui en faillite, et, dans le monde, aucun projet de ce type n’a donné de résultat vraiment concluant ».
« Ce modèle peut toutefois avoir du sens pour le groupe Auchan (46). Son principal ressort reste la volonté d’élargir une offre commerciale, ce qui ne correspond pas vraiment à nos préoccupations actuelles. À une époque où le Futuroscope était en moins bonne santé qu’aujourd’hui, il y a dix ans, nous avions réfléchi à une solution mariant le ludique et le commercial ; nous ne l’avons pas mise en œuvre.
« Quel est avenir des parcs de loisirs ? Dans presque tous les pays européens, un gros parc domine le marché en accueillant trois à dix fois plus de visiteurs que ses concurrents. Il donne évidemment le tempo en termes d’évolutions. Je pense à Disneyland Paris pour la France, premier parc européen avec 15 millions de visiteurs par an, mais aussi à Europa-Park en Allemagne, qui en accueille 5 millions, à Port Aventura dans le nord de l’Espagne avec 4,5 millions de visiteurs, ou encore à Gardaland en Italie et à Efteling en Hollande.
« La tendance actuelle est à l’allongement du séjour – l’éclatement des périodes de vacances n’y est pas pour rien. Elle se traduit souvent par l’ouverture d’un second parc à côté du premier – depuis 2002, Disneyland Paris comprend ainsi un nouveau parc à thèmes : Walt Disney Studios –, et, surtout, par une offre renforcée d’hébergements à thème.
« Ce modèle se répand à tel point que le zoo de Beauval, qui reçoit plus d’un million de visiteurs par an, propose 500 chambres sur le thème de l’univers animalier, ou que le Puy du Fou ouvre des hôtels historiques. Le parc de loisirs qui se visitait autrefois en une journée est devenu un « resort » proposant une expérience de court séjour globale thématisée qui se vit aussi bien le jour que le soir et la nuit. »
Ces modèles ne répondent cependant pas aux ambitions d’une exposition internationale qui doit reposer sur une vision plus ambitieuse.
Or, a ajouté M. Dominique Hummel : « Depuis vingt ans, il me semble que le thème des expositions universelles ou internationales n’est qu’un prétexte qui n’est quasiment jamais traité. À vrai dire, les expositions ne sont pas des expositions ; ce sont avant tout des shows, des lieux « d’entertainment ».
« Les participants optent généralement pour l’une des trois postures suivantes : celle du geste esthétique…, celle du marketing national et touristique, comme ce fut le cas de la France à Shanghai, et plus rarement celle du respect du thème de l’exposition…
« Certes, l’« effet waouh » de l’architecture des pavillons a son importance, mais une exposition universelle qui affichera des prix d’entrée supérieurs à 50 euros ne pourra pas se contenter de cette promesse. Le public se déplacera d’abord parce qu’on lui racontera une histoire, parce que l’on mettra en scène certains sujets. »
La théâtralité recherchée doit répondre aux attentes d’un public international qui connaît le monde pour l’avoir parcouru lors de séjours de vacances ou pour des motifs professionnels et qui est sans cesse sollicité par ses images télévisées. Ce public, habitué à une consommation individualisée et choisie, veut des expériences rares et exigeantes, pour les sens comme pour l’esprit.
Selon M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, de l’agence Duthilleul, « à l’ère du numérique, une exposition universelle doit offrir une expérience physique extrême, sinon autant rester chez soi à pianoter sur son ordinateur ou à consulter sa tablette ! » Or une exposition internationale ne peut rien proposer d’exclusif, de long, de difficile ou de dangereux, sauf à exclure le grand public.
La réflexion sur un nouveau modèle est donc ouverte.
DEUXIÈME PARTIE : LES CONDITIONS INDISPENSABLES
À RÉUNIR POUR RELEVER LE DÉFI
La France a-t-elle envie d’organiser une exposition universelle et est-elle disposée à s’en donner les moyens, en toute connaissance de cause ? La question n’est pas anodine, à l’heure où l’organisation de grands événements internationaux, tels que les jeux Olympiques ou la Coupe du monde de football, fait l’objet de critiques croissantes : tantôt on remet en cause le processus ayant abouti au choix du pays organisateur, tantôt on s’interroge sur sa capacité à assumer la tenue de la manifestation ou à en supporter un coût considéré comme excessif. De surcroît, on observe que ces critiques viennent à la fois de l’extérieur mais également de la population elle-même.
Les grands événements internationaux ont vocation, in fine, à être placés sous le feu des projecteurs, mais il s’agit de prendre en considération le fait que c’est désormais le processus d’organisation tout entier qui fait l’objet d’un double contrôle. D’une part, la sélection est de plus en plus exigeante et résulte d’une compétition sévère entre plusieurs candidats cherchant à se faire valoir les uns par rapport aux autres. Une fois le choix effectué, les anciens adversaires continuent ainsi d’observer le lauréat et la tenue effective des engagements qui lui ont permis de l’emporter. D’autre part, les populations n’acceptent plus d’être tenues à l’écart de ces grands projets et de n’avoir qu’à en supporter la charge et les inconvénients. Elles doivent par conséquent non seulement être associées à la mise en œuvre du projet d’un bout à l’autre mais également y adhérer très majoritairement.
Il s’agit donc d’identifier dès à présent les conditions requises pour gagner tout en posant les jalons d’un projet rassembleur. Candidature et projet sont en effet indissociables, eu égard aux délais impartis. Rappelons à cet effet, si candidature il doit y avoir, que le Gouvernement français devra la déposer en 2016 et que le choix du BIE interviendra en 2019 au plus tard. Sept années ne seront pas de trop pour mettre en œuvre le projet, à la condition de l’avoir préalablement mûrement réfléchi.
L’expérience d’un passé plus ou moins heureux en la matière doit nous conduire à une certaine humilité, ce qui ne nous dispense pas de nous projeter d’ores et déjà vers l’étape suivante pour la préparer dans les meilleures conditions.
I. ASSEOIR UNE CANDIDATURE SUR DES BASES SOLIDES EN TIRANT LES LEÇONS DE NOS MÉSAVENTURES PASSÉES
A. L’EXAMEN DES FORCES ET FAIBLESSES FRANÇAISES
1. Une expérience incontestable en matière d’organisation de grands événements internationaux
Sur la lancée des grandes expositions universelles du XIXe siècle, la France a fait la preuve, de longue date, de son appétence pour l’organisation des grands événements internationaux, doublée d’une présence tangible, depuis leur création, dans les grandes institutions internationales. Ce savoir-faire français n’est cependant pas sans générer des effets en retour, en matière d’image et de comportement au sein de ces mêmes instances.
Les Français occupent jusqu’à ce jour une place enviable dans de nombreuses instances internationales de divers ordres. Cette surreprésentation n’est pas le fruit du hasard et résulte d’une tradition qui remonte à l’orée du siècle dernier, quand plusieurs de nos compatriotes prirent part activement à la création de certaines de ces organisations. L’action de Léon Bourgeois en faveur de la création d’une Société des Nations – dont il fut le premier président au sortir de la Grande Guerre – est aujourd’hui encore peu connue par le grand public, qui a davantage retenu en revanche les noms de Pierre de Coubertin, artisan de la renaissance des jeux Olympiques et premier président du Comité international olympique (1896-1925), ou encore celui de Jules Rimet, président de la Fédération internationale de football (1921-1954) et initiateur en 1930 de la première Coupe du monde. Serait-ce également à cet héritage que nous devons l’appétence française pour l’organisation de grands événements internationaux ? En tout état de cause, la France dispose en la matière d’une expérience réelle qu’elle a su entretenir.
Sans remontrer trop loin dans le passé et en se concentrant sur les grands événements sportifs, M. Jacques Lambert, président du Comité de pilotage de l’Euro 2016 de football, a souligné combien il était « incontestable que la France [était] regardée par les autres pays […] comme un pays qui sait organiser les grands événements de façon efficace et dans des conditions économiques satisfaisantes ». Et de préciser que « depuis 22 ans, à l’exception notable des jeux Olympiques d’été, la France a accueilli tous les grands événements sportifs mondiaux ou européens qu’elle pouvait accueillir », des jeux Olympiques d’hiver aux championnats du monde d’athlétisme et des championnats du monde d’escrime à la Coupe du monde de football, en passant par la Coupe du monde de ski et le championnat de handball.
Au-delà du savoir-faire en matière d’organisation proprement dite, le fait que la France sache garantir un niveau de sécurité correspondant à l’attente des participants et des États a également été rappelé par M. Jacques Lambert.
Il convient, par ailleurs, de rappeler que plusieurs événements de portée internationale ont lieu chaque année dans notre pays, au premier rang desquels le Festival de Cannes et le Tour de France, « une immense fête qui rassemble », aux dires de son directeur, M. Christian Prudhomme. Nous pourrions encore évoquer le Vendée Globe, le tournoi de tennis de Roland Garros, le Mondial de l’automobile ou encore la Foire de Paris pour souligner que notre pays a l’habitude de se retrouver sous le feu des projecteurs internationaux et qu’il sait s’en montrer digne.
Pour en revenir aux expositions universelles, plusieurs intervenants ont ainsi noté, au regard de ces paramètres, l’intérêt certain d’une candidature française et la crédibilité immédiate qui serait ainsi conférée à un tel projet. Car comme l’a indiqué M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du BIE, « le succès d’une exposition dépend de l’attractivité de la ville d’accueil » et rien n’est pire qu’une exposition universelle qui ne remplit pas ses promesses.
Si la France tire une fierté légitime de son savoir-faire et de l’attractivité de sa capitale, il faudrait néanmoins prendre garde à ce que ces atouts ne se transforment pas en handicaps. Estimant qu’elle a bien été servie par le passé et qu’elle continue de l’être à bien des égards, certains pays pourraient en effet considérer le choix français comme superflu. La concurrence étant de plus en plus rude, des nations concurrentes pourraient faire valoir à bon droit leur volonté d’accéder à leur tour au rang de pays organisateur.
Le processus complexe de compétition dans lequel il est envisagé de s’engager est en effet soumis autant à des réactions émotionnelles qu’à des considérations rationnelles et recèle donc une part de mystère. À cet égard, l’image que nous renvoyons de nous-même importe au premier chef, d’autant qu’elle n’est manifestement pas dénuée de lien avec la réalité.
b. Un faire-savoir aux effets contre-productifs
« Depuis des siècles, notre pays a dans le monde la supériorité incontestée du goût, de ce sentiment élégant de la couleur et de la forme qui trouve son application dans toutes les productions du génie humain. Nous avons imposé à l’univers entier jusqu’à la forme des objets intérieurs des demeures. » (47)
Ce texte a été publié en 1896 au Journal Officiel, pour annoncer la tenue de l’Exposition universelle de 1900 ! Sans aller jusqu’à examiner le fond du propos, le moins que l’on puisse reconnaître est qu’il illustre bien un certain manque d’humilité que beaucoup de nos interlocuteurs ont plus directement qualifié d’arrogance.
L’arrogance française, ce jugement est revenu fréquemment et très spontanément au cours de nombreuses auditions, dans des termes sensiblement identiques mais qu’il convient de rappeler :
M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du BIE : « Je sais d’expérience que nous passons souvent pour arrogants. »
M. Patrick Gautrat, ancien ambassadeur, ancien directeur des sports au ministère des affaires étrangères : « Enfin, je dirai que l’arrogance nous ʺcolle à la peauʺ, notamment aux États-Unis. Le Français arrogant, mal élevé et content de lui : c’est évidemment ce qu’il va falloir changer. »
M. Noël de Saint-Pulgent, auteur du rapport sur la préparation de l’Exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, ancien directeur général du GIP Paris Île-de-France pour la candidature de Paris aux JO de 2008 : « Nous, Français, avons à l’étranger l’image de gens sans doute sympathiques mais très autocentrés, arrogants et peu malléables. »
M. Guy Drut, ancien ministre, membre du Comité international olympique : « Il convient de reconnaître notre arrogance si nous voulons y remédier. Nous n’avons aucune leçon à donner à qui que ce soit […]. Si la France est le plus beau pays du monde, il faut être capable de le faire sentir à nos partenaires sans le leur dire ! »
Ces propos sont d’autant moins à prendre à la légère qu’ils émanent de personnalités qualifiées, habituées des instances internationales où s’expriment les jugements de nos partenaires étrangers. Mais quelles sont, au juste, les manifestations de cette arrogance française et ses conséquences pratiques ?
Il semblerait tout d’abord que la France et ses représentants ne sachent pas écouter les autres : M. Jean-Pierre Lafon, lui-même ambassadeur, reconnait ainsi que « parmi les ambassadeurs, ceux qui savent écouter ne représentent pas la majorité » et invoque pertinemment La Rochefoucauld, pour qui « l’extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes doit nous faire craindre de n’en donner guère à ceux qui nous écoutent ». Cette faiblesse transparait également dans le propos de M. Vicente Gonzales Loscertales quand celui-ci rappelle qu’ « une exposition doit non seulement être utile au pays organisateur, mais aussi apporter aux autres pays un élément de progrès ». Comme l’a indiqué encore une fois M. Jean-Pierre Lafon, « la réussite de l’exposition universelle supposerait que nous accueillions les autres au lieu de chercher à nous affirmer face à eux », en mettant l’innovation à leur service et en recueillant leur sentiment sur ce qu’elle doit être.
En d’autres termes, la France doit se départir de ce qui est souvent perçu comme une forme de condescendance et d’incapacité à recueillir les avis extérieurs, persuadée qu’elle est d’incarner à elle seule le droit chemin.
En outre, cette attitude est d’autant plus contre-productive qu’elle se retourne contre la France, dans le sens où le degré d’exigence à son égard atteint celui de sa prétention supputée.
M. Armand de Rendinger, ancien directeur de la promotion internationale du projet olympique « Paris 2012 », a ainsi observé qu’« il suffira à la France d’être candidate à l’Exposition universelle de 2025 pour être immédiatement favorite ! » et que, d’une manière plus générale, « les interlocuteurs sont beaucoup plus exigeants vis-à-vis de la France qu’ils ne le sont de l’Allemagne ou de l’Italie, par exemple. On attend d’elle non seulement qu’elle respecte les protocoles, mais qu’elle sache aussi se montrer innovante et révolutionnaire, sans se départir de ses qualités traditionnelles ». Son propos rejoint celui de M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure d’Ulm, pour qui « notre difficulté est donc de rester fidèles à notre héritage – sans la dimension rayonnement, phare du monde et donneur de leçons – tout en présentant une image moderne ».
Il ne s’agit donc pas de nous rabaisser mais bien de prendre conscience du handicap dont nous nous lestons, notamment lorsque la position de favori qui nous est conférée relève d’une instrumentalisation de la part de nos concurrents.
Dans la bataille qui pourrait s’engager à compter de 2016, le réseau diplomatique français devra, en tout état de cause, être mis à contribution, excellente opportunité pour lui d’apprendre à mieux manier les instruments du « soft power », soit notre capacité de convaincre, de séduire et d’attirer.
« S’il faut s’inscrire dans une dynamique de victoire », comme l’a exprimé M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE, dès lors que la France s’engage dans une compétition de cet ordre, « il faut être prêt à perdre. Le succès n’est jamais acquis et un échec ne serait en rien honteux ». La stratégie de l’humilité ne doit pas être une simple posture de circonstance, d’autant que la France a également connu des échecs cinglants dans ce type d’aventure.
2. De non moins incontestables rendez-vous manqués
Un détour par le passé s’avère nécessaire pour mieux entrevoir les écueils à éviter. Le double échec de la candidature parisienne aux jeux Olympiques d’été de 2008 et 2012 vient immédiatement à l’esprit. On se souvient moins, en revanche, de l’abandon en cours de route de deux projets d’expositions internationales, prévues l’une en 1989 et l’autre en 2004. Que nous révèlent ces rendez-vous manqués ?
a. Les leçons à tirer des échecs olympiques
Lorsque les 115 membres du Comité international olympique, réunis à Singapour le 6 juillet 2005, annoncèrent qu’il revenait à la ville de Londres d’organiser les jeux Olympiques de 2012, la déconvenue fut à la hauteur des espoirs nourris par la délégation française et de l’élan d’enthousiasme que cette candidature suscitait dans le pays. Cet échec intervenait alors même que la candidature de Paris apparaissait comme solide et disposait d’un contexte favorable : après la défaite devant Barcelone pour les Jeux de 1992 – compensée par l’attribution des jeux d’hiver à Albertville – et face à Pékin pour les Jeux de 2008 – candidature qui relevait davantage du « tour de chauffe » – , le temps de Paris semblait venu. S’il n’est pas question de remettre en cause le processus décisionnel propre au CIO qui diffère, en tout état de cause, de celui du BIE, il n’est pas interdit, à défaut d’en comprendre toutes les raisons, d’essayer d’en tirer des enseignements de portée générale.
Cet exercice critique public n’est pas si fréquent et plusieurs interlocuteurs n’ont pas manqué de le souligner devant la mission. « Après l’échec de notre candidature aux JO de 2008, j’avais suggéré d’interroger a posteriori les votants sur ce qu’ils avaient pensé de la candidature de Paris et sur la raison pour laquelle ils n’avaient pas voté en sa faveur. Un tel retour d’expérience nous aurait beaucoup appris », a ainsi déploré M. Noël de Saint-Pulgent.
M. Guy Drut a pour sa part déploré qu’il n’y avait eu aucune véritable évaluation de nos échecs en 2008 et en 2012 : « Je me contenterai d’une simple anecdote : Chantal Jouanno, alors ministre des sports, m’a demandé de participer à la cellule chargée de soutenir la candidature d’Annecy aux jeux Olympiques d’hiver de 2018. Lorsque j’ai souhaité consulter les archives de la candidature de Paris aux jeux d’été de 2012, aucun de ses collaborateurs n’a été en mesure de me les fournir ! Elles sont quelque part, dispersées. Les échecs de 2008 et de 2012 n’ont fait l’objet d’aucune réunion de bilan. »
Tout d’abord, c’est l’absence de professionnalisme en matière de lobbying et de marketing qui a été pointée par nos interlocuteurs. Cette faiblesse résulte, selon M. Armand de Rendinger, de notre fierté mal placée et d’un sentiment de défiance envers des pratiques considérées comme dégradantes.
« Les promoteurs du projet doivent pouvoir se faire une opinion des attentes des 160 pays vis-à-vis de la France en tant qu’organisatrice de l’exposition. À cette fin, ils doivent lancer, dès aujourd’hui, un travail de collecte d’informations économiques et politiques mais pas seulement, qui doit être partagé entre différentes personnes, mais coordonné par une seule au sein du comité organisateur, auquel il reviendra ensuite de croiser ces informations. D’autre part, il ne faut pas stopper le travail auprès des États soixante ou trente jours avant la décision. Les promesses doivent être tenues jusqu’à la dernière minute, et par les personnes présentes depuis le début de l’aventure, sachant que ce ne peut être les mêmes que celles qui ont remonté les informations. Le lobbying français confond tout : la même personne ne peut pas à la fois collecter l’information et signer le deal définitif. Ce n’est pas tenable vis-à-vis d’un représentant de gouvernement étranger, qui doit pouvoir respecter le responsable en tant que tel. Je suis moi-même assez bon lobbyiste, mais je suis incapable de signer un acte définitif. »
Ensuite, c’est l’organisation même du dispositif de candidature, décrit comme une « usine à gaz » propice à l’éclosion des querelles internes, qu’il a mentionnée.
« La France a l’habitude de créer des consensus, le problème c’est qu’elle les pousse jusqu’au management des projets. Et voilà l’usine à gaz ! C’est l’erreur qui a été commise pour les JO de 2012. Le management du projet doit être pyramidal, prendre la forme d’un commando....
« Les choses s’étaient parfaitement déroulées jusqu’à trois mois du vote : nous étions les favoris, avec des gens talentueux comme Guy Drut et Jean-Claude Killy, un maire très impliqué, un soutien sain, une mobilisation de qualité, des partis politiques discrets. Puis la France s’est laissé emporter par un autre ses maux, bien connu également à l’étranger ; le « bal des ego » a commencé : sûrs de gagner, les organisateurs n’ont plus pensé qu’à se répartir les pouvoirs et ils ont arrêté de travailler. Les Anglais, partis lentement, sont allés jusqu’au bout et ont fini par l’emporter de quatre voix, grâce à une campagne mettant en œuvre tous les moyens de lobbying et de promotion, mais aussi grâce à l’unité de leur pays. Les raisons de la défaite tiennent donc à un travail inabouti et à une candidature altérée par cette querelle des egos au cours des derniers mois. »
Enfin, mention particulière a été faite de la présentation finale du dossier, révélatrice d’une vision française manquant d’entrain.
Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist, a noté que « sans oublier l’histoire du pays, Londres a réussi à transmettre une image d’inclusion de toute sa population et d’inventivité, traduite par la cérémonie d’ouverture des Jeux. J’ai le souvenir que le film projeté par les Français au moment de présenter la candidature de Paris à l’organisation des jeux Olympiques était beaucoup plus tourné vers le passé. ».
Pour M. Guy Drut également, ce film était symptomatique :
« Je regrette également que personne ne nous ait demandé notre avis sur le film, qui avait été conçu par Luc Besson, un réalisateur de talent mais dans lequel peu de sportifs s’exprimaient, ce qui est grave. Trois mois avant l’échéance finale, lors d’une réunion de dirigeants, je me rappelle très bien avoir rappelé au maire de Paris que les Britanniques présentaient une candidature sportive soutenue par les politiques alors que la France en présentait une de plus en plus politique soutenue par les sportifs. Une scène du film se déroule au Fouquet’s : on y voit deux sportifs habillés en serveurs – Jean Galfione, champion olympique du saut à la perche, et Marie-José Pérec, triple championne olympique sur 200 et 400 mètres – apporter un café à deux acteurs célèbres. C’est l’inverse qu’il aurait fallu filmer ! C’était aux stars du cinéma de servir les deux athlètes. À un autre moment, les leaders de chaque centrale syndicale s’expriment : quel intérêt pour les membres du jury du CIO, qui viennent du monde entier, de l’Uruguay comme de la Mongolie ou de la Corée du Nord ? Les Britanniques, eux, ont tenu un discours complètement orienté sur la jeunesse. C’est une des grandes raisons pour lesquelles Paris a perdu. »
La France a cru que ses acquis historiques suffiraient à convaincre. La décision du CIO a eu le mérite de rappeler que même si c’était le baron Pierre de Coubertin qui avait ressuscité les jeux, c’était il y a plus d’un siècle, la France n’ayant plus aucun droit à faire valoir à cet égard.
b. La présence française dans les expositions internationales.
Les vulnérabilités potentielles d’une candidature à l’exposition universelle tiennent également à notre contentieux passé avec le BIE, ainsi résumé par M. Bernard Testu :
« En 1989, sous l’impulsion de François Mitterrand, une exposition universelle devait célébrer le bicentenaire de la Révolution française. Alors que le BIE était allé jusqu’à changer ses règles de fonctionnement pour conforter la candidature française, les désaccords entre François Mitterrand et Jacques Chirac ont conduit à l’abandon du projet. Plus récemment, l’exposition internationale « Images 2004 » avait bien fait l’objet d’accords entre différents partis composant la majorité de l’époque, mais non d’une véritable volonté politique partagée par l’administration. Lorsque Jean-Pierre Raffarin est devenu Premier ministre, la France a renoncé au projet, qui plus est d’une façon cavalière – épisode qui lui a valu quelques rancunes. Notre pire ennemi, c’est donc nous-mêmes. »
L’organisation de l’Exposition universelle de 1989, sur le thème des « chemins de la liberté, projet pour le troisième millénaire », fut confiée à la France par le BIE le 8 décembre 1982. La modification des règles internationales que ce projet avait nécessitée fut, aux dires de M. Vicente Gonzales Loscertales, une catastrophe ayant entraîné le dérèglement du rythme des expositions internationales. C’est d’autant plus regrettable que François Mitterrand annonçait le renoncement de la France dès le mois de juillet 1983, après avoir dressé le constat de blocages rédhibitoires avec la Ville de Paris. Entre-temps, le Parlement avait été saisi de la question par le dépôt d’un projet de loi à l’Assemblée nationale le 25 avril 1983. Ce texte fut définitivement adopté deux mois plus tard mais la loi ne fut jamais promulguée. (48)
Il est intéressant de se reporter aux extraits des débats parlementaires publiées au Journal officiel, ainsi qu’aux rapports correspondants de l’Assemblée nationale (49) et du Sénat (50) à un double titre : d’une part, on y retrouve les grandes problématiques qui sont encore les nôtres à trente années de distance, qu’il s’agisse du choix de l’implantation, des capacités d’accueil, des questions de transports ou encore de l’incidence financière ; d’autre part, alors même que majorité et opposition de l’époque s’accordent sur le principe de l’exposition, le désaccord qui se manifeste sur sa mise en œuvre pratique renvoie in fine au positionnement de chacun sur l’échiquier politique, doublé de considérations locales (51).
S’il ne s’agit pas de rouvrir les plaies du passé, tout juste est-il permis de regretter que ces affrontements aient conduit au reniement de l’engagement pris par la France devant le BIE. Rappelons de surcroît que l’idée même d’une exposition universelle, avant d’être reprise par François Mitterrand, avait été émise par Marcel Dassault, député de l’Oise et doyen de l’Assemblée nationale, dans son discours prononcé à l’occasion de la première séance de la sixième législature, le 3 avril 1978, proposition réitérée dans son discours du 2 juillet 1981.
Le processus ayant conduit à l’abandon du projet de l’Exposition internationale de 2004, en Seine-Saint-Denis, diffère sensiblement. À la différence de 1983, les élus locaux apparaissent cette fois bien plus enthousiastes que le Gouvernement, qui a pourtant pris l’initiative de la candidature en 2001. Quelques semaines après l’alternance de 2002, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin missionne M. Noël de Saint Pulgent en vue d’expertiser les différents problèmes que rencontre la préparation de l’exposition. Ce dernier remet son rapport un mois plus tard (52) et le Gouvernement annonce unilatéralement l’abandon du projet le 21 août 2002 :
« Ce fut une expérience assez douloureuse, car il a fallu conclure qu’il n’était pas raisonnable de poursuivre l’aventure. Les raisons à cela étaient diverses, la première étant que la candidature de la France résultait d’une décision politique de circonstance et n’avait pas de véritable ancrage. L’idée d’installer une exposition internationale à côté du Bourget était mal calibrée, elle manquait de soutiens politiques, hormis les élus communistes du département, et surtout elle était irréaliste en termes de coûts et de délais. Rien qu’accéder au site était difficile. Il y a douze ans, la desserte par les transports en commun était déjà une condition essentielle au succès d’une manifestation de cette ampleur. […] En outre, la conception même du projet souffrait d’un important retard, impossible à rattraper en deux ans, à moins d’engager des moyens considérables, tant humains que matériels. Lorsqu’ont été constatées des dérives de coûts, favorisées par l’absence d’expertises et de contre-expertises, j’en suis arrivé à la conclusion qu’au lieu d’améliorer l’image de la Seine-Saint-Denis, ce projet risquait au contraire de la dégrader. »
La première leçon à retenir de se double renoncement est l’impérieuse nécessité de parvenir à construire, dès le stade de la candidature, un consensus politique fort, dépassant les clivages partisans et survivant aux alternances, et d’obtenir l’appui effectif des principales collectivités locales concernées et de l’État.
La deuxième leçon nous renvoie à la perception de la France au sein du BIE : aux dires de son secrétaire général, cette image n’est pas irrémédiablement ternie mais il faut bien avoir conscience que ces précédents seront évoqués à un moment ou un autre dans le processus de sélection, le cas échéant par nos éventuels concurrents. « Si le pays candidat dépend totalement du BIE jusqu’au moment du vote, il devient ensuite seul maître à bord. C’est pourquoi le BIE craint les abandons en cours de route », a rappelé M. Bernard Testu.
Il en découle une troisième leçon : la campagne en faveur de l’attribution de l’Exposition universelle de 2025 à la France devra passer par une présence active à Milan en 2015.
Si le pavillon français à l’Exposition universelle de Shanghai, fort de ses 10 millions de visiteurs, a connu un réel succès de fréquentation, il ressort de l’audition de M. José Frèches, commissaire général de la section française lors de cette exposition, que mener à bien de telles opérations requiert une mobilisation permanente de leurs maîtres d’œuvre face au manque de mobilisation des administrations, voire même à leur hostilité.
« L’État français et le Gouvernement doivent donner plus que l’impression de s’intéresser aux expositions universelles et internationales. Si je le précise, c’est que cela ne va pas de soi. À peine nommé président de la Compagnie française pour l’Exposition universelle de Shanghai, la COFRES, j’ai appris que le ministre des affaires étrangères et la ministre de l’économie avaient, dès août 2007, osé recommander au Président de la République le projet d’un pavillon franco-allemand, sous prétexte de diviser par deux les frais et de renforcer les liens entre la France et l’Allemagne. […] Ce fantasme continue de hanter la direction du budget et certaines directions du Quai d’Orsay. Je sais que certaines administrations étaient hostiles à la participation de la France à l’Exposition internationale de Yeosu, et notre pays n’avait toujours pas fait savoir sa décision en décembre 2010. […] Vous imaginez bien que si la France n’y avait pas été représentée, votre mission n’aurait aucune raison d’être […] À l’époque, le BIE me téléphonait toutes les semaines pour avoir une réponse et me faire part de l’embarras des Sud-Coréens face à l’inertie française. Si je rappelle tout cela, c’est parce qu’il faut avoir conscience que la candidature française souffrira d’un certain passif. »
De même, la participation de la France à l’Exposition universelle de Milan, du 1er mai au 31 octobre 2015, n’a été manifestement officialisée que fort tardivement, comme l’a du reste reconnu lors de son audition M. Alain Berger, qui en assure le commissariat général. La décision d’attribution à Milan de l’organisation de l’Exposition de 2015 ayant été prise le 31 mars 2008, le dossier d’enregistrement a été officiellement remis le 22 avril 2010 puis approuvé par le BIE le 20 octobre de la même année. L’enregistrement officiel de l’événement a finalement eu lieu le 23 novembre 2010 durant l’Assemblée Générale du BIE. Dès le mois d’avril 2011, vingt pays avaient confirmé leur présence, notamment la Suisse, la Turquie, l’Égypte, la Russie, l’Allemagne, et l’Espagne ; ils étaient 111 à la fin de l’année 2012 et seront finalement 144 (chiffre officiel de juin 2014). Pour sa part, la France ne s’est engagée qu’au début de l’année 2013 et le contrat de participation a été signé il y a un peu plus d’un an seulement.
La candidature française à l’Exposition universelle de 2025 serait donc affaiblie si l’on ne tenait pas compte des expériences passées et que l’on ne parvenait pas à éviter certains écueils. L’enjeu consiste à sortir d’une certaine obsession de nous-mêmes et à mieux écouter les autres, à faire en sorte que les querelles internes de divers ordres ne ressurgissent pas au beau milieu du processus, enfin à faire la preuve de notre capacité à tenir nos engagements et à nous mobiliser sur la longue durée.
À ce stade, le fait de pouvoir dresser un tel bilan dans le cadre d’une mission parlementaire pluraliste constitue assurément un premier pas encourageant. Ce faisant, c’est bien au-delà du cercle de cette mission qu’il convient d’agir pour asseoir une candidature solide, de la base au sommet.
B. L’INDISPENSABLE IMPULSION D’UNE DYNAMIQUE DU SOMMET À LA BASE
1. La mobilisation doit commencer au sommet
Ainsi que l’a souligné M. Vicente Gonzales Loscertales, « ce n’est pas Paris qui organise l’expo : c’est le pays tout entier… Les pays qui gagnent sont ceux dont les autorités font preuve d’un engagement très fort. Dubaï l’a emporté face à la Russie, le Brésil ou la Turquie, grâce à la forte mobilisation de tous les pouvoirs – économique, politique, social. D’une façon générale, le gouvernement du pays doit être le protagoniste de la campagne et y engager toutes ses ressources… ».
La France doit résolument s’engager sur la voie de la candidature : « une véritable implication des pouvoirs publics de notre pays est la première condition pour que la candidature de la France ait la chance d’être acceptée. L’État français et le Gouvernement doivent donner plus que l’impression de s’intéresser aux expositions universelles et internationales », a fait remarquer M. José Frèches, ajoutant qu’une fois l’idée du pavillon franco-allemand abandonnée pour l’Exposition de Shanghai, les financements avaient été difficiles à mobiliser.
Une conclusion s’impose donc : « pour que la France ait une chance d’organiser l’Exposition universelle de 2025, encore faut-il qu’elle en ait envie et surtout qu’elle le montre…, que ce projet soit porté par le Président de la République et par tous les partis politiques ».
M. Xu Bo, ancien adjoint au commissaire général de l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai est également formel : « La ville met en œuvre l’exposition mais c’est l’État qui parle. Il faut mobiliser au plus haut niveau. Le Président de la République lui-même doit être sensibilisé par votre campagne. C’est primordial. L’État doit mettre à la disposition de cette campagne toutes ses ressources et ses atouts diplomatiques… La campagne a été très difficile pour la Chine. Ce fut aussi le cas pour Milan. Elle a mobilisé les présidents des deux pays ».
M. Noël de Saint-Pulgent, dans son rapport sur la préparation de l’Exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, avait conclu qu’il n’était pas raisonnable de poursuivre, pour plusieurs raisons, la première étant que la candidature de la France « résultait d’une décision politique de circonstance et n’avait pas de véritable ancrage », sans réels soutiens politiques, excepté les élus du département.
M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE, lui a fait écho : « ce sont les pays les plus mobilisés qui l’emportent, et de loin », ajoutant que le facteur historique et culturel devait être relativisé, puisque la Russie et la Turquie, vieilles de plusieurs millénaires, ne sont inclinées devant un pays jeune : « j’ai eu personnellement l’impression que l’émir de Dubaï s’était beaucoup plus investi dans cette affaire que les autres chefs d’État. De fait, pour qu’un pays l’emporte, il faut que sa candidature soit défendue au plus haut niveau de l’État, appareil diplomatique et économique compris ». L’émir s’est largement mobilisé, de même que, pour les expositions attribuées auparavant, les présidents chinois et italien.
De même, la réalisation des infrastructures essentielles pour la réalisation de ce projet – le réseau Grand Paris-Express et la liaison Roissy-centre-ville – ne pourront être menées à bien et dans les délais impartis que si le chef de l’État s’y investit.
Par ailleurs, il faudra convaincre les 168 pays siégeant au BIE, qui ont chacun une voix et « ont besoin de considération », selon M. Jean-Pierre Lafon : « il faudra donc que les plus hautes autorités du ministère des affaires étrangères leur accordent à tous la même attention ». Si elle est candidate, la France pourra s’appuyer sur son réseau diplomatique, un des plus développés.
C’est ainsi qu’il est primordial de « définir une nouvelle diplomatie, dont relèvent la découverte de zones que nous connaissons mal, la réorientation de notre politique de coopération, la promotion de nos entreprises, de nos laboratoires de recherche, de nos universités, en lien avec les initiatives prises depuis quelques années au plus haut niveau ».
Comme l’a fait remarquer M. Bernard Testu, le vote est secret au BIE, et « il n’est pas facile d’élaborer une stratégie d’influence ». Il faudra donc y attacher le plus grand soin : « le rôle des services diplomatiques est essentiel : à eux de s’informer du cheminement de la réflexion dans chaque pays… les grands candidats du passé, qu’ils aient gagné ou perdu, s’étaient toujours appuyés sur un réseau de spécialistes des questions internationales ».
Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique a également souligné le rôle important joué par l’État : comme le BIE est composé d’États, « il faudra que l’État s’en mêle, avec des outils de lobbying adaptés ».
2. La mobilisation doit continuer avec les autres acteurs de la société française et la population
a. Une nécessité incontournable
« Vendre un projet, c’est vendre un pays », a souligné devant la mission M. Armand de Rendinger. Il est essentiel que tous s’impliquent : on ne peut pas promouvoir et organiser un évènement sans le soutien de la population.
Mobiliser au sommet, mais aussi à la base, voilà un double devoir auquel il faut s’attacher, selon M. Luc Carvounas, sénateur et membre du comité fondateur de l’association ExpoFrance 2025 : « convaincre les plus hautes autorités de l’État, mais convaincre aussi nos concitoyens et susciter chez eux de l’enthousiasme ».
Il faut obtenir l’adhésion de toute la société : « Ce qui fait la différence, c’est l’enthousiasme avec lequel les projets ont été présentés… le succès d’une candidature dépend du niveau d’engagement, de la « rage » de tous les acteurs », selon M. Vicente Gonzales Loscertales, qui ajoute : « l’exposition du futur…devra conduire les citoyens à être critiques, actifs et participatifs ». Il en résulte donc que « l’exposition du XXIe siècle doit être un immense exercice de communication »
M. José Frèches a également estimé nécessaire que les plus hautes autorités de l’État s’efforcent de mobiliser les collectivités locales et les habitants des territoires où se tiendra l’exposition, ainsi que l’ensemble des Français.
La recommandation de M. Jean-Pierre Lafon va dans le même sens : il convient de mobiliser le plus grand nombre d’acteurs possible : « vous devez associer à votre réflexion les grandes entreprises… les représentants des salariés, les forces sociales, car toutes les forces vives de la nation doivent contribuer au projet, par-delà les options politiques, syndicales ou partisanes ».
Les jeunes doivent également être sensibilisés, ainsi que le préconise M. Xu Bo : « Il faut mobiliser les jeunes en recueillant leur opinion dès la préparation de la candidature, en leur demandant quel est leur vision du monde de 2025 et comment vivre mieux. De ce fait, ils se sentiront engagés. Un concours pourrait également être organisé entre les étudiants des pays francophones : quel sera le monde de 2025 ? Les jeunes pourraient donner leur version du meilleur monde ».
« Pour promouvoir le projet d’exposition universelle, selon M. Thierry Coltier, managing partner de Howarth HTL France, il faudra anticiper les objections qui ne manqueront pas d’être soulevées – il y aura toujours des gens pour voir le verre à moitié vide, les contraintes, les charges. Il faudra donc expliquer, travailler avec les leaders d’opinion en Île-de-France, mais aussi associer très en amont tous les acteurs, en particulier le monde de l’économie collaborative, avec les nouveaux acteurs numériques ».
Votre rapporteur tient à souligner que si, formellement, le dossier de candidature est présenté par le pays, il est indispensable que le nôtre soit porté non seulement par la France, mais aussi ses territoires et ses entreprises.
b. Une population d’ores et déjà réceptive
i. Une démarche collective
M. Luc Carvounas l’a souligné : « à l’heure du délitement social, de la désaffection envers la chose publique, de l’abstention massive et du « déclinisme » ambiant, nous proposons de nous fédérer autour d’un projet national, populaire et rassembleur. Cette candidature doit être une coproduction. Nous proposons donc un projet collaboratif aux territoires et à nos concitoyens ».
Le terrain parait favorable. Une récente étude IFOP (53) réalisée auprès de plus de mille Français a montré que 84 % d’entre eux sont favorables à l’exposition universelle, et que, s’il fallait choisir entre les deux événements, 36 % la préféreraient aux JO alors que 18 % opteraient pour ceux-ci (cf. annexe n°2). D’ailleurs, ce sont les personnes les plus jeunes, avec les plus âgées, qui soutiennent le plus l’idée d’une tenue d’une exposition universelle en France.
Un comité de soutien mis en place par l’association ExpoFrance 2025 permet à toute personne favorable à ce projet de signer en faveur de cette candidature. Au 24 octobre, 5070 signataires ont été comptabilisés, auxquels s’ajoutent plus de 9000 « fans » sur Facebook et de 7000 « followers » sur Twitter. « Les réseaux sociaux sont une grande chance », comme l’a fait remarquer à la mission M. Hervé Brossard, président de l’Omnicom Media group France « ils permettront de communiquer - et non d’asséner des idées -, de dialoguer de façon constructive et permanente, et in fine, de faire remonter les propositions de l’ensemble des Français », ajoutant d’ailleurs que cela pourrait être un projet sans frontières.
La candidature de la France est d’ores et déjà soutenue par de nombreux acteurs, par de nombreuses grandes entreprises publiques et privées, par l’Association des maires de France et l’Association des régions de France (annexe n°3). Le maillage devra se tisser également grâce aux comités régionaux et départementaux du tourisme.
Mme Claude Revel a fait remarquer que le projet de candidature « fait largement appel à l’intelligence collective dans son but comme dans ses modalités. D’abord parce qu’il permet de fédérer les citoyens autour d’un but commun dans un esprit de cohérence. Ensuite, car il est conçu en collaboration, avec un éclatement dans le temps et l’espace et s’inscrit dans le nouvel esprit numérique actuel ».
ii. L’adhésion du monde des entreprises
Pour attirer les entreprises « dans cette formidable aventure », M. Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI de la région Île-de-France , propose de mettre à la disposition des promoteurs du projet l’ensemble de ses réseaux de chefs d’entreprises.
Les organisations patronales ont également souligné leur adhésion. M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF, s’est déclaré extrêmement favorable à une candidature de la France à l’Exposition de 2025 : « notre pays, en plein marasme économique, a besoin d’un projet fédérateur, capable de créer une union nationale. Non seulement celui-ci est largement consensuel, mais il mettrait à l’honneur la science et la technique ». M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, a précisé que son organisation prendrait une part importante au projet : « celui-ci s’inscrit dans une dynamique de relance économique. Il redonnera du sens à la notion de progrès ».
Les entreprises elles-mêmes y sont également très favorables, quel que soit leur secteur ou leur taille, comme en témoignent les contributions à l’association ExpoFrance.
Pour M. Marc Antoine Jamet, secrétaire général du groupe LVMH, « les Maisons du Groupe LVMH sont les ambassadeurs de l’art de vivre français dans le monde entier : nos savoir-faire, notre créativité et l’élégance de nos produits incarnent la France. Nous sommes les héritiers de cette culture et nous sommes fiers de la promouvoir. Il était donc naturel que LVMH s’engage pour ExpoFrance 2025. Ce soutien fait écho aux participations historiques des Maisons du Groupe aux expositions universelles : dès 1867 Louis Vuitton malletier y a démontré son art et obtenu des médailles ;…Nous nous engageons donc avec enthousiasme derrière ce projet dont les valeurs sont à l’unisson de celles que promeuvent les 110 000 salariés du Groupe : créativité, innovation, entrepreneuriat et excellence. »
Les PME sont également nombreuses à participer au projet (annexe n° 3).
iii. L’enthousiasme des jeunes
Leur mobilisation est essentielle ; comme l’ont fait remarquer nombre de nos interlocuteurs, ils auront 30 ou 35 ans en 2025 et joueront pleinement leur rôle, notamment dans le monde économique.
Des étudiants de 7 grandes écoles et universités (54) qui, pour une fois travaillent ensemble, comme s’en félicitait M. Christian de Boissieu devant la mission, et dont deux ont été reçues par la mission, se sont emparés de ce projet et ont présenté des contributions passionnantes, stimulantes et particulièrement innovantes. Ces projets se sont tous révélés profondément originaux : en raison des thèmes choisis –l’un d’eux, l’hospitalité, paraissant refléter opportunément ce que pourrait être le message d’une exposition universelle du XXIe siècle – de l’intégration des technologies les plus modernes, du soin de faire participer les métropoles et les territoires à l’exposition, et même de l’association étroite des pays invités à la préparation du projet.
Le nombre d’établissements est à la mi-octobre de 13 ; L’école des Gobelins envisage d’apporter des éléments graphiques ; l’ESCP-Europe élabore un business plan ; des écoles et universités des régions vont également travailler sur l’exposition universelle, dont l’Université de Toulouse Jean-Jaurès (annexe n° 3)
iv. La mobilisation des territoires
Les territoires ne sont pas en reste. « L’idée est que ce projet parvienne à mobiliser sur une douzaine d’années l’ensemble des territoires sans risques de combats politiques », comme le précise M. Ghislain Gomart, directeur de l’association ExpoFrance 2025. Les 550 maires qui ont soutenu le projet lors du congrès des maires sont en outre issus de tous les départements, y compris d’outre-mer.
Répondant à une question de l’association ainsi formulée : « arrivez-vous à mobiliser votre opposition et votre majorité sur un projet, ce projet pour la France transcende-t-il les oppositions municipales ? », de nombreux conseils municipaux ont voté un vœu en faveur d’une exposition universelle en France en 2025 (annexe n°4).
L’Association des Maires de France s’est déclarée résolument en faveur d’une exposition universelle par le truchement de son Président, M. Jacques Pélissard, déclarant à l’association ExpoFrance 2025 : « Je me félicite du projet de candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025 qui constituera, pour notre pays, un formidable défi. Nous devrons, en effet, tous nous mobiliser pour que la France accueille cet évènement mondial et qu’il soit l’occasion de montrer le savoir-faire de nos entreprises, créateurs et ingénieurs, retrouvant ainsi l’esprit pionnier des six expositions déjà organisées dans notre pays il y a bien longtemps maintenant. À cet égard, je partage complètement votre volonté d’associer tous les territoires à ce projet exceptionnel dont le Grand Paris sera le pivot.… Nous ne manquerons pas de relayer auprès des communes de France l’avancée de ce projet mobilisateur et fédérateur pour notre pays. »
Une exposition universelle en France « est une véritable opportunité pour tourner le dos au pessimisme ambiant et se doter d’un grand projet mobilisateur, fédérant acteurs publics et privés dans une dynamique commune » a estimé M. Charles-Eric Lemaignen, président de l’Association des Communautés de France. « Séduite par la vitrine que cette exposition multi-sites peut offrir à l’ensemble de nos dynamiques territoriales, l’AdCF a choisi de s’engager résolument en soutien actif de la candidature française. Ce projet peut trouver une très forte synergie avec la constitution du Grand Paris et de nos métropoles, mais il doit également mobiliser l’ensemble des territoires de France qui peuvent en espérer des retombées concrètes ».
M. Alain Rousset, président de l’Association des régions de France, lui a fait écho : "Les Régions de France sont très heureuses de soutenir le projet d’Exposition universelle 2025. La construction du projet, associant les Régions et villes comme autant de portes d’entrée de l’exposition universelle pour les visiteurs du monde entier, rencontre leur pleine adhésion. L’Exposition universelle de 2025 sera une formidable occasion de faire connaître au monde les savoir-faire de nos entreprises, de nos créateurs, de nos chercheurs. Un tel événement mérite que toutes nos collectivités et institutions se mobilisent ensemble pour le préparer."
Le conseil régional d’Île-de-France a adopté un vœu de soutien et de mobilisation, voté par l’ensemble de ses élus, comme l’a confirmé M. Jean-Paul Huchon, son président, à la mission : « je suis convaincu…que notre région a besoin d’un grand projet qui conforte son attractivité dans la compétition mondiale, d’un catalyseur du développement touristique et plus particulièrement de sa région capitale-en allant bien sûr au-delà de Paris. Ce qui est en jeu, c’est notre capacité à rassembler les Franciliens et les Français autour d’un évènement fédérateur, mobilisateur, créateur d’identité. Cette candidature sera populaire, elle sera soutenue par l’ensemble de la population, ou elle ne sera pas. L’implication des Franciliens – et donc leur mobilisation à chaque étape – me semble la condition sine qua non de l’acceptation de cette candidature ».
M. Claudy Lebreton, président de l’Association des Départements de France a également fait part de son enthousiasme : « l’ADF s’engage avec conviction en faveur de la candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle en 2025. La perspective d’accueillir le monde entier pendant six mois, dans notre pays, est une chance unique que nous devons saisir collectivement. Cela ne pourra se faire que si l’ensemble des énergies se rassemble autour de ce beau projet et notamment les territoires dont la richesse et les capacités d’innovation ne sont plus à démontrer. Si le Grand Paris sera bien évidemment au cœur de cet événement majeur, l’originalité et la force de notre candidature passeront incontestablement par notre capacité à mobiliser et valoriser l’ensemble de nos atouts nationaux et locaux."
Sur les personnes ayant signé en faveur de la candidature, environ 16 % habitent Paris, 17 % l’Île-de-France hors Paris et 67 % le reste de la France, ce qui montre l’intérêt de la population des territoires. Comme l’a souligné Mme Martine Carrillon-Couvreur, « dans nos territoires, des gens modestes ont besoin de croire en un projet de dimension internationale, pour le partager avec d’autres ».
v. Les modalités d’une mobilisation accrue
Un travail pédagogique soutenu sera essentiel afin de faire partager à nos concitoyens la richesse du projet, comme l’a souligné M. Pierre-Antoine Gailly : « Il faut d’abord faire connaître et faire comprendre. En effet, lorsque l’on parle d’exposition universelle, on voit souvent 500 hectares, quelque part, avec des pavillons en dur. Vous proposez une approche différente, que nous soutenons. Mais cela suppose d’expliquer aux gens que la localisation sera multiple, avec des éléments centraux mais aussi des éléments périphériques utilisant les « nœuds » du Grand Paris-Express, et que la mobilisation sera à la fois globale et locale.
Il faudra également mettre en avant la dimension multimédia du projet, dans la mesure où le digital permettra de communiquer plus aisément ».
Quant aux canaux à utiliser pour mobilier le plus grand nombre, ils peuvent évoluer à chaque étape de la construction du projet : « Je pense qu’il ne faut pas raisonner en termes de structures – forcément lourdes, surtout s’il y a de l’argent public en jeu. Il serait préférable de commencer par « mettre la machine en route », afin d’emporter l’adhésion. À partir de là, la structuration de la démarche se fera assez naturellement. Et l’adhésion passe par la compréhension ».
M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts-de-Seine, a estimé que, pour les entreprises, « l’important est qu’elles voient apparaître progressivement, et de la manière la plus structurée et la plus claire possible, un projet dans lequel on les amènera à s’intégrer et à adhérer. L’approche sera d’ailleurs sans doute différente, suivant qu’il s’agira d’entreprises numériques très porteuses, ou d’entreprises locales que l’on pourra associer différemment au projet.
Ensuite, il me paraît évident que la structuration proposée pour l’exposition universelle est basée sur des réseaux. Il faudra donc la renforcer en bâtissant toute une série de réseaux. Ensuite, dès que le projet aura mûri, il faudra déterminer des lignes de force et proposer à certains de participer à des travaux et de s’intégrer à certaines réflexions. Plutôt que d’amener les gens à soutenir en bloc l’exposition universelle, il serait préférable, et davantage dans l’esprit d’une exposition universelle, de les amener à dire ce qu’ils peuvent apporter en fonction de ce qu’ils sont ».
Il faut partir des atouts existants : « il faudra établir une corrélation entre ce que l’on va trouver dans des territoires qui ont déjà une forme de spécialisation, même non dite, et la façon dont l’exposition universelle va elle-même se structurer. Par exemple, dans les Hauts-de-Seine,…, il y a un point de force autour du numérique, et cela peut constituer une zone d’attraction. De la même façon, dans la partie Nord et en Seine-Saint-Denis, on peut sûrement exploiter ce qui existe dans le secteur de l’image. Je pense donc que la structuration se fera plutôt autour des thèmes que l’on retiendra et à partir des compétences et des points de force des entreprises ».
Votre rapporteur insiste sur le fait que l’existence des événements « off », l’extension de l’exposition hors les murs, permettra la multiplication des manifestations propres à mettre en valeur entreprises, territoires et culture. Dans cette perspective, il se félicite de l’enthousiasme que partagent, unanimes, universitaires, élus et, d’une manière générale, tous ceux qui sont au cœur de l’activité économique.
vi. Dépasser les clivages
Une exposition universelle peut permettre de dépasser les clivages et de créer une profonde unité, comme l’ont d’ailleurs souligné à l’unanimité les différents interlocuteurs de la mission, mettant l’accent sur les conséquences positives de l’exposition en matière d’identification et de fiertés nationales. Elle peut donner lieu à un engagement moral et sentimental du pays, induisant une volonté de travailler ensemble. Pour reprendre les mots de Mme Martine Carrillon-Couvreur, « l’enjeu est de remettre la France dans la lumière ».
vii. Co-créer un concept révolutionnaire
Votre rapporteur tient à le souligner, nous n’en sommes qu’au début de la conception du projet. Nous allons ouvrir le concept d’exposition universelle dans des proportions encore inconnues, avec des dizaines de projets qui vont venir se greffer au nôtre. L’exposition universelle peut déboucher sur une fête populaire qui durera six mois. Au fur et à mesure que le projet va se développer, certains éléments vont prendre une importance croissante, nous allons intéresser des protagonistes qui ne pouvaient jusqu’alors accéder aux expositions qu’en tant que consommateurs. Au-delà du dossier de candidature, nous devons réfléchir à ce à quoi il va donner naissance.
Selon les mots du président Jean-Christophe Fromantin, ce matériau brut est en effet appelé à s’enrichir au cours des dix prochaines années, grâce à un processus d’appropriation collective. Nous sommes confrontés à un double défi : l’approfondissement du projet, jusque dans l’épaisseur de la ville, et son enrichissement par les autres acteurs – villes, entreprises, grand public.
Le thème revêt une importance cruciale. Cruciale parce que c’est l’un des éléments fondamentaux sur lesquels se fondera le Bureau international des expositions pour retenir la candidature. Cruciale également parce qu’il demeure un élément fédérateur pour emporter l’adhésion des citoyens au projet de candidature. Cruciale enfin parce que c’est lui qui déterminera la forme que les exposants souhaiteront donner à leur participation, assurant par la même l’intérêt et le succès de la manifestation.
1. Le thème, un facteur clé du dossier de candidature
a. Un des éléments qui détermine le succès de la candidature
Comme le précise M. Bernard Testu, qui fut vice-président du BIE, « La lettre de candidature, signée du Président de la République ou du Premier ministre et adressée au président du BIE, ne contient au départ que trois éléments : un lieu, un thème et une période – qui peut aller jusqu’à six mois. Le lieu peut rester approximatif, mais le thème – de portée universelle, tel que les océans ou l’énergie – doit être précisément défini. C’est en effet un élément essentiel de la proposition. Le dossier de candidature, qui vient plus tard, doit décrire le consensus politique sur lequel j’ai insisté, les conditions matérielles envisagées pour l’exposition et les déclinaisons du thème proposé dont il doit montrer le caractère fédérateur et la pertinence. Il convient donc de créer immédiatement un comité ad hoc de spécialistes et d’autorités morales et scientifiques du secteur concerné, chargé de rédiger ce document de 20 à 40 pages – généralement passionnant – qui nourrira la réflexion des futurs scénographes de l’exposition. »
Selon M. Xu Bo, le thème, pour conduire au succès, doit non seulement être fédérateur afin d’emporter l’adhésion des citoyens du pays candidat mais également toucher l’ensemble des pays membres du BIE, qu’il s’agisse des pays développés ou de ceux en voie de développement : « La qualité du dossier est d’abord celle du thème retenu pour l’exposition. Nous avions un thème magnifique, consensuel : « Meilleure ville, meilleure vie. » Aujourd’hui, tout le monde vit en ville : cela a été facile d’obtenir les votes tant des pays développés que des pays en voie de développement. ».
b. Le caractère universel du thème
Le caractère universel du thème a été rappelé par M. Vicente Gonzales Loscertales lors de son audition, celui-ci ajoutant que la première condition d’une exposition réussie était d’être utile aux citoyens.
Pour ne rappeler que les dernières, l’Exposition universelle de Séville de 1992 avait pour thème « L’ère des découvertes », celle d’Hanovre (2000) « Humanité-Nature-Technologie », celle d’Aichi (2005) « La sagesse de la nature ». Ce fut également le cas pour les expositions suivantes avec les thèmes de « L’eau et le développement durable » à Saragosse, en 2008 et celle de Shanghai (2010) « Meilleure ville, meilleure vie ». L’Exposition de Milan, en 2015, aura également un thème transversal « Nourrir la planète, énergie pour la vie », de même que celle de Dubaï en 2020, « Connecting Minds, Creating the Future ».
Selon M. Pascal Ory, nous nous trouvons face à un paradoxe : le thème doit refléter les valeurs dominantes de notre époque, tout en tenant compte du fait de l’individualisation croissante des sociétés occidentales : « chaque exposition universelle est le miroir grossissant des valeurs dominantes de l’époque et, actuellement, les questions environnementales sont au centre des réflexions. Les Chinois eux-mêmes avaient consacré une partie de l’Exposition de Shanghai au développement durable. D’autre part, on est frappé par l’accélération de l’individualisation au sein d’une société mondiale largement occidentalisée. Il faudra donc insister sur l’appropriation individuelle de l’innovation et de l’art de vivre, en trouvant le moyen de s’adresser subtilement à chacun des 75 millions de visiteurs en particulier ».
c. La déclinaison du thème dans l’exposition
Le thème est un élément indissociable du processus de candidature mais il doit d’ores et déjà s’inscrire également dans la perspective de l’organisation de la manifestation, dont le succès repose sur la participation des États et de la société civile mondiale, qui seront amenés à la décliner dans leurs différents pavillons.
L’intérêt du thème et l’écho qu’il rencontrera justifieront l’implication qualitative des différents exposants. La mission a ainsi pu prendre la mesure de la crainte du BIE de voir les expositions devenir un simple prétexte à la fête, sans que le thème en lui-même y soit pertinemment traité. L’objectif consiste donc à ce que les nations invitées, les grands organismes internationaux ou encore les organisations non-gouvernementales puissent avoir un véritable message à délivrer sur le sujet qui sera choisi. Leur présence dans l’exposition ne doit pas être un simple exercice de courtoisie ou de diplomatie, ni même une pure affirmation de puissance, elle doit traduire une adhésion à la démarche globale.
Lors de son audition par la mission, M. Alain Berger, commissaire général de la section française à l’Exposition universelle de Milan a particulièrement insisté sur la résonance du thème retenu comme facteur-clé expliquant que la France ne pouvait en être absente. Le droit, pour tous les habitants de la planète, à une alimentation saine, sûre et suffisante concerne en effet directement notre pays, doté d’atouts économiques et scientifiques incontestables en la matière, qui se traduisent par une position privilégiée sur les marchés mondiaux et par l’importance du secteur agricole et agroalimentaire dans son économie nationale.
La France déclinera donc le thème « Produire et nourrir autrement » en délivrant quatre messages forts au sein de son pavillon :
− La France est à même de contribuer significativement à l’autosuffisance alimentaire mondiale ;
− La France sait à la fois « produire plus » et « produire mieux » ;
− La France entend contribuer à l’accès à l’alimentation de tous les peuples du monde par une politique active de coopération, de transfert de technologie et de lutte contre la pauvreté, qui doit aider les pays en développement à améliorer leur capacité d’autosuffisance alimentaire.
− La France enfin, sait combiner qualité et quantité en matière alimentaire et doit inscrire son modèle alimentaire dans une logique internationale de respect de la diversité des modèles alimentaires mondiaux.
Dans ce cadre, le pavillon français, qui prendra la forme d’une grande halle urbaine, organisera des animations temporaires déclinant ces thématiques par région, par produit ou par enjeu de réflexion, sans exclure la dimension du plaisir qui peut être associée à l’alimentation.
Un restaurant sera également installé au sein du pavillon, dans lequel les menus évolueront et refléteront les atouts de notre pays dont les repas gastronomiques ont été inscrits, rappelons-le, au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO le 16 novembre 2010.
Votre rapporteur se félicite du fait que la participation française soit manifestement marquée par le souci de donner un sens à sa présence à Milan.
L’illustration du thème de l’exposition doit également intervenir en amont afin de préparer le message qui sera délivré lors de l’exposition elle-même.
M. Pierre-Alain Schieb, consultant auprès de l’OCDE et ancien conseiller et chef des projets de l’OCDE sur l’avenir, a fait parvenir à la mission une contribution écrite qui illustre cette nécessité, en s’appuyant sur l’expérience de l’Expo 2000 de Hanovre.
Près de cinq ans avant l’événement, à la demande du chancelier allemand Helmut Kohl, le Programme de l’OCDE sur l’avenir a proposé un programme de conférences internationales sur le thème « l’homme, la nature et la technologie : des sociétés durables au XXIe siècle ». Ces conférences se sont tenues dans quatre villes allemandes, « une approche multi-sites », comme le fait remarquer M. Pierre-Alain Schieb :
– Düsseldorf, Décembre 1997 : Les technologies du XXIe siècle : promesses et périls d’un futur dynamique (OCDE, 1998) ;
– Francfort, Décembre 1998 : L’économie mondiale de demain : vers un essor durable ? (OCDE, 1999) ;
– Berlin, Décembre 1999 : La société créative au XXIe siècle (OCDE, 2000) ;
– Hanovre, Mars 2000 : La gouvernance au XXe siècle (OCDE, 2001).
« La question à résoudre était en effet : est-ce que le potentiel des technologies de rupture (TIC, biotechnologies) peut conduire à une croissance exceptionnelle des pays de l’OCDE pour les vingt prochaines années et à quelles conditions sociales et de modes de gouvernance ?
Le financement a été en pratique apporté par les quatre grandes banques régionales (Landesbanken), chacune pour 1 million de francs de l’époque (au total environ 620 000 euros) ».
M. Pierre-Alain Schieb en a tiré la conclusion qu’« il semble indispensable de bien mesurer qu’un processus raisonné de sélection du thème et de sa construction, puis de sa mise en œuvre pour les cahiers des charges adressés aux pays participants est une condition nécessaire à la réussite de la candidature et de l’Expo 2025 elle-même ».
L’annexe n° 5 présente d’autres exemples de préparation de grands événements.
2. Quel thème pour réaffirmer une identité nationale positive ?
Il est indispensable de s’entendre au préalable sur un thème suffisamment consensuel pour emporter le vote des membres du BIE, mais également pour identifier immédiatement les valeurs dont la France est porteuse.
viii. Le dualisme de la France.
La thématique permet aussi de définir l’image qu’un pays se donne de lui-même ainsi que celle qu’il souhaite donner au monde. Selon M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions : « Une exposition universelle peut aussi influencer l’image que la France a d’elle-même : grâce à elle, la France devrait reprendre confiance en elle, se voir de nouveau comme un pays d’avenir, d’innovation, de recherche et, bien sûr, de culture, comme un foyer de rayonnement. Cet objectif doit sous-tendre votre réflexion sur la thématique de l’exposition. »
En effet, le thème est un moyen de redéfinir une identité nationale positive : porter l’espoir pour emporter l’adhésion et fédérer les enthousiasmes.
L’art de vivre à la française, la tradition, ont été très largement évoqués lors des auditions réalisées par la mission. La plupart des intervenants ont estimé que ce thème définissait la France et serait particulièrement bien reçu des visiteurs étrangers.
M. Jean-Pierre Lafon précise ainsi que « la culture et l’art de vivre correspondent à un… domaine de compétence français dont la thématique retenue devra tenir compte. C’est en effet en ces matières que nous pourrons nous distinguer de l’Allemagne, qui cherche à s’imposer en Europe comme étant le pays de la technologie – le slogan d’Audi, « Vorsprung durch Technik (55) », est tout à fait représentatif de cette ambition. Quatre-vingt-dix ans plus tard, ne se souvient-on pas davantage de l’Exposition internationale des Arts décoratifs, organisée à Paris en 1925, que des Jeux olympiques de 1924 ? ».
« Il ne faut renoncer à rien de ce qui fait l’identité française en matière esthétique, artistique, de design, de mode, de gastronomie, de mode de vie » a souligné M. Xavier Darcos, président de l’Institut français.
M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, a émis le même souhait : « J’espère qu’en 2025, la notion d’art de vivre à la française, souvent moquée mais qui attire pourtant de très nombreux étrangers en France, sera mise en avant ».
Toutefois, toutes les personnalités entendues ont souhaité que la célébration de l’art de vivre à la française, pour indispensable qu’elle soit, n’empêche pas de donner à notre pays une image moderne et dynamique.
M. Xavier Darcos s’est empressé d’ajouter : « une telle manifestation offrirait en outre l’occasion de montrer de la France ce que l’on n’en dit pas toujours. À l’étranger, l’image de la France est très positive en matière culturelle, patrimoniale, historique, architecturale, en termes de design, de mode, de magasins de luxe… Or cette image positive cache des réalités économiques plus intéressantes et plus utiles pour nous et que pourrait souligner une exposition universelle. Ainsi, peu de gens ont conscience de l’importance du livre, du cinéma, de la télévision, des jeux vidéo – autant d’éléments de notre génie et de notre action économique ».
De même, M. Pascal Ory a mis l’accent sur les retombées économiques de l’art de vivre à la française : « Ce thème n’a rien d’anecdotique, car il se décline en terme de métiers : nous avons des chausseurs, des parfumeurs, des restaurateurs d’exception, et bien d’autres. Nous devons le faire savoir ». Il a ajouté qu’afin « d’extraire ce qu’il y a d’énergie positive dans notre pays… il y aurait, à cette occasion, quelque chose à dire sur notre art de vivre, reconnu à l’étranger. Il conviendrait de moderniser cette notion ».
M. Michel Foucher est plus radical : « nous devons par conséquent valoriser nos réalisations scientifiques et techniques – je n’ai rien contre LVMH et les parfums Hermès, mais cette image du luxe et de l’art de vivre nous empêche de vendre des TGV. Il faut essayer de rééquilibrer l’ensemble des domaines d’excellence et de présence » ; et de donner des pistes : « Une exposition universelle aura… à parler de cette évolution fondamentale de l’organisation sociale qu’est la conurbation, la mégapole, l’organisation architecturale… l’organisation logistique des grandes cités, les transports, sujets sur lesquels la France a des acteurs de premier plan ».
Il en est de même pour la ville de Paris qui revendique une image à la pointe du progrès, en plus de celle du glamour. M. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, a fait part de son souhait : « Pour ce qui concerne les thématiques à privilégier, Anne Hidalgo insiste pour que l’accent soit mis sur les grands défis auxquels doivent répondre les métropoles du XXIe siècle. Celles-ci sont en effet au cœur des transformations que connaissent nos sociétés : c’est là que les entreprises du futur inventent les nouvelles technologies, que s’expérimentent les nouvelles façons de travailler, de vivre, de commercer. Le numérique, l’économie circulaire, la ville intelligente, le lien entre végétal et minéral dans la ville, la biodiversité, la transition énergétique, sont autant d’aspects de la révolution urbaine du XXIe siècle que l’Exposition universelle de 2025, si jamais elle est organisée par notre pays, devra mettre en exergue….Nous devons modifier l’image de marque de Paris, faire savoir au monde entier que Paris n’est pas seulement la capitale du glamour, de la mode, du luxe et de la gastronomie, mais que nous sommes également un leader européen en matière de création de start-up dans le domaine du numérique, qu’avec 400 000 salariés en Île-de-France nous sommes la première capitale européenne en matière de technologies de l’information et de la communication ».
Quant aux étrangers, ils sont sensibles à cette double image, si l’on en croit Mme Sophie Pedder : « ce que la France fait à merveille et dont on ne parle pas assez, [c’est ] le mariage réussi de tradition et de modernité, dont le tout récent défilé de mode de Karl Lagerfeld au Grand Palais, à Paris, vient de donner une excellente illustration. L’exemple, apparemment anecdotique, reflète ce que sait faire un pays qui construit le viaduc de Millau, ouvrage d’une créativité architecturale exceptionnelle, pour relier des territoires ruraux dotés d’un patrimoine traditionnel… il est indispensable de ne pas projeter une image uniquement romantique de Paris et de la France : à la tradition, il faut associer l’avenir par l’architecture, le design, l’innovation médicale… l’idée du mariage entre un aspect connu de la France et un qui l’est moins me séduit : ainsi, vous pourriez mettre en avant des couples comme mondialisation et terroir local, modernité et tradition ou passé et avenir ». C’est d’ailleurs cette association entre tradition et avenir que la Grande-Bretagne avait bien réussi lors des jeux Olympiques en 2012.
ix. La réaffirmation de l’innovation et du progrès
Le progrès ne doit pas boudé par la France. M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation s’est plu à souligner le nombre d’inventions françaises et à faire remarquer que, si en 1900, notre pays organisait 85 % de tous les congrès du globe, il était encore leader aujourd’hui avec 9 %, à une époque où la concurrence est rude. De même que les organisations patronales représentatives se sont félicitées que l’exposition soit l’occasion de mettre l’accent sur l’innovation, M. Pierre Mongin, président directeur général de la RATP, a souhaité que l’exposition universelle soit également « une vitrine du potentiel économique de notre pays ».
Pour Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine, « une exposition universelle serait effectivement l’occasion pour la France de dire qu’elle a des arguments à faire valoir et des savoir-faire techniques et technologiques de pointe à mettre en valeur ».
M. Jean-Pierre Lafon, qui a recommandé de ne pas occulter la culture et l’art de vivre, a également prôné de choisir l’innovation comme thème de l’exposition : « celle-ci est une préoccupation de nos gouvernements successifs depuis six ou sept ans, quelle que soit leur orientation politique… L’innovation devra donc, sous une forme ou sous une autre, déterminer le thème de l’exposition, mais aussi être mise à contribution pour son organisation, car nous ne devons pas oublier que nos points forts incluent, à côté de la recherche et de l’industrie, les services » et de citer des entreprises à la pointe de l’innovation : «…Schneider s’agissant de la ville connectée. D’autres ont réussi dans le secteur des services, comme Bolloré avec les ports et avec Autolib’ ».
Plusieurs entreprises françaises ont participé à l’Exposition universelle de Shanghai, et y ont montré des produits innovants, s’est félicité M. José Frèches : « PSA a par exemple exposé un « concept car ». Parce que les robots plaisent toujours au public, nous sommes allés chercher Aldebaran Robotics pour présenter le robot Nao qui a bluffé jusqu’aux Japonais en dansant devant les télévisions du monde entier le Haka maori et une chorégraphie sur le Boléro de Ravel. À Yeosu, une start-up a présenté, dans un aquarium, des poissons-robots qui ont impressionné le public ».
M. Jean-Paul Huchon n’est pas entré dans ce débat tradition ou innovation, mais a recensé les multiples atouts de la région Île-de-France en matière d’innovation : « Je m’interroge… sur la thématique principale de cette exposition. Les efforts de transition écologique ? Le numérique et l’ensemble de ses applications ? Le vieillissement, le handicap et les services à la personne, sujet auquel on ne penserait pas spontanément ? Le développement universitaire et la recherche ? L’Île-de-France compte en effet 45 % des chercheurs et plus de 600 000 étudiants.
Les secteurs stratégiques de la région sont nombreux : la filière de l’audiovisuel et du numérique ; des entreprises brillantes utilisant les nouvelles techniques numériques ; la filière du « produire autrement »,…de la transition énergétique, de la rénovation énergétique des bâtiments ; les services à la personne sont toujours oubliés ; pourtant, dans ce domaine également, nous avons beaucoup à montrer. On pourrait aussi imaginer travailler sur le concept de nouvelle économie, l’économie sociale et solidaire et le développement des coopératives. Il serait par ailleurs inconcevable de ne pas élargir l’exposition universelle à la culture dans son ensemble, un champ qui différencie très fortement Paris et sa région d’autres candidatures potentielles ».
b. Comment présenter l’innovation ?
Pour autant, le progrès et l’innovation ne se suffisent plus à eux-mêmes, et comme on l’a vu, ne peuvent plus être présentés comme ils l’ont été au XIXe siècle ; M. Gérard Roucairol, président de l’académie des technologies, précise qu’il faut introduire une dimension nouvelle, l’englober dans une réflexion beaucoup plus vaste : « Une exposition universelle, on peut l’espérer, contribuera au déblocage de la situation en présentant l’alliance de l’ingénieur, de l’industriel, de l’intellectuel et de l’artiste pour construire quelque chose d’attractif non seulement aux yeux des Français, mais aussi dans le monde entier. Cette fusion me semble primordiale ».
D’ailleurs, comme l’a souligné M. Marc Giget, les salons spécialisés sont infiniment plus riches désormais que peut l’être une exposition universelle sur le même sujet. « Quoi qu’il en soit, une exposition universelle présentera moins d’avions et de satellites qu’au salon du Bourget, moins de produits alimentaires qu’au SIAL, moins d’électronique qu’à Las Vegas ou à Berlin. Il y a des expositions partout. Comment faire rêver le public ? ». Une étude devra s’imposer – si un thème lié à l’innovation était choisi – sur la façon de le présenter, sur les réflexions qu’il peut susciter.
M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts-de-Seine, rappelant qu’il n’était pas possible de geler le fonctionnement des parcs d’exposition pendant six mois, a proposé d’insérer les manifestations les plus importantes dans l’exposition universelle, ce qui permettrait un enrichissement mutuel et nouveau : « c’est une forme de « off » que d’utiliser ces manifestations pour les magnifier… Je souhaiterais par exemple que le Mondial de l’automobile, comme le Salon de l’aéronautique et de l’espace soient des occasions de réflexion approfondie sur ces industries. L’Exposition universelle de 2025 peut le permettre. Je suggère d’aller dans cette voie plutôt que d’imaginer bloquer les halls d’exposition pendant six mois ».
Outre cet accent mis sur l’innovation, l’accueil du monde entier, avec une thématique universaliste, et un souci du partage sont également des approches qui doivent être examinées.
c. Réaffirmer la vocation universaliste de la France ?
Si la thématique de l’exposition est un élément fédérateur qui permettra à la France de reprendre confiance dans son identité nationale, elle sera également un moyen d’affermir son image internationale en renouant avec sa vocation séculaire d’universalisme.
Selon M. Xavier Darcos, « la notion d’universalité n’est pas d’emblée déniée à la France. Certes, nous nous en glorifions et j’ai conscience du caractère cocardier de la formule : nous avons prétendu très tôt, au moins politiquement, à parler pour l’humanité ».
Toutefois, « La France n’est plus le phare du monde. Nous devons éviter le nationalisme intellectuel », a souligné M. Michel Foucher. Un équilibre subtil doit donc être trouvé : « On attend de nous que nous évitions la banalisation américano-globale qui nous menace. On attend de nous des idées – peu nombreux sont les pays qui ont des idées sur la marche du monde. L’Institut français organise une ou deux fois par semaine, quelque part dans le monde, un débat d’idées. J’y ai participé : c’est extraordinaire ».
M. Xavier Darcos a abondé en ce sens : « Lorsque l’on recherche une alternative à cette standardisation, [l’American way of life] c’est souvent la France que l’on évoque, notamment en Asie. La motivation de l’apprentissage du français dans de nombreux pays repose sur la volonté de se démarquer de la culture anglo-saxonne. Nous pourrions mobiliser cette ressource, qui ne traduit aucun refus, mais qui incarne « l’autre des cultures du monde ».
Et M. Michel Foucher d’évoquer le discours où le général de Gaulle, depuis Alger, le 30 octobre 1943, à l’occasion du soixantième anniversaire de la fondation de l’Alliance française, appelle à la résistance armée et à la résistance intellectuelle en inventant le concept d’influence culturelle.
Selon M. Marc Giget, le message universel de la France ne fait aucun doute : « La France a une légitimité historique pour délivrer un message progressiste. Elle doit donc dépasser le traumatisme des deux guerres mondiales, qui l’amène à commémorer les tranchées plutôt qu’à fêter la Belle Époque. Si elle a marqué la terre entière, ce n’est pas par ses guerres, mais par sa vision pasteurienne du progrès, en apportant partout l’électricité et les télécommunications, en prônant l’éducation pour tous » ; et d’ajouter : « il serait plus intelligent d’accueillir la terre entière autour des solutions qu’elle peut apporter aux besoins des hommes, qu’autour de thématiques comme l’agriculture, les transports ou le « digital ».
M. Jean-Pierre Lafon réaffirme également cette vocation : « l’exposition universelle est également susceptible d’influencer l’image internationale de la France. Je sais d’expérience que nous passons souvent pour arrogants. La réussite de l’exposition universelle supposerait que nous accueillions les autres au lieu de chercher à nous affirmer face à eux. J’y reviendrai à propos de la politique de lobbying mais, après tout, n’est-ce pas conforme à notre tradition ? En peinture, l’École de Paris réunissait Matisse, Dufy, Braque, mais aussi Picasso, Soutine, Juan Gris, Modigliani ! Par le passé, nous avons su nous ouvrir aux autres. Avec l’exposition universelle, nous accueillerons leurs innovations, leurs arts de vivre. Je ne parle pas seulement des pays européens et des grands pays asiatiques, mais aussi des pays en voie de développement, qui représentent la moitié des pays membres du BIE. Nous devrons mettre l’innovation à leur service et recueillir leur sentiment sur ce que doit être l’exposition. »
La France a toujours été un pays tourné vers les échanges, les autres, le monde, la culture, l’art, le savoir-vivre : preuve s’il en est l’inscription récente de la gastronomie française par l’UNESCO au patrimoine de l’humanité. Ces valeurs françaises devront se retrouver dans le choix du thème.
D’autres suggestions ont été formulées par les personnalités auditionnées. Pour être universel, le thème doit non seulement être simple, consensuel mais également enthousiasmant. Il doit faire rêver, et faire rêver le monde entier.
Comme le rappelle, à juste titre, M. Xu Bo : « Actuellement, le monde souffre des bouleversements technologiques induits par la révolution numérique, la mondialisation, la société de consommation, la perte des repères éthiques. Peu de gens sont heureux, même en Chine, malgré le progrès. Pourquoi ne pas porter un projet qui ait pour thème le bonheur ? Imaginer le bonheur n’exige pas beaucoup d’espace, mais incite à participer aux manifestations culturelles, artistiques, digitales, virtuelles… À Versailles, par exemple, vous pourriez monter une exposition thématique à laquelle chaque pays pourrait participer, comme également sur l’avenue de la Grande Armée. Ce type de compromis vous semble-t-il envisageable ? Les pays du Sud, notamment africains, seraient très enclins à participer à une exposition qui mettrait en valeur leur joie de vivre, leurs traditions. Si vous choisissez un thème très technologique, leur participation sera plus difficile ».
Le bonheur n’incite-t-il pas à la fête ? Or, selon M. Bernard Testu, l’« aspect festif et international devrait être particulièrement saillant à Paris ». Quant à Mme Mercédès Erra, présidente de BETC Euro RSCG, elle a estimé qu’il fallait « mélanger l’intellect et le bonheur, car cette combinaison est très française ».
Cette proposition très séduisante du bonheur complèterait, dans une certaine mesure, l’idée de progrès- puisque celui-ci, à en croire M. Xu Bo, le progrès seul déroute plus qu’il ne rend heureux.
Même si M. Vicente Gonzales Loscertales a recommandé qu’« un tel évènement [ait] une forte valeur éducative, [soit] un appel à la conscience de chacun », cette prescription doit être tempérée : il a également précisé que « la première condition d’une exposition réussie est d’être utile aux citoyens, c’est-à-dire de contribuer à l’amélioration de leur qualité de vie ».
Améliorer la qualité de vie des citoyens pourrait aussi résulter du thème de l’hospitalité et du partage.
e. L’hospitalité et la révolution du partage ?
Trouver un thème qui incarne les valeurs de la France a été l’objet d’un travail de réflexion auquel se sont prêtées sept grandes écoles et universités. Parmi les thématiques évoquées, Sciences Po Paris a proposé « Many lives. One nature. Tant de vie(s). Une nature », le centre Michel Serres : « Le génie du corps », Paris 1 la Sorbonne, « L’hospitalité. »
Cette dernière thématique a souvent été évoquée lors des auditions.
« Je suis sensible à l’hospitalité, mais il faut en donner la preuve ; elle ne peut pas être déclaratoire, et il est difficile d’en faire l’un des thèmes de la candidature. En revanche, celle-ci doit mettre en avant la générosité et l’universalité, la France étant assimilée à cette dernière » a déclaré Mme Mercédès Erra.
« Le thème qui sera choisi – et il le sera forcément sur la base d’une décision collective – constituera le premier élément de mobilisation. La motivation découlera de cette mobilisation. Les étudiants sont intéressés par des sujets en lien avec l’image d’une France ouverte, accueillante, et non d’une France vitrine, et les mots qui reviennent le plus souvent dans leurs discours sont ceux de participation, connexion, monde des idées, monde du partage, avant-gardisme et nature. Il nous faudra prendre en compte toutes ces considérations générationnelles, qui correspondent à des aspirations internationales » a estimé M. Hervé Brossard, président d’Omnicom Media group France.
Selon M. Michel Foucher, « nous devons cultiver bien mieux notre hospitalité : nous ne sommes pas très polis…. À l’inverse, Britanniques et Américains sont maîtres dans l’art de cultiver les liens. Nous devons devenir plus hospitaliers, plus courtois, plus fidèles ».
ii. Un nouvel humanisme : la société collaborative
Pour certains, le thème de l’innovation en tant que tel ne peut être mobilisateur au XXIe siècle. C’est ainsi que M. Joël de Rosnay, conseiller de la présidence d’Universcience et président de Biotics International, a estimé que : « la question…« peut-on encore aujourd’hui célébrer le progrès et les innovations ? » relève d’une culture dépassée, qui nous renvoie au début du XXe siècle, voire à la fin du XIXe. En effet, nous sommes entrés dans une nouvelle culture partagée, dans le monde entier, par une génération de jeunes entre dix-huit et vingt-cinq ans – une culture différente de celle de leurs parents, de leurs professeurs, des politiques et des industriels. Ces jeunes ne sont plus dans une société de l’information, mais dans une société de la recommandation. Ils ne sont plus dans l’acquisition des connaissances, mais dans le partage de l’expérience et de l’émotion. Cette évolution est évidemment liée au numérique et aux réseaux sociaux. Il faut donc que nous changions de culture.
Le message que la France adressera en 2025 devra être humaniste, au sens où le lien humain, le lien social, la relation humaine, l’émotion, le partage, l’amour sont plus importants que la technologie, qui ne peut servir que de catalyseur. On le voit très bien avec les réseaux sociaux et avec la solidarité qu’ils permettent de nouer entre des gens qui peuvent ainsi créer ensemble leur futur. Cette notion doit être sous-jacente à l’exposition universelle : comment « co-créer » – et non pas créer – son futur en lui donnant du sens ?
Si vous relisez « L’Utopie » de Thomas More, vous constaterez qu’il s’agissait d’hommes qui se mettaient ensemble pour « co-construire » leur futur en édictant des lois, des règles qui leur permettaient de vivre ensemble. En ajoutant à l’esprit des Lumières une nouvelle vision de l’utopie, la France sera à même d’apporter cet humanisme qui expliquera au monde que la société collaborative est en marche, qui montrera vers quoi elle conduit, comment elle peut donner du sens à la vie et augmenter la liberté des hommes.
Ce n’est pas l’interactivité, mais l’« intercréativité » qui fera venir les gens physiquement.…. La jeune génération… ne souhaite pas que l’on formate ses connaissances en la sollicitant pour visiter une exposition avec un début, des passages obligés, une fin, conçue par des professionnels ou par des professeurs. Les jeunes veulent « co-créer » leur visite, en faire une sorte de Facebook mobile où ils sont en contact avec les leurs,… Il s’agit, comme le disait Jeremy Rifkin dans « L’Âge de l’accès », d’une culture du partage de l’émotion et de l’expérience. L’important n’est pas de posséder un ticket d’entrée, mais, comme au Club Méditerranée, de partager l’émotion en plus du paysage ».
« L’idée de démonstrations d’ordre technique n’est pas complètement obsolète » : mais, selon M. Pascal Ory, elles doivent prendre place dans une nouvelle perspective : « l’intérêt d’une appropriation individuelle, sur place, par le biais de la rencontre, demeure, comme demeure l’intérêt du dialogue ».
Comme l’a rappelé M. Bernard Testu, pour le BIE, « d’abord outils au service de la promotion de l’identité nationale, du progrès industriel et des consommateurs éclairés, les expositions universelles sont devenues aujourd’hui une plateforme unique pour le dialogue international, pour la démocratie publique et pour la coopération internationale ».
iii. Quelques pistes proposées par les étudiants
Cette France plus ouverte devrait l’être dès la préparation de l’exposition, puis pendant celle-ci, ainsi que l’ont souhaité les étudiants du Centre Michel Serres :
« Nous avons bâti l’« avant exposition universelle » autour d’une logique de co-construction. Il s’agit, dans cette première étape, de mobiliser les nations. Nous sommes partis du constat que les sociétés avaient évolué depuis le XIXe siècle et que celles d’aujourd’hui sont à la fois multiculturelles et hyper connectées. Nous avons donc voulu accélérer ces dynamiques de relations internationales en jouant sur les interactions entre les nations.
Ce n’est plus la France qui s’expose, mais la France qui invite les autres pays à mettre en avant ce qu’ils ont dans leurs patrimoines nationaux. Derrière cela, l’idée est de supprimer les pavillons nationaux qui mettent en avant de façon atomisée les fleurons industriels ou culturels de chaque pays, et de jouer sur des processus de collaboration pour mettre en œuvre des projets innovants en 2025.
Nous voulons placer dans une démarche active tous les participants de l’exposition universelle. Les visiteurs seront amenés à être acteurs de leur propre parcours, et les nations seront invitées à travailler main dans la main, en amont de 2025, sur des projets qu’elles créeront ensemble et présenteront à l’occasion de ce grand évènement.
Premier exemple de cette « co-création », dans le domaine des arts et spectacles : la construction d’un gigantesque son et lumière, dans le parc omnisports de Bercy, réalisé à partir d’une proposition de pyrotechniciens grecs qui travailleraient avec les Russes du Bolchoï et un producteur de Bollywood. Ainsi les nations seront-elles amenées à porter un nouveau regard sur les compétences qu’elles ont chacune en leur sein, et sur les identités qu’elles veulent mettre en avant. Cela donnera lieu à la création d’œuvres inédites qui seront promues uniquement pour l’exposition universelle.
Deuxième exemple, dans le domaine médical : la création, à l’initiative de « Médecins sans frontières », d’un humanoïde à destination médicale qui les aiderait dans leurs interventions en cas de catastrophe naturelle, ce qui les amènerait à travailler avec les entreprises japonaises de robotique. De cette façon, les entreprises, les ONG, les organisations internationales seront représentées et pourront créer des synergies pour répondre à des besoins particuliers ».
Pour faire vivre cette co-création, les étudiants du centre Michel Serres ont inventé un concept particulièrement novateur et stimulant, les « Expofaces ».
Les « Expofaces » sont des interfaces qui permettront la construction, en amont de 2025, de tous ces projets. Concrètement, ce sont des laboratoires de projets itinérants, qui vont rayonner à travers le monde, et qui ont une double utilité : communiquer autour de la tenue de l’exposition universelle, en France, en 2025, et communiquer autour du sous-thème qu’elles représentent.
Elles constitueront des lieux de visite en soi, pour le monde diplomatique, pour le monde de la recherche, pour le corps médical, pour les dirigeants d’entreprise, pour le monde du spectacle. Elles agiront par ailleurs comme des laboratoires de projets, c’est-à-dire qu’elles rayonneront à travers le monde et proposeront aux nations de s’inscrire et de déposer des projets.
Elles partiront de France, quelques années avant 2025. Elles demanderont aux nations de créer des partenariats économiques, qui seront à la fois multinationaux et pluridisciplinaires, et de prendre une prise de participation horizontale.…
Toutes ces « Expofaces » vont rayonner. Nous jouons sur les nations, qui agiront comme des leviers pour notre exposition universelle, et comme des accélérateurs de mondialisation. Dans un tel schéma, les nations seront très libres.…
Enfin, les « Expofaces » vont revenir en France. Tous ces projets seront matérialisés sur notre territoire. La France invitera le monde à venir rêver chez elle pour découvrir toutes ces solutions innovantes. Ce ne sera plus une exposition passive mais très active, très pro active pour relever les défis d’après 2025. Les projets seront présentés aussi bien dans le Grand Paris, que sur l’ensemble du territoire français – et donc dans les régions ».
M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope, a développé le même souhait devant la mission : « En devenant une énorme plateforme collaborative, l’Exposition universelle de 2025, à la différence de toutes celles qui l’ont précédée, aurait l’occasion d’inventer et de laisser une trace dans ce domaine. Pour y parvenir, il ne faut pas seulement penser en termes d’interactivité – elle est déjà bien difficile à mettre en œuvre entre dix ou à vingt interlocuteurs –, mais développer l’idée que les individus deviendraient producteurs de l’événement. Cette démarche passerait inévitablement par l’usage de la technologie, mais également par une forme d’implication des visiteurs en amont de la visite. Plutôt que de constituer une masse de taille inhumaine, ils deviendraient alors une véritable ressource de ce rendez-vous de l’humanité. Les hommes ne seraient plus une contrainte, mais un élément même de la rencontre ».
La langue reste toutefois un obstacle, que votre rapporteur rêve de lever. Mme Virginia Cruz, membre du Conseil national du numérique y voit un beau défi : « La langue reste un thème sous-jacent, d’autant plus important si l’on doit construire l’exposition universelle autour du thème de l’hospitalité. Je pense aussi que c’est un beau sujet pour la France. Beaucoup d’étrangers nous le disent, ce n’est pas si simple de venir en touristes à Paris, même si on aime la ville, même si on aime la France. Ce serait donc l’occasion de prendre le contre-pied en disant : historiquement, la France est aussi terre universelle d’accueil, de mélange de cultures, ayant subi des influences et des immigrations de différents pays. Le thème de l’hospitalité mettrait en avant la notion d’ouverture et de curiosité à l’autre, de tolérance, nous inviterait à dépasser les différences et à profiter de la richesse de la diversité. Je trouve que c’est un beau sujet et que, pour le servir, le numérique est un outil parfait. »
L’hospitalité, le partage, s’imposent en effet comme une valeur qui permettra à la France de renouer avec son message universel sans pour autant être arrogante, ni négliger la dimension économique attachée à l’exposition car mieux recevoir, bien recevoir, est un art de vivre, mais aussi un moyen de développer le tourisme.
II. UN PROJET CONSENSUEL ET PROFESSIONNEL
a. L’indispensable consensus dans la réalisation du projet
Lors de cette phase, le consensus reste indispensable. M. Noël de Saint Pulgent a proposé le lancement d’un appel à projets pour des compétences variées et suggéré de « s’entourer tous les moyens qui permettent d’appréhender la réalité sociale afin d’obtenir, avec la coopération des médias, un consensus national ». Il a ajouté : « le bon déroulement des opérations suppose une bonne connexion de l’équipe. Quelle que soit la majorité politique des collectivités concernées, les désaccords doivent être laissés de côté au nom de l’intérêt national », L’accord passé entre Édouard Balladur et le maire de Saint-Denis, Patrick Braouezec avait efficacement porté les aménagements effectués en Seine-Saint-Denis en prévision de la Coupe du monde, cette opération étant à l’origine du décollage du département, alors qu’à l’inverse, en l’absence de soutiens politiques, la préparation de l’Exposition internationale de 2004 n’avait pu être menée à terme.
Selon M. Noël de Saint Pulgent, « il faudrait lancer un appel à projets pour des compétences extrêmement variées -experts scientifiques, créatifs, créateurs d’entreprises, experts en communication- et s’entourer de tous les moyens qui permettent d’appréhender la réalité sociale afin d’obtenir, avec la coopération des medias, un consensus national ».
b. Une nécessaire réflexion sur le statut de l’instance dirigeante
x. Quelle forme doit prendre l’instance dirigeante ?
Les différentes auditions ont convaincu la mission de la nécessité d’une organisation structurée.
Pour la Coupe du monde de football de 1998, a rappelé M. Noël de Saint Pulgent, il avait été créé une délégation interministérielle : « les désaccords doivent être laissés de côté au nom de l’intérêt national. L’équipe mise en place doit être constituée de techniciens et l’arbitrage placé au plus haut niveau des collectivités de manière à éviter une gestion bureaucratique et administrative ».
Il a estimé qu’il fallait séparer les fonctions sans pour autant créer des usines à gaz. Pour la candidature aux jeux Olympiques de 2012, « considérant qu’à partir du moment où l’on engage de l’argent public, la forme associative n’était pas suffisante, nous avions adopté la structure du groupement d’intérêt public (GIP). Cela a bien fonctionné, si ce n’est que la rigueur du cadre financier et les contrôles qu’il implique nous a rendu la tâche difficile quand il s’est agi de gérer des imprévus. J’en suis venu à considérer que la vertu était bien mal récompensée ! Sous réserve de conserver une souplesse de gestion, il faut un contrôle public. Avec le GIP, nous avions un contrôle d’État.
D’autres formules sont envisageables, comme la création d’une société. Quoi qu’on choisisse, le plus important est d’entretenir des relations de bonne qualité avec l’extérieur – collectivités et entreprises privées –, ce qui nécessite un dispositif souple permettant une prise de décision et une transmission d’information rapide ».
Pour l’Euro 2016, dont M. Jacques Lambert préside le comité de pilotage, il a été décidé de créer une société par actions simplifiée (SAS), comprenant deux actionnaires, l’Union européenne des associations de football (UEFA) et la Fédération française de football (FFF). Il a en outre été mis en place, au-dessus de cette société, le comité de pilotage, qui réunit ces deux partenaires sportifs, ainsi que les deux partenaires publics (ville hôte et État).
Le dossier de dépôt de candidature de Paris aux JO 2012 prévoyait que le futur COJO serait une association privée à but non lucratif, dont les principales parties prenantes seraient la Ville de Paris, la Région Île-de-France , les autorités nationales et le Comité national olympique français. Une agence spéciale établie par la loi, l’Organisation de coordination olympique (OCOO), serait responsable de la livraison dans les délais de toutes les constructions permanentes ainsi que de la coordination des services publics.
Quelle que soit la forme de l’instance dirigeante, votre rapporteur insiste pour qu’elle comprenne des personnalités étrangères, dont certaines issues de l’Union européenne : si elle organise l’exposition, la France doit être à l’écoute des autres pays étrangers ; ce serait la meilleure garantie pour répondre aux reproches qui nous sont faits de suffisance. Ce serait également un des éléments forts de notre dossier.
xi. Un impératif : l’unicité de direction.
Pour M. Armand de Rendinger, dénonçant l’erreur qui avait été commise lors de la préparation de la candidature des JO de 2012 où le management avait pris la forme d’une usine à gaz, a souligné que « le management du projet doit être pyramidal, prendre la forme d’un commando. Ce commando, composé d’un nombre restreint de personnes d’origines diverses et possédant la légitimité et la crédibilité nécessaires, doit être seul habilité à porter la parole dans l’hexagone et à l’extérieur, c’est-à-dire vis-à-vis des tiers, des apporteurs de garantie, et des pays appelés à se prononcer.
Parallèlement, des commissions doivent être installées pour réfléchir sur le marketing, le lobbying, les aspects techniques du projet. Leur objectif ne doit pas être de valoriser les personnes qui y participent – être sélectionnées pour leurs compétences doit être la principale satisfaction de celles-ci.
Une image, la parole des quelques personnes légitimes pour commander et parler : c’est indispensable si vous voulez gagner ! Et c’est possible ! Pour la présentation, en 1984, de notre candidature aux Jeux d’Albertville, il y avait quatre personnes seulement, dont Jean-Claude Killy et Michel Barnier ».
À une question de M. Jean-Christophe Fromantin, rappelant que l’association Paris Île-de-France Capitale économique travaillait en réseau avec les collectivités locales, l’Agence française pour les investissements (AFII), de grandes entreprises et le réseau consulaire, M. Pierre Simon, son président, a fait remarquer que « tout grand projet appelle un leadership ».
Ce que Mme Claude Revel formule ainsi : « il faut en tout cas éviter la dispersion et les interventions désordonnées en se dotant d’un chef de file ».
M. Christian Prudhomme, directeur du Tour de France, a en outre souligné que lors de l’organisation des étapes en Grande Bretagne, tous les participants « tirent dans le même sens » alors que ce n’est pas toujours le cas en France. Il faudra donc une vraie discipline et une vraie rigueur dans l’organisation. M. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint, a d’ailleurs évoqué « l’organisation militaire » qui caractérise le Tour et est indispensable à sa réussite. C’est ce manque de discipline que dénonçait M. Armand de Rendinger en faisant référence au « bal des ego ».
En outre, se pose la question de la pérennité d’une structure chargée de l’organisation, même lorsque la France n’est pas organisatrice, mais invitée : M. José Frèches, commissaire général de la section française à l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, « ne voi(t)pas l’intérêt de créer pour chaque exposition une structure ad hoc, même si la Cour des comptes le recommande. On devrait plutôt s’inspirer de ce qui se passe à l’étranger : au Japon, c’est le MITI, via une équipe dédiée, qui a la charge d’organiser la représentation japonaise aux organisations universelles et internationales ; en Allemagne, c’est une structure pérenne qui est chargée de ce rôle ».
Et d’ajouter qu’il a insisté pour que M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française à Shanghai, travaille auprès du commissaire général de la section française de l’Exposition de Milan : « si tel n’avait pas été le cas, tout le savoir-faire et l’expérience accumulés par notre équipe à Shanghai et à Yeosu auraient été perdus pour celle qui a en charge le pavillon français à la prochaine exposition universelle ». C’est la COFRES qui a été mandatée pour réaliser le pavillon français à Yeosu.
M. Alain Berger, commissaire général de la France à l’Exposition de Milan de 2015, s’est lui aussi rapproché de M. Florent Vaillot afin de bénéficier de son expérience des expositions universelles. En revanche, toute sa carrière l’a rendu très familier du thème à traiter, « nourrir la planète », ce qui ne peut être que bénéfique. Il s’agit là de deux aspects difficilement conciliables.
Quant aux partenariats publics privés, M. Noël de Saint Pulgent, s’appuyant sur son expérience, les juges essentiels : « pour réussir, les projets de cette nature, tout en étant clairement dirigés par la puissance publique, doivent s’appuyer sur des partenariats publics privés équilibrés. Le Stade de France n’aurait pas été terminé à temps sans un tel PPP ». En revanche, M. Christian Boissieu est plus sceptique quant à l’intérêt des PPP (56).
La structure à mettre en place
Un rapport sur la gestion par l’État des participations françaises aux expositions internationales et universelles a été rédigé en 2007 par la mission d’audit de modernisation – il ne s’agit donc pas de l’organisation de l’ensemble d’une exposition internationale ou universelle en France, mais il peut toutefois être riche d’enseignements. Il étudie, notamment, la question de la structure à mettre en place pour gérer le projet, en se posant trois questions :
– Faut-il une structure identifiée, dotée de la personnalité juridique ? Certes, en Allemagne, la gestion de ces manifestations relève directement d’un service de l’État ; mais si la participation de la France reste confiée au commissaire général, mieux vaudrait lui confier la personnalité juridique ;
– Faut-il une structure pérenne ou ad hoc pour chaque exposition ? Le rapport plaide pour une solution pérenne, du fait du caractère récurrent de ce type de manifestation et de l’utilité d’une mémoire des expériences précédentes
– Quelle serait la structure ? Celle-ci doit être légère, pouvoir être créée dans des délais brefs, permettre l’association de capital privé, obéir à des règles de gestion souples et faire l’objet d’un contrôle strict.
Compte tenu de ces réflexions, le rapport conclut à l’élimination de trois solutions. la création d’un GIP n’est pas possible, car la loi ne permet pas de rattacher à l’une des catégories existantes la création d’un GIP « Exposition universelle » ; la création d’un EPIC a l’inconvénient de créer une structure juridique dont l’objet coïnciderait en partie avec l’un des objets d’autres EPIC, et en particulier Ubifrance (en effet, cet organisme a pour mission de réaliser et coordonner toutes actions de promotion destinées à accompagner les entreprises pour leur présidence dans les manifestations internationales). Enfin, en cas de création d’une association, le risque existerait qu’elle soit sanctionnée comme association transparente, accomplissant des taches que l’État aurait dû assumer en direct et que ses opérations soient déclarées constitutives d’une gestion de fait des deniers publics.
La mission d’audit préconise donc plutôt la création d’une société par actions simplifiée. Il recommande en outre d’associer, sous l’autorité du Premier ministre, tous les départements ministériels concernés, d’assurer une stratégie gouvernementale, de prévoir une information des élus et, pour le portage du projet, de désigner une personnalité de haut niveau ayant une légitimité reconnue, et de mettre en place un comité d’orientation. Il envisage la possibilité de recourir à des montages du type « partenariat public-privé ». Enfin, il rappelle la nécessité de préciser et de compléter les critères d’évaluation, laquelle ferait l’objet d’un rapport qui serait diffusé sur Internet.
Source : synthèse du « rapport sur la gestion par l’État des participations françaises aux expositions internationales et universelles » Mission d’audit et de modernisation ; février 2007.
La rigueur est primordiale : comme l’a précisé M. Noël de Saint Pulgent, « au sein de l’organisation, il importe que la partie « équipement » soit traitée séparément. Avant même de commencer, un accord doit déterminer précisément ce qu’on fait, qui fait quoi et surtout qui finance… les grandes opérations d’aménagement… relèvent maintenant d’une décision qui engage l’ensemble des collectivités publiques, pas seulement l’État. D’où la nécessité de s’entendre sur les modalités du partage de l’addition – avant celui du gâteau – et de déterminer des coûts réalistes. À ce stade, des contre-expertises sont très utiles pour tempérer l’enthousiasme qui tend à minorer ces coûts. Il faut prévoir le temps de les exécuter… au moins autant que des coûts, il faut prévoir des délais réalistes ».
Dans son rapport sur la préparation de l’Exposition internationale de 2004, il avait déjà conclu que l’absence d’expertises et de contre-expertises favorisaient les dérives des coûts, et rendaient donc difficile la poursuite du projet.
La rigueur serait d’ailleurs confortée d’ailleurs par une évaluation de nos échecs passés ; malheureusement, M. Guy Drut l’a souligné, cela n’a pas été le cas pour nos échecs aux jeux Olympiques de 2008 et 2012.
a. La politique de la communication choisie
De la politique de communication choisie dépendra l’adhésion et l’implication de la population dans la préparation de l’exposition.
Même si, d’ores et déjà, la population est favorable à l’idée d’organiser une exposition universelle, « il faudra anticiper les objections qui ne manqueront pas d’être soulevées » a estimé M. Thierry Coltier, managing partner de Howarth HTL France « il faudra donc expliquer, travailler avec les leaders d’opinion en Île-de-France , mais aussi associer en amont tous les acteurs, en particulier le monde de l’économie collaborative, avec les nouveaux acteurs numériques… ». M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve, renchérit : « il faudra mobiliser les gens par une pédagogie à long terme ». Pour M. Gérard Feldzer président du comité régional du tourisme Paris Île-de-France , il conviendra d’innover, « mais en gardant à l’esprit que ces innovations doivent servir aux Franciliens : la population devra s’approprier le projet ».
b. La mobilisation de tous les acteurs
Selon M. Armand de Rendinger, une fois le dossier déposé, la mobilisation pourra commencer : « elle ne doit intervenir ni trop tôt ni trop tard, il faut sensibiliser les gens par petites touches – intégration des jeunes, mises en réseau, participation des métropoles, de l’outre-mer… ».
« La participation citoyenne et la co-gouvernance » sont essentielles pour M. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, ce qui conduit naturellement à inscrire la future exposition dans le cadre du Grand Paris et non pas dans Paris intra-muros seulement ; « il faut impliquer les Parisiens et les habitants de la métropole dans l’élaboration et l’organisation du projet, susciter leur mobilisation et leur adhésion, faire appel à leurs idées et tenir compte de leurs souhaits ».
La mobilisation pourrait passer également par le financement participatif : « l’expérience acquise en matière de mécénat culturel montre qu’il faut associer les citoyens très en amont, en sorte que, le moment venu de contribuer financièrement, ils se sentent déjà propriétaires du projet par une adhésion civique. C’est pourquoi les appels à participation doivent être très ambitieux. Pourquoi pas une consultation directe des Parisiens et des métropolitains sur ce sujet ? » a demandé M. Jean-François Martins, adjoint à la maire de Paris, chargé des sports et du tourisme : « ce serait de nature à les mobiliser et, par la suite, à les faire se sentir partie prenante de l’exposition ».
Votre rapporteur estime qu’il faudra en outre définir le statut des bénévoles qui concourront au succès de l’exposition, sans pour autant ôter son caractère festif à l’événement. Une implication citoyenne sur une longue durée et dans un territoire étendu demande une réflexion très en amont ; c’est un des grands enjeux de la réussite de la candidature et du projet. La mise en place d’un réseau de bénévoles irrigant tout le territoire francilien a été souhaitée par M. Gérard Feldzer : « ces « greeters »-des volontaires, retraités par exemple, qui accueillent les visiteurs sur leur territoire, avec le sourire, parce qu’ils aiment partager leur amour pour leur région-devront être valorisés ». Les bénévoles ont d’ailleurs été un des facteurs de succès des jeux Olympiques de Londres en 2012.
En ce qui concerne les entreprises, M. Geoffroy Roux de Bézieux a estimé que « les plus intéressées au projet – par le biais du sponsoring ou du mécénat – seront les grandes entreprises internationales, qui veulent lier leur image à celle de notre pays. On sous-estime l’influence de la marque France à l’étranger : toutes les boulangeries des États-Unis se sont choisi un nom français, qui leur sert de levier. Les quinze ou vingt grands groupes internationaux, que vous avez déjà sollicités pour le pré projet, constituent un vivier de financeurs. Pour engager les entreprises à montrer leurs innovations de manière attractive et pédagogique, il faut raisonner par filières, en utilisant les pôles et les fédérations…. Les pôles de compétitivité – qui sont non pas des lieux physiques, mais des clusters géographiques – peuvent aider à mettre en scène les derniers prototypes d’une filière ».
Mme Céline Micouin, directrice « entreprises et sociétés » du MEDEF, a ajouté que « pour que les moyennes et grandes entreprises, qui vont à l’international, convainquent les décideurs, il faut les associer le plus tôt possible à la conception du projet, particulièrement dans les territoires. Par ailleurs, toutes les entreprises internationales qui possèdent une filiale en France ont intérêt à montrer qu’il n’est pas difficile d’y intervenir ».
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME, a souligné qu’il fallait faire connaître le projet aux entreprises : « nous sommes prêts à relayer auprès d’elles une opération comparable à celle qu’ExpoFrance mène en ce moment auprès des étudiants. Encore faut-il que nous disposions d’un cahier des charges ».
Le président de la mission, M. Jean-Christophe Fromantin, s’est interrogé sur le meilleur moyen de mobiliser les entreprises en rappelant qu’autrefois les expositions universelles organisaient des concours entre produits nouveaux dont l’enjeu était une médaille. M. Geoffroy Roux de Bézieux a répondu que la commande publique était « la meilleure manière de récompenser un produit innovant ». Quant aux médailles, il a estimé qu’« elles étaient un argument de vente » et M. Jean-François Roubaud a déclaré qu’il n’y était pas hostile car elles pourraient avoir un retour important pour les entreprises : « l’effet de certaines distinctions a duré un siècle ».
Pour être réussie, une exposition internationale doit rentabiliser deux opérations de nature très différente.
Elle doit, d’une part, couvrir les coûts d’organisation et de promotion de la manifestation ainsi que ceux d’installation des pavillons par des recettes tirées de la vente des billets d’entrée. Le BIE perçoit une partie de ces recettes, le reste allant à l’organisateur.
Pour ce dernier, l’équilibre financier de cette première opération dépend d’une fréquentation qui reste imprévisible sur une période de six mois. Une fréquentation nationale ou internationale insuffisante est impossible à rétablir par une campagne promotionnelle si l’ouverture est un fiasco, si l’actualité du moment est défavorable ou si la presse mondiale se fait trop critique à l’égard du site ou des pavillons. « L’exposition vaut le voyage » : telle est l’épreuve de marketing que l’organisateur doit absolument remporter pour convaincre les relais d’opinion.
Une exposition réussie doit, d’autre part, amortir la viabilisation du site, des infrastructures et équipements par la revente ou à location à long terme des surfaces libérées après l’exposition, qu’elles soient remises à nu par le démontage des pavillons ou que ces derniers soient réutilisés.
1. Traditionnellement le coût des expositions universelles est élevé
Cela a été le cas de tout temps. M. Pascal Ory a fait remarquer à la mission que, au XIXe siècle, « une des raisons pour lesquelles les Anglais ont très vite décidé d’en finir, c’est qu’ayant fait leurs calculs, ils ont constaté que les expositions universelles leur coûtaient plus cher qu’elles ne leur rapportaient. La France, elle a considéré que le déficit faisait partie de l’ensemble ». Une polémique s’est fait jour, bien plus tard, au Québec, où l’Exposition universelle de 1967 a été un gouffre financier.
Les coûts se composent des investissements et des dépenses de fonctionnement. M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE les a détaillés : « S’il est impossible d’estimer aujourd’hui l’investissement nécessaire, quelques éléments peuvent aider à définir un ordre de grandeur. L’affluence quotidienne moyenne sur un site d’exposition est de quelque 200 000 personnes ; venant s’ajouter au trafic normal dans la zone, leur transport nécessite sans doute des investissements complémentaires – qui ne seront d’ailleurs pas forcément perdus. À l’image des villages olympiques, il faut aussi créer, à proximité du site, un village de l’exposition pour héberger quelque 15 000 personnes. Celles-ci paient en général un loyer, mais il convient de leur offrir des conditions d’hébergement raisonnables. Souvent, ce type de projet s’insère dans des programmes de construction de logements pour étudiants ou de logements sociaux. Là non plus l’argent investi n’est pas perdu ; mais cet investissement demande à être planifié et concentré en fonction de la tenue de l’exposition. Enfin, il semble difficile d’envisager une candidature solide sans prévoir quelques éléments architecturaux pérennes, qui seront utilisés à titre provisoire pour l’exposition.
Évaluer le budget d’exploitation apparaît plus simple, même si le départ avec le budget d’investissement fait débat parmi les experts. En tout état de cause, les exemples passés montrent que l’équilibre de la future société d’exploitation – entre, d’un côté, les contributions des entreprises et la recette des entrées, et, de l’autre, les charges de fonctionnement – peut raisonnablement être atteint, y compris dans les pays à économie de marché. Cependant, l’État étant obligé de se porter garant, y compris de la société d’exploitation, le calcul se doit d’être précis, sous peine de faire défrayer le contribuable. Sur un budget de quelque 2 à 5 milliards d’euros, une erreur de 10 % a des conséquences qu’on ne peut prendre à la légère. L’engagement doit donc être sérieux et le contrôle des dépenses et des recettes, rigoureux.
Dernier coût : celui de l’empreinte écologique que ne manquera pas de laisser la venue de 50 millions de personnes en un lieu circonscrit. Ce problème ne doit pas nous empêcher d’agir mais, même s’il apparaît moins aigu dans un environnement déjà urbanisé, il faut dès l’amont chercher à le réduire autant que possible ».
M. Jean-Pierre Lafon en fait un recensement assez semblable : « coût de la campagne, coût du plan d’aménagement, puis coût de fonctionnement pendant 6 mois, abstraction faite des frais induits, dont la sécurité et les logements, Il faudra payer les volontaires, qui étaient 50 000 à Shanghai ; financer les animations, l’accueil, le protocole pour les chefs d’État invités. Il faudra aussi et surtout prévoir un plan d’aide aux pays les moins avancés. C’est la précision de leur plan d’aide, destiné en particulier à l’Afrique, qui a permis aux Italiens de l’emporter face à la Turquie. C’était aussi un atout de Dubaï. Ce plan, requis pour toute candidature, n’engendrera pas nécessairement un coût supplémentaire mais supposera de réorienter la politique de coopération et les crédits de l’Agence française de développement vers de nombreux États membres de l’assemblée générale du BIE ».
M. Pascal Rogard, lui, s’interroge : « comment déterminer le coût de l’exposition ? Se limite-t-il au financement des seuls travaux liés directement à celle-ci ou s’étend-il à celui des infrastructures associées ? À Milan, l’organisateur a préféré prendre à sa charge certaines infrastructures d’accès pour s’assurer que les délais prévus seraient respectés, mais ces aménagements peuvent aussi être compris dans le plan directeur d’une région ou d’un État ». Il conclut qu’« une campagne de candidature coûterait entre 5 et 25 millions d’euros [ce qui] correspond à la somme que la France devrait dépenser entre 2015 et novembre 2018, date du vote à l’assemblée générale du BIE ». Les chiffres les plus fantaisistes ont couru sur la candidature de Dubaï, dont la campagne aurait coûté de 1 à 2 milliards d’euros ! « Le coût de l’exposition elle-même oscillerait aujourd’hui entre 2 et 6 milliards d’euros- et atteindrait même 6,5 milliards pour Dubaï », ajoutant qu’il était rare que l’opération génère des bénéfices financiers (57).
Ces différents coûts correspondent à une exposition universelle « classique », c’est-à-dire sur un lieu unique où seraient construits des pavillons, ce qui ne correspond pas à notre projet, comme on le verra ci-dessous.
La rentabilité d’une exposition universelle est très discutée. M. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, favorable au projet, a souligné qu’elle a coûté à Shanghai 60 milliards de dollars d’investissements et rapporté 7 à 8 milliards de recettes touristiques.
M. Xu Bo a, au contraire, mis l’accent sur les gains : « 18 milliards de yuans ont été consacrés à la construction. En termes de parité, en 2010, 1 yuan équivalait 10 euros, aujourd’hui, 1 yuan équivaut à 8 euros. 10,6 milliards de yuan ont été affectés à l’opération elle-même. Le coût total de l’opération s’est élevé à 28,6 milliards de yuan.
Le financement, en provenance du gouvernement chinois, a été 100 % public. Shanghai aurait aussi pu le financer car c’est une ville très riche. Concernant le bilan financier, le coût des constructions n’est pas immédiatement amortissable. Cependant, afin de rentabiliser l’exposition, on a monté une opération de marketing, de commercialisation, avec de nombreux partenaires : 13 partenaires globaux, 14 « senior partners », et des « partenaires de projets » sur l’eau, la communication... Toutes les entreprises souhaitaient participer. Au total, ce sont 56 partenaires, grands et petits, qui ont généré 7 milliards de yuan. Par exemple, pour être qualifié en tant que partenaire global, le ticket d’entrée était de 50 millions de dollars, pour des entreprises telles que Siemens, General Motors, Eastern Airlines,… Cela a été une belle affaire ! En échange nous ne donnions rien, cela assurait la réputation de ces entreprises sur le marché en tant qu’entreprise responsable.
Je prendrais l’exemple d’une entreprise de traduction qui s’était spontanément proposée pour assurer gratuitement la traduction. En échange de sa participation, elle a emporté, aujourd’hui, le marché local de la traduction.
De plus, les 73 millions d’entrées de l’exposition ont généré 6 milliards de yuans grâce à la vente de billets. Au total, 13 milliards de gains ! L’opération en elle-même étant de 10 milliards, le gain net est de 3 milliards !» (annexe n° 6).
Il est évident qu’une exposition en France ne tendrait pas vers ce gigantisme.
Par ailleurs, comme l’a indiqué M. Xu Bo, « il faut préparer un programme d’assistance pour les pays en voie de développement. Pour attirer leurs voix sur la candidature de Shanghai, nous avons financé leur participation à l’exposition pour un montant de 100 millions de dollars. C’est important. Les Coréens avaient également prévu cette contribution qui est dans leur coutume. Ce n’est pas mal vu. C’est normal que la Chine facilite la participation des pays pauvres ».
Ces diverses difficultés ne doivent cependant pas constituer un frein, grâce à une conception fondamentalement différente de celles des expositions précédentes.
2. Les enjeux financiers doivent être appréhendés en tenant compte d’une approche complètement nouvelle de l’exposition
a. Une organisation originale s’impose
L’état de l’économie et des finances publiques ne permet pas d’envisager une exposition universelle coûteuse.
Selon M. Hervé Lorenzi, « nous sommes entrés dans une période de croissance faible… le progrès technique ne produit plus guère de résultats en matière de croissance. Les équilibres sociaux sont fragiles. Les inégalités ont explosé, comme l’a brillamment montré Thomas Piketty. La population vieillit. Ma conviction est que la croissance mondiale annuelle, jadis comprise entre 4 % et 5 %, se situera désormais entre 2,5 % et 3,5 %.
Patrick Artus, membre du Conseil d’analyse économique, a souligné qu’à moins d’un événement imprévu, le taux croissance français et européen – et, à mon sens, mondial – atteindra cette année 0,9 %. Le ralentissement concerne principalement les pays de l’OCDE. Autant dire qu’on ne peut pas croire aux discours enflammés sur la reprise allemande ou américaine… il faut avoir ces données en tête si l’on veut organiser un événement de grande ampleur….
Le projet d’exposition universelle s’inscrit dans une perspective macroéconomique caractérisée par un fort besoin d’investissement et une diminution de l’épargne. Celle-ci provenait naguère des pays émergents, principalement de la Chine, qui consommera davantage dans les dix prochaines années. Une population vieillissante perdant le goût du danger, l’épargne ne s’investira pas dans des placements risqués, ce qui fera remonter fortement les taux d’intérêt.
Tout en réaffirmant devant la mission son enthousiasme pour le projet, il a rappelé qu’« il faudra adapter l’organisation à une période particulière. Durant les prochaines années, le monde se cherchera. Je rappelle le titre de mon livre : « Un monde de violences ». Nous avons vécu en croyant que nous pourrions instaurer une gouvernance mondiale et une régulation de la finance internationale, qui se sont révélées être deux utopies. Nous sommes loin d’être sortis du marasme. Veillons donc à adapter l’exposition universelle à une période dont le mot-clé est l’incertitude ».
Par ailleurs, une exposition universelle coûteuse serait très mal acceptée par nos concitoyens.
Pour M. Jean-Paul Huchon, « c’est une évidence : en ces temps difficiles, l’adhésion populaire sera conditionnée par l’utilisation parcimonieuse des deniers publics. Mais cette candidature est une opportunité à saisir, si l’adhésion populaire est au rendez-vous ».
M. Jean-Louis Missika a tenu le même langage, rappelant que le Parlement avait voté une diminution de 11 milliards d’euros de la dotation de l’État aux collectivités territoriales et précisant à la mission qu’il était « hors de question que les contribuables parisiens financent l’exposition universelle ».
En outre, « les Expositions de Hanovre et de Shanghai ont été déficitaires, celle qui s’organise à Milan est entachée de soupçons de corruption ; nous devons donc faire preuve d’une transparence exemplaire et anticiper avec précision les coûts et les perspectives de développement ».
C’est pourquoi le projet est conçu de telle sorte que plusieurs facteurs limiteraient le coût d’une exposition universelle.
Le projet sur lequel a travaillé la mission est d’un type nouveau, puisqu’il s’articule, comme on le verra ci-après, autour de la mise en valeur d’infrastructures existantes. L’idée de « poser » l’exposition sur Paris, l’Île-de-France et les territoires permettrait de transformer en atouts les contraintes du cahier des charges.
Les infrastructures sont déjà prévues : dès lors que les investissements nécessaires s’inscrivent dans le cadre de ceux déjà envisagés pour le projet du Grand Paris, le surcoût est limité, puisque la majeure partie des travaux aurait de toute façon été réalisée. Il en est de même pour l’accueil des pavillons ou des visiteurs, puisque seraient mis à leur disposition des monuments ou édifices existants.
Bien qu’il soit trop tôt pour évaluer le coût d’une exposition universelle réalisée selon ce schéma, des étudiants ont également commencé à travailler en ce sens : l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe) élabore actuellement un « business model », qui permettra de proposer un chiffrage. Toutefois, comme le fait remarquer M. Christian de Boissieu, membre du Cercle des économistes, « celui-ci ne pourra intervenir trop vite tant que le projet n’est pas explicité. Le résultat d’une analyse coûts/avantages dépend en grande partie du taux d’actualisation ».
En matière de financement, l’organisation de l’opération sans solliciter le contribuable serait en soi une source d’innovation.
b. Des modalités de financement nouvelles
i. L’impératif d’un bouclage financier innovant
La réflexion doit porter sur un financement innovant. « Dans un contexte de réduction des budgets nationaux et locaux, la crédibilité de notre candidature dépendra, quelle que soit la majorité, de son bouclage financier », a souligné M. Christian de Boissieu : « les partenariats public-privé (PPP) n’ont pas toujours produit les effets attendus (58). À mon sens, la France et l’Europe bénéficieront encore pendant quelques années d’une épargne privée importante. Selon l’INSEE, le taux d’épargne des ménages se situe à 15,9 %. Parce que le chômage et le risque retraite se dissipent lentement, ce taux ne se réduira pas dans les quatre prochaines années. Reste à savoir comment drainer une quantité d’épargne plus importante vers le long terme, le développement durable, particulièrement la prise en compte du changement climatique, que les banques, tenues par de nouvelles réglementations prudentielles, vont répugner à prendre en charge.
En septembre 2008, après la faillite de la banque Lehman Brothers, j’ai regretté dans « Les Échos » que l’Europe sous-utilise la Banque européenne d’investissement (BEI), qui finance le long terme, les infrastructures et les PME. Sous l’impulsion française – en particulier celle du Président Hollande –, les Européens ont augmenté son capital de 10 milliards, ce qui lui permet de prêter 60 milliards de plus. La presse annonce ce matin que la France et l’Allemagne pourraient aller plus loin. Il va de soi que la BEI ne financera pas l’Exposition universelle de Paris, mais elle pourra aider, à la marge, à réaliser le bouclage ».
ii. Le financement participatif
Au XIXe siècle, les expositions étaient financées grâce à une souscription populaire, par l’épargne privée. Les bons offraient, en plus de l’accès aux sites, un retour sur investissements par un système de coupons.
Pourquoi ne pas inventer un système de financement original, dans lequel les Parisiens, les habitants de la métropole, voire le reste du monde auraient la possibilité d’intervenir ? La contrainte financière peut se transformer en atout via le financement participatif (ou « crowfunding »), en appelant nos concitoyens à investir directement dans l’avenir de leur territoire.
« J’ai travaillé sur le crowdfunding, a indiqué M. Christian de Boissieu, puisque je siège au collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF). En France, ce mode de financement se développe rapidement – il n’est pas difficile, quand on part de zéro, d’avoir un taux de croissance élevé –, mais il reste moins répandu qu’aux États-Unis. Je pense, en tant de régulateur, qu’il continuera à se développer grâce à internet et en raison de son caractère décentralisé, mais qu’il faut tout faire pour le protéger d’un accident, qui détruirait durablement la confiance. C’est ce à quoi s’emploie l’AMF ». Pour intéressante qu’elle soit, cette formule rencontrera donc ses limites : « Le crowdfunding ne permettra de collecter que des sommes modestes, qui couvriront peut-être la préparation de la candidature, mais non le financement des infrastructures ».
iii. Le recours à l’emprunt obligataire
Un emprunt obligataire pourrait être envisagé, comme l’a proposé M. Jean-Hervé Lorenzi : « Contrairement à ce qu’on entend dire partout, il y a de l’argent en Europe. Jean-Claude Juncker gère un budget de 300 milliards. Le principal problème est l’aversion des épargnants pour le risque. La difficulté sera donc de trouver une garantie, à moins qu’on ne préfère parler, comme les banquiers, de hors-bilan ou, comme Jacques Delors, de « project bonds ». L’Europe devra garantir l’argent privé. Je rappelle que le programme nucléaire français a été financé à 100 % par de l’argent privé garanti par l’État français. L’exposition universelle pourra être organisée grâce à de l’épargne privée, qui se portera vers des obligations privées, mais le dispositif devra être garanti au moins partiellement à l’échelon français ou européen.
C’est sur le partage du risque que devront porter les nouvelles méthodes de financement, sans lesquelles des sociétés inquiètes et vieillissantes comme l’Allemagne et la France ne s’engageront pas. Si la France émet un emprunt obligataire de plusieurs milliards, nos concitoyens auront envie d’y participer, s’ils sont assurés d’être remboursés.
Quand on aura constaté le ralentissement de l’économie européenne, qui se produira nécessairement, y compris outre-Rhin, le débat sur l’investissement sera relancé. Autant dire que le risque et la garantie seront au cœur des débats des dix prochaines années...
Pour le montage financier – je parle des 20 milliards, non du financement de la pré-candidature –, évitons de refaire la même erreur que pour l’ «emprunt Giscard », qui était indexé sur l’or. On peut considérer que la moitié des infrastructures figure dans des projets déjà prévus, et que l’autre moitié peut être financée par une émission obligataire assortie d’une garantie. L’emprunt d’État, formule qui a toujours séduit les Français, peut intéresser 65 millions de personnes, qui, fort heureusement, n’ont pas encore quitté leur pays ».
Le triptyque épargne-confiance-investissement doit être au centre de nos préoccupations, en mettant l’accent sur les infrastructures déjà prévues à l’organisation de l’exposition universelle : comment l’a souligné le président de la mission, « c’est parce que ses effets sont visibles que tout emprunt obligataire émis par une région est rapidement couvert par l’épargne locale ».
M. Christian de Boissieu est également favorable à un emprunt obligataire : « Une exposition universelle bénéficiera d’un soutien populaire, si elle est nationale et non exclusivement parisienne. Dans ce cas, une émission obligataire sera un succès, indépendamment de la question du taux d’intérêt ou de la fiscalité. Sur le plan fiscal, on doit agir avec prudence : il faut stabiliser les anticipations sans compliquer le système ou multiplier les cadeaux, ce qui suppose de trouver le bon dosage.
On peut mobiliser l’opinion si on lui explique ce qu’on veut faire. Le plus souvent, on parle trop peu de ses objectifs et trop des moyens de les atteindre. C’est ce qui s’était passé lors du débat sur le traité de Maastricht. Une émission obligataire rencontrera le succès si l’opération est transparente et si elle ne contient aucun piège ».
iv. La contribution des entreprises
Par ailleurs, les entreprises pourront apporter leur contribution – y compris financière – à l’exposition universelle, comme cela a été le cas à Shanghai pour le pavillon français et pour celui de l’Ile-de France. Comme l’a souligné M. José Frèches, « nous sommes quand même parvenus à lever plus de 5 millions d’euros, dont 4,5 millions auprès de LVMH, Lafarge et Sanofi » ; M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Île-de-France , a précisé que, pour ce dernier, environ 25 % du budget total avait été constitué par les partenariats noués entre l’association, les entreprises et les collectivités territoriales. Il faudra donc suivre cette voie, tout en montant en puissance. Toutefois, la mission en a été prévenue par M. José Frèches, il ne faut pas être trop tributaire des entreprises, afin de conserver la maitrise de la scénographie ; d’ailleurs, les sponsors n’ont pas le droit d’utiliser le pavillon national afin de faire leur publicité. Il y aura donc un équilibre à trouver, avec un cahier des charges précis et rigoureux.
D’ores et déjà, l’association ExpoFrance2025, à la suite du lancement officiel du projet en avril 2013, a cherché des partenaires qui apportent des financements et qui s’engagent sur une durée de 12 ans, avec une visibilité encore limitée ; les 15 grands groupes ayant adhéré au projet dès la première année se sont engagés sur 3 ans, dans la perspective d’une deuxième, puis d’une troisième étape. Ainsi que l’a estimé M. Gislain Gomart, les raisons qui ont amené ces entreprises à se lancer « c’est l’envie d’un projet collectif… qui redonne un élan économique au pays, attire les touristes, qui redonne une image positive à notre pays et offre à notre jeunesse un perspective un peu plus heureuse que celle à laquelle elle est trop souvent confrontée… Ainsi, en dépit d’un contexte économique difficile, de grands chefs d’entreprise, des directeurs de la communication, des directeurs de la stratégie ont pris l’initiative de nous accompagner financièrement dans l’élaboration et la réflexion du projet ».
M. Noël de Saint Pulgent a également conseillé à la mission un appel au mécénat, en comparant avec l’organisation de la Coupe du monde de football : « sachant que, dans le meilleur des cas, l’évènement permettra seulement de payer l’organisation, et non de rembourser les équipements réalisés, une politique intelligente consistera à faire appel au mécénat. Ce ne fut pas simple en 1998, mais aujourd’hui les grandes entreprises sont prêtes à se lancer ».
Opinion que confirment le MEDEF et la CGPME : selon M. Roux de Bézieux, « Le crowdfunding se développe parfois sans but lucratif. My Major Company (MMC), fondée par Jean-Jacques Goldman, finance des projets par des dons qui n’appellent pas de retour matériel. Bien que son impact soit moins important que celui du sponsoring d’entreprise, le procédé est intéressant. Sans modifier la fiscalité, on peut mobiliser des dizaines de milliers de Français, qui s’approprieraient tel bâtiment ou telle partie de l’exposition universelle. Ce projet s’adressant à un moins grand public que les jeux Olympiques, qui bénéficient du support des images télévisées, il faut jouer sur des ressorts spécifiques ».
Et Mme Céline Micouin d’ajouter : « Il existe, à côté du mécénat financier, un mécénat de compétences, mal connu des TPE ou des PME, sur lequel on peut améliorer l’information. Les PME qui s’intéressent au mécénat espèrent, à l’échelle territoriale, un retour sur investissement. Je crains que la mobilisation ne plus soit difficile si le projet demeure national, sans associer les élus locaux ou les acteurs du secteur économique et associatif ».
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME lui fait écho : « beaucoup d’entreprises participent à des actions de mécénat, même pour un montant très faible, par exemple en vue de rénover la statue d’un village. On peut sans doute mieux valoriser ces initiatives ».
Par ailleurs, l’exposition ayant pour objectif d’accueillir le monde entier, « la France investira, certes, mais les étrangers eux-mêmes contribueront à cet investissement économique, administratif et technique. L’exposition universelle doit être pour la France l’occasion… d’inviter les exposants à montrer au monde entier ce qu’ils savent faire ».
Le mécénat de compétences
« Le mécénat a évolué. Au-delà du traditionnel don financier, d’autres formes de soutien émergent. Prêt de main d’œuvre, mise à disposition de services… difficile de compter aujourd’hui sans le mécénat de compétences. Une démarche d’autant plus séduisante pour les entreprises qu’elle bénéficie des mêmes avantages fiscaux que ceux appliqués aux contributions en numéraire… avec quelques particularités.
Banal ? Justement, non. Le mécénat de compétences connaît un véritable engouement en France. Avec lui, les entreprises y voient l’occasion d’affirmer leur identité, d’impliquer leurs collaborateurs dans des actions citoyennes… au profit de fondations ou d’associations. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas là de bénévolat mais bien de mécénat. Si l’entreprise délègue gracieusement du personnel (volontaire) pendant leur propre temps de travail, ce transfert implique nécessairement un coût pour le mécène. Même en l’absence de flux financiers, cette contribution peut être comptabilisée et défiscalisée ».
Source : www.fondationdefrance.org
TROISIÈME PARTIE : UNE EXPOSITION ADAPTÉE
AUX VISITEURS DU XXIE SIÈCLE
Selon M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du BIE, la faisabilité d’un projet d’exposition universelle à Paris en 2025 ne va pas de soi : « Nous ne sommes plus en 1900, moins encore en 1855 […] et le projet est d’autant plus complexe qu’il devrait s’inscrire dans la dynamique du Grand Paris ».
Ces deux constats sont revenus d’une manière ou d’une autre dans la plupart des auditions de la mission : d’une part, il est inenvisageable de reproduire les manifestations du passé – quand bien même cela serait souhaitable, cela n’est plus possible – et d’autre part, une exposition à Paris en 2025 n’a de sens qu’au niveau du Grand Paris, dont elle pourrait être la consécration.
Comme l’a indiqué M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve, « il ne s’agit plus, comme ce fut le cas dans nombre d’expositions passées, de conquérir de nouveaux espaces. Dans un monde fini, il faut au contraire réhabiliter et revisiter, pour faire surgir la singularité de lieux et de modes de vie ». En d’autres termes, l’enjeu ne consiste pas seulement à nous déprendre des modèles parisiens d’il y a un siècle et plus, mais également de celui d’expositions plus récentes qui se sont tenues dans des villes en plein réaménagement et qui autorisaient le déploiement de vastes chantiers sur des centaines d’hectares disponibles.
Bien entendu, il ne s’agit pas de croire que tout est réinventer, ne serait-ce que parce que certaines problématiques demeurent d’une exposition à l’autre : ainsi en va-t-il notamment, eu égard au nombre de visiteurs attendus, des questions d’accueil, d’hébergement et de transport.
Ce faisant, la réponse à ces enjeux « logistiques » passe par des solutions alternatives en matière d’organisation, dont les conséquences doivent être analysées, et qui s’appuient sur le polycentrisme, le numérique, ainsi qu’une architecture aux contours repensés.
I. ACCUEILLIR LE MONDE DANS LES MEILLEURES CONDITIONS
A. LES ENJEUX QUANTITATIFS ET QUALITATIFS DE L’ACCUEIL
Selon M. Vicente Gonzales Loscertales, « le succès d’une exposition dépend également de l’attractivité de la ville d’accueil », de sorte que si celle-ci se tient à Paris en 2025, « les gens visiteront d’abord la ville avant de se rendre à l’exposition ». Le secrétaire général du BIE note que ce fut le cas à Séville, en 1992, pour les 41 millions de visiteurs, dont 18 millions d’étrangers et que le relatif échec de l’Exposition de Hanovre, en 2000, a surement un lien avec le manque d’attractivité touristique de la ville. Les conditions d’accueil revêtent en conséquence une importance toute particulière. Notre pays a-t-il la capacité et la volonté de recevoir ainsi pendant six mois des dizaines de millions de visiteurs supplémentaires dans de bonnes conditions ?
1. Splendeurs et misères de l’accueil en France et à Paris
Forts de notre position de première destination touristique mondiale nous disposons assurément d’une tradition d’accueil qui constitue pour notre pays un atout majeur. Cela ne nous dispense pas de nous interroger sur les limites qualitatives et quantitatives de l’accueil des touristes en France, tel qu’il est perçu et tel qu’il se pratique.
a. L’attractivité touristique française
Le sénateur Luc Carvounas a rappelé lors de son audition, en s’appuyant sur le rapport qu’il a publié en octobre 2013 avec deux de ses collègues (59), combien l’industrie du tourisme, formidable levier de croissance et de création d’emplois, constituait un atout majeur pour notre économie. Comme l’a rappelé également M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France, opérateur national en charge du développement et de la promotion du tourisme, le potentiel de la France est évidemment très important en la matière.
Notre pays se classe en effet en tête du classement mondial s’agissant du nombre de visiteurs étrangers qui s’y rendent chaque année, avec plus de 84 millions de touristes internationaux. Ces statistiques sont pour partie discutables, dans le sens où elles pèchent peut-être par optimisme en décomptant parmi les arrivées plusieurs millions de personnes qui ne font qu’y transiter, elles ne sont pas moins établies sur la longue durée et permettent d’opérer des comparaisons internationales. Il est ainsi régulièrement observé que la France se trouve en revanche reléguée à la troisième place du classement mondial s’agissant des dépenses générées par ces mêmes touristes internationaux. En tout état de cause, notre pays dispose d’une réelle tradition d’accueil et d’infrastructures conséquentes.
L’attractivité touristique française repose d’abord sur celle de Paris et M. Jean-François Martins, adjoint au maire de Paris chargé du tourisme a insisté devant la mission sur le fait que la capitale française recevait chaque année près de 47 millions de visiteurs par an pour la métropole, 30 millions intra-muros, dont près de 16 millions de visiteurs étrangers. Toujours selon M. Martins, « Paris n’est pas seulement une destination de tourisme de loisirs. Elle est classée par l’ICCA, l’association internationale des congrès et des conventions, première ville de tourisme d’affaires au monde. Près de 40 % du tourisme parisien est drainé par les congrès, foires ou salons. À ces visiteurs s’ajoutent les personnes qui séjournent dans la capitale pour des motifs institutionnels ou diplomatiques ». Ces éléments semblent à première vue éminemment favorables à la tenue dans des conditions satisfaisantes d’un grand événement tel qu’une exposition universelle à Paris.
Ce faisant, l’observation statistique dissimule une relative stagnation du tourisme à Paris. Selon M. Pierre Simon, président de l’association Paris Île-de-France Capitale économique, « une fâcheuse stabilisation s’est produite au cours des dernières années. Un glissement s’est opéré : nous recevons beaucoup plus de touristes asiatiques mais moins d’Américains et d’Européens. Il n’y a pas d’effondrement mais pendant qu’il bondissait de manière spectaculaire à New York, le nombre de touristes étrangers est demeuré le même à Paris ».
Ce constat se trouve corroboré par la parution au printemps 2014 de plusieurs classements dans lesquels la position de Paris connait manifestement un effritement. Le classement des villes les plus attractives, réalisé par le site TripAdvisor, uniquement sur la base des avis des internautes, fait ainsi apparaître un net recul de Paris, de la première à la septième place. Par ailleurs, dans l’enquête, plus conséquente, du cabinet PricewaterhouseCoopers, publiée en mai dernier, sur les villes globalement les plus attractives, Paris passe de la quatrième à la sixième place. Ce faisant, M. Geoffroy Schmitt, associé chez PwC, note que « le principal enjeu pour la Ville Lumière réside dans le Grand Paris. Si Paris mène à bien ce projet, la capitale pourra redevenir attractive. Sinon, elle devra être confrontée encore plus durement à une concurrence internationale qui s’intensifie. En attendant, ce projet montre la volonté de Paris de se réformer ». C’est dire l’enjeu que constitue le Grand Paris !
Une querelle de chiffres s’est fait jour au début de l’année 2014 entre Paris et Londres pour savoir laquelle des deux capitales était devenue la plus attractive sur le plan touristique. Il est à vrai dire impossible de déterminer une fois pour toutes si « Londres a détrôné Paris » (60) ou non en termes de fréquentation, les deux villes se situant à un niveau très proche l’une de l’autre. En revanche, le sentiment d’une certaine stagnation parisienne contraste avec celui du dynamisme londonien, relevé par plusieurs interlocuteurs de la mission. C’est du reste ce dynamisme qui a permis à Londres d’organiser les jeux Olympiques de 2012 dans les meilleures conditions et de conforter davantage encore son image de ville ouverte, animée et accueillante.
Dans cette logique, M. Christian Mantéi a rappelé que « les grands événements sportifs ou culturels sont indispensables au développement de toute grande destination touristique moderne : si nous voulons maintenir une offre globale, à la hauteur des attentes si diverses du public du monde entier, nous ne pouvons pas nous en passer […]. Le projet d’exposition universelle à Paris me semble donc bienvenu, voire nécessaire. Nous avons en effet identifié diverses faiblesses de notre offre touristique […] mais un grand projet permettra de mieux mobiliser toutes les énergies, publiques et privées, et d’investir pour hisser notre offre à la hauteur de ce que le public attend d’une grande métropole ».
La candidature à l’exposition universelle nous oblige ainsi à faire vraiment de la prospective et à nous interroger sur l’avenir de nos transports, de nos hébergements, de nos services, du numérique, des relations des populations locales avec les visiteurs.
b. Des appréciations contrastées sur la qualité de l’accueil
Le monde est-il aujourd’hui bienvenu en France et à Paris ? Le jugement de nos interlocuteurs permet parfois d’en douter, tant la question de l’hospitalité est fréquemment revenue dans leurs interventions :
M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure- Ulm : « Nous devons cultiver bien mieux notre hospitalité : nous ne sommes pas très polis. […] Nous devons devenir plus hospitaliers, plus courtois, plus fidèles. […] Nous ne sommes pas hospitaliers, chacun s’en rend compte dès qu’il débarque à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Sur ce point, nous devrons faire un effort considérable. Nous devrons mettre en avant l’accueil et l’hospitalité, et prouver la réalité de cette ouverture. C’est ce qui sera le plus difficile.
M. Xavier Darcos, président de l’Institut français : « Il convient d’évoquer les conditions matérielles de l’hospitalité ; pour nous autres qui voyageons toutes les semaines, le retour à Paris s’apparente à l’enfer : arriver à Roissy, c’est arriver à Kinshasa lorsque l’on vient d’un grand aéroport du monde. Y aller aussi, d’ailleurs ! Les agressions sur le trajet entre le centre de Paris et Roissy sont un sujet dont les étrangers vous parlent. »
M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France : « Si nous nous décidons, il faudra travailler sur les fondamentaux. Je pense aussi à l’accueil, sur lequel il y a énormément à faire. […] Il faut apprendre à bien recevoir, à bien gérer, à parler des langues étrangères. Le contact humain est indispensable. […] Cela doit commencer dès l’aéroport. Pour être irréprochables sur tous ces points, nous devrons consentir des efforts considérables. »
M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve : « Nous devrons aussi garder en tête les clichés qui circulent sur les Français ; en particulier, on dit souvent que notre accueil laisse à désirer. J’espère que ce sera une priorité; en la matière, l’exposition devrait d’ailleurs être conçue comme un point d’orgue plutôt que comme un point de départ. »
M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile : « Les Français sont tellement critiqués sur le thème de l’hospitalité, parfois à raison, mais parfois aussi à tort. En ce qui nous concerne, nous y faisons très attention. […]Au Mondial de l’automobile, tous les documents à destination des médias sont disponibles en cinq langues – français, anglais, allemand, espagnol et italien. Tous nos hôtes et hôtesses sont au moins bilingues. Nous avons créé un plan de poche, qui est diffusé gratuitement à tous les visiteurs. J’attache aussi une grande importance à la signalisation. C’est peut-être un détail, mais cela fait partie de l’accueil ; je suis donc toujours étonné que certains de mes homologues la négligent. »
M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts-de-Seine : « Il faut donc, très tôt, engager la transformation, indispensable en tous les cas mais que l’exposition universelle accélérera, visant à accueillir les visiteurs convenablement. »
Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist a eu néanmoins la délicatesse de réconforter les membres de la mission : « La France n’a pas l’image d’un pays hospitalier, mais l’accueil à l’aéroport de Roissy ou le service désagréable dans les restaurants font partie de son charme » !
Sur le ton de la plaisanterie, l’historien britannique Theodore Zeldin, compatriote de Mme Sophie Pedder, écrivait déjà que les Français avaient raison de s’estimer incompris dès lors que « les étrangers adorent la France en tant que pays mais pas les Français en tant que peuple (61) ». Autant dire que la réputation qui nous est faite en matière d’accueil et d’hospitalité, à défaut d’être toujours méritée, demeure solidement ancrée. Il ne s’agit pas cependant d’exagérer sa portée rédhibitoire, d’autant que nous avons de réelles raisons d’espérer.
Lors de son discours de clôture des Assises du tourisme, le 19 juin dernier, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, a indéniablement pris la mesure de l’enjeu que constituait un accueil de qualité, tant en termes de perception que de réalité :
« Il en va avec les pays comme avec les individus : c’est le premier contact qui est souvent déterminant. L’attractivité se joue d’abord dans les aéroports, dans les gares, dans les restaurants et dans les hôtels. Nous devons améliorer “la chaîne de l’accueil”, notamment à Paris, puisque notre capitale est une destination-phare, par où commencent beaucoup des déplacements en France ou vers la France. […] Cela demande des décisions : j’en ai cité une trentaine, certaines attendues depuis longtemps, d’autres plus nouvelles. Cela demande aussi un état d’esprit, des professionnels bien sûr, mais aussi de l’ensemble des Français : nous devons convaincre de la place centrale du tourisme dans notre économie et notre société. Nous devons conforter cette place en soulignant l’intérêt des métiers de la filière, métier qu’on n’exerce pas sans passion. Nous devons expliquer que les “services” ne sont nullement, quelle que soit leur étymologie latine, une “servilité”, voire une “servitude”, mais au contraire une “serviabilité”, un enrichissement. Nous devons valoriser l’ouverture aux autres, l’accueil, l’hospitalité, car c’est ainsi que nous serons dignes du rang auquel nous aspirons. »
Les mesures annoncées lors ces assises (62), le fait même que ce soit le ministre des affaires étrangères qui les porte et qui en assure le suivi au sein d’un conseil de la promotion du tourisme directement placé sous son autorité illustrent clairement la volonté de faire de cette question une priorité gouvernementale.
Ajoutons enfin que le succès d’une telle politique est indissociable d’une prise de conscience au sein de l’ensemble du corps social. Cela passe par une meilleure maîtrise des langues étrangères et surtout par la capacité de chacun à être un bon ambassadeur de son pays en se sentant pleinement associé à cette dynamique positive. Dans la langue française, le terme « hôte » désigne à la fois la personne qui offre l’hospitalité et la personne invitée : voilà un bon point de départ pour une réflexion qui devra impérativement porter ses fruits dans dix ans !
2. Les conséquences liées à l’accueil de dizaines de millions de visiteurs
Une exposition universelle réussie implique que pendant six mois, des dizaines de millions de visiteurs supplémentaires afflueront vers Paris. Combien seront-ils ? Quels sont les enjeux propres à une telle manifestation, qu’il reviendra impérativement de prendre en considération afin d’optimiser leur accueil sur place ?
a. La difficile estimation du nombre et de la nature des visiteurs attendus
Organiser une exposition à Paris revient à résoudre une équation difficile, à savoir comment faire face à un afflux de dizaines de millions de visiteurs supplémentaires pendant six mois, dans un territoire déjà relativement engorgé, sans causer de désagrément à la population d’accueil. Pour ce faire, il est indispensable, au préalable, d’évaluer quantitativement et qualitativement le public attendu. Si l’évaluation quantitative est par définition très complexe à dix années de l’échéance supposée, il est plus aisé d’identifier les grandes composantes de ce public et ce que seront vraisemblablement ses exigences sur place, nonobstant les questions d’hébergement et de transport traitées ultérieurement.
M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope, a opportunément rappelé que l’événement était « inédit par sa puissance populaire. Nous connaissons peu d’exemple de manifestation qui réunisse des dizaines de millions de personnes tout en constituant un exceptionnel rendez-vous des nations. Même les jeux Olympiques, seul événement à pouvoir soutenir la comparaison, rassemblent moins de monde sur une période beaucoup plus brève. En 2012, 7 millions de spectateurs ont ainsi participé aux JO d’été de Londres durant deux semaines. […] La puissance populaire, la modernité, et la forte concentration dans le temps et dans l’espace constituent en quelque sorte l’ADN des expositions universelles. Ces trois éléments sont constitutifs des deux rendez-vous “mythiques” et des immenses succès que furent Paris en 1900 et Shanghai en 2010, chacun ouvrant et préfigurant son siècle ».
S’agissant du nombre total de visiteurs attendus, les estimations avancées par les interlocuteurs de la mission ont toutes été assorties de réserves bien compréhensibles. Il semble à première vue difficile, voire impossible, de pouvoir atteindre ou dépasser le record de Shanghai, mais plusieurs s’accordent à penser qu’une fréquentation de l’ordre de 50 millions de personnes n’est pas hors de portée. À cet effet, M. Dominique Hummel s’est livré devant la mission à un exposé très convaincant :
« Permettez-moi de vous proposer une évaluation du nombre de visiteurs potentiels d’une exposition universelle en France. Si 25 à 30 % des Français sont susceptibles d’être intéressés, elle pourrait recevoir 15 à 20 millions de nationaux pour une ou plusieurs visites, auxquels il faut ajouter les touristes. Paris en accueille d’ores et déjà 30 millions par an. Si l’on accepte l’hypothèse, fondée sur les exemples passés, que l’événement provoquerait une augmentation de 20 % à 30 % de ce flux, et qu’environ la moitié se rendrait à l’exposition, nous pourrions en compter environ 20 millions comme visiteurs potentiels de l’exposition universelle. Personne ne peut s’engager sur un chiffre, mais il est en conséquence possible que ce rendez-vous rassemble 40 à 50 millions de visiteurs. »
Rien n’interdit d’être plus ambitieux, bien au contraire, mais il faut avoir conscience qu’atteindre ce résultat constituerait déjà un succès considérable. Ainsi, pour l’Exposition de 2015, qui se tiendra à Milan, les organisateurs affichent-ils un objectif de 25 millions de visiteurs. Gardons également à l’esprit que rien n’est pire qu’une promesse non tenue, à l’image de l’Exposition de 2000 qui n’a pas atteint son objectif de 40 millions de visiteurs, ce qui a été considéré comme un échec alors même que faire venir 19 millions de visiteurs à Hanovre relevait plutôt de la prouesse, comme l’a noté M. Vicente Gonzales Loscertales ! Il n’en demeure pas moins que l’on attendra probablement davantage de Paris…
S’agissant des catégories de visiteurs attendus, M. Bernard Testu ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE, a rappelé leur grande diversité : « Parmi ce grand nombre, chaque public – groupes scolaires, familles, comités d’entreprise, touristes – doit trouver un intérêt. Ne sous-estimons pas la clientèle internationale de ces événements : certaines personnes, parfois de condition modeste, se rendent à chaque exposition universelle ! ». Mentionnons également la présence prévisible de nombreuses délégations officielles et d’invités devant faire l’objet d’un traitement spécifique : chefs d’États et de gouvernements étrangers, personnalités du monde économique, scientifique et culturel, ou encore journalistes.
Il convient de s’arrêter un instant sur la part relative des visiteurs étrangers et des visiteurs français qui peuvent être attendus. Selon M. Dominique Hummel, « il faut se souvenir que, malgré leur nom, les expositions universelles et internationales sont d’abord des événements nationaux », et de citer à l’appui de sa démonstration, le fait que les étrangers ont représenté moins de 5 % des visiteurs de l’Exposition de Shanghai, moins de 4 % de celle de Aichi, au Japon en 2005, et moins de 3 % de celle de Yeosu, en Corée du Sud en 2012. Certes, la configuration d’une exposition en Europe obéit à des conditions sensiblement différentes mais les visiteurs étrangers y sont néanmoins restés minoritaires : ils représentaient 20 % à Séville en 1992 et 12 % à Hanovre en 2000. Là réside probablement la clé du succès d’un tel événement pour notre pays en 2025, à savoir tirer profit de sa position centrale en Europe pour attirer davantage encore de visiteurs étrangers.
L’accueil des visiteurs étrangers devra faire, le cas échéant, l’objet d’une attention particulière de la part des organisateurs et c’est d’abord vers eux que l’effort devra se porter. Comme l’a indiqué M. Jean-Michel Grard, « l’exposition universelle devrait accueillir de nombreux visiteurs qui viendraient en France pour la première fois. Si nous devenions une véritable porte d’entrée de l’Europe, plutôt que d’être un simple relais, les retombées économiques du tourisme seraient beaucoup plus importantes ». Encore faut-il que l’accueil qui leur sera réservé corresponde à leurs attentes.
b. Le syndrome de la file d’attente
Lors de son intervention devant la mission, M. Dominique Hummel s’est très clairement interrogé sur le fait que le modèle classique des expositions, soit la concentration de l’ensemble des visiteurs sur un site unique, aussi vaste soit-il, puisse être encore opérant en 2025 :
« Lors de ma première visite à l’Expo de Shanghai à titre privé, je n’ai pu entrer que dans un seul pavillon après onze heures d’attente. L’armée chinoise gérait les flux de visiteurs et assurait la sécurité du site auquel étaient affectés 50 000 à 100 000 militaires. J’ai assisté à des débordements et à des agressions inévitables dans ce type de situation. Ce modèle me paraît d’ores et déjà dépassé ; il sera en tout état de cause impossible de le reproduire en 2025. Ce qui était envisageable à Paris en 1900, et même en Chine il y a quelques années, ne le sera plus dans dix ans dans notre pays. Les attentes et le niveau d’exigence des visiteurs évoluent ainsi que ce qui leur paraît acceptable. Comment expliquer au client qui aura payé quarante euros pour entrer à l’Exposition universelle de Milan en 2015, que, comme les visiteurs de Shanghai, il ne visitera que deux ou trois pavillons ? Il faudra pouvoir justifier un tel prix. Car provoquer un haut niveau d’insatisfaction, c’est courir le risque de provoquer un bouche à oreille négatif. »
L’exposé de M. Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, institution qui gère plusieurs sites parisiens faisant l’objet d’une forte fréquentation, tels que l’Arc de Triomphe, le Panthéon, les tours de Notre-Dame, la Sainte-Chapelle et la Conciergerie, a également retenu toute l’attention de la mission, en ce qui concerne le niveau d’exigence du public étranger – a fortiori également, si ce n’est davantage, du public français – en matière d’accueil :
« Nous constatons quasi quotidiennement la modification des comportements des visiteurs de nos monuments. Nous sommes en particulier exposés à des critiques relatives aux monuments parisiens à forte fréquentation étrangère. Le public asiatique trouve ainsi les ouvertures des monuments trop tardives. Les Chinois souhaiteraient pouvoir monter sur l’Arc de Triomphe dès sept heures du matin : devoir attendre neuf heures et demie complique la gestion de l’emploi du temps de journées qu’ils conçoivent comme très remplies. […] la question des horaires d’ouverture des monuments se posera de manière accrue dans le cadre d’une exposition universelle, ne serait-ce que pour réguler les flux.
« Les visiteurs sont également de plus en plus exigeants en matière de services annexes : l’offre de restauration, l’offre commerciale, les toilettes, les espaces à langer, l’existence éventuelle d’une nursery ou d’une crèche, tous secteurs dans lesquels la France est très en retard. […]
« Les visiteurs sont par ailleurs de plus en plus sensibles à la liberté d’aller et de venir. S’ils apprécient toujours une visite guidée de qualité, ils ont aussi une grande appétence pour l’autonomie et ne supportent plus de ne pas pouvoir déambuler librement tout en bénéficiant d’explications sur leur smartphone.
« Enfin, la concurrence entre les activités culturelles et de loisirs est devenue considérable et touche le public tant français qu’étranger. Cet enjeu est colossal dans l’hypothèse d’une individualisation du tourisme chinois. […] Le public arbitre entre des offres très variées. »
Ces préoccupations sont à rapprocher de celles du président-directeur du Musée du Louvre, M. Jean-Luc Martinez, et du directeur général de la société d’exploitation de la tour Eiffel, M. Éric Spitz, qui sont venus évoquer devant la mission les conditions d’exploitation de leurs deux monuments particulièrement emblématiques : malgré de nombreux efforts, il semble inévitable de rencontrer un seuil de saturation à un moment donné. M. Spitz a particulièrement bien résumé la problématique à laquelle tout organisateur d’une manifestation d’ampleur et de flux particulièrement élevés de visiteurs doit faire face :
« Pour accueillir du public, il faut de l’espace et des infrastructures. N’oublions pas que ceux qui ont attendu dans les files d’attente pendant une heure commencent par se rendre aux toilettes ! Les visiteurs se déplacent sans doute pour le prestige d’un lieu, mais il faut que l’intendance suive. Peut-être vous paraît-il étrange que j’insiste sur les sanitaires, mais tout ce qui participe à l’accueil et au confort des visiteurs joue un rôle majeur. […] Il ne suffit pas de disposer de monuments magnifiques et d’un passé historique incomparable ; il faut que tout soit réfléchi et parfait jusqu’au dernier bouton de guêtre pour offrir une expérience complète de qualité car c’est un ensemble que jugeront les visiteurs. »
Accueillir une exposition à Paris amène au demeurant à s’interroger sur la possible saturation, non seulement du site même de la manifestation, mais également de l’ensemble des sites de la capitale. M. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, a du reste reconnu que le développement de Paris intra-muros était aujourd’hui parvenu à maturité : « Il est clair qu’aujourd’hui l’attractivité touristique du cœur de la capitale ne pose plus guère de problème : ce qui est en jeu, c’est l’attractivité touristique de la métropole. Nous sommes convaincus que l’Exposition universelle de 2025 s’inscrira naturellement dans le cadre du Grand Paris ».
Nonobstant l’interrogation sur les avantages et les inconvénients du polycentrisme, qui font l’objet de développements ultérieurs dans le présent rapport, il apparaît ainsi inenvisageable d’accueillir les visiteurs dans des conditions raisonnables sur un site unique.
c. Les volontaires, relais d’un accueil réussi
L’organisation d’une manifestation d’ampleur suppose également le déploiement pour l’accueil des visiteurs d’importants moyens humains. M. Jacques Lambert dispose d’une importante expérience en la matière, ayant pris part à l’organisation des Jeux d’Albertville en 1992 et de la Coupe du monde de football en 1998 et préparant activement l’Euro 2016 de football, pour lequel il estime qu’entre 5 000 et 6 000 bénévoles devront être associés : « En ce qui concerne l’accueil proprement dit, nous parvenons à mobiliser des personnes, jeunes et moins jeunes, suffisamment motivées et disponibles pour composer un personnel actif de qualité. Nous avions recruté 12 000 bénévoles pour France 1998 et 8 000 bénévoles pour la Coupe du Monde de rugby de 2007, et je n’ai aucune inquiétude pour l’Euro 2016. »
Il est par ailleurs revenu sur le dispositif mis en œuvre à Londres à l’occasion des derniers jeux Olympiques : « Pas moins de 70 000 volontaires étaient disséminés dans la ville de Londres avec un seul but, offrir aux spectateurs des Jeux un séjour agréable. Cette mobilisation m’a beaucoup impressionné. En France, sur ce point, nous avons de sérieux progrès à faire. »
La dimension d’une exposition universelle surpassant de loin celle de ces grands événements, tant par sa durée que par l’importance du public attendu, l’association des populations d’accueil s’avérera indispensable et nécessitera la mise en place d’un large réseau de volontaires.
M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de Shanghai, a fortement marqué les esprits lorsqu’il a évoqué devant la mission ce que fut la contribution du peuple chinois en 2010 :
« Concernant la participation du peuple, les Chinois sont très patriotes et c’était une exposition attendue depuis au moins cent ans ! Des campagnes de sensibilisation étaient organisées chaque jour. De manière directe ou indirecte, tout le monde était impliqué. À l’acmé de l’exposition, un million de volontaires, notamment de nombreux étudiants, étaient mobilisés, dans les quartiers, les aéroports. Les citoyens ont été sollicités pour donner leur opinion et apporter leurs suggestions vis-à-vis de l’exposition. Une campagne d’éducation, une campagne sur “l’étiquette”, la politesse, mais également les connaissances géographiques ainsi que les relations extérieures, a également été lancée. […] Les campagnes d’éducation sont importantes. La mobilisation ne peut se faire que sur un plan moral, c’est comme cela que les citoyens se sentent maîtres du jeu, il est difficile de les impliquer sur un plan technique. Pendant six mois, tout le monde a été mobilisé, notamment les familles pour l’accueil des visiteurs. Voilà pour l’aspect partage ! »
Sans prétendre vouloir rivaliser avec un tel niveau de mobilisation, cette question devra être traitée très en amont, afin de sensibiliser les Français et de s’assurer qu’ils répondront présents le moment venu.
M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France, a d’ailleurs également insisté sur ce point : « Il faudra mettre en place un réseau de bénévoles. Celui-ci devra irriguer tout le territoire, car tout le monde ne sera pas logé dans Paris : il y aura des hébergements en première, en deuxième couronne. […] Ces greeters – des volontaires, retraités par exemple, qui accueillent les visiteurs sur leur territoire, avec le sourire, parce qu’ils aiment partager leur amour pour leur région – devront être valorisés. »
Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique, a évoqué pour sa part la notion américaine de « Citizen diplomacy », qualifiant la participation des citoyens à l’effort national d’accueil, et n’y a trouvé que des aspects positifs.
Cet engagement de l’ensemble des Français vers un but commun doit donc être vu comme une chance, et non comme une contrainte, de sorte que nous avons tout à y gagner si nous savons bien nous y prendre. En nous mettant au service des visiteurs que nous accueillerons, nous partagerons également nos expériences propres entre nous. Regarder tous ensemble dans la même direction nous permettrait de renouer avec cette dimension fraternelle des expositions qui a contribué par le passé au succès de celles que nous avons organisées.
Il ne suffit pas d’accueillir convenablement les visiteurs à l’entrée de l’exposition, encore faut-il être également en mesure de leur offrir des conditions d’hébergement convenables. En se fondant sur une base de 50 millions de visiteurs en 6 mois et en opérant le décompte des visiteurs de proximité, pouvant se loger chez eux, on peut raisonnablement estimer la cible à environ 200 000 personnes par jour, auxquelles il est nécessaire d’ajouter, selon M. Bernard Testu, le logement de 15 000 exposants au sein d’un « village » spécialement dédié. Là encore, il convient de s’interroger sur notre capacité à faire face à cette demande, étant entendu qu’une inadéquation entre l’offre et la demande ne se résout que par deux moyens : le prix ou la pénurie.
1. Une saturation de la capacité hôtelière ?
En partant de l’hypothèse que le cœur de l’exposition se situera dans le Grand Paris, il faut être en mesure d’offrir prioritairement aux visiteurs un hébergement relativement proche, qui leur permette en tout état de cause d’aller et venir sans trop de désagréments. D’ores et déjà, il apparaît que la capacité hôtelière à Paris intra-muros est aujourd’hui saturée et qu’il faut appréhender cette capacité à une échelle plus large.
a.
Le bilan de l’offre hôtelière à Paris
Paris dispose aujourd’hui, avec un peu moins de 1500 hôtels représentant plus de 80 000 chambres, de la première capacité hôtelière en Europe, comme l’a rappelé le cabinet KPMG dans son étude sur l’industrie hôtelière française en 2012 (63).
Par rapport aux autres grandes capitales européennes, Paris se distingue cependant par la structure de son parc hôtelier, dominé par des établissements d’une capacité moyenne de 55 chambres, contre 69 pour la moyenne des villes étudiées. En outre, toujours selon la même étude, l’offre dite « haut de gamme » – soit les hôtels 4 et 5 étoiles – représente « seulement » 32 % de l’offre parisienne, là où elle atteint plus du double à Barcelone, Rome, Bruxelles ou Madrid. Enfin, le taux moyen d’occupation des hôtels parisiens se situe déjà à près de 80 %, soit à un niveau comparable à celui de Londres, ce qui est révélateur d’une certaine saturation de l’offre. De surcroît, selon M. Paul Roll, directeur général de l’Office du tourisme et des congrès de Paris et président du conseil de l’Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme (IREST) de l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne, si on enlève les dimanches et jours fériés, Paris a un taux d’occupation de 96 %. Ainsi, seule la construction de nouveaux hôtels permettrait-elle d’augmenter le nombre de séjours (64).
Lors de son audition par la mission, M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France a estimé qu’il manquait à Paris entre 15 000 et 20 000 chambres et que les marges de progression étaient relativement faibles. De fait, le développement du parc hôtelier parisien a connu une stagnation au cours des dernières années. Comme l’a expliqué M. Jean-François Martin, adjoint à la maire de Paris, chargé du tourisme, « ouvrir un hôtel à Paris est aujourd’hui une opération rentable. Notre problème est plutôt de trouver du foncier disponible pour les investisseurs privés qui se bousculent à nos portes, tout en nous assurant que les projets retenus s’insèrent dans le tissu urbain et qu’ils ne concernent pas uniquement des établissements de luxe – les plus rentables au mètre carré – mais s’adressent à toutes les catégories de touristes qu’accueille la capitale ».
Face à la relative pénurie de l’offre parisienne, le prix constitue aujourd’hui une importante variable d’ajustement et l’on constate par conséquent une croissance du prix moyen de la nuitée supérieure à l’inflation. Paris devient une ville chère pour les touristes, ce qui ne semble pas freiner la demande pour le moment. Certes, beaucoup de grands hôtels parisiens ont connu ou vont connaître prochainement des rénovations et l’on évoque régulièrement des projets d’ouverture de nouveaux palaces. Ce faisant, il faut bien avoir conscience que la capacité d’accueil de l’hôtellerie de luxe est faible : seulement 1 600 chambres, soit 2 % du parc hôtelier ! En l’absence de nouveaux projets, le phénomène de « gentrification touristique » risque en tout état de cause de s’accentuer, ce qui pose le problème de l’accueil des populations qui n’ont pas un pouvoir d’achat suffisant pour loger dans Paris.
Le constat d’une pénurie de l’offre hôtelière a été dressé devant la mission par les responsables de l’organisation du Tournoi de Roland Garros et du Mondial de l’automobile. D’une manière générale, les populations « VIP » parviennent à se loger à Paris en pré-réservant longtemps à l’avance tandis que les visiteurs ou spectateurs se rabattent pour une part non négligeable sur les hôtels de banlieue, voire de grande banlieue.
Il est donc impératif de travailler dès maintenant à combler ce déficit. D’après M. Jean-Louis Missika, la Ville de Paris, tout à fait consciente de l’enjeu, a initié sous le mandat de M. Bertrand Delanoë un plan hôtelier dont Mme Anne Hidalgo poursuit aujourd’hui la mise en œuvre. Il apparaît cependant clairement que c’est a minima au niveau de la métropole parisienne qu’il convient désormais de dresser une vision d’ensemble réaliste de l’offre hôtelière.
b. Des perspectives hôtelières « hors les murs »
Selon M. Jean-François Martins, la destination Paris n’est pas circonscrite aux limites du périphérique. Pour la première fois cette année, l’Office du tourisme et des congrès de Paris a choisi de publier des chiffres qui incluent la fréquentation des trois départements limitrophes : « Depuis Pékin, Los Angeles ou Bogota, Paris, La Défense – qui draine un important tourisme d’affaires –, Bagnolet, Montreuil, Saint-Denis, Ivry, Versailles ou Disneyland, c’est globalement la même ville ! D’où la nécessité de développer notre capacité hôtelière en petite couronne ».
D’après M. Paul Roll, la capacité hôtelière de Paris et de la petite couronne s’élevait ainsi en 2011 à 114 000 chambres. L’Île-de-France dispose par ailleurs, selon les derniers chiffres disponibles, d’une capacité hôtelière totale de près 150 000 chambres réparties sur 2 346 établissements, ce qui représente un peu moins du quart de l’ensemble de la capacité hôtelière française, qui s’élève à près de 620 000 chambres pour près de 17 000 hôtels (65). En outre, le taux de fréquentation dans l’ensemble de la région capitale s’élève à 68 %.
Comme l’a indiqué M. Pierre-Antoine Gailly, président de la Chambre de commerce et d’industrie Paris-Île-de-France, il ne faut donc pas uniquement se focaliser sur Paris intra-muros, ce qui sera au demeurant d’autant plus aisé si l’exposition ne se concentre pas sur un site unique : « Outre la région Île-de France, dans les villes situées à une heure de Paris en TGV, on trouvera d’autres capacités hôtelières – on peut d’ailleurs imaginer proposer aux visiteurs étrangers de l’exposition des forfaits associant Paris et d’autres villes ».
Gardons toutefois à l’esprit que la France, premier pays d’accueil des touristes internationaux dans le monde, et qui s’en flatte, connait une situation pour le moins paradoxale puisque nous serions selon M. Christian Mantéi la « la seule grande destination touristique au monde qui ait diminué son stock de chambres d’hôtel » !
Si cette tendance se confirme au cours de la prochaine décennie, il est à craindre que l’hôtellerie ne suffira pas, à elle seule, à absorber la croissance de fréquentation qui résulterait de l’organisation d’une exposition universelle. Les organisateurs du Tour de France ainsi que M. Jacques Lambert ont d’ailleurs fait part à la mission des difficultés qui se manifestaient également hors de Paris, s’agissant de la réservation d’hôtels en cas d’afflux massif.
En outre, M. Thierry Coltier, managing partner de Horwath HTL France, a souligné qu’il serait déraisonnable de créer des hébergements en dur pour accueillir tous les visiteurs d’une exposition universelle. Si nous devons garder à l’esprit l’impérieuse nécessité de dynamiser ce secteur, il ne faut pas non plus trop lui en demander, d’autant que l’enjeu pour l’hôtellerie française ne consiste pas uniquement à accroitre ses capacités mais aussi à moderniser son offre.
Si l’exposition ne peut justifier, à elle seule, la construction de nouveaux hôtels, elle peut néanmoins la favoriser en se greffant sur des dynamiques voisines parallèlement à l’œuvre. Sur ce point, M. Dominique Hummel a fait part à la mission de réflexions tout à fait intéressantes au sujet du couplage entre hôtellerie et parcs de loisirs, en s’appuyant sur l’expérience du Futuroscope de Poitiers, mais également sur celles de Disneyland Paris, du Puy du Fou ou du zoo de Beauval, où la tendance actuelle est à l’allongement du séjour, ce qui se traduit souvent par une offre renforcée d’hébergements à thème.
Le parc de loisirs qui se visitait autrefois en une journée est devenu un resort proposant une expérience de court séjour globale thématisée qui se vit aussi bien le jour que le soir et la nuit. Or, comme l’indique par ailleurs M. Hummel, si nous organisons l’exposition universelle, pendant six mois, la France, l’Île-de-France et Paris vont se transformer en énorme resort :
« Une exposition universelle demande en effet de raisonner en utilisant un angle d’approche très large. Il est impossible de se contenter de penser uniquement le visiteur entre son entrée et sa sortie du site ; il faut aussi prendre en compte sa soirée et sa nuit. Car la rencontre aura aussi lieu le soir, hors de l’Expo elle-même. Il faut donc l’organiser, et prévoir des lieux de rassemblement. Quant à l’hébergement et au transport, ils font partie intégrante de l’expérience globale du visiteur, et ils doivent être réfléchis comme tels. Finalement, du repas au coucher, en passant par l’esprit général de l’événement, tout devient expérience. La tendance est à l’entertainment du monde, à la mise en spectacle de nos existences, et cela ne concerne évidemment pas que les parcs de loisirs. »
Cette logique de « thématisation » devra être prise en considération dès lors qu’il s’agira d’affiner la problématique de l’hébergement et si l’hôtellerie sera bien entendue concernée au premier chef, d’autres pistes de réflexion doivent également être explorées.
2. Des voies alternatives et complémentaires à explorer
Aux côtés de l’hôtellerie, d’autres modes d’hébergement doivent être promus pour assurer l’accueil de l’ensemble des visiteurs dans de bonnes conditions, en les faisant participer à une expérience commune. Certains de ces modes d’hébergement existent déjà et il convient de les recenser pour mieux pouvoir les optimiser le moment venu, d’autres sont encore à développer.
a. L’optimisation des modes d’hébergement existants
L’offre d’hébergement touristique ne se limite pas à l’hôtellerie : résidences de tourisme, campings, villages de vacances, auberges de jeunesse et centres sportifs, meublés de tourisme et chambres d’hôtes constituent autant de voies alternatives pour l’hébergement des touristes en France, dont la capacité ne saurait être négligée. En nombre de lits marchands sur la France entière, l’hôtellerie représente ainsi moins d’un quart des capacités effectivement disponibles.
FRANCE MÉTROPOLITAINE
NOMBRE D’ÉTABLISSEMENTS ET DE LITS TOURISTIQUES AU 1ER JANVIER 2013
Catégorie |
Nombre d’établissements |
Nombre de lits | |
(en millions) |
(%) | ||
Hôtellerie |
17 000 |
1 238,6 |
21,5 |
Résidences de tourisme et résidences hôtelières |
2 300 |
699,4 |
12,2 |
Campings |
7 800 |
2 713,7 |
47,2 |
Villages de vacances |
1 100 |
270,3 |
4,7 |
Auberges de jeunesse, centres internationaux de séjour et centres sportifs |
300 |
32,2 |
0,6 |
Meublés classés de tourisme |
161 000 |
724,4 |
12,6 |
Chambres d’hôtes |
35 900 |
71,8 |
1,2 |
TOTAL |
225 400 |
5 750,4 |
100 |
Source : Direction générale des entreprises, Memento du Tourisme 2013.
Bien entendu, pour évaluer plus en détail le potentiel d’accueil de ces différentes structures d’hébergement, il faudrait disposer de statistiques plus fines concernant leur taux de fréquentation, tout en prenant en considération les limites inhérentes à certaines d’entre elles, eu égard notamment à leur caractère saisonnier. Leur accessibilité par le public potentiel de l’exposition devra également être évaluée au regard de la localisation géographique des établissements en question.
En ce qui concerne plus spécifiquement la région Île-de-France, la capacité d’accueil de ces différentes structures mérite également de retenir toute notre attention.
REGION ÎLE-DE-FRANCE :
NOMBRE D’ÉTABLISSEMENTS ET DE LITS TOURISTIQUES AU 1ER JANVIER 2013
Catégorie |
Nombre d’établissements |
Nombre chambres |
Hôtellerie |
2 346 |
150 077 |
Résidences de tourisme et résidences hôtelières |
185 |
50 457 |
Campings |
96 |
14 892 |
Auberges de jeunesse, centres internationaux de séjour et centres sportifs |
18 |
3 743 |
Meublés classés de tourisme |
727 |
3 272 |
TOTAL |
3 372 |
222 441 |
Source : Direction générale des entreprises, Memento du Tourisme 2013.
Là encore, ces données brutes doivent pouvoir être analysées mais il importe de retenir l’existence d’un potentiel d’hébergement marchand distinct de l’hôtellerie, qui représente d’ores et déjà un tiers de la capacité totale d’accueil dans la région capitale.
MM. Thierry Coltier et Gérard Feldzer ont, par ailleurs, fait part à la mission du fait que la région Île-de-France possédait d’importantes bases de loisirs, dont la fréquentation actuelle était minime. Ces structures pourraient être mises à contribution pour l’installation de logements éphémères.
Quoi qu’il en soit, une importante campagne de sensibilisation à la problématique de l’hébergement devra être engagée au plus tôt auprès des gestionnaires de l’ensemble de ces structures, afin d’être en mesure d’apporter aux visiteurs un vaste panel de solutions d’hébergement. Les organismes locaux du tourisme (offices communaux et intercommunaux, comités régionaux et départementaux) devront être mobilisés en conséquence dans une optique préalable de recensement, qui trouvera son prolongement lors de la tenue de la manifestation par un vaste dispositif de coordination.
Moyennant des conditions d’accès raisonnables entre les sites de l’exposition et les sites d’hébergement collectif, les collectivités concernées pourront trouver dans cette solution un moyen tout à fait intéressant d’être associées à l’événement et de bénéficier de ses retombées.
b. La voie de l’hébergement collaboratif
La montée en puissance de l’économie collaborative, telle que la décrit l’essayiste américain Jeremy Rifkin dans son dernier ouvrage récemment paru en France (66), concerne au premier chef la question de l’hébergement. Le couchsurfing, les échanges d’appartements ou la colocation constituent des phénomènes qui ont pris une ampleur nouvelle grâce à l’entremise des nouvelles technologies et l’usage des réseaux sociaux.
À cet égard, nous avons tous à l’esprit l’émergence sur le marché de la location temporaire de la plateforme communautaire AirBnb qui n’existait pas encore il y a 5 ans et qui mettrait aujourd’hui en ligne, sur le marché français, près de 100 000 annonces. D’après l’entreprise américaine, 61 000 hôtes français ont accueilli, entre août 2013 et juillet 2014, 1,4 million de voyageurs dans des logements loués par son intermédiaire.
Notons d’ailleurs que de nombreux autres sites de location de logements entre particuliers ont vu le jour depuis lors, même si leur impact sur le marché est indiscutablement de plus faible ampleur et citons pour la France les plateformes Sejourning, MorningCroissant ou Bedycasa.
Cet essor traduit un indubitable engouement auquel n’ont pas manqué de se référer plusieurs interlocuteurs de la mission dès lors qu’il était question de solutions alternatives à l’hébergement touristique traditionnel. Ce faisant, ils ont observé que le recours à de telles solutions nécessitait une double clarification.
D’une part, la location temporaire entre particuliers est accusée par les autorités publiques d’encourager un important mouvement de sous-location dans des conditions proscrites par la loi. La Ville de Paris s’inquiète légitimement devant un phénomène qui ferait perdre des surfaces d’habitation et qui entretiendrait la spéculation immobilière dans des zones déjà fortement tendues, dès lors que certains locaux d’habitation seraient détournés de leur vocation pour constituer de facto le support d’une activité commerciale. Accessoirement, les revenus générés par ces transactions échappent en grande partie à l’impôt.
D’autre part, les professionnels de l’hébergement touristique sont aujourd’hui vent debout devant des pratiques qu’ils considèrent comme de la concurrence déloyale, eux-mêmes étant soumis à des obligations contraignantes de divers ordres (normes, hygiène, sécurité, accessibilité) dont les particuliers se dispensent.
Comme l’a indiqué M. Pierre-Yves Durance, « en la matière, les attitudes sont contrastées, parfois ambiguës, voire schizophrènes ». M. Pierre-Antoine Gailly note, pour sa part, que s’il ne faut évidemment pas négliger cette piste de l’hébergement chez l’habitant, encore faut-il préalablement que « les frictions avec certaines organisations professionnelles aient été réglées ».
Les problématiques auxquelles renvoie ce nouveau phénomène sont complexes à appréhender puisqu’à l’heure actuelle, le simple recensement des pratiques demeure très approximatif. La confrontation des différentes logiques en présence est tout aussi compliquée à dénouer et en tout état de cause, tel n’est pas l’objet des travaux de la mission.
Il est cependant permis d’espérer entrevoir des solutions et une meilleure régulation de ces comportements dans les années à venir. Quoi qu’il en soit, il est évident que le recours à ces pratiques ne saurait avoir à terme pour résultat l’affaiblissement du secteur hôtelier, dont nous aurons plus que jamais besoin pour réussir à loger les visiteurs de l’exposition.
C. DE NOUVELLES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT POUR DE NOUVELLES MOBILITÉS
Les mobilités sont un facteur clé de l’exposition universelle dans le Grand Paris (annexe n° 7).
a. Une liaison actuelle déplorable
La plupart des grandes capitales européennes dispose d’une liaison directe de qualité entre leurs aéroports et leur centre-ville, qu’il s’agisse de Londres, de Stockholm ou d’Oslo. De ce point de vue, Paris accuse un retard certain. Retard dommageable au regard de l’accueil réservé aux touristes, le premier contact de ceux-ci avec le pays étant le plus souvent celui de leur arrivée à l’aéroport.
En 2013, l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle a accueilli 62 millions de passagers, celui d’Orly 28 millions. Une augmentation du trafic mondial, de l’ordre d’environ 30 %, est à prévoir à l’horizon 2023-2025.
Or les conditions de desserte de l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle sont déjà insuffisantes, tant en termes de transport routier que ferroviaire. En effet, comme l’a précisé M. Bertrand de Lacombe, directeur des affaires publiques d’Aéroports de Paris, « Actuellement, il faut reconnaître que nous ne sommes pas très bien placés dans les classements internationaux, notamment du fait d’une accessibilité qui n’est pas exceptionnelle – sans parler de jours particuliers comme celui-ci où la grève rend plus difficile encore l’accès à nos aéroports… Roissy est accessible par le RER B, qui fonctionne convenablement malgré quelques aléas, mais qui n’a pas été conçu pour accueillir des voyageurs se dirigeant vers l’aéroport. Il est alors compliqué pour les « navetteurs » domicile-travail qui l’empruntent de se heurter à des touristes transportant de grosses valises, et réciproquement. S’ajoutent à cela les difficultés d’exploitation sur cette ligne, comme nous avons pu en connaître à la mi-janvier ».
Ce projet est d’autant plus soutenu par ADP que le secteur autoroutier présente « un risque de saturation accrue » du fait de l’implantation récente près de l’aéroport d’un centre commercial, Aéroville, ainsi que du développement de deux projets, l’un le long de l’A1, Europa City, l’autre dans la zone du Bourget, qui devraient conduire à une augmentation certaine du trafic.
Mme Alexandra Locquet, responsable du projet « CDG Express » d’Aéroports de Paris, a renchéri : « près d’un tiers des véhicules circulant sur les autoroutes A1 et A3 se dirige ou vient de l’aéroport, ce qui engendre une saturation du trafic, avec des temps de trajet vers l’aéroport d’une demi-heure à deux heures. Ensuite, le RER B conçu pour desservir les territoires et donc en priorité les voyageurs du quotidien, n’est pas un mode de transport adapté aux passagers aériens. »
M. Pierre Mongin, président directeur général de la RATP, a abondé en ce sens : « Une liaison correcte entre le centre-ville et les aéroports sera tout à fait nécessaire. Nous soutenons la société en cours de constitution, avec Aéroports de Paris et SNCF Infrastructures, pour la construction du Charles-de-Gaulle Express.… il sera indispensable de le mener à bien : la situation actuelle, où le deuxième aéroport d’Europe, après ceux de Londres, est si mal desservi, ne peut pas perdurer. L’exposition universelle lancerait une dynamique forte, y compris d’ailleurs pour Orly, qu’il ne faut pas oublier ».
« Nous sommes depuis toujours très favorables à la liaison Roissy Express » a déclaré M. Jean-Louis Missika, « le seul problème est que nous souhaitons l’enfouissement des voies dans le XVIIIe arrondissement. C’est d’autant plus important que, dans le cadre de l’accord que nous avons passé avec l’État, le campus Condorcet sera installé porte de la Chapelle ».
M. Jean-Paul Huchon a également fait part de son accord : « Je n’ai pas d’état d’âme sur le sujet…. Pour ma part, je continue à penser que c’est indispensable. Je sais que, y compris dans mon assemblée, des groupes sont peu ouverts à cette question et considèrent, au fond, que l’avion n’est pas un mode de transport à favoriser. Mais en l’occurrence, on en a besoin et il faut que cela se fasse ».
Ainsi, le constat ne fait aucun doute : la desserte en transports en commun n’est pas adéquate. De ce point de vue, l’Exposition universelle 2025 représente à nos yeux une opportunité pour consolider, sécuriser un certain nombre de projets. D’où ce lien entre intérêt particulier et intérêt général.
b. Un projet – CDG Express – indispensable
Le projet « CDG Express » consiste en la construction, à l’horizon 2023, d’une ligne directe entre l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle et la capitale, ligne directe qui aura pour terminus la Gare de l’Est. Elle a pour objectif de séparer les flux de passagers aériens de ceux du RER B. Cette ligne ferroviaire sera donc quasiment exclusivement consacrée à la seule liaison directe entre l’aéroport et le centre de Paris même si sur le tracé actuellement prévu, quelques trains TER et de fret circuleront. Elle ne sera donc pas une ligne partagée.
La fréquence du trafic envisagé sur cette ligne serait importante, de cinq heures du matin à minuit, avec un départ tous les quarts d’heure, pour un temps de trajet d’environ 20 minutes.
En 2008, le projet « CDG Express » a été reconnu d’utilité publique. Aéroports de Paris (ADP) en liaison avec Réseau ferré de France (RFF) a décidé de créer une société d’études, Charles-de-Gaulle Express Études, avec pour objectif « de faire réaliser toutes les études – juridiques, financières, techniques – nécessaires à la réalisation du projet ».
Le Premier ministre a confirmé, le 13 octobre 2014, que la liaison CDG Express vers Roissy devrait entrer en fonctionnement en 2023.
Toutefois, des incertitudes demeurent encore quant au financement global du projet.
Selon les estimations de Charles-de-Gaulle Express Études les investissements relatifs à l’infrastructure sont estimés à 1 645 millions d’euros. Afin de répondre à ce besoin, Mme Alexandra Locquet, responsable « projet CDG Express » à Aéroport de Paris, a indiqué à la mission qu’« ADP et RFF apporteront une partie en fonds propres, et auraient par ailleurs recours au marché bancaire, mais aussi à la BEI et à des prêts sur fonds d’épargne. »
Il apparaît qu’au regard des études déjà menées, si l’on table sur un prix de billet passager à 24 euros au moment de la mise en service (ce qui est le prix à Londres actuellement), pour une capacité estimée à 6,5 millions de passagers, « les seules recettes de la billetterie généreront une capacité d’autofinancement relativement élevée » selon M. Bertrand de Lacombe, « même si elles ne sont pas suffisantes ».
M. Jean-Paul Huchon a rappelé « avoir proposé, au moment où ce dossier a été poussé par Antoine Veil et Philippe Essig au tout début de l’opération, de garantir un quart ou un tiers du financement pour un projet qui, à l’époque, était beaucoup plus onéreux que le projet envisagé maintenant ».
Il a, en outre, fait part sa volonté d’améliorer parallèlement la ligne B du RER : « Il est évident que cette question ne peut pas être traitée indépendamment du réseau de transports classique, et qu’il ne faudrait pas surprotéger la clientèle des aéroports par rapport aux usagers habituels. La SNCF, RFF, Aéroports de Paris et Air France réfléchissent d’ores et déjà à un système permettant de garantir davantage de sécurité et un meilleur accueil sur la ligne B. En effet, la réalisation de l’infrastructure aura lieu fatalement entre 2020 et 2023, et sera également indispensable pour l’exposition universelle.
D’ici là, il faudra essayer d’améliorer le fonctionnement du RER B. On l’a fait sur le plan des infrastructures et sur le plan du matériel – près de 550 millions d’euros sur le RER nord, avec des résultats qui ont été un peu contrariés par les effets de grèves liées à des questions d’amiante ; mais aujourd’hui, cela va plutôt mieux.
La région n’a pas prévu de participer au financement. Il se trouve en effet qu’à l’origine, un partenariat public-privé avait envisagé. Or ce PPP a échoué pour des raisons qui regardent les maîtres d’œuvre. Maintenant, une nouvelle proposition a été faite. Elle consiste à faire appel à la taxe d’aéroport et à toute une série de financements possibles ».
Il faudra donc lever au plus vite ces incertitudes pour s’assurer de la réalisation effective de ce projet, en 2023, avant la tenue de l’exposition universelle. Le sérieux de la candidature de Paris est à ce prix. En effet les conditions matérielles de la mise en œuvre de l’exposition universelle sont prises en compte lors de l’examen de la candidature par le BIE.
La réalisation d’une ligne directe entre l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle et le centre de Paris s’avère indispensable à la réussite du projet de candidature à l’exposition universelle. Il s’agit même d’un préalable.
En outre, afin de répondre aux exigences de l’augmentation du trafic, la construction d’un nouveau terminal est envisagée, au nord du terminal 2 et à l’est du terminal 1.
Comme le rappelait M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur-général d’Air France, « la date de 2025 fournit un catalyseur à tous les projets en cours de gestation ou de réalisation. Ceux d’entre eux qui concernent l’accès terrestre aux deux aéroports parisiens – CDG-Express, le Grand Paris-Express et le raccordement routier à Roissy – nous paraissent indispensables au bon déroulement de l’exposition universelle. »
Pour indispensable qu’elle soit, l’achèvement de cette infrastructure indispensable ne saurait suffire.
c. La nécessité de désenclaver Orly et Le Bourget
Une meilleure liaison aéroportuaire suppose également de désenclaver les deux autres aéroports parisiens que sont l’aéroport d’Orly, qui a connu ces dernières années une croissance très intéressante et celui du Bourget, aéroport mythique et premier aéroport d’Europe pour les vols d’affaires. Comme l’a indiqué M. Bertrand de Lacombe, « cela n’est pas beaucoup mieux au sud, puisque pour rejoindre Orly sans rupture de charge, en dehors de la voiture individuelle ou du taxi, vous n’avez que la solution du car, certes assez fiable en termes d’horaires. Les transports en commun ferroviaires impliquent effectivement une rupture de charge obligatoire, avec toutes les complications liées aux bagages.
Quant au Bourget, il existe une gare RER B, un peu méconnue, située à dix minutes de la Gare du Nord, mais à trois kilomètres environ de l’aéroport. En outre, la desserte en bus entre cette gare et l’aéroport mériterait d’être améliorée ».
Favoriser le succès de la candidature de Paris à l’Exposition universelle 2025 est donc une opportunité à saisir pour réaliser, en avance, les travaux prévus pour développer une liaison directe entre ces deux aéroports et le cœur de Paris. Actuellement, pour l’aéroport du Bourget, une gare est prévue sur la ligne 17 à l’horizon 2027, ainsi que l’a rappelé M. Bertrand de Lacombe. Quant à Orly, le prolongement de la ligne 14 devrait être réalisé d’abord jusqu’à Villejuif à échéance 2023, ensuite jusqu’à Orly à l’horizon 2027 : « pour en avoir discuté récemment avec des responsables de la Société du Grand Paris, la non-interruption des travaux en 2023 à Villejuif – dont la faisabilité technique apparaît envisageable pour peu qu’un calage financier soit établi – pourrait encore être examinée ».
Le Premier ministre a annoncé, le 13 octobre 2014, l’accélération des prolongements de la ligne 14 jusqu’aux aéroports de Roissy au nord et d’Orly au sud, ainsi que la liaison entre Orly et le plateau de Saclay au sud de Paris. L’objectif d’achèvement de ces volets du Grand Paris-Express est désormais fixé à 2024 au lieu de 2027.
Comme l’a souligné Mme Sophie Mougard, directrice générale du STIF, le réseau actuel, qui transporte quotidiennement 1,3 million de voyageurs, a su être au rendez-vous d’un certain nombre de grands événements qui ont se sont déroulés dans la région (Coupe du monde de football, Journées mondiales de la Jeunesse) et répondre aux besoins d’une clientèle touristique (Disneyland-Paris). « En même temps, il nous faudra être attentifs. Un certain nombre d’améliorations et de travaux de développement, traduits dans le Plan de mobilisation porté par M. Jean-Paul Huchon avec l’ensemble des collectivités et repris dans le cadre du nouveau Grand Paris, sont nécessaires. En effet la croissance de l’usage du réseau, dans les dernières décennies, si elle est le reflet de la performance du système de transports, a montré les limites de ce système. Nous avons notamment rencontré des difficultés liées à la vétusté de certaines installations ferroviaires. Il nous faudra donc, non seulement améliorer et moderniser le système de transports, mais le développer au travers des nouveaux projets – plus d’une soixantaine – inscrits dans le cadre du nouveau Grand Paris ».
a. Le développement du Grand Paris-Express
L’histoire des transports parisiens et celle des expositions universelles sont indissolublement liées, le meilleur exemple en étant la construction de la première ligne du métro pour l’Exposition de 1900.
Au XXIe siècle, c’est un nouveau défi qui s’ouvre à nous, non plus au cœur de Paris, mais à l’échelle du Grand Paris. L’exposition ne pourra avoir lieu que si de nouvelles infrastructures voient le jour ; en revanche, elle sera un formidable levier pour stimuler et accélérer leur développement. D’ailleurs, de tout temps, les expositions universelles ont été un réel accélérateur pour des équipements qui, de toute façon, devraient être réalisés, et sont devenus impératifs. L’Exposition de 2025 nous donnerait l’occasion de mettre en valeur nos savoir-faire en matière de transport, qu’il s’agisse de trains ou des gares ultra-modernes.
Ce nouveau réseau, dont la fréquentation, comme l’a indiqué M. Philippe Yvin, président du directoire de la Société du Grand Paris, devrait atteindre 200 000 à 300 000 voyageurs en heure de pointe et 2 millions par jour, répond à trois objectifs.
Le premier sera l’amélioration des transports de la région Île-de-France qui sera réelle en raison, non seulement de la construction de lignes nouvelles, mais aussi de la conception des nouvelles gares permettant le développement de l’intermodalité et des améliorations des interconnexions avec les bassins d’emplois de la métropole parisienne au bénéfice des habitants de la grande couronne. Le deuxième objectif sera de désenclaver les territoires en difficulté (Clichy-Montfermeil, Aulnay, Le Blanc-Mesnil…) et le troisième de soutenir le développement urbain et économique de la région.
La réalisation du métro automatique contribuera au développement durable de la métropole, en favorisant le report modal et la décongestion des réseaux existants, et en accroissant le bien-être des habitants de la métropole. Elle permettra, en outre, de lutter contre l’étalement urbain en concentrant le développement urbain autour de nouvelles gares. Elle conduira également à une meilleure connexion des territoires franciliens entre eux.
De surcroît, l’exposition universelle, ainsi que le souligne M. Pierre Messulam (67), directeur général adjoint de Transilien SNCF, aurait l’avantage d’entraîner « un surcroît de notoriété par la possibilité qui nous serait ainsi donnée de démontrer le savoir-faire de la SNCF et de la RATP dans le transport de masse ».
Dernier avantage, que souligne M. Pierre Mongin, président-directeur-général de la RATP, les nouveaux grands projets sont les bienvenus, car « les chantiers des différentes lignes de TGV sont en cours d’achèvement. C’est donc toute la filière – 340 000 emplois – qui a besoin que de nouveaux chantiers prennent le relais, et le Grand Paris est notre seul espoir. Certes, certains sont déjà lancés. Mais il faut vraiment tenir le calendrier, sinon c’est toute une filière qui risque de s’effondrer : nous perdrions énormément d’emplois, d’entreprises, et tout un savoir-faire… L’accélération du projet du Grand Paris serait donc pour tout ce secteur un élément extrêmement positif, notamment pour améliorer notre visibilité internationale » (68). Quant aux salariés de la RATP – 42 000 personnes en Île-de-France, leur implication lui paraît déjà d’ores et déjà acquise.
La feuille de route a été fixée par le gouvernement le 6 mars 2013, au terme de nombreuses discussions entre l’État et les élus : elle a arrêté le projet d’un réseau de 200 kilomètres comptant 69 gares.
Le 19 juillet 2013, le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, a complété les promesses de financement et d’investissement directement avec la région et ses partenaires, que ce soit la Société du Grand Paris, les départements ou d’autres intervenants.
Le 9 juillet 2014, le Premier ministre, M. Manuel Valls, affirmé que les engagements pris par le Gouvernement dans le cadre de la feuille de route du nouveau Grand Paris seraient tenus.
Toutefois, plusieurs défis doivent être relevés.
2025, en matière d’infrastructures, c’est demain ; il convient donc de ne pas prendre de retard.
La feuille de route prévoit que la mise en service du nouveau réseau devrait intervenir progressivement de 2020 à 2030, avec des étapes intermédiaires en 2023, 2025 et 2027 selon les parcours.
Comme l’a souligné M. Philippe Yvin (69), président du directoire de la société du Grand Paris, « pour l’instant, la feuille de route fixée par le gouvernement est respectée. Le premier tronçon, soit la ligne 15 Sud, qui s’étend sur trente-trois kilomètres de Pont de Sèvres à Noisy-Champs, compte seize gares et représente un investissement de 5,3 milliards d’euros, a été approuvé en juillet dernier par le conseil de la surveillance de la SGP. L’enquête publique a été réalisée à l’automne et la déclaration d’utilité publique est attendue pour la rentrée prochaine.
Le conseil de surveillance doit examiner en juillet le projet de ligne 16, qui reliera la gare de Noisy-Champs à celle de Saint-Denis Pleyel, cette dernière devant constituer le plus gros hub du réseau. L’enquête publique est prévue pour l’automne prochain.
Nous comptons par ailleurs déléguer la maîtrise d’ouvrage du projet d’extension de la ligne 14 jusqu’à Orly à la RATP, puisque celle-ci en assure déjà l’extension au nord.
S’agissant de la ligne 15 Ouest, nous comptons prendre les décisions d’investissement et constituer le dossier d’enquête publique au cours du premier trimestre 2015, le STIF s’en chargeant pour la 15 Est. Nous avons convenu avec le STIF que la SGP prendrait le relais après l’enquête publique.
Les décisions d’investissement relatives à la ligne 18 et à la ligne 17 seront prises au deuxième trimestre 2015.
Si tout se passe comme prévu, la période d’enquêtes publiques sera close fin 2015, conformément à la feuille de route fixée par le Premier ministre. Nous devons tenir ce calendrier si nous voulons atteindre les objectifs de mise en service ».
Il convient toutefois de repérer les éventuelles difficultés afin de pouvoir y faire face.
Il faudra veiller à ce que l’importance des prescriptions réglementaires, dont M. Philippe Yvin s’est fait l’écho, rappelant l’extrême complexité des procédures, la mobilisation des nombreuses équipes, et l’énergie considérable qu’elles nécessitent, ne soit pas un obstacle au bon déroulement des travaux.
Un autre risque de retard lui paraît également résider dans la difficulté des acquisitions foncières, « non pas tant des parcelles de surface que des tréfonds, la réalisation du projet nécessitant le rachat de milliers de parcelles souterraines. Or certains de nos concitoyens sont réticents à les vendre par crainte d’un effondrement ou d’une dévalorisation de leur bien. C’est pourquoi nous avons proposé que le législateur transforme cette acquisition en servitude, de telle sorte qu’on puisse commencer les travaux sans l’accord des propriétaires, ceux-ci étant indemnisés a posteriori. Il faudrait instituer une telle servitude à partir d’un seuil de vingt mètres de profondeur, en-deçà duquel elle constituerait une atteinte injustifiée au droit de propriété, droit constitutionnellement protégé. Cette solution, actuellement en cours d’expertise par le Gouvernement, permettrait de régler environ 80 % des problèmes liés à au rachat des tréfonds ».
La loi du 11 juin 2010 (70) dispose que ce projet bénéficierait des ressources affectées, issues d’une part de la taxe sur les bureaux et d’autre part de la taxe spéciale d’équipement (TSE), taxe additionnelle aux prélèvements locaux pesant sur les ménages et les entreprises, et d’une imposition forfaitaire assise sur les matériels roulants de transport de la RATP. Le rendement de ces prélèvements est d’environ 500 M€ par an, comme l’a précisé M. Philippe Yvin à la mission : « il s’agit d’une ressource dynamique puisqu’elle est notamment fonction de la construction de bureaux… on pourrait envisager par ailleurs de déplafonner le produit de la TSE aujourd’hui limité à 120 M€.
En outre, la SGP percevra une redevance sur l’exploitation des nouvelles lignes par les opérateurs désignés par le STIF, dont le produit est estimé à environ 200 M€ par an.
L’ensemble de ces ressources, ainsi que les recettes commerciales qui s’y ajouteront, permettront de rembourser les emprunts contractés par la SGP pour financer la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris, dont le coût est estimé à 22,6 milliards, ainsi que l’adaptation aux interconnexions des stations de métro ou des gares SNCF, pour un coût estimé de 1,5 milliard d’euros ».
Il a précisé de plus que « la Société du Grand Paris n’a pas de capital, cet EPIC finançant la réalisation du Grand Paris-Express par des emprunts qu’elle remboursera grâce à des ressources pérennes. Je signale à ce propos que nous avons engagé des discussions avec la Caisse des dépôts et la Banque européenne d’investissement, qui devraient être nos premiers prêteurs. Cela nous permettrait de bénéficier de conditions beaucoup plus favorables que celles des marchés obligataires, tant en termes de taux que de durée des emprunts ».
Quant aux interconnexions entre le Transilien et le Grand Paris-Express, dont le coût s’élève à 1,5 milliard d’euros, la feuille de route prévoit que la SGP en verse 30 %, le complément « pourrait être pris en charge dans le cadre des plans quadriennaux de modernisation de la SNCF, de RFF, voire de la RATP, ou encore par les collectivités locales ».
M. Jean-Paul Huchon, auditionné par la mission le 10 septembre, donc après les déclarations du Premier ministre du 9 juillet, a estimé que, s’agissant du financement du Plan de mobilisation pour les transports, « nous n’avons pas pris de retard, mais il est désormais urgent… que le Premier ministre nous garantisse les 150 millions par an de nouvelles recettes régionales – nous passerons ainsi de 350 à 500 millions par an, pour honorer ce plan de mobilisation – ainsi que, bien entendu, la part de financement de l’État dans le contrat de plan, qui est de l’ordre de 200 millions par an. Cela dépendait étroitement du sort réservé à la fameuse écotaxe, qui subit actuellement un certain nombre de modifications. Le Gouvernement réfléchit pour faire en sorte que la taxe apporte, sinon la totalité, du moins l’essentiel de ce qui avait été prévu. Nous avons pris acte de l’engagement de Manuel Valls de régler cette question dans le projet de loi de finances 2015. Car nous sommes très pressés ».
Quant au contrat de plan qui devrait être signé avant la fin de l’année, l’enveloppe « est un peu moins élevée que celle du précédent contrat de plan, mais pas dramatiquement en dessous. Cette enveloppe, qui sera consacrée pour l’essentiel aux mobilités, ne nous paraît pas impossible à gérer. Si l’État accorde vraiment ce qui a été indiqué dans les protocoles signés avec les premiers ministres successifs, nous aurons les moyens de signer un contrat de plan de bonne qualité : il est absolument nécessaire pour Eole, pour la ligne 11 et pour l’amélioration des RER. Ce seront nos trois objectifs principaux au cours de la négociation ».
Les gares prévues seront vastes afin d’abriter de nombreux services aux voyageurs. Comme on le verra ultérieurement, les gares emblématiques pourront accueillir l’exposition universelle.
Mais a ajouté M. Pierre Mongin, « ne nous voilons pas la face : aujourd’hui, la plupart de nos projets ne sont pas financés ».
M. Jean-Paul Huchon, quant à lui, a souhaité que le projet ne se limite pas aux gares du Grand Paris : « il faut aussi valoriser les RER, même si, d’un point de vue pratique, on est obligé, dans ces gares, de donner la priorité aux flux et à la circulation des voyageurs. Cela conduit à faire en sorte que les démonstrations, expositions, lieux de passage ne viennent pas gêner les flux qui sont déjà largement saturés ».
C’est un problème majeur : M. Pierre Mongin a souligné que même la ligne 14, la plus récente n’est déjà plus à la mesure de la fréquentation : « je parle parfois de « syndrome de la poussée des murs ».
Parallèlement à la conduite de ces projets, il faudra assurer l’amélioration de l’existant : le réseau Transilien est saturé ; en outre, son état nécessite un programme de rénovation massive des infrastructures, qui durera des années. Votre rapporteur espère que les crédits permettant ces travaux seront débloqués à une cadence suffisante pour qu’en 2025 ces difficultés soient résolues.
À la suite de l’audit réalisé en 2005 par l’École polytechnique fédérale de Lausanne, l’État a confié à Réseau ferré de France (RFF) le soin d’accroître très fortement le rythme de ses travaux, portant pour cela de 400 millions à plus d’un milliard d’euros chaque année entre 2012 et 2020 les crédits correspondants. Il en est résulté une montée en puissance considérable en Île-de-France ; selon M. Pierre Messulam, « les besoins sont gigantesques, mais l’on se donne une stratégie et les moyens d’y répondre. Si l’on se tient à cette trajectoire, en dix ans la question sera largement maîtrisée ; il n’y a pas de doute à ce sujet, mais la condition, c’est le maintien des crédits. Or les concours publics sont moins extensibles que jamais et des choix doivent être faits qui, dans notre domaine, seront peut-être difficiles ».
Mme Sophie Mougard a mis l’accent sur la nécessité de privilégier une articulation adéquate entre les besoins du réseau et ceux de la future exposition : « Il conviendrait de faire en sorte que les investissements programmés pour fiabiliser l’exploitation du réseau (et notamment du réseau RER) ou développer de nouvelles lignes (tramways, tram-trains ou Grand Paris-Express) répondent aux besoins de l’exposition universelle que l’on aura – autant que faire se peut – identifiés. Mais à l’inverse, (…) concernant le choix des gares et des sites mobilisés, il serait opportun de ne pas surcharger la période de pointe. Le réseau est très fortement mobilisé à ces moments-là et il faudra s’organiser pour répartir la charge sur le réseau tout au long de la journée. Il me semble que pour un évènement comme une exposition universelle, c’est tout à fait envisageable.
La création de nouvelles lignes permettra d’augmenter les capacités, et de faciliter les déplacements de banlieue à banlieue, sans repasser par le cœur de Paris. C’est un des enjeux d’une approche multi-sites. Mais… l’horizon 2025 est très proche. Entre les études, les procédures et les travaux eux-mêmes, pour l’ensemble des acteurs qui développent ce réseau, 2025, c’est demain ».
Des études très pointues devront être menées sur la capacité d’accueil des voyageurs et la possibilité de concilier les impératifs de l’exposition et de la vie quotidienne : « parce qu’elle dépend du dimensionnement du matériel roulant, la capacité d’accueil des voyageurs diffère selon les lignes. Elle est meilleure sur certaines, où elle peut s’anticiper sans trop de mal. La difficulté tient à la longue durée de la manifestation. Ainsi, sur les lignes de métro automatisées, on peut mobiliser l’ensemble des rames aux heures creuses, mais il faudra cependant prévoir des moments pour la maintenance. En revanche, pour les lignes du RER, on est au maximum de ce que l’on sait faire aux heures de pointe. Aussi, ma préoccupation tient à l’identification des sites et aux conditions dans lesquels ils seront fréquentés en fonction des événements qui y seront organisés : il faudra autant que possible veiller à ne pas superposer le flux des voyageurs quotidiens des heures de pointe, matin et soir, et le flux des visiteurs touristiques. Nous risquerions, sinon, de ne pouvoir les acheminer tous. Il conviendra aussi de prévoir l’accompagnement humain, avec une présence dans les gares pour orienter les visiteurs et garantir la circulation harmonieuse sur le réseau. Je ne puis donc vous dire aujourd’hui ni « c’est possible partout » ni « ce n’est possible nulle part ». Pour assurer une cohérence d’ensemble, des études devront permettre d’anticiper la nécessaire capacité des réseaux en fonction des sites sollicités ».
Le futur maillage de la couronne parisienne modifiera le rôle du Transilien qui deviendra un transporteur de banlieue à banlieue : à l’horizon 2025, les connexions de périphérie conféreront un rôle structurant dans la mobilité à l’échelle de la métropole.
En plus des nouvelles lignes, comme l’a précisé M. Pierre Messulam, directeur général adjoint de Transilien SNCF, « nous réutiliserons les lignes existantes. Le matin, entre la petite couronne et la grande couronne, le métro express peut permettre des trajets à contre-pointe – dans ce sens, la capacité existe ; pour les trajets entre la grande couronne et la petite couronne, les choses ne sont pas aussi limpides. Mais, sur le fond, la combinaison des modes de transport permise par l’interopérabilité entre le réseau existant s’il est performant, le Grand Paris-Express et des liaisons par autocars en certains lieux permettra des transports aisés à l’échelle de l’Île-de-France. Le site Internet de l’exposition universelle serait un formidable levier de mobilisation pour les transporteurs, invités, sous la houlette du STIF, à mettre en ligne un navigateur complet ».
D’après lui, la réflexion doit se poursuivre : « M. Pierre Mongin, son président, a indiqué que la RATP estime devoir réévaluer de 30 à 50 % la fréquentation du Grand Paris-Express ; s’il en est ainsi, les nouvelles infrastructures qui vont être construites ne permettront pas de dégager des capacités supplémentaires aux heures de pointe. Il n’est pas dit que les visiteurs de l’exposition universelle seront tous d’attaque à 8 heures le matin, mais la situation sera plus embarrassante le soir ».
f. Une accélération bienvenue du projet
Communiqué du Conseil des ministres du 9 juillet 2014
L’amélioration des conditions de déplacements est à cet égard une clef du projet métropolitain du Grand Paris. Les engagements pris par le Gouvernement dans le cadre de la feuille de route du Nouveau Grand Paris des transports seront tenus. Pour l’amélioration des réseaux existants, la mise en œuvre du Plan de mobilisation pour les transports sera effective et tout particulièrement l’extension à l’Ouest du RER E et le prolongement à l’Est de la ligne 11 du métro. L’amélioration des RER, notamment les lignes C et D, nécessite en outre des investissements urgents pour accroître leur robustesse et leur fiabilité. La desserte de l’aéroport d’Orly, l’accessibilité du plateau de Saclay, par les lignes 14 et 18, et l’accessibilité, grâce à la ligne 17, des zones d’activité économique situées entre Pleyel et Roissy seront accélérées en vue d’une mise en service en 2024.
Un Conseil interministériel consacré au Grand Paris sera réuni début octobre, sous l’autorité du Premier ministre, pour construire un grand projet métropolitain, faisant converger l’ensemble des projets. Il revient en effet à l’État de faire prospérer le potentiel qui se concentre en Île-de-France , pour en faire un élément du rayonnement international de la France, et de soutenir la réussite des grands projets porteurs d’emplois, notamment ceux de Saclay, du Génopole, de Roissy, d’Orly, de Marne-la-Vallée, et de confluence Seine-Oise.
Cette promesse a permis à M. Jean-Paul Huchon de préciser : « Ainsi, la mise en œuvre du Plan de mobilisation pour les transports – qui vise à l’amélioration et à la rénovation du réseau actuel – sera effective : extension à l’ouest du RER E, et prolongement à l’est de la ligne 11 du métro – deux sujets majeurs ; amélioration des RER, notamment le C et le D. On a déjà bien travaillé sur le RER B Nord, et on travaille maintenant sur le RER B Sud. Enfin, sur le RER A, la question du matériel roulant a été réglée de manière heureuse et commence à avoir des effets positifs. Mais évidemment, tout dépend d’Eole qui serait un élément important de « désaturation », notamment sur nos lignes critiques. Tout cela nécessite des investissements urgents, afin d’accroître la robustesse des réseaux et leur fiabilité.
Le Premier ministre a pris un nouvel engagement, le 13 octobre 2014, en termes financiers et de calendrier.
