N° 2894 - Rapport d'information de M. Patrick Bloche déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires culturelles et de l'éducation, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les dix ans de la convention UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles



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N° 2894

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

en conclusion des travaux de la mission sur
les dix ans de la convention UNESCO de 2005

sur la protection et la promotion

de la diversité des expressions culturelles,

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Patrick BLOCHE,

Rapporteur.

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

I. UNE CONVENTION FONDATRICE, DONT LA FRANCE EST L’UN DES PRINCIPAUX ARTISANS 11

A. DE LA DÉFENSE DE L’EXCEPTION CULTURELLE À LA PROMOTION DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE 11

1. Un contexte historique propice à l’adoption de la Convention 12

2. Une consécration novatrice de la double nature des biens et services culturels 14

3. Un cadre institutionnel propre 15

a. La Conférence des Parties et le Comité intergouvernemental 15

b. Le Fonds international pour la diversité culturelle 16

B. UNE DOUBLE DIMENSION : INTERNATIONALE MAIS AUSSI EUROPÉENNE 17

1. Une des conventions internationales les plus largement ratifiées dans le monde 17

2. L’intégration de la Convention dans l’ordre juridique européen 18

3. L’affirmation du principe de neutralité technologique 19

C. LA FRANCE, ACTEUR MAJEUR DE LA CONVENTION 19

1. Une forte implication dans l’adoption et l’application de la Convention 19

2. Une action soutenue pour son adaptation au nouvel environnement numérique 20

3. La nécessité d’une forte présence de la France dans la célébration du dixième anniversaire 21

II. LE BILAN DES PREMIÈRES ANNÉES D’APPLICATION 25

A. UN BILAN GLOBAL DIFFICILE À ÉTABLIR 25

1. La remise aléatoire des rapports périodiques des États parties 26

2. Les moyens d’analyse limités du Secrétariat de l’UNESCO 26

3. Un rapport global néanmoins attendu pour la fin de l’année 2015 27

B. UNE ANALYSE DES BONNES PRATIQUES RICHE D’ENSEIGNEMENTS 27

1. Les politiques et mesures culturelles 28

a. Le soutien à la création 28

b. Le soutien à la production 30

c. La distribution des biens et services culturels 30

d. La promotion de la participation à la vie culturelle 30

2. La coopération internationale et le traitement préférentiel 31

a. La coopération internationale 31

b. Le traitement préférentiel des artistes et professionnels de la culture 32

3. L’intégration de la culture dans les politiques de développement durable 34

a. Intégrer la culture dans la planification du développement national général 34

b. Favoriser la viabilité des industries créatives 35

c. Garantir aux régions et aux minorités un traitement équitable 37

4. La sensibilisation de la société civile 38

C. DES DIFFICULTÉS DE MISE EN œUVRE ESSENTIELLEMENT STRUCTURELLES 39

1. Le manque de ressources financières et humaines 39

2. L’absence de structures législatives, administratives et économiques 40

3. Les difficultés conjoncturelles 41

III. FACE AUX ENJEUX DE L’ÈRE NUMÉRIQUE : UNE CONVENTION PLUS UTILE QUE JAMAIS 43

A. LE NUMÉRIQUE : OPPORTUNITÉS ET DÉFIS 43

1. Les opportunités du numérique pour la création et la diffusion des œuvres 44

a. Une démocratisation de l’accès à la culture 44

b. La disparition des barrières géographiques pour les créateurs 45

c. Une plus grande participation de la société civile 45

2. Les défis du web 2.0 pour la diversité culturelle 46

a. Un accès universel encore virtuel 46

b. L’émergence de nouveaux intermédiaires de dimension mondiale 46

c. Un risque de contournement des garanties nationales de la diversité culturelle 48

d. Une possible remise en cause de l’économie générale du financement de la création 50

B. SOUTENIR L’ÉMERGENCE D’UN SUD NUMÉRIQUE 50

1. Optimiser un enjeu déjà présent dans la coopération pour le développement 51

2. Changer de regard sur le « Sud numérique » 53

C. FAIRE DE LA CONVENTION DE 2005 UN INSTRUMENT DE GOUVERNANCE DE LA CULTURE À L’ÈRE NUMÉRIQUE 54

1. Préciser la portée de la Convention par des directives opérationnelles adaptées 55

2. Encourager les États parties à ajuster leurs outils de régulation à la nouvelle donne numérique 58

a. Mieux encadrer l’activité des géants du web afin de préserver la diversité des contenus 58

b. Soutenir la présence des acteurs culturels locaux sur les réseaux 59

c. Défendre les droits des auteurs 61

3. Imposer les principes de la Convention dans les négociations commerciales internationales 63

CONCLUSION 65

TRAVAUX DE LA COMMISSION 67

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 87

ANNEXE 2 : CONVENTION UNESCO SUR LA PROTECTION ET LA PROMOTION DE LA DIVERSITÉ DES EXPRESSIONS CULTURELLES DU 20 OCTOBRE 2005 89

ANNEXE 3 : LISTE CHRONOLOGIQUE DES ÉTATS SIGNATAIRES DE LA CONVENTION 105

INTRODUCTION

La Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a confié à son président, le 7 avril dernier, une mission d’information sur les dix ans de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée par l’UNESCO en 2005.

À l’occasion des célébrations des dix ans de la signature de cette convention – l’année 2015 marquant en outre le 70e anniversaire de l’UNESCO –, la Commission a, en effet, estimé nécessaire de faire un point sur la situation de la diversité culturelle dans le monde et sur les actions menées en faveur de sa défense sur le fondement de la Convention.

Adoptée le 20 octobre 2005 à la quasi-unanimité des États membres de l’UNESCO et entrée en vigueur en France le 18 mars 2007, la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles marque l’aboutissement d’une action engagée dès le milieu des années 1990 par la société civile et un certain nombre de pays, notamment au lendemain de l’Uruguay Round et de l’échec, à l’OCDE, de la négociation sur l’accord multilatéral sur les investissements (AMI).

138 États ont à ce jour ratifié cette convention, l’Union européenne ayant quant à elle adhéré dès décembre 2006. Il s’agit donc de l’une des conventions internationales les plus largement ratifiées au monde, même si, aujourd’hui encore, les États-Unis n’en sont pas signataires.

En consacrant à égalité la double nature – culturelle et économique – des biens et services culturels, la Convention UNESCO de 2005 constitue le premier instrument juridique international reconnaissant la spécificité de ces biens et services et affirmant le droit souverain des États d’élaborer des politiques culturelles.

Son dixième anniversaire est l’occasion pour l’UNESCO d’encourager de nouveaux signataires à rejoindre la Convention, en les convainquant de la valeur de la diversité des expressions culturelles et du bienfondé de ce traité, et d’œuvrer pour l’intégration de la culture dans l’Agenda pour le développement de l’après 2015 des Nations unies.

À travers les bilans d’application de la Convention de 2005 dans les différents pays signataires établis par les services de l’UNESCO, le rapporteur s’est attaché à évaluer l’impact de ce texte sur la promotion de la diversité culturelle dans le monde ainsi que sa contribution au développement durable des pays du Sud.

Il s’est également attaché à étudier le rôle joué par la France pour l’adoption puis l’application de la Convention depuis son entrée en vigueur.

Enfin, le rapporteur s’est tout particulièrement penché sur la question de la diversité des expressions culturelles dans l’ère numérique, s’interrogeant sur la manière dont les États parties à la Convention peuvent se saisir de ce formidable outil que sont les technologies numériques pour promouvoir un flux varié et équilibré d’expressions culturelles à travers le monde.

Comme le rappelle M. Jean Musitelli, ancien délégué permanent de la France à l’UNESCO, ancien membre du groupe d’experts internationaux chargés par le Directeur général de l’UNESCO d’élaborer l’avant-projet de convention sur la diversité culturelle, dans la postface à un récent ouvrage (1) rédigé sous l’égide de la Commission nationale française pour l’UNESCO et consacré à la diversité culturelle à l’ère du numérique, « Le combat pour la diversité culturelle est un enjeu sans cesse renaissant ». Les avancées ne doivent jamais être prises pour acquises car « l’objectif à atteindre se déplace au gré des mutations de l’équilibre géopolitique et du paysage technologique, qui influent sur l’activité et les pratiques culturelles ».

*

Dans le cadre de cette mission, le rapporteur s’est rendu au siège de l’UNESCO à Paris pour s’entretenir avec Mme Danielle Cliche, secrétaire de la convention de 2005, chef de la section de la diversité des expressions culturelles, et S. Exc. M. Philippe Lalliot, Ambassadeur, délégué permanent de la France auprès de l’UNESCO.

Il a également procédé à plusieurs auditions afin de rencontrer différents acteurs de la mise en œuvre de la Convention : des représentants du ministère de la Culture et de la Communication, du ministère des Affaires étrangères et du Développement international, de la Commission nationale française pour l’UNESCO, de l’Organisation internationale de la Francophonie, de la Coalition française pour la diversité culturelle mais également nos partenaires québécois, particulièrement actifs dans l’élaboration et l’application de la Convention, et des personnalités impliquées, depuis de longues années, dans la promotion de la diversité culturelle.

Le rapporteur tient ici à les remercier de leur confiance et pour les informations précieuses qu’ils lui ont communiquées lors des différentes rencontres et auditions.

Enfin, la célébration des 10 ans de la Convention a fait l’objet d’un échange avec une délégation de la commission de la Culture et des Médias du Bundestag, lors de sa réception à Paris par la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation le 2 juin dernier.

I. UNE CONVENTION FONDATRICE, DONT LA FRANCE EST L’UN DES PRINCIPAUX ARTISANS

Pendant de nombreuses années, les échanges internationaux concernant le traitement des biens et services culturels ont été marqués par des demandes visant à exclure la culture des accords commerciaux et à lui garantir un statut spécifique, tant aux niveaux nationaux qu’internationaux.

La convention adoptée par l’UNESCO en octobre 2005 apporte une nouvelle perspective à cette vision traditionnelle d’inspiration défensive en s’attachant à promouvoir une approche proactive de la question et en valorisant la diversité des expressions culturelles comme une richesse à préserver et une source potentielle de développement pour l’ensemble des États.

A. DE LA DÉFENSE DE L’EXCEPTION CULTURELLE À LA PROMOTION DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE

Lors de son audition par le rapporteur, M. Jean Musitelli, conseiller d’État, ancien délégué permanent de la France à l’UNESCO (1997-2002), ancien membre du groupe d’experts internationaux chargés par le Directeur général de l’UNESCO d’élaborer l’avant-projet de convention sur la diversité culturelle (2), a rappelé que la notion de « diversité culturelle » s’est construite sur le dépassement de « l’exception culturelle », issue des négociations commerciales internationales, et de la « diversité créatrice » théorisée à l’UNESCO.

Adoptée le 20 octobre 2005, la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles consacre l’aboutissement de cette démarche, en affirmant que les biens et services culturels revêtent une double nature, à la fois commerciale et culturelle, et qu’ils relèvent donc des échanges économiques sans toutefois se réduire à une valeur marchande. La Convention met ainsi pour la première fois sur un même plan la liberté de commerce et la diversité culturelle, donnant autant de légitimité à l’une qu’à l’autre.

Les deux grands piliers de la Convention reposent sur cette conception :

– la reconnaissance du droit pour les États souverains de soutenir la culture et la création par des dispositifs nationaux de régulation et de financement,

– l’obligation faite aux pays riches d’aider les pays les moins avancés à mettre en place des politiques publiques de soutien à la culture, à développer une production autonome de biens et services culturels et à bénéficier d’une circulation équitable de leurs biens culturels, dans le cadre de partenariats internationaux équilibrés.

M. David Fajolles, secrétaire général de la Commission nationale française pour l’UNESCO (3), a souligné lors de son audition que la Convention est porteuse d’une « ambiguïté constructive » car elle articule deux conceptions de la diversité culturelle : une conception traditionnelle qui se fonde sur la diversité des identités culturelles et encourage principalement le dialogue interculturel, et une conception plus « moderne », qui vise d’abord la diversité de l’offre culturelle. Selon les États parties, l’une ou l’autre conception est mise en avant, même si les échanges actuels, notamment lors de la dernière Conférence des Parties, semblent plutôt privilégier la seconde approche, plus opérationnelle.

1. Un contexte historique propice à l’adoption de la Convention

L’engagement de l’UNESCO pour la promotion de la diversité culturelle s’inscrit dans son mandat institutionnel propre au sein du système des Nations unies. Une de ses missions est en effet d’« assurer la préservation et la promotion de la féconde diversité des cultures » (acte constitutif de l’UNESCO adopté à Londres le 16 novembre 1945). Dans cette perspective, l’UNESCO œuvre à l’élaboration d’instruments normatifs établissant un cadre juridique accepté par la communauté internationale.

Lors de son audition, M. Pascal Lemaire, adjoint au chef de la mission des échanges culturels et de l’audiovisuel extérieur du ministère des Affaires étrangères et du Développement international (4), a insisté sur la légitimité politique de l’UNESCO sur ces sujets. Seule organisation des Nations unies chargée de la culture, elle est en effet dotée d’un pouvoir normatif et d’une expertise sans égale dans ce domaine et, forte de ses 195 membres, elle est en mesure de donner à une convention internationale une portée réellement universelle.

Dans les années 1990, l’accélération du processus de mondialisation a fait émerger de nouveaux enjeux pour la diversité culturelle, auxquels la communauté internationale s’est efforcée de répondre en évoluant d’une position strictement défensive à une démarche plus ouverte et coopérative.

Comme l’a rappelé Mme Line Beauchamp, représentante du Gouvernement du Québec auprès de l’UNESCO, le Québec (5), confronté à une position offensive des États-Unis contre ses politiques de soutien aux industries culturelles, s’est mobilisé très tôt en faveur de la préservation de la diversité culturelle. Dès les années 90, et quelles que soient les majorités politiques, l’engagement du gouvernement québécois, mais également des milieux diplomatiques, intellectuels, juridiques, ainsi que des professionnels de la culture et de la société civile ne s’est jamais démenti.

Le Québec est ainsi à l’origine, à la fin des années 90, du premier réseau international des ministres de la culture (RIPC) et de la première Coalition pour la diversité culturelle.

La notion d’exception culturelle fait son apparition dans le débat public dans les années 1980-1990 en réponse aux menaces que la première mondialisation et la libéralisation des échanges commerciaux semblaient faire peser sur les créateurs, les œuvres artistiques et les produits culturels. La marchandisation de la culture, l’appauvrissement des contenus et le creusement des inégalités nord-sud étaient alors identifiés comme autant de risques dont il fallait se prémunir. Le concept « d’exception culturelle » était donc avant tout défensif face à l’hégémonie des marchés.

L’adoption par l’UNESCO, en novembre 2001, de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle marque une première évolution dans cette conception, puisque la déclaration proclame que « la diversité culturelle est une ressource qui constitue un aspect essentiel du capital culturel des sociétés, au même titre que la biodiversité est un élément central du capital naturel ».

Avec ce texte (non normatif), la diversité culturelle est pour la première fois déclarée élément du « patrimoine commun de l’humanité » dont la défense constitue un impératif éthique inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. Les garants de cette diversité sont la liberté d’expression, le pluralisme des médias, le multilinguisme et l’égal accès pour toutes les cultures aux expressions artistiques et au savoir scientifique et technologique, ainsi que la possibilité pour celles-ci d’être présentes dans les moyens d’expression et de diffusion.

La France, soutenue par le Québec et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), a beaucoup œuvré pour obtenir l’adoption de ce premier texte qui, abandonnant une logique strictement défensive, invite les États membres de l’UNESCO à engager une réflexion sur la diversité culturelle – terme inventé par nos amis québécois – et les instruments juridiques à mettre en œuvre pour assurer sa promotion. Le rapporteur souhaite ici saluer tout particulièrement l’implication sur ces sujets de Mme Louise Beaudoin, ministre des Relations internationales du Québec de 1998 à 2003.

Dès lors, le renforcement de l’action de l’UNESCO en faveur de la protection et de la promotion de la diversité culturelle passait par l’adoption d’un nouveau texte, contraignant celui-ci : c’est ainsi qu’a été élaborée, sous l’impulsion de la France et des pays francophones, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Celle-ci est adoptée à Paris lors de la Conférence générale de l’UNESCO le 20 octobre 2005 malgré deux votes contre – des États-Unis et d’Israël – et quatre abstentions (ce qui est rare dans le cadre des conventions UNESCO, généralement adoptées par consensus).

2. Une consécration novatrice de la double nature des biens et services culturels

La Convention de 2005 est le premier instrument international à avoir reconnu la double nature, à la fois économique et culturelle, des biens et services culturels, qui sont au cœur des économies créatives dans le monde. Son préambule rappelle ainsi que « les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale ».

Partant de ce constat, la Convention affirme plusieurs grands principes.

• La liberté pour chaque État souverain de mettre en place des politiques publiques nationales en faveur de la culture

L’article 6 de la Convention affirme le droit pour les États parties d’adopter des mesures destinées à protéger et à promouvoir la diversité des expressions culturelles au sein de leur territoire.

Les mesures envisagées sont très diverses : dispositions réglementaires, aides publiques, mise en place d’institutions de service public, soutien aux artistes « et à tous ceux qui sont impliqués dans la création d’expressions culturelles », soutien aux industries culturelles nationales indépendantes, encouragement à la libre circulation des idées et des expressions culturelles, etc.

Au-delà, l’article 7 encourage les États signataires à créer, sur leur territoire, un environnement favorable à la création, à la production et à la diffusion des œuvres culturelles, ainsi qu’à l’accès « aux diverses expressions culturelles provenant de leur territoire ainsi que des autres pays du monde ».

• L’affirmation de politiques de coopération et de solidarité internationales en matière culturelle avec les pays en développement

La Convention affirme solennellement l’importance du lien entre culture et développement, pour tous les pays, mais en particulier pour les pays en développement. Plusieurs de ses articles ont donc vocation à encourager « la coopération et la solidarité internationales dans un esprit de partenariat », afin « d’accroître les capacités des pays en développement de protéger et de promouvoir la diversité des expressions culturelles » (article 1er, objectifs).

L’article 12 encourage notamment les échanges culturels professionnels et internationaux et le partage des bonnes pratiques, afin de renforcer les capacités stratégiques et de gestion dans les institutions culturelles publiques, ainsi que les partenariats avec la société civile, les organisations non gouvernementales et le secteur privé, et la promotion de l’utilisation des nouvelles technologies favorables à la diversité des expressions culturelles.

L’article 14 définit quant à lui le champ de la coopération entre le Nord et le Sud pour le développement des industries culturelles et du savoir-faire en matière de production, de promotion et de distribution des biens et services culturels dans les pays en développement.

Deux outils sont prévus pour soutenir cette solidarité internationale en matière culturelle : l’établissement d’un Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC), prévu à l’article 18 (cf. infra), et la mise en place, à l’article 16, d’un dispositif de traitement préférentiel, qui fait obligation aux pays développés de faciliter les échanges culturels avec les pays en développement « en accordant, au moyen de cadres institutionnels et juridiques appropriés, un traitement préférentiel à leurs artistes et autres professionnels et praticiens de la culture, ainsi qu’à leurs biens et service culturels ».

L’article 16 incite donc à une nouvelle approche de la coopération internationale, dans laquelle les politiques culturelles et commerciales doivent être coordonnées afin de promouvoir les industries culturelles, l’échange de biens et de services culturels et les artistes au niveau national et international. Ce faisant, il a vocation à tempérer la stricte application des règles du libre-échange – qui, dans certaines situations, peuvent aboutir à rendre les échanges inégaux voire inéquitables –, en encourageant la signature d’accords commerciaux contenant des dispositifs dérogatoires au principe de non-discrimination, afin de favoriser certaines parties, plus vulnérables que d’autres.

• L’articulation avec l’ordre juridique international affirmant la légitimité de la diversité culturelle face au droit du commerce

L’article 20 rappelle que la Convention n’est pas subordonnée aux autres traités internationaux (et donc, notamment, aux traités de commerce) et demande en conséquence aux Parties à la Convention « lorsqu’elles interprètent ou appliquent les autres traités auxquels elles sont parties ou lorsqu’elles souscrivent d’autres obligations internationales, [de prendre] en compte les dispositions pertinentes de la présente Convention ». En complément, l’article 21, relatif à la concertation et à la coordination internationale, exige des Parties à la Convention qu’elles s’engagent à promouvoir les objectifs et principes de la Convention dans d’autres enceintes internationales.

Articulées avec l’article 16 évoqué ci-dessus, ces dispositions créent un cadre cohérent permettant de traiter en particulier des sujets commerciaux dans l’optique spécifique de la diversité des expressions culturelles.

3. Un cadre institutionnel propre

a. La Conférence des Parties et le Comité intergouvernemental

La Convention dispose de deux organes : la Conférence des Parties, organe plénier et souverain de la Convention (un membre par État partie), et le Comité intergouvernemental, composé de représentants de 24 États parties à la Convention, élus par la Conférence des Parties pour quatre ans et placés sous son autorité afin de promouvoir les objectifs et la mise en œuvre de la Convention.

— La Conférence des Parties se réunit en session ordinaire tous les deux ans (la dernière session s’est tenue du 10 au 12 juin 2015). Elle peut aussi se réunir en session extraordinaire si elle en décide ainsi ou si une demande est adressée au Comité intergouvernemental par au moins un tiers des Parties.

Elle a notamment pour fonction d’élire les membres du Comité intergouvernemental, de recevoir et d’examiner les rapports des Parties transmis par le Comité, d’approuver les directives opérationnelles préparées, à sa demande, par le Comité et de prendre toute autre mesure qu’elle juge nécessaire pour promouvoir les objectifs de la Convention.

— Le Comité intergouvernemental se tient une fois par an (la prochaine session aura lieu du 14 au 16 décembre 2015) et peut se réunir en session extraordinaire à la demande d’au moins deux tiers de ses membres pour aborder des questions spécifiques. Il a notamment pour fonction de préparer les directives opérationnelles demandées par la Conférence des Parties, de faire des recommandations appropriées dans les situations portées à son attention par les Parties, et d’établir des procédures et autres mécanismes de consultation afin de promouvoir les objectifs et principes de la Convention dans d’autres enceintes internationales.

Ses membres sont élus par la Conférence des Parties sur les principes de la répartition géographique équitable et de la rotation. À l’issue de la Conférence des Parties des 11 et 12 juin 2015, les pays représentés au Comité intergouvernemental pour les deux années à venir sont les suivants :

– groupe I : Allemagne, Autriche, France, Royaume-Uni ;

– groupe II : Bélarus, Lituanie, République Tchèque, Slovaquie ;

– groupe III : Brésil, Paraguay, Pérou, Sainte Lucie, Uruguay ;

– groupe IV : Afghanistan, Australie, Indonésie ;

– groupe V(a) : Côte d’Ivoire, Éthiopie, Madagascar, Nigéria, République Démocratique du Congo ;

– groupe V(b) : Émirats Arabes Unis, Maroc, Tunisie.

b. Le Fonds international pour la diversité culturelle

La Convention a institué un Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC), fonds multidonateur dont l’objectif est d’appuyer des projets favorisant l’émergence d’un secteur culturel dynamique dans les pays en développement parties à la Convention afin de promouvoir le développement durable et la réduction de la pauvreté. Il appuie les projets facilitant l’adoption de politiques culturelles qui, d’une part, protègent et promeuvent la diversité des expressions culturelles et, le cas échéant, renforcent l’infrastructure institutionnelle correspondante et, d’autre part, contribuent à l’émergence ou au développement d’industries culturelles.

Opérationnel depuis 2010, le FIDC a récolté au total environ 5,2 millions de dollars américains (soit environ 4,6 millions d’euros) sous forme de contributions volontaires des États parties ; la France est l’un des premiers donateurs avec 1,2 million d’euros versés depuis la création du Fonds.

B. UNE DOUBLE DIMENSION : INTERNATIONALE MAIS AUSSI EUROPÉENNE

1. Une des conventions internationales les plus largement ratifiées dans le monde

À ce jour, 138 États, sur les 195 membres de l’UNESCO, ont ratifié la Convention (6). Les États-Unis, la Russie, le Japon, Israël, le Liban et la Turquie ne l’ont pas ratifiée. L’Union européenne a adhéré dès décembre 2006. Cela en fait une des conventions internationales les plus largement ratifiées dans le monde, ce qui lui confère une légitimité et un poids inégalé dans les relations et négociations internationales.

Comme l’ont indiqué tant M. Pascal Rogard, président de la Coalition française pour la diversité culturelle (7), que M. Jean Musitelli (8), la Convention a été adoptée dans un temps record (à peine deux ans entre le début des travaux préparatoires et son adoption) puis est entrée rapidement en vigueur (14 mois après sa signature). Au lieu de faire cavalier seul, la France a su rallier ses partenaires européens dès le stade des travaux préparatoires et cela a été décisif pour entraîner l’adhésion immédiate de l’Union européenne.

Mme Youma Fall, directrice de la diversité et du développement culturel à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) (9), a également souligné le rôle déterminant du président Abdou Diouf, alors président de l’OIF, qui a inlassablement incité les États membres de l’OIF à ratifier cette convention. Aujourd’hui, plus de 80 % des États membres de l’OIF sont parties à la Convention UNESCO de 2005.

2. L’intégration de la Convention dans l’ordre juridique européen

Du fait de l’adhésion de l’Union européenne en 2006, la convention UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles est intégrée dans l’ordre juridique européen : elle fait partie de son « bloc de légalité ». La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en tient d’ailleurs compte dans son interprétation du droit communautaire, comme en témoigne l’arrêt Uteca du 5 mars 2009 (10).

Cette intégration est essentielle, car elle permet à l’Union européenne de demander la protection de la diversité culturelle dans les négociations commerciales internationales qu’elle conduit. La question est particulièrement d’actualité avec l’actuelle négociation du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) entre l’Union européenne et les États-Unis – État non signataire de la Convention UNESCO de 2005.

Le 14 juin 2013, le mandat de négociations confié à la Commission européenne par le Conseil européen a exclu l’audiovisuel du champ des négociations, comme le souhaitaient la France et le Parlement européen. Celui-ci, dans une résolution du 23 mai 2013, avait appelé à l’exclusion totale des services audiovisuels et culturels de la négociation, en estimant notamment, en pleine cohérence avec la Convention UNESCO de 2005, qu’il était « indispensable que l’Union et ses États membres maintiennent la possibilité de préserver et de développer leurs politiques culturelles et audiovisuelles, et ce dans le cadre de leurs acquis législatifs, normatifs et conventionnels ». La résolution du Parlement européen demandait donc « que l’exclusion des services de contenus culturels et audiovisuels, y compris en ligne, soit clairement stipulée dans le mandat de négociation » (11).

Si l’exclusion des services audiovisuels du mandat de négociation de la Commission semble claire, la situation paraît toutefois plus floue pour ce qui concerne les services culturels et leur inclusion dans le champ du futur traité. Or, comme l’a rappelé M. Pascal Rogard (12), inclure la culture dans le mandat de négociation des accords commerciaux internationaux marquerait immanquablement la fin des politiques culturelles.

Le nouveau président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, a certes déclaré ne pas vouloir « sacrifier la culture européenne sur l’autel du libre-échange » mais il convient de demeurer extrêmement vigilant sur la conduite des négociations par la Commission européenne, tout particulièrement en ce qui concerne la définition des services culturels numériques. Ce sont des services culturels qui doivent donc, à ce titre, être exclus du mandat de négociation.

3. L’affirmation du principe de neutralité technologique

Le monde de la culture est aujourd’hui confronté à la nouvelle donne incontournable que constitue l’avènement du numérique en matière de production et de diffusion culturelles : déconnexion du contenu et du support, multiplication des formes d’expression et de partage constituent autant d’opportunités formidables pour les créateurs et les publics, mais également des défis nouveaux qu’il convient d’analyser et de relever.

La Convention UNESCO de 2005 a été préparée et signée avant l’avènement du web 2.0 (13) et l’émergence des réseaux sociaux. Son principal objet était alors de préserver la double nature des biens culturels face à la pression générée par la mondialisation des échanges, et de permettre aux États de continuer de mener des politiques culturelles publiques. De ce fait, son champ d’application n’est pas déterminé en référence à des supports technologiques, mais en fonction des contenus, des œuvres créées, produites ou diffusées.

Dès lors, la Convention ne fait aucune référence explicite au numérique, mais ce silence est finalement précieux puisque, en conséquence, elle n’exclut nullement les produits et services numériques et s’inscrit, de fait, dans le cadre du principe de la neutralité technologique…

La rédaction du point 1 de l’article 4 est, de ce point de vue, parfaitement adaptée : « la diversité culturelle se manifeste non seulement dans les formes variées à travers lesquelles le patrimoine culturel de l’humanité est exprimé, enrichi ou transmis grâce à la variété des expressions culturelles, mais aussi à travers divers modes de création artistique, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance des expressions culturelles, quels que soient les moyens et les technologies utilisés ».

