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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 octobre 2014.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION (1)
sur la candidature de la France à l’exposition universelle de 2025,
ET PRÉSENTÉ
PAR M. Jean-Christophe FROMANTIN, Président,
et
M. Bruno LE ROUX, Rapporteur,
Députés.
——
La mission d’information est composée de : M. Jean-Christophe Fromantin, président, et M. Bruno Le Roux, rapporteur ; M. Yves Albarello, M. Jean-François Lamour, M. Michel Lefait, Mme Martine Martinel, vice-présidents ; M. Michel Lesage, M. Noël Mamère, Mme Catherine Quéré, Mme Claudine Schmid, secrétaires ; M. Guillaume Bachelay, M. Alexis Bachelay, M. Thierry Benoit, M. Sylvain Berrios, Mme Marie-Odile Bouillé, M. Christophe Bouillon, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Philip Cordery, M. Jean-Michel Couve, M. Olivier Dassault, M. Hervé Féron, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Goasguen, Mme Pascale Got, Mme Gilda Hobert, M. Jacques Kossowski, M. Yannick Moreau, M. Hervé Pellois, M. Thierry Solère, membres.
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 13
PREMIÈRE PARTIE : LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES SONT-ELLES TOUJOURS D’ACTUALITÉ ? 15
I. LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES ONT UNE RICHE HISTOIRE 16
A. GENÈSE ET ÉPANOUISSEMENT D’UN PHÉNOMÈNE FOISONNANT 16
1. Des manifestations emblématiques de l’ère moderne 16
a. Une double origine révolutionnaire 16
b. La cristallisation londonienne et l’enclenchement de la dynamique 17
c. La construction spontanée d’un modèle foisonnant 19
2. Une ampleur croissante qui traduit des fonctions multiples et qui suscite des critiques de fond 20
a. Les huit fonctions caractéristiques des expositions universelles 20
b. Les interrogations et critiques suscitées par la course au modernisme et au gigantisme 22
B. MÉMOIRE ET HÉRITAGE D’UN GLORIEUX PASSÉ 24
1. Un trait d’union entre le passé et l’avenir 24
a. Un rassemblement en quête permanente de sens 24
b. L’héritage matériel et moral 25
2. Le lien particulier entre la France et les expositions universelles 27
a. Paris, ville par excellence des expositions universelles ? 27
b. La dette parisienne à l’égard des expositions universelles 29
II. LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES ONT UN MAÎTRE D’OUVRAGE PEU CONNU MAIS EXIGEANT 31
A. CES MANIFESTATIONS, SPONTANÉES À L’ORIGINE, ONT ÉTÉ SOUMISES À UNE CONVENTION INTERNATIONALE 31
B. LA CONVENTION DE 1928 IMPOSE AUX ÉTATS PARTIES TROIS ENGAGEMENTS 32
1. Les projets d’expositions doivent respecter la coutume diplomatique mise par écrit 32
2. La convention définit les expositions internationales pour en limiter la fréquence 34
3. La convention soumet les différends entre États à l’arbitrage d’une instance intergouvernementale, le BIE. 38
C. LE BIE FOURNIT LE CADRE RÉGLEMENTAIRE DES EXPOSITIONS 40
1. Le BIE encadre étroitement la procédure d’enregistrement 40
a. Le dépôt de la demande 40
b. Le contenu du dossier 41
c. L’organisation de l’exposition 42
2. L’examen des candidatures par le BIE commence par une enquête et s’achève par un scrutin 43
3. La procédure administrative d’enregistrement reste cependant un exercice de diplomatie 45
III. LES EXPOSITIONS INTERNATIONALES PEUVENT PARAÎTRE DÉSUÈTES 48
A. LES EXPOSITIONS DU XIXE SIÈCLE CÉLÉBRAIENT LE PROGRÈS UNIVERSEL 48
1. La foi en le progrès 48
2. Le progrès est devenu source de désillusion pour les Français 50
B. DOUTANT DU PROGRÈS, LES ÉTATS MEMBRES DU BIE L’ONT SUBORDONNÉ À DE NOUVELLES VALEURS 52
1. L’Exposition de 1958 marque un tournant 52
2. À partir du protocole de 1972, les expositions changent de finalité 53
3. Depuis 1994, toute exposition doit avoir pour thème les attentes de la société contemporaine 54
a. Les expositions doivent répondre à des attentes collectives 54
b. Les thèmes sont soumis à des négociations diplomatiques 55
c. Un passage à vide ? 56
4. Parallèlement, les thématiques ont également été infléchies par l’arrivée des pays émergents 57
C. L’ORGANISATION DES EXPOSITIONS A CONNU DE PROFONDES MUTATIONS 59
1. Le modèle financier des expositions révèle des divergences de conception 59
2. Une exposition enregistrée est un exercice de transformation urbaine dont les suites ont été trop souvent décevantes. 62
a. Une vaste transformation urbaine… 62
b. …Qui ne porte pas toujours ses fruits 63
3. Une exposition est de plus en plus un objectif pour séduire les partenaires économiques 65
4. Le modèle des expositions internationales n’est pas adapté à un urbanisme riche d’un abondant patrimoine 67
a. Les riverains ne veulent pas défigurer leur ville 67
b. Les utopies ne se sont pas concrétisées 68
c. La limite du « geste » architectural : le « vide » des pavillons. 69
d. Il n’existe pas actuellement d’autre modèle qui corresponde aux attentes du public. 70
DEUXIÈME PARTIE : LES CONDITIONS INDISPENSABLES À RÉUNIR POUR RELEVER LE DÉFI 73
I. ASSEOIR UNE CANDIDATURE SUR DES BASES SOLIDES EN TIRANT LES LEÇONS DE NOS MÉSAVENTURES PASSÉES 74
A. L’EXAMEN DES FORCES ET FAIBLESSES FRANÇAISES 74
1. Une expérience incontestable en matière d’organisation de grands événements internationaux 74
a. Un savoir-faire probant 74
b. Un faire-savoir aux effets contre-productifs 75
2. De non moins incontestables rendez-vous manqués 77
a. Les leçons à tirer des échecs olympiques 78
b. La présence française dans les expositions internationales. 80
B. L’INDISPENSABLE IMPULSION D’UNE DYNAMIQUE DU SOMMET À LA BASE 83
1. La mobilisation doit commencer au sommet 83
2. La mobilisation doit continuer avec les autres acteurs de la société française et la population 85
a. Une nécessité incontournable 85
b. Une population d’ores et déjà réceptive 86
C. L’IMPORTANCE DU THÈME 92
1. Le thème, un facteur clé du dossier de candidature 92
a. Un des éléments qui détermine le succès de la candidature 92
b. Le caractère universel du thème 93
c. La déclinaison du thème dans l’exposition 93
2. Quel thème pour réaffirmer une identité nationale positive ? 95
a. Tradition ou innovation ? 95
b. Comment présenter l’innovation ? 99
c. Réaffirmer la vocation universaliste de la France ? 100
d. Le bonheur et la fête ? 101
e. L’hospitalité et la révolution du partage ? 102
II. UN PROJET CONSENSUEL ET PROFESSIONNEL 106
A. UNE ORGANISATION OPTIMALE 106
1. Au sommet 106
a. L’indispensable consensus dans la réalisation du projet 106
b. Une nécessaire réflexion sur le statut de l’instance dirigeante 107
c. La gouvernance 110
2. Au sein de la population 110
a. La politique de la communication choisie 110
b. La mobilisation de tous les acteurs 111
B. LE MODÈLE ÉCONOMIQUE 112
1. Traditionnellement le coût des expositions universelles est élevé 113
2. Les enjeux financiers doivent être appréhendés en tenant compte d’une approche complètement nouvelle de l’exposition 116
a. Une organisation originale s’impose 116
b. Des modalités de financement nouvelles 117
TROISIÈME PARTIE : UNE EXPOSITION ADAPTÉE AUX VISITEURS DU XXIE SIÈCLE 123
I. ACCUEILLIR LE MONDE DANS LES MEILLEURES CONDITIONS 124
A. LES ENJEUX QUANTITATIFS ET QUALITATIFS DE L’ACCUEIL 124
1. Splendeurs et misères de l’accueil en France et à Paris 124
a. L’attractivité touristique française 124
b. Des appréciations contrastées sur la qualité de l’accueil 126
2. Les conséquences liées à l’accueil de dizaines de millions de visiteurs 128
a. La difficile estimation du nombre et de la nature des visiteurs attendus 128
b. Le syndrome de la file d’attente 130
c. Les volontaires, relais d’un accueil réussi 132
B. LE DÉFI DE L’HÉBERGEMENT 134
1. Une saturation de la capacité hôtelière ? 134
a. Le bilan de l’offre hôtelière à Paris 134
b. Des perspectives hôtelières « hors les murs » 136
2. Des voies alternatives et complémentaires à explorer 138
a. L’optimisation des modes d’hébergement existants 138
b. La voie de l’hébergement collaboratif 140
C. DE NOUVELLES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT POUR DE NOUVELLES MOBILITÉS 141
1. La liaison Paris-Roissy 142
a. Une liaison actuelle déplorable 142
b. Un projet – CDG Express – indispensable 143
c. La nécessité de désenclaver Orly et Le Bourget 145
2. Le Grand Paris-Express 146
a. Le développement du Grand Paris-Express 146
b. Les délais 148
c. Le financement 149
d. Les gares 150
e. La gestion des flux 151
f. Une accélération bienvenue du projet 153
3. Des propositions innovantes 154
a. Des moyens de transport novateurs 154
b. Une nouvelle conception des mobilités : des transports mis en scène, dans le cadre d’un autre urbanisme 156
D. UNE EXPOSITION POLYCENTRÉE 158
1. Une exposition polycentrée aurait plusieurs avantages 158
a. Le BIE est réticent à l’idée d’abandonner le champ clos de ses expositions 158
b. Le polycentrisme ne doit pas créer d’incident diplomatique et ne va pas à l’encontre de l’égalité des pays participants. 160
c. Le polycentrisme éviterait qu’un seul site, envahi par une foule, interdise une visite plaisante, détendue et festive 161
d. Le polycentrisme risquerait de renchérir l’intendance d’une exposition 164
e. Vue de l’étranger, la France est devenue petite et donc facile à visiter 166
f. Une exposition polycentrique éviterait les problèmes de reconversion du site 167
g. Des exemples de polycentrisme : les événements sportifs 167
2. L’exposition française comporterait trois cercles concentriques 168
3. L’exposition française pourrait également aller en 2025 de la Seine vers les métropoles 170
II. DES CHANTIERS IMMOBILIERS ET NUMÉRIQUES 171
A. LA RÉVOLUTION DU NUMÉRIQUE 171
1. Une démarche nouvelle liée au partage 171
a. Faire une exposition universelle sur le numérique n’aurait pas de sens 171
b. Le numérique, un moyen de susciter l’enthousiasme dès la préparation de la candidature 175
c. Le partage, pour quel type d’activités ? 176
2. De nouvelles modalités d’organisation de l’exposition 180
a. Une vitrine et une aide pour les transports 180
b. Un moyen de dématérialiser et de simplifier les procédures 182
c. Un moyen de décupler l’information et d’intégrer 184
3. La mise en œuvre de la révolution digitale dans un nouveau projet : Europa City 187
B. LA RÉUTILISATION OU LA CONSTRUCTION D’IMMEUBLES 189
1. La réutilisation de bâtiments patrimoniaux existants 190
2. La valorisation des abords des monuments 196
3. L’utilisation de bâtiments existants modifierait le contenu de l’exposition 198
4. Les nouvelles gares du Grand Paris-Express 199
5. Quelques gestes architecturaux mémorables 200
6. Des règles d’urbanisme à négocier avec le BIE et à inscrire dans la loi 203
7. Europa City et l’exposition universelle 206
C. LA SÉCURITÉ 206
1. Un problème majeur 206
2. Les atouts de la France 208
QUATRIÈME PARTIE : UNE EXPOSITION UNIVERSELLE POUR FAIRE DU BIEN À LA FRANCE 213
I. LA NÉCESSITÉ DE RÉCONCILIER LA FRANCE AVEC ELLE-MÊME… ET AVEC LE MONDE ! 214
A. RETROUVER LE CHEMIN DE LA CONFIANCE 214
1. La sinistrose française, un cercle vicieux qui s’auto-entretient 214
2. Les moyens d’en sortir et d’aller vers une nouvelle positivité 219
a. Le besoin d’un déclic 219
b. Les conditions préalables à une dynamique positive 221
B. DYNAMISER NOTRE STRATÉGIE D’INFLUENCE 222
1. L’image de la France dans le miroir du monde 222
2. L’exposition universelle au service de la stratégie d’influence française 225
II. DES RETOMBÉES IMPORTANTES 227
A. DES BÉNÉFICES TOURISTIQUES ET ÉCONOMIQUES EN MATIÈRE DE QUALITÉ DE VIE 227
1. Des retombées importantes sur l’économie 227
a. Un renforcement de notre diplomatie économique 227
b. Des retombées positives pour de nombreux secteurs 228
c. Des retombées pour Paris et le Grand Paris 231
d. Des retombées pour l’ensemble de l’économie française 233
B. EXPO versus JO : QUE FAIRE ? 236
1. Problématiques communes, logiques distinctes et effets contrastés 236
2. Des interrogations sur l’acceptabilité d’une organisation concomitante 240
a. Deux candidatures complémentaires ou souhaitables ? 240
b. Des réticences dues à la soutenabilité financière et à l’acceptabilité des citoyens 241
RECOMMANDATIONS 245
1. Organiser une exposition universelle en France en 2025 245
2. Renouveler la forme de l’exposition universelle 246
3. Asseoir l’exposition sur un nouveau modèle d’organisation 246
4. Des éléments connexes indispensables à la réussite de l’exposition 247
EXAMEN DU RAPPORT 249
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 255
ANNEXES 263
ANNEXE 1 : PALAIS-OMNIBUS PARIS 1867 265
ANNEXE 2 : LES FRANÇAIS ET LA CANDIDATURE DE LA FRANCE À L’EXPOSITION UNIVERSELLE 2025 : SONDAGE IFOP 267
ANNEXE 3 : ILS ONT DIT « OUI » À L’EXPOSITION UNIVERSELLE 283
ANNEXE 4 : VœU TYPE DE SOUTIEN D’UNE MUNICIPALITÉ À LA CANDIDATURE DE LA FRANCE À L’ORGANISATION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE 2025 287
ANNEXE 5 : CONTRIBUTION DE M. PIERRE-ALAIN SCHIEB, CONSULTANT AUPRÈS DE L’OCDE 289
ANNEXE 6 : LE BUDGET DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE SHANGHAI DE 2010 293
ANNEXE 7 : GRAND PARIS-EXPRESS 295
ANNEXE 8 : RER C - VERSAILLES 297
ANNEXE 9 : UNE EXPOSITION POLYCENTRÉE 299
ANNEXE 10 : POINTS D’ÉTAPE ET ÉVÉNEMENTS EXPOFRANCE 2025 301
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 307
Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du Bureau international des expositions (BIE) 309
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions (BIE), et de M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE 319
Audition, ouverte à la presse, de M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE) 329
Table ronde, ouverte à la presse, sur la mise en perspective historique et l’héritage des expositions universelles, avec M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions, Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne 337
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Peut-on encore aujourd’hui célébrer le progrès et les innovations ? », avec M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation, M. Joël de Rosnay, conseiller de la présidence d’Universcience et président de Biotics International, et M. Gérard Roucairol, président de l’Académie des technologies 349
Audition, ouverte à la presse, de Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP) 363
Présentation, ouverte à la presse, des travaux réalisés par des étudiants de Sciences Po Paris et du Centre Michel Serres, suivie d’un débat 372
Audition conjointe, ouverte à la presse, de représentants de l'Association ExpoFrance 2025 : M. Luc Carvounas, sénateur, M. Hervé Brossard, président de l'Omnicom Media Group France, M. Patrick Gautrat, ancien ambassadeur, ancien directeur des sports au ministère des affaires étrangères, M. Ghislain Gomart, directeur général de l'association 392
Audition commune, ouverte à la presse, sur l’influence française dans le monde avec M. Xavier Darcos, ancien ministre, président de l’Institut français ; M. Christophe Musitelli, directeur du département Langue française, livre et savoirs de l’Institut français ; Mme Mercedes Erra, présidente d’Euro RSCG ; M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure d’Ulm, et Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist 404
Audition commune, ouverte à la presse, de représentants du Commissariat général de la section française à l’Exposition universelle de Shanghai en 2010 : M. José Frèches, commissaire général, M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française, et chargé de mission auprès du commissaire général de l’exposition universelle de Milan, et M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Île de France 415
Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury Sport Organisation (ASO) et directeur du Tour de France, et de M. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint du cyclisme d’ASO 427
Audition, ouverte à la presse, de M. Armand de Rendinger, ancien directeur de la promotion internationale du projet « Paris 2012 » 434
Audition, ouverte à la presse, de M. Noël de Saint Pulgent, auteur du rapport sur la préparation de l’exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, ancien directeur général du GIP Paris Ile-de-France pour la candidature de Paris aux JO de 2008 440
Audition, ouverte à la presse, de M. Guy Drut, ancien ministre, membre du comité international olympique 447
Audition, ouverte à la presse, de Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique 456
Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Lambert, ancien préfet, ancien directeur général de la FFF, coordinateur des services de l’État pour la préparation des JO de 1992, directeur du comité d’organisation de France 1998, président du comité de pilotage de l’Euro 2016 de football 461
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité et M. Jean-François Martins, adjoint à la Maire de Paris chargé des sports et du tourisme 468
Audition, ouverte à la presse, de M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers 482
Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile 492
Audition, ouverte à la presse, de M. Bertrand de Lacombe, directeur des affaires publiques d’Aéroports de Paris (ADP), et de Mme Alexandra Locquet, responsable du projet CDG Express chez ADP 500
Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris 509
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’Établissement public de Paris Saclay 515
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Messulam, directeur général adjoint de Transilien SNCF 520
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Simon, président de l’association Paris IDF Capitale économique, et de Mme Chiara Corazza, directrice générale 525
Audition, ouverte à la presse, de M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai 530
Audition, ouverte à la presse, sur le tournoi de Roland Garros, de M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis (FFT) 538
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP 544
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Comment accueillir le monde : l’offre touristique », avec M. Thierry Coltier, Managing partner de Horwath HTL France, M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France, M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve, et M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France 550
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « L’exposition universelle comme vecteur du renouvellement urbain », avec M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris, M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, Agence Duthilleul, M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine, M. Alexandre Labasse, architecte, directeur général du Pavillon de l’arsenal, et M. Jacques Ferrier, architecte, Agence Jacques Ferrier Architectures 557
Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux 568
Audition commune, ouverte à la presse, de M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, accompagnés de Mme Sandrine Bourgogne, et de M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF et président du Pôle économique, fiscal, innovation et numérique, de Mme Céline Micouin, directrice entreprises et société, accompagnés de M. Matthieu Pineda, chargé de mission 575
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur général d’Air France, et de Mme Patricia Manent, directrice adjointe des affaires publiques d’Air France 581
Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Antoine Gailly président de la CCI Paris Ile-de-France, de M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts de Seine, de M Etienne Guyot, directeur général de la CCI Paris Ile-de-France, accompagnés de Mme Véronique Etienne-Martin, responsable du département Affaires publiques et Valorisation des études 586
Audition, ouverte à la presse, de de M. Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France, accompagné de Mme Sophie Mougard, directrice générale du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) 596
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, et M. Christian De Boissieu, membre du Cercle 605
Audition commune, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Martinez, président-directeur de l’établissement public du musée du Louvre, de M. Hervé Barbaret, administrateur général, et de M. Éric Spitz, directeur général de la Société d’exploitation de la Tour Eiffel (SETE) 611
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Exposition réelle, exposition virtuelle : quelle place pour le numérique ? », avec M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique, Mme Virginia Cruz, membre du Conseil, et M. Jean-Louis Fréchin, commissaire général de Futur en Seine 619
Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Paul Cluzel, président de La Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP) 633
Table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « L’exposition universelle et la sécurité », avec des représentants du ministère de l’Intérieur : M. Benoît Trevisani, sous-directeur des services d'incendie et des acteurs du secours, M. Jean-Marie Caillaud, chef du bureau de la réglementation incendie et des risques courants, et M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience 639
Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Dalstein, directeur exécutif d’Europa City, et de Mme Sophie Delcourt, directrice du marketing et des partenariats 645
Audition, ouverte à la presse, de M. Hugues de Jouvenel, président de Futuribles International, consultant international en prospective et stratégie 651
Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Berger, commissaire général de la section française à l’exposition universelle de Milan en 2015 658
Rendez-vous en France en 2025 !
La France donne rendez-vous au monde.
Il n’est pas fréquent qu’un rapport parlementaire suscite autant d’enthousiasme de la part de ceux que nous avons rencontrés.
Il n’est pas fréquent non plus qu’une telle mission ait cette formidable ambition de donner rendez-vous au monde.
Cette mission, dont l’objectif consistait à étudier la pertinence d’une candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025 a été une occasion de relire notre héritage, de valoriser nos atouts et de questionner notre avenir.
Grâce à la créativité de sa population, à sa culture et à sa passion pour la modernité, la France a su transformer chaque cycle de changement en un nouveau temps de développement et de rayonnement à travers le monde. Depuis toujours, elle a su s’inscrire dans une dynamique d’innovation, de découverte et de progrès. La période difficile que nous traversons est une transition, qui ne doit entamer ni nos projets, ni notre fierté, ni notre motivation à perpétuer cette ambition.
L’organisation en France d’une exposition universelle donnerait corps à cette détermination.
Elle permettrait de montrer aux peuples de la terre combien notre pays a gardé cette envie de contribuer à développer un monde plus juste, plus beau et plus respectueux des valeurs humaines. Elle donnerait à nos enfants un espoir, un nouvel horizon, et une formidable occasion de s’impliquer dès à présent dans un cycle de renouveau. Elle marquerait un coup d’arrêt à ce mal qu’est le pessimisme français, reflet dans bien des cas d’un manque de perspectives.
Depuis 75 ans la France n’a plus accueilli aucune grande exposition mondiale. Pourtant en 1900 l’Exposition du Siècle organisée à Paris a attiré plus de 50 millions de visiteurs, un chiffre extraordinaire pour l’époque. Dans le prolongement de celles de 1855, de 1867, de 1878 et de 1889, ces événements planétaires furent d’extraordinaires leviers de développement pour nos cultures, nos industries et notre urbanisme. Ils ont stimulé notre confiance en l’avenir et favorisé les conditions de notre entrée dans le XXe siècle. Ils ont été ces détonateurs positifs grâce auxquels beaucoup de nos entreprises, de nos villes et de nos savoir-faire sont devenus pour longtemps des références universelles.
En ce début de XXIe siècle, alors que notre pays a besoin, plus que jamais, de faire valoir ses atouts, nous proposons de réenclencher cette dynamique ; nous plaidons pour une candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025 pour, qu’à nouveau, le monde se donne rendez-vous chez nous ; nous imaginons organiser la première exposition dont les formes immatérielles d’expression et de communication permettraient aux citoyens du monde de se retrouver et d’échanger ; nous imaginons une exposition qui réinvestisse notre patrimoine pour y accueillir tous les pays ; nous proposons que le Grand Paris et les métropoles régionales françaises soient les pivots de cette organisation. Il y a urgence à mettre l’ensemble du projet en place car 2025 c’est demain ! C’est la raison pour laquelle nous souhaitons dès maintenant vous mobiliser pour partager avec nous notre passion pour cette immense aventure, pour être avec nous les témoins d’un grand dessein et d’un extraordinaire appel à l’innovation.
La mission que nous avons conduite montre à quel point cet événement permettrait de mobiliser tous ceux qui veulent contribuer à construire l’avenir de notre pays. Nous sommes convaincus, à partir des auditions que nous avons menées avec des chefs d’entreprises, des élus, des intellectuels, des économistes, des hauts fonctionnaires ou des architectes, nous pouvons créer cette « union sacrée » entre tous ceux qui feront la France du XXIe siècle. Nous pensons que les retombées économiques seraient déterminantes pour l’avenir de la France car la durée de préparation – 7 ans – et la durée de l’événement – 6 mois – donnent le temps nécessaire pour susciter un élan et valoriser nos atouts. Nous sommes également convaincus que ce projet n’aura de sens que s’il procède d’une adhésion populaire et si chacun d’entre nous peut imaginer dès à présent comment il pourra, à son niveau, depuis son territoire, y contribuer en valorisant sa culture et son savoir-faire.
Le 13 octobre dernier le Premier ministre a annoncé que l’État apporterait son soutien à ce grand projet.
Depuis deux ans des entreprises, des étudiants et de nombreux élus se mobilisent pour lancer cette idée.
Chaque exposition universelle a été depuis toujours un incroyable appel à projets. Aujourd’hui notre mission appelle à ce que nous renouvelions cet appel…
Jean-Christophe Fromantin, Président de la mission parlementaire, Député des Hauts-de Seine.
Bruno Le Roux, Rapporteur de la mission parlementaire, Député de Seine-Saint-Denis.
PREMIÈRE PARTIE : LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES SONT-ELLES TOUJOURS D’ACTUALITÉ ?
Marcel Galopin, ancien délégué de la France au Bureau international des expositions, a consacré en 1997 un ouvrage fort instructif aux expositions internationales et universelles dans lequel il observe que tout semble avoir été dit sur ces manifestations : « Éditorialistes et chroniqueurs en tous genres ont été, en leur temps, intarissables. Il n’est pas de politicien, de philosophe, d’écrivain ou d’artiste qui n’ait exprimé son point de vue au retour de l’“Expo”». (2)
De fait, les sources abondent pour retracer ce siècle et demi d’histoire : rapports officiels, catalogues raisonnés, monographies, mémoires, articles de journaux illustrés. Au risque peut-être de conforter l’idée que les expositions universelles, aussi glorieuses qu’elles aient pu être, appartiennent essentiellement au passé !
Il n’est pas question ici de retracer l’histoire exhaustive des expositions universelles : nombre d’historiens se sont penchés sur le sujet et continuent d’y travailler. Il convient cependant de s’intéresser à cette histoire dans le sens où elle nous aide à définir ce type de manifestation et à cerner les grands traits de son évolution à travers le temps.
Définir une exposition universelle est à la fois simple et complexe : simple parce que la notion renvoie à un imaginaire solidement ancré dans la mémoire des nations, et tout particulièrement en France ; complexe car au-delà de l’image d’Épinal, le « phénomène » en question est à la fois protéiforme et évolutif. À l’heure où notre pays s’interroge sur l’opportunité d’accueillir à nouveau une telle manifestation en 2025, la question de son adéquation au temps présent se doit, en tout état de cause, d’être examinée.
Ainsi convient-il tout d’abord de retracer l’histoire des premières expositions universelles, d’appréhender leur signification et l’héritage matériel et moral qu’elles nous ont légué.
Il s’agit ensuite de présenter le cadre dans lequel ces manifestations internationales ont été organisées depuis la création du Bureau international des expositions en 1928.
Au regard des évolutions observées au cours du dernier demi-siècle, il est enfin nécessaire de s’interroger sur sa résilience. En d’autres termes, les expositions sont-elles une survivance désuète d’un monde révolu ou peuvent-elles encore signifier quelque chose pour nos contemporains ?
I. LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES ONT UNE RICHE HISTOIRE
A. GENÈSE ET ÉPANOUISSEMENT D’UN PHÉNOMÈNE FOISONNANT
1. Des manifestations emblématiques de l’ère moderne
On associe spontanément les expositions universelles au phénomène multiséculaire des foires marchandes dont elles constituent assurément le prolongement. Cependant, il faut bien avoir conscience de ce qui les singularise, au niveau de leur origine, de leur dynamique propre et du modèle protéiforme qui en résulte.
a. Une double origine révolutionnaire
Les expositions sont apparues dans un contexte bien particulier, celui de l’essor industriel européen au XIXe siècle. Elles sont à la fois des événements et des symboles d’une époque où l’on considère majoritairement que le progrès matériel et le progrès humain vont systématiquement de pair. Se situant au point de rencontre du modèle anglais de l’exposition de produits d’art et d’industrie et du modèle français de l’exposition nationale, elles sont, selon l’heureuse formule de M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, à la fois « filles de la Révolution industrielle et de la Révolution française » (3).
Dès 1761, William Shipley, fondateur de la Royal Society for the Encouragement of Arts, Manufactures and Commerce, avait développé l’idée d’exposer des machines et des produits manufacturés, sur le modèle des expositions d’œuvres d’art. La Royal Society, présidée par le prince Albert, époux de la reine Victoria, sera encore, en 1851, à l’initiative de la Great Exhibition of the Works of Industry of all Nations, qui se tient à Londres.
Entre-temps, c’est la France révolutionnaire qui forge à partir de 1798, à l’initiative de François de Neufchâteau, ministre de l’Intérieur sous le Directoire, un modèle d’exposition préfigurant par bien des aspects les futures expositions universelles, dans un cadre national. Les expositions françaises, qui se tiennent avec succès sous tous les régimes jusqu’en 1848, poursuivent en effet des objectifs qui vont bien au-delà de la dimension purement économique. Certes, elles visent en premier lieu à célébrer la réputation et la qualité de la production nationale. Il existe ainsi, selon M. Édouard Vasseur (4), conservateur du Patrimoine, une filiation directe entre l’abolition des corporations, la suppression de l’inspection des manufactures et la naissance des expositions industrielles. C’est au travers de la concurrence et de l’émulation que la qualité doit désormais s’imposer, arbitrée le cas échéant par des instances académiques. Cependant, ces expositions se veulent également un instrument de prestige national, signifiant que la France a retrouvé sa prospérité. Au surplus, elles s’inscrivent pleinement dans la filiation de l’esprit des Lumières et de l’Encyclopédie : il s’agit d’y dresser un tableau général des efforts de l’esprit humain afin de contribuer au progrès de la connaissance, au bénéfice de tous.
« Les années 1850 sont marquées par l’essor industriel, le culte du progrès, la prééminence du modèle capitaliste, le développement des banques, l’apparition du rail et de la machine à vapeur, la production à grande échelle, la conquête des campagnes » a rappelé à la mission Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’ESCP-Europe. Le contexte était favorable à un nouveau type de manifestation.
C’est à Londres, capitale d’un Empire britannique qui s’engage alors résolument dans la voie du libre-échange, suite à l’abolition des Corn Laws, en 1846, que s’opère en 1851 la cristallisation du phénomène. La France de la Monarchie de Juillet avait envisagé de donner aux expositions françaises une dimension internationale, mais la Révolution de février 1848 ne lui a pas laissé le temps de concrétiser cette intention, nonobstant les réticences persistantes des milieux protectionnistes français à affronter la concurrence anglaise.
b. La cristallisation londonienne et l’enclenchement de la dynamique
L’Exposition de Londres apparaît d’emblée, aux yeux de ses contemporains, comme une réussite éclatante, avec 28 nations participantes, 14 000 exposants privés et près de six millions de visiteurs qui affluent dans le célèbre Crystal Palace de Joseph Paxton, spécialement construit pour l’occasion.
Un tel succès d’affluence n’aurait pas été possible sans l’essor des moyens mécanisés de transport, qui permettent de faire face à d’importants mouvements de population. Au demeurant, certains observateurs y voient l’acte fondateur du tourisme de masse tel que nous le connaissons aujourd’hui : au premier rang de ceux qui organisent le voyage et le séjour à Londres d’ouvriers et employés pour visiter l’exposition, on trouve notamment un certain Thomas Cook, fondateur d’une entreprise promise à un bel avenir, comme l’a souligné Mme Florence Pinot de Villechenon.
L’événement marque à tel point les esprits que le Gouvernement français prend immédiatement le relais pour organiser l’exposition suivante à Paris. Une dynamique vertueuse est enclenchée pour près d’un demi-siècle, significativement perçu comme étant celui de l’Âge d’or des expositions universelles. Londres accueille à nouveau une exposition en 1862 mais c’est surtout Paris qui se distinguera par la suite, puisque la manifestation y prend un rythme décennal : 1855, 1867, 1878, 1889, 1900. L’empire austro-hongrois prend le relais en 1873, avec la Weltausstellung de Vienne, puis c’est au tour des États-Unis de l’accueillir en 1876 à Philadelphie et en 1893 à Chicago. Des expositions ont également lieu à Melbourne en 1880, à Barcelone en 1888 et à Bruxelles en 1897.
On observera que les Allemands se refusent à organiser la manifestation, plaçant davantage leurs espoirs dans les expositions spécialisées qui émergent à compter des années 1880, avec la tenue à Paris d’une importante exposition consacrée à l’électricité. L’historienne Madeleine Rebérioux explique également la réticence allemande par le fait que nombre de grandes firmes n’avaient guère envie de jouer « le rôle ingrat des vieux colonels dans les maisons de jeux » (5).
En l’absence de toute convention internationale régissant leur organisation et leur périodicité, ces expositions peuvent être caractérisées comme des initiatives spontanées. À partir de 1904, toutefois, le phénomène s’emballe et chaque année, ou presque, voit l’organisation d’une nouvelle exposition. Cette profusion anarchique conduira à la signature en 1928 de la convention internationale instituant le Bureau international des expositions (BIE). On retiendra que vingt-deux expositions universelles, reconnues aujourd’hui comme « historiques » par le BIE (6), sont organisées entre 1851 et 1933.
LISTE DES EXPOSITIONS UNIVERSELLES DITES « HISTORIQUES »
Année |
Pays organisateur |
Ville hôte |
1851 |
Royaume-Uni |
Londres |
1855 |
France |
Paris |
1862 |
Royaume-Uni |
Londres |
France |
||
1873 |
Autriche-Hongrie |
Vienne |
1876 |
États-Unis |
Philadelphie |
1878 |
France |
Paris |
1880 |
Australie |
Melbourne |
1888 |
Espagne |
Barcelone |
1889 |
France |
Paris |
1893 |
États-Unis |
Chicago |
1897 |
Belgique |
Bruxelles |
1900 |
France |
Paris |
1904 |
États-Unis |
Saint-Louis |
1905 |
Belgique |
Liège |
1906 |
Italie |
Milan |
1910 |
Belgique |
Bruxelles |
1911 |
Italie |
Turin |
1913 |
Belgique |
Gent |
1915 |
États-Unis |
San Francisco |
1929 |
Espagne |
Barcelone |
1933 |
États-Unis |
Chicago |
c. La construction spontanée d’un modèle foisonnant
Pendant toute cette période, les expositions procèdent ainsi des États qui décident de les organiser. Elles n’obéissent pas à un modèle gravé dans le marbre : les puissances s’observent, s’inspirent les unes des autres et apportent chacune leur pierre à l’édifice tout en cherchant à se singulariser par des innovations. Ce faisant, plusieurs traits caractéristiques peuvent être dégagés.
La manifestation dure environ six mois et accueille sur un site fermé à l’accès payant, qui tend rapidement à croître en surface, l’ensemble des participants. Si les trois premières expositions occupent un site de moins de 15 hectares, le site parisien s’étendra dès 1867 sur près de soixante-huit hectares, avant qu’on atteigne 233 hectares à Vienne en 1873, puis 290 hectares à Chicago en 1893. Les pavillons nationaux y feront progressivement leur apparition à partir de 1867 et occuperont, symboliquement, une place de plus en plus importante.
Quand bien même l’organisation d’une exposition est une affaire de prestige national, les acteurs privés y tiennent un rôle essentiel. Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine, a rappelé, lors de son audition par la mission, que « les expositions universelles sont des initiatives publiques [qui] fonctionnent selon le système de la concession : une partie de l’espace est louée à des industriels, des manufacturiers et des commerçants qui sont censés l’animer. ». M. Pascal Ory a souligné pour sa part que les « expositions ont, dès l’origine, supposé une coopération entre secteur public et secteur privé ».
Se manifeste durant toute la période un véritable souci de classification et de mise en ordre, qui occupe nombre de comités ad hoc. Avec un esprit de système directement hérité du saint-simonisme, on dresse l’inventaire du génie humain en poursuivant « le rêve d’un lieu clos où l’univers communierait dans le Catéchisme des industriels » (7). On y décerne des médailles et des prix. Un volumineux rapport général est rédigé au terme de la manifestation. Les expositions s’intéressent par ailleurs à des domaines de plus en plus larges : les Beaux-Arts y font leur apparition dès 1855, l’économie sociale émerge également comme sujet de préoccupation à partir de 1867, à l’initiative de Frédéric Le Play, tandis que la culture et l’éducation se trouvent au centre de l’Exposition de Vienne de 1873.
Très tôt, il apparaît que les expositions n’ont pas de vocation directement marchande. À la suite de Walter Benjamin, M. Régis Debray a observé que « l’exposition universelle [transfigurait] la valeur d’échange des objets, [suspendait] un instant leur valeur d’usage, [sublimait] l’univers matériel du besoin dans la féerie du spectacle. » (8). Les expositions contribuent ce faisant à la popularisation de toutes les grandes innovations et à leur appropriation par un public avide de curiosités : galeries des machines, téléphone, machine à coudre, machine à écrire, « Fée électricité », ascenseur, phonographe, cinématographe, etc.
Selon M. Pascal Ory, « on vendait aux foules la modernité, avec une dose de pédagogie, tout en leur disant : “Admirez l’étendue du génie humain sans trop chercher à comprendre…” ». Se manifeste ainsi une certaine ambiguïté dans la démarche des initiateurs : face à l’envahissement des techniques et de la production mécanisée, les expositions se veulent une entreprise de vulgarisation, mais d’après Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, « les visiteurs veulent surtout se distraire, se dépayser, rêver ; comme les organisateurs souhaitent rentabiliser la manifestation au mieux, l’intérêt de tous est de faire venir le public le plus nombreux possible, grâce à des attractions. ». On y encourage ainsi un véritable foisonnement des genres, qui se décline aussi sur le plan architectural. Un jugement de 1855 extrait de la Revue contemporaine, éclaire bien cet aspect : « Le tour de force des expositions universelles, c’est qu’on y harmonise les disparates, qu’on y fait l’unité à coup de contrastes violents. » (9).
2. Une ampleur croissante qui traduit des fonctions multiples et qui suscite des critiques de fond
Si l’on admet que l’unité des expositions universelles procède ainsi paradoxalement de la profusion qu’elles suscitent, il est néanmoins possible d’identifier plusieurs fonctions caractéristiques que l’on retrouve, à des degrés variables, dans toutes les manifestations qui ont été organisées jusqu’à ce jour. Leur ampleur n’a cependant pas été sans susciter des critiques de fond.
a. Les huit fonctions caractéristiques des expositions universelles
M. Pascal Ory a identifié, lors de son exposé devant la mission, huit fonctions historiques propres aux expositions universelles :
− La fonction d’exhibition technologique a déjà été évoquée. Les expositions sont perçues comme des « Olympiades du progrès », qui mettent ce dernier en scène : elles sont, en quelque sorte, une utopie non seulement concrétisée, mais qui par ailleurs le fait savoir. Il n’est ainsi pas anodin qu’elles soient les contemporaines de l’invention de la photographie.
− De même, il a déjà été fait mention de la fonction de foire commerciale, que l’on retrouve du reste dans l’intitulé anglo-saxon de ces manifestations. L’expression « world’s fair » fait même son apparition en 1893 pour désigner l’Exposition universelle de Chicago.
− L’exercice architectural est également un fait remarquable, l’idée s’enracinant peu à peu dans l’esprit du public et des organisateurs que l’on ne pouvait en rester à une foire exclusivement éphémère. L’exposition est l’occasion de montrer des prototypes architecturaux, elle permet l’édification de constructions durables pour certaines, provisoires pour d’autres. M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions, a insisté sur le fait que « c’est la trace architecturale qui symbolise l’exposition universelle ».
− Dans ce prolongement, la fonction de levier urbanistique est essentielle. Du fait de l’ampleur croissante de ces manifestations, tant en ce qui concerne son étendue que le nombre de ses visiteurs, elles entraînent d’importants remaniements de l’espace urbain et la modernisation des infrastructures d’accueil. « On ne peut se permettre, sous le regard de l’étranger, de laisser les problématiques urbanistiques irrésolues », selon M. Pascal Ory.
− L’exposition universelle tient également lieu d’exposition d’art et de culture, fonction qui se greffe sur le modèle originel dès 1855 : de grandes rétrospectives sont organisées dans ce cadre mais l’exposition elle-même est aussi un chantier de commandes qui permet aux artistes, y compris ceux d’avant-garde, de se mettre en valeur.
− C’est aussi une manifestation politique, ce que résume la formule de garden-party de la puissance invitante. Le régime en place recherche la consécration de sa légitimité dans une manifestation supposée renforcer la cohésion de son peuple. C’est pourquoi tous les organisateurs ont attaché une importance particulière au succès et à la fréquentation de l’événement.
L’obsession du chiffre : des visiteurs toujours plus nombreux ?
Les expositions universelles constituent assurément la première manifestation de masse de l’ère moderne. Les chiffres fournis dans les rapports officiels doivent cependant être appréhendés avec précaution. On y trouve à la fois des comptabilités globales et des comptabilités qui ne tiennent compte que des entrées payantes. Ainsi, lorsqu’on évoque les 50 millions de visiteurs de l’Exposition universelle de Paris, en 1900, faut-il être conscient du fait que les tourniquets qui comptabilisaient les entrées ne tenaient pas compte des abonnements ni des entrées multiples. Quoi qu’il en soit, si l’on considère que la France comptait alors 40 millions d’habitants, ce chiffre, même revu à la baisse, est considérable et en fait la plus grande exposition de l’époque dite « historique ».
Les premières expositions, de Londres (1851) à Philadelphie (1876) ont accueilli entre 5 millions et 10 millions de visiteurs. Paris se distingue à partir de 1878, par le succès croissant de ses manifestations : 16 millions de visiteurs en 1878, 28 millions en 1889, 50 millions en 1900. Les expositions américaines de 1893 et de 1904 connaissent également une importante affluence, avec respectivement 27 et 20 millions de visiteurs.
Si chaque ville hôte cherche à attirer le plus grand nombre de personnes, les chiffres de fréquentation sont en fait fort variables d’une manifestation à l’autre – ils le demeurent jusqu’à aujourd’hui. Cela peut tenir au lieu de l’exposition ou à la capacité d’accueil de la ville hôte. La multiplication des expositions en Europe entre 1905 et 1913 contribue également à un certain essoufflement en termes de fréquentation.
Il conviendrait encore de distinguer la part des visiteurs ressortissants du pays d’accueil des visiteurs étrangers, à mettre en rapport avec le lieu de l’Expo et les moyens de transport permettant d’y accéder.
− L’exposition apparaît encore comme une véritable société des nations : elle occasionne la visite de nombreux chefs d’États et de gouvernements étrangers et donne lieu à d’importantes rencontres diplomatiques. Au-delà des contacts bilatéraux, elles favorisent l’émergence de la dimension multilatérale des relations internationales. Ainsi, le Congrès international de la propriété industrielle, le Congrès de la propriété littéraire et artistique ainsi que l’Union postale universelle ont-ils été inaugurés à Paris à l’occasion de l’Exposition de 1867.
− Enfin, la dernière fonction notable est celle de fête populaire que M. Régis Debray évoque opportunément en citant Eugène Melchior de Vogüe : « Une exposition fructueuse, c’est une machine savante que l’on regarde peu, encadrée par un corps de ballet que l’on regarde beaucoup », et d’en conclure : « il faut enseigner mais aussi amuser ». Au-delà du site même, c’est la ville hôte qui devient, le temps de l’exposition, un gigantesque lieu récréatif.
b. Les interrogations et critiques suscitées par la course au modernisme et au gigantisme
Les grandes expositions du XIXe siècle ont suscité de multiples commentaires. Leur succès populaire indéniable traduit, certes, un fort mouvement d’adhésion aux idéaux qu’elles véhiculent mais il importe également de prendre en considération les critiques qu’elles suscitent.
Sur la forme, le gigantisme de la manifestation impressionne mais laisse également sceptiques certains observateurs privilégiés à la plume acérée. « Je ne dis pas qu’il n’y a rien à voir, mais qu’il y a trop de choses à voir », écrit Charles Dickens après avoir visité l’Exposition de 1851. Gustave Flaubert consacre pour sa part une définition lapidaire aux expositions dans son Dictionnaire des idées reçues : « sujet de délire du XIe siècle ».
Sur le fond, c’est la course à la modernité triomphante qui fait l’objet de sévères remises en cause.
En 1855, Charles Baudelaire interroge la pertinence même de l’idée de progrès : « Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l’enfer. Je veux parler de l’idée de progrès. Ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance ; la liberté s’évanouit, le châtiment disparaît. Qui veut y voir clair dans l’histoire doit avant tout éteindre ce fanal perfide. Cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la volonté de tous les liens que lui imposait l’amour du beau. ».
Et de dénoncer la confusion entre l’ordre matériel et l’ordre spirituel que l’exposition consacre, qui porterait en elle rien moins que la fin de la civilisation : « Je laisse de côté la question de savoir si, délicatisant l’humanité en proportion des jouissances nouvelles qu’il lui apporte, le progrès indéfini ne serait pas sa plus ingénieuse et sa plus cruelle torture ; si, procédant par une opiniâtre négation de lui-même, il ne serait pas un mode de suicide incessamment renouvelé. »
Dans le même ordre d’idées, Dostoïevski exprime, dans ses Notes d’hiver sur des impressions d’été, la peur que lui inspire le triomphalisme du palais de l’Exposition de Londres, en 1862 :
« Vous percevez la force terrifiante qui a rassemblé ces hommes sans nombre, venus des quatre coins du monde, en un troupeau unique ; vous devinez une pensée titanesque ; vous sentez qu’ici quelque chose est déjà réalisé, qu’il y a victoire, il y a triomphe […] vous voilà pris d’une vague terreur. Serait-ce là, en effet, un idéal atteint, vous demandez-vous, serait-ce la fin ? Serait-ce déjà effectivement le troupeau unique ? […] Le souffle vient à vous manquer : tout semble si triomphal, si victorieux, si fier. En regardant ces centaines de milliers, ces millions de gens qui, venus docilement du monde entier, venus avec une pensée unique, se sont réunis là et lentement, obstinément, s’entassent en silence dans ce colossal palais, vous comprenez que quelque chose de définitif s’est ici accompli – accompli et achevé. ».
Selon le philosophe allemand Peter Sloterdijk, l’écrivain russe pressent le caractère inévitablement exclusif de la globalisation, ce qu’il nomme le « devenir-monde du monde », soit la création d’une structure de confort et la construction d’un espace intérieur qui avale les humains devenus des consommateurs (10).
À travers l’exposition universelle, c’est la dynamique du capitalisme planétaire et de la globalisation qui fait l’objet d’une critique sans concessions. Karl Marx observe ainsi, dès 1851, que « cette exposition est une preuve éclatante de la puissance concentrée avec laquelle la grande industrie moderne renverse partout les barrières nationales, effaçant de plus en plus les particularités locales de la production, les rapports sociaux et le caractère de chaque peuple » (11).
On ne saurait cependant réduire les expositions universelles à la fonction de vitrines d’un monde en voie d’unification. Elles furent également le reflet de la diversité et de la complexité de ce même monde.
B. MÉMOIRE ET HÉRITAGE D’UN GLORIEUX PASSÉ
1. Un trait d’union entre le passé et l’avenir
Les expositions universelles se situent à l’interface d’un passé dont elles dressent l’inventaire et d’un avenir dont elles cherchent à entrevoir les potentialités. C’est à l’aune de cette double dimension que leur héritage doit être médité.
a. Un rassemblement en quête permanente de sens
Il n’est pas exagéré de voir dans les expositions universelles les premiers grands événements médiatiques de portée planétaire et qui se sont voulus comme tels. Les organisateurs conçoivent très vite qu’il ne suffit pas d’exhiber des machines et de glorifier le progrès, encore faut-il que la manifestation fasse sens. Des objections et des doutes s’expriment souvent durant la période de préparation, qu’il convient de lever, le mot d’ordre étant celui du rassemblement.
Pour ce faire, un détour par l’Histoire peut s’avérer nécessaire, si tant est qu’« il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va », selon l’adage de l’historien Fernand Braudel. Ainsi, en 1876 à Philadelphie, célèbre-t-on le centenaire la déclaration d’indépendance des États-Unis. En 1889, la France des républicains opportunistes, dans un contexte politique sensible (12), commémore la Révolution française et les progrès des sciences et techniques depuis 1789. En 1900, toujours en France, ce n’est rien moins que le bilan d’un siècle qu’il s’agit de dresser et l’on se garde en mémoire le banquet des maires, dans le jardin des Tuileries, qui réunit près de 23 000 convives, à l’initiative du Président de la République Émile Loubet et de son président du Conseil, Waldeck-Rousseau. On retrouvera cette dimension commémorative dans l’Exposition de Séville, en 1992, célébrant le 500e anniversaire de la découverte de l’Amérique. La mobilisation peut également s’opérer par le choix d’un thème fédérateur, élément qui demeure jusqu’à ce jour.
Dans tous les cas, les expositions sont un exercice d’introspection pour le pays organisateur, qui se doit d’adresser au monde un message tourné vers l’avenir, en s’appuyant sur ses propres forces et sur son passé. Il en va du reste de même des nations participantes, dans une moindre mesure.
Selon M. Régis Debray, « qui feuillette l’album des expositions universelles parcourt la meilleure galerie qui soit des autoportraits du siècle ». Se voulant un moment privilégié où l’Humanité porte un regard sur elle-même, ces événements apparaissent rétrospectivement comme d’importants marqueurs temporels.
À rebours de l’idéal saint-simonien, et sans pour autant le renier, l’utopie d’un univers clos et parfaitement ordonné cède rapidement le pas devant la diversité et la complexité du monde qui l’environne, quand bien même ce serait pour l’apprivoiser.
On a déjà mentionné l’exemple des rassemblements ouvriers de 1862, il faut également évoquer les mouvements féministes, qui se font particulièrement entendre à compter de l’Exposition de Chicago, en 1893. Un colloque international doit se tenir à l’Université Paris-Descartes, les 23 et 24 octobre 2014, sur le thème des femmes dans les expositions internationales et universelles, entre 1878 et 1937.
Ce mouvement n’est certes pas univoque. On sait par exemple que les expositions de l’âge d’or ont particulièrement contribué à la mise en valeur du fait colonial et que les exhibitions qu’elles ont accueillies ont parfois pris un tour détestable. Pendant près d’un demi-siècle, les expositions accompagnent cependant l’évolution des esprits et alimentent la controverse, première étape d’une prise de conscience sur le sujet. Ainsi l’Exposition coloniale de Vincennes, en 1931, donne-t-elle lieu en réaction à la tenue d’une contre-exposition, au parc des Buttes-Chaumont.
En tout état de cause, l’effet rassembleur des expositions ne doit pas occulter les controverses qu’elles ont parfois suscitées, et dont elles se sont nourries le cas échéant.
b. L’héritage matériel et moral
Les expositions universelles nous ont légué un précieux héritage sur le plan matériel : des bâtiments prestigieux, des collections qui ont servi de base à la création d’importants musées, des infrastructures de transport et d’accueil. Quand bien mêmes les pavillons ont souvent été dispersés ou recyclés, on en retrouve encore des traces disséminées au sein des villes organisatrices.
À Londres, le Palais de Cristal fut transféré, quelque temps après la fermeture de l’Exposition de 1851, de Hyde Park au Sydenham Park ; le bâtiment fut détruit par incendie en 1936. Plusieurs institutions culturelles sont en revanche directement les héritières de l’événement, notamment le Victoria and Albert Museum. De Vienne, en 1873, on retient bien entendu la célèbre Rotonde du Prater, mais également toute la reconstruction de la partie ancienne de la ville, le fameux Ring. Des Expositions américaines de Philadelphie (1876) et de Chicago (1893), très peu de bâtiments ont subsisté en l’état mais l’héritage s’est en quelque sorte diffusé, si l’on considère l’influence qu’a pu avoir la Ville blanche de Chicago sur le mouvement architectural et urbanistique du City beautiful.
Inévitablement, la question du coût des investissements nécessités par l’organisation des expositions a fait débat. D’après M. Pascal Ory, « une des raisons pour lesquelles les Anglais ont décidé très tôt d’en finir, c’est qu’ayant fait leurs calculs, ils ont constaté que les expositions universelles leur coûtaient plus cher qu’elles ne leur rapportaient ». Force est néanmoins de constater que cette considération n’a pas dissuadé d’autres villes d’avoir « leur » exposition. Nonobstant la dimension de fierté nationale et d’affirmation sur la scène mondiale, qui n’est pas négligeable, il faut y voir en fait une double forme d’investissement : d’une part, des investissements structurants ont ainsi pu être réalisés, dont la portée a largement dépassé la simple utilité pour une manifestation d’environ six mois ; d’autre part, à long terme, les expositions ont fortement contribué à l’image des pays organisateurs, vis-à-vis de l’extérieur et vis-à-vis d’eux-mêmes, et il s’agit là d’un investissement immatériel, très difficile à mesurer.
À cet effet, citons cet extrait du roman policier à succès Le Diable dans la Ville blanche, dont l’action se situe précisément au cours de l’Expo de 1893 :
« L’exposition universelle eut un impact puissant et durable sur la psyché de la nation, à toutes sortes de niveaux. Le père de Walt Disney, Elias, participa à la construction de la Ville blanche ; les “royaumes enchantés” pourraient bien en descendre. […] Le romancier L. Frank Baum et son complice l’illustrateur William Wallace Denslow visitèrent la Ville blanche, dont la splendeur les inspira pour la création du pays d’Oz. […] L’exposition incita le Président Harrison à créer le 12 octobre un jour férié en hommage à Christophe Colomb, le Columbus Day, qui aujourd’hui encore donne lieu chaque année à quelques milliers de défilés et à un week-end de trois jours. Toutes les fêtes foraines des États-Unis depuis 1893 ont leur “midway” et leur grande roue, et toutes les épiceries proposent encore à la vente des produits lancés durant l’Expo – y compris le Shredded Wheat. Toutes les maisons sont équipées de dizaines d’ampoules à incandescence alimentées par du courant alternatif, deux procédés ayant prouvé la première fois leur utilité à grande échelle pendant la foire mondiale ; et presque toutes les villes américaines, quelle que soit leur taille, possèdent leur petit morceau de Rome antique sous la forme d’un édifice à colonnade hébergeant une banque, une bibliothèque ou un bureau de poste. […] Le Lincoln Memorial de Washington lui-même en porte l’héritage. […] Le plus grand effet de l’exposition universelle fut peut-être de transformer la perception qu’avait le peuple des États-Unis de ses villes et de ses architectes. […] En éveillant l’Amérique à la beauté, l’exposition universelle constitua un passage nécessaire et fondateur pour des créateurs tels que Frank Lloyd Wright et Ludwig Mies van der Rohe. » (13).
Il n’a pas été question de Paris jusqu’à présent : c’est que l’héritage des expositions universelles dans notre capitale mérite amplement un développement spécifique.
2. Le lien particulier entre la France et les expositions universelles
M. Xavier Darcos, président de l’Institut français, a évoqué, lors de son audition par la mission, le lien particulier entre la France et la notion d’universalité en soulignant que, « généralement, dans les milieux les plus divers, cette prétention de la France à parler pour l’Humain et pas seulement pour des identités, ne nous est pas totalement déniée ». En tout état de cause, l’histoire des expositions universelles suppose un détour obligatoire par la France et sa capitale.
a. Paris, ville par excellence des expositions universelles ?
Si la contribution française à la naissance des expositions universelles a déjà été plusieurs fois soulignée, elle ne suffit pas à expliquer l’investissement placé par notre pays dans l’organisation de la manifestation, à cinq reprises entre 1855 et 1900, quel que soit le Gouvernement en place. Peut-être cette instabilité institutionnelle et politique a-t-elle précisément contribué au besoin des gouvernants de ressourcer leur légitimité dans l’organisation d’un tel événement.
Une chose, en tout cas, est certaine, pour reprendre la formule de M. Pascal Ory : « qui dit exposition universelle en France dit exposition universelle à Paris » (14), ce qui n’a jamais été, du reste sans susciter des objections dans le reste du pays, à l’instar de Maurice Barrès vitupérant contre le fait qu’« une fois de plus, Paris se sert ». L’historien Christophe Prochasson (15) rappelle même qu’une Ligue lorraine de décentralisation s’était constituée en 1895 pour réclamer une délocalisation hors les murs de la capitale de l’Exposition de 1900, dont l’organisation était accusée de contribuer à la dévitalisation de la province. Nonobstant notre pente centralisatrice historiquement bien établie, il faut insister sur la dynamique propre aux expositions parisiennes, qui tient à leur périodicité.
D’une part c’est une organisation très rôdée qui a permis la tenue à un rythme décennal de ces événements, de 1855 à 1900. L’historienne Madeleine Rebérioux résume ainsi le dispositif mis en œuvre :
« Les lieux d’exposition – on n’échappe pas au Champ-de-mars –, les partenaires – la Ville de Paris d’abord –, les réseaux de pouvoirs eux-mêmes, le voudrait-on, on ne peut guère s’en évader. C’est toujours le ministre du Commerce et de l’Industrie qui assume la responsabilité politique avec un commissaire général. Quelques grands ingénieurs bétonnent l’affaire et se partagent de longue date les grandes directions : Alphand, l’inventeur des parcs et jardins de Paris, a pris une part active aux Expos de 1867 et 1878 tout comme Berger, la bête noire de la Revue socialiste. Frédéric Le Play est mort en 1882 mais ses disciples lui restent fidèles – voyez Émile Cheysson – et la classification qu’il a élaborée en 1867 ne subit en 1889 que de légers remaniements. (16) »
D’autre part, c’est dans une capitale en pleine transformation que les expositions se déploient. Dans le prolongement des travaux de la Commission des embellissements de Paris, mise en place en 1853 sous la direction du comte Siméon, un schéma directeur est établi, dont les plans serviront de base, sous le Second Empire, à un vaste plan de rénovation conduit par le baron Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870. Des boulevards et des avenues sont percés ou réaménagés afin d’améliorer les flux de personnes et de marchandises dans la capitale, des parcs et jardins sont créés et plusieurs communes limitrophes sont absorbées. Dans le vaste chantier que constitue alors Paris, les aménagements provisoires ou pérennes dus aux expositions universelles participent donc d’une dynamique plus vaste.
Outre un contexte propice, s’il y a eu beaucoup d’expositions universelles à Paris, c’est aussi parce de nombreux sites s’y prêtaient : les Champs-Élysées, le Champ de Mars, les Invalides et les deux rives de la Seine, entre le Trocadéro et les Champs-Élysées, constituaient encore un espace aisément modulable. Une cité éphémère, hétéroclite et colorée se dressait ainsi au cœur de la ville pérenne, tendant de plus en plus à déborder de son périmètre circonscrit pour façonner le paysage urbain tel que nous le connaissons jusqu’à ce jour.
Nombre des bâtiments construits pour l’occasion n’existent plus en tant que tels : le Palais de l’Industrie de 1855, le « Palais Omnibus » de 1867 (annexe n° 1), l’ancien Palais du Trocadéro de 1878, les Palais des Beaux-Arts et des Arts Libéraux et la Galerie des machines de 1889. Il convient néanmoins de noter que le moyen de respecter les délais de construction d’une exposition revenait souvent à « vampiriser » les constructions de la précédente. De surcroît, les bâtiments construits pour les expositions universelles étaient très souvent réutilisés. L’immensité d’un bâtiment n’était en effet pas le gage de sa pérennité.
Ainsi, les structures de la Galerie des machines de l’Exposition universelle de 1878 furent-elles recyclées pour plusieurs usages et en différents lieux : le long du bassin de La Villette pour construire des bâtiments métalliques – deux de ces bâtiments subsistent, dans lesquels sont aujourd’hui installés les cinémas MK2 ; pour édifier ce qui est la halle de l’actuel gymnase Jean-Jaurès dans le XIXe arrondissement de Paris ; pour monter, à Meudon, le Hangar Y d’où est parti le premier ballon dirigeable.
S’agissant enfin des pavillons nationaux, structures provisoires par essence, on se reportera avec profit au bel ouvrage que M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du BIE, a publié il y a quelques années (17) sur le sujet, qui nous permet d’apprécier la richesse de ce patrimoine diffus légué par les expositions, qui subsiste à Paris et bien au-delà, sans que nous en ayons toujours parfaitement conscience.
b. La dette parisienne à l’égard des expositions universelles
La ville de Paris doit à l’Exposition universelle de 1889 la construction d’un édifice, la tour Eiffel, qui constitue assurément jusqu’à ce jour son symbole le plus fort aux yeux du monde entier. Arrêtons-nous un instant sur cette histoire emblématique. Le programme du concours ouvert pour les constructions de l’Exposition de 1889 comprenait la construction d’une « tour de 300 mètres », pour laquelle plusieurs projets furent déposés, d’un goût plus ou moins sobre. Le projet de tour métallique de Gustave Eiffel apparut alors d’abord et avant tout comme une prouesse technologique, ce qui ne l’empêcha pas de susciter de violentes critiques. On garde en mémoire la pétition d’écrivains, peintres, sculpteurs et architectes renommés qui fut publiée dans la presse en 1887, en guise de protestation contre l’inutile et monstrueuse tour Eiffel ». Rétrospectivement, cette controverse fait sourire mais elle peut également donner lieu à réflexion. Si l’on en croit M. Pascal Ory, ce qui fait précisément la supériorité mondiale et historique de la tour Eiffel ne résiderait en effet ni dans sa taille ni dans son élégance, mais dans « son inutilité radicale, marque définitive de l’esprit d’exposition » (18). Cette inutilité mérite cependant d’être nuancée : rappelons à cet égard que l’édifice parisien est l’un des monuments les plus visités et que des hommes et des femmes viennent encore, 125 ans après son inauguration, des quatre coins du monde pour l’admirer. Ajoutons que nous devons la perspective de la colline du Trocadéro telle que nous la connaissons à l’Exposition de 1937, pour laquelle furent construits le Palais de Chaillot, le Palais de Tokyo et le Palais d’Iéna.
Qu’ont par ailleurs en commun le Grand Palais et le Petit Palais ? La gare, devenue Musée d’Orsay ? La gare des Invalides ? La gare de Lyon ? Le métropolitain et ses célèbres édicules Art nouveau conçus par Hector Guimard ? Le pont Alexandre III ? Ils constituent l’héritage de l’Exposition de 1900.
L’exposition « Paris 1900, la Ville spectacle », qui s’est tenue avec succès, au printemps 2014, dans l’enceinte du Petit Palais, nous a récemment invités à revivre les heures fastes de notre capitale, au tournant du siècle dernier, sur fond d’exposition universelle. Ce moment privilégié où Paris a rayonné comme jamais est aussi celui où la ville a assis sa position de cité des arts, du luxe, du plaisir et de l’art de vivre. La mission a pu apprécier, lors d’une visite de l’exposition en compagnie du directeur du Petit Palais, M. Christophe Leribault, combien les innovations techniques, l’effervescence culturelle et le raffinement ont été mis en scène comme autant de symboles dont l’imaginaire du monde entier n’a cessé depuis de se nourrir.
La France de la Belle Époque, qui n’était pas exempte de convulsions de divers ordres et de doutes sur elle-même, a ainsi su puiser dans ses ressources propres des capacités d’audace, de rayonnement et d’ouverture sur l’extérieur.
« L’exposition avait été, non seulement un succès, mais un bienfait. Elle avait détendu les nerfs des Français, elle avait marqué une trêve, sinon entre les partis, du moins entre les hommes ; […] on avait fait connaissance ; les trains de militaires s’étaient changés en train de plaisir ; placide comme un garde-barrière, le pays avait regardé défiler des wagons pleins d’Iroquois, de Musulmans, de Vénézuéliens. Jamais Paris n’avait été plus beau. On avait rebronzé à neuf la tour Eiffel. » (19).
Nombreux sont les interlocuteurs de la mission à avoir, à l’instar de, l’académicien Paul Morand évoqué le succès quasi-mythique de cette manifestation, qui pourrait de ce fait apparaître comme un point d’orgue indépassable, qui du reste, pour ce qui concerne la France, ne fut d’ailleurs pas dépassé. Certes, notre pays organisa par la suite des expositions internationales tout à fait importantes, en particulier celle de 1937 consacrée aux « Arts et Techniques appliqués à la Vie moderne ». Le contexte international de cette manifestation, dont le principal souvenir demeure la confrontation spectaculaire des pavillons nazi et soviétique, en prélude à la tragédie guerrière à venir, explique sûrement son moindre retentissement.
Quoi qu’il en soit, à l’heure où la France envisage de renouer avec une tradition dans laquelle elle a excellé, il convient de ne pas être paralysé par le poids de ce passé glorieux pour en retenir surtout l’idée que chaque époque doit répondre différemment aux défis qui lui sont lancés. Là réside le principal enjeu d’une éventuelle candidature pour 2025.
II. LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES ONT UN MAÎTRE D’OUVRAGE PEU CONNU MAIS EXIGEANT
A. CES MANIFESTATIONS, SPONTANÉES À L’ORIGINE, ONT ÉTÉ SOUMISES À UNE CONVENTION INTERNATIONALE
Depuis leur origine franco-britannique, les expositions internationales ont présenté les avancées techniques de la production industrielle. Selon M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du Bureau international des expositions : « les premières, organisées pour la plupart en Europe ou, dans une moindre mesure, aux États-Unis, étaient destinées à démontrer la puissance des pays organisateurs en la matière et leur capacité d’innovation technologique. »
À la différence des foires et salons, ces expositions ne rapportaient de profit commercial ni à leur organisateur ni à leurs exposants, parce que la coutume internationale a exclu que les uns y vendent leur production et que l’autre prélève des taxes sur les produits exposés. Puisque les expositions internationales ne produisent que des recettes d’entrée, forfaitaires et limitées, leur coût aurait dû suffire à limiter leur fréquence. Or des expositions générales ou spécialisées de grande ampleur se sont tenues presque tous les ans entre 1885 et 1915.
Les États et les villes qui les ont organisées ont accepté d’en supporter le coût en raison du prestige tiré du succès de ces manifestations. Ils sont entrés en concurrence pour les accueillir. Cette concurrence n’a toutefois pas été poussée jusqu’à tenir en même temps ou bien la même année deux expositions rivales, sauf en 1894 et 1911.
Afin de limiter les rivalités entre États, il a été décidé de la soumettre à des règles de droit.
Des négociations diplomatiques ont été engagées en 1907, par le gouvernement français, en vue de mettre par écrit la coutume établie par cinquante années d’expositions internationales et d’obtenir que les États s’engagent à la respecter.
Reprises par l’empire allemand en 1910, ces négociations ont abouti à la tenue d’une conférence internationale à Berlin en 1912. Cette conférence s’est conclue par la signature d’une première convention sur les expositions internationales. La convention devait éviter que des expositions ne se tiennent en même temps, pour ne pas encourager la manifestation diplomatique d’alliances rivales, ou de manière trop rapprochée, pour ne pas les dévaloriser ou ruiner organisateurs et exposants.
Afin de garantir l’équilibre financier des expositions, la convention réglait leur fréquence et leur déroulement. La ratification de cette convention a été rompue par la première guerre mondiale. Après la signature, en 1919, du traité de paix à Versailles, les négociations diplomatiques sur les termes de la convention de 1912 ont repris, alors qu’aucune exposition n’avait été organisée depuis celle de San Francisco, en 1915, leur principe semblant compromis par la guerre.
Tandis que la France organisait une exposition spécialisée à Grenoble en 1925 et soutenait le projet d’une exposition universelle qui devait se tenir à Barcelone en 1929, une nouvelle conférence internationale s’est déroulée à Paris, du 12 au 22 novembre 1928. Elle s’est achevée par l’adoption d’une deuxième convention, différente de celle de 1912. Le texte de 1928 a été plusieurs fois modifié (20).
B. LA CONVENTION DE 1928 IMPOSE AUX ÉTATS PARTIES TROIS ENGAGEMENTS
En cinq titres, le texte toujours en vigueur pose des définitions, fixe des conditions générales d’organisation des expositions internationales ainsi que les formalités de leur enregistrement. Il décrit les obligations qui incombent aux organisateurs des expositions enregistrées et celles qui s’imposent aux États qui y participent en tant qu’invités. Il se conclut par des dispositions institutionnelles.
Les termes de cette convention obligent les États qui la ratifient à respecter trois engagements principaux. Ils doivent respecter la coutume diplomatique convenue. Ils doivent accepter le droit international des expositions et en particulier les restrictions de fréquence qu’il impose. Lorsque les États entrent en concurrence pour l’organisation d’une exposition, ils doivent se soumettre à un arbitrage, qui les départage en attribuant un privilège exclusif à l’un d’eux.
1. Les projets d’expositions doivent respecter la coutume diplomatique mise par écrit
La convention soumet la rivalité entre organisateurs concurrents à des règles écrites. Ces règles reprennent les usages coutumiers de la diplomatie moderne, qui pacifient les relations entre États par les égards qu’ils se témoignent, par l’égalité de principe qu’ils se reconnaissent, par la délibération de leurs différends et par le recours à l’arbitrage pour les résoudre.
Ces règles substituent au jeu des rivalités une compétition ouverte et publique, dans laquelle les intentions concurrentes doivent être déclarées longtemps à l’avance, afin d’empêcher les tractations secrètes.
Ces dispositions promeuvent l’entente et la courtoisie dans les relations internationales en dépit des enjeux de richesses commerciales et de puissance industrielle que les expositions recèlent. Il s’agit d’éviter que les expositions soient subordonnées aux alliances et aux hostilités internationales, en obtenant qu’elles soient considérées comme des trêves festives, sur le modèle des jeux Olympiques, dont les règles diplomatiques sont comparables.
La convention a accentué le caractère diplomatique que les expositions internationales n’avaient pas à l’origine et qu’elles ont pris à la fin du XIXe siècle. La représentation diplomatique des États, par des sections nationales séparées, ne s’est imposée que progressivement dans la coutume des expositions.
La fête s’en trouve suspendue aux rapports internationaux. Pour qu’ils ne la ruinent pas, la convention réglemente strictement l’accueil des puissances invitées. Elle soumet les échanges diplomatiques préalables à la tenue de l’exposition d’abord au contrôle collégial des parties à la convention, puis à celui de l’instance administrative permanente qui les réunit. Elle exige une égalité de traitement entre les États, manifestée depuis l’envoi d’invitation par le pays organisateur jusqu’à la division en concessions pavillonnaires du site de l’exposition.
Le texte de la convention assimile l’organisation d’une exposition à un acte de droit international public dont elle réserve l’exclusivité aux États.
Les invitations adressées à un État, qu’il soit ou non partie à la convention, et celles adressées aux personnes physiques ou morales qui relèvent de son autorité, doivent lui parvenir par la voie diplomatique, de même que les réponses et les vœux de participation émis par d’autres personnes morales. Mais le texte admet, en sus des sections nationales, la présence d’organisations internationales qui peuvent être invitées directement.
Les États invités aux grandes expositions enregistrées peuvent y bâtir à leur frais un pavillon abritant leur section nationale. L’État invitant en loue ou en prête à ceux qui ne le souhaitent ou ne le peuvent pas, selon l’usage retenu pour des expositions de durée et de taille plus modeste. Des États qui ne sont pas ou plus parties à la convention, peuvent être invités à une exposition, y installer un pavillon et bénéficier des garanties juridiques apportées par la convention.
Le respect de l’égalité de traitement entre les puissances invitées imposé, en dépit des différences de richesses ou d’intérêt des États pour ce genre de manifestation, peut s’exercer au détriment de l’attrait public et de l’équilibre financier de l’exposition, lorsque la participation des États invités n’est pas conforme aux espérances de la puissance invitante.
Lors de son audition, M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE, a indiqué que : « Chaque pays organise son pavillon selon son génie propre, en fonction des visiteurs attendus et du budget qu’il est prêt à consacrer à cette opération, quitte à produire parfois des manifestations décevantes. »
M. Pascal Rogard a ajouté que : « Sur les 170 États qui sont venus à Shanghai, 70 ont véritablement construit leur pavillon, 70 se sont installés dans un cluster construit par les Chinois, et les autres ont accepté, faute de moyens, un pavillon déjà construit qu’ils payaient au mètre carré à des conditions plutôt favorables. Il faut dire que les Chinois tenaient à une forte participation.
« Aujourd’hui, Milan est à la traîne. Même si 130 États ont fait part de leur intérêt, seuls 40 devraient construire leur propre pavillon ; des clusters abriteront là aussi plusieurs pays, mais les Italiens n’ont pas prévu de construire des bâtiments qu’ils fourniraient à d’autres États, de sorte que le nombre de participants ne devrait finalement pas dépasser une centaine (21). ».
En octobre, les chiffres officiels font état de 144 pays, 73 d’entre eux construisant des pavillons.
En dépit des contraintes diplomatiques imposées par la convention de 1928, les expositions internationales ont connu un succès qui n’a été interrompu que par les deux guerres mondiales. Entre 1851 et 2012, 85 expositions se sont tenues, soit en moyenne une tous les deux ans. C’est ce rythme que la convention de 1928 tente de maintenir.
2. La convention définit les expositions internationales pour en limiter la fréquence
Au droit commercial coutumier, appelé lex mercatoria, qui pouvait régir les premières expositions en leur appliquant un régime analogue à celui des foires internationales, la convention de 1928 a substitué un droit positif dont elle a inventé les catégories juridiques principales.
Les catégories de ce droit public international, définies par le titre premier de la convention, ont souvent changé depuis 1928.
La convention ne mentionne plus que des expositions enregistrées et des expositions reconnues. Ces distinctions juridiques ne reposent plus sur les classifications par branches de l’activité industrielle, mais sur plusieurs critères, les uns tenant à la durée et à l’étendue de l’exposition, les autres aux obligations imposées aux sections nationales invitées pour l’installation de leur pavillon, les derniers à des particularités de procédure. Ce que l’on appelle communément les expositions universelles sont les « expositions enregistrées », alors que les expositions dites internationales sont les « expositions reconnues ».
Comment s’appellent les expositions internationales ? À ses débuts, le BIE reconnaissait trois catégories d’expositions : les expositions dites générales de première catégorie, générales de deuxième catégorie ainsi que les expositions dites spéciales. Après la signature d’un nouveau protocole en 1972, les expositions générales ont porté un seul nom, expositions universelles, et les expositions spéciales ont adopté l’appellation de spécialisées. Enfin, le 19 juillet 1996 entre en vigueur un amendement de 1988 à la Convention de 1928, selon lequel les expositions universelles s’appellent maintenant expositions internationales enregistrées ou universelles et les expositions spécialisées prennent le nom d’expositions internationales reconnues ou internationales. Convention de 1928 Protocole de 1972 Amendement de 1988 Expositions générales de 1ère catégorie et expositions générales de 2ème catégorie Expositions universelles Expositions internationales enregistrées ou expositions internationales Expositions spéciales Expositions spécialisées Expositions internationales reconnues ou expositions internationales Quelles sont les appellations des différents pays ? En 1796 et 1797 se tiennent des Assises de l’Industrie Française qui servirent de modèle aux expositions nationales des produits de l’industrie tenues à Paris de 1798 jusqu’en 1849 et aux expositions nationales qui sont encore régulièrement organisées en Suisse. L’Angleterre prend le relais avec l’ouverture à Londres, en 1851, d’une exposition non plus nationale mais internationale, intitulée « The great Exhibition of the works of industry of all Nations », qui est imitée à New York en 1853 sous l’intitulé : « Exhibition of the Industry of All Nations ». À la mention de toutes les nations, la traduction française des catalogues de ces manifestations a préféré l’adjectif universel qui ne qualifie plus les œuvres industrielles mais l’exposition elle-même. Les termes d’exposition universelle sont repris dans l’intitulé de la manifestation organisée à Paris en 1855 et sont traduits en « Welt Austellung », c’est-à-dire exposition mondiale lors de l’Exposition de Vienne de 1873. Celle de Philadelphie en 1876 revient à l’usage anglais du mot « exhibition » employé sans qualificatif. Celle de Sydney en 1879 s’intitule International Exhibition. L’expression anglo-américaine usuelle « world’s fair » apparaît à l’occasion de l’Exposition de Chicago en 1893 qui s’intitule officiellement « World exposition ». À ces expressions usuelles ou choisies par les organisateurs s’ajoutent ensuite celles des versions de la convention internationale de Paris. Le titre français de la convention de 1928 mentionne les expositions internationales et la version anglaise « international exhibitions » mais l’usage en anglais international a consacré l’expression de « world expo », abrégée en « Expo » avec la majuscule d’un nom propre en contrepartie de l’abandon du génitif saxon, tandis que l’usage américain s’en tient à celle de « world’s fair ». Dans le texte français de la convention, au fil de ses modifications, les expositions internationales ont en outre été réparties en catégories qualifiées, entre 1929 à 1972, de générale ou de spéciale, entre 1972 et 1988, d’universelle ou de spécialisée et, depuis 1988, d’enregistrée ou de reconnue. Les prochaines expositions internationales enregistrées s’intitulent officiellement Expo Milan 2015 et Expo Dubaï 2020 en anglais international. |
La convention limite la fréquence des expositions afin d’en préserver la fréquentation, l’équilibre financier et la pérennité. Sa classification des expositions permettait à l’origine de différer les expositions universelles, les plus coûteuses, pour favoriser les expositions spécialisées, susceptibles d’être tenues plus fréquemment parce qu’elles intéressaient des domaines de production différents.
La convention initiale imposait à un État d’attendre quinze ans entre deux expositions universelles mais cinq ans seulement entre deux expositions spécialisées. Il ajoutait à ces délais des écarts minima à l’accueil d’expositions par des pays différents. Ces délais allaient de quelques mois pour les expositions spécialisées à quelques années pour les expositions universelles.
Bien que les parties à la convention dussent s’engager à respecter ces rythmes et ces écarts, les fréquences imposées se sont avérées à ce point litigieuses et inapplicables qu’elles ont été plusieurs fois modifiées jusqu’en 1988 (22).
Le protocole de 1972 prévoyait des délais entre les expositions : un État devait attendre vingt ans entre deux expositions universelles et cinq ans entre une exposition universelle et une exposition spécialisée ou bien entre deux expositions spécialisées.
Le même texte n’admettait d’expositions universelles successives, dans deux États différents, que tous les dix ans. L’écart imposé était de cinq ans entre deux expositions spécialisées de même nature et de deux ans entre des expositions spécialisées différentes. Il prévoyait toutefois que ces écarts soient exceptionnellement réduits. Cette exception était laissée à la discrétion d’une décision des parties, réunies en assemblée générale, par un amendement de 1982 (23), adopté à l’initiative du gouvernement français.
Selon M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE), entendu par la mission d’information, « la France souhaitant organiser une exposition en 1989 pour le Bicentenaire de la Révolution, il fallait amender la convention, ce qui nécessitait un vote des deux tiers de l’assemblée générale, mais aussi un processus de ratification par les quatre cinquièmes des États membres.
« Grâce à une campagne formidable de la France, trois lignes ont été introduites dans notre convention selon lesquelles le délai de dix ans pouvait être modifié par un simple vote des deux tiers de l’assemblée générale. À partir de là, il a été possible d’organiser des expositions à tout moment : il y en eut ainsi en 1982, 1984, 1985, 1986, 1988… Cette prolifération d’expositions a été préjudiciable aux expositions et aux États qui se sont retrouvés obligés d’y participer. »
Un amendement de 1988 (24) a rétabli des règles strictes de fréquence pour les deux catégories d’expositions nouvellement définies. À partir de 1995, l’espacement entre deux expositions enregistrées doit être de cinq ans au moins. Les dates retenues aboutissent tacitement à la tenue d’une exposition enregistrée chaque millésime multiple de cinq.