Manuel Valls a annoncé des engagements financiers « sans précédent » de l’État en faveur des nouvelles lignes de métro du Grand Paris, avec notamment la levée de 140 millions d’euros de recettes dans le budget 2015 pour la région Île-de-France .
Lors d’un discours à Créteil (Val-de-Marne) sur le site d’une future station du grand métro périphérique de la banlieue parisienne, le Premier ministre a également confirmé que l’État verserait 1,4 milliard d’euros à cette région pour les transports dans le cadre du contrat de plan 2015-2020, ce que demandait Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d’Île-de-France .
« L’État a décidé de mobiliser des financements sans précédent. J’ai entendu, cher Jean-Paul Huchon, vos remarques, vos attentes, vos exigences même. Je vous confirme que l’État apportera 1,4 milliard d’euros à la mise en œuvre du plan de mobilisation sur la période 2015-2020 », a dit M. Valls devant un parterre d’élus.
Par ailleurs, la Société du Grand Paris « financera les études permettant l’accélération des projets structurants », a indiqué le Premier ministre, citant également comme projets d’"urgence" l’extension vers l’ouest du RER E, de la ligne 11 du métro vers l’est et l’aménagement des correspondances avec la nouvelle ligne.
« Enfin, la Région Île-de-France se verra affecter, dans le cadre de la loi de finances pour 2015, 140 millions d’euros de recettes nouvelles, pour la réalisation du plan de mobilisation », a-t-il poursuivi.
La question des 140 millions de recettes était particulièrement attendue, l’État ayant abandonné cet été l’idée d’une taxe régionale de séjour de 2 euros par nuitée, sous la pression du secteur hôtelier francilien.
Mais Manuel Valls n’a pas détaillé les sources de ces fonds, alors que sont évoquées des hausses de la prise en compte des surfaces de parking dans la taxe sur les locaux à usage de bureaux, de commerce et de stockage ou encore de la taxe spéciale d’équipement.
Le Premier ministre a par ailleurs confirmé des annonces déjà faites en Conseil des ministres début juillet, à savoir l’accélération des prolongements de la ligne 14 du métro parisien jusqu’aux aéroports de Roissy au nord et d’Orly au sud, ainsi que la liaison entre Orly et le plateau de Saclay au sud de Paris. L’objectif d’achèvement de ces volets du « Grand Paris-Express » est désormais fixé à 2024, au lieu de 2027. Manuel Valls a également confirmé le nouveau calendrier de la liaison CDG Express vers Roissy, qui doit entrer en fonctionnement en 2023.
"Les projets doivent maintenant sortir de terre", a-t-il promis.
AFP 13 octobre 2014
3. Des propositions innovantes
a. Des moyens de transport novateurs
La Mairie de Paris réfléchit à d’autres solutions, qui seraient complémentaires, même si elles ne permettent pas de gérer des flux aussi importants que ceux des transports en commun. Notant que la gestion des temps est un enjeu principal, M. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité, souligne qu’il faudra gérer les événements et les flux de visiteurs de l’exposition de façon intelligente, afin que les déplacements s’effectuent en dehors des heures de pointe, avec des moyens encore peu développés actuellement : « le covoiturage – Autolib et Uber compris – aura connu, je l’espère, un développement important, ainsi que les espaces de circulation douce consacrés au vélo, au vélo électrique, etc. En faisant de la ville intelligente et durable une thématique forte de cette exposition polycentrique, nous devrons présenter des propositions innovantes pour gérer les risques de télescopage entre les flux de touristes et les flux de Parisiens faisant leur trajet domicile-travail ». De même, Paris prend des initiatives pour moderniser les taxis et leur faire prendre conscience que le monde du numérique ne leur permet plus de fonctionner comme auparavant. Enfin, il semblerait que des voitures électriques sans conducteur soient disponibles d’ici 2020, ce qui serait un élément à prendre en considération pour penser l’ensemble de la mobilité.
Par ailleurs, la RATP s’est engagée dans un processus de conversion complète du parc de bus, en partenariat avec l’État et le Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF). L’achat de bus hybrides a été déjà lancé : en 2025, le parc devrait être « triple zéro » : zéro particule, zéro émission de CO2, zéro bruit. M. Pierre Mongin, président directeur général de la RATP, qui a signé des accords avec M. Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, ainsi qu’avec M. Henri Proglio, PDG d’EDF, insiste : « nous croyons que, d’ici à 2025, et sans doute dès 2018, une offre industrielle correspondant à nos besoins existera, avec des bus qui auront l’autonomie nécessaire tout en ayant la capacité de transporter 90 à 100 personnes : il s’agit d’une rupture technologique mondiale. Nous comptons beaucoup sur l’effet de vitrine de la RATP, qui est la cinquième entreprise de transport du monde, à Paris, ville mondiale : nous pensons pouvoir susciter l’offre.
Nous avions pour cette conversion – complète ou partielle suivant les moyens financiers qui nous seront alloués par le STIF – déjà choisi la date de 2025. C’est un investissement important : le coût de revient n’est pas supérieur à celui du parc actuel, mais il y a bien sûr un surcoût au départ. Le STIF en est bien conscient, puisqu’il nous a déjà alloué 100 millions d’euros pour le passage aux bus hybrides.
Comme le métro a été le marqueur de l’Exposition universelle de 1900, nous aurions ainsi, 125 ans plus tard, un marqueur du transport public à Paris : le parc « triple zéro ».
Selon Mme Sophie Mougard, l’exposition serait un levier pour stimuler des domaines d’innovation : « cela permettrait d’accélérer certains chantiers engagés. Le plan de déplacements urbains récemment adopté par la région Île-de-France met l’accent sur le report modal. L’objectif fixé à l’horizon 2020 est une croissance de 20 % des déplacements en transports collectifs, de 10 % des déplacements en modes actifs - marche et vélo – et la diminution à due concurrence des déplacements en voiture. L’enjeu, ce n’est donc pas seulement l’infrastructure linéaire, ce sont aussi les pôles d’échanges, pour faciliter les correspondances et la chaîne de déplacement. Il est essentiel en particulier d’informer le voyageur pour faciliter son cheminement. Actuellement, une centaine de contrats lient le STIF et des opérateurs de transport à ce propos, mais les plus petits d’entre eux éprouvent des difficultés à fournir les informations en temps réel. Or l’approche intermodale imposera de pouvoir dire quels outils de mobilité sont disponibles pour les voyageurs du quotidien et plus encore pour les touristes, voyageurs occasionnels qui ne connaissent pas l’offre dont ils peuvent disposer. La disponibilité de l’information en temps réel est donc l’un des chantiers que nous avons ouverts ».
b. Une nouvelle conception des mobilités : des transports mis en scène, dans le cadre d’un autre urbanisme
Les mobilités ne devront pas être pensées seulement comme un moyen d’aller d’un point à un autre de l’exposition, mais également comme une expérience à vivre.
Le président Jean-Christophe Fromantin a rappelé que le leitmotiv des auditions, « c’est la nécessité de partager et de vivre une expérience, et pas seulement d’exposer. L’obsession du BIE pour l’unité de lieu est liée à l’idée que l’on doit voir des choses – alors que si l’on partage des moments, on ne posera pas forcément le même regard sur les monuments… Cela rend nécessaire un vrai travail d’innovation en matière de mobilités. Comment mieux maîtriser les mobilités en zone dense ? C’est un problème auquel toutes les grandes métropoles sont confrontées ! ».
M. Dominique Hummel, « rêverait d’une mise en scène des moments de transport qui ne seraient plus « subis », mais feraient partie de l’expérience totale que devra constituer l’exposition.
Certains des étudiants qui ont travaillé à la future exposition universelle, à la demande de l’association ExpoFrance 2025 (71), ont imaginé une décoration des transports en commun, pour en faire une expérience à part entière, « une expérience immersive » : « chaque train, chaque avion chaque gare serait équipé afin de permettre au visiteur de vivre une transition extraordinaire entre sa réalité et l’immersion proposée dans chaque grande ville participante » ; les déplacements pourraient être également un moment social, grâce à une application sur le smartphone, qui permettra de se connecter avec les participants dont on partage les centres d’intérêt. Les transports pourraient être un moment de détente, de plaisir, de contact avec les autres et avec d’autres cultures.
D’ailleurs, à la station Montparnasse est exposée actuellement le long des tapis roulants une longue fresque de Joe Sacco sur la bataille de la SoMme en 1916, qui suscite des réactions très positives. Le RER C, qui dessert Versailles, a été entièrement décoré de reproductions du château, (annexe n° 8). L’art, le design, peuvent avoir un effet de levier.
La mission d’information a en outre réuni des architectes et des experts de l’urbanisme parisien pour imaginer une forme urbaine originale d’une exposition internationale. Les intervenants ont suggéré de faire des mobilités urbaines le principe de l’exposition, en desservant, selon un parcours centré sur un récit romancé, des sites de reconversion du patrimoine architectural de la métropole, en préparant son changement d’usage et des sites de constructions innovantes. Ils ont insisté sur la scénarisation du parcours de l’exposition, dont ils attendent la création d’une nouvelle identité métropolitaine.
En outre, les mobilités doivent complètement être repensées dans la perspective d’un nouvel urbanisme, ainsi que l’a souligné M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine : « Quant à la mobilité, il faut envisager la question à toutes les échelles, spatiales et temporelles. Il ne s’agit plus de réduire les temps de transport par l’accroissement de la vitesse : on en sait désormais les inconvénients. Toujours plus de vitesse aboutit à de l’étalement ; on vide les villes centres de fonctions auparavant internalisées et, lorsqu’elles sont subies, ces mobilités ne sont bénéfiques ni pour les habitants ni pour les territoires qui les accueillent. Je pense qu’il vaudrait mieux travailler sur les modes de travail et le coworking : comment être plus mobile sans pour autant se déplacer davantage ou plus vite ? Cela passe par d’autres usages de l’Internet… Le travail de Jacques Ferrier sur les gares ouvre des perspectives intéressantes de ce point de vue. Quelles applications sont susceptibles de créer du lien social et de l’échange ? Au stade où nous en sommes, il semble préférable d’ouvrir le spectre des réflexions plutôt que de le refermer. Proposer au BIE de revoir la façon dont il envisage les choses est un défi passionnant ».
Pour M. Jean-Marie Duthilleul « il conviendra de concevoir ce maillage aussi à l’échelle des mobilités individuelles : on a beau vouloir réduire la place de la voiture, il existera toujours des mobilités individuelles, quelle que soit la technologie employée. Il y a énormément à faire de ce point de vue.
Par ailleurs, il faudra concevoir la mobilité comme une découverte. Aujourd’hui, on est encore dans l’idéologie de la vitesse et du transport nuisant ; du coup, on conçoit les trajets sous terre. Mais lorsque le métro sort pour emprunter le pont de Bir-Hakeim, tout le monde lève le nez de son smartphone et s’exclame : « Regardez comme c’est beau ! ». Si on ne fait pas la même chose partout dans le Grand Paris, on aura tout faux ! Il faut qu’une partie du métro sorte à l’air libre pour être un instrument de découverte de l’exposition (72).
Il paraît inconcevable d’arriver à Orly pour prendre l’avion sans avoir vu le ciel – d’autant que l’on traverse le marché de Rungis, l’un des lieux de restauration les plus extraordinaires d’Île-de-France !
M. Jacques Ferrier, architecte, Agence Jacques Ferrier Architectures a suggéré « de faire avec les lignes 14, 15, 16 et 17 du métro un parcours qui, tout en étant connecté aux aéroports de Roissy et d’Orly, au réseau de Paris centre et à la Seine, proposerait la mise en scène de ces flux, et dont chaque gare serait un point fort ; on pourrait en faire sortir des portions en surface. Cela serait l’équivalent pour le XXIe siècle du trottoir roulant, qui avait émerveillé les visiteurs de l’Exposition universelle de 1900 ! ».
Enfin, les mobilités sont un moyen de réduction des inégalités pour M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris : « un aspect du projet d’exposition universelle m’apparaît particulièrement intéressant : le thème des mobilités place les sites patrimoniaux et les lieux du renouvellement urbain sur un pied d’égalité. La métropole du Grand Paris a un caractère profondément déséquilibré – ce qui ne serait pas un problème si cela n’engendrait pas des inégalités. Voici un point à creuser : en quoi le projet d’exposition est-il susceptible de remédier à ces inégalités massives, qui portent tort à l’attractivité et au rayonnement de notre territoire ? ».
Ces différents témoignages montrent l’importance des mobilités pour le projet d’exposition universelle. La réalisation du Grand Paris-Express est impérative ; il y va de la crédibilité de la candidature de la France. C’est pourquoi le rapporteur se félicite de l’engagement pris par le Premier ministre le 13 octobre 2014 en faveur des nouvelles lignes de métro du Grand Paris.
Une exposition sur un site unique ou bien polycentrée ? Le président de la mission d’information, M. Jean-Christophe Fromantin, a eu l’idée d’un projet d’exposition polycentrée, différent des expositions installées en champ clos, sur les centaines d’hectares d’une friche urbaine. Ce projet a surpris le BIE par son originalité.
La première évocation de ce modèle devant la mission d’information, lors de l’audition du secrétaire général du BIE, en février 2014, a suscité de la part de ce dernier quelques réserves. Il s’est néanmoins déclaré ouvert au débat sur les avantages et les inconvénients d’une exposition « éclatée » et sur l’acceptabilité de ce projet qui ne prévoit pas de construction de pavillons mais l’installation des concessionnaires dans des bâtiments ou sur des sites patrimoniaux existants.
Selon M. Jean-Christophe Fromantin, « l’idée de « poser » l’exposition universelle sur la ville, sur l’existant, est un point de négociation avec le BIE dans la mesure où celui-ci est attaché à l’unité de lieu. Pour autant, plusieurs expositions du XIXe siècle se sont étendues jusqu’à l’île Saint-Germain, Vincennes, etc., et ont permis de mettre en avant des innovations telles que les bateaux-mouches ou le tapis roulant de 7 km. ».
1. Une exposition polycentrée aurait plusieurs avantages
a. Le BIE est réticent à l’idée d’abandonner le champ clos de ses expositions
Le projet de « poser » une exposition internationale sur une métropole sans lui attribuer une friche fermée déroge aux règles usuelles consacrées par un siècle et demi d’une pratique qui installe des pavillons spectaculaires le long des allées qui parcourent un site dégagé, cerclé d’une enceinte percée de guichets où sont perçus ou vérifiés les droits d’entrée.
Le BIE hésite à se priver d’un site unique d’exposition auquel il est attaché, bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation en droit international.
Il redoute qu’une exposition éclatée sur plusieurs sites soit trop complexe.
Selon M. Vicente Gonzales Loscertales : « Le bon sens et la fonctionnalité exigent un site unique, même si le règlement ne le prévoit pas expressément. En effet, le premier principe d’une exposition est l’égalité de traitement des participants. Ces derniers doivent tous se retrouver sur un même site, faute de quoi on risque de s’exposer à toutes sortes de plaintes ou de comparaisons malvenues.
« Ensuite, une exposition nécessite de centraliser les services de transport, de sécurité, etc... On ne peut pas se permettre de les disperser. À Shanghai et à Aichi, le site était séparé en deux parties dont l’une a malheureusement été délaissée par les visiteurs. Si les services de sécurité avaient été dispersés, on n’aurait jamais pu organiser une exposition en Espagne à l’époque où l’ETA était encore active…
Enfin, il est plus facile de réutiliser les réalisations qui ont été présentées sur un même site. Vous le voyez : le problème n’est pas réglementaire, il est d’ordre pratique. » (73)
Pour M. Bernard Testu : « le projet français ne s’appuie pas sur un seul site. S’il est exclu d’imposer un changement total de la règle, un projet qui, tout en la respectant, proposerait des options supplémentaires serait parfaitement défendable. Ainsi, on ne peut imaginer une exposition universelle n’ayant qu’Internet pour support, mais l’on peut évidemment proposer des manifestations par Internet – en plus du reste.
« Le socle d’une exposition universelle reste quand même un lieu physique où des visiteurs battent le pavé pour visiter des pavillons et assister à des concerts, et non un simple écran. Le site fermé doté d’une billetterie reste donc d’actualité, même si l’on peut y ajouter d’autres sites, éventuellement ouverts et gratuits. Le modèle reste à inventer, dans le respect des traditions et sans froisser les conservatismes. »
Il n’est en effet pas question de substituer à l’exposition physique une exposition virtuelle. En revanche, les exigences d’une billetterie unique et d’un contrôle centralisé des droits d’entrée sur les sites d’exposition peuvent être satisfaites par des techniques informatiques relayées, sur place, par des bornes électromagnétiques et, à distance, par les réseaux de communication numériques.
M. Alain Berger, lui-même, a déclaré que ce qui lui était proposé
– construire un pavillon – le satisfaisait. Cette notion d’exposition sur un seul site permet au visiteur, lui semble-t-il, d’avoir le sentiment d’être à l’exposition, de sortir de son univers habituel, surtout si le thème est fort, si « on le sent partout ». Il a estimé qu’il existait une vraie cohérence entre le pavillon et le thème. Il a toutefois ajouté qu’une exposition multi-sites lui paraissait envisageable, à condition que le thème puisse vivre en tout lieu. Il faut souligner toutefois que la France proposera, en outre, un programme « off », au Palais des Stelline, lieu emblématique en plein cœur de Milan, avec de nombreux évènements.
L’objection diplomatique et les difficultés pratiques évoquées par M. Vicente Gonzales Loscertales doivent faire l’objet d’une réflexion.
b. Le polycentrisme ne doit pas créer d’incident diplomatique et ne va pas à l’encontre de l’égalité des pays participants.
Le secrétaire général du BIE a insisté sur le respect de l’égalité de principe des puissances invitées, sans en préciser la nature.
M. Jean-Pierre Lafon a expliqué qu’il importait d’assurer « l’égalité d’accès aux pavillons ; or, si la Chine ou l’Allemagne pourront à la rigueur avoir un pavillon dans chaque zone, ce ne sera sûrement pas le cas du Pérou, du Panama ou de l’Angola, sans parler de la République de Kiribati ou de Tuvalu. »
Dans les faits, les pays invités à une exposition internationale ne sont pas tous présents à l’ouverture et ceux qui sont représentés par une section nationale ne bâtissent pas tous des pavillons.
Certains acceptent de s’installer à plusieurs dans des locaux qui leur sont alloués par l’organisateur. Quand ils élèvent un pavillon à leurs frais, les moyens qu’ils y consacrent et les résultats qu’ils obtiennent sont contrastés. Les pavillons nationaux ne bénéficient pas non plus d’une même adhésion publique et d’une même fréquentation. On ne constate donc pas actuellement, au sens strict, d’égalité des représentations des sections nationales dans une exposition.
Pour M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers : « La tendance au « tout architectural » conduit par ailleurs à un double dévoiement économique. D’une part, les budgets de plus en plus faramineux consacrés au contenant manquent pour financer des contenus qui s’appauvrissent. D’autre part, cette évolution accentue les inégalités en rendant particulièrement visibles les différences de puissance financière des pays invités. La prouesse architecturale exige des moyens considérables, et la compétition en la matière ne permet pas à toutes les nations de faire jeu égal – le pavillon du continent africain dans les récentes expositions en témoigne. Lors d’un rassemblement supposé célébrer l’humanité dans son égalité, il est choquant que la taille des pavillons et les fonds consacrés à leur construction reproduisent les inégalités entre nations… J’ai constaté à Shanghai que de nombreux représentants de pays membres du BIE souffraient de la faiblesse des moyens dont ils disposaient, et vivaient comme une insulte l’étalage de richesses considérables à quelques mètres de leur pavillon ».
Certaines expositions internationales, comme celles de Lisbonne, d’Aichi ou de Yeosu, ont eu le bon sens d’allouer des hangars identiques et non permanents aux États. Ils ont pu ainsi réduire leur investissement immobilier et consacrer un budget plus élevé aux contenus ».
L’égalité ne sera pas non plus respectée, de fait, à Milan, et cette fois à notre détriment : la France construit un pavillon et la Chine quatre.
En outre les disparités entre les représentations doivent être laissées à l’initiative des invités et non pas distribuées par la puissance invitante. Il n’est guère envisageable, par exemple, de soumettre le partage des lieux d’exposition à un tirage au sort. Les règles imposées par la convention de 1928 et confirmées par les résolutions du BIE interdisent également de mettre les parcelles disponibles aux enchères des concessionnaires, comme cela se pratique dans les foires commerciales.
Une égalité de principe pourrait être préservée à quatre conditions :
– la distribution des représentations nationales sur les sites d’exposition et leur desserte par les réseaux de transports doivent être comparables ;
– les concessionnaires doivent disposer de facilités d’aménagement comparables quel que soit le site qui leur échoit ;
– ces sites doivent être également prestigieux ;
– aucune section nationale ne doit être éconduite faute de site convenable.
Une exposition polycentrée préviendrait, en outre, les risques de saturation d’une enceinte unique, assaillie par une cohue qui dépasserait les prévisions de fréquentation. Éclatée, une exposition internationale pourrait être davantage fréquentée et donc rentable.
c. Le polycentrisme éviterait qu’un seul site, envahi par une foule, interdise une visite plaisante, détendue et festive
Une exposition polycentrée préviendrait les risques de saturation d’une enceinte unique. Lors de l’Exposition de Shanghai, les files d’attente étaient telles que les visiteurs ont dû patienter plusieurs heures devant certains pavillons, ce qui pose un réel défi et décourage le public.
Les problèmes de saturation des entrées, d’engorgement des circulations et de formation de longues files d’attente ont été surmontés, lors des expositions précédentes les plus fréquentées, par une organisation et une discipline strictes, mises en œuvre par des milliers de volontaires et par des forces de l’ordre mobilisées sur place.
Cette discipline et les contraintes qu’elle implique limitent les activités proposées aux dizaines de milliers de visiteurs quotidiens. Elles ne les laissent pas s’attarder ni vaquer où bon leur semble. Il est probable qu’elles ne seront plus aussi facilement acceptées par une foule toujours curieuse, enjouée ou en liesse, mais davantage en quête de satisfactions individuelles.
M. Dominique Hummel a livré à la mission une estimation de la fréquentation possible d’une exposition française qui connaîtrait le même succès public que celles de 1900 et de 2010. Il a insisté sur les exigences nouvelles des visiteurs, qui n’admettraient plus que les contraintes qui leur sont imposées par l’encadrement de leur cohue viennent troubler le plaisir promis à chacun par une fête somme toute onéreuse pour eux :
« Si nous devions accueillir 40 à 60 millions de visiteurs en France pour une exposition universelle, nous aurions affaire à un défi colossal en termes de flux. Pour nous, ce serait du jamais vu. Je rappelle que le premier parc de loisirs européen, Disneyland Paris, attire 15 à 16 millions de personnes par an, et que Notre Dame de Paris, le monument public le plus visité de France, reçoit annuellement 13 millions de visiteurs.
« Néanmoins, une fréquentation de l’ordre de 50 millions de personnes n’est pas hors de portée, sachant que Paris accueille environ 30 millions de touristes par an. Derrière ces chiffres qui font peur se lit surtout l’enjeu essentiel de la concentration d’une telle population dans un espace réduit. Pour ma part, je pense que, en 2025, il ne sera pas possible de concentrer un si grand nombre de personnes sur 300 ou 400 hectares…
« Ce qui était envisageable à Paris en 1900, et même en Chine il y a quelques années, ne le sera plus dans dix ans dans notre pays. Les attentes et le niveau d’exigence des visiteurs évoluent ainsi que ce qui leur paraît acceptable. Comment expliquer au client qui aura payé quarante euros pour entrer à l’Exposition universelle de Milan en 2015, que, comme les visiteurs de Shanghai, il ne visitera que deux ou trois pavillons ? Il faudra pouvoir justifier un tel prix. Car provoquer un haut niveau d’insatisfaction, c’est courir le risque de provoquer un bouche à oreille négatif… »
« Sans même évoquer les problèmes de sécurité ou d’environnement, il me semble impossible de se passer d’une réflexion sur les limites d’une concentration excessive de population… nous sommes en quelque sorte condamnés à une déconcentration qui a fait ses preuves lors des JO de Londres organisés sur trente et un sites. »
M. Dominique Hummel a ensuite décrit les contraintes imposées au public, comme par exemple celle de faire longtemps la queue à l’entrée du site et aux points de contrôle de sécurité : « Lors de ma première visite à l’Expo de Shanghai à titre privé, je n’ai pu entrer que dans un seul pavillon après onze heures d’attente. L’armée chinoise gérait les flux de visiteurs et assurait la sécurité du site auquel étaient affectés 50 000 à 100 000 militaires.
« J’ai assisté à des débordements et à des agressions inévitables dans ce type de situation. Ce modèle me paraît d’ores et déjà dépassé ; il sera en tout état de cause impossible de le reproduire en 2025… Une exposition universelle qui recevrait au total 40 millions de personnes accueillerait en moyenne 400 000 visiteurs par jour. Pour gérer de tels flux, il faut, soit, comme les aéroports, s’installer sur des centaines ou des milliers d’hectares, soit opter pour un éclatement géographique… »
Il a pris l’exemple de l’aéroport d’Atlanta qui reçoit 100 millions de voyageurs par an et connaît des pointes de fréquentation à 700 000 à 800 000 personnes par jour, soit l’équivalent du meilleur jour de l’Expo de Shanghai qui a accueilli 1 million de visiteurs le 16 octobre 2012.
Les voyageurs d’un aéroport ne sont toutefois pas invités à demeurer longtemps sur place ni à y faire la fête. Ils acceptent plus volontiers de s’installer dans un hall et de patienter jusqu’à leur embarquement. Il est douteux que les mêmes personnes, visitant une exposition internationale fassent preuve de la même retenue et supportent, à l’entrée d’un espace qui paraît vaste et incite à la flânerie et aux découvertes impromptues, ce qu’elles admettent encore à la porte de grandes manifestations sportives.
M. Marc Giget a relevé un autre inconvénient à l’adoption d’un site unique : les contraintes de la gestion des foules et les impatiences des mœurs contemporaines incitent les concessionnaires des expositions internationales à fluidifier la circulation des visiteurs en « vidant » les pavillons.
M. José Frèches, a en effet indiqué que le pavillon français de l’Exposition de Shanghai avait été conçu pour éviter les files d’attente : « Fort de ce que j’avais observé aux Expositions de Vancouver et de Saragosse, où j’avais constaté la longueur des files d’attente à l’entrée des pavillons, j’avais demandé à Jacques Ferrier, l’architecte, de concevoir un bâtiment permettant un flux continu de visiteurs. En conséquence, l’attente devant le pavillon français n’excédait pas une heure et demie, contre cinq heures pour le pavillon allemand ou sept heures pour celui de l’Arabie saoudite ».
Mais nul sentiment de vide pour lui, qui se félicite du succès du pavillon français, le plus visité, par 10 millions de personnes : « Notre deuxième atout était la dizaine de chefs-d’œuvre que le musée d’Orsay avait accepté de nous prêter, dont L’Angélus de Millet, Le Balcon de Manet et une œuvre de Van Gogh… L’arrivée des tableaux a été très médiatisée en Chine ; le président Hu Jintao lui-même, entouré d’une délégation du comité permanent du parti communiste, soit les plus hauts dirigeants du pays, est venu spécialement pour voir ces œuvres la veille de l’inauguration. Tout cela a créé un buzz considérable ».
On note par ailleurs le bémol de M. Jacques Ferrier, architecte, pour qui « l’envie de partager un espace public, fut-il aussi artificiel qu’une exposition universelle, est toujours très forte. Il est certain que le BIE doit évoluer sur l’unité de lieu, mais la question de la scénographie du plaisir festif de la foule reste entière. Tous les pays du monde sont appelés à se croiser, mais encore faut-il qu’ils le puissent ! ». Or chacun des sites et des moyens de transport en fournira l’occasion et de façon plus détendue !
Le modèle d’une exposition sur un site unique paraît donc condamné en raison de concentrations excessives : une exposition polycentrée pourrait être un remède qui nécessite une réflexion approfondie.
d. Le polycentrisme risquerait de renchérir l’intendance d’une exposition
xii. D’éventuels surcoûts…
Il a été affirmé que, dans chacune des parties de l’intendance de la manifestation, il sera difficile d’obtenir des économies d’échelle.
Si l’organisateur s’en remettait à une seule équipe – ce qui paraît peu probable, compte tenu du nombre de sites – afin de suivre l’avancement des travaux, la mise en place des équipements, le recrutement et la formation des personnels d’accueil, il devrait prendre en charge des coûts de transport vers les sites excentrés et d’hébergement sur place. Il devrait également compter des dépenses de personnels supplémentaires et des frais de coordination s’il choisit de constituer plusieurs équipes travaillant en parallèle.
La campagne de promotion de l’exposition et les frais de vente à distance des billets d’entrée risquent d’être plus coûteux si l’organisateur doit établir des guides de visite proposant plusieurs parcours entre des lieux éloignés les uns des autres, en tenant compte des contraintes de transports d’un site à l’autre, comme le font les catalogues des voyagistes pour des séjours de vacances itinérants.
Selon M. José Frèches « la plupart des visiteurs qui ne consacrent qu’une seule journée à l’événement ne disposent pas d’un gros budget et souhaitent, dans ce délai, avoir vu le plus grand nombre de pavillons. À moins que les lieux choisis ne soient très proches les uns des autres, leur éclatement géographique désorienterait le public et handicaperait sérieusement tous les sites. »
Les commentaires publics des visiteurs, désobligeants à l’égard de l’organisateur, pourraient être dissuasifs pour les visiteurs moins audacieux et préjudiciables pour le succès de l’exposition et la réputation de son organisateur. Quand bien même parviendraient-ils à leur fin, ils risquent d’être désorientés par leur méconnaissance des lieux et des usages dès qu’ils échapperont aux parcours touristiques balisés.
Cette désorientation, plaisante et même recherchée par les touristes aventureux, peut être mal vécue par le public étranger, plus large et plus familial, d’une exposition internationale qui souhaite attirer des millions de visiteurs. Elle pourrait reproduire, à l’échelle individuelle, les incidents diplomatiques redoutés dans l’accueil des puissances invitées.
Il a également été souligné le surcoût imposé par les trajets entre les sites et par la couverture des frais supplémentaires engagés par l’organisateur qui ne sera guère en mesure de proposer aux visiteurs venus de loin des offres avantageuses de transport en mettant le surcoût à la charge des visiteurs locaux, puisque tous devront s’acquitter des dépenses de trajets entre les sites. L’organisateur ne pourra pas non plus obtenir des hébergeurs des remises pour une occupation prolongée des chambres comme le permet une exposition sur un seul site touristique.
xiii. …à relativiser
Toutefois, la mise en place d’un forfait global, d’un pass – ou plusieurs forfaits globaux selon l’importance du séjour – comprenant visites, transports et hébergement (cf infra) peut être une réponse à ces objections et nécessite donc une étude approfondie.
L’éventuelle désorientation peut être évitée par une organisation rigoureuse, un déploiement signalétique abondant, une mobilisation des équipes d’accueil et une offre de services numériques destinés à guider les visiteurs en temps réel, tout en leur permettant de partager leurs impressions et leur appréciation des sites.
Pour autant, en dépit de ses inconvénients supposés et des éventuels surcoûts, le débat suscité par le projet d’exposition polycentrée s’est moins concentré sur les obstacles techniques que sur les anticipations de fréquentation.
C’est cet enjeu qui, en dépit de la réticence du BIE, fait l’originalité et la pertinence du projet français d’une exposition en plusieurs cercles, posée sur le patrimoine du Grand Paris et des métropoles régionales.
Les sites touristiques très attractifs de ces métropoles, prêtés pour l’occasion aux concessionnaires et aux sections diplomatiques invitées, pourraient satisfaire davantage les attentes des visiteurs de l’exposition que des pavillons vides et de générer des recettes qui rentabiliseraient la manifestation tout en lui donnant un nouveau souffle.
Ces coûts demandent à être chiffrés, car sans étude, on ne peut pas tirer de conclusion sûre et doivent être relativisés.
Quant à l’argument du surcroît de fatigue – qu’on peut considérer comme un coût - invoqué par M. Jean-Michel Grard, il n’est pas totalement convaincant dans la mesure où un même visiteur ne peut jamais voir toute l’exposition universelle, même sur un site unique, ne serait-ce qu’en raison des files d’attente. En outre, il faut se le rappeler, dans toutes les expositions universelles, les visiteurs sont en majorité des… nationaux. Les habitants de notre pays pourront donc fragmenter leur parcours pendant les six mois de l’évènement. Quant à nos invités étrangers, ils pourront faire un choix en fonction de leurs désirs et de leur temps ; indépendamment de toute exposition, nombre d’entre eux visitent plusieurs régions au cours d’un même voyage.
e. Vue de l’étranger, la France est devenue petite et donc facile à visiter
Comme l’a dit M. Christian Mattéi, directeur général d’Atout-France : « Faut-il un projet multi-sites ? Bien sûr. La France est devenue toute petite ! ».
M. Thierry Coltier, Managing partner de Horwath HTL France lui a emboîté le pas : « Je suis également favorable au caractère multi sites du projet, en particulier parce que nous disposons d’un très bon réseau aérien et ferroviaire. Il faudra néanmoins un vaisseau amiral : souvent, on ne garde d’un tel événement qu’une seule image emblématique. Nous avions pour notre part réalisé une étude qui montrait que, d’un point de vue géographique, on pouvait comparer la France à la Floride. L’échelle est pertinente : il reste à sensibiliser les acteurs. Il faudra également prévoir un décloisonnement administratif ».
Pour changer de continent, on pourrait dire, comme M. Jean-Christophe Fromantin, que « le territoire français ressemblera à une grande métropole asiatique » !
À l’échelle mondiale, la France est petite, mais dotée d’un bon réseau de transports : voilà qui plaide en faveur d’une exposition multi-sites.
Il ne serait plus d’actualité de se concentrer sur Paris intra-muros. Comme l’a dit M. Jean-Louis Missika, « ceci nous conduit à poser la question de son périmètre et à prôner une certaine audace en la matière. Si les précédentes expositions étaient centrées sur le cœur de l’agglomération parisienne, il est clair qu’aujourd’hui l’attractivité touristique du cœur de la capitale ne pose plus guère de problème : ce qui est en jeu, c’est l’attractivité touristique de la métropole. Nous sommes convaincus que l’Exposition universelle de 2025 s’inscrira naturellement dans le cadre du Grand Paris.
Le développement de Paris intra-muros est aujourd’hui parvenu à maturité. Grâce à un patrimoine culturel et architectural d’une exceptionnelle densité, la ville a accueilli cette année plus de 31 millions de touristes et ce chiffre est voué à s’accroître encore. Notre ardente obligation est désormais d’orienter les flux de touristes vers les sites, châteaux et forêts du Grand Paris, tels que Fontainebleau ou Chantilly par exemple. Dans cette perspective, nous souhaitons privilégier un dispositif qui, contrairement aux récentes Expositions de Séville, Lisbonne ou Shanghai, dont l’objectif était avant tout de mettre en valeur l’attractivité du cœur d’agglomération, mette en scène des sites inscrits dans un périmètre élargi. Nous militons donc, à l’instar du président Jean-Christophe Fromantin, pour une exposition universelle qui accompagne la construction du Grand Paris et mette en valeur sa dimension polycentrique, en s’appuyant par exemple sur les gares du futur Grand Paris-Express. Anne Hidalgo et l’exécutif parisien trouvent également séduisante l’idée d’une extension plus large encore ».
Face aux difficultés pratiques et à la fatigue pour les visiteurs que certains redoutent en raison du polycentrisme de l’exposition, « il faudra une certaine densité dans les lieux où seront organisés les événements et veiller à la porosité de chacun avec la ville – ce qui va à l’encontre de la conception traditionnelle des expositions universelles, qui fonctionnent un peu comme les villages olympiques. Il faut impérativement éviter le phénomène de l’enclave », comme l’a préconisé M. Alexandre Labasse, directeur général du pavillon de l’Arsenal.
f. Une exposition polycentrique éviterait les problèmes de reconversion du site
Comme l’a également souligné M. Alexandre Labasse, « il convient d’éviter un écueil, celui de la tabula rasa… sur le modèle traditionnel de l’exposition universelle : à savoir, on choisit un site, on le vide et on reconstruit dessus – le problème étant de réinvestir les lieux ensuite. Je crois qu’une exposition en 2025 devra tenir compte de ce qui est là aujourd’hui et de ce qui sera là demain ».
Comme on l’a vu, c’est un des problèmes majeurs de la plupart des expositions universelles, et des jeux Olympiques : l’exemple de Sotchi en atteste.
De façon plus générale, comme l’a fait remarquer M. Christian Mantéi, « nous ne pourrons pas faire autrement que de parier sur la déconcentration si nous voulons respecter les règles minimales du développement durable ».
g. Des exemples de polycentrisme : les événements sportifs
Les événements sportifs, en particulier les jeux Olympiques, s’étendent sur plusieurs sites, ne serait-ce parce qu’aucune ville ne dispose des infrastructures très spécifiques nécessaires ; il y en avait 31 pour les JO de Londres en 2012, dont certains dans le Grand Londres et d’autres dans tout le pays, 12 pour la Coupe du monde de football au Brésil cette année, parfois très éloignés les uns des autres compte tenu de la taille du pays, sans que cela ne suscite l’étonnement ou la réserve. Pour l’Euro 2016, les épreuves se dérouleront partout en France. Il est vrai que ce sont des événements considérables, mais d’une durée moindre ; toutefois nous pouvons en tirer suffisamment d’enseignements pour une exposition universelle.
Dans un passé plus lointain, la Coupe du monde de football de 1998 était répartie sur tout le territoire. M. Noël de Saint Pulgent, qui a contribué à l’organiser, s’est félicité que qu’aucun pays en Europe ne possède notre réseau de lignes à grande vitesse, qui relie Paris à l’ensemble des grandes villes françaises, mais aussi à certaines métropoles européennes.
Pour autant, en dépit de ses inconvénients supposés et des surcoûts attendus, le débat suscité par le projet d’exposition polycentrée s’est moins concentré sur les obstacles techniques que sur les anticipations de fréquentation.
C’est cet enjeu qui, en dépit de la réticence du BIE, fait l’originalité et la pertinence du projet français d’une exposition en plusieurs cercles, posée sur le patrimoine du Grand Paris et des métropoles régionales.
Les sites touristiques très attractifs de ces métropoles, prêtés pour l’occasion aux concessionnaires et aux sections diplomatiques invitées, pourraient satisfaire davantage les attentes des visiteurs de l’exposition que des pavillons vides et de générer des recettes qui rentabiliseraient la manifestation tout en lui donnant un nouveau souffle.
2. L’exposition française comporterait trois cercles concentriques
M. Vicente Gonzales Loscertales a fait une ouverture à la mission : « à partir d’un site unique, on peut créer des foyers d’activité dans les autres parties soit de la ville soit de la région. Dans votre cas, ce serait une bonne façon d’intégrer les citoyens des différents secteurs du Grand Paris.
« Vous pourriez également, pendant toute la préparation de l’exposition, organiser des événements dans d’autres villes, par exemple à Bordeaux ou à Lyon, qui ont des infrastructures de qualité et dont les exécutifs sont prêts à investir. Cette multipolarité d’événements en lien avec des villes avoisinantes est une piste que je vous soumets. »
De même, M. Bernard Testu, interrogé par la mission sur les travaux des étudiants qui prévoient d’organiser des expositions et des activités hors les murs, investissant les rues ou les transports en commun, a indiqué qu’il en pensait « uniquement du bien, à condition qu’il s’agisse d’une proposition supplémentaire. En effet, une exposition universelle ne saurait se passer de pavillons et il nous appartient d’adopter des méthodes intelligentes pour gérer les files d’attente – telles que des systèmes de réservation. Sous cette réserve, inventer des manifestations supplémentaires pour faire vivre l’événement hors les murs ou prévoir des installations sous d’autres formes ne peut qu’apporter un plus ».
Puisque le BIE serait prêt à accepter une exposition répartie sur plusieurs sites, à condition de disposer d’un site diplomatique dans le Grand Paris, M. Jean-Christophe Fromantin a développé devant les autres membres de la mission son idée d’une exposition qui « se poserait » sur la métropole capitale et rayonnerait jusqu’aux métropoles régionales :
« Le premier niveau serait celui du village, praticable à pied ; dans cette perspective, l’espace historique des expositions universelles parisiennes, autour du Champ de mars et des Tuileries, pourrait abriter le guichet d’accueil sur le thème de l’histoire des expositions universelles, avec une expression des pays modulable et légère… »
« Le BIE est sensible à l’idée d’un point d’entrée au cœur de Paris : le visiteur étranger ne sera pas confronté à des événements diffus, il commencera par une promenade dans un grand périmètre qui pourrait être compris entre le Champ de Mars, les Tuileries et La Défense, et où les différents pays, dans des structures qui ne seront pas forcément des pavillons, annonceront leur présence dans tel monument, telle gare, tel spectacle ponctuel. Il s’agira d’un grand guichet d’accueil qui sera en même temps une sorte de village… »
« Le deuxième niveau serait un parcours, une sorte de « tour du monde » autour du projet de transport… Le BIE est également ouvert à l’idée que le Grand Paris – pour peu que son schéma de transports permette un bon dialogue avec l’espace central – serve de support à un grand tour du monde articulé autour de plusieurs dizaines de gares, où seraient proposés des modules et des animations liés à tel ou tel pays. Le mode d’expression, à l’exception des gares, ne serait pas celui de l’architecture : il s’agirait d’images, de rencontres, etc…
« Et comme nous ne souhaitons pas que le projet soit exclusivement parisien, on pourrait concevoir des animations ou des colloques thématiques dans les grandes métropoles françaises – Marseille, Lyon, Bordeaux, Nantes, Lille –, dans la mesure où, grâce au TGV, la durée des trajets entre deux villes sera en 2025 comparable aux temps de transport dans les grandes métropoles émergentes… Le format de l’exposition universelle permettrait d’organiser, par exemple, une semaine thématique sur les océans à Nantes, une autre sur tel autre sujet à Marseille. »
L’annexe n° 9 illustre les trois niveaux de l’exposition.
Il en résulte une conception complètement en rupture avec l’image traditionnelle de l’exposition : « le BIE pense que l’on ira visiter l’exposition, puis Paris, tandis que nous, nous souhaitons mélanger les deux : le touriste fera le tour du patrimoine tout en visitant l’exposition ».
L’idée d’un village central dans le Grand Paris, pour accueillir le cœur diplomatique de l’exposition et guider les visiteurs étrangers depuis les portes d’entrée de l’exposition, installée dans les aéroports, jusqu’à ce village, puis de là vers les autres sites, a séduit les membres de la mission.
Les visiteurs les plus informés pourront commencer leur visite par une métropole régionale associée à l’exposition et ne gagner le Grand Paris que par étapes, selon les parcours proposés par les voyagistes ou qu’ils auront établis eux-mêmes.
Ce projet d’exposition devrait faire connaître au monde la métropole du Grand Paris en utilisant la renommée et le prestige de la ville historique, comme les expositions organisées sous le Second Empire avaient fait connaître la nouvelle capitale française, débordant ses anciens murs.
M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris, a déclaré qu’il arrivait à un moment crucial dans l’histoire de la ville : « Alors que se met en place une institution métropolitaine et que se pose la question d’une nouvelle représentation de l’organisation métropolitaine... Le projet d’exposition serait un catalyseur, susceptible de nourrir, dix ans durant, une volonté collective de penser autrement la métropole. »
Les architectes réunis devant la mission lors d’une table ronde, intéressés par la mise en valeur de la nouvelle métropole, ont insisté pour que des territoires périphériques parfois négligés ou oubliés soient revitalisés par l’exposition.
M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, a exprimé le vœu que l’exposition soit « une étape dans le développement de la métropole. Les territoires périphériques de Paris sont mûrs pour accueillir un tel projet, qui provoquera aussi bien le mélange des fonctions que leur irrigation. »
3. L’exposition française pourrait également aller en 2025 de la Seine vers les métropoles
Plusieurs intervenants ont approuvé la proposition de M. Jean-Marie Duthilleul de suivre le cours de la Seine au cœur de la métropole pour conduire les visiteurs des Ardoines, à Vitry-sur-Seine jusqu’à la boucle de Gennevilliers, en dégageant des friches urbaines pour des parties de l’exposition :
« La Seine est… un atout fantastique, car c’est un patrimoine à grande échelle. En partant du village en bord de Seine, les visiteurs pourraient non seulement se rendre sur des sites célèbres à proximité, mais aussi découvrir les sites méconnus plus éloignés. »
M. Alexandre Labasse a confirmé que « si un site doit être retenu pour l’exposition universelle, c’est la Seine : d’abord, parce qu’elle raconte une histoire, ensuite, parce qu’elle fédère un nombre incalculable de projets. »
Il a insisté sur la densification de chacun des sites : « quelqu’un qui viendra à Paris pour deux ou trois jours n’aura peut-être pas envie de parcourir l’intégralité de la métropole pour visiter cinq expositions. Il faudra donc une certaine densité dans les lieux où seront organisés les événements et veiller à la porosité de chacun avec la ville. »
Pour parvenir à guider les visiteurs à travers la métropole du Grand Paris, M. Jean-Christophe Fromantin a proposé d’utiliser les infrastructures prévues par le tracé du Grand Paris-Express, dont les stations, les gares et leurs abords deviendraient autant de lieux d’accueil des manifestations de l’exposition.
La manière dont ces infrastructures s’attacheront aux bords de Seine, soit au long cours, soit à quelques points de jonction, reste à préciser. Elle pourrait l’être par les concessionnaires de l’exposition qui seraient invités à illustrer le thème des liaisons entre les territoires de l’exposition.
La Seine de Paris à la mer – jusqu’au Havre – serait un corridor à explorer et à développer.
C’est bien d’une nouvelle génération d’exposition dont il s’agit ; si l’on ne sait pas ce que seront celles de Milan et de Dubaï, celle de Shanghai, pour réussie qu’elle ait été, relève d’un type d’exposition dépassée en raison de son gigantisme et de son caractère traditionnel. Les expositions du XXIe siècle doivent innover, et celle de Paris prendrait résolument ce tournant.
II. DES CHANTIERS IMMOBILIERS ET NUMÉRIQUES
Le numérique ne remplacera pas une exposition universelle concrète, dans laquelle on se déplace et on rencontre quantité d’autres personnes venues du monde entier.
Mais le numérique enrichira l’exposition universelle.
1. Une démarche nouvelle liée au partage
a. Faire une exposition universelle sur le numérique n’aurait pas de sens
Il est, aujourd’hui, convenu de parler de « révolution numérique ». Cela ne consiste pas seulement à évoquer les transformations induites par l’utilisation de nouvelles technologies de la communication mais à mettre en exergue comment ces nouvelles technologies ont bouleversé notre rapport au monde, au temps, aux relations sociales, ce que révèle, dès lors, la pertinence de l’emploi du terme « révolution ».
M. Jean-Louis Fréchin, commissaire général de l’Exposition Futur en Seine, illustre cette approche : « l’électricité est comme le numérique : on ne la voit pas, elle n’existe que par l’usage qu’elle provoque et les fonctions qu’elle permet. Les défis sont un peu semblables. Montrer des moteurs électriques, c’est bien, montrer à quoi sert l’électricité, c’est plus intéressant ».
« La difficulté du terme « numérique » tient au fait que ce n’est pas un terme technologique. Il recouvre plutôt les conséquences et les déterminismes de la révolution d’une société en réseau, mue par des ordinateurs qui traitent massivement de l’information sur nos vies. C’est pour cela que c’est un terme formidable… Ensuite, le numérique parle aux gens – et en cela, je ferai une différence avec l’informatique.
Le numérique n’est pas non plus un secteur d’activité économique. Pourtant, qu’est-ce qui n’a pas été touché par le numérique aujourd’hui dans nos activités, dans nos vies, dans la manière de conduire des projets ou même de faire de la politique ? Cela signifie que ce n’est certainement pas en lui consacrant un pavillon avec les derniers gadgets à la mode qu’on devra traiter du numérique dans le cadre d’une Exposition universelle. Comme le remarque Mme Fleur Pellerin : le numérique, ce n’est pas tant des choses nouvelles qu’une nouvelle manière de faire les choses. »
Les expositions universelles ont eu, à l’origine, pour finalité de montrer les savoir-faire, les capacités d’innovation des pays développés du fait d’une émulation compétitive générée par la tenue même de l’exposition. À ce titre, le numérique aurait eu toute légitimité à s’imposer comme le thème même de l’exposition. Actuellement, ce n’est pas cet angle d’approche qui pourrait être privilégié mais plutôt celui de l’utilisation que l’on peut faire du numérique pour mieux porter, soutenir et faire partager le projet de candidature ainsi que l’exposition elle-même par l’ensemble de la population.
Selon M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil du numérique, « il ne faut pas se demander techniquement comment cela va se passer. Il faut juste poser l’objectif ».
« Il est bien probable qu’il faille complètement renverser la vision traditionnelle, et arrêter de considérer le numérique comme une technologie. Je ne sais pas comment s’est passée l’organisation de la première exposition universelle, mais je suis à peu près certain que l’on s’est dit que la technologie suivrait, et qu’il convenait d’abord d’avoir des idées ». Le numérique est une nouvelle démarche, synonyme de partage et de créativité.
Ainsi M. Jean-Louis Fréchin imagine-t-il une conception de l’exposition universelle différente. Au classique modèle hiérarchique pyramidal succéderait une autre forme d’innovation induite par la créativité de la base.
« Le numérique impose de nouvelles manières de faire les choses. Nos trois expositions universelles françaises étaient construites à partir du modèle de la « cathédrale », c’est-à-dire un modèle « top-down » – qui vient du haut – où des gens visionnaires décident des organisations urbaines, des sujets d’exposition et prennent des décisions radicales comme l’installation des fameux trottoirs roulants à Paris le long de la Seine, la construction du Grand Palais, etc. Aujourd’hui, du moins pour les tenants de l’innovation très numérique, on est plutôt dans un modèle de « bazar » où on laisse les enthousiasmes s’exprimer, pour créer du foisonnement et de l’énergie.
Dans le cadre de Futur en Seine, que j’ai le plaisir et l’honneur d’organiser et de concevoir, nous avons choisi un modèle un peu différent, le modèle « de la place du marché », intermédiaire entre celui de la cathédrale
– modèle très français, adapté à un État centralisé, qui prend des décisions structurelles très lourdes – et celui du bazar. Mais pourquoi avoir choisi la dénomination de « place du marché » ? Parce que c’est un lieu organisé par les puissances municipales, où l’on trouve du connu, comme un marchand de fruits ou de fromages, par exemple, mais aussi de l’inconnu : des promotions, des nouveaux produits, ou marchand un peu « hacker », un peu sauvage qui vient se présenter.
Ce modèle est intéressant, parce qu’il croise deux éléments qui permettent de construire un futur. Comment cela se traduit-il concrètement dans Futur en Seine ? par de gros événements éditorialisés, construits par l’intelligence collective des organisateurs de l’évènement, et on laisse une partie de la fête au porteur de projet, aux start-up, aux sociétés plus anciennes qui viennent, non pas dire ce qu’il faut faire, mais montrer ce qu’elles font, ce qui change pas mal les choses. Je trouve cela très « numérique » et très dans l’esprit de l’époque. En plus de voir des fonctions, de voir des produits, des usages, on y vit une expérience grâce à l’énergie et à l’enthousiasme des gens d’une France qui se renouvelle et que l’on ne voit pas toujours. »
Le modèle sur lequel fonctionne le jeu vidéo peut s’avérer instructif à cet égard dans la manière d’appréhender ce futur : il touche le grand public et suppose l’existence d’une communauté de partage, celle avec laquelle l’on joue, comme le souligne M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs :
« Il y a quinze ans, en 1999, 20 % de la population française jouait régulièrement ; c’est 50 % aujourd’hui. L’âge moyen des joueurs était de 21 ans ; il est de 38 ans aujourd’hui. Les femmes représentaient 10 % de cette population de joueurs ; aujourd’hui un joueur sur deux est une femme.
Cette entrée du jeu vidéo – et encore une fois du numérique derrière lui – dans le grand public est sans doute un des phénomènes les plus marquants de ces dix dernières années. C’est également toute la difficulté pour notre industrie de se projeter en 2025. En effet, nous sommes aujourd’hui sur des cycles d’innovation de temps courts, de l’ordre de trois, quatre ou cinq ans. Honnêtement, je ne sais pas de quoi sera fait le jeu vidéo en 2025. Mais, encore une fois, le jeu vidéo est celui où les innovations rentrent en contact avec le grand public. C’est pour cela que pour notre industrie, l’idée d’une exposition universelle à Paris en 2025 est une fabuleuse perspective. Tout ce qui, justement, nous donne un cap pour aller à la rencontre du plus grand nombre est pour nous enthousiasmant. » […]
En effet, aujourd’hui, le jeu vidéo ne se conçoit pas autrement que dans le lien avec une communauté, une communauté d’expériences et de joueurs. C’est sans doute ce qui pourrait guider la réflexion de notre industrie dans la perspective d’une exposition universelle.
Pour être tout à fait concret, nous avons créé il y a quatre ans un salon dédié aux jeux vidéo, la Paris Games Week. Le concept de ce salon était de rendre réelles, une fois par an, toutes les communautés virtuelles qui s’agitaient autour du jeu vidéo. En quatre éditions, il est devenu le cinquième plus gros salon français et le troisième salon au monde. Nous avons la certitude que ce succès est dû à nos communautés.
Pour nous, une exposition universelle, c’est la perspective d’aller toujours plus à la rencontre des communautés… Mais c’est aussi la possibilité de montrer en quoi le jeu vidéo est un formidable moyen de stimuler la curiosité, de faciliter l’apprentissage et de créer des liens, des communautés, des intérêts. Ce processus global qui prend le nom de « gamification » sera forcément une intéressante perspective dans l’idée de la dimension numérique de l’exposition universelle.
Mais encore une fois, c’est le moyen, pour les communautés, de s’approprier le numérique à travers le jeu vidéo. C’est sans doute tout l’enjeu de ce que l’industrie du jeu vidéo pourrait apporter à l’exposition universelle. ».
L’exposition « off » ne pourra donc que stimuler la créativité et les savoir-faire technologiques, notamment sous la forme de jeux vidéo. Il ne faut pas non plus uniquement imaginer ce que seront les contenus, mais réfléchir à partir des supports, téléphones portables, objets connectés, objets intelligents dans leur ensemble qui eux susciteront de nouvelles applications.
Comme le précise Mme Virginia Cruz, membre du Conseil national du numérique : « Il ne faudrait pas oublier non plus tout ce qui tourne autour des Wearable Technologies, ou technologies mettables, dont on parle beaucoup avec les objets connectés, bracelets ou autres. Ces nouveaux produits seront là et serviront de supports pour les visiteurs. ».
La spécificité du numérique n’est pas tellement l’invention d’une nouvelle technologie que la création de nouveaux usages à partir de ces nouvelles technologies.
M. Jean-Baptiste Soufron imagine, en effet, une exposition universelle en 2025 sous la forme des grands rassemblements liés au numérique : « On se rend compte que tous les événements internationaux qui tournent autour du numérique, qui fédèrent aussi bien les industriels que le grand public, les acteurs extérieurs, les politiques, les intellectuels, ont accompli ce renversement et s’intéressent plutôt à l’aspect systémique, culturel, voire politique du numérique.
Voilà pourquoi je pense qu’il serait très important de procéder à une sorte de « benchmark » des événements existants sur le numérique. Certains sont extrêmement dynamiques. Allez donc voir le festival South by Southwest, qui se tient tous les ans à Austin. C’est non seulement le plus gros festival de numérique des États-Unis, mais aussi le plus gros festival de cinéma, et le plus gros festival de musique. (…) les gens se sont approprié la ville, laquelle est devenue foisonnante. Des concerts se déroulent à l’extérieur, en banlieue, des événements ont lieu à l’intérieur. Il y a des conférences, des démonstrations. Ces démonstrations ne se font pas nécessairement sur un stand, mais dans la vie réelle par les utilisateurs qui sont là et utilisent les technologies mises à leur disposition.(…) ce sont plutôt ces événements qui portent l’esprit des expositions universelles, plutôt qu’une exposition universelle un peu traditionnelle et très « top down ».
Je prendrai un autre exemple, plutôt radical. Les événements qui ont la plus forte croissance en termes de participants dans le monde sont liés à la diffusion de jeux vidéo sur internet… Certains Français ont organisé récemment à Bercy trois jours de ces compétitions, et ils ont fait carton plein, avec des billets à 100 euros : il y a eu, chaque jour, 15 000 personnes pour regarder jouer des Coréens contre des Chinois, des Français contre des Russes, etc. Même si c’est compliqué, il faudrait réussir à capter ce phénomène et à faire, dans le cadre d’une exposition universelle, une énorme partie sur ce qui est en train de devenir l’un des médias de masse de notre époque. »
Ainsi que s’est plu à le souligner M. Jean-Baptiste Soufron, le numérique, synonyme de partage, est donc également synonyme d’« ouverture, [de] liberté, [de] gratuité (bien que l’argent et les modèles économiques aient un rôle) [d’] abondance et [de] fête – surtout la fête, et la fête continue. Dans son ouvrage « Paris est une fête », Hemingway décrit un voyage continu dans la ville de Paris, avec de nombreux événements et des rencontres.… Cela ne s’arrête jamais, tout s’enchaîne. Or cette espèce de dynamisme et d’émotion permanente se retrouve chez les développeurs de logiciels. Et vous la retrouvez de plus en plus chez tous ceux qui adoptent ces valeurs ».
b. Le numérique, un moyen de susciter l’enthousiasme dès la préparation de la candidature
L’utilisation du numérique peut également être un moyen de conserver l’élan attaché au projet de candidature ainsi que de lutter contre son obsolescence programmée. Le projet de candidature sera déposé en 2016, l’exposition, elle, si la candidature s’avère être un succès, ne se tiendra qu’en 2025 : comment, dès lors, continuer à susciter l’enthousiasme ? M. Jean-Baptiste Soufron apporte une réponse originale : un moyen simple d’impliquer l’ensemble des citoyens au soutien de la candidature de Paris à l’Exposition universelle 2025 consisterait à utiliser, sur le modèle des versions successives des logiciels informatiques, différentes versions de la candidature. Une par an, par exemple, de façon à garder pour la candidature un intérêt soutenu :
« D’où ma suggestion : ne serait-il pas intéressant de réfléchir à cette exposition, non pas comme étant un objet donné en 2025, mais plutôt à quelque chose qui se construit en temps réel, avec des étapes successives ? Vous êtes habitués à ce que l’on appelle le « versioning », aux différentes versions de Windows (95, 98, etc.), de Linux (3.14, 3.15, 3.16, etc.) ou de l’iPhone. La sortie de l’iPhone 6 est un évènement monstrueux, plus important que la sortie de l’iPhone 5, laquelle dépassait l’importance de celle de l’iPhone 4. Chaque version est l’occasion de nouveautés (...). Ce serait en tout cas le moyen de créer une dynamique autour d’un sujet précis, avec des étapes clés qui donneraient aux gens une visibilité et l’envie d’avancer. »
Il va de soi que la mobilisation des réseaux sociaux existants et à venir, Facebook, Tweeter, WhatsApp… permettra également de faire vivre le projet de candidature.
Pour M. Jean-François Martins, adjoint à la maire de Paris, « l’association des Parisiens à l’événement, [pourrait passer par] la présence à Paris du premier incubateur mondial de start-up dans le secteur du tourisme, le Welcome City Lab, soutenu par la ville de Paris. C’est la première fois que l’on crée un incubateur destiné à inventer le tourisme de demain. Pour traiter des manières innovantes de faire participer le public, de l’organisation des parcours et des flux, de l’occupation de l’espace public, nous pourrons nous appuyer non seulement sur le réseau globalement dense des start-up de la métropole, mais aussi sur cet incubateur spécifique qui pourrait devenir une composante de la renommée de Paris et un levier économique majeur ».
c. Le partage, pour quel type d’activités ?
Il est impossible de prévoir ce que sera 2025. Si on se lançait dans un tel exercice, on aurait toutes chances de se tromper, ou d’être dépassés. Tout en soulignant que le numérique était un instrument, une démarche, et surtout pas un but, nos interlocuteurs ont lancé des pistes, en indiquant ce que le numérique pourrait probablement apporter à l’exposition.
xiv. Les deux niveaux d’exposition « in » et « off ».
Il en ressort que le numérique sera un moyen pour valoriser l’exposition « in », ainsi que pour favoriser la créativité de l’exposition « off ».
Votre rapporteur est très attaché en effet à ces deux aspects de l’exposition universelle, des événements « in » et « off », son extension hors les murs permettant la multiplication des manifestations propres à mettre en valeur entreprises, territoires et culture. Le numérique sera un outil essentiel.
Présenter une exposition sur plusieurs sites aura pour conséquence de mobiliser davantage les ressources numériques, dans de multiples usages et notamment afin de développer les liens entre les différents lieux d’exposition. Il sera, dès lors, d’autant plus envisageable, à partir du modèle des grands festivals, d’employer ces différentes ressources numériques tant pour valoriser l’exposition in que pour favoriser la créativité de l’exposition « off ».
xv. Des innovations déjà envisageables
Certaines transformations sont déjà connues ou aisément envisageables. M. José Frèches, qui a souligné que l’évènement devait être concret, a reconnu un caractère magique aux innovations liées aux nouvelles technologies : « à Yeosu, la magie pour le visiteur anonyme, c’était de voir sur place son message ou sa photo s’afficher en direct sur un écran de 250 mètres de long et 30 mètres de large en LED ».
Comme le rappelait M. Jean-Louis Missika, « la visite en 3D de l’Exposition universelle de Shanghai, proposée en ligne, a attiré un très grand nombre de visiteurs, sans doute plus important que le nombre de visiteurs physiques sur le site. Cela doit nous inviter à repenser la manière de valoriser ces expositions, pas seulement in situ mais dans toutes leurs dimensions numériques et virtuelles. ». En effet, si l’Exposition de Shanghai a accueilli, en 2010, 70 millions de personnes physiques, elle a attiré 800 millions de visiteurs virtuels sur son site internet ! M. Vicente Gonzales Loscertales a estimé d’ailleurs que la création d’une exposition virtuelle ne pouvait être qu’un atout, car c’est une excellente tribune à l’exposition réelle.
xvi. Des activités plus « magiques »
Quelle réalité enrichie sera-t-il possible d’appréhender grâce aux objets connectés dits « intelligents » ? Même s’il est tout à fait probable que notre projection actuelle reste fort en deçà de la réalité d’alors, il n’en demeure pas moins que la description faite par les étudiants, emporte suffisamment l’imagination pour qu’on se laisse porter vers cette réalité encore virtuelle qui ne peut que susciter l’enthousiasme telle qu’elle a été présentée, notamment par ceux de Sciences Po :
« Lorsque nous communiquons, nous utilisons essentiellement la vue et l’ouïe. Pour la vue, nous allons créer des films holographiques ou en 3D, mais aussi développer des applications pour smartphones et lunettes à réalité augmentée, à l’image des Google glasses, qui seront synchronisées avec les événements de l’exposition. Pour l’ouïe, nous allons organiser des concerts internationaux simultanés, où seront invités les musiciens du monde entier. Nous pourrons également organiser un concours musical, dénommé « Expovision »…Il serait bien sûr très intéressant d’utiliser les réseaux sociaux – YouTube, Facebook et Twitter, qui vont évoluer d’ici à 2025 – pour communiquer avec les potentiels participants. Nos autres sens, peu utilisés aujourd’hui, pourraient l’être davantage grâce à l’Exposition universelle de 2025. Tout d’abord, l’odorat. Avec LVMH, supporter officiel de l’exposition universelle, nous pourrons créer le parfum officiel de l’expo et le transmettre via les mobiles, ce qui permettra à tout le monde, même à ceux qui ne seront pas en France, de « sentir » l’exposition universelle ! Ensuite, le toucher. Avec le développement des nouvelles imprimantes, tout le monde pourra imprimer en 3D les symboles, les logos de l’exposition universelle, et même la ville de Paris. Enfin, le goût. En tant qu’étudiant japonais en France, j’en apprécie beaucoup la cuisine. Nous avons pensé très intéressant de créer un « guide Michelin » -version exposition universelle- pour donner des informations aux participants, mais aussi d’organiser des festivals culinaires, où les participants en balade dans Paris pourront goûter des plats du monde entier… Voilà comment l’Exposition universelle de 2025 s’invitera chez vous ! ». Autre exemple parmi les idées foisonnantes, la reproduction holographique en taille réelle à Saclay du lancement d’une fusée Ariane, habituellement lancée à Kourou.
Le numérique aura donc une incidence sur notre manière d’appréhender l’exposition, de la vivre en tant qu’événement, mais également de la préparer, pour faire partager cet événement à l’ensemble de la population.
Mme Virginia Cruz, a indiqué ainsi que « le numérique permet de créer l’interactivité avec le public, ce qui aboutit à des installations ludiques magiques et immersives. Le numérique permet de voir des choses là où c’est impossible de les voir, ou d’un point de vue que l’on ne peut pas avoir normalement, notamment depuis les airs. On commence à parler des drones, mais on peut imaginer qu’en 2025, on pourra les utiliser pour « voler ».
« Le numérique peut également être vu comme un trait d’union géographique entre plusieurs lieux. Notre vision est très parisienne. Mais pourquoi ne pas imaginer de se transporter tout le territoire ? Pourquoi ne pas créer des points d’échanges, installer des écrans, aménager des lieux permettant de rencontrer les gens à distance, créer des jumelages, des échanges, qui pourraient aussi s’appuyer sur la French Tech, cette espèce de réseau qui commence à se mettre en place ?
« Le numérique sert la logique consistant à ne pas créer de nouveaux bâtiments, mais à réutiliser des lieux existants. Il est pratique dans la mesure où il permet de personnaliser les lieux, de les investir sans modification architecturale par des mises en réseau, des projections, etc. C’est d’autant plus intéressant qu’on sait qu’il est difficile de réutiliser, par la suite, les bâtiments construits à l’occasion d’une exposition universelle. »
Comme l’ont très bien imaginé les étudiants du Centre Michel Serres, les transports eux-mêmes deviendront « intelligents » et feront partie intégrante de l’exposition, notamment grâce au numérique : « la mobilité du visiteur ne se pense pas seulement en termes de géographie. C’est un voyage temporel, fictionnel que nous leur proposons. C’est une expérience à part entière dans l’exposition. Chaque train, chaque avion, chaque gare sera équipé et permettra à l’usager de vivre une transition extraordinaire entre sa réalité et l’immersion proposée dans chaque grande ville participante ».
Les étudiants de Sciences Po ont la même préoccupation, faire du temps de transport « un moment social ». Les transports « sont l’endroit où l’on est en contact avec le plus de personnes dans la journée, mais aussi où l’on est le plus anonyme. Nous cherchons à mettre fin à ce paradoxe, notamment grâce à l’« Expo up ». Une application sur votre smartphone vous permettra de vous connecter, par exemple dans les transports, avec les participants qui ont les mêmes centres d’intérêt que vous ».
Outre le lien géographique, les possibilités offerte par le numérique en termes de réalité augmentée peuvent donner à voir des réalités différentes en fonction des publics concernés : « Ensuite, on peut voir le numérique comme une surcouche d’informations : c’est ce qui relève de la réalité augmentée. On peut rajouter des commentaires, différencier l’expérience, en proposant, par exemple, à des enfants une vision différente des adultes, rajouter des éléments d’histoire sur la ville, offrir différents points de vue, tout cela en exploitant les tendances actuelles – réalité virtuelle, Google Glass, casques comme l’Oculus Rift dont a parlé M. Martin ».
Les données techniques, scientifiques, historiques culturelles et artistiques pourront également être mobilisées, a continué Mme Virginia Cruz : « je pense au projet sélectionné en Angleterre par la Tate Britain. Il s’agit d’un petit robot qui se déplace la nuit dans le musée ; si je me connecte sur Internet, je peux contrôler ce petit robot qui tient une petite torche, me promener dans les galeries et voir les peintures à des heures normalement interdites au public. »
Le numérique peut, en effet, être un moyen de faire un lien avec le passé, avec le patrimoine, de le réinvestir de manière ludique. C’est ainsi que Mme Virginia Cruz a souligné que le numérique permet : « de personnaliser les lieux, de les investir sans modification architecturale par des mises en réseau, des projections ; c’est d’autant plus intéressant qu’on sait qu’il est difficile de réutiliser par la suite des bâtiments construits à l’occasion d’une exposition universelle ».
Comme l’a précisé M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, « sur ce patrimoine qui peut être facilement rendu vivant par le numérique, sortira au mois de novembre un jeu vidéo qui s’appelle : Assassin’s creed Unity, qui se déroule dans le Paris du XVIIIe siècle, pendant la Révolution française. La ville a été entièrement modélisée par des historiens de la société Ubisoft – modélisant ainsi, pour la quatrième fois, une ville à une époque différente. On est là dans une perspective de jeu vidéo, mais également dans une véritable perspective historique. Je crois que c’est dans ces liens entre le patrimoine et le fait de pouvoir offrir de nouveaux usages à ce patrimoine que le numérique peut s’avérer intéressant ».
C’est également l’avis de Mme Virginia Cruz : « J’ai tendance à penser qu’en 2025 on pourra apprendre du patrimoine de Paris. Personnellement, j’aime bien – et cela rejoint ce que vous venez de dire sur Assasin’s creed Unity – son côté dynamique et le mélange des époques.
J’observe que les étrangers ont une vision très statique de Paris, qui apparaît beau, imposant et figé ; c’est moins le cas d’autres villes, parce qu’on y respecte moins l’existant, qu’on rase et qu’on reconstruit. Mais en fait, ce n’est pas du tout cela : à Paris, des quartiers entiers ont été rasés ; Haussmann a réaménagé la ville. Il serait intéressant d’arriver à montrer la dynamique qui est derrière le patrimoine, et qui doit se poursuivre. La candidature de la France doit d’ailleurs s’appuyer sur une dynamique d’évolution.
De la même façon, le mélange des périodes historiques peut être intéressant. L’exposition tourne autour du thème de l’hospitalité. On pourrait imaginer être accueilli par des Français d’aujourd’hui, mais aussi potentiellement par des Français de l’époque des rois, ou du siècle des Lumières.
Je ne le vois pas comme un sujet principal de l’exposition, mais comme un fil conducteur qui s’imposera. En effet, les gens viennent aussi à Paris pour cela. »
Le numérique permettra également « de mettre le monde en jeu » selon Emmanuel Martin : « vous pourrez lire aujourd’hui dans « Les Échos » un article sur « Ingress », un jeu en réalité augmentée, développé par une filiale de Google : avec son smartphone, on visite une ville dans la réalité ; mais le smartphone donne une autre géographie à la ville, donne d’autres indications sur la ville qui permettent de rentrer dans un scénario et un jeu.
Ces tendances vers la réalité virtuelle et aujourd’hui vers la réalité augmentée foisonnent dans le jeu vidéo et dans le numérique en général. Ce sont sans doute les perspectives vers lesquelles nous irons dans les dix prochaines années ».
2. De nouvelles modalités d’organisation de l’exposition
Le numérique constituera un apport décisif dans l’organisation de l’exposition universelle ; toutefois, il ne faudra pas oublier, comme l’ont souligné un grand nombre de nos interlocuteurs, que la montée du numérique est indissociable de la nécessité de réhumaniser l’accueil.
a. Une vitrine et une aide pour les transports
Le choix d’une exposition polycentrée en zones denses, dans les villes, dans les métropoles, dans le grand Paris, en utilisant les mobilités existantes risque d’être difficile. Le numérique devra alors réinventer et revisiter l’ensemble de ces univers de contraintes pour rendre l’opération fluide, connectée, agréable et conviviale.
Dans ce cadre, les transports pourraient devenir une vitrine de notre savoir-faire en matière de numérique du fait du développement d’un réseau de transports dit « intelligent ». Des écrans interactifs, des panneaux signalétiques à destination des voyageurs faciliteront les déplacements et permettront de développer l’interconnexion entre les différents types de transports.
Cet aspect a notamment été évoqué par M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris :
« La dimension numérique est également essentielle. Notre ambition est d’inventer le métro le plus digital au monde, et ceci dans toutes ses composantes. C’est l’objet de l’appel à manifestations d’intérêt lancé à la fin de l’année dernière, et qui a reçu plus de 120 réponses. Il s’agira de doubler les deux cents kilomètres du réseau d’une infrastructure numérique de très haut débit via le déploiement de câbles optiques, qui permettra d’innerver les alentours des gares qui ne seraient pas couverts par les opérateurs.
Ce réseau numérique permettrait d’informer en temps réel les voyageurs sur l’état du trafic, de leur offrir un accès permanent à l’internet et de mettre à leur disposition un ensemble de services facilitant la vie quotidienne. Cette infrastructure numérique permettrait par ailleurs de mettre en open data toutes les données générées par le trafic de deux millions de voyageurs. Pourront s’y ajouter des espaces de coworking ou des data center. »
M. Pierre Messulam voit dans l’exposition universelle « une opportunité… pour inventer de nouveaux outils avec les applications mobiles que nous développons. La Fabrique digitale que parraine la SNCF montre l’intense créativité des jeunes gens ; un évènement tel que celui-là pourrait être à la fois un catalyseur d’inventivité et une vitrine du savoir-faire français pour nous, opérateur de transport, et pour toute la filière numérique ».
Il a fait remarquer toutefois que des problèmes restaient à résoudre : « après qu’un débat a eu lieu à ce sujet avec l’autorité organisatrice, les rames comptent peu d’écrans destinés aux passagers. Nous voulions en installer, mais diverses considérations nous ont retenus – la crainte du vandalisme et la question des contenus projetés. D’autre part, la généralisation des smartphones fait que nous devons disposer d’un réseau 3G ou 4G suffisamment puissant. Or sa capacité est limitée, au point que le déploiement d’applications internes en est freiné : les données transmises à nos agents ne passent pas, ce qui empêche de renseigner les clients en temps voulu. Mieux vaut donc, à mon sens, concentrer les efforts sur ce point ; l’exposition universelle obligera à améliorer le dimensionnement et la qualité des infrastructures numériques de notre réseau, ce qui est nécessaire et en interne et pour les visiteurs. Plutôt que de modifier les trains nouveaux à grand coût, et au terme de multiples discussions, je suggère de jouer à fond la carte numérique, secteur dans lequel la créativité française est reconnue ».
Pour Mme Virginia Cruz, le numérique servira à accompagner ou à fluidifier les parcours : « Paris accueillera de nombreux visiteurs, dont des étrangers, qui viendront à l’exposition. Or il y a aujourd’hui très peu d’indications en anglais dans la capitale. Comment les visiteurs vont-ils donc naviguer, trouver les lieux, se déplacer dans une ville qu’il n’est évidemment pas question de reconstruire ?
On pourrait aussi passer par l’infrastructure urbaine : bancs publics, parcmètres, abribus, stations de métro où de nombreuses interfaces pourraient servir de points de relais et d’information. Mais ces supports pourraient également servir à organiser des activités plus ludiques, comme des jeux urbains, par exemple ».
Quant aux transports aériens, on pourrait imaginer que l’exposition universelle commence dès que le passager monte à bord. Dès lors que l’on propose un maillage riche de tout le territoire, l’expérience vécue dans les transports devient aussi importante que celle vécue sur les sites de l’exposition. La révolution des transports passe aussi par la manière dont on vit le temps de transport. En 2025, comme l’a confirmé M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du Président directeur général d’Air France, il sera probablement possible d’être connecté durant tout le temps d’un vol, de télécharger des films à partir d’un serveur au sol. Il deviendra ainsi possible de préparer, lors du temps de ce vol, le type de visite de l’exposition que l’on souhaitera effectuer : réserver à l’avance la visite des pavillons, planifier ses déplacements dans les différents lieux de l’exposition, appréhender la réalité enrichie de l’exposition, au travers notamment de compléments d’informations, de visites en 3D, de jeux vidéo.
Comme on l’a vu ci-dessus, le numérique sera précieux pour franchir la barrière des langues, évidemment d’un point de vue pratique, par exemple pour s’orienter, mais également, de façon plus innovante, pour faciliter la communication entre des visiteurs qui, avant l’exposition, ne s’étaient jamais rencontrés.
b. Un moyen de dématérialiser et de simplifier les procédures
Outre les dispositions ludiques, et l’exposition des nouveaux savoirs faire, le numérique facilitera l’organisation matérielle de l’exposition à travers la dématérialisation d’un certain nombre de procédures : e-billet, meilleure signalétique, interconnexion entre les différents lieux, etc…
Le numérique sera également un moyen de régler le problème des files d’attente, problème inhérent aux événements qui mobilisent un nombre important de visiteurs. Grâce à des applications sur les portables ou autres types d’appareil connectés, la gestion des flux de visiteurs sera ainsi facilitée. Le numérique serait également un outil précieux dans le cas d’une exposition multi-sites, notamment pour acquitter les droits d’entrée.
En effet, il faudra mettre en une réflexion approfondie sur les moyens de paiements : un moyen de paiement unique et centralisé serait une avancée considérable.
Il s’agit d’une préoccupation très ancienne, puisque, comme l’a dit M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du BIE, en 1899 déjà, tous les buralistes et tous les bureaux de poste de France menaient une grande campagne de vente de tickets d’entrée à l’exposition universelle prévue un an plus tard, couplés avec des billets de train et des réservations d’hôtels. Cette publicité considérable faisait rêver.
La question de la perception des droits d’accès a été soulevée lors de nombreuses auditions. La mission a posé la question aux responsables des grands monuments parisiens. M. Hervé Barbaret, administrateur général de l’établissement public du Louvre, a rappelé que le Paris Museum pass donnait aujourd’hui accès à plusieurs musées et monuments de Paris et de sa région. M. Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre, serait favorable à un billet unique à un tarif spécifique qui permette d’accéder à la fois à l’exposition universelle et à la grande exposition que le Louvre proposerait à cette occasion.
Interrogé par la mission, M. Jean-François Martins, adjoint à la maire de Paris, chargé des sports et du tourisme, a abordé la question du City Pass : « Notre ambition est de parvenir à mettre en place pour l’Euro 2016 ce pass « tout en un », qui inclurait l’accès aux transports en commun, aux musées, à la tour Eiffel, voire aux bateaux-mouches. La diversité des opérateurs impliqués – l’État pour les musées, la société d’exploitation de la tour Eiffel, la RATP, le STIF et la région – rend l’opération complexe, chacun souhaitant avoir la main sur la gestion du dispositif et avoir le droit d’y apposer son logo. Se pose également la question de la diversité des systèmes d’information et de gestion de clientèle, pour lesquels il faudra trancher entre la norme NFC et la norme Calypso.
L’idéal serait de parvenir à expérimenter une version pilote à l’occasion de la COP21 dès 2015, sachant que nous ne pourrons inclure dans le pass l’ensemble des équipements touristiques du Grand Paris d’ici à 2016. Faire converger les systèmes d’information requiert des investissements lourds que certains établissements ne peuvent faire dans l’immédiat ».
M. Pierre Mongin prévoit également des progrès significatifs dans l’instauration d’un système universel de paiement de la mobilité : « Quant à l’intermodalité, nous sommes plutôt bien placés en matière billettique, puisque nous avons une autorité unique, le STIF. La carte sans contact est d’ailleurs une invention française.
En 2025, notre système aura changé, j’en suis sûr, mais je ne sais pas encore quel il sera. Le smartphone jouera sans doute un rôle important. Mais, sur la norme NFC qui est en train d’émerger, mais qui n’est pas complètement universelle, nous rencontrons de vraies résistances. Il faudrait pourtant agir vite.
Vous savez que le pass Navigo permet déjà l’accès aux réseaux RATP et SNCF, mais aussi à Vélib’. Il faudra aller plus loin, en intégrant Autolib’ mais aussi, par exemple, le covoiturage. L’objectif de disposer, en 2025, d’un système universel de paiement de la mobilité est intéressant et accessible ».
M. Jean-Pierre Bandet, pour Air France, s’est également déclaré favorable à la délivrance d’un pass, tout en soulignant qu’elle était complexe pour des raisons de sûreté : « Cela étant, nous sommes tout à fait ouverts à l’idée de proposer aux visiteurs un abonnement couplé avec des entrées de site – même si le principe demande à être travaillé ».
La spécialiste du numérique, Mme Virginia Cruz, a proposé de « passer par les smartphones et les objets connectés, comme les bracelets, en s’inspirant de l’expérience Disney : lorsque vous réservez votre séjour, vous recevez un bracelet qui vous permet ensuite de naviguer entre les différentes installations. J’observe toutefois qu’il faudra prendre en compte les frais de « roaming (74) », notamment pour les visiteurs non européens ».
Il serait en effet encore plus performant et novateur de réfléchir à un moyen de paiement qui concernerait tous les aspects de l’exposition, en englobant le billet d’avion, les droits d’accès aux différents sites de l’exposition, les transports pour aller de l’un à l’autre et même l’hébergement.
Ce pass unique serait même une condition indispensable à l’organisation d’une exposition polycentrée. L’installation de l’exposition sur un seul site permet habituellement à l’organisateur de négocier directement des forfaits avec les transporteurs et les hôteliers et de s’en remettre, pour les réservations, à leurs sites web. Si l’exposition est multi-sites, il devra probablement s’en remettre à l’expertise et aux ressources humaines des voyagistes.
Des visiteurs qui souhaiteraient établir eux-mêmes, sans la médiation d’un voyagiste, leur trajet de visite des sites et réserver séparément, hors parcours balisé, leurs billets d’entrées sur les sites, les billets de transports de l’un à l’autre et l’hébergement sur place, risquent d’être dissuadés par les démarches à suivre et rebutés par le coût total du séjour.
c. Un moyen de décupler l’information et d’intégrer
Les grands événements sportifs fournissent un excellent exemple de la possibilité de décupler l’information.
Pour M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury sport organisation (ASO) et directeur du Tour de France, « le Tour est une invention des médias… Il doit être encore en phase aujourd’hui avec les moyens de son époque, sinon il cesserait d’exister en tant que tel. Les réseaux sociaux sont à nos yeux essentiels. Dans une dizaine de jours, nous allons d’ailleurs annoncer pour la première fois une étape du Tour par leur biais. Nous les utilisons aussi pour la sécurité… Si la télévision reste le média dominant, le deuxième écran
– celui des téléphones mobiles – peu développé jusqu’ici, est essentiel… Le deuxième écran permettra de fournir toutes les informations techniques qu’un passionné de vélo cherche à connaître, ainsi que des informations annexes, sur l’hébergement par exemple ».
M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis (FFT) attend également beaucoup des nouvelles technologies : « Nous nous sommes demandé ce que Roland Garros offrirait en 2020. Le développement du numérique va apporter un vrai bouleversement. Nous avons été précurseurs, puisque depuis 2 ou 3 ans, nous avons institué un e-billet. Notre modèle va complètement changer. Il faudra connecter notre stade : de son siège du cours central, le spectateur pourra sur son téléphone portable revoir un point, commander de la nourriture, choisir de voir un cours plutôt qu’un autre car il s’intéresse à un joueur en particulier, nous pourrions identifier un visiteur et lui donner les informations qu’il attend étant donné son profil. Cela devra être une expérience à la fois tangible, car la French touch doit demeurer et cela doit pouvoir rester une journée familiale, mais aussi intangible. Le problème est que nous serons inondés de contenus… Tout le contenu vidéo sera archivé depuis 1928. Pour l’exposition universelle, on pourrait identifier les gens qui viendraient, les traiter en amont, leur fournir du contenu pendant l’expo et les remercier ensuite d’avoir participé ».
Ce bouleversement aura des répercussions économiques, notamment sur le rôle et les droits des chaînes de télévision : « Cela induira un changement du business model, mais ce sera une opportunité. Il faudra diversifier les sources de revenus, en trouver d’autres, faire preuve de créativité, penser au niveau mondial et global, s’adresser, par exemple, aux Chinois et aux Indiens, alors que c’est encore peu le cas, grâce à une application spécifique ».
M. Jacques Lambert, président du comité de pilotage de l’Euro 2016 de football, a également relevé les modifications économiques induites par le développement rapide des infrastructures numériques : « l’émergence du numérique a augmenté significativement les coûts d’un certain nombre de postes budgétaires de l’organisation, notamment parce qu’il nous oblige à mettre en place dans et autour des stades des capacités d’accès au réseau beaucoup plus importantes que celles qui existaient auparavant. Cela vaut pour nous, organisateurs temporaires, mais plus encore pour les utilisateurs quotidiens des stades que sont les clubs.
Les événements de portée internationale augmentent la part de spectateurs et de supporters étrangers. Ainsi, pour l’Euro 2016, nous savons, grâce au mode de distribution des billets par l’UEFA, que la part des spectateurs étrangers qui empliront les stades sera comprise entre 40 et 45 % de leur capacité totale. Sachant que l’UEFA réserve 20 % de la capacité du stade pour chacune des deux équipes, le reste de la billetterie grand public est vendu par Internet, avec un accès libre aux ressortissants du monde entier.
L’augmentation considérable du trafic – appels téléphoniques, échanges de données, photographies – pose d’importants problèmes. Entre la rédaction en 2008 du cahier des charges de l’UEFA et l’érection des stades de l’Euro 2016 est apparu un problème qui n’était connu que d’un petit nombre de spécialistes des télécommunications, à savoir l’incompatibilité de certaines normes électroniques qui a pour conséquence, lors des pointes de trafic, de perturber la transmission des matchs. Compte tenu des prix auxquels se négocient les droits de télévision, c’est une chose que personne ne peut se permettre. Pour y remédier, il faut adapter les circuits et les réseaux existants dans les stades, y compris les stades les plus récents comme ceux de Lille, de Nice ou de Lyon. Cette difficulté illustre la rapidité avec laquelle évolue le numérique.
Pour ce qui est de notre capacité à répondre à l’évolution du numérique et aux besoins des spectateurs de demain, je n’ai jamais rencontré la moindre inquiétude, mais j’ai beaucoup de mal à imaginer ce que sera réellement la demande ».
Enfin, nul doute que le numérique aura un effet intégrateur et permettra de ne laisser personne sur le chemin, plus en 2025 que maintenant ; il faudra, en effet, réfléchir à l’accès à toutes les composantes de l’exposition universelle aux handicapés, et, notamment, aux malvoyants et malentendants.
d. Un fleuron de l’économie française
Même si le numérique n’est pas un secteur en soi, et ne peut pas être « montré » dans une exposition universelle, comme l’ont dit les spécialistes, il pèse tout même un réel poids dans l’économie française, et l’exposition universelle sera l’occasion de faire connaître nos innovations en ce domaine.
« Il se trouve néanmoins que par les hasards du génie français, nous sommes assez compétents dans ce que l’on appelle « l’internet des objets », les objets connectés », a estimé M. Jean-Louis Fréchin ; l’exposition universelle « est la possibilité de montrer ce qu’est aujourd’hui le patrimoine de la France en matière de jeux vidéo ; nous avons une histoire particulièrement riche, nous avons des grands noms de l’histoire du jeu vidéo, et la France est aujourd’hui une des places fortes du jeu vidéo mondial », a ajouté M. Emmanuel Martin. Mme Virginia Cruz a renchéri : « un des buts de la manifestation est aussi de créer du business. On pourrait tirer parti de la rencontre d’investisseurs venant de l’étranger et de personnes d’ici, qui ont des idées... Comment faire en sorte que l’exposition universelle offre un cadre facilitant rencontres, partenariat ou créations d’entreprises ? ».
Mme Claude Revel a également insisté sur la bonne réputation du secteur numérique français : « Si nous n’avons pas encore mesuré notre influence sur le numérique, d’après ce que je vois, nous sommes considérés par les experts de ce domaine comme des producteurs d’idées, en avance. Mais nous devons être davantage présents sur la production de normes : tous les jours, de nouveaux services sont en effet offerts sur les smartphones ou autres supports numériques. Cette production se fait par des standards de fait ou des organismes de standardisation, la plupart du temps basés aux États-Unis. Les autres le sont souvent en France, ce qui est un très bon signe. Une partie de la gouvernance d’Internet est ainsi basée à Sophia Antipolis – outil d’influence que l’on n’utilise pas du tout d’ailleurs.
Nous devons donc mobiliser les expertises. D’autant que nous en avons aussi une à apporter sur le cadrage juridique du numérique, qui est à la croisée d’approches différentes, sur les droits d’auteur, la propriété industrielle, le secret des affaires ou la protection des données. Il y a une demande dans ce domaine à l’heure actuelle, où prévaut la vision anglo-saxonne.
Si nous arrivons à montrer que nous dominons le numérique, que nous sommes capables de mettre en place des instruments et des projets fondés sur celui-ci, nous serons d’autant plus crédibles pour aller défendre ensuite des règles de propriété intellectuelle qui nous sont favorables, qu’il s’agisse de la protection des données personnelles ou économiques ».
Comme l’a souligné M. Xavier Darcos, « Quand on visite les studios d’animation Pixar, il n’est pas nécessaire de parler américain : tous les dessinateurs sont français et tous ont été formés en France ».
M. Jean-Paul Huchon a également mis l’accent sur les avancées de la région Île-de-France dans ce domaine. Parmi les secteurs stratégiques qui pourraient servir de relais de croissance, la filière de l’audiovisuel et du numérique lui paraît s’imposer. Les aides de la région, en général réparties dans les zones qui sont le plus en difficulté, ont un effet de rééquilibrage intéressant à l’est et au nord ; des entreprises brillantes utilisant les nouvelles techniques numériques sont par exemple situées à Saint-Denis, à La Courneuve. Quant à la 11e Coupe du monde de jeux vidéo, elle se tient à Paris.
3. La mise en œuvre de la révolution digitale dans un nouveau projet : Europa City
La mission a reçu les promoteurs du projet Europa City, nouveau quartier du Grand Paris à l’échéance de 2025, la même, donc, que celle de l’exposition universelle (bien que l’ouverture commence à partir de 2020)
Ce projet, porté par le groupe Auchan, et localisé au sein de l’Île-de-France, directement relié à la future station de la ligne 17, consiste en « un alliage original de fonctions culturelles, commerciales de loisirs et hôtelières ».
Ses objectifs sont triples : proposer une offre répondant aux nouveaux modes de vie, accompagner le développement économique en renforçant l’attractivité du territoire et créer un équipement de dimension métropolitaine et de visibilité internationale.
Il est apparu aux promoteurs du projet que la révolution digitale a fait émerger une nouvelle donne en changeant les individus « en leur conférant une nouvelle façon de se penser », selon Mme Sophie Delcourt, directrice du marketing et des partenariats d’Europa City. « Armés de ces outils, les individus ont l’impression de pouvoir prendre le pouvoir – d’en avoir à la fois la légitimité, la capacité et la puissance. Les individus se sentent le droit et la compétence de le faire et savent que seuls, ou organisés en réseau, ils ont la possibilité de s’emparer de l’ensemble des domaines de la vie qui les intéresse, de manière à la fois exhaustive et éclectique, de s’organiser, de faire entendre leur voix et, à leur échelle, de faire changer les choses. Le deuxième élément que modifie cette révolution digitale, c’est notre besoin d’être ensemble : nos vies sont digitalisées, numérisées, codées. Nous avons donc de plus en plus besoin d’assouvir notre besoin fondamental d’être humain – celui d’être ensemble, de sentir la proximité, la créativité et l’empathie, de réinvestir autour de nous ce qui est matériel et tangible et de cesser de vivre cette existence virtuelle ne répondant pas à nos besoins d’avant la technologie ».
Cette nouvelle conception est amplifiée par le fait que le développement du temps libre donne envie de l’enrichir au maximum. De ces diverses évolutions découle la naissance de l’ « économie expérientielle » – n’oublions pas que les étudiants, lors de la présentation de leur projet d’exposition universelle à la mission, avaient qualifié les visiteurs d’ « expérienceurs ». Pour Mme Sophie Delcourt, le consommateur devient « co-auteur ».
Parallèlement les marques changent : auparavant, elles produisaient des biens et services, alors que dorénavant, elles deviennent des medias, des « émetteurs de contenus, de narrations, de sensations, de créations de liens et d’événements qui sont tous gratuits. Les marques offrent une expérience pour pouvoir ensuite monétiser les biens et services ». Ces nouvelles approches remettent en cause la notion de magasin physique, qui est voué à devenir « un lieu de rencontre ».
Ce nouveau projet se distingue, d’après ses promoteurs, du « fun shopping » évoqué par M. Dominique Hummel lors de son audition, qui n’est qu’une rustine : on se contente de rajouter une touche d’ « expérimentiel » et d’amusement. Il est également différent des parcs de loisirs, tels Disneyland Paris, qui relèvent du « monde d’avant » : « Europa City est un modèle du monde digital que nous allons placer dans le monde physique : lorsque vous ouvrez votre tablette ou votre téléphone, une diversité d’icônes s’affiche sur votre écran d’accueil, correspondant à la diversité de vos centres d’intérêt. Europa City constitue une façon de placer cet écran d’accueil dans le réel et, donc, d’y ajouter cette touche inestimable nous permettant de vivre tous nos centres d’intérêt avec les autres et dans le monde physique. Cela reste différent de l’expérience, aussi augmentée soit-elle, que peut nous offrir le virtuel. Disneyland Paris correspond à un modèle plus ancien proposant une unicité d’expériences. Quoi que vous fassiez à Disneyland Paris, vous faites ce qui a été prévu pour vous. Europa City propose une multiplicité d’expériences qui partent de vous en tant qu’individu : vous pouvez vous rendre trois fois dans l’année à Europa City et y effectuer à chaque fois trois activités complètement différentes. À l’inverse, vous ne ferez qu’une seule expérience à Disneyland Paris. Je pense donc en effet que ce parc d’attractions répond à un modèle ancien ».
Ce nouveau modèle séduisant, pourrait également venir en support de l’exposition universelle.
B. LA RÉUTILISATION OU LA CONSTRUCTION D’IMMEUBLES
Le projet d’exposition proposé par M. Jean-Christophe Fromantin est original et séduisant parce qu’il associe l’utilisation de sites déjà construits à la mise en valeur du réseau à venir du Grand Paris-Express. L’installation de l’exposition sur la métropole du Grand Paris est envisagée selon plusieurs modalités :
1° Des bâtiments, anciens ou récents, remarquables par leur architecture ou leur histoire et déjà ouverts au public, pourraient abriter un pavillon léger qui se glisserait dans des locaux mis à sa disposition ;
2° Des sites en plein air, très fréquentés par les touristes, aux abords de monuments ou dans un paysage célèbre, pourraient se prêter à des spectacles grand public ou recevoir des rencontres thématiques ;
3° L’exposition pourrait inaugurer les infrastructures déjà prévues et budgétées par le programme de développement du Grand Paris-Express. Leur dessin pourrait être enrichi par l’organisateur de la manifestation ou par les concessionnaires eux-mêmes ;
4° Quelques emprises libérées ou des bâtiments patrimoniaux en déshérence, distribués par le nouveau réseau de transport, pourraient être reconvertis par des gestes architecturaux mémorables et garder le souvenir de l’exposition.
L’attrait touristique, patrimonial ou urbanistique des sites réunis par l’exposition devrait valoriser les sections nationales invitées tout en dispensant la plupart d’entre elles de bâtir à leurs frais des pavillons neufs. Pour l’organisateur, les surcoûts éventuels seraient compensés par des économies réalisées sur le bâti et par une forte fréquentation des sites, rendue possible par leur dispersion.
Ce projet a suscité une approbation unanime de la part des personnalités entendues par la mission d’information. Ils ont salué l’ambition de prouver que les expositions internationales pouvaient s’adapter à l’évolution des métropoles dans des pays déjà fortement urbanisés, sans que l’attrait du public ne faiblisse, ni que l’équilibre financier de la manifestation ne s’en ressente.
Selon M. Jean-Louis Missika : « L’heure n’est plus aux mégaprojets, l’Exposition universelle de Shanghai restant, de ce point de vue, indépassable. L’heure n’est plus aux palaces éphémères, et nous devons tirer les leçons des expériences passées, éviter les erreurs de certaines villes qui n’ont pas su réutiliser les infrastructures créées pour l’occasion au profit de leurs habitants, ne leur léguant que des déficits », à qui M. Jean-Paul Huchon a répondu, comme en écho : « L’heure n’est probablement plus aux projets pharaoniques, à l’alignement de pavillons nationaux ou à la création d’infrastructures dans des lieux à la reconversion toujours problématique ».
Après l’étude des principes généraux d’organisation, la mission d’information s’est intéressée aux conditions pratiques du partage entre la réalisation de constructions éphémères ou de réhabilitations durables, par les sections nationales qui le souhaiteront et l’utilisation temporaire de bâtiments actuellement ouverts au public par les autres sections et pour des conférences thématiques.
La mission a réuni, sur le premier thème, une table ronde d’architectes et d’urbanistes impliqués dans la réalisation du Grand Paris-Express. Elle a en outre entendu, à propos de l’utilisation de bâtiments patrimoniaux, parfois hérités des précédentes expositions, des représentants de leurs exploitants.
1. La réutilisation de bâtiments patrimoniaux existants
M. Jean-Christophe Fromantin a décrit à M. Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, son projet dans les termes suivants :
« Vous le savez, notre projet d’exposition universelle ne repose pas sur la construction de pavillons, comme cela a été le cas de Shanghai ou sera le cas de Milan l’année prochaine ou, probablement, celui de Dubaï en 2020, mais a pour objectif de revisiter le patrimoine existant. Les pays visiteurs seront invités à occuper des éléments du patrimoine historique ou contemporain, à Paris même et dans le cadre du Grand Paris.
« Deux types de monuments entreraient dans ce projet : les monuments anciens, notamment ceux qui sont les témoins des expositions universelles du XIXe siècle, et des monuments contemporains, je pense notamment à la cinquantaine de gares prévues du Grand Paris, qui pourraient accueillir des pavillons et des animations. »
S’agissant des édifices patrimoniaux, M. Philippe Bélaval a tenu à rappeler que : « Ces monuments font par ailleurs d’ores et déjà l’objet, pour la plupart d’entre eux, d’un usage, notamment culturel, et on ne va pas démeubler Versailles pour y installer un pavillon de l’exposition universelle. Une contradiction entre les deux usages risque donc de surgir indépendamment même de la question, subalterne, du dédommagement de l’établissement qui tire ses recettes de ses visiteurs…
« Le public de ce type de manifestation attend des prestations en termes d’accueil. Outre son coût, cette adaptation devra également respecter la législation patrimoniale. Comment insérer la modernité au sein des châteaux de Versailles, de Fontainebleau ou de Vincennes ? Faudra-t-il cacher provisoirement certains éléments historiques, voire les déplacer ou les démonter ? Comment le faire dans le respect de la législation des monuments historiques ? »
La réglementation qui protège les monuments ou sites classés imposerait des obligations au maître d’œuvre d’un pavillon telles qu’elle pourrait perturber les relations entre la puissance invitée et l’organisateur de l’exposition.
C’est pourquoi le projet de loi sur l’Exposition universelle de 1989 avait prévu de suspendre l’application de la législation sur la protection des monuments historiques, des monuments naturels et des sites le temps de la tenue de l’exposition et dans les limites de ses enceintes.
Le texte permettait de mettre fin aux baux et conventions des exploitants des édifices convoités sis sur les domaines publics et privés de l’État et des autres collectivités concernées. Une indemnité d’éviction, négociée à l’amiable ou fixée selon une procédure analogue à celle de l’expropriation pour cause d’utilité publique, devait être versée à l’exploitant évincé. Mais comme l’a souligné M. Philippe Belaval, de telles exemptions pourraient rencontrer des oppositions et susciter des réactions hostiles :
« Faire côtoyer les architectures contemporaine et patrimoniale n’est pas une idée majoritairement partagée par nos concitoyens. Rien ne s’y oppose, notamment au plan législatif, surtout si l’édifice doit être éphémère : les marges de manœuvre sont alors plus importantes que si l’appendice est définitif…
« Je déconseillerais toutefois d’adopter une législation ad hoc, dérogatoire à la législation patrimoniale existante, le goût de la majorité des acteurs pour le patrimoine étant relativement conservateur et régalien. Tout ce qui pourrait apparaître, à tort ou à raison, comme une tentative d’abaisser les protections afin de favoriser l’entrée des grands groupes risquerait de rompre l’unanimité entourant la question du patrimoine… »
« Si je suis intéressé non seulement par le principe d’une exposition universelle, mais également par une démarche de réemploi, je pense toutefois que, sauf exception, il ne faudra pas chercher à inscrire cette démarche dans des lieux véritablement patrimoniaux…
« Certes, des parties de ces monuments sont parfois moins utilisées que d’autres : il conviendrait de les recenser de manière fine. Il serait en revanche dommage, pour attirer du public à l’exposition universelle, de fermer des éléments du patrimoine que ce même public souhaitera visiter à la faveur de son séjour en France. Il faudra dépasser cette contradiction…
Pour ne pas être évincés, les exploitants pourraient prêter ou louer des parties délaissées ou des annexes de leurs monuments à l’organisateur de l’exposition. Il n’est cependant pas habituel que les subdélégations des droits réels sur le domaine public durent près d’un an. Il serait juridiquement délicat qu’en l’absence d’une exemption législative, elles autorisent l’organisateur et ses concessionnaires à aménager les lieux à leur guise.
Si les restrictions posées à cet aménagement et les contraintes de maintenance des installations et de préservation ou de remise en état des locaux pouvaient être négociées, ouvrir cette négociation aux puissances invitées retarderait l’attribution des concessions aux sections nationales et provoquer des embarras diplomatiques. Mieux vaudrait que l’organisateur de l’exposition la conduise seul dès le dépôt de la candidature de la France avant d’en proposer le tiers bénéfice aux concessionnaires après le vote du BIE.
Que l’exploitant soit évincé ou subrogé temporairement dans ses droits par l’organisateur de l’exposition, la reprise par ce dernier ou mise à sa disposition des personnels qui entretiennent, surveillent et accompagnent les visiteurs du site à l’année, pour le compte de l’exploitant, devra également être envisagée pour éviter des contentieux juridiques s’agissant d’employés sous statut ou de prestataires sous contrats collectifs.
Quoi qu’il en soit, ces difficultés, pour réelles qu’elles soient, pourraient être surmontées : elles seraient infiniment moins dommageables que les « ruines » qui restent souvent après une exposition universelle où les pavillons construits pour l’évènement sont ensuite, dans de nombreux cas, laissés à l’abandon.
Ces difficultés juridiques levées, il faudrait aussi que les monuments convoités par l’organisateur puissent être mis à sa disposition. M. Jean-Louis Missika, a confirmé devant la mission que : « La proposition soutenue par Jean-Christophe Fromantin, consistant à substituer à l’organisation traditionnelle en pavillons une répartition plus large des animations sur le territoire, une utilisation du patrimoine existant et une mise en valeur des grands sites urbains nous convient parfaitement. »
« Nous avons parlé d’un projet sobre et intelligent. Dans cette perspective, Paris est naturellement disposé à mettre à disposition un certain nombre de ses grands monuments, au premier rang desquels la tour Eiffel ; c’est un patrimoine dont nous sommes fiers, que nous avons envie de partager et qui offre d’importantes capacités d’accueil pour le public et les expositions. Je rappelle cependant qu’une grande partie de ces monuments dépend de l’État, dont nous attendons en conséquence des engagements fermes ».
Ces monuments célèbres, déjà ouverts au public, devraient en outre recevoir un surcroît de public compte tenu de l’affluence prévisible sur les lieux d’une exposition organisée à Paris. La mission a interrogé, à ce propos, les exploitants de trois monuments parmi les plus célèbres de Paris, le Grand Palais, le Louvre et la tour Eiffel sur les conditions de leur participation à l’exposition.
Leur audition a permis d’envisager l’accès aux pavillons de l’exposition en parallèle ou en remplacement des visites habituelles du lieu, compte tenu des limites de fréquentations imposées à des établissements recevant du public, pour évaluer la fréquentation de l’exposition à l’aune de celle de ces monuments.
Pour les monuments les plus célèbres, il sera difficile de garantir aux dizaines de millions de visiteurs de l’exposition l’accès aux sites les plus convoités à moins de mettre en place des systèmes de réservation préalable, qui feront des déçus, afin de ne pas laisser se reformer les files d’attentes habituelles de grandes expositions internationales, que le projet d’exposition éclatée devait éviter.
M. Jean-Luc Martinez, président-directeur de l’établissement public du Louvre, a expliqué que le musée du Louvre avait toute sa place dans un projet d’exposition universelle tant au nom de l’histoire, que par son caractère hors norme et son rayonnement culturel international.
Il a en effet un prestige et un pouvoir d’attraction inégalé : « En 2014, il franchira pour la troisième année consécutive le cap des neuf millions de visiteurs annuels – 9,7 millions en 2012, année de l’ouverture du département des arts de l’Islam, et 9,3 millions l’année dernière – alors qu’au début des années 1980, il en accueillait moins de trois millions. Sa fréquentation a donc été multipliée par trois en trente ans. Nous regardons nous-mêmes ce phénomène avec stupéfaction car aucun musée n’atteint ce niveau d’affluence qui nous rapproche de certains monuments historiques à forte fréquentation touristique, comme la tour Eiffel ou Notre-Dame de Paris...
Nous avons d’ores et déjà pris acte que nous ne pouvions plus accueillir correctement nos neuf millions de visiteurs annuels, sachant que d’ici à quelques années nous en recevrons sans doute dix à douze millions. Un projet d’investissement visant à rénover les infrastructures du musée – billetterie, bagagerie, restauration des visiteurs, toilettes… – est donc engagé depuis le début du mois, et doit s’achever en avril 2016.
« Ce projet « Pyramide » est financé pour 57 millions d’euros grâce à la licence de marque du Louvre Abou Dabi, ce qui me permet, au passage, d’affirmer que cette coopération est une chance pour le Louvre. Malgré les efforts entrepris, il est inévitable de rencontrer un seuil de saturation qui est atteint si nous recevons trente-cinq mille ou cinquante mille visiteurs par jour. C’est la raison pour laquelle nous conseillons de limiter la participation du musée en 2025 à un projet d’exposition », ajoutant que cette exposition pourrait être « exceptionnelle par sa durée et par son ambition, sur un sujet qui reste à déterminer. »
M. Hervé Barbaret, administrateur général de l’établissement public du Louvre, a ajouté qu’une « affluence de quarante mille visiteurs par jour constituant pour le Louvre un seuil de saturation, le musée ne sera en mesure d’accueillir durant les cent quatre-vingts jours de l’exposition qu’un maximum de 7,2 millions de visiteurs, en imaginant qu’il reste ouvert sept jours sur sept. Il faut donc avoir conscience que le Louvre ne pourra recevoir qu’une fraction des cinquante à quatre-vingts millions de personnes attendues pour l’exposition universelle, et ne pas créer une attente que nous serions incapables de satisfaire. Une offre spécifique dans le cadre d’une exposition permettrait peut-être grâce à une fluidité accrue d’accueillir un public plus nombreux. »
Pour M. Jean-Paul Cluzel, président de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP), « l’idée de centrer l’exposition universelle sur le patrimoine existant et de le mettre en valeur est plaisante. La seule limitation qui s’impose à nous vous a été dite par mes collègues Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre et Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux : nous accueillons déjà un public fort nombreux et, à installations égales, le supplément de visiteurs que nous pourrions recevoir n’est pas très élevé…
« Si le Gouvernement avalise le projet de modernisation du Grand Palais et de réaménagement urbain de l’espace environnant, notre capacité moyenne d’accueil du public passera de plus de 12 000 à quelque 20 000 personnes. Selon les expositions, le Grand Palais et le Palais de la découverte reçoivent entre 2 et 3 millions de visiteurs ; nous pourrions alors en recevoir entre 4 et 5 millions, mais notre marge de progression ne va pas au-delà. »
Aux limites de saturation des sites s’ajoutent les contraintes techniques posées par la réservation à l’avance des visites, indispensable pour éviter la formation des files d’attentes de plusieurs heures qui ont été observées à Shanghai. Cette réservation suppose une réunion des billetteries de chaque monument et de chaque site de l’exposition par une opération sophistiquée qui devra faire l’objet d’une étude appropriée.
M. Jean-Christophe Fromantin a interrogé M. Éric Spitz, directeur général de la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE), M. Jean-Paul Cluzel, président de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (Rmn-GP) et M. Hervé Barbaret, pour savoir si un couplage des billets d’accès au Louvre et à la tour Eiffel avait déjà été expérimenté, qui pourrait servir de modèle au billet d’entrée de l’exposition.
M. Éric Spitz a tout d’abord lui aussi souligné que le projet avait sa faveur : « parce que la Tour Eiffel a été au centre de toutes les expositions universelles qui se sont déroulées dans la capitale depuis 1889, le directeur général de Société d’exploitation de la tour Eiffel que je suis ne peut qu’être enthousiaste à l’idée que cette expérience se reproduise en 2025… La tour Eiffel a été à la racine du progrès hier ; tout concourt à ce qu’on lui donne aujourd’hui les ailes qui la projetteront dans l’avenir… La tour Eiffel a aussi toute sa place dans une exposition universelle parce qu’elle est d’abord une porte ouverte sur le monde. Ses visiteurs proviennent à 86 % de l’étranger. Elle symbolise la France entière plus encore que Paris, et il suffit de voyager pour constater son prestige ».
Concernant les billets d’accès, il a répondu que : « L’office du tourisme de Paris propose actuellement des billets donnant accès à plusieurs sites, mais la tour Eiffel n’en fait pas partie. M. Jean-François Martins évoquait devant vous le 4 juin dernier la création d’un City pass « tout en un » qui pourrait être mis en place dès l’Euro 2016. La Tour Eiffel ne peut accueillir simultanément qu’un nombre relativement limité de visiteurs.
Cela est d’autant plus vrai que nous sommes totalement tributaires des moyens d’ascension. Tous les visiteurs doivent emprunter les ascenseurs qui ne peuvent acheminer qu’un nombre restreint de personnes par tranche horaire. La programmation indispensable des visites rend difficile l’intégration du monument à un City pass car nous devons impérativement maîtriser le nombre de billets vendus et les horaires d’accès – cela est d’autant plus difficile que certains ascenseurs restent parfois en panne pendant plusieurs jours. »
En revanche, M. Jean-Paul Cluzel a espéré que d’ici 2025, un Pass unique, ait pu être conçu qui fixerait un prix d’accès unique à tous les sites. Les recettes seraient ensuite réparties « au prorata des visiteurs reçus et des coûts engagés par chaque institution. L’autre solution, consistant à prévoir un billet pour chaque site en co-production avec l’organisme gestionnaire de l’exposition universelle, ne me paraît pas correspondre à l’esprit d’un tel événement ; la fragmentation de l’exposition impose au contraire un Pass général. »
M. Hervé Barbaret a reconnu que : « durant les cent quatre-vingts jours de l’exposition universelle, nous serons inévitablement confrontés à une inadéquation entre l’offre et la demande car une partie non négligeable des cinquante à quatre-vingts millions de visiteurs voudra avoir accès au Louvre ou à la tour Eiffel ce qui sera impossible.
« Une inadéquation entre l’offre et la demande ne se résout que par deux moyens : le prix ou la pénurie, c’est-à-dire la file d’attente ou le « service non rendu ». Je n’apporte pas de réponse, mais il me paraît clair que l’inadéquation évoquée nécessite une réflexion sur la tarification qui pourrait par exemple être modifiée pour la période de l’Expo tant que la gratuité est maintenue pour les publics ciblés. »
Si les visites des monuments indépendamment de l’exposition devaient être suspendues pendant les six mois de sa tenue ou si les recettes d’entrée devaient aller au BIE et à l’organisateur de l’exposition plutôt qu’à l’exploitant du site, une indemnisation de ce dernier pour le préjudice éventuellement subi devra être envisagée.
Les collections numériques des grands établissements culturels
pourraient avoir toute leur place lors de l’exposition,
même si le numérique ne peut remplacer la découverte de visu des œuvres
Contribution écrite de Mme Agnès Saal
Présidente-directrice générale de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), auparavant directrice générale de la BNF, puis du Centre Pompidou
(architecte du projet « Centre Pompidou virtuel »)
Le numérique représente assurément une nouvelle frontière pour les institutions culturelles de même que pour les entreprises de l’audiovisuel, à la fois chance et danger.
Atout puisque puissant instrument de diffusion des contenus, d’une richesse et d’une diversité extrême que chaque institution est chargée de conserver, enrichir, produire, à destination du plus grand nombre.
Atout aussi car levier de la modernisation interne, fédérateur d’équipes autour d’un enjeu transverse qui mobilise les énergies et les compétences, moyen d’accomplir au plus haut degré la mission de service public qui légitime l’existence de chacune de ces institutions et les moyens mis à sa disposition.
Atout car moyen de valoriser l’aptitude de ces établissements (musée, bibliothèque, opéra, théâtre, archives...) à maîtriser le vrac et à organiser les fonds qu’ils détiennent en parcours de sens, qui rendent intelligible et intelligente l’abondance des contenus mis en ligne, documentés, ordonnés, mis en perspective, et surmontant ainsi le risque de l’indifférence a-t-on.
Danger car l’éparpillement des sources, la tentation de leur valorisation solitaire par chaque opérateur, peu ou mal armé pour assurer la pérennité et la visibilité des fonds numérisés, exposent à un double risque : celui d’une dispersion, voire d’une disparition au sein de millions de sites portés par des promoteurs dont la puissance de feu et l’attractivité sont bien supérieures.
Danger car l’insuffisance des moyens publics et l’absence de pôle central fédérateur peut inciter l’un ou l’autre des acteurs culturels (publics ou privés) à céder à la tentation d’abandonner leurs fonds aux GAFA (75), dont la puissance économique autorise à consentir les investissements de départ, même si la rentabilité n’est pas immédiate. Leur intérêt, évident, consiste bien à contrôler les œuvres, les documents, les programmes, les fonds, les plus nombreux et les plus diversifiés qui dotera leurs plate-formes d’une incomparable attractivité.
La multiplication inédite de supports, de modes de proposition des contenus, l’innovation technologique permanente, l’évolution accélérée des usages et des attentes des consommateurs-usagers obligent, avec un volontarisme sans faille et sans plus tarder, à redoubler d’efforts : les établissements doivent aller bien au-delà de l’acte technique de la numérisation. L’éditorialisation accrue, l’invention de nouveaux formats, l’effort d’adressage et de partage des contenus avec le plus large public, la maîtrise des techniques de recommandation sont autant d’impératifs pour demain.
Pour y parvenir, je suis persuadée que la fédération de la multitude d’institutions concernées, dans le domaine du patrimoine, des arts vivants, de l’audiovisuel et du transmédia, autour d’un petit nombre de "champions" nationaux, puissants, expérimentés et organisés, soucieux d’une diffusion juridiquement sécurisée et accessible, s’impose.
La BnF, l’Ina sont incontestablement aptes à jouer ce rôle.
Mais il ne faut plus attendre.
2. La valorisation des abords des monuments
Le choix original du projet d’exposition de réutiliser des bâtiments existants pourrait être complété par la valorisation des abords des monuments.
M. Philippe Bélaval a proposé à la mission d’installer les pavillons non pas à l’intérieur mais aux abords des bâtiments célèbres, de telle sorte qu’ils puissent se mettre mutuellement en valeur et se partager la foule des visiteurs sans confondre les files d’attentes et les billetteries et sans imposer à la puissance invitée sur place des contraintes matérielles excessives dans l’aménagement de sa représentation.
Des pavillons légers, installés aux abords plutôt qu’à l’intérieur des sites célèbres pourraient être animés et mis en scène par des projections, visibles par un public nombreux, qui les uniraient aux façades monumentales des bâtiments voisins.
Selon M. Jean-Luc Martinez : « Les façades du Louvre ont déjà servi de support à une installation éphémère, œuvre d’une artiste vidéaste américaine, Jenny Holzer. Ce type de manifestation a un très fort potentiel d’attraction et permet d’accueillir un public bien plus nombreux que dans les salles du musée.
« Des projections extérieures nocturnes animeraient le domaine du musée Louvre qui comprend la place de la Pyramide et la Cour carrée. Les jardins de Tuileries, entre l’Arc de triomphe du Carrousel et la place de la Concorde, se prêtent également à des animations éphémères qui feraient intervenir des artistes contemporains. »
M. Éric Spitz a expliqué que : « La tour Eiffel est traditionnellement un support pour présenter des grands événements… Quant au Champ-de-Mars, il est depuis longtemps le lieu d’animations éphémères. Je rappelle que la fameuse Galerie des Machines y fut construite à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889 en même temps que la tour Eiffel.
« La tour Eiffel constituerait un lieu idéal pour des animations extérieures. La Ville de Paris souhaite d’ailleurs renouveler le scintillement qui se produit actuellement toutes les heures. La technologie qui a évolué permettra de construire des architectures lumineuses sophistiquées avec des dessins, des couleurs… »
M. Jean-Paul Cluzel a rappelé qu’il y aurait « une difficulté à envisager un événement durant six mois sous la nef en évinçant notre clientèle habituelle ; mais pour tous les autres lieux du bâtiment, le problème ne se pose pas. Il y aurait donc des restrictions à son utilisation, mais je ne verrais que des avantages à organiser sous la nef, quand le calendrier le permet, des événements majeurs, puisqu’elle permet le déroulement de manifestations d’une certaine ampleur dans une ambiance bien différente de celle d’un grand stade…
« On peut aussi imaginer des projections sur l’immense façade du Grand Palais, comme cela a été fait lors de la présidence française de l’Union européenne. On peut encore envisager installations artistiques et spectacles vivants sur la nouvelle esplanade, dans l’espace situé entre le Grand et le Petit Palais, entre les galeries nationales et les Champs-Élysées, ainsi qu’aux alentours des berges de la Seine, sur le Cours la Reine, l’esplanade des Invalides et le Champs de Mars. »
3. L’utilisation de bâtiments existants modifierait le contenu de l’exposition
Par le passé, c’est, comme l’a souligné M. Sylvain Ageorges, la trace architecturale qui symbolise l’exposition universelle. Qu’il s’agisse de l’Atomium, de la Tour du soleil ou du Pavillon chinois, c’est l’architecture qui importe.
Par ailleurs, M. Jean-Pierre Lafon a mis en garde la mission : « les pays, comme les hommes, ont un ego. Ils veulent construire eux-mêmes leur pavillon. »
Toutefois, les pays invités ayant l’intention de financer eux-mêmes leur représentation pourraient espérer ou faire en sorte de dépenser moins en aménageant un bâti existant ou en élevant un pavillon léger plutôt qu’une construction neuve durable.
Pour M. José Frèches, il faut « que le coût de la participation des États à cette exposition universelle ne soit pas exorbitant si on veut que le plus grand nombre de pays possible y soient représentés. Je pense que c’est sur ce point qu’il faudra savoir être innovant. On pourrait imaginer des pavillons plus légers. Cela ne veut pas nécessairement dire démontables, les bâtiments démontables coûtant en réalité plus cher. »
En outre, comme l’a justement fait remarquer M. Dominique Hummel, « l’utilisation de bâtiments existant au préalable ou d’espaces déjà aménagés conduira à une réduction du « ticket d’entrée » immobilier et permettra aux exposants d’investir davantage dans l’expérience de visite et dans le contenu. Il est possible de renouer avec la promesse historique des expositions universelles et avec le sens qu’elles ont pris dans l’histoire du monde. Elles racontent en effet que vivre ensemble sur la même planète, ce n’est pas seulement affronter les mêmes catastrophes, c’est aussi partager les mêmes rêves. Le thème retenu ne devra donc pas nécessairement être technologique, il se fondera plutôt sur l’idée d’un nouvel optimisme, afin que chaque pays puisse montrer à sa manière ce qu’il peut apporter et ce que le temps peut promettre ».
Ce serait donc une réelle rupture avec les expositions précédentes, car, « depuis quinze ans, la principale prouesse des expositions universelles n’est plus à l’intérieur des pavillons, mais à l’extérieur ; elle ne réside plus dans le contenu de ce qui y est présenté, mais dans la présentation elle-même » et de déplorer qu’aujourd’hui « la modernité s’incarne uniquement dans un signal architectural, aussi magnifique et chargé de sens qu’il puisse être ».
En outre, le budget traditionnellement réservé à l’architecture pourra être consacré à des animations plus riches.
D’ailleurs, M. Jean-Pierre Lafon l’a constaté lui-même, pour l’Exposition universelle de Milan de 2015, même si 130 États ont fait part de leur intérêt (76) , seuls 70 d’entre eux devraient construire leur propre pavillon ; des clusters abriteront en outre plusieurs pays, mais les Italiens n’ont pas prévu de construire des bâtiments qu’ils fourniraient à d’autres États, de sorte que le nombre de participants ne devrait finalement pas dépasser une centaine.
La mise à disposition de bâtiments serait donc bénéfique aux pays invités et à la richesse de l’exposition.
4. Les nouvelles gares du Grand Paris-Express
Au-delà du village central installé dans Paris, le deuxième cercle de l’exposition passerait par les nouvelles gares (au nombre de 69) et des sites remarquables desservis par le réseau ferré du Grand Paris-Express. Les gares ne sont pas assujetties à des règles de protection architecturale et le dessin de la plupart d’entre elles pourrait encore être retouché en prévision de l’exposition. M. Pierre Messulam, directeur général adjoint de Transilien SNCF a cependant attiré l’attention de la mission sur l’importance de la gestion des foules dans les gares, tout dérèglement étant cause de troubles. L’exposition ne devra pas empêcher la circulation des voyageurs, même si l’on peut admettre, des restrictions limitées permettant de célébrer l’évènement.
Quant au nombre de gares « emblématiques » qui pourraient être livrées en 2025, M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris, a estimé que rien n’était figé : « Celle du Pont de Sèvres sera emblématique surtout par sa réalisation, confiée à Jean-Marie Duthilleul, qui constituera un véritable défi technique.…
Notre projet est de réaliser, là où le tissu urbain le permet, non de simples stations, mais de véritables gares, conçues pour offrir aux voyageurs les services qui accompagneront le transport de demain. C’est la raison pour laquelle nous avons confié à Jacques Ferrier, qui était d’ailleurs l’architecte du pavillon français de la dernière exposition universelle, le soin d’élaborer une charte architecturale dont le respect s’imposera à l’ensemble des gares. Parmi elles, nous avons distingué les gares qui, par leur caractère emblématique, devaient faire l’objet d’une recherche architecturale particulière. C’est la raison pour laquelle le choix des architectes chargés de leur conception fait l’objet d’une consultation internationale. Deux architectes renommés ont déjà été désignés à l’issue de cette procédure : Duthilleul pour la gare de Noisy-Champs et Perrault pour celle de Villejuif. La conception des gares de Clichy-Montfermeil et du Bourget RER devrait également être confiée à de très grands noms de l’architecture. Près d’une centaine de candidatures, dont celles de grands noms de l’architecture mondiale, se sont manifestées à chacune de ces consultations, preuve de l’attractivité du Grand Paris ».
« Avec Jacques Ferrier, nous avons décidé de réfléchir au projet culturel qu’il serait possible de construire autour de ces nouvelles gares, notamment les gares emblématiques, dans la perspective de l’organisation de l’Exposition universelle de 2025 : la future gare de Clichy-Montfermeil, par exemple, pourrait contribuer au projet d’établissement d’une « Villa Médicis » à cet endroit. Quant à la future gare de Pleyel, il s’agira d’un ouvrage considérable et d’une grande complexité sur le plan de sa réalisation. Les acquisitions foncières nécessaires sont en cours…
Les gares emblématiques de la ligne 16 seront Clichy-Montfermeil et le Bourget. Quant à la future gare de Pleyel, il s’agira d’un ouvrage considérable et d’une grande complexité sur le plan de sa réalisation. La consultation internationale a permis de sélectionner cinq architectes de renommée mondiale et nous sommes en train de réaliser les acquisitions foncières nécessaires. »
« Nous n’avons pas encore déterminé quelles seront les gares emblématiques des autres tronçons. Il est probable que ce sera le cas de la future gare de Nanterre-La Folie, où se rejoindront Eole et la ligne 15, voire une future liaison complémentaire après 2030. Ce projet s’inscrit dans le projet plus large d’aménagement du secteur des Groues. Il est probable que la maîtrise d’œuvre de la gare et des immeubles situés dans sa proximité sera confiée au même architecte ».
Dans ces gares emblématiques, on pourrait envisager une animation festive occasionnelle au milieu des circulations des voyageurs, une présence permanente d’une puissance invitée pendant les six mois de l’exposition dans les espaces qui seront par la suite occupés par les commerces prévus dans l’économie et le plan de la plupart de ces nouveaux bâtiments, ainsi qu’une décoration de la gare aux couleurs de cette puissance et du thème de l’exposition.
La configuration de ces gares variera en fonction du tissu urbain où elles s’inscriront. L’objectif étant de les réaliser les plus vastes possibles afin qu’elles puissent accueillir des services et des commerces de proximité ; elles ressembleront davantage à des gares SNCF qu’à des stations du réseau RATP.
Enfin, la RATP a lancé un projet de recherche architecturale sur les espaces du futur, dénommé Osmose, avec, notamment un travail sur l’utilisation de la lumière naturelle.
5. Quelques gestes architecturaux mémorables
Au cours de la table ronde sur l’architecture de l’exposition, M. Jacques Ferrier est revenu sur l’enjeu urbain des gares du Grand Paris-Express : « Si les gares étaient incluses dans le projet d’exposition universelle, on pourrait en accroître encore la qualité ; ce serait l’occasion de les inscrire dans un récit urbain et architectural qui rendrait les habitants fiers de leur métropole… Ma mission actuelle me fait percevoir l’enjeu qu’il y a pour le Grand Paris à créer des « cartes postales » et des « symboles ».
« Contrairement à Paris Centre, cet immense territoire a un imaginaire pauvre. Il faut donner une visibilité à cette ville archipel. Ce qui reliera les pavillons, c’est la mobilité ; or nous, nous travaillons précisément sur l’expérience de la mobilité, en prenant les sens au sérieux, et en l’envisageant comme une question d’architecture – d’où notre slogan de « gare sensuelle »…
M. Jean-Paul Cluzel s’est dit favorable « à des gestes artistiques conçus comme autant de totems et de signes de piste pour un voyage urbain, marquant la réappropriation par le plus grand nombre d’une culture patrimoniale, contemporaine et numérique » plutôt qu’à « des installations qui risqueraient d’être de petite taille et qui ne résoudraient pas complètement la question de la capacité d’accueil des visiteurs. »
M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, a en outre souhaité une réflexion sur la libération d’emprises, même si l’on décide de réutiliser le patrimoine existant.
« Même si l’on décide de réutiliser le patrimoine existant, il faudra réfléchir à la libération d’emprises. Dans la perspective de l’Exposition de 1989, qui était prévue sur deux sites reliés par la Seine, nous avions libéré les emprises qui ont servi, d’un côté, à la construction du quartier Seine Rive Gauche et de la Bibliothèque de France, de l’autre, à la réalisation du quartier de Javel, sur l’emplacement des anciennes usines Citroën ; bien que l’exposition n’ait pas eu lieu, ces sites se sont développés.
« Avec le projet de Grand Paris-Express, une libération d’emprises arriverait à point nommé. Le métro va révéler des entre-deux aujourd’hui méconnus, comme la presqu’île de Gennevilliers, qui seront peut-être demain les nouveaux paysages parisiens, susceptibles de renouveler l’imaginaire de la capitale. Ces emprises accueillent un patrimoine industriel aujourd’hui disponible, qui pourrait être investi par le monde entier.
« Deuxièmement, il faudra veiller à l’accessibilité de ces emprises. L’armature du Grand Paris-Express, d’Eole et des Tangentielles se met en place, mais un projet d’exposition universelle permettrait de faire émerger d’autres idées d’utilisation des infrastructures ou conduirait à privilégier un métro aérien, afin que l’on puisse découvrir et admirer ce paysage – car la ville est aussi un patrimoine d’images partagées.
« Elle susciterait des opérations concomitantes, qu’elles soient à visée purement logistique – il faudra bien accueillir 80 millions de personnes – ou qu’elles contribuent à modifier le regard porté sur le patrimoine. Par exemple, la gare de Saint-Lazare, empruntée quotidiennement par 500 000 personnes, pourrait accueillir des installations fabuleuses. On romprait ainsi avec le modèle des pavillons implantés sur un grand espace, au profit d’installations dans des lieux emblématiques. »
En outre, « si l’on prévoit que les nations invitées s’installeront dans des lieux précis, il faudra veiller à ce que l’on passe directement d’un pays à l’autre, sans avoir à transiter par un espace public neutre. Cet effort de juxtaposition spatiale, avec un système de seuils entre les pays, pourrait donner des résultats extraordinaires ».
Les autres personnalités présentes ont approuvé l’idée de réserver des emprises urbaines libérées par les travaux du Grand Paris-Express à la construction de pavillons durable ou de permettre à une puissance invitée de réhabiliter, sur ces emprises, un bâtiment ancien et remarquable laissé en déshérence.
Lors d’une autre audition, M. Jean-Yves Durance a estimé que l’aménagement de ces zones serait impératif : « le projet d’exposition universelle étant largement fondé sur les 69 nouvelles gares, il serait inconcevable qu’elles trônent, seules, au milieu de zones non aménagées, de champs de pommes de terre ou de friches industrielles ».
M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine est revenu sur l’originalité du projet initial d’exposition qui ne prévoyait pas de construire des pavillons neufs en suggérant de ne pas exclure pour autant la réhabilitation de bâtiments en déshérence :
« Dans un dossier, un journaliste vous fait dire, monsieur le président – mais probablement vous aura-t-il mal compris : « Nous n’allons pas faire d’architecture, nous allons utiliser les bâtiments existants ». Or qu’est-ce que cela, sinon précisément faire de l’architecture ? Aujourd’hui, l’architecture, ce n’est plus construire des bâtiments neufs ; on est obligé de tenir compte de ce qui est là, de travailler sur la continuité et la contiguïté. L’époque des villas Savoye est révolue, tous les architectes le savent !
« La réutilisation est un problème passionnant, qui touche à de multiples questions, dont celles du patrimoine – a-t-on le droit de toucher aux édifices patrimoniaux, faut-il muséifier les villes ? –, du logement – doit-on recycler pour habiter, comme à la tour Bois-le-Prêtre ? – des infrastructures – peut-on faire de l’architecture avec elles, sur l’exemple des gares de Strasbourg ou d’Anvers ? –, et de l’urbanisme – avec les entrepôts Macdonald à Paris ou Euromed Center à Marseille. »
M. Alexandre Labasse a abondé sans le même sens : « Quant à la reconversion, c’est-à-dire le changement d’affectation, elle est pratiquée depuis longtemps : songeons à la gare d’Orsay devenue un musée, ou aux entrepôts Macdonald reconvertis en logements et bureaux. Sur ce type de bâtiments, on peut inventer n’importe quelle architecture : il existe des exemples d’interventions prodigieuses, soit minimales, soit au contraire extrêmement visibles.
« Le problème est plutôt de savoir ce qui va être construit : quels matériaux utiliser, comment faire en sorte que les bâtiments conçus pour l’exposition universelle puissent ultérieurement accueillir des bureaux ou des logements, ou être démontés pour être positionnés ailleurs. L’enjeu n’est pas tant le patrimoine que ce qui sera fait demain – d’autant que Paris est certainement la ville la plus regardée pour ce qui concerne la réhabilitation et la reconversion.
La forme ne doit surtout pas traduire la fonction ; il faut au contraire inventer des bâtiments mutables, fertiles, démontables – Rem Koolhaas dirait « génériques ». En 2025, un des problèmes majeurs de la construction et de l’architecture sera celui de la matière ; il y a de fortes chances que nous n’ayons plus beaucoup de sable à notre disposition. Il convient donc de se demander comment construire, déconstruire et réemployer – pas forcément « recycler », qui nécessite une énergie particulière, mais simplement mettre ailleurs. »
Pour M. Jean-Louis Missika, « beaucoup d’initiatives publiques et privées conduiront, au cours de la mandature, à la construction de bâtiments révolutionnaires. Nous allons ainsi lancer prochainement un appel à projets innovants pour l’Arc de l’innovation… À l’horizon 2025 auront forcément été érigés des bâtiments qui feront date dans l’histoire de l’architecture. Ce ne sera pas à la manière de la tour Eiffel, mais en intégrant, par exemple, les nouvelles façons de travailler : même si l’on continue à en construire, les immeubles de bureaux, nous le savons, sont amenés à disparaître. Dans l’entreprise du futur, le travailleur est mobile, le télétravail est une règle, les équipes se font et se défont au gré des projets. Ces éléments supposent une nouvelle façon de faire de l’urbanisme. La « ville intelligente », dont je disais qu’elle doit être une grande thématique de l’exposition universelle, sera incarnée en 2025 par des bâtiments innovants qui seront les cathédrales – ou les tours Eiffel – du XXIe siècle ».
Le pavillon français à l’Exposition de Milan relève de cette démarche innovante : construit en bois, matériau durable, en forme de halle, très ouvert, il pourra être démontable et remontable ; un circuit d’air étudié par les architectes maintiendra une température agréable, sans qu’il soit besoin d’installer d’air conditionné.
Plusieurs cas de figure sont donc envisageables pour abriter les États étrangers invités. Quelles que soient les diverses solutions retenues, il faudra veiller à l’accessibilité de chacun des lieux aux personnes à mobilité réduite.
6. Des règles d’urbanisme à négocier avec le BIE et à inscrire dans la loi
La construction de bâtiments neufs ou la réhabilitation d’anciens bâtiments pour abriter les pavillons d’exposition mais aussi les logements temporaires des exposants voire des hébergements supplémentaires pour les visiteurs devront obéir à des règles d’architecture et d’urbanisme qui, dans l’enceinte de l’exposition, doivent être négociées avec le BIE, site par site.
Cette négociation peut autoriser des audaces architecturales ou des expérimentations urbaines qui retiendront l’attention tout en illustrant le thème de l’exposition. M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Île-de-France à Shanghai 2010, a donné l’exemple d’une zone particulière de l’exposition, réservée à l’illustration des meilleures pratiques urbaines :
« Cet espace « sur mesure » a permis à des régions et des villes du monde d’illustrer leur savoir-faire et leurs politiques spécifiques en termes de développement urbain durable, en complément de leur présentation nationale.
« Cette zone, à l’écart et sur la rive opposée des grands pavillons nationaux, a notamment permis aux autorités chinoises de reconfigurer entièrement le quartier faisant face à la zone Asie du site de l’Expo. Cette friche industrielle était à l’abandon au pied d’une centrale thermique désaffectée. L’organisation chinoise a ainsi rénové plus de cinquante hectares, dont quinze pour permettre à une soixantaine de villes ou de régions de se présenter autour du thème central de l’exposition…
« Pour rendre cette aventure possible, l’environnement chinois avait été préparé en profondeur par l’organisateur et la municipalité de Shanghai sous le regard vigilant du Bureau international des expositions, dont la commission du règlement a validé la réglementation spécialement créée pour cette zone. L’organisation chinoise avait pris un certain nombre d’engagements, dont celui de fournir gratuitement l’espace dans lequel le pavillon a été construit. »
Le règlement spécial d’urbanisme ou de construction d’un site peut être étranger aux règles juridiques de l’État invitant et aux usages locaux. C’est pourquoi, en sus des exemptions concernant la protection des bâtiments patrimoniaux réquisitionnés, la loi autorisant l’exposition devra autoriser l’organisateur à déroger aux normes de construction et d’urbanisme selon une procédure particulière et exceptionnelle.
Le projet de loi sur l’Exposition universelle de 1989, adopté en 1983, avait prévu des dérogations de cette nature en matière d’urbanisme, de logement et de préemption des emprises foncières. Ses dispositions pourront servir de précédents à celles de la loi qui devra autoriser l’Exposition de 2025.
Tout en respectant les principes du droit commun de l’époque et les compétences des collectivités concernées, le projet de loi réduisait fortement les délais ordinaires d’élaboration et de concertation afin de tenir ceux de l’exposition. Il incluait déjà des monuments historiques dans l’enceinte de l’exposition et pourrait, à ce titre, servir d’exemple au projet d’exposition en 2025.
Le projet confiait l’aménagement des sites de l’exposition et l’édification des constructions à un établissement public national à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle du Premier ministre. Il qualifiait l’exposition d’opération d’intérêt national et de projet d’intérêt général au sens de la loi de décentralisation de 1983. Il autorisait le recours aux expropriations pour cause d’utilité publique.
Il prévoyait, pour la réalisation de l’exposition dans le délai de 6 ans imparti, deux documents dérogatoires aux plans d’occupation des sols et aux schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France . Le plan directeur d’aménagement des sites déterminait le schéma d’organisation du champ clos de l’exposition, les infrastructures principales, les principes de dessertes et les mesures relatives à la protection des monuments historiques et des sites.
Le plan d’insertion de l’exposition dans le schéma d’urbanisme de la région d’Île-de-France fixait le tracé des grands équipements d’infrastructures extérieurs au périmètre de l’exposition et les moyens nécessaires pour l’accueil et l’hébergement des visiteurs.
Ces deux plans devaient être approuvés par délibération des collectivités territoriales concernées. Cette approbation emportait une dérogation temporaire aux règles d’urbanisme permettant l’installation de pavillons provisoires, que l’usage dispense de permis de construire, et une modification définitive des plans urbains autorisant l’implantation d’immeubles.
L’instruction et la délivrance des permis de construire les immeubles seraient faites selon les procédures prévues pour les opérations d’intérêt national. L’autorité administrative pouvait en outre arrêter les projets d’aménagement ou de construction qui pourraient faire obstacle à ceux de l’exposition, en contrepartie d’un rachat, par l’État, des terrains en cause.
Il appartenait ensuite au commissaire général de l’exposition de faire respecter les deux documents-cadres d’urbanisme en délivrant les autorisations de travaux, après avis du maire concerné, aux commettants de concessionnaires ou à ses propres exécutants.
Le projet de loi prévoyait aussi que les baux et concessions d’occupation des immeubles dépendant des domaines publics et privés de l’État nécessaires à l’aménagement de l’exposition pouvaient être interrompus et l’occupant évincé contre une indemnisation fixée à l’amiable ou, à défaut, établie par analogie avec le régime des expropriations. Il mettait gratuitement à la disposition de l’organisateur les immeubles libérés pour qu’il en assure la gestion.
Il dispensait l’organisateur de l’exposition des procédures prévues par le code de l’urbanisme, la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques et celle du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites. Il permettait, dans ou aux abords de ces monuments et sites, la réalisation des installations et constructions temporaires destinées à abriter les sections invitées à une exposition internationale.
Le démontage des installations provisoires, la démolition des édifices temporaires et la remise en état des sites, prévue par le règlement du BIE dans le délai d’un an après la clôture de l’exposition, incombaient également à son organisateur. Passé le délai d’un an, le projet de loi confiait à l’autorité judiciaire le pouvoir d’ordonner les démolitions.
7. Europa City et l’exposition universelle
Les deux projets, contemporains, pourraient se conforter, comme l’a souligné M. Christophe Dalstein, directeur exécutif d’Europa City : « Nous souhaiterions pouvoir défendre à vos côtés la candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025, sachant qu’un projet comme le nôtre, vecteur d’innovation et de rupture, sera le principal équipement nouveau en Île-de-France à cette échéance. Ainsi prévoyons-nous par exemple dans notre projet plus d’une dizaine d’hectares d’espaces publics extérieurs permettant l’accueil d’activités événementielles. Nous pourrons donc imaginer des grands rassemblements et des concerts en extérieur pouvant accueillir jusqu’à 15 000 personnes ».
Certaines animations et des spectacles de l’exposition pourraient probablement être accueillis par Europa City temporairement ou pendant toute la durée de l’exposition : il est prévu notamment 50 000 m2 d’espaces culturels (pour des expositions, des spectacles, le cirque, entre autres), et 150 000 m2 d’espaces de loisirs (parc aquatique, d’attraction, parc des neiges, etc…). Encore faudra-t-il, comme pour les monuments, bâtiments et les parcs des expositions qui viennent d’être évoqués, faire la part de la clientèle habituelle de celle de l’exposition universelle.
La sécurité est un problème majeur, auquel tous les organisateurs de grands événements sont confrontés. C’est ainsi que M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis (FFT) a fait remarquer que « c’est un vrai problème auquel nous essayons d’apporter des améliorations. Nous avons professionnalisé notre système, organisé des fouilles, les badges sont examinés de près, nous travaillons avec des entreprises spécialisées et nous avons effectué des exercices de crise avec la préfecture de police de Paris. Cette politique est indispensable car Roland Garros a une résonance mondiale ; nous avons eu des perturbations lors d’une finale du fait du vote de la loi sur le mariage pour tous. Les mesures de sécurité coûtent cher. L’équilibre est difficile à trouver, il faut assurer la sécurité, sans faire peur et sans dénaturer l’évènement, tout en sachant que le risque zéro n’existe pas. Quant aux vidéos que nous utilisons, nous devons tenir compte des règles de la CNIL ».
M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile, a souligné le coût élevé de la sécurité, même s’il ne peut être envisagé de le discuter : « la sécurité n’a pas de prix ».
M. Christian Prudhomme compte développer les réseaux sociaux pour accroître la sécurité du tour de France. Depuis des années, un accord avec Radio France sur France Inter, France Info et France Bleue, permet de faire passer des messages de sécurité avant et pendant le Tour. Des accords avec la presse quotidienne régionale et quatre véhicules info-sécurité situés en tête de course annoncent ces messages en français, en anglais et dans la langue du pays. « Si, jusqu’ici, nous n’arrivions pas à parler aux supporters étrangers, nous allons pouvoir le faire pour la première fois grâce aux réseaux sociaux. Nous avons ainsi réalisé des clips de sécurité de 30 secondes avec des champions emblématiques pour chaque pays – Thomas Voeckler en France, Marcel Kittel en Allemagne ou Christopher Froome en Grande-Bretagne. Ces clips invitent à encourager les coureurs, mais sans courir à côté d’eux et en faisant attention aux enfants. Ils passent à la télévision mais aussi sur les réseaux tels que Twitter ou les sites Internet de France Télévision ou des équipes ».
La même question se pose pour les multiples festivals organisés sur notre territoire.
Dans le cas de l’exposition universelle, la sécurité nécessitera une toute autre organisation, étant donné l’ampleur de l’événement, qui concernera entre 50 et 80 millions de visiteurs sur 6 mois, et dont les pôles seront disséminés, contrairement à Shanghai en 2010 ou Milan en 2015. Outre la sécurité proprement dite, se pose une série de questions sur la gestion des flux, qui doivent être aisés sans remettre en cause la vie de tous dans la ville.
Il faut évidemment rechercher l’efficacité maximale – sachant, comme nous l’ont dit certains de nos interlocuteurs – que le risque zéro n’existe pas, tout en gardant un caractère convivial à l’évènement.
À Shanghai, où l’exposition a accueilli quelque 70 millions de personnes, la sécurité était assurée par l’armée chinoise, comme l’a souligné M. José Frèches. La sécurité était organisée comme celle d’un aéroport, où tous les visiteurs faisaient l’objet de fouilles au corps systématiques, afin de prévenir un attentat terroriste. Il a conclu que l’utilisation de différents sites rendrait encore plus difficile la gestion des files d’attente.
M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française à l’Exposition de Shanghai, a rappelé à la mission d’information les lourdes contraintes de sécurité qui, dans une exposition très fréquentée, pourraient ruiner l’avantage de diviser les files d’attentes, prêté au polycentrisme : « Une organisation sur différents sites, dont la possibilité a été évoquée, générera très rapidement des difficultés dans la gestion des files d’attente, qui sont un des problèmes majeurs des expositions internationales et universelles…
« Il faudra prévoir de la place pour des files d’attente qui n’ont rien à voir avec celles que l’on peut observer à l’entrée des musées ou des monuments parisiens, mais qui s’apparentent plutôt à celles que l’on voit à Disneyland en périodes de pointe. »
En reproduisant sur chacun des sites des contrôles de sécurité qui, dans une exposition d’un seul tenant, ne sont appliquées qu’aux portes de l’enceinte, l’organisateur devra démultiplier non seulement les points de contrôles mais aussi les centres de direction des opérations et de réponse aux alertes.
M. Florent Vaillot a tout de même conclu : « pourquoi ne pas faire le choix de plusieurs sites à condition qu’ils soient très sécurisés ? ».
Dans cette nouvelle approche d’une exposition multi-sites, il faudra effectivement repenser les modalités d’assurer la sécurité et la sûreté. Ces inconvénients ne devraient pas être a priori dirimants puisque le polycentrisme est déjà le fait des plus grandes manifestations sportives et que les impératifs de sécurité y sont les mêmes. On pourrait même au contraire estimer qu’une moindre concentration de visiteurs dans un même lieu pourrait être une solution.
La France a des atouts et une solide expérience en la matière. M. Jacques Lambert, président du Comité de pilotage de l’Euro 2016 de football y insiste : « étant entendu que je ne peux que faire référence aux grands événements sportifs… la France a emporté un grand nombre de candidatures parce qu’elle a su convaincre de sa capacité à organiser des événements de dimension mondiale… il me paraît incontestable aujourd’hui que la France est regardée de l’extérieur comme un pays qui a du savoir-faire en matière d’organisation proprement dite, mais également parce qu’elle sait garantir un niveau de sécurité correspondant à l’attente des participants et des États. La sécurité d’un grand événement sportif repose sur l’équilibre entre la sécurisation des personnes et le caractère convivial et festif de l’événement. Je suis bien placé, en tant qu’ancien préfet, pour savoir combien il est difficile de trouver un équilibre entre la nécessité absolue d’assurer aux participants et aux spectateurs le niveau de sécurité qu’ils sont en droit d’attendre, et la nécessité, tout aussi indispensable, d’adapter le niveau de sécurité à l’événement, sachant que si 5 à 10 % de matchs risquent de poser des problèmes, 90 à 95 % des événements sont totalement paisibles. Trouver cet équilibre, la France sait le faire ».
L’expérience française est importante au cours des dernières années, comme l’on fait remarquer M. Benoît Trevisani, sous-directeur des services d’incendie et des acteurs du secours au ministère de l’intérieur et M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience, puisque notre pays a accueilli nombre de grands événements : le sommet du G8 à Évian en 2003, la commémoration du 60e anniversaire du débarquement en Normandie et en Provence, le sommet de l’OTAN à Strasbourg et le sommet France-Afrique à Nice en 2007 et 2010, la coupe du monde de rugby, le sommet du G8 et du G20 à Deauville en 2011, les cérémonies du 70e anniversaire du débarquement en Normandie et en Provence, les Jeux mondiaux équestres, et, bientôt, l’Euro 2016.
Riche de cette expérience, le ministère de l’Intérieur dispose d’un corpus juridique à la fois sur l’aspect opérationnel et sur celui de la réglementation incendie, que nous mettons en application en liaison avec l’administration déconcentrée du ministère par le biais des préfectures.
La réglementation peut être adaptée en fonction des sites où se déroulent les grands rassemblements, sachant que seraient exploités des éléments du patrimoine existant.
Une doctrine a été définie pour l’accueil de ces grands événements ; afin d’assurer l’articulation entre les services de l’État, les partenaires privés et les collectivités territoriales, il a été mis en place des process reconductibles d’un événement à un autre, en s’appuyant sur les bonnes pratiques. Un guide pratique de préparation et de gestion des grands événements a été diffusé par une circulaire du 3 août 2010 à l’ensemble des préfets de département, des préfets de zone de défense et de sécurité et des directions opérationnelles du ministère de l’intérieur et des autres ministères concernés.
Ce guide, qui sera actualisé pour l’Euro 2016, repose sur quatre objectifs principaux : garantir la sécurité de l’événement et de la population ; réunir les conditions matérielles et organisationnelles pour assurer la réussite de l’événement ; limiter les nuisances pour la population, les acteurs économiques et l’environnement ; organiser la communication. Cela suppose une équipe d’organisation très vaste.
L’organisation de la sécurité doit commencer très en amont. Pour l’Euro 2016, les experts des grands événements ont été impliqués lors du dossier de candidature, afin d’éviter certaines difficultés. Pour la phase strictement opérationnelle de planification, il faut prévoir deux à trois ans de travail. Pour les jeux Olympiques de 2012, le ministère de l’Intérieur a été associé dès le dossier de candidature, en 2004, la décision d’attribution ayant été prise en juillet 2005. Toutes les cellules spécialisées des trois principales directions opérationnelles du ministère s’étaient réunies chaque mois. Cela a été depuis formalisé dans le guide méthodologique. Pour une candidature en 2018, les travaux pourraient donc commencer en 2015 ou 2016.
La problématique des transports et de la gestion des flux fait également l’objet d’une planification très en amont. La réflexion porte éventuellement sur des moyens de transport dédiés pour les visiteurs sur les sites, notamment pour ne pas perturber le quotidien des personnes qui travaillent, et à des voies dédiées pour les services de sécurité et de secours. Il est tenu compte pour cela, en liaison avec les ministères et opérateurs compétents, de la nature des sites, de leur éloignement et de leur concentration.
Quant aux personnels sur le terrain, aux forces de l’ordre s’ajoutent notamment 16 associations agréées en sécurité civile en France, dont la Croix-Rouge, la SNSM, la Fédération nationale de protection civile, le Secours catholique, l’Ordre de Malte ou la Croix-Blanche... Elles reçoivent des agréments délivrés pour trois ans. Ils valident la capacité de ces associations à remplir certains types de missions.
Par ailleurs, aux jeux Olympiques de Londres, les forces armées étaient très présentes. En France, on peut planifier le soutien de celles-ci lorsque c’est nécessaire et que les autres services de l’État sont indisponibles. Une circulaire du Premier ministre prévoit qu’en cas de crise majeure, l’armée est capable de mobiliser 10 000 hommes en 48 heures en soutien des dispositifs traditionnels. Ce fut le cas par exemple, dans une proportion moindre, à l’occasion du 70eanniversaire du débarquement.
Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) effectue en outre un travail de prospective de nature à montrer que la France a, par rapport à d’autres pays, une véritable capacité d’anticipation : il réfléchit sur aux futures menaces et aux réponses que l’on peut y apporter, tant en termes de planification que d’équipements – comme les drones ou ce qui relève de la morpho identification. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, le Parlement sera informé de ce travail de prospective qui a pour but de définir les capacités pivots de l’État pour répondre aux risques actuels et prévisibles.
Les différents dispositifs de sécurité
Le dispositif de planification interministérielle compte plusieurs échelons : le préfet de département, qui assure la responsabilité de la planification locale et le préfet de zone la coordination avec l’appui des structures spécifiques créées au sein des trois principales directions opérationnelles du ministère de l’intérieur.
Cette planification comporte trois composantes : un comité de pilotage assuré par un membre du corps préfectoral prépare la manœuvre en termes opérationnels, logistiques et de communication. En outre, des groupes de travail spécifiques se créent autour de lui sur des questions telles que l’hébergement ou les transports.
Ce dispositif s’appuie également sur l’organisation de la gestion des crises. On appréhende en effet l’événement comme une crise, c’est-à-dire quelque chose qui déstabilise l’organisation normale des services. On se place donc dans le schéma traditionnel de crise, avec les acteurs de la gestion de crise définis par les textes, c’est-à-dire les autorités publiques investies des pouvoirs de police administrative générale, à savoir le maire, le préfet de département, le préfet de zone et le Premier ministre, sachant que le premier échelon de gestion de crise est le préfet de département, avec le soutien des structures nationales, la cellule interministérielle de crise assurant de son côté la coordination et le suivi général de l’événement.
Ces modes d’organisation sont par ailleurs préparés grâce à la planification interministérielle de gestion des crises. Les plans gouvernementaux, qui ont pour objectif d’organiser la mise en œuvre de l’action de l’État en liaison avec les collectivités locales, les opérateurs et les citoyens face à un certain nombre de risques et de menaces identifiés, comme la menace terroriste. : les plans Pirate, - le plan Vigipirate, rénové cette année, ou des plans plus spécifiques comme le plan Piratair-Intrusair contre le terrorisme aérien ou le plan Pirate-mer contre le terrorisme et la piraterie maritimes, le plan Pirate-Ext, en cas de menace et d’attaque contre des ressortissants ou des intérêts français hors du territoire national, le plan Métropirate, en cas d’attaque dans les transports collectifs ferrés souterrains, du plan Pirate NRBC, qui est une fusion de trois plans préexistants contre toutes les attaques terroristes de type chimique, radiologique, bactériologique et nucléaire, le plan Piranet, contre les cyberattaques.
Il existe parallèlement des dispositifs traditionnels contre des risques plus courants. Le dispositif Orsec, organisant la réponse de la sécurité civile, qui a pour objectif de secourir les personnes et de protéger les biens et l’environnement en situation d’urgence, se décline aux niveaux départemental, zonal et maritime et repose sur un chef, le préfet, un réseau d’acteurs – les services de l’État, les collectivités territoriales et les opérateurs –, un recensement des risques et des capacités pour y répondre. Il s’agit d’un dispositif opérationnel, fondé sur une organisation générique et intersectorielle de gestion des événements.
Ces différents plans sont testés régulièrement et, chaque année, 500 exercices sont opérés par les préfets de département, parallèlement à quatre exercices majeurs nationaux organisés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), mobilisant l’ensemble des ministères. Cette année, ceux-ci ont porté sur le terrorisme et le prochain, qui a lieu dans deux semaines, concernera Piratair.
Quant à la réglementation incendie, il existe un corpus pour les établissements recevant du public permettant de prévoir l’ensemble des scénarios possibles en fonction de la typologie du bâtiment et des adaptations éventuelles dont il fait l’objet.
Ce corpus correspond assez bien à ce qui pourrait être mis en œuvre pour l’Exposition universelle en 2025, sachant que la réglementation évolue et tient compte des nouvelles technologies, des nouveaux matériaux et des derniers progrès de la science.
Des visites sont organisées sur place dans le cadre généralement de sous-commissions départementales présidées par le préfet, qui émet un avis. Puis l’autorité chargée du pouvoir de police spéciale, qui peut être le maire ou le préfet de police à Paris, délivre l’autorisation permettant l’utilisation du lieu.
Source : Synthèse de l’audition de M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience au ministère de l’Intérieur
Les transports posent des questions spécifiques, même en temps normal, comme en a fait part à la mission M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France : « un usager sur deux déclare avoir peur dans les transports en commun, même si les agressions sont peu nombreuses ». Plusieurs difficultés devront être résolues pour l’exposition universelle.
En ce qui concerne le transport aérien, M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur général d’Air France, a souligné : « l’exposition requerra… la réalisation de travaux de longue haleine, à laquelle nous nous sommes engagés avec les services de l’État, afin de fluidifier d’une part le parcours du passager lorsqu’il passe la frontière, et d’autre part les contrôles de sécurité, tant pour les passagers que pour les bagages. On peut imaginer que, d’ici à 2025, le système PARAFE soit généralisé, plus efficace et plus simple à utiliser. Une réflexion sur la sûreté des passagers s’impose également : comment éviter de rajouter encore des règles, des contrôles et des contraintes à ce qui existe déjà ? Mieux vaudrait remettre à plat les mesures de sûreté aérienne. La sécurité absolue et le combat contre les menaces terroristes – objectifs qui nous animent, nous aussi – ne doivent pas nous faire perdre de vue le parcours client et les coûts induits par tous ces dispositifs. Cela suppose également d’améliorer la délivrance des visas – domaine dans lequel de nombreux progrès ont déjà été réalisés ».
Quant à l’utilisation des gares, elle devra être soigneusement étudiée, M. Pierre Messulam ayant appelé l’attention de la mission sur « l’extrême importance de la gestion des foules dans les gares, tout dérèglement étant cause de troubles. Notre savoir-faire est établi et nous maîtrisons la gestion de flux massifs de voyageurs sans incidents, comme le constatent les 80 000 spectateurs qui assistent aux matches au Stade de France. Dans la perspective de l’exposition universelle, il faudra s’assurer du bon dimensionnement des gares, indispensable à une circulation fluide et au contrôle des foules sans tensions. Il faudra aussi tenir compte des impératifs de sûreté urbaine, qui conditionnent également l’efficacité de notre système. Pour parler cru, j’évoquerai les conséquences d’un suicide sur l’écoulement du trafic et le temps nécessaire pour obtenir l’intervention des services compétents avant de rouvrir la voie concernée. Plus le flux de personnes transportées est important, plus les questions de sûreté peuvent perturber le fonctionnement du réseau, au point de le bloquer ; pour ces raisons, il est indispensable de prévoir une coordination décloisonnée entre les transporteurs, la gendarmerie, les services policiers et judiciaires, les collectivités territoriales et les services de police municipale. Ainsi pourra-t-on plus facilement informer les visiteurs, grâce à des applications numériques en plusieurs langues, qu’un incident survenu en un point du réseau est susceptible de créer des problèmes ailleurs, et faciliter leur navigation ».
Votre rapporteur a insisté dans la deuxième partie du rapport sur la nécessité de mettre en place une instance de pilotage unique du projet. Pour une meilleure coordination, il estime tout aussi nécessaire que le responsable de l’ensemble de la sécurité de l’exposition fasse partie de cette structure de pilotage.
QUATRIÈME PARTIE : UNE EXPOSITION UNIVERSELLE
POUR FAIRE DU BIEN À LA FRANCE
« Une exposition vous sera utile si vous êtes capables de la rendre utile. », a déclaré M. Vicente Gonzales Loscertales lors de son audition par la mission d’information. Dans une France en proie au doute, qui s’interroge sur son sort et qui souffre, aux dires de certains, d’une forme de « dépression collective », l’engagement dans un tel projet n’est en tout état de cause concevable que si notre pays peut effectivement en tirer le meilleur parti. La candidature à l’organisation d’un événement qui aura lieu dans dix ans relève, certes, d’un pari sur l’avenir et doit être vue comme un investissement. Il est cependant d’ores et déjà possible de cerner ce que pourraient être ses bienfaits.
D’une part, l’exposition doit être appréhendée comme une « occasion pour la France de dire qu’elle a des arguments à faire valoir et des savoir-faire techniques et technologiques de pointe à mettre en valeur, plutôt que de se complaire dans la morosité, de battre sa coulpe ou de se persuader qu’elle n’est pas compétitive », selon les termes employés devant la mission par Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Levier psychologique sur le plan intérieur, l’exposition doit également servir de levier d’influence vis-à-vis de l’extérieur, la finalité consistant à réconcilier les Français avec eux-mêmes et avec le monde.
D’autre part, il est légitime d’attendre de l’exposition des retombées directes pour l’économie française, pour nos entreprises, pour l’emploi, pour nos infrastructures et pour nos territoires. Le meilleur moyen de faire adhérer les Français à cette belle aventure consiste à faire en sorte qu’ils puissent percevoir dans l’exposition un levier favorable à l’amélioration à terme de leur vie quotidienne. À l’instar de Mme Sophie Pedder, votre rapporteur tient néanmoins à souligner que la volonté d’organiser l’événement ne constitue pas, en soi, un moteur de croissance mais tout au plus un stimulant opportun.
C’est à l’aune de cette double logique qu’il s’agira d’examiner, avant de conclure, les avantages et inconvénients comparés d’une candidature à l’exposition universelle avec une éventuelle candidature de Paris à l’organisation des jeux Olympiques d’été, pour apprécier les effets escomptés de l’une et de l’autre.
I. LA NÉCESSITÉ DE RÉCONCILIER LA FRANCE AVEC ELLE-MÊME… ET AVEC LE MONDE !
Interrogé en 1998 par le quotidien Le Monde (77) sur la façon dont il percevait notre pays, l’écrivain de science-fiction américain Norman Spinrad, qui vit en France depuis de nombreuses années, observait que « les Français se préoccupent avec passion et gravité de ce qu’on pense de la France à l’étranger [et] s’interrogent jusqu’à la paranoïa sur la métaphysique socio-politique que représente le fait d’être Français ». Il évoquait également l’« état de doute narcissique permanent » dans lequel vivait la France. Préoccupons-nous à notre tour de ces questions pour entrevoir l’utilité que pourrait revêtir une exposition universelle, en tant que projet mobilisateur et porteur d’espérance.
A. RETROUVER LE CHEMIN DE LA CONFIANCE
Les économistes Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg ont mis en lumière, dans un essai publié en 2012 (78), l’état de défiance qui caractérise selon eux la société française, qui détruirait notre goût de coopérer et de vivre ensemble, et qui expliquerait la force du pessimisme collectif qui se manifeste aujourd’hui dans des proportions inquiétantes. Il convient de s’interroger sur les traits principaux de cet état d’esprit et sur ses conséquences, avant de se demander en quoi l’exposition universelle peut contribuer à enrayer cette spirale négative.
1. La sinistrose française, un cercle vicieux qui s’auto-entretient
La sinistrose française trouve sûrement à s’expliquer de bien des manières selon que l’on privilégie l’angle politico-historique, l’angle économique ou l’angle socio-culturel. Il convient également de ne pas négliger son amplification due à la crise économique. En tout état de cause, il importe de mieux cerner la spécificité du pessimisme français et d’en distinguer les manifestations propres.
a. Un pessimisme complexe et nourri de paradoxes
Nombreux sont les interlocuteurs de la mission à avoir mentionné le fait que le pessimisme français, bien réel, se caractérisait par une certaine disproportion. Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist considère que « la morosité des Français n’est pas une invention étrangère : on peut la mesurer grâce aux sondages ; elle s’exprime dans les articles de presse, les livres, les débats. Elle est très frappante pour les étrangers, d’autant qu’on ne la retrouve pas dans les autres pays, y compris ceux plongés dans de graves difficultés : d’après un sondage de 2013 du Pew Global Attitude, les Français sont plus pessimistes que les Afghans et les Irakiens ! ». Estimant par ailleurs que depuis une douzaine d’années, la France n’avait pas réalisé son potentiel économique mais qu’elle semblait s’être engagée depuis peu sur une voie pertinente, Mme Pedder n’en a pas moins souligné le décalage frappant entre ce pessimisme et les atouts réels de notre pays.
Mme Mercedes Erra, présidente d’Euro RSCG, a, pour sa part, évoqué « la déprime qui afflige notre pays, alors que la crise économique y a été beaucoup plus atténuée que dans la plupart des autres pays, qui n’ont pas les amortisseurs sociaux dont nous nous sommes dotés – ce que l’on oublie de dire. Le niveau d’inquiétude de la population ne laisse pas d’étonner. […] Les Français n’étant pas nés avec le gène du pessimisme, il convient d’analyser ce phénomène. Quels en sont les responsables ? Les medias, certainement, qui se plaisent à raconter des histoires tristes. Il y a aussi que nous n’osons pas être positifs comme peuvent l’être les Américains : contrairement à eux, nous doutons toujours de l’intérêt de notre modèle. Et puis, en amont, il y a un système éducatif qui peine à donner confiance aux jeunes qu’il forme, si bien qu’ils sortent de l’école très tristes ».
Ce dernier constat trouve un écho dans l’explication par MM. Algan, Cahuc et Zylberberg des sources de la défiance française : hiérarchisée à l’excès, élitiste, conflictuelle, la logique organisationnelle de notre société, de l’école aux entreprises en passant par l’État et les administrations, minerait les relations sociales mais aussi la confiance en l’avenir, et par là-même entraverait le dynamisme économique. Nonobstant les difficultés conjoncturelles auxquelles nos compatriotes sont confrontés depuis 2008, le pessimisme français renverrait donc d’abord et avant tout à une « dépression collective » que M. Jean-Paul Delevoye, qui occupait alors la fonction de médiateur de la République, décrivait ainsi à l’automne 2010 :
« Je suis inquiet car je perçois, à travers les dossiers qui me sont adressés, une société qui se fragmente, où le chacun pour soi remplace l’envie de vivre ensemble, où l’on devient de plus en plus consommateur de République plutôt que citoyen. Cette société est en outre en grande tension nerveuse, comme si elle était fatiguée psychiquement. » (79)
Perte du sens collectif, perte des repères et crise de l’autorité publique et des institutions traditionnelles se lisent également dans les résultats de l’enquête diligentée en 2013 et en 2014 par le Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF), « France, les nouvelles fractures » (80), qui dresse de notre pays un portrait très inquiétant. On observe cependant, d’après les mêmes études, que si les Français sont les champions du pessimisme collectif, ils battent aussi des records d’optimisme individuel, comme le soulignent certains observateurs (81). Le journaliste Alain Duhamel a plaisamment résumé la situation en écrivant dans l’une de ses chroniques qu’il y avait en chacun de nous « une France selon Michel Houellebecq et un Français selon Michel Serres ».
Mme Mercedes Erra a également noté ce caractère ambivalent du « moral français » :
« Cependant, ces Français tristes ne se satisfont pas de l’être et aspirent à autre chose : 60 % d’entre eux pensent que la France doit changer, 56 % aspirent à un nouveau départ collectif et 90 % se disent favorables à la création d’une « marque France ». On note à ce dernier sujet une évolution marquée : beaucoup de ceux qui, en 2009, étaient effrayés par cette notion sont devenus en quelque sorte plus commerçants ».
Une nouvelle articulation des rapports entre la sphère collective et la sphère individuelle serait ainsi en passe de s’affirmer dans nos pratiques quotidiennes, sans encore trouver de résonance en termes de perception collective. D’une part, nous contribuons nous-même à véhiculer l’image d’un pays immobile et incapable de se réformer, d’autre part la réalité de la modernité française se trouve en partie méconnue, comme le souligne M. Pierre Simon, président de l’association Paris Île-de-France Capitale économique.
« Il existe un décalage important entre les faits et la perception que l’on a de nous à l’étranger : l’image que nous projetons est moins bonne qu’elle ne devrait l’être. Ainsi, dans le classement établi à la suite des réponses à la question “Quelle métropole européenne est la plus innovante ?”, posée dans une étude menée il y a deux ans, Londres arrive en tête, devant Paris ; pourtant, nous avons deux fois plus de chercheurs et nous déposons deux fois plus de brevets que nos voisins britanniques. »
S’il ne faut pas négliger par ailleurs, d’après Mme Claude Revel, les effets d’un certain « french-bashing », les effets préjudiciables du pessimisme français relèvent donc avant tout d’une logique interne qui s’auto-entretient mais qui n’en a pas moins pour autant des conséquences réelles.
b. Les manifestations de la dépression française
Selon Mme Mercedes Erra, la moitié des Français voient aujourd’hui dans la mondialisation une très grande menace et non une opportunité : 60 % jugent que notre pays est mal placé pour résister à la mondialisation ; 70 % pensent que nous sommes dans une phase de dépression collective et 68 % considèrent que notre société va dans une mauvaise direction. « Voilà qui nous dépeint toujours comme les plus tristes, les plus frileux, les plus inquiets, alors que nous vivons dans un pays merveilleux. Nos visiteurs ne s’expliquent pas cet état d’esprit ».
Nous pourrions ajouter que ledit état d’esprit se trouve conforté par une « pensée du déclin » ayant pour résultat premier une tentation du repli qui ne peut être que préjudiciable.
M. Michel Foucher considère qu’« il faut en finir une fois pour toutes avec cette pensée du déclin entretenue par la presse nationale », qui s’est développée depuis près d’une décennie et conseille par conséquence de ne pas perdre de temps « avec des textes qui ont fait des diagnostics souvent utiles mais aussi souvent très orientés ». Il ne s’agit pas de nier les problèmes propres à notre pays mais seulement d’avoir conscience de l’effet paralysant que peut entretenir une telle vision.
M. Armand de Rendinger discerne, pour sa part, quatre éléments fondamentaux faisant l’objet d’un blocage psychologique de la part des Français, et qui contribuent à l’accentuation de la perception du phénomène :
« Si le savoir-faire français inspire confiance à l’étranger, on est plus dubitatif s’agissant des relations que les Français entretiennent avec : l’argent, objet de culpabilité et d’envie, que l’on doit cacher au point de rendre les choses compliquées ; avec les jeunes, dont on s’inquiète que, malgré une des meilleures politiques familiales, ils descendent dans la rue et partent à l’étranger ; avec l’autre, qu’il soit le voisin de palier, l’immigré de banlieue, l’ami de couleur, la personne de confession religieuse ou politique différente ; enfin, avec le travail, que nos compatriotes considéreraient comme une tare dont il faut se défaire – cette impression très prégnante est souvent prise comme prétexte par les contempteurs de notre pays. »
Par ailleurs, la mélancolie française a été pointée à plusieurs reprises comme facteur symptomatique d’aggravation de notre état d’esprit négatif. Comme il a déjà été observé au moment d’examiner les écueils français en matière de candidature aux jeux Olympiques, nous cultivons une image idéalisée du passé qui n’est pas forcément celle que l’on attend de nous, notamment dans le cadre d’une exposition universelle.
Après avoir rappelé combien un tel événement pouvait contribuer à changer l’image d’un pays et à projeter une vision, M. Vicente Gonzales Loscertales a noté que « le pavillon français à Shanghai présentait essentiellement Brigitte Bardot dans sa meilleure époque, le croissant et le café de Flore… ».
Les étudiants de Sciences Po Paris et de l’École nationale supérieure des arts et métiers, qui sont venus présenter devant la mission les travaux qu’ils ont réalisés pour le compte de l’association ExpoFrance 2025, ont également insisté sur ce point : « si notre pays a échoué lors de précédentes candidatures, c’est parce qu’il a trop misé sur une carte un peu datée, certes romantique, mais totalement insuffisante pour un tel événement ».
Cependant, M. Marc Giget a noté que si la France invitait la terre entière, cela pourrait constituer pour elle une bonne psychothérapie :
« La France a une légitimité historique pour délivrer un message progressiste. Elle doit donc dépasser le traumatisme des deux guerres mondiales, qui l’amène à commémorer les tranchées plutôt qu’à fêter la Belle Époque. Si elle a marqué la terre entière, ce n’est pas par ses guerres, mais par sa vision pasteurienne du progrès, en apportant partout l’électricité et les télécommunications, en prônant l’éducation pour tous. Paris se doit de trouver une solution intelligente montrant que nous sommes vraiment ouverts au reste du monde en ces temps de poussées nationalistes. Il est hors de question de faire seulement une fête du made in France : c’est l’engagement des autres qui fait le succès chez soi. »
De même que « le principal impact des jeux Olympiques de Londres a été de donner au public britannique une image moderne, actualisée dont on voit aujourd’hui les effets en termes de croissance », selon M. Michel Foucher, l’exposition universelle doit nous servir d’aiguillon et de stimulant et n’aura de sens que si nous retrouvons une volonté collective d’aller de l’allant, que si nous cessons de n’être qu’une vitrine pour redevenir également un atelier.
Bien entendu, il ne s’agit pas pour autant de nous voiler la face ni de croire que le redressement surgirait par miracle d’un tel projet. Au contraire, il est même impératif de prendre en considération les interrogations de la société française si l’on souhaite le mener à bien. Si tant est que les membres de la mission aient pu être tentés de s’en abstraire, plusieurs intervenants se sont chargés de les leur rappeler, en particulier M. Hugues de Jouvenel :
« Je le répète, j’ai envie d’adhérer avec enthousiasme à votre projet d’exposition universelle, car je ne crois pas à la fatalité : l’état actuel de la France résulte de décisions, de choix – ou de non-choix – politiques faits depuis bien des années, par la gauche comme par la droite. L’avenir est ouvert : à nous de le construire. Mais est-on capable de fédérer les énergies autour d’un projet, et celui de l’exposition universelle donnera-t-il du cœur au ventre aux Français de telle ou telle commune ? Rendra-t-il l’appétit du futur, le goût de l’avenir à des gens qui, si j’ose dire, ne le regardent que dans le rétroviseur et se demandent comment ils vont se débrouiller dans un environnement qui leur est si peu favorable ? »
… avant de conclure :
« Tout ne va pas mal en France. Le problème, c’est notre sentiment un peu confus de mal-être, lié sans doute à notre impression de no future – on ne sait pas où on va – et à la défiance envers les élites, qui n’ont pas l’air de savoir davantage où elles veulent aller. Voilà pourquoi, si la tentative est salutaire, le pari est osé. »
2. Les moyens d’en sortir et d’aller vers une nouvelle positivité
Si la confiance ne se décrète assurément pas d’en-haut, elle peut néanmoins se fabriquer et, dans cette optique, il convient de ne pas opposer trop rapidement l’essentiel et l’accessoire. Des commentateurs ne manqueront probablement pas de s’élever contre un projet d’exposition universelle qui ne constituerait qu’une réponse superficielle à la défiance française telle qu’elle se manifeste aujourd’hui, une pure réponse de façade en quelque sorte.
Votre rapporteur est convaincu que ce projet peut servir de déclic utile, à la condition néanmoins d’être mené sous certaines conditions.
« Il nous manque une représentation du monde à construire. Car la crise, je le répète, n’est pas conjoncturelle : elle manifeste une transition longue et pénible entre un monde qui n’en finit pas de mourir et un autre qui reste à inventer. »
Si le jugement de M. Hugues de Jouvenel résume assez bien l’état d’esprit qui semble prévaloir dans notre pays, faut-il pour autant en conclure que toute initiative nous est interdite ?
Même s’il faut se garder, à bien des égards, de toute comparaison hâtive, notre pays a connu une période de doute profond à l’orée du XXe siècle, qui répondait à des ressorts pour partie similaires. L’historienne Suzanne Berger, professeur au Massachusetts Institute of Technology de Cambridge (États-Unis), a ainsi mis en évidence, dans un petit essai publié en France en 2003, de nombreux parallèles entre la période de mondialisation que nous connaissons aujourd’hui et celle qui, de 1870 à 1914, transforma profondément l’économie occidentale :
« Les mêmes changements dans les structures de la vie quotidienne produisant les mêmes anxiétés, les Français du tournant siècle établirent entre les mécanismes de la mondialisation et leur impact sociétal des liens qui rappellent étrangement ceux que nous faisons aujourd’hui. […] En 1900, la montée en puissance du Japon, les investissements étrangers en Chine et le raccourcissement rapide des distances entre l’Asie et l’Europe ont nourri le même genre de peurs. » (82)
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère nous a cependant rappelé que dans les archives de plusieurs expositions universelles françaises, qui ont précisément eu lieu à cette époque, on pouvait aussi lire « l’extraordinaire enthousiasme des organisateurs des expositions et de ceux qui travaillent autour d’eux, qui n’avaient peur de rien ! ».
C’est précisément cet enthousiasme qu’il s’agit de retrouver, et tout d’abord en réapprenant à subordonner les moyens aux fins que nous nous assignons.
M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique nous a ainsi appelés, dans un monde où tout change très rapidement, à renverser les visions traditionnelles :
« Je ne sais pas comment s’est passée l’organisation de la première exposition universelle, mais je suis à peu près certain que l’on s’est dit que la technologie suivrait, et qu’il convenait d’abord d’avoir des idées. Une anecdote m’a fasciné. Elle concerne une entreprise très connue en France, qui a été créée à cette occasion. On avait décidé de construire une ligne de métro Nord-Sud (l’actuelle ligne 4) et il a fallu la faire passer à côté du Sénat. Les sénateurs ayant estimé qu’une ligne de métro aérienne ferait trop de bruit et gênerait les débats, ils ont demandé que cette ligne soit souterraine. Cela impliquait de la faire passer sous la Seine. On a donc gelé la Seine avec des produits chimiques, creusé et découpé des blocs. On a ensuite creusé sous le lit de la Seine, puis on a refermé et refait passer l’eau. […] Aujourd’hui, on n’oserait pas faire des choses pareilles, parce que l’on réfléchit d’abord à partir des technologies existantes, puis on essaie d’en déduire des idées. On a fait exactement l’inverse en cherchant quoi faire, à partir de ce que l’on souhaitait faire ».
Selon M. Pascal Ory aussi, la très importante motivation d’une exposition universelle pourrait donc être d’extraire ce qu’il y a d’énergie positive en France, de l’afficher, pour la gouverne des Français eux-mêmes et des étrangers qui pourraient être sceptiques sur notre pays. Cela passe assurément par un ressaisissement collectif dans les actes, mais aussi dans les discours, ainsi que l’a rappelé Mme Mercedes Erra :
« Lorsque j’ai pris connaissance du projet d’organisation d’une exposition universelle en France en 2025, j’ai immédiatement pensé qu’il fallait le mener à bien : il est nécessaire de faire feu de tout bois pour redonner confiance à nos concitoyens. Je puis témoigner que la communication a permis à de nombreuses entreprises de commencer à se redresser avant même que la réalité économique n’embraye : quand la direction vers laquelle on tend est dite, on se met à travailler pour changer le monde. Tous les indicateurs dont nous disposons vous donnent raison d’envisager l’éventualité d’une exposition universelle dans notre pays ; cela ferait un bien fou aux Français, car cela construirait la confiance. C’est essentiel, car je n’ai jamais vu que l’on avance sans confiance. Nous devons donc insister sur nos forces, celles de nos entreprises, de nos inventeurs, de nos designers, de nos décorateurs, employés partout dans le monde. »
Mettre en avant nos atouts et nous projeter dans l’avenir, sans nous dissimuler nos faiblesses mais en essayant de les dépasser, voilà un véritable enjeu !
b. Les conditions préalables à une dynamique positive
Les discours ne sauraient cependant suffire et au-delà de l’objectif que nous nous assignons, il convient selon votre rapporteur d’intégrer au projet plusieurs dimensions qui conditionneront l’adhésion des Français à la démarche.
Il apparaît tout d’abord essentiel de ne pas rejeter ce qui fait la force de la France au prétexte d’une vision exclusivement futuriste. Ce point a du reste déjà été évoqué au moment d’aborder les pistes préalables au choix du thème. Nous ne sommes assurément pas un pays émergent mais nous devons avoir à cœur, en nous appuyant sur notre longue expérience et sur notre riche histoire de montrer que non seulement nous sommes encore capables d’innover, mais que nous y mettons de l’enthousiasme.
En outre, il est nécessaire que le projet prenne en compte la population française telle qu’elle est. M. Michel Foucher a rappelé que la population française était plus jeune que la moyenne européenne et que le France se caractérisait aussi depuis longtemps par sa dimension féminine. Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, pour sa part, a observé que dans nos banlieues, des énergies très fortes étaient prêtes à s’exprimer, qui se sentent aujourd’hui marginalisées. M. Jean Pisani-Ferry a de son côté noté la crainte pour beaucoup de nos compatriotes que la croissance et le progrès ne profitent qu’aux villes et aux métropoles, au détriment des territoires ruraux, qui seraient sacrifiés au nom de la croissance et de la mondialisation. Toutes ces populations doivent se sentir associées à l’exposition, qui ne peut se contenter de refléter l’image d’une bulle urbaine déconnectée de toute réalité.
Au demeurant, il ne s’agit pas uniquement d’associer ces populations, il s’agit au travers de l’exposition d’expérimenter une nouvelle déclinaison de notre vivre-ensemble. La typologie des modèles possibles d’expositions
– cathédrale, place de marché, bazar – présentée par M. Jean-Louis Fréchin (83), commissaire général de Futur en Seine pourrait aisément trouver à s’appliquer aux différents modes de gouvernance d’un tel projet. Le modèle de la cathédrale, centralisé et dirigiste, renvoie dans notre pays à une longue tradition, il a permis de grandes réalisations mais il n’est manifestement pas adapté à ce que la mission considère devoir être l’exposition du XXIe siècle. Certes, de grands projets structurants doivent pouvoir conforter la tenue de la manifestation, mais il s’agit aujourd’hui de faire le pari des territoires et des forces sociales. Cela suppose évidemment de rompre avec l’unité de lieu, avec l’organisation, parfois un peu pompeuse, qui faisait traditionnellement d’un seul site la vitrine d’un pays et même du monde. Nous gagnerons ainsi en participation et en adhésion ce que nous perdrons en dispersion.
De surcroît, le fait de ne pas obéir à un schéma préétabli constitue un appel à l’imagination et nécessitera une importante campagne auprès de nos partenaires étrangers pour leur expliquer la déclinaison du projet et pour les y associer en amont, une fois la désignation définitivement acquise.
C’est une nouvelle méthode de travail qu’il s’agit donc d’expérimenter ; à cet égard, votre rapporteur se félicite que la représentation nationale puisse avoir été saisie en amont du dossier et puisse avoir contribué à l’ouverture du dialogue entre les différentes parties, même si, de toute évidence, elle ne pourra à elle-seule le faire aboutir.
B. DYNAMISER NOTRE STRATÉGIE D’INFLUENCE
D’après M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF, « l’exposition offrira un moyen de réconcilier la France avec la mondialisation, à l’heure où nos compatriotes ont l’impression que le monde va plus vite qu’eux ». Si une chose est certaine, c’est que le monde ne s’arrêtera pas pour nous contempler si nous nous arrêtons nous-mêmes. Aussi devons-nous avoir en permanence à l’esprit la préoccupation de notre insertion dans la mondialisation. L’organisation d’une exposition universelle s’inscrit pleinement dans la perspective du renforcement de notre stratégie d’influence, qui nécessite préalablement une réflexion sur les moyens de mieux contrôler notre image extérieure.
1. L’image de la France dans le miroir du monde
Dans un monde où les communications ont pris une ampleur inédite, la question de l’image revêt une importance cruciale. Reprendre le contrôle de notre image extérieure, comme nous y invite M. Michel Foucher, ou à tout le moins tirer les conséquences des perceptions qu’elle véhicule, apparaît ainsi éminemment souhaitable.
L’intelligence économique est, d’après Mme Claude Revel, un principe de gouvernance né de l’affrontement à la concurrence internationale. Ajoutant que cette concurrence concerne aujourd’hui les États au même titre que les entreprises, elle a ainsi estimé que le projet d’Exposition universelle de 2025 pouvait être une composante importante du bloc d’attractivité de la France, en précisant qu’« au-delà des investissements physiques, la dimension immatérielle est fondamentale et permet d’améliorer ceux-ci. Elle renvoie au domaine de l’image et de la perception, dans lequel la France dispose d’un capital d’influence, fondé sur notre histoire et nos valeurs, malgré l’existence d’un certain « French-bashing ». Mais ce capital est un peu dormant, après avoir connu pourtant un fort développement à une certaine époque. Or l’image sert l’influence. Si on n’a pas d’image crédible, on aura du mal à être influent dans les enceintes internationales, sachant qu’on ne peut mentir sur celle-ci. En sens inverse, l’influence sert l’image : il faut revenir à un cercle vertueux ambitieux à cet égard, ce qui repose sur un apport d’idées et un lobbying touchant à la perception ».
Cette préoccupation renvoie à celle déjà exposée au moment d’examiner les forces et faiblesses françaises lors des candidatures passées pour l’accueil de grands événements internationaux, et en particulier la question de l’arrogance. Comment optimiser ce capital immatériel dont nous disposons mais qui est parfois mal perçu, ou alors perçu de façon trop univoque ?
Mme Mercedes Erra considère que, d’une façon générale, on exagère le rejet que le monde ferait de la France. Cette perception de « mal-aimés » que nous aurions de nous-mêmes renverrait plutôt à la « pensée du déclin » déjà évoquée et quand bien même un certain French-bashing se manifesterait, peut-être faut-il avant tout y voir une absence d’indifférence, voire même une attente. Nombreux sont ainsi nos interlocuteurs à avoir évoqué la capacité française à représenter un point de vue sur le monde, de surcroît un point de vue alternatif à la standardisation de la culture.
La persistance d’un désir et d’une appétence pour ce qui est français a également été soulignée par plusieurs de nos interlocuteurs. S’appuyant sur des études internationales, Mme Mercedes Erra a observé que « les jeunes du monde entier ont une opinion de la France plus positive encore que les gens plus âgés, peut-être parce qu’elle représente une culture alternative qui les intéresse ». En outre, le « sens de la beauté », la qualité, la culture continueraient d’être pour notre pays des marqueurs forts, associés à l’idée de légèreté et de plaisir.
« Ne nous gênons pas non plus pour reconnaître que les étrangers adorent manger notre fromage et boire notre vin ; il faut mélanger l’intellect et le bonheur, car cette combinaison est très française. La légèreté nous ressemble et se niche sous la plume de nos plus jolis écrivains – on rit beaucoup en lisant Marcel Proust. Mettons en avant notre générosité qui transparaît dans notre intérêt pour le monde et associons-la au désir et au plaisir. Nous avons l’air d’éprouver du plaisir en travaillant et nos comportements ne sont pas régis par des codes : c’est un peu cela la France et c’est ce qui fait envie au monde ! La candidature à l’organisation de l’exposition universelle doit donc être une source de plaisir pour les Français et pour les étrangers. »
M. Christophe Musitelli, directeur du département Langue française, livre et savoirs de l’Institut français, a souligné les limites du « french-bashing » aux États-Unis : « Nous travaillons sur cette chose très complexe, très fine et en même temps indéfinissable qu’est l’image. Comment donner de la France une image qui dépasse cette morosité dont on nous accuse et nous accable ?...
Pendant mon séjour aux États-Unis, j’ai en effet noté un désir, une appétence, une curiosité remarquable pour tout ce qui était français : de la cuisine à Marcel Proust, du cinéma de niche jusqu’à quelques best-sellers. Il n’est ainsi pas anodin de constater que le bouquin qui se place en tête de liste sur le site Amazon est celui de l’économiste français Thomas Piketty qui apporte une vision différente sur des sujets d’actualité. Cette curiosité, qui a souvent du mal à être économiquement tangible, trouve là, de manière assez évidente, une application. Il faut parier sur le fait que la France a encore des choses à dire ».
Cependant, d’après M. Xavier Darcos, « ceux qui souhaitent que l’Exposition universelle de 2025 soit organisée à Paris devraient d’abord s’appuyer sur cet argumentaire : la France a quelque chose d’autre à dire que ce qu’on en dit d’habitude, qui ne doit bien sûr pas être rejeté pour autant », ne serait-ce que parce que la curiosité pour la France a souvent du mal à être économiquement tangible.
M. Michel Foucher a noté qu’il avait souvent été frappé, au cours de ses voyages à l’étranger, par le décalage dans le temps entre l’image qu’on a d’un pays et sa réalité, souvent d’une génération, voire plus. Cela pourrait nous inviter à cultiver l’image d’une France fidèle à son héritage mais cela ne nous dispense pas de présenter aussi une image moderne. De ce point de vue, la France maîtriserait mal son image extérieure, notamment parce qu’elle laisserait les autres parler à sa place. Ainsi, en dépit du fait que le président de la République ait inauguré en 2013, à Shanghai, le trente-deuxième Institut Pasteur dans le monde, nous ne sommes pas forcément perçus comme une puissance médicale et scientifique.
Le fait que nous parvenions difficilement à mettre en exergue nos capacités d’innovation renforce encore l’intérêt d’une exposition universelle. Le travail sur l’image est une chose complexe et pour partie indéfinissable, qui nécessite du temps mais qui peut connaître grâce à cet événement une formidable accélération.
Mme Mercedes Erra a observé que dans un monde où la puissance n’est plus seulement anglo-saxonne mais aussi chinoise ou brésilienne, « la perception de la France à l’étranger diffère selon les pays. Nous avons des enthousiastes
– la Chine, l’Inde, le Mexique. Un cran en-dessous, on trouve des opinions très positives – celles du Brésil et de la Turquie. Ensuite s’expriment quelques réticences et du scepticisme en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie, ce qui ne signifie pas de la négativité ».
Pour M. Michel Foucher, nous devons par conséquence être plus attentifs aux différents profils de notre pays, en nous appuyant sur des données tangibles et en sachant jouer de ces anamorphoses :
« La première langue de destination de textes français est le chinois depuis 2013. Le premier consommateur de livres français, en dehors des pays de la francophonie du Nord et du Sud est l’Allemagne. Nous devons être sensibles à ces aspects, à ces attentes. […] J’ai fait faire par nos postes diplomatiques des enquêtes sur l’image de la France. Les réponses sont extraordinairement diverses. Au Vietnam, on nous demande des actions d’urbanisme ; on a formé 4 000 médecins vietnamiens, crée l’université scientifique et technique de Hanoï. En Algérie, c’est la langue : on tient à la langue française parce que l’arabisation forcée a été une régression. En Russie, c’est l’art de vivre. En Chine, Xavier Darcos en a parlé, c’est le romantisme, mais également la délicatesse, l’audace. Au Brésil, c’est le positivisme : la devise d’Auguste Comte, « Ordre et Progrès », figure sur le drapeau. Ce pays nous confie des dossiers économiques, des dossiers de formation – il va nous envoyer 10 000 étudiants – dans des secteurs scientifiques et techniques. Comme tous les pays émergents qui sont souverainistes et westphaliens – et pas du tout coopératifs –, ce qui intéresse le Brésil, c’est le début de la Ve République, la France des grands programmes ».
Ces perceptions diverses renvoient à des attentes spécifiques, qui ne sont pas forcément celles que l’on pourrait prévoir. La meilleure compréhension des différents profils qui sont les nôtres doit nous permettre de mieux adapter notre offre à la demande disponible dans le monde. La France a ainsi besoin de se faire connaître telle qu’elle est, dans toute sa diversité. La seule logique de « rayonnement » nous fige dans une perspective relativement statique alors qu’il s’agit aujourd’hui de nous projeter dans le monde. Si nous sommes influents mais que nous maîtrisons mal notre image extérieure et que notre présence est sous-estimée, nous n’en tirerons pas tous les profits.
2. L’exposition universelle au service de la stratégie d’influence française
Bien entendu, l’exposition ne doit pas constituer un prétexte à ne parler que de nous mais si nous parlons du monde en y instillant une « touche française », celle-ci contribuera indiscutablement à amplifier une influence déjà prégnante, mais dont nous peinons parfois à optimiser les effets.
Lors de son intervention devant la mission, M. Michel Foucher a évoqué le discours du général de Gaulle prononcé le 30 octobre 1943 à Alger, à l’occasion du soixantième anniversaire de la fondation de l’Alliance française. Selon le fondateur de la France Libre, il faut « se laisser pénétrer par les courants du dehors », faute de quoi « l’autarcie mènerait vite à l’abaissement ». L’émulation internationale conserve son actualité, on la retrouve aujourd’hui dans les classements internationaux, tels que le classement de Shanghai, qui nous sont utiles malgré leurs imperfections. Le général de Gaulle estime donc que « l’émulation internationale est un ressort dont il ne faut pas que l’Humanité soit privée, mais les hautes valeurs ne subsisteraient pas dans une psychologie outrée de nationalisme intellectuel ». Et de poursuivre : « Nous avons, une fois pour toutes, tiré cette conclusion que c’est par de libres rapports spirituels et moraux, établis entre nous-mêmes et les autres, que notre influence culturelle peut s’étendre à l’avantage de tous et qu’inversement peut s’accroître ce que nous valons. »
C’est dans cette perspective d’ouverture au monde que la notion d’influence prend toute sa signification et que nous devons plus que jamais nous placer aujourd’hui, en gardant à l’esprit que l’influence fonctionne dans les deux sens. En effet, si nous avons tout à gagner à la diffusion dans le monde de nos produits et de nos idées, nous nous nourrissons également de ce qui provient de l’extérieur.
Dans cette optique, M. Pascal Ory s’est ainsi appuyé sur l’exemple de la cuisine française pour montrer que son maintien en tant que cuisine de référence était aussi lié à son extraordinaire ouverture aux influences étrangères, avant de conclure que « l’organisation d’une exposition universelle dans notre pays ne doit en aucun cas signifier que la France se dresserait sur ses ergots : il s’agit de montrer que l’on peut être Français et ouvert sur le monde, comme nous l’avons toujours été et comme nous voulons le montrer une nouvelle fois ».
Inviter le monde en France mettra ce dernier à la portée immédiate de chaque Français, au travers des pavillons des États, des entreprises ou des organisations non gouvernementales mais encore des animateurs de l’exposition et des visiteurs étrangers. À cet égard, votre rapporteur réitère le souhait déjà formulé (cf. IIIe partie) que la structure qui sera, le cas échéant, chargée de son organisation, comporte en son sein une forte dimension européenne et internationale, qui soit directement partie prenante au projet.
Les différentes pistes avancées dans les travaux de la mission s’agissant du renouvellement du « modèle » de l’exposition vont du reste dans ce sens. L’immersion de l’exposition au sein des territoires, la possibilité pour chaque nation participante de se déployer au-delà d’une enceinte étroite, la promotion des échanges et du partage d’expériences visent à dépasser le stade de la simple présence. Comme l’a noté M. Michel Foucher, « il existe une différence entre l’influence et la présence. Dans ce dernier cas, un professeur vient, donne son cours, recueille des données et repart pour en faire un livre ou une thèse. Et il y a celui qui vient avec des idées et les partage, les laissant quand il repart – c’est l’influence ».
L’exposition est susceptible de toucher toutes sortes de publics et sa durée permet d’approfondir des liens, si nous le souhaitons. Encore faut-il que notre pays fasse des progrès en la matière, si l’on en croit toujours M. Michel Foucher :
« Nous invitons de nombreux étrangers à participer à des colloques, des séminaires, des bourses d’études, à l’ENA – 4 000 élèves dont 400 Allemands, 350 Britanniques, l’ancien ambassadeur de Chine en France… –, à l’École militaire... Or nous n’envoyons pas la petite carte postale, début janvier, pour présenter les vœux de la France ! À l’inverse, Britanniques et Américains sont maîtres dans l’art de cultiver les liens. »
C’est aussi en pensant à l’« après-Expo » sous cet angle des liens à cultiver que nous serons le mieux en mesure de bénéficier de ses retombées positives sur le long terme.
Si nous savons bien nous y prendre, l’exposition universelle peut être l’un des moyens privilégiés par lequel nous serons en mesure d’être davantage prescripteurs sur la scène extérieure. D’une certaine manière, cela constituerait pour ce type de manifestation une forme de retour aux sources, lorsqu’il s’agissait de promouvoir les produits issus de l’industrie et des manufactures. L’économie du XXIe siècle se caractérisant davantage par sa dimension immatérielle, notre influence en la matière passe aussi par le développement d’un savoir-faire en matière d’expertise et de production de normes et principes applicables à l’échelle du monde. En somme, l’enjeu de l’influence nous amène à relever le défi de l’exemplarité, sur le fond et dans la forme même de l’événement.
A. DES BÉNÉFICES TOURISTIQUES ET ÉCONOMIQUES EN MATIÈRE DE QUALITÉ DE VIE
1. Des retombées importantes sur l’économie
a. Un renforcement de notre diplomatie économique
Un gros effort commence à être porté dans cette direction. La diplomatie économique est l’ensemble des actions qui doivent permettre à la fois aux entreprises de mieux se développer à l’étranger tout en rendant l’espace français plus attractif aux investisseurs étrangers. Sept personnalités viennent d’être nommées « représentant spécial », un des piliers sur lesquels s’appuie ce concept, afin de mettre leur expérience au service des entreprises.
M. Luc Carvounas, sénateur, le souligne : « On peut se féliciter de la volonté du Gouvernement de renforcer la diplomatie économique en ce sens, comme le rappelait le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. Nous devons aller au-devant du monde pour renforcer notre commerce extérieur, notre tourisme, notre technologie. C’est le but de notre diplomatie économique.…
Ce projet rend tangible ce concept de diplomatie économique : rayonnement de la France à l’international, bénéfice pour notre commerce extérieur et l’industrie du tourisme, formidable levier pour la création et l’innovation. J’ai une conviction forte : l’Exposition universelle du Grand Paris 2025 peut devenir la carte de visite de la France pour cette première partie du XXIe siècle ».
Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique, lors de son audition par la mission a par ailleurs annoncé la mise en place une veille d’« e-réputation » pour notre pays, grâce notamment au balayage des réseaux sociaux et électroniques, mais aussi des réseaux physiques
– entreprises, administrations, ambassades – et elle a également proposé ce type de veille au service du projet d’exposition universelle. Elle a enfin préconisé l’instauration d’une sorte de think tank diffusant du concept et de l’image français, à l’image des Britanniques.
Il faut remédier à une lacune qui nous porte préjudice dans le monde actuel : ainsi que l’a fait remarquer M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure d’Ulm, l’exposition permettrait à la France de redevenir prescripteur : « Nous sommes influents, mais nous ne sommes pas prescripteurs : le journal Le Monde, par exemple, n’est pas traduit en anglais alors que The Economist ou le Financial Times sont lus partout. À part Radio France internationale – et, dans une très faible mesure, France 24 –, nous ne disposons plus de plateforme de prescription. La France maîtrise mal son image extérieure : souvent, ce n’est pas elle qui parle de la France ».
b. Des retombées positives pour de nombreux secteurs
La tenue d’une exposition universelle permettra l’accélération des infrastructures de transport dans le Grand Paris, prévues indépendamment de celles-ci mais dont le calendrier vient d’être modifié, ainsi celle du chantier de la couverture numérique du territoire : selon M. Luc Carvounas, « l’utilisation des nouvelles technologies aura le double avantage de libérer la création et l’innovation et de réduire nos coûts de fonctionnement ».
En ce qui concerne la filière ferroviaire, M. Pierre Mongin, président de la RATP, souligne l’intérêt de l’exposition : « je voudrais ajouter quelques mots en tant que président actuel de la filière ferroviaire française, Fer de France, qui rassemble, au-delà des grands donneurs d’ordre, les fabricants de matériel, les ingénieristes… Nous demandons aux pouvoirs publics de lancer de nouveaux grands projets, car les chantiers des différentes lignes de TGV sont en cours d’achèvement. C’est donc toute la filière – 340 000 emplois – qui a besoin que de nouveaux chantiers prennent le relais, et le Grand Paris est notre seul espoir. Certes, certains sont déjà lancés. Mais il faut vraiment tenir le calendrier, sinon c’est toute une filière qui risque de s’effondrer : nous perdrions énormément d’emplois, d’entreprises, et tout un savoir-faire. La RATP, la SNCF, toutes les entreprises du domaine ferroviaire constituent un écosystème, sans lequel nous ne pourrions pas vivre. L’accélération du projet du Grand Paris serait donc pour tout ce secteur un élément extrêmement positif, notamment pour améliorer notre visibilité internationale ».
Plus généralement, dans le secteur des transports, l’exposition sera un levier important pour mobiliser les ressources publiques nécessaires et accélérer les travaux relatifs aux mobilités du Grand Paris.
Il en est de même pour l’environnement, selon M. Luc Carvounas : « Cette exposition peut justement offrir des opportunités de développement extraordinaire. Faisons du Grand Paris la première « smart » métropole mondiale. Développons les transports alternatifs. Soyons en pointe sur l’économie circulaire ou encore la croissance verte. L’environnement du Grand Paris, c’est aussi un symbole exceptionnel : la Seine. En tant que maire d’Alfortville, commune aux confluents de la Marne et de la Seine, je mesure chaque jour la puissance d’invocation de notre fleuve. Notre exposition devrait se vivre au fil de l’eau, autour du poumon aquatique, véritable carrefour des énergies ».
Par ailleurs, le pôle de Saclay en sera fortement bénéficiaire, en confortant la réalisation de son potentiel considérable, comme le souligne M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’établissement public de Paris-Saclay : « le plateau concentre 15 % de la recherche publique française et un pourcentage équivalent de la R&D privée, avec des secteurs très fortement représentés, comme l’automobile, l’énergie, la défense, la santé et la biologie. On y trouve toutes les composantes d’un cluster d’envergure mondiale, de surcroît avec un spectre d’activité très large, ce qui est un atout majeur à une époque où les grandes innovations se font à la croisée des disciplines : les plus grandes universités mondiales se placent sur des créneaux de ce type ».
Pour poursuivre ce grand chantier, l’établissement s’est fixé plusieurs ambitions. En premier lieu, afin de remédier à la fragmentation existante la création cette année de l’Université de Paris-Saclay regroupera 26 établissements. « Notre deuxième ambition est de stimuler le développement économique du plateau, notamment en renforçant les liens entre le monde universitaire et les entreprises… ces deux univers ne se côtoient pas assez.…
Si l’on compare le plateau de Saclay avec les zones équivalentes en Amérique du nord ou en Chine, il est évident que nous nous situons en deçà.… Cependant, les perspectives d’avenir sont encourageantes : les lieux d’innovation fleurissent et de plus en plus de jeunes diplômés se lancent dans la création d’entreprises.
Le troisième volet de notre action concerne l’aménagement urbain. En premier lieu, l’accessibilité au plateau est insuffisante… Nous sommes par conséquent mobilisés pour obtenir, conformément aux engagements du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, la desserte en 2023 de Saclay par le Grand Paris-Express… c’est vital pour notre projet. D’autres travaux visant à améliorer l’accessibilité du plateau sont en cours…
Nous nous efforçons également de rendre le plateau plus habitable. Nous avons pris le parti, en accord avec les collectivités territoriales concernées, de réaliser une « ville campus ». Deux zones d’aménagement concerté (ZAC) viennent d’être lancées…
Le projet, à l’échelle de la métropole francilienne, est complémentaire de celui de Paris Cité ; les chercheurs travaillent d’ailleurs souvent sur les deux sites. Paris – dans l’acception du « Grand Paris » – est aujourd’hui la première ville universitaire du monde ; elle compte plus d’enseignants-chercheurs que Londres ou New York, et à peu près autant que la Silicon Valley. Notre projet a une vocation à la fois métropolitaine, nationale et mondiale, sur le modèle des grands pôles industrialo-universitaires qui se développent un peu partout dans le monde, et qui jouent un si grand rôle dans le développement économique des États-Unis et de la Chine. Ce sont des lieux où se croisent les disciplines, le monde universitaire et le monde économique, les grandes entreprises et les petites entreprises ; en un mot, ce sont de véritables « écosystèmes ».
Notre ambition est de faire partie des dix principaux pôles industrialo-universitaires mondiaux. Un article de la MIT Technology Review nous a déjà classés parmi les huit premiers clusters mondiaux. Comme quoi, il suffit d’un peu de synergie pour franchir une étape importante !
Vous aurez compris que ce projet m’enthousiasme. Et comme celui que vous défendez vise lui aussi à accroître le rayonnement de la France dans le monde, nous devrions pouvoir rassembler nos efforts dans cet objectif… je me félicite que le projet d’exposition universelle concerne non seulement Paris, mais aussi le réseau métropolitain de premier rang. ».
Les calendriers de l’exposition et celui de l’aménagement de Saclay se conforteraient l’un l’autre : « En 2025, on aura bien avancé – la ligne 18 du métro devrait être mise en service en 2023 et les chantiers de construction d’écoles s’achèveront entre 2017 et 2020 –, mais le projet sera loin d’être bouclé et d’autres chantiers pourraient s’inscrire dans le timing de l’exposition universelle. Par exemple, nous souhaiterions créer un learning center, à l’instar de ceux dont disposent les universités internationales, mais vu l’état de nos financements, il ne sera peut-être pas terminé en 2025. Sur ce point, une articulation entre les deux projets pourrait être envisagée.
En matière de développement durable, nous avons des projets ambitieux. Nous souhaitons par exemple créer un réseau de production d’eau chaude et d’eau froide par géothermie… l’objectif serait de mettre en place un réseau intelligent, un smart grid... En 2025, ce projet innovant devrait avoir débouché sur de premières réalisations concrètes, mais il restera certainement beaucoup à faire – de même qu’en matière numérique ».
L’exposition universelle permettrait de développer la visibilité de Saclay à l’échelle internationale : « Nous souhaiterions… accroître le cosmopolitisme de notre campus – mais les jeunes Chinois, Indonésiens, Indiens, Africains rêvent tous du MIT, de Harvard ou de Stanford ; la France, ils ne la connaissent pas ! L’une des finalités du projet est précisément de nous donner une plus grande visibilité, en créant un pôle d’attraction susceptible de stimuler l’imagination des jeunes du monde entier. De ce point de vue, l’organisation d’une exposition universelle serait de nature à nous aider ».
La région Île-de-France pourrait également faire valoir certains secteurs stratégiques, qui pourraient être intégrés dans le projet d’exposition universelle afin de servir de relais de croissance. M. Jean-Paul Huchon en distingue plusieurs : « la filière de l’audiovisuel et du numérique s’impose. La région aide l’industrie du cinéma à hauteur de 15 millions d’euros chaque année, aidant ainsi à produire 70 films et des dizaines d’œuvres audiovisuelles. Ces aides, parce qu’elles sont en général réparties dans les zones de la région qui sont le plus en difficulté, ont un effet de rééquilibrage intéressant à l’est et au nord ; des entreprises brillantes utilisant les nouvelles techniques numériques sont par exemple situées à Saint-Denis, à La Courneuve. Je rappelle que la 11e Coupe du monde de jeux vidéo va se tenir à Paris. Une autre filière sur laquelle mettre l’accent est celle du « produire autrement », de la transition énergétique, de la rénovation énergétique des bâtiments, et notamment des bâtiments publics. La région construit déjà des lycées entièrement conçus en énergie positive. Les services à la personne sont toujours oubliés ; pourtant, dans ce domaine également, nous avons beaucoup à montrer. On pourrait aussi imaginer travailler sur le concept de nouvelle économie –l’économie sociale et solidaire et le développement des coopératives. Il serait par ailleurs inconcevable de ne pas élargir l’exposition universelle à la culture dans son ensemble, un champ qui différencie très fortement Paris et sa région d’autres candidatures potentielles. Cela pourrait se faire notamment autour de la musique, avec un appui à de grandes manifestations dans ce domaine. On pourrait enfin mettre en exergue les nouveaux concepts en matière de circulation automobile, domaine dans lequel nous commençons à avoir un indiscutable avantage comparatif.
c. Des retombées pour Paris et le Grand Paris
Nombre de nos interlocuteurs ont souligné combien l’exposition serait bénéfique à Paris et au Grand Paris.
M. Pierre-Antoine Gailly, président de CCI de la région Île-de-France, soutient le projet : « Nous y voyons un formidable instrument de développement économique, de relance et de cohésion pour une métropole qui se cherche quelque peu aujourd’hui, un accélérateur très significatif du projet qu’est le Grand Paris-Express, et une source d’amélioration très significative de l’attractivité de la région capitale ».
Selon M. Pierre Simon, président de l’association Paris Île-de-France Capitale économique, une étude réalisée par l’association avec la contribution du Cabinet Roland Berger et la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (84) « nous perdons du terrain depuis 5 ans au moins… en cinq ans, le nombre de nouveaux investissements directs étrangers dans la région capitale est passé de 192 à 108, remontant un peu l’année dernière. Pendant la même période, ils passaient, à Londres, de 276 à 350 – après un pic à 389 dû aux jeux Olympiques – et, à Shanghai, de 171 à 240 –avec un pic à 309 au moment de l’exposition universelle… nous perdons aussi du terrain en termes de croissance. Aujourd’hui, le PIB de Paris-Île-de-France est le troisième PIB métropolitain mondial, derrière ceux de New York et de Tokyo… la comparaison des taux de croissance naturels à Paris-Île-de-France et dans les autres métropoles mondiales rétrogradera à la 8e place en 2030. Cela tient pour partie au poids nouveau des pays émergents ». Ces chiffres montrent à l’envie que « tous les territoires qui ont organisé de grands événements ont connu une poussée d’investissements ; à Londres comme à Shanghai, les chiffres en attestent ».
L’exposition permettra la mise en place d’une nouvelle stratégie, grâce à l’innovation « au cœur de la stratégie de développement économique de toutes les grandes métropoles performante » et à une nouvelle gouvernance : « les métropoles qui réussissent ont, toutes, adopté une gouvernance économique unique résultant d’un plan stratégique, élaboré et mis en œuvre en association étroite avec le monde économique.
Enfin, l’image d’une métropole n’est qu’un élément parmi d’autres du choix des investisseurs. À l’enquête réalisée auprès de 500 grandes entreprises auxquelles il était demandé de dire : « Quelle capitale a la plus belle image ? », il est frappant de constater que les grandes capitales « traditionnelles » que sont Paris, Londres ou New York ont été citées bien plus souvent que celles qui reçoivent le plus d’investissements – Pékin ou Mumbai par exemple. En d’autres termes, l’image globale, subjective, n’est pas sans importance, mais les critères de décision des investisseurs sont plus objectifs. Ils vont là où ils sont assurés d’une stabilité juridique et fiscale, là où l’économie est en croissance, là où il y a un marché, là où existent de bonnes infrastructures de transport et informatiques et où le personnel est bien formé ; là, aussi, où la qualité de vie est bonne, mais ce critère vient en queue de liste…
L’attractivité d’un territoire suppose donc la définition d’une politique d’ensemble. À cet égard, certains épisodes ont un effet dramatique : si l’on s’efforce d’attirer des investisseurs en leur vantant le crédit d’impôt-recherche mais que la presse explique suite que l’État pourrait remettre le dispositif en cause, le mal est fait quelle que soit la décision finalement prise par la puissance publique ».