C. LA FRANCE, ACTEUR MAJEUR DE LA CONVENTION

1. Une forte implication dans l’adoption et l’application de la Convention

Comme l’a rappelé lors de son audition S. Exc. M. Philippe Lalliot, Ambassadeur, délégué permanent de la France auprès de l’UNESCO (14), la France a joué un rôle décisif dans la signature de la convention en 2005, notamment grâce à la forte implication du président Jacques Chirac, en collaboration continue avec les représentants québécois et avec le soutien de l’OIF.

Depuis lors, notre pays figure parmi les tous premiers contributeurs au FIDC, avec 1,2 million d’euros versés depuis sa création, et demeure fortement impliqué dans l’application de la Convention.

M. Jean-Philippe Mochon, chef du service des affaires juridiques et internationales au secrétariat général du ministère de la Culture et de la Communication (15) a ainsi souligné que, depuis leur adoption en 2005, les dispositions de la Convention ont « irrigué » les actions et décisions du ministère de la Culture sur le territoire français – à travers les nominations, les cahiers des charges des organismes, les contrats d’objectifs des grands établissements, les politiques de formation et de diffusion mises en place – mais également dans les échanges bilatéraux. Elle est même systématiquement utilisée dans certaines actions de coopération, comme pour la signature d’accords de coproduction cinématographique, conditionnée par l’adhésion du pays partenaire à la Convention UNESCO de 2005.

Pour M. Michel Orier, directeur général de la création artistique au ministère de la Culture et de la Communication (16), cette convention constitue désormais une « grammaire commune » avec nombre de nos partenaires. Il s’agit donc pour la France d’un traité qui inspire, depuis plusieurs années, des dispositions normatives et des actions concrètes, même si cela n’est pas toujours suffisamment valorisé.

C’est bien pour cette raison que la célébration des dix ans de la Convention doit permettre à la France de réaffirmer la priorité qu’elle donne à ce sujet, l’année 2015 marquant en outre les soixante-dix ans de l’UNESCO. C’est en tout cas l’intention exprimée par la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation à travers ce rapport d’information.

2. Une action soutenue pour son adaptation au nouvel environnement numérique

Comme l’a rappelé M. Pascal Lemaire (17), la France travaille depuis deux ans maintenant, avec un certain nombre de partenaires « historiques » (le Canada – et notamment la représentation québécoise – et la Belgique), sur les enjeux liés à l’application de la Convention dans l’environnement numérique.

Lors de la réunion du Comité intergouvernemental qui s’est tenue en décembre 2013, la France avait porté, avec le soutien du Canada, l’idée de préciser les modalités d’application de la Convention dans le nouvel environnement numérique. Devant les réticences de certains États parties, les délégations françaises et canadiennes ont conduit, durant toute l’année 2014, un travail de sensibilisation sur cet enjeu. Ces efforts ont manifestement porté leurs fruits puisque le Comité intergouvernemental de décembre 2014 a décidé d’inscrire les défis liés à la mise en œuvre de la Convention à l’ère numérique à l’ordre du jour de la Conférence des Parties de juin 2015.

Cette Conférence, qui s’est tenue du 10 au 12 juin 2015, a de fait largement débattu de l’impact du numérique sur la promotion et la diversité des expressions culturelles, tant dans la journée d’études préalable que durant la session ; elle a finalement adopté la proposition – portée par le France et ses partenaires québécois – de mandater le Comité intergouvernemental pour rédiger un projet de directives opérationnelles consacrées au numérique, qui prenne notamment en compte la coopération internationale (cf. supra, III. B. 1.).

Afin de pouvoir peser plus largement sur les travaux qui s’annoncent, la France a également présenté sa candidature pour le prochain Comité intergouvernemental ; celle-ci a été acceptée le 12 juin dernier par Conférence des Parties.

Pour renforcer encore cette implication dans l’application de la Convention, il serait intéressant pour notre pays de financer un poste supplémentaire d’analyste au sein du secrétariat de la Convention, afin de contribuer à l’amélioration de son expertise. Cette participation constituerait en outre un signal adressé aux partenaires de la France, marquant l’intérêt de notre pays pour ces questions.

3. La nécessité d’une forte présence de la France dans la célébration du dixième anniversaire

Les dix ans de la signature de la Convention, conjoints au soixante-dixième anniversaire de l’UNESCO, représentent, pour cette organisation, une belle occasion d’encourager de nouveaux signataires à rejoindre la Convention, en les convainquant de la valeur de la diversité des expressions culturelles et du bienfondé de la Convention, et d’œuvrer pour l’intégration de la culture dans l’Agenda pour le développement de l’après 2015 des Nations unies.

Pour marquer cet anniversaire, l’UNESCO a organisé, le 9 juin 2015, en préambule à la cinquième session de la Conférence des Parties organisée du 10 au 12 juin, une journée d’échange sur la mise en œuvre de la Convention, autour de deux grandes thématiques d’actualité : « la diversité des expressions culturelles à l’ère numérique » et « la convention de 2005 au carrefour de la coopération internationale et du commerce ».

Certains pays francophones sont fortement impliqués dans la célébration de cet anniversaire.

Ainsi, au Québec, un colloque international a été organisé du 28 au 30 mai 2015 à l’Université Laval, quelques jours après la journée mondiale de la diversité culturelle pour le dialogue et le développement du 21 mai, autour du thème « La Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles : dix ans après son adoption, quels enjeux et défis pour les politiques culturelles des États ? ».

En Belgique, une conférence sur les dix ans de la Convention, et plus particulièrement ses articles 20 et 21 qui traitent de sa relation avec les autres instruments internationaux, se tiendra le 25 octobre à Mons, capitale européenne de la culture pour l’année 2015. Cette conférence tout à la fois politique et technique réunira notamment les ministres de la culture de l’Union européenne et sera précédée d’une réunion de la Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle (FICDC).

L’Union européenne a de son côté organisé à Bruxelles, le 5 juin 2015, un séminaire de haut niveau sur l’inclusion de la culture dans les programmes de développement, dans le cadre du projet UNESCO/UE de Banque d’expertise, qui a permis un échange nourri sur les opportunités et les défis actuels pour la diversité des expressions culturelles.

Après tout le travail engagé pour accompagner l’adoption, la ratification puis la mise en œuvre de la Convention, Mme Youma Fall (18) a expliqué que l’OIF ne pouvait bien entendu pas rester en marge de cette célébration. Trois actions complémentaires sont donc prévues pour fêter ce 10e anniversaire :

– l’édition d’un ouvrage de référence sur la francophonie et les 10 ans de la Convention, qui présentera les réalisations les plus marquantes et la réalité de la diversité culturelle dans les différents pays francophones ;

– le lancement d’un concours créatif auprès des jeunes sur leur compréhension de la diversité culturelle et leurs attentes par rapport à la Convention ; les réponses devront faire usage des arts visuels, traditionnels ou numériques ;

– en novembre prochain enfin, un forum de rencontres et d’échanges scientifiques et artistiques sera organisé dans un pays d’Afrique pour célébrer, sur une tonalité festive, la diversité des expressions culturelles.

Du côté français, plusieurs événements ont d’ores et déjà été programmés par la Commission nationale française pour l’UNESCO, comme :

– la table-ronde « la coopération cinématographique au service de la diversité des expressions culturelles », organisée le 30 mars 2015 à l’occasion de la remise des Prix Henri Langlois ;

– le cycle de débats « Cultures croisées » organisé avec le Forum des instituts culturels étrangers (FICEP) et le Réseau des instituts culturels nationaux de l’Union européenne (EUNIC), qui a pris cette année pour thème la diversité culturelle,

– le colloque intitulé « Le goût des autres », organisé en partenariat avec le secrétariat de l’UNESCO, le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère des Affaires étrangères et du Développement international, qui se déroulera en deux temps :

- une première partie intitulée « Les outils du pluralisme » (prévue les 1er et 2 octobre dans le cadre de la semaine des cultures étrangères), destinée à valoriser l’échange de bonnes pratiques en matière de médiation culturelle et d’éducation artistique,

- une seconde partie intitulée « Les nouvelles fabriques de la curiosité » (début novembre, pendant la 38e Conférence générale de l’UNESCO), centrée sur les enjeux du numérique pour la diversité de l’offre de biens et de services culturels. L’objectif de cette seconde partie est de rassembler des acteurs d’internet (distributeurs et créateurs de biens et de services culturels en ligne, tant dominants qu’émergents) et des représentants des mondes de l’ingénierie, de la recherche et des institutions publiques pour une réflexion commune sur les nouvelles modalités de la construction du goût « en ligne ».

Lors de son entretien avec le rapporteur, S. Exc. M. Philippe Lalliot (19) a également évoqué le choix du thème de la diversité culturelle pour la Nuit de la philosophie, organisée chaque année en octobre par l’École nationale supérieure (ENS).

Mais il est à noter qu’à ce stade, aucun événement majeur n’est programmé par notre pays pour célébrer le dixième anniversaire de la Convention, des contraintes d’agenda diplomatique et de financement ayant rendu délicate l’organisation en 2015 d’une manifestation de grande ampleur, à Paris ou en région.

Le rapporteur estime quant à lui qu’une intervention des plus hautes autorités françaises lors de la prochaine Conférence générale de l’UNESCO début novembre pourrait toutefois témoigner solennellement, à l’occasion du 10e anniversaire de la Convention et des 70 ans de l’UNESCO, de l’importance que revêtent pour notre pays les questions de diversité culturelle.

II. LE BILAN DES PREMIÈRES ANNÉES D’APPLICATION

Adoptée le 20 octobre 2005, la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles compte sept années de fonctionnement effectif (l’article 29 prévoyant son entrée en vigueur trois mois après la date de dépôt du trentième instrument de ratification), le FIDC étant de son côté opérationnel depuis 2010.

Si un bilan global est aujourd’hui encore difficile à établir en raison du manque de données synthétiques (A), les synthèses annuelles établies par le secrétariat de l’UNESCO permettent de mettre en valeur les bonnes pratiques (B) et d’identifier les difficultés d’application de la Convention (C).

A. UN BILAN GLOBAL DIFFICILE À ÉTABLIR

M. Jean Musitelli (20) a estimé lors de son audition qu’il n’est pas aisé d’établir un bilan synthétique global de l’application de la Convention car de nombreuses données sont manquantes. L’impact de la Convention sur les politiques publiques nationales reste donc difficile à mesurer, les éléments figurant dans les rapports quadriennaux remis par les États parties étant peu précis sur ce point.

Du point de vue du droit international, la Convention est certes inscrite dans l’ordre juridique international mais seules deux décisions juridictionnelles y font expressément référence : l’une, du juge de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2009, dans une affaire opposant la Chine aux États-Unis à propos de films américains, et l’autre, de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’arrêt UTECA précité de 2009, qui a donné raison au gouvernement espagnol pour avoir institué une taxe sur les opérateurs de télévision afin de les inciter à investir dans le cinéma européen.

Et il est encore trop tôt pour estimer que la CJUE a fait évoluer sa jurisprudence avec l’arrêt de mars 2015 relatif à la TVA sur le livre numérique, dans lequel elle a fait primer la nature numérique du produit sur sa nature culturelle afin de justifier la non-application du taux réduit de TVA, alors qu’elle aurait pu considérer que le livre, qu’il soit sous forme physique ou numérique, est avant tout un bien culturel.

Quant à l’articulation de la Convention avec les règles internationales du commerce, on peut juger encourageant que 19 accords commerciaux, sur les 51 signés depuis l’entrée en vigueur de la Convention, s’y réfèrent expressément.

Il est enfin difficile d’établir un bilan global précis de l’application de la Convention en matière de coopération internationale et de développement, car les données éparses sont difficiles à agréger. Des initiatives existent bien sûr mais le soutien financier du FIDC demeure clairement insuffisant.

1. La remise aléatoire des rapports périodiques des États parties

Des rapports périodiques quadriennaux doivent être remis par les États parties au Comité intergouvernemental afin de lui permettre d’analyser la manière dont la Convention de 2005 fonctionne dans la pratique et de mesurer en quoi elle affecte la législation et les politiques des États parties ainsi que le comportement des principaux acteurs institutionnels.

Dans le cadre de ces rapports, les États parties doivent rendre compte des politiques et des mesures mises en place pour promouvoir la diversité des expressions culturelles aux différentes étapes de leur création, de leur production, puis de leur distribution ou diffusion. Il s’agit notamment de mesures, prises sur le fondement de l’article 6 de la Convention, destinées à favoriser la créativité, à créer un environnement favorable pour les producteurs et les distributeurs indépendants et à favoriser l’accès du grand public à diverses expressions culturelles. Mais aussi de mesures prévues par l’article 7, destinées à soutenir l’accès à la culture des individus appartenant à certains groupes sociaux, à des minorités ou des peuples autochtones.

Le calendrier de remise des rapports périodiques quadriennaux a été établi par le Comité intergouvernemental. En 2012, celui-ci a reçu 45 rapports, en 2013, 20 et en 2014, 6 seulement, soit bien moins qu’attendus pour la période (71 au total sur les 116 attendus au cours de ces trois années). Les rapports remis émanent essentiellement des pays européens (y compris le rapport de l’Union européenne, soit 38 rapports), d’Amérique latine et des Caraïbes (12 rapports), d’Asie-Pacifique (6 rapports), d’Afrique (9 rapports, soit seulement un tiers des rapports attendus). De nombreux pays en développement ont en effet éprouvé des difficultés à préparer leur rapport, ou à le rendre dans les temps, du fait d’un manque de données et de compétences au niveau national.

Le secrétariat de l’UNESCO a ensuite analysé le contenu des différents rapports et établi des synthèses annuelles par pays et par thèmes mettant en valeur les bonnes pratiques, ce qui permet de mieux évaluer l’impact de la Convention à chaque niveau national. Ces synthèses ont ensuite été présentées au Comité intergouvernemental puis lors de la Conférence des Parties.

2. Les moyens d’analyse limités du Secrétariat de l’UNESCO

Les moyens consacrés par l’UNESCO au suivi de la Convention de 2005 ont fait l’objet de réductions budgétaires importantes ces dernières années, qui ont pesé tant sur les effectifs affectés à cette mission que sur le montant des fonds utilisés pour les formations au niveau national.

Lors de son entretien avec le rapporteur, Mme Danielle Cliche, secrétaire de la Convention de 2005, chef de la section de la diversité des expressions culturelles à l’UNESCO (21), a confirmé que l’UNESCO est actuellement confrontée à un très sérieux manque de moyens financiers. Ainsi, le secrétariat de la Convention est composé de moins de dix personnes et manque de postes d’analystes.

D’autre part, les services de l’UNESCO sont dépendants des données qui leur sont transmises par les États parties, données qui, comme cela a été souligné plus haut, sont souvent tardives et parcellaires.

3. Un rapport global néanmoins attendu pour la fin de l’année 2015

Un rapport mondial de suivi de l’application de la Convention, assorti d’indicateurs, sera publié en décembre 2015, à l’occasion de la réunion du Comité intergouvernemental. Mme Danielle Cliche (22) a indiqué que la réalisation de ce rapport avait été rendue possible grâce à une subvention particulière de l’Agence suédoise internationale de coopération pour le développement.

Les indicateurs qui seront renseignés devraient, d’après le secrétariat de l’UNESCO, permettre de mettre en évidence les corrélations entre politiques menées en application de la Convention et résultats en termes de diversité culturelle.

B. UNE ANALYSE DES BONNES PRATIQUES RICHE D’ENSEIGNEMENTS

Quels enseignements peut-on tirer de l’analyse des rapports périodiques des États parties reçus depuis 2012 ?

Concernant les politiques nationales, il semble que les politiques publiques analysées aient privilégié l’action en faveur de la création artistique à travers la promotion d’un environnement favorable à la création, d’aides ciblées à destination de certains créateurs, mais aussi de mise en œuvre de législations favorables – statut de l’artiste, protection des droits d’auteur.

En ce qui concerne la coopération internationale, les programmes bilatéraux de promotion de la coopération culturelle constituent un outil majeur mais, à côté de l’action publique, on constate également une implication croissante des acteurs de la création, au travers de réseaux internationaux d’artistes ou de professionnels de la culture.

Les deux documents d’information présentés dans le cadre de la 5e session de la Conférence des Parties (10-12 juin 2015) (23) présentent des exemples novateurs de mise en œuvre de la Convention identifiés dans les rapports quadriennaux reçus en 2013 (Andorre, Pays-Bas, Royaume-Uni, Albanie, Arménie, Bosnie-Herzégovine, Roumanie, Serbie, République dominicaine, Bangladesh, Cambodge, Chine, Vietnam, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Togo, Égypte et Koweït) et 2014 (Croatie, République tchèque, Ukraine, Burundi, Kenya et Malawi).

Le rapporteur tient ici à souligner le travail accompli par l’OIF pour accompagner ses États membres dans la mise en œuvre de la Convention. Lors de son audition, Mme Youma Fall (24) a évoqué tout à la fois une action d’explication des enjeux des politiques culturelles en matière de développement durable et des interventions plus spécifiques pour :

– accompagner les États dans la définition de leurs instruments de politique culturelle (y compris pour la démocratisation de l’accès à la culture),

– soutenir les productions culturelles, en évoluant d’une logique de guichet à une aide plus structurante (octroi de subventions mais aussi mise en place d’un fonds de garantie pour faciliter l’accès aux prêts),

– faciliter l’accès aux contenus (par la création d’espaces d’échange et de dialogue entre les cultures et la diffusion de documents),

– encourager la prise en compte de la société civile ainsi que la complémentarité entre les actions nationales et locales.

1. Les politiques et mesures culturelles

Le résumé analytique pour 2014 pointe l’existence d’une approche assez largement partagée de politiques intégrées, liant les dimensions sociales, économiques et environnementales du développement et cherchant à renforcer le potentiel des industries culturelles pour créer de nouvelles sources d’opportunité d’emplois et pour encourager l’intégration sociale (cf. notamment le document stratégique établi par la Croatie, intitulé « La Croatie au XXIe siècle – stratégie de développement culturel »).

a. Le soutien à la création

Les politiques et mesures prises pour soutenir la création artistique sont la tendance dominante : les mesures ciblant certains artistes et des organisations de production ou de diffusion artistique sont mentionnées comme étant des volets importants des politiques élaborées par une majorité de Parties pour mettre en œuvre la Convention (à savoir l’Albanie, Andorre, l’Arménie, le Bangladesh, la Bosnie-Herzégovine, le Cambodge, la Chine – pour les collections d’art –, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, la Guinée, le Koweït, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Serbie).

La législation relative aux arts et à la culture (y compris le statut de l’artiste) ou à des domaines apparentés est la mesure la plus souvent citée à cet égard (par l’Andorre, la Bosnie-Herzégovine, le Burkina Faso, la Chine, la Côte d’Ivoire, la République dominicaine, le Royaume-Uni, la Serbie, le Togo et le Vietnam).

Parmi ces pays, la Bosnie-Herzégovine a adopté une loi relative au statut d’artiste indépendant. Le Burkina Faso, le Cambodge, la Côte d’Ivoire, la République dominicaine, le Royaume-Uni et le Vietnam ont élaboré ou sont en train d’élaborer une législation relative au copyright et à la lutte contre les usages illégaux et la contrefaçon d’œuvres, afin de protéger les droits de propriété intellectuelle des artistes et de leur garantir des revenus.

Le soutien financier et/ou fiscal aux artistes et à leurs associations est le second grand axe d’action pour soutenir la création artistique.

Les Pays-Bas, par exemple, mettent en avant leur système de subventions planifiées qui s’appuie sur une vaste infrastructure institutionnelle et des fonds spécialisés affectés à différentes formes d’art. Ils citent notamment des programmes spéciaux de formation professionnelle artistique, d’innovation et de développement des talents.

D’autres pays développent des partenariats avec le secteur privé et encouragent le mécénat (Kenya, Malawi, République tchèque).

Certains États parties déclarent apporter une aide ciblée à des catégories ou groupes spécifiques d’artistes. On peut notamment citer les mesures spécifiques pour les artistes femmes (Arménie, République dominicaine, Kenya et Serbie), les artistes originaires de minorités ethniques (Arménie, Croatie, Ukraine, Bangladesh, Cambodge et République dominicaine) et les artistes handicapés (République dominicaine et Croatie).

D’autres mesures sont citées pour soutenir la création artistique, telles :

– des programmes de formation et « d’incubation » en direction des jeunes artistes afin de leur permettre de mener à bien leurs projets (Côte d’Ivoire, Égypte, Serbie, Togo),

– le soutien au renforcement des droits de propriété intellectuelle par la formation, le suivi et le contrôle (Cambodge, Royaume-Uni, Vietnam),

– des salons, festivals, expositions, prix et concours spécialisés pour encourager la création artistique et accroître la diffusion de l’art auprès du grand public (Andorre, Arménie, Bosnie-Herzégovine, Koweït, République dominicaine et Togo),

– la mise à disposition d’infrastructures (Andorre, Koweït, République dominicaine),

– le soutien à des publications sur l’art (Koweït),

– la création de partenariats public/privé (Pays-Bas, République dominicaine, Royaume-Uni).

b. Le soutien à la production

De nombreux États parties ont adopté une législation en faveur du développement des entreprises culturelles locales.

Les Pays-Bas ont ainsi engagé un programme d’entreprenariat culturel pour les années 2012-2016 qui accompagne les professionnels de la culture dans leurs efforts entrepreneuriaux dans le domaine de l’art et du design, des nouveaux médias, de la distribution cinématographique, des bibliothèques publiques et de la numérisation.

La Serbie a soutenu la création et/ou le développement de cinq pôles d’industries culturelles consacrés au cinéma, au design, à l’imprimerie et à la production artistique dans différentes régions du pays.

Le Togo a mis en place un Fonds d’aide à la Culture (FAC), qui soutient la production artistique et les projets culturels, ainsi que la construction et la réhabilitation des infrastructures.

c. La distribution des biens et services culturels

Plusieurs pays ont mis en œuvre des politiques de promotion de l’accès au marché, qui passe par des aides financières et des subventions en Chine, en République dominicaine ou en Serbie, un soutien à l’organisation d’événements tels des festivals, des salons ou des années thématiques (c’est notamment le cas de plusieurs pays d’Afrique) ou la mise en place de programmes nationaux ou locaux de développement de capacités de distribution (plateformes, réseaux, etc.).

Le soutien aux exportations de biens et services culturels, notamment à travers des parrainages pour la participation d’entreprises nationales à des salons et festivals internationaux, est notamment pratiqué en Chine, en Égypte et au Vietnam.

d. La promotion de la participation à la vie culturelle

Dans ce domaine, c’est l’éducation culturelle et artistique qui est la mesure la plus couramment employée (pour l’Arménie, la Bosnie-Herzégovine, le Burkina Faso, les Pays-Bas et la République dominicaine, notamment), mais on note également des politiques plus spécifiques de promotion de l’accès et de la participation d’individus et de groupes sociaux spécifiques (jeunes, femmes, personnes âgées, personnes handicapées, ce qui est notamment le cas en Arménie) ou de promotion de l’accès à des services et biens culturels en zones rurales (Chine et Vietnam, notamment).

2. La coopération internationale et le traitement préférentiel

La Convention de 2005 invite les États parties à créer des conditions favorables à la promotion de la diversité des expressions culturelles dans le cadre des accords et des activités de coopération internationale. Elle encourage également les mesures dites de « traitement préférentiel » favorisant la mobilité des artistes et des professionnels de la culture, en particulier ceux du Sud, et des mouvements équilibrés de biens et services culturels dans le monde.

a. La coopération internationale

L’article 12 de la Convention vise à faciliter :

– les programmes de coopération internationale entre les responsables publics pour débattre des problèmes politiques,

– les programmes d’échanges culturels internationaux pour les professionnels travaillant dans les institutions culturelles du secteur public visant au renforcement des capacités relatives à la stratégie et à la gestion,

– et les programmes de coopération culturelle internationale pour les professionnels travaillant dans les industries créatives visant au renforcement des capacités de création et de production.

En pratique, la coopération s’opère à plusieurs niveaux. De nombreux pays participent tout d’abord à des systèmes de coopération internationale du fait de leur adhésion à divers conventions, traités ou accords internationaux, et de leur adhésion à diverses organisations et agences internationales (notamment, outre l’UNESCO, l’Union européenne, le Conseil de l’Europe, la Communauté des États indépendants et l’Organisation internationale de la Francophonie).

Mais il existe également de nombreux accords d’échanges culturels bilatéraux et multilatéraux, certains États privilégiant en la matière une approche régionale (cf. la signature en septembre 2009 d’un accord entre les ministres de la Culture de Serbie, du Monténégro et de la Bosnie-Herzégovine pour promouvoir la coopération culturelle entre les trois pays, ou la signature par la Croatie de 25 conventions bilatérales pour promouvoir la coopération culturelle).

Plus largement, une place importante est donnée à la culture dans la diplomatie des États parties.

Ainsi, les Pays-Bas mènent une politique destinée à améliorer les liens internationaux entre la culture, la diplomatie et l’économie, et à renforcer la position des artistes et organisations néerlandais sur le marché international. Un soutien financier est apporté à cet effet au Centre néerlandais pour la coopération culturelle internationale, organisation d’aide multisectorielle à la politique culturelle internationale, chargée de mettre en œuvre un vaste programme intégrant la diplomatie culturelle et la promotion de la mobilité internationale des jeunes artistes.

Comme l’a rappelé M. Pascal Lemaire (25), la France apporte une aide au développement de l’économie culturelle du Sud avec le programme « Afrique et Caraïbes en création », qui œuvre notamment à la structuration des filières de l’industrie musicale locale. Mais il faut également mentionner les « Saisons » et les « années croisées », qui sont des temps forts et d’importants leviers pour le développement des coopérations culturelles bilatérales. On peut à ce titre citer le succès de la Saison France-Chine (2014-2015) – avec plus de 800 événements, dont une exposition à Paris sur la dynastie des Han provenant de plus de 20 musées chinois, et 800 000 visiteurs à Shanghai pour l’exposition Monet – et celui de « Croatie, la voici », qui a articulé une saison culturelle de la Croatie en France en 2013, et « Rendez-vous », le festival de la France en Croatie lancé au printemps 2015, avec notamment une exposition Rodin à Zagreb.

On pourrait également citer l’exemple d’accords de coproduction dans le domaine du cinéma, de la télévision ou du théâtre – pratiqués notamment par la France (qui conditionne d’ailleurs la signature de l’accord à l’adhésion à la convention), et par le Royaume Uni –, ou encore le rôle croissant des réseaux internationaux d’artistes dans les pratiques de coopération internationale.

b. Le traitement préférentiel des artistes et professionnels de la culture

L’article 16 de la Convention demande aux pays développés de faciliter les échanges culturels avec les pays en développement en accordant par le biais de « cadres institutionnels et juridiques appropriés », un traitement préférentiel à leurs artistes et autres professionnels de la culture, ainsi qu’à leurs biens et services culturels.

La mise en œuvre de cet article constituait le thème de la seconde session d’échange de la journée d’étude organisée le 9 juin 2015 à l’UNESCO, en préalable à la 5e session de la Conférence des Parties.

Au niveau individuel, les politiques de traitement préférentiel se traduisent en premier lieu par des mesures destinées à faciliter la mobilité des artistes et des professionnels de la culture originaires des pays en développement, telles que la simplification des procédures d’obtention de visas d’entrée, de séjour et de voyages temporaires et la réduction de leurs coûts. Elles ont également pour objectif de renforcer les capacités de création et de diffusion artistique grâce à des activités de formation, d’échange et d’orientation. Enfin, ces dispositifs peuvent comprendre des avantages fiscaux spécifiques pour les artistes et professionnels de la culture originaire des pays en développement et introduire des systèmes de financement et de partage des ressources.

M. Pascal Lemaire (26) a indiqué que la France apporte un appui prioritaire aux artistes des pays émergents, tout particulièrement d’Afrique francophone et des rives sud et est de la Méditerranée, avec des programmes comme « la Fabrique des cinémas du monde », qui permet à des jeunes réalisateurs de développer un premier long métrage en relation étroite avec le Festival de Cannes et le marché international du film, ou encore « Courants du monde », qui offre une aide à la professionnalisation des jeunes acteurs et professionnels culturels étrangers venant se former en France (80 bourses par an).

Au plan institutionnel, ces politiques passent par l’accès des biens et services culturels locaux aux marchés internationaux et régionaux, notamment grâce à l’organisation de participation aux manifestations culturelles et commerciales, à des accords de coproduction et de codistribution ou encore des mesures fiscales spécifiques, dont les crédits d’impôt et les accords contre la double imposition.