Si une exposition enregistrée peut être anticipée ou retardée d’un an pour célébrer un événement international exceptionnel, elle ne peut avoir lieu la même année qu’une exposition reconnue. Une seule exposition reconnue peut se tenir entre deux expositions enregistrées, exceptions faites de la triennale de Milan et des expositions horticoles.
Se seront ainsi succédées régulièrement, depuis 1995, l’Exposition de Hanovre en 2000 (25), d’Aichi en 2005, de Saragosse en 2008 (26), de Shanghai en 2010, de Yeosu en 2012 puis celle prévue à Milan en 2015, qui sera suivie l’année suivante d’une Triennale (27) dans la même ville. L’Exposition d’Astana se tiendra en 2017 et celle de Dubaï en 2020.
L’alternance régulière qui semble s’établir indique que la distinction juridique entre expositions enregistrées et expositions reconnues ne favorise plus les secondes, plus courtes et moins coûteuses, au détriment des premières. Le coût, la fréquence et l’étendue des deux catégories d’expositions sont également limités, de telle sorte que la plupart des États parties puissent en accueillir une, chacun à son tour, selon ses moyens.
Les expositions reconnues durent de trois semaines à de trois mois sur 25 hectares au plus, à raison de 1 000 mètres carrés par section nationale, les expositions enregistrées de six semaines à six mois, sur un site plus vaste.
En 1958, les expositions spécialisées avaient été dépouillées de leurs pavillons nationaux. L’obligation d’en installer était même devenue facultative pour les expositions universelles.
Depuis 1988, la convention (28) ne fait plus mention de ces pavillons et renvoie au règlement général de l’exposition le soin d’en prévoir, mais il exige cependant que des emplacements, construits par l’organisateur, soient mis à la disposition des États invités, même dans le cas d’une exposition reconnue.
3. La convention soumet les différends entre États à l’arbitrage d’une instance intergouvernementale, le BIE.
Le troisième engagement pris par les États parties à la convention de 1928 est de soumettre leurs désaccords à propos de l’exécution de celle-ci et les différends concernant la préparation d’expositions concurrentes, à l’arbitrage d’une instance intergouvernementale autonome.
La convention non ratifiée de 1912 prévoyait (29), lorsqu’une exposition était projetée la même année par plusieurs pays, que ces derniers procèdent à un échange de vue et fassent part de son résultat aux autres parties. Lorsque deux expositions étaient organisées simultanément, l’une par une partie à la convention, l’autre par un pays non adhérent, les parties à la convention devaient accorder leur préférence à la première.
La convention de 1928 (30) a rompu avec la pratique diplomatique coutumière des échanges de vues conduisant à une conférence internationale publique. Elle a instauré une autorité arbitrale permanente, appelée Bureau international des expositions (BIE), inspirée par les principes juridiques de l’époque, déjà repris par les conventions sur la justice internationale et surtout par l’exemple de la Société des Nations, mise en place par le traité de Versailles.
Le BIE installé en 1931, doit assurer le respect, par les États, des engagements conventionnels auxquels ils ont souscrit. Il doit en particulier être saisi des différends s’élevant entre les pays désireux d’organiser des expositions internationales la même année ou trop proches, en attribuant à l’un d’eux un privilège exclusif, contraignant pour son bénéficiaire, mais reconnu par toutes les autres Parties à la convention.
Même lors des périodes de ruptures diplomatiques et de guerres mondiales, les puissances ennemies n’ont pas organisé d’expositions simultanées servant de tribunes à la manifestation de leurs alliances rivales. Elles ont, au contraire, accepté de participer à des expositions tenues en territoire neutre, ne rivalisant, pour l’occasion, que par le faste de leurs pavillons. Ce fut le cas lors des expositions internationales installées à San Francisco en 1915, puis en 1939 et 1940 et, dans une moindre mesure, lors de l’Exposition internationale de Paris en 1937.
Cet arbitrage correspondait au souhait des promoteurs d’un droit international positif et public désireux de mettre un terme aux négociations diplomatiques secrètes et de substituer aux conflits latents des compétitions ouvertes et prévisibles.
Un jury collégial, composé des représentants des gouvernements ayant adhéré à la convention, arbitre les différends élevés entre ses membres par un scrutin secret. Celui-ci attribue à l’un des concurrents un privilège exclusif : cette exclusivité a, pour contreparties, des garanties juridiques offertes aux États invités qui sont autant d’obligations pour l’État invitant.
La puissance invitante doit en premier lieu organiser l’exposition dont elle a obtenu le privilège. Un dédit de sa part crée un préjudice dont les parties à la convention peuvent obtenir réparation lorsqu’elles ont engagé des dépenses en prévision de leur participation. L’État qui se dédit doit en outre verser une indemnité au BIE.
Ce régime indemnitaire a été mis en place à la suite du désistement de la France qui avait obtenu le droit d’organiser une Exposition universelle en 1989. Il a été appliqué en 2002 lors de son second désistement. Selon le rapport établi à la demande du Premier ministre, par M. Noël de Saint Pulgent, sur l’Exposition internationale prévue en 2004, à Dugny, en Seine-Saint-Denis, l’abandon du projet devait entraîner le versement de deux millions d’euros au BIE.
Les parties à la convention, en acceptant le privilège attribué à l’un d’eux, s’engagent à ne pas participer à une exposition internationale concurrente. Elles ont en échange la garantie, lorsqu’elles sont invitées à l’exposition, d’être traitées à égalité par la puissance invitante. Cet engagement n’est assorti d’aucune sanction sinon l’assurance, pour l’État qui y dérogerait, de s’exposer à des manquements semblables, par mesure de rétorsion.
Les relations entre les participants et l’État invitant suivent la coutume commerciale qui consiste à désigner, pour représenter chaque partie, une seule personne physique en qualité de commissaire. Les commissaires de section des États invités ont ainsi pour interlocuteur le commissaire de l’exposition désigné par l’organisateur.
Depuis 1994, les États invités qui sont éligibles à l’aide du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) bénéficient de remises et d’avantages, consentis par la puissance invitante, pour diminuer le coût de leur participation à l’exposition. Ils peuvent louer à moindre prix ou partager des pavillons mis à leur disposition.
Le Bureau international des expositions veille à ce que ces aides permettent la représentation du plus grand nombre d’États afin d’éviter un écart manifeste entre nations riches et pauvres qui nuirait à l’équilibre des relations internationales et mettrait en cause le modèle des expositions retenu.
Lors de son audition, M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du BIE, a attiré l’attention de la mission sur le plan d’aide aux pays les moins avancés : « C’est la précision de leur plan d’aide, destiné en particulier à l’Afrique, qui a permis aux Italiens de l’emporter face à la Turquie. C’était aussi un atout de Dubaï.
« Ce plan, requis pour toute candidature, n’engendrera pas nécessairement un coût supplémentaire mais supposera de réorienter la politique de coopération et les crédits de l’Agence française de développement vers de nombreux États membres de l’assemblée générale du BIE. »
C. LE BIE FOURNIT LE CADRE RÉGLEMENTAIRE DES EXPOSITIONS
1. Le BIE encadre étroitement la procédure d’enregistrement
Le Bureau international des expositions est une institution intergouvernementale dotée d’une personnalité juridique, installé à Paris.
Chargé de veiller et de pourvoir à l’application de la convention (31) , il est officiellement composé des gouvernements des parties contractantes, dont les représentants sont périodiquement réunis en sessions par un secrétariat, dotés de services administratifs, placés sous l’autorité d’un secrétaire général élu.
Le BIE comprend en outre une assemblée générale, une commission exécutive, des commissions spécialisées et autant de vice-présidents que de commissions. Les délégués des gouvernements qui composent ces instances débattent et adoptent des règlements qui complètent le droit international des expositions posé par la convention. Ils sont réunis périodiquement par le Président de l’assemblée générale pour statuer sur les demandes d’enregistrement d’expositions qui leur sont soumises par les États.
C’est le secrétariat général qui, en maîtrisant l’ordre du jour des instances du Bureau, conduit la politique de l’institution et impose l’autorité du droit des expositions.
Les résolutions de 1994 (32) concernent le contenu du dossier soumis à l’enregistrement, le thème et le lieu des expositions, ainsi que les obligations faites à l’État invitant.
Selon la convention (33), un gouvernement qui souhaite organiser une exposition internationale doit déposer une demande pour obtenir son enregistrement ou sa reconnaissance. Il peut le faire même si l’État qu’il représente n’a pas adhéré à la convention de 1928.
Cette déclaration d’intention est un acte unilatéral réservé au gouvernement d’un État, qualifié de gouvernement invitant. Depuis 1972, la convention admet que les organisations internationales et non gouvernementales puissent être invitées à une exposition. Mais elle n’admet pas qu’elles puissent déposer une demande d’enregistrement d’une exposition, même si l’une d’elles pourrait s’en voir déléguer l’organisation par l’État invitant.
La demande d’enregistrement prend la forme d’une lettre de candidature adressée par le chef de l’État ou du gouvernement au secrétaire général du BIE. La lettre doit mentionner le thème, le lieu et les dates d’ouverture et de clôture de la manifestation. Selon M. Bernard Testu, « Pour renforcer le sérieux de notre candidature, il faut que le projet de loi ou d’ordonnance correspondant soit déjà écrit – sinon déposé – et annexé au dossier, attestant de l’engagement de l’État ».
Les délais de dépôt des lettres de candidature distinguent deux catégories d’exposition. Ces délais sont fixés en fonction de la date prévue d’ouverture de l’exposition. La demande d’organisation d’une exposition enregistrée doit parvenir au secrétariat du Bureau International au plus tôt neuf ans et au plus tard six ans avant la date de son ouverture.
Pour les expositions reconnues, elle doit lui être adressée au plus tôt six ans et au plus tard cinq ans avant leur ouverture.
Le rythme adopté à partir de 1995 pour la tenue des expositions implique qu’une candidature pour l’organisation d’une exposition enregistrée en 2025 devrait être déposée entre 2016 et 2019 au plus tard.
La date à laquelle une lettre de candidature est portée à la connaissance des membres du BIE ouvre une période de six mois pendant laquelle les projets concurrents sont appelés à se manifester. À l’issue de cette période, chaque demande déposée doit être complétée par un dossier administratif (34).
Il appartient au BIE de déterminer le contenu de ce dossier. Celui-ci est précisé par des règlements obligatoires et par des résolutions adoptées par l’assemblée générale (35).
L’une d’elles (36) prescrit aux organisateurs d’exposition de transmettre au secrétariat du BIE, à l’appui de leur demande, « indépendamment des Règlements, afin qu’il puisse étudier plus précisément les conditions d’enregistrement et son calendrier de mise au point... [un] plan financier ; un plan préliminaire relatif au thème (choix, définition, développement, application) et aux rencontres de type congrès et colloques concomitants et à leur diffusion ; un plan préliminaire de promotion de l’exposition au niveau national et international ; le programme préliminaire du site ; les conditions de base (loyer éventuel, redevances appliquées aux activités commerciales, etc.) faites aux participants. »
Le dossier de candidature doit inclure le plan du site de l’exposition et le calendrier selon lequel les installations seront mises à la disposition des sections internationales pour y bâtir leur pavillon ou y installer leurs produits. Le dossier doit aussi contenir un projet de réutilisation du site après l’exposition dont les installations sont supposées temporaires.
c. L’organisation de l’exposition
À chaque étape de l’organisation de l’exposition, la puissance invitante est accompagnée et incitée à collaborer étroitement avec le secrétariat général du Bureau international. La planification et la préparation des programmes, la finalisation des règlements spéciaux, l’élaboration d’un guide de participation, celle du plan de promotion et de communication bénéficient du concours de ce secrétariat, qui informe deux fois par an les parties à la convention de l’avancée du chantier. Même à l’issue de l’exposition, le secrétariat du BIE s’assure que le plan de réutilisation du site est respecté.
Le gouvernement invitant peut organiser lui-même l’exposition ou bien confier ce soin à une tierce personne morale. Néanmoins l’attribution à l’État invitant du privilège d’organisation d’une exposition par son enregistrement emporte les obligations décrites précédemment, dont il ne peut se décharger entièrement sur une autre personne, publique ou privée.
Même lorsqu’il délègue l’organisation, le gouvernement invitant doit désigner une personne physique en qualité de commissaire de l’exposition et, à ce titre, d’interlocuteur diplomatique de ses homologues, les commissaires de section qui seront désignés par les gouvernements invités.
Dans le cas d’une délégation, le Gouvernement invitant doit garantir l’exécution des obligations de la personne morale organisatrice (37). Le statut légal de cette personne et le principe juridique de sa responsabilité quant aux dettes qui subsisteraient à l’issue de l’exposition devront avoir été posés.
Ces dispositions emportent une garantie de bonne fin de la tenue de l’exposition, mais aussi une garantie financière de l’acquittement de ses dettes, comme la France en a fait l’expérience en 2002, à l’occasion de l’annulation de l’exposition prévue en Seine-Saint-Denis.
2. L’examen des candidatures par le BIE commence par une enquête et s’achève par un scrutin
À l’expiration du délai de dépôt des candidatures concurrentes d’une demande d’enregistrement, le secrétariat du BIE soumet chaque dossier de candidature reçu à un examen. Une enquête est conduite sur pièce et sur place, dans chaque État.
Selon M. Vicente Gonzales Loscertales, « pour étudier les candidatures, notre organisation mène des enquêtes en lien avec les représentants des pays. Nous évaluons la conformité des projets aux règles fixées par notre assemblée générale : la capacité de l’exposition à répondre aux priorités de la communauté internationale, son utilité, son caractère innovant, le soutien des différentes forces du pays – groupes politiques, écologistes, syndicalistes, organisations de citoyens, etc... Cette évaluation nous permet de déclarer si un projet est viable ou pas. Nous ne comparons pas les différents projets. »
Il est constitué autant de missions que de candidatures en lice. Chacune réunit un vice-président du BIE et des délégués représentants des parties qui ne sont pas impliquées dans la compétition. La mission peut être assistée d’experts, selon la nature du projet.
Cette équipe dépouille les pièces du dossier de candidature qui lui ont été transmises. Elle interroge l’organisateur par questionnaire. Elle négocie avec lui un programme de visites sur place, afin de vérifier que la superficie du site et l’espace de la concession alloué à chaque participant sont en rapport avec le nombre de visiteurs attendus. Les frais de visite sur place sont pris en charge par le candidat.
L’équipe évalue aussi l’impact environnemental des aménagements prévus et des équipements nécessaires. Elle examine la desserte du site et le coût de participation des sections nationales, selon les dispositions matérielles prévues pour les accueillir et selon qu’elles aient ou non les moyens financiers de bâtir leur propre pavillon. Elle contrôle les moyens d’acheminement des produits présentés, les logements des équipes techniques mobilisées et les formalités douanières et de transit auxquelles les uns et les autres seront soumis.
La mission d’enquête vérifie également l’équilibre financier du projet et la solidité des garanties financières que lui apporte le gouvernement invitant. Elle s’assure, par des entretiens, que les autorités locales et les représentants des groupes d’intérêts soutiennent le projet et qu’il bénéficie d’une large approbation de la part des riverains du site et des citoyens de la puissance invitante.
Cette enquête se conclut par le dépôt d’un rapport. M. Pascal Rogard a brièvement décrit devant la mission la mission d’enquête sur la candidature de Dubaï à l’Exposition de 2020 à laquelle il a participé : « Pendant cinq jours, la ville candidate présente son projet, ses infrastructures, ses services de santé, justifie ses hypothèses de fréquentation – c’était particulièrement nécessaire à Dubaï, où l’on attend 25 à 30 millions de personnes en plein désert –, explique comment sera géré le flux des entrées. Le rapport qui en est issu se compose de quelque 800 pages. »
Selon M. Bernard Testu, « La mission d’enquête, composée de délégués membres du BIE, rédige un document qui entre dans les détails techniques et financiers du projet ; ce rapport est ensuite attentivement étudié par le secrétariat du BIE qui fait appel à l’expertise de consultants privés extérieurs.
« Ayant participé à quatre missions et en ayant présidé deux, je sais que l’investigation ne laisse rien dans l’ombre : on auditionne le Président de la République, les chefs de l’opposition, les principales villes concernées, les entreprises, les différents groupes de pression intéressés, les opposants, les banques, éventuellement les médias ; on vérifie différents documents relatifs à l’engagement financier de l’État et on examine la solidité de sa détermination en se penchant sur le projet de loi joint au dossier.
« En somme, on tente de s’assurer, dans la mesure du possible, qu’à ce stade de la procédure – soit neuf ans avant la tenue de l’exposition –, l’État concerné, dans toutes ses composantes, s’est mis en ordre de bataille pour préparer l’événement. Le rapport de la mission d’enquête est un document très épais et complexe, et la majorité des délégués ne le lisent pas ; mais la commission exécutive du BIE – que j’ai longtemps présidée – en fait une analyse avant de rendre un avis strictement technique, statuant sur la viabilité du projet et sur les éventuelles améliorations à y apporter.
« Ce rapport est voté par les membres de la commission exécutive – dont dix-huit pays font actuellement partie –, généralement à l’unanimité. Ainsi cette approbation ne signifie pas grand-chose, aucun projet sérieux n’étant rejeté à ce stade. »
Le rapport atteste le sérieux du projet et le respect des exigences conventionnelles. En revanche, il ne prend pas position sur la qualité de la candidature. La commission exécutive se garde de hiérarchiser les projets concurrents. Elle donne un avis sur chacun d’eux. Elle n’écarte que les demandes d’organisation mal fondées, sans garantie financière, ainsi que les projets d’expositions manifestement dépourvus du soutien public et du sérieux économique requis.
Le rapport et l’avis qu’il a reçu, sont ensuite transmis aux représentants des autres États membres du BIE. Tous sont convoqués par son Président pour une assemblée générale au cours de laquelle le lauréat sera désigné par scrutin. N’y aurait-il qu’une seule candidature, l’assemblée générale est néanmoins appelée à se prononcer sur l’enregistrement ou la reconnaissance de l’exposition projetée.
Le choix du lauréat se fait par scrutin secret, afin de garantir l’autorité de l’arbitrage rendu. Les scrutins tenus par l’assemblée générale du BIE respectent le principe d’égalité entre les États, retenu par celle des Nations Unies. Chaque État membre du Bureau dispose d’une voix. Le droit exclusif d’organiser une exposition une année donnée est attribué à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés lorsqu’il y a plus de deux candidats en lice.
Lorsque la majorité requise n’est pas atteinte au premier tour de scrutin, le candidat qui a obtenu le moins de voix est éliminé des scrutins suivants. Lorsqu’il ne reste plus que deux candidats ou s’ils n’étaient que deux au premier tour, le lauréat est désigné au plus grand nombre de voix. À titre d’exemple, la candidature de Dubaï pour l’Exposition universelle de 2020, présentée par les Émirats arabes unis, a été retenue au troisième tour de scrutin lors de l’assemblée générale du BIE tenue à Paris le 27 novembre 2013, au palais d’Iéna, construit à la suite de l’Exposition universelle de 1937.
Si l’un des deux candidats encore en lice n’est pas membre du BIE, il doit obtenir une majorité des deux tiers des suffrages, la convention privilégiant les expositions organisées par les parties à la convention. Ces dernières n’ont pas à justifier leur suffrage. Toutefois, comme elles y sont invitées par les règlements, elles ne manquent pas de tenir compte non seulement du rapport d’enquête reçu et de l’avis de la commission exécutive du BIE, mais aussi de l’intérêt universel du thème retenu par chaque projet et, bien sûr, des relations internationales.
3. La procédure administrative d’enregistrement reste cependant un exercice de diplomatie
L’examen préalable des demandes d’enregistrement, soumis aux formalités administratives décrites, a pour but d’assurer le respect des engagements souscrits par les parties et, plus largement, du droit international des expositions internationales.
Les instances administratives du BIE doivent être convaincues de l’opportunité et de l’économie des projets d’exposition qui leur sont transmis. Leur opinion sur chaque candidature pèse sur les suffrages que leur accordent les représentants des membres du BIE qui ne prennent connaissance des dossiers que le temps de la session de l’assemblée générale.
Lors de l’assemblée générale, le déroulement des scrutins obéit aux principes de la diplomatie, d’autant que les pays candidats sont autorisés à faire campagne auprès des autres membres afin d’obtenir leurs suffrages. Cette campagne peut mobiliser des moyens considérables pour emporter l’adhésion.
M. Pascal Rogard a évoqué les négociations diplomatiques et financières auxquelles cette campagne électorale peut donner lieu : « Comment convaincre un nombre suffisant d’États membres du BIE de voter pour nous ? Pouvons-nous leur proposer des contrats ? Bien que le vote soit secret, je sais que de nombreux États membres de l’Union européenne ont voté pour Dubaï. Parmi eux, l’Espagne, comme l’Italie, a opéré un revirement puisqu’elle avait initialement annoncé son soutien au Brésil. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu des tractations...
« L’équilibre géopolitique pose un autre problème, même si M. Loscertales ne partage pas mon point de vue à cet égard. Après le choix de Hanovre en 2000 et de Milan pour 2015, quelles sont les chances d’une nouvelle candidature européenne face à l’Amérique du Sud ou à l’Asie du Sud-Est, dans une économie bien plus globalisée où les candidatures se multiplient ? ».
En effet, M. Vicente Gonzales Loscertales a déclaré à la mission que l’histoire récente des expositions… montrait « que la tendance ne va pas obligatoirement vers les pays émergents ou ceux qui veulent montrer d’eux une nouvelle image », et que « au cours des dernières années, notre assemblée générale a toujours décidé, à la quasi-unanimité qu’il n’était pas nécessaire d’introduire une rotation géographique ».
S’agissant de la composition du corps électoral, dans lequel chaque partie à la convention peut être représentée par un à trois délégués mais ne dispose que d’une seule voix, M. Bernard Testu a rappelé que « le BIE étant une organisation internationale de droit public, c’est le pouvoir politique qui nomme les trois délégués nationaux.
« Dans les grandes démocraties occidentales, il s’agit généralement de fonctionnaires, souvent de l’ambassadeur du pays. Quelquefois, pourtant, ce n’est pas le cas ; il est ainsi arrivé que le représentant d’un pays – généralement petit – soit une personne privée qui n’en avait même pas la nationalité, mais qui disposait d’amis haut placés.
« Si un tel électeur est plus vulnérable que d’autres aux pressions des lobbies, sa voix pèse pourtant autant que celle de l’ambassadeur de la République populaire de Chine. La liste des délégués est publique ; cependant, ce n’est pas forcément le délégué qui sera l’électeur. Le rôle des services diplomatiques est ici essentiel : à eux de s’informer du cheminement de la réflexion dans chaque pays. »
Selon M. Pascal Rogard, la compétition, préalable au scrutin, entre les pays organisateurs s’est ravivée depuis qu’un nouvel engouement, vraisemblablement lié au succès de l’Exposition de Shanghai, s’est emparé des États, augmentant le nombre de candidatures concurrentes pour chaque exposition :
« Pour l’Exposition de 2020, cinq candidatures ont été déposées, ce qui était tout à fait nouveau puisque deux candidats seulement étaient en lice pour 2000 comme pour 2015. En outre, les États occidentaux traditionnels n’étaient plus représentés parmi les pays candidats puisque les cinq étaient Dubaï, la Turquie, le Brésil, la Russie et la Thaïlande – qui a finalement retiré sa candidature pour des raisons qu’il serait d’ailleurs intéressant d’étudier. »
« Chef de la délégation française depuis 2009, j’ai vécu, outre la campagne pour l’organisation de cette Exposition universelle de 2020, celle qui a opposé Astana, au Kazakhstan, à Liège, en Belgique, en vue de l’Exposition spécialisée de 2017. Toutes deux montrent que ce sont les pays les plus mobilisés qui l’emportent, et de loin... Pour 2020, la Russie et la Turquie, qui ont plusieurs millénaires d’histoire derrière elles, se sont inclinées devant un pays vieux d’un demi-siècle à peine, puisque l’exposition coïncidera avec le cinquantenaire des Émirats arabes unis.
« Voilà qui conduit à relativiser le poids du facteur historique et culturel dans le choix de tel ou tel pays, au regard des arguments économiques. Le Royaume-Uni, premier pays à s’être prononcé, très tôt, en faveur de Dubaï, a obtenu en échange la rénovation du port de Londres par les Émirats. Alors que Rome avait promis son soutien à la Russie, le président du conseil italien a finalement choisi lui aussi Dubaï… ».
III. LES EXPOSITIONS INTERNATIONALES PEUVENT PARAÎTRE DÉSUÈTES
A. LES EXPOSITIONS DU XIXE SIÈCLE CÉLÉBRAIENT LE PROGRÈS UNIVERSEL
Les expositions internationales du XIXe siècle célébraient le Progrès. Elles répondaient aux aspirations des encyclopédistes à dresser un tableau général des efforts de l’esprit, répartis par domaines des sciences et des techniques, par des démonstrations illustratives. Elles exhibaient des machines industrielles dans des galeries en les alignant à la place des statues des dieux antiques : les années 1850 étaient en effet marquées par l’essor industriel, le développement des banques, l’apparition du rail et de la machine à vapeur, la production à grande échelle, la conquête des campagnes.
Ces expositions accomplissaient aussi une mission pédagogique, en présentant au public les prodiges du génie humain. Selon Mme Florence Pinot de Villechenon, cette mission engageait les expositions dans « une démarche de vulgarisation scientifique et d’éducation des peuples sous l’influence des Lumières, du Saint-Simonisme et du positivisme d’Auguste Comte... Cette démarche, qui consiste à mettre à la portée des masses la vision des élites, engendrera le suffrage universel et légitimera la colonisation... ».
« Le progrès est la lumière des nations » affirmait l’immense inscription qui se trouvait sur le mur du fond du pavillon des machines, lors de l’Exposition de 1900, rappellent Gilles Babinet et Nicolas Colin (38), ajoutant : « notre nation ne doutait pas d’elle-même. C’était la Belle époque, une ère de croissance économique et de propagations d’innovations technologiques majeures ». Les expositions universelles sont d’abord un moteur, elles ont un effet de catalyseur et une dimension pédagogique.
Une évolution se serait pourtant produite au tournant du XXe siècle : « Au tournant du siècle, la mystique du progrès et la foi inébranlable dans le progrès commencent à s’effriter. On prend du recul, on s’interroge sur le bien-fondé de la démarche, mais le camp des sceptiques n’est pas suffisamment puissant pour enterrer le concept d’exposition universelle » a estimé Mme Florence Pinot de Villechenon.
Les désillusions du progrès atteignent les expositions internationales, dès 1900 selon certains, dans les années 1930 selon d’autres. Au lieu d’un fait historique, attesté par la présentation au public de machines industrielles, le Progrès devient un idéal abstrait. Les salles de machines disparaissent des expositions : « la dématérialisation des expositions va de pair avec la mutation de notre appareil productif, qui est de moins en moins industriel ». Leurs organisateurs, « embarrassés devant l’ambition prétendue des expositions de cerner exhaustivement tout ce qu’est capable de produire le génie humain, décident de présenter des idées plutôt que des machines, ce qui favorise l’émergence de quelques thèmes. »
« La première exposition mettant en avant un thème précis fut celle de Bruxelles en 1935, suivie de celle de New York en 1939. L’exposition qui s’est tenue à Paris en 1937 à Paris était spécifiquement dédiée aux arts et techniques de la vie moderne. »
Parallèlement, la notion de fête commence à apparaitre dès 1900 car on s’aperçoit que les expositions trop austères n’attirent pas le public.
L’Exposition de Chicago de 1933 se présente encore comme le lieu d’illustration d’« un siècle de progrès ». Elle adopte une devise plus explicite, qui décrit la marche volontariste du progrès : « la science trouve, l’industrie applique, l’homme s’adapte (39) ».
L’Exposition de Bruxelles, en 1935, intitulée Exposition universelle et internationale, est plus modeste par son ampleur comme par son ambition. Elle ajoute à son intitulé une thématique restrictive, celle des transports et de la colonisation, qui l’apparente à une exposition spécialisée.
Celle de Paris en 1937 choisit une voie moyenne entre l’universalisme américain et la modestie bruxelloise, en s’appelant : « Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne ». Il ne s’agit plus du Progrès universel mais seulement de celui des arts et des techniques, qui traite du progrès de la civilisation dans la vie moderne. L’Exposition de New York, deux ans plus tard, retrouve l’ambition de celle de Chicago en présentant « Le monde de demain ».
L’Exposition de New York de 1939 est la première à ne plus présenter, de manière didactique, les progrès techniques accomplis, mais à anticiper l’évolution de la civilisation selon le modèle du récit illustré de science-fiction, à la mode à l’époque. Le caractère fictif de cette présentation était accusé par les progrès de la guerre en Asie et en Europe, qui ont brisé les anticipations généreuses de l’exposition. En renouvelant les désastres de la première guerre mondiale, la deuxième en a répandu les désillusions parmi les États membres du BIE, interrompant le cycle des expositions internationales.
Les expositions peuvent paraitre dépassées, dans la mesure où le progrès est une source d’interrogations pour beaucoup, notamment pour les Français.
2. Le progrès est devenu source de désillusion pour les Français
Plusieurs intervenants, interrogés sur la perte de la foi dans le progrès, ont répondu que la déception produite par le progrès technique et scientifique était plus française qu’universelle.
M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, a restitué les doutes qui ont détruit cette foi dans les croyances de la population française :
« À l’occasion de la préparation du rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective sur la question « Quelle France dans dix ans ? », j’ai été frappé de constater que les Français nourrissent aujourd’hui de nombreux doutes à l’égard de la notion de progrès – qu’il s’agisse du progrès scientifique ou du progrès économique et social.
« Je ne crois pas qu’ils aient perdu foi en la science, dont ils considèrent toujours qu’elle peut transformer leur vie, dans le bon sens. Toutefois, il semble qu’ils aient perdu confiance dans la capacité de nos institutions publiques et privées à faire bon usage des découvertes scientifiques et des innovations.
« Ils craignent qu’on ne manipule l’opinion, que des données gênantes ne soient occultées, que les découvertes scientifiques ne soient enrôlées au service d’intérêts particuliers ne coïncidant pas avec ceux de la société. Sur ce point, nous avons beaucoup régressé. J’en veux pour preuve les débats que suscitent l’application du principe de précaution à l’apparition de toute innovation importante – les OGM, par exemple...
« J’ai également été frappé par le doute qui s’exprime à l’égard de la croissance elle-même. Malgré leurs différends, les Français s’accordaient à considérer la croissance comme une forme de progrès économique et social – indépendamment d’éventuels conflits de répartition. Ce fut le cas, après 1945, au sortir de la stagnation relative de l’entre-deux-guerres. Or il semble que ce consensus soit aujourd’hui brisé.
« Cela s’explique par le fait que, depuis six ans, la croissance est en berne… l’idée même de croissance s’apparente désormais à un rêve, surtout pour les jeunes générations. D’autre part, les dommages environnementaux qu’elle peut provoquer ont suscité un rejet de la croissance.
« Le doute d’une minorité, qui milite pour la notion de « décroissance », rejoint celui, plus large, qui prévaut dans l’opinion. Enfin, on craint que la croissance et le progrès ne profitent qu’aux villes et aux métropoles, au détriment des territoires ruraux, que la répartition des revenus se modifie au seul profit de ceux qui maîtrisent les savoirs, que certains soient sacrifiés au nom de la croissance.
« Une exposition universelle doit prendre en compte ces interrogations. Au-delà des aspects spécifiquement français, elle doit faire écho à une question plus large, d’envergure internationale : quel est l’effet du progrès technique sur la répartition des revenus ? »
« Dans un livre récent, The Second Machine Age (Le Deuxième Âge de la machine), deux chercheurs du Massachusetts Institute of Technology montrent que l’on va vers une économie dans laquelle les machines grignotent de plus en plus sur le travail qualifié. Le partage ne se fait plus seulement entre travail qualifié et travail non qualifié puisque, même à l’intérieur du travail qualifié, certaines tâches peuvent être mécanisées. Cela explique l’angoisse de la classe moyenne. Cette évolution est la conséquence des progrès de l’intelligence artificielle. »
« Au-delà, le progrès technique favorise de plus en plus ces « superstars » qui sont capables, par leur talent, de démultiplier leur productivité et de capter l’essentiel des gains du progrès technique à leur profit… On peut donc s’attendre à une captation des bénéfices sociaux du progrès par une toute petite minorité. La question des effets sociaux du progrès technique pourrait donc être un thème intéressant autour duquel structurer un projet d’exposition universelle. »
M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation, a confirmé le propos de M. Pisani-Ferry : « La France est fâchée avec le progrès, mais cela ne date pas d’hier... Notre pays est celui qui croit le moins au progrès. C’est le plus pessimiste de la terre ! Un journal ne titrait-il pas : « Survivre au progrès » ?... La France n’est donc pas leader en matière de progrès. Les nombreux livres que j’ai pu lire à ce propos sont désespérants : pour les « intellos » qui en sont les auteurs, croire au progrès, c’est américain, c’est scout, cela ne peut conduire qu’à la catastrophe... »
« Si la France invitait la terre entière sur le thème du progrès, cela pourrait constituer pour elle une bonne psychothérapie. Elle ne peut pas continuer à répandre sur le monde son horrible pessimisme. Cela suppose qu’elle se réconcilie avec le progrès et renoue avec la juste vision qu’elle en avait. Stefan Zweig considérait que ce n’était pas pendant la Première Guerre mondiale ni pendant la Seconde Guerre que nous avons eu raison, mais lorsque nous avions une vision pasteurienne du progrès. Tous les partis étaient progressistes et l’on essayait de faire en sorte que tout aille mieux – ce qui est tout de même l’objectif de la recherche. »
« La France avait remporté haut la main la grande bataille des expositions universelles, mais la situation changea du tout au tout après 1900. À l’exposition universelle de Paris de 1937, ce fut l’horreur totale, car la Seconde Guerre mondiale se préparait. Il y avait très peu de pays participants, et certains d’entre eux s’opposaient. Ce n’était pas du tout l’esprit des expositions universelles...
Sa vision pessimiste du progrès « s’explique par le fait que l’Europe a été le cadre de deux conflits mondiaux et que, depuis la Première Guerre mondiale, on en est venu à douter que la connaissance entraîne automatiquement le progrès humain. Reconnaissons que, si le progrès est un idéal de la raison vers lequel nous devons tendre, le chemin n’est pas continu, qu’il peut y avoir des retours en arrière, et que la barbarie n’est pas exclue... ».
B. DOUTANT DU PROGRÈS, LES ÉTATS MEMBRES DU BIE L’ONT SUBORDONNÉ À DE NOUVELLES VALEURS
1. L’Exposition de 1958 marque un tournant
Empêchées pendant les dix années de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide, ces expositions reprennent leur cours à l’initiative du gouvernement belge, avec l’Expo 1958 de Bruxelles. Selon le BIE, c’est de cette exposition que date une vision plus distanciée du progrès du génie humain, révéré auparavant comme une manifestation providentielle.
Le Bureau indique, sur son site Internet, que « l’éloge inconditionnel du progrès technique en tant qu’idée principale des précédentes expositions Universelles a été largement mis en cause à Bruxelles. À partir d’Expo 1958, toutes les expositions internationales chercheront désormais à dresser un bilan objectif de l’activité humaine dans tous les domaines de la vie moderne. »
Le terme de bilan employé balance les effets favorables et défavorables des activités humaines, suggérant que le progrès technique n’est pas toujours souhaitable. Cette inflexion inspire de nouveaux thèmes aux expositions, tels ceux de l’Expo 58 : « Bilan du Monde pour un Monde plus Humain. La Technique au service de l’Homme. Le Progrès Humain à travers le Progrès Technique ».
Les thèmes des expositions subordonnent les progrès techniques accomplis ou attendus à des valeurs appelées à limiter leurs inconvénients. À cette condition, l’Expo 58 demeure confiante dans l’avenir. Elle ne renonce pas à une représentation symbolique d’un progrès universel, entraîné par celui du savoir humain.
Tandis que la menace d’un anéantissement nucléaire mutuel retient les hostilités entre les deux principaux vainqueurs de la deuxième guerre mondiale, l’Expo 58 se donne pour monument une représentation conventionnelle, en trois dimensions, agrandie 165 milliards de fois, des relations atomiques d’une phase du cristal de fer, appelée par la presse internationale Atomic Tower, par allusion à la puissance nucléaire (« atomic power ») des deux adversaires du moment.
L’Expo ne donne pas lieu à controverses entre les États-Unis et l’Union soviétique. Leurs conceptions antagonistes de l’humanisme et de son progrès n’ont guère troublé la manifestation, alors qu’un roman récent (40) imagine qu’elle fut le théâtre de conflits sourds entre leurs services secrets. La coexistence pacifique permet à la plupart des pays du bloc de l’est d’adhérer à la convention sur les expositions internationales en 1960.
En pleine course aux étoiles entre les deux blocs, l’Exposition de Seattle de 1962 fait encore l’éloge de l’élan technologique donné à la recherche spatiale américaine par le programme Apollo, lancé par le Président Kennedy en réponse au programme soviétique Spoutnik. L’exposition propose, à la manière romancée de celle de New York, « un aperçu de la vie de l’Homme au siècle prochain » qu’elle projette dans une ère spatiale de paix, de progrès culturel et de développement économique.
En revanche, les thèmes des expositions suivantes, même celles organisées en Amérique, abandonnent la célébration du progrès technique et les présentations didactiques au profit d’illustrations utopiques, répondant à des valeurs différentes. Le thème de l’Exposition de New York de 1964 promeut la paix par la compréhension. Celui de Montréal en 1967 rend hommage à la Terre des hommes. Celui d’Osaka en 1970 appelle au Progrès humain dans l’Harmonie.
Ces thèmes subordonnent le progrès à de plus hautes valeurs humanistes. Ce changement s’impose parmi les membres du BIE jusqu’à les convaincre de modifier la définition officielle des expositions internationales ; ils constituent, en 1966, une commission spéciale chargée de réécrire entièrement le texte de la convention, même si cette définition n’est pas la préoccupation principale de la commission (41).
2. À partir du protocole de 1972, les expositions changent de finalité
En 1972 – année de la publication du premier rapport Meadows du Club de Rome, qui dénonce la croissance de la production industrielle – intervient une modification des textes : les expositions internationales ont changé de finalité.
La convention de 1928 (42) attribuait aux expositions internationales un seul but principal, celui « de faire apparaître les progrès accomplis par les différents pays dans une ou plusieurs branches de la production ».
Selon la définition des expositions adoptée en 1972, « Une exposition est une manifestation qui, quelle que soit sa dénomination, a un but principal d’enseignement pour le public, faisant l’inventaire des moyens dont dispose l’homme pour satisfaire les besoins d’une civilisation et faisant ressortir dans une ou plusieurs branches de l’activité humaine les progrès réalisés ou les perspectives d’avenir. »
Le but n’est plus de faire voir un progrès tangible mais d’instruire le public en suivant deux voies vers ce but. Il y a d’un côté « l’inventaire des moyens dont dispose l’homme pour satisfaire les besoins d’une civilisation » et de l’autre « les progrès réalisés ou les perspectives d’avenir », présentés par branches. Ces branches ne sont plus les spécialités de la production, des techniques industrielles, ou de la science, mais celles, plus générales, de l’activité humaine.
En apparence, la rédaction de 1972 reste fidèle aux principes des Lumières du XVIIIe siècle. Mais le texte autorise des interprétations, auparavant inimaginables, qui dresseraient de sombres perspectives d’avenir ou opposeraient, dans certaines activités humaines, les besoins de la civilisation aux progrès techniques et leurs perspectives d’avenir aux progrès réalisés.
Une nouvelle rédaction, en 1988 dispose que les expositions reconnues illustrent un thème précis, sans rien imposer d’analogue aux expositions enregistrées. Les expositions enregistrées pouvaient encore, en 1988, se donner un thème vague ou général.
Une nouvelle inflexion intervient en 1994.
3. Depuis 1994, toute exposition doit avoir pour thème les attentes de la société contemporaine
a. Les expositions doivent répondre à des attentes collectives
Une résolution (43) dispose que « toute exposition devra avoir un thème d’actualité correspondant aux attentes de la société contemporaine... tout en étant suffisamment large pour permettre à tout participant de l’illustrer ».
Les deux catégories d’exposition ne sont plus distinguées par leur thème. Celui-ci n’a plus pour objet l’enseignement des progrès scientifiques et techniques, mais ce que la résolution qualifie d’ « attentes de la société contemporaine ».
Le principe initial des expositions se trouve renversé. Il ne s’agit plus d’expliquer le progrès du génie humain par les disciplines et les industries dans lesquels il se produit mais en partant d’attentes originaires. Les expositions ne transmettent plus un savoir, même de manière ludique ou didactique, mais répondent en quelque sorte à des désirs collectifs.
Parmi ces attentes, celles qui portent sur des domaines d’innovation technique sont désormais satisfaites par les salons professionnels et moins par les expositions. M. Marc Giget a expliqué qu’« aujourd’hui, on fait des expositions sur tout, dans tous les domaines, et on peut imaginer que le Salon international de l’agroalimentaire (SIAL) est plus complet en ce domaine que ne le sera la prochaine Exposition universelle de Milan, pourtant consacrée à la nourriture. »
Un salon professionnel est plus didactique et plus exhaustif qu’une exposition internationale. Il s’adresse à un public averti, dont il ravive l’intérêt pour un domaine bien connu, en ne lui présentant que les innovations, tandis qu’un pavillon d’exposition doit plaire au grand public, en retenant son attention par des attractions sans pouvoir compter sur un intérêt acquis d’avance, ni sur une curiosité intellectuelle ou professionnelle.
Quant aux attentes générales mentionnées par la résolution de 1994, la résolution les caractérise en ajoutant que le thème des expositions « devrait faire ressortir l’état des progrès scientifiques, technologiques et économiques dans le domaine considéré et la problématique née de la prise en considération des aspirations humaines et sociales ainsi que de la nécessaire protection de l’environnement naturel. »
Le texte promeut donc, pour la première fois, la protection de l’environnement, qui semble primer parmi les attentes actuelles.
b. Les thèmes sont soumis à des négociations diplomatiques
Le choix du thème a été soumis aux règles d’une négociation diplomatique par la résolution de 1994.
Cette négociation se déroule en pratique avec le secrétariat général, avant la convocation de l’assemblée générale et parfois même avant le dépôt d’une candidature officielle. Le thème négocié doit recueillir la caution institutionnelle de l’Organisation des Nations Unies.
Selon la résolution, « le choix du thème et l’étude de son développement devra impliquer une concertation étroite entre l’organisateur et le BIE ainsi qu’une liaison avec les plus hautes autorités mondiales, telles que l’ONU, dans le but de rechercher une caution auprès de ces dernières. Le BIE est invité à préciser les voies lui permettant, de veiller à l’application du thème par une fonction de guidage et d’assistance auprès des participants et des organisateurs. »
Le BIE partage donc désormais cette responsabilité avec les instances des Nations Unies. Ce lien s’est affermi en pratique parce que le BIE et l’ONU partagent une même conception, multilatéraliste et institutionnelle, du droit international.
La résolution de 1994 prescrit à l’État invitant de « programmer des rencontres associant les experts les plus reconnus dans le domaine du thème, ainsi que les organisations de caractère économique et professionnel, représentatives au plan international et régional, ayant un lien avec le thème » et de rechercher, en toutes circonstances, « l’accord et le concours des plus hautes autorités mondiales en la matière pour garantir l’excellence et le succès de ces rencontres. »
Après l’adoption de la résolution de 1994, pendant quelques années, les préoccupations écologiques ont prévalu, conformément à l’orientation donnée par la convention-cadre des Nations Unies sur le développement durable.
M. Vicente Gonzales Loscertales a plutôt souligné devant la mission l’affirmation du caractère universel du thème des expositions : « ce critère a été rempli en 2000, à Hanovre, avec le thème de “ L’homme, la nature, la technologie ”, en lien avec l’Agenda 21 de la conférence de Rio, ainsi qu’en 2005, au Japon, avec “ La sagesse de la nature ”, après la signature du protocole de Kyoto… ».
Ce changement des thématiques n’a pas été un succès lors de l’Exposition de Hanovre de 2000 qui avait pourtant pris pour thème le développement durable.
Selon M. Marc Giget, « l’Exposition universelle de Hanovre fit un flop : elle avait pris pour thème les problèmes, alors que l’intérêt de ce genre d’exposition est de montrer les solutions. On avait manqué d’ambition... Je ne peux que mettre en garde contre la dérive des petits pavillons à l’architecture travaillée, mais vides. À Hanovre, les pays invités ont fourni un service minimum et cela a déplu aux Allemands. Il n’y avait rien à voir. »
M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE, a confirmé cet échec en ajoutant que la « réorientation des thématiques, vers 1990, a été suivie d’un passage à vide : près de huit ans se sont écoulés sans exposition universelle après celle de Séville, en 1992, puis une décennie entière, entre 2000 et 2010. »
M. Vicente Gonzales Loscertales a toutefois rappelé que l’orientation en faveur du développement durable avait encore prévalu « pour les expositions suivantes avec les thèmes de “ L’eau et le développement durable ” à Saragosse, en 2008 ; “ Meilleure ville, meilleure vie ” en Chine, en 2010 ; “ Pour des côtes et des océans vivants : diversité des ressources et activités durables ” en Corée du Sud, en 2012 ; “ Nourrir la planète, énergie pour la vie ”, à Milan en 2015. »
En revanche, les thèmes de l’Exposition reconnue d’Astana, au Kazakhstan, « l’énergie du futur », initialement complétés par la mention ensuite supprimée d’une « action pour la durabilité mondiale » et de l’Exposition enregistrée de Dubaï, aux Émirats Arabes Unis, en 2020, « connecter les esprits, construire le futur » dessinent une perspective ou expriment un vœu sans plus prendre parti entre un progrès durable et un progrès technique, éphémère, réversible.
Le secrétaire général en a conclu devant la mission que les expositions sont « de grands exercices de diplomatie publique dans un objectif d’amélioration de la qualité de vie ».
Cette longue évolution met peu à peu le progrès entre parenthèses. Son attrait demeure tout de même : comme on le verra ci-dessous, nombre des interlocuteurs de la mission – en particulier le monde des entreprises – ont jugé souhaitable de le raviver et appelé de leurs vœux la tenue d’une exposition universelle pour redonner du sens à la notion de progrès.
De même, M. Alain Berger, commissaire général de la France à l’Exposition de Milan, s’est félicité que le thème de celle-ci, « nourrir la planète, énergie pour la vie », permette de montrer comment le progrès scientifique et technique pourrait répondre aux défis auxquels l’humanité doit faire face dans ce domaine : « on peut relever ce défi en croyant dans le progrès scientifique et technique, en assurant un débat véritablement démocratique sur la manière d’introduire ce progrès et en promouvant la coopération internationale ». D’ailleurs, il a prévu un programme scientifique avec une conférence chaque semaine, pendant toute la durée de l’exposition.
4. Parallèlement, les thématiques ont également été infléchies par l’arrivée des pays émergents
La composition de l’assemblée générale du BIE n’est pas identique à celle des Nations Unies. La décolonisation de l’immédiat après-guerre mondiale et celle des années 1960 n’ont pas provoqué l’adhésion des nouveaux États à la convention de 1928, ni le déplacement des lieux habituels d’exposition internationale jusqu’aux années 1990. Celle d’Haïti en 1949 mise à part, les expositions internationales sont demeurées un privilège des premières nations industrielles.
Ce n’est qu’à l’initiative des organisateurs de l’Exposition de Séville de 1992 et en particulier de M. Vicente Gonzales Loscertales, devenu par la suite secrétaire général du BIE, qu’une campagne de promotion des expositions internationales auprès des pays en voie de développement a conduit à leur adhésion en grand nombre. En 1993, le BIE ne comprenait, comme l’a rappelé son secrétaire général, que 42 États membres, dont 27 européens :
« Il en compte aujourd’hui 168, ce qui en fait la quatrième plus grande organisation par le nombre de pays participants. D’une organisation de pays développés, elle est devenue une organisation globale, représentative de la communauté internationale, la plupart des États membres étant aujourd’hui des pays en voie de développement. Cette nouvelle réalité implique une adaptation de la nature des expositions. Aujourd’hui, une exposition doit non seulement être utile au pays organisateur, mais aussi apporter un élément de progrès, de qualité de vie, tout en contribuant à la création de réseaux de coopération internationale et de solidarité. De vitrine des découvertes scientifiques et technologiques, les expositions sont devenues la grande vitrine de l’innovation au service des citoyens. Dans une société globalisée, ces derniers peuvent y trouver des informations sur les moyens dont ils disposeront pour satisfaire leurs besoins. Ainsi, la première condition d’une exposition réussie est d’être utile aux citoyens, c’est-à-dire de contribuer à l’amélioration de leur qualité de vie. »
M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai, a expliqué l’intérêt de la Chine, devenue la deuxième puissance industrielle mondiale, pour l’organisation d’une exposition internationale :
« C’est une exposition que nous avons attendue cent ans. Il y avait une légende selon laquelle un écrivain chinois a rêvé que la Chine, devenue une puissance forte, trouvait une incarnation. Cette incarnation devait venir des pays qui avaient le droit d’organiser des expositions universelles. C’était la France. C’était la Grande Bretagne.
« D’après cet écrivain, il fallait que la Chine, dans cent ans, organise une exposition universelle. Il en a fait un roman. Cent ans plus tard, nous l’avons organisée. L’exposition a été conçue à travers les deux rives du Huangpu. C’était l’exposition d’un rêve. Elle incarnait la reconnaissance d’une renaissance. Toute la Chine, tous les Chinois se sentent fiers d’avoir organisé cette exposition. »
Selon M. Pascal Rogard, le succès de l’Exposition de Shanghai, en 2010 a suscité, auprès des autres pays émergents, de l’intérêt pour ces manifestations : « Un nouvel engouement, vraisemblablement lié au succès de l’Exposition de Shanghai, s’est ensuite emparé des États : pour l’Exposition de 2020, cinq candidatures ont été déposées, ce qui était tout à fait nouveau puisque deux candidats seulement étaient en lice pour 2000 comme pour 2015.
« En outre, les États occidentaux traditionnels n’étaient plus représentés parmi les pays candidats puisque les cinq étaient Dubaï, la Turquie, le Brésil, la Russie et la Thaïlande – qui a finalement retiré sa candidature pour des raisons qu’il serait d’ailleurs intéressant d’étudier. »
Selon M. Marc Giget, « l’Exposition de Shanghai a permis à la Chine de faire son grand show. De la même façon, le Brésil veut absolument organiser une Exposition universelle à São Paulo, après les jeux Olympiques et le Mondial. »
Les nouvelles adhésions et l’augmentation du nombre des candidatures ont accru le rôle institutionnel du BIE. Elles ont conduit au renforcement de son administration. La médiation du secrétariat général s’est imposée dans la recherche d’un consensus entre des membres désormais très nombreux.
Les pays industriels émergents sont désormais les premiers candidats à l’organisation d’une exposition internationale.
Comme l’a indiqué le secrétaire général, cette adaptation a infléchi les orientations thématiques, d’autant que les pays émergents se sentent moins concernés par les conventions environnementales, mais plutôt par la coopération et la solidarité internationale. Ces thèmes peuvent certes affaiblir la mission pédagogique des expositions, faute de contenu tangible à présenter sous le slogan affiché.
C. L’ORGANISATION DES EXPOSITIONS A CONNU DE PROFONDES MUTATIONS
1. Le modèle financier des expositions révèle des divergences de conception
Les expositions doivent être, sinon financées, du moins garanties par les fonds publics de l’État invitant. Les pays de common law et en particulier les États-Unis et le Canada préfèreraient qu’elles redeviennent les manifestations privées qu’elles étaient à l’origine, éventuellement patronnées par une autorité publique pour veiller au respect des usages diplomatiques.
Ces pays placent plus volontiers les expositions internationales sous le régime juridique de la coutume commerciale, applicable aux foires et salons, que sous celui du droit public international posé par la convention de 1928. Ils n’admettent qu’avec réticence de confier leur organisation aux États et d’imposer à ces derniers de garantir leur financement. Ces divergences juridiques, qui se retrouvent dans la dénomination des expositions internationales, appelées world Expos en anglais international et world’s fair en anglais américain, ont des conséquences sur l’économie des manifestations.
La coutume appliquée aux foires et salons laisse libre cours aux tractations lors des invitations et de la mise aux enchères des concessions. Les droits d’entrée sont différents selon les publics, afin de maximiser les recettes de billetterie. La convention de 1928 a interdit ces facilités dans les expositions internationales homologuées et le protocole de 1972 a maintenu ces interdictions jusqu’à nos jours.
La Grande-Bretagne n’ayant pas organisé d’exposition internationale sous ce régime, ces interdictions ont surtout embarrassé les États-Unis qui ont participé à chacune des négociations de la convention mais ne l’ont ratifiée qu’en mai 1968. Plusieurs expositions américaines, dont celles de Seattle en 1962, de San Antonio en 1968 ont été enregistrées ou reconnues par le BIE avant cette adhésion, compte tenu du poids mondial des États-Unis au XXe siècle.
Les désaccords juridiques et diplomatiques entre les États-Unis et le BIE ont été avivés par l’Exposition de New York de 1964, qui a donné lieu à une controverse entre le secrétariat général et ses organisateurs sur les conditions de son financement.
Par souci de rentabilité, puisqu’ils la finançaient par une souscription, les organisateurs souhaitaient que l’exposition, installée sur le site de celle de 1939, puisse durer deux ans, de façon à accueillir les 70 millions de visiteurs requis pour en amortir le coût et faire payer les surfaces concédées aux exposants. Mis en cause devant la presse internationale par l’urbaniste Robert Moses, qui dirigeait le projet, le BIE a refusé de reconnaître l’exposition et appelé ses membres à ne pas y participer.
Cet incident fut sans conséquence fâcheuse sur les relations entre le BIE et les États-Unis puisque ces derniers adhéraient enfin à la convention quatre ans plus tard. Il explique qu’ils ne soient cependant pas parvenu à peser suffisamment sur la négociation du protocole de 1972 pour obtenir une révision des conditions de financement et de l’initiative privée ou étatique des expositions internationales dans un sens plus favorable à la coutume commerciale.
Vingt ans plus tard, à la suite de l’expérience malheureuse d’une exposition ratée, qui les a confortés dans leur critique des règles établies par le BIE, les États-Unis puis le Canada ont élevé leur différend avec le BIE jusqu’à se retirer de ses instances, sans toutefois dénoncer officiellement la convention de 1928.
Le Canada avait adhéré à la convention avant-guerre puis l’avait dénoncée en 1944 comme la Grande Bretagne, avant d’adhérer de nouveau en décembre 1957, pour obtenir l’enregistrement d’une exposition prévue à Montréal dix ans plus tard. Cette exposition, qui a attiré plus de 50 millions de visiteurs, a accusé un déficit d’exploitation imputé sur le budget fédéral canadien.
Une mésaventure identique est arrivée à l’Exposition de la Nouvelle-Orléans, tenue en 1984 (44). L’organisateur privé de l’exposition a fait faillite avant sa clôture, faute de fréquentation suffisante pour couvrir les dépenses engagées. La dette qu’il a laissée a été reportée sur le budget fédéral américain.
Ces deux échecs coûteux pour les finances fédérales ont donné lieu à des campagnes de presse défavorables au BIE dans les deux pays.
Ces campagnes ont achevé de convaincre le Congrès des États-Unis, en septembre 2000, et, après la défaite sur le fil de Toronto face à Hanovre pour l’Expo 2000, le Parlement du Canada, en octobre 2012, a décidé de supprimer définitivement de leur budget fédéral, le premier après l’avoir plusieurs fois reportée (45), la contribution annuelle au budget du BIE imposée à chaque État membre par la convention.
Les États-Unis, qui avaient perdu leur droit de vote en assemblée générale après trois années de retard de paiement, ont dénoncé la convention en 2001. Le Canada l’a dénoncée à son tour en 2013. Libres d’organiser les expositions internationales qui leur plaisent sans assurance d’obtenir la présence des États membres du Bureau, en droit prohibée mais nullement sanctionnée par la convention, ils peuvent aussi être invités à participer à une exposition internationale dûment enregistrée ou reconnue par ce Bureau.
Le Congrès américain a supprimé en même temps les crédits prévus pour le financement de pavillons dans ces expositions, empêchant les États-Unis d’installer un pavillon à celle de Hanovre. Les 60 millions de dollars du pavillon américain de Shanghai ont dû, comme les sommes nécessaires pour bâtir celui de l’Exposition d’Aichi, être réunis par des souscriptions privées, lancées par le département d’État américain, faute de crédits publics. En l’absence de soutien fédéral, la candidature d’Edmonton, en Alberta à l’accueil d’une exposition reconnue en 2017 a été abandonnée.
M. Bernard Testu a évoqué devant la mission le désaccord à l’origine de ces départs :
« Le Canada est parti récemment, pour des raisons de personne, le candidat français à la présidence de l’assemblée générale l’ayant emporté sur le candidat canadien au terme d’une élection très conflictuelle. Les États-Unis se sont retirés il y a plus longtemps car l’organisation des expositions leur semblait trop chère et insuffisamment libérale.
« L’événement n’intéressant pas les gros opérateurs commerciaux tels que Disney – auxquels il fait concurrence –, ce pays a préféré ne pas participer. Cela dit, s’ils se portent un jour candidats à l’organisation d’une exposition
– possibilité à ne pas exclure –, les États-Unis devront à nouveau adhérer au BIE. »
Les États-Unis et le Canada retrouvent toute liberté dans l’organisation d’expositions internationales, privées ou commerciales, prisées par les touristes et rentables, même si elles se tiennent en même temps qu’une exposition concurrente dans un pays adhérent du BIE.
Leur retrait laisse donc les expositions enregistrées par le BIE aux pays émergents et à l’Europe, qui font moins cas de la distinction entre les deux modèles, publics et privés, de financement des expositions. Des projets ne manquent pas pour accueillir une exposition à Houston, San Francisco, Minneapolis ou encore Toronto dans les années 2020, même s’ils tardent à se concrétiser, tandis que ceux des métropoles émergentes s’accumulent sur le Bureau international des expositions.
Ce déplacement des expositions vers les pays émergents peut également s’expliquer par la difficulté, pour des États occidentaux surendettés, de les financer sans subventions publiques, en raison du caractère imprévisible de leur fréquentation. Les difficultés économiques actuelles justifieraient de trouver des sources de financement qui n’alourdissent pas les charges de l’État, sans pour autant contrevenir aux règles du BIE.
Quoiqu’il en soit, elles expliquent aussi que les métropoles des pays émergents sachent désormais damer le pion à leurs rivales occidentales dans ces opérations d’urbanisme commercial à grande échelle qui nourrissent la compétition économique internationale.
2. Une exposition enregistrée est un exercice de transformation urbaine dont les suites ont été trop souvent décevantes.
a. Une vaste transformation urbaine…
Dans leur stratégie de conquête du marché mondial, les États émergents utilisent les expositions internationales pour vanter les atouts de leurs métropoles tout en suscitant, dans la population nationale, un sursaut de fierté patriotique.
Bien qu’une candidature à l’enregistrement d’une exposition soit portée par l’État, c’est le nom de la ville hôte qui sera retenue par l’opinion publique et les médias internationaux. Il ne s’agit pas nécessairement de la capitale de l’État ni même d’une mégapole. M. Bernard Testu a rappelé que des expositions universelles se sont tenues dans des villes de taille moyenne : « Hanovre est une ville de 700 000 habitants, Séville de 400 000 seulement ; Milan – qui organise l’Exposition de 2015 – en compte un peu plus d’un million. »
La ville choisie par le BIE tirera les principaux bénéfices commerciaux, touristiques et financiers de la manifestation en recevant l’équivalent d’un label international.
M. Vicente Gonzales Loscertales explique qu’une exposition « constitue un grand projet de transformation urbaine, de dynamisation économique, mais aussi de création de l’image de marque d’un pays. En présentant la manière dont celui-ci veut être perçu dans le monde, elle contribue à changer son image, à projeter une vision... Une expo est utile à condition d’être une vitrine de l’économie du pays, de sa culture, de ses relations internationales, au service des citoyens... »
Mme Florence Pinot de Villechenon, ajoute que : « l’exposition doit faire partie d’un grand projet d’aménagement d’infrastructures pour devenir non pas un frein mais un accélérateur. Ainsi l’Exposition de Séville était constitutive d’un plan plus vaste visant à désenclaver l’Andalousie. Il faut préparer l’exposition très en amont, et c’est ce que nous faisons, et l’intégrer à un plan ambitieux de réaménagement du territoire. Les expositions universelles ont toutes imposé des opérations de chirurgie urbaine et la construction de nouvelles infrastructures. »
L’exposition parachève le plan de développement économique d’une métropole par l’aménagement d’une friche urbaine. Elle fait désormais connaître la qualité des infrastructures de cette métropole. Elle démontre l’efficacité juridique et commerciale de sa diplomatie d’affaires.
L’enquête du BIE s’assure du respect des exigences qui imposent au site une surface et une division réglementaires des concessions diplomatiques, ainsi que de l’état des infrastructures et des dessertes et du respect des standards internationaux de transit.
Cette preuve est donnée depuis l’aéroport international qui devient la porte monumentale des expositions contemporaines jusqu’à la reprise du site, après la clôture de l’exposition.
L’organisateur de l’exposition doit faire l’avance des frais de l’aménagement du site, voire de ceux des infrastructures adjacentes. Selon M. Pascal Rogard, « à Milan, l’organisateur a préféré prendre à sa charge certaines infrastructures d’accès pour s’assurer que les délais prévus seraient respectés, mais ces aménagements peuvent aussi être compris dans le plan directeur d’une région ou d’un État. »
b. …Qui ne porte pas toujours ses fruits
Si l’Exposition de Shanghai est le meilleur exemple d’une réussite en matière d’urbanisme, ce n’est pas toujours le cas.
À Shanghai, l’exposition a permis le développement d’une ville qui a transformé son réseau de transports avec la construction plus de 500 kilomètres de lignes de métro, ce qui a changé profondément la ville. En outre, c’est un endroit à l’abandon, les anciens chantiers navals, où les gens vivaient dans des conditions misérables, qui a été choisi. Cela a permis « une régénération de la ville », selon M. Xu Bo.
Les infrastructures de viabilisation et de desserte du site ont été rentabilisées par la hausse de la valeur marchande des parcelles desservies.
M. Xu Bo a précisé : « L’exposition a été bénéficié aux dirigeants de la ville, mais également à la population... nous n’avons gardé que quelques pavillons, dont ceux de la France, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Arabie Saoudite, les autres ont été détruits, du fait de la croissance considérable du prix du foncier, le prix du m2 étant passé de 5 000 yuans en 2003 à près de 70 ou 90 000 aujourd’hui ; la municipalité est satisfaite de pouvoir disposer de ces terrains. »
Une exposition réussie doit amortir la viabilisation du site, des infrastructures et des équipements par la revente ou à location à long terme, des surfaces libérées après l’exposition, qu’elles soient remises à nu par le démontage des pavillons ou que ces derniers soient réutilisés. Les lendemains sont souvent décevants.
Reprenant l’exemple de l’Exposition de Séville, M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers, a expliqué que : « la plupart des bâtiments construits pour les expositions ont un usage unique et sont éphémères. Aujourd’hui, douze ans après l’événement, le site de l’Exposition universelle de Séville inspire un sentiment de désolation. Après trois faillites, Isla Mágica, l’un des anciens bâtiments de l’Expo transformés en parc d’attractions, vient d’être repris par un opérateur français pour l’euro symbolique.
« Afin d’éviter que les sites des expositions universelles ne finissent par devenir des poubelles – le mot peut paraître abusif, mais je parle d’expérience –, la question de l’avenir des bâtiments devrait faire l’objet d’une réflexion en amont, dès leur conception, comme ce fut le cas pour l’Exposition internationale de Lisbonne en 1998, dont les pavillons abritent aujourd’hui un casino, la plus belle salle de spectacle de la ville, un musée d’art et de science, et le plus grand aquarium public d’Europe. Parce que le projet avait été pensé en amont et qu’il s’inscrivait dans le développement urbain de la capitale portugaise, le site accueille aujourd’hui 15 millions de touristes par an. »
M. Vicente Gonzales Loscertales a comparé le bilan urbain de plusieurs expositions en insistant pour que la reconversion du site soit considérée comme déterminante pour la réussite de la manifestation :
« L’utilité d’une exposition, son succès dépendent aussi de ce qui se passe après. Ce point est fondamental pour le BIE. Une exposition peut être formidable, mais aboutir à une situation désastreuse si l’on n’est pas capable de rendre les infrastructures utiles immédiatement, comme cela fut le cas après celle Séville...
« J’ai été déçu par l’utilisation de certaines infrastructures créées pour l’Exposition de Séville. Sur les 214 hectares du site, 40 ont été transformés en parc scientifique et technologique, qui est aujourd’hui le troisième de ce type en Espagne. Par contre, le reste des pavillons a été abandonné ou détruit, faute d’implication des autorités locales et nationales – je pense notamment aux œuvres du fantastique programme d’art urbain.
« À Montréal, les îles créées sur le fleuve Saint-Laurent pour l’Exposition de 1967 n’ont pas été réutilisées pendant pratiquement vingt ans. Par contre, à Shanghai, les Chinois envisagent de donner au site des fonctions différentes – des hôtels sont en construction, certains pavillons sont réutilisés. Il est primordial d’anticiper l’après-expo afin de s’assurer que toutes les créations seront intégrées, réutilisables rapidement, ce qui nécessite de nommer une entité responsable de l’après-exposition. C’est un devoir : il faut investir dans des infrastructures durables, conçues pour être réutilisées. Sur ce sujet, une étudiante parisienne en architecture a parlé dans sa thèse d’une architecture évolutive. Cette idée d’adaptation rapide est extrêmement importante ».
Les investisseurs internationaux vérifient sur place l’intégration de la métropole au marché mondial. Pour eux, le site d’une exposition n’est pas de même nature que celui d’une grande manifestation sportive ou culturelle. Il peut être beaucoup plus rentable que des installations des jeux Olympiques par exemple. C’est la raison pour laquelle ils peuvent être disposés à financer une exposition qui peut assurer à long terme l’image de marque d’un quartier d’affaires.
L’exposition doit donc désormais, à son terme, attirer des investissements à long terme, en accordant aux investisseurs des privilèges d’exploitation foncière des terrains libérés ou reconvertis par l’exposition, dans l’espoir sinon d’équilibrer les comptes de l’opération, du moins d’obtenir un surplus local d’activité et de consommation par un surcroît de demande internationale adressée à la métropole exposée.
3. Une exposition est de plus en plus un objectif pour séduire les partenaires économiques
Les suffrages sont accordés non pas sur le seul examen désintéressé d’une candidature, mais à la suite de l’évaluation d’opportunités économiques.
M. Xu Bo n’a pas caché que l’appétit des principaux membres du BIE pour les opportunités commerciales du marché chinois et en particulier pour les dessertes aériennes des grandes villes chinoises, tout comme les aides offertes aux États les plus petits, avaient emporté l’adhésion des uns et des autres à la candidature de Shanghai, face à des projets concurrents tout aussi bien ficelés mais moins avantageux pour eux :
« … il faut dire honnêtement que le marché chinois a donné à notre candidature un atout inégalé. Derrière la parole de la diplomatie publique, les pays développés comme les pays en voie de développement attachent de l’importance au marché. Chaque voix compte et il y a des tractations... Les pays nordiques, par exemple, qui sont neutres dans les relations internationales, considèrent les expositions universelles comme un jeu, une rencontre culturelle entre les peuples moins importante que les autres événements internationaux. Mais, pour ces pays, le marché chinois est très attirant. Les négociations ont porté sur la création de liaisons aériennes entre les aéroports chinois et ceux des pays qui allaient voter pour nous.
« Il y a eu des négociations semblables avec des pays qui, même s’ils n’ont pas l’intention d’investir en Chine, veulent attirer les touristes chinois. Cela concerne un grand nombre de pays qui, s’ils n’ont pas d’investissements en Chine, y ont des intérêts... Le délégué de la Grande-Bretagne a dit très clairement qu’il choisirait le candidat qui présenterait le meilleur dossier, afin de soutenir la tradition de diplomatie publique et afin de promouvoir l’image du pays et non pas de gagner de l’argent. Cela a été dit très clairement. »
Des trois points de vue du BIE, des visiteurs et des investisseurs, l’Exposition de Shanghai a passé haut la main en 2010 l’épreuve de sa réintégration au marché mondial. Elle est devenue un exemple à suivre pour de nombreuses autres mégapoles émergentes à travers le monde.
De la même façon, des sommes considérables ont été dépensées pour la campagne de Dubaï et la valorisation de son aéroport international auprès des investisseurs privés et des institutions publiques à la recherche de partenariats avantageux. Ce sont ces investissements qui ont emporté la décision des électeurs du BIE qui avaient à choisir entre plusieurs candidatures sérieuses.
Selon M. Pascal Rogard : « Pour 2020, la Russie et la Turquie, qui ont plusieurs millénaires d’histoire derrière elles, se sont inclinées devant un pays vieux d’un demi-siècle à peine, puisque l’exposition coïncidera avec le cinquantenaire des Émirats arabes unis. Voilà qui conduit à relativiser le poids du facteur historique et culturel dans le choix de tel ou tel pays, au regard des arguments économiques.
« Le Royaume-Uni, premier pays à s’être prononcé, très tôt, en faveur de Dubaï, a obtenu en échange la rénovation du port de Londres par les Émirats. Alors que Rome avait promis son soutien à la Russie, le président du conseil italien a finalement choisi lui aussi Dubaï… à la veille du sommet italo-russe de novembre 2013. »
Les États-Unis et le Canada n’ont pas le même intérêt que les États émergents à organiser une exposition universelle sur leurs deniers publics, puisque leurs métropoles commerçantes détiennent encore des parts substantielles du marché mondial, ainsi qu’une réputation établie et des réseaux d’infrastructures qui servent de modèle à l’élaboration et à la diffusion des standards internationaux. Ces métropoles n’ont guère besoin de concours internationaux pour susciter l’admiration des autres nations.
Le bilan des dernières expositions internationales organisées par des États européens suffirait à expliquer qu’ils hésitent à se lancer dans l’aventure, les municipalités comme Liège, tentées par la compétition, préférant déposer une candidature à la reconnaissance d’une exposition modeste plutôt qu’à celle d’une grande exposition enregistrée. Très endettés et en manque de recettes fiscales, États et municipalités sont réticents à engager une opération immobilière aussi risquée, en garantissant l’investissement initial requis par des opérations de rénovation urbaine de grande ampleur.
Selon M. Marc Giget : « Beaucoup ne voient dans l’exposition universelle qu’une occasion exceptionnelle pour orienter des flux touristiques. À Shanghai, le pavillon de l’Alsace était presque aussi grand que celui de la France ! ».
Ces résultats mitigés n’ont pas dissuadé les autorités municipales de Milan, très soutenues par le Gouvernement italien, d’organiser à leur tour une exposition enregistrée en 2015, sur un site d’une centaine d’hectares, suivie d’une Triennale l’année suivante. Les surfaces de ces expositions n’atteignent pas la moitié des 438 hectares annoncés de l’Exposition de Dubaï en 2020.
Une évolution, parfois qualifiée de muséification, attache les métropoles à un patrimoine urbain vieillissant. Elle les fige parfois dans l’image nostalgique qu’elles ont pu inspirer à leurs visiteurs à un moment de leur histoire. Elle ne satisfait guère l’exigence économique de rentabilisation des sommes investies sur le site et dans les infrastructures d’une grande exposition internationale.
4. Le modèle des expositions internationales n’est pas adapté à un urbanisme riche d’un abondant patrimoine
a. Les riverains ne veulent pas défigurer leur ville
En même temps que les expositions, l’urbanisme et l’architecture sont devenus internationaux par la reprise, dans le monde entier, des mêmes styles élevés selon les mêmes techniques de planification et de construction.
Des agences internationales d’urbanisme se sont spécialisées dans la composition d’un dossier de candidature et dans sa promotion à la fois auprès des métropoles émergentes et des instances du BIE, permettant parfois à un candidat d’emporter les suffrages grâce en particulier à la réputation des architectes, des urbanistes et des publicitaires internationalement connus, auxquels il aura fait appel.
Cet exercice d’urbanisme international risque d’éliminer l’ancien parcellaire. Il fait hésiter les villes qui se refusent à sacrifier davantage de zones agricoles ou péri-urbaines ou bien à raser leurs anciens quartiers pour y dégager la friche de plusieurs centaines d’hectares, nécessaire à l’installation des pavillons d’une exposition enregistrée.
Il heurte les aspirations des populations citadines à la préservation du patrimoine technique, architectural et paysager de leurs villes. Ces populations éprises d’écologie, nostalgiques d’une société préurbaine imaginée en harmonie avec une faune et une flore idéalisées, se détournent des manifestations de prouesse architecturale.
Les habitants et les riverains du site de l’exposition pourraient refuser de quitter leur ancien quartier pour le livrer aux aménageurs et engager un combat politique contre un projet d’exposition qui ne leur est pas destiné mais s’adresse aux populations nationales et internationales qui ne connaîtront que le site bâti et n’auront pas subi les inconvénients de sa construction.
Le BIE reconnaît, sur la page web qu’il consacre à l’Expo de Hanovre, que les citoyens allemands n’étaient pas tous enthousiastes à l’idée d’organiser cette manifestation et que « des manifestations de protestation ont eu lieu jusqu’à l’instant même de l’inauguration de l’exposition. » La déchéance du Progrès dans l’imaginaire des citadins européens est telle qu’ils préfèrent réhabiliter d’anciens immeubles auxquels ils prêtent un charme et donnent une valeur déniés aux constructions faites selon le standard international.
Pour ne prendre que le cas de l’Île-de-France, le projet de création d’une métropole du Grand Paris est consensuel car il étend à bon escient le réseau de transports collectifs. Il ne peut se comparer aux aménagements haussmanniens qui ont modifié et agrandi la capitale française au XIXe siècle et moins encore aux plans d’urbanisme Voisin-Le Corbusier de 1922-1925 ou Lopez-Holley de 1959. Ce dernier, adopté par les autorités publiques, mais jamais mis en œuvre, prévoyait de raser et d’excaver 1500 hectares d’habitat dans l’est et le sud de Paris, pour les couvrir de tours et de grands ensembles. On eut sans peine, sur des surfaces de cette taille, trouvé l’espace d’une exposition internationale. Il serait aujourd’hui difficile d’obtenir le consentement des populations locales à un tel chantier. Sa seule évocation susciterait un tollé alors que ce qu’il prévoyait est devenu un standard mondial de la construction et de l’urbanisation des métropoles des pays émergents.
b. Les utopies ne se sont pas concrétisées
L’absence d’alternative concrète à l’urbanisme international en dehors d’expérimentations limitées ne permet pas, pour le moment, d’exposer le prototype d’une métropole européenne du XXIe siècle, qui serait à la fois durable, à énergie positive ou faible consommation d’énergie, sans rejet toxique et sans béton armé et qui abriterait, dans les mêmes îlots voire dans les mêmes immeubles, les résidences, les lieux collectifs et les activités commerciales et surtout productives, y compris agricoles.
M. Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité, a appelé de ses vœux devant la mission d’information le développement d’un nouvel urbanisme, adapté à l’évolution des besoins et des techniques et des bâtiments innovants.
Cette utopie n’a pas d’exemple en Europe. En dépit des thèmes écologistes des précédentes expositions internationales comme celle de Hanovre, aucune n’a échappé au modèle d’urbanisme industriel dont la commission du règlement du BIE vérifie le respect et qui a pour lui l’engouement des pays émergents.
Selon M. Pascal Ory, « L’espace-temps des expositions universelles me paraît être une utopie, mais une utopie qui laisse des traces matérielles. Tous les organisateurs se demandent ce que laisse l’exposition, une fois achevée. Il me paraît normal qu’au XXIe siècle on s’interroge sur la durabilité urbanistique d’une exposition universelle – une utopie, soit, mais une utopie concrète qui doit résonner durablement. »
L’indifférence du public international à l’utopie architecturale peut, de la même manière, provenir de la banalité des attractions de la fête promise par l’exposition.
Or plusieurs intervenants ont rappelé que le succès d’une exposition dépend de l’attrait populaire de cette fête donnée en contrepartie d’un billet d’entrée payant. Pour M. Bernard Testu : « les visiteurs viennent y chercher le plaisir et le divertissement... Le caractère festif de l’exposition universelle semble évident, l’immense majorité des visiteurs se souvenant avant tout d’un endroit magique et merveilleux... C’est enfin une manifestation populaire... chaque public – groupes scolaires, familles, comités d’entreprise, touristes – doit trouver un intérêt. »
M. Pascal Ory n’a cité cette fête populaire qu’au dernier rang des huit fonctions de l’exposition qu’il a décrites, parce qu’elle passait pour frivole dans l’esprit des premiers organisateurs : « La huitième fonction d’une exposition universelle est celle de fête populaire, d’abord mise sous le boisseau : pour les organisateurs, le propos était la pédagogie et la communion dans la religion du progrès et non le divertissement, le glissement vers le Luna Park – lequel est au demeurant une des conséquences de l’Exposition universelle de Chicago, en 1893. »
« De fait, la dimension ludique des expositions est celle que le public retiendra : on présente une production à caractère économique, un progrès technique, mais tout cela doit passionner, surprendre et intriguer, si bien que, finalement, la leçon s’efface quelque peu derrière l’attraction, qui peut être architecturale ou technologique. »
c. La limite du « geste » architectural : le « vide » des pavillons.
Mais une fête réduite à des prodiges d’architecture et de technologie, surajouté au décor urbain des infrastructures d’un futur quartier d’affaire, risque de ne pas attirer les foules. M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope, a d’ailleurs mis en garde la mission contre la dérive architecturale et numérique d’expositions qui ont perdu le sens de la fête du Progrès.
Menacées par la culture des loisirs virtuels, ces manifestations lasseraient des visiteurs condamnés, après une longue attente, à déambuler au prix fort dans des allées de pavillons vides, décorés d’écrans: « Les expositions universelles du passé ont su mettre en scène les mutations de l’industrie en présentant de nouvelles machines au public. Depuis le basculement dans une société du tertiaire, fondée sur la relation plus que sur la production, l’expérience de l’innovation est beaucoup plus difficile à transformer en contenu.
« Les expositions universelles ont désormais du mal à raconter une histoire comme en témoigne la place majeure progressivement prise par l’architecture et par la forme au détriment du contenu et du traitement d’un thème. Depuis quinze ans, la principale prouesse des expositions universelles n’est plus à l’intérieur des pavillons, mais à l’extérieur ; elle ne réside plus dans le contenu de ce qui y est présenté, mais dans la présentation elle-même.
« À Shanghai, la beauté du pavillon français, œuvre de l’architecte Jacques Ferrier, a permis d’attirer un flux considérable de visiteurs ; nous nous vantons même d’en avoir reçu le plus grand nombre, mais c’était, d’une certaine manière, au détriment du contenu.
« Quant au pavillon de la Grande-Bretagne, il est sans doute parvenu au terme de cette évolution puisqu’il ne contenait rien, et que seul importait le geste architectural. Sorte d’immense oursin dont les piquants, constitués de 60 000 tuyaux de sept mètres de long, renfermaient chacun l’une des graines de la végétation de notre planète, il a été primé comme le plus beau bâtiment de l’exposition.