Enfin, l’image de Paris Île-de-France doit faire l’objet d’un travail nouveau : « Pour autant, l’image d’un territoire n’est pas tout à fait neutre. Or, il existe un décalage important entre les faits et la perception que l’on a de nous à l’étranger : l’image que nous projetons est moins bonne qu’elle ne devrait l’être. Ainsi, dans le classement établi à la suite des réponses à la question « Quelle métropole européenne est la plus innovante ? », posée dans une étude menée il y a deux ans, Londres arrive en tête, devant Paris ; pourtant, nous avons deux fois plus de chercheurs et nous déposons deux fois plus de brevets que nos voisins britanniques. Puisqu’elle a des répercussions sur l’appréciation globale portée sur un territoire, l’image projetée n’est pas indifférente ; nous devons donc impérativement travailler notre marketing…
L’exposition universelle serait en soi une occasion exceptionnelle de contacts avec des investisseurs industriels et financiers ; cela doit être organisé très en amont car il y a là un enjeu économique majeur ».
d. Des retombées pour l’ensemble de l’économie française
Si la région parisienne bénéficie des effets positifs de l’exposition universelle, il en sera de même pour toute l’économie française.
M. Pierre-Antoine Gailly a estimé que l’exposition universelle « aura un impact très positif sur le moral des Français, en particulier celui des chefs d’entreprises. Elle leur donnera un objectif et une vision, tout en mettant en exergue la capacité de la France à se réinventer ».
Pour M. Jean-Hervé Lorenzi, l’exposition sera plus porteuse que les Jeux olympiques : « elle nous obligera à présenter ce dont nous sommes capables et à mettre l’accent sur l’innovation, seul facteur qui puisse faire redémarrer la croissance mondiale. Dans ce domaine, on peut réfléchir par exemple au stockage de l’électricité ou au moyen d’exploiter des énergies renouvelables à moindre coût… [ce] projet – novateur mais plus modeste que celui des expositions universelles précédentes – me semble adapté à une période moins dynamique en termes de croissance ou d’évolution des revenus. Il mettra l’accent non sur les parfums, le luxe et ou tourisme, mais sur l’invention et la science, sources de progrès technologique. »
M. Christian de Boissieu se félicite de ce projet, « mobilisateur, multiplicateur et intégrateur » à long terme : « La France – l’État comme les agents privés – est devenue « court-termiste ». Le raccourcissement des prévisions et des décisions est à la fois une cause et un effet de la crise. Si je me sens keynésien sur certains points, je récuse l’adage selon lequel, à long terme, nous serons tous morts : la croissance des dix prochaines années m’intéresse plus que celle des six prochains mois.
Le projet est multiplicateur. Lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence, Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a pointé le mauvais état des infrastructures européennes. Même l’Allemagne, qui se porte mieux que la France, doit consentir des efforts à cet égard. L’exposition universelle offrira l’occasion de certaines dépenses à fortes externalités positives, surtout si l’on met au cœur du projet la créativité, l’innovation et la R&D, la culture au sens le plus large.
Lorsque j’ai siégé à la Commission Juppé-Rocard, qui s’est penchée sur l’affectation des 35 milliards du grand emprunt – dont deux tiers ont été attribués, par le biais de l’Agence nationale de la recherche (ANR), à l’enseignement supérieur et à la recherche –, j’ai observé un véritable élan. Certaines personnes sont venues parler des pôles de compétitivité. Le tissu productif, des grandes entreprises aux ETI, s’est mobilisé autour des notions d’innovation, de créativité et d’investissement. Infrastructures et investissement privé étant complémentaires, il faudra inclure au rendement à long terme de l’exposition universelle, à supposer que l’on sache le calculer, des effets d’entraînement, notamment pour l’aménagement du territoire, entre l’investissement public et privé.
En troisième lieu, le projet est intégrateur. Il accélérera la réalisation de certaines ambitions, comme le Grand Paris, et leur offrira une perspective à plus long terme. Loin de les asphyxier, il leur donnera du sens. C’est pourquoi il doit mobiliser toute la France. N’opposons pas Paris et la province. Les instigateurs du projet cherchent à mobiliser les métropoles régionales, qui bénéficieront de ses retombées économiques, culturelles et patrimoniales. Celles d’une exposition universelle dureraient plus longtemps que celles des Jeux olympiques ».
M. Pierre Mongin est également persuadé des retombées positives pour l’économie d’une exposition universelle : « L’exposition universelle serait également une vitrine du potentiel économique de notre pays, ce qui n’est pas négligeable dans le contexte actuel. Notre capitale a besoin de s’affirmer plus fortement au sein de la compétition mondiale… Paris est menacé de devenir une ville musée ».
L’effet « vitrine » de l’exposition est également salué par les entreprises. M. Geoffroy Roux de Bézieux souligne que le projet d’exposition « mettrait à l’honneur la science et la technique. Quantité d’innovations ont été présentées dans le cadre d’expositions universelles. Une telle manifestation serait particulièrement apte à créer la confiance et à mettre en scène la marque France.
….Pour travailler dans les nouvelles technologies, je peux témoigner que la France est aussi un pays d’inventeurs, même si tous ne parviennent pas à y commercialiser massivement leurs découvertes. Une exposition universelle qui réunirait des dizaines de millions de visiteurs montrerait au monde entier que toutes les innovations ne font pas en Amérique ou en Asie. Elle révélerait le potentiel de nos start-up, laboratoires et nos universités. Enfin, elle nous aiderait à retrouver l’esprit de la fin du XIXeet du début du XXe siècle, où l’on mettait l’accent sur le fer ou l’électricité. Je rappelle pour l’anecdote que c’est à l’occasion d’une exposition universelle qu’a été créée la tondeuse à gazon.
Nos entreprises sont prêtes à se mobiliser, sachant que certaines inventions pourront être présentées avant ou après 2025. Les plus grandes entreprises gagneront une occasion de se faire connaître dans le monde entier…
Pour engager les entreprises à montrer leurs innovations de manière attractive et pédagogique, il faut raisonner par filières, en utilisant les pôles et les fédérations. Lors de l’université d’été du MEDEF, un espace innovation consacré à la santé de demain a connu un grand succès. Grâce à la mobilisation des PME, des start-up et des grands groupes, on y montrait les cabines de télémédecine, qui permettent de réaliser des diagnostics à distance. Les pôles de compétitivité – qui sont non pas des lieux physiques, mais des clusters géographiques – peuvent aider à mettre en scène les derniers prototypes d’une filière ».
M. Jean-François Roubaud lui fait écho : ce projet « s’inscrit dans une dynamique de relance économique. Il redonnera du sens à la notion de progrès. Il permettra de présenter des innovations, ainsi qu’un inventaire des technologies qui se mettent en place, ce qui contribuera au rayonnement de la France…
Bien qu’elles ne possèdent pas les mêmes moyens que les grandes entreprises, les PME entendent travailler avec les territoires – départements et régions –, pour créer une dynamique entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Les retombées du projet pourraient dépasser celles des jeux Olympiques, car la manifestation mobilisera toute la technologie et toutes les entreprises. On se souvient que la malle Vuitton avait été créée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900. Quel projet fera éclore celle de 2025 ? Nul ne le sait encore…
L’exposition redonnerait du sens au progrès et nous réconcilierait avec lui ».
L’exposition pourrait donner un coup de fouet aux entreprises françaises ; toutefois, a souligné M. Jean-Yves Durance, « le développement des exportations passe obligatoirement par une croissance organique forte de nos entreprises – et dans les secteurs où il n’y en a pas, par des agrégations – et par leur restructuration ».
On peut en outre citer les retombées prévisibles de l’Exposition de Milan en 2015, tels que M. Luc Carvounas les a fournis à la mission : « Cinq chiffres concrets pour nous y projeter : 70 000 emplois devraient être créés sur la période 2010-2015 ; 30 millions de touristes y sont attendus ; 7 000 manifestations seront organisées parallèlement. Le chiffre d’affaires du milieu des entreprises milanaises augmentera de 44 milliards d’euros, soit une hausse de 10 %. Enfin, 11 000 kilomètres carrés d’espaces verts seront créés et le réseau fluvial des navigli sera réhabilité. On le constate donc clairement : organiser une exposition universelle est une formidable opportunité pour une collectivité territoriale ».
Pour les États européens, proposer la candidature de leurs métropoles à l’organisation d’une exposition internationale enregistrée, équivaut à mettre sur pied un plan de relance, alors qu’ils ont perdu des parts de marché.
Selon le site Internet du BIE, l’Exposition de Hanovre « a été extrêmement bien gérée et sa contribution à l’économie allemande et aux futures expositions universelles a été significative. La superficie de 100 hectares du parc d’exposition existant a été augmentée d’environ 60 hectares. Pour Expo 2000, une nouvelle gare a été construite à quelques 500 mètres à l’ouest du parc des expositions, un nouveau réseau routier urbain a été créé, le réseau de tramway a été étendu, un troisième terminal de l’aéroport a été bâti. L’événement est devenu crucial pour une ultérieure mondialisation de la Deutsche Messe AG, basée sur le parc des expositions de Hanovre. » Cette exposition n’a toutefois reçu que 18 millions de visiteurs, bien moins qu’attendu.
B. EXPO versus JO : QUE FAIRE ?
Nombreuses sont les personnalités auditionnées par la mission à avoir été tentées d’établir une comparaison entre les jeux Olympiques et l’exposition universelle. Votre rapporteur s’est du reste référé à plusieurs reprises aux jeux Olympiques, en particulier pour évoquer les processus d’attribution des grands événements internationaux. Ce faisant, il faut garder à l’esprit que tout ce qui nous rassemble ne se ressemble pas. Si nous sommes amenés à évoquer cette question dans un rapport sur l’Exposition universelle de 2025, c’est surtout parce qu’une réflexion parallèle existe sur un projet de candidature parisienne aux jeux Olympiques de 2024. Il ne s’agit donc pas tant d’établir une comparaison que d’insister sur ce qui distingue ces deux manifestations, au-delà de problématiques communes. L’autre question qui se pose est celle d’un éventuel télescopage entre les deux événements, qui amène à s’interroger sur la possibilité de mener à bien ces projets concomitamment.
1. Problématiques communes, logiques distinctes et effets contrastés
Les jeux Olympiques et les expositions universelles sont souvent qualifiés de gigantesques fêtes de portée planétaire, qui nécessitent de la part de ceux qui les accueillent un très fort investissement en amont, d’abord pour en obtenir l’attribution, ensuite pour les organiser. Il en résulte une indiscutable dynamique qui tire les investissements et qui suscite l’attention des médias. Pour importants que soient ces points de comparaison, là s’arrêtent cependant les similitudes.
a. La préparation et le déroulement de l’événement
Historiquement, les jeux Olympiques modernes doivent leur naissance à un Français, Pierre de Coubertin. De même que Paris a organisé plusieurs expositions universelles entre 1855 et 1937, notre capitale a accueilli les Jeux à deux reprises, en 1900 et en 1924. Ces deux événements ont en commun un objectif de contribution à la pacification des relations internationales.
Tant pour les jeux Olympiques que pour l’exposition universelle, il s’agit en premier lieu d’obtenir d’une instance décisionnelle l’autorisation de les organiser. Aussi les étapes du processus de candidature sont-elles grosso modo les mêmes : déclaration de candidature, dépôt d’un dossier assorti de garanties de réalisation, mise au point du projet, vote final pour départager les candidats. Le processus a lieu bien en amont de l’événement, qui lui-même revient à intervalles réguliers (quatre ans pour les JO, cinq ans pour les Expos).
Si la sélection du lauréat demeure pour partie subjective dans l’un et l’autre cas, la « campagne électorale » ne vise pas le même public : dans le cas des expositions, chaque État membre dispose d’une voix au sein du Bureau international des expositions (85), tant que le Comité international olympique tel que dépeint par M. Noël de Saint Pulgent, « c’est une centaine de personnes qui fonctionnent un peu comme en Conclave, mais en présence de quelques femmes et en l’absence du Saint-Esprit »… Les règles de la diplomatie internationale semblent davantage prévaloir dans le cas des expositions. Quand bien même elles ne sont jamais totalement absentes des considérations du CIO, d’autres critères entrent en jeu, beaucoup moins aisés à appréhender, voire même franchement opaques.
De surcroît, le cahier des charges olympique est beaucoup plus rigide que celui d’une exposition universelle, de sorte qu’une ville-candidate dispose d’une marge de manœuvre nettement circonscrite dès le stade de la présentation de son projet. Comme l’a indiqué Mme Chiara Corazza, directrice générale de l’association Paris IDF Capitale économique, « pour les jeux Olympiques, le Comité international olympique fait la loi, et sa loi est très stricte ; il en va autrement avec le Bureau international des expositions, qui a bien sûr ses propres critères, mais qui laisse davantage de place à l’inventivité et au pouvoir de conviction des candidats », à la condition que celui-ci apporte néanmoins toutes les garanties d’une réalisation effective.
Dans le même esprit, M. Armand de Rendinger note qu’« aujourd’hui on peut mobiliser la population à condition de jouer la transparence totale ; cela est compliqué dans le cadre des jeux Olympiques, mais beaucoup moins pour une exposition universelle car les enjeux et les contraintes économiques sont différents ».
L’organisation des jeux Olympiques nécessite d’investir dans des équipements lourds et des structures d’accueil formatées, pour une large part. On sait préalablement évaluer le nombre de participants aux épreuves et les enceintes sont ainsi construites pour les accueillir et pour recevoir un public qui demeure spectateur. À l’inverse, l’enjeu particulièrement enthousiasmant d’une exposition universelle réside précisément dans le fait que rien n’est joué d’avance : il faut convaincre les participants de s’associer à l’événement auquel eux-mêmes prendront une part active sur le fond et dans la forme et les visiteurs vivent sur place une expérience en tant qu’acteurs d’un événement dont le scénario est à écrire ensemble.
Toujours selon Mme Chiara Corazza, « on peut regarder les épreuves des jeux Olympiques à la télévision, et seuls quelques privilégiés participent à la fête. Au contraire, l’exposition universelle est une expérience vécue, qui a un aspect à la fois ludique et pédagogique ».
Dans le même ordre d’idées, M. Noël de Saint Pulgent juge que l’exposition universelle « est un exercice difficile mais qui peut être plus magique qu’une Coupe du monde ou un événement purement sportif ». M. Pierre Simon est même allé jusqu’à considérer que la structure d’accueil des expositions pouvait rendre les « miracles possibles » ! Le concept d’exposition universelle est de fait beaucoup plus généraliste, ne serait-ce que parce qu’il implique le choix d’un thème et que la déclinaison peut prendre des formes extrêmement diverses.
M. Hervé Brossard a noté que « le premier bénéficie immatériel d’une candidature [à l’exposition universelle] est la création d’un élan, d’une dynamique dans le pays. Ce projet doit donner le sentiment que l’on va bâtir quelque chose à long terme parce qu’on veut laisser une trace – il est en cela très différent d’une candidature aux jeux Olympiques ».
Mme Florence Pinot de Villechenon a observé que les grands événements sportifs sont, certes, des joutes pacifiques qui font appel au désir de se surpasser mais qu’elles n’exigent que des compétences sportives et ne délivrent pas de message en tant que tel. « Et même si un milliard de personnes en suivent le déroulement, ils s’adressent essentiellement aux amateurs des disciplines sportives. L’exposition, elle, a une mission pédagogique, ne serait-ce que par le choix de son thème. »
Le fait que l’événement soit à construire selon un schéma qui n’est pas préétabli confère à l’exposition universelle une dimension assurément plus structurante, qui implique un investissement humain beaucoup plus conséquent.
b. Les retombées de la manifestation
Notons d’emblée que l’empreinte d’un événement qui dure six mois est par nature différente de celle d’un événement concentré sur quelques semaines. Certes, dans un cas comme dans l’autre, se pose la question du déploiement d’importantes infrastructures spécialement dédiées et de leur reconversion, nonobstant les investissements réalisés pour l’occasion mais qui auraient dû l’être de toute façon. À cet égard, M. Jean-Paul Huchon a considéré que « l’heure n’est probablement plus aux projets pharaoniques » mis en œuvre dans les lieux « à la reconversion toujours problématique ».
La revue Futuribles a consacré deux articles de son numéro de l’été 2014 (86) à la question de l’impact des grands événements, sportifs d’une part, culturels d’autre part. Même si les expositions universelles n’y sont pas abordées, ces articles sont riches d’enseignements pour la mission.
L’analyse des jeux Olympiques est clairement à charge. Si les pays souhaitent organiser les JO pour leur effet de levier économique et social, les retombées ne sont pas au niveau des attentes. Les auteurs estiment que les impacts économiques à court terme – croissance économique, tourisme- sont incertains, et les conséquences en terme d’emplois à nuancer. Ce constat est aggravé par la privatisation des bénéfices de ces événements au profit d’une poignée de parties prenantes.
À long terme, le bilan n’est pas plus satisfaisant : de nombreux sites peinent à rembourser les emprunts nécessités par les constructions d’équipements coûteux. Les contribuables grenoblois ont ainsi payé jusqu’en 1992 les dépenses engagées pour l’accueil des JO d’hiver de 1968. En revanche, la réussite des JO d’été de Barcelone provient de l’insertion du projet sportif dans un projet territorial global ; le caractère rassembleur de cet évènement a permis de dépasser les blocages sociaux, politiques et financiers. La réhabilitation de certains quartiers de Londres en 2012 a été un succès. Autres problèmes sont encore examinés : l’oubli des externalités, tant d’un point de vue économique, social qu’environnemental.
Quant à la difficile reconversion des équipements sportifs, elle pose le problème du calcul de leur coût d’opportunité : l’investissement n’aurait-il pas rapporté plus s’il avait été consacré au logement ou à l’éducation ? Les auteurs concluent en évoquant le fait que le seuil d’acceptabilité de ces manifestations par les populations va diminuant, comme l’attestent du fait les récents mouvements d’humeur de la population brésilienne lors de la récente coupe du monde de football, doublée de la perspective des Jeux de Rio en 2016.
Pour les villes ayant reçu le label « capitale européenne de la culture », les effets à long terme semblent tout différents. Marseille est devenue beaucoup plus attractive depuis 2013 : 220 entreprises se sont impliquées alors que le contexte de crise économique ne semblait pas porteur. Les villes labellisées ont dû réunir d’importants moyens financiers pour mettre en valeur leur patrimoine et leurs atouts ; elles ont fédéré les énergies, ont fait appel aux talents internationaux et locaux et ont offert pendant un an aux habitants et aux touristes une fête permanente, une profusion de manifestations. Le bilan est également positif pour Lille, dont l’attractivité accrue a attiré des investisseurs, des sièges sociaux, des centres de recherche, ce qui a permis de reconnaître le rôle de la culture dans l’économie.
Dès 2009 la municipalité de Glasgow a, pour sa part, créé en son sein un département dédié à la poursuite de cette politique de régénération urbaine avec un programme de cinq ans : « l’année capitale 2008 a donc constitué le temps fort, le booster, politique qui porte ses fruits parce qu’elle s’inscrit dans la durée ». Une étude des universités de Glasgow a souligné l’importance de la vision à long terme des élus, relayés par la société civile, « pour enchâsser l’élection au titre de capitale européenne de la culture dans une politique à long terme de promotion de leur territoire ».
À la lecture de ces analyses, on conçoit en quoi l’exposition universelle relève davantage de la manifestation culturelle que du grand événement sportif. Si elle est un événement en soit, c’est-à-dire plus qu’un simple label, elle dispose d’un effet d’entraînement sur le long terme potentiellement sans commune mesure avec l’impact beaucoup plus ponctuel des jeux Olympiques, hors la question de l’image de la ville hôte.
La force des JO tient peut-être à leur force de frappe médiatique et au fait que pendant quinze jours, il n’est question que d’eux. Ce faisant, à titre d’exemple, Mme Chiara Corazza a observé que, pendant les Jeux de Londres, la ville s’était pour partie vidée de ses habitants, tandis que M. Noël de Saint Pulgent notait que les Olympiades faisaient en général plutôt fuir les autres touristes, quitte à ce qu’ils reviennent une fois la fête finie.
2. Des interrogations sur l’acceptabilité d’une organisation concomitante
Le présent rapport porte sur l’opportunité d’une candidature à l’exposition universelle et uniquement sur cette candidature. Ce faisant, dès lors qu’il est question d’une candidature de Paris aux JO de 2024, la question se pose de la possibilité de mener de front les deux projets, le cas échéant, ou d’avoir à opérer un choix. Quoi qu’il en soit, compte tenu des calendriers, le choix devra intervenir vite pour plus de clarté et d’efficacité, afin d’éviter la dispersion des énergies et de permettre à tous les acteurs de s’engager franchement, sans attendre.
a. Deux candidatures complémentaires ou souhaitables ?
Pour certains interlocuteurs de la mission, les deux projets peuvent se compléter. Mme Claude Revel a estimé que le projet d’exposition universelle était un projet non exclusif d’autres projets, tel celui des jeux Olympiques : « au contraire, une dynamique pourrait être créée entre les deux, y compris d’un point de vue financier ».
M. Guy Drut est également allé dans ce sens : « il est ridicule d’opposer une candidature aux jeux Olympiques à une candidature à l’exposition universelle. Les deux sont complémentaires et nous devons nous aider mutuellement », soulignant qu’il fallait promouvoir la France sans se diviser.
Il a également prôné le pragmatisme, en évoquant l’éventuelle souplesse du calendrier pour les JO : « Quant à la question de la concomitance, il faut être pragmatique. Rien n’interdit de faire acte de candidature aux deux événements. Le tout est que les deux projets ne donnent pas l’impression d’entrer en concurrence. Certes, le dossier de candidature aux jeux Olympiques de 2024 doit être déposé en septembre ou en octobre 2015, mais rien n’oblige à candidater pour 2024. Peut-être serait-il préférable de viser les jeux de 2028. Quant à savoir s’il faut faire une candidature de témoignage pour 2024, c’est aux deux patrons des candidatures aux jeux Olympiques et à l’exposition universelle d’en discuter avec les plus hautes autorités de l’État ».
Dans une tribune publiée récemment (87), et intitulée « JO et Expo à Paris : la région capitale dit « oui », quinze élus franciliens socialistes se prononcent aussi en faveur de la tenue de ces deux événements, sans toutefois préciser explicitement s’ils doivent être concomitants : « les jeux Olympiques et l’exposition seront le symbole de la grande ville économique et écologique, qui est au cœur de notre ambition politique. La Chine, le Brésil, l’Afrique du Sud, les pays du Golfe auraient-ils le monopole des grandes aventures culturelles et populaires au XXe siècle, pendant que l’Occident se résigne à la croissance molle ? ».
Il en est allé de même de M. Jean-Paul Huchon lors de son audition par la mission : « nous nous intéressons aussi à la question des jeux Olympiques de 2024, même s’il n’y a pas de véritable concurrence entre les deux dossiers. S’agissant des jeux Olympiques de 2024, le premier examen de la fiabilité du processus devrait avoir lieu entre novembre et décembre, à l’initiative du mouvement sportif, de l’État et de la région. J’ai noté que la Ville de Paris avait marqué une certaine réserve sur le sujet. Mais, pour notre part, nous sommes également partie prenante ».
Tout est cependant une question de calendrier, comme l’a relevé M. Christian de Boissieu, après avoir noté, au passage, que les retombés d’une exposition dureraient plus longtemps : « à vrai dire, plutôt que de choisir entre ces projets, je préférerais que la France organise les deux en jouant du calendrier ».
b. Des réticences dues à la soutenabilité financière et à l’acceptabilité des citoyens
M. Armand de Rendinger a estimé qu’une double candidature ne serait pas systématiquement mal reçue à l’étranger, mais qu’elle susciterait de nombreuses réserves dans notre pays, pour des raisons à la fois économiques et d’image :
« Ce serait incorrect vis-à-vis du peuple français, beaucoup plus regardant sur les budgets depuis la crise financière de 2008. […] Sans compter que les deux événements seraient mis en concurrence, et sur des aspects plutôt subjectifs que quantitatifs, avec des arguments moraux. Cela serait mortifère pour les deux projets. Dans les deux cas, l’honnêteté vous condamne à mobiliser les gens : on ne peut pas promouvoir et organiser un événement sans être soutenus par la population. »
La garantie d’une mobilisation populaire permanente pour deux projets qui auraient lieu, de surcroît, à des dates extrêmement rapprochées avec tous deux le Grand Paris comme centre névralgique est de fait très incertaine.
Pour M. Noël de Saint Pulgent également, les deux démarches sont difficilement compatibles :
« Certes, les Chinois ont organisé les jeux Olympiques à Pékin en 2008 et l’Exposition universelle à Shanghai en 2010, mais ils n’ont pas les mêmes moyens que nous... Il n’est pas possible pour la France de présenter deux candidatures en même temps, car l’une et l’autre mobiliseraient d’importantes ressources. Il faut faire un choix. Je sais que notre candidature aux JO de 2024 dépendra de la décision des Américains de présenter la leur ou pas. Compte tenu de la situation financière de notre pays, cette décision me paraît discutable. D’autant que si nous organisons l’un ou l’autre événement, sans pour autant renoncer à une gestion rigoureuse, nous ne devrons pas lésiner sur les investissements ».
Surtout, les représentants de la Ville de Paris ont clairement manifesté leur intérêt pour le projet d’exposition universelle, dès lors que les principes régissant l’organisation de la manifestation sont compatibles avec l’idée d’une certaine sobriété. Selon M. Jean-Louis Missika, « l’heure n’est plus aux mégaprojets, l’Exposition de Shanghai restant, de ce point de vue, indépassable. L’heure n’est plus aux palaces éphémères et nous devons tirer tous les conséquences des expériences passées, éviter les erreurs de certaines villes qui n’ont pas su réutiliser les infrastructures créées pour l’occasion au profit de leurs habitants, ne leur léguant que des déficits. ». En outre, M. Missika a rappelé que Mme Anne Hidalgo, Maire de Paris, n’avait pas opposé un refus de principe à une candidature aux jeux Olympiques, mais qu’un tel choix mériterait d’être validé par les électeurs. Or cette question n’a pas du tout été évoquée lors des élections de mars 2014. En revanche, la Ville de Paris a salué le caractère ordonné de la démarche relative à l’exposition universelle : création d’une association, mise en place d’une mission parlementaire, interrogation des différentes parties prenantes au projet. Elle s’est en conséquence dite prête à accompagner la démarche.
En outre, si une courte majorité de Français (51,9 %) serait aujourd’hui favorable à une candidature de Paris à l’organisation des Jeux olympiques d’été de 2024, selon un sondage Ipsos paru au moins de mars dernier dans le quotidien L’Équipe, ils seraient en revanche 48,1 % à s’y opposer. Parmi les réserves exprimées par les personnes interrogées, une candidature de Paris serait « un luxe que la France ne peut pas se permettre par ces temps de crise » pour 55,2 %, tandis que 44,8 % y voient « un vrai moteur de croissance pour le prestige de la France, pour l’emploi et pour le développement du sport ».
Le sondage, réalisé en avril 2014, par l’Ifop (annexe n° 2), pour l’association ExpoFrance 2025 (annexe n° 10), montre qu’une plus grande proportion de Français choisit l’exposition universelle plutôt que les jeux Olympiques (36 % contre 18 %), en dépit de la grande popularité de ces derniers. C’est principalement l’impact économique de la manifestation qui justifie la préférence de certains pour l’exposition (pour 45 % des personnes ayant préféré l’organisation de l’exposition universelle).
La candidature à l’exposition universelle semble, à première vue, aujourd’hui accueillie bien plus favorablement par les Français qu’une candidature olympique et reçoit de surcroît l’assentiment de la Ville de Paris, qui a pris en revanche ses distances avec le projet olympique.
« Je vois dans la candidature à l’Exposition universelle de 2025 une magnifique opportunité pour l’image dans le monde du Grand Paris et de la France », a déclaré le Premier ministre, M. Manuel Valls à l’occasion d’un déplacement à Créteil, le 13 octobre 2014, sur le thème du Grand Paris, en précisant que « l’État sera au rendez-vous de cette grande ambition ».
Votre rapporteur se félicite de ce premier engagement de poids des plus hautes autorités de l’État mais tient à souligner que l’exposition universelle et les jeux Olympiques ne sont pas des manifestations adverses dans l’absolu.
Les travaux, basés sur des auditions riches et diverses, ont permis d’appréhender les grandes problématiques auxquelles devra faire face une candidature à l’exposition universelle. L’aventure est enthousiasmante mais il ne s’agit pas de nous y engager en l’absence d’une solide de feuille de route. Au-delà des obligations extérieures qui nous incomberont, votre rapporteur a souhaité dresser une liste de recommandations dont le respect lui semble indispensable à la poursuite d’un projet gagnant.
1. Organiser une exposition universelle en France en 2025
Il s’agit tout d’abord de poser les bases d’une candidature solide, s’inscrivant dans le prolongement des initiatives menées de part et d’autre depuis plusieurs mois, qui ont déjà permis de fédérer de nombreux acteurs.
Recommandation n°1-1 : Inviter le Président de la République à présenter la candidature de notre pays en 2016 à l’organisation d’une exposition universelle qui redonnera confiance au pays, soutiendra l’économie et valorisera les atouts de la France et les talents des Français, dans une optique d’ouverture au monde.
Recommandation n°1-2 : Continuer d’associer à toutes les phases ultérieures les jeunes et les structures qui ont commencé à travailler activement sur ce projet.
Recommandation n°1-3 : Constituer à l’Assemblée nationale un groupe d’études qui sera chargé de veiller à la bonne marche du projet et de préparer la proposition de loi posant les principes et les règles juridiques propres à l’organisation de l’exposition.
Recommandation n° 1-4 : Veiller au respect des engagements pris par le Premier ministre le 13 octobre 2014, en conclusion de la réunion du Comité interministériel sur le Grand Paris, pour les dessertes de Roissy, d’Orly, de Saclay et pour la réalisation du Grand Paris-Express avant 2025, condition indispensable à la tenue de l’événement.
Recommandation n°1-5 : Mettre en place une structure publique chargée de tirer les enseignements des grands projets portés par la France, permettant de capitaliser sur l’acquis des expériences passées.
2. Renouveler la forme de l’exposition universelle
Sans avoir la prétention de bouleverser un modèle qui a fait ses preuves dans le passé, la mission est convaincue de la nécessité d’y apporter une nouvelle dimension. L’exposition doit rayonner, au-delà de son vaisseau amiral, sur un patrimoine existant et sur des infrastructures pérennes.
Recommandation n° 2-1 : Proposer au BIE une exposition polycentrée, rayonnant sur trois cercles concentriques, Paris intra-muros, le Grand Paris et des métropoles régionales.
Recommandation n° 2-2 : utiliser le patrimoine bâti existant – en particulier l’héritage parisien des précédentes expositions – et mettre à la disposition des pays invités les abords d’un site ou d’un monument célèbre, les gares emblématiques du Grand Paris, ainsi que celles du réseau du Grand Paris-Express.
3. Asseoir l’exposition sur un nouveau modèle d’organisation
Le dispositif de préfiguration repose sur la fédération de la société civile et sur la force d’impulsion de nos territoires. Cette genèse du projet doit se retrouver dans une organisation qui laisse toute sa place à ces acteurs et qui soit soucieuse de l’économie des fonds publics. Par ailleurs, la mobilisation du patrimoine historique et contemporain et des réseaux de transport permet d’envisager un modèle ambitieux et économe en termes de dépense publique.
Recommandation n°3-1 : Dès l’annonce de la candidature officielle de la France, confier à une structure la mission de coordonner les initiatives publiques et d’engager le dialogue avec les acteurs privés mobilisés et regroupés au sein de l’association ExpoFrance 2025.
Recommandation n°3-2 : Dès l’attribution à la France de l’organisation de l’exposition universelle au plus tard en 2019, et selon le modèle économique retenu, définir la nature juridique de l’instance organisatrice – qui doit être une structure unique – afin de concilier rigueur et efficacité, en veillant à l’ouvrir à des personnalités venues du monde entier.
Recommandation n°3-3 : Obtenir de l’État qu’il se porte garant de l’organisation de l’exposition, conformément aux règles du BIE.
Recommandation n°3-4 : Adopter de nouveaux modes de financement
− en encourageant le financement participatif ouvert à tous au niveau mondial,
− en recourant à l’emprunt obligataire garanti par l’État, qui sera un des facteurs de mobilisation de l’opinion,
− en suscitant et en développant le mécénat des entreprises françaises et étrangères, y compris le mécénat de compétences.
Recommandation n°3-5 : Dès l’annonce de la candidature, mettre en œuvre un outil de contrôle de gestion afin de dresser un tableau de bord des actions menées, de leur coût, leur adéquation au projet et le respect du calendrier.
4. Des éléments connexes indispensables à la réussite de l’exposition
Accueillir le monde durant près de six mois relève du défi, même si notre pays dispose déjà en la matière de solides acquis. La mobilisation des acteurs du tourisme français et au-delà, de l’accueil en France, doit intervenir bien en amont pour faire de cet événement une réussite éclatante et pour garantir à ses participants un séjour digne de ce nom.
Recommandation n°4-1 : Une fois acquis le succès de la candidature, engager une grande campagne de sensibilisation des Français à la qualité de l’accueil des visiteurs étrangers. Encourager le volontariat et la pratique des langues étrangères.
Recommandation n°4-2 : Recenser au mieux, au fur et à mesure de l’avancement du projet, les capacités d’hébergement susceptibles d’accueillir les visiteurs. Délivrer aux professionnels intéressés et aux particuliers un label « Expo 2025 », pour diffuser l’esprit de l’exposition au-delà de ses propres sites.
Recommandation n°4-3 : Nommer une entité responsable de l’ensemble des opérations de sécurité et de sûreté, qui garantisse aux participants, exposants et visiteurs, des conditions de séjour parfaitement sereines.
La mission d’information a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mercredi 28 octobre 2014.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je laisse au rapporteur le soin de vous présenter ses conclusions.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Ayant travaillé en parfait accord pendant la mission, le président et moi-même avons tenu à cosigner l’introduction du rapport.
Dans ce document, je rappelle le rôle qu’a joué notre pays dans les expositions universelles et la manière dont celles-ci l’ont marqué. Nous avons toujours ce feu qui permet de présenter au monde des éléments qui touchent à notre patrimoine et à la capacité d’innovation de notre pays.
Je me demande également ce que peut apporter une nouvelle candidature de la France. Celle-ci possède tous les atouts qui ont assuré le succès des précédentes expositions.
En outre, la vision à moyen terme sur un projet mobilisateur est une opportunité pour notre pays, qui a du mal à se rassembler autour de grandes valeurs. Le consensus suscité par l’exposition universelle n’a rien de factice. Il pourra créer un mouvement profond, dont profitera toute la société pendant les dix prochaines années.
Au fil des auditions, nous avons tenté d’identifier les conditions à même d’assurer la réussite de l’exposition universelle. Nous nous sommes appuyés sur les travaux déjà menés par ailleurs, tant par les jeunes que par des entreprises et par l’association ExpoFrance 2025. Quand M. Jean-Louis Borloo a demandé à la Conférence des présidents de créer une mission d’information, c’était pour que l’Assemblée nationale relaie les études en cours.
Nous avons repris les hypothèses de travail déjà élaborées avant la constitution de la mission. L’une d’elle était que l’exposition universelle soit non celle de Paris, mais du Grand Paris, voire des grandes métropoles régionales. Dans le rapport, je défends l’idée d’une exposition polycentrée, ce qui surprendra peut-être le Bureau international des expositions (BIE), mais qui sera en phase avec le projet du Grand Paris et les capacités d’accueil des grandes métropoles.
Pour identifier les bonnes pratiques qui nous permettront de relever le défi, j’ai examiné nos forces et nos faiblesses. Les travaux réalisés par les étudiants montrent l’importance du thème. J’ai réfléchi également aux enjeux quantitatifs et qualitatifs de l’accueil, liés à la question de l’hébergement et des transports. Avant d’imaginer de nouveaux investissements, il faut s’assurer que ceux qui sont prévus seront réalisés. En tant qu’élu de la Seine-Saint-Denis, je m’inquiète quand la RATP envisage de retarder la réalisation de certaines infrastructures. Une exposition universelle ne peut être organisée sans une parfaite desserte des aéroports.
En 2025, le numérique sera encore plus présent qu’aujourd’hui. C’est un facteur que nous avons pris en compte.
De même, nous ne pouvons ignorer la situation budgétaire de la France, au moment où nous rendons ce rapport. L’exposition doit pouvoir mobiliser des financements nouveaux, afin de ne pas être coûteuse pour les finances publiques, comme pourrait l’être l’organisation des jeux Olympiques.
Nous avons réfléchi à la réutilisation des monuments et sites existants ou de leurs abords. Même s’il existe toujours un enjeu architectural dans une exposition universelle, nous n’allons pas reconstruire le Grand Palais ou la tour Eiffel, cent vingt-cinq ans plus tard. On peut en revanche donner une dimension architecturale aux projets qui conserveront leur utilité par la suite, comme des gares du Grand Paris. Les bénéfices doivent être pensés sur le plan touristique et économique, ainsi qu’en termes de qualité de vie.
Le rapport formule quinze recommandations.
La première invite le Président de la République à présenter la candidature de notre pays à l’organisation de l’exposition universelle de 2025.
La deuxième vise à associer les jeunes qui ont commencé à travailler sur le projet à la réalisation de toutes ses phases ultérieures. Dans dix ans, ceux qui ont aujourd’hui entre dix-huit et vingt-cinq ans seront responsables au sein des entreprises ou des administrations.
En troisième lieu, nous souhaitons que se constitue à l’Assemblée nationale un groupe d’études chargé de veiller à la bonne marche du projet et de préparer la proposition de loi posant les principes et des règles juridiques propres à l’organisation de l’exposition universelle. Il s’agit non de se substituer à l’organisation professionnelle qui sera mise en place, mais d’associer à la réflexion un groupe parlementaire de suivi et de faire évoluer la législation, par exemple fiscale, sur certains points.
La quatrième recommandation porte sur l’organisation des transports.
La cinquième concerne la mise en place d’une structure publique chargée de tirer les enseignements des grands projets portés par la France. Nous avons été choqués d’entendre d’anciens responsables, parfois d’anciens parlementaires comme Guy Drut, nous reprocher de manquer de mémoire et de ne pas tirer de leçons des échecs passés.
En sixième et septième lieu, nous préconisons d’organiser une exposition polycentrée, et d’utiliser le patrimoine bâti existant, notamment les gares emblématiques du Grand Paris et celles du réseau du Grand Paris-Express.
Viennent ensuite cinq propositions sur le nouveau modèle d’organisation.
Dès l’annonce de la candidature officielle de la France, il faut confier à une structure dédiée la mission de coordonner les initiatives publiques et d’engager le dialogue avec les acteurs privés mobilisés et regroupés au sein de l’association ExpoFrance 2025.
Il faut définir le modèle économique retenu, obtenir de l’État qu’il se porte garant de l’organisation de l’exposition, conformément aux règles du BIE, et adopter de nouveaux modes de financement.
Enfin, dès l’annonce de la candidature, il faudra mettre en œuvre un outil de contrôle de gestion afin que l’objectif d’équilibre des comptes puisse être respecté.
Les treizième, quatorzième et quinzième recommandations portent sur des éléments annexes, mais indispensables à la réussite du projet.
La mobilisation populaire doit intervenir dès le dépôt de la candidature, qui sera portée non seulement par la France mais par les Français.
En matière d’accueil, nous devons regarder la manière dont la Chine a fait participer sa population aux jeux Olympiques de Pékin ou à l’Exposition universelle de Shanghai. Pourquoi ne pas délivrer aux professionnels et aux particuliers un label « Expo 2025 », pour diffuser l’esprit de l’exposition au-delà de ses sites ? Notre collègue Hervé Pellois m’a indiqué que la mesure intéresserait, par exemple, les fermes auberges du Morbihan. Elle permettrait d’informer les visiteurs venus préparer ou visiter l’exposition universelle sur les structures d’accueil de notre pays, qui pourraient fonctionner en réseau.
Enfin, nous préconisons de nommer une entité responsable de l’ensemble des opérations de sécurité et de sûreté, afin de garantir aux participants, exposants et visiteurs, des conditions de séjour sereines.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci d’avoir rappelé le climat de concorde qui a présidé à nos travaux. Un projet d’exposition universelle perdrait de son crédit, s’il ne commençait pas sous de bons auspices.
Notre mission d’information devait d’abord s’interroger sur la pertinence d’un tel projet pour la France. Celui-ci lui offre des perspectives de rassemblement, de dynamique collective, d’innovation et de confiance. Ceux que nous avons auditionnés – une centaine de personnes, au total – ont été unanimes sur ce point.
Notre mission d’information devait aussi définir le modèle à retenir. Nous écartant de celui des expositions universelles du XXe siècle, nous proposons non de construire des pavillons dans un parc fermé mais d’utiliser le patrimoine existant, historique ou contemporain, et d’exploiter les projets en cours sur le réseau de transport. Nos interlocuteurs ont validé ce modèle. Quand nous l’avons auditionné, M. Christian Prudhomme a rappelé de manière émouvante, empreinte d’une vibration patriotique, que le Tour de France doit son succès au fait que cet événement sportif permet de découvrir la France. Nous devons adopter le même état d’esprit si nous voulons que l’exposition universelle valorise tout le territoire français.
Il faut aussi inventer un modèle économique qui ne génère pas de dépenses publiques et se tourner vers l’existant. Nous avons auditionné des chefs d’entreprise et des économistes, comme Jean-Hervé Lorenzi et Christian De Boissieu. Ceux-ci ont validé la pertinence d’un modèle qui n’exige pas l’amortissement des infrastructures, mais consacre tous les moyens à l’animation, à la rencontre et à l’échange d’expériences.
Enfin, nous devions réfléchir à la faisabilité du projet, ce qui suppose de maîtriser l’agenda – la candidature doit être déposée en 2016, pour un vote en 2018 – et de tirer les leçons de l’échec de la candidature française à de grands événements sportifs, comme les jeux Olympiques. La mission a constaté la sérénité du projet et son caractère extrêmement structuré. Les recommandations du rapport et le suivi de l’Assemblée nationale garantissent la maîtrise des échéances. Le dossier est tourné non seulement vers l’organisation d’un événement mais vers la réconciliation, l’audace et l’espérance. Valoriser des atouts dont notre pays a parfois du mal à être fier est un projet éminemment politique.
Mme Catherine Quéré. La mission a été si passionnante que je la vois s’achever avec tristesse. Certaines personnalités nous ont enthousiasmés, comme M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du BIE, qui parle parfaitement français. La présentation des jeunes était originale, intelligente, moderne, inattendue et innovante. J’espère sincèrement que la candidature de la France aboutira.
M. Christophe Bouillon. L’énergie du président et du rapporteur, ainsi que leur bonne entente, ont été communicatives, et nous sommes fiers d’avoir participé à leurs travaux. Puisque nous nous prononçons en faveur d’une exposition polycentrée, pourquoi ne pas faire de la Seine la grande avenue de l’exposition universelle ? Le Grand Paris nous offre un levier, en termes de transport. La valorisation de l’axe Paris/Le Havre serait un atout supplémentaire pour le projet.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. L’exploitation des nouvelles dynamiques territoriales va dans le sens du rapport. Il serait bon que l’exposition universelle serve à animer les corridors du Grand Paris.
M. le rapporteur. Il est encore temps d’en faire mention dans le rapport.
M. Yves Albarello. Le Grand Paris-Express, sur lequel le Premier ministre vient de rendre ses derniers arbitrages, arrivera à point nommé pour favoriser le succès de la candidature. Étant rapporteur de la mission sur la mise en application de la loi sur le Grand Paris, je suivrai attentivement l’évolution de ce dossier, car les annonces faites la semaine dernière par le président de la RATP justifient certaines inquiétudes.
On peut innover en laissant l’exposition universelle s’étendre jusqu’au Havre, mais plusieurs personnalités auditionnées ont insisté sur l’importance de centrer la manifestation sur une unité de lieu.
M. Jean-Michel Couve. Je félicite le rapporteur pour son rapport passionnant. Le projet d’exposition universelle n’est pas seulement fédérateur. Il favorisera le secteur du tourisme pendant dix ans. C’est donc un bel objet d’avenir. Par ailleurs, il est judicieux que la mission ait analysé précisément les causes de l’échec des précédentes candidatures françaises.
M. Guillaume Bachelay. Je joins mes éloges à ceux de mes collègues. Le projet d’exposition universelle illustre les deux missions du politique : agir dans le présent et se projeter dans l’avenir. Penser 2025 permet d’activer dès maintenant des innovations économiques, technologiques et sociales. Par ailleurs, on est d’autant plus crédible que l’on cherche à tirer les leçons du passé.
Vous avez choisi un projet à « trois P » : polycentré, progressiste et populaire.
Le choix d’un polycentrage, bien que novateur, a été validé par de grands événements sportifs.
Le mot « progrès » figure dans le rapport. Il faut mettre l’accent sur le numérique, caractérisé par la mise en réseau, la dématérialisation, la révolution digitale, et, sans faire de futurologie, anticiper les innovations qui seront à l’œuvre dans dix ans. Le rapport aurait pu insister davantage sur la transition énergétique, en mettant l’accent sur la mobilité, les transports fluviaux et l’urbanisme, qui constituent des enjeux vitaux.
Enfin, l’exposition est un projet populaire. Elle doit être une fête pour la France et pour tous les pays. Dans un monde global, on a besoin d’universel. L’événement, qui permettra aux peuples, aux nations, aux cultures de se découvrir et d’échanger, traduit l’universalisme de la France et s’inscrit d’ores et déjà dans l’histoire.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Au XIXe siècle, les expositions universelles étaient baptisées « les Olympiades du progrès ». En 2025, l’enjeu sera peut-être moins d’exposer les innovations que de remettre de l’humain dans les relations et de faire que le monde se rencontre à nouveau. « Partager des expériences » a été le mot d’ordre des jeunes, qui aspirent à une autre amitié que celle des réseaux sociaux.
——fpfp——
La mission d’information a adopté à l’unanimité le rapport et les recommandations présentées par le rapporteur, autorisant ainsi leur publication.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Mercredi 5 février 2014
Qu’est-ce qu’une exposition universelle ?
– M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du Bureau international des expositions (BIE) ;
– M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions (BIE) ;
– M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du Bureau international des expositions (BIE).
Mercredi 12 février 2014
Le Bureau international des expositions :
– M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE).
Mercredi 19 février 2014
Mise en perspective historique et l’héritage des expositions universelles :
– M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions ;
– Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine ;
– M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
Mercredi 19 février 2014
Peut-en encore aujourd’hui célébrer le progrès et les innovations ? :
– M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective ;
– M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation ;
– M. Joël de Rosnay, conseiller de la présidence d’Universcience (Cité des sciences et de l’industrie et Palais de la découverte) et président de Biotics International ;
– M. Gérard Roucairol, président de l’Académie des technologies.
Mercredi 9 avril 2014
La dimension fédératrice et mobilisatrice des grands événements internationaux :
– Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP).
Jeudi 10 avril 2014
Des projets pour 2025 :
Présentation d’un « power point » et projection vidéo de travaux réalisés par des étudiants de Sciences Po Paris et du Centre Michel Serres de l’École nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM), suivies d’un débat.
Mercredi 16 avril 2014
L’action menée par l’association ExpoFrance 2025 :
– M. Luc Carvounas, sénateur ;
– M. Hervé Brossard, président de l’Omnicom Media Group France ;
– M. Patrick Gautrat, ancien ambassadeur, ancien directeur des sports au ministère des affaires étrangères ;
– M. Ghislain Gomart, directeur général de l’association.
Mercredi 30 avril 2014
L’influence française dans le monde :
– M. Xavier Darcos, ancien ministre, président de l’Institut français ;
– Mme Mercedes Erra, présidente d’Euro RSCG ;
– M. Michel Foucher, géographe, Professeur à l’École normale supérieure d’Ulm ;
– Mme Sophie Pedder, correspondante en France, chef du bureau parisien de « The Economist ».
Mercredi 7 mai 2014
La section française à l’Exposition universelle de Shanghai de 2010 :
– M. José Frèches, commissaire général ;
– M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française ;
– M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Ile de France.
Mercredi 14 mai 2014
L’expertise française en matière d’évènementiel : quels atouts faire valoir ?
– M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury Sport Organisation et directeur du Tour de France ;
– M. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint du cyclisme d’Amaury Sport Organisation.
Mercredi 21 mai 2014
Les grands événements sportifs : les enseignements à tirer des candidatures passées
– M. Armand de Rendinger, ancien directeur de la promotion internationale du projet « Paris 2012 » ;
– M. Noël de Saint Pulgent, auteur du rapport sur la préparation de l’exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, ancien directeur général du GIP Paris Île-de-France pour la candidature de Paris aux JO de 2008 ;
– M. Guy Drut, ancien ministre, membre du comité international olympique.
Mercredi 28 mai 2014
L’intelligence économique
– Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique ;
Les grands événements sportifs : les enseignements à tirer des candidatures passées (suite) :
– M. Jacques Lambert, président du comité de pilotage de l’Euro 2016 de football, coordinateur des services de l’État pour la préparation des JO de 1992, directeur du comité d’organisation de France 1998.
Mercredi 4 juin 2014
Quel Paris pour l’exposition ?
– M. Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité ;
– M. Jean-François Martins, adjoint à la Maire de Paris chargé des sports et du tourisme.
Jeudi 5 juin 2014
L’expertise française en matière d’évènementiel : quels atouts faire valoir ? (suite)
– M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers ;
– M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile.
Mercredi 11 juin 2014
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports
– M. Bertrand de Lacombe, directeur des affaires publiques d’Aéroports de Paris (ADP) * ;
– Mme Alexandra Locquet, responsable du projet CDG Express chez ADP ;
– M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris.
Mercredi 18 juin 2014
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports (suite)
– M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’établissement public de Paris Saclay ;
– M. Pierre Messulam, directeur général adjoint de Transilien SNCF ;
– M. Pierre Simon, président l’association Paris IDF Capitale économique ;
– Mme Chiara Corazza, directrice générale de l’association Paris IDF Capitale économique.
Mercredi 25 juin 2014
L’exposition universelle de Shanghai de 2010
– M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de Shanghai de 2010 ;
L’expertise française en matière d’évènementiel : quels atouts faire valoir ? (suite)
– M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis (FFT) et M. Fabrice Alexandre, directeur associé, représentants du Tournoi de Roland Garros.
Mercredi 2 juillet 2014
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports (suite)
– M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP.
Comment accueillir le monde : l’offre touristique
– M. Thierry Coltier, Managing partner de Horwath HTL France ;
– M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France ;
– M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve ;
– M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France.
Mercredi 9 juillet 2014
L’exposition universelle comme vecteur du renouvellement urbain
– M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris ;
– M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, Agence Duthilleul ;
– M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine ;
– M. Alexandre Labasse, architecte, directeur général du Pavillon de l’Arsenal ;
– M. Jacques Ferrier, architecte, Agence Jacques Ferrier Architectures.
Mercredi 3 septembre 2014
Comment accueillir le monde : l’atout du patrimoine :
– M. Philippe Bélaval, président ;
La mobilisation des entreprises :
– M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, accompagnés de Mme Sandrine Bourgogne ;
– M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF et président du Pôle économique, fiscal, innovation et numérique, de Mme Céline Micouin, directrice entreprises et société, accompagnés de M. Matthieu Pineda, chargé de mission à la direction des affaires publiques ;
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports (suite) :
– M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur général d’Air France * .
– Mme Patricia Manent, directrice adjointe des affaires publiques d’Air France ;
Mercredi 10 septembre 2014
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports (suite) :
– M. Jean-Paul Huchon, président de la région Île-de-France, accompagné de Mme Sophie Mougard, directrice générale du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF).
La mobilisation des entreprises (suite) :
– M. Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI * Paris Île-de-France ;
– M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts de Seine ;
– M Etienne Guyot, directeur général de la CCI Paris Île-de-France ;
– Mme Véronique Etienne-Martin, responsable du département Affaires publiques et Valorisation des études.
Jeudi 11 septembre 2014
Quel modèle économique adopter ?
– M. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, et M. Christian De Boissieu, membre ;
Comment accueillir le monde : l’atout du patrimoine (suite) :
– M. Jean-Luc Martinez, président-directeur de l’établissement public du Musée du Louvre, et M. Hervé Barbaret, administrateur général ;
– M. Éric Spitz, directeur général de la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE).
Mardi 23 septembre 2014
Comment accueillir le monde : l’atout du patrimoine (suite) :
– M. Jean-Paul Cluzel, président de La Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP).
Exposition réelle, exposition virtuelle : quelle place pour le numérique ?
– M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs ;
– M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique, Mme Virginia Cruz, membre du Conseil ;
– M. Jean-Louis Fréchin, commissaire général de Futur en Seine.
Mercredi 24 septembre 2014
L’exposition universelle et la sécurité :
– M. Benoît Trevisani, sous-directeur des services d’incendie et des acteurs du secours ;
– M. Jean-Marie Caillaud, chef du bureau de la réglementation incendie et des risques courants ;
– M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience.
Lundi 6 octobre 2014
L’horizon 2025 :
– M. Christophe Dalstein, directeur exécutif d’Europa City et Mme Sophie Delcourt, directrice du marketing et des partenariats.
Puis :
– M. Hugues de Jouvenel, président de Futuribles International, consultant international en prospective et stratégie.
Lundi 13 octobre 2014
La participation de la France à l’Expo de Milan de 2015 :
– M. Alain Berger, commissaire du pavillon français à l’Exposition universelle de Milan de 2015.
٭٭٭٭
VISITE
Jeudi 26 juin 2014 :
Visite par la mission d’information de l’Exposition « Paris 1900 » avec M. Christophe Leribault, directeur du Petit Palais.
٭٭٭٭
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
– Mme Agnès Saal, présidente de l’Institut national de l’audiovisuel (INA).
– M. Pierre-Alain Schieb, consultant auprès de l’OCDE, ancien conseiller et chef des projets de l’OCDE sur l’avenir.
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
ANNEXE 1
PALAIS-OMNIBUS PARIS 1867
Source : ExpoFrance 2025
ANNEXE 2
LES FRANÇAIS ET LA CANDIDATURE DE LA FRANCE À L’EXPOSITION UNIVERSELLE 2025 : SONDAGE IFOP
ANNEXE 3
ILS ONT DIT « OUI » À L’EXPOSITION UNIVERSELLE
(Au 24 octobre 2014)
A. LES PARTENAIRES
1. Les partenaires fondateurs (88)
Carrefour |
Régus |
Groupe Clarins |
SNCF |
Bouygues |
Compagnie de Phalsbourg |
Aéroports de Paris |
RATP |
Unibail-Rodamco |
Suez environnement |
Crédit Agricole |
AG 2R La Mondiale |
LVMH |
Air France |
Renault |
2. Les partenaires
Safran |
Deloitte |
Groupe Galeries Lafayette |
Société du Grand Paris |
Accor |
Altarea Cogedim |
3. Les partenaires PME
Actif signal |
Futuroscope |
France Tourisme |
La Gérance de Passy |
Novelty |
Alibabette Éditions |
Groupe Photononstop |
Ecosys Group |
Granrut |
Europexpo |
Alternativa |
PME centrale |
Opalia |
Infotrafic |
Insignis |
Turningpoint |
Réponse |
Depack |
Montaigne capital |
Lobjoy et Bouvier |
UTSIT |
CDVI |
Yaki |
Villa violet |
Inexline |
Quadra diffusion |
Ico évènements |
B. LES ORGANISATIONS PATRONALES ET SYNDICATS PROFESSIONNELS
MEDEF |
CGPME |
ASMEP ETI |
CCI Paris Île-de-France |
Centre des jeunes dirigeants d’entreprise |
Conseil des grands crus classés en 1855 |
Synafel |
Ordre des avocats de Paris |
UPA |
Comité Richelieu |
Unimev |
Paris Île-de-France Capitale économique |
Société française des analystes financiers |
II. LES GRANDES ÉCOLES ET UNIVERSITÉS
Centre Michel Serres pour l’innovation |
CELSA Paris-Sorbonne |
ENSA Paris-la Villette |
ESCP Europe |
Sciences Po Paris |
Panthéon Sorbonne Université Paris 1 |
EBABX Art design recherche |
Arts et métiers Paris Tech |
EnsapBx |
Université Jean Jaurès de Toulouse |
École nationale supérieure d’architecture de Marseille |
École nationale supérieure du paysage |
EM Strasbourg |
III. LES ASSOCIATIONS D’ÈLUS
Association des maires de France
Assemblée des départements de France
Association des régions de France
Association des maires des grandes villes de France
Assemblée des communautés de France
IV. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Vanves |
Sceaux |
Alfortville |
Avon |
Versailles |
Ile de France |
Hauts de Seine |
Communautés de communes de l’Autunois |
Région Haute Normandie |
Région Basse Normandie |
V. LES SOUTIENS
– Maud Fontenoy, membre du Conseil économique, social et environnemental, présidente de la Maud Fontenoy Fondation
– Anne Sophie Pic, chef 3 étoiles au guide Michelin
– Cédric Villani, directeur de l’Institut Henri Poincaré, Professeur à l’université Claude Bernard Lyon I
Et aussi…
Rendez-vous en France |
Fédération française de tennis |
Cité de l’architecture et du patrimoine |
INA |
Croix rouge française |
En outre, 5 070 personnes soutiennent le projet.
ANNEXE 4
VœU TYPE DE SOUTIEN D’UNE MUNICIPALITÉ À LA CANDIDATURE DE LA FRANCE À L’ORGANISATION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE 2025
Grâce à la créativité de sa population, à sa culture et à sa passion pour la modernité, la France a su transformer chaque cycle de changement en un nouveau temps de développement et de rayonnement à travers le monde. Depuis toujours et à chaque fois, elle a su se réinscrire dans une dynamique d’innovations, de découvertes et de progrès. Entre 1855 et 1937, elle l’a fait en s’appuyant sur dix grandes expositions universelles et internationales. Ces événements européens puis mondiaux furent d’extraordinaires leviers de développement pour nos cultures, nos industries et notre urbanisme. Ils ont stimulé la confiance en l’avenir et favorisé les conditions de l’entrée de la France dans le XXème siècle. Ils ont été ces détonateurs grâce auxquels beaucoup de nos entreprises, de nos villes et de nos savoir-faire sont devenus pour longtemps, des références.
La période difficile que nous traversons ne doit entamer ni nos projets, ni notre fierté, ni notre motivation à perpétuer cette ambition. Au contraire. L’organisation en France d’une exposition universelle donnerait corps à cette détermination. Elle permettrait de montrer aux peuples de la terre combien notre pays a gardé cette envie de contribuer à un monde plus juste, plus beau, plus respectueux des valeurs humaines. Elle donnerait à notre jeunesse, un espoir, un nouvel horizon et une formidable occasion de s’impliquer dès à présent dans un cycle de renouveau. Elle marquera un coup d’arrêt au mal qui nous ronge, le pessimisme, reflet bien souvent d’un manque de perspectives.
En ce début du XXIème siècle, alors que notre pays a besoin, plus que jamais, de faire valoir ses atouts, EXPOFRANCE 2025 plaide pour une candidature à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025 pour, qu’à nouveau, le monde se donne rendez-vous en France. Le projet imaginé propose que le Grand Paris et les métropoles régionales françaises soient les pivots de cette candidature et contribuent à l’élaboration de la première exposition diffuse, dont les formes immatérielles d’expression et de communication permettraient aux civilisations de se retrouver et d’échanger.
Convaincus que ce projet n’aura de sens que s’il procède d’une très large adhésion populaire et si chacun peut imaginer dès à présent comment il pourra, à son niveau, depuis son territoire, y contribuer en valorisant sa culture et son savoir-faire, EXPOFRANCE 2025 a lancé à tous les acteurs de la société et à tous les territoires, un appel à partager la passion qui l’anime pour cette immense aventure, pour ce grand dessein et cet extraordinaire appel à innovations.
Nous, membres du Conseil municipal de xxxx
(dans le département de xxxxx),
– Informés du partenariat noué par l’Association des Maires de France (AMF) avec EXPOFRANCE 2025,
– convaincus qu’à partir de la mobilisation diverse et transpartisane, déjà amorcée aujourd’hui autour de ce projet, nous créerons cette « union sacrée » entre tous ceux qui feront la France du XXIème siècle,
– soucieux de permettre aux habitants et à tous les acteurs économiques, sociaux et environnementaux de notre territoire de pouvoir prendre toute leur place dans ce projet national et universel
– et informés de ce qu’un vœu voté conjointement par la majorité et l’opposition de notre collectivité fera de celle-ci un « partenaire territorial » d’EXPOFRANCE 2025,
Avons décidé de soutenir et nous mobiliser pour ce projet EXPOFRANCE 2025, pour une candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle en 2025.
Source : ExpoFrance2025
ANNEXE 5
CONTRIBUTION DE M. PIERRE-ALAIN SCHIEB,
CONSULTANT AUPRÈS DE L’OCDE
Ancien conseiller et chef des projets de l’OCDE sur l’avenir (1994-2013),
Titulaire de la Chaire NEOMA Business School de Bioéconomie industrielle,
Président du Comité d’orientation stratégique d’INERIS Développement
La présente note vise à informer la Mission de différentes initiatives de pays membres de l’OCDE en matière de prospective stratégique lorsqu’il s’agit de préparer de grands événements (Expositions Universelles, Expositions sectorielles, grands fora internationaux..) ou de prendre des décisions de politiques publiques sur des bases prospectives et de façon « inclusive ».
Trois expériences menées entre 1996 et 2012 sont ainsi relatées et pourraient servir à la France pour « instruire et construire » un thème central en vue d’une candidature pour l’Exposition Universelle de 2025 :
– Allemagne : travaux préparatoires et construction d’un message en vue de l’Exposition Universelle de 2000 (Hanover 2000 Expo).
– Corée du Sud : plusieurs conférences internationales en vue d’éclairer des décisions stratégiques de politiques publiques, de construire des consensus et de préparer d’autres événements de grande ampleur.
– Danemark : un processus très original de construction de consensus et de décisions de politiques publiques sur les priorités en matière de science, technologie et d’innovation.
I- Allemagne : EXPO 2000 Hanover
Le thème de l’EXPO 2000 Hanover était « L’homme, la nature et la technologie : des sociétés durables au XXIème siècle »
L’horizon de temps : 2020.
À la demande du Chancelier Kohl et cinq avant l’événement, le Programme de l’OCDE sur l’avenir a proposé un programme de conférences internationales pour illustrer ce thème et préparer le message délivré lors de l’EXPO 2000. Ces conférences se sont tenues dans 4 villes allemandes (une approche multi-sites) et ont porté sur une séquence très articulée:
- Düsseldorf, Décembre 1997 : Les technologies du XXIe siècle : promesses et périls d’un futur dynamique (OCDE, 1998)
- Francfort, Décembre 1998 : L’économie mondiale de demain : vers un essor durable ? (OCDE, 1999)
- Berlin, Décembre 1999 : La société créative au XXIe siècle (OCDE, 2000)
- Hanovre, Mars 2000 : La gouvernance au XXe siècle (OCDE, 2001)
La question à résoudre était en effet : est-ce que le potentiel des technologies de rupture (TIC, biotechnologies) peut conduire à une croissance exceptionnelle des pays de l’OCDE pour les vingt prochaines années et à quelles conditions sociales et de modes de gouvernance ?
Le financement a été en pratique apporté par les quatre grandes banques régionales (Landesbanken), chacune pour 1 million de francs de l’époque (au total env. 620 000 euros).
Commentaire personnel : cette approche a eu le mérite de construire un message « prospectif » extrêmement structuré pour les pays de l’OCDE (qui a été ensuite très écouté et pris en compte dans certains pays et pas du tout dans d’autres). Pour l’EXPO 2000, en fait, le message n’a pas été utilisé lors de l’inauguration et dans différents événements comme c’était prévu du fait d’un conflit de préséance entre le nouveau Chancelier, G. Schröder et la Commissaire de l’Exposition, Birgit Breuer (une circonstance difficile à prévoir cinq ans avant mais qu’il ne faut sans doute pas écarter).
II- Grandes conférences internationales en Corée du Sud
La Corée du Sud a construit un processus répété de conférences internationales de très haut niveau en vue d’éclairer des décisions stratégiques de politiques publiques, de construire des consensus et de préparer des événements de grande ampleur. Les thèmes sont prospectifs et sont en général sectoriels (l’avenir de l’économie de l’information, de l’économie des océans, du capital humain …).
Les grandes agences publiques sont étroitement associées à la préparation car elles détiennent la compétence plus que les ministères. La notion de « haut niveau » s’adresse à l’expertise, mais non pas à la position dans la hiérarchie « politique » : ils veulent avoir les 30 à 40 meilleurs experts mondiaux dans la salle !!! L’audience : 2000 personnes plus toutes les chaînes de journaux et des radios-télévisions du pays, car l’exercice est relayé en temps réel et/ou différé à tout le pays.
Les conférenciers eux-mêmes sont « invités » à valoriser leur présence en donnant des conférences dans les universités : donc « l’invité » peut donner 3 ou 4 conférences en 2 jours en plus de sa participation dans la conférence (il découvre ces invitations sur place !!!- un chauffeur et un guide est fourni pour gagner du temps).
La structuration de la conférence étant le « point faible », l’OCDE est souvent la source du plan directeur et suggère les noms des experts de rayonnement international.
Budget estimé (pas de chiffre officiel diffusé): autour de1 Million Euros, voire plus.
Ces conférences et événements se tiennent parfois hors Séoul (World Expo 2012 Yeosu).
Commentaire personnel : ce mode d’organisation de conférences est extrêmement efficace. J’ai pu constater à plusieurs reprises que la « doctrine » du gouvernement de Corée du Sud était directement issue des conclusions de la conférence, bien que certainement suivie d’un processus « délibératif » interne. Le rôle « éducatif » est central. L’OCDE est très respectée et bien connue de l’homme de la rue.
Cette approche convient bien à des processus « top down » et centralisés tels qu’ils sont pratiqués dans certains pays, tout en évitant le processus « en chambre et entre soi » qui s’accompagne souvent d’un manque d’adhésion de la population.
III- Danemark : sélection stratégique des thèmes de la politique de R&D
Sur pratiquement tous les sujets de politiques publiques, le Danemark pratique une approche très consultative avec les populations ou au moins les « milieux intéressés » - une notion légale des pays du nord de l’Europe - les « parties prenantes » en France.
Thème : dans le cas qui nous occupe, il s’agit de choisir les grands axes et priorités de la politique de science, technologie et innovation du Danemark à un horizon de 7 ans, en associant les ministères, les chercheurs, le secteur privé et la population.
La démarche décrite à été lancée d’un commun accord par une coalition de trois partis politiques.
Ainsi, un premier exercice « Strategic Research Horizon 2015 » a été approuvé officiellement le 21 mai 2008.
Le processus en résumé a été le suivant :
– 125 tendances lourdes prospectives ont été choisies d’un commun accord entre l’équipe du Programme de l’OCDE sur l’avenir et celle de DASTI : l’agence danoise de science, technologie et innovation.
– le recueil de ces 125 tendances lourdes décrites chacune sur 2 pages a été soumis aux différents ministères pour analyse des implications de ces tendances pour les politiques du Ministère (future proof ?) et au secteur privé pour l’impact potentiel sur les affaires avec un délai de réaction assez court (quelques semaines).
– le résultat a été ensuite discuté par différentes instances scientifiques et l’équipe de projet afin de fournir une synthèse.
– cette synthèse a ensuite était mise sur un site officiel du gouvernement pour consultation de la population et des ONGs (toujours avec un délai de réaction court, inférieur à 2 mois)
– une synthèse finale a été rédigée par les experts et l’ensemble des résultats actés par le gouvernement (21 domaines prioritaires ont été choisis).
Budget estimé : 500 000 Euros.
Le processus a été répété ensuite par une autre majorité gouvernementale, le « Strategic Research Horizon 2020 », approuvé le 9 septembre 2012, avec une consultation plus légère sur les tendances lourdes (une mise à jour seulement).
Commentaire personnel : seule parmi les trois procédures décrites, la procédure DASTI est véritablement « inclusive » et consultative. Selon certains, cette procédure consultative ne serait possible que dans des pays de moins de 10 millions d’habitants. On pourrait cependant proposer que, dans des pays à population plus importante, une consultation électronique soit offerte (e-gouvernement).
Conclusion pratique :
Ce retour d’expérience sur trois initiatives n’épuise pas les possibilités. Il est tout à fait imaginable de concevoir une méthode dédiée et sur mesure pour la candidature de la France à l’Exposition Universelle de 2025.
Cependant, il semble indispensable de bien mesurer qu’un processus raisonné de sélection du thème et de sa construction, puis de sa mise en œuvre pour les cahiers des charges adressés aux pays participants est une condition nécessaire à la réussite de la candidature et de l’EXPO 2025 elle-même.
Pierre-Alain Schieb
6 octobre 2014
ANNEXE 6
LE BUDGET DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE SHANGHAI DE 2010
Le budget initial est 10,6 milliards de yuan pour l’opération et 18 milliards de yuan pour la construction, (voir le rapport d’enregistrement de BIE pour l’Expo 2010 Shanghai)
Pour des raisons diverses, le budget de l’opération s’est élevé à 12 043 milliards de yuan, le coût réel constaté par l’audit est de 11 964 milliards, la recette est de 13 014 milliards, donc l’excédent est de 1 050 milliards.
Par rapport au budget initial de 10,6 milliards, les recettes se sont élevées à 13 014 milliards, ce qui correspond à un excédent de 3 milliards.
La recette provient principalement de la billetterie (7,355 milliards), des sponsors (3,973 milliards), de la franchise (0,674 milliards).
Le budget de la construction constaté par l’audit est 19,737 milliards et non 18 milliards comme prévu dans le rapport d’enregistrement. Mais, de toute façon, la construction ne peut pas être comptée comme un coût de l’expo, car, par définition, elle fait partie de plan d’urbanisation de la ville et sera amortie ultérieurement par la ville de Shanghai.
Source : Chiffres de l’audit réalisé par l’État chinois cité par M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de 2010.
ANNEXE 7 - GRAND PARIS-EXPRESS
Source : www.transports-en-commun.info
ANNEXE 9
UNE EXPOSITION POLYCENTRÉE
Source : ExpoFrance 2025
ANNEXE 10
POINTS D’ÉTAPE ET ÉVÉNEMENTS EXPOFRANCE 2025
Août 2011 : 1er article présentant le projet
Dans un hebdomadaire national, Jean-Christophe FROMANTIN expose publiquement, pour la 1ère fois son projet d’exposition universelle en France et ses idées pour en renouveler le modèle.
12 mars 2012 : 1er point presse de Jean-Christophe FROMANTIN pour promouvoir EXPOFRANCE 2025.
Après avoir fait travailler quelques dizaines de personnes de tous horizons, sur ce que pourraient être les contours d’une telle exposition universelle, Jean-Christophe Fromantin, tient une première conférence de presse au Grand Palais, et présente devant une centaine de participants, l’idée d’une candidature de la France à l’organisation de l’exposition universelle de 2025.
Dans une tribune publiée dans le Figaro du même jour, il lance un appel au soutien de cette initiative, recueillant rapidement près d’un millier de signatures sur le blog créé à cette fin.
29 décembre 2012, publication au JO de la création de l’association EXPOFRANCE 2025.
3 JANVIER 2013 :
Installation de l’association
10 AVRIL 2013 : Conférence de presse de lancement d’EXPOFRANCE 2025
Le 10 avril 2013, au Grand Palais, Jean-Christophe FROMANTIN, Président de l’association EXPOFRANCE 2025, en présence de Luc CARVOUNAS, Sénateur-maire d’Alfortville, et entouré des 3 porte-parole du comité de soutien – Maud FONTENOY, Cédric VILLANI et Anne-Sophie PIC – des représentants des huit premières entreprises partenaires fondateurs (Carrefour, Regus, Clarins, SNCF, Bouygues, Compagnie de Phalsbourg, ADP, RATP), des représentants des grandes écoles et universités partenaires (Celsa, Paris I Panthéon Sorbonne, ESCP Europe, ENS Arts et Métiers - Centre Michel Serres pour l’innovation, Sciences PO-PSIA, ENS Architecture Paris La Villette, ENS du Paysage Versailles-Marseille) et de l’Association des Maires de France a officiellement lancé le projet EXPOFRANCE 2025.
4 JUILLET 2013 : 1ère Réunion du Club des partenaires fondateurs d’EXPOFRANCE 2025
Le 4 juillet 2013 s’est tenue la première réunion de travail des entreprises du Club des partenaires fondateurs. Elles étaient alors dix avec l’arrivée d’Unibail-Rodamco et de Suez Environnement.
15 OCTOBRE 2013 : 1ère « Rencontre d’EXPOFRANCE 2025 » au Sénat
Le 15 octobre 2013, dans les salons de Boffrand de la Présidence du Sénat, a eu lieu la première « Rencontre d’EXPOFRANCE 2025 » sur le thème « Expositions universelles et territoires ». Plus de 200 personnes y ont pris part, dont de nombreux parlementaires, élus, économistes, experts des expositions universelles et étudiants. Après le mot d’accueil de Jean-Pierre BEL, Président du Sénat, deux tables rondes ont porté successivement sur les enjeux des territoires confrontés à la mondialisation, puis sur l’impact positif des expositions universelles et grands événements sur le développement des territoires. Avec la participation des sénateurs François REBSAMEN et Bruno RETAILLEAU, de l’économiste Christian de BOISSIEU, de l’historienne des expositions universelles Florence PINOT de VILLECHENON, d’Yvan PROSTAKOV, Conseiller du Secrétaire Général du BIE, et de Christian MANTEI, Directeur Général d’Atout France.
NOVEMBRE 2013 : Christian de BOISSIEU et Sylvain OREBI nommés vice-présidents d’EXPOFRANCE 2025
• Christian de BOISSIEU, Professeur d’économie à Paris I Panthéon-Sorbonne, membre du Conseil d’analyse économique (CAE) de 1997 à 2002, puis président délégué du CAE auprès du premier ministre de 2003 à 2012.
• Sylvain OREBI, Président d’Orientis et de Kusmi Tea.
La désignation de ces deux vice-présidents illustre l’implication conjointe du monde universitaire (7 grandes écoles et universités) et du monde économique, dans le projet. Le Club des partenaires fondateurs compte alors 13 grandes entreprises avec les arrivées du Crédit Agricole, d’AG2R La Mondiale et de LVMH en septembre et octobre. Le Club comptera au 31 décembre 2013, 15 membres avec l’engagement d’Air France et de Renault.
19-21 NOVEMBRE 2013 : Participation au Congrès des maires de France
Le projet de candidature de la France à l’organisation de l’exposition universelle de 2025 a été présenté à l’occasion du 96ème Congrès des maires.
« L’appel aux territoires » lancé en ouverture du Congrès par Jean-Christophe FROMANTIN, Président d’EXPOFRANCE 2025, avec le soutien actif de Jacques PELISSARD, Président de l’Association des Maires de France (AMF) a connu un vif succès.
Issus de tous les territoires de métropole et des outremers, plus de 1000 élus (dont 60% de maires) ont rejoint le Comité de soutien d’EXPOFRANCE 2025 pour une candidature de la France à l’organisation de l’exposition universelle de 2025.
JANVIER 2014
Mission d’information parlementaire à l’Assemblée nationale
Décidée dans son principe, par la Conférence des Présidents le 8 octobre 2013, sur proposition de Jean-Louis BORLOO, Président du Groupe UDI à l’Assemblée nationale.
La réunion constitutive de la mission d’information parlementaire a eu lieu le 22 janvier. Le Président de la mission est Jean-Christophe FROMANTIN, Vice-président UDI, et le rapporteur Bruno LE ROUX, Président du Groupe PS à l’Assemblée nationale. La mission, qui réunit 30 députés, poursuivra ses travaux jusqu’au 30 octobre, échéance à laquelle elle remettra son rapport.
Grandes Ecoles et Universités
Dès janvier 2013, une vingtaine d’étudiants de Sciences Po / PSIA (École internationale des affaires) ont travaillé sur le projet. La restitution de leurs travaux est intervenue fin avril 2013.
A la rentrée universitaire 2013/2014, ce sont 7 grandes écoles et universités qui ont engagé leurs étudiants (près de 400 au total), avec la volonté de :
• Appliquer l’enseignement dispensé à un projet enthousiasmant et innovant
• Associer leurs étudiants à un projet d’avenir qui les concernera au premier chef dans une douzaine d’années.
• Alimenter l’audace de ce projet avec l’imagination et les rêves de la jeunesse
Le 23 janvier 2014 au siège du Groupe Bouygues a eu lieu une journée de restitution des travaux, devant un public de 250 personnes (membres du Bureau International des Expositions, parlementaires et élus territoriaux, représentants des entreprises partenaires, corps professoraux des établissements d’enseignement supérieur impliqués, professionnels du tourisme et des grands événements, et de nombreux étudiants). Un public enthousiasmé par le très haut niveau des présentations.
Chaque établissement disposait de 45 minutes et d’un stand pour convaincre de l’originalité, de la qualité et du bien-fondé de son projet. Deux établissements ont ensuite été auditionnés par la mission d’information parlementaire.
FEVRIER 2014
Ouverture du Collège des partenaires PME
Après l’ouverture en 2013, des partenariats aux groupes et grandes entreprises et la crédibilité acquise par le projet, l’idée a été de permettre aux PME de prendre part au projet, avec l’idée d’en réunir à terme, le plus grand nombre, issues de tous les secteurs d’activités et de tous les territoires. Image de la mobilisation du tissu économique dans son ensemble. Au 11 septembre 2014, elles sont 20 PME à avoir d’ores et déjà rejoint le Collège des partenaires PME.
AVRIL 2014 : Sondage IFOP pour EXPOFRANCE 2025
Un sondage commandé par EXPOFRANCE 2025 auprès de l’IFOP a été réalisé du 9 au 11 avril 2014 sur un échantillon de 1 051 personnes représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus. Il portait sur « Les Français et la candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025 ». D’où il est ressorti que :
• 84% des Français sont favorables ou très favorables à une candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025
• Les Français sont deux fois plus nombreux à préférer une exposition universelle à des Jeux Olympiques : 36% des sondés se sont prononcés pour l’exposition universelle contre 18%, moitié moins, pour les JO (33% plaidant pour les deux et 13% pour aucun).
30 AVRIL 2014 : Point d’étape EXPOFRANCE 2025
Un an après le lancement officiel du projet, au Grand Palais, l’association a fait un point d’étape sur le projet et sur l’état de la mobilisation en faveur de ce projet.
Orchestré par Jean-Christophe FROMANTIN, Président d’EXPOFRANCE 2025, avec la participation de Luc CARVOUNAS, ce point d’étape a permis à tous les partenaires et personnalités présents, de prendre conscience de la montée en puissance du projet.
Présents à la tribune, les 3 porte-parole du Comité de soutien - Maud FONTENOY, Cédric VILLANI, Anne-Sophie PIC – ont souligné leur engagement personnel dans le projet dès l’origine et leur forte envie collective de voir prospérer cette candidature française.
Ce rendez-vous a été l’occasion d’annoncer de nombreux nouveaux partenariats : Groupe Safran, Assemblée des Départements de France (ADF), des associations, fédérations, syndicats professionnels, établissements publics, associations et fédération sportive.
Un « Appel à la mobilisation » a été lancé par l’ensemble des partenaires d’EXPOFRANCE 2025.
Depuis lors, une dizaine de PME supplémentaires ont rejoint le Collège des partenaires PME, et de nouvelles grandes entreprises ont noué un partenariat avec EXPOFRANCE 2025 (Deloitte en juin, Groupe Galeries Lafayette en juillet, Société du Grand Paris en août et Accor en septembre).
24 JUILLET 2014 : 1ère réunion des « acteurs du Grand Paris » autour du projet EXPOFRANCE 2025 à l’Assemblée nationale
A l’invitation de Jean-Christophe FROMANTIN, député-maire de Neuilly-sur-Seine et Président d’EXPOFRANCE 2025 et de Luc CARVOUNAS, sénateur-maire d’Alfortville, administrateur de l’association, les principaux acteurs du Grand Paris se sont réunis à l’Assemblée nationale pour une première rencontre de coordination, en vue d’œuvrer ensemble à la candidature de la France à l’organisation de l’exposition universelle de 2025.
Représentés à haut niveau, étaient présents : la Ville de Paris, la Région Île-de-France qui a émis un vœu de soutien lors de sa session de juin, Paris Île-de-France Capitale économique, déjà partenaire du projet, la CCI Paris Île-de-France , l’EP Paris-Saclay, l’EPADESA, les entreprises du Club des partenaires fondateurs d’EXPOFRANCE 2025 dédiées à la mobilité dans le Grand Paris : SNCF, ADP, RATP et la Société du Grand Paris (SGP), annoncée ce jour-là comme nouveau partenaire.
25 SEPTEMBRE 2014 : Lancement des ateliers thématiques
Une dizaine d’ateliers de travail sera officiellement lancée le 25 septembre 2014. Chacun d’entre eux, à Paris ou en province, travaillera sur l’une des 6 thématiques retenues. Il s’agit de la première étape dans l’élaboration collective du contenu du dossier de candidature.
EXPOFRANCE 2025 ayant la volonté de placer la jeunesse au cœur de l’élaboration de ce projet, les étudiants des grandes écoles et universités partenaires auront un rôle actif dans la conduite de ces travaux collectifs, auxquels prendront part – autant qu’ils le souhaitent - tous les partenaires du projet.
La restitution écrite et orale des travaux est programmée fin janvier 2015.
Les thématiques :
1. Stratégie générale et communication àÉtablissement pilote : Celsa
2. Modèle économique, budget, financements à Établissement pilote : ESCP Europe
3. Accueil, hébergement à Établissements pilotes : Paris I Panthéon Sorbonne
+ Toulouse 2
4. Territoires de l’exposition, urbanisme à Établissements pilotes : ENS Architecture Paris La Villette + ENS Architecture Marseille
5. Mobilités à Établissements pilotes : Centre Michel Serres pour l’innovation (Hesam Université) + ENSAM Bordeaux-Talence
6. Patrimoine et pavillons, ou le concept du pavillon national ou thématique adossé à un lieu mis à disposition à Établissements pilotes : Sciences PO / PSIA – Paris + campus de Reims
PROCHAINES ETAPES
• Développement des partenariats et des vœux de soutien des collectivités territoriales. Mobilisation des métropoles régionales.
• 30 octobre 2014 : Remise du rapport de la mission d’information parlementaire Dialogue officiel avec l’État dont il est espéré l’engagement dans le projet au 1er semestre 2015.
• 29 janvier 2015 : restitution des travaux étudiants par ateliers thématiques.
• Février – mars 2015 : Grand événement « Trois ans avant » l’attribution de l’organisation de l’exposition universelle de 2025. Lancement de la mobilisation du grand public.
• Mars – Décembre 2015 : Rédaction du dossier de candidature.
Source : ExpoFrance 2025
Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles,
ancien vice-président du Bureau international des expositions (BIE)
(Séance du mercredi 5 février 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Pour sa première audition, notre mission d’information sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025 est heureuse d’accueillir M. Bernard Testu.
Conseiller économique, ayant exercé plusieurs fonctions dans des cabinets ministériels, vous avez, monsieur, été commissaire général des pavillons français pour les expositions universelles de Lisbonne en 1998, de Hanovre en 2000, d’Aichi en 2005 et pour l’exposition internationale de Saragosse en 2008. Vous avez également été vice-président du Bureau international des expositions (BIE) – organisme qui attribue, tous les cinq ans, l’organisation d’une exposition à un pays et dont nous recevrons le secrétaire général dans quelques semaines – et commissaire général pour la contribution française à l’aménagement du Musée de l’Amérique française à l’occasion des célébrations du 400e anniversaire de Québec, qui se sont déroulées en 2008.
Il y a quelques mois, vous êtes intervenu au Sénat dans le cadre d’un colloque consacré aux expositions universelles, que nous avons co-organisé avec le sénateur Luc Carvounas. L’Assemblée nationale s’est saisie de ce dossier pour évaluer l’actualité d’un tel projet, qui a certes évolué depuis l’idée originelle ayant présidé aux premières expositions du dix-neuvième siècle – dont la France fut un des acteurs majeurs. Ayant exercé des responsabilités au BIE et animé la représentation de la France dans plusieurs expositions universelles et internationales, vous avez une connaissance fine et diversifiée du dossier. Chaque exposition étant unique et apportant des enseignements complémentaires, votre éclairage nous sera particulièrement précieux.
Que sont devenues les expositions universelles aujourd’hui ? Quelle est votre perception de ces grands événements mondiaux ?
M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE. C’est un plaisir et un honneur pour moi de vous parler d’un sujet qui me passionne et, qui, en l’espèce, pourrait être mis au service d’un pays que j’aime.
Avant d’en venir aux avantages et aux inconvénients que l’organisation d’un tel événement peut présenter pour notre pays, puis aux atouts et aux faiblesses de notre candidature éventuelle, il m’a été demandé d’essayer de définir les expositions universelles. Or cette définition n’est pas aisée et, très souvent, on procède par la négative. Le BIE – qui, tel Dieu le père, décide et fait les expositions – définit ainsi l’événement en commençant par dire ce que ces expositions ne sont plus et en poursuivant en termes bien vagues : « D’abord outils au service de la promotion de l’identité nationale, du progrès industriel et des consommateurs éclairés, les expositions universelles sont devenues aujourd’hui une plateforme unique pour le dialogue international, pour la démocratie publique et pour la coopération internationale ».
Pour ma part, au risque de paraître iconoclaste, je partirai des faits pour décrire l’exposition universelle comme un site de loisir ludique, éducatif, international, commercial, festif, éphémère et populaire.
C’est d’abord un espace de loisir : un site fermé de quelques centaines d’hectares, accueillant divers événements et expositions et auquel les visiteurs accèdent en payant un billet d’entrée. Cet espace est ludique car les visiteurs viennent y chercher le plaisir et le divertissement, mais il est en même temps éducatif, les exposants – pays, collectivités territoriales, entreprises – offrant aux visiteurs l’occasion d’un transfert de savoirs et de connaissances sur différents aspects du thème retenu pour l’exposition. L’événement est évidemment international, d’abord parce qu’une exposition universelle abrite les pavillons de nombreux pays et ensuite parce que les visiteurs viennent, eux aussi, du monde entier. Il est également commercial, même si ce qualificatif peut choquer, ne serait-ce que parce que la société chargée de l’exploitation de l’exposition assume des charges et perçoit des recettes, ces dernières provenant essentiellement de la vente des billets d’entrée et des partenariats avec des entreprises commerciales qui choisissent de contribuer financièrement à l’événement pour en tirer des bénéfices en termes d’image. Le caractère festif de l’exposition universelle semble évident, l’immense majorité des visiteurs se souvenant avant tout d’un endroit magique et merveilleux où l’on peut aller à pied, en cinq minutes, du Chili en Grande-Bretagne. C’est pourquoi le livre de Florence Pinot de Villechenon – personne qui, en France, voire en Europe, connaît sans doute le mieux l’histoire des expositions universelles – s’intitule Fêtes géantes. L’événement est éphémère – on « y a été » ou non et lorsque l’exposition de Séville ou de Shanghai est terminée, il est trop tard pour ceux qui l’ont manquée – cette caractéristique n’étant d’ailleurs pas étrangère à son attrait. C’est enfin une manifestation populaire : une exposition organisée à Paris a de bonnes chances de réunir 50 millions de visiteurs ; Shanghai en a réuni 70 ; Séville, 40. Parmi ce grand nombre, chaque public – groupes scolaires, familles, comités d’entreprise, touristes – doit trouver un intérêt. Ne sous-estimons pas la clientèle internationale de ces événements : certaines personnes, parfois de condition modeste, se rendent à chaque exposition universelle !
Parmi les inconvénients d’une exposition universelle, on ne saurait passer sous silence le problème de son coût. Les enjeux financiers – termes sans doute plus appropriés – sont évidemment considérables. Réunir, sur un site aux infrastructures éphémères mais importantes, 50 millions de personnes durant 180 jours implique forcément des dépenses. Ces enjeux peuvent être divisés en deux catégories, qui correspondent à deux étapes successives : l’investissement et l’exploitation.
S’il est impossible d’estimer aujourd’hui l’investissement nécessaire, quelques éléments peuvent aider à définir un ordre de grandeur. L’affluence quotidienne moyenne sur un site d’exposition est de quelque 200 000 personnes ; venant s’ajouter au trafic normal dans la zone, leur transport nécessite sans doute des investissements complémentaires – qui ne seront d’ailleurs pas forcément perdus. À l’image des villages olympiques, il faut aussi créer, à proximité du site, un village de l’exposition pour héberger quelque 15 000 personnes. Celles-ci paient en général un loyer, mais il convient de leur offrir des conditions d’hébergement raisonnables. Souvent, ce type de projet s’insère dans des programmes de construction de logements pour étudiants ou de logements sociaux. Là non plus l’argent investi n’est pas perdu ; mais cet investissement demande à être planifié et concentré en fonction de la tenue de l’exposition. Enfin, il semble difficile d’envisager une candidature solide sans prévoir quelques éléments architecturaux pérennes, qui seront utilisés à titre provisoire pour l’exposition.
Évaluer le budget d’exploitation apparaît plus simple, même si le départ avec le budget d’investissement fait débat parmi les experts. En tout état de cause, les exemples passés montrent que l’équilibre de la future société d’exploitation – entre, d’un côté, les contributions des entreprises et la recette des entrées, et, de l’autre, les charges de fonctionnement – peut raisonnablement être atteint, y compris dans les pays à économie de marché. Cependant, l’État étant obligé de se porter garant, y compris de la société d’exploitation, le calcul se doit d’être précis, sous peine de faire défrayer le contribuable. Sur un budget de quelque 2 à 5 milliards d’euros, une erreur de 10 % a des conséquences qu’on ne peut prendre à la légère. L’engagement doit donc être sérieux et le contrôle des dépenses et des recettes, rigoureux.
Dernier coût : celui de l’empreinte écologique que ne manquera pas de laisser la venue de 50 millions de personnes en un lieu circonscrit. Ce problème ne doit pas nous empêcher d’agir mais, même s’il apparaît moins aigu dans un environnement déjà urbanisé, il faut dès l’amont chercher à le réduire autant que possible.
Les avantages apparaissent pour leur part évidents. Une exposition universelle constitue un projet fédérateur tant pour les citoyens que pour les territoires concernés, ainsi que pour le pays tout entier. Consensuel, le projet, quoique réalisable, a un caractère magique : il fait rêver. Dans beaucoup de pays, ce potentiel mobilisateur a été très sous-estimé alors qu’il s’agit d’une occasion unique d’impulser un élan, de libérer une énergie qu’on a du mal à imaginer. Le champ des possibles est extrêmement large. D’autre part, première destination touristique au monde, la France se doit d’entretenir la flamme au lieu de se reposer sur ses lauriers. L’organisation d’un tel événement – qui pourrait attirer quelque 10 millions de visiteurs étrangers supplémentaires – démultiplierait l’attrait de notre pays.
Pour évoquer les atouts et les faiblesses de l’éventuelle candidature française, je commencerai par insister sur nos points forts. Ceux-ci sont objectifs : la France est un pays développé et Paris, un site très urbain, ce qui confère une crédibilité immédiate au projet. Les moyens financiers et humains, ainsi que les infrastructures sont là. Enfin, ayant réussi à organiser une exposition universelle il y a 150 ans, la France devrait également y parvenir aujourd’hui. Nous n’aurons donc pas grand-chose à prouver sur ce terrain.
Autre point positif pour le BIE : le succès prévisible de l’opération. En effet, rien n’est pire qu’une exposition universelle qui ne remplit pas ses promesses. Cette mésaventure est arrivée à l’Allemagne qui a péché par orgueil en voulant faire mieux que l’Espagne, qui avait attiré 40 millions de visiteurs et en en annonçant 50 millions. Mais Hanovre n’est pas Séville et avoir réussi à y faire venir 20 millions de personnes représente déjà un bel exploit ! Le problème a donc tenu tout entier à l’annonce initiale, trop optimiste. Dans le cas de Paris, le succès est par avance certain.
Plutôt que des faiblesses, je parlerai des vulnérabilités potentielles de notre candidature et je le ferai avec une très grande liberté, en tant que praticien et que citoyen. La création de cette mission d’information parlementaire semble indiquer la volonté du législateur de donner à notre pays les moyens d’organiser cet événement ; mais si l’on ne parvient pas à construire un consensus politique fort, dépassant les clivages partisans, et à obtenir l’appui des principales collectivités locales concernées et de l’État, notre candidature est vouée à l’échec. En effet, la France a dans ce domaine un passif – fait de projets avortés ou de renoncements – qui risque de nous désavantager. En 1989, sous l’impulsion de François Mitterrand, une exposition universelle devait célébrer le bicentenaire de la Révolution française. Alors que le BIE était allé jusqu’à changer ses règles de fonctionnement pour conforter la candidature française, les désaccords entre François Mitterrand et Jacques Chirac ont conduit à l’abandon du projet. Plus récemment, l’exposition internationale Images 2004 avait bien fait l’objet d’accords entre différents partis composant la majorité de l’époque, mais non d’une véritable volonté politique partagée par l’administration. Lorsque Jean-Pierre Raffarin est devenu Premier ministre, la France a renoncé au projet, qui plus est d’une façon cavalière – épisode qui lui a valu quelques rancunes. Notre pire ennemi, c’est donc nous-mêmes. Pour atténuer ce handicap, il nous faudra insister sur le consensus politique à maintenir quelles que soient les alternances, s’agissant d’un projet de long terme.
Une autre vulnérabilité peut se révéler plus délicate à surmonter : contrairement aux pays d’Extrême-Orient et du Moyen-Orient, où les expositions universelles sont à la mode, en Europe elles le sont un peu moins. Le dernier grand succès – Séville – date déjà de presque une génération ; Hanovre n’était pas un grand succès, et les autres rendez-vous avaient une portée plus régionale. Cette situation s’explique peut-être par le statut quelque peu ambigu de cet événement : porteur d’une charge culturelle considérable, il est également très populaire, certains visiteurs s’y rendant comme on se rend à Disneyland. Ce constat peut gêner mais, au fond, il n’a rien de scandaleux. Là aussi, l’existence d’un véritable consensus politique autour d’un projet magique peut complètement changer la donne en insufflant un esprit neuf.
Enfin, s’il faut s’inscrire dans une dynamique de victoire – notamment en construisant un dossier de candidature solide –, il faut être prêt à perdre. Le succès n’est jamais acquis et un échec ne serait en rien honteux, d’autant que l’élan provoqué par une belle candidature fédératrice peut très bien y survivre.
Héritées du passé, les expositions universelles ont été profondément revisitées et procurent aujourd’hui un cadre favorable aux échanges entre les hommes. Lorsqu’elles ont lieu, elles constituent le plus grand rassemblement humain de l’année. Organiser cet événement est à notre portée ; il serait grand temps que la France se donne les moyens d’inviter le monde entier.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Nous sentons à votre passion que nous pourrons compter sur votre aide si la candidature française venait à se concrétiser.
Vous avez noté que les expositions universelles ont été profondément revisitées ; mais quelle en est aujourd’hui la nature ? Pourquoi en organise-t-on toujours, au-delà du seul objectif de réunir des hommes et des femmes ? Les grands événements internationaux de notre époque, tels que les jeux Olympiques et les expositions universelles, vous semblent-ils similaires ou profondément différents ?
Les jeux Olympiques suscitent immédiatement la fierté d’un peuple ; qu’en est-il des expositions universelles ? Que représentent-elles dans l’imaginaire collectif d’un pays ?
Comment voyez-vous l’exposition universelle du XXIe siècle ? Chaque candidat ayant à proposer un lieu et un thème, comment le BIE effectue-t-il son choix ? Considère-t-il d’abord le site ou la thématique, ou bien s’intéresse-t-il à l’articulation entre les deux ? Peut-on faire preuve d’imagination dans ce domaine pour inventer de nouveaux modes de fonctionnement ? Ainsi, dans votre définition, vous avez souligné que l’exposition universelle était un site fermé à entrée payante ; mais ne pourrait-on pas imaginer qu’elle se tienne sur plusieurs sites à la fois et que, grâce aux nouvelles technologies, elle adopte des formes nouvelles ? Selon vous, quelles pourraient être les modalités d’une exposition universelle différente de celles qui se sont tenues jusqu’ici ? Un tel projet aurait-il une chance d’aboutir alors que le processus de sélection correspond manifestement à des critères bien précis ?
M. Bernard Testu. Les expositions universelles sont nées d’une volonté d’affirmation de puissance – industrielle, commerciale et même coloniale – des nations. En 1851, les Anglais ont réussi à devancer les Français, retardés par les événements de 1848 ; immédiatement après, Napoléon III a organisé deux expositions à la suite. Par rapport à cette conception, le projet devait évoluer pour rester d’actualité.
À la fin du vingtième siècle, l’événement a été très utilisé par les entreprises et s’est adressé au consommateur autant qu’au citoyen. Mais il est devenu également un outil de transmission et de vulgarisation des connaissances, la recherche y trouvant sa place à côté des déclinaisons commerciales et industrielles du thème. Chaque pays organise son pavillon selon son génie propre, en fonction des visiteurs attendus et du budget qu’il est prêt à consacrer à cette opération, quitte à produire parfois des manifestations décevantes. Les expositions fonctionnent dès lors comme un caravansérail où l’on trouve ce que l’on y apporte. Chaque pavillon s’apparentant à un musée, elles tiennent de la Cité des sciences et d’une grande fête cosmopolite simultanément. Par rapport à Hanovre – qui n’avait attiré que 15 ou 16 % de visiteurs étrangers –, cet aspect festif et international devrait être particulièrement saillant à Paris.
Si le concept d’exposition universelle n’avait pas été profondément revisité, l’événement serait mort. Avoir maintenu le mythe – dont des monuments tels que la Tour Eiffel, le Grand Palais ou le Trocadéro demeurent témoins – a permis à l’humanité, presque par hasard, de préserver ce moment particulier, presque miraculeux, où les hommes du monde entier posent leurs outils et oublient leurs conflits pour réfléchir ensemble à un sujet donné et essayer de se comprendre. L’événement est donc bien « une plateforme pour la démocratie publique », la médiation y étant minimale – l’UNESCO organise souvent des colloques en lien avec les expositions, mais ceux-ci restent marginaux par rapport à la vocation première de l’exercice.
Comme pour les jeux Olympiques, chaque candidature suscite immédiatement un fort sentiment d’identification nationale que nourrit le suspense lié au processus de sélection. En revanche, alors que l’exposition entraîne le plus grand rassemblement humain de l’année, loin devant les jeux Olympiques, elle bénéficie d’une couverture médiatique bien moindre
– excepté dans le pays organisateur. Le parallèle entre les deux événements est cependant réel, et l’élan qu’une candidature peut donner à un pays est similaire. En effet, tous deux exigent une longue préparation, notamment pour construire les infrastructures ; l’importance des enjeux financiers est également comparable. Une candidature française ne laissera pas nos concitoyens indifférents et son impact sera important, même dans un vieux pays comme le nôtre qui a déjà organisé plusieurs expositions par le passé. L’événement a été capital pour les pays en développement ; il y a souvent été le marqueur d’une évolution. L’exposition d’Osaka a révélé au monde le Japon moderne ; celle de Séville a sanctionné l’entrée de l’Espagne dans le monde démocratique moderne ; celle de Lisbonne a symbolisé le développement du Portugal ; celle de Hanovre a concrétisé la réunification de l’Allemagne et celle de Shanghai, le renouveau de la Chine. Arriver à faire de l’événement un marqueur pour la France de 2025 serait source d’une réelle fierté nationale.
Comment réinventer l’exposition universelle du XXIe siècle ? Comme vous le savez sans doute, le projet français ne s’appuie pas sur un seul site. S’il est exclu d’imposer un changement total de la règle, un projet qui, tout en la respectant, proposerait des options supplémentaires serait parfaitement défendable. Ainsi, on ne peut imaginer une exposition universelle n’ayant qu’Internet pour support, mais l’on peut évidemment proposer des manifestations par Internet – en plus du reste. Le socle d’une exposition universelle reste quand même un lieu physique où des visiteurs battent le pavé pour visiter des pavillons et assister à des concerts, et non un simple écran. Le site fermé doté d’une billetterie reste donc d’actualité, même si l’on peut y ajouter d’autres sites, éventuellement ouverts et gratuits. Le modèle reste à inventer, dans le respect des traditions et sans froisser les conservatismes.
La lettre de candidature, signée du Président de la République ou du Premier ministre et adressée au président du BIE, ne contient au départ que trois éléments : un lieu, un thème et une période – qui peut aller jusqu’à six mois. Le lieu peut rester approximatif, mais le thème – de portée universelle, tel que les océans ou l’énergie – doit être précisément défini. C’est en effet un élément essentiel de la proposition. Le dossier de candidature, qui vient plus tard, doit décrire le consensus politique sur lequel j’ai insisté, les conditions matérielles envisagées pour l’exposition et les déclinaisons du thème proposé dont il doit montrer le caractère fédérateur et la pertinence. Il convient donc de créer immédiatement un comité ad hoc de spécialistes et d’autorités morales et scientifiques du secteur concerné, chargé de rédiger ce document de 20 à 40 pages – généralement passionnant – qui nourrira la réflexion des futurs scénographes de l’exposition.
M. Michel Lefait. Vous avez expliqué que pour l’emporter, un dossier de candidature devait être extrêmement solide, le choix du pays, du lieu et du thème étant fondamental. Pourtant, nous avons appris – à nos dépens ! – que le processus de sélection pour l’organisation des jeux Olympiques donnait lieu, en coulisses, à un intense lobbying. Dans le cas des expositions universelles, les lobbies interviennent-ils également au moment du choix, et le cas échéant, sous quelle forme et avec quel succès ?
M. Bernard Testu. Je crains que vous n’ayez raison. Cependant, si les expositions universelles présentent bien des points communs avec les jeux Olympiques, les différences restent importantes. Certes, les élections – faisant intervenir entre 150 et 200 électeurs – apparaissent similaires. Mais le Comité international olympique (CIO) est une organisation internationale de droit privé ; n’étant pas investis d’un mandat impératif, les électeurs n’y obéissent qu’à eux-mêmes. Ce mode d’organisation facilite les opérations de lobbying. En revanche, le BIE est une organisation internationale de droit public, antérieure non seulement à l’ONU, mais même à la Société des nations (SDN). Son siège – on l’oublie trop souvent – se trouve à Paris. Naguère composé de 45 membres, il en compte aujourd’hui 168. De grands pays comme les États-Unis et le Canada en sont pourtant sortis ; l’Inde – ou, dans l’Union européenne, l’Irlande et le Luxembourg – n’y sont pas représentés non plus. Le vote y est secret et il n’est pas toujours évident de savoir qui déposera dans l’urne le bulletin pour tel pays, même si cela revient le plus souvent au délégué. Il n’est donc pas facile d’élaborer une stratégie d’influence.
La France a toutes les cartes en main pour construire une candidature crédible ; capable de présenter un dossier technique irréprochable, elle dispose de surcroît d’un réseau diplomatique puissant. Cependant, certains délégués peuvent être vulnérables et il faut tenir compte de cette réalité. Si la France décide d’être candidate, elle devra le déclarer au début de 2016, la décision étant rendue deux ans plus tard. Sa lettre de candidature ouvrira une période de six mois durant laquelle d’autres pays pourront également se porter candidats. À la clôture des inscriptions, nous connaîtrons la liste de nos adversaires, les pays en compétition étant en général entre trois et cinq. En attendant ce moment, rien ne sert d’écouter les rumeurs : il faut simplement se dire que nous serons les meilleurs !
Pour renforcer le sérieux de notre candidature, il faut que le projet de loi ou d’ordonnance correspondant soit déjà écrit – sinon déposé – et annexé au dossier, attestant de l’engagement de l’État. Le dossier est ensuite examiné par une mission d’enquête qui interroge sans concession tous les protagonistes – groupes parlementaires de la majorité et de l’opposition, grandes collectivités locales et entreprises impliquées dans le projet – pour tester leur détermination. Cette mission d’enquête rend un simple avis technique, portant sur la viabilité du projet ; c’est ensuite l’assemblée générale du BIE qui vote pour départager les candidatures. Entre-temps, la responsabilité du comité de candidature reste écrasante puisqu’il lui appartient d’assurer la notoriété du projet et de convaincre 168 personnes par le biais d’opérations de relations publiques impliquant tant les services de l’État que leurs partenaires.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Chaque pays disposant d’une voix, le Panama a dans cette élection autant de poids que la Chine. Il ne faudrait donc pas négliger les petits pays.
Mme Catherine Quéré. La politique étrangère de la France a-t-elle du poids ? Peut-elle nous aider ou nous désavantager dans ce dossier ? Qui sont les 168 personnes qui participent à l’élection ? Qui les a choisies, et comment ? En avez-vous la liste ?
M. Bernard Testu. Le BIE étant une organisation internationale de droit public, c’est le pouvoir politique qui nomme les trois délégués nationaux. Dans les grandes démocraties occidentales, il s’agit généralement de fonctionnaires, souvent de l’ambassadeur du pays. Quelquefois, pourtant, ce n’est pas le cas ; il est ainsi arrivé que le représentant d’un pays – généralement petit – soit une personne privée qui n’en avait même pas la nationalité, mais qui disposait d’amis haut placés. Si un tel électeur est plus vulnérable que d’autres aux pressions des lobbies, sa voix pèse pourtant autant que celle de l’ambassadeur de la République populaire de Chine.
La liste des délégués est publique ; cependant, ce n’est pas forcément le délégué qui sera l’électeur. Le rôle des services diplomatiques est ici essentiel : à eux de s’informer du cheminement de la réflexion dans chaque pays.
Pour ce qui est de notre pays, face au manque de mobilisation des administrations, j’ai souvent dû prendre la plume pour écrire à la personne chargée de ce dossier au cabinet du Premier ministre pour lui rappeler les échéances et lui donner mon point de vue. À l’issue d’une réunion entre responsables du quai d’Orsay et du ministère des finances, et parfois d’un ou deux ministères techniques concernés par le thème, la décision était prise quant au candidat pour lequel la France allait voter. Mais parfois les choses se passent autrement : lorsque, trois jours avant de terminer son mandat, François Mitterrand a reçu une lettre d’invitation de la part du chancelier Kohl, il y a répondu positivement. Bien que variés, ces processus restent légitimes et démocratiques.
Les grands candidats du passé, qu’ils aient gagné ou perdu, s’étaient toujours appuyés sur un réseau de spécialistes des questions internationales – anciens diplomates, intermédiaires qualifiés – pour suivre le processus de décision de chaque pays, sans pour autant négliger les appuis étatiques.
Quant au poids de la France dans le monde, il est bien réel, et notre candidature a davantage de chances d’emporter l’adhésion que celle de l’Islande. Mais notre pays ne compte pas que des amis.
M. Jean-François Lamour. Pour les dernières expositions universelles, le choix était-il déjà connu au moment de l’élection ou au contraire faisait-il l’objet d’une véritable incertitude ? Les blocs en faveur de telle ou telle candidature avaient-ils déjà été identifiés ? Y a-t-il eu des surprises ou bien la décision a-t-elle été négociée en amont, le vote ne faisant alors que confirmer l’avantage pris par un pays sur les autres ? Le cas échéant, à quel moment le basculement en faveur d’une candidature s’est-il effectué ? À combien de voix l’élection s’est-elle jouée ?
M. Bernard Testu. Tout comme dans le monde olympique, chaque campagne électorale est unique, porteuse d’un dynamisme propre. On a vu des candidatures ayant débuté sous les meilleurs auspices s’effondrer en raison d’un consensus politique défaillant ou de mouvements citoyens protestant contre l’organisation de l’exposition. Le projet de Nagoya a ainsi été compromis par la pression exercée à Paris par 350 manifestants japonais opposés à l’événement, leur mobilisation brisant l’impression de consensus. Ayant étudié le contexte, nous avons conclu que la contestation était motivée par des raisons internes au Japon, mais cet exemple montre qu’une campagne obéit à de strictes exigences de communication publique.
En toute modestie, je dirai que je ne me suis jamais trompé sur le pays vainqueur ; mais on ne peut pas en dire autant des candidats eux-mêmes qui, sûrs de l’emporter, ressortent parfois de l’élection dans un état de choc. On n’écoute malheureusement que ce que l’on a envie d’entendre, prenant toutes les promesses de soutien pour argent comptant.
Dans les élections récentes, le score n’a jamais été très serré, mais le Japon a gagné à très peu de voix près. Les Philippines – qui allaient ensuite abandonner le projet d’exposition – l’avaient emporté contre l’Australie au terme d’un processus particulier. La candidature de Brisbane, grande ville d’un pays développé, semblait ne devoir rencontrer aucun obstacle, d’autant que les chances des Philippines, pays en développement n’ayant jamais organisé d’exposition, paraissaient réduites. Lors du vote initial, pour lequel tous les représentants avaient des instructions, les voix se sont partagées à égalité, vingt-deux contre vingt-deux, ce qui était sans précédent. On a alors organisé un deuxième vote. Ayant au départ voté pour l’Australie, conformément à mes instructions, j’ai suivi mon cœur en choisissant les Philippines. En définitive, ce pays l’a emporté largement grâce au coefficient de sympathie dont il a bénéficié.
M. Bruno Le Roux. Depuis le départ, j’ai l’impression que pour vous, si la France se portait candidate, c’est forcément à Paris que l’exposition serait organisée. S’agit-il d’une évidence ?
M. Bernard Testu. Paris est plus connu dans le monde que Neuilly-sur-Seine ! (Sourires.) L’exposition Images 2004 qui devait se tenir en Seine-Saint-Denis avait ainsi, pour des raisons de visibilité, été présentée comme une exposition parisienne.
M. Bruno Le Roux. Ma question concerne plutôt la possibilité d’organiser l’exposition dans une métropole régionale telle que Marseille ou Toulouse.
M. Bernard Testu. Ce type de projet peut très bien prospérer. Hanovre est une ville de 700 000 habitants, Séville, de 400 000 seulement ; Milan – qui organise l’exposition de 2015 – en compte un peu plus d’un million. Les villes que vous avez citées pourraient donc très bien accueillir l’événement.
M. Hervé Féron. Des étudiants ont été invités à livrer leurs idées dans le cadre du projet ExpoFrance 2025. Pour éviter les heures de queue dans les files d’attente, ils ont en particulier proposé d’organiser des expositions hors les murs, investissant les rues ou les transports en commun. Qu’en pensez-vous ?
M. Bernard Testu. Uniquement du bien, à condition qu’il s’agisse d’une proposition supplémentaire. En effet, une exposition universelle ne saurait se passer de pavillons et il nous appartient d’adopter des méthodes intelligentes pour gérer les files d’attente – telles que des systèmes de réservation. Sous cette réserve, inventer des manifestations supplémentaires pour faire vivre l’événement hors les murs ou prévoir des installations sous d’autres formes ne peut qu’apporter un plus.
M. Michel Lesage. La mission d’enquête qui instruit les candidatures établit-elle un rapport ? Les critères présidant à ses conclusions sont-ils connus ? Ce rapport est-il présenté aux délégués et débattu entre eux ?
Pour quelles raisons les États-Unis, le Canada et l’Inde ont-ils quitté le BIE ou n’y ont-ils pas adhéré ?
M. Bernard Testu. L’Inde n’y est jamais entrée. Le Canada est parti récemment, pour des raisons de personne, le candidat français à la présidence de l’assemblée générale l’ayant emporté sur le candidat canadien au terme d’une élection très conflictuelle. Les États-Unis se sont retirés il y a plus longtemps car l’organisation des expositions leur semblait trop chère et insuffisamment libérale. L’événement n’intéressant pas les gros opérateurs commerciaux tels que Disney – auxquels il fait concurrence –, ce pays a préféré ne pas participer. Cela dit, s’ils se portent un jour candidats à l’organisation d’une exposition – possibilité à ne pas exclure –, les États-Unis devront à nouveau adhérer au BIE.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Cela n’empêche pas les Américains d’être toujours présents, avec de grands pavillons, à toutes les expositions universelles.
M. Bernard Testu. Certes. Il faut distinguer l’organe qui décide de l’organisation des expositions et les États qui y participent. Ces derniers sont invités par le pays organisateur.
M. Jean-François Lamour. En revanche, les pays ne faisant pas partie du BIE ne peuvent pas se porter candidats à l’organisation de l’événement.
M. Bernard Testu. En effet.
La mission d’enquête, composée de délégués membres du BIE, rédige un document qui entre dans les détails techniques et financiers du projet ; ce rapport est ensuite attentivement étudié par le secrétariat du BIE qui fait appel à l’expertise de consultants privés extérieurs. Ayant participé à quatre missions et en ayant présidé deux, je sais que l’investigation ne laisse rien dans l’ombre : on auditionne le Président de la République, les chefs de l’opposition, les principales villes concernées, les entreprises, les différents groupes de pression intéressés, les opposants, les banques, éventuellement les médias ; on vérifie différents documents relatifs à l’engagement financier de l’État et on examine la solidité de sa détermination en se penchant sur le projet de loi joint au dossier. En somme, on tente de s’assurer, dans la mesure du possible, qu’à ce stade de la procédure – soit neuf ans avant la tenue de l’exposition –, l’État concerné, dans toutes ses composantes, s’est mis en ordre de bataille pour préparer l’événement. Le rapport de la mission d’enquête est un document très épais et complexe, et la majorité des délégués ne le lisent pas ; mais la commission exécutive du BIE – que j’ai longtemps présidée – en fait une analyse avant de rendre un avis strictement technique, statuant sur la viabilité du projet et sur les éventuelles améliorations à y apporter. Ce rapport est voté par les membres de la commission exécutive – dont dix-huit pays font actuellement partie –, généralement à l’unanimité. Ainsi cette approbation ne signifie pas grand-chose, aucun projet sérieux n’étant rejeté à ce stade.
Mme Catherine Quéré. À l’issue du vote, le dossier de candidature gagnant est-il rendu public, de façon que l’on puisse apprécier les raisons de sa victoire ? Après une exposition, en fait-on une analyse critique pour mettre en évidence les erreurs à ne pas reproduire ?
M. Bernard Testu. Je ne saurais répondre à votre première question. En revanche, tant le pays organisateur que le BIE effectuent une étude a posteriori pour déterminer les raisons des succès et des échecs d’une exposition – tâche parfois délicate. Entre le dossier de candidature et la réalisation concrète du projet, il s’écoule plusieurs années et les différences sont souvent spectaculaires. En effet, si le pays candidat dépend totalement du BIE jusqu’au moment du vote, il devient ensuite seul maître à bord. C’est pourquoi le BIE craint les abandons en cours de route – dont la France notamment s’est rendue coupable.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur Testu, je vous remercie pour cet échange qui donne envie de se lancer dans l’aventure. Nous en retiendrons qu’une exposition suppose avant tout le désir d’un peuple et d’un pays d’accueillir le monde. Mais à côté de cette dimension affective – essentielle –, une candidature nous ferait entrer dans un processus complexe de compétition qui, soumis autant à des réactions émotionnelles qu’à des considérations rationnelles, recèle une part de mystère. Nous nous souviendrons surtout de la nécessité d’un consensus : si nous voulons mobiliser la France et toute sa population sur un projet, il nous faudra le concours de tous les acteurs politiques, économiques et culturels, sans quoi l’élan initial ne saurait que retomber. Ce long processus nous donnera certainement l’occasion de nous revoir.
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions (BIE), et de M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE
(Séance du mercredi 5 février 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous nous réjouissons d’accueillir, pour notre deuxième audition, M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France. Après une riche carrière diplomatique, vous avez, monsieur l’ambassadeur, présidé le Bureau international des expositions (BIE) et avez donc eu à vous prononcer sur la candidature de pays volontaires pour organiser des expositions universelles ou internationales ; aussi pourrez-vous nous faire partager votre connaissance intime de cette institution et de son fonctionnement. Nous sommes également heureux d’accueillir M. Pascal Rogard, aujourd’hui conseiller à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne après avoir été sous-directeur au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, et qui dirige la délégation française auprès du BIE.
Notre mission d’information, créée en janvier dernier par la Conférence des présidents, doit nous éclairer sur l’évolution des expositions universelles, sur le processus de candidature et de décision, sur les raisons du succès ou de l’échec d’une candidature. Plus précisément, sur quels atouts une candidature française pourrait-elle s’appuyer et de quels éléments de vulnérabilité pourrait-elle pâtir ? Bref, quelles seraient nos chances et comment pourrions-nous en jouer au mieux pour mener à terme un projet aussi grandiose ?
M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions. Je vous présenterai l’exposition universelle sous trois aspects : d’abord, je passerai en revue ses effets ; ensuite, j’examinerai la faisabilité d’un tel projet ; enfin, j’exposerai la stratégie électorale à adopter pour convaincre l’assemblée générale du BIE.
Sur le premier point, pour qu’une candidature soit retenue par les plus hautes autorités françaises, il faut que soit attesté l’effet de l’exposition universelle sur la croissance du pays. Pour cela – et conformément, d’ailleurs, à l’esprit de ces manifestations –, il convient de mettre l’accent sur l’innovation. Celle-ci est une préoccupation de nos gouvernements successifs depuis six ou sept ans, quelle que soit leur orientation politique : en témoignent les programmes d’investissements d’avenir, l’installation de la commission présidée par Anne Lauvergeon comme les 34 projets soutenus par le ministre du redressement productif. L’innovation devra donc, sous une forme ou sous une autre, déterminer le thème de l’exposition, mais aussi être mise à contribution pour son organisation, car nous ne devons pas oublier que nos points forts incluent, à côté de la recherche et de l’industrie, les services.
La culture et l’art de vivre correspondent à un autre domaine de compétence français dont la thématique retenue devra tenir compte. C’est en effet en ces matières que nous pourrons nous distinguer de l’Allemagne, qui cherche à s’imposer en Europe comme étant le pays de la technologie – le slogan d’Audi, Vorsprung durch Technik, est tout à fait représentatif de cette ambition. Quatre-vingt-dix ans plus tard, ne se souvient-on pas davantage de l’Exposition internationale des Arts décoratifs, organisée à Paris en 1925, que des jeux Olympiques de 1924 ?
C’est donc sur ces thèmes qu’il faudra s’appuyer pour organiser l’exposition universelle, et c’est en fonction d’eux qu’il conviendra d’en étudier l’effet sur la croissance, une mission que je serais d’avis de confier à un petit groupe d’économistes.
L’effet de l’exposition universelle, c’est aussi son effet sur l’opinion, qui suppose de mettre l’accent sur les sujets qui motivent celle-ci. On pourrait avoir l’impression qu’elle s’intéresse peu aux progrès de la recherche, de l’industrie ou des services, mais l’exemple du Téléthon montre le contraire en matière de recherche médicale. Tout dépend donc de la politique de communication choisie.
Une exposition universelle peut aussi influencer l’image que la France a d’elle-même : grâce à elle, la France devrait reprendre confiance en elle, se voir de nouveau comme un pays d’avenir, d’innovation, de recherche et, bien sûr, de culture, comme un foyer de rayonnement. Cet objectif doit sous-tendre votre réflexion sur la thématique de l’exposition.
Mais l’exposition universelle est également susceptible d’influencer l’image internationale de la France. Je sais d’expérience que nous passons souvent pour arrogants. La réussite de l’exposition universelle supposerait que nous accueillions les autres au lieu de chercher à nous affirmer face à eux. J’y reviendrai à propos de la politique de lobbying mais, après tout, n’est-ce pas conforme à notre tradition ? En peinture, l’École de Paris réunissait Matisse, Dufy, Braque, mais aussi Picasso, Soutine, Juan Gris, Modigliani ! Par le passé, nous avons su nous ouvrir aux autres. Avec l’Exposition universelle, nous accueillerons leurs innovations, leurs arts de vivre. Je ne parle pas seulement des pays européens et des grands pays asiatiques, mais aussi des pays en voie de développement, qui représentent la moitié des pays membres du BIE. Nous devrons mettre l’innovation à leur service et recueillir leur sentiment sur ce que doit être l’exposition.
Sur ce premier aspect, je n’ai pas de suggestion particulière à formuler. Mais, parmi les projets proposés par quelques universités et grandes écoles sur votre invitation, monsieur le président, j’ai été très frappé par celui du centre Michel Serres pour l’innovation sur le thème du génie du corps – ce qui peut recouvrir aussi bien les transformations du corps sous l’effet des biotech et des medtech que la place du corps dans la culture – danse, théâtre, etc. – ou encore les conceptions qu’en ont les différentes civilisations.
J’en viens à mon deuxième point : la faisabilité d’un projet d’exposition universelle à Paris. Elle ne va pas de soi : nous ne sommes plus en 1900, moins encore en 1855, date de la première exposition universelle organisée dans notre capitale et le projet est d’autant plus complexe qu’il devrait s’inscrire dans la dynamique du Grand Paris.
C’est d’abord l’implantation territoriale qui risque de poser un problème. Les universités et grandes écoles consultées ont proposé une exposition éclatée entre différents sites. Mais ce cas serait sans précédent s’agissant des pavillons internationaux. Certes, lors de l’exposition de 1937, des annexes avaient été aménagées et, à Aichi, les ONG étaient installées dans une zone à part, directement reliée par télécabine au centre de l’exposition. À Shanghai, l’exposition était traversée par le fleuve, mais un tunnel souterrain avait été percé et toute la représentation internationale officielle était installée sur la même rive ; sur l’autre était située la zone des meilleures pratiques, désormais prévue dans toutes les expositions universelles, et où des villes, des entreprises et des universités peuvent être représentées. Abstraction faite des problèmes logistiques qu’elle poserait, une exposition dispersée risque d’être déroutante pour le jury. De plus, il importe d’assurer l’égalité d’accès aux pavillons ; or, si la Chine ou l’Allemagne pourront à la rigueur avoir un pavillon dans chaque zone, ce ne sera sûrement pas le cas du Pérou, du Panama ou de l’Angola, sans parler de la République de Kiribati ou de Tuvalu.
Je plaide donc en faveur de l’unité et de la continuité de l’exposition, qui ne seront pas faciles à assurer. À cette fin, j’ai proposé de mettre à profit l’axe Seine, qui peut être complété par le canal Saint-Martin et le canal Saint-Denis, grâce à une connexion qu’il faudra étudier de très près et qui utilisera la voie d’eau. Ainsi l’exposition pourrait-elle s’étendre en partie sur le Grand Paris.
Si l’exposition est éclatée, la fréquentation risque aussi de varier d’une zone à l’autre. Ce problème s’est posé à Shanghai, où les directeurs des pavillons dédiés aux meilleures pratiques se sont plaints au bout de deux jours du fait que la fréquentation n’atteignait pas leur zone. Nous avons alors pu admirer la réactivité des Chinois : quarante-huit heures après que nous les avons avertis, deux entrées ont été ajoutées, dont les points de contrôle avaient été aménagés dans la nuit.
S’agissant des pavillons eux-mêmes, vous avez proposé, monsieur le président, qu’ils soient installés dans des monuments ou des lieux emblématiques de Paris. C’est certainement réalisable dans quelques lieux, mais pas pour les 168 États membres du BIE. En outre, il faudrait tester l’installation au préalable. On peut vouloir mettre une gare à la disposition d’un pays, mais celui-ci sera-t-il d’accord ? Les pays, comme les hommes, ont un ego. Ils veulent construire eux-mêmes leur pavillon ; ils veulent avoir leur propre verre, quitte à ce que celui-ci soit plus petit ! En tout cas, si l’on envisage de mettre la gare du Nord à disposition, il faudra en discuter avec le président de la branche Gares & Connexions de la SNCF.
Des pavillons sur mesure, loués ou provisoires sont également concevables, sur le modèle de la Foire internationale d’art contemporain. Pour cela, nous pouvons proposer des facilités. Mais, là encore, il faudra décider où installer les très nombreux pavillons nécessaires.
Les tout petits États pourront, comme en Chine, être regroupés dans des halls respectivement dédiés à la zone caraïbe, à l’Océanie, aux petits États d’Amérique latine et à ceux d’Afrique. Leur installation sera à notre charge.
La zone des meilleures pratiques désormais prévue par le règlement des expositions constitue une opportunité pour les villes – Lyon était représentée à Shanghai ; Paris aussi, mais beaucoup plus modestement –, pour les grandes entreprises, mais aussi pour les universités – Harvard, Stanford, Tsinghua – et les grands instituts de recherche, acteurs de la vie mondiale.
J’en viens à l’échéancier. Le respect des délais n’est pas notre point fort. En 1937, le chantier n’était pas terminé lorsque l’Exposition a ouvert ! La France a alors demandé au BIE de prolonger la durée de la manifestation, en vain. Mais c’est un défaut dont nous n’avons pas le monopole : songeons au retard pris par le chantier de l’aéroport de Berlin. Dans ce domaine aussi, la Chine peut nous servir d’exemple : l’ouverture de l’exposition universelle a fait l’objet d’un test grandeur nature, avec 500 000 personnes, dix jours avant l’échéance.
Le dernier problème qui se pose à propos de la faisabilité est celui du coût : coût de la campagne, coût du plan d’aménagement, puis coût de fonctionnement pendant six mois – abstraction faite des frais induits, dont la sécurité et les logements. Il faudra payer les volontaires, qui étaient 50 000 à Shanghai ; financer les animations, l’accueil, le protocole pour les chefs d’État invités. Il faudra aussi et surtout prévoir un plan d’aide aux pays les moins avancés. C’est la précision de leur plan d’aide, destiné en particulier à l’Afrique, qui a permis aux Italiens de l’emporter face à la Turquie. C’était aussi un atout de Dubaï. Ce plan, requis pour toute candidature, n’engendrera pas nécessairement un coût supplémentaire mais supposera de réorienter la politique de coopération et les crédits de l’Agence française de développement vers de nombreux États membres de l’assemblée générale du BIE. Ce qui aurait l’avantage de nous faire découvrir des régions que nous connaissons mal : l’Afrique anglophone, la zone caraïbe, au sein de laquelle nos départements d’outre-mer gagneraient à être mieux intégrés, ou l’Océanie et ses îles qui entourent la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie – Fidji, la Micronésie, Tuvalu, Kiribati. Sur tous ces points, M. Loscertales, secrétaire général du BIE, pourra utilement vous éclairer lors de son audition.
À supposer que nous ayons choisi la thématique de manière à proposer un projet attractif, qui aura un effet positif sur l’opinion française et sur l’image de la France, à supposer que nous ayons surmonté tous les problèmes de faisabilité que je viens d’énumérer, il restera à mettre en œuvre une stratégie pour gagner l’élection. D’abord, il nous faut savoir qui nous aurons face à nous. Nous ne le savons pas encore, mais si d’aventure Londres était dans la course, nous nous trouverions en position difficile.
Les 168 pays du BIE ont besoin non seulement d’aide, mais aussi de considération. Il faudra donc que les plus hautes autorités du ministère des affaires étrangères leur accordent à tous la même attention. La République de Kiribati, qui dispose d’une voix comme la Chine et comme l’Espagne, doit bénéficier du même intérêt que ces deux États. Il est nécessaire d’y veiller dès la conception de l’exposition, en allant trouver tous les pays pour leur dire : « Voici nos idées. Quelles sont les vôtres ? Nous élaborerons l’exposition en fonction de vos propositions. » Nous devrons ensuite bâtir notre stratégie à la lumière de leurs réponses. D’autre part, il est exclu de se limiter au français et à l’anglais : il nous faudra employer l’espagnol, le portugais, le chinois, le japonais, l’arabe. Bref, jusque dans nos documents, nous devrons aller vers les autres pays.
Dubaï, qui ne peut s’appuyer sur un long passé, a misé sur cette stratégie. L’un des films promotionnels qu’il a présentés montrait ainsi des Asiatiques, des Africains, des Latino-Américains qui, tous, soutenaient sa candidature.
Évoquant dans ses Souvenirs le moment où, en 1849, il prit le ministère des affaires étrangères, Tocqueville écrit : « Trois hommes, par le rang qu’ils avaient occupé jadis, se croyaient surtout en droit de diriger notre politique étrangère : c’étaient M. de Broglie, M. Molé et M. Thiers. » Il alla donc les voir, raconte-t-il, pour prendre leur avis ; celui-ci ne lui fut d’aucune utilité, il ne le suivit en aucune manière ; mais, conclut-il, « je leur agréais davantage en leur demandant leur avis sans le suivre, que si je l’avais suivi sans le leur demander ».
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci, monsieur l’ambassadeur, pour ces propos fort diplomatiques… et qui nous seront très utiles.
M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE. Pour compléter les propos de M. Lafon, c’est plutôt sous l’angle économique que j’aborderai pour ma part la question.
Qu’est-ce qu’une exposition universelle aujourd’hui ? A-t-elle encore un sens ? C’est une question que l’on se pose beaucoup au ministère de l’économie. Enfin, quels seraient les atouts et les faiblesses d’une candidature française ?
Par le passé, ces expositions ont surtout servi de vitrines du savoir-faire industriel. Les premières, organisées pour la plupart en Europe ou, dans une moindre mesure, aux États-Unis, étaient destinées à démontrer la puissance des pays organisateurs en la matière et leur capacité d’innovation technologique. À partir de 1990, cet état de fait a changé, en raison de la concurrence des nombreuses foires et salons spécialisés. Dès lors, le BIE a davantage recherché l’universalisme, en mettant l’accent sur des thèmes transversaux. Ce tournant est manifeste dans les thématiques des expositions de Shanghai, de Milan et de Dubaï, mais celle de Hanovre en témoignait dès 2000. Une candidature française devra nécessairement en tenir compte.
Les expositions universelles restent-elles d’actualité ? Oui, sous réserve qu’elles se conforment à cette logique. La réorientation des thématiques, vers 1990, a été suivie d’un passage à vide : près de huit ans se sont écoulés sans exposition universelle après celle de Séville, en 1992, puis une décennie entière, entre 2000 et 2010. Un nouvel engouement, vraisemblablement lié au succès de l’exposition de Shanghai, s’est ensuite emparé des États : pour l’exposition de 2020, cinq candidatures ont été déposées, ce qui était tout à fait nouveau puisque deux candidats seulement étaient en lice pour 2000 comme pour 2015. En outre, les États occidentaux traditionnels n’étaient plus représentés parmi les pays candidats puisque les cinq étaient Dubaï, la Turquie, le Brésil, la Russie et la Thaïlande – qui a finalement retiré sa candidature pour des raisons qu’il serait d’ailleurs intéressant d’étudier.
Chef de la délégation française depuis 2009, j’ai vécu, outre la campagne pour l’organisation de cette exposition universelle de 2020, celle qui a opposé Astana, au Kazakhstan, à Liège, en Belgique, en vue de l’exposition spécialisée de 2017. Toutes deux montrent que ce sont les pays les plus mobilisés qui l’emportent, et de loin. L’ambassadeur de Belgique a ainsi qualifié devant moi de « claque » la très nette victoire d’Astana sur Liège – par 107 voix contre 37 si je me souviens bien. Pour 2020, la Russie et la Turquie, qui ont plusieurs millénaires d’histoire derrière elles, se sont inclinées devant un pays vieux d’un demi-siècle à peine, puisque l’exposition coïncidera avec le cinquantenaire des Émirats arabes unis. Voilà qui conduit à relativiser le poids du facteur historique et culturel dans le choix de tel ou tel pays, au regard des arguments économiques. Le Royaume-Uni, premier pays à s’être prononcé, très tôt, en faveur de Dubaï, a obtenu en échange la rénovation du port de Londres par les Émirats. Alors que Rome avait promis son soutien à la Russie, le président du conseil italien a finalement choisi lui aussi Dubaï… à la veille du sommet italo-russe de novembre 2013.
J’ai eu personnellement l’impression que l’émir de Dubaï s’était beaucoup plus investi dans cette affaire que les autres chefs d’État. De fait, pour qu’un pays l’emporte, il faut que sa candidature soit défendue au plus haut niveau de l’État, appareil diplomatique et économique compris. C’est facile à Dubaï, où tous les ministres sont cousins, où les entreprises sont tenues par des membres de la famille royale et où il n’existe aucune dissension sur le sujet. À en croire le conseiller diplomatique du Président de la République, lorsque l’émir rencontrait ce dernier, il lui parlait uniquement de l’exposition universelle et des contrats susceptibles d’être signés, alors que l’exposition n’était qu’un sujet parmi d’autres dans les échanges que pouvait avoir le Président avec ses homologues russe et turc.
Quelles sont à mes yeux les forces et les faiblesses d’une éventuelle candidature de Paris ? Du côté des forces, il y a évidemment le rayonnement de la France, qui a accueilli 50 millions de personnes lors de l’exposition de 1900, ce qui fait d’elle le troisième pays en nombre de visiteurs lors d’une exposition universelle, après la Chine – avec 73 millions – et Osaka, au Japon – 64 millions. Nous restons également le premier pays d’accueil des touristes, avec 80 millions de visiteurs par an, dont une bonne partie passe par Paris.
La candidature française peut également s’appuyer sur notre réseau diplomatique.
En revanche, nos deux candidatures avortées – en 1989, alors que nous avions demandé, pour pouvoir organiser l’exposition, une modification des statuts du BIE que son assemblée générale avait majoritairement approuvée, puis en 2004 – ne plaident guère en notre faveur.
Comment convaincre un nombre suffisant d’États membres du BIE de voter pour nous ? Pouvons-nous leur proposer des contrats ? Bien que le vote soit secret, je sais que de nombreux États membres de l’Union européenne ont voté pour Dubaï. Parmi eux, l’Espagne, comme l’Italie, a opéré un revirement puisqu’elle avait initialement annoncé son soutien au Brésil. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu des tractations. Que pouvons-nous offrir de comparable ?
L’équilibre géopolitique pose un autre problème, même si M. Loscertales ne partage pas mon point de vue à cet égard. Après le choix de Hanovre en 2000 et de Milan pour 2015, quelles sont les chances d’une nouvelle candidature européenne face à l’Amérique du Sud ou à l’Asie du Sud-Est, dans une économie bien plus globalisée où les candidatures se multiplient ?
Il faut également tenir compte du coût de l’exposition. Sur ce point, nous ne disposons pas d’informations limpides. Selon les éléments que j’ai pu recueillir auprès des organisateurs et des agences de communication, une campagne de candidature coûterait entre 5 et 25 millions d’euros. Cela correspond à la somme que la France devrait dépenser entre 2015 et novembre 2018, date du vote à l’assemblée générale du BIE. On peut discuter de la question de savoir s’il faut y inclure les déplacements des personnalités qui soutiendront la candidature mais en poursuivant simultanément d’autres objectifs. Quoi qu’il en soit, il s’agit, semble-t-il, d’un montant incompressible. S’agissant de Dubaï, j’ai entendu les chiffres les plus fantaisistes, mais l’on m’a dit que la campagne aurait coûté un à deux milliards d’euros. La somme dépensée par le Kazakhstan serait légèrement inférieure, mais reste élevée.
Le coût de l’exposition elle-même oscillerait aujourd’hui entre 2 et 6 milliards d’euros – et atteindrait même 6,5 milliards pour Dubaï. Les expositions passées, du moins celles à propos desquelles nous disposons de chiffres, ont souvent généré des pertes, qui ont atteint plusieurs centaines de millions de pesetas pour Séville, en partie à cause d’une double dévaluation de cette monnaie après un emprunt en dollars. D’une manière générale, il est rare que l’opération génère des bénéfices, tout au moins financiers.
Mais comment déterminer le coût de l’exposition ? Se limite-t-il au financement des seuls travaux liés directement à celle-ci ou s’étend-il à celui des infrastructures associées ? À Milan, l’organisateur a préféré prendre à sa charge certaines infrastructures d’accès pour s’assurer que les délais prévus seraient respectés, mais ces aménagements peuvent aussi être compris dans le plan directeur d’une région ou d’un État.
S’agissant du site, je confirme qu’il doit être unique. À Shanghai, la partie située de l’autre côté du fleuve a été peu fréquentée, malgré les méthodes employées par les Chinois – que nous aurions bien du mal à imiter, du reste. De même, à Osaka où l’exposition était également divisée, la fréquentation de la zone la moins accessible a été très faible. D’autre part, il faut que toutes les délégations aient le sentiment d’être traitées de la même manière.
Un site multiple aurait deux inconvénients majeurs. D’abord, il démultiplierait le coût, puisqu’il faut filtrer toutes les entrées ; ensuite, il aggraverait les inconvénients pour la population, puisque l’on devrait « neutraliser » plusieurs endroits dans la ville. Or la population doit pouvoir s’approprier l’exposition, y trouver son compte, ce qui ne sera pas le cas si elle se trouve bloquée dans des embouteillages monstrueux.
Qu’est-ce qui détermine tel ou tel État à participer à une exposition universelle ? Sur les 170 États qui sont venus à Shanghai, 70 ont véritablement construit leur pavillon, 70 se sont installés dans un cluster construit par les Chinois, et les autres ont accepté, faute de moyens, un pavillon déjà construit qu’ils payaient au mètre carré à des conditions plutôt favorables. Il faut dire que les Chinois tenaient à une forte participation. Aujourd’hui, Milan est à la traîne. Même si 130 États ont fait part de leur intérêt, seuls 40 devraient construire leur propre pavillon ; des clusters abriteront là aussi plusieurs pays, mais les Italiens n’ont pas prévu de construire des bâtiments qu’ils fourniraient à d’autres États, de sorte que le nombre de participants ne devrait finalement pas dépasser une centaine.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Vos propos sont passionnants. Alors que la perspective d’une exposition universelle suscite plutôt l’euphorie, vous nous ramenez d’emblée à la réalité. Sans doute avez-vous, autant que nous, envie que notre pays se lance dans l’aventure, avec succès. Mais cela aurait-il un sens pour la France ? L’organisation d’une exposition universelle est souvent liée à la volonté de prendre une nouvelle place dans le monde – voyez Shanghai ou Dubaï – ou à un aménagement urbain, comme à Shanghai encore ou à Séville. Or la France est déjà la première destination touristique ; elle bénéficie d’un rayonnement mondial ; quant à l’aménagement urbain, ses enjeux, s’agissant par exemple du Grand Paris, ne sont pas comparables à ceux de la Chine.
M. Pascal Rogard. L’exposition universelle pourrait réveiller Paris, que l’on qualifie souvent de « belle endormie », par opposition à Londres ou à Berlin. Paris a besoin de rompre avec son image traditionnelle pour se tourner vers l’innovation et les nouvelles technologies. En outre, elle pourrait bénéficier de la rénovation urbaine, des modernisations, des extensions qui accompagnent tout projet d’exposition universelle.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Qu’en est-il du point de vue diplomatique, monsieur l’ambassadeur ? Le regain d’intérêt pour les expositions universelles n’est-il pas l’expression d’une nouvelle diplomatie, fondée sur le soft power ? La France ne devrait-elle pas, par sa candidature, s’inscrire dans ce nouveau rapport de forces caractéristique de la mondialisation ?
M. Jean-Pierre Lafon. Je répondrai à la première question en citant Sartre : c’est le projet qui révèle l’être. Depuis que le projet existe, des suggestions sont formulées que l’on n’aurait pas imaginées auparavant. Le fait d’associer au projet toutes les forces vives de la nation est décisif, de même que l’accueil réservé aux initiatives des autres pays, qui nous permettra, comme je l’ai dit, de changer notre image.
Il est exact que nous pouvons définir ainsi une nouvelle diplomatie, dont relèvent la découverte de zones que nous connaissons mal, la réorientation de notre politique de coopération, la promotion de nos entreprises, de nos laboratoires de recherche, de nos universités, en lien avec les initiatives prises depuis quelques années au plus haut niveau – investissements d’avenir, propositions de concours de la commission Lauvergeon, projets retenus par le ministre du redressement productif.
Un tel projet provoquerait un sursaut au bénéfice non seulement de Paris, mais de tout le pays, et serait un catalyseur. Voilà pourquoi il est indispensable d’en évaluer l’effet sur la croissance ainsi que les modalités financières. Il pourrait également être opportun de désigner, en vue de la campagne, des ambassadeurs thématiques chargés de visiter certaines régions, sur le modèle italien, et, sur le modèle chinois, un conseil international destiné à recueillir les suggestions de représentants de très nombreux pays. Car c’est aussi cela, la France : les exemples que j’ai cités en peinture – mais l’on pourrait aussi en trouver dans le monde de la recherche – témoignent de ce que notre pays doit aux étrangers.
Mme Claudine Schmid. Vous l’avez rappelé, monsieur l’ambassadeur, on nous dit souvent arrogants. Indépendamment du montage du dossier, qui ne devrait pas poser de problème, le ministère des affaires étrangères est-il conscient du fait qu’il doit dès à présent commencer de défendre notre candidature lors de ses échanges avec ses homologues ? Plus généralement, lorsque l’un de nos ministres se déplace à l’étranger, est-il conscient de l’image qu’il donne, par exemple quand il annule ses rendez-vous à la dernière minute ? Cette question sera moins déterminante lorsque notre candidature aura été acceptée, si elle doit l’être : le ministère des affaires étrangères pourra alors se mettre en retrait.
Monsieur Rogard, pensez-vous que nous puissions nous mettre d’accord avec nos partenaires de l’Union pour que le dossier français soit le seul dossier européen présenté ?
M. Jean-Pierre Lafon. Sur le premier point, le ministre des affaires étrangères, qui, comme son prédécesseur, possède une grande expérience en matière de relations internationales, est parfaitement conscient de l’enjeu. Je ne suis pas certain qu’il en aille de même des autres autorités, hauts fonctionnaires compris. Parmi les ambassadeurs eux-mêmes, ceux qui savent écouter ne représentent pas la majorité. « L’extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes, disait pourtant La Rochefoucauld, doit nous faire craindre de n’en donner guère à ceux qui nous écoutent ». Ce don trop rare devra faire partie des critères de sélection de ceux que nous enverrons défendre notre candidature.
M. Pascal Rogard. Pouvons-nous attendre le soutien de nos 27 partenaires ? Du point de vue juridique, non ; du point de vue politique – si le chef de l’État travaille à convaincre ses homologues –, oui. De toute façon, je doute qu’une autre ville européenne que Paris envisage de présenter sa candidature. Aucune ne l’a d’ailleurs fait pour l’exposition de 2020.
M. Alexis Bachelay. Puisque nous sommes là pour poser les questions qui fâchent, je me demande si une candidature française ne serait pas prématurée. Les dernières candidatures de Paris à de grands événements, dont les jeux Olympiques, n’ont pas été couronnées de succès. L’image traditionnelle dont la capitale pourrait pâtir n’est pas sans lien avec le fait que les projets présentés se limitent toujours à Paris intra-muros, alors que c’est au-delà du périphérique que l’on trouve aujourd’hui innovation et développement culturel, économique et technologique, ne serait-ce que parce que le prix du foncier parisien y chasse les investisseurs. Malheureusement, s’agissant du Grand Paris, nous avons pris du retard. Le réseau de transports est vieilli et saturé, les embouteillages s’aggravent, et même si nous avons tenté de mettre les bouchées doubles, le réseau Grand Paris Express ne sera peut-être pas bouclé avant une vingtaine d’années. 2025, n’est-ce pas dès lors un peu tôt ? La desserte de Roissy par CDG Express est un autre point faible : rien ne dit qu’elle fonctionnera avant 2025. Peut-être une candidature inciterait-elle à accélérer le rythme, mais ce n’est pas certain.
La constitution de la gouvernance du Grand Paris, désormais fixée au 1er janvier 2016, a également tardé car chacun défendait ses propres intérêts. L’existence d’une métropole parisienne pourrait être un atout dans toute candidature à un grand événement, mais pourrons-nous refaire notre retard de manière à être prêts en 2025 ?
M. Jean-Pierre Lafon. Les problèmes que vous posez sont réels. Au rythme actuel d’avancement des travaux, le réseau Grand Paris Express ne devrait pas être achevé avant 2027. Quant à la liaison entre l’aéroport de Roissy et le centre-ville, elle doit évidemment être réalisée et testée au plus tard quelques semaines avant le début de l’éventuelle exposition. C’est donc une question de priorité politique. Un projet d’une telle ampleur ne peut aboutir que si le chef de l’État prend les choses en main, comme pour le bicentenaire de la Révolution française ou pour le Grand Louvre. La faisabilité de l’exposition universelle dépend de la résolution de ces problèmes ; mais, quand le vin est tiré, il faut le boire !
M. Bruno Le Roux. La mission d’enquête du BIE établit-elle un rapport que nous pourrions consulter afin de nous informer sur les différents critères de sélection ?
M. Pascal Rogard. Voici comment se déroule une mission d’enquête – j’ai participé à celle qui s’est rendue à Dubaï. Pendant cinq jours, la ville candidate présente son projet, ses infrastructures, ses services de santé, justifie ses hypothèses de fréquentation – c’était particulièrement nécessaire à Dubaï, où l’on attend 25 à 30 millions de personnes en plein désert –, explique comment sera géré le flux des entrées. Le rapport qui en est issu se compose de quelque 800 pages.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur l’ambassadeur, vous avez mentionné la volonté politique, essentielle à la réalisation d’un tel projet. Le volontarisme économique des entreprises est tout aussi fondamental, comme le montrent les exemples de Shanghai et de Dubaï. À l’heure où nos grandes entreprises, particulièrement présentes à l’étranger, stimulent la croissance, comment concevez-vous leur apport au système d’influence qui se construit autour d’une candidature ? Si Shanghai a réussi, n’est-ce pas parce que l’exposition universelle permettait aux entreprises étrangères de venir à la rencontre des consommateurs chinois ? Nos entreprises, dont celles du CAC 40 que nous avons l’intention d’auditionner, s’intéressent d’ailleurs de près à la candidature française. Dans quelle mesure peuvent-elles contribuer à préparer le pays en temps voulu et, plus généralement, à faire aboutir sa candidature ?
M. Jean-Pierre Lafon. Vous devez associer d’emblée à votre réflexion les grandes entreprises, dont, sans doute, celles qui sont chargées des grands projets de la commission Lauvergeon. Ne pouvant les voir toutes, vous devriez composer un échantillon représentatif de leur diversité. Certaines sont à la pointe de l’innovation, par exemple Schneider s’agissant de la ville connectée. D’autres ont réussi dans le secteur des services, comme Bolloré avec les ports et avec Autolib’. D’autres encore, qu’il ne faut pas oublier, contribuent à l’art de vivre à la française. Ce domaine connaît lui aussi l’innovation. Sur ce sujet, je vous conseille d’auditionner le président de la commission internationale du comité Colbert, qui regroupe les entreprises du secteur. Vous aurez intérêt à présenter à vos interlocuteurs deux ou trois pistes de réflexion sur la thématique, puis à entretenir un lien avec eux au-delà d’une audition purement consultative.
Vous devriez également associer à votre démarche les représentants des salariés, les forces sociales, car toutes les forces vives de la nation doivent contribuer au projet, par-delà les options politiques, syndicales ou partisanes. N’oubliez pas que ce sont les grèves qui ont retardé l’ouverture de l’Exposition en 1937 !
Pourquoi ce projet ? demandait M. le rapporteur. Parce que c’est un catalyseur.
M. Pascal Rogard. Il serait opportun de mettre également à contribution les grandes entreprises étrangères présentes partout dans le monde et en France, qui seront elles aussi d’excellentes ambassadrices.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il est utile de le rappeler à l’heure où l’on étudie la fusion de l’AFII, l’Agence française des investissements internationaux, et d’Ubifrance. Peut-être devrons-nous d’ailleurs auditionner le nouveau pôle qui en naîtra.
« Sursaut » et « catalyseur », voilà deux mots que nous retiendrons ! Merci, messieurs, de votre disponibilité.
Audition, ouverte à la presse, de M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE)
(Séance du mercredi 12 février 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE), dont le siège se trouve à Paris.
Grâce à vous, monsieur le secrétaire général, la ville de Séville, où vous êtes né, a accueilli une exposition mémorable en 1992. La réussite de cette manifestation vous a valu la reconnaissance de vos collègues du BIE, puisqu’ils vous ont appelé au secrétariat général en 1993. Cette nomination a consacré les qualités éminentes dont vous aviez fait preuve au sein du ministère des affaires étrangères espagnol. Titulaire d’un doctorat d’histoire, vous avez enseigné l’histoire contemporaine à l’université de Madrid, mais aussi développé des coopérations avec l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine.
Grâce à une parfaite connaissance de la coopération internationale et des expositions universelles, vous pouvez mesurer les efforts que la France – où vous travaillez et résidez et dont vous appréciez l’image à l’étranger – doit consentir pour organiser une telle exposition.
Monsieur le secrétaire général, pensez-vous que la France pourra accueillir l’exposition universelle de 2025 ? Quelles sont, après plusieurs échecs, les conditions du succès d’un tel projet ? Comment présenter une candidature qui puisse exploiter au mieux les atouts de notre pays et emporter l’adhésion des membres du BIE ?
M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE). Je vous remercie de me permettre de vous faire part de ma longue expérience dans le domaine des expositions universelles. Le hasard d’être né à Séville a changé ma vie. Après avoir été chargé par le ministre des affaires étrangères espagnol de m’occuper de la participation internationale à l’exposition qui s’est tenue dans cette ville en 1992, je me consacre, depuis, à rendre utiles ces grands événements qui impliquent des investissements considérables, des efforts diplomatiques, des consensus politiques, qui nécessitent aussi de convaincre les citoyens, de mener des actions de communication et, surtout, de définir clairement le but poursuivi. À cet égard, les expositions universelles sont plus qu’un projet : elles sont un instrument au service d’une vision. C’est une utopie que l’on veut mener à la réalité. Pour le dire simplement, elles servent à ce que l’on veut en faire.
Créé en 1928 dans le cadre d’une conférence diplomatique à l’initiative du gouvernement français, le BIE est une des plus anciennes organisations internationales au monde. Il comprenait, en 1993, 42 États membres, dont 27 européens ; il en compte aujourd’hui 168, ce qui en fait la quatrième plus grande organisation par le nombre de pays participants. D’une organisation de pays développés, elle est devenue une organisation globale, représentative de la communauté internationale, la plupart des États membres étant aujourd’hui des pays en voie de développement.
Cette nouvelle réalité implique une adaptation de la nature des expositions. Aujourd’hui, une exposition doit non seulement être utile au pays organisateur, mais aussi apporter aux autres pays un élément de progrès, de qualité de vie, tout en contribuant à la création de réseaux de coopération internationale et de solidarité. De vitrine des découvertes scientifiques et technologiques, les expositions sont devenues la grande vitrine de l’innovation au service des citoyens. Dans une société globalisée, ces derniers peuvent y trouver des informations sur les moyens dont ils disposeront pour satisfaire leurs besoins. Ainsi, la première condition d’une exposition réussie est d’être utile aux citoyens, c’est-à-dire de contribuer à l’amélioration de leur qualité de vie. Dans cet objectif, notre assemblée générale a adopté depuis 1994 des résolutions essentielles.
L’une de ces résolutions est l’affirmation du caractère universel du thème des expositions. Ce critère a été rempli en 2000, à Hanovre, avec le thème de « L’homme, la nature, la technologie », en lien avec l’Agenda 21 de la conférence de Rio, ainsi qu’en 2005, au Japon, avec « La sagesse de la nature », après la signature du protocole de Kyoto. Ce fut également le cas pour les expositions suivantes avec les thèmes de « L’eau et le développement durable » à Saragosse, en 2008 ; « Meilleure ville, meilleure vie » en Chine, en 2010 ; « Pour des côtes et des océans vivants : diversité des ressources et activités durables » en Corée du Sud, en 2012 ; « Nourrir la planète, énergie pour la vie », à Milan en 2015. En somme, les expositions sont de grands exercices de diplomatie publique dans un objectif d’amélioration de la qualité de vie.
Une exposition constitue un grand projet de transformation urbaine, de dynamisation économique, mais aussi de création de l’image de marque d’un pays. En présentant la manière dont celui-ci veut être perçu dans le monde, elle contribue à changer son image, à projeter une vision. Cela étant, le pavillon français à Shanghai présentait essentiellement Brigitte Bardot dans sa meilleure époque, le croissant et le café de Flore… Une expo est utile à condition d’être une vitrine de l’économie du pays, de sa culture, de ses relations internationales, au service des citoyens. C’est un élément fondamental : une exposition vous sera utile si vous êtes capables de la rendre utile.
L’utilité d’une exposition, son succès dépendent aussi de ce qui se passe après. Ce point est fondamental pour le BIE. Une exposition peut être formidable, mais aboutir à une situation désastreuse si l’on n’est pas capable de rendre les infrastructures utiles immédiatement, comme cela fut le cas après celle Séville.
Le succès d’une exposition dépend également de son thème. Un tel événement ne sert pas à amuser les citoyens : il doit avoir une forte valeur éducative, être un appel à la conscience de chacun. De nombreux problèmes, liés au transport, à la ville, à l’environnement, ne trouveront pas de solution sans la collaboration des citoyens : les expositions sont un excellent moyen de les mobiliser.
Cette mobilisation sera d’autant plus forte que les citoyens auront conscience que l’exposition leur appartient, qu’ils en obtiendront des avantages pour leur avenir. Cela implique d’expliquer, de communiquer, de s’engager. L’expo doit être un projet national. À cet égard, je suis très heureux de m’exprimer devant vous, représentants de la nation, c’est une sorte de garantie pour définir un projet solide, mener une bonne campagne, voire s’assurer le succès de l’expo. Ce n’est pas Paris qui organise l’expo : c’est le pays tout entier.
Vous devez néanmoins mettre en avant une vision compréhensible et à long terme de l’événement pour les parisiens : ils doivent comprendre qu’ils en tireront des avantages futurs pour passer outre tous les désagréments que l’organisation va engendrer. Il faut que l’expo apparaisse comme un élément du plan stratégique de développement du Grand Paris et non comme phénomène exotique. Ces points pèseront dans notre décision. Les pays qui gagnent sont ceux dont les autorités font preuve d’un engagement très fort. Dubaï l’a emporté face à la Russie, le Brésil ou la Turquie, grâce à la forte mobilisation de tous les pouvoirs – économique, politique, social. D’une façon générale, le gouvernement du pays doit être le protagoniste de la campagne et y engager toutes ses ressources.
Le succès d’une exposition dépend également de l’attractivité de la ville d’accueil. Si elle se tient à Paris en 2025, les gens visiteront d’abord la ville avant de se rendre à l’exposition. Les 41 millions de visiteurs, dont 18 millions d’étrangers, de l’exposition de Séville ont d’abord visité la ville. Quand la ville n’est pas attractive, comme Hanovre, on assiste à un phénomène inverse.
Pour étudier les candidatures, notre organisation mène des enquêtes en lien avec les représentants des pays. Nous évaluons la conformité des projets aux règles fixées par notre assemblée générale : la capacité de l’exposition à répondre aux priorités de la communauté internationale, son utilité, son caractère innovant, le soutien des différentes forces du pays
– groupes politiques, écologistes, syndicalistes, organisations de citoyens, etc... Cette évaluation nous permet de déclarer si un projet est viable ou pas. Nous ne comparons pas les différents projets : une exposition est un projet conjoint. Dans celle de Shanghai, les pays ont investi un peu plus de 1 milliard de dollars pour leur participation.
En conclusion, les expositions sont en quelque sorte l’avant-garde des musées, un laboratoire des nouvelles formes d’architecture. Dans le passé, elles ont présenté toutes sortes d’innovations technologiques, mais ont aussi accordé une place à divers mouvements sociaux, comme celui des femmes, le mouvement ouvrier et même des mouvements réactionnaires. En ce sens, une exposition est un grand débat, qu’il faut maîtriser et non pas empêcher. Celle de Milan en 2015 sur l’alimentation permettra ainsi de réunir les représentants de la filière biologique et ceux des produits génétiquement modifiés. Une exposition est un formidable moyen de promouvoir les relations bilatérales, les relations commerciales, bref un gigantesque programme de coopération pour le futur.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Monsieur le secrétaire général, nombre de pays ayant déjà atteint certains objectifs en matière d’aménagement urbain, les expositions universelles sont-elles moins à la mode dans telle ou telle partie du monde ?
Dubaï organisera l’exposition universelle de 2020. L’a-t-elle emporté grâce à un dossier mieux bâti ou à la faveur de considérations économiques ?
Enfin, vous avez fait allusion au « nouveau modèle » d’une exposition universelle. Réfléchissez-vous à ce que pourrait être une exposition universelle du XXIe siècle, notamment en termes de site unique ?
M. Vicente Gonzales Loscertales. L’histoire récente des expositions – 2000, Allemagne ; 2005, Japon ; 2008, Espagne ; 2010, Chine ; 2012, Corée du Sud – montre que la tendance ne va pas obligatoirement vers les pays émergents ou ceux qui veulent montrer d’eux une nouvelle image. L’exposition de 2015 se tiendra à Milan, celle de 2017 au Kazakhstan, qui, lui, est pays émergent, et celle de 2020 à Dubaï, qui était en compétition avec des pays souhaitant montrer une autre image d’eux-mêmes.
Le processus de développement urbain est continu. Les infrastructures vieillissent, de nouveaux besoins apparaissent, et une ville – même la plus merveilleuse du monde – peut avoir besoin d’un nouvel élan pour être en mesure de répondre aux demandes croissantes des citoyens. En outre, une exposition permet de faire découvrir au monde d’autres facettes d’un pays. Ainsi, l’Espagne n’est pas que le pays du romantisme et des toreros, la France n’est pas que le pays de l’amour et de la culture. Pour reprendre un terme utilisé par une personne auditionnée avant moi, une exposition est un « catalyseur ».
S’agissant de l’exposition de 2020, les projets étaient équivalents en termes de qualité. Ce qui a fait la différence, c’est l’enthousiasme avec lequel les projets ont été présentés. Vous l’avez compris : le succès d’une candidature dépend du niveau d’engagement, de la « rage » de tous les acteurs. Il faut combattre sur tous les fronts et avec tous les moyens – même parfois les moins élégants.
Quant à l’exposition du futur, elle devra conduire les citoyens à être critiques, actifs et participatifs. Elle devra être la vitrine d’une ville durable, participative, d’une ville moderne et de qualité – capable de transporter et de nourrir chaque jour les milliers de visiteurs. N’oublions pas non plus qu’une exposition est un événement éphémère. Si certains équipements peuvent être réutilisés rapidement avec un coût relativement bas, les autres devront être intégrés dans l’espace urbain. L’exposition de 2017 à Astana, au Kazakhstan, amènera les entreprises françaises à présenter un projet de ville durable. À cet égard, je pense que le site d’une exposition doit être une attraction en elle-même, un lieu où le citoyen peut découvrir des modèles d’urbanisme durable et de qualité qui serviront au développement de la ville.
L’exposition du XXIe siècle doit être un immense exercice de communication, un véritable exercice de diplomatie publique. Ce doit être pour vous une magnifique occasion de montrer que la France, sans changer de nature, sans oublier ses traditions, est à l’avant-garde en matière de transport urbain et de qualité de vie. Je vous rappelle qu’en 1900, le commissaire français avait terminé son discours devant l’assemblée générale en déclarant que cette exposition devait servir à montrer, une fois de plus, que la France était à la tête de la civilisation !
M. Yves Albarello. Monsieur le secrétaire général, en matière de recyclage des infrastructures, la France sait faire ! Pour ne citer qu’un exemple, la Tour Eiffel est toujours là plus de cent ans après l’exposition universelle où elle a été présentée et elle attire plusieurs millions de visiteurs chaque année !
Pour ce qui est de l’avenir, la France a déjà mis le pied à l’étrier grâce au Grand Paris Express, un projet stratégique pour le devenir de l’Île-de-France avec la construction de 205 kilomètres de lignes de métro automatique et de 72 gares dessinées par de grands architectes français et étrangers, pour une mise en service à l’horizon 2025. En matière culturelle, le conservatoire de musique de la Villette, en voie d’achèvement, comptera parmi les plus grands du monde. Enfin, le projet d’une liaison ferroviaire rapide entre le centre de Paris et l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle va être relancé. La France dispose de tous les atouts pour une candidature à l’exposition de 2025 !
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le secrétaire général, tous ces éléments constituent-ils à vos yeux des atouts sérieux pour la France en vue de l’exposition de 2025 ?
M. Vicente Gonzales Loscertales. Je suis convaincu que tous ces grands projets sont de réels atouts pour une candidature. Mais il faut garder à l’esprit qu’ils doivent faire l’objet d’un consensus politique et social.
Pour ce qui est de la Tour Eiffel, elle est le symbole du génie de son créateur
– dont il ne faut pas oublier la souffrance – mais aussi de la modernité de Paris, et elle est devenue une mine d’or !
M. Christophe Bouillon. Comme vous l’avez souligné, le thème d’une exposition doit refléter les préoccupations de la communauté internationale. En outre, ce sont souvent les mêmes agences qui assistent les États dans la définition de leur projet. Enfin, une des caractéristiques de notre siècle est la standardisation des modes de vie d’un continent à l’autre. Au regard de ces trois données, n’y a-t-il pas un risque d’essoufflement quant au choix d’un thème ?
M. Vicente Gonzales Loscertales. Même s’il est indéniable que la mondialisation conduit à une uniformisation des modes de vie, une exposition reste une grand-messe de la diversité culturelle, une occasion privilégiée de montrer aux citoyens l’existence d’alternatives.
La légitimité du pays est essentielle dans le choix du thème. Pour caricaturer, la Norvège ne peut être légitime en proposant un thème autour de la corrida... Un pays doit proposer un thème d’intérêt universel lié à son identité. Celui présenté par Dubaï pour 2020, « Connecter les esprits, construire le futur », répond parfaitement à cette exigence : il a une portée universelle dans une ville qui constitue un point de liaison entre les continents.
Mme Catherine Quéré. Monsieur le secrétaire général, l’équilibre entre les continents entre-t-il en ligne de compte dans le choix du BIE ?
M. Vicente Gonzales Loscertales. Non, cela n’intervient pas dans le choix final. Bien sûr, nous aimerions beaucoup qu’une exposition universelle puisse se tenir en Afrique, mais les conditions actuelles ne s’y prêtent pas car le long terme est une donnée extrêmement difficile à gérer pour les pays en voie de développement. En tout état de cause, je ne pense pas que cette question se posera avant 2025.
Au cours des dernières années, notre assemblée générale a toujours décidé, à la quasi-unanimité, qu’il n’était pas nécessaire d’introduire une rotation géographique. Ce qui compte, c’est l’intérêt du projet. Par contre, nous veillons à ce qu’un même pays n’accueille pas une exposition à intervalles trop rapprochés. Sinon, nous aurions une exposition en Chine tous les ans !
Mme Claudine Schmid. En permettant aux citoyens de découvrir les dernières innovations, une exposition universelle est un exercice de communication dont la préparation commence environ dix ans avant l’échéance. Or, non seulement Internet n’est plus ce qu’il était il y a seulement quinze ans, mais on ignore ce qu’il sera dans dix ans. Par ailleurs, les expositions spécialisées dans le monde se multiplient, comme le salon de Las Vegas consacré aux nouvelles technologies.
Dans ce contexte, monsieur le secrétaire général, la préparation d’une exposition dix ans avant sa tenue a-t-elle encore un sens ?
M. Vicente Gonzales Loscertales. Certes, nous vivons dans un monde connecté. Mais l’information sur Internet est dispersée, alors qu’une exposition universelle permet à plus d’une centaine de pays réunis dans un même lieu de présenter des innovations autour d’un thème. En réalité, Internet est une grande chance pour les expositions universelles.
Celles-ci ont toujours été accusées de ne pas mobiliser autant de citoyens que les événements sportifs télévisés, comme les Jeux Olympiques. Mais regarder du sport à la télévision est une activité passive, alors qu’une exposition est une expérience : elle implique d’être maître de son temps, de programmer des actions.
Une exposition ne se réduit pas à six mois. Elle nécessite dix ans de préparation et doit faire appel aux technologies de l’information et de la communication, afin de permettre aux citoyens de communiquer et d’accéder à une information de qualité sur le projet. Idéalement, les citoyens – et pas seulement ceux du pays hôte – doivent accompagner tout le processus, à travers des forums de discussions, des colloques, des réunions, des séminaires qui pourront être immédiatement diffusés sur Internet.
D’aucuns pensent qu’Internet va tuer les expositions. Mais n’a-t-on pas entendu dire au cours des décennies passées que le cinéma allait tuer le théâtre, que la cassette allait tuer le livre, que le CD allait tuer la cassette ? Aujourd’hui tous ces moyens de communication coexistent. Dans le même esprit, Internet est un atout pour nous.
Un site Internet dédié qui offrirait aux citoyens la possibilité de suivre la préparation de l’exposition et d’y participer ne leur donnerait que plus envie de visiter l’exposition réelle. La création d’une exposition virtuelle ne peut être qu’un atout. En définitive, Internet est un excellent moyen d’améliorer la communication et d’offrir une tribune à l’exposition réelle.
M. le rapporteur. Quelle perception de la France ont les membres du BIE ? Nous nous souvenons de l’abandon par la France du projet d’exposition de 1989. À l’époque, le BIE avait envisagé de modifier quelques-unes de ses règles d’attribution. De quoi s’agissait-il ?
M. Vicente Gonzales Loscertales. En réalité, ces règles ont été modifiées et ce fut une catastrophe. La France souhaitant organiser une exposition en 1989 pour le Bicentenaire de la Révolution, il fallait amender la convention, ce qui nécessitait un vote des deux tiers de l’assemblée générale, mais aussi un processus de ratification par les quatre cinquièmes des États membres. Grâce à une campagne formidable de la France, trois lignes ont été introduites dans notre convention selon lesquelles le délai de dix ans pouvait être modifié par un simple vote des deux tiers de l’assemblée générale. À partir de là, il a été possible d’organiser des expositions à tout moment : il y en eut ainsi en 1982, 1984, 1985, 1986, 1988… Cette prolifération d’expositions a été préjudiciable aux expositions et aux États qui se sont retrouvés obligés d’y participer.
Ces considérations nous ramènent à la nécessité d’un consensus politique. La différence de vue entre le Président de la République et le maire de Paris de l’époque a conduit à l’annulation du projet. Mais aujourd’hui, peu de gens s’en souviennent et il y a peu de chance que cela soit retenu contre la France… Plus près de nous, l’exposition de 2004, voulue par la gauche plurielle, a été annulée par le Premier ministre Raffarin, sur la base d’un rapport d’expertise. L’État a donc dû verser des indemnités au BIE et aux États membres qui avaient commencé les préparatifs. Mais vous savez, nos délégués changent tous les trois ou quatre ans, et moi je vous promets de ne rien dire…
M. Guillaume Bachelay. Monsieur le secrétaire général, votre expertise est pour nous extrêmement précieuse.
Au-delà du Grand Paris, notre fleuve et nos infrastructures portuaires constituent de sérieux atouts pour notre pays.
Au XXIe siècle, l’ensemble des pays de la planète ne peut que s’interroger sur la façon de rendre le monde vivable. Cette question est centrale. Elle renvoie à la soutenabilité du modèle de développement dans les domaines de l’environnement, des énergies, de la santé.
M. le rapporteur vous a posé une question sur le modèle d’exposition. Selon vous, faut-il privilégier un site unique ou retenir une diversité dans une aire régionale ?
M. Vicente Gonzales Loscertales. Le bon sens et la fonctionnalité exigent un site unique, même si le règlement ne le prévoit pas expressément. En effet, le premier principe d’une exposition est l’égalité de traitement des participants. Ces derniers doivent tous se retrouver sur un même site, faute de quoi on risque de s’exposer à toutes sortes de plaintes ou de comparaisons malvenues.
Ensuite, une exposition nécessite de centraliser les services de transport, de sécurité, etc... On ne peut pas se permettre de les disperser. À Shanghai et à Aichi, le site était séparé en deux parties dont l’une a malheureusement été délaissée par les visiteurs. Si les services de sécurité avaient été dispersés, on n’aurait jamais pu organiser une exposition en Espagne à l’époque à l’ETA était encore active.
Pour autant, à partir d’un site unique, on peut créer des foyers d’activité dans les autres parties soit de la ville soit de la région. Dans votre cas, ce serait une bonne façon d’intégrer les citoyens des différents secteurs du Grand Paris.
Vous pourriez également, pendant toute la préparation de l’exposition, organiser des événements dans d’autres villes, par exemple à Bordeaux ou à Lyon, qui ont des infrastructures de qualité et dont les exécutifs sont prêts à investir. Cette multipolarité d’événements en lien avec des villes avoisinantes est une piste que je vous soumets.
Enfin, il est plus facile de réutiliser les réalisations qui ont été présentées sur un même site.
Vous le voyez : le problème n’est pas réglementaire, il est d’ordre pratique.
Mme Catherine Quéré. Nous avons ressenti votre déception quant aux suites données à l’exposition de Séville. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Vicente Gonzales Loscertales. J’ai été déçu par l’utilisation de certaines infrastructures créées pour l’exposition de Séville. Sur les 214 hectares du site, 40 ont été transformés en parc scientifique et technologique, qui est aujourd’hui le troisième de ce type en Espagne. Par contre, le reste des pavillons a été abandonné ou détruit, faute d’implication des autorités locales et nationales – je pense notamment aux œuvres du fantastique programme d’art urbain.
À Montréal, les îles créées sur le fleuve Saint-Laurent pour l’exposition de 1967 n’ont pas été réutilisées pendant pratiquement vingt ans.
Par contre, à Shanghai, les Chinois envisagent de donner au site des fonctions différentes – des hôtels sont en construction, certains pavillons sont réutilisés.
Il est primordial d’anticiper l’après-expo afin de s’assurer que toutes les créations seront intégrées, réutilisables rapidement, ce qui nécessite de nommer une entité responsable de l’après-exposition. C’est un devoir : il faut investir dans des infrastructures durables, conçues pour être réutilisées. Sur ce sujet, une étudiante parisienne en architecture a parlé dans sa thèse d’une architecture évolutive. Cette idée d’adaptation rapide est extrêmement importante.
L’irresponsabilité financière n’est pas permise dans notre domaine. Le succès d’une expo, c’est l’après-expo !
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le secrétaire général, le cœur de Paris est riche de monuments érigés à l’occasion d’expositions : ils pourraient resservir pour d’autres expositions.
Je retiens de votre audition plusieurs messages qui nous seront très précieux : une exposition répond au plan stratégique d’un pays ; l’innovation est au service d’un thème universel ; une exposition est une expérience que l’on doit proposer à l’aune des atouts d’un pays.
Nous vous remercions infiniment.
M. Vicente Gonzales Loscertales. Cela a été un très grand plaisir pour moi de répondre à vos questions. Je me tiens à votre disposition pour toute information complémentaire.
Table ronde, ouverte à la presse, sur la mise en perspective historique et l’héritage des expositions universelles, avec M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions, Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
(Séance du mercredi 19 février 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Au cours de cette table ronde, nous demanderons à nos trois invités de revenir sur les facteurs qui ont fait le succès des expositions universelles organisées par la France entre 1855 et les premières décennies du XXe siècle. Nous aimerions vous entendre dire, madame, messieurs, si la mise en perspective historique et l’héritage des expositions universelles permettent de penser que l’accueil d’une exposition universelle en 2025 serait un atout pour la France.
M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Je mettrai en avant devant vous les huit fonctions communes aux expositions universelles telles que je l’ai exposé à un public chinois en 2009 avant l’Exposition universelle de Shanghai, puis devant un public franco-chinois lors de l’Exposition. Je précise que si, à mon sens, cette grille de lecture s’applique à toutes sans exception, mon expertise au sujet des expositions universelles à l’étranger est très relative. Aussi les exemples qui pourraient me venir à l’esprit seront-ils plutôt empruntés aux expositions françaises, et donc parisiennes, puisque qui dit « exposition universelle » en France dit « exposition universelle à Paris », comme n’ont pas manqué de le faire régulièrement observer les parlementaires de province dans les années précédant ces expositions.
L’exposition universelle résulte de la rencontre du modèle anglais de l’exposition de produits d’art et d’industrie, qui date du XVIIIe siècle finissant, et du modèle français de l’exposition nationale, inventée à Paris sous la Révolution française. On l’a oublié, mais au lendemain de la révolution de 1848, le projet de tenir une première exposition internationale à Paris avait été formé. Des intérêts industriels et commerciaux s’y étant opposés, ce sont les Anglais qui l’ont finalement organisée ; cela a ensuite contraint la France à s’aligner sur le modèle anglais, et il y a sans doute là des leçons à tirer.
Quelles que soient les conjonctures, on peut isoler les fonctions caractéristiques des expositions universelles. La première, présente d’emblée, est la fonction d’exhibition technologique. La Tour Eiffel est un exemple extrême mais, dès 1855, ce sont des expositions spectaculaires où s’exhibe la modernité technologique. Au XIXe siècle déjà, la technique se mettait en scène, par exemple dans les « galeries des machines ». Il s’agissait à la fois de montrer ce que l’on faisait de plus pointu – on peut donc imaginer une approche équivalente au XXIe siècle – et d’éblouir les foules. On voit aussi ce que la démarche avait d’ambigu : on « vendait » aux foules la modernité, avec une dose de pédagogie, tout en leur disant : « Admirez l’étendue du génie humain sans trop chercher à comprendre »… Cette dimension fondatrice aurait, pour certains des premiers organisateurs, pu être la seule : sans rattacher à toute force la création des expositions universelles au saint-simonisme, on voit qu’est à l’œuvre dans ces réalisations une pensée du progrès résolvant tous les problèmes de l’humanité. Elle se retrouve dans l’affichage des expositions modernes.
L’autre fonction présente dans l’esprit des fondateurs, mais au second rang, est celle de foire commerciale. Ces expositions ont, dès l’origine, supposé une coopération entre secteur public et secteur privé et il y a toujours eu une compétition entre sociétés privées et regroupements nationaux d’entreprises. Cela explique aussi que les pavillons qui restent puissent être des pavillons privés. Ainsi, lors de l’Exposition internationale de 1937, est exposée au pavillon de l’électricité La Fée Electricité de Raoul Dufy, dite à l’époque « la plus grande toile jamais peinte » ; c’est une commande privée, pour l’Exposition, de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité. La dimension commerciale de l’exposition universelle, version modernisée des foires médiévales, permet donc, selon des formes variables, une coopération entre public et privé, mais c’est la puissance publique qui donne le branle, dessine le cadre et donne les récompenses – les médailles des expositions.
Autre fonction de l’exposition universelle : l’exercice architectural. Le Crystal Palace élevé pour l’Exposition de 1851 à Londres avait connu un succès considérable, et l’idée s’est peu à peu enracinée dans l’esprit du public et des organisateurs successifs que l’on ne pouvait en rester à une foire éphémère. L’Exposition devait être l’occasion de montrer des prototypes architecturaux – ce qui rejoignait la première fonction, la promotion de la technique – mais aussi des bâtiments durables. L’évolution est progressive, car les premiers organisateurs pensaient plutôt à des constructions éphémères. Le Crystal Palace lui-même avait été conçu de la sorte ; sa pérennisation, qui n’allait pas de soi, a été due à son succès, et il en fut de même pour la Tour Eiffel. Au moment où une exposition s’achève, il faut analyser attentivement ce qui a marché et en tirer les conclusions appropriées pour les expositions suivantes. L’histoire de l’architecture est très liée aux expositions universelles : des solutions techniques à des problèmes architecturaux sont montrées à un très large public et valorisent le génie architectural des nations, celui de la nation organisatrice en particulier. Et si la commande publique se tourne plutôt vers les architectes « classiques » de chaque époque considérée, l’avant-garde architecturale n’est pas complétement absente ; ainsi, le Palais de Chaillot n’est pas précisément dans son style, mais Le Corbusier est présent à l’Exposition de 1937 avec le pavillon des Temps nouveaux.
La quatrième fonction est celle de levier urbanistique. L’unité de lieu étant, en raison des contraintes spatiales, assez vite remise en cause, le choix politique d’installer l’exposition sur plusieurs sites entraîne un remaniement urbain d’abord improvisé puis de plus en plus anticipé. Le meilleur exemple d’anticipation est celui de la première ligne du métro parisien, inaugurée lors de l’Exposition de 1900 : les embouteillages subis lors de l’Exposition de 1889 avaient été tels qu’il était inconcevable de ne pas reprendre le serpent de mer de l’édification du « chemin de fer métropolitain ». Mais le promeneur de Paris du XXIe siècle qui marche aux alentours de la gare Lyon, de la gare Saint-Lazare ou de la gare d'Orsay déambule dans des quartiers qui ont été entièrement remodelés pour les Expositions, comme l’ont été les ponts et les quais de Seine. Elles ont aussi entraîné un type d’urbanisme spécifique, avec certains bâtiments à caractère culturel, dont les musées. Tout cela participe du défi que représente une exposition universelle : on ne peut se permettre, sous le regard de l’étranger, de laisser les problèmes urbanistiques irrésolus.
La cinquième fonction, celle d’exposition d'art, a souvent été mise en avant par les historiens d’art. Cela n’allait pas de soi, puisque, au départ, les expositions nationales étaient conçues comme celles du monde économique se montrant à lui-même. Mais la France, dès l’Exposition de 1855, a tenu à rétablir l’équilibre par la présence des « beaux-arts ». La rétrospective, une manifestation fréquente aujourd’hui mais révolutionnaire à l’époque, a été inventée à cette occasion avec l’exposition comparée Ingres-Delacroix. Ce mouvement s’est amplifié par la suite avec de grandes expositions d’art plastique rétrospectives sur la décennale ou la centennale de l’art français ou international. Au-delà, une exposition universelle est un chantier de commandes d’œuvres d’art et aussi, en période de crise, de lutte contre le « chômage intellectuel » ; des centaines d’artistes, dont de grands noms, ont travaillé pour l’Exposition nationale de 1937, et la commande publique n’est en rien négligeable. Cela vaut pour le pays organisateur, pour les pavillons nationaux et pour les pavillons privés. Là encore, si les artistes « bien en cours » ou représentant une esthétique familière à la plupart des décideurs sont privilégiés, les artistes d’avant-garde ne sont pas complétement absents, ou ils tirent leur épingle du jeu. Ainsi Courbet et Rodin, excellents entrepreneurs de leur propre gloire, profitent-ils des Expositions pour se mettre en valeur. Le discours selon lequel on y aurait systématiquement privilégié le conservatisme esthétique est donc quelque peu convenu.
Sixième fonction d’une exposition universelle : « garden-party » de la puissance invitante. D’évidence, le gouvernement, le régime, la majorité politique aux affaires au moment de la tenue de l’Exposition se mettent en valeur à cette occasion. Cette dimension géopolitique prend une importance particulière en 1889 et en 1900 pour la République française qui, encore très isolée diplomatiquement en 1889 – moins en 1900 –, cherche à se replacer au centre du débat et à affirmer que son modèle est viable. Par ailleurs, les valeurs du régime sont illustrées par ce qui est supposé être l’unité de la nation organisatrice autour de cet événement. Ensuite, pour mesurer la réussite de la manifestation, intervient assez vite la notion de la fréquentation : dès le XIXe siècle sont installés des tourniquets, systèmes de comptage des visiteurs. L’obsession du chiffre est donc ancienne, comme l’obligation de faire mieux que les prédécesseurs – elle s’imposait encore à Shanghai, où l’on tenait à ce que l’affluence dépasse celle d’Osaka ; ce fut le cas.
La septième fonction d’une exposition universelle est celle de « société des nations ». Si cette confrontation semble aller de soi aujourd’hui, à l’origine les Expositions ne se présentent pas sous la forme de pavillons nationaux mais sous celle d’une grande halle. Mais en 1878 déjà est organisée une « Rue des nations » et, onze ans plus tard, chaque pays dispose de son propre pavillon, théâtre de mises en scène qui captivent le public autant qu’elles intéressent l’historien.
Enfin, la huitième fonction d’une exposition universelle est celle de fête populaire, d’abord mise sous le boisseau : pour les organisateurs, le propos était la pédagogie et la communion dans la religion du progrès et non le divertissement, le glissement vers le Luna Park – lequel est au demeurant une des conséquences de l’Exposition universelle de Chicago, en 1893. De fait, la dimension ludique des Expositions est celle que le public retiendra : on présente une production à caractère économique, un progrès technique, mais tout cela doit passionner, surprendre et intriguer, si bien que, finalement, la leçon s’efface quelque peu derrière l’attraction, qui peut être architecturale ou technologique.
Pour conclure, l’espace-temps des expositions universelles me paraît être une utopie, mais une utopie qui laisse des traces matérielles. Tous les organisateurs se demandent ce que laisse l’exposition, une fois achevée. Il me paraît normal qu’au XXIe siècle on s’interroge sur la durabilité urbanistique d’une exposition universelle – une utopie, soit, mais une utopie concrète qui doit résonner durablement.
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine. J’adhère à cet exposé éloquent, dont je soulignerai certains points. Le premier est le lien étroit que Paris a entretenu avec les expositions universelles : cinq expositions se tiennent dans la capitale entre 1855 et 1900. À cela s’ajoutent d’autres expositions bien connues : l’Exposition des arts décoratifs de 1925 et l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937, ainsi que l’Exposition coloniale internationale de 1931, qui a laissé un souvenir très vif à ceux qui l’ont visitée. Les Anglais, inventeurs des expositions universelles, y ont renoncé beaucoup plus tôt que les Français : après en avoir organisé deux, ils sont passés à une autre formule dès 1870.
J’insiste sur le rôle marqué de l’architecture qui, souvent, rejoint la prouesse technique. La Tour Eiffel, monument qui sort de l’ordinaire, est construite pour marquer les esprits, mais c’est essentiellement un bâtiment technique. De même, le contenu des « galeries des machines » est important mais la technique du contenant est frappante en soi, avec une architecture de métal et de fer dont ces galeries contribuent à faire la publicité.
Bien qu’internationales et même si leur organisation est dictée par une philosophie humaniste – on pense que la prospérité partagée permettra au monde de vivre dans la paix et la concorde –, les expositions universelles sont aussi des manifestations dans lesquelles on attache un grand prix à la mise en valeur du savoir-faire national ; de ce point de vue, il s’agit souvent d’une concurrence entre les nations. Ainsi l’Exposition des Arts décoratifs de 1925 a-t-elle été décidée pour mettre en valeur les savoir-faire des artisans d’art français – couturiers, parfumeurs, joailliers – et une tendance architecturale, le mouvement Art Déco, qui a ensuite rayonné à travers le monde.
Un autre élément déterminant est la place faite, dès les premiers temps, au secteur privé. Les expositions universelles sont des initiatives publiques, mais elles fonctionnent selon le système de la concession : une partie de l’espace est louée à des industriels, des manufacturiers et des commerçants qui sont censés l’animer. La place des concessions a grandi au fil du temps, car il faut aussi entendre par là les spectacles, forte dimension des expositions universelles et internationales. Les visiteurs veulent surtout se distraire, se dépayser, rêver ; comme les organisateurs souhaitent rentabiliser la manifestation au mieux, l’intérêt de tous est de faire venir le public le plus nombreux possible, grâce à des attractions. C’est le sujet de l’exposition consacrée à l’exotisme dans les expositions universelles que j’avais organisée aux Archives nationales. L’exotisme était très marqué dans la culture du public du XIXe siècle, comme le montre l’empreinte de l’orientalisme. Au fil des expositions, on est allé vers des attractions de plus en plus sensationnelles et grandioses – mais cela a pour limite qu’un moment vient où l’on ne peut aller plus loin !
Comme l’a indiqué M. Pascal Ory, une exposition universelle est aussi l’occasion d’un renouvellement urbain, par l’aménagement de nouveaux quartiers, de nouvelles infrastructures – la création de la gare d’Orsay, par exemple, est liée à l’Exposition universelle de 1900 –, de nouveaux hôtels – tel le Grand Hôtel du Louvre, construit par les frères Pereire à l’occasion de l’exposition universelle de 1855 – ou de nouveaux musées, qu’il s’agisse de Musée d’ethnographie du Trocadéro, inauguré à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878, ou du Musée de l’Homme, ouvert au Palais de la découverte au moment de l’Exposition internationale de 1937.
Autre aspect des expositions universelles, et non le moindre : leur dimension géopolitique. Elles permettent d’une part à la puissance invitante de compter ses alliés et, dans certains cas, d’en acquérir, d’autre part de se faire légitimer. Ce fut le cas pour Napoléon III, arrivé au pouvoir dans des conditions contestables et qui a profité de deux expositions universelles pour se légitimer et pour légitimer sa dynastie. C’était aussi l’occasion pour certains pays d’exprimer une revendication nationale, politique ou même indépendantiste ; ainsi l’Égypte et la Tunisie se sont-elles très habilement servies de l’Exposition universelle de 1867 pour prendre leurs distances avec la puissance suzeraine de l’époque, l’Empire ottoman.
Mon approche des expositions universelles est particulière, puisque je suis conservateur général du patrimoine. Pendant douze ans, aux Archives nationales, j’ai eu le grand honneur d’être responsable des archives produites par les commissaires des expositions universelles, une production très nombreuse et très chaotique, car si les organisateurs ont toujours besoin de leurs archives, ils n’ont jamais le temps de les classer. Ces fonds sont extrêmement riches. Je ne sais si, dans l’hypothèse où une exposition universelle aurait lieu en France en 2025, on produira des documents qui donnent de quoi rêver comme le font ceux que j’ai eu la chance de conserver et d’essayer de préserver. Quoi qu’il en soit, le patrimoine est une dimension très importante des expositions universelles.
M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions. Paris est des villes du monde celle qui a organisé le plus grand nombre d’expositions universelles. La première était située un peu plus haut que la place de la Concorde, entre la Seine et les Champs-Élysées. Le bout du bâtiment était à l’emplacement de l’actuel Petit Palais. Ce « Palais de l’industrie » entendait rivaliser avec le Crystal Palace londonien, mais il n’est finalement resté du modèle que le plafond de verre : le reste du bâtiment a été ceint de pierres de taille, avec un effet d’une particulière laideur.
Long de 300 mètres, il n’a servi que six mois pour les besoins de l’exposition, mais il a eu par la suite bien d’autres usages. Comme il empiétait sur l’emplacement prévu pour l’édification du Petit Palais à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, et considérant qu’il ne servait à rien, il a été décidé de le détruire. Il ressort pourtant de mes recherches que le bâtiment abritait en 1896 un musée des colonies, un musée des arts décoratifs, un dépôt de peintures et de sculptures, le service des tirages des emprunts de la ville de Paris, un magasin de décors du théâtre de l’Odéon, des bureaux de l’administration des Beaux-Arts, un commissariat de police, un poste de pompiers, un débit de tabac et des logements de concierges… En résumé, ce bâtiment supposé « ne servir à rien » avait trouvé bien des emplois.
De surcroît, ses pierres ont servi à la construction du Grand et du Petit Palais actuels. Cette réutilisation est ce qui fait la différence avec l’architecture moderne : les matériaux utilisés à l’époque étaient soit du bois chevillé qui se démonte très facilement, soit des pierres de taille que l’on savait désassembler, soit du métal que l’on savait dériveter. Tout comme l’un des pavillons Baltard a été démonté puis remonté à Nogent-sur-Marne, les structures de la Galerie des machines de l’Exposition universelle de 1878 ont été réutilisées pour plusieurs usages et en différents lieux : le long du bassin de La Villette pour construire des bâtiments métalliques – deux subsistent, dans lesquels sont installés les cinémas MK2 ; pour édifier ce qui est la halle de l’actuel gymnase Jean-Jaurès dans le XIXe arrondissement de Paris ; pour monter, à Meudon, le Hangar Y d’où est parti le premier ballon dirigeable. Les bâtiments construits pour les expositions universelles étaient donc assez souvent réutilisés.
Le Palais des machines, construit en 1889 sur un Champ de Mars dont la configuration n’était pas celle que nous connaissons aujourd’hui, a été la plus grande structure édifiée à l’occasion d’une exposition universelle à Paris. Il occupait, sur trois cents mètres de long, l’espace compris entre l’avenue de Suffren et l’avenue de La Bourdonnais. Le bâtiment a été ensuite utilisé comme vélodrome jusqu’à ce qu’il soit démonté en 1910 parce qu’il était trop grand ; l’immensité d’un bâtiment n’est donc pas le gage de sa pérennité.
S’il y a eu beaucoup d’expositions universelles à Paris, c’est aussi parce que de nombreux sites s’y prêtaient : les Champs-Élysées, le Champ de Mars, les Invalides et les bords de Seine constituaient un espace modulable. Je doute que l’on puisse construire maintenant les bâtiments abritant une exposition universelle au Champ de Mars : l’espace est bien plus réduit qu’il ne l’était à l’époque, il faudrait couper des arbres et l’emprise de la Tour Eiffel compliquerait les choses.
Il est dit que 50 millions de visiteurs sont venus à l’Exposition universelle de 1900. Même si ce nombre est incertain car les tourniquets qui comptabilisaient les entrées ne tenaient pas compte des abonnements ni, donc, des entrées multiples, ce qui était une gageure est devenu un beau succès si l’on considère que la France de l’époque comptait 40 millions d’habitants. L’entrée principale du bâtiment était située place de la Concorde, et l’une des sorties derrière le Village suisse – ainsi appelé car c’était l’emplacement du pavillon de la Suisse, d’ailleurs resté en l’état pendant quelques années après l’Exposition. On pouvait donc parcourir 4,5 kilomètres, au plus direct, à l’intérieur de l’exposition, sur un seul site, en longeant la Seine sur ses deux rives. L’Exposition universelle de 1900 a été la plus grande de toutes les expositions parisiennes : elle s’étendait sur les deux rives de la Seine, les Invalides, la colline du Trocadéro et le bas des Champs-Élysées.
M. Pascal Ory. Le transport fluvial, à mon sens actuellement sous-utilisé à Paris, est très lié à l’histoire des expositions universelles. Ainsi, si les bateaux-mouches portent ce nom, c’est que la concession du transport fluvial des passagers pour l’Exposition de 1867 a été remportée par un industriel lyonnais qui les a fait construire dans ses ateliers du quartier de la Mouche à Lyon. De même, il faudrait recourir au transport fluvial pour la partie intra muros d’une nouvelle exposition universelle.
M. Sylvain Ageorges. L’Exposition universelle de 1867 s’est tenue uniquement au Champ de Mars ; celle de 1878 sur la colline de Chaillot, après l’édification du palais du Trocadéro par Gabriel Davioud. La structure, flanquée de deux minarets, contenait un auditorium dont l’acoustique était, paraît-il, exécrable.
M. Pascal Ory. On connaît le même phénomène dans les collectivités locales où des salles polyvalentes, parce qu’elles doivent servir à tout, ne servent à rien de bien, en tout cas en matière acoustique…
M. Sylvain Ageorges. On retrouve au sein du musée de l’architecture, dans l’actuel palais du Trocadéro remodelé par Jacques Carlu pour l’exposition universelle de 1937, de magnifiques fers forgés provenant de l’Exposition de 1878.
M. Pascal Ory. C’est que le seul moyen de respecter les délais de construction d’une exposition universelle était de vampiriser les constructions de la précédente.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie pour ces indications passionnantes. Au regard des huit fonctions d’une exposition universelle définies par M. Pascal Ory, considérez-vous que l’organisation par la France d’une nouvelle exposition universelle en 2025 serait justifiée ?
M. Pascal Ory. L’analyse des expositions universelles qui ont eu lieu dans les dernières décennies du XXe siècle et au début du XXIe montre qu’une bonne partie des États organisateurs avaient quelque chose à prouver au monde : leur entrée dans le club ! C’est flagrant pour l’exposition d’Osaka, qui s’est tenue en 1970, époque qui correspond précisément à l’affirmation de la puissance économique japonaise. Il en est allé de même pour le Canada en 1967, et aussi pour l’Espagne et le Portugal, qui signaient ainsi leur entrée dans la démocratie.
Qu’aurions-nous donc à prouver en organisant une nouvelle exposition universelle ? La France peut-elle être « émergente » de quelque manière ? Plus modestement, ou de manière complémentaire, une exposition universelle tend à répondre à certains défis contemporains. Mais l’on pourrait penser qu’aujourd’hui c’est plutôt au Sud que se situerait la demande : Dubaï aura quelque chose à nous dire en 2025, et l’on peut se demander quand le Brésil ou l’Inde se mettront en branle. Mais ce n’est pas une raison pour penser que la France n’a rien à dire !
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Une exposition universelle serait effectivement l’occasion pour la France de dire qu’elle a des arguments à faire valoir et des savoir-faire techniques et technologiques de pointe à mettre en valeur, plutôt que de se complaire dans la morosité, de battre sa coulpe ou de se persuader qu’elle n’est pas compétitive.
M. Pascal Ory. J’ajoute que le passé hégémonique de la France est aussi lié à une ouverture aux influences étrangères. Si la cuisine française continue, quoi que l’on en dise, à être une cuisine de référence, c’est parce qu’elle a été extraordinairement ouverte à ces influences. L’organisation d’une exposition universelle dans notre pays ne doit en aucun cas signifier que la France se dresserait sur ses ergots : il s’agit de montrer que l’on peut être Français et ouvert sur le monde, comme nous l’avons toujours été et comme nous voulons le montrer une nouvelle fois.
Mme Catherine Quéré. L’art de vivre participe des nouveaux indicateurs qui tendent à quantifier le bien-être des peuples. Ne pourrait-il y avoir là le thème d’une exposition universelle montrant ce qu’est notre qualité de vie, par le biais de l’alimentation et de la cuisine ?
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Très certainement. Les expositions universelles ont aussi été des éléments fédérateurs de la nation. Elles ont souvent eu lieu dans des moments historiques compliqués, et les archives montrent nettement qu’elles ont permis de fédérer les élans : on y lit l’extraordinaire enthousiasme des organisateurs des expositions et de ceux qui travaillent autour d’eux. Ils n’avaient peur de rien !
M. Pascal Ory. J’ai eu la chance de visiter une partie de l’exposition de Shanghai. Le moins que je puisse dire est que le pavillon de la France ne m’a pas convaincu. À l’inverse, on voyait au pavillon italien tout ce que nous aurions dû faire : l’Italie y vendait à merveille son art de vivre, la qualité de ses métiers d’art, son côté « glamour », sa mode
– toutes choses que le pavillon français ignorait absolument. L’édifice lui-même, qui avait la forme d’un grand intestin, était glacial, se visitait en un instant, et n’avait de remarquable que le restaurant des frères Pourcel, au demeurant réservé aux élites chinoises. Je rageais. J’espère qu’en 2025, la notion d’art de vivre à la française, souvent moquée mais qui attire pourtant de très nombreux étrangers en France, sera mise en avant. Ce thème n’a rien d’anecdotique, car il se décline en terme de métiers : nous avons des chausseurs, des parfumeurs, des restaurateurs d’exception, et bien d’autres. Nous devons le faire savoir.
M. Yves Albarello. On évalue à quelque 50 millions le nombre de visiteurs de l’Exposition universelle de 1900, à une époque où les moyens de communication étaient infiniment moins puissants qu’ils ne le sont au XXIe siècle. Comment expliquer un tel nombre de visiteurs en 1900, et 70 millions de visiteurs « seulement » à Shanghai, en 2010, à l’heure de la communication toute puissante ?
M. Sylvain Ageorges. En 1899 déjà, tous les buralistes et tous les bureaux de poste de France menaient une grande campagne de vente de tickets d’entrée à l’Exposition universelle prévue un an plus tard, couplés avec des billets de train et des réservations d’hôtels. Cette publicité considérable faisait rêver. Or, le rêve a une très grande dimension dans ces manifestations, de même que la rencontre avec l’autre. Les expositions universelles passées suscitaient une grande curiosité que la généralisation de l’Internet a certainement atténuée.
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Notre réseau diplomatique, qui avait également été mis à contribution, s’est montré très efficace. Il lui revenait de faire venir les exposants étrangers, et chaque pays mettait un point d’honneur à envoyer à Paris ce qu’il avait de mieux et de plus beau. Ainsi l’empereur du Siam a-t-il expédié les extraordinaires productions de ses manufactures personnelles, qui sont d’ailleurs restées en France au terme de l’exposition. Les chambres de commerce françaises à l’étranger, elles aussi mobilisées, ont réalisé un travail considérable.
M. Hervé Féron. L’organisation d’une exposition universelle suppose donc, très en amont, l’appropriation collective du projet et un enthousiasme partagé. Pour que l’ensemble de la population se sente concernée, une nouvelle exposition universelle, même si elle a lieu à Paris, devrait donc être une exposition de toute la France. Et, pour éviter que les visiteurs ne soient déçus, il convient de faire valoir savoir-faire et innovations. Enfin, ne conviendrait-il pas d’insister sur la qualité de vie par le biais du développement durable ?
M. Pascal Ory. Certainement. Chaque exposition universelle est le miroir grossissant des valeurs dominantes de l’époque et, actuellement, les questions environnementales sont au centre des réflexions. Les Chinois eux-mêmes avaient consacré une partie de l’exposition de Shanghai au développement durable. D’autre part, on est frappé par l’accélération de l’individualisation au sein d’une société mondiale largement occidentalisée. Il faudra donc insister sur l’appropriation individuelle de l’innovation et de l’art de vivre, en trouvant le moyen de s’adresser subtilement à chacun des 75 millions de visiteurs en particulier.
M. Jean-François Lamour. L’engouement que traduit la présence de 50 millions de visiteurs signale un plein succès et une véritable fête populaire. Mais quelle était l’opinion publique avant, pendant et après les expositions universelles ? Comment l’idée même de l’exposition était-elle perçue au moment où l’on commençait de la préparer ? Si des réticences se manifestaient dans la presse, l’État réagissait-il, et comment ? A posteriori, l’opinion publique jugeait-elle positivement l’organisation ? Enfin, à périmètre comparable, le coût des expositions universelles a-t-il grandi au fil des ans, compte étant tenu de l’héritage laissé en matière d’urbanisme ?
M. Pascal Ory. Des objections s’expriment toujours pendant la période de préparation d’une exposition universelle. Elles émanent notamment des représentants des provinces, et des voix, dont celle de Maurice Barrès, se sont élevées pour dire : « Une fois de plus, Paris se sert ». Il faut anticiper ce type de discours en définissant clairement qui organise l’exposition : est-ce Paris, ou est-ce la France ? Par ailleurs, si les opposants tordent toujours un peu le nez, en règle générale le bilan est plutôt positif et l’on constate un ralliement progressif, qui se mesure parfois au résultat des élections. Ainsi, en 1889, les élections législatives ont eu lieu à l’automne, dans une période « ascendante » de l’exposition universelle, qui s’est tenue de mai à novembre. Alors qu’au début de l’année, la République était très menacée par le boulangisme, l’élection de septembre a été un succès pour la majorité sortante, et certains, à l’époque, ont parlé d’un effet « Exposition ». On note enfin des critiques récurrentes sur le retard pris dans l’achèvement des travaux.
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Il se produisait en effet couramment que, le jour de l’inauguration, le chef de l’État ne visite que la partie prête de l’exposition, cependant que de multiples chantiers se poursuivaient à l’arrière-plan. Aucune opposition à l’Exposition ne risquait de se manifester sous le second Empire… Quant aux expositions suivantes, elles ont eu la faveur de tous les acteurs économiques. Seuls des écrivains et des artistes protestent, au moment de l’Exposition de 1889, quand ils voient s’édifier la Tour Eiffel, qui les chagrine beaucoup. Mais ils ont beau pétitionner, emmenés par Charles Garnier, cela n’empêche pas l’exposition de se faire ! Les premiers grincements véritables ne se font entendre qu’au moment de l’Exposition coloniale, en raison de son thème, d’autant qu’elle coïncide avec la montée des mouvements indépendantistes dans les colonies ; une contre-exposition est montée, les surréalistes s’insurgent et les communistes leur emboîtent le pas. Auparavant, on ne perçoit pas d’opposition majeure aux expositions universelles.
M. Pascal Ory. Une des raisons pour lesquelles les Anglais ont très vite décidé d’en finir, c’est qu’ayant fait leurs calculs, ils ont constaté que les expositions universelles leur coûtaient plus cher qu’elles ne leur rapportaient. La France, elle, a considéré que le déficit faisait partie de l’ensemble… Plus tard, une grande polémique a eu lieu au Canada, et singulièrement au Québec, après l’Exposition de Montréal de 1967, gouffre financier. Mais, comme vous l’avez dit, il faut tenir compte, dans le calcul des coûts, des réaménagements en matière d’urbanisme intervenus à l’occasion des expositions universelles.
M. Sylvain Ageorges. Quelques mots de l’empreinte des expositions universelles sur l’urbanisme parisien. La gare de Lyon a été modernisée pour l’Exposition universelle de 1900 ; la gare d’Orsay fut inaugurée à la même occasion, mais ce fut un fiasco, les voyageurs devant descendre à la gare d’Austerlitz et traverser la Seine dans un train électrique passant sous le fleuve. Le boulevard Saint-Germain a été percé en urgence pour l’une des expositions universelles, et la colline de Chaillot remodelée. Quant à la Tour Eiffel, son démontage, d’ailleurs jamais chiffré, fut un mythe dès l’origine puisque Gustave Eiffel avait obtenu une concession de vingt ans ; de surcroît, il a offert le dernier étage de la Tour à l’armée en 1892… Le parc des Buttes-Chaumont et le parc Montsouris ont été créés pour l’Exposition universelle de 1867 et les bois de Vincennes et de Boulogne réaménagés à cette occasion. Ces grands travaux participent-ils du coût des expositions, ou constituent-ils un bénéfice pour Paris ? Enfin, la ligne 1 du métro parisien a été mise en service lors de l’Exposition de 1900. Le chantier ayant pris du retard, la ligne n’était pas prête lorsque l’Exposition s’est ouverte en avril, et elle fut inaugurée en juillet dans l’indifférence générale. Retard de trois mois, donc ; mais il avait été fermement décidé que la ligne devrait être ouverte pour l’Exposition universelle et, plus d’un siècle plus tard, nous en profitons toujours.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. L’organisation d’une exposition universelle répond au besoin d’offrir une vitrine au progrès technique ; elle est aussi sous-tendue par de fortes motivations en termes d’aménagement et de transport. Quel besoin satisferait l’organisation par la France d’une exposition en 2025 ? Serait-ce l’occasion de démontrer que notre pays est l’un des premiers en matière d’innovation et de matérialiser cette excellence ? Ou serait-ce que nous avons besoin de nouveaux aménagements – mais en ce cas, lesquels ? Quels facteurs pourraient assurer le succès d’une nouvelle exposition universelle à Paris ?
M. Pascal Ory. Mme Christiane Demeulenaere-Douyère a donné une indication à ce sujet. Elle et moi sommes de ceux qui, très nombreux en France, souhaitent entendre un discours positif. Je rentre d’un séjour de plus de deux mois à New York, et j’ai ressenti un plaisir immense à me trouver au milieu de gens souriants et optimistes – ceux-là même qui ont pourtant subi les effets dévastateurs de l’ouragan Sandy il y a un an, et dans un pays où le taux de chômage était de 10 % il y a quatre ans ! La très importante motivation d’une exposition universelle pourrait être d’extraire ce qu’il y a d’énergie positive dans notre pays et de l’afficher, pour la gouverne des Français eux-mêmes et des étrangers qui pourraient être sceptiques sur cette France qui fut glorieuse et qui ne l’est plus. Il y aurait, à cette occasion, quelque chose à dire sur notre art de vivre, reconnu à l’étranger. Il conviendrait de moderniser cette notion et d’expliquer que nous voulons faire partager cet art de vivre aux visiteurs – pris individuellement, je le redis – de manière que le monde entier y participe. L’objectif d’une exposition universelle devrait être d’appréhender notre situation de manière positive, presque hédoniste, et de montrer que cette approche se traduit par des métiers et des dispositifs techniques à propos desquels la France peut afficher quelque chose.
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Une exposition universelle à Paris doit s’entendre dans le Grand Paris. Résoudre les problèmes des banlieues sera l’un des défis majeurs des quelques années à venir, et une exposition universelle pourrait être un projet fédérateur pour des gens qui se sentent actuellement marginalisés. Ce pourrait aussi être l’occasion de revoir et d’améliorer l’aménagement du Grand Paris en mobilisant, en banlieue, les énergies, très fortes et prêtes à s’exprimer, et des savoir-faire multiples dont on n’a pas tout à fait conscience. On créerait ainsi un élan fédérateur qui permettrait de mieux vivre ensemble.
M. Pascal Ory. J’approuve ce point de vue sans réserve : l’Exposition universelle de 2025 devrait être une étape dans l’histoire du Grand Paris.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Peut-on concevoir une exposition universelle éphémère, qui ne laisserait aucune trace architecturale ?
M. Sylvain Ageorges. C’est la trace architecturale qui symbolise l’exposition universelle. Qu’il s’agisse de l’Atomium, de la Tour du soleil ou du Pavillon chinois, c’est l’architecture qui importe. À l’heure où un téléphone portable permet de disposer de toutes les informations possibles, ce qui fait l’intérêt d’une exposition universelle, c’est la rencontre avec l’autre et l’architecture : parler de la ville d’Astana avec des étudiants kazakhs qui s’essayeront à vous répondre en français, aller déjeuner au pavillon allemand…
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Qu’il faille une trace architecturale, je n’en disconviens pas, mais elle peut être éphémère.
M. Sylvain Ageorges. Il n’y a rien d’éphémère. Le Grand Palais, construit par l’État, comme le petit Palais, construit par la Ville de Paris, étaient prévus pour rester, de même que l’Atomium, la Tour Eiffel, etc. Et si le parti pris était celui de l’éphémère, le geste architectural devrait néanmoins être beau.
M. Pascal Ory. La dernière exposition nationale suisse a été conçue pour être entièrement éphémère ; elle a laissé un souvenir mitigé.
M. Yves Albarello. Tous les membres de notre mission d’information sont enthousiastes à l’idée qu’une exposition universelle se tienne à Paris en 2025. Mais pour susciter pareil enthousiasme chez nos collègues, il nous faudra user de notre pouvoir de conviction : le risque est que tous ne se sentent pas concernés par un projet qu’ils pourraient considérer comme parisien alors qu’il s’agit d’un projet d’intérêt national.
J’ai souligné, lorsque notre mission a auditionné le secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE), l’atout que représentera le projet Grand Paris Express, ses quelque 200 kilomètres de lignes de métro automatique et ses 72 nouvelles gares dessinées par de grands architectes, et dont la mise en service est prévue en 2025. Ces matériels seront construits par des sociétés françaises leaders sur ce marché ; ce serait l’occasion de montrer au monde notre savoir-faire technologique.
M. Pascal Ory. On peut imaginer qu’en 2025 une exposition universelle organisée en France ne soit pas limitée au seul Grand Paris mais se déroule dans plusieurs autres métropoles. Cela suppose de trouver les dispositifs qui permettront d’impliquer Bordeaux, Marseille ou Strasbourg. Pour l’Exposition internationale de 1937, la solution trouvée était très simple : un espace regroupait les pavillons des provinces, qui formaient le Centre régional de France. En 2025, on pourra vraisemblablement se transporter pour une journée, en train ou en avion, dans les métropoles régionales.
Mme Catherine Quéré. L’un des responsables du pavillon français de l’Exposition universelle de 2015 à Milan nous demande de solliciter les régions afin qu’elles viennent présenter leurs réalisations. Cette approche permettrait aussi d’intéresser les régions à une exposition universelle sise dans le Grand Paris.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Que reste-t-il des expositions universelles dans la mémoire des peuples ? Certains éléments de cet héritage sont-ils révolus ? Inversement, de nouveaux enjeux peuvent-ils être mis en lumière ?