L’Union européenne a ainsi signé, sur le fondement de l’article 16, plusieurs accords contenant en annexe un « protocole de coopération culturelle » qui, à bien des égards, peut être considéré comme un modèle car il comporte à la fois des objectifs de renforcement des capacités locales de production de biens et services culturels (c’est un point crucial, car avant de pouvoir échanger, il faut avoir produit des biens et services susceptibles d’intéresser un partenaire commercial) et un accès facilité aux marchés européens (quotas nationaux ouverts aux biens et services coproduits notamment).

De nombreux États parties se sont également engagés dans la mise en œuvre concrète du traitement préférentiel prévu à l’article 16 de la Convention :

– l’Afrique du Sud réserve, dans le cadre de huit accords de coproduction de films (notamment avec la France et le Royaume Uni, entre autres) le même traitement qu’aux films produits localement, en termes de soutien et de distribution. En contrepartie, de nombreux films sud-africains ont eu accès à des festivals européens ces dernières années ;

– le Koweït accorde des autorisations spéciales de sortie du territoire aux auteurs et écrivains qui vont participer à des festivals culturels et artistiques à l’étranger ;

– en Arménie, le ministère de la Culture a apporté son soutien à la mobilité d’artistes et de critiques d’art ayant participé à environ 180 programmes internationaux entre 2007 et 2011. Pendant cette période, l’Arménie a accueilli plus de 2 200 professionnels de la culture par an ;

– la Bosnie-Herzégovine a apporté une aide à ses artistes et professionnels de la culture pour leur permettre de participer à de grands salons et festivals internationaux comme le Festival de Cannes, la Biennale de Venise et le Salon du livre de Francfort ;

– les Pays-Bas évoquent les autorisations et facilités accordées pour inviter des artistes étrangers en résidence.

3. L’intégration de la culture dans les politiques de développement durable

L’importance de la culture pour le développement durable constitue un des objectifs transversaux de la Convention, consacré à l’article 13, et les débats actuels sur la révision des Objectifs du Millénaire pour le développement, impliquant des États membres de l’UNESCO, des organisations de la société civile et des réseaux professionnels, rendent cette thématique particulièrement sensible.

Grâce au FIDC, l’UNESCO finance des projets favorisant la contribution de la culture au développement durable, y compris des projets portant sur l’élaboration de nouvelles politiques ou la réforme de politiques existantes.

a. Intégrer la culture dans la planification du développement national général

Traditionnellement, les plans de développement à moyen et long termes des États étaient prioritairement orientés vers le développement économique et social sans faire référence aux diverses contributions possibles de la culture d’un pays pour faciliter le développement. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : le secteur culturel est de plus en plus souvent inclus dans la planification du développement national, à la faveur de la reconnaissance croissante du rôle que peut jouer la culture et de ses apports possibles à la croissance de la production, des revenus et des emplois d’une économie donnée.

Les approches de cette intégration sont néanmoins diverses selon les pays, comme le montrent les exemples suivants :

– le plan de développement quinquennal du Koweït (2010-2014) comprend une série de projets spécifiques couvrant diverses contributions économiques, sociales et culturelles que les organisations et les individus actifs dans le secteur culturel peuvent apporter au développement du Koweït ;

– au Vietnam, la culture est intégrée dans les objectifs nationaux de développement rural pour la période 2010–2020, sous l’impulsion du ministère de la Culture, du Sport et du Tourisme, avec la contribution du ministère de l’Information et de la Communication qui aide à résoudre le problème de l’isolement économique, social et culturel des communautés rurales par la mise en place de systèmes d’information et de communication ;

– la Région administrative spéciale de Macao (République populaire de Chine) a créé un « Département de promotion des industries culturelles et créatives », placé sous la tutelle du Bureau des affaires culturelles et du Comité de l’industrie culturelle ; une « zone industrielle culturelle » novatrice doit également être créée sur l’île de Hengqin avec le soutien du gouvernement chinois ;

– en Croatie, la culture est une priorité de la « Stratégie de développement régional pour la période 2011-2013 » ;

– au Kenya enfin, la feuille de route de développement à long terme, « Vision 2030 » consacre la culture et le patrimoine comme une pierre angulaire du développement durable du pays.

b. Favoriser la viabilité des industries créatives

La croissance à long terme de l’économie créative suppose que des infrastructures destinées à soutenir son activité (structures administratives, mécanismes de financement adaptés, infrastructures techniques, notamment systèmes de communication) soient mises à place. Environ la moitié des Parties dont les rapports ont été analysés rendent compte des mesures prises pour mettre en place dans leur pays de telles infrastructures.

Ainsi, le Burkina Faso a lancé un programme quadriennal (2012–2015) destiné à soutenir et renforcer les industries culturelles, sous l’égide du ministère de la Culture et du Tourisme. Le but est de développer des réseaux culturels dans l’industrie du livre, les industries cinématographiques et audiovisuelles, les arts du spectacle et la musique. Ce programme a pour but de renforcer la gouvernance, de diversifier les mécanismes de financement, de favoriser la professionnalisation des artistes et des entrepreneurs culturels, et de contribuer à la valorisation et au développement de la culture dans les processus de planification.

D’autres pays ont privilégié un ciblage sectoriel : en Arménie par exemple, l’industrie de l’édition a bénéficié d’une aide à travers la distribution gratuite ou à prix réduit des ouvrages publiés avec le soutien de l’État ; cette initiative a eu un impact considérable sur la lecture, la popularisation et la diffusion des livres. Au Bangladesh, la Bangladesh Small and Cottage Industries Corporation s’efforce de favoriser le développement de petites et moyennes entreprises capables de faire face à la concurrence dans un environnement de marché libéralisé, en leur apportant une assistance technique et marketing.

Enfin, de nombreux pays ont souligné l’importance d’un soutien financier extérieur, celui du FIDC bien sûr, mais aussi les financements apportés par l’Union européenne, l’ONU ou l’OIF.

La Banque d’expertise UNESCO-UE

Lancée en 2010 par l’Union européenne dans le cadre de l’article 13 de la Convention, la Banque d’expertise pour renforcer le système de gouvernance de la culture dans les pays en développement a vocation à renforcer le rôle de la culture comme facteur de développement durable et de réduction de la pauvreté à travers l’apport d’une expertise de haut niveau, destinée à renforcer les capacités humaines et institutionnelles des pays en développement dans le domaine des politiques publiques en faveur des industries créatives et culturelles.

Entre 2011 et février 2015, la banque d’expertise a réuni 30 experts internationaux spécialisés dans le domaine des politiques culturelles et des industries créatives. En mars 2015, la banque a été renouvelée et étendue à 43 experts, intégrant ainsi de nouveaux champs d’expertise et assurant une meilleure représentativité géographique des experts.

Au total, 1,5 million d’euros a été consacré depuis 2010 à la création de la Banque d’expertise et à la conduite de 13 missions d’assistance technique pour des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie.

Un séminaire de haut niveau organisé à Bruxelles le 5 juin 2015 a permis de faire le point sur l’achèvement de la première phase du projet de la Banque d’expertise, de dresser un premier bilan de son action et de tracer des pistes d’évolution pour l’avenir.

1. Un bilan encourageant

Treize pays en développement, parties à la Convention UNESCO de 2005 (Barbade, Argentine – ville de Buenos Aires, Burkina Faso, Cambodge, République Démocratique du Congo, Haïti, Honduras, Kenya, Malawi, Maurice, Niger, Seychelles et Vietnam) ont jusqu’à présent bénéficié de l’expertise et de l’assistance technique de la banque UNESCO/UE pour mettre en œuvre la Convention de 2005.

Chaque mission d’assistance technique a été préparée sur la base des besoins et des priorités identifiés par les pays bénéficiaires grâce à une procédure de sélection. Elles ont été réalisées par des membres de la Banque d’expertise afin de soutenir les bénéficiaires dans leurs efforts pour mettre en place :

- les cadres juridiques, réglementaires et/ou institutionnels nécessaires au développement du secteur de la culture dans leur pays,

- et les politiques renforçant le rôle de la culture dans le développement social et économique, particulièrement à travers les industries culturelles.

Parmi les résultats positifs relevés par la banque d’expertise, on peut noter :

- le renforcement des capacités des autorités publiques et des professionnels de la culture dans les 13 pays concernés,

- la mise en place de neuf politiques, stratégies et plan d’action conçus ou consolidés à l’échelle nationale pour les industries et secteurs culturels,

- la construction de plateformes pour les partenariats entre organisations internationales et bailleurs de fonds,

- la confirmation du rôle des femmes, des jeunes et de l’éducation comme forces motrices de la production culturelle,

- ou encore la mise en évidence du rôle des technologies numériques dans la création, la production, la distribution et l’accès aux biens et services culturels.

2. Des ajustements nécessaires

Malgré le succès réel du projet de Banque d’expertise et les retours positifs des treize pays bénéficiaires, la place de la culture dans les politiques nationales de développement demeure marginale. L’intégration des considérations relatives à la culture dans les programmes de développement reste donc un défi à part entière.

Une deuxième difficulté réside dans la définition même de la culture. Les projets supportés et l’assistance technique apportée par la Banque d’expertise se sont trop concentrés sur une approche a minima des expressions culturelles, se limitant de fait au domaine des arts. Une approche plus large en matière de culture devrait être adoptée, afin de prendre en considération les traditions, le patrimoine, etc.

Un troisième obstacle est celui du fossé existant entre le Nord et le Sud en matière de diversité culturelle. Malgré les efforts de la Banque d’expertise et les projets menés à bien dans treize pays, la situation reste très hétérogène.

Pour relever ces défis, il conviendrait, à l’avenir :

- de retravailler la notion de culture dans un sens plus large et dans sa définition au sein des différentes sociétés ; cela permettrait d’élargir le domaine d’action des politiques de développement en matière culturelle, aujourd’hui trop limité aux arts et aux industries culturelles,

- de renforcer les données et indicateurs culturels dans les pays en développement pour disposer d’une meilleure connaissance du secteur culturel.

c. Garantir aux régions et aux minorités un traitement équitable

Une minorité des États parties ayant remis leur rapport en 2013-2014 a mentionné des mesures visant à promouvoir l’équité régionale ou à apporter une aide à certains groupes sociaux défavorisés (personnes handicapées, minorités).

En matière de lutte contre la pauvreté, le Vietnam a mis en place en 2008 un programme visant à faire reculer sur plusieurs années la pauvreté dans certains quartiers ; aux Pays-Bas, plusieurs initiatives pour rendre l’art et la culture accessibles aux enfants des familles pauvres ont été mises en œuvre au niveau local et national.

La Chine s’est attachée aux besoins culturels des aveugles et a pris des mesures pour assurer l’éducation des personnes malvoyantes et leur permettre de participer à la vie culturelle. Elle a, par exemple, créé une presse nationale en braille pour mettre à la disposition des lecteurs malvoyants une grande diversité d’ouvrages et a ouvert une grande bibliothèque en braille dans le Centre de services culturel et d’information pour les personnes malvoyantes.

Au Royaume-Uni, le soutien aux artistes appartenant à des groupes minoritaires est assuré par des administrations publiques, telles que the Arts Councils, ainsi que par la société civile et d’autres organisations, par exemple Tara Arts, une troupe de théâtre du sud-ouest de Londres spécialisée dans la production, la promotion et le développement du théâtre interculturel. La République tchèque et l’Ukraine ont également développé des programmes ciblés pour soutenir les activités culturelles des minorités ethniques.

4. La sensibilisation de la société civile

L’article 11 de la Convention reconnaît le rôle fondamental de la société civile dans la protection et la promotion de la diversité culturelle et incite les États parties à associer la société civile pour atteindre les objectifs fixés par la Convention.

Les 43 Coalitions nationales pour la diversité culturelle, qui regroupent au total plus de 600 organisations professionnelles de la culture représentant les créateurs, les artistes, les producteurs indépendants, les distributeurs, les radiodiffuseurs et les éditeurs des secteurs du livre, du cinéma, de la télévision, de la musique, du spectacle vivant et des arts visuels, sont notamment très actives pour faire connaître la Convention aux opinions publiques et les sensibiliser sur les enjeux et l’actualité de la diversité culturelle. Elles sont regroupées depuis 2007 au sein de la Fédération Internationale des Coalitions pour la Diversité Culturelle (FICDC), qui a établi son siège à Montréal. La FICDC dispose d’une représentation permanente auprès de l’UNESCO et, depuis juillet 2009, a obtenu le statut d’ONG en relation formelle avec l’UNESCO.

La très grande majorité des États parties signale dans ses rapports périodiques un effort pour sensibiliser la société civile à la Convention. Certains pays évoquent plus particulièrement des activités culturelles autonomes qui contribuent aux objectifs de la Convention (activités inspirées et entreprises par la société civile avec ou sans soutien du gouvernement) :

– au Burkina Faso, l’ONG Carrefour international de théâtre de Ouagadougou organise des programmes de développement des compétences pour les compagnies de théâtre indépendantes ;

– en Chine, les musées privés se sont multipliés (386 étaient enregistrés en 2009 auprès des autorités locales), ce qui représente plus de 13 % du nombre total de musées du pays ;

– au Togo, les ONG Association Filbleues et la Coalition togolaise pour la diversité culturelle (CTDC) ont organisé en 2012 un concours d’expressions culturelles produites par des jeunes ;

– le Burundi a soutenu la création de plusieurs associations d’artistes, d’écrivains et de producteurs et les a encouragés à joindre un réseau appelé le Forum National des Artistes pour l’Action et le Développement (FNAAD),

– L’organisation internationale de la Francophonie (IOF) a de son côté soutenu la création d’espaces de dialogue des cultures et d’échanges interculturels dans plusieurs de ses États membres.

C. DES DIFFICULTÉS DE MISE EN œUVRE ESSENTIELLEMENT STRUCTURELLES

Les problèmes généralement rencontrés par les pays en développement pour la mise en œuvre de la Convention sont résumés dans le rapport du Vietnam, qui souligne la difficulté à « maintenir l’équilibre entre développement économique et développement culturel, en veillant à ce que, alors que le pays se tourne vers une économie de marché, les activités ne soient pas uniquement à but lucratif ». Le Vietnam souligne également la forte pression des biens culturels importés, car la production nationale ne peut soutenir la concurrence de biens venant des États-Unis, de la Corée ou du Japon.

La Chine met également en avant des difficultés d’ordre structurel, qui prévalent dans de nombre pays en développement : « Le développement culturel actuel de la Chine ne peut suivre le rythme de celui de la société et de l’économie, ni la progression des besoins spirituels et culturels des citoyens. Par exemple, […] le soutien de la politique publique aux œuvres originales est clairement insuffisant ; le système de services culturels publics reste incomplet, avec un déséquilibre du développement culturel entre les zones urbaines et zones rurales, ainsi qu’entre différentes régions ».

1. Le manque de ressources financières et humaines

Le manque de ressources humaines et financière vient en tête des difficultés évoquées dans les rapports périodiques. L’insuffisance de financement est mentionnée dans la quasi-totalité des rapports mais le manque de connaissance, parmi les autorités publiques comme dans la société civile, des questions entourant la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, est également considéré comme très importante.

• L’insuffisance du FIDC

Depuis 2010, le FIDC a récolté au total environ 5,2 millions de dollars américains (soit environ 4,6 millions d’euros) sous forme de contributions volontaires des États parties.

Ces fonds ont permis de financer 78 projets dans 48 pays en développement, couvrant un large éventail de domaines, du développement et de la mise en œuvre des politiques culturelles au renforcement des capacités des entrepreneurs culturels, en passant par la cartographie des industries culturelles et la création de nouveaux modèles économiques, toujours pour les industries culturelles.

Au fil des cycles annuels de financement, le nombre de projets s’est toutefois réduit, ainsi que le montant total des crédits accordés (entre 4 000 et 100 000 dollars américains par projet), comme l’indique le tableau ci-après.

PROJETS SOUTENUS PAR LE FIDC

en millions de dollars américains

 

2010

2011

2012

2013

2014

Nombre de projets

31

17

13

10

7

– dont projets en cours

0

0

2

10

7

Montant total des crédits

1,461

1,282

1,074

0,763

0,618

Source : document d’information de l’UNESCO sur le statut des projets FIDC des cycles de financement 2010-2014 ; 5e session de la Conférence des Parties du 10-12 juin 2015 (CE/5/5.CP/INF.10)

Ces ressources sont évidemment très appréciées par les pays bénéficiaires mais l’importance de la demande, rapportée à l’étroitesse des fonds, induit une sélection très rude, assez mal vécue par les pays du Sud. Le fonctionnement du FIDC n’est pas en cause, car la gestion des crédits est effectuée sur la base de critères transparents ; ce qui manque, ce sont des contributions financières plus importantes. Lors de son entretien avec le rapporteur, Mme Danielle Cliche (27) a toutefois indiqué que les contributions privées étaient en augmentation, bien qu’encore de façon résiduelle.

M. Pascal Rogard (28) a de son côté insisté sur le fait qu’en 2005, la création du Fonds avait constitué une forte motivation pour que les pays en développement adhèrent à la Convention ; il constituait alors une sorte de contrepartie aux obligations contenues dans le traité. Il a donc alerté le rapporteur sur le risque de décevoir les espoirs de ces pays, alors même que le débat sur la non-inclusion de la culture dans les négociations commerciales internationales est actuellement relancé.

• Le manque de connaissances et de savoir-faire

De nombreux États parties déplorent également un manque de ressources humaines suffisamment formées aux enjeux politiques et techniques de la diversité culturelle. Ce déficit de compétences nuit non seulement aux politiques de promotion de la diversité menées au plan national mais également au développement de la coopération internationale.

Ainsi, dans leurs rapports remis en 2014, le Malawi et le Kenya ont fait état de difficultés pour répondre aux visites et événements définis dans leurs programmes d’échanges culturels respectifs.

2. L’absence de structures législatives, administratives et économiques

Ce manque de ressources financières et humaines entraîne bien souvent une absence de stratégie nationale cohérente pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

De nombreux pays manquent d’une législation favorable au secteur culturel et des mécanismes réglementaires et administratifs qui en découlent, mais également de structures et d’organisations susceptibles de les mettre en œuvre. Certains pays, comme la Bosnie-Herzégovine, mentionnent également le manque de transparence dans l’élaboration de la politique culturelle et la prise de décision.

De nombreux États parties illustrent dans leurs rapports ce manque de structure et d’organisation de la gouvernance de la culture : le Burkina Faso et la Roumanie soulignent l’absence de stratégie nationale pour la promotion de la diversité culturelle et l’évaluation des efforts fournis ; l’Albanie et la Bosnie-Herzégovine évoquent le manque de communication entre le gouvernement, la société civile et les acteurs privés ; la Côte d’Ivoire et le Togo mettent en avant l’organisation et la professionnalisation insuffisantes du secteur culturel et l’Arménie, une centralisation excessive et une participation insuffisante de la société civile.

3. Les difficultés conjoncturelles

Certains pays ont également évoqué des difficultés conjoncturelles pouvant faire obstacle au développement des politiques en faveur de la diversité culturelle.

L’Égypte a ainsi mis en avant les troubles que le pays connaît depuis 2011 comme un frein majeur à une élaboration et une mise en œuvre efficace de ces politiques, alors que le Royaume-Uni a évoqué spécifiquement la crise financière et les incertitudes associées à la zone euro.

III. FACE AUX ENJEUX DE L’ÈRE NUMÉRIQUE : UNE CONVENTION PLUS UTILE QUE JAMAIS

Lors de son audition par le rapporteur, M. Pascal Lemaire (29) a rappelé que l’écosystème numérique est potentiellement porteur de perspectives positives pour l’enrichissement et l’élargissement de l’offre de contenus culturels, ainsi que pour l’innovation, la créativité et l’accessibilité ; il peut donc contribuer à enrichir la Convention de 2005 en renforçant ses objectifs de promotion de la diversité et de la solidarité internationale en matière culturelle.

Cependant, le numérique ne génère pas spontanément de la diversité culturelle, voire constitue parfois un frein et peut impliquer la perte, pour les États, de leurs repères voire de leurs moyens d’action en matière culturelle.

Une réflexion sur cet enjeu doit donc être menée au sein de l’UNESCO et la Convention de 2005, avec ses 139 signataires, est l’outil le mieux à même de porter cette mobilisation. Les mutations technologiques ne remettent en effet en cause ni ses principes fondateurs, ni ses applications concrètes. Elles offrent, à l’inverse, l’occasion de confirmer l’utilité de la Convention et l’opportunité d’enrichir son contenu par l’utilisation de nouveaux outils, pour peu que ses dispositions soient utilisées à bon escient par les États parties et que ses modalités d’application soient ajustées au nouvel environnement numérique.

A. LE NUMÉRIQUE : OPPORTUNITÉS ET DÉFIS

Comme le pointent Mme Divina Frau-Meigs et M. Alain Kiyindou dans l’introduction de l’ouvrage collectif précité sur la diversité culturelle à l’ère du numérique, celui-ci représente tout à la fois de formidables opportunités – pour la démocratisation de l’accès à la culture et l’émergence de nouveaux champs créatifs – et de nouveaux défis – tels que la fragilisation des créateurs locaux face aux cultures dominantes et la globalisation uniforme d’une culture mondialisée – pour la diversité culturelle.

L’offre pléthorique permise par les mutations technologiques du web 2.0
– ce que l’on pourrait appeler « l’explosion des tuyaux » – n’est en effet pas automatiquement synonyme d’une plus grande diversité culturelle : la diversité des sources et des contenus ne suffit pas, elle doit être accompagnée d’une diversité effective dans la diffusion et la distribution des
œuvres.

L’étude « Pour une culture en réseaux diversifiée » (30) commandée par la France et réalisée par le Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (Université du Québec à Montréal), met ainsi en lumière les cinq défis du numérique, aux effets tout à la fois positifs et négatifs : la dématérialisation, la désintermédiation, le décloisonnement, la délinéarisation et la déterritorialisation.

De son côté, le document d’analyse transversale des rapports périodiques des Parties sur les enjeux et tendances numériques, préparée par Octavio Kulesz pour la 5e Conférence des Parties à la Convention UNESCO de 2005 (31) souligne dès l’introduction que « le secteur créatif n’est pas immunisé contre les changements du monde technologique (…) Le fait est que le numérique n’est plus seulement un simple média ou un canal de distribution, mais qu’il est maintenant au cœur de la culture, dans les pays du Nord comme du Sud ».

Comment, dès lors, articuler nouvelles technologies et objectif de promotion d’un flux équilibré et varié d’expressions culturelles dans le monde ? Autrement dit, comment faire un bon usage des opportunités offertes par le numérique au service de la promotion de la diversité culturelle ?

Pour répondre à ces questions, il convient, comme le résume fort justement M. Jean Musitelli dans sa postface à l’ouvrage précité sur la diversité culturelle à l’ère du numérique, de bien faire la distinction entre, d’une part, la technologie et les potentialités qu’offre la révolution numérique et, d’autre part, le système économique qui régit le web et dont la structure oligopolistique fait peser de nouvelles menaces sur la diversité culturelle…

1. Les opportunités du numérique pour la création et la diffusion des œuvres

Mme Youma Fall (32) a tenu à le souligner lors de son audition : les nouvelles technologies numériques offrent de formidables opportunités pour la création, la démocratisation, la diffusion ; grâce au numérique, « le local et le global se confondent » et les pays du Sud doivent absolument s’en emparer. Il faut simplement ne pas confondre outil et objectif : le numérique est l’outil et non le but, qui demeure la diversité des expressions culturelles. Il faut donc utiliser la neutralité technologique de la Convention pour mettre l’outil au service de l’objectif… et non l’inverse !

a. Une démocratisation de l’accès à la culture

La puissance de diffusion qu’offre le numérique est incontestablement une de ses principales séductions : une capacité illimitée de stockage des contenus, assortie de coûts d’entrée peu élevés, a entraîné l’accroissement et l’accélération des échanges culturels dans le monde entier, qu’il soit gratuits (sites d’institutions culturelles, publiques ou privées, sites d’artistes, espaces collaboratifs, blogs) ou payants (plateformes commerciales de téléchargement ou de streaming, généralistes ou spécialisées). L’accès aux œuvres s’en trouve facilité, où que l’on soit dans le monde, au centre des grandes villes ou dans la plus lointaine des campagnes… si elle est connectée.

Les capacités de traitement des contenus et de recoupement des données favorisent de leur côté les recherches et les comparaisons, et donc la compréhension de certaines spécificités.

Les coûts de stockage peu élevés autorisent aussi en théorie, selon les effets dits « de longue traîne », une mise à disposition d’une bien plus grande quantité de biens culturels que dans le cas des biens physiques et donc une consommation potentiellement moins focalisée sur les produits « rentables », ce qui peut donner leur place à des artistes peu connus, ou à des œuvres anciennes ou matériellement difficiles d’accès. Le web devrait donc permettre de remplacer la culture de masse par une culture de « niche ».

Un bien numérisé est en outre dit « non rival », car sa « consommation » par un individu ne prive pas un autre internaute de l’accès à ce même bien (absence de rupture de stocks).

YouTube illustre bien ce potentiel d’ouverture sur la diversité culturelle : ce média numérique de masse, qui diffuse des vidéos postées du monde entier, est incontestablement un vecteur de diversité.

b. La disparition des barrières géographiques pour les créateurs

Le décloisonnement induit par les technologies numériques contribue également à l’émergence de nouvelles pratiques culturelles : il facilite les travaux de groupe ou l’agrégation de travaux réalisés par plusieurs créateurs (« collaboratifs »), ce qui favorise de nouvelles approches créatives ; la co-création émerge et se développe par la réinterprétation ou la réappropriation des œuvres. Les licences Creative commons s’inscrivent dans ce cadre : elles fournissent un cadre juridique garantissant à la fois la protection des droits de l’auteur initial et la libre circulation du contenu culturel de ses œuvres.

Le numérique recèle une potentialité infinie pour faire connaître dans le monde entier une culture minoritaire ou un artiste méconnu. Mais pour que cette potentialité devienne une réalité, il faut que les produits et services culturels bénéficient tous d’une même « chance » de parvenir jusqu’au consommateur, et ne soient pas, en chemin, noyés dans les flots du big data et laissés de côté par les algorithmes de proposition utilisés par les grandes plateformes.

c. Une plus grande participation de la société civile

Désormais, sur le web, nous ne sommes plus simplement un « consommateur » ou un « récepteur » de contenus ; grâce à la disparition des intermédiaires, tout un chacun peut interagir avec le créateur ou l’œuvre et les plateformes participatives permettent aux internautes d’enrichir les informations mises à disposition par d’autres. Des travaux à grande échelle sont entrepris grâce à l’externalisation ouverte, ou « crowd-sourcing », c’est-à-dire la collaboration d’un large public éparpillé dans plusieurs pays.

Enfin, la désintermédiation générée par internet a donné naissance à de nouveaux modes de financement (sociofinancement ou « financement participatif ») qui facilitent l’émergence de projets originaux ou risqués, sans garantie de retour sur investissement.

2. Les défis du web 2.0 pour la diversité culturelle

a. Un accès universel encore virtuel

Aujourd’hui encore, l’accès au numérique est en réalité loin d’être universel : il demeure limité par une disponibilité très variable des réseaux ainsi que par une répartition très inégale des infrastructures dans le monde, ce qui creuse le fossé entre pays utilisateurs et non utilisateurs. En outre, les appareils de réception évoluent très rapidement, sans que le niveau d’équipement des populations puisse toujours suivre le même rythme.

Cette « fracture numérique », qui sépare les personnes bénéficiant de l’accès à l’information numérique et celles qui demeurent privées des contenus et des services en ligne (ou ne les exploitent que faiblement), marque bien évidemment une dichotomie entre les pays du Nord et les pays du Sud, mais également, à l’intérieur des pays du Nord, entre citoyens connectés et non connectés. Elle s’explique par des raisons techniques mais également par un déficit de compétences, d’information, de formation et/ou d’intérêt chez les personnes ou populations concernées.

Un autre obstacle technique à la liberté d’accès réside dans l’interopérabilité limitée des contenus, leur compatibilité avec les différents appareils ou logiciels de lecture n’étant pas toujours garantie en raison des mesures de protection (dont les digital rights management, ou DRM) appliquées à certains biens ou services culturels numériques.

b. L’émergence de nouveaux intermédiaires de dimension mondiale

De façon paradoxale, la désintermédiation induite par le numérique s’est accompagnée de l’émergence de nouveaux intermédiaires (plateformes de vente de biens et services numériques, moteurs de recherche, réseaux sociaux) dont le rôle est vite devenu essentiel pour l’accès aux œuvres.