« Le fait que la modernité s’incarne aujourd’hui uniquement dans un signal architectural, aussi magnifique et chargé de sens qu’il puisse être, me semble poser un certain nombre de questions. De façon un peu semblable, dans le domaine artistique, on observe un « syndrome Guggenheim », du nom du musée de Bilbao davantage reconnu pour son apparence extérieure que pour son contenu… »
En outre, selon M. Dominique Hummel, la dérive architecturale nuit autant à l’esprit de fête qu’au respect de l’égalité entre les puissances représentées, exigé par les règles diplomatiques en raison des moyens considérables qu’elle exige.
d. Il n’existe pas actuellement d’autre modèle qui corresponde aux attentes du public.
Ne sachant plus que fêter ni comment plaire au public, les organisateurs n’ont pour modèle d’attraction que ceux des spectacles sportifs, qui ne retiennent périodiquement l’attention du public mondial que par les enjeux d’une compétition ou ceux des parcs de loisirs, qui se développement en périphérie des métropoles sans obtenir la fréquentation espérée.
Pour M. Dominique Hummel : « La France est championne du monde des hypermarchés, mais les développeurs ont compris que ce modèle s’essoufflait. S’inspirant d’expériences nord-américaines, ils cherchent à offrir une nouvelle vie aux très grandes surfaces commerciales en introduisant en Europe le « fun shopping » – le groupe immobilier Unibail-Rodamco est souvent au cœur de ces projets, et l’on parle par exemple de la construction d’une sorte de Las Vegas en Espagne.
« En la matière, le West Edmonton Mall dans l’Alberta canadien constitue la référence mondiale. Ce centre commercial géant comptant 2 millions de mètres carrés de commerces a cherché à doper sa fréquentation pour qu’elle se hisse au niveau de celle des parcs de loisirs en installant des attractions au milieu des boutiques : un aquarium, des mini-golfs, un roller-coaster… Le West Edmonton Mall est aujourd’hui en faillite, et, dans le monde, aucun projet de ce type n’a donné de résultat vraiment concluant ».
« Ce modèle peut toutefois avoir du sens pour le groupe Auchan (46). Son principal ressort reste la volonté d’élargir une offre commerciale, ce qui ne correspond pas vraiment à nos préoccupations actuelles. À une époque où le Futuroscope était en moins bonne santé qu’aujourd’hui, il y a dix ans, nous avions réfléchi à une solution mariant le ludique et le commercial ; nous ne l’avons pas mise en œuvre.
« Quel est avenir des parcs de loisirs ? Dans presque tous les pays européens, un gros parc domine le marché en accueillant trois à dix fois plus de visiteurs que ses concurrents. Il donne évidemment le tempo en termes d’évolutions. Je pense à Disneyland Paris pour la France, premier parc européen avec 15 millions de visiteurs par an, mais aussi à Europa-Park en Allemagne, qui en accueille 5 millions, à Port Aventura dans le nord de l’Espagne avec 4,5 millions de visiteurs, ou encore à Gardaland en Italie et à Efteling en Hollande.
« La tendance actuelle est à l’allongement du séjour – l’éclatement des périodes de vacances n’y est pas pour rien. Elle se traduit souvent par l’ouverture d’un second parc à côté du premier – depuis 2002, Disneyland Paris comprend ainsi un nouveau parc à thèmes : Walt Disney Studios –, et, surtout, par une offre renforcée d’hébergements à thème.
« Ce modèle se répand à tel point que le zoo de Beauval, qui reçoit plus d’un million de visiteurs par an, propose 500 chambres sur le thème de l’univers animalier, ou que le Puy du Fou ouvre des hôtels historiques. Le parc de loisirs qui se visitait autrefois en une journée est devenu un « resort » proposant une expérience de court séjour globale thématisée qui se vit aussi bien le jour que le soir et la nuit. »
Ces modèles ne répondent cependant pas aux ambitions d’une exposition internationale qui doit reposer sur une vision plus ambitieuse.
Or, a ajouté M. Dominique Hummel : « Depuis vingt ans, il me semble que le thème des expositions universelles ou internationales n’est qu’un prétexte qui n’est quasiment jamais traité. À vrai dire, les expositions ne sont pas des expositions ; ce sont avant tout des shows, des lieux « d’entertainment ».
« Les participants optent généralement pour l’une des trois postures suivantes : celle du geste esthétique…, celle du marketing national et touristique, comme ce fut le cas de la France à Shanghai, et plus rarement celle du respect du thème de l’exposition…
« Certes, l’« effet waouh » de l’architecture des pavillons a son importance, mais une exposition universelle qui affichera des prix d’entrée supérieurs à 50 euros ne pourra pas se contenter de cette promesse. Le public se déplacera d’abord parce qu’on lui racontera une histoire, parce que l’on mettra en scène certains sujets. »
La théâtralité recherchée doit répondre aux attentes d’un public international qui connaît le monde pour l’avoir parcouru lors de séjours de vacances ou pour des motifs professionnels et qui est sans cesse sollicité par ses images télévisées. Ce public, habitué à une consommation individualisée et choisie, veut des expériences rares et exigeantes, pour les sens comme pour l’esprit.
Selon M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, de l’agence Duthilleul, « à l’ère du numérique, une exposition universelle doit offrir une expérience physique extrême, sinon autant rester chez soi à pianoter sur son ordinateur ou à consulter sa tablette ! » Or une exposition internationale ne peut rien proposer d’exclusif, de long, de difficile ou de dangereux, sauf à exclure le grand public.
La réflexion sur un nouveau modèle est donc ouverte.
DEUXIÈME PARTIE : LES CONDITIONS INDISPENSABLES
À RÉUNIR POUR RELEVER LE DÉFI
La France a-t-elle envie d’organiser une exposition universelle et est-elle disposée à s’en donner les moyens, en toute connaissance de cause ? La question n’est pas anodine, à l’heure où l’organisation de grands événements internationaux, tels que les jeux Olympiques ou la Coupe du monde de football, fait l’objet de critiques croissantes : tantôt on remet en cause le processus ayant abouti au choix du pays organisateur, tantôt on s’interroge sur sa capacité à assumer la tenue de la manifestation ou à en supporter un coût considéré comme excessif. De surcroît, on observe que ces critiques viennent à la fois de l’extérieur mais également de la population elle-même.
Les grands événements internationaux ont vocation, in fine, à être placés sous le feu des projecteurs, mais il s’agit de prendre en considération le fait que c’est désormais le processus d’organisation tout entier qui fait l’objet d’un double contrôle. D’une part, la sélection est de plus en plus exigeante et résulte d’une compétition sévère entre plusieurs candidats cherchant à se faire valoir les uns par rapport aux autres. Une fois le choix effectué, les anciens adversaires continuent ainsi d’observer le lauréat et la tenue effective des engagements qui lui ont permis de l’emporter. D’autre part, les populations n’acceptent plus d’être tenues à l’écart de ces grands projets et de n’avoir qu’à en supporter la charge et les inconvénients. Elles doivent par conséquent non seulement être associées à la mise en œuvre du projet d’un bout à l’autre mais également y adhérer très majoritairement.
Il s’agit donc d’identifier dès à présent les conditions requises pour gagner tout en posant les jalons d’un projet rassembleur. Candidature et projet sont en effet indissociables, eu égard aux délais impartis. Rappelons à cet effet, si candidature il doit y avoir, que le Gouvernement français devra la déposer en 2016 et que le choix du BIE interviendra en 2019 au plus tard. Sept années ne seront pas de trop pour mettre en œuvre le projet, à la condition de l’avoir préalablement mûrement réfléchi.
L’expérience d’un passé plus ou moins heureux en la matière doit nous conduire à une certaine humilité, ce qui ne nous dispense pas de nous projeter d’ores et déjà vers l’étape suivante pour la préparer dans les meilleures conditions.
I. ASSEOIR UNE CANDIDATURE SUR DES BASES SOLIDES EN TIRANT LES LEÇONS DE NOS MÉSAVENTURES PASSÉES
A. L’EXAMEN DES FORCES ET FAIBLESSES FRANÇAISES
1. Une expérience incontestable en matière d’organisation de grands événements internationaux
Sur la lancée des grandes expositions universelles du XIXe siècle, la France a fait la preuve, de longue date, de son appétence pour l’organisation des grands événements internationaux, doublée d’une présence tangible, depuis leur création, dans les grandes institutions internationales. Ce savoir-faire français n’est cependant pas sans générer des effets en retour, en matière d’image et de comportement au sein de ces mêmes instances.
Les Français occupent jusqu’à ce jour une place enviable dans de nombreuses instances internationales de divers ordres. Cette surreprésentation n’est pas le fruit du hasard et résulte d’une tradition qui remonte à l’orée du siècle dernier, quand plusieurs de nos compatriotes prirent part activement à la création de certaines de ces organisations. L’action de Léon Bourgeois en faveur de la création d’une Société des Nations – dont il fut le premier président au sortir de la Grande Guerre – est aujourd’hui encore peu connue par le grand public, qui a davantage retenu en revanche les noms de Pierre de Coubertin, artisan de la renaissance des jeux Olympiques et premier président du Comité international olympique (1896-1925), ou encore celui de Jules Rimet, président de la Fédération internationale de football (1921-1954) et initiateur en 1930 de la première Coupe du monde. Serait-ce également à cet héritage que nous devons l’appétence française pour l’organisation de grands événements internationaux ? En tout état de cause, la France dispose en la matière d’une expérience réelle qu’elle a su entretenir.
Sans remontrer trop loin dans le passé et en se concentrant sur les grands événements sportifs, M. Jacques Lambert, président du Comité de pilotage de l’Euro 2016 de football, a souligné combien il était « incontestable que la France [était] regardée par les autres pays […] comme un pays qui sait organiser les grands événements de façon efficace et dans des conditions économiques satisfaisantes ». Et de préciser que « depuis 22 ans, à l’exception notable des jeux Olympiques d’été, la France a accueilli tous les grands événements sportifs mondiaux ou européens qu’elle pouvait accueillir », des jeux Olympiques d’hiver aux championnats du monde d’athlétisme et des championnats du monde d’escrime à la Coupe du monde de football, en passant par la Coupe du monde de ski et le championnat de handball.
Au-delà du savoir-faire en matière d’organisation proprement dite, le fait que la France sache garantir un niveau de sécurité correspondant à l’attente des participants et des États a également été rappelé par M. Jacques Lambert.
Il convient, par ailleurs, de rappeler que plusieurs événements de portée internationale ont lieu chaque année dans notre pays, au premier rang desquels le Festival de Cannes et le Tour de France, « une immense fête qui rassemble », aux dires de son directeur, M. Christian Prudhomme. Nous pourrions encore évoquer le Vendée Globe, le tournoi de tennis de Roland Garros, le Mondial de l’automobile ou encore la Foire de Paris pour souligner que notre pays a l’habitude de se retrouver sous le feu des projecteurs internationaux et qu’il sait s’en montrer digne.
Pour en revenir aux expositions universelles, plusieurs intervenants ont ainsi noté, au regard de ces paramètres, l’intérêt certain d’une candidature française et la crédibilité immédiate qui serait ainsi conférée à un tel projet. Car comme l’a indiqué M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du BIE, « le succès d’une exposition dépend de l’attractivité de la ville d’accueil » et rien n’est pire qu’une exposition universelle qui ne remplit pas ses promesses.
Si la France tire une fierté légitime de son savoir-faire et de l’attractivité de sa capitale, il faudrait néanmoins prendre garde à ce que ces atouts ne se transforment pas en handicaps. Estimant qu’elle a bien été servie par le passé et qu’elle continue de l’être à bien des égards, certains pays pourraient en effet considérer le choix français comme superflu. La concurrence étant de plus en plus rude, des nations concurrentes pourraient faire valoir à bon droit leur volonté d’accéder à leur tour au rang de pays organisateur.
Le processus complexe de compétition dans lequel il est envisagé de s’engager est en effet soumis autant à des réactions émotionnelles qu’à des considérations rationnelles et recèle donc une part de mystère. À cet égard, l’image que nous renvoyons de nous-même importe au premier chef, d’autant qu’elle n’est manifestement pas dénuée de lien avec la réalité.
b. Un faire-savoir aux effets contre-productifs
« Depuis des siècles, notre pays a dans le monde la supériorité incontestée du goût, de ce sentiment élégant de la couleur et de la forme qui trouve son application dans toutes les productions du génie humain. Nous avons imposé à l’univers entier jusqu’à la forme des objets intérieurs des demeures. » (47)
Ce texte a été publié en 1896 au Journal Officiel, pour annoncer la tenue de l’Exposition universelle de 1900 ! Sans aller jusqu’à examiner le fond du propos, le moins que l’on puisse reconnaître est qu’il illustre bien un certain manque d’humilité que beaucoup de nos interlocuteurs ont plus directement qualifié d’arrogance.
L’arrogance française, ce jugement est revenu fréquemment et très spontanément au cours de nombreuses auditions, dans des termes sensiblement identiques mais qu’il convient de rappeler :
M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du BIE : « Je sais d’expérience que nous passons souvent pour arrogants. »
M. Patrick Gautrat, ancien ambassadeur, ancien directeur des sports au ministère des affaires étrangères : « Enfin, je dirai que l’arrogance nous ʺcolle à la peauʺ, notamment aux États-Unis. Le Français arrogant, mal élevé et content de lui : c’est évidemment ce qu’il va falloir changer. »
M. Noël de Saint-Pulgent, auteur du rapport sur la préparation de l’Exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, ancien directeur général du GIP Paris Île-de-France pour la candidature de Paris aux JO de 2008 : « Nous, Français, avons à l’étranger l’image de gens sans doute sympathiques mais très autocentrés, arrogants et peu malléables. »
M. Guy Drut, ancien ministre, membre du Comité international olympique : « Il convient de reconnaître notre arrogance si nous voulons y remédier. Nous n’avons aucune leçon à donner à qui que ce soit […]. Si la France est le plus beau pays du monde, il faut être capable de le faire sentir à nos partenaires sans le leur dire ! »
Ces propos sont d’autant moins à prendre à la légère qu’ils émanent de personnalités qualifiées, habituées des instances internationales où s’expriment les jugements de nos partenaires étrangers. Mais quelles sont, au juste, les manifestations de cette arrogance française et ses conséquences pratiques ?
Il semblerait tout d’abord que la France et ses représentants ne sachent pas écouter les autres : M. Jean-Pierre Lafon, lui-même ambassadeur, reconnait ainsi que « parmi les ambassadeurs, ceux qui savent écouter ne représentent pas la majorité » et invoque pertinemment La Rochefoucauld, pour qui « l’extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes doit nous faire craindre de n’en donner guère à ceux qui nous écoutent ». Cette faiblesse transparait également dans le propos de M. Vicente Gonzales Loscertales quand celui-ci rappelle qu’ « une exposition doit non seulement être utile au pays organisateur, mais aussi apporter aux autres pays un élément de progrès ». Comme l’a indiqué encore une fois M. Jean-Pierre Lafon, « la réussite de l’exposition universelle supposerait que nous accueillions les autres au lieu de chercher à nous affirmer face à eux », en mettant l’innovation à leur service et en recueillant leur sentiment sur ce qu’elle doit être.
En d’autres termes, la France doit se départir de ce qui est souvent perçu comme une forme de condescendance et d’incapacité à recueillir les avis extérieurs, persuadée qu’elle est d’incarner à elle seule le droit chemin.
En outre, cette attitude est d’autant plus contre-productive qu’elle se retourne contre la France, dans le sens où le degré d’exigence à son égard atteint celui de sa prétention supputée.
M. Armand de Rendinger, ancien directeur de la promotion internationale du projet olympique « Paris 2012 », a ainsi observé qu’« il suffira à la France d’être candidate à l’Exposition universelle de 2025 pour être immédiatement favorite ! » et que, d’une manière plus générale, « les interlocuteurs sont beaucoup plus exigeants vis-à-vis de la France qu’ils ne le sont de l’Allemagne ou de l’Italie, par exemple. On attend d’elle non seulement qu’elle respecte les protocoles, mais qu’elle sache aussi se montrer innovante et révolutionnaire, sans se départir de ses qualités traditionnelles ». Son propos rejoint celui de M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure d’Ulm, pour qui « notre difficulté est donc de rester fidèles à notre héritage – sans la dimension rayonnement, phare du monde et donneur de leçons – tout en présentant une image moderne ».
Il ne s’agit donc pas de nous rabaisser mais bien de prendre conscience du handicap dont nous nous lestons, notamment lorsque la position de favori qui nous est conférée relève d’une instrumentalisation de la part de nos concurrents.
Dans la bataille qui pourrait s’engager à compter de 2016, le réseau diplomatique français devra, en tout état de cause, être mis à contribution, excellente opportunité pour lui d’apprendre à mieux manier les instruments du « soft power », soit notre capacité de convaincre, de séduire et d’attirer.
« S’il faut s’inscrire dans une dynamique de victoire », comme l’a exprimé M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE, dès lors que la France s’engage dans une compétition de cet ordre, « il faut être prêt à perdre. Le succès n’est jamais acquis et un échec ne serait en rien honteux ». La stratégie de l’humilité ne doit pas être une simple posture de circonstance, d’autant que la France a également connu des échecs cinglants dans ce type d’aventure.
2. De non moins incontestables rendez-vous manqués
Un détour par le passé s’avère nécessaire pour mieux entrevoir les écueils à éviter. Le double échec de la candidature parisienne aux jeux Olympiques d’été de 2008 et 2012 vient immédiatement à l’esprit. On se souvient moins, en revanche, de l’abandon en cours de route de deux projets d’expositions internationales, prévues l’une en 1989 et l’autre en 2004. Que nous révèlent ces rendez-vous manqués ?
a. Les leçons à tirer des échecs olympiques
Lorsque les 115 membres du Comité international olympique, réunis à Singapour le 6 juillet 2005, annoncèrent qu’il revenait à la ville de Londres d’organiser les jeux Olympiques de 2012, la déconvenue fut à la hauteur des espoirs nourris par la délégation française et de l’élan d’enthousiasme que cette candidature suscitait dans le pays. Cet échec intervenait alors même que la candidature de Paris apparaissait comme solide et disposait d’un contexte favorable : après la défaite devant Barcelone pour les Jeux de 1992 – compensée par l’attribution des jeux d’hiver à Albertville – et face à Pékin pour les Jeux de 2008 – candidature qui relevait davantage du « tour de chauffe » – , le temps de Paris semblait venu. S’il n’est pas question de remettre en cause le processus décisionnel propre au CIO qui diffère, en tout état de cause, de celui du BIE, il n’est pas interdit, à défaut d’en comprendre toutes les raisons, d’essayer d’en tirer des enseignements de portée générale.
Cet exercice critique public n’est pas si fréquent et plusieurs interlocuteurs n’ont pas manqué de le souligner devant la mission. « Après l’échec de notre candidature aux JO de 2008, j’avais suggéré d’interroger a posteriori les votants sur ce qu’ils avaient pensé de la candidature de Paris et sur la raison pour laquelle ils n’avaient pas voté en sa faveur. Un tel retour d’expérience nous aurait beaucoup appris », a ainsi déploré M. Noël de Saint-Pulgent.
M. Guy Drut a pour sa part déploré qu’il n’y avait eu aucune véritable évaluation de nos échecs en 2008 et en 2012 : « Je me contenterai d’une simple anecdote : Chantal Jouanno, alors ministre des sports, m’a demandé de participer à la cellule chargée de soutenir la candidature d’Annecy aux jeux Olympiques d’hiver de 2018. Lorsque j’ai souhaité consulter les archives de la candidature de Paris aux jeux d’été de 2012, aucun de ses collaborateurs n’a été en mesure de me les fournir ! Elles sont quelque part, dispersées. Les échecs de 2008 et de 2012 n’ont fait l’objet d’aucune réunion de bilan. »
Tout d’abord, c’est l’absence de professionnalisme en matière de lobbying et de marketing qui a été pointée par nos interlocuteurs. Cette faiblesse résulte, selon M. Armand de Rendinger, de notre fierté mal placée et d’un sentiment de défiance envers des pratiques considérées comme dégradantes.
« Les promoteurs du projet doivent pouvoir se faire une opinion des attentes des 160 pays vis-à-vis de la France en tant qu’organisatrice de l’exposition. À cette fin, ils doivent lancer, dès aujourd’hui, un travail de collecte d’informations économiques et politiques mais pas seulement, qui doit être partagé entre différentes personnes, mais coordonné par une seule au sein du comité organisateur, auquel il reviendra ensuite de croiser ces informations. D’autre part, il ne faut pas stopper le travail auprès des États soixante ou trente jours avant la décision. Les promesses doivent être tenues jusqu’à la dernière minute, et par les personnes présentes depuis le début de l’aventure, sachant que ce ne peut être les mêmes que celles qui ont remonté les informations. Le lobbying français confond tout : la même personne ne peut pas à la fois collecter l’information et signer le deal définitif. Ce n’est pas tenable vis-à-vis d’un représentant de gouvernement étranger, qui doit pouvoir respecter le responsable en tant que tel. Je suis moi-même assez bon lobbyiste, mais je suis incapable de signer un acte définitif. »
Ensuite, c’est l’organisation même du dispositif de candidature, décrit comme une « usine à gaz » propice à l’éclosion des querelles internes, qu’il a mentionnée.
« La France a l’habitude de créer des consensus, le problème c’est qu’elle les pousse jusqu’au management des projets. Et voilà l’usine à gaz ! C’est l’erreur qui a été commise pour les JO de 2012. Le management du projet doit être pyramidal, prendre la forme d’un commando....
« Les choses s’étaient parfaitement déroulées jusqu’à trois mois du vote : nous étions les favoris, avec des gens talentueux comme Guy Drut et Jean-Claude Killy, un maire très impliqué, un soutien sain, une mobilisation de qualité, des partis politiques discrets. Puis la France s’est laissé emporter par un autre ses maux, bien connu également à l’étranger ; le « bal des ego » a commencé : sûrs de gagner, les organisateurs n’ont plus pensé qu’à se répartir les pouvoirs et ils ont arrêté de travailler. Les Anglais, partis lentement, sont allés jusqu’au bout et ont fini par l’emporter de quatre voix, grâce à une campagne mettant en œuvre tous les moyens de lobbying et de promotion, mais aussi grâce à l’unité de leur pays. Les raisons de la défaite tiennent donc à un travail inabouti et à une candidature altérée par cette querelle des egos au cours des derniers mois. »
Enfin, mention particulière a été faite de la présentation finale du dossier, révélatrice d’une vision française manquant d’entrain.
Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist, a noté que « sans oublier l’histoire du pays, Londres a réussi à transmettre une image d’inclusion de toute sa population et d’inventivité, traduite par la cérémonie d’ouverture des Jeux. J’ai le souvenir que le film projeté par les Français au moment de présenter la candidature de Paris à l’organisation des jeux Olympiques était beaucoup plus tourné vers le passé. ».
Pour M. Guy Drut également, ce film était symptomatique :
« Je regrette également que personne ne nous ait demandé notre avis sur le film, qui avait été conçu par Luc Besson, un réalisateur de talent mais dans lequel peu de sportifs s’exprimaient, ce qui est grave. Trois mois avant l’échéance finale, lors d’une réunion de dirigeants, je me rappelle très bien avoir rappelé au maire de Paris que les Britanniques présentaient une candidature sportive soutenue par les politiques alors que la France en présentait une de plus en plus politique soutenue par les sportifs. Une scène du film se déroule au Fouquet’s : on y voit deux sportifs habillés en serveurs – Jean Galfione, champion olympique du saut à la perche, et Marie-José Pérec, triple championne olympique sur 200 et 400 mètres – apporter un café à deux acteurs célèbres. C’est l’inverse qu’il aurait fallu filmer ! C’était aux stars du cinéma de servir les deux athlètes. À un autre moment, les leaders de chaque centrale syndicale s’expriment : quel intérêt pour les membres du jury du CIO, qui viennent du monde entier, de l’Uruguay comme de la Mongolie ou de la Corée du Nord ? Les Britanniques, eux, ont tenu un discours complètement orienté sur la jeunesse. C’est une des grandes raisons pour lesquelles Paris a perdu. »
La France a cru que ses acquis historiques suffiraient à convaincre. La décision du CIO a eu le mérite de rappeler que même si c’était le baron Pierre de Coubertin qui avait ressuscité les jeux, c’était il y a plus d’un siècle, la France n’ayant plus aucun droit à faire valoir à cet égard.
b. La présence française dans les expositions internationales.
Les vulnérabilités potentielles d’une candidature à l’exposition universelle tiennent également à notre contentieux passé avec le BIE, ainsi résumé par M. Bernard Testu :
« En 1989, sous l’impulsion de François Mitterrand, une exposition universelle devait célébrer le bicentenaire de la Révolution française. Alors que le BIE était allé jusqu’à changer ses règles de fonctionnement pour conforter la candidature française, les désaccords entre François Mitterrand et Jacques Chirac ont conduit à l’abandon du projet. Plus récemment, l’exposition internationale « Images 2004 » avait bien fait l’objet d’accords entre différents partis composant la majorité de l’époque, mais non d’une véritable volonté politique partagée par l’administration. Lorsque Jean-Pierre Raffarin est devenu Premier ministre, la France a renoncé au projet, qui plus est d’une façon cavalière – épisode qui lui a valu quelques rancunes. Notre pire ennemi, c’est donc nous-mêmes. »
L’organisation de l’Exposition universelle de 1989, sur le thème des « chemins de la liberté, projet pour le troisième millénaire », fut confiée à la France par le BIE le 8 décembre 1982. La modification des règles internationales que ce projet avait nécessitée fut, aux dires de M. Vicente Gonzales Loscertales, une catastrophe ayant entraîné le dérèglement du rythme des expositions internationales. C’est d’autant plus regrettable que François Mitterrand annonçait le renoncement de la France dès le mois de juillet 1983, après avoir dressé le constat de blocages rédhibitoires avec la Ville de Paris. Entre-temps, le Parlement avait été saisi de la question par le dépôt d’un projet de loi à l’Assemblée nationale le 25 avril 1983. Ce texte fut définitivement adopté deux mois plus tard mais la loi ne fut jamais promulguée. (48)
Il est intéressant de se reporter aux extraits des débats parlementaires publiées au Journal officiel, ainsi qu’aux rapports correspondants de l’Assemblée nationale (49) et du Sénat (50) à un double titre : d’une part, on y retrouve les grandes problématiques qui sont encore les nôtres à trente années de distance, qu’il s’agisse du choix de l’implantation, des capacités d’accueil, des questions de transports ou encore de l’incidence financière ; d’autre part, alors même que majorité et opposition de l’époque s’accordent sur le principe de l’exposition, le désaccord qui se manifeste sur sa mise en œuvre pratique renvoie in fine au positionnement de chacun sur l’échiquier politique, doublé de considérations locales (51).
S’il ne s’agit pas de rouvrir les plaies du passé, tout juste est-il permis de regretter que ces affrontements aient conduit au reniement de l’engagement pris par la France devant le BIE. Rappelons de surcroît que l’idée même d’une exposition universelle, avant d’être reprise par François Mitterrand, avait été émise par Marcel Dassault, député de l’Oise et doyen de l’Assemblée nationale, dans son discours prononcé à l’occasion de la première séance de la sixième législature, le 3 avril 1978, proposition réitérée dans son discours du 2 juillet 1981.
Le processus ayant conduit à l’abandon du projet de l’Exposition internationale de 2004, en Seine-Saint-Denis, diffère sensiblement. À la différence de 1983, les élus locaux apparaissent cette fois bien plus enthousiastes que le Gouvernement, qui a pourtant pris l’initiative de la candidature en 2001. Quelques semaines après l’alternance de 2002, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin missionne M. Noël de Saint Pulgent en vue d’expertiser les différents problèmes que rencontre la préparation de l’exposition. Ce dernier remet son rapport un mois plus tard (52) et le Gouvernement annonce unilatéralement l’abandon du projet le 21 août 2002 :
« Ce fut une expérience assez douloureuse, car il a fallu conclure qu’il n’était pas raisonnable de poursuivre l’aventure. Les raisons à cela étaient diverses, la première étant que la candidature de la France résultait d’une décision politique de circonstance et n’avait pas de véritable ancrage. L’idée d’installer une exposition internationale à côté du Bourget était mal calibrée, elle manquait de soutiens politiques, hormis les élus communistes du département, et surtout elle était irréaliste en termes de coûts et de délais. Rien qu’accéder au site était difficile. Il y a douze ans, la desserte par les transports en commun était déjà une condition essentielle au succès d’une manifestation de cette ampleur. […] En outre, la conception même du projet souffrait d’un important retard, impossible à rattraper en deux ans, à moins d’engager des moyens considérables, tant humains que matériels. Lorsqu’ont été constatées des dérives de coûts, favorisées par l’absence d’expertises et de contre-expertises, j’en suis arrivé à la conclusion qu’au lieu d’améliorer l’image de la Seine-Saint-Denis, ce projet risquait au contraire de la dégrader. »
La première leçon à retenir de se double renoncement est l’impérieuse nécessité de parvenir à construire, dès le stade de la candidature, un consensus politique fort, dépassant les clivages partisans et survivant aux alternances, et d’obtenir l’appui effectif des principales collectivités locales concernées et de l’État.
La deuxième leçon nous renvoie à la perception de la France au sein du BIE : aux dires de son secrétaire général, cette image n’est pas irrémédiablement ternie mais il faut bien avoir conscience que ces précédents seront évoqués à un moment ou un autre dans le processus de sélection, le cas échéant par nos éventuels concurrents. « Si le pays candidat dépend totalement du BIE jusqu’au moment du vote, il devient ensuite seul maître à bord. C’est pourquoi le BIE craint les abandons en cours de route », a rappelé M. Bernard Testu.
Il en découle une troisième leçon : la campagne en faveur de l’attribution de l’Exposition universelle de 2025 à la France devra passer par une présence active à Milan en 2015.
Si le pavillon français à l’Exposition universelle de Shanghai, fort de ses 10 millions de visiteurs, a connu un réel succès de fréquentation, il ressort de l’audition de M. José Frèches, commissaire général de la section française lors de cette exposition, que mener à bien de telles opérations requiert une mobilisation permanente de leurs maîtres d’œuvre face au manque de mobilisation des administrations, voire même à leur hostilité.
« L’État français et le Gouvernement doivent donner plus que l’impression de s’intéresser aux expositions universelles et internationales. Si je le précise, c’est que cela ne va pas de soi. À peine nommé président de la Compagnie française pour l’Exposition universelle de Shanghai, la COFRES, j’ai appris que le ministre des affaires étrangères et la ministre de l’économie avaient, dès août 2007, osé recommander au Président de la République le projet d’un pavillon franco-allemand, sous prétexte de diviser par deux les frais et de renforcer les liens entre la France et l’Allemagne. […] Ce fantasme continue de hanter la direction du budget et certaines directions du Quai d’Orsay. Je sais que certaines administrations étaient hostiles à la participation de la France à l’Exposition internationale de Yeosu, et notre pays n’avait toujours pas fait savoir sa décision en décembre 2010. […] Vous imaginez bien que si la France n’y avait pas été représentée, votre mission n’aurait aucune raison d’être […] À l’époque, le BIE me téléphonait toutes les semaines pour avoir une réponse et me faire part de l’embarras des Sud-Coréens face à l’inertie française. Si je rappelle tout cela, c’est parce qu’il faut avoir conscience que la candidature française souffrira d’un certain passif. »
De même, la participation de la France à l’Exposition universelle de Milan, du 1er mai au 31 octobre 2015, n’a été manifestement officialisée que fort tardivement, comme l’a du reste reconnu lors de son audition M. Alain Berger, qui en assure le commissariat général. La décision d’attribution à Milan de l’organisation de l’Exposition de 2015 ayant été prise le 31 mars 2008, le dossier d’enregistrement a été officiellement remis le 22 avril 2010 puis approuvé par le BIE le 20 octobre de la même année. L’enregistrement officiel de l’événement a finalement eu lieu le 23 novembre 2010 durant l’Assemblée Générale du BIE. Dès le mois d’avril 2011, vingt pays avaient confirmé leur présence, notamment la Suisse, la Turquie, l’Égypte, la Russie, l’Allemagne, et l’Espagne ; ils étaient 111 à la fin de l’année 2012 et seront finalement 144 (chiffre officiel de juin 2014). Pour sa part, la France ne s’est engagée qu’au début de l’année 2013 et le contrat de participation a été signé il y a un peu plus d’un an seulement.
La candidature française à l’Exposition universelle de 2025 serait donc affaiblie si l’on ne tenait pas compte des expériences passées et que l’on ne parvenait pas à éviter certains écueils. L’enjeu consiste à sortir d’une certaine obsession de nous-mêmes et à mieux écouter les autres, à faire en sorte que les querelles internes de divers ordres ne ressurgissent pas au beau milieu du processus, enfin à faire la preuve de notre capacité à tenir nos engagements et à nous mobiliser sur la longue durée.
À ce stade, le fait de pouvoir dresser un tel bilan dans le cadre d’une mission parlementaire pluraliste constitue assurément un premier pas encourageant. Ce faisant, c’est bien au-delà du cercle de cette mission qu’il convient d’agir pour asseoir une candidature solide, de la base au sommet.
B. L’INDISPENSABLE IMPULSION D’UNE DYNAMIQUE DU SOMMET À LA BASE
1. La mobilisation doit commencer au sommet
Ainsi que l’a souligné M. Vicente Gonzales Loscertales, « ce n’est pas Paris qui organise l’expo : c’est le pays tout entier… Les pays qui gagnent sont ceux dont les autorités font preuve d’un engagement très fort. Dubaï l’a emporté face à la Russie, le Brésil ou la Turquie, grâce à la forte mobilisation de tous les pouvoirs – économique, politique, social. D’une façon générale, le gouvernement du pays doit être le protagoniste de la campagne et y engager toutes ses ressources… ».
La France doit résolument s’engager sur la voie de la candidature : « une véritable implication des pouvoirs publics de notre pays est la première condition pour que la candidature de la France ait la chance d’être acceptée. L’État français et le Gouvernement doivent donner plus que l’impression de s’intéresser aux expositions universelles et internationales », a fait remarquer M. José Frèches, ajoutant qu’une fois l’idée du pavillon franco-allemand abandonnée pour l’Exposition de Shanghai, les financements avaient été difficiles à mobiliser.
Une conclusion s’impose donc : « pour que la France ait une chance d’organiser l’Exposition universelle de 2025, encore faut-il qu’elle en ait envie et surtout qu’elle le montre…, que ce projet soit porté par le Président de la République et par tous les partis politiques ».
M. Xu Bo, ancien adjoint au commissaire général de l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai est également formel : « La ville met en œuvre l’exposition mais c’est l’État qui parle. Il faut mobiliser au plus haut niveau. Le Président de la République lui-même doit être sensibilisé par votre campagne. C’est primordial. L’État doit mettre à la disposition de cette campagne toutes ses ressources et ses atouts diplomatiques… La campagne a été très difficile pour la Chine. Ce fut aussi le cas pour Milan. Elle a mobilisé les présidents des deux pays ».
M. Noël de Saint-Pulgent, dans son rapport sur la préparation de l’Exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, avait conclu qu’il n’était pas raisonnable de poursuivre, pour plusieurs raisons, la première étant que la candidature de la France « résultait d’une décision politique de circonstance et n’avait pas de véritable ancrage », sans réels soutiens politiques, excepté les élus du département.
M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE, lui a fait écho : « ce sont les pays les plus mobilisés qui l’emportent, et de loin », ajoutant que le facteur historique et culturel devait être relativisé, puisque la Russie et la Turquie, vieilles de plusieurs millénaires, ne sont inclinées devant un pays jeune : « j’ai eu personnellement l’impression que l’émir de Dubaï s’était beaucoup plus investi dans cette affaire que les autres chefs d’État. De fait, pour qu’un pays l’emporte, il faut que sa candidature soit défendue au plus haut niveau de l’État, appareil diplomatique et économique compris ». L’émir s’est largement mobilisé, de même que, pour les expositions attribuées auparavant, les présidents chinois et italien.
De même, la réalisation des infrastructures essentielles pour la réalisation de ce projet – le réseau Grand Paris-Express et la liaison Roissy-centre-ville – ne pourront être menées à bien et dans les délais impartis que si le chef de l’État s’y investit.
Par ailleurs, il faudra convaincre les 168 pays siégeant au BIE, qui ont chacun une voix et « ont besoin de considération », selon M. Jean-Pierre Lafon : « il faudra donc que les plus hautes autorités du ministère des affaires étrangères leur accordent à tous la même attention ». Si elle est candidate, la France pourra s’appuyer sur son réseau diplomatique, un des plus développés.
C’est ainsi qu’il est primordial de « définir une nouvelle diplomatie, dont relèvent la découverte de zones que nous connaissons mal, la réorientation de notre politique de coopération, la promotion de nos entreprises, de nos laboratoires de recherche, de nos universités, en lien avec les initiatives prises depuis quelques années au plus haut niveau ».
Comme l’a fait remarquer M. Bernard Testu, le vote est secret au BIE, et « il n’est pas facile d’élaborer une stratégie d’influence ». Il faudra donc y attacher le plus grand soin : « le rôle des services diplomatiques est essentiel : à eux de s’informer du cheminement de la réflexion dans chaque pays… les grands candidats du passé, qu’ils aient gagné ou perdu, s’étaient toujours appuyés sur un réseau de spécialistes des questions internationales ».
Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique a également souligné le rôle important joué par l’État : comme le BIE est composé d’États, « il faudra que l’État s’en mêle, avec des outils de lobbying adaptés ».
2. La mobilisation doit continuer avec les autres acteurs de la société française et la population
a. Une nécessité incontournable
« Vendre un projet, c’est vendre un pays », a souligné devant la mission M. Armand de Rendinger. Il est essentiel que tous s’impliquent : on ne peut pas promouvoir et organiser un évènement sans le soutien de la population.
Mobiliser au sommet, mais aussi à la base, voilà un double devoir auquel il faut s’attacher, selon M. Luc Carvounas, sénateur et membre du comité fondateur de l’association ExpoFrance 2025 : « convaincre les plus hautes autorités de l’État, mais convaincre aussi nos concitoyens et susciter chez eux de l’enthousiasme ».
Il faut obtenir l’adhésion de toute la société : « Ce qui fait la différence, c’est l’enthousiasme avec lequel les projets ont été présentés… le succès d’une candidature dépend du niveau d’engagement, de la « rage » de tous les acteurs », selon M. Vicente Gonzales Loscertales, qui ajoute : « l’exposition du futur…devra conduire les citoyens à être critiques, actifs et participatifs ». Il en résulte donc que « l’exposition du XXIe siècle doit être un immense exercice de communication »
M. José Frèches a également estimé nécessaire que les plus hautes autorités de l’État s’efforcent de mobiliser les collectivités locales et les habitants des territoires où se tiendra l’exposition, ainsi que l’ensemble des Français.
La recommandation de M. Jean-Pierre Lafon va dans le même sens : il convient de mobiliser le plus grand nombre d’acteurs possible : « vous devez associer à votre réflexion les grandes entreprises… les représentants des salariés, les forces sociales, car toutes les forces vives de la nation doivent contribuer au projet, par-delà les options politiques, syndicales ou partisanes ».
Les jeunes doivent également être sensibilisés, ainsi que le préconise M. Xu Bo : « Il faut mobiliser les jeunes en recueillant leur opinion dès la préparation de la candidature, en leur demandant quel est leur vision du monde de 2025 et comment vivre mieux. De ce fait, ils se sentiront engagés. Un concours pourrait également être organisé entre les étudiants des pays francophones : quel sera le monde de 2025 ? Les jeunes pourraient donner leur version du meilleur monde ».
« Pour promouvoir le projet d’exposition universelle, selon M. Thierry Coltier, managing partner de Howarth HTL France, il faudra anticiper les objections qui ne manqueront pas d’être soulevées – il y aura toujours des gens pour voir le verre à moitié vide, les contraintes, les charges. Il faudra donc expliquer, travailler avec les leaders d’opinion en Île-de-France, mais aussi associer très en amont tous les acteurs, en particulier le monde de l’économie collaborative, avec les nouveaux acteurs numériques ».
Votre rapporteur tient à souligner que si, formellement, le dossier de candidature est présenté par le pays, il est indispensable que le nôtre soit porté non seulement par la France, mais aussi ses territoires et ses entreprises.
b. Une population d’ores et déjà réceptive
i. Une démarche collective
M. Luc Carvounas l’a souligné : « à l’heure du délitement social, de la désaffection envers la chose publique, de l’abstention massive et du « déclinisme » ambiant, nous proposons de nous fédérer autour d’un projet national, populaire et rassembleur. Cette candidature doit être une coproduction. Nous proposons donc un projet collaboratif aux territoires et à nos concitoyens ».
Le terrain parait favorable. Une récente étude IFOP (53) réalisée auprès de plus de mille Français a montré que 84 % d’entre eux sont favorables à l’exposition universelle, et que, s’il fallait choisir entre les deux événements, 36 % la préféreraient aux JO alors que 18 % opteraient pour ceux-ci (cf. annexe n°2). D’ailleurs, ce sont les personnes les plus jeunes, avec les plus âgées, qui soutiennent le plus l’idée d’une tenue d’une exposition universelle en France.
Un comité de soutien mis en place par l’association ExpoFrance 2025 permet à toute personne favorable à ce projet de signer en faveur de cette candidature. Au 24 octobre, 5070 signataires ont été comptabilisés, auxquels s’ajoutent plus de 9000 « fans » sur Facebook et de 7000 « followers » sur Twitter. « Les réseaux sociaux sont une grande chance », comme l’a fait remarquer à la mission M. Hervé Brossard, président de l’Omnicom Media group France « ils permettront de communiquer - et non d’asséner des idées -, de dialoguer de façon constructive et permanente, et in fine, de faire remonter les propositions de l’ensemble des Français », ajoutant d’ailleurs que cela pourrait être un projet sans frontières.
La candidature de la France est d’ores et déjà soutenue par de nombreux acteurs, par de nombreuses grandes entreprises publiques et privées, par l’Association des maires de France et l’Association des régions de France (annexe n°3). Le maillage devra se tisser également grâce aux comités régionaux et départementaux du tourisme.
Mme Claude Revel a fait remarquer que le projet de candidature « fait largement appel à l’intelligence collective dans son but comme dans ses modalités. D’abord parce qu’il permet de fédérer les citoyens autour d’un but commun dans un esprit de cohérence. Ensuite, car il est conçu en collaboration, avec un éclatement dans le temps et l’espace et s’inscrit dans le nouvel esprit numérique actuel ».
ii. L’adhésion du monde des entreprises
Pour attirer les entreprises « dans cette formidable aventure », M. Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI de la région Île-de-France , propose de mettre à la disposition des promoteurs du projet l’ensemble de ses réseaux de chefs d’entreprises.
Les organisations patronales ont également souligné leur adhésion. M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF, s’est déclaré extrêmement favorable à une candidature de la France à l’Exposition de 2025 : « notre pays, en plein marasme économique, a besoin d’un projet fédérateur, capable de créer une union nationale. Non seulement celui-ci est largement consensuel, mais il mettrait à l’honneur la science et la technique ». M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, a précisé que son organisation prendrait une part importante au projet : « celui-ci s’inscrit dans une dynamique de relance économique. Il redonnera du sens à la notion de progrès ».
Les entreprises elles-mêmes y sont également très favorables, quel que soit leur secteur ou leur taille, comme en témoignent les contributions à l’association ExpoFrance.
Pour M. Marc Antoine Jamet, secrétaire général du groupe LVMH, « les Maisons du Groupe LVMH sont les ambassadeurs de l’art de vivre français dans le monde entier : nos savoir-faire, notre créativité et l’élégance de nos produits incarnent la France. Nous sommes les héritiers de cette culture et nous sommes fiers de la promouvoir. Il était donc naturel que LVMH s’engage pour ExpoFrance 2025. Ce soutien fait écho aux participations historiques des Maisons du Groupe aux expositions universelles : dès 1867 Louis Vuitton malletier y a démontré son art et obtenu des médailles ;…Nous nous engageons donc avec enthousiasme derrière ce projet dont les valeurs sont à l’unisson de celles que promeuvent les 110 000 salariés du Groupe : créativité, innovation, entrepreneuriat et excellence. »
Les PME sont également nombreuses à participer au projet (annexe n° 3).
iii. L’enthousiasme des jeunes
Leur mobilisation est essentielle ; comme l’ont fait remarquer nombre de nos interlocuteurs, ils auront 30 ou 35 ans en 2025 et joueront pleinement leur rôle, notamment dans le monde économique.
Des étudiants de 7 grandes écoles et universités (54) qui, pour une fois travaillent ensemble, comme s’en félicitait M. Christian de Boissieu devant la mission, et dont deux ont été reçues par la mission, se sont emparés de ce projet et ont présenté des contributions passionnantes, stimulantes et particulièrement innovantes. Ces projets se sont tous révélés profondément originaux : en raison des thèmes choisis –l’un d’eux, l’hospitalité, paraissant refléter opportunément ce que pourrait être le message d’une exposition universelle du XXIe siècle – de l’intégration des technologies les plus modernes, du soin de faire participer les métropoles et les territoires à l’exposition, et même de l’association étroite des pays invités à la préparation du projet.
Le nombre d’établissements est à la mi-octobre de 13 ; L’école des Gobelins envisage d’apporter des éléments graphiques ; l’ESCP-Europe élabore un business plan ; des écoles et universités des régions vont également travailler sur l’exposition universelle, dont l’Université de Toulouse Jean-Jaurès (annexe n° 3)
iv. La mobilisation des territoires
Les territoires ne sont pas en reste. « L’idée est que ce projet parvienne à mobiliser sur une douzaine d’années l’ensemble des territoires sans risques de combats politiques », comme le précise M. Ghislain Gomart, directeur de l’association ExpoFrance 2025. Les 550 maires qui ont soutenu le projet lors du congrès des maires sont en outre issus de tous les départements, y compris d’outre-mer.
Répondant à une question de l’association ainsi formulée : « arrivez-vous à mobiliser votre opposition et votre majorité sur un projet, ce projet pour la France transcende-t-il les oppositions municipales ? », de nombreux conseils municipaux ont voté un vœu en faveur d’une exposition universelle en France en 2025 (annexe n°4).
L’Association des Maires de France s’est déclarée résolument en faveur d’une exposition universelle par le truchement de son Président, M. Jacques Pélissard, déclarant à l’association ExpoFrance 2025 : « Je me félicite du projet de candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025 qui constituera, pour notre pays, un formidable défi. Nous devrons, en effet, tous nous mobiliser pour que la France accueille cet évènement mondial et qu’il soit l’occasion de montrer le savoir-faire de nos entreprises, créateurs et ingénieurs, retrouvant ainsi l’esprit pionnier des six expositions déjà organisées dans notre pays il y a bien longtemps maintenant. À cet égard, je partage complètement votre volonté d’associer tous les territoires à ce projet exceptionnel dont le Grand Paris sera le pivot.… Nous ne manquerons pas de relayer auprès des communes de France l’avancée de ce projet mobilisateur et fédérateur pour notre pays. »
Une exposition universelle en France « est une véritable opportunité pour tourner le dos au pessimisme ambiant et se doter d’un grand projet mobilisateur, fédérant acteurs publics et privés dans une dynamique commune » a estimé M. Charles-Eric Lemaignen, président de l’Association des Communautés de France. « Séduite par la vitrine que cette exposition multi-sites peut offrir à l’ensemble de nos dynamiques territoriales, l’AdCF a choisi de s’engager résolument en soutien actif de la candidature française. Ce projet peut trouver une très forte synergie avec la constitution du Grand Paris et de nos métropoles, mais il doit également mobiliser l’ensemble des territoires de France qui peuvent en espérer des retombées concrètes ».
M. Alain Rousset, président de l’Association des régions de France, lui a fait écho : "Les Régions de France sont très heureuses de soutenir le projet d’Exposition universelle 2025. La construction du projet, associant les Régions et villes comme autant de portes d’entrée de l’exposition universelle pour les visiteurs du monde entier, rencontre leur pleine adhésion. L’Exposition universelle de 2025 sera une formidable occasion de faire connaître au monde les savoir-faire de nos entreprises, de nos créateurs, de nos chercheurs. Un tel événement mérite que toutes nos collectivités et institutions se mobilisent ensemble pour le préparer."
Le conseil régional d’Île-de-France a adopté un vœu de soutien et de mobilisation, voté par l’ensemble de ses élus, comme l’a confirmé M. Jean-Paul Huchon, son président, à la mission : « je suis convaincu…que notre région a besoin d’un grand projet qui conforte son attractivité dans la compétition mondiale, d’un catalyseur du développement touristique et plus particulièrement de sa région capitale-en allant bien sûr au-delà de Paris. Ce qui est en jeu, c’est notre capacité à rassembler les Franciliens et les Français autour d’un évènement fédérateur, mobilisateur, créateur d’identité. Cette candidature sera populaire, elle sera soutenue par l’ensemble de la population, ou elle ne sera pas. L’implication des Franciliens – et donc leur mobilisation à chaque étape – me semble la condition sine qua non de l’acceptation de cette candidature ».
M. Claudy Lebreton, président de l’Association des Départements de France a également fait part de son enthousiasme : « l’ADF s’engage avec conviction en faveur de la candidature de la France à l’organisation de l’Exposition universelle en 2025. La perspective d’accueillir le monde entier pendant six mois, dans notre pays, est une chance unique que nous devons saisir collectivement. Cela ne pourra se faire que si l’ensemble des énergies se rassemble autour de ce beau projet et notamment les territoires dont la richesse et les capacités d’innovation ne sont plus à démontrer. Si le Grand Paris sera bien évidemment au cœur de cet événement majeur, l’originalité et la force de notre candidature passeront incontestablement par notre capacité à mobiliser et valoriser l’ensemble de nos atouts nationaux et locaux."
Sur les personnes ayant signé en faveur de la candidature, environ 16 % habitent Paris, 17 % l’Île-de-France hors Paris et 67 % le reste de la France, ce qui montre l’intérêt de la population des territoires. Comme l’a souligné Mme Martine Carrillon-Couvreur, « dans nos territoires, des gens modestes ont besoin de croire en un projet de dimension internationale, pour le partager avec d’autres ».
v. Les modalités d’une mobilisation accrue
Un travail pédagogique soutenu sera essentiel afin de faire partager à nos concitoyens la richesse du projet, comme l’a souligné M. Pierre-Antoine Gailly : « Il faut d’abord faire connaître et faire comprendre. En effet, lorsque l’on parle d’exposition universelle, on voit souvent 500 hectares, quelque part, avec des pavillons en dur. Vous proposez une approche différente, que nous soutenons. Mais cela suppose d’expliquer aux gens que la localisation sera multiple, avec des éléments centraux mais aussi des éléments périphériques utilisant les « nœuds » du Grand Paris-Express, et que la mobilisation sera à la fois globale et locale.
Il faudra également mettre en avant la dimension multimédia du projet, dans la mesure où le digital permettra de communiquer plus aisément ».
Quant aux canaux à utiliser pour mobilier le plus grand nombre, ils peuvent évoluer à chaque étape de la construction du projet : « Je pense qu’il ne faut pas raisonner en termes de structures – forcément lourdes, surtout s’il y a de l’argent public en jeu. Il serait préférable de commencer par « mettre la machine en route », afin d’emporter l’adhésion. À partir de là, la structuration de la démarche se fera assez naturellement. Et l’adhésion passe par la compréhension ».
M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts-de-Seine, a estimé que, pour les entreprises, « l’important est qu’elles voient apparaître progressivement, et de la manière la plus structurée et la plus claire possible, un projet dans lequel on les amènera à s’intégrer et à adhérer. L’approche sera d’ailleurs sans doute différente, suivant qu’il s’agira d’entreprises numériques très porteuses, ou d’entreprises locales que l’on pourra associer différemment au projet.
Ensuite, il me paraît évident que la structuration proposée pour l’exposition universelle est basée sur des réseaux. Il faudra donc la renforcer en bâtissant toute une série de réseaux. Ensuite, dès que le projet aura mûri, il faudra déterminer des lignes de force et proposer à certains de participer à des travaux et de s’intégrer à certaines réflexions. Plutôt que d’amener les gens à soutenir en bloc l’exposition universelle, il serait préférable, et davantage dans l’esprit d’une exposition universelle, de les amener à dire ce qu’ils peuvent apporter en fonction de ce qu’ils sont ».
Il faut partir des atouts existants : « il faudra établir une corrélation entre ce que l’on va trouver dans des territoires qui ont déjà une forme de spécialisation, même non dite, et la façon dont l’exposition universelle va elle-même se structurer. Par exemple, dans les Hauts-de-Seine,…, il y a un point de force autour du numérique, et cela peut constituer une zone d’attraction. De la même façon, dans la partie Nord et en Seine-Saint-Denis, on peut sûrement exploiter ce qui existe dans le secteur de l’image. Je pense donc que la structuration se fera plutôt autour des thèmes que l’on retiendra et à partir des compétences et des points de force des entreprises ».
Votre rapporteur insiste sur le fait que l’existence des événements « off », l’extension de l’exposition hors les murs, permettra la multiplication des manifestations propres à mettre en valeur entreprises, territoires et culture. Dans cette perspective, il se félicite de l’enthousiasme que partagent, unanimes, universitaires, élus et, d’une manière générale, tous ceux qui sont au cœur de l’activité économique.
vi. Dépasser les clivages
Une exposition universelle peut permettre de dépasser les clivages et de créer une profonde unité, comme l’ont d’ailleurs souligné à l’unanimité les différents interlocuteurs de la mission, mettant l’accent sur les conséquences positives de l’exposition en matière d’identification et de fiertés nationales. Elle peut donner lieu à un engagement moral et sentimental du pays, induisant une volonté de travailler ensemble. Pour reprendre les mots de Mme Martine Carrillon-Couvreur, « l’enjeu est de remettre la France dans la lumière ».
vii. Co-créer un concept révolutionnaire
Votre rapporteur tient à le souligner, nous n’en sommes qu’au début de la conception du projet. Nous allons ouvrir le concept d’exposition universelle dans des proportions encore inconnues, avec des dizaines de projets qui vont venir se greffer au nôtre. L’exposition universelle peut déboucher sur une fête populaire qui durera six mois. Au fur et à mesure que le projet va se développer, certains éléments vont prendre une importance croissante, nous allons intéresser des protagonistes qui ne pouvaient jusqu’alors accéder aux expositions qu’en tant que consommateurs. Au-delà du dossier de candidature, nous devons réfléchir à ce à quoi il va donner naissance.
Selon les mots du président Jean-Christophe Fromantin, ce matériau brut est en effet appelé à s’enrichir au cours des dix prochaines années, grâce à un processus d’appropriation collective. Nous sommes confrontés à un double défi : l’approfondissement du projet, jusque dans l’épaisseur de la ville, et son enrichissement par les autres acteurs – villes, entreprises, grand public.
Le thème revêt une importance cruciale. Cruciale parce que c’est l’un des éléments fondamentaux sur lesquels se fondera le Bureau international des expositions pour retenir la candidature. Cruciale également parce qu’il demeure un élément fédérateur pour emporter l’adhésion des citoyens au projet de candidature. Cruciale enfin parce que c’est lui qui déterminera la forme que les exposants souhaiteront donner à leur participation, assurant par la même l’intérêt et le succès de la manifestation.
1. Le thème, un facteur clé du dossier de candidature
a. Un des éléments qui détermine le succès de la candidature
Comme le précise M. Bernard Testu, qui fut vice-président du BIE, « La lettre de candidature, signée du Président de la République ou du Premier ministre et adressée au président du BIE, ne contient au départ que trois éléments : un lieu, un thème et une période – qui peut aller jusqu’à six mois. Le lieu peut rester approximatif, mais le thème – de portée universelle, tel que les océans ou l’énergie – doit être précisément défini. C’est en effet un élément essentiel de la proposition. Le dossier de candidature, qui vient plus tard, doit décrire le consensus politique sur lequel j’ai insisté, les conditions matérielles envisagées pour l’exposition et les déclinaisons du thème proposé dont il doit montrer le caractère fédérateur et la pertinence. Il convient donc de créer immédiatement un comité ad hoc de spécialistes et d’autorités morales et scientifiques du secteur concerné, chargé de rédiger ce document de 20 à 40 pages – généralement passionnant – qui nourrira la réflexion des futurs scénographes de l’exposition. »
Selon M. Xu Bo, le thème, pour conduire au succès, doit non seulement être fédérateur afin d’emporter l’adhésion des citoyens du pays candidat mais également toucher l’ensemble des pays membres du BIE, qu’il s’agisse des pays développés ou de ceux en voie de développement : « La qualité du dossier est d’abord celle du thème retenu pour l’exposition. Nous avions un thème magnifique, consensuel : « Meilleure ville, meilleure vie. » Aujourd’hui, tout le monde vit en ville : cela a été facile d’obtenir les votes tant des pays développés que des pays en voie de développement. ».
b. Le caractère universel du thème
Le caractère universel du thème a été rappelé par M. Vicente Gonzales Loscertales lors de son audition, celui-ci ajoutant que la première condition d’une exposition réussie était d’être utile aux citoyens.
Pour ne rappeler que les dernières, l’Exposition universelle de Séville de 1992 avait pour thème « L’ère des découvertes », celle d’Hanovre (2000) « Humanité-Nature-Technologie », celle d’Aichi (2005) « La sagesse de la nature ». Ce fut également le cas pour les expositions suivantes avec les thèmes de « L’eau et le développement durable » à Saragosse, en 2008 et celle de Shanghai (2010) « Meilleure ville, meilleure vie ». L’Exposition de Milan, en 2015, aura également un thème transversal « Nourrir la planète, énergie pour la vie », de même que celle de Dubaï en 2020, « Connecting Minds, Creating the Future ».
Selon M. Pascal Ory, nous nous trouvons face à un paradoxe : le thème doit refléter les valeurs dominantes de notre époque, tout en tenant compte du fait de l’individualisation croissante des sociétés occidentales : « chaque exposition universelle est le miroir grossissant des valeurs dominantes de l’époque et, actuellement, les questions environnementales sont au centre des réflexions. Les Chinois eux-mêmes avaient consacré une partie de l’Exposition de Shanghai au développement durable. D’autre part, on est frappé par l’accélération de l’individualisation au sein d’une société mondiale largement occidentalisée. Il faudra donc insister sur l’appropriation individuelle de l’innovation et de l’art de vivre, en trouvant le moyen de s’adresser subtilement à chacun des 75 millions de visiteurs en particulier ».
c. La déclinaison du thème dans l’exposition
Le thème est un élément indissociable du processus de candidature mais il doit d’ores et déjà s’inscrire également dans la perspective de l’organisation de la manifestation, dont le succès repose sur la participation des États et de la société civile mondiale, qui seront amenés à la décliner dans leurs différents pavillons.
L’intérêt du thème et l’écho qu’il rencontrera justifieront l’implication qualitative des différents exposants. La mission a ainsi pu prendre la mesure de la crainte du BIE de voir les expositions devenir un simple prétexte à la fête, sans que le thème en lui-même y soit pertinemment traité. L’objectif consiste donc à ce que les nations invitées, les grands organismes internationaux ou encore les organisations non-gouvernementales puissent avoir un véritable message à délivrer sur le sujet qui sera choisi. Leur présence dans l’exposition ne doit pas être un simple exercice de courtoisie ou de diplomatie, ni même une pure affirmation de puissance, elle doit traduire une adhésion à la démarche globale.
Lors de son audition par la mission, M. Alain Berger, commissaire général de la section française à l’Exposition universelle de Milan a particulièrement insisté sur la résonance du thème retenu comme facteur-clé expliquant que la France ne pouvait en être absente. Le droit, pour tous les habitants de la planète, à une alimentation saine, sûre et suffisante concerne en effet directement notre pays, doté d’atouts économiques et scientifiques incontestables en la matière, qui se traduisent par une position privilégiée sur les marchés mondiaux et par l’importance du secteur agricole et agroalimentaire dans son économie nationale.
La France déclinera donc le thème « Produire et nourrir autrement » en délivrant quatre messages forts au sein de son pavillon :
− La France est à même de contribuer significativement à l’autosuffisance alimentaire mondiale ;
− La France sait à la fois « produire plus » et « produire mieux » ;
− La France entend contribuer à l’accès à l’alimentation de tous les peuples du monde par une politique active de coopération, de transfert de technologie et de lutte contre la pauvreté, qui doit aider les pays en développement à améliorer leur capacité d’autosuffisance alimentaire.
− La France enfin, sait combiner qualité et quantité en matière alimentaire et doit inscrire son modèle alimentaire dans une logique internationale de respect de la diversité des modèles alimentaires mondiaux.
Dans ce cadre, le pavillon français, qui prendra la forme d’une grande halle urbaine, organisera des animations temporaires déclinant ces thématiques par région, par produit ou par enjeu de réflexion, sans exclure la dimension du plaisir qui peut être associée à l’alimentation.
Un restaurant sera également installé au sein du pavillon, dans lequel les menus évolueront et refléteront les atouts de notre pays dont les repas gastronomiques ont été inscrits, rappelons-le, au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO le 16 novembre 2010.
Votre rapporteur se félicite du fait que la participation française soit manifestement marquée par le souci de donner un sens à sa présence à Milan.
L’illustration du thème de l’exposition doit également intervenir en amont afin de préparer le message qui sera délivré lors de l’exposition elle-même.
M. Pierre-Alain Schieb, consultant auprès de l’OCDE et ancien conseiller et chef des projets de l’OCDE sur l’avenir, a fait parvenir à la mission une contribution écrite qui illustre cette nécessité, en s’appuyant sur l’expérience de l’Expo 2000 de Hanovre.
Près de cinq ans avant l’événement, à la demande du chancelier allemand Helmut Kohl, le Programme de l’OCDE sur l’avenir a proposé un programme de conférences internationales sur le thème « l’homme, la nature et la technologie : des sociétés durables au XXIe siècle ». Ces conférences se sont tenues dans quatre villes allemandes, « une approche multi-sites », comme le fait remarquer M. Pierre-Alain Schieb :
– Düsseldorf, Décembre 1997 : Les technologies du XXIe siècle : promesses et périls d’un futur dynamique (OCDE, 1998) ;
– Francfort, Décembre 1998 : L’économie mondiale de demain : vers un essor durable ? (OCDE, 1999) ;
– Berlin, Décembre 1999 : La société créative au XXIe siècle (OCDE, 2000) ;
– Hanovre, Mars 2000 : La gouvernance au XXe siècle (OCDE, 2001).
« La question à résoudre était en effet : est-ce que le potentiel des technologies de rupture (TIC, biotechnologies) peut conduire à une croissance exceptionnelle des pays de l’OCDE pour les vingt prochaines années et à quelles conditions sociales et de modes de gouvernance ?
Le financement a été en pratique apporté par les quatre grandes banques régionales (Landesbanken), chacune pour 1 million de francs de l’époque (au total environ 620 000 euros) ».
M. Pierre-Alain Schieb en a tiré la conclusion qu’« il semble indispensable de bien mesurer qu’un processus raisonné de sélection du thème et de sa construction, puis de sa mise en œuvre pour les cahiers des charges adressés aux pays participants est une condition nécessaire à la réussite de la candidature et de l’Expo 2025 elle-même ».
L’annexe n° 5 présente d’autres exemples de préparation de grands événements.
2. Quel thème pour réaffirmer une identité nationale positive ?
Il est indispensable de s’entendre au préalable sur un thème suffisamment consensuel pour emporter le vote des membres du BIE, mais également pour identifier immédiatement les valeurs dont la France est porteuse.
viii. Le dualisme de la France.
La thématique permet aussi de définir l’image qu’un pays se donne de lui-même ainsi que celle qu’il souhaite donner au monde. Selon M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions : « Une exposition universelle peut aussi influencer l’image que la France a d’elle-même : grâce à elle, la France devrait reprendre confiance en elle, se voir de nouveau comme un pays d’avenir, d’innovation, de recherche et, bien sûr, de culture, comme un foyer de rayonnement. Cet objectif doit sous-tendre votre réflexion sur la thématique de l’exposition. »
En effet, le thème est un moyen de redéfinir une identité nationale positive : porter l’espoir pour emporter l’adhésion et fédérer les enthousiasmes.
L’art de vivre à la française, la tradition, ont été très largement évoqués lors des auditions réalisées par la mission. La plupart des intervenants ont estimé que ce thème définissait la France et serait particulièrement bien reçu des visiteurs étrangers.
M. Jean-Pierre Lafon précise ainsi que « la culture et l’art de vivre correspondent à un… domaine de compétence français dont la thématique retenue devra tenir compte. C’est en effet en ces matières que nous pourrons nous distinguer de l’Allemagne, qui cherche à s’imposer en Europe comme étant le pays de la technologie – le slogan d’Audi, « Vorsprung durch Technik (55) », est tout à fait représentatif de cette ambition. Quatre-vingt-dix ans plus tard, ne se souvient-on pas davantage de l’Exposition internationale des Arts décoratifs, organisée à Paris en 1925, que des Jeux olympiques de 1924 ? ».
« Il ne faut renoncer à rien de ce qui fait l’identité française en matière esthétique, artistique, de design, de mode, de gastronomie, de mode de vie » a souligné M. Xavier Darcos, président de l’Institut français.
M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, a émis le même souhait : « J’espère qu’en 2025, la notion d’art de vivre à la française, souvent moquée mais qui attire pourtant de très nombreux étrangers en France, sera mise en avant ».
Toutefois, toutes les personnalités entendues ont souhaité que la célébration de l’art de vivre à la française, pour indispensable qu’elle soit, n’empêche pas de donner à notre pays une image moderne et dynamique.
M. Xavier Darcos s’est empressé d’ajouter : « une telle manifestation offrirait en outre l’occasion de montrer de la France ce que l’on n’en dit pas toujours. À l’étranger, l’image de la France est très positive en matière culturelle, patrimoniale, historique, architecturale, en termes de design, de mode, de magasins de luxe… Or cette image positive cache des réalités économiques plus intéressantes et plus utiles pour nous et que pourrait souligner une exposition universelle. Ainsi, peu de gens ont conscience de l’importance du livre, du cinéma, de la télévision, des jeux vidéo – autant d’éléments de notre génie et de notre action économique ».
De même, M. Pascal Ory a mis l’accent sur les retombées économiques de l’art de vivre à la française : « Ce thème n’a rien d’anecdotique, car il se décline en terme de métiers : nous avons des chausseurs, des parfumeurs, des restaurateurs d’exception, et bien d’autres. Nous devons le faire savoir ». Il a ajouté qu’afin « d’extraire ce qu’il y a d’énergie positive dans notre pays… il y aurait, à cette occasion, quelque chose à dire sur notre art de vivre, reconnu à l’étranger. Il conviendrait de moderniser cette notion ».
M. Michel Foucher est plus radical : « nous devons par conséquent valoriser nos réalisations scientifiques et techniques – je n’ai rien contre LVMH et les parfums Hermès, mais cette image du luxe et de l’art de vivre nous empêche de vendre des TGV. Il faut essayer de rééquilibrer l’ensemble des domaines d’excellence et de présence » ; et de donner des pistes : « Une exposition universelle aura… à parler de cette évolution fondamentale de l’organisation sociale qu’est la conurbation, la mégapole, l’organisation architecturale… l’organisation logistique des grandes cités, les transports, sujets sur lesquels la France a des acteurs de premier plan ».
Il en est de même pour la ville de Paris qui revendique une image à la pointe du progrès, en plus de celle du glamour. M. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, a fait part de son souhait : « Pour ce qui concerne les thématiques à privilégier, Anne Hidalgo insiste pour que l’accent soit mis sur les grands défis auxquels doivent répondre les métropoles du XXIe siècle. Celles-ci sont en effet au cœur des transformations que connaissent nos sociétés : c’est là que les entreprises du futur inventent les nouvelles technologies, que s’expérimentent les nouvelles façons de travailler, de vivre, de commercer. Le numérique, l’économie circulaire, la ville intelligente, le lien entre végétal et minéral dans la ville, la biodiversité, la transition énergétique, sont autant d’aspects de la révolution urbaine du XXIe siècle que l’Exposition universelle de 2025, si jamais elle est organisée par notre pays, devra mettre en exergue….Nous devons modifier l’image de marque de Paris, faire savoir au monde entier que Paris n’est pas seulement la capitale du glamour, de la mode, du luxe et de la gastronomie, mais que nous sommes également un leader européen en matière de création de start-up dans le domaine du numérique, qu’avec 400 000 salariés en Île-de-France nous sommes la première capitale européenne en matière de technologies de l’information et de la communication ».
Quant aux étrangers, ils sont sensibles à cette double image, si l’on en croit Mme Sophie Pedder : « ce que la France fait à merveille et dont on ne parle pas assez, [c’est ] le mariage réussi de tradition et de modernité, dont le tout récent défilé de mode de Karl Lagerfeld au Grand Palais, à Paris, vient de donner une excellente illustration. L’exemple, apparemment anecdotique, reflète ce que sait faire un pays qui construit le viaduc de Millau, ouvrage d’une créativité architecturale exceptionnelle, pour relier des territoires ruraux dotés d’un patrimoine traditionnel… il est indispensable de ne pas projeter une image uniquement romantique de Paris et de la France : à la tradition, il faut associer l’avenir par l’architecture, le design, l’innovation médicale… l’idée du mariage entre un aspect connu de la France et un qui l’est moins me séduit : ainsi, vous pourriez mettre en avant des couples comme mondialisation et terroir local, modernité et tradition ou passé et avenir ». C’est d’ailleurs cette association entre tradition et avenir que la Grande-Bretagne avait bien réussi lors des jeux Olympiques en 2012.
ix. La réaffirmation de l’innovation et du progrès
Le progrès ne doit pas boudé par la France. M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation s’est plu à souligner le nombre d’inventions françaises et à faire remarquer que, si en 1900, notre pays organisait 85 % de tous les congrès du globe, il était encore leader aujourd’hui avec 9 %, à une époque où la concurrence est rude. De même que les organisations patronales représentatives se sont félicitées que l’exposition soit l’occasion de mettre l’accent sur l’innovation, M. Pierre Mongin, président directeur général de la RATP, a souhaité que l’exposition universelle soit également « une vitrine du potentiel économique de notre pays ».
Pour Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine, « une exposition universelle serait effectivement l’occasion pour la France de dire qu’elle a des arguments à faire valoir et des savoir-faire techniques et technologiques de pointe à mettre en valeur ».
M. Jean-Pierre Lafon, qui a recommandé de ne pas occulter la culture et l’art de vivre, a également prôné de choisir l’innovation comme thème de l’exposition : « celle-ci est une préoccupation de nos gouvernements successifs depuis six ou sept ans, quelle que soit leur orientation politique… L’innovation devra donc, sous une forme ou sous une autre, déterminer le thème de l’exposition, mais aussi être mise à contribution pour son organisation, car nous ne devons pas oublier que nos points forts incluent, à côté de la recherche et de l’industrie, les services » et de citer des entreprises à la pointe de l’innovation : «…Schneider s’agissant de la ville connectée. D’autres ont réussi dans le secteur des services, comme Bolloré avec les ports et avec Autolib’ ».
Plusieurs entreprises françaises ont participé à l’Exposition universelle de Shanghai, et y ont montré des produits innovants, s’est félicité M. José Frèches : « PSA a par exemple exposé un « concept car ». Parce que les robots plaisent toujours au public, nous sommes allés chercher Aldebaran Robotics pour présenter le robot Nao qui a bluffé jusqu’aux Japonais en dansant devant les télévisions du monde entier le Haka maori et une chorégraphie sur le Boléro de Ravel. À Yeosu, une start-up a présenté, dans un aquarium, des poissons-robots qui ont impressionné le public ».
M. Jean-Paul Huchon n’est pas entré dans ce débat tradition ou innovation, mais a recensé les multiples atouts de la région Île-de-France en matière d’innovation : « Je m’interroge… sur la thématique principale de cette exposition. Les efforts de transition écologique ? Le numérique et l’ensemble de ses applications ? Le vieillissement, le handicap et les services à la personne, sujet auquel on ne penserait pas spontanément ? Le développement universitaire et la recherche ? L’Île-de-France compte en effet 45 % des chercheurs et plus de 600 000 étudiants.
Les secteurs stratégiques de la région sont nombreux : la filière de l’audiovisuel et du numérique ; des entreprises brillantes utilisant les nouvelles techniques numériques ; la filière du « produire autrement »,…de la transition énergétique, de la rénovation énergétique des bâtiments ; les services à la personne sont toujours oubliés ; pourtant, dans ce domaine également, nous avons beaucoup à montrer. On pourrait aussi imaginer travailler sur le concept de nouvelle économie, l’économie sociale et solidaire et le développement des coopératives. Il serait par ailleurs inconcevable de ne pas élargir l’exposition universelle à la culture dans son ensemble, un champ qui différencie très fortement Paris et sa région d’autres candidatures potentielles ».
b. Comment présenter l’innovation ?
Pour autant, le progrès et l’innovation ne se suffisent plus à eux-mêmes, et comme on l’a vu, ne peuvent plus être présentés comme ils l’ont été au XIXe siècle ; M. Gérard Roucairol, président de l’académie des technologies, précise qu’il faut introduire une dimension nouvelle, l’englober dans une réflexion beaucoup plus vaste : « Une exposition universelle, on peut l’espérer, contribuera au déblocage de la situation en présentant l’alliance de l’ingénieur, de l’industriel, de l’intellectuel et de l’artiste pour construire quelque chose d’attractif non seulement aux yeux des Français, mais aussi dans le monde entier. Cette fusion me semble primordiale ».
D’ailleurs, comme l’a souligné M. Marc Giget, les salons spécialisés sont infiniment plus riches désormais que peut l’être une exposition universelle sur le même sujet. « Quoi qu’il en soit, une exposition universelle présentera moins d’avions et de satellites qu’au salon du Bourget, moins de produits alimentaires qu’au SIAL, moins d’électronique qu’à Las Vegas ou à Berlin. Il y a des expositions partout. Comment faire rêver le public ? ». Une étude devra s’imposer – si un thème lié à l’innovation était choisi – sur la façon de le présenter, sur les réflexions qu’il peut susciter.
M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts-de-Seine, rappelant qu’il n’était pas possible de geler le fonctionnement des parcs d’exposition pendant six mois, a proposé d’insérer les manifestations les plus importantes dans l’exposition universelle, ce qui permettrait un enrichissement mutuel et nouveau : « c’est une forme de « off » que d’utiliser ces manifestations pour les magnifier… Je souhaiterais par exemple que le Mondial de l’automobile, comme le Salon de l’aéronautique et de l’espace soient des occasions de réflexion approfondie sur ces industries. L’Exposition universelle de 2025 peut le permettre. Je suggère d’aller dans cette voie plutôt que d’imaginer bloquer les halls d’exposition pendant six mois ».
Outre cet accent mis sur l’innovation, l’accueil du monde entier, avec une thématique universaliste, et un souci du partage sont également des approches qui doivent être examinées.
c. Réaffirmer la vocation universaliste de la France ?
Si la thématique de l’exposition est un élément fédérateur qui permettra à la France de reprendre confiance dans son identité nationale, elle sera également un moyen d’affermir son image internationale en renouant avec sa vocation séculaire d’universalisme.
Selon M. Xavier Darcos, « la notion d’universalité n’est pas d’emblée déniée à la France. Certes, nous nous en glorifions et j’ai conscience du caractère cocardier de la formule : nous avons prétendu très tôt, au moins politiquement, à parler pour l’humanité ».
Toutefois, « La France n’est plus le phare du monde. Nous devons éviter le nationalisme intellectuel », a souligné M. Michel Foucher. Un équilibre subtil doit donc être trouvé : « On attend de nous que nous évitions la banalisation américano-globale qui nous menace. On attend de nous des idées – peu nombreux sont les pays qui ont des idées sur la marche du monde. L’Institut français organise une ou deux fois par semaine, quelque part dans le monde, un débat d’idées. J’y ai participé : c’est extraordinaire ».
M. Xavier Darcos a abondé en ce sens : « Lorsque l’on recherche une alternative à cette standardisation, [l’American way of life] c’est souvent la France que l’on évoque, notamment en Asie. La motivation de l’apprentissage du français dans de nombreux pays repose sur la volonté de se démarquer de la culture anglo-saxonne. Nous pourrions mobiliser cette ressource, qui ne traduit aucun refus, mais qui incarne « l’autre des cultures du monde ».
Et M. Michel Foucher d’évoquer le discours où le général de Gaulle, depuis Alger, le 30 octobre 1943, à l’occasion du soixantième anniversaire de la fondation de l’Alliance française, appelle à la résistance armée et à la résistance intellectuelle en inventant le concept d’influence culturelle.
Selon M. Marc Giget, le message universel de la France ne fait aucun doute : « La France a une légitimité historique pour délivrer un message progressiste. Elle doit donc dépasser le traumatisme des deux guerres mondiales, qui l’amène à commémorer les tranchées plutôt qu’à fêter la Belle Époque. Si elle a marqué la terre entière, ce n’est pas par ses guerres, mais par sa vision pasteurienne du progrès, en apportant partout l’électricité et les télécommunications, en prônant l’éducation pour tous » ; et d’ajouter : « il serait plus intelligent d’accueillir la terre entière autour des solutions qu’elle peut apporter aux besoins des hommes, qu’autour de thématiques comme l’agriculture, les transports ou le « digital ».
M. Jean-Pierre Lafon réaffirme également cette vocation : « l’exposition universelle est également susceptible d’influencer l’image internationale de la France. Je sais d’expérience que nous passons souvent pour arrogants. La réussite de l’exposition universelle supposerait que nous accueillions les autres au lieu de chercher à nous affirmer face à eux. J’y reviendrai à propos de la politique de lobbying mais, après tout, n’est-ce pas conforme à notre tradition ? En peinture, l’École de Paris réunissait Matisse, Dufy, Braque, mais aussi Picasso, Soutine, Juan Gris, Modigliani ! Par le passé, nous avons su nous ouvrir aux autres. Avec l’exposition universelle, nous accueillerons leurs innovations, leurs arts de vivre. Je ne parle pas seulement des pays européens et des grands pays asiatiques, mais aussi des pays en voie de développement, qui représentent la moitié des pays membres du BIE. Nous devrons mettre l’innovation à leur service et recueillir leur sentiment sur ce que doit être l’exposition. »
La France a toujours été un pays tourné vers les échanges, les autres, le monde, la culture, l’art, le savoir-vivre : preuve s’il en est l’inscription récente de la gastronomie française par l’UNESCO au patrimoine de l’humanité. Ces valeurs françaises devront se retrouver dans le choix du thème.
D’autres suggestions ont été formulées par les personnalités auditionnées. Pour être universel, le thème doit non seulement être simple, consensuel mais également enthousiasmant. Il doit faire rêver, et faire rêver le monde entier.
Comme le rappelle, à juste titre, M. Xu Bo : « Actuellement, le monde souffre des bouleversements technologiques induits par la révolution numérique, la mondialisation, la société de consommation, la perte des repères éthiques. Peu de gens sont heureux, même en Chine, malgré le progrès. Pourquoi ne pas porter un projet qui ait pour thème le bonheur ? Imaginer le bonheur n’exige pas beaucoup d’espace, mais incite à participer aux manifestations culturelles, artistiques, digitales, virtuelles… À Versailles, par exemple, vous pourriez monter une exposition thématique à laquelle chaque pays pourrait participer, comme également sur l’avenue de la Grande Armée. Ce type de compromis vous semble-t-il envisageable ? Les pays du Sud, notamment africains, seraient très enclins à participer à une exposition qui mettrait en valeur leur joie de vivre, leurs traditions. Si vous choisissez un thème très technologique, leur participation sera plus difficile ».