M. Pascal Ory. Les expositions universelles suscitent un sentiment récurrent de fierté nationale, après que l’on a vu affluer le monde entier. À cet égard, étant donné la concentration des manifestations, la gestion des files d’attente n’est pas un mince problème
– à Shanghai, on attendait communément plusieurs heures sous un soleil de plomb… D’autre part, l’idée de démonstrations d’ordre technique n’est pas complétement obsolète ; l’intérêt d’une appropriation individuelle, sur place, par le biais de la rencontre, demeure, comme demeure l’intérêt du dialogue.
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Au nombre des importantes fonctions des expositions universelles, il faut citer l’appropriation des techniques. Au XIXe siècle singulièrement, il fallait que les gens s’approprient les techniques nouvelles – elles les effrayaient, car ils étaient conscients qu’elles menaçaient leurs emplois. En montrant les techniques à l’œuvre, on les a fait entrer dans une culture partagée. Sur un autre plan, parce que l’on voyage et que l’on regarde la télévision, l’utilité d’une exposition universelle pour rencontrer des gens venus de l’autre bout du monde est moindre aujourd’hui qu’elle ne le fut, mais le dialogue demeure fondamental.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Pendant les six mois de l’exposition, il pourrait être envisagé de mettre à la disposition de certains pays plusieurs de nos monuments afin qu’ils les réinvestissent à leur manière, ainsi que les 72 gares du Grand Paris Express, qui pourraient être autant de pavillons étrangers. Cette idée vous paraît-elle judicieuse ? D’autre part, les expositions universelles, vous l’avez montré, ont toujours été l’occasion de repenser les modalités de la mobilité. Si l’éclatement de la manifestation était possible, il nous semblerait de bonne pratique d’étendre l’exposition au Grand Paris, et de prévoir des satellites dans les métropoles régionales ; qu’en pensez-vous ?
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. C’est une très belle idée que de mettre à disposition d’autres pays des bâtiments patrimoniaux pour confronter les regards, mais je ne saurais dire comment réagiront les conservateurs… La question de la mobilité est très importante. Une exposition devra, par des moyens que je n’ai pas la compétence d’imaginer, impliquer tout le territoire situé autour de la Ville de Paris. On ne peut concevoir une « exposition des riches », les pauvres étant laissés sur le bord de la route. Ce serait une faute.
M. Sylvain Ageorges. Proposer l’usage de monuments emblématiques ne sera pas sans poser problème. On peut être sûr que chacun des 167 pays membres du BIE voudra la Tour Eiffel, mais lequel préférera à Versailles la gare d’Ivry ou celle de Montreuil ? Tel chef d’État peu connu pour sa souplesse acceptera-t-il facilement que son voisin dispose du Trocadéro pendant six mois ? En revanche, on peut imaginer faire se dérouler des événements, y compris de nature technique, à Versailles ou à la Tour Eiffel ; la durée d’une exposition universelle laisse le temps de montrer autre chose que des danses folkloriques.
M. Pascal Ory. La solution peut effectivement être de privilégier l’événementiel en plusieurs lieux de prestige. Utiliser les gares permettrait de proposer 72 solutions à autant de pays ; c’est sans doute moins intimidant et moins lourd que de se voir confier le parc de Versailles pour six mois, avec les problèmes diplomatiques que cela provoquera en prime. Enfin, certains monuments, ceux qui ont un parc par exemple, se prêtent mieux que d’autres à l’exercice.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Les huit fonctions des expositions universelles que vous avez décrites forment la trame, finalement très contemporaine, des objectifs que nous voulons définir et des principes qui doivent nous guider. L’audace du XIXe siècle doit nous inspirer. Nous vous avons entendus : nous ne devons pas décevoir, en laissant se déliter nos avantages comparatifs, les pays émergents qui voient la France comme un modèle, et la redynamisation de nos avantages culturels, architecturaux et techniques que permettrait l’organisation d’une exposition universelle a un sens.
Madame, messieurs, je vous remercie d’avoir permis ces échanges éclairants, que nous serons peut-être amenés à approfondir.
M. Pascal Ory. Et si tel n’est pas le cas, rendez-vous en 2025 !
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Peut-on encore aujourd’hui célébrer le progrès et les innovations ? », avec M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation, M. Joël de Rosnay, conseiller de la présidence d’Universcience et président de Biotics International, et M. Gérard Roucairol, président de l’Académie des technologies
(Séance du mercredi 26 février 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. La mission d’information sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025 est une mission de la conférence des présidents. Je l’anime avec une trentaine de parlementaires. M. Bruno Le Roux – qui m’a prié de vous demander d’excuser son absence – en est le rapporteur.
Depuis trois semaines, nous avons déjà rencontré différents protagonistes français des expositions universelles, les commissaires des expositions précédentes et le délégué français auprès du Bureau international des expositions. La semaine dernière, plusieurs historiens ont traité de l’histoire commune de la France et des expositions universelles, et du bénéfice qu’avaient pu en retirer notre pays au XIXe siècle et, plus récemment, les différents pays qui ont accueilli de tels événements.
Avec nos invités d’aujourd’hui, nous allons nous demander dans quelle mesure les expositions universelles peuvent contribuer au progrès et à l’innovation. Un tel événement pourrait-il redonner à notre pays souffle, audace et envie de progrès ? D’après un récent article du journal Le Monde, les jeunes reprochent à la classe politique, et plus généralement aux élites, de ne pas préparer l’avenir. Cela doit nous inciter à nous pencher davantage encore sur les conditions du progrès et de la croissance dans les prochaines années.
Monsieur Pisani-Ferry, vous avez travaillé sur le pessimisme, vecteur d’absence de progrès pour notre pays, et d’absence d’envie pour notre jeunesse, alors même que nous avons besoin d’elle pour organiser le XXIe siècle. D’après vous, l’organisation d’une exposition universelle – ou la simple candidature – peut-elle créer un effet d’entraînement vers plus d’espérance, d’avenir et d’innovation ?
M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective. Je crois comprendre que, à ce stade, vous vous intéressez moins au coût ou à l’impact économique direct d’une exposition universelle qu’à sa signification, à l’effet qu’elle pourrait avoir sur notre perception du progrès et de l’innovation, et à l’image qu’elle pourrait donner de notre pays.
À l’occasion de la préparation du rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective sur la question « Quelle France dans dix ans ? », j’ai été frappé de constater que les Français nourrissent aujourd’hui de nombreux doutes à l’égard de la notion de progrès
– qu’il s’agisse du progrès scientifique ou du progrès économique et social. Je ne crois pas qu’ils aient perdu foi en la science, dont ils considèrent toujours qu’elle peut transformer leur vie, dans le bon sens. Toutefois, il semble qu’ils aient perdu confiance dans la capacité de nos institutions publiques et privées à faire bon usage des découvertes scientifiques et des innovations. Ils craignent qu’on ne manipule l’opinion, que des données gênantes ne soient occultées, que les découvertes scientifiques ne soient enrôlées au service d’intérêts particuliers ne coïncidant pas avec ceux de la société. Sur ce point, nous avons beaucoup régressé. J’en veux pour preuve les débats que suscitent l’application du principe de précaution et l’apparition de toute innovation importante – les OGM, par exemple.
Pour réconcilier les Français avec le progrès scientifique, il faut donc d’abord les réconcilier avec leurs institutions. Hélas, l’actualité alimente ces soupçons. Lorsqu’un laboratoire pharmaceutique se livre à des pratiques douteuses, on ne peut pas reprocher à nos concitoyens d’y voir la manifestation du détournement du progrès scientifique au profit d’intérêts particuliers.
J’ai également été frappé par le doute qui s’exprime à l’égard de la croissance elle-même. Malgré leurs différends, les Français s’accordaient à considérer la croissance comme une forme de progrès économique et social – indépendamment d’éventuels conflits de répartition. Ce fut le cas, après 1945, au sortir de la stagnation relative de l’entre-deux-guerres. Or il semble que ce consensus soit aujourd’hui brisé. Cela s’explique par le fait que, depuis six ans, la croissance est en berne : le PIB du quatrième trimestre de 2013 est exactement égal à celui du troisième trimestre de 2008. L’idée même de croissance s’apparente désormais à un rêve, surtout pour les jeunes générations. D’autre part, les dommages environnementaux qu’elle peut provoquer ont suscité un rejet de la croissance. Le doute d’une minorité, qui milite pour la notion de « décroissance », rejoint celui, plus large, qui prévaut dans l’opinion. Enfin, on craint que la croissance et le progrès ne profitent qu’aux villes et aux métropoles, au détriment des territoires ruraux, que la répartition des revenus se modifie au seul profit de ceux qui maîtrisent les savoirs, que certains soient sacrifiés au nom de la croissance.
Une exposition universelle doit prendre en compte ces interrogations. Au-delà des aspects spécifiquement français, elle doit faire écho à une question plus large, d’envergure internationale : quel est l’effet du progrès technique sur la répartition des revenus ? Dans un livre récent, The Second Machine Age (Le Deuxième Âge de la machine), deux chercheurs du Massachusetts Institute of Technology montrent que l’on va vers une économie dans laquelle les machines grignotent de plus en plus sur le travail qualifié. Le partage ne se fait plus seulement entre travail qualifié et travail non qualifié puisque, même à l’intérieur du travail qualifié, certaines tâches peuvent être mécanisées. Cela explique l’angoisse de la classe moyenne. Cette évolution est la conséquence des progrès de l’intelligence artificielle.
Au-delà, le progrès technique favorise de plus en plus ces « superstars » qui sont capables, par leur talent, de démultiplier leur productivité et de capter l’essentiel des gains du progrès technique à leur profit. Le phénomène se développe de manière spectaculaire aux États-Unis où, en créant une entreprise de 50 ou 150 personnes, on peut obtenir des valorisations qui défient l’imagination ; WhatsApp en est une belle illustration. On peut donc s’attendre à une captation des bénéfices sociaux du progrès par une toute petite minorité.
La question des effets sociaux du progrès technique pourrait donc être un thème intéressant autour duquel structurer un projet d’exposition universelle.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur Giget, les expositions universelles que nous avons organisées au XIXe siècle ont reflété notre vision du progrès et du développement, et nous ont permis de délivrer un message au monde. Aujourd’hui, en quoi le fait de poser notre candidature peut-il nous amener à nous interroger sur la notion de progrès ou de développement ?
M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation. La France est fâchée avec le progrès, mais cela ne date pas d’hier. Aristote ne disait-il pas que le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous ? C’est pourtant notre pays qui a créé le concept d’exposition universelle. Certes, une première exposition s’était tenue à Londres en 1851, mais elle n’était qu’internationale : il s’agissait de montrer au monde la supériorité du Commonwealth, mais les visiteurs purent surtout y découvrir les machines allemandes, et le Commonwealth se frotta à la réalité du monde.
La France a organisé la première exposition universelle en 1855, et quatre autres dans la foulée. Ces cinq expositions universelles restent les plus importantes jamais organisées. Même à Shanghai, il y avait moins de visiteurs étrangers qu’en 1900 : 2 % d’étrangers à Shanghai contre 45 % à Paris en 1900. La France avait alors reçu 50 millions de visiteurs, alors qu’elle comptait 40 millions d’habitants.
On a dit que la France avait imposé le concept de progrès aux autres pays à la fin du XIXe siècle, avec la devise positiviste « ordre et progrès ». De fait, quand vous enseignez au Japon ou en Chine, les gens vous parlent encore de l’exposition universelle de 1900, de la tour Eiffel et du Grand Palais. Paris a été restructurée à cette occasion et a accueilli les 50 millions de visiteurs de l’exposition universelle en même temps qu’une exposition religieuse qui attira 6 millions de visiteurs, et les premiers jeux Olympiques de Paris. À l’époque, il n’y avait ni automobiles ni avions, et les voyages étaient longs. Accueillir le monde entier, cela avait du sens. C’était également très efficace : de très nombreuses entreprises se sont créées pendant les expositions universelles.
La France avait remporté haut la main la grande bataille des expositions universelles, mais la situation changea du tout au tout après 1900. À l’exposition universelle de Paris de 1937, ce fut l’horreur totale, car la Seconde Guerre mondiale se préparait. Il y avait très peu de pays participants, et certains d’entre eux s’opposaient. Ce n’était pas du tout l’esprit des expositions universelles.
Après la guerre, on est passé à quelque chose de totalement différent, avec l’arrivée des pays émergents, qui tenaient à se manifester – par exemple, l’exposition « Terre des Hommes », organisée par le Canada – et l’organisation d’expositions universelles autour de thèmes précis. Aujourd’hui, on fait des expositions sur tout, dans tous les domaines, et on peut imaginer que le salon international de l’agroalimentaire (SIAL) est plus complet en ce domaine que ne le sera la prochaine exposition universelle de Milan, pourtant consacrée à la nourriture.
L’exposition universelle de Hanovre fit un flop : elle avait pris pour thème les problèmes, alors que l’intérêt de ce genre d’exposition est de montrer les solutions. On avait manqué d’ambition. Il était prévu que certains pavillons soient recyclés : celui de la France devint, après l’exposition, un magasin Decathlon !
L’exposition de Shanghai a permis à la Chine de faire son grand show. De la même façon, le Brésil veut absolument organiser une exposition universelle à São Paulo, après les jeux Olympiques et le Mondial. Dans ces conditions, faire une exposition universelle dans un vieux pays européen constitue un véritable défi.
Mais quel message délivrer au monde ? Notre pays est celui qui croit le moins au progrès. C’est le plus pessimiste de la terre ! Un journal ne titrait-il pas : « Survivre au progrès » ? Cette vision très négative s’explique par le fait que l’Europe a été le cadre de deux conflits mondiaux et que, depuis la Première Guerre mondiale, on en est venu à douter que la connaissance entraîne automatiquement le progrès humain. Reconnaissons que, si le progrès est un idéal de la raison vers lequel nous devons tendre, le chemin n’est pas continu, qu’il peut y avoir des retours en arrière, et que la barbarie n’est pas exclue.
Après la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il créait le journal Combat, Albert Camus écrivait qu’il faudrait deux générations pour que la France retrouve la logique du progrès, à laquelle ne pouvaient plus croire celles qui avaient connu la boucherie des tranchées et la Shoah. Si Camus a vu juste, nous sommes précisément au moment où il faut reconstituer le lien.
Voilà quinze ans que, dans le reste du monde, la notion de progrès domine largement celle d’innovation et de technologie. En France, il a fallu attendre 2008 pour que les requêtes sur internet portent sur le progrès plutôt que sur l’innovation ou la technologie. L’innovation permet d’introduire quelque chose de nouveau, mais ce peut être une nouvelle bombe, un nouvel impôt ou un nouveau problème. La technologie, quant à elle, ne fait pas rêver : on ne tombe pas amoureux d’un Wireless Access Protocol, d’un Big data ou d’une puce RFID. Or le monde entier reproche à la France d’être trop portée sur la technologie et pas assez sur le progrès. Le progrès, lui, met l’évolution des connaissances, des sciences et des techniques au service des gens, pour qu’ils vivent mieux, plus longtemps, pour qu’ils soient plus heureux. C’est ce que les Brésiliens ont récemment revendiqué, lorsqu’ils ont demandé plus de santé et plus d’éducation.
Si la France invitait la terre entière sur le thème du progrès, cela pourrait constituer pour elle une bonne psychothérapie. Elle ne peut pas continuer à répandre sur le monde son horrible pessimisme. Cela suppose qu’elle se réconcilie avec le progrès et renoue avec la juste vision qu’elle en avait. Stefan Zweig considérait que ce n’était pas pendant la Première Guerre mondiale ni pendant la Seconde Guerre que nous avons eu raison, mais lorsque nous avions une vision pasteurienne du progrès. Tous les partis étaient progressistes et l’on essayait de faire en sorte que tout aille mieux – ce qui est tout de même l’objectif de la recherche.
La France n’est donc pas leader en matière de progrès. Les nombreux livres que j’ai pu lire à ce propos sont désespérants : pour les « intellos » qui en sont les auteurs, croire au progrès, c’est américain, c’est scout, cela ne peut conduire qu’à la catastrophe. Il serait bon que la France renoue avec ses valeurs de progrès. On a bien imposé au Brésil de faire figurer sur son drapeau la devise « Ordre et progrès » et aux Turcs de faire figurer la notion de progrès dans leur Constitution. On offrait même à tous les enfants passant le certificat d’études un gros livre intitulé Le Progrès.
J’ai constaté, en enseignant au Japon et en Chine, que la France passait toujours pour un pays progressiste. Plutôt que de parler des problèmes, parlons des solutions qui permettront de les résoudre. Ces solutions arrivent en vague et vont surprendre, même si elles sont longues à mettre en œuvre – vingt-sept ans de recherche et développement pour le cœur artificiel, trente-sept ans pour l’interprète automatique.
La France a une légitimité historique pour délivrer un message progressiste. Elle doit donc dépasser le traumatisme des deux guerres mondiales, qui l’amène à commémorer les tranchées plutôt qu’à fêter la Belle Époque. Si elle a marqué la terre entière, ce n’est pas par ses guerres, mais par sa vision pasteurienne du progrès, en apportant partout l’électricité et les télécommunications, en prônant l’éducation pour tous.
J’approuve donc cette idée d’exposition universelle, même si, pour l’instant, la France doit sérieusement travailler son vocabulaire et sa vision du monde. La société est plus progressiste que ne le sont l’appareil d’État et le monde intellectuel français. Les gens veulent du progrès. J’ai occupé, au Conservatoire national des arts et métiers, la chaire « gestion de la technologie et de l’innovation » : j’y enseignais que la technique est neutre. Un marteau permet de taper sur un clou ou sur la tête de la voisine : mais ce n’est pas la faute du marteau. Il en est de même d’un avion, qui permet de transporter aussi bien des touristes que des bombes. Max Weber n’avait-il pas écrit en 1913 que la technologie avait désenchanté le monde ? Les auteurs de certains articles américains laissent en français l’expression « succès technologique-échec commercial ». Qu’on songe au Concorde, au Plan calcul, à Superphénix, au Naviplane, à l’aérotrain : en l’occurrence, échec commercial rimait avec échec sociétal, car l’innovation technologique, si aboutie soit-elle, ne correspondait pas à l’attente des gens. En ce moment, les gens ne sont pas du tout satisfaits des innovations qu’on leur propose et ne voient pas en quoi elles améliorent leur vie quotidienne. Les transports, en voiture ou en RER, sont toujours aussi difficiles. Malgré les 10 millions de chercheurs dans le monde, tout est devenu plus compliqué. Or les objectifs de l’innovation progressiste restent ceux définis par la Renaissance : amélioration de la condition humaine, de la relation entre les hommes, de la vie dans la cité et amélioration de la relation à la nature.
La France a une autre légitimité. En 1900, elle organisait 85 % de tous les congrès de la terre – et elle est encore leader aujourd’hui, avec 9 % : les premières expositions universelles et tous les premiers congrès de physique ont eu lieu à Paris, qui était un peu le Living Lab de la Belle Époque. Le Grand Palais était le lieu de rencontre high-tech. On y lisait à l’entrée, sur une pierre qui a été perdue, la devise suivante : « L’avenir sera fait des outils que nous aurons créés ».
Il serait plus intelligent d’accueillir la terre entière autour des solutions qu’elle peut apporter aux besoins des hommes, qu’autour de thématiques comme l’agriculture, les transports ou le « digital ». Quand on pense qu’on a organisé une conférence sur « la femme digitale » ! En 1903, on vantait « la femme électrique » et en 1908 « la femme radioactive » avec le slogan : « Madame, votre beauté exige la radioactivité naturelle ! » Nous avons évité « la femme fax », « la femme téléphone », mais nous avons eu « la femme digitale ». Le numérique est un moyen, pas un objectif.
Ce serait, pour notre vieux pays, l’occasion de renouer avec des valeurs qui sont encore reconnues internationalement. Pour les gens, la tour Eiffel, ou du moins l’esprit qui l’a conçue, n’est pas dépassée. Cela nous permettrait de passer à autre chose. Certes, nous avons connu des guerres terribles et des événements atroces. Mais, dans l’ensemble, nous vivons mieux que nos parents, même si deux tiers des Français pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux.
Il y a quinze ans, j’avais proposé que la France organise une exposition universelle ou, comme elle a peu de chance d’être choisie face aux pays émergents, qu’elle prenne l’initiative d’une exposition d’un nouveau genre. Cela nous ferait du bien et relancerait notre dynamique : lorsqu’on accueille la terre entière, on doit arrêter de remplir sa bibliothèque avec des livres sur La Fin de l’emploi, Les Infortunes de la prospérité ou L’Horreur économique, qui sont devenus une spécialité nationale.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur de Rosnay, que pensez-vous de cette démarche, qui pourrait orienter la technologie vers des valeurs universelles et redonner un sens au progrès ?
M. Joël de Rosnay, conseiller de la présidence d’Universcience et président de Biotics International. Mon propos introductif portera sur la culture globale d’une exposition universelle à l’horizon 2025 et s’articulera autour de cinq thèmes : la culture, l’innovation, le progrès, l’humanisme et la société collaborative.
D’abord, je trouve que la manière dont la question est posée – « Peut-on encore aujourd’hui célébrer le progrès et les innovations ? » – relève d’une culture dépassée, qui nous renvoie au début du XXe siècle, voire à la fin du XIXe. En effet, nous sommes entrés dans une nouvelle culture partagée, dans le monde entier, par une génération de jeunes entre dix-huit et vingt-cinq ans – une culture différente de celle de leurs parents, de leurs professeurs, des politiques et des industriels. Ces jeunes ne sont plus dans une société de l’information, mais dans une société de la recommandation. Ils ne sont plus dans l’acquisition des connaissances, mais dans le partage de l’expérience et de l’émotion. Cette évolution est évidemment liée au numérique et aux réseaux sociaux. Il faut donc que nous changions de culture.
L’exposition de 2025 et la France se situent dans une autre dimension culturelle que celle, exprimée ici, du progrès et de l’innovation. Le progrès n’existe pas, dans la mesure où il est lié à un jugement de valeur. Le progrès sans valeur n’est donc pas du progrès, c’est simplement une mesure quantitative. D’autre part, l’innovation n’existe pas : il n’existe que des systèmes innovants. Aujourd’hui, tout ce qui change la société résulte de fusions, de convergences, de catalyse et d’émergences. Internet n’est pas une innovation, c’est un système innovant, fait de réseaux de télécommunication, de TCP/IP, de protocoles informatiques, de boîtes à messages, de bêta-testeurs et de moteurs de recherche. De la même façon, le GPS est un système innovant, parce qu’il résulte d’un protocole spécial que seule votre voiture comprend, d’un écran tactile, d’un satellite, etc. Les termes d’innovation et de progrès sont déjà en eux-mêmes dépassés, s’ils sont conçus en dehors d’une vision systémique – pour l’innovation – et d’une vision dynamique – pour le progrès.
Pour qu’un système innovant soit effectivement innovant pour la société et ses utilisateurs, il faut créer les conditions d’un écosystème dans lequel on va catalyser, c’est-à-dire mettre ensemble, des éléments séparés – un peu comme les enzymes le font en biologie – qui, en se mariant, feront émerger des propriétés nouvelles. En voici quelques exemples très simples.
La fusion du numérique et du biologique, c’est-à-dire non seulement les biotechnologies, mais aussi la bioélectronique, la biotique – mariage de la biologie et de l’informatique –, la e-santé, grâce à un système que l’on porte sur soi et qui est capable de mesurer en permanence votre corps, est en train de révolutionner la médecine et ce que l’on appelle la « prévention quantifiable ».
Il en va de même avec la fusion de l’énergétique et du numérique. Jusqu’à présent, on abordait l’énergétique et la transition énergétique en termes de filières et de centrales, on se demandait s’il fallait ouvrir ou fermer des centrales, qu’elles soient au fuel, hydrauliques ou nucléaires, si telle filière était meilleure que telle autre. Là encore, l’approche systémique amène à raisonner en dehors des filières. Il n’y a pas des énergies renouvelables, mais de l’énergie renouvelable, faite de douze énergies combinées entre elles, distribuées dans un réseau intelligent, numérique, que j’appellerai « énernet » – une Smart grid qui, bientôt, sera non seulement européenne, mais de plus en plus mondiale.
Grâce à la fusion du mécanique et du numérique, les voitures seront autoguidées, se déplaceront seules grâce à un radar, à un laser et à des satellites.
La fusion du numérique et de l’éducation a donné, par exemple, les MOOC (Massive Open Online Courses) qui touchent aujourd’hui 19 millions de personnes dans le monde, permettent à Stanford, à Harvard et au MIT de diffuser leurs cours. J’observe toutefois que, après avoir suscité un grand engouement, ces MOOC font aujourd’hui l’objet de réserves. Il n’y a pas de système innovant sans fusion, sans catalyse, sans convergence, sans émergence.
Le message que la France adressera en 2025 devra être humaniste, au sens où le lien humain, le lien social, la relation humaine, l’émotion, le partage, l’amour sont plus importants que la technologie, qui ne peut servir que de catalyseur. On le voit très bien avec les réseaux sociaux et avec la solidarité qu’ils permettent de nouer entre des gens qui peuvent ainsi créer ensemble leur futur. Cette notion doit être sous-jacente à l’exposition universelle : comment « co-créer » – et non pas créer – son futur en lui donnant du sens ?
Enfin, l’exposition universelle de 2025 devra montrer comment se manifestent les prémices de la société collaborative, avec le numérique et les réseaux sociaux, au sein de la nouvelle culture de cette jeunesse mondiale, tous pays confondus. Les mouvements politiques qui ont utilisé la rue et les médias comme nouveaux moyens de vote pour tenter de modifier des systèmes totalitaires ou les manifestations des indignés en sont des exemples.
Cette collaboration se traduit aujourd’hui par les préfixes co- en français et crowd- en anglais : crowdfunding ou crowdsourcing, cohabitation, covoiturage, colocation, co-nutrition. Les gens partagent des éléments de production. On le verra de plus en plus avec les imprimantes 3D, dans le cadre d’une nouvelle industrie 2.0, c’est-à-dire une industrie transversale, faite de petites unités de production partagées, plutôt que de gros systèmes pyramidaux – lesquels vont bien entendu perdurer.
En 2025, nous devrons montrer la société collaborative en marche, puisque c’est ce qui anime la nouvelle génération. C’est ce que nous tentons de faire à Universcience. D’après nos sondages, les jeunes de 12-15 ans viennent avec leurs parents ou leurs professeurs, les adultes viennent et reviennent avec leurs enfants. Mais les 18-25 ans ou les 18-30 ans ne viennent pas, parce qu’ils sont dans le live streaming, c’est-à-dire dans un flux continu d’informations, dans leurs réseaux sociaux, sur Twitter, Facebook et leurs blogs. Ce qu’ils veulent, c’est partager des expériences.
Si l’exposition a l’intention d’expliquer aux visiteurs ce qu’il faut comprendre de la France de 2025, elle sera « à côté de la plaque ». Elle doit faire en sorte que ces jeunes créent de l’émotion, de l’expérience et du partage. Ils ont des outils pour cela, ils s’en servent déjà tous les jours. Malheureusement, nombre de politiques, d’industriels et de grands universitaires sont encore dans la culture du silo, de l’utilisation d’un logiciel particulier, et ignorent les applications combinées entre elles.
Avec notre humanisme, nous devons retrouver l’esprit des Lumières et de Thomas More. Le Vatican, pour qui seul Dieu avait le droit de donner aux hommes le cahier des charges pour construire leur avenir, a critiqué ceux qu’il considérait comme des « utopistes ». Mais, si vous relisez L’Utopie de Thomas More, vous constaterez qu’il s’agissait d’hommes qui se mettaient ensemble pour « co-construire » leur futur en édictant des lois, des règles qui leur permettaient de vivre ensemble. En ajoutant à l’esprit des Lumières une nouvelle vision de l’utopie, la France sera à même d’apporter cet humanisme qui expliquera au monde que la société collaborative est en marche, qui montrera vers quoi elle conduit, comment elle peut donner du sens à la vie et augmenter la liberté des hommes.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je repensais, en vous écoutant, au parfum, dont l’exposition universelle de 1900 consacra la réussite en réunissant trois acteurs qui n’avaient pas l’habitude de se rencontrer : la parfumerie, la cristallerie et l’artiste qui dessinait le flacon. Jusqu’alors, le parfum était un produit pharmaceutique ou cosmétique, l’artiste n’avait jamais touché à l’industrie et au design, et la cristallerie appartenait à l’univers des arts de la table. La rencontre des trois fit du parfum un nouveau produit, un produit de luxe qui prospérera pendant tout le XXe siècle. L’exposition universelle peut aider à concevoir de telles chaînes collaboratives globales. Mais dans un tel système, monsieur Roucairol, quelle est la place de la technologie ? Est-elle une valeur périphérique ?
M. Gérard Roucairol, président de l’Académie des technologies. L’année 2025 permettrait à l’Académie des technologies de fêter en même temps son vingt-cinquième anniversaire. Elle est en effet née en 2000, longtemps après ses homologues américain, britannique, suédois ou allemand. C’est dire combien peu progressiste est l’approche française à l’égard des technologies ! La création de notre Académie résulte d’ailleurs d’une scission du comité des applications de l’Académie des sciences. Dans la vision qui prévalait auparavant, l’innovation et la technologie procédaient de la science. Pourtant, on construit un pont pour traverser une rivière, pas pour vérifier les lois de la gravité !
La culture française se préoccupe plus du quoi que du comment. Les intellectuels laissent aux technologues le soin de faire, se réservant celui de dire ce qu’il faut faire et de définir les valeurs. Dans les lycées, la filière technologique correspond plus à un choix par l’échec qu’à un choix par l’ambition.
Parmi les événements récents ayant eu des effets négatifs sur l’appréciation que la population porte sur la technologie, je crois aussi que l’affaire du sang contaminé a joué un rôle très défavorable.
Une exposition universelle, on peut l’espérer, contribuera au déblocage de la situation en présentant l’alliance de l’ingénieur, de l’industriel, de l’intellectuel et de l’artiste pour construire quelque chose d’attractif non seulement aux yeux des Français, mais aussi dans le monde entier. Cette fusion me semble primordiale.
Pour en venir à la question posée, permettez-moi de rappeler tout d’abord la devise de l’Académie des technologies : « Pour un progrès raisonné, choisi et partagé. » La technologie ne se résume pas à la technique : elle englobe l’usage que l’on fait de la technique et les choix que celle-ci implique. On ne peut la dissocier de sa dimension culturelle et politique. Notre Académie a d’ailleurs lancé au début de cette année une réflexion sur l’appropriation de la technologie par le plus grand nombre.
Nous coproduisons également, avec la chaîne Arte, une émission entièrement consacrée à la technologie et à l’innovation, donc sans équivalent dans le paysage audiovisuel français. Il s’agit de faire appréhender aux téléspectateurs des sujets tels que les exosquelettes qui rendent aux paraplégiques la faculté de marcher et de courir, les diodes placées à l’arrière de la rétine qui permettent aux aveugles de recouvrer la vue, les moyens d’assainir l’eau là où les infrastructures manquent, l’utilisation de drones pour la surveillance des cultures ou la recherche des personnes qui se sont perdues, etc. L’émission, que le Centre national du cinéma a de manière significative refusé de classer parmi les magazines culturels, est intitulée Future Mag. Elle est diffusée tous les samedis à treize heures quinze sur Arte et est accessible sur internet. La première émission a été regardée par 300 000 téléspectateurs. Sont présentées, je le précise, de réelles innovations technologiques, de celles qui devraient se trouver sur le marché à échéance de trois à cinq ans, et non d’expliquer scientifiquement la nature, comme le font les émissions – trop rares elles aussi – consacrées à la science. Dans cette approche humaniste, il est montré comment tout un chacun bénéficiera de ces innovations.
Pour en venir à ce qui pourrait faire l’objet d’une exposition universelle, je crois, comme les intervenants précédents, qu’il faut distinguer plusieurs types d’innovation.
Le mot renvoie d’abord aux produits de la Silicon Valley. Il est probable que ce modèle industriel d’innovation n’est pas culturellement adapté à la France et à l’Europe. S’il l’était, cela se saurait : voilà quarante ans que nous essayons de le copier sans arriver à rattraper notre retard !
Pour l’Académie des technologies, c’est l’innovation « système », celle qui résulte de l’interconnexion d’agents de différente nature, qui doit être mise en exergue. J’ai pu constater cette évolution en tant qu’informaticien : on est passé de l’usage individuel à l’usage dans l’entreprise, et c’est maintenant la société tout entière qui est utilisatrice du système numérique. L’utilisateur et la société sont, à mes yeux, la grande affaire du XXIe siècle. Pour le coup, cette évolution est compatible avec notre culture, puisqu’elle peut se rattacher, d’une certaine manière, aux grands projets des années 1950-1960. Parmi les principaux enjeux : la réponse au vieillissement de la population par le moyen de la télémédecine et de la prévention, la réalisation d’écoquartiers combinant les énergies produites au niveau local et au niveau national, la construction de bâtiments à énergie positive – qui sera presque devenue la norme dès 2020 –, la question des transports, celle des écosystèmes en général. Dans chacun de ces domaines, les systèmes sont composés d’individus et de dispositifs mécaniques, le tout étant intégré par les technologies de l’information et de la communication.
Cette configuration pose la question de la structure industrielle à venir. L’exposition universelle de 2025 devra être à la fois le reflet de l’industrie à cette date et un tremplin pour l’industrie nationale, qui aura déjà d’autres caractéristiques qu’aujourd’hui.
Dans le contexte de la mondialisation, on assiste à un éclatement des chaînes de valeur. L’intégration verticale des entreprises laisse la place à une « horizontalisation ». À chaque étape émergent des champions dont la rentabilité repose sur des volumes de vente à l’échelle de la planète.
Au bout de la chaîne, toutefois, il faut compter avec l’utilisateur, le client, et s’adapter à ses besoins. Le rôle de l’intégrateur système dans la satisfaction du client devient central. Demain, sans doute, chaque voiture fera l’objet d’un assemblage particulier pour le client qui l’a commandée. Le contact entre l’intégrateur et le client sera la clé de la compétitivité.
Du fait de l’évolution des technologies de l’information et de la communication, la notion de système prend une dimension à la fois sociétale et industrielle. L’industrie devra s’adapter à cette nouvelle donne en se « dés-intégrant » et en s’« horizontalisant », l’interface avec le client final étant appelée à primer sur toutes les autres.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. L’entrée des jeunes dans cet écosystème se traduira en effet par un éclatement des chaînes de valeur industrielles.
J’aimerais que nous approfondissions la question du territoire de projet de l’exposition universelle. Dans la conception du Bureau international des expositions, il ne peut s’agir que d’un enclos de tant d’hectares où l’on visite des pavillons après avoir acheté son billet. Vous prônez les uns et les autres une approche beaucoup plus ouverte et horizontale, qui n’aura pas forcément de traduction architecturale dans un pavillon national comme au XIXe siècle. Comment matérialiser l’innovation, les structures éclatées, les écosystèmes, l’audace créatrice du XXIe siècle ?
M. Joël de Rosnay. Il faut préserver la complémentarité entre les lieux physiques et les lieux virtuels. L’exposition de 2025 doit être à la fois complètement réelle, avec des lieux que l’on visite, des endroits où l’on va, et totalement virtuelle, c’est-à-dire mondiale, sur l’ensemble des réseaux numériques à haut débit et des réseaux sociaux. Si la génération des 18-25 ans n’y contribue pas, ce ne sera pas son exposition. Or cette génération est mondiale. Elle partage des valeurs et des idées communes grâce à son habitude des jeux vidéo, des réseaux sociaux, des sites personnels où les utilisateurs sont exposés en permanences les uns vis-à-vis des autres.
Je veux évoquer à cet égard le projet de « Semaine des musées » sur Twitter que nous lancerons avec la Cité des sciences, la Réunion des musées nationaux, le Grand Palais, le Louvre, la Cité de la musique, le Palais de la Découverte, le Palais de Tokyo, le musée du quai Branly, le musée de l’Orangerie et le musée d’Orsay. Il s’agit d’un événement social medias, global et mutualisé sous l’égide de Twitter France. Chaque jour de la semaine sera consacré à un thème. Le lundi, par exemple, on traitera des coulisses – pour la Cité des sciences, la GTC, ou gestion technique centralisée. L’objectif est de montrer des aspects inconnus du public, mais aussi d’aider les jeunes à créer des schémas ou des petites vidéos qu’ils pourront twitter. L’exposition universelle de 2025 pourrait se relier à ce réseau, où toutes les créations, ne l’oublions pas, sont conservées : grâce à un moteur de recherche, on peut savoir tout ce qui a été dit à tel moment sur tel sujet sur Twitter.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le format de l’exposition de Shanghai était très fermé. Quel pourrait être le territoire de celle de Paris en 2025 ?
M. Marc Giget. La tendance des dernières expositions est à la domination des pavillons nationaux sur les pavillons thématiques. Dans ce contexte, certains pays risquent de s’en tenir à un « service minimum » : le pavillon, construit après lancement d’un concours d’architecture, est un peu vide pour permettre le passage de la foule, il abrite de grands écrans et il est animé de manière « événementielle ». Mais on peut se demander si des personnes habituées à la très haute définition et aux réseaux sociaux auront envie de venir !
Certes, si les États-Unis décident de jouer le jeu et d’exposer ce qu’ils ont de mieux, le public viendra. Il faut cependant que le monde entier soit présent, comme ce fut le cas dans les expositions qui ont été des succès. Utiliser les grands monuments parisiens, dont beaucoup furent construits à l’occasion des expositions universelles, est une bonne idée, mais il faut tenir compte de la force du marquage national : on comparera forcément les pavillons, le nombre de visiteurs, la longueur des files d’attente, etc.
Dans un monde fonctionnant de plus en plus en réseau, il faut aussi déterminer ce que l’on pourra voir et faire dans une exposition. Il est un peu risqué de se contenter de beaux écrans et de maquettes prévisibles. Certes, nous avons des lieux conçus à cet effet – esplanade des Invalides, champ de Mars –, mais Paris accueille déjà 75 millions de touristes par an et une exposition réussie et amortie doit attirer au moins 25 ou 30 millions de visiteurs : ce n’est pas un événement réservé aux « intellos », c’est aussi la fête, la beauté, l’exaltation de voir des choses que l’on ne voit pas ailleurs.
Je n’ai donc pas de réponse immédiate. Je ne peux que mettre en garde contre la dérive des petits pavillons à l’architecture travaillée, mais vides. À Hanovre, les pays invités ont fourni un service minimum et cela a déplu aux Allemands. Il n’y avait rien à voir. Organiser des débats, appuyer sur des touches, cela est déjà largement possible sur le réseau. Les gens ont envie de voir, de toucher, de manger, de faire des expériences inédites. On le voit dans les musées : certains ont vieilli et sont déserts, alors que d’autres, conçus selon de nouveaux formats, attirent un public nombreux.
Bref, ce qui sera difficile, ce ne sera pas tant d’obtenir la venue des pays étrangers que de leur faire donner le meilleur d’eux-mêmes. Beaucoup ne voient dans l’exposition universelle qu’une occasion exceptionnelle pour orienter des flux touristiques. À Shanghai, le pavillon de l’Alsace était presque aussi grand que celui de la France !
Quoi qu’il en soit, une exposition universelle présentera moins d’avions et de satellites qu’au salon du Bourget, moins de produits alimentaires qu’au SIAL, moins d’électronique qu’à Las Vegas ou à Berlin. Il y a des expositions partout. Comment faire rêver le public, sachant que nous sommes en période de crise et que les gens prendront des engagements assez tôt ? Ouvrir de nouveau un pavillon voué à devenir un magasin Decathlon au bout de six mois ne serait pas très glorieux !
Paris se doit de trouver une solution intelligente montrant que nous sommes vraiment ouverts au reste du monde en ces temps de poussées nationalistes. Il est hors de question de faire seulement une fête du made in France : c’est l’engagement des autres qui fait le succès chez soi.
L’immense succès des expositions du passé tient aussi au fait que l’on invitait les pays avec lesquels on était en guerre. Une exposition internationale était un sanctuaire : elle représentait le futur, les temps où l’on en aurait fini avec les conflits. C’est dans ce contexte, d’ailleurs, que la majorité des organisations internationales ont été créées. Une exposition universelle est une grande fête de l’humanité, un rassemblement de la famille humaine autour de ses progrès et de ses projets.
M. Joël de Rosnay. Ce n’est pas l’interactivité, mais l’« intercréativité » qui fera venir les gens physiquement. Même si cela attire encore du public, nous n’en sommes plus à l’expérience « presse-bouton », qui peut se faire largement chez soi. La jeune génération n’a plus envie d’être mise dans des cases. Elle ne souhaite pas que l’on formate ses connaissances en la sollicitant pour visiter une exposition avec un début, des passages obligés, une fin, conçue par des professionnels ou par des professeurs. Les jeunes veulent « co-créer » leur visite, en faire une sorte de Facebook mobile où ils sont en contact avec les leurs, que ce soit le groupe avec lequel ils sont venus ou le groupe créé grâce à un système interactif qui, comme les badges de Davos, indique qui l’on est, ce que l’on veut, qui l’on veut rencontrer, etc. Il s’agit, comme le disait Jeremy Rifkin dans L’Âge de l’accès, d’une culture du partage de l’émotion et de l’expérience. L’important n’est pas de posséder un ticket d’entrée, mais, comme au Club Méditerranée, de partager l’émotion en plus du paysage.
Mme Catherine Quéré. L’exposition de Shanghai a attiré 72 millions de personnes, essentiellement originaires du pays d’accueil. Celle de Hanovre, qui fut un échec, n’a accueilli que 20 millions de visiteurs. Mais n’est-il pas plus attrayant de se rendre à Séville ou à Paris, première destination touristique au monde ?
Pour ce qui est des musées, certaines expositions n’ont jamais attiré autant de monde qu’aujourd’hui, y compris un public jeune.
M. Marc Giget. Le succès des grandes expositions est incontestable. Mais les chiffres de la fréquentation des monuments historiques et des musées montrent que ce n’est pas le cas partout. Lorsque l’on réunit les plus grandes œuvres d’un artiste ou autour d’un thème donné, avec un « événementiel » important, cela marche bien, surtout à Paris. À côté de cela, certains musées et monuments – des châteaux, notamment – n’attirent plus personne. Les enfants s’y ennuient, il n’y a pas grand-chose à y faire. Les formats évoluent. Le musée des Arts et métiers, par exemple, réaménagé à une période de transition, a été déserté au profit de la Cité des sciences et de l’industrie. Le public demande à vivre autre chose que ce qu’il a déjà vécu.
Paris reçoit déjà beaucoup de touristes. Est-ce que ce seront les mêmes qui visiteront l’exposition ? Pour celle de 1900, il aura fallu créer le métro et toutes les grandes gares. Les visiteurs étaient logés jusqu’à Orléans ! Doit-on organiser l’exposition de 2025 en hiver, en décalage par rapport à la période touristique traditionnelle ? Faut-il faire une sorte d’Eurodisney ? Je n’ai pas la réponse…
Mme Catherine Quéré. L’exposition est liée au Grand Paris et à ses soixante-douze nouvelles gares. Comme celle de 1900, elle ne peut se réaliser qu’en relation avec un projet urbanistique et architectural.
M. Marc Giget. Encore faut-il que le Grand Paris soit au rendez-vous en 2025 !
Mme Catherine Quéré. L’exposition peut « booster » le projet.
M. Marc Giget. L’échéance est très proche. Toutes les expositions universelles ont demandé douze à quinze ans de préparation. Mais il est toujours possible de réutiliser ce qui existe.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. C’est un des sujets de notre débat. L’exposition universelle, nous disait un de nos interlocuteurs, peut être le software du Grand Paris. Elle donnerait au projet la chaleur et la profondeur que ne peut lui conférer sa seule dimension fonctionnelle. Avec des monuments anciens ayant déjà servi pour des expositions universelles, avec soixante-douze nouvelles gares, c’est toute une architecture qui nous tend la main. Chacun pourrait s’adosser à l’existant pour aller au-delà de l’architecture et présenter les technologies et l’innovation sans construire de pavillon comme on l’a fait jusqu’à présent.
On invoque les mobilités pour justifier l’unité de lieu. Mais on peut renverser la question et en faire un défi : les mobilités ne doivent pas être subies, mais faire partie de l’expérience proposée par l’exposition, à l’instar des bateaux-mouches de 1867 ou du trottoir roulant de 1900.
M. Gérard Roucairol. Si le thème fédérateur est la préfiguration de la société du XXIe siècle, les solutions devront être hybrides. Pour amener le public dans les systèmes innovants que l’on aura installés, il faudra, comme l’a dit M. de Rosnay, que les visiteurs interagissent et « co-créent » lesdits systèmes. Les technologies viendront de tous les pays, aussi le rôle des intégrateurs industriels sera-t-il essentiel. Il faut placer l’objectif de décloisonnement et d’ouverture sur de nouvelles visions sociétales au cœur du projet. On peut évidemment utiliser les structures existantes…
M. Marc Giget. …ou jouer sur un mélange d’existant et de neuf, car il sera très difficile de rompre avec la tradition des pavillons nationaux. Il ne sera déjà pas facile de faire coopérer les Chinois, les Américains et les Coréens sous la houlette d’un maître d’œuvre français ! Mais on peut mettre en exergue de grands thèmes fédérateurs tels que la santé, les transports, etc.
Je me permets d’insister sur l’importance que la logique nationale a prise dans ce type d’événement. Ce sont d’ailleurs les plus petits pays qui participent le plus, car ils ont besoin d’être visibles et d’exister sur le plan touristique. Les plus grands considèrent souvent qu’ils ont d’autres choses à faire ! J’ignore, d’ailleurs, ce que prévoit la France pour l’exposition de Milan.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Un projet assez classique, avec un pavillon de type « Baltard ».
M. Marc Giget. C’est une architecture qui correspond toujours au mythe que les visiteurs ont en tête. Les choses bien faites sont appelées à durer !
M. Jean-François Lamour. Faire de la notion de créativité partagée le thème central de l’exposition de 2025 me semble une idée puissante, mais éphémère. Quel sera l’héritage une fois les portes refermées ? Le message qui aura été apporté et la créativité qui se sera exprimée sont-ils, à vos yeux, suffisants pour répondre au besoin qui nous conduit à organiser une exposition universelle ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. En d’autres termes, de quoi hérite-t-on dans un monde technologique virtuel ? Tout ce qui est publié sur les réseaux sociaux demeure-t-il comme une sorte de capital de savoir et d’échange ?
M. Joël de Rosnay. Il existe aujourd’hui des outils de création collective assez extraordinaires, qui permettent par exemple de réaliser des scènes de film à partir d’éléments préfabriqués, ou des « jeux sérieux » – serious games – ludo-éducatifs. L’héritage ainsi constitué n’est pas seulement quelque chose qui reste en mémoire : il est construit par des personnes qui apportent chacune leur pierre à l’édifice.
À la Cité des sciences et de l’industrie, nous avons ainsi organisé en juin dernier le forum « Changer d’ère », qui réunissait des jeunes de vingt-cinq ans et des personnalités de plus de soixante-quinze ans telles qu’Edgar Morin, Michel Serres, Henri Atlan, Michel Rocard, avec 50 % d’hommes et 50 % de femmes. L’édition 2014, le 5 juin prochain, rassemblera encore plus de participants et de sponsors. Nous mettrons à la disposition de 400 personnes des outils de visualisation des idées et des images en temps réel qui permettront, ce jour-là, d’écrire collectivement un livre de cinquante à quatre-vingts pages. Cet ouvrage, que Le Monde s’engage à publier, ne s’intitulera ni Manifeste ni Lettre à…, mais Force de proposition.
En 2025, les outils permettant de telles initiatives seront certainement plus nombreux encore.
M. Gérard Roucairol. Si l’exposition permet de réaliser des systèmes bénéficiant de technologies très avancées venant de plusieurs pays, ces systèmes resteront en place puisqu’ils ont vocation à rendre un service innovant à la société parisienne. Un bâtiment à énergie positive, par exemple, ou un système de recharge sans fil de véhicules électriques, ne sont pas destinés à être démantelés : ce seront des vitrines de la société future. Le monument de notre époque, c’est le système qui inclut les personnes.
M. Jean Pisani-Ferry. Nous parlons de deux choses à la fois : de la dimension collaborative et virtuelle offerte aux visiteurs, mais aussi de l’espace physique clos où les pavillons nationaux rivaliseront de visibilité. À échéance de dix ans, on ne peut évidemment exclure que certains pays partenaires aient toujours la volonté d’affirmer leur puissance nationale !
Il y a là, je crois, une forte ambiguïté. Des expositions passées, les Parisiens se rappellent les traces qu’elles ont laissées. Où trouver des hectares pour une exposition future dans une ville où l’espace est rare ? Je doute que l’on envisage de détruire des éléments de notre patrimoine pour faire place nette comme on l’a fait à l’époque ! La question des réseaux de transport se pose également.
Bref, il me semble que l’on raisonne sur deux objets que l’on a du mal à concilier.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Toute la difficulté est en effet d’adapter ce concept d’expériences vécues et de rencontres à la trame un peu vieillotte des expositions universelles. La France a été un des grands acteurs de ces événements au XIXe siècle. L’enjeu du projet actuel n’est-il pas de réinventer un système qui consiste à se rencontrer pour créer du progrès et pour donner du sens à ce progrès, et de s’affranchir du classicisme, voire du conservatisme, qui accompagne les expositions universelles ? Faire la queue pendant des heures devant un pavillon où seule l’industrie locale est présentée n’a plus beaucoup de sens. Est-il possible de réinventer l’ADN des expositions universelles au XXIe siècle et de le mettre en phase avec l’expérience que veulent vivre les jeunes ?
Les étudiants de grandes écoles et d’universités que nous avons sollicités pour travailler sur le projet de 2025 emploient sans arrêt, comme vous, les mots d’« expérience » et de « rencontres ». Le gigantisme des pavillons ne retient pas leur attention, contrairement à la co-construction, à la collaboration ou à la réinvention des chaînes de valeur. Le défi est de faire entrer ces nouvelles valeurs dans une matrice qui reste quelque peu conservatrice. Lors de son audition, le Bureau international des expositions s’est montré très ferme quant au respect de son cahier des charges. Nous ne devons pas nous attendre à un remodelage, d’autant qu’il a déjà opposé un refus à la France pour le projet d’exposition universelle du bicentenaire de la Révolution.
Audition, ouverte à la presse, de Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP)
(Séance du mercredi 9 avril 2014)
M. Jean-Christophe Fromantin, président de la Mission d’information. Nous accueillons Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’ESCP. Docteur en histoire des civilisations occidentales, Mme Pinot de Villechenon a rédigé plusieurs ouvrages sur la question des expositions universelles. Elle participe au projet ExpoFrance 2025 en tant que membre du Comité des Fondateurs, assure la coordination de la coopération académique d’ESCP Europe avec l’Amérique Latine et dirige depuis 2001 le CERALE – Centre d’études et de recherche Amérique Latine Europe. Elle enseigne par ailleurs à l’IHEAL – Institut des Hautes études d’Amérique Latine.
Les expositions universelles ont, depuis le 19ème siècle, contribué au développement économique et au rayonnement international des pays qui les ont accueillies. Dans le contexte actuel, une exposition universelle pourrait-elle produire les mêmes effets ? Avec quelles adaptations ? En bref, la France a-t-elle intérêt à déposer sa candidature pour accueillir l’exposition universelle de 2025 ?
Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’ESCP. Je suis très honorée par votre invitation.
Je vous propose dans un premier temps d’examiner sous un angle diachronique la façon dont les éléments intrinsèques des expositions universelles se sont mis en place. Ensuite je vous dirai quel sens aurait pour moi la tenue d’une exposition universelle en 2025, près de deux siècles après la première exposition.
En anglais, on emploie pour désigner l’exposition universelle le terme de fair. Les foires apparaissent dans l’histoire des civilisations dès l’Antiquité. Elles étaient alors souvent liées à un sanctuaire, un lieu sacré ou à une période précise de l’année et donnaient lieu à des échanges marchands. Par la suite se sont tenues les grandes foires du Moyen Age à Provins, à Francfort, mais aussi dans les Flandres, la Champagne, en Espagne et en Italie, au cours desquelles les marchands – tisserands, orfèvres – réalisaient des ventes directes. Mais ces rassemblements avaient pour but de faire se rencontrer l’offre et la demande et nullement de présenter les outils de production.
Avant la première exposition universelle proprement dite, qui s’est tenue au milieu du 19ème siècle, il y a 163 ans, une première exposition avait été organisée en 1699 dans la Grande galerie du Louvre pour présenter des machines, à la demande des membres de l’Académie des Sciences, aux côtés des peintures et des sculptures chères au Roi Soleil.
Il faudra ensuite attendre un siècle avant qu’un certain François de Neufchâteau, ministre du Directoire, s’inspirant d’une exposition industrielle qui s’était tenue à Prague quelques années auparavant, décide en 1798 de fêter l’anniversaire de la République en inaugurant au Champ-de-Mars la première d’une série de 11 expositions nommées « Expositions publiques des produits de l’industrie française ».
Ces expositions, dont la dernière aura lieu en 1849, avaient pour but de mettre en avant le savoir-faire de l’industrie française en essayant de rattraper le niveau des Britanniques, qui détenaient le leadership en la matière, et préfigurent, selon moi, les expositions universelles telles que nous les avons connues par la suite.
Les années 1850 sont marquées par l’essor industriel, le culte du progrès, la prééminence du modèle capitaliste, le développement des banques, l’apparition du rail et de la machine à vapeur, la production à grande échelle, la conquête des campagnes. Sur ce mouvement capitaliste se greffe une démarche de vulgarisation scientifique et d’éducation des peuples sous l’influence des Lumières, du Saint-Simonisme et du positivisme d’Auguste Comte.
C’est dans ce contexte que les Anglais tirent les premiers en organisant à Londres en 1851 la première exposition universelle. Cette initiative, placée sous le parrainage de la reine Victoria et du prince Albert, a donné naissance au musée londonien des arts décoratifs Victoria and Albert Museum.
La lutte entre les Anglais et les Français a commencé, ce qui a amené les Français à organiser en 1855 l’exposition universelle de Paris.
Nous retrouvons dans les expositions universelles une dimension « Olympiades du progrès », « arènes industrielles ». Ces termes ne recouvrent aucune agressivité mais témoignent de l’esprit de compétition qui règne entre les pays.
Il s’agit d’expositions universelles car tous les pays sont invités à présenter tout ce que peut réaliser le génie humain. Elles sont également internationales puisque toutes les Nations y sont invitées, même pour illustrer un thème restreint.
Cet étalage d’innovations aiguise le sens de l’émulation. En 1855, à Paris, la liste des médailles était devenue tellement longue que les organisateurs ont été amenés à classer l’ensemble des disciplines et à récompenser uniquement les meilleurs.
Une exposition universelle est souvent placée sous le signe de l’hyperbole. Il s’agit de présenter la plus grande pièce de chocolat jamais confectionnée, la plus grande réalisation en fer forgé jamais sculptée, la plus grande glace de Saint-Gobain…
Voilà pour la mission pédagogique dévolue aux expositions universelles, sous l’influence des Lumières et de l’Encyclopédie. Selon Diderot, il convenait de « dresser un tableau général des efforts de l’esprit humain ». Cette démarche, qui consiste à mettre à la portée des masses la vision des élites, engendrera le suffrage universel et légitimera la colonisation.
Le duel franco-britannique cessera rapidement puisque les Anglais n’organiseront que deux expositions, en 1851 et 1862. Quant aux Français, ils accueilleront cinq expositions qui se tiendront tous les 11 ans : en 1855, 1867, 1878, 1889 et 1900, ce qui fait de Paris la ville qui a cumulé le plus grand nombre d’expositions universelles. Bruxelles, San Francisco ou New York n’en ont pas accueilli plus de deux.
Le concept est vite adopté par les autres pays et de nombreuses villes organisent une exposition universelle. Cette multiplication des expositions, qui nuit à l’intérêt de chacune d’entre elles, aboutit à la signature de la Convention de 1928 et à la mise en place du Bureau international des expositions qui limitera la fréquence des expositions et fixera à cinq ans l’intervalle entre chaque exposition.
L’exposition de 1900, qui a lieu à Paris, réunit 50 millions de visiteurs, dont un grand nombre de visiteurs étrangers. C’est un chiffre incroyable que peu d’expositions atteindront par la suite.
Mais au tournant du siècle, la mystique du progrès et la foi inébranlable dans le progrès commencent à s’effriter. On prend du recul, on s’interroge sur le bien-fondé de la démarche, mais le camp des sceptiques n’est pas suffisamment puissant pour enterrer le concept d’exposition universelle.
Jusqu’en 1930, les expositions présentent des salles des machines en fonctionnement. Quant à la notion de fête, elle apparaît dès 1900 car on s’aperçoit que les expositions trop austères n’attirent pas le public. Or les expositions françaises bénéficient de subventions de l’État. Il convient d’équilibrer les comptes et pour cela il faut vendre le plus grand nombre de billets possible pour ne pas reproduire l’exemple de l’exposition de 1878 qui fut tellement austère qu’elle se solda par un fiasco total pour les finances de la ville et de l’État.
La première exposition qui a manifestement une dimension festive est celle de 1889, liée au Centenaire de la Révolution française, et cela grâce à l’arrivée de l’électricité qui a permis d’ouvrir l’exposition au public jusqu’à 23 heures.
Les expositions universelles sont en outre de vastes opérations de relations internationales et de promotion de la culture du soft power développée il y a moins de 20 ans par le professeur américain Joseph Nye. Ce « pouvoir doux » prend tout son sens pour un pays qui entend conserver des relations pacifiques avec ses voisins, entretenir son rayonnement et distiller une certaine influence sur la planète. Les expositions universelles ont largement contribué à l’émergence de ce pouvoir. Ainsi, lors de l’exposition de Séville en 1992, trois ans après la chute du Mur de Berlin, le pavillon de l’URSS a été rebaptisé pavillon de la Russie et les pavillons de l’Allemagne fédérale et de l’Allemagne démocratique ont été rapprochés.
L’exposition universelle de 1900 marque donc un tournant. La mystique du progrès s’effrite et l’on voit disparaître peu à peu les salles des machines. Les organisateurs, embarrassés devant l’ambition prétendue des expositions de cerner exhaustivement tout ce qu’est capable de produire le génie humain, décident de présenter des idées plutôt que des machines, ce qui favorise l’émergence de quelques thèmes. La première exposition mettant en avant un thème précis fut celle de Bruxelles en 1935, suivie de celle de New York en 1939. L’exposition qui s’est tenue à Paris en 1937 à Paris était spécifiquement dédiée aux arts et techniques de la vie moderne.
Après la deuxième guerre mondiale, il faudra attendre 1958 pour qu’ait lieu l’exposition de Bruxelles, avant celle de Montréal en 1967, celle d’Osaka en 1970 et, bien plus tard, celle de Séville en 1992.
En 1989, une exposition a été envisagée à Paris dans le cadre de la commémoration du bicentenaire de la Révolution française. Mais à la suite d’un désaccord entre François Mitterrand, chef de l’État, et Jacques Chirac, maire de Paris, opposé à la construction d’une dalle géante au-dessus des boulevards extérieurs et du périphérique, l’exposition n’a pas eu lieu.
Par la suite, la ville de Venise a également envisagé une exposition, mais celle-ci fut totalement rejetée par les Vénitiens.
Les expositions suivantes se sont tenues à Hanovre en 2000 puis à Shanghai en 2010. Les prochaines auront lieu à Milan en 2015, à Dubaï en 2020 et, je l’espère, à Paris en 2025.
La dématérialisation des expositions va de pair avec la mutation de notre appareil productif, qui est de moins en moins industriel.
Une autre tendance se fait jour. Après les grandes halles industrielles, nous voyons surgir dès 1878 des pavillons individuels, ce qui permet à chaque État de mettre en avant ses propres productions. Pédagogie oblige, les éléments présentés sont classés. Le sociologue Frédéric Le Play, afin d’améliorer la compréhension des visiteurs, conçoit un immense bâtiment en forme d’ellipse dont chaque rayon est dédié à un pays, chaque circonférence correspondant à un thème.
J’en viens aux différents éléments plaidant en faveur de l’organisation d’une exposition universelle.
Tout d’abord, les expositions universelles sont un moteur, un élan qui stimule l’émulation et produit d’innombrables innovations. Elles ont un effet de catalyseur. Quelques exemples : les fontaines lumineuses, qui ont été présentées à Barcelone en 1888 ; les jeux d’eau sonores, nés à Paris en 1937 ; l’associationnisme ouvrier, qui a vu le jour à Londres en 1862 ; l’orientalisme, apparu à Paris en 1855 ; c’est en 1867 que les premiers bateaux bus ont navigué sur la Seine pour fluidifier le déplacement des visiteurs, sans oublier le métro parisien dont les travaux ont été accélérés à la suite du chaos qui s’est produit lors de l’exposition de 1889.
C’est aux expositions universelles que nous devons en grande partie les arts décoratifs – car ils se trouvent au carrefour des arts et des techniques. Ainsi les premiers papiers peints ont été présentés au public en 1855, pour la plus grande satisfaction d’une bourgeoisie en demande de confort et de décoration. En 1900, le fameux pavillon de Siegfried Bing inaugurait l’art nouveau et c’est à Philadelphie qu’a été présentée pour la première fois l’armoire lit. Les habitations à bas coût ont été imaginées lors des expositions universelles et les premiers logements sociaux ont été présentés à Montréal en 1967 à travers le fameux quartier « Habitat 67 ».
En plus de leur effet catalyseur, les expositions ont une dimension pédagogique. Comme le soulignait Régis Debray à Séville en 1992, elles ont « un peu de Disneyland et un peu de Diderot ».
Le concept de congrès est également né dans le cadre des expositions universelles. Le Congrès international de la propriété industrielle, le Congrès de la propriété littéraire et artistique ainsi que l’Union postale universelle ont été inaugurés à Paris dans le cadre de l’exposition de 1867.
Par ailleurs, les expositions ont un impact sur les démarches normatives. Or dans un contexte de soft power et de guerre économique, les pays qui arrivent à imposer des normes sont les mieux placés dans la bataille économique.
L’exposition universelle représente en outre un véritable élan.
La mise en place d’une exposition et les traces qu’elle laissera constituent une énorme machine derrière laquelle il y a des personnes. L’exposition de Philadelphie, à la fin du 19ème siècle, a été voulue par un professeur de l’Indiana. San Francisco a connu deux expositions universelles, dont celle de 1894. Celle-ci, peu connue, est née de l’initiative d’un homme de presse qui tenait un stand lors de l’exposition organisée à Chicago l’année précédente, en 1893, pour célébrer le quatrième centenaire de la « découverte » de l’Amérique. Quant à l’exposition de Séville, on peut la rattacher aux figures de Felipe Gonzàlez, qui fut le premier chef de gouvernement de gauche dans une Espagne sortant de la dictature franquiste, et du roi d’Espagne qui invita les Nations des Amériques à participer au cinquième centenaire de la « découverte » de l’Amérique. À Montréal, c’est le maire de la ville, Jean Drapeau, qui a eu une influence capitale sur la tenue de l’exposition de 1967. Enfin, Marcel Dassault fut l’initiateur de l’exposition qui devait se tenir à Paris en 1989.
Les expositions universelles sont des lieux de fête. Je citerai en particulier la rue du Caire et la rue des Nations en 1900 à Paris, Midway Plaisance à Chicago en 1893, la Ronde à Montréal.
Elles sont aussi un moyen de promouvoir l’innovation : le téléphone, le phonographe, l’électricité, la télévision – dont nous voyons les premiers prototypes à New York en 1939 – les applications du laser, l’automobile, comme en témoigne la présence de Benz, Fiat, Renault, Peugeot et Ford à Paris en 1900.
À quel moment les entreprises sont-elles intervenues ? Cette question m’amène à évoquer notre modèle économique. En France, les expositions, cautionnées par le Gouvernement qui les subventionne, ont toujours été une affaire d’État. Les Britanniques n’ont pas suivi ce modèle. Quant aux États-Unis, ils privilégient la participation privée. À ma connaissance, la réticence dont ils ont fait preuve pour ratifier la Convention tient au fait qu’elle obligeait l’État d’accueil à apporter sa caution à la tenue d’une exposition. Nous, nous considérons que la caution de l’Etat apporte une garantie quant à l’organisation effective de l’exposition.
Les expositions faisant une place prépondérante aux techniques, on y retrouve les grands noms de nos savoir-faire, de Krupp à Peugeot en passant par Baccarat. Mais la participation des entreprises au sein de leur propre pavillon et la pratique du mécénat ne datent que de la deuxième moitié du 20ème siècle. Le même phénomène s’est d’ailleurs produit pour les jeux Olympiques.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie pour ce voyage dans le temps.
Mme Catherine Quéré. Vous dites, madame, que la prise en charge par l’État des expositions universelles est un phénomène français. Je m’étonne que des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne ne fassent pas de même puisque toutes les expositions universelles qui se sont tenues en France ont apporté leur lot d’innovations – métro, Tour Effet, Trocadéro – qui n’auraient jamais été réalisées par des entreprises privées.
Mme Florence Pinot de Villechenon. La Grande-Bretagne n’a organisé que deux expositions et les États-Unis guère plus. Votre question m’amène à différencier les investissements réalisés sur le site et les investissements qui vont au-delà. L’exposition universelle est un formidable accélérateur pour des équipements qui, de toute façon, devaient voir le jour. Les entreprises privées prennent souvent en charge l’aménagement du site, qui, aux États-Unis, peut atteindre 500 hectares, mais elles n’engagent jamais les investissements auxquels vous faites allusion, qui, eux, sont naturellement assumés par les finances publiques.
Mme Catherine Quéré. L’État américain a-t-il réalisé des constructions pérennes autour des sites des expositions ?
Mme Florence Pinot de Villechenon. Pas à ma connaissance. Il n’existe pas, à New York, Chicago, San Francisco ou Philadelphie, d’équipements associés aux expositions.
M. Yves Albarello. La question qui me taraude est notre capacité à mobiliser des financements. Dans quelques années sera réalisé le Grand Paris Express, dont les travaux devraient commencer en 2015, pour un investissement de plus de 35 milliards d’euros. Compte tenu des difficultés budgétaires auxquelles nous sommes confrontés, ce sera très compliqué. Notre volonté d’organiser une exposition universelle, ce dont tout le monde au demeurant se félicite, sera-t-elle suffisante pour mobiliser les financements nécessaires ?
Mme Florence Pinot de Villechenon. Votre question est légitime. Beaucoup de nos concitoyens, lorsque nous évoquons l’organisation d’une exposition universelle, nous demandent si nous n’avons pas de problèmes plus importants à régler…
Il n’est pas question d’abandonner le projet de Grand Paris car cela nous exclurait de la compétition. Il est clair que nous ne pouvons pas conserver notre réseau actuel. L’exposition doit faire partie d’un grand projet d’aménagement d’infrastructures pour devenir non pas un frein mais un accélérateur. Ainsi l’exposition de Séville était constitutive d’un plan plus vaste visant à désenclaver l’Andalousie.
Il faut préparer l’exposition très en amont, et c’est ce que nous faisons, et l’intégrer à un plan ambitieux de réaménagement du territoire. Les expositions universelles ont toutes imposé des opérations de chirurgie urbaine et la construction de nouvelles infrastructures.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Jusqu’où peut aller la dématérialisation d’une exposition universelle ? Quelle importance aura le numérique pour les expositions universelles au 21ème siècle ? Remettra-t-il en cause l’architecture et les formes habituelles d’expression ? Nous oblige-t-il à repenser le concept même de l’exposition et la manière dont nous la mettons en scène ?
Mme Florence Pinot de Villechenon. En d’autres termes, quelle est l’utilité d’une exposition universelle à l’heure où nous avons accès au savoir en deux clics sur une tablette ? C’est une question que certains se posaient déjà en 1900 devant l’essor des grands magasins parisiens et la multitude des produits qu’ils proposaient.
Le numérique acquiert son droit de cité à Osaka en 1970 mais plus encore à Séville en 1992. Aujourd’hui il est omniprésent. Nul doute qu’il façonne différemment le concept d’exposition. Jusqu’en 1910, le pavillon qui représentait la France à l’étranger était la réplique de Trianon, jusqu’à ce que, dans les années 1930, on décide qu’il doit en être autrement. Depuis nous privilégions des architectures novatrices, allant jusqu’à faire appel à des architectes comme Le Corbusier ou Niemeyer.
Le numérique peut certainement permettre certaines audaces, en particulier dans les domaines de l’animation – il permet de représenter l’histoire d’une cathédrale simplement en projetant des éclairages sur ses façades.
Nous pourrions sans doute imaginer une exposition universelle géante sur Facebook, consultable sur une tablette, mais nous ne ferons jamais l’économie d’un rassemblement de personnes au sein d’un lieu physique qui fait de l’exposition universelle un fabuleux vecteur de communication pour les villes d’accueil, les pays participants, les entreprises et les organisations internationales qui y installent leur pavillon. À l’instar de la tragédie grecque, l’exposition universelle répond à une unité de lieu, de temps et de thème. Le choix de celui-ci est capital : il doit être porteur et recueillir une audience élargie pour intéresser l’ensemble du territoire.
Le numérique a toute sa place, mais nous devons rester fidèles au code génétique de l’exposition universelle.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. S’agissant du concept de territoire, qui nous préoccupe, deux écoles s’affrontent. Les uns préconisent un site unique et vierge de toute construction afin de laisser chaque pays participant s’exprimer – ce qu’ont fait les Chinois en 2010 et ce que prévoient les Italiens pour l’exposition de 2015 ; les autres préfèrent utiliser l’existant et insérer l’exposition dans la ville en utilisant le numérique pour revisiter les monuments. Il existe une solution intermédiaire, prônée par le secrétaire général du BIE, qui consiste à placer le cœur du projet au centre de Paris tout en développant des satellites sur le territoire du Grand Paris et dans les métropoles régionales. Qu’en pensez-vous ?
Mme Florence Pinot de Villechenon. Les expositions universelles sont toujours rattachées à une ville, même si ce sont les États qui invitent les participants. Les territoires sont également présents, surtout depuis les années 1950. Mais Paris, qui reste la première destination touristique au monde, constitue pour notre pays un atout phénoménal, même si, s’agissant de la façon dont nous accueillons les touristes, nous ne sommes que cinquièmes. Il ne faudrait pas que cette brèche s’élargisse.
Nous n’avons pas besoin, selon moi, d’aller chercher 120 ou 200 hectares de l’autre côté du périphérique ou à Marne-la-Vallée. La ville de Paris a toujours été un moteur en matière d’expositions universelles. Y situer la prochaine exposition renouerait avec une tradition, d’autant que le numérique nous permettrait de rendre cette opération de chirurgie urbaine la moins traumatisante possible. Nous devons conserver l’atout « capitale », tout en transportant l’exposition dans nos provinces et en attirant à Paris les métropoles régionales. Mais tout cela nécessite l’appui de la population.
M. Yves Albarello. Je m’associe aux propos du président et je suis d’accord avec vous, madame, sur la nécessité de situer l’exposition à Paris, comme le prouvent les exemples de Lisbonne, Shanghai et Milan, et cela d’autant que Paris fait toujours rêver le monde entier.
En revanche, nous avons les lacunes. Comme souvent, nous nous contentons du résultat sans regarder au-delà et sans anticiper ce que feront les autres. Or l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, qui draine 70 millions de passagers par an et sera dans quelques années le premier aéroport européen, n’est pas encore relié à la capitale par un moyen de transport direct. Si nous voulons que Paris accueille une exposition universelle, il est impératif de permettre aux visiteurs de s’y rendre sans les obliger à prendre le RER B ou une autoroute saturée ! Je rappelle que l’exposition de Paris en 1900 est associée à la naissance du métropolitain : nous avons la chance extraordinaire de pouvoir rattacher l’exposition universelle de 2025 au Grand Paris Express, faisons-le ! L’exposition de 1900 a attiré 50 millions de visiteurs à Paris alors que les moyens de communications étaient quasiment inexistants – en comparaison, celle de Shanghai, en 2010, n’a attiré que 70 millions de personnes. Si Paris, capitale de la gastronomie, de la mode, de la culture, parvient à accueillir l’exposition en 2015, il faut préparer la ville à recevoir le monde entier.
Mme Florence Pinot de Villechenon. Les expositions universelles nous lancent des défis auxquels il nous appartient de répondre. Savez-vous que Thomas Cook, à l’occasion de la première exposition de Londres, a beaucoup contribué au développement du transport des populations ouvrières ?
Le projet d’une exposition universelle à Paris se trouve à la conjonction de plusieurs rêves. Paris fait rêver les Latino-américains, en particulier les Brésiliens, mais également les Chinois, les Coréens, les Cheiks arabes… L’exposition nous donnerait l’occasion de réincarner ce rêve, de faire rêver les jeunes, de rêver nous-mêmes, et de réfléchir à la façon dont nous nous percevons et dont nous perçoivent les autres pays. L’analyse de ces regards croisés est un sujet passionnant, une aventure superbe et un défi très stimulant pour un directeur d’exposition…
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Dans le contexte que nous connaissons, face aux défis, aux enjeux, aux forces en présence et à la mondialisation, la France a-t-elle intérêt à organiser une exposition universelle ou à accueillir les jeux Olympiques ? Quels sont les atouts de l’exposition universelle ?
Mme Florence Pinot de Villechenon. Vous pouvez ajouter la Coupe du monde de football qui, comme l’exposition et les jeux Olympiques, est une joute pacifique qui fait appel au désir de se surpasser. Mais les jeux Olympiques, tout comme le Mondial de football, n’exigent que des compétences sportives et ne délivrent pas de message. Et même si près d’un milliard de téléspectateurs en suivent le déroulement, ils s’adressent essentiellement aux amateurs des disciplines sportives qui y sont représentées.
L’exposition universelle, elle, a une mission pédagogique, ne serait-ce que par le choix de son thème. En outre, c’est un projet infiniment plus structurant puisqu’il met en musique un thème et que l’unité de temps propre à la tragédie grecque est respectée, et cela pour une durée de six mois. La cible des expositions universelles est infiniment plus large que celle des événements sportifs.
Pour ce qui est du développement des infrastructures, en particulier des aéroports, il concerne toutes les manifestations.
Mme Catherine Quéré. Le retour sur investissements est certainement moins évident pour les jeux Olympiques car ils nécessitent des équipements sportifs qui ne seront utilisés que durant deux semaines, tandis que l’exposition, elle, dure six mois.
Mme Florence Pinot de Villechenon. Je ne suis pas spécialiste en la matière, mais il est clair que les infrastructures nécessaires aux jeux Olympiques ou au Mondial de football sont très spécifiques et sont difficiles à réutiliser par la suite.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Les pays qui posent leur candidature pour accueillir des jeux Olympiques sont souvent ceux qui mènent une politique publique de développement des infrastructures sportives et de mobilisation de la population vers la pratique du sport. Ce n’est pas la priorité de la France.
En revanche, depuis quelques années, tous les gouvernements ont la volonté d’améliorer l’innovation, la compétitivité, le rayonnement de la France, et de favoriser les mobilités. Une exposition universelle pourrait être un aboutissement ou l’une des étapes d’une grande politique publique de l’emploi et du progrès qui fait l’objet d’un consensus, même si les moyens d’y parvenir sont différents. Ce n’est pas le cas des jeux Olympiques, qui ne sont qu’un événement ponctuel. Cet argument donne du sens à notre candidature.
Mme Florence Pinot de Villechenon. En effet. La compétitivité et l’innovation sont des thèmes omniprésents dans les écoles de management. Or l’innovation est intrinsèquement liée aux expositions universelles. Quel gouvernement soutiendrait qu’il ne veut pas s’en occuper prioritairement ? Aucun.
Les expositions universelles stimulent l’audace et l’élan. Ce sont des mots magnifiques. Permettez-moi de vous citer Virgile qui, dans le chant X de l’Énéide, dit que « La fortune aide les audacieux ».
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie.
Présentation, ouverte à la presse, des travaux réalisés par des étudiants de Sciences Po Paris et du Centre Michel Serres, suivie d’un débat
(Séance du jeudi 10 avril 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui des élèves de Sciences Po Paris et du Centre Michel Serres, qui vont nous présenter leur projet pour la candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025.
Présentation d’un « power point » par des élèves de Sciences Po Paris.
Mlle Josepha Degosse. Bonjour mesdames, bonjour messieurs, bienvenue en 2025. Vous êtes arrivés à l’exposition universelle française, mais attention, cette exposition n’est pas comme les autres !
Vous n’êtes pas de simples visiteurs, vous êtes des participants. Il ne s’agit pas d’une exposition à proprement parler, mais d’une vraie expérience. Celle-ci n’est pas organisée en un site unique – avec différentes indications du type « sens de la visite », « attention, pas de flash », etc. –, elle est organisée en réseau.
Préparez-vous, grâce à votre implication active, à une expérience qui vous emmène en France, se poursuit dans les transports du Grand Paris, et s’invite même chez vous.
Les États, régions et toutes sortes d’organisations non étatiques vous proposent d’accéder aux nouvelles innovations grâce à des expériences interactives et multi sensorielles. Saviez-vous que le toucher est un sens fondamental à l’expérience culinaire et que la transmission d’odeurs permet de rendre plus réaliste une communication à distance ? Les différents ateliers présents dans les pavillons vont vous le faire découvrir…
Préparez-vous aussi à rencontrer des personnes, qui ont les mêmes centres d’intérêt que vous, pour des relations amicales ou professionnelles, grâce à l’ « Expo up ». Cette application, disponible sur smartphone et tablette, connectera tous les lieux et tous les participants entre eux.
Préparez-vous, enfin, à voyager. Si l’exposition a sa porte d’entrée dans le Grand Paris, elle est aussi reliée à des événements dans des régions de France, en Europe, voire sur les cinq continents et même dans l’espace.
En nous appuyant sur ces idées novatrices, mais aussi sur l’héritage des expositions universelles depuis 1851 – dont vous voyez à l’écran les différents thèmes –, nous vous proposons le thème « Tant de vie(s). Une nature ». Il s’agit de la traduction de notre thème original « Many lives. One nature », puisque nous avons travaillé entièrement en anglais avec une équipe d’étudiants internationaux.
« Tant de vie(s) », tout d’abord, fait référence à l’ensemble des activités que nous pratiquons tous – activités culinaires, habillement, communication, expériences scientifiques, sportives, culturelles, etc. –, mais que, du fait de nos différences individuelles et sociales, nous exerçons différemment. Nous avons classé ces activités en sept groupes : arts vivants et cinéma ; sports et loisirs ; beaux-arts ; sciences et éducation ; cuisines et agriculture ; nature et biodiversité ; modes et habillement.
Malgré cette diversité, nous partageons tous une seule et même nature. D’où la seconde partie de notre thème, « Une nature ». Une seule nature, un seul environnement où nous vivons tous et que nous devrons apprendre à respecter. Cette nature commune nous pousse à coopérer et à interagir pour résoudre les problèmes communs à l’Humanité, lesquels seront exacerbés en 2025 du fait de l’augmentation exponentielle des échanges et de la dissolution des frontières.
Cette interconnexion n’apporte pas seulement des problèmes, elle offre aussi de formidables opportunités, comme celle – pourquoi pas ? – d’inviter le monde entier en France autour d’une volonté commune d’éclairer l’avenir de l’Humanité. Belle perspective !
Nous représentons notre thème dans notre logo par l’ADN, cette matrice de la nature humaine et de sa diversité. Pour nous, les différences ne sont pas des clivages qui doivent nous diviser, elles sont des richesses à valoriser.
À nos yeux, ce thème est capable de convaincre les décideurs français et les membres du Bureau international des expositions (BIE), mais aussi et surtout les Français qui aspirent à dépasser ce climat de morosité ambiante que l’on tente de leur imposer.
Nous vous invitons donc aujourd’hui à vous engager avec nous – et pour la France – dans une nouvelle dynamique autour de ce projet.
Voyons maintenant comment nous l’avons organisé.
M. Aloïs Kirner. « Many lives. One nature », « Tant de vie(s). Une nature ». Comment ce thème se traduit-il sur le terrain ?
En 2025, nous serons un village global. Nous aurons conscience de l’existence de nos similitudes et de nos différences, nous ferons tous les mêmes choses, mais différemment. Telle est la philosophie de notre thème.
Ce village global se décline en sept villages, qui incarnent sept facettes de l’Humanité. Cette liste, sur laquelle nous avons travaillé depuis le début du projet, est légitime bien qu’améliorable. Notre terrain de jeu, c’est la France et, avant tout, le Grand Paris.
Le Grand Paris et la plupart des infrastructures seront réalisés d’ici à 2020-2030 ; l’exposition universelle aura lieu en 2025. Nous cherchons donc à tirer parti de ces horizons temporels communs pour mettre en commun les moyens, les ressources, mais aussi les objectifs. C’était donc pour nous une évidence de travailler sur la base du Grand Paris.
Tout autour du Grand Paris, chacun des sept sites se spécialise déjà dans le thème que nous voulons lui attribuer. Nous réfutons l’idée selon laquelle l’exposition universelle serait une cité éphémère. Dans notre projet, chaque village a déjà une histoire, une spécialité au regard du thème que nous lui attribuons. Pendant six mois, il aura un présent et, après l’exposition universelle, un futur.
Nous installerons le village des « arts vivants et du cinéma » à Saint-Denis – où Luc Besson a ouvert sa cité du cinéma. Le village « sports et loisirs » s’installera à L’île de Puteaux, à proximité du Bois de Boulogne et de grandes installations sportives. Versailles – patrimoine majeur, où les touristes auront à cœur de se rendre à leur arrivée en France – accueillera le village des « beaux-arts ». Le plateau de Saclay sera dédié aux « sciences et à l’éducation ». Rungis, le marché de gros le plus important au monde, accueillera les « cuisines et l’agriculture» du monde. Le Bois de Vincennes sera consacré à la « nature et à la biodiversité ». Enfin, le projet immobilier Europa City, qui va émerger d’ici à 2020 au nord de Paris, sera consacré aux « modes et à l’habillement» du monde.
Parallèlement à ces sept villages, qui constitueront une toile autour de Paris, il y aura un huitième point géographique : le centre-ville. L’expérience de l’exposition débutera véritablement au centre de Paris, où sept monuments historiques donneront chacun un avant-goût de ce que vous pourrez découvrir à l’extérieur de Paris.
Cette approche crée des liens. Elle crée un lien entre le centre-ville et la banlieue. Le Grand Palais, par exemple, qui pourra accueillera le village « cuisines et agriculture », sera lié d’une manière thématique au Bois de Vincennes. Cette approche créera également un lien entre héritage et innovation. À cet égard, nous voulons reprendre la belle idée d’ExpoFrance, celle d’offrir aux nations participantes la possibilité d’investir le patrimoine de la ville, de s’approprier un monument. Nous pourrions, par exemple, mettre à l’honneur les pays d’Amazonie pour obtenir une superbe Tour Eiffel végétale !
Le plateau de Saclay, qui accueillera le village des sciences et de l’éducation, est un des sites clés du Grand Paris. Il est en passe de devenir une « Silicon Valley à l’européenne », avec 3 milliards d’investissements publics dans le futur proche et 50 kilomètres carrés de terrains disponibles. Il est donc tout à fait réaliste de l’intégrer au projet d’exposition universelle. Ce faisant, nous donnerions la possibilité aux nations participantes d’y exposer un de leurs pavillons pour faire valoir leurs travaux dans les domaines de la recherche, des sciences et de l’éducation. Nous donnerions également la possibilité aux acteurs non étatiques – ONG, grandes entreprises, institutions universitaires, centres de recherche – de présenter un pavillon, sachant qu’en 2025 ils seront, plus encore qu’aujourd’hui, des contributeurs majeurs de la recherche et de la science au niveau mondial.
Ainsi, nous pourrons visiter des pavillons appartenant aux nations désireuses de mettre en valeur leurs travaux scientifiques, par exemple, mais aussi des pavillons des Arts et métiers, de Sciences Po, d’Harvard, etc.
Vous l’avez compris, notre projet prévoit une articulation entre plusieurs sites autour de Paris. Mais qui dit plusieurs sites, dit déplacement d’un site à l’autre. C’est pourquoi, dans notre projet, les transports constituent un élément crucial.
D’abord, les transports seront innovants. L’exposition universelle est l’occasion de mettre en valeur les technologies innovantes. La France est à la pointe du progrès en matière de transports : elle pourra mettre en avant ce formidable atout.
Ensuite, les transports seront une expérience intégrée. Prendre le métro du Grand Paris pour vous déplacer d’un village à un autre vous permettra de voyager, de découvrir, d’être surpris… Comme vous le savez, le RER C, ligne qui dessert Versailles, a été entièrement décoré de reproductions de Versailles, notamment des magnifiques peintures de Le Brun. Cette idée nous a inspirés pour faire des transports un prolongement de l’expérience de l’exposition universelle.
Les transports seront également un moment social. Ils sont l’endroit où l’on est en contact avec le plus de personnes dans la journée, mais aussi où l’on est le plus anonyme. Nous cherchons à mettre fin à ce paradoxe, notamment grâce à l’« Expo up ». Une application sur votre smartphone vous permettra de vous connecter, par exemple dans les transports, avec les participants qui ont les mêmes centres d’intérêt que vous.
Enfin, les transports seront une expérience surprenante. L’exposition universelle est une fête où les gens s’amusent, elle doit donc surprendre. Lors de l’exposition universelle de 1900 à Paris, les Parisiens et les étrangers furent surpris, ravis, fascinés… de voir un trottoir roulant ! C’est un peu ce genre de sensation qu’il faudrait reproduire.
Dans notre projet, l’exposition universelle sera une offre de pavillons sur-mesure. Cet élément est fondamental.
Dubaï a remporté l’organisation de l’exposition universelle de 2020 parce qu’elle a déroulé le tapis rouge à toutes les nations participantes, en leur offrant un choix de pavillons sur-mesure, à la carte. Nous voulons mettre en place la même chose : offrir à chaque nation participante la possibilité de s’installer dans le pavillon qu’elle souhaite, comme elle l’entend. Les maîtres mots seront « modularité » et « liberté ». Grâce à une offre à la fois modulable et flexible, les pavillons pourront être physiques, virtuels, pérennes, temporaires, conservés ou démontés après l’exposition. Souvenez-vous : après l’exposition de Lisbonne en 1998, certains pavillons ont été conservés, déplacés et réutilisés, comme le pavillon de l’eau, devenu quinze ans plus tard un gymnase dans un parc en banlieue.
Ainsi, l’exposition universelle n’est pas une fin en soi. Elle permet, pendant six mois, de mettre à l’honneur le patrimoine existant, de créer des liens entre héritage architectural et innovation, mais aussi de proposer de nouvelles pistes. Notre philosophie est claire : laisser sa marque et revenir – « leave your mark and come-back ».
À l’image des amoureux du monde entier qui viennent sur le Pont des arts pour attacher un cadenas en symbole de leur amour, et qui peuvent revenir plusieurs années plus tard, chaque individu, chaque nation participante viendra à Paris, y laissera sa trace, pourra revenir dix ou quinze ans après et constater la trace de son passage. Pour traduire cette idée dans les faits, pourquoi ne pas imaginer que chaque participant puisse apposer sur les parois de la Petite ceinture une brique personnelle imprimée en 3D, créant ainsi une sorte de « walk of fame » universelle où il aura ses quinze minutes de gloire, mais pour l’éternité et dans le patrimoine parisien ?
Voyons maintenant comment convaincre les nations participantes de voter pour nous.
Mlle Charlotte Crémoux. Vous l’avez compris, Paris Expo 2025 n’est pas une expo comme les autres : c’est une expérience conçue par tous ceux qui y participent. Voilà pourquoi elle se doit aussi d’être une expérience conçue pour tous, pour chaque Français et pour chaque pays participant. Comment traduire cette expérience dans la réalité, et comment faire de Paris Expo 2025 un pari(s) gagnant ?
Nous avons trois objectifs. D’ici à 2025, nous devrons convaincre les Français qu’il s’agit d’un projet réalisable et ambitieux qui s’aligne sur les défis que s’est lancés la France pour les prochaines années. D’ici à 2018, nous devrons convaincre les 167 pays membres du BIE. D’ici à 2025, Paris Expo 2025 bâtira une plateforme de coopération entre les acteurs fédérés autour de cette merveilleuse aventure.
Pourquoi la France devrait-elle s’investir dans une exposition universelle ? Parce que ce projet répond à son ambition de poursuivre dans la voie de la compétitivité et de l’innovation. Le grand avantage de ce projet est de placer la France sous les projecteurs du monde, et le monde sous les projecteurs de la France, en créant de nouveaux liens, de nouveaux partenariats et de nouvelles idées. De surcroît, l’organisation de notre candidature autour du Grand Paris comporte un avantage de taille : rendre notre exposition universelle plus rentable et plus durable.
Notre exposition s’articule autour d’infrastructures présentes et en cours de construction pour le Grand Paris. Elle sera ainsi l’occasion de faire découvrir aux Français et au monde entier un nouveau Paris, plus ouvert, plus moderne et encore plus dynamique.
Paris Expo 2025 est avant tout un engagement national et régional, l’occasion de promouvoir le made in France à travers nos régions. C’est pourquoi nous avons imaginé de mettre à l’honneur chaque mois plusieurs personnalités régionales et de proposer à nos participants d’acheter un « pass » national afin de découvrir nos régions françaises.
Paris Expo 2025 est aussi un projet européen. Nous avons imaginé cette exposition comme une opportunité de célébrer nos partenariats, grâce à des événements jumeaux qui auraient lieu partout en Europe, et des « pass » Euro Paris expo 2025 permettant à nos participants d’y accéder.
Ainsi, en associant la France et l’Europe, Paris Expo 2025 sera un événement valorisant.
Au-delà, Paris Expo 2025 déroule le tapis rouge aux 167 pays membres du BIE. Lors d’une exposition universelle, une nation expose, mais surtout s’expose en nous livrant l’image qu’elle souhaite donner d’elle-même. C’est pourquoi nous proposons un menu de pavillons à la carte : il donnera la possibilité à chaque pays d’acheter, d’emprunter ou de louer un ou plusieurs pavillons dans un ou plusieurs villages.
Paris Expo 2025 est aussi un projet de coopération. Pourquoi ne pas imaginer une colocation de pavillons entre plusieurs pays partageant des intérêts ou des projets communs ?
Enfin, Paris Expo 2025 est un projet solidaire. Nous envisageons un fonds de solidarité, destiné à aider des pays dont le budget est faible, financé, d’une part, par une loterie virtuelle mondiale, permettant à ses participants de gagner des « pass » à l’exposition et, d’autre part, par un pourcentage d’opportunités publicitaires proposées aux pays participants.
En définitive, Paris Expo 2025 est un pari(s) gagnant, car viable et ambitieux. Comme l’a si bien dit l’un de nos compatriotes, « impossible n’est pas français ». Tel est le message que nous voulons faire passer au monde entier en vue de cette magnifique expérience !
M. Guillaume de Langre. Une campagne de communication permettra de nous assurer que nous nous adressons à tout le monde, afin que Paris Expo 2025 reçoive un public le plus vaste possible – des personnes, des entreprises, des instituts, des écoles.
Cette campagne de communication sera structurée autour de deux échéances – 2018, date de la décision du BIE, et 2025, année de l’exposition – et quatre phases. Chacune de ces phases correspond à un public précis. En 2017, il s’agira de convaincre les Parisiens que l’arrivée de milliers de personnes ne va pas chambouler leur quotidien, ni abîmer leur ville ; à partir de 2021, on s’adressera davantage à un public international. En 2017, il s’agira également de voir en quoi le concept d’exposition est bénéfique pour les Français et les Parisiens ; à partir de 2018, on abordera le thème lui-même de l’exposition, « Tant de vie(s). Une nature ».
En outre, la durabilité du projet est un élément primordial. Lors des JO de Sotchi, l’ensemble des médias internationaux s’est fait l’écho cet enjeu. L’objectif est donc de rassurer tout le monde.
Enfin, et Sotchi l’a également montré, la sécurité est un élément clé dans la dernière année, lorsque l’événement approche et que les journalistes étrangers commencent à arriver. Il s’agira donc de rassurer tout le monde, de prouver que nous maîtrisons la situation.
Nous envisageons une campagne parallèle, la campagne pour le renouveau de la marque France. J’y reviendrai.
La France, et Paris en particulier, disposent d’un atout majeur : leur présence dans les médias internationaux du mois de février au mois de juin grâce à des événements majeurs – Tour de France, Vendée Globe, Concours Lépine, Festival de Cannes, etc. Nous proposons donc de nous appuyer sur ces événements pour communiquer à travers le monde. Le Tour de France sera un excellent moyen de rassembler les régions autour de cette grande manifestation !
Voyons maintenant de quelle manière nous allons communiquer.
M. Mizuha Suzuki. Vous l’avez constaté : notre exposition universelle a un côté futuriste et novateur. Pour autant, notre thème « Tant de vie(s). Une nature » nous rappelle que nous communiquons à travers tous nos sens. C’est pourquoi notre stratégie de communication s’appuie sur une approche multi sensorielle.
Lorsque nous communiquons, nous utilisons essentiellement la vue et l’ouïe.
Pour la vue, nous allons créer des films holographiques ou en 3D, mais aussi développer des applications pour smartphones et lunettes à réalité augmentée, à l’image des Google glasses, qui seront synchronisées avec les événements de l’exposition.
Pour l’ouïe, nous allons organiser des concerts internationaux simultanés, où seront invités les musiciens du monde entier. Nous pourrons également organiser un concours musical, dénommé « Expovision »…
Il serait bien sûr très intéressant d’utiliser les réseaux sociaux – YouTube, Facebook et Twitter, qui vont évoluer d’ici à 2025 – pour communiquer avec les potentiels participants.
Nos autres sens, peu utilisés aujourd’hui, pourraient l’être davantage grâce à l’exposition universelle de 2025.
Tout d’abord, l’odorat. Avec LVMH, supporter officiel de l’exposition universelle, nous pourrons créer le parfum officiel de l’expo et le transmettre via les mobiles, ce qui permettra à tout le monde, même à ceux qui ne seront pas en France, de « sentir » l’exposition universelle !
Ensuite, le toucher. Avec le développement des nouvelles imprimantes, tout le monde pourra imprimer en 3D les symboles, les logos de l’exposition universelle, et même la ville de Paris.
Enfin, le goût. En tant qu’étudiant japonais en France, j’en apprécie beaucoup la cuisine. Nous avons pensé très intéressant de créer un « guide Michelin » version exposition universelle pour donner des informations aux participants, mais aussi d’organiser des festivals culinaires, où les participants en balade dans Paris pourront goûter des plats du monde entier…
Voilà comment l’exposition universelle de 2025 s’invitera chez vous !
M. Guillaume de Langre. Si vingt-cinq étudiants de dix-huit nationalités différentes ont décidé, à la fin de l’année 2013, de travailler ensemble sur un projet qui aboutira – peut-être – dans douze ans, c’est parce qu’ils y croient. Nous croyons en Paris, nous croyons en la France.
Pour réussir à attirer des personnes à une telle manifestation, l’image de la ville, du pays doit rayonner à travers le monde, incarner les valeurs d’une exposition universelle. Or aujourd’hui ce n’est pas vraiment le cas.
En termes d’image, la France était 3e en 2007, et 13e en 2012. Elle s’est maintenue dans le haut du classement grâce à la force de sa culture et de son patrimoine. Dans toutes les autres catégories, par exemple le climat des affaires, notre pays chute inexorablement. Si ce mouvement se poursuit, l’exposition universelle sera vide, d’où notre proposition d’une campagne, à l’image de celle de l’Angleterre en 2009.
Un étudiant de l’Oklahoma à qui je demandais récemment à quelle personnalité française il pensait spontanément m’a répondu Édith Piaf. Ce n’est pas pour cette image-là – la cité de l’amour, le printemps, les oiseaux… – que les gens viennent à une exposition universelle !
Trois ans avant les JO, je le disais, l’Angleterre a lancé une grande campagne de « rebranding », de renouveau de sa marque, à travers le monde entier, où toutes les personnalités du pays, notamment les chefs d’entreprise, se sont investies. Et cela a marché : notre image de ce pays est aujourd’hui meilleure que celle d’il y a dix ans.
En clair, le choix des personnalités, des ambassadeurs de l’exposition universelle est très important. Plutôt que de choisir Johnny, Belmondo ou Drucker, et sans demander à Stromae de se faire naturaliser, on devrait pouvoir trouver en France des personnalités qui incarnent le progrès, la jeunesse et l’innovation. Et pas n’importe quel progrès : le progrès proche de l’homme.
Ainsi, nous réinventerons l’exposition universelle, nous réinventerons la France.
Mlle Charlotte Crémou. Pour conclure, Paris Expo 2025 sera un projet profondément humaniste qui conjuguera universalisme et singularité. Ce projet est aussi beau sur la forme qu’il est réalisable sur le fond. Tel est le message que nous voulons faire passer aujourd’hui et qui fait la force de notre proposition.
On entend souvent dire que la France est morose, un peu pessimiste. Pour notre part, nous croyons en une France fidèle aux valeurs qui l’ont créée. Nous pensons que toutes les générations croient en une France fidèle aux valeurs des expositions universelles, où elle a été pionnière.
Paris Expo 2025 apportera ce souffle de dynamisme, ce sens de l’émulation que les Français attendent. Mais bien plus qu’un souffle, elle sera aussi l’occasion de pérenniser la célébration de l’Homme dans toutes ses différences et toute son unicité.
L’identité française est à la fois singulière et plurielle, comme le sera cette exposition. D’où notre proposition de réinventer l’ADN de l’exposition universelle, de réinventer la France.
Merci. (Applaudissements).
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Deux verbes sont au cœur de ce projet : réinventer et réincarner.
Réinventer, c’est-à-dire refuser de continuer à vivre sur nos acquis, pour échapper à l’érosion que vous avez dénoncée et dont les répercussions sur l’emploi et sur notre tissu économique sont extrêmement graves.
Réincarner, c’est-à-dire donner aux valeurs françaises, aux valeurs de rêve que la France incarne encore à l’étranger, un nouvel élan.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Grâce à votre travail, on pourrait avoir en 2025 la première exposition universelle du XXIe siècle ! En effet, jusqu’à présent, les expos n’ont pas amené de rupture avec les précédentes.
Votre concept dynamite l’expo pour en faire une succession de lieux, où s’invitent la fête et la découverte. Cette multiplicité de sites vous semble une évidence, alors qu’elle apparait comme un frein à plusieurs des personnalités que nous avons auditionnées. Les techniques modernes, telles que le smartphone, facilitent d’ailleurs des entrées multiples.
En fin de compte, l’expo n’est-elle pas, dans votre esprit, prétexte à une fête nationale géante, voire internationale, permettant à un pays entier de s’offrir au monde ? C’est la dimension supplémentaire de votre travail ; vous rejetez l’expo conçue comme un monument qu’il faut visiter.
M. Guillaume de Langre. L’exposition universelle est bien évidemment une grande fête – et non un autre salon du mariage ou de l’agriculture Porte de Versailles ! C’est un événement qui implique toute la ville et toutes les régions.
M. Aloïs Kirner. Nous aimerions également que cette expo recrée une sensation qui devient rare de nos jours, je veux parler de l’émerveillement. Plus personne aujourd’hui ne se dit émerveillé ; les jeunes ne sont émerveillés par rien car ils ont accès à tout…
Pour nous, l’exposition universelle doit être un grand moment d’émulation qui fait rêver, un moment où les cultures du monde se rejoignent.
Mme Catherine Quéré. Je vous félicite pour votre présentation dynamique, moderne et très intelligente !
Les idées que vous avez évoquées – réseau, solidarité, durabilité, approche sensorielle – sont très intéressantes, tout comme celle de promouvoir l’expo grâce à des événements majeurs, comme le Tour de France Roland Garros, le festival de Cannes.
Je ferai trois remarques.
D’abord, dans LVMH, il y a « MH », et donc pas seulement le parfum, mais aussi le cognac et le champagne…
Ensuite, la dénomination « modes et habillement » me semble redondante, il faudrait peut-être utiliser le terme « luxe » ; et le village dénommé « cuisines et agriculture » pourrait peut-être intégrer la notion de « terroirs ».
Enfin, vous avez parlé de rêve, d’émerveillement ; il est un autre mot que j’aime beaucoup, c’est celui de bonheur.
M. Guillaume de Langre. Effectivement, avec Moët Hennessy, c’est la fête !
Notre projet intègre la notion de bonheur, car nous parlons de progrès proche de l’Homme. Nous voulons mettre en avant un progrès bon pour l’homme – pas celui de Star Wars –, car nous pensons que c’est naturellement vers cela que l’on va s’orienter. C’est une forme de progrès qui rapproche l’homme de lui-même, l’homme des autres hommes, et qui le rend donc plus heureux.
M. Yves Albarello. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je pense nécessaire d’auditionner le maire de Paris pour connaître son sentiment sur ce que nous proposerons !
Mesdemoiselles, messieurs, l’architecture de votre projet est calquée sur le Grand Paris et ses clusters. Le volet « nature » doit y jouer un rôle prépondérant. Je pense donc qu’il devrait inclure le cluster Descartes, à Marne-la-Vallée, où 1 500 chercheurs travaillent sur le développement durable et les métiers verts de demain. La transition énergétique est devenue une réalité !
La Tour Eiffel est le monument le plus visité au monde. Et pourtant, vous imaginez la difficulté qu’a dû avoir son créateur pour imposer cette vision d’un nouveau Paris en 1889 ! Aujourd’hui, nous devons faire la même chose, forcer le destin, faire preuve d’imagination !
La France reste la première destination touristique du monde, et Paris la ville la plus visitée au monde. Or à l’heure actuelle, il n’y a aucune liaison directe entre l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et la ville lumière. Par conséquent, un effort colossal en matière de transports et de mobilité s’impose si l’on veut recevoir 70 à 100 millions de visiteurs en 2025 ; rappelons qu’il y en avait déjà 50 millions en 1900 avec des moyens beaucoup plus limités ! L’achèvement du Grand Paris sera concomitant avec l’exposition : saisissons cette opportunité. La décoration du RER C est très sympathique : faisons la même chose, faisons rêver les gens !
En matière de communication, je trouve très intéressant le côté olfactif. Les meilleurs parfumeurs du monde sont à Paris : il faut, là encore, saisir cette opportunité. Pourquoi ne pas intégrer dans des revues ou magazines, vendus dans le monde entier, des microcapsules à l’intérieur desquels se trouvera le parfum de l’exposition universelle ? Car là nous serions des winners !
En conclusion, je vous félicite : vous êtes la preuve que des jeunes se battent pour la France !
M. Aloïs Kirner. Les transports sont effectivement un élément primordial : ils devront être développés. Mais pour mener cette réflexion, il vous faudrait plutôt vous adresser à des spécialistes, comme KPMG.
Pour notre part, nous nous sommes attardés, non sur la dimension quantitative de ce développement, mais sur sa dimension qualitative. Les gens passent beaucoup de temps dans les transports ! C’est pourquoi, en prenant l’exemple très intéressant du RER C, nous voulons repenser les transports pour en faire un moment agréable, un moment de plaisir, de contact avec les autres, avec d’autres cultures.
M. Guillaume de Langre. La Tour Eiffel, le cognac, les parfums, etc., renvoient à l’image traditionnelle de la France. Certes, nous devons construire l’exposition universelle sur cette base, mais il faut mettre en avant d’autres atouts, changer la manière dont nous parlons de Paris et de la France à l’étranger. Je pense que si notre pays a échoué lors de précédentes candidatures, c’est parce qu’il a trop misé sur une carte un peu datée, certes romantique, mais totalement insuffisante pour un tel événement.
Mlle Josepha Degosse. En matière de communication à distance, l’approche olfactive est une révolution. En 2025, l’outil de communication sera moins la revue que la tablette, les ordinateurs, les smartphones. D’où notre idée de transmettre l’odeur par des mécanismes qui s’ajouteront à ces technologies.
M. Jean-Louis Gagnaire. Vous avez évoqué la morosité ambiante en France. Vous êtes jeunes et optimistes : j’espère que vous prendrez une part active à l’exposition universelle de 2025.
Faire appel à des spécialistes pour les transports, comme KPGM ? Surtout pas ! Car ils vont parler technologie et ratios financiers, mais non pas imaginer ce que pourraient être les transports de demain. Twitter démarrait il y a à peine huit ans ! On ne sait pas ce que sera 2025, il y aura peut-être des révolutions à partir de nouveaux usages, et la technologie y contribuera.
Vous avez raison : il faut sortir des clichés traditionnels de la France. Sans nier ce qui fait sa force et celle de Paris, on peut parler du futur. Dans tous nos territoires, il y a une force d’innovation, une volonté de créer. C’est ce qu’on doit montrer au reste du monde. Il faut en finir avec une France arrogante et mettre en avant nos atouts. Les Français sont très appréciés à l’étranger, et notre système de formation reconnu. N’oublions pas qu’un grand nombre d’inventions ont été initiées chez nous, même si ensuite, on en a perdu l’exploitation commerciale. La France a en outre un rôle particulier à jouer pour transmettre ses valeurs.
Plutôt que de mode et de luxe, je préfère que l’on parle d’industrie créative, de design culinaire ; c’est une manière moderne de parler de nos traditions. Il y a donc un chemin à trouver. La dimension multi-sites est extrêmement intéressante, le lien avec les autres pays est essentiel. Ce sera bien l’exposition universelle de toute la France, et pas seulement du centre de Paris.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. L’exposition universelle doit laisser quelque chose derrière elle. Généralement, ce sont des bâtiments. Mais l’exposition de 2025 ne doit-elle pas laisser une technologie nouvelle, un type d’équipement totalement nouveau ?
Ne pourrait-on imaginer six ou sept cubes dans le Grand Paris dans lesquels, grâce aux nouvelles technologies qui existeront en 2025, on pourrait être immergé dans un autre monde ? Pensiez-vous à cela lorsque vous parliez d’ouverture sur le monde et sur l’espace ? Comment pourrait-on matérialiser cette ouverture sur l’espace ?
M. Guillaume de Langre. Pour le Plateau de Saclay, nous avions pensé, par exemple, à une rampe de lancement réelle ou à la reproduction holographique en taille réelle du lancement d’une fusée à Kourou : les gens pourraient assister au lancement d’une fusée Ariane ! La technologie nous permettra bientôt de voir des endroits où l’on ne pourra jamais rêver d’aller… Pourquoi ne pas imaginer également des petites caméras, du type GoPro, dans l’espace afin d’admirer « en live » ce que « voit » la fusée ?
M. Aloïs Kirner. Je retiens deux choses de vos interventions.
D’abord, les gens viendraient à Paris pour voyager de façon virtuelle à partir de cette ville. Cela est tout à fait faisable ; les nombreuses technologies développées actuellement – hologrammes, réalité virtuelle, etc. – permettent ce genre d’expérience. C’est une bonne idée, sachant que Paris est la ville la plus visitée au monde.
Ensuite, l’exposition serait l’occasion d’exposer des technologies, mais aussi de travailler sur le progrès. En ce sens, elle serait non seulement une vitrine, mais également un atelier. C’est une philosophie que nous avons intégrée dans notre projet, car nous souhaitons que les énergies des différents pays soient mises en relation. D’où notre idée d’une approche multi-sites, où les nations et les acteurs non étatiques travailleraient ensemble sur chacun des thèmes. Ainsi, dans un climat d’émulation, chaque participant apporterait sa pierre à l’édifice. (Applaudissements.)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci beaucoup de cette très belle présentation.
Présentation d’une vidéo par des étudiants du Centre Michel Serres.
M. Quentin Dubuis. Qu’est-ce qu’une exposition universelle au XXIe siècle ? D’abord un thème, car c’est lui qui fait l’identité première d’une exposition universelle. Pour que celle-ci soit attractive, et donc réussie, il lui faut un thème fort, fédérateur, qui nous touche tous, au-delà de nos différences de culture, de génération et de langue. Ce thème doit être, pour le visiteur, la promesse d’une véritable expérience immersible, sensitive et sociale – pas seulement d’une expérience visuelle, esthétique et intellectuelle, ce que permet facilement internet. Ce doit être enfin un thème innovant, qui peut parler du passé de l’humanité, de son héritage, de son présent et de son actualité, mais surtout de son avenir, et dessiner un avenir meilleur. J’ai donc l’honneur de vous présenter le thème que nous avons choisi pour l’exposition universelle de 2025 : « Le génie du corps ».
Quoi de plus universel, en effet, que le corps ? Tous les êtres humains, sur la planète, ont un corps. Tous les êtres sont un corps. Le corps nous rassemble tous. Et en même temps chacun a un corps unique, un corps qui lui est propre. La première force de ce thème, « le génie du corps », est d’être universel et personnel. Il peut s’adresser au monde, et s’adresser à l’individu.
L’autre force de ce thème est son inégalable richesse, en raison des nombreuses capacités que notre corps nous offre. C’est par notre corps que nous pouvons manger, boire, nous déplacer, danser, donner la vie, percevoir, communiquer, imaginer, nous projeter, nous relaxer, etc. Bref, c’est dans notre corps et par notre corps que nous vivons le monde. C’est par notre corps que nous vivons notre environnement, naturel et social.
Ce thème « le génie du corps » nous permet d’aborder les grands défis du XXIe siècle avec un regard un peu différent, un point de vue nouveau : celui du corps. Parler du corps, faire l’expérience du corps, c’est nécessairement faire l’expérience de notre rapport à l’environnement. C’est prendre conscience que notre santé est forcément liée à la santé de notre milieu et de notre planète. C’est aussi faire l’expérience de notre propre différence et de la différence des autres, et l’occasion d’aborder le « vivre ensemble ». Comment partager un espace qui soit adapté à tous, quelles que soient ses différences ?
Enfin et surtout, « le génie du corps » est un thème d’avenir. Car, pour l’essentiel, le corps reste à découvrir. Le corps demeure pour nous un mystère qui pose beaucoup de questions. Comment fonctionne-t-il vraiment ? Quelles sont ses réelles limites ? Jusqu’où peut-il aller, se transformer, se réinventer ? En ce début du XXIe siècle, la célèbre formule de Spinoza : « Nul ne sait ce que peut le corps » est plus que jamais d’actualité.
C’est cette idée qu’expriment, avec leur propre perspective, deux des personnalités que nous avons rencontrées pour ce projet :
Selon Alain Berthoz, professeur au Collège de France, aujourd’hui, dans une perspective à vingt ans, à cinquante ans, dans tous les domaines, il faut non seulement refonder une théorie, mais retrouver des savoir-faire qui réintègrent le corps en actes dans la vie sociale et dans la technologie. C’est un grand défi.
Selon Georges Amar, prospectiviste de la mobilité, le corps est intéressant parce qu’il est en train de changer – c’est ce qu’il entend par « génie du corps » : d’une part notre connaissance du corps, nos moyens d’action sur le corps et dans le corps se renouvellent, d’autre part le corps est en train de devenir l’instrument fondamental alors que dans l’histoire humaine, on a toujours eu l’impression que l’instrument était ce qui supplée aux limites du corps.
Mlle Chloée Sersiron. « Le génie du corps » est un thème innovant.
L’objectif de notre dossier était d’inventer un nouveau concept d’exposition universelle. La France a une légitimité historique en la matière : c’est elle qui a inventé le concept d’exposition universelle, et c’est elle qui héberge en son sein le siège du Bureau international des expositions universelles (BIE).
Nous avons construit notre dossier autour de trois thématiques fortes, qui sont chronologiques : l’« avant exposition universelle », qui consiste dans la préparation par toutes les nations, en amont de 2025, de ce gigantesque évènement ; le « pendant exposition universelle », qui recoupe l’expérience du visiteur, placé dans une démarche très active ; et l’« après exposition universelle », qui marque les logiques de pérennité spatiale et temporelle.
Nous avons bâti l’« avant exposition universelle » autour d’une logique de co-construction. Il s’agit, dans cette première étape, de mobiliser les nations. Nous sommes partis du constat que les sociétés avaient évolué depuis le XIXe siècle et que celles d’aujourd’hui sont à la fois multiculturelles et hyper connectées. Nous avons donc voulu accélérer ces dynamiques de relations internationales en jouant sur les interactions entre les nations.
Ce n’est plus la France qui s’expose, mais la France qui invite les autres pays à mettre en avant ce qu’ils ont dans leurs patrimoines nationaux. Derrière cela, l’idée est de supprimer les pavillons nationaux qui mettent en avant de façon atomisée les fleurons industriels ou culturels de chaque pays, et de jouer sur des processus de collaboration pour mettre en œuvre des projets innovants en 2025.
Nous voulons placer dans une démarche active tous les participants de l’exposition universelle. Les visiteurs seront amenés à être acteurs de leur propre parcours, et les nations seront invitées à travailler main dans la main, en amont de 2025, sur des projets qu’elles créeront ensemble et présenteront à l’occasion de ce grand évènement.
Premier exemple de cette « co-création », dans le domaine des arts et spectacles : la construction d’un gigantesque son et lumière, dans le parc omnisports de Bercy, réalisé à partir d’une proposition de pyrotechniciens grecs qui travailleraient avec les Russes du Bolchoï et un producteur de Bollywood. Ainsi les nations seront-elles amenées à porter un nouveau regard sur les compétences qu’elles ont chacune en leur sein, et sur les identités qu’elles veulent mettre en avant. Cela donnera lieu à la création d’œuvres inédites qui seront promues uniquement pour l’exposition universelle.
Deuxième exemple, dans le domaine médical : la création, à l’initiative de « Médecins sans frontières », d’un humanoïde à destination médicale qui les aiderait dans leurs interventions en cas de catastrophe naturelle, ce qui les amènerait à travailler avec les entreprises japonaises de robotique. De cette façon, les entreprises, les ONG, les organisations internationales seront représentées et pourront créer des synergies pour répondre à des besoins particuliers.
L’idée est aussi de rapprocher les peuples. Des populations très éloignées géographiquement se retrouveront autour de défis communs et mettront au point des solutions innovantes qui seront présentées en 2025 pour cette exposition universelle.
Le thème « génie du corps » est très large. Il englobe nombre de problématiques et de défis à relever. Aujourd’hui 168 États sont membres au BIE, ce qui représente autant de façons de s’approprier le thème du génie du corps humain. Et nous voulons faire en sorte que les nations y travaillent ensemble.
Nous avons préparé une petite vidéo sur la façon dont s’insèrent les nations dans ce processus de collaboration autour du thème du « génie du corps ». L’œuvre qui sera présentée en 2025 sera constituée d’une mosaïque de projets innovants, qui représentera davantage qu’une simple exposition : un produit universel mis en place pour l’occasion.
Six sous-thèmes mettent en évidence la manière dont notre corps interagit avec le monde : culture et divertissement, pour notre corps qui crée ; artisanat et savoir-faire, pour notre corps qui fabrique ; environnement, pour notre corps dans la nature ; sciences et santé, pour notre corps soigné et étudié ; nouvelles technologies, pour notre corps augmenté ; villes et société, pour notre corps en communauté.
Ces six sous-thèmes seront préparés en amont au sein de six « Expofaces. »
Les « Expofaces » sont des interfaces qui permettront la construction, en amont de 2025, de tous ces projets. Concrètement, ce sont des laboratoires de projets itinérants, qui vont rayonner à travers le monde, et qui ont une double utilité : communiquer autour de la tenue de l’exposition universelle, en France, en 2025, et communiquer autour du sous-thème qu’elles représentent.
Elles constitueront des lieux de visite en soi, pour le monde diplomatique, pour le monde de la recherche, pour le corps médical, pour les dirigeants d’entreprise, pour le monde du spectacle. Elles agiront par ailleurs comme des laboratoires de projets, c’est-à-dire qu’elles rayonneront à travers le monde et proposeront aux nations de s’inscrire et de déposer des projets.
Elles partiront de France, quelques années avant 2025. Elles demanderont aux nations de créer des partenariats économiques, qui seront à la fois multinationaux et pluridisciplinaires, et de prendre une prise de participation horizontale. Ce n’est plus simplement un État, un gouvernement qui s’engage à participer en achetant un pavillon national en 2025, mais l’ensemble des acteurs économiques et des secteurs d’activité concernés par le thème du génie du corps qui agiront comme forces de proposition.
Toutes ces « Expofaces » vont rayonner. Nous jouons sur les nations, qui agiront comme des leviers pour notre exposition universelle, et comme des accélérateurs de mondialisation. Dans un tel schéma, les nations seront très libres. Elles choisiront de participer en fonction de leurs intérêts, de leurs compétences propres, et de leurs capacités financières. Elles pourront moduler leur participation dans chacun des six sous-thèmes en fonction de ces paramètres.
Enfin, les « Expofaces » vont revenir en France. Tous ces projets seront matérialisés sur notre territoire. La France invitera le monde à venir rêver chez elle pour découvrir toutes ces solutions innovantes. Ce ne sera plus une exposition passive mais très active, très pro active pour relever les défis d’après 2025. Les projets seront présentés aussi bien dans le Grand Paris, que sur l’ensemble du territoire français – et donc dans les régions.
Mlle Aurélie Reynaud. Comment se matérialise cette exposition sur le territoire français ?
Sur le territoire du Grand Paris, 6 pôles investissent des zones en développement situées sur la Petite couronne, le long de la rocade et de la future ligne 15 du Grand Paris Express.
L’idée est de remettre l’homme au centre du propos, mais surtout au centre de Paris. Après avoir exploré les pôles thématiques associés aux contrats de développement territorial du Grand Paris, le parcours proposé réinvestit la ville grâce à la Coulée verte, et mène les visiteurs en son centre, au Trocadéro, et plus précisément au Musée de l’Homme.
À Paris, une expérience interactive sera proposée au plus grand nombre, mais le visiteur sera invité à venir partager dans toutes nos régions une expérience plus intime, plus extrême et surtout plus immersive, comme je vous le dévoilerai un peu plus tard. Chacune de nos grandes métropoles accueillera une ou plusieurs nations participantes, afin que celles-ci puissent prendre possession du territoire français et proposer un sujet un projet plus libre sur le thème du génie du corps. Tous les sites régionaux de l’exposition seront reliés entre eux sans hiérarchie et constitueront un réseau de mobilité qui s’inscrira dans toutes les villes et dans toute la France.
Ce projet est l’occasion de nous inscrire dans des dynamiques de développement déjà lancées, comme par exemple l’extension du réseau SNCF et la mise en place par la RATP des futures lignes 15 et 16 du Grand Paris Express. Cette nouvelle mobilité, au-delà d’être un simple trajet, se veut aussi être une expérience immersive.
La mobilité du visiteur ne se pense pas seulement en termes de géographie. C’est un voyage temporel, fictionnel que nous leur proposons. C’est une expérience à part entière dans l’exposition. Chaque train, chaque avion, chaque gare sera équipé et permettra à l’usager de vivre une transition extraordinaire entre sa réalité et l’immersion proposée dans chaque grande ville participante.
Focalisons-nous sur l’acteur principal de notre projet : le visiteur, ou plutôt l’« expérienceur ». J’utilise ce terme à dessein car au-delà d’une simple expérimentation dans laquelle le visiteur adopterait une posture plutôt passive d’observateur, nous souhaitons lui proposer une réelle « expérienciation », lui faire adopter une posture dynamique pour qu’il devienne acteur de ce projet.
Imaginons qu’en tant que visiteur, je choisisse de rentrer dans l’exposition par Marseille. Ce choix n’est absolument pas obligatoire, puisque toutes les villes partenaires de l’exposition constitueront des pôles d’accueil. Mais je choisis Marseille pour deux raisons : la première, évidente, c’est que c’est la plus belle ville du monde … pour tous ceux qui y sont nés ; la seconde, la raison principale, c’est que pendant les six mois de l’exposition, Marseille va devenir une ville sous-marine, où je vais pouvoir confronter mon corps à l’élément aquatique au sein du dispositif immersif créé pour l’occasion.
Dès mon entrée dans l’exposition, j’échange mon billet contre le « Biopass » : un petit carnet de santé numérique que je complète tout au long de ma visite et qui me permet de mesurer mes performances et mes réactions lors des activités.
Après Marseille, je continue ma visite à Paris. Je découvre les sites du Grand Paris après un voyage à bord d’un train très spécial.
Dans chacun des six pôles, des projets élaborés par les nations participantes lors des « Expofaces » sont exposés dans les structures pré-existantes. À cela s’ajoutent des monuments symboliques entièrement nouveaux, qui s’insèrent dans le tissu urbain des contrats de développement territorial (CDT), pour proposer aux visiteurs d’« expériencer » les six thèmes présentés. Par exemple, je me dirige vers le pôle « culture et divertissement » au nord de Paris, entre la Défense et Saint-Denis, situé sur le CDT de Plaine-Commune. J’y découvre un territoire des arts, offert aux nations, qui peuvent investir à leur guise, la Cité du cinéma, l’Académie Fratellini, ou encore le 6 B, lieu de création en Seine-saint-Denis. Je pénètre dans le « Corplexe », monument symbolique de ce pôle, à mi-chemin entre le parc d’attraction et le cirque. J’explore bien d’autres choses encore dans les sites parisiens de l’exposition et je termine ma visite à Toulouse, en apesanteur.
Dans cette ville transformée en station spatiale, je visite ou revisite la Cité de l’espace, mobilisée et augmentée pour l’occasion et si je l’ose, je m’enferme dans une capsule proposant une simulation de voyage dans l’espace.
Ma visite de l’exposition universelle de 2025 est maintenant terminée, mais avant de rentrer chez moi, je vais pouvoir récupérer ma propre mémoire de l’exposition : une collection de dessins, photos, vidéos, réalisés par les autres visiteurs lorsque j’étais moi-même en train de participer aux activités, lorsque j’étais moi-même un petit bout de cette exposition, c’est-à-dire un « expositionnaire ». Ce souvenir sera une preuve pour mes proches auxquels je raconterai cette aventure, et surtout une preuve pour moi, dans les années futures, pour me rappeler que, « moi aussi, j’y étais », à cet évènement historique que fut l’Exposition universelle de Paris en 2025.
M. Quentin Dubuis. Je vous propose maintenant de faire le point sur l’après exposition, sur les empreintes que pourrait laisser une telle exposition universelle.
Commençons par les empreintes matérielles : dans le Grand Paris, les six pôles, construits pour l’occasion en amont, sont appelés à être pérennes. Ce n’est pas une déconstruction, mais une véritable construction du Grand Paris. Ces six pôles s’inscrivent dans les CDT et sont appelés à développer l’identité locale de chaque zone.
Dans ces six pôles, on retrouve : d’une part, les collaborations internationales, qui seront nouées pour l’occasion et seront amenées à s’inscrire dans la durée sur le territoire ; d’autre part, les six monuments symboliques qui sont amenés à devenir, comme leur nom l’indique, des symboles, non seulement de cette exposition universelle de 2025, mais aussi plus largement du Grand Paris de demain et qui permettront de développer un tourisme lié non pas juste à l’expérience esthétique, mais à l’expérience immersive, à l’expérience interactive.
En revanche, les musées et les lieux culturels, que ce soit le Musée de l’Homme, au centre de Paris, ou plus généralement les musées français de l’ensemble du territoire, reprendront leur fonctionnement habituel à la fin de l’exposition universelle, de sorte que la transformation de ces musées et de ces lieux culturels sera éphémère, et donc véritablement exceptionnelle pendant les six mois de l’exposition.
Par ailleurs, les dispositifs immersifs, dont on vous a présenté deux exemples (Marseille et Toulouse), sont destinés à développer l’identité locale des régions et des grandes métropoles. C’est pour cela qu’on a choisi Marseille pour installer le dispositif de la ville sous-marine. Ces dispositifs immersifs ont vocation à s’inscrire dans la durée et à devenir de véritables centres d’attraction pour un tourisme alternatif, basé sur l’expérience.
Enfin, les transports seront développés, modernisés, ce qui permettra de relier le territoire français, d’accompagner le mouvement de décentralisation, mais aussi de mieux relier la France au reste du monde.
Passons à l’héritage immatériel. Une exposition universelle est une occasion pour la France de redéfinir son image pour elle-même, et surtout à l’international.
À propos de cette image de la France, nous retiendrons trois mots clés. Tout d’abord, en organisant un tel évènement, la France se montre au monde comme une nation « fédérée » autour d’un thème, d’un projet, autour d’un territoire. Bref, une nation mobilisée. Ensuite, en organisant une telle exposition universelle, ce sera une France « ouverte » qui se montrera au reste du monde, qui proposera aux autres pays de s’exposer sur son territoire, et invitera à nouer des partenariats. Enfin et surtout, ce sera une France « innovante », de par le thème choisi mais aussi de par le choix du modèle collaboratif d’exposition universelle et des dispositifs immersifs basés sur l’expérience.
Au-delà de la France, organiser une exposition universelle en 2025 sur le génie du corps, c’est l’occasion de participer à l’avènement d’un monde meilleur, d’un monde où chacun aura davantage conscience du génie de son corps, d’un monde où chacun respectera, aimera davantage son propre corps, d’un monde où chacun aura conscience du lien nécessaire qu’il y a entre son corps et l’environnement, et donc de la nécessité de respecter notre environnement, et d’un monde où chacun acceptera davantage sa propre différence comme la différence des autres.
C’est donc un projet ambitieux, mais nous sommes convaincus que la France et que le monde peuvent être à la hauteur de cette ambition.
Nous avons été trois à vous présenter le projet, mais au nom des douze étudiants qui ont participé, je vous remercie. (Applaudissements).
Avant les questions, nous vous proposons de visionner un petit film, intitulé « Dévoiler le génie du corps ».
M. le président Jean-Christophe Fromentin. Merci pour cette présentation et pour le thème choisi, ainsi que pour ce bonus qui matérialise votre thème et votre approche. Une exposition tourne en effet autour d’un thème que l’on décline. Vous l’avez fait dans le cadre d’une fête, avec les territoires, les villes, en tenant compte des mobilités. De ce point de vue, je crois que l’on a une bonne illustration de ce que pourrait préfigurer une candidature, dans une perspective très universelle.
Mme Catherine Quéré. Tout d’abord, merci. Je ne suis pas très versée dans les sciences, mais votre petit film humanise vos propos.
J’ai trouvé qu’il y avait de nombreuses connexions avec vos camarades de Sciences-Po, ce qui est d’autant plus intéressant que vous n’avez pas travaillé ensemble. Je pense à l’aspect participatif, « expérienceur », et à l’interaction entre les pays et les régions. J’ai surtout apprécié la partie de votre exposé sur « l’après exposition universelle », ce que vous avez appelé « les mémoires », et que j’ai trouvée géniale et innovante.
Comme pour vos camarades, c’était moderne, intelligent et jeune. Je regrette simplement que vous n’ayez pas préparé des clés USB, à la place du petit fascicule que vous nous avez distribué. Je ne vous en félicite pas moins pour votre travail.
Mlle Aurélie Reynaud. Évidemment, nos projets sont assez proches et se complètent. Ils reflètent les idées de la jeunesse, que nous sommes tous prêts à défendre aujourd’hui.
Pour l’après exposition universelle, nous souhaitions nous inscrire dans la continuité des expositions universelles du début du XXe siècle, avec leur label « exposition universelle » et les médailles dont on gardait le souvenir génération après génération. C’étaient des traces, presque affectives, de la participation à un tel évènement.
M. Jean-Louis Gagnaire. Ce sont deux projets très différents. Mais nous ne connaissons pas les profils des uns et des autres, ce qui me semblerait important. Je suis favorable au métissage des équipes et aux approches pluridisciplinaires. La véritable innovation ne peut pas venir des seuls ingénieurs, elle a besoin aussi des sociologues et des artistes.
Vous avez adopté un parti pris très ambitieux en écartant les pavillons nationaux. Mais c’est une vision idyllique des choses, et je ne suis pas sûr qu’on y parvienne. Pour avoir eu à financer un pavillon à Shanghai, au titre d’une région, je sais comme il est difficile de faire participer les différents pays au financement de chacun des pavillons. Tout le monde est généreux… mais aussi un peu égoïste.
M. Quentin Dubuis. S’agissant de la première partie de votre intervention, je précise que nous sommes douze étudiants à avoir travaillé sur ce projet, dont : deux designer, deux ingénieurs, deux architectes, deux étudiants en tourisme, un économiste, Aurélie en histoire de l’art, Chloée en droit et moi-même en philosophie.
S’agissant de la deuxième partie, j’observe que c’est plutôt la logique des pavillons nationaux qui est surprenante. Dans une telle logique, comment des petits pays peuvent-ils trouver leur place ? Ils en ont davantage dans la forme collaborative que nous proposons, en travaillant avec des pays plus grands pour trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent.
M. Jean-Louis Gagnaire. Ce sont les grands pays qui vont poser problème.
Mlle Chloée Sersiron. Les grands pays peuvent aussi être une solution. Nous sommes en train de continuer à développer, avec une nouvelle équipe, le projet que nous avons inventé.
Nous avons eu deux idées : la première est que, effectivement, le visiteur vient aussi découvrir, par exemple, la Corée du Nord pour passer, cinq minutes après, aux États-Unis. Il a besoin de cet ancrage visuel et culturel. Les États ont aussi envie de mettre en avant leur identité naturelle. Nous nous sommes donc dit que l’on pourrait garder cette représentation des nations, mais en lui donnant une forme très immatérielle, plus précisément une forme événementielle : par exemple, « une nation, une parade ». À dix-neuf heures, tous les jours ou tous les deux jours, une parade serait organisée par une nation différente. Les pays mettraient en avant ce qu’ils désirent. Le visiteur pourrait vivre cette expérience. Et à chacun de se rencontrer à cette occasion.
L’autre idée, c’est que le processus de participation sera très étendu. Les « Expofaces » vont regrouper des appels à projets, qui feront se rencontrer des investisseurs et des développeurs de projets. En réalité, ce n’est pas une question de nations. C’est une question de financement et de rencontres d’intérêts autour d’un défi à relever. Par exemple, dans un pays asiatique, un entrepreneur doit traiter un problème d’hygiène, de santé publique, de communication visuelle. Google pourrait avoir envie de le lancer en le finançant, parce que cela lui permettra de gagner en visibilité, et créera une synergie en termes de moyens.
L’architecture des pavillons peut répondre à un autre appel à projets, à un concours entre architectes internationaux. Mais le financement se fera par sélection naturelle des projets. Si un entrepreneur présente un projet qui n’intéresse personne, il ne sera pas promu. Mais s’il rencontre un financeur qui se dit que c’est une idée géniale qui peut intéresser quelqu’un de son entourage, de très nombreux réseaux professionnels vont s’activer. Ainsi, en amont de l’exposition universelle, aura lieu cette rencontre de l’offre et de la demande, qui permettra de promouvoir des solutions très innovantes.
M. le président Jean-Christophe Fromentin. La question des pavillons était au cœur de notre audition d’hier. Les pavillons nationaux sont une dérive des expositions universelles. Celles que la France a organisées entre 1855 et 1900 n’en avaient pas. On les organisait autour de grandes galeries, où l’on amenait les gens à vivre des expériences sur le progrès incarné par les machines. Mais lorsque la mystique du progrès a faibli, on a invité les pays à construire leur propre pavillon et à montrer ce qu’ils avaient envie de montrer.
Votre projet est intéressant, dans la mesure où il revient à l’origine des expositions universelles, pour faire partager le progrès et faire vivre au visiteur des expériences liées à ce progrès. C’est extrêmement exigeant car depuis le début du XXe siècle, chaque pays construit son pavillon un peu comme il veut, sur une thématique qu’il respecte plus ou moins.
Aujourd’hui, il n’y a plus d’avenir pour les expositions universelles où chaque nation affirme sa puissance par l’architecture ou les grands pavillons. Et comme l’a fait remarquer l’équipe de Sciences-Po, les innovations du XXIe siècle devraient permettre de retrouver l’esprit des premières expositions universelles et d’éviter d’avancer dans la foulée de l’exposition de Shanghai – comme ce sera sans doute le cas de celle de Milan ou de Dubaï.
Mlle Chloé Sersiron. Que ce soit au sein des pavillons « palais de l’industrie » ou « palais des machines », ou des pavillons nationaux, les nations étaient en concurrence les unes avec les autres et présentaient leurs produits de façon très atomisée. Nous avons souhaité revenir aux sources de ce qu’était une exposition universelle, d’autant que la France pouvait légitimement se positionner comme un pays innovant sur la scène internationale. C’est une occasion, selon nous, de redéfinir l’image de la France à l’étranger. Mais en nous interrogeant sur ce modèle, nous avons pensé que l’on pouvait accompagner les dynamiques des relations internationales, qui sont de plus en plus connectées, pour présenter des projets issus de collaborations.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Je trouve passionnant que l’exercice ait abouti à deux présentations différentes, que ce soit dans la façon d’aborder le sujet ou de se servir des thèmes, mais j’observe que toutes les deux s’appuient sur les réseaux.
Je m’adresse maintenant à chacune des deux équipes : que prendriez-vous dans le projet de l’autre pour renforcer le vôtre ?
Mlle Charlotte Crémoux (Sciences Po Paris) On a tendance faire une quasi religion de la technologie et on parle beaucoup des réseaux sociaux. Mais ceux-ci ont pour conséquence d’isoler les gens. On communique par téléphone, par mail, par ordinateur, et on perd un peu le sens de l’humain. Je pense que ce que nos projets ont en commun, c’est de replacer l’humain au cœur du monde et de recréer du lien entre les hommes.
Personnellement, si j’avais quelque chose à prendre dans le projet des étudiants du Centre Michel Serres, ce serait leurs dispositifs immersifs en région. Je les trouve assez intéressants, physiquement et visuellement.
M. Quentin Dubuis (Centre Michel Serres). En premier lieu, j’ai trouvé intéressant la communication sur les sens. C’est un terrain que nous n’avions pas exploré.
En second lieu, j’aime bien l’idée de construire un patrimoine universel, que vous avez bien matérialisé. Que chacun puisse imprimer une brique en trois D avec sa main m’a paru assez fort au niveau symbolique.
Mlle Chloée Sersiron (Centre Michel Serres). J’ai moi aussi retenu l’approche sensorielle proposée par les étudiants de Sciences-Po. Cela fera partie de notre quotidien et je pense qu’il est vraiment intéressant d’intégrer la dimension sensorielle au projet.
J’ai retenu également la logique des pavillons démontables. C’est une solution pratique pour exposer, écologique et apte à développer la conscience environnementale.
Mlle Aurélie Reynaud (Centre Michel Serres). Et si l’on se place du côté du visiteur, personne n’est exclu : ni les Français qui ne sont pas à Paris puisque l’exposition se déroule dans toute la France ; ni les Parisiens, ni même les gens qui n’auront pas pu se rendre physiquement en France, puisque l’exposition vient à eux, avec un parfum ou avec ces objets que l’on imprime.
Mlle Charlotte Crémoux (Sciences Po Paris). Le « Biopass » nous a également plu.
M. Yves Albarello. Si j’ai bien compris la différence entre les deux projets est la suivante : le premier, celui de Sciences Po, est centralisé autour du Grand Paris, du double 8 ; et le second, celui du Centre Michel Serre, est décentralisé. Mais il faudra tenir compte des limites budgétaires. Le Grand Paris, qui va démarrer en 2015, représente déjà presque 35 milliards d’euros d’investissements. Les CDT ne sont pas inclus dans le prix, pas plus que l’exposition universelle elle-même. Et plus on la décentralisera, plus cela coûtera cher. Il y aura des arbitrages à faire.
M. Quentin Dubuis. Il est exact que le budget n’est pas un critère que nous avons pris en compte. Mais il suffirait de trouver des financements auprès les entreprises qui veulent développer le tourisme local, s’agissant du Grand Paris, auprès des nations étrangères qui souhaitent nouer des partenariats avec des citoyens français et auprès des régions, pour les dispositifs immersifs. On pourrait également associer, comme cela a été dit, les nations étrangères à la construction d’un dispositif immersif ; elles pourraient y participer parce que le thème les intéresse, ou pour des raisons d’image.
Je pense, pour ma part, que le financement de cette exposition universelle ne sera pas uniquement français et qu’il ne sera pas uniquement assuré par l’État français et les collectivités.
Mlle Chloée Sersiron. On peut aussi imaginer, par exemple, que le projet soutenu par une « Expoface » de construire une cité sous-marine devienne un gigantesque projet international.
M. le président Jean-Christophe Fromentin. Le financement peut aussi être un élément d’innovation. Nous sommes là dans le crowdfunding ou financement participatif. C’est un véritable sujet dans un modèle économique qui partirait des présentations que vous avez faites les uns et les autres.
Je vous remercie pour la qualité de vos travaux.
Audition conjointe, ouverte à la presse, de représentants de l'Association ExpoFrance 2025 : M. Luc Carvounas, sénateur, M. Hervé Brossard, président de l'Omnicom Media Group France, M. Patrick Gautrat, ancien ambassadeur, ancien directeur des sports au ministère des affaires étrangères, M. Ghislain Gomart, directeur général de l'association
(Séance du mercredi 16 avril 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui des représentants de l’association ExpoFrance 2025.
M. Luc Carvounas, vous avez été adjoint au maire d’Alfortville, vice-président du conseil général du Val-de-Marne, chargé de la politique de la ville, avant d’être élu sénateur, puis maire d’Alfortville ; vous êtes également premier vice-président de la communauté d’agglomération de la Plaine centrale du Val-de-Marne et vice-président du groupe socialiste au Sénat.
Monsieur Hervé Brossard, vous avez effectué une grande partie de votre carrière chez DDB, une des trois enseignes publicitaires d’Omnicom Media Group ; vous en êtes le président pour le pôle français ; de 2004 à 2009, vous avez été président de l’Association des agences-conseils en communication ; enfin, vous avez été en charge de la communication du Grenelle de l’environnement.
Monsieur Patrick Gautrat, ancien élève de l’ENA, ancien conseiller de M. Raymond Barre, vous avez été diplomate, consul général de France à Barcelone, à New York, ambassadeur en Pologne et au Portugal ; et vous avez assuré la direction des sports au ministère des affaires étrangères.
Monsieur Ghislain Gomart, vous êtes diplômé de l’École militaire de Saint-Cyr, ancien élève de l’ENA ; vous avez exercé successivement diverses responsabilités au ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, en collectivité locale, en entreprise, en ONG environnementale, en cabinets ministériels ; vous êtes directeur général d’ExpoFrance 2025.
Messieurs, nous souhaitons vous entendre sur les forces et les faiblesses de la France en vue de l’organisation de l’exposition universelle de 2025. Quatre dimensions du projet vont pouvoir être abordées aujourd’hui : la dimension territoriale et politique avec Luc Carvounas ; la dimension de communication et d’image de la France avec Hervé Brossard ; la dimension institutionnelle et relations internationales avec Patrick Gautrat ; et l’organisation, telle qu’elle est conduite depuis un an, avec Ghislain Gomart.
M. Luc Carvounas, sénateur. Je voudrais aborder cette audition sous trois angles. Le premier est économique : il concerne le lien entre le projet d’exposition universelle et le développement de l’industrie du tourisme de notre pays. Le deuxième est territorial, et j’évoquerai tout l’intérêt pour nos collectivités de s’investir pleinement dans ce projet. Le troisième est celui des infrastructures, et me permettra d’esquisser les contours d’une réalisation concrète de ce projet.
En France, l’industrie du tourisme est un atout majeur de l’économie. Elle représente 2 millions d’emplois directs et indirects, 9 % de notre PIB, et 12 milliards d’euros d’excédents de notre balance commerciale, dans un contexte où notre pays cherche à doper son commerce extérieur. Formidable levier de croissance et de création d’emplois, ce secteur économique est encore trop souvent sous-exploité, voire mésestimé, comme j’ai eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises, notamment dans un rapport sénatorial remis à la commission de contrôle de l’application des lois et publié le 8 octobre 2013.
Forts de notre premier rang mondial en termes d’accueil de visiteurs, nous sommes relégués à la troisième place au classement des recettes touristiques. Nous devons donc tout faire pour replacer cette industrie au cœur de notre stratégie économique. Un récent classement des villes les plus attractives, réalisé par le site Internet TripAdvisor, doit nous alerter : il place Paris à la septième place. C’est dire tout l’enjeu qui se dresse devant nous pour contrer cette mauvaise dynamique. Se reposer sur nos lauriers signerait le déclin inévitable de notre suprématie en la matière, à l’heure où la concurrence internationale se fait de plus en plus féroce.
Pour relever ce défi, le projet concret d’accueillir une exposition universelle dans le Grand Paris en 2025 est une formidable opportunité. Accueillir le monde, quelle plus belle idée ? Quel projet plus structurant pour une métropole mondiale en devenir ?
On peut se féliciter de la volonté du Gouvernement de renforcer la diplomatie économique en ce sens, comme le rappelait le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. Nous devons aller au-devant du monde pour renforcer notre commerce extérieur, notre tourisme, notre technologie. C’est le but de notre diplomatie économique. C’est pourquoi j’ai récemment invité le ministre des affaires étrangères à mobiliser tout notre réseau diplomatique autour du projet de candidature de la France à l’accueil de l’exposition universelle de 2025.
Ce projet rend tangible ce concept de diplomatie économique : rayonnement de la France à l’international, bénéfice pour notre commerce extérieur et l’industrie du tourisme, formidable levier pour la création et l’innovation. J’ai une conviction forte : l’exposition universelle du Grand Paris 2025 peut devenir la carte de visite de la France pour cette première partie du XXIe siècle.
Quel intérêt économique avons-nous à faire venir davantage de touristes dans notre pays grâce à un projet tel que celui-ci ?
Pour bien le comprendre, arrêtons-nous un instant sur l’essor du tourisme chinois. On peut y mesurer les impacts économiques pour notre industrie du tourisme de demain. En 2012, la France a accueilli 1,4 million de touristes chinois. Selon une récente étude du Boston Consulting Group, les dépenses des voyageurs chinois passeront de 260 milliards de dollars actuellement à 1 800 milliards de dollars en 2030. Lorsque l’on sait que les touristes chinois, dont Paris reste la destination favorite, rapportent 500 millions d’euros de recettes annuelles à la France, on devine tout l’intérêt à tirer les bénéfices de notre capacité à capter ce boom touristique émergent. Le cabinet de l’ancienne ministre du commerce extérieur rappelait à titre d’exemple que la réduction des délais de délivrance des visas pourrait rapporter 500 millions d’euros de recettes supplémentaires à la France en trois ans.
C’est pourquoi j’ai aussi tenu à défendre le projet ExpoFrance 2025 au sein des Assises du tourisme, où j’ai la charge de copiloter un groupe sur l’adaptation de cette industrie aux mutations du secteur. Je regrette que Bernard Lappasset, en charge du groupe relatif au tourisme événementiel et aux grands événements internationaux, n’ait pas donné suite à notre demande de présentation du dossier – demande que nous avons d’ailleurs formulée conjointement, monsieur le président.
Nous avons un double devoir pour mener à bien cette démarche : convaincre les plus hautes autorités de l’État, mais aussi convaincre nos concitoyens et susciter chez eux de l’enthousiasme. Pour parler des retombées et des bénéfices de l’organisation d’une exposition universelle, souvenons-nous de faits simples, marquants et symboliques : la création du Grand Palais, l’apparition du métro parisien ou encore l’édification de la Tour Eiffel.
L’exposition universelle de 2025 doit porter des promesses similaires de progrès pour la population. C’est pour moi la clé de l’enthousiasme populaire. Souvenons-nous qu’en 1 900, plus de 48 millions de visiteurs se pressaient déjà à Paris, devenu pour quelques mois le carrefour du monde. Plus récemment, en 2010, Shanghai a accueilli plus de 70 millions de visiteurs. La prochaine exposition, en 2015, aura lieu à Milan. Nous participons, avec le président Fromantin, au comité consultatif du Pavillon France de l’ExpoMilan 2015 pour nous imprégner concrètement de la préparation d’une exposition ; nous nous rendrons aussi sur place entre le 1er mai et le 31 octobre 2015.
Cinq chiffres concrets pour nous y projeter : 70 000 emplois devraient être créés sur la période 2010-2015 ; 30 millions de touristes y sont attendus ; 7 000 manifestations seront organisées parallèlement. Le chiffre d’affaires du milieu des entreprises milanaises augmentera de 44 milliards d’euros, soit une hausse de 10 %. Enfin, 11 000 kilomètres carrés d’espaces verts seront créés et le réseau fluvial des navigli sera réhabilité. On le constate donc clairement : organiser une exposition universelle est une formidable opportunité pour une collectivité territoriale.
C’est d’ailleurs tout le sens de la démarche entreprise par ExpoFrance 2025, une démarche qui part du bas, de nos territoires. À l’heure de la promotion du made in France, nous voulons faire converger les territoires et leurs projets pour que le Grand Paris en soit le réceptacle. ExpoFrance 2025 s’adresse donc à toutes les collectivités territoriales et doit retenir toute leur attention. Chacune dispose d’avantages comparatifs et d’atouts patrimoniaux et culturels à valoriser. J’oserai même dire, pour paraphraser une formule chère à mes amis écologistes, qu’il faut impérativement allier le local au global pour assurer la réussite de ce projet.
À l’heure du délitement social, de la désaffection envers la chose publique, de l’abstention massive et du déclinisme ambiant, nous proposons de nous fédérer autour d’un projet national, populaire et rassembleur. Cette candidature doit être une coproduction. Nous proposons donc un projet collaboratif aux territoires et à nos concitoyens. J’ai l’audace de penser que nous avons visé juste.
Tout d’abord, cette candidature a déjà fédéré de nombreuses grandes entreprises publiques et privées, fleuron de notre économie française. Elle a agrégé des grandes écoles et leurs étudiants. Nos trois porte-parole représentent dans leur domaine l’excellence française, et de plus en plus d’acteurs se joignent à nous, en témoigne l’installation de votre mission d’information.
Concernant les territoires, nous avons aussi visé juste. Je ne peux que me féliciter que cette candidature soit soutenue par l’Association des maires de France. Lors de son dernier congrès en novembre dernier, nous avons recueilli le soutien de plus de 1 000 élus, dont 550 maires. L’Assemblée des départements de France soutient également le projet. Et nous présenterons dès le mois de mai la candidature aux régions.
Cette candidature va susciter, j’en suis sûr, un enthousiasme grandissant auprès des collectivités et des élus. La cohésion sociale, voilà son essence même. La cohésion sociale, notre pays en a diablement besoin en ce moment !
Pour terminer mon intervention, j’aborderai rapidement la question des infrastructures. Il est faux, me semble-t-il, de prétendre que ce projet aurait un coût déraisonnable pour nos finances publiques. Plusieurs raisons l’expliquent.
La première est que la plupart des infrastructures dont nous aurons besoin sont déjà construites, que ce soit pour l’accueil des pavillons ou des visiteurs.
La deuxième raison concerne les infrastructures dont nous profiterons, mais qui sont d’ores et déjà prévues par le pouvoir exécutif. Je pense évidemment aux infrastructures de transport, notamment au Grand Paris Express. J’en profite ici pour saluer le travail de MM. Bachelay et Albarello, membre de cette mission. Comme eux, je suis favorable à la réalisation de lignes de liaison directe entre nos aéroports et le centre de Paris ; c’est d’ailleurs une requête récurrente des professionnels de l’industrie du tourisme. Sans créer de surcoût déraisonnable pour nos finances publiques, notre projet de candidature peut être une opportunité, un accélérateur pour la réalisation de ces chantiers.
On peut aussi penser au chantier de la couverture numérique du territoire ; c’est là la troisième raison. Notre ambition est de créer une véritable exposition universelle digitale. L’utilisation des nouvelles technologies aura le double avantage de libérer la création et l’innovation et de réduire nos coûts de fonctionnement.
Nous devons aussi apporter une attention toute particulière à l’environnement. Cette exposition peut justement offrir des opportunités de développement extraordinaire. Faisons du Grand Paris la première « smart » métropole mondiale. Développons les transports alternatifs. Soyons en pointe sur l’économie circulaire ou encore la croissance verte. L’environnement du Grand Paris, c’est aussi un symbole exceptionnel : la Seine. En tant que maire d’Alfortville, commune aux confluents de la Marne et de la Seine, je mesure chaque jour la puissance d’invocation de notre fleuve. Notre exposition devrait se vivre au fil de l’eau, autour du poumon aquatique, véritable carrefour des énergies.
Je souhaite vivement que notre projet aille à son terme. J’y consacrerai toute mon énergie. Je terminerai en disant que, pour ne pas avoir peur du monde de demain, il faut nous y projeter et participer à sa construction. C’est l’invitation concrète de l’expo 2025 !
M. Hervé Brossard, président de l’Omnicom Media Group France. Je vais structurer mon intervention en quatre points : les raisons de l’engagement ; les formes de l’engagement ; la communication ; et les bénéfices.
Cet engagement est pour nous une perspective ambitieuse, un moyen de redonner confiance – une confiance nationale et internationale – à notre pays.
Je tiens à souligner la qualité de la proposition. Elle va être l’occasion de réunir des compétences – politiques, étudiants, entreprises –, ce qui est tout à fait novateur. Cette diversité de contributions, source de créativité, d’énergie, d’enthousiasme, m’a plu immédiatement.
En outre, il est temps de remettre la France dans une belle lumière ! Au regard de la tentation du repli sur soi, ce projet est un réel signe d’ouverture. Il faut rétablir un équilibre dans cette France à deux vitesses : conquérante à l’extérieur – avec des entreprises qui gagnent des parts de marché, des étudiants très appréciés –, mais en proie au doute et très court-termiste à l’intérieur.
L’engagement est d’abord moral. Je travaille dans un groupe international. Nous partons pour une longue croisière : il faudra faire preuve de persévérance dans nos efforts.
L’engagement est ensuite sentimental. Si je peux servir mon pays, je le ferai avec grand plaisir, comme entre 1994 et 1998 pour la préparation de la Coupe du monde de football avec Michel Platini et le regretté président Fernand Sastre. Nous sommes allés au bout, en dépit du changement de ministre des sports entre-temps.
L’engagement est enfin professionnel. Notre métier est la communication, et donc la création, la stratégie, la définition des moyens pour la réussite d’un projet. Dans une grande compétition internationale comme celle-là, il est nécessaire d’avoir des réseaux, des relais, de savoir faire du lobbying local, de connaître l’image que l’on a dans les pays et l’image des pays concurrents. Il faut aussi avoir l’expérience des projets – du « travailler ensemble », du « faire faire ensemble » – et des rapports avec les institutions, les médias, les annonceurs.
Dans cette compétition, la communication sera une arme. Une arme face à la concurrence, d’abord. Si l’on veut gagner, il faudra motiver, fédérer, convaincre, et même tirer avantage des expériences passées. Une arme face à nous-mêmes, ensuite. La France jouit d’une belle renommée dans le monde, mais souffre d’une réputation quelque peu ternie. Nos défauts sont cependant corrigibles, rien n’est irrémédiable. Une vraie attirance pour la France s’exprime, la preuve en est que la directrice générale de Facebook, à Paris depuis deux jours, m’a avoué que la seule chose qui l’intéresserait en dehors de son métier serait d’être ministre du tourisme en France !
Ainsi, l’important est de prendre confiance en nous, d’avoir conscience en nos forces réelles et nos faiblesses. Le vrai défaut qui nous est généralement reproché dans le monde est l’absence de constance dans l’effort, dans des positions, des décisions. Montrons que nous sommes capables de constance, d’aller au bout de nos idées. J’y crois ! La communication sera une arme pour entraîner l’adhésion des Français.
Nos forces, vous les connaissez : la beauté de notre pays, les arts, la culture. Au-delà, et le monde nous le reconnaît, il y a nos valeurs universelles, nos réussites et – surtout – notre inventivité. Aux dires des Américains, nous sommes unpredictable, c’est-à-dire imprévisibles. Tirons parti de cette imprévisibilité et de cette inventivité ! La jeunesse de notre pays est également un formidable atout. Le travail des écoles et universités montre la qualité et l’enthousiasme de ces jeunes, qui seront aux commandes en 2025 !
Comme ces étudiants, nous avons envie d’inscrire notre pays dans un avenir jubilatoire, mais réaliste. Leurs premières propositions étaient d’ailleurs extrêmement concrètes : ils veulent, avant tout, que nous construisions un avenir non subi et que nous fassions preuve d’initiatives.
Le premier bénéfice immatériel de cette candidature est la création d’un élan, d’une dynamique dans le pays. Ce projet doit donner le sentiment que l’on va bâtir quelque chose à long terme parce qu’on veut laisser une trace – il est en cela très différent d’une candidature aux Jeux Olympiques.
Deuxième bénéfice : la fierté commune de faire quelque chose ensemble.
Un autre bénéfice est la promotion de l’esprit d’entreprendre, l’esprit d’oser. En prenant cette initiative, la France donne l’exemple.
Aux yeux du monde, cette candidature nous permettra d’affirmer notre confiance dans l’avenir. Nous y contribuerons, en donnant une image renforcée de la France à l’international, mais aussi une image surprenante grâce – pourquoi pas ? – à un virage à 180 degrés qui confirmera notre imprévisibilité !
Pour finir, je pense que la France peut réinventer le concept d’exposition universelle en lui donnant une nouvelle dimension. Dans ce rôle, elle peut être pionnière.
M. Patrick Gautrat, ancien ambassadeur, ancien directeur des sports au ministère des affaires étrangères. Beaucoup de choses ont été dites. J’articulerai mon propos autour de trois axes : les raisons de mon adhésion au projet ; l’international et la diplomatie ; la construction du projet.
Mon intérêt pour le projet trouve son origine dans le communiqué du 26 juillet 2011, qui a été pour moi comme Saint-Paul sur le chemin de Damas, monsieur le président ! On y trouve déjà tous les axes du projet : s’insérer dans la mondialisation, stimuler la croissance, l’attractivité de la France, avec un socle culturel très fort, une grande intelligence collective, une certaine ouverture au monde, des valeurs de créativité et de partage, les leviers de la culture et des nouvelles technologies. Cette exposition sera un espace de créativité, associant architectes, urbanistes, écoles. Ainsi, elle permettra des acquis extraordinaires, comme l’ont fait celles de la fin du XIXe siècle, et elle favorisa les industries créatives, elles-mêmes créatrices d’emplois.
Pour la mise en place du projet, j’ai trouvé extrêmement intelligent de commencer par les plus réticents, je veux parler des caciques du Bureau international des expositions (BIE) qui ont regardé les concepts présentés par le maire de Neuilly avec un certain effroi… Depuis lors, l’espace s’est resserré ; en revenant aux sources originelles des expositions du XIXe siècle, on a commencé à convaincre certains qu’on n’était pas dans l’hérésie !
Un comité de soutien a été mis en place. Lors de la conférence de presse de mars 2012, je suis intervenu pour parler de la lutte contre le « déclinisme », le repli sur soi. Ce qu’il faut mettre en avant, de façon positive, c’est l’adhésion à une mondialisation à visage humain.
Grâce à ce grand événement, la France donnerait rendez-vous au monde en 2025. Il mobiliserait la jeunesse, qui aura alors l’âge des responsabilités, d’où le concours des universités et grandes écoles. Créée en décembre 2012, l’association a établi une liste de partenaires fondateurs et d’une dizaine de grandes écoles. Vous-même, monsieur le sénateur, avez présidé une réunion très importante au Sénat, suivie du congrès des maires de France et de la création de cette mission.
Cette mission s’est fixé pour objectif de contribuer au rayonnement de la France. À cet égard, je me permets de vous rappeler que si nous sommes relativement bons dans le « hard power », à tout ce qui est quantifiable, comme l’économie, la démographie, la puissance militaire, nous sommes assez mauvais dans le « soft power » – notion beaucoup plus subtile qui renvoie à notre capacité de convaincre, de séduire, d’attirer. Or nous avons face à nous des requins redoutables, à commencer par les autres pays européens, les États-Unis et les pays émergents.
Nous allons essayer de créer quelque chose de fondamentalement participatif et attirer les États et les visiteurs, ce qui est tout de même très innovant, à l’événement dans des édifices essentiellement virtuels qui reposeront sur notre patrimoine. Cette notion d’innovation va constituer pour le Grand Paris un élément de promotion exceptionnel durant six mois. À l’opposé de l’image d’un pays pessimiste et empêtré dans ses contradictions politiques, sociales, économiques, c’est une image de la France créative, hospitalière, dynamique, riche de ses atouts traditionnels, qui sera projetée au monde ! Il faut comprendre que les Américains viennent d’abord chez nous pour le traditionnel – le shopping de madame et les jolis monuments – avant de s’intéresser au reste ! Ainsi, le « soft power », c’est notre patrimoine, la gastronomie, la langue, ainsi que la recherche, nos brevets, notre inventivité.
Comment gagner ? En tant que directeur des sports, j’ai vécu des échecs cuisants, et je sais de quelle manière on peut en tirer les leçons…
Lorsque le projet aura pris forme, il faudra sans doute approcher le plus vite possible tous les pays – chaque pays dispose d’une voix –, mais aussi expliquer aux gens, comme l’ont fait les Anglais pour les JO de 1012, en quoi le projet est intéressant pour eux. Il s’agira d’un travail extrêmement interactif, et les pavillons virtuels seront une nouveauté extraordinaire en ne créant plus l’inégalité des pavillons traditionnelle. Comme vous le savez, l’inégalité des pays transpire dans les expositions classiques ; en 2025, ce ne sera plus le cas, grâce notamment à des activités partagées.
Ainsi, un grand nombre d’événements associeront les États et leur permettront de se mettre en valeur. Comme l’a souligné un de mes collègues, auditionné précédemment, il faut surtout s’occuper des petits pays, puisqu’ils pèsent proportionnellement plus et ont la même voix au BIE.
Enfin, je dirai que l’arrogance nous « colle à la peau », notamment aux États-Unis. Le Français arrogant, mal élevé et content de lui : c’est évidemment ce qu’il va falloir changer. Pour réussir, nous aurons besoin d’ambassadeurs, mais aussi et surtout de spécialistes, d’un réseau qui aille bien au-delà de ce que j’ai connu pour les Jeux Olympiques. Nous devrons nous battre, car la compétition sera redoutable avec certains pays, à commencer par l’Angleterre.
M. Ghislain Gomart, directeur général d’ExpoFrance 2025. Créée en décembre 2012, l’association ExpoFrance 2025 s’appuie sur deux concepts originaux : une exposition d’un pays – et non d’une ville –, c’est-à-dire qui associe les métropoles régionales et tous les territoires, notamment le Grand Paris ; l’emploi de nos infrastructures existantes et la mise à disposition de lieux – monuments, espaces publics, etc. – qui permettraient aux pays participants de se présenter au monde, de mettre en scène leurs innovations et leur culture.
Cette association a pour objet de préparer et de susciter la candidature de la France à l’organisation de l’exposition universelle de 2025. Sachant qu’un tel événement a lieu tous les cinq ans et que son organisation est attribuée par 167 autres États membres, nous avons un avantage comparatif : le siège du Bureau international des expositions est basé à Paris, et nous pouvons nous y rendre aisément, tout comme il est aisé pour un membre du BIE de venir assister à nos événements et d’évaluer notre concept original.
Susciter la candidature de la France à l’organisation de l’exposition universelle de 2025 signifie que ce projet ira à son terme à la seule condition d’obtenir l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes de notre société : pouvoirs publics, élus des territoires, milieu économique, grand public. Pour atteindre cet objectif, la dynamique du projet s’articule autour de quatre piliers – économique, politique, académique et institutionnel, et grand public.
Le premier vise à donner un nouvel élan économique au pays. À la suite du lancement officiel du projet en avril 2013, nos efforts ont consisté à trouver des partenaires qui apportent des financements et qui s’engagent sur une durée de douze ans, mais avec une visibilité très limitée. En effet, le parcours se fera en trois étapes : 2013-2015, préparation du dossier de candidature ; 2016-2018, si le dossier est déposé, mobilisation continue des Français et de la communauté internationale autour de notre proposition d’organiser l’exposition universelle ; enfin, si nous sommes élus par les autres pays membres, organisation de l’événement. Les quinze grands groupes ayant adhéré au projet dès la première année se sont engagés sur trois ans, dans la perspective d’une deuxième étape et d’une troisième étape.
Quelles sont les raisons qui ont motivé ces entreprises à se lancer, alors même que le projet n’est pas finalisé et que cette candidature dépendra in fine de la décision des pouvoirs publics ? Les orateurs précédents l’ont dit : c’est l’envie d’un projet collectif qui mobilise l’ensemble de la Nation, toutes sensibilités confondues, qui redonne un élan économique au pays, attire des touristes, qui redonne une image positive à notre pays et offre à notre jeunesse une perspective un peu plus heureuse que celle à laquelle elle est trop souvent confrontée.
Ainsi, en dépit d’un contexte économique difficile, de grands chefs d’entreprise, des directeurs de la communication, des directeurs de la stratégie ont pris l’initiative de nous accompagner financièrement dans l’élaboration et la réflexion du projet.
Ce pilier économique se développe, à la faveur de l’arrivée de nouveaux partenaires. Nous avons ouvert en 2014 le collège aux PME, dont les dix premières ont signé un partenariat. L’idée est de mobiliser toutes sortes de PME sur tous les territoires, de susciter un élan qui parte du terrain, que les citoyens chefs d’entreprise aient envie de voir leur pays s’offrir une dynamique positive, avec ou sans retombées directes ou indirectes pour eux.
Notre souhait est également de mobiliser toutes les associations d’entreprise. Nous pourrons prochainement annoncer de très bonnes nouvelles en ce sens. Ce matin, ExpoFrance 2025 a signé un partenariat avec la CGPME, preuve que les organisations patronales sont également très intéressées par la dynamique.
Le deuxième grand pilier est politique. L’idée est que ce projet parvienne à mobiliser sur une douzaine d’années l’ensemble des territoires sans risque de combats politiques. La réunion au sein du bureau directeur de l’association d’un député de droite et d’un sénateur de gauche assure cet équilibre. Par ailleurs, les grandes associations d’élus ont vocation, si elles le souhaitent, à devenir partenaires. À ce jour, l’AMF et l’ADF ont accepté de l’être ; pour les autres, des signatures devraient être actées prochainement.
Le troisième pilier – institutionnel et académique – est d’abord cette mission parlementaire. Le Parlement est associé dès le départ, ce qui vous permet de promouvoir le projet dans vos territoires.
Ensuite, nous associons les étudiants, à travers sept grandes écoles et universités, qui ont « planché » pendant un semestre sur notre projet et restitué leurs travaux fin janvier. Il a été particulièrement intéressant d’entendre ces jeunes, dont près de la moitié sont des étrangers, présenter un projet d’exposition universelle 2025 avec enthousiasme, originalité, sans avoir peur de proposer des concepts très innovants. Tous se sont retrouvés autour de deux idées : organiser une exposition multi-sites et réinventer l’exposition universelle. Des étudiants travaillent actuellement sur différents thèmes, comme l’hébergement dans le Grand Paris.
Par « académique », j’entends également des fédérations professionnelles, des fédérations sportives, des groupements d’intérêt économique, comme Atout France, des clubs d’entreprise, des associations diverses, qui tous nouent des partenariats en vue de soutenir le projet et de le relayer auprès de leurs membres et de leurs réseaux. À la fin du mois, un grand événement nous permettra de mettre en évidence l’ensemble de ces nouveaux partenaires.
Le grand public est le quatrième pilier. Un comité de soutien permet à toute personne désireuse de voir l’exposition de 2025 organisée en France de signer en faveur de cette candidature. À ce jour, nous comptabilisons 3 000 signataires, auxquels s’ajoutent 9 000 « fans » sur Facebook, et 7 000 « followers » sur Twitter.
Parallèlement, nous avons lancé un sondage dont les résultats à la fin du mois nous permettront d’appréhender clairement le soutien populaire : nous saurons si les Français ont envie ou pas, et quel événement les motiverait le plus. Lors de notre grand événement du 30 avril, vous pourrez avoir l’information en direct !
Sur les 3 000 signataires, 16 % habitent Paris, 17 % l’Ile-de-France hors Paris, et 67 % le reste de la France. Ce ratio montre l’intérêt des territoires. Les 550 maires qui ont soutenu le projet lors du congrès des maires sont eux-mêmes issus de tous les départements, y compris d’outre-mer. Cette sensibilité exprimée dans l’ensemble des territoires est un élément très important.
M. Thierry Benoit. Monsieur le président, pour la mission parlementaire, vous avez souhaité associer des élus des territoires éloignés de la métropole. Messieurs, votre propos est très encourageant. Dans cette course contre la montre, comment les Français des territoires peuvent-ils être impliqués en amont ? Comment mettre en avant les atouts – tradition, modernité, inventivité – de nos territoires ?
Vous l’avez souligné : il s’agit de la candidature d’un pays et de ses territoires. De quelle manière peut-on mobiliser, dès maintenant, nos jeunes, les acteurs institutionnels et les corps intermédiaires ?
M. Ghislain Gomart. L’appel aux territoires lancé conjointement par le sénateur Carvounas et le député Fromantin a constitué une première étape. Il s’agissait de demander aux maires s’ils soutenaient à titre personnel le projet. La réponse très positive est un premier témoignage.
Nous allons reposer cette question lors du congrès des maires de cette année, mais nous irons plus loin. Nous demanderons aux communes qui le souhaitent de faire un vœu, en répondant à la question : « arrivez-vous à mobiliser votre opposition et votre majorité sur un projet, ce projet pour la France transcende-t-il les oppositions municipales » ?
Par ailleurs, les thèmes de l’exposition universelle pourraient porter sur les grands défis mondiaux. Des plateformes collaboratives permettraient de mettre en débat mondial des thématiques d’intérêt mondial, par exemple la pollution des plages par les nitrates, problème qui se pose en Bretagne mais peut-être aussi au Chili. Des maires ici, des chercheurs là, pourraient ainsi partager leur expérience, leurs connaissances. Ces forums de discussion, ces lieux collaboratifs seraient ouverts à tout un chacun, à tous les niveaux, dans tous les territoires, grâce à Internet.
Le 30 avril, nous révélerons le soutien de nombreux corps intermédiaires. La puissance de ces soutiens en amènera d’autres. Dans le cadre des chartes de partenariat avec les entreprises, certaines ont émis l’idée d’un partenariat exclusif ; nous avons refusé le partenariat exclusif pour les thématiques, sauf dans le cadre du club des fondateurs. Néanmoins, à partir de cette année, des entreprises dans le même secteur d’activité peuvent devenir partenaires. L’objectif est que tous les corps intermédiaires, toutes les entreprises aient envie, et les Français aussi !
Pour l’heure, je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur la façon dont chacun pourra intervenir techniquement.
M. Hervé Brossard. Le thème qui sera choisi – et il le sera forcément sur la base d’une décision collective – constituera le premier élément de mobilisation. La motivation découlera de cette mobilisation. Les étudiants sont intéressés par des sujets en lien avec l’image d’une France ouverte, accueillante, et non d’une France vitrine, et les mots qui reviennent le plus souvent dans leurs discours sont ceux de participation, connexion, monde des idées, monde du partage, avant-gardisme et nature. Il nous faudra prendre en compte toutes ces considérations générationnelles, qui correspondent à des aspirations internationales.
Les réseaux sociaux sont une grande chance. Ils permettront de communiquer – et non d’asséner des idées –, de dialoguer de façon constructive et permanente, et in fine de faire remonter les propositions de l’ensemble des Français. Aux yeux des étudiants français comme étrangers, il s’agit d’un projet sans frontière.
M. Patrick Gautrat. La grande habilité de notre projet est effectivement de laisser tout le monde s’exprimer, et non d’asséner un message. Les gens pourront alors constater que la France, loin d’être un pays encroûté, sait faire preuve de dynamisme en ayant imaginé – une nouvelle fois – un concept novateur. Nous allons réinventer quelque chose, de la même manière que nous avons tout inventé dans le monde du sport – jeux Olympiques, Coupe du monde, Coupe d’Europe !
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je vous remercie de vos propos très enthousiasmants. L’enjeu est en effet de remettre la France dans la lumière.
Certains petits départements, comme la Nièvre dont je suis élue, ont le sentiment d’être éloignés de tout et mal connus. Comment leur faire passer le message ? Certes, les élus doivent être associés, mais pas seulement. Il faut aussi parvenir à sensibiliser les associations culturelles de nos territoires qui contribuent de manière remarquable à la richesse locale.
Vous évoquez l’idée d’un vœu municipal. Il faudrait probablement le proposer aussi aux conseils généraux.
On dit que les Français sont arrogants. Mais dans nos territoires, il y a aussi des gens modestes qui ont besoin de croire en un projet de dimension internationale, pour le partager avec d’autres.
M. Luc Carvounas. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, il s’agit d’un projet collaboratif. Pour nous, il n’y a pas de petits ou de grands départements, il y a de grandes histoires qui font notre patrimoine commun, avec nos traditions et nos innovations. Le maillage commence à se tisser grâce aux maires, aux parlementaires, bientôt avec les départements et les régions, mais aussi les comités départementaux et régionaux du tourisme – CDT et CRT – qui seront nos meilleurs relais.
Nous avons en France de véritables pépites qui attendent une seule chose : pouvoir être mises en valeur. Ce projet est le plus fédérateur qui soit, raison pour laquelle il intéresse tout le monde, quelle que soit l’obédience politique ou la fonction. La preuve en est qu’après l’alternance en 2012, j’ai participé à un petit-déjeuner au Sénat avec le député-maire de Neuilly-sur-Seine !
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Effectivement, le Grand Paris sera le réceptacle de toute une dynamique territoriale, et non l’inverse.
M. Ghislain Gomart. Le thème de la première réunion au Sénat organisée grâce à M. Carvounas était intitulé, et ce n’est pas un hasard, « expositions universelles et territoires ».
Le but est de créer un élan collectif. Le Grand Paris peut être un vecteur d’entraînement, mais les métropoles ont également un rôle, et elles-mêmes vont entraîner les territoires dans toutes leurs diversités. Un aubergiste dans la Nièvre pourra se faire connaître sur Internet en proposant des hébergements !
Le thème retenu par les étudiants de Paris-Panthéon-Sorbonne est « l’hospitalité ». Une soixantaine d’étudiants de l’Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme travaillent sur les moyens d’héberger 80 millions de personnes sur une durée de six mois en France, en réfléchissant à tous les types d’accueil autres qu’hôteliers – location d’appartement pendant l’absence de l’occupant, accueil d’étrangers à son domicile, etc.
Ainsi, chacun pourra trouver un moyen de se greffer sur ce grand projet.
M. Hervé Brossard. On pourrait rajouter dans la grille des critères la capacité du thème à concerner, mais aussi à faire contribuer, les territoires.
M. Jean-Louis Gagnaire. Il va falloir amener tout le monde à bon port par-delà les alternances politiques, ce qui suppose un accord commun, mais pas avec notre vision d’aujourd’hui. J’ai été frappé par la capacité des jeunes auditionnés la semaine dernière à se transposer dans le futur – ce que les élus ne savent pas forcément faire, préoccupés par leur réélection.
Apporter sa contribution au projet, c’est aussi apporter sa contribution financière. Je suis élu de Rhône-Alpes, région qui s’est beaucoup impliquée pour l’expo de Shanghai : tout le monde était enthousiaste au départ, mais, au final, seule la région a payé. Pour l’expo de 2025, les mobilisations financières seront importantes, d’où la nécessité d’une approche économiquement supportable. L’opération ne trouvera pas son équilibre économique : elle coûtera cher à tout le monde.
Ensuite, il faut anticiper les évolutions futures. En 2006, Twitter commençait à peine. Les jeunes nous ont montré une forme d’anticipation, mais eux-mêmes sous-estiment ce que pourrait être 2025. Aussi convient-il de se projeter pour savoir ce que seront les moyens de communication et les réseaux de demain.
Enfin, il va falloir faire une place aux jeunes. Ils nous ont parlé d’industrie créative, et nous de gastronomie et de luxe à la française, ce qui témoigne d’une césure générationnelle. Ces industries créatives sont très intéressantes, elles couvrent tous les domaines, y compris culinaire : le design culinaire, c’est autre chose que la cuisine. Les jeunes devront être parties prenantes, nous devrons leur ouvrir des perspectives, mettre cette capacité créative au service d’un projet commun dans toutes les composantes du territoire, et pas seulement les métropoles, dans le monde rural et les réseaux des villes également.
J’espère que nous serons nombreux pour vous accompagner sur la durée !
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Au demeurant, les étudiants ont souvent utilisé les termes : « réseau » et « expérience ». Pour eux, l’exposition devra permettre de vivre des expériences et de travailler en réseau.
À l’heure d’une accélération exponentielle du développement technologique, la question est de savoir comment se prémunir du risque d’une exposition « ringarde ». Néanmoins, si la gastronomie peut paraître désuète, je pense qu’elle peut être modernisée grâce à l’innovation et être regardée différemment grâce à l’expo.
M. Patrick Gautrat. Les évolutions technologiques vont trop vite : on ne peut pas les anticiper pour 2025 !
Néanmoins, la réaction à notre projet initial est la meilleure caution. Il me semble qu’on a déjà pris des risques extraordinaires et que notre concept encore flou – tant pour le thème que pour les modalités –, mais très novateur, nous permettra de nous adapter le plus longtemps possible à l’évolution des technologies, avant la mise en forme définitive du projet.
M. Thierry Benoit. Mon collègue Gagnaire a souligné la réalité financière, mais d’ici à 2025, la France aura enfin réussi à se réformer !
De ma province, je pourrai être connecté avec le monde entier ! Cette France conquérante peut entraîner une partie du pays en proie au doute. Il faut conforter la phase d’enthousiasme, car on entend peu parler du projet dans les territoires. À cet égard, M. Gomart, je trouve l’idée du « vœu » géniale. L’effervescence pourrait remonter des conseils municipaux, des conseils communautaires, des conseils généraux, des régions…
Cet enthousiasme révélera une richesse humaine, culturelle, économique et financière. La France doit jouer sur ses deux piliers : ce qui fait sa « carte postale historique », la gastronomie, le patrimoine, l’histoire, la culture ; et la modernité, avec les nouvelles technologies, l’écoconstruction, l’écologie, la mobilité. Tout cela est extraordinaire !
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Très belle conclusion ! Le projet peut entraîner les territoires, l’économie, la culture, les élus, les jeunes… ! Grâce à cette alchimie, le pays entier serait mobilisé pour accueillir le monde !
Merci, messieurs, pour votre contribution.
Audition commune, ouverte à la presse, sur l’influence française dans le monde avec M. Xavier Darcos, ancien ministre, président de l’Institut français ; M. Christophe Musitelli, directeur du département Langue française, livre et savoirs de l’Institut français ; Mme Mercedes Erra, présidente d’Euro RSCG ; M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure d’Ulm, et Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist
(Séance du mercredi 30 avril 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Les expositions universelles ont lieu tous les cinq ans : la dernière s’est déroulée à Shanghai en 2010, la prochaine se tiendra à Milan en 2015 et la suivante à Dubaï en 2020. Les pays candidats à celle de 2025 devront déposer leur dossier en 2016, les États membres du bureau international des expositions devant désigner le pays organisateur en 2018.
Notre Mission vise à comprendre la mécanique des expositions universelles, le processus de décision de ces grands événements, à comprendre en quoi l’organisation de l’exposition universelle contribuerait au rayonnement de la France, de son économie, de ses entreprises, de ses territoires, de son urbanisme, de ses villes. Il s’agit de savoir comment une telle opération pourrait réenclencher une perspective positive, stimuler l’innovation.
Depuis deux mois, nous avons déjà abordé la saga des expositions universelles françaises au XIXe siècle, entre 1855 et 1900, qui ont été à chaque fois des accélérateurs de progrès, d’enthousiasme, d’innovation et une source d’affluence – on compare souvent les 53 millions de visiteurs de l’exposition de 1900 aux 70 millions de celle de Shanghai en 2010 – comparaison qui montre, alors que les moyens de communication ne sont plus les mêmes, le succès de la dernière grande exposition universelle française.
La présente audition a pour objet l’influence et l’esprit positif qu’une telle initiative pourrait insuffler à un pays réputé pessimiste, résigné, voire fataliste.
Monsieur Darcos, vous êtes, entre autres, ambassadeur en mission pour l’action culturelle extérieure de la France.
M. Xavier Darcos, ancien ministre, président de l’Institut français. Je ne suis pas un spécialiste des expositions universelles, aussi voudrez-vous bien excuser le caractère confus de mon intervention.
Tous ceux qui voyagent sont frappés par le très grand prestige de Paris, capitale marquée par la culture et par des symboles qui renvoient, précisément, à des expositions universelles antérieures – on pense évidemment à la Tour Eiffel. Voilà un argument très fort en faveur de l’organisation d’une exposition universelle à Paris.
Une telle manifestation offrirait en outre l’occasion de montrer de la France ce que l’on n’en dit pas toujours. À l’étranger, l’image de la France est très positive en matière culturelle, patrimoniale, historique, architecturale, en termes de design, de mode, de magasins de luxe… Or cette image positive cache des réalités économiques plus intéressantes et plus utiles pour nous et que pourrait souligner une exposition universelle. Ainsi, peu de gens ont conscience de l’importance du livre, du cinéma, de la télévision, des jeux vidéo – autant d’éléments de notre génie et de notre action économique. Quand on visite les studios d’animation Pixar, il n’est pas nécessaire de parler américain : tous les dessinateurs sont français et tous ont été formés en France.
Ceux qui souhaitent que l’exposition universelle de 2025 soit organisée à Paris devraient d’abord s’appuyer sur cet argumentaire : la France a quelque chose d’autre à dire que ce qu’on en dit d’habitude, qui ne doit bien sûr pas être rejeté pour autant.
Ensuite, parmi les éléments qui rendent visibles une nation ou une grande collectivité, comptent désormais des « signaux » architecturaux – on pense au modèle, désormais ancien, de Bilbao, exporté dans le monde entier. Or, pour ce qui est d’une vision organisatrice, d’une vision de la ville, la France a de très grandes compétences. Les architectes français sont connus et présents dans le monde entier.
Une exposition universelle aura donc à parler de cette évolution fondamentale de l’organisation sociale qu’est la conurbation, la mégapole, l’organisation architecturale – je l’ai dit –, l’organisation logistique des grandes cités, les transports, sujets sur lesquels la France a des acteurs de premier plan.
Il ne faut renoncer à rien de ce qui fait l’identité française en matière esthétique, artistique, de design, de mode, de gastronomie, de mode de vie. Quand on va à Las Vegas, toutes sortes de signaux renvoient à la folie architecturale américaine, mais les trois grands noms qu’on lit sur les affiches sont tout de même ceux de trois grands cuisiniers français – et il faut réserver longtemps à l’avance si l’on veut une place dans leurs établissements…
Il reste une puissance figurative encore visible du génie français, au sens traditionnel, qu’une exposition universelle devrait mobiliser.
M. Christophe Musitelli, directeur du département Langue française, livre et savoirs de l’Institut français. Le département que je dirige cherche à mettre en valeur universitaires, écrivains, chercheurs, sur des thématiques à propos desquelles nous considérons que la France a une position originale. Il s’agit, dans cette perspective, de créer des dialogues à travers, notamment, la traduction des œuvres, en mettant en contact des acteurs de la société civile et des acteurs plus institutionnels. Nous travaillons sur cette chose très complexe, très fine et en même temps indéfinissable qu’est l’image. Comment donner de la France une image qui dépasse cette morosité dont on nous accuse et nous accable ?
Je viens de passer huit ans aux États-Unis : quatre ans à San Francisco en tant qu’attaché culturel et quatre ans à New York en qualité de conseiller culturel adjoint de l’ambassade de France. La première impression de la France, au retour, est difficile. On peut néanmoins parier sur l’attractivité de notre pays. Pendant mon séjour aux États-Unis, j’ai en effet noté un désir, une appétence, une curiosité remarquable pour tout ce qui était français : de la cuisine à Marcel Proust, du cinéma de niche jusqu’à quelques best sellers. Il n’est ainsi pas anodin de constater que le bouquin qui se place en tête de liste sur le site Amazon est celui de l’économiste français Thomas Piketty qui apporte une vision différente sur des sujets d’actualité. Cette curiosité, qui a souvent du mal à être économiquement tangible, trouve là, de manière assez évidente, une application. Il faut parier sur le fait que la France a encore des choses à dire : la conférence sur le climat, l’année prochaine, va mettre l’accent sur le rôle pivot que joue notre pays sur les grandes thématiques de l’avenir.
M. Xavier. Généralement, dans les milieux les plus divers, cette prétention de la France à parler pour l’Humain et pas seulement pour des identités, ne nous est pas totalement déniée, j’y insiste, au point même que dans le lexique de pays très éloignés de nous, comme la Chine, une partie de notre vocabulaire littéraire est devenue du vocabulaire philosophique. Ainsi la notion de romantisme a-t-elle un sens très précis pour les Chinois et renvoie à l’idée d’insurrection, de révolution beaucoup plus qu’à un mouvement littéraire propre à la France.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quel écho peut avoir l’idée que la France accueille une exposition universelle et en quoi l’organisation de celle-ci pourrait-elle renforcer l’optimisme et la confiance ? Que penser d’une telle candidature alors que la France a subi des échecs, dont un récemment pour l’organisation des jeux olympiques ?
M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure d’Ulm. Je n’ai pas la prétention de dessiner la stratégie de cette candidature, même si les premières réunions auxquelles j’avais été convié à la mairie de Neuilly, il y a deux ans, m’avaient plutôt rassuré.
Quel peut être l’objectif d’une telle exposition pour la France en Europe ? Au plan externe, il s’agit de redevenir prescripteur. Nous sommes influents, mais nous ne sommes pas prescripteurs : le journal Le Monde, par exemple, n’est pas traduit en anglais alors que The Economist ou le Financial Times sont lus partout. À part Radio France internationale – et, dans une très faible mesure, France 24 –, nous ne disposons plus de plateforme de prescription. La France maîtrise mal son image extérieure : souvent, ce n’est pas elle qui parle de la France. Le 20 avril 2013, François Hollande a inauguré l’Institut Pasteur de Shanghai – le trente-deuxième ! C’est une aventure qui a commencé en 1891, mais personne ne le sait. Nous sommes une puissance médicale et scientifique mondiale. Mais nous laissons les autres retranscrire notre morosité ; les Américains déplorent l’image que nous avons de nous-mêmes. Un premier objectif consisterait à reprendre la parole sur la réalité du pays.
Ensuite, il faut viser non seulement l’extérieur, mais également la population française et européenne. Le principal impact des jeux Olympiques de Londres a été de donner au public britannique une image moderne, actualisée dont on voit aujourd’hui les effets en termes de croissance. Ces Jeux ont donné au public britannique une image qu’ils avaient un peu perdue depuis la fin de la Seconde guerre mondiale ou depuis la crise de Suez. Ma thèse est que le rebond de l’économie britannique s’explique par le regain de confiance en soi donné par les Jeux.
Réfléchissons par conséquent aux deux objectifs d’une telle exposition : reprendre le contrôle de notre image extérieure et en finir une fois pour toutes avec la pensée du déclin.
Il faut en finir une fois pour toute avec cette pensée du déclin entretenue par la presse nationale. J’en veux pour preuve le succès considérable de l’Atlas de l’influence française au XXIe siècle auprès des journalistes de la presse régionale qui lui ont consacré des couvertures, des doubles pages – notamment dans Ouest France, Les dernières nouvelles d’Alsace, Nord éclair, La Montagne, Le Progrès de Lyon – l’une des questions récurrentes étant de savoir si ce livre avait été écrit pour remonter le moral des Français. Ce n’est pas le cas, mais, s’il peut y contribuer… En revanche, cet ouvrage a fait l’objet d’une censure de la presse nationale, à l’exception du Figaro. J’avais envoyé un article sur le sujet au journal Le Monde qui ne l’a jamais publié – on m’a demandé un papier sur l’Ukraine à la place. Stéphane Rozès m’a donné une explication en me déclarant un jour : l’identité française est abstraite à Paris, incarnée en province.
Cette exposition universelle serait l’occasion exceptionnelle de modifier le regard de nos concitoyens sur la réalité de la France.
J’en viens aux présences françaises dans le monde. L’image de la France est composite : elle recouvre à la fois Pixar et le Paris de Hemingway. Ce qui intéresse les cinéastes et les cinéphiles américains, c’est la Nouvelle vague. En voyageant, le décalage dans le temps entre l’image qu’on a d’un pays et sa réalité m’a frappé : il est souvent d’une génération, voire plus. Notre difficulté est donc de rester fidèles à notre héritage – sans la dimension rayonnement, phare du monde et donneurs de leçons – tout en présentant une image moderne. Nos visiteurs veulent les deux.
J’ai fait faire par nos postes diplomatiques des enquêtes sur l’image de la France. Les réponses sont extraordinairement diverses. Au Vietnam, on nous demande des actions d’urbanisme ; on a formé 4 000 médecins vietnamiens, crée l’université scientifique et technique de Hanoï – ils ont gagné Dien Bien Phu et n’ont pas de complexe à notre égard. En Algérie, c’est la langue : on tient à la langue française parce que l’arabisation forcée a été une régression. En Russie, c’est l’art de vivre. En Chine, Xavier Darcos en a parlé, c’est le romantisme, mais également la délicatesse, l’audace. Au Brésil, c’est le positivisme : la devise d’Auguste Comte, « Ordre et Progrès », figure sur le drapeau. Ce pays nous confie des dossiers économiques, des dossiers de formation – il va nous envoyer 10 000 étudiants – dans des secteurs scientifiques et techniques. Comme tous les pays émergents qui sont souverainistes et westphaliens – et pas du tout coopératifs –, ce qui intéresse le Brésil, c’est le début de la Ve République, la France des grands programmes.
Nous devons par conséquent valoriser nos réalisations scientifiques et techniques – je n’ai rien contre LVMH et les parfums Hermès, mais cette image du luxe et de l’art de vivre nous empêche de vendre des TGV. Il faut essayer de rééquilibrer l’ensemble des domaines d’excellence et de présence.
Nous devons par ailleurs être attentifs aux profils de la France : elle ne représente pas la même chose pour un Marocain, pour un Argentin ou pour un Brésilien. La première langue de destination de textes français est le chinois depuis 2013. Le premier consommateur de livres français, en dehors des pays de la francophonie du Nord et du Sud est l’Allemagne. Nous devons être sensibles à ces aspects, à ces attentes. En outre, nous devons cultiver bien mieux notre hospitalité : nous ne sommes pas très polis… Nous invitons de nombreux étrangers à participer à des colloques, des séminaires, des bourses d’études, à l’ENA
– 4 000 élèves dont 400 Allemands, 350 Britanniques, l’ancien ambassadeur de Chine en France… –, à l’École militaire... Or nous n’envoyons pas la petite carte postale, début janvier, pour présenter les vœux de la France ! À l’inverse, Britanniques et Américains sont maîtres dans l’art de cultiver les liens. Nous devons devenir plus hospitaliers, plus courtois, plus fidèles. La France n’est plus le phare du monde. Nous devons éviter le nationalisme intellectuel.
On attend de nous que nous évitions la banalisation américano-globale qui nous menace. On attend de nous des idées – peu nombreux sont les pays qui ont des idées sur la marche du monde. L’Institut français organise une ou deux fois par semaine, quelque part dans le monde, un débat d’idées. J’y ai participé : c’est extraordinaire. Les effets s’en feront sentir dans cinq ou dix ans. En somme, nous devons nous montrer attentifs à ce que l’on attend de nous, à notre image ; nous devons produire des idées, les partager et les mettre en œuvre avec d’autres.
Je conclurai en citant un texte fondateur, le discours où le général de Gaulle, depuis Alger, le 30 octobre 1943, à l’occasion du soixantième anniversaire de la fondation de l’Alliance française, appelle à la résistance armée et à la résistance intellectuelle et invente le concept d’influence culturelle. Selon lui, il faut « se laisser pénétrer par les courants du dehors », faute de quoi « l’autarcie mènerait vite à l’abaissement ». Il évoque l’émulation internationale. On parle aujourd’hui des classements internationaux : ils nous font beaucoup de bien même si nous ne les fabriquons pas nous-mêmes ; nous sommes terrorisés par le classement de Shanghai ou par le classement du Times Higher Education et tout le monde en tient compte. Le général de Gaulle estime donc que « l’émulation internationale est un ressort dont il ne faut pas que l’Humanité soit privée, mais les hautes valeurs ne subsisteraient pas dans une psychologie outrée de nationalisme intellectuel ». Et il continue : « Nous avons, une fois pour toutes, tiré cette conclusion que c’est par de libres rapports spirituels et moraux, établis entre nous-mêmes et les autres, que notre influence culturelle peut s’étendre à l’avantage de tous et qu’inversement peut s’accroître ce que nous valons. »
Une anthropologue brésilienne a réalisé une étude très intéressante sur la mission universitaire française dans les années 1930-1940 au Brésil – ce sont les intellectuels français qui ont créé l’université brésilienne, qu’il s’agisse de l’ethnologie, de la sociologie, de l’anthropologie, de l’histoire et de la géographie… Selon elle, il existe une différence entre l’influence et la présence. Dans ce dernier cas, un professeur vient, donne son cours, recueille des données et repart pour en faire un livre ou une thèse. Et il y a celui qui vient avec des idées et les partage, les laissant quand il repart – c’est l’influence. Nous avons besoin de bien savoir ce que l’on attend, quel est l’effet final recherché, comme disent les militaires. Je me tiens à votre disposition pour discuter de la stratégie.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Existe-t-il, selon vous, Sophie Pedder, des ressorts susceptibles de nous être utiles ?
Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist. La morosité des Français n’est pas une invention étrangère : on peut la mesurer grâce aux sondages ; elle s’exprime dans les articles de presse, les livres, les débats. Elle est très frappante pour les étrangers, d’autant qu’on ne la retrouve pas dans les autres pays, y compris ceux plongés dans de graves difficultés : d’après un sondage de 2013 du Pew Global Attitude, les Français sont plus pessimistes que les Afghans et les Irakiens !
Frappant également est le décalage entre ce pessimisme et les atouts réels du pays dans les domaines culturel, économique, technologique… Et la voix de la France compte toujours en matière de sécurité géopolitique – je pense à ses actions extérieures au Mali, en Centrafrique, à ses positions au sein du Conseil de sécurité à l’ONU, ou encore aux discussions relatives au conflit syrien. Le Royaume-Uni semble pour sa part plus en retrait sur plusieurs théâtres d’opérations extérieures.
Néanmoins, depuis une douzaine d’années, la France n’a pas réalisé son potentiel économique - ne serait-ce que si l’on compare sa situation avec celle de l’Allemagne - et se retrouve dans une situation surprenante : elle est à la fois au cœur de l’Europe et le maillon faible de la zone euro. Il est capital, si vous voulez modifier l’image de la France, de changer également la réalité économique. On ne peut changer la marque « France » sans qu’elle recouvre une réalité plus solide. J’espère que le pays commence à être sur la bonne route
– cela me semble le cas depuis très peu de temps.
Quelle pourrait être la spécificité de ce projet d’exposition universelle ? Ce que la France fait à merveille et dont on ne parle pas assez, le mariage réussi de tradition et de modernité dont le tout récent défilé de mode de Karl Lagerfeld au Grand Palais, à Paris, vient de donner une excellente illustration. L’exemple, apparemment anecdotique, reflète ce que sait faire un pays qui construit le viaduc de Millau, ouvrage d’une créativité architecturale exceptionnelle, pour relier des territoires ruraux dotés d’un patrimoine traditionnel. En d’autres termes, il est indispensable de ne pas projeter une image uniquement romantique de Paris et de la France : à la tradition, il faut associer l’avenir par l’architecture, le design, l’innovation médicale…
Cet aspect a été mis en valeur par les Britanniques aux jeux Olympiques de 2012 : sans oublier l’histoire du pays, Londres a réussi à transmettre une image d’inclusion de toute sa population et d’inventivité, traduite par la cérémonie d’ouverture des Jeux. J’ai le souvenir que le film projeté par les Français au moment de présenter la candidature de Paris à l’organisation des jeux Olympiques était beaucoup plus tourné vers le passé. L’aspect historique ne doit pas être négligé, mais il est indispensable de le marier à une modernité française, parfois méconnue à l’étranger ; l’exposition universelle pourrait être le vecteur de la renaissance économique du pays.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Vos propos, madame, et ceux de M. Foucher, corroborent les résultats d’un récent sondage de l’IFOP. Il révèle que 83 % des Français estiment qu’une candidature du pays à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025 serait une bonne chose – un taux très supérieur à ce que nous imaginions –, et les personnes favorables à ce projet y voient très majoritairement l’occasion d’une synthèse entre patrimoine et innovation.
Mme Sophie Pedder. L’exposition « Paris 1900, la Ville spectacle » en cours au Petit Palais rappelle précisément que l’Exposition universelle de 1900 fut organisée par un pays confiant en sa technologie, ce que montra notamment la construction du métro. Si cet esprit est retrouvé, la perspective d’une exposition universelle redonnerait à la France un souffle très puissant.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Selon vous, madame Erra, la candidature de la France à l’organisation d’une exposition universelle en 2025 contribuerait-elle à redonner à nos concitoyens confiance en leur capacité d’innovation et en leur avenir ?
Mme Mercedes Erra, présidente d’Euro RSCG. Le sujet est d’importance. À New York, d’où je reviens, j’ai constaté l’excellent accueil fait à la nouvelle campagne publicitaire d’Air France, dont les codes visuels insistent délibérément sur le caractère éminemment français de la Compagnie : on y a trouvé normal qu’Air France proclame la France. De même le groupe hôtelier Accor fait-il la promotion de la belle marque Sofitel sous l’intitulé « Life is Magnifique », signalant par ces mots la garantie d’un art de vivre à la française dans le respect de la culture des pays où les hôtels sont installés. Dans les deux cas, les valeurs positives associées à la France sont affirmées, et bien reçues.
Lorsque j’ai pris connaissance du projet d’organisation d’une exposition universelle en France en 2025, j’ai immédiatement pensé qu’il fallait le mener à bien : il est nécessaire de faire feu de tout bois pour redonner confiance à nos concitoyens. Je puis témoigner que la communication a permis à de nombreuses entreprises de commencer à se redresser avant même que la réalité économique n’embraye : quand la direction vers laquelle on tend est dite, on se met à travailler pour changer le monde. Lorsqu’Air France se fixe pour objectif de « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre », cela donne une autre vision du métier et cela entraîne le personnel de bord. La France a besoin d’être entraînée, et la confiance en son avenir est un enjeu majeur.
Nous avons, nous aussi, constaté la « déprime » qui afflige notre pays, alors que la crise économique y a été beaucoup plus atténuée que dans la plupart des autres pays, qui n’ont pas les amortisseurs sociaux dont nous nous sommes dotés – ce que l’on oublie de dire. Le niveau d’inquiétude de la population ne laisse pas d’étonner. La moitié des Français voient dans la mondialisation une très grande menace et non une opportunité ; 60 % jugent que notre pays est mal placé pour résister à la mondialisation ; 70 % pensent que nous sommes dans une phase de dépression collective et 68 % considèrent que notre société va dans une mauvaise direction. Voilà qui fait de notre population l’une des plus pessimistes au monde, et voilà qui nous dépeint toujours comme les plus tristes, les plus frileux, les plus inquiets, alors que nous vivons dans un pays merveilleux. Nos visiteurs ne s’expliquent pas cet état d’esprit.
Les Français n’étant pas nés avec le gène du pessimisme, il convient d’analyser ce phénomène. Quels en sont les responsables ? Les medias, certainement, qui se plaisent à raconter des histoires tristes. Il y a aussi que nous n’osons pas être positifs comme peuvent l’être les Américains : contrairement à eux, nous doutons toujours de l’intérêt de notre modèle. Et puis, en amont, il y a un système éducatif qui peine à donner confiance aux jeunes qu’il forme, si bien qu’ils sortent de l’école très tristes ; seraient-ils moins cultivés mais gais que nous nous porterions mieux, car on connaît d’autres populations peut-être moins cultivées mais en meilleure forme !
Cependant, ces Français tristes ne se satisfont pas de l’être et aspirent à autre chose : 60 % d’entre eux pensent que la France doit changer, 56 % aspirent à un nouveau départ collectif et 90 % se disent favorables à la création d’une « marque France ». On note à ce dernier sujet une évolution marquée : beaucoup de ceux qui, en 2009, étaient effrayés par cette notion sont devenus en quelque sorte plus « commerçants ».
Si, à ces Français malades d’une « déprime » qu’il faut soigner assez vite et qui aspirent au changement, on dit : « Croyons en nous, définissons une nouvelle positivité autour d’une fierté française comme il existe une fierté américaine assumée », on peut espérer ranimer la foi. Je participe aux forums « Osons la France », et j’observe qu’on est applaudi quand on tient ce discours positif ; nous devons tous nous y astreindre. Le projet d’exposition universelle répond à une envie et elle aura un grand succès auprès du public interne.
Par ailleurs, on exagère le rejet que le monde fait de la France. Certains de nos messages au monde ont pu, cela est vrai, être mal perçus. J’ai ainsi le souvenir d’une banque américaine ayant jugé insupportables certaines appréciations particulièrement vindicatives portées sur les gens qui construisent la fortune en France ; cela a créé une nervosité. Pour autant, une étude que nous avons réalisée récemment révèle un lien très intéressant avec la France. Dans un monde où la puissance n’est plus seulement anglo-saxonne mais aussi chinoise et brésilienne, la perception de la France à l’étranger diffère selon les pays. Nous avons des enthousiastes – la Chine, l’Inde, le Mexique. Un cran en-dessous, on trouve des opinions très positives – celles du Brésil et de la Turquie. Ensuite s’expriment quelques réticences et du scepticisme en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie, ce qui ne signifie pas de la négativité. Le monde souhaite que les cultures s’équilibrent, pense que la France peut participer de cet équilibre, et cela intéresse. C’est une très bonne chose pour attirer des étudiants étrangers ; ainsi les étudiants chinois sont-ils très attirés par les MBA de HEC – à condition, naturellement, que l’on ne leur dise pas qu’ils ne peuvent venir, ou qu’ils doivent ensuite quitter le territoire français au plus vite.
L’étude met en lumière deux autres éléments enthousiasmants. Le premier est que plus jeunes sont les personnes interrogées, plus élevé est le taux d’opinions favorables : les jeunes du monde entier ont une opinion de la France plus positive encore que les gens plus âgés, peut-être parce qu’elle représente une culture alternative qui les intéresse. Par ailleurs, ceux que nous définissons dans le corpus échantillonné comme les « influenceurs » ont une opinion de la France meilleure que celle de la population « centrale », ce qui signifie que cette tendance s’amplifiera.
Sur quels éléments cette opinion favorable est-elle fondée ? À 71 %, les personnes interrogées considèrent que « le sens de la beauté » appartient à la France. C’est fondamental : je rappelle que le succès d’Apple n’est pas tant dû à ce qu’il a investi dans la recherche qu’au fait d’avoir fabriqué de beaux objets au design très soigné.
Est ensuite évoquée la qualité, notion plus importante encore. Pour nous qui avons fait parfois des choix industriels maladroits en ne privilégiant pas le critère de l’extrême qualité que nous pouvions construire, cela est encourageant.
Et puis on nous parle de culture, une culture au croisement de la tradition et de la modernité, qui attire énormément le monde. Nous avons là une force extraordinaire. À un moment où beaucoup pensent, en Europe et dans le monde, que la société est engagée dans une mauvaise voie et que la spiritualité fait défaut, c’est un argument formidable. D’ailleurs, ce que nous créons, nous, publicitaires, qui essayons de mettre les produits en avant, ce sont des objets culturels – sinon, nous n’obtiendrions pas de résultats. Je vous donnerai pour exemple le banal petit yoghourt créé par Danone, dont la marque a fait un produit culturel car il symbolise toute la santé du monde. Dans ce yaourt, il y a une idée très importante. L’idée doit certes respecter la réalité, mais elle doit aussi la tirer en avant.
Cette notion est transposable sur le plan politique, cela a été dit : que produit-on, sur le plan culturel, lorsqu’on défend une vision du monde au point de continuer à envoyer des gens se battre pour cela ? La France a ce que n’ont ni l’Espagne ni l’Italie : la capacité à représenter un point de vue sur le monde – et, à l’étranger, les gens en parlent. Il y a là un gisement considérable de richesses à exploiter si l’on voulait bien appuyer au bon endroit et travailler.
Enfin, nous avons du mal à mettre en exergue nos capacités d’innovation. Là encore, nous devons faire feu de tout bois, puisque nous avons des mathématiciens et des ingénieurs d’exception et un enseignement qui conduit à l’innovation. Nous devons mettre ces caractéristiques en avant car, dans l’innovation, aussi il y a de la brillance. Voyez le succès que rencontrent les lieux de culture qui ont accepté d’ouvrir des salons de thé : ce mélange des genres, tout français, plaît.
Tous les indicateurs dont nous disposons vous donnent raison d’envisager l’éventualité d’une exposition universelle dans notre pays ; cela ferait un bien fou aux Français, car cela construirait la confiance. C’est essentiel, car je n’ai jamais vu que l’on avance sans confiance. Nous devons donc insister sur nos forces, celles de nos entreprises, de nos inventeurs, de nos designers, de nos décorateurs, employés partout dans le monde.
Comment faire pour être fiers de nous-mêmes et, en même temps, puisque l’on nous taxe parfois d’arrogance, changer ? Arrogants, bien d’autres le sont, mais ils savent aussi se montrer accueillants. En termes de communication, les deux mots clefs me paraissent être la fierté, sans aucun doute, et l’ouverture, à tout prix. Une exposition universelle organisée en France pourrait réapprendre que nous avancerons si nous sommes fiers de nous-mêmes et intéressés par les autres et par ce que leurs réalisations ont d’admirable.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il est frappant de constater que votre conclusion recoupe celle de la longue réflexion menée par une trentaine d’étudiants de La Sorbonne, d’une dizaine de nationalités. Appelés à choisir quel pourrait être le thème d’une exposition universelle en France, ils ont retenu l’hospitalité, dans toutes ses composantes : l’ouverture, l’échange et la communication.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Il était passionnant de vous entendre parler de notre pays et de ses habitants. J’aimerais maintenant vous entendre nous dire comment nous pouvons présenter au mieux notre candidature, pour l’emporter. J’ai été frappé par les applaudissements suscités, dans une salle de cinéma au public plutôt jeune, par une publicité de TF1 axée sur le thème : « Et si on voyait les choses de manière positive ? ». À un moment où certains ouvrages tendent à accréditer la thèse que la France semble disparaître du monde et que l’influence de sa culture recule, où la mode est au dénigrement permanent de notre pays, quels éléments devrions-nous mettre en avant ? Existe-t-il des thèmes spécifiquement français qui intéressent le monde et sur lesquels nous pourrions construire l’exposition, ou notre réflexion doit-elle être plus universelle ? Notre principal défi est de faire partager notre envie de bouger pour provoquer une spirale positive comme en connaît Londres qui, forte du succès des jeux Olympiques de 2012, envisage, semble-t-il, de présenter aussi sa candidature à l’organisation d’une exposition universelle en 2025. Je ne suis pas certain que l’image de la France qu’a projetée notre pavillon à Shanghai ait été la meilleure. Pour convaincre du bien-fondé de notre projet, devrons-nous transmettre des messages différenciés selon nos interlocuteurs, très divers, du Bureau international des expositions ?
M. Michel Foucher. Il faut dresser le profil qu’a la France dans chacun des pays qui votent. Ainsi, notre ambassadrice à Kampala, à qui je demandais ce qu’évoque la France pour l’Ouganda, ne m’a répondu ni « les Pères blancs » ni « Total », pourtant omniprésent, mais « Napoléon », c’est-à-dire l’État de droit et la nation. Pour sa part, le Président Xi Jinping, invité à clore le forum économique franco-chinois organisé au Quai d’Orsay, nous a parlé de littérature, de l’apprentissage du marxisme à Paris par Zhou En Lai et Deng Xiao Ping, et de la Révolution française… Il est déterminant de connaître en amont la constellation des images de la France dans les pays concernés et de travailler en fonction de ces diverses perceptions.
Le dénigrement de notre pays ne mérite pas que l’on s’y arrête, puisque vous avez avancé la solution : c’est l’exposition universelle, nouveau projet qui va passionner les gens. Ne perdez pas de temps avec des textes qui ont fait des diagnostics souvent utiles mais aussi souvent très orientés. On sait que le discours du déclin, depuis la publication d’un certain article en 2003, était une machine de guerre dirigée contre le pouvoir en place à l’époque ; dix ans plus tard, le même discours est repris, en plus sonore. N’entrez pas dans ce débat.
Tradition ou modernité ? Il faut les deux. Je rappelle aussi que la population française est plus jeune que la moyenne européenne, et incidemment que plus de la moitié de la population et composée de femmes ; or les Françaises, depuis les salons du XVIIIe siècle, contribuent très largement à l’image de notre pays. N’oublions donc ni notre jeunesse ni la dimension féminine de la France.
Le thème de l’hospitalité me plaît beaucoup. Nous ne sommes pas hospitaliers, chacun s’en rend compte dès qu’il débarque à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Sur ce point, nous devrons faire un effort considérable, et j’espère qu’en 2025 on aura construit une ligne de transport collectif directe entre Roissy et Neuilly… Je pense l’exposition universelle comme une porte ouverte : il nous faut refaire la preuve que la France est traditionnellement ouverte aux autres. Mme Predder l’a dit, la force du Royaume-Uni est d’avoir fait fond sur le multiculturalisme de Londres, en portant l’idée de ville mondiale. En France, cette réalité n’est pas assumée. Nous devrons mettre en avant l’accueil et l’hospitalité, et prouver la réalité de cette ouverture. C’est ce qui sera le plus difficile.
Mme Mercedes Erra. L’exposition universelle représente un hommage et une ouverture au monde, cela ne concerne pas seulement la France. Il convient de montrer notre intérêt pour ce monde qui n’a jamais autant bougé qu’à notre époque. Placer notre candidature sous ces auspices donne une indication de l’envie française d’accueillir le monde.
Les gens qui viennent en France pensent qu’ils vont vivre une expérience relevant du registre du plaisir. Lorsque l’on arrive à New-York, on entend dire : « Ce sont des Françaises » ! Cette phrase signifie que le moment sera plus drôle et plus intéressant, que la nourriture sera meilleure, que l’atmosphère sera plus gaie. Cette légèreté et cette culture du plaisir, nos amis américains l’appellent l’« art de vivre ». Nous ne devons pas rejeter cette facette : il est merveilleux que le monde soit porté par l’art de vivre, que les entreprises créent un art de vivre, et que nous véhiculions ces valeurs de culture, d’intelligence et de plaisir. Les Américains trouvent que la beauté des Françaises réside dans « l’air de rien » et dans le naturel. Bien entendu, tout cela est très travaillé, mais c’est l’effet produit qui compte.
La France doit défendre une candidature à la fois universelle et dénuée de tout ennui. Les étrangers ont l’impression qu’un événement organisé par les Français sera plus agréable que n’importe quel autre. Je suis sensible à l’hospitalité, mais il faut en donner la preuve ; elle ne peut pas être déclaratoire, et il est difficile d’en faire l’un des thèmes de la candidature. En revanche, celle-ci doit mettre en avant la générosité et l’universalité, la France étant assimilée à cette dernière.
La démonstration de notre intérêt pour le monde qui bouge prendra un contour moins formel que celle qu’aurait choisie un Allemand. Pour prendre un avion, l’Allemand arrivera toujours plus à l’heure que le Français, qui arrivera toujours moins en retard que l’Italien. Nous portons des images sur lesquelles il convient de surfer, car elles sont indestructibles. Mélangeons l’ouverture – une exposition universelle n’est pas une exposition sur la France – au style français ; en effet, l’expression « French touch » continue de faire le tour du monde et nous devons insérer le flair français dans cette aventure.