De grands groupes transnationaux – souvent désignés par l’acronyme GAFA pour Google, Amazon, Facebook, Apple – ont pris en quelques années le contrôle majoritaire des flux d’échanges sur le web, créant ainsi une relation asymétrique entre les acteurs de la production et de la diffusion des biens et services culturels, au détriment de la diversité culturelle. Là où l’outil numérique laissait espérer une réduction des inégalités entre opérateurs et une concurrence plus vertueuse, les phénomènes de concentration, de marchandisation et de standardisation se trouvent amplifiés par l’omniprésence de ces intermédiaires prescriptifs.

Le document d’analyse transversale précité de l’UNESCO sur les enjeux et les tendances numériques (33) expose très clairement, à travers l’exemple d’Amazon, le processus de concentration suivi par les « nouveaux géants du marché culturel », mettant ainsi en péril les acteurs moins importants : « une plateforme commence par occuper un espace (matériel, logiciel, communication, moteur de recherche, e-commerce, etc.) qui, grâce à la convergence numérique, est commun à toutes les industries culturelles, et finit invariablement par s’étendre et à prendre la place d’autres maillons de la chaîne. Ainsi Amazon n’est plus seulement une librairie en ligne mais également un éditeur, un vendeur d’appareils comme le Kindle, un réseau social de recommandation de livre et un imprimeur ainsi qu’un prestataire de service d’informatique en nuage. Ces nouveaux géants ne sont donc plus des acteurs de la chaîne de valeur, mais ils tendent à devenir à eux seuls l’intégralité de la chaîne de valeur. Par conséquent, ils deviennent des écosystèmes complètement clos dont les données et les rouages internes ne sont pas connus du monde extérieur ».

M. Octavio Kulesz, éditeur numérique argentin et auteur du document d’analyse, indique que « cette concentration économique représente un risque pour les acteurs indépendants ainsi que pour ce qu’on pourrait appeler la ʺclasse moyenneʺ créative », le fonctionnement en système clos des « GAFA » limitant fortement le potentiel d’entraînement de leurs innovations technologiques sur le reste du tissu industriel. Mais ce système est également problématique pour les « utilisateurs », qui sont confrontés à une surveillance permanente de leurs données de consommation (ce qui peut porter atteinte à leur vie privée) et à un manque d’interopérabilité des contenus et des appareils. Enfin, « bien que les plateformes fournissent une large gamme d’offres culturelles, le fait que celles-ci contrôlent non seulement les ventes mais aussi la communication et les algorithmes de recommandations crée un problème lié à la découverte : par quel processus un utilisateur va-t-il tomber sur un produit et pas sur un autre ? ».

L’utilisation et l’exploitation des données de masse pour répondre aux requêtes des internautes ou leur proposer des biens et services culturels « adaptés » à leurs attentes génère en effet des risques induits en favorisant l’orientation vers les contenus les plus consultés alors que l’accès à la diversité culturelle supposerait de disposer d’un choix entre des ressources multiples.

La profusion de contenus ne doit donc pas être confondue avec l’accès effectif à une offre culturelle variée : ainsi, les sites des principales librairies en ligne qui représentent une part importante du marché du livre n’offrent pas dans leur moteur de recherche une clé d’entrée par pays ou par région d’édition. Il faut connaître au préalable le nom d’un auteur pour retrouver ses ouvrages.

Ces pratiques induisent, du fait de l’usage d’un système de recommandations fondées sur une mesure des popularités comparées des différents contenus, un mécanisme d’amplification de la visibilité de certains contenus au détriment des autres. Le risque, à terme, réside bien évidemment dans une standardisation des œuvres.

Le colloque intitulé Le Goût des autres - Les nouvelles fabriques de la curiosité, organisé durant la première semaine de la 38e Conférence générale de l’UNESCO (du 3 au 10 novembre 2015) à l’initiative de la Commission nationale française pour l’UNESCO, permettra très certainement de mettre ces enjeux en perspective, et tout particulièrement celui de l’impact des algorithmes de recommandations et des réseaux sociaux sur la diversité des expressions culturelles.

En tout état de cause, nous devons nous garder d’une vision trop occidentale de ces questions. D’autres pays, dans d’autres ères linguistiques, sont très présents sur les réseaux même si nous ne nous en rendons pas compte et pour eux, le web est un véritable support de diversité. Ainsi, comme l’a indiqué M. David Fajolles (34), il existe dans le monde des écosystèmes autonomes sur internet, avec des moteurs de recherche et des réseaux sociaux différents de Google, Bing, Facebook ou YouTube. Ces plateformes « régionales » garantiront-elles, à moyen terme, une plus grande diversité des expressions culturelles que leurs équivalents anglo-saxons ? Il est encore trop tôt pour le dire.

c. Un risque de contournement des garanties nationales de la diversité culturelle

La disparition des frontières physiques et de la matérialité des productions culturelles remet également en cause la possibilité, pour les États, d’encadrer le fonctionnement du secteur culturel dans l’intérêt du public et des créateurs. Qu’il s’agisse de protéger les droits des créateurs, les intérêts des consommateurs contre les pratiques publicitaires agressives, les mineurs et des groupes sociaux fragiles, la vie privée ou encore la diversité culturelle, les réglementations nationales sont désormais aisément contournables grâce à la dimension transnationale du numérique.

Ce défi est tout particulièrement aigu en matière de droits d’auteur. Les possibilités démultipliées de partager des données sans aucune altération, mais également de réutiliser des contenus mis en ligne sans s’attacher au respect de la propriété intellectuelle de leur auteur premier, posent en effet la question de la juste rétribution des auteurs pour leur création.

Le nouvel équilibre entre économie propriétaire et économie de partage n’est pas aisé à trouver, d’autant que la position dominante d’un tout petit nombre d’acteurs, particulièrement agiles dans la maîtrise des subtilités juridiques et fiscales, fausse le fonctionnement des règles de concurrence censées être plus favorables à la diversité de l’offre.

Le risque est notamment important en matière de diversité linguistique puisque l’on constate aujourd’hui une accélération de la disparition de certaines langues : sur les 6 000 ou 7 000 langues qui existent dans le monde, 90 % ne sont pas représentées sur internet. L’anglais y est dominant, même si plusieurs autres langues – l’espagnol, l’allemand, le français, le portugais, le chinois, le japonais, le coréen, le turc et le farsi – sont largement présentes.

Comme l’a souligné M. Dominique Wolton, directeur de recherche, directeur du laboratoire Information, communication et enjeux scientifiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), lors de son audition (35), la sauvegarde de la diversité linguistique est un vecteur essentiel de la diversité culturelle. Une langue qui perd la bataille du numérique est aujourd’hui menacée dans sa survie. Les langues dites minoritaires – qui constituent la très grande majorité de celles parlées dans le monde – se trouvent de facto exclues d’un certain nombre d’outils (correcteurs orthographiques et grammaticaux, traducteurs automatiques, moteurs de recherche…) sans compter celles dont l’alphabet n’est pas même présent sur le web (les systèmes d’écriture représentés se limitent aux alphabets latin, grec, cyrillique, arabe, chinois, japonais et coréen).

En conclusion de son rapport « Le désir de France » sur la présence internationale de la France et de la francophonie dans la société de l’information, remis au Premier ministre en décembre 1998, le rapporteur constatait déjà que « Pour l’immense majorité des Français, l’internet est une chance nouvelle de voyages afin d’être en prise avec le monde. Il faut donc veiller à rendre disponibles les outils qui permettent de passer d’une langue à l’autre, de traduire et d’être traduits. Naviguer sur la Toile, c’est naviguer dans l’océan des langues et croiser ainsi le désir de France. ».

Sa préoccupation demeure plus que jamais d’actualité, puisque la question de la place du français sur le web se pose très sérieusement : alors même que le nombre de locuteurs qui utilisent quotidiennement ou quasi-quotidiennement la langue française a augmenté de 7 % entre 2010 et 2014 selon une étude publiée en novembre 2014 par l’OIF (36), notre langue, qui représentait encore 7,4 % des pages internet en 2009, n’en représentait plus que 3 % en 2011, la plaçant au sixième rang derrière l’anglais (26,8 %), le chinois (24,2 %), l’espagnol (7,8 %), le portugais (3,9 %) et l’allemand (3,6 %). Elle se situe toutefois au 4e rang pour le nombre d’utilisateurs.

Il y a là un véritable défi pour la communauté francophone, et tout particulièrement pour les pays d’Afrique, où vit aujourd’hui plus d’un francophone sur deux.

d. Une possible remise en cause de l’économie générale du financement de la création

Enfin, les nouveaux mécanismes de « consommation » culturelle sur le web risquent d’assécher les mécanismes traditionnels de financement de la création et du renouvellement des talents.

On constate en outre une captation de la valeur par les nouveaux opérateurs de diffusion – qui échappent le plus souvent aux dispositifs nationaux de contribution financière à la création voire même aux dispositions fiscales de droit commun pesant sur les entreprises – au détriment des producteurs de contenus, qui se voient imposer de nouvelles conditions de rémunération, comme en témoignent, par exemple, les pressions exercées par Amazon sur le secteur de l’édition.

B. SOUTENIR L’ÉMERGENCE D’UN SUD NUMÉRIQUE

Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), 3,2 milliards de personnes dans le monde sont aujourd’hui connectées à internet (elles étaient 2,8 milliards en 2013, dont 2 milliards dans les pays en développement
– essentiellement grâce à la téléphonie mobile). Le taux de pénétration d’internet est sept fois plus important qu’en 2000, ce qui donne une idée de la révolution que constitue l’outil web à l’échelle mondiale. On compte par ailleurs 7 milliards d’utilisateurs de téléphones mobiles dans le monde (6,8 milliards en 2013), ce qui ne signifie pas que l’ensemble de la population mondiale y ait accès, certaines personnes disposant de plusieurs téléphones.

Deux nuances doivent être apportées à ces chiffres impressionnants : d’une part, si 3,2 milliards d’humains ont accès à internet, cela signifie que près de 4 milliards en sont privés (et pas seulement dans les pays du Sud) ; d’autre part, les vitesses de connexion ne sont pas les mêmes partout, elles sont souvent bien moins élevées dans le Sud, de même que les capacités de stockage des données.

Chacun s’accorde sur le fait que le numérique représente aujourd’hui un formidable moyen de développement culturel pour les pays les moins avancés : grâce aux technologies numériques, produire et diffuser des œuvres, accéder aux ressources culturelles, sans obstacle de temps ni d’espace, est plus simple et moins coûteux. Cela suppose toutefois que les réseaux soient effectivement disponibles pour ces pays et que les populations s’approprient effectivement leur usage.

C’est avant tout ces difficultés d’accès et ce manque de maîtrise de l’outil – ce que l’on appelle la fracture numérique – que la coopération pour le développement doit s’attacher à résorber, afin que tous aient les mêmes chances de tirer profit des ressources offertes par ces nouvelles technologies.

De nombreuses actions de coopération ont d’ores et déjà été engagées ces dernières années par les États parties à la Convention pour favoriser l’« e-inclusion » et éviter ainsi que la fracture numérique ne se transforme en nouvelle fracture culturelle. Il convient toutefois, ici aussi, de ne pas appliquer au développement du numérique dans les pays du Sud les modèles et mécanismes conçus pour le Nord développé.

1. Optimiser un enjeu déjà présent dans la coopération pour le développement

Ces dernières années, la coopération prévue par l’article 14 de la Convention s’est principalement consacrée, en matière numérique, au renforcement des capacités d’accès aux réseaux et de maîtrise des outils dans les pays en développement.

Un accès effectif aux réseaux et outils numériques suppose deux éléments concomitants : l’existence d’infrastructures adaptées (les « tuyaux ») et l’éducation des populations, qui doivent maîtriser les connaissances nécessaires pour utiliser les nouvelles potentialités offertes par le numérique, en tant que consommateur mais aussi acteur/créateur de contenu (on parle alors d’« alphabétisation numérique »).

Comme le détaille le document précité de l’UNESCO effectuant une analyse transversale des rapports périodiques des Parties sur les enjeux et tendances du numérique, il existe d’ores et déjà de nombreux projets de coopération internationale en rapport avec les nouvelles technologies numériques.

— Faciliter l’accès aux réseaux

Il faut tout d’abord citer les dons d’infrastructures – matériel ou connectivité – faits par des organisations internationales, comme ceux de la Fondation Bill and Melinda Gates aux bibliothèques lituaniennes en 2008.

Il existe également des assistances Nord-Sud pour le déploiement de logiciels (le Portugal a aidé d’autres pays lusophones à acquérir et à gérer le système « MatrizPCI », conçu spécialement pour réaliser des inventaires de biens culturels numérisés) et la numérisation de documents (le Portugal a collaboré à un projet portant sur des documents mozambicains et la Slovénie a participé au financement de la numérisation de la bibliothèque de l’université Herat en Afghanistan en 2010).

Une autre forme de soutien consiste à créer de nouveaux portails et plateformes web pour l’échange d’information dans le domaine culturel. L’Institut Français a ainsi créé le site www.culturessud.com, dont le but est de soutenir la littérature dans les pays en développement. L’Allemagne a mis en place dès 2004 le portail www.qantara.de et un forum en ligne en 2010 conçus pour nouer le dialogue respectivement avec les mondes arabe et persanophone.

— Soutenir la formation aux usages et outils numériques

La plupart des projets de coopération mis en place ces dernières années dans le cadre de la Convention interviennent dans le domaine de la formation.

Le Brésil a ainsi reçu le soutien du PNUD et de l’UNESCO pour l’élaboration de son Programme national pour la culture, l’éducation et la citoyenneté – responsable, entre autres projets, des points de contact pour la culture. Dans le cadre du projet UNESCO/ROK FIT, la Mongolie a bénéficié entre 2008 et 2010 d’assistance à la promotion de la diversité culturelle grâce aux nouvelles technologies. La Bibliothèque et les Archives nationales du Québec ont tenu un atelier sur la numérisation à Port-au-Prince (2009) et à Dakar (2011), en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France et l’Organisation internationale de la Francophonie. L’Union européenne fait, de son côté, mention d’échange avec la Mauritanie pour la création et les expressions basées sur les nouvelles technologies.

Au niveau des États parties, le Portugal a proposé des formations sur les techniques d’archivage à des professionnels angolais. En Pologne, l’Académie des beaux-arts de Varsovie et l’Institut japano-polonais de technologie de l’information ont développé une plateforme de formation virtuelle sur les problématiques culturelles ; le premier pays à en bénéficier a été le Vietnam. Un autre projet, à l’initiative du Danemark, a permis à des étudiants et des enseignants du Mali de mieux comprendre le fonctionnement du marché des banques mondiales d’images.

Le Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC) a de son côté soutenu de nombreuses formations et initiatives de mise en réseau dans les pays du Sud. Parmi les bénéficiaires de ces initiatives, on peut citer :

– Kër Thiossane, une plateforme sénégalaise qui encourage la création multimédia (www.ker-thiossane.org),

– IncreaLABS, un centre qui propose des formations au numérique aux jeunes autochtones du Guatemala,

– Thydêwá, une ONG brésilienne qui encourage l’utilisation d’outils d’édition numérique, également auprès des populations autochtones (www.thydewa.org),

– ou encore la Coalition togolaise pour la diversité culturelle, qui a fait la promotion de différents ateliers numériques pour les artistes du Togo et du Burkina Faso.

Lors de son audition, M. Jean Musitelli (37) a insisté pour que le FIDC renforce son soutien aux actions destinées à remédier aux conséquences de l’inégal déploiement des infrastructures de réseaux, à favoriser un transfert d’expertise et de formation à destination des populations pour leur permettre de maîtriser les outils et à soutenir la présence sur internet de créateurs locaux.

2. Changer de regard sur le « Sud numérique »

C’est un point sur lequel a insisté Mme Youma Fall (38) : en matière numérique, les modes de développement des pays du Sud ne sont pas nécessairement comparables à ceux mis en œuvre dans les pays développés. L’essentiel est de faire prendre conscience aux populations que ces technologies nouvelles leur offrent une capacité, jamais connue jusqu’ici, de valoriser leurs créations et leurs richesses, sans nécessairement passer par l’État ou de grandes structures publiques. Chacun doit comprendre qu’il a entre ses mains, dans sa communauté ou son village, la ressource pour contribuer au développement de son pays et à son rayonnement culturel. Ce ne seront pas nécessairement les expressions culturelles « classiques » qui seront les plus utilisées : chacun, selon ses spécificités, peut désormais exprimer ses talents et les valoriser.

Comme le rapporte le document de l’UNESCO cité plus haut, on voit déjà apparaître dans différents pays ou régions du Sud, et tout particulièrement dans les pays émergents, de nombreux projets innovants, parfois de taille considérable.

Chacun sait que la Chine est le berceau d’entreprises numériques qui dépassent leurs homologues occidentaux en taille comme en dynamisme
– comme en témoigne la puissance de certains acteurs comme Alibaba, Tencent, Baidu et Xiaomi. Mais l’Inde, avec près d’un million de nouveaux ingénieurs par an, a également donné naissance à des géants technologiques nationaux. D’autres pays qui possèdent un marché domestique développé – le Brésil, l’Indonésie, les Philippines ou le Vietnam – donnent également naissance à des acteurs locaux actifs et originaux.

En Afrique, les initiatives technologiques les plus intéressantes s’appuient sur des outils flexibles qui sont déjà disponibles sur le terrain, comme les téléphones portables, désormais utilisés pour le paiement électronique au Kenya (où l’on a sauté l’étape des terminaux de paiement dédiés), pour intervenir sur les réseaux sociaux en Afrique du Sud, regarder des films de Nollywood au Nigéria, ou lire des bandes dessinées basées sur les légendes africaines au Ghana. Ces nouvelles technologies rencontrent même la création artistique comme le prouvent les projets portés par le portail African Digital Art (www.africandigitalart.com).

Plus généralement, les téléphones portables semblent jouer un rôle central dans les pays du Sud. Les données disponibles sur le sujet révèlent que la croissance des réseaux mobiles dans les pays en développement est deux fois supérieure à celle des pays développés. En outre, selon l’UIT, les trois quarts des connexions mobiles du monde proviennent de pays en développement. Ainsi, en Inde, des centaines de millions de personnes qui n’ont jamais vu un ordinateur de leur vie ont maintenant un smartphone entre les mains. La puissance de calcul offerte par les dernières technologies est ainsi accessible à des centaines de millions de personnes, même issues de milieux ruraux.

Dans un tel contexte, les actions de coopération, pour être véritablement efficaces, ne doivent plus être seulement pensées en terme de transfert – de matériels, de logiciels, de savoir-faire, etc. – mais doivent prendre en considération l’évolution originale des technologies qui a d’ores et déjà eu lieu et éviter la logique descendante pour privilégier l’approche ascendante, en se concentrant sur les technologies et les acteurs existants au niveau local.

Certains projets de coopération utilisent déjà cette approche, comme le programme de soutien aux projets numériques dans les pays en développement financé par le Fonds Prince Claus des Pays-Bas, le programme de « Culture numérique » de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui fait la promotion des pratiques collaboratives et de différents axes de formation en mettant clairement l’accent sur la diversité des expressions culturelles, ou encore l’« Alliance internationale des éditeurs indépendants », qui a mis en place son propre laboratoire numérique pour proposer des outils et des formations spécialement conçus pour les éditeurs des pays du Sud.

Enfin, il conviendrait d’encourager fortement les initiatives de coopération Sud-Sud, en particulier entre les pays qui partagent des caractéristiques communes, et d’explorer de nouvelles manières de financer des projets de coopération, par exemple le financement participatif.

C. FAIRE DE LA CONVENTION DE 2005 UN INSTRUMENT DE GOUVERNANCE DE LA CULTURE À L’ÈRE NUMÉRIQUE

Les États signataires de la Convention sont aujourd’hui à la croisée des chemins : le numérique est une chance pour la diversité culturelle mais aussi un risque du fait de la tendance naturelle des marchés à la concentration, rappelée par M. Dominique Wolton, lors de son audition (39).

Ces opportunités de diversification et ces risques d’uniformisation invitent à adapter les outils actuels de protection de la diversité culturelle, et tout particulièrement la Convention de 2005, afin de les rendre les plus pertinents et les plus efficaces possibles dans ce nouvel environnement.

L’OIF s’est également saisie de la question en confiant à Mme Louise Beaudoin un rapport sur les impacts et enjeux du numérique pour la Convention de 2005 (40), qui affirme dès sa première page que « la francophonie doit se donner une stratégie diversifiée pour faire en sorte que l’impact du numérique sur la Convention (…) ne la vide pas de son sens ».

Mais quelle piste d’évolution retenir ? Il apparaît parfaitement inutile de réviser la Convention, comme l’a confirmé au rapporteur Mme Danielle Cliche (41).

En revanche, grâce notamment au travail de la France et de ses partenaires belge et québécois, l’opportunité d’élaborer de nouvelles directives opérationnelles afin d’adapter les modalités d’application de la Convention aux défis du monde numérique a été validée par la 5e Conférence des Parties qui s’est tenue du 10 au 12 juin 2015, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle dynamique pour la Convention et pour les politiques mises en œuvre par les États parties.

1. Préciser la portée de la Convention par des directives opérationnelles adaptées

Le 10e anniversaire de la Convention de 2005 constitue une excellente occasion d’affirmer la légitimité de l’UNESCO comme enceinte de réflexion sur les liens entre culture et numérique et son rôle pionnier en matière de promotion et de protection de la diversité culturelle, ainsi que d’asseoir sa crédibilité face aux autres organisations multilatérales parties prenantes, conformément à l’objectif de concertation et de coordination fixé par l’article 21 de la Convention de 2005.

Comme cela a été dit précédemment, sur ces sujets, la Convention dispose d’un atout essentiel : sa neutralité technologique (cf. I. B. 3.). Elle affirme clairement que les biens et services culturels ont une valeur intrinsèque, déliée des modalités techniques de leur production et de leur diffusion. Les mutations technologiques ne remettent donc en cause ni les principes fondateurs, ni les applications concrètes de la Convention ; elles offrent, à l’inverse, l’occasion d’en réitérer l’utilité et l’opportunité, et d’en enrichir les contenus par l’utilisation des nouveaux outils numériques.

L’étude précitée « Pour une culture en réseaux diversifiée », commandée par la France et achevée en février 2015, a largement contribué à la réflexion des États parties dans ce domaine. Un résumé opérationnel en français et en anglais a été transmis aux postes diplomatiques dont les pays de résidence sont parties à la Convention de 2005, ainsi qu’aux différentes délégations à l’UNESCO. Une présentation de l’étude a également été réalisée dans le cadre d’une réunion à l’OIF le 2 juin dernier.

Basée sur les réponses de 131 acteurs culturels dans 45 pays différents, cette étude confirme que les technologies numériques représentent une chance mais également des risques pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, et que ces enjeux revêtent une importance stratégique pour le développement. Elle incite donc les États parties à faire preuve de « créativité » pour remobiliser la Convention afin de valoriser les potentialités positives qu’offre le numérique et d’en neutraliser les risques.

Lors de la 5e session de la Conférence des Parties à la Convention, les délégations canadienne et française ont en conséquence appuyé l’idée de mandater le Comité intergouvernemental pour rédiger un projet de directives opérationnelles transversales consacré au numérique et à la diversité des expressions culturelles, recevant notamment le soutien des représentants de la Colombie, du Brésil, du Congo Brazzaville ou encore de la Slovaquie et de la République tchèque.

Les directives opérationnelles : un rôle important dans l’application de la Convention sur la diversité des expressions culturelles (CDEC) de 2005

Comme le précise le rapport présenté par le RIJDEC à l’occasion de la Conférence des Parties des 10-12 juin 2015 (42), depuis l’adoption et l’entrée en vigueur de la Convention et conformément à ses articles 22 et 23, « les Parties se sont tournées vers les directives opérationnelles pour guider la mise en œuvre de ce traité et préciser le contenu de leurs engagements. Les directives opérationnelles sont en effet le seul instrument juridique mentionné explicitement dans la CDEC pour préciser ses dispositions et orienter sa mise en œuvre. ».

Plus d’une dizaine de directives opérationnelles ont ainsi été adoptées depuis 2005 afin de préciser la portée ou les conditions d’application de certains articles de la Convention.

Les directives opérationnelles constituent ce que l’on appelle du « droit dérivé » : elles ne sont pas juridiquement destinées à créer de nouvelles obligations pour les Parties, qui ne sont donc pas obligées de les appliquer. Cette absence de caractère normatif n’en fait pas pour autant des dispositions dénuées de portée et d’intérêt : il s’agit de règles souples permettant de guider les Parties vers certains objectifs et, sans créer d’obligations nouvelles, de faciliter l’application de la Convention. Le rapport précité du RIJDEC précise ainsi que « l’utilisation de l’adjectif " opérationnelle " semble au demeurant témoigner de l’intention, de la part des négociateurs de la CEDC, que ces directives soient davantage pratiques que normatives ».

Au total, les auteurs du rapport estiment que lorsque les dispositions de la Convention sont trop vagues, leur application concrète peut nécessiter l’adoption de directives opérationnelles plus détaillées. Cet outil juridique apparaît donc tout à fait opportun pour faciliter l’adaptation de la CDEC au nouveau contexte numérique.

Le « non-papier » préparé par la France et le Canada et diffusé durant la Conférence des Parties, qui reprend les propositions du Secrétariat de l’UNESCO, expose très clairement les objectifs de ces futures directives opérationnelles transversales :

– réaffirmer la neutralité technologique de la Convention ;

– rappeler que les biens et services culturels ont une valeur intrinsèque, déliée des modalités techniques de leur production et de leur diffusion. Le numérique constitue cependant un environnement spécifique qui prend une importance croissante et qui a profondément bouleversé l’écosystème culturel ;

– rappeler que les États ont la capacité d’accompagner les écosystèmes numériques, d’en assurer un traitement spécifique, et ce, aux fins d’encourager la diversité de l’offre artistique et culturelle et d’en renforcer l’accessibilité. Il s’agit notamment de refléter les défis liés à la rémunération équitable des artistes et créateurs, y compris par le droit d’auteur, à l’ère numérique ;

– permettre à tous les pays de réussir leur entrée dans l’ère du numérique et faire de cet outil un vecteur de développement et de résorption des inégalités culturelles (renforcement de l’accessibilité, gamme de biens culturels plus abondante et abordable), notamment en développant de nouvelles formes de coopération et de nouveaux modes d’autorégulation, et en incitant les États parties et les bailleurs de fonds internationaux à prendre en compte le numérique dans leurs politiques de coopération (développement et entretien d’infrastructures, transfert de connaissance) ;

– inviter les États parties et la société civile à documenter les bonnes pratiques novatrices menées sur leur territoire dans ce domaine et à les diffuser dans l’enceinte de l’UNESCO ;

– renforcer le dialogue et la coopération entre I’UNESCO et les autres instances internationales concernées par le numérique (UIT, OMPI, OCDE) mais également avec les organisations économiques régionales afin d’assurer une meilleure articulation entre les accords commerciaux et les objectifs de la Convention de 2005 et d’anticiper les enjeux que le numérique peut impliquer à long terme.

Sur cette base détaillée, le travail de rédaction des nouvelles directives opérationnelles va maintenant pouvoir s’engager, dans la perspective du Conseil intergouvernemental de décembre prochain.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, a salué la décision de la Conférence des Parties de préparer de nouvelles directives opérationnelles sur le numérique et la diversité des expressions culturelles, en soulignant que « ce texte sera l’occasion de faire du numérique une chance pour tous, pays développés et pays en développement, et de définir nos objectifs et nos outils pour la diversité culturelle dans le siècle connecté qui est le nôtre » (43).

2. Encourager les États parties à ajuster leurs outils de régulation à la nouvelle donne numérique

Compte tenu de la neutralité technologique de la Convention, son article 6, qui consacre le droit des États à soutenir la diversité des expressions culturelles (en application du principe de souveraineté posé à l’article 2 de la Convention) et à adopter à cette fin des mesures destinées à protéger et promouvoir cette diversité sur leur territoire, demeure totalement opérationnel dans le nouvel environnement numérique.

Ce sujet est particulièrement d’actualité au sein de l’Union européenne en raison du projet de création d’un marché unique du numérique et des débats qu’il suscite, tout particulièrement en matière culturelle. Toute la difficulté, au sein de l’Union européenne, est aujourd’hui de dépasser une vision strictement économique et fiscale des enjeux de la révolution numérique, qui semble focaliser l’attention de la Commission, pour s’intéresser aux conséquences des technologies numériques sur les contenus – leur production, leur diffusion, leurs modes de circulation et de « consommation » – et sur la préservation de leur diversité, gage d’une créativité durable et originale et, en conséquence, de la prospérité des industries culturelles européennes.

a. Mieux encadrer l’activité des géants du web afin de préserver la diversité des contenus

Les grands acteurs mondiaux du web usent aujourd’hui de leur position dominante dans le contrôle des flux d’échanges numériques pour créer une relation asymétrique, dans laquelle ils imposent leurs choix et leurs logiques d’optimisation de la consommation de masse au détriment de la diversité culturelle.