Le bonheur n’incite-t-il pas à la fête ? Or, selon M. Bernard Testu, l’« aspect festif et international devrait être particulièrement saillant à Paris ». Quant à Mme Mercédès Erra, présidente de BETC Euro RSCG, elle a estimé qu’il fallait « mélanger l’intellect et le bonheur, car cette combinaison est très française ».
Cette proposition très séduisante du bonheur complèterait, dans une certaine mesure, l’idée de progrès- puisque celui-ci, à en croire M. Xu Bo, le progrès seul déroute plus qu’il ne rend heureux.
Même si M. Vicente Gonzales Loscertales a recommandé qu’« un tel évènement [ait] une forte valeur éducative, [soit] un appel à la conscience de chacun », cette prescription doit être tempérée : il a également précisé que « la première condition d’une exposition réussie est d’être utile aux citoyens, c’est-à-dire de contribuer à l’amélioration de leur qualité de vie ».
Améliorer la qualité de vie des citoyens pourrait aussi résulter du thème de l’hospitalité et du partage.
e. L’hospitalité et la révolution du partage ?
Trouver un thème qui incarne les valeurs de la France a été l’objet d’un travail de réflexion auquel se sont prêtées sept grandes écoles et universités. Parmi les thématiques évoquées, Sciences Po Paris a proposé « Many lives. One nature. Tant de vie(s). Une nature », le centre Michel Serres : « Le génie du corps », Paris 1 la Sorbonne, « L’hospitalité. »
Cette dernière thématique a souvent été évoquée lors des auditions.
« Je suis sensible à l’hospitalité, mais il faut en donner la preuve ; elle ne peut pas être déclaratoire, et il est difficile d’en faire l’un des thèmes de la candidature. En revanche, celle-ci doit mettre en avant la générosité et l’universalité, la France étant assimilée à cette dernière » a déclaré Mme Mercédès Erra.
« Le thème qui sera choisi – et il le sera forcément sur la base d’une décision collective – constituera le premier élément de mobilisation. La motivation découlera de cette mobilisation. Les étudiants sont intéressés par des sujets en lien avec l’image d’une France ouverte, accueillante, et non d’une France vitrine, et les mots qui reviennent le plus souvent dans leurs discours sont ceux de participation, connexion, monde des idées, monde du partage, avant-gardisme et nature. Il nous faudra prendre en compte toutes ces considérations générationnelles, qui correspondent à des aspirations internationales » a estimé M. Hervé Brossard, président d’Omnicom Media group France.
Selon M. Michel Foucher, « nous devons cultiver bien mieux notre hospitalité : nous ne sommes pas très polis…. À l’inverse, Britanniques et Américains sont maîtres dans l’art de cultiver les liens. Nous devons devenir plus hospitaliers, plus courtois, plus fidèles ».
ii. Un nouvel humanisme : la société collaborative
Pour certains, le thème de l’innovation en tant que tel ne peut être mobilisateur au XXIe siècle. C’est ainsi que M. Joël de Rosnay, conseiller de la présidence d’Universcience et président de Biotics International, a estimé que : « la question…« peut-on encore aujourd’hui célébrer le progrès et les innovations ? » relève d’une culture dépassée, qui nous renvoie au début du XXe siècle, voire à la fin du XIXe. En effet, nous sommes entrés dans une nouvelle culture partagée, dans le monde entier, par une génération de jeunes entre dix-huit et vingt-cinq ans – une culture différente de celle de leurs parents, de leurs professeurs, des politiques et des industriels. Ces jeunes ne sont plus dans une société de l’information, mais dans une société de la recommandation. Ils ne sont plus dans l’acquisition des connaissances, mais dans le partage de l’expérience et de l’émotion. Cette évolution est évidemment liée au numérique et aux réseaux sociaux. Il faut donc que nous changions de culture.
Le message que la France adressera en 2025 devra être humaniste, au sens où le lien humain, le lien social, la relation humaine, l’émotion, le partage, l’amour sont plus importants que la technologie, qui ne peut servir que de catalyseur. On le voit très bien avec les réseaux sociaux et avec la solidarité qu’ils permettent de nouer entre des gens qui peuvent ainsi créer ensemble leur futur. Cette notion doit être sous-jacente à l’exposition universelle : comment « co-créer » – et non pas créer – son futur en lui donnant du sens ?
Si vous relisez « L’Utopie » de Thomas More, vous constaterez qu’il s’agissait d’hommes qui se mettaient ensemble pour « co-construire » leur futur en édictant des lois, des règles qui leur permettaient de vivre ensemble. En ajoutant à l’esprit des Lumières une nouvelle vision de l’utopie, la France sera à même d’apporter cet humanisme qui expliquera au monde que la société collaborative est en marche, qui montrera vers quoi elle conduit, comment elle peut donner du sens à la vie et augmenter la liberté des hommes.
Ce n’est pas l’interactivité, mais l’« intercréativité » qui fera venir les gens physiquement.…. La jeune génération… ne souhaite pas que l’on formate ses connaissances en la sollicitant pour visiter une exposition avec un début, des passages obligés, une fin, conçue par des professionnels ou par des professeurs. Les jeunes veulent « co-créer » leur visite, en faire une sorte de Facebook mobile où ils sont en contact avec les leurs,… Il s’agit, comme le disait Jeremy Rifkin dans « L’Âge de l’accès », d’une culture du partage de l’émotion et de l’expérience. L’important n’est pas de posséder un ticket d’entrée, mais, comme au Club Méditerranée, de partager l’émotion en plus du paysage ».
« L’idée de démonstrations d’ordre technique n’est pas complètement obsolète » : mais, selon M. Pascal Ory, elles doivent prendre place dans une nouvelle perspective : « l’intérêt d’une appropriation individuelle, sur place, par le biais de la rencontre, demeure, comme demeure l’intérêt du dialogue ».
Comme l’a rappelé M. Bernard Testu, pour le BIE, « d’abord outils au service de la promotion de l’identité nationale, du progrès industriel et des consommateurs éclairés, les expositions universelles sont devenues aujourd’hui une plateforme unique pour le dialogue international, pour la démocratie publique et pour la coopération internationale ».
iii. Quelques pistes proposées par les étudiants
Cette France plus ouverte devrait l’être dès la préparation de l’exposition, puis pendant celle-ci, ainsi que l’ont souhaité les étudiants du Centre Michel Serres :
« Nous avons bâti l’« avant exposition universelle » autour d’une logique de co-construction. Il s’agit, dans cette première étape, de mobiliser les nations. Nous sommes partis du constat que les sociétés avaient évolué depuis le XIXe siècle et que celles d’aujourd’hui sont à la fois multiculturelles et hyper connectées. Nous avons donc voulu accélérer ces dynamiques de relations internationales en jouant sur les interactions entre les nations.
Ce n’est plus la France qui s’expose, mais la France qui invite les autres pays à mettre en avant ce qu’ils ont dans leurs patrimoines nationaux. Derrière cela, l’idée est de supprimer les pavillons nationaux qui mettent en avant de façon atomisée les fleurons industriels ou culturels de chaque pays, et de jouer sur des processus de collaboration pour mettre en œuvre des projets innovants en 2025.
Nous voulons placer dans une démarche active tous les participants de l’exposition universelle. Les visiteurs seront amenés à être acteurs de leur propre parcours, et les nations seront invitées à travailler main dans la main, en amont de 2025, sur des projets qu’elles créeront ensemble et présenteront à l’occasion de ce grand évènement.
Premier exemple de cette « co-création », dans le domaine des arts et spectacles : la construction d’un gigantesque son et lumière, dans le parc omnisports de Bercy, réalisé à partir d’une proposition de pyrotechniciens grecs qui travailleraient avec les Russes du Bolchoï et un producteur de Bollywood. Ainsi les nations seront-elles amenées à porter un nouveau regard sur les compétences qu’elles ont chacune en leur sein, et sur les identités qu’elles veulent mettre en avant. Cela donnera lieu à la création d’œuvres inédites qui seront promues uniquement pour l’exposition universelle.
Deuxième exemple, dans le domaine médical : la création, à l’initiative de « Médecins sans frontières », d’un humanoïde à destination médicale qui les aiderait dans leurs interventions en cas de catastrophe naturelle, ce qui les amènerait à travailler avec les entreprises japonaises de robotique. De cette façon, les entreprises, les ONG, les organisations internationales seront représentées et pourront créer des synergies pour répondre à des besoins particuliers ».
Pour faire vivre cette co-création, les étudiants du centre Michel Serres ont inventé un concept particulièrement novateur et stimulant, les « Expofaces ».
Les « Expofaces » sont des interfaces qui permettront la construction, en amont de 2025, de tous ces projets. Concrètement, ce sont des laboratoires de projets itinérants, qui vont rayonner à travers le monde, et qui ont une double utilité : communiquer autour de la tenue de l’exposition universelle, en France, en 2025, et communiquer autour du sous-thème qu’elles représentent.
Elles constitueront des lieux de visite en soi, pour le monde diplomatique, pour le monde de la recherche, pour le corps médical, pour les dirigeants d’entreprise, pour le monde du spectacle. Elles agiront par ailleurs comme des laboratoires de projets, c’est-à-dire qu’elles rayonneront à travers le monde et proposeront aux nations de s’inscrire et de déposer des projets.
Elles partiront de France, quelques années avant 2025. Elles demanderont aux nations de créer des partenariats économiques, qui seront à la fois multinationaux et pluridisciplinaires, et de prendre une prise de participation horizontale.…
Toutes ces « Expofaces » vont rayonner. Nous jouons sur les nations, qui agiront comme des leviers pour notre exposition universelle, et comme des accélérateurs de mondialisation. Dans un tel schéma, les nations seront très libres.…
Enfin, les « Expofaces » vont revenir en France. Tous ces projets seront matérialisés sur notre territoire. La France invitera le monde à venir rêver chez elle pour découvrir toutes ces solutions innovantes. Ce ne sera plus une exposition passive mais très active, très pro active pour relever les défis d’après 2025. Les projets seront présentés aussi bien dans le Grand Paris, que sur l’ensemble du territoire français – et donc dans les régions ».
M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope, a développé le même souhait devant la mission : « En devenant une énorme plateforme collaborative, l’Exposition universelle de 2025, à la différence de toutes celles qui l’ont précédée, aurait l’occasion d’inventer et de laisser une trace dans ce domaine. Pour y parvenir, il ne faut pas seulement penser en termes d’interactivité – elle est déjà bien difficile à mettre en œuvre entre dix ou à vingt interlocuteurs –, mais développer l’idée que les individus deviendraient producteurs de l’événement. Cette démarche passerait inévitablement par l’usage de la technologie, mais également par une forme d’implication des visiteurs en amont de la visite. Plutôt que de constituer une masse de taille inhumaine, ils deviendraient alors une véritable ressource de ce rendez-vous de l’humanité. Les hommes ne seraient plus une contrainte, mais un élément même de la rencontre ».
La langue reste toutefois un obstacle, que votre rapporteur rêve de lever. Mme Virginia Cruz, membre du Conseil national du numérique y voit un beau défi : « La langue reste un thème sous-jacent, d’autant plus important si l’on doit construire l’exposition universelle autour du thème de l’hospitalité. Je pense aussi que c’est un beau sujet pour la France. Beaucoup d’étrangers nous le disent, ce n’est pas si simple de venir en touristes à Paris, même si on aime la ville, même si on aime la France. Ce serait donc l’occasion de prendre le contre-pied en disant : historiquement, la France est aussi terre universelle d’accueil, de mélange de cultures, ayant subi des influences et des immigrations de différents pays. Le thème de l’hospitalité mettrait en avant la notion d’ouverture et de curiosité à l’autre, de tolérance, nous inviterait à dépasser les différences et à profiter de la richesse de la diversité. Je trouve que c’est un beau sujet et que, pour le servir, le numérique est un outil parfait. »
L’hospitalité, le partage, s’imposent en effet comme une valeur qui permettra à la France de renouer avec son message universel sans pour autant être arrogante, ni négliger la dimension économique attachée à l’exposition car mieux recevoir, bien recevoir, est un art de vivre, mais aussi un moyen de développer le tourisme.
II. UN PROJET CONSENSUEL ET PROFESSIONNEL
a. L’indispensable consensus dans la réalisation du projet
Lors de cette phase, le consensus reste indispensable. M. Noël de Saint Pulgent a proposé le lancement d’un appel à projets pour des compétences variées et suggéré de « s’entourer tous les moyens qui permettent d’appréhender la réalité sociale afin d’obtenir, avec la coopération des médias, un consensus national ». Il a ajouté : « le bon déroulement des opérations suppose une bonne connexion de l’équipe. Quelle que soit la majorité politique des collectivités concernées, les désaccords doivent être laissés de côté au nom de l’intérêt national », L’accord passé entre Édouard Balladur et le maire de Saint-Denis, Patrick Braouezec avait efficacement porté les aménagements effectués en Seine-Saint-Denis en prévision de la Coupe du monde, cette opération étant à l’origine du décollage du département, alors qu’à l’inverse, en l’absence de soutiens politiques, la préparation de l’Exposition internationale de 2004 n’avait pu être menée à terme.
Selon M. Noël de Saint Pulgent, « il faudrait lancer un appel à projets pour des compétences extrêmement variées -experts scientifiques, créatifs, créateurs d’entreprises, experts en communication- et s’entourer de tous les moyens qui permettent d’appréhender la réalité sociale afin d’obtenir, avec la coopération des medias, un consensus national ».
b. Une nécessaire réflexion sur le statut de l’instance dirigeante
x. Quelle forme doit prendre l’instance dirigeante ?
Les différentes auditions ont convaincu la mission de la nécessité d’une organisation structurée.
Pour la Coupe du monde de football de 1998, a rappelé M. Noël de Saint Pulgent, il avait été créé une délégation interministérielle : « les désaccords doivent être laissés de côté au nom de l’intérêt national. L’équipe mise en place doit être constituée de techniciens et l’arbitrage placé au plus haut niveau des collectivités de manière à éviter une gestion bureaucratique et administrative ».
Il a estimé qu’il fallait séparer les fonctions sans pour autant créer des usines à gaz. Pour la candidature aux jeux Olympiques de 2012, « considérant qu’à partir du moment où l’on engage de l’argent public, la forme associative n’était pas suffisante, nous avions adopté la structure du groupement d’intérêt public (GIP). Cela a bien fonctionné, si ce n’est que la rigueur du cadre financier et les contrôles qu’il implique nous a rendu la tâche difficile quand il s’est agi de gérer des imprévus. J’en suis venu à considérer que la vertu était bien mal récompensée ! Sous réserve de conserver une souplesse de gestion, il faut un contrôle public. Avec le GIP, nous avions un contrôle d’État.
D’autres formules sont envisageables, comme la création d’une société. Quoi qu’on choisisse, le plus important est d’entretenir des relations de bonne qualité avec l’extérieur – collectivités et entreprises privées –, ce qui nécessite un dispositif souple permettant une prise de décision et une transmission d’information rapide ».
Pour l’Euro 2016, dont M. Jacques Lambert préside le comité de pilotage, il a été décidé de créer une société par actions simplifiée (SAS), comprenant deux actionnaires, l’Union européenne des associations de football (UEFA) et la Fédération française de football (FFF). Il a en outre été mis en place, au-dessus de cette société, le comité de pilotage, qui réunit ces deux partenaires sportifs, ainsi que les deux partenaires publics (ville hôte et État).
Le dossier de dépôt de candidature de Paris aux JO 2012 prévoyait que le futur COJO serait une association privée à but non lucratif, dont les principales parties prenantes seraient la Ville de Paris, la Région Île-de-France , les autorités nationales et le Comité national olympique français. Une agence spéciale établie par la loi, l’Organisation de coordination olympique (OCOO), serait responsable de la livraison dans les délais de toutes les constructions permanentes ainsi que de la coordination des services publics.
Quelle que soit la forme de l’instance dirigeante, votre rapporteur insiste pour qu’elle comprenne des personnalités étrangères, dont certaines issues de l’Union européenne : si elle organise l’exposition, la France doit être à l’écoute des autres pays étrangers ; ce serait la meilleure garantie pour répondre aux reproches qui nous sont faits de suffisance. Ce serait également un des éléments forts de notre dossier.
xi. Un impératif : l’unicité de direction.
Pour M. Armand de Rendinger, dénonçant l’erreur qui avait été commise lors de la préparation de la candidature des JO de 2012 où le management avait pris la forme d’une usine à gaz, a souligné que « le management du projet doit être pyramidal, prendre la forme d’un commando. Ce commando, composé d’un nombre restreint de personnes d’origines diverses et possédant la légitimité et la crédibilité nécessaires, doit être seul habilité à porter la parole dans l’hexagone et à l’extérieur, c’est-à-dire vis-à-vis des tiers, des apporteurs de garantie, et des pays appelés à se prononcer.
Parallèlement, des commissions doivent être installées pour réfléchir sur le marketing, le lobbying, les aspects techniques du projet. Leur objectif ne doit pas être de valoriser les personnes qui y participent – être sélectionnées pour leurs compétences doit être la principale satisfaction de celles-ci.
Une image, la parole des quelques personnes légitimes pour commander et parler : c’est indispensable si vous voulez gagner ! Et c’est possible ! Pour la présentation, en 1984, de notre candidature aux Jeux d’Albertville, il y avait quatre personnes seulement, dont Jean-Claude Killy et Michel Barnier ».
À une question de M. Jean-Christophe Fromantin, rappelant que l’association Paris Île-de-France Capitale économique travaillait en réseau avec les collectivités locales, l’Agence française pour les investissements (AFII), de grandes entreprises et le réseau consulaire, M. Pierre Simon, son président, a fait remarquer que « tout grand projet appelle un leadership ».
Ce que Mme Claude Revel formule ainsi : « il faut en tout cas éviter la dispersion et les interventions désordonnées en se dotant d’un chef de file ».
M. Christian Prudhomme, directeur du Tour de France, a en outre souligné que lors de l’organisation des étapes en Grande Bretagne, tous les participants « tirent dans le même sens » alors que ce n’est pas toujours le cas en France. Il faudra donc une vraie discipline et une vraie rigueur dans l’organisation. M. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint, a d’ailleurs évoqué « l’organisation militaire » qui caractérise le Tour et est indispensable à sa réussite. C’est ce manque de discipline que dénonçait M. Armand de Rendinger en faisant référence au « bal des ego ».
En outre, se pose la question de la pérennité d’une structure chargée de l’organisation, même lorsque la France n’est pas organisatrice, mais invitée : M. José Frèches, commissaire général de la section française à l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, « ne voi(t)pas l’intérêt de créer pour chaque exposition une structure ad hoc, même si la Cour des comptes le recommande. On devrait plutôt s’inspirer de ce qui se passe à l’étranger : au Japon, c’est le MITI, via une équipe dédiée, qui a la charge d’organiser la représentation japonaise aux organisations universelles et internationales ; en Allemagne, c’est une structure pérenne qui est chargée de ce rôle ».
Et d’ajouter qu’il a insisté pour que M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française à Shanghai, travaille auprès du commissaire général de la section française de l’Exposition de Milan : « si tel n’avait pas été le cas, tout le savoir-faire et l’expérience accumulés par notre équipe à Shanghai et à Yeosu auraient été perdus pour celle qui a en charge le pavillon français à la prochaine exposition universelle ». C’est la COFRES qui a été mandatée pour réaliser le pavillon français à Yeosu.
M. Alain Berger, commissaire général de la France à l’Exposition de Milan de 2015, s’est lui aussi rapproché de M. Florent Vaillot afin de bénéficier de son expérience des expositions universelles. En revanche, toute sa carrière l’a rendu très familier du thème à traiter, « nourrir la planète », ce qui ne peut être que bénéfique. Il s’agit là de deux aspects difficilement conciliables.
Quant aux partenariats publics privés, M. Noël de Saint Pulgent, s’appuyant sur son expérience, les juges essentiels : « pour réussir, les projets de cette nature, tout en étant clairement dirigés par la puissance publique, doivent s’appuyer sur des partenariats publics privés équilibrés. Le Stade de France n’aurait pas été terminé à temps sans un tel PPP ». En revanche, M. Christian Boissieu est plus sceptique quant à l’intérêt des PPP (56).
La structure à mettre en place
Un rapport sur la gestion par l’État des participations françaises aux expositions internationales et universelles a été rédigé en 2007 par la mission d’audit de modernisation – il ne s’agit donc pas de l’organisation de l’ensemble d’une exposition internationale ou universelle en France, mais il peut toutefois être riche d’enseignements. Il étudie, notamment, la question de la structure à mettre en place pour gérer le projet, en se posant trois questions :
– Faut-il une structure identifiée, dotée de la personnalité juridique ? Certes, en Allemagne, la gestion de ces manifestations relève directement d’un service de l’État ; mais si la participation de la France reste confiée au commissaire général, mieux vaudrait lui confier la personnalité juridique ;
– Faut-il une structure pérenne ou ad hoc pour chaque exposition ? Le rapport plaide pour une solution pérenne, du fait du caractère récurrent de ce type de manifestation et de l’utilité d’une mémoire des expériences précédentes
– Quelle serait la structure ? Celle-ci doit être légère, pouvoir être créée dans des délais brefs, permettre l’association de capital privé, obéir à des règles de gestion souples et faire l’objet d’un contrôle strict.
Compte tenu de ces réflexions, le rapport conclut à l’élimination de trois solutions. la création d’un GIP n’est pas possible, car la loi ne permet pas de rattacher à l’une des catégories existantes la création d’un GIP « Exposition universelle » ; la création d’un EPIC a l’inconvénient de créer une structure juridique dont l’objet coïnciderait en partie avec l’un des objets d’autres EPIC, et en particulier Ubifrance (en effet, cet organisme a pour mission de réaliser et coordonner toutes actions de promotion destinées à accompagner les entreprises pour leur présidence dans les manifestations internationales). Enfin, en cas de création d’une association, le risque existerait qu’elle soit sanctionnée comme association transparente, accomplissant des taches que l’État aurait dû assumer en direct et que ses opérations soient déclarées constitutives d’une gestion de fait des deniers publics.
La mission d’audit préconise donc plutôt la création d’une société par actions simplifiée. Il recommande en outre d’associer, sous l’autorité du Premier ministre, tous les départements ministériels concernés, d’assurer une stratégie gouvernementale, de prévoir une information des élus et, pour le portage du projet, de désigner une personnalité de haut niveau ayant une légitimité reconnue, et de mettre en place un comité d’orientation. Il envisage la possibilité de recourir à des montages du type « partenariat public-privé ». Enfin, il rappelle la nécessité de préciser et de compléter les critères d’évaluation, laquelle ferait l’objet d’un rapport qui serait diffusé sur Internet.
Source : synthèse du « rapport sur la gestion par l’État des participations françaises aux expositions internationales et universelles » Mission d’audit et de modernisation ; février 2007.
La rigueur est primordiale : comme l’a précisé M. Noël de Saint Pulgent, « au sein de l’organisation, il importe que la partie « équipement » soit traitée séparément. Avant même de commencer, un accord doit déterminer précisément ce qu’on fait, qui fait quoi et surtout qui finance… les grandes opérations d’aménagement… relèvent maintenant d’une décision qui engage l’ensemble des collectivités publiques, pas seulement l’État. D’où la nécessité de s’entendre sur les modalités du partage de l’addition – avant celui du gâteau – et de déterminer des coûts réalistes. À ce stade, des contre-expertises sont très utiles pour tempérer l’enthousiasme qui tend à minorer ces coûts. Il faut prévoir le temps de les exécuter… au moins autant que des coûts, il faut prévoir des délais réalistes ».
Dans son rapport sur la préparation de l’Exposition internationale de 2004, il avait déjà conclu que l’absence d’expertises et de contre-expertises favorisaient les dérives des coûts, et rendaient donc difficile la poursuite du projet.
La rigueur serait d’ailleurs confortée d’ailleurs par une évaluation de nos échecs passés ; malheureusement, M. Guy Drut l’a souligné, cela n’a pas été le cas pour nos échecs aux jeux Olympiques de 2008 et 2012.
a. La politique de la communication choisie
De la politique de communication choisie dépendra l’adhésion et l’implication de la population dans la préparation de l’exposition.
Même si, d’ores et déjà, la population est favorable à l’idée d’organiser une exposition universelle, « il faudra anticiper les objections qui ne manqueront pas d’être soulevées » a estimé M. Thierry Coltier, managing partner de Howarth HTL France « il faudra donc expliquer, travailler avec les leaders d’opinion en Île-de-France , mais aussi associer en amont tous les acteurs, en particulier le monde de l’économie collaborative, avec les nouveaux acteurs numériques… ». M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve, renchérit : « il faudra mobiliser les gens par une pédagogie à long terme ». Pour M. Gérard Feldzer président du comité régional du tourisme Paris Île-de-France , il conviendra d’innover, « mais en gardant à l’esprit que ces innovations doivent servir aux Franciliens : la population devra s’approprier le projet ».
b. La mobilisation de tous les acteurs
Selon M. Armand de Rendinger, une fois le dossier déposé, la mobilisation pourra commencer : « elle ne doit intervenir ni trop tôt ni trop tard, il faut sensibiliser les gens par petites touches – intégration des jeunes, mises en réseau, participation des métropoles, de l’outre-mer… ».
« La participation citoyenne et la co-gouvernance » sont essentielles pour M. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, ce qui conduit naturellement à inscrire la future exposition dans le cadre du Grand Paris et non pas dans Paris intra-muros seulement ; « il faut impliquer les Parisiens et les habitants de la métropole dans l’élaboration et l’organisation du projet, susciter leur mobilisation et leur adhésion, faire appel à leurs idées et tenir compte de leurs souhaits ».
La mobilisation pourrait passer également par le financement participatif : « l’expérience acquise en matière de mécénat culturel montre qu’il faut associer les citoyens très en amont, en sorte que, le moment venu de contribuer financièrement, ils se sentent déjà propriétaires du projet par une adhésion civique. C’est pourquoi les appels à participation doivent être très ambitieux. Pourquoi pas une consultation directe des Parisiens et des métropolitains sur ce sujet ? » a demandé M. Jean-François Martins, adjoint à la maire de Paris, chargé des sports et du tourisme : « ce serait de nature à les mobiliser et, par la suite, à les faire se sentir partie prenante de l’exposition ».
Votre rapporteur estime qu’il faudra en outre définir le statut des bénévoles qui concourront au succès de l’exposition, sans pour autant ôter son caractère festif à l’événement. Une implication citoyenne sur une longue durée et dans un territoire étendu demande une réflexion très en amont ; c’est un des grands enjeux de la réussite de la candidature et du projet. La mise en place d’un réseau de bénévoles irrigant tout le territoire francilien a été souhaitée par M. Gérard Feldzer : « ces « greeters »-des volontaires, retraités par exemple, qui accueillent les visiteurs sur leur territoire, avec le sourire, parce qu’ils aiment partager leur amour pour leur région-devront être valorisés ». Les bénévoles ont d’ailleurs été un des facteurs de succès des jeux Olympiques de Londres en 2012.
En ce qui concerne les entreprises, M. Geoffroy Roux de Bézieux a estimé que « les plus intéressées au projet – par le biais du sponsoring ou du mécénat – seront les grandes entreprises internationales, qui veulent lier leur image à celle de notre pays. On sous-estime l’influence de la marque France à l’étranger : toutes les boulangeries des États-Unis se sont choisi un nom français, qui leur sert de levier. Les quinze ou vingt grands groupes internationaux, que vous avez déjà sollicités pour le pré projet, constituent un vivier de financeurs. Pour engager les entreprises à montrer leurs innovations de manière attractive et pédagogique, il faut raisonner par filières, en utilisant les pôles et les fédérations…. Les pôles de compétitivité – qui sont non pas des lieux physiques, mais des clusters géographiques – peuvent aider à mettre en scène les derniers prototypes d’une filière ».
Mme Céline Micouin, directrice « entreprises et sociétés » du MEDEF, a ajouté que « pour que les moyennes et grandes entreprises, qui vont à l’international, convainquent les décideurs, il faut les associer le plus tôt possible à la conception du projet, particulièrement dans les territoires. Par ailleurs, toutes les entreprises internationales qui possèdent une filiale en France ont intérêt à montrer qu’il n’est pas difficile d’y intervenir ».
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME, a souligné qu’il fallait faire connaître le projet aux entreprises : « nous sommes prêts à relayer auprès d’elles une opération comparable à celle qu’ExpoFrance mène en ce moment auprès des étudiants. Encore faut-il que nous disposions d’un cahier des charges ».
Le président de la mission, M. Jean-Christophe Fromantin, s’est interrogé sur le meilleur moyen de mobiliser les entreprises en rappelant qu’autrefois les expositions universelles organisaient des concours entre produits nouveaux dont l’enjeu était une médaille. M. Geoffroy Roux de Bézieux a répondu que la commande publique était « la meilleure manière de récompenser un produit innovant ». Quant aux médailles, il a estimé qu’« elles étaient un argument de vente » et M. Jean-François Roubaud a déclaré qu’il n’y était pas hostile car elles pourraient avoir un retour important pour les entreprises : « l’effet de certaines distinctions a duré un siècle ».
Pour être réussie, une exposition internationale doit rentabiliser deux opérations de nature très différente.
Elle doit, d’une part, couvrir les coûts d’organisation et de promotion de la manifestation ainsi que ceux d’installation des pavillons par des recettes tirées de la vente des billets d’entrée. Le BIE perçoit une partie de ces recettes, le reste allant à l’organisateur.
Pour ce dernier, l’équilibre financier de cette première opération dépend d’une fréquentation qui reste imprévisible sur une période de six mois. Une fréquentation nationale ou internationale insuffisante est impossible à rétablir par une campagne promotionnelle si l’ouverture est un fiasco, si l’actualité du moment est défavorable ou si la presse mondiale se fait trop critique à l’égard du site ou des pavillons. « L’exposition vaut le voyage » : telle est l’épreuve de marketing que l’organisateur doit absolument remporter pour convaincre les relais d’opinion.
Une exposition réussie doit, d’autre part, amortir la viabilisation du site, des infrastructures et équipements par la revente ou à location à long terme des surfaces libérées après l’exposition, qu’elles soient remises à nu par le démontage des pavillons ou que ces derniers soient réutilisés.
1. Traditionnellement le coût des expositions universelles est élevé
Cela a été le cas de tout temps. M. Pascal Ory a fait remarquer à la mission que, au XIXe siècle, « une des raisons pour lesquelles les Anglais ont très vite décidé d’en finir, c’est qu’ayant fait leurs calculs, ils ont constaté que les expositions universelles leur coûtaient plus cher qu’elles ne leur rapportaient. La France, elle a considéré que le déficit faisait partie de l’ensemble ». Une polémique s’est fait jour, bien plus tard, au Québec, où l’Exposition universelle de 1967 a été un gouffre financier.
Les coûts se composent des investissements et des dépenses de fonctionnement. M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE les a détaillés : « S’il est impossible d’estimer aujourd’hui l’investissement nécessaire, quelques éléments peuvent aider à définir un ordre de grandeur. L’affluence quotidienne moyenne sur un site d’exposition est de quelque 200 000 personnes ; venant s’ajouter au trafic normal dans la zone, leur transport nécessite sans doute des investissements complémentaires – qui ne seront d’ailleurs pas forcément perdus. À l’image des villages olympiques, il faut aussi créer, à proximité du site, un village de l’exposition pour héberger quelque 15 000 personnes. Celles-ci paient en général un loyer, mais il convient de leur offrir des conditions d’hébergement raisonnables. Souvent, ce type de projet s’insère dans des programmes de construction de logements pour étudiants ou de logements sociaux. Là non plus l’argent investi n’est pas perdu ; mais cet investissement demande à être planifié et concentré en fonction de la tenue de l’exposition. Enfin, il semble difficile d’envisager une candidature solide sans prévoir quelques éléments architecturaux pérennes, qui seront utilisés à titre provisoire pour l’exposition.
Évaluer le budget d’exploitation apparaît plus simple, même si le départ avec le budget d’investissement fait débat parmi les experts. En tout état de cause, les exemples passés montrent que l’équilibre de la future société d’exploitation – entre, d’un côté, les contributions des entreprises et la recette des entrées, et, de l’autre, les charges de fonctionnement – peut raisonnablement être atteint, y compris dans les pays à économie de marché. Cependant, l’État étant obligé de se porter garant, y compris de la société d’exploitation, le calcul se doit d’être précis, sous peine de faire défrayer le contribuable. Sur un budget de quelque 2 à 5 milliards d’euros, une erreur de 10 % a des conséquences qu’on ne peut prendre à la légère. L’engagement doit donc être sérieux et le contrôle des dépenses et des recettes, rigoureux.
Dernier coût : celui de l’empreinte écologique que ne manquera pas de laisser la venue de 50 millions de personnes en un lieu circonscrit. Ce problème ne doit pas nous empêcher d’agir mais, même s’il apparaît moins aigu dans un environnement déjà urbanisé, il faut dès l’amont chercher à le réduire autant que possible ».
M. Jean-Pierre Lafon en fait un recensement assez semblable : « coût de la campagne, coût du plan d’aménagement, puis coût de fonctionnement pendant 6 mois, abstraction faite des frais induits, dont la sécurité et les logements, Il faudra payer les volontaires, qui étaient 50 000 à Shanghai ; financer les animations, l’accueil, le protocole pour les chefs d’État invités. Il faudra aussi et surtout prévoir un plan d’aide aux pays les moins avancés. C’est la précision de leur plan d’aide, destiné en particulier à l’Afrique, qui a permis aux Italiens de l’emporter face à la Turquie. C’était aussi un atout de Dubaï. Ce plan, requis pour toute candidature, n’engendrera pas nécessairement un coût supplémentaire mais supposera de réorienter la politique de coopération et les crédits de l’Agence française de développement vers de nombreux États membres de l’assemblée générale du BIE ».
M. Pascal Rogard, lui, s’interroge : « comment déterminer le coût de l’exposition ? Se limite-t-il au financement des seuls travaux liés directement à celle-ci ou s’étend-il à celui des infrastructures associées ? À Milan, l’organisateur a préféré prendre à sa charge certaines infrastructures d’accès pour s’assurer que les délais prévus seraient respectés, mais ces aménagements peuvent aussi être compris dans le plan directeur d’une région ou d’un État ». Il conclut qu’« une campagne de candidature coûterait entre 5 et 25 millions d’euros [ce qui] correspond à la somme que la France devrait dépenser entre 2015 et novembre 2018, date du vote à l’assemblée générale du BIE ». Les chiffres les plus fantaisistes ont couru sur la candidature de Dubaï, dont la campagne aurait coûté de 1 à 2 milliards d’euros ! « Le coût de l’exposition elle-même oscillerait aujourd’hui entre 2 et 6 milliards d’euros- et atteindrait même 6,5 milliards pour Dubaï », ajoutant qu’il était rare que l’opération génère des bénéfices financiers (57).
Ces différents coûts correspondent à une exposition universelle « classique », c’est-à-dire sur un lieu unique où seraient construits des pavillons, ce qui ne correspond pas à notre projet, comme on le verra ci-dessous.
La rentabilité d’une exposition universelle est très discutée. M. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, favorable au projet, a souligné qu’elle a coûté à Shanghai 60 milliards de dollars d’investissements et rapporté 7 à 8 milliards de recettes touristiques.
M. Xu Bo a, au contraire, mis l’accent sur les gains : « 18 milliards de yuans ont été consacrés à la construction. En termes de parité, en 2010, 1 yuan équivalait 10 euros, aujourd’hui, 1 yuan équivaut à 8 euros. 10,6 milliards de yuan ont été affectés à l’opération elle-même. Le coût total de l’opération s’est élevé à 28,6 milliards de yuan.
Le financement, en provenance du gouvernement chinois, a été 100 % public. Shanghai aurait aussi pu le financer car c’est une ville très riche. Concernant le bilan financier, le coût des constructions n’est pas immédiatement amortissable. Cependant, afin de rentabiliser l’exposition, on a monté une opération de marketing, de commercialisation, avec de nombreux partenaires : 13 partenaires globaux, 14 « senior partners », et des « partenaires de projets » sur l’eau, la communication... Toutes les entreprises souhaitaient participer. Au total, ce sont 56 partenaires, grands et petits, qui ont généré 7 milliards de yuan. Par exemple, pour être qualifié en tant que partenaire global, le ticket d’entrée était de 50 millions de dollars, pour des entreprises telles que Siemens, General Motors, Eastern Airlines,… Cela a été une belle affaire ! En échange nous ne donnions rien, cela assurait la réputation de ces entreprises sur le marché en tant qu’entreprise responsable.
Je prendrais l’exemple d’une entreprise de traduction qui s’était spontanément proposée pour assurer gratuitement la traduction. En échange de sa participation, elle a emporté, aujourd’hui, le marché local de la traduction.
De plus, les 73 millions d’entrées de l’exposition ont généré 6 milliards de yuans grâce à la vente de billets. Au total, 13 milliards de gains ! L’opération en elle-même étant de 10 milliards, le gain net est de 3 milliards !» (annexe n° 6).
Il est évident qu’une exposition en France ne tendrait pas vers ce gigantisme.
Par ailleurs, comme l’a indiqué M. Xu Bo, « il faut préparer un programme d’assistance pour les pays en voie de développement. Pour attirer leurs voix sur la candidature de Shanghai, nous avons financé leur participation à l’exposition pour un montant de 100 millions de dollars. C’est important. Les Coréens avaient également prévu cette contribution qui est dans leur coutume. Ce n’est pas mal vu. C’est normal que la Chine facilite la participation des pays pauvres ».
Ces diverses difficultés ne doivent cependant pas constituer un frein, grâce à une conception fondamentalement différente de celles des expositions précédentes.
2. Les enjeux financiers doivent être appréhendés en tenant compte d’une approche complètement nouvelle de l’exposition
a. Une organisation originale s’impose
L’état de l’économie et des finances publiques ne permet pas d’envisager une exposition universelle coûteuse.
Selon M. Hervé Lorenzi, « nous sommes entrés dans une période de croissance faible… le progrès technique ne produit plus guère de résultats en matière de croissance. Les équilibres sociaux sont fragiles. Les inégalités ont explosé, comme l’a brillamment montré Thomas Piketty. La population vieillit. Ma conviction est que la croissance mondiale annuelle, jadis comprise entre 4 % et 5 %, se situera désormais entre 2,5 % et 3,5 %.
Patrick Artus, membre du Conseil d’analyse économique, a souligné qu’à moins d’un événement imprévu, le taux croissance français et européen – et, à mon sens, mondial – atteindra cette année 0,9 %. Le ralentissement concerne principalement les pays de l’OCDE. Autant dire qu’on ne peut pas croire aux discours enflammés sur la reprise allemande ou américaine… il faut avoir ces données en tête si l’on veut organiser un événement de grande ampleur….
Le projet d’exposition universelle s’inscrit dans une perspective macroéconomique caractérisée par un fort besoin d’investissement et une diminution de l’épargne. Celle-ci provenait naguère des pays émergents, principalement de la Chine, qui consommera davantage dans les dix prochaines années. Une population vieillissante perdant le goût du danger, l’épargne ne s’investira pas dans des placements risqués, ce qui fera remonter fortement les taux d’intérêt.
Tout en réaffirmant devant la mission son enthousiasme pour le projet, il a rappelé qu’« il faudra adapter l’organisation à une période particulière. Durant les prochaines années, le monde se cherchera. Je rappelle le titre de mon livre : « Un monde de violences ». Nous avons vécu en croyant que nous pourrions instaurer une gouvernance mondiale et une régulation de la finance internationale, qui se sont révélées être deux utopies. Nous sommes loin d’être sortis du marasme. Veillons donc à adapter l’exposition universelle à une période dont le mot-clé est l’incertitude ».
Par ailleurs, une exposition universelle coûteuse serait très mal acceptée par nos concitoyens.
Pour M. Jean-Paul Huchon, « c’est une évidence : en ces temps difficiles, l’adhésion populaire sera conditionnée par l’utilisation parcimonieuse des deniers publics. Mais cette candidature est une opportunité à saisir, si l’adhésion populaire est au rendez-vous ».
M. Jean-Louis Missika a tenu le même langage, rappelant que le Parlement avait voté une diminution de 11 milliards d’euros de la dotation de l’État aux collectivités territoriales et précisant à la mission qu’il était « hors de question que les contribuables parisiens financent l’exposition universelle ».
En outre, « les Expositions de Hanovre et de Shanghai ont été déficitaires, celle qui s’organise à Milan est entachée de soupçons de corruption ; nous devons donc faire preuve d’une transparence exemplaire et anticiper avec précision les coûts et les perspectives de développement ».
C’est pourquoi le projet est conçu de telle sorte que plusieurs facteurs limiteraient le coût d’une exposition universelle.
Le projet sur lequel a travaillé la mission est d’un type nouveau, puisqu’il s’articule, comme on le verra ci-après, autour de la mise en valeur d’infrastructures existantes. L’idée de « poser » l’exposition sur Paris, l’Île-de-France et les territoires permettrait de transformer en atouts les contraintes du cahier des charges.
Les infrastructures sont déjà prévues : dès lors que les investissements nécessaires s’inscrivent dans le cadre de ceux déjà envisagés pour le projet du Grand Paris, le surcoût est limité, puisque la majeure partie des travaux aurait de toute façon été réalisée. Il en est de même pour l’accueil des pavillons ou des visiteurs, puisque seraient mis à leur disposition des monuments ou édifices existants.
Bien qu’il soit trop tôt pour évaluer le coût d’une exposition universelle réalisée selon ce schéma, des étudiants ont également commencé à travailler en ce sens : l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe) élabore actuellement un « business model », qui permettra de proposer un chiffrage. Toutefois, comme le fait remarquer M. Christian de Boissieu, membre du Cercle des économistes, « celui-ci ne pourra intervenir trop vite tant que le projet n’est pas explicité. Le résultat d’une analyse coûts/avantages dépend en grande partie du taux d’actualisation ».
En matière de financement, l’organisation de l’opération sans solliciter le contribuable serait en soi une source d’innovation.
b. Des modalités de financement nouvelles
i. L’impératif d’un bouclage financier innovant
La réflexion doit porter sur un financement innovant. « Dans un contexte de réduction des budgets nationaux et locaux, la crédibilité de notre candidature dépendra, quelle que soit la majorité, de son bouclage financier », a souligné M. Christian de Boissieu : « les partenariats public-privé (PPP) n’ont pas toujours produit les effets attendus (58). À mon sens, la France et l’Europe bénéficieront encore pendant quelques années d’une épargne privée importante. Selon l’INSEE, le taux d’épargne des ménages se situe à 15,9 %. Parce que le chômage et le risque retraite se dissipent lentement, ce taux ne se réduira pas dans les quatre prochaines années. Reste à savoir comment drainer une quantité d’épargne plus importante vers le long terme, le développement durable, particulièrement la prise en compte du changement climatique, que les banques, tenues par de nouvelles réglementations prudentielles, vont répugner à prendre en charge.
En septembre 2008, après la faillite de la banque Lehman Brothers, j’ai regretté dans « Les Échos » que l’Europe sous-utilise la Banque européenne d’investissement (BEI), qui finance le long terme, les infrastructures et les PME. Sous l’impulsion française – en particulier celle du Président Hollande –, les Européens ont augmenté son capital de 10 milliards, ce qui lui permet de prêter 60 milliards de plus. La presse annonce ce matin que la France et l’Allemagne pourraient aller plus loin. Il va de soi que la BEI ne financera pas l’Exposition universelle de Paris, mais elle pourra aider, à la marge, à réaliser le bouclage ».
ii. Le financement participatif
Au XIXe siècle, les expositions étaient financées grâce à une souscription populaire, par l’épargne privée. Les bons offraient, en plus de l’accès aux sites, un retour sur investissements par un système de coupons.
Pourquoi ne pas inventer un système de financement original, dans lequel les Parisiens, les habitants de la métropole, voire le reste du monde auraient la possibilité d’intervenir ? La contrainte financière peut se transformer en atout via le financement participatif (ou « crowfunding »), en appelant nos concitoyens à investir directement dans l’avenir de leur territoire.
« J’ai travaillé sur le crowdfunding, a indiqué M. Christian de Boissieu, puisque je siège au collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF). En France, ce mode de financement se développe rapidement – il n’est pas difficile, quand on part de zéro, d’avoir un taux de croissance élevé –, mais il reste moins répandu qu’aux États-Unis. Je pense, en tant de régulateur, qu’il continuera à se développer grâce à internet et en raison de son caractère décentralisé, mais qu’il faut tout faire pour le protéger d’un accident, qui détruirait durablement la confiance. C’est ce à quoi s’emploie l’AMF ». Pour intéressante qu’elle soit, cette formule rencontrera donc ses limites : « Le crowdfunding ne permettra de collecter que des sommes modestes, qui couvriront peut-être la préparation de la candidature, mais non le financement des infrastructures ».
iii. Le recours à l’emprunt obligataire
Un emprunt obligataire pourrait être envisagé, comme l’a proposé M. Jean-Hervé Lorenzi : « Contrairement à ce qu’on entend dire partout, il y a de l’argent en Europe. Jean-Claude Juncker gère un budget de 300 milliards. Le principal problème est l’aversion des épargnants pour le risque. La difficulté sera donc de trouver une garantie, à moins qu’on ne préfère parler, comme les banquiers, de hors-bilan ou, comme Jacques Delors, de « project bonds ». L’Europe devra garantir l’argent privé. Je rappelle que le programme nucléaire français a été financé à 100 % par de l’argent privé garanti par l’État français. L’exposition universelle pourra être organisée grâce à de l’épargne privée, qui se portera vers des obligations privées, mais le dispositif devra être garanti au moins partiellement à l’échelon français ou européen.
C’est sur le partage du risque que devront porter les nouvelles méthodes de financement, sans lesquelles des sociétés inquiètes et vieillissantes comme l’Allemagne et la France ne s’engageront pas. Si la France émet un emprunt obligataire de plusieurs milliards, nos concitoyens auront envie d’y participer, s’ils sont assurés d’être remboursés.
Quand on aura constaté le ralentissement de l’économie européenne, qui se produira nécessairement, y compris outre-Rhin, le débat sur l’investissement sera relancé. Autant dire que le risque et la garantie seront au cœur des débats des dix prochaines années...
Pour le montage financier – je parle des 20 milliards, non du financement de la pré-candidature –, évitons de refaire la même erreur que pour l’ «emprunt Giscard », qui était indexé sur l’or. On peut considérer que la moitié des infrastructures figure dans des projets déjà prévus, et que l’autre moitié peut être financée par une émission obligataire assortie d’une garantie. L’emprunt d’État, formule qui a toujours séduit les Français, peut intéresser 65 millions de personnes, qui, fort heureusement, n’ont pas encore quitté leur pays ».
Le triptyque épargne-confiance-investissement doit être au centre de nos préoccupations, en mettant l’accent sur les infrastructures déjà prévues à l’organisation de l’exposition universelle : comment l’a souligné le président de la mission, « c’est parce que ses effets sont visibles que tout emprunt obligataire émis par une région est rapidement couvert par l’épargne locale ».
M. Christian de Boissieu est également favorable à un emprunt obligataire : « Une exposition universelle bénéficiera d’un soutien populaire, si elle est nationale et non exclusivement parisienne. Dans ce cas, une émission obligataire sera un succès, indépendamment de la question du taux d’intérêt ou de la fiscalité. Sur le plan fiscal, on doit agir avec prudence : il faut stabiliser les anticipations sans compliquer le système ou multiplier les cadeaux, ce qui suppose de trouver le bon dosage.
On peut mobiliser l’opinion si on lui explique ce qu’on veut faire. Le plus souvent, on parle trop peu de ses objectifs et trop des moyens de les atteindre. C’est ce qui s’était passé lors du débat sur le traité de Maastricht. Une émission obligataire rencontrera le succès si l’opération est transparente et si elle ne contient aucun piège ».
iv. La contribution des entreprises
Par ailleurs, les entreprises pourront apporter leur contribution – y compris financière – à l’exposition universelle, comme cela a été le cas à Shanghai pour le pavillon français et pour celui de l’Ile-de France. Comme l’a souligné M. José Frèches, « nous sommes quand même parvenus à lever plus de 5 millions d’euros, dont 4,5 millions auprès de LVMH, Lafarge et Sanofi » ; M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Île-de-France , a précisé que, pour ce dernier, environ 25 % du budget total avait été constitué par les partenariats noués entre l’association, les entreprises et les collectivités territoriales. Il faudra donc suivre cette voie, tout en montant en puissance. Toutefois, la mission en a été prévenue par M. José Frèches, il ne faut pas être trop tributaire des entreprises, afin de conserver la maitrise de la scénographie ; d’ailleurs, les sponsors n’ont pas le droit d’utiliser le pavillon national afin de faire leur publicité. Il y aura donc un équilibre à trouver, avec un cahier des charges précis et rigoureux.
D’ores et déjà, l’association ExpoFrance2025, à la suite du lancement officiel du projet en avril 2013, a cherché des partenaires qui apportent des financements et qui s’engagent sur une durée de 12 ans, avec une visibilité encore limitée ; les 15 grands groupes ayant adhéré au projet dès la première année se sont engagés sur 3 ans, dans la perspective d’une deuxième, puis d’une troisième étape. Ainsi que l’a estimé M. Gislain Gomart, les raisons qui ont amené ces entreprises à se lancer « c’est l’envie d’un projet collectif… qui redonne un élan économique au pays, attire les touristes, qui redonne une image positive à notre pays et offre à notre jeunesse un perspective un peu plus heureuse que celle à laquelle elle est trop souvent confrontée… Ainsi, en dépit d’un contexte économique difficile, de grands chefs d’entreprise, des directeurs de la communication, des directeurs de la stratégie ont pris l’initiative de nous accompagner financièrement dans l’élaboration et la réflexion du projet ».
M. Noël de Saint Pulgent a également conseillé à la mission un appel au mécénat, en comparant avec l’organisation de la Coupe du monde de football : « sachant que, dans le meilleur des cas, l’évènement permettra seulement de payer l’organisation, et non de rembourser les équipements réalisés, une politique intelligente consistera à faire appel au mécénat. Ce ne fut pas simple en 1998, mais aujourd’hui les grandes entreprises sont prêtes à se lancer ».
Opinion que confirment le MEDEF et la CGPME : selon M. Roux de Bézieux, « Le crowdfunding se développe parfois sans but lucratif. My Major Company (MMC), fondée par Jean-Jacques Goldman, finance des projets par des dons qui n’appellent pas de retour matériel. Bien que son impact soit moins important que celui du sponsoring d’entreprise, le procédé est intéressant. Sans modifier la fiscalité, on peut mobiliser des dizaines de milliers de Français, qui s’approprieraient tel bâtiment ou telle partie de l’exposition universelle. Ce projet s’adressant à un moins grand public que les jeux Olympiques, qui bénéficient du support des images télévisées, il faut jouer sur des ressorts spécifiques ».
Et Mme Céline Micouin d’ajouter : « Il existe, à côté du mécénat financier, un mécénat de compétences, mal connu des TPE ou des PME, sur lequel on peut améliorer l’information. Les PME qui s’intéressent au mécénat espèrent, à l’échelle territoriale, un retour sur investissement. Je crains que la mobilisation ne plus soit difficile si le projet demeure national, sans associer les élus locaux ou les acteurs du secteur économique et associatif ».
M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME lui fait écho : « beaucoup d’entreprises participent à des actions de mécénat, même pour un montant très faible, par exemple en vue de rénover la statue d’un village. On peut sans doute mieux valoriser ces initiatives ».
Par ailleurs, l’exposition ayant pour objectif d’accueillir le monde entier, « la France investira, certes, mais les étrangers eux-mêmes contribueront à cet investissement économique, administratif et technique. L’exposition universelle doit être pour la France l’occasion… d’inviter les exposants à montrer au monde entier ce qu’ils savent faire ».
Le mécénat de compétences
« Le mécénat a évolué. Au-delà du traditionnel don financier, d’autres formes de soutien émergent. Prêt de main d’œuvre, mise à disposition de services… difficile de compter aujourd’hui sans le mécénat de compétences. Une démarche d’autant plus séduisante pour les entreprises qu’elle bénéficie des mêmes avantages fiscaux que ceux appliqués aux contributions en numéraire… avec quelques particularités.
Banal ? Justement, non. Le mécénat de compétences connaît un véritable engouement en France. Avec lui, les entreprises y voient l’occasion d’affirmer leur identité, d’impliquer leurs collaborateurs dans des actions citoyennes… au profit de fondations ou d’associations. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas là de bénévolat mais bien de mécénat. Si l’entreprise délègue gracieusement du personnel (volontaire) pendant leur propre temps de travail, ce transfert implique nécessairement un coût pour le mécène. Même en l’absence de flux financiers, cette contribution peut être comptabilisée et défiscalisée ».
Source : www.fondationdefrance.org
TROISIÈME PARTIE : UNE EXPOSITION ADAPTÉE
AUX VISITEURS DU XXIE SIÈCLE
Selon M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du BIE, la faisabilité d’un projet d’exposition universelle à Paris en 2025 ne va pas de soi : « Nous ne sommes plus en 1900, moins encore en 1855 […] et le projet est d’autant plus complexe qu’il devrait s’inscrire dans la dynamique du Grand Paris ».
Ces deux constats sont revenus d’une manière ou d’une autre dans la plupart des auditions de la mission : d’une part, il est inenvisageable de reproduire les manifestations du passé – quand bien même cela serait souhaitable, cela n’est plus possible – et d’autre part, une exposition à Paris en 2025 n’a de sens qu’au niveau du Grand Paris, dont elle pourrait être la consécration.
Comme l’a indiqué M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve, « il ne s’agit plus, comme ce fut le cas dans nombre d’expositions passées, de conquérir de nouveaux espaces. Dans un monde fini, il faut au contraire réhabiliter et revisiter, pour faire surgir la singularité de lieux et de modes de vie ». En d’autres termes, l’enjeu ne consiste pas seulement à nous déprendre des modèles parisiens d’il y a un siècle et plus, mais également de celui d’expositions plus récentes qui se sont tenues dans des villes en plein réaménagement et qui autorisaient le déploiement de vastes chantiers sur des centaines d’hectares disponibles.
Bien entendu, il ne s’agit pas de croire que tout est réinventer, ne serait-ce que parce que certaines problématiques demeurent d’une exposition à l’autre : ainsi en va-t-il notamment, eu égard au nombre de visiteurs attendus, des questions d’accueil, d’hébergement et de transport.
Ce faisant, la réponse à ces enjeux « logistiques » passe par des solutions alternatives en matière d’organisation, dont les conséquences doivent être analysées, et qui s’appuient sur le polycentrisme, le numérique, ainsi qu’une architecture aux contours repensés.
I. ACCUEILLIR LE MONDE DANS LES MEILLEURES CONDITIONS
A. LES ENJEUX QUANTITATIFS ET QUALITATIFS DE L’ACCUEIL
Selon M. Vicente Gonzales Loscertales, « le succès d’une exposition dépend également de l’attractivité de la ville d’accueil », de sorte que si celle-ci se tient à Paris en 2025, « les gens visiteront d’abord la ville avant de se rendre à l’exposition ». Le secrétaire général du BIE note que ce fut le cas à Séville, en 1992, pour les 41 millions de visiteurs, dont 18 millions d’étrangers et que le relatif échec de l’Exposition de Hanovre, en 2000, a surement un lien avec le manque d’attractivité touristique de la ville. Les conditions d’accueil revêtent en conséquence une importance toute particulière. Notre pays a-t-il la capacité et la volonté de recevoir ainsi pendant six mois des dizaines de millions de visiteurs supplémentaires dans de bonnes conditions ?
1. Splendeurs et misères de l’accueil en France et à Paris
Forts de notre position de première destination touristique mondiale nous disposons assurément d’une tradition d’accueil qui constitue pour notre pays un atout majeur. Cela ne nous dispense pas de nous interroger sur les limites qualitatives et quantitatives de l’accueil des touristes en France, tel qu’il est perçu et tel qu’il se pratique.
a. L’attractivité touristique française
Le sénateur Luc Carvounas a rappelé lors de son audition, en s’appuyant sur le rapport qu’il a publié en octobre 2013 avec deux de ses collègues (59), combien l’industrie du tourisme, formidable levier de croissance et de création d’emplois, constituait un atout majeur pour notre économie. Comme l’a rappelé également M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France, opérateur national en charge du développement et de la promotion du tourisme, le potentiel de la France est évidemment très important en la matière.
Notre pays se classe en effet en tête du classement mondial s’agissant du nombre de visiteurs étrangers qui s’y rendent chaque année, avec plus de 84 millions de touristes internationaux. Ces statistiques sont pour partie discutables, dans le sens où elles pèchent peut-être par optimisme en décomptant parmi les arrivées plusieurs millions de personnes qui ne font qu’y transiter, elles ne sont pas moins établies sur la longue durée et permettent d’opérer des comparaisons internationales. Il est ainsi régulièrement observé que la France se trouve en revanche reléguée à la troisième place du classement mondial s’agissant des dépenses générées par ces mêmes touristes internationaux. En tout état de cause, notre pays dispose d’une réelle tradition d’accueil et d’infrastructures conséquentes.
L’attractivité touristique française repose d’abord sur celle de Paris et M. Jean-François Martins, adjoint au maire de Paris chargé du tourisme a insisté devant la mission sur le fait que la capitale française recevait chaque année près de 47 millions de visiteurs par an pour la métropole, 30 millions intra-muros, dont près de 16 millions de visiteurs étrangers. Toujours selon M. Martins, « Paris n’est pas seulement une destination de tourisme de loisirs. Elle est classée par l’ICCA, l’association internationale des congrès et des conventions, première ville de tourisme d’affaires au monde. Près de 40 % du tourisme parisien est drainé par les congrès, foires ou salons. À ces visiteurs s’ajoutent les personnes qui séjournent dans la capitale pour des motifs institutionnels ou diplomatiques ». Ces éléments semblent à première vue éminemment favorables à la tenue dans des conditions satisfaisantes d’un grand événement tel qu’une exposition universelle à Paris.
Ce faisant, l’observation statistique dissimule une relative stagnation du tourisme à Paris. Selon M. Pierre Simon, président de l’association Paris Île-de-France Capitale économique, « une fâcheuse stabilisation s’est produite au cours des dernières années. Un glissement s’est opéré : nous recevons beaucoup plus de touristes asiatiques mais moins d’Américains et d’Européens. Il n’y a pas d’effondrement mais pendant qu’il bondissait de manière spectaculaire à New York, le nombre de touristes étrangers est demeuré le même à Paris ».
Ce constat se trouve corroboré par la parution au printemps 2014 de plusieurs classements dans lesquels la position de Paris connait manifestement un effritement. Le classement des villes les plus attractives, réalisé par le site TripAdvisor, uniquement sur la base des avis des internautes, fait ainsi apparaître un net recul de Paris, de la première à la septième place. Par ailleurs, dans l’enquête, plus conséquente, du cabinet PricewaterhouseCoopers, publiée en mai dernier, sur les villes globalement les plus attractives, Paris passe de la quatrième à la sixième place. Ce faisant, M. Geoffroy Schmitt, associé chez PwC, note que « le principal enjeu pour la Ville Lumière réside dans le Grand Paris. Si Paris mène à bien ce projet, la capitale pourra redevenir attractive. Sinon, elle devra être confrontée encore plus durement à une concurrence internationale qui s’intensifie. En attendant, ce projet montre la volonté de Paris de se réformer ». C’est dire l’enjeu que constitue le Grand Paris !
Une querelle de chiffres s’est fait jour au début de l’année 2014 entre Paris et Londres pour savoir laquelle des deux capitales était devenue la plus attractive sur le plan touristique. Il est à vrai dire impossible de déterminer une fois pour toutes si « Londres a détrôné Paris » (60) ou non en termes de fréquentation, les deux villes se situant à un niveau très proche l’une de l’autre. En revanche, le sentiment d’une certaine stagnation parisienne contraste avec celui du dynamisme londonien, relevé par plusieurs interlocuteurs de la mission. C’est du reste ce dynamisme qui a permis à Londres d’organiser les jeux Olympiques de 2012 dans les meilleures conditions et de conforter davantage encore son image de ville ouverte, animée et accueillante.
Dans cette logique, M. Christian Mantéi a rappelé que « les grands événements sportifs ou culturels sont indispensables au développement de toute grande destination touristique moderne : si nous voulons maintenir une offre globale, à la hauteur des attentes si diverses du public du monde entier, nous ne pouvons pas nous en passer […]. Le projet d’exposition universelle à Paris me semble donc bienvenu, voire nécessaire. Nous avons en effet identifié diverses faiblesses de notre offre touristique […] mais un grand projet permettra de mieux mobiliser toutes les énergies, publiques et privées, et d’investir pour hisser notre offre à la hauteur de ce que le public attend d’une grande métropole ».
La candidature à l’exposition universelle nous oblige ainsi à faire vraiment de la prospective et à nous interroger sur l’avenir de nos transports, de nos hébergements, de nos services, du numérique, des relations des populations locales avec les visiteurs.
b. Des appréciations contrastées sur la qualité de l’accueil
Le monde est-il aujourd’hui bienvenu en France et à Paris ? Le jugement de nos interlocuteurs permet parfois d’en douter, tant la question de l’hospitalité est fréquemment revenue dans leurs interventions :
M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure- Ulm : « Nous devons cultiver bien mieux notre hospitalité : nous ne sommes pas très polis. […] Nous devons devenir plus hospitaliers, plus courtois, plus fidèles. […] Nous ne sommes pas hospitaliers, chacun s’en rend compte dès qu’il débarque à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Sur ce point, nous devrons faire un effort considérable. Nous devrons mettre en avant l’accueil et l’hospitalité, et prouver la réalité de cette ouverture. C’est ce qui sera le plus difficile.
M. Xavier Darcos, président de l’Institut français : « Il convient d’évoquer les conditions matérielles de l’hospitalité ; pour nous autres qui voyageons toutes les semaines, le retour à Paris s’apparente à l’enfer : arriver à Roissy, c’est arriver à Kinshasa lorsque l’on vient d’un grand aéroport du monde. Y aller aussi, d’ailleurs ! Les agressions sur le trajet entre le centre de Paris et Roissy sont un sujet dont les étrangers vous parlent. »
M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France : « Si nous nous décidons, il faudra travailler sur les fondamentaux. Je pense aussi à l’accueil, sur lequel il y a énormément à faire. […] Il faut apprendre à bien recevoir, à bien gérer, à parler des langues étrangères. Le contact humain est indispensable. […] Cela doit commencer dès l’aéroport. Pour être irréprochables sur tous ces points, nous devrons consentir des efforts considérables. »
M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve : « Nous devrons aussi garder en tête les clichés qui circulent sur les Français ; en particulier, on dit souvent que notre accueil laisse à désirer. J’espère que ce sera une priorité; en la matière, l’exposition devrait d’ailleurs être conçue comme un point d’orgue plutôt que comme un point de départ. »
M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile : « Les Français sont tellement critiqués sur le thème de l’hospitalité, parfois à raison, mais parfois aussi à tort. En ce qui nous concerne, nous y faisons très attention. […]Au Mondial de l’automobile, tous les documents à destination des médias sont disponibles en cinq langues – français, anglais, allemand, espagnol et italien. Tous nos hôtes et hôtesses sont au moins bilingues. Nous avons créé un plan de poche, qui est diffusé gratuitement à tous les visiteurs. J’attache aussi une grande importance à la signalisation. C’est peut-être un détail, mais cela fait partie de l’accueil ; je suis donc toujours étonné que certains de mes homologues la négligent. »
M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts-de-Seine : « Il faut donc, très tôt, engager la transformation, indispensable en tous les cas mais que l’exposition universelle accélérera, visant à accueillir les visiteurs convenablement. »
Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist a eu néanmoins la délicatesse de réconforter les membres de la mission : « La France n’a pas l’image d’un pays hospitalier, mais l’accueil à l’aéroport de Roissy ou le service désagréable dans les restaurants font partie de son charme » !
Sur le ton de la plaisanterie, l’historien britannique Theodore Zeldin, compatriote de Mme Sophie Pedder, écrivait déjà que les Français avaient raison de s’estimer incompris dès lors que « les étrangers adorent la France en tant que pays mais pas les Français en tant que peuple (61) ». Autant dire que la réputation qui nous est faite en matière d’accueil et d’hospitalité, à défaut d’être toujours méritée, demeure solidement ancrée. Il ne s’agit pas cependant d’exagérer sa portée rédhibitoire, d’autant que nous avons de réelles raisons d’espérer.
Lors de son discours de clôture des Assises du tourisme, le 19 juin dernier, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, a indéniablement pris la mesure de l’enjeu que constituait un accueil de qualité, tant en termes de perception que de réalité :
« Il en va avec les pays comme avec les individus : c’est le premier contact qui est souvent déterminant. L’attractivité se joue d’abord dans les aéroports, dans les gares, dans les restaurants et dans les hôtels. Nous devons améliorer “la chaîne de l’accueil”, notamment à Paris, puisque notre capitale est une destination-phare, par où commencent beaucoup des déplacements en France ou vers la France. […] Cela demande des décisions : j’en ai cité une trentaine, certaines attendues depuis longtemps, d’autres plus nouvelles. Cela demande aussi un état d’esprit, des professionnels bien sûr, mais aussi de l’ensemble des Français : nous devons convaincre de la place centrale du tourisme dans notre économie et notre société. Nous devons conforter cette place en soulignant l’intérêt des métiers de la filière, métier qu’on n’exerce pas sans passion. Nous devons expliquer que les “services” ne sont nullement, quelle que soit leur étymologie latine, une “servilité”, voire une “servitude”, mais au contraire une “serviabilité”, un enrichissement. Nous devons valoriser l’ouverture aux autres, l’accueil, l’hospitalité, car c’est ainsi que nous serons dignes du rang auquel nous aspirons. »
Les mesures annoncées lors ces assises (62), le fait même que ce soit le ministre des affaires étrangères qui les porte et qui en assure le suivi au sein d’un conseil de la promotion du tourisme directement placé sous son autorité illustrent clairement la volonté de faire de cette question une priorité gouvernementale.
Ajoutons enfin que le succès d’une telle politique est indissociable d’une prise de conscience au sein de l’ensemble du corps social. Cela passe par une meilleure maîtrise des langues étrangères et surtout par la capacité de chacun à être un bon ambassadeur de son pays en se sentant pleinement associé à cette dynamique positive. Dans la langue française, le terme « hôte » désigne à la fois la personne qui offre l’hospitalité et la personne invitée : voilà un bon point de départ pour une réflexion qui devra impérativement porter ses fruits dans dix ans !
2. Les conséquences liées à l’accueil de dizaines de millions de visiteurs
Une exposition universelle réussie implique que pendant six mois, des dizaines de millions de visiteurs supplémentaires afflueront vers Paris. Combien seront-ils ? Quels sont les enjeux propres à une telle manifestation, qu’il reviendra impérativement de prendre en considération afin d’optimiser leur accueil sur place ?
a. La difficile estimation du nombre et de la nature des visiteurs attendus
Organiser une exposition à Paris revient à résoudre une équation difficile, à savoir comment faire face à un afflux de dizaines de millions de visiteurs supplémentaires pendant six mois, dans un territoire déjà relativement engorgé, sans causer de désagrément à la population d’accueil. Pour ce faire, il est indispensable, au préalable, d’évaluer quantitativement et qualitativement le public attendu. Si l’évaluation quantitative est par définition très complexe à dix années de l’échéance supposée, il est plus aisé d’identifier les grandes composantes de ce public et ce que seront vraisemblablement ses exigences sur place, nonobstant les questions d’hébergement et de transport traitées ultérieurement.
M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope, a opportunément rappelé que l’événement était « inédit par sa puissance populaire. Nous connaissons peu d’exemple de manifestation qui réunisse des dizaines de millions de personnes tout en constituant un exceptionnel rendez-vous des nations. Même les jeux Olympiques, seul événement à pouvoir soutenir la comparaison, rassemblent moins de monde sur une période beaucoup plus brève. En 2012, 7 millions de spectateurs ont ainsi participé aux JO d’été de Londres durant deux semaines. […] La puissance populaire, la modernité, et la forte concentration dans le temps et dans l’espace constituent en quelque sorte l’ADN des expositions universelles. Ces trois éléments sont constitutifs des deux rendez-vous “mythiques” et des immenses succès que furent Paris en 1900 et Shanghai en 2010, chacun ouvrant et préfigurant son siècle ».
S’agissant du nombre total de visiteurs attendus, les estimations avancées par les interlocuteurs de la mission ont toutes été assorties de réserves bien compréhensibles. Il semble à première vue difficile, voire impossible, de pouvoir atteindre ou dépasser le record de Shanghai, mais plusieurs s’accordent à penser qu’une fréquentation de l’ordre de 50 millions de personnes n’est pas hors de portée. À cet effet, M. Dominique Hummel s’est livré devant la mission à un exposé très convaincant :
« Permettez-moi de vous proposer une évaluation du nombre de visiteurs potentiels d’une exposition universelle en France. Si 25 à 30 % des Français sont susceptibles d’être intéressés, elle pourrait recevoir 15 à 20 millions de nationaux pour une ou plusieurs visites, auxquels il faut ajouter les touristes. Paris en accueille d’ores et déjà 30 millions par an. Si l’on accepte l’hypothèse, fondée sur les exemples passés, que l’événement provoquerait une augmentation de 20 % à 30 % de ce flux, et qu’environ la moitié se rendrait à l’exposition, nous pourrions en compter environ 20 millions comme visiteurs potentiels de l’exposition universelle. Personne ne peut s’engager sur un chiffre, mais il est en conséquence possible que ce rendez-vous rassemble 40 à 50 millions de visiteurs. »
Rien n’interdit d’être plus ambitieux, bien au contraire, mais il faut avoir conscience qu’atteindre ce résultat constituerait déjà un succès considérable. Ainsi, pour l’Exposition de 2015, qui se tiendra à Milan, les organisateurs affichent-ils un objectif de 25 millions de visiteurs. Gardons également à l’esprit que rien n’est pire qu’une promesse non tenue, à l’image de l’Exposition de 2000 qui n’a pas atteint son objectif de 40 millions de visiteurs, ce qui a été considéré comme un échec alors même que faire venir 19 millions de visiteurs à Hanovre relevait plutôt de la prouesse, comme l’a noté M. Vicente Gonzales Loscertales ! Il n’en demeure pas moins que l’on attendra probablement davantage de Paris…
S’agissant des catégories de visiteurs attendus, M. Bernard Testu ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE, a rappelé leur grande diversité : « Parmi ce grand nombre, chaque public – groupes scolaires, familles, comités d’entreprise, touristes – doit trouver un intérêt. Ne sous-estimons pas la clientèle internationale de ces événements : certaines personnes, parfois de condition modeste, se rendent à chaque exposition universelle ! ». Mentionnons également la présence prévisible de nombreuses délégations officielles et d’invités devant faire l’objet d’un traitement spécifique : chefs d’États et de gouvernements étrangers, personnalités du monde économique, scientifique et culturel, ou encore journalistes.
Il convient de s’arrêter un instant sur la part relative des visiteurs étrangers et des visiteurs français qui peuvent être attendus. Selon M. Dominique Hummel, « il faut se souvenir que, malgré leur nom, les expositions universelles et internationales sont d’abord des événements nationaux », et de citer à l’appui de sa démonstration, le fait que les étrangers ont représenté moins de 5 % des visiteurs de l’Exposition de Shanghai, moins de 4 % de celle de Aichi, au Japon en 2005, et moins de 3 % de celle de Yeosu, en Corée du Sud en 2012. Certes, la configuration d’une exposition en Europe obéit à des conditions sensiblement différentes mais les visiteurs étrangers y sont néanmoins restés minoritaires : ils représentaient 20 % à Séville en 1992 et 12 % à Hanovre en 2000. Là réside probablement la clé du succès d’un tel événement pour notre pays en 2025, à savoir tirer profit de sa position centrale en Europe pour attirer davantage encore de visiteurs étrangers.
L’accueil des visiteurs étrangers devra faire, le cas échéant, l’objet d’une attention particulière de la part des organisateurs et c’est d’abord vers eux que l’effort devra se porter. Comme l’a indiqué M. Jean-Michel Grard, « l’exposition universelle devrait accueillir de nombreux visiteurs qui viendraient en France pour la première fois. Si nous devenions une véritable porte d’entrée de l’Europe, plutôt que d’être un simple relais, les retombées économiques du tourisme seraient beaucoup plus importantes ». Encore faut-il que l’accueil qui leur sera réservé corresponde à leurs attentes.
b. Le syndrome de la file d’attente
Lors de son intervention devant la mission, M. Dominique Hummel s’est très clairement interrogé sur le fait que le modèle classique des expositions, soit la concentration de l’ensemble des visiteurs sur un site unique, aussi vaste soit-il, puisse être encore opérant en 2025 :
« Lors de ma première visite à l’Expo de Shanghai à titre privé, je n’ai pu entrer que dans un seul pavillon après onze heures d’attente. L’armée chinoise gérait les flux de visiteurs et assurait la sécurité du site auquel étaient affectés 50 000 à 100 000 militaires. J’ai assisté à des débordements et à des agressions inévitables dans ce type de situation. Ce modèle me paraît d’ores et déjà dépassé ; il sera en tout état de cause impossible de le reproduire en 2025. Ce qui était envisageable à Paris en 1900, et même en Chine il y a quelques années, ne le sera plus dans dix ans dans notre pays. Les attentes et le niveau d’exigence des visiteurs évoluent ainsi que ce qui leur paraît acceptable. Comment expliquer au client qui aura payé quarante euros pour entrer à l’Exposition universelle de Milan en 2015, que, comme les visiteurs de Shanghai, il ne visitera que deux ou trois pavillons ? Il faudra pouvoir justifier un tel prix. Car provoquer un haut niveau d’insatisfaction, c’est courir le risque de provoquer un bouche à oreille négatif. »
L’exposé de M. Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, institution qui gère plusieurs sites parisiens faisant l’objet d’une forte fréquentation, tels que l’Arc de Triomphe, le Panthéon, les tours de Notre-Dame, la Sainte-Chapelle et la Conciergerie, a également retenu toute l’attention de la mission, en ce qui concerne le niveau d’exigence du public étranger – a fortiori également, si ce n’est davantage, du public français – en matière d’accueil :
« Nous constatons quasi quotidiennement la modification des comportements des visiteurs de nos monuments. Nous sommes en particulier exposés à des critiques relatives aux monuments parisiens à forte fréquentation étrangère. Le public asiatique trouve ainsi les ouvertures des monuments trop tardives. Les Chinois souhaiteraient pouvoir monter sur l’Arc de Triomphe dès sept heures du matin : devoir attendre neuf heures et demie complique la gestion de l’emploi du temps de journées qu’ils conçoivent comme très remplies. […] la question des horaires d’ouverture des monuments se posera de manière accrue dans le cadre d’une exposition universelle, ne serait-ce que pour réguler les flux.
« Les visiteurs sont également de plus en plus exigeants en matière de services annexes : l’offre de restauration, l’offre commerciale, les toilettes, les espaces à langer, l’existence éventuelle d’une nursery ou d’une crèche, tous secteurs dans lesquels la France est très en retard. […]
« Les visiteurs sont par ailleurs de plus en plus sensibles à la liberté d’aller et de venir. S’ils apprécient toujours une visite guidée de qualité, ils ont aussi une grande appétence pour l’autonomie et ne supportent plus de ne pas pouvoir déambuler librement tout en bénéficiant d’explications sur leur smartphone.
« Enfin, la concurrence entre les activités culturelles et de loisirs est devenue considérable et touche le public tant français qu’étranger. Cet enjeu est colossal dans l’hypothèse d’une individualisation du tourisme chinois. […] Le public arbitre entre des offres très variées. »
Ces préoccupations sont à rapprocher de celles du président-directeur du Musée du Louvre, M. Jean-Luc Martinez, et du directeur général de la société d’exploitation de la tour Eiffel, M. Éric Spitz, qui sont venus évoquer devant la mission les conditions d’exploitation de leurs deux monuments particulièrement emblématiques : malgré de nombreux efforts, il semble inévitable de rencontrer un seuil de saturation à un moment donné. M. Spitz a particulièrement bien résumé la problématique à laquelle tout organisateur d’une manifestation d’ampleur et de flux particulièrement élevés de visiteurs doit faire face :
« Pour accueillir du public, il faut de l’espace et des infrastructures. N’oublions pas que ceux qui ont attendu dans les files d’attente pendant une heure commencent par se rendre aux toilettes ! Les visiteurs se déplacent sans doute pour le prestige d’un lieu, mais il faut que l’intendance suive. Peut-être vous paraît-il étrange que j’insiste sur les sanitaires, mais tout ce qui participe à l’accueil et au confort des visiteurs joue un rôle majeur. […] Il ne suffit pas de disposer de monuments magnifiques et d’un passé historique incomparable ; il faut que tout soit réfléchi et parfait jusqu’au dernier bouton de guêtre pour offrir une expérience complète de qualité car c’est un ensemble que jugeront les visiteurs. »
Accueillir une exposition à Paris amène au demeurant à s’interroger sur la possible saturation, non seulement du site même de la manifestation, mais également de l’ensemble des sites de la capitale. M. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, a du reste reconnu que le développement de Paris intra-muros était aujourd’hui parvenu à maturité : « Il est clair qu’aujourd’hui l’attractivité touristique du cœur de la capitale ne pose plus guère de problème : ce qui est en jeu, c’est l’attractivité touristique de la métropole. Nous sommes convaincus que l’Exposition universelle de 2025 s’inscrira naturellement dans le cadre du Grand Paris ».
Nonobstant l’interrogation sur les avantages et les inconvénients du polycentrisme, qui font l’objet de développements ultérieurs dans le présent rapport, il apparaît ainsi inenvisageable d’accueillir les visiteurs dans des conditions raisonnables sur un site unique.
c. Les volontaires, relais d’un accueil réussi
L’organisation d’une manifestation d’ampleur suppose également le déploiement pour l’accueil des visiteurs d’importants moyens humains. M. Jacques Lambert dispose d’une importante expérience en la matière, ayant pris part à l’organisation des Jeux d’Albertville en 1992 et de la Coupe du monde de football en 1998 et préparant activement l’Euro 2016 de football, pour lequel il estime qu’entre 5 000 et 6 000 bénévoles devront être associés : « En ce qui concerne l’accueil proprement dit, nous parvenons à mobiliser des personnes, jeunes et moins jeunes, suffisamment motivées et disponibles pour composer un personnel actif de qualité. Nous avions recruté 12 000 bénévoles pour France 1998 et 8 000 bénévoles pour la Coupe du Monde de rugby de 2007, et je n’ai aucune inquiétude pour l’Euro 2016. »
Il est par ailleurs revenu sur le dispositif mis en œuvre à Londres à l’occasion des derniers jeux Olympiques : « Pas moins de 70 000 volontaires étaient disséminés dans la ville de Londres avec un seul but, offrir aux spectateurs des Jeux un séjour agréable. Cette mobilisation m’a beaucoup impressionné. En France, sur ce point, nous avons de sérieux progrès à faire. »
La dimension d’une exposition universelle surpassant de loin celle de ces grands événements, tant par sa durée que par l’importance du public attendu, l’association des populations d’accueil s’avérera indispensable et nécessitera la mise en place d’un large réseau de volontaires.