M. Michel Foucher. Une motion de synthèse serait « Paris, désirs du monde » ; il convient que le terme ambigu de « désirs » apparaisse. Monsieur le président, nous avions parlé d’amour lors de la première réunion ; vous en souvenez-vous ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Absolument ! Nous tournons continuellement autour des thèmes d’hospitalité et de rencontre avec l’autre, facteur de richesse. Quatre cents étudiants provenant de différents pays ont travaillé sur ce sujet depuis un an et ont fait part de leur angoisse d’une standardisation culturelle. L’étude que l’on a conduite a montré que ce sont les personnes les plus âgées et les plus jeunes qui soutenaient le plus l’idée de la tenue d’une exposition universelle en France. Les premières ont en mémoire l’apport de cet événement à la France au XIXème siècle et les secondes craignent le processus de lissage induit par la mondialisation. Un projet de cette envergure permet, comme vous l’avez tous souligné, de réintermédier la culture.
M. Xavier Darcos. Il convient d’évoquer les conditions matérielles de l’hospitalité ; pour nous autres qui voyageons toutes les semaines, le retour à Paris s’apparente à l’enfer : arriver à Roissy, c’est arriver à Kinshasa lorsque l’on vient d’un grand aéroport du monde. Y aller aussi, d’ailleurs ! Les agressions sur le trajet entre le centre de Paris et Roissy sont un sujet dont les étrangers vous parlent.
L’approche française de la culture repose sur un paradoxe : nous avons souvent montré un intérêt précurseur pour la diversité des cultures, mais nous la théorisons plus que nous la pratiquons. La culture française reste abstraite pour un jeune : lui s’intéresse aux mangas japonais, au rap, à la danse africaine, au cinéma asiatique ou indien, à la danse contemporaine, à l’art contemporain chinois, aux arts primitifs et au design suédois plus qu’aux meubles Louis XIII. Nous sommes donc hospitaliers aux influences étrangères, notre culture est assimilatrice, mais ce phénomène reste méconnu.
Monsieur le président, vous parliez avec justesse de la crainte de la standardisation de la culture, que beaucoup expriment, y compris ceux qui passent leur temps sur Google, parlent à l’américaine et sont fascinés par l’American way of life. Lorsque l’on recherche une alternative à cette standardisation, c’est souvent la France que l’on évoque, notamment en Asie. La motivation de l’apprentissage du français dans de nombreux pays repose sur la volonté de se démarquer de la culture anglo-saxonne. Nous pourrions mobiliser cette ressource, qui ne traduit aucun refus mais qui incarne « l’autre des cultures du monde ».
Les intellectuels français – pas ceux dont les Américains parlent toujours et qui sont morts il y a cinquante ou cent ans comme Jacques Derrida, Michel Foucault, Jean-Paul Sartre ou Roland Barthes – ont débattu de la manière dont le français pourrait s’abstraire de la culture nationale, et de grands écrivains – Jean-Marie Gustave Le Clézio, Michel Le Bris ou Erik Orsenna – ont réfléchi à la création d’une littérature-monde en français, celle qu’attendent les étrangers pour disposer d’une alternative à la domination anglo-saxonne.
Mme Sophie Pedder. Je ne connais aucun projet relatif à une candidature de Londres à l’organisation d’une exposition universelle.
La France doit retrouver sa trajectoire de croissance économique réelle, et la volonté d’organiser cet événement doit accompagner ce retour, mais elle n’en sera pas le moteur.
Il convient que le message de la candidature soit authentique ; j’aime l’idée de la remise en question des préjugés sur la France, mais il ne faut pas aller trop loin dans cette voie. La France n’a pas l’image d’un pays hospitalier, mais l’accueil à l’aéroport de Roissy ou le service désagréable dans les restaurants font partie de son charme. L’authenticité doit primer ! Par ailleurs, l’idée du mariage entre un aspect connu de la France et un qui l’est moins me séduit : ainsi, vous pourriez mettre en avant des couples comme mondialisation et terroir local, modernité et tradition ou passé et avenir.
Mme Mercedes Erra. Une exposition universelle ne doit pas constituer un prétexte à ne parler que de nous ! Parlons du monde, mais utilisons une façon française de le faire. Si je prononce des phrases comme « Il faut aimer la France » ou « Aimer la France et aimer le monde », le regard porté sur l’extérieur est intéressant. Bannissons l’ennui et faisons ressentir notre amour du monde.
Ne nous gênons pas non plus pour reconnaître que les étrangers adorent manger notre fromage et boire notre vin ; il faut mélanger l’intellect et le bonheur, car cette combinaison est très française. La légèreté nous ressemble et se niche sous la plume de nos plus jolis écrivains – on rit beaucoup en lisant Marcel Proust. Mettons en avant notre générosité qui transparaît dans notre intérêt pour le monde et associons-la au désir et au plaisir. Nous avons l’air d’éprouver du plaisir en travaillant et nos comportements ne sont pas régis par des codes : c’est un peu cela la France et c’est ce qui fait envie au monde ! La candidature à l’organisation de l’exposition universelle doit donc être une source de plaisir pour les Français et pour les étrangers.
Audition commune, ouverte à la presse, de représentants du Commissariat général de la section française à l’Exposition universelle de Shanghai en 2010 : M. José Frèches, commissaire général, M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française, et chargé de mission auprès du commissaire général de l’exposition universelle de Milan, et M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Île de France
(Séance du mercredi 7 mai 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Dans le cadre des auditions qui doivent nous éclairer sur la pertinence d’une candidature française pour l’organisation de l’exposition universelle de 2025, nous avons la chance d’accueillir aujourd’hui M. José Frèches, qui a été le commissaire général de la section française de l’Exposition universelle de Shanghai, M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française, et M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon à cette même exposition universelle.
Monsieur Frèches, licencié en histoire de l’art et en chinois, vous avez été reçu premier au concours de conservateur des musées de France. À peine affecté à la section chinoise du musée Guimet, vous réussissez le concours de l’École nationale d’administration et vous rejoignez la Cour des comptes à l’issue de votre scolarité. Après une carrière dans l’administration, vous quittez le service public en 1988 pour le groupe Canal +, avant de devenir directeur général des Laboratoires Pierre Fabre puis président-directeur général du Midi Libre. Vous poursuivez également une carrière littéraire.
Tous ces titres vous qualifiaient pour exercer la mission de commissaire général du pavillon français à l’Exposition universelle de Shanghai. Les leçons que vous avez pu tirer de l’exercice de cette fonction nous intéressent, tant quant à la manière dont la France s’est présentée au monde dans les pavillons qu’elle a fait bâtir qu’en ce qui concerne l’organisation de l’exposition universelle par les Chinois.
Vous avez été secondé dans vos fonctions à Shanghai par M. Florent Vaillot, qui a été major de l’armée française puis inspecteur des finances, et qui est à présent chef de projet auprès du commissaire général de la section française de l’exposition de Milan. Ce n’est toutefois pas en cette qualité que nous vous recevons aujourd’hui, monsieur Vaillot, mais en raison des fonctions que vous avez exercées sous la présidence de M. Frèches.
Je donnerai enfin la parole à M. Christophe Leroy qui a également participé à l’exposition de Shanghai. Cette expérience vous a conduit, monsieur Leroy, à fonder, en mai 2012, l’association Anfitrion, pour faire connaître aux entreprises et aux collectivités territoriales la stratégie d’une communication événementielle servie par un pavillon dans une exposition internationale.
Nous aimerions connaître comment, fort de l’expérience qui est la vôtre, vous jugez le modèle des expositions universelles. À quelles conditions une candidature française d’une exposition universelle aurait-elle une chance de succès, si tant est que vous êtes favorables à ce projet qui régénérerait la tradition française d’accueil des expositions universelles – comme cela a été le cas de 1855 à 1937 ?
M. José Frèches, commissaire général de la section française à l’Exposition universelle de Shanghai. Je vous dirai d’emblée que je suis favorable à la tenue d’une exposition universelle en France, plus précisément en région parisienne. J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de le dire au Chef de l’État.
D’une façon générale je pense du bien des expositions universelles, même si certains les jugent quelque peu désuètes. En tout état de cause, ce n’est pas la France, qui est l’un des pays membres du Bureau international des expositions (BIE), qui va remettre en cause le modèle des expositions universelles tel qu’il existe actuellement. Il est vrai qu’il s’agit d’une invention ancienne, fruit d’une époque où le monde comptait moins d’États et où le public n’était pas saturé de divertissements comme aujourd’hui. Ces spectacles – car ce sont de véritables spectacles – ne semblent cependant pas avoir perdu leur force d’attraction : de nombreux visiteurs continuent de s’y rendre, non seulement pour s’instruire, mais surtout pour rêver et s’amuser, car il ne s’agit quand même pas du Collège de France ou du Muséum d’histoire naturelle. Certains pavillons nationaux ont cependant une vocation pédagogique. Les Allemands par exemple y parviennent, avec des robots et de la 3D, mais leur pavillon à Shanghai a coûté 60 millions d’euros.
Symboles de la révolution industrielle, ces expositions étaient à l’origine de gigantesques concours Lépine, où les pays rivalisaient entre eux d’innovations propres à épater le public. Même si les choses sont aujourd’hui bien différentes, cet aspect de compétition sympathique entre États n’a pas disparu, et la vocation des pavillons nationaux, s’agissant des expositions universelles, ou celle des espaces que chaque État participant aménage dans le cadre des expositions internationales reste d’être des vitrines du savoir-faire national.
Une véritable implication des pouvoirs publics de notre pays est la première condition pour que la candidature de la France ait une chance d’être acceptée. L’État français et le Gouvernement doivent donner plus que l’impression de s’intéresser aux expositions universelles et internationales. Si je le précise, c’est que cela ne va pas de soi. À peine nommé président de la Compagnie française pour l’exposition universelle de Shanghai, la COFRES, j’ai appris que le ministre des affaires étrangères et la ministre de l’économie avaient, dès août 2007, osé recommander au Président de la République le projet d’un pavillon franco-allemand, sous prétexte de diviser par deux les frais et de renforcer les liens entre la France et l’Allemagne. Les Allemands ont bien ri de cette proposition, contraire au principe même de l’exposition universelle comme compétition entre pays : pourquoi pas un pavillon commun au Venezuela et à l’Argentine ? En outre, cela faisait déjà plus de trois ans que les Allemands travaillaient à l’élaboration de leur pavillon.
Pourtant, ce fantasme continue de hanter la direction du budget et certaines directions du Quai d’Orsay. Je sais que certaines administrations étaient hostiles à la participation de la France à l’exposition internationale de Yeosu, et notre pays n’avait toujours pas fait savoir sa décision en décembre 2010. C’est moi qui ai dû insister auprès du Président Sarkozy pour qu’il confirme de vive voix à son homologue sud-coréen que la France participerait bien à cet événement. Vous imaginez bien que si la France n’y avait pas été représentée, votre mission n’aurait aucune raison d’être, monsieur le président : pour que la France ait une chance d’organiser l’exposition universelle en 2025, encore faut-il qu’elle en ait envie, et surtout qu’elle le montre – je pense surtout à l’administration française et aux autorités politiques, qui doivent avoir un comportement responsable car tout se sait. À l’époque, le BIE me téléphonait toutes les semaines pour avoir une réponse et me faire part de l’embarras des Sud-Coréens face à l’inertie française. Si je rappelle tout cela, c’est parce qu’il faut avoir conscience que la candidature française souffrira d’un certain passif.
Par parenthèse, j’aurais aimé que le Gouvernement confie à la COFRES l’organisation du pavillon français à Milan ; je ne vois pas l’intérêt de créer pour chaque exposition une structure ad hoc, même si la Cour des comptes le recommande. On devrait plutôt s’inspirer de ce qui marche à l’étranger : au Japon, c’est le MITI, via une équipe dédiée, qui a la charge d’organiser la représentation japonaise aux expositions universelles et internationales ; en Allemagne c’est une structure pérenne qui est chargée de ce rôle. Je me suis battu pour que M. Vaillot travaille auprès du commissaire général de la section française de l’exposition de Milan. Si tel n’avait pas été le cas, tout le savoir-faire et l’expérience accumulés par notre équipe à Shanghai et à Yeosu auraient été perdus pour celle qui a en charge le pavillon français à la prochaine exposition universelle.
La COFRES avait donc été mandatée pour réaliser le pavillon français à l’exposition internationale de Yeosu. Alors que nous avions, avec M. Vaillot, évalué les dépenses nécessaires à 10 millions d’euros, on nous a demandé de ne pas dépasser 8 millions d’euros – à comparer aux 25 millions d’euros que l’Allemagne a dépensés à Yeosu. C’est finalement un budget de 7 millions d’euros qui a été validé en janvier 2011 par le conseil d’administration de la COFRES et une réunion interministérielle.
Étant un vieux routier de l’administration, je me méfiais quand même. La COFRES disposait encore d’un reliquat de Shanghai qui lui permettrait de passer les marchés. Pour Shanghai en effet, le représentant de l’État au conseil d’administration de la COFRES refusait de voter les budgets tant que les dotations de l’État n’étaient pas débloquées. J’ai même envisagé de donner ma démission, puisqu’en tant que mandataire social, je passais des marchés alors que mon conseil d’administration ne votait pas mes budgets. Cela signifiait que j’engageais les fonds de la COFRES sans aucune garantie que ces crédits seraient versés.
Pour en revenir à Yeosu, sachez que le « bleu » interministériel qui validait les 7 millions n’a jamais été appliqué. J’avais heureusement pris la précaution d’exclure de l’organisation du pavillon tout ce qui concernait la restauration, qui est généralement un nid à problèmes. Bien m’en a pris, en dépit des critiques que cela m’a valu de la part du Quai d’Orsay, puisque cela a permis de réduire la dépense d’environ 1 million d’euros.
Nous avons finalement réalisé la prouesse, en grande partie grâce à M. Vaillot, de ne pas dépenser plus de 3,5 millions d’euros pour Yeosu. Nous avons serré les boulons au maximum et tout fait en interne, notamment la scénographie. Nous n’avons eu recours à aucun bureau de presse. J’ai eu la chance qu’un architecte français travaillant en Corée du Sud et en Chine pour de grandes entreprises du luxe ait accepté de travailler pour nous à un tarif défiant toute concurrence.
En revanche, aucun des ministères qui s’y étaient engagés n’a consenti à « mettre au pot », en dépit de mes sollicitations. M. Moscovici, que je connais depuis trente ans et à qui j’ai écrit personnellement sur ce sujet, ne m’a jamais répondu. Je considère qu’en cette affaire, le principe de la continuité de l’État n’a pas été respecté, et je n’ose pas imaginer que ce fut pour des raisons politiques.
Toujours est-il qu’aucun ministre n’était présent au pavillon français le jour de notre fête nationale. Quant à l’ambassadrice, elle avait été rappelée à Paris pour exercer d’autres fonctions. Cela vous montre le degré d’implication du Gouvernement dans l’exposition internationale de Yeosu. Et si j’avais été un chef d’entreprise naïf, croyant dans la parole de l’État et dans la valeur d’un « bleu » interministériel, je n’aurais pas pu payer les entreprises avec lesquelles j’aurais passé des marchés et nous n’aurions pas pu ouvrir le pavillon de la France à l’exposition internationale de Yeosu.
Voilà comme les choses se sont passées pour Yeosu. Je n’en ai jamais fait état publiquement et vous me donnez l’occasion de le faire aujourd’hui.
S’agissant de l’Exposition de Shanghai, j’ai été nommé président de la COFRES en novembre 2007, fonction que j’ai cumulée avec celle de commissaire général du pavillon français à partir de l’année suivante afin de réduire les risques de dysfonctionnements. Je n’avais, avant ma nomination, aucune idée de ce que pouvaient être le coût et le fonctionnement de ce type de structure. On m’avait dit que cela représentait un budget de 50 millions d’euros, dont la moitié devrait être prise en charge par les entreprises. Nous sommes donc partis à la chasse au sponsor. Nous sommes quand même parvenus à lever plus de 5 millions d’euros, dont 4,5 millions auprès de LVMH, Lafarge et Sanofi, parce que je connaissais leurs dirigeants. Je n’ai en revanche reçu aucune aide du Gouvernement. Je n’ai même pas pu obtenir de petit-déjeuner avec Mme Lagarde. Il est vrai que je bénéficiais de l’appui du Président de la République, mais on ne peut pas appuyer sur le bouton nucléaire à chaque fois qu’on doit faire avancer une guimbarde de trois mètres !
Je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas être trop tributaire des entreprises, si on voulait garder la maîtrise de la scénographie et si on refusait que le pavillon français se transforme en foire commerciale de bas de gamme. En tout état de cause, les sponsors n’ont pas le droit d’utiliser le pavillon national pour faire leur publicité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les pays qui ont une pratique exemplaire des expositions universelles, l’Allemagne et le Japon, font financer leur pavillon par l’État, les entreprises apportant une participation en nature. Il est vrai que le patriotisme industriel y est bien plus élevé que chez nous.
Finalement, le budget total s’est élevé à 37,5 millions d’euros et le bâtiment à lui seul a coûté environ 20 millions d’euros, une somme dérisoire pour un bâtiment de 6 000 mètres carrés. C’est que le coût au mètre carré n’est pas le même en Chine qu’à New York, Milan ou en Île-de-France. Il faudra, à ce propos, prendre garde que le projet de candidature française n’affole pas les membres du BIE par des coûts de construction exorbitants.
En outre, 17,5 millions d’euros ont été consacrés au fonctionnement, à l’accueil et à la scénographie intérieure.
Je considère que l’opération a été réussie à 95 %, le pavillon français ayant été, avec dix millions de visiteurs, le plus visité de l’exposition universelle, devant le pavillon chinois, qui a vu passer neuf millions de visiteurs. Il y a deux raisons à cela.
Fort de ce que j’avais observé aux expositions de Vancouver et de Saragosse, où j’avais constaté la longueur des files d’attente à l’entrée des pavillons, j’avais demandé à Jacques Ferrier, l’architecte, de concevoir un bâtiment permettant un flux continu de visiteurs. En conséquence, l’attente devant le pavillon français n’excédait pas une heure et demie, contre cinq heures pour le pavillon allemand ou sept heures pour celui de l’Arabie saoudite.
Notre deuxième atout était la dizaine de chefs-d’œuvre que le musée d’Orsay avait accepté de nous prêter, dont L’Angélus de Millet, Le Balcon de Manet et une œuvre de Van Gogh. Nous avons d’ailleurs dû veiller à ce que l’hygrométrie et la température du pavillon ne portent pas atteinte à leur intégrité. L’arrivée des tableaux a été très médiatisée en Chine ; le président Hu Jintao lui-même, entouré d’une délégation du comité permanent du parti communiste, soit les plus hauts dirigeants du pays, est venu spécialement pour voir ces œuvres la veille de l’inauguration. Tout cela a créé un buzz considérable.
Nous avons pourtant eu droit à des articles assassins dans la presse française.
M. Yves Albarello. Quel était le thème du pavillon français ?
M. José Frèches. « La ville sensuelle », le thème de l’Exposition universelle étant « Une meilleure ville, une meilleure vie », c’est-à-dire la ville de demain.
À titre de comparaison, le pavillon japonais a coûté 100 millions de dollars et le pavillon allemand 60 millions. C’est pourquoi, quand j’entends Mme Bricq prétendre que Shanghai a coûté beaucoup d’argent, je préfère ne pas faire de commentaire !
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quelles sont les conditions du succès d’une candidature de la France ? Devrait-elle mettre en avant ses traditions ou inventer quelque chose de neuf ?
M. José Frèches. Le problème principal sera la localisation de l’exposition. Il faudra trouver un endroit où puisse être organisé ce qui est une sorte de parc d’attractions payant – le BIE est financé par les entrées aux expositions universelles, et le succès de l’exposition de Shanghai lui a d’ailleurs permis de se refaire une santé financière. C’est la première contrainte.
Il faut ensuite que les plus hautes autorités de l’État s’efforcent de mobiliser, non seulement les collectivités locales, mais également les habitants du territoire choisi pour accueillir l’exposition et l’ensemble des Français, une exposition universelle étant visitée essentiellement par les habitants du pays où elle est organisée. Il faut parvenir à créer une dynamique la plus large possible. La proximité de Paris constituera de ce point de vue un atout fantastique, non seulement parce que le BIE a son siège à Paris, mais surtout parce qu’il s’agit de la ville la plus attractive au monde.
Il faut également que le coût de la participation des États à cette exposition universelle ne soit pas exorbitant si on veut que le plus grand nombre de pays possible y soient représentés. Je pense que c’est sur ce point qu’il faudra savoir être innovant. On pourrait imaginer des pavillons plus légers. Cela ne veut pas nécessairement dire démontables, les bâtiments démontables coûtant en réalité plus cher. On peut également penser à un geste architectural global dans lequel chaque pays serait convié à aménager son propre espace, un peu comme cela se passe dans les expositions internationales. En tout état de cause, le modèle du pavillon national qu’on laisse rouiller sur place une fois que l’exposition a fermé ses portes a peut-être vécu.
Il me semble évident que la tenue d’une exposition universelle à Paris ferait du bien au moral des Français et permettrait à notre pays de gagner un ou deux points de croissance. Encore faut-il que ce projet soit porté par le Président de la République et par tous les partis politiques.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Un sondage que nous avons commandé à l’IFOP montre que 84 % des Français sont favorables à l’accueil par la France d’une exposition universelle et que les Français exprimant une préférence pour une exposition universelle sont deux fois plus nombreux que ceux qui indiquent préférer que la France accueille des jeux olympiques.
M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française à l’Exposition universelle de Shanghai. Mon intervention se concentrera sur l’aspect opérationnel des expositions universelle et internationale auxquelles j’ai participé. J’attire particulièrement votre attention sur l’importance et la difficulté d’assurer la sécurité de tels événements. La preuve en est que c’était l’armée chinoise qui en était chargée à Shanghai.
La sécurité des deux expositions était assurée comme celle d’un aéroport : tous les visiteurs étaient fouillés, et les fouilles ne se limitaient pas aux sacs ; les fouilles au corps étaient également systématiques, et cela dans l’objectif d’éviter tout risque d’acte terroriste.
Une organisation sur différents sites, dont la possibilité a été évoquée, générera très rapidement des difficultés dans la gestion des files d’attente, qui sont un des problèmes majeurs des expositions internationales et universelles. J’ignore si les sites ont déjà été choisis, mais il faudra prévoir de la place pour des files d’attente qui n’ont rien à voir avec celles que l’on peut observer à l’entrée des musées ou des monuments parisiens, mais qui s’apparentent plutôt à celles que l’on voit à Disneyland en périodes de pointe.
M. José Frèches. Organiser une exposition universelle sur plusieurs sites, c’est compliqué. La plupart des visiteurs qui ne consacrent qu’une seule journée à l’événement ne disposent pas d’un gros budget et souhaitent, dans ce délai, avoir vu le plus grand nombre de pavillons. À moins que les lieux choisis ne soient très proches les uns des autres, leur éclatement géographique désorienterait le public et handicaperait sérieusement tous les sites. Je crains qu’aucune exposition universelle ne se soit jamais déroulée dans ces conditions.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Ce fut le cas de l’exposition universelle de Paris en 1900, divisée entre une annexe rurale et agricole sur l’Île Saint-Germain et, au cœur de la capitale, un site « industriel ».
M. Florent Vaillot. Pourquoi ne pas faire le choix de plusieurs sites à condition qu’ils soient très sécurisés ? Dans le cadre du Grand Paris, il me semble qu’il faudrait surtout privilégier des infrastructures dont on aura anticipé l’usage futur. Les bâtiments construits et financés par des pays étrangers, selon les règles que nous aurons choisies, trouveraient ainsi une véritable utilité dans la pérennité contrairement à ce qui se pratique aujourd’hui. En effet, le règlement actuel des expositions universelles prévoit que les États rendent les terrains sur lesquels ils ont construit tels qu’ils les ont trouvés. Par chance, le pavillon français de Shanghai a été préservé mais, comme la Chine n’avait rien programmé le concernant, il est à l’abandon.
M. José Frèches. À vrai dire, il est surtout regrettable que la France qui a obtenu que le pavillon ne soit pas détruit – le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, s’est adressé personnellement à son homologue chinois, M. Hu Jintao, à ce sujet – n’ait rien proposé pour l’occuper. Le lieu, devenu célèbre en Chine et déjà associé à l’image de la France, aurait été idéal pour présenter nos produits. Mais le Quai d’Orsay et Bercy ont sans doute eu trop peur de devoir débourser un centime !
Mme Catherine Quéré. Pourquoi serait-ce à la France, et non pas à la Chine, de réfléchir à la réutilisation du pavillon ?
M. José Frèches. Parce que ce serait une opportunité exceptionnelle dans un pays où nous avons des intérêts considérables. Nous avons insisté auprès des Chinois pour leur céder le pavillon ; j’imagine qu’ils s’attendaient à ce que nous leur proposions quelque chose. Nous ne sommes pas allés au terme de notre démarche. C’est tout simplement du gâchis !
Mme Catherine Quéré. D’autres pays ont-ils obtenu que leur pavillon soit conservé ? Des projets ont-ils été menés à bien autour de ces bâtiments par la suite ?
M. José Frèches. À ma connaissance, l’Italie, l’Arabie saoudite et la Russie avaient demandé que leur pavillon soit préservé, mais je ne suis pas en mesure de vous dire quelle utilisation il en a été fait.
M. Florent Vaillot. Si, avant de construire son pavillon, un pays sait qu’il sera pérenne et à quoi il sera destiné après l’exposition, il y a de fortes chances qu’il s’efforce de livrer un bâtiment encore plus exceptionnel car son image est en jeu. De plus, les ressortissants du pays en question continueront sans doute durant de longues années à visiter ce qui sera devenu un symbole de leur pays, que ce soit un musée ou un lycée.
À condition de consentir à un effort d’anticipation et d’organisation, l’événement ne doit pas nécessairement être centralisé sur un seul site, d’autant que Paris n’est pas Shanghai. En Chine, des immeubles destinés à loger les personnels ont tout de même été vendus ou loués par la suite, comme cela avait été le cas en France à Albertville.
M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Île-de-France. En l’espèce, il s’agit d’une pratique imposée par le BIE.
Je travaille au cœur des représentations françaises au sein des expositions universelles depuis 1996. J’ai participé en tant que directeur de pavillon pour la France aux expositions de Lisbonne, de Hanovre, d’Aichi et de Saragosse.
L’une des spécificités de l’exposition universelle de 2010 a été la création de la zone des meilleures pratiques urbaines. Cet espace « sur mesure » a permis à des régions et des villes du monde d’illustrer leur savoir-faire et leurs politiques spécifiques en termes de développement urbain durable, en complément de leur présentation nationale.
Cette zone, à l’écart et sur la rive opposée des grands pavillons nationaux, a notamment permis aux autorités chinoises de reconfigurer entièrement le quartier faisant face à la zone Asie du site de l’Expo. Cette friche industrielle était à l’abandon au pied d’une centrale thermique désaffectée. L’organisation chinoise a ainsi rénové plus de cinquante hectares, dont quinze pour permettre à une soixantaine de villes ou de régions de se présenter autour du thème central de l’exposition.
Paris, la région Île-de-France, et la chambre de commerce et d’industrie de Paris ont voulu être présentes au cœur de cette zone. Aussi, après une candidature en mars 2008 et une réponse positive des autorités chinoises, un contrat de participation a été signé à la fin du mois de décembre 2008 entre l’Exposition universelle de Shanghai et la structure ad hoc, Paris Île-de-France Expo 2010 Shanghai, association relevant de la loi de 1901, cofinancée et abondée en moyens techniques et humains à parité entre les trois structures institutionnelles cofondatrices.
Pour rendre cette aventure possible, l’environnement chinois avait été préparé en profondeur par l’organisateur et la municipalité de Shanghai sous le regard vigilant du Bureau international des expositions, dont la commission du règlement a validé la réglementation spécialement créée pour cette zone. L’organisation chinoise avait pris un certain nombre d’engagements, dont celui de fournir gratuitement l’espace dans lequel le pavillon a été construit.
Le projet a été préparé et piloté depuis la France pour être exécuté en Chine. L’organisation francilienne s’est appuyée non seulement sur le réseau diplomatique, mais aussi et surtout sur les bureaux de représentation à Shanghai de deux des membres fondateurs, ce qui a grandement facilité la compréhension mutuelle.
La phase préparatoire a nécessité une concertation renforcée entre les différents acteurs intervenant sur ce projet. Les délais qu’impose une telle démarche auraient pu se révéler peu compatibles avec le calendrier fixé par l’organisateur chinois mais l’obstacle a pu être évité grâce à une implication forte des membres de l’association et des entreprises partenaires.
La scénographie et la mise en forme muséographique répondaient au principe des trois « i » : immersion, innovation, interactivité. Elles proposaient un dispositif original inspiré de la Seine : sur le « fleuve écran » étaient projetés des clips en rapport avec le territoire et la thématique. Deux grands films étaient diffusés par intermittence. Des objets emblématiques ponctuaient aussi le parcours du visiteur. Plusieurs niveaux de lecture étaient ainsi possibles au sein du pavillon.
Afin d’absorber l’impact négatif de la crise économique et financière, les dépenses ont été réduites au strict minimum tout en préservant l’essentiel de la scénographie. La plupart des entreprises et des collectivités territoriales qui envisageaient de participer ont finalement concrétisé leurs engagements. Environ 25 % du budget total a été constitué par les partenariats noués entre l’association, les entreprises et les collectivités locales. Ce chiffre aurait pu être plus élevé, mais la réglementation en matière d’exonération fiscale pour mécénat avait été réservée au pavillon national.
Afin de mettre en place les contreparties, véritable retour sur investissement du partenariat, le pavillon a procédé au recrutement de l’équipe opérationnelle chargée essentiellement des relations publiques, et du service et de l’accompagnement pour les entreprises et collectivités partenaires. Ce personnel a ainsi coordonné les visites sur la totalité du site de plus de 3 000 personnes, de manière individuelle ou en groupe. Au quotidien, il a pris en charge des tâches diverses : création et personnalisation des programmes de visite en fonction des centres d’intérêts, accueil privilégié aux portes du site, prise en charge et accompagnement sur la journée, obtention des laissez-passer, coupes files, easy access ou « visites VIP » avec accès aux salons des pavillons nationaux, locaux et d’entreprises, facilitation des transports sur site…
Le pavillon Paris Île-de-France a développé des relations de réciprocité avec l’ensemble des pays, des villes et des entreprises présents sur le site de l’exposition universelle. En retour, des représentants de ces divers acteurs et des membres de l’organisation chinoise nous ont rendu visite en grand nombre, assurant ainsi le succès professionnel de la présentation francilienne. La qualité de l’accueil sur le pavillon, autre aspect du travail de l’équipe de relations publiques, mérite d’être soulignée.
Une exposition universelle est un exercice de communication et de diplomatie publique. Un pavillon est une machine à relations publiques qui doit avoir un parti pris en termes d’accueil et de représentation.
Nous avions décidé d’être visibles. Le pavillon Paris Île-de-France a ainsi accrédité plus de 3 000 personnes. Il a été présent ou représenté dans quasiment toutes les manifestations officielles.
La gestion d’un pavillon comprend des temps forts. Celui de la journée officielle Paris Île-de-France sur le site, par exemple, mais aussi celui des événements que le pavillon organise et coordonne sur place et dans la ville d’accueil. Paris Île-de-France a ainsi été à l’origine d’une semaine de colloques, qui s’est tenue au sein de l’Exposition universelle du 12 au 17 juillet 2010, sur la zone des meilleures pratiques urbaines. La thématique « Paris Île-de-France, un fleuve, un territoire, un mode de vie » a mobilisé plusieurs centaines de participants, et des bénévoles de l’Alliance française de Shanghai. Un partenariat efficace entre l’université de Shanghai et des grandes entreprises françaises a aussi été mis en place. Cette semaine de travail a débouché sur la contribution de Paris Île-de-France à la déclaration de Shanghai qui est venu clôturer l’Exposition universelle.
Tout au long des six mois d’exploitation, le personnel du pavillon, soit dix-sept équivalents temps plein, a été fortement mis à contribution sur le plan linguistique. La grande majorité du personnel d’accueil parlait français, anglais et chinois. Ce multilinguisme constituait l’une des conditions essentielles de recrutement.
Pour être efficace au sein du pavillon le plus rapidement possible, ce personnel a bénéficié d’une formation sur le parcours de la scénographie et son contenu, le fonctionnement opérationnel, la ville de Paris et la région. Les quatre jours d’ouverture « à blanc » organisés par les autorités chinoises faisaient partie intégrante de cette formation et ont permis les ajustements nécessaires pour l’inauguration.
Après un mois d’exploitation, le pavillon Paris Île-de-France a été reconnu par l’organisateur chinois comme « Expo Site Pavillon Model » pour l’intérêt de son concept, la qualité de l’organisation des visites, et pour l’exceptionnelle cohésion de son équipe d’animation. Il a reçu 1 851 500 visiteurs sur 184 jours pour un coût total de 3 813 000 euros.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur Frèches, à titre de comparaison, pouvons-nous savoir combien de personnes travaillaient pour le pavillon français ?
M. José Frèches. Avec 230 équivalents temps plein, nous étions terriblement sous-dotés. Profitant des avantages de la situation locale, nous avions recruté de nombreux étudiants stagiaires chinois parlant français auxquels nous ne pouvions offrir que des indemnités misérables. Étant donné la fréquentation et la nature des œuvres exposées, nous avons aussi employé environ 90 personnels de gardiennage. Tous étaient recrutés sur la base de contrats locaux. Le personnel français ne comptait que huit personnes qui, pour la plupart, se sont rendues sur place environ un mois et demi avant le début de la manifestation et ont quitté les lieux un mois après son issue.
M. Hervé Féron. Le nombre de visiteurs de l’Exposition universelle de Shanghai a atteint le chiffre record de 73 millions, dont 95 % étaient de nationalité chinoise. De nombreux chefs d’État et de gouvernement ont fait le déplacement, et la manne touristique s’est élevée à 8,7 milliards d’euros. Quelles pourraient être les retombées économiques pour notre pays d’une exposition universelle qui se tiendrait à Paris ? Peuvent-elles être à la hauteur des investissements colossaux indispensables ?
M. José Frèches. Je ne suis pas économiste, mais j’ai une certitude : si nous sommes persuadés qu’une exposition universelle ne fera que coûter de l’argent, mieux vaut ne pas se lancer.
La mobilisation doit être générale, du Président de la République au serveur de café, et impliquer toute la population sur tout le territoire. Certes, il faut avoir conscience qu’un risque existe en cas d’échec, mais l’essentiel est de créer une dynamique générale qui assure la réussite du projet. Évidemment, l’opération a un coût, cependant dès lors que les investissements consentis s’inscrivent dans le cadre de ceux déjà prévus pour le projet du Grand Paris, la partie est presque gagnée puisqu’une partie de ces coûts aurait de toute façon été engagée. Non seulement l’exposition universelle permettrait de construire des infrastructures dont nous avons besoin, mais le simple fait d’avoir été choisi susciterait un véritable sentiment de fierté nationale. Il ne resterait plus, si je puis dire, qu’à assurer la réussite de l’événement et à attirer massivement le public.
À Paris, une exposition universelle n’accueillera évidemment pas 73 millions de personnes. Nous pouvons toutefois raisonnablement espérer recevoir 20 ou 30 millions de visiteurs. Il faut s’assurer que la capitale et la France puissent absorber durant six mois un nombre massif de touristes supplémentaires, et organiser leur hébergement, par exemple chez l’habitant. Toutes ces personnes sont des consommateurs et leur présence aura un effet inéluctable sur la croissance économique.
Il n’est cependant ni crédible ni satisfaisant de tabler ex ante sur tel ou tel niveau de croissance attendue – après l’événement, les économistes nous diront ce qui s’est passé. Il est préférable de commencer par donner au pays, avec le projet d’exposition universelle, une ambition collective, un but et un idéal. Ce fut le cas en 1900 : les historiens nous rappellent que l’événement a permis à la France d’aborder une nouvelle ère économique, industrielle et politique. Notre capitale n’avait jamais reçu autant de visiteurs. Imaginez que Gandhi n’est venu à Paris qu’à cette seule occasion ! La France n’aurait pas eu la place qui a été la sienne au XXème siècle sans cet événement qui a contribué à l’aura de Paris, devenue « ville lumière » et capitale du monde, et dont le succès est d’ailleurs en partie lié à la présence de la tour Eiffel héritée de l’Exposition universelle de 1889.
Vouloir que Paris accueille une exposition universelle a donc un sens politique et culturel, ce qui ne doit pas exonérer d’une prise de conscience relative aux obstacles qui se dressent sur le chemin d’un tel projet.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Existe-t-il toujours une réelle « envie » à l’égard des expositions universelles du côté des nouvelles générations des classes moyennes des pays émergents, notamment en Extrême-Orient ? Si nous visons un objectif de croissance économique, il nous faut cibler ces populations.
Le pavillon français à Shanghai est resté, somme toute, assez traditionnel ; avez-vous cependant ressenti un « effet nouvelles technologies », internet et numérique, lors de l’Exposition universelle ? À défaut, les stratégies numériques sont-elles selon vous amenées à jouer un rôle nouveau dans les futures expositions universelles ?
M. José Frèches. Une exposition universelle n’est pas virtuelle, parce qu’une fête ne peut pas être virtuelle. Les gens se déplacent, ils sont ensemble, veulent toucher, sentir… L’événement est concret et charnel. Sans cet aspect physique essentiel, les visiteurs resteront connectés chez eux, derrière leur ordinateur, et, dans ce cas, il n’y a pas besoin du BIE – d’autres, en la matière, savent faire bien mieux.
Évidemment, la France disposait à Shanghai d’un site internet avec un pavillon virtuel, créé en partenariat avec Dassault systèmes, qui proposait une visite des lieux en 3D. Il a accueilli de très nombreux visiteurs.
Il reste que, même dans le pays le plus « connecté du monde », en Corée, la population s’est déplacée physiquement à Yeosu ; elle ne s’est pas contentée de visites virtuelles. L’exposition internationale présentait, il est vrai, de nombreuses innovations liées aux nouvelles technologies, aux images 3D ou aux LED, mais la combinaison était toujours assurée avec le réel et le spectacle. La magie pour le visiteur anonyme, c’était de voir sur place son message ou sa photo s’afficher en direct sur un écran de 250 mètres de long et 30 mètres de large en LED.
Je n’ai aucune inquiétude quant à l’attrait d’une exposition universelle qui se tiendrait à Paris. Je crains même plutôt que certains ne s’inquiètent de l’affluence et renoncent au voyage, mais il nous appartiendra de les rassurer sur la qualité de l’accueil prévu. La France reste la première destination touristique au monde. Ce facteur, conjugué à l’attractivité d’une exposition universelle si elle est bien organisée, ne peut que déboucher sur un succès colossal, notamment parmi les publics des pays émergents.
Pour attirer les visiteurs les plus jeunes, il faut tout simplement appliquer quelques recettes : prévoir des tarifs réduits pour le transport aérien, augmenter le nombre de places dans les structures comme les auberges de jeunesse, programmer plusieurs concerts avec les artistes internationaux les plus populaires du moment… Inévitablement des millions de jeunes viendront du monde entier pour faire la fête.
M. Hervé Féron. L’écologie est devenue un fil rouge des expositions universelles depuis celle de Hanovre en 2000. À Shanghai, en 2010, le thème choisi, « Une meilleure ville, une meilleure vie », a notamment donné l’occasion à de nombreux constructeurs automobiles de présenter leurs véhicules les plus propres. En 2015, à Milan, le thème « Nourrir la planète, énergie pour la vie », s’inscrit dans cette droite ligne. Il nous semble que si la France est candidate pour 2025, son projet devra porter encore plus loin l’ambition écologique. Compte tenu du potentiel de notre pays dans ce secteur, comment faire de l’événement une vitrine de notre excellence scientifique et technique au service de la transition écologique ?
M. José Frèches. Les expositions universelles et internationales depuis Hanovre ont porté un intérêt particulier à l’écologie avec le thème de la ville pour Shanghai ou celui de la mer pour Yeosu. Pour ma part, j’estime que si la France organise une exposition universelle, elle pourrait légitimement changer de registre et choisir une thématique plus « morale » et « affective » se plaçant dans la tradition des Lumières et s’adressant aux jeunes – par exemple autour de la fraternité ou du thème « citoyen du monde ».
Inévitablement, cette exposition universelle serait écologique et technologique. En 2025, j’espère qu’une partie de la transition écologique sera en passe d’être accomplie. Quant à l’articulation sur le Grand Paris, elle rendra nécessaire la construction de bâtiments et de transports écologiques, caractéristiques de la ville de demain. Il me semble en conséquence cohérent de mettre ces éléments au service d’une grande idée simple.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Pour aller dans votre sens, je rappelle que 400 étudiants issus de sept grandes écoles et universités ont travaillé sur le projet de candidature de la France à l’exposition universelle de 2025 à la demande d’ExpoFrance 2025 ; le thème qui a retenu le plus l’attention est celui de l’hospitalité proposé par la Sorbonne.
Plusieurs champions industriels d’aujourd’hui ont fait leurs premiers pas dans des expositions universelles d’hier, y compris au XIXe siècle. Lors de ces expositions, comment valoriser au mieux le tissu des entreprises françaises innovantes, des plus petites aux plus grandes en passant par les PME ? Avez-vous eu le sentiment que ces entreprises souhaitaient être présentes à Shanghai ou Yeosu ? Pouvons-nous, en la matière, nous inspirer de la façon de procéder d’autres pays ?
M. José Frèches. Que ce soit pour Shanghai ou Yeosu, les entreprises françaises n’ont pas suffisamment anticipé leur participation. Alstom m’a notamment proposé, seulement un an avant l’inauguration de l’exposition universelle, d’installer une voiture motrice de TGV à l’entrée du pavillon. L’entreprise était encore en lice pour un appel d’offres sur ce matériel en Chine, mais il était trop tard alors que ma lettre la sollicitant à ce sujet était restée sans réponse depuis deux ans. Plusieurs entreprises françaises ont néanmoins participé à l’exposition universelle. PSA y a par exemple exposé un concept car. Parce que les robots plaisent toujours au public, nous sommes allés chercher Aldebaran Robotics pour présenter le robot Nao qui a bluffé jusqu’aux Japonais en dansant devant les télévisions du monde entier le Haka maori et une chorégraphie sur le Boléro de Ravel. À Yeosu, une start-up a présenté, dans un aquarium, des poissons-robots qui ont impressionné le public.
Il reste que les grandes entreprises, qui organisent leurs propres événements et participent déjà à des grands salons internationaux, n’ont pas naturellement tendance à privilégier la vitrine que constituent pourtant les expositions universelles ou internationales.
Un contact avec la Commission « Innovation 2030 » présidée par Mme Anne Lauvergeon serait sans doute profitable afin d’identifier les start-up innovantes et les inventeurs parfois assez isolés que l’exposition universelle pourrait présenter.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Messieurs, nous vous remercions pour le témoignage particulièrement intéressant que vous venez de nous livrer.
Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury Sport Organisation (ASO) et directeur du Tour de France, et de M. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint du cyclisme d’ASO
(Séance du mercredi 14 mai 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d'Amaury Sport Organisation (ASO) et directeur du Tour de France, et M. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint.
Je rappelle que, pour l’exposition universelle de 2025, nous devons déposer un dossier en 2016 en vue d’une décision du Bureau international des expositions en 2018.
Notre mission se déroule en quatre temps principaux : une série de rencontres avec les organisateurs des expositions universelles ; une deuxième avec des intellectuels, des universitaires ou des entrepreneurs sur l’opportunité de la candidature de notre pays ; une troisième sur les grands événements comme le Tour de France ; et une dernière sur la faisabilité opérationnelle.
M. Prudhomme, je rappelle que vous êtes journaliste et avez remplacé Jean-Marie Leblanc en 2007 comme directeur du Tour de France.
Ce dernier est né en 1903, juste après l’Exposition universelle de 1900, et a notamment vécu la première émission de radio en direct en 1929 et la première émission de télévision, sur l’arrivée au Parc des princes, en 1948. La télévision suit le Tour depuis 1952. Cet événement fait la synthèse entre nos territoires et le reste du monde.
Nous souhaiterions comprendre l’organisation d’ASO et du Tour de France, ainsi que les clés du succès d’un tel événement, notamment vis-à-vis du grand public et des autres pays. Il est également intéressant de voir comment vous mettez en valeur notre richesse territoriale.
M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury Sport Organisation et directeur du Tour de France. ASO fait partie du groupe Amaury et emploie 220 salariés permanents. La société couvre cinq univers : le cyclisme ; les rallyes-raids comme le Dakar ; la voile, avec le tour de France à la voile ; le golf, avec l’open de France de golf ; et les sports de masse comme le marathon de Paris ou de Barcelone, ou les « mud days » ou « journées dans la boue ».
Pour le cyclisme, nous organisons cent jours de compétition par an, qui commencent par le tour du Qatar féminin, début février, et finissent par le critérium de Saitama au nord de Tokyo fin octobre, avec aussi, notamment, le tour d’Oman, le Paris-Nice, le critérium international de Corse, le Paris-Roubaix, le Liège-Bastogne-Liège, le tour de Picardie, le critérium du Dauphiné, le Tour de France, la World Ports Classic – qui est un « bébé » de celui-ci à Rotterdam, à la demande de cette ville et d’Anvers, en vue d’enrayer le déclin relatif de leurs ports –, le tour d’Espagne, l’Artic Race en Norvège ou Paris Tour. Le critérium de Saitama, que nous avons lancé l’an dernier avec les meilleurs coureurs du monde, permet de reproduire le « parfum » du Tour de France en offrant un contact avec la civilisation japonaise et des stands de produits français, souvent organisés avec Atout France.
Jusqu’au début des années 2000, lorsque nous étions propriétaires, nous organisions tout de A à Z, et, dans le cas inverse, nous ne faisions rien. Aujourd’hui, nous avons une approche opposée : nous organisons tout sur des épreuves qui nous appartiennent comme le Tour de France ou Paris-Roubaix, mais intervenons aussi ponctuellement comme prestataire de service pour des événements comme le tour du Qatar féminin ou masculin. Nous sommes aussi en charge de la production télévisée du tour de Californie ou de la diffusion des images du tour de Turquie par exemple. Nous avons en effet un vrai savoir-faire dans ce domaine, les images du Tour de France étant diffusées dans 190 pays, dont 100 en direct, avec une qualité d’antenne de France Télévision qui valorise en effet merveilleusement nos territoires.
Nous travaillons sur trois éditions d’affilée du Tour. Aujourd’hui, l’édition 2014 est validée dans toutes les préfectures, celle de 2015 va bientôt donner lieu à la reconnaissance des étapes et, pour celle de 2016, on va définir le grand départ du Tour. Nous avons environ 250 candidatures de collectivités locales pour 30 à 35 places par an.
Dans les derniers jours d’octobre, le parcours est annoncé dans les médias. De début novembre à fin février, nous tenons des réunions dans les préfectures et les conseils généraux pour que chaque étape soit validée et, à partir de janvier, des réunions avec les élus pour déterminer le sens qu’ils veulent donner à la candidature de leur collectivité. Puis, à partir du mois de mai, nos missi dominici repartent sur les routes pour l’édition suivante, sachant qu’on préfère attendre la fin de l’édition en cours pour arrêter le parcours définitif de celle-ci. En septembre enfin, ce parcours est confirmé et les accords sont passés avec les élus.
M. Yves Albarello. Quel est le chiffre d’affaires d’ASO ?
M. Christian Prudhomme. 180 millions d’euros pour 250 jours d’événements dans 20 pays.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quels sont les principaux secteurs de compétences autour desquels s’organisent vos équipes ?
M. Christian Prudhomme. La direction du cyclisme, qui comporte ce qui reste de la Société du Tour de France, est atypique dans notre société, qui est organisée par métiers. Mais au sein du département médias de celle-ci, certaines personnes ne travaillent que pour le cyclisme. Il en est de même dans les départements logistique ou commercial.
Dans notre direction, il y a d’anciens coureurs, qui valident les parcours, mais aussi des spécialistes des arrivées ou des départs.
M. Hervé Féron. Ce sont pour les élus de formidables accompagnateurs.
M. Christian Prudhomme. En effet. Je rappelle que le Tour de France mobilise 5 000 personnes, dont 200 coureurs et 2 000 journalistes, avec la présence de 190 pays, soit 140 camions sur les lignes d’arrivée – ce qui suppose des contraintes d’installation. Nous cherchons toujours à être au cœur des villes pour les départs et au plus près des gens. Le Tour est de fait une immense fête – j’ai coutume de dire que c’est 3 500 kilomètres de sourires et d’émotion. C’est aussi celui « qui passe chez moi », selon la formule d’un petit garçon d’un de nos collaborateurs pour évoquer le Tour de ses rêves. Les arrivées et les départs sont au cœur des villes, c’est spectacle populaire par essence, qui a pour but d’aller au plus près des gens, près des personnes défavorisées. C’est une immense fête qui rassemble.
M. Yves Albarello. C’est également un grand parti pour l’aménagement du territoire. J’ai ainsi vu du port de Porto-Vecchio jusque sur la route de Bastia, la nationale 198, faire l’objet de vastes travaux d’embellissement en un an grâce au Tour.
M. Christian Prudhomme. Cet événement joue en effet un rôle d’accélérateur. Le grand départ en Corse pour la centième édition a été magnifique et les Corses en ont été très fiers. Il existe d’ailleurs désormais une ligne aérienne entre Liège, grand départ du Tour 2012, et Bastia et Ajaccio, grand départ du Tour 2013.
M. Yves Albarello. Les images, qui étaient d’une qualité extraordinaire, ont fait découvrir au monde entier les paysages féeriques de la Corse et contribué au développement du tourisme dans cette région.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Sont-ce toujours les directions des sports des chaînes télévisées qui s’intéressent aux images ou bien aussi d’autres directions traitant d’autres thèmes tels que le patrimoine ou le tourisme ?
M. Christian Prudhomme. Pour les images en direct du Tour, ce sont toujours les directions des sports, mais celles-ci veulent autre chose que du sport. D’ailleurs, Atout France en Australie promeut largement le tourisme en France à travers cet événement, grâce par exemple à une nuit du Tour ou une nuit de la France avec les grands chefs. Je rappelle que la plus terne des étapes de plaine du Tour fait plus d’audience que le Paris-Roubaix. Le Tour de France est donc un événement particulier : quand on construit son parcours, on regarde toujours ce qu’il donne vu d’hélicoptère.
Pour la prochaine édition, nous serons sur la ligne du front de la Première Guerre mondiale, à l’occasion de son centenaire. Nous passerons par le Chemin des Dames et le conseil général de l’Aisne a décidé de planter des bleuets – symbole des jeunes nés en 1897 et qui n’ont jamais eu vingt ans en 1917 – sur 12 mètres de large et 20 kilomètres de long. Je rappelle que, dans le peloton du Tour de 1914, trois anciens vainqueurs trouveront la mort au combat, de même que cinquante coureurs des éditions qui se sont déroulées depuis 1903. Le Tour de 1914 s’est d’ailleurs élancé le 28 juin dans un climat d’insouciance, auquel mettra fin, en fin de matinée, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo. Or, si Ypres était candidate comme ville étape depuis des années, cette candidature n’avait de sens qu’en cette année de commémoration, d’autant que nous passerons aussi sur les champs de bataille de Verdun et de Douaumont. Ce sera une façon de dire que nous ne voulons plus de la guerre en Europe. Les descendants des combattants britanniques, canadiens ou australiens y seront sensibles.
De même, quand nous avons fait étape en 2012 à Metz, nous voulions arriver devant le centre Pompidou. Et si Marseille était l’an dernier sur le parcours de la centième édition du Tour, c’est parce qu’elle l’était déjà en 1903, 1953 et 2003, mais aussi parce qu’elle était capitale européenne de la culture.
Mme Catherine Quéré. Êtes-vous chargé de l’organisation du Tour ou déléguez-vous des tâches aux villes ou aux associations de cyclistes ? Négociez-vous les villes de passage ?
M. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint du cyclisme d’Amaury Sport Organisation. On s’accorde pour que les étapes fassent un peu moins de 200 kilomètres, même si on dépasse parfois cette distance. Le jour de la présentation du Tour, on le déclare administrativement auprès du ministère de l’intérieur, avec tous les itinéraires et toute la documentation sur la sécurité. L’autorisation nous est donnée par un arrêté ministériel, qui nous octroie un usage privatif de la chaussée et met à notre disposition des forces de l’ordre. Organiser une course de vélo est compliqué et beaucoup d’organisateurs sont des associations, mais, pour le Tour, nous avons l’avantage de disposer de conventions nationales avec la gendarmerie et la police nationales sur le service d’ordre. Nous ne fonctionnons pas avec des signaleurs car nous bénéficions de 24 000 représentants des forces de l’ordre, que nous payons, ce qui représente d’ailleurs un coût important.
Les villes de départ et d’arrivée donnent lieu à un cahier des charges sur les aspects sécurité et communication, les villes traversées faisant seulement l’objet d’une autorisation de passage dans le cadre de réunions de préfecture avec tous les services concernés, dont ceux des collectivités locales. Ces autorisations peuvent être assorties de recommandations, de sécurité notamment.
D’octobre à fin mars, les parcours sont validés dans le cadre de réunions de préfecture, qui peuvent être en tout au nombre de 70 à 100 pour 35 départements ; nous organisons également une quarantaine de réunions avec les villes de départ et d’arrivée. Puis, nous avons des réunions de « calage » avec les différents services, notamment de police et de gendarmerie. Ce 26 mai, nous aurons ainsi une réunion à Paris sur le service d’ordre regroupant tous les responsables départementaux de la police et de la gendarmerie. Sont ensuite publiés – généralement fin juin – un arrêté ministériel, qui renvoie à des arrêtés préfectoraux, et une circulaire d’application envoyée aux préfets.
M. Hervé Féron. Les organisateurs de l’exposition de 2025 auront beaucoup à apprendre de votre savoir-faire. Vous avez une organisation parfaitement rigoureuse, qui est la clé de votre succès. En même temps, vous avez une grande capacité d’inventivité, comme en témoigne l’organisation d’étapes en Corse. Vous parvenez aussi en une nuit à installer un village départ. On nous a dit que l’un des problèmes d’organisation pour une exposition universelle est la gestion des files d’attente : or, vous savez également gérer les flux.
Pour la prochaine édition, le Tour arrivera à Tomblaine : le village sera installé devant l’espace Jean Jaurès et, le 31 juillet, nous organiserons une fête de la paix pour commémorer le centenaire de l’assassinat de Jaurès.
S’agissant de l’étape à Metz que vous évoquiez, vous avez su entendre l’intérêt local. De même, je me souviens qu’en 2011, lorsque j’ai fait acte de candidature pour ma ville pour 2016 et que je vous ai dit que je n’avais pas de monument, mais un programme de rénovation urbaine où je rêvais d’installer le village départ, vous avez trouvé l’idée originale et proposé de le faire dès 2012…
Pour que l’exposition universelle soit réussie, la France devra se l’approprier : nous avons là encore beaucoup à apprendre de vous.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Notre objectif n’est en effet pas d’organiser une course cycliste dans un stade ou un vélodrome, mais de nous ancrer sur les territoires et le patrimoine, comme vous le faites avec le Tour.
M. Christian Prudhomme. Mon prédécesseur a dit, avant le centenaire du Tour, en 2003, que celui-ci devait être aimé. Nous en sommes convaincus : on ne peut donc imposer aux gens des choses dont ils n’ont pas envie. Nous ne devons pas oublier que nous ne sommes que des locataires et que nous dépendons étroitement des maires et des conseils généraux, 97 % des routes empruntées étant départementales. Notre rôle est dans une large mesure d’accompagner.
Mme Catherine Quéré. Comment faites-vous pour l’organisation de l’hébergement et de la restauration ?
M. Christian Prudhomme. Nous retenons 1 400 lits par étape pour les 200 coureurs et l’organisation, les journalistes se débrouillant par eux-mêmes. Nous prévoyons aussi des menus spéciaux avec des cuisiniers, des intendants et des diététiciens – certaines équipes ont d’ailleurs aujourd’hui leur propre cuisine.
M. Pierre-Yves Thouault. Le service hébergement est très important pour le Tour : nous faisons en sorte de réserver en premier les bons hôtels proches des arrivées et des départs – après des visites sur place pour vérifier qu’ils correspondent à nos besoins – et de traiter les équipes de façon équitable, que ce soit au regard de la qualité du logement ou de sa localisation. Les hôtels sont réglés le jour du départ par nos trésoriers, ce qui contribue à donner une image positive de l’événement.
L’organisation du Tour est militaire : il repose sur une structure hiérarchique efficace. Tout doit être anticipé grâce à des systèmes de rétroplanning et les accès au départ avec des points de passage obligés (PPO) imposent une organisation rigoureuse.
L’accueil est très important pour un événement pareil, de même que le départ des lieux.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Il a été dit, lors d’une audition précédente, que l’exposition universelle devait fédérer les Français dans un sentiment de fierté et constituer un événement historique. Or le Tour est un événement sportif unique, l’un des meilleurs qui soient, permettant à nos compatriotes de partager la beauté de notre pays et la diversité de nos territoires.
Il ne faut pas oublier non plus la dimension sociale, sachant que, pour l’exposition universelle, nous serions dans un endroit précis, Paris, où devrait être prévu un accès à tous
– ce qui pose notamment des problèmes de transport.
Je suis en tout cas impressionnée par votre organisation du Tour. Il faudrait que l’exposition universelle puisse être offerte à chaque Français, à l’image du Tour dont rêvait le petit garçon que vous évoquiez.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Essayez-vous d’intéresser particulièrement les jeunes générations au Tour ?
M. Christian Prudhomme. Cela dépend des pays. On a tendance à considérer qu’en France, le public qui regarde le Tour vieillit. La France urbaine y est moins attentive que la France rurale : d’où l’utilité de mobiliser les jeunes au cœur des villes. Mais dans les pays s’ouvrant au cyclisme sur route comme le Royaume-Uni, partout des jeunes s’y intéressent. Cela dépend largement des champions, qui ont une faculté de fascination. Depuis que les Britanniques ont gagné le Tour pour la première fois en 2012 avec Bradley Wiggins et la victoire de Christopher Froome en 2013, il y a une ferveur folle dans ce pays. Nous nous sommes dit qu’il fallait accompagner cette passion naissante.
Le Tour de France est le plus grand événement itinérant au monde. Pour le développer à l’international, il existe trois moyens : le champion, la télévision et le fait de le faire passer à l’étranger. Je rappelle que le premier passage à l’étranger a eu lieu en 1907 et le premier départ hors de France en 1954. Si nous allons régulièrement aux Pays-Bas – nous partirons en 2015 d’Utrecht –, c’est parce que c’est bien le pays de la « petite reine » et pour être au plus près des jeunes générations. D’ailleurs, il y a plus de personnes qui regardent le Tour dans ce pays que chez nous.
Pour le grand départ à Londres en 2007, nous avons été pour la première fois le bras armé d’une politique : le maire de l’époque venait d’installer les péages urbains dans le cœur de la ville ; il cherchait à développer le vélo et a fait appel à nous. Un an après, il y avait 10 % de gens supplémentaires à bicyclette. De plus, alors qu’il y a aujourd’hui 10 000 vélos en libre-service, la ville en a mis à disposition 101 jaunes pour la 101e édition du Tour. Le nombre de personnes à vélo s’est d’ailleurs beaucoup accru en quelques années.
Enfin, le Tour nous amène véritablement à être en phase directe avec la vie et les problèmes des gens. Si les Français entendaient ce que disent les étrangers qui regardent cet événement, ils seraient fiers.
M. Yves Albarello. Il est difficile de transposer le Tour à l’exposition universelle. Mais quels conseils pourriez-vous nous donner ?
M. Christian Prudhomme. Quand nous organisons des étapes en France, tout le monde ne tire pas toujours dans le même sens, ce qui n’est pas le cas à Londres par exemple, où tous appliquent les décisions prises.
M. Pierre-Yves Thouault. Je répète que l’accueil du public et son mode d’accès sont essentiels. Dans le Yorkshire, tout est parfaitement organisé pour cela et ce sujet constitue une préoccupation essentielle, sachant que le public du Tour passe environ sept à huit heures sur le bord des routes. Cela suppose de réfléchir aux moyens de transport, à la logistique ou à la signalétique notamment. Les intendants qui visitent les hôtels le matin des étapes ont à cet égard un rôle important dans le premier contact qu’ils ont avec la population locale.
Il faut aussi une grande rigueur dans l’organisation, avec des process parfaitement réglés.
M. Hervé Féron. Le Tour a aussi une identité, avec une thématique, dont découle toute une stratégie de communication – laquelle recouvre une véritable charte graphique avec le logo de l’événement et les maillots jaune, blanc ou vert, que chacun sait reconnaître. Nous pourrions nous en inspirer.
Par ailleurs, vous avez des ambassadeurs tels que les anciens champions Bernard Hinault, Bernard Thévenet ou Raymond Poulidor.
De plus, les nouveaux moyens utilisés par la télévision pour médiatiser le Tour ont participé à développer son aura, à l’image des commentaires sur le patrimoine ou les sites historiques.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Vous avez en effet su épouser l’histoire de la radio et de la télévision.
Nous avons pour notre part à nous projeter dans l’avenir, à l’heure des réseaux sociaux et de nouveaux modes d’information très rapides. Avez-vous à cet égard déjà imaginé le Tour de 2025 ?
M. Christian Prudhomme. Le Tour est une invention des médias, créée par la presse écrite, popularisée par la radio et magnifiée par la télévision. Il doit être encore en phase aujourd’hui avec les moyens de son époque, sinon il cesserait d’exister en tant que tel.
Les réseaux sociaux sont à nos yeux essentiels. Dans une dizaine de jours, nous allons d’ailleurs annoncer pour la première fois une étape du Tour par leur biais.
Nous les utilisons aussi pour la sécurité. Nous avons en effet un accord avec Radio France sur France Inter, France Info et France Bleue depuis des années, permettant de faire passer des messages de sécurité avant et pendant le Tour. Nous avons également des accords avec la presse quotidienne régionale et quatre véhicules info-sécurité situés en tête de course annoncent ces messages en français, en anglais et dans la langue du pays.
Si, jusqu’ici, nous n’arrivions pas à parler aux supporters étrangers, nous allons pouvoir le faire pour la première fois grâce aux réseaux sociaux. Nous avons ainsi réalisé des clips de sécurité de 30 secondes avec des champions emblématiques pour chaque pays
– Thomas Voeckler en France, Marcel Kittel en Allemagne ou Christopher Froome en Grande-Bretagne. Ces clips invitent à encourager les coureurs, mais sans courir à côté d’eux et en faisant attention aux enfants. Ils passent à la télévision mais aussi sur les réseaux tels que Twitter ou les sites Internet de France Télévision ou des équipes.
Si la télévision reste le média dominant, le deuxième écran – celui des téléphones mobiles-, peu développé jusqu’ici, est essentiel. Le fait que le Tour mette en valeur les paysages résulte d’une transformation technique à la fin des années 1980, avec l’invention de la boule Wescam, qui a permis de montrer les coureurs dans l’environnement. Le deuxième écran permettra de fournir toutes les informations techniques qu’un passionné de vélo cherche à connaître, ainsi que des informations annexes, sur l’hébergement par exemple.
S’agissant de l’exposition universelle, sachez que nous avons prochainement une rencontre à propos de celle de Milan. Cette ville avait en effet souhaité que le Tour aille en Italie en 2015, ce qui ne pourra pas être possible en raison de contraintes de parcours. Mais nous travaillons pour que, sur le pavillon France, il y ait le Tour de France en direct pendant le mois de juillet.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Prenez aussi une option pour 2025 ! Il y a une véritable histoire entre la route et les expositions universelles…
Mme Martine Carrillon-Couvreur. L’historique RN7 pourrait d’ailleurs constituer également une thématique pour 2025…
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de M. Armand de Rendinger, ancien directeur de la promotion internationale du projet « Paris 2012 »
(Séance du mercredi 21 mai 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Notre mission d’information parlementaire travaille sur l’opportunité de la candidature de la France à une exposition universelle. Dans ce cadre, elle procède, depuis la fin du mois de janvier, à des séries d’auditions qui se poursuivront jusqu’à la fin septembre. Le spectre de nos travaux est large : nous voulons comprendre le monde des expositions universelles, identifier les atouts que la France pourrait faire valoir, ainsi que les écueils à éviter en s’appuyant sur les expériences de candidatures passées. Ce dernier point est précisément le thème retenu pour les auditions d’aujourd’hui.
Monsieur de Rendinger, vous êtes diplômé en sciences politiques et licencié en droit. Après avoir rempli chez Andersen Consulting plusieurs missions de conseil en stratégie et organisation, vous vous êtes rapproché du monde de l’olympisme, avant de devenir directeur de la promotion internationale de la Ville de Paris pour les jeux Olympiques de 2012. De cette expérience, vous avez tiré un essai paru en 2006, « Jeux perdus, Paris 2012, pari gâché », dans lequel vous citez Napoléon : « Se faire battre est excusable, se faire surprendre est impardonnable. »
Pour avoir vécu de l’intérieur le cheminement d’une candidature française à un grand événement international, vous n’ignorez pas que sont souvent pointées l’absence de professionnalisme des Français, leur condescendance, leur fierté mal placée ou encore leur défiance envers les pratiques de lobbying et de marketing, pourtant fondamentales dans ces processus. Fort de votre expérience, vous êtes à même de nous dévoiler quels sont les écueils à éviter et les atouts à mettre en avant pour créer les conditions du succès d’une candidature française à l’exposition universelle de 2025.
M. Armand de Rendinger, ancien directeur de la promotion internationale du projet « Paris 2012 ». Je suis très honoré de pouvoir apporter ma contribution à votre réflexion, qui me semble aller dans le bon sens.
Exposition universelle et jeux Olympiques sont deux événements planétaires de nature radicalement différente en termes d’enjeu, d’ampleur, de morale et d’opacité. L’image du pays à défendre et les étapes à franchir pour espérer gagner sont néanmoins quasiment identiques dans les deux cas.
Grossièrement, la candidature aux jeux Olympiques est déposée sur un « marché » détenu par 110 personnes qui votent à bulletin secret, mais qui, à force de vivre ensemble et de cooptation, se connaissent parfaitement. Trente ans de carrière dans le milieu de l’olympisme m’ont permis d’entretenir d’excellentes relations avec beaucoup d’entre elles, de me faire quelques amis, mais aussi de me forger une opinion sur ce monde dont les comportements ne sont pas forcément des plus professionnels.
Ces gens sont nommés « à vie » en fonction de leur qualité ou de leur statut, ce qui leur donne un droit et un pouvoir illimité sur le Graal olympique. En fin de compte, les membres du Comité international olympique (CIO) sont propriétaires des anneaux olympiques et accordent l’organisation des Jeux en fonction de critères techniques ou politiques, mais avant tout personnels. Contrairement aux diplomates ou intermédiaires nommés peu avant le vote pour l’attribution d’une exposition universelle, ils ne représentent pas leur pays d’origine au CIO ; leur objectif est de promouvoir l’idéal olympique dans leur pays comme représentants du CIO.
Les étapes de la promotion, les techniques de marketing, de communication et de lobbying, par contre, sont quasiment identiques pour les deux événements et reposent essentiellement sur le professionnalisme des acteurs. Dans les deux cas, on ne peut vendre un mensonge.
Vendre un projet, c’est vendre la marque d’un pays. À cet égard, quelle est la valeur de la marque France ? Quel intérêt les ambassadeurs des 160 pays ou les 110 membres du CIO pourraient-ils trouver à confier l’organisation de leur événement à un pays aussi marqué que le nôtre ?
Depuis sa publication, mon livre m’a valu beaucoup de félicitations de l’étranger, y compris des Russes, des Américains et des Coréens, mais très peu de la part de mes amis français. Alors qu’il a reçu en France un accueil défavorable, à l’étranger, il a servi de vade-mecum pour des candidatures qui ont gagné, en particulier celle de Sotchi.
Une étude comparée de l’image et de l’attractivité de vingt-cinq pays dans le domaine du sport m’a amené à la conclusion que l’image de la France change peu à l’étranger. Les interlocuteurs sont beaucoup plus exigeants vis-à-vis de la France qu’ils ne le sont de l’Allemagne ou de l’Italie, par exemple. On attend d’elle non seulement qu’elle respecte les protocoles, mais qu’elle sache aussi se montrer innovante et révolutionnaire, sans se départir de ses qualités traditionnelles – son savoir-faire, sa capacité à jouer avec les procédures administratives, par exemple. En d’autres termes, ses supporters voudraient être bousculés dans les règles.
Si le savoir-faire français inspire confiance à l’étranger, on est plus dubitatif s’agissant des relations que les Français entretiennent avec : l’argent, objet de culpabilité et d’envie, que l’on doit cacher au point de rendre les choses compliquées ; avec les jeunes, dont on s’inquiète que, malgré une des meilleures politiques familiales, ils descendent dans la rue et partent à l’étranger ; avec l’autre, qu’il soit le voisin de palier, l’immigré de banlieue, l’ami de couleur, la personne de confession religieuse ou politique différente ; enfin, avec le travail, que nos compatriotes considéreraient comme une tare dont il faut se défaire – cette impression très prégnante est souvent prise comme prétexte par les contempteurs de notre pays. On attend donc de la France qu’elle règle son problème psychologique vis-à-vis de ces quatre éléments fondamentaux.
Pour les jeux Olympiques de 2012, les choses s’étaient parfaitement déroulées jusqu’à trois mois du vote : nous étions les favoris, avec des gens talentueux comme Guy Drut et Jean-Claude Killy, un maire très impliqué, un soutien sain, une mobilisation de qualité, des partis politiques discrets. Puis la France s’est laissée emporter par un autre de ses maux, bien connu également à l’étranger ; le « bal des ego » a commencé : sûrs de gagner, les organisateurs n’ont plus pensé qu’à se répartir les pouvoirs et ils ont arrêté de travailler. Les Anglais, partis lentement, sont allés jusqu’au bout et ont fini par l’emporter de quatre voix, grâce à une campagne mettant en œuvre tous les moyens de lobbying et de promotion, mais aussi grâce à l’unité de leur pays.
Les raisons de la défaite tiennent donc à un travail inabouti et à une candidature altérée par cette querelle des egos au cours des derniers mois. Alors que nous avions obtenu 50 voix – contre 17 voix pour les JO de Pékin en 2008, et 7 voix pour les Jeux d’Annecy en 2011 –, nous avons désormais, dans le monde olympique, une image de mauvais perdants, de gens incapables de capitaliser sur les personnes envers lesquelles nous devons nous montrer fidèles !
Autre différence de taille entre les deux événements, le déroulement de la campagne pour les JO est médiatisé à l’extrême et l’environnement dans lequel se prennent les décisions est relativement opaque. Ce n’est pas du tout le cas pour une exposition universelle.
À mon sens, la France ne peut mener de front deux candidatures, pour des raisons à la fois économiques et d’image. Si cela est possible vis-à-vis de l’étranger, ce serait incorrect vis-à-vis du peuple français, beaucoup plus regardant sur les budgets depuis la crise financière de 2008 et beaucoup moins enclin à laisser s’exprimer la passion. Aujourd’hui, on peut mobiliser la population à condition de jouer la transparence totale ; cela est compliqué dans le cadre des jeux Olympiques, mais beaucoup moins pour une exposition universelle, car les enjeux et les contraintes économiques sont différents.
Pour les Jeux, une fête qui dure seize jours, l’organisateur doit donner la garantie que tout sera prêt sept ans et un jour après qu’ils lui ont été attribués ; chaque minute de retard est très pénalisante, et le moindre aspect de l’organisation est sous pression. Pour l’exposition universelle, les conditions d’organisation sont différentes. Outre la transparence dont il faut faire preuve, il faut montrer, et notre pays a toute crédibilité à cet égard, qu’on organise l’exposition non pas pour vendre Paris ou la France, mais pour accueillir le monde entier. Dès lors, tout un dispositif devra être mis au service de cet objectif : communication, lobbying, marketing, financement. La France investira, certes, mais les étrangers eux-mêmes contribueront à cet investissement économique, administratif et technique. L’exposition universelle doit être pour la France l’occasion d’offrir au monde ce qu’elle a de plus beau, mais surtout d’inviter les exposants à montrer au monde entier ce qu’ils savent faire dans une structure d’accueil qui rend les miracles possibles. Le pays d’accueil est le coordinateur, le fédérateur ; il imprime sa patte. Et la patte de la France, c’est l’innovation et le savoir-faire.
Pour résumer, la France candidate à l’organisation de l’exposition universelle de 2025 devra présenter un management de projet, un dispositif de contrôle d’avancement des travaux, et engager un travail de lobbying et de communication très professionnel. Elle est tout à fait capable de se plier à ce genre d’exigence, car la nature de l’événement s’y prête bien.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Au regard de votre expérience des trente derniers jours de la candidature aux JO, quel levier aurait-il fallu actionner en fin de parcours pour ne pas gâcher tout le travail déjà accompli ?
Même si nous ne voulons pas adopter une approche de mise en concurrence, pouvons-nous déduire de vos propos qu’une candidature de la France à l’exposition universelle serait perçue comme plus légitime qu’une candidature aux JO ?
M. Armand de Rendinger. Vu de l’étranger, la présentation par la France de deux candidatures ne pose pas de problème. On doute, par contre, que les 65 millions de Français acceptent les deux projets. Sans compter que les deux événements seraient mis en concurrence, et sur des aspects plutôt subjectifs que quantitatifs, avec des arguments moraux. Cela serait mortifère pour les deux projets.
Dans les deux cas, l’honnêteté vous condamne à mobiliser les gens : on ne peut pas promouvoir et organiser un événement sans être soutenus par la population. Rien n’insupporte plus les membres d’un comité qu’un mouvement de protestation, fût-il au nom des droits de l’Homme, dans un pays organisateur, tel celui qui a conduit à arrêter le parcours de la flamme olympique des Jeux de Pékin en 2008. Il est donc important de montrer à ceux qui sont appelés à voter que la France a la capacité de mener de front les deux projets et, surtout, de garantir une mobilisation permanente en faveur des deux projets.
Si j’étais un homme politique, je me sentirais plus à l’aise avec un projet comme l’exposition universelle, qui me semble mieux maîtrisé, moins incertain. Contrairement aux JO, une exposition universelle peut dépasser les clivages, créer une profonde unité. Dans ces conditions, la France a des chances de l’emporter.
La réussite de la candidature française passe par deux voies.
D’une part, les promoteurs du projet doivent pouvoir se faire une opinion des attentes des 160 pays vis-à-vis de la France en tant qu’organisatrice de l’exposition. À cette fin, ils doivent lancer, dès aujourd’hui, un travail de collecte d’informations économiques et politiques mais pas seulement, qui doit être partagé entre différentes personnes, mais coordonné par une seule au sein du comité organisateur, auquel il reviendra ensuite de croiser ces informations.
D’autre part, il ne faut pas stopper le travail auprès des États soixante ou trente jours avant la décision. Les promesses doivent être tenues jusqu’à la dernière minute, et par les personnes présentes depuis le début de l’aventure, sachant que ce ne peut être les mêmes que celles qui ont remonté les informations. Le lobbying français confond tout : la même personne ne peut pas à la fois collecter l’information et signer le deal définitif. Ce n’est pas tenable vis-à-vis d’un représentant de gouvernement étranger, qui doit pouvoir respecter le responsable en tant que tel. Je suis moi-même assez bon lobbyiste, mais je suis incapable de signer un acte définitif.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Notre rapport cherchera d’abord à dégager un consensus politique, qui ne sera peut-être pas facilité par la concurrence des deux événements. Une fois ce consensus créé, quelle sera ensuite la clé de répartition des responsables et des professionnels dans la structure de pilotage ? L’usine à gaz est-elle inhérente à nos habitudes de fonctionnement et faut-il apprendre à la gérer ? Des enseignements peuvent-ils être tirés de nos précédents échecs ?
Dès le dépôt de notre dossier de candidature, il se peut que nous soyons favoris. Cette position se révélera-t-elle un atout ou, du fait de notre manque d’humilité habituel, une faiblesse aux yeux des autres pays ?
M. Armand de Rendinger. La France a l’habitude de créer des consensus, le problème c’est qu’elle les pousse jusqu’au management des projets. Et voilà l’usine à gaz ! C’est l’erreur qui a été commise pour les JO de 2012. Le management du projet doit être pyramidal, prendre la forme d’un commando. Ce commando, composé d’un nombre restreint de personnes d’origines diverses et possédant la légitimité et la crédibilité nécessaires, doit être seul habilité à porter la parole dans l’hexagone et à l’extérieur, c’est-à-dire vis-à-vis des tiers, des apporteurs de garantie, et des pays appelés à se prononcer.
Parallèlement, des commissions doivent être installées pour réfléchir sur le marketing, le lobbying, les aspects techniques du projet. Leur objectif ne doit pas être de valoriser les personnes qui y participent – être sélectionnées pour leurs compétences doit être la principale satisfaction de celles-ci.
Une image, la parole des quelques personnes légitimes pour commander et parler : c’est indispensable si vous voulez gagner ! Et c’est possible ! Pour la présentation, en 1984, de notre candidature aux Jeux d’Albertville, il y avait quatre personnes seulement, dont Jean-Claude Killy et Michel Barnier.
Il suffira à la France d’être candidate à l’exposition universelle de 2025 pour être immédiatement favorite ! Par contre, elle devra en finir avec cette image, qui lui colle à la peau, d’un pays condescendant, voire méprisant, volontiers donneur de leçons, comme ce fut le cas lors des Jeux de Sotchi. Si elle y parvient, la victoire est acquise.
Mme Claudine Schmid. Vous avez insisté sur l’importance de l’image qu’a un pays à l’étranger. Deux années suffiront-elles à la France pour améliorer la sienne ? Sur quel point négatif devrait-elle travailler en particulier ?
À ce stade, la population ne semble pas informée de l’existence d’un projet pour une exposition universelle. Est-il nécessaire de commencer à mobiliser les Français ?
M. Yves Albarello. Aux yeux des Français, une exposition universelle, qui dure six mois, représente un investissement, tandis que les JO sont une fête éphémère de seize jours. L’exposition universelle de 2025 s’arrimera sur le Grand Paris Express, dont le coût s’élève à plusieurs milliards d’euros et dont l’inauguration est prévue en 2030. Dans ces conditions, le dépôt de deux candidatures – exposition universelle de 2025 et JO de 2024 – vous semble-t-il envisageable ? A mon avis, nos moyens ne nous le permettent pas.
Vous avez cité comme points négatifs pour notre pays le rapport difficile des Français avec le travail, l’argent, les jeunes et les autres. Comment gommer en peu de temps ces aspects négatifs aux yeux de l’étranger ?
Mme Martine Carrillon-Couvreur. La France sera favorite dès l’annonce de sa candidature, avez-vous indiqué. Devra-t-on commencer à mobiliser l’ensemble de la population à partir de ce moment-là ?
Vous avez évoqué une organisation sous forme de commando. Comment organiser les stades de contrôle ou d’évaluation d’un fonctionnement qui risque de s’essouffler en bout de course ?
Enfin, quelles étapes vous paraissent importantes dans le calendrier prévu ?
M. Armand de Rendinger. Étant donné l’agenda imposé – dossier à déposer au printemps 2016 pour un vote au printemps 2018 –, le temps dont vous disposez est très court. Pour autant, aucun pays n’est officiellement candidat à ce stade.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le maire de Londres a indiqué travailler sur le dossier il y a un mois.
M. Armand de Rendinger. Le dossier de l’exposition universelle ne peut bénéficier d’un « oral de rattrapage », contrairement aux jeux Olympiques, pour lesquels un pays peut annoncer sa candidature pour 2024 dans l’objectif de se positionner pour 2028.
Une fois le consensus acquis et la décision prise, faut-il mobiliser les foules ? Je vous réponds : non.
La France peut-elle corriger en deux ans son image négative ? Je la crois tout-à-fait capable de le faire pour peu qu’elle définisse un positionnement nouveau et intéressant et qu’elle aille vite. Avant de mobiliser l’ensemble de la population, elle doit intégrer très tôt dans le dispositif les jeunes, ceux qui seront au pouvoir en 2025. Enfin vous surprendrez l’étranger : non seulement vous aurez créé un consensus politique, mais vous aurez fait participer les jeunes dès le départ !
Une fois le dossier déposé, le positionnement connu et la communication mise en place, la mobilisation de la population pourra commencer. Elle ne doit intervenir ni trop tôt ni trop tard, il faut sensibiliser les gens par petites touches – intégration des jeunes, mises en réseaux, participation des métropoles, de l’outre-mer…
Une France qui surprend, voilà ce qu’attendent les pays !
Ensuite, il vous faut mobiliser tous les relais existants, afin de faire remonter l’information relative aux attentes des pays qui mandatent leurs ambassadeurs. Ce travail doit commencer immédiatement : vous devez non seulement identifier les attentes des pays, mais encore leur apporter la preuve de votre capacité à les écouter. Car là est le problème de la France : elle n’écoute pas les autres ! Le discours de Dominique de Villepin à l’ONU en 2003 a-t-il été prononcé pour être extraordinaire ou pour être simplement écouté ?
Pour conclure, votre dossier me semble sur la bonne voie. La France n’a pas la place pour deux projets, mais son investissement sur le long terme, en particulier avec le Grand Paris Express, est un atout supplémentaire pour rendre sa candidature légitime. Bravo ! Vous êtes attendus, mais, de votre côté, attendez-vous aussi à des croche-pieds, en France comme à l’extérieur.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci infiniment de votre contribution.
Audition, ouverte à la presse, de M. Noël de Saint Pulgent, auteur du rapport sur la préparation de l’exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, ancien directeur général du GIP Paris Ile-de-France pour la candidature de Paris aux JO de 2008
(Séance du mercredi 21 mai 2014)
M. Jean-Christophe Fromantin, président de la Mission d’information. Tout en vous souhaitant la bienvenue, je vous rappelle l’objet de notre mission d’information parlementaire, qui est d’étudier la pertinence, l’opportunité et les conditions du succès d’une éventuelle candidature de la France à l’exposition universelle de 2025. Les deux dates à retenir dans le processus sont 2016 pour le dépôt des candidatures et 2018 pour le vote.
Dans le cadre de cette mission, installée en janvier dernier, nous avons prévu d’auditionner, entre les mois de février et de septembre, des personnalités susceptibles de nous aider à appréhender le contexte des expositions universelles, les bénéfices que la France pourrait en retirer sur les plans touristique, économique et culturel, et les atouts de marketing et diplomatiques qu’elle pourrait mettre dans la balance d’une candidature.
Vous avez acquis, au cours de votre carrière professionnelle, une bonne connaissance à la fois de la haute administration et des grands événements internationaux. Après avoir été l’un des acteurs de la Coupe du monde de football en 1998, vous avez rédigé un rapport sur la préparation de l’exposition internationale qui devait avoir lieu en Seine-Saint-Denis en 2004 et participé à la candidature de la France aux jeux Olympiques de 2008.
Nous écouterons avec intérêt ce que vous pourrez nous dire de l’approche française de ces grands événements, avec ses points forts et ses points faibles, de la structure du Bureau international des expositions (BIE) et de la pertinence d’une exposition universelle en France en 2025.
M. Noël de Saint Pulgent, auteur du rapport sur la préparation de l’exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, ancien directeur général du GIP Paris Île-de-France pour la candidature de Paris aux JO de 2008. C’est Jean-Pierre Raffarin qui m’a confié, en 2002, un rapport sur la mission de préparation de l’exposition internationale de 2004 à Saint-Denis. Ce fut une expérience assez douloureuse, car il a fallu conclure qu’il n’était pas raisonnable de poursuivre l’aventure. Les raisons à cela étaient diverses, la première étant que la candidature de la France résultait d’une décision politique de circonstance et n’avait pas de véritable ancrage. L’idée d’installer une exposition internationale à côté du Bourget était mal calibrée, elle manquait de soutiens politiques, hormis les élus communistes du département, et surtout elle était irréaliste en termes de coûts et de délais. Rien qu’accéder au site était difficile. Il y a douze ans, la desserte par les transports en commun était déjà une condition essentielle au succès d’une manifestation de cette ampleur. D’ailleurs, la tangentielle Nord n’est toujours pas terminée. En outre, la conception même du projet souffrait d’un important retard, impossible à rattraper en deux ans, à moins d’engager des moyens considérables, tant humains que matériels.
Lorsqu’ont été constatées des dérives de coûts, favorisées par l’absence d’expertises et de contre-expertises, j’en suis arrivé à la conclusion qu’au lieu d’améliorer l’image de la Seine-Saint-Denis, ce projet risquait au contraire de la dégrader.
Aujourd’hui, la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025 me paraît très intéressante. Je lis dans la presse que d’aucun voudraient voir notre pays candidater également aux jeux Olympiques de 2024. Selon moi, les deux démarches sont difficilement compatibles. Certes, les Chinois ont organisé les jeux Olympiques à Pékin en 2008 et l’exposition universelle à Shanghai en 2010, mais ils n’ont pas les mêmes moyens que nous.
Nous avons donc un choix à faire. Il ne s’agirait pas de s’exposer à ce que je redoute pour le Brésil. Ce pays rencontre déjà de nombreuses difficultés pour préparer la Coupe du monde, et il devra encore organiser les jeux Olympiques de Rio en 2016. Le Comité international olympique (CIO) s’est montré très réservé sur sa capacité à le faire.
En réalité, la candidature de la France aux JO de 2008 n’avait d’autre but que d’annoncer celle de 2012. Dans cette organisation, j’étais chargé de diriger l’appui technique, sous la présidence de Claude Bébéar. Quels qu’aient pu être nos efforts, nos chances étaient minces face à la Chine qui avait pour atouts de n’avoir jamais obtenu les JO en un siècle et d’avoir une population représentant 20 % de l’humanité. Alors même que notre dossier avait été reconnu comme le meilleur dans les phases préliminaires, nous avons été frappés, au sein du CIO, d’un ostracisme tel que nous n’avons pas pu faire passer des idées qui auraient peut-être permis d’emporter les quatre voix qui nous ont manqué.
Cela dit, le dossier n’est qu’un élément de la candidature aux JO. Ce qu’il faut surtout, outre faire la preuve de nos capacités, c’est réussir à convaincre une majorité de votants au sein d’un collège électoral de plus de cent personnes. À titre de comparaison, elles sont vingt-cinq pour la Coupe du monde de football.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Pour l’exposition universelle, le collège électoral compte 160 personnes.
M. Noël de Saint Pulgent. Un tel nombre de votants favorise les regroupements, ce qui n’est pas toujours à notre avantage. Nous, Français, avons à l’étranger l’image de gens sans doute sympathiques mais très autocentrés, arrogants et peu malléables. Même les Anglais ont fait mieux que nous, sans doute grâce à leur ambassadeur de génie, Sebastian Coe. Toutefois, pour eux aussi, le succès s’est joué à quatre voix près. Il n’empêche qu’il y a là pour nous une réflexion à engager. D’ailleurs, après l’échec de notre candidature aux JO de 2008, j’avais suggéré d’interroger a posteriori les votants sur ce qu’ils avaient pensé de la candidature de Paris et sur la raison pour laquelle ils n’avaient pas voté en sa faveur. Un tel retour d’expérience nous aurait beaucoup appris.
La Coupe du monde de football fut un succès, non seulement sur le plan sportif mais aussi au regard de l’organisation. Ce fut pour nous l’occasion de prendre conscience de l’importance de la réussite matérielle d’une manifestation, dont il faut se préoccuper dès le dépôt de la candidature. Sachant que, dans le meilleur des cas, l’événement permettra seulement de payer l’organisation, et non de rembourser les équipements réalisés, une politique intelligente consistera à faire appel au mécénat. Ce ne fut pas simple en 1998, mais aujourd’hui les grandes entreprises sont prêtes à se lancer.
Au sein de l’organisation, il importe que la partie « équipement » soit traitée séparément. Avant même de commencer, un accord doit déterminer précisément ce qu’on fait, qui fait quoi et surtout qui finance. On voit bien que les grandes opérations d’aménagement, qu’elles soient une réussite ou un désastre, relèvent maintenant d’une décision qui engage l’ensemble des collectivités publiques, pas seulement l’État. D’où la nécessité de s’entendre sur les modalités du partage de l’addition – avant celui du gâteau – et de déterminer des coûts réalistes. À ce stade, des contre-expertises sont très utiles pour tempérer l’enthousiasme qui tend à minorer ces coûts. Il faut prévoir le temps de les exécuter.
Au moins autant que les coûts, il faut se fixer des délais réalistes pour pouvoir les tenir, ce qui est généralement difficile. Pour la Coupe du monde, le Stade de France a été terminé en janvier alors que l’événement commençait à la fin du mois de mai – c’était tout juste. Les Brésiliens vont être confrontés à ce problème de délais, les Anglais l’ont été avant eux. Les calendriers ont une tendance naturelle à dériver. Il faut donc prévoir large ; la marge idéale pour pouvoir encaisser quelques mois de dérapage est d’un an.
Le bon déroulement des opérations suppose une bonne connexion de l’équipe. Quelle que soit la majorité politique des collectivités concernées, les désaccords doivent être laissés de côté au nom de l’intérêt national. L’équipe mise en place doit être constituée de techniciens, et l’arbitrage placé au niveau le plus élevé des collectivités de manière à éviter une gestion bureaucratique et administrative. C’est ainsi que, pour la Coupe du monde de 1998, nous avions créé une délégation interministérielle.
Votre projet doit rester raisonnable et s’insérer dans les aménagements déjà prévus, a fortiori en l’état actuel des conditions financières. Ainsi, il doit être cohérent avec le Grand Paris et ne pas l’entraver, ce qui n’interdit pas quelques petits ajouts ici ou là. En l’espèce, la Coupe du monde est une réussite extraordinaire d’aménagement pour la Seine-Saint-Denis. On la doit à l’accord passé entre Edouard Balladur et le maire de Saint-Denis, Patrick Braouezec qui, comprenant l’avantage que représentait pour sa ville la construction du stade dans la presqu’île du Cornillon nord, avait pris avec courage le contre-pied de son illustre prédécesseur Marcelin Berthelot. Avec raison, il avait exigé que soient intégrées les opérations d’aménagement, en commençant par la couverture de l’autoroute A1 qui a été déterminante, contribuant à placer le stade au cœur d’une zone d’activité. Cette opération est à l’origine du décollage du département.
Pour la candidature aux JO de 2008, nous pensions continuer sur cette lancée en installant le village olympique près du Stade de France. Même si cela avait du sens, à la réflexion, ce n’était pas une si bonne idée, notamment au regard des incidences sur les riverains. Les responsables de la candidature pour 2012 avaient l’intention de l’implanter aux Batignolles, ce qui était bien plus judicieux.
Pour réussir, les projets de cette nature, tout en étant clairement dirigés par la puissance publique, doivent s’appuyer sur des partenariats public-privé équilibrés. Le Stade de France n’aurait pas été terminé à temps sans un tel PPP. Grâce à l’intervention des trois groupes de BTP les plus importants de l’époque, les travaux ont été réalisés dans les délais prévus et aux prix qui avaient été fixés, ce dont nous avons fait un sujet de fierté nationale.
Quel est l’apport des jeux Olympiques ? Pour une ville comme Paris, les opérations d’aménagement, qui peuvent être présentées comme un avantage, ne sont pas forcément rentables, car elles risquent de faire fuir un certain nombre de touristes. En contrepartie, s’ils sont réussis, ils donnent une image jeune et moderne de la ville, ce dont a bénéficié pleinement la ville de Londres.
Le concept d’exposition universelle est beaucoup plus riche, car il implique le choix d’un thème. Selon moi, ce thème doit être fort et original tout en étant suffisamment précis. Je vous déconseille, par exemple, un sujet comme les technologies de l’information, trop général. Ce thème doit être mobilisateur, afin de susciter l’enthousiasme d’un maximum de personnes et correspondre à un axe fort de notre pays. C’est donc un choix difficile qui doit être fait en dehors de toute vision administrative et politique. Comme pour le programme Investissements d’avenir et le Grand emprunt, il faudrait lancer un appel à projets pour des compétences extrêmement variées – experts scientifiques, créatifs, créateurs d’entreprise, experts en communication – et s’entourer de tous les moyens qui permettent d’appréhender la réalité sociale afin d’obtenir, avec la coopération des médias, un consensus national. C’est un exercice difficile mais qui, selon moi, peut être plus magique qu’une Coupe du monde ou un événement purement sportif.
À cet égard, les membres du CIO étaient très désireux de savoir comment les Jeux seraient reçus dans notre pays. Sans atteindre les 98 % d’opinion favorable de Pékin, nous avions plutôt de bons résultats. En dehors du travail technique, c’est là un élément du dossier de candidature aux compétitions olympiques qui pèse dans la décision du jury, tout comme la rotation des continents, mais aussi le lobbying – que nous avons pratiqué dans les limites autorisées – et la corruption. Dans ce domaine, les limites du CIO sont sévères et nous les avons globalement respectées.
Je ne sais pas comment fonctionne le BIE. Pour ce qui est du CIO, en 2008 comme en 2012, le poids de la France avait été surestimé. Alors qu’on nous avait promis trente-cinq voix au premier tour, nous n’en avons obtenu que la moitié. Pour l’anecdote, le CIO, c’est une centaine de personnes qui fonctionnent un peu comme en Conclave, mais en présence de quelques femmes et en l’absence du Saint-Esprit. On nous avait désigné un de ses membres comme susceptible d’influencer une quinzaine de votes pour peu qu’on réussisse à satisfaire le souhait de son épouse de réaliser un documentaire pour Canal Plus. Claude Bébéar s’y était employé. Quelle n’a pas été notre surprise, le soir des résultats, de voir ledit membre se réjouir officiellement du succès de Pékin ! Les Français ont du mal à gérer cette versatilité.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. L’organisation d’une exposition universelle peut-elle agir comme un accélérateur des projets en cours – Grand Paris, Grand Paris Express, Roissy Express, modernisation de certaines lignes, métropolisation ? Peut-elle susciter une motivation et un enthousiasme susceptibles d’avoir un effet sur les arbitrages politiques et administratifs ?
M. Noël de Saint Pulgent. Il n’y a aucun doute ! Cela a été le cas avec la Coupe du monde et les aménagements en Seine-Saint-Denis, mais les jeux Olympiques auraient eu le même effet. Nous aurions construit un très beau village olympique et nous aurions doté Paris et la région Île-de-France d’équipements qui lui font défaut : une piscine olympique, qui aurait été située à Aubervilliers, et une structure légèrement plus grande que le Palais omnisports de Paris-Bercy, celui-ci étant de plus en plus consacré à des événements culturels. Nous avions envisagé, et l’idée a été reprise par le CIO, de construire des équipements démontables en vue de les proposer à des pays en développement, notamment en Afrique. Le vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines est un survivant du projet.
Le sport suscite naturellement l’enthousiasme ; pour une exposition universelle, il faut absolument trouver un thème accrocheur.
M. Yves Albarello. En 1900, l’exposition universelle de Paris a accueilli 50 millions de visiteurs, alors que Shanghai en a reçu 70 millions en 2010. Compte tenu du développement des moyens de transport et de l’arrivée des nouvelles technologies, la différence est faible. Si la France, qui est le plus beau pays du monde – sans arrogance aucune ! –, organise la prochaine exposition, il y a fort à parier qu’elle attirera plus de 70 millions de personnes.
M. Noël de Saint Pulgent. Je n’en suis pas certain. La zone de proximité était quand même plus peuplée.
M. Yves Albarello. La parfaite organisation des jeux Olympiques de Londres a permis à la capitale anglaise d’augmenter le nombre de ses visiteurs jusqu’à concurrencer Paris pour le titre de ville la plus attractive du monde.
M. Noël de Saint Pulgent. Les retombées d’une manifestation sportive ne se manifestent pas pendant son déroulement, mais plus tard, en agissant sur l’image de la ville organisatrice.
M. Yves Albarello. L’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle a accueilli 62 millions de passagers en 2013 et en recevra probablement le double d’ici à une quinzaine d’années. Ne pensez-vous pas que notre pays mériterait un mode de transport direct entre cet aéroport et la capitale ?
M. Noël de Saint Pulgent. Je le pense d’autant plus que ce point figurait dans mon dossier pour la candidature de 2008 et qu’il a été repris pour 2012. La liaison entre l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle et Paris est reconnue comme l’une des principales faiblesses de Paris.
M. Yves Albarello. Le nouveau Grand Paris Express, avec ses 202 kilomètres et ses soixante-douze gares, devrait placer notre candidature en bonne position vis-à-vis de celle des autres pays.
M. Noël de Saint Pulgent. Tout à fait.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. L’organisation d’un événement de cette ampleur nécessite de nouvelles infrastructures sur l’ensemble du territoire. On dit d’une exposition universelle qu’elle doit fédérer l’ensemble d’un pays. Or nous manquons aussi de liaisons rapides entre les villes de province et Paris. Comment cette question est-elle traitée dans les dossiers de candidature ?
M. Noël de Saint Pulgent. En dehors des aménagements liés au projet lui-même, ce type d’événement comporte deux éléments : les transports et l’hébergement, pour lesquels il convient d’effectuer très en amont des études précises.
La Coupe du monde était répartie sur tout le territoire. De ce point de vue, force est de reconnaître qu’aucun pays en Europe ne possède notre réseau de lignes à grande vitesse, a fortiori celui que nous aurons dans quatre ans, qui mettra Bordeaux à deux heures dix de Paris, Strasbourg à une heure trente, Brest à moins de trois heures, sans oublier Nîmes, Montpellier, mais également Londres, Bruxelles, Francfort et Amsterdam.
Un événement francilien exige d’abord une desserte de proximité. Nous avions poussé pour que le Stade de France soit accessible par le RER – il y a deux lignes – et le métro. Aujourd’hui, les Français se sont habitués à ne plus se rendre partout en voiture mais, il y a quinze ans, notre plus grande crainte était que tout soit bloqué par l’afflux de voitures, voire de cars. Nous avions communiqué sur ce point, jusqu’à demander au Gouvernement de se rendre au stade en RER. C’est donc un gros sujet, et les porteurs du projet de stade de rugby de la FFR feraient bien d’y réfléchir.
Mme Catherine Quéré. Pouvons-nous être candidats à la fois aux jeux Olympiques et à l’exposition universelle ? Je crains que les Français, face à la multiplication des dépenses, n’adhérent pas aux deux projets. Pour ma part, cela me semble être de la folie pure.
Les Anglais demandent aujourd’hui l’exposition universelle, mais c’est après avoir accueilli les jeux Olympiques. C’est un bon point pour eux.
M. Noël de Saint Pulgent. Je suis tout à fait de votre avis, mais c’est une opinion personnelle. Il n’est pas possible pour la France de présenter deux candidatures en même temps, car l’une et l’autre mobiliseraient d’importantes ressources. Il faut faire un choix. Je sais que notre candidature aux JO de 2024 dépendra de la décision des Américains de présenter la leur ou pas. Compte tenu de la situation financière de notre pays, cette décision me paraît discutable. D’autant que si nous organisons l’un ou l’autre événement, sans pour autant renoncer à une gestion rigoureuse, nous ne devrons pas lésiner sur les investissements.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quelle est la meilleure gouvernance pour mettre en place de grands projets ?
M. Noël de Saint Pulgent. Dans le cadre de notre candidature pour les JO de 2012, Jean-Philippe Lecat avait proposé un schéma de répartition des compétences et de contrôle qui m’avait paru très astucieux. Je ne l’ai pas mais vous devriez pouvoir le trouver.
Il faut certainement séparer les fonctions sans pour autant créer des usines à gaz. Considérant qu’à partir du moment où l’on engage de l’argent public, la forme associative n’était pas suffisante, nous avions adopté la structure du groupement d’intérêt public (GIP). Cela a bien fonctionné, si ce n’est que la rigueur du cadre financier et les contrôles qu’il implique nous a rendu la tâche difficile quand il s’est agi de gérer des imprévus. J’en suis venu à considérer que la vertu était bien mal récompensée ! Sous réserve de conserver une souplesse de gestion, il faut un contrôle public. Avec le GIP, nous avions un contrôle d’État.
D’autres formules sont envisageables, comme la création d’une société. Quoi qu’on choisisse, le plus important est d’entretenir des relations de bonne qualité avec l’extérieur
– collectivités et entreprises privées –, ce qui nécessite un dispositif souple permettant une prise de décision et une transmission d’information rapide.
Mme Claudine Schmid. Un tel projet requiert l’adhésion de la population mais également des États participants. Il semble que, pour l’exposition de Milan, les exposants fassent défaut. Quelle est la raison pour laquelle les États n’adhèrent pas à ce projet ? Est-elle liée à Milan et à l’Italie ou est-ce une tendance générale, et pourrions-nous craindre la même désaffection en 2025 ?
M. Noël de Saint Pulgent. Je ne saurais vous répondre. Cette désaffection s’explique peut-être par les difficultés budgétaires que connaissent la quasi-totalité des pays développés et un certain nombre de pays émergents. Cela dit, le projet de Milan n’est peut-être pas suffisamment porteur.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le choix du thème est, en effet, essentiel.
M. Noël de Saint Pulgent. C’est peut-être là l’indication qu’il faut veiller à ne pas choisir un thème franco-français. Nous en sommes très capables, pour peu que nous nous en donnions les moyens, en évitant les a priori et sans laisser les choses venir d’en haut.
Mme Catherine Quéré. Selon vous, est-il plus facile d’obtenir l’adhésion de la population à des JO ou à une exposition universelle ?
M. Noël de Saint Pulgent. Les gens connaissent bien le sport, et la Coupe du monde de football et les JO suscitent toujours beaucoup d’enthousiasme. L’intérêt de la population française pour l’exposition universelle est sans doute moins naturel et immédiat, mais probablement cela dépend-il du public. Tout porte à croire que les publics plus âgés se montreront les plus réceptifs, mais les jeunes y trouveront certainement leur intérêt. On voit bien, dans l’exposition « Paris 1900, la Ville spectacle » au Petit Palais, que ce qui a été fait à l’époque était fantastique.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Une récente étude IFOP réalisée auprès de plus de mille Français montre que 84 % d’entre eux sont favorables à l’exposition universelle, et que s’il fallait choisir, ils seraient 36 % à la préférer, contre18 % en faveur des JO. Le directeur de l’IFOP explique ces chiffres par les traces laissées par ces événements : alors que la Tour Eiffel a eu un impact affectif, une piste de bobsleigh en friche ou un tremplin abandonné contribue à dégrader l’image des jeux Olympiques, à quoi ont encore participé les Jeux de Sotchi et les 35 milliards investis par la Russie.
M. Noël de Saint Pulgent. Qui plus est, les gens sont persuadés que nous sommes si mauvais que nous n’obtiendrons pas les jeux Olympiques.
M. Jean-Christophe Fromantin. Merci pour votre contribution à nos travaux.
Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Drut, ancien ministre, membre du comité international olympique
(Séance du mercredi 21 mai 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. C’est avec grand plaisir, monsieur Guy Drut, que nous vous accueillons au sein de cette maison, qui a été la vôtre si longtemps, dans le cadre d’une mission d’information parlementaire dont l’objectif est d’évaluer l’opportunité et la pertinence d’une candidature de la France à l’exposition universelle de 2025. Notre mission, qui a débuté en février et qui doit s’achever en octobre, travaille à la fois sur la structuration du processus de candidature auprès du Bureau international des expositions – une structure équivalente à celle du Comité international olympique, mais intergouvernementale – ainsi que sur les atouts de la France : en quoi l’organisation d’une telle exposition pourrait-elle intéresser notre économie, notre culture ou notre urbanisme ?
Nous auditionnons également des acteurs des grands événements sportifs, comme, la semaine dernière, M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury Sport Organisation et directeur du Tour de France. Nous souhaitons vous entendre sur votre expérience au sein du CIO et recueillir vos commentaires sur ces trois expériences malheureuses qu’ont constituées les deux candidatures de Paris aux jeux Olympiques de 2008 et de 2012, et celle d’Annecy aux jeux d’hiver de 2018.
Quelle analyse critique faites-vous des processus d’influence et de décision ? Avez-vous observé un vrai manque de professionnalisme ? Avez-vous vérifié le reproche de condescendance qui est souvent fait à la France ?
Quel regard portez-vous, enfin, sur le projet d’exposition universelle ?
M. Guy Drut, ancien ministre, membre du Comité international olympique. Vous n’ignorez pas qui je suis, ayant été député durant vingt et un ans, de 1986 à 2007. J’ai arrêté ma carrière sportive une première fois en 1976, puis, après l’avoir reprise en 1980, définitivement en 1982. Après quoi, j’ai embrassé une carrière politique qui m’a tout d’abord conduit à la ville de Paris, comme adjoint chargé de la jeunesse et des sports. Je suis ensuite devenu conseiller régional de la région Île-de-France, conseiller municipal d’opposition de la ville de Meaux, puis maire de Coulommiers de 1992 à 2008. J’ai également été ministre de la jeunesse et des sports du gouvernement d’Alain Juppé de novembre 1995 à juin 1997.
Depuis 1996, je suis membre du CIO. Ma carrière et ma bonne connaissance du monde sportif international m’ont valu de participer aux différentes candidatures de la France aux jeux Olympiques.
J’ai déjà eu l’occasion de vous le dire : dès qu’il s’agit de promouvoir l’excellence française à l’étranger, vous pouvez compter sur moi. Il est ridicule d’opposer une candidature aux jeux Olympiques à une candidature à l’exposition universelle. Les deux sont complémentaires, et nous devons nous aider mutuellement. Jean-Claude Killy n’étant plus un membre actif du CIO, j’y suis devenu le membre le plus important puisque le plus ancien dans le grade le plus élevé. Je suis donc incontournable en cas de candidature aux jeux Olympiques.
L’image et le bien-être d’un pays reposent sur trois critères essentiels : son rayonnement économique, son rayonnement culturel et son rayonnement sportif. La France, qui a été une grande puissance économique, est aujourd’hui en perte de vitesse. Elle reste toutefois parmi les cinq premières puissances économiques mondiales. Sur le plan culturel, la France conserve son rang. Sur le plan sportif, contrairement à l’époque où je courais, elle obtient de bons résultats. Notre rang dans le classement des médailles est honorable, qu’il s’agisse des disciplines d’été ou d’hiver. Nous remportons régulièrement des titres de champion du monde ou d’Europe. La valeur des athlètes français, de l’école sportive française et des cadres techniques français – dont le corps a été difficilement maintenu en raison des restrictions budgétaires – est reconnue au niveau international. Il n’existe pas de problème entre les systèmes fédéraux français et international. Je tiens à rappeler que des présidents de fédérations nationales ont des postes de responsabilité au niveau international au sein des exécutifs, comme présidents ou secrétaires généraux : du reste, et on nous en félicite, la France organise régulièrement des championnats. Je citerai, outre l’Euro 2016, l’organisation cette année des jeux équestres mondiaux et, en 2017, celle des championnats de handball masculin. La France s’est également positionnée pour l’Eurobasket 2015. En revanche, le mouvement olympique français est en perte de vitesse par rapport au mouvement olympique international.
Bien qu’il soit difficile d’unir le mouvement olympique français et le corps politique, en aucune façon, je le répète, il ne faut opposer une candidature à des jeux Olympiques à une candidature à une exposition universelle. Si j’ai toujours affirmé que la France devait assumer une ambition olympique française pour la décennie 2020-2030, je n’ai jamais daté cette ambition avec précision. Il faut se rappeler que l’élection de la ville organisatrice se déroule six à sept ans avant le déroulement des jeux. La France peut, de plus, candidater non seulement pour les jeux Olympiques d’été, mais également pour les jeux Olympiques d’hiver ou pour les jeux Olympiques de la jeunesse. Sachons faire preuve de réalisme en admettant qu’il nous serait aujourd’hui beaucoup plus difficile qu’auparavant d’organiser les jeux d’été : en avons-nous encore les moyens ? Comme Jean-Claude Killy l’a souligné dans un numéro récent de L’Équipe Magazine, il nous faut rompre avec l’arrogance. Le CIO n’attend pas de leçons des Français, même si c’est le baron Pierre de Coubertin qui a ressuscité les jeux et créé le CIO : c’était dans les années 1890 ! C’est la raison pour laquelle la France ne doit pas compter organiser les jeux en 2024 au seul motif que ce sera le centenaire des jeux de Paris de 1924 : ce n’est plus un argument. Pourquoi ne pas viser l’organisation des jeux d’hiver de 2026 ou des jeux d’été de 2028 ?
Ce qu’il faut promouvoir, c’est la France : ne jouons pas, une fois de plus, aux tribus gauloises en mettant en concurrence l’organisation de jeux Olympiques avec celle d’une exposition universelle.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le rythme du processus de candidature à une exposition universelle est similaire à celui d’une candidature aux jeux Olympiques : en l’espèce, dépôt des dossiers en 2016, vote en 2018 pour une organisation en 2025.
M. Guy Drut. S’agissant des jeux Olympiques, les dossiers doivent être déposés en 2015 pour un vote en 2017 et une organisation en 2024.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il y a, en effet, un décalage d’un an.
L’autorité en la matière est le Bureau international des expositions, qui a été créé en 1928 et dont le siège est à Paris. C’est une structure publique composée de 170 pays. Le Bureau délègue des ambassadeurs qui élisent la ville organisatrice après avoir procédé à des auditions et s’être déplacés dans les villes candidates.
En dehors de la qualité des infrastructures sportives et de la capacité à organiser l’événement, sur quels critères les membres du CIO se fondent-ils pour arrêter leur choix ? Des critères objectifs de mobilité ou d’accueil ? Des critères subjectifs ? La France part-elle avec des handicaps structurels ?
M. Guy Drut. Les critères sont vraiment subjectifs, les villes candidates répondant aujourd’hui dans l’ensemble aux exigences techniques de l’événement. Après avoir fait partie de la commission d’évaluation des jeux de 2016, j’ai fait partie de celle des jeux de 2020, qui se dérouleront à Tokyo ; je fais maintenant partie de la commission de coordination de ces mêmes jeux. S’agissant des jeux de 2016, je dois avouer qu’un grand nombre des membres du CIO et moi-même regrettons d’en avoir accordé l’organisation aux Brésiliens : s’ils sont assurément très sympathiques, voire attendrissants – ils pleurent facilement –, ils ne remplissent pas leurs engagements.
Le processus de sélection du CIO est en cours de modification. À l’heure actuelle, dès que les villes ont fait acte de candidature, les membres du CIO n’ont plus le droit de s’y rendre, une interdiction particulièrement difficile à respecter lorsque des villes comme Paris ou Londres sont candidates. Aussi le CIO ferme-t-il le plus souvent les yeux sur de tels déplacements. De plus, aucun des membres du comité de candidature d’une ville, sauf s’ils sont eux-mêmes membres du CIO, n’a le droit de rendre visite aux membres du CIO. Là encore, devant les difficultés que pose le respect de cette interdiction, il est prévu d’assouplir le règlement.
Les dossiers des villes « requérantes » – celles qui ont fait acte de candidature – sont examinés par une commission ad hoc du CIO : celles, au nombre de trois ou quatre, dont les dossiers ont été sélectionnés, de villes « requérantes » deviennent « villes candidates ». Les États concernés doivent se porter caution et les maires, ainsi que les présidents des comités olympiques locaux, signer un engagement. Les villes ont alors neuf mois pour préparer leur dossier définitif. Au cours de cette période, elles reçoivent la visite de la commission d’évaluation, qui est composée pour moitié de membres de CIO et pour moitié d’experts, en environnement, en sécurité ou en transports. Les permanents du CIO que sont le directeur des sports et celui des candidatures font aussi partie de cette commission.
Après que la commission a rendu son rapport, aussi épais que quatre Gaffiot et donc rarement lu dans son intégralité par les membres du CIO, les villes candidates ont deux occasions de présenter leur projet : une première fois, lors d’une session ouverte à tous et à la presse, trois mois avant la session officielle d’attribution qui a lieu, pour les jeux d’été, au mois d’août ou de septembre ; une deuxième fois, au cours d’une session délibérative durant laquelle elles exposent leur projet et répondent aux questions des membres du CIO. Le jour de la session officielle d’attribution, chaque ville candidate dispose d’une heure pour convaincre – une demi-heure d’exposé et une demi-heure d’échanges – avant que le jury ne passe au vote.
La présentation du projet à la session officielle d’attribution est très importante : si les Britanniques ont remporté l’organisation des jeux de 2012 alors que Paris était jugé gagnant, c’est que leur présentation a été bien meilleure que la nôtre. Bertrand Delanoë avait fait le choix, avec lequel je n’étais pas d’accord, de faire reposer toute la présentation sur le film, qui devait parler par lui-même, et non sur des intervenants. Jacques Chirac, alors président de la République, était à Singapour : il n’a parlé que trois minutes alors qu’il était très apprécié des membres du CIO. Le maire de Paris, qui est un bon orateur, n’a lui aussi que fort peu parlé. Aucun des membres du comité national olympique et sportif français n’est intervenu : seul son président, Henri Sérandour, s’est exprimé, alors qu’il était déjà très affaibli par la maladie qui devait l’emporter. Il faut savoir aussi que le président du comité britannique n’était autre que Sebastian Coe, une icône du monde sportif, que tous les membres du CIO connaissent et qui s’exprime largement aussi bien que le maire de Paris. Sebastian Coe parlait à sa famille, contrairement à Bertrand Delanoë.
Je regrette également que personne ne nous ait demandé notre avis sur le film, qui avait été conçu par Luc Besson, un réalisateur de talent mais dans lequel peu de sportifs s’y exprimaient, ce qui est grave. Trois mois avant l’échéance finale, lors d’une réunion de dirigeants, je me rappelle très bien avoir rappelé au maire de Paris que les Britanniques présentaient une candidature sportive soutenue par les politiques alors que la France en présentait une de plus en plus politique soutenue par les sportifs. Une scène du film se déroule au Fouquet’s : on y voit deux sportifs habillés en serveurs – Jean Galfione, champion olympique du saut à la perche, et Marie-José Pérec, triple championne olympique sur 200 et 400 mètres – apporter un café à deux acteurs célèbres. C’est l’inverse qu’il aurait fallu filmer ! C’était aux stars du cinéma de servir les deux athlètes. À un autre moment, les leaders de chaque centrale syndicale s’expriment : quel intérêt pour les membres du jury du CIO, qui viennent du monde entier, de l’Uruguay comme de la Mongolie ou de la Corée du Nord ? Les Britanniques, eux, ont tenu un discours complètement orienté sur la jeunesse. C’est une des grandes raisons pour lesquelles Paris a perdu.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Vous n’avez pas eu votre mot à dire sur le film, avez-vous dit. Est-ce Luc Besson qui a imposé sa vision ?
M. Guy Drut. Non, c’est le maire de Paris, qui a toujours eu une conception particulière de la concertation, qui avait fait ce choix. Au départ, cela se défendait, mais il aurait quand même fallu faire parler quelques intervenants.
Jean-Claude Killy n’assistait plus aux réunions parce qu’il n’était d’accord ni avec la constitution ni avec la façon d’agir du comité de candidature.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Ne conviendrait-il pas d’évaluer les étapes de la candidature tout au long du processus ?
M. Guy Drut. Une telle évaluation dépend du président du comité exécutif.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. C’est une question de gouvernance interne.
M. Guy Drut. Vous avez raison, monsieur le président.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Il convient pourtant de s’assurer qu’on ne commet aucune erreur plombant le projet de manière irrattrapable.
Les auditions auxquelles nous précédons nous convainquent de la nécessité d’une organisation structurée.
M. Guy Drut. Et ouverte !
M. Yves Albarello. D’un commando, nous a-t-on dit.
M. Guy Drut. Tout à fait, il faut un commando.
Mme Martine Carrillon-Couvreur. Le terme de commando ne me choque pas, car il signifie qu’on se donne les moyens d’accompagner et de réussir le projet, notamment en tirant les leçons des échecs passés.
M. Guy Drut. La double candidature de Paris et d’Albertville pour 1992 a été examinée par le CIO en 1985, alors que François Mitterrand était Président de la République et Jacques Chirac maire de Paris – il deviendra peu après Premier ministre. Le président du CIO était à l’époque Juan Antonio Samaranch, un diplomate redoutable, qui voulait absolument que les jeux d’été se déroulent dans sa ville natale, Barcelone. Il a donc favorisé la candidature d’Albertville pour les jeux d’hiver : personne ne peut me dire le contraire ! Samaranch est allé jusqu’à inverser l’ordre du vote des jeux d’été et d’hiver – le CIO a d’abord voté pour les jeux d’hiver puis pour les jeux d’été. De plus, comme Jacques Chirac s’était montré très convaincant devant le jury dans sa plaidoirie pour les jeux d’été, Samaranch a pris peur et a repoussé au lendemain le vote alors que celui-ci a lieu ordinairement dans la foulée des auditions. Il a ainsi pu consacrer la nuit à renverser la situation. C’était de bonne guerre et, d’ailleurs, tout le monde a été content : la France a pu organiser les jeux d’hiver et Barcelone les jeux d’été.
Lorsque la ville de Lille a fait acte de candidature, j’étais ministre. Étant natif du Nord-Pas-de-Calais, je me doutais bien que, pour Pierre Mauroy, que je ne connaissais pas personnellement, il s’agissait seulement de se servir de cette candidature comme d’un outil promotionnel pour Lille et sa région. La ville n’avait, en effet, aucune chance.
Quand Jean Tiberi, alors maire de Paris, a décidé de faire acte de candidature pour l’organisation des jeux de 2008, il a commis une erreur. Nous n’avions aucune chance d’être choisis, car la ville de Pékin, devant laquelle Sidney était passée de justesse pour l’organisation des jeux de 2000, ne pouvait pas perdre l’organisation de ceux de 2008. Pékin a été choisie en 2001, année du départ de Juan Antonio Samaranch et de l’élection à la tête du CIO de Jacques Rogge.
C’est également sous l’ère Tiberi que s’est préparée la candidature de Paris pour 2012, qui, elle, avait toutes ses chances de succès. Le changement de maire intervenu entre temps n’a en rien affecté le bon déroulement du dossier, et c’est Bertrand Delanoë qui a reçu la commission d’évaluation. Or c’est précisément pendant la semaine de sa visite que les syndicats ont choisi d’organiser une grève générale ! Eu égard à l’importance de l’enjeu, la gauche aurait peut-être pu intervenir auprès des dirigeants syndicaux pour qu’ils avancent ou retardent leur mouvement social. Depuis, les membres du CIO considèrent la France comme le pays des grèves. Mes interlocuteurs me demandent régulièrement des nouvelles de la situation sociale française et de l’attitude des syndicats, que l’ancien ministre turc des sports, membre de l’AKP, n’appréciait pas – il n’a pas favorisé notre candidature !
La candidature d’Annecy est l’exemple type de ce qu’il ne faut pas faire : outre que Pyeongchang devait avoir les jeux, le président du comité a été inefficace et le comité lui-même inexistant. C’est pourquoi nous nous sommes désolidarisés. Comment mener à bien une candidature à partir du moment où les membres du CIO sentent que ceux du comité olympique du pays candidat ne sont pas motivés ?
Mme Catherine Quéré. Les membres du CIO ont-ils entre eux de vraies discussions ?
M. Guy Drut. Oui.
Mme Catherine Quéré. Tenez-vous compte des continents auxquels appartiennent les pays candidats afin d’assurer une certaine rotation ?
M. Guy Drut. Oui. Personne ne le dit, mais, bien que la règle ne soit pas écrite, les décisions du CIO favorisent la rotation des continents.
Mme Catherine Quéré. Vous avez souligné l’importance du rôle joué par Sebastian Coe dans la victoire de Londres. Or tous les pays qui ont été choisis pour organiser des jeux Olympiques n’ont pas envoyé devant le jury du CIO un sportif aussi charismatique.
Les erreurs que nous avons commises ont-elles été évaluées ?
M. Guy Drut. Ce n’est pas Londres qui a gagné, c’est nous qui avons perdu. Londres a très bien monté son dossier. Vous avez raison : le fait pour un comité de candidature de ne pas avoir pour président un champion olympique n’interdit pas de remporter la victoire. Le comité de candidature de Rio de Janeiro est présidé par Carlos Nuzman : s’il est membre du CIO et a participé à des jeux Olympiques, il n’a jamais été champion olympique ; c’est une femme de talent, Yanna Angelopoulou-Daskalaki, qui a présidé le comité organisateur grec des jeux Olympiques d’Athènes en 2004 ; Pékin était représenté par un membre du CIO qui n’était même pas un sportif ! Si avoir dans sa manche un champion charismatique représente un avantage, ce n’est pas une condition sine qua non pour gagner, contrairement à ce qu’on croit en France.
Il n’y a eu aucune évaluation de nos échecs. Je me contenterai d’une simple anecdote : Chantal Jouanno, alors ministre des sports, m’a demandé de participer à la cellule chargée de soutenir la candidature d’Annecy aux jeux Olympiques d’hiver de 2018. Lorsque j’ai souhaité consulter les archives de la candidature de Paris aux jeux d’été de 2012, aucun de ses collaborateurs n’a été en mesure de me les fournir ! Elles sont quelque part, dispersées. Les échecs de 2008 et de 2012 n’ont fait l’objet d’aucune réunion de bilan.
Mme Catherine Quéré. C’est catastrophique.
M. Guy Drut. En effet, vous avez le droit de le dire.
M. Yves Albarello. Vous êtes la troisième personne auditionnée de la journée à évoquer l’arrogance française : celle-ci doit représenter un vrai handicap pour la candidature de la France. D’où vient cette arrogance ? Comment réussir à changer de comportement ?
Pensez-vous que la France est à même de déposer deux candidatures concomitantes, la première aux jeux Olympiques et la seconde à l’exposition universelle, compte tenu de l’état des finances publiques et des projets structurants qui doivent être menés à bien ?
Un bon dossier ne doit-il pas être accompagné d’un volet mobilité ? Or l’Île-de-France ne saurait actuellement accueillir le public du monde entier : quels conseils pourriez-vous nous donner en la matière ?
M. Guy Drut. Il convient de reconnaître notre arrogance si nous voulons y remédier. Nous n’avons aucune leçon à donner à qui que ce soit en matière sportive. Si la France est le plus beau pays du monde, il faut être capable de le faire sentir à nos partenaires sans le leur dire !
S’agissant de nos insuffisances, je prendrai deux exemples.
Il faut savoir que les membres du CIO, lorsqu’ils se déplacent, sont traités comme des nababs. Or pour sortir de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle puis se rendre à Paris, c’est un véritable parcours du combattant ! Quant au RER, il n’est pas rassurant. Il est fondamental d’améliorer la liaison entre Roissy et Paris.
Et puis, avec le nouveau métier – raboteur de quais – que les Français viennent d’inventer, comment les étrangers ne se moqueraient-ils pas de nous ? Sachons nous montrer moins orgueilleux !
De surcroît, l’évolution vers plus de complexité des structures administratives et politiques de la région Île-de-France ne plaidera pas en notre faveur : entre Paris, le Grand Paris et la région Île-de-France, il y aura beaucoup d’interlocuteurs possibles pour le CIO. Théoriquement, c’est le maire et le président du comité olympique local qui déposent la candidature avec une caution de l’État. Avec qui le comité olympique travaillera-t-il ? Avec le maire de Paris ? Avec le président du Grand Paris ? Avec le président de la région Île-de-France ? Or le dossier doit être déposé à la fin de l’année 2015 pour une candidature aux jeux d’été de 2024.
Quant à la question de la concomitance, il faut être pragmatique. Rien n’interdit de faire acte de candidature aux deux événements. Le tout est que les deux projets ne donnent pas l’impression d’entrer en concurrence. Certes, le dossier de candidature aux jeux Olympiques de 2024 doit être déposé en septembre ou en octobre 2015, mais rien n’oblige à candidater pour 2024. Peut-être serait-il préférable de viser les jeux de 2028. Quant à savoir s’il faut faire une candidature de témoignage pour 2024, c’est aux deux patrons des candidatures aux jeux Olympiques et à l’exposition universelle d’en discuter avec les plus hautes autorités de l’État.
M. Yves Albarello. Le nouveau maire de Paris serait défavorable à une candidature aux jeux Olympiques mais favorable à une candidature à l’exposition universelle. Ce n’est pas une façon de partir gagnant.
M. Guy Drut. Dans ces conditions, renonçons aux jeux Olympiques.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Mme Hidalgo a, en effet, été très claire sur ce point dans la presse ce week-end.
M. Guy Drut. Un succès de Paris à l’exposition universelle pourrait favoriser sa candidature aux jeux Olympiques.
Mme Catherine Quéré. Et inversement, puisque Londres s’apprête à déposer une candidature à l’organisation de l’exposition universelle alors que les Britanniques ont récemment organisé les jeux Olympiques. Un premier succès donne de la crédibilité pour organiser un nouvel événement. Ce serait, en revanche, une folie pour Paris d’envisager l’organisation des jeux Olympiques en 2024.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il est surtout important d’articuler les deux événements en montrant au monde qu’ils n’entrent pas en compétition interne. Ce serait dramatique pour la France, d’autant que les deux projets peuvent s’enrichir mutuellement.
Mme Claudine Schmid. À vous entendre, le CIO prend sa décision sur la ligne d’arrivée.
M. Guy Drut. C’est ce qui s’est passé lorsqu’il s’est agi de choisir entre Londres et Paris. En revanche, le choix de Pékin s’est fait bien en amont.
Mme Claudine Schmid. Comment se fait-il que des rumeurs annoncent, des mois à l’avance, le nombre de voix qui se porteront sur telle ou telle ville candidate ? Est-ce de l’intox ? Y a-t-il des indécis ? Certains événements sont-ils de nature à renverser la situation ? Les grèves de 2005 ont joué contre Paris, avez-vous dit, tout comme la grève des éboueurs, en 2003, a favorisé Valence aux dépens de Marseille pour l’organisation de la Coupe de l’America.
Vous avez également affirmé que la rotation des continents relevait du non-dit : pourquoi le CIO ne l’officialise-t-il pas ? Cela permettrait à des villes candidates qui ne seraient pas situées sur le bon continent, compte tenu de la rotation, de ne pas nourrir de faux espoirs.
M. Guy Drut. Cette rotation demeure une règle non écrite parce que le CIO ne veut pas se priver de la possibilité de choisir successivement deux candidatures excellentes situées sur un même continent. Il ne souhaite pas figer les règles.
Une session extraordinaire du CIO, intitulée « CIO 2020 », se déroulera à Monaco en décembre prochain en vue de toiletter le règlement, notamment en matière de mode d’attribution et de limite d’âge.
Mme Catherine Quéré. Vous avez souligné que, comme la ville de Pékin n’avait pas eu les jeux en 2000, il était logique qu’elle les obtînt en 2008. Or Paris ne les a pas eus depuis 1924 et nous avons perdu plusieurs fois.
M. Guy Drut. Nous avons assurément perdu plusieurs fois, mais sans avoir les arguments de Pékin. La Chine est peuplée de plus d’1,3 milliard d’habitants. De plus Samaranch était un président très actif et il s’était engagé envers la Chine, alors que Jacques Rogge, son successeur, n’intervenait pas dans l’orientation du choix des membres du CIO. Quant au choix de Pyeongchang pour 2018, il était naturel : la Corée du Sud a de très belles montagnes et dispose de toutes les installations nécessaires. Elle avait été battue à deux ou trois voix près par Vancouver pour les jeux d’hiver de 2010 et par Sotchi pour ceux de 2014. Didier Migaud et moi étions questeurs de l’Assemblée nationale lorsqu’Annecy s’est présentée : j’ai prévenu que la candidature de Pyeongchang était très sérieuse. Il aurait peut-être fallu passer un accord avec les Coréens. Quant à Christian Estrosi, il n’a pas entendu mon appel : il aurait dû présenter la candidature de Nice pour les jeux d’hiver de 2022. C’est dommage qu’il ne l’ait pas fait, car la ville aurait eu toutes ses chances.
S’agissant d’Annecy, je suis solidaire de l’erreur du comité olympique français. Le dossier était très mal monté au départ, car le comité voulait faire plaisir à toutes les vallées ! Or cela n’était pas possible. Jean-Claude Killy est monté au créneau et le CIO a généreusement accepté de faire passer Annecy de ville requérante à ville candidate. Le comité a alors regroupé les jeux sur un nombre plus restreint de vallées – La Clusaz, Chamonix et autour du Mont-Blanc –, ce qui a permis de rendre le dossier techniquement plus acceptable.
S’agissant des rumeurs qui circulent plusieurs mois à l’avance sur le nombre de voix qui se porterait sur telle ou telle ville candidate, c’est de la pure intox ! Je connais des membres du CIO qui m’ont assuré avoir tout fait pour faire gagner la France alors que je sais très bien qu’ils n’ont pas voté pour Paris. C’est la nature humaine.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. On évoque actuellement une candidature de l’Afrique du Sud.
M. Guy Drut. C’est encore un peu tôt pour 2024. Peut-être pour 2028.
L’Afrique du Sud peut toutefois présenter une candidature de témoignage pour prendre ses marques.
Mme Catherine Quéré. Il serait logique que l’Afrique, qui est un grand continent, organise un jour des jeux Olympiques.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous terminons avec vous nos auditions de ce jour. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.
Audition, ouverte à la presse, de Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique
(Séance du mercredi 28 mai 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous accueillons Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique.
Madame Revel, vous êtes ancienne élève de l’ENA et possédez une double expérience publique et privée dans le domaine international. Depuis 2004, vous vous partagez en trois activités : le conseil en relations internationales, l’enseignement et les conférences, ainsi que la rédaction d’ouvrages, dont Nous et le reste du monde – les vrais atouts de la France dans la mondialisation. Vous avez été nommée en mai 2013 à la tête de la délégation interministérielle à l’intelligence économique, qui a pour mission d’être un centre d’alerte, d’impulsion et d’accompagnement au service des intérêts économiques de la France et de sa compétitivité.
Notre mission est d’étudier en quoi la candidature de notre pays à l’exposition universelle de 2025 a un sens. Votre regard sur la situation actuelle et la manière dont la France est perçue nous intéresse, de même que votre approche du rôle que pourrait avoir une telle opération dans notre insertion dans la mondialisation.
Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique. J’évoquerai cinq points principaux.
En premier lieu, l’intelligence économique est un principe de gouvernance né de l’affrontement à la concurrence internationale. Aujourd’hui, tous les États sont en concurrence, au même titre que les entreprises.
Ce principe se décline en trois volets : d’abord, le volet de veille et d’anticipation, lequel implique de comprendre son environnement extérieur, d’en identifier les forces et les acteurs clés, puis d’anticiper – ce qui, à la différence de la prospective, suppose une action sur ce qui va se passer dans 20 ans. Avec l’information ouverte, on dispose déjà de beaucoup de données. Deuxième volet : la sécurité économique, qui ne peut s’obtenir que sur la base des informations recueillies. Il s’agit de risques immatériels, liés à la propriété intellectuelle, au savoir-faire, aux données, à l’image ou à la réputation. Enfin, troisième volet : l’influence ou la manière d’agir sur son environnement, au lieu de le subir. Elles peuvent porter sur l’image ou les règles du jeu internationales – afin de convaincre nos partenaires de les adapter à nos besoins.
Par ailleurs, il y a lieu de sensibiliser les acteurs à se consacrer à l’intelligence économique, car celle-ci ne se décrète pas.
Deuxièmement, le projet d’exposition universelle de 2025 peut être une composante importante du bloc d’attractivité de la France.
Au-delà des investissements physiques, la dimension immatérielle est fondamentale et permet d’améliorer ceux-ci. Elle renvoie au domaine de l’image et de la perception, dans lequel la France dispose d’un capital d’influence, fondé sur notre histoire et nos valeurs, malgré l’existence d’un certain « French bashing ». Mais ce capital est un peu dormant, après avoir connu pourtant un fort développement à une certaine époque. Nous disposons aussi de réseaux, diplomatiques, mais aussi des conseillers du commerce extérieur, des hommes d’affaires, ou d’anciens élèves ou d’anciens scientifiques.
Or l’image sert l’influence. Si on n’a pas d’image crédible, on aura du mal à être influent dans les enceintes internationales, sachant qu’on ne peut mentir sur celle-ci. En sens inverse, l’influence sert l’image : il faut revenir à un cercle vertueux ambitieux à cet égard, ce qui repose sur un apport d’idées et un lobbying touchant à la perception.
Le projet d’exposition universelle de 2025 est très lié à l’image, aux territoires et aux infrastructures ; il est également crédible au regard de la perception que les étrangers peuvent avoir de la France, car il correspond bien à l’idée d’universalité et d’ouverture sur l’extérieur que nous portons.
Troisièmement, ce projet fait largement appel à l’intelligence collective, dans son but comme ses modalités. D’abord, parce qu’il permet de fédérer les citoyens autour d’un but commun dans un esprit de cohérence. Ensuite, car il est conçu en collaboration, avec un éclatement dans le temps et dans l’espace, et s’inscrit dans le nouvel esprit numérique actuel. Il fait résonner, ce faisant, tous ces aspects d’innovation numérique que nous avons en France, parfois peu connus à l’étranger.
Quatrièmement, il s’agit d’un projet non exclusif d’autres projets, comme celui des jeux Olympiques. Au contraire, une dynamique pourrait être créée entre les deux, y compris d’un point de vue financier. Ce projet concerne l’ensemble de l’action d’influence qui est la nôtre. Sa préparation pourrait fortement contribuer au début d’une relance dans ce domaine. Il pourrait à cet égard nous permettre de remonter dans certains classements internationaux. Je rappelle que, dans les classements d’image, nous sommes en baisse, entre la 3e et la 7e place.
Cinquièmement, la délégation interministérielle à l’intelligence économique pourrait contribuer à la réalisation d’une veille concurrentielle et à s’assurer que certaines idées ne soient pas copiées.
Comme le Bureau international des expositions (BIE) est composé d’États, il faudra que l’État s’en mêle, avec des outils de lobbying adaptés. Nous pouvons aider à l’ingénierie de lobbying et d’information et à la création d’alliances – les alliés pouvant être des porteurs de projet.
Il faut en tout cas éviter la dispersion et les interventions désordonnées, en se dotant d’un chef de file.
Nous ne ferons de toute façon rien sans votre accord.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quels sont les grands outils d’influence utilisés par la France pour améliorer son image, résoudre des crises ou anticiper des décisions d’investissement ? Recourons-nous toujours à des méthodes classiques, fondées sur la diplomatie ou les rencontres internationales, ou à d’autres moyens ?
Mme Claude Revel. Mettre en place des outils d’influence réels est une des tâches auxquelles je m’attelle. Si nous disposons de multiples réseaux, il faut les orchestrer grâce à une ingénierie adaptée. Nous avons déjà essayé de le faire pour quelques projets, comme la loi sur le secret des affaires, qui nécessitait de trouver des alliés à Bruxelles, compte tenu de la directive européenne existant dans ce domaine.
Si je n’ai pas eu de crises à gérer, je pense que la plupart d’entre elles peuvent être anticipées et que l’on devrait se doter d’un outil à cet effet. Il reste encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. On voit bien que les médias numériques et d’information instantanée rendent nécessaire un outil de gestion de crise dans un projet comme l’exposition universelle. Malgré toute l’énergie et la coordination que l’on peut mettre en place, il suffit qu’un adversaire exploite une grève ou un petit événement en France pour créer un buzz mondial susceptible de décrédibiliser notre candidature.
Mme Claude Revel. En effet. Parmi les outils que nous allons lancer, nous allons mettre en place une veille d’« e-réputation » pour notre pays, grâce notamment au balayage des réseaux sociaux et électroniques, mais aussi des réseaux physiques – entreprises, administrations, ambassades, etc. Nous pourrions faire de même pour votre projet.
Nous pourrions aussi avoir une sorte de think tank diffusant du concept et de l’image français. Les Britanniques disposent par exemple du Wilton Park, qui est un château élisabéthain dans lequel ils invitent tous les mois des personnes de tous les pays, qui sont des relais d’opinion, pour valoriser l’action de leur gouvernement. On pourrait s’en inspirer.
M. Yves Albarello. S’agissant des conflits qui pourraient survenir, l’ancien champion olympique Guy Drut, que nous avons auditionné la semaine dernière, nous disait qu’à l’occasion de la candidature de Paris, lorsque la délégation internationale est venue visiter nos installations, tout le monde était en grève ! En l’espèce, il convient donc de bien finaliser le projet avant de se porter candidat.
Je considère comme vous que cette exposition universelle aura plus d’impact pour la France que les jeux Olympiques, en raison de sa durée, de l’intelligence qu’elle sous-tend et de l’image que peut projeter ainsi notre pays à travers le monde. Je rappelle qu’en matière d’attractivité, Le Figaro de ce matin révèle que nous aurions perdu deux places et que nous nous situerions derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Nous avons aussi besoin de faire rêver nos générations futures, ce que permettrait une telle exposition.
Il nous faut en effet orchestrer nos réseaux, que nous agissions tous ensemble et que la diplomatie française s’investisse. Je rappelle que quasiment personne ne s’est vraiment occupé de l’exposition de Shanghai.
M. Guillaume Bachelay. Parmi nos atouts, nous disposons de la deuxième surface maritime du monde, de la troisième langue utilisée sur Internet, ainsi que de six Prix Nobel et trois médailles Fields pour la recherche en dix ans. Par ailleurs, s’agissant des classements, une étude rendue publique ce matin montre les performances françaises en matière de projets d’investissement sur notre territoire.
La coordination des réseaux d’intelligence économique avait été soulignée dans le rapport Gallois, qui faisait le constat de structures dispersées et éloignées des instances décisionnelles. Depuis, des mesures ont été mises en œuvre pour y remédier, notamment dans le cadre de votre délégation.
Pour développer la dimension collaborative du projet, vous avez souhaité faire résonner toutes les dimensions du numérique : pouvez-vous préciser votre pensée ?
Mme Claude Revel. En évoquant cela, je pensais à ce que j’avais entendu de votre projet : les étrangers qui le souhaitent pourraient s’approprier des monuments, tout ne se passerait pas forcément à Paris et, grâce au numérique, certains aspects pourraient être organisés en province. En outre, dans la préparation du projet, il est prévu de beaucoup recourir au numérique, notamment pour faire travailler les gens ensemble, ce qui est très important.
Cela s’inscrit dans cette nouvelle manière de voir, fondée sur les données ouvertes, la collaboration et les plateformes collaboratives. Mais cela pose de gros problèmes de propriété intellectuelle. Reste que cette approche permet de développer un esprit collectif à l’intérieur de la France et entre nos partenaires étrangers et nous, qui peut grandement contribuer à améliorer notre image.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Compte tenu de cette porosité des Français avec le reste du monde au travers de l’usage que les jeunes font des réseaux sociaux, du trafic d’internautes sur les sites marchands ou des entreprises françaises, ou de la consultation de bases de données françaises et d’open data que les services publics peuvent mettre à disposition, votre délégation est-elle à même de cartographier l’influence française sur le numérique ? Est-on en retard ou en avance dans ce domaine ? Mettrez-vous à disposition les outils dont vous disposez en la matière ?
Mme Claude Revel. Les grands outils collaboratifs sont aujourd’hui plutôt américains, dans la mesure où ils ont été développés dès les années 1980 et 1990 aux États-Unis pour anticiper la mondialisation.
Si nous n’avons pas encore mesuré notre influence sur le numérique, d’après ce que je vois, nous sommes considérés par les experts de ce domaine comme des producteurs d’idées, en avance. Mais nous devons être davantage présents sur la production de normes : tous les jours, de nouveaux services sont en effet offerts sur les smartphones ou autres supports numériques. Cette production se fait par des standards de fait ou des organismes de standardisation, la plupart du temps basés aux États-Unis. Les autres le sont souvent en France, ce qui est un très bon signe. Une partie de la gouvernance d’Internet est ainsi basée à Sophia Antipolis – outil d’influence que l’on n’utilise pas du tout d’ailleurs.
Nous devons donc mobiliser les expertises. D’autant que nous en avons aussi une à apporter sur le cadrage juridique du numérique, qui est à la croisée d’approches différentes, sur les droits d’auteur, la propriété industrielle, le secret des affaires ou la protection des données. Il y a une demande dans ce domaine à l’heure actuelle, où prévaut la vision anglo-saxonne.
Si nous arrivons à montrer que nous dominons le numérique, que nous sommes capables de mettre en place des instruments et des projets fondés sur celui-ci, nous serons d’autant plus crédibles pour aller défendre ensuite des règles de propriété intellectuelle qui nous sont favorables, qu’il s’agisse de la protection des données personnelles ou économiques.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Dans un projet comme le nôtre, quel système de protection faut-il prévoir ? J’étais l’autre jour chez Renault, qui me disait que si l’exposition universelle se déroulait dans la ville, ce serait pour lui une vitrine formidable pour promouvoir l’automobile connectée et faire émerger des prototypes et des projets d’avenir. Faut-il choisir l’ouverture totale afin de constituer le point d’atterrissage d’une chaîne collaborative d’innovations, de propositions et de contributions mondiales, ou jouer davantage de l’effet de surprise, de manière à ce que, quand le monde se déplace chez nous, il bénéficie de toute une série de découvertes, comme c’était le cas au XIXe siècle ? Bref, faut-il inviter le monde à co-innover pour fabriquer ensemble l’exposition universelle de demain ou à apporter sa propre innovation dans l’idée de surprendre chacun ?
Mme Claude Revel. Il s’agit d’un véritable choix stratégique. Cela dit, je ne crois pas que l’on puisse opter pour l’ouverture totale. Si nous développons des schémas innovants, nous risquons en effet d’être copiés. Il faudrait travailler de façon confidentielle sur les éléments clés et innovants du projet, tout en faisant croire qu’on agit de façon très ouverte, en associant nos partenaires étrangers sur certains éléments non stratégiques.
M. Yves Albarello. S’agissant des investissements physiques, quelle est votre approche pour 2025 ? Estimez-vous que Paris est aujourd’hui suffisamment équipé en termes de réseaux, d’hôtels ou d’accueil ?
Mme Claude Revel. Je n’ai pas de données chiffrées à vous donner sur ce point.
Mais, pour avoir les équipements nécessaires, il faut faire participer les entreprises et tous les acteurs économiques. Ceux-ci doivent s’impliquer personnellement, y compris financièrement, sachant que les acteurs économiques étrangers peuvent aussi être associés. L’État pourrait alors intervenir comme soutien politique et à des fins de lobbying, voire sur certains aspects matériels.
S’agissant des lieux d’hébergement, j’ai lu que vous aviez songé à développer par exemple l’hébergement chez l’habitant, ce qui est de plus en plus pratiqué avec succès aux États-Unis pour les élites étrangères. Cette « Citizen Diplomacy », ou « diplomatie citoyenne », repose sur l’idée que les citoyens participent à l’effort national d’accueil. C’est une bonne mesure car elle participe du travail d’innovation et de l’image d’ouverture que l’on veut donner.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Tout ce qui est participatif est important. Un des vecteurs d’innovation pour un tel projet est d’ailleurs le financement participatif, un peu à l’instar de ce qu’on a connu au XIXe siècle au travers des bons de souscription, avec une faible intervention de l’État. Il permet aussi de mettre en réseau les Français et le monde.
Mme Claude Revel. Parmi les acteurs économiques au sens large, je pensais à aussi à tous ceux qui offrent une prescription intellectuelle, comme les cabinets de conseil, les avocats ou les notaires.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Lambert, ancien préfet, ancien directeur général de la FFF, coordinateur des services de l’État pour la préparation des JO de 1992, directeur du comité d’organisation de France 1998, président du comité de pilotage de l’Euro 2016 de football
(Séance du mercredi 28 mai 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je suis heureux de vous accueillir, monsieur le président, dans la perspective d’une éventuelle candidature de la France à l’exposition universelle de 2025.
Ancien élève de l’ENA, vous avez occupé pendant dix-sept ans des responsabilités dans la fonction publique d’État. Après avoir été sous-préfet à Blois, à Saint-Étienne, en Polynésie française, vous avez été directeur de cabinet du secrétaire général du Gouvernement à l’Hôtel Matignon et préfet de la Nièvre.
À partir de 1990, vous avez été impliqué au premier plan dans l’organisation de grands événements sportifs internationaux. En tant que préfet du département de la Savoie, vous avez coordonné l’intervention des services de l’État lors de la préparation des Jeux Olympiques d’Albertville en 1992 et dirigé l’ensemble du dispositif de sécurité déployé à cet effet.
En 1993, vous avez pris la direction du Comité d’organisation de la Coupe du Monde de football France 1998 avec Michel Platini et Fernand Sastre.
En 2004, après quelques années au sein du groupe Suez Lyonnaise des Eaux, vous êtes revenu dans le monde du sport en tant que président d’une société chargée de la conception et de la commercialisation, pour le compte de la Fédération internationale de football (FIFA), des opérations d’hospitalité de la Coupe du Monde 2006 en Allemagne.
En avril 2005 et novembre 2010, vous avez été directeur général de la Fédération française de football (FFF) et, à ce titre, l’une des chevilles ouvrières de la candidature de la France à l’organisation du Championnat d’Europe 2016 de football.
Vous êtes président du Comité de pilotage de l’Euro 2016 et président de la société d’organisation de l’Euro 2016 constituée conjointement par l’UEFA (Union européenne des associations de football) et la FFF.
Votre expérience nous intéresse vivement. Vous nous direz quel regard les autres États et les autres fédérations portent sur la France et sa capacité à accueillir un événement de portée internationale, et vous nous indiquerez la manière dont nous devons organiser un tel événement.
M. Jacques Lambert, président du Comité de pilotage de l’Euro 2016 de football. Je pense que c’est de nos échanges que naîtra la lumière car sans nier mon expérience personnelle en matière d’organisation de grands événements sportifs, tout ce que je pourrai vous dire n’est pas applicable au projet qui vous intéresse aujourd’hui. Étant entendu que je ne peux que faire référence aux grands événements sportifs, il est incontestable que la France est regardée par les autres pays, éventuellement concurrents dans les processus de candidature, comme un pays qui sait organiser les grands événements de façon efficace et dans des conditions économiques satisfaisantes.
Les jeux Olympiques d’Albertville ont permis à la France de démontrer sa capacité, égale à celle de ses homologues, européens et non européens, d’organiser et d’accueillir dans de parfaites conditions les grands événements. Depuis 22 ans, à l’exception notable des jeux Olympiques d’été, la France a accueilli tous les grands événements sportifs mondiaux ou européens qu’elle pouvait accueillir. Si nous pouvons considérer que les jeux Olympiques d’été sont l’arbre qui cache la forêt, nous devons également dire que la France a emporté un grand nombre de candidatures parce qu’elle a su convaincre de sa capacité à organiser des événements de dimension mondiale : le Championnat du monde d’athlétisme, la Coupe du monde de ski, le Championnat du monde d’escrime, la Coupe du monde de football, ainsi que des événements sportifs de dimension européenne.
Il me paraît incontestable aujourd’hui que la France est regardée de l’extérieur comme un pays qui a du savoir-faire en matière d’organisation proprement dite, mais également parce qu’elle sait garantir un niveau de sécurité correspondant à l’attente des participants et des États. La sécurité d’un grand événement sportif repose sur l’équilibre entre la sécurisation des personnes et le caractère convivial et festif de l’événement. Je suis bien placé, en tant qu’ancien préfet, pour savoir combien il est difficile de trouver un équilibre entre la nécessité absolue d’assurer aux participants et aux spectateurs le niveau de sécurité qu’ils sont en droit d’attendre, et la nécessité, tout aussi indispensable, d’adapter le niveau de sécurité à l’événement, sachant que si 5 à 10 % de matchs risquent de poser des problèmes, 90 à 95 % des événements sont totalement paisibles. Trouver cet équilibre, la France sait le faire.
Ce que la France sait peut-être moins bien faire, d’une façon générale, c’est exploiter au mieux ces événements sur le plan économique. Fort de mon expérience d’une vingtaine d’année, j’ai la conviction que nous n’optimisons pas de façon satisfaisante avant, pendant et après, les retombées de ces événements. Pourquoi ? Probablement parce que nous manquons collectivement de la capacité d’anticipation et de la constance qui devrait prévaloir entre la préparation du dossier de candidature et le moment où prend fin l’aventure, ce qui peut durer une dizaine d’années. Pour des raisons politiques, économiques, culturelles, sociales, nous n’avons jamais réussi à prendre dès le départ les dispositions nécessaires pour qu’au-delà de la réussite de l’événement proprement dit, il devienne le projet de la France. Et les choses ne s’améliorent pas au fil du temps puisque je retrouve dans l’organisation de l’Euro 2016 les manques que j’avais constatés en 1998.
De la même manière, je trouve regrettable qu’il n’existe pas en France un outil économique pérenne permettant de mesurer les retombées, positives et négatives, de ces événements.
S’agissant de l’autre sujet communément abordé en matière d’organisation de grands événements, à savoir la capacité de lobbying de la France, mon avis est extrêmement mesuré car en la matière les situations sont tellement différentes, dans le seul domaine du sport, qu’il est difficile d’en tirer un enseignement général. Comparons les jeux Olympiques d’été et l’Euro 2016. La décision de l’implantation des jeux Olympiques d’été appartient aux 104 membres du Comité international olympique (CIO), tandis que pour l’Euro 2016 devaient voter les 16 membres du comité exécutif de l’UEFA. Trois d’entre eux ayant été frappés d’interdiction de vote – Platini, le président de la Fédération italienne et le président de la Fédération turque – nous avons eu 13 personnes à convaincre. Ce n’est pas du tout le même travail. Mon expérience ne me permet pas de juger et je ne me hasarderai pas sur le terrain de la capacité de la France en matière de lobbying. D’autres sont mieux placés que moi pour se prononcer sur ce sujet.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Comment est configurée l’équipe chargée de l’organisation de l’Euro 2016 ?
M. Jacques Lambert. L’organisation de l’Euro 2016 s’inscrit dans un schéma juridique original par rapport à ce qui était fait par le passé.
Depuis les Jeux d’Alberville, l’organisation des événements prenait la forme d’une structure associative relevant de la loi de 1901 ou d’un groupement d’intérêt public (GIP). Pour l’Euro 2016, nous avons choisi le cadre de la société commerciale, en l’occurrence une société par actions simplifiée (SAS) comprenant deux actionnaires, l’UEFA et la FFF. Nous avons choisi ce montage, qui a été accepté par les pouvoirs publics, parce qu’à l’exception des dépenses liées à la sécurité, prises en charge par l’État sur la voie publique, et des dépenses de construction des stades assumées par leurs propriétaires – soit les collectivités territoriales, soit, comme à Lyon, le club – toutes les dépenses sont prises en charge par l’UEFA. Afin d’assurer la représentation des autres grands partenaires associés à cet événement, notamment les deux partenaires publics incontournables, l’État et les villes organisatrices, nous avons mis en place, au-dessus de la société d’organisation, le comité de pilotage qui réunit les deux partenaires sportifs – UEFA et FFF – ainsi que les deux partenaires publics – ville hôte et État.
Au-delà de la forme juridique proprement dite de la structure d’organisation, les modalités de conduite du projet sont quasiment identiques à celles que j’ai connues avant 1998 dans le cadre d’un schéma associatif et nous discutons de la même façon avec nos partenaires. Le comité de pilotage est en quelque sorte ce qu’était à l’époque le bureau du comité d’organisation.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Comment l’équipe d’organisation est-elle composée ? Quels sont les différents métiers concernés ?
M. Jacques Lambert. La société d’organisation, créée en mars 2011, a comporté pendant un an un salarié et moi-même. Aujourd’hui, nous sommes entre 30 et 35 personnes et nous serons près de 80 à la fin de l’année, 180 à la fin de l’année 2015 et environ 630 pendant le déroulement de l’événement. Plus des deux tiers de l’effectif final sera recruté pour une période inférieure à six mois, essentiellement pour occuper les postes opérationnels. Le noyau dur de l’organisation représente environ 150 à 180 personnes.
À l’effectif de la société EURO 2016 SAS, il convient d’ajouter un certain nombre de personnels mis à notre disposition par l’UEFA pour occuper des postes au niveau du top management. Il s’agit de garçons et de filles expérimentés en matière d’organisation d’événement footballistique européen et qui sont tout à fait compétents pour traiter les problèmes que nous rencontrons.
Au total, près de 750 personnes seront impliquées en tant que salariées dans l’organisation, auxquelles il faudra ajouter entre 5 000 et 6 000 bénévoles.
Tous ces salariés, actuels ou futurs, travaillent dans des domaines extrêmement variés qui nécessitent des compétences multidisciplinaires qui vont de l’organisation sportive proprement dite – mise en place des matchs à l’intérieur des stades, contrôles antidopage – à la commercialisation des produits comme la billetterie et l’hospitalité – les produits dédiés aux entreprises –, la mise en place de moyens technologiques destinés aux médias à l’intérieur des stades et dans les centres de presse et de diffusion, la gestion financière, la gestion des ressources humaines, la commercialisation de contrats marketing et les services inhérents…
Pour recruter ces personnels, notre seul critère de jugement est la compétence professionnelle. Le fait d’être amateur de football ou d’y avoir joué étant enfant n’est pas un critère déterminant. C’est la démarche que nous avions suivie avec Michel Platini et Fernand Sastre en 1998 et nous nous en étions félicités.
M. Yves Albarello. La société a été créée en 2011 pour un événement qui aura lieu en 2016 et elle emploie déjà du personnel. Comment son budget est-il alimenté ?
M. Jacques Lambert. Le budget de la société est totalement abondé par l’UEFA, à qui nous refacturons nos services at cost.
M. Yves Albarello. Vous dites que la France a prouvé sa capacité à organiser des grands événements et son savoir-faire et à assurer la sécurité, mais qu’en revanche nous ne savons pas exploiter au mieux le succès de ces événements. Quels conseils pouvez-vous nous donner, dix ans avant l’organisation de l’exposition universelle ?
M. Jacques Lambert. Nous devons agir sur deux terrains.
Le premier est d’ordre culturel. Il s’agit de faire admettre à tous les niveaux, en particulier auprès des décisionnaires, qu’un certain nombre d’événements sont d’intérêt national ou d’intérêt général. L’Euro ou la phase finale de la Coupe du Monde ne sont pas simplement des événements sportifs qui doivent rester l’affaire des amateurs de football, mais des opérations qu’il faut prendre en charge comme si elles étaient initiées par l’État car elles génèrent un flux d’activités économiques, avant, pendant et après l’événement, dont nous pourrions tirer un meilleur profit.
Certes, il n’est pas simple d’agir sur ce terrain, car personne n’a le pouvoir de décider qu’un Championnat d’Europe de football est un événement d’intérêt national, mais qu’un championnat de boules lyonnaises ou de badminton ne mérite pas ce titre. En toute honnêteté, je ne sais pas qui pourrait fixer le statut de chacun de ces événements.
Le second terrain sur lequel nous pouvons agir est le travail en réseau, pendant la durée de préparation du dossier de candidature mais également pendant la période creuse qui sépare l’attribution de l’événement et sa réalisation, qui peut durer six ou sept ans, et plus précisément pendant les deux à quatre ans correspondant au lancement des chantiers, pendant lesquels il ne se passe rien. Lors de la préparation de la candidature de la France à l’Euro 2016, j’avais eu d’excellentes relations avec les représentants de l’État, les villes organisatrices et les différentes instances économiques et sociales que nous avions sollicitées. Quelques semaines plus tard, alors que l’organisation de l’Euro 2016 était attribuée à la France, j’ai voulu les rencontrer à nouveau pour leur demander de mettre en place des méthodes de travail. Toutes ces personnes m’ont répondu que l’événement était encore lointain, que personnellement elles ne seraient plus là, parce qu’entre temps il y aurait eu des élections, et qu’elles avaient d’autres problèmes plus urgents à traiter. Je regrette cette incapacité à se projeter dans l’organisation d’un événement qui pourtant demande beaucoup de temps.
L’organisation du travail en réseau requiert certainement l’intervention d’une autorité centrale qui ne peut pas être celle de l’organisateur. Moi-même, en tant qu’organisateur d’un événement sportif ou représentant de la FFF ou de l’UEFA, je n’ai pas la compétence pour agir sur des représentants de l’État ou du mouvement associatif. Cette autorité ne m’est pas reconnue. Décider de la façon d’optimiser les retombées touristiques de l’Euro 2016, des jeux Olympiques ou de l’exposition universelle de 2025 doit être laissé à des personnes qui ont des choses à dire sur le sujet. Nous avons besoin d’une autorité investie d’un vrai pouvoir d’impulsion et de coordination. Ce n’est pas nécessairement l’État, que nous essayons de désengager d’un certain nombre de missions.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. L’accueil en France est un sujet d’inquiétude qui a souvent été mentionné, entre le peu de motivation des Français pour accueillir les étrangers et l’insuffisance d’infrastructures hôtelières et de transports, en particulier l’absence de connexion entre l’aéroport CDG et Paris. Avez-vous constaté une certaine réserve de la part des entreprises, des délégations, des équipes des pays étrangers ?
M. Jacques Lambert. Nous n’avons jamais véritablement souffert de la moindre carence de la France en matière de transports. Qu’il s’agisse du transport aérien, du transport ferroviaire ou terrestre, nous n’avons pas rencontré de goulots d’étranglement ni d’insuffisance des infrastructures. La France est reconnue par les fédérations étrangères comme un pays qui offre de bonnes conditions de transports – sauf en cas de grève sauvage, comme cela nous est arrivé lors de l’organisation de France 1998.
Nous ne sommes pas aussi à l’aise dans le domaine hôtelier, à l’exception de Paris où nous ne rencontrons aucune difficulté pour pré-réserver les hôtels dont nous avons besoin pour les populations cibles que sont les équipes, les médias, les sponsors et leurs invités, et les équipes opérationnelles. En revanche, dans nombre de villes de province, nous ne trouvons pas toujours un nombre suffisant de chambres dans les hôtels 4 ou 5 étoiles.
En ce qui concerne l’accueil proprement dit, nous parvenons à mobiliser des personnes, jeunes et moins jeunes, suffisamment motivées et disponibles pour composer un personnel actif de qualité. Nous avions recruté 12 000 bénévoles pour France 1998 et 8 000 bénévoles pour la Coupe du Monde de rugby de 2007, et je n’ai aucune inquiétude pour l’Euro 2016.
En ce qui concerne l’accueil proprement dit, nous parvenons à mobiliser des personnes, jeunes et moins jeunes, suffisamment motivées et disponibles pour composer un personnel actif de qualité. Nous avions recruté 12 000 bénévoles pour France 1998 et 8 000 bénévoles pour la Coupe du Monde de rugby de 2007, et je n’ai aucune inquiétude pour l’Euro 2016.
M. Yves Albarello. Que pensez-vous de nos équipements de transports ferroviaires, notamment de l’absence de liaison directe entre Paris et l’aéroport de Roissy, qui devrait devenir le premier aéroport européen en 2030 ? Une personne qui, sortant de l’aéroport, veut aller à Paris est obligée de prendre l’autoroute A1, qui est très saturée, avec le risque d’être la cible de délinquants en moto, ou le RER B, avec une correspondance à Sevran-Beaudotte. Je ne partage pas votre avis sur les moyens à mettre à la disposition des touristes qui se rendraient à l’exposition universelle, car ce qui fait le succès d’une manifestation sportive, ce sont les supporters. C’est pourquoi je suis convaincu qu’il faut améliorer les transports dans le secteur du Stade de France.
M. Jacques Lambert. Je ne conteste pas du tout ce point de vue. J’ai évoqué notre dispositif de transports au niveau national, mais la desserte de Roissy est incontestablement un point noir, tout comme la configuration de notre réseau de TGV qui oblige un supporter de Bordeaux qui souhaite se rendre à Marseille à passer par Paris.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le préfet, au-delà de l’aspect pratique – gestion des réservations, information – l’utilisation du numérique lors des grands événements contribue-t-elle à renforcer l’influence française ? Ces événements sont-ils devenus plus stratégiques ? Le numérique a-t-il changé l’état d’esprit dans lequel on aborde l’Euro 2016 ? Comment faut-il accompagner son immixtion ?
M. Jacques Lambert. Je ne pourrai vous répondre de façon circonstanciée, essentiellement parce que je n’arrive pas encore à mesurer, deux ans avant l’Euro 2016, la façon dont les spectateurs le vivront.
Ce que je puis dire, c’est que l’émergence du numérique a augmenté significativement les coûts d’un certain nombre de postes budgétaires de l’organisation, notamment parce qu’il nous oblige à mettre en place dans et autour des stades des capacités d’accès au réseau beaucoup plus importantes que celles qui existaient auparavant. Cela vaut pour nous, organisateurs temporaires, mais plus encore pour les utilisateurs quotidiens des stades que sont les clubs.
Les événements de portée internationale augmentent la part de spectateurs et de supporters étrangers. Ainsi, pour l’Euro 2016, nous savons, grâce au mode de distribution des billets par l’UEFA, que la part des spectateurs étrangers qui empliront les stades sera comprise entre 40 et 45 % de leur capacité totale. Sachant que l’UEFA réserve 20 % de la capacité du stade pour chacune des deux équipes, le reste de la billetterie grand public est vendu par Internet, avec un accès libre aux ressortissants du monde entier.
L’augmentation considérable du trafic – appels téléphoniques, échanges de données, photographies – pose d’importants problèmes. Entre la rédaction en 2008 du cahier des charges de l’UEFA et l’érection des stades de l’Euro 2016 est apparu un problème qui n’était connu que d’un petit nombre de spécialistes des télécommunications, à savoir l’incompatibilité de certaines normes électroniques qui a pour conséquence, lors des pointes de trafic, de perturber la transmission des matchs. Compte tenu des prix auxquels se négocient les droits de télévision, c’est une chose que personne ne peut se permettre. Pour y remédier, il faut adapter les circuits et les réseaux existants dans les stades, y compris les stades les plus récents comme ceux de Lille, de Nice ou de Lyon. Cette difficulté illustre la rapidité avec laquelle évolue le numérique.
Pour ce qui est de notre capacité à répondre à l’évolution du numérique et aux besoins des spectateurs de demain, je n’ai jamais rencontré la moindre inquiétude, mais j’ai beaucoup de mal à imaginer ce que sera réellement la demande.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le fait que l’Euro soit organisé en France a-t-il un effet supplémentaire sur les spectateurs étrangers ? Le succès de l’Euro est-il lié, comme pour les expositions universelles, à l’attractivité du pays d’accueil ? L’effet « France » est-il encore significatif ?
M. Jacques Lambert. C’est incontestable. Cet effet a compté pour la candidature de la France. Nous avions pour concurrents l’Italie et la Turquie. L’Italie n’a jamais été un concurrent dangereux car le dossier de la Fédération italienne n’était pas soutenu par les autorités publiques. En revanche, les Turcs, qui se portaient candidats pour la troisième fois consécutive et présentaient un bon dossier, probablement meilleur que le nôtre, étaient des concurrents très sérieux. Incontestablement, dans la perspective des décideurs, des médias et du monde du sport, il était infiniment plus intéressant d’aller à Paris que d’aller à Istanbul.
Pour l’Euro 2016, la France bénéficiera d’un alignement des planètes encore plus favorable car depuis l’Euro 2008, qui a eu lieu en Suisse et en Autriche, jusqu’à l’Euro 2024, tous les événements de football, qu’ils soient mondiaux ou européens, se déroulent dans des pays autres que l’Europe de l’Ouest, qui est le cœur économique et populaire du football : l’Afrique du Sud en 2010, l’Ukraine et la Pologne en 2012, le Brésil en 2014, la Russie en 2018, l’Euro pour l’Europe de Michel Platini en 2020, qui se tiendra dans 13 pays différents, et le Qatar en 2022. Ce n’est qu’en 2024 que, très probablement, l’Euro reviendra en Espagne, en Angleterre ou en Allemagne. Entre 2008 et 2024, les amateurs de football de l’Ouest de l’Europe, qui forment les masses les plus importantes de supporters, pourront difficilement assister à leur événement favori, ce qui est de nature à renforcer l’attractivité de la France en 2016.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité et M. Jean-François Martins, adjoint à la Maire de Paris chargé des sports et du tourisme
(Séance du mercredi 4 juin 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Jean-Louis Missika, vous êtes docteur d’État en gestion de l’université de Paris-Dauphine, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’université Panthéon-Sorbonne en sciences économiques et en philosophie. Après une carrière dans les médias, vous avez été chef du service d’information et de diffusion du Premier ministre sous Michel Rocard. Vous vous engagez dans l’action politique en 2008, êtes élu conseiller de Paris et nommé adjoint au maire, chargé de l’innovation, de la recherche et des universités. En 2014, vous devenez adjoint chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité.
Jean-François Martins, vous êtes diplômé de l’université de Marne-la-Vallée en économie sociale. Vous avez été élu conseiller de Paris en avril 2010. En 2012, vous avez été chargé du département des relations publiques de TBWA\Corporate et vous êtes, depuis 2014, adjoint au maire chargé des sports et du tourisme.
Notre mission parlementaire a débuté ses travaux au mois de janvier et les poursuivra jusqu’en octobre. Il s’agit d’évaluer la pertinence d’accueillir une exposition universelle en 2025. Le calendrier est assez serré, puisque les candidatures doivent être transmises en 2016 au Bureau international des expositions (BIE), avant le vote, en 2018, des cent soixante-dix pays membres.
Après nous être intéressés à l’organisation du BIE, nous avons entendu plusieurs personnalités du monde diplomatique, des acteurs des médias et des organisateurs d’événements sportifs. Nous abordons avec cette audition une séquence consacrée aux acteurs territoriaux, au premier rang desquels la ville de Paris. Nous souhaitons savoir l’intérêt qu’aurait pour Paris l’organisation d’une exposition universelle et dans quelles conditions pourraient être envisagée une candidature, compte tenu des enjeux économiques et touristiques mais également en matière d’innovation et de valorisation du patrimoine.
M. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité. Un mot d’abord pour excuser Anne Hidalgo, à qui son emploi du temps, très chargé en début de mandat, n’a pas permis d’être parmi nous cet après-midi.
Les termes d’exposition universelle ont pour Paris une résonance toute particulière. Outre que la tour Eiffel et d’autres bâtiments emblématiques de la ville ont été bâtis à cette occasion, les deux expositions universelles que la capitale a accueillies en 1889 et en 1900 ont été des moments clefs de son rayonnement international, à une époque où Paris dominait le monde des sciences, de la technologie et de la culture. Si l’exposition qu’a accueillie Paris en 1937 fut moins mémorable, cela s’explique par le contexte international : une photo célèbre rappelle l’opposition spectaculaire, de part et d’autre de la tour Eiffel, du pavillon de l’URSS et de celui de l’Allemagne nazie.
Compte tenu de cette histoire, Anne Hidalgo se réjouit naturellement de la réflexion qu’a entamée votre mission d’information. Elle doit nous permettre d’aborder à la fois les questions de principe, les modalités pratiques et le financement – les temps sont durs pour tout le monde, pour l’État comme pour les collectivités territoriales.
Nous n’oublions pas l’échec de notre candidature à l’organisation des jeux Olympiques de 2012, même si l’on peut rétrospectivement se féliciter de n’avoir pas eu à les organiser et d’avoir pu investir à la place dans l’économie de la connaissance. Autant donc se donner cette fois les moyens de gagner. Pour que cette candidature puisse être portée par Paris avec succès, plusieurs conditions doivent être réunies.
En premier lieu, il n’est pas question de reproduire ce qui a déjà été fait par le passé, en alignant des pavillons où chaque nation expose ce qu’elle produit de meilleur en matière de technologie ou dans d’autres domaines. Nous devons réinventer l’exposition universelle, imaginer un événement de type nouveau, adapté aux enjeux du XXIe siècle, un événement qui ne soit pas synonyme de gaspillage inutile ou de narcissisme. L’heure n’est plus aux mégaprojets, l’exposition universelle de Shanghai restant, de ce point de vue, indépassable. L’heure n’est plus aux palaces éphémères, et nous devons tirer les leçons des expériences passées, éviter les erreurs de certaines villes qui n’ont pas su réutiliser les infrastructures créées pour l’occasion au profit de leurs habitants, ne leur léguant que des déficits.
La proposition soutenue par Jean-Christophe Fromantin, consistant à substituer à l’organisation traditionnelle en pavillons une répartition plus large des animations sur le territoire, une utilisation du patrimoine existant et une mise en valeur des grands sites urbains nous convient parfaitement. C’est une façon de renouveler le concept autour de grands projets qui n’auront pas été spécialement conçus pour l’exposition universelle mais dans l’intérêt des habitants et dans la perspective dynamique du déploiement du Grand Paris. Cette question du dimensionnement est essentielle, car elle conditionne naturellement le coût du projet.
Pour ce qui concerne les thématiques à privilégier, Anne Hidalgo insiste pour que l’accent soit mis sur les grands défis auxquels doivent répondre les métropoles du XXIe siècle. Celles-ci sont en effet au cœur des transformations que connaissent nos sociétés : c’est là que les entreprises du futur inventent les nouvelles technologies, que s’expérimentent les nouvelles façons de travailler, de vivre, de commercer. Le numérique, l’économie circulaire, la ville intelligente, le lien entre végétal et minéral dans la ville, la biodiversité, la transition énergétique, sont autant d’aspects de la révolution urbaine du XXIe siècle que l’exposition universelle de 2025, si jamais elle est organisée par notre pays, devra mettre en exergue.
J’en profite pour rappeler que la visite en 3D de l’exposition universelle de Shanghai, proposée en ligne, a attiré un très grand nombre de visiteurs, sans doute plus important que le nombre de visiteurs physiques sur le site. Cela doit nous inviter à repenser la manière de valoriser ces expositions, pas seulement in situ mais dans toutes leurs dimensions numériques et virtuelles.
Le troisième aspect sur lequel nous souhaitons insister est la question de la participation citoyenne et de la cogouvernance. Ce fut l’un des thèmes majeurs de notre dernière campagne électorale, et nous estimons essentiel que les citoyens et les visiteurs soient impliqués dans l’organisation de cet événement.
Ce qui nous conduit à poser la question de son périmètre et à prôner une certaine audace en la matière. Si les précédentes expositions étaient centrées sur le cœur de l’agglomération parisienne, il est clair qu’aujourd’hui l’attractivité touristique du cœur de la capitale ne pose plus guère de problème : ce qui est en jeu, c’est l’attractivité touristique de la métropole. Nous sommes convaincus que l’exposition universelle de 2025 s’inscrira naturellement dans le cadre du Grand Paris.
Le développement de Paris intra muros est aujourd’hui parvenu à maturité. Grâce à un patrimoine culturel et architectural d’une exceptionnelle densité, la ville a accueilli cette année plus de 31 millions de touristes et ce chiffre est voué à s’accroître encore. Notre ardente obligation est désormais d’orienter les flux de touristes vers les sites, châteaux et forêts du Grand Paris, tels que Fontainebleau ou Chantilly par exemple. Dans cette perspective, nous souhaitons privilégier un dispositif qui, contrairement aux récentes expositions de Séville, Lisbonne ou Shanghai, dont l’objectif était avant tout de mettre en valeur l’attractivité du cœur d’agglomération, mette en scène des sites inscrits dans un périmètre élargi. Nous militons donc, à l’instar du président Jean-Christophe Fromantin, pour une exposition universelle qui accompagne la construction du Grand Paris et mette en valeur sa dimension polycentrique, en s’appuyant par exemple sur les gares du futur Grand Paris Express. Anne Hidalgo et l’exécutif parisien trouvent également séduisante l’idée d’une extension plus large encore : pourquoi ne pas imaginer, si toutefois cela est plaidable devant le BIE, un axe Paris-Lyon-Marseille ou un axe Seine incluant Rouen, Le Havre et Caen ?
J’en viens enfin à la question financière qui impose rigueur et clarté. Ce n’est pas à vous que j’apprendrai que le Parlement a voté une diminution de 11 milliards d’euros de la dotation de l’État aux collectivités territoriales. Cela équivaut pour la ville de Paris à une diminution de 200 millions d’euros par an sur les trois prochaines années, soit, au total, 600 millions d’euros d’ici à 2017. Notre dotation sera donc réduite de moitié, passant de 1,2 milliard à 600 millions d’euros. Pèseront également sur notre budget d’autres prélèvements liés à la péréquation et les engagements volontaristes que nous avons pris de ne pas augmenter les impôts locaux.
C’est dans ce contexte que nous devons envisager notre candidature à l’exposition universelle. Si j’ai été rassuré par les propos de Jean-Christophe Fromantin, qui a déclaré à la presse que l’événement ne devrait rien coûter aux contribuables, je tiens néanmoins à être clair : il est hors de question que les contribuables parisiens financent l’exposition universelle. Pour poser l’équation autrement, cela signifie que la collectivité locale qui gère les impôts des contribuables parisiens ne financera pas l’exposition.
Les expositions de Hanovre et de Shanghai ont été déficitaires, celle qui s’organise à Milan est entachée de soupçons de corruption ; nous devons donc faire preuve d’une transparence exemplaire et anticiper avec précision les coûts et les perspectives de développement.
Ces contraintes plaident en faveur d’un projet qui, loin du gigantisme, s’articule autour de la mise en valeur d’infrastructures existantes et fasse, pour l’essentiel, appel à des financements privés. Nous considérons que c’est un excellent projet et notre enthousiasme reste entier. Mais nous le disons d’emblée afin d’éviter tout malentendu : les temps sont durs et la ville de Paris ne peut se permettre d’investir des dizaines ou des centaines de millions d’euros dans l’organisation d’une exposition universelle.
M. Jean-François Martins, adjoint au maire de Paris, chargé des sports et du tourisme. Paris n’est ni Hanovre ni Shanghai. Ce que nous attendons d’une exposition universelle en termes de rayonnement est différent. Paris est la première destination touristique mondiale, avec près de 47 millions de visiteurs par an pour la métropole, 30 millions intra muros, dont près de 12 millions de visiteurs étrangers. Paris fait partie des cinq premières « villes marques » les plus influentes au monde. Il s’agit donc moins d’accroître notre notoriété que d’améliorer notre image et de dessiner notre identité.
Pour les opérateurs touristiques, la destination Paris n’est pas circonscrite aux limites du périphérique. Pour la première fois cette année, l’Office du tourisme et des congrès de Paris a choisi de publier des chiffres qui incluent la fréquentation des trois départements limitrophes. Depuis Pékin, Los Angeles ou Bogota, Paris, La Défense – qui draine un important tourisme d’affaires –, Bagnolet, Montreuil, Saint-Denis, Ivry, Versailles ou Disneyland, c’est globalement la même ville ! D’où la nécessité de développer notre capacité hôtelière en petite couronne.
L’exposition universelle devra impérativement refléter ce polycentrisme, qui est l’un des enjeux essentiels de notre développement touristique, tout comme elle devra intégrer les multiples formes que revêt le tourisme dans notre ville. En effet, Paris n’est pas seulement une destination de tourisme de loisirs. Elle est classée par l’ICCA, l’association internationale des congrès et des conventions, première ville de tourisme d’affaires au monde. Près de 40 % du tourisme parisien est drainé par les congrès, foires ou salons. À ces visiteurs s’ajoutent les personnes qui séjournent dans la capitale pour des motifs institutionnels ou diplomatiques.
Mais je veux insister tout particulièrement sur les visiteurs nationaux. On sait en effet que l’immense majorité des visiteurs de l’exposition universelle de Shanghai étaient des Chinois et que, si l’exposition de Hanovre, avec 19 millions de visiteurs, est loin d’avoir atteint l’objectif de 40 millions qu’elle s’était fixé, c’est sans doute que les organisateurs s’étaient trop focalisés sur les enjeux internationaux et avaient négligé la dimension nationale de l’événement.
Nous avons parlé d’un projet sobre et intelligent. Dans cette perspective, Paris est naturellement disposée à mettre à disposition un certain nombre de ses grands monuments, au premier rang desquels la tour Eiffel ; c’est un patrimoine dont nous sommes fiers, que nous avons envie de partager et qui offre d’importantes capacités d’accueil pour le public et les expositions. Je rappelle cependant qu’une grande partie de ces monuments dépend de l’État, dont nous attendons en conséquence des engagements fermes.
J’attire pour conclure votre attention sur l’acceptabilité sociale d’un tel projet, qu’il s’agisse de son coût financier – Jean-Louis Missika a rappelé que les Parisiens attendaient prioritairement de nous des investissements dans le domaine du logement, des équipements publics de proximité et de l’innovation plutôt que dans de grands projets – mais également de ses incidences sur la vie quotidienne et des nuisances qu’elle peut provoquer. Cela signifie qu’il faut impliquer les Parisiens et les habitants de la métropole dans l’élaboration et l’organisation du projet, susciter leur mobilisation et leur adhésion, faire appel à leurs idées et tenir compte de leurs souhaits.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Nous actons deux points positifs : non seulement le projet d’exposition universelle vous intéresse, mais vous considérez de surcroît, comme nous, qu’il doit concerner l’ensemble du Grand Paris.
L’équipe municipale a pris, lors de sa campagne, plusieurs engagements en lien direct avec le développement de l’attractivité de la capitale. Qu’en est-il des douze mille places d’hôtellerie supplémentaires que vous vous êtes engagés à créer ? Qu’en est-il également du City Pass « tout en un » que vous proposez de mettre en œuvre ? Ce dernier point est d’autant plus important que nous nous accordons sur l’idée que l’exposition universelle, dans un format profondément renouvelé, ne se déroulera plus sur un lieu unique mais s’étendra sur plusieurs sites. Compte tenu des réticences que risque d’exprimer le BIE face à cette proposition innovante, le City Pass pourrait être un élément déterminant pour les convaincre. Quels équipements pourrait-il concerner et à quelle échéance ?
Évoquant les grands événements que devait accueillir Paris, Anne Hidalgo a mentionné la conférence sur le climat en 2015, l’Euro de football en 2016, les mondiaux de handball en 2017, les Gay Games en 2018 et, éventuellement, l’exposition universelle de 2025. Qu’implique plus précisément ce calendrier pour la ville, notamment en matière d’équipements et d’infrastructures ?
M. Jean-Louis Missika. Un plan hôtelier avait été initié sous le précédent mandat. Nous poursuivons sa mise en œuvre et sommes pour l’instant dans les temps. Dans le cadre de la préfiguration du Grand Paris, nous croisons nos perspectives avec celles des communes limitrophes, afin d’aboutir à une vision d’ensemble de l’offre hôtelière dans la métropole. Le taux d’occupation des hôtels parisiens est excellent et, compte tenu des perspectives d’augmentation de la fréquentation touristique, satisfaire les besoins nouveaux en hôtellerie est une gageure. Dans ces conditions, il nous faudra réfléchir, avec le comité en charge du projet, à la manière de faire face à un éventuel afflux massif de visiteurs en 2025.
Pour ce qui concerne les grands événements qu’accueillera Paris, la COP21 (21e conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique) est gérée par l’État. En marge de cette manifestation, Anne Hidalgo souhaite néanmoins réunir le C40, cette « ONU » des grandes métropoles à la tête de laquelle le maire de Rio de Janeiro a succédé à Michael Bloomberg et qui réunit les quarante villes les plus importantes de la planète autour de sujets environnementaux. Les villes, d’où émane 80 % de notre empreinte carbone, ont un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Les événements sportifs, quant à eux, sont en gestation depuis longtemps. La rénovation du Parc des Princes a été votée il y a au moins deux ans. Notre mobilisation reste entière et s’étend à l’ensemble des grandes manifestations internationales – congrès scientifiques et médicaux, foires et expositions – pour l’organisation desquelles Paris est en compétition avec les autres capitales mondiales. De tels événements – et, a fortiori, une exposition universelle – donnent aux villes qui les accueillent une visibilité mondiale. Ils leur permettent aussi de travailler leur image. Nous devons modifier l’image de marque de Paris, faire savoir au monde entier que Paris n’est pas seulement la capitale du glamour, de la mode, du luxe et de la gastronomie, mais que nous sommes également un leader européen en matière de création de start-up dans le domaine du numérique, qu’avec 400 000 salariés en Île-de-France nous sommes la première capitale européenne en matière de technologies de l’information et de la communication, que nous rivalisons avec Berlin et Amsterdam dans le domaine des écotechnologies. À cet égard, les deux expositions universelles de la fin du XIXe siècle peuvent nous servir d’exemple car elles avaient su valoriser un Paris à la pointe de la science et de l’industrie.
M. Jean-François Martins. Nous avons déjà recensé 7 000 chambres d’hôtel dans Paris intra muros. Avec un taux d’occupation de 79 % – 76 % pour la petite couronne –, la bonne santé économique du secteur est assurée.
Ouvrir un hôtel à Paris est aujourd’hui une opération rentable. Notre problème est plutôt de trouver du foncier disponible pour les investisseurs privés qui se bousculent à nos portes, tout en nous assurant que les projets retenus s’insèrent dans le tissu urbain et qu’ils ne concernent pas uniquement des établissements de luxe – les plus rentables au mètre carré – mais s’adressent à toutes les catégories de touristes qu’accueille la capitale.
Vous avez évoqué les grands événements sportifs à venir. L’Euro 2016 est depuis longtemps dans les tuyaux. Dans la mesure où les épreuves se dérouleront partout en France, nous aurons affaire à un public itinérant, mais Paris et la métropole disposent des capacités d’accueil nécessaire pour absorber le surplus de visiteurs. Il en va de même pour les mondiaux de handball, discipline moins populaire que le football et qui ne devrait pas générer d’afflux excessif de spectateurs. Notre souci majeur est d’obtenir des fédérations sportives qu’elles investissent, à l’occasion de ces grands événements, dans des équipements de proximité. Il est aussi de tester des dispositifs d’accueil et d’information touristiques, pour éventuellement les pérenniser par la suite. Quant aux Gay Games prévus en 2018, ils participent du message et des valeurs de tolérance que nous voulons promouvoir : Paris est la capitale de l’amour, de tous les amours. La Ryder Cup enfin, qui doit également se dérouler à Paris en 2018, a vocation à accueillir un autre type de public, preuve des multiples facettes de notre attractivité. Aucune de ces manifestations ne requiert d’investissements massifs, dans la mesure où nous disposons déjà d’équipements sportifs et d’infrastructures de transport très convenables.
J’en viens au City Pass. Notre ambition est de parvenir à mettre en place pour l’Euro 2016 ce pass « tout en un », qui inclurait l’accès aux transports en commun, aux musées, à la tour Eiffel, voire aux bateaux-mouches. La diversité des opérateurs impliqués – l’État pour les musées, la société d’exploitation de la tour Eiffel, la RATP, le STIF et la région – rend l’opération complexe, chacun souhaitant avoir la main sur la gestion du dispositif et avoir le droit d’y apposer son logo. Se pose également la question de la diversité des systèmes d’information et de gestion de clientèle, pour lesquels il faudra trancher entre la norme NFC et la norme Calypso.
L’idéal serait de parvenir à expérimenter une version pilote à l’occasion de la COP21 dès 2015, sachant que nous ne pourrons inclure dans le pass l’ensemble des équipements touristiques du Grand Paris d’ici à 2016. Faire converger les systèmes d’information requiert des investissements lourds que certains établissements ne peuvent faire dans l’immédiat.
M. Jean-Louis Missika. Nous avons également pris un engagement fort sur l’éradication du diesel au cours de la mandature. Les cars de touristes font partie des véhicules concernés. La discussion avec les voyagistes est compliquée mais la décision d’Anne Hidalgo est ferme : dans les six ans à venir, nous voulons transformer radicalement la façon dont les touristes circuleront dans Paris. Ce tourisme durable et responsable passe par l’utilisation de bus électriques et par un recours accru aux transports en commun. Tout un travail sur la « dé-diésélisation » sera mené avec les professionnels.
Mme Catherine Quéré. Voilà qui explique peut-être votre réticence devant la perspective d’un afflux supplémentaire de touristes dans la capitale. Pour ce qui est de la capacité hôtelière, j’imagine que la municipalité a dû déjà réfléchir au sujet à l’occasion de la candidature de Paris à l’organisation des jeux Olympiques de 2012 !
Il est certain, monsieur Martins, qu’il faut être prudent et que certaines expositions universelles ont été des échecs. Mais Hanovre n’est pas Paris ! L’attrait touristique de notre capitale est presque un gage de réussite.
Il faut également souligner que le flux de visiteurs apporté par les jeux Olympiques ne dure que quinze jours. Une exposition universelle attire plus de monde mais sur une période de six mois, ce qui atténue les difficultés d’accueil.
M. Jean-Louis Missika. Nous en sommes tout à fait conscients.
M. Jean-François Martins. Nous ne nous focalisons pas sur des échecs comme celui de l’exposition de Hanovre, mais nous ne les excluons pas totalement de notre réflexion et nous essayons de les comprendre. En l’occurrence, je crois que l’attractivité touristique de Hanovre avait sans doute été surestimée, de même que la répartition entre le public national et le public international.
M. le rapporteur. Il y a quelques jours, à New York, la maire de Paris a tenu des propos sur les jeux Olympiques qui ont immédiatement provoqué une déclaration indignée de M. Lamour.
M. Jean-François Martins. Mais pas de M. Douillet !
M. le rapporteur. Où en est votre réflexion sur ces deux événements qui, de l’avis de notre mission d’information, doivent être radicalement distingués tant les objectifs auxquels ils répondent sont différents ? La nouvelle équipe municipale en a-t-elle déjà débattu ?
M. Jean-Louis Missika. Nous en avons évidemment parlé avec Anne Hidalgo, qui a validé les indications que je vous ai données. Notre position sur les jeux Olympiques est en effet très différente de notre position sur l’exposition universelle. Tout d’abord, nous considérons que la décision d’organiser des jeux Olympiques devrait être validée par les électeurs. Lorsqu’Anne Hidalgo a souligné à New York qu’elle n’en avait pas fait un thème de campagne, c’était une manière de signifier qu’un tel événement est si important et suppose un investissement si considérable que son organisation doit se faire sous le regard démocratique.
Je relève que personne, ni la droite ni nous-mêmes, n’a mis le sujet sur la table. Il n’y a pas eu de validation par les électeurs d’une candidature de la ville de Paris à l’organisation des jeux Olympiques.
Ensuite, sans aller jusqu’à dire que chat échaudé craint l’eau froide, la candidature aux Jeux de 2012 reste pour nous une expérience très douloureuse. Bertrand Delanoë y a mis beaucoup d’enthousiasme et de volonté. La population parisienne a porté cette candidature, qui faisait aussi l’objet d’un consensus entre l’État, la ville et la région à un moment où les couleurs politiques de ces différentes entités n’étaient pas les mêmes.
À tort ou à raison, la ville de Paris a eu le sentiment que la façon dont la décision fut prise posait un problème. Et nous n’avons pas l’impression que la qualité de la gouvernance du Comité international olympique (CIO) se soit améliorée depuis lors.
Sur ce sujet, nous sommes prêts à entendre les autorités sportives et le Gouvernement, sachant que, sur les 8,5 milliards d’euros d’investissements prévus au cours de la mandature, il n’y a pas un euro de programmé pour préparer une éventuelle candidature aux jeux Olympiques, et sachant que le contrat que nous avons passé avec les électeurs parisiens porte à la fois sur le montant et sur la nature des investissements. Anne Hidalgo considère que les défis majeurs pour Paris sont la construction du Grand Paris, les infrastructures de transports, le logement et l’investissement dans l’économie de la connaissance. C’est sur ces thèmes que nous avons été élus et nous attachons une importance extrême à ce contrat démocratique.
À New York, la maire n’a pas opposé un refus de principe à une candidature aux jeux Olympiques : elle a seulement rappelé qu’elle n’en avait pas fait un enjeu de sa campagne électorale, qu’elle n’avait donc pas été élue sur ce thème, qu’elle entendrait les acteurs de l’olympisme français et que, en fonction des enjeux financiers d’une éventuelle candidature, elle indiquerait si cela lui paraît réalisable ou non. C’est une position raisonnable, responsable, et non pas, comme on a pu le lire dans certains médias, un rejet pur et simple. Nous n’en sommes pas là puisque nous ne savons même pas quel projet soutiendront les instances olympiques françaises !
De votre côté, monsieur le président, vous procédez dans l’ordre : vous avez créé une association et une mission parlementaire, vous interrogez les parties prenantes, la ville de Paris vous répond et, si nous tombons d’accord, nous ferons ensemble la démarche de candidature à l’organisation de l’exposition universelle.
J’ajoute que ce processus nous paraît tenir dans une enveloppe financière plus raisonnable qu’une candidature pour l’organisation des jeux Olympiques.
M. le rapporteur. Le modèle de préparation de l’exposition universelle devrait en effet ouvrir les pistes qui permettront de ne pas recourir à de l’argent public et d’éviter tout déficit. Je doute que l’on puisse appliquer le même schéma à l’organisation des jeux Olympiques à Paris ! C’est une différence fondamentale, qui s’ajoute au fait que les finalités d’une exposition universelle sont tout autres. Toutes les auditions que nous avons menées montrent que les deux événements ne présentent que très peu de points communs.
M. Jean-François Martins. Nous participons de bonne foi aux groupes de travail mis en place par le CNOSF (Comité national olympique et sportif français) et le CFSI (Comité français du sport international). Nous y soutenons les arguments que Jean-Louis Missika vient de vous exposer. Si le monde sportif nous présente des projets qui ont un sens, des valeurs et un modèle économique différents du gigantisme et des valeurs affichés par l’olympisme depuis deux ou trois olympiades, la question se posera dans d’autres termes.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Étant donné la souplesse du modèle des expositions universelles, nous pouvons transformer en atouts les contraintes du cahier des charges.
L’idée de « poser » l’exposition universelle sur la ville, sur l’existant, est un point de négociation avec le BIE dans la mesure où celui-ci est attaché à l’unité de lieu. Pour autant, plusieurs expositions du xixe siècle se sont étendues jusqu’à l’île Saint-Germain, Vincennes, etc., et ont permis de mettre en avant des innovations telles que les bateaux-mouches ou le tapis roulant de 7 km. Situer l’exposition à Paris et dans le Grand Paris, réinvestir des monuments, des gares, des places, des parvis, suppose que l’on organise une cohabitation des flux des visiteurs avec les flux quotidiens des Parisiens, que l’on ne peut priver de leur espace pendant l’événement. Cela rend nécessaire un vrai travail d’innovation en matière de mobilités. Comment mieux maîtriser les mobilités en zone dense ? C’est un problème auquel toutes les grandes métropoles sont confrontées !
Quelles sont vos réflexions et suggestions dans ce domaine ? Est-ce un sujet de recherche et d’innovation dans vos pépinières d’entreprises ?
En matière de financement, la contrainte de départ que nous posons – organiser l’opération sans solliciter le contribuable – est en soi une source d’innovation. De ce qui peut apparaître comme un inconvénient, nous pouvons faire un atout via le crowdfunding et la volonté des gens d’investir directement dans l’avenir de leur territoire. Au xixe siècle, les expositions étaient financées par des bons de souscriptions qui offraient, en plus de l’accès aux sites, un retour sur investissement par un système de coupons. Nous pourrions nous aussi inventer un modèle de financement original, dans lequel les Parisiens, les habitants de la métropole et le reste du monde auraient la possibilité d’intervenir. La ville de Paris est-elle prête à s’investir pour construire avec nous l’ingénierie de ce financement et pour appeler les Parisiens à y participer dans une démarche volontaire d’adhésion ?
On ne saurait imaginer une exposition universelle qui ne laisse quelques monuments emblématiques à Paris ou dans le Grand Paris, à l’instar de la tour Eiffel en 1889. La ville a-t-elle un grand projet culturel ou sportif qui pourrait se combiner avec la symbolique de l’exposition ? C’est une question que nous poserons, du reste, à tous les maires du Grand Paris.
Le projet de liaison directe Roissy Express assurée par Aéroports de Paris (ADP) est revenu souvent dans nos auditions. Quel regard portez-vous sur cette question ?
Enfin, la saisonnalité du tourisme à Paris est-elle très marquée, avec des creux et des pics importants, ou a-t-elle tendance à se « lisser » sur l’ensemble de l’année ? La durée de l’exposition étant de six mois, nous disposons d’une certaine souplesse quant aux dates
– même si nous devons inclure la période estivale. Estimez-vous préférable de faire commencer l’événement un peu plus tôt au printemps ou de le faire durer un peu plus tard en automne ?
M. Jean-François Martins. Le tourisme parisien a la particularité d’être assez peu saisonnier dans la mesure où il se répartit entre tourisme d’affaires et tourisme de loisirs : lorsque les uns ne sont pas là, les autres prennent le relais. Nous ne connaissons qu’une seule vraie période de baisse en janvier et en février, où la fréquentation diminue de 5 à 7 %. On le voit, cette variation reste modeste, si bien que la question de la saisonnalité ne se pose guère, tant en termes de fréquentation hôtelière et touristique qu’en termes d’utilisation des infrastructures de transports. Reste à déterminer quelles sont les périodes les plus propices pour occuper l’espace public du point de vue de la météo…
Concernant l’association des Parisiens à l’événement, signalons la présence à Paris du premier incubateur mondial de start-up dans le secteur du tourisme, le Welcome City Lab, soutenu par la ville de Paris. C’est la première fois que l’on crée un incubateur destiné à inventer le tourisme de demain. Pour traiter des manières innovantes de faire participer le public, de l’organisation des parcours et des flux, de l’occupation de l’espace public, nous pourrons nous appuyer non seulement sur le réseau globalement dense des start-up de la métropole, mais aussi sur cet incubateur spécifique qui pourrait devenir une composante de la renommée de Paris et un levier économique majeur.
S’agissant du financement participatif, l’expérience acquise notamment en matière de mécénat culturel montre qu’il faut associer les citoyens très en amont, en sorte que, le moment de contribuer financièrement venu, ils se sentent déjà propriétaires du projet par une adhésion civique. C’est pourquoi les appels à participation doivent être très ambitieux. Pourquoi pas une consultation directe des Parisiens et des Métropolitains sur le sujet ? Ce serait de nature à les mobiliser et, par la suite, à les faire se sentir partie prenante de l’exposition. Nous y voyons une condition de la réussite du crowdfunding final. Si l’on se contente de demander aux gens de passer à la caisse sur la base du volontariat, cela ne marchera pas !
M. Jean-Louis Missika. Nous sommes depuis toujours très favorables à la liaison Roissy Express. Le seul problème est que nous souhaitons l’enfouissement des voies dans le XVIIIe arrondissement. C’est d’autant plus important que, dans le cadre de l’accord que nous avons passé avec l’État, le campus Condorcet sera installé porte de La Chapelle. Il n’est pas imaginable que le passage très fréquent des trains puisse perturber les étudiants. L’enfouissement des voies ne renchérit le projet qu’à la marge. Je suis persuadé, à titre personnel, que l’équation économique et financière est soutenable moyennant un financement du secteur privé.
J’ignore à quel type de bâtiment vous pensez lorsque vous évoquez les symboles de l’exposition universelle, monsieur le président, mais la halle Freycinet sera assurément un magnifique emblème de la modernité technologique de Paris et pourra constituer un des sites de l’exposition. On peut aussi penser à la tour Triangle, si Dieu lui prête vie et si la droite se résout à accepter la modernité. Ces sites représentent à mes yeux les grands gestes architecturaux du XXIe siècle pour une métropole parisienne à la fois ouverte à l’architecture contemporaine et soucieuse des grands équilibres écologiques – rappelons que la tour Triangle est un bâtiment vertueux du point de vue de l’empreinte carbone.
Cela dit, il n’y aura pas de geste architectural fondamentalement nouveau dans le domaine culturel. Le dernier en date, la Philharmonie de Paris, donne lieu à des discussions complexes avec l’État pour savoir qui en financera le fonctionnement. Mais je pense que beaucoup d’initiatives publiques et privées conduiront, au cours de la mandature, à la construction de bâtiments révolutionnaires. Nous allons ainsi lancer prochainement un appel à projets innovants pour l’Arc de l’innovation, sur le modèle de ceux que j’avais lancés sur l’efficacité énergétique ou la végétalisation innovante. À l’horizon 2025 auront forcément été érigés des bâtiments qui feront date dans l’histoire de l’architecture. Ce ne sera pas à la manière de la tour Eiffel, mais en intégrant, par exemple, les nouvelles façons de travailler : même si l’on continue à en construire, les immeubles de bureaux, nous le savons, sont amenés à disparaître. Dans l’entreprise du futur, le travailleur est mobile, le télétravail est une règle, les équipes se font et se défont au gré des projets. Ces éléments supposent une nouvelle façon de faire de l’urbanisme. La « ville intelligente », dont je disais qu’elle doit être une grande thématique de l’exposition universelle, sera incarnée en 2025 par des bâtiments innovants qui seront les cathédrales – ou les tours Eiffel – du XXIe siècle.
Nous pourrons sans difficulté mobiliser les jeunes créateurs d’entreprise autour de cet événement. Paris compte aujourd’hui une cinquantaine d’incubateurs, dont une douzaine d’origine privée, et, selon les méthodes de dénombrement, entre 3 000 et 6 000 start-up. Beaucoup de ces entreprises travaillent sur les écotechnologies, le développement durable et le numérique.
Dans notre conception, l’exposition universelle est un accélérateur d’innovation. Si nous avons lancé un incubateur consacré à l’innovation dans le tourisme, c’est que nous sommes conscients que le tourisme du xxie siècle, pour être durable et responsable, doit intégrer des innovations technologiques relatives aux économies d’énergie, à l’empreinte carbone, au numérique, aux informations en temps réel lors des déplacements, etc. Ces thèmes ont partie liée avec l’exposition universelle et pourront être mis en exergue dans ce cadre. Du même coup, nous accélérerons le développement des entreprises innovantes dans le secteur. Ce que vous avez commencé à réaliser avec les universités et les grandes écoles, il faudra le poursuivre avec l’écosystème des incubateurs, voire avec les grands comptes. La ville de Paris participe en effet à une initiative assez peu connue, la création d’un club « innovation ouverte » qui réunit une cinquantaine de grands comptes et qui assure en permanence la mise en relation de ces entreprises avec les start-up.
Bref, nous ne resterons pas inactifs, y compris dans la recherche de financements auprès des entreprises.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quelques précisions concernant le calendrier.
La mission d’information compte présenter son rapport au mois d’octobre, date à laquelle les ateliers mis en place par le CNOSF devraient eux aussi rendre publics les résultats de leurs travaux. Le dialogue avec l’État s’engagera alors, puisque celui-ci devra décider quelles initiatives il soutiendra.
En cas de feu vert à une candidature à l’exposition universelle, nous prévoyons des actions en direction du grand public. À cet égard, l’étude de l’IFOP dépasse nos espérances : toutes classes d’âge confondues, 84 % des Français portent un regard « favorable » ou « très favorable » sur l’organisation de l’exposition universelle en 2025. Cette image positive est en grande partie liée aux grands monuments, qui perpétuent une mémoire vivante des expositions du passé.
Il faudra ensuite constituer un dossier de candidature et le déposer au BIE au printemps 2016.
M. le rapporteur. Selon toute probabilité, le rapport de la mission d’information sera différent des rapports traditionnels : ce sera un guide pour gagner. Nous voulons le remettre en octobre pour être à même de faire le « service après-vente » auprès de chacun des acteurs. Ensuite, les choses s’enchaîneront très vite.
M. Jean-Louis Missika. Les jurys de l’exposition universelle montrent parfois un attachement un peu figé à la tradition du lieu unique et des pavillons, avez-vous indiqué. Quelles chances avons-nous de gagner si nous présentons le projet révolutionnaire que vous avez décrit ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Si l’on se réfère aux expositions universelles du XIXe siècle, le projet n’est pas aussi révolutionnaire qu’il y paraît. En 1889, autour de la galerie des Machines installée sur le Champ de Mars, les pays étrangers ont créé des cafés et brasserie portant leur nom. Quand, à la fin du siècle, le « cycle des machines » s’est quelque peu épuisé, ces établissements ont pris le relais.
Notre idée est d’en revenir à la genèse. Nous considérons que nous sommes dans un cycle d’innovation extrêmement intéressant qui justifie que l’on pose de grands défis et que l’on sollicite tous les pays pour présenter de l’inédit.
En premier lieu, le BIE est sensible à l’idée d’un point d’entrée au cœur de Paris : le visiteur étranger ne sera pas confronté à des événements diffus, il commencera par une promenade dans un grand périmètre qui pourrait être compris entre le Champ de Mars, les Tuileries et La Défense, et où les différents pays, dans des structures qui ne seront pas forcément des pavillons, annonceront leur présence dans tel monument, telle gare, tel spectacle ponctuel. Il s’agira d’un grand guichet d’accueil qui sera en même temps une sorte de village.
En deuxième lieu, le BIE est également ouvert à l’idée que le Grand Paris – pour peu que son schéma de transports permette un bon dialogue avec l’espace central – serve de support à un grand tour du monde articulé autour de plusieurs dizaines de gares, où seraient proposés des modules et des animations liés à tel ou tel pays. Le mode d’expression, à l’exception des gares, ne serait pas celui de l’architecture : il s’agirait d’images, de rencontres, etc.
En troisième lieu, le BIE est intéressé par une articulation avec les grandes métropoles françaises, dont beaucoup seront à moins de deux heures de Paris en 2025. Le format de l’exposition universelle permettrait d’organiser, par exemple, une semaine thématique sur les océans à Nantes, une autre sur tel autre sujet à Marseille, etc.
Le quatrième territoire est celui du numérique, que nous pouvons ouvrir deux ou trois ans avant l’exposition afin de créer une dynamique collaborative.
Bref, il y a un vrai travail de pédagogie et d’accompagnement à accomplir. Les responsables nous le disent à chaque fois : lorsqu’un pays a envie d’accueillir le monde, il doit le faire sentir dans sa candidature et s’en donner les moyens. Cela suppose que l’on accepte que la question des mobilités ait évolué depuis le début du XXe siècle. Les gens éprouvent quand même moins d’appréhension à prendre le métro ! Demain ils seront guidés par des tablettes de dernière génération dont on n’imagine même pas aujourd’hui les possibilités, et qui simplifieront considérablement l’orientation.
M. Jean-Louis Missika. Il faudra tout de même avoir achevé le Grand Paris Express...
M. le rapporteur. La question du lieu d’accès unique, liée à celle de la perception des droits d’accès, a été soulevée lors des premières réunions. Il serait certes plus compliqué d’associer le dispositif au City Pass parisien, mais, dans tous les cas, ce n’est pas un véritable problème.
En revanche, l’exposition n’est pas concevable sans l’implication de la population. Il faudra, à cet égard, définir le statut des bénévoles, sans ôter pour autant à cette manifestation son caractère festif. Une implication citoyenne sur une longue durée et dans un territoire étendu demande une réflexion très en amont. C’est, à mon sens, un des grands enjeux de la réussite de la candidature.
M. Jean-Louis Missika. Permettez-moi d’en revenir à la question des flux.
La saturation des transports en commun à Paris est une vraie préoccupation. Les responsables de la RATP nous le disent : aucune accélération des cadences n’est possible ; lorsque l’on en est à une rame toutes les minutes, on atteint les limites de la sécurité. Même si l’on peut espérer que les grands travaux de rénovation du RER auront été effectués en 2025, la question de la gestion des temps est un enjeu principal. Il faudra gérer les événements et les flux de visiteurs de l’exposition de façon intelligente, afin que les déplacements se fassent en dehors des heures de pointe. Le covoiturage – Autolib et Uber compris – aura connu, je l’espère, un développement important, ainsi que les espaces de circulation douce consacrés au vélo, au vélo électrique, etc. En faisant de la ville intelligente et durable une thématique forte de cette exposition polycentrique, nous devrons présenter des propositions innovantes pour gérer les risques de télescopage entre les flux de touristes et les flux de Parisiens faisant leur trajet domicile-travail.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Toutes les métropoles du monde sont confrontées à ce problème. Une expérimentation à grande échelle pendant six mois, dans une configuration très particulière, ouvre des perspectives d’innovation très intéressantes.
Mme Catherine Quéré. La ville a-t-elle réfléchi à une action pour rendre les taxis plus « propres » ?
M. Jean-Louis Missika. Les taxis dépendent de la préfecture de police, donc de l’État, et non de la ville de Paris. Mais nous serions tout à fait prêts à en assumer la gestion si l’État acceptait de nous la confier !
Cela dit, nous prenons de nombreuses initiatives pour accompagner la modernisation des taxis et pour leur faire prendre conscience que le monde du numérique ne leur permet plus de fonctionner comme avant. Nous proposons aussi une prime de 4 000 à 7 000 euros pour passer du diesel à une motorisation hybride ou entièrement électrique. Nous accompagnons l’utilisation d’outils numériques innovants permettant de prendre contact avec un taxi via son smartphone – ce qui permettrait à la profession, soit dit en passant, de rivaliser avec les plateformes numériques telles que Uber, qui ne sont rien d’autre que des outils d’amélioration de la performance de la géolocalisation des voitures de tourisme avec chauffeur. Bref, nous accompagnons les taxis parisiens dans une mutation révolutionnaire.
M. Jean-François Martins. Une grande entreprise américaine du numérique annonçait ce matin que les voitures électriques sans conducteur seraient disponibles en Europe d’ici à 2020. C’est un élément à prendre en compte pour penser l’ensemble de la mobilité en 2025.
Mais ma question est tout autre : avez-vous plus d’informations que nous sur des villes préparant des dispositifs de préfiguration de candidature à l’exposition universelle ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il n’y a rien d’officiel à ce stade. Le maire de Londres a clairement indiqué, il y a trois semaines, qu’il envisageait d’ores et déjà des sites pour préparer la candidature de sa ville. De manière plus informelle, on sait qu’il existe des projets aux Pays-Bas, en Chine, aux États-Unis.
Dans la lutte mondiale pour le soft power, il est intéressant de voir à quel point ces événements sont devenus des outils de stimulation de la croissance et d’engagement citoyen. Embarquer tous les Français, entreprises et monde politique compris, dans une compétition qui trace une perspective, est en soi créateur de valeur.
M. Jean-Louis Missika. Il conviendra d’insister sur l’importance grandissante de la notion d’événement par rapport à la notion de lieu. Si vous me pardonnez cette formulation un peu pédante, ce qui caractérise les grandes métropoles contemporaines est que l’on est en train de passer de l’espace au temps. Ce qui compte le plus dans la définition de l’espace public est l’événement qui s’y produit. Nous avons ainsi repensé les voies sur berges ou la place de la République pour qu’ils soient des lieux d’accueil d’événements éphémères. Au sein du secrétariat général de la ville de Paris, nous avons créé une structure entièrement dédiée à cette nouvelle façon de penser l’espace public. C’est de cette façon que nous devrions nous employer à organiser les espaces si nous sommes choisis.
Cela nous renvoie à la question des gestes architecturaux qui demeureront après l’exposition. Nous pouvons aussi considérer que, dans le monde du futur, les événements restent : il suffit de les filmer. Que l’on pense aux notions de happening, d’installation, de street art. Ce qui se vend dans les galeries, ce sont des films qui montrent le street art en situation. Peut-être l’aspect le plus innovant de cette candidature consistera-t-il dans la succession d’événements localisés et qualifiés pendant les six mois que durera l’exposition universelle.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Les exposants étrangers potentiels, avec lesquels nous avons déjà eu des échanges informels, trouvent intéressant que le budget traditionnellement consacré à l’architecture soit consacré à l’animation au sein de notre patrimoine. Un pays étranger qui revisite pendant six mois notre patrimoine en l’animant provoquera une double curiosité : du fait de l’animation, de la trace, du regard porté, la visite du monument existant deviendra un événement absolument unique. Le public, j’en suis convaincu, vient pour vivre des expériences. C’est d’ailleurs le leitmotiv des jeunes que nous avons auditionnés : il ne s’agit pas de visiter ou de regarder quelque chose, mais de partager une expérience.
J’espère, messieurs, que nous partagerons celle-ci dans quelque temps !
Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers
(Séance du jeudi 5 juin 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur Hummel, avant de devenir président du directoire du Futuroscope de Poitiers en novembre 2002, vous avez été directeur général des services de la région Poitou-Charentes de 1994 à 1998, puis, de janvier 1999 à juin 2002, administrateur de PGA Motors, première entreprise européenne de distribution automobile qui compte 4 000 salariés.