Or, comme cela a été évoqué plus haut, les instruments réglementaires ou financiers nationaux perdent une part de leur efficacité dans l’environnement numérique, les grands acteurs multinationaux disposant en outre de la surface financière et des capacités juridiques nécessaires pour se soustraire à leurs obligations et imposer leurs propres critères de sélection.

Pour contenir ce processus, il conviendrait, pour M. Jean Musitelli (44), d’imposer aux acteurs du net, via les législations nationales, une participation au financement de la création dans le cadre du soutien à la diversité culturelle.

Il a également suggéré de les inciter à intégrer le critère de la diversité culturelle dans leurs algorithmes de propositions. Il semble en effet techniquement possible d’insérer dans les moteurs de recherche une clé d’entrée par pays, par région d’émission du contenu culturel ou encore par langue d’expression ; cela impliquerait toutefois un effort des éditeurs de contenus pour fournir des données de référencement des œuvres afin de renseigner de façon adaptée leur fiche numérique descriptive.

M. Jean Musitelli a enfin invoqué l’importance de la gestion et de l’exploitation des métadonnées, qui doivent être mises au service d’un accès le plus large possible à des œuvres rares ou anciennes.

Sans doute faut-il aussi œuvrer pour l’harmonisation des fiscalités du numérique à l’échelle européenne et ainsi couper court aux stratégies fiscales d’évitement mises en œuvre par les grands groupes anglo-saxons, qui n’hésitent pas à déplacer leurs produits taxables dans des pays dont les taux d’imposition sont plus faibles ou à user de montages financiers plus complexes, faisant intervenir les paradis fiscaux.

Lors de la journée d’échange organisée le 9 juin 2015 à l’UNESCO en préalable à la 5e Conférence des Parties, M. Guillaume Prieur, représentant de la Coalition française pour la diversité culturelle, a plaidé pour une régulation européenne des géants du web. Prenant l’exemple de la société Netflix, il a expliqué que celle-ci s’est établie aux Pays-Bas non seulement pour des raisons fiscales mais également pour pouvoir bénéficier de la règle actuelle dite « du pays d’établissement » et diffuser ses contenus dans l’ensemble de l’Europe dans le cadre des obligations – relativement légères – fixées par le droit néerlandais. Ainsi, Netflix n’a pas besoin, y compris vis-à-vis des consommateurs français, de réserver un taux minimal des œuvres de son catalogue pour des œuvres françaises et européennes, ce qu’il aurait dû faire si la société s’était établie en France ou si était appliqué le principe dit « du pays de destination ».

Cet exemple plaide effectivement pour un changement du droit applicable à l’échelle de l’Union européenne afin de passer, comme le demande le gouvernement français, et tout particulièrement Mme Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, du principe du « pays d’établissement » à celui du « pays de destination ».

b. Soutenir la présence des acteurs culturels locaux sur les réseaux

Il est incontestable qu’internet facilite l’entrée de petits acteurs, du fait des coûts moins élevés et de l’accès à un marché plus grand. C’est encore plus vrai sur les marchés de niches très ciblés, que ce soit pour le livre, le cinéma ou la vidéo.

Ainsi lors de la journée d’échange organisée le 9 juin 2015 à l’UNESCO en préalable à la 5e Conférence des Parties, M. Octavio Kulesz, éditeur numérique argentin, auteur du document d’analyse précité de l’UNESCO sur les enjeux et les tendances numériques, a expliqué qu’internet lui a donné accès de manière inédite à tout le marché du livre sud-américain, dopant sa capacité de distribution internationale tout en limitant les coûts. Il reste toutefois conscient des limites qui s’imposent à lui : se positionner sur internet suppose des efforts préalables en recherche et développement, et une capacité à maintenir son projet dans la durée, que les petites entreprises ne sont pas, la plupart du temps, en mesure de réaliser seules. Il est le plus souvent nécessaire de susciter des initiatives communes pour mutualiser les coûts.

Chaque pays doit donc chercher à construire un écosystème numérique viable à long terme, permettant aux grands, moyens et petits acteurs locaux de coexister durablement. Les rapports périodiques remis par les États parties au secrétariat de la Convention citent un grand nombre de mesures destinées à adapter leurs politiques culturelles et à soutenir leurs industries créatives.

De nombreuses actions sont tout d’abord destinées à favoriser l’accès à la culture dans l’ère numérique, avec des mesures concernant la modernisation des infrastructures de communication notamment en zones rurales (Argentine, Chine, Royaume-Uni, Vietnam) la fourniture d’équipements comme les ordinateurs (Argentine, Arménie), l’intégration des outils numériques à l’école et dans les institutions culturelles publiques – musées, bibliothèques, centres culturels (Brésil, Bulgarie, Égypte, Estonie, Guatemala, Lituanie, Pérou, Roumanie) et, dans quasiment tous les pays, la numérisation du patrimoine national littéraire, cinématographique, musical, théâtral, etc. et sa publication en ligne.

Il s’agit également de soutenir la numérisation et la modernisation de secteurs culturels comme l’édition (au Canada, en Côte d’Ivoire, en Uruguay), le cinéma (en Allemagne, en Autriche, aux États-Unis, au Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Suède), l’audiovisuel (Nouvelle-Zélande, Uruguay, Argentine, Chine, Danemark), la musique ou encore les jeux vidéo et la presse écrite.

Enfin, les Parties mentionnent de nouvelles réglementations introduites suite à l’avènement du nouvel environnement technologique, tout particulièrement pour adapter le cadre de fonctionnement des médias (au Monténégro, au Pérou ou encore en Slovaquie et en Norvège).

Le plan culturel numérique adopté par le Québec en 2010 illustre bien cette recherche d’une adaptation globale du secteur culturel à la révolution numérique :

Le Plan culturel numérique du Québec

Le ministère de la Culture et des Communications (MCC) du Québec a entamé, en 2010, un vaste processus de consultations afin de déterminer les actions à entreprendre dans le domaine culturel pour amorcer le virage numérique au Québec.

Ces travaux de consultation ont permis au MCC d’élaborer le Plan culturel numérique du Québec. Préparé en collaboration avec son réseau d’organismes et de sociétés d’État et les acteurs du milieu culturel et de la communication, le Plan est destiné à assurer la vitalité de la culture québécoise et la faire rayonner sur les marchés locaux, nationaux et internationaux. Il permettra d’aider les milieux culturels à effectuer une transition harmonieuse vers l’univers numérique afin que le Québec puisse continuer à compter sur cet apport important pour son économie et demeurer concurrentiel sur les marchés mondiaux.

Le Plan culturel numérique du Québec s’organise autour de trois grands axes :

- créer des contenus culturels numériques,

- innover pour s’adapter à la culture numérique,

- et diffuser des contenus culturels numériques afin d’assurer leur accessibilité.

Le déploiement du plan a été confirmé lors d’une annonce au budget du 4 juin 2014. Un total de 110 millions de dollars canadiens, répartis sur 7 ans, est prévu pour sa mise en œuvre.

Un site dédié répertorie plus de 50 mesures concrètes élaborées pour les années 2014-2015 et 2015-2016 (http://culturenumerique.mcc.gouv.qc.ca/), qui mobilisent un investissement de 36 millions de dollars canadiens. Tous les secteurs culturels sont concernés, des arts de la scène aux musées, en passant par le cinéma, les métiers d’art, la musique, l’éducation culturelle ou encore les droits d’auteur.

Mme Hélène David, ministre de la Culture, de la Communication et de la Protection et de la promotion de la langue française du Québec a également expliqué aux membres de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale française, qu’elle a rencontrés le 27 mai 2015, que le récent plan d’action du Québec pour le livre est notamment marqué par le souci de promouvoir la lecture d’ouvrages francophones à travers des aides financières, un soutien aux petits libraires et aux plateformes internet dédiées, tel le site www.leslibraires.ca.

c. Défendre les droits des auteurs

La garantie d’un système équitable de rémunération des auteurs dans l’environnement numérique est un élément crucial pour préserver la diversité des expressions culturelles et valoriser le potentiel de développement des industries créatives et culturelles.

Cette question est particulièrement sensible actuellement au sein de l’Union européenne, d’aucuns considérant que la mise en place du marché unique numérique souhaité par le Commission ne pourra se faire sans remettre en cause le système actuel de rémunération des auteurs et créateurs pour la « consommation » de leurs œuvres.

Plusieurs États membres – dont la France, mais également l’Allemagne, l’Italie, la Pologne – se sont en conséquence mobilisés ces derniers mois pour défendre, à travers un système équilibré de rémunération des droits des auteurs, une vision de l’Europe qui ne soit pas exclusivement économique et monétaire, mais également créative, culturelle et humaniste.

La réunion de travail organisée le 3 juin 2015 à l’Assemblée nationale entre la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation et une délégation de la commission de la Culture et des Médias du Bundestag, composée de sept députés appartenant aux différents groupes politiques du Bundestag, a récemment permis un échange dense et fructueux sur cette question, en présence de Mme Catherine Trautmann, ancienne ministre française de la culture et actuelle co-présidente du Haut Conseil franco-allemand pour la culture, et de Mme Doris Pack, ancienne présidente de la commission pour la culture, la jeunesse, l’éducation, les médias et le sport du Parlement européen, et actuelle co-secrétaire générale du Haut Conseil (45).

En écho aux débats animant les différentes instances de l’Union européenne – Commission, Parlement, Conseil – il semblait en effet important que le rôle joué par les droits d’auteur comme fondement de l’activité de création en Europe et comme stimulant de la diversité culturelle soit réaffirmé par les parlementaires français et allemands.

À l’issue de cette séquence commune de travail et en résumé des échanges entre les deux commissions, les présidents des deux commissions, M. Siegmund Ehrmann et votre rapporteur, ont tenu à souligner :

– que le système européen des droits d’auteur peut s’adapter aux évolutions technologiques en demeurant un dispositif intelligent et équilibré, essentiel pour la préservation de la diversité culturelle en Europe, et donc pour le dynamisme et le développement futur de l’Union ;

– que la multiplication des supports et des usages culturels qu’autorise la révolution numérique ne doit se faire ni au détriment des créateurs, qui ont droit à une protection et une juste rémunération pour leurs œuvres, ni au détriment des utilisateurs finaux, qui doivent bénéficier du meilleur accès possible à toutes les œuvres disponibles ;

– et que les industries créatives et culturelles, qui emploient des millions de citoyens européens et recèlent un potentiel de croissance considérable, sont prêtes à s’adapter aux défis posés par la révolution numérique, pour peu qu’un cadre légal équitable garantisse un exercice équilibré de la concurrence et la possibilité pour tous les acteurs, quels que soient leur taille et leur modèle économique, de se développer de façon harmonieuse.

Les plus récentes déclarations de M. Günther Oettinger, Commissaire européen en charge de l’économie et de la société numérique, semblent aller dans ce sens puisque le 17 mai 2015, lors d’un point presse en compagnie de cinéastes européens organisé à l’occasion du festival de Cannes, il a salué la nouvelle génération de réalisateurs européens en précisant que « c’est pour eux que nous voulons construire un cadre européen qui soutient les auteurs, rend l’art accessible au public et place la diversité culturelle au cœur de l’ère numérique ». Quelques jours auparavant, il avait affirmé au journal Le Monde que « la diversité culturelle est et restera une valeur fondamentale et un des plus grands atouts de l’Union européenne », en soulignant la nécessité de l’adapter aux nouvelles opportunités offertes par la technologie (46).

L’Union européenne figurant parmi les premiers signataires de la Convention UNESCO de 2005, il serait pour le moins paradoxal qu’elle développe une autre politique que celle qui vient d’être décrite.

La vigilance restera néanmoins de mise dans les prochains mois, afin que l’Europe choisisse effectivement de construire le marché unique du numérique dont elle a besoin sans pour autant remettre en cause un des principes qui garantit aujourd’hui l’originalité, la diversité et le dynamisme de sa culture et de ses industries culturelles : la rémunération équitable et équilibrée des auteurs et des créateurs.

3. Imposer les principes de la Convention dans les négociations commerciales internationales

Les articles 20 et 21 de la Convention font obligation aux États parties, comme cela a été exposé plus haut, de défendre la diversité des expressions culturelles dans les négociations et les autres instances internationales. Les États ont notamment la faculté d’invoquer une réserve aux accords commerciaux généraux ou de demander l’exclusion de la culture de la liste des engagements qu’ils prennent.

Cette possibilité, cruciale dans les négociations commerciales, n’est toutefois pas suffisamment utilisée, même si l’on peut citer en contre-exemple la Corée du Sud, qui a su récemment imposer ses vues aux États-Unis dans le cadre de négociations commerciales.

Comme l’a rappelé M. Jean Musitelli (47), le blocage actuel de l’Organisation mondiale du commerce conduit à une multiplication des accords bilatéraux ; dans ce contexte, il est essentiel de réaffirmer la légitimité d’invoquer la convention de 2005 pour exiger l’exclusion des services culturels numériques de toute négociation commerciale et de tout engagement de libéralisation.

Les États qui ne sont pas parties à la Convention tentent bien évidemment régulièrement de contourner cette obligation faite à certains de leurs partenaires, comme les États-Unis dans les négociations actuelles du traité de libre-échange avec l’Union européenne (TTIP) pour ce qui concerne les services culturels numériques (cf. supra I. B. 2.).

L’invocation de la Convention a été très utile pour obliger la précédente Commission européenne, présidée par M. José Manuel Barroso, à accepter l’exclusion des services audiovisuels de son mandat de négociation avec les États-Unis mais la vigilance demeure de mise, l’unanimité sur ce sujet étant loin d’être acquise, au sein même de la nouvelle Commission présidée par M. Jean-Claude Juncker comme entre les États membres.

CONCLUSION

« La Convention de 2005 est davantage qu’un instrument juridique, elle est l’abécédaire de la nouvelle économie créative, de nos identités plurielles, de nos sociétés diverses et connectées » ;

Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO
(38e session de la Conférence générale, 2013)

Depuis l’adoption en 2005 de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, notre monde a évolué en profondeur, bouleversé par l’explosion des technologies numériques et leur irruption dans tous les domaines de la vie humaine, dont bien entendu la culture et la création.

Conçue par ses promoteurs – dont la France, le Québec, l’Organisation internationale de la Francophonie – comme un instrument original, dynamique et constructif à la disposition des États pour légitimer leurs politiques culturelles et préserver leurs produits et services culturels de la marchandisation à outrance, elle est aujourd’hui une des conventions internationales les plus ratifiées au monde, recelant ainsi un poids et une légitimité encore trop souvent ignorés de nombre de ses signataires.

En effet, selon la jolie expression de Mme Line Beauchamp, représentante du gouvernement du Québec auprès de l’UNESCO (48), cette convention demeure « difficile à aimer »… Ou tout du moins à comprendre et à utiliser à bon escient. Et certes, il n’existe pas de liste d’inscription des « politiques culturelles remarquables » pour valoriser, aux yeux de tous, l’action des États en faveur de la diversité des expressions culturelles et, bien souvent, la densité des engagements souscrits par sa signature est plus intimidante qu’encourageante.

Pour autant, à l’heure de son dixième anniversaire, dans le contexte de révolution numérique qui impacte globalement et massivement les activités créatives et culturelles dans le monde, la Convention UNESCO de 2005 est plus utile que jamais. Sa neutralité technologique et son insertion dans l’ordre juridique international et européen en font même un outil particulièrement précieux et efficace pour préserver et valoriser la diversité des expressions culturelles, ferment de vitalité et de développement pour l’ensemble des pays, au Nord comme au Sud.

Grâce aux futures directives opérationnelles sur l’application de la Convention à l’ère numérique, celle-ci va acquérir une nouvelle visibilité et renforcer sa légitimité pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles face aux nouvelles pratiques économiques et sociales à l’œuvre dans notre monde globalisé.

La démarche est enthousiasmante, car les potentialités du numérique pour le développement de la création et de l’innovation artistiques, la diffusion des expressions culturelles, la démocratisation de l’accès à la culture et le renforcement des échanges entre identités et expressions culturelles, sont remarquables.

Il existe bien sûr des défis à affronter, au Nord comme au Sud, mais la Convention constitue le bon outil pour les relever, ensemble, et travailler ainsi, dans l’intérêt de tous, à faire du monde numérique qui est désormais le nôtre un espace où chacun, de façon libre et éclairée, pourra plus aisément aller à la rencontre de la culture de l’autre.

Alors, bon anniversaire et longue vie à la convention UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles !

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission procède à l’examen du rapport d’information de M. Patrick Bloche en conclusion des travaux de la mission d’information sur les dix ans de la convention UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles lors de sa séance du mercredi 24 juin 2015.

M. le président Patrick Bloche, rapporteur. Nous examinons ce matin le rapport d’information sur les dix ans de la convention de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) relative à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles dont vous m’avez confié la rédaction en avril dernier. Ce rapport permettra à notre Commission de mettre en valeur un instrument juridique international essentiel, bien qu’insuffisamment connu, pour le droit des États à construire des politiques culturelles propres et pour la préservation de la diversité culturelle dans le monde. Cela devrait également nous permettre de débattre de la question fort actuelle de l’avenir de la diversité culturelle dans notre monde numérique globalisé – question dont la dimension européenne est très prégnante.

L’engagement de l’UNESCO pour la promotion de la diversité culturelle s’inscrit dans son mandat institutionnel au sein du système des Nations unies, puisque l’une des missions de cette organisation est d’« assurer la préservation et la promotion de la féconde diversité des cultures ». Dans les années 1990, l’accélération du processus de mondialisation a fait émerger de nouveaux enjeux pour la diversité culturelle, auxquels la communauté internationale s’est efforcée de répondre en évoluant d’une position strictement défensive vers une démarche plus ouverte et coopérative.

La notion d’exception culturelle a ainsi fait son apparition à l’époque de l’Uruguay Round et de l’échec, à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la négociation sur l’accord multilatéral sur les investissements (AMI). La marchandisation de la culture, l’appauvrissement des contenus et le creusement des inégalités Nord-Sud ont alors été identifiés comme autant de risques dont il fallait se prémunir. Le concept d’exception culturelle était donc avant tout défensif face à l’hégémonie des marchés.

L’adoption par l’UNESCO, en novembre 2001, de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, marque une première évolution dans cette conception. La France, soutenue par le Québec et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), a beaucoup œuvré pour obtenir l’adoption de ce premier texte, certes non normatif, mais qui consacre la diversité culturelle – terme inventé par nos amis québécois – comme un élément du patrimoine commun de l’humanité. Abandonnant une démarche strictement défensive, cette déclaration invite les États membres de l’UNESCO à engager une réflexion sur les instruments juridiques à mettre en œuvre pour assurer la promotion de la diversité culturelle.

C’est ainsi qu’a été élaborée, sous l’impulsion de la France et des pays francophones, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Adoptée le 20 octobre 2005 à la quasi-unanimité des États membres de l’UNESCO – seuls les États-Unis et Israël ont voté contre – et entrée en vigueur en France le 18 mars 2007, cette convention est le premier instrument juridique international à consacrer la double nature, à la fois économique et culturelle, des biens et services culturels. Partant de ce constat, la Convention énonce trois grands principes : la liberté pour chaque État souverain d’adopter des politiques publiques nationales en faveur de la culture ; la nécessité de mener des politiques de coopération et de solidarité internationales en matière culturelle avec les pays en développement ; enfin, une articulation avec l’ordre juridique international affirmant la légitimité de la diversité culturelle face au droit du commerce.

Pour soutenir l’application de ces principes et appuyer les projets favorisant l’émergence d’un secteur culturel dynamique dans les pays en développement, la Convention a créé un Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC). Opérationnel depuis 2010, ce fonds a récolté au total environ 4,6 millions d’euros sous forme de contributions volontaires des États parties.

À ce jour, 138 États, sur les 195 membres de l’UNESCO, ont ratifié la Convention. Parmi les États non signataires, figurent notamment les États-Unis, la Russie, le Japon, Israël et la Turquie. L’Union européenne y a quant à elle adhéré dès décembre 2006, ce qui est très important puisque la Convention fait en conséquence partie de l’ordre juridique européen et que l’Union peut l’invoquer dans ses négociations commerciales internationales.

La Convention dispose d’un autre atout : sa neutralité technologique. Son champ d’application n’étant jamais déterminé en référence à des supports mais uniquement en fonction des contenus des œuvres créées, produites ou diffusées, elle s’applique de fait aux produits et services culturels numériques. Dans le contexte actuel, c’est là un élément essentiel pour la légitimité et l’efficacité du texte.

Comme je l’ai évoqué précédemment, la France a été particulièrement active dans l’adoption de la Convention et, depuis 2007, dans sa mise en application. Elle est notamment l’un des premiers donateurs du FIDC, avec 1,2 million d’euros versés depuis la création du Fonds. Il est donc essentiel de réaffirmer la priorité que notre pays accorde à ces questions à l’occasion de la célébration des dix ans de la Convention.

Le Québec, la Belgique et l’OIF sont d’ores et déjà mobilisés pour cet anniversaire mais, du côté français, si plusieurs colloques et rencontres ont été programmés, aucun événement majeur n’est prévu pour célébrer les dix ans de la Convention. Il me paraît donc nécessaire que la prochaine Conférence générale de l’UNESCO, au début du mois de novembre, permette à la France de témoigner solennellement, à l’occasion du dixième anniversaire de la Convention et des soixante-dix ans de l’UNESCO, de l’importance que revêtent pour notre pays les questions de diversité culturelle.

Mon rapport détaille dans une deuxième partie l’impact de la Convention de l’UNESCO de 2005 sur les politiques culturelles et la promotion de la diversité culturelle dans le monde, ainsi que sa contribution au développement durable des pays du Sud.

Si un bilan général est aujourd’hui complexe à réaliser en raison du manque de données globales, les synthèses annuelles établies par le secrétariat de l’UNESCO permettent de mettre en valeur les bonnes pratiques des différents États parties et d’identifier les difficultés d’application de la Convention. Concernant les politiques nationales, il semble que les États aient privilégié l’action en faveur de la création artistique à travers la mise en place d’un environnement favorable à la création, comprenant des aides ciblées à destination de certains artistes ou secteurs créatifs, mais aussi de législations favorables au statut de l’artiste, aux droits d’auteur et aux industries culturelles. En matière de coopération internationale, les programmes bilatéraux Nord-Sud constituent un outil majeur mais l’on peut relever, parallèlement à l’action publique, une implication croissante des acteurs de la création à travers des réseaux internationaux d’artistes et de professionnels de la culture.

Les difficultés rencontrées pour la mise en œuvre de la Convention sont essentiellement structurelles. L’insuffisance de financement est mentionnée par la quasi-totalité des États parties – les dotations apportées par le FIDC étant très limitées en raison du caractère volontaire des contributions –, mais le manque de connaissance, de la part des autorités publiques comme de la société civile, des questions entourant la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, est également considéré comme criant.

Enfin, la dernière partie de mon rapport est consacrée à la question plus spécifique de la diversité des expressions culturelles à l’ère numérique.

Pour la démocratisation de l’accès à la culture et l’émergence de nouveaux champs créatifs, les technologiques numériques représentent des chances remarquables, mais elles sont également lourdes de défis, telles la fragilisation des créateurs locaux face aux cultures dominantes et l’uniformisation potentielle d’une culture mondialisée. Une réflexion sur cet enjeu doit donc être menée au sein de l’UNESCO, et la Convention de 2005, avec ses 139 signataires, est l’outil le mieux à même de soutenir cette mobilisation. Comme je l’ai dit, les mutations technologiques ne remettent en cause ni les principes fondateurs, ni les applications concrètes de la Convention ; elles offrent au contraire l’occasion de confirmer son utilité et l’opportunité d’enrichir son contenu par l’utilisation de nouveaux outils, pour peu que ses dispositions soient utilisées à bon escient et que ses modalités d’application soient ajustées au nouvel environnement numérique.

Depuis deux ans maintenant, la France s’est attachée à sensibiliser les États parties à la Convention, avec un certain nombre de partenaires historiques
– comme le Canada, notamment la représentation québécoise, et la Belgique – sur les enjeux liés à l’application de la Convention dans l’environnement numérique. Ces efforts ont fini par porter leurs fruits puisque la cinquième Conférence des parties, qui s’est tenue du 10 au 12 juin 2015, a finalement adopté la proposition, portée par la France et ses partenaires québécois, de préparer un projet de « directives opérationnelles transversales » consacré à l’impact du numérique sur la diversité des expressions culturelles. Ces directives consistent en des circulaires destinées à préciser les dispositions d’une convention et à orienter sa mise en
œuvre.

Il s’agira en particulier de réaffirmer la neutralité technologique de la Convention – en rappelant que les biens et services culturels ont une valeur intrinsèque, indépendante des modalités techniques de leur production et de leur diffusion – et de rappeler que les États ont la capacité d’accompagner les écosystèmes numériques par des politiques publiques afin d’encourager la diversité de l’offre artistique et culturelle ainsi que d’en renforcer l’accessibilité. Les défis liés à la rémunération équitable des artistes et créateurs à l’ère numérique, y compris par le droit d’auteur, devront également faire l’objet d’un traitement spécifique.

Il convient donc désormais de travailler sur cette base afin de donner une nouvelle visibilité à la Convention de 2005 et de renforcer sa légitimité sur les questions numériques, tant au niveau des États souverains qu’au sein de l’Union européenne et des négociations internationales. J’ai notamment à l’esprit le futur Traité transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique. Nous nous sommes en effet mobilisés il y a moins de deux ans afin que la culture audiovisuelle soit exclue du mandat de négociation de la Commission européenne.

Comme l’a souligné la ministre de la Culture et de la communication dans un communiqué de presse saluant la décision de la Conférence des parties, nous avons là l’occasion de « faire du numérique une chance pour tous, pays développés et pays en développement », et de « définir nos objectifs et nos outils pour la diversité culturelle dans le siècle connecté qui est le nôtre ». Saisissons-nous de cette occasion et travaillons, tous ensemble, pays du Nord et du Sud, à faire du monde numérique qui est désormais le nôtre un espace où chacun, de façon libre et éclairée, puisse plus aisément aller à la rencontre de la culture de l’autre !

M. Christophe Premat. Nous fêtons cette année les dix ans de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, traité adopté puis ratifié par la plupart des États membres de la communauté internationale grâce à l’UNESCO dont le rapport rappelle la légitimité politique et l’expertise inégalée sur ces sujets. Cette année 2015 est une grande année pour l’UNESCO et tout ce que l’agence onusienne peut représenter puisque cette dernière célébrera ses soixante-dix printemps. Nous sommes donc fiers que notre commission des Affaires culturelles et de l’Éducation consacre à cette institution indispensable – et pourtant en péril faute de financements suffisants – un rapport spécifique afin de nous rappeler les besoins de construire des normes internationales ambitieuses pour la protection de la culture.

La Convention de l’UNESCO, en consacrant la double nature culturelle et économique des biens et services culturels et la spécificité de ces derniers pour affirmer le droit souverain des États d’élaborer des politiques culturelles, est aujourd’hui encore un point d’ancrage très important pour la défense d’une certaine exception culturelle, notamment dans le Traité transatlantique en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis. Vous rappelez dans votre rapport, monsieur le président, que l’intégration de la Convention dans l’ordre juridique européen permet la protection de la diversité culturelle dans les négociations commerciales internationales qu’elle conduit. C’est ainsi que le mandat de négociation confié à la Commission européenne par le Conseil européen a exclu l’audiovisuel du champ des négociations, comme le souhaitaient la France et le Parlement européen. Comme vous l’avez également souligné, il est indispensable de faire preuve d’une vigilance toute particulière quant à la définition des services culturels numériques, qui pourrait offrir l’occasion à certains de ses détracteurs de relancer les débats sur l’exception culturelle.

Trop souvent, nous nous gargarisons d’une exception culturelle française qui nous différencierait de nos autres partenaires. Celle-ci est pourtant défendue par la Convention de l’UNESCO, elle-même ratifiée par plus de 138 États à ce jour. C’est la preuve que, lorsque la France s’implique dans une négociation, qu’elle noue des partenariats fructueux avec ses alliés, elle est écoutée dans le monde et peut ainsi concilier ses propres intérêts avec ceux de l’ensemble de la communauté internationale.

La Convention pose deux grands principes chers à notre patrimoine culturel.