M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de Shanghai, a fortement marqué les esprits lorsqu’il a évoqué devant la mission ce que fut la contribution du peuple chinois en 2010 :
« Concernant la participation du peuple, les Chinois sont très patriotes et c’était une exposition attendue depuis au moins cent ans ! Des campagnes de sensibilisation étaient organisées chaque jour. De manière directe ou indirecte, tout le monde était impliqué. À l’acmé de l’exposition, un million de volontaires, notamment de nombreux étudiants, étaient mobilisés, dans les quartiers, les aéroports. Les citoyens ont été sollicités pour donner leur opinion et apporter leurs suggestions vis-à-vis de l’exposition. Une campagne d’éducation, une campagne sur “l’étiquette”, la politesse, mais également les connaissances géographiques ainsi que les relations extérieures, a également été lancée. […] Les campagnes d’éducation sont importantes. La mobilisation ne peut se faire que sur un plan moral, c’est comme cela que les citoyens se sentent maîtres du jeu, il est difficile de les impliquer sur un plan technique. Pendant six mois, tout le monde a été mobilisé, notamment les familles pour l’accueil des visiteurs. Voilà pour l’aspect partage ! »
Sans prétendre vouloir rivaliser avec un tel niveau de mobilisation, cette question devra être traitée très en amont, afin de sensibiliser les Français et de s’assurer qu’ils répondront présents le moment venu.
M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France, a d’ailleurs également insisté sur ce point : « Il faudra mettre en place un réseau de bénévoles. Celui-ci devra irriguer tout le territoire, car tout le monde ne sera pas logé dans Paris : il y aura des hébergements en première, en deuxième couronne. […] Ces greeters – des volontaires, retraités par exemple, qui accueillent les visiteurs sur leur territoire, avec le sourire, parce qu’ils aiment partager leur amour pour leur région – devront être valorisés. »
Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique, a évoqué pour sa part la notion américaine de « Citizen diplomacy », qualifiant la participation des citoyens à l’effort national d’accueil, et n’y a trouvé que des aspects positifs.
Cet engagement de l’ensemble des Français vers un but commun doit donc être vu comme une chance, et non comme une contrainte, de sorte que nous avons tout à y gagner si nous savons bien nous y prendre. En nous mettant au service des visiteurs que nous accueillerons, nous partagerons également nos expériences propres entre nous. Regarder tous ensemble dans la même direction nous permettrait de renouer avec cette dimension fraternelle des expositions qui a contribué par le passé au succès de celles que nous avons organisées.
Il ne suffit pas d’accueillir convenablement les visiteurs à l’entrée de l’exposition, encore faut-il être également en mesure de leur offrir des conditions d’hébergement convenables. En se fondant sur une base de 50 millions de visiteurs en 6 mois et en opérant le décompte des visiteurs de proximité, pouvant se loger chez eux, on peut raisonnablement estimer la cible à environ 200 000 personnes par jour, auxquelles il est nécessaire d’ajouter, selon M. Bernard Testu, le logement de 15 000 exposants au sein d’un « village » spécialement dédié. Là encore, il convient de s’interroger sur notre capacité à faire face à cette demande, étant entendu qu’une inadéquation entre l’offre et la demande ne se résout que par deux moyens : le prix ou la pénurie.
1. Une saturation de la capacité hôtelière ?
En partant de l’hypothèse que le cœur de l’exposition se situera dans le Grand Paris, il faut être en mesure d’offrir prioritairement aux visiteurs un hébergement relativement proche, qui leur permette en tout état de cause d’aller et venir sans trop de désagréments. D’ores et déjà, il apparaît que la capacité hôtelière à Paris intra-muros est aujourd’hui saturée et qu’il faut appréhender cette capacité à une échelle plus large.
a.
Le bilan de l’offre hôtelière à Paris
Paris dispose aujourd’hui, avec un peu moins de 1500 hôtels représentant plus de 80 000 chambres, de la première capacité hôtelière en Europe, comme l’a rappelé le cabinet KPMG dans son étude sur l’industrie hôtelière française en 2012 (63).
Par rapport aux autres grandes capitales européennes, Paris se distingue cependant par la structure de son parc hôtelier, dominé par des établissements d’une capacité moyenne de 55 chambres, contre 69 pour la moyenne des villes étudiées. En outre, toujours selon la même étude, l’offre dite « haut de gamme » – soit les hôtels 4 et 5 étoiles – représente « seulement » 32 % de l’offre parisienne, là où elle atteint plus du double à Barcelone, Rome, Bruxelles ou Madrid. Enfin, le taux moyen d’occupation des hôtels parisiens se situe déjà à près de 80 %, soit à un niveau comparable à celui de Londres, ce qui est révélateur d’une certaine saturation de l’offre. De surcroît, selon M. Paul Roll, directeur général de l’Office du tourisme et des congrès de Paris et président du conseil de l’Institut de recherche et d’études supérieures du tourisme (IREST) de l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne, si on enlève les dimanches et jours fériés, Paris a un taux d’occupation de 96 %. Ainsi, seule la construction de nouveaux hôtels permettrait-elle d’augmenter le nombre de séjours (64).
Lors de son audition par la mission, M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France a estimé qu’il manquait à Paris entre 15 000 et 20 000 chambres et que les marges de progression étaient relativement faibles. De fait, le développement du parc hôtelier parisien a connu une stagnation au cours des dernières années. Comme l’a expliqué M. Jean-François Martin, adjoint à la maire de Paris, chargé du tourisme, « ouvrir un hôtel à Paris est aujourd’hui une opération rentable. Notre problème est plutôt de trouver du foncier disponible pour les investisseurs privés qui se bousculent à nos portes, tout en nous assurant que les projets retenus s’insèrent dans le tissu urbain et qu’ils ne concernent pas uniquement des établissements de luxe – les plus rentables au mètre carré – mais s’adressent à toutes les catégories de touristes qu’accueille la capitale ».
Face à la relative pénurie de l’offre parisienne, le prix constitue aujourd’hui une importante variable d’ajustement et l’on constate par conséquent une croissance du prix moyen de la nuitée supérieure à l’inflation. Paris devient une ville chère pour les touristes, ce qui ne semble pas freiner la demande pour le moment. Certes, beaucoup de grands hôtels parisiens ont connu ou vont connaître prochainement des rénovations et l’on évoque régulièrement des projets d’ouverture de nouveaux palaces. Ce faisant, il faut bien avoir conscience que la capacité d’accueil de l’hôtellerie de luxe est faible : seulement 1 600 chambres, soit 2 % du parc hôtelier ! En l’absence de nouveaux projets, le phénomène de « gentrification touristique » risque en tout état de cause de s’accentuer, ce qui pose le problème de l’accueil des populations qui n’ont pas un pouvoir d’achat suffisant pour loger dans Paris.
Le constat d’une pénurie de l’offre hôtelière a été dressé devant la mission par les responsables de l’organisation du Tournoi de Roland Garros et du Mondial de l’automobile. D’une manière générale, les populations « VIP » parviennent à se loger à Paris en pré-réservant longtemps à l’avance tandis que les visiteurs ou spectateurs se rabattent pour une part non négligeable sur les hôtels de banlieue, voire de grande banlieue.
Il est donc impératif de travailler dès maintenant à combler ce déficit. D’après M. Jean-Louis Missika, la Ville de Paris, tout à fait consciente de l’enjeu, a initié sous le mandat de M. Bertrand Delanoë un plan hôtelier dont Mme Anne Hidalgo poursuit aujourd’hui la mise en œuvre. Il apparaît cependant clairement que c’est a minima au niveau de la métropole parisienne qu’il convient désormais de dresser une vision d’ensemble réaliste de l’offre hôtelière.
b. Des perspectives hôtelières « hors les murs »
Selon M. Jean-François Martins, la destination Paris n’est pas circonscrite aux limites du périphérique. Pour la première fois cette année, l’Office du tourisme et des congrès de Paris a choisi de publier des chiffres qui incluent la fréquentation des trois départements limitrophes : « Depuis Pékin, Los Angeles ou Bogota, Paris, La Défense – qui draine un important tourisme d’affaires –, Bagnolet, Montreuil, Saint-Denis, Ivry, Versailles ou Disneyland, c’est globalement la même ville ! D’où la nécessité de développer notre capacité hôtelière en petite couronne ».
D’après M. Paul Roll, la capacité hôtelière de Paris et de la petite couronne s’élevait ainsi en 2011 à 114 000 chambres. L’Île-de-France dispose par ailleurs, selon les derniers chiffres disponibles, d’une capacité hôtelière totale de près 150 000 chambres réparties sur 2 346 établissements, ce qui représente un peu moins du quart de l’ensemble de la capacité hôtelière française, qui s’élève à près de 620 000 chambres pour près de 17 000 hôtels (65). En outre, le taux de fréquentation dans l’ensemble de la région capitale s’élève à 68 %.
Comme l’a indiqué M. Pierre-Antoine Gailly, président de la Chambre de commerce et d’industrie Paris-Île-de-France, il ne faut donc pas uniquement se focaliser sur Paris intra-muros, ce qui sera au demeurant d’autant plus aisé si l’exposition ne se concentre pas sur un site unique : « Outre la région Île-de France, dans les villes situées à une heure de Paris en TGV, on trouvera d’autres capacités hôtelières – on peut d’ailleurs imaginer proposer aux visiteurs étrangers de l’exposition des forfaits associant Paris et d’autres villes ».
Gardons toutefois à l’esprit que la France, premier pays d’accueil des touristes internationaux dans le monde, et qui s’en flatte, connait une situation pour le moins paradoxale puisque nous serions selon M. Christian Mantéi la « la seule grande destination touristique au monde qui ait diminué son stock de chambres d’hôtel » !
Si cette tendance se confirme au cours de la prochaine décennie, il est à craindre que l’hôtellerie ne suffira pas, à elle seule, à absorber la croissance de fréquentation qui résulterait de l’organisation d’une exposition universelle. Les organisateurs du Tour de France ainsi que M. Jacques Lambert ont d’ailleurs fait part à la mission des difficultés qui se manifestaient également hors de Paris, s’agissant de la réservation d’hôtels en cas d’afflux massif.
En outre, M. Thierry Coltier, managing partner de Horwath HTL France, a souligné qu’il serait déraisonnable de créer des hébergements en dur pour accueillir tous les visiteurs d’une exposition universelle. Si nous devons garder à l’esprit l’impérieuse nécessité de dynamiser ce secteur, il ne faut pas non plus trop lui en demander, d’autant que l’enjeu pour l’hôtellerie française ne consiste pas uniquement à accroitre ses capacités mais aussi à moderniser son offre.
Si l’exposition ne peut justifier, à elle seule, la construction de nouveaux hôtels, elle peut néanmoins la favoriser en se greffant sur des dynamiques voisines parallèlement à l’œuvre. Sur ce point, M. Dominique Hummel a fait part à la mission de réflexions tout à fait intéressantes au sujet du couplage entre hôtellerie et parcs de loisirs, en s’appuyant sur l’expérience du Futuroscope de Poitiers, mais également sur celles de Disneyland Paris, du Puy du Fou ou du zoo de Beauval, où la tendance actuelle est à l’allongement du séjour, ce qui se traduit souvent par une offre renforcée d’hébergements à thème.
Le parc de loisirs qui se visitait autrefois en une journée est devenu un resort proposant une expérience de court séjour globale thématisée qui se vit aussi bien le jour que le soir et la nuit. Or, comme l’indique par ailleurs M. Hummel, si nous organisons l’exposition universelle, pendant six mois, la France, l’Île-de-France et Paris vont se transformer en énorme resort :
« Une exposition universelle demande en effet de raisonner en utilisant un angle d’approche très large. Il est impossible de se contenter de penser uniquement le visiteur entre son entrée et sa sortie du site ; il faut aussi prendre en compte sa soirée et sa nuit. Car la rencontre aura aussi lieu le soir, hors de l’Expo elle-même. Il faut donc l’organiser, et prévoir des lieux de rassemblement. Quant à l’hébergement et au transport, ils font partie intégrante de l’expérience globale du visiteur, et ils doivent être réfléchis comme tels. Finalement, du repas au coucher, en passant par l’esprit général de l’événement, tout devient expérience. La tendance est à l’entertainment du monde, à la mise en spectacle de nos existences, et cela ne concerne évidemment pas que les parcs de loisirs. »
Cette logique de « thématisation » devra être prise en considération dès lors qu’il s’agira d’affiner la problématique de l’hébergement et si l’hôtellerie sera bien entendue concernée au premier chef, d’autres pistes de réflexion doivent également être explorées.
2. Des voies alternatives et complémentaires à explorer
Aux côtés de l’hôtellerie, d’autres modes d’hébergement doivent être promus pour assurer l’accueil de l’ensemble des visiteurs dans de bonnes conditions, en les faisant participer à une expérience commune. Certains de ces modes d’hébergement existent déjà et il convient de les recenser pour mieux pouvoir les optimiser le moment venu, d’autres sont encore à développer.
a. L’optimisation des modes d’hébergement existants
L’offre d’hébergement touristique ne se limite pas à l’hôtellerie : résidences de tourisme, campings, villages de vacances, auberges de jeunesse et centres sportifs, meublés de tourisme et chambres d’hôtes constituent autant de voies alternatives pour l’hébergement des touristes en France, dont la capacité ne saurait être négligée. En nombre de lits marchands sur la France entière, l’hôtellerie représente ainsi moins d’un quart des capacités effectivement disponibles.
FRANCE MÉTROPOLITAINE
NOMBRE D’ÉTABLISSEMENTS ET DE LITS TOURISTIQUES AU 1ER JANVIER 2013
Catégorie |
Nombre d’établissements |
Nombre de lits | |
(en millions) |
(%) | ||
Hôtellerie |
17 000 |
1 238,6 |
21,5 |
Résidences de tourisme et résidences hôtelières |
2 300 |
699,4 |
12,2 |
Campings |
7 800 |
2 713,7 |
47,2 |
Villages de vacances |
1 100 |
270,3 |
4,7 |
Auberges de jeunesse, centres internationaux de séjour et centres sportifs |
300 |
32,2 |
0,6 |
Meublés classés de tourisme |
161 000 |
724,4 |
12,6 |
Chambres d’hôtes |
35 900 |
71,8 |
1,2 |
TOTAL |
225 400 |
5 750,4 |
100 |
Source : Direction générale des entreprises, Memento du Tourisme 2013.
Bien entendu, pour évaluer plus en détail le potentiel d’accueil de ces différentes structures d’hébergement, il faudrait disposer de statistiques plus fines concernant leur taux de fréquentation, tout en prenant en considération les limites inhérentes à certaines d’entre elles, eu égard notamment à leur caractère saisonnier. Leur accessibilité par le public potentiel de l’exposition devra également être évaluée au regard de la localisation géographique des établissements en question.
En ce qui concerne plus spécifiquement la région Île-de-France, la capacité d’accueil de ces différentes structures mérite également de retenir toute notre attention.
REGION ÎLE-DE-FRANCE :
NOMBRE D’ÉTABLISSEMENTS ET DE LITS TOURISTIQUES AU 1ER JANVIER 2013
Catégorie |
Nombre d’établissements |
Nombre chambres |
Hôtellerie |
2 346 |
150 077 |
Résidences de tourisme et résidences hôtelières |
185 |
50 457 |
Campings |
96 |
14 892 |
Auberges de jeunesse, centres internationaux de séjour et centres sportifs |
18 |
3 743 |
Meublés classés de tourisme |
727 |
3 272 |
TOTAL |
3 372 |
222 441 |
Source : Direction générale des entreprises, Memento du Tourisme 2013.
Là encore, ces données brutes doivent pouvoir être analysées mais il importe de retenir l’existence d’un potentiel d’hébergement marchand distinct de l’hôtellerie, qui représente d’ores et déjà un tiers de la capacité totale d’accueil dans la région capitale.
MM. Thierry Coltier et Gérard Feldzer ont, par ailleurs, fait part à la mission du fait que la région Île-de-France possédait d’importantes bases de loisirs, dont la fréquentation actuelle était minime. Ces structures pourraient être mises à contribution pour l’installation de logements éphémères.
Quoi qu’il en soit, une importante campagne de sensibilisation à la problématique de l’hébergement devra être engagée au plus tôt auprès des gestionnaires de l’ensemble de ces structures, afin d’être en mesure d’apporter aux visiteurs un vaste panel de solutions d’hébergement. Les organismes locaux du tourisme (offices communaux et intercommunaux, comités régionaux et départementaux) devront être mobilisés en conséquence dans une optique préalable de recensement, qui trouvera son prolongement lors de la tenue de la manifestation par un vaste dispositif de coordination.
Moyennant des conditions d’accès raisonnables entre les sites de l’exposition et les sites d’hébergement collectif, les collectivités concernées pourront trouver dans cette solution un moyen tout à fait intéressant d’être associées à l’événement et de bénéficier de ses retombées.
b. La voie de l’hébergement collaboratif
La montée en puissance de l’économie collaborative, telle que la décrit l’essayiste américain Jeremy Rifkin dans son dernier ouvrage récemment paru en France (66), concerne au premier chef la question de l’hébergement. Le couchsurfing, les échanges d’appartements ou la colocation constituent des phénomènes qui ont pris une ampleur nouvelle grâce à l’entremise des nouvelles technologies et l’usage des réseaux sociaux.
À cet égard, nous avons tous à l’esprit l’émergence sur le marché de la location temporaire de la plateforme communautaire AirBnb qui n’existait pas encore il y a 5 ans et qui mettrait aujourd’hui en ligne, sur le marché français, près de 100 000 annonces. D’après l’entreprise américaine, 61 000 hôtes français ont accueilli, entre août 2013 et juillet 2014, 1,4 million de voyageurs dans des logements loués par son intermédiaire.
Notons d’ailleurs que de nombreux autres sites de location de logements entre particuliers ont vu le jour depuis lors, même si leur impact sur le marché est indiscutablement de plus faible ampleur et citons pour la France les plateformes Sejourning, MorningCroissant ou Bedycasa.
Cet essor traduit un indubitable engouement auquel n’ont pas manqué de se référer plusieurs interlocuteurs de la mission dès lors qu’il était question de solutions alternatives à l’hébergement touristique traditionnel. Ce faisant, ils ont observé que le recours à de telles solutions nécessitait une double clarification.
D’une part, la location temporaire entre particuliers est accusée par les autorités publiques d’encourager un important mouvement de sous-location dans des conditions proscrites par la loi. La Ville de Paris s’inquiète légitimement devant un phénomène qui ferait perdre des surfaces d’habitation et qui entretiendrait la spéculation immobilière dans des zones déjà fortement tendues, dès lors que certains locaux d’habitation seraient détournés de leur vocation pour constituer de facto le support d’une activité commerciale. Accessoirement, les revenus générés par ces transactions échappent en grande partie à l’impôt.
D’autre part, les professionnels de l’hébergement touristique sont aujourd’hui vent debout devant des pratiques qu’ils considèrent comme de la concurrence déloyale, eux-mêmes étant soumis à des obligations contraignantes de divers ordres (normes, hygiène, sécurité, accessibilité) dont les particuliers se dispensent.
Comme l’a indiqué M. Pierre-Yves Durance, « en la matière, les attitudes sont contrastées, parfois ambiguës, voire schizophrènes ». M. Pierre-Antoine Gailly note, pour sa part, que s’il ne faut évidemment pas négliger cette piste de l’hébergement chez l’habitant, encore faut-il préalablement que « les frictions avec certaines organisations professionnelles aient été réglées ».
Les problématiques auxquelles renvoie ce nouveau phénomène sont complexes à appréhender puisqu’à l’heure actuelle, le simple recensement des pratiques demeure très approximatif. La confrontation des différentes logiques en présence est tout aussi compliquée à dénouer et en tout état de cause, tel n’est pas l’objet des travaux de la mission.
Il est cependant permis d’espérer entrevoir des solutions et une meilleure régulation de ces comportements dans les années à venir. Quoi qu’il en soit, il est évident que le recours à ces pratiques ne saurait avoir à terme pour résultat l’affaiblissement du secteur hôtelier, dont nous aurons plus que jamais besoin pour réussir à loger les visiteurs de l’exposition.
C. DE NOUVELLES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT POUR DE NOUVELLES MOBILITÉS
Les mobilités sont un facteur clé de l’exposition universelle dans le Grand Paris (annexe n° 7).
a. Une liaison actuelle déplorable
La plupart des grandes capitales européennes dispose d’une liaison directe de qualité entre leurs aéroports et leur centre-ville, qu’il s’agisse de Londres, de Stockholm ou d’Oslo. De ce point de vue, Paris accuse un retard certain. Retard dommageable au regard de l’accueil réservé aux touristes, le premier contact de ceux-ci avec le pays étant le plus souvent celui de leur arrivée à l’aéroport.
En 2013, l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle a accueilli 62 millions de passagers, celui d’Orly 28 millions. Une augmentation du trafic mondial, de l’ordre d’environ 30 %, est à prévoir à l’horizon 2023-2025.
Or les conditions de desserte de l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle sont déjà insuffisantes, tant en termes de transport routier que ferroviaire. En effet, comme l’a précisé M. Bertrand de Lacombe, directeur des affaires publiques d’Aéroports de Paris, « Actuellement, il faut reconnaître que nous ne sommes pas très bien placés dans les classements internationaux, notamment du fait d’une accessibilité qui n’est pas exceptionnelle – sans parler de jours particuliers comme celui-ci où la grève rend plus difficile encore l’accès à nos aéroports… Roissy est accessible par le RER B, qui fonctionne convenablement malgré quelques aléas, mais qui n’a pas été conçu pour accueillir des voyageurs se dirigeant vers l’aéroport. Il est alors compliqué pour les « navetteurs » domicile-travail qui l’empruntent de se heurter à des touristes transportant de grosses valises, et réciproquement. S’ajoutent à cela les difficultés d’exploitation sur cette ligne, comme nous avons pu en connaître à la mi-janvier ».
Ce projet est d’autant plus soutenu par ADP que le secteur autoroutier présente « un risque de saturation accrue » du fait de l’implantation récente près de l’aéroport d’un centre commercial, Aéroville, ainsi que du développement de deux projets, l’un le long de l’A1, Europa City, l’autre dans la zone du Bourget, qui devraient conduire à une augmentation certaine du trafic.
Mme Alexandra Locquet, responsable du projet « CDG Express » d’Aéroports de Paris, a renchéri : « près d’un tiers des véhicules circulant sur les autoroutes A1 et A3 se dirige ou vient de l’aéroport, ce qui engendre une saturation du trafic, avec des temps de trajet vers l’aéroport d’une demi-heure à deux heures. Ensuite, le RER B conçu pour desservir les territoires et donc en priorité les voyageurs du quotidien, n’est pas un mode de transport adapté aux passagers aériens. »
M. Pierre Mongin, président directeur général de la RATP, a abondé en ce sens : « Une liaison correcte entre le centre-ville et les aéroports sera tout à fait nécessaire. Nous soutenons la société en cours de constitution, avec Aéroports de Paris et SNCF Infrastructures, pour la construction du Charles-de-Gaulle Express.… il sera indispensable de le mener à bien : la situation actuelle, où le deuxième aéroport d’Europe, après ceux de Londres, est si mal desservi, ne peut pas perdurer. L’exposition universelle lancerait une dynamique forte, y compris d’ailleurs pour Orly, qu’il ne faut pas oublier ».
« Nous sommes depuis toujours très favorables à la liaison Roissy Express » a déclaré M. Jean-Louis Missika, « le seul problème est que nous souhaitons l’enfouissement des voies dans le XVIIIe arrondissement. C’est d’autant plus important que, dans le cadre de l’accord que nous avons passé avec l’État, le campus Condorcet sera installé porte de la Chapelle ».
M. Jean-Paul Huchon a également fait part de son accord : « Je n’ai pas d’état d’âme sur le sujet…. Pour ma part, je continue à penser que c’est indispensable. Je sais que, y compris dans mon assemblée, des groupes sont peu ouverts à cette question et considèrent, au fond, que l’avion n’est pas un mode de transport à favoriser. Mais en l’occurrence, on en a besoin et il faut que cela se fasse ».
Ainsi, le constat ne fait aucun doute : la desserte en transports en commun n’est pas adéquate. De ce point de vue, l’Exposition universelle 2025 représente à nos yeux une opportunité pour consolider, sécuriser un certain nombre de projets. D’où ce lien entre intérêt particulier et intérêt général.
b. Un projet – CDG Express – indispensable
Le projet « CDG Express » consiste en la construction, à l’horizon 2023, d’une ligne directe entre l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle et la capitale, ligne directe qui aura pour terminus la Gare de l’Est. Elle a pour objectif de séparer les flux de passagers aériens de ceux du RER B. Cette ligne ferroviaire sera donc quasiment exclusivement consacrée à la seule liaison directe entre l’aéroport et le centre de Paris même si sur le tracé actuellement prévu, quelques trains TER et de fret circuleront. Elle ne sera donc pas une ligne partagée.
La fréquence du trafic envisagé sur cette ligne serait importante, de cinq heures du matin à minuit, avec un départ tous les quarts d’heure, pour un temps de trajet d’environ 20 minutes.
En 2008, le projet « CDG Express » a été reconnu d’utilité publique. Aéroports de Paris (ADP) en liaison avec Réseau ferré de France (RFF) a décidé de créer une société d’études, Charles-de-Gaulle Express Études, avec pour objectif « de faire réaliser toutes les études – juridiques, financières, techniques – nécessaires à la réalisation du projet ».
Le Premier ministre a confirmé, le 13 octobre 2014, que la liaison CDG Express vers Roissy devrait entrer en fonctionnement en 2023.
Toutefois, des incertitudes demeurent encore quant au financement global du projet.
Selon les estimations de Charles-de-Gaulle Express Études les investissements relatifs à l’infrastructure sont estimés à 1 645 millions d’euros. Afin de répondre à ce besoin, Mme Alexandra Locquet, responsable « projet CDG Express » à Aéroport de Paris, a indiqué à la mission qu’« ADP et RFF apporteront une partie en fonds propres, et auraient par ailleurs recours au marché bancaire, mais aussi à la BEI et à des prêts sur fonds d’épargne. »
Il apparaît qu’au regard des études déjà menées, si l’on table sur un prix de billet passager à 24 euros au moment de la mise en service (ce qui est le prix à Londres actuellement), pour une capacité estimée à 6,5 millions de passagers, « les seules recettes de la billetterie généreront une capacité d’autofinancement relativement élevée » selon M. Bertrand de Lacombe, « même si elles ne sont pas suffisantes ».
M. Jean-Paul Huchon a rappelé « avoir proposé, au moment où ce dossier a été poussé par Antoine Veil et Philippe Essig au tout début de l’opération, de garantir un quart ou un tiers du financement pour un projet qui, à l’époque, était beaucoup plus onéreux que le projet envisagé maintenant ».
Il a, en outre, fait part sa volonté d’améliorer parallèlement la ligne B du RER : « Il est évident que cette question ne peut pas être traitée indépendamment du réseau de transports classique, et qu’il ne faudrait pas surprotéger la clientèle des aéroports par rapport aux usagers habituels. La SNCF, RFF, Aéroports de Paris et Air France réfléchissent d’ores et déjà à un système permettant de garantir davantage de sécurité et un meilleur accueil sur la ligne B. En effet, la réalisation de l’infrastructure aura lieu fatalement entre 2020 et 2023, et sera également indispensable pour l’exposition universelle.
D’ici là, il faudra essayer d’améliorer le fonctionnement du RER B. On l’a fait sur le plan des infrastructures et sur le plan du matériel – près de 550 millions d’euros sur le RER nord, avec des résultats qui ont été un peu contrariés par les effets de grèves liées à des questions d’amiante ; mais aujourd’hui, cela va plutôt mieux.
La région n’a pas prévu de participer au financement. Il se trouve en effet qu’à l’origine, un partenariat public-privé avait envisagé. Or ce PPP a échoué pour des raisons qui regardent les maîtres d’œuvre. Maintenant, une nouvelle proposition a été faite. Elle consiste à faire appel à la taxe d’aéroport et à toute une série de financements possibles ».
Il faudra donc lever au plus vite ces incertitudes pour s’assurer de la réalisation effective de ce projet, en 2023, avant la tenue de l’exposition universelle. Le sérieux de la candidature de Paris est à ce prix. En effet les conditions matérielles de la mise en œuvre de l’exposition universelle sont prises en compte lors de l’examen de la candidature par le BIE.
La réalisation d’une ligne directe entre l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle et le centre de Paris s’avère indispensable à la réussite du projet de candidature à l’exposition universelle. Il s’agit même d’un préalable.
En outre, afin de répondre aux exigences de l’augmentation du trafic, la construction d’un nouveau terminal est envisagée, au nord du terminal 2 et à l’est du terminal 1.
Comme le rappelait M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur-général d’Air France, « la date de 2025 fournit un catalyseur à tous les projets en cours de gestation ou de réalisation. Ceux d’entre eux qui concernent l’accès terrestre aux deux aéroports parisiens – CDG-Express, le Grand Paris-Express et le raccordement routier à Roissy – nous paraissent indispensables au bon déroulement de l’exposition universelle. »
Pour indispensable qu’elle soit, l’achèvement de cette infrastructure indispensable ne saurait suffire.
c. La nécessité de désenclaver Orly et Le Bourget
Une meilleure liaison aéroportuaire suppose également de désenclaver les deux autres aéroports parisiens que sont l’aéroport d’Orly, qui a connu ces dernières années une croissance très intéressante et celui du Bourget, aéroport mythique et premier aéroport d’Europe pour les vols d’affaires. Comme l’a indiqué M. Bertrand de Lacombe, « cela n’est pas beaucoup mieux au sud, puisque pour rejoindre Orly sans rupture de charge, en dehors de la voiture individuelle ou du taxi, vous n’avez que la solution du car, certes assez fiable en termes d’horaires. Les transports en commun ferroviaires impliquent effectivement une rupture de charge obligatoire, avec toutes les complications liées aux bagages.
Quant au Bourget, il existe une gare RER B, un peu méconnue, située à dix minutes de la Gare du Nord, mais à trois kilomètres environ de l’aéroport. En outre, la desserte en bus entre cette gare et l’aéroport mériterait d’être améliorée ».
Favoriser le succès de la candidature de Paris à l’Exposition universelle 2025 est donc une opportunité à saisir pour réaliser, en avance, les travaux prévus pour développer une liaison directe entre ces deux aéroports et le cœur de Paris. Actuellement, pour l’aéroport du Bourget, une gare est prévue sur la ligne 17 à l’horizon 2027, ainsi que l’a rappelé M. Bertrand de Lacombe. Quant à Orly, le prolongement de la ligne 14 devrait être réalisé d’abord jusqu’à Villejuif à échéance 2023, ensuite jusqu’à Orly à l’horizon 2027 : « pour en avoir discuté récemment avec des responsables de la Société du Grand Paris, la non-interruption des travaux en 2023 à Villejuif – dont la faisabilité technique apparaît envisageable pour peu qu’un calage financier soit établi – pourrait encore être examinée ».
Le Premier ministre a annoncé, le 13 octobre 2014, l’accélération des prolongements de la ligne 14 jusqu’aux aéroports de Roissy au nord et d’Orly au sud, ainsi que la liaison entre Orly et le plateau de Saclay au sud de Paris. L’objectif d’achèvement de ces volets du Grand Paris-Express est désormais fixé à 2024 au lieu de 2027.
Comme l’a souligné Mme Sophie Mougard, directrice générale du STIF, le réseau actuel, qui transporte quotidiennement 1,3 million de voyageurs, a su être au rendez-vous d’un certain nombre de grands événements qui ont se sont déroulés dans la région (Coupe du monde de football, Journées mondiales de la Jeunesse) et répondre aux besoins d’une clientèle touristique (Disneyland-Paris). « En même temps, il nous faudra être attentifs. Un certain nombre d’améliorations et de travaux de développement, traduits dans le Plan de mobilisation porté par M. Jean-Paul Huchon avec l’ensemble des collectivités et repris dans le cadre du nouveau Grand Paris, sont nécessaires. En effet la croissance de l’usage du réseau, dans les dernières décennies, si elle est le reflet de la performance du système de transports, a montré les limites de ce système. Nous avons notamment rencontré des difficultés liées à la vétusté de certaines installations ferroviaires. Il nous faudra donc, non seulement améliorer et moderniser le système de transports, mais le développer au travers des nouveaux projets – plus d’une soixantaine – inscrits dans le cadre du nouveau Grand Paris ».
a. Le développement du Grand Paris-Express
L’histoire des transports parisiens et celle des expositions universelles sont indissolublement liées, le meilleur exemple en étant la construction de la première ligne du métro pour l’Exposition de 1900.
Au XXIe siècle, c’est un nouveau défi qui s’ouvre à nous, non plus au cœur de Paris, mais à l’échelle du Grand Paris. L’exposition ne pourra avoir lieu que si de nouvelles infrastructures voient le jour ; en revanche, elle sera un formidable levier pour stimuler et accélérer leur développement. D’ailleurs, de tout temps, les expositions universelles ont été un réel accélérateur pour des équipements qui, de toute façon, devraient être réalisés, et sont devenus impératifs. L’Exposition de 2025 nous donnerait l’occasion de mettre en valeur nos savoir-faire en matière de transport, qu’il s’agisse de trains ou des gares ultra-modernes.
Ce nouveau réseau, dont la fréquentation, comme l’a indiqué M. Philippe Yvin, président du directoire de la Société du Grand Paris, devrait atteindre 200 000 à 300 000 voyageurs en heure de pointe et 2 millions par jour, répond à trois objectifs.
Le premier sera l’amélioration des transports de la région Île-de-France qui sera réelle en raison, non seulement de la construction de lignes nouvelles, mais aussi de la conception des nouvelles gares permettant le développement de l’intermodalité et des améliorations des interconnexions avec les bassins d’emplois de la métropole parisienne au bénéfice des habitants de la grande couronne. Le deuxième objectif sera de désenclaver les territoires en difficulté (Clichy-Montfermeil, Aulnay, Le Blanc-Mesnil…) et le troisième de soutenir le développement urbain et économique de la région.
La réalisation du métro automatique contribuera au développement durable de la métropole, en favorisant le report modal et la décongestion des réseaux existants, et en accroissant le bien-être des habitants de la métropole. Elle permettra, en outre, de lutter contre l’étalement urbain en concentrant le développement urbain autour de nouvelles gares. Elle conduira également à une meilleure connexion des territoires franciliens entre eux.
De surcroît, l’exposition universelle, ainsi que le souligne M. Pierre Messulam (67), directeur général adjoint de Transilien SNCF, aurait l’avantage d’entraîner « un surcroît de notoriété par la possibilité qui nous serait ainsi donnée de démontrer le savoir-faire de la SNCF et de la RATP dans le transport de masse ».
Dernier avantage, que souligne M. Pierre Mongin, président-directeur-général de la RATP, les nouveaux grands projets sont les bienvenus, car « les chantiers des différentes lignes de TGV sont en cours d’achèvement. C’est donc toute la filière – 340 000 emplois – qui a besoin que de nouveaux chantiers prennent le relais, et le Grand Paris est notre seul espoir. Certes, certains sont déjà lancés. Mais il faut vraiment tenir le calendrier, sinon c’est toute une filière qui risque de s’effondrer : nous perdrions énormément d’emplois, d’entreprises, et tout un savoir-faire… L’accélération du projet du Grand Paris serait donc pour tout ce secteur un élément extrêmement positif, notamment pour améliorer notre visibilité internationale » (68). Quant aux salariés de la RATP – 42 000 personnes en Île-de-France, leur implication lui paraît déjà d’ores et déjà acquise.
La feuille de route a été fixée par le gouvernement le 6 mars 2013, au terme de nombreuses discussions entre l’État et les élus : elle a arrêté le projet d’un réseau de 200 kilomètres comptant 69 gares.
Le 19 juillet 2013, le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, a complété les promesses de financement et d’investissement directement avec la région et ses partenaires, que ce soit la Société du Grand Paris, les départements ou d’autres intervenants.
Le 9 juillet 2014, le Premier ministre, M. Manuel Valls, affirmé que les engagements pris par le Gouvernement dans le cadre de la feuille de route du nouveau Grand Paris seraient tenus.
Toutefois, plusieurs défis doivent être relevés.
2025, en matière d’infrastructures, c’est demain ; il convient donc de ne pas prendre de retard.
La feuille de route prévoit que la mise en service du nouveau réseau devrait intervenir progressivement de 2020 à 2030, avec des étapes intermédiaires en 2023, 2025 et 2027 selon les parcours.
Comme l’a souligné M. Philippe Yvin (69), président du directoire de la société du Grand Paris, « pour l’instant, la feuille de route fixée par le gouvernement est respectée. Le premier tronçon, soit la ligne 15 Sud, qui s’étend sur trente-trois kilomètres de Pont de Sèvres à Noisy-Champs, compte seize gares et représente un investissement de 5,3 milliards d’euros, a été approuvé en juillet dernier par le conseil de la surveillance de la SGP. L’enquête publique a été réalisée à l’automne et la déclaration d’utilité publique est attendue pour la rentrée prochaine.
Le conseil de surveillance doit examiner en juillet le projet de ligne 16, qui reliera la gare de Noisy-Champs à celle de Saint-Denis Pleyel, cette dernière devant constituer le plus gros hub du réseau. L’enquête publique est prévue pour l’automne prochain.
Nous comptons par ailleurs déléguer la maîtrise d’ouvrage du projet d’extension de la ligne 14 jusqu’à Orly à la RATP, puisque celle-ci en assure déjà l’extension au nord.
S’agissant de la ligne 15 Ouest, nous comptons prendre les décisions d’investissement et constituer le dossier d’enquête publique au cours du premier trimestre 2015, le STIF s’en chargeant pour la 15 Est. Nous avons convenu avec le STIF que la SGP prendrait le relais après l’enquête publique.
Les décisions d’investissement relatives à la ligne 18 et à la ligne 17 seront prises au deuxième trimestre 2015.
Si tout se passe comme prévu, la période d’enquêtes publiques sera close fin 2015, conformément à la feuille de route fixée par le Premier ministre. Nous devons tenir ce calendrier si nous voulons atteindre les objectifs de mise en service ».
Il convient toutefois de repérer les éventuelles difficultés afin de pouvoir y faire face.
Il faudra veiller à ce que l’importance des prescriptions réglementaires, dont M. Philippe Yvin s’est fait l’écho, rappelant l’extrême complexité des procédures, la mobilisation des nombreuses équipes, et l’énergie considérable qu’elles nécessitent, ne soit pas un obstacle au bon déroulement des travaux.
Un autre risque de retard lui paraît également résider dans la difficulté des acquisitions foncières, « non pas tant des parcelles de surface que des tréfonds, la réalisation du projet nécessitant le rachat de milliers de parcelles souterraines. Or certains de nos concitoyens sont réticents à les vendre par crainte d’un effondrement ou d’une dévalorisation de leur bien. C’est pourquoi nous avons proposé que le législateur transforme cette acquisition en servitude, de telle sorte qu’on puisse commencer les travaux sans l’accord des propriétaires, ceux-ci étant indemnisés a posteriori. Il faudrait instituer une telle servitude à partir d’un seuil de vingt mètres de profondeur, en-deçà duquel elle constituerait une atteinte injustifiée au droit de propriété, droit constitutionnellement protégé. Cette solution, actuellement en cours d’expertise par le Gouvernement, permettrait de régler environ 80 % des problèmes liés à au rachat des tréfonds ».
La loi du 11 juin 2010 (70) dispose que ce projet bénéficierait des ressources affectées, issues d’une part de la taxe sur les bureaux et d’autre part de la taxe spéciale d’équipement (TSE), taxe additionnelle aux prélèvements locaux pesant sur les ménages et les entreprises, et d’une imposition forfaitaire assise sur les matériels roulants de transport de la RATP. Le rendement de ces prélèvements est d’environ 500 M€ par an, comme l’a précisé M. Philippe Yvin à la mission : « il s’agit d’une ressource dynamique puisqu’elle est notamment fonction de la construction de bureaux… on pourrait envisager par ailleurs de déplafonner le produit de la TSE aujourd’hui limité à 120 M€.
En outre, la SGP percevra une redevance sur l’exploitation des nouvelles lignes par les opérateurs désignés par le STIF, dont le produit est estimé à environ 200 M€ par an.
L’ensemble de ces ressources, ainsi que les recettes commerciales qui s’y ajouteront, permettront de rembourser les emprunts contractés par la SGP pour financer la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris, dont le coût est estimé à 22,6 milliards, ainsi que l’adaptation aux interconnexions des stations de métro ou des gares SNCF, pour un coût estimé de 1,5 milliard d’euros ».
Il a précisé de plus que « la Société du Grand Paris n’a pas de capital, cet EPIC finançant la réalisation du Grand Paris-Express par des emprunts qu’elle remboursera grâce à des ressources pérennes. Je signale à ce propos que nous avons engagé des discussions avec la Caisse des dépôts et la Banque européenne d’investissement, qui devraient être nos premiers prêteurs. Cela nous permettrait de bénéficier de conditions beaucoup plus favorables que celles des marchés obligataires, tant en termes de taux que de durée des emprunts ».
Quant aux interconnexions entre le Transilien et le Grand Paris-Express, dont le coût s’élève à 1,5 milliard d’euros, la feuille de route prévoit que la SGP en verse 30 %, le complément « pourrait être pris en charge dans le cadre des plans quadriennaux de modernisation de la SNCF, de RFF, voire de la RATP, ou encore par les collectivités locales ».
M. Jean-Paul Huchon, auditionné par la mission le 10 septembre, donc après les déclarations du Premier ministre du 9 juillet, a estimé que, s’agissant du financement du Plan de mobilisation pour les transports, « nous n’avons pas pris de retard, mais il est désormais urgent… que le Premier ministre nous garantisse les 150 millions par an de nouvelles recettes régionales – nous passerons ainsi de 350 à 500 millions par an, pour honorer ce plan de mobilisation – ainsi que, bien entendu, la part de financement de l’État dans le contrat de plan, qui est de l’ordre de 200 millions par an. Cela dépendait étroitement du sort réservé à la fameuse écotaxe, qui subit actuellement un certain nombre de modifications. Le Gouvernement réfléchit pour faire en sorte que la taxe apporte, sinon la totalité, du moins l’essentiel de ce qui avait été prévu. Nous avons pris acte de l’engagement de Manuel Valls de régler cette question dans le projet de loi de finances 2015. Car nous sommes très pressés ».
Quant au contrat de plan qui devrait être signé avant la fin de l’année, l’enveloppe « est un peu moins élevée que celle du précédent contrat de plan, mais pas dramatiquement en dessous. Cette enveloppe, qui sera consacrée pour l’essentiel aux mobilités, ne nous paraît pas impossible à gérer. Si l’État accorde vraiment ce qui a été indiqué dans les protocoles signés avec les premiers ministres successifs, nous aurons les moyens de signer un contrat de plan de bonne qualité : il est absolument nécessaire pour Eole, pour la ligne 11 et pour l’amélioration des RER. Ce seront nos trois objectifs principaux au cours de la négociation ».
Les gares prévues seront vastes afin d’abriter de nombreux services aux voyageurs. Comme on le verra ultérieurement, les gares emblématiques pourront accueillir l’exposition universelle.
Mais a ajouté M. Pierre Mongin, « ne nous voilons pas la face : aujourd’hui, la plupart de nos projets ne sont pas financés ».
M. Jean-Paul Huchon, quant à lui, a souhaité que le projet ne se limite pas aux gares du Grand Paris : « il faut aussi valoriser les RER, même si, d’un point de vue pratique, on est obligé, dans ces gares, de donner la priorité aux flux et à la circulation des voyageurs. Cela conduit à faire en sorte que les démonstrations, expositions, lieux de passage ne viennent pas gêner les flux qui sont déjà largement saturés ».
C’est un problème majeur : M. Pierre Mongin a souligné que même la ligne 14, la plus récente n’est déjà plus à la mesure de la fréquentation : « je parle parfois de « syndrome de la poussée des murs ».
Parallèlement à la conduite de ces projets, il faudra assurer l’amélioration de l’existant : le réseau Transilien est saturé ; en outre, son état nécessite un programme de rénovation massive des infrastructures, qui durera des années. Votre rapporteur espère que les crédits permettant ces travaux seront débloqués à une cadence suffisante pour qu’en 2025 ces difficultés soient résolues.
À la suite de l’audit réalisé en 2005 par l’École polytechnique fédérale de Lausanne, l’État a confié à Réseau ferré de France (RFF) le soin d’accroître très fortement le rythme de ses travaux, portant pour cela de 400 millions à plus d’un milliard d’euros chaque année entre 2012 et 2020 les crédits correspondants. Il en est résulté une montée en puissance considérable en Île-de-France ; selon M. Pierre Messulam, « les besoins sont gigantesques, mais l’on se donne une stratégie et les moyens d’y répondre. Si l’on se tient à cette trajectoire, en dix ans la question sera largement maîtrisée ; il n’y a pas de doute à ce sujet, mais la condition, c’est le maintien des crédits. Or les concours publics sont moins extensibles que jamais et des choix doivent être faits qui, dans notre domaine, seront peut-être difficiles ».
Mme Sophie Mougard a mis l’accent sur la nécessité de privilégier une articulation adéquate entre les besoins du réseau et ceux de la future exposition : « Il conviendrait de faire en sorte que les investissements programmés pour fiabiliser l’exploitation du réseau (et notamment du réseau RER) ou développer de nouvelles lignes (tramways, tram-trains ou Grand Paris-Express) répondent aux besoins de l’exposition universelle que l’on aura – autant que faire se peut – identifiés. Mais à l’inverse, (…) concernant le choix des gares et des sites mobilisés, il serait opportun de ne pas surcharger la période de pointe. Le réseau est très fortement mobilisé à ces moments-là et il faudra s’organiser pour répartir la charge sur le réseau tout au long de la journée. Il me semble que pour un évènement comme une exposition universelle, c’est tout à fait envisageable.
La création de nouvelles lignes permettra d’augmenter les capacités, et de faciliter les déplacements de banlieue à banlieue, sans repasser par le cœur de Paris. C’est un des enjeux d’une approche multi-sites. Mais… l’horizon 2025 est très proche. Entre les études, les procédures et les travaux eux-mêmes, pour l’ensemble des acteurs qui développent ce réseau, 2025, c’est demain ».
Des études très pointues devront être menées sur la capacité d’accueil des voyageurs et la possibilité de concilier les impératifs de l’exposition et de la vie quotidienne : « parce qu’elle dépend du dimensionnement du matériel roulant, la capacité d’accueil des voyageurs diffère selon les lignes. Elle est meilleure sur certaines, où elle peut s’anticiper sans trop de mal. La difficulté tient à la longue durée de la manifestation. Ainsi, sur les lignes de métro automatisées, on peut mobiliser l’ensemble des rames aux heures creuses, mais il faudra cependant prévoir des moments pour la maintenance. En revanche, pour les lignes du RER, on est au maximum de ce que l’on sait faire aux heures de pointe. Aussi, ma préoccupation tient à l’identification des sites et aux conditions dans lesquels ils seront fréquentés en fonction des événements qui y seront organisés : il faudra autant que possible veiller à ne pas superposer le flux des voyageurs quotidiens des heures de pointe, matin et soir, et le flux des visiteurs touristiques. Nous risquerions, sinon, de ne pouvoir les acheminer tous. Il conviendra aussi de prévoir l’accompagnement humain, avec une présence dans les gares pour orienter les visiteurs et garantir la circulation harmonieuse sur le réseau. Je ne puis donc vous dire aujourd’hui ni « c’est possible partout » ni « ce n’est possible nulle part ». Pour assurer une cohérence d’ensemble, des études devront permettre d’anticiper la nécessaire capacité des réseaux en fonction des sites sollicités ».
Le futur maillage de la couronne parisienne modifiera le rôle du Transilien qui deviendra un transporteur de banlieue à banlieue : à l’horizon 2025, les connexions de périphérie conféreront un rôle structurant dans la mobilité à l’échelle de la métropole.
En plus des nouvelles lignes, comme l’a précisé M. Pierre Messulam, directeur général adjoint de Transilien SNCF, « nous réutiliserons les lignes existantes. Le matin, entre la petite couronne et la grande couronne, le métro express peut permettre des trajets à contre-pointe – dans ce sens, la capacité existe ; pour les trajets entre la grande couronne et la petite couronne, les choses ne sont pas aussi limpides. Mais, sur le fond, la combinaison des modes de transport permise par l’interopérabilité entre le réseau existant s’il est performant, le Grand Paris-Express et des liaisons par autocars en certains lieux permettra des transports aisés à l’échelle de l’Île-de-France. Le site Internet de l’exposition universelle serait un formidable levier de mobilisation pour les transporteurs, invités, sous la houlette du STIF, à mettre en ligne un navigateur complet ».
D’après lui, la réflexion doit se poursuivre : « M. Pierre Mongin, son président, a indiqué que la RATP estime devoir réévaluer de 30 à 50 % la fréquentation du Grand Paris-Express ; s’il en est ainsi, les nouvelles infrastructures qui vont être construites ne permettront pas de dégager des capacités supplémentaires aux heures de pointe. Il n’est pas dit que les visiteurs de l’exposition universelle seront tous d’attaque à 8 heures le matin, mais la situation sera plus embarrassante le soir ».
f. Une accélération bienvenue du projet
Communiqué du Conseil des ministres du 9 juillet 2014
L’amélioration des conditions de déplacements est à cet égard une clef du projet métropolitain du Grand Paris. Les engagements pris par le Gouvernement dans le cadre de la feuille de route du Nouveau Grand Paris des transports seront tenus. Pour l’amélioration des réseaux existants, la mise en œuvre du Plan de mobilisation pour les transports sera effective et tout particulièrement l’extension à l’Ouest du RER E et le prolongement à l’Est de la ligne 11 du métro. L’amélioration des RER, notamment les lignes C et D, nécessite en outre des investissements urgents pour accroître leur robustesse et leur fiabilité. La desserte de l’aéroport d’Orly, l’accessibilité du plateau de Saclay, par les lignes 14 et 18, et l’accessibilité, grâce à la ligne 17, des zones d’activité économique situées entre Pleyel et Roissy seront accélérées en vue d’une mise en service en 2024.
Un Conseil interministériel consacré au Grand Paris sera réuni début octobre, sous l’autorité du Premier ministre, pour construire un grand projet métropolitain, faisant converger l’ensemble des projets. Il revient en effet à l’État de faire prospérer le potentiel qui se concentre en Île-de-France , pour en faire un élément du rayonnement international de la France, et de soutenir la réussite des grands projets porteurs d’emplois, notamment ceux de Saclay, du Génopole, de Roissy, d’Orly, de Marne-la-Vallée, et de confluence Seine-Oise.
Cette promesse a permis à M. Jean-Paul Huchon de préciser : « Ainsi, la mise en œuvre du Plan de mobilisation pour les transports – qui vise à l’amélioration et à la rénovation du réseau actuel – sera effective : extension à l’ouest du RER E, et prolongement à l’est de la ligne 11 du métro – deux sujets majeurs ; amélioration des RER, notamment le C et le D. On a déjà bien travaillé sur le RER B Nord, et on travaille maintenant sur le RER B Sud. Enfin, sur le RER A, la question du matériel roulant a été réglée de manière heureuse et commence à avoir des effets positifs. Mais évidemment, tout dépend d’Eole qui serait un élément important de « désaturation », notamment sur nos lignes critiques. Tout cela nécessite des investissements urgents, afin d’accroître la robustesse des réseaux et leur fiabilité.
Le Premier ministre a pris un nouvel engagement, le 13 octobre 2014, en termes financiers et de calendrier.
Manuel Valls a annoncé des engagements financiers « sans précédent » de l’État en faveur des nouvelles lignes de métro du Grand Paris, avec notamment la levée de 140 millions d’euros de recettes dans le budget 2015 pour la région Île-de-France .
Lors d’un discours à Créteil (Val-de-Marne) sur le site d’une future station du grand métro périphérique de la banlieue parisienne, le Premier ministre a également confirmé que l’État verserait 1,4 milliard d’euros à cette région pour les transports dans le cadre du contrat de plan 2015-2020, ce que demandait Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d’Île-de-France .
« L’État a décidé de mobiliser des financements sans précédent. J’ai entendu, cher Jean-Paul Huchon, vos remarques, vos attentes, vos exigences même. Je vous confirme que l’État apportera 1,4 milliard d’euros à la mise en œuvre du plan de mobilisation sur la période 2015-2020 », a dit M. Valls devant un parterre d’élus.
Par ailleurs, la Société du Grand Paris « financera les études permettant l’accélération des projets structurants », a indiqué le Premier ministre, citant également comme projets d’"urgence" l’extension vers l’ouest du RER E, de la ligne 11 du métro vers l’est et l’aménagement des correspondances avec la nouvelle ligne.
« Enfin, la Région Île-de-France se verra affecter, dans le cadre de la loi de finances pour 2015, 140 millions d’euros de recettes nouvelles, pour la réalisation du plan de mobilisation », a-t-il poursuivi.
La question des 140 millions de recettes était particulièrement attendue, l’État ayant abandonné cet été l’idée d’une taxe régionale de séjour de 2 euros par nuitée, sous la pression du secteur hôtelier francilien.
Mais Manuel Valls n’a pas détaillé les sources de ces fonds, alors que sont évoquées des hausses de la prise en compte des surfaces de parking dans la taxe sur les locaux à usage de bureaux, de commerce et de stockage ou encore de la taxe spéciale d’équipement.
Le Premier ministre a par ailleurs confirmé des annonces déjà faites en Conseil des ministres début juillet, à savoir l’accélération des prolongements de la ligne 14 du métro parisien jusqu’aux aéroports de Roissy au nord et d’Orly au sud, ainsi que la liaison entre Orly et le plateau de Saclay au sud de Paris. L’objectif d’achèvement de ces volets du « Grand Paris-Express » est désormais fixé à 2024, au lieu de 2027. Manuel Valls a également confirmé le nouveau calendrier de la liaison CDG Express vers Roissy, qui doit entrer en fonctionnement en 2023.
"Les projets doivent maintenant sortir de terre", a-t-il promis.
AFP 13 octobre 2014
3. Des propositions innovantes
a. Des moyens de transport novateurs
La Mairie de Paris réfléchit à d’autres solutions, qui seraient complémentaires, même si elles ne permettent pas de gérer des flux aussi importants que ceux des transports en commun. Notant que la gestion des temps est un enjeu principal, M. Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité, souligne qu’il faudra gérer les événements et les flux de visiteurs de l’exposition de façon intelligente, afin que les déplacements s’effectuent en dehors des heures de pointe, avec des moyens encore peu développés actuellement : « le covoiturage – Autolib et Uber compris – aura connu, je l’espère, un développement important, ainsi que les espaces de circulation douce consacrés au vélo, au vélo électrique, etc. En faisant de la ville intelligente et durable une thématique forte de cette exposition polycentrique, nous devrons présenter des propositions innovantes pour gérer les risques de télescopage entre les flux de touristes et les flux de Parisiens faisant leur trajet domicile-travail ». De même, Paris prend des initiatives pour moderniser les taxis et leur faire prendre conscience que le monde du numérique ne leur permet plus de fonctionner comme auparavant. Enfin, il semblerait que des voitures électriques sans conducteur soient disponibles d’ici 2020, ce qui serait un élément à prendre en considération pour penser l’ensemble de la mobilité.
Par ailleurs, la RATP s’est engagée dans un processus de conversion complète du parc de bus, en partenariat avec l’État et le Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF). L’achat de bus hybrides a été déjà lancé : en 2025, le parc devrait être « triple zéro » : zéro particule, zéro émission de CO2, zéro bruit. M. Pierre Mongin, président directeur général de la RATP, qui a signé des accords avec M. Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, ainsi qu’avec M. Henri Proglio, PDG d’EDF, insiste : « nous croyons que, d’ici à 2025, et sans doute dès 2018, une offre industrielle correspondant à nos besoins existera, avec des bus qui auront l’autonomie nécessaire tout en ayant la capacité de transporter 90 à 100 personnes : il s’agit d’une rupture technologique mondiale. Nous comptons beaucoup sur l’effet de vitrine de la RATP, qui est la cinquième entreprise de transport du monde, à Paris, ville mondiale : nous pensons pouvoir susciter l’offre.
Nous avions pour cette conversion – complète ou partielle suivant les moyens financiers qui nous seront alloués par le STIF – déjà choisi la date de 2025. C’est un investissement important : le coût de revient n’est pas supérieur à celui du parc actuel, mais il y a bien sûr un surcoût au départ. Le STIF en est bien conscient, puisqu’il nous a déjà alloué 100 millions d’euros pour le passage aux bus hybrides.
Comme le métro a été le marqueur de l’Exposition universelle de 1900, nous aurions ainsi, 125 ans plus tard, un marqueur du transport public à Paris : le parc « triple zéro ».
Selon Mme Sophie Mougard, l’exposition serait un levier pour stimuler des domaines d’innovation : « cela permettrait d’accélérer certains chantiers engagés. Le plan de déplacements urbains récemment adopté par la région Île-de-France met l’accent sur le report modal. L’objectif fixé à l’horizon 2020 est une croissance de 20 % des déplacements en transports collectifs, de 10 % des déplacements en modes actifs - marche et vélo – et la diminution à due concurrence des déplacements en voiture. L’enjeu, ce n’est donc pas seulement l’infrastructure linéaire, ce sont aussi les pôles d’échanges, pour faciliter les correspondances et la chaîne de déplacement. Il est essentiel en particulier d’informer le voyageur pour faciliter son cheminement. Actuellement, une centaine de contrats lient le STIF et des opérateurs de transport à ce propos, mais les plus petits d’entre eux éprouvent des difficultés à fournir les informations en temps réel. Or l’approche intermodale imposera de pouvoir dire quels outils de mobilité sont disponibles pour les voyageurs du quotidien et plus encore pour les touristes, voyageurs occasionnels qui ne connaissent pas l’offre dont ils peuvent disposer. La disponibilité de l’information en temps réel est donc l’un des chantiers que nous avons ouverts ».
b. Une nouvelle conception des mobilités : des transports mis en scène, dans le cadre d’un autre urbanisme
Les mobilités ne devront pas être pensées seulement comme un moyen d’aller d’un point à un autre de l’exposition, mais également comme une expérience à vivre.
Le président Jean-Christophe Fromantin a rappelé que le leitmotiv des auditions, « c’est la nécessité de partager et de vivre une expérience, et pas seulement d’exposer. L’obsession du BIE pour l’unité de lieu est liée à l’idée que l’on doit voir des choses – alors que si l’on partage des moments, on ne posera pas forcément le même regard sur les monuments… Cela rend nécessaire un vrai travail d’innovation en matière de mobilités. Comment mieux maîtriser les mobilités en zone dense ? C’est un problème auquel toutes les grandes métropoles sont confrontées ! ».
M. Dominique Hummel, « rêverait d’une mise en scène des moments de transport qui ne seraient plus « subis », mais feraient partie de l’expérience totale que devra constituer l’exposition.
Certains des étudiants qui ont travaillé à la future exposition universelle, à la demande de l’association ExpoFrance 2025 (71), ont imaginé une décoration des transports en commun, pour en faire une expérience à part entière, « une expérience immersive » : « chaque train, chaque avion chaque gare serait équipé afin de permettre au visiteur de vivre une transition extraordinaire entre sa réalité et l’immersion proposée dans chaque grande ville participante » ; les déplacements pourraient être également un moment social, grâce à une application sur le smartphone, qui permettra de se connecter avec les participants dont on partage les centres d’intérêt. Les transports pourraient être un moment de détente, de plaisir, de contact avec les autres et avec d’autres cultures.
D’ailleurs, à la station Montparnasse est exposée actuellement le long des tapis roulants une longue fresque de Joe Sacco sur la bataille de la SoMme en 1916, qui suscite des réactions très positives. Le RER C, qui dessert Versailles, a été entièrement décoré de reproductions du château, (annexe n° 8). L’art, le design, peuvent avoir un effet de levier.
La mission d’information a en outre réuni des architectes et des experts de l’urbanisme parisien pour imaginer une forme urbaine originale d’une exposition internationale. Les intervenants ont suggéré de faire des mobilités urbaines le principe de l’exposition, en desservant, selon un parcours centré sur un récit romancé, des sites de reconversion du patrimoine architectural de la métropole, en préparant son changement d’usage et des sites de constructions innovantes. Ils ont insisté sur la scénarisation du parcours de l’exposition, dont ils attendent la création d’une nouvelle identité métropolitaine.
En outre, les mobilités doivent complètement être repensées dans la perspective d’un nouvel urbanisme, ainsi que l’a souligné M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine : « Quant à la mobilité, il faut envisager la question à toutes les échelles, spatiales et temporelles. Il ne s’agit plus de réduire les temps de transport par l’accroissement de la vitesse : on en sait désormais les inconvénients. Toujours plus de vitesse aboutit à de l’étalement ; on vide les villes centres de fonctions auparavant internalisées et, lorsqu’elles sont subies, ces mobilités ne sont bénéfiques ni pour les habitants ni pour les territoires qui les accueillent. Je pense qu’il vaudrait mieux travailler sur les modes de travail et le coworking : comment être plus mobile sans pour autant se déplacer davantage ou plus vite ? Cela passe par d’autres usages de l’Internet… Le travail de Jacques Ferrier sur les gares ouvre des perspectives intéressantes de ce point de vue. Quelles applications sont susceptibles de créer du lien social et de l’échange ? Au stade où nous en sommes, il semble préférable d’ouvrir le spectre des réflexions plutôt que de le refermer. Proposer au BIE de revoir la façon dont il envisage les choses est un défi passionnant ».
Pour M. Jean-Marie Duthilleul « il conviendra de concevoir ce maillage aussi à l’échelle des mobilités individuelles : on a beau vouloir réduire la place de la voiture, il existera toujours des mobilités individuelles, quelle que soit la technologie employée. Il y a énormément à faire de ce point de vue.
Par ailleurs, il faudra concevoir la mobilité comme une découverte. Aujourd’hui, on est encore dans l’idéologie de la vitesse et du transport nuisant ; du coup, on conçoit les trajets sous terre. Mais lorsque le métro sort pour emprunter le pont de Bir-Hakeim, tout le monde lève le nez de son smartphone et s’exclame : « Regardez comme c’est beau ! ». Si on ne fait pas la même chose partout dans le Grand Paris, on aura tout faux ! Il faut qu’une partie du métro sorte à l’air libre pour être un instrument de découverte de l’exposition (72).
Il paraît inconcevable d’arriver à Orly pour prendre l’avion sans avoir vu le ciel – d’autant que l’on traverse le marché de Rungis, l’un des lieux de restauration les plus extraordinaires d’Île-de-France !
M. Jacques Ferrier, architecte, Agence Jacques Ferrier Architectures a suggéré « de faire avec les lignes 14, 15, 16 et 17 du métro un parcours qui, tout en étant connecté aux aéroports de Roissy et d’Orly, au réseau de Paris centre et à la Seine, proposerait la mise en scène de ces flux, et dont chaque gare serait un point fort ; on pourrait en faire sortir des portions en surface. Cela serait l’équivalent pour le XXIe siècle du trottoir roulant, qui avait émerveillé les visiteurs de l’Exposition universelle de 1900 ! ».
Enfin, les mobilités sont un moyen de réduction des inégalités pour M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris : « un aspect du projet d’exposition universelle m’apparaît particulièrement intéressant : le thème des mobilités place les sites patrimoniaux et les lieux du renouvellement urbain sur un pied d’égalité. La métropole du Grand Paris a un caractère profondément déséquilibré – ce qui ne serait pas un problème si cela n’engendrait pas des inégalités. Voici un point à creuser : en quoi le projet d’exposition est-il susceptible de remédier à ces inégalités massives, qui portent tort à l’attractivité et au rayonnement de notre territoire ? ».
Ces différents témoignages montrent l’importance des mobilités pour le projet d’exposition universelle. La réalisation du Grand Paris-Express est impérative ; il y va de la crédibilité de la candidature de la France. C’est pourquoi le rapporteur se félicite de l’engagement pris par le Premier ministre le 13 octobre 2014 en faveur des nouvelles lignes de métro du Grand Paris.
Une exposition sur un site unique ou bien polycentrée ? Le président de la mission d’information, M. Jean-Christophe Fromantin, a eu l’idée d’un projet d’exposition polycentrée, différent des expositions installées en champ clos, sur les centaines d’hectares d’une friche urbaine. Ce projet a surpris le BIE par son originalité.
La première évocation de ce modèle devant la mission d’information, lors de l’audition du secrétaire général du BIE, en février 2014, a suscité de la part de ce dernier quelques réserves. Il s’est néanmoins déclaré ouvert au débat sur les avantages et les inconvénients d’une exposition « éclatée » et sur l’acceptabilité de ce projet qui ne prévoit pas de construction de pavillons mais l’installation des concessionnaires dans des bâtiments ou sur des sites patrimoniaux existants.
Selon M. Jean-Christophe Fromantin, « l’idée de « poser » l’exposition universelle sur la ville, sur l’existant, est un point de négociation avec le BIE dans la mesure où celui-ci est attaché à l’unité de lieu. Pour autant, plusieurs expositions du XIXe siècle se sont étendues jusqu’à l’île Saint-Germain, Vincennes, etc., et ont permis de mettre en avant des innovations telles que les bateaux-mouches ou le tapis roulant de 7 km. ».
1. Une exposition polycentrée aurait plusieurs avantages
a. Le BIE est réticent à l’idée d’abandonner le champ clos de ses expositions
Le projet de « poser » une exposition internationale sur une métropole sans lui attribuer une friche fermée déroge aux règles usuelles consacrées par un siècle et demi d’une pratique qui installe des pavillons spectaculaires le long des allées qui parcourent un site dégagé, cerclé d’une enceinte percée de guichets où sont perçus ou vérifiés les droits d’entrée.
Le BIE hésite à se priver d’un site unique d’exposition auquel il est attaché, bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation en droit international.
Il redoute qu’une exposition éclatée sur plusieurs sites soit trop complexe.
Selon M. Vicente Gonzales Loscertales : « Le bon sens et la fonctionnalité exigent un site unique, même si le règlement ne le prévoit pas expressément. En effet, le premier principe d’une exposition est l’égalité de traitement des participants. Ces derniers doivent tous se retrouver sur un même site, faute de quoi on risque de s’exposer à toutes sortes de plaintes ou de comparaisons malvenues.
« Ensuite, une exposition nécessite de centraliser les services de transport, de sécurité, etc... On ne peut pas se permettre de les disperser. À Shanghai et à Aichi, le site était séparé en deux parties dont l’une a malheureusement été délaissée par les visiteurs. Si les services de sécurité avaient été dispersés, on n’aurait jamais pu organiser une exposition en Espagne à l’époque où l’ETA était encore active…
Enfin, il est plus facile de réutiliser les réalisations qui ont été présentées sur un même site. Vous le voyez : le problème n’est pas réglementaire, il est d’ordre pratique. » (73)
Pour M. Bernard Testu : « le projet français ne s’appuie pas sur un seul site. S’il est exclu d’imposer un changement total de la règle, un projet qui, tout en la respectant, proposerait des options supplémentaires serait parfaitement défendable. Ainsi, on ne peut imaginer une exposition universelle n’ayant qu’Internet pour support, mais l’on peut évidemment proposer des manifestations par Internet – en plus du reste.
« Le socle d’une exposition universelle reste quand même un lieu physique où des visiteurs battent le pavé pour visiter des pavillons et assister à des concerts, et non un simple écran. Le site fermé doté d’une billetterie reste donc d’actualité, même si l’on peut y ajouter d’autres sites, éventuellement ouverts et gratuits. Le modèle reste à inventer, dans le respect des traditions et sans froisser les conservatismes. »
Il n’est en effet pas question de substituer à l’exposition physique une exposition virtuelle. En revanche, les exigences d’une billetterie unique et d’un contrôle centralisé des droits d’entrée sur les sites d’exposition peuvent être satisfaites par des techniques informatiques relayées, sur place, par des bornes électromagnétiques et, à distance, par les réseaux de communication numériques.
M. Alain Berger, lui-même, a déclaré que ce qui lui était proposé
– construire un pavillon – le satisfaisait. Cette notion d’exposition sur un seul site permet au visiteur, lui semble-t-il, d’avoir le sentiment d’être à l’exposition, de sortir de son univers habituel, surtout si le thème est fort, si « on le sent partout ». Il a estimé qu’il existait une vraie cohérence entre le pavillon et le thème. Il a toutefois ajouté qu’une exposition multi-sites lui paraissait envisageable, à condition que le thème puisse vivre en tout lieu. Il faut souligner toutefois que la France proposera, en outre, un programme « off », au Palais des Stelline, lieu emblématique en plein cœur de Milan, avec de nombreux évènements.
L’objection diplomatique et les difficultés pratiques évoquées par M. Vicente Gonzales Loscertales doivent faire l’objet d’une réflexion.
b. Le polycentrisme ne doit pas créer d’incident diplomatique et ne va pas à l’encontre de l’égalité des pays participants.
Le secrétaire général du BIE a insisté sur le respect de l’égalité de principe des puissances invitées, sans en préciser la nature.
M. Jean-Pierre Lafon a expliqué qu’il importait d’assurer « l’égalité d’accès aux pavillons ; or, si la Chine ou l’Allemagne pourront à la rigueur avoir un pavillon dans chaque zone, ce ne sera sûrement pas le cas du Pérou, du Panama ou de l’Angola, sans parler de la République de Kiribati ou de Tuvalu. »
Dans les faits, les pays invités à une exposition internationale ne sont pas tous présents à l’ouverture et ceux qui sont représentés par une section nationale ne bâtissent pas tous des pavillons.
Certains acceptent de s’installer à plusieurs dans des locaux qui leur sont alloués par l’organisateur. Quand ils élèvent un pavillon à leurs frais, les moyens qu’ils y consacrent et les résultats qu’ils obtiennent sont contrastés. Les pavillons nationaux ne bénéficient pas non plus d’une même adhésion publique et d’une même fréquentation. On ne constate donc pas actuellement, au sens strict, d’égalité des représentations des sections nationales dans une exposition.
Pour M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers : « La tendance au « tout architectural » conduit par ailleurs à un double dévoiement économique. D’une part, les budgets de plus en plus faramineux consacrés au contenant manquent pour financer des contenus qui s’appauvrissent. D’autre part, cette évolution accentue les inégalités en rendant particulièrement visibles les différences de puissance financière des pays invités. La prouesse architecturale exige des moyens considérables, et la compétition en la matière ne permet pas à toutes les nations de faire jeu égal – le pavillon du continent africain dans les récentes expositions en témoigne. Lors d’un rassemblement supposé célébrer l’humanité dans son égalité, il est choquant que la taille des pavillons et les fonds consacrés à leur construction reproduisent les inégalités entre nations… J’ai constaté à Shanghai que de nombreux représentants de pays membres du BIE souffraient de la faiblesse des moyens dont ils disposaient, et vivaient comme une insulte l’étalage de richesses considérables à quelques mètres de leur pavillon ».
Certaines expositions internationales, comme celles de Lisbonne, d’Aichi ou de Yeosu, ont eu le bon sens d’allouer des hangars identiques et non permanents aux États. Ils ont pu ainsi réduire leur investissement immobilier et consacrer un budget plus élevé aux contenus ».
L’égalité ne sera pas non plus respectée, de fait, à Milan, et cette fois à notre détriment : la France construit un pavillon et la Chine quatre.
En outre les disparités entre les représentations doivent être laissées à l’initiative des invités et non pas distribuées par la puissance invitante. Il n’est guère envisageable, par exemple, de soumettre le partage des lieux d’exposition à un tirage au sort. Les règles imposées par la convention de 1928 et confirmées par les résolutions du BIE interdisent également de mettre les parcelles disponibles aux enchères des concessionnaires, comme cela se pratique dans les foires commerciales.
Une égalité de principe pourrait être préservée à quatre conditions :
– la distribution des représentations nationales sur les sites d’exposition et leur desserte par les réseaux de transports doivent être comparables ;
– les concessionnaires doivent disposer de facilités d’aménagement comparables quel que soit le site qui leur échoit ;
– ces sites doivent être également prestigieux ;
– aucune section nationale ne doit être éconduite faute de site convenable.
Une exposition polycentrée préviendrait, en outre, les risques de saturation d’une enceinte unique, assaillie par une cohue qui dépasserait les prévisions de fréquentation. Éclatée, une exposition internationale pourrait être davantage fréquentée et donc rentable.
c. Le polycentrisme éviterait qu’un seul site, envahi par une foule, interdise une visite plaisante, détendue et festive
Une exposition polycentrée préviendrait les risques de saturation d’une enceinte unique. Lors de l’Exposition de Shanghai, les files d’attente étaient telles que les visiteurs ont dû patienter plusieurs heures devant certains pavillons, ce qui pose un réel défi et décourage le public.
Les problèmes de saturation des entrées, d’engorgement des circulations et de formation de longues files d’attente ont été surmontés, lors des expositions précédentes les plus fréquentées, par une organisation et une discipline strictes, mises en œuvre par des milliers de volontaires et par des forces de l’ordre mobilisées sur place.
Cette discipline et les contraintes qu’elle implique limitent les activités proposées aux dizaines de milliers de visiteurs quotidiens. Elles ne les laissent pas s’attarder ni vaquer où bon leur semble. Il est probable qu’elles ne seront plus aussi facilement acceptées par une foule toujours curieuse, enjouée ou en liesse, mais davantage en quête de satisfactions individuelles.
M. Dominique Hummel a livré à la mission une estimation de la fréquentation possible d’une exposition française qui connaîtrait le même succès public que celles de 1900 et de 2010. Il a insisté sur les exigences nouvelles des visiteurs, qui n’admettraient plus que les contraintes qui leur sont imposées par l’encadrement de leur cohue viennent troubler le plaisir promis à chacun par une fête somme toute onéreuse pour eux :
« Si nous devions accueillir 40 à 60 millions de visiteurs en France pour une exposition universelle, nous aurions affaire à un défi colossal en termes de flux. Pour nous, ce serait du jamais vu. Je rappelle que le premier parc de loisirs européen, Disneyland Paris, attire 15 à 16 millions de personnes par an, et que Notre Dame de Paris, le monument public le plus visité de France, reçoit annuellement 13 millions de visiteurs.
« Néanmoins, une fréquentation de l’ordre de 50 millions de personnes n’est pas hors de portée, sachant que Paris accueille environ 30 millions de touristes par an. Derrière ces chiffres qui font peur se lit surtout l’enjeu essentiel de la concentration d’une telle population dans un espace réduit. Pour ma part, je pense que, en 2025, il ne sera pas possible de concentrer un si grand nombre de personnes sur 300 ou 400 hectares…
« Ce qui était envisageable à Paris en 1900, et même en Chine il y a quelques années, ne le sera plus dans dix ans dans notre pays. Les attentes et le niveau d’exigence des visiteurs évoluent ainsi que ce qui leur paraît acceptable. Comment expliquer au client qui aura payé quarante euros pour entrer à l’Exposition universelle de Milan en 2015, que, comme les visiteurs de Shanghai, il ne visitera que deux ou trois pavillons ? Il faudra pouvoir justifier un tel prix. Car provoquer un haut niveau d’insatisfaction, c’est courir le risque de provoquer un bouche à oreille négatif… »
« Sans même évoquer les problèmes de sécurité ou d’environnement, il me semble impossible de se passer d’une réflexion sur les limites d’une concentration excessive de population… nous sommes en quelque sorte condamnés à une déconcentration qui a fait ses preuves lors des JO de Londres organisés sur trente et un sites. »
M. Dominique Hummel a ensuite décrit les contraintes imposées au public, comme par exemple celle de faire longtemps la queue à l’entrée du site et aux points de contrôle de sécurité : « Lors de ma première visite à l’Expo de Shanghai à titre privé, je n’ai pu entrer que dans un seul pavillon après onze heures d’attente. L’armée chinoise gérait les flux de visiteurs et assurait la sécurité du site auquel étaient affectés 50 000 à 100 000 militaires.
« J’ai assisté à des débordements et à des agressions inévitables dans ce type de situation. Ce modèle me paraît d’ores et déjà dépassé ; il sera en tout état de cause impossible de le reproduire en 2025… Une exposition universelle qui recevrait au total 40 millions de personnes accueillerait en moyenne 400 000 visiteurs par jour. Pour gérer de tels flux, il faut, soit, comme les aéroports, s’installer sur des centaines ou des milliers d’hectares, soit opter pour un éclatement géographique… »
Il a pris l’exemple de l’aéroport d’Atlanta qui reçoit 100 millions de voyageurs par an et connaît des pointes de fréquentation à 700 000 à 800 000 personnes par jour, soit l’équivalent du meilleur jour de l’Expo de Shanghai qui a accueilli 1 million de visiteurs le 16 octobre 2012.
Les voyageurs d’un aéroport ne sont toutefois pas invités à demeurer longtemps sur place ni à y faire la fête. Ils acceptent plus volontiers de s’installer dans un hall et de patienter jusqu’à leur embarquement. Il est douteux que les mêmes personnes, visitant une exposition internationale fassent preuve de la même retenue et supportent, à l’entrée d’un espace qui paraît vaste et incite à la flânerie et aux découvertes impromptues, ce qu’elles admettent encore à la porte de grandes manifestations sportives.
M. Marc Giget a relevé un autre inconvénient à l’adoption d’un site unique : les contraintes de la gestion des foules et les impatiences des mœurs contemporaines incitent les concessionnaires des expositions internationales à fluidifier la circulation des visiteurs en « vidant » les pavillons.
M. José Frèches, a en effet indiqué que le pavillon français de l’Exposition de Shanghai avait été conçu pour éviter les files d’attente : « Fort de ce que j’avais observé aux Expositions de Vancouver et de Saragosse, où j’avais constaté la longueur des files d’attente à l’entrée des pavillons, j’avais demandé à Jacques Ferrier, l’architecte, de concevoir un bâtiment permettant un flux continu de visiteurs. En conséquence, l’attente devant le pavillon français n’excédait pas une heure et demie, contre cinq heures pour le pavillon allemand ou sept heures pour celui de l’Arabie saoudite ».
Mais nul sentiment de vide pour lui, qui se félicite du succès du pavillon français, le plus visité, par 10 millions de personnes : « Notre deuxième atout était la dizaine de chefs-d’œuvre que le musée d’Orsay avait accepté de nous prêter, dont L’Angélus de Millet, Le Balcon de Manet et une œuvre de Van Gogh… L’arrivée des tableaux a été très médiatisée en Chine ; le président Hu Jintao lui-même, entouré d’une délégation du comité permanent du parti communiste, soit les plus hauts dirigeants du pays, est venu spécialement pour voir ces œuvres la veille de l’inauguration. Tout cela a créé un buzz considérable ».
On note par ailleurs le bémol de M. Jacques Ferrier, architecte, pour qui « l’envie de partager un espace public, fut-il aussi artificiel qu’une exposition universelle, est toujours très forte. Il est certain que le BIE doit évoluer sur l’unité de lieu, mais la question de la scénographie du plaisir festif de la foule reste entière. Tous les pays du monde sont appelés à se croiser, mais encore faut-il qu’ils le puissent ! ». Or chacun des sites et des moyens de transport en fournira l’occasion et de façon plus détendue !
Le modèle d’une exposition sur un site unique paraît donc condamné en raison de concentrations excessives : une exposition polycentrée pourrait être un remède qui nécessite une réflexion approfondie.
d. Le polycentrisme risquerait de renchérir l’intendance d’une exposition
xii. D’éventuels surcoûts…
Il a été affirmé que, dans chacune des parties de l’intendance de la manifestation, il sera difficile d’obtenir des économies d’échelle.