Notre mission d’information travaille sur une candidature de la France à l’exposition universelle de 2025. Je rappelle que le dépôt du dossier auprès du Bureau international des expositions (BIE) aura lieu en 2016, et que le vote des 170 pays membres se déroulera en 2018.
Le principe des expositions universelles rejoint celui qui a présidé à la création du Futuroscope, lieu consacré à l’innovation et à la recherche, mais aussi aux loisirs et au tourisme. Il nous a donc paru judicieux de vous recevoir pour nous aider à répondre à la question que nous nous posons depuis le début de nos travaux : le Grand Paris et les grandes métropoles françaises peuvent-ils accueillir une exposition universelle ?
Entre 1855 et 1900, la France a vécu la grande saga des expos en misant sur l’innovation et la vulgarisation. La Galerie des machines, le Grand Palais ou la tour Eiffel ont permis de présenter de façon ludique les avancées technologiques afin que le grand public s’approprie le progrès. Demain, serons-nous en mesure, tout en promouvant l’innovation, nos entreprises petites et grandes, et nos start-up, de répondre aux défis de la modernité et d’accueillir le monde – je parle de 50 à 80 millions de visiteurs ?
Votre analyse du succès du Futuroscope nous intéresse particulièrement, ainsi que votre regard critique sur la perspective de candidature de la France pour l’organisation d’un événement auquel pourrait participer le parc que vous dirigez.
M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers. Prononcer les mots magiques « exposition universelle » renvoie à un imaginaire collectif puissant. Quelques idées émergent d’une histoire qui se raconte depuis la première exposition universelle de 1851. J’en évoquerai trois dont la pertinence mérite d’être interrogée aujourd’hui.
L’événement est tout d’abord inédit par sa puissance populaire. Nous connaissons peu d’exemple de manifestation qui réunisse des dizaines de millions de personnes tout en constituant un exceptionnel rendez-vous des nations. Même les jeux Olympiques, seul événement à pouvoir soutenir la comparaison, rassemblent moins de monde sur une période beaucoup plus brève. En 2012, 7 millions de spectateurs ont ainsi participé aux JO d’été de Londres durant deux semaines.
Ensuite, les termes « exposition universelle » renvoient plus ou moins confusément dans l’opinion, sinon au progrès, du moins à la modernité. Nous constatons cependant que ce dernier mot, qui pouvait autrefois qualifier le contenu même des expos, a progressivement eu tendance à s’appliquer davantage à leur forme, à l’architecture des pavillons et à l’environnement de l’exposition. La prouesse s’est déplacée, comme s’il était désormais plus difficile de présenter l’expérience de la modernité.
Enfin, les expositions universelles fondent leur succès sur le principe des trois unités – de temps, de lieu et d’action –, rassemblant une population considérable dans un espace très réduit pour une durée relativement limitée.
La puissance populaire, la modernité, et la forte concentration dans le temps et dans l’espace constituent en quelque sorte l’ADN des expositions universelles. Ces trois éléments sont constitutifs des deux rendez-vous « mythiques » et des immenses succès que furent Paris en 1900 et Shanghai en 2010, chacun ouvrant et préfigurant son siècle.
En me plaçant du point de vue du visiteur, je m’interroge toutefois : ce modèle peut-il encore fonctionner en 2025 ? S’il en est besoin, comment le revisiter ? Pour répondre à ces questions, j’ai choisi trois problématiques en « F », pour jouer avec l’initiale du mot Futuroscope : celle des flux, parce que, en termes de concentration humaine, la notion du « supportable » a considérablement évolué ; celle de la forme, parce qu’il faut se demander si les partis pris architecturaux qui ont marqué les dernières expos ont vraiment un avenir ; et celle du fond, parce qu’il convient d’interroger la promesse d’un tel événement – que viennent réellement chercher 70 millions d’individus à Shanghai ? quel contenu peut les satisfaire ?
Si nous devions accueillir 40 à 60 millions de visiteurs en France pour une exposition universelle, nous aurions affaire à un défi colossal en termes de flux. Pour nous, ce serait du jamais vu. Je rappelle que le premier parc de loisirs européen, Disneyland Paris, attire 15 à 16 millions de personnes par an, et que Notre Dame de Paris, le monument public le plus visité de France, reçoit annuellement 13 millions de visiteurs. Néanmoins, une fréquentation de l’ordre de 50 millions de personnes n’est pas hors de portée, sachant que Paris accueille environ 30 millions de touristes par an. Derrière ces chiffres qui font peur se lit surtout l’enjeu essentiel de la concentration d’une telle population dans un espace réduit. Pour ma part, je pense que, en 2025, il ne sera pas possible de concentrer un si grand nombre de personnes sur 300 ou 400 hectares.
Lors de ma première visite à l’Expo de Shanghai à titre privé, je n’ai pu entrer que dans un seul pavillon après onze heures d’attente. L’armée chinoise gérait les flux de visiteurs et assurait la sécurité du site auquel étaient affectés 50 000 à 100 000 militaires. J’ai assisté à des débordements et à des agressions inévitables dans ce type de situation. Ce modèle me paraît d’ores et déjà dépassé ; il sera en tout état de cause impossible de le reproduire en 2025. Ce qui était envisageable à Paris en 1900, et même en Chine il y a quelques années, ne le sera plus dans dix ans dans notre pays. Les attentes et le niveau d’exigence des visiteurs évoluent ainsi que ce qui leur paraît acceptable. Comment expliquer au client qui aura payé quarante euros pour entrer à l’exposition universelle de Milan en 2015, que, comme les visiteurs de Shanghai, il ne visitera que deux ou trois pavillons ? Il faudra pouvoir justifier un tel prix. Car provoquer un haut niveau d’insatisfaction, c’est courir le risque de provoquer un bouche à oreille négatif.
En matière de flux, malgré le caractère exceptionnel des expositions universelles, nous disposons d’une référence utile : l’aéroport. Celui d’Atlanta voit ainsi passer 100 millions de personnes par an. Il enregistre des pics de fréquentation de 700 000 à 800 000 personnes par jour, ce qui équivaut presque au record de l’Expo de Shanghai qui a accueilli 1 million de visiteurs durant la seule journée du 16 octobre 2012. Une exposition universelle qui recevrait au total 40 millions de personnes accueillerait en moyenne 400 000 visiteurs par jour. Pour gérer de tels flux, il faut, soit, comme les aéroports, s’installer sur des centaines ou des milliers d’hectares, soit opter pour un éclatement géographique. À moins que nous ne sachions résoudre les problèmes d’espace et d’urbanisme que poserait la première solution, nous sommes en quelque sorte condamnés à une déconcentration qui a fait ses preuves lors des JO de Londres organisés sur trente et un sites. Relever le défi économique que constitue une exposition universelle exige de satisfaire ceux qui en seront les clients, et cela passe d’abord par des questions d’intendance.
Pour conclure sur la question des flux, il faut se souvenir que, malgré leur nom, les expositions universelles et internationales sont d’abord des événements nationaux. Les visiteurs étrangers ont représenté moins de 5 % du public de l’Expo de Shanghai, moins de 4 % des 22 millions d’entrées de l’exposition internationale d’Aichi au Japon en 2005, et 3 % de celle de Yeosu en Corée du Sud en 2012. Même en Europe, dans une configuration différente, ce ratio n’était que de 12 % pour l’exposition universelle de Hanovre en 2000, et de 20 % pour celle de Séville en 1992. Il faut donc tenir compte du fait que 50 à 70 % des visiteurs d’une exposition universelle qui se tiendrait à Paris en 2025 seraient français. Par ailleurs, 5 à 20 % de la population d’une nation visite l’exposition universelle ou internationale qui se déroule sur son territoire : 5 % de la population chinoise s’est rendue à Shanghai, 15 % de la population japonaise à Aichi, 20 % de la population allemande à Hanovre, et 25 % des Espagnols ont visité l’exposition universelle de Séville.
Puisque nous parlons chiffres, permettez-moi de vous proposer une évaluation du nombre de visiteurs potentiels d’une exposition universelle en France. Si 25 à 30 % des Français sont susceptibles d’être intéressés, elle pourrait recevoir 15 à 20 millions de nationaux pour une ou plusieurs visites, auxquels il faut ajouter les touristes. Paris en accueille d’ores et déjà 30 millions par an. Si l’on accepte l’hypothèse, fondée sur les exemples passés, que l’événement provoquerait une augmentation de 20 % à 30 % de ce flux, et qu’environ la moitié se rendrait à l’exposition, nous pourrions en compter environ 20 millions comme visiteurs potentiels de l’exposition universelle. Personne ne peut s’engager sur un chiffre, mais il est en conséquence possible que ce rendez-vous rassemble 40 à 50 millions de visiteurs.
Comment résoudre le problème d’hébergement posé par un tel afflux ? La capacité hôtelière de la France est aujourd’hui d’environ 600 000 chambres, dont 150 000 en Île-de-France. Avec Londres, Paris est la première ville hôtelière d’Europe, bénéficiant des taux d’occupation de l’ordre de 80 %. En l’état, elle ne peut donc absorber la croissance qui résulterait de l’organisation de l’exposition universelle.
L’analyse des enjeux en termes de flux nous montre donc qu’il faudra résoudre le problème d’une concentration massive de visiteurs sur un espace réduit. Elle indique que l’événement devra nécessairement plaire aux Français qui constituent, et de loin, son premier public, et que, parce que pendant six mois, la France, l’Île-de-France et Paris vont se transformer en énorme resort, le problème de l’hébergement et celui des transports doivent être posés bien en amont.
Sans même évoquer les problèmes de sécurité ou d’environnement, il me semble impossible de se passer d’une réflexion sur les limites d’une concentration excessive de population. Il faudra sans doute conserver un cœur de l’événement qui conjuguera fête et rassemblement, et qui ne pourra être trop éloigné de la capitale, car les visiteurs viendront aussi pour Paris, mais cela ne devra pas empêcher une déconcentration vers d’autres lieux, dans d’autres espaces géographiques où il sera possible de développer d’autres contenus. Pour ma part, malgré la nostalgie de l’unité de lieu, je ne vois pas comment un responsable public et politique pourrait raisonner autrement.
Après le flux, venons-en à la forme. Les expositions universelles du passé ont su mettre en scène les mutations de l’industrie en présentant de nouvelles machines au public. Depuis le basculement dans une société du tertiaire, fondée sur la relation plus que sur la production, l’expérience de l’innovation est beaucoup plus difficile à transformer en contenu. Les expositions universelles ont désormais du mal à raconter une histoire comme en témoigne la place majeure progressivement prise par l’architecture et par la forme au détriment du contenu et du traitement d’un thème.
Depuis quinze ans, la principale prouesse des expositions universelles n’est plus à l’intérieur des pavillons, mais à l’extérieur ; elle ne réside plus dans le contenu de ce qui y est présenté, mais dans la présentation elle-même. À Shanghai, la beauté du pavillon français, œuvre de l’architecte Jacques Ferrier, a permis d’attirer un flux considérable de visiteurs nous nous vantons même d’en avoir reçu le plus grand nombre, mais c’était, d’une certaine manière, au détriment du contenu. Quant au pavillon de la Grande-Bretagne, il est sans doute parvenu au terme de cette évolution puisqu’il ne contenait rien, et que seul importait le geste architectural. Sorte d’immense oursin dont les piquants, constitués de 60 000 tuyaux de sept mètres de long, renfermaient chacun l’une des graines de la végétation de notre planète, il a été primé comme le plus beau bâtiment de l’exposition. Le fait que la modernité s’incarne aujourd’hui uniquement dans un signal architectural, aussi magnifique et chargé de sens qu’il puisse être, me semble poser un certain nombre de questions. De façon un peu semblable, dans le domaine artistique, on observe un « syndrome Guggenheim », du nom du musée de Bilbao davantage reconnu pour son apparence extérieure que pour son contenu.
Cette dérive pose aussi le problème de la pérennité des pavillons. La plupart des bâtiments construits pour les expositions ont un usage unique et sont éphémères. Aujourd’hui, douze ans après l’événement, le site de l’exposition universelle de Séville inspire un sentiment de désolation. Après trois faillites, Isla Mágica, l’un des anciens bâtiments de l’Expo transformés en parc d’attractions, vient d’être repris par un opérateur français pour l’euro symbolique. Afin d’éviter que les sites des expositions universelles ne finissent par devenir des poubelles – le mot peut paraître abusif, mais je parle d’expérience –, la question de l’avenir des bâtiments devrait faire l’objet d’une réflexion en amont, dès leur conception, comme ce fut le cas pour l’exposition internationale de Lisbonne en 1998, dont les pavillons abritent aujourd’hui un casino, la plus belle salle de spectacle de la ville, un musée d’art et de science, et le plus grand aquarium public d’Europe. Parce que le projet avait été pensé en amont et qu’il s’inscrivait dans le développement urbain de la capitale portugaise, le site accueille aujourd’hui 15 millions de touristes par an. En 2025, nous aurons tout intérêt à nous inscrire d’emblée dans les schémas de développement de Paris et du Grand Paris. Une autre pratique consisterait, comme cela s’est fait à Aichi ou à Yeosu, à construire des bâtiments biodégradables à faible coût qui pourraient disparaître après l’événement.
La tendance au « tout architectural » conduit par ailleurs à un double dévoiement économique. D’une part, les budgets de plus en plus faramineux consacrés au contenant manquent pour financer des contenus qui s’appauvrissent. D’autre part, cette évolution accentue les inégalités en rendant particulièrement visibles les différences de puissance financière des pays invités. La prouesse architecturale exige des moyens considérables, et la compétition en la matière ne permet pas à toutes les nations de faire jeu égal – le pavillon du continent africain dans les récentes expositions en témoigne. Lors d’un rassemblement supposé célébrer l’humanité dans son égalité, il est choquant que la taille des pavillons et les fonds consacrés à leur construction reproduisent les inégalités entre nations. Certaines expositions internationales, comme celles de Lisbonne, d’Aichi ou de Yeosu, ont eu le bon sens d’allouer des hangars identiques et non permanents aux États. Ils ont pu ainsi réduire leur investissement immobilier et consacrer un budget plus élevé aux contenus.
Puisqu’il est question de la forme, il ne faut pas oublier, à l’heure d’internet et du numérique, la dimension « hors les murs » d’un événement qui se tiendrait en 2025. Si l’Expo de Shanghai a accueilli, en 2010, 70 millions de visiteurs physiques, elle a attiré 800 millions de visiteurs virtuels sur son site internet traduit dans une multitude de langues. Je n’évoque même pas les chaînes de télévision du monde entier, pour lesquelles ce rendez-vous constitue une occasion unique de produire des contenus au-delà des cérémonies d’ouverture et de clôture.
Évidemment, l’exposition universelle de 2025, éclatée sur plusieurs sites, pourrait compter sur le Futuroscope.
J’ajoute que le pavillon français constituera nécessairement un enjeu particulier si l’on fait l’hypothèse que 20 ou 25 millions de nos ressortissants nationaux voudront le visiter – même à Shanghai, le pavillon français n’a pas accueilli plus de 10 millions de visiteurs. Il serait peut-être judicieux de se demander si la construction d’un pavillon de la francophonie n’aurait pas pleinement son sens en 2025. Je rappelle que la population francophone dans le monde passera d’ici à cette échéance de 220 à 500 millions de personnes. Lors des dernières expositions, la France a choisi diverses solutions pour son pavillon. À Shanghai, elle a cherché à attirer le public au détriment du contenu : même si la carte de visite touristique était réussie, quel rapport entre les belles œuvres du musée d’Orsay présentées et la thématique de l’innovation ? Qu’est-ce que cela disait de notre pays face à l’avenir ? Précédemment, en particulier à Aichi, notre pays avait voulu faire passer un message d’alerte concernant l’environnement. Il a été plutôt mal reçu. Au-delà des architectures qui ont toujours été remarquables, nous avons encore manifestement à inventer un contenu qui reflète l’histoire que la France désire aujourd’hui et demain raconter au monde.
J’en viens au fond. Depuis vingt ans, il me semble que le thème des expositions universelles ou internationales n’est qu’un prétexte qui n’est quasiment jamais traité. À vrai dire, les expositions ne sont pas des expositions ; ce sont avant tout des shows, des lieux d’entertainment. Les participants optent généralement pour l’une des trois postures suivantes : celle du geste esthétique que j’ai déjà évoqué avec le pavillon britannique de Shanghai, celle du marketing national et touristique, comme ce fut le cas de la France à Shanghai, et plus rarement celle du respect du thème de l’exposition. À Shanghai, peu d’États ont fait ce dernier choix, qui fut plutôt celui d’entreprises chinoises et de collectivités locales chinoises ou étrangères. Les pavillons de l’Île-de-France, de Rhône-Alpes, de l’Alsace, de Shanghai ou du Conseil chinois pour la promotion du commerce international étaient plus riches en contenu que la plupart des pavillons nationaux. L’Allemagne est un cas à part, car, de Hanovre à Yeosu, son pavillon a toujours su marier le fond et la forme : il permet de gérer les flux considérables qu’il attire toujours – 8 millions de visiteurs à Shanghai –, mais il ose aussi présenter du contenu correspondant au thème à traiter.
Certes, l’« effet waouh » de l’architecture des pavillons a son importance, mais une exposition universelle qui affichera des prix d’entrée supérieurs à 50 euros ne pourra pas se contenter de cette promesse. Le public se déplacera d’abord parce qu’on lui racontera une histoire, parce que l’on mettra en scène certains sujets. À ce titre, l’expérience des expositions internationales est intéressante, car ces dernières ont été plus rigoureuses que les expositions universelles dans le respect de leurs cahiers des charges.
Je vous propose trois pistes de réflexions pour conclure. Elles se fondent sur l’idée que, si nous voulons réussir à organiser l’exposition universelle de 2025 en France, il nous faudra faire la différence. « What difference will we make », était-il inscrit au fronton du pavillon américain de Shanghai 2010 ; la question vaut aussi pour nous.
Tous ceux qui travaillent pour des structures accueillant le public réfléchissent aujourd’hui à la tendance de nos sociétés que certains analystes appellent « crowd », la foule collaborative et participative. Vous connaissez ce phénomène grâce au crowd funding au crowd sourcing, au mouvement des greeters, qui permet de découvrir un lieu touristique grâce à ses habitants, ou encore au covoiturage. En devenant une énorme plateforme collaborative, l’exposition universelle de 2025, à la différence de toutes celles qui l’ont précédée, aurait l’occasion d’inventer et de laisser une trace dans ce domaine. Pour y parvenir, il ne faut pas seulement penser en termes d’interactivité – elle est déjà bien difficile à mettre en œuvre entre dix ou à vingt interlocuteurs –, mais développer l’idée que les individus deviendraient producteurs de l’événement. Cette démarche passerait inévitablement par l’usage de la technologie, mais également par une forme d’implication des visiteurs en amont de la visite. Plutôt que de constituer une masse de taille inhumaine, ils deviendraient alors une véritable ressource de ce rendez-vous de l’humanité. Les hommes ne seraient plus une contrainte, mais un élément même de la rencontre.
Autre idée essentielle : le client doit être placé au centre du cahier des charges, contrairement à ce qui s’est fait lors des précédentes expositions. L’intendance doit être prise au sérieux, car la satisfaction de ceux qui paient leurs billets en dépend. L’analyse de la satisfaction des visiteurs des parcs d’attractions révèle qu’elle se décompose en trois parts d’importances égales qui dépendent du contenu du site, de sa « convenience », c’est-à-dire de la qualité du service, du fonctionnement du site, de sa propreté, de sa sécurité, et, dernier facteur, de l’atmosphère, de l’ambiance générale du lieu. Contenu, prestations de services et création d’atmosphère doivent donc d’emblée être pris en compte dans la conception des flux, des services, et des cahiers de charges de tous les opérateurs.
Le thème choisi deviendrait d’autant plus essentiel que le « ticket d’entrée » immobilier sera réduit et permettra aux exposants d’investir davantage dans l’expérience de visite et dans le contenu. Il est possible de renouer avec la promesse historique des expositions universelles et avec le sens qu’elles ont pris dans l’histoire du monde. Elles racontent en effet que vivre ensemble sur la même planète, ce n’est pas seulement affronter les mêmes catastrophes, c’est aussi partager les mêmes rêves. Le thème retenu ne devra donc pas nécessairement être technologique, il se fondera plutôt sur l’idée d’un nouvel optimisme, afin que chaque pays puisse montrer à sa manière ce qu’il peut apporter et ce que le temps peut promettre.
En définitive, le grand rendez-vous auquel vous réfléchissez devrait à mon sens prendre le meilleur de la gestion de flux d’un grand aéroport et d’une logique spatiale éclatée telle que celle retenue pour l’organisation des JO de Londres, tout en s’inspirant des expositions internationales qui ont conservé un certain esprit du passé.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Inspirée de votre expérience, votre intervention enrichit notre réflexion et la confirme sur plusieurs points. Votre propos montre combien il est désormais difficile de concentrer une exposition universelle en un seul lieu. Les expositions de Milan et de Dubaï nous mèneront aux limites d’un modèle certainement obsolète. En 2025, le polycentrisme constituera un enjeu réel pour une exposition qui devra être articulée entre le Grand Paris et les métropoles du territoire.
Vous avez aussi insisté sur l’économie du partage qui doit être au cœur de l’événement. Je note que tous les étudiants que nous avons consultés considèrent également qu’une exposition universelle n’a de sens que si le monde vit une expérience en commun, ce que vous appelez « une rencontre ».
Votre analyse du point de vue du visiteur est également particulièrement intéressante. Il est essentiel d’imaginer sa motivation et de réfléchir au plus tôt à l’accueil qui lui sera fait en impliquant toute la population.
Après avoir travaillé sur le projet de candidature de la France à l’exposition universelle de 2025, 400 étudiants issus de sept grandes écoles et universités ont privilégié le thème de l’hospitalité retenu par la Sorbonne. Ils ont choisi de mettre en avant une valeur, plutôt que la technologie qui, selon eux, ne constitue qu’un moyen et non une fin. Ils rejoignent ainsi vos propos sur l’importance et le plaisir de la rencontre, et sur le partage.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Merci de nous avoir fait partager votre expérience et de vous être projeté en 2025 pour réfléchir à ce que serait une exposition universelle à Paris.
Quelles réflexions vous inspire le projet du groupe Auchan, qui souhaite construire au nord de Paris, à l’horizon 2020, un pôle multidimensionnel, Europa City, dédié à la consommation, aux loisirs et à la culture, et destiné à accueillir sur un seul lieu des millions de visiteurs ? L’analyse des publics visés, de leur comportement et de leurs motivations n’est pas sans lien avec nos préoccupations. Comment voyez-vous l’évolution d’un tel projet et celle du Futuroscope ?
M. Dominique Hummel. La France est championne du monde des hypermarchés, mais les développeurs ont compris que ce modèle s’essoufflait. S’inspirant d’expériences nord-américaines, ils cherchent à offrir une nouvelle vie aux très grandes surfaces commerciales en introduisant en Europe le fun shopping – le groupe immobilier Unibail-Rodamco est souvent au cœur de ces projets, et l’on parle par exemple de la construction d’une sorte de Las Vegas en Espagne. En la matière, le West Edmonton Mall dans l’Alberta canadien constitue la référence mondiale. Ce centre commercial géant comptant 2 millions de mètres carrés de commerces a cherché à doper sa fréquentation pour qu’elle se hisse au niveau de celle des parcs de loisirs en installant des attractions au milieu des boutiques : un aquarium, des mini-golfs, un roller-coaster… Le West Edmonton Mall est aujourd’hui en faillite, et, dans le monde, aucun projet de ce type n’a donné de résultat vraiment concluant.
Ce modèle peut toutefois avoir du sens pour le groupe Auchan. Son principal ressort reste la volonté d’élargir une offre commerciale, ce qui ne correspond pas vraiment à nos préoccupations actuelles. À une époque où le Futuroscope était en moins bonne santé qu’aujourd’hui, il y a dix ans, nous avions réfléchi à une solution mariant le ludique et le commercial ; nous ne l’avons pas mise en œuvre.
Quel est avenir des parcs de loisirs ? Dans presque tous les pays européens, un gros parc domine le marché en accueillant trois à dix fois plus de visiteurs que ses concurrents. Il donne évidemment le tempo en termes d’évolutions. Je pense à Disneyland Paris pour la France, premier parc européen avec 15 millions de visiteurs par an, mais aussi à Europa-Park en Allemagne, qui en accueille 5 millions, à PortAventura dans le nord de l’Espagne avec 4,5 millions de visiteurs, ou encore à Gardaland en Italie et à Efteling en Hollande. La tendance actuelle est à l’allongement du séjour – l’éclatement des périodes de vacances n’y est pas pour rien. Elle se traduit souvent par l’ouverture d’un second parc à côté du premier
– depuis 2002, Disneyland Paris comprend ainsi un nouveau parc à thèmes : Walt Disney Studios –, et, surtout, par une offre renforcée d’hébergements à thème. Ce modèle se répand à tel point que le zoo de Beauval, qui reçoit plus de 1 million de visiteurs par an, propose 500 chambres sur le thème de l’univers animalier, ou que le Puy du Fou ouvre des hôtels historiques. Le parc de loisirs qui se visitait autrefois en une journée est devenu un resort proposant une expérience de court séjour globale thématisée qui se vit aussi bien le jour que le soir et la nuit.
Vous constatez que nous ne sommes pas loin des problématiques qui sont les vôtres. Une exposition universelle demande en effet de raisonner en utilisant un angle d’approche très large. Il est impossible de se contenter de penser uniquement le visiteur entre son entrée et sa sortie du site ; il faut aussi prendre en compte sa soirée et sa nuit. Car la rencontre aura aussi lieu le soir, hors de l’Expo elle-même. Il faut donc l’organiser, et prévoir des lieux de rassemblement. Quant à l’hébergement et au transport, ils font partie intégrante de l’expérience globale du visiteur, et ils doivent être réfléchis comme tels. Finalement, du repas au coucher, en passant par l’esprit général de l’événement, tout devient expérience. La tendance est à l’entertainment du monde, à la mise en spectacle de nos existences, et cela ne concerne évidemment pas que les parcs de loisirs.
Cette logique de « thématisation » devenue prédominante interroge ceux qui feraient une proposition d’une autre nature. Il y a bien une sorte de formatage par les parcs leaders qui fabriquent l’envie du public de vivre une expérience totale durant deux jours. D’une certaine manière, il s’imposera à ceux qui organiseront une exposition universelle en 2025. Car il ne faut pas oublier que, à la différence de l’expérience de Paris en 1900 ou de Shanghai en 2010, expositions qui, d’une certaine manière, accueillaient des publics captifs venus visiter le monde, les Français ne se rendront pas à l’Expo de 2025 pour voir le monde qu’ils auront certainement déjà découvert par ailleurs. Dans un contexte de compétition et de concurrence, la question de la promesse de l’événement aura en conséquence une importance majeure.
Mme Catherine Quéré. Monsieur Hummel, je vous félicite, car, à votre insu, vous avez brillamment fait la synthèse de nos auditions précédentes et de nos travaux jusqu’à ce jour.
J’en viens donc à des questions directes. Pouvons-nous organiser une exposition universelle en 2025, et devons-nous le faire ? En aurons-nous les moyens, et pouvons-nous réussir ?
Un tout petit reproche : en tant que membre de la section française de l’Assemblée parlementaire de la francophonie, je me permets de vous indiquer que, lors de nos réunions, nous parvenons à ne pas dire un mot d’anglais. Il me semble que vous en utilisez un peu trop. (Sourires.)
M. Dominique Hummel. J’aurais dû traduire le mot « crowd », je le reconnais.
Je me suis plus exprimé sur la faisabilité du rendez-vous que sur son opportunité. Les impasses que j’ai pu énumérer en termes de faisabilité empêchent d’autant moins de relever le défi que nous disposons de onze années pour nous y préparer. Tout dépend, en fait, du « cahier des charges » que la France voudra assumer et que le BIE et l’ensemble des acteurs voudront accepter. Il faut prendre en compte non seulement l’opinion de ceux qui achèteront leur ticket, mais aussi celle de tous ceux qui paient, par l’intermédiaire de la dépense publique, sans se rendre sur place. De façon générale, j’ai constaté que le niveau de l’acceptable avait tendance à reculer : quand le public acceptait hier d’attendre une heure pour accéder à une attraction majeure, il refuse aujourd’hui de patienter plus d’une demi-heure. En la matière, j’ai été estomaqué par la capacité de résignation des Chinois à Shanghai ; je crains que les Français de 2025 ne soient pas aussi patients. À la question de la faisabilité de ce rendez-vous, je réponds donc « oui », à condition de réviser un certain nombre de modèles.
À la question de l’opportunité, je réponds que je suis très enthousiaste, car, dès que l’on dépasse les contingences de l’organisation de l’événement et que l’on s’interroge sur son sens, il devient évident que ce rendez-vous ne peut être que très positif pour tous les Français, qu’ils visitent ou non l’exposition. Cela est d’autant plus vrai que nos concitoyens semblent vivre une forme de déprime collective.
Un travail considérable reste évidemment à accomplir, et il faut nous montrer imaginatifs. À ce stade, il est nécessaire de prendre en compte la position du BIE. J’ai constaté à Shanghai que de nombreux représentants de pays membres du BIE souffraient de la faiblesse des moyens dont ils disposaient, et vivaient comme une insulte l’étalage de richesses considérables à quelques mètres de leur pavillon. Nous pouvons sans doute nous faire beaucoup d’alliés dans la perspective du vote qui présidera au choix du pays organisateur en proposant un « ticket d’entrée » financier abordable qui rendrait l’événement plus démocratique. Dans les cahiers des charges, la France pourrait aussi se démarquer en étant très présente dans l’accompagnement des divers acteurs en matière de contenus.
Je conclus cette réponse en rappelant que notre pays dispose de certaines des meilleures entreprises du monde pour l’organisation de shows pédagogiques. Je pense à Yves Pépin, le concepteur l’éclairage de la tour Eiffel pour l’an 2000, qui a participé à l’inauguration des JO de Pékin en 2008, à l’équipe de Skertzò qui illumine tous les ans la Fête des lumières de Lyon, ou encore aux Petits Français qui ont obtenu un prix international pour leur spectacle célébrant le centième anniversaire de la révolution mexicaine de 1910. La France, grâce à ses écoles, est riche d’artistes techniciens ; il existe une véritable french touch de l’événementiel grand public qu’une exposition universelle permettrait de valoriser. Il est vrai que j’aurais sans doute pu parler de « touche française ». (Sourires.)
M. Yves Albarello. Entre le rendez-vous de Paris en 1900, avec 50 millions de visiteurs, et celui de Shanghai en 2010, qui a rassemblé 70 millions de personnes, alors que plus de cent ans se sont écoulés et que des révolutions technologiques se sont produites, en particulier dans le domaine de la communication, il me semble que l’écart de fréquentation est faible, surtout si l’on considère la taille respective des pays concernés. Qu’en pensez-vous ?
Vous avez estimé qu’une exposition universelle à Paris en 2025 pourrait recevoir 35 à 40 millions de visiteurs. Pour ma part, je ne suis pas persuadé de la pertinence de ces chiffres, car je crois que la France fait encore rêver et qu’elle peut attirer des flux nouveaux.
Le Figaro annonçait hier matin que le train express devant relier Paris à l’aéroport Charles-de-Gaulle de Roissy était « sur les rails ». Il est grand temps que notre capitale soit directement accessible par le train depuis un aéroport qui accueille 62 millions de passagers par an. Les responsables politiques doivent prendre une décision ferme sur ce sujet, car vous conviendrez sans doute que la gestion de flux aura toute sa place dans le dossier de candidature qui sera soumis au BIE.
M. Dominique Hummel. La fluidité du dispositif et la facilité d’accès aux différents sites seront effectivement évaluées. On rêverait d’une mise en scène des moments de transport qui ne seraient plus « subis », mais feraient partie de l’expérience totale que devra constituer l’exposition.
Un plan d’ensemble reste à construire qui s’articule d’emblée à partir d’une logique polycentrique de gestion des flux. Le travail entrepris devra évidemment croiser les besoins liés à l’événement avec les grands projets d’équipement déjà envisagés par les métropoles de province et par le Grand Paris pour leur développement – les futures grandes régions voudront sans doute elles aussi jouer leur rôle.
Monsieur Albarello, j’avoue être incapable de vous dire si une exposition universelle pourrait enregistrer 40, 50 ou 60 millions de visites. Les volumes s’apprécient selon diverses définitions. Techniquement, il convient ainsi de bien distinguer entre visites, visiteurs et touristes. À l’exposition universelle de Séville, on a par exemple décompté 42 millions de visites et 28 millions de visiteurs, car de très nombreux habitants de l’Andalousie ont visité l’exposition à deux ou trois reprises. Selon la définition internationale, les touristes sont ceux qui passent une nuit sur place, ce qui exclura en l’espèce les habitants du Grand Paris. Si l’on veut mettre en avant les questions d’hébergement et de développement économique, il faut sans doute parler d’abord des touristes, qu’ils soient Français ou étrangers. La réflexion mérite d’être segmentée, quitte à additionner les chiffres par la suite. Parce qu’elle bénéficie d’une concentration de touristes exceptionnelle, Paris peut à coup sûr enregistrer des scores de visites à la journée bien supérieurs à ceux de Hanovre ou de Séville. Il faudra cependant gérer les flux, et avoir conscience que les limites des capacités d’hébergement entraîneront un contingentement du nombre de touristes.
Je ne sais pas comment les comptes ont été faits en 1900, mais, personnellement, je n’y crois pas. Je ne vois pas comment, dans un pays de 42 millions d’habitants, une exposition universelle a pu enregistrer 51 millions de visites. Ces proportions qui dépassent l’entendement n’ont d’ailleurs jamais été égalées. Songez que la Chine a annoncé 70 millions de visites de l’Expo de Shanghai alors que sa population atteint 1,2 milliard d’habitants ! L’exposition d’Aichi a accueilli 22 millions de visiteurs alors que le Japon compte 120 millions d’habitants. Notons que ces deux expositions restent les seules dont la fréquentation a dépassé les prévisions. Pour que Paris ait reçu 50 millions de visiteurs en 1900, il aurait fallu que l’Expo enregistre régulièrement des pics de fréquentation de 700 000 à 800 000 personnes par jour !
S’il faut bien se fixer un objectif, car celui qui n’en a pas ne risque pas de l’atteindre, il ne devrait pas à mon sens être d’abord quantitatif, mais plutôt qualitatif. Le reste viendra ensuite.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous vous remercions très vivement pour la richesse et la qualité de vos propos.
Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile
(Séance du jeudi 5 juin 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile, grand événement s’il en est, puisqu’il s’agit du premier salon automobile mondial.
Monsieur Hesse, vous êtes ancien élève de la faculté de droit et des sciences économiques de Paris, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris – Sciences-Po – et titulaire d’un diplôme d’études supérieures de droit public. Vous avez occupé différentes fonctions dans votre carrière. Membre de l’Automobile Club de France et du Racing Club de France, vous êtes devenu directeur général au sein de Touring Secours au Touring Club de France. En 1998, vous avez été appelé à diriger Bernard Krief Promotion.
Commissaire général du comité d’organisation des salons internationaux de l’automobile, du cycle, du motocycle et des sports depuis 1989, vous êtes également président-directeur général de la société Auto moto cycle promotion (AMC Promotion).
Vous assumez par ailleurs des responsabilités au sein du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), dont vous présidez le comité industrie du tourisme. Enfin, vous présidez l’Union française des métiers de l’événement (UNIMEV).
M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile. Il s’agit de l’ancienne Fédération des foires, salons, congrès et événements de France (FSCEF). Mais, comme vous l’avez dit fort justement, notre comité d’organisation des salons continue à s’appeler comité d’organisation des salons internationaux de l’automobile, du cycle, du motocycle et des sports.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Notre mission d’information travaille depuis plusieurs mois sur la pertinence d’une candidature de la France à l’exposition universelle de 2025 ; elle rendra son rapport à l’automne prochain. Ce dernier doit alimenter une réflexion qui conduira – nous l’espérons – à déposer un dossier auprès du Bureau international des expositions (BIE) en 2016, le vote étant prévu en 2018.
Votre regard sur le Grand Paris, la France et les grands événements de ce type nous sera donc précieux, notamment pour ce qui concerne les facultés d’accueil, les transports, les hôtels, tout ce qui contribue à la logistique événementielle. Quel regard les étrangers portent-ils sur la France et sur Paris lorsqu’ils se rendent à un grand événement comme le Mondial de l’automobile, et quelles conclusions en tirer pour l’organisation d’une exposition universelle ?
Quel regard portez-vous d’autre part sur la pertinence de l’organisation d’une exposition universelle en France ? Comme le Mondial de l’automobile, une exposition universelle est à la fois un rendez-vous de professionnels et un rendez-vous du grand public ; c’est la synthèse des deux qui fait le succès de ces grands événements mondiaux.
Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation. Je vous laisse maintenant la parole pour un propos liminaire, à la suite duquel nous vous poserons nos questions.
M. Thierry Hesse. J’interviens à la fois en tant que commissaire général du Mondial de l’automobile et en tant que président – depuis maintenant sept ans – de l’UNIMEV, qui représente l’ensemble de la filière des organisateurs de salons, de foires, de congrès et d’événements, mais aussi les sites d’exposition comme le Palais des congrès ou le Parc des expositions, ainsi que les prestataires, c’est-à-dire tous les partenaires dont nous serons susceptibles d’avoir besoin en 2025 si la candidature de la France est retenue.
L’UNIMEV a été la première fédération à soutenir ce projet et à signer un partenariat avec EXPOFRANCE 2025. Non seulement nous y croyons, car la France mérite de recevoir un événement de cette qualité, mais nous sommes concernés au premier chef. J’ai entendu à plusieurs reprises M. Fromantin parler de ce qui était prévu en termes d’accueil. J’ai cru comprendre que ce serait sensiblement différent de ce qui se fait d’habitude, avec moins de concours d’architectes et plus d’utilisation de nos ressources. En tant que fédération regroupant l’ensemble des sites d’exposition, nous sommes bien sûr intéressés par l’utilisation de ces derniers et par une participation directe à l’événement.
Le Salon de l’auto a été créé en 1898. Je suis à sa tête depuis vingt-cinq ans. C’est le plus ancien salon de l’auto du monde, et le plus grand en termes de fréquentation – il reçoit entre 1,2 et 1,5 million de visiteurs, contre 900 000 pour celui de Tokyo, qui occupe la deuxième place, et 880 000 pour celui de Francfort, qui est le troisième. Ces chiffres ne sont certes rien par rapport à la fréquentation des expositions universelles ; mais, pour un salon de dix-huit jours, dont deux jours réservés aux médias, c’est beaucoup. Je suis toujours étonné d’entendre nos compatriotes se référer à ce qui se passe outre-Atlantique ou outre-Rhin : beaucoup de manifestations organisées dans ces pays auraient à apprendre de celles qui se déroulent en France !
En France, certains salons sont exclusivement professionnels, notamment dans les secteurs informatique, textile ou aéronautique ; d’autres salons ou foires sont uniquement grand public. Le Mondial de l’automobile est un salon mixte, qui accueille à la fois les professionnels du monde entier et le grand public.
Je reviens sur les deux journées réservées à la presse, car la communication est essentielle dans l’organisation de tels événements. Je voyage en permanence dans le monde entier pour organiser des conférences de presse de promotion du Mondial de l’automobile. Je pars demain pour Pékin, puis Tokyo. Il est important de faire savoir, surtout dans les grands pays constructeurs, que le Mondial de l’automobile est le plus grand salon de l’auto du monde, que de nombreux constructeurs y seront présents et qu’y seront présentées beaucoup de nouveautés et de premières mondiales. Nous nous battons d’ailleurs contre d’autres pays
– ce sera sans doute un point commun avec l’exposition universelle – sur le nombre de nouveautés : il s’agit de démontrer que nous sommes les meilleurs. Encore une fois, ne faisons pas preuve d’une modestie excessive par rapport aux États-Unis et à l’Allemagne : nous avons de vrais atouts.
Le Mondial de l’automobile est aujourd’hui reconnu comme le salon leader du secteur. Bien sûr, il est d’abord – autre point commun avec une exposition universelle – la vitrine de l’industrie automobile française. Je me rappelle le premier entretien que j’ai eu avec Jacques Calvet lorsque je suis devenu commissaire général il y a vingt-cinq ans. Vous vous souvenez peut-être qu’il n’était pas très favorable à l’industrie automobile japonaise – il avait même qualifié ses ouvriers de « fourmis ». Je lui avais assuré que le Mondial de l’automobile étant d’abord la vitrine de l’industrie nationale, les constructeurs français seraient toujours prioritaires pour le choix et la taille de leur emplacement, ainsi que pour la promotion ; mais, dès lors que nous nous appelons « Mondial de l’automobile », avais-je ajouté, l’ensemble des constructeurs présents au salon doivent s’y sentir bien et avoir la place de montrer leur production. Le succès du salon en dépend. Plus les constructeurs étrangers seront nombreux, plus ils présenteront de premières mondiales, plus il y aura de médias et de visiteurs, et plus les retombées seront importantes pour les constructeurs français. M. Calvet n’est jamais intervenu – pas plus que ses successeurs, d’ailleurs – dans l’organisation du Mondial. C’est donc moi qui mène ma barque.
Lorsque je suis arrivé, tous les constructeurs exposaient dans le hall 1 du Parc des expositions de la Porte de Versailles ; s’y trouvaient également les équipementiers et les médias. Lors de mon premier salon, un vendeur de journaux – muni d’un porte-voix – s’était installé à l’angle du stand Jaguar. Bien sûr, cela ne pouvait pas aller ! La même année, j’ai constaté pendant le montage qu’une voiture de Formule 1 était exposée à la verticale sur un pilier sur le stand de Honda. Je m’en suis étonné auprès du président de Honda France de l’époque. « Si seulement nous avions assez de mètres carrés ! » a-t-il soupiré. Décidément, il y avait quelque chose à faire…
Aujourd’hui, les constructeurs sont répartis entre quatre halls – les halls 1, 3, 4 et 5. Ils ont donc les surfaces qu’ils demandent. Les Français occupent toujours les surfaces les plus importantes, et sont traditionnellement installés au cœur du hall 1. Mais cet espace nous permet d’avoir des premières mondiales – une centaine cette année, mais je ne vous dirai pas lesquelles. (Sourires.)
La promotion et la communication sont très importantes. Un patron de salon ou d’événement doit impérativement savoir communiquer. Il doit être capable, très en amont de la manifestation, d’expliquer de quoi il s’agit.
N’oublions pas la communication sur internet. Pour votre information, 8 millions de pages sont vues pendant le Mondial de l’automobile. Certains redoutaient – à tort – qu’internet ne tue le salon. Cette crainte n’avait pas lieu d’être : ce que veulent les visiteurs, c’est voir les voitures, se mettre au volant, sentir l’odeur du cuir, toucher, être pris en photo devant les modèles… Vous le savez, les réseaux sociaux fonctionnent très bien ; nous les utilisons à plein. Internet est donc un atout extraordinaire. Il n’y a aucun risque que nous ayons un jour un salon de l’automobile virtuel !
Depuis l’origine, le Mondial de l’automobile est inauguré par le chef de l’État. C’est important pour nous, car c’est une reconnaissance de l’importance du secteur automobile pour notre pays. Avant mon arrivée au commissariat général, le Premier ministre ne venait pas au Mondial de l’automobile. Je confesse avoir profité de la première cohabitation pour l’inviter. La tradition est restée. D’autres ministres – et de nombreux visiteurs officiels – viennent également. Compte tenu de cette importante présence de personnalités françaises et étrangères, il faut être très organisé en amont pour tout ce qui concerne les officiels et les réceptions. C’est essentiel en termes d’image.
Peu de manifestations en France sont inaugurées par le Président de la République : le Mondial de l’automobile les années paires, le Salon du Bourget les années impaires, et le Salon de l’agriculture, que le Président de la République n’inaugure pas toujours, mais auquel il se rend immanquablement.
La difficulté majeure de mon travail – qui concernera sans doute aussi l’exposition universelle – consiste à répartir les espaces et les stands, sachant que tout le monde veut être au même endroit et que les intérêts en jeu sont très importants. Le premier président du comité d’organisation avec lequel j’ai travaillé, M. Bernard Vernier-Palliez, était non seulement ancien président-directeur général de Renault, mais aussi ancien ambassadeur de France à Washington : il m’a appris une certaine forme de diplomatie, qui est une nécessité absolue. Il est certain – et c’est sans doute plus vrai encore pour une exposition universelle – qu’il ne faut pas se tromper dans la répartition des pays ; mais les exposants doivent aussi comprendre que l’objectif de l’organisateur est de réussir la manifestation, et non de pénaliser l’un ou l’autre.
C’est d’autant plus compliqué pour nous que, cette année, nous avons perdu 6 000 mètres carrés dans le hall 1 en raison du projet de la Tour Triangle. Cette perte de mètres carrés est à mes yeux une absurdité, car c’est un obstacle à l’accueil de certaines manifestations. Le hall 1 était en effet le seul hall de 50 000 mètres carrés sous un seul toit dans le monde. Cette année fut donc celle de tous les dangers, car, parmi les exposants qui n’avaient plus de place dans le hall 1, figuraient Mercedes, BMW ou Mini…
Cela m’amène à dire que, en termes d’organisation, il est important d’avoir un règlement connu de tous. Je dirais même que c’est ce qui m’a sauvé. Le règlement du Mondial de l’automobile prévoit un placement à l’ancienneté. Les constructeurs français sont donc placés les premiers – ce sont les plus anciens ; viennent ensuite Fiat, Ford, Mercedes et BMW, qui sont les plus anciens exposants étrangers au salon. Cette année, ils ont donc pris la place d’autres exposants. Les Coréens ont dû se rabattre sur un hall dans lequel ils ne voulaient pas aller. Néanmoins, nous n’avons eu aucune défection – ce qui tient du miracle. J’avais dit à Louis Schweitzer, président du comité d’organisation, qu’il fallait s’attendre à quelques défections ; il n’en rien été. Nous avons même la chance de retrouver Aston Martin et Tesla Motors, absents il y a deux ans ; et nous aurons beaucoup de nouveautés.
Le fond n’en est pas moins important. J’aime beaucoup la valeur qui a été choisie pour parler de 2025 ; les Français sont tellement critiqués sur le thème de l’hospitalité, parfois à raison, mais parfois aussi à tort. En ce qui nous concerne, nous y faisons très attention. Au Mondial de l’automobile, tous les documents à destination des médias sont disponibles en cinq langues – français, anglais, allemand, espagnol et italien. Tous nos hôtes et hôtesses sont au moins bilingues. Nous avons créé un plan de poche, qui est diffusé gratuitement à tous les visiteurs. J’attache aussi une grande importance à la signalisation. C’est peut-être un détail, mais cela fait partie de l’accueil ; je suis donc toujours étonné que certains de mes homologues la négligent. Les jours qui précèdent l’ouverture du salon, je parcours le Parc des expositions et les alentours en tous sens pour m’assurer que le visiteur pourra s’y retrouver.
Nous ne pouvons malheureusement pas chiffrer le nombre de nos visiteurs étrangers ; pour cela, il faudrait faire remplir un document aux visiteurs à l’entrée, comme le font les salons professionnels, ce qui ne manquerait pas de créer une émeute ! Mais nous estimons que les étrangers représentent à peu près 10 % de nos visiteurs, soit au moins 150 000 personnes.
Pour les accueillir, nous avons passé des accords avec la RATP ; nous essayons de nous assurer que, les week-ends et les soirs de nocturne, il y ait davantage de rames sur les lignes qui desservent le site. En dehors de la manifestation elle-même, il faut donc prévoir tout ce qui tourne autour : hôtellerie, tarifs réduits avec Air France et la SNCF…
Il n’est pas évident de rester leader. Je me souviendrai toujours de Louis Schweitzer, alors président de Renault, me demandant le chiffre des entrées le dernier jour du salon et me disant avec soulagement : « Alors, nous sommes devant Tokyo ! » Pour lui, qui s’intéressait déjà au Japon et à Nissan, c’était la référence : il fallait que nous restions les premiers. Mais ce n’est jamais gagné. Il faut savoir recevoir avec égards les patrons des grands constructeurs mondiaux, qui viennent tous à Paris pour tenir des conférences de presse et se réunir entre eux, être capable de leur montrer qu’ils ont leur place au Mondial de l’automobile comme les Français. Certains s’offusquent que le Président de la République ne passe pas sur leur stand ; je dois leur expliquer que je n’y peux rien. J’ai accueilli François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande. Certains ont compris plus que d’autres quelle opportunité représentait la présence des grands présidents des constructeurs, qui sont aujourd’hui aussi importants que certains chefs d’État, et leur ont accordé un traitement particulier. Cela me paraît essentiel – c’est en tout cas ce que je défends auprès du cabinet du Président de la République. S’il est important qu’il aille chez les constructeurs français et les principaux constructeurs mondiaux, il est bon qu’il prenne aussi le temps de montrer aux présidents de General Motors, de Volkswagen ou de Toyota que la France est un pays d’accueil. Le Mondial de l’automobile est un lieu de rencontres.
C’est aussi un lieu de rêve pour le grand public – et cela doit le rester. En France, nous avons vu un certain nombre de manifestations disparaître parce qu’elles ne faisaient plus rêver ou n’avaient pas su s’adapter aux jeunes. Mon leitmotiv est que nous sommes tous beaucoup trop vieux pour imaginer ce que sera la France en 2025 ; ce sont les jeunes d’aujourd’hui, ceux qui ont entre dix et vingt ans, qui sauront le faire. J’ai toujours été attentif aux jeunes visiteurs. Je sais que les réseaux sociaux marchent à plein. Nous avons la chance d’avoir des voitures à l’essai : c’est un moyen de faire rêver. Mais, parce que le rôle de la manifestation est aussi d’être le porte-parole d’un secteur, nous avons mis en avant les voitures électriques et hybrides, les nouvelles énergies et les nouvelles technologies. Il faut que le visiteur se sente un peu chez lui, qu’il ait envie de venir pour voir des choses qu’il ne verra pas ailleurs. L’avantage du salon, c’est d’avoir tout le monde en même temps au même endroit – autre point commun avec une exposition universelle. Bref, il faut que les gens puissent venir rêver, pas nécessairement acheter, même si leur visite débouchera peut-être sur un achat ultérieurement. Nous sommes un salon d’image, et non de vente comme celui de Bruxelles, par exemple – encore un point commun avec une exposition universelle, à notre modeste échelle.
Même s’il est le plus grand salon automobile du monde, je doute que le Mondial de l’automobile puisse jamais rivaliser avec une exposition universelle. Mais les points communs sont nombreux, ne serait-ce qu’en termes de sécurité. Il y a deux ans, au moment de l’annonce de la fermeture d’Aulnay, ma seule crainte était liée aux manifestations. J’ai donc rencontré le préfet très en amont du salon. Au moment de l’inauguration, des bruits couraient sur une possible grande manifestation au salon. La veille du jour où celle-ci était prévue, le préfet m’a convoqué à vingt heures. Je n’avais aucune envie de décevoir les visiteurs et de donner raison aux manifestants en fermant le salon. Il m’a promis de le faire protéger. Heureusement, car les manifestants ont tout de même descellé une cabine téléphonique pour s’en servir comme d’un bélier afin d’ouvrir des portes derrière lesquelles les attendaient les CRS ! Finalement, ils ne sont pas entrés. Je ne remercierai jamais assez le préfet et ses troupes : en termes d’image, cela aurait été catastrophique pour le salon. Tout cela pour dire que l’aspect sécurité est très important, et qu’il faut associer le ministère de l’intérieur et la préfecture de police aux événements.
Je conclurai en vous invitant au Mondial de l’automobile qui se tiendra du 2 au 19 octobre prochain, donc à partir du 4 pour le grand public. Vous y serez les bienvenus.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Un sujet revient souvent lors de nos auditions : celui de la gestion des files d’attente. Une exposition universelle rassemble plusieurs millions de visiteurs sur des lieux, des sites, des pavillons. Nous avons évoqué tout à l’heure ce point de crispation avec le directeur général du Futuroscope : dans les expositions universelles, il faut souvent deux ou trois heures d’attente pour pouvoir visiter un pavillon. Comment gérez-vous les files d’attente lors du pic de fréquentation du Mondial de l’automobile ? Constatez-vous une impatience croissante chez les visiteurs qui veulent voir une voiture, participer à une animation ou tout simplement entrer au salon ?
M. Thierry Hesse. Pour moi, le salon commence à l’entrée du premier visiteur. Les deux journées réservées à la presse, si importantes pour les constructeurs, notamment avec les conférences de presse des présidents, ne sont que du « rodage ». Tout démarrera pour moi lorsque je donnerai le signal de l’ouverture, le samedi 4 octobre à dix heures, et que le premier visiteur entrera en courant, pour être sûr d’arriver le premier sur un stand.
Les choses ont beaucoup changé grâce à internet, avec une croissance très importante des achats de billets en ligne, dont le nombre atteint désormais plusieurs centaines de milliers. Les visiteurs ne font donc plus la queue aux caisses. L’autre avantage est que cela permet de freiner la vente à la sauvette, qui est une plaie dans la plupart des manifestations culturelles, sportives ou professionnelles – parfois due, d’ailleurs, à la légèreté des exposants, qui ne se rendent pas compte qu’en faisant plaisir à quelqu’un, ils jouent contre eux.
Les visiteurs ont donc bien compris l’intérêt qu’il y avait à acheter leurs billets à l’avance. Grâce au print at home ou impression du billet chez soi, les ventes en ligne vont continuer à augmenter. Cela impose de prévoir les entrées suffisantes à côté des caisses pour que les visiteurs qui ont acheté leurs billets à l’avance puissent entrer sans attendre.
Je ne sens pas plus d’impatience qu’auparavant. Certes, les Français sont moins patients que les Américains, qui sont habitués à faire la queue pendant des heures, avec un système organisé. Mais je n’ai pas de crainte sur ce point, notamment grâce à internet. Il faut simplement que les visiteurs puissent acheter leur billet et réserver leur hôtel à l’avance. J’ai d’ailleurs passé un accord avec le Comité régional du tourisme (CRT) Paris Île-de-France et l’Office du tourisme de Paris pour permettre aux participants – exposants, visiteurs ou médias – de profiter des beautés de notre région avant, pendant ou après le salon. Il y a quelques années, j’avais eu l’idée de fixer les journées de presse le jeudi et le vendredi, afin de permettre aux journalistes de profiter de Paris durant le week-end.
Il n’y a donc pas de crainte à avoir. Simplement, il faut un système – non seulement général, mais aussi pour chaque pavillon dans le cas d’une exposition universelle – pour que les visiteurs ayant acheté leur billet à l’avance puissent entrer rapidement.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Un autre point central pour l’organisation sera l’adaptation de la logistique du Grand Paris et de l’Île-de-France, à la fois en termes de transports de proximité et de capacités hôtelières. Ressentez-vous des tensions plus ou moins fortes avec l’offre logistique de la région et de la ville de Paris, ou êtes-vous satisfait de l’offre actuelle ? Celle-ci vous semble-t-elle constituer une limite à la croissance du Mondial de l’automobile, ou y a-t-il encore, selon vous, un potentiel de développement ?
M. Thierry Hesse. La capacité hôtelière est insuffisante, d’autant que beaucoup de grands hôtels parisiens ferment pour rénovation. En ce qui nous concerne, nous proposons en amont un système de réservations hôtelières ; nous travaillons avec un organisme spécialisé dans ce domaine. Les visiteurs qui ne trouvent pas à se loger à Paris se rabattent sur les hôtels de banlieue, voire de grande banlieue.
Il y a aussi un problème avec les taxis, mais la situation devrait s’améliorer avec l’issue du conflit entre les taxis et les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Il faut une certaine souplesse en matière de transports. Dans la perspective de l’exposition universelle, il serait souhaitable de mettre en place un système de liaisons. C’est d’ailleurs ce que nous faisons : nous nous sommes rapprochés d’Aéroports de Paris (ADP) pour obtenir des navettes directes entre les aéroports et la Porte de Versailles au moment du salon ; cela fonctionne plutôt bien.
Globalement, nous ne manquons pas de structures pour répondre à la demande de nos visiteurs, de nos exposants ou des médias – beaucoup moins nombreux, il est vrai, que pour une exposition universelle. Bien entendu, il faut qu’ils s’y prennent longtemps à l’avance, et j’insiste toujours sur ce point lorsque je tiens des conférences de presse à l’étranger.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous sentons que, dans ces grands événements, les visiteurs sont de plus en plus désireux de partager et de vivre des expériences, de participer à des animations, d’être eux-mêmes acteurs. Le Mondial de l’automobile restera-t-il avant tout un lieu d’exposition, ou peut-il évoluer, avec par exemple l’essai de voitures ou de simulateurs, des jeux, des ateliers divers ? Travaillez-vous sur ces modes collaboratifs de partage pour en faire autant un lieu d’animation ou de participation qu’un lieu d’exposition ?
M. Thierry Hesse. Le Mondial de l’automobile est depuis longtemps un lieu d’animation ! Pour moi, le pire serait qu’il se contente d’être une sorte de grande concession multimarque, comme le sont certains de ses concurrents.
Nous avons deux types d’animations. Les premières sont celles proposées par les exposants. Nous nous efforçons d’en limiter le nombre et les pollutions sonores. L’exposant n’est pas seul : il a toujours ses principaux concurrents pour voisins. Nous avons donc des règles, qu’il faut accepter. Néanmoins, il n’est pas question de ressembler au salon de Genève – qui est un très beau salon, annuel celui-ci, mais où les animations sont quasiment absentes des stands. Pour ma part, j’estime qu’il faut laisser une part de l’animation aux stands
– conduite sur simulateurs, signatures d’autographes… Nous laissons les constructeurs faire, mais nous les limitons en temps et en bruit. Où l’on s’aperçoit qu’il est plus facile d’avoir une bande sonore qu’un orchestre, dont on ne peut baisser le volume…
Nous mettons nous-mêmes en scène un certain nombre d’animations ou d’essais. À une époque, nous avions une grande piste de 4×4. Nous avons dû y renoncer faute de participants, suite à l’intervention de Greenpeace, qui a fait ce qu’il fallait pour empêcher les constructeurs de faire ces essais – qui étaient, paraît-il, très polluants. Nous avons alors décidé de faire de Greenpeace un allié, en nous orientant vers une baisse des consommations d’énergie et en mettant en place une zone d’essais de véhicules électriques et hybrides, qui rencontre un franc succès et permet aux visiteurs de les essayer dans le hall qui leur est dédié, dans le Parc et dans Paris.
Je ne veux pas d’un salon figé : il faut que les gens et les choses bougent. Il me semble aussi important de faire passer des messages sur les nouvelles énergies, domaine dans lequel les constructeurs font des efforts considérables – sans doute plus que les pouvoirs publics. Personnellement, je crois beaucoup aux nouvelles énergies et rêve de conduire une voiture électrique. Malheureusement, nous manquons d’infrastructures de recharge. J’espère que l’exposition universelle de 2025 pourra contribuer à mettre ce thème en valeur. J’ai vu que Renault était l’un des partenaires fondateurs d’EXPOFRANCE 2025 ; je ne doute pas que son président-directeur général œuvrera en ce sens. L’électronique embarquée est aussi promise à un bel avenir.
Pour en revenir aux animations du salon, nous proposons également des essais avec la Fédération française du secours automobile, du kart électrique… Bref, nous essayons d’avoir des lieux de vie en dehors du lieu d’exposition.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quel est le staff du Mondial de l’automobile ? Je me doute que votre équipe est à géométrie variable, mais pouvez-vous nous dire quels sont les deux ou trois cercles concentriques qui la composent ?
M. Thierry Hesse. Nous sommes en effet une structure à géométrie variable. Nous sommes treize personnes pour gérer le Mondial de l’automobile. Le salon ayant lieu en octobre, nous doublons notre effectif au mois de mai ou de juin. Durant le salon, nous sommes plus d’un millier, hôtesses, personnels de caisse, de sécurité et d’entretien compris.
Mme Claudine Schmid. J’aimerais vous interroger sur la sécurité. Comment envisagez-vous la prévention des actes de terrorisme ? Quel est le coût que cela engendre ? Il semble que, aux jeux Olympiques, la prévention des actes de terrorisme ait fait exploser les coûts et imposé des contrôles qui ont des répercussions sur les files d’attente. Comment concevez-vous l’organisation d’un grand événement sous cet angle ?
M. Thierry Hesse. Ma réponse est très claire : on ne joue pas avec la sécurité. Nous faisons nous-mêmes des contrôles des sacs et des valises à l’entrée du salon. Cela représente un coût important.
Mme Claudine Schmid. Qui va sans doute croissant.
M. Thierry Hesse. Il est stable, mais important. Bien entendu, il varie en fonction du lieu et du nombre de portes.
En vingt-cinq ans, j’ai eu à faire face à de nombreuses alertes à la bombe. C’est compliqué à gérer, même si, fort heureusement, il s’agissait chaque fois de fausses alertes ; il faut faire intervenir la préfecture de police. Dans ce domaine, nous avons des règles très précises, que tous les exposants connaissent. Ils savent que, s’ils voient un objet abandonné sur leur stand, ils doivent appeler immédiatement le numéro de sécurité réservé à ces situations. Pompiers, médecins et ambulances sont sur place en permanence, du début du montage jusqu’à la fin du démontage des stands.
Le problème est que ces événements sont tellement médiatisés qu’ils sont une aubaine pour des gens qui veulent faire parler d’eux. Lors du dernier Mondial de l’automobile, une petite manifestation de cinq ou six personnes tout au plus a eu lieu dans l’allée centrale du hall 1. Je peux vous dire qu’il y avait plus de caméras et de micros que de manifestants ! Or, en faisant un gros plan sur quelques manifestants, il est facile de faire croire qu’ils étaient très nombreux.
Il faut mettre le prix qu’il faut dans la sécurité. Mais, dans la mesure où le danger existe, il serait bon que les parcs des expositions laissent les équipements de sécurité en permanence, pour que les organisateurs de manifestations n’aient pas à les réinstaller à chaque fois.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous vous remercions pour ces précieuses informations.
Audition, ouverte à la presse, de M. Bertrand de Lacombe, directeur des affaires publiques d’Aéroports de Paris (ADP), et de Mme Alexandra Locquet, responsable du projet CDG Express chez ADP
(Séance du mercredi 11 juin 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Bertrand de Lacombe, directeur des affaires publiques d’Aéroports de Paris (ADP), et Mme Alexandra Locquet, responsable projet «Charles-de-Gaulle Express ».
Dans la perspective d’une exposition universelle dans notre pays en 2025, la relation entre les futurs sites de l’événement et les aéroports, en particulier entre le cœur de Paris et Roissy-Charles-de-Gaulle, est un élément clé de la réussite des mobilités. L’idée émise au cours de nos auditions précédentes consiste en effet à organiser une exposition multisites, polycentrique – et non concentrée en un seul lieu –, avec un village au cœur de Paris, mais également les zones des nouvelles gares du Grand Paris, ainsi que les grandes métropoles françaises.
Aussi la question des mobilités nous intéresse-t-elle à plusieurs titres. La mobilité Grand Paris, que nous évoquerons tout à l’heure avec le nouveau président du directoire de la Société du Grand Paris. Les mobilités entre les aéroports et le centre de Paris. Le transfert modal avec les lignes TGV pour le transport des visiteurs depuis les métropoles de province vers Paris, et depuis l’aéroport de Roissy vers les métropoles françaises, si l’on veut vraiment considérer la France comme un territoire de projet. Enfin, la capacité d’accueil des aéroports et l’avenir des aérogares.
Madame, monsieur, nous aimerions donc savoir comment Aéroports de Paris appréhende le projet exposition universelle, notamment au regard de la relation Roissy-Paris. Quels atouts voyez-vous à ce dossier ? Et quelles limites ou contraintes posez-vous à la bonne tenue d’un tel événement ?
M. Bertrand de Lacombe, directeur des affaires publiques d’Aéroports de Paris (ADP). Je vous remercie de nous accueillir.
Dès le départ, Aéroports de Paris (ADP) a choisi de soutenir le projet ExpoFrance 2025. C’est un projet auquel croit l’entreprise, son président-directeur général, Augustin de Romanet, ayant récemment fait un plaidoyer en faveur du soutien à la candidature française par d’autres entreprises. Les raisons de notre soutien à la tenue d’une telle manifestation en France sont simples et évidentes.
D’abord, une exposition universelle est un carrefour, une rencontre entre des gens venant de tous les coins de la planète. Cet aspect rejoint l’objet social d’Aéroports de Paris : quel meilleur lieu, en effet, qu’un aéroport pour accueillir des personnes du monde entier ? La convergence d’intérêts entre une exposition universelle et les aéroports est donc totalement évidente.
Ensuite, nous sommes convaincus qu’un tel projet correspond à l’intérêt général. L’histoire des expositions universelles a montré à quel point elles ont constitué un motif de fierté pour les pays concernés, y compris de la France. Un projet bien mené peut susciter l’adhésion, l’enthousiasme de toute une population. Je crois qu’il n’est pas exagéré de dire qu’une exposition universelle pourrait être utile à la société française.
Par ailleurs, et l’histoire l’a également démontré, une exposition universelle contribue au progrès technologique. Cet aspect est important pour nous, car les aéroports sont en constante évolution, à la fois pour améliorer la gestion du trafic et pour accueillir davantage de vols, tout en assurant plus de sécurité et une meilleure protection de l’environnement. Un grand nombre de projets en cours à l’échelle européenne, comme SESAR, se sont assigné ces différents objectifs. Même si nos avions d’aujourd’hui ont l’air de ressembler à ceux d’hier, notre secteur possède un fort contenu technologique et un grand potentiel d’innovation. Là encore, nous rejoignons totalement les objectifs d’une exposition universelle.
Enfin, les expositions universelles conduisent généralement à améliorer significativement les projets de dessertes en transport collectif. Sous cet angle, l’intérêt général peut rejoindre un intérêt particulier. En effet, bien que parfaitement conçus et offrant un grand nombre de services, nos aéroports souffrent d’un lien insuffisant avec le centre de Paris. À cet égard, je vous remercie d’avoir évoqué les trois principales plateformes que nous gérons, et pas seulement Charles-de-Gaulle. Paris a en effet la chance d’être desservi par deux autres grands aéroports : Le Bourget, premier aéroport d’Europe pour les vols d’affaires, et Orly qui a connu ces dernières années une croissance très intéressante.
Actuellement, il faut reconnaître que nous ne sommes pas très bien placés dans les classements internationaux, notamment du fait d’une accessibilité qui n’est pas exceptionnelle – sans parler de jours particuliers comme celui-ci où la grève rend plus difficile encore l’accès à nos aéroports.
En effet, Roissy est accessible par le RER B, qui fonctionne convenablement malgré quelques aléas, mais qui n’a pas été conçu pour accueillir des voyageurs se dirigeant vers l’aéroport. Il est alors compliqué pour les navetteurs domicile travail qui l’empruntent de se heurter à des touristes transportant de grosses valises, et réciproquement. S’ajoutent à cela les difficultés d’exploitation sur cette ligne, comme nous avons pu en connaître à la mi-janvier. L’aéroport est également accessible par l’autoroute, mais elle est régulièrement saturée, pour peu qu’un camion se soit renversé.
Cela n’est pas beaucoup mieux au Sud, puisque pour rejoindre Orly sans rupture de charge, en dehors de la voiture individuelle ou du taxi, vous n’avez que la solution du car, certes assez fiable en termes d’horaires. Les transports en commun ferroviaires impliquent effectivement une rupture de charge obligatoire, avec toutes les complications liées aux bagages.
Quant au Bourget, il existe une gare RER B, un peu méconnue, située à dix minutes de la Gare du Nord, mais à trois kilomètres environ de l’aéroport. En outre, la desserte en bus entre cette gare et l’aéroport mériterait d’être améliorée.
Ainsi, le constat peut être établi d’une desserte en transports en commun qui n’est pas exceptionnelle. De ce point de vue, l’exposition universelle 2025 représente à nos yeux une opportunité pour consolider, sécuriser un certain nombre de projets. D’où ce lien entre intérêt particulier et intérêt général.
Mme Locquet va vous exposer dans quelques instants les objectifs, le mode de fonctionnement et le financement envisagé pour CDG Express. S’agissant de l’aéroport du Bourget, une gare est prévue sur la ligne 17 à l’horizon 2027. Concernant Orly, le prolongement de la ligne 14 devrait être réalisé en deux temps : d’abord, jusqu’à Villejuif à échéance 2023 ; ensuite, jusqu’à Orly à l’horizon 2027 – avec une extension vers le Nord, qui ne nous concerne pas directement.
À notre sens, et pour en avoir discuté récemment avec des responsables de la société du Grand Paris, la non-interruption des travaux en 2023 à Villejuif – dont la faisabilité technique apparaît envisageable pour peu qu’un calage financier soit établi – pourrait encore être examinée. La candidature de la France à l’exposition universelle de 2025, si elle venait à se concrétiser, constituerait un élément extrêmement fort en faveur de la continuité des travaux, pour laquelle nous militons.
Ainsi, la situation en 2025 pourrait se décliner, dans la meilleure des hypothèses, de la façon suivante : une relation directe avec l’aéroport d’Orly, sous réserve que les travaux ne soient pas interrompus à Villejuif ; une nouvelle gare au Bourget, dont les travaux pourraient être accélérés dans la perspective de l’exposition universelle ; et un projet CDG Express, sur lequel Mme Locquet va vous apporter des précisions.
Mme Alexandra Locquet, responsable projet « CDG Express ». Comme Bertrand de Lacombe l’a indiqué, les conditions de desserte de l’aéroport Charles-de-Gaulle sont insatisfaisantes. D’abord, près d’un tiers des véhicules circulant sur les autoroutes A1 et A3 se dirige ou vient de l’aéroport, ce qui engendre une saturation du trafic, avec des temps de trajet vers l’aéroport d’une demi-heure à deux heures. Ensuite, le RER B, conçu pour desservir les territoires et donc en priorité les voyageurs du quotidien, n’est pas un mode de transport adapté aux passagers aériens. Les grandes capitales européennes disposent quasiment toutes d’une desserte directe de leurs aéroports ; c’est le cas de Londres, de Stockholm et d’Oslo. Paris est donc en retard sur ce plan.
C’est la raison pour laquelle Aéroports de Paris a décidé de soutenir fortement le projet Charles-de-Gaulle Express auprès de l’Etat et de Réseau ferré de France (RFF), avec lesquels nous avons créé une société d’études, Charles-de-Gaulle Express Etudes, qui concrétise cet engagement de l’entreprise. Cette société a pour objet de faire réaliser toutes les études – juridiques, financières, techniques – nécessaires à la réalisation du projet. Pour cette liaison express entre le centre de Paris et l’aéroport – que nous visons à l’horizon 2023 –, nous escomptons un très haut niveau de service, parfaitement adapté aux passagers aériens, avec une desserte de cinq heures du matin à minuit, un départ tous les quarts d’heure, et un temps de trajet de vingt minutes environ. Elle répond donc parfaitement à l’enjeu de fiabilité en termes de temps de parcours des passagers aériens.
Ainsi, CDG Express est un projet majeur, non seulement pour Aéroports de Paris, en confortant l’accessibilité de l’aéroport, mais aussi pour l’Ile-de-France et plus largement la France, en contribuant à l’attractivité économique et touristique du pays.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. À quel endroit se situera la connexion à Paris?
Mme Alexandra Locquet. À la gare de l’Est.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Un arrêt intermédiaire est-il prévu ?
Mme Alexandra Locquet. Non, la liaison sera directe. Le projet a été déclaré d’utilité publique en 2008, et les études qui ont été relancées s’inscrivent dans le cadre de cette déclaration.
M. Bertrand de Lacombe. L’entreprise est d’autant plus convaincue de la nécessité de CDG Express que l’avenir des infrastructures routières présente un risque accru de saturation pour nos voyageurs. En effet, la zone de Roissy, déjà concernée par un nombre d’emplois considérable, est en plein développement, notamment avec l’implantation récente du centre commercial d’Aéroville. En outre, deux projets, l’un le long de l’A1 – Europa City –, l’autre dans la zone du Bourget, devraient générer un trafic supplémentaire.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Dans quelles proportions se répartit le trafic de voyageurs hors France entre Roissy et Orly ?
M. Bertrand de Lacombe. Sur la répartition selon les origines géographiques, je vous fournirai ultérieurement des chiffres précis par aéroport.
Par contre, concernant l’état du trafic général pour les deux aéroports, nous avons franchi cette année les 90 millions de passagers – 62 millions pour Roissy et 28 millions pour Orly. Le PDG d’ADP a évoqué récemment l’hypothèse d’un nouveau terminal à Roissy d’ici à dix ans, où pourraient ainsi être accueillis à l’horizon 2023-2025 – avec une hypothèse de croissance de 30 % du nombre de passagers – 80 millions de passagers, contre 36 millions à Orly. Certes, ces chiffres doivent être appréhendés avec prudence, car il existe une corrélation entre la croissance économique et la croissance du trafic aérien, mais celle-ci a été quasiment ininterrompue ces dernières années et, selon les prévisions, le trafic mondial devrait doubler d’ici à vingt à trente ans.
M. Yves Albarello. Pour prendre quotidiennement le chemin de l’aéroport afin de rejoindre l’A1, je confirme que la circulation était très difficile ce matin à cause de la grève des taxis.
Vous avez évoqué la création d’une société d’études, mais à aucun moment le financement, problème auquel se heurtent tous les grands projets d’infrastructure – c’est le cas du nouveau Grand Paris et de CDG Express. Or l’organisation de l’exposition universelle en 2025 – que nous souhaitons tous pour notre pays – suppose d’être capable d’accueillir tous les touristes étrangers dans les meilleures conditions. À cet égard, les personnes auditionnées précédemment ont été unanimes à souligner l’intérêt d’une liaison directe entre Roissy-Charles-de-Gaulle et la capitale.
Cette liaison CDG Express sera-t-elle dédiée au trafic entre Roissy et Paris, sans interruption, ce que je souhaite vivement ? Ou bien la ligne sera-t-elle partagée avec des RER suivant un accord avec RFF ou la SNCF ?
S’agissant du nouveau Grand Paris Express, arbitré le 6 mars dernier par le Premier ministre, il est prévu une gare à l’aéroport du Bourget, accessible par la ligne 17, mais pas avant 2027. Pis, la liaison avec Roissy-Charles-de-Gaulle est prévue pour 2030. Il aurait fallu, selon moi, faire l’inverse ; mais je poserai cette question tout à l’heure à M. Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris.
Mme Alexandra Locquet. La société CDG Express Etudes aura notamment pour mission d’actualiser et d’approfondir les études financières. Pour autant, ADP et RFF ont déjà conduit des études préliminaires, afin de mesurer les grands équilibres économiques et financiers du projet. Il en ressort qu’un trafic de l’ordre de 6,5 millions de passagers à la mise en service, puis une progression croissante, sont possibles. Nous escomptons un prix du billet passager de l’ordre de 24 euros à la mise en service – Londres est déjà à ce niveau de prix en 2014, et nous raisonnons sur des euros 2023.
Ainsi, les seules recettes de la billetterie généreront une capacité d’autofinancement relativement élevée pour un projet de ce type. Pour autant, les études montrent qu’elles ne seront pas suffisantes, et c’est la raison pour laquelle RFF comme ADP considèrent qu’une ressource complémentaire est nécessaire. Il a donc été proposé la mise en place d’une taxe sur les passagers aériens hors correspondance, qui bénéficieraient directement de cette liaison, de l’ordre de 1 euro par passager.
M. Yves Albarello. Il est trop facile de faire payer les infrastructures par les autres ! Les compagnies aériennes ont déjà été mises à contribution à travers la taxe de solidarité, au titre de laquelle la compagnie Air France doit verser chaque année environ 80 millions d’euros. Taxer à nouveau les compagnies aériennes, notamment notre compagnie nationale, me semble injuste. Je préconise d’élargir la taxe de solidarité, afin que ces dernières ne soient pas les seules à être assujetties.
D’autre part, l’Agence des participations de l’Etat a perçu récemment 700 millions d’euros pour avoir vendu une participation de 20 % dans ADP. Je vous soumets donc cette piste de financement : la cession par l’Etat d’une partie de ses actions à travers ADP permettrait d’investir dans un projet comme CDG Express.
Au demeurant, je déposerai une proposition de loi dont l’objet est d’assurer un financement juste et équilibré. D’autres pistes existent, mais je les dévoilerai ultérieurement.
M. Bertrand de Lacombe. Je comprends l’intervention de M. Albarello, tout en observant qu’elle ne nous concerne pas directement, dans la mesure où nous ne sommes pas décideurs. ADP a proposé une solution, mais sans doute y en a-t-il d’autres. L’important est de trouver une solution opérationnelle permettant de boucler le financement.
Cela dit, nous souhaitons évidemment que les compagnies aériennes, qui sont nos clientes, la première étant Air France, aient une situation saine et puissent continuer à desservir nos aéroports sans être étouffées par des charges qui ont en effet augmenté avec le temps et ne sont pas forcément supportées par toutes les autres compagnies à travers le monde. Mais c’est peut-être un autre débat.
Je laisse maintenant Mme Locquet vous répondre plus précisément sur le budget.
Mme Alexandra Locquet. Nous avons constaté un besoin de ressources complémentaires, qui peuvent prendre d’autres formes que celles qui ont été envisagées jusqu’à présent.
Les investissements relatifs à l’infrastructure sont estimés aujourd’hui à 1 645 millions d’euros, selon les premières estimations – en cours de la fiabilisation – de la société nouvellement créée. Pour financer cet investissement, RFF et ADP apporteront une partie en fonds propres, et auraient par ailleurs recours au marché bancaire, mais aussi à la BEI et à des prêts sur fonds d’épargne.
M. Yves Albarello. 150 millions ?
Mme Alexandra Locquet. Davantage.
M. Yves Albarello. Je voulais dire : deux fois 150 millions d’euros.
Mme Alexandra Locquet. Nous partons des ratios classiques d’autofinancement qui sont, en termes de fonds propres, d’environ 20 à 30 % selon les projets. Mais il ne s’agit là que de premiers éléments que nous sommes en train d’affiner.
M. Hervé Féron. Je vous ai entendu dire que selon certaines prévisions, le trafic mondial aurait doublé dans trente ans. Or je constate que votre diagnostic part du constat des difficultés actuelles. Votre projet Charles de Gaulle Express, avec tout ce qui peut s’y rapporter, tient-il compte de ces évolutions à long terme ? Son objectif se limite-t-il à résoudre les problèmes du moment ? Ce serait bien peu ambitieux. Je vous interroge sur ce point avant que la question du financement du projet n’ait été résolue.
Par ailleurs, pensez-vous que la candidature de la France à l’Exposition universelle constitue une véritable opportunité pour « booster » votre projet, et un argument supplémentaire en sa faveur ?
M. Bertrand de Lacombe. Les investissements et les projets que nous lançons dans le cadre de CDG Express prennent en compte les perspectives d’évolution du trafic.
Cela m’amène à revenir sur une précédente question. Pour vous donner un ordre de grandeur, en 2013, le nombre de passagers par destination, toutes plates-formes confondues, se répartissait de la façon suivante : 18 % pour le trafic France, 42 % pour le trafic Europe et 40 % pour le reste du monde. Si vous le souhaitez, je pourrai vous fournir des chiffres plus précis, permettant de distinguer entre Roissy et Orly.
Mais passons à votre dernière question. Nous pensons effectivement qu’il y a des liens d’intérêt entre CDG Express et Expo Universelle 2025. La perspective d’une exposition universelle conduirait forcément nos plus hautes autorités à faire tout ce qu’il faut pour accélérer, éventuellement, les différents projets de transport – non seulement CDG Express, mais aussi les projets améliorant la desserte des autres aéroports. Et réciproquement, le fait que ces projets existent – qu’ils soient lancés ou simplement envisagés, quitte à modifier un peu les calendriers – devrait constituer un argument de poids pour le Bureau international qui aura à trancher entre les différentes candidatures.
M. le président Jean-Christophe Fromentin. Les perspectives de trafic d’une exposition universelle tournent autour de 50, 60 ou 70 millions de personnes – en supposant qu’une part significative d’entre elles passe par nos aéroports. Nous pouvons nous attendre à un débit de fréquentation supplémentaire de 300 000, 400 000 ou 500 000 personnes par jour. Les simulations auxquelles vous avez procédé dans le cadre du projet CDG Express vous permettent-elles de penser qu’il sera possible d’absorber le pic de fréquentation que provoquerait une telle exposition ?
M. Bertrand de Lacombe. C’est là où la création d’un nouveau terminal prend tout son sens. La multiplication du nombre des terminaux sur l’aéroport de Roissy, que l’on peut regretter, nous donne en même temps la capacité, à peu près unique en Europe, de pouvoir en ajouter de nouveaux.
Mme Alexandra Locquet. Revenons au projet CDG Express. Nous sommes en train de réactualiser des études de trafic, en prenant en compte la situation actuelle et en faisant des projections à moyen et long terme, précisément pour adapter le service en conséquence.
M. le président Jean-Christophe Fromentin. Sur la desserte des métropoles françaises et leur interconnexion, où en est votre réflexion ? Lors des questions d’actualité, nous débattons souvent de Notre-Dame-des-Landes. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur la carte des aéroports français à vocation internationale ? Quelle est la zone d’influence de ADP et de Roissy ? Pourrait-elle drainer tout ou partie de la France ? Avec quelles relations TGV, pour pouvoir optimiser ce « Hub » ?
M. Bertrand de Lacombe. La France a la chance d’avoir non seulement un système aéroportuaire parisien extrêmement consistant et encore susceptible d’évoluer, mais aussi d’importantes plates-formes en province avec lesquelles il est possible d’établir des liens ferroviaires. Je pense notamment à la gare TGV installée au cœur de Roissy, qui permet des interconnexions.
J’aborderai plusieurs points.
Premièrement, le confort du passager. On considère aujourd’hui qu’un passager ne préfère l’aérien au ferroviaire qu’à partir du moment où le temps de transport en train dépasse trois heures – voire quatre heures. Le passager tient en effet compte des contraintes de sûreté et des différents contrôles imposés dans les aéroports ; de ce point de vue, le train offre évidemment une facilité d’utilisation considérable. Ainsi, en fonction de l’endroit à relier et de nos contraintes d’exploitation, le passager choisit de faire sa correspondance en avion ou en train.
Je ne sais pas comment ces contraintes évolueront d’ici à 2025. On peut imaginer que le passage des voyageurs sera fluidifié – peut-être un passage dans un sas. Jusqu’à présent, la technologie des scanners corporels a été écartée pour des raisons liées au respect de la vie privée. Mais comme le domaine évolue rapidement, j’ai tendance à penser que demain, nos exigences de sûreté seront toujours aussi fortes mais qu’elles seront résolues beaucoup plus facilement. Cela peut jouer sur la répartition modale entre le train et l’avion.
Deuxièmement, les droits de trafic. Ceux-ci demeurent une compétence d’État, de plus en plus souvent partagée au niveau de l’Union européenne, mais qui relève de négociations entre les États au niveau international. Or ces négociations valent non seulement pour les droits de trafic aérien stricto sensu, mais également pour les prolongations, qu’elles soient assurées en avion ou en train. Aujourd’hui, une compagnie aérienne qui voudrait venir faire une relation entre son pays d’origine et Roissy avec, par exemple, un enchaînement vers Lyon ou vers Nantes ne pourrait le faire que si elle disposait bien d’un des droits de trafic permettant d’assurer le trajet aérien et le trajet ferroviaire. Il faut que le sujet ait été abordé dans le cadre de la négociation d’État à État.
En tant qu’aéroport, nous sommes évidemment partisans de tout ce qui permettrait d’accueillir davantage de trafic. Mais c’est l’État – ou l’Union européenne, en fonction des pays – qui joue un rôle important en matière de droits de trafic. Certains accords ont déjà été passés au niveau Union européenne. C’est par exemple le cas de l’accueil appelé « Ciel ouvert » ou Open Skye conclu entre l’Union européenne et les Etats-Unis, qui a conduit à la libéralisation du marché. Mais il y a encore de nombreux pays avec lesquels ces droits de trafic sont négociés au coup par coup, y compris dans leur aspect multimodal.
Quoi qu’il en soit, vous avez raison, c’est un point important qu’il conviendra d’examiner avec attention. Si l’on veut aboutir à une répartition harmonieuse du trafic, il faudra tenir compte des capacités des compagnies aériennes, des aéroports, de la ou des entreprises ferroviaires qui circuleront à ce moment là sur le réseau français, et des capacités des gares.
Mme Catherine Quéré. Paris fut une candidate malheureuse aux jeux Olympiques de 2012. Pensez-vous que les difficultés de desserte de nos aéroports aient pu y contribuer ?
Par ailleurs, lors d’une récente mission parlementaire au Qatar, nous avons constaté avec surprise qu’on ne trouvait que des avions de la compagnie Air Qatar sur le tarmac. Est-ce un hasard ? La compagnie Air France se pose-t-elle à Doha ?
M. Yves Albarello. C’est effectivement une question que l’on peut se poser.
Monsieur, savez-vous si, dans le cadre des précédentes candidatures, cet aspect a été un handicap pour la France ?
M. Bertrand de Lacombe. Ces questions sont excellentes, mais je crains que mes réponses ne vous déçoivent.
Si j’allais en mission au Qatar, j’en profiterais pour découvrir l’aéroport de Doha et faire quelques comparaisons. Le groupe ADP intervient de plus en plus souvent à l’étranger dans le domaine de l’ingénierie des aéroports. Nous l’avons fait à Abu Dhabi, par exemple. Mais pas à Doha. Il y a donc sûrement là-bas un marché à conquérir.
Les aéroports de la région ont l’avantage d’avoir été conçus très récemment et en un seul bloc. De ce fait, ils ne présentent pas les inconvénients que je dénonçais tout à l’heure s’agissant de l’aéroport de Roissy. Quoi qu’il en soit, je ne connais pas la politique de desserte d’Air France entre le Qatar et la France et je suis donc bien incapable de répondre à votre question.
À la question concernant les jeux Olympiques, je n’ai pas non plus de réponse détaillée à vous offrir. On sait bien que différents facteurs sont intervenus dans l’attribution des jeux Olympiques à Londres, alors que Paris semblait avoir un dossier assez solide. Mais il est certain que, dans les classements internationaux, la desserte de nos aéroports apparaît comme l’un de nos points faibles. Je ne sais pas dans quelle mesure cela a pu jouer en faveur de Londres, mais je n’imagine pas que ce ne soit pas pris en considération de manière extrêmement attentive par ceux qui auront à voter sur le projet d’exposition universelle.
S’agissant du projet CDG Express, nous devrons donc tous – la Société du Grand Paris, ADP et RFF – être crédibles et nous engager clairement lorsque les questions de financement auront été réglées. J’observe que le modèle proposé l’a été « par défaut ». Je veux dire par là que si ADP s’engage avec une part de capitaux propres, il ne le fait pas avec un enthousiasme démesuré.
L’idée qui prévalait jusqu’à aujourd’hui était que l’aéroport commençait « à la porte » de l’aéroport. Aujourd’hui, le PDG et l’entreprise ont pris conscience que si nous nous en tenions à cette idée, personne ne se sentirait vraiment impliqué et n’aurait – y compris matériellement – les moyens de s’engager vraiment sur le lien entre le centre ville et l’aéroport. Voilà pourquoi nous avons en quelque sorte étendu – y compris dans ses implications financières – notre vision de l’aéroport jusqu’au centre ville. Mais si un généreux mécène se manifestait, si nous n’avions pas besoin de nos fonds propres, ni de taxes, nous en serions les premiers satisfaits.
Sans pouvoir répondre précisément à votre question, il est néanmoins certain que la desserte aéroportuaire est un élément majeur dans une candidature.
M. Yves Albarello. Vous ne m’avez pas répondu : la nouvelle ligne ferroviaire sera-t-elle vraiment dédiée à 100 % au trafic entre l’aéroport et la capitale, ou s’agira-t-il d’une ligne partagée ?
Par ailleurs, vous avez évoqué la création d’un terminal supplémentaire. Avez-vous une idée de sa localisation sur le territoire de l’aéroport, que je connais un peu ?
Mme Alexandra Locquet. L’intérêt du projet Charles de Gaulle Express est effectivement de permettre une séparation des flux avec ceux du RER B. Pour autant, sur une partie de la ligne, il y a déjà quelques trains de TER et de fret puisque le tracé, tel qu’il est actuellement prévu, utilisera une partie du réseau existant. Mais c’est un trafic incomparable avec celui du RER B. Donc on peut considérer qu’il y a une vraie séparation entre RER B et CDG Express – et c’était bien l’un des principaux objectifs.
M. le président Jean-Christophe Fromentin. Mais il y aura quand même du trafic ?
Mme Alexandre Locquet. Quelques trains de fret, mais c’est vraiment mineur.
M. le président Jean-Christophe Fromentin. Où se situera le terminal supplémentaire ?
M. Bertrand de Lacombe. Il faut que je vérifie. Le sujet est encore récent et je ne voudrais pas me tromper. D’après moi, il se situerait plutôt au nord du terminal 2 E actuel.
M. le président Jean-Christophe Fromentin. Merci pour votre disponibilité et pour vos réponses. L’accessibilité aéroportuaire est un élément clé dans le lancement d’un évènement de l’envergure d’une exposition universelle. S’agissant de la faisabilité d’une telle opération d’ici à 2025, vos propos sont plutôt rassurants.
Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris
(Séance du mercredi 11 juin 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous sommes très heureux d’accueillir aujourd’hui M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris.
Ancien élève de l’École supérieure des sciences économiques et commerciales, l’Essec, vous êtes également, monsieur, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et titulaire d’un diplôme d’études approfondies de sciences politiques.
Votre carrière professionnelle s’est déroulée dans différentes structures publiques, notamment dans plusieurs préfectures. En 2003, vous êtes choisi comme secrétaire général de la commission de préparation de la Charte de l’environnement, avant de diriger les services départementaux de l’Oise de 2004 à 2008, puis de la Seine-Saint-Denis de 2008 à 2012.
Conseiller en charge des collectivités locales et de la décentralisation au cabinet du Premier ministre, vous êtes nommé, en février 2014, président du directoire de la Société du Grand Paris, la SGP.
Le projet porté par la SGP intéresse tout particulièrement notre mission, la qualité des mobilités à l’intérieur du Grand Paris étant un élément essentiel de la candidature de la France à l’organisation de l’exposition universelle de 2025, surtout dans l’hypothèse d’un événement polycentrique se déroulant sur plusieurs sites. On pourrait imaginer, sur le modèle des expositions universelles du xixe siècle, que les gares du Grand Paris constituent le cœur du projet de 2025.
Nous aimerions d’abord vous entendre sur le projet de Grand Paris Express lui-même, sa configuration et le calendrier de réalisation de ses infrastructures. Lesquelles d’entre elles pourraient être prêtes en 2025 ? Le rythme de réalisation de ces infrastructures pourrait-il être accéléré afin d’assurer une capacité d’accueil suffisante pour répondre à une affluence record de touristes dans l’hypothèse où la candidature de la France serait retenue ? Quel est l’état de la réflexion stratégique sur les gares du Grand Paris Express ? Dans quelle mesure pourraient-elles jouer le rôle de lieux d’accueil, voire de quasi pavillons de la future exposition universelle ?
M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris. Il est vrai que les infrastructures de transport occupent une place importante dans l’histoire des expositions universelles. Ainsi, la première ligne du métropolitain parisien a été ouverte à l’occasion de l’exposition universelle de 1900. Par ailleurs, conformément à la finalité historique des expositions universelles, le projet de Grand Paris Express pourrait être l’occasion de mettre en avant la capacité d’innovation de notre pays dans le domaine des transports du xxie siècle.
La réalisation d’infrastructures de cette importance demande beaucoup de temps, en raison de l’extrême complexité des réglementations et des procédures, qui imposent de longues phases de concertation, des enquêtes publiques, des acquisitions foncières nombreuses et forcément difficiles en milieu urbain dense. Si les échéances semblent lointaines, le calendrier est en réalité extrêmement serré si on veut respecter les délais fixés.
La feuille de route a été fixée par le Gouvernement le 6 mars 2013, au terme de nombreuses discussions entre l’État et les élus d’Île-de-France. Le projet d’un réseau de deux cents kilomètres comptant soixante-douze gares issu de cette phase de discussion me semble un compromis très solide en ce qu’il conjugue trois objectifs.
Il vise d’abord à améliorer les transports de la région Île-de-France afin de faciliter la vie quotidienne des Franciliens, notamment en réduisant les temps de trajet entre le domicile et le travail. Dans cet objectif, au-delà des deux cents kilomètres de lignes nouvelles, le projet vise à améliorer les interconnexions avec les bassins d’emplois de la métropole parisienne au bénéfice des habitants de la grande couronne, voire des départements voisins de l’Île-de-France. Les gares de ce nouveau réseau de métro devront en outre être conçues pour favoriser l’intermodalité.
Ce nouveau réseau desservira en effet soixante-douze, ou plus exactement soixante-neuf gares, trois des gares initialement prévues sur le trajet de l’ex-ligne orange devant être désormais des stations de l’extension de la ligne 11 Est sur la section Rosny-Bois Perrier-Noisy-Champs. La fréquentation de ce nouveau réseau devrait être de 200 000 à 300 000 voyageurs en heures de pointe et sa fréquentation journalière de deux millions. sa mise en service devrait intervenir progressivement de 2020 à 2030, avec des étapes intermédiaires en 2023, 2025 et 2027 en fonction des parcours.
Ce projet a également pour objectif de désenclaver des territoires en difficulté, dont certains font l’objet d’opérations de renouvellement urbain. Je pense en particulier au projet de ligne 16 Est, qui doit desservir des communes aussi emblématiques que Clichy-Montfermeil, Aulnay ou le Blanc-Mesnil.
Le troisième objectif, et non le moindre, du Grand Paris Express est de soutenir le développement urbain et économique de la région Île-de-France, notamment du cœur de son agglomération. En effet nombre d’opérations d’aménagement seront accélérées, voire déclenchées par l’existence de ces nouvelles gares. Celles-ci renforceront par ailleurs l’attractivité des projets de développement économique.
La deuxième chance de ce projet, au-delà du consensus politique qui a accueilli ces trois objectifs, réside dans son mode de financement. En effet, par la loi de 2010, le Parlement a décidé que ce projet bénéficierait de ressources affectées, issues d’une part de la taxe sur les bureaux et d’autre part de la taxe spéciale d’équipement, TSE, taxe additionnelle aux prélèvements locaux pesant sur les ménages et les entreprises, et d’une imposition forfaitaire assise sur les matériels roulants de transport de la RATP. Le rendement de ces prélèvements est d’environ 500 millions d’euros par an. Il s’agit d’une ressource dynamique puisqu’elle est notamment fonction de la construction de bureaux. Il est peu probable en outre que le stock de bureaux en Île-de-France diminue dans les années à venir. On pourrait envisager par ailleurs de déplafonner le produit de la TSE, aujourd’hui limité à 120 millions d’euros.
Par ailleurs, la SGP percevra une redevance sur l’exploitation des nouvelles lignes par les opérateurs désignés par le Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, dont le produit est estimé à environ deux cents millions d’euros par an.
L’ensemble de ces ressources, ainsi que les recettes commerciales qui s’y ajouteront, permettront de rembourser les emprunts contractés par la SGP pour financer la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris, dont le coût est estimé à 22,6 milliards, ainsi que l’adaptation aux interconnexions des stations de métro ou des gares SNCF, pour un coût estimé de 1,5 milliard d’euros.
Sur le plan économique, le chantier devrait générer chaque année 10 000 à 15 000 créations d’emplois permanents, dont deux tiers dans le bâtiment et les travaux publics et un tiers dans l’industrie ferroviaire. On estime au total que la réalisation du Grand Paris Express permettra la création de 200 000 à 300 000 emplois supplémentaires en Île-de-France.
L’ambition de ce projet est également de favoriser le développement du logement dans la Région. Je rappelle qu’aux termes de la loi de 2010, le projet, via les opérations d’aménagement qui pourraient être réalisées autour des nouvelles gares, devrait contribuer à la construction de 70 000 logements chaque année, objectif repris par le schéma directeur de la Région Île-de-France.
Je voudrais aussi évoquer les préoccupations liées au développement durable, qui sont également les vôtres dans le cadre de la promotion de la candidature de notre pays à l’organisation de l’exposition universelle de 2025. La réalisation de ce projet obéit à un schéma de développement durable qui s’applique, non seulement aux travaux mais à la conception même des infrastructures du réseau. Relèvent de cette thématique du développement durable des questions comme celle de l’évacuation des déblais du chantier ou de l’utilisation de matériaux recyclés pour la réalisation des infrastructures.
Vous avez évoqué la question des gares, monsieur le président. Notre projet est de réaliser, là où le tissu urbain le permet, non de simples stations, mais de véritables gares, conçues pour offrir aux voyageurs les services qui accompagneront le transport de demain. C’est la raison pour laquelle nous avons confié à Jacques Ferrier, qui était d’ailleurs l’architecte du pavillon français de la dernière exposition universelle, le soin d’élaborer une charte architecturale dont le respect s’imposera à l’ensemble des gares. Parmi elles, nous avons distingué les gares qui, par leur caractère emblématique, devaient faire l’objet d’une recherche architecturale particulière. C’est la raison pour laquelle le choix des architectes chargés de leur conception fait l’objet d’une consultation internationale. Deux architectes renommés ont déjà été désignés à l’issue de cette procédure : Duthilleul pour la gare de Noisy-Champs et Perrault pour celle de Villejuif. La conception des gares de Clichy-Montfermeil et du Bourget RER devrait également être confiée à de très grands noms de l’architecture. Près d’une centaine de candidatures, dont celles de grands noms de l’architecture mondiale, se sont manifestées à chacune de ces consultations, preuve de l’attractivité du Grand Paris.
La dimension numérique est également essentielle. Notre ambition est d’inventer le métro le plus digital au monde, et ceci dans toutes ses composantes. C’est l’objet de l’appel à manifestations d’intérêt lancé à la fin de l’année dernière, et qui a reçu plus de 120 réponses. Il s’agira de doubler les deux cents kilomètres du réseau d’une infrastructure numérique de très haut débit via le déploiement de câbles optiques, qui permettra d’innerver les alentours des gares qui ne seraient pas couverts par les opérateurs.
Ce réseau numérique permettrait d’informer en temps réel les voyageurs sur l’état du trafic, de leur offrir un accès permanent à l’internet et de mettre à leur disposition un ensemble de services facilitant la vie quotidienne. Cette infrastructure numérique permettrait par ailleurs de mettre en open data toutes les données générées par le trafic de deux millions de voyageurs. Pourront s’y ajouter des espaces de coworking ou des data center.
Je voudrais pour terminer souligner que nous travaillons, conformément à l’esprit du projet, dans une concertation extrêmement étroite avec les élus comme avec le grand public. Nous venons ainsi d’entamer une nouvelle phase de concertation sur le projet d’extension de la ligne 14 Sud jusqu’à Orly et sur le tronçon de ligne 15 Ouest reliant le Pont de Sèvres à la Défense. Une telle concertation approfondie en amont a le grand mérite de faciliter les enquêtes publiques ultérieures.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le calendrier prévisionnel du projet est-il respecté ou des retards sont-ils d’ores et déjà prévisibles ? Les deux milliards d’euros promis ont-ils été débloqués ?
M. Philippe Yvin. Pour l’instant la feuille de route fixée par le Gouvernement le 6 mars 2013 est respectée. Le premier tronçon, soit la ligne 15 Sud, qui s’étend sur trente-trois kilomètres de Pont de Sèvres à Noisy-Champs, compte seize gares et représente un investissement de 5,3 milliards d’euros, a été approuvé en juillet dernier par le conseil de la surveillance de la SGP. L’enquête publique a été réalisée à l’automne et la déclaration d’utilité publique est attendue pour la rentrée prochaine.
Le conseil de surveillance doit examiner en juillet le projet de ligne 16, qui reliera la gare de Noisy-Champs à celle de Saint-Denis Pleyel, cette dernière devant constituer le plus gros hub du réseau. L’enquête publique est prévue pour l’automne prochain.
Nous comptons par ailleurs déléguer la maîtrise d’ouvrage du projet d’extension de la ligne 14 jusqu’à Orly à la RATP, puisque celle-ci en assure déjà l’extension au nord.
S’agissant de la ligne 15 Ouest, nous comptons prendre les décisions d’investissement et constituer le dossier d’enquête publique au cours du premier trimestre 2015, le STIF s’en chargeant pour la 15 Est. Nous avons convenu avec le STIF que la SGP prendrait le relais après l’enquête publique.
Les décisions d’investissement relatives à la ligne 18 et à la ligne 17 seront prises au deuxième trimestre 2015.
Si tout se passe comme prévu, la période d’enquêtes publiques sera close fin 2015, conformément à la feuille de route fixée par le Premier ministre. Nous devons tenir ce calendrier si nous voulons atteindre les objectifs de mise en service.
La première difficulté sera de respecter ces échéances en dépit de la masse des prescriptions réglementaires dont nous avons à tenir compte. Cela mobilise de nombreuses équipes, un travail et une énergie considérables.
Un autre risque de retard réside dans la difficulté des acquisitions foncières, non pas tant des parcelles de surface que des tréfonds, la réalisation du projet nécessitant le rachat de milliers de parcelles souterraines. Or certains de nos concitoyens sont réticents à les vendre par crainte d’un effondrement ou d’une dévalorisation de leur bien. C’est pourquoi nous avons proposé que le législateur transforme cette acquisition en servitude, de telle sorte qu’on puisse commencer les travaux sans l’accord des propriétaires, ceux-ci étant indemnisés a posteriori. Il faudrait instituer une telle servitude à partir d’un seuil de vingt mètres de profondeur, en-deçà duquel elle constituerait une atteinte injustifiée au droit de propriété, droit constitutionnellement protégé. Cette solution, actuellement en cours d’expertise par le Gouvernement, permettrait de régler environ 80 % des problèmes liés à au rachat des tréfonds.
Mme Catherine Quéré. Si vous devez dans chaque cas passer chez le notaire, cela doit vous coûter très cher, en plus d’exiger une énergie colossale. Les propriétaires des terrains sur lesquels des poteaux électriques doivent être implantés sont indemnisés sans qu’EDF ait à passer par le notaire.
M. Philippe Yvin. C’est ce que nous demandons.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quelles sont les lignes dont la mise en service est prévue d’ici à 2025 ? La réalisation de certains tronçons pourrait-elle être accélérée afin d’être mis en service avant 2025 ?
M. Philippe Yvin. La desserte dès juillet 2024 par le nouveau réseau des aéroports d’Orly et de Roissy est techniquement possible, mais nécessiterait des ajustements financiers. Outre qu’elle présenterait l’avantage de satisfaire une demande ancienne des milieux économiques, elle permettrait également d’accélérer la réalisation de la desserte du Plateau de Saclay – comme vous le savez, la première section du projet de ligne doit relier Massy au plateau de Saclay.
La Société du Grand Paris n’a pas de capital, cet EPIC finançant la réalisation du Grand Paris Express par des emprunts qu’elle remboursera grâce à des ressources pérennes. Je signale à ce propos que nous avons engagé des discussions avec la Caisse des dépôts et la Banque européenne d’investissement, qui devraient être nos premiers prêteurs. Cela nous permettrait de bénéficier de conditions beaucoup plus favorables que celles des marchés obligataires, tant en termes de taux que de durée des emprunts.
M. Yves Albarello. Il serait intéressant d’établir la carte des liaisons avec le Transilien.
M. Philippe Yvin. Le STIF vient d’éditer un schéma des interconnexions entre le Transilien et le Grand Paris Express. Comme je vous l’ai déjà indiqué, la réalisation de ces interconnexions devrait coûter 1,5 milliard d’euros. La feuille de route du 6 mars 2013 prévoyant que la SGP en verse 30 %, le complément pourrait être pris en charge dans le cadre des plans quadriennaux de modernisation de la SNCF, de RFF, voire de la RATP, ou encore par les collectivités locales.
M. Yves Albarello. L’entrée en service en 2024 de la nouvelle desserte de Roissy et d’Orly ne risquerait-elle pas de mettre en péril le projet de CDG Express qui doit relier directement l’aéroport Charles-de-Gaulle à la capitale ? Combien de gares pourraient être ouvertes à cette date ?
M. Philippe Yvin. Ce sont des projets complémentaires au contraire. Aux termes de la loi, le projet de CDG Express ne doit rien coûter à la collectivité, ce qui me paraît légitime s’agissant d’une ligne qui n’est pas destinée à assurer le transport journalier des habitants de banlieue. La ligne 17 a, quant à elle, une vocation économique indéniable, puisqu’elle desservira des territoires en pleine expansion tels que le Bourget, le triangle de Gonesse et le territoire de Roissy. En outre la ligne 17 présentera l’avantage d’être totalement connecté au reste du réseau au niveau de la gare de Pleyel, offrant ainsi une correspondance extrêmement aisée aux Franciliens souhaitant rallier l’aéroport de Roissy. Ces projets sont susceptibles tous deux de renforcer l’attractivité de la Région.
J’avoue, monsieur le député, que je ne sais pas combien de gares pourraient être ouvertes à cette date, bien que ce point soit tout à fait intéressant.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Combien de gares « emblématiques » pourraient être livrées en 2025 ?
M. Philippe Yvin. Rien n’est figé. Celle du Pont de Sèvres sera emblématique surtout par sa réalisation, confiée à Jean-Marie Duthilleul, qui constituera un véritable défi technique. Les gares emblématiques de la ligne 16 seront Clichy-Montfermeil et le Bourget. Quant à la future gare de Pleyel, il s’agira d’un ouvrage considérable et d’une grande complexité sur le plan de sa réalisation. La consultation internationale a permis de sélectionner cinq architectes de renommée mondiale et nous sommes en train de réaliser les acquisitions foncières nécessaires.
Nous n’avons pas encore déterminé quelles seront les gares emblématiques des autres tronçons. Il est probable que ce sera le cas de la future gare de Nanterre-La Folie, où se rejoindront Eole et la ligne 15, voire une future liaison complémentaire après 2030. Ce projet s’inscrit dans le projet plus large d’aménagement du secteur des Groues. Il est probable que la maîtrise d’œuvre de la gare et des immeubles situés dans sa proximité sera confiée au même architecte.
Avec Jacques Ferrier, nous avons décidé de réfléchir au projet culturel qu’il serait possible de construire autour de ces nouvelles gares, notamment les gares emblématiques, dans la perspective de l’organisation de l’exposition universelle de 2025. La future gare de Clichy-Montfermeil, par exemple, pourrait contribuer au projet d’établissement d’une Villa Médicis à cet endroit.
M. Hervé Féron. Comment concilier l’objectif de ville durable avec l’accroissement du trafic généré par la tenue d’une exposition universelle, qui s’accompagnera inévitablement d’une augmentation de la pollution ?
M. Philippe Yvin. La réalisation du métro automatique contribuera en elle-même au développement durable de la métropole, en ce qu’elle favorisera le report modal et la décongestion des réseaux existants, générant un accroissement significatif du bien-être des habitants de la métropole et de ses visiteurs. Elle est en outre un moyen de lutter contre l’étalement l’urbain en concentrant le développement urbain autour des nouvelles gares.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Avez-vous engagé une réflexion quant à la possibilité d’inventer, via la technologie numérique, un système de billetterie innovant dans la perspective d’une exposition universelle éclatée sur plusieurs sites, dont les visiteurs seront appelés à transiter par plusieurs réseaux gérés par des opérateurs différents ?
M. Philippe Yvin. C’est un sujet très important sur lequel nous travaillons avec le STIF, puisque c’est lui qui aura la main en ce domaine – c’est à lui, en particulier, qu’il appartiendra de désigner les opérateurs qui géreront ces lignes nouvelles. Nous travaillons notamment sur le passage dans les gares pour accéder au métro en fonction des nouveaux moyens qui seront disponibles demain, notamment via tout ce qui est billetterie intégrée sur les mobiles.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quelle sera la configuration de ces nouvelles gares ?
M. Philippe Yvin. Leur configuration variera en fonction du tissu urbain où elles s’inscriront. L’objectif est de réaliser les gares les plus vastes possible, afin qu’elle puisse accueillir des services et des commerces de proximité. Elles ressembleront davantage à des gares SNCF qu’à des stations du réseau RATP.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’Établissement public de Paris Saclay
(Séance du mercredi 18 juin 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président-directeur général, nous vous souhaitons la bienvenue.
Diplômé de l’École polytechnique, ingénieur du corps des ponts et titulaire d’un doctorat en sociologie, vous avez été directeur de l’École nationale des ponts et chaussées, président de ParisTech, directeur de l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement des territoires en Europe et vous avez dirigé la mission d’aménagement de la région capitale au sein du secrétariat d’État chargé du développement de la région capitale. Vous êtes aujourd’hui délégué ministériel pour le développement du cluster du plateau de Saclay et, depuis 2010, président du conseil d’administration de l’Établissement public de Paris-Saclay. Du fait de votre connaissance très pointue des enjeux liés à l’attractivité du territoire, il était essentiel pour nous de vous entendre dans le cadre de la préparation de la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025.
Quelle sera, selon vous, la configuration du plateau de Saclay en 2025 ? Quel rôle ce territoire pourrait-il jouer dans le cadre d’une éventuelle exposition universelle multisites ? Que pensez-vous de ce projet de candidature ? Est-il susceptible d’avoir des effets bénéfiques sur l’innovation, l’aménagement du territoire et l’attractivité de la France ?
M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’Établissement public de Paris-Saclay. Je suis heureux de vous présenter un grand projet, ambitieux, qui vise à accroître le rayonnement de la France dans le monde – et qui marche.
Saclay est un vaste plateau encore essentiellement agricole situé au sud de Paris, sur lequel se sont progressivement installés des établissements d’enseignement supérieur et de recherche : d’abord le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), dans les années 1950, puis l’Université Paris-Sud, qui était à l’origine un « spin-off » de la faculté des sciences de Paris, puis de grandes écoles comme Polytechnique, Supélec ou HEC, ainsi que les centres de recherche et développement (R&D) de grandes entreprises, tels que le Technocentre de Renault ou le centre de conception de PSA et, plus généralement, la quasi-totalité des établissements faisant partie du « CAC 40 technologique ».
Ces implantations ont été réalisées sur un territoire au moins aussi grand que Paris intra-muros – ce qui explique que lorsqu’on arrive sur place, on ne prenne pas immédiatement la mesure de la quantité de matière grise qui y est rassemblée. Pourtant, le plateau concentre 15 % de la recherche publique française et un pourcentage équivalent de la R&D privée, avec des secteurs très fortement représentés, comme l’automobile, l’énergie, la défense, la santé et la biologie. On y trouve toutes les composantes d’un cluster d’envergure mondiale, de surcroît avec un spectre d’activité très large, ce qui est un atout majeur à une époque où les grandes innovations se font à la croisée des disciplines : les plus grandes universités mondiales se placent sur des créneaux de ce type, en encourageant par exemple le rapprochement entre les sciences de l’ingénierie – mathématiques, physique, électronique – et les sciences de la vie – biologie, médecine.
Ce potentiel considérable, tant en quantité qu’en qualité, pâtit toutefois d’une trop grande fragmentation des établissements ; tous sont venus pour la même raison, à savoir la volonté de desserrer des activités auparavant concentrées dans le centre de Paris, et ils se sont implantés les uns à côté des autres, sans chercher à fonctionner comme un pôle – du moins, jusqu’à une date récente.
L’ambition première du projet Paris-Saclay est de remédier à cette fragmentation. Cela se traduira par la création cette année de l’Université de Paris-Saclay, qui regroupera 26 établissements : de grands organismes de recherche tels que le CEA, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les universités de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et de Paris-Sud – auxquelles va s’associer celle d’Évry-Val d’Essonne – et une dizaine de grandes écoles, dont l’École centrale de Paris, l’École normale supérieure de Cachan, Télécom ParisTech, l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), l’École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) et AgroParisTech. L’objectif est de constituer une université de classe mondiale, afin d’intégrer le « Top 20 » dans les classements internationaux. Ce n’est pas l’établissement public de Paris-Saclay qui est directement chargé de cette mission, mais la Fondation de coopération scientifique du campus Paris-Saclay, qui, sous la présidence de M. Dominique Vernay, ancien responsable de la R&D chez Thales et fondateur du pôle de compétitivité Systematic, œuvre à la constitution d’une communauté d’universités et d’établissements.
Notre deuxième ambition est de stimuler le développement économique du plateau, notamment en renforçant les liens entre le monde universitaire et les entreprises, ces dernières étant implantées plutôt dans la partie yvelinoise, vers Saint-Quentin-en-Yvelines, Vélizy ou Courtabœuf ; ces deux univers ne se côtoient pas assez. L’époque où l’on se regardait en chiens de faïence est certes révolue, mais il reste des progrès à faire – ne serait-ce qu’en matière de relations interpersonnelles.
Si l’on compare le plateau de Saclay avec les zones équivalentes en Amérique du nord ou en Chine, il est évident que nous nous situons en deçà. Dans l’étude qu’elle avait réalisée à la demande du département de l’Essonne, Mme Suzanne Berger, professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT), s’étonnait qu’un tel potentiel n’attire pas un plus grand nombre de start-up ou d’entreprises. Cependant, les perspectives d’avenir sont encourageantes : les lieux d’innovation fleurissent et de plus en plus de jeunes diplômés se lancent dans la création d’entreprises – à l’instar de cette jeune femme issue de l’Institut d’optique qui vient de créer une société fabriquant des systèmes de stabilisation des images en 3D.
Le troisième volet de notre action concerne l’aménagement urbain. En premier lieu, l’accessibilité au plateau est insuffisante ; les établissements qui y sont implantés sont contraints de se débrouiller : les 8 000 personnes qui travaillent au CEA sont acheminées sur place par un réseau de bus mis en place dans les années 1950 ! Nous sommes par conséquent mobilisés pour obtenir, conformément aux engagements du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, la desserte en 2023 de Saclay par le Grand Paris Express – la ligne 18 du métro ; c’est vital pour notre projet. D’autres travaux visant à améliorer l’accessibilité du plateau sont en cours : le Syndicat des transports d’Île-de-France est en train de réaliser un transport en commun en site propre et il est prévu de procéder à des réaménagements routiers.
Nous nous efforçons également de rendre le plateau plus habitable. Nous avons pris le parti, en accord avec les collectivités territoriales concernées, de réaliser une « ville campus ». Deux zones d’aménagement concerté (ZAC) viennent d’être lancées ; elles accueilleront, sur une surface totale de 500 hectares, une programmation de 1,7 million de mètres carrés, à raison d’un tiers pour l’enseignement supérieur et la recherche, un tiers pour le développement économique et un tiers pour le logement. Nous avons notamment prévu de construire un campus résidentiel de haute qualité, comme il en existe aux États-Unis, ainsi que 4 500 logements pour les familles, avec des écoles. En outre, EDF a décidé d’implanter à Saclay son centre de R&D et de formation et Safran, un centre de recherche et technologie.
Le projet, à l’échelle de la métropole francilienne, est complémentaire de celui de Paris Cité ; les chercheurs travaillent d’ailleurs souvent sur les deux sites. Paris – dans l’acception du « Grand Paris » – est aujourd’hui la première ville universitaire du monde ; elle compte plus d’enseignants-chercheurs que Londres ou New York, et à peu près autant que la Silicon Valley. Notre projet a une vocation à la fois métropolitaine, nationale et mondiale, sur le modèle des grands pôles industrialo-universitaires qui se développent un peu partout dans le monde, et qui jouent un si grand rôle dans le développement économique des États-Unis et de la Chine. Ce sont des lieux où se croisent les disciplines, le monde universitaire et le monde économique, les grandes entreprises et les petites entreprises ; en un mot, ce sont de véritables « écosystèmes ».
Notre ambition est de faire partie des dix principaux pôles industrialo-universitaires mondiaux. Un article de la MIT Technology Review nous a déjà classés parmi les huit premiers clusters mondiaux. Comme quoi, il suffit d’un peu de synergie pour franchir une étape importante !
Vous aurez compris que ce projet m’enthousiasme. Et comme celui que vous défendez vise lui aussi à accroître le rayonnement de la France dans le monde, nous devrions pouvoir rassembler nos efforts dans cet objectif.
Dans mon livre Paris, France, monde, j’en appelais à dépasser l’antinomie entre Paris et le reste de la France ; il faut une fois pour toutes tourner la page du Paris et le désert français. Le contexte a définitivement changé : la France fonctionne aujourd’hui comme une métropole tendanciellement unique, avec un cœur parisien et des villes à deux ou trois heures de TGV. Voilà ce qu’il faut montrer au monde ! C’est pourquoi je me félicite que le projet d’exposition universelle concerne non seulement Paris, mais aussi le réseau métropolitain de premier rang.
Lorsque j’étais président de ParisTech, je recevais souvent des invités chinois, qui demandaient en général à visiter deux sites : Paris et le Mont-Saint-Michel. On leur répondait que le Mont-Saint-Michel était trop loin, ce qu’ils ne comprenaient pas : pour eux, c’est juste à côté de Paris. De fait, vu de Pékin, c’est le cas !
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Ce qu’il faut, c’est raisonner à l’horizon 2025. Dans dix ans, où en sera l’aménagement du plateau de Saclay ? L’exposition universelle est un projet structurant : des projets lancés à cette occasion pourraient ensuite être transformés en structures pérennes, afin de répondre à des besoins, par exemple en matière de développement durable ou d’écologie. De ce point de vue, l’exposition universelle n’arriverait-elle pas trop tard ?
M. Pierre Veltz. Non, au contraire, elle tomberait à pic ! En 2025, on aura bien avancé – la ligne 18 du métro devrait être mise en service en 2023 et les chantiers de construction d’écoles s’acheveront entre 2017 et 2020 –, mais le projet sera loin d’être bouclé et d’autres chantiers pourraient s’inscrire dans le timing de l’exposition universelle. Par exemple, nous souhaiterions créer un learning center, à l’instar de ceux dont disposent les universités internationales, mais vu l’état de nos financements, il ne sera peut-être pas terminé en 2025. Sur ce point, une articulation entre les deux projets pourrait être envisagée.
En matière de développement durable, nous avons des projets ambitieux. Nous souhaitons par exemple créer un réseau de production d’eau chaude et d’eau froide par géothermie, avec une boucle d’eau tempérée sur laquelle viendraient se greffer des expérimentations énergétiques ; l’objectif serait de mettre en place un réseau intelligent, un smart grid, qui pourrait ensuite être prolongé par un smart grid électrique alimenté par du photovoltaïque. En 2025, ce projet innovant devrait avoir débouché sur de premières réalisations concrètes, mais il restera certainement beaucoup à faire – de même qu’en matière numérique.
M. le rapporteur. En ce qui concerne le haut débit, avez-vous des projets ?
M. Pierre Veltz. Nous sommes à peu près connectés au réseau, mais il y a encore du travail ! Cependant, cela ne pourra pas attendre 2025.
M. Hervé Féron. Le Figaro fait état d’un éventuel « grand palais du numérique » sur le plateau de Saclay, dans le cadre de l’exposition universelle. Pourriez-vous nous donner des précisions sur ce projet ?
M. Pierre Veltz. Je n’ai pas eu connaissance de cet article – ni de ce projet.
M. Hervé Féron. Je crois que l’information est tirée d’une interview accordée par le président de notre mission.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il a en effet été question d’associer des thèmes à des sites – par exemple, l’innovation pour Saclay –, selon des modalités à définir. La disponibilité foncière est-elle suffisante pour que Saclay puisse accueillir, le cas échéant, une exposition ou une animation sur le sujet ?
M. Hervé Féron. Aucune exposition universelle n’a encore été organisée sur un campus universitaire – sauf, en 1910, quand le Solbosch, futur campus de l’Université libre de Bruxelles, a accueilli une prestigieuse exposition universelle, aujourd’hui largement oubliée. Existerait-il une incompatibilité entre les deux ? Vous semble-t-il pertinent d’associer un campus à une telle manifestation ?
M. Pierre Veltz. Nous n’y avons pas encore réfléchi. Il faudrait que nous examinions ensemble quels projets liés à l’exposition universelle pourraient être accueillis à Saclay. Le timing me paraît favorable. Pour ce qui est de l’espace, le problème, c’est qu’il est très vaste : de l’École polytechnique au CEA, il y a six kilomètres, soit la distance entre les Tuileries et la Défense. Notre projet consiste d’ailleurs, non pas à procéder à un aménagement continu qui entraînerait un étalement défavorable à la desserte, mais à constituer des noyaux urbains ; dans les espaces interstitiels, il y a des possibilités pour d’autres projets. Par exemple, entre le pôle de l’École polytechnique et celui du Moulon, autour de l’ancien centre de recherches de Corbeville, nous souhaitons aménager un nouveau quartier. Vous voyez, on pourra sans mal trouver un lieu pour une réalisation emblématique !
M. le rapporteur. Existe-t-il des pays avec lesquels vous auriez d’ores et déjà engagé une relation de partenariat et qui pourraient être associés à une exposition universelle ?
M. Pierre Veltz. Des échanges ont lieu avec les grands pôles universitaires d’Europe, d’Amérique et d’Asie, mais notre campus est beaucoup moins cosmopolite que celui des grandes universités américaines. Aux États-Unis, que ce soit à la Silicon Valley ou à Boston, 70 % des doctorants sont étrangers – ce qui veut dire aussi que la science américaine est faite essentiellement par des Asiatiques et des Européens. Nous souhaiterions néanmoins accroître le cosmopolitisme de notre campus – mais les jeunes chinois, indonésiens, indiens, africains rêvent tous du MIT, de Harvard ou de Stanford ; la France, ils ne la connaissent pas ! L’une des finalités du projet est précisément de nous donner une plus grande visibilité, en créant un pôle d’attraction susceptible de stimuler l’imagination des jeunes du monde entier. De ce point de vue, l’organisation d’une exposition universelle serait de nature à nous aider ; quant à savoir s’il faut privilégier tel pays plutôt que tel autre, je ne saurais vous dire.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le plateau de Saclay parle-t-il d’une seule voix ? Dans la perspective d’une exposition universelle, pourrait-on compter, sinon sur une gouvernance commune, du moins sur la convergence des efforts des différents acteurs ?
M. Pierre Veltz. J’y insiste : le périmètre concerné par l’établissement public est très vaste. Je vous ai surtout parlé du campus, qui est notre opération phare, mais le projet porte sur l’ensemble du plateau et ses environs ; il couvre le territoire de quatre intercommunalités : Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines, la communauté d’agglomération du plateau de Saclay et Europ’Essonne. Les deux départements de l’Essonne et des Yvelines y sont impliqués à part égale, le pôle économique étant plutôt yvelinois, le pôle scientifique plutôt essonnien. L’un des objectifs du projet est d’assurer une meilleure connexion entre eux. Le métro jouera en la matière un rôle essentiel.
Peut-être me trouverez-vous exagérément optimiste, mais il me semble que la conscience de l’existence d’un ensemble Paris-Saclay progresse rapidement. Du côté universitaire, les progrès ont été foudroyants : que l’École polytechnique conçoive un nouveau logo faisant référence à l’université de Paris-Saclay eût été difficilement imaginable il y a encore quelques années. Des signes encourageants ont aussi été enregistrés du côté des entreprises. Par exemple, les dirigeants d’Air Liquide ont décidé que le centre de recherche Claude-Delorme, installé à Loges-en-Josas, serait restructuré pour être transformé en un pôle à vocation mondiale, au motif que le centre appartient au cluster. Ils ont même proposé de le rebaptiser « centre de recherches Paris-Saclay », et ils sont prêts à utiliser notre logo ! De même, Safran s’installe sur le plateau pour profiter de la dynamique du cluster. Nous avons créé un « club » industriel, qui reste pour l’heure encore informel, mais les choses évoluent dans le bon sens : il est dans l’intérêt de tous d’avancer sous une bannière commune.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président, je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Messulam,
directeur général adjoint de Transilien SNCF
(Séance du mercredi 18 juin 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur Messulam, je vous souhaite la bienvenue. Dans la perspective d’une candidature de la France à l’Exposition universelle en 2025 avec un projet polycentrique concernant l’ensemble du Grand Paris, nous entendrons avec intérêt l’opérateur que vous êtes décrire les forces et les faiblesses de notre capacité de transport.
M. Pierre Messulam, directeur général adjoint de Transilien SNCF. À ces deux questions qui s’emboîtent – la mobilité dans le Grand Paris à l’horizon 2025 et la candidature de la France à l’Exposition universelle –, nous pouvons, en notre qualité de transporteur quotidien de 3 millions de passagers, apporter quelques éléments de réponse sur deux plans : la gestion des grands événements, dont nous avons l’expérience, et le Grand Paris.
Pendant les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), qui ont été une réussite, la ligne C du RER a joué un rôle fondamental, une foule très nombreuse étant réunie autour du pape au Champs-de-Mars et près de la Tour Eiffel ; le constat a été fait que nous pouvions travailler avec les collectivités territoriales et les services de l’État, dans un site emblématique, pour assurer à la fois le transport et la sérénité des participants. Quant à la Coupe du monde de football de 1998, elle s’est déroulée au Stade de France mais aussi, on l’oublie souvent, dans plusieurs stades de province ; un dispositif de transport spécifique avait été pensé pour les équipes et les supporters, et les choses se sont faites, cette fois encore, dans la sérénité. Dans les deux cas, le jugement porté sur les transports par l’ensemble des participants a été positif.
Mais à supposer qu’une exposition universelle soit organisée en France en 2025, l’événement aurait une autre dimension, et en durée et en nombre des visiteurs accueillis. Les JMJ avaient duré quelques jours ; six mois, c’est une autre histoire. Faudrait-il adapter l’offre de transport à des visiteurs aussi nombreux ? Nous pouvons dire si cela est possible techniquement, mais c’est au Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) qu’il revient de déterminer si l’idée est pertinente, et si elle l’est, de définir le schéma des modes de transport supplémentaires nécessaires et la tarification.
Comme nul n’en ignore, le réseau Transilien est saturé ; d’autre part, son état appelle un programme de rénovation massive des infrastructures, qui durera des années. La représentation nationale examinant en ce moment même le projet de réforme ferroviaire, on peut espérer que l’organisation des transports collectifs de voyageurs sera stabilisée rapidement et que les crédits permettant la rénovation du réseau en Île-de-France seront débloqués à une cadence suffisante pour qu’en 2025 ces difficultés aient été résolues. L’effort financier à venir porte et sur la remise en état du réseau et sur la création de grandes infrastructures. Pour ce qui nous concerne, il s’agit du projet Eole de liaison entre Seine Aval, La Défense et l’Est parisien. Si le calendrier prévu est tenu, ce projet sera achevé avant 2025, ce qui concourrait à une offre de transport supplémentaire au moment de l’exposition universelle. Le STIF a aussi réaffirmé son engagement à réaliser plusieurs projets de tramway, lesquels n’offrent pas les mêmes capacités de transport qu’Eole : une ligne entre Massy et Evry ; le prolongement de la ligne T4 à Clichy-sous-Bois et Montfermeil ; la tangentielle Nord, qui devrait être mise en service en 2017.
En résumé, étant donné le retard d’investissements dans le réseau depuis 30 ans, nous sommes à la limite de nos capacités sur de nombreux axes majeurs et de lourds travaux s’imposent pour augmenter le volume de l’offre de transport. Pour les réaliser, une décennie n’est pas une durée aussi longue qu’on pourrait le penser. En toute hypothèse, sur ces axes majeurs, même si le réseau est amélioré, il n’est pas certain que nous puissions transporter beaucoup plus de passagers qu’aujourd’hui aux heures de pointe : certains corridors sont à saturation, et les mesures à prendre pour résorber cette saturation amèneraient en tout état de cause au-delà de 2025. Dans d’autres corridors où les projets sont lancés l’offre sera augmentée : c’est le cas d’Eole et de certaines lignes de tramway, et cela concourt à une géographie différente des transports en Île-de-France
Vous comprendrez que je ne puisse me substituer à la Société du Grand Paris pour traiter du Grand Paris Express, dont elle est l’opérateur. Je souligne toutefois que le futur maillage de la couronne parisienne modifiera le rôle de Transilien SNCF. En ce moment, nous transportons principalement les voyageurs de banlieue vers Paris et la première couronne ; la nouvelle organisation fera de nous un transporteur de banlieue à banlieue. À titre d’exemple, qui veut se rendre aujourd’hui d’Arcueil à Melun par les transports en commun doit transiter par Paris, ce qui incite à prendre sa voiture ; il en ira différemment. De même, le trajet Clamart-Fontainebleau, actuellement très compliqué, se fera à l’avenir par le biais du métro automatique, à une fréquence soutenue. À l’horizon 2025, ces connexions de périphérie à périphérie nous conféreront un rôle structurant dans la mobilité à l’échelle de la métropole. Cette mobilité nouvelle permet aussi d’envisager une exposition universelle non plus centrée sur le cœur historique de l’agglomération mais polycentrique : voyager d’un site à un autre sans devoir passer par Paris permet des déplacements plus faciles et plus rapides. Le projet d’exposition universelle peut donc servir de révélateur du changement profond de la géographie des transports en commun en Île-de-France dans la décennie qui vient.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le cœur de Paris pourrait demeurer le « village central » de l’exposition, mais pays invités et animations seraient invités à se déployer dans des villes qui n’ont jamais bénéficié de l’effet de levier que suscite un tel événement. De nouvelles lignes devraient-elles être réalisées, ou vous appuieriez-vous sur un potentiel de lignes existantes qu’il faudra revitaliser ?
M. Pierre Messulam. Nous réutiliserons les lignes existantes. Le matin, entre la petite couronne et la grande couronne, le métro express peut permettre des trajets à contre pointe – dans ce sens, la capacité existe ; pour les trajets entre la grande couronne et la petite couronne, les choses ne sont pas aussi limpides. Mais, sur le fond, la combinaison des modes de transport permise par l’interopérabilité entre le réseau existant s’il est performant, le Grand Paris Express et des liaisons par autocars en certains lieux permettra des transports aisés à l’échelle de l’Île-de-France. Le site Internet de l’exposition universelle serait un formidable levier de mobilisation pour les transporteurs, invités, sous la houlette du STIF, à mettre en ligne un navigateur complet.
Pour nous, l’exposition universelle présenterait deux avantages : un plus grand nombre de passagers – encore que, sur certains segments, ce ne soit pas notre souhait premier … – et un surcroît de notoriété par la possibilité qui nous serait ainsi donnée de démontrer le savoir-faire de la SNCF et de la RATP dans le transport de masse. Ce serait aussi un jalon, une incitation forte pour tous les opérateurs de transport à se mobiliser pour travailler ensemble à la construction d’une nouvelle mobilité et, étant donné la force de l’enjeu, à se discipliner pour que tout fonctionne. On sait que les grands projets ont un formidable effet d’entraînement. J’y vois une opportunité pour faire progresser la gouvernance et la collaboration, et pour inventer de nouveaux outils avec les applications mobiles que nous développons. La Fabrique digitale que parraine la SNCF montre l’intense créativité des jeunes gens ; un événement tel que celui-là pourrait être à la fois un catalyseur d’inventivité et une vitrine du savoir-faire français pour nous, opérateur de transport, et pour toute la filière numérique.
M. Hervé Féron. Le succès du projet auquel nous travaillons suppose une collaboration étroite entre de multiples partenaires, dont, bien sûr, les entreprises de transport de voyageurs ; c’est ce qui nous conduit à vouloir apprécier la situation présente et son évolution dans votre domaine d’intervention. Or, nous entendons dire que des retards sont constatés dans les réalisations déjà prévues. D’autre part, votre projet est-il de remédier à l’engorgement actuel ou d’anticiper pour être en mesure de répondre aux besoins qui se manifesteront d’ici 20 ou 30 ans ? Adapter le réseau aux besoins suscités par une exposition universelle ponctuelle est une chose, mais cet objectif devrait aussi être l’occasion de donner un coup de fouet à votre projet de fond, qui doit être d’améliorer le service toute l’année dans deux ou trois décennies. Mais j’entends aussi qu’en matière de crédits pour les travaux à conduire, on n’est sûr de rien. Il faudra pourtant des moyens supplémentaires pour réaliser plus vite les travaux nécessaires.
M. Pierre Messulam. Après qu’en 2005 l’audit réalisé par l’École polytechnique fédérale de Lausanne a mis en évidence le retard pris dans la régénération du réseau ferroviaire français, l’État a confié à Réseau ferré de France (RFF) le soin d’accroître très fortement le rythme de ses travaux, portant pour cela de 400 millions à plus d’un milliard d’euros chaque année entre 2012 et 2020 les crédits correspondants. Il en est résulté une montée en puissance considérable en Île-de-France : les besoins sont gigantesques, mais l’on se donne une stratégie et les moyens d’y répondre. Si l’on se tient à cette trajectoire, en dix ans la question sera largement maîtrisée ; il n’y a pas de doute à ce sujet, mais la condition, c’est le maintien des crédits. Or les concours publics sont moins extensibles que jamais et des choix doivent être faits qui, dans notre domaine, seront peut-être difficiles. Mais nous savons aussi qu’en cette matière la volonté politique est partagée sur tous les bancs du Parlement, ce qui nous fait penser que les choses se feront.
Que se passera-t-il dans vingt ans ? Pour éclairer l’avenir, à peine installé dans mes fonctions actuelles, il y a quatre mois, j’ai pris langue avec l’Institut d'aménagement et d'urbanisme d’Île-de-France (IAURIF) et le cluster de l’École des Ponts et Chaussées pour demander la réalisation d’une étude prospective sur la répartition de la population dans la région et ses caractéristiques dans vingt ans, afin d’avoir une idée précise des besoins futurs. L’analyse de la carte de l’Île-de-France montre l’hétérogénéité des territoires en termes de mobilité, de besoins de mobilité et aussi des ressources que l’on peut y consacrer. Il n’appartient pas à la SNCF de se substituer à la puissance publique dans les décisions d’aménagement de la région mais, comme les autres transporteurs, nous demandons la définition d’une stratégie de moyen terme cohérente et stable qui nous permettra d’adapter l’offre de transport à ce que seront l’habitat et l’emploi dans vingt ans. L’effet d’inertie fait que pour la décennie à venir, qu’il s’agisse de démographie ou de construction d’infrastructures, on sait déjà où l’on va ; au-delà de dix ans, des inflexions sont possibles.
Tout pays candidat à l’organisation d’une exposition universelle doit pour commencer définir si l’on crée des sites spécifiques et si oui, en quels lieux, et à quel futur ils sont promis. Si l'on décide à cette occasion de créer de nouveaux bâtiments qui deviendront des quartiers d’habitation, il est logique de prévoir leur desserte par les transports en commun ; à l’horizon de dix ans, on pourra, sinon tout faire, du moins créer la dynamique qui permettra d’aller au-delà. Si l’on décide en revanche de bâtir des sites d’exposition uniquement, il faut définir le nombre de visiteurs potentiels attendus et déterminer si la durée de l’événement justifie la création d’infrastructures de transport nouvelles, quelles qu’elles soient. Mais, étant donné le coût de réalisation d’une infrastructure de transport et sa durée de vie, mieux vaudrait néanmoins que ces ouvrages continuent d’être utilisés ensuite, et qu’ils soient donc conçus pour s’intégrer dans le plan des aménageurs. Une voie ferrée coûte cher et s’amortit, au mieux, en trente ou quarante ans. Le mode ferroviaire est pertinent pour gérer des masses de passagers en transport urbain ; si l’on décide de créer de nouvelles infrastructures ferroviaires pour l’exposition universelle, il serait donc judicieux de choisir des implantations permettant la construction d’infrastructures où l’on puisse gérer ces masses et qui serviront même la fête finie. Nous participerons volontiers à des groupes de travail prospectif mais, n’étant pas les aménageurs, nous ne sommes pas en mesure de dire seuls quel serait le devenir des infrastructures créées pour une exposition universelle.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le projet est conçu en fonction de l’existant et des choix déjà arrêtés, et donc du schéma retenu pour le Grand Paris Express, qui aurait ainsi une justification supplémentaire ; il ne s’agit pas de construire de nouvelles zones spécifiquement pour l’événement. Observez-vous des modifications d’usage du réseau de transport francilien ? Pourrait-on tabler sur un lissage des heures de pointe, ce qui permettrait aux touristes de se déplacer confortablement même à 8 heures le matin ? D’autre part, les nouvelles rames seront-elles équipées d’écrans propres à faire du temps de transport un temps de découverte ?
M. Pierre Messulam. Nous incitons les employeurs à une réflexion sur l’étalement des horaires de travail pour éviter les pics de fréquentation des transports collectifs. On constate une « hyper pointe » d’une heure le matin ; la période de pointe vespérale, plus étalée, reflète l’hétérogénéité des temps de travail. Le télétravail peinant à s’amorcer, je ne pressens pas de changements radicaux au cours des prochaines années. Nous allons créer des centres de services à côté des gares pour en faire des lieux clés de la vie de la cité et nous espérons que ces initiatives auront du succès, mais il faut être très optimiste pour penser que cela permettra d’écrêter les pointes de trafic et de libérer des capacités. Il conviendrait donc de prévoir la tenue des événements phares de l’exposition universelle à d’autres plages horaires – d’autant que, la semaine dernière, M. Pierre Mongin, son président, a indiqué que la RATP estime devoir réévaluer de 30 à 50 % la fréquentation du Grand Paris Express ; s’il en est ainsi, les nouvelles infrastructures qui vont être construites ne permettront pas de dégager des capacités supplémentaires aux heures de pointe. Il n’est pas dit que les visiteurs de l’exposition universelle seront tous d’attaque à 8 heures le matin, mais la situation sera plus embarrassante le soir.
D’autre part, il ne faut pas négliger ce que le TGV peut apporter et comme alternative à l’avion pour les visiteurs étrangers et pour permettre des hébergements hors Paris – à Tours, Reims ou Dijon par exemple. Dans ce cas, les touristes pourraient aussi gagner directement certaines gares TGV situées hors les murs de Paris.
Des commandes de matériel roulant neuf, construit en France, sont en cours ; ces trains commencent à entrer en service. Après qu’un débat a eu lieu à ce sujet avec l’autorité organisatrice, les rames comptent peu d’écrans destinés aux passagers. Nous voulions en installer, mais diverses considérations nous ont retenus – la crainte du vandalisme et la question des contenus projetés. D’autre part, la généralisation des smartphones fait que nous devons disposer d’un réseau 3G ou 4G suffisamment puissant. Or sa capacité est limitée, au point que le déploiement d’applications internes en est freiné : les données transmises à nos agents ne passent pas, ce qui empêche de renseigner les clients en temps voulu. Mieux vaut donc, à mon sens, concentrer les efforts sur ce point ; l’exposition universelle obligera à améliorer le dimensionnement et la qualité des infrastructures numériques de notre réseau, ce qui est nécessaire et en interne et pour les visiteurs. Plutôt que de modifier les trains nouveaux à grand coût et au terme de multiples discussions, je suggère de jouer à fond la carte numérique, secteur dans lequel la créativité française est reconnue.
Enfin, est-il prévu de concentrer l’exposition universelle en Île-de-France ou, comme le laisse entendre l’intitulé du projet, d’autres sites sont-ils prévus,?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je penche en faveur d’un réseau de « villes relais » telles Nantes, Lyon ou Nancy, dans lesquelles des thématiques spécifiques seraient déclinées pendant un temps. C’est pourquoi les conditions de transport et l’inter-modalité avec le TGV nous intéressent.
M. Pierre Messulam. J’appelle votre attention sur l’extrême importance de la gestion des foules dans les gares, tout dérèglement étant cause de troubles. Notre savoir-faire est établi et nous maîtrisons la gestion de flux massifs de voyageurs sans incidents, comme le constatent les 80 000 spectateurs qui assistent aux matches au Stade de France. Dans la perspective de l’exposition universelle, il faudra s’assurer du bon dimensionnement des gares, indispensable à une circulation fluide et au contrôle des foules sans tensions. Il faudra aussi tenir compte des impératifs de sûreté urbaine, qui conditionnent également l’efficacité de notre système. Pour parler cru, j’évoquerai les conséquences d’un suicide sur l’écoulement du trafic et le temps nécessaire pour obtenir l’intervention des services compétents avant de rouvrir la voie concernée. Plus le flux de personnes transportées est important, plus les questions de sûreté peuvent perturber le fonctionnement du réseau, au point de le bloquer ; pour ces raisons, il est indispensable de prévoir une coordination décloisonnée entre les transporteurs, la gendarmerie, les services policiers et judiciaires, les collectivités territoriales et les services de police municipale. Ainsi pourra-t-on plus facilement informer les visiteurs, grâce à des applications numériques en plusieurs langues, qu’un incident survenu en un point du réseau est susceptible de créer des problèmes ailleurs, et faciliter leur navigation.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur Messulam, je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Simon, président de l’association Paris IDF Capitale économique, et de Mme Chiara Corazza, directrice générale
(Séance du mercredi 18 juin 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Notre mission étudie les perspectives d’une candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025 conçue pour investir la pluralité des territoires du Grand Paris en utilisant les systèmes de transport existants. Au contraire du choix fait par Shanghai de concentrer l’événement sur un site unique, nous envisageons non seulement d’utiliser les gares et les monuments du Grand Paris mais aussi d’impliquer les autres métropoles françaises dans l’accueil des visiteurs, avec un usage extensif des technologies numériques. Parce que vous conduisez un dialogue constant avec les pays étrangers, nous vous entendrons avec un intérêt particulier nous dire quelle appréciation vous portez sur l’attractivité du territoire Paris-Île-de-France, ses atouts et ses faiblesses, et en quoi une exposition universelle pourrait la servir.
M. Pierre Simon, président de l’association Paris Île-de-France Capitale économique. Vous accueillez deux interlocuteurs qui, je vous le dis d’emblée, soutiennent avec enthousiasme la candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025. Mon propos reflétera le point de vue de l’association Paris Île-de-France capitale économique, qui œuvre au renforcement de l’attractivité de la région pour y attirer les investisseurs.
Notre premier outil de diagnostic est l’édition annuelle de l'Observatoire des investissements internationaux créateurs d’emplois et d’activités nouvelles – dits investissements Greenfield – dans les principales métropoles mondiales, réalisé par le cabinet KPMG à notre demande. D’autre part, nous avons publié, en coopération avec la Chambre de commerce de Paris, une étude réalisée avec la contribution du cabinet Roland Berger, intitulée Compétitivité et attractivité, le double défi des villes globales : comment réinventer le modèle économique de Paris-Île-de-France? ». Elle tend à définir comment se forme le PIB des métropoles, quelle est son origine et s'il existe différents modèles économiques ; les comparaisons peuvent toujours prêter à interprétation, mais ce sont de bons indicateurs. Enfin, même si elles sont plus subjectives, les observations des investisseurs que nous rencontrons méritent que l’on s’y arrête.
Ces études montrent que nous perdons du terrain depuis cinq ans au moins. Les chiffres, établis à partir d’une base de données internationales, sont incontestables : en cinq ans, le nombre de nouveaux investissements directs étrangers dans la région capitale est passé de 192 à 108, remontant un peu l’année dernière. Pendant la même période, ils passaient, à Londres, de 276 à 350 – après un pic à 389 dû aux jeux Olympiques – et, à Shanghai, de 171 à 240, avec un pic à 309 au moment de l’Exposition universelle.
Nous perdons aussi du terrain en termes de croissance. Aujourd’hui, le PIB de Paris Île-de-France est le troisième PIB métropolitain mondial, derrière ceux de New York et de Tokyo. Tout dépend certes du périmètre des régions considérées. Cependant, la comparaison des taux de croissance naturels à Paris Île-de-France et dans les autres métropoles mondiales montre que, toutes choses égales par ailleurs, la région capitale rétrogradera à la huitième place en 2030. Cela tient pour partie au poids nouveau des pays émergents, mais il est ennuyeux que le taux de croissance de Londres ou de New York soit supérieur au nôtre. Prenons pour exemple le tourisme : représentant en moyenne 10 % du PIB – un peu moins pour nous –, c’est une activité majeure pour toutes les métropoles. Dans ce secteur, nous sommes en deuxième position, derrière Londres, en nombre de touristes internationaux reçus, mais une fâcheuse stabilisation s’est produite au cours des dernières années. Un glissement s’est opéré : nous recevons beaucoup plus de touristes asiatiques mais moins d’Américains et d’Européens. Il n’y a pas d’effondrement mais pendant qu’il bondissait de manière spectaculaire à New York, le nombre de touristes étrangers est demeuré le même à Paris.
Indépendamment de ce diagnostic, et dans la perspective d’une candidature à l’exposition universelle de 2025, j’appelle en premier lieu votre attention sur le fait que l’innovation, sous toutes ses formes, est au cœur de la stratégie de développement économique de toutes les grandes métropoles performantes. Ainsi M. Bloomberg, son ancien maire, a-t-il affirmé de manière catégorique la volonté politique de faire de New York la deuxième Silicon Valley.
Ensuite, les métropoles qui réussissent ont, toutes, adopté une gouvernance économique unique résultant d’un plan stratégique, élaboré et mis en œuvre en association étroite avec le monde économique.
Enfin, l’image d’une métropole n’est qu’un élément parmi d’autres du choix des investisseurs. À l’enquête réalisée auprès de 500 grandes entreprises auxquelles il était demandé de dire : « Quelle capitale a la plus belle image ? », il est frappant de constater que les grandes capitales « traditionnelles » que sont Paris, Londres ou New York ont été citées bien plus souvent que celles qui reçoivent le plus d’investissements – Pékin ou Mumbai par exemple. En d’autres termes, l’image globale, subjective, n’est pas sans importance, mais les critères de décision des investisseurs sont plus objectifs. Ils vont là où ils sont assurés d’une stabilité juridique et fiscale, là où l’économie est en croissance, là où il y a un marché, là où existent de bonnes infrastructures de transport et informatiques et où le personnel est bien formé ; là, aussi, où la qualité de vie est bonne, mais ce critère vient en queue de liste…
L’attractivité d’un territoire suppose donc la définition d’une politique d’ensemble. À cet égard, certains épisodes ont un effet dramatique : si l’on s’efforce d’attirer des investisseurs en leur vantant le crédit d’impôt recherche mais que la presse explique suite que l’État pourrait remettre le dispositif en cause, le mal est fait quelle que soit la décision finalement prise par la puissance publique.
Pour autant, l’image d’un territoire n’est pas tout à fait neutre. Or, il existe un décalage important entre les faits et la perception que l’on a de nous à l’étranger : l’image que nous projetons est moins bonne qu’elle ne devrait l’être. Ainsi, dans le classement établi à la suite des réponses à la question « Quelle métropole européenne est la plus innovante ? », posée dans une étude menée il y a deux ans, Londres arrive en tête, devant Paris ; pourtant, nous avons deux fois plus de chercheurs et nous déposons deux fois plus de brevets que nos voisins britanniques. Puisqu’elle a des répercussions sur l’appréciation globale portée sur un territoire, l’image projetée n’est pas indifférente ; nous devons donc impérativement travailler notre marketing.
D’autre part, la France est perçue comme immobile et incapable de se réformer ; c’est un handicap réel. Pour déconstruire cette image, je me sers du dossier du Grand Paris, dont l’importance est cruciale pour faire valoir que, au contraire, notre pays a une vision. Il est essentiel de parvenir à démontrer que non, nous ne faisons pas que regarder derrière nous, et que nous avançons. Je suis frappé de constater que nombre de mes petits-enfants considèrent que les choses bougent, ailleurs, plus qu’en France.
Si l’idée d’une candidature de la France à l’Exposition universelle de 2015 nous enthousiasme, c’est que tous les territoires qui ont organisé de grands événements ont connu une poussée d’investissements ; à Londres comme à Shanghai, les chiffres en attestent.
C’est aussi que l’exposition universelle serait en soi une occasion exceptionnelle de contacts avec des investisseurs industriels et financiers ; cela doit être organisé très en amont car il y a là un enjeu économique majeur.
C’est encore parce que, j’en suis convaincu, une exposition universelle serait un sérieux accélérateur du dossier du Grand Paris, dont la réalisation n’est pas acquise aujourd’hui : il serait inconcevable qu’un tel événement se tienne sans qu’une liaison express ait été réalisée entre Paris et les aéroports de Roissy et d’Orly. L’exposition nous donnerait ainsi une occasion exceptionnelle de mettre en valeur nos savoir-faire en matière de transport, qu’il s’agisse de trains ou de gares ultra-modernes, et le calendrier, s’il est tenu, est parfait.
L’exposition universelle serait aussi l’occasion de valoriser l’image de Paris « capitale du bonheur », et par ricochet les industries du bien-être et de la mode. Paris, c’est aussi cela, et nous ne devons ni perdre ni négliger cette image d’excellence.
J’ai cru comprendre que vous voulez faire de l’innovation la trame de l’exposition ; l’idée est excellente, car c’est l’argument avancé par toutes les grandes métropoles qui cherchent à « se vendre ». Il faut entendre l’innovation en tous domaines – design, image, numérique, biotechnologies… – et mobiliser pour cela entreprises, pôles de compétitivité et incubateurs.
L’exposition universelle donnerait aussi l’occasion bienvenue de tester une nouvelle gouvernance économique : pareil projet ne peut s’envisager sans une gouvernance unique bien organisée, associant les entreprises. Enfin, en mobilisant les énergies, l’exposition universelle permettrait de combattre le pessimisme.
Cependant, quelques interrogations demeurent. En premier lieu, l’angle choisi pour présenter la candidature de la France est intéressant mais son originalité est facteur de risque. D’autre part, une exposition universelle crée des conditions nouvelles de vie, notamment économique, pendant une longue période. Il faudra donc résoudre les problèmes de coordination avec des manifestations habituelles qui ont elles-mêmes un poids important. Le salon de décoration Maison et objet représente ainsi 10 000 nuitées et a un fort impact pour les taxis et les restaurants. Cela peut-être une opportunité : on peut imaginer des coordinations ou trouver des modalités d’association possibles pour favoriser à cette occasion les contacts entre investisseurs et entreprises. Se pose encore la question de l’équilibre financier d’une telle manifestation, dont je ne doute pas qu’elle est au cœur de vos réflexions.
Enfin, le professionnalisme de l’organisation de la candidature est une exigence absolue, et l’une des conditions de la réussite. Vous pouvez compter sur nous. Nous avons déjà pris des initiatives pour mobiliser nos membres, dont certains participent à votre tour de table. Nous serons à vos côtés, dans la mesure de nos moyens.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. L’idée courant aussi de présenter la candidature de la France à l’organisation des jeux Olympiques de 2024, j’aimerais vous entendre dire quels sont les avantages et les inconvénients comparés des deux types de manifestation.
Mme Chiara Corazza, directrice générale de l’association Paris IDF Capitale économique. C’est sans doute ma qualité d’étrangère, moitié britannique, moitié italienne, et la distance qu’elle crée, qui m’a valu d’être retenue pour promouvoir la candidature de Paris à l’organisation des jeux Olympiques de 2008. Jeux Olympiques et expositions universelles ont plusieurs points communs. Tous créent une dynamique qui tire les investissements et attirent l’attention des media ; tous, où qu’ils aient lieu, suscitent la fierté du peuple organisateur ; tous suscitent une sorte d’union sacrée, comme on l’a vu au sein du comité de candidature à l'organisation des Jeux Olympiques de Paris 2008, où siégeaient, main dans la main, une ministre de la jeunesse et des sports communiste, un président de région socialiste et un maire de Paris membre du RPR.
Les différences entre les deux types de manifestations portent sur les types de public et les retombées qu’elles entraînent. On peut regarder les épreuves des jeux Olympiques à la télévision, et seuls quelques privilégiés participent à la fête. Au contraire, l’exposition universelle est une expérience vécue, qui a un aspect à la fois ludique et pédagogique : on vulgarise le progrès et ses applications, et la manifestation mêle grand public et affaires, comme on l’a vu lors de l’exposition universelle de Shanghai, avec d’importantes retombées pour les entreprises présentes, quelle que soit leur taille. Une exposition universelle est une vitrine de démonstrations technologiques ; ce n’est pas le cas des Jeux Olympiques, occasion donnée à de grands sponsors de « truster » l’économie sans que cela profite ni aux petits commerçants ni aux habitants du pays d’accueil – Londres, on l’a vu, s’est vidé de ses habitants pendant les Jeux. Outre cela, une exposition universelle réunit des publics très divers, dont des universitaires et des étudiants, par le biais des concours d’architecture et des business plans. Enfin, pour les Jeux Olympiques, le Comité international olympique fait la loi, et sa loi est très stricte ; il en va autrement avec le Bureau international des expositions (BIE), qui a bien sûr ses propres critères, mais qui laisse davantage de place à l’inventivité et au pouvoir de conviction des candidats.
Enfin, nous sommes bien placés pour le savoir puisque, par deux fois, ses dossiers de candidature n’ont pas abouti en dépit d’un professionnalisme indéniable, la France ne me semble pas bien préparée pour accueillir les Jeux Olympiques, et les données que nous ne maîtrisons pas sont trop nombreuses. Pour voir retenue sa candidature à l’organisation d’une exposition universelle, les choses sont plus simples: il suffit d’être les meilleurs ! Les membres du BIE peuvent être sensibles à la symbolique du nouveau métro faisant écho à l’ouverture de la première ligne de métro lors de l’Exposition universelle de Paris en 1900 ; à l’accent mis sur la « ville intelligente » ; au fait que l’utilisation des bâtiments existants abaissera les coûts ; au volet d’intégration sociale dans un Grand Paris en pleine transformation que n’auraient pas nécessairement les Jeux Olympiques. Enfin, qu’il n’y ait pas eu d’Exposition universelle en France depuis longtemps affermit la légitimité de cette candidature.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie pour ces observations éclairantes. L’association Paris Île-de-France Capitale économique fait fonctionner en réseau les collectivités locales, l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII), de grandes entreprises et le réseau consulaire. Pensez-vous ces entités aux statuts juridiques différents capables de se mobiliser solidairement pour appuyer cette candidature ?
M. Pierre Simon. Tout grand projet appelle un leadership : avec un directeur de projet charismatique, on abat des montagnes, et si le projet est ambitieux, on dépasse les concurrences d’image, de statut et de pouvoir. À Lyon, théâtre d’une remarquable solidarité territoriale, le maire consacre 60 % de son temps au développement économique de sa ville. Il est beaucoup plus difficile de créer un élan de cette sorte à Paris, et cela me désole. Mais je puis vous assurer que si un leadership incontestable et un projet ambitieux sont définis, entreprises et réseau consulaire se mobiliseront en faveur de ce projet. Cependant, il est exclu d’imaginer organiser en France, à un an d’écart, des Jeux Olympiques et une exposition universelle. Ce choix doit donc être réglé assez vite, sinon la chose se compliquera, certains acteurs hésitant à s’investir sans savoir de quel côté penchera finalement le fléau de la balance. Il y a beaucoup d’atouts en faveur d’une exposition universelle et tout projet qui suscite la fierté est mobilisateur. Une fois dépassées les interrogations – « Ira-t-on au bout ? » –, la mayonnaise prendra et la marche vers le succès sera enclenchée.
Mme Chiara Corazza. Ce choix doit intervenir rapidement pour que la candidature soit préparée le mieux possible. Plusieurs facteurs devraient être pris en considération : les coûts des deux manifestations diffèrent, les caisses de l’État sont vides et les chances de voir la candidature de la France aboutir ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Si l’on penche en faveur de la candidature de l’Exposition universelle, chacun, j’en suis persuadée, courra au secours de la victoire. Un tel projet, bon pour l’image de la région et du pays, susciterait forcément cohésion et enthousiasme. Qu’il opte pour l’exposition universelle ou pour les Jeux Olympiques, l’État doit choisir vite pour éviter la dispersion des énergies et permettre à tous les acteurs de s’engager franchement, sans attendre.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. La réponse se construit progressivement, à mesure que notre mission voit converger des propositions et des arguments constructifs et qu’elle prend acte de l’adhésion de grandes entreprises, d’universités, de grandes écoles, des associations d’élus et des élus eux-mêmes. L’État sera sollicité après la fin de nos travaux, quand nous pourrons présenter un projet complet, mais nous notons que l’alchimie que vous avez évoquée se forme déjà. L’originalité du concept que nous souhaiterions présenter au BIE – réinvestir l’existant – est en soi un défi et présente donc un risque au regard des modèles traditionnels d’exposition universelle ; il nous revient de transformer cette contrainte en atout. L’équilibre financier de la manifestation est un autre défi d’ampleur : pour que le projet ne coûte rien au contribuable, il faudra revisiter les modes de financement participatifs qui caractérisaient les expositions universelles initiales et mettre en œuvre diverses formes de co-financement. C’est enfin notre conscience aiguë de l’exigence de professionnalisme qui nous a incités à lancer les travaux exploratoires treize ans avant la date prévue pour l’Exposition.
M. Pierre Simon. Je vous félicite pour votre travail, et je vous le redis, notre association a toute sa place dans la préparation d’une exposition universelle.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Madame, monsieur, je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai
(Séance du mercredi 25 juin 2014)
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. Nous sommes heureux d’accueillir M. Xu Bo, diplomate chinois. Vous avez été en poste au Liban, à Bruxelles et à Strasbourg. Vous avez été premier secrétaire à l’ambassade de Chine à Paris, où vous avez représenté la Chine au Bureau International des Expositions. Vous avez, en 2004, été nommé adjoint au Commissaire général pour préparer la grande exposition universelle de Shanghai, que tout le monde connaît et qui a eu un succès retentissant à travers le monde. Vous êtes très attaché au dialogue interculturel. Vous avez une relation extrêmement forte avec la France et il suffit de vous écouter pour comprendre combien vous connaissez la culture française et combien vous l’appréciez, parce que vous parlez français de manière remarquable, quasiment sans accent. Je suis impressionné de vous écouter vous exprimer en français.
Votre audition est, pour nous, importante et même stratégique. Vous avez le double avantage de connaître de l’intérieur les expositions universelles pour en avoir été un des arbitres au Bureau International des Expositions (BIE) et pour avoir vous-même organisé l’une des plus grandes expositions universelles, à Shanghai. Vous avez aussi cette culture française et ce regard sur la France qui vont nous être très utiles pour savoir comment vous observez la perspective d’une candidature de la France à une exposition universelle en 2025.
La mission parlementaire a pour objectif d’analyser la pertinence de cette candidature. Nous avons hâte d’écouter votre expérience de Shanghai et de vous entendre nous raconter l’histoire de cette exposition, la manière dont la candidature chinoise a été présentée et l’organisation de l’événement en Chine. Vous pourrez nous dire dans la foulée comment vous appréciez la perspective d’une candidature française. Que devrait et ne devrait pas faire la France pour susciter l’intérêt de la Chine et de tous les pays du monde qui regarderont probablement avec beaucoup d’intérêt cette candidature.
Je vous remercie de vous être rendu disponible pour passer ce moment avec nous.
M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai. Merci beaucoup M. le Président, M. le rapporteur, Mmes et MM. les députés, chers amis. C’est un honneur que vous me faites en m’invitant à parler de mon exposition universelle de Shanghai, que j’ai vécu pendant un long moment et que je considèrerai toujours comme quelque chose d’important dans ma vie. Elle fut aussi importante pour la Chine. J’aimerais partager avec vous ce que nous avons fait pour l’Expo. Comme le Président Fromantin m’y invite, je pourrais éventuellement faire des remarques sur la candidature française pour 2025. L’Expo Shanghai est à l’honneur aujourd’hui et j’ai mis spécialement une cravate de l’exposition pour lui rendre hommage. Comme vous le savez très bien, nous avons mis près de dix ans pour la faire. En étant à l’ambassade de Chine à Paris, j’étais le témoin oculaire et un artisan de la campagne électorale de 2002 que nous avons gagnée le 3 décembre. Elle nous a demandé deux ans de préparation. C’était une campagne très chargée, très difficile, acharnée même. Nous la disputions à cinq pays, dont la Corée du Sud et la Russie, qui sont des adversaires redoutables parce qu’ils avaient chacun un plan très solide. Je suis retourné à Shanghai en 2004. J’étais le directeur des relations extérieures, celui des participants internationaux et celui des affaires étrangères de l’exposition.
J’ai vécu vraiment les coulisses de cette exposition. À tout point de vue, cela en vaut la peine. Tout le monde sait très bien que Shanghai a en bien profité et la Chine aussi, diplomatiquement, économiquement, en termes de construction de l’image de la ville. Elle a donné de la fierté aux Chinois, parce que c’est une exposition que nous avons attendue cent ans. Il y avait une légende selon laquelle un écrivain chinois a rêvé que la Chine, devenue une puissance forte, trouvait une incarnation. Cette incarnation devait venir des pays qui avaient le droit d’organiser des expositions universelles. C’était la France. C’était la Grande Bretagne. D’après cet écrivain, il fallait que la Chine, dans cent ans, organise une exposition universelle. Il en a fait un roman. Cent ans plus tard, nous l’avons organisée. L’exposition a été conçue à travers les deux rives du Huangpu. C’était l’exposition d’un rêve. Elle incarnait la reconnaissance d’une renaissance. Toute la Chine, tous les Chinois se sentent fiers d’avoir organisé cette exposition. Il est inutile de vous expliquer davantage combien il est important de le faire. Nous sommes là pour convenir que nous en sommes tous convaincus.
Monsieur le Président m’invite à vous donner mon regard sur la France. Je suis un ami de la France. Je vis ici. La France est une référence très forte en matière d’exposition universelle. Elle l’a organisé sept fois dans le passé. Elle a imaginé beaucoup de choses. Quand on parle d’expositions, on parle aussi de la France. Mais cela fait un certain moment qu’elle n’en a pas organisé. Nous sommes à moment crucial. La France comme la Chine, le monde tout entier vit une transformation sociétale. Vous avez besoin d’une exposition. Nous avons besoin d’une exposition. Je pense que le monde entier a besoin d’une exposition qui élève, qui donne un espoir. Je pense qu’elle sera un dénominateur commun, un point de vue commun sur différents horizons. Je pense qu’elle est aussi nécessaire économiquement, diplomatiquement, il faut redorer le blason de Paris. Il y a une semaine, le ministre des Affaires Étrangères, M. Laurent Fabius, s’est exprimé sur le tourisme. La France est championne en la matière. Elle a déjà attiré près de 100 millions de touristes. En 2025, il faut en attirer davantage. Il faut avoir des projets qui donnent de la fierté non seulement au peuple français mais aussi au monde entier. Je pense que nous en avons besoin. Nous avons besoin de la France. C’est un pays toujours pionnier, dans tous les domaines, dans celui des expositions en particulier. C’est à votre tour de l’organiser. Vous n’en avez plus accueilli depuis 1938 alors que votre pays est plein d’imagination. Vous avez des atouts humains, des talents. Pour résumer, mon argument est que la France a besoin de cette exposition, que le monde en a besoin. Pour l’avoir vécu, je pense que ce moment serait magnifique pour la France et pour le monde.
Reste à savoir comment monter cette exposition universelle. Tous les pays sont désireux de l’organiser parce que c’est quelque chose de bien, dont on peut être fier. Mais il y a une campagne à mener. La France est-elle prête à être sélectionnée ? La campagne a été très difficile pour la Chine. Ce fut aussi le cas pour Milan. La campagne a mobilisé les présidents des deux pays. J’ai participé à de nombreuses réunions pour la préparation de l’exposition de 2015. J’ai pu constater que les Italiens ont déployé de grands moyens. L’exposition universelle suivante, en 2025, sera celle de Dubaï. Vient ensuite celle de 2025. Je ne sais pas qui seront les prétendants. Il y en aura forcément beaucoup. Il y aura peut-être des surprises. Je vais m’arrêter là pour vous témoigner mon soutien. J’ai déjà donné plusieurs fois mon opinion au Président Fromantin. Pour être bref, je suis prêt à vous apporter mon concours de citoyen.
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. J’ai une première question à vous poser. Vous parliez à l’instant des deux ou trois années de compétition entre les pays du monde qui tentent de convaincre les électeurs du BIE que l’expo doit se passer chez eux. Comment s’organise cette compétition ? Faut-il se rendre dans les 160 pays qui votent ? Est-ce le réseau diplomatique qui fait le travail ? Y a-t-il eu plusieurs délégations chinoises qui ont été à la rencontre de ces pays ? Quels ont été, selon la typologie des pays ou bien pour chacun d’eux, les arguments avancés ? Étaient-ce des arguments relatifs au marché chinois, apportant une promesse économique à tous ces pays ? Étaient-ce des arguments portant sur le thème de l’exposition, « Meilleur vie, meilleure ville » ? Incitiez-vous les participants à venir innover sur ce thème ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur le déroulement de la campagne et les arguments à produire pour convaincre ?
M. Xu Bo. Premièrement, le rapport de candidature doit être soutenu par le Président de la République. Il doit auparavant écrire une lettre au Secrétaire général du BIE pour présenter la candidature du pays et lui apporter le soutien de l’État. Le ministre des Finances doit apporter une lettre de caution qui confirme le soutien financier de l’État. Par définition, l’Expo n’est pas un événement de même nature que les jeux Olympiques. Ce n’est pas la ville, c’est le Gouvernement central de l’État qui l’organise. La ville met en œuvre l’exposition mais c’est l’État qui parle. Il faut mobiliser au plus haut niveau. Le Président de la République lui-même doit être sensibilisé par votre campagne. C’est primordial.
L’État doit mettre à la disposition de cette campagne toutes ses ressources et ses atouts diplomatiques. Ce sont des diplomates qui font campagne auprès des délégués des États au BIE. Ce n’est pas comparable au Comité International Olympique. Les délégués ne peuvent pas se comporter comme des individus, chaque voix exprime l’attitude d’un pays. Vous avez le privilège de pouvoir rencontrer les délégués assez facilement puisque le BIE siège à Paris. Il faut les inviter, leur faire connaître le concept de votre projet. Il faut préparer un programme d’assistance pour les pays en voie de développement. Pour attirer leurs voix sur la candidature de Shanghai, nous avons financé leur participation à l’exposition pour un montant de 100 millions de dollars. C’est important. Les Coréens avaient également prévu cette contribution qui est dans leur coutume. Ce n’est pas mal vu. C’est normal que la Chine facilite la participation des pays pauvres. La France est-elle prête à le faire ? Il faut ensuite mobiliser les ambassadeurs dans les capitales des pays membres du BIE puisque c’est de la capitale que partent les instructions de vote transmises aux délégués réunis à Paris.
Beaucoup de pays, qui reconnaissent l’importance de la Chine, ont souhaité accompagner sa renaissance. Tout le monde a vu d’un bon œil sa réémergence. Ce fut surtout le cas des pays en voie de développement puisque nous nous considérons toujours de la même famille. Nous avons également des relations privilégiées avec des pays comme la France. Nous avons mobilisé facilement les capitales de ces pays pour obtenir leur soutien en faveur de l’Expo de Shanghai.
Mais il faut dire honnêtement que le marché chinois a donné à notre candidature un atout inégalé. Derrière la parole de la diplomatie publique, les pays développés comme les pays en voie de développement attachent de l’importance au marché. Chaque voix compte et il y a des tractations. Notre relation avec la France est sentimentale et stratégique. Les pays nordiques, par exemple, qui sont neutres dans les relations internationales, considèrent les expositions universelles comme un jeu, une rencontre culturelle entre les peuples moins importante que les autres événements internationaux. Mais, pour ces pays, le marché chinois est très attirant. Les négociations ont porté sur la création de liaisons aériennes entre les aéroports chinois et ceux des pays qui allaient voter pour nous. Il y a eu des négociations semblables avec des pays qui, même s’ils n’ont pas l’intention d’investir en Chine, veulent attirer les touristes chinois. Cela concerne un grand nombre de pays qui, s’ils n’ont pas d’investissements en Chine, y ont des intérêts. Je pense en particulier à l’Île Maurice. Ces intérêts doivent être travaillés. Pour les grands pays, ce travail est travail stratégique et politique. Pour les pays moyens, il est économique. Tout cela se prépare. Le délégué de la Grande Bretagne a dit très clairement qu’il choisirait le candidat qui présenterait le meilleur dossier, afin de soutenir la tradition de diplomatie publique et afin de promouvoir l’image du pays et non pas de gagner de l’argent. Cela a été dit très clairement.
La qualité du dossier est d’abord celle du thème retenu pour l’exposition. Nous avions un thème magnifique, consensuel : «Meilleure ville, meilleure vie ». Aujourd’hui, tout le monde vit en ville : cela a été facile d’obtenir les votes tant des pays développés que des pays en voie de développement.
Pour bien préparer votre candidature il faut qu’elle soit soutenue par la plus haute autorité politique et que votre arsenal diplomatique soit mobilisé.
Il faut également travailler, au cas par cas, pour obtenir les votes des délégués de chaque pays votant. Si l’on prend le cas de la Chine, c’est facile, les Chinois aiment Paris et seront convaincus par une candidature parisienne. Pour les autres pays, il va falloir tisser des liens étroits, développer les investissements, la culture, le tourisme.
Un bon dossier est un dossier conçu d’une manière complète.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Nous connaissons tous le succès de l’exposition de Shanghai, expo qui s’est inscrite dans le développement urbanistique d’une ville qui a transformé son réseau de transports.
Une candidature, il faut la gagner, mais il faut également faire partager l’événement à un peuple, aux habitants d’une ville, il faut les impliquer dans la défense de ce projet et dans le projet lui-même. Pouvez-vous nous dire quelle est la nature du plan que vous aviez mis en place pour impliquer l’opinion publique chinoise, mais surtout la mobiliser en faveur de l’exposition ? Vous aviez certainement eu besoin de milliers, voire des dizaines de milliers de bénévoles. Avez-vous donc mis en place un plan spécifique pour inciter à une mobilisation autour de l’exposition universelle ?
À Paris, on se trouve dans un contexte un peu différent, celui d’une ville, d’une métropole dans laquelle de nombreux bâtiments ont déjà été construits, notamment lors de précédentes expositions universelles. Si vous deviez présenter aujourd’hui la candidature de Shanghai, imagineriez-vous, par exemple, que l’exposition puisse se tenir non pas sur un seul site, mais sur plusieurs sites, afin de prendre en compte le développement urbain de la ville ? Pensez-vous que le Bureau international des expositions serait prêt à accepter une exposition multi-sites ?
M. Xu Bo. Concernant la participation du peuple, les Chinois sont très patriotes et c’était une exposition attendue depuis au moins cent ans ! Des campagnes de sensibilisation étaient organisées chaque jour. De manière directe ou indirecte, tout le monde était impliqué. À l’acmé de l’exposition, un million de volontaires, notamment de nombreux étudiants, étaient mobilisés, dans les quartiers, les aéroports. Les citoyens ont été sollicités pour donner leur opinion et apporter leurs suggestions vis-à-vis de l’exposition. Une campagne d’éducation, une campagne sur « l’étiquette », la politesse, mais également les connaissances géographiques ainsi que les relations extérieures, a également été lancée. Il faut dire, qu’honnêtement, les Shanghaïens étaient plus mobilisés que les Pékinois pour des raisons évidentes de distance géographique. Les campagnes d’éducation sont importantes. La mobilisation ne peut se faire que sur un plan moral, c’est comme cela que les citoyens se sentent maîtres du jeu, il est difficile de les impliquer sur un plan technique. Pendant six mois, tout le monde a été mobilisé, notamment les familles pour l’accueil des visiteurs. Voilà pour l’aspect partage !
Concernant la possibilité d’organiser une exposition multi-sites, spécificité de la candidature parisienne, prendre l’exemple de Shanghai n’est pas pertinent parce que nous disposons encore d’espaces à construire. C’était assez malin de choisir pour l’exposition un endroit à l’abandon : les anciens chantiers navals. En effet, les gens vivaient là dans des conditions misérables, on ne disposait d’aucun levier pour mobiliser, déménager : il fallait trouver un prétexte.
Il faut rendre hommage à votre délégué du BIE, M. Bernard Testu, ainsi qu’aux autres délégués qui sont venus visiter le site en 2001. Un autre endroit avait également était proposé, les champs de coton, qui ne sont pas le long du fleuve, et sont donc plus facilement constructibles. C’est le thème « meilleure ville, meilleure vie » qui a séduit les délégués, reconstruire une ville, un quartier, cela profite à tous, même aux gens déplacés, cela permet une régénération de la ville. C’était un dossier très solide. Imaginer une candidature de Shanghai sur plusieurs sites n’est donc pas pertinent.
Concernant Paris, il faut faire appel à l’imagination et les Français sont connus pour leur imagination ! C’est aussi une particularité qui aura l’atout de l’originalité ! On peut imaginer utiliser l’avenue de la Grande Armée jusqu’à la Grande Arche, mettre les bâtiments qui existent déjà, Grand Palais, etc…, à la disposition des pays participants pour en faire une vitrine de l’exposition. Le règlement du BIE précise que chaque pays doit être physiquement représenté, pour cela des quantités de terrain doivent leur être affectées car il ne s’agit pas d’une exposition virtuelle. Quelles surfaces seraient donc susceptibles d’être disponibles pour répondre à ce critère physique et quantitatif ? Monsieur le Président m’a expliqué qu’il souhaitait que les châteaux de Versailles, Chantilly, etc…soient mis à disposition.
Le défi français est de réussir à présenter un dossier dans lequel tout apparaîtra lié et non pas segmenté. Des solutions sont envisageables, avec suffisamment de finesse : il faut proposer des choses simples, pas trop techniques, trouver un thème qui puisse satisfaire l’ensemble des pays et fasse valoir les spécificités françaises qui sont le savoir-faire, le savoir-vivre. Actuellement, le monde souffre des bouleversements technologiques induits par la révolution numérique, la mondialisation, la société de consommation, la perte des repères éthiques. Peu de gens sont heureux, même en Chine, malgré le progrès. Pourquoi ne pas porter un projet qui ait pour thème le bonheur ? Imaginer le bonheur n’exige pas beaucoup d’espace, mais incite à participer aux manifestations culturelles, artistiques, digitales, virtuelles…A Versailles, par exemple, vous pourriez monter une exposition thématique à laquelle chaque pays pourrait participer, comme également sur l’avenue de la Grande Armée.
Ce type de compromis vous semble-t-il envisageable ? Les pays du Sud, notamment africains, seraient très enclins à participer à une exposition qui mettrait en valeur leur joie de vivre, leurs traditions. Si vous choisissez un thème très technologique, leur participation sera plus difficile.
M. Yves Albarello : Vous avez raison, Monsieur le commissaire, il faut faire rêver, nous avons besoin de rêver en particulier en ce moment ! Encore faut-il connaître les contours du bonheur et les définir ! Je voudrais revenir à des questions plus terre à terre. Comment l’exposition de Shanghai a-t-elle été financée ? S’agit-il d’un financement 100 % public provenant de l’État ? Y-a-t-il eu des partenariats public-privé, les entreprises chinoises ont-elles également participé au financement ? Quel bilan financier tirez-vous de cette exposition de 2010 ?
Vous qui aimez bien la France, qui la connaissez bien également, quels seraient les atouts – vous y avez répondu partiellement – que la France devrait mettre en avant pour cette exposition universelle de 2025 ?
M. Xu Bo. 18 milliards de yuans ont été consacrés à la construction. En termes de parité, en 2010, 1 yuan équivalait 10 euros, aujourd’hui, 1 yuan équivaut 8 euros. 10,6 milliards de yuan ont été affectés à l’opération elle-même. Le coût total de l’opération s’est élevé à 28,6 milliards de yuans.
Le financement, en provenance du gouvernement chinois, a été 100 % public. Shanghaï aurait aussi pu le financer car c’est une ville très riche. Concernant le bilan financier, le coût des constructions n’est pas immédiatement amortissable. Cependant, afin de rentabiliser l’exposition, on a monté une opération de marketing, de commercialisation, avec de nombreux partenaires : 13 partenaires globaux, 14 « senior partners », et des « partenaires de projets » sur l’eau, la communication... Toutes les entreprises souhaitaient participer. Au total, ce sont 56 partenaires, grands et petits, qui ont généré 7 milliards de yuans. Par exemple, pour être qualifié en tant que partenaire global, le ticket d’entrée était de 50 millions de dollars, pour des entreprises telles que Siemens, General Motors, Eastern Airlines,… Cela a été une belle affaire ! En échange nous ne donnions rien, cela assurait la réputation de ces entreprises sur le marché en tant qu’entreprise responsable.
Je prendrais l’exemple d’une entreprise de traduction qui s’était spontanément proposée pour assurer gratuitement la traduction. En échange de sa participation, elle a emporté, aujourd’hui, le marché local de la traduction.
De plus, les 73 millions d’entrées de l’exposition ont généré 6 milliards de yuans grâce à la vente de billets. Au total, 13 milliards de gains ! L’opération en elle-même étant de 10 milliards, le gain net est de 3 milliards !
En revanche, la construction est un coût qui ne s’amortit uniquement qu’avec le temps.
M. Yves Albarello. Que sont devenues, après la fin de l’exposition, les diverses construction réalisées sur le site ?
M. Xu Bo. J’aurais souhaité que le rideau ne retombe pas ! Mais nous n’avons gardé que quelques pavillons, dont ceux de la France, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Arabie Saoudite, les autres ont été détruits, du fait de la croissance considérable du prix du foncier, le prix du m2 étant passé de 5 000 yuans en 2003 à près de 70 ou 90 000 aujourd’hui ; la municipalité est satisfaite de pouvoir disposer de ces terrains. La question qui se pose est celle de l’utilisation à long terme : veut-on accorder la priorité à l’image ou gagner de l’argent ?
Quant aux atouts, chaque pays a les siens. Ceux de la France sont la joie de vivre, la culture, le bien-être ; les Chinois aiment la culture et prennent la France comme exemple. Elle possède en outre un patrimoine exceptionnel. Vous pouvez vendre le bien-être, le luxe. Si l’on choisit pour l’exposition un thème trop technique, la grande masse des visiteurs ne sera pas intéressée. Il faut concevoir une exposition populaire qui s’adresse à tout le monde, comme cela a été le cas en 1900. Le but du jeu est de partager, de faire visiter la France, l’autre but étant le profit diplomatique qu’en tirera le gouvernement de l’époque. Toute la presse mondiale en parlera. Milan et Dubaï ont également choisi des thèmes simples. À cet égard, il serait judicieux de faire une enquête d’opinion afin de cerner les priorités de la population.
Mme Martine Carillon Couvreur. Je vous remercie de votre présentation et de votre regard sur l’exposition. Vous avez évoqué l’histoire : il est vrai que les expositions universelles ont toujours une place dans la mémoire collective des Français. Vous avez également souligné qu’il n’était pas nécessaire de prévoir une exposition trop technique et que la question du bonheur était intéressante. Effectivement, nos concitoyens sont déroutés par l’accélération des technologies et se demandent ce que sera demain. La France doit se replacer dans la tradition des Lumières, et la notion de bonheur me convient. Dès que les gens peuvent se rassembler, cela crée une dynamique collective qui peut être partagée. Nous avons des traditions, un patrimoine et une culture qui font partie de notre identité et qui pourraient entrainer d’autres pays. Nous avons besoin de retrouver un sens collectif en choisissant parmi ces atouts un sujet d’actualité.
Affecter des lieux à divers pays est une idée intéressante. On pourrait de cette façon décliner cette exposition sur d’autres territoires : cela donnerait un sentiment de fierté à des provinces qui ont besoin d’être impliquées.
Enfin, comment faire participer les jeunes à un programme national ?
Mme Gilda Hobert. La culture est plus un outil qu’une thématique.
M. Xu Bo. Le thème doit donner le moral aux Français et aux autres peuples. Partager avec les provinces est important, mais cela risque de coûter cher aux participants, cela pourrait paraître discriminant pour certains pays, il faudrait réfléchir à des compensations.
La France doit faire face à des contraintes que la Chine n’a pas : elle n’a pas de terrains disponibles et l’État n’a pas d’argent. Il faut mobiliser les jeunes en recueillant leur opinion dès la préparation de la candidature, en leur demandant quel est leur vision du monde de 2025 et comment vivre mieux. De ce fait, ils se sentiront engagés. Un concours pourrait également être organisé entre les étudiants des pays francophones : quel sera le monde de 2025 ? Internet aura changé, la population aura augmenté, nous serons à la fin du premier quart du 21e siècle ; pourquoi ne pas travailler sur une date historique, y aurait-il un centenaire ou un bicentenaire à célébrer ? Les jeunes pourraient donner leur version du meilleur monde. Le bonheur nous touche tous, c’est une idée importante actuellement : l’ONU a institué une journée internationale du bonheur, l’OCDE travaille sur ce thème.
Mme Martine Carillon Couvreur. On évoque également la notion de bonheur intérieur brut.
M. Xu Bo. 300 millions de Chinois communiquent par WeChat,-application mobile chinoise de messagerie instantanée. L’exposition peut s’en inspirer. Facebook est beaucoup plus limité.
M. Yves Albarello. Avez-vous dû moderniser vos réseaux de transport ?
M. Xu Bo. 300 milliards de yuan ont été investis dans l’exposition. On a construit des lignes de métro : en 2003, il en existait seulement 5, puis le nombre a été porté à 15, soit plus de 500 kilomètres, ce qui a changé l’image de la ville. Avec la surchauffe de l’économie, l’État a gelé des investissements, mais Shanghai en a profité. L’exposition a été bénéficié aux dirigeants de la ville, mais également à la population.
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. Nous retenons de cet entretien l’importance du thème, qui doit être simple et universel, en privilégiant la rencontre et à propos duquel la France ne doit pas décevoir, car elle doit être digne de son rôle de précurseur en matière d’expositions universelles. On peut imaginer le cœur de l’exposition à Paris, puis investir le patrimoine avec des animations et la tenue de semaines spéciales dans les territoires. Tout sera distant de deux heures au maximum. En fait, le territoire français correspondra à une grande métropole asiatique ! M. Xu Bo, je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, sur le tournoi de Roland Garros, de M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis (FFT)
(Séance du mercredi 25 juin 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci d’avoir accepté cette audition. Notre mission d’information dure environ six mois. Nous avons choisi d’auditionner des personnes pour leurs connaissances de l’organisation des expositions passées, notamment de nombreux diplomates. Aujourd’hui nous poursuivons une séquence sportive avec une réflexion sur l’organisation de grands événements sportifs, en France, et, en particulier, à Paris. Ce qui nous intéresse, c’est d’appréhender les enjeux et les atouts liés à l’organisation de ces grands événements.
Nous sommes donc heureux d’accueillir M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis.
Nous souhaitons aborder avec vous deux questions. Premièrement, concernant l’organisation d’un grand événement, comme Roland Garros, à Paris, quels sont les atouts, les difficultés que vous avez identifiés ? Quels sont les remarques ainsi que les retours que vous recueillez, notamment sur les transports, l’accueil, l’hospitalité, l’image que projettent à l’étranger Paris et le Grand Paris au sens large du mot ? Deuxièmement, quel regard portez-vous sur l’organisation d’une exposition universelle proprement dite qui dure six mois et qui peut accueillir entre 50 et 70 millions de visiteurs ? Comment un événement tel que Roland Garros pourrait-il s’y inscrire ? La tenue d’une exposition universelle, au vu des flux de visiteurs qu’elle génère, pourrait-elle être, au contraire, un facteur de perturbation de ce grand événement sportif ou bien un atout à la base du développement de synergies ainsi qu’un levier intéressant pour le monde sportif et le monde du tennis ?
Nous sommes curieux d’entendre votre expertise sur l’organisation d’un événement tel que Roland Garros, un grand événement sportif international, ainsi que votre appréciation sur le projet de candidature de Paris à l’exposition universelle 2025 dans les limites de ce que représente le projet aujourd’hui qui reste pour le moment à un stade prospectif.
M. Jérémy Botton. C’est moi qui vous remercie pour votre accueil, je suis très heureux de pouvoir m’exprimer aujourd’hui devant vous. Première précision, et c’est l’une de nos spécificités, la Fédération française de Tennis est propriétaire et organisatrice du tournoi de Roland Garros. La Fédération comprend environ 8 000 clubs, 1 100 000 licenciés, plus de 100 000 bénévoles, un maillage territorial extrêmement dense.
Elle a la chance d’organiser, depuis 1928, les Internationaux de France, à Paris, dans ce stade, Porte d’Auteuil. Petit rappel historique : à l’époque on manquait déjà de stades en France, et lorsque la France a gagné la Coupe Davis, en 1927, aux États-Unis, il a fallu trouver un endroit pour organiser la revanche, et donc les « Mousquetaires » ont conclu cet accord avec le Stade français. Comme vous le savez, Roland Garros n’était pas un tennisman mais un aviateur, un téméraire émérite, qui a inventé le tir à travers l’hélice, mort au combat lors de la Première Guerre mondiale et sociétaire du Stade français. En échange de la session du terrain, le Stade français a souhaité qu’il porte son nom.
Roland Garros est l’un des quatre tournois du Grand Chelem, le seul sur terre battue, ce qui fait notre particularité. Il rapporte une manne très importante qui explique la bonne santé économique du tennis français. En effet, le chiffre d’affaires de la Fédération est d’environ 200 millions d’euros, dont 175 millions proviennent du tournoi de Roland Garros.
Sur ces 175 millions d’euros, 35 % sont issus des droits de télévision français et internationaux, 30 % des partenariats de sponsoring, 15 % de la billetterie, 15 % des relations publiques et le reste des produits dérivés.
Toute la marge dégagée est redistribuée, soit en tout 75 millions d’euros : 50 millions d’euros sont reversés au tennis français et nous investissons les 25 millions d’euros restants dans nos projets ; il n’existe pas d’actionnariat privé.
Roland Garros est intimement lié à Paris. Pour répondre à la concurrence internationale et aux besoins d’agrandissement, on avait envisagé, dans un premier temps, de partir de Paris afin de mieux répondre aux demandes de notre clientèle en développant de nouvelles offres de service. En fait, on a opéré le choix inverse.
Paris est un atout, c’est la raison pour laquelle nous avons décidé de rester. Dans la course au gigantisme nous serons toujours perdants. En l’occurrence, cultiver notre différence, notre spécificité, voilà notre véritable atout.
La concurrence est rude, aux États-Unis, en Asie et dans les pays de l’Est. Il va de soi que nous ne serons jamais ni les plus grands ni les plus forts. Or, Paris et la France demeurent très attractifs, le Tournoi est diffusé dans près de 180 pays. Lorsque les délégations internationales, les joueurs étrangers viennent, ils ne comprennent pas que l’on ait pu envisager, à un moment donné, de quitter Paris. Paris, c’est un patrimoine, une histoire. Nadal, par exemple, nous disait, lorsque je foule le terrain de Roland Garros, je sais qu’avant moi il y a eu Pete Sempras, Borg, etc…
Pourquoi, dès lors, partir ? On a donc décidé de cultiver la carte de la différentiation avec le projet d’agrandissement du stade : plutôt un petit hôtel « Small is beautiful » avec la « French touch », au cœur de Paris, qu’un grand hôtel cinq étoiles, très pratique et impersonnel, à côté de l’aéroport !
Roland Garros dépasse le sport, c’est aussi un patrimoine, une culture, un musée, de l’art contemporain avec les affiches. Roland Garros c’est l’Histoire et le patrimoine de la France depuis 1928 ! Ce sont aussi des expositions, des livres. On organise également des concerts de jazz, cela dépasse largement le cadre d’un événement sportif.
Aussi un projet comme celui de l’exposition universelle 2025 nous intéresse-t-il particulièrement, nous souhaiterions évidemment être associés et promoteurs d’un tel événement, parce que nous participons aussi avec le Tournoi de Roland Garros au rayonnement mondial de la France, ainsi qu’à sa modernité.
M. Jean-Christophe Fromantin, président. En termes d’organisation logistique, quelles sont vos angoisses au moment de la préparation de l’événement : les transports, les grèves possibles, l’hébergement ? On sait que l’offre logistique n’est pas la même comparée à celles d’autres villes. Comment regardez-vous l’évolution de l’offre d’accueil à Paris ?
M. Jérémy Botton : Paris est un atout indéniable. La ville est attractive pour les joueurs, les conjoints de joueurs, etc…Mais il est vrai que les transports nous posent un réel problème.
Je prendrai pour exemple le transfert d’un joueur entre l’aéroport et son lieu d’entraînement, à Roland Garros : s’il peut éviter de passer 1 h 30 en voiture, c’est plutôt un avantage.
Vis-à-vis des grands tournois tels que l’US Open, Wimbledon, etc… nous sommes très en retard. Nous avons proposé l’offre de service la plus développée possible pour les joueurs et les « VIP » que l’on va chercher à l’aéroport. Aujourd’hui, nous arrivons à saturation et nous n’avons plus de marge de progression possible.
Nous avons également des difficultés avec les abords du stade, nous en discutons régulièrement avec la mairie de Paris : il faut agrandir les trottoirs. Nous discutons aussi beaucoup avec le STIF afin qu’il améliore la rotation des rames des lignes de métro 9 et 10, la signalétique et l’habillement de la station de métro.
On a l’impression que l’on ne raisonne pas de manière globale, même si tous les interlocuteurs sont de bonne volonté. La France, l’État ne semblent pas toujours mesurer la chance que représente un tel événement de renommée mondiale, tant en termes d’influence que de retombées économiques. Pour la région Ile-de-France, cela représente 275 millions d’euros et le tennis français représente 2 milliards d’euros de PIB.
Mme Gilda Hobert : Je voulais intervenir à propos des abords du stade, et des transports. Je pense à Lyon et, en particulier, au grand Lyon, à ce fameux grand stade qui a soulevé de nombreuses polémiques. Justement, tout a été organisé autour de la construction du stade ; les abords, les transports, tout a été pensé d’une manière globale. Mais cela n’a été possible que parce que l’on a conçu quelque chose de nouveau, que l’on n’a pas raisonné sur de l’existant. Il faut mettre au cœur du projet cette question des transports.
Ce que vous dites du tournoi de Roland Garros m’invite à donner la définition suivante : c’est un lieu de vie, d’échange et de partage. On y fait du sport mais pas uniquement.
M. Yves Albarello. Pouvez-vous m’indiquer la place de Roland Garros parmi les quatre tournois du grand Chelem, en termes de recettes et de retombées économiques ?
M. Jérémy Botton. Il faut distinguer selon les critères. La notoriété mondiale de Roland Garros devance celle de Wimbledon, Flushing Meadows et Melbourne parce que nous avons choisi depuis plus de 30 ans de diffuser les rencontres en clair sur les chaînes télévisées. Nous sommes diffusés dans 184 pays du monde, sur de grandes chaînes quand nous ne le sommes pas en clair. En Chine, par exemple, le tournoi est repris sur la chaîne CCTV. L’US Open réalise un chiffre d’affaires supérieur au nôtre, en raison d’un marché national extrêmement puissant. La comparaison est difficile avec le tournoi anglais puisque chacun reste très discret sur son chiffre d’affaires. Nous devons être ex aequo. Le chiffre d’affaires du tournoi australien le place en quatrième position. En termes d’infrastructures et de services apportés aux populations, nous sommes le dernier de la classe. Cela nous inquiète. Les médias et nos partenaires nous en parlent. La concurrence est devenue mondiale. Nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Notre histoire est un atout mais nous ne pouvons pas nous reposer sur elle.
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. Quelles sont les infrastructures qui vous paraissent nécessaires aujourd’hui dans le Grand Paris. On prévoit le Grand Paris Express et le Roissy Express. Les 52 gares du Grand Paris Express vont disséminer les possibilités d’accès à des résidences hôtelières. Quelles sont vos préconisations et les points rouges que vous voudriez signaler ?
M. Jérémy Botton. Nos premières difficultés sont clairement hôtelières. Je ne vous apprendrai rien en le disant. Le Grand Paris manque d’une gamme segmentée d’hôtels, les uns de luxe, les autres pouvant organiser des séminaires ou des conférences. Les hôteliers connaissent ce manque d’infrastructures. Nous avons aussi besoin d’une politique de transports globale. Nous avons l’impression, de notre fenêtre, que chacun y va de sa bonne initiative mais qu’au final, la circulation ne s’en trouve pas fluidifiée. L’accès aux aéroports nous pose des problèmes. Il faudrait qu’un schéma directeur global dépasse les querelles de chapelle pour améliorer le trafic et les services offerts. Suivant l’usage, notre approche commerciale, centrée sur le client, nous conduit à nous mettre à sa place pour nous demander ce qu’attend le joueur, ce que nous pouvons lui offrir, sans penser à nos contraintes ou à notre organisation. Nous nous demandons ce qu’est son parcours du 1er janvier au 31 décembre. Que devons-nous lui dire ? Quand devons-nous lui parler ? Nous procédons ainsi avec chacune des populations de notre clientèle. Comment prendre en charge un joueur qui vient à Roland Garros, depuis son arrivée à l’aéroport ? Comment doit-il vivre cette expérience préparée au cours de l’année ? Nous nous posons les mêmes questions à propos des présidents de fédération internationale qui nous rejoignent. Que devons-nous leur apporter tout au long de l’année et comment pouvons-nous faciliter leur séjour et leur expérience de Roland Garros ? A quels moments clés devons-nous leur parler ? Comment pouvons-nous les mettre dans les bonnes conditions qui nous permettront de leur faire passer les bons messages et de faire notre lobbying ? Il faut imaginer de la même façon l’expérience que vivront, pendant six mois, les visiteurs qui se rendront à l’exposition universelle de 2025, en se mettant à leur place.
M. Yves Alberallo. Lorsque le sportif ou le touriste arrive à l’aéroport Charles de Gaulle, c’est la galère qui commence. Il n’a pas d’autre choix que de prendre l’autoroute A1 en taxi ou le RER B, dont vous connaissez les difficultés. Nous nous battons pour faire avancer le dossier de la liaison directe CDC Express entre cet aéroport et la capitale. Nous en avons besoin pour les raisons que vous évoquez et pour l’exposition universelle. Il me paraît impossible de déposer un dossier de candidature crédible si cette liaison directe n’est pas en place. Elle existe dans tous les grand pays comme dans les plus petits, et pas en France, alors que sa capitale est la plus visitée. Les 202 kilomètres de voies et les 72 gares prévues pour le Grand Paris Express, un peu moins nombreuses à présent, devraient fluidifier le trafic et améliorer les dessertes de Roland Garros. C’est prévu pour 2025.
M. Jérémy Botton. J’ajoute qu’un maillage de transport, offrant des voies privilégiées entre les points clés de l’exposition universelle de 2025, permettant d’aller facilement d’un bâtiment ou d’un pavillon à un autre, serait nécessaire parce que les touristes, que nous questionnons beaucoup lorsqu’ils viennent à Paris, rencontrent des difficultés pour aller d’un point à un autre. Ils en perdent leur latin.
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. Connaissez-vous le parcours d’un touriste étranger qui se rend à Paris pour assister à un match à Roland Garros. Quelle est sa semaine type ? Comment utilise-t-il son temps ? Quels sont les monuments qu’il visite ? Combien de temps passe-t-il le soir dans tel ou tel quartier de Paris ? Avez-vous dressé un portrait type de votre visiteur étranger ?
M. Jérémy Botton. Nous n’avons pas de portrait aussi poussé que celui que vous décrivez. Nous avons aujourd’hui 30 % de spectateurs étrangers. Ils viennent principalement à Roland Garros, leur motivation principale restant le tennis, mais ils en profitent pour faire autre chose. Ils restent en général une petite semaine sur place, dont deux jours à Roland Garros. Ils se rendent aux points principaux de Paris en fonction de leurs intérêts personnels mais je ne saurais pas vous dire lesquels. Ils visitent Paris et la France. Nous pourrions accueillir 80 % d’étrangers puisque la demande qui nous est adressée est largement supérieure à notre offre. Nous avons choisi de ne pas segmenter nos publics : nous aurions pu réserver 15 % de nos billets pour des spectateurs chinois, 20 % pour les Russes, 10 % pour les Américains. Nous ne l’avons pas fait parce que nous voulons garder au tournoi son aspect populaire et français. Mais la demande est extrêmement forte chez les étrangers à cause de Paris. Je vais vous donner l’exemple de notre opération intitulée « Rêve parisien ». Nous avons proposé une offre très haut de gamme ouverte au public étranger : vous étiez logé dans un hôtel de luxe et un transport officiel de l’hôtel allait vous chercher à l’aéroport. Cette offre a été prise en 48 heures. Nous ne proposions qu’une nuit d’hôtel, les clients ont racheté des nuits supplémentaires pour rester à Paris.
M. Yves Albarello. Nous savons que Paris suscite un engouement à l’étranger.
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. Votre analyse est intéressante pour nous. Le BIE nous dit qu’une candidature française susciterait un intérêt supérieur à celle d’autres pays en raison de l’association de l’événement au patrimoine français. Nous réfléchissons, dans un tout autre domaine, à l’impact du numérique sur ces grands événements. Est-ce qu’il en bouleverse le modèle ? Est-ce qu’il change la relation avec les spectateurs ? La gestion de l’événement s’en trouve-t-elle affectée de manière significative ? Comment imaginez-vous le tournoi de demain avec ces progrès numériques ?
M. Jérémy Botton. Nous nous sommes demandé ce que Roland Garros offrirait en 2020. Le développement du numérique va apporter un vrai bouleversement. Nous avons été précurseurs, puisque depuis 2 ou 3 ans, nous avons institué un e-billet. Notre modèle va complètement changer. Il faudra connecter notre stade : de son siège du cours central, le spectateur pourra sur son téléphone portable revoir un point, commander de la nourriture, choisir de voir un cours plutôt qu’un autre car il s’intéresse à un joueur en particulier, nous pourrions identifier un visiteur et lui donner les informations qu’il attend étant donné son profil. Cela devra être une expérience à la fois tangible, car la French touch doit demeurer et cela doit pouvoir rester une journée familiale, mais aussi intangible. Le problème est que nous serons inondés de contenus, et que le business model devra être adapté. Tout le contenu vidéo sera archivé depuis 1928. Pour l’exposition universelle, on pourrait identifier les gens qui viendraient, les traiter en amont, leur fournir du contenu pendant l’expo et les remercier ensuite d’avoir participé.
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. Le modèle économique sera-t-il remis en cause ? Les droits des télévisions diminueraient-ils au profit des services en ligne ? Les chaines de télévision seraient-elles court-circuitées si le spectateur pouvait suivre le match de son choix sur un écran connecté ?
M. Jérémy Botton. Cela induira un changement du business model, mais ce sera une opportunité. Il faudra diversifier les sources de revenus, en trouver d’autres, faire preuve de créativité, penser au niveau mondial et global, s’adresser, par exemple, aux Chinois et aux Indiens, alors que c’est encore peu le cas, grâce à une application spécifique.
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. Qu’en est-il d’un sponsoring ? Est-ce difficile de remplacer un sponsor qui ferait défaut ?
M. Jérémy Botton. Nous avons comme sponsors beaucoup de marques mondiales de haut de gamme car le tournoi est diffusé dans 180 pays. Le sponsoring à l’ancienne a disparu ; les entreprises concernées veulent des retours sur investissement. Nous leur apportons un service pointu, nous faisons des études pour elles sur les retombées médiatiques et économiques qu’elles peuvent espérer ; nos partenaires savent que lorsqu’ils dépensent 1 €, cela va en fait leur coûter 2 à 3 €, car nous l’incitons à activer ses réseaux, ses points de vente, son personnel.
Il s’agit pour nous aussi d’un gros challenge, car les sommes en cause font partie d’un « budget-monde »
M. Yves Albarello comment les sponsors peuvent –ils mesurer les bénéfices qu’ils en tirent ?
M. Jérémy Botton. Grâce aux indicateurs des medias, aux retours qualitatifs des clients qu’ils invitent, et à leurs propres études. Le « patron-monde » du sponsor vient, car le tournoi est à Paris, ainsi que ses plus gros clients.
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. Comment se pose la question de la sécurité ? Comment évoluent les mesures prises ? Quelles sont les tendances lourdes ? Que préconisez-vous ?
M. Jérémy Botton. C’est un vrai problème auquel nous essayons d’apporter des améliorations. Nous avons professionnalisé notre système, organisé des fouilles, les badges sont examinés de près, nous travaillons avec des entreprises spécialisées et nous avons effectué des exercices de crise avec la préfecture de police de Paris. Cette politique est indispensable car Roland Garros a une résonnance mondiale ; nous avons eu des perturbations lors d’une finale du fait du vote de la loi sur le mariage pour tous. Les mesures de sécurité coûtent cher. L’équilibre est difficile à trouver, il faut assurer la sécurité, sans faire peur et sans dénaturer l’évènement, tout en sachant que le risque zéro n’existe pas. Quant aux vidéos que nous utilisons, nous devons tenir compte des règles de la CNIL.
M. le Président Jean-Christophe Fromantin. Il me reste à vous remercier pour ces informations très utiles pour nous.
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP
(Séance du mercredi 2 juillet 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous sommes très heureux d’accueillir M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP, qu’il a la grande responsabilité de guider vers de nouveaux horizons.
Nous travaillons, vous le savez, sur le projet d’une Exposition universelle qui se tiendrait dans le Grand Paris en 2025 – sur sa pertinence économique, sur sa pertinence culturelle, mais aussi sur sa faisabilité. Les transports dans la métropole parisienne constituent donc pour nous un sujet d’importance. Où en sera la RATP en 2025 ? Quel est votre regard sur ce projet ? Quels chantiers impliquerait-il ?
M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP. Merci, monsieur le président, de me donner l’occasion de m’exprimer devant vous.
La RATP, membre fondateur de l’association ExpoFrance 2025, est fortement engagée en faveur de cette candidature. C’est là, croyons-nous, un projet important pour l’Île-de-France, pour notre pays, et pour notre entreprise. Une exposition universelle est toujours le symbole de la capacité d’un pays à accueillir et à se mobiliser ; et cette capacité est soumise au jugement de tous. Un tel défi aurait un effet d’entraînement. Il y aurait une obligation d’excellence, qui concernerait tous les citoyens ; cette exposition montrerait que nous restons un grand pays ouvert sur le monde.
Au risque d’être emphatique, je vous dirai ma conviction : plus que jamais, nous avons besoin de montrer que la France est une terre d’accueil, un pays ouvert, à vocation universelle. Ce projet s’appuie sur les valeurs de la République, et c’est en le montrant que nous emporterons l’adhésion. C’est un projet très fédérateur, un levier de transformation, et je le sens bien à l’intérieur même de la RATP.
L’exposition universelle serait également une vitrine du potentiel économique de notre pays, ce qui n’est pas négligeable dans le contexte actuel. Notre capitale a besoin de s’affirmer plus fortement au sein de la compétition mondiale. La RATP fait également partie de l’association « Paris-Île de France capitale économique », qui s’attache à promouvoir l’attractivité de notre territoire.
Paris est menacée de devenir une ville musée. Je suis frappé de voir l’intensité de la vie londonienne, qui contraste avec une capitale française si paisible. Certes, le fait que Paris soit une ville apaisée et tranquille, une ville agréable à vivre, est aussi une réussite de Bertrand Delanoë. Mais point trop n’en faut.
L’automobile est aujourd’hui généralement considérée comme une nuisance : l’exposition pourrait nous permettre de reconquérir des espaces sur la voiture. Comme maire de Neuilly, monsieur le président, vous comprendrez que je pense par exemple à l’avenue Charles-de-Gaulle ! Je ne me résous pas à voir l’axe historique du Louvre à La Défense transformé en autoroute urbaine. Car il faudra trouver des lieux pour l’exposition – même si nous ne voulons faire ni trop cher ni trop grandiose. On l’a vu au Brésil, avec la Coupe du monde : aujourd’hui, les citoyens n’aiment pas les dépenses somptuaires, surtout quand les besoins d’investissement – dans les transports, les hôpitaux, les universités – sont si forts.
Il ne s’agit donc pas de faire quoi que ce soit de comparable à la Tour Eiffel. Mais nous devons envisager de reconquérir des espaces où nous pourrons accueillir toutes les nations qui voudront nous rejoindre. Nous ne pourrons pas investir, comme en 1900, le Champ de Mars ou les Invalides ; mais il y a peu de nouveaux espaces, ou bien très lointains.
Cette reconquête permettrait aux citoyens, une fois l’exposition passée, d’apprécier une meilleure qualité de vie, une meilleure qualité de l’air par exemple, de continuer à profiter d’espaces rendus au public. Ce sont d’ailleurs autant d’éléments d’attractivité de notre pays.
Quant à la date de 2025, elle est pour nous tout à fait pertinente, puisqu’elle tombe à mi-chemin du calendrier fixé par Jean-Marc Ayrault pour la réalisation du Grand Paris : en 2020, ce sera la première livraison de la ligne 15 du métro ; en 2030, le réseau Grand Paris Express doit être achevé. Or, l’échéance d’une Exposition universelle nous forcera à être prêts au bon moment ! Les Français – comme d’ailleurs les Brésiliens – sont comme ça : nous avons besoin d’échéances.
L’un des objectifs les plus importants du réseau du Grand Paris Express est de faire tomber la barrière entre Paris et sa banlieue, vieil héritage du XIXe siècle et des fortifications de Thiers : les quatre nouvelles lignes de métro dépasseront alors le périphérique pour rejoindre la future grande rocade. Cela implique une requalification économique et urbanistique majeure de grands espaces, grâce aux contrats de développement territorial, qui seront des instruments de dynamique économique. En 2025, ces chantiers devraient être très avancés, ce qui nous permettra de mettre fin au schéma d’une région hélio centrée. Christian Blanc parlait de « clusters » : Descartes à l’est, Le Bourget, Pleyel, La Défense, Saclay, Villejuif. Ces pôles économiques seraient mis en valeur par l’exposition universelle.
Une liaison correcte entre le centre-ville et les aéroports sera tout à fait nécessaire. Nous soutenons la société en cours de constitution, avec Aéroports de Paris et SNCF Infrastructures, pour la construction du Charles-de-Gaulle Express. Le projet n’est pas financé ; il coûterait, selon les dernières estimations, 1,7 milliard d’euros. Mais il sera indispensable de le mener à bien : la situation actuelle, où le deuxième aéroport d’Europe, après ceux de Londres, est si mal desservi, ne peut pas perdurer. L’exposition universelle lancerait une dynamique forte, y compris d’ailleurs pour Orly, qu’il ne faut pas oublier. La livraison du CDG Express est aujourd’hui prévue pour 2022 ou 2023.
De façon complémentaire, le schéma du Grand Paris Express prévoit un axe nord-sud renforcé, avec la prolongation de la ligne 14, vers le sud – d’Olympiades vers Villejuif et Orly – et vers le nord – de Saint-Lazare vers Saint-Ouen et Saint-Denis, et puis, au-delà, vers l’aéroport. Le chantier de la station Porte de Clichy vient de commencer. Dans le calendrier prévu par Jean-Marc Ayrault, la prolongation vers le nord doit s’achever en 2027, et celle vers Orly en 2025. Si nous obtenons l’organisation de l’exposition universelle, alors il faudra avancer le calendrier ; en tant qu’industriels du transport, nous sommes convaincus qu’un tel chantier est tout à fait faisable techniquement avant 2025. Il est extraordinairement important de doubler la ligne B du RER, qui transporte un million de voyageurs par jour – comme il est important de doubler la ligne A, qui en transporte 1,1 million. L’ancienne petite ligne de Sceaux a bien changé et elle souffre beaucoup. Le projet Éole permettra de doubler la ligne A.
Pour financer ce projet, il suffirait que Bercy autorise la Société du Grand Paris à emprunter pour payer les entreprises trois ou quatre ans plus tôt que prévu, d’autant que les dates prévues sont rarement respectées – ainsi, 2027 risque de devenir 2029. Mais, avec une exposition universelle prévue en 2025, cela n’arrivera pas. D’un point de vue macroéconomique et budgétaire, accélérer le calendrier ne changerait rien : c’est une dette d’infrastructures, adossée à un projet créateur de richesses dont les effets positifs seraient considérables. J’estime, comme citoyen, que nous y aurions tout intérêt, d’autant qu’il ne s’agit que d’anticiper un projet qu’il faudra de toute façon mener à bien. Les Franciliens paient déjà une taxe récurrente à cet effet ; ils apprécieraient cette annonce, et l’attractivité de l’Île-de-France s’en trouverait renforcée.