Le premier consiste en la reconnaissance du droit pour les États souverains de soutenir la culture et la création par des dispositifs nationaux de régulation et de financement. L’article 6 affirme ainsi le droit pour les États parties d’adopter des mesures destinées à protéger et à promouvoir la diversité des expressions culturelles au sein de leur territoire.

Le second réside dans l’affirmation de politiques de coopération et de solidarité internationales en matière culturelle avec les pays en développement. Deux outils sont prévus pour soutenir cette solidarité internationale en matière culturelle : l’établissement d’un Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC), prévu à l’article 18, et la mise en place, à l’article 16, d’un dispositif de traitement préférentiel qui fait obligation aux pays développés de faciliter les échanges culturels avec les pays en développement. Cet article invite ainsi à tempérer la stricte application des règles de libre échange en favorisant certaines parties plus vulnérables que d’autres, en encourageant des dispositifs dérogatoires au principe de non-discrimination. La convention esquisse une forme de juste échange dans la coopération entre le Nord et le Sud et devrait servir de modèle à de nombreux autres accords commerciaux.

C’est sur ces deux grands principes que s’appuie la diversité culturelle, en permettant à tous les pays de contrôler leur production culturelle et d’éviter ainsi que ces biens soient livrés aux seules forces du marché. Sans reprendre les analyses des philosophes de l’école de Francfort sur la culture de masse, notamment celles de Theodor Adorno qui évoque « l’esprit qui ne peut survivre lorsqu’il est défini comme un bien culturel et destiné à des fins de consommation », le préambule de la Convention rappelle néanmoins que « les activités, bien et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale ».

Monsieur le président, vous avez brillamment rappelé comment la France et les pays francophones, le Canada français en tête, ont été les principaux artisans de cet accord construit autour de la notion d’exception culturelle dès les années 1990. Nous pouvons ainsi fièrement constater que les pays francophones ont su défendre une même position dans le cadre de cette Convention, qui doit servir d’exemple dans la construction d’une francophonie ambitieuse. Pour cela, il me paraît utile que la France renforce le FIDC avec les autres pays francophones du Nord afin de soutenir la création artistique des pays de l’espace francophone.

Pour toutes ces raisons, nous nous devons d’être les ardents défenseurs de cette convention et, plus généralement, de l’UNESCO elle-même car, en France comme en dehors de nos frontières, l’année 2015 sera une année capitale pour l’avenir de la diversité culturelle. Dès la rentrée, nous aurons en effet à examiner le projet de loi du quinquennat dédié à la culture dans un contexte ambivalent. D’un côté nous célébrons les dix ans de cette Convention fondatrice ainsi que les soixante-dix ans de l’institution qui en a permis l’adoption. De l’autre, nous devons faire face à de sérieux défis : le principe de diversité culturelle nous contraint à rester vigilants à l’égard du projet de directive européenne sur le marché unique numérique, qui pourrait consister à briser les barrières nationales en matière de réglementation du droit d’auteur et de la protection des données dans un sens qui ne serait pas favorable à cette diversité.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, républicain et citoyen émet un avis très favorable à la publication de ce rapport.

M. Michel Herbillon. Je vous félicite, monsieur le président, d’avoir établi au nom de notre Commission le bilan décennal d’une Convention que nous sommes nombreux à avoir soutenue en son temps. Nous souscrivons à votre souhait d’apporter une nouvelle dynamique et davantage de visibilité à ce texte. Vous avez eu raison de rappeler l’aspect fondateur de la Convention, le rôle essentiel de la France dans son adoption et qu’elle a été largement ratifiée par 138 pays, à l’exception regrettable de quelques-uns. S’il est toujours difficile de dresser un bilan, l’examen des bonnes pratiques que vous nous avez présenté dans votre rapport permet d’évaluer concrètement l’application du traité dans différents pays. Enfin, vous avez également eu raison d’indiquer que cette convention pourrait être un instrument de gouvernance de la culture à l’ère numérique.

Bien entendu, l’application concrète de cette convention doit encore être améliorée. Il ressort notamment du bilan que vous avez établi un manque de moyens financiers et humains pour la culture – tant à l’UNESCO que dans nombre de ses États membres. D’ailleurs, le contexte de crise économique et la situation politique difficile pour plusieurs pays n’arrangent pas les choses : les gouvernements ont parfois tendance à réduire l’effort en faveur de la culture
– secteur trop souvent considéré comme non prioritaire et traité comme une variable d’ajustement dans les phases de difficultés économiques. La baisse du budget français de la culture au début du quinquennat est en l’illustration – erreur finalement reconnue par le Premier ministre lui-même.

Les futures directives opérationnelles en préparation, relatives à l’application de la Convention à l’ère numérique permettront de renforcer la lisibilité de celle-ci et, partant, son efficacité.

Certaines de vos propositions méritent particulièrement que l’on s’y arrête. Tout d’abord, la régulation des géants du web est un enjeu stratégique pour préserver la diversité des contenus, et l’harmonisation des fiscalités du numérique à l’échelle européenne pour lutter contre la concurrence déloyale en ce domaine doit être la priorité. Quelles orientations et quelles mesures préconiser à cet effet ? Comment, d’autre part, s’appuyer sur le développement du numérique pour favoriser la culture et la diversité culturelle dans les pays du Sud lorsque, dans bon nombre d’entre eux, ce sont d’abord des enjeux économiques, sociaux, sanitaires et de développement – la satisfaction de besoins essentiels – qui priment ? Enfin, monsieur le président, vous avez axé une partie de votre rapport sur le contenu numérique des prochaines directives opérationnelles, soulignant qu’il nous faudrait rester vigilants à cet égard. Compte tenu de votre large espace d’analyse, quelles autres directives devraient, selon vous, être adoptées afin de renforcer la Convention de 2005 et de rendre son application plus concrète ?

Le groupe Les Républicains apporte son soutien à la publication du rapport.

Mme Isabelle Attard. Dans le rapport qu’il nous présente aujourd’hui, le président Patrick Bloche établit un état des lieux des premières années d’application de la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles pour se concentrer ensuite sur le numérique en tant que nouvel enjeu pour la diversité culturelle. Il commence par rappeler que la Convention est « le premier instrument international à avoir reconnu la double nature, à la fois économique et culturelle, des biens et services culturels, qui sont au cœur des économies créatives dans le monde » et que « les activités, biens et services culturels ont une double nature parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale ». Le groupe Écologiste souscrit entièrement aux conclusions du rapporteur, notamment quant à l’état inquiétant des financements dédiés à l’application de la Convention.

Monsieur le président, vous présentez l’écosystème numérique comme étant porteur d’enrichissements, mais aussi de dangers potentiels. Comme vous le savez, j’estime que la licence globale est une solution identique à celles qui ont été mises en œuvre face au développement de la radio, de la télévision, des cassettes audio puis vidéo. Que pensez-vous de la possibilité de mettre en place une telle licence globale afin que l’activité croissante du secteur numérique soit enfin source de financement pour les créateurs, notamment ceux qui ne peuvent pas aujourd’hui vivre décemment de leur art ?

Enfin, nous avions évoqué, lors de la présentation du rapport d’information relatif à la gestion des réserves et des dépôts des musées, élaboré conjointement avec Marcel Rogemont, Michel Herbillon et Michel Piron, la position des Américains en matière d’œuvres spoliées. Il y a soixante et onze ans, ceux-ci ont débarqué sur nos côtes normandes pour nous rapporter, grâce aux fameux Monuments Men, les œuvres de notre culture pillées par les nazis. C’est grâce à eux que nous pouvons aujourd’hui nous vanter d’avoir en notre possession notre patrimoine. Or, avec le futur traite de libre-échange et les autres accords en discussion, c’est l’inverse qui risque de se produire, et je trouve regrettable qu’à soixante-dix ans d’intervalle le même pays adopte deux positions aussi contradictoires.

M. Laurent Degallaix. Alors que nous célébrons cette année les dix ans de la signature de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles et le soixante-dixième anniversaire de l’UNESCO, notre Commission a pris l’initiative de faire le point sur la diversité culturelle dans le monde et les actions menées en faveur de sa défense, dans le cadre d’une mission d’information. Cette Convention constitue le premier instrument juridique international reconnaissant la spécificité de ces biens et services dans leur double dimension – économique et culturelle – et affirmant le droit souverain des États d’élaborer des politiques culturelles.

Je salue la qualité du travail effectué par notre président, aujourd’hui rapporteur, qui s’est employé à démontrer l’impact de cette Convention sur la promotion de la diversité culturelle dans le monde, sa contribution au développement durable des pays du Sud, ainsi qu’à rappeler le rôle joué par la France pour l’adoption, puis l’application de la Convention depuis son entrée en vigueur. Ce travail est d’autant plus utile que les bouleversements géopolitiques et les révolutions technologiques que nous connaissons nous conduisent sans cesse à repenser la diversité culturelle.

Selon notre rapporteur, le manque de ressources humaines et financières est l’obstacle principal à la mise en œuvre de la Convention. Le nombre de projets financés par le FIDC s’est ainsi réduit entre 2010 et 2014. La sélection drastique des projets est parfois vécue comme injuste par les pays du Sud. Dès lors, comment favoriser les contributions financières, notamment d’origine privée ? Le crowdfunding vous semble-t-il constituer une solution pertinente pour drainer des contributions complémentaires ?

Si le numérique constitue une formidable chance pour la démocratisation de la culture, il représente également pour les cultures locales une menace d’hégémonie de la part d’une culture uniforme et mondialisée. Ne conviendrait-il pas de réinventer les mécanismes traditionnels de financement de la création et du renouvellement des talents qui risquent un assèchement du fait des nouveaux mécanismes de « consommation » culturelle sur la Toile ? Quelles pistes préconisez-vous en la matière ?

Enfin, alors que 138 États ont à ce jour ratifié la Convention, il est regrettable que les États-Unis n’en soient toujours pas signataires. La France plaide-t-elle auprès de ce dernier pays pour la valorisation de la diversité des expressions culturelles en tant que source potentielle de développement ?

Le groupe Union des démocrates et indépendants salue le travail réalisé et soutient le rapport avec enthousiasme.

Mme Gilda Hobert. Le rapport d’information que le président Patrick Bloche nous présente ce matin a, entre autres, le mérite de dresser un bilan d’étape, dix ans après la signature de la Convention de 2005, et ainsi de rappeler l’importance de mener une politique culturelle mondiale qui soit ouverte et volontariste. En effet, si comme le président-rapporteur le montre bien, il est aujourd’hui difficile de dresser un bilan précis des effets de la signature de cette convention, ce texte n’en a pas moins permis de développer la culture grâce à des soutiens nationaux de plus en plus importants et à une aide apportée par le FIDC à près de soixante-dix-huit projets concrets dans quarante-huit pays depuis sa mise en application. La France, engagée dès la première heure, et épaulée par des pays francophones tels que la Belgique ou le Canada, a joué avec eux un rôle prédominant dans la protection de la diversité culturelle des États grâce à cette Convention, ainsi que dans la promotion de la culture sur la scène internationale. Cela se traduit par l’investissement financier important que notre pays consent au sein du FIDC, ce dont nous pouvons nous réjouir. Je rejoins votre souhait, monsieur le rapporteur, que la France célèbre solennellement le dixième anniversaire de la Convention.

Je souhaiterais souligner un point particulier de ce rapport, qui est contenu dans l’acte constitutif de l’UNESCO, où il est notamment précisé que parmi ses missions figure celle d’« assurer la préservation et la promotion de la féconde diversité des cultures ». Il s’agit là d’un principe fondamental et universel, s’agissant tant de l’essence de ces identités diverses que de leur représentation formelle. Cette pratique d’écoute attentive et de proposition nous éloigne de certains clichés. Désormais, grâce à la Convention de l’UNESCO, nous pouvons, sans prétendre tout savoir sur telle ou telle culture, en découvrir des aspects jusque-là méconnus – je pense notamment aux cultures africaines…

Si la Convention de 2005 rassemble 138 États, nous regrettons que des puissances comme les États-Unis n’en soient toujours pas signataires. Compte tenu de la négociation en cours du partenariat transatlantique, quelles garanties pouvons-nous avoir que les objectifs de cette Convention seront préservés ? Notre Commission devra veiller à ce que ce texte décennal ne perde pas de sa portée de ce fait.

Dans son bilan d’étape, notre rapporteur pointe également du doigt les profondes transformations qu’a subies le domaine culturel en dix ans, tant du point de vue des pratiques que de la consommation, à l’heure du tout numérique. Nous devons aujourd’hui être en mesure d’apporter des solutions et nous adapter à ces transformations qui, loin d’être toujours gage de diversité culturelle, pourraient échapper aux États. Convenons cependant que le numérique peut offrir de formidables opportunités en permettant une démocratisation culturelle dont le crowdfunding est un bel exemple.

Déplorant que les droits d’auteur soient mis à rude épreuve, je suis satisfaite qu’une vision européenne soit en cours de définition à ce sujet. Monsieur le rapporteur, avez-vous recueilli au cours de vos auditions des propositions concrètes de mesures à adopter afin que les États puissent défendre un système équilibré de rémunération à travers le droit d’auteur ?

Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste émet bien évidemment un avis très favorable à la publication de ce rapport d’information.

Mme Sophie Dessus. Même si les plus incrédules survolant cette Convention arborent un sourire des plus diaboliques, n’y voyant que vœux pieux, vous aurez le soutien, monsieur le président, des sages et des braves qui savent combien cette convention est nécessaire pour préserver la liberté de créer.

Même si les plus sceptiques vous traitent de Don Quichotte du numérique et ne perçoivent dans votre credo qu’une histoire de moulins à vent, vous aurez le soutien, monsieur le président, des romanciers et des poètes à qui vous répétez, sans jamais vous lasser, que la quête de l’inaccessible étoile n’est qu’affaire de constance, de partage et d’émoi.

Même s’il y a des fous furieux de par ce vaste monde qui, plutôt que de faire de cette convention leur livre de chevet, tirent à la kalachnikov sur ceux qui brandissent des crayons, vous aurez le soutien, monsieur le président, de tous les camarades qui sortiront de l’ombre pour résister à la folie des hommes.

Même si Google, Apple, Facebook ou Amazon ramènent votre combat à quelques coups d’épée dans l’eau, vous aurez le soutien, monsieur le rapporteur, de Taylor Swift, la petite frondeuse qui n’a pas hésité à rabattre les prétentions de ces géants en empruntant leurs propres armes.

Même si certains jours, la marchandisation et l’appât du gain à tout crin vous font douter de tout et craindre l’anéantissement du pot de terre face au pot de fer, vous aurez le soutien, monsieur le président, du biblique David pour braver les lois du marché et vaincre Goliath.

Alors, monsieur le président, avec, à vos côtés, pour armer votre bras, toutes ces bonnes fées penchées sur ce texte dont nous célébrons les dix ans, vous saurez donner corps aux enjeux de la Convention de l’UNESCO et rendre l’hommage qu’il se doit à feu l’exception culturelle, pour que vive la diversité culturelle.

M. François de Mazières. Je salue tout d’abord le travail accompli par notre président et rapporteur, fruit d’une excellente initiative. L’un des intérêts majeurs de ce rapport réside dans sa troisième partie, relative aux enjeux de l’ère numérique. On s’y aperçoit que cette Convention peut être un moyen d’enfin introduire un coin dans ce mur que Sophie Dessus a décrit avec lyrisme.

Le rapporteur fait le constat d’une possible remise en cause de l’économie générale de la création, d’un assèchement des mécanismes traditionnels de financement du fait des nouveaux modes de consommation culturelle sur le web et de la captation de la valeur par les nouveaux opérateurs de diffusion qui optimisent leur fiscalité au détriment des États mais surtout des producteurs de contenu.

Nous partageons largement ces constats, comme en attestent les amendements que nous avons déposés dans le cadre de l’examen du projet de loi Macron. Au Sénat, Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission des affaires culturelles, a fait adopter à l’unanimité un amendement visant à soumettre les moteurs de recherche au contrôle de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) pour éviter qu’ils ne favorisent leur propre contenu d’activité. L’ARCEP dispose en effet de plus de moyens d’action que l’Autorité de la concurrence. Mais, alors même qu’il existe un consensus pour que nous nous donnions les moyens d’encadrer ces pratiques, la Commission spéciale de notre assemblée a supprimé cette disposition. Le regrettant, j’avais déposé des amendements pour la réintroduire ou, à tout le moins, en discuter avec le Gouvernement. Ayant été privé de débat du fait du recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, je souhaiterais avoir votre avis, monsieur le président et rapporteur, sur les moyens dont dispose le législateur français pour, conformément aux dispositions de la Convention de l’UNESCO, protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles face aux pratiques monopolistiques de ce qu’on appelle les GAFA – acronyme regroupant Google, Apple, Facebook et Amazon. N’oublions pas qu’un seul acteur détient aujourd’hui 92 % des parts de marché dans l’Union européenne dans le secteur des moteurs de recherche. Là réside le vrai problème de la diversité culturelle aujourd’hui. Souhaitant que l’on puisse agir concrètement dans la loi française, je regrette que nous n’ayons pu le faire lors de l’examen du projet de loi Macron.

M. Jean-Pierre Allossery. Monsieur le président et rapporteur, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour votre rapport qui nous rappelle à quel point la diversité culturelle est une précieuse richesse – par la valeur économique qu’elle crée, mais surtout pour l’humanité entière en tant que caractéristique inhérente à celle-ci. La Convention de l’UNESCO repose sur deux piliers : d’une part, la possibilité pour tous les États de subventionner la culture ; d’autre part, l’aide apportée aux pays en voie de développement pour qu’ils adoptent des politiques publiques culturelles.

Dans ce contexte, la France a su être fidèle à sa réputation, entraînant ses partenaires européens jusqu’à amener l’Union européenne en tant que telle à ratifier ce texte mais aussi par l’aide au développement qu’elle apporte avec une remarquable constance. Cependant, la France s’oublierait-elle elle-même ? Alors que la crise s’est lentement installée jusqu’à faire partie du quotidien, alors que la reprise apparaît très péniblement, de plus en plus de collectivités – onze régions sur vingt-deux, vingt-trois départements, quarante grandes villes – diminuent leur budget consacré à la culture. Si l’effet de la crise se fait sentir, il s’agit tout autant de choix politiques très inquiétants sur de trop nombreux territoires. Pour reprendre l’expression prononcée par Jack Lang le week-end dernier, la culture et sa diversité sont pourtant un remède contre la violence. Parallèlement, depuis janvier 2015, la ministre Fleur Pellerin propose un pacte culturel aux communes qui sanctuarisent leur budget culturel – pacte qui permet de pérenniser la dotation de l’État. Dès lors, est-ce pour des raisons de contraintes financières ou à la suite d’un réel choix politique que les quelque quarante grandes villes précitées ont baissé ce budget ?

Je souhaite donc remercier une fois encore notre président. Son rapport nous permet de mettre à nouveau sur la table le sujet de la diversité de l’expression culturelle et de montrer qu’il s’agit là de choix politiques qui nous engagent – et au-delà de nous, qui engagent le patrimoine commun de l’humanité.

M. Stéphane Travert. La Convention de 2005 de l’UNESCO, texte fondateur, repose sur deux grandes idées : celle que tous les États souverains ont le droit de soutenir la culture et la création par le biais de dispositifs de régulation et de financement ; l’obligation pour les pays riches d’aider les pays moins avancés à instituer des politiques publiques de soutien à la culture, à développer une production autonome de biens et services culturels et à bénéficier d’une circulation équitable de ses biens dans le cadre de partenariats internationaux équilibrés.

Comme vous l’indiquez à la page 58 de votre rapport, monsieur le président, les grands acteurs mondiaux du web usent aujourd’hui de leur position dominante dans le contrôle des flux d’échanges numériques. Ainsi, les États parties à la Convention ont perdu de leur influence dans une économie culturelle dématérialisée. Comment, dès lors, remplir la mission que se sont donnée les États signataires de la Convention ? Comme vous le préconisez, il faut faire de ce texte un instrument de gouvernance à l’ère du numérique, notamment en réaffirmant la neutralité technologique et en permettant l’entrée de tous les pays dans l’ère numérique. Comment, selon vous, la Convention de 2005 permettra-t-elle à l’avenir d’affronter les nouveaux défis de l’accès à la culture dans un monde numérique, dans les pays du Nord comme du Sud, afin de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ?

Mme Laurence Arribagé. Au même titre que mes collègues, je me réjouis que notre président ait dressé un bilan de l’application de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO, dix ans après sa ratification. Dans les 138 pays signataires à ce jour, le marché des biens et services culturels représente des millions d’emplois et un moteur non négligeable de la croissance économique. Au-delà du caractère culturel et identitaire, ce marché est une formidable source d’essor et de développement. Pour autant, comme le souligne le rapporteur, la protection de la diversité des expressions culturelles est aujourd’hui mise à mal par le tournant de la révolution numérique et les mutations des pratiques de consommation qu’elle entraîne. Aussi le cadre juridique international et européen de cette Convention semble-t-il un outil essentiel.

Il reste toutefois particulièrement regrettable que nos partenaires outre-Atlantique refusent toujours de la ratifier, a fortiori à la lumière des récents conflits entre les artistes et le géant américain Apple dans le domaine du streaming musical, qui rappellent notamment les défis du marché de la culture face aux progrès technologiques. Il semble aujourd’hui toujours primordial de souligner que la logique du profit ne doit pas, au nom de la suprématie commerciale, se développer au détriment de la richesse et de la diversité culturelle, facteur de développement, de progrès et de force collective.

M. Hervé Féron. Nous avons récemment débattu, dans le cadre de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), des droits culturels évoqués dans la Convention de l’UNESCO dont nous fêtons cette année le dixième anniversaire. Bien que cette Convention soit l’une des plus ratifiées dans le monde, ces droits n’ont toujours pas été consacrés en droit français. Certains d’entre nous voulaient donc les faire figurer dans la loi précitée pour en faire une compétence partagée entre l’État et les collectivités territoriales. Mais le Gouvernement et le rapporteur ont estimé que ce n’était pas le véhicule législatif approprié. L’ayant personnellement regretté, j’espère qu’un texte verra bientôt le jour qui réaffirmera ces droits autant qu’ils le méritent : quelle est votre position sur le sujet ? Une loi pourrait-elle bientôt consacrer des droits culturels afin de garantir l’accès de chaque citoyen à la culture dans la diversité de ses œuvres ?

D’autre part, nous avons récemment appris que l’accord de libre-échange en cours de négociation entre Européens et Américains avait reçu une première marque de soutien de la part de Strasbourg, et notamment des eurodéputés socialistes. Pour expliquer leur vote, les eurodéputés ont assuré que les services publics et la culture avaient été totalement exclus du champ des négociations, notamment grâce à l’action de la France. Or, si l’on sait que le secteur de l’audiovisuel a dès le départ été exclu du mandat de négociation, on n’a rien entendu de tel s’agissant des secteurs du livre et de la musique. Estimez-vous ces secteurs menacés et, avec eux, toute notre diversité culturelle ? Plus largement, êtes-vous inquiet de l’adoption d’un accord en l’état avec les États-Unis ou pensez-vous que les garanties obtenues sur le plan culturel sont suffisantes ?

Mme Martine Martinel. Dans votre rapport, monsieur le président, vous soulignez qu’une approche plus large en matière de culture devrait être adoptée, incluant les traditions et le patrimoine. Vous préconisez un élargissement des domaines d’intervention des politiques de développement culturel et un renforcement des données et indicateurs dans les pays en voie de développement. Pourriez-vous nous détailler ces préconisations ?

M. Michel Pouzol. Permettez-moi tout d’abord de vous remercier, monsieur le président, pour la qualité et l’intérêt indéniables de ce rapport anniversaire. La Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles témoigne d’une prise de conscience, depuis dix ans, de l’apport particulier des biens et services culturels à nos sociétés, tant du point de vue de la création que de l’économie. J’attirerai votre attention sur la destruction hier par DAECH de deux mausolées antiques de Palmyre – attentat qui prouve, s’il en était besoin, que le combat pour la préservation de cette diversité, où qu’elle se trouve, est au cœur de nos choix de société et de l’ensemble de nos combats républicains, ici comme ailleurs, mais qui prouve aussi la nécessité d’étendre la notion de culture au patrimoine, en grand danger dans les pays émergents.

Au-delà de la façon dont ce problème se pose dans le véritable combat de civilisation qui se déroule sous nos yeux, je souhaiterais soulever trois questions et tenter modestement de fixer des perspectives à cette Convention pour les dix années à venir. Comme l’a souligné le rapporteur, promouvoir la préservation de la diversité culturelle dans les États émergents est une nécessité. Mais comment y parvenir si, dans le même temps, la protection des politiques culturelles n’est pas réellement assurée dans les pays où elle est soumise aux coups de boutoir des marchés, là où les politiques sont souvent les plus développées et les plus fortes ? Comment étendre cet impératif à l’émergence de nouveaux modes de consommation culturelle liés aux outils numériques ? Comment cette Convention, dix ans après son adoption, peut-elle nous permettre de poser les bases d’une réelle politique culturelle supranationale, notamment au niveau européen où l’intégration en ce domaine est plus un vœu pieux aujourd’hui qu’une réalité concrète et où les disparités sont plus fortes encore que dans tous les autres domaines ? Comment, enfin, cette Convention peut-elle nous aider à dresser un bilan, par zones géographiques, des bonnes pratiques en matière culturelle, afin de permettre à chaque nation de s’enrichir des expériences des autres pays signataires et de renforcer ainsi le dynamisme potentiel de chacune tout en réduisant les fractures fortes qui persistent entre les nations du Nord et celles du Sud en matière de développement culturel ?

M. Jacques Cresta. L’article 12 de la Convention de 2005, intitulé « promotion de la coopération internationale », est essentiel en ce qu’il encourage les échanges et les collaborations entre tous les États signataires du texte, qu’il s’agisse de coopération bilatérale, régionale ou internationale. Il stipule en effet que ces coopérations doivent concerner tous les acteurs de la vie culturelle de nos pays, aussi bien les décideurs politiques que la société civile ou les artistes – en particulier pour ces derniers par le biais de coproductions. Ces coopérations internationales, notamment dans le domaine du spectacle vivant, restent trop rares et souvent difficiles à instituer.

J’ai d’ailleurs été étonné que, dans notre pays, le nombre de titres de séjour portant la mention « professions artistiques et culturelles » accordés pour un an n’ait cessé de baisser selon le ministère de l’intérieur. Ces coopérations sont pourtant essentielles dans un monde globalisé. Et l’article 12 de la Convention nous rappelle aussi que les retours d’expérience des autres pays peuvent permettre à tous d’améliorer les politiques et les actions menées. Comment renforcer les effets de son application ?

Dans le même esprit, la France, en tant que signataire de la Convention, ne pourrait-elle contribuer à l’analyse des documents transmis par les différents pays afin de compenser en partie la diminution des moyens accordés au secrétariat de l’UNESCO ?

Mme Régine Povéda. La Convention de 2005 institue mondialement la préservation et la promotion de la culture pour tous et de la diversité de ces cultures à travers le monde. Il y est rappelé que si la culture, essentielle pour la France, revêt aujourd’hui une valeur marchande, elle est avant tout un outil de transmission de valeurs et d’enseignement, de notre histoire. Il nous faut donc préserver cette diversité, non seulement en France mais aussi en Europe.

Tandis que des négociations commerciales sont en cours entre l’Union européenne et les États-Unis, nous devons avoir des exigences pour nos politiques culturelles. Quel message fera entendre la France dans ces négociations, alors que les États-Unis ne sont pas signataires de la Convention ? Le budget de l’UNESCO étant de plus en plus restreint, pouvons-nous espérer que la diversité culturelle soit promue à sa juste valeur notamment dans les pays les plus pauvres ? Comment faire pour améliorer l’accès à la culture, dans les pays du Sud comme dans notre propre pays, où trop de gens n’y ont pas accès malgré des infrastructures développées ?

Mme Valérie Corre. Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement doit être signé dans les prochains mois entre l’Union européenne et les États-Unis, non signataires de la Convention de l’UNESCO. Si le champ audiovisuel a clairement été exclu de la négociation de ce traité, le mandat de négociation semble moins clair s’agissant du champ culturel. L’Union européenne doit déjà faire face à une uniformisation massive de sa culture, grandement influencée par les superproductions américaines même si la France demeure une alternative culturelle de premier ordre avec une production cinématographique variée ainsi qu’une littérature abondante et de qualité. Comment sera-t-il possible de préserver l’exception culturelle française et européenne, une fois signé le traité transatlantique, qui, sur d’autres plans, constitue à mon sens une avancée économique intéressante ?