Si l’organisateur s’en remettait à une seule équipe – ce qui paraît peu probable, compte tenu du nombre de sites – afin de suivre l’avancement des travaux, la mise en place des équipements, le recrutement et la formation des personnels d’accueil, il devrait prendre en charge des coûts de transport vers les sites excentrés et d’hébergement sur place. Il devrait également compter des dépenses de personnels supplémentaires et des frais de coordination s’il choisit de constituer plusieurs équipes travaillant en parallèle.
La campagne de promotion de l’exposition et les frais de vente à distance des billets d’entrée risquent d’être plus coûteux si l’organisateur doit établir des guides de visite proposant plusieurs parcours entre des lieux éloignés les uns des autres, en tenant compte des contraintes de transports d’un site à l’autre, comme le font les catalogues des voyagistes pour des séjours de vacances itinérants.
Selon M. José Frèches « la plupart des visiteurs qui ne consacrent qu’une seule journée à l’événement ne disposent pas d’un gros budget et souhaitent, dans ce délai, avoir vu le plus grand nombre de pavillons. À moins que les lieux choisis ne soient très proches les uns des autres, leur éclatement géographique désorienterait le public et handicaperait sérieusement tous les sites. »
Les commentaires publics des visiteurs, désobligeants à l’égard de l’organisateur, pourraient être dissuasifs pour les visiteurs moins audacieux et préjudiciables pour le succès de l’exposition et la réputation de son organisateur. Quand bien même parviendraient-ils à leur fin, ils risquent d’être désorientés par leur méconnaissance des lieux et des usages dès qu’ils échapperont aux parcours touristiques balisés.
Cette désorientation, plaisante et même recherchée par les touristes aventureux, peut être mal vécue par le public étranger, plus large et plus familial, d’une exposition internationale qui souhaite attirer des millions de visiteurs. Elle pourrait reproduire, à l’échelle individuelle, les incidents diplomatiques redoutés dans l’accueil des puissances invitées.
Il a également été souligné le surcoût imposé par les trajets entre les sites et par la couverture des frais supplémentaires engagés par l’organisateur qui ne sera guère en mesure de proposer aux visiteurs venus de loin des offres avantageuses de transport en mettant le surcoût à la charge des visiteurs locaux, puisque tous devront s’acquitter des dépenses de trajets entre les sites. L’organisateur ne pourra pas non plus obtenir des hébergeurs des remises pour une occupation prolongée des chambres comme le permet une exposition sur un seul site touristique.
xiii. …à relativiser
Toutefois, la mise en place d’un forfait global, d’un pass – ou plusieurs forfaits globaux selon l’importance du séjour – comprenant visites, transports et hébergement (cf infra) peut être une réponse à ces objections et nécessite donc une étude approfondie.
L’éventuelle désorientation peut être évitée par une organisation rigoureuse, un déploiement signalétique abondant, une mobilisation des équipes d’accueil et une offre de services numériques destinés à guider les visiteurs en temps réel, tout en leur permettant de partager leurs impressions et leur appréciation des sites.
Pour autant, en dépit de ses inconvénients supposés et des éventuels surcoûts, le débat suscité par le projet d’exposition polycentrée s’est moins concentré sur les obstacles techniques que sur les anticipations de fréquentation.
C’est cet enjeu qui, en dépit de la réticence du BIE, fait l’originalité et la pertinence du projet français d’une exposition en plusieurs cercles, posée sur le patrimoine du Grand Paris et des métropoles régionales.
Les sites touristiques très attractifs de ces métropoles, prêtés pour l’occasion aux concessionnaires et aux sections diplomatiques invitées, pourraient satisfaire davantage les attentes des visiteurs de l’exposition que des pavillons vides et de générer des recettes qui rentabiliseraient la manifestation tout en lui donnant un nouveau souffle.
Ces coûts demandent à être chiffrés, car sans étude, on ne peut pas tirer de conclusion sûre et doivent être relativisés.
Quant à l’argument du surcroît de fatigue – qu’on peut considérer comme un coût - invoqué par M. Jean-Michel Grard, il n’est pas totalement convaincant dans la mesure où un même visiteur ne peut jamais voir toute l’exposition universelle, même sur un site unique, ne serait-ce qu’en raison des files d’attente. En outre, il faut se le rappeler, dans toutes les expositions universelles, les visiteurs sont en majorité des… nationaux. Les habitants de notre pays pourront donc fragmenter leur parcours pendant les six mois de l’évènement. Quant à nos invités étrangers, ils pourront faire un choix en fonction de leurs désirs et de leur temps ; indépendamment de toute exposition, nombre d’entre eux visitent plusieurs régions au cours d’un même voyage.
e. Vue de l’étranger, la France est devenue petite et donc facile à visiter
Comme l’a dit M. Christian Mattéi, directeur général d’Atout-France : « Faut-il un projet multi-sites ? Bien sûr. La France est devenue toute petite ! ».
M. Thierry Coltier, Managing partner de Horwath HTL France lui a emboîté le pas : « Je suis également favorable au caractère multi sites du projet, en particulier parce que nous disposons d’un très bon réseau aérien et ferroviaire. Il faudra néanmoins un vaisseau amiral : souvent, on ne garde d’un tel événement qu’une seule image emblématique. Nous avions pour notre part réalisé une étude qui montrait que, d’un point de vue géographique, on pouvait comparer la France à la Floride. L’échelle est pertinente : il reste à sensibiliser les acteurs. Il faudra également prévoir un décloisonnement administratif ».
Pour changer de continent, on pourrait dire, comme M. Jean-Christophe Fromantin, que « le territoire français ressemblera à une grande métropole asiatique » !
À l’échelle mondiale, la France est petite, mais dotée d’un bon réseau de transports : voilà qui plaide en faveur d’une exposition multi-sites.
Il ne serait plus d’actualité de se concentrer sur Paris intra-muros. Comme l’a dit M. Jean-Louis Missika, « ceci nous conduit à poser la question de son périmètre et à prôner une certaine audace en la matière. Si les précédentes expositions étaient centrées sur le cœur de l’agglomération parisienne, il est clair qu’aujourd’hui l’attractivité touristique du cœur de la capitale ne pose plus guère de problème : ce qui est en jeu, c’est l’attractivité touristique de la métropole. Nous sommes convaincus que l’Exposition universelle de 2025 s’inscrira naturellement dans le cadre du Grand Paris.
Le développement de Paris intra-muros est aujourd’hui parvenu à maturité. Grâce à un patrimoine culturel et architectural d’une exceptionnelle densité, la ville a accueilli cette année plus de 31 millions de touristes et ce chiffre est voué à s’accroître encore. Notre ardente obligation est désormais d’orienter les flux de touristes vers les sites, châteaux et forêts du Grand Paris, tels que Fontainebleau ou Chantilly par exemple. Dans cette perspective, nous souhaitons privilégier un dispositif qui, contrairement aux récentes Expositions de Séville, Lisbonne ou Shanghai, dont l’objectif était avant tout de mettre en valeur l’attractivité du cœur d’agglomération, mette en scène des sites inscrits dans un périmètre élargi. Nous militons donc, à l’instar du président Jean-Christophe Fromantin, pour une exposition universelle qui accompagne la construction du Grand Paris et mette en valeur sa dimension polycentrique, en s’appuyant par exemple sur les gares du futur Grand Paris-Express. Anne Hidalgo et l’exécutif parisien trouvent également séduisante l’idée d’une extension plus large encore ».
Face aux difficultés pratiques et à la fatigue pour les visiteurs que certains redoutent en raison du polycentrisme de l’exposition, « il faudra une certaine densité dans les lieux où seront organisés les événements et veiller à la porosité de chacun avec la ville – ce qui va à l’encontre de la conception traditionnelle des expositions universelles, qui fonctionnent un peu comme les villages olympiques. Il faut impérativement éviter le phénomène de l’enclave », comme l’a préconisé M. Alexandre Labasse, directeur général du pavillon de l’Arsenal.
f. Une exposition polycentrique éviterait les problèmes de reconversion du site
Comme l’a également souligné M. Alexandre Labasse, « il convient d’éviter un écueil, celui de la tabula rasa… sur le modèle traditionnel de l’exposition universelle : à savoir, on choisit un site, on le vide et on reconstruit dessus – le problème étant de réinvestir les lieux ensuite. Je crois qu’une exposition en 2025 devra tenir compte de ce qui est là aujourd’hui et de ce qui sera là demain ».
Comme on l’a vu, c’est un des problèmes majeurs de la plupart des expositions universelles, et des jeux Olympiques : l’exemple de Sotchi en atteste.
De façon plus générale, comme l’a fait remarquer M. Christian Mantéi, « nous ne pourrons pas faire autrement que de parier sur la déconcentration si nous voulons respecter les règles minimales du développement durable ».
g. Des exemples de polycentrisme : les événements sportifs
Les événements sportifs, en particulier les jeux Olympiques, s’étendent sur plusieurs sites, ne serait-ce parce qu’aucune ville ne dispose des infrastructures très spécifiques nécessaires ; il y en avait 31 pour les JO de Londres en 2012, dont certains dans le Grand Londres et d’autres dans tout le pays, 12 pour la Coupe du monde de football au Brésil cette année, parfois très éloignés les uns des autres compte tenu de la taille du pays, sans que cela ne suscite l’étonnement ou la réserve. Pour l’Euro 2016, les épreuves se dérouleront partout en France. Il est vrai que ce sont des événements considérables, mais d’une durée moindre ; toutefois nous pouvons en tirer suffisamment d’enseignements pour une exposition universelle.
Dans un passé plus lointain, la Coupe du monde de football de 1998 était répartie sur tout le territoire. M. Noël de Saint Pulgent, qui a contribué à l’organiser, s’est félicité que qu’aucun pays en Europe ne possède notre réseau de lignes à grande vitesse, qui relie Paris à l’ensemble des grandes villes françaises, mais aussi à certaines métropoles européennes.
Pour autant, en dépit de ses inconvénients supposés et des surcoûts attendus, le débat suscité par le projet d’exposition polycentrée s’est moins concentré sur les obstacles techniques que sur les anticipations de fréquentation.
C’est cet enjeu qui, en dépit de la réticence du BIE, fait l’originalité et la pertinence du projet français d’une exposition en plusieurs cercles, posée sur le patrimoine du Grand Paris et des métropoles régionales.
Les sites touristiques très attractifs de ces métropoles, prêtés pour l’occasion aux concessionnaires et aux sections diplomatiques invitées, pourraient satisfaire davantage les attentes des visiteurs de l’exposition que des pavillons vides et de générer des recettes qui rentabiliseraient la manifestation tout en lui donnant un nouveau souffle.
2. L’exposition française comporterait trois cercles concentriques
M. Vicente Gonzales Loscertales a fait une ouverture à la mission : « à partir d’un site unique, on peut créer des foyers d’activité dans les autres parties soit de la ville soit de la région. Dans votre cas, ce serait une bonne façon d’intégrer les citoyens des différents secteurs du Grand Paris.
« Vous pourriez également, pendant toute la préparation de l’exposition, organiser des événements dans d’autres villes, par exemple à Bordeaux ou à Lyon, qui ont des infrastructures de qualité et dont les exécutifs sont prêts à investir. Cette multipolarité d’événements en lien avec des villes avoisinantes est une piste que je vous soumets. »
De même, M. Bernard Testu, interrogé par la mission sur les travaux des étudiants qui prévoient d’organiser des expositions et des activités hors les murs, investissant les rues ou les transports en commun, a indiqué qu’il en pensait « uniquement du bien, à condition qu’il s’agisse d’une proposition supplémentaire. En effet, une exposition universelle ne saurait se passer de pavillons et il nous appartient d’adopter des méthodes intelligentes pour gérer les files d’attente – telles que des systèmes de réservation. Sous cette réserve, inventer des manifestations supplémentaires pour faire vivre l’événement hors les murs ou prévoir des installations sous d’autres formes ne peut qu’apporter un plus ».
Puisque le BIE serait prêt à accepter une exposition répartie sur plusieurs sites, à condition de disposer d’un site diplomatique dans le Grand Paris, M. Jean-Christophe Fromantin a développé devant les autres membres de la mission son idée d’une exposition qui « se poserait » sur la métropole capitale et rayonnerait jusqu’aux métropoles régionales :
« Le premier niveau serait celui du village, praticable à pied ; dans cette perspective, l’espace historique des expositions universelles parisiennes, autour du Champ de mars et des Tuileries, pourrait abriter le guichet d’accueil sur le thème de l’histoire des expositions universelles, avec une expression des pays modulable et légère… »
« Le BIE est sensible à l’idée d’un point d’entrée au cœur de Paris : le visiteur étranger ne sera pas confronté à des événements diffus, il commencera par une promenade dans un grand périmètre qui pourrait être compris entre le Champ de Mars, les Tuileries et La Défense, et où les différents pays, dans des structures qui ne seront pas forcément des pavillons, annonceront leur présence dans tel monument, telle gare, tel spectacle ponctuel. Il s’agira d’un grand guichet d’accueil qui sera en même temps une sorte de village… »
« Le deuxième niveau serait un parcours, une sorte de « tour du monde » autour du projet de transport… Le BIE est également ouvert à l’idée que le Grand Paris – pour peu que son schéma de transports permette un bon dialogue avec l’espace central – serve de support à un grand tour du monde articulé autour de plusieurs dizaines de gares, où seraient proposés des modules et des animations liés à tel ou tel pays. Le mode d’expression, à l’exception des gares, ne serait pas celui de l’architecture : il s’agirait d’images, de rencontres, etc…
« Et comme nous ne souhaitons pas que le projet soit exclusivement parisien, on pourrait concevoir des animations ou des colloques thématiques dans les grandes métropoles françaises – Marseille, Lyon, Bordeaux, Nantes, Lille –, dans la mesure où, grâce au TGV, la durée des trajets entre deux villes sera en 2025 comparable aux temps de transport dans les grandes métropoles émergentes… Le format de l’exposition universelle permettrait d’organiser, par exemple, une semaine thématique sur les océans à Nantes, une autre sur tel autre sujet à Marseille. »
L’annexe n° 9 illustre les trois niveaux de l’exposition.
Il en résulte une conception complètement en rupture avec l’image traditionnelle de l’exposition : « le BIE pense que l’on ira visiter l’exposition, puis Paris, tandis que nous, nous souhaitons mélanger les deux : le touriste fera le tour du patrimoine tout en visitant l’exposition ».
L’idée d’un village central dans le Grand Paris, pour accueillir le cœur diplomatique de l’exposition et guider les visiteurs étrangers depuis les portes d’entrée de l’exposition, installée dans les aéroports, jusqu’à ce village, puis de là vers les autres sites, a séduit les membres de la mission.
Les visiteurs les plus informés pourront commencer leur visite par une métropole régionale associée à l’exposition et ne gagner le Grand Paris que par étapes, selon les parcours proposés par les voyagistes ou qu’ils auront établis eux-mêmes.
Ce projet d’exposition devrait faire connaître au monde la métropole du Grand Paris en utilisant la renommée et le prestige de la ville historique, comme les expositions organisées sous le Second Empire avaient fait connaître la nouvelle capitale française, débordant ses anciens murs.
M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris, a déclaré qu’il arrivait à un moment crucial dans l’histoire de la ville : « Alors que se met en place une institution métropolitaine et que se pose la question d’une nouvelle représentation de l’organisation métropolitaine... Le projet d’exposition serait un catalyseur, susceptible de nourrir, dix ans durant, une volonté collective de penser autrement la métropole. »
Les architectes réunis devant la mission lors d’une table ronde, intéressés par la mise en valeur de la nouvelle métropole, ont insisté pour que des territoires périphériques parfois négligés ou oubliés soient revitalisés par l’exposition.
M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, a exprimé le vœu que l’exposition soit « une étape dans le développement de la métropole. Les territoires périphériques de Paris sont mûrs pour accueillir un tel projet, qui provoquera aussi bien le mélange des fonctions que leur irrigation. »
3. L’exposition française pourrait également aller en 2025 de la Seine vers les métropoles
Plusieurs intervenants ont approuvé la proposition de M. Jean-Marie Duthilleul de suivre le cours de la Seine au cœur de la métropole pour conduire les visiteurs des Ardoines, à Vitry-sur-Seine jusqu’à la boucle de Gennevilliers, en dégageant des friches urbaines pour des parties de l’exposition :
« La Seine est… un atout fantastique, car c’est un patrimoine à grande échelle. En partant du village en bord de Seine, les visiteurs pourraient non seulement se rendre sur des sites célèbres à proximité, mais aussi découvrir les sites méconnus plus éloignés. »
M. Alexandre Labasse a confirmé que « si un site doit être retenu pour l’exposition universelle, c’est la Seine : d’abord, parce qu’elle raconte une histoire, ensuite, parce qu’elle fédère un nombre incalculable de projets. »
Il a insisté sur la densification de chacun des sites : « quelqu’un qui viendra à Paris pour deux ou trois jours n’aura peut-être pas envie de parcourir l’intégralité de la métropole pour visiter cinq expositions. Il faudra donc une certaine densité dans les lieux où seront organisés les événements et veiller à la porosité de chacun avec la ville. »
Pour parvenir à guider les visiteurs à travers la métropole du Grand Paris, M. Jean-Christophe Fromantin a proposé d’utiliser les infrastructures prévues par le tracé du Grand Paris-Express, dont les stations, les gares et leurs abords deviendraient autant de lieux d’accueil des manifestations de l’exposition.
La manière dont ces infrastructures s’attacheront aux bords de Seine, soit au long cours, soit à quelques points de jonction, reste à préciser. Elle pourrait l’être par les concessionnaires de l’exposition qui seraient invités à illustrer le thème des liaisons entre les territoires de l’exposition.
La Seine de Paris à la mer – jusqu’au Havre – serait un corridor à explorer et à développer.
C’est bien d’une nouvelle génération d’exposition dont il s’agit ; si l’on ne sait pas ce que seront celles de Milan et de Dubaï, celle de Shanghai, pour réussie qu’elle ait été, relève d’un type d’exposition dépassée en raison de son gigantisme et de son caractère traditionnel. Les expositions du XXIe siècle doivent innover, et celle de Paris prendrait résolument ce tournant.
II. DES CHANTIERS IMMOBILIERS ET NUMÉRIQUES
Le numérique ne remplacera pas une exposition universelle concrète, dans laquelle on se déplace et on rencontre quantité d’autres personnes venues du monde entier.
Mais le numérique enrichira l’exposition universelle.
1. Une démarche nouvelle liée au partage
a. Faire une exposition universelle sur le numérique n’aurait pas de sens
Il est, aujourd’hui, convenu de parler de « révolution numérique ». Cela ne consiste pas seulement à évoquer les transformations induites par l’utilisation de nouvelles technologies de la communication mais à mettre en exergue comment ces nouvelles technologies ont bouleversé notre rapport au monde, au temps, aux relations sociales, ce que révèle, dès lors, la pertinence de l’emploi du terme « révolution ».
M. Jean-Louis Fréchin, commissaire général de l’Exposition Futur en Seine, illustre cette approche : « l’électricité est comme le numérique : on ne la voit pas, elle n’existe que par l’usage qu’elle provoque et les fonctions qu’elle permet. Les défis sont un peu semblables. Montrer des moteurs électriques, c’est bien, montrer à quoi sert l’électricité, c’est plus intéressant ».
« La difficulté du terme « numérique » tient au fait que ce n’est pas un terme technologique. Il recouvre plutôt les conséquences et les déterminismes de la révolution d’une société en réseau, mue par des ordinateurs qui traitent massivement de l’information sur nos vies. C’est pour cela que c’est un terme formidable… Ensuite, le numérique parle aux gens – et en cela, je ferai une différence avec l’informatique.
Le numérique n’est pas non plus un secteur d’activité économique. Pourtant, qu’est-ce qui n’a pas été touché par le numérique aujourd’hui dans nos activités, dans nos vies, dans la manière de conduire des projets ou même de faire de la politique ? Cela signifie que ce n’est certainement pas en lui consacrant un pavillon avec les derniers gadgets à la mode qu’on devra traiter du numérique dans le cadre d’une Exposition universelle. Comme le remarque Mme Fleur Pellerin : le numérique, ce n’est pas tant des choses nouvelles qu’une nouvelle manière de faire les choses. »
Les expositions universelles ont eu, à l’origine, pour finalité de montrer les savoir-faire, les capacités d’innovation des pays développés du fait d’une émulation compétitive générée par la tenue même de l’exposition. À ce titre, le numérique aurait eu toute légitimité à s’imposer comme le thème même de l’exposition. Actuellement, ce n’est pas cet angle d’approche qui pourrait être privilégié mais plutôt celui de l’utilisation que l’on peut faire du numérique pour mieux porter, soutenir et faire partager le projet de candidature ainsi que l’exposition elle-même par l’ensemble de la population.
Selon M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil du numérique, « il ne faut pas se demander techniquement comment cela va se passer. Il faut juste poser l’objectif ».
« Il est bien probable qu’il faille complètement renverser la vision traditionnelle, et arrêter de considérer le numérique comme une technologie. Je ne sais pas comment s’est passée l’organisation de la première exposition universelle, mais je suis à peu près certain que l’on s’est dit que la technologie suivrait, et qu’il convenait d’abord d’avoir des idées ». Le numérique est une nouvelle démarche, synonyme de partage et de créativité.
Ainsi M. Jean-Louis Fréchin imagine-t-il une conception de l’exposition universelle différente. Au classique modèle hiérarchique pyramidal succéderait une autre forme d’innovation induite par la créativité de la base.
« Le numérique impose de nouvelles manières de faire les choses. Nos trois expositions universelles françaises étaient construites à partir du modèle de la « cathédrale », c’est-à-dire un modèle « top-down » – qui vient du haut – où des gens visionnaires décident des organisations urbaines, des sujets d’exposition et prennent des décisions radicales comme l’installation des fameux trottoirs roulants à Paris le long de la Seine, la construction du Grand Palais, etc. Aujourd’hui, du moins pour les tenants de l’innovation très numérique, on est plutôt dans un modèle de « bazar » où on laisse les enthousiasmes s’exprimer, pour créer du foisonnement et de l’énergie.
Dans le cadre de Futur en Seine, que j’ai le plaisir et l’honneur d’organiser et de concevoir, nous avons choisi un modèle un peu différent, le modèle « de la place du marché », intermédiaire entre celui de la cathédrale
– modèle très français, adapté à un État centralisé, qui prend des décisions structurelles très lourdes – et celui du bazar. Mais pourquoi avoir choisi la dénomination de « place du marché » ? Parce que c’est un lieu organisé par les puissances municipales, où l’on trouve du connu, comme un marchand de fruits ou de fromages, par exemple, mais aussi de l’inconnu : des promotions, des nouveaux produits, ou marchand un peu « hacker », un peu sauvage qui vient se présenter.
Ce modèle est intéressant, parce qu’il croise deux éléments qui permettent de construire un futur. Comment cela se traduit-il concrètement dans Futur en Seine ? par de gros événements éditorialisés, construits par l’intelligence collective des organisateurs de l’évènement, et on laisse une partie de la fête au porteur de projet, aux start-up, aux sociétés plus anciennes qui viennent, non pas dire ce qu’il faut faire, mais montrer ce qu’elles font, ce qui change pas mal les choses. Je trouve cela très « numérique » et très dans l’esprit de l’époque. En plus de voir des fonctions, de voir des produits, des usages, on y vit une expérience grâce à l’énergie et à l’enthousiasme des gens d’une France qui se renouvelle et que l’on ne voit pas toujours. »
Le modèle sur lequel fonctionne le jeu vidéo peut s’avérer instructif à cet égard dans la manière d’appréhender ce futur : il touche le grand public et suppose l’existence d’une communauté de partage, celle avec laquelle l’on joue, comme le souligne M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs :
« Il y a quinze ans, en 1999, 20 % de la population française jouait régulièrement ; c’est 50 % aujourd’hui. L’âge moyen des joueurs était de 21 ans ; il est de 38 ans aujourd’hui. Les femmes représentaient 10 % de cette population de joueurs ; aujourd’hui un joueur sur deux est une femme.
Cette entrée du jeu vidéo – et encore une fois du numérique derrière lui – dans le grand public est sans doute un des phénomènes les plus marquants de ces dix dernières années. C’est également toute la difficulté pour notre industrie de se projeter en 2025. En effet, nous sommes aujourd’hui sur des cycles d’innovation de temps courts, de l’ordre de trois, quatre ou cinq ans. Honnêtement, je ne sais pas de quoi sera fait le jeu vidéo en 2025. Mais, encore une fois, le jeu vidéo est celui où les innovations rentrent en contact avec le grand public. C’est pour cela que pour notre industrie, l’idée d’une exposition universelle à Paris en 2025 est une fabuleuse perspective. Tout ce qui, justement, nous donne un cap pour aller à la rencontre du plus grand nombre est pour nous enthousiasmant. » […]
En effet, aujourd’hui, le jeu vidéo ne se conçoit pas autrement que dans le lien avec une communauté, une communauté d’expériences et de joueurs. C’est sans doute ce qui pourrait guider la réflexion de notre industrie dans la perspective d’une exposition universelle.
Pour être tout à fait concret, nous avons créé il y a quatre ans un salon dédié aux jeux vidéo, la Paris Games Week. Le concept de ce salon était de rendre réelles, une fois par an, toutes les communautés virtuelles qui s’agitaient autour du jeu vidéo. En quatre éditions, il est devenu le cinquième plus gros salon français et le troisième salon au monde. Nous avons la certitude que ce succès est dû à nos communautés.
Pour nous, une exposition universelle, c’est la perspective d’aller toujours plus à la rencontre des communautés… Mais c’est aussi la possibilité de montrer en quoi le jeu vidéo est un formidable moyen de stimuler la curiosité, de faciliter l’apprentissage et de créer des liens, des communautés, des intérêts. Ce processus global qui prend le nom de « gamification » sera forcément une intéressante perspective dans l’idée de la dimension numérique de l’exposition universelle.
Mais encore une fois, c’est le moyen, pour les communautés, de s’approprier le numérique à travers le jeu vidéo. C’est sans doute tout l’enjeu de ce que l’industrie du jeu vidéo pourrait apporter à l’exposition universelle. ».
L’exposition « off » ne pourra donc que stimuler la créativité et les savoir-faire technologiques, notamment sous la forme de jeux vidéo. Il ne faut pas non plus uniquement imaginer ce que seront les contenus, mais réfléchir à partir des supports, téléphones portables, objets connectés, objets intelligents dans leur ensemble qui eux susciteront de nouvelles applications.
Comme le précise Mme Virginia Cruz, membre du Conseil national du numérique : « Il ne faudrait pas oublier non plus tout ce qui tourne autour des Wearable Technologies, ou technologies mettables, dont on parle beaucoup avec les objets connectés, bracelets ou autres. Ces nouveaux produits seront là et serviront de supports pour les visiteurs. ».
La spécificité du numérique n’est pas tellement l’invention d’une nouvelle technologie que la création de nouveaux usages à partir de ces nouvelles technologies.
M. Jean-Baptiste Soufron imagine, en effet, une exposition universelle en 2025 sous la forme des grands rassemblements liés au numérique : « On se rend compte que tous les événements internationaux qui tournent autour du numérique, qui fédèrent aussi bien les industriels que le grand public, les acteurs extérieurs, les politiques, les intellectuels, ont accompli ce renversement et s’intéressent plutôt à l’aspect systémique, culturel, voire politique du numérique.
Voilà pourquoi je pense qu’il serait très important de procéder à une sorte de « benchmark » des événements existants sur le numérique. Certains sont extrêmement dynamiques. Allez donc voir le festival South by Southwest, qui se tient tous les ans à Austin. C’est non seulement le plus gros festival de numérique des États-Unis, mais aussi le plus gros festival de cinéma, et le plus gros festival de musique. (…) les gens se sont approprié la ville, laquelle est devenue foisonnante. Des concerts se déroulent à l’extérieur, en banlieue, des événements ont lieu à l’intérieur. Il y a des conférences, des démonstrations. Ces démonstrations ne se font pas nécessairement sur un stand, mais dans la vie réelle par les utilisateurs qui sont là et utilisent les technologies mises à leur disposition.(…) ce sont plutôt ces événements qui portent l’esprit des expositions universelles, plutôt qu’une exposition universelle un peu traditionnelle et très « top down ».
Je prendrai un autre exemple, plutôt radical. Les événements qui ont la plus forte croissance en termes de participants dans le monde sont liés à la diffusion de jeux vidéo sur internet… Certains Français ont organisé récemment à Bercy trois jours de ces compétitions, et ils ont fait carton plein, avec des billets à 100 euros : il y a eu, chaque jour, 15 000 personnes pour regarder jouer des Coréens contre des Chinois, des Français contre des Russes, etc. Même si c’est compliqué, il faudrait réussir à capter ce phénomène et à faire, dans le cadre d’une exposition universelle, une énorme partie sur ce qui est en train de devenir l’un des médias de masse de notre époque. »
Ainsi que s’est plu à le souligner M. Jean-Baptiste Soufron, le numérique, synonyme de partage, est donc également synonyme d’« ouverture, [de] liberté, [de] gratuité (bien que l’argent et les modèles économiques aient un rôle) [d’] abondance et [de] fête – surtout la fête, et la fête continue. Dans son ouvrage « Paris est une fête », Hemingway décrit un voyage continu dans la ville de Paris, avec de nombreux événements et des rencontres.… Cela ne s’arrête jamais, tout s’enchaîne. Or cette espèce de dynamisme et d’émotion permanente se retrouve chez les développeurs de logiciels. Et vous la retrouvez de plus en plus chez tous ceux qui adoptent ces valeurs ».
b. Le numérique, un moyen de susciter l’enthousiasme dès la préparation de la candidature
L’utilisation du numérique peut également être un moyen de conserver l’élan attaché au projet de candidature ainsi que de lutter contre son obsolescence programmée. Le projet de candidature sera déposé en 2016, l’exposition, elle, si la candidature s’avère être un succès, ne se tiendra qu’en 2025 : comment, dès lors, continuer à susciter l’enthousiasme ? M. Jean-Baptiste Soufron apporte une réponse originale : un moyen simple d’impliquer l’ensemble des citoyens au soutien de la candidature de Paris à l’Exposition universelle 2025 consisterait à utiliser, sur le modèle des versions successives des logiciels informatiques, différentes versions de la candidature. Une par an, par exemple, de façon à garder pour la candidature un intérêt soutenu :
« D’où ma suggestion : ne serait-il pas intéressant de réfléchir à cette exposition, non pas comme étant un objet donné en 2025, mais plutôt à quelque chose qui se construit en temps réel, avec des étapes successives ? Vous êtes habitués à ce que l’on appelle le « versioning », aux différentes versions de Windows (95, 98, etc.), de Linux (3.14, 3.15, 3.16, etc.) ou de l’iPhone. La sortie de l’iPhone 6 est un évènement monstrueux, plus important que la sortie de l’iPhone 5, laquelle dépassait l’importance de celle de l’iPhone 4. Chaque version est l’occasion de nouveautés (...). Ce serait en tout cas le moyen de créer une dynamique autour d’un sujet précis, avec des étapes clés qui donneraient aux gens une visibilité et l’envie d’avancer. »
Il va de soi que la mobilisation des réseaux sociaux existants et à venir, Facebook, Tweeter, WhatsApp… permettra également de faire vivre le projet de candidature.
Pour M. Jean-François Martins, adjoint à la maire de Paris, « l’association des Parisiens à l’événement, [pourrait passer par] la présence à Paris du premier incubateur mondial de start-up dans le secteur du tourisme, le Welcome City Lab, soutenu par la ville de Paris. C’est la première fois que l’on crée un incubateur destiné à inventer le tourisme de demain. Pour traiter des manières innovantes de faire participer le public, de l’organisation des parcours et des flux, de l’occupation de l’espace public, nous pourrons nous appuyer non seulement sur le réseau globalement dense des start-up de la métropole, mais aussi sur cet incubateur spécifique qui pourrait devenir une composante de la renommée de Paris et un levier économique majeur ».
c. Le partage, pour quel type d’activités ?
Il est impossible de prévoir ce que sera 2025. Si on se lançait dans un tel exercice, on aurait toutes chances de se tromper, ou d’être dépassés. Tout en soulignant que le numérique était un instrument, une démarche, et surtout pas un but, nos interlocuteurs ont lancé des pistes, en indiquant ce que le numérique pourrait probablement apporter à l’exposition.
xiv. Les deux niveaux d’exposition « in » et « off ».
Il en ressort que le numérique sera un moyen pour valoriser l’exposition « in », ainsi que pour favoriser la créativité de l’exposition « off ».
Votre rapporteur est très attaché en effet à ces deux aspects de l’exposition universelle, des événements « in » et « off », son extension hors les murs permettant la multiplication des manifestations propres à mettre en valeur entreprises, territoires et culture. Le numérique sera un outil essentiel.
Présenter une exposition sur plusieurs sites aura pour conséquence de mobiliser davantage les ressources numériques, dans de multiples usages et notamment afin de développer les liens entre les différents lieux d’exposition. Il sera, dès lors, d’autant plus envisageable, à partir du modèle des grands festivals, d’employer ces différentes ressources numériques tant pour valoriser l’exposition in que pour favoriser la créativité de l’exposition « off ».
xv. Des innovations déjà envisageables
Certaines transformations sont déjà connues ou aisément envisageables. M. José Frèches, qui a souligné que l’évènement devait être concret, a reconnu un caractère magique aux innovations liées aux nouvelles technologies : « à Yeosu, la magie pour le visiteur anonyme, c’était de voir sur place son message ou sa photo s’afficher en direct sur un écran de 250 mètres de long et 30 mètres de large en LED ».
Comme le rappelait M. Jean-Louis Missika, « la visite en 3D de l’Exposition universelle de Shanghai, proposée en ligne, a attiré un très grand nombre de visiteurs, sans doute plus important que le nombre de visiteurs physiques sur le site. Cela doit nous inviter à repenser la manière de valoriser ces expositions, pas seulement in situ mais dans toutes leurs dimensions numériques et virtuelles. ». En effet, si l’Exposition de Shanghai a accueilli, en 2010, 70 millions de personnes physiques, elle a attiré 800 millions de visiteurs virtuels sur son site internet ! M. Vicente Gonzales Loscertales a estimé d’ailleurs que la création d’une exposition virtuelle ne pouvait être qu’un atout, car c’est une excellente tribune à l’exposition réelle.
xvi. Des activités plus « magiques »
Quelle réalité enrichie sera-t-il possible d’appréhender grâce aux objets connectés dits « intelligents » ? Même s’il est tout à fait probable que notre projection actuelle reste fort en deçà de la réalité d’alors, il n’en demeure pas moins que la description faite par les étudiants, emporte suffisamment l’imagination pour qu’on se laisse porter vers cette réalité encore virtuelle qui ne peut que susciter l’enthousiasme telle qu’elle a été présentée, notamment par ceux de Sciences Po :
« Lorsque nous communiquons, nous utilisons essentiellement la vue et l’ouïe. Pour la vue, nous allons créer des films holographiques ou en 3D, mais aussi développer des applications pour smartphones et lunettes à réalité augmentée, à l’image des Google glasses, qui seront synchronisées avec les événements de l’exposition. Pour l’ouïe, nous allons organiser des concerts internationaux simultanés, où seront invités les musiciens du monde entier. Nous pourrons également organiser un concours musical, dénommé « Expovision »…Il serait bien sûr très intéressant d’utiliser les réseaux sociaux – YouTube, Facebook et Twitter, qui vont évoluer d’ici à 2025 – pour communiquer avec les potentiels participants. Nos autres sens, peu utilisés aujourd’hui, pourraient l’être davantage grâce à l’Exposition universelle de 2025. Tout d’abord, l’odorat. Avec LVMH, supporter officiel de l’exposition universelle, nous pourrons créer le parfum officiel de l’expo et le transmettre via les mobiles, ce qui permettra à tout le monde, même à ceux qui ne seront pas en France, de « sentir » l’exposition universelle ! Ensuite, le toucher. Avec le développement des nouvelles imprimantes, tout le monde pourra imprimer en 3D les symboles, les logos de l’exposition universelle, et même la ville de Paris. Enfin, le goût. En tant qu’étudiant japonais en France, j’en apprécie beaucoup la cuisine. Nous avons pensé très intéressant de créer un « guide Michelin » -version exposition universelle- pour donner des informations aux participants, mais aussi d’organiser des festivals culinaires, où les participants en balade dans Paris pourront goûter des plats du monde entier… Voilà comment l’Exposition universelle de 2025 s’invitera chez vous ! ». Autre exemple parmi les idées foisonnantes, la reproduction holographique en taille réelle à Saclay du lancement d’une fusée Ariane, habituellement lancée à Kourou.
Le numérique aura donc une incidence sur notre manière d’appréhender l’exposition, de la vivre en tant qu’événement, mais également de la préparer, pour faire partager cet événement à l’ensemble de la population.
Mme Virginia Cruz, a indiqué ainsi que « le numérique permet de créer l’interactivité avec le public, ce qui aboutit à des installations ludiques magiques et immersives. Le numérique permet de voir des choses là où c’est impossible de les voir, ou d’un point de vue que l’on ne peut pas avoir normalement, notamment depuis les airs. On commence à parler des drones, mais on peut imaginer qu’en 2025, on pourra les utiliser pour « voler ».
« Le numérique peut également être vu comme un trait d’union géographique entre plusieurs lieux. Notre vision est très parisienne. Mais pourquoi ne pas imaginer de se transporter tout le territoire ? Pourquoi ne pas créer des points d’échanges, installer des écrans, aménager des lieux permettant de rencontrer les gens à distance, créer des jumelages, des échanges, qui pourraient aussi s’appuyer sur la French Tech, cette espèce de réseau qui commence à se mettre en place ?
« Le numérique sert la logique consistant à ne pas créer de nouveaux bâtiments, mais à réutiliser des lieux existants. Il est pratique dans la mesure où il permet de personnaliser les lieux, de les investir sans modification architecturale par des mises en réseau, des projections, etc. C’est d’autant plus intéressant qu’on sait qu’il est difficile de réutiliser, par la suite, les bâtiments construits à l’occasion d’une exposition universelle. »
Comme l’ont très bien imaginé les étudiants du Centre Michel Serres, les transports eux-mêmes deviendront « intelligents » et feront partie intégrante de l’exposition, notamment grâce au numérique : « la mobilité du visiteur ne se pense pas seulement en termes de géographie. C’est un voyage temporel, fictionnel que nous leur proposons. C’est une expérience à part entière dans l’exposition. Chaque train, chaque avion, chaque gare sera équipé et permettra à l’usager de vivre une transition extraordinaire entre sa réalité et l’immersion proposée dans chaque grande ville participante ».
Les étudiants de Sciences Po ont la même préoccupation, faire du temps de transport « un moment social ». Les transports « sont l’endroit où l’on est en contact avec le plus de personnes dans la journée, mais aussi où l’on est le plus anonyme. Nous cherchons à mettre fin à ce paradoxe, notamment grâce à l’« Expo up ». Une application sur votre smartphone vous permettra de vous connecter, par exemple dans les transports, avec les participants qui ont les mêmes centres d’intérêt que vous ».
Outre le lien géographique, les possibilités offerte par le numérique en termes de réalité augmentée peuvent donner à voir des réalités différentes en fonction des publics concernés : « Ensuite, on peut voir le numérique comme une surcouche d’informations : c’est ce qui relève de la réalité augmentée. On peut rajouter des commentaires, différencier l’expérience, en proposant, par exemple, à des enfants une vision différente des adultes, rajouter des éléments d’histoire sur la ville, offrir différents points de vue, tout cela en exploitant les tendances actuelles – réalité virtuelle, Google Glass, casques comme l’Oculus Rift dont a parlé M. Martin ».
Les données techniques, scientifiques, historiques culturelles et artistiques pourront également être mobilisées, a continué Mme Virginia Cruz : « je pense au projet sélectionné en Angleterre par la Tate Britain. Il s’agit d’un petit robot qui se déplace la nuit dans le musée ; si je me connecte sur Internet, je peux contrôler ce petit robot qui tient une petite torche, me promener dans les galeries et voir les peintures à des heures normalement interdites au public. »
Le numérique peut, en effet, être un moyen de faire un lien avec le passé, avec le patrimoine, de le réinvestir de manière ludique. C’est ainsi que Mme Virginia Cruz a souligné que le numérique permet : « de personnaliser les lieux, de les investir sans modification architecturale par des mises en réseau, des projections ; c’est d’autant plus intéressant qu’on sait qu’il est difficile de réutiliser par la suite des bâtiments construits à l’occasion d’une exposition universelle ».
Comme l’a précisé M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, « sur ce patrimoine qui peut être facilement rendu vivant par le numérique, sortira au mois de novembre un jeu vidéo qui s’appelle : Assassin’s creed Unity, qui se déroule dans le Paris du XVIIIe siècle, pendant la Révolution française. La ville a été entièrement modélisée par des historiens de la société Ubisoft – modélisant ainsi, pour la quatrième fois, une ville à une époque différente. On est là dans une perspective de jeu vidéo, mais également dans une véritable perspective historique. Je crois que c’est dans ces liens entre le patrimoine et le fait de pouvoir offrir de nouveaux usages à ce patrimoine que le numérique peut s’avérer intéressant ».
C’est également l’avis de Mme Virginia Cruz : « J’ai tendance à penser qu’en 2025 on pourra apprendre du patrimoine de Paris. Personnellement, j’aime bien – et cela rejoint ce que vous venez de dire sur Assasin’s creed Unity – son côté dynamique et le mélange des époques.
J’observe que les étrangers ont une vision très statique de Paris, qui apparaît beau, imposant et figé ; c’est moins le cas d’autres villes, parce qu’on y respecte moins l’existant, qu’on rase et qu’on reconstruit. Mais en fait, ce n’est pas du tout cela : à Paris, des quartiers entiers ont été rasés ; Haussmann a réaménagé la ville. Il serait intéressant d’arriver à montrer la dynamique qui est derrière le patrimoine, et qui doit se poursuivre. La candidature de la France doit d’ailleurs s’appuyer sur une dynamique d’évolution.
De la même façon, le mélange des périodes historiques peut être intéressant. L’exposition tourne autour du thème de l’hospitalité. On pourrait imaginer être accueilli par des Français d’aujourd’hui, mais aussi potentiellement par des Français de l’époque des rois, ou du siècle des Lumières.
Je ne le vois pas comme un sujet principal de l’exposition, mais comme un fil conducteur qui s’imposera. En effet, les gens viennent aussi à Paris pour cela. »
Le numérique permettra également « de mettre le monde en jeu » selon Emmanuel Martin : « vous pourrez lire aujourd’hui dans « Les Échos » un article sur « Ingress », un jeu en réalité augmentée, développé par une filiale de Google : avec son smartphone, on visite une ville dans la réalité ; mais le smartphone donne une autre géographie à la ville, donne d’autres indications sur la ville qui permettent de rentrer dans un scénario et un jeu.
Ces tendances vers la réalité virtuelle et aujourd’hui vers la réalité augmentée foisonnent dans le jeu vidéo et dans le numérique en général. Ce sont sans doute les perspectives vers lesquelles nous irons dans les dix prochaines années ».
2. De nouvelles modalités d’organisation de l’exposition
Le numérique constituera un apport décisif dans l’organisation de l’exposition universelle ; toutefois, il ne faudra pas oublier, comme l’ont souligné un grand nombre de nos interlocuteurs, que la montée du numérique est indissociable de la nécessité de réhumaniser l’accueil.
a. Une vitrine et une aide pour les transports
Le choix d’une exposition polycentrée en zones denses, dans les villes, dans les métropoles, dans le grand Paris, en utilisant les mobilités existantes risque d’être difficile. Le numérique devra alors réinventer et revisiter l’ensemble de ces univers de contraintes pour rendre l’opération fluide, connectée, agréable et conviviale.
Dans ce cadre, les transports pourraient devenir une vitrine de notre savoir-faire en matière de numérique du fait du développement d’un réseau de transports dit « intelligent ». Des écrans interactifs, des panneaux signalétiques à destination des voyageurs faciliteront les déplacements et permettront de développer l’interconnexion entre les différents types de transports.
Cet aspect a notamment été évoqué par M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris :
« La dimension numérique est également essentielle. Notre ambition est d’inventer le métro le plus digital au monde, et ceci dans toutes ses composantes. C’est l’objet de l’appel à manifestations d’intérêt lancé à la fin de l’année dernière, et qui a reçu plus de 120 réponses. Il s’agira de doubler les deux cents kilomètres du réseau d’une infrastructure numérique de très haut débit via le déploiement de câbles optiques, qui permettra d’innerver les alentours des gares qui ne seraient pas couverts par les opérateurs.
Ce réseau numérique permettrait d’informer en temps réel les voyageurs sur l’état du trafic, de leur offrir un accès permanent à l’internet et de mettre à leur disposition un ensemble de services facilitant la vie quotidienne. Cette infrastructure numérique permettrait par ailleurs de mettre en open data toutes les données générées par le trafic de deux millions de voyageurs. Pourront s’y ajouter des espaces de coworking ou des data center. »
M. Pierre Messulam voit dans l’exposition universelle « une opportunité… pour inventer de nouveaux outils avec les applications mobiles que nous développons. La Fabrique digitale que parraine la SNCF montre l’intense créativité des jeunes gens ; un évènement tel que celui-là pourrait être à la fois un catalyseur d’inventivité et une vitrine du savoir-faire français pour nous, opérateur de transport, et pour toute la filière numérique ».
Il a fait remarquer toutefois que des problèmes restaient à résoudre : « après qu’un débat a eu lieu à ce sujet avec l’autorité organisatrice, les rames comptent peu d’écrans destinés aux passagers. Nous voulions en installer, mais diverses considérations nous ont retenus – la crainte du vandalisme et la question des contenus projetés. D’autre part, la généralisation des smartphones fait que nous devons disposer d’un réseau 3G ou 4G suffisamment puissant. Or sa capacité est limitée, au point que le déploiement d’applications internes en est freiné : les données transmises à nos agents ne passent pas, ce qui empêche de renseigner les clients en temps voulu. Mieux vaut donc, à mon sens, concentrer les efforts sur ce point ; l’exposition universelle obligera à améliorer le dimensionnement et la qualité des infrastructures numériques de notre réseau, ce qui est nécessaire et en interne et pour les visiteurs. Plutôt que de modifier les trains nouveaux à grand coût, et au terme de multiples discussions, je suggère de jouer à fond la carte numérique, secteur dans lequel la créativité française est reconnue ».
Pour Mme Virginia Cruz, le numérique servira à accompagner ou à fluidifier les parcours : « Paris accueillera de nombreux visiteurs, dont des étrangers, qui viendront à l’exposition. Or il y a aujourd’hui très peu d’indications en anglais dans la capitale. Comment les visiteurs vont-ils donc naviguer, trouver les lieux, se déplacer dans une ville qu’il n’est évidemment pas question de reconstruire ?
On pourrait aussi passer par l’infrastructure urbaine : bancs publics, parcmètres, abribus, stations de métro où de nombreuses interfaces pourraient servir de points de relais et d’information. Mais ces supports pourraient également servir à organiser des activités plus ludiques, comme des jeux urbains, par exemple ».
Quant aux transports aériens, on pourrait imaginer que l’exposition universelle commence dès que le passager monte à bord. Dès lors que l’on propose un maillage riche de tout le territoire, l’expérience vécue dans les transports devient aussi importante que celle vécue sur les sites de l’exposition. La révolution des transports passe aussi par la manière dont on vit le temps de transport. En 2025, comme l’a confirmé M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du Président directeur général d’Air France, il sera probablement possible d’être connecté durant tout le temps d’un vol, de télécharger des films à partir d’un serveur au sol. Il deviendra ainsi possible de préparer, lors du temps de ce vol, le type de visite de l’exposition que l’on souhaitera effectuer : réserver à l’avance la visite des pavillons, planifier ses déplacements dans les différents lieux de l’exposition, appréhender la réalité enrichie de l’exposition, au travers notamment de compléments d’informations, de visites en 3D, de jeux vidéo.
Comme on l’a vu ci-dessus, le numérique sera précieux pour franchir la barrière des langues, évidemment d’un point de vue pratique, par exemple pour s’orienter, mais également, de façon plus innovante, pour faciliter la communication entre des visiteurs qui, avant l’exposition, ne s’étaient jamais rencontrés.
b. Un moyen de dématérialiser et de simplifier les procédures
Outre les dispositions ludiques, et l’exposition des nouveaux savoirs faire, le numérique facilitera l’organisation matérielle de l’exposition à travers la dématérialisation d’un certain nombre de procédures : e-billet, meilleure signalétique, interconnexion entre les différents lieux, etc…
Le numérique sera également un moyen de régler le problème des files d’attente, problème inhérent aux événements qui mobilisent un nombre important de visiteurs. Grâce à des applications sur les portables ou autres types d’appareil connectés, la gestion des flux de visiteurs sera ainsi facilitée. Le numérique serait également un outil précieux dans le cas d’une exposition multi-sites, notamment pour acquitter les droits d’entrée.
En effet, il faudra mettre en une réflexion approfondie sur les moyens de paiements : un moyen de paiement unique et centralisé serait une avancée considérable.
Il s’agit d’une préoccupation très ancienne, puisque, comme l’a dit M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du BIE, en 1899 déjà, tous les buralistes et tous les bureaux de poste de France menaient une grande campagne de vente de tickets d’entrée à l’exposition universelle prévue un an plus tard, couplés avec des billets de train et des réservations d’hôtels. Cette publicité considérable faisait rêver.
La question de la perception des droits d’accès a été soulevée lors de nombreuses auditions. La mission a posé la question aux responsables des grands monuments parisiens. M. Hervé Barbaret, administrateur général de l’établissement public du Louvre, a rappelé que le Paris Museum pass donnait aujourd’hui accès à plusieurs musées et monuments de Paris et de sa région. M. Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre, serait favorable à un billet unique à un tarif spécifique qui permette d’accéder à la fois à l’exposition universelle et à la grande exposition que le Louvre proposerait à cette occasion.
Interrogé par la mission, M. Jean-François Martins, adjoint à la maire de Paris, chargé des sports et du tourisme, a abordé la question du City Pass : « Notre ambition est de parvenir à mettre en place pour l’Euro 2016 ce pass « tout en un », qui inclurait l’accès aux transports en commun, aux musées, à la tour Eiffel, voire aux bateaux-mouches. La diversité des opérateurs impliqués – l’État pour les musées, la société d’exploitation de la tour Eiffel, la RATP, le STIF et la région – rend l’opération complexe, chacun souhaitant avoir la main sur la gestion du dispositif et avoir le droit d’y apposer son logo. Se pose également la question de la diversité des systèmes d’information et de gestion de clientèle, pour lesquels il faudra trancher entre la norme NFC et la norme Calypso.
L’idéal serait de parvenir à expérimenter une version pilote à l’occasion de la COP21 dès 2015, sachant que nous ne pourrons inclure dans le pass l’ensemble des équipements touristiques du Grand Paris d’ici à 2016. Faire converger les systèmes d’information requiert des investissements lourds que certains établissements ne peuvent faire dans l’immédiat ».
M. Pierre Mongin prévoit également des progrès significatifs dans l’instauration d’un système universel de paiement de la mobilité : « Quant à l’intermodalité, nous sommes plutôt bien placés en matière billettique, puisque nous avons une autorité unique, le STIF. La carte sans contact est d’ailleurs une invention française.
En 2025, notre système aura changé, j’en suis sûr, mais je ne sais pas encore quel il sera. Le smartphone jouera sans doute un rôle important. Mais, sur la norme NFC qui est en train d’émerger, mais qui n’est pas complètement universelle, nous rencontrons de vraies résistances. Il faudrait pourtant agir vite.
Vous savez que le pass Navigo permet déjà l’accès aux réseaux RATP et SNCF, mais aussi à Vélib’. Il faudra aller plus loin, en intégrant Autolib’ mais aussi, par exemple, le covoiturage. L’objectif de disposer, en 2025, d’un système universel de paiement de la mobilité est intéressant et accessible ».
M. Jean-Pierre Bandet, pour Air France, s’est également déclaré favorable à la délivrance d’un pass, tout en soulignant qu’elle était complexe pour des raisons de sûreté : « Cela étant, nous sommes tout à fait ouverts à l’idée de proposer aux visiteurs un abonnement couplé avec des entrées de site – même si le principe demande à être travaillé ».
La spécialiste du numérique, Mme Virginia Cruz, a proposé de « passer par les smartphones et les objets connectés, comme les bracelets, en s’inspirant de l’expérience Disney : lorsque vous réservez votre séjour, vous recevez un bracelet qui vous permet ensuite de naviguer entre les différentes installations. J’observe toutefois qu’il faudra prendre en compte les frais de « roaming (74) », notamment pour les visiteurs non européens ».
Il serait en effet encore plus performant et novateur de réfléchir à un moyen de paiement qui concernerait tous les aspects de l’exposition, en englobant le billet d’avion, les droits d’accès aux différents sites de l’exposition, les transports pour aller de l’un à l’autre et même l’hébergement.
Ce pass unique serait même une condition indispensable à l’organisation d’une exposition polycentrée. L’installation de l’exposition sur un seul site permet habituellement à l’organisateur de négocier directement des forfaits avec les transporteurs et les hôteliers et de s’en remettre, pour les réservations, à leurs sites web. Si l’exposition est multi-sites, il devra probablement s’en remettre à l’expertise et aux ressources humaines des voyagistes.
Des visiteurs qui souhaiteraient établir eux-mêmes, sans la médiation d’un voyagiste, leur trajet de visite des sites et réserver séparément, hors parcours balisé, leurs billets d’entrées sur les sites, les billets de transports de l’un à l’autre et l’hébergement sur place, risquent d’être dissuadés par les démarches à suivre et rebutés par le coût total du séjour.
c. Un moyen de décupler l’information et d’intégrer
Les grands événements sportifs fournissent un excellent exemple de la possibilité de décupler l’information.
Pour M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury sport organisation (ASO) et directeur du Tour de France, « le Tour est une invention des médias… Il doit être encore en phase aujourd’hui avec les moyens de son époque, sinon il cesserait d’exister en tant que tel. Les réseaux sociaux sont à nos yeux essentiels. Dans une dizaine de jours, nous allons d’ailleurs annoncer pour la première fois une étape du Tour par leur biais. Nous les utilisons aussi pour la sécurité… Si la télévision reste le média dominant, le deuxième écran
– celui des téléphones mobiles – peu développé jusqu’ici, est essentiel… Le deuxième écran permettra de fournir toutes les informations techniques qu’un passionné de vélo cherche à connaître, ainsi que des informations annexes, sur l’hébergement par exemple ».
M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis (FFT) attend également beaucoup des nouvelles technologies : « Nous nous sommes demandé ce que Roland Garros offrirait en 2020. Le développement du numérique va apporter un vrai bouleversement. Nous avons été précurseurs, puisque depuis 2 ou 3 ans, nous avons institué un e-billet. Notre modèle va complètement changer. Il faudra connecter notre stade : de son siège du cours central, le spectateur pourra sur son téléphone portable revoir un point, commander de la nourriture, choisir de voir un cours plutôt qu’un autre car il s’intéresse à un joueur en particulier, nous pourrions identifier un visiteur et lui donner les informations qu’il attend étant donné son profil. Cela devra être une expérience à la fois tangible, car la French touch doit demeurer et cela doit pouvoir rester une journée familiale, mais aussi intangible. Le problème est que nous serons inondés de contenus… Tout le contenu vidéo sera archivé depuis 1928. Pour l’exposition universelle, on pourrait identifier les gens qui viendraient, les traiter en amont, leur fournir du contenu pendant l’expo et les remercier ensuite d’avoir participé ».
Ce bouleversement aura des répercussions économiques, notamment sur le rôle et les droits des chaînes de télévision : « Cela induira un changement du business model, mais ce sera une opportunité. Il faudra diversifier les sources de revenus, en trouver d’autres, faire preuve de créativité, penser au niveau mondial et global, s’adresser, par exemple, aux Chinois et aux Indiens, alors que c’est encore peu le cas, grâce à une application spécifique ».
M. Jacques Lambert, président du comité de pilotage de l’Euro 2016 de football, a également relevé les modifications économiques induites par le développement rapide des infrastructures numériques : « l’émergence du numérique a augmenté significativement les coûts d’un certain nombre de postes budgétaires de l’organisation, notamment parce qu’il nous oblige à mettre en place dans et autour des stades des capacités d’accès au réseau beaucoup plus importantes que celles qui existaient auparavant. Cela vaut pour nous, organisateurs temporaires, mais plus encore pour les utilisateurs quotidiens des stades que sont les clubs.
Les événements de portée internationale augmentent la part de spectateurs et de supporters étrangers. Ainsi, pour l’Euro 2016, nous savons, grâce au mode de distribution des billets par l’UEFA, que la part des spectateurs étrangers qui empliront les stades sera comprise entre 40 et 45 % de leur capacité totale. Sachant que l’UEFA réserve 20 % de la capacité du stade pour chacune des deux équipes, le reste de la billetterie grand public est vendu par Internet, avec un accès libre aux ressortissants du monde entier.
L’augmentation considérable du trafic – appels téléphoniques, échanges de données, photographies – pose d’importants problèmes. Entre la rédaction en 2008 du cahier des charges de l’UEFA et l’érection des stades de l’Euro 2016 est apparu un problème qui n’était connu que d’un petit nombre de spécialistes des télécommunications, à savoir l’incompatibilité de certaines normes électroniques qui a pour conséquence, lors des pointes de trafic, de perturber la transmission des matchs. Compte tenu des prix auxquels se négocient les droits de télévision, c’est une chose que personne ne peut se permettre. Pour y remédier, il faut adapter les circuits et les réseaux existants dans les stades, y compris les stades les plus récents comme ceux de Lille, de Nice ou de Lyon. Cette difficulté illustre la rapidité avec laquelle évolue le numérique.
Pour ce qui est de notre capacité à répondre à l’évolution du numérique et aux besoins des spectateurs de demain, je n’ai jamais rencontré la moindre inquiétude, mais j’ai beaucoup de mal à imaginer ce que sera réellement la demande ».
Enfin, nul doute que le numérique aura un effet intégrateur et permettra de ne laisser personne sur le chemin, plus en 2025 que maintenant ; il faudra, en effet, réfléchir à l’accès à toutes les composantes de l’exposition universelle aux handicapés, et, notamment, aux malvoyants et malentendants.
d. Un fleuron de l’économie française
Même si le numérique n’est pas un secteur en soi, et ne peut pas être « montré » dans une exposition universelle, comme l’ont dit les spécialistes, il pèse tout même un réel poids dans l’économie française, et l’exposition universelle sera l’occasion de faire connaître nos innovations en ce domaine.
« Il se trouve néanmoins que par les hasards du génie français, nous sommes assez compétents dans ce que l’on appelle « l’internet des objets », les objets connectés », a estimé M. Jean-Louis Fréchin ; l’exposition universelle « est la possibilité de montrer ce qu’est aujourd’hui le patrimoine de la France en matière de jeux vidéo ; nous avons une histoire particulièrement riche, nous avons des grands noms de l’histoire du jeu vidéo, et la France est aujourd’hui une des places fortes du jeu vidéo mondial », a ajouté M. Emmanuel Martin. Mme Virginia Cruz a renchéri : « un des buts de la manifestation est aussi de créer du business. On pourrait tirer parti de la rencontre d’investisseurs venant de l’étranger et de personnes d’ici, qui ont des idées... Comment faire en sorte que l’exposition universelle offre un cadre facilitant rencontres, partenariat ou créations d’entreprises ? ».
Mme Claude Revel a également insisté sur la bonne réputation du secteur numérique français : « Si nous n’avons pas encore mesuré notre influence sur le numérique, d’après ce que je vois, nous sommes considérés par les experts de ce domaine comme des producteurs d’idées, en avance. Mais nous devons être davantage présents sur la production de normes : tous les jours, de nouveaux services sont en effet offerts sur les smartphones ou autres supports numériques. Cette production se fait par des standards de fait ou des organismes de standardisation, la plupart du temps basés aux États-Unis. Les autres le sont souvent en France, ce qui est un très bon signe. Une partie de la gouvernance d’Internet est ainsi basée à Sophia Antipolis – outil d’influence que l’on n’utilise pas du tout d’ailleurs.
Nous devons donc mobiliser les expertises. D’autant que nous en avons aussi une à apporter sur le cadrage juridique du numérique, qui est à la croisée d’approches différentes, sur les droits d’auteur, la propriété industrielle, le secret des affaires ou la protection des données. Il y a une demande dans ce domaine à l’heure actuelle, où prévaut la vision anglo-saxonne.
Si nous arrivons à montrer que nous dominons le numérique, que nous sommes capables de mettre en place des instruments et des projets fondés sur celui-ci, nous serons d’autant plus crédibles pour aller défendre ensuite des règles de propriété intellectuelle qui nous sont favorables, qu’il s’agisse de la protection des données personnelles ou économiques ».
Comme l’a souligné M. Xavier Darcos, « Quand on visite les studios d’animation Pixar, il n’est pas nécessaire de parler américain : tous les dessinateurs sont français et tous ont été formés en France ».
M. Jean-Paul Huchon a également mis l’accent sur les avancées de la région Île-de-France dans ce domaine. Parmi les secteurs stratégiques qui pourraient servir de relais de croissance, la filière de l’audiovisuel et du numérique lui paraît s’imposer. Les aides de la région, en général réparties dans les zones qui sont le plus en difficulté, ont un effet de rééquilibrage intéressant à l’est et au nord ; des entreprises brillantes utilisant les nouvelles techniques numériques sont par exemple situées à Saint-Denis, à La Courneuve. Quant à la 11e Coupe du monde de jeux vidéo, elle se tient à Paris.
3. La mise en œuvre de la révolution digitale dans un nouveau projet : Europa City
La mission a reçu les promoteurs du projet Europa City, nouveau quartier du Grand Paris à l’échéance de 2025, la même, donc, que celle de l’exposition universelle (bien que l’ouverture commence à partir de 2020)
Ce projet, porté par le groupe Auchan, et localisé au sein de l’Île-de-France, directement relié à la future station de la ligne 17, consiste en « un alliage original de fonctions culturelles, commerciales de loisirs et hôtelières ».
Ses objectifs sont triples : proposer une offre répondant aux nouveaux modes de vie, accompagner le développement économique en renforçant l’attractivité du territoire et créer un équipement de dimension métropolitaine et de visibilité internationale.
Il est apparu aux promoteurs du projet que la révolution digitale a fait émerger une nouvelle donne en changeant les individus « en leur conférant une nouvelle façon de se penser », selon Mme Sophie Delcourt, directrice du marketing et des partenariats d’Europa City. « Armés de ces outils, les individus ont l’impression de pouvoir prendre le pouvoir – d’en avoir à la fois la légitimité, la capacité et la puissance. Les individus se sentent le droit et la compétence de le faire et savent que seuls, ou organisés en réseau, ils ont la possibilité de s’emparer de l’ensemble des domaines de la vie qui les intéresse, de manière à la fois exhaustive et éclectique, de s’organiser, de faire entendre leur voix et, à leur échelle, de faire changer les choses. Le deuxième élément que modifie cette révolution digitale, c’est notre besoin d’être ensemble : nos vies sont digitalisées, numérisées, codées. Nous avons donc de plus en plus besoin d’assouvir notre besoin fondamental d’être humain – celui d’être ensemble, de sentir la proximité, la créativité et l’empathie, de réinvestir autour de nous ce qui est matériel et tangible et de cesser de vivre cette existence virtuelle ne répondant pas à nos besoins d’avant la technologie ».
Cette nouvelle conception est amplifiée par le fait que le développement du temps libre donne envie de l’enrichir au maximum. De ces diverses évolutions découle la naissance de l’ « économie expérientielle » – n’oublions pas que les étudiants, lors de la présentation de leur projet d’exposition universelle à la mission, avaient qualifié les visiteurs d’ « expérienceurs ». Pour Mme Sophie Delcourt, le consommateur devient « co-auteur ».
Parallèlement les marques changent : auparavant, elles produisaient des biens et services, alors que dorénavant, elles deviennent des medias, des « émetteurs de contenus, de narrations, de sensations, de créations de liens et d’événements qui sont tous gratuits. Les marques offrent une expérience pour pouvoir ensuite monétiser les biens et services ». Ces nouvelles approches remettent en cause la notion de magasin physique, qui est voué à devenir « un lieu de rencontre ».
Ce nouveau projet se distingue, d’après ses promoteurs, du « fun shopping » évoqué par M. Dominique Hummel lors de son audition, qui n’est qu’une rustine : on se contente de rajouter une touche d’ « expérimentiel » et d’amusement. Il est également différent des parcs de loisirs, tels Disneyland Paris, qui relèvent du « monde d’avant » : « Europa City est un modèle du monde digital que nous allons placer dans le monde physique : lorsque vous ouvrez votre tablette ou votre téléphone, une diversité d’icônes s’affiche sur votre écran d’accueil, correspondant à la diversité de vos centres d’intérêt. Europa City constitue une façon de placer cet écran d’accueil dans le réel et, donc, d’y ajouter cette touche inestimable nous permettant de vivre tous nos centres d’intérêt avec les autres et dans le monde physique. Cela reste différent de l’expérience, aussi augmentée soit-elle, que peut nous offrir le virtuel. Disneyland Paris correspond à un modèle plus ancien proposant une unicité d’expériences. Quoi que vous fassiez à Disneyland Paris, vous faites ce qui a été prévu pour vous. Europa City propose une multiplicité d’expériences qui partent de vous en tant qu’individu : vous pouvez vous rendre trois fois dans l’année à Europa City et y effectuer à chaque fois trois activités complètement différentes. À l’inverse, vous ne ferez qu’une seule expérience à Disneyland Paris. Je pense donc en effet que ce parc d’attractions répond à un modèle ancien ».
Ce nouveau modèle séduisant, pourrait également venir en support de l’exposition universelle.
B. LA RÉUTILISATION OU LA CONSTRUCTION D’IMMEUBLES
Le projet d’exposition proposé par M. Jean-Christophe Fromantin est original et séduisant parce qu’il associe l’utilisation de sites déjà construits à la mise en valeur du réseau à venir du Grand Paris-Express. L’installation de l’exposition sur la métropole du Grand Paris est envisagée selon plusieurs modalités :
1° Des bâtiments, anciens ou récents, remarquables par leur architecture ou leur histoire et déjà ouverts au public, pourraient abriter un pavillon léger qui se glisserait dans des locaux mis à sa disposition ;
2° Des sites en plein air, très fréquentés par les touristes, aux abords de monuments ou dans un paysage célèbre, pourraient se prêter à des spectacles grand public ou recevoir des rencontres thématiques ;
3° L’exposition pourrait inaugurer les infrastructures déjà prévues et budgétées par le programme de développement du Grand Paris-Express. Leur dessin pourrait être enrichi par l’organisateur de la manifestation ou par les concessionnaires eux-mêmes ;
4° Quelques emprises libérées ou des bâtiments patrimoniaux en déshérence, distribués par le nouveau réseau de transport, pourraient être reconvertis par des gestes architecturaux mémorables et garder le souvenir de l’exposition.
L’attrait touristique, patrimonial ou urbanistique des sites réunis par l’exposition devrait valoriser les sections nationales invitées tout en dispensant la plupart d’entre elles de bâtir à leurs frais des pavillons neufs. Pour l’organisateur, les surcoûts éventuels seraient compensés par des économies réalisées sur le bâti et par une forte fréquentation des sites, rendue possible par leur dispersion.
Ce projet a suscité une approbation unanime de la part des personnalités entendues par la mission d’information. Ils ont salué l’ambition de prouver que les expositions internationales pouvaient s’adapter à l’évolution des métropoles dans des pays déjà fortement urbanisés, sans que l’attrait du public ne faiblisse, ni que l’équilibre financier de la manifestation ne s’en ressente.
Selon M. Jean-Louis Missika : « L’heure n’est plus aux mégaprojets, l’Exposition universelle de Shanghai restant, de ce point de vue, indépassable. L’heure n’est plus aux palaces éphémères, et nous devons tirer les leçons des expériences passées, éviter les erreurs de certaines villes qui n’ont pas su réutiliser les infrastructures créées pour l’occasion au profit de leurs habitants, ne leur léguant que des déficits », à qui M. Jean-Paul Huchon a répondu, comme en écho : « L’heure n’est probablement plus aux projets pharaoniques, à l’alignement de pavillons nationaux ou à la création d’infrastructures dans des lieux à la reconversion toujours problématique ».
Après l’étude des principes généraux d’organisation, la mission d’information s’est intéressée aux conditions pratiques du partage entre la réalisation de constructions éphémères ou de réhabilitations durables, par les sections nationales qui le souhaiteront et l’utilisation temporaire de bâtiments actuellement ouverts au public par les autres sections et pour des conférences thématiques.
La mission a réuni, sur le premier thème, une table ronde d’architectes et d’urbanistes impliqués dans la réalisation du Grand Paris-Express. Elle a en outre entendu, à propos de l’utilisation de bâtiments patrimoniaux, parfois hérités des précédentes expositions, des représentants de leurs exploitants.
1. La réutilisation de bâtiments patrimoniaux existants
M. Jean-Christophe Fromantin a décrit à M. Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, son projet dans les termes suivants :
« Vous le savez, notre projet d’exposition universelle ne repose pas sur la construction de pavillons, comme cela a été le cas de Shanghai ou sera le cas de Milan l’année prochaine ou, probablement, celui de Dubaï en 2020, mais a pour objectif de revisiter le patrimoine existant. Les pays visiteurs seront invités à occuper des éléments du patrimoine historique ou contemporain, à Paris même et dans le cadre du Grand Paris.
« Deux types de monuments entreraient dans ce projet : les monuments anciens, notamment ceux qui sont les témoins des expositions universelles du XIXe siècle, et des monuments contemporains, je pense notamment à la cinquantaine de gares prévues du Grand Paris, qui pourraient accueillir des pavillons et des animations. »
S’agissant des édifices patrimoniaux, M. Philippe Bélaval a tenu à rappeler que : « Ces monuments font par ailleurs d’ores et déjà l’objet, pour la plupart d’entre eux, d’un usage, notamment culturel, et on ne va pas démeubler Versailles pour y installer un pavillon de l’exposition universelle. Une contradiction entre les deux usages risque donc de surgir indépendamment même de la question, subalterne, du dédommagement de l’établissement qui tire ses recettes de ses visiteurs…
« Le public de ce type de manifestation attend des prestations en termes d’accueil. Outre son coût, cette adaptation devra également respecter la législation patrimoniale. Comment insérer la modernité au sein des châteaux de Versailles, de Fontainebleau ou de Vincennes ? Faudra-t-il cacher provisoirement certains éléments historiques, voire les déplacer ou les démonter ? Comment le faire dans le respect de la législation des monuments historiques ? »
La réglementation qui protège les monuments ou sites classés imposerait des obligations au maître d’œuvre d’un pavillon telles qu’elle pourrait perturber les relations entre la puissance invitée et l’organisateur de l’exposition.
C’est pourquoi le projet de loi sur l’Exposition universelle de 1989 avait prévu de suspendre l’application de la législation sur la protection des monuments historiques, des monuments naturels et des sites le temps de la tenue de l’exposition et dans les limites de ses enceintes.
Le texte permettait de mettre fin aux baux et conventions des exploitants des édifices convoités sis sur les domaines publics et privés de l’État et des autres collectivités concernées. Une indemnité d’éviction, négociée à l’amiable ou fixée selon une procédure analogue à celle de l’expropriation pour cause d’utilité publique, devait être versée à l’exploitant évincé. Mais comme l’a souligné M. Philippe Belaval, de telles exemptions pourraient rencontrer des oppositions et susciter des réactions hostiles :
« Faire côtoyer les architectures contemporaine et patrimoniale n’est pas une idée majoritairement partagée par nos concitoyens. Rien ne s’y oppose, notamment au plan législatif, surtout si l’édifice doit être éphémère : les marges de manœuvre sont alors plus importantes que si l’appendice est définitif…
« Je déconseillerais toutefois d’adopter une législation ad hoc, dérogatoire à la législation patrimoniale existante, le goût de la majorité des acteurs pour le patrimoine étant relativement conservateur et régalien. Tout ce qui pourrait apparaître, à tort ou à raison, comme une tentative d’abaisser les protections afin de favoriser l’entrée des grands groupes risquerait de rompre l’unanimité entourant la question du patrimoine… »
« Si je suis intéressé non seulement par le principe d’une exposition universelle, mais également par une démarche de réemploi, je pense toutefois que, sauf exception, il ne faudra pas chercher à inscrire cette démarche dans des lieux véritablement patrimoniaux…
« Certes, des parties de ces monuments sont parfois moins utilisées que d’autres : il conviendrait de les recenser de manière fine. Il serait en revanche dommage, pour attirer du public à l’exposition universelle, de fermer des éléments du patrimoine que ce même public souhaitera visiter à la faveur de son séjour en France. Il faudra dépasser cette contradiction…
Pour ne pas être évincés, les exploitants pourraient prêter ou louer des parties délaissées ou des annexes de leurs monuments à l’organisateur de l’exposition. Il n’est cependant pas habituel que les subdélégations des droits réels sur le domaine public durent près d’un an. Il serait juridiquement délicat qu’en l’absence d’une exemption législative, elles autorisent l’organisateur et ses concessionnaires à aménager les lieux à leur guise.
Si les restrictions posées à cet aménagement et les contraintes de maintenance des installations et de préservation ou de remise en état des locaux pouvaient être négociées, ouvrir cette négociation aux puissances invitées retarderait l’attribution des concessions aux sections nationales et provoquer des embarras diplomatiques. Mieux vaudrait que l’organisateur de l’exposition la conduise seul dès le dépôt de la candidature de la France avant d’en proposer le tiers bénéfice aux concessionnaires après le vote du BIE.
Que l’exploitant soit évincé ou subrogé temporairement dans ses droits par l’organisateur de l’exposition, la reprise par ce dernier ou mise à sa disposition des personnels qui entretiennent, surveillent et accompagnent les visiteurs du site à l’année, pour le compte de l’exploitant, devra également être envisagée pour éviter des contentieux juridiques s’agissant d’employés sous statut ou de prestataires sous contrats collectifs.
Quoi qu’il en soit, ces difficultés, pour réelles qu’elles soient, pourraient être surmontées : elles seraient infiniment moins dommageables que les « ruines » qui restent souvent après une exposition universelle où les pavillons construits pour l’évènement sont ensuite, dans de nombreux cas, laissés à l’abandon.
Ces difficultés juridiques levées, il faudrait aussi que les monuments convoités par l’organisateur puissent être mis à sa disposition. M. Jean-Louis Missika, a confirmé devant la mission que : « La proposition soutenue par Jean-Christophe Fromantin, consistant à substituer à l’organisation traditionnelle en pavillons une répartition plus large des animations sur le territoire, une utilisation du patrimoine existant et une mise en valeur des grands sites urbains nous convient parfaitement. »
« Nous avons parlé d’un projet sobre et intelligent. Dans cette perspective, Paris est naturellement disposé à mettre à disposition un certain nombre de ses grands monuments, au premier rang desquels la tour Eiffel ; c’est un patrimoine dont nous sommes fiers, que nous avons envie de partager et qui offre d’importantes capacités d’accueil pour le public et les expositions. Je rappelle cependant qu’une grande partie de ces monuments dépend de l’État, dont nous attendons en conséquence des engagements fermes ».
Ces monuments célèbres, déjà ouverts au public, devraient en outre recevoir un surcroît de public compte tenu de l’affluence prévisible sur les lieux d’une exposition organisée à Paris. La mission a interrogé, à ce propos, les exploitants de trois monuments parmi les plus célèbres de Paris, le Grand Palais, le Louvre et la tour Eiffel sur les conditions de leur participation à l’exposition.
Leur audition a permis d’envisager l’accès aux pavillons de l’exposition en parallèle ou en remplacement des visites habituelles du lieu, compte tenu des limites de fréquentations imposées à des établissements recevant du public, pour évaluer la fréquentation de l’exposition à l’aune de celle de ces monuments.
Pour les monuments les plus célèbres, il sera difficile de garantir aux dizaines de millions de visiteurs de l’exposition l’accès aux sites les plus convoités à moins de mettre en place des systèmes de réservation préalable, qui feront des déçus, afin de ne pas laisser se reformer les files d’attentes habituelles de grandes expositions internationales, que le projet d’exposition éclatée devait éviter.
M. Jean-Luc Martinez, président-directeur de l’établissement public du Louvre, a expliqué que le musée du Louvre avait toute sa place dans un projet d’exposition universelle tant au nom de l’histoire, que par son caractère hors norme et son rayonnement culturel international.
Il a en effet un prestige et un pouvoir d’attraction inégalé : « En 2014, il franchira pour la troisième année consécutive le cap des neuf millions de visiteurs annuels – 9,7 millions en 2012, année de l’ouverture du département des arts de l’Islam, et 9,3 millions l’année dernière – alors qu’au début des années 1980, il en accueillait moins de trois millions. Sa fréquentation a donc été multipliée par trois en trente ans. Nous regardons nous-mêmes ce phénomène avec stupéfaction car aucun musée n’atteint ce niveau d’affluence qui nous rapproche de certains monuments historiques à forte fréquentation touristique, comme la tour Eiffel ou Notre-Dame de Paris...
Nous avons d’ores et déjà pris acte que nous ne pouvions plus accueillir correctement nos neuf millions de visiteurs annuels, sachant que d’ici à quelques années nous en recevrons sans doute dix à douze millions. Un projet d’investissement visant à rénover les infrastructures du musée – billetterie, bagagerie, restauration des visiteurs, toilettes… – est donc engagé depuis le début du mois, et doit s’achever en avril 2016.
« Ce projet « Pyramide » est financé pour 57 millions d’euros grâce à la licence de marque du Louvre Abou Dabi, ce qui me permet, au passage, d’affirmer que cette coopération est une chance pour le Louvre. Malgré les efforts entrepris, il est inévitable de rencontrer un seuil de saturation qui est atteint si nous recevons trente-cinq mille ou cinquante mille visiteurs par jour. C’est la raison pour laquelle nous conseillons de limiter la participation du musée en 2025 à un projet d’exposition », ajoutant que cette exposition pourrait être « exceptionnelle par sa durée et par son ambition, sur un sujet qui reste à déterminer. »
M. Hervé Barbaret, administrateur général de l’établissement public du Louvre, a ajouté qu’une « affluence de quarante mille visiteurs par jour constituant pour le Louvre un seuil de saturation, le musée ne sera en mesure d’accueillir durant les cent quatre-vingts jours de l’exposition qu’un maximum de 7,2 millions de visiteurs, en imaginant qu’il reste ouvert sept jours sur sept. Il faut donc avoir conscience que le Louvre ne pourra recevoir qu’une fraction des cinquante à quatre-vingts millions de personnes attendues pour l’exposition universelle, et ne pas créer une attente que nous serions incapables de satisfaire. Une offre spécifique dans le cadre d’une exposition permettrait peut-être grâce à une fluidité accrue d’accueillir un public plus nombreux. »
Pour M. Jean-Paul Cluzel, président de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (Rmn-GP), « l’idée de centrer l’exposition universelle sur le patrimoine existant et de le mettre en valeur est plaisante. La seule limitation qui s’impose à nous vous a été dite par mes collègues Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre et Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux : nous accueillons déjà un public fort nombreux et, à installations égales, le supplément de visiteurs que nous pourrions recevoir n’est pas très élevé…
« Si le Gouvernement avalise le projet de modernisation du Grand Palais et de réaménagement urbain de l’espace environnant, notre capacité moyenne d’accueil du public passera de plus de 12 000 à quelque 20 000 personnes. Selon les expositions, le Grand Palais et le Palais de la découverte reçoivent entre 2 et 3 millions de visiteurs ; nous pourrions alors en recevoir entre 4 et 5 millions, mais notre marge de progression ne va pas au-delà. »
Aux limites de saturation des sites s’ajoutent les contraintes techniques posées par la réservation à l’avance des visites, indispensable pour éviter la formation des files d’attentes de plusieurs heures qui ont été observées à Shanghai. Cette réservation suppose une réunion des billetteries de chaque monument et de chaque site de l’exposition par une opération sophistiquée qui devra faire l’objet d’une étude appropriée.