Il y a maintenant un consensus politique fort pour constituer autour du pôle de Saclay un grand campus de haute technologie, afin de donner de la visibilité à notre magnifique système universitaire, rendu malheureusement illisible par la réforme d’Edgar Faure. Or l’arrivée de la ligne 14 permettrait une liaison rapide par métro léger entre Massy et Saclay, puis Orly. Autour de Saclay pourrait ainsi se constituer un haut lieu de l’exposition universelle, autour de la science et de la technologie.
J’ai engagé la RATP dans un processus de conversion complète du parc de bus, en partenariat avec l’État et le STIF (Syndicat des transports d’Île-de-France). Nous avons déjà lancé l’achat de bus hybrides, qui sont chers, mais très intéressants en termes d’économie d’énergie, et qui émettent très peu de gaz à effet de serre. En 2025, notre parc devrait être « triple zéro » : zéro particule, zéro émission de CO2, zéro bruit. Pour cela, nous comptons nous appuyer sur une filière gaz – du biométhane – qui représenterait un quart du parc, et une filière électrique qui en représenterait trois quarts. Pour préparer cette rupture technologique, j’ai signé des accords avec Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, ainsi qu’avec Henri Proglio, PDG d’EDF. Nous croyons que, d’ici à 2025, et sans doute dès 2018, une offre industrielle correspondant à nos besoins existera, avec des bus qui auront l’autonomie nécessaire tout en ayant la capacité de transporter 90 à 100 personnes : il s’agit d’une rupture technologique mondiale Nous comptons beaucoup sur l’effet de vitrine de la RATP, qui est la cinquième entreprise de transport du monde, à Paris, ville mondiale : nous pensons pouvoir susciter l’offre.
Nous avions pour cette conversion – complète ou partielle suivant les moyens financiers qui nous seront alloués par le STIF – déjà choisi la date de 2025. C’est un investissement important : le coût de revient n’est pas supérieur à celui du parc actuel, mais il y a bien sûr un surcoût au départ. Le STIF en est bien conscient, puisqu’il nous a déjà alloué 100 millions d’euros pour le passage aux bus hybrides.
Comme le métro a été le marqueur de l’exposition universelle de 1900, nous aurions ainsi, 125 ans plus tard, un marqueur du transport public à Paris : le parc « triple zéro ».
Enfin, je voudrais ajouter quelques mots en tant que président actuel de la filière ferroviaire française, Fer de France, qui rassemble, au-delà des grands donneurs d’ordre, les fabricants de matériel, les ingénieristes… Nous demandons aux pouvoirs publics de lancer de nouveaux grands projets, car les chantiers des différentes lignes de TGV sont en cours d’achèvement. C’est donc toute la filière – 340 000 emplois – qui a besoin que de nouveaux chantiers prennent le relais, et le Grand Paris est notre seul espoir. Certes, certains sont déjà lancés. Mais il faut vraiment tenir le calendrier, sinon c’est toute une filière qui risque de s’effondrer : nous perdrions énormément d’emplois, d’entreprises, et tout un savoir-faire. La RATP, la SNCF, toutes les entreprises du domaine ferroviaire constituent un écosystème, sans lequel nous ne pourrions pas vivre. L’accélération du projet du Grand Paris serait donc pour tout ce secteur un élément extrêmement positif, notamment pour améliorer notre visibilité internationale.
Vous avez compris mon enthousiasme, et j’espère qu’il vous paraîtra rationnel. J’espère aussi que vous aurez compris qu’au-delà de la raison, il y a du sentiment : je suis sûr de l’adhésion des salariés de la RATP – 42 000 personnes en Île-de-France. La perspective d’une Exposition universelle à Paris les fera vibrer, et ils voudront servir chaque jour encore un peu mieux les Franciliens.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Au cœur de ces grands projets, vous avez raison, l’adhésion est essentielle : pour accueillir le monde, il faut des matériels roulants, mais surtout des gens pour accueillir, renseigner, sourire.
Quels sont vos projets concernant les gares : doivent-elles devenir des lieux de vie, ou bien à l’inverse disparaître ?
La RATP a beaucoup innové en matière d’accès à son réseau. Qu’en sera-t-il en 2025, et à quoi ressembleront le ticket de métro de demain et l’accès au réseau dans une société numérique ? Cela est important pour créer la fluidité multimodale ?
M. Pierre Mongin. La RATP est responsable de 350 gares de métro et de RER. Notre réseau a déjà 114 ans, il en aura 125 au moment de l’Exposition universelle. Or, il n’a pas été conçu pour les foules qu’il doit aujourd’hui accueillir : le débit des voyageurs pose dès aujourd’hui problème. De même, il faut améliorer l’accessibilité du réseau pour les personnes handicapées. Vous pointez un vrai problème : le plus beau métro du monde, qui transporte plus de 5 millions de voyageurs par jour, bien plus moderne et plus efficace que celui de New York, bien plus dense que celui de Tokyo, court le risque d’être ringardisé par l’arrivée du Grand Paris Express. Il faudra bien réfléchir, car une bonne connexion entre les deux réseaux est tout à fait nécessaire.
Nos gares, nos couloirs, nos accès… seront-ils à la mesure de la fréquentation ? C’est un problème qui se pose déjà sur la ligne 14, pourtant très récente. Sur cette ligne, nous allons d’ailleurs passer de six à huit voitures par rame en 2019 ou en 2020. Nous devons aussi recalculer les accès à des stations, même récentes, comme celle de la Bibliothèque nationale de France. Je parle parfois de « syndrome de la poussée des murs ».
Puisque nous allons transformer nos gares, nous aimerions proposer à de très petites entreprises de s’installer dans des espaces fournis par la RATP, pour amener plus de services à nos usagers. Une conciergerie est ainsi expérimentée à Montrouge. Mais il faudrait un peu plus de place, et ces activités n’ont pas une forte valeur ajoutée. De plus, les règles du génie civil souterrain, notamment en matière de sécurité, sont très strictes et limitent les possibilités. Nous n’avons donc pour le moment pas de modèle économique viable pour lancer ce projet. Les gares peuvent vraiment être des lieux de vie et de convivialité – on peut le constater à Tokyo.
La RATP a également lancé un projet de recherche architecturale sur les espaces de transport du futur : Osmose. Nous travaillons notamment sur l’utilisation de la lumière naturelle : ainsi, la station de métro Front populaire est à ciel ouvert.
Les gares vont donc encore beaucoup changer et devenir certainement beaucoup moins austères. Cette réflexion est aujourd’hui surtout liée à la perspective de la juxtaposition avec le réseau du Grand Paris. Mais ne nous voilons pas la face : aujourd’hui, la plupart de nos projets ne sont pas financés. Nous faisons les travaux de sécurité indispensables. Mais nous aimerions par exemple installer des escaliers mécaniques beaucoup plus nombreux, pour faire face au vieillissement de la population. Nous devrons en discuter avec le STIF.
Quant à l’intermodalité, nous sommes plutôt bien placés en matière billettique, puisque nous avons une autorité unique, le STIF. La carte sans contact est d’ailleurs une invention française.
En 2025, notre système aura changé, j’en suis sûr, mais je ne sais pas encore quel il sera. Le smartphone jouera sans doute un rôle important. Mais, sur la norme NFC qui est en train d’émerger, mais qui n’est pas complètement universelle, nous rencontrons de vraies résistances. Il faudrait pourtant agir vite.
J’insiste enfin sur le fait que rien ne vaut l’humain. Le personnel est un soutien, un appui. Il faudra penser aux langues étrangères – nous y travaillons. Actuellement, nous dotons tous nos personnels de tablettes numériques, afin qu’ils soient informés en temps réel sur le trafic, sur ce qui se trouve à proximité d’une station... Jean-Paul Huchon et moi-même sommes tombés d’accord pour maintenir une présence humaine forte dans le métro
– contrairement à ce qui se passe à Londres, par exemple. Cela a un coût ; mais cela permet notamment de sécuriser les voyageurs. Les personnels constituent un atout majeur pour un projet comme l’Exposition universelle.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Avez-vous prévu de renforcer les personnels pour l’Euro 2016 ?
M. Pierre Mongin. Bien sûr ! Mais il faut bien comprendre que cela a un coût – en heures de travail, en usure du matériel, en énergie dépensée… Ce n’est pas à l’entreprise de payer. Tout cela doit se préparer.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Comment se répartissent vos recettes ? Viennent-elles surtout des usagers ou des subventions ?
M. Pierre Mongin. Les recettes autonomes de la RATP sont constamment supérieures à 50 %. C’est le chiffre le plus élevé du transport urbain et ferroviaire français, et il est très supérieur à la moyenne européenne. Toutefois, notre ratio R/D se dégrade, sous l’effet de la tarification sociale. Celle-ci est bien sûr tout à fait légitime, et je la défends : mais cela signifie que 600 000 personnes en Île-de-France ne payent pas leur ticket de métro. Nous recevons donc du STIF une compensation forfaitaire, qu’il faudra d’ailleurs réajuster car le nombre de bénéficiaires a augmenté.
Mme Gilda Hobert. Les visiteurs de l’exposition universelle auraient-ils accès à une carte spécifique ?
M. Pierre Mongin. C’est un sujet important. Vous savez que le pass Navigo permet déjà l’accès aux réseaux RATP et SNCF, mais aussi à Vélib’. Il faudra aller plus loin, en intégrant Autolib’ mais aussi, par exemple, le covoiturage. L’objectif de disposer, en 2025, d’un système universel de paiement de la mobilité est intéressant et accessible.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. On peut aussi penser à la voiture connectée.
Imaginez-vous faire de certaines gares des espaces stratégiques, référents, lors de l’exposition universelle ?
M. Pierre Mongin. Pour des raisons historiques, les grandes gares parisiennes sont des gares terminus qui ne communiquent pas entre elles, et nous avons depuis longtemps le projet de mieux les relier les unes aux autres, par exemple par des bus en site propre.
Je ne peux certes pas parler pour la SNCF. Mais, à mon sens, il ne serait pas pertinent de faire des gares, déjà saturées, des espaces référents. Ce sont des lieux de passage, dans lesquels il y a très peu de place pour faire autre chose. Il est possible en revanche d’améliorer la présentation des espaces : ainsi, les réactions à la fresque de Joe Sacco sur la bataille de la Somme, installée dans le long couloir de la station Montparnasse sont très positives. L’œuvre d’art, la photographie en particulier, peuvent accompagner la mise en place de l’exposition universelle de façon aussi brillante que sympathique.
Il ne faut pas oublier la province : l’Exposition universelle doit être à Lyon, à Marseille, à Lille… Et elle devrait durer neuf mois plutôt que six, pour en tirer vraiment les bénéfices dans la durée. J’adhère à l’objectif de développement du tourisme mis en avant par Laurent Fabius : l’exposition universelle doit consacrer notre domination touristique, qui doit être durable. C’est un axe majeur de création d’emplois. L’ambition d’accueillir 50 à 60 millions de visiteurs me paraît aussi trop limitée : en 1900, nous avions reçu 51 millions de visiteurs ! Avec les moyens actuels, il faut viser 150 millions – sur neuf mois.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Si vous êtes prêts à les accueillir tous…
M. Pierre Mongin. Sur neuf mois, oui !
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci. Nous avons visité l’exposition « Paris 1900 » et nous avons remarqué qu’un des grands marqueurs de l’exposition était la signalétique extérieure du métro, qui est restée un symbole. Vous avez évoqué les fresques, le design peut avoir un effet de levier. Par ailleurs, nous travaillons aujourd’hui sur le thème de l’hospitalité, et je crois que vous êtes tout à fait en harmonie avec cette idée.
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Comment accueillir le monde : l’offre touristique », avec M. Thierry Coltier, Managing partner de Horwath HTL France, M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France, M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve, et M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France
(Séance du mercredi 2 juillet 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Messieurs, nous sommes heureux de vous accueillir. Nous espérons que l’organisation d’une Exposition universelle en France constituera une formidable opportunité pour tous les professionnels du tourisme. Quel est votre regard sur ce projet, sur son ambition, sur sa faisabilité, sur d’éventuels dysfonctionnements et sur leurs possibles solutions ?
M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France. Atout France est l’agence de développement touristique de la France. Le potentiel de la France est évidemment très important et elle peut répondre à des attentes extrêmement variées. Mais notre travail nous a permis de montrer que les grands événements sportifs ou culturels sont indispensables au développement de toute grande destination touristique moderne : si nous voulons maintenir une offre globale, à la hauteur des attentes si diverses du public du monde entier, nous ne pouvons pas nous en passer.
Le projet d’Exposition universelle à Paris me semble donc bienvenu, voire nécessaire. Nous avons en effet identifié diverses faiblesses de notre offre touristique, en matière de transports, d’accueil, et même d’hébergement. Le Gouvernement se mobilise aujourd’hui fortement, à la suite des Assises de tourisme, et c’est très positif. Mais un grand projet permettra de mieux mobiliser toutes les énergies, publiques et privées, et d’investir pour hisser notre offre à la hauteur de ce que le public attend d’une grande métropole. Bien sûr, la destination touristique parisienne doit être comprise dans un sens très large, puisqu’elle va aujourd’hui largement jusqu’aux châteaux de la Loire. Et toute la population devra être associée.
Tout cela va venir très vite. Un tel projet structurant nous obligerait à faire vraiment de la prospective – une de nos faiblesses habituellement : nous serions obligés nous interroger sur l’avenir de nos transports, de nos hébergements, de nos services, du numérique, des relations des populations locales avec les visiteurs…
M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France. Je suis ici dans une position contradictoire : au conseil régional, j’appartiens au groupe Europe écologie-les Verts, qui est vent debout contre ce projet ; comme président du Comité régional du tourisme, je le défends évidemment – à quelques conditions. Tout d’abord, il faut que les effets de cet événement ponctuel pour la population soient durables. N’oublions pas que les Londoniens n’ont toujours aucun retour sur les investissements consentis pour les jeux Olympiques de 2004. Je n’oublie pas non plus l’annulation du projet d’exposition internationale en 2004 en Seine-Saint-Denis, qui a provoqué une grande amertume dans ce territoire à l’abandon.
Si nous nous décidons, il faudra travailler sur les fondamentaux. Je pense d’abord à la sécurité : un usager sur deux déclare avoir peur dans les transports en commun, même si les agressions sont peu nombreuses. Je pense aussi à l’accueil, sur lequel il y a énormément à faire. Il faut notamment améliorer la formation, initiale et continue – il est question de fonder une université du tourisme, dont je milite pour qu’elle se situe à Marne-la-Vallée. Il faut apprendre à bien recevoir, à bien gérer, à parler des langues étrangères. Le contact humain est indispensable – je pensais le contraire et je me suis trompé. Cela doit commencer dès l’aéroport. Pour être irréprochables sur tous ces points, nous devrons consentir des efforts considérables.
Il faudra mettre en place un réseau de bénévoles. Celui-ci devra irriguer tout le territoire, car tout le monde ne sera pas logé dans Paris : il y aura des hébergements en première, en deuxième couronne ; et dans énormément d’endroits qui devraient être mieux connus, Milly-la-Forêt, par exemple. Ces greeters – des volontaires, retraités par exemple, qui accueillent les visiteurs sur leur territoire, avec le sourire, parce qu’ils aiment partager leur amour pour leur région – devront être valorisés.
Il faudra également revoir notre politique numérique. Aujourd’hui, chacun a son site. Certains sont remarquablement bien faits, comme celui de l’Office du tourisme de la Ville de Paris, mais il faudrait une meilleure coordination, et même des fusions. Laurent Fabius a bien compris cette nécessité de mettre en œuvre des synergies ; nous pouvons faire beaucoup mieux. Une politique numérique nationale est indispensable, pour construire des applications destinées aux smartphones par exemple, avec une géolocalisation, des réservations en ligne…
D’ici à 2025, nous pouvons accompagner de petits projets – nous disposons pour cela d’un petit fonds régional, doté de 5 millions d’euros par an. Il permet de financer des projets innovants comme des hôtels avec de nouvelles technologies, et de nombreuses petites initiatives, qui plaisent, et qui doivent clairement être orientées dans la perspective du développement durable. Je pense par exemple à « 4 roues sous 1 parapluie ». Le tourisme durable, ça existe ! D’ailleurs, les infrastructures qui seront construites pour l’Exposition universelle doivent durer pour accueillir ensuite des manifestations récurrentes.
Je signale enfin que j’ai été actif dans la promotion de Dubaï 2020 : j’ai collaboré avec eux en tant que cofondateur de l’association Aviation sans frontières, car ils avaient décidé d’investir dans une plateforme logistique humanitaire. Cela représente quelques centaines d’hectares entre le plus gros port du monde et le plus gros aéroport du monde. Ce genre d’initiative a, j’en suis sûr, contribué à leur succès.
M. Thierry Coltier, managing partner de Horwath HTL France. Horwath est un cabinet de conseil spécialisé dans l’hôtellerie, le tourisme et les loisirs. Nous disposons de trente-cinq agences dans le monde et avons notamment travaillé avec la région Île-de-France, ainsi que sur l’Exposition internationale de 2017 à Astana, au Kazakhstan. Il y a des leçons à tirer de ce qu’on fait nos prédécesseurs. J’ajoute que Jean-Michel Grard et moi-même avons été les rapporteurs d’une étude du Conseil national du tourisme sur l’accueil dans les espaces de transit en France. Ce rapport demeure d’actualité.
Il ne s’agit pas ici de faire le procès de l’accueil en France ; il y aurait d’ailleurs des pièces à charge et à décharge. Mais ce travail sur le transit nous a permis de prendre la mesure de l’immense complexité de nos plateformes principales, ferroviaires et aéroportuaires. La fluidité y est une prouesse quotidienne : l’accueil se dégrade fortement dès que la machine se grippe, sous l’effet d’événements certes ponctuels – grève ou événement météorologique par exemple – mais récurrents. Nous avions donc recommandé de mieux anticiper ces situations dégradées. Nous proposions notamment – pour faire face à ces situations, mais aussi pour le cas des événements ponctuels comme une Exposition universelle – une meilleure association des populations d’accueil, en particulier par la mise en place d’un réseau de volontaires. Ceux-ci devront être valorisés.
Pour promouvoir le projet d’exposition universelle, il faudra à mon sens anticiper les objections qui ne manqueront pas d’être soulevées – il y aura toujours des gens pour voir le verre à moitié vide, les contraintes, les charges. Il faudra donc expliquer, travailler avec les leaders d’opinion en Île-de-France, mais aussi associer très en amont tous les acteurs, en particulier le monde de l’économie collaborative, avec les nouveaux acteurs numériques que sont Airbnb, Blablacar…
L’université du tourisme me paraît également une bonne idée. Il existe déjà à Marne-la-Vallée un cluster consacré à la ville durable. Il faut faire fonctionner l’intelligence collective pour innover, notamment sur l’hébergement, qui est un point important en Île-de-France.
Il serait déraisonnable de créer des hébergements en dur pour accueillir tous les visiteurs d’une exposition universelle, mais il y a d’autres solutions. Ainsi, la sixième édition du festival Tomorrowland a lieu en Belgique ces jours-ci : ils accueillent plus de 250 000 personnes sur cinq jours, et pour ce faire construisent des villages de 25 000 tentes éphémères. La région Île-de-France possède de grandes bases de loisirs, qui pourraient être mises à contribution pour ces logements éphémères.
Je voudrais enfin insister moi aussi sur le fait que la montée du numérique est indissociable de la nécessité de réhumaniser l’accueil.
M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve. Maîtres du rêve travaille dans le domaine de l’ingénierie culturelle ; nous construisons des stratégies territoriales de mise en valeur de nos joyaux patrimoniaux.
Nous soutenons l’idée d’organiser cette exposition. Je suis très sensible à sa dimension de palimpseste : le Grand Paris réécrit le monde, et invite le monde à se réécrire. Il ne s’agit plus, comme ce fut le cas dans nombre d’expositions passées, de conquérir de nouveaux espaces. Dans un monde fini, il faut au contraire réhabiliter et revisiter, pour faire surgir la singularité de lieux et de modes de vie – mais en touchant à l’universel : nous devrons nous adresser à ceux qui ne nous connaissent pas encore. La thématique devra, à mon sens, toucher à l’art de vivre, qui est ce qui nous distingue. Nous devrons montrer notre façon d’être au monde, et pas seulement notre technicité. L’exposition internationale de Saragosse, en 2008, avait beaucoup trop l’aspect d’une leçon de choses sur le développement durable : il faudra au contraire jouer sur l’émotion.
Nous devrons aussi garder en tête les clichés qui circulent sur les Français ; en particulier, on dit souvent que notre accueil laisse à désirer. J’espère que ce sera une priorité ; en la matière, l’Exposition devrait d’ailleurs être conçue comme un point d’orgue plutôt que comme un point de départ. Partout les résidents doivent devenir des acteurs. Il faudra mobiliser les gens par une pédagogie sur le long terme : pour montrer que la France change, pour accueillir autrement, nous devrons privilégier des temps d’émotion, dans des lieux qui magnifient la rencontre possible. Je pense ainsi à ce qu’avait fait Philippe Decouflé pour les jeux Olympiques d’Albertville : les cérémonies qu’il avait organisées avaient été des moments d’émotion profonde – même à la télévision.
Enfin, cela reste à vérifier, mais l’Exposition universelle devrait accueillir de nombreux visiteurs qui viendraient en France pour la première fois. Si nous devenions une véritable porte d’entrée de l’Europe, plutôt que d’être un simple relais, les retombées économiques du tourisme seraient beaucoup plus importantes.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. L’idée de réinvestir l’existant est effectivement au cœur de notre stratégie, tout comme celle d’appeler les autres nations à ne pas présenter seulement de l’architecture, mais aussi de la technologie, de la rencontre, de l’émotion…
Pouvez-vous estimer rationnellement les besoins d’hôtellerie et de transport ? Quelle est votre estimation du nombre de visiteurs possibles ?
Notre projet, vous le savez, est multisite ; sur ce point, le Bureau international des expositions est ouvert, mais prudent. Nous mettons en avant l’exemple des jeux Olympiques et des châteaux de la Loire ; les nouvelles mobilités paraissent également rendre pertinente cette idée. Quel est votre regard de spécialistes ?
La formation à l’accueil est fondamentale. Les gens doivent se sentir des partenaires : c’est une révolution qu’il nous faut opérer. Quand faut-il, selon vous, enclencher le processus d’association de la population au projet ? Faut-il le faire dès le collège et dès maintenant ?
M. Yves Albarello. J’ai beaucoup apprécié vos interventions. Nous sommes un pays de contradictions : nous sommes les champions du monde du tourisme sans faire le moindre effort – et même avec des efforts pour chasser les touristes, puisque nous venons tout juste de faire passer la taxe de séjour à dix euros ! Nous disposons d’un superbe aéroport, mais on ne peut pas en sortir. La signalétique de notre système de transports est incompréhensible. On pourrait multiplier les exemples. Tout le monde le dit, mais rien ne bouge : nous nous contentons de notre arrogance ! Améliorer la situation demande en fait beaucoup plus de volonté que de financements.
Par ailleurs, il ne faut pas comparer les jeux Olympiques et l’exposition universelle : les uns sont éphémères, alors que l’autre dure 6 mois.
Rappelons-nous que Paris avait accueilli 50 millions de personnes en 1900 et Shanghai 70 millions environ un siècle plus tard, ce qui révèle, compte tenu des différences de moyens de transport, une différentielle peu importante. La France fait toujours rêver. Nous disposons d’atouts extraordinaires, mais c’est un parc américain (Disneyland) qui accueille le plus de monde. Donnons-nous les moyens de changer. L’exposition universelle, c’est une occasion de faire rêver et de laisser un héritage aux générations futures.
Vous parlez de bases de loisirs : on ne peut pas y installer des logements pendant six mois. Le Francilien doit pouvoir en profiter. Cela peut être compliqué.
M. Gérard Feldzer. Il nous reste dix ans : c’est très peu. Mais il est encore temps, peut-être avec des crédits européens, d’imposer une nouvelle donne en matière de mobilités collectives et individuelles : je pense par exemple au projet de cybercar à partager.
Nous devons être une vitrine technologique – nous pouvons être fiers de nos réalisations, le TGV, Airbus… Bien sûr, le Charles-de-Gaulle Express devra se faire, et si l’on décide de faire cette candidature, il faudra le faire plus tôt que prévu. Il existe toutefois des solutions alternatives, par exemple un train au centre de l’A1… Bref, il faut innover, mais en gardant à l’esprit que ces innovations doivent servir aux Franciliens : la population devra s’approprier le projet.
Sur les transports, je suis plutôt optimiste. L’extension du Vélib’ à la première couronne est un succès ; le transport partagé également. Il est possible de lancer des initiatives : ainsi, je me suis beaucoup investi pour le roulage électrique des avions à Roissy
– car un avion qui roule utilise énormément de carburant et pollue donc considérablement.
M. Christian Mantéi. Il manque aujourd’hui 15 000 à 20 000 chambres. Les tour operators japonais, par exemple, nous disent qu’ils doivent chercher d’autres destinations. Il faut travailler dès maintenant à combler ce déficit, en rénovant de petites unités dans Paris, mais aussi en construisant des hôtels aux standards internationaux, mais de charme, au-delà du périphérique.
Quant à l’accueil, ce doit être une priorité absolue. Il n’y a pas d’autre solution que le travail de fond sur le service et l’hospitalité de tous. Les greeters doivent être à la mode ; il faut faire pression sur tous les professionnels, avec des plans qualité. Cela aussi, il faut s’y atteler dès maintenant. La perspective d’une Exposition universelle apporte à cette tâche une légitimité supplémentaire, mais c’est de toute façon une urgence. Nos clients, que nous écoutons beaucoup grâce à notre vaste réseau social, nous le disent : la France est un pays de contrastes, où l’on trouve le meilleur mais aussi le pire.
Faut-il un projet multi site ? Bien sûr. La France est devenue toute petite ! De toute façon, nous ne pourrons pas faire autrement que de parier sur la déconcentration si nous voulons respecter les règles minimales du développement durable.
M. Gérard Feldzer. Les bases de loisirs sont financées par la région, mais la fréquentation y est minime. La création d’hébergements éphémères y amènerait plus de monde… Les Franciliens pourraient ensuite profiter des innovations qui seraient faites.
M. Yves Albarello. La base de Jablines-Annet est en zone inondable !
M. Gérard Feldzer. Ce sont des problèmes que l’on peut résoudre.
Quant au projet multi site, cela relève de l’évidence. On peut investir au Futuroscope pour créer une exposition numérique !
M. Thierry Coltier. Le chantier de l’accueil, et notamment des greeters, devra être ouvert dès que possible : cela permettrait aussi de profiter rapidement des premiers effets de nos actions.
Il y a effectivement un besoin de remise à niveau de l’hébergement. Mais l’Exposition universelle provoquera un pic de fréquentation : il faudra donc aussi se pencher sur les formes d’hébergement légères. L’innovation est forte en ce domaine, comme on le voit au SETT (salon européen des équipements et techniques du tourisme) à Montpellier.
Pour une exposition dans dix ans, si nous nous y prenons suffisamment vite, nous pouvons résoudre ces problèmes en associant la population, mais aussi en convainquant des acteurs économiques de la rentabilité de l’événement sur six mois. Sans doute faudra-t-il aussi songer à quelques aménagements réglementaires.
Je suis également favorable au caractère multi site du projet, en particulier parce que nous disposons d’un très bon réseau aérien et ferroviaire. Il faudra néanmoins un vaisseau amiral : souvent, on ne garde d’un tel événement qu’une seule image emblématique. Nous avions pour notre part réalisé une étude qui montrait que, d’un point de vue géographique, on pouvait comparer la France à la Floride. L’échelle est pertinente : il reste à sensibiliser les acteurs. Il faudra également prévoir un décloisonnement administratif.
Vous évoquiez Disneyland : le parc va, je crois, changer de paradigme. Contrairement aux prévisions initiales, la structure de dépenses des Européens n’est pas du tout la même que celle des Américains : ici, les vacances sont plus longues, mais on utilise le parc comme une destination de très court séjour. Disney prévoit donc aujourd’hui la construction de « villages nature », qui compteront à terme 35 000 lits. Ce sera une nouvelle station touristique, à partir de laquelle les gens vont rayonner.
M. Yves Albarello. Nous recevons des touristes en grand nombre, mais c’est en France qu’ils dépensent le moins : pourquoi ?
M. Christian Mantéi. Les statistiques auxquelles vous faites allusion ont le mérite d’être établies sur les mêmes bases depuis longtemps : nous disposons donc de longues séries. Elles n’en sont pas moins – comme dans les autres pays – très discutables. Elles pèchent par optimisme en comptant trop d’arrivées, car elles négligent que 10 000 à 15 000 personnes sans doute ne sont qu’en transit ; elles pèchent par pessimisme, car une partie des revenus de l’hébergement, par exemple, est difficile à appréhender. Ainsi, lorsqu’un Britannique qui a acheté une maison en France la loue à un compatriote, le prix de cette location échappe à nos statistiques… L’évaluation des retombées de l’économie collaborative, en particulier, est un exercice très délicat.
Il est certain aussi que nous sommes la seule grande destination touristique au monde qui ait diminué son stock de chambres d’hôtel ! Or, une destination touristique, c’est de l’accueil, des paysages, de la culture… mais aussi des valeurs techniques, des stocks, des volumes, des prix : le tourisme, c’est une industrie. Je prends l’exemple d’un endroit où notre potentiel est très fort : dans l’Hérault, nous n’accueillons que 12 % de clients internationaux, car la qualité n’est pas au rendez-vous. On ne peut accueillir qu’une clientèle française très bienveillante ! Sur l’ensemble de notre façade occidentale, nous accueillons 15 % de clients étrangers, contre 20 à 22 % il y a dix ans.
Ne pas développer le tourisme dans notre pays est un tour de force qui ne s’accomplit que parce que ce ne sont ni les clients, ni les investisseurs, ni mêmes les élus qui décident, mais le citoyen électeur local. Je vous mets au défi de construire un grand projet touristique dans la forêt landaise, même en respectant toutes les règles du développement durable : personne n’y arrive, et il n’y a donc pas de création de valeur. On ne peut pas créer de la valeur seulement en créant grâce à des réductions fiscales des bulles de loisirs dans des territoires ruraux défavorisés…
En matière de tourisme, les marges de progression à Paris et en Île-de-France sont en réalité faibles. D’ailleurs Paris progresse ; mais l’ensemble de notre territoire régresse. C’est le niveau de l’investissement qui compte, or il est très faible. Prenez la montagne en été : les Suisses créent plus de valeur que nous ! Dans les Antilles, de même, nous régressons. La croissance nationale, c’est une vue de technocrate : ce qui compte, c’est finalement plus l’addition des politiques locales qu’une politique nationale. Je demande donc – sans l’obtenir – un bilan territoire par territoire.
M. Jean-Michel Grard. C’est pour cela qu’ont été conçus les contrats de destinations.
Je comprends l’attrait qu’exerce l’idée d’un projet multisite, mais cela revient à ajouter un niveau d’exigence. Je disais que nous devons proposer des choses à vivre plutôt que des choses à voir ; or si l’on propose aux visiteurs d’aller de Paris à Rouen, par exemple, il faut que l’intérêt et le confort du voyage compensent la fatigue supplémentaire... C’est une contrainte de plus. Mais je suis sensible à l’argument selon lequel cela permettrait d’accélérer des investissements fondamentaux.
Quant à la formation à l’accueil, il me semble que dix ans, ce serait trop long ; mais prévoyons dès aujourd’hui trois temps forts, par exemple, dans 3 ans, dans 7 ans, et dans 10 ans, où l’on valoriserait l’implication des gens. Les acquis de cette formation demeureront et seront bénéfiques.
M. Gérard Feldzer. Dix ans, c’est très peu pour investir, notamment dans le transport !
L’universalité est une valeur française, sur laquelle il faut s’appuyer. La France, c’est aussi quinze siècles d’innovation, ce que nous pourrons mettre en valeur grâce à des sites comme le Futuroscope, comme le musée de l’air au Bourget… Le salon du Bourget pourrait durer six mois ! Nous avons réalisé un travail important sur la mise en valeur de « l’axe Seine » : on pourrait imaginer des démonstrations maritimes au Havre, avec un musée.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je retiens votre message d’une nouvelle ambition, qui pourra nous permettre de dépasser des limites aujourd’hui imposées par nos infrastructures. Reconsidérer, revaloriser, réinvestir, réinventer : c’est bien ce que nous voulons faire.
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « L’exposition universelle comme vecteur du renouvellement urbain », avec M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris, M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, Agence Duthilleul, M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine, M. Alexandre Labasse, architecte, directeur général du Pavillon de l’arsenal, et M. Jacques Ferrier, architecte, Agence Jacques Ferrier Architectures
(Séance du mercredi 9 juillet 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Messieurs, je vous remercie d’avoir accepté d’échanger avec nous sur la candidature de la France et du Grand Paris à l’exposition universelle de 2025. Nous avons auditionné les responsables du secteur économique et des transports, les diplomates qui ont suivi les précédentes candidatures françaises, l’ensemble des acteurs territoriaux, des personnalités qui ont travaillé sur d’autres grands événements – notamment les candidatures françaises aux jeux Olympiques –, de manière à disposer d’un large spectre d’expertises. Nous souhaitons examiner dans quelle mesure l’organisation d’un tel événement serait bénéfique pour le rayonnement, l’économie, l’urbanisme et le dynamisme territorial de notre pays. Notre mission d’information, qui a débuté en février, se prolongera jusqu’à la fin du mois de septembre : nous devons rendre notre rapport en octobre.
Notre projet, qui est multi-sites et polycentrique, souhaite rompre avec le modèle des expositions universelles au XXe siècle, qui étaient organisées dans des lieux fermés, avec des guichets d’entrée, et étaient composées de pavillons. Notre candidature se veut ouverte sur le Grand Paris et sur les grandes métropoles françaises, en s’adossant à l’existant pour réinvestir nos monuments et utiliser nos infrastructures de transport, notamment celles qui seront mises en fonctionnement à l’horizon 2025.
Pensez-vous que ce projet soit pertinent ? Quelle pourrait être sa contribution à l’urbanisme, à l’architecture et la dynamique des flux dans le cadre du Grand Paris ? Auriez-vous des idées afin de donner un rayonnement maximal à cette opération ?
M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine. La Cité de l’architecture et du patrimoine est un établissement public à caractère industriel et commercial créé en 2004 et ouvert au public en 2007. Il résulte de la réunion de plusieurs entités : un musée, un centre d’architecture, une école, une bibliothèque spécialisée et un centre d’archives. Ses missions sont très diversifiées. Nous conservons et mettons en valeur des collections qui permettent de situer l’architecture dans une histoire longue ; nous concevons des expositions temporaires afin de diffuser la culture architecturale et patrimoniale ; nous organisons des manifestations visant à inscrire l’architecture dans le champ plus vaste des connaissances et de la création contemporaine, ainsi que des rendez-vous destinés au public professionnel, comme le prix de l’Équerre d’argent, le grand prix de l’association des architectes français à l’exportation ou les albums des jeunes architectes et paysagistes ; nous délivrons des formations post-diplôme pour les architectes qui souhaitent se spécialiser dans le patrimoine afin de devenir architectes en chef des monuments historiques ou architectes des bâtiments de France, ainsi que des formations post-concours des architectes et urbanistes de l’État ; nous mettons enfin à la disposition des étudiants et des chercheurs en architecture un ensemble de ressources, comprenant une bibliothèque, des ressources numériques et un centre d’archives.
L’histoire de la Cité de l’architecture et du patrimoine est indissolublement liée à celle des expositions universelles et internationales.
Le palais de Chaillot, qui abrite la Cité, est un enfant des expositions universelles. Son ancêtre, le palais du Trocadéro, avait été bâti par Davioud pour celle de 1878, dans le style éclectique caractéristique de l’époque Napoléon III ; il a été critiqué presque dès sa création, et des personnalités aussi diverses que Matisse, Picasso, Cocteau, Zadkine ou Maillol ont demandé sa destruction. Ils ont fini par être entendus : dans la perspective de l’exposition internationale de 1937, on a ouvert un concours d’idées pour savoir que faire de ce bâtiment. On s’attendait à ce qu’il soit détruit, mais il a finalement été rénové en profondeur par Carlu, qui, tout en conservant son ossature, a évidé la partie centrale pour aménager un point de vue sur la tour Eiffel et doublé les ailes par une nouvelle galerie côté Seine. Aujourd’hui, le palais abrite, outre la Cité de l’architecture et du patrimoine, le musée de la marine et le musée de l’homme – tous deux en rénovation – et, sous l’esplanade, le théâtre de Chaillot – qui va bientôt être rénové.
En 1882 a été implanté dans le palais du Trocadéro l’ancêtre du musée des monuments français, le musée de sculpture comparée, qui avait été conçu, conformément à la volonté de Viollet-le-Duc, dans une perspective comparatiste et didactique, afin de former le goût des architectes français. L’exposition internationale de 1937 fut l’occasion d’ajouter une nouvelle strate d’œuvres, en ouvrant les collections, sous l’impulsion de Paul Deschamps, alors directeur du musée, à la peinture murale et au vitrail. La troisième strate, qui date de 2004, n’est en revanche pas directement liée à une exposition universelle.
En outre, trois caractéristiques du projet ExpoFrance 2025 rejoignent directement nos axes de réflexion programmatique.
Le premier est d’inscrire le thème de l’exposition dans une perspective résolument métropolitaine. Ce qui manque au projet du Grand Paris est peut-être un récit commun. Julien Gracq, évoquant le Nantes de ses années d’internat, disait : « Je vivais dans un territoire presque autant imaginé que connu ». C’est ce territoire imaginé qu’il nous faut construire, et un projet comme celui-ci pourrait y contribuer.
Le deuxième est le fait de croiser la question des territoires avec celle des mobilités et des identités. Il importe de repenser les mobilités à l’aune des identités nomades issues des grandes migrations et de faire de celles-ci un avantage comparatif, comme à Londres, plutôt qu’un enjeu de technologie sécuritaire. Il serait également intéressant de croiser la question des identités avec celle du patrimoine. Nous avons été partie prenante d’une réflexion organisée par l’Agence nationale de la recherche et par le Centre national de la recherche scientifique sous la forme d’un atelier de réflexion prospective sur la question du patrimoine culturel, qui vise à identifier les grands sujets susceptibles de faire l’objet d’appels d’offres dans les dix ou quinze prochaines années. Ce qui est ressorti de ces réflexions d’anthropologues, ethnologues, économistes, juristes, historiens, c’est que la question des mobilités va totalement reconfigurer le rapport au patrimoine. D’un côté, la globalisation a tendance à diluer le sentiment identitaire ; de l’autre, des populations mobiles ou nomades réinvestissent les monuments et les chargent d’autres histoires et d’autres mémoires. Votre projet tient compte de ce phénomène dans sa façon d’adresser aux pavillons étrangers une invitation à habiter nos monuments et à leur donner une autre signification.
La troisième caractéristique a trait à l’usage du patrimoine bâti. Viollet-le-Duc disait que la meilleure façon de conserver un édifice était de lui trouver une destination. Or votre projet pose la question cruciale, dans la perspective de la mutation de la ville contemporaine, de la réutilisation du patrimoine bâti – qu’il faut distinguer de sa rénovation, sa restauration ou sa réhabilitation, car la problématique est celle de l’usage, et non celle de l’enveloppe. Nous préparons pour la fin de l’année une exposition sur le sujet, intitulée « Un bâtiment, combien de vies ? » ; on n’y parlera pas uniquement du patrimoine monumental, mais aussi des édifices en béton et des friches industrielles, et l’on se posera la question de la réutilisation dans le contexte d’une mutation accélérée des villes. C’est un sujet particulièrement d’actualité, avec le projet de l’agence SANAA de transformation de la Samaritaine ou celui de Dominique Perrault sur la poste centrale du Louvre – pour ne citer que ces deux-là.
Pour toutes ces raisons, nous soutenons le projet ExpoFrance 2025. À titre personnel, j’aurais d’ailleurs eu l’occasion de le soutenir deux fois : une première en tant que directeur de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette, qui fait partie des institutions d’enseignement supérieur partenaires, et une deuxième au titre de mes nouvelles fonctions à la Cité de l’architecture et du patrimoine.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur Duthilleul, vous aviez participé au projet d’exposition universelle en 1989, et vous avez beaucoup travaillé sur les gares. Compte tenu de ces expériences, quel regard portez-vous sur notre projet d’exposition universelle ? Que pensez-vous de l’idée de réutiliser l’existant, notamment les gares, de manière à créer un nouvel imaginaire ?
M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, agence Duthilleul. J’ai aussi travaillé sur le Grand Paris, puisque j’ai fait partie de l’Atelier international du Grand Paris. L’action sur la ville est une action de longue durée, qui nécessite un effort collectif soutenu, et il est merveilleux d’avoir un projet qui lui donnera un élan pendant dix ans.
À l’ère du numérique, une exposition universelle doit offrir une expérience physique extrême, sinon autant rester chez soi à pianoter sur son ordinateur ou à consulter sa tablette ! Cette expérience physique pourrait être spatiale ; ce serait l’occasion de mettre en scène de nouvelles richesses, par exemple les paysages magnifiques de la grande boucle de la Seine à Gennevilliers ou les bords de Seine, ainsi que de faire converger les nationalités du monde entier. Quand conçoit une exposition universelle, il faut penser, très concrètement, aux trois dimensions et aux cinq sens.
Sur au moins trois sujets, le projet d’exposition universelle en 2025 touche à la problématique du renouvellement urbain.
Premièrement, même si l’on décide de réutiliser le patrimoine existant, il faudra réfléchir à la libération d’emprises. Dans la perspective de l’exposition de 1989, qui était prévue sur deux sites reliés par la Seine, nous avions libéré les emprises qui ont servi, d’un côté, à la construction du quartier Seine Rive Gauche et de la Bibliothèque de France, de l’autre, à la réalisation du quartier de Javel, sur l’emplacement des anciennes usines Citroën ; bien que l’exposition n’ait pas eu lieu, ces sites se sont développés. Avec le projet de Grand Paris Express, une libération d’emprises arriverait à point nommé. Le métro va révéler des entre-deux aujourd’hui méconnus, comme la presqu’île de Gennevilliers, qui seront peut-être demain les nouveaux paysages parisiens, susceptibles de renouveler l’imaginaire de la capitale. Ces emprises accueillent un patrimoine industriel aujourd’hui disponible, qui pourrait être investi par le monde entier.
Deuxièmement, il faudra veiller à l’accessibilité de ces emprises. L’armature du Grand Paris Express, d’Eole et des Tangentielles se met en place, mais un projet d’exposition universelle permettrait de faire émerger d’autres idées d’utilisation des infrastructures ou conduirait à privilégier un métro aérien, afin que l’on puisse découvrir et admirer ce paysage – car la ville est aussi un patrimoine d’images partagées. Elle susciterait des opérations concomitantes, qu’elles soient à visée purement logistique – il faudra bien accueillir 80 millions de personnes – ou qu’elles contribuent à modifier le regard porté sur le patrimoine. Par exemple, la gare de Saint-Lazare, empruntée quotidiennement par 500 000 personnes, pourrait accueillir des installations fabuleuses. On romprait ainsi avec le modèle des pavillons implantés sur un grand espace, au profit d’installations dans des lieux emblématiques.
Troisièmement, le socle de l’exposition pourrait être l’hospitalité. Il s’agirait, non pas de montrer au monde entier à quel point la France est riche et agréable, mais de faire de la France une terre d’accueil et de mise en valeur des particularités de chacun. Le modèle traditionnel des expositions universelles est caduc. Si l’on prévoit que les nations invitées s’installeront dans des lieux précis, il faudra veiller à ce que l’on passe directement d’un pays à l’autre, sans avoir à transiter par un espace public neutre. Cet effort de juxtaposition spatiale, avec un système de seuils entre les pays, pourrait donner des résultats extraordinaires.
Enfin, vous avez raison : l’exposition universelle ne doit pas être un événement en plus, mais une étape dans le développement de la métropole. Les territoires périphériques de Paris sont mûrs pour accueillir un tel projet, qui provoquera aussi bien le mélange des fonctions que leur irrigation. Vous avez toujours parlé de « mobilité », sans jamais employer le mot « transport » : cela me ravit, car le transport est ce qui sépare le mouvement du reste de la ville. Si Paris doit accueillir une exposition universelle, c’est pour devenir le Grand Paris, à savoir un lieu de mise en relations – la ville par excellence. En fixant comme objectif de mettre en relation les pays du monde entier, nous nous donnons les moyens de transformer notre territoire en vraie ville.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le concept de « mobilité » est en effet fondamental. La principale difficulté pour le Bureau international des expositions (BIE) est d’accepter un projet multi-sites ; il nous faut le rassurer sur cet aspect et, au-delà, présenter la mobilité non pas comme une fonction, mais comme une expérience, un pavillon à part entière.
Monsieur Mansat, vous êtes l’un des architectes du Grand Paris ; vos efforts consistent précisément à créer du lien – d’abord par l’intermédiaire de la Conférence métropolitaine, aujourd’hui de manière plus institutionnelle. L’exposition universelle sera, non pas un événement isolé, mais une séquence dans un processus qui a été engagé plus tôt et qui se poursuivra au-delà. Quel regard portez-vous sur ce projet ?
M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris. Contrairement aux autres intervenants, je ne suis pas un expert de la ville. Je m’efforce, depuis quatre ans, d’animer l’Atelier international du Grand Paris (AIGP), structure issue de la consultation internationale des architectes sur le Grand Paris, qui comprenait à l’origine dix équipes, et aujourd’hui quatorze. Ces équipes travaillent sur les enjeux du Grand Paris, avec des résultats passionnants sur des thèmes comme « Habiter le Grand Paris » ou « Les systèmes métropolitains ».
Il est évident que ce projet d’exposition universelle arrive à un moment crucial, alors que se met en place une institution métropolitaine et que se pose la question d’une nouvelle représentation de l’organisation métropolitaine. Il faut rompre avec les conceptions figées qui ne correspondent plus aux réalités : la ville-centre et sa périphérie, Paris et sa banlieue, la capitale et le reste de la France. Le projet d’exposition serait un catalyseur, susceptible de nourrir, dix ans durant, une volonté collective de penser autrement la métropole. Celle-ci ne peut se construire sans l’adhésion des habitants ; or, jusqu’ici, les débats sur le sujet sont restés l’apanage des décideurs et des professionnels – à l’exception de l’exposition issue de la consultation internationale sur le Grand Paris, qui a été visitée par 250 000 personnes, ce qui prouve l’intérêt de nos concitoyens pour ces questions.
Le Premier ministre a annoncé aujourd’hui en Conseil des ministres que les lignes du Grand Paris Express seraient mises en service dès 2024. Cela signifie qu’en 2025, l’essentiel du réseau sera réalisé, ce qui entraînera bien évidemment une transformation des usages, des représentations et de l’organisation de la métropole.
Le projet d’exposition universelle pourrait également être un facteur de mobilisation en vue de concrétiser les objectifs définis dans le cadre du Grand Paris, par exemple en matière de logement, avec la construction de 70 000 logements par an, ou de relations interterritoriales. La métropole ne peut pas être désincarnée ; il faut qu’elle se traduise par des réalisations concrètes, dont les habitants pourront voir les effets sur leur vie quotidienne.
Nous n’avons pas eu le temps de consulter le conseil scientifique de l’AIGP sur la question, mais pour l’équipe permanente, travailler sur un projet d’exposition universelle serait une perspective exaltante. Nous pourrions vous soumettre des propositions de séminaires ou d’ateliers sur le Grand Paris, autour de lieux emblématiques ou de territoires encore méconnus, mais qui recèlent des potentialités exceptionnelles – comme la boucle de la Seine à Gennevilliers mentionnée par Jean-Marie Duthilleul. Ce serait également l’occasion de développer une pensée architecturale et urbanistique sur le système de transports et la conception d’une métropole qui ne se résumerait pas à Paris intra-muros.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci, monsieur Mansat, pour cette proposition stimulante.
Monsieur Labasse, vous êtes architecte et dirigez le Pavillon de l’Arsenal ; vous disposez d’une expérience du mélange du patrimoine ancien et de la culture contemporaine, puisque vous avez été le commissaire de quelques grandes expositions au Centre Georges-Pompidou. On sait que l’exposition universelle de 1900 a transformé Paris en une grande galerie d’art ouverte au monde entier. Quel regard portez-vous sur notre projet ?
M. Alexandre Labasse, architecte, directeur général du Pavillon de l’Arsenal. Le Pavillon de l’Arsenal est le centre d’architecture et d’urbanisme de Paris et de la métropole parisienne. Il avait été ouvert en 1988, avec pour mission de présenter aux Parisiens et aux Franciliens le plan programme de l’est de Paris, à la suite de la candidature à l’exposition universelle de 1989.
Quand on examine les précédents de Séville, Shanghai ou Lisbonne, on voit bien qu’une exposition universelle est un catalyseur de renouvellement urbain, qui permet de reconquérir des friches, d’urbaniser de nouveaux territoires, d’investir des ports, bref d’inventer la ville du XXIe siècle. Néanmoins, il convient à mon avis d’éviter trois écueils.
Le premier est la tabula rasa. Les exemples que j’ai cités ont tous été conçus sur le modèle traditionnel de l’exposition universelle : à savoir, on choisit un site, on le vide et on reconstruit dessus – le problème étant de réinvestir les lieux ensuite. Je crois qu’une exposition en 2025 devra tenir compte de ce qui est là aujourd’hui et de ce qui sera là demain. C’est une interrogation nouvelle, et le projet que vous défendez peut y répondre.
Le deuxième écueil est le zoning. Vous avez raison de vouloir une exposition multi-sites et polycentrique, mais cela va l’encontre de ce qu’attend le BIE, voire de ce que souhaitent les visiteurs : quelqu’un qui viendra à Paris pour deux ou trois jours n’aura peut-être pas envie de parcourir l’intégralité de la métropole pour visiter cinq expositions. Il faudra donc une certaine densité dans les lieux où seront organisés les événements et veiller à la porosité de chacun avec la ville – ce qui va à l’encontre de la conception traditionnelle des expositions universelles, qui fonctionnent un peu comme les villages olympiques. Il faut impérativement éviter le phénomène de l’enclave.
Le troisième écueil a été résumé par Louis Sullivan, architecte américain mort en 1924, dans la formule : « Form follows function ». Ici, la forme ne doit surtout pas traduire la fonction ; il faut au contraire inventer des bâtiments mutables, fertiles, démontables – Rem Koolhaas dirait « génériques ». En 2025, un des problèmes majeurs de la construction et de l’architecture sera celui de la matière ; il y a de fortes chances que nous n’ayons plus beaucoup de sable à notre disposition. Il convient donc de se demander comment construire, déconstruire et réemployer – pas forcément « recycler », qui nécessite une énergie particulière, mais simplement mettre ailleurs. À l’exposition de 1900, les bâtiments les plus futiles, comme la tour Eiffel, ont finalement été les plus intéressants.
Il me semble que si un site devrait être retenu pour l’exposition universelle, c’est la Seine : d’abord, parce qu’elle raconte une histoire, ensuite, parce qu’elle fédère un nombre incalculable de projets. Je précise que je prends « Seine » dans un sens large : les sites parisiens – les berges, Paris Rive gauche, Bercy Charenton, la colline des musées –, mais aussi les canaux – souvenons-nous du projet extraordinaire de Patrick Berger pour la candidature de Paris aux jeux Olympiques de 2008 –, le bassin avec l’Oise et la Marne, les sites en aval avec la Défense, les îles, Cergy, voire Rouen et Le Havre, et les sites en amont, comme la confluence avec la Marne ou le site des Ardoines.
En outre, la mobilité sur l’eau est réduite – surtout depuis l’abandon de Voguéo : l’exposition universelle pourrait être l’occasion de donner à la Seine un rôle en la matière.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur Ferrier, vous avez signé le pavillon français de l’exposition universelle de Shanghai, et vous travaillez actuellement sur les gares du Grand Paris. Quel regard portez-vous sur les modèles successifs d’expositions universelles : celui du XIXe siècle, fonctionnant autour d’une grande galerie centrale ; celui du XXe siècle, avec des pavillons ; et celui, polycentrique, que nous sommes en train de concevoir ? Quels sont les avantages et les limites de chacun ?
M. Jacques Ferrier, architecte, agence Jacques Ferrier Architectures. Peut-on encore faire des expositions universelles ici et maintenant à l’ère du numérique ? La question s’était déjà posée à Shanghai. Tous ceux qui sont allés là-bas, et notamment le géographe Michel Lussault, ont constaté l’importance d’être ensemble : plus de 70 millions de visiteurs au total, et 10 millions pour le seul pavillon français, qui fut le plus visité. L’envie de partager un espace public, fut-il aussi artificiel qu’une exposition universelle, est toujours très forte. Il est certain que le BIE doit évoluer sur l’unité de lieu, mais la question de la scénographie du plaisir festif de la foule reste entière. Tous les pays du monde sont appelés à se croiser, mais encore faut-il qu’ils le puissent !
Il a toujours existé, depuis 1851 jusqu’à Shanghai, différents types de pavillons ; on peut ainsi distinguer le pavillon sculpture, le pavillon stand et le bâtiment prototype. C’est dans cette dernière tradition que j’avais voulu m’inscrire avec le pavillon France de Shanghai : un bâtiment qui, de par ses systèmes constructifs, son rapport au développement durable et l’utilisation de sa terrasse, ne se contente pas d’être une partie d’une exposition, mais donne des pistes pour imaginer un avenir pour la ville. Dans le cadre de votre projet, tous les pays seront obligés de se poser cette question : ils ne pourront pas être uniquement dans le démonstratif.
La France est l’un des rares pays à disposer de tels atouts en matière de culture. Pour le pavillon France de Shanghai, nous avions travaillé sur les cinq sens et décidé de présenter des toiles impressionnistes. Cela nous a demandé beaucoup d’efforts, car les musées ne prêtent qu’aux musées et pour une durée maximale de trois mois. Sans la ténacité de l’équipe et surtout de Guy Cogeval, président du musée d’Orsay, nous n’aurions pas réussi notre pari. Le China Daily incitait les gens à visiter notre pavillon car, disait-il, c’était une vitrine de la culture française. Une exposition universelle est l’occasion de faire bouger les lignes.
Depuis 1851, toutes les expositions universelles visaient à l’exaltation du progrès et à la célébration de la technique ; elles reposaient sur la certitude que demain serait mieux qu’aujourd’hui. L’exposition de Shanghai, malgré ses défauts, a ouvert de nouvelles perspectives. Son thème, la ville du XXIe siècle : « Better city, better life », est loin d’être épuisé. Votre projet met lui aussi l’accent sur la ville et son territoire. En la matière, la France dispose d’une certaine originalité, grâce aux ingénieurs des Ponts et à ses infrastructures de canaux, de voies ferrées et de routes uniques au monde : les villes se sont toujours développées en tirant le territoire. Ce qui est inquiétant aujourd’hui, c’est que les mégapoles mondiales semblent se développer « sous bulle », comme dans le roman Globalia de Jean-Christophe Rufin : on ne sait pas ce qu’il se passe dans l’arrière-pays ! La France a un modèle à proposer – cela pourrait même être le thème de l’exposition : Paris, le Grand Paris et les grandes villes en régions reliées par le TGV.
Ma mission actuelle me fait percevoir l’enjeu qu’il y a pour le Grand Paris à créer des « cartes postales » et des « symboles » : contrairement à Paris Centre, cet immense territoire a un imaginaire pauvre. Il faut donner une visibilité à cette ville archipel. Ce qui reliera les pavillons, c’est la mobilité ; or nous, nous travaillons précisément sur l’expérience de la mobilité, en prenant les sens au sérieux, et en l’envisageant comme une question d’architecture – d’où notre slogan de « gare sensuelle ». Si les gares étaient incluses dans le projet d’exposition universelle, on pourrait en accroître encore la qualité ; ce serait l’occasion de les inscrire dans un récit urbain et architectural qui rendrait les habitants fiers de leur métropole.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Eh bien, voilà qui donne envie de travailler sur vos propositions le plus rapidement possible !
On voit bien que l’enjeu, au-delà du simple fait de constituer un dossier de candidature, est de repenser la notion même d’exposition universelle – avec le risque que nos propositions ne soient pas comprises. Nous savons de quel type d’exposition nous ne voulons pas ; nous souhaitons créer un lieu où viendront aussi bien les visiteurs de l’exposition universelle que les personnes qui vivent sur place.
Deux questions principales se posent aujourd’hui. Tout d’abord, celle de la mobilité – problème que le projet d’exposition universelle ne suffira pas à résoudre. L’accélération de la réalisation du Grand Paris Express annoncée par le Premier ministre découle autant de la situation actuelle de l’investissement public et privé que de la perspective d’une exposition universelle. Pensez-vous que cela sera suffisant ou faudrait-il aller encore plus loin, de façon pérenne ou temporaire ?
Ensuite, où situez-vous la frontière entre la réutilisation et la rénovation ? Que pourrait être la réutilisation d’un bâtiment historique ? Quel geste d’architecture est possible sur de l’existant ?
M. Guy Amsellem. Dans un dossier, un journaliste vous fait dire, monsieur le président – mais probablement vous aura-t-il mal compris : « Nous n’allons pas faire d’architecture, nous allons utiliser les bâtiments existants ». Or qu’est-ce que cela, sinon précisément faire de l’architecture ? Aujourd’hui, l’architecture, ce n’est plus construire des bâtiments neufs ; on est obligé de tenir compte de ce qui est là, de travailler sur la continuité et la contiguïté. L’époque des villas Savoye est révolue, tous les architectes le savent !
La réutilisation est un problème passionnant, qui touche à de multiples questions, dont celles du patrimoine – a-t-on le droit de toucher aux édifices patrimoniaux, faut-il muséifier les villes ? –, du logement – doit-on recycler pour habiter, comme à la tour Bois-le-Prêtre ? – des infrastructures – peut-on faire de l’architecture avec elles, sur l’exemple des gares de Strasbourg ou d’Anvers ? –, et de l’urbanisme – avec les entrepôts Macdonald à Paris ou Euromed Center à Marseille. Rendez-vous au début du mois de décembre à la Cité de l’architecture, pour une exposition en trois séquences, avec des exemples issus de l’ensemble des pays d’Europe !
Quant à la mobilité, il faut envisager la question à toutes les échelles, spatiales et temporelles. Il ne s’agit plus de réduire les temps de transport par l’accroissement de la vitesse : on en sait désormais les inconvénients. Toujours plus de vitesse aboutit à de l’étalement ; on vide les villes centres de fonctions auparavant internalisées et, lorsqu’elles sont subies, ces mobilités ne sont bénéfiques ni pour les habitants ni pour les territoires qui les accueillent. Je pense qu’il vaudrait mieux travailler sur les modes de travail et le coworking : comment être plus mobile sans pour autant se déplacer davantage ou plus vite ? Cela passe par d’autres usages de l’Internet – non pour être assigné à résidence, mais au contraire pour multiplier les échanges. Le travail de Jacques Ferrier sur les gares ouvre des perspectives intéressantes de ce point de vue. Quelles applications sont susceptibles de créer du lien social et de l’échange ? Au stade où nous en sommes, il semble préférable d’ouvrir le spectre des réflexions plutôt que de le refermer. Proposer au bureau international des expositions de revoir la façon dont il envisage les choses est un défi passionnant. Est-il intéressant d’organiser une exposition traditionnelle de plus ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Ce qui revient tout le temps dans nos auditions, c’est la nécessité de partager et de vivre une expérience, et pas seulement d’exposer. L’obsession du BIE pour l’unité de lieu est liée à l’idée que l’on doit voir des choses – alors que si l’on partage des moments, on ne posera pas forcément le même regard sur les monuments.
M. Jean-Marie Duthilleul. La mobilité découle, non pas de la vitesse, mais de la facilité d’usage – et, pour le BIE, probablement aussi de la robustesse du système. Le métro du Grand Paris est un système formidable mais qui restera fragile s’il n’est pas maillé. Quand il a conçu le trajet Étoile-Nation, Bienvenüe a prévu qu’on puisse le faire par le sud, par le nord ou par le milieu : si une ligne souffre de thrombose, on peut toujours trouver une solution. Là, le métro amènera toutes les quatre minutes des voyageurs à Clamart, mais il faudra attendre vingt minutes le train sur le quai de la SNCF ! Mettre en place pour le Grand Paris un maillage aussi robuste que celui de la petite couronne : voilà la principale tâche à accomplir dans les dix prochaines années.
Il conviendra de concevoir ce maillage aussi à l’échelle des mobilités individuelles : on a beau vouloir réduire la place de la voiture, il existera toujours des mobilités individuelles, quelle que soit la technologie employée. Il y a énormément à faire de ce point de vue.
Enfin, il faudra concevoir la mobilité comme une découverte. Aujourd’hui, on est encore dans l’idéologie de la vitesse et du transport nuisant ; du coup, on conçoit les trajets sous terre. Mais lorsque le métro sort pour emprunter le pont de Bir-Hakeim, tout le monde lève le nez de son smartphone et s’exclame : « Regardez comme c’est beau ! ». Si on ne fait pas la même chose partout dans le Grand Paris, on aura tout faux ! Il faut qu’une partie du métro sorte à l’air libre pour être un instrument de découverte de l’exposition.
M. Jacques Ferrier. En plus, cela reviendra moins cher !
M. Jean-Marie Duthilleul. Il paraît inconcevable d’arriver à Orly pour prendre l’avion sans avoir vu le ciel – d’autant que l’on traverse le marché de Rungis, l’un des lieux de restauration les plus extraordinaires d’Ile-de-France !
J’en viens maintenant aux questions relatives à la rénovation et à la réutilisation. S’emparer d’un bâtiment, c’est continuer une histoire. C’est ce que nous avons fait avec les gares de Strasbourg et de Marseille : même si ces bâtiments sont restés des gares, nous avons écrit une nouvelle page de leur histoire. Idem pour les usines Panhard, derniers vestiges de l’industrie automobile à Paris, que nous avons réutilisées pour y installer nos bureaux. Je suis d’accord avec Alexandre Labasse : il ne faut pas de tabula rasa ; il faut faire avec ce qui existe, comprendre pourquoi c’est là et essayer d’écrire la suite de l’histoire.
M. Pierre Mansat. Un aspect du projet d’exposition universelle m’apparaît particulièrement intéressant : le thème des mobilités place les sites patrimoniaux et les lieux du renouvellement urbain sur un pied d’égalité. La métropole du Grand Paris a un caractère profondément déséquilibré – ce qui ne serait pas un problème si cela n’engendrait pas des inégalités. Voici un point à creuser : en quoi le projet d’exposition est-il susceptible de remédier à ces inégalités massives, qui portent tort à l’attractivité et au rayonnement de notre territoire ?
En ce qui concerne le récit, auquel les architectes sont très attachés, il faudra que ce dernier englobe non seulement la grande, mais aussi la petite histoire. L’histoire du Grand Paris est à révéler : c’est un travail formidable sur lequel nous pourrions nous retrouver.
M. Alexandre Labasse. Espérons qu’en matière de mobilité, l’exposition universelle apportera à Paris autant qu’elle a apporté à Séville, où elle a permis de faire le TGV ; en l’occurrence, il serait bon qu’elle accélère la réalisation des infrastructures, notamment le Grand Paris Express. Mais il faut aussi envisager des mobilités plus douces, ou que nous ne connaissons pas encore : des voitures électriques et sans chauffeur, des « blablacars », de nouvelles mobilités individuelles… Il est difficile de savoir à quoi ressembleront les mobilités de demain ; renseigner le BIE sur ce point me semble ambitieux.
La rénovation, la réhabilitation et la reconversion sont des questions très « XXe siècle ». En Ile-de-France, tout le patrimoine social des années 1960-1970 est à réhabiliter. Quant à la reconversion, c’est-à-dire le changement d’affectation, elle est pratiquée depuis longtemps : songeons à la gare d’Orsay devenue un musée, ou aux entrepôts Macdonald reconvertis en logements et bureaux. Sur ce type de bâtiments, on peut inventer n’importe quelle architecture : il existe des exemples d’interventions prodigieuses, soit minimales, soit au contraire extrêmement visibles. Le problème est plutôt de savoir ce qui va être construit : quels matériaux utiliser, comment faire en sorte que les bâtiments conçus pour l’exposition universelle puissent ultérieurement accueillir des bureaux ou des logements, ou être démontés pour être positionnés ailleurs. L’enjeu n’est pas tant le patrimoine que ce qui sera fait demain – d’autant que Paris est certainement la ville la plus regardée pour ce qui concerne la réhabilitation et la reconversion.
M. Jacques Ferrier. Une manière de répondre aux inquiétudes de M. Loscertales, le secrétaire général du BIE, serait de proposer de faire avec les lignes 14, 15, 16 et 17 du métro un parcours qui, tout en étant connecté aux aéroports de Roissy et d’Orly, au réseau de Paris centre et à la Seine, proposerait la mise en scène de ces flux, et dont chaque gare serait un point fort ; on pourrait en faire sortir des portions en surface. Cela serait l’équivalent pour le XXIe siècle du trottoir roulant, qui avait émerveillé les visiteurs de l’exposition universelle de 1900 !
S’agissant de la rénovation, j’abonderai dans le sens de Pierre Mansat : les sites prestigieux du centre de Paris doivent être mis sur le même plan que les lieux en devenir. Autour des gares du futur Grand Paris Express, on trouve de véritables pépites. Hélas, pour l’instant, nous ne disposons d’aucun moyen financier permettant d’assurer leur rénovation et leur reconversion – c’est notamment le cas pour le projet de villa Médicis pour la tour Utrillo de Clichy-Montfermeil, dont la maîtrise d’œuvre sera attribuée cet été. Ce serait pourtant l’occasion de lancer des programmes créatifs et ambitieux, en adéquation avec le projet d’exposition universelle, qui pourraient déboucher sur des logements.
M. Guy Amsellem. Et si l’unité de lieu était le parcours ? On pourrait mettre en scène une expérience de la fluidité, en s’inspirant des adolescents qui font du « parkour » : ils circulent à travers la ville avec un skate, en s’aidant de ce qui, pour nous, fait obstacle. Ainsi, vous ne dérogeriez pas au principe de l’exposition universelle, mais vous le réactualiseriez.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le BIE nous a dit qu’il serait prêt à accepter une exposition à trois dimensions. Le premier niveau serait celui du village, praticable à pied ; dans cette perspective, l’espace historique des expositions universelles parisiennes, autour du Champ de mars et des Tuileries, pourrait abriter le guichet d’accueil sur le thème de l’histoire des expositions universelles, avec une expression des pays modulable et légère. Le deuxième niveau serait un parcours, une sorte de « tour du monde » autour du projet de transport. Et comme nous ne souhaitons pas que le projet soit exclusivement parisien, on pourrait concevoir des animations ou des colloques thématiques dans les grandes métropoles françaises – Marseille, Lyon, Bordeaux, Nantes, Lille –, dans la mesure où, grâce au TGV, la durée des trajets entre deux villes seront en 2025 comparables aux temps de transport dans les grandes métropoles émergentes.
Nous avons reçu le 25 juin M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de Shanghai. La perspective d’investir le patrimoine français avec d’autres moyens d’expression intéresse beaucoup les pays émergents. Une approche conviviale, sur la base d’une rencontre entre les civilisations, leur plaît beaucoup, de même que l’idée d’un village au centre de Paris. M. Loscertales a d’ailleurs souligné que les meilleurs résultats étaient obtenus dans les villes où l’on pouvait associer la visite de l’exposition et un intérêt touristique. Le problème, c’est que le BIE pense que l’on ira visiter l’exposition, puis Paris, tandis que nous, nous souhaitons mélanger les deux : le touriste fera le tour du patrimoine tout en visitant l’exposition ; quand il ira à Versailles, il visitera un continent, et quand il montera au sommet de la tour Eiffel, il découvrira en même temps un pavillon thématique. Nous espérons que cette approche convaincra le BIE.
Pour M. Xu Bo, il n’y a rien d’anormal à ce que nous proposions une semaine thématique à Aix ou à Lille, dans la mesure où aller d’une ville à l’autre ne prendra pas plus de temps que traverser Shanghai. Chez nous, la ville métropole s’apparente au pays métropole !
M. Alexandre Labasse. Combien de temps le visiteur d’une exposition universelle reste-t-il sur place ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il faudrait distinguer les cas où l’on va seulement à l’exposition et ceux où l’on en profite pour visiter le pays d’accueil, mais, en moyenne, entre trois jours et une semaine – étant entendu que la durée d’une exposition universelle s’étale sur six mois au maximum. Ce phénomène de dilution distingue les expositions universelles des jeux olympiques, qui sont concentrés sur quinze jours.
M. Jean-Marie Duthilleul. L’enjeu, dans ce cadre, est non seulement de faire en sorte qu’en visitant le patrimoine, on visite l’exposition, mais aussi d’amener le public sur de nouveaux sites. Faire aller les visiteurs de la tour Eiffel à Versailles et leur faire découvrir le continent africain dans la caserne des matelots est de l’ordre du réalisable ; en revanche, il est plus difficile de les amener aux Ardoines ou à Gennevilliers. La Seine est de ce point de vue un atout fantastique, car c’est un patrimoine à grande échelle. En partant du village en bord de Seine, les visiteurs pourraient non seulement se rendre sur des sites célèbres à proximité, mais aussi découvrir les sites méconnus plus éloignés.
M. Hervé Pellois. Je suis l’élu d’une circonscription bretonne et je n’ai pas la même approche que vous du Grand Paris. En vous écoutant, je réalisais par exemple que je n’avais jamais eu l’occasion de sortir de Paris intra-muros, hormis pour aller à Versailles ou au Grand Stade. Vous m’avez donné envie de voir d’autres sites !
La notion de convivialité me semble particulièrement intéressante. Il serait bon que Paris redevienne la capitale de tous les Français. Aujourd’hui, certains de nos concitoyens n’ont guère la possibilité d’y aller. Une liaison avec quelques sites ciblés serait appréciable.
On est toujours attiré par les lieux les plus spectaculaires. J’ai été maire d’une commune de 10 000 habitants, à cinq kilomètres de Vannes : tout le monde connaît le golfe du Morbihan, mais personne ne va visiter l’intérieur. Chez nous, l’été, il n’y a pas un chat !
M. le rapporteur. Nous n’en sommes qu’au début de la conception du projet. Nous allons ouvrir le concept d’exposition universelle dans des proportions encore inconnues, avec des dizaines de projets qui vont venir se greffer au nôtre. L’exposition universelle peut déboucher sur une fête populaire qui durera six mois. Au fur et à mesure que le projet va se développer, certains éléments vont prendre une importance croissante, notamment tout ce qui relève de la sécurité publique, mais nous allons intéresser des protagonistes qui ne pouvaient jusqu’alors accéder aux expositions qu’en tant que consommateurs. Au-delà du dossier de candidature, nous devons réfléchir à ce à quoi il va donner naissance – et c’est pourquoi la proposition de Pierre Mansat nous intéresse beaucoup.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Ce matériau brut est en effet appelé à s’enrichir au cours des dix prochaines années, grâce à un processus d’appropriation collective. Nous sommes confrontés à un double défi : l’approfondissement du projet, jusque dans l’épaisseur de la ville, et son enrichissement par les autres acteurs – villes, entreprises, grand public.
Merci à tous pour votre collaboration.
Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux
(Séance du mercredi 3 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président Bélaval, tout au long de cette mission d’information, qui est sur le point de s’achever – elle a débuté en février –, nous avons auditionné les grands opérateurs des expositions universelles, notamment le Bureau international des expositions (BIE), différents acteurs et diplomates français qui ont pris part à l’organisation des pavillons français, le monde économique, les entreprises et les médias.
Nous sommes heureux de vous accueillir compte tenu des fonctions que vous avez déjà exercées : après avoir pris successivement les directions générales de l’Opéra de Paris, de la Bibliothèque nationale de France et des patrimoines au ministère de la Culture, vous avez été nommé président du Centre des monuments nationaux (CMN) en juin 2012.
Vous le savez, notre projet d’exposition universelle ne repose pas sur la construction de pavillons, comme cela a été le cas de Shanghai ou sera le cas de Milan l’année prochaine ou, probablement, celui de Dubaï en 2020, mais a pour objectif de revisiter le patrimoine existant. Les pays visiteurs seront invités à occuper des éléments du patrimoine historique ou contemporain, à Paris même et dans le cadre du Grand Paris. Deux types de monuments entreraient dans ce projet : les monuments anciens, notamment ceux qui sont les témoins des expositions universelles du XIXe siècle, et des monuments contemporains, je pense notamment à la cinquantaine de gares prévues du Grand Paris, qui pourraient accueillir des pavillons et des animations.
Vous gérez une centaine de sites : votre réaction à l’utilisation du patrimoine existant nous intéresse donc au plus haut point. Quels seraient les avantages et les inconvénients d’une telle utilisation, notamment en matière d’accueil du public ou en termes de modèle économique, puisque les sites que vous gérez ont leurs propres ressources ? Plus généralement, l’historien que vous êtes est-il favorable au principe d’une exposition universelle ? Et à celui d’une telle réutilisation ?
M. Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux. En recevant votre invitation, je me suis demandé si elle m’avait été adressée au titre de mes fonctions actuelles ou à celui de mes anciennes fonctions de directeur général des patrimoines au ministère de la culture : la vision que j’avais alors dépassait en effet celle de la centaine de monuments que le Centre des monuments nationaux gère au nom de l’État. Aussi mes réponses pourront-elles porter la marque de réminiscences de mon précédent poste.
Je suis évidemment très favorable à la tenue d’une exposition universelle en France. L’histoire, depuis quelque cent cinquante ans, nous montre le bénéfice que le pays a tiré de chacune des manifestations de ce type qu’il a organisées, qu’il s’agisse des expositions universelles de 1867, de 1889 ou de 1900, ou encore de l’exposition coloniale de 1931 : elles ont considérablement accru le rayonnement de la France, ne serait-ce qu’au plan touristique. Elles ont également bénéficié de manière considérable au patrimoine lui-même, en laissant derrière elles des constructions qui, même lorsqu’elles avaient été conçues comme éphémères, ont parfois duré et constituent aujourd'hui des témoignages prestigieux de l’architecture de leur époque : c’est vrai de la Tour Eiffel, des Petit et Grand Palais, du Palais de Tokyo ou de celui de la Porte Dorée. Un tel projet ne peut qu’être bénéfique à la France, dans une période où notre pays nourrit des doutes sur son influence internationale, son rayonnement ou son attractivité, des doutes que, du reste, je ne partage pas car je suis bien placé pour connaître l’intérêt ou la curiosité que la France continuent de susciter auprès de très nombreux pays. Il convient seulement de les entretenir en permanence en mettant en valeur l’innovation dont nous sommes capables, ce qu’une exposition universelle est l’occasion de faire. Je ne pense pas d’ailleurs que vous ayez rencontré beaucoup d’opposition à ce projet au cours de vos auditions et ce n’est pas moi qui romprai l’unanimité en la matière. Je le répète : je suis très favorable au principe d’une telle exposition.
Les modalités de sa mise en œuvre sont évidemment plus compliquées. Par conviction personnelle, l’idée d’une réutilisation de l’existant m’intéresse, même s’il faut rester lucide : l’esprit d’une telle manifestation exige des aménagements ad hoc. La question de la construction de la modernité sur la base de l’existant dépasse la simple approche économique ou financière pour se poser en termes culturels – je ne suis pas certain du reste que la réutilisation de l’existant soit toujours meilleur marché qu’une construction ex nihilo. Je suis en tout cas convaincu que la politique patrimoniale au sens le plus large – la transmission de l’héritage aux générations futures – consiste à offrir des racines historiques à la modernité. C’est la raison pour laquelle je veille, dans le cadre de la politique culturelle du CMN, à assurer toute sa place à la création au sein des monuments historiques, même les plus éloignés apparemment de l’art contemporain. L’opposition entre patrimoine et création, qui repose sur l’organisation, notamment en termes budgétaires, du ministère de la culture, est fallacieuse. Le patrimoine d’aujourd'hui a été la création d’hier et la création d’aujourd'hui sera le patrimoine de demain. Cette distinction est également dangereuse parce qu’elle tend à créer une rupture dans un continuum dont l’intégrité doit être préservée. Ce serait donc une fort bonne chose que de réussir, dans le cadre d’une exposition universelle, à ancrer la modernité française, européenne et internationale au plus près – je reviendrai sur ce point – de l’héritage patrimonial, d’autant que celui de notre pays est considérable et a assuré le rayonnement de la civilisation française dans le reste du monde – il en est de même notamment de l’Italie ou d’autres pays européens, mais le cas de la France est flagrant. Une telle idée m’est donc a priori sympathique.
Cela dit, il ne faut pas ignorer que la mise en œuvre d’un tel projet se heurtera à de nombreuses difficultés pratiques. Je ne suis pas allé à Shanghai, mais j’irai à Milan l’année prochaine et j’ai des souvenirs de Séville : ces manifestations sont destinées à drainer des flux de population très importants issus du monde entier. Or les bâtiments historiques ne sont pas toujours adaptés à l’accueil et à la circulation de tels flux. Je lisais ce matin sur internet un article très critique sur l’accueil des visiteurs du château de Versailles. Certains monuments sont d’ores et déjà proches de la saturation : comment y organiser la visite de plusieurs millions de personnes ?
Ces monuments font par ailleurs d’ores et déjà l’objet, pour la plupart d’entre eux, d’un usage, notamment culturel, et on ne va pas démeubler Versailles pour y installer un pavillon de l’exposition universelle. Une contradiction entre les deux usages risque donc de surgir indépendamment même de la question, subalterne, du dédommagement de l’établissement qui tire ses recettes de ses visiteurs. Certes, des parties de ces monuments sont parfois moins utilisées que d’autres : il conviendrait de les recenser de manière fine. Il serait en revanche dommage, pour attirer du public à l’exposition universelle, de fermer des éléments du patrimoine que ce même public souhaitera visiter à la faveur de son séjour en France. Il faudra dépasser cette contradiction.
Troisième point : l’adaptation de ces monuments. Le public de ce type de manifestation attend des prestations en termes d’accueil. Outre son coût, cette adaptation devra également respecter la législation patrimoniale. Comment insérer la modernité au sein des châteaux de Versailles, de Fontainebleau ou de Vincennes ? Faudra-t-il cacher provisoirement certains éléments historiques, voire les déplacer ou les démonter ? Comment le faire dans le respect de la législation des monuments historiques ?
Si je suis intéressé non seulement par le principe d’une exposition universelle, mais également par une démarche de réemploi, je pense toutefois que, sauf exception, il ne faudra pas chercher à inscrire cette démarche dans des lieux véritablement patrimoniaux. Envisager des constructions dans le domaine de Versailles ou le parc de Saint-Cloud suscitera de nombreuses réactions hostiles. Il serait préférable de viser les abords immédiats de tels lieux – dépendances domaniales, friches industrielles, etc. –, où il serait possible d’implanter plus facilement les pavillons de l’exposition, et de créer ainsi, dans le cadre d’une logique « gagnant-gagnant », entre ces pavillons et les monuments patrimoniaux, des liens suffisamment étroits pour rendre indissociable la visite des deux sites et les faire bénéficier de leurs succès respectifs. Il faut éviter de susciter des complications inutiles en sus des oppositions qui ne manqueront pas d’apparaître.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le secrétaire général du BIE, qui est espagnol, nous a dit, lorsque nous l’avons auditionné, qu’il existe un effet de miroir très puissant entre le patrimoine et une exposition universelle. Historiquement, les grandes expositions universelles sont celles qui se sont déroulées dans des villes dont le patrimoine a complété une visite d’autant plus rentable pour l’étranger qu’il allait voir ce patrimoine en sus de l’exposition universelle. Il est donc possible d’imaginer, compte tenu de l’attractivité de Paris, qu’une opération comme celle que nous projetons aurait un effet de levier considérable en termes de fréquentation – plus proche de 80 millions de visiteurs que des 30 ou 40 millions de certaines expositions universelles. L’exposition universelle de Paris de 1900 a attiré 53 millions de visiteurs.
Quelle est l’importance, dans le patrimoine que vous gérez, de la part exploitable des dépendances ou des friches que vous avez évoquées ? Est-elle réelle ou marginale ? Quel en est le potentiel exact ?
M. Philippe Bélaval. Le potentiel existe, mais je ne l’ai pas recensé de manière précise avant de venir. Je pense à une dépendance du domaine de Meudon, que les élus de l’Île-de-France connaissent bien : le hangar Y, un ancien hangar à dirigeables du début du XXe siècle, qui, actuellement, n’est plus utilisé que pour des tournages de films.
Il conviendrait toutefois de tester les réactions des exposants. Je ne suis pas certains, en effet, que les pays invités considèrent comme très valorisant le fait d’être installé dans une dépendance de Versailles ou de Meudon. Certes, pour un architecte, l’installation dans de l’existant peut être l’occasion d’un geste tout aussi spectaculaire que la construction d’un bâtiment ex nihilo : il n’en reste pas moins que le geste architectural repose, dans l’esprit des gens, avant tout sur la réalisation d’une construction nouvelle.
M. Hervé Féron. Le Centre des monuments nationaux était présent à l’exposition universelle de Shanghai en 2010. Un film institutionnel présentait la richesse du patrimonial national dans différents espaces du pavillon français et des produits dérivés aux couleurs françaises étaient offerts à plusieurs couples de jeunes mariés dans le cadre de l’opération « mariages romantiques », avec des invitations gratuites pour visiter des monuments. Quel sera le rôle du CMN à l’exposition de Milan en 2015, et quel pourrait être le sien en 2025 à Paris ?
Par ailleurs, à l’occasion des cent ans du CMN, différents projets culturels sont prévus, comme l’organisation de concerts de l’Orchestre de Paris dans des lieux d’exception tels que le château de Cadillac en Gironde ou l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Un jeu vidéo sera également lancé pour faire découvrir aux Français, notamment aux plus jeunes d’entre eux, une vingtaine de monuments du CMN, qui fait preuve ainsi d’une réelle volonté de sensibiliser les Français à leur patrimoine. Le CMN pourrait-il mener des actions de sensibilisation et de popularisation similaires pour que le projet d’exposition universelle, auquel déjà plus de 4 000 personnes affichent leur soutien sur le site internet qui lui est dédié, jouisse du plus grand nombre de soutiens possibles ?
Enfin, vous avez été chargé par le Président de la République, dès son élection, d’un rapport sur l’avenir du Panthéon, monument emblématique où reposent des grands hommes, et si peu de femmes, de la patrie. Votre travail – intitulé Rendre le Panthéon au peuple – avance vingt propositions, dont celles de rendre le bâtiment plus attrayant en « l’ouvrant à la lumière » ou d’y promouvoir l’art contemporain et le numérique, grâce notamment à une visite virtuelle du Panthéon sur son site internet. Si c’était à vous de décider, quel rôle souhaiteriez-vous voir jouer au Panthéon dans l’exposition universelle ? Cet événement pourrait-il contribuer à dépoussiérer le Panthéon ?
M. Philippe Bélaval. Nous l’avons dépoussiéré au printemps !
La Lorraine, monsieur le député, est malencontreusement l’une des trois régions métropolitaines dans lesquelles nous n’exploitons aucun monument.
Si la France organise l’exposition universelle de 2025 – pour des raisons d’état civil, je n’occuperai plus mes fonctions –, je suis certain que le CMN prévoira cette année-là une programmation de prestige dans l’ensemble de ses monuments, que ceux-ci accueillent des pavillons ou n’en accueillent pas. Le ministre de la culture du moment aura le souci de proposer une offre prestigieuse en matière patrimoniale aux visiteurs de l’exposition universelle. Le Panthéon devra alors y prendre une place particulière. La lettre de mission du Président de la République, à laquelle j’ai répondu par le rapport que vous avez évoqué, insistait d’ailleurs sur le fait que le Panthéon est par essence un monument au rayonnement international, puisque y sont inhumées des personnes qui ont combattu, parfois jusqu’au sacrifice suprême, pour des valeurs universelles inséparables du rayonnement de la république, telles que la paix, la défense de la justice, de la liberté et de la dignité humaine, ou encore la résistance à l’oppression. La programmation du Panthéon devra en tenir compte.
Plus généralement, il faut l’ouvrir non seulement à la lumière, mais également à la pluralité linguistique : à l’heure actuelle, les informations n’y sont données qu’en français, alors que 70 % des visiteurs sont étrangers. Les Français sont déjà loin de connaître toutes les personnalités qui y reposent : pensez les étrangers ! Le Panthéon devra être au cœur de l’implication du centre dans l’exposition universelle de 2025, si elle a lieu à Paris.
Le CMN investit énormément dans l’ouverture à l’étranger – ce sera le cas à l’exposition de Milan de 2015 –, parce que nous sommes convaincus que la stabilité de notre système et le développement de notre public dépendent principalement de l’étranger en termes de pouvoir d’achat. Les sept monuments de Paris et de la petite couronne du CMN représentent à eux seuls quelque 50 % de la fréquentation totale des monuments gérés par le centre – près de 5 millions de visiteurs sur un total de 9,2 millions : or les étrangers y sont largement majoritaires – 70 % au Panthéon, je l’ai dit, et plus de 80 % à l’Arc de Triomphe. Les monuments parisiens du CMN représentent une part importante du rayonnement touristique et culturel international de la France : c’est ce que nous souhaitons dire et répéter à Milan, comme nous avons essayé de le faire à Shanghai, avec l’appui de l’agence Atout France, dont nous nous sommes beaucoup rapprochés et avec laquelle nous signerons une convention cadre de coopération. Atout France nous paraît en effet un outil de pénétration très remarquable des marchés touristiques étrangers, notamment asiatiques.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous avons organisé une table ronde avec plusieurs grands architectes français qui étaient séduits par la perspective d’ouvrir une génération d’expression pour laquelle revisiter l’existant représenterait un défi tout aussi passionnant que de construire ex nihilo. Ils imaginaient également la construction d’appendices, éphémères ou non éphémères, aux monuments historiques : la pyramide du Louvre s’insère de manière remarquable dans un cadre historique.
Or, sauf en cas de volonté politique très forte, il est ordinairement très difficile de proposer des gestes architecturaux aux abords ou en façade de monuments historiques : l’ouverture à l’exploration de tels appendices, éphémères ou définitifs, vous paraît-elle possible ?
Constatez-vous par ailleurs une modification du comportement ou des attentes des visiteurs des différents sites qui sont sous la responsabilité du CMN ? Observez-vous également des évolutions majeures en termes de profils socioculturels ou d’origines géographiques ? Avez-vous réalisé des études en la matière, nous permettant de répondre aux nouvelles attentes de ceux qui visitent aujourd'hui le patrimoine français ?
M. Philippe Bélaval. Je suis favorable à l’édification d’appendices : encore faut-il que l’édifice soit génial. Si la pyramide du Louvre est entrée dans le paysage, c’est qu’il s’agit d’un très beau monument. Je tiens toutefois à rappeler les polémiques qui ont émaillé sa construction et souhaite par avance bon courage au futur commissaire général de l’exposition universelle, s’il doit affronter les mêmes, multipliées par le nombre d’appendices prévus ! Faire côtoyer les architectures contemporaine et patrimoniale n’est pas une idée majoritairement partagée par nos concitoyens. Rien ne s’y oppose, notamment au plan législatif, surtout si l’édifice doit être éphémère : les marges de manœuvre sont alors plus importantes que si l’appendice est définitif.
Nous constatons quasi quotidiennement la modification des comportements des visiteurs de nos monuments. Nous sommes en particulier exposés à des critiques relatives aux monuments parisiens à forte fréquentation étrangère. Le public asiatique trouve ainsi les ouvertures des monuments trop tardives. Les Chinois souhaiteraient pouvoir monter sur l’Arc de Triomphe dès sept heures du matin : devoir attendre neuf heures et demie complique la gestion de l’emploi du temps de journées qu’ils conçoivent comme très remplies. Si, pour toutes sortes de raisons, nous ne pouvons pas ouvrir l’Arc de Triomphe vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il n’en reste pas moins que la question des horaires d’ouverture des monuments se posera de manière accrue dans le cadre d’une exposition universelle, ne serait-ce que pour réguler les flux.
Les visiteurs sont également de plus en plus exigeants en matière de services annexes : l’offre de restauration, l’offre commerciale, les toilettes, les espaces à langer, l’existence éventuelle d’une nursery ou d’une crèche, tous secteurs dans lesquels la France est très en retard – un retard que Versailles rattrapera bientôt en partie, grâce au nouvel accueil créé par M. Dominique Perrault. Il est vrai que les monuments que nous exploitons ne sont pas toujours les plus adaptables. Les Britanniques sont passés maîtres en matière d’accueil. Leurs châteaux offrent une gamme de services faramineuse et d’une qualité incomparable.
Les visiteurs sont par ailleurs de plus en plus sensibles à la liberté d’aller et de venir. S’ils apprécient toujours une visite guidée de qualité, ils ont aussi une grande appétence pour l’autonomie et ne supportent plus de ne pas pouvoir déambuler librement tout en bénéficiant d’explications sur leur smartphone.
Enfin, la concurrence entre les activités culturelles et de loisirs est devenue considérable et touche le public tant français qu’étranger. C’est pourquoi nous procédons à la modernisation de notre site internet, en vue notamment d’élargir notre offre de services en ligne. Les visiteurs veulent pouvoir, en un seul clic, disposer de toutes les informations nécessaires, acheter les billets et le kit de visite, voire réserver la table de restaurant et la nuit d’hôtel à proximité. Cet enjeu est colossal dans l’hypothèse d’une individualisation du tourisme chinois. Tant que celui-ci se pratiquait dans le cadre de groupes organisés, le dialogue avec les tours opérateurs atténuait la nécessité d’offrir de tels services. Si le CMN ne se préparait pas à répondre aux exigences à venir des Chinois en termes de services annexes ou d’offres culturelles, nous risquerions tout simplement de disparaître. Le monument le plus visité du département d’Indre-et-Loire, qui compte pourtant un grand nombre de châteaux, c’est le parc zoologique de Beauval ! Le public arbitre entre des offres très variées.
S’il est vrai que le CMN est bien placé – des tarifs raisonnables et la gratuité jusqu’à vingt-cinq ans font de la visite d’un monument historique la sortie culturelle familiale par excellence –, il doit toutefois s’adapter aux besoins des visiteurs. Dans l’hypothèse de l’organisation d’une exposition universelle, c’est une véritable révolution culturelle qu’il faudra programmer pour 2025.
Quand la décision sera-t-elle prise ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le dossier de candidature devra être déposé en 2016 et les 170 pays membres du BIE voteront en 2018. Les échéances sont donc relativement rapprochées.
Compte tenu du caractère tendu de la dépense publique – il ne saurait être question d’investir des milliards d’euros comme à Shanghai ou à Dubaï –, le projet est construit sur un modèle économique nouveau, qui vise à amortir les infrastructures existantes en tablant sur le patrimoine et les moyens de transports tels qu’il est prévu de les développer dans le cadre du Grand Paris. Une telle préfiguration reçoit de nombreux soutiens. Nous auditionnerons juste après vous la CGPME et le MEDEF : le monde des entreprises est en effet très intéressé à la réussite d’un projet qui concourra à la redynamisation de l’économie.
En Italie, en termes de mécénat, la contribution des grandes entreprises à la sauvegarde du patrimoine national est spectaculaire. Pensez-vous que les dispositions législatives et réglementaires actuelles, notamment d’ordre fiscal, qui permettent aux entreprises d’investir dans le patrimoine, sont suffisantes ou qu’il conviendrait de les améliorer, afin de favoriser la réalisation d’un projet qui repose sur la construction d’appendices provisoires ou définitifs au patrimoine existant ? Quel regard portez-vous, en termes de mécénat, sur la rencontre entre les grandes entreprises françaises, voire étrangères, et le patrimoine français ?
M. Philippe Bélaval. Je ne veux pas sortir de mon rôle, mais mon intuition est qu’une initiative telle qu’une exposition universelle ne saurait être supportée uniquement par l’État et les collectivités territoriales. Tout le monde devra s’y mettre !
La législation actuelle relative au mécénat est globalement avantageuse. J’ai par ailleurs noté que le Premier ministre souhaite relancer les partenariats public-privé, qui suscitaient encore récemment des réserves ou des inquiétudes : ce peut être l’amorce d’une nouvelle rencontre avec les entreprises. Le patrimoine, j’en suis sincèrement convaincu et je ne cesse de le répéter, c’est l’affaire de tous. Que des entreprises s’y impliquent davantage en France me paraîtrait une excellente chose.
Je déconseillerais toutefois d’adopter une législation ad hoc, dérogatoire à la législation patrimoniale existante, le goût de la majorité des acteurs pour le patrimoine étant relativement conservateur et régalien. Tout ce qui pourrait apparaître, à tort ou à raison, comme une tentative d’abaisser les protections afin de favoriser l’entrée des grands groupes risquerait de rompre l’unanimité entourant la question du patrimoine. Le désengagement de l’État et l’entrée du privé dans le patrimoine se heurtent déjà en France à des réticences intellectuelles et politiques.
Je reste à votre disposition pour procéder à un recensement de lieux susceptibles de vous intéresser pour le dossier de candidature. Toutefois, à mes yeux, mon successeur à la direction générale des patrimoines serait mieux à même de piloter l’exercice puisque celui-ci est susceptible de concerner un plus grand nombre de structures que celles que gèrent le CMN.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie, monsieur le président.
Audition commune, ouverte à la presse, de M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, accompagnés de Mme Sandrine Bourgogne, et de M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF et président du Pôle économique, fiscal, innovation et numérique, de Mme Céline Micouin, directrice entreprises et société, accompagnés de M. Matthieu Pineda, chargé de mission
(Séance du mercredi 3 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Notre mission d’information, qui réfléchit à la candidature éventuelle de la France à l’organisation de l’exposition universelle de 2025, a procédé depuis dix mois à une centaine d’auditions. Elle a entendu des opérateurs du Bureau international des expositions (BIE), des acteurs qui ont porté la candidature de Paris aux jeux Olympiques ou pris part à l’organisation des pavillons français aux expositions universelles, des architectes, des responsables des transports et de grands acteurs territoriaux, à commencer par la ville de Paris. Nous intéressons à présent à la manière dont les entreprises pourraient s’approprier l’événement, y réagir ou s’y impliquer.
Monsieur Geoffroy Roux de Bézieux, vous êtes diplômé de l’ESSEC et de l’université de Dauphine, vous êtes entré chez L’Oréal en 1986, puis vous êtes devenu directeur marketing pour le Royaume-Uni avant de fonder la filiale polonaise de L’Oréal en 1993. Vous vous êtes orienté ensuite vers le secteur de la télécommunication mobile. Vous avez présidé les associations CroissancePlus et Alternative Mobile. Vous avez participé aux travaux de la Commission pour la libération de la croissance française, dite Commission Attali. Après avoir présidé l’UNEDIC entre 2008 et 2010, vous êtes depuis 2013 vice-président du MEDEF et président de son pôle économie-fiscalité-innovation-numérique. Vous êtes accompagné de Mme Céline Micouin et de M. Matthieu Pineda.
Monsieur Jean-François Roubaud, après des études de génie climatique et un diplôme de l’Institut français de gestion, vous êtes devenu directeur technique, directeur, puis président-directeur général de plusieurs sociétés spécialisées dans le génie climatique. Depuis 2001, vous appartenez au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Depuis 2002, vous présidez la CGPME. Vous avez été président du conseil de surveillance de la Banque du développement des PME, devenue OSÉO-BDPME, puis vice-président du conseil d’administration d’OSÉO. En outre, vous êtes membre du fonds stratégique d’investissement depuis 2009, administrateur d’Ubifrance et membre du conseil d’administration de Bpifrance Financement. Vous êtes accompagné de M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson et de Mme Sandrine Bourgogne.
Le MEDEF et la CGPME ont déjà fait connaître leur intérêt pour une candidature de la France à l’exposition universelle de 2025. Quels avantages les entreprises de différentes tailles peuvent-elles retirer de cet événement et selon quelles modalités pourraient-elles y participer ?
M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF. Le MEDEF et les entreprises qu’il représente sont extrêmement favorables à une candidature de la France à l’exposition universelle de 2025. Notre pays, en plein marasme économique, a besoin d’un projet fédérateur, capable de créer une union nationale. Non seulement celui-ci est largement consensuel, mais il mettrait à l’honneur la science et la technique. Quantité d’innovations ont été présentées dans le cadre d’expositions universelles. Une telle manifestation serait particulièrement apte à créer la confiance et à mettre en scène la marque France.
À l’étranger, notre pays continue d’apparaître uniquement comme celui du goût, du luxe et de la bonne chère, ce qui limite nos capacités d’exportation. Pour travailler dans les nouvelles technologies, je peux témoigner que la France est aussi un pays d’inventeurs, même si tous ne parviennent pas à y commercialiser massivement leurs découvertes. Une exposition universelle qui réunirait des dizaines de millions de visiteurs montrerait au monde entier que toutes les innovations ne font pas en Amérique ou en Asie. Elle révélerait le potentiel de nos start-up, laboratoires et nos universités. Enfin, elle nous aiderait à retrouver l’esprit de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, où l’on mettait l’accent sur le fer ou l’électricité. Je rappelle pour l’anecdote que c’est à l’occasion d’une exposition universelle qu’a été créée la tondeuse à gazon.
Nos entreprises sont prêtes à se mobiliser, sachant que certaines inventions pourront être présentées avant ou après 2025. Les plus grandes entreprises gagneront une occasion de se faire connaître dans le monde entier. Quant aux PME, plus rarement exportatrices, M. Roubaud parlera mieux que moi de la manière de les mobiliser. Peut-être pourrait-on créer pour elles une forme de mécénat avec un petit ticket d’entrée. Il faut aussi se pencher sur la question territoriale, puisque le projet d’exposition universelle, fondé sur le Grand Paris, prévoit des relais en région. Pensons enfin à associer les salariés, qui font naître les inventions ou les innovations, dans les laboratoires et les services de design ou de marketing. À nous de trouver le moyen de les faire participer au projet.
Dans une période de doute et de flottement, où la France ne croit plus pouvoir jouer un rôle dans la mondialisation, une exposition universelle permettrait de remobiliser les énergies.
M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME. La CGPME étant partenaire du MEDEF, je ne surprendrai personne en disant que je partage ce point de vue. Par ailleurs, monsieur le président, nous sommes tombés d’accord quand vous avez présenté votre programme, lors du comité directeur de l’association ExpoFrance 2025. La CGPME est d’ores et déjà partenaire du projet, auquel elle prendra une part importante. Celui-ci s’inscrit dans une dynamique de relance économique. Il redonnera du sens à la notion de progrès. Il permettra de présenter des innovations, ainsi qu’un inventaire des technologies qui se mettent en place, ce qui contribuera au rayonnement de la France.
Il faut toutefois rappeler un chiffre : parmi les 50 millions de visiteurs de l’exposition universelle de 1900 figuraient 45 % d’étrangers ; parmi les 75 millions de celle de Shanghai, en 2010, le taux d’étrangers était de 2 %.
Si la candidature de Paris est retenue, le Grand Paris devra accueillir de nouvelles infrastructures. Réfléchissons dès maintenant à leur utilisation ultérieure. On a souvent vu des infrastructures, qui ne trouvent plus d’emploi après un grand événement, par exemple après des jeux Olympiques, et qui tombent lentement en ruine.
Bien qu’elles ne possèdent pas les mêmes moyens que les grandes entreprises, les PME entendent travailler avec les territoires – départements et régions –, pour créer une dynamique entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Les retombées du projet pourraient dépasser celles des jeux Olympiques, car la manifestation mobilisera toute la technologie et toutes les entreprises. On se souvient que la malle Vuitton avait été créée à l’occasion de l’exposition universelle de 1900. Quel projet fera éclore celle de 2025 ? Nul ne le sait encore, mais vous pouvez sur notre mobilisation.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME. Des organisations et des institutions réunissent déjà petites et grandes entreprises, qu’il importe d’associer à l’événement. Peut-être faut-il intégrer à la réflexion les pôles de compétitivité les plus dynamiques.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Nous avions peu de doute sur votre engagement, mais il est précieux que vous le formalisiez. La candidature de la France n’avancera qu’au prix d’un partenariat étroit avec les entreprises, à fois vitrines et ateliers de création. Les entreprises pourront-elles se mobiliser rapidement sur le projet ? Quelle pourrait être la participation respective des grandes entreprises ou des PME ? Notre imagination est sans doute beaucoup moins riche que celle des chefs d’entreprise.
Par ailleurs, nous projetons de ne pas limiter l’exposition universelle à un espace clos et d’exploiter toutes les ressources du pays, ses monuments comme son industrie. Quels lieux de création de richesse, en activité ou en cours de reconversion, pourraient accueillir l’exposition universelle ?
M. Jean-François Roubaud. M. du Mesnil du Buisson a rappelé le rôle des pôles de compétitivité. Je serai demain à Grenoble, où se concentrent des entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies. Ces PME sont des pépinières d’intelligences, mais je doute qu’elles puissent constituer des lieux d’accueil.
M. Geoffroy Roux de Bézieux. Les plus intéressées au projet – par le biais du sponsoring ou du mécénat – seront les grandes entreprises internationales, qui veulent lier leur image à celle de notre pays. On sous-estime l’influence de la marque France à l’étranger : toutes les boulangeries des États-Unis se sont choisi un nom français, qui leur sert de levier. Les quinze ou vingt grands groupes internationaux, que vous avez déjà sollicités pour le préprojet, constituent un vivier de financeurs.
Pour engager les entreprises à montrer leurs innovations de manière attractive et pédagogique, il faut raisonner par filières, en utilisant les pôles et les fédérations. Lors de l’université d’été du MEDEF, un espace innovation consacré à la santé de demain a connu un grand succès. Grâce à la mobilisation des PME, des start-up et des grands groupes, on y montrait les cabines de télémédecine, qui permettent de réaliser des diagnostics à distance. Les pôles de compétitivité – qui sont non pas des lieux physiques, mais des clusters géographiques – peuvent aider à mettre en scène les derniers prototypes d’une filière.
Nous n’avons pas recensé les lieux qui pourraient être mis à la disposition de l’exposition universelle, mais il sera difficile d’accueillir un grand nombre de visiteurs à plusieurs endroits. Le risque, compte tenu des difficultés de déplacement, est que seuls les riverains ne viennent visiter certains sites, ce qui réduirait la manifestation à une journée portes ouvertes.
Le complexe PSA de Sochaux-Montbéliard, qui couvre 300 hectares, permettrait de présenter l’automobile du futur, en réunissant les PME et les sous-traitants de l’électronique embarquée, mais il existe à peine quelques dizaines de lieux de ce type en France.
M. Jean-François Roubaud. Si l’on utilise des sites qui n’ont pas été conçus pour une exposition, il faudra gérer les files d’attente. Du fait des embouteillages, on a vu à Shanghai des visiteurs renoncer et repartir déçus.
Mme Céline Micouin, directrice entreprises et société du MEDEF. Le monde économique soutiendra en amont la candidature de Paris. Pour que les moyennes et grandes entreprises, qui vont à l’international, convainquent les décideurs, il faut les associer le plus tôt possible à la conception du projet, particulièrement dans les territoires. Par ailleurs, toutes les entreprises internationales qui possèdent une filiale en France ont intérêt à montrer qu’il n’est pas difficile d’y investir. On peut les solliciter pour montrer que notre pays est une terre d’accueil.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Dès que le sujet a été évoqué, il a suscité l’enthousiasme des entreprises. Il faut à présent le faire connaître des PME. Nous sommes prêts à relayer auprès d’elles une opération comparable à celle qu’ExpoFrance 2025 mène en ce moment auprès des étudiants. Encore faut-il que nous disposions sinon d’un cahier des charges, du moins des grandes lignes du projet.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Un des buts de la mission d’information et des travaux que nous avons confiés aux étudiants est de fixer un cadre. Pour organiser l’exposition en ville, donc en zone dense, et dans des monuments existants, la contribution des entreprises – par le biais de la recherche et développement, de la réflexion stratégique, des projets et des produits – sera essentielle. Il faut trouver le véhicule qui permettra de mobiliser entreprises, clusters et centres de recherche. La nécessité de résoudre les problèmes suscitera l’innovation. C’est ainsi qu’ont été atteints, au XIXe siècle, des objectifs qui semblaient a priori irréalisables.
Quelles sont, selon vous, les infrastructures dont le territoire a le plus besoin ?
M. Geoffroy Roux de Bézieux. Toutes les études montrent que les infrastructures fonctionnent bien dans notre pays. La France n’a pas, comme l’Allemagne, par exemple, à les remettre à niveau. Elle doit même se garder, puisque le désendettement sera sa priorité pendant les quinze prochaines années, d’en construire d’autres qui ne seraient pas nécessaires. En revanche, l’échéance de l’exposition universelle devra hâter la réalisation des projets déjà prévus.
Notre principal retard, surtout quand on compare notre situation à celle des autres pays, concerne le numérique. Si l’on veut que l’exposition universelle mette l’accent sur ce secteur, il faut fibrer correctement tout le pays. Ce n’est pas ce que prévoient les programmes actuels.
M. Jean-François Roubaud. L’événement pourrait également servir à accélérer les liaisons entre les aéroports et le centre du Grand Paris.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Pour l’instant, le Palais des congrès, à la porte Maillot, est le seul lieu capable d’accueillir une manifestation comme Planète PME, qu’organise chaque année la CGPME. N’en faut-il pas un autre ? Les espaces de Villepinte sont très éloignés du centre.
M. le rapporteur. Pour essayer d’imaginer ce qui se passera en 2020 ou 2030, je rencontre chaque année les responsables d’un grand groupe de distribution, qui travaille avec des productivistes. Existe-t-il dans vos fédérations des personnes qui étudient l’évolution des comportements ou de la technique ?
M. Geoffroy Roux de Bézieux. Lors de son université d’été, le MEDEF a présenté un document intitulé « France 2020 », dont une partie concerne les marchés et les filières du futur. Nous pouvons organiser une séance de réflexion sur le sujet, en sachant que les évolutions annoncées ne se produisent jamais au moment où on les attendait ni pour les raisons qu’on avait imaginées. Entre 1990 et 2000, Nokia a annoncé dix fois la commercialisation du smartphone, qui, dans les faits, lui a finalement échappé. Nous pouvons établir une liste de tendances concernant la consommation, les nouveaux marchés ou les nouveaux métiers, mais il s’agira d’un cadre et non d’un inventaire précis.
M. Jean-François Roubaud. Je vous citerai le nom d’Hugues de Jouvenel, président-délégué général de l’association Futuribles, qui développe des idées de prospective intéressantes. Par ailleurs, nous devons réfléchir à ce que sera le numérique dans dix ans.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il est difficile d’imaginer les outils que nous manierons alors. Les étudiants de Sorbonne ont proposé d’approfondir la réflexion sur l’hospitalité. Nous verrons, le moment venu, avec quelles technologies nous pourrons la décliner.
Les dispositifs fiscaux incitant au mécénat sont-ils suffisamment attrayants ? Les entreprises italiennes participent plus que les françaises à la valorisation du patrimoine. Peut-être n’avons-nous pas réuni les conditions d’un partenariat économique entre l’entreprise et le patrimoine.
M. Jean-François Roubaud. Les chefs d’entreprise, toujours attachés à leur territoire, connaissent mal les dispositifs fiscaux. Avec la Fondation du patrimoine, je m’emploie à les leur présenter.
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson. Beaucoup d’entreprises participent à des actions de mécénat, même pour un montant très faible, par exemple en vue de rénover la statue d’un village. On peut sans doute mieux valoriser ces initiatives.
M. Geoffroy Roux de Bézieux. Parce que nous nous efforçons de rester cohérents, nous ne sommes pas demandeurs de nouvelles niches fiscales, qui seront le pendant d’une fiscalité élevée. Évitons de rendre encore plus complexe un système d’imposition qui ne l’est que trop.
Le crowdfunding se développe parfois sans but lucratif. My Major Company (MMC), fondée par Michael Goldman, finance des projets par des dons qui n’appellent pas de retour matériel. Bien que son impact soit moins important que celui du sponsoring d’entreprise, le procédé est intéressant. Sans modifier la fiscalité, on peut mobiliser des dizaines de milliers de Français, qui s’approprieraient tel bâtiment ou telle partie de l’exposition universelle. Ce projet s’adressant à un moins grand public que les jeux Olympiques, qui bénéficient du support des images télévisées, il faut jouer sur des ressorts spécifiques.
Mme Céline Micouin. Il existe, à côté du mécénat financier, un mécénat de compétences, mal connu des TPE ou des PME, sur lequel on peut améliorer l’information. Les PME qui s’intéressent au mécénat espèrent, à l’échelle territoriale, un retour sur investissement. Je crains que la mobilisation ne plus soit difficile si le projet demeure national, sans associer les élus locaux ou les acteurs du secteur économique et associatif.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Si beaucoup de produits nouveaux ont été présentés dans les expositions universelles, c’est en partie parce qu’elles organisaient des concours dont l’enjeu était une médaille. Les parfums Guerlain et les automobiles Citroën l’ont reçu en leur temps. Dans l’économie mondialisée d’aujourd’hui, peut-on proposer un label équivalent ?
M. Geoffroy Roux de Bézieux. Bien sûr : la commande publique ! Celle-ci est bien moins importante en France que dans un pays comme la Suède. On ne peut pas forcer la main des acteurs publics, qui ne peuvent d’ailleurs pas acquérir tous les produits, mais la commande publique est la meilleure manière de récompenser un produit innovant. Les entreprises attendent avant tout des gratifications sonnantes et trébuchantes. Au-delà de la satisfaction qu’elle apporte, la médaille est un argument de vente.
M. Jean-François Roubaud. Je ne suis pas défavorable aux médailles, qui, compte tenu des communications actuelles, pourraient avoir un retour important pour les entreprises. L’effet de certaines distinctions a duré pendant près d’un siècle.
M. Geoffroy Roux de Bézieux. L’exposition offrira un moyen de réconcilier la France avec la mondialisation, à l’heure où nos compatriotes ont l’impression que le monde va plus vite qu’eux. On a vu, sur le plan politique, sur quoi débouche cette attitude de fermeture. Organiser une exposition universelle sera une manière d’accueillir le monde et de lui montrer ce que nous savons faire, même si cet objectif n’est pas facile à traduire de manière concrète.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le projet concernera les entreprises et les territoires, c’est-à-dire le monde économique et politique. L’intérêt d’un grand événement est de créer une dynamique et une échéance, qui rassemblent tout le monde et font oublier les scories de l’actualité.
M. le rapporteur. Formellement, le dossier de candidature est présenté par le pays, mais il serait significatif que le nôtre soit porté par la France, ses territoires et ses entreprises.
M. Jean-François Roubaud. L’exposition redonnerait du sens au progrès et nous réconcilierait avec lui.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie pour ce joli mot de la fin.
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur général d’Air France, et de Mme Patricia Manent, directrice adjointe des affaires publiques d’Air France
(Séance du mercredi 3 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur général d’Air France, accompagné de Mme Patricia Manent, directrice adjointe des affaires publiques de cette compagnie. Notre mission a pour objet d’analyser la pertinence d’une candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025 – projet que vous connaissez bien puisque Air France a déjà contribué à nos côtés à sa préparation. Notre mission, qui a débuté en janvier dernier, s’achèvera dans un mois. Elle nous a permis d’entendre l’ensemble des acteurs qui pourraient être impliqués dans l’organisation d’un tel événement en France. Quel regard la société Air France porte-t-elle sur ce type de manifestation ? De quels moyens devrions-nous nous doter pour accueillir au mieux les visiteurs susceptibles d’y affluer, compte tenu de la configuration de notre offre actuelle de transports aériens ?
M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur général d’Air France. Comme vous l’avez souligné, Air France fait partie des quinze partenaires d’ExpoFrance 2025. Malgré la situation financière difficile dans laquelle nous nous trouvons et le fait que nous avons beaucoup réduit nos partenariats, ce choix nous a paru évident car notre métier ne consiste pas seulement à faire voyager les Français à l’étranger, mais aussi à faire venir les étrangers à Paris ainsi que dans une trentaine de villes de France. C’est d’ailleurs afin de capitaliser sur les valeurs de la « marque France » que nous avons infléchi notre campagne de communication. Celle-ci s’appuie sur le slogan France is in the air et des références traditionnelles telles que les jardins à la française et les chaises à porteur – au traitement visuel desquelles nous essayons d’apporter une touche de modernité. Nous avons par ailleurs été très associés aux Assises du tourisme et croyons beaucoup à la volonté d’ores et déjà exprimée de développer la qualité de l’accueil. Cela suppose à la fois que de nouvelles infrastructures soient implantées au sein des aéroports et que nous formions nos personnels à l’accueil. D’ailleurs, nous sommes déjà confrontés aujourd’hui à l’enjeu de l’accueil des passagers chinois dans nos avions, qui exige que nos personnels opèrent une véritable révolution culturelle.
Dans le domaine aérien, Air France estime être tout à fait à même de relever le défi que constitue l’organisation d’un tel événement, tout en espérant pouvoir retrouver une assise financière qui lui permette de poursuivre son développement, notamment sur les vols long courrier. Notre ambition, à l’horizon 2025, est d’être encore davantage qu’aujourd’hui une entreprise forte dont le réseau se déploie sur l’ensemble des continents, dans le cadre d’un partenariat solide avec KLM et au sein de l’alliance SkyTeam. Air France transporte aujourd’hui 53 millions de passagers par an et dessert 180 destinations dans 103 pays : il s’agit donc de l’une des compagnies européennes dont le réseau est le plus étendu, comportant des positions fortes en Amérique latine, en Afrique de l’Ouest et en Chine. Notre ambition est de continuer à étendre ce réseau dans des conditions rentables. En termes de couverture mondiale, Air France se considère comme l’un des principaux hubs européens, devant British Airways en termes d’étendue du réseau, et au même niveau que Lufthansa.
Si une exposition universelle draine un afflux important de passagers sur une période relativement limitée, Air France achète ses avions pour dix ans et non pour un événement spécifique. Cela dit, au vu de notre expérience, ce type d’événements entraîne pour nous une hausse de 10 % de la demande aérienne de passagers sur la période concernée. Si beaucoup de visiteurs étrangers se rendent dans le pays d’accueil, de nombreux nationaux restent quant à eux dans le pays au lieu de se rendre à l’étranger, et ne prennent donc pas l’avion. Ainsi, en juillet dernier, lors de la Coupe du monde, nous avons enregistré une baisse de 25 % du nombre de passagers brésiliens sur nos vols par rapport au mois de juillet précédent, tandis que l’on assistait à une augmentation du nombre de passagers européens se rendant au Brésil. Quant au chiffre de + 10 %, il correspond à peu près à l’augmentation que nous avons observée sur nos lignes vers Shanghai lors de l’exposition universelle qui s’y est déroulée. L’exposition de Hanovre, pour sa part, a accueilli beaucoup moins de visiteurs que prévu, de sorte que notre offre s’est révélée surdimensionnée, comme celle de toutes les autres compagnies aériennes.
Une hausse de 10 % du trafic reste de l’ordre de ce qu’une compagnie aérienne sait gérer, comme elle le fait durant les mois d’été, en jouant sur son calendrier de maintenance des appareils – c’est-à-dire en décalant ses opérations de grand entretien –, en améliorant le remplissage de ses avions sur certaines lignes, en faisant appel à ses partenaires et en jouant sur les entrées et sorties d’avions dans sa flotte. Notre expérience et nos calculs comptables – qui intègrent l’aide de 70 à 80 millions d’euros que vous avez évoquée et que nous souhaitons obtenir pour l’événement – nous donnent à penser qu’une bonne planification nous permettra de relever le défi, d’autant que les autres compagnies renforceront elles aussi leur capacité.
S’agissant des infrastructures aéroportuaires, je formulerai la même remarque que pour les avions : les construire uniquement en vue de l’exposition n’a aucun sens. En revanche, la date de 2025 fournit un catalyseur à tous les projets en cours de gestation ou de réalisation. Ceux d’entre eux qui concernent l’accès terrestre aux deux aéroports parisiens – CDG-express, le Grand-Paris-Express et le raccordement routier à Roissy – nous paraissent indispensables au bon déroulement de l’exposition universelle. Cet accès est en effet très contraint actuellement en période de pointe. Sans le contournement est de Roissy, désormais lancé, nous risquons de subir une congestion importante entre la ville et les sites de l’exposition. Il conviendra également que le quatrième terminal de Roissy, actuellement en projet, soit livré, au moins dans sa première tranche, à l’horizon 2025. S’il s’agit là aussi d’accélérer des travaux qui devront de toute façon être réalisés en raison du développement du trafic aérien dans notre pays, l’échéance de l’exposition permet de leur assigner une date d’achèvement réaliste et objective.
L’exposition requerra aussi la réalisation de travaux de longue haleine, à laquelle nous nous sommes engagés avec les services de l’État, afin de fluidifier d’une part le parcours du passager lorsqu’il passe la frontière, et d’autre part les contrôles de sécurité, tant pour les passagers que pour les bagages. On peut imaginer que, d’ici à 2025, le système PARAFE soit généralisé, plus efficace et plus simple à utiliser. Une réflexion sur la sûreté des passagers s’impose également : comment éviter de rajouter encore des règles, des contrôles et des contraintes à ce qui existe déjà ? Mieux vaudrait remettre à plat les mesures de sûreté aérienne. La sécurité absolue et le combat contre les menaces terroristes – objectifs qui nous animent, nous aussi – ne doivent pas nous faire perdre de vue le parcours client et les coûts induits par tous ces dispositifs. Cela suppose également d’améliorer la délivrance des visas – domaine dans lequel de nombreux progrès ont déjà été réalisés. L’ensemble de ces mesures de simplification ont d’ailleurs été évoquées lors des Assises du tourisme.
Il conviendra par ailleurs d’améliorer la qualité de l’accueil que nous réservons à certaines cultures, ce qui suppose de revaloriser tous les métiers de contact avec le client. Cette question fait l’objet d’une réflexion de notre part : historiquement, tous les agents en contact avec le client dans nos aéroports ont une compétence essentiellement technique. Ces personnes regardent votre billet, opèrent des transactions pour imprimer votre carte d’embarquement, puis pèsent votre valise et la déposent sur le tapis. Or, ces fonctions techniques, qui font aujourd’hui la fierté des agents, sont progressivement automatisées et informatisées puisque l’on peut désormais imprimer sur internet non seulement sa carte d’embarquement mais également son étiquette bagage. Dans ce contexte, l’un des enjeux pour Air France est de former ses agents à l’accueil et à la résolution de cas complexes, autre forme de compétence qui n’est pas forcément naturelle dans des métiers historiques où la hiérarchie des valeurs porte davantage sur la compétence technique et la maîtrise de l’outil informatique. Il nous faut savoir expliquer que c’est dans le fait d’être à l’écoute du client, de parler sa langue et de résoudre ses problèmes que réside la noblesse de nos métiers. Je ne voudrais pas tomber dans une critique caricaturale de l’esprit des Français, mais nous rencontrons cette difficulté au quotidien sur nos lignes vers ou en provenance de la Chine. Cela nous a conduit à embaucher des interprètes et à travailler sur le produit chinois, notamment afin de traduire sous forme d’idéogrammes les informations les plus importantes.
Mme Patricia Manent, directrice adjointe des affaires publiques d’Air France. Nous avons adopté la même approche culturelle à l’égard des Brésiliens, des Russes et des Indiens.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. L’un des aspects qui nous importent est l’accès à l’exposition via les grandes métropoles françaises que sont Nantes, Bordeaux, Nice, Lyon, Toulouse, etc., car autour d’une exposition internationale s’organisent de nombreux colloques qui constituent souvent la porte d’entrée des visiteurs étrangers vers celle-ci. Quelle politique de développement de ses lignes internationales Air France mène-t-elle au départ de ces grandes métropoles ?
M. Pierre-Olivier Bandet. Chaque fois qu’Air France a tenté de développer des lignes long courrier directement au départ de villes de province, cela s’est soldé par un échec. Malgré l’open sky, les compagnies américaines n’y sont pas parvenues non plus, à l’exception du vol Nice-New York de la compagnie Delta. Du fait de l’organisation de la France, Paris concentre les flux de passagers « point à point », ainsi que les flux de passagers en correspondance vers l’ensemble de l’Europe. Cela nous permet de maintenir des dessertes quotidiennes, voire biquotidiennes, vers la plupart de nos destinations. En revanche, chaque fois que nous avons essayé d’offrir un accès direct de vols long courrier aux plus grandes villes de province de France, cela n’a pas marché.
Quant au développement des liaisons entre les villes françaises et l’Europe, compte tenu des conditions économiques de ce type de desserte, il ne pourra être envisagé par la marque Air France proprement dite. Au-delà des niches qui existent déjà et que nous réussissons à conserver, ce sont plutôt des marques tels que la low cost du groupe, Transavia, qui peuvent répondre à la demande vers ces destinations, car le niveau de recettes que l’on peut attendre est en règle générale très inférieur au coût induit pour la compagnie mère. Naturellement, lors de tel ou tel événement ponctuel, on peut organiser des vols supplémentaires, voire des vols charter.
En outre, Roissy reste notre point d’accumulation, de sorte que la liaison entre les villes de province et Roissy reste pour nous un axe stratégique, indépendamment de l’exposition universelle : cet aéroport nous permet d’acheminer les provinciaux vers Paris même, ainsi que lorsqu’ils doivent prendre un vol long courrier. Nous maintenons donc un réseau très dense vers ces destinations. Enfin, l’intermodalité, grâce à la présence d’une gare TGV à Roissy, constitue aussi un atout pour nous. Nous avons en effet constaté que, si l’arrivée du TGV à Strasbourg a quasi asséché la desserte aérienne de la ville, il est pratique d’avoir la possibilité, en coopérant avec la SNCF, d’y transporter des passagers en correspondance. C’est aussi vrai pour des villes où nous n’avons jamais eu de desserte aérienne, comme Tours. En revanche, comme cela a été souligné lors des Assises du tourisme, l’intermodalité est peu développée dans les aéroports de province, peu connectés aux réseaux ferrés régional et interrégional. Ce point pourrait donc également constituer un axe de réflexion.
Mme Patricia Manent. Sur ce plan, la France a pris du retard sur d’autres pays européens.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Bien que nous ayons déjà reçu le MEDEF et la CGPME, nous avons souhaité vous recevoir séparément, estimant que notre grande compagnie aérienne nationale avait un rôle particulier à jouer. Une exposition multi-sites ne concernant pas seulement l’Île-de-France, mais également les villes de province, je souhaiterais vous poser deux questions.
Tout d’abord, votre compagnie serait-elle capable de devenir un véritable partenaire de l’exposition universelle ? Pourrait-on notamment imaginer la délivrance de pass permettant, tout au long de l’événement, de monter facilement dans l’avion, nonobstant les questions de sécurité, de rejoindre les différents lieux d’exposition et d’y circuler librement ?
Ensuite, lorsque l’on évoque la volonté d’organiser une exposition multi-sites, on songe également aux sites que sont les grandes entreprises. Or, le « site » d’Air France, ce sont ses avions. On pourrait donc imaginer que l’exposition universelle commence lorsque le passager monte à bord, d’autant que, d’ici une dizaine d’années, le numérique se sera très certainement largement diffusé. On ne sait pas encore de quels moyens interactifs les avions seront alors équipés.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. L’expérience des visiteurs pourrait effectivement démarrer dans l’avion.)
M. Jean-Pierre Bandet. Absolument. Cela va tout à fait dans le sens de notre engagement dans ce projet. La délivrance de pass est complexe pour des raisons de sûreté. Cela étant, nous sommes tout à fait ouverts à l’idée de proposer aux visiteurs un abonnement couplé avec des entrées de site – même si le principe demande à être travaillé. De toute façon, nous allons participer, dans la mesure de nos moyens, au groupe de travail de l’exposition.
Mme Patricia Manent. Le nombre de sites envisagés en province est-il limitatif, ou sera-t-il fonction des candidatures que vous recevrez ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. À ce stade, sept ou huit grandes métropoles françaises peuvent raisonnablement s’investir dans le projet. Mais il y aura aussi une exposition off car, dès lors que l’on choisit comme thème l’hospitalité et que l’on vise à faire revisiter le patrimoine à l’aide des technologies numériques et à offrir une autre image de la France au monde, le programme officiel générera un programme officieux pouvant animer des régions entières, sur le même modèle qu’au festival d’Avignon. La question de l’irrigation du territoire, évoquée par Bruno Le Roux, constitue donc un élément stratégique. Dès lors que l’on propose un maillage riche de tout le territoire, l’expérience vécue dans les transports devient aussi importante que celle vécue sur les sites de l’exposition. L’innovation en la matière est donc un sujet qui nous intéresse – au-delà d’ailleurs de l’exposition universelle. La révolution des transports passe aussi par la manière dont on vit le temps de transport. Avec l’arrivée du numérique dans l’avion et la voiture, ce temps ne sera plus considéré comme perdu ou passif comme on peut le vivre aujourd’hui. Quand pourra-t-on naviguer sur internet dans les avions ?
M. Pierre-Olivier Bandet. Nous avons effectué des tests sur l’un de nos appareils. Si les solutions techniques ne sont pas totalement au point à l’heure actuelle, et si l’investissement est important, on peut néanmoins imaginer que, d’ici à 2025, nos appareils seront intégralement connectés pendant toute la durée de leur vol – ce qui modifiera en effet du tout au tout l’expérience du voyageur. Cela fera évoluer les distractions à bord puisqu’au lieu de stocker des films, on pourra disposer d’un serveur au sol envoyant des films en streaming. Vous avez donc tout à fait raison de souligner le fait que cette révolution numérique permettra de renforcer les liens entre Air France et cette exposition.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le personnel d’Air France constitue un réseau d’ambassadeurs sans équivalent, compte tenu de la médiation qu’il assure auprès de votre clientèle. Les vols moyen et long courriers constituent ainsi une véritable interface d’échange. L’exposition universelle est-elle un projet de nature à mobiliser vos personnels ? Les métiers du personnel navigant seront-ils de plus en plus fonctionnels et technicisés, ou bien les missions de médiation et de communication se renforceront-elles au point de contribuer à ce grand projet dont nous discutons ? Dans quelle mesure le personnel d’Air France peut-il s’impliquer dans une telle opération ?
M. Pierre-Olivier Bandet. Il ne fait aucun doute que ce projet est mobilisateur et suscite l’enthousiasme de nos personnels. Il supposera effectivement que nous développions la communication appropriée.
S’agissant de l’évolution des métiers à bord, la situation est différente de celle des métiers au sol, car moins de tâches y sont susceptibles d’être automatisées. Il n’en demeure pas moins que nos personnels de bord devront accompagner la mutation technologique à venir. Le passager aura de plus en plus de latitude en termes d’organisation de son voyage, comme cela est déjà le cas s’agissant du développement des distractions. De plus, certains passagers préfèrent se concentrer sur leur écran, jugeant secondaire le contact avec l’équipage. D’autres continuent à souhaiter avoir avec lui un lien social. Nous investissons donc beaucoup en la matière, considérant que c’est l’un des caractères distinctifs d’Air France que la qualité de son personnel commercial – l’enjeu étant de représenter la France tout en nous ouvrant à d’autres cultures. Si la déstructuration du voyage est particulièrement vraie dans la cabine affaires, elle concerne de plus en plus tout l’appareil : auparavant, tout le monde était servi en même temps et le rythme était le même pour tous les passagers. Or, on évolue vers une individualisation croissante du métier, ce qui requerra plus d’attention et de différenciation pour nos personnels.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous vous remercions pour ces informations qui viendront enrichir le contenu de notre rapport.
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Antoine Gailly président de la CCI Paris Ile-de-France, de M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts de Seine, de M Etienne Guyot, directeur général de la CCI Paris Ile-de-France, accompagnés de Mme Véronique Etienne-Martin, responsable du département Affaires publiques et Valorisation des études
(Séance du mercredi 10 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi Pierre-Antoine Gailly, président de la Chambre de commerce et d’industrie de la région Île-de-France, qui est également vice-président de CCI France et siège au Conseil économique, social et environnemental. Il est accompagné de M. Jean-Yves Durance, vice-président en charge des salons à la Chambre de commerce de Paris et de la région Île-de-France, et président de Viparis qui exploite les sites de congrès et d’exposition de la CCIP ; de M. Étienne Guyot, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) et de Mme Véronique Étienne-Martin, conseillère parlementaire au sein de la CCIP.
Monsieur le président, madame, messieurs, je vous remercie d’avoir bien voulu accepter cette audition. Depuis le mois de février dernier, cette mission de la Conférence des Présidents recueille des informations susceptibles d’aider les parlementaires à apprécier la pertinence d’un projet d’Exposition universelle. Elle a entendu les organisateurs des expositions universelles passées, et la plupart de ceux qui ont travaillé à la mise en place de pavillons français ou au montage des dossiers de candidature française. Elle a rencontré les acteurs français du monde olympique, afin de connaître les ressorts d’une candidature et les raisons des échecs des candidatures de la France à certains jeux Olympiques. Elle a auditionné des universitaires, des architectes et des entrepreneurs, et s’apprête à tenir une table ronde avec des économistes.
Nous attendons beaucoup de cet échange. Nous aimerions connaître le regard que vous portez sur un projet comme celui-là. Un tel évènement peut-il contribuer à la requalification de notre territoire et à la valorisation de ses atouts ? Peut-il constituer un levier pour l’économie régionale, l’économie touristique ou l’économie liée à l’innovation ? Quel rôle, d’intermédiation, de promotion ou autre, une institution comme la Chambre de commerce peut-elle y jouer ?
M. Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI de la région Île-de-France. Un projet comme celui de l’Exposition universelle de 2025 entre non seulement dans la mission d’une chambre de commerce, mais encore dans les quatre grands champs que la loi lui demande d’occuper, à savoir les études, la formation, la gestion d’infrastructures et le conseil aux entreprises. Nous verrons donc comment nous croisons votre projet avec l’exercice, au quotidien, des missions que la loi nous confie.
Nul besoin de dire que nous soutenons ce projet. Nous y voyons un formidable instrument de développement économique, de relance et de cohésion pour une métropole qui se cherche quelque peu aujourd’hui, un accélérateur très significatif du projet qu’est le Grand Paris Express, et une source d’amélioration très significative de l’attractivité de la région capitale. Tout cela nous semble essentiel. Nul besoin de rappeler que nous sommes un établissement public, mais un établissement public dirigé par les chefs d’entreprise, bénévoles et élus. Nous savons ce que développement économique veut dire, tout en ayant parfois un point de vue différent de certains autres.
Reprenons nos quatre domaines d’intervention.
Le premier est celui de la formation. Dès le départ, vous avez été accompagnés par une professeure de l’ESCP Europe, une école de la chambre de commerce : Mme Florence Pinot de Villechenon, qui a consacré de nombreuses études sur ces grands évènements internationaux qui procurent des retombées significatives, que ce soit en matière d’image ou en matière économique. Nous pourrons aller au-delà avec d’autres écoles. Lors d’une réunion que vous teniez fin juillet, il a été envisagé de faire travailler l’école des Gobelins, qui pourrait participer à des éléments graphiques.
Le deuxième domaine est celui de la gestion d’infrastructures. Nous sommes le premier opérateur de congrès et de salons. Pour la région Île-de-France, ceux-ci représentent chaque année l’équivalent des retombées que procurent des jeux Olympiques : plus de 4 milliards d’hôtellerie, de commerce, de restaurants, et plus généralement de divertissements de toute nature. Le parallèle avec l’exposition universelle se fait naturellement, à la différence que celle-ci dure environ six mois, contre quatre à cinq semaines pour les jeux Olympiques. Nous avons donc quelques compétences en matière de gestion d’infrastructures, indépendamment du fait que les lieux de congrès et de salons pourront être mis à disposition, voire utilisés pour l’Exposition universelle. Et l’un d’entre eux sera alors flambant neuf : je veux parler du parc de la porte de Versailles qui aura fait l’objet de 500 millions d’euros de travaux.
Le troisième domaine est celui de l’appui aux entreprises. Comment attirer des entreprises, seules ou en réseau, dans cette formidable aventure ? Comment faire en sorte que l’Exposition profite à la cité, aux grands groupes, mais aussi aux PME ? Et je ne vise pas seulement les cafetiers ou les hôteliers qui accueilleront les visiteurs, mais les entreprises qui pourront participer à tel ou tel projet d’animation ou de mise en valeur. La CCI, tout en étant régionale, bénéficie de solides présences départementales dans les Hauts-de-Seine et du côté de Roissy. L’ensemble de nos réseaux de chefs d’entreprises pourra être mis à disposition.
Le dernier domaine est celui des études. Nous savons procéder à des calculs de retombées, de modèles économétriques. Cette compétence sera à la disposition des organisateurs de cet évènement.
Je terminerai en précisant que nous ne sommes pas encore formellement membres de l’association qui porte le projet, mais que nous voterons et signerons notre adhésion le 25 septembre en votre présence, lorsque vous viendrez présenter ce projet en assemblée générale.
M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts-de-Seine. Je rappellerai en préambule que nous avons été assez impliqués dans une précédente Exposition universelle, en l’occurrence celle de Shanghai. Nous avons en effet été l’un des trois partenaires, avec la Région et la Ville de Paris, à développer dans la zone économique un pavillon spécifique « Paris-Île-de-France ». Cela nous a amenés à voir de près la façon dont les choses peuvent se passer. Par ailleurs, comme le rappelait M. Gailly, dès le départ, nous avons été associés, directement ou indirectement, à vos réflexions, et nous avons soutenu votre démarche.
M. le président Fromantin a présenté les expositions universelles comme des moteurs de l’innovation, des vitrines et des accélérateurs de l’économie, et des facteurs de rassemblement. Certes, mais la vision que vous portez aujourd’hui est extrêmement intéressante dans la mesure où elle constitue une rupture positive par rapport à un schéma d’exposition universelle qui a trouvé ses limites. J’en veux pour preuve la dernière exposition, de Shanghai, où le monde entier a payé des sommes importantes pour distraire le peuple chinois, qui représentait 95 % des visiteurs.
Nous avons effectivement besoin aujourd’hui d’un grand projet qui mobilise l’ensemble de notre pays et porte non seulement le développement économique des infrastructures, mais également le développement des idées. Nous étions justement ce matin chez la secrétaire d’État en charge du numérique, secteur qui a un impact considérable, pour voir comment accompagner les évolutions de cette nature. La forme même que vous envisagez pour cette exposition, en n’investissant que très peu dans le dur, mais en utilisant tous les atouts existants, sans compter ceux qui sont en cours de développement, nous paraît extraordinairement intéressante, apte à favoriser la réflexion, l’innovation et l’investissement au service des entreprises françaises.
Une exposition universelle représente un immense évènement, qui aura un impact très positif sur le moral des Français, en particulier celui des chefs d’entreprise. Elle leur donnera un objectif et une vision, tout en mettant en exergue la capacité de la France à se réinventer et à réinventer un domaine dans lequel, au XIXe siècle, elle fut un pays pionnier, aux côtés de l’Angleterre.
Il se trouve par ailleurs que les calendriers, qui ne relèvent pas du hasard, coïncident parfaitement avec certaines évolutions, en particulier avec celle du Grand Paris. En 2025, le réseau du métro express devrait être presque entièrement réalisé. Les arbitrages rendus par le Premier ministre et annoncés le 9 juillet en conseil des ministres, qui amènent à accélérer de deux à trois ans la réalisation des liaisons avec les aéroports, justifient la réalisation de l’exposition universelle. À l’inverse, l’exposition universelle imposera un calendrier qui permettra de sécuriser cette réalisation indispensable. D’autres évolutions en matière de transports s’en trouveront également sécurisées. Je pense notamment au projet Éole.
La consolidation de nos engagements collectifs en matière de développement et de modernisation des transports est un élément essentiel. Aujourd’hui encore, les infrastructures de transport réalisées il y a maintenant plus d’un siècle en milieu parisien représentent un atout. L’attractivité de Paris tient en partie à son réseau de transports – malgré certaines critiques. Autour de 2025, nous ferons un autre saut fantastique en matière d’infrastructures de transport. L’organisation de l’exposition universelle nous donnera l’occasion de le souligner et nous obligera, dans le même temps, quoi qu’il arrive, à tenir nos engagements.
Actuellement, nous recevons chaque année 50 millions de visiteurs. Mais l’évolution gigantesque du tourisme mondial fait que si la France et la région parisienne veulent garder leur position de leader, notre pays devra consentir des efforts considérables, non seulement en termes de structuration du tourisme – tourisme d’affaire et tourisme de loisirs – mais aussi en termes d’infrastructures et de gouvernance. Nous avons besoin pour cela de grands évènements prestigieux, ne serait-ce que justifier les investissements publics et privés qui seront engagés. L’Exposition universelle devrait durer six mois et accueillir quelques dizaines millions de visiteurs, probablement 50 ou 60 millions – ce qui n’est pas très loin du nombre de visiteurs de l’Exposition universelle de 1900. Voilà pourquoi il nous semble extraordinairement important d’avoir un tel projet. D’ailleurs, nous n’avons pratiquement aucune occasion d’avoir un autre projet de cette envergure.
Parmi les projets concurrents, les projets sportifs, qui nécessitent des infrastructures spécifiques dont le réemploi est extraordinairement difficile, ont un impact limité dans le temps et des retombées économiques presque exclusivement de type touristique. Pour nous, le projet d’exposition universelle est beaucoup plus porteur et donne un sens beaucoup plus fort.
Enfin, il est clair que la première exposition universelle du Grand Paris sera un élément fédérateur de la métropole. Et comme nous sommes intimement convaincus que l’évolution de notre territoire et la croissance française toute entière dépendent très largement de cette métropole du Grand Paris, il est d’autant plus important de pouvoir organiser un évènement de cette nature.
Nous devons bien entendu faire preuve de vigilance.
En premier lieu, il faut très rapidement décider collectivement quel projet nous souhaitons suivre, entre la candidature aux jeux Olympiques de 2024 et l’Exposition universelle de 2025. Il serait absurde de penser que l’on peut réaliser les deux, en termes de dépenses, en termes de structuration et d’organisation et même probablement en termes d’impact sur la vie des Parisiens et des Franciliens. Nous pouvons assurer une manifestation, mais pas deux. Or, sauf démenti de la part de M. le président Gailly, et même si les deux sont importantes, nous sommes plus enclins à supporter l’exposition universelle que les jeux Olympiques.
En deuxième lieu, il faut observer très attentivement nos concurrents potentiels. Jusqu’à présent, nous avons entendu parler de Londres, de Houston, de San Francisco, de Rotterdam, de Téhéran, d’Alexandrie, voire d’un site en Russie. C’est encore très flou. Mais nous ne pouvons négliger aucune candidature, vraie ou supposée, sérieuse ou pas. Nous avons connu, en particulier pour les jeux Olympiques, trop d’échecs dans le passé pour oublier qui que ce soit.
La structuration de notre projet doit être extraordinairement solide si l’on veut que notre lobbying, notre pouvoir de conviction soit fort. N’oublions pas que ce sont des nations qui votent, et que chaque nation a une voix : les petites et les grandes, les amies et les autres. Il serait absurde de s’engager dans un projet comme celui-ci et de ne pas gagner. Nous devons gagner et, pour y parvenir, nous en donner les moyens – ce qui n’est pas la chose la plus facile en milieu français.
Nous devons convaincre et éviter, lorsque nous présenterons ce projet, que son côté novateur ne joue contre notre candidature. Dans le roman Le Guépard, on lit que « pour que rien ne change, il faut que tout change ». Il nous faut donc démontrer qu’avec ce projet, nous nous inscrivons dans la continuité, que nous servons bien l’aspect universel de ce genre de manifestation, mais que nous apportons quelque chose. Le choix du thème, l’expression du thème et la présentation devront être d’autant plus soignés que nous serons en décalage par rapport à ceux qui vont expliquer qu’ils mettent 500 hectares à la disposition des visiteurs, et que le total de l’investissement sera de quelques milliards ou quelques dizaines de milliards d’euros.
En conclusion, si l’on veut que ce projet aboutisse, nous devons nous en donner les moyens. Mais il faut être prudent : ce projet est en rupture, il est innovant. Ce peut être un avantage, mais ce peut être aussi un inconvénient.
En troisième lieu, il faut veiller à notre capacité d’accueil – transport et hébergement. J’ai mentionné l’atout que représente le métro express du Grand Paris et l’intérêt de pouvoir « appuyer » l’exposition universelle sur cette structure. Mais il y a aussi les aérogares et les gares assurant, notamment, le transport inter régional. Le projet est certes basé sur la région Île-de-France, mais il s’appuie aussi sur un certain nombre de grandes métropoles régionales. La capacité d’accueil et de transport intégré est un élément absolument déterminant dont il faudra se préoccuper d’entrée de jeu.
Ensuite, nous recevrons entre 50 et 80 millions de visiteurs sur six mois. Même si nous avons aujourd’hui la première capacité hôtelière du monde, nous savons que celle de Paris et de la première couronne est insuffisante. La Ville de Paris affiche d’ailleurs une volonté tout à fait légitime d’augmenter significativement le nombre des chambres. Avant-hier, l’ adjoint au maire en charge du tourisme m’a indiqué qu’au minimum et en dehors même de cet évènement, il en faudrait 20 000 de plus.
Il faut donc accroître notre capacité d’hébergement, faciliter le développement hôtelier, bien segmenter ce qui est nécessaire et structurer beaucoup mieux la capacité des hébergements alternatifs que sont les flat hôtels ou les appart hôtels, mais aussi le logement chez l’habitant ou dans des résidences. En la matière, les attitudes sont contrastées, parfois ambiguës, voire schizophrènes, et une clarification s’impose.
Enfin, il faut sécuriser de manière absolue les dessertes des aéroports de Roissy Charles de Gaulle et d’Orly grâce au métro express du Grand Paris – faisant l’objet des nouveaux calendriers décidés par le Premier ministre. En même temps, il faut réaliser la liaison CDG Express, qui est indispensable. Les dessertes routières de ces aéroports doivent également être renforcées. Probablement conviendrait-il, à cette occasion, d’augmenter les capacités d’hébergement dans les environs des lieux d’entrée des étrangers sur notre territoire. Je pense bien sûr aux aéroports, mais aussi au territoire « gare du Nord/gare de l’Est », dont le développement actuel est très insuffisant de ce point de vue.
Voilà quelques éléments de réflexion sur un projet que nous considérons comme majeur et extraordinairement porteur, et qui intéresse toutes les entreprises avec lesquelles nous en avons parlé. Nous savons qu’il est possible de mobiliser le monde économique et le monde des entreprises autour d’un tel projet, qui est porteur d’espoir.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie pour ces informations et me réjouis de la détermination dont vous faites preuve. Je vous poserai une première série de questions. Selon vous, par quels moyens peut-on mobiliser les entreprises de l’ensemble de la région Île-de-France et les amener à s’impliquer dans une telle opération ? En montant des comités de soutien très en amont ? En associant ces entreprises aux défis que doit relever l’exposition ? Par quels canaux réaliser une osmose entre le tissu économique francilien et ce projet ?
M. Pierre-Antoine Gailly. Par définition, ces canaux sont multiples.
Il faut d’abord faire connaître et faire comprendre. En effet, lorsque l’on parle d’exposition universelle, on voit souvent 500 hectares, quelque part, avec des pavillons en dur. Vous proposez une approche différente, que nous soutenons. Mais cela suppose d’expliquer aux gens que la localisation sera multiple, avec des éléments centraux mais aussi des éléments périphériques utilisant les « nœuds » du Grand Paris Express, et que la mobilisation sera à la fois globale et locale.
Il faudra également mettre en avant la dimension multimédia du projet, dans la mesure où le digital permettra de communiquer plus aisément, comme vous nous l’avez démontré dans le film qui vous sert de « propagande » - au meilleur sens du terme.
Faut-il créer des associations ? Je pense qu’il ne faut pas raisonner en termes de structures – forcément lourdes, surtout s’il y a de l’argent public en jeu. Il serait préférable de commencer par « mettre la machine en route », afin d’emporter l’adhésion. À partir de là, la structuration de la démarche se fera assez naturellement. Et l’adhésion passe par la compréhension.
M. Jean-Yves Durance. Je rejoins complètement M. Gailly, en particulier sur le fait que dans les circonstances actuelles, les entreprises vont considérer qu’elles ont mieux à faire que de rejoindre des associations ou des réseaux. L’important est qu’elles voient apparaître progressivement, et de la manière la plus structurée et la plus claire possible, un projet dans lequel on les amènera à s’intégrer et à adhérer. L’approche sera d’ailleurs sans doute différente, suivant qu’il s’agira d’entreprises numériques très porteuses, ou d’entreprises locales que l’on pourra associer différemment au projet.
Ensuite, il me paraît évident que la structuration proposée pour l’exposition universelle est basée sur des réseaux. Il faudra donc la renforcer en bâtissant toute une série de réseaux. Ensuite, dès que le projet aura mûri, il faudra déterminer des lignes de force et proposer à certains de participer à des travaux et de s’intégrer à certaines réflexions. Plutôt que d’amener les gens à soutenir en bloc l’exposition universelle, il serait préférable, et davantage dans l’esprit d’une exposition universelle, de les amener à dire ce qu’ils peuvent apporter en fonction de ce qu’ils sont.
L’évolution du Grand Paris s’est faite pour partie sur la définition de zones d’attractivité forte autour d’un certain nombre de thèmes. Et nous y avons été partie prenante très tôt, puisque les réflexions mêmes du secrétaire d’État, Christian Blanc, autour des grandes zones de développement se sont appuyées sur les premiers travaux de la CCIP, qui ont commencé sur la zone d’Orly, puis sur la zone de La Défense. La démarche n’avait rien d’une spécialisation « ayatollesque » : on prenait en considération l’existant et on s’interrogeait sur les moyens de le développer.
Il faudra établir une corrélation entre ce que l’on va trouver dans des territoires qui ont déjà une forme de spécialisation, même non dite, et la façon dont l’exposition universelle va elle-même se structurer. Par exemple, dans les Hauts-de-Seine, dans la zone du Grand Paris Seine Ouest (GPSO), entre Boulogne et Issy-les-Moulineaux, il y a un point de force autour du numérique, et cela peut constituer une zone d’attraction. De la même façon, dans la partie Nord et en Seine-Saint-Denis, on peut sûrement exploiter ce qui existe dans le secteur de l’image. Je pense donc que la structuration se fera plutôt autour des thèmes que l’on retiendra et à partir des compétences et des points de force des entreprises.
M. Yves Albarello. Je suis ravi de l’engouement des représentants de la chambre de commerce de Paris, comme de celle des Hauts-de-Seine, vis-à-vis de cette exposition universelle. On les sent très motivés ! En outre, ils sont entourés de compétences. En effet, Étienne Guyot, avec qui j’ai travaillé pendant de long mois sur le Réseau Express Grand Paris, a rejoint la CCI. Il est aussi un pilier de l’organisation.
J’adresserai tout d’abord une remarque à Jean-Yves Durance : je crois qu’il ne faut pas opposer les jeux Olympiques et l’exposition universelle, même si on est plutôt favorable à l’exposition universelle et même si on sait qu’il serait difficile pour notre pays d’organiser les deux.
J’observe ensuite que le choix du thème sera déterminant. C’est la raison pour laquelle nous vous invitons à débattre avec nous, car nous n’avons pas la science infuse et nous aurions besoin de votre éclairage.
Je considère par ailleurs que ce projet ne devra pas se contenter de mobiliser les entreprises, même celles-ci ont un rôle fondamental à jouer : ce doit être un projet fédérateur pour notre jeunesse. Et il ne touchera pas que nos territoires franciliens : il devra fédérer la France entière. Sinon, cela n’aurait pas de sens.
Certes, le réseau de transport relève de la compétence de l’État. Certes, le réseau du Grand Paris Express arrive au bon moment pour l’organisation de cette exposition. Mais nous devrons nous battre à propos du CDG Express. La principale porte d’entrée de notre pays est l’aéroport Charles de Gaulle, qui va devenir le premier aéroport européen dans les cinq prochaines années. Or sa desserte, tant routière que ferroviaire, est déplorable. La mise en place du CDG Express répond donc à un besoin impérieux. Je sais que l’État, RFF et ADP ont acté la création d’une société d’études. Restera ensuite à trouver les financements pour que ce réseau de transport devienne une réalité. En effet, sans financement et sans investissements, il ne se fera pas.
Enfin, un domaine nous échappe : celui de l’hébergement. Comme vous l’avez indiqué, nous allons devoir construire 20 000 chambres d’hôtel dans les dix prochaines années. Ce n’est plus du ressort de ceux qui sont en face de vous ni de nos gouvernants, mais du ressort du secteur privé. Quels leviers pourriez-vous activer, pour que nous soyons prêts, le moment venu, si le BIE désignait la France comme pays organisateur de l’exposition universelle ?
M. Pierre-Antoine Gailly. Nous n’opposons rien, nous nous limitons à traduire la manière dont peut être perçue, de manière caricaturale, l’organisation de jeux Olympiques : cela coûtera une fortune, entraînera l’embolie de la circulation pendant 15 jours et il n’en restera rien. Au contraire, le projet d’exposition universelle utiliserait ce qu’il est nécessaire d’investir dans la décennie à venir, ce qui relancerait la croissance – il vous impose par exemple de tout faire pour que le Grand Paris Express, CDG Express compris, ne prenne aucun retard et soit prêt à temps. Fondé sur des équipements déjà financés, ce projet serait un accélérateur de retour sur investissement. Je rêverais que les jeux Olympiques se tiennent un jour en Île-de-France mais, par les temps qui courent, il faut être raisonnable.
Et puis, le projet d’exposition universelle mobilisera la jeunesse, la génération de ceux qui auront 35 ans en 2025 et qui, toujours plus nombreux, auront créé des entreprises dans tous les métiers directement concernés.
Favoriser le développement hôtelier suppose que des capacités foncières soient libérées par les municipalités. Mais le projet concernant, outre la région Île-de France, des villes situées à une heure de Paris en TGV, on trouvera là d’autres capacités hôtelières – on peut d’ailleurs imaginer proposer aux visiteurs étrangers de l’exposition des forfaits associant Paris et d’autres villes. Il faut travailler tous les aspects de la question, sans négliger les nouveaux modes d’hébergement, y compris chez l’habitant, pour autant que les frictions avec certaines organisations professionnelles aient été réglées.
L’occasion est rarissime d’attirer 60 à 70 millions de visiteurs – des visites dont on peut attendre 10 milliards d’euros de retombées économiques, lesquelles, rapportées aux 30 milliards investis dans le Grand Paris Express, accéléreraient sérieusement le taux de retour sur investissement. Ce projet constitue aussi une incitation pressante, pour les pouvoirs publics, à la réalisation de ces investissements.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Vous donnez là des arguments supplémentaires en faveur de l’organisation de l’exposition universelle de 2025 à Paris dans la version que nous privilégions, avec des événements « in » et « off », son extension hors les murs permettant la multiplication des manifestations propres à mettre en valeur entreprises, territoires et culture. Dans cette perspective, les CCI seront des partenaires essentiels et je me félicite de votre enthousiasme, que partagent, unanimes, universitaires, élus et, d’une manière générale, tous ceux qui sont au cœur de l’activité économique.
M. Jean-Yves Durance. Je reviens un instant sur l’hébergement. La municipalité de Paris juge, comme nous, nécessaire la réalisation de 20 000 nouvelles chambres d’hôtel, et la Ville souhaite la construction de 12 000 de ces chambres sur son territoire et à proximité au cours du présent mandat. Plusieurs conditions doivent être réunies pour susciter ces investissements privés. La question foncière et celle de la transformation du bâti existant sont des facteurs importants. Mais, outre cela, il est fondamental de considérer les visiteurs, particulièrement les visiteurs étrangers, comme une catégorie de la population à part entière. Pourtant, ni la RATP ni la SNCF, traditionnellement habituées à traiter des relations avec l’usager fréquent, n’ont de cellule commerciale consacrée aux visiteurs « hors du territoire ». Il faut donc, très tôt, engager la transformation, indispensable en tous les cas mais que l’exposition universelle accélérera, visant à accueillir les visiteurs convenablement. Le développement de l’hôtellerie suppose par exemple que les rues de Paris soient propres, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut aussi en finir avec ce que l’on observe à la Porte Maillot comme ailleurs : des files de 50 à 100 visiteurs s’allongeant devant deux pauvres distributeurs de billets de métro à la lenteur anachronique et qui contraignent les touristes à attendre une heure l’obtention d’un billet. L’investissement dans l’hôtellerie augmentera si l’évolution de l’environnement permet de penser que cela en vaut la peine. Il faut une vision d’ensemble de la gestion du tourisme de toute nature dans l’espace parisien.
Dans un autre domaine, les manifestations « off », et même le « off off », sont désormais intégrées à toutes les grandes expositions professionnelles ; on l’a vu lors de la Semaine de la mode, et à Milan lors du Salon international du meuble. Toute la population doit s’approprier l’exposition universelle ; si celle-ci concerne les seules entreprises, on ira à l’échec. Le tourisme ne doit pas être perçu, dans Paris intra-muros singulièrement, comme facteur de nuisances plutôt que de satisfaction. Nous devrons travailler en profondeur à faire que la France soit heureuse d’accueillir le monde entier, d’organiser des rencontres, de redevenir une nation universelle… Cette transformation doit être lancée dès maintenant.
M. Etienne Guyot, directeur général de la CCI Paris Ile-de-France. Le Grand Paris Express est la locomotive du développement économique national ; l’exposition universelle est le moyen de faire aller cette locomotive plus vite, de manière qu’en 2025 la région puisse mettre à la disposition des visiteurs le métro le plus moderne et le plus digital du monde, avec 69 gares qui seront autant de lieux de vie. La condition nécessaire est de permettre l’accélération du calendrier de réalisation du Grand Paris Express décidée par le Premier ministre – formidable nouvelle dont chacun se réjouit.
À cette fin, il est cinq facteurs sur lesquels vous pouvez peser. Le premier, le financement de l’infrastructure, se règlera sans trop de difficultés. Le deuxième concerne la Société du Grand Paris, EPIC dont l’effectif, en 2014, est de 125 équivalent temps plein ; chacun comprendra que l’on ne pourra avancer de trois ans la réalisation des lignes sans donner à l’opérateur public des moyens de pilotage supplémentaires pour mener le chantier à bien, et la loi de finances devra y pourvoir. La troisième condition fondamentale, c’est de préparer les entreprises à répondre à la longue série d’appels d’offres de marchés publics qui va être lancée. Elles devront disposer de personnel qualifié en quantité nécessaire pour que l’accélération des travaux souhaitée puisse se faire ; l’État, les collectivités et la CCI ont un rôle majeur à jouer en matière de formation. Vient ensuite la question foncière : le projet d’exposition universelle étant largement fondé sur les 69 nouvelles gares, il serait inconcevable qu’elles trônent, seules, au milieu de zones non aménagées, de champs de pommes de terre ou de friches industrielles ; tous les acteurs concernés doivent donc être mobilisés pour que les questions foncières en suspens soient réglées au plus vite. Enfin, le projet du Grand Paris traduit une ambition nationale consensuelle qui doit être portée politiquement à l’étranger. Un ministre devrait aller expliquer sans relâche hors nos frontières que l’État porte ce projet avec la région, les collectivités et les associations. Cela attirerait des investissements et prédisposerait favorablement la candidature de la France à l’exposition universelle de 2015 si elle était confirmée.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Une exposition universelle rassemble pendant six mois quelque 200 000 exposants venus du monde entier faire valoir leur offre. Comment conjuguer la forte demande de halls d’exposition ainsi induite avec le calendrier d’occupation traditionnel des lieux d’exposition en Île-de-France – par le Mondial de l’automobile par exemple ? Quelle est la marge de manœuvre disponible ? Quand, au plus tard, faudra-t-il réserver ces structures pour s’assurer de leur disponibilité ?
M. Jean-Yves Durance. Il est évidemment exclu de geler le fonctionnement de nos parcs d’exposition pendant six mois - ce serait gravement dommageable pour l’économie française. Le consortium Viparis gère 640 000 m² couverts, qui font de Paris-Île-de-France la première place mondiale en termes de centres de congrès et lieux d'exposition. Lors de la transformation de la délégation de service public en bail emphytéotique de 50 ans, nous avons pris l’engagement auprès de la Ville de Paris d’investir 500 millions d’euros en dix ans pour rénover le parc, mais non pour l’agrandir. La capacité de Paris Nord Villepinte pourrait être augmentée de quelque 100 000 m² ; nous devrons étudier la rentabilité de l’investissement. Nous avons déjà investi 100 millions d’euros en six ans dans la construction de 60 000 m² de halls supplémentaires.
Il faudra d’une part réserver tout ou partie des surfaces d’exposition dans les périodes les moins chargées, d’autre part insérer dans l’exposition universelle les manifestations les plus importantes : le Mondial de l’automobile, événement considérable en soi, qui trouverait naturellement sa place dans une exposition universelle dont l’un des thèmes serait la mobilité, ou encore du Salon de la mode. C’est une forme de « off » que d’utiliser ces manifestations pour les magnifier.
Mon rêve serait de faire de Paris un Davos permanent des expositions universelles… Je souhaiterais par exemple que le Mondial de l’automobile comme le Salon de l’aéronautique et de l’espace soient des occasions de réflexion approfondie sur ces industries. L’exposition universelle de 2025 peut le permettre. Je suggère d’aller dans cette voie plutôt que d’imaginer bloquer les halls d’exposition pendant six mois. Les grands congrès se décident quatre à cinq ans à l’avance et la tenue des salons récurrents est prévue en permanence. Ce sera l’une des forces de notre candidature que de proposer d’inclure les grands salons dans l’exposition universelle. Cela n’a jamais été fait, et cela permettrait d’englober une série de thèmes différents. Ainsi, la tenue du Salon de l'industrie agro-alimentaire, leader mondial dans son domaine, amène à reprendre sous une autre forme le thème choisi pour l’exposition universelle qui se tiendra à Milan en 2015. Dans tous les cas, le thème du réseau et de la mobilité s’impose pour une exposition universelle elle-même structurée en réseau.
M. Yves Albarello. Comment se répartit la superficie de lieux d’exposition dont Viparis est le gestionnaire ?
M. Jean-Yves Durance. Viparis gère 240 000 m² à Paris-Nord-Villepinte, 230 000 m² à Paris-Porte-de-Versailles – où nous allons construire, à l’emplacement du pavillon 7, un centre de congrès de 5 200 places, le plus grand en Europe –, 80 000 m² à Paris-Le Bourget, 40 000 m² au Palais des Congrès, et des surfaces plus restreintes au Carrousel du Louvre, à la Grande Arche de La Défense, à l’Espace Champerret ainsi qu’aux Palais des Congrès de Versailles et d’Issy-les-Moulineaux. L’ensemble représente les 640 000 m² mentionnés.
M. Yves Albarello. Des salons se tiennent-ils en même temps à la Porte de Versailles et à Villepinte ?
M. Jean-Yves Durance. Bien sûr, et nous nous y efforçons. L’immense avantage de l’accord conclu en 2008 entre la CCI Paris Île-de-France et Unibail-Rodamco – après que nous avons plaidé avec succès auprès du Conseil de la concurrence la thèse du « monopole vertueux » – est qu’il nous permet de mieux gérer les dates des différentes manifestations. Ainsi, en hiver, se tiennent en même temps le Salon de la mode à la Porte de Versailles et Maison et Objet à Villepinte, l’ensemble faisant de Paris la capitale de la création et du design et les deux manifestations se renforcent mutuellement. Nous visons, chaque fois que nous le pouvons, la coordination.
M. Hervé Féron. Une exposition universelle organisée en France, avec la formidable vitrine qu’elle offrirait, pourrait-elle donner un coup d’accélérateur aux exportations des entreprises françaises, dont on sait qu’elles exportent beaucoup moins que les entreprises allemandes et italiennes ?
M. Jean-Yves Durance. Certainement. Nous nous battons pour que les salons professionnels soient considérés comme un premier pas vers l’exportation. Une exposition universelle est un élément d’accélération des exportations car c’est un facteur d’innovation. Mais le développement des exportations passe obligatoirement par une croissance organique forte de nos entreprises - et, dans les secteurs où il n’y en a pas, par des agrégations – et par leur structuration. Combien de médailles de l’exportation ont récompensé des astres très vite morts ! Pour tirer parti de la formidable opportunité que serait une exposition universelle, pouvoirs publics et chambres de commerce devront œuvrer de concert à favoriser la structuration et la préparation de nos entreprises.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Messieurs, je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de de M. Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France, accompagné de Mme Sophie Mougard, directrice générale du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF)
(Séance du mercredi 10 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci, monsieur le président, d’avoir accepté de participer à notre mission parlementaire sur la pertinence d’une candidature française à l’Exposition universelle de 2025. M. Bruno Le Roux et moi-même animons cette mission depuis environ six mois. Elle nous a amenés à rencontrer à la fois les acteurs des expositions universelles, en l’occurrence le Bureau international des expositions, tous les diplomates qui, de près ou de loin, ont représenté la France dans ces grands évènements, et toute une série d’acteurs universitaires, économiques, culturels, architectes, acteurs du Grand Paris et des réseaux de transport, qui sont concernés par le projet et dont nous avons besoin de connaître le point de vue.
Nous sommes très heureux de vous recevoir, dans la mesure où le cœur de ce projet est Paris et l’Île-de-France, le Grand Paris, avec son réseau de transport et son système de mobilités. L’Exposition universelle attirera plusieurs dizaines de millions de visiteurs sur six mois. Un tel projet a des dimensions économiques et culturelles, mais aussi sociales dans la mesure où toute une population accueillera le monde qui s’y sera donné rendez-vous.
Nous souhaitions connaître le regard que vous portez sur toutes les facettes de ce projet.
M. Jean-Paul Huchon, président de la région Île-de-France. Avant d’aborder la question des transports, parce que je suppose que c’est le sujet que vous voulez creuser avec nous, je dirai quelques mots des raisons qui motivent le soutien de la région Île-de-France au principe de la candidature de la France à l’organisation d’une exposition universelle en 2025.
Le Conseil régional a adopté un vœu de soutien et de mobilisation, présenté par un des groupes de l’opposition, mais voté par l’ensemble de ses élus. Je suis convaincu comme vous que notre région a besoin d’un grand projet qui conforte son attractivité dans la compétition mondiale, d’un catalyseur du développement touristique, et plus particulièrement de sa région capitale – en allant bien sûr au-delà de Paris.
La région Île-de-France, qui représente 31 % du produit intérieur brut national, qui est porteuse de dynamisme et d’innovation et résiste un peu mieux à la crise que d’autres parties du pays, ne pouvait qu’adhérer à cette initiative. Mais l’intérêt de cette candidature dépasse les seules retombées économiques ou les questions d’attractivité territoriale : ce qui est en jeu, c’est notre capacité à rassembler les Franciliens et les Français autour d’un évènement fédérateur, mobilisateur, créateur d’identité. Cette candidature sera populaire, elle sera soutenue par l’ensemble de la population, ou elle ne sera pas. L’implication des Franciliens – et donc leur mobilisation à chaque étape – me semble la condition sine qua non de l’acceptation de cette candidature.
Je dirai maintenant quelques mots sur le projet. J’ai été séduit par l’originalité du concept développé par les promoteurs, à commencer par son périmètre et son format.
Je salue votre souci de proposer une exposition ouverte, diffuse sur le territoire, qui valorise le patrimoine, tout en donnant à voir ce qu’est le nouveau visage vivant de l’Île-de-France, celui du XXIe siècle. Il ne s’agit pas d’un projet d’exposition nostalgique, « recroquevillée » sur la Ville Lumière.
Je ne puis qu’adhérer à une exposition universelle qui prenne toute la mesure et tire le meilleur parti des nouvelles dynamiques métropolitaines : le polycentrisme francilien de Paris à Saclay et de Montreuil à Évry, mais aussi Roissy et l’établissement de la Plaine de France. Bref, c’est un projet qui valorise le Grand Paris au sens large du terme, qui inclut la Grande Couronne, peut-être aussi l’axe Seine sur lequel nous travaillons très activement, mais aussi les métropoles régionales, et qui s’appuie sur la dimension de l’innovation numérique qui sera, je crois, un des éléments forts de la candidature.
Au-delà, j’ai noté votre volonté d’implanter cette exposition, pour l’essentiel, dans des infrastructures, espaces publics et monuments existants. Cela me semble sage, car l’heure n’est probablement plus aux projets pharaoniques, à l’alignement de pavillons nationaux ou à la création d’infrastructures dans des lieux à la reconversion toujours problématique. Dans ce type d’évènements, que ce soit celui-là ou les jeux Olympiques, il est difficile de savoir ce que l’on fera ensuite des équipements construits pour l’occasion. À ce propos, je me suis rendu compte, au cours d’une mission à Londres, que les Anglais avaient commencé à tirer parti de la reconversion du site des derniers jeux Olympiques.
C’est une évidence : en ces temps difficiles, l’adhésion populaire sera conditionnée par l’utilisation parcimonieuse des deniers publics. Mais cette candidature est une opportunité à saisir, si l’adhésion populaire est au rendez-vous.
Il me semble que les premières pistes que vous tracez témoignent de la volonté des promoteurs de remplir ces conditions. Je m’interroge toutefois sur la thématique principale de cette exposition. Les efforts de transition écologique ? Le numérique et l’ensemble de ses applications ? Le vieillissement, le handicap et les services à la personne, sujet auquel on ne penserait pas spontanément ? Le développement universitaire et la recherche ? L’Île-de-France compte en effet 45 % des chercheurs et plus de 600 000 étudiants.
Passons aux questions de transport. Mme Sophie Mougard m’aidera à répondre et à préciser notre pensée. La feuille de route sur les transports est connue : c’est celle du nouveau Grand Paris, qui a été actée le 6 mars 2013 avec le Premier ministre d’alors, M. Jean-Marc Ayrault. Ensuite, le 19 juillet 2013, le même Premier ministre est venu compléter les promesses de financement et d’investissement directement avec la Région et ses partenaires, que ce soit la Société du Grand Paris (SGP), les départements ou d’autres intervenants.
Le 9 juillet 2014, le Premier ministre, M. Manuel Valls, a affirmé que les engagements pris par le Gouvernement dans le cadre de la feuille de route du nouveau Grand Paris seraient tenus. C’est un point sur lequel je suis a priori rassuré. Ainsi, la mise en œuvre du Plan de mobilisation pour les transports – qui vise à l’amélioration et à la rénovation du réseau actuel – sera effective : extension à l’ouest du RER E, et prolongement à l’est de la ligne 11 du métro – deux sujets majeurs ; amélioration des RER, notamment le C et le D. On a déjà bien travaillé sur le RER B Nord, et on travaille maintenant sur le RER B Sud. Enfin, sur le RER A, la question du matériel roulant a été réglée de manière heureuse et commence à avoir des effets positifs. Mais évidemment, tout dépend d’Eole qui serait un élément important de « désaturation », notamment sur nos lignes critiques. Tout cela nécessite des investissements urgents, afin d’accroître la robustesse des réseaux et leur fiabilité.
Le Premier ministre a annoncé l’accélération de la livraison du Grand Paris Express et ses connexions avec les pôles de développement ; la desserte de l’aéroport d’Orly, qui fut une nouveauté intéressante de son intervention ; l’accessibilité du plateau de Saclay par les lignes 14 et18 ; enfin, l’accessibilité, grâce à la ligne 17, des zones d’activités situées entre Pleyel et Roissy. L’ensemble de ces travaux devra être accéléré en vue d’une mise en service en 2024 et non pas en 2027 comme prévu initialement dans le schéma qui avait fait l’objet de l’accord passé – notamment avec Maurice Leroy – au nom du gouvernement précédent.
S’agissant du financement du Plan de mobilisation pour les transports, nous n’avons pas pris de retard, mais il est désormais urgent – et je sais que Bruno Le Roux et de nombreux députés nous ont appuyés à l’occasion d’un débat un peu délicat sur la taxe de séjour – que le Premier ministre nous garantisse les 150 millions par an de nouvelles recettes régionales
– nous passerons ainsi de 350 à 500 millions par an, pour honorer ce plan de mobilisation – ainsi que, bien entendu, la part de financement de l’État dans le contrat de plan, qui est de l’ordre de 200 millions par an. Cela dépendait étroitement du sort réservé à la fameuse écotaxe, qui subit actuellement un certain nombre de modifications. Le Gouvernement réfléchit pour faire en sorte que la taxe apporte, sinon la totalité, du moins l’essentiel de ce qui avait été prévu. Nous avons pris acte de l’engagement de Manuel Valls de régler cette question dans le projet de loi de finances 2015. Car nous sommes très pressés.
Je ferai cependant quelques remarques à propos des transports. Dans le choix des sites, j’imagine que vous vous intéressez beaucoup aux sites autour des gares – également concernés par les engagements qui ont été pris dans les différents contrats de développement territorial (CDT). Mais je conseillerais qu’on ne se limite pas aux gares du Grand Paris Express. Il faut valoriser aussi les RER, même si, d’un point de vue pratique, on est obligé, dans ces gares, de donner la priorité aux flux et à la circulation des voyageurs. Cela oblige à faire en sorte que les démonstrations, expositions, lieux de passage ne viennent pas gêner les flux qui sont déjà largement saturés.
L’Exposition universelle servira sans doute de levier pour l’accélération des travaux, comme on avait pensé que ce serait le cas lorsque l’on avait présenté la candidature de la France aux jeux Olympiques – ceux qui sont devenus les jeux Olympiques de Londres. Évidemment, il ne faut pas que cela se fasse au détriment d’autres sites dont la desserte est prévue, mais qui ne seraient pas retenus pour les lieux d’exposition.
Enfin, nous sommes à la veille de la négociation – et, je l’espère, de la signature – des fameux contrats de plan. Par ailleurs, nous avons signé avec tous les départements des contrats particuliers qui ne sont pas totalement parallèles des contrats de plan, mais qui les complètent.
Nous avons eu récemment connaissance, par le Premier ministre, de l’enveloppe globale de notre contrat de plan : elle est un peu moins élevée que celle du précédent contrat de Plan, mais pas dramatiquement en dessous. Cette enveloppe, qui sera consacrée pour l’essentiel aux mobilités, ne nous paraît pas impossible à gérer. Si l’État accorde vraiment ce qui a été indiqué dans les protocoles signés avec les premiers ministres successifs, nous aurons les moyens de signer un contrat de plan de bonne qualité : il est absolument nécessaire pour Eole, pour la ligne 11 et pour l’amélioration des RER. Ce seront nos trois objectifs principaux au cours de la négociation. Je crois que le préfet de région est en train de disposer de son mandat de négociation, mais nous avons déjà beaucoup travaillé avec la préfecture de région sur les sujets majeurs, notamment en matière de transports. J’ai tendance à penser que si, politiquement, nous parvenons à le faire voter à l’assemblée régionale, malgré les traditionnelles récriminations, nous devrions le signer avant la fin de l’année. Dans l’optique de l’Exposition universelle, nous n’aurons pas beaucoup de temps, mais nous aurons la possibilité de gérer cette question du transport de façon positive.
Voilà ce que je voulais vous dire en introduction. Je n’ai pas d’état d’âme sur l’intérêt de cette opération. Je rappelle simplement que nous nous intéressons aussi à la question des jeux Olympiques de 2024, même s’il n’y a pas de véritable concurrence entre les deux dossiers. S’agissant des jeux Olympiques de 2024, le premier examen de la fiabilité du processus devrait avoir lieu entre novembre et décembre, à l’initiative du mouvement sportif, de l’État et de la région. J’ai noté que la Ville de Paris avait marqué une certaine réserve sur le sujet. Mais, pour notre part, nous sommes également partie prenante.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Madame, quel regard portez-vous sur la faisabilité, la pertinence et les limites du projet de candidature, vu sous l’angle des transports, domaine que vous connaissez très bien ?
Mme Sophie Mougard, directrice générale du Syndicat des transports d’Île-de-France. Nous disposons, en Île-de-France, d’un réseau de transports collectifs d’envergure, qui permet de répondre aux besoins de déplacements quotidiens : sur 41 millions de déplacements quotidiens, plus d’1,3 million sont effectués par nos systèmes de transports collectifs.
Que ce soit à travers sa mobilisation ou à travers le savoir-faire de nos opérateurs, ce réseau a su être au rendez-vous d’un certain nombre de grands évènements qui ont pu se dérouler dans la région : Coupe du monde de football, ou manifestations ponctuelles qui ont fortement sollicité le réseau, comme les Journées mondiales de la jeunesse en 1997. Par ailleurs, ce réseau répond aux besoins d’une clientèle touristique ; c’est ainsi, par exemple, que la desserte d’Eurodisney est empruntée par 15 millions de visiteurs chaque année. Ce réseau est donc un socle sur lequel nous pouvons nous appuyer.
Le dossier constitué en vue des jeux Olympiques de 2012, avec l’implication de l’ensemble des acteurs, a ouvert une perspective de développement et de mobilisation d’un certain nombre d’infrastructures et de services. À cette occasion, la qualité de notre système de transports et l’atout qu’il représentait pour notre candidature ont été unanimement reconnus. Si la France présente sa candidature à l’Exposition universelle de 2025, chacun des acteurs pourra le mettre en avant dans notre dossier.
En même temps, il nous faudra être attentifs. Un certain nombre d’améliorations et de travaux de développement, traduits dans le Plan de mobilisation porté par M. Jean-Paul Huchon avec l’ensemble des collectivités et repris dans le cadre du nouveau Grand Paris, sont nécessaires. En effet la croissance de l’usage du réseau, dans les dernières décennies, si elle est le reflet de la performance du système de transports, a montré les limites de ce système. Nous avons notamment rencontré des difficultés liées à la vétusté de certaines installations ferroviaires. Il nous faudra donc, non seulement améliorer et moderniser le système de transports, mais le développer au travers des nouveaux projets – plus d’une soixantaine – inscrits dans le cadre du nouveau Grand Paris.
D’importants programmes de rénovation et de modernisation ont été impulsés, sous la présidence de M. Jean-Paul Huchon, depuis la décentralisation du STIF. Ces programmes sont inscrits dans le Plan de déplacement urbain d’Île-de-France, qui est notre feuille de route d’ici à 2020. Ils commencent à se concrétiser. La construction, ex nihilo, d’un réseau de tramways est en cours – soit dix lignes de tramway, et plus d’un million de voyageurs à transporter au quotidien.
Il conviendrait de faire en sorte que les investissements programmés pour fiabiliser l’exploitation du réseau (et notamment du réseau RER) ou développer de nouvelles lignes (tramways, tram-trains ou Grand Paris Express) répondent aux besoins de l’Exposition universelle que l’on aura – autant que faire se peut – identifiés. Mais à l’inverse, et cela nous ramène aux propos du président concernant le choix des gares et des sites mobilisés, il serait opportun de ne pas surcharger la période de pointe. Le réseau est très fortement mobilisé à ces moments-là et il faudra s’organiser pour répartir la charge sur le réseau tout au long de la journée. Il me semble que pour un évènement comme une exposition universelle, c’est tout à fait envisageable.
La création de nouvelles lignes permettra d’augmenter les capacités, et de faciliter les déplacements de banlieue à banlieue, sans repasser par le cœur de Paris. C’est un des enjeux d’une approche multi-sites. Mais comme le disait le président, l’horizon 2025 est très proche. Entre les études, les procédures et les travaux eux-mêmes, pour l’ensemble des acteurs qui développent ce réseau, 2025, c’est demain.
En conclusion, il faudra tenir compte, autant que possible, des capacités existantes et projetées. Mais je pense qu’on a là un levier important pour mobiliser les ressources publiques nécessaires, et accélérer ces travaux.
M. Jean-Paul Huchon. J’ai peut-être oublié de dire un mot d’une question sur laquelle nous travaillons en liaison avec la SNCF, RFF, Aéroports de Paris et Air France : la liaison directe Paris-Roissy. Je n’ai pas d’état d’âme sur le sujet. Je crois même avoir proposé, au moment où ce dossier a été poussé par Antoine Veil et Philippe Essig au tout début de l’opération, de garantir un quart ou un tiers du financement pour un projet qui, à l’époque, était beaucoup plus onéreux que le projet envisagé maintenant.
Il est évident que cette question ne peut pas être traitée indépendamment du réseau de transports classique, et qu’il ne faudrait pas surprotéger la clientèle des aéroports par rapport aux usagers habituels. La SNCF, RFF, Aéroports de Paris et Air France réfléchissent d’ores et déjà à un système permettant de garantir davantage de sécurité et un meilleur accueil sur la ligne B. En effet, la réalisation de l’infrastructure aura lieu fatalement entre 2020 et 2023, et sera également indispensable pour l’Exposition universelle.
La région n’a pas prévu de participer au financement. Il se trouve en effet qu’à l’origine, un partenariat public-privé (PPP) avait envisagé. Or ce PPP a échoué pour des raisons qui regardent les maîtres d’œuvre. Maintenant, une nouvelle proposition a été faite. Elle consiste à faire fera appel à la taxe d’aéroport et à toute une série de financements possibles.
Pour ma part, je continue à penser que c’est indispensable. Je sais que, y compris dans mon assemblée, des groupes sont peu ouverts à cette question et considèrent, au fond, que l’avion n’est pas un mode de transport à favoriser. Mais en l’occurrence, on en a besoin et il faut que cela se fasse. D’ici là, il faudra essayer d’améliorer le fonctionnement du RER B. On l’a fait sur le plan des infrastructures et sur le plan du matériel – près de 550 millions d’euros sur le RER Nord, avec des résultats qui ont été un peu contrariés par les effets de grèves liées à des questions d’amiante ; mais aujourd’hui, cela va plutôt mieux.
En dernier lieu, la question de la sécurité et de l’accueil est absolument essentielle. On sait que le ministre des affaires étrangères, qui est maintenant chargé du développement international et du tourisme, pousse beaucoup en ce sens. Les entreprises en sont parfaitement conscientes. C’est un élément d’attractivité majeure. Pour la compagnie Air France, c’est une question vitale, comme son président nous l’a clairement confié. Cette question ne fait pas partie ni du Plan de mobilisation ni du Grand Paris. Mais, dans le cadre de l’exposition que vous projetez, elle est déterminante.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Dans quasiment toutes nos auditions, elle a été présentée comme étant un pré requis à une candidature, et devant faire partie de notre projet.
Mais vous avez fait une observation sur l’évolution des comportements, et sur le transfert modal de la voiture aux transports collectifs, qui fera l’objet d’investissements considérables. Je pense que si cette Exposition universelle avait bien lieu en 2025, il serait intéressant de faire de notre système de transports francilien une vitrine – accompagnement de nouveaux usages comme, par exemple, l’optimisation de la gestion des flux par le numérique. Selon vous, y a-t-il des domaines d’innovation qu’il conviendrait de stimuler ?
Mme Sophie Mougard. Certainement, et cela permettrait d’accélérer certains chantiers engagés. Le plan de déplacements urbains récemment adopté par la région Île-de-France met l’accent sur le report modal. L’objectif fixé à l’horizon 2020 est une croissance de 20 % des déplacements en transports collectifs, de 10 % des déplacements en modes actifs - marche et vélo – et la diminution à due concurrence des déplacements en voiture. L’enjeu, ce n’est donc pas seulement l’infrastructure linéaire, ce sont aussi les pôles d’échanges, pour faciliter les correspondances et la chaîne de déplacement. Il est essentiel en particulier d’informer le voyageur pour faciliter son cheminent. Actuellement, une centaine de contrats lient le STIF et des opérateurs de transport à ce propos, mais les plus petits d’entre eux éprouvent des difficultés à fournir les informations en temps réel. Or l’approche intermodale imposera de pouvoir dire quels outils de mobilité sont disponibles pour les voyageurs du quotidien et plus encore pour les touristes, voyageurs occasionnels qui ne connaissent pas l’offre dont ils peuvent disposer. La disponibilité de l’information en temps réel est donc l’un des chantiers que nous avons ouverts.
Il faut aussi améliorer la billetterie pour faciliter l’accès aux sites événementiels et permettre aux voyageurs d’avoir leur billet le plus simplement possible. C’est pourquoi nous travaillons avec les transporteurs au paiement des billets par le biais de téléphones mobiles munis d’une puce NFC. Une première expérimentation est engagée, associant Orange et Transdev ; elle vise à définir les attentes des voyageurs, occasionnels et réguliers. Une exposition universelle offrirait une vitrine qui valoriserait le savoir-faire de l’ensemble des acteurs.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. En ma qualité de président du groupe de travail sur la compétitivité du transport aérien, je puis confirmer en premier lieu ce qu’ont martelé tous nos interlocuteurs sans exception, et le président de la Chambre de commerce et d'industrie de la région Paris Île-de-France il y a une demi-heure encore : la nécessité absolue d’achever dans les meilleurs délais de la liaison CDG Express. Nous soulignerons cet impératif dans notre rapport.
Si l’exposition universelle se tient en 2025 en France, le réseau de transports régional devra absorber de 70 à 80 millions de voyageurs venus la visiter. Certaines lignes de transports collectifs et certaines destinations seront-elles d’un accès plus facile que d’autres ? Des fréquences supplémentaires sont-elles concevables pendant les six mois que durera la manifestation ?
Sur un autre plan, une exposition universelle suppose la mobilisation de la population, principalement à l’échelle de la région Île-de-France. Nous n’avons pas autant que d’autres pays l’habitude de former des bénévoles, et je ne vois pas de meilleur moteur que la région pour y contribuer. Par exemple, les capacités d’accueil doivent encore être améliorées ; peut-on préparer les Franciliens à accueillir des visiteurs chez eux ? La région pourrait être le meilleur porteur de l’indispensable mobilisation citoyenne.
Mme Sophie Mougard. Parce qu’elle dépend du dimensionnement du matériel roulant, la capacité d’accueil des voyageurs diffère selon les lignes. Elle est meilleure sur certaines, où elle peut s’anticiper sans trop de mal. La difficulté tient à la longue durée de la manifestation. Ainsi, sur les lignes de métro automatisées, on peut mobiliser l’ensemble des rames aux heures creuses, mais il faudra cependant prévoir des moments pour la maintenance. En revanche, pour les lignes du RER, on est au maximum de ce que l’on sait faire aux heures de pointe. Aussi, ma préoccupation tient à l’identification des sites et aux conditions dans lesquels ils seront fréquentés en fonction des événements qui y seront organisés : il faudra autant que possible veiller à ne pas superposer le flux des voyageurs quotidiens des heures de pointe, matin et soir, et le flux des visiteurs touristiques. Nous risquerions, sinon, de ne pouvoir les acheminer tous. Il conviendra aussi de prévoir l’accompagnement humain, avec une présence dans les gares pour orienter les visiteurs et garantir la circulation harmonieuse sur le réseau. Je ne puis donc vous dire aujourd’hui ni « c’est possible partout » ni « ce n’est possible nulle part ». Pour assurer une cohérence d’ensemble, des études devront permettre d’anticiper la nécessaire capacité des réseaux en fonction des sites sollicités.
M. Jean-Paul Huchon. Comme Mme Mougard vient de vous le dire avec une parfaite honnêteté, la difficulté tient à la saturation des lignes de RER, situation qui nous conduit à privilégier les chantiers qui faisant espérer une « désaturation », tels les travaux sur la ligne 13 et la nouvelle ligne 14 du métro. Le projet de ligne Eole devrait permettre de dé-saturer d’autres lignes ; il doit donc absolument être mené à bien. Mais cela implique un coût de 3,3 milliards d’euros aux conditions de 2012, ce qui pourrait absorber tout l’effort en matière de transport. Or, nous tenons à poursuivre d’autres chantiers en même temps et en particulier le prolongement des lignes 11, 4 et 12, également capital.
Nous avons aussi pour projet de passer à une tarification unique dans toute la région Île-de-France. Nous avons déjà fait une grande partie du chemin puisque le dézonage est déjà effectif 170 jours par an, mais il s’agit des jours pendant lesquels les voyageurs sont le moins nombreux. Cette décision a coûté plusieurs dizaines de millions d’euros mais le dézonage complet induirait une dépense estimée entre 450 et 550 millions d’euros, et nous ne pouvons consacrer des ressources à la tarification au détriment de l’offre de transport. C’est pourquoi la région a engagé une discussion avec la Chambre de commerce et d’industrie et le Medef sur l’hypothèse d’une légère augmentation du versement transport.
Comme la mode n’est pas à augmenter les charges des entreprises, il faut parvenir à un bon compromis. Or, même si le coût du Pass Navigo passe de 67 à 70 euros, les entreprises, notamment les grandes et moyennes, bénéficieront de ce que le remboursement dû à ceux de leurs salariés qui payent actuellement leur abonnement de transport jusqu’à 117 euros diminuera. Cet élément doit être pris en compte, car le dézonage ne doit pas produire un effet d’aubaine. La diminution du coût du transport - mesure favorable au pouvoir d’achat, qui a toute sa place dans le cadre du pacte de responsabilité – devra donc être financée ainsi, mais pas seulement. Mais cette décision politique très importante est d’une mise en œuvre compliquée, car les abonnements pour certaines zones de transport contiguës finiraient par coûter plus cher que le Pass Navigo, ce qui ferait des mécontents. De plus, le prix du Pass Navigo devrait être légèrement augmenté, il se pourrait que 1,5 millions de personnes bénéficient d’une baisse de 30 à 40 % du coût de leur abonnement mais que plus d’un million d’autres voyageurs constatent surcoût, non négligeable, de l’ordre de 3 ou 4 %. Il faut aussi décider si l’actuelle carte Imagine R, réservée aux jeunes, doit être incluse dans la nouvelle tarification. Il est certain que, pour la mobilisation que vous appelez de vos vœux, dire aux Franciliens qu’ils peuvent circuler plus librement aurait de l’intérêt.
Pour ce qui est de la mobilisation proprement dite, nous avons eu l’expérience positive du Championnat du monde d’athlétisme, qui a duré trois semaines, et aussi de la Coupe du monde de football, et la région est intervenue dans le recrutement et la formation des bénévoles – mais la durée d’une exposition universelle est tout autre. La mobilisation des bénévoles est un élément clef de la réussite ; elle était excellente lors des Jeux Olympiques de Londres, et c’est un facteur déterminant de toute candidature.
Lors de manifestations de ce type, la région joue un rôle central. Ainsi avions-nous financé pour partie les animations dans toutes les villes intéressées par la Coupe du monde de football. Nous pourrions le faire à nouveau, et aider les maires et les intercommunalités à assurer l’indispensable mobilisation populaire. On sait qu’elle figure au nombre des critères pris en considération par le Bureau international des expositions et qu’elle est plus difficilement acquise en France qu’ailleurs. C’est une des raisons pour lesquelles le concept d’exposition universelle que vous envisagez est intéressant : il mobilise chacun.
M. Hervé Pellois. L’expérience du bénévolat pendant un championnat du monde d’athlétisme ne me paraît pas être à la mesure de ce que suppose une exposition universelle. Maintenir la mobilisation n’est-il pas plus compliqué pendant six mois que pendant deux ou trois semaines ?
M. Jean-Paul Huchon. À cette occasion, nous avons pris en charge la formation de 10 000 bénévoles, en matière linguistique mais aussi pour ce qui concernait l’accueil et la sécurité. La région pourra être sollicitée à nouveau à ce sujet, même si elle ne règle pas l’intégralité du coût. La difficulté principale, comme cela vous a été dit, est que nous ne pouvons garantir aujourd’hui une disponibilité, une fréquence et une régularité comparables sur toutes les lignes, sans parler des problèmes de sécurité. Dans le cadre des contrats passés avec la SNCF et la RATP, la région finance la sécurité à des niveaux assez élevés, avec l’emploi de plus de 1 500 personnes à la RATP et de plus d’un millier à la SNCF. Nous allons engager la discussion portant sur la révision de ces contrats pour quatre ans à partir de l’année prochaine et nous avions prévu d’augmenter les effectifs, notamment dans le domaine de la sécurité et de l’accueil, car le renforcement de la présence humaine dans les transports en commun est déterminant pour la sécurité. Mais cela porte sur 170 personnes pour les quatre ans à venir… Les efforts engagés ont déjà donné des résultats, mais la réussite n’est pas encore complète parce qu’il y a eu un peu de retard, notamment à la SNCF.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous avions été quelque peu déstabilisés lorsque le commissaire de l’Exposition universelle de Shanghai nous a expliqué qu’il entendait mobiliser un million de bénévoles pendant six mois…
Vous avez évoqué tout à l’heure les thèmes qui vous sembleraient pertinents pour l’exposition universelle. J’ajoute que les étudiants qui ont travaillé sur la question ont insisté sur le thème de l’hospitalité.
Enfin, les compétences des régions en matière de développement économique seront sans doute renforcées. Dans quelques filières stimulantes l’Île-de-France vous paraît-elle avoir une carte à jouer ? Quels secteurs stratégiques pourraient être intégrés dans un projet de cette sorte pour servir de relais de croissance ?
M. Jean-Paul Huchon. La filière de l’audiovisuel et du numérique s’impose. La région aide l’industrie du cinéma à hauteur de 15 millions d’euros chaque année, aidant ainsi à produire 70 films et des dizaines d’œuvres audiovisuelles. Ces aides, parce qu’elles sont en général réparties dans les zones de la région qui sont le plus en difficulté, ont un effet de rééquilibrage intéressant à l’est et au nord ; des entreprises brillantes utilisant les nouvelles techniques numériques sont par exemple situées à Saint-Denis, à La Courneuve. Je rappelle que la 11ème Coupe du monde de jeux vidéo va se tenir à Paris. Une autre filière sur laquelle mettre l’accent est celle du « produire autrement », de la transition énergétique, de la rénovation énergétique des bâtiments, et notamment des bâtiments publics. La région construit déjà des lycées entièrement conçus en énergie positive. Les services à la personne sont toujours oubliés ; pourtant, dans ce domaine également, nous avons beaucoup à montrer. On pourrait aussi imaginer travailler sur le concept de nouvelle économie –l’économie sociale et solidaire et le développement des coopératives. Il serait par ailleurs inconcevable de ne pas élargir l’exposition universelle à la culture dans son ensemble, un champ qui différencie très fortement Paris et sa région d’autres candidatures potentielles. Cela pourrait se faire notamment autour de la musique, avec un appui à de grandes manifestations dans ce domaine.
On pourrait enfin mettre en exergue les nouveaux concepts en matière de circulation automobile, domaine dans lequel nous commençons à avoir un indiscutable avantage comparatif.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président, madame Mougard, je vous remercie pour votre disponibilité.
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, et M. Christian De Boissieu, membre du Cercle
(Séance du jeudi 11 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. La mission, qui étudie la pertinence d’une candidature française à l’exposition universelle de 2025, accueille, pour une de ses dernières auditions, deux économistes éminents.
Monsieur Jean-Hervé Lorenzi, vous êtes président du Cercle des économistes et, depuis 2000, conseiller du directoire de la Compagnie financière Edmond de Rothschild. Auteur de plusieurs ouvrages, vous êtes particulièrement qualifié pour nous indiquer la direction qu’il faudra donner au projet.
Monsieur Christian de Boissieu, vous êtes membre du Cercle des économistes, professeur d’économie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et professeur au Collège d’Europe, à Bruges. Vous avez écrit plusieurs livres sur le développement et la croissance.
Le projet vers lequel nous nous orientons consistera, non à créer une zone de 500 hectares rassemblant de multiples pavillons, mais à réinvestir par l’innovation le patrimoine existant. Dans quelle mesure un tel événement, inscrit dans une politique publique valorisant la compétitivité et le rayonnement de la France, peut-il relancer l’économie et recréer la confiance ?
M. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes. Sur ce sujet, je suis moins impliqué que M. de Boissieu, vice-président d’Expo France 2025. Ma position relève essentiellement d’une perception intuitive.
Je me suis cependant penché sur le bilan de l’exposition universelle de Shanghai. Au vu de ses résultats – 60 milliards de dollars d’investissement, pour 7 à 8 milliards de recettes touristiques –, il est difficile de conclure que l’opération a été rentable.
Dans mon livre Un monde de violences : l’économie mondiale 2015-2030, j’insiste sur le fait que, depuis 2007, nous sommes entrés dans une période de croissance faible. Entre 2009 et 2013, on a cru, non sans naïveté, qu’il serait possible de réguler la finance et de confier au G20 la gouvernance mondiale de l’économie. La peur du gendarme ou de la crise ayant rapidement disparu, le cercle vertueux n’a pas duré au-delà de 2009. Par ailleurs, le progrès technique ne produit plus guère de résultats en matière de croissance. Les équilibres sociaux sont fragiles. Les inégalités ont explosé, comme l’a brillamment montré Thomas Piketty. La population vieillit. Ma conviction est que la croissance mondiale annuelle, jadis comprise entre 4 % et 5 %, se situera désormais entre 2,5 % et 3,5 %.
Il y a quelques jours, Patrick Artus, membre du Conseil d’analyse économique, a souligné qu’à moins d’un événement imprévu, le taux croissance français et européen – et, à mon sens, mondial – atteindra cette année 0,9 %. Le ralentissement concerne principalement les pays de l’OCDE. Autant dire qu’on ne peut pas croire aux discours enflammés sur la reprise allemande ou américaine.
Les prochaines années seront marquées par le ralentissement de la croissance économique mondiale et par la montée des intégrismes ou des populismes. Ce n’est pas la fin du monde, mais il faut avoir ces données en tête si l’on veut organiser un événement de grande ampleur.
En la matière, une exposition universelle semble plus porteuse pour notre pays que des jeux Olympiques. Elle nous obligera à présenter ce dont nous sommes capables et à mettre l’accent sur l’innovation, seul facteur qui puisse faire redémarrer la croissance mondiale. Dans ce domaine, on peut réfléchir par exemple au stockage de l’électricité ou au moyen d’exploiter des énergies renouvelables à moindre coût.
Le projet permettrait de redonner confiance à notre pays, en proie à la dépression : une partie des élites est obsédée par le déclin français, selon le mot trop connu de Nicolas Baverez, tandis qu’une autre fuit à l’étranger, pour des raisons pas toujours honorables.
Le projet d’exposition universelle s’inscrit dans une perspective macroéconomique caractérisée par un fort besoin d’investissement et une diminution de l’épargne. Celle-ci provenait naguère des pays émergents, principalement de la Chine, qui consommera davantage dans les dix prochaines années. Une population vieillissante perdant le goût du danger, l’épargne ne s’investira pas dans des placements risqués, ce qui fera remonter fortement les taux d’intérêt.
Votre projet – novateur mais plus modeste que celui des expositions universelles précédentes – me semble adapté à une période moins dynamique en termes de croissance ou d’évolution des revenus. Il mettra l’accent non sur les parfums, le luxe et ou tourisme, mais sur l’invention et la science, sources de progrès technologique. Il devra exclure tout clivage politique et s’adresser, à travers la jeunesse, à l’ensemble du pays.
À la mairie de Neuilly, monsieur le président, vous avez pris dans votre équipe le responsable européen de Microsoft. Son parcours incarne parfaitement des valeurs qui nous permettront de sortir de la dépression. Pour intervenir plusieurs fois par semaine devant des étudiants, je suis frappé par leur dynamisme, qui, hélas, trouve difficilement à s’employer. Si vous parvenez à le faire émerger, le Cercle des économistes sera derrière vous.
M. Christian de Boissieu, membre du Cercle des économistes. Je vous remercie de votre invitation à débattre d’un sujet qui me tient à cœur. Si j’ai tout de suite rejoint Expo France 2025, c’est parce que je crois au projet d’exposition universelle, que je trouve mobilisateur, multiplicateur et intégrateur. La France a été candidate à plusieurs événements importants – en vain. Elle n’a pas organisé d’exposition universelle depuis 1937. Il est temps qu’elle reprenne l’initiative.
Le projet est mobilisateur. La France – l’État comme les agents privés – est devenue « court-termiste ». Le raccourcissement des prévisions et des décisions est à la fois une cause et un effet de la crise. Si je me sens keynésien sur certains points, je récuse l’adage selon lequel, à long terme, nous serons tous morts : la croissance des dix prochaines années m’intéresse plus que celle des six prochains mois. Il serait précieux que notre pays, auquel les clivages politiques interdisent de mener toute réforme structurelle, se retrouve sur une initiative qui transcende ses divisions.
Le projet mobilise d’ores et déjà les jeunes. Il suscite l’intérêt des grandes écoles comme des universités, qui pour une fois travaillent ensemble. L’École supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe) élabore un business model, qui permettra de proposer un chiffrage. Toutefois, celui-ci ne pourra intervenir trop vite, tant que le projet n’est pas explicité. Le résultat d’une analyse coûts/avantages dépend en grande partie du taux d’actualisation. La crise incite à retenir un taux élevé, ce qui dévalorise les avantages escomptés pour 2025. Du reste, il est toujours difficile de chiffrer des externalités sur le long terme. Quoi qu’il en soit, dans un contexte offrant peu de perspectives, ce qui incite à l’individualisme, il faut se réjouir qu’un projet collectif propose un ancrage aux politiques publiques de long terme.
En deuxième lieu, le projet est multiplicateur. Lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence, Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a pointé le mauvais état des infrastructures européennes. Même l’Allemagne, qui se porte mieux que la France, doit consentir des efforts à cet égard. L’exposition universelle offrira l’occasion de certaines dépenses à fortes externalités positives, surtout si l’on met au cœur du projet la créativité, l’innovation et la R&D, la culture au sens le plus large.
Lorsque j’ai siégé à la Commission Juppé-Rocard, qui s’est penchée sur l’affectation des 35 milliards du grand emprunt – dont deux tiers ont été attribués, par le biais de l’Agence nationale de la recherche (ANR), à l’enseignement supérieur et à la recherche –, j’ai observé un véritable élan. Certaines personnes sont venues parler des pôles de compétitivité. Le tissu productif, des grandes entreprises aux ETI, s’est mobilisé autour des notions d’innovation, de créativité et d’investissement. Infrastructures et investissement privé étant complémentaires, il faudra inclure au rendement à long terme de l’exposition universelle, à supposer que l’on sache le calculer, des effets d’entraînement, notamment pour l’aménagement du territoire, entre l’investissement public et privé. Pierre Massé l’avait souligné, quand il étudiait la planification à la française.
En troisième lieu, le projet est intégrateur.
Il accélérera la réalisation de certaines ambitions, comme le Grand Paris, et leur offrira une perspective à plus long terme. Loin de les asphyxier, il leur donnera du sens. C’est pourquoi il doit mobiliser toute la France. N’opposons pas Paris et la province. Les instigateurs du projet cherchent à mobiliser les métropoles régionales, qui bénéficieront de ses retombées économiques, culturelles et patrimoniales. Celles d’une exposition universelle dureraient plus longtemps que celles des jeux Olympiques, mais, à vrai dire, plutôt que de choisir entre ces projets, je préférerais que la France organise les deux en jouant du calendrier.
L’intégration doit aussi concerner ses modes de financement. Dans un contexte de réduction des budgets nationaux et locaux, la crédibilité de notre candidature dépendra, quelle que soit la majorité, de son bouclage financier. Nous devons réfléchir à la mise en place d’un financement innovant.
Les partenariats public-privé (PPP) n’ont pas toujours produit les effets attendus. À mon sens, la France et l’Europe bénéficieront encore pendant quelques années d’une épargne privée importante. Selon l’INSEE, le taux d’épargne des ménages se situe à 15,9 %. Parce que le chômage et le risque retraite se dissipent lentement, ce taux ne se réduira pas dans les quatre prochaines années. Reste à savoir comment drainer une quantité d’épargne plus importante vers le long terme, le développement durable, particulièrement la prise en compte du changement climatique, que les banques, tenues par de nouvelles réglementations prudentielles, vont répugner à prendre en charge.
En septembre 2008, après la faillite de la banque Lehman Brothers, j’ai regretté dans Les Échos que l’Europe sous-utilise la Banque européenne d’investissement (BEI), qui finance le long terme, les infrastructures et les PME. Sous l’impulsion française – et, en particulier, celle du Président Hollande –, les Européens ont augmenté son capital de 10 milliards, ce qui lui permet de prêter 60 milliards de plus. La presse annonce ce matin que la France et l’Allemagne pourraient aller plus loin. Il va de soi que la BEI ne financera pas l’exposition universelle de Paris, mais elle pourra aider, à la marge, à réaliser le bouclage.
M. Jean-Hervé Lorenzi. Tôt ou tard, l’Europe renoncera à son absurde politique de réduction de la dépense. Il y a quinze ans, l’OCDE n’imaginait pas que tous les pays puissent adopter la même ligne au même moment. C’est pourtant ce que nous faisons. Dans trente ans, les étudiants en économie souriront de la politique actuelle, comme nous avons souri de celle qu’ont menée les États-Unis en 1929.
Contrairement à ce qu’on entend dire partout, il y a de l’argent en Europe. Jean-Claude Juncker gère un budget de 300 milliards. Le principal problème est l’aversion des épargnants pour le risque. La difficulté sera donc de trouver une garantie, à moins qu’on ne préfère parler, comme les banquiers, de hors-bilan ou, comme Jacques Delors, de project bonds. L’Europe devra garantir l’argent privé. Je rappelle que le programme nucléaire français a été financé à 100 % par de l’argent privé garanti par l’État français. L’exposition universelle pourra être organisée grâce à de l’épargne privée, qui se portera vers des obligations privées, mais le dispositif devra être garanti au moins partiellement à l’échelon français ou européen.
C’est sur le partage du risque que devront porter les nouvelles méthodes de financement, sans lesquelles des sociétés inquiètes et vieillissantes comme l’Allemagne et la France ne s’engageront pas. Si la France émet un emprunt obligataire de plusieurs milliards, nos concitoyens auront envie d’y participer, s’ils sont assurés d’être remboursés.
Quand on aura constaté le ralentissement de l’économie européenne, qui se produira nécessairement, y compris outre-Rhin, le débat sur l’investissement sera relancé. Autant dire que le risque et la garantie seront au cœur des débats des dix prochaines années.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le triptyque épargne-confiance-investissement est au centre de nos préoccupations. Peut-être faut-il davantage corréler des infrastructures déjà prévues à l’organisation de l’exposition universelle : on incitera ainsi les Français à s’impliquer dans le projet dont ils verront la matérialité. C’est parce que ses effets sont visibles que tout emprunt obligataire émis par une région est rapidement couvert par l’épargne locale.
Les expositions universelles du XIXe siècle étaient financées, grâce à une souscription populaire, par l’épargne privée. Les souscripteurs bénéficiaient d’un rendement modeste et d’une entrée gratuite. Cette dynamique vous paraît-elle toujours d’actualité ? Un nouvel outil comme le crowdfunding serait-il plus adapté ? Faut-il améliorer la fiscalité incitative ? Avant même de réaliser les infrastructures, doit-on mettre en place une économie de proximité pour financer la pré-candidature de Paris, qui coûtera 10 à 30 millions d’euros ?
M. Christian de Boissieu. J’ai travaillé sur le crowdfunding, puisque je siège au collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF). En France, ce mode de financement se développe rapidement – il n’est pas difficile, quand on part de zéro, d’avoir un taux de croissance élevé –, mais il reste moins répandu qu’aux États-Unis. Je pense, en tant de régulateur, qu’il continuera à se développer grâce à internet et en raison de son caractère décentralisé, mais qu’il faut tout faire pour le protéger d’un accident, qui détruirait durablement la confiance. C’est ce à quoi s’emploie l’AMF.
Une exposition universelle bénéficiera d’un soutien populaire, si elle est nationale et non exclusivement parisienne. Dans ce cas, une émission obligataire sera un succès, indépendamment de la question du taux d’intérêt ou de la fiscalité. Sur le plan fiscal, on doit agir avec prudence : il faut stabiliser les anticipations sans compliquer le système ou multiplier les cadeaux, ce qui suppose de trouver le bon dosage.
On peut mobiliser l’opinion si on lui explique ce qu’on veut faire. Le plus souvent, on parle trop peu de ses objectifs et trop des moyens de les atteindre. C’est ce qui s’était passé lors du débat sur le traité de Maastricht. Une émission obligataire rencontrera le succès si l’opération est transparente et si elle ne contient aucun piège. Le crowdfunding ne permettra de collecter que des sommes modestes, qui couvriront peut-être la préparation de la candidature, mais non le financement des infrastructures.
M. Jean-Hervé Lorenzi. En tout cas, si l’on ne trouve pas les 30 millions nécessaires à la pré-candidature, mieux vaut renoncer tout de suite, car on ne peut réaliser une exposition universelle à moins de 20 ou 30 milliards. Dans ce cas, je me battrai pour que nous obtenions l’organisation des JO.
Le projet d’exposition universelle doit insister avec modestie et intelligence sur l’aspect environnemental. Il doit montrer le monde tel qu’il va se fabriquer. On nous assure que la science y a sa place, même si je ne la vois ni dans les chiffres ni dans la réalité. Quoi qu’il en soit, il faut construire un discours très cadré sur le respect des grands équilibres naturels.
D’autre part, il faut réunir tout le monde. Cette tâche, monsieur le président, convient à un centriste. Si le projet le convainc, le Président de la République pourra le soutenir, ce qui redora son blason.
Enfin, il faut montrer que l’organisation vise à utiliser intelligemment toutes les dépenses engagées aussi bien pour le Grand Paris qu’à Marseille, Bordeaux ou Brest.
Pour le montage financier – je parle des 20 milliards, non du financement de la pré-candidature –, évitons de refaire la même erreur que pour l’ «emprunt Giscard », qui était indexé sur l’or. On peut considérer que la moitié des infrastructures figure dans des projets déjà prévus, et que l’autre moitié peut être financée par une émission obligataire assortie d’une garantie. L’emprunt d’État, formule qui a toujours séduit les Français, peut intéresser 65 millions de personnes, qui, fort heureusement, n’ont pas encore quitté leur pays.
Adoptons une position originale. Contrairement à ce que tous répètent, le centre de gravité du monde ne s’est pas déplacé vers l’Asie. Nous sommes capables de mettre en œuvre une économie respectueuse des ressources et novatrice. Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris, considère qu’il existe à Paris 150 000 mètres carrés de lieux d’innovation, ce qui, même si le chiffre est légèrement surévalué, constitue un record mondial.
Demandons-nous toutefois pourquoi notre candidature à l’organisation des JO n’a pas été retenue. Peut-être le soutien des chefs d’entreprise n’a-t-il pas suffi. D’où la nécessité de mettre en avant d’autres personnalités : vous-même, monsieur le président, le Président de la République, le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences. Peut-être notre présentation n’était-elle pas suffisante, notre projet pas assez novateur ou la concurrence de la Grande-Bretagne redoutable, sinon déloyale. Notre pays, qui fut, avec l’Allemagne, le berceau de la deuxième révolution industrielle, ne manque pas de cerveaux. À nous montrer, avec modestie, notre immense ambition scientifique et sociétale.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Les JO constituent un projet balisé. Leur date est connue. La liste des installations nécessaires ne peut être modifiée. Le déroulement des journées est relativement immuable. Une exposition universelle est toujours spécifique. La France devra bâtir son modèle, qui ne devra rien à celui Shanghai ou de Dubaï.
En matière de transport, nous avons réussi à nous mettre d’accord sur le Grand Paris. La réforme territoriale situe les régions au niveau européen. Nous souhaitons éclater l’exposition universelle dans des lieux existants et créer des aménagements durables, qui garantiront la rentabilité des investissements. C’est pourquoi nous demanderons aux économistes de nous aider dans les prochains mois à construire un modèle entièrement nouveau. Pour l’heure, nous sommes heureux que vous partagiez notre intérêt pour le projet.
M. Christian de Boissieu. Quel est le calendrier de vos travaux ? À quelle étape l’approbation du Président de la République pourrait-elle intervenir ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Notre mission présentera officiellement son rapport le 30 octobre, après quoi nous solliciterons un appui au plus haut niveau.