M. le président Patrick Bloche, rapporteur. Je vous remercie tous à mon tour pour vos contributions riches et variées. La célébration du dixième anniversaire de la Convention de l’UNESCO et la présentation de son bilan et de ses perspectives nous ont permis d’évoquer nombre de questions culturelles fort actuelles qui nous mobilisent de façon unanime. Notre débat de ce matin est en lien direct avec l’échange que nous avons eu récemment avec nos collègues du Bundestag et avec notre rencontre avec Mme Hélène David, ministre de la culture du Québec. Celle-ci nous a alors parlé de la politique québécoise du livre, illustration très concrète de ce que peut être une politique culturelle nationale consacrée au livre dans un pays signataire de la Convention.

Croyant en l’avenir de cette Convention et la considérant comme un instrument utile qu’il faut faire vivre, notamment dans son volet de coopération Nord-Sud, plusieurs d’entre vous ont insisté sur la nécessité de disposer de moyens financiers et humains pour favoriser l’accès à la culture et développer une offre culturelle aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Comme l’a souligné Jean-Pierre Allossery, cela suppose que le financement de nos politiques publiques de la culture soit exemplaire, aussi bien au niveau de l’État que des collectivités territoriales. Il reste que les 4,6 millions d’euros alloués en quelque dix années au FIDC, dont 1,2 million d’euros versés par la France, représentent une somme assez faible. Mon rapport présente à ce sujet un tableau inquiétant, illustrant que la tendance à alimenter ce fonds est à la baisse. Il est donc nécessaire d’accroître ses ressources afin d’envoyer un signe fort aux pays en développement. Ayons à l’esprit le courage et la détermination dont doivent faire preuve dans ces pays les autorités publiques et les acteurs de la société civile pour imposer la culture comme priorité des politiques publiques, quand nous avons en France une certaine facilité à le faire. Le secrétariat de l’UNESCO souhaite mettre à profit le double anniversaire de l’organisation et de la Convention pour mener une large campagne de communication afin d’encourager les contributions à ce fonds. L’OIF et les organisations professionnelles, telles que les quarante-trois coalitions nationales pour la diversité culturelle, ont aussi un rôle à jouer. Et peut-être les parlementaires français pourraient-ils, lors de la prochaine discussion budgétaire, déposer des amendements prévoyant des transferts de crédits afin d’abonder la dotation prévue pour le FIDC en 2016.

Le second thème que vous avez abordé est la négociation du Traité transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis. Vous avez été plusieurs à rappeler que, dix ans après, ces derniers ne sont toujours pas signataires de la Convention et ne sont pas près de l’être. Vous avez souligné la nécessité pour nous, face à ce marché unique du numérique que veut instaurer la Commission européenne, de faire vivre la diversité culturelle, compte tenu du risque de standardisation et d’uniformisation de la culture qu’entraîne la pression exercée par les géants du web, les fameux GAFA. La Convention de l’UNESCO est à cet égard un outil très utile puisque, ayant été ratifiée par l’Union européenne, elle fait partie non seulement de l’ordre juridique national mais également européen. S’agissant de la négociation en cours, j’ai indiqué dans mon rapport que si l’audiovisuel est clairement exclu du mandat de négociation de la Commission européenne, ce dernier est beaucoup moins clair s’agissant des services culturels. Il nous faut donc rester vigilants tant au niveau national qu’européen et je souhaiterais qu’il y ait au Parlement européen une mobilisation comparable à celle qu’il a connue avant ses dernières élections afin qu’il imprime sa marque sur le mandat de négociation de la Commission européenne. Je remercie donc ceux d’entre vous qui ont évoqué cette indispensable mobilisation.

Michel Herbillon a évoqué avec justesse les directives opérationnelles transversales qui vont être élaborées dans les deux ans qui viennent à la suite de la décision prise à la Conférence des parties il y a une dizaine de jours. Ces directives présentent l’intérêt de viser l’ensemble des dispositions et domaines d’application de la Convention de 2005 – la politique interne des États, la coopération Nord-Sud et le poids dans les négociations internationales. Cette transversalité me paraît une innovation très opportune dont il faut se saisir.

S’agissant du développement du numérique, les pays en développement sont en train de franchir un cap décisif quant à leur insertion dans le monde numérique qui est le nôtre aujourd’hui. Grâce au smartphone, beaucoup de femmes et d’hommes de la planète, n’ayant jamais vu ni eu entre les mains un ordinateur, ont un accès très direct à la toile et par conséquent un accès inégalé à la culture. C’est là une des chances extraordinaires offertes par le numérique, au-delà des risques que celui-ci représente.

Isabelle Attard a justement évoqué les dangers de cet écosystème numérique et m’a interrogé quant à la licence globale. Je n’ouvrirai pas ce matin le débat sur cette question, mais nous aurons bientôt l’occasion de traiter de la répartition équitable de la valeur créée sur internet lors de la diffusion de contenus culturels, qu’ils soient sonores ou audiovisuels. Nous disposons déjà sur le sujet du rapport de la Fédération nationale des labels indépendants (FELIN), et Marc Schwartz a été missionné par la ministre de la Culture pour y apporter sa contribution. Nous pourrions donc utilement promouvoir la gestion collective obligatoire, déjà promue par les rapports de Patrick Zelnik et de Pierre Lescure, mais dont ne veulent absolument pas ceux qui ont suffisamment de force pour négocier directement avec les plateformes Deezer et Spotify.

Laurent Degallaix a insisté à juste titre sur l’indispensable renouvellement des talents qui nous a conduits à imposer à la radio des quotas en faveur de la promotion de nouveaux talents mais aussi de la défense de la Francophonie.

Je remercie Gilda Hobert d’avoir fait référence à la « féconde diversité des cultures » et d’avoir rappelé que la Convention est un moyen de découvrir des cultures méconnues.

Je remercie aussi Sophie Dessus pour son intervention lyrique : il est essentiel d’avoir le soutien des sages et des braves, des romanciers et des poètes, de tous les camarades sortis de l’ombre, de Taylor Swift, du biblique David et des bonnes fées, mais c’est avant tout celui de mes collègues de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation qui m’importe, en particulier sur un sujet en faveur duquel nous nous engageons collectivement.

François de Mazières a exprimé sa déception que l’amendement de mon homologue du Sénat au projet de loi Macron, instaurant un contrôle de l’ARCEP sur les moteurs de recherche, n’ait pu être maintenu. Nous serons inévitablement amenés à revenir sur ce sujet lors de l’examen du projet de loi sur le numérique à l’automne. Dans son rapport, le Conseil national du numérique propose de définir et d’imposer le concept de loyauté des plateformes. Enfin, la France s’est engagée au niveau de l’Union européenne pour que s’appliquent les règles du pays de destination des services – enjeu essentiel pour des raisons fiscales.

Stéphane Travert a insisté, comme d’autres collègues, sur l’instrument que peut constituer cette Convention, non pour s’opposer aux géants du web, mais pour leur faire accepter de s’intégrer dans un cadre régulé sans avoir pour objectif de casser des dispositifs visant avant tout à rémunérer les créateurs et à éviter la disparition de la création. Ainsi que l’a souligné Laurence Arribagé, si la culture revêt une dimension économique, les services et biens culturels ne sauraient être considérés comme des marchandises comme les autres.

Hervé Féron a abordé les droits culturels, sujet que je vous propose de laisser de côté compte tenu de son caractère très polémique, y compris chez les acteurs culturels. Il a néanmoins raison d’indiquer que la Convention de 2005 fait référence à ces droits, affirmés dans d’autres textes adoptés par l’UNESCO. Certains jugent nécessaire de reprendre cette notion dans notre droit interne. C’est pourquoi Marie-Christine Blandin a soutenu avec conviction au Sénat un amendement en ce sens, que vous avez souhaité, mon cher collègue, relayer à l’Assemblée nationale. Cependant, le Gouvernement et le rapporteur du projet de loi NOTRe y ont donné un avis défavorable. Nous devrons donc à nouveau en débattre dès que l’occasion se présentera, les nombreux acteurs culturels que je rencontre étant défavorables à l’intégration des droits culturels dans notre droit interne. S’agissant d’autre part du partenariat de libre-échange, Hervé Féron a eu raison de souligner que le livre et la musique pourraient être des secteurs menacés.

Martine Martinel et Michel Pouzol ont invoqué les impératifs de protection patrimoniale, le second ayant même fait référence aux destructions du patrimoine de l’humanité consécutives aux terribles actions de DAECH en Syrie. Il est donc nécessaire de mettre en avant des préconisations en faveur de la protection de ce patrimoine culturel. De ce fait, il me semblerait utile de renforcer les actions de coopération pour l’acquisition des compétences et des savoir-faire dans ce domaine. Je citerai notamment la Banque européenne d’expertise, créée en 2010, qui accompagne des États parties dans la réalisation de projets globaux de mise à niveau de leurs compétences et capacités d’action en matière culturelle.

S’agissant de l’application de la Convention de 2005, un rapport global comprenant des indicateurs devrait être présenté en fin d’année 2015, permettant de mettre en corrélation les politiques menées dans les États parties avec leurs résultats en termes de diversité culturelle afin que les bonnes pratiques puissent être identifiées comme telles.

Michel Pouzol m’a aussi interrogé quant au mot d’ordre, très incantatoire dans les discours officiels, relatif à l’élaboration d’une politique culturelle européenne. Vous connaissez tous par cœur la fameuse phrase que l’on prête à Jean Monnet : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture », mais la France, avouons-le, a beaucoup de mal à mobiliser ses partenaires et la Commission européenne en faveur d’une politique culturelle supranationale, notamment parce que la direction générale (DG) Culture est très faible, au sein des institutions de l’Union européenne, face à la DG Commerce notamment. Il convient donc de persévérer en organisant des rencontres bilatérales. Le Haut Conseil culturel franco-allemand est un outil dont nous avons pu mesurer l’efficacité l’autre jour lorsque nous avons reçu Catherine Trautmann et Doris Pack. Il existe également des rencontres multilatérales, telles que le Forum de Chaillot, permettant de mobiliser nos partenaires européens. Enfin, les professionnels de la culture et les artistes sont un relais important.

Jacques Cresta m’a interrogé sur l’article 12 de la Convention de 2005, et Valérie Corre, que nous avons désignée rapporteure pour avis sur le projet de loi sur le droit des étrangers, a entendu cette requête pertinente. Nous sommes souvent mobilisés pour intervenir auprès des préfets, voire du ministre de l’intérieur lui-même, afin d’arracher des titres de séjour, souvent au dernier moment, qui permettent à des artistes venus du bout du monde de participer à des événements ayant lieu sur notre sol.

La nécessité de garantir l’accès à la culture au Nord comme au Sud a été rappelée avec beaucoup de pertinence par Régine Povéda. Quant à Valérie Corre, elle a évoqué à cet égard à juste raison le Traité transatlantique.

Je nuancerai toutefois ce sentiment que nous pourrions avoir d’écrasement par les GAFA : il existe en effet dans le monde des écosystèmes numériques autonomes dotés d’un potentiel de développement important – en Chine, en Inde, en Russie, en Amérique latine et en Corée du Sud par exemple – mais aussi des initiatives locales fondées sur les modèles de développement propres à certains pays et à certaines zones géographiques, compte tenu, notamment, du rôle que joue le téléphone portable en Afrique et en Inde.

Enfin, en ce qui concerne la coopération Nord-Sud, Mme Youma Fall, représentante de l’Organisation internationale de la francophonie que j’ai auditionnée dans le cadre de la rédaction de mon rapport, m’a rappelé que grâce aux technologies numériques, le local pouvait rejoindre l’universel. La coopération doit donc avant tout permettre aux sociétés civiles des États du Sud de prendre conscience de leur richesse et de leurs atouts culturels et de se donner les moyens, avec leurs propres outils, de valoriser ces atouts.

Tels sont les enjeux de la Convention UNESCO de 2005 sur la diversité des expressions culturelles. Il me semblait important que l’Assemblée nationale puisse en célébrer l’anniversaire en en faisant un instrument d’avenir pour la vitalité de la diversité culturelle. Dans les débats à venir, et notamment dans le cadre de la prochaine discussion budgétaire, nous serons amenés à invoquer cette convention pour appuyer notre force de conviction et faire en sorte, entre autres, que le Fonds international pour le développement culturel soit mieux provisionné.

La Commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information.

ANNEXE 1 :

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(par ordre chronologique)

Ø UNESCO – S. Exc. M. Philippe Lalliot, Ambassadeur, délégué permanent de la France auprès de l’UNESCO, et Mme Danielle Cliche, secrétaire de la Convention de 2005, chef de la section de la diversité des expressions culturelles, accompagnée de M. Anthony Krause ;

Ø Coalition française pour la diversité culturelle – M. Pascal Rogard, président et directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), et M. Guillaume Prieur, directeur des relations institutionnelles et européennes ;

Ø M. Jean Musitelli, conseiller d’État, ancien délégué permanent de la France à l’UNESCO (1997-2002), ancien membre du groupe d’experts internationaux chargés par le Directeur général de l’UNESCO d’élaborer l’avant-projet de convention sur la diversité culturelle (2003-2004) ;

Ø Ministère des Affaires étrangères et du Développement international, Direction de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche – M. Pascal Lemaire, adjoint au chef de la Mission des échanges culturels et de l’audiovisuel extérieur, et Mme Pauline Blanchet, chargée de mission ;

Ø M. Dominique Wolton, directeur de recherche, directeur du laboratoire Information, communication et enjeux scientifiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;

Ø Mme Line Beauchamp, représentante du Gouvernement du Québec auprès de l’UNESCO, et M. Antoine Malone, attaché politique à la Délégation générale du Québec à Paris du Québec à Paris ;

Ø Commission nationale française pour l’UNESCO – M. David Fajolles, secrétaire général ;

Ø Ministère de la Culture et de la communication :

– Secrétariat général, Service des affaires juridiques et internationales – M. Jean-Philippe Mochon, chef de service et M. Jean-Baptiste Cuzin, chef du bureau des affaires internationales et multilatérales,

– Direction générale de la création artistique – M. Michel Orier, directeur général ;

Ø Organisation internationale de la Francophonie (OIF) – Mme Youma Fall, directrice de la diversité et du développement culturel.

ANNEXE 2 :

CONVENTION UNESCO SUR LA PROTECTION ET LA PROMOTION DE LA DIVERSITÉ DES EXPRESSIONS CULTURELLES DU 20 OCTOBRE 2005

La Conférence générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, réunie à Paris du 3 au 21 octobre 2005 pour sa 33e session,

Affirmant que la diversité culturelle est une caractéristique inhérente à l’humanité,

Consciente que la diversité culturelle constitue un patrimoine commun de l’humanité et qu’elle devrait être célébrée et préservée au profit de tous,

Sachant que la diversité culturelle crée un monde riche et varié qui élargit les choix possibles, nourrit les capacités et les valeurs humaines, et qu’elle est donc un ressort fondamental du développement durable des communautés, des peuples et des nations,

Rappelant que la diversité culturelle, qui s’épanouit dans un cadre de démocratie, de tolérance, de justice sociale et de respect mutuel entre les peuples et les cultures, est indispensable à la paix et à la sécurité aux plans local, national et international,

Célébrant l’importance de la diversité culturelle pour la pleine réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans d’autres instruments universellement reconnus,

Soulignant la nécessité d’intégrer la culture en tant qu’élément stratégique dans les politiques nationales et internationales de développement, ainsi que dans la coopération internationale pour le développement, en tenant également compte de la Déclaration du Millénaire de l’ONU (2000) qui met l’accent sur l’éradication de la pauvreté,

Considérant que la culture prend diverses formes dans le temps et dans l’espace et que cette diversité s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités ainsi que dans les expressions culturelles des peuples et des sociétés qui constituent l’humanité,

Reconnaissant l’importance des savoirs traditionnels en tant que source de richesse immatérielle et matérielle, et en particulier des systèmes de connaissance des peuples autochtones, et leur contribution positive au développement durable, ainsi que la nécessité d’assurer leur protection et promotion de façon adéquate,

Reconnaissant la nécessité de prendre des mesures pour protéger la diversité des expressions culturelles, y compris de leurs contenus, en particulier dans des situations où les expressions culturelles peuvent être menacées d’extinction ou de graves altérations,

Soulignant l’importance de la culture pour la cohésion sociale en général, et en particulier sa contribution à l’amélioration du statut et du rôle des femmes dans la société,

Consciente que la diversité culturelle est renforcée par la libre circulation des idées, et qu’elle se nourrit d’échanges constants et d’interactions entre les cultures,

Réaffirmant que la liberté de pensée, d’expression et d’information, ainsi que la diversité des médias, permettent l’épanouissement des expressions culturelles au sein des sociétés,

Reconnaissant que la diversité des expressions culturelles, y compris des expressions culturelles traditionnelles, est un facteur important qui permet aux individus et aux peuples d’exprimer et de partager avec d’autres leurs idées et leurs valeurs,

Rappelant que la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle, et réaffirmant le rôle fondamental que joue l’éducation dans la protection et la promotion des expressions culturelles,

Considérant l’importance de la vitalité des cultures pour tous, y compris pour les personnes appartenant aux minorités et pour les peuples autochtones, telle qu’elle se manifeste par leur liberté de créer, diffuser et distribuer leurs expressions culturelles traditionnelles et d’y avoir accès de manière à favoriser leur propre développement,

Soulignant le rôle essentiel de l’interaction et de la créativité culturelles, qui nourrissent et renouvellent les expressions culturelles, et renforcent le rôle de ceux qui œuvrent au développement de la culture pour le progrès de la société dans son ensemble,

Reconnaissant l’importance des droits de propriété intellectuelle pour soutenir les personnes qui participent à la créativité culturelle,

Convaincue que les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale,

Constatant que les processus de mondialisation, facilités par l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication, s’ils créent les conditions inédites d’une interaction renforcée entre les cultures, représentent aussi un défi pour la diversité culturelle, notamment au regard des risques de déséquilibres entre pays riches et pays pauvres,

Consciente du mandat spécifique confié à l’UNESCO d’assurer le respect de la diversité des cultures et de recommander les accords internationaux qu’elle juge utiles pour faciliter la libre circulation des idées par le mot et par l’image,

Se référant aux dispositions des instruments internationaux adoptés par l’UNESCO ayant trait à la diversité culturelle et à l’exercice des droits culturels, et en particulier à la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001,

Adopte, le 20 octobre 2005, la présente Convention.

I. OBJECTIFS ET PRINCIPES DIRECTEURS

Article premier – Objectifs

Les objectifs de la présente Convention sont :

(a) de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ;

(b) de créer les conditions permettant aux cultures de s’épanouir et interagir librement de manière à s’enrichir mutuellement ;

(c) d’encourager le dialogue entre les cultures afin d’assurer des échanges culturels plus intenses et équilibrés dans le monde en faveur du respect interculturel et d’une culture de la paix ;

(d) de stimuler l’interculturalité afin de développer l’interaction culturelle dans l’esprit de bâtir des passerelles entre les peuples ;

(e) de promouvoir le respect de la diversité des expressions culturelles et la prise de conscience de sa valeur aux niveaux local, national et international ;

(f) de réaffirmer l’importance du lien entre culture et développement pour tous les pays, en particulier les pays en développement, et d’encourager les actions menées aux plans national et international pour que soit reconnue la véritable valeur de ce lien ;

(g) de reconnaître la nature spécifique des activités, biens et services culturels en tant que porteurs d’identité, de valeurs et de sens ;

(h) de réaffirmer le droit souverain des États de conserver, d’adopter et de mettre en œuvre les politiques et mesures qu’ils jugent appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire ;

(i) de renforcer la coopération et la solidarité internationales dans un esprit de partenariat afin, notamment, d’accroître les capacités des pays en développement de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles.

Article 2 – Principes directeurs

1. Principe du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales

La diversité culturelle ne peut être protégée et promue que si les droits de l’homme et les libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, d’information et de communication, ainsi que la possibilité pour les individus de choisir les expressions culturelles, sont garantis. Nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée.

2. Principe de souveraineté

Les États ont, conformément à la Charte des Nations unies et aux principes du droit international, le droit souverain d’adopter des mesures et des politiques pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire.

3. Principe de l’égale dignité et du respect de toutes les cultures

La protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles impliquent la reconnaissance de l’égale dignité et du respect de toutes les cultures, y compris celles des personnes appartenant aux minorités et celles des peuples autochtones.

4. Principe de solidarité et de coopération internationales

La coopération et la solidarité internationales devraient permettre à tous les pays, particulièrement aux pays en développement, de créer et renforcer les moyens nécessaires à leur expression culturelle, y compris leurs industries culturelles, qu’elles soient naissantes ou établies, aux niveaux local, national et international.

5. Principe de la complémentarité des aspects économiques et culturels du développement

La culture étant un des ressorts fondamentaux du développement, les aspects culturels du développement sont aussi importants que ses aspects économiques, et les individus et les peuples ont le droit fondamental d’y participer et d’en jouir.

6. Principe de développement durable

La diversité culturelle est une grande richesse pour les individus et les sociétés. La protection, la promotion et le maintien de la diversité culturelle sont une condition essentielle pour un développement durable au bénéfice des générations présentes et futures.

7. Principe d’accès équitable

L’accès équitable à une gamme riche et diversifiée d’expressions culturelles provenant du monde entier et l’accès des cultures aux moyens d’expression et de diffusion constituent des éléments importants pour mettre en valeur la diversité culturelle et encourager la compréhension mutuelle.

8. Principe d’ouverture et d’équilibre

Quand les États adoptent des mesures pour favoriser la diversité des expressions culturelles, ils devraient veiller à promouvoir, de façon appropriée, l’ouverture aux autres cultures du monde et à s’assurer que ces mesures sont conformes aux objectifs poursuivis par la présente Convention.

II. CHAMP D’APPLICATION

Article 3 – Champ d’application

La présente Convention s’applique aux politiques et aux mesures adoptées par les Parties relatives à la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

III. DÉFINITIONS

Article 4 – Définitions

Aux fins de la présente Convention, il est entendu que :

1. Diversité culturelle

« Diversité culturelle » renvoie à la multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression. Ces expressions se transmettent au sein des groupes et des sociétés et entre eux.

La diversité culturelle se manifeste non seulement dans les formes variées à travers lesquelles le patrimoine culturel de l’humanité est exprimé, enrichi et transmis grâce à la variété des expressions culturelles, mais aussi à travers divers modes de création artistique, de production, de diffusion, de distribution et de jouissance des expressions culturelles, quels que soient les moyens et les technologies utilisés.

2. Contenu culturel

« Contenu culturel » renvoie au sens symbolique, à la dimension artistique et aux valeurs culturelles qui ont pour origine ou expriment des identités culturelles.

3. Expressions culturelles

« Expressions culturelles » sont les expressions qui résultent de la créativité des individus, des groupes et des sociétés, et qui ont un contenu culturel.

4. Activités, biens et services culturels

« Activités, biens et services culturels » renvoie aux activités, biens et services qui, dès lors qu’ils sont considérés du point de vue de leur qualité, de leur usage ou de leur finalité spécifiques, incarnent ou transmettent des expressions culturelles, indépendamment de la valeur commerciale qu’ils peuvent avoir. Les activités culturelles peuvent être une fin en elles-mêmes, ou bien contribuer à la production de biens et services culturels.

5. Industries culturelles

« Industries culturelles » renvoie aux industries produisant et distribuant des biens ou services culturels tels que définis au paragraphe 4 ci-dessus.

6. Politiques et mesures culturelles

« Politiques et mesures culturelles » renvoie aux politiques et mesures relatives à la culture, à un niveau local, national, régional ou international, qu’elles soient centrées sur la culture en tant que telle, ou destinées à avoir un effet direct sur les expressions culturelles des individus, groupes ou sociétés, y compris sur la création, la production, la diffusion et la distribution d’activités, de biens et de services culturels et sur l’accès à ceux-ci.

7. Protection

« Protection » signifie l’adoption de mesures visant à la préservation, la sauvegarde et la mise en valeur de la diversité des expressions culturelles.

« Protéger » signifie adopter de telles mesures.

8. Interculturalité

« Interculturalité » renvoie à l’existence et à l’interaction équitable de diverses cultures ainsi qu’à la possibilité de générer des expressions culturelles partagées par le dialogue et le respect mutuel.

IV. DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES

Article 5 – Règle générale concernant les droits et obligations

1. Les Parties réaffirment, conformément à la Charte des Nations unies, aux principes du droit international et aux instruments universellement reconnus en matière de droits de l’homme, leur droit souverain de formuler et mettre en œuvre leurs politiques culturelles et d’adopter des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ainsi que pour renforcer la coopération internationale afin d’atteindre les objectifs de la présente Convention.

2. Lorsqu’une Partie met en œuvre des politiques et prend des mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur son territoire, ses politiques et mesures doivent être compatibles avec les dispositions de la présente Convention.

Article 6 – Droits des parties au niveau national

1. Dans le cadre de ses politiques et mesures culturelles telles que décrites à l’article 4.6, et compte tenu des circonstances et des besoins qui lui sont propres, chaque Partie peut adopter des mesures destinées à protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur son territoire.

2. Ces mesures peuvent inclure :

(a) les mesures réglementaires qui visent à protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ;

(b) les mesures qui, d’une manière appropriée, offrent des opportunités aux activités, biens et services culturels nationaux, de trouver leur place parmi l’ensemble des activités, biens et services culturels disponibles sur son territoire, pour ce qui est de leur création, production, diffusion, distribution et jouissance, y compris les dispositions relatives à la langue utilisée pour lesdits activités, biens et services ;

(c) les mesures qui visent à fournir aux industries culturelles nationales indépendantes et aux activités du secteur informel un accès véritable aux moyens de production, de diffusion et de distribution d’activités, biens et services culturels ;

(d) les mesures qui visent à accorder des aides financières publiques ;

(e) les mesures qui visent à encourager les organismes à but non lucratif, ainsi que les institutions publiques et privées, les artistes et les autres professionnels de la culture, à développer et promouvoir le libre échange et la libre circulation des idées et des expressions culturelles ainsi que des activités, biens et services culturels, et à stimuler la création et l’esprit d’entreprise dans leurs activités ;

(f) les mesures qui visent à établir et soutenir, de façon appropriée, les institutions de service public ;

(g) les mesures qui visent à encourager et soutenir les artistes ainsi que tous ceux qui sont impliqués dans la création d’expressions culturelles ;

(h) les mesures qui visent à promouvoir la diversité des médias, y compris au moyen du service public de radiodiffusion.

Article 7 – Mesures destinées à promouvoir les expressions culturelles

1. Les Parties s’efforcent de créer sur leur territoire un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux :

(a) à créer, produire, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles et à y avoir accès, en tenant dûment compte des conditions et besoins particuliers des femmes, ainsi que de divers groupes sociaux, y compris les personnes appartenant aux minorités et les peuples autochtones ;

(b) à avoir accès aux diverses expressions culturelles provenant de leur territoire ainsi que des autres pays du monde.

2. Les Parties s’efforcent également de reconnaître l’importante contribution des artistes et de tous ceux qui sont impliqués dans le processus créateur, des communautés culturelles et des organisations qui les soutiennent dans leur travail, ainsi que leur rôle central qui est de nourrir la diversité des expressions culturelles.

Article 8 – Mesures destinées à protéger les expressions culturelles

1. Sans préjudice des dispositions des articles 5 et 6, une Partie peut diagnostiquer l’existence de situations spéciales où les expressions culturelles, sur son territoire, sont soumises à un risque d’extinction, à une grave menace, ou nécessitent de quelque façon que ce soit une sauvegarde urgente.

2. Les Parties peuvent prendre toutes les mesures appropriées pour protéger et préserver les expressions culturelles dans les situations mentionnées au paragraphe 1 conformément aux dispositions de la présente Convention.

3. Les Parties font rapport au Comité intergouvernemental visé à l’article 23 sur toutes les mesures prises pour faire face aux exigences de la situation, et le Comité peut formuler des recommandations appropriées.

Article 9 – Partage de l’information et transparence

Les Parties :

(a) fournissent tous les quatre ans, dans leurs rapports à l’UNESCO, l’information appropriée sur les mesures prises en vue de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire et au niveau international ;

(b) désignent un point de contact chargé du partage de l’information relative à la présente Convention ;

(c) partagent et échangent l’information relative à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Article 10 – Éducation et sensibilisation du public

Les Parties :

(a) favorisent et développent la compréhension de l’importance de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles, notamment par le biais de programmes d’éducation et de sensibilisation accrue du public ;

(b) coopèrent avec les autres Parties et les organisations internationales et régionales pour atteindre l’objectif du présent article ;

(c) s’emploient à encourager la créativité et à renforcer les capacités de production par la mise en place de programmes d’éducation, de formation et d’échanges dans le domaine des industries culturelles. Ces mesures devraient être appliquées de manière à ne pas avoir d’impact négatif sur les formes de production traditionnelles.