M. Jean-Christophe Fromantin a interrogé M. Éric Spitz, directeur général de la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE), M. Jean-Paul Cluzel, président de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (Rmn-GP) et M. Hervé Barbaret, pour savoir si un couplage des billets d’accès au Louvre et à la tour Eiffel avait déjà été expérimenté, qui pourrait servir de modèle au billet d’entrée de l’exposition.
M. Éric Spitz a tout d’abord lui aussi souligné que le projet avait sa faveur : « parce que la Tour Eiffel a été au centre de toutes les expositions universelles qui se sont déroulées dans la capitale depuis 1889, le directeur général de Société d’exploitation de la tour Eiffel que je suis ne peut qu’être enthousiaste à l’idée que cette expérience se reproduise en 2025… La tour Eiffel a été à la racine du progrès hier ; tout concourt à ce qu’on lui donne aujourd’hui les ailes qui la projetteront dans l’avenir… La tour Eiffel a aussi toute sa place dans une exposition universelle parce qu’elle est d’abord une porte ouverte sur le monde. Ses visiteurs proviennent à 86 % de l’étranger. Elle symbolise la France entière plus encore que Paris, et il suffit de voyager pour constater son prestige ».
Concernant les billets d’accès, il a répondu que : « L’office du tourisme de Paris propose actuellement des billets donnant accès à plusieurs sites, mais la tour Eiffel n’en fait pas partie. M. Jean-François Martins évoquait devant vous le 4 juin dernier la création d’un City pass « tout en un » qui pourrait être mis en place dès l’Euro 2016. La Tour Eiffel ne peut accueillir simultanément qu’un nombre relativement limité de visiteurs.
Cela est d’autant plus vrai que nous sommes totalement tributaires des moyens d’ascension. Tous les visiteurs doivent emprunter les ascenseurs qui ne peuvent acheminer qu’un nombre restreint de personnes par tranche horaire. La programmation indispensable des visites rend difficile l’intégration du monument à un City pass car nous devons impérativement maîtriser le nombre de billets vendus et les horaires d’accès – cela est d’autant plus difficile que certains ascenseurs restent parfois en panne pendant plusieurs jours. »
En revanche, M. Jean-Paul Cluzel a espéré que d’ici 2025, un Pass unique, ait pu être conçu qui fixerait un prix d’accès unique à tous les sites. Les recettes seraient ensuite réparties « au prorata des visiteurs reçus et des coûts engagés par chaque institution. L’autre solution, consistant à prévoir un billet pour chaque site en co-production avec l’organisme gestionnaire de l’exposition universelle, ne me paraît pas correspondre à l’esprit d’un tel événement ; la fragmentation de l’exposition impose au contraire un Pass général. »
M. Hervé Barbaret a reconnu que : « durant les cent quatre-vingts jours de l’exposition universelle, nous serons inévitablement confrontés à une inadéquation entre l’offre et la demande car une partie non négligeable des cinquante à quatre-vingts millions de visiteurs voudra avoir accès au Louvre ou à la tour Eiffel ce qui sera impossible.
« Une inadéquation entre l’offre et la demande ne se résout que par deux moyens : le prix ou la pénurie, c’est-à-dire la file d’attente ou le « service non rendu ». Je n’apporte pas de réponse, mais il me paraît clair que l’inadéquation évoquée nécessite une réflexion sur la tarification qui pourrait par exemple être modifiée pour la période de l’Expo tant que la gratuité est maintenue pour les publics ciblés. »
Si les visites des monuments indépendamment de l’exposition devaient être suspendues pendant les six mois de sa tenue ou si les recettes d’entrée devaient aller au BIE et à l’organisateur de l’exposition plutôt qu’à l’exploitant du site, une indemnisation de ce dernier pour le préjudice éventuellement subi devra être envisagée.
Les collections numériques des grands établissements culturels
pourraient avoir toute leur place lors de l’exposition,
même si le numérique ne peut remplacer la découverte de visu des œuvres
Contribution écrite de Mme Agnès Saal
Présidente-directrice générale de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), auparavant directrice générale de la BNF, puis du Centre Pompidou
(architecte du projet « Centre Pompidou virtuel »)
Le numérique représente assurément une nouvelle frontière pour les institutions culturelles de même que pour les entreprises de l’audiovisuel, à la fois chance et danger.
Atout puisque puissant instrument de diffusion des contenus, d’une richesse et d’une diversité extrême que chaque institution est chargée de conserver, enrichir, produire, à destination du plus grand nombre.
Atout aussi car levier de la modernisation interne, fédérateur d’équipes autour d’un enjeu transverse qui mobilise les énergies et les compétences, moyen d’accomplir au plus haut degré la mission de service public qui légitime l’existence de chacune de ces institutions et les moyens mis à sa disposition.
Atout car moyen de valoriser l’aptitude de ces établissements (musée, bibliothèque, opéra, théâtre, archives...) à maîtriser le vrac et à organiser les fonds qu’ils détiennent en parcours de sens, qui rendent intelligible et intelligente l’abondance des contenus mis en ligne, documentés, ordonnés, mis en perspective, et surmontant ainsi le risque de l’indifférence a-t-on.
Danger car l’éparpillement des sources, la tentation de leur valorisation solitaire par chaque opérateur, peu ou mal armé pour assurer la pérennité et la visibilité des fonds numérisés, exposent à un double risque : celui d’une dispersion, voire d’une disparition au sein de millions de sites portés par des promoteurs dont la puissance de feu et l’attractivité sont bien supérieures.
Danger car l’insuffisance des moyens publics et l’absence de pôle central fédérateur peut inciter l’un ou l’autre des acteurs culturels (publics ou privés) à céder à la tentation d’abandonner leurs fonds aux GAFA (75), dont la puissance économique autorise à consentir les investissements de départ, même si la rentabilité n’est pas immédiate. Leur intérêt, évident, consiste bien à contrôler les œuvres, les documents, les programmes, les fonds, les plus nombreux et les plus diversifiés qui dotera leurs plate-formes d’une incomparable attractivité.
La multiplication inédite de supports, de modes de proposition des contenus, l’innovation technologique permanente, l’évolution accélérée des usages et des attentes des consommateurs-usagers obligent, avec un volontarisme sans faille et sans plus tarder, à redoubler d’efforts : les établissements doivent aller bien au-delà de l’acte technique de la numérisation. L’éditorialisation accrue, l’invention de nouveaux formats, l’effort d’adressage et de partage des contenus avec le plus large public, la maîtrise des techniques de recommandation sont autant d’impératifs pour demain.
Pour y parvenir, je suis persuadée que la fédération de la multitude d’institutions concernées, dans le domaine du patrimoine, des arts vivants, de l’audiovisuel et du transmédia, autour d’un petit nombre de "champions" nationaux, puissants, expérimentés et organisés, soucieux d’une diffusion juridiquement sécurisée et accessible, s’impose.
La BnF, l’Ina sont incontestablement aptes à jouer ce rôle.
Mais il ne faut plus attendre.
2. La valorisation des abords des monuments
Le choix original du projet d’exposition de réutiliser des bâtiments existants pourrait être complété par la valorisation des abords des monuments.
M. Philippe Bélaval a proposé à la mission d’installer les pavillons non pas à l’intérieur mais aux abords des bâtiments célèbres, de telle sorte qu’ils puissent se mettre mutuellement en valeur et se partager la foule des visiteurs sans confondre les files d’attentes et les billetteries et sans imposer à la puissance invitée sur place des contraintes matérielles excessives dans l’aménagement de sa représentation.
Des pavillons légers, installés aux abords plutôt qu’à l’intérieur des sites célèbres pourraient être animés et mis en scène par des projections, visibles par un public nombreux, qui les uniraient aux façades monumentales des bâtiments voisins.
Selon M. Jean-Luc Martinez : « Les façades du Louvre ont déjà servi de support à une installation éphémère, œuvre d’une artiste vidéaste américaine, Jenny Holzer. Ce type de manifestation a un très fort potentiel d’attraction et permet d’accueillir un public bien plus nombreux que dans les salles du musée.
« Des projections extérieures nocturnes animeraient le domaine du musée Louvre qui comprend la place de la Pyramide et la Cour carrée. Les jardins de Tuileries, entre l’Arc de triomphe du Carrousel et la place de la Concorde, se prêtent également à des animations éphémères qui feraient intervenir des artistes contemporains. »
M. Éric Spitz a expliqué que : « La tour Eiffel est traditionnellement un support pour présenter des grands événements… Quant au Champ-de-Mars, il est depuis longtemps le lieu d’animations éphémères. Je rappelle que la fameuse Galerie des Machines y fut construite à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889 en même temps que la tour Eiffel.
« La tour Eiffel constituerait un lieu idéal pour des animations extérieures. La Ville de Paris souhaite d’ailleurs renouveler le scintillement qui se produit actuellement toutes les heures. La technologie qui a évolué permettra de construire des architectures lumineuses sophistiquées avec des dessins, des couleurs… »
M. Jean-Paul Cluzel a rappelé qu’il y aurait « une difficulté à envisager un événement durant six mois sous la nef en évinçant notre clientèle habituelle ; mais pour tous les autres lieux du bâtiment, le problème ne se pose pas. Il y aurait donc des restrictions à son utilisation, mais je ne verrais que des avantages à organiser sous la nef, quand le calendrier le permet, des événements majeurs, puisqu’elle permet le déroulement de manifestations d’une certaine ampleur dans une ambiance bien différente de celle d’un grand stade…
« On peut aussi imaginer des projections sur l’immense façade du Grand Palais, comme cela a été fait lors de la présidence française de l’Union européenne. On peut encore envisager installations artistiques et spectacles vivants sur la nouvelle esplanade, dans l’espace situé entre le Grand et le Petit Palais, entre les galeries nationales et les Champs-Élysées, ainsi qu’aux alentours des berges de la Seine, sur le Cours la Reine, l’esplanade des Invalides et le Champs de Mars. »
3. L’utilisation de bâtiments existants modifierait le contenu de l’exposition
Par le passé, c’est, comme l’a souligné M. Sylvain Ageorges, la trace architecturale qui symbolise l’exposition universelle. Qu’il s’agisse de l’Atomium, de la Tour du soleil ou du Pavillon chinois, c’est l’architecture qui importe.
Par ailleurs, M. Jean-Pierre Lafon a mis en garde la mission : « les pays, comme les hommes, ont un ego. Ils veulent construire eux-mêmes leur pavillon. »
Toutefois, les pays invités ayant l’intention de financer eux-mêmes leur représentation pourraient espérer ou faire en sorte de dépenser moins en aménageant un bâti existant ou en élevant un pavillon léger plutôt qu’une construction neuve durable.
Pour M. José Frèches, il faut « que le coût de la participation des États à cette exposition universelle ne soit pas exorbitant si on veut que le plus grand nombre de pays possible y soient représentés. Je pense que c’est sur ce point qu’il faudra savoir être innovant. On pourrait imaginer des pavillons plus légers. Cela ne veut pas nécessairement dire démontables, les bâtiments démontables coûtant en réalité plus cher. »
En outre, comme l’a justement fait remarquer M. Dominique Hummel, « l’utilisation de bâtiments existant au préalable ou d’espaces déjà aménagés conduira à une réduction du « ticket d’entrée » immobilier et permettra aux exposants d’investir davantage dans l’expérience de visite et dans le contenu. Il est possible de renouer avec la promesse historique des expositions universelles et avec le sens qu’elles ont pris dans l’histoire du monde. Elles racontent en effet que vivre ensemble sur la même planète, ce n’est pas seulement affronter les mêmes catastrophes, c’est aussi partager les mêmes rêves. Le thème retenu ne devra donc pas nécessairement être technologique, il se fondera plutôt sur l’idée d’un nouvel optimisme, afin que chaque pays puisse montrer à sa manière ce qu’il peut apporter et ce que le temps peut promettre ».
Ce serait donc une réelle rupture avec les expositions précédentes, car, « depuis quinze ans, la principale prouesse des expositions universelles n’est plus à l’intérieur des pavillons, mais à l’extérieur ; elle ne réside plus dans le contenu de ce qui y est présenté, mais dans la présentation elle-même » et de déplorer qu’aujourd’hui « la modernité s’incarne uniquement dans un signal architectural, aussi magnifique et chargé de sens qu’il puisse être ».
En outre, le budget traditionnellement réservé à l’architecture pourra être consacré à des animations plus riches.
D’ailleurs, M. Jean-Pierre Lafon l’a constaté lui-même, pour l’Exposition universelle de Milan de 2015, même si 130 États ont fait part de leur intérêt (76) , seuls 70 d’entre eux devraient construire leur propre pavillon ; des clusters abriteront en outre plusieurs pays, mais les Italiens n’ont pas prévu de construire des bâtiments qu’ils fourniraient à d’autres États, de sorte que le nombre de participants ne devrait finalement pas dépasser une centaine.
La mise à disposition de bâtiments serait donc bénéfique aux pays invités et à la richesse de l’exposition.
4. Les nouvelles gares du Grand Paris-Express
Au-delà du village central installé dans Paris, le deuxième cercle de l’exposition passerait par les nouvelles gares (au nombre de 69) et des sites remarquables desservis par le réseau ferré du Grand Paris-Express. Les gares ne sont pas assujetties à des règles de protection architecturale et le dessin de la plupart d’entre elles pourrait encore être retouché en prévision de l’exposition. M. Pierre Messulam, directeur général adjoint de Transilien SNCF a cependant attiré l’attention de la mission sur l’importance de la gestion des foules dans les gares, tout dérèglement étant cause de troubles. L’exposition ne devra pas empêcher la circulation des voyageurs, même si l’on peut admettre, des restrictions limitées permettant de célébrer l’évènement.
Quant au nombre de gares « emblématiques » qui pourraient être livrées en 2025, M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris, a estimé que rien n’était figé : « Celle du Pont de Sèvres sera emblématique surtout par sa réalisation, confiée à Jean-Marie Duthilleul, qui constituera un véritable défi technique.…
Notre projet est de réaliser, là où le tissu urbain le permet, non de simples stations, mais de véritables gares, conçues pour offrir aux voyageurs les services qui accompagneront le transport de demain. C’est la raison pour laquelle nous avons confié à Jacques Ferrier, qui était d’ailleurs l’architecte du pavillon français de la dernière exposition universelle, le soin d’élaborer une charte architecturale dont le respect s’imposera à l’ensemble des gares. Parmi elles, nous avons distingué les gares qui, par leur caractère emblématique, devaient faire l’objet d’une recherche architecturale particulière. C’est la raison pour laquelle le choix des architectes chargés de leur conception fait l’objet d’une consultation internationale. Deux architectes renommés ont déjà été désignés à l’issue de cette procédure : Duthilleul pour la gare de Noisy-Champs et Perrault pour celle de Villejuif. La conception des gares de Clichy-Montfermeil et du Bourget RER devrait également être confiée à de très grands noms de l’architecture. Près d’une centaine de candidatures, dont celles de grands noms de l’architecture mondiale, se sont manifestées à chacune de ces consultations, preuve de l’attractivité du Grand Paris ».
« Avec Jacques Ferrier, nous avons décidé de réfléchir au projet culturel qu’il serait possible de construire autour de ces nouvelles gares, notamment les gares emblématiques, dans la perspective de l’organisation de l’Exposition universelle de 2025 : la future gare de Clichy-Montfermeil, par exemple, pourrait contribuer au projet d’établissement d’une « Villa Médicis » à cet endroit. Quant à la future gare de Pleyel, il s’agira d’un ouvrage considérable et d’une grande complexité sur le plan de sa réalisation. Les acquisitions foncières nécessaires sont en cours…
Les gares emblématiques de la ligne 16 seront Clichy-Montfermeil et le Bourget. Quant à la future gare de Pleyel, il s’agira d’un ouvrage considérable et d’une grande complexité sur le plan de sa réalisation. La consultation internationale a permis de sélectionner cinq architectes de renommée mondiale et nous sommes en train de réaliser les acquisitions foncières nécessaires. »
« Nous n’avons pas encore déterminé quelles seront les gares emblématiques des autres tronçons. Il est probable que ce sera le cas de la future gare de Nanterre-La Folie, où se rejoindront Eole et la ligne 15, voire une future liaison complémentaire après 2030. Ce projet s’inscrit dans le projet plus large d’aménagement du secteur des Groues. Il est probable que la maîtrise d’œuvre de la gare et des immeubles situés dans sa proximité sera confiée au même architecte ».
Dans ces gares emblématiques, on pourrait envisager une animation festive occasionnelle au milieu des circulations des voyageurs, une présence permanente d’une puissance invitée pendant les six mois de l’exposition dans les espaces qui seront par la suite occupés par les commerces prévus dans l’économie et le plan de la plupart de ces nouveaux bâtiments, ainsi qu’une décoration de la gare aux couleurs de cette puissance et du thème de l’exposition.
La configuration de ces gares variera en fonction du tissu urbain où elles s’inscriront. L’objectif étant de les réaliser les plus vastes possibles afin qu’elles puissent accueillir des services et des commerces de proximité ; elles ressembleront davantage à des gares SNCF qu’à des stations du réseau RATP.
Enfin, la RATP a lancé un projet de recherche architecturale sur les espaces du futur, dénommé Osmose, avec, notamment un travail sur l’utilisation de la lumière naturelle.
5. Quelques gestes architecturaux mémorables
Au cours de la table ronde sur l’architecture de l’exposition, M. Jacques Ferrier est revenu sur l’enjeu urbain des gares du Grand Paris-Express : « Si les gares étaient incluses dans le projet d’exposition universelle, on pourrait en accroître encore la qualité ; ce serait l’occasion de les inscrire dans un récit urbain et architectural qui rendrait les habitants fiers de leur métropole… Ma mission actuelle me fait percevoir l’enjeu qu’il y a pour le Grand Paris à créer des « cartes postales » et des « symboles ».
« Contrairement à Paris Centre, cet immense territoire a un imaginaire pauvre. Il faut donner une visibilité à cette ville archipel. Ce qui reliera les pavillons, c’est la mobilité ; or nous, nous travaillons précisément sur l’expérience de la mobilité, en prenant les sens au sérieux, et en l’envisageant comme une question d’architecture – d’où notre slogan de « gare sensuelle »…
M. Jean-Paul Cluzel s’est dit favorable « à des gestes artistiques conçus comme autant de totems et de signes de piste pour un voyage urbain, marquant la réappropriation par le plus grand nombre d’une culture patrimoniale, contemporaine et numérique » plutôt qu’à « des installations qui risqueraient d’être de petite taille et qui ne résoudraient pas complètement la question de la capacité d’accueil des visiteurs. »
M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, a en outre souhaité une réflexion sur la libération d’emprises, même si l’on décide de réutiliser le patrimoine existant.
« Même si l’on décide de réutiliser le patrimoine existant, il faudra réfléchir à la libération d’emprises. Dans la perspective de l’Exposition de 1989, qui était prévue sur deux sites reliés par la Seine, nous avions libéré les emprises qui ont servi, d’un côté, à la construction du quartier Seine Rive Gauche et de la Bibliothèque de France, de l’autre, à la réalisation du quartier de Javel, sur l’emplacement des anciennes usines Citroën ; bien que l’exposition n’ait pas eu lieu, ces sites se sont développés.
« Avec le projet de Grand Paris-Express, une libération d’emprises arriverait à point nommé. Le métro va révéler des entre-deux aujourd’hui méconnus, comme la presqu’île de Gennevilliers, qui seront peut-être demain les nouveaux paysages parisiens, susceptibles de renouveler l’imaginaire de la capitale. Ces emprises accueillent un patrimoine industriel aujourd’hui disponible, qui pourrait être investi par le monde entier.
« Deuxièmement, il faudra veiller à l’accessibilité de ces emprises. L’armature du Grand Paris-Express, d’Eole et des Tangentielles se met en place, mais un projet d’exposition universelle permettrait de faire émerger d’autres idées d’utilisation des infrastructures ou conduirait à privilégier un métro aérien, afin que l’on puisse découvrir et admirer ce paysage – car la ville est aussi un patrimoine d’images partagées.
« Elle susciterait des opérations concomitantes, qu’elles soient à visée purement logistique – il faudra bien accueillir 80 millions de personnes – ou qu’elles contribuent à modifier le regard porté sur le patrimoine. Par exemple, la gare de Saint-Lazare, empruntée quotidiennement par 500 000 personnes, pourrait accueillir des installations fabuleuses. On romprait ainsi avec le modèle des pavillons implantés sur un grand espace, au profit d’installations dans des lieux emblématiques. »
En outre, « si l’on prévoit que les nations invitées s’installeront dans des lieux précis, il faudra veiller à ce que l’on passe directement d’un pays à l’autre, sans avoir à transiter par un espace public neutre. Cet effort de juxtaposition spatiale, avec un système de seuils entre les pays, pourrait donner des résultats extraordinaires ».
Les autres personnalités présentes ont approuvé l’idée de réserver des emprises urbaines libérées par les travaux du Grand Paris-Express à la construction de pavillons durable ou de permettre à une puissance invitée de réhabiliter, sur ces emprises, un bâtiment ancien et remarquable laissé en déshérence.
Lors d’une autre audition, M. Jean-Yves Durance a estimé que l’aménagement de ces zones serait impératif : « le projet d’exposition universelle étant largement fondé sur les 69 nouvelles gares, il serait inconcevable qu’elles trônent, seules, au milieu de zones non aménagées, de champs de pommes de terre ou de friches industrielles ».
M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine est revenu sur l’originalité du projet initial d’exposition qui ne prévoyait pas de construire des pavillons neufs en suggérant de ne pas exclure pour autant la réhabilitation de bâtiments en déshérence :
« Dans un dossier, un journaliste vous fait dire, monsieur le président – mais probablement vous aura-t-il mal compris : « Nous n’allons pas faire d’architecture, nous allons utiliser les bâtiments existants ». Or qu’est-ce que cela, sinon précisément faire de l’architecture ? Aujourd’hui, l’architecture, ce n’est plus construire des bâtiments neufs ; on est obligé de tenir compte de ce qui est là, de travailler sur la continuité et la contiguïté. L’époque des villas Savoye est révolue, tous les architectes le savent !
« La réutilisation est un problème passionnant, qui touche à de multiples questions, dont celles du patrimoine – a-t-on le droit de toucher aux édifices patrimoniaux, faut-il muséifier les villes ? –, du logement – doit-on recycler pour habiter, comme à la tour Bois-le-Prêtre ? – des infrastructures – peut-on faire de l’architecture avec elles, sur l’exemple des gares de Strasbourg ou d’Anvers ? –, et de l’urbanisme – avec les entrepôts Macdonald à Paris ou Euromed Center à Marseille. »
M. Alexandre Labasse a abondé sans le même sens : « Quant à la reconversion, c’est-à-dire le changement d’affectation, elle est pratiquée depuis longtemps : songeons à la gare d’Orsay devenue un musée, ou aux entrepôts Macdonald reconvertis en logements et bureaux. Sur ce type de bâtiments, on peut inventer n’importe quelle architecture : il existe des exemples d’interventions prodigieuses, soit minimales, soit au contraire extrêmement visibles.
« Le problème est plutôt de savoir ce qui va être construit : quels matériaux utiliser, comment faire en sorte que les bâtiments conçus pour l’exposition universelle puissent ultérieurement accueillir des bureaux ou des logements, ou être démontés pour être positionnés ailleurs. L’enjeu n’est pas tant le patrimoine que ce qui sera fait demain – d’autant que Paris est certainement la ville la plus regardée pour ce qui concerne la réhabilitation et la reconversion.
La forme ne doit surtout pas traduire la fonction ; il faut au contraire inventer des bâtiments mutables, fertiles, démontables – Rem Koolhaas dirait « génériques ». En 2025, un des problèmes majeurs de la construction et de l’architecture sera celui de la matière ; il y a de fortes chances que nous n’ayons plus beaucoup de sable à notre disposition. Il convient donc de se demander comment construire, déconstruire et réemployer – pas forcément « recycler », qui nécessite une énergie particulière, mais simplement mettre ailleurs. »
Pour M. Jean-Louis Missika, « beaucoup d’initiatives publiques et privées conduiront, au cours de la mandature, à la construction de bâtiments révolutionnaires. Nous allons ainsi lancer prochainement un appel à projets innovants pour l’Arc de l’innovation… À l’horizon 2025 auront forcément été érigés des bâtiments qui feront date dans l’histoire de l’architecture. Ce ne sera pas à la manière de la tour Eiffel, mais en intégrant, par exemple, les nouvelles façons de travailler : même si l’on continue à en construire, les immeubles de bureaux, nous le savons, sont amenés à disparaître. Dans l’entreprise du futur, le travailleur est mobile, le télétravail est une règle, les équipes se font et se défont au gré des projets. Ces éléments supposent une nouvelle façon de faire de l’urbanisme. La « ville intelligente », dont je disais qu’elle doit être une grande thématique de l’exposition universelle, sera incarnée en 2025 par des bâtiments innovants qui seront les cathédrales – ou les tours Eiffel – du XXIe siècle ».
Le pavillon français à l’Exposition de Milan relève de cette démarche innovante : construit en bois, matériau durable, en forme de halle, très ouvert, il pourra être démontable et remontable ; un circuit d’air étudié par les architectes maintiendra une température agréable, sans qu’il soit besoin d’installer d’air conditionné.
Plusieurs cas de figure sont donc envisageables pour abriter les États étrangers invités. Quelles que soient les diverses solutions retenues, il faudra veiller à l’accessibilité de chacun des lieux aux personnes à mobilité réduite.
6. Des règles d’urbanisme à négocier avec le BIE et à inscrire dans la loi
La construction de bâtiments neufs ou la réhabilitation d’anciens bâtiments pour abriter les pavillons d’exposition mais aussi les logements temporaires des exposants voire des hébergements supplémentaires pour les visiteurs devront obéir à des règles d’architecture et d’urbanisme qui, dans l’enceinte de l’exposition, doivent être négociées avec le BIE, site par site.
Cette négociation peut autoriser des audaces architecturales ou des expérimentations urbaines qui retiendront l’attention tout en illustrant le thème de l’exposition. M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Île-de-France à Shanghai 2010, a donné l’exemple d’une zone particulière de l’exposition, réservée à l’illustration des meilleures pratiques urbaines :
« Cet espace « sur mesure » a permis à des régions et des villes du monde d’illustrer leur savoir-faire et leurs politiques spécifiques en termes de développement urbain durable, en complément de leur présentation nationale.
« Cette zone, à l’écart et sur la rive opposée des grands pavillons nationaux, a notamment permis aux autorités chinoises de reconfigurer entièrement le quartier faisant face à la zone Asie du site de l’Expo. Cette friche industrielle était à l’abandon au pied d’une centrale thermique désaffectée. L’organisation chinoise a ainsi rénové plus de cinquante hectares, dont quinze pour permettre à une soixantaine de villes ou de régions de se présenter autour du thème central de l’exposition…
« Pour rendre cette aventure possible, l’environnement chinois avait été préparé en profondeur par l’organisateur et la municipalité de Shanghai sous le regard vigilant du Bureau international des expositions, dont la commission du règlement a validé la réglementation spécialement créée pour cette zone. L’organisation chinoise avait pris un certain nombre d’engagements, dont celui de fournir gratuitement l’espace dans lequel le pavillon a été construit. »
Le règlement spécial d’urbanisme ou de construction d’un site peut être étranger aux règles juridiques de l’État invitant et aux usages locaux. C’est pourquoi, en sus des exemptions concernant la protection des bâtiments patrimoniaux réquisitionnés, la loi autorisant l’exposition devra autoriser l’organisateur à déroger aux normes de construction et d’urbanisme selon une procédure particulière et exceptionnelle.
Le projet de loi sur l’Exposition universelle de 1989, adopté en 1983, avait prévu des dérogations de cette nature en matière d’urbanisme, de logement et de préemption des emprises foncières. Ses dispositions pourront servir de précédents à celles de la loi qui devra autoriser l’Exposition de 2025.
Tout en respectant les principes du droit commun de l’époque et les compétences des collectivités concernées, le projet de loi réduisait fortement les délais ordinaires d’élaboration et de concertation afin de tenir ceux de l’exposition. Il incluait déjà des monuments historiques dans l’enceinte de l’exposition et pourrait, à ce titre, servir d’exemple au projet d’exposition en 2025.
Le projet confiait l’aménagement des sites de l’exposition et l’édification des constructions à un établissement public national à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle du Premier ministre. Il qualifiait l’exposition d’opération d’intérêt national et de projet d’intérêt général au sens de la loi de décentralisation de 1983. Il autorisait le recours aux expropriations pour cause d’utilité publique.
Il prévoyait, pour la réalisation de l’exposition dans le délai de 6 ans imparti, deux documents dérogatoires aux plans d’occupation des sols et aux schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France . Le plan directeur d’aménagement des sites déterminait le schéma d’organisation du champ clos de l’exposition, les infrastructures principales, les principes de dessertes et les mesures relatives à la protection des monuments historiques et des sites.
Le plan d’insertion de l’exposition dans le schéma d’urbanisme de la région d’Île-de-France fixait le tracé des grands équipements d’infrastructures extérieurs au périmètre de l’exposition et les moyens nécessaires pour l’accueil et l’hébergement des visiteurs.
Ces deux plans devaient être approuvés par délibération des collectivités territoriales concernées. Cette approbation emportait une dérogation temporaire aux règles d’urbanisme permettant l’installation de pavillons provisoires, que l’usage dispense de permis de construire, et une modification définitive des plans urbains autorisant l’implantation d’immeubles.
L’instruction et la délivrance des permis de construire les immeubles seraient faites selon les procédures prévues pour les opérations d’intérêt national. L’autorité administrative pouvait en outre arrêter les projets d’aménagement ou de construction qui pourraient faire obstacle à ceux de l’exposition, en contrepartie d’un rachat, par l’État, des terrains en cause.
Il appartenait ensuite au commissaire général de l’exposition de faire respecter les deux documents-cadres d’urbanisme en délivrant les autorisations de travaux, après avis du maire concerné, aux commettants de concessionnaires ou à ses propres exécutants.
Le projet de loi prévoyait aussi que les baux et concessions d’occupation des immeubles dépendant des domaines publics et privés de l’État nécessaires à l’aménagement de l’exposition pouvaient être interrompus et l’occupant évincé contre une indemnisation fixée à l’amiable ou, à défaut, établie par analogie avec le régime des expropriations. Il mettait gratuitement à la disposition de l’organisateur les immeubles libérés pour qu’il en assure la gestion.
Il dispensait l’organisateur de l’exposition des procédures prévues par le code de l’urbanisme, la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques et celle du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments naturels et des sites. Il permettait, dans ou aux abords de ces monuments et sites, la réalisation des installations et constructions temporaires destinées à abriter les sections invitées à une exposition internationale.
Le démontage des installations provisoires, la démolition des édifices temporaires et la remise en état des sites, prévue par le règlement du BIE dans le délai d’un an après la clôture de l’exposition, incombaient également à son organisateur. Passé le délai d’un an, le projet de loi confiait à l’autorité judiciaire le pouvoir d’ordonner les démolitions.
7. Europa City et l’exposition universelle
Les deux projets, contemporains, pourraient se conforter, comme l’a souligné M. Christophe Dalstein, directeur exécutif d’Europa City : « Nous souhaiterions pouvoir défendre à vos côtés la candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025, sachant qu’un projet comme le nôtre, vecteur d’innovation et de rupture, sera le principal équipement nouveau en Île-de-France à cette échéance. Ainsi prévoyons-nous par exemple dans notre projet plus d’une dizaine d’hectares d’espaces publics extérieurs permettant l’accueil d’activités événementielles. Nous pourrons donc imaginer des grands rassemblements et des concerts en extérieur pouvant accueillir jusqu’à 15 000 personnes ».
Certaines animations et des spectacles de l’exposition pourraient probablement être accueillis par Europa City temporairement ou pendant toute la durée de l’exposition : il est prévu notamment 50 000 m2 d’espaces culturels (pour des expositions, des spectacles, le cirque, entre autres), et 150 000 m2 d’espaces de loisirs (parc aquatique, d’attraction, parc des neiges, etc…). Encore faudra-t-il, comme pour les monuments, bâtiments et les parcs des expositions qui viennent d’être évoqués, faire la part de la clientèle habituelle de celle de l’exposition universelle.
La sécurité est un problème majeur, auquel tous les organisateurs de grands événements sont confrontés. C’est ainsi que M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis (FFT) a fait remarquer que « c’est un vrai problème auquel nous essayons d’apporter des améliorations. Nous avons professionnalisé notre système, organisé des fouilles, les badges sont examinés de près, nous travaillons avec des entreprises spécialisées et nous avons effectué des exercices de crise avec la préfecture de police de Paris. Cette politique est indispensable car Roland Garros a une résonance mondiale ; nous avons eu des perturbations lors d’une finale du fait du vote de la loi sur le mariage pour tous. Les mesures de sécurité coûtent cher. L’équilibre est difficile à trouver, il faut assurer la sécurité, sans faire peur et sans dénaturer l’évènement, tout en sachant que le risque zéro n’existe pas. Quant aux vidéos que nous utilisons, nous devons tenir compte des règles de la CNIL ».
M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile, a souligné le coût élevé de la sécurité, même s’il ne peut être envisagé de le discuter : « la sécurité n’a pas de prix ».
M. Christian Prudhomme compte développer les réseaux sociaux pour accroître la sécurité du tour de France. Depuis des années, un accord avec Radio France sur France Inter, France Info et France Bleue, permet de faire passer des messages de sécurité avant et pendant le Tour. Des accords avec la presse quotidienne régionale et quatre véhicules info-sécurité situés en tête de course annoncent ces messages en français, en anglais et dans la langue du pays. « Si, jusqu’ici, nous n’arrivions pas à parler aux supporters étrangers, nous allons pouvoir le faire pour la première fois grâce aux réseaux sociaux. Nous avons ainsi réalisé des clips de sécurité de 30 secondes avec des champions emblématiques pour chaque pays – Thomas Voeckler en France, Marcel Kittel en Allemagne ou Christopher Froome en Grande-Bretagne. Ces clips invitent à encourager les coureurs, mais sans courir à côté d’eux et en faisant attention aux enfants. Ils passent à la télévision mais aussi sur les réseaux tels que Twitter ou les sites Internet de France Télévision ou des équipes ».
La même question se pose pour les multiples festivals organisés sur notre territoire.
Dans le cas de l’exposition universelle, la sécurité nécessitera une toute autre organisation, étant donné l’ampleur de l’événement, qui concernera entre 50 et 80 millions de visiteurs sur 6 mois, et dont les pôles seront disséminés, contrairement à Shanghai en 2010 ou Milan en 2015. Outre la sécurité proprement dite, se pose une série de questions sur la gestion des flux, qui doivent être aisés sans remettre en cause la vie de tous dans la ville.
Il faut évidemment rechercher l’efficacité maximale – sachant, comme nous l’ont dit certains de nos interlocuteurs – que le risque zéro n’existe pas, tout en gardant un caractère convivial à l’évènement.
À Shanghai, où l’exposition a accueilli quelque 70 millions de personnes, la sécurité était assurée par l’armée chinoise, comme l’a souligné M. José Frèches. La sécurité était organisée comme celle d’un aéroport, où tous les visiteurs faisaient l’objet de fouilles au corps systématiques, afin de prévenir un attentat terroriste. Il a conclu que l’utilisation de différents sites rendrait encore plus difficile la gestion des files d’attente.
M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française à l’Exposition de Shanghai, a rappelé à la mission d’information les lourdes contraintes de sécurité qui, dans une exposition très fréquentée, pourraient ruiner l’avantage de diviser les files d’attentes, prêté au polycentrisme : « Une organisation sur différents sites, dont la possibilité a été évoquée, générera très rapidement des difficultés dans la gestion des files d’attente, qui sont un des problèmes majeurs des expositions internationales et universelles…
« Il faudra prévoir de la place pour des files d’attente qui n’ont rien à voir avec celles que l’on peut observer à l’entrée des musées ou des monuments parisiens, mais qui s’apparentent plutôt à celles que l’on voit à Disneyland en périodes de pointe. »
En reproduisant sur chacun des sites des contrôles de sécurité qui, dans une exposition d’un seul tenant, ne sont appliquées qu’aux portes de l’enceinte, l’organisateur devra démultiplier non seulement les points de contrôles mais aussi les centres de direction des opérations et de réponse aux alertes.
M. Florent Vaillot a tout de même conclu : « pourquoi ne pas faire le choix de plusieurs sites à condition qu’ils soient très sécurisés ? ».
Dans cette nouvelle approche d’une exposition multi-sites, il faudra effectivement repenser les modalités d’assurer la sécurité et la sûreté. Ces inconvénients ne devraient pas être a priori dirimants puisque le polycentrisme est déjà le fait des plus grandes manifestations sportives et que les impératifs de sécurité y sont les mêmes. On pourrait même au contraire estimer qu’une moindre concentration de visiteurs dans un même lieu pourrait être une solution.
La France a des atouts et une solide expérience en la matière. M. Jacques Lambert, président du Comité de pilotage de l’Euro 2016 de football y insiste : « étant entendu que je ne peux que faire référence aux grands événements sportifs… la France a emporté un grand nombre de candidatures parce qu’elle a su convaincre de sa capacité à organiser des événements de dimension mondiale… il me paraît incontestable aujourd’hui que la France est regardée de l’extérieur comme un pays qui a du savoir-faire en matière d’organisation proprement dite, mais également parce qu’elle sait garantir un niveau de sécurité correspondant à l’attente des participants et des États. La sécurité d’un grand événement sportif repose sur l’équilibre entre la sécurisation des personnes et le caractère convivial et festif de l’événement. Je suis bien placé, en tant qu’ancien préfet, pour savoir combien il est difficile de trouver un équilibre entre la nécessité absolue d’assurer aux participants et aux spectateurs le niveau de sécurité qu’ils sont en droit d’attendre, et la nécessité, tout aussi indispensable, d’adapter le niveau de sécurité à l’événement, sachant que si 5 à 10 % de matchs risquent de poser des problèmes, 90 à 95 % des événements sont totalement paisibles. Trouver cet équilibre, la France sait le faire ».
L’expérience française est importante au cours des dernières années, comme l’on fait remarquer M. Benoît Trevisani, sous-directeur des services d’incendie et des acteurs du secours au ministère de l’intérieur et M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience, puisque notre pays a accueilli nombre de grands événements : le sommet du G8 à Évian en 2003, la commémoration du 60e anniversaire du débarquement en Normandie et en Provence, le sommet de l’OTAN à Strasbourg et le sommet France-Afrique à Nice en 2007 et 2010, la coupe du monde de rugby, le sommet du G8 et du G20 à Deauville en 2011, les cérémonies du 70e anniversaire du débarquement en Normandie et en Provence, les Jeux mondiaux équestres, et, bientôt, l’Euro 2016.
Riche de cette expérience, le ministère de l’Intérieur dispose d’un corpus juridique à la fois sur l’aspect opérationnel et sur celui de la réglementation incendie, que nous mettons en application en liaison avec l’administration déconcentrée du ministère par le biais des préfectures.
La réglementation peut être adaptée en fonction des sites où se déroulent les grands rassemblements, sachant que seraient exploités des éléments du patrimoine existant.
Une doctrine a été définie pour l’accueil de ces grands événements ; afin d’assurer l’articulation entre les services de l’État, les partenaires privés et les collectivités territoriales, il a été mis en place des process reconductibles d’un événement à un autre, en s’appuyant sur les bonnes pratiques. Un guide pratique de préparation et de gestion des grands événements a été diffusé par une circulaire du 3 août 2010 à l’ensemble des préfets de département, des préfets de zone de défense et de sécurité et des directions opérationnelles du ministère de l’intérieur et des autres ministères concernés.
Ce guide, qui sera actualisé pour l’Euro 2016, repose sur quatre objectifs principaux : garantir la sécurité de l’événement et de la population ; réunir les conditions matérielles et organisationnelles pour assurer la réussite de l’événement ; limiter les nuisances pour la population, les acteurs économiques et l’environnement ; organiser la communication. Cela suppose une équipe d’organisation très vaste.
L’organisation de la sécurité doit commencer très en amont. Pour l’Euro 2016, les experts des grands événements ont été impliqués lors du dossier de candidature, afin d’éviter certaines difficultés. Pour la phase strictement opérationnelle de planification, il faut prévoir deux à trois ans de travail. Pour les jeux Olympiques de 2012, le ministère de l’Intérieur a été associé dès le dossier de candidature, en 2004, la décision d’attribution ayant été prise en juillet 2005. Toutes les cellules spécialisées des trois principales directions opérationnelles du ministère s’étaient réunies chaque mois. Cela a été depuis formalisé dans le guide méthodologique. Pour une candidature en 2018, les travaux pourraient donc commencer en 2015 ou 2016.
La problématique des transports et de la gestion des flux fait également l’objet d’une planification très en amont. La réflexion porte éventuellement sur des moyens de transport dédiés pour les visiteurs sur les sites, notamment pour ne pas perturber le quotidien des personnes qui travaillent, et à des voies dédiées pour les services de sécurité et de secours. Il est tenu compte pour cela, en liaison avec les ministères et opérateurs compétents, de la nature des sites, de leur éloignement et de leur concentration.
Quant aux personnels sur le terrain, aux forces de l’ordre s’ajoutent notamment 16 associations agréées en sécurité civile en France, dont la Croix-Rouge, la SNSM, la Fédération nationale de protection civile, le Secours catholique, l’Ordre de Malte ou la Croix-Blanche... Elles reçoivent des agréments délivrés pour trois ans. Ils valident la capacité de ces associations à remplir certains types de missions.
Par ailleurs, aux jeux Olympiques de Londres, les forces armées étaient très présentes. En France, on peut planifier le soutien de celles-ci lorsque c’est nécessaire et que les autres services de l’État sont indisponibles. Une circulaire du Premier ministre prévoit qu’en cas de crise majeure, l’armée est capable de mobiliser 10 000 hommes en 48 heures en soutien des dispositifs traditionnels. Ce fut le cas par exemple, dans une proportion moindre, à l’occasion du 70eanniversaire du débarquement.
Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) effectue en outre un travail de prospective de nature à montrer que la France a, par rapport à d’autres pays, une véritable capacité d’anticipation : il réfléchit sur aux futures menaces et aux réponses que l’on peut y apporter, tant en termes de planification que d’équipements – comme les drones ou ce qui relève de la morpho identification. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, le Parlement sera informé de ce travail de prospective qui a pour but de définir les capacités pivots de l’État pour répondre aux risques actuels et prévisibles.
Les différents dispositifs de sécurité
Le dispositif de planification interministérielle compte plusieurs échelons : le préfet de département, qui assure la responsabilité de la planification locale et le préfet de zone la coordination avec l’appui des structures spécifiques créées au sein des trois principales directions opérationnelles du ministère de l’intérieur.
Cette planification comporte trois composantes : un comité de pilotage assuré par un membre du corps préfectoral prépare la manœuvre en termes opérationnels, logistiques et de communication. En outre, des groupes de travail spécifiques se créent autour de lui sur des questions telles que l’hébergement ou les transports.
Ce dispositif s’appuie également sur l’organisation de la gestion des crises. On appréhende en effet l’événement comme une crise, c’est-à-dire quelque chose qui déstabilise l’organisation normale des services. On se place donc dans le schéma traditionnel de crise, avec les acteurs de la gestion de crise définis par les textes, c’est-à-dire les autorités publiques investies des pouvoirs de police administrative générale, à savoir le maire, le préfet de département, le préfet de zone et le Premier ministre, sachant que le premier échelon de gestion de crise est le préfet de département, avec le soutien des structures nationales, la cellule interministérielle de crise assurant de son côté la coordination et le suivi général de l’événement.
Ces modes d’organisation sont par ailleurs préparés grâce à la planification interministérielle de gestion des crises. Les plans gouvernementaux, qui ont pour objectif d’organiser la mise en œuvre de l’action de l’État en liaison avec les collectivités locales, les opérateurs et les citoyens face à un certain nombre de risques et de menaces identifiés, comme la menace terroriste. : les plans Pirate, - le plan Vigipirate, rénové cette année, ou des plans plus spécifiques comme le plan Piratair-Intrusair contre le terrorisme aérien ou le plan Pirate-mer contre le terrorisme et la piraterie maritimes, le plan Pirate-Ext, en cas de menace et d’attaque contre des ressortissants ou des intérêts français hors du territoire national, le plan Métropirate, en cas d’attaque dans les transports collectifs ferrés souterrains, du plan Pirate NRBC, qui est une fusion de trois plans préexistants contre toutes les attaques terroristes de type chimique, radiologique, bactériologique et nucléaire, le plan Piranet, contre les cyberattaques.
Il existe parallèlement des dispositifs traditionnels contre des risques plus courants. Le dispositif Orsec, organisant la réponse de la sécurité civile, qui a pour objectif de secourir les personnes et de protéger les biens et l’environnement en situation d’urgence, se décline aux niveaux départemental, zonal et maritime et repose sur un chef, le préfet, un réseau d’acteurs – les services de l’État, les collectivités territoriales et les opérateurs –, un recensement des risques et des capacités pour y répondre. Il s’agit d’un dispositif opérationnel, fondé sur une organisation générique et intersectorielle de gestion des événements.
Ces différents plans sont testés régulièrement et, chaque année, 500 exercices sont opérés par les préfets de département, parallèlement à quatre exercices majeurs nationaux organisés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), mobilisant l’ensemble des ministères. Cette année, ceux-ci ont porté sur le terrorisme et le prochain, qui a lieu dans deux semaines, concernera Piratair.
Quant à la réglementation incendie, il existe un corpus pour les établissements recevant du public permettant de prévoir l’ensemble des scénarios possibles en fonction de la typologie du bâtiment et des adaptations éventuelles dont il fait l’objet.
Ce corpus correspond assez bien à ce qui pourrait être mis en œuvre pour l’Exposition universelle en 2025, sachant que la réglementation évolue et tient compte des nouvelles technologies, des nouveaux matériaux et des derniers progrès de la science.
Des visites sont organisées sur place dans le cadre généralement de sous-commissions départementales présidées par le préfet, qui émet un avis. Puis l’autorité chargée du pouvoir de police spéciale, qui peut être le maire ou le préfet de police à Paris, délivre l’autorisation permettant l’utilisation du lieu.
Source : Synthèse de l’audition de M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience au ministère de l’Intérieur
Les transports posent des questions spécifiques, même en temps normal, comme en a fait part à la mission M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France : « un usager sur deux déclare avoir peur dans les transports en commun, même si les agressions sont peu nombreuses ». Plusieurs difficultés devront être résolues pour l’exposition universelle.
En ce qui concerne le transport aérien, M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur général d’Air France, a souligné : « l’exposition requerra… la réalisation de travaux de longue haleine, à laquelle nous nous sommes engagés avec les services de l’État, afin de fluidifier d’une part le parcours du passager lorsqu’il passe la frontière, et d’autre part les contrôles de sécurité, tant pour les passagers que pour les bagages. On peut imaginer que, d’ici à 2025, le système PARAFE soit généralisé, plus efficace et plus simple à utiliser. Une réflexion sur la sûreté des passagers s’impose également : comment éviter de rajouter encore des règles, des contrôles et des contraintes à ce qui existe déjà ? Mieux vaudrait remettre à plat les mesures de sûreté aérienne. La sécurité absolue et le combat contre les menaces terroristes – objectifs qui nous animent, nous aussi – ne doivent pas nous faire perdre de vue le parcours client et les coûts induits par tous ces dispositifs. Cela suppose également d’améliorer la délivrance des visas – domaine dans lequel de nombreux progrès ont déjà été réalisés ».
Quant à l’utilisation des gares, elle devra être soigneusement étudiée, M. Pierre Messulam ayant appelé l’attention de la mission sur « l’extrême importance de la gestion des foules dans les gares, tout dérèglement étant cause de troubles. Notre savoir-faire est établi et nous maîtrisons la gestion de flux massifs de voyageurs sans incidents, comme le constatent les 80 000 spectateurs qui assistent aux matches au Stade de France. Dans la perspective de l’exposition universelle, il faudra s’assurer du bon dimensionnement des gares, indispensable à une circulation fluide et au contrôle des foules sans tensions. Il faudra aussi tenir compte des impératifs de sûreté urbaine, qui conditionnent également l’efficacité de notre système. Pour parler cru, j’évoquerai les conséquences d’un suicide sur l’écoulement du trafic et le temps nécessaire pour obtenir l’intervention des services compétents avant de rouvrir la voie concernée. Plus le flux de personnes transportées est important, plus les questions de sûreté peuvent perturber le fonctionnement du réseau, au point de le bloquer ; pour ces raisons, il est indispensable de prévoir une coordination décloisonnée entre les transporteurs, la gendarmerie, les services policiers et judiciaires, les collectivités territoriales et les services de police municipale. Ainsi pourra-t-on plus facilement informer les visiteurs, grâce à des applications numériques en plusieurs langues, qu’un incident survenu en un point du réseau est susceptible de créer des problèmes ailleurs, et faciliter leur navigation ».
Votre rapporteur a insisté dans la deuxième partie du rapport sur la nécessité de mettre en place une instance de pilotage unique du projet. Pour une meilleure coordination, il estime tout aussi nécessaire que le responsable de l’ensemble de la sécurité de l’exposition fasse partie de cette structure de pilotage.
QUATRIÈME PARTIE : UNE EXPOSITION UNIVERSELLE
POUR FAIRE DU BIEN À LA FRANCE
« Une exposition vous sera utile si vous êtes capables de la rendre utile. », a déclaré M. Vicente Gonzales Loscertales lors de son audition par la mission d’information. Dans une France en proie au doute, qui s’interroge sur son sort et qui souffre, aux dires de certains, d’une forme de « dépression collective », l’engagement dans un tel projet n’est en tout état de cause concevable que si notre pays peut effectivement en tirer le meilleur parti. La candidature à l’organisation d’un événement qui aura lieu dans dix ans relève, certes, d’un pari sur l’avenir et doit être vue comme un investissement. Il est cependant d’ores et déjà possible de cerner ce que pourraient être ses bienfaits.
D’une part, l’exposition doit être appréhendée comme une « occasion pour la France de dire qu’elle a des arguments à faire valoir et des savoir-faire techniques et technologiques de pointe à mettre en valeur, plutôt que de se complaire dans la morosité, de battre sa coulpe ou de se persuader qu’elle n’est pas compétitive », selon les termes employés devant la mission par Mme Christiane Demeulenaere-Douyère. Levier psychologique sur le plan intérieur, l’exposition doit également servir de levier d’influence vis-à-vis de l’extérieur, la finalité consistant à réconcilier les Français avec eux-mêmes et avec le monde.
D’autre part, il est légitime d’attendre de l’exposition des retombées directes pour l’économie française, pour nos entreprises, pour l’emploi, pour nos infrastructures et pour nos territoires. Le meilleur moyen de faire adhérer les Français à cette belle aventure consiste à faire en sorte qu’ils puissent percevoir dans l’exposition un levier favorable à l’amélioration à terme de leur vie quotidienne. À l’instar de Mme Sophie Pedder, votre rapporteur tient néanmoins à souligner que la volonté d’organiser l’événement ne constitue pas, en soi, un moteur de croissance mais tout au plus un stimulant opportun.
C’est à l’aune de cette double logique qu’il s’agira d’examiner, avant de conclure, les avantages et inconvénients comparés d’une candidature à l’exposition universelle avec une éventuelle candidature de Paris à l’organisation des jeux Olympiques d’été, pour apprécier les effets escomptés de l’une et de l’autre.
I. LA NÉCESSITÉ DE RÉCONCILIER LA FRANCE AVEC ELLE-MÊME… ET AVEC LE MONDE !
Interrogé en 1998 par le quotidien Le Monde (77) sur la façon dont il percevait notre pays, l’écrivain de science-fiction américain Norman Spinrad, qui vit en France depuis de nombreuses années, observait que « les Français se préoccupent avec passion et gravité de ce qu’on pense de la France à l’étranger [et] s’interrogent jusqu’à la paranoïa sur la métaphysique socio-politique que représente le fait d’être Français ». Il évoquait également l’« état de doute narcissique permanent » dans lequel vivait la France. Préoccupons-nous à notre tour de ces questions pour entrevoir l’utilité que pourrait revêtir une exposition universelle, en tant que projet mobilisateur et porteur d’espérance.
A. RETROUVER LE CHEMIN DE LA CONFIANCE
Les économistes Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg ont mis en lumière, dans un essai publié en 2012 (78), l’état de défiance qui caractérise selon eux la société française, qui détruirait notre goût de coopérer et de vivre ensemble, et qui expliquerait la force du pessimisme collectif qui se manifeste aujourd’hui dans des proportions inquiétantes. Il convient de s’interroger sur les traits principaux de cet état d’esprit et sur ses conséquences, avant de se demander en quoi l’exposition universelle peut contribuer à enrayer cette spirale négative.
1. La sinistrose française, un cercle vicieux qui s’auto-entretient
La sinistrose française trouve sûrement à s’expliquer de bien des manières selon que l’on privilégie l’angle politico-historique, l’angle économique ou l’angle socio-culturel. Il convient également de ne pas négliger son amplification due à la crise économique. En tout état de cause, il importe de mieux cerner la spécificité du pessimisme français et d’en distinguer les manifestations propres.
a. Un pessimisme complexe et nourri de paradoxes
Nombreux sont les interlocuteurs de la mission à avoir mentionné le fait que le pessimisme français, bien réel, se caractérisait par une certaine disproportion. Mme Sophie Pedder, chef du bureau parisien de The Economist considère que « la morosité des Français n’est pas une invention étrangère : on peut la mesurer grâce aux sondages ; elle s’exprime dans les articles de presse, les livres, les débats. Elle est très frappante pour les étrangers, d’autant qu’on ne la retrouve pas dans les autres pays, y compris ceux plongés dans de graves difficultés : d’après un sondage de 2013 du Pew Global Attitude, les Français sont plus pessimistes que les Afghans et les Irakiens ! ». Estimant par ailleurs que depuis une douzaine d’années, la France n’avait pas réalisé son potentiel économique mais qu’elle semblait s’être engagée depuis peu sur une voie pertinente, Mme Pedder n’en a pas moins souligné le décalage frappant entre ce pessimisme et les atouts réels de notre pays.
Mme Mercedes Erra, présidente d’Euro RSCG, a, pour sa part, évoqué « la déprime qui afflige notre pays, alors que la crise économique y a été beaucoup plus atténuée que dans la plupart des autres pays, qui n’ont pas les amortisseurs sociaux dont nous nous sommes dotés – ce que l’on oublie de dire. Le niveau d’inquiétude de la population ne laisse pas d’étonner. […] Les Français n’étant pas nés avec le gène du pessimisme, il convient d’analyser ce phénomène. Quels en sont les responsables ? Les medias, certainement, qui se plaisent à raconter des histoires tristes. Il y a aussi que nous n’osons pas être positifs comme peuvent l’être les Américains : contrairement à eux, nous doutons toujours de l’intérêt de notre modèle. Et puis, en amont, il y a un système éducatif qui peine à donner confiance aux jeunes qu’il forme, si bien qu’ils sortent de l’école très tristes ».
Ce dernier constat trouve un écho dans l’explication par MM. Algan, Cahuc et Zylberberg des sources de la défiance française : hiérarchisée à l’excès, élitiste, conflictuelle, la logique organisationnelle de notre société, de l’école aux entreprises en passant par l’État et les administrations, minerait les relations sociales mais aussi la confiance en l’avenir, et par là-même entraverait le dynamisme économique. Nonobstant les difficultés conjoncturelles auxquelles nos compatriotes sont confrontés depuis 2008, le pessimisme français renverrait donc d’abord et avant tout à une « dépression collective » que M. Jean-Paul Delevoye, qui occupait alors la fonction de médiateur de la République, décrivait ainsi à l’automne 2010 :
« Je suis inquiet car je perçois, à travers les dossiers qui me sont adressés, une société qui se fragmente, où le chacun pour soi remplace l’envie de vivre ensemble, où l’on devient de plus en plus consommateur de République plutôt que citoyen. Cette société est en outre en grande tension nerveuse, comme si elle était fatiguée psychiquement. » (79)
Perte du sens collectif, perte des repères et crise de l’autorité publique et des institutions traditionnelles se lisent également dans les résultats de l’enquête diligentée en 2013 et en 2014 par le Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF), « France, les nouvelles fractures » (80), qui dresse de notre pays un portrait très inquiétant. On observe cependant, d’après les mêmes études, que si les Français sont les champions du pessimisme collectif, ils battent aussi des records d’optimisme individuel, comme le soulignent certains observateurs (81). Le journaliste Alain Duhamel a plaisamment résumé la situation en écrivant dans l’une de ses chroniques qu’il y avait en chacun de nous « une France selon Michel Houellebecq et un Français selon Michel Serres ».
Mme Mercedes Erra a également noté ce caractère ambivalent du « moral français » :
« Cependant, ces Français tristes ne se satisfont pas de l’être et aspirent à autre chose : 60 % d’entre eux pensent que la France doit changer, 56 % aspirent à un nouveau départ collectif et 90 % se disent favorables à la création d’une « marque France ». On note à ce dernier sujet une évolution marquée : beaucoup de ceux qui, en 2009, étaient effrayés par cette notion sont devenus en quelque sorte plus commerçants ».
Une nouvelle articulation des rapports entre la sphère collective et la sphère individuelle serait ainsi en passe de s’affirmer dans nos pratiques quotidiennes, sans encore trouver de résonance en termes de perception collective. D’une part, nous contribuons nous-même à véhiculer l’image d’un pays immobile et incapable de se réformer, d’autre part la réalité de la modernité française se trouve en partie méconnue, comme le souligne M. Pierre Simon, président de l’association Paris Île-de-France Capitale économique.
« Il existe un décalage important entre les faits et la perception que l’on a de nous à l’étranger : l’image que nous projetons est moins bonne qu’elle ne devrait l’être. Ainsi, dans le classement établi à la suite des réponses à la question “Quelle métropole européenne est la plus innovante ?”, posée dans une étude menée il y a deux ans, Londres arrive en tête, devant Paris ; pourtant, nous avons deux fois plus de chercheurs et nous déposons deux fois plus de brevets que nos voisins britanniques. »
S’il ne faut pas négliger par ailleurs, d’après Mme Claude Revel, les effets d’un certain « french-bashing », les effets préjudiciables du pessimisme français relèvent donc avant tout d’une logique interne qui s’auto-entretient mais qui n’en a pas moins pour autant des conséquences réelles.
b. Les manifestations de la dépression française
Selon Mme Mercedes Erra, la moitié des Français voient aujourd’hui dans la mondialisation une très grande menace et non une opportunité : 60 % jugent que notre pays est mal placé pour résister à la mondialisation ; 70 % pensent que nous sommes dans une phase de dépression collective et 68 % considèrent que notre société va dans une mauvaise direction. « Voilà qui nous dépeint toujours comme les plus tristes, les plus frileux, les plus inquiets, alors que nous vivons dans un pays merveilleux. Nos visiteurs ne s’expliquent pas cet état d’esprit ».
Nous pourrions ajouter que ledit état d’esprit se trouve conforté par une « pensée du déclin » ayant pour résultat premier une tentation du repli qui ne peut être que préjudiciable.
M. Michel Foucher considère qu’« il faut en finir une fois pour toutes avec cette pensée du déclin entretenue par la presse nationale », qui s’est développée depuis près d’une décennie et conseille par conséquence de ne pas perdre de temps « avec des textes qui ont fait des diagnostics souvent utiles mais aussi souvent très orientés ». Il ne s’agit pas de nier les problèmes propres à notre pays mais seulement d’avoir conscience de l’effet paralysant que peut entretenir une telle vision.
M. Armand de Rendinger discerne, pour sa part, quatre éléments fondamentaux faisant l’objet d’un blocage psychologique de la part des Français, et qui contribuent à l’accentuation de la perception du phénomène :
« Si le savoir-faire français inspire confiance à l’étranger, on est plus dubitatif s’agissant des relations que les Français entretiennent avec : l’argent, objet de culpabilité et d’envie, que l’on doit cacher au point de rendre les choses compliquées ; avec les jeunes, dont on s’inquiète que, malgré une des meilleures politiques familiales, ils descendent dans la rue et partent à l’étranger ; avec l’autre, qu’il soit le voisin de palier, l’immigré de banlieue, l’ami de couleur, la personne de confession religieuse ou politique différente ; enfin, avec le travail, que nos compatriotes considéreraient comme une tare dont il faut se défaire – cette impression très prégnante est souvent prise comme prétexte par les contempteurs de notre pays. »
Par ailleurs, la mélancolie française a été pointée à plusieurs reprises comme facteur symptomatique d’aggravation de notre état d’esprit négatif. Comme il a déjà été observé au moment d’examiner les écueils français en matière de candidature aux jeux Olympiques, nous cultivons une image idéalisée du passé qui n’est pas forcément celle que l’on attend de nous, notamment dans le cadre d’une exposition universelle.
Après avoir rappelé combien un tel événement pouvait contribuer à changer l’image d’un pays et à projeter une vision, M. Vicente Gonzales Loscertales a noté que « le pavillon français à Shanghai présentait essentiellement Brigitte Bardot dans sa meilleure époque, le croissant et le café de Flore… ».
Les étudiants de Sciences Po Paris et de l’École nationale supérieure des arts et métiers, qui sont venus présenter devant la mission les travaux qu’ils ont réalisés pour le compte de l’association ExpoFrance 2025, ont également insisté sur ce point : « si notre pays a échoué lors de précédentes candidatures, c’est parce qu’il a trop misé sur une carte un peu datée, certes romantique, mais totalement insuffisante pour un tel événement ».
Cependant, M. Marc Giget a noté que si la France invitait la terre entière, cela pourrait constituer pour elle une bonne psychothérapie :
« La France a une légitimité historique pour délivrer un message progressiste. Elle doit donc dépasser le traumatisme des deux guerres mondiales, qui l’amène à commémorer les tranchées plutôt qu’à fêter la Belle Époque. Si elle a marqué la terre entière, ce n’est pas par ses guerres, mais par sa vision pasteurienne du progrès, en apportant partout l’électricité et les télécommunications, en prônant l’éducation pour tous. Paris se doit de trouver une solution intelligente montrant que nous sommes vraiment ouverts au reste du monde en ces temps de poussées nationalistes. Il est hors de question de faire seulement une fête du made in France : c’est l’engagement des autres qui fait le succès chez soi. »
De même que « le principal impact des jeux Olympiques de Londres a été de donner au public britannique une image moderne, actualisée dont on voit aujourd’hui les effets en termes de croissance », selon M. Michel Foucher, l’exposition universelle doit nous servir d’aiguillon et de stimulant et n’aura de sens que si nous retrouvons une volonté collective d’aller de l’allant, que si nous cessons de n’être qu’une vitrine pour redevenir également un atelier.
Bien entendu, il ne s’agit pas pour autant de nous voiler la face ni de croire que le redressement surgirait par miracle d’un tel projet. Au contraire, il est même impératif de prendre en considération les interrogations de la société française si l’on souhaite le mener à bien. Si tant est que les membres de la mission aient pu être tentés de s’en abstraire, plusieurs intervenants se sont chargés de les leur rappeler, en particulier M. Hugues de Jouvenel :
« Je le répète, j’ai envie d’adhérer avec enthousiasme à votre projet d’exposition universelle, car je ne crois pas à la fatalité : l’état actuel de la France résulte de décisions, de choix – ou de non-choix – politiques faits depuis bien des années, par la gauche comme par la droite. L’avenir est ouvert : à nous de le construire. Mais est-on capable de fédérer les énergies autour d’un projet, et celui de l’exposition universelle donnera-t-il du cœur au ventre aux Français de telle ou telle commune ? Rendra-t-il l’appétit du futur, le goût de l’avenir à des gens qui, si j’ose dire, ne le regardent que dans le rétroviseur et se demandent comment ils vont se débrouiller dans un environnement qui leur est si peu favorable ? »
… avant de conclure :
« Tout ne va pas mal en France. Le problème, c’est notre sentiment un peu confus de mal-être, lié sans doute à notre impression de no future – on ne sait pas où on va – et à la défiance envers les élites, qui n’ont pas l’air de savoir davantage où elles veulent aller. Voilà pourquoi, si la tentative est salutaire, le pari est osé. »
2. Les moyens d’en sortir et d’aller vers une nouvelle positivité
Si la confiance ne se décrète assurément pas d’en-haut, elle peut néanmoins se fabriquer et, dans cette optique, il convient de ne pas opposer trop rapidement l’essentiel et l’accessoire. Des commentateurs ne manqueront probablement pas de s’élever contre un projet d’exposition universelle qui ne constituerait qu’une réponse superficielle à la défiance française telle qu’elle se manifeste aujourd’hui, une pure réponse de façade en quelque sorte.
Votre rapporteur est convaincu que ce projet peut servir de déclic utile, à la condition néanmoins d’être mené sous certaines conditions.
« Il nous manque une représentation du monde à construire. Car la crise, je le répète, n’est pas conjoncturelle : elle manifeste une transition longue et pénible entre un monde qui n’en finit pas de mourir et un autre qui reste à inventer. »
Si le jugement de M. Hugues de Jouvenel résume assez bien l’état d’esprit qui semble prévaloir dans notre pays, faut-il pour autant en conclure que toute initiative nous est interdite ?
Même s’il faut se garder, à bien des égards, de toute comparaison hâtive, notre pays a connu une période de doute profond à l’orée du XXe siècle, qui répondait à des ressorts pour partie similaires. L’historienne Suzanne Berger, professeur au Massachusetts Institute of Technology de Cambridge (États-Unis), a ainsi mis en évidence, dans un petit essai publié en France en 2003, de nombreux parallèles entre la période de mondialisation que nous connaissons aujourd’hui et celle qui, de 1870 à 1914, transforma profondément l’économie occidentale :
« Les mêmes changements dans les structures de la vie quotidienne produisant les mêmes anxiétés, les Français du tournant siècle établirent entre les mécanismes de la mondialisation et leur impact sociétal des liens qui rappellent étrangement ceux que nous faisons aujourd’hui. […] En 1900, la montée en puissance du Japon, les investissements étrangers en Chine et le raccourcissement rapide des distances entre l’Asie et l’Europe ont nourri le même genre de peurs. » (82)
Mme Christiane Demeulenaere-Douyère nous a cependant rappelé que dans les archives de plusieurs expositions universelles françaises, qui ont précisément eu lieu à cette époque, on pouvait aussi lire « l’extraordinaire enthousiasme des organisateurs des expositions et de ceux qui travaillent autour d’eux, qui n’avaient peur de rien ! ».
C’est précisément cet enthousiasme qu’il s’agit de retrouver, et tout d’abord en réapprenant à subordonner les moyens aux fins que nous nous assignons.
M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique nous a ainsi appelés, dans un monde où tout change très rapidement, à renverser les visions traditionnelles :
« Je ne sais pas comment s’est passée l’organisation de la première exposition universelle, mais je suis à peu près certain que l’on s’est dit que la technologie suivrait, et qu’il convenait d’abord d’avoir des idées. Une anecdote m’a fasciné. Elle concerne une entreprise très connue en France, qui a été créée à cette occasion. On avait décidé de construire une ligne de métro Nord-Sud (l’actuelle ligne 4) et il a fallu la faire passer à côté du Sénat. Les sénateurs ayant estimé qu’une ligne de métro aérienne ferait trop de bruit et gênerait les débats, ils ont demandé que cette ligne soit souterraine. Cela impliquait de la faire passer sous la Seine. On a donc gelé la Seine avec des produits chimiques, creusé et découpé des blocs. On a ensuite creusé sous le lit de la Seine, puis on a refermé et refait passer l’eau. […] Aujourd’hui, on n’oserait pas faire des choses pareilles, parce que l’on réfléchit d’abord à partir des technologies existantes, puis on essaie d’en déduire des idées. On a fait exactement l’inverse en cherchant quoi faire, à partir de ce que l’on souhaitait faire ».
Selon M. Pascal Ory aussi, la très importante motivation d’une exposition universelle pourrait donc être d’extraire ce qu’il y a d’énergie positive en France, de l’afficher, pour la gouverne des Français eux-mêmes et des étrangers qui pourraient être sceptiques sur notre pays. Cela passe assurément par un ressaisissement collectif dans les actes, mais aussi dans les discours, ainsi que l’a rappelé Mme Mercedes Erra :
« Lorsque j’ai pris connaissance du projet d’organisation d’une exposition universelle en France en 2025, j’ai immédiatement pensé qu’il fallait le mener à bien : il est nécessaire de faire feu de tout bois pour redonner confiance à nos concitoyens. Je puis témoigner que la communication a permis à de nombreuses entreprises de commencer à se redresser avant même que la réalité économique n’embraye : quand la direction vers laquelle on tend est dite, on se met à travailler pour changer le monde. Tous les indicateurs dont nous disposons vous donnent raison d’envisager l’éventualité d’une exposition universelle dans notre pays ; cela ferait un bien fou aux Français, car cela construirait la confiance. C’est essentiel, car je n’ai jamais vu que l’on avance sans confiance. Nous devons donc insister sur nos forces, celles de nos entreprises, de nos inventeurs, de nos designers, de nos décorateurs, employés partout dans le monde. »
Mettre en avant nos atouts et nous projeter dans l’avenir, sans nous dissimuler nos faiblesses mais en essayant de les dépasser, voilà un véritable enjeu !
b. Les conditions préalables à une dynamique positive
Les discours ne sauraient cependant suffire et au-delà de l’objectif que nous nous assignons, il convient selon votre rapporteur d’intégrer au projet plusieurs dimensions qui conditionneront l’adhésion des Français à la démarche.
Il apparaît tout d’abord essentiel de ne pas rejeter ce qui fait la force de la France au prétexte d’une vision exclusivement futuriste. Ce point a du reste déjà été évoqué au moment d’aborder les pistes préalables au choix du thème. Nous ne sommes assurément pas un pays émergent mais nous devons avoir à cœur, en nous appuyant sur notre longue expérience et sur notre riche histoire de montrer que non seulement nous sommes encore capables d’innover, mais que nous y mettons de l’enthousiasme.
En outre, il est nécessaire que le projet prenne en compte la population française telle qu’elle est. M. Michel Foucher a rappelé que la population française était plus jeune que la moyenne européenne et que le France se caractérisait aussi depuis longtemps par sa dimension féminine. Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, pour sa part, a observé que dans nos banlieues, des énergies très fortes étaient prêtes à s’exprimer, qui se sentent aujourd’hui marginalisées. M. Jean Pisani-Ferry a de son côté noté la crainte pour beaucoup de nos compatriotes que la croissance et le progrès ne profitent qu’aux villes et aux métropoles, au détriment des territoires ruraux, qui seraient sacrifiés au nom de la croissance et de la mondialisation. Toutes ces populations doivent se sentir associées à l’exposition, qui ne peut se contenter de refléter l’image d’une bulle urbaine déconnectée de toute réalité.
Au demeurant, il ne s’agit pas uniquement d’associer ces populations, il s’agit au travers de l’exposition d’expérimenter une nouvelle déclinaison de notre vivre-ensemble. La typologie des modèles possibles d’expositions
– cathédrale, place de marché, bazar – présentée par M. Jean-Louis Fréchin (83), commissaire général de Futur en Seine pourrait aisément trouver à s’appliquer aux différents modes de gouvernance d’un tel projet. Le modèle de la cathédrale, centralisé et dirigiste, renvoie dans notre pays à une longue tradition, il a permis de grandes réalisations mais il n’est manifestement pas adapté à ce que la mission considère devoir être l’exposition du XXIe siècle. Certes, de grands projets structurants doivent pouvoir conforter la tenue de la manifestation, mais il s’agit aujourd’hui de faire le pari des territoires et des forces sociales. Cela suppose évidemment de rompre avec l’unité de lieu, avec l’organisation, parfois un peu pompeuse, qui faisait traditionnellement d’un seul site la vitrine d’un pays et même du monde. Nous gagnerons ainsi en participation et en adhésion ce que nous perdrons en dispersion.
De surcroît, le fait de ne pas obéir à un schéma préétabli constitue un appel à l’imagination et nécessitera une importante campagne auprès de nos partenaires étrangers pour leur expliquer la déclinaison du projet et pour les y associer en amont, une fois la désignation définitivement acquise.
C’est une nouvelle méthode de travail qu’il s’agit donc d’expérimenter ; à cet égard, votre rapporteur se félicite que la représentation nationale puisse avoir été saisie en amont du dossier et puisse avoir contribué à l’ouverture du dialogue entre les différentes parties, même si, de toute évidence, elle ne pourra à elle-seule le faire aboutir.
B. DYNAMISER NOTRE STRATÉGIE D’INFLUENCE
D’après M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF, « l’exposition offrira un moyen de réconcilier la France avec la mondialisation, à l’heure où nos compatriotes ont l’impression que le monde va plus vite qu’eux ». Si une chose est certaine, c’est que le monde ne s’arrêtera pas pour nous contempler si nous nous arrêtons nous-mêmes. Aussi devons-nous avoir en permanence à l’esprit la préoccupation de notre insertion dans la mondialisation. L’organisation d’une exposition universelle s’inscrit pleinement dans la perspective du renforcement de notre stratégie d’influence, qui nécessite préalablement une réflexion sur les moyens de mieux contrôler notre image extérieure.
1. L’image de la France dans le miroir du monde
Dans un monde où les communications ont pris une ampleur inédite, la question de l’image revêt une importance cruciale. Reprendre le contrôle de notre image extérieure, comme nous y invite M. Michel Foucher, ou à tout le moins tirer les conséquences des perceptions qu’elle véhicule, apparaît ainsi éminemment souhaitable.
L’intelligence économique est, d’après Mme Claude Revel, un principe de gouvernance né de l’affrontement à la concurrence internationale. Ajoutant que cette concurrence concerne aujourd’hui les États au même titre que les entreprises, elle a ainsi estimé que le projet d’Exposition universelle de 2025 pouvait être une composante importante du bloc d’attractivité de la France, en précisant qu’« au-delà des investissements physiques, la dimension immatérielle est fondamentale et permet d’améliorer ceux-ci. Elle renvoie au domaine de l’image et de la perception, dans lequel la France dispose d’un capital d’influence, fondé sur notre histoire et nos valeurs, malgré l’existence d’un certain « French-bashing ». Mais ce capital est un peu dormant, après avoir connu pourtant un fort développement à une certaine époque. Or l’image sert l’influence. Si on n’a pas d’image crédible, on aura du mal à être influent dans les enceintes internationales, sachant qu’on ne peut mentir sur celle-ci. En sens inverse, l’influence sert l’image : il faut revenir à un cercle vertueux ambitieux à cet égard, ce qui repose sur un apport d’idées et un lobbying touchant à la perception ».
Cette préoccupation renvoie à celle déjà exposée au moment d’examiner les forces et faiblesses françaises lors des candidatures passées pour l’accueil de grands événements internationaux, et en particulier la question de l’arrogance. Comment optimiser ce capital immatériel dont nous disposons mais qui est parfois mal perçu, ou alors perçu de façon trop univoque ?
Mme Mercedes Erra considère que, d’une façon générale, on exagère le rejet que le monde ferait de la France. Cette perception de « mal-aimés » que nous aurions de nous-mêmes renverrait plutôt à la « pensée du déclin » déjà évoquée et quand bien même un certain French-bashing se manifesterait, peut-être faut-il avant tout y voir une absence d’indifférence, voire même une attente. Nombreux sont ainsi nos interlocuteurs à avoir évoqué la capacité française à représenter un point de vue sur le monde, de surcroît un point de vue alternatif à la standardisation de la culture.
La persistance d’un désir et d’une appétence pour ce qui est français a également été soulignée par plusieurs de nos interlocuteurs. S’appuyant sur des études internationales, Mme Mercedes Erra a observé que « les jeunes du monde entier ont une opinion de la France plus positive encore que les gens plus âgés, peut-être parce qu’elle représente une culture alternative qui les intéresse ». En outre, le « sens de la beauté », la qualité, la culture continueraient d’être pour notre pays des marqueurs forts, associés à l’idée de légèreté et de plaisir.
« Ne nous gênons pas non plus pour reconnaître que les étrangers adorent manger notre fromage et boire notre vin ; il faut mélanger l’intellect et le bonheur, car cette combinaison est très française. La légèreté nous ressemble et se niche sous la plume de nos plus jolis écrivains – on rit beaucoup en lisant Marcel Proust. Mettons en avant notre générosité qui transparaît dans notre intérêt pour le monde et associons-la au désir et au plaisir. Nous avons l’air d’éprouver du plaisir en travaillant et nos comportements ne sont pas régis par des codes : c’est un peu cela la France et c’est ce qui fait envie au monde ! La candidature à l’organisation de l’exposition universelle doit donc être une source de plaisir pour les Français et pour les étrangers. »
M. Christophe Musitelli, directeur du département Langue française, livre et savoirs de l’Institut français, a souligné les limites du « french-bashing » aux États-Unis : « Nous travaillons sur cette chose très complexe, très fine et en même temps indéfinissable qu’est l’image. Comment donner de la France une image qui dépasse cette morosité dont on nous accuse et nous accable ?...
Pendant mon séjour aux États-Unis, j’ai en effet noté un désir, une appétence, une curiosité remarquable pour tout ce qui était français : de la cuisine à Marcel Proust, du cinéma de niche jusqu’à quelques best-sellers. Il n’est ainsi pas anodin de constater que le bouquin qui se place en tête de liste sur le site Amazon est celui de l’économiste français Thomas Piketty qui apporte une vision différente sur des sujets d’actualité. Cette curiosité, qui a souvent du mal à être économiquement tangible, trouve là, de manière assez évidente, une application. Il faut parier sur le fait que la France a encore des choses à dire ».
Cependant, d’après M. Xavier Darcos, « ceux qui souhaitent que l’Exposition universelle de 2025 soit organisée à Paris devraient d’abord s’appuyer sur cet argumentaire : la France a quelque chose d’autre à dire que ce qu’on en dit d’habitude, qui ne doit bien sûr pas être rejeté pour autant », ne serait-ce que parce que la curiosité pour la France a souvent du mal à être économiquement tangible.
M. Michel Foucher a noté qu’il avait souvent été frappé, au cours de ses voyages à l’étranger, par le décalage dans le temps entre l’image qu’on a d’un pays et sa réalité, souvent d’une génération, voire plus. Cela pourrait nous inviter à cultiver l’image d’une France fidèle à son héritage mais cela ne nous dispense pas de présenter aussi une image moderne. De ce point de vue, la France maîtriserait mal son image extérieure, notamment parce qu’elle laisserait les autres parler à sa place. Ainsi, en dépit du fait que le président de la République ait inauguré en 2013, à Shanghai, le trente-deuxième Institut Pasteur dans le monde, nous ne sommes pas forcément perçus comme une puissance médicale et scientifique.