M. le rapporteur. Notre rapport a été commandé, sur proposition du président de l’Assemblée nationale, par la Conférence des présidents. Nous souhaitons faire de sa remise un temps de mobilisation, qui valorisera également le travail d’Expo France 2025. Le rapport sera présenté dans des délais rapprochés au Premier ministre ou, plus vraisemblablement, au Président de la République. Nous espérons déclencher alors un mouvement de mobilisation.
M. Jean-Hervé Lorenzi. Vous pouvez compter sur le soutien des économistes. Nous avons noué avec nombre d’entre eux des relations suffisamment amicales et confiantes pour pouvoir les fédérer autour du projet.
Mme Catherine Quéré. Si M. de Boissieu s’est montré enthousiaste, sans minimiser le problème que pose le bouclage financier, M. Lorenzi a parlé du ralentissement de la croissance et de la faible rentabilité de l’exposition de Shanghai. Je me demande si vous êtes réellement convaincu par le projet.
M. Jean-Hervé Lorenzi. Peut-être me suis-je mal exprimé. Je suis très enthousiaste, car je pense que notre pays a besoin de cet événement. Reste qu’il faudra adapter l’organisation à une période particulière. Durant les prochaines années, le monde se cherchera. Je rappelle le titre de mon livre : Un monde de violences. Nous avons vécu en croyant que nous pourrions instaurer une gouvernance mondiale et une régulation de la finance internationale, qui se sont révélées être deux utopies. Nous sommes loin d’être sortis du marasme. Veillons donc à adapter l’exposition universelle à une période dont le mot-clé est l’incertitude. Nous devons construire un monde capable de penser la rareté des ressources et de produire des innovations importantes. L’exposition sera un discours de la France sur la manière dont le monde peut se rebâtir.
Mme Catherine Quéré. Je remercie M. de Boissieu d’avoir rappelé l’action de M. Hollande en faveur de la BEI. C’est un hommage qu’on a plaisir à entendre.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je vous remercie.
Audition commune, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Martinez, président-directeur de l’établissement public du musée du Louvre, de M. Hervé Barbaret, administrateur général, et de M. Éric Spitz, directeur général de la Société d’exploitation de la Tour Eiffel (SETE)
(Séance du jeudi 11 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Notre mission, qui doit s’achever le mois prochain, travaille depuis le mois de février dernier sur la pertinence d’une candidature française à l’exposition universelle de 2025. Au fil des auditions, nous avons acquis la certitude que notre patrimoine devait compter dans notre candidature. D’abord, parce qu’il fascine le monde entier, et qu’il constitue à ce titre un atout. Il permet aussi de ne pas faire rimer la modernité avec la seule nouveauté architecturale, contrainte qui permettra à l’innovation de valoriser l’existant. Ensuite, parce qu’il oblige à construire une exposition polycentrique, et des projets d’infrastructures consacrés à la mobilité. Enfin, parce que sa valorisation correspond à l’émergence d’un nouveau modèle économique. Nous entrons sans doute dans un cycle de croissance mondiale moins forte qui nous oblige à revisiter l’organisation des grands événements internationaux pour les rendre moins dépensiers.
M. Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre. Le musée du Louvre a toute sa place dans un projet d’exposition universelle tant au nom de l’histoire, que par son caractère hors norme et son rayonnement culturel international.
L’idée du Grand Louvre actuel remonte à la première exposition universelle parisienne de 1855. C’est à cette occasion que Napoléon III a décidé de valoriser l’axe est-ouest de la capitale et d’achever le « grand dessein » des Bourbons en finissant de relier les palais des Tuileries et du Louvre. La nouvelle liaison côté nord a permis la construction de nouveaux bâtiments le long de la rue de Rivoli parmi lesquels le Grand Hôtel du Louvre qui devait permettre de recevoir les nombreux visiteurs affluant vers Paris. Par ailleurs, durant la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs collections acquises par le Louvre furent présentées au Palais de l’Industrie, emblème de l’exposition universelle de 1855, situé à l’emplacement actuel du Petit Palais et du Grand Palais. La relation entre le musée du Louvre et les expositions universelles est donc inscrite dans l’histoire.
Le musée du Louvre est un musée hors norme. En 2014, il franchira pour la troisième année consécutive le cap des neuf millions de visiteurs annuels – 9,7 millions en 2012, année de l’ouverture du département des arts de l’Islam, et 9,3 millions l’année dernière – alors qu’au début des années 1980, il en accueillait moins de trois millions. Sa fréquentation a donc été multipliée par trois en trente ans. Nous regardons nous-mêmes ce phénomène avec stupéfaction car aucun musée n’atteint ce niveau d’affluence qui nous rapproche de certains monuments historiques à forte fréquentation touristique, comme la tour Eiffel ou Notre-Dame de Paris. La composition du public du musée par nationalités ne correspond pas plus à celle traditionnellement observée dans les musées. Près de 70 % des visiteurs du Louvre sont en effet originaires d’un pays étranger, au premier rang desquels les États-Unis dont proviennent 900 000 personnes par an. On a compté ensuite 440 000 visiteurs chinois l’année dernière alors que l’on en recensait très peu il y a encore trois ou quatre ans, puis environ 220 000 Brésiliens. En 2014, les Chinois et les Brésiliens semblent moins nombreux, et les Européens sont plus présents. En tout état de cause, le public du monde est déjà à Paris et au musée du Louvre.
Le rayonnement culturel du musée du Louvre, de ses collections et de ses savoir-faire, constitue l’une de mes priorités depuis un an et demi. Il nous appartient de mener des actions internationales destinées à des publics étrangers que nous connaissons encore mal comme les Chinois, les Brésiliens ou tous les visiteurs venant d’Amérique latine, qui sont aussi nos publics du futur. Nous publions encore trop peu de documents dans trop peu de langues, même si nous traduisons actuellement notre audioguide en mandarin ou en portugais du Brésil. Des projets d’expositions devront aussi être développés dans les pays émergents, comme celle qui s’est tenue à Pékin l’année dernière, consacrée aux collections du musée du Louvre, et celle que nous espérons organiser en 2016, au Brésil, à l’occasion des jeux Olympiques.
Quelle place pourrait occuper le musée du Louvre dans une exposition universelle ? Ce qu’un musée sait le mieux faire, c’est organiser des expositions. Nous pourrions concevoir une exposition exceptionnelle par sa durée et par son ambition sur un sujet qui reste à déterminer. L’histoire du Louvre et ses collections en ont fait une vitrine du monde : ce pourrait être une thématique qui permettrait de refonder cette vocation universelle. J’appelle néanmoins votre attention sur le fait que, sur le plan scientifique et financier, un tel projet se prépare au moins cinq ans à l’avance.
J’en viens aux limites que pourrait rencontrer notre participation à l’exposition universelle.
Nous avons d’ores et déjà pris acte que nous ne pouvions plus accueillir correctement nos neuf millions de visiteurs annuels, sachant que d’ici à quelques années nous en recevrons sans doute dix à douze millions. Un projet d’investissement visant à rénover les infrastructures du musée – billetterie, bagagerie, restauration des visiteurs, toilettes… – est donc engagé depuis le début du mois et doit s’achever en avril 2016. Ce projet « Pyramide » est financé pour 57 millions d’euros grâce à la licence de marque du Louvre Abou Dabi, ce qui me permet, au passage, d’affirmer que cette coopération est une chance pour le Louvre. Malgré les efforts entrepris, il est inévitable de rencontrer un seuil de saturation qui est atteint à trente-cinq mille ou cinquante mille visiteurs par jour. C’est la raison pour laquelle nous conseillons de limiter la participation du musée en 2025 à un projet d’exposition.
Il y a dix ans, l’État a affecté au musée du Louvre la gestion du domaine des Tuileries sans qu’aucune dotation supplémentaire ne lui soit attribuée. Nous cherchons aujourd’hui des moyens financiers pour restaurer ce jardin qui a joué un rôle particulier dans l’histoire des expositions universelles à Paris – le fameux banquet des maires de France s’y est par exemple déroulé lors de l’exposition de 1900 –, et qui a beaucoup souffert lors de la tempête de 1999. Un projet décennal de « revégétalisation » a été rédigé avec l’architecte des Bâtiments de France responsable, dont le coût est estimé à environ 15 millions d’euros. La dé- végétalisation actuelle abîme les sols qui dégagent beaucoup de poussière. Toute organisation de manifestation entraîne des dégradations supplémentaires dans un espace très fragile. À moins d’investir d’ici à 2025, le jardin des Tuileries ne sera pas en mesure à cette date d’accueillir des animations « lourdes » au sens physique. Il faudra aussi compter avec les oppositions des riverains qui se manifestent déjà lors de la fête foraine annuelle.
M. Hervé Barbaret, administrateur général du Louvre. Une affluence de quarante mille visiteurs par jour constituant pour le Louvre un seuil de saturation, le musée ne sera en mesure d’accueillir durant les cent quatre-vingts jours de l’exposition qu’un maximum de 7,2 millions de visiteurs, en imaginant qu’il reste ouvert sept jours sur sept. Il faut donc avoir conscience que le Louvre ne pourra recevoir qu’une fraction des cinquante à quatre-vingt millions de personnes attendues pour l’exposition universelle, et ne pas créer une attente que nous serions incapables de satisfaire. Une offre spécifique dans le cadre d’une exposition permettrait peut-être grâce à une fluidité accrue d’accueillir un public plus nombreux. Il restera à résoudre de nombreuses questions d’ordre techniques comme celle de l’amplitude horaire de l’ouverture aux visiteurs, qui pose évidemment le problème des moyens notamment humains. Dès lors que des contraintes exceptionnelles supplémentaires pèseront sur le Louvre, il faudra mettre en œuvre des moyens exceptionnels.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quelle surface le musée exploite-t-il aujourd’hui ?
M. Jean-Luc Martinez. Environ soixante mille mètres carrés.
M. Éric Spitz, directeur général de la Société d’exploitation de la Tour Eiffel (SETE). Parce que la tour Eiffel a été au centre de toutes les expositions universelles qui se sont déroulées dans la capitale depuis 1889, le directeur général de Société d’exploitation de la tour Eiffel que je suis ne peut qu’être enthousiaste à l’idée que cette expérience se reproduise en 2025.
Comme le Louvre, l’histoire inscrit la tour Eiffel dans une future exposition universelle. Le parallèle avec le Louvre vaut aussi pour l’ouverture de la ville sur un nouvel axe puisque le monument se dresse dans une grandiose perspective qui s’étend de Chaillot à l’École militaire.
Une exposition universelle est avant tout une vitrine prestigieuse pour des États qui veulent montrer leur culture, leur savoir-faire, et leur avancée technique. La tour Eiffel comme objet technologique a incarné en 1889 un projet à l’avant-garde des sciences et des techniques. Aujourd’hui, la Ville de Paris souhaite porter le projet d’une ville innovante, intelligente et connectée, inscrite dans la biodiversité. La tour Eiffel a été à la racine du progrès hier ; tout concourt à ce qu’on lui donne aujourd’hui les ailes qui la projetteront dans l’avenir.
La tour Eiffel a aussi toute sa place dans une exposition universelle parce qu’elle est d’abord une porte ouverte sur le monde. Ses visiteurs proviennent à 86 % de l’étranger. Elle symbolise la France entière plus encore que Paris, et il suffit de voyager pour constater son prestige. Comme le Louvre, nous recevons de très nombreux visiteurs venus des États-Unis. Les ressortissants chinois sont en revanche moins nombreux, mais les Brésiliens, les Italiens et les Espagnols sont très présents. Nos agents sont en permanence formés à plusieurs langues étrangères afin d’accueillir ces populations, et nous n’oublions pas que le monde entier ne parle pas l’anglais. J’estime qu’il est de notre devoir de diversifier les langues dans lesquelles nous accueillons le public.
J’en viens aux modalités éventuelles de notre association, et aux limites que nous rencontrerons.
La tour Eiffel, monument historique, accueille sept millions de visiteurs par an dans un espace incomparablement plus réduit que celui du Louvre. L’activité de cet établissement recevant du public (ERP) de première catégorie est contrainte par de très fortes limites physiques : le premier étage ne peut recevoir plus de trois mille personnes, le deuxième étage en reçoit au maximum mille cinq cents, et le troisième étage cinq à six cents. Autrement dit, la Tour Eiffel ne peut accueillir simultanément plus de cinq mille personnes. Malgré cette contrainte, nous parvenons lors des journées de très forte fréquentation, qui se situent autour du 15 août, à recevoir près de 35 000 personnes, soit une affluence quasiment comparable à celle du Louvre. Évidemment, lors de ces périodes, il est quasiment impossible de circuler dans le monument. La tour Eiffel se visite déjà de neuf heures jusqu’à minuit quarante-cinq, mais l’on pourrait imaginer d’étendre les horaires d’ouverture, à condition cependant de tenir d’avoir conscience que les très fortes fréquentations font beaucoup souffrir le patrimoine. En cas d’afflux de visiteurs à Paris, il semble en tout cas difficile d’accueillir beaucoup plus de public qu’aujourd’hui. Cette question constitue évidemment un enjeu dans la perspective d’une future exposition universelle.
Pour accueillir du public, il faut de l’espace et des infrastructures. N’oublions pas que ceux qui ont attendu dans les files d’attente pendant une heure commencent par se rendre aux toilettes ! Les visiteurs se déplacent sans doute pour le prestige d’un lieu, mais il faut que l’intendance suive. Peut-être vous paraît-il étrange que j’insiste sur les sanitaires, mais tout ce qui participe à l’accueil et au confort des visiteurs joue un rôle majeur. Les critiques relatives aux services rendus ou à la distribution de boissons, à la présence de pickpockets ou des vendeurs à la sauvette ont une influence considérable sur la satisfaction des visiteurs. Il ne suffit pas de disposer de monuments magnifiques et d’un passé historique incomparable ; il faut que tout soit réfléchi et parfait jusqu’au dernier bouton de guêtre pour offrir une expérience complète de qualité car c’est un ensemble que jugeront les visiteurs.
La tour Eiffel dispose d’espaces réduits au sol : son parvis mesure 125 mètres sur 125 mètres. La Mairie de Paris réfléchit à l’installation d’un accueil central en sous-sol qui permettrait d’abriter les files d’attentes et d’installer un pôle commercial permettant de générer les recettes indispensables à la vie du monument.
Vous souhaitez à juste titre qu’une future exposition universelle à Paris utilise le patrimoine existant et ne se contente pas de construire des lieux nouveaux. Il faut néanmoins que les exposants trouvent des espaces d’exposition. La tour Eiffel dispose aussi d’un sous-sol de 1 500 mètres carrés, situé sous le Champ-de-Mars, entre l’avenue Gustave Eiffel et l’avenue du Général Ferrié. Tout pourrait être imaginé pour le réaménager. Il faudra toutefois tenir compte des règles d’urbanismes et des contraintes administratives s’appliquant à une zone verte espace boisé classé, sachant que les architectes des Bâtiments de France sont particulièrement sourcilleux, et que toute modification concernant les sous-sols est aujourd’hui interdite. Il ne faut pas négliger par ailleurs l’hostilité éventuelle des riverains et des associations. Il est extrêmement difficile de construire dans les lieux emblématiques de Paris. Si l’on tient compte des délais nécessaires à la concertation, les dix ans qui nous séparent de 2025 ne seront pas de trop pour faire aboutir ce type de projet.
Des questions se posent également en termes financiers. M. Jean-François Martins, adjoint au maire de Paris, chargé des sports et de l’urbanisme, a déclaré devant vous le 4 juin dernier que la Ville était « naturellement disposée à mettre à disposition un certain nombre de ses grands monuments, au premier rang desquels la tour Eiffel ». Je rappelle que la tour Eiffel est gérée par une société d’économie mixte dont la Ville de Paris est actionnaire à 60 %, ce qui lui rapporte près de 11 millions d’euros tous les ans. Je la vois mal renoncer à cette recette pour quelque cause que cela soit. Il faut de plus que les visiteurs puissent continuer d’accéder à la tour. Quant aux constructions nouvelles, il faut réfléchir aux modalités de financement.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. La candidature de la France doit être déposée en 2016 afin que les États membres du Bureau international des expositions (BIE) votent en 2018. Le dossier transmis par la France devra comporter des propositions sur lesquelles un travail sérieux aura préalablement été effectué. Trois grands périmètres peuvent être choisis. Dans une zone centrale de Paris allant de la Défense au Louvre en passant par le Champ-de Mars et les quais de Seine, des animations pourraient s’adosser aux monuments de ce « village » et constituer des supports d’innovation. Les nouvelles polarités du Grand Paris permettraient d’assurer la représentation des pays exposants et de présenter les innovations. De leur côté, les grandes métropoles françaises accueilleraient les grands colloques qui se tiennent lors des expositions universelles.
Comment les monuments dont vous avez la charge peuvent-ils constituer les supports que j’évoquais ? Dans leur prolongement, quel potentiel d’innovations durables ou éphémères est-il possible de présenter ?
M. Jean-Luc Martinez. Les façades du Louvre ont déjà servi de support à une installation éphémère, œuvre d’une artiste vidéaste américaine, Jenny Holzer. Ce type de manifestation a un très fort potentiel d’attraction et permet d’accueillir un public bien plus nombreux qu’on ne pourrait le faire dans les salles du musée. Des projections extérieures nocturnes animeraient le domaine du musée Louvre qui comprend la place de la pyramide et la Cour carrée. Les jardins de Tuileries, entre l’Arc de triomphe du Carrousel et la place de la Concorde, se prêtent également à des animations éphémères qui feraient intervenir des artistes contemporains. Après tout, la place du Carrousel tire son nom d’une animation éphémère : Louis XIV y fit organiser en 1662 un spectacle équestre pour célébrer la naissance de son premier fils.
M. Éric Spitz. La tour Eiffel est traditionnellement un support pour présenter des grands événements. Aujourd’hui, la Ville ne souhaite pas transformer le monument en support publicitaire mais, il y a encore quelques années, une grande banderole suspendue entre le sommet et le deuxième étage s’affichait aux couleurs de Citroën. La tour a aussi été éclairée en bleu pour célébrer la présidence française de l’Union européenne, en rouge pour célébrer l’année de la Chine, ou aux couleurs de l’Afrique du sud. Le feu d’artifice du dernier 14 juillet a été exceptionnellement tiré depuis la tour Eiffel. Pendant le dernier tournoi de Roland Garros, une balle de tennis géante était accrochée au niveau du deuxième étage, et la tour sera associée d’une manière ou d’une autre à l’Euro 2016. Quant au Champ-de-Mars, il est depuis longtemps le lieu d’animations éphémères. Je rappelle que la fameuse Galerie des Machines y fut construite à l’occasion de l’exposition universelle de 1889 en même temps que la tour Eiffel.
La tour Eiffel constituerait un lieu idéal pour des animations extérieures. La Ville de Paris souhaite d’ailleurs renouveler le scintillement qui se produit actuellement toutes les heures. La technologie qui a évolué permettra de construire des architectures lumineuses sophistiquées avec des dessins, des couleurs…
Mme Catherine Quéré. M. Spitz a raison concernant un point essentiel, l’accueil. S’il est défaillant, la visite du plus merveilleux monument peut être totalement gâchée.
Une exposition universelle ne constituerait-elle pas une excellente occasion de remettre en valeur le jardin des Tuileries ? Les travaux nécessaires sont-ils à la seule charge du Louvre ? La Ville de Paris ne pourrait-elle pas y participer ?
M. Jean-Luc Martinez. L’idée est excellente ! L’entretien et la gestion du jardin des Tuileries sont aujourd’hui à la charge du musée du Louvre sans que l’État ne nous verse de subventions supplémentaires. Une exposition universelle serait une excellente occasion de mobiliser les pouvoirs publics. À ce jour, malgré une recherche de mécénat, nous ne disposons pas du moindre centime pour financer les 15 millions d’euros nécessaires aux travaux.
M. Hervé Barbaret. Le jardin des Tuileries coûte au Louvre 4 millions d’euros par an dans le seul but de le maintenir en état et d’éviter des dégradations supplémentaires ; deux millions d’euros sont dépensés en investissement et deux millions en fonctionnement.
M. Yves Albarello. Le Champ-de-Mars accueille d’ores et déjà des manifestations publiques de grande ampleur. J’ai pour ma part un souvenir extraordinaire d’un concert qu’y a donné Johnny Halliday en 2009.
Monsieur Spitz, au-delà du nombre des visiteurs qui entrent dans la tour Eiffel, avez-vous une idée du nombre de personnes qui viennent voir le monument et le photographier ?
Quel est le montant du chiffre d’affaires de la tour Eiffel ?
Monsieur Martinez, vous avez besoin de 15 millions d’euros pour remettre à niveau le jardin des Tuileries. Sachant que le Louvre accueille tous les ans neuf millions de visiteurs, ne pourrait-on pas augmenter temporairement le prix du billet et affecter la recette supplémentaire au financement de ces travaux ?
M. Éric Spitz. Si nous savons que le nombre de visiteurs de la tour Eiffel approche les sept millions, nous n’avons aucune idée concernant la population qui la photographie ou qui vient simplement la voir. Il faudrait sans doute au moins multiplier nos données par dix.
Notre chiffre d’affaires, qui s’élève environ à 75 millions d’euros par an, nous permet de verser 10 millions d’euros par an à la ville de Paris et d’autofinancer quasiment 15 millions de travaux par an – notre programme contractuel d’investissement sur la période 2005-2015 se monte à 150 millions.
J’appelle votre attention sur les modalités de financement si la tour Eiffel devait être mise à disposition, car elle a perpétuellement besoin d’être rénovée et entretenue. Il faudra par exemple la repeindre et sans doute, dans un délai assez bref, en décaper certaines parties car les couches ne peuvent pas être indéfiniment superposées – nous devons en être à la dix-huitième aujourd’hui.
M. Jean-Luc Martinez. Monsieur Albarello, le budget du musée du Louvre s’élève à 230 millions d’euros annuels qui proviennent pour moins de 50 % d’une dotation de l’État. À ce jour, les faibles augmentations du prix du billet, actuellement fixé à 12 euros, ont systématiquement entraîné une baisse de cette subvention. Je crains en conséquence que la méthode que vous suggériez ne puisse vraiment s’appliquer, à moins que ceux qui votent le budget n’en décident autrement…
Je précise également que plus de la moitié de notre public bénéficie de la gratuité qui a par exemple été accordée récemment à tous les visiteurs de moins de vingt-six ans ressortissants de l’Union européenne. Nous ne recevons en conséquence que quatre millions et demi de visiteurs payants.
Plus de la moitié de notre budget provient de ressources propres : billetterie, ressources issues des concessions, et mécénat.
Le prix du billet passe de douze à seize euros lorsqu’il donne également accès aux expositions. Il a augmenté d’un euro l’année dernière, et nous avons demandé une nouvelle hausse dans le seul but de compenser la baisse de la dotation. Nous sommes loin de pouvoir financer nos investissements grâce aux modifications de tarif.
Les investissements que nous devons consentir sont tels qu’il nous est aujourd’hui difficile de dégager les 15 millions nécessaires à la mise en valeur du jardin des Tuileries. Le projet « Pyramide » coûtera 57 millions d’euros qui proviennent de la licence de marque du Louvre Abou Dabi. L’externalisation de nos réserves afin de les sauver d’une éventuelle crue de la Seine nécessite par ailleurs d’investir au total 60 millions d’euros. Nous sommes en négociation avec la région Nord-Pas-de-Calais qui devrait prendre en charge la moitié de ce montant. Encore faut-il trouver les 30 millions manquants !
L’augmentation du prix du billet ne constitue malheureusement pas une solution, même si le musée du Louvre est probablement, dans sa catégorie, le moins cher du monde. Je rappelle que l’entrée au Metropolitan Museum coûte 25 dollars, au Prado, 14 euros, et que le billet d’entrée au musée du Vatican est vendu 15 euros.
M. Éric Spitz. Le sommet de la tour Eiffel est au même prix !
Mme Claudine Schmid. Messieurs, malgré toute votre bonne volonté, il est clair que la participation des monuments dont vous avez la charge à une future exposition universelle serait limitée par le nombre maximal de visiteurs qu’il vous est possible d’y accueillir. Un couplage des billets d’entrée à l’Expo et dans vos établissements est-il envisageable ou souhaitez-vous plutôt gérer le flux de vos publics de façon indépendante ?
M. Jean-Luc Martinez. Les données que nous vous avons fournies montrent que le musée du Louvre n’aura pas les capacités d’accueillir tous les visiteurs d’une exposition universelle qui se tiendrait à Paris. C’est pourquoi nous avons suggéré l’organisation d’une grande exposition. Pourquoi ne pas imaginer qu’un billet unique au tarif spécifique permette d’accéder à la fois à cet événement et à l’exposition universelle ?
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Un couplage des billets d’accès au Louvre et à la tour Eiffel a-t-il déjà été expérimenté ?
M. Éric Spitz. Non ! L’office du tourisme de Paris propose actuellement des billets donnant accès à plusieurs sites, mais la tour Eiffel n’en fait pas partie. M. Jean-François Martins évoquait devant vous le 4 juin dernier la création d’un City pass « tout en un » qui pourrait être mis en place dès l’Euro 2016. La tour Eiffel ne peut accueillir simultanément qu’un nombre relativement limité de visiteurs. Cela est d’autant plus vrai que nous somme totalement tributaires des moyens d’ascension. Tous les visiteurs doivent emprunter les ascenseurs qui ne peuvent acheminer qu’un nombre restreint de personnes par tranche horaire. La programmation indispensable des visites rend difficile l’intégration du monument à un City pass car nous devons impérativement maîtriser le nombre de billets vendus et les horaires d’accès – cela est d’autant plus difficile que certains ascenseurs restent parfois en panne pendant plusieurs jours.
M. Hervé Barbaret. Le Paris museum pass donne aujourd’hui accès à plusieurs musées et monuments de Paris et de sa région.
Les publics qu’une augmentation du prix du billet d’entrée pourrait dissuader de venir au musée du Louvre – les jeunes, les RMistes, les chômeurs, les handicapés…bénéficient d’un accès gratuit. De façon quasi mécanique, les visiteurs payants qui ne représentent que la moitié des entrées auraient donc les moyens d’acheter un billet dont le prix pourrait être plus élevé si l’on considère l’offre culturelle proposée et les prix pratiqués par les autres grands musées du monde.
Durant les cent quatre-vingts jours de l’exposition universelle, nous serons inévitablement confrontés à une inadéquation entre l’offre et la demande car une partie non négligeable des cinquante à quatre-vingts millions de visiteurs voudra avoir accès au Louvre ou à la tour Eiffel, ce qui sera impossible. Une inadéquation entre l’offre et la demande ne se résout que par deux moyens : le prix ou la pénurie, c'est-à-dire, dans ce dernier cas, la file d’attente ou le « service non rendu ». Je n’apporte pas de réponse, mais il me paraît clair que l’inadéquation évoquée nécessite une réflexion sur la tarification qui pourrait par exemple être modifiée pour la période de l’expo tant que la gratuité est maintenue pour les publics ciblés.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Il existe tout de même un troisième levier : la projection extérieure de vos monuments, de vos collections et de vos projets. Elle peut aussi bien se faire dans votre environnement proche que dans le Grand Paris, ou même beaucoup plus loin. Pourquoi, par exemple, ne pas utiliser les réserves du Louvre en région et rendre possible la visite des coulisses de telle ou telle rénovation ?
Cette question du prolongement de notre patrimoine est pour nous essentielle. Elle est corrélée à celle du lancement d’un grand emprunt obligataire. Au XIXe siècle, la construction des grands monuments des expositions universelles était financée grâce à des souscriptions d’État qui faisaient appel à l’épargne populaire. Comment retrouver cette dynamique à l’horizon de 2025 ? Des investissements d’avenir valorisant le patrimoine et représentant 1 à 10 milliards d’euros permettraient de construire les « externalités » d’une exposition universelle. Il est en effet hors de question pour nous de bâtir un projet sur une perspective de saturation : nous devons dépasser les limites que vous avez évoquées. Le succès de l’événement et la perspective de croissance qu’il porte devraient permettre avec la garantie de l’État et la participation de la Banque européenne d’investissement (BEI), de diriger une épargne vers un projet qui constitue en lui-même une sorte de perspective macroéconomique et de plan de relance assis sur le patrimoine. Le financement doit constituer un élément d’innovation du projet de l’exposition universelle.
Messieurs, je vous remercie.
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Exposition réelle, exposition virtuelle : quelle place pour le numérique ? », avec M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique, Mme Virginia Cruz, membre du Conseil, et M. Jean-Louis Fréchin, commissaire général de Futur en Seine
(Séance du mardi 23 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Depuis quelques mois, M. Bruno Le Roux et moi-même animons cette mission parlementaire sur la perspective d’une candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025, dont le dossier devrait être déposé en 2016
– la décision finale devant intervenir en 2018. Nous travaillons sur toutes les dimensions de ce projet : physique, économique, thématique et ce matin, nous nous proposons d’aborder avec vous sa dimension numérique.
L’idée n’est pas de faire une exposition universelle comme celles de ces dernières années, avec un village et des pavillons classiques, mais de réinvestir notre patrimoine en invitant les pays du monde à s’y fondre, en utilisant l’environnement et les outils numériques pour communiquer.
Nous sommes donc ravis d’accueillir pour cette table ronde : M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs ; M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique depuis 2012 ; Mme Virginia Cruz, également membre du Conseil national du numérique et dirigeante de la société IDSL, société de conseil en innovation et en design ; enfin, M. Jean-Louis Fréchin, architecte, dirigeant d’une agence de design, No Design Lab, et également commissaire général de Futur en Seine.
Quel regard portez-vous sur un tel projet ? Quel rôle le numérique pourrait-il jouer ? L’idée que l’on se fait de ce que devrait être une exposition universelle a-t-elle évolué ?
M. Jean-Louis Fréchin, commissaire général de Futur en Seine. C’est un vaste sujet que l’histoire nous aide à mieux cerner.
Quand la France a décidé de faire sa première exposition universelle, le climat politique et économique n’était pas bon : le pays était ruiné. Dans les trente ou quarante années qui ont suivi, elle a néanmoins organisé trois expositions universelles. À cette époque, presque toutes les grandes inventions du XXe siècle sont venues de France : aviation, automobile, radiodiffusion, découverte de la radioactivité, etc.
Les premières expositions universelles ne sont pas très intéressantes pour nous. En effet, la Galerie des machines montrait des objets physiques et spectaculaires, ce qui ne correspond ni aux technologies ni à la science d’aujourd’hui. La plus intéressante pour nous est sans doute celle de 1900, qui faisait la part belle à l’électricité. Or l’électricité est comme le numérique : on ne la voit pas, elle n’existe que par l’usage qu’elle provoque et les fonctions qu’elle permet. Les défis sont un peu semblables. Montrer des moteurs électriques, c’est bien ; montrer à quoi sert l’électricité, c’est plus intéressant.
La difficulté du terme « numérique » tient au fait que ce n’est pas un terme technologique. Il recouvre plutôt les conséquences et les déterminismes de la révolution d’une société en réseau, mue par des ordinateurs qui traitent massivement de l’information sur nos vies. C’est pour cela que c’est un terme formidable. D’abord, la plupart des gens le disent en français, ce qui signifie que, dans notre pays, on domine un tant soit peu le sujet. Ensuite, le numérique parle aux gens – et en cela, je ferai une différence avec l’informatique.
Le numérique n’est pas non plus un secteur d’activité économique. Pourtant, qu’est-ce qui n’a pas été touché par le numérique aujourd’hui dans nos activités, dans nos vies, dans la manière de conduire des projets ou même de faire de la politique ? Cela signifie que ce n’est certainement pas en lui consacrant un pavillon avec les derniers gadgets à la mode qu’on devra traiter du numérique dans le cadre d’une exposition universelle. Comme le remarque Mme Fleur Pellerin : le numérique, ce n’est pas tant des choses nouvelles qu’une nouvelle manière de faire les choses.
De mon côté, j’avais pris un peu d’avance. Il se trouve en effet que je suis également directeur de l’innovation et de la prospective à l’ENSCI-Les Ateliers, et qu’avec le Centre Michel Serres, nous avons travaillé sur la question de l’exposition universelle de 2025 en faisant appel à des jeunes de tous horizons.
Le numérique impose de nouvelles manières de faire les choses. Nos trois expositions universelles françaises étaient construites à partir du modèle de la « cathédrale », c’est-à-dire un modèle « top-down » – qui vient du haut – où des gens visionnaires décident des organisations urbaines, des sujets d’exposition et prennent des décisions radicales comme l’installation des fameux trottoirs roulants à Paris le long de la Seine, la construction du Grand Palais, etc. Aujourd’hui, du moins pour les tenants de l’innovation très numérique, on est plutôt dans un modèle de « bazar » où on laisse les enthousiasmes s’exprimer, pour créer du foisonnement et de l’énergie.
Dans le cadre de Futur en Seine, que j’ai le plaisir et l’honneur d’organiser et de concevoir, nous avons choisi un modèle un peu différent, le modèle « de la place du marché », intermédiaire entre celui de la cathédrale – modèle très français, adapté à un État centralisé, qui prend des décisions structurelles très lourdes – et celui du bazar. Mais pourquoi avoir choisi la dénomination de « place du marché » ? Parce que c’est un lieu organisé par les puissances municipales, où l’on trouve du connu, comme un marchand de fruits ou de fromages, par exemple, mais aussi de l’inconnu : des promotions, des nouveaux produits, ou un marchand un peu « hacker » un peu sauvage qui vient se présenter.
Ce modèle est intéressant, parce qu’il croise deux éléments qui permettent de construire un futur. Comment cela se traduit-il concrètement dans Futur en Seine ? Par de gros évènements éditorialisés, construits par l’intelligence collective des organisateurs de l’évènement, et qu’on laisse une partie de la fête au porteur de projet, aux start-up, aux sociétés plus anciennes qui viennent, non pas dire ce qu’il faut faire, mais montrer ce qu’elles font, ce qui change pas mal les choses. Je trouve cela très « numérique » et très dans l’esprit de l’époque. En plus de voir des fonctions, de voir des produits, des usages, on y vit une expérience grâce à l’énergie et à l’enthousiasme des gens d’une France qui se renouvelle et que l’on ne voit pas toujours. Le grand apport de Futur en Seine, c’est que les grosses entreprises qui viennent visiter ou exposer se rendent compte qu’il se passe quelque chose. C’est ni bien ni mal, c’est comme cela, et elles en sortent enchantées. Henri Seydoux, le patron de Parrot, a dit : Futur en Seine, c’est le salon des bonnes idées et des bonnes nouvelles. Et cela exprime bien ce concept de « place du marché ».
La difficulté que l’on a rencontrée au début tenait au fait que beaucoup des intelligences productives de l’époque se montraient en logiciels. Or le logiciel, même s’il va « manger » le monde, même si c’est le pétrole d’aujourd’hui, n’est pas spectaculaire en termes cognitifs, en termes de compréhension immédiate.
Il se trouve néanmoins que par les hasards du génie français, nous sommes assez compétents dans ce que l’on appelle « l’internet des objets », les objets connectés, etc. Parce que l’on avait des champions en France, nous avons pu avoir des « attracteur »s un peu plus simples à comprendre dans l’exposition. Aujourd’hui, le village des objets connectés, des « hackers », des nouveaux industriels qui, avec des machines connectées aux ordinateurs réinventent de nouvelles formes d’artisanat ou d’industrie, permet de montrer les conséquences du logiciel et constitue un point d’entrée plus facile pour les gens. De toute façon, une fois que les gens sont sur place, ils vont ensuite voir des éléments logiciels un peu plus compliqués, dont les dimensions visuelles comme les cartographies nouvelles, les visualisations de données, sont assez belles et spectaculaires.
J’observe, et ce sera mon dernier point, que dans tous ces champs-là, le design joue un rôle extrêmement important. Montrer des technologies qui sont domestiquées, transformées par des gens dont le métier est d’en faire des usages, aide, quand on fait une exposition, à partager ces éléments complexes avec le plus grand nombre.
M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs. Le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, que je représente aujourd’hui, est le syndicat des éditeurs de jeux vidéo. Dans la galaxie du numérique, nous occupons les bureaux du fond du couloir à gauche !…Nous sommes un mode un peu particulier, car nous passons beaucoup de temps à sauter sur des champignons, à ranger des bonbons et à tirer sur tout ce qui bouge. Cela dit, nous aimons nous voir comme des ambassadeurs du numérique. De fait, notre média est le premier contact qu’ont les enfants ou les adultes avec le numérique. Le jeu vidéo est un cas particulier, mais en même temps le cas type de la relation du public avec le numérique.
On peut suivre cette relation dans la façon exponentielle dont le jeu vidéo a grandi. Il y a quinze ans, en 1999, 20 % de la population française jouait régulièrement contre 50 % aujourd’hui. L’âge moyen des joueurs était de 21 ans ; il est de 38 ans aujourd’hui. Les femmes représentaient 10 % de cette population de joueurs ; aujourd’hui un joueur sur deux est une femme.
Cette entrée du jeu vidéo – et encore une fois du numérique derrière lui – dans le grand public est sans doute un des phénomènes les plus marquants de ces dix dernières années. C’est également toute la difficulté pour notre industrie de se projeter en 2025. En effet, nous sommes aujourd’hui sur des cycles d’innovation de temps courts, de l’ordre de trois, quatre ou cinq ans. Honnêtement, je ne sais pas de quoi sera fait le jeu vidéo en 2025. Mais, encore une fois, le jeu vidéo est celui où les innovations rentrent en contact avec le grand public. C’est pour cela que pour notre industrie, l’idée d’une exposition universelle à Paris en 2025 est une fabuleuse perspective. Tout ce qui, justement, nous donne un cap pour aller à la rencontre du plus grand nombre est pour nous enthousiasmant.
Il convient d’être tout à fait clair sur les tendances que l’on observe dans le jeu vidéo et dans le numérique en général. Il se trouve que nous sommes passés d’un monde extrêmement technologique, de technologie « dure » (la 3D, l’intensité graphique de l’immersion) à un monde beaucoup plus souple avec, notamment, l’immersion totale dans la réalité virtuelle ; souvenez-vous du récent achat de l’Oculus Rift, cette technologie de casques d’immersion 3D, par Facebook, pour plus de 2 milliards de dollars. Ces technologies souples permettent à l’utilisateur d’être au centre d’un monde virtuel qui révèle la dimension sociale du jeu vidéo, devenu une transverse absolument considérable de notre industrie. En effet, aujourd’hui, le jeu vidéo ne se conçoit pas autrement que dans le lien avec une communauté, une communauté d’expériences et de joueurs. C’est sans doute ce qui pourrait guider la réflexion de notre industrie dans la perspective d’une exposition universelle.
Pour être tout à fait concret, nous avons créé il y a quatre ans un salon dédié aux jeux vidéo, la Paris Games Week. Le concept de ce salon était de rendre réelles, une fois par an, toutes les communautés virtuelles qui s’agitaient autour du jeu vidéo. En quatre éditions, il est devenu le cinquième plus gros salon français et le troisième salon au monde. Nous avons la certitude que ce succès est dû à nos communautés.
Pour nous, une exposition universelle, c’est la perspective d’aller toujours plus à la rencontre des communautés. C’est la possibilité de montrer ce qu’est aujourd’hui le patrimoine de la France en matière de jeux vidéo ; nous avons une histoire particulièrement riche, nous avons des grands noms de l’histoire du jeu vidéo, et la France est aujourd’hui une des places fortes du jeu vidéo mondial. Mais c’est aussi la possibilité de montrer en quoi le jeu vidéo est un formidable moyen de stimuler la curiosité, de faciliter l’apprentissage et de créer des liens, des communautés, des intérêts. Ce processus global qui prend le nom de « gamification » sera forcément une intéressante perspective dans l’idée de la dimension numérique de l’exposition universelle.
Par exemple, vous pourrez lire aujourd’hui dans Les Échos un article sur « Ingress », un jeu en réalité augmentée, développé par une filiale de Google. C’est une façon de mettre le monde en jeu : avec son smartphone, on visite une ville dans la réalité ; mais le smartphone donne une autre géographie à la ville, donne d’autres indications sur la ville qui permettent de rentrer dans un scénario et un jeu.
Ces tendances vers la réalité virtuelle et aujourd’hui vers la réalité augmentée foisonnent dans le jeu vidéo et dans le numérique en général. Ce sont sans doute les perspectives vers lesquelles nous irons dans les dix prochaines années. Mais encore une fois, c’est le moyen, pour les communautés, de s’approprier le numérique à travers le jeu vidéo. C’est sans doute tout l’enjeu de ce que l’industrie du jeu vidéo pourrait apporter à l’exposition universelle.
M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique. L’idée même de faire une exposition universelle est extrêmement intéressante. On se demande jusqu’où il faudra aller chercher dans les ouvrages de science-fiction pour y trouver ce qui pourrait faire la différence. Il y a cinq ans, le monde était tellement différent, en termes d’usages, pour tout le monde. C’était a fortiori le cas il y a dix ou quinze ans. On finit par se dire que la différence entre les générations serait en fait liée à la technologie : certains (les digital natives) sauraient mieux se servir des technologies, parce qu’ils sont nés avec, qu’ils savent se servir d’un I Pad, etc. En réalité, c’est peu probable. J’enseigne à Sciences-Po et je n’ai pas l’impression que les plus jeunes soient mieux adaptés aux nouvelles technologies. Peut-être même manquent-ils de recul et ne voient-ils pas les corrélations qui peuvent existent entre les modèles d’il y a vingt ans et ceux d’aujourd’hui. Il n’empêche que les usages, eux, ont complètement et radicalement changé. Vous-mêmes devez avoir vu se transformer votre façon de faire de la politique au fur et à mesure que les gens ont commencé à utiliser des réseaux sociaux pour communiquer, etc.
À mon sens, il y a trois points à prendre en compte pour réfléchir à ce que pourrait être l’Exposition universelle 2025
D’abord, il est bien probable qu’il faille complètement renverser la vision traditionnelle, et arrêter de considérer le numérique comme une technologie. Je ne sais pas comment s’est passée l’organisation de la première exposition universelle, mais je suis à peu près certain que l’on s’est dit que la technologie suivrait, et qu’il convenait d’abord d’avoir des idées. Une anecdote m’a fasciné. Elle concerne une entreprise très connue en France, qui a été créée à cette occasion. On avait décidé de construire une ligne de métro Nord-Sud (l’actuelle ligne 4) et il a fallu la faire passer à côté du Sénat. Les sénateurs ayant estimé qu’une ligne de métro aérienne ferait trop de bruit et gênerait les débats, ils ont demandé que cette ligne soit souterraine. Cela impliquait de la faire passer sous la Seine. On a donc gelé la Seine avec des produits chimiques, creusé et découpé des blocs. On a ensuite creusé sous le lit de la Seine, puis on a refermé et refait passer l’eau. Des photos existent, et c’est très impressionnant à voir. Cela date de 1880-1890. Aujourd’hui, on n’oserait pas faire des choses pareilles, parce que l’on réfléchit d’abord à partir des technologies existantes, puis on essaie d’en déduire des idées. On a fait exactement l’inverse en cherchant quoi faire, à partir de ce que l’on souhaitait faire.
Ensuite, on se rend compte que tous les évènements internationaux qui tournent autour du numérique, qui fédèrent aussi bien les industriels que le grand public, les acteurs extérieurs, les politiques, les intellectuels, ont accompli ce renversement et s’intéressent plutôt à l’aspect systémique, culturel, voire politique du numérique.
Voilà pourquoi je pense qu’il serait très important de procéder à une sorte de benchmark des évènements existants sur le numérique. Certains sont extrêmement dynamiques. Allez donc voir le festival South by Southwest, qui se tient tous les ans à Austin. C’est non seulement le plus gros festival de numérique des États-Unis, mais aussi le plus gros festival de cinéma, et le plus gros festival de musique. Dans ces moments-là, on s’aperçoit que les gens se sont approprié la ville, laquelle est devenue foisonnante. Des concerts se déroulent à l’extérieur, en banlieue, des évènements ont lieu à l’intérieur. Il y a des conférences, des démonstrations. Ces démonstrations ne se font pas nécessairement sur un stand, mais dans la vie réelle par les utilisateurs qui sont là et utilisent les technologies mises à leur disposition. C’est ainsi, par exemple, que Foursquare a été lancé à Austin et à SXSW. La société existait déjà, mais une sorte de cristallisation s’est effectuée grâce aux centaines de milliers de visiteurs présents, qui se sont mis à utiliser cette application, et cela a créé un cercle vertueux. Et ce n’est pas le seul exemple. On voit bien que ce sont ces évènements qui portent l’esprit des expositions universelles, plutôt qu’une exposition universelle un peu traditionnelle et très « top down ».
Je prendrai un autre exemple, plutôt radical. Les évènements qui ont la plus forte croissance en termes de participants dans le monde sont liés à la diffusion de jeux vidéo sur internet : des gens qui se filment en train de jouer, ou qui organisent des séances où ils jouent les uns contre les autres. Certains Français ont organisé récemment ces compétitions à Bercy pendant trois jours, et ils ont fait carton plein, avec des billets à 100 euros : il y a eu, chaque jour, 15 000 personnes pour regarder jouer des Coréens contre des Chinois, des Français contre des Russes, etc. Même si c’est compliqué, il faudrait réussir à capter ce phénomène et à faire, dans le cadre d’une exposition universelle, une énorme partie sur ce qui est en train de devenir l’un des médias de masse de notre époque.
Je précise que la façon de l’aborder ne passe pas forcément par la démonstration. Il existe de nombreuses technologies de jeux vidéo, il y a des frameworks (89), des chercheurs, etc. Mais que veut-on montrer ? Des films de Pixar ou les logiciels qui ont permis de faire les films de Pixar ?
Et je ne vous ai parlé que de la France. Si vous allez à Austin, en Corée du Sud, ce ne sont pas des dizaines de milliers de gens qui assistent aux évènements, mais des millions. Les rencontres sont diffusées à la télévision. Elles attirent tout le monde, avec des paris, des équipes professionnelles, etc. il en est de même en Chine, sur un marché encore plus grand. Voici qu’il faut avoir en tête, sinon on risque de conserver un modèle assez traditionnel.
Enfin, je me demandais, avant de venir, quelles étaient les valeurs du numérique : l’ouverture, la liberté, la gratuité (bien que l’argent et les modèles économiques aient un rôle) l’abondance et la fête – surtout la fête, et la fête continue. Dans son ouvrage « Paris est une fête », Hemingway décrit un voyage continu dans la ville de Paris, avec de nombreux évènements et des rencontres. Il finit par partir en week-end dans le Sud de la France avec d’autres grands écrivains. Cela ne s’arrête jamais, tout s’enchaîne. Or cette espèce de dynamisme et d’émotion permanente se retrouve chez les développeurs de logiciels. Et vous la retrouvez de plus en plus chez tous ceux qui adoptent ces valeurs.
D’où ma suggestion : ne serait-il pas intéressant de réfléchir à cette exposition, non pas comme étant un objet donné en 2025, mais plutôt à quelque chose qui se construit en temps réel, avec des étapes successives ? Vous êtes habitués à ce que l’on appelle le « versioning », aux différentes versions de Windows (95, 98, etc.), de Linux (3.14, 3.15, 3.16, etc.) ou de l’iPhone. La sortie de l’iPhone 6 est un évènement monstrueux, plus important que la sortie de l’iPhone 5, laquelle dépassait l’importance de celle de l’iPhone 4. Chaque version est l’occasion de nouveautés.
Ne serait-il pas intéressant, pour présenter une candidature originale, de décider que l’exposition est permanente et commence dès maintenant ? Elle commencerait modestement, avec des premières étapes, en agrégeant les bonnes volontés. Après la version 0.1, il y aurait une version 0.2, puis une version 0.3 etc. jusqu’à la version 1, qui aurait lieu en 2025. En outre, cette façon évolutive de travailler pourrait nous permettre, dans l’hypothèse où nous ne serions malheureusement pas désignés pour accueillir l’exposition universelle de 2025, de nous réorienter vers un autre évènement. Ce serait en tout cas le moyen de créer une dynamique autour d’un sujet précis, avec des étapes clés qui donneraient à tous une visibilité et l’envie d’avancer.
C’est une suggestion. Je ne sais pas si elle est faisable. Mais dans la mesure où l’on sait créer aujourd’hui des iPhone ou des logiciels qui sortent en série, selon un rythme régulier, je pense que l’on pourrait très bien imaginer un projet intéressant le grand public et les entreprises, en se conformant aux modes de management actuel et au format de sortie des produits auquel les gens s’habituent de plus en plus.
Mme Virginia Cruz, membre du Conseil national du numérique. C’est effectivement un sujet très central et très vaste. Je vais vous livrer une série de réflexions
– qui ne sont pas toujours abouties – pour alimenter votre réflexion.
Selon moi, il y a plusieurs façons de voir le numérique. C’est d’abord un moyen d’exposer ou de présenter. En effet, le numérique permet de créer l’interactivité avec le public, ce qui aboutit à des installations ludiques, magiques et immersives.
Le numérique peut également servir à accompagner ou à fluidifier les parcours. Au moment de l’exposition, Paris accueillera de nombreux visiteurs, dont des étrangers, qui viendront à l’exposition. Or il y a aujourd’hui très peu d’indications en anglais dans la capitale. Comment les visiteurs vont-ils donc naviguer, trouver les lieux, se déplacer dans une ville qu’il n’est évidemment pas question de reconstruire ?
On pourrait passer par les smartphones et les objets connectés, comme les bracelets, en s’inspirant de l’expérience Disney : lorsque vous réservez votre séjour, vous recevez un bracelet qui vous permet ensuite de naviguer entre les différentes installations. J’observe toutefois qu’il faudra prendre en compte les frais de « roaming (90) », notamment pour les visiteurs non européens. On pourrait aussi passer par l’infrastructure urbaine : bancs publics, parcmètres, abribus, stations de métro où de nombreuses interfaces pourraient servir de points de relais et d’information. Mais ces supports pourraient également servir à organiser des activités plus ludiques, comme des jeux urbains, par exemple.
On peut considérer aussi, et c’est une vision plus classique, que le numérique va transformer la société et les industries, et que ce sera le moment de montrer les avancées et les progrès réalisés en France.
Mais le numérique est aussi une logique collaborative de mise en relation, qui peut être reprise au sein de l’exposition universelle, que ce soit dans un objectif ludique ou dans un objectif économique. Un des buts de la manifestation est aussi de créer du business. On pourrait tirer parti de la rencontre d’investisseurs venant de l’étranger et de personnes d’ici, qui ont des idées. L’un de nous a parlé du lancement de « Foursquare » au cours d’une exposition. Comment faire en sorte que l’exposition universelle offre un cadre facilitant rencontres, partenariat ou créations d’entreprises ? Faudrait-il mettre en place un statut particulier ? Ce sont des questions ouvertes …
Le numérique peut également être vu comme un trait d’union géographique entre plusieurs lieux. Notre vision est très parisienne. Mais pourquoi ne pas imaginer de se transporter sur tout le territoire ? Pourquoi ne pas créer des points d’échanges, installer des écrans, aménager des lieux permettant de rencontrer les gens à distance, créer des jumelages, des échanges, qui pourraient aussi s’appuyer sur la French Tech, cette espèce de réseau qui commence à se mettre en place ?
Le numérique sert la logique consistant à ne pas créer de nouveaux bâtiments, mais à réutiliser des lieux existants. Il est pratique dans la mesure où il permet de personnaliser les lieux, de les investir sans modification architecturale par des mises en réseau, des projections, etc. C’est d’autant plus intéressant qu’on sait qu’il est difficile de réutiliser, par la suite, les bâtiments construits à l’occasion d’une exposition universelle.
Ensuite, on peut voir le numérique comme une surcouche d’informations : c’est ce qui relève de la réalité augmentée. On peut rajouter des commentaires, différencier l’expérience, en proposant, par exemple, à des enfants une vision différente des adultes, rajouter des éléments d’histoire sur la ville, offrir différents points de vue, tout cela en exploitant les tendances actuelles – réalité virtuelle, Google Glass, casques comme l’Oculus Rift dont a parlé M. Martin.
Le numérique permet de voir ce qu’il est impossible de voir, ou d’un point de vue que l’on ne peut pas avoir normalement, notamment depuis les airs. On commence à parler des drones, mais on peut imaginer qu’en 2025, on pourra les utiliser pour « voler ». Mais d’autres possibilités existent, qui sont très intéressantes et ludique. Je pense au projet sélectionné en Angleterre par la Tate Britain. Il s’agit d’un petit robot qui se déplace la nuit dans le musée ; si je me connecte sur Internet, je peux contrôler ce petit robot qui tient une petite torche, me promener dans les galeries et voir les peintures à des heures normalement interdites au public.
Enfin, en regardant le thème choisi par Dubaï pour l’exposition de 2020 « Connecting Minds, Creating the future » et en essayant de se projeter sur ce qui va arriver en 2025, on doit pouvoir glaner des éléments intéressants. Je pense en particulier aux véhicules autonomes. L’infrastructure parisienne est ancienne et ses capacités sont limitées. La question du transport va se poser en raison de très nombreux visiteurs. On peut s’attendre au développement des systèmes comme Uber, que l’on voit émerger. Mais potentiellement, les véhicules autonomes seront arrivés sur le marché. Ce sera l’occasion de s’appuyer sur des initiatives industrielles. Renault travaille déjà sur de tels véhicules.
L’idée serait d’utiliser des lieux existants en les investissant, en créant entre eux une infrastructure de liens, de mobilités, de transports, révélatrice du développement industriel du pays, qui permettrait de compléter les infrastructures de transport de la ville d’aujourd’hui.
Il ne faudrait pas oublier non plus tout ce qui tourne autour des « Wearable Technologies », ou « technologies mettables », dont on parle beaucoup avec les objets connectés, bracelets ou autres. Ces nouveaux produits existeront et serviront de supports pour les visiteurs.
En 2025, le numérique va rejoindre le réel. Il sera présent dans tout ce qui est tangible autour de nous. On le voit aujourd’hui avec les impressions 3D, et avec l’utilisation de techniques combinées. Des logiciels se basent sur des techniques de jeux vidéo. Minecraft, un jeu où l’on vient casser des briques pour se faire des abris afin d’échapper à des monstres, ou bâtir des bâtiments extraordinaires, est aujourd’hui réutilisé dans un logiciel qui permet, de façon très simple, de construire un fichier en 3 D. Ainsi, sans savoir comment utiliser un logiciel, le grand public pourra créer et produire. Le numérique que l’on voit aujourd’hui comme une couche très « logicielle », est en train de diffuser dans tout l’environnement. Par exemple, demain, cette table sera connectée, tout comme cette chaise qui permettra de savoir qui s’est assis dessus, son poids, etc. Telles sont les tendances.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci pour vos idées. Les étudiants que nous avons auditionnés ont développé une idée sous-jacente dans vos présentations : l’intérêt d’une exposition universelle ne tient pas tant dans l’exposition elle-même que dans le partage des expériences. On y retrouve la notion de communauté, que vous avez reprise.
Faire une exposition sur le numérique n’aurait pas de sens. Mais faire une exposition – dont le thème pourrait être « l’hospitalité » - en zones denses, dans les villes, dans les métropoles, dans le Grand Paris, en utilisant les mobilités existantes (trains, métro et nouveaux projets de transports) risque d’être difficile. Le choix du thème s’accompagnera donc d’une contrainte. Le numérique devra alors réinventer et revisiter l’ensemble de ces univers de contraintes pour rendre l’opération fluide, connectée, agréable et conviviale.
Une idée est de faire partager très en amont nos problèmes à des communautés internationales, d’inventeurs, de designers, d’informaticiens, au fur et à mesure qu’ils se présenteront, en un mot de monter une opération de « crowdsourcing ». Dès que démarreront nos travaux surgira en effet toute une série de difficultés, la première étant d’accueillir 60 millions de personnes en zones denses pendant six mois, avec des croissements de flux dans tous les sens.
Dans quelles conditions, selon vous, la communauté internationale au sens le plus large – à savoir les personnes qui alimentent les grandes plates-formes de « crowdsourcing » que vous connaissez – peut-elle se saisir d’un évènement comme celui-là, et entrer dans un processus d’invention et d’innovation pour aborder les thématiques et les contraintes d’une exposition universelle ? Peut-on le faire, comment, quand, à quel rythme ? À partir de notre propre plate-forme ou d’autres plates-formes ?
M. Jean-Louis Fréchin. Il est clair que notre pays ne va pas bien. Mais paradoxalement, il existe partout et tout le temps des évènements, des actions et des projets. Notre problème n’est pas que l’on manque d’inventivité, ni d’argent. Le problème des Français est qu’ils ne sont pas ensemble. Or pour mener à bien ce genre d’évènements, il faut être ensemble.
Je trouve intéressante l’idée de construire une exposition universelle sur la durée, à partir de réseaux ou en physique. Si la plupart des évènements organisés en France s’appelaient, par exemple, « Bêta Exposition Universelle » et s’inscrivaient dans le cadre d’un projet commun sur une longue durée, la perception qu’on aurait de tous ces évènements – qui aujourd’hui se concurrencent les uns les autres – changerait. Il se tient à Paris quatre salons sur les objets connectés, ce qui est ridicule, alors que l’on n’a besoin que d’aller dans le même sens.
Il existe une forme d’exposition que j’aime beaucoup : tous les vingt ou vingt-cinq ans, la Suisse décide de se présenter au monde – art, technologie, etc. C’est l’identité d’un pays à l’instant t. Or cette exposition suisse est un projet permanent. Nous avons inventé le concept d’exposition universelle, dont nous avons fait trois éditions absolument extraordinaires. Mais nous pourrions choisir d’engager un processus permanent, servant à construire un projet, un destin commun sur une certaine durée, dont l’achèvement pourrait être une exposition universelle.
Sur la contrainte du lieu, je ferai une remarque. Dans un film américain que j’adore, il est dit que « Paris est toujours une bonne idée ». C’est un avantage énorme. Quand on organise le festival Futur en Seine, on a du mal à attirer les étrangers. Lorsqu’on leur parle technologies de l’information et communication, ils pensent plutôt à Berlin, à Londres ou à New York, mais rarement à Paris. Reste que le pouvoir d’attraction de Paris est énorme. Dès qu’on les amène ici et qu’ils voient les « hystériques » du numérique et ces joueurs enthousiastes, la perception change très rapidement.
Nous avons donc la capacité d’inviter le monde à travailler avec nous sur un grand projet urbain, de venir dans une métropole ancienne inventer des enjeux, des façons de vivre demain. La France saura faire passer ce message de manière moderne, contemporaine, sans rester arc-boutée sur un passé glorieux, mais en faisant de ce passé une fondation solide pour rebondir vers le présent et le futur. Je crois même que le monde l’attend. Moi qui voyage beaucoup, j’ai pu constater que les étrangers éprouvaient autant de tendresse que d’agacement envers la France, mais qu’ils préféraient l’aimer que la détester. Si notre pays se lançait dans une exposition universelle, je crois que son message serait bien reçu. Ce serait vraiment utile pour nous tous, qui essayons d’innover et de construire le changement.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Que pensez-vous de l’idée d’une exposition qui serait le point d’aboutissement d’un grand schéma collaboratif sur l’innovation ?
M. Jean-Baptiste Soufron. À mon sens, il faut faire attention. Cette exposition universelle aura lieu en 2025. L’année prochaine, nous serons en 2015. Cela nous donne le temps d’organiser une version 0.1, 0.2, et ainsi de suite chaque année. Mais je tiens à réagir à cette idée d’une plateforme de « crowdsourcing ».
Comme le dit Jean-Louis Fréchin, à partir de belles idées, on peut attirer des étrangers en France, et notamment à Paris. Je l’ai expérimenté moi-même, lorsque je faisais partie de la première équipe de Futur en Seine. Mais comment organisera-t-on les différentes étapes qui aboutiront aux différentes versions ? À partir d’une plate-forme de « crowdsourcing » ? Je pense que c’est dangereux, et que cela induira forcément en erreur par rapport à l’ambition du projet final.
Sur dix ans, il est possible d’imaginer un vrai programme avec des phasages. On pourrait commencer, en 2015, par un premier phasage intellectuel, en organisant une série de grandes conférences qui feront l’exposition universelle version 0.1 ; des intellectuels viendraient à Paris pour débattre sur l’hospitalité ; ensuite, en 2016, on accueillerait des gens qui présenteraient les technologies existantes, pour permettre à ceux qui travaillent sur l’exposition de se les approprier. Et ainsi de suite.
Il faudrait travailler en réseau, avec les évènements qui existent déjà, en essayant de donner une vision commune et en rappelant l’objectif de 2025. Chacun pourrait conserver son identité, mais cela n’empêcherait pas de s’organiser et de se répartir les tâches jusqu’à 2025.
À mon sens, c’est de cette façon qu’il faut procéder. Sinon, on se heurtera aux contraintes techniques et on se laissera mener par la technologie. Si vous mettez en place un site collaboratif, combien de temps celui-ci sera-t-il pertinent ? Un an, deux ans, peut-être seulement six mois. Peut-être que certains viendront vous suggérer de passer par Facebook ou Twitter ? Car l’important, en fin de compte, est d’avoir un esprit de communauté.
Si vous vous focalisez sur cette idée de programme, avec des étapes intermédiaires qui font sens, il faudra trouver une cohérence entre ces étapes ; ensuite, les technologies se mettront au service de ces étapes. Mais j’observe que ce n’est pas la même chose de faire un appel à projet auprès d’intellectuels et de grands chercheurs, que de le faire auprès de start-ups ou d’architectes. Ce ne sont pas les mêmes communautés, ils n’ont pas les mêmes habitudes, ce ne sont pas les mêmes lieux, etc.
En conclusion, je pense qu’il faudrait plutôt mettre au point un programme, puis demander aux technologies de suivre pour voir comment remplir correctement chaque étape du programme.
Mme Virginia Cruz. Je vois deux points de friction.
Premièrement, si l’on fait appel à des personnes dans le monde entier, on touchera des gens de tous les pays qui parleront toutes les langues. Et la question des langues sera très lourde à gérer.
Deuxièmement, lorsque l’on est à distance et que l’on exprime une idée, elle n’est pas toujours pertinente. En effet, ceux qui sont à des milliers de kilomètres n’ont pas forcément conscience du contexte réglementaire, culturel ou géographique. Si l’on habite aux États-Unis, on a des notions des distances et de la densité qui peuvent être très différentes de gens qui habitent, par exemple, en Inde. En conséquence de quoi, les idées qui émergeront de ce type d’appel formeront un pot commun d’inspiration, mais elles ne pourront pas être appliquées telles quelles. Il faudra les retravailler. En revanche, il serait intéressant d’avoir des exemples de la façon dont d’autres pays ont pu traiter certaines questions – comment loger des millions de visiteurs, les transporter, ou résoudre le problème des langues.
Cela dit, notre pays a énormément de forces vives. En France, bien des gens, qui ont beaucoup d’idées, seraient très heureux de participer au projet. Je pense que l’exposition 2025 doit surtout s’appuyer sur une logique collaborative, avec des personnes qui sont déjà en France et pour lesquels les contraintes de la langue ne se poseront pas. Vous pourrez vous adresser aux territoires et vous appuyer sur les initiatives qui existent dans tout le pays.
L’idée du « crowdsourcing » est très séduisante, très intéressante et tout à fait dans l’esprit du moment. Mais il faut être réaliste, prendre en compte les problèmes de langues, et ne pas trop attendre de ce qui pourra en ressortir. Malgré tout, on peut l’utiliser comme source d’inspiration.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. L’attribution de l’organisation de la prochaine exposition interviendra somme toute assez rapidement, et il se passera donc un certain temps entre ce moment et l’ouverture de cette exposition. Il est donc possible, comme vous le suggérez, de la construire en plusieurs étapes et d’en faire plusieurs versions. Cette idée me semble particulièrement intéressante.
Reste qu’il est impossible aujourd’hui de prévoir ce que sera 2025. Si on se lançait dans un tel exercice, on risquerait de tomber à côté, ou d’être complètement dépassés. Voilà pourquoi il vaut mieux se fixer des ambitions simples, sur lesquelles la technologie permettra d’avancer.
Parmi les ambitions simples à se fixer pour 2025, je formulerai celle-ci : franchir la barrière des langues – et je trouve amusant que vous veniez d’évoquer la question. Nous envisageons en effet d’accueillir 60 ou 70 millions de personnes autour du thème de l’hospitalité. Nous pourrions donc avoir comme objectif d’être la première exposition universelle où les visiteurs seront affranchis de la barrière des langues et pourront sans aucune difficulté converser entre eux. Car le vieux rêve de l’esperanto a vécu…
Voilà, par exemple quelque chose de simple sur laquelle nous pourrions travailler ces dix prochaines années. Cela vous paraît-il possible ?
M. Jean-Louis Fréchin. Je sais que vous avez rencontré Marc Giget, le spécialiste français de l’innovation et des expositions universelles. Sans doute vous a-t-il dit qu’au moment de l’exposition de 1900, il y avait 40 millions de Français et que Paris, avec deux lignes de métro, avait reçu 60 millions de visiteurs. Je ne sais pas comment se débrouillaient les étrangers mais, aujourd’hui, les Japonais s’en sortent très bien avec leur petit traducteur. Dans trois ans, cela ira mieux, et dans cinq ans, encore mieux, etc. La barrière des langues est quasiment levée.
Pour moi, la question est plutôt celle de la place de l’autre, et donc de l’empathie pour le monde. Et se poser la question de l’autre, c’est se poser celle de la nouvelle universalité du monde, même si cela peut paraître un peu pédant et philosophique. J’observe que cela tombe bien parce qu’il s’agit d’une exposition universelle, et que l’un des reproches que l’on fait souvent aux Français est précisément de viser l’universalité.
Une fois posée cette question de la nouvelle universalité, il sera temps de s’interroger sur les moyens d’y arriver – il faut d’abord décider de passer la rivière avant de décider de construire un pont. Peut-être qu’un logiciel facilitera les choses ? Peut-être que le Conseil de l’Europe va décider que nous parlions tous la même langue ? Peut-être devrons-nous construire des scénarios ? Je ne sais pas. Mais je trouve très stimulant d’avoir à relever un défi qui tourne autour de l’universalité et de notre connexion au monde.
M. Jean-Baptiste Soufron. Vous avez raison, il ne faut pas se demander techniquement comment cela va se passer. Il faut juste poser l’objectif, et se dire que ce pourrait être l’un de ceux de 2025. S’il est atteint avant, d’une façon ou d’une autre, tant mieux. La version intermédiaire le prendra alors en compte.
Il faut déterminer les barrières à franchir, sans se préoccuper du pont, comme le disait Jean-Louis Fréchin. Et justement, dans l’exemple du métro que j’ai donné tout à l’heure, on n’a pas fait de pont : on a gelé la Seine et on est passé en dessous. En fait, c’est l’obstacle qui stimule l’imagination et qui va créer l’innovation. On trouve alors les solutions, les technologies et les façons de faire. Il faut donc pointer du doigt les obstacles en disant : voilà ce que l’on aimerait. Cela nous changerait d’ailleurs par rapport aux dernières expositions universelles, dont la démarche relevait davantage de la démonstration et de l’explication.
Peter Thiel, le fondateur de PayPal, a affirmé, la semaine dernière, dans la revue du MIT, que le progrès technologique s’était arrêté depuis les années soixante-dix et que, depuis que l’on avait inventé la puce électronique et les télécommunications, on ne faisait que déployer ces inventions. Je ne suis pas certain qu’il ait raison, ne serait-ce que parce qu’il ne s’intéresse pas à l’intégralité du spectre de la science. Mais tout de même, il est vrai qu’un apprentissage est en train de se faire et que, plutôt que de poser le débat en termes de technologies contraintes, il faudrait le poser en termes de problèmes à soulever. Or ils sont nombreux, à commencer par ceux qui sont liés à la pauvreté. Ce n’est donc pas forcément très compliqué à imaginer.
MmeVirginia Cruz. La question des langues sera d’autant plus intéressante à traiter que l’on ne devra pas chercher une solution uniforme qui convienne à tout le monde, comme l’esperanto, mais une solution qui respecte les cultures et les langues de chacun. Il faudrait faire en sorte que des gens de culture et de langue différentes arrivent à partager sans forcément très bien parler les langues. De fait, nous disposons aujourd’hui de nombreux outils qui nous permettent – smartphone, traducteur – de montrer à l’autre des images, ou de dialoguer. Grâce aux réseaux, de nombreuses personnes ont des relations à l’extérieur. Les étudiants voyagent, étudient à l’étranger grâce à Erasmus, et leur cercle d’amis ou de connaissances est international.
La langue reste un thème sous-jacent, d’autant plus important si l’on doit construire l’exposition universelle autour du thème de l’hospitalité. Je pense aussi que c’est un beau sujet pour la France. Beaucoup d’étrangers nous le disent, ce n’est pas si simple de venir en touristes à Paris, même si on aime la ville, même si on aime la France. Ce serait donc l’occasion de prendre le contre-pied en disant : historiquement, la France est aussi terre universelle d’accueil, de mélange de cultures, ayant subi des influences et des immigrations de différents pays. Le thème de l’hospitalité mettrait en avant la notion d’ouverture et de curiosité à l’autre, de tolérance, nous inviterait à dépasser les différences et à profiter de la richesse de la diversité. Je trouve que c’est un beau sujet et que, pour le servir, le numérique est un outil parfait.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. J’aimerais avoir votre avis sur deux éléments de la problématique que nous essayons de travailler : « numérique et patrimoine », et « numérique et modèle économique ».
En premier lieu, vous savez que l’idée est de réinvestir le patrimoine existant, pour ne pas faire de cette exposition une ville nouvelle avec des pavillons et des constructions, mais de revisiter le patrimoine historique ou contemporain que la France peut mettre à la disposition des pays pour organiser ce terrain de rencontre. Cela vous paraît-il jouable ? Peut-on faciliter la rencontre des civilisations autour du patrimoine ? En avez-vous fait l’expérience à l’occasion des différents évènements que vous avez suivis ?
En deuxième lieu, notre dernière audition portait sur le modèle économique des expositions du XIXe siècle – financement par souscriptions, achat d’obligations garanties par l’État, avec des coupons, recette de l’exposition, etc. On sent bien que l’audace dont nous ferons preuve pour l’Exposition universelle de 2025 pourra, éventuellement, générer un afflux de participations économiques. Qu’en pensez-vous ?
M. Jean-Louis Fréchin. Dans une autre vie, pour un éditeur qui s’appelait Montparnasse Multimedia, j’ai conçu un CD-Rom interactif qui permettait de visiter le Louvre. Ce premier dispositif numérique hors jeux, qui pouvait adresser un grand public, s’est vendu à 10 millions d’exemplaires dans le monde. Le problème est que, en dehors du Louvre, rien ne s’est vendu. Cela veut dire que le succès du dispositif tenait au fait qu’il s’agissait du Louvre, et non aux technologies permettant de valoriser un patrimoine. Il faut en avoir conscience.
Il est évident que pour tous, dont le ministère de la culture, le numérique est un outil pour numériser le patrimoine ou pour essayer de rendre certains monuments plus attractifs. Malheureusement, notre patrimoine est important et cela consomme beaucoup d’argent public.
J’observe par ailleurs qu’un autre CD-Rom, qui portait sur Versailles, a été fait par Cryo. Il était lui aussi intéressant, mais tenait davantage du jeu vidéo.
De fait, il est compliqué, compte tenu de nos défis et de nos enjeux, de se recentrer sur ce qui nous attache au passé ; toute la difficulté du ministère de la culture, même avec ses écoles d’art, est de tenir compte du futur. Le sujet, en tant que tel, dans n’importe quel pays du monde, est passionnant. En France, il est vraiment risqué. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas un défi à relever.
M. Emmanuel Martin. Nous avons assisté à une collision intéressante avec le monde du patrimoine et de la culture institutionnelle dans le jeu vidéo : l’exposition « Game Story », qui s’est tenue au Grand Palais en 2011. C’était la première fois que le jeu vidéo entrait dans un temple de la culture à la française. Ce fut une vraie jubilation, évidemment pour les professionnels du jeu vidéo, mais surtout pour les communautés de joueurs, qui y ont vu un fantastique moyen de jouer dans ce qui était pour eux un lieu symbolique de la République et de la culture.
Mettre en jeu ces symboles, c’est sans doute un défi que les communautés ont hâte de relever. Comme le disait Jean-Baptiste Soufron, si l’on arrive à fixer des objectifs, des gens auront hâte de les relever.
Pour terminer sur ce patrimoine qui peut être facilement rendu vivant par le numérique, sortira au mois de novembre un jeu vidéo qui s’appelle : « Assassin’s Creed Unity », qui se déroule dans le Paris du XVIIIe siècle, pendant la Révolution française. La ville a été entièrement modélisée par des historiens de la société Ubisoft – modélisant ainsi, pour la quatrième fois, une ville à une époque différente. On est là dans une perspective de jeu vidéo, mais également ans dans une véritable perspective historique. Je crois que c’est dans ces liens entre le patrimoine et le fait de pouvoir offrir de nouveaux usages à ce patrimoine que le numérique peut s’avérer intéressant.
Mme Virginia Cruz. J’ai tendance à penser qu’en 2025 on pourra apprendre du patrimoine de Paris. Personnellement, j’aime bien – et cela rejoint ce que vous venez de dire sur Assasin’s Creed – son côté dynamique et le mélange des époques.
J’observe que les étrangers ont une vision très statique de Paris, qui apparaît beau, imposant et figé ; c’est moins le cas d’autres villes, parce qu’on y respecte moins l’existant, qu’on rase et qu’on reconstruit. Mais en fait, ce n’est pas du tout cela : à Paris, des quartiers entiers ont été rasés ; Haussmann a réaménagé la ville. Il serait intéressant d’arriver à montrer la dynamique qui est derrière le patrimoine et qui doit se poursuivre. La candidature de la France doit s’appuyer sur une dynamique d’évolution.
De la même façon, le mélange des périodes historiques peut être intéressant. L’exposition tourne autour du thème de l’hospitalité. On pourrait imaginer être accueilli par des Français d’aujourd’hui, mais aussi potentiellement par des Français de l’époque des rois, ou du siècle des Lumières.
Je ne le vois pas comme un sujet principal de l’exposition, mais comme un fil conducteur qui s’imposera. En effet, les gens viennent aussi à Paris pour cela.
M. Jean-Baptiste Soufron. Ce peut être une bonne idée de croiser le futur et le passé, et cela a été très bien reçu pour « Game Story ». Malgré tout, je pense que ce serait dommage d’en faire un point trop fort de ce projet : par exemple, il y aurait un étrange paradoxe à proposer une exposition universelle dans les locaux de l’ancienne. Quels progrès aurions-nous accomplis en 125 ans ? Le risque me semble assez évident. Et puis, en termes d’hospitalité, a-t-on envie d’accueillir les gens en 2025 comme on les accueillait en 1900 ? Les choses auront changé.
Justement, pourquoi se priver en 2025 de bâtiments extraordinaires, comme ceux qui ont été construits pour les précédentes expositions universelles ? Pourquoi rejeter des propositions des urbanistes, des architectes, intégrant le numérique, les nouvelles technologies, les nouvelles normes d’énergie ou de nouvelles idées en matière d’énergie ? Ce serait dommage. L’hospitalité, c’est aussi d’accueillir les visiteurs dans un bâtiment en matériaux renouvelables et recyclables, avec un site énergétique positif au sein du bâtiment, etc. Il faudrait éviter de se centrer sur « l’hospitalité dans le patrimoine ». Ou alors, autant organiser l’exposition dans les châteaux de la Loire…
Il est nécessaire d’intégrer le patrimoine et à chaque fois qu’on l’a fait, ce fut un vrai succès. Les gens sont ravis et flattés. En effet, vous les mettez au niveau des grands génies des années passées, qui ont su faire ces choses extraordinaires. Maintenant, ce n’est pas pour cela qu’il faut leur interdire d’avoir eux-mêmes de grandes idées et de faire de grandes choses.
Il faudra peut-être essayer de trouver un juste milieu. Mais on ne peut pas se contenter de dire qu’il faudra s’inscrire dans le cadre du patrimoine existant. D’autant plus, et ce sera mon dernier mot, que cela donnerait l’impression que l’on veut faire une exposition universelle au rabais.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci à vous tous.
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Cluzel, président de La Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP)
(Séance du mardi 23 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je suis heureux de vous accueillir, monsieur Cluzel, pour entendre votre avis sur la pertinence de la candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025 et sur la configuration que nous imaginons donner à cette exposition qui, coïncidant avec l’achèvement du réseau du Grand Paris Express, serait fondée sur le patrimoine existant dans le Grand Paris et au-delà, et sur les technologies numériques.
M. Jean-Paul Cluzel, président de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (Rmn-GP). Un établissement public tel celui que je préside est forcément intéressé par un projet qui tend à ce que de nombreux musées du monde s’exposent dans l’axe culturel du Grand Paris. Le Grand Palais, monument républicain, a été construit pour l’Exposition universelle de 1900. L’idée de centrer l’Exposition universelle sur le patrimoine existant et de le mettre en valeur est plaisante. La seule limitation qui s’impose à nous vous a été dite par mes collègues Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre et Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux : nous accueillons déjà un public fort nombreux et, à installations égales, le supplément de visiteurs que nous pourrions recevoir n’est pas très élevé. Quelque 10 millions de visiteurs viennent chaque année au musée du Louvre ; une fois l’accueil du public réaménagé, 12 millions pourront vraisemblablement être reçus. De même, si le Gouvernement avalise le projet de modernisation du Grand Palais et de réaménagement urbain de l’espace environnant, notre capacité moyenne d’accueil du public passera de plus de 12 000 à quelque 20 000 personnes. Selon les expositions, le Grand Palais et le Palais de la découverte reçoivent entre 2 et 3 millions de visiteurs ; nous pourrions alors en recevoir entre 4 et 5 millions, mais notre marge de progression ne va pas au-delà.
Or l’Exposition universelle de 1900 a reçu 52 millions de visiteurs, et celle de Shanghai, en 2010, plus de 73 millions. Tout dépend donc de l’objectif visé : veut-on accroître très sensiblement le flux naturel de visiteurs étrangers et français – ils sont 60 millions chaque année – ou choisit-on d’orienter le sens de leur visite en définissant un projet culturel, humain et politique fort ? Si l’on s’appuie sur les infrastructures existantes, le taux de fréquentation peut être accru, mais dans les proportions que j’ai dites ; c’est la seule limitation qui me vient à l’esprit.
J’aimerais rappeler ce qu’est la Réunion des musées nationaux – Grand Palais et ce qu’est le projet de sauvegarde et d’aménagement du Grand Palais. L’établissement public vit majoritairement de ses ressources propres, dont une part essentielle provient des activités événementielles organisées sous la nef : Biennale des antiquaires, Paris Photo, FIAC, défilés de mode… Nous organisons d’autre part des expositions dans les galeries. Notre mode d’exploitation des bâtiments peut donc poser problème ; en cas d’exposition universelle, on voudra bien sûr utiliser la nef, emblématique, mais la fermer pendant six mois à nos clients habituels, qui sont les grandes maisons de mode et les grands salons internationaux, c’est prendre le risque de les perdre. Le risque est d’autant plus réel que les travaux à venir imposeront la fermeture du monument pendant deux ans, l’achèvement des travaux ayant lieu en 2022 ; il serait malvenu de rouvrir en 2023 mais de devoir presque immédiatement fermer la nef à ces activités commerciales qui nous rapportent l’essentiel de nos ressources. La nef pourrait être utilisée lors de l’exposition, mais à des moments déterminés.
Plusieurs raisons rendent nécessaires de grands travaux au Grand Palais. La première est que lors de la restauration de la verrière, achevée en 2004, seule a été rénovée la partie de la toiture située au sud, et 20 000 mètres carrés restent à traiter. Il faut mettre l’ensemble hors eau et réparer les outrages dus au temps et au manque d’étanchéité en réhabilitant une série de sculptures et de ferronneries. La deuxième raison, cruciale au cas où se tiendrait une exposition universelle, est la nécessaire mise aux normes. Elle n’est pas acquise pour l’instant, qu’il s’agisse de la protection contre l’incendie ou de l’accès des personnes à mobilité réduite.
La troisième raison, c’est l’indispensable réaménagement du bâtiment. Lors de sa construction, en 1900, le Grand Palais était un ensemble cohérent et modulable. Le cloisonnement qui a eu lieu par la suite a pour effet que le passage entre le Palais de la découverte, la nef, les deux galeries nationales et les autres galeries plus récentes ne peut se faire que par l’extérieur. De plus, l’utilisation de chacun de ces espaces est subordonnée à celle des autres. Ainsi, faute de monte-charge ailleurs, il faut, pour apporter dans les galeries le matériel servant à installer les expositions, passer par la nef, et pour cela attendre qu’elle soit libre d’occupation. Cela entrave sérieusement la modulation de l’exploitation.
C’est pourquoi, lorsque le décret fusionnant la Réunion des musées nationaux et l’Établissement public du Grand Palais des Champs-Élysées a été pris, il m’a été demandé de présenter un schéma directeur permettant une exploitation normale. Ce schéma directeur devait combiner la sauvegarde du monument, sa mise aux normes, l’augmentation de sa capacité d’accueil et la réalisation de tout aménagement logistique permettant l’exploitation modulaire du bâtiment. L’ensemble peut déboucher sur un mode de financement des travaux original : l’État prendrait à sa charge la part des monuments historiques, mais l’établissement public pourrait vraisemblablement contribuer de manière significative à l’autofinancement des travaux puisque notre chiffre d’affaires qui est aujourd’hui, hors expositions, de l’ordre de 10 millions d’euros, pourrait passer, en euros 2013, à 20 millions d’euros, voire davantage. Ce projet capital et innovant accroîtrait donc une valeur ajoutée qui résulte pour 40 % de la mode et pour 30 % des foires et salons, activités françaises à la fois difficilement délocalisables et très tournées vers l’exportation. Il y a une très grande cohérence entre nos activités et un projet d’exposition universelle, en raison de l’histoire du Grand Palais mais aussi des activités qui s’y déroulent – expositions qui, parce que nous n’avons pas de collections permanentes, sont essentiellement produites grâce à des prêts d’œuvres venant du monde entier, ou activités événementielles, qui sont essentiellement le fait d’entreprises françaises dont le gros du chiffre d’affaires se fait à l’international.
Les architectes qui ont emporté le concours d’aménagement du Grand Palais ont proposé au Président de la République et à la Ville de Paris, la « piétonisation », ou du moins une circulation très douce entre le Grand Palais et le Petit Palais, et la suppression de l’avenue du général Eisenhower. On créerait ainsi une esplanade qui changerait la nature du quartier, et l’on peut imaginer qu’au cours d’une exposition universelle des événements symboliques majeurs s’y tiendraient, en plus des événements qui pourraient avoir lieu dans le bâtiment lui-même. Ce projet d’aménagement urbain concernerait aussi la partie des jardins jouxtant la présidence de la République, une idée à laquelle le président François Hollande s’est montré particulièrement ouvert. Le secrétaire général de la Ville de Paris m’a indiqué qu’un projet moins ambitieux, prévoyant une circulation plus douce avenue Marigny, avait rencontré l’entier assentiment de l’ancien président Sarkozy. Profiter du réaménagement nécessaire du Grand Palais pour modifier son environnement me semble une idée propice à des événements culturels et artistiques, à des spectacles d’art vivant dans l’esprit d’une exposition universelle, avec des intervenants français ou étrangers. Ce projet serait en soi un atout pour la candidature française, et j’espère que le Gouvernement prendra une décision définitive fin 2014 ou au début 2015, permettant ainsi l’achèvement de l’essentiel des travaux en 2022.
J’en viens aux questions que vous m’avez transmises par écrit, la première étant : « À quelles conditions une exposition universelle du XXIe siècle pourrait-elle à nouveau lier son histoire à celle du Grand Palais ? ». Ce lien est pour nous une évidence. Il y aurait, je vous l’ai dit, une difficulté à envisager un événement durant six mois sous la nef en évinçant notre clientèle habituelle ; mais pour tous les autres lieux du bâtiment, le problème ne se pose pas. Il y aurait donc des restrictions à son utilisation, mais je ne verrais que des avantages à organiser sous la nef, quand le calendrier le permet, des événements majeurs, puisqu’elle permet le déroulement de manifestations d’une certaine ampleur dans une ambiance bien différente de celle d’un grand stade. On peut aussi envisager une installation d’été à partir de la deuxième semaine de juillet jusqu’à la fin du mois d’août, période de l’année pendant laquelle nous avons moins de clients commerciaux. Nous pouvons aussi décaler la programmation habituelle des galeries nationales pour tenir pendant ce semestre-là au moins deux grandes expositions, produites par des pays invités ou en co-production avec de grandes institutions de ces pays, sur le modèle de ce qui sera fait à l’occasion de l’Année de la Corée ou de l’Année du Mexique en France.
On peut aussi imaginer des projections sur l’immense façade du Grand Palais, comme cela a été fait lors de la présidence française de l’Union européenne. On peut encore envisager installations artistiques et spectacles vivants sur la nouvelle esplanade, dans l’espace situé entre le Grand et le Petit Palais, entre les galeries nationales et les Champs-Élysées, ainsi qu’aux alentours des berges de la Seine, sur le Cours la Reine, l’esplanade des Invalides et le Champs de Mars. On peut réaliser en ces lieux qui ont le Petit et le Grand Palais pour centre des manifestations sensiblement différentes de ce qui a été fait ailleurs récemment.
« Faut-il envisager des pavillons hors les murs, en bordure ou en entrée de site, ou peut-on imaginer des installations éphémères dans les locaux mêmes ? » me demandez-vous aussi. J’ai noté que mes collègues Jean-Luc Martinez et Philippe Bélaval penchent en faveur du « hors les murs ». Nous sommes plus favorables à des gestes artistiques conçus comme autant de totems et de signes de piste pour un voyage urbain, marquant la réappropriation par le plus grand nombre d’une culture patrimoniale, contemporaine et numérique, qu’à des installations qui risqueraient d’être de petite taille et qui ne résoudraient pas complétement la question de la capacité d’accueil des visiteurs.
À l’occasion des expositions universelles de 1900 et de 1937, on avait largement construit, mais j’ai le sentiment que l’on répondrait mieux à l’approche différente retenue cette fois par des installations et des événements dans nos murs. Si la nécessité de monuments nouveaux se fait jour, elle trouvera sa réponse dans les gares du nouveau métro express, dont l’ouverture coïncidera avec la tenue de l’exposition universelle de 2025, et avec des projets tels qu’Europa City. Si l’on souhaite construire, mieux vaudrait se projeter du côté des nouvelles tours qu’envisage la Ville de Paris dans les arrondissements périphériques plutôt qu’aux abords de nos monuments – ce qui n’empêcherait pas de concevoir des installations éphémères destinées à la billetterie.
À ce propos, vous m’avez interrogé sur les moyens de conjuguer les réservations faites par les visiteurs depuis le portail numérique de l’exposition avec nos propres billetteries. En cette matière, les musées parisiens ont encore de grands progrès à faire et la possibilité d’une réservation unique n’existe pas. Mais je ne peux envisager que si le principe de l’exposition universelle était adopté, nous n’ayons pas mis au point d’ici 2025 un Pass unique : un prix d’accès à tous les musées serait fixé, et l’on répartirait les recettes au prorata des visiteurs reçus et des coûts engagés par chaque institution. L’autre solution, consistant à prévoir un billet pour chaque site en co-production avec l’organisme gestionnaire de l’exposition universelle, ne me paraît pas correspondre à l’esprit d’un tel événement ; la fragmentation de l’exposition impose au contraire un Pass général.
Faudrait-il confondre les visiteurs habituels et les visiteurs de l’exposition universelle ou séparer les files d’attentes ? Tout dépend des manifestations. Toutefois, il arrive que cinq événements, sinon davantage, se tiennent simultanément au Grand Palais, et le souci d’assurer la fluidité des flux nous incite généralement à prévoir des files d’accès séparées, même si le paiement se fait en une fois avec une carte magnétique ; cela facilite aussi les contrôles de sécurité, dont rien ne laisse à penser qu’ils iront s’allégeant.
Vous me demandez comment les pays invités pourraient s’exposer dans nos monuments. Puisque l’idée directrice est d’accueillir les pays exposants dans le patrimoine existant et que chacune des institutions considérées a une politique scientifique et culturelle affirmée, plutôt que de dire à tel ou tel pays « on vous offre 2 000 m² », il nous paraîtrait plus intéressant d’instaurer entre pays invités et institutions d’accueil un dialogue tendant à des co-productions à partir des thèmes retenus pour l’Exposition. Certains de mes collaborateurs suggèrent de lancer des concours d’idée pour définir ce que l’on attend de la Chine, du Mexique, de la Serbie… Un tel dialogue serait grandement facilité par les technologies numériques, qui ont fait évoluer le concept même de commissariat d’exposition.
Votre dernière question – quels thèmes choisir ? – n’est pas la plus facile. L’histoire des expositions universelles récentes montre que l’on a toujours mis l’accent sur la modernité et l’humanité, thèmes également évoqués de manière récurrente au long des auditions que vous avez menées. Cela étant, alors que nous réfléchissions à ce que représente Paris pour d’innombrables personnes dans le monde, Vincent Poussou, ici présent, a suscité l’enthousiasme de notre équipe en suggérant le thème de l’amour, du désir et du sentiment, que l’on pourrait résumer d’un trait : « Aimer hier, aujourd’hui, demain »… Le projet est de s’appuyer sur le patrimoine français et étranger – et l’amour, thème universel, est l’un de ceux qui ont été le plus souvent traités.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. La variété des sujets que vous avez abordés dit l’amplitude et la complexité d’un tel projet. À l’observateur averti que vous êtes, l’organisation d’une exposition universelle paraît-elle nécessaire ou de peu d’importance pour notre pays ?
M. Jean-Paul Cluzel. Dans ses Mémoires, la princesse Pauline de Metternich, ardente francophile, considérait qu’en organisant les expositions universelles de 1878 puis de 1889, la France signifiait qu’elle s’était relevée de la défaite de Sedan, et jugeait que le succès de l’exposition qui allait s’ouvrir en 1900 dépasserait tous les autres. On peut espérer que l’humeur du pays sera meilleure en 2025 qu’elle n’est aujourd’hui, mais tout projet susceptible de mobiliser les énergies est une bonne chose. On l’a vu au moment où s’est déroulée la Coupe du monde de football de 1998 : à l’époque, la France n’était pas en excellente forme, et l’événement a mis du baume au cœur. Vous souhaitez susciter une énergie durable par un projet patrimonial qui doit avoir une touche réelle de modernité. Elle viendra certes des nouvelles infrastructures de transport public du Grand Paris, mais il aussi est nécessaire, à mon sens, de prévoir deux ou trois constructions emblématiques marquantes, et des gestes urbains exemplaires. Ainsi, la réouverture du Grand Palais désormais entouré d’une centaine d’hectares ouverts au public et à des événements, en plein cœur de Paris, présentée dans la perspective de l’Exposition universelle, changerait les choses. On a vu combien la piazza située devant le Centre Pompidou est un lieu de lien social. Le Grand Palais et ses abords, la promenade autour de la Seine du Champs de Mars au Louvre et d’autres lieux bien choisis du Grand Paris peuvent, de la même manière, créer du lien social et des liens entre les citoyens du monde. De ce point de vue, c’est un très beau projet.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous envisageons pour ce projet un territoire en quatre dimensions. Il aura pour centre l’espace Tuileries - Grand Palais - Champs-Élysées – La Défense –Trocadéro – Champs-de-Mars – Invalides, qui formera le village global. Puis viendra le territoire du Grand Paris Express, avec des villages thématiques. Le troisième cercle sera celui des grandes métropoles situées à 1 ou 2 heures de Paris en TGV et le quatrième territoire sera numérique. Dans cette optique, notre approche est d’inscrire au programme de l’exposition universelle la longue série d’événements qui ont lieu chaque année à Paris, qu’il s’agisse du Mondial de l’automobile ou du Tournoi international de tennis de Roland-Garros ; ils prendraient alors une autre configuration. Pour autant qu’ils soient labellisés et s’engagent à faire un effort supplémentaire, les grands clients habituels du Grand Palais s’y retrouveraient-ils ?
Mme Marjorie Lecointre, directrice des événements et de l'exploitation du Grand Palais. La labellisation apporterait sans aucun doute une dimension supplémentaire à Paris Photo, à la FIAC, à la Biennale des antiquaires, au Saut Hermès… La démarche me semble tout à fait pertinente, relativement simple à mettre en œuvre, et je pense que les opérateurs auraient à cœur d’y participer.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Quels sont, des événements que vous accueillez, ceux qui attirent la plus grande proportion de visiteurs étrangers ? Sur un plan général, quelle est l’exposition internationale du Grand Palais ?
M. Jean-Paul Cluzel. La part de visiteurs étrangers à nos expositions est faible.
M. Vincent Poussou, directeur des publics et du numérique de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais. Elle est de l’ordre de 10 %, parfois 15 %.
M. Jean-Paul Cluzel. Cette proportion n’a donc rien à voir avec les 66 % de visiteurs étrangers reçus par le Louvre. Pour ce qui est des événements, il faut distinguer la proportion du chiffre d’affaires réalisé par des visiteurs étrangers et leur nombre. Ainsi, lors de la Biennale des antiquaires ou de la FIAC, l’essentiel du chiffre d’affaires est réalisé le premier jour, lors de la journée privée, et les exposants reçoivent de très nombreux étrangers. Cela tient au caractère particulier des marchés de l’art et à la valeur très élevée des pièces exposées. Mais si la FIAC ou Paris Photo se déroulait pendant l’exposition universelle, nul doute que, indépendamment des acheteurs, la fréquentation elle-même deviendrait plus internationale.
Mme Marjorie Lecointre. Paris Photo est l’exposition de photographie la plus importante au monde, et la FIAC figure parmi les trois principales foires d’art contemporain internationales. Ce serait pour ces deux salons un coup de projecteur supplémentaire.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le projet suppose de recenser une série de grands travaux de rénovation du patrimoine, qu’avec l’économiste Christian de Boissieu nous envisagerions de financer par un grand emprunt adossé aux recettes de l’exposition universelle et garanti par l’État. Qu’en serait-il pour le Grand Palais ? Quel est le financement des travaux à venir et quelles sont les limites auxquelles vous êtes contraints ?
M. Jean-Paul Cluzel. En valeur 2013, notre projet de rénovation est de quelque 130 millions d’euros pour la restauration du monument historique et de 170 millions d’euros pour la mise aux normes et la modernisation, auxquels il faut ajouter 40 millions d’euros pour les aménagements muséographiques du Palais de la découverte, soit 340 millions d’euros en tout. Cela paraît beaucoup, mais il faut, je vous l’ai dit, traiter 20 000 mètres carrés de toiture, ainsi que 70 000 mètres carrés de sols utiles. Pour réaliser ce projet considérable, il faudra combiner les crédits consacrés aux monuments historiques et l’autofinancement par le Grand Palais ; il reste un grand point d’interrogation pour ce qui concerne la muséographie et la modernisation de la partie du bâtiment occupée par le Palais de la découverte. C’est une des questions posées au Gouvernement, et nous espérons une réponse à la fin de l’année. Il y a au minimum 130 millions d’euros de crédits au titre des monuments historiques, à quoi s’ajoutent 150 millions d’euros au total avec Universcience. Parce que notre modèle économique est celui de la rentabilité, il va sans dire que plus l’État actionnaire nous apporterait de fonds propres, mieux nous nous porterions. Je pourrais donc puiser dans ce grand emprunt quasiment sans limite…
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Tous les acteurs impliqués dans le projet d’exposition universelle se proposent de mobiliser leurs réseaux de partenaires à travers le monde. Le Grand Palais a-t-il également d’un réseau de partenaires privilégiés parmi les sites équivalents ?
M. Jean-Paul Cluzel. De par sa taille, sa nef de verre et sa situation au cœur de la ville, le Grand Palais n’a pas d’équivalent au monde. Mais nous entretenons des relations continues avec des institutions culturelles étrangères très nombreuses – le Metropolitan, le Moma, le Whitney Museum, l’Ermitage… – et avec d’aussi nombreux collectionneurs privés, puisque nos expositions sont faites avec leurs prêts.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Sans avoir d’équivalent à proprement parler, le Grand Palais est, comme la Tour Eiffel, l’un des monuments phares des expositions universelles à travers le monde.
M. Jean-Paul Cluzel. Me viennent en effet à l’esprit l’Atomium à Bruxelles et le Pavillon chinois à Shanghai ; beaucoup de beaux monuments ont été détruits au fil des ans.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Avez-vous des archives relatives au Grand Palais en 1900 ?
M. Jean-Paul Cluzel. Quelques-unes.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Madame, messieurs, je vous remercie.
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « L’exposition universelle et la sécurité », avec des représentants du ministère de l’Intérieur : M. Benoît Trevisani, sous-directeur des services d'incendie et des acteurs du secours, M. Jean-Marie Caillaud, chef du bureau de la réglementation incendie et des risques courants, et M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience
(Séance du mercredi 24 septembre 2014)
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous recevons aujourd’hui, sur les sujets de sécurité et de sûreté, M. Benoît Trevisani, sous-directeur des services d’incendie et des acteurs du secours au ministère de l’intérieur, M. Jean-Marie Caillaud, chef du bureau de la réglementation incendie et des risques courants, et M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience.
Nous souhaiterions vous entendre sur l’organisation pendant six mois d’un événement tel qu’une exposition universelle, sachant qu’en l’espèce les pôles seraient disséminés, contrairement à ce qui s’est passé à Shanghai en 2010 ou à ce qui se passera à Milan en 2015. Seraient concernés le patrimoine au cœur de Paris, mais aussi celui des gares du Grand Paris ou d’autres métropoles françaises. Cela pose une série de questions sur la gestion des flux, sachant qu’il faut s’attendre à avoir entre 50 et 80 millions de visiteurs, sans remettre en cause la vie de tous dans la ville.
Quelles leçons tirez-vous des grands événements que la France a accueillis récemment ou est sur le point d’accueillir, comme l’Euro 2016 ?
M. Benoît Trevisani, sous-directeur des services d’incendie et des acteurs du secours au ministère de l’intérieur. Nous avons, au ministère de l’intérieur, deux sous-directions ayant à gérer ce genre d’événements : la sous-direction de la planification et de la gestion des risques – à laquelle appartient M. Drouet –, qui aura à connaître de l’aspect opérationnel de planification et de préparation de l’événement ; la sous-direction des services d’incendie et des acteurs du secours – que je dirige –, notamment son bureau de la réglementation incendie, qui établit et suit l’application de la réglementation incendie des établissements recevant du public.
Au sein de la première sous-direction, nous avons un chargé de mission, colonel des sapeurs-pompiers, en charge des grands événements.
Nous avons ainsi géré plusieurs grands événements, tels que les cérémonies du 70e anniversaire du débarquement en Normandie et en Provence, les Jeux mondiaux équestres, et nous travaillons en ce moment à la préparation de l’Euro 2016 en liaison avec la délégation interministérielle aux grands événements sportifs.
Nous disposons donc d’une expérience en la matière ainsi que d’un corpus juridique à la fois sur l’aspect opérationnel et sur celui de la réglementation incendie, que nous mettons en application en liaison avec l’administration déconcentrée du ministère de l’intérieur par le biais des préfectures.
La réglementation peut être adaptée en fonction des sites où se déroulent les grands rassemblements, sachant qu’il y aurait lieu en l’occurrence d’exploiter des éléments du patrimoine existant pour valoriser les cultures et les pays participant à l’événement.
M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience. La sous-direction de la planification et de la gestion des risques est un héritage de la direction de la prospective et de la planification de sécurité nationale, qui était interministérielle, placée auprès du secrétaire général du ministère et chargée de tous les plans de secours. Cette direction a été absorbée par l’ex-direction de la sécurité civile, qui est devenue la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, à laquelle mon bureau appartient.
Outre que celui-ci contribue à la préparation des plans de gestion de crise, il organise un certain nombre d’exercices, de retours d’expériences, et assure la coordination de la cellule interministérielle de crise, qui se situe au centre de crise Beauvau.
Nous avons géré depuis une dizaine d’années le sommet du G8 à Évian en 2003, la commémoration du 60e anniversaire du débarquement en Normandie et en Provence, le sommet de l’OTAN à Strasbourg et le sommet France-Afrique à Nice en 2007 et 2010, la coupe du monde de rugby, le sommet du G8 et du G20 à Deauville en 2011, la commémoration du 70e anniversaire du débarquement en Normandie et en Provence et les Jeux équestres mondiaux. Nous planifions par ailleurs l’Euro 2016 et la Rider Cup 2018, qui est le troisième événement planétaire.
Cela nous a conduits à définir une doctrine pour l’accueil de ces grands événements. L’articulation entre les services de l’État, les partenaires privés et les collectivités territoriales nécessitait en effet que l’on mette en place des process reconductibles d’un événement à un autre, en s’appuyant sur les bonnes pratiques. Nous avons ainsi élaboré en 2010 un guide pratique de préparation et de gestion des grands événements, qui a été diffusé par une circulaire du 3 août 2010 à l’ensemble des préfets de département, des préfets de zone de défense et de sécurité et des directions opérationnelles du ministère de l’intérieur et des autres ministères concernés.
Ce guide, que nous allons mettre à jour pour l’Euro 2016, repose sur quatre objectifs principaux : garantir la sécurité de l’événement et de la population ; réunir les conditions matérielles et organisationnelles pour assurer la réussite de l’événement ; limiter les nuisances pour la population, les acteurs économiques et l’environnement ; organiser la communication. Cela suppose, on le voit, une équipe d’organisation très vaste.
Pour préparer ce type d’événement, on s’appuie sur un dispositif de planification interministérielle en respectant les différents échelons : le préfet de département assure la responsabilité de la planification locale et le préfet de zone la coordination avec l’appui des structures spécifiques créées au sein des trois principales directions opérationnelles du ministère de l’intérieur – l’unité de coordination des grands événements au sein de la direction générale de la police nationale (DGPN), le centre de planification et de gestion des crises au sein de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la mission d’appui aux grands événements au sein de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.
Cette planification comporte trois composantes : un comité de pilotage assuré par un membre du corps préfectoral prépare la manœuvre en termes opérationnels, logistiques et de communication. En outre, des groupes de travail spécifiques se créent autour de lui sur des questions telles que l’hébergement ou les transports.
Ce dispositif s’appuie également sur notre organisation de la gestion des crises. On appréhende en effet l’événement comme une crise, c’est-à-dire quelque chose qui déstabilise l’organisation normale des services. On se place donc dans le schéma traditionnel de crise, avec les acteurs de la gestion de crise définis par les textes, c’est-à-dire les autorités publiques investies des pouvoirs de police administrative générale, à savoir le maire, le préfet de département, le préfet de zone et le Premier ministre, sachant que le premier échelon de gestion de crise est le préfet de département, avec le soutien des structures nationales que j’ai évoquées, la cellule interministérielle de crise assurant de son côté la coordination et le suivi général de l’événement.
Ces modes d’organisation sont par ailleurs préparés grâce à toute notre planification interministérielle de gestion des crises. Il s’agit au premier chef des plans gouvernementaux, qui ont pour objectif d’organiser la mise en œuvre de l’action de l’État en liaison avec les collectivités locales, les opérateurs et les citoyens face à un certain nombre de risques et de menaces identifiés, comme la menace terroriste. Nous disposons ainsi des plans pirate, tels que le plan Vigipirate, rénové cette année, ou des plans plus spécifiques comme le plan Piratair-Intrusair contre le terrorisme aérien – mis en œuvre pour la dernière fois lors du détournement de l’Airbus d’Air France entre Alger et Marignane – ou le plan Pirate-mer contre le terrorisme et la piraterie maritimes – appliqué en dernier lieu en avril 2008 lors de la prise d’otages sur un navire français au large des côtes somaliennes. Il s’agit aussi du plan Pirate-Ext, en cas de menace et d’attaque contre des ressortissants ou des intérêts français hors du territoire national, du plan Métropirate, en cas d’attaque dans les transports collectifs ferrés souterrains, du plan Pirate NRBC, qui est une fusion de trois plans préexistants contre toutes les attaques terroristes de type chimique, radiologique, bactériologique et nucléaire, ou bien du plan Piranet, contre les cyberattaques.
Nous avons parallèlement des dispositifs traditionnels contre des risques plus courants. C’est le cas du dispositif Orsec, organisant la réponse de la sécurité civile, qui a pour objectif de secourir les personnes et de protéger les biens et l’environnement en situation d’urgence. Il se décline aux niveaux départemental, zonal et maritime et repose sur un chef, le préfet, un réseau d’acteurs – les services de l’État, les collectivités territoriales et les opérateurs –, un recensement des risques et des capacités pour y répondre. Il s’agit d’un dispositif opérationnel, fondé sur une organisation générique et intersectorielle de gestion des événements.
Ces différents plans sont testés régulièrement et, chaque année, 500 exercices sont opérés par les préfets de département, parallèlement à quatre exercices majeurs nationaux organisés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), mobilisant l’ensemble des ministères. Cette année, ceux-ci ont porté sur le terrorisme et le prochain, qui a lieu dans deux semaines, concernera Piratair.
M. Jean-Marie Caillaud, chef du bureau de la réglementation incendie et des risques courants. Mon bureau est chargé de la réglementation incendie, quel que soit le type de bâtiment ou de structure provisoire amenée à être dressée dans le cadre de l’événement. Nous disposons d’un corpus pour les établissements recevant du public permettant de prévoir l’ensemble des scénarios possibles en fonction de la typologie du bâtiment et des adaptations éventuelles dont il fait l’objet.
Ce corpus correspond assez bien à ce qui pourrait être mis en œuvre pour l’exposition universelle en 2025, sachant que la réglementation évolue et tient compte des nouvelles technologies, des nouveaux matériaux et des derniers progrès de la science.
Des visites sont organisées sur place dans le cadre généralement de sous-commissions départementales présidées par le préfet, qui émet un avis. Puis l’autorité chargée du pouvoir de police spéciale, qui peut être le maire ou le préfet de police à Paris, délivre l’autorisation permettant l’utilisation du lieu.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Pour une opération prévue en 2025, le projet donnerait lieu à un vote en 2018, à la suite duquel serait mise en place une organisation inventoriant les sites mis à disposition et imaginant avec les pays les animations, expositions et projets divers envisagés. À quel moment interviendrez-vous ?
M. Yann Drouet. S’agissant des groupes d’accompagnement provenant des directions générales, il est recommandé, comme ce fut le cas pour l’Euro 2016, d’impliquer les experts des grands événements lors du dossier de candidature, afin d’éviter certains biais.
Pour la phase strictement opérationnelle de planification, il faut prévoir deux à trois ans de travail.
M. Benoît Trevisani. Pour les jeux Olympiques de 2012, nous avons été associés très en amont, soit dès le dossier de candidature, en 2004, la décision d’attribution ayant été prise en juillet 2005. Toutes les cellules spécialisées des trois principales directions opérationnelles du ministère de l’intérieur s’étaient réunies chaque mois. Tout cela a maintenant été formalisé dans le guide méthodologique.
Pour une candidature en 2018, les travaux pourraient donc commencer en 2015 ou 2016.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Le dépôt du dossier est prévu en 2016 pour un vote en 2018. Nous serons donc probablement amenés à vous solliciter dès 2015.
Une exposition organisée sur plusieurs sites pose par ailleurs la question des transports. Y a-t-il à cet égard des dispositifs, dispositions ou incompatibilités qui pourraient être intégrés dans nos réflexions, la sécurité dans les transports étant différente de celle des sites, puisqu’elle concerne à la fois les lignes, les véhicules et les personnes ?
M. Yann Drouet. Toutes les mesures relatives aux transports sont contenues dans le plan Vigipirate et on assouplit ou on durcit celles-ci en fonction de l’évaluation de la menace. Mais il est difficile de faire une telle évaluation onze ans avant.
Hier encore, du fait de la nouvelle menace de Daesh, des mesures complémentaires ont par exemple été prises dans les transports dans le cadre du plan Vigipirate, tendant à sensibiliser davantage la population et à favoriser des contrôles plus réguliers par les forces de police, les forces de sécurité de la RATP et la SNCF et les armées.
M. Benoît Trevisani. La problématique des transports et de la gestion des flux fait l’objet d’une planification très en amont. On réfléchit éventuellement à des moyens de transport dédiés pour les visiteurs sur les sites, notamment pour ne pas perturber le quotidien des personnes qui travaillent, et à des voies dédiées pour les services de sécurité et de secours. Nous tenons compte évidemment pour cela, en liaison avec les ministères et opérateurs compétents, de la nature des sites, de leur éloignement et de leur concentration.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Plusieurs dizaines de milliers de bénévoles sont mobilisés pour ce type d’événements afin de faciliter la gestion des flux, la sécurité, la prévention ou l’accompagnement de publics plus vulnérables. Quelle est la doctrine à cet égard en termes de qualifications, d’habilitations, de responsabilité ou d’encadrement ?
M. Benoît Trevisani. Nous avons 16 associations agréées en sécurité civile en France, dont la Croix-Rouge, la SNSM, la Fédération nationale de protection civile, le Secours catholique, l’Ordre de Malte ou la Croix-Blanche.
Ces agréments sont délivrés pour trois ans par le bureau compétent de ma sous-direction. Ils valident la capacité de ces associations à remplir certains types de missions. On peut en distinguer quatre types principaux, classés de A à D. Les missions de type A correspondent ainsi aux opérations de secours et les missions de type D aux dispositifs prévisionnels de secours (DPS), qui s’appliquent pour de grands rassemblements, tels que le Teknival de Cambrai de 2013.
Ces missions sont réglementées et des conventions nationales doivent être déclinées au niveau départemental.
Les bénévoles de ces associations, qui sont formés aux premiers gestes de secours, sont entre 180 000 et 190 000 personnes, avec un noyau dur de 70 000 personnes, qui travaillent notamment à Paris avec la brigade des sapeurs-pompiers.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. A-t-on eu des équipes dédiées pour l’orientation ou la gestion des flux notamment ? La Chine a par exemple créé une académie dédiée lors de l’organisation de son exposition.
M. Benoît Trevisani. Les bénévoles que j’évoquais ont une compétence spécifique pour le secours. Les dispositifs d’accueil, d’orientation ou d’accompagnement des visiteurs seraient en l’espèce à discuter en liaison avec les organisateurs.
M. Yann Drouet. Il existe des restrictions sur le volet secours comme sur le volet sécurité. En effet, le secours est réglementé, de même que les activités de protection et de sécurité : tout ce qui a trait au filtrage des flux et aux agents de sécurité doit être agréé par l’État – le conseil national des activités de protection et de sécurité. Il s’agit de professions normées nécessitant un certificat de qualifications professionnelles.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Aux jeux Olympiques de Londres, les forces armées étaient très présentes. Quelle est la doctrine en France sur ce point ? Dans quelle mesure l’armée peut-elle être mobilisée ? Cette mobilisation peut-elle être systématique ou planifiée ?
M. Yann Drouet. Sans faire de pronostic sur les effectifs de l’armée en 2025, à l’heure actuelle, on peut planifier le soutien de celle-ci lorsque c’est nécessaire et que les autres services de l’État sont indisponibles. Une circulaire du Premier ministre prévoit qu’en cas de crise majeure, l’armée est capable de mobiliser 10 000 hommes en 48 heures en soutien des dispositifs traditionnels. Ce fut le cas par exemple, dans une proportion moindre, à l’occasion du 70e anniversaire du débarquement.
M. Benoît Trevisani. On applique à cet égard ce qu’on appelle le principe des « bulles » infranchissables, pour lesquelles nous avons le soutien des armées. Il s’agit notamment de mesures actives de sûreté aérienne, avec d’éventuels moyens dédiés comme des hélicoptères.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Une exposition universelle est un événement international, compte tenu du nombre de visiteurs étrangers et des quelque 200 000 exposants provenant de 170 à 180 pays. Quelle coopération avez-vous avec les pays étrangers et leur représentation diplomatique en France ? Avez-vous monté des coordinations avec eux dans la planification de l’événement ?
M. Yann Drouet. Nous avons pu mener ce type de coopération par le biais d’organisations internationales comme l’OTAN, l’ONU ou l’Union européenne. Mais je n’ai pas d’exemple à cet égard dans un cadre bilatéral.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Pour l’Euro 2016, par exemple, est-il prévu des réunions avec l’ensemble des pays et équipes qui y participent ?
M. Benoît Trevisani. On ne connaît pas encore les équipes…
M. Yann Drouet. . Aux jeux Olympiques de Londres, les forces armées étaient très présentes. Quelle est la doctrine en France sur ce point ? Dans quelle mesure l’armée peut-elle être mobilisée ? Cette mobilisation peut-elle être systématique ou planifiée ?
M. Yann Drouet. Sans faire de pronostic sur les effectifs de l’armée en 2025, à l’heure actuelle, on peut planifier le soutien de celle-ci lorsque c’est nécessaire et que les autres services de l’État sont indisponibles. Une circulaire du Premier ministre prévoit qu’en cas de crise majeure, l’armée est capable de mobiliser 10 000 hommes en 48 heures en soutien des dispositifs traditionnels. Ce fut le cas par exemple, dans une proportion moindre, à l’occasion du 70e anniversaire du débarquement.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Nous devrons montrer, lors du dépôt du dossier de candidature, que nous avons des dispositifs nous permettant d’avoir une bonne anticipation des risques. Avez-vous des personnes travaillant sur l’évolution du risque et les technologies permettant de gérer les flux plus rapidement ? Quel travail de prospective mènent vos administrations, de nature à montrer que la France a, par rapport à d’autres pays, une véritable capacité d’anticipation ?
M. Benoît Trevisani. Cette fonction est remplie par le SGDSN, notamment la direction de la sécurité de l’État et, en son sein, la sous-direction de la prospective et de la planification de sécurité, qui réfléchit sur les futures menaces et les réponses que l’on peut y apporter, tant en termes de planification que d’équipements – comme les drones ou ce qui relève de la morpho identification. La sous-direction de la planification travaille en liaison avec ces services.
M. Yann Drouet. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, le Parlement sera informé du travail de prospective mené notamment sous l’égide du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et dans le cadre du contrat général interministériel, qui avait pour but de définir les capacités pivots de l’État pour répondre aux risques actuels et prévisibles.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Messieurs, je vous remercie.
Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Dalstein, directeur exécutif d’Europa City, et de Mme Sophie Delcourt, directrice du marketing et des partenariats
(Séance du lundi 6 octobre 2014)
M. Bruno Le Roux, président. Les dernières auditions que nous avons menées nous ont conduits à nous interroger sur la dimension novatrice que devait revêtir une exposition universelle. Or, si nous avons souhaité vous auditionner, c’est non seulement au sujet du projet Europa City que vous menez en tant que directeur du développement du groupe Auchan après avoir exercé jusqu’en 2007 des responsabilités dans le cadre du renouvellement urbain de Paris puis auprès du ministre de la culture, mais surtout quant à votre manière d’anticiper l’avenir de nos modes de consommation. Selon vous, comment préparer une exposition universelle aussi longtemps à l’avance ? En effet, lorsque l’on essaie de prévoir quelque chose qui n’existe pas encore, on se retrouve en décalage avec à la réalité.
M. Christophe Dalstein, directeur exécutif d'Europa City. Je laisserai Sophie Delcourt, directrice du marketing et des partenariats, vous présenter notre manière de concevoir le projet Europa City, nouveau quartier du Grand Paris à l’échéance de 2025 et répondre à votre question. À l’heure où les choses se démodent de plus en plus vite, nous travaillons à la conception d’un projet majeur qui soit en phase avec nos modes de vie.
Mme Sophie Delcourt, directrice du marketing et des partenariats d’Europa City. Innover est une tâche à la fois complexe et risquée. Il nous faut pouvoir imaginer à quoi ressembleront nos modes de vie et nos envies dans dix ans. Pour y parvenir, l’étude des grandes tendances de fond constitue un outil très utile, nous permettant d’appréhender non pas des détails, mais de grandes orientations. C’est de cette manière que toute l’équipe de notre projet réfléchit afin d’inscrire ce nouvel espace dans le temps à venir d’ici dix ans.
Premier élément qui bouleverse de façon accélérée nos modes de vie aujourd’hui, la révolution digitale fait émerger une nouvelle donne qui apparaîtra à l’horizon d’une dizaine d’années. Cette révolution change tout d’abord les individus, non seulement en leur apportant de nouveaux outils, mais surtout en leur conférant une nouvelle façon de se penser. Armés de ces outils, les individus ont l’impression de pouvoir prendre le pouvoir – d’en avoir à la fois la légitimité, la capacité et la puissance. Les individus se sentent le droit et la compétence de le faire et savent que seuls, ou organisés en réseau, ils ont la possibilité de s’emparer de l’ensemble des domaines de la vie qui les intéresse, de manière à la fois exhaustive et éclectique, de s’organiser, de faire entendre leur voix et, à leur échelle, de faire changer les choses.
Le deuxième élément que modifie cette révolution digitale, c’est notre besoin d’être ensemble : nos vies sont digitalisées, numérisées, codées. Nous avons donc de plus en plus besoin d’assouvir notre besoin fondamental d’être humain – celui d’être ensemble, de sentir la proximité, la créativité et l’empathie, de réinvestir autour de nous ce qui est matériel et tangible et de cesser de vivre cette existence virtuelle ne répondant pas à nos besoins d’avant la technologie.
Notre projet constitue une tentative de réponse, aussi partielle soit-elle, à ce grand changement qu’est l’avènement des sociétés du temps libre. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons vécu dans des sociétés du temps contraint – soit par notre besoin physiologique de nous nourrir et de dormir soit par notre temps de travail qui organisait l’ensemble de notre temps. Jean Viard, sociologue et grand spécialiste de la question du temps choisi, avec lequel nous travaillons très régulièrement, nous apprend qu’au cours d’une vie moyenne de 700 000 heures, nous travaillons pendant 70 000 heures seulement pour avoir droit à une retraite. Le temps libre devient donc majoritaire. Au quotidien, l’INSEE estime que notre temps libre représente cinq heures par jour. Et, parce qu’il est majoritaire, il va aussi devenir le temps normatif : il va produire pour la société du futur les nouvelles normes et les nouveaux rituels.
Cette société du temps libre fait aussi émerger l’envie d’enrichir celui-ci au maximum. On a en effet l’impression que c’est au cours de ce temps-là que l’on s’épanouit et que l’on laisse vivre sa personnalité – qu’il est le « temps pour faire notre bonheur ». Il est donc très important pour les individus de l’investir émotionnellement et physiquement. C’est à partir de cette société du temps libre qu’il faut inventer la nouvelle façon dont nous allons vivre la ville et les espaces, réorganiser la société de consommation et la manière dont nous vivons avec les autres.
Émerge également une société de l’amateurisme, au sens propre et noble du terme : une société des gens qui aiment et se consacrent à leurs passions, une société dans laquelle nous nous consacrons à ce qui nous est agréable, ce qui nous fait envie, ce qui nous plaît. Nous allons devenir des êtres de plaisir.
Paradoxalement, alors que notre temps libre devient majoritaire, nous avons le sentiment qu’il est rare, notre vie s’étant beaucoup accélérée du fait de la technologie et du fait que nous soyons en relation avec un nombre croissant de personnes. Faisant l’objet de plus en plus de sollicitations par unité de temps, nous avons besoin d’obtenir des réponses à nos envies qui soient denses en termes d’offre d’activités rassemblées dans un même lieu et un même temps. Nous voulons être partout et tout faire à la fois. Enfin, ce besoin fondamental d’être ensemble ressurgit pendant ce temps libre : nous voulons y être avec les autres, mais sans abolir notre individualité et donc pouvoir faire tous des choses différentes ensemble.
Nous assistons à la naissance de l’« économie expérientielle ». Jusqu’à présent, nous avons connu grosso modo trois grandes phases économiques : le temps de la production primaire des matières brutes ; celui de l’industrialisation et de la fabrication de produits manufacturés ; enfin, le temps tertiaire fondé sur la fourniture de services. Or, sous l’impulsion du phénomène que je viens de décrire, nous voyons émerger une « économie expérientielle » – système dans lequel la valeur ajoutée ne réside plus dans le bien ou le service mais dans l’expérience émotionnelle, intellectuelle et sensorielle que fait vivre la consommation. Loin de se substituer à l’économie des biens et services que les marques et les entreprises vont devoir continuer à produire, cette économie expérientielle s’y ajoute. Mais l’expérience vécue est ce qui va faire la différence pour le consommateur. Le consommateur devient co-auteur : ce qu’il recherche et ce qui fait qu’il va s’intéresser à un bien ou un service, c’est l’expérience. Cela signifie que tout passe par sa subjectivité. Le consommateur se place au centre de l’expérience et demande à ce titre aux marques de s’intéresser à lui en tant qu’individu aux multiples facettes, dans ses rôles familial et citoyen.
Le comportement des marques évolue également : auparavant, celles-ci produisaient des biens et des services. Aujourd’hui, elles deviennent des médias, c’est-à-dire des émetteurs de contenus, de narrations, de sensations, de créations de liens et d’événements qui tous sont gratuits. Les marques offrent une expérience pour pouvoir ensuite monétiser des biens et services.
Cela aboutit à une remise en cause totale de la notion de magasin physique en tant que lieu de distribution et d’achat. Dans un monde où l’achat est complètement dé-corrélé de la présence ou de l’absence en magasin du consommateur, du co-auteur, où le commerce contraint et les courses hebdomadaires vont être automatisés grâce au numérique et au digital – au sens où notre réfrigérateur fera les courses lui-même –, je n’aurai plus qu’une seule raison d’aller en magasin : le plaisir que je vais y trouver, l’expérience que les marques vont pouvoir m’y faire vivre. Le magasin est voué à devenir une scène d’expression, un lieu de rencontre où le consommateur vivra une expérience inouïe ayant pour but son plaisir et non sa nécessité. Le commerce va donc entrer demain dans l’ère du loisir et de « l’expérientiel ».
M. Christophe Dalstein. C’est en nous fondant sur ces analyses que nous construisons pas à pas le projet Europa City, dont nous avons l’ambition de faire un nouveau quartier, un lieu de vie dont nous allons vous détailler le programme. Il s’agit d’un projet d’initiative et de financement privé qui s’inscrit depuis sa genèse dans l’ambition du Grand Paris. Localisé au sein de l’Île-de-France, ce projet est porté par le groupe Auchan – groupe familial d’une cinquantaine d’années qui a accompagné depuis sa création l’évolution de nos modes de vie. Après-guerre, les ménages ont eu accès à un réfrigérateur et à une voiture, si bien que, pour la première fois dans l’histoire, on a cessé de faire ses courses au quotidien pour pouvoir ne les faire qu’une fois par semaine. C’est grâce à ce progrès que sont nés les concepts de supermarché, d’hypermarché et de centre commercial de périphérie. Aujourd’hui, nous souhaitons créer un nouveau lieu dédié à cette diversité d’expériences et non plus un projet qui soit centré sur une grande offre de produits. Nous abordons ce projet avec des convictions fortes, mais sans certitude, car il est de nombreux sujets sur lesquels nous savons que nous ne savons pas. Nous avons donc dès l’origine souhaité instituer des dispositifs de co-construction avec des partenaires publics et des experts qui viennent nous interroger systématiquement quant à la pertinence de ce projet, à sa dimension sociétale et à sa capacité de correspondre, à l’échéance de 2025, à nos modes de vie et aux envies de ses visiteurs.
Cela nous a conduits à imaginer un projet qui soit centré sur l’homme, tant afin de satisfaire ses envies que de faciliter son accès au site. C’est pourquoi nous avons choisi d’implanter notre projet au cœur du futur réseau d’infrastructures de transports en commun. Ce projet doit être à la fois un lieu de destination et un lieu de passage immédiat et aisé
– compte tenu de la tendance actuelle au zapping qui nous fait vouloir tout, tout de suite, partout. Pour ce faire, notre programme se veut un alliage inédit de commerces, d’équipements de loisir, d’équipements culturels, d’hôtels et d’espaces publics. Le projet se situe dans le nord-est de l’Île-de-France, entre les aéroports du Bourget et de Roissy, en zone urbaine dense, mais à la limite de la zone agglomérée de l’Île-de-France, à un endroit où l’on jouit d’un point de vue exceptionnel sur le cœur de la métropole. Notre programme allie la densité urbaine à un projet de paysage. Notre ambition est d’en faire une destination pour tous les publics, qu’ils soient franciliens, français ou internationaux. Car Paris, première destination touristique mondiale, va être confronté dans les années à venir à un enjeu majeur : il va lui falloir être capable de renouveler les conditions d’accueil des touristes qui attendent de son hôtellerie qu’elle soit plus en phase avec celle du reste du monde.
Notre projet se développe sur 80 hectares au sein d’un programme d’aménagement de 280 hectares porté par la puissance publique dans le triangle de Gonesse, en bordure de l’aéroport du Bourget, en face du site de PSA-Aulnay, actuellement en reconfiguration, près des autoroutes A1 et A3. Notre projet de paysage, conçu par l’architecte Bjarke Ingels, est directement relié à la future station du Grand Paris prévue à cet endroit sur la ligne 17. Ce projet s’inscrit dans un territoire stratégique, situé dans le Val-d’Oise mais en bordure de la Seine-Saint-Denis. Sa concrétisation n’aurait pas été possible si les pouvoirs publics n’avaient pas eu la volonté de développer des projets d’infrastructure du Grand Paris. Or, la ligne 17 reliera directement Pleyel à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle en passant par le triangle de Gonesse, le parc des expositions de Villepinte et l’aéroport du Bourget. Notre projet constitue un enjeu majeur pour la dynamique de territoire. Nous l’abordons selon un axe de développement économique allant de La Défense à Pleyel puis Roissy, axe directement relié aux infrastructures de transport en commun à venir ainsi qu’aux infrastructures routières existantes. Notre objectif est de faire de ce programme un projet de territoire qui réponde aux attentes des habitants, sachant que ce territoire est densément habité.
Je conclurai mon propos en vous présentant une courte vidéo qui vous permettra de vous projeter à l’intérieur d’Europa City, dont l’objectif est de devenir une vitrine du Grand Paris.
M. Bruno Le Roux, président. Selon le directeur du Futuroscope, que nous avons reçu il y a peu, le fun shopping n’a produit pour l’instant aucun résultat concluant dans les endroits où il s’est développé. Or, vous semblez fonder votre projet non sur des technologies de demain que l’on ne connaîtrait pas aujourd’hui, mais sur une technologie qui occupe déjà une place prépondérante dans nos vies, permettant d’effectuer à distance ce que l’on accomplit aujourd’hui en se déplaçant. Vous créez par conséquent une offre de loisirs correspondant à ce que vous pensez être demandé. En quoi votre projet diffère-t-il du fun shopping ?
M. Christophe Dalstein. Les différents sites de fun shopping que nous avons observés dans le monde ne présentent pas l’équilibre de fonctions que nous projetons : ces lieux sont dédiés à 80 % au commerce et à 20 % aux loisirs. Or, dans notre projet, le commerce représente le tiers des surfaces, le deuxième tiers étant dédié aux équipements de loisir et de culture et le troisième, aux hôtels. Les quartiers de notre projet ne s’inspirent pas de la tendance au fun shopping : nous visons à créer une multitude d’expériences vers lesquelles on viendra par envie, le commerce n’en étant qu’une des composantes. Parce que la zone d’attractivité du projet s’étend à l’Île-de-France, les principales motivations pour le visiter résideront dans l’offre de loisirs et d’équipements culturels et événementiels – l’enjeu étant pour nous la différenciation avec ce qui existe déjà dans Paris.
Mme Sophie Delcourt. Sous l’impulsion de la révolution digitale, nous vivons à une époque révolutionnaire où le monde tel que nous l’avons connu disparaît au profit d’un monde nouveau encore inconnu. Le fun shopping correspond à des idées du monde d’avant. Or, nous essayons, nous, de travailler sur le monde à venir. Le problème du fun shopping, c’est qu’il n’a donné lieu qu’à des changements d’ordre cosmétique, le concept n’ayant pas été poussé jusqu’au bout. Nous avons évoqué la force d’attraction du loisir et de la culture pour inventer un type de commerce complètement nouveau : or, dans le fun shopping, on n’a fait qu’ajouter une touche d’expérientiel et d’amusement. Ce n’était que du maquillage. Le consommateur, en tant que co-auteur, est aujourd’hui frustré car ce qu’il veut n’existe pas encore. Si le concept de fun shopping peine à se répandre, c’est qu’il n’est qu’une rustine sur des bateaux qui prennent l’eau. Qui souhaite faire du commerce aujourd’hui doit accepter d’être dans la rupture totale et de se jeter dans le vide. Car le magasin physique perd sa raison d’être – en tant que lieu de distribution et d’achat tel qu’on l’a toujours connu. Cela stresse les marques et les entreprises qui ne savent plus évaluer son utilité ni sa productivité. Le fun shopping a été une sorte de réponse transitionnelle mi-chèvre mi-chou. Nous estimons donc que notre projet, fondé sur l’innovation de rupture, est très différent du fun shopping.
M. Bruno Le Roux, président. Comment analysez-vous les réticences des défenseurs de l’environnement à l’égard d’un projet de ce type ? S’expliquent-elles par le fait que vous n’auriez nullement pris en compte le développement durable dans votre programme ? Ou ces personnes dénoncent-elles plutôt un nouvel avatar de la société de consommation ?
M. Christophe Dalstein. Dès l’origine, nous avons eu conscience que le projet que nous portions, parce qu’il rompait avec l’existant, soulevait des interrogations légitimes. C’est pourquoi nous avons saisi très en amont la Commission nationale du débat public afin d’organiser un débat public dans un cadre démocratique et ainsi de permettre à toutes les parties prenantes de s’exprimer.
Premier aspect à susciter l’interrogation, nous venons développer un projet sur un territoire aujourd’hui non urbanisé. Or, comme vous le savez, c’est la puissance publique – et en l’occurrence, la région Île-de-France – qui décide de l’affectation des sols. C’est elle qui a voté en octobre 2013, réitérant sa décision de septembre 2008, l’urbanisation de 300 hectares du triangle de Gonesse sous réserve de l’arrivée des transports en commun sur le site. Or, cette arrivée ne fait aucun doute puisque le Premier ministre, dans une communication en Conseil des Ministres le 9 juillet dernier, a annoncé l’accélération du calendrier de la ligne 17, allant de Pleyel à Roissy en passant par le triangle de Gonesse. Si la question de l’urbanisation de ce territoire se pose, ce n’est pas nous – qui ne sommes pas propriétaires d’un seul mètre carré de terrain et qui nous inscrivons dans une opération publique d’aménagement – qui pouvons y répondre mais ceux qui l’ont décidée. Les villes concernées par ce projet d’aménagement sont celles de Garges-lès-Gonesse, Sarcelles, Villiers-le-Bel, Drancy et Sevran – territoires qui connaissent des difficultés sociales importantes et dont la région a choisi de favoriser le développement économique. Dans le cadre du débat public à venir, ce sont donc les représentants de l’État et de la région qui pourraient répondre à cette première interrogation.
S’agissant des questions d’environnement et de développement durable, la taille de notre projet est un atout qui nous permet de recourir à des technologies innovantes. Car, de même que nous réfléchissons à l’évolution de nos modes de vie, nous travaillons sur l’impact environnemental d’un tel projet. Aujourd’hui, nous sommes en mesure d’affirmer que l’ensemble de l’énergie nécessaire à celui-ci sera produite sur place et que la totalité des besoins en eau non potable sera couverte grâce à la récolte et au recyclage des eaux pluviales dans une usine d’épuration incluse dans le projet. Ce dernier est donc exemplaire du point de vue environnemental.
En outre, dans la mesure où le développement durable n’inclut pas seulement l’environnement, mais aussi la responsabilité sociale et économique, sachez que notre projet est créateur de 11 500 emplois directs. Nous travaillons aussi aujourd’hui avec la chambre de commerce et d’industrie de la région Île-de-France afin d’instituer les dispositifs de formation qui permettront de préparer les habitants de la Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise aux emplois que nous créerons. Notre objectif est de pouvoir assumer notre responsabilité en matière de développement durable et présenter un projet exemplaire du point de vue environnemental, social et économique.
Enfin, notre projet présente une dimension de centralité : ce lieu sera ouvert à tous les publics et librement accessible alors que le territoire est aujourd’hui morcelé, d’une part, par la présence des aéroports du Bourget et de Roissy et par les zones logistiques et, d’autre part, parce que les grands ensembles ne constituent pas une ville. Les habitants du nord-est de l’Île-de-France, les Franciliens et les touristes pourront ainsi se retrouver ensemble en un même lieu.
M. Bruno Le Roux. Il était annoncé ce matin à la radio que Disneyland Paris serait recapitalisé. Ce parc d’attractions correspond-il, selon vous, au « monde d’avant » ?
Mme Sophie Delcourt. Europa City est un modèle du monde digital que nous allons placer dans le monde physique : lorsque vous ouvrez votre tablette ou votre téléphone, une diversité d’icônes s’affiche sur votre écran d’accueil, correspondant à la diversité de vos centres d’intérêt. Europa City constitue une façon de placer cet écran d’accueil dans le réel et, donc, d’y ajouter cette touche inestimable nous permettant de vivre tous nos centres d’intérêt avec les autres et dans le monde physique. Cela reste différent de l’expérience, aussi augmentée soit-elle, que peut nous offrir le virtuel. Disneyland Paris correspond à un modèle plus ancien proposant une unicité d’expériences. Quoi que vous fassiez à Disneyland Paris, vous faites ce qui a été prévu pour vous. Europa City propose une multiplicité d’expériences qui partent de vous en tant qu’individu : vous pouvez vous rendre trois fois dans l’année à Europa City et y effectuer à chaque fois trois activités complètement différentes. À l’inverse, vous ne ferez qu’une seule expérience à Disneyland Paris. Je pense donc en effet que ce parc d’attraction répond à un modèle ancien.
M. Bruno Le Roux. Nous souhaiterions proposer une candidature française à l’exposition universelle qui puisse s’appuyer sur un nouveau type d’exposition, tenant compte de ce qu’est Paris. Une exposition qui soit celle du Grand Paris et qui soit multi-sites, avec des possibilités de passage. Europa City se trouvant au centre du nœud de transports dont nous recommanderons de ne pas différer et, si possible, d’accélérer les investissements, votre projet pourrait-il avoir un retentissement particulier dans le cadre d’une exposition universelle, non seulement pour la zone du Grand Paris mais pour le site même ?
M. Christophe Dalstein. Notre projet est lié à la temporalité du métro du Grand Paris. Par conséquent, toute accélération de la ligne 17 sera la bienvenue. Nous avons d’ailleurs appris avec beaucoup de satisfaction les arbitrages du Premier ministre accélérant la totalité de la ligne 17 pour 2024. Est prévue la desserte du site du triangle de Gonesse par deux gros projets d’infrastructures : à partir de 2020, le barreau de Gonesse, qui correspond à un tronçon du RER D et la ligne 17 du métro, prévue pour 2024. Aujourd’hui, le développement de notre projet nous permet d’ouvrir Europa City en 2021 ou en 2022.
Nous souhaiterions pouvoir défendre à vos côtés la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025, sachant qu’un projet comme le nôtre, vecteur d’innovation et de rupture, sera le principal équipement nouveau en Île-de-France à cette échéance. Ainsi prévoyons-nous par exemple dans notre projet plus d’une dizaine d’hectares d’espaces publics extérieurs permettant l’accueil d’activités événementielles. Nous pourrons donc imaginer des grands rassemblements et des concerts en extérieur pouvant accueillir jusqu’à 15 000 personnes.
M. Bruno Le Roux. Selon les étudiants que nous avons fait travailler sur l’exposition universelle, ses visiteurs seraient des « expérienceurs » – ce qui rejoint votre concept de « consommacteurs ».
Je vous remercie pour ces éléments qui nous permettront de conférer une dimension matérielle au site de l’exposition universelle dans le rapport que nous rendrons public dans quelques semaines. Pour nous, il importe de disposer d’un lieu tel qu’Europa City, au nord de Paris, déjà prêt à accueillir des manifestations.
Audition, ouverte à la presse, de M. Hugues de Jouvenel, président de Futuribles International, consultant international en prospective et stratégie
(Séance du lundi 6 octobre 2014)
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. Ayant auditionné diverses personnalités, des historiens, des économistes, des chefs d’entreprise, des organisateurs de grands événements sportifs, des responsables du Bureau international des expositions (BIE), des dirigeants de sociétés de transport, il a semblé au président Fromantin – qui s’excuse de ne pouvoir être présent – et à moi-même inconcevable que la mission d’information achève ses travaux sans que nous ayons tenté d’imaginer ce que sera 2025. D’où l’invitation que nous vous avons adressée et que je vous remercie d’avoir acceptée compte tenu de vos responsabilités de rédacteur en chef de la revue Futuribles, dont vous êtes aussi le fondateur, et de consultant international.
Nous aimerions vous entendre sur l’avenir des modes de consommation – à propos desquels nous venons d’auditionner les responsables d’Europa City –, mais aussi celui des modes de vie, des valeurs, de la physionomie des villes, afin de nourrir nos propositions en vue d’orienter au mieux la candidature de la France. Comment voyez-vous 2025 ? En la matière, la science-fiction n’a guère d’intérêt, mais comment envisager l’avenir de manière à donner toutes ses chances à la candidature de notre pays, d’ici quelques mois ?
M. Hugues de Jouvenel, président de Futuribles. Merci de votre invitation. Je commencerai par dire quelques mots de la prospective – le mot, à la mode, recouvre des pratiques assez diverses –, avant d’en venir aux tendances qui permettent d’esquisser l’éventail des possibles.
Le terme de prospective, dans son emploi actuel, est dû à Gaston Berger, qui l’utilise pour la première fois dans un article de 1957. Il y dit que lorsque l’on raisonne sur l’avenir, on a tendance à s’appuyer sur des précédents, des analogies ou des extrapolations, bref à prolonger les tendances observées dans le passé, alors que nous sommes dans un monde où tout change, où tout va de plus en plus vite, où les incertitudes s’accroissent, de sorte qu’à côté de ces procédés d’inspiration rétrospective il va nous falloir développer une attitude prospective.
En France, on attribue donc souvent à Gaston Berger la paternité de la prospective moderne. Pour moi, ce que l’on appelle aujourd’hui prospective a plutôt débuté aux États-Unis, sous l’impulsion du président Roosevelt, puis après-guerre, sous l’effet de préoccupations essentiellement stratégiques, marquées par une très grande attention aux technologies de sécurité et de défense, tout spécialement à la bombe atomique. À la fin des années 1940 a été créée la RAND Corporation, qui, sous la houlette de Herman Kahn et de quelques collègues, a développé de nombreuses méthodes de prospective, depuis lors améliorées, modifiées, diversement adaptées, dont la méthode des scénarios ou la méthode Delphi.
En Europe, la prospective se développe plutôt à partir de la fin des années 1950. Outre Gaston Berger, on cite souvent à ce propos mon père, Bertrand de Jouvenel, qui fonda en 1960 le Comité international Futuribles, et Pierre Massé, président d’EDF, qui venait alors d’être nommé commissaire général au Plan et auquel le Premier ministre demanda en 1962 d’explorer ce qu’il pourrait advenir au cours des vingt années suivantes, en vue d’éclairer le Plan à cinq ans. C’est aussi l’époque où se développent en France, sous l’impulsion d’une DATAR puissante dirigée par Olivier Guichard, les grands exercices de prospective, dont le plus connu, Scénarios de l’inacceptable. Une image de la France en l’an 2000, demeure une référence aujourd’hui.
Les États-Unis et la France ne sont pas les seuls à emprunter cette voie, sur laquelle les suivent d’autres pays européens, le Japon, puis d’autres pays du monde, qui aujourd’hui se réfèrent à la prospective, au foresight, à la prévision, confondant souvent, d’ailleurs, ces différents termes.
S’il fallait résumer la prospective telle que nous la pratiquons à Futuribles et telle qu’elle me paraît pouvoir nous aider en l’espèce, je dirais qu’il s’agit d’abord d’une philosophie, d’une tournure d’esprit, bien plus que d’une boîte à outils. Cette philosophie, la voici résumée en quelques mots : l’avenir ne se prévoit pas, il se construit, au travers de décisions et d’actions humaines plus ou moins librement choisies, et pour autant que les décideurs soient capables en la matière de veille et d’anticipation.
On pourrait illustrer cette phrase par une métaphore, comme telle un peu réductrice, mais parlante. Nous sommes tous, et ce d’autant plus que nos responsabilités sont plus importantes, dans la position d’un capitaine de bateau qui dispose normalement à bord de deux instruments, correspondant à deux fonctions fondamentalement distinctes et éminemment complémentaires.
La vigie, la veille est ce que d’autres appellent maintenant intelligence stratégique, économique ou sociétale. Elle vise à tenter d’anticiper le vent qui se lève, l’iceberg qui barre la route, mais aussi à identifier sur le bateau lui-même les signes avant-coureurs des dysfonctionnements éventuels. Pour le dire autrement, il s’agit d’identifier dans le présent ce que l’on appelle classiquement des tendances lourdes ou émergentes, ce que d’autres encore qualifient de « signaux faibles » ; identifier dans le présent, en quelque sorte, des germes de futurs possibles.
Partant de ces germes, que peut-il advenir – de mon pays, de mon entreprise, de notre environnement ? Telle est la question qui vient spontanément à l’esprit ensuite. Il s’agit là de prospective exploratoire, assez foncièrement différente des méthodes prévisionnelles classiques : celles-ci ont en commun de reposer sur l’extrapolation à partir des tendances du passé, alors qu’en prospective on insistera sur le fait que demain ne diffère pas nécessairement d’aujourd’hui exactement de la même manière qu’aujourd’hui diffère d’hier, que les mêmes choses n’évoluent pas toujours de la même façon, au même rythme ni dans le même sens, qu’il peut exister des phénomènes de discontinuité et de rupture. Ces ruptures, on peut les subir, ainsi le choc pétrolier ; on peut aussi les provoquer, par exemple sur un marché lorsque l’on décide d’adopter une politique d’innovation. On s’efforcera également de tenir compte des acteurs impliqués, de leurs pouvoirs respectifs, des stratégies ou des politiques, plus souvent implicites qu’explicites, qu’ils conduisent.
Cette prospective exploratoire n’a d’autre objectif que de mettre en évidence, avant qu’il ne soit trop tard, c’est-à-dire avant que l’incendie ne se soit déclaré, les défis auxquels nous risquons d’être confrontés à court, moyen et long terme, afin de nous demander cette fois en tant qu’acteurs, usant maintenant du gouvernail, ce que nous pouvons et ce que nous estimons souhaitable et réalisable, à tel ou tel horizon temporel.
Que désigne ce « nous », dans le cas qui nous occupe ? Un acteur qui incarnerait le Grand Paris ? Les pouvoirs publics français dans leur ensemble ? Telle ou telle entreprise ? Ces différents acteurs n’ont pas exactement la même latitude d’action ni la même représentation de ce qui est souhaitable et réalisable à l’avenir.
L’association que je préside a pour vocation première de débroussailler le présent, en s’efforçant de distinguer les aspects conjoncturels, anecdotiques, qui feront sans doute la une des médias, des faits révélateurs de tendances plus ou moins lourdes ou émergentes, voire des signes avant-coureurs de discontinuités et de ruptures.
C’est de cette manière que je me propose de mettre ici en évidence certaines tendances lourdes à l’horizon des dix prochaines années, sans prétendre être exhaustif ni prédire un avenir qui, à mes yeux, n’est pas prédéterminé et échappe ainsi à tout exercice de prospective scientifique.
J’ai eu la chance de travailler sur une éventuelle candidature de la France à une Exposition universelle dans les années 1980 ; les aspects contextuels que je vais aborder nous paraissaient alors relativement importants. Mais il est vrai qu’en l’occurrence, l’entreprise n’a pas précisément été un succès !
En 1950, les pays de l’OCDE réunissaient un quart de la population mondiale. En 2025, ils en représenteront sans doute 10 %, l’Union européenne sans doute un peu moins de 5 %, et la France, à coup sûr, moins de 1 %, même si nous ne pouvons naturellement connaître aujourd’hui les chiffres exacts. Un autre indicateur global est fourni par le PIB mondial ; il vaut ce qu’il vaut, et l’on pourrait disserter des heures durant sur ses limites. Quoi qu’il en soit, en 1980, il se composait pour un petit tiers du PIB des États-Unis, pour un autre petit tiers de celui de l’Europe et, pour un tiers encore un peu plus petit, de celui de l’Asie – c’est-à-dire, à l’époque, le Japon. Depuis, la situation a beaucoup évolué. Aujourd’hui, si les États-Unis maintiennent à peu près leur rang, la part relative de l’Europe s’est effondrée et celle de l’Asie a fortement augmenté.
Il faut évidemment se méfier des prévisions, mais celles que réalise au niveau macroéconomique le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), rattaché à France Stratégie, sont édifiantes. Comme celles de l’OCDE, elles concernent l’horizon 2050 à 2060, ce qui n’est peut-être pas pertinent. Il en ressort en tout cas que notre PIB par habitat décline par rapport à celui des autres pays, à parité de pouvoir d’achat. On retrouve ce qu’annonçait le programme Interfuturs de l’OCDE à la fin des années 1970 : l’épicentre du monde – référence à Fernand Braudel – se déplace de l’Atlantique vers le Pacifique. C’était plutôt bien vu, même si aucun d’entre nous ne saurait dire ce que seront dans dix ans la Chine, l’Inde et d’autres émergents plus petits que l’on a souvent le tort de négliger, comme le Vietnam ou la Corée.
Troisièmement, de grands auteurs – je songe à Fukuyama – ont pu considérer la chute du mur de Berlin, qui n’est que l’emblème de la rupture avec la longue guerre froide, comme marquant la fin de l’histoire et l’avènement d’une ère pacifique dominée par le modèle occidental d’économie de marché et de démocratie. Or ce n’est pas du tout ce que l’on observe aujourd’hui. On voit désormais se multiplier les risques multipolaires de toute nature – internes aux pays, entre pays, transnationaux – et apparaître des acteurs qui ne sont eux-mêmes plus seulement étatiques ni tribaux, mais, par nature, mondiaux – au risque de paraitre provocateur, d’Al-Qaida à Microsoft !
Quoi qu’il en soit, l’épicentre démographique et économique de notre monde s’est assurément déplacé et risque de se déplacer encore, dans la mesure où l’Union européenne traverse sans doute la pire crise de son histoire : cette crise risque bien de ne pas être purement conjoncturelle dès lors que les trajectoires économiques et sociales des différents pays européens sont de plus en plus divergentes.
Parmi les innombrables chiffres que l’on pourrait citer, le plus effrayant, pour la France, concerne l’emploi. Tous les pays européens ont connu à peu près la même évolution démographique, se sont tous réclamés peu ou prou du même modèle social – celui de l’économie sociale de marché –, ont été confrontés au même choc de l’avènement des nouvelles technologies, au même contexte international. Pourtant, depuis quarante ans, le taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion de personnes d’âge actif en emploi – indicateur beaucoup plus pertinent que le taux de chômage –, a continûment augmenté au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves, où il dépassait 70 % en 1970, alors que la France en est restée à son niveau d’alors, soit 63 %. Les chocs externes sont les mêmes, mais les arbitrages et la capacité d’adaptation diffèrent. Les trajectoires divergent de même dans un autre secteur, l’énergie, où il paraissait logique que se crée un marché unique.
En d’autres termes, nous ne sommes pas dans une position très heureuse vis-à-vis de notre environnement extérieur.
Regardons maintenant à l’intérieur. Car une exposition universelle, c’est une vitrine : avons-nous donc quelque chose à montrer, un message à délivrer, et, ce faisant, sommes-nous crédibles ? Notre système productif n’a manifestement pas consenti les efforts d’adaptation et d’innovation nécessaires, alors que nous disposions d’atouts considérables ; peut-être nous sommes-nous endormis sur nos lauriers ; sur le décrochage de notre industrie et d’une partie de notre secteur tertiaire, inutile de reproduire ici les conclusions du rapport Gallois et d’innombrables autres travaux.
Le système de protection sociale est un autre volet important de notre mode d’organisation collective. Fondé par les ordonnances Laroque, il repose sur un principe assurantiel, celui de la sécurité sociale, selon lequel les biens portants sont supposés payer pour les malades, les actifs en emploi pour les chômeurs ou les retraités, etc. Ce système est aujourd’hui confronté à une crise d’abord financière, en grande partie liée au déséquilibre croissant entre le nombre d’actifs effectivement occupés et cotisants et le nombre d’inactifs allocataires, jeunes, chômeurs ou âgés, ainsi qu’à un déséquilibre encore plus marqué entre le rendement des cotisations et la croissance des dépenses.
Ce phénomène s’aggrave et va continuer de s’aggraver parce nous avons reçu en héritage une politique d’ajustement par le sous-emploi sur laquelle se sont cordialement entendus les syndicats, le patronat et les pouvoirs publics. Notre niveau d’emploi est très médiocre et l’on ne voit pas très bien comment non pas inverser la courbe du chômage, mais retrouver une véritable dynamique de création d’emplois. J’ai récemment eu l’occasion de faire le calcul suivant : pour atteindre un taux d’emploi à peu près correct à l’horizon 2020, il faudrait une création nette de trois millions d’emplois ; nous n’y sommes pas !
S’y ajoute le vieillissement démographique, avec l’arrivée à la soixantaine des générations nombreuses dites du baby-boom. Cette conjonction de sous-emploi et de vieillissement démographique conduit à penser que notre système de protection sociale est aujourd’hui au bord de l’explosion, d’autant que, pour l’instant et quels que soient les gouvernements, nous avons adopté des politiques d’ajustement au jour le jour, en nous nourrissant de leurres – dont celui, longtemps entretenu par l’INSEE ou le Commissariat général au Plan, selon lequel la population active allait spontanément commencer de se réduire en 2006, de sorte que l’on n’aurait aucune difficulté à maintenir les seniors en activité plus longtemps. La crise financière du système semble ainsi se doubler d’une crise de légitimité et d’efficacité.
Dix ans, c’est donc bien le moins pour redonner un élan à notre économie et à notre société, qui n’est pas sans richesses. Or, cet élan, je ne le vois guère poindre aujourd’hui. Positivons, me direz-vous : peut-être une grande ambition comme celle d’organiser l’exposition universelle pourrait-elle justement stimuler les citoyens et les acteurs économiques, sociaux et politiques. Si tel est l’objectif, on ne peut que s’en féliciter. J’ai salué l’initiative d’une réflexion sur ce que serait la France en 2025, confiée l’année dernière par le Président de la République au Commissariat général à la stratégie et à la prospective, car nous avons bien besoin de dix ans, et d’un cap qui donne sens et cohérence à notre action, pour redresser un bateau qui prend l’eau. J’ai donc lu très attentivement le récent rapport de France Stratégie. Or je n’y ai trouvé nulle description d’un projet enviable et réalisable pour la France, mais une série de mesures plus ou moins salutaires, plus ou moins cohérentes.
Bref, je suis inquiet de l’avenir de notre pays. Dix ans, ce n’est rien. Le réseau du Grand Paris sera-t-il achevé d’ici là ? Le projet d’exposition universelle est-il susceptible de redynamiser les acteurs ? Si tel n’est pas le cas, je crains que l’on ne nous dise, à nous, petit village dans un monde qui a grandi, que nous jouons les Astérix mais que la baudruche va vite se dégonfler. Dix ans pour rebattre les cartes du contrat social, pour refonder une éducation nationale digne de ce nom, qui corrige les inégalités liées à la naissance, qui produise non des diplômés mais des personnes qualifiées ayant le goût d’entreprendre, ce n’est rien vu l’inertie inhérente à ces phénomènes.
Certes, dix ans ont suffi à Google pour bouleverser la donne. Mais je fais partie de la génération qui a participé aux travaux de la DATAR dans les années 1970 et 1980, persuadée de pouvoir, grâce à la télématique et au Minitel, repeupler le plateau de Millevaches et créer ce que l’on appellerait aujourd’hui un pôle de compétitivité dans des territoires ruraux en voie de désertification. Or ce n’est pas du tout arrivé au rythme escompté, parce que la technologie ne suffit pas : encore faut-il qu’elle se diffuse dans le corps social, que celui-ci se l’approprie et en détermine les usages. En d’autres termes, le sentiment très répandu que tout change, que tout va de plus en plus vite et que dix ans peuvent tout bouleverser ne doit pas masquer l’existence d’importantes inerties.
J’aimerais vous dire que notre pays porte en germe d’innombrables innovations, une véritable envie d’entreprendre, et que seuls le liant et la synergie font défaut. Le problème est que ces derniers facteurs ne se décrètent pas et que ceux qui sont supposés jouer un rôle de catalyseur ou d’« orchestrateur de talents », selon une expression usitée dans la littérature managériale – dirigeants politiques, syndicaux, partenaires sociaux en général –, préfèrent la gestion et la communication à la politique au sens le plus noble du terme et à l’idée du bien commun. Il nous manque la flamme !
Il nous manque aussi une représentation du monde à construire. Car la crise, je le répète, n’est pas conjoncturelle : elle manifeste une transition longue et pénible entre un monde qui n’en finit pas de mourir et un autre qui reste à inventer. Pouvons-nous dire aujourd’hui que la France sera le fer de lance de cette nouvelle aventure pour l’humanité ? J’aimerais répondre par l’affirmative. Si je le pouvais, j’encouragerais notre pays à organiser l’exposition universelle, car nous aurions alors quelque chose à dire au reste du monde – et à lui montrer, car la France est bien connue pour manier habilement le verbe sans que celui-ci soit suivi d’actions. En somme, l’aventure est très séduisante sur le principe, mais elle implique une candidature solide, pour nous éviter de revivre les échecs du passé.
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. Nous avons connu des échecs, c’est vrai ; voilà précisément pourquoi nous avons souhaité qu’une mission parlementaire identifie les formes d’organisation et les atouts que notre pays pouvait développer.
Nous avons bien conscience du fait que la candidature de Paris diffère de celles des villes organisatrices précédemment retenues, qu’il s’agisse de Shanghai, de Dubaï ou même de Milan. Il ne s’agit pas d’une candidature de restructuration urbaine puisque celle-ci est en cours. Ce n’est pas non plus la candidature d’un pays émergent. C’est celle d’un pays qui a déjà parlé au monde et qui voudrait continuer de le faire en ce début de XXIe siècle.
Pour y parvenir, c’est sur les territoires que nous parions. L’idée est la suivante : pour avoir un sens demain, l’exposition universelle devrait rompre avec l’unicité de lieu et s’étendre, au-delà même du Grand Paris, aux grandes métropoles que sont et seront Nice, Lyon ou Bordeaux. C’est donc un pays plutôt qu’une ville qui l’accueillerait. Cette organisation nouvelle me paraît moins pompeuse que celle qui fait d’un seul endroit la vitrine d’un pays entier ; elle en appelle davantage à l’imagination, même s’il reste à en fixer les thématiques. C’est l’énergie de nos territoires qui sera vitale pour l’Exposition. Qu’en pensez-vous ?
M. Hugues de Jouvenel. J’aimerais évidemment que vous ayez raison. Mais c’est une banalité de constater que nos territoires se caractérisent par un millefeuille politico-institutionnel et un processus inachevé de décentralisation et de déconcentration. S’y ajoute, dans notre bagage culturel, une hypothèque très lourde : la défiance – ou, pour le formuler autrement, le fait d’avoir raté 1789. Je veux parler des « barons » locaux, plus enclins à ériger des forteresses autour de leur territoire qu’à travailler ensemble.
Il faut donc tenter de simplifier le millefeuille, et c’est, semble-t-il, l’objet de la réforme territoriale en cours. Mais voyez nos difficultés à faire travailler les intercommunalités : au-delà des dispositions législatives, voire constitutionnelles, un changement des mentalités et des comportements est indispensable. Certaines modifications déjà opérées me paraissent aller dans le bon sens, dont celles qui touchent les métropoles. À Lyon, qui avait pris de l’avance sur la loi, la métropole se fait, elle est en marche ; à Marseille, c’est plus compliqué. Quant au Grand Paris, je n’en suis pas du tout un spécialiste mais j’ai eu l’occasion de travailler sur l’avenir du quartier d’affaires de La Défense, à l’époque où l’on débattait beaucoup de la nécessité de contrats territoriaux : c’est désolant à dire, mais quelle lutte des ego ! L’énergie que nous gaspillons à nous battre les uns contre les autres dans nos communes, nos communautés de communes, nos métropoles et au sein du Grand Paris, à nous paralyser mutuellement, ne pourra servir à créer une dynamique nouvelle.
De qui parle-t-on lorsque l’on se réfère aux « territoires » ? S’il s’agit des Français, ils vivent au quotidien les problèmes du chômage, du vieillissement démographique, de la dépendance, de la perte de compétitivité, qu’ils comprennent très bien. Sur le terrain, ils entreprennent et innovent, y compris dans leurs modes de vie et de production, de pair avec la nécessaire transition écologique. Mais lorsqu’il s’agit de développer ces innovations, de les démultiplier, de les faire rayonner, on se heurte à des blocages considérables.
Je le répète, j’ai envie d’adhérer avec enthousiasme à votre projet d’Exposition universelle, car je ne crois pas à la fatalité : l’état actuel de la France résulte de décisions, de choix – ou de non-choix – politiques faits depuis bien des années, par la gauche comme par la droite. L’avenir est ouvert : à nous de le construire. Mais est-on capable de fédérer les énergies autour d’un projet, et celui de l’exposition universelle donnera-t-il du cœur au ventre aux Français de telle ou telle commune ? Rendra-t-il l’appétit du futur, le goût de l’avenir à des gens qui, si j’ose dire, ne le regardent que dans le rétroviseur et se demandent comment ils vont se débrouiller dans un environnement qui leur est si peu favorable ?
Je ne doute pas que vous allez trouver une solution à ce problème – meilleure, je l’espère, que celles du rapport Quelle France dans 10 ans ? Mais une série de petites étincelles, de bonnes volontés, ne suffira pas : à partir d’elles, il importe de créer le sursaut qui nous permettra de briller à l’extérieur. Encore faut-il que les Français soient fiers d’appartenir à une aventure qui n’est pas une aventure d’avant-hier !
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. Est-ce à dire qu’il vous semblerait plus simple et plus réaliste que nous candidations pour l’organisation, à la même période, des jeux Olympiques ? De fait, cela ne supposerait que de savoir couler du béton pour construire des stades et de préparer les athlètes. Cela, on sait faire, et on sait prévoir le nécessaire. Dans l’Exposition universelle, en revanche, une part d’inconnu subsiste, qu’il s’agisse de l’élaboration de la candidature ou de son succès.
M. Hugues de Jouvenel. Nous venons justement de publier une évaluation des effets d’entraînement, à court, moyen et long terme, de l’organisation de grandes manifestations culturelles, comparée à celle de grandes manifestations sportives. Il en ressort que les derniers jeux Olympiques n’ont pas du tout produit l’effet escompté. Celui-ci est inégal selon les pays d’accueil : Londres a plutôt profité de l’événement, à la différence d’autres villes où les lendemains de fête n’ont pas été faciles.
J’ai eu la chance de me livrer à un exercice de prospective sur Barcelone et la Catalogne dans les années 1980, lorsque la capitale catalane avait été retenue pour organiser les jeux Olympiques. La question posée était la suivante : quels investissements auraient un effet démultiplicateur positif à plus long terme sur le développement de la région ?
À la lumière de ces différents travaux, s’il fallait choisir entre l’organisation d’un grand événement sportif et celle d’un grand événement culturel, je pencherais pour la seconde. Une autre étude récente sur l’effet d’entraînement des capitales européennes de la culture montre que, pour un investissement moindre, le retour sur investissement est bien plus intéressant que celui des jeux Olympiques.
Pour ce qui est de « couler du béton », ce n’est peut-être pas nécessaire mais, assurément, le virtuel ne suffira pas. Le projet d’exposition universelle inclut un vaste débat préalable, une sorte de forum planétaire, sur Internet et sur les réseaux sociaux. Si l’idée est excellente, il faut aussi montrer des réalités pour attirer le public. Nous avons un retard considérable à rattraper dans la numérisation du Louvre, de Versailles, de notre capital culturel, intellectuel, naturel ; mais nous devons également, même sans modifier le bâti, améliorer la synergie entre les personnes, l’attractivité de notre pays, le sens de l’accueil. La France se targue volontiers d’être la première destination touristique au monde ; dans ce chiffre, il convient de faire la part des touristes en transit et des dépenses qui sont faites sur notre territoire. En revanche, nous avons la chance d’avoir encore des infrastructures à certains égards extraordinairement modernes, comparées par exemple à celles des États-Unis.
Tout ne va pas mal en France. Le problème, c’est notre sentiment un peu confus de mal-être, lié sans doute à notre impression de no future – on ne sait pas où on va – et à la défiance envers les élites, qui n’ont pas l’air de savoir davantage où elles veulent aller. Voilà pourquoi, si la tentative est salutaire, le pari est osé.
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. Merci de ces mises en garde, précieuses pour préparer notre rapport ainsi que la réponse de notre pays à l’appel à candidatures.
Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Berger, commissaire général de la section française à l’exposition universelle de Milan en 2015
(Séance du lundi 13 octobre 2014)
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le commissaire général, d’avoir accepté notre invitation. Il s’agit de la dernière audition organisée par notre mission d’information. Nous rendrons dans quelques jours notre rapport, dans lequel nous essaierons de déterminer les conditions de réussite d’une candidature de la France à l’exposition universelle de 2025.
Nous devions nous voir à Milan. Vous aviez très aimablement préparé notre déplacement, mais nous avons dû l’annuler en raison de la grève à Air France. Vu l’état d’avancement du pavillon français, cela ne pose guère de problème que notre rencontre ait finalement lieu à Paris.
Compte tenu du thème de l’exposition universelle de Milan – « Nourrir la planète, énergie pour la vie » –, votre désignation en qualité de commissaire général de la section française apparaît tout à fait logique. En effet, vous êtes ingénieur agronome, diplômé de l’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires, et docteur en sciences économiques. Vous avez été directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et expert auprès de plusieurs organisations internationales. Vous avez également travaillé auprès de deux ministres de l’agriculture – la première fois comme conseiller technique, la seconde comme directeur de cabinet – et auprès du président du Sénat. Enfin, dans le cadre de vos dernières fonctions, vous avez été l’interlocuteur des industries agroalimentaires. Vous connaissez donc les questions agricoles et agroalimentaires dans toutes leurs dimensions. Cette carrière très riche fait de vous « la bonne personne à la bonne place » pour préparer la participation française à cette exposition.
Pouvez-vous nous présenter le pavillon Français ? Comment se construit-il ? Comment interagit-il avec son environnement ? À quels enjeux avez-vous été confronté ? Comment appréhendez-vous l’exposition universelle de Milan ? Quel en est l’enjeu pour la France, dix ans avant l’exposition universelle à laquelle nous préparons sa candidature ?
M. Alain Berger, commissaire général de la section française à l’exposition universelle de Milan en 2015. Je suis très heureux de pouvoir vous présenter un état des lieux de la participation de la France à l’exposition universelle de Milan. Il me paraît très intéressant d’avoir fait le lien entre l’organisation d’une exposition universelle et le thème « nourrir la planète ». C’est la première fois qu’une exposition universelle s’intéresse à cette question. Les expositions universelles traitent un grand sujet à destination des populations, mais d’une manière particulière : en insistant sur la façon dont le progrès scientifique et technique peut permettre de répondre aux grands défis qui se posent. Dès l’origine, les expositions universelles – notamment celles qui ont été organisées en France – ont mis en scène les savoir-faire et les prouesses technologiques. Tel sera également le cas de l’exposition universelle de 2015.
Selon moi, une partie de l’intérêt et de l’originalité des expositions universelles réside aussi dans le fait qu’elles sont l’occasion d’aborder d’une autre manière des sujets qui sont débattus par les États dans les enceintes multilatérales. En l’espèce, les questions alimentaires mondiales sont traitées par l’ONU, par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM) – qui ont l’une et l’autre leur siège à Rome –, par le G20 – qui a consacré plusieurs réunions à ce thème – et par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ainsi que le souligne M. González Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE), une exposition universelle permet d’adopter une approche qui n’est pas nécessairement politique, économique ou géostratégique, mais qui est en tout cas pleinement démocratique : il s’agit d’impliquer les populations sur de grands thèmes – comment nourrir plus de 9 milliards d’êtres humains à l’horizon 2050 ? Quelles réponses apporter à ce défi mondial ? – qui concernent tous les citoyens du monde. Les messages que l’on délivre doivent donc être parfaitement lisibles et compréhensibles par tous.
La France, qui a été de toutes les expositions universelles, a décidé de participer aussi à celle de Milan. Le processus de décision a pris un certain temps : malgré la pression exercée par l’Italie pour que nous donnions rapidement notre réponse, notre participation n’a été confirmée qu’en janvier 2013, soit deux ans seulement avant le démarrage de l’exposition. De mon point de vue de commissaire général, ce délai est serré, voire un peu court, tant pour décider du contenu du message de la France dans le cadre du thème « nourrir la planète » que pour construire un pavillon, une scénographie et des événements. D’autant qu’une exposition universelle dure six mois, soit 184 jours.
J’ai été désigné commissaire général en avril 2013 par le Premier ministre – j’étais à l’époque délégué interministériel aux industries agroalimentaires et à l’agro-industrie. Notre première tâche a été de décider, dans un cadre interministériel, du contenu du message que la France devait délivrer, c’est-à-dire de répondre à la question : pourquoi la France participe-t-elle à cette exposition universelle sur le thème « nourrir la planète » ? Dans la mesure où il s’agit d’une initiative de l’État, ce contenu a été débattu à Matignon et validé par tous les ministères intéressés, ainsi que par le Gouvernement dans son ensemble. Le budget global de l’opération a été fixé à 20 millions d’euros. Conformément à la décision du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, cette charge financière a été partagée entre six ministères : 7,5 millions d’euros ont été apportés par le ministère de l’agriculture et de l’agroalimentaire, et 2,5 millions par cinq autres ministères, à savoir l’industrie, appelée à l’époque « redressement productif », les affaires étrangères – ces deux ministères étant traditionnellement ceux qui portent les projets de participation aux expositions universelles –, l’écologie et le développement durable, la recherche et l’enseignement supérieur, ainsi que la santé – compte tenu du volet nutritionnel. Le portage budgétaire de l’opération est assuré par l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer), établissement public placé sous la tutelle du ministère de l’agriculture et du ministère de l’économie et des finances.
Quelle lecture a été faite du thème « Nourrir la planète, énergie pour la vie » ? La première question que recouvre ce thème, c’est évidemment, aux yeux des organisateurs italiens de l’exposition eux-mêmes : comment nourrir 9 milliards d’êtres humains ? Quant à la deuxième partie du thème, « énergie pour la vie », elle a été interprétée de deux manières : d’une part, l’alimentation doit répondre au besoin primaire de vie et de survie des populations ; d’autre part, elle doit le faire dans des conditions de durabilité : pour relever le défi alimentaire mondial, il convient de mettre en place des processus de production respectueux de la planète.
Pourquoi la France participe-t-elle à une exposition universelle sur le thème de l’alimentation ? Bien entendu, parce qu’elle est présente au niveau international dans ce domaine et qu’elle a des choses à dire sur le sujet. La présence française à l’exposition universelle reposera sur quatre piliers. Premier pilier : notre potentiel économique et scientifique. D’une part, la France est un acteur économique de l’alimentation à l’échelle internationale : elle est une puissance exportatrice ; sa balance commerciale est excédentaire dans le secteur agroalimentaire ; ses acteurs économiques nourrissent d’autres populations que les Français. D’autre part, la France dispose d’atouts importants en matière scientifique. Or, pour nourrir plus de 9 milliards d’êtres humains, le progrès scientifique et technique reste indispensable : nous devons rendre les processus de production plus performants grâce à la recherche et à l’innovation technologique.
Deuxième pilier : la durabilité. Notre message sera explicite : pour pouvoir relever ce défi économique, nous devons mettre en place des processus de production respectueux des potentialités naturelles de la planète. Il faut non seulement « produire plus », mais aussi « produire mieux ». Telle est d’ailleurs la politique que mène actuellement le gouvernement français, notamment sous l’impulsion du ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, avec le développement de l’agroécologie. Il faut dépasser l’opposition quasi structurelle entre performance économique et performance environnementale. Certains affirment qu’elles sont incompatibles. Nous nous opposons à cette vision et répondons clairement qu’il est possible de les concilier : nous pouvons améliorer dans le même temps nos performances économiques et environnementales, en optimisant les potentialités naturelles de la planète. Nous nous inscrivons pleinement dans un processus tourné vers l’avenir, à la fois productif et durable. Nous ajoutons d’ailleurs dans ce deuxième pilier un volet particulier sur le gaspillage alimentaire : 30 % de la production mondiale n’atteint pas les consommateurs. Nous le dirons clairement : si nous parvenions à faire en sorte que ces 30 % soient consommés, en optimisant les filières et l’accès aux marchés, nous réduirions d’autant la pression en amont sur le système productif et, partant, sur les potentialités naturelles.
Troisième piler : la dimension internationale. Notre message sera là encore explicite : pour relever le défi alimentaire mondial, la France est tournée vers le monde. Elle estime qu’elle peut contribuer à nourrir d’autres populations, mais qu’elle ne peut pas agir seule : il faut que tous les pays du monde, notamment les pays en développement qui ont actuellement des difficultés à nourrir leur population, améliorent autant que possible leur propre sécurité alimentaire. Cela suppose bien sûr de respecter les cultures vivrières, mais aussi de transférer des technologies, d’apporter de l’aide au développement, de faire de la formation, de réguler les marchés agricoles mondiaux. Tels sont les grands enjeux d’aujourd’hui et de demain en matière de sécurité alimentaire mondiale.
Quatrième pilier : la qualité. Nous le dirons clairement : pour nourrir 9 milliards d’êtres humains, la quantité ne suffit pas. On ne peut pas faire n’importe quoi : il faut garantir la sécurité sanitaire des aliments. Or la France dispose d’atouts considérables en la matière : le taux de toxi-infection y est le plus faible au monde. Nous aborderons aussi la question de l’équilibre des menus, les problèmes de carences et de déséquilibres alimentaires, ainsi que le développement de l’obésité. Dans le cadre de ce quatrième pilier, nous mettrons également en scène « l’aliment plaisir », la convivialité, le repas gastronomique à la française – qui a été reconnu comme élément du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Organisation des Nations unis pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) –, nos produits du terroir, notamment ceux qui bénéficient d’une appellation d’origine contrôlée, etc.
Dans le cadre de notre réflexion interministérielle, nous avons estimé qu’il fallait aborder toutes ces questions, car la force et l’originalité de la France au sein des 144 pays représentés à Milan, c’est justement de pouvoir jouer sur ces quatre leviers à la fois : le potentiel économique et scientifique ; la durabilité ; la coopération internationale et l’aide au développement – qui sont, historiquement, un de nos atouts – ; la qualité – pour la France, le repas, le menu et l’équilibre alimentaire ont un sens. Pour relever le défi alimentaire mondial, il ne suffit pas d’actionner un seul de ces leviers, il faut utiliser les quatre de façon cohérente, équilibrée et, autant que possible, harmonieuse.
Comment confronter, concrètement, ce contenu riche et complexe avec la réalité d’une exposition universelle ? Pas moins de 25 millions de visiteurs sont attendus sur le site de l’exposition, soit jusqu’à 250 000 par jour. Compte tenu de ce que symbolise notre pays en matière alimentaire, une forte pression s’exercera sur le pavillon français : nous prévoyons 2 à 3 millions de visiteurs sur la durée de l’exposition, soit au moins 10 000 à 15 000 par jour. Il s’agira d’un public familial en mouvement permanent, auquel il faudra faire passer un message complexe en un temps très réduit. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait particulièrement insisté sur ce point auprès de moi : si la France participe à Milan, c’est pour dire quelque chose. Le mandat qui m’a été confié est donc de mettre en scène « ce que la France a à dire ». Tel est notre défi scénographique : transmettre à tous les visiteurs le message riche et dense que je vous ai exposé.
À ce stade, nous sommes encore en train d’en débattre : une équipe de scénographes travaille sur le sujet. Il faut que le message soit accessible sans être caricatural : nous devons nous garder des discours « café du commerce » que nous connaissons tous sur ces questions, y compris sur le progrès scientifique et technique. Dans d’autres occasions, notamment lors de crises alimentaires, j’ai pu mesurer combien il est difficile de faire passer des messages simples et objectifs sur l’alimentation en France, surtout face à des caricatures et à la recherche du sensationnel. Pourtant, telle est bien notre tâche en l’espèce : objectiver. Les messages ne doivent pas être générateurs d’angoisse. Nous devons dire que 850 millions de personnes sur 7 milliards n’accèdent pas à l’alimentation actuellement et que nourrir 2 milliards d’individus de plus dans trente ans représente un énorme défi, mais nous devons aussi montrer que l’on peut relever ce défi en croyant dans le progrès scientifique et technique, en assurant un débat véritablement démocratique sur la manière d’introduire ce progrès, et en promouvant la coopération internationale – ce dernier point étant le message clé. Notre mise en scène sera également ludique, accrocheuse, originale, et nous jouerons sur le contraste entre tradition et modernité : si la France a une histoire et des racines très fortes en matière d’alimentation, le défi qu’elle contribue à relever – nourrir une population de 9 milliards d’êtres humains à 80 % urbaine – est bien celui du xxie siècle.
Le pavillon français sera situé sur un espace de 3 600 mètres carrés, au cœur du site de l’exposition. La partie extérieure, paysagère, délivrera un message sur la diversité des réponses et des paysages. Loin des approches simplificatrices ou monopolistiques, nous dirons clairement qu’il n’existe pas de modèle de production agricole unique permettant de répondre au défi alimentaire mondial : il y a autant de réponses que de territoires. Nous montrerons donc une séquence de parcelles – grande culture céréalière, système de polyculture-élevage, cultures spécialisées – et projetterons des films sur plusieurs grands écrans, qui évoqueront la diversité des modèles de production agricole et la manière dont ils façonnent nos paysages. Tel sera notre premier message.
Le pavillon lui-même occupera 2 000 mètres carrés. Conformément au choix du Gouvernement, il sera construit en bois, matériau durable – nous avons choisi une essence française : le Douglas. Il m’a également été demandé qu’il soit démontable et remontable, ce que nous avons spécifié dans le marché. Il aura donc une vie après l’exposition. Il mesurera douze mètres de haut et aura une forme de halle. Il s’agit d’évoquer de manière symbolique l’approvisionnement des villes : la halle, dans les villages comme à Paris, était non seulement le lieu où se confrontaient l’offre et la demande de produits alimentaires, mais aussi un maillon essentiel de la logistique alimentaire urbaine. Or le défi alimentaire consiste notamment à nourrir des mégapoles qui peuvent compter jusqu’à 50 millions d’habitants. En outre, la halle est un lieu ouvert et facilement accessible. Le pavillon sera muni de grandes portes, et nous voulons en faire un espace très accueillant. Enfin, le bâtiment sera parfaitement durable : il sera doté non pas d’appareils de climatisation, mais d’un système de circulation de l’air adapté au climat du nord de l’Italie, relativement chaud en été. Le pavillon délivrera donc en lui-même un message.
À l’intérieur du pavillon, au rez-de-chaussée, la scénographie déclinera les quatre piliers que j’ai mentionnés. On trouvera également à cet étage un espace partenarial. Le projet est financé par l’État à hauteur de 20 millions d’euros, mais nous souhaitons faire participer aussi des collectivités territoriales et des entreprises, voire des mécènes. À cet égard, je me suis fixé l’objectif de réunir un budget complémentaire de 30 millions d’euros, contre environ 40 millions à Shanghai en 2010, la contrainte financière étant plus forte aujourd’hui pour tous les acteurs. Dans l’espace partenarial, les collectivités et les entreprises délivreront leurs propres messages. Les régions – à ce stade, l’Île-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur ont confirmé leur participation, d’autres étant encore en discussion avec nous – seront chacune présentes pendant au maximum deux mois à l’intérieur du pavillon. Elles évoqueront leurs réalités géographiques, leurs savoir-faire agricoles et culinaires, les entreprises qui sont implantées sur leur territoire. Les entreprises évoqueront leurs spécificités, leurs savoir-faire technologiques et les éventuelles réponses qu’elles apportent au défi alimentaire mondial.
Nous prévoyons que les visiteurs passent 20 à 25 minutes au rez-de-chaussée du bâtiment. La file d’attente se formera à l’extérieur, mais sur l’espace du pavillon français. Pendant leur attente, les visiteurs traverseront les paysages et pourront regarder les films diffusés en boucle. Nous leur proposerons aussi des dégustations de produits du patrimoine gastronomique français. Il faut en effet que les cinq sens, notamment le goût, soient sollicités.
Au premier étage du pavillon sera aménagé un espace d’accueil « VIP » réservé aux opérations de relations publiques menées par le Gouvernement ou par les différents partenaires, notamment les entreprises. Au deuxième niveau se trouvera un restaurant, que nous avons voulu à mi-chemin entre tradition et modernité. Nous n’avons pas fait le choix, comme un Shanghai, d’un trois étoiles au guide Michelin : nous ne souhaitons pas que la France délivre à l’international un message uniquement élitiste en matière d’alimentation et de restauration. Nous visons plutôt un positionnement cœur de gamme, avec un « café contemporain ». Le prestataire n’est pas encore choisi : la passation du marché est en cours. Pour ma part, je souhaite que le prix du menu soit accessible au plus grand nombre, les consommations des visiteurs s’ajoutant aux 39 euros du ticket d’entrée sur le site de l’exposition. Afin d’exprimer toute la diversité des savoir-faire français, le menu variera en fonction des régions présentes à l’intérieur du pavillon. Enfin, une boulangerie artisanale sera installée sous la partie extérieure et proposera, chaque jour, des viennoiseries et du pain français.
Nous organiserons une série d’événements tant à l’intérieur qu’aux abords du pavillon : il faut que les 184 jours de l’exposition soient tous différents. Nous négocions actuellement avec les organisateurs italiens l’installation d’un food truck – camion-cantine – qui fera des démonstrations culinaires. Le concept que nous envisageons est très original et encore peu connu. Nous sommes en train d’en discuter avec une grande marque automobile. Nous privilégions là aussi une approche contemporaine de l’alimentation en France, conciliant savoir-faire et modernité. À côté du modèle classique du repas convivial et de la table familiale, nous voulons aussi montrer la pause-déjeuner des gens qui travaillent. Quelques grands chefs français – Marc Veyrat, Thierry Marx – ont d’ailleurs déjà développé leur propre food truck.
Nous avons aussi prévu un programme scientifique, avec une conférence chaque mercredi pendant les vingt-six semaines que durera l’exposition. Nous y traiterons des grands sujets du moment : les biotechnologies, la gestion du foncier à l’échelle mondiale, les problématiques du climat, les productions animales – évoquer le potentiel de la France en la matière aura d’autant plus de sens que les productions animales seront beaucoup moins présentes que les productions végétales à Milan –, l’utilisation des engrais, la brevetabilité du vivant, l’accès au progrès scientifique et technique. Concernant ces deux derniers points, nous présenterons le système français des certificats d’obtention végétale.
L’Institut français proposera, en outre, une programmation culturelle : des expositions photographiques, des concerts, du théâtre, des films qui mettent en scène les défis alimentaires ou agricoles. Je suis également très attentif au design des meubles, des œuvres d’art et de tous les objets qui seront installés à l’intérieur du pavillon. Nous choisissons des designers français qui exprimeront, dans les différents espaces, leur savoir-faire et la diversité de la création française. N’oublions pas que nous serons à Milan, un des hauts lieux du design.
Enfin, nous organiserons, avec Ubifrance, des rencontres entre acteurs économiques. Nous souhaitons que les entreprises françaises profitent de l’exposition pour conforter leur présence sur le marché international. L’enjeu n’est pas seulement le marché italien, comme le pensent à tort certains partenaires : il y aura, à Milan, une forte présence de la Chine, des États-Unis, des pays du Golfe – d’autant que l’exposition universelle de 2020 aura lieu à Dubaï – et des pays d’Amérique du Sud. Nous prévoyons aussi un volet touristique avec Atout France. En somme, nous essayons de coordonner l’action de toutes les structures compétentes pour que la France soit présente sur tous les terrains. Loin de nous contenter d’un espace muséal, nous voulons faire du pavillon un lieu vivant qui permette à la France d’exprimer tout ce qu’elle a à dire.
Nous sommes dans les temps, mais le calendrier est serré : nous ne pouvons pas nous permettre de prendre du retard. Comme je l’ai indiqué, le délai de deux ans est un peu court pour passer les marchés publics, définir le contenu de nos messages et construire un pavillon à l’architecture assez complexe, d’autant qu’il faut tenir compte des intempéries. La première arche du pavillon a été posée par le ministre de l’agriculture Stéphane le Foll le 29 septembre dernier. La dalle est presque terminée. La construction de la structure en bois débutera la semaine prochaine et s’achèvera, nous l’espérons, à la fin du mois de décembre. Les espaces intérieurs – notamment la scénographie au rez-de-chaussée et le restaurant au deuxième étage – seront aménagés au cours des trois premiers mois de 2015. Un test grandeur nature sera organisé au mois d’avril.
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. Vous nous donnez envie de visiter ce pavillon, monsieur le commissaire général ! Il semble en tout cas que l’on ait tiré des leçons des expériences passées : en termes d’image, le projet renvoie à la France d’aujourd’hui et à la manière dont elle prépare l’avenir en matière d’alimentation.
Nous réfléchissons à une exposition universelle qui, à la différence de celle de Milan, ne regrouperait pas tous les pavillons côte à côte dans un même lieu, mais se déroulerait sur un vaste territoire. Cela aurait-il changé la donne si l’on vous avait demandé de construire le pavillon français dans un autre endroit intéressant de Milan ? Ou bien le projet est-il relié au site qui a été choisi ? En d’autres termes, tirez-vous avantage de l’unité de lieu ?
D’autre part, quelle est l’importance du lien entre le bâtiment et la thématique ? Vous pourrez d’ailleurs nous dire en quelques mots comment s’est déroulé le concours d’architecture. Si l’on avait mis à votre disposition un beau bâtiment déjà existant dans Milan, tout en vous demandant de travailler sur la même thématique, qu’en auriez-vous pensé ? Cela vous aurait-il facilité la tâche ou, au contraire, posé des difficultés ?
M. Alain Berger. Je suis dans l’ensemble satisfait par les conditions qui nous sont proposées à Milan. Et, même en essayant de m’abstraire de ce cadre, je reste attaché au principe de l’unité de lieu : le visiteur, qui fait le déplacement, doit avoir le sentiment d’une rupture entre l’univers habituel et celui de l’exposition universelle, a fortiori si celle-ci porte sur une thématique forte. Il doit voir et sentir qu’il entre dans un autre espace, puis qu’il y est physiquement présent et que le thème se retrouve partout autour de lui, dans l’architecture comme dans les événements qui sont organisés, par exemple dans les spectacles de rue. Même à l’ère du numérique, il faut, selon moi, garder un lieu physique, ainsi qu’un lien entre ce lieu et un thème. Si l’exposition est organisée dans plusieurs endroits sur un vaste territoire et que le visiteur est amené à passer de l’un à l’autre, il faut à ce moment-là une bonne articulation entre ces différents lieux. Mon souci est que le visiteur appréhende quelque chose et qu’il ressorte du pavillon français avec un « plus ». J’en ai débattu avec le directeur général du Futuroscope : si une présentation est trop hermétique ou illisible, elle n’intéresse personne. Il faut donc qu’elle soit ludique, mais sans basculer pour autant dans la catégorie des parcs d’attractions, car nous perdrions alors une partie de l’intérêt que présente une exposition universelle.
Je suis heureux que le projet français présente une véritable cohérence : le pavillon sera une halle, qui rappelle le thème de l’exposition ; nous avons fait le choix politique et stratégique de la durabilité, avec une construction en bois démontable et remontable. C’est d’ailleurs un élément qui impressionne : le pavillon de la France est l’un des rares qui continuera à vivre, dans un autre lieu. Si l’on avait simplement reproduit un pavillon Baltard, le bâtiment n’aurait symbolisé que la tradition, alors que nous avons souhaité concilier la tradition, la modernité et la durabilité.
Qu’aurais-je pensé si l’on avait mis à ma disposition un bâtiment déjà existant ? Beaucoup dépend en réalité du thème : si celui-ci est suffisamment fort et qu’il peut vivre par lui-même, l’exposition peut, à la limite, être organisée en tout lieu. Cependant, les lieux préexistants sont déjà porteurs d’une histoire et d’un message. Même si certains, tels que le Grand Palais – beau reste d’exposition universelle – se prêtent admirablement à l’organisation d’événements contemporains. Je ne suis donc pas complètement fermé sur cette question, même si, pour ma part, j’ai trouvé intéressant que l’on me demande de concevoir en même temps le contenu et le contenant, et d’assurer une cohérence entre les deux.
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. Comment avez-vous intégré la dimension numérique au projet français ? A-t-on réalisé un saut en la matière par rapport aux expositions universelles précédentes ?
M. Alain Berger. Nous nous sommes pleinement inscrits dans l’ère du numérique. Nous avons lancé un site internet complètement remanié le 29 septembre dernier, au moment où la première arche a été posée. Nous sommes déjà présents sur tous les réseaux sociaux. Tous les événements qui se dérouleront à l’intérieur du pavillon français seront retransmis sur le site internet et sur les réseaux sociaux.
Nous avons également voulu que le numérique soit présent partout à l’intérieur du pavillon. Au restaurant, les clients disposeront de petites tablettes et pourront cliquer sur le nom des produits entrant dans la composition des plats – notamment de ceux qui bénéficient d’une indication géographique protégée tels que l’oignon de Roscoff ou l’agneau de pré-salé du Mont-Saint-Michel – pour en connaître l’histoire, ainsi que le lieu de production et les savoir-faire locaux. L’espace de visite sera équipé de systèmes de connexion, notamment de bornes et de codes QR. Les visiteurs qui souhaitent aller plus loin pourront ainsi recevoir des messages qui approfondissent la scénographie. Pour autant, selon moi, rien ne remplace le déplacement physique et l’œil. Dans une exposition universelle, les visiteurs se retrouvent avec d’autres visiteurs de nationalité différente en un même lieu pour appréhender un même thème. Cette dimension collective est essentielle.
M. Hervé Pellois. Le ministre de l’agriculture a évoqué la question du gaspillage la semaine dernière. Des travaux scientifiques sont-ils conduits en la matière ? Avance-t-on ?
Vous avez sans doute passé plusieurs marchés publics, outre celui que vous avez mentionné s’agissant du bâtiment. Combien de personnes travaillent actuellement pour ce projet et combien travailleront sur le pavillon français à Milan ?
M. Alain Berger. Deux grands problèmes se posent en matière de gaspillage : en amont, les pertes après récolte, qui touchent plutôt les pays en développement ; en aval, le gaspillage alimentaire au niveau des consommateurs, qui concernent surtout les pays occidentaux. Pour régler le premier problème, il convient d’optimiser la production de telle sorte qu’elle s’inscrive pleinement dans la chaîne alimentaire. Le second problème tient au fait que le consommateur jette des aliments pourtant propres à la consommation, parce qu’il respecte strictement la date limite de consommation (DLC), qu’il ne fait pas la différence entre une DLC et une date limite d’utilisation optimale (DLUO), qu’il ne sait pas utiliser les restes ou encore qu’il considère que les fruits et légumes ne sont consommables – et donc, du point de vue du producteur, commercialisables – que lorsqu’ils ont une forme parfaite, appliquant en cela une approche normative courante dans nos pays riches. Le problème existe aussi pour les ressources marines : 50 % de ce qui est pêché est jeté. Pour résumer, on consomme la chair du poisson, mais on jette les têtes et les arêtes, alors que ces coproduits pourraient être valorisés. Il y a cependant des contre-exemples : le tourteau de soja – le coproduit – a fini par prendre plus de valeur que l’huile de soja – le produit principal.
De nombreux travaux de recherche sont menés pour mieux valoriser les coproduits tant alimentaires que non alimentaires, par exemple la biomasse agricole avec la méthanisation. C’est un énorme défi : il s’agit de réinjecter dans l’économie un tiers de ce qui est produit, conformément au principe « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Il y aura bien un progrès scientifique et technique en la matière.
S’agissant du pavillon, nous avons fait le choix d’un marché groupé de conception, de réalisation et de maintenance, d’une part parce que les délais étaient très courts, d’autre part parce qu’il était important de lier fortement la conception par l’architecte et la réalisation par l’entreprise. C’est le principal marché public que nous avons passé : son montant était de 14 millions d’euros sur un budget total de 20 millions. Il intègre la réalisation de l’infrastructure – fondations et gros œuvre –, le montage du pavillon, l’aménagement des installations intérieures et la maintenance. Le processus a respecté toutes les règles européennes en matière de marchés publics. Nous avons reçu cinq réponses à l’appel d’offres, et le jury a sélectionné un groupement franco-italien. L’entreprise italienne de travaux publics CMC (Cooperativa Muratori & Cementisti), mandataire du groupement, construira le gros œuvre. Les autres membres du groupement sont français : l’architecte, la scénographe, l’entreprise qui construira la structure en bois, le paysagiste qui réalisera la partie extérieure.
D’autres marchés publics sont prévus pour le personnel d’accueil, la sécurité, la boutique et la restauration – ce dernier marché est déjà lancé et le prestataire sera choisi à la fin du mois. L’équipe actuelle compte dix personnes : des fonctionnaires et des contractuels de droit public dont le portage est assuré par FranceAgriMer. Pour les six mois de l’exposition, nous allons passer à un effectif – qui restera serré – de quinze permanents et de treize stagiaires, que nous recruterons directement. Les stagiaires seront probablement franco-italiens. Pour tout le reste du personnel – hôtesses, agents d’accueil et de sécurité –, nous allons lancer prochainement un marché public en France et sans doute en Italie, car nous préférerions ne pas avoir à loger le personnel complémentaire, l’hébergement des quinze permanents français coûtant déjà cher. Hors restaurant – lequel emploiera 50 à 60 personnes – et boulangerie, le nombre de postes occupés en permanence sur l’ensemble du pavillon français devrait être de l’ordre de soixante-dix. Le pavillon devant ouvrir ses portes de dix heures à vingt-trois heures sept jours sur sept, nous estimons que chaque poste d’hôtesse, d’agent d’accueil ou de sécurité équivaudra à 2,5 temps pleins, compte tenu des règles à respecter en matière de temps de travail – jours de repos et limitation à dix heures de travail par jour. Quant aux permanents, ils alterneront leurs périodes de travail, chacun disposant d’un binôme.
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. Vous avez pris le parti de faire marcher les visiteurs. Je suppose qu’ils marqueront un certain nombre d’arrêts. Quelle réflexion développez-vous sur ce point avec la scénographe ? Avez-vous fixé un temps maximal pour ces arrêts, afin de pouvoir gérer le flux des visiteurs et la file d’attente qui va nécessairement se former devant le pavillon français ? À l’heure du numérique, a-t-on progressé sur la manière de s’adresser aux visiteurs ? Dans quelles langues s’adressera-t-on à eux, outre le français ?
M. Alain Berger. La gestion du flux continu des visiteurs de manière à éviter la formation d’une file d’attente est un véritable défi. C’est une question compliquée. Nous avons clairement indiqué à la scénographe qu’il n’y aurait pas d’interface : il n’est pas prévu que les visiteurs s’arrêtent. Tout l’enjeu est qu’ils ressortent du pavillon français en ayant retenu des messages.
Contrairement à ce qu’avait fait mon prédécesseur à Shanghai, nous n’allons pas installer de tapis roulant qui oblige les visiteurs à avancer. Afin d’éviter qu’ils ne s’arrêtent, nos hôtesses les encourageront à continuer leur chemin. Nous appellerons aussi leur attention au moyen de films qui les inciteront systématiquement à aller plus loin. Nous disposerons de nombreux écrans à l’intérieur du pavillon, sur lesquels nous projetterons des films très courts avec des slogans et des messages forts. Nous privilégierons les images, notamment celles qui parlent d’elles-mêmes, et réduirons le texte au minimum en dehors des slogans. Le commentaire sera diffusé oralement en français et retranscrit par écrit en anglais et en italien sur de petits écrans qui seront placés à côté des grands. Les visiteurs pourront se connecter s’ils le souhaitent, mais nous ne distribuerons pas d’appareils.
Ainsi, nous avons fait le pari d’un foisonnement, notamment parce que nous voulons nous garder des simplifications et transmettre un message de diversité. Le visiteur ne verra pas tout : il picorera, retiendra quelques éléments parmi une multitude, en fonction de son déplacement. Je ne suis pas en mesure de vous donner plus de détails à ce stade, car nous sommes tout juste en train de valider le projet de scénographie.
M. Hervé Pellois. La France, avez-vous indiqué, s’est engagée deux ans avant le début de l’exposition universelle. À partir de quand aurait-elle pu le faire ? Certains grands pays seront-ils absents de Milan ?
M. Alain Berger. La France aurait pu s’engager dès que Milan a été choisie pour accueillir l’exposition universelle, c’est-à-dire sept ans avant le début de celle-ci. De même, Dubaï a été désignée comme ville hôte de l’exposition de 2020 il y a six mois. En tout cas, une durée de préparation de quatre ans me paraîtrait raisonnable pour un État participant, notamment du point de vue de la passation des marchés. Ainsi que je l’ai indiqué, le délai de deux ans dont nous disposons est à mon sens trop court : nous menons de front tous les chantiers à la fois et sommes donc en permanence sous pression.
Pourquoi a-t-on tardé ? Sans doute parce qu’il fallait trouver un budget. En outre, l’élection présidentielle et le changement de majorité ont eu un effet sur le calendrier. Néanmoins, le processus budgétaire a été très efficace : très peu de temps s’est écoulé entre le moment où la France a décidé de participer et celui où mon budget a été affecté. La décision a été prise par le Premier ministre, et tous les ministères ont joué le jeu.
Le Canada – qui n’est pas membre du BIE – sera le seul grand absent de Milan. La Turquie, qui n’avait pas prévu de participer initialement, vient de confirmer sa présence. Tous les pays qui comptent en matière agroalimentaire seront représentés, tant les grands producteurs que les principaux consommateurs. La présence de la Chine sera très impressionnante : elle se déploiera sur quatre pavillons. Les États-Unis ont monté un projet entièrement privé. L’Union européenne participera en tant que telle, et les États membres se coordonneront. La Russie sera également présente.
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. À l’exposition de Shanghai, certaines régions françaises, notamment Rhône-Alpes, avaient leur propre pavillon. À Milan, la présence des régions sera intégrée au sein du pavillon français, suivant une sorte de planning. Cela a-t-il été difficile à organiser pour vous ? Avez-vous sollicité toutes les régions ? Comment les choses se sont-elles passées ?
M. Alain Berger. Je suis un grand partisan de l’unité de la France lorsqu’elle se projette à l’international, à tout le moins en matière agroalimentaire – je ne suis pas qualifié pour me prononcer sur les autres domaines. Or, dans les grands salons internationaux du secteur – la Semaine verte internationale à Berlin, le Salon international de l’alimentation (SIAL) à Paris, le salon de Cologne ou celui de Shanghai –, la France se présente presque toujours en ordre dispersé. Alors que nos principaux concurrents – l’Italie, l’Espagne – regroupent tous leurs acteurs au sein d’un univers unique ou d’un même pavillon, les entreprises et les régions françaises, qui ne sont pas nécessairement connues à l’international, ont tendance à s’éparpiller dans différents espaces du salon. Telle est, hélas, la spécificité de notre pays et une de ses fragilités. Dans ces conditions, la France n’exprime pas tout ce qu’elle pourrait exprimer.
À Milan, les organisateurs ont posé une règle – excellente de mon point de vue – qui n’existait pas à Shanghai : les régions qui souhaitaient être présentes devaient passer par le commissaire du pavillon national et recueillir son autorisation. Les régions françaises, à l’exception de deux ou trois d’entre elles, ne sont pas venues spontanément vers nous. Certaines n’ont d’ailleurs pas encore décidé de leur participation, sans doute parce qu’elles estiment ne pas retrouver suffisamment leur propre identité dans ce cadre. C’est dommage, selon moi, car la France a tout intérêt à montrer son unité sur les marchés agroalimentaires mondiaux. Si nous voulons délivrer un message efficace à l’international, nous devons rassembler la France et les régions françaises sous un même pavillon. Du reste, cela coûte beaucoup moins cher aux régions de participer à l’exposition sous le pavillon français que séparément. Je leur offre presque l’accès au site : si elles avaient voulu y être présentes par elles-mêmes, elles auraient dû débloquer un budget deux à trois fois supérieur. D’une certaine manière, le contexte budgétaire actuel me facilite la tâche.
M. Bruno Le Roux, président, rapporteur. Merci beaucoup, monsieur le commissaire général.
1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
2 () Marcel Galopin, Les Expositions internationales au XXe siècle et le Bureau international des expositions, L’Harmattan, avril 1997.
3 () Pascal Ory, 1889, l’Exposition universelle, Éditions Complexe, 1989.
4 () Édouard Vasseur, Pourquoi organiser des Expositions universelles ? Le « succès » de l’Exposition universelle de 1867. In Histoire, économie et société. 2005, 24ème année, n°4. pp 573-594.
5 () Revue des deux mondes, 1892, p. 897, cité par Madeleine Rebérioux, Au tournant des Expos : 1889 ; Le Mouvement social, n°149, octobre-décembre 1989, Les éditions ouvrières.
6 () http://www.bie-paris.org/site/fr/les-expositions-fr/categories-des-expos.
7 () Pascal Ory, op. cit.
8 () Régis Debray, Entre Diderot et Disneyland ou les avatars d’une utopie, extrait du catalogue de l’Exposition universelle à Séville, 1992 » à l’Institut français d’architecture, repris dans Contretemps, éloge des idéaux perdus, Folio Gallimard, 1992.
9 () Cité par Marcel Galopin, op. cit.
10 () Peter Sloterdijk, Le palais de cristal : à l’intérieur du capitalisme planétaire, Maren Sell Éditeurs, 2006.
11 () Il n’est cependant pas inutile, à cet égard, de rappeler que les expositions furent également un lieu de contacts privilégiés pour les ouvriers au plan international, notamment l’Exposition de Londres de 1862, point de départ de ce qui aboutira en 1864 à la création de l’association internationale des travailleurs, soit la Première Internationale ouvrière.
12 () Le spectre boulangiste ne se trouvera définitivement écarté qu’au terme des élections législatives des 22 septembre et 6 octobre 1889, soit pendant l’exposition.
13 () Erik Larson, Le Diable dans la Ville blanche, éditions Le Cherche-Midi, 2011. Cf. notamment le chapitre 54.
14 () Mentionnons également l’Exposition des arts décoratifs de 1925, qui eut un fort retentissement, l’Exposition coloniale internationale de 1931 qui a laissé un souvenir très vif à ceux qui l’ont visitée, et enfin l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937.
15 () Christophe Prochasson, Paris 1900, Essai d’histoire culturelle, éditions Calmann-Lévy, 1999.
16 () Madeleine Rebérioux, Au tournant des Expos: 1889, op. cit. Ajoutons à cette liste le nom d’Alfred Picard, ingénieur, polytechnicien, qui fut rapporteur général de l’Exposition de 1889 avant d’être commissaire général de celle de 1900.
17 () Sylvain Ageorges, Sur les traces des expositions universelles – Paris, 1855-1937, éditions Parigramme, 2006.
18 () Pascal Ory, 1889, l’Exposition universelle, op.cit.
19 () Cité par Jean-Pierre Rioux, Chronique d’une fin de siècle, France 1889-1900, Éditions du Seuil, 1991.
20 () Par les protocoles du 10 mai 1948 et du 16 novembre 1968. Il a été réécrit par un protocole du 30 novembre 1972. Il a été complété par des amendements adoptés le 24 juin 1982 et le 31 mai 1988, puis par des résolutions adoptées le 8 juin 1994.
21 () Audition du 5 février 2014.
22 () Elles ont été changées par le protocole du 10 mai 1948, par celui du 16 novembre 1966 puis par celui du 30 novembre 1972 et enfin par un amendement adopté le 31 mai 1988.
23 () Amendement du 24 juin 1982.
24 () Amendement du 31 mai 1988.
25 () Exposition enregistrée.
26 () Exposition reconnue.
27 () L’Exposition des Arts Décoratifs et de l’Architecture Moderne de la Triennale de Milan également reconnue par le BIE.
28 () Titre II.
29 () Article 9.
30 () Titre V.
31 () Article 25.
32 () 8 juin 1994.
33 () Titre III.
34 () Si une candidature de la France était déposée au printemps 2016, les dernières candidatures concurrentes doivent l’être à l’automne 2016. S’ensuivent les mois d’enquête du BIE avant le scrutin. Il doit compter 18 mois. Le BIE rendrait alors son rapport à l’été 2018. Le scrutin pourrait se tenir l’automne 2018.
35 () Article 6.
36 () Du 8 juin 1994.
37 () Article 10 de la convention.
38 () « Le cercle des Échos », 22 juillet 2013.
39 () En version originale : « Science Finds, Industry Applies, Man Conforms ».
40 () Jonathan Coe, Expo 58, Trad. de l'anglais par Josée Kamoun, Ed. Gallimard, Paris, 2014, Coll. Du monde entier.
41 () Cf. Charles Piat, Les expositions internationales relevant du Bureau international des expositions, Ed. BIE, avril 2001, p. 12-13.
42 () Article premier.
43 () 8 juin 1994.
44 () La même année que les jeux Olympiques de Los Angeles et deux ans après l'ouverture du parc Disney World Epcot en Floride.
45 () Cf Rapports n° 106-680 de M. Roggers du 19 juin 2000 et n° 106-404 de M. Gregg du 8 septembre 2000, au nom des commissions des finances respectives de la Chambre des Représentants et du Sénat du 106e Congrès (1999-2000) sur le projet de budget pour 2001 des ministères du commerce, de la justice, du département d’État, du pouvoir judiciaire et d'autres agences, p. 110 pour l'un et 154 pour l'autre, sur le retrait de l'Union interparlementaire, du BIE et de l'UNESCO (http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CRPT-106hrpt680/pdf/CRPT-106hrpt680.pdf et http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CRPT-106srpt404/pdf/CRPT-106srpt404.pdf).
46 () Projet Europa City.
47 () Cité par Anne Claude Ambroise Renda, La puissance française à la Belle époque, Éditions Complexe, 1992.
48 () Le Président de la République a fait usage de son droit constitutionnel de demander une nouvelle délibération. L’abandon du projet ayant été annoncée, cette délibération ne fut jamais inscrite à l’ordre du jour.
49 () Rapport n° 1504 du 17 mai 1983 fait au nom de la commission de la production et des échanges par M. Georges Sarre, député.
50 () Rapport n° 389 du 14 juin 1983 fait au nom de la commission spéciale par M. Roger Romani, sénateur.
51 () Jacques Chirac a été réélu maire de Paris en mars 1983, le sénateur Roger Romani est adjoint au maire, chargé de la Questure et le député Georges Sarre préside le groupe socialiste au Conseil de Paris.
52 () Le rapport de M. Noël de Saint Pulgent est librement accessible sur le site Internet de la Documentation française : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/024000443/index.shtml.
53 () Pour l’association ExpoFrance 2025.
54 () Arts et métiers Paris Tech, Celsa Paris-Sorbonne, Centre Michel Serres, l’Ecole nationale supérieure du paysage, ENSA Paris la Villette, SciencesPo Paris, l’Université Panthéon-Sorbonne Paris I.
55 () Que l’on pourrait traduire par « l’avance grâce à la technique ».
56 () Audition du 14 septembre 2014.
57 () Le budget pour la participation de la France à l’Exposition de Shanghai a été de 37,5 millions d’euros, comme l’a précisé M. José Frèches, commissaire général.
58 () M. Noël de Saint Pulgent s’appuyant sur son expérience, y est au contraire favorable : « pour réussir, les projets de cette nature, tout en étant clairement dirigés par la puissance publique, doivent s’appuyer sur des partenariats publics privés équilibrés. Le Stade de France n’aurait pas été terminé à temps sans un tel PPP ».
59 () Tourisme : une place de leader à reconquérir, Sénat, Rapport d’information n° 45 (2013-2014) du 8 octobre 2013 de MM. Luc Carvounas, Louis Nègre et Jean-Jacques Lasserre, fait au nom de la commission des affaires économiques et de la commission pour le contrôle de l’application des lois.
60 () Voir notamment les articles du Figaro du 16 janvier 2014 (Tourisme : Londres détrône Paris ») et de Challenges du 16 janvier 2014 (« Non, Londres n’a pas encore devancé Paris comme 1ère destination touristique mondiale »).
61 () Theodore Zeldin, Les Français, Fayard, 1983.
62 () Voir à cet effet le relevé de décision des Assises du tourisme, disponible sur le site Internet du ministère des affaires étrangères : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/DP-cloture-assises_cle88c13f.pdf.
63 () https://www.kpmg.com/FR/fr/IssuesAndInsights/ArticlesPublications/Documents/Industrie-Hoteliere-Francaise-en-2012.pdf.
64 () Paul Roll, Le tourisme à Paris, enjeux et défis, Conférence du 12 mars 2013 à l’IREST
(http://www.univ-paris1.fr/fileadmin/IREST/Memoires_Masters_2/Roll-conf%C3%A9rence.pdf )
65 () Source : Memento du tourisme 2013, Direction générale des entreprises.
66 () Jeremy Rifkin, La nouvelle société coût marginal zéro L’internet des objets L’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Éditions Les Liens Qui Libèrent, 2014.
67 () Audition du 18 juin 2014.
68 () Audition du 2 juillet 2014.
69 () Audition du 11 juin 2014.
70 () Loi n° 2010-597.
71 () 400 étudiants issus de 7 grandes écoles et universités.
72 () Ce qui reviendra moins cher, selon M. Jacques Ferrier.
73 () En effet, depuis 1988, la convention régissant les expositions ne fait plus mention de ces pavillons et renvoie au règlement général de l’exposition le soin d’en prévoir ; elle exige seulement que des emplacements, construits par l’organisateur, soient mis à la disposition des États invités.
74 () D’itinérance.
75 () GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon
76 () Chiffres de juin 2014 : 144 États.
77 () L’exception française, par Norman Spinrad,, dans Le Monde du 19 août 1998.
78 () Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg, La fabrique de la défiance… et comment s’en sortir, Albin Michel, 2012.
79 () Entretien accordé au journal Le Monde, 16 décembre 2010. M. Delevoye, devenu depuis président du Conseil économique, social et environnemental, a confirmé son diagnostic en 2013 dans Reprenons nous !, publié aux éditions Tallandier.
80 () http://www.cevipof.com/fr/france-2013-les-nouvelles-fractures/.
81 () Non, les Français ne sont pas en dépression !, par Guénaëlle Gault et Philippe Moreau-Chevrolet, tribune publiée dans Le Monde du 12 février 2013. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/02/12/non-les-francais-ne-sont-pas-en-depression_1830304_3232.html.
82 () Suzanne Berger, Notre première mondialisation, leçons d’un échec oublié, coll. La République des idées, Éditions du Seuil, 2003.
83 () Cf. supra, Troisième partie, II.A.
84 () « Compétitivité et attractivité, le double défi des villes globales : comment réinventer le modèle économique de Paris-Ile-de France ? ».
85 () Cf. Première partie, II.
86 () Futuribles n°401-juillet août 2014 :
« Grands évènements sportifs : la nécessité d’une réévaluation » Jean-Jacques Gouguet et Jean-François Brocard ;
« Le label « capitale européenne de la culture » : les effets à long terme des grandes manifestations culturelles »par Marthe de La Taille-Rivero.
87 () Libération, 26 septembre 2014.
88 () Par ordre d’entrée dans le Club des partenaires fondateurs (association ExpoFrance 2025).
89 () Ensemble cohérent de composants logiciels
90 () D’itinérance.
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