Le fait que nous parvenions difficilement à mettre en exergue nos capacités d’innovation renforce encore l’intérêt d’une exposition universelle. Le travail sur l’image est une chose complexe et pour partie indéfinissable, qui nécessite du temps mais qui peut connaître grâce à cet événement une formidable accélération.
Mme Mercedes Erra a observé que dans un monde où la puissance n’est plus seulement anglo-saxonne mais aussi chinoise ou brésilienne, « la perception de la France à l’étranger diffère selon les pays. Nous avons des enthousiastes
– la Chine, l’Inde, le Mexique. Un cran en-dessous, on trouve des opinions très positives – celles du Brésil et de la Turquie. Ensuite s’expriment quelques réticences et du scepticisme en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie, ce qui ne signifie pas de la négativité ».
Pour M. Michel Foucher, nous devons par conséquence être plus attentifs aux différents profils de notre pays, en nous appuyant sur des données tangibles et en sachant jouer de ces anamorphoses :
« La première langue de destination de textes français est le chinois depuis 2013. Le premier consommateur de livres français, en dehors des pays de la francophonie du Nord et du Sud est l’Allemagne. Nous devons être sensibles à ces aspects, à ces attentes. […] J’ai fait faire par nos postes diplomatiques des enquêtes sur l’image de la France. Les réponses sont extraordinairement diverses. Au Vietnam, on nous demande des actions d’urbanisme ; on a formé 4 000 médecins vietnamiens, crée l’université scientifique et technique de Hanoï. En Algérie, c’est la langue : on tient à la langue française parce que l’arabisation forcée a été une régression. En Russie, c’est l’art de vivre. En Chine, Xavier Darcos en a parlé, c’est le romantisme, mais également la délicatesse, l’audace. Au Brésil, c’est le positivisme : la devise d’Auguste Comte, « Ordre et Progrès », figure sur le drapeau. Ce pays nous confie des dossiers économiques, des dossiers de formation – il va nous envoyer 10 000 étudiants – dans des secteurs scientifiques et techniques. Comme tous les pays émergents qui sont souverainistes et westphaliens – et pas du tout coopératifs –, ce qui intéresse le Brésil, c’est le début de la Ve République, la France des grands programmes ».
Ces perceptions diverses renvoient à des attentes spécifiques, qui ne sont pas forcément celles que l’on pourrait prévoir. La meilleure compréhension des différents profils qui sont les nôtres doit nous permettre de mieux adapter notre offre à la demande disponible dans le monde. La France a ainsi besoin de se faire connaître telle qu’elle est, dans toute sa diversité. La seule logique de « rayonnement » nous fige dans une perspective relativement statique alors qu’il s’agit aujourd’hui de nous projeter dans le monde. Si nous sommes influents mais que nous maîtrisons mal notre image extérieure et que notre présence est sous-estimée, nous n’en tirerons pas tous les profits.
2. L’exposition universelle au service de la stratégie d’influence française
Bien entendu, l’exposition ne doit pas constituer un prétexte à ne parler que de nous mais si nous parlons du monde en y instillant une « touche française », celle-ci contribuera indiscutablement à amplifier une influence déjà prégnante, mais dont nous peinons parfois à optimiser les effets.
Lors de son intervention devant la mission, M. Michel Foucher a évoqué le discours du général de Gaulle prononcé le 30 octobre 1943 à Alger, à l’occasion du soixantième anniversaire de la fondation de l’Alliance française. Selon le fondateur de la France Libre, il faut « se laisser pénétrer par les courants du dehors », faute de quoi « l’autarcie mènerait vite à l’abaissement ». L’émulation internationale conserve son actualité, on la retrouve aujourd’hui dans les classements internationaux, tels que le classement de Shanghai, qui nous sont utiles malgré leurs imperfections. Le général de Gaulle estime donc que « l’émulation internationale est un ressort dont il ne faut pas que l’Humanité soit privée, mais les hautes valeurs ne subsisteraient pas dans une psychologie outrée de nationalisme intellectuel ». Et de poursuivre : « Nous avons, une fois pour toutes, tiré cette conclusion que c’est par de libres rapports spirituels et moraux, établis entre nous-mêmes et les autres, que notre influence culturelle peut s’étendre à l’avantage de tous et qu’inversement peut s’accroître ce que nous valons. »
C’est dans cette perspective d’ouverture au monde que la notion d’influence prend toute sa signification et que nous devons plus que jamais nous placer aujourd’hui, en gardant à l’esprit que l’influence fonctionne dans les deux sens. En effet, si nous avons tout à gagner à la diffusion dans le monde de nos produits et de nos idées, nous nous nourrissons également de ce qui provient de l’extérieur.
Dans cette optique, M. Pascal Ory s’est ainsi appuyé sur l’exemple de la cuisine française pour montrer que son maintien en tant que cuisine de référence était aussi lié à son extraordinaire ouverture aux influences étrangères, avant de conclure que « l’organisation d’une exposition universelle dans notre pays ne doit en aucun cas signifier que la France se dresserait sur ses ergots : il s’agit de montrer que l’on peut être Français et ouvert sur le monde, comme nous l’avons toujours été et comme nous voulons le montrer une nouvelle fois ».
Inviter le monde en France mettra ce dernier à la portée immédiate de chaque Français, au travers des pavillons des États, des entreprises ou des organisations non gouvernementales mais encore des animateurs de l’exposition et des visiteurs étrangers. À cet égard, votre rapporteur réitère le souhait déjà formulé (cf. IIIe partie) que la structure qui sera, le cas échéant, chargée de son organisation, comporte en son sein une forte dimension européenne et internationale, qui soit directement partie prenante au projet.
Les différentes pistes avancées dans les travaux de la mission s’agissant du renouvellement du « modèle » de l’exposition vont du reste dans ce sens. L’immersion de l’exposition au sein des territoires, la possibilité pour chaque nation participante de se déployer au-delà d’une enceinte étroite, la promotion des échanges et du partage d’expériences visent à dépasser le stade de la simple présence. Comme l’a noté M. Michel Foucher, « il existe une différence entre l’influence et la présence. Dans ce dernier cas, un professeur vient, donne son cours, recueille des données et repart pour en faire un livre ou une thèse. Et il y a celui qui vient avec des idées et les partage, les laissant quand il repart – c’est l’influence ».
L’exposition est susceptible de toucher toutes sortes de publics et sa durée permet d’approfondir des liens, si nous le souhaitons. Encore faut-il que notre pays fasse des progrès en la matière, si l’on en croit toujours M. Michel Foucher :
« Nous invitons de nombreux étrangers à participer à des colloques, des séminaires, des bourses d’études, à l’ENA – 4 000 élèves dont 400 Allemands, 350 Britanniques, l’ancien ambassadeur de Chine en France… –, à l’École militaire... Or nous n’envoyons pas la petite carte postale, début janvier, pour présenter les vœux de la France ! À l’inverse, Britanniques et Américains sont maîtres dans l’art de cultiver les liens. »
C’est aussi en pensant à l’« après-Expo » sous cet angle des liens à cultiver que nous serons le mieux en mesure de bénéficier de ses retombées positives sur le long terme.
Si nous savons bien nous y prendre, l’exposition universelle peut être l’un des moyens privilégiés par lequel nous serons en mesure d’être davantage prescripteurs sur la scène extérieure. D’une certaine manière, cela constituerait pour ce type de manifestation une forme de retour aux sources, lorsqu’il s’agissait de promouvoir les produits issus de l’industrie et des manufactures. L’économie du XXIe siècle se caractérisant davantage par sa dimension immatérielle, notre influence en la matière passe aussi par le développement d’un savoir-faire en matière d’expertise et de production de normes et principes applicables à l’échelle du monde. En somme, l’enjeu de l’influence nous amène à relever le défi de l’exemplarité, sur le fond et dans la forme même de l’événement.
A. DES BÉNÉFICES TOURISTIQUES ET ÉCONOMIQUES EN MATIÈRE DE QUALITÉ DE VIE
1. Des retombées importantes sur l’économie
a. Un renforcement de notre diplomatie économique
Un gros effort commence à être porté dans cette direction. La diplomatie économique est l’ensemble des actions qui doivent permettre à la fois aux entreprises de mieux se développer à l’étranger tout en rendant l’espace français plus attractif aux investisseurs étrangers. Sept personnalités viennent d’être nommées « représentant spécial », un des piliers sur lesquels s’appuie ce concept, afin de mettre leur expérience au service des entreprises.
M. Luc Carvounas, sénateur, le souligne : « On peut se féliciter de la volonté du Gouvernement de renforcer la diplomatie économique en ce sens, comme le rappelait le Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale. Nous devons aller au-devant du monde pour renforcer notre commerce extérieur, notre tourisme, notre technologie. C’est le but de notre diplomatie économique.…
Ce projet rend tangible ce concept de diplomatie économique : rayonnement de la France à l’international, bénéfice pour notre commerce extérieur et l’industrie du tourisme, formidable levier pour la création et l’innovation. J’ai une conviction forte : l’Exposition universelle du Grand Paris 2025 peut devenir la carte de visite de la France pour cette première partie du XXIe siècle ».
Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique, lors de son audition par la mission a par ailleurs annoncé la mise en place une veille d’« e-réputation » pour notre pays, grâce notamment au balayage des réseaux sociaux et électroniques, mais aussi des réseaux physiques
– entreprises, administrations, ambassades – et elle a également proposé ce type de veille au service du projet d’exposition universelle. Elle a enfin préconisé l’instauration d’une sorte de think tank diffusant du concept et de l’image français, à l’image des Britanniques.
Il faut remédier à une lacune qui nous porte préjudice dans le monde actuel : ainsi que l’a fait remarquer M. Michel Foucher, géographe, professeur à l’École normale supérieure d’Ulm, l’exposition permettrait à la France de redevenir prescripteur : « Nous sommes influents, mais nous ne sommes pas prescripteurs : le journal Le Monde, par exemple, n’est pas traduit en anglais alors que The Economist ou le Financial Times sont lus partout. À part Radio France internationale – et, dans une très faible mesure, France 24 –, nous ne disposons plus de plateforme de prescription. La France maîtrise mal son image extérieure : souvent, ce n’est pas elle qui parle de la France ».
b. Des retombées positives pour de nombreux secteurs
La tenue d’une exposition universelle permettra l’accélération des infrastructures de transport dans le Grand Paris, prévues indépendamment de celles-ci mais dont le calendrier vient d’être modifié, ainsi celle du chantier de la couverture numérique du territoire : selon M. Luc Carvounas, « l’utilisation des nouvelles technologies aura le double avantage de libérer la création et l’innovation et de réduire nos coûts de fonctionnement ».
En ce qui concerne la filière ferroviaire, M. Pierre Mongin, président de la RATP, souligne l’intérêt de l’exposition : « je voudrais ajouter quelques mots en tant que président actuel de la filière ferroviaire française, Fer de France, qui rassemble, au-delà des grands donneurs d’ordre, les fabricants de matériel, les ingénieristes… Nous demandons aux pouvoirs publics de lancer de nouveaux grands projets, car les chantiers des différentes lignes de TGV sont en cours d’achèvement. C’est donc toute la filière – 340 000 emplois – qui a besoin que de nouveaux chantiers prennent le relais, et le Grand Paris est notre seul espoir. Certes, certains sont déjà lancés. Mais il faut vraiment tenir le calendrier, sinon c’est toute une filière qui risque de s’effondrer : nous perdrions énormément d’emplois, d’entreprises, et tout un savoir-faire. La RATP, la SNCF, toutes les entreprises du domaine ferroviaire constituent un écosystème, sans lequel nous ne pourrions pas vivre. L’accélération du projet du Grand Paris serait donc pour tout ce secteur un élément extrêmement positif, notamment pour améliorer notre visibilité internationale ».
Plus généralement, dans le secteur des transports, l’exposition sera un levier important pour mobiliser les ressources publiques nécessaires et accélérer les travaux relatifs aux mobilités du Grand Paris.
Il en est de même pour l’environnement, selon M. Luc Carvounas : « Cette exposition peut justement offrir des opportunités de développement extraordinaire. Faisons du Grand Paris la première « smart » métropole mondiale. Développons les transports alternatifs. Soyons en pointe sur l’économie circulaire ou encore la croissance verte. L’environnement du Grand Paris, c’est aussi un symbole exceptionnel : la Seine. En tant que maire d’Alfortville, commune aux confluents de la Marne et de la Seine, je mesure chaque jour la puissance d’invocation de notre fleuve. Notre exposition devrait se vivre au fil de l’eau, autour du poumon aquatique, véritable carrefour des énergies ».
Par ailleurs, le pôle de Saclay en sera fortement bénéficiaire, en confortant la réalisation de son potentiel considérable, comme le souligne M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’établissement public de Paris-Saclay : « le plateau concentre 15 % de la recherche publique française et un pourcentage équivalent de la R&D privée, avec des secteurs très fortement représentés, comme l’automobile, l’énergie, la défense, la santé et la biologie. On y trouve toutes les composantes d’un cluster d’envergure mondiale, de surcroît avec un spectre d’activité très large, ce qui est un atout majeur à une époque où les grandes innovations se font à la croisée des disciplines : les plus grandes universités mondiales se placent sur des créneaux de ce type ».
Pour poursuivre ce grand chantier, l’établissement s’est fixé plusieurs ambitions. En premier lieu, afin de remédier à la fragmentation existante la création cette année de l’Université de Paris-Saclay regroupera 26 établissements. « Notre deuxième ambition est de stimuler le développement économique du plateau, notamment en renforçant les liens entre le monde universitaire et les entreprises… ces deux univers ne se côtoient pas assez.…
Si l’on compare le plateau de Saclay avec les zones équivalentes en Amérique du nord ou en Chine, il est évident que nous nous situons en deçà.… Cependant, les perspectives d’avenir sont encourageantes : les lieux d’innovation fleurissent et de plus en plus de jeunes diplômés se lancent dans la création d’entreprises.
Le troisième volet de notre action concerne l’aménagement urbain. En premier lieu, l’accessibilité au plateau est insuffisante… Nous sommes par conséquent mobilisés pour obtenir, conformément aux engagements du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, la desserte en 2023 de Saclay par le Grand Paris-Express… c’est vital pour notre projet. D’autres travaux visant à améliorer l’accessibilité du plateau sont en cours…
Nous nous efforçons également de rendre le plateau plus habitable. Nous avons pris le parti, en accord avec les collectivités territoriales concernées, de réaliser une « ville campus ». Deux zones d’aménagement concerté (ZAC) viennent d’être lancées…
Le projet, à l’échelle de la métropole francilienne, est complémentaire de celui de Paris Cité ; les chercheurs travaillent d’ailleurs souvent sur les deux sites. Paris – dans l’acception du « Grand Paris » – est aujourd’hui la première ville universitaire du monde ; elle compte plus d’enseignants-chercheurs que Londres ou New York, et à peu près autant que la Silicon Valley. Notre projet a une vocation à la fois métropolitaine, nationale et mondiale, sur le modèle des grands pôles industrialo-universitaires qui se développent un peu partout dans le monde, et qui jouent un si grand rôle dans le développement économique des États-Unis et de la Chine. Ce sont des lieux où se croisent les disciplines, le monde universitaire et le monde économique, les grandes entreprises et les petites entreprises ; en un mot, ce sont de véritables « écosystèmes ».
Notre ambition est de faire partie des dix principaux pôles industrialo-universitaires mondiaux. Un article de la MIT Technology Review nous a déjà classés parmi les huit premiers clusters mondiaux. Comme quoi, il suffit d’un peu de synergie pour franchir une étape importante !
Vous aurez compris que ce projet m’enthousiasme. Et comme celui que vous défendez vise lui aussi à accroître le rayonnement de la France dans le monde, nous devrions pouvoir rassembler nos efforts dans cet objectif… je me félicite que le projet d’exposition universelle concerne non seulement Paris, mais aussi le réseau métropolitain de premier rang. ».
Les calendriers de l’exposition et celui de l’aménagement de Saclay se conforteraient l’un l’autre : « En 2025, on aura bien avancé – la ligne 18 du métro devrait être mise en service en 2023 et les chantiers de construction d’écoles s’achèveront entre 2017 et 2020 –, mais le projet sera loin d’être bouclé et d’autres chantiers pourraient s’inscrire dans le timing de l’exposition universelle. Par exemple, nous souhaiterions créer un learning center, à l’instar de ceux dont disposent les universités internationales, mais vu l’état de nos financements, il ne sera peut-être pas terminé en 2025. Sur ce point, une articulation entre les deux projets pourrait être envisagée.
En matière de développement durable, nous avons des projets ambitieux. Nous souhaitons par exemple créer un réseau de production d’eau chaude et d’eau froide par géothermie… l’objectif serait de mettre en place un réseau intelligent, un smart grid... En 2025, ce projet innovant devrait avoir débouché sur de premières réalisations concrètes, mais il restera certainement beaucoup à faire – de même qu’en matière numérique ».
L’exposition universelle permettrait de développer la visibilité de Saclay à l’échelle internationale : « Nous souhaiterions… accroître le cosmopolitisme de notre campus – mais les jeunes Chinois, Indonésiens, Indiens, Africains rêvent tous du MIT, de Harvard ou de Stanford ; la France, ils ne la connaissent pas ! L’une des finalités du projet est précisément de nous donner une plus grande visibilité, en créant un pôle d’attraction susceptible de stimuler l’imagination des jeunes du monde entier. De ce point de vue, l’organisation d’une exposition universelle serait de nature à nous aider ».
La région Île-de-France pourrait également faire valoir certains secteurs stratégiques, qui pourraient être intégrés dans le projet d’exposition universelle afin de servir de relais de croissance. M. Jean-Paul Huchon en distingue plusieurs : « la filière de l’audiovisuel et du numérique s’impose. La région aide l’industrie du cinéma à hauteur de 15 millions d’euros chaque année, aidant ainsi à produire 70 films et des dizaines d’œuvres audiovisuelles. Ces aides, parce qu’elles sont en général réparties dans les zones de la région qui sont le plus en difficulté, ont un effet de rééquilibrage intéressant à l’est et au nord ; des entreprises brillantes utilisant les nouvelles techniques numériques sont par exemple situées à Saint-Denis, à La Courneuve. Je rappelle que la 11e Coupe du monde de jeux vidéo va se tenir à Paris. Une autre filière sur laquelle mettre l’accent est celle du « produire autrement », de la transition énergétique, de la rénovation énergétique des bâtiments, et notamment des bâtiments publics. La région construit déjà des lycées entièrement conçus en énergie positive. Les services à la personne sont toujours oubliés ; pourtant, dans ce domaine également, nous avons beaucoup à montrer. On pourrait aussi imaginer travailler sur le concept de nouvelle économie –l’économie sociale et solidaire et le développement des coopératives. Il serait par ailleurs inconcevable de ne pas élargir l’exposition universelle à la culture dans son ensemble, un champ qui différencie très fortement Paris et sa région d’autres candidatures potentielles. Cela pourrait se faire notamment autour de la musique, avec un appui à de grandes manifestations dans ce domaine. On pourrait enfin mettre en exergue les nouveaux concepts en matière de circulation automobile, domaine dans lequel nous commençons à avoir un indiscutable avantage comparatif.
c. Des retombées pour Paris et le Grand Paris
Nombre de nos interlocuteurs ont souligné combien l’exposition serait bénéfique à Paris et au Grand Paris.
M. Pierre-Antoine Gailly, président de CCI de la région Île-de-France, soutient le projet : « Nous y voyons un formidable instrument de développement économique, de relance et de cohésion pour une métropole qui se cherche quelque peu aujourd’hui, un accélérateur très significatif du projet qu’est le Grand Paris-Express, et une source d’amélioration très significative de l’attractivité de la région capitale ».
Selon M. Pierre Simon, président de l’association Paris Île-de-France Capitale économique, une étude réalisée par l’association avec la contribution du Cabinet Roland Berger et la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (84) « nous perdons du terrain depuis 5 ans au moins… en cinq ans, le nombre de nouveaux investissements directs étrangers dans la région capitale est passé de 192 à 108, remontant un peu l’année dernière. Pendant la même période, ils passaient, à Londres, de 276 à 350 – après un pic à 389 dû aux jeux Olympiques – et, à Shanghai, de 171 à 240 –avec un pic à 309 au moment de l’exposition universelle… nous perdons aussi du terrain en termes de croissance. Aujourd’hui, le PIB de Paris-Île-de-France est le troisième PIB métropolitain mondial, derrière ceux de New York et de Tokyo… la comparaison des taux de croissance naturels à Paris-Île-de-France et dans les autres métropoles mondiales rétrogradera à la 8e place en 2030. Cela tient pour partie au poids nouveau des pays émergents ». Ces chiffres montrent à l’envie que « tous les territoires qui ont organisé de grands événements ont connu une poussée d’investissements ; à Londres comme à Shanghai, les chiffres en attestent ».
L’exposition permettra la mise en place d’une nouvelle stratégie, grâce à l’innovation « au cœur de la stratégie de développement économique de toutes les grandes métropoles performante » et à une nouvelle gouvernance : « les métropoles qui réussissent ont, toutes, adopté une gouvernance économique unique résultant d’un plan stratégique, élaboré et mis en œuvre en association étroite avec le monde économique.
Enfin, l’image d’une métropole n’est qu’un élément parmi d’autres du choix des investisseurs. À l’enquête réalisée auprès de 500 grandes entreprises auxquelles il était demandé de dire : « Quelle capitale a la plus belle image ? », il est frappant de constater que les grandes capitales « traditionnelles » que sont Paris, Londres ou New York ont été citées bien plus souvent que celles qui reçoivent le plus d’investissements – Pékin ou Mumbai par exemple. En d’autres termes, l’image globale, subjective, n’est pas sans importance, mais les critères de décision des investisseurs sont plus objectifs. Ils vont là où ils sont assurés d’une stabilité juridique et fiscale, là où l’économie est en croissance, là où il y a un marché, là où existent de bonnes infrastructures de transport et informatiques et où le personnel est bien formé ; là, aussi, où la qualité de vie est bonne, mais ce critère vient en queue de liste…
L’attractivité d’un territoire suppose donc la définition d’une politique d’ensemble. À cet égard, certains épisodes ont un effet dramatique : si l’on s’efforce d’attirer des investisseurs en leur vantant le crédit d’impôt-recherche mais que la presse explique suite que l’État pourrait remettre le dispositif en cause, le mal est fait quelle que soit la décision finalement prise par la puissance publique ».
Enfin, l’image de Paris Île-de-France doit faire l’objet d’un travail nouveau : « Pour autant, l’image d’un territoire n’est pas tout à fait neutre. Or, il existe un décalage important entre les faits et la perception que l’on a de nous à l’étranger : l’image que nous projetons est moins bonne qu’elle ne devrait l’être. Ainsi, dans le classement établi à la suite des réponses à la question « Quelle métropole européenne est la plus innovante ? », posée dans une étude menée il y a deux ans, Londres arrive en tête, devant Paris ; pourtant, nous avons deux fois plus de chercheurs et nous déposons deux fois plus de brevets que nos voisins britanniques. Puisqu’elle a des répercussions sur l’appréciation globale portée sur un territoire, l’image projetée n’est pas indifférente ; nous devons donc impérativement travailler notre marketing…
L’exposition universelle serait en soi une occasion exceptionnelle de contacts avec des investisseurs industriels et financiers ; cela doit être organisé très en amont car il y a là un enjeu économique majeur ».
d. Des retombées pour l’ensemble de l’économie française
Si la région parisienne bénéficie des effets positifs de l’exposition universelle, il en sera de même pour toute l’économie française.
M. Pierre-Antoine Gailly a estimé que l’exposition universelle « aura un impact très positif sur le moral des Français, en particulier celui des chefs d’entreprises. Elle leur donnera un objectif et une vision, tout en mettant en exergue la capacité de la France à se réinventer ».
Pour M. Jean-Hervé Lorenzi, l’exposition sera plus porteuse que les Jeux olympiques : « elle nous obligera à présenter ce dont nous sommes capables et à mettre l’accent sur l’innovation, seul facteur qui puisse faire redémarrer la croissance mondiale. Dans ce domaine, on peut réfléchir par exemple au stockage de l’électricité ou au moyen d’exploiter des énergies renouvelables à moindre coût… [ce] projet – novateur mais plus modeste que celui des expositions universelles précédentes – me semble adapté à une période moins dynamique en termes de croissance ou d’évolution des revenus. Il mettra l’accent non sur les parfums, le luxe et ou tourisme, mais sur l’invention et la science, sources de progrès technologique. »
M. Christian de Boissieu se félicite de ce projet, « mobilisateur, multiplicateur et intégrateur » à long terme : « La France – l’État comme les agents privés – est devenue « court-termiste ». Le raccourcissement des prévisions et des décisions est à la fois une cause et un effet de la crise. Si je me sens keynésien sur certains points, je récuse l’adage selon lequel, à long terme, nous serons tous morts : la croissance des dix prochaines années m’intéresse plus que celle des six prochains mois.
Le projet est multiplicateur. Lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence, Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a pointé le mauvais état des infrastructures européennes. Même l’Allemagne, qui se porte mieux que la France, doit consentir des efforts à cet égard. L’exposition universelle offrira l’occasion de certaines dépenses à fortes externalités positives, surtout si l’on met au cœur du projet la créativité, l’innovation et la R&D, la culture au sens le plus large.
Lorsque j’ai siégé à la Commission Juppé-Rocard, qui s’est penchée sur l’affectation des 35 milliards du grand emprunt – dont deux tiers ont été attribués, par le biais de l’Agence nationale de la recherche (ANR), à l’enseignement supérieur et à la recherche –, j’ai observé un véritable élan. Certaines personnes sont venues parler des pôles de compétitivité. Le tissu productif, des grandes entreprises aux ETI, s’est mobilisé autour des notions d’innovation, de créativité et d’investissement. Infrastructures et investissement privé étant complémentaires, il faudra inclure au rendement à long terme de l’exposition universelle, à supposer que l’on sache le calculer, des effets d’entraînement, notamment pour l’aménagement du territoire, entre l’investissement public et privé.
En troisième lieu, le projet est intégrateur. Il accélérera la réalisation de certaines ambitions, comme le Grand Paris, et leur offrira une perspective à plus long terme. Loin de les asphyxier, il leur donnera du sens. C’est pourquoi il doit mobiliser toute la France. N’opposons pas Paris et la province. Les instigateurs du projet cherchent à mobiliser les métropoles régionales, qui bénéficieront de ses retombées économiques, culturelles et patrimoniales. Celles d’une exposition universelle dureraient plus longtemps que celles des Jeux olympiques ».
M. Pierre Mongin est également persuadé des retombées positives pour l’économie d’une exposition universelle : « L’exposition universelle serait également une vitrine du potentiel économique de notre pays, ce qui n’est pas négligeable dans le contexte actuel. Notre capitale a besoin de s’affirmer plus fortement au sein de la compétition mondiale… Paris est menacé de devenir une ville musée ».
L’effet « vitrine » de l’exposition est également salué par les entreprises. M. Geoffroy Roux de Bézieux souligne que le projet d’exposition « mettrait à l’honneur la science et la technique. Quantité d’innovations ont été présentées dans le cadre d’expositions universelles. Une telle manifestation serait particulièrement apte à créer la confiance et à mettre en scène la marque France.
….Pour travailler dans les nouvelles technologies, je peux témoigner que la France est aussi un pays d’inventeurs, même si tous ne parviennent pas à y commercialiser massivement leurs découvertes. Une exposition universelle qui réunirait des dizaines de millions de visiteurs montrerait au monde entier que toutes les innovations ne font pas en Amérique ou en Asie. Elle révélerait le potentiel de nos start-up, laboratoires et nos universités. Enfin, elle nous aiderait à retrouver l’esprit de la fin du XIXeet du début du XXe siècle, où l’on mettait l’accent sur le fer ou l’électricité. Je rappelle pour l’anecdote que c’est à l’occasion d’une exposition universelle qu’a été créée la tondeuse à gazon.
Nos entreprises sont prêtes à se mobiliser, sachant que certaines inventions pourront être présentées avant ou après 2025. Les plus grandes entreprises gagneront une occasion de se faire connaître dans le monde entier…
Pour engager les entreprises à montrer leurs innovations de manière attractive et pédagogique, il faut raisonner par filières, en utilisant les pôles et les fédérations. Lors de l’université d’été du MEDEF, un espace innovation consacré à la santé de demain a connu un grand succès. Grâce à la mobilisation des PME, des start-up et des grands groupes, on y montrait les cabines de télémédecine, qui permettent de réaliser des diagnostics à distance. Les pôles de compétitivité – qui sont non pas des lieux physiques, mais des clusters géographiques – peuvent aider à mettre en scène les derniers prototypes d’une filière ».
M. Jean-François Roubaud lui fait écho : ce projet « s’inscrit dans une dynamique de relance économique. Il redonnera du sens à la notion de progrès. Il permettra de présenter des innovations, ainsi qu’un inventaire des technologies qui se mettent en place, ce qui contribuera au rayonnement de la France…
Bien qu’elles ne possèdent pas les mêmes moyens que les grandes entreprises, les PME entendent travailler avec les territoires – départements et régions –, pour créer une dynamique entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Les retombées du projet pourraient dépasser celles des jeux Olympiques, car la manifestation mobilisera toute la technologie et toutes les entreprises. On se souvient que la malle Vuitton avait été créée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900. Quel projet fera éclore celle de 2025 ? Nul ne le sait encore…
L’exposition redonnerait du sens au progrès et nous réconcilierait avec lui ».
L’exposition pourrait donner un coup de fouet aux entreprises françaises ; toutefois, a souligné M. Jean-Yves Durance, « le développement des exportations passe obligatoirement par une croissance organique forte de nos entreprises – et dans les secteurs où il n’y en a pas, par des agrégations – et par leur restructuration ».
On peut en outre citer les retombées prévisibles de l’Exposition de Milan en 2015, tels que M. Luc Carvounas les a fournis à la mission : « Cinq chiffres concrets pour nous y projeter : 70 000 emplois devraient être créés sur la période 2010-2015 ; 30 millions de touristes y sont attendus ; 7 000 manifestations seront organisées parallèlement. Le chiffre d’affaires du milieu des entreprises milanaises augmentera de 44 milliards d’euros, soit une hausse de 10 %. Enfin, 11 000 kilomètres carrés d’espaces verts seront créés et le réseau fluvial des navigli sera réhabilité. On le constate donc clairement : organiser une exposition universelle est une formidable opportunité pour une collectivité territoriale ».
Pour les États européens, proposer la candidature de leurs métropoles à l’organisation d’une exposition internationale enregistrée, équivaut à mettre sur pied un plan de relance, alors qu’ils ont perdu des parts de marché.
Selon le site Internet du BIE, l’Exposition de Hanovre « a été extrêmement bien gérée et sa contribution à l’économie allemande et aux futures expositions universelles a été significative. La superficie de 100 hectares du parc d’exposition existant a été augmentée d’environ 60 hectares. Pour Expo 2000, une nouvelle gare a été construite à quelques 500 mètres à l’ouest du parc des expositions, un nouveau réseau routier urbain a été créé, le réseau de tramway a été étendu, un troisième terminal de l’aéroport a été bâti. L’événement est devenu crucial pour une ultérieure mondialisation de la Deutsche Messe AG, basée sur le parc des expositions de Hanovre. » Cette exposition n’a toutefois reçu que 18 millions de visiteurs, bien moins qu’attendu.
B. EXPO versus JO : QUE FAIRE ?
Nombreuses sont les personnalités auditionnées par la mission à avoir été tentées d’établir une comparaison entre les jeux Olympiques et l’exposition universelle. Votre rapporteur s’est du reste référé à plusieurs reprises aux jeux Olympiques, en particulier pour évoquer les processus d’attribution des grands événements internationaux. Ce faisant, il faut garder à l’esprit que tout ce qui nous rassemble ne se ressemble pas. Si nous sommes amenés à évoquer cette question dans un rapport sur l’Exposition universelle de 2025, c’est surtout parce qu’une réflexion parallèle existe sur un projet de candidature parisienne aux jeux Olympiques de 2024. Il ne s’agit donc pas tant d’établir une comparaison que d’insister sur ce qui distingue ces deux manifestations, au-delà de problématiques communes. L’autre question qui se pose est celle d’un éventuel télescopage entre les deux événements, qui amène à s’interroger sur la possibilité de mener à bien ces projets concomitamment.
1. Problématiques communes, logiques distinctes et effets contrastés
Les jeux Olympiques et les expositions universelles sont souvent qualifiés de gigantesques fêtes de portée planétaire, qui nécessitent de la part de ceux qui les accueillent un très fort investissement en amont, d’abord pour en obtenir l’attribution, ensuite pour les organiser. Il en résulte une indiscutable dynamique qui tire les investissements et qui suscite l’attention des médias. Pour importants que soient ces points de comparaison, là s’arrêtent cependant les similitudes.
a. La préparation et le déroulement de l’événement
Historiquement, les jeux Olympiques modernes doivent leur naissance à un Français, Pierre de Coubertin. De même que Paris a organisé plusieurs expositions universelles entre 1855 et 1937, notre capitale a accueilli les Jeux à deux reprises, en 1900 et en 1924. Ces deux événements ont en commun un objectif de contribution à la pacification des relations internationales.
Tant pour les jeux Olympiques que pour l’exposition universelle, il s’agit en premier lieu d’obtenir d’une instance décisionnelle l’autorisation de les organiser. Aussi les étapes du processus de candidature sont-elles grosso modo les mêmes : déclaration de candidature, dépôt d’un dossier assorti de garanties de réalisation, mise au point du projet, vote final pour départager les candidats. Le processus a lieu bien en amont de l’événement, qui lui-même revient à intervalles réguliers (quatre ans pour les JO, cinq ans pour les Expos).
Si la sélection du lauréat demeure pour partie subjective dans l’un et l’autre cas, la « campagne électorale » ne vise pas le même public : dans le cas des expositions, chaque État membre dispose d’une voix au sein du Bureau international des expositions (85), tant que le Comité international olympique tel que dépeint par M. Noël de Saint Pulgent, « c’est une centaine de personnes qui fonctionnent un peu comme en Conclave, mais en présence de quelques femmes et en l’absence du Saint-Esprit »… Les règles de la diplomatie internationale semblent davantage prévaloir dans le cas des expositions. Quand bien même elles ne sont jamais totalement absentes des considérations du CIO, d’autres critères entrent en jeu, beaucoup moins aisés à appréhender, voire même franchement opaques.
De surcroît, le cahier des charges olympique est beaucoup plus rigide que celui d’une exposition universelle, de sorte qu’une ville-candidate dispose d’une marge de manœuvre nettement circonscrite dès le stade de la présentation de son projet. Comme l’a indiqué Mme Chiara Corazza, directrice générale de l’association Paris IDF Capitale économique, « pour les jeux Olympiques, le Comité international olympique fait la loi, et sa loi est très stricte ; il en va autrement avec le Bureau international des expositions, qui a bien sûr ses propres critères, mais qui laisse davantage de place à l’inventivité et au pouvoir de conviction des candidats », à la condition que celui-ci apporte néanmoins toutes les garanties d’une réalisation effective.
Dans le même esprit, M. Armand de Rendinger note qu’« aujourd’hui on peut mobiliser la population à condition de jouer la transparence totale ; cela est compliqué dans le cadre des jeux Olympiques, mais beaucoup moins pour une exposition universelle car les enjeux et les contraintes économiques sont différents ».
L’organisation des jeux Olympiques nécessite d’investir dans des équipements lourds et des structures d’accueil formatées, pour une large part. On sait préalablement évaluer le nombre de participants aux épreuves et les enceintes sont ainsi construites pour les accueillir et pour recevoir un public qui demeure spectateur. À l’inverse, l’enjeu particulièrement enthousiasmant d’une exposition universelle réside précisément dans le fait que rien n’est joué d’avance : il faut convaincre les participants de s’associer à l’événement auquel eux-mêmes prendront une part active sur le fond et dans la forme et les visiteurs vivent sur place une expérience en tant qu’acteurs d’un événement dont le scénario est à écrire ensemble.
Toujours selon Mme Chiara Corazza, « on peut regarder les épreuves des jeux Olympiques à la télévision, et seuls quelques privilégiés participent à la fête. Au contraire, l’exposition universelle est une expérience vécue, qui a un aspect à la fois ludique et pédagogique ».
Dans le même ordre d’idées, M. Noël de Saint Pulgent juge que l’exposition universelle « est un exercice difficile mais qui peut être plus magique qu’une Coupe du monde ou un événement purement sportif ». M. Pierre Simon est même allé jusqu’à considérer que la structure d’accueil des expositions pouvait rendre les « miracles possibles » ! Le concept d’exposition universelle est de fait beaucoup plus généraliste, ne serait-ce que parce qu’il implique le choix d’un thème et que la déclinaison peut prendre des formes extrêmement diverses.
M. Hervé Brossard a noté que « le premier bénéficie immatériel d’une candidature [à l’exposition universelle] est la création d’un élan, d’une dynamique dans le pays. Ce projet doit donner le sentiment que l’on va bâtir quelque chose à long terme parce qu’on veut laisser une trace – il est en cela très différent d’une candidature aux jeux Olympiques ».
Mme Florence Pinot de Villechenon a observé que les grands événements sportifs sont, certes, des joutes pacifiques qui font appel au désir de se surpasser mais qu’elles n’exigent que des compétences sportives et ne délivrent pas de message en tant que tel. « Et même si un milliard de personnes en suivent le déroulement, ils s’adressent essentiellement aux amateurs des disciplines sportives. L’exposition, elle, a une mission pédagogique, ne serait-ce que par le choix de son thème. »
Le fait que l’événement soit à construire selon un schéma qui n’est pas préétabli confère à l’exposition universelle une dimension assurément plus structurante, qui implique un investissement humain beaucoup plus conséquent.
b. Les retombées de la manifestation
Notons d’emblée que l’empreinte d’un événement qui dure six mois est par nature différente de celle d’un événement concentré sur quelques semaines. Certes, dans un cas comme dans l’autre, se pose la question du déploiement d’importantes infrastructures spécialement dédiées et de leur reconversion, nonobstant les investissements réalisés pour l’occasion mais qui auraient dû l’être de toute façon. À cet égard, M. Jean-Paul Huchon a considéré que « l’heure n’est probablement plus aux projets pharaoniques » mis en œuvre dans les lieux « à la reconversion toujours problématique ».
La revue Futuribles a consacré deux articles de son numéro de l’été 2014 (86) à la question de l’impact des grands événements, sportifs d’une part, culturels d’autre part. Même si les expositions universelles n’y sont pas abordées, ces articles sont riches d’enseignements pour la mission.
L’analyse des jeux Olympiques est clairement à charge. Si les pays souhaitent organiser les JO pour leur effet de levier économique et social, les retombées ne sont pas au niveau des attentes. Les auteurs estiment que les impacts économiques à court terme – croissance économique, tourisme- sont incertains, et les conséquences en terme d’emplois à nuancer. Ce constat est aggravé par la privatisation des bénéfices de ces événements au profit d’une poignée de parties prenantes.
À long terme, le bilan n’est pas plus satisfaisant : de nombreux sites peinent à rembourser les emprunts nécessités par les constructions d’équipements coûteux. Les contribuables grenoblois ont ainsi payé jusqu’en 1992 les dépenses engagées pour l’accueil des JO d’hiver de 1968. En revanche, la réussite des JO d’été de Barcelone provient de l’insertion du projet sportif dans un projet territorial global ; le caractère rassembleur de cet évènement a permis de dépasser les blocages sociaux, politiques et financiers. La réhabilitation de certains quartiers de Londres en 2012 a été un succès. Autres problèmes sont encore examinés : l’oubli des externalités, tant d’un point de vue économique, social qu’environnemental.
Quant à la difficile reconversion des équipements sportifs, elle pose le problème du calcul de leur coût d’opportunité : l’investissement n’aurait-il pas rapporté plus s’il avait été consacré au logement ou à l’éducation ? Les auteurs concluent en évoquant le fait que le seuil d’acceptabilité de ces manifestations par les populations va diminuant, comme l’attestent du fait les récents mouvements d’humeur de la population brésilienne lors de la récente coupe du monde de football, doublée de la perspective des Jeux de Rio en 2016.
Pour les villes ayant reçu le label « capitale européenne de la culture », les effets à long terme semblent tout différents. Marseille est devenue beaucoup plus attractive depuis 2013 : 220 entreprises se sont impliquées alors que le contexte de crise économique ne semblait pas porteur. Les villes labellisées ont dû réunir d’importants moyens financiers pour mettre en valeur leur patrimoine et leurs atouts ; elles ont fédéré les énergies, ont fait appel aux talents internationaux et locaux et ont offert pendant un an aux habitants et aux touristes une fête permanente, une profusion de manifestations. Le bilan est également positif pour Lille, dont l’attractivité accrue a attiré des investisseurs, des sièges sociaux, des centres de recherche, ce qui a permis de reconnaître le rôle de la culture dans l’économie.
Dès 2009 la municipalité de Glasgow a, pour sa part, créé en son sein un département dédié à la poursuite de cette politique de régénération urbaine avec un programme de cinq ans : « l’année capitale 2008 a donc constitué le temps fort, le booster, politique qui porte ses fruits parce qu’elle s’inscrit dans la durée ». Une étude des universités de Glasgow a souligné l’importance de la vision à long terme des élus, relayés par la société civile, « pour enchâsser l’élection au titre de capitale européenne de la culture dans une politique à long terme de promotion de leur territoire ».
À la lecture de ces analyses, on conçoit en quoi l’exposition universelle relève davantage de la manifestation culturelle que du grand événement sportif. Si elle est un événement en soit, c’est-à-dire plus qu’un simple label, elle dispose d’un effet d’entraînement sur le long terme potentiellement sans commune mesure avec l’impact beaucoup plus ponctuel des jeux Olympiques, hors la question de l’image de la ville hôte.
La force des JO tient peut-être à leur force de frappe médiatique et au fait que pendant quinze jours, il n’est question que d’eux. Ce faisant, à titre d’exemple, Mme Chiara Corazza a observé que, pendant les Jeux de Londres, la ville s’était pour partie vidée de ses habitants, tandis que M. Noël de Saint Pulgent notait que les Olympiades faisaient en général plutôt fuir les autres touristes, quitte à ce qu’ils reviennent une fois la fête finie.
2. Des interrogations sur l’acceptabilité d’une organisation concomitante
Le présent rapport porte sur l’opportunité d’une candidature à l’exposition universelle et uniquement sur cette candidature. Ce faisant, dès lors qu’il est question d’une candidature de Paris aux JO de 2024, la question se pose de la possibilité de mener de front les deux projets, le cas échéant, ou d’avoir à opérer un choix. Quoi qu’il en soit, compte tenu des calendriers, le choix devra intervenir vite pour plus de clarté et d’efficacité, afin d’éviter la dispersion des énergies et de permettre à tous les acteurs de s’engager franchement, sans attendre.
a. Deux candidatures complémentaires ou souhaitables ?
Pour certains interlocuteurs de la mission, les deux projets peuvent se compléter. Mme Claude Revel a estimé que le projet d’exposition universelle était un projet non exclusif d’autres projets, tel celui des jeux Olympiques : « au contraire, une dynamique pourrait être créée entre les deux, y compris d’un point de vue financier ».
M. Guy Drut est également allé dans ce sens : « il est ridicule d’opposer une candidature aux jeux Olympiques à une candidature à l’exposition universelle. Les deux sont complémentaires et nous devons nous aider mutuellement », soulignant qu’il fallait promouvoir la France sans se diviser.
Il a également prôné le pragmatisme, en évoquant l’éventuelle souplesse du calendrier pour les JO : « Quant à la question de la concomitance, il faut être pragmatique. Rien n’interdit de faire acte de candidature aux deux événements. Le tout est que les deux projets ne donnent pas l’impression d’entrer en concurrence. Certes, le dossier de candidature aux jeux Olympiques de 2024 doit être déposé en septembre ou en octobre 2015, mais rien n’oblige à candidater pour 2024. Peut-être serait-il préférable de viser les jeux de 2028. Quant à savoir s’il faut faire une candidature de témoignage pour 2024, c’est aux deux patrons des candidatures aux jeux Olympiques et à l’exposition universelle d’en discuter avec les plus hautes autorités de l’État ».
Dans une tribune publiée récemment (87), et intitulée « JO et Expo à Paris : la région capitale dit « oui », quinze élus franciliens socialistes se prononcent aussi en faveur de la tenue de ces deux événements, sans toutefois préciser explicitement s’ils doivent être concomitants : « les jeux Olympiques et l’exposition seront le symbole de la grande ville économique et écologique, qui est au cœur de notre ambition politique. La Chine, le Brésil, l’Afrique du Sud, les pays du Golfe auraient-ils le monopole des grandes aventures culturelles et populaires au XXe siècle, pendant que l’Occident se résigne à la croissance molle ? ».
Il en est allé de même de M. Jean-Paul Huchon lors de son audition par la mission : « nous nous intéressons aussi à la question des jeux Olympiques de 2024, même s’il n’y a pas de véritable concurrence entre les deux dossiers. S’agissant des jeux Olympiques de 2024, le premier examen de la fiabilité du processus devrait avoir lieu entre novembre et décembre, à l’initiative du mouvement sportif, de l’État et de la région. J’ai noté que la Ville de Paris avait marqué une certaine réserve sur le sujet. Mais, pour notre part, nous sommes également partie prenante ».
Tout est cependant une question de calendrier, comme l’a relevé M. Christian de Boissieu, après avoir noté, au passage, que les retombés d’une exposition dureraient plus longtemps : « à vrai dire, plutôt que de choisir entre ces projets, je préférerais que la France organise les deux en jouant du calendrier ».
b. Des réticences dues à la soutenabilité financière et à l’acceptabilité des citoyens
M. Armand de Rendinger a estimé qu’une double candidature ne serait pas systématiquement mal reçue à l’étranger, mais qu’elle susciterait de nombreuses réserves dans notre pays, pour des raisons à la fois économiques et d’image :
« Ce serait incorrect vis-à-vis du peuple français, beaucoup plus regardant sur les budgets depuis la crise financière de 2008. […] Sans compter que les deux événements seraient mis en concurrence, et sur des aspects plutôt subjectifs que quantitatifs, avec des arguments moraux. Cela serait mortifère pour les deux projets. Dans les deux cas, l’honnêteté vous condamne à mobiliser les gens : on ne peut pas promouvoir et organiser un événement sans être soutenus par la population. »
La garantie d’une mobilisation populaire permanente pour deux projets qui auraient lieu, de surcroît, à des dates extrêmement rapprochées avec tous deux le Grand Paris comme centre névralgique est de fait très incertaine.
Pour M. Noël de Saint Pulgent également, les deux démarches sont difficilement compatibles :
« Certes, les Chinois ont organisé les jeux Olympiques à Pékin en 2008 et l’Exposition universelle à Shanghai en 2010, mais ils n’ont pas les mêmes moyens que nous... Il n’est pas possible pour la France de présenter deux candidatures en même temps, car l’une et l’autre mobiliseraient d’importantes ressources. Il faut faire un choix. Je sais que notre candidature aux JO de 2024 dépendra de la décision des Américains de présenter la leur ou pas. Compte tenu de la situation financière de notre pays, cette décision me paraît discutable. D’autant que si nous organisons l’un ou l’autre événement, sans pour autant renoncer à une gestion rigoureuse, nous ne devrons pas lésiner sur les investissements ».
Surtout, les représentants de la Ville de Paris ont clairement manifesté leur intérêt pour le projet d’exposition universelle, dès lors que les principes régissant l’organisation de la manifestation sont compatibles avec l’idée d’une certaine sobriété. Selon M. Jean-Louis Missika, « l’heure n’est plus aux mégaprojets, l’Exposition de Shanghai restant, de ce point de vue, indépassable. L’heure n’est plus aux palaces éphémères et nous devons tirer tous les conséquences des expériences passées, éviter les erreurs de certaines villes qui n’ont pas su réutiliser les infrastructures créées pour l’occasion au profit de leurs habitants, ne leur léguant que des déficits. ». En outre, M. Missika a rappelé que Mme Anne Hidalgo, Maire de Paris, n’avait pas opposé un refus de principe à une candidature aux jeux Olympiques, mais qu’un tel choix mériterait d’être validé par les électeurs. Or cette question n’a pas du tout été évoquée lors des élections de mars 2014. En revanche, la Ville de Paris a salué le caractère ordonné de la démarche relative à l’exposition universelle : création d’une association, mise en place d’une mission parlementaire, interrogation des différentes parties prenantes au projet. Elle s’est en conséquence dite prête à accompagner la démarche.
En outre, si une courte majorité de Français (51,9 %) serait aujourd’hui favorable à une candidature de Paris à l’organisation des Jeux olympiques d’été de 2024, selon un sondage Ipsos paru au moins de mars dernier dans le quotidien L’Équipe, ils seraient en revanche 48,1 % à s’y opposer. Parmi les réserves exprimées par les personnes interrogées, une candidature de Paris serait « un luxe que la France ne peut pas se permettre par ces temps de crise » pour 55,2 %, tandis que 44,8 % y voient « un vrai moteur de croissance pour le prestige de la France, pour l’emploi et pour le développement du sport ».
Le sondage, réalisé en avril 2014, par l’Ifop (annexe n° 2), pour l’association ExpoFrance 2025 (annexe n° 10), montre qu’une plus grande proportion de Français choisit l’exposition universelle plutôt que les jeux Olympiques (36 % contre 18 %), en dépit de la grande popularité de ces derniers. C’est principalement l’impact économique de la manifestation qui justifie la préférence de certains pour l’exposition (pour 45 % des personnes ayant préféré l’organisation de l’exposition universelle).
La candidature à l’exposition universelle semble, à première vue, aujourd’hui accueillie bien plus favorablement par les Français qu’une candidature olympique et reçoit de surcroît l’assentiment de la Ville de Paris, qui a pris en revanche ses distances avec le projet olympique.
« Je vois dans la candidature à l’Exposition universelle de 2025 une magnifique opportunité pour l’image dans le monde du Grand Paris et de la France », a déclaré le Premier ministre, M. Manuel Valls à l’occasion d’un déplacement à Créteil, le 13 octobre 2014, sur le thème du Grand Paris, en précisant que « l’État sera au rendez-vous de cette grande ambition ».
Votre rapporteur se félicite de ce premier engagement de poids des plus hautes autorités de l’État mais tient à souligner que l’exposition universelle et les jeux Olympiques ne sont pas des manifestations adverses dans l’absolu.
Les travaux, basés sur des auditions riches et diverses, ont permis d’appréhender les grandes problématiques auxquelles devra faire face une candidature à l’exposition universelle. L’aventure est enthousiasmante mais il ne s’agit pas de nous y engager en l’absence d’une solide de feuille de route. Au-delà des obligations extérieures qui nous incomberont, votre rapporteur a souhaité dresser une liste de recommandations dont le respect lui semble indispensable à la poursuite d’un projet gagnant.
1. Organiser une exposition universelle en France en 2025
Il s’agit tout d’abord de poser les bases d’une candidature solide, s’inscrivant dans le prolongement des initiatives menées de part et d’autre depuis plusieurs mois, qui ont déjà permis de fédérer de nombreux acteurs.
Recommandation n°1-1 : Inviter le Président de la République à présenter la candidature de notre pays en 2016 à l’organisation d’une exposition universelle qui redonnera confiance au pays, soutiendra l’économie et valorisera les atouts de la France et les talents des Français, dans une optique d’ouverture au monde.
Recommandation n°1-2 : Continuer d’associer à toutes les phases ultérieures les jeunes et les structures qui ont commencé à travailler activement sur ce projet.
Recommandation n°1-3 : Constituer à l’Assemblée nationale un groupe d’études qui sera chargé de veiller à la bonne marche du projet et de préparer la proposition de loi posant les principes et les règles juridiques propres à l’organisation de l’exposition.
Recommandation n° 1-4 : Veiller au respect des engagements pris par le Premier ministre le 13 octobre 2014, en conclusion de la réunion du Comité interministériel sur le Grand Paris, pour les dessertes de Roissy, d’Orly, de Saclay et pour la réalisation du Grand Paris-Express avant 2025, condition indispensable à la tenue de l’événement.
Recommandation n°1-5 : Mettre en place une structure publique chargée de tirer les enseignements des grands projets portés par la France, permettant de capitaliser sur l’acquis des expériences passées.
2. Renouveler la forme de l’exposition universelle
Sans avoir la prétention de bouleverser un modèle qui a fait ses preuves dans le passé, la mission est convaincue de la nécessité d’y apporter une nouvelle dimension. L’exposition doit rayonner, au-delà de son vaisseau amiral, sur un patrimoine existant et sur des infrastructures pérennes.
Recommandation n° 2-1 : Proposer au BIE une exposition polycentrée, rayonnant sur trois cercles concentriques, Paris intra-muros, le Grand Paris et des métropoles régionales.
Recommandation n° 2-2 : utiliser le patrimoine bâti existant – en particulier l’héritage parisien des précédentes expositions – et mettre à la disposition des pays invités les abords d’un site ou d’un monument célèbre, les gares emblématiques du Grand Paris, ainsi que celles du réseau du Grand Paris-Express.
3. Asseoir l’exposition sur un nouveau modèle d’organisation
Le dispositif de préfiguration repose sur la fédération de la société civile et sur la force d’impulsion de nos territoires. Cette genèse du projet doit se retrouver dans une organisation qui laisse toute sa place à ces acteurs et qui soit soucieuse de l’économie des fonds publics. Par ailleurs, la mobilisation du patrimoine historique et contemporain et des réseaux de transport permet d’envisager un modèle ambitieux et économe en termes de dépense publique.
Recommandation n°3-1 : Dès l’annonce de la candidature officielle de la France, confier à une structure la mission de coordonner les initiatives publiques et d’engager le dialogue avec les acteurs privés mobilisés et regroupés au sein de l’association ExpoFrance 2025.
Recommandation n°3-2 : Dès l’attribution à la France de l’organisation de l’exposition universelle au plus tard en 2019, et selon le modèle économique retenu, définir la nature juridique de l’instance organisatrice – qui doit être une structure unique – afin de concilier rigueur et efficacité, en veillant à l’ouvrir à des personnalités venues du monde entier.
Recommandation n°3-3 : Obtenir de l’État qu’il se porte garant de l’organisation de l’exposition, conformément aux règles du BIE.
Recommandation n°3-4 : Adopter de nouveaux modes de financement
− en encourageant le financement participatif ouvert à tous au niveau mondial,
− en recourant à l’emprunt obligataire garanti par l’État, qui sera un des facteurs de mobilisation de l’opinion,
− en suscitant et en développant le mécénat des entreprises françaises et étrangères, y compris le mécénat de compétences.
Recommandation n°3-5 : Dès l’annonce de la candidature, mettre en œuvre un outil de contrôle de gestion afin de dresser un tableau de bord des actions menées, de leur coût, leur adéquation au projet et le respect du calendrier.
4. Des éléments connexes indispensables à la réussite de l’exposition
Accueillir le monde durant près de six mois relève du défi, même si notre pays dispose déjà en la matière de solides acquis. La mobilisation des acteurs du tourisme français et au-delà, de l’accueil en France, doit intervenir bien en amont pour faire de cet événement une réussite éclatante et pour garantir à ses participants un séjour digne de ce nom.
Recommandation n°4-1 : Une fois acquis le succès de la candidature, engager une grande campagne de sensibilisation des Français à la qualité de l’accueil des visiteurs étrangers. Encourager le volontariat et la pratique des langues étrangères.
Recommandation n°4-2 : Recenser au mieux, au fur et à mesure de l’avancement du projet, les capacités d’hébergement susceptibles d’accueillir les visiteurs. Délivrer aux professionnels intéressés et aux particuliers un label « Expo 2025 », pour diffuser l’esprit de l’exposition au-delà de ses propres sites.
Recommandation n°4-3 : Nommer une entité responsable de l’ensemble des opérations de sécurité et de sûreté, qui garantisse aux participants, exposants et visiteurs, des conditions de séjour parfaitement sereines.
La mission d’information a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mercredi 28 octobre 2014.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Je laisse au rapporteur le soin de vous présenter ses conclusions.
M. Bruno Le Roux, rapporteur. Ayant travaillé en parfait accord pendant la mission, le président et moi-même avons tenu à cosigner l’introduction du rapport.
Dans ce document, je rappelle le rôle qu’a joué notre pays dans les expositions universelles et la manière dont celles-ci l’ont marqué. Nous avons toujours ce feu qui permet de présenter au monde des éléments qui touchent à notre patrimoine et à la capacité d’innovation de notre pays.
Je me demande également ce que peut apporter une nouvelle candidature de la France. Celle-ci possède tous les atouts qui ont assuré le succès des précédentes expositions.
En outre, la vision à moyen terme sur un projet mobilisateur est une opportunité pour notre pays, qui a du mal à se rassembler autour de grandes valeurs. Le consensus suscité par l’exposition universelle n’a rien de factice. Il pourra créer un mouvement profond, dont profitera toute la société pendant les dix prochaines années.
Au fil des auditions, nous avons tenté d’identifier les conditions à même d’assurer la réussite de l’exposition universelle. Nous nous sommes appuyés sur les travaux déjà menés par ailleurs, tant par les jeunes que par des entreprises et par l’association ExpoFrance 2025. Quand M. Jean-Louis Borloo a demandé à la Conférence des présidents de créer une mission d’information, c’était pour que l’Assemblée nationale relaie les études en cours.
Nous avons repris les hypothèses de travail déjà élaborées avant la constitution de la mission. L’une d’elle était que l’exposition universelle soit non celle de Paris, mais du Grand Paris, voire des grandes métropoles régionales. Dans le rapport, je défends l’idée d’une exposition polycentrée, ce qui surprendra peut-être le Bureau international des expositions (BIE), mais qui sera en phase avec le projet du Grand Paris et les capacités d’accueil des grandes métropoles.
Pour identifier les bonnes pratiques qui nous permettront de relever le défi, j’ai examiné nos forces et nos faiblesses. Les travaux réalisés par les étudiants montrent l’importance du thème. J’ai réfléchi également aux enjeux quantitatifs et qualitatifs de l’accueil, liés à la question de l’hébergement et des transports. Avant d’imaginer de nouveaux investissements, il faut s’assurer que ceux qui sont prévus seront réalisés. En tant qu’élu de la Seine-Saint-Denis, je m’inquiète quand la RATP envisage de retarder la réalisation de certaines infrastructures. Une exposition universelle ne peut être organisée sans une parfaite desserte des aéroports.
En 2025, le numérique sera encore plus présent qu’aujourd’hui. C’est un facteur que nous avons pris en compte.
De même, nous ne pouvons ignorer la situation budgétaire de la France, au moment où nous rendons ce rapport. L’exposition doit pouvoir mobiliser des financements nouveaux, afin de ne pas être coûteuse pour les finances publiques, comme pourrait l’être l’organisation des jeux Olympiques.
Nous avons réfléchi à la réutilisation des monuments et sites existants ou de leurs abords. Même s’il existe toujours un enjeu architectural dans une exposition universelle, nous n’allons pas reconstruire le Grand Palais ou la tour Eiffel, cent vingt-cinq ans plus tard. On peut en revanche donner une dimension architecturale aux projets qui conserveront leur utilité par la suite, comme des gares du Grand Paris. Les bénéfices doivent être pensés sur le plan touristique et économique, ainsi qu’en termes de qualité de vie.
Le rapport formule quinze recommandations.
La première invite le Président de la République à présenter la candidature de notre pays à l’organisation de l’exposition universelle de 2025.
La deuxième vise à associer les jeunes qui ont commencé à travailler sur le projet à la réalisation de toutes ses phases ultérieures. Dans dix ans, ceux qui ont aujourd’hui entre dix-huit et vingt-cinq ans seront responsables au sein des entreprises ou des administrations.
En troisième lieu, nous souhaitons que se constitue à l’Assemblée nationale un groupe d’études chargé de veiller à la bonne marche du projet et de préparer la proposition de loi posant les principes et des règles juridiques propres à l’organisation de l’exposition universelle. Il s’agit non de se substituer à l’organisation professionnelle qui sera mise en place, mais d’associer à la réflexion un groupe parlementaire de suivi et de faire évoluer la législation, par exemple fiscale, sur certains points.
La quatrième recommandation porte sur l’organisation des transports.
La cinquième concerne la mise en place d’une structure publique chargée de tirer les enseignements des grands projets portés par la France. Nous avons été choqués d’entendre d’anciens responsables, parfois d’anciens parlementaires comme Guy Drut, nous reprocher de manquer de mémoire et de ne pas tirer de leçons des échecs passés.
En sixième et septième lieu, nous préconisons d’organiser une exposition polycentrée, et d’utiliser le patrimoine bâti existant, notamment les gares emblématiques du Grand Paris et celles du réseau du Grand Paris-Express.
Viennent ensuite cinq propositions sur le nouveau modèle d’organisation.
Dès l’annonce de la candidature officielle de la France, il faut confier à une structure dédiée la mission de coordonner les initiatives publiques et d’engager le dialogue avec les acteurs privés mobilisés et regroupés au sein de l’association ExpoFrance 2025.
Il faut définir le modèle économique retenu, obtenir de l’État qu’il se porte garant de l’organisation de l’exposition, conformément aux règles du BIE, et adopter de nouveaux modes de financement.
Enfin, dès l’annonce de la candidature, il faudra mettre en œuvre un outil de contrôle de gestion afin que l’objectif d’équilibre des comptes puisse être respecté.
Les treizième, quatorzième et quinzième recommandations portent sur des éléments annexes, mais indispensables à la réussite du projet.
La mobilisation populaire doit intervenir dès le dépôt de la candidature, qui sera portée non seulement par la France mais par les Français.
En matière d’accueil, nous devons regarder la manière dont la Chine a fait participer sa population aux jeux Olympiques de Pékin ou à l’Exposition universelle de Shanghai. Pourquoi ne pas délivrer aux professionnels et aux particuliers un label « Expo 2025 », pour diffuser l’esprit de l’exposition au-delà de ses sites ? Notre collègue Hervé Pellois m’a indiqué que la mesure intéresserait, par exemple, les fermes auberges du Morbihan. Elle permettrait d’informer les visiteurs venus préparer ou visiter l’exposition universelle sur les structures d’accueil de notre pays, qui pourraient fonctionner en réseau.
Enfin, nous préconisons de nommer une entité responsable de l’ensemble des opérations de sécurité et de sûreté, afin de garantir aux participants, exposants et visiteurs, des conditions de séjour sereines.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Merci d’avoir rappelé le climat de concorde qui a présidé à nos travaux. Un projet d’exposition universelle perdrait de son crédit, s’il ne commençait pas sous de bons auspices.
Notre mission d’information devait d’abord s’interroger sur la pertinence d’un tel projet pour la France. Celui-ci lui offre des perspectives de rassemblement, de dynamique collective, d’innovation et de confiance. Ceux que nous avons auditionnés – une centaine de personnes, au total – ont été unanimes sur ce point.
Notre mission d’information devait aussi définir le modèle à retenir. Nous écartant de celui des expositions universelles du XXe siècle, nous proposons non de construire des pavillons dans un parc fermé mais d’utiliser le patrimoine existant, historique ou contemporain, et d’exploiter les projets en cours sur le réseau de transport. Nos interlocuteurs ont validé ce modèle. Quand nous l’avons auditionné, M. Christian Prudhomme a rappelé de manière émouvante, empreinte d’une vibration patriotique, que le Tour de France doit son succès au fait que cet événement sportif permet de découvrir la France. Nous devons adopter le même état d’esprit si nous voulons que l’exposition universelle valorise tout le territoire français.
Il faut aussi inventer un modèle économique qui ne génère pas de dépenses publiques et se tourner vers l’existant. Nous avons auditionné des chefs d’entreprise et des économistes, comme Jean-Hervé Lorenzi et Christian De Boissieu. Ceux-ci ont validé la pertinence d’un modèle qui n’exige pas l’amortissement des infrastructures, mais consacre tous les moyens à l’animation, à la rencontre et à l’échange d’expériences.
Enfin, nous devions réfléchir à la faisabilité du projet, ce qui suppose de maîtriser l’agenda – la candidature doit être déposée en 2016, pour un vote en 2018 – et de tirer les leçons de l’échec de la candidature française à de grands événements sportifs, comme les jeux Olympiques. La mission a constaté la sérénité du projet et son caractère extrêmement structuré. Les recommandations du rapport et le suivi de l’Assemblée nationale garantissent la maîtrise des échéances. Le dossier est tourné non seulement vers l’organisation d’un événement mais vers la réconciliation, l’audace et l’espérance. Valoriser des atouts dont notre pays a parfois du mal à être fier est un projet éminemment politique.
Mme Catherine Quéré. La mission a été si passionnante que je la vois s’achever avec tristesse. Certaines personnalités nous ont enthousiasmés, comme M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du BIE, qui parle parfaitement français. La présentation des jeunes était originale, intelligente, moderne, inattendue et innovante. J’espère sincèrement que la candidature de la France aboutira.
M. Christophe Bouillon. L’énergie du président et du rapporteur, ainsi que leur bonne entente, ont été communicatives, et nous sommes fiers d’avoir participé à leurs travaux. Puisque nous nous prononçons en faveur d’une exposition polycentrée, pourquoi ne pas faire de la Seine la grande avenue de l’exposition universelle ? Le Grand Paris nous offre un levier, en termes de transport. La valorisation de l’axe Paris/Le Havre serait un atout supplémentaire pour le projet.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. L’exploitation des nouvelles dynamiques territoriales va dans le sens du rapport. Il serait bon que l’exposition universelle serve à animer les corridors du Grand Paris.
M. le rapporteur. Il est encore temps d’en faire mention dans le rapport.
M. Yves Albarello. Le Grand Paris-Express, sur lequel le Premier ministre vient de rendre ses derniers arbitrages, arrivera à point nommé pour favoriser le succès de la candidature. Étant rapporteur de la mission sur la mise en application de la loi sur le Grand Paris, je suivrai attentivement l’évolution de ce dossier, car les annonces faites la semaine dernière par le président de la RATP justifient certaines inquiétudes.
On peut innover en laissant l’exposition universelle s’étendre jusqu’au Havre, mais plusieurs personnalités auditionnées ont insisté sur l’importance de centrer la manifestation sur une unité de lieu.
M. Jean-Michel Couve. Je félicite le rapporteur pour son rapport passionnant. Le projet d’exposition universelle n’est pas seulement fédérateur. Il favorisera le secteur du tourisme pendant dix ans. C’est donc un bel objet d’avenir. Par ailleurs, il est judicieux que la mission ait analysé précisément les causes de l’échec des précédentes candidatures françaises.
M. Guillaume Bachelay. Je joins mes éloges à ceux de mes collègues. Le projet d’exposition universelle illustre les deux missions du politique : agir dans le présent et se projeter dans l’avenir. Penser 2025 permet d’activer dès maintenant des innovations économiques, technologiques et sociales. Par ailleurs, on est d’autant plus crédible que l’on cherche à tirer les leçons du passé.
Vous avez choisi un projet à « trois P » : polycentré, progressiste et populaire.
Le choix d’un polycentrage, bien que novateur, a été validé par de grands événements sportifs.
Le mot « progrès » figure dans le rapport. Il faut mettre l’accent sur le numérique, caractérisé par la mise en réseau, la dématérialisation, la révolution digitale, et, sans faire de futurologie, anticiper les innovations qui seront à l’œuvre dans dix ans. Le rapport aurait pu insister davantage sur la transition énergétique, en mettant l’accent sur la mobilité, les transports fluviaux et l’urbanisme, qui constituent des enjeux vitaux.
Enfin, l’exposition est un projet populaire. Elle doit être une fête pour la France et pour tous les pays. Dans un monde global, on a besoin d’universel. L’événement, qui permettra aux peuples, aux nations, aux cultures de se découvrir et d’échanger, traduit l’universalisme de la France et s’inscrit d’ores et déjà dans l’histoire.
M. le président Jean-Christophe Fromantin. Au XIXe siècle, les expositions universelles étaient baptisées « les Olympiades du progrès ». En 2025, l’enjeu sera peut-être moins d’exposer les innovations que de remettre de l’humain dans les relations et de faire que le monde se rencontre à nouveau. « Partager des expériences » a été le mot d’ordre des jeunes, qui aspirent à une autre amitié que celle des réseaux sociaux.
——fpfp——
La mission d’information a adopté à l’unanimité le rapport et les recommandations présentées par le rapporteur, autorisant ainsi leur publication.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Mercredi 5 février 2014
Qu’est-ce qu’une exposition universelle ?
– M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du Bureau international des expositions (BIE) ;
– M. Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France, président honoraire du Bureau international des expositions (BIE) ;
– M. Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du Bureau international des expositions (BIE).
Mercredi 12 février 2014
Le Bureau international des expositions :
– M. Vicente Gonzales Loscertales, secrétaire général du Bureau international des expositions (BIE).
Mercredi 19 février 2014
Mise en perspective historique et l’héritage des expositions universelles :
– M. Sylvain Ageorges, photographe, responsable du service iconographique du Bureau international des expositions ;
– Mme Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine ;
– M. Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
Mercredi 19 février 2014
Peut-en encore aujourd’hui célébrer le progrès et les innovations ? :
– M. Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective ;
– M. Marc Giget, président de l’Institut européen de stratégies créatives et d’innovation et du Club de Paris des directeurs de l’innovation ;
– M. Joël de Rosnay, conseiller de la présidence d’Universcience (Cité des sciences et de l’industrie et Palais de la découverte) et président de Biotics International ;
– M. Gérard Roucairol, président de l’Académie des technologies.
Mercredi 9 avril 2014
La dimension fédératrice et mobilisatrice des grands événements internationaux :
– Mme Florence Pinot de Villechenon, professeure à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP).
Jeudi 10 avril 2014
Des projets pour 2025 :
Présentation d’un « power point » et projection vidéo de travaux réalisés par des étudiants de Sciences Po Paris et du Centre Michel Serres de l’École nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM), suivies d’un débat.
Mercredi 16 avril 2014
L’action menée par l’association ExpoFrance 2025 :
– M. Luc Carvounas, sénateur ;
– M. Hervé Brossard, président de l’Omnicom Media Group France ;
– M. Patrick Gautrat, ancien ambassadeur, ancien directeur des sports au ministère des affaires étrangères ;
– M. Ghislain Gomart, directeur général de l’association.
Mercredi 30 avril 2014
L’influence française dans le monde :
– M. Xavier Darcos, ancien ministre, président de l’Institut français ;
– Mme Mercedes Erra, présidente d’Euro RSCG ;
– M. Michel Foucher, géographe, Professeur à l’École normale supérieure d’Ulm ;
– Mme Sophie Pedder, correspondante en France, chef du bureau parisien de « The Economist ».
Mercredi 7 mai 2014
La section française à l’Exposition universelle de Shanghai de 2010 :
– M. José Frèches, commissaire général ;
– M. Florent Vaillot, directeur du pavillon de la section française ;
– M. Christophe Leroy, directeur en charge du pavillon Ile de France.
Mercredi 14 mai 2014
L’expertise française en matière d’évènementiel : quels atouts faire valoir ?
– M. Christian Prudhomme, directeur du cyclisme d’Amaury Sport Organisation et directeur du Tour de France ;
– M. Pierre-Yves Thouault, directeur adjoint du cyclisme d’Amaury Sport Organisation.
Mercredi 21 mai 2014
Les grands événements sportifs : les enseignements à tirer des candidatures passées
– M. Armand de Rendinger, ancien directeur de la promotion internationale du projet « Paris 2012 » ;
– M. Noël de Saint Pulgent, auteur du rapport sur la préparation de l’exposition internationale de 2004 à Saint-Denis, ancien directeur général du GIP Paris Île-de-France pour la candidature de Paris aux JO de 2008 ;
– M. Guy Drut, ancien ministre, membre du comité international olympique.
Mercredi 28 mai 2014
L’intelligence économique
– Mme Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique ;
Les grands événements sportifs : les enseignements à tirer des candidatures passées (suite) :
– M. Jacques Lambert, président du comité de pilotage de l’Euro 2016 de football, coordinateur des services de l’État pour la préparation des JO de 1992, directeur du comité d’organisation de France 1998.
Mercredi 4 juin 2014
Quel Paris pour l’exposition ?
– M. Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du projet du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité ;
– M. Jean-François Martins, adjoint à la Maire de Paris chargé des sports et du tourisme.
Jeudi 5 juin 2014
L’expertise française en matière d’évènementiel : quels atouts faire valoir ? (suite)
– M. Dominique Hummel, président du directoire du Futuroscope de Poitiers ;
– M. Thierry Hesse, commissaire général du Mondial de l’automobile.
Mercredi 11 juin 2014
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports
– M. Bertrand de Lacombe, directeur des affaires publiques d’Aéroports de Paris (ADP) * ;
– Mme Alexandra Locquet, responsable du projet CDG Express chez ADP ;
– M. Philippe Yvin, président du directoire de la société du Grand Paris.
Mercredi 18 juin 2014
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports (suite)
– M. Pierre Veltz, président-directeur général de l’établissement public de Paris Saclay ;
– M. Pierre Messulam, directeur général adjoint de Transilien SNCF ;
– M. Pierre Simon, président l’association Paris IDF Capitale économique ;
– Mme Chiara Corazza, directrice générale de l’association Paris IDF Capitale économique.
Mercredi 25 juin 2014
L’exposition universelle de Shanghai de 2010
– M. Xu Bo, ancien adjoint au Commissaire général de l’Exposition universelle de Shanghai de 2010 ;
L’expertise française en matière d’évènementiel : quels atouts faire valoir ? (suite)
– M. Jérémy Botton, directeur général délégué de la Fédération française de tennis (FFT) et M. Fabrice Alexandre, directeur associé, représentants du Tournoi de Roland Garros.
Mercredi 2 juillet 2014
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports (suite)
– M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP.
Comment accueillir le monde : l’offre touristique
– M. Thierry Coltier, Managing partner de Horwath HTL France ;
– M. Gérard Feldzer, président du Comité régional du tourisme Paris Île-de-France ;
– M. Jean-Michel Grard, directeur de Maîtres du rêve ;
– M. Christian Mantéi, directeur général d’Atout France.
Mercredi 9 juillet 2014
L’exposition universelle comme vecteur du renouvellement urbain
– M. Pierre Mansat, président de l’Atelier international du Grand Paris ;
– M. Jean-Marie Duthilleul, architecte et ingénieur, Agence Duthilleul ;
– M. Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine ;
– M. Alexandre Labasse, architecte, directeur général du Pavillon de l’Arsenal ;
– M. Jacques Ferrier, architecte, Agence Jacques Ferrier Architectures.
Mercredi 3 septembre 2014
Comment accueillir le monde : l’atout du patrimoine :
– M. Philippe Bélaval, président ;
La mobilisation des entreprises :
– M. Jean-François Roubaud, président de la CGPME, M. Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général, accompagnés de Mme Sandrine Bourgogne ;
– M. Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du MEDEF et président du Pôle économique, fiscal, innovation et numérique, de Mme Céline Micouin, directrice entreprises et société, accompagnés de M. Matthieu Pineda, chargé de mission à la direction des affaires publiques ;
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports (suite) :
– M. Pierre-Olivier Bandet, directeur de cabinet du président-directeur général d’Air France * .
– Mme Patricia Manent, directrice adjointe des affaires publiques d’Air France ;
Mercredi 10 septembre 2014
L’exposition universelle, le Grand Paris et les transports (suite) :
– M. Jean-Paul Huchon, président de la région Île-de-France, accompagné de Mme Sophie Mougard, directrice générale du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF).
La mobilisation des entreprises (suite) :
– M. Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI * Paris Île-de-France ;
– M. Jean-Yves Durance, président de la CCI des Hauts de Seine ;
– M Etienne Guyot, directeur général de la CCI Paris Île-de-France ;
– Mme Véronique Etienne-Martin, responsable du département Affaires publiques et Valorisation des études.
Jeudi 11 septembre 2014
Quel modèle économique adopter ?
– M. Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, et M. Christian De Boissieu, membre ;
Comment accueillir le monde : l’atout du patrimoine (suite) :
– M. Jean-Luc Martinez, président-directeur de l’établissement public du Musée du Louvre, et M. Hervé Barbaret, administrateur général ;
– M. Éric Spitz, directeur général de la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE).
Mardi 23 septembre 2014
Comment accueillir le monde : l’atout du patrimoine (suite) :
– M. Jean-Paul Cluzel, président de La Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP).
Exposition réelle, exposition virtuelle : quelle place pour le numérique ?
– M. Emmanuel Martin, délégué général du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs ;
– M. Jean-Baptiste Soufron, secrétaire général du Conseil national du numérique, Mme Virginia Cruz, membre du Conseil ;
– M. Jean-Louis Fréchin, commissaire général de Futur en Seine.
Mercredi 24 septembre 2014
L’exposition universelle et la sécurité :
– M. Benoît Trevisani, sous-directeur des services d’incendie et des acteurs du secours ;
– M. Jean-Marie Caillaud, chef du bureau de la réglementation incendie et des risques courants ;
– M. Yann Drouet, chef du bureau de la planification, exercices, retour d’expérience.
Lundi 6 octobre 2014
L’horizon 2025 :
– M. Christophe Dalstein, directeur exécutif d’Europa City et Mme Sophie Delcourt, directrice du marketing et des partenariats.
Puis :
– M. Hugues de Jouvenel, président de Futuribles International, consultant international en prospective et stratégie.
Lundi 13 octobre 2014
La participation de la France à l’Expo de Milan de 2015 :
– M. Alain Berger, commissaire du pavillon français à l’Exposition universelle de Milan de 2015.
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VISITE
Jeudi 26 juin 2014 :
Visite par la mission d’information de l’Exposition « Paris 1900 » avec M. Christophe Leribault, directeur du Petit Palais.
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CONTRIBUTIONS ÉCRITES
– Mme Agnès Saal, présidente de l’Institut national de l’audiovisuel (INA).
– M. Pierre-Alain Schieb, consultant auprès de l’OCDE, ancien conseiller et chef des projets de l’OCDE sur l’avenir.
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
ANNEXE 1
PALAIS-OMNIBUS PARIS 1867
Source : ExpoFrance 2025
ANNEXE 2
LES FRANÇAIS ET LA CANDIDATURE DE LA FRANCE À L’EXPOSITION UNIVERSELLE 2025 : SONDAGE IFOP
ANNEXE 3
ILS ONT DIT « OUI » À L’EXPOSITION UNIVERSELLE
(Au 24 octobre 2014)
A. LES PARTENAIRES
1. Les partenaires fondateurs (88)
Carrefour |
Régus |
Groupe Clarins |
SNCF |
Bouygues |
Compagnie de Phalsbourg |
Aéroports de Paris |
RATP |
Unibail-Rodamco |
Suez environnement |
Crédit Agricole |
AG 2R La Mondiale |
LVMH |
Air France |
Renault |
2. Les partenaires
Safran |
Deloitte |
Groupe Galeries Lafayette |
Société du Grand Paris |
Accor |
Altarea Cogedim |
3. Les partenaires PME
Actif signal |
Futuroscope |
France Tourisme |
La Gérance de Passy |
Novelty |
Alibabette Éditions |
Groupe Photononstop |
Ecosys Group |
Granrut |
Europexpo |
Alternativa |
PME centrale |
Opalia |
Infotrafic |
Insignis |
Turningpoint |
Réponse |
Depack |
Montaigne capital |
Lobjoy et Bouvier |
UTSIT |
CDVI |
Yaki |
Villa violet |
Inexline |
Quadra diffusion |
Ico évènements |
B. LES ORGANISATIONS PATRONALES ET SYNDICATS PROFESSIONNELS