Article 11 – Participation de la société civile

Les Parties reconnaissent le rôle fondamental de la société civile dans la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Les Parties encouragent la participation active de la société civile à leurs efforts en vue d’atteindre les objectifs de la présente Convention.

Article 12 – Promotion de la coopération internationale

Les Parties s’emploient à renforcer leur coopération bilatérale, régionale et internationale afin de créer des conditions propices à la promotion de la diversité des expressions culturelles, en tenant particulièrement compte des situations mentionnées aux articles 8 et 17, en vue notamment de :

(a) faciliter le dialogue entre elles sur la politique culturelle ;

(b) renforcer les capacités stratégiques et de gestion du secteur public dans les institutions culturelles publiques, grâce aux échanges culturels professionnels et internationaux, ainsi qu’au partage des meilleures pratiques ;

(c) renforcer les partenariats avec la société civile, les organisations non gouvernementales et le secteur privé, et entre ces entités, pour favoriser et promouvoir la diversité des expressions culturelles ;

(d) promouvoir l’utilisation des nouvelles technologies et encourager les partenariats afin de renforcer le partage de l’information et la compréhension culturelle, et de favoriser la diversité des expressions culturelles ;

(e) encourager la conclusion d’accords de coproduction et de codistribution.

Article 13 – Intégration de la culture dans le développement durable

Les Parties s’emploient à intégrer la culture dans leurs politiques de développement, à tous les niveaux, en vue de créer des conditions propices au développement durable et, dans ce cadre, de favoriser les aspects liés à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Article 14 – Coopération pour le développement

Les Parties s’attachent à soutenir la coopération pour le développement durable et la réduction de la pauvreté, particulièrement pour ce qui est des besoins spécifiques des pays en développement, en vue de favoriser l’émergence d’un secteur culturel dynamique, entre autres par les moyens suivants :

(a) Le renforcement des industries culturelles des pays en développement :

(i) en créant et en renforçant les capacités de production et de distribution culturelles dans les pays en développement ;

(ii) en facilitant l’accès plus large de leurs activités, biens et services culturels au marché mondial et aux circuits de distribution internationaux ;

(iii) en permettant l’émergence de marchés locaux et régionaux viables ;

(iv) en adoptant, chaque fois que possible, des mesures appropriées dans les pays développés en vue de faciliter l’accès à leur territoire des activités, biens et services culturels des pays en développement ;

(v) en soutenant le travail créatif et en facilitant, dans la mesure du possible, la mobilité des artistes des pays en développement ;

(vi) en encourageant une collaboration appropriée entre pays développés et pays en développement, notamment dans les domaines de la musique et du film ;

(b) Le renforcement des capacités par l’échange d’information, d’expérience et d’expertise, ainsi que la formation des ressources humaines dans les pays en développement dans les secteurs public et privé concernant notamment les capacités stratégiques et de gestion, l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, la promotion et la distribution des expressions culturelles, le développement des moyennes, petites et microentreprises, l’utilisation des technologies ainsi que le développement et le transfert des compétences ;

(c) Le transfert de technologies et de savoir-faire par la mise en place de mesures incitatives appropriées, en particulier dans le domaine des industries et des entreprises culturelles ;

(d) Le soutien financier par :

(i) l’établissement d’un Fonds international pour la diversité culturelle, comme prévu à l’article 18 ;

(ii) l’octroi d’une aide publique au développement, en tant que de besoin, y compris une assistance technique destinée à stimuler et soutenir la créativité ;

(iii) d’autres formes d’aide financière telles que des prêts à faible taux d’intérêt, des subventions et d’autres mécanismes de financement.

Article 15 – Modalités de collaboration

Les Parties encouragent le développement de partenariats, entre les secteurs public et privé et les organisations à but non lucratif et en leur sein, afin de coopérer avec les pays en développement au renforcement de leur capacité de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles. Ces partenariats novateurs mettront l’accent, en réponse aux besoins concrets des pays en développement, sur le développement des infrastructures, des ressources humaines et des politiques ainsi que sur les échanges d’activités, biens et services culturels.

Article 16 – Traitement préférentiel pour les pays en développement

Les pays développés facilitent les échanges culturels avec les pays en développement en accordant, au moyen de cadres institutionnels et juridiques appropriés, un traitement préférentiel à leurs artistes et autres professionnels et praticiens de la culture, ainsi qu’à leurs biens et services culturels.

Article 17 – Coopération internationale dans les situations de menace grave contre les expressions culturelles

Les Parties coopèrent pour se porter mutuellement assistance, en veillant en particulier aux pays en développement, dans les situations mentionnées à l’article 8.

Article 18 – Fonds international pour la diversité culturelle

1. Il est créé un Fonds international pour la diversité culturelle, ci-après dénommé « le Fonds ».

2. Le Fonds est constitué en fonds-en-dépôt conformément au Règlement financier de l’UNESCO.

3. Les ressources du Fonds sont constituées par :

(a) les contributions volontaires des Parties ;

(b) les fonds alloués à cette fin par la Conférence générale de l’UNESCO ;

(c) les versements, dons ou legs que pourront faire d’autres États, des organisations et programmes du système des Nations unies, d’autres organisations régionales ou internationales, et des organismes publics ou privés ou des personnes privées ;

(d) tout intérêt dû sur les ressources du Fonds ;

(e) le produit des collectes et les recettes des manifestations organisées au profit du Fonds ;

(f) toutes autres ressources autorisées par le règlement du Fonds.

4. L’utilisation des ressources du Fonds est décidée par le Comité intergouvernemental sur la base des orientations de la Conférence des Parties visée à l’article 22.

5. Le Comité intergouvernemental peut accepter des contributions et autres formes d’assistance à des fins générales ou spécifiques se rapportant à des projets déterminés, pourvu que ces projets soient approuvés par lui.

6. Les contributions au Fonds ne peuvent être assorties d’aucune condition politique, économique ou autre qui soit incompatible avec les objectifs de la présente Convention.

7. Les Parties s’attachent à verser des contributions volontaires sur une base régulière pour la mise en œuvre de la présente Convention.

Article 19 – Échange, analyse et diffusion de l’information

1. Les Parties s’accordent pour échanger l’information et l’expertise relatives à la collecte des données et aux statistiques concernant la diversité des expressions culturelles, ainsi qu’aux meilleures pratiques pour la protection et la promotion de celle-ci.

2. L’UNESCO facilite, grâce aux mécanismes existant au sein du Secrétariat, la collecte, l’analyse et la diffusion de toutes les informations, statistiques et meilleures pratiques en la matière.

3. Par ailleurs, l’UNESCO constitue et tient à jour une banque de données concernant les différents secteurs et organismes gouvernementaux, privés et à but non lucratif, œuvrant dans le domaine des expressions culturelles.

4. En vue de faciliter la collecte des données, l’UNESCO accorde une attention particulière au renforcement des capacités et de l’expertise des Parties qui formulent la demande d’une assistance en la matière.

5. La collecte de l’information définie dans le présent article complète l’information visée par les dispositions de l’article 9.

V. RELATIONS AVEC LES AUTRES INSTRUMENTS

Article 20 – Relations avec les autres instruments : soutien mutuel, complémentarité et non-subordination

1. Les Parties reconnaissent qu’elles doivent remplir de bonne foi leurs obligations en vertu de la présente Convention et de tous les autres traités auxquels elles sont parties. Ainsi, sans subordonner cette Convention aux autres traités,

(a) elles encouragent le soutien mutuel entre cette Convention et les autres traités auxquels elles sont parties ; et

(b) lorsqu’elles interprètent et appliquent les autres traités auxquels elles sont parties ou lorsqu’elles souscrivent à d’autres obligations internationales, les Parties prennent en compte les dispositions pertinentes de la présente Convention.

2. Rien dans la présente Convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des Parties au titre d’autres traités auxquels elles sont parties.

Article 21 – Concertation et coordination internationales

Les Parties s’engagent à promouvoir les objectifs et principes de la présente Convention dans d’autres enceintes internationales. À cette fin, les Parties se consultent, s’il y a lieu, en gardant à l’esprit ces objectifs et ces principes.

VI. ORGANES DE LA CONVENTION

Article 22 – Conférence des Parties

1. Il est établi une Conférence des Parties. La Conférence des Parties est l’organe plénier et suprême de la présente Convention.

2. La Conférence des Parties se réunit en session ordinaire tous les deux ans, dans la mesure du possible dans le cadre de la Conférence générale de l’UNESCO. Elle peut se réunir en session extraordinaire si elle en décide ainsi ou si une demande est adressée au Comité intergouvernemental par au moins un tiers des Parties.

3. La Conférence des Parties adopte son règlement intérieur.

4. Les fonctions de la Conférence des Parties sont, entre autres :

(a) d’élire les membres du Comité intergouvernemental ;

(b) de recevoir et d’examiner les rapports des Parties à la présente Convention transmis par le Comité intergouvernemental ;

(c) d’approuver les directives opérationnelles préparées, à sa demande, par le Comité intergouvernemental ;

(d) de prendre toute autre mesure qu’elle juge nécessaire pour promouvoir les objectifs de la présente Convention.

Article 23 – Comité intergouvernemental

1. Il est institué auprès de l’UNESCO un Comité intergouvernemental pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, ci-après dénommé « le Comité intergouvernemental ». Il est composé de représentants de 18 États parties à la Convention, élus pour quatre ans par la Conférence des Parties dès que la présente Convention entrera en vigueur conformément à l’article 29.

2. Le Comité intergouvernemental se réunit une fois par an.

3. Le Comité intergouvernemental fonctionne sous l’autorité et conformément aux directives de la Conférence des Parties et lui rend compte.

4. Le nombre des membres du Comité intergouvernemental sera porté à 24 dès lors que le nombre de Parties à la Convention atteindra 50.

5. L’élection des membres du Comité intergouvernemental est basée sur les principes de la répartition géographique équitable et de la rotation.

6. Sans préjudice des autres attributions qui lui sont conférées par la présente Convention, les fonctions du Comité intergouvernemental sont les suivantes :

(a) promouvoir les objectifs de la présente Convention, encourager et assurer le suivi de sa mise en œuvre ;

(b) préparer et soumettre à l’approbation de la Conférence des Parties, à sa demande, des directives opérationnelles relatives à la mise en œuvre et à l’application des dispositions de la Convention ;

(c) transmettre à la Conférence des Parties les rapports des Parties à la Convention, accompagnés de ses observations et d’un résumé de leur contenu ;

(d) faire des recommandations appropriées dans les situations portées à son attention par les Parties à la Convention conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, en particulier l’article 8 ;

(e) établir des procédures et autres mécanismes de consultation afin de promouvoir les objectifs et principes de la présente Convention dans d’autres enceintes internationales ;

(f) accomplir toute autre tâche dont il peut être chargé par la Conférence des Parties.

7. Le Comité intergouvernemental, conformément à son Règlement intérieur, peut inviter à tout moment des organismes publics ou privés ou des personnes physiques à participer à ses réunions en vue de les consulter sur des questions spécifiques.

8. Le Comité intergouvernemental établit et soumet son Règlement intérieur à l’approbation de la Conférence des Parties.

Article 24 – Secrétariat de l’UNESCO

1. Les organes de la Convention sont assistés par le Secrétariat de l’UNESCO.

2. Le Secrétariat prépare la documentation de la Conférence des Parties et du Comité intergouvernemental ainsi que le projet d’ordre du jour de leurs réunions, aide à l’application de leurs décisions et fait rapport sur celle-ci.

VII. DISPOSITIONS FINALES

Article 25 – Règlement des différends

1. En cas de différend entre les Parties à la présente Convention sur l’interprétation ou l’application de la Convention, les Parties recherchent une solution par voie de négociation.

2. Si les Parties concernées ne peuvent parvenir à un accord par voie de négociation, elles peuvent recourir d’un commun accord aux bons offices ou demander la médiation d’un tiers.

3. S’il n’y a pas eu de bons offices ou de médiation ou si le différend n’a pu être réglé par négociation, bons offices ou médiation, une Partie peut avoir recours à la conciliation conformément à la procédure figurant en Annexe à la présente Convention. Les Parties examinent de bonne foi la proposition de résolution du différend rendue par la Commission de conciliation.

4. Chaque Partie peut, au moment de la ratification, de l’acceptation, de l’approbation ou de l’adhésion, déclarer qu’elle ne reconnaît pas la procédure de conciliation prévue ci-dessus. Toute Partie ayant fait une telle déclaration, peut, à tout moment, retirer cette déclaration par une notification au Directeur général de l’UNESCO.

Article 26 – Ratification, acceptation, approbation ou adhésion par les États membres

1. La présente Convention est soumise à la ratification, à l’acceptation, à l’approbation ou à l’adhésion des États membres de l’UNESCO, conformément à leurs procédures constitutionnelles respectives.

2. Les instruments de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion sont déposés auprès du Directeur général de l’UNESCO.

Article 27 – Adhésion

1. La présente Convention est ouverte à l’adhésion de tout État non membre de l’UNESCO mais membre de l’Organisation des Nations unies ou de l’une de ses institutions spécialisées, invité à y adhérer par la Conférence générale de l’Organisation.

2. La présente Convention est également ouverte à l’adhésion des territoires qui jouissent d’une complète autonomie interne, reconnue comme telle par l’Organisation des Nations unies, mais qui n’ont pas accédé à la pleine indépendance conformément à la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale et qui ont compétence pour les matières dont traite la présente Convention, y compris la compétence pour conclure des traités sur ces matières.

3. Les dispositions suivantes s’appliquent aux organisations d’intégration économique régionale :

(a) la présente Convention est aussi ouverte à l’adhésion de toute organisation d’intégration économique régionale, qui, sous réserve des paragraphes suivants, est pleinement liée par les dispositions de la Convention au même titre que les États parties ;

(b) lorsqu’un ou plusieurs États membres d’une telle organisation sont également Parties à la présente Convention, cette organisation et cet ou ces États membres conviennent de leur responsabilité dans l’exécution de leurs obligations en vertu de la présente Convention. Ce partage des responsabilités prend effet une fois achevée la procédure de notification décrite à l’alinéa (c). L’organisation et les États membres ne sont pas habilités à exercer concurremment les droits découlant de la présente Convention. En outre, dans les domaines relevant de leur compétence, les organisations d’intégration économique disposent pour exercer leur droit de vote d’un nombre de voix égal au nombre de leurs États membres qui sont Parties à la présente Convention. Ces organisations n’exercent pas leur droit de vote si les États membres exercent le leur et inversement ;

(c) une organisation d’intégration économique régionale et son État ou ses États membres qui ont convenu d’un partage des responsabilités tel que prévu à l’alinéa (b) informent les Parties du partage ainsi proposé de la façon suivante :

(i) dans son instrument d’adhésion, cette organisation indique de façon précise le partage des responsabilités en ce qui concerne les questions régies par la Convention ;

(ii) en cas de modification ultérieure des responsabilités respectives, l’organisation d’intégration économique régionale informe le dépositaire de toute proposition de modification de ces responsabilités ; le dépositaire informe à son tour les Parties de cette modification ;

(d) les États membres d’une organisation d’intégration économique régionale qui deviennent Parties à la Convention sont présumés demeurer compétents pour tous les domaines n’ayant pas fait l’objet d’un transfert de compétence à l’organisation expressément déclaré ou signalé au dépositaire ;

(e) on entend par « organisation d’intégration économique régionale » une organisation constituée par des États souverains membres de l’Organisation des Nations unies ou de l’une de ses institutions spécialisées, à laquelle ces États ont transféré leur compétence dans des domaines régis par la présente Convention et qui a été dûment autorisée, selon ses procédures internes, à en devenir Partie.

4. L’instrument d’adhésion est déposé auprès du Directeur général de l’UNESCO.

Article 28 – Point de contact

Lorsqu’elle devient Partie à la présente Convention, chaque Partie désigne le point de contact visé à l’article 9.

Article 29 – Entrée en vigueur

1. La présente Convention entrera en vigueur trois mois après la date du dépôt du trentième instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion, mais uniquement à l’égard des États ou des organisations d’intégration économique régionale qui auront déposé leurs instruments respectifs de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion à cette date ou antérieurement. Elle entrera en vigueur pour toute autre Partie trois mois après le dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion.

2. Aux fins du présent article, aucun des instruments déposés par une organisation d’intégration économique régionale ne doit être considéré comme venant s’ajouter aux instruments déjà déposés par les États membres de ladite organisation.

Article 30 – Régimes constitutionnels fédéraux ou non unitaires

Reconnaissant que les accords internationaux lient également les Parties indépendamment de leurs systèmes constitutionnels, les dispositions ci-après s’appliquent aux Parties ayant un régime constitutionnel fédéral ou non unitaire :

(a) en ce qui concerne les dispositions de la présente Convention dont l’application relève de la compétence du pouvoir législatif fédéral ou central, les obligations du gouvernement fédéral ou central seront les mêmes que celles des Parties qui ne sont pas des États fédéraux ;

(b) en ce qui concerne les dispositions de la présente Convention dont l’application relève de la compétence de chacune des unités constituantes telles que États, comtés, provinces ou cantons, qui ne sont pas, en vertu du régime constitutionnel de la fédération, tenus de prendre des mesures législatives, le gouvernement fédéral portera, si nécessaire, lesdites dispositions à la connaissance des autorités compétentes des unités constituantes telles qu’États, comtés, provinces ou cantons avec son avis favorable pour adoption.

Article 31 – Dénonciation

1. Chacune des Parties a la faculté de dénoncer la présente Convention.

2. La dénonciation est notifiée par un instrument écrit déposé auprès du Directeur général de l’UNESCO.

3. La dénonciation prend effet douze mois après réception de l’instrument de dénonciation. Elle ne modifie en rien les obligations financières dont la Partie dénonciatrice est tenue de s’acquitter jusqu’à la date à laquelle le retrait prend effet.

Article 32 – Fonctions du dépositaire

Le Directeur général de l’UNESCO, en sa qualité de dépositaire de la présente Convention, informe les États membres de l’Organisation, les États non membres et les organisations d’intégration économique régionale visés à l’article 27, ainsi que l’Organisation des Nations unies, du dépôt de tous les instruments de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion mentionnés aux articles 26 et 27, de même que des dénonciations prévues à l’article 31.

Article 33 – Amendements

1. Toute Partie peut, par voie de communication écrite adressée au Directeur général, proposer des amendements à la présente Convention. Le Directeur général transmet cette communication à toutes les Parties. Si, dans les six mois qui suivent la date de transmission de la communication, la moitié au moins des Parties donne une réponse favorable à cette demande, le Directeur général présente cette proposition à la prochaine session de la Conférence des Parties pour discussion et éventuelle adoption.

2. Les amendements sont adoptés à la majorité des deux tiers des Parties présentes et votantes.

3. Les amendements à la présente Convention, une fois adoptés, sont soumis aux Parties pour ratification, acceptation, approbation ou adhésion.

4. Pour les Parties qui les ont ratifiés, acceptés, approuvés ou y ont adhéré, les amendements à la présente Convention entrent en vigueur trois mois après le dépôt des instruments visés au paragraphe 3 du présent article par les deux tiers des Parties. Par la suite, pour chaque Partie qui ratifie, accepte, approuve un amendement ou y adhère, cet amendement entre en vigueur trois mois après la date de dépôt par la Partie de son instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion.

5. La procédure établie aux paragraphes 3 et 4 ne s’applique pas aux amendements apportés à l’article 23 concernant le nombre des membres du Comité intergouvernemental. Ces amendements entrent en vigueur au moment de leur adoption.

6. Un État ou une organisation d’intégration économique régionale au sens de l’article 27 qui devient Partie à la présente Convention après l’entrée en vigueur d’amendements conformément au paragraphe 4 du présent article est, faute d’avoir exprimé une intention différente, considéré comme étant :

(a) Partie à la présente Convention ainsi amendée ; et

(b) Partie à la présente Convention non amendée à l’égard de toute Partie qui n’est pas liée par ces amendements.

Article 34 – Textes faisant foi

La présente Convention est établie en anglais, arabe, chinois, espagnol, français et russe, les six textes faisant également foi.

Article 35 – Enregistrement

Conformément à l’article 102 de la Charte des Nations unies, la présente Convention sera enregistrée au Secrétariat de l’Organisation des Nations unies à la requête du Directeur général de l’UNESCO.

ANNEXE

Procédure de conciliation

Article premier – Commission de conciliation

Une Commission de conciliation est créée à la demande de l’une des Parties au différend. À moins que les Parties n’en conviennent autrement, la Commission se compose de cinq membres, chaque Partie concernée en désignant deux et le Président étant choisi d’un commun accord par les membres ainsi désignés.

Article 2 – Membres de la commission

En cas de différend entre plus de deux Parties, les parties ayant le même intérêt désignent leurs membres de la Commission d’un commun accord. Lorsque deux Parties au moins ont des intérêts indépendants ou lorsqu’elles sont en désaccord sur la question de savoir si elles ont le même intérêt, elles nomment leurs membres séparément.

Article 3 – Nomination

Si, dans un délai de deux mois après la demande de création d’une commission de conciliation, tous les membres de la Commission n’ont pas été nommés par les Parties, le Directeur général de l’UNESCO procède, à la requête de la Partie qui a fait la demande, aux nominations nécessaires dans un nouveau délai de deux mois.

Article 4 – Président de la commission

Si, dans un délai de deux mois après la nomination du dernier des membres de la Commission, celle-ci n’a pas choisi son Président, le Directeur général procède, à la requête d’une Partie, à la désignation du Président dans un nouveau délai de deux mois.

Article 5 – Décisions

La Commission de conciliation prend ses décisions à la majorité des voix de ses membres. À moins que les Parties au différend n’en conviennent autrement, elle établit sa propre procédure. Elle rend une proposition de résolution du différend que les Parties examinent de bonne foi.

Article 6 – Désaccords

En cas de désaccord au sujet de la compétence de la Commission de conciliation, celle-ci décide si elle est ou non compétente.

ANNEXE 3 :

LISTE CHRONOLOGIQUE DES ÉTATS SIGNATAIRES DE LA CONVENTION

 

États

Date

1

Canada

28/11/2005

2

Maurice

29/03/2006

3

Mexique

05/07/2006

4

Roumanie

20/07/2006

5

Monaco

31/07/2006

6

Bolivie (État plurinational de)

04/08/2006

7

Djibouti

09/08/2006

8

Croatie

31/08/2006

9

Togo

05/09/2006

10

Bélarus

06/09/2006

11

Madagascar

11/09/2006

12

Burkina Faso

15/09/2006

13

République de Moldova

05/10/2006

14

Pérou

16/10/2006

15

Guatemala

25/10/2006

16

Sénégal

07/11/2006

17

Equateur

08/11/2006

18

Mali

09/11/2006

19

Albanie

17/11/2006

20

Cameroun

22/11/2006

21

Namibie

29/11/2006

22

Inde

15/12/2006

23

Finlande

18/12/2006

24

Autriche

18/12/2006

25

France

18/12/2006

26

Espagne

18/12/2006

27

Suède

18/12/2006

28

Danemark

18/12/2006

29

Slovénie

18/12/2006

30

Estonie

18/12/2006

31

Slovaquie

18/12/2006

32

Luxembourg

18/12/2006

33

Lituanie

18/12/2006

34

Malte

18/12/2006

35

Bulgarie

18/12/2006

36

Chypre

19/12/2006

37

Afrique du Sud

21/12/2006

38

Irlande

22/12/2006

39

Grèce

03/01/2007

40

Brésil

16/01/2007

41

Norvège

17/01/2007

42

Uruguay

18/01/2007

43

Panama

22/01/2007

44

Chine

30/01/2007

45

Islande

01/02/2007

46

Sainte-Lucie

01/02/2007

47

Andorre

06/02/2007

48

Tunisie

15/02/2007

49

Jordanie

16/02/2007

50

Italie

19/02/2007

51

Arménie

27/02/2007

52

Allemagne

12/03/2007

53

Chili

13/03/2007

54

Niger

14/03/2007

55

Portugal

16/03/2007

56

Oman

16/03/2007

57

Côte d’Ivoire

16/04/2007

58

Jamaïque

04/05/2007

59

Gabon

15/05/2007

60

ex-République yougoslave de Macédoine

22/05/2007

61

Cuba

29/05/2007

62

Bangladesh

31/05/2007

63

Lettonie

06/07/2007

64

Koweït

03/08/2007

65

Viet Nam

07/08/2007

66

Pologne

17/08/2007

67

Égypte

23/08/2007

68

Cambodge

19/09/2007

69

Nouvelle-Zélande

05/10/2007

70

Mongolie

15/10/2007

71

Mozambique

18/10/2007

72

Tadjikistan

24/10/2007

73

Kenya

24/10/2007

74

Paraguay

30/10/2007

75

République démocratique populaire lao

05/11/2007

76

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

07/12/2007

77

Bénin

20/12/2007

78

Nigéria

21/01/2008

79

République arabe syrienne

05/02/2008

80

Guinée

20/02/2008

81

Argentine

07/05/2008

82

Hongrie

09/05/2008

83

Zimbabwe

15/05/2008

84

Tchad

17/06/2008

85

Soudan

19/06/2008

86

Seychelles

20/06/2008

87

Monténégro

24/06/2008

88

Géorgie

01/07/2008

89

Suisse

16/07/2008

90

Éthiopie

02/09/2008

91

Barbade

02/10/2008

92

Burundi

14/10/2008

93

Congo

22/10/2008

94

Grenade

15/01/2009

95

Bosnie-Herzégovine

27/01/2009

96

Nicaragua

05/03/2009

97

Afghanistan

30/03/2009

98

Qatar

21/04/2009

99

Serbie

02/07/2009

100

Australie

18/09/2009

101

République dominicaine

24/09/2009

102

Saint-Vincent-et-les Grenadines

25/09/2009

103

Pays-Bas

09/10/2009

104

Guyana

14/12/2009

105

Haïti

08/02/2010

106

Azerbaïdjan

15/02/2010

107

Lesotho

18/02/2010

108

Ukraine

10/03/2010

109

Malawi

16/03/2010

110

République de Corée

01/04/2010

111

Guinée équatoriale

17/06/2010

112

Trinité-et-Tobago

26/07/2010

113

République tchèque

12/08/2010

114

Honduras

31/08/2010

115

République démocratique du Congo

28/09/2010

116

Costa Rica

15/03/2011

117

Gambie

26/05/2011

118

République-Unie de Tanzanie

18/10/2011

119

Palestine

08/12/2011

120

Indonésie

12/01/2012

121

Angola

07/02/2012

122

République centrafricaine

11/05/2012

123

Émirats Arabes Unis

06/06/2012

124

Rwanda

16/07/2012

125

Swaziland

30/10/2012

126

Colombie

19/03/2013

127

Antigua-et-Barbuda

25/04/2013

128

Venezuela (République bolivarienne du)

28/05/2013

129

Maroc

04/06/2013

130

El Salvador

02/07/2013

131

Iraq

22/07/2013

132

Belgique

09/08/2013

133

Comores

20/11/2013

134

Bahamas

29/12/2014

135

Algérie

26/02/2015

136

Belize

24/03/2015

137

Mauritanie

24/03/2015

138

Ouganda

08/04/2015

 

Organisations d’intégration
économique régionale

Date

 

Union européenne

18/12/2006

1 () Diversité culturelle à l’ère du numérique - glossaire critique ; sous la direction de Divina Frau-Meigs et d’Alain Kiyindou ; Documentation française (2015).

2 () Audition du 3 juin 2015.

3 () Audition du 17 juin 2015.

4 () Audition du 11 juin 2015.

5 () Audition du 15 juin 2015.

6 () La liste des États parties à la Convention figure en annexe.

7 () Audition du 3 juin 2015.

8 () Audition du 3 juin 2015.

9 () Audition du 18 juin 2015.

10 () http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?isOldUri=true&uri=CELEX:62007CJ0222)

11 () Résolution du Parlement européen du 23 mai 2013 sur les négociations en vue d’un accord en matière de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis (2013/2558(RSP).

12 () Audition du 3 juin 2015.

13 () Internet communautaire autorisant les interactions entre internautes, contrairement au web 1.0 qui ne permettait que les consultations passives de contenus, marqué par l’échange de volumes massifs de données (dénommés « big data »).

14 () Entretien du 7 mai 2015.

15 () Audition du 17 juin 2015.

16 () Audition du 17 juin 2015.

17 () Audition du 11 juin 2015.

18 () Audition du 28 juin 2015.

19 () Audition du 7 mai 2015.

20 () Audition du 3 juin 2015.

21 () Entretien du 7 mai 2015.

22 () Idem.

23 () Résumé analytique du Secrétariat des rapports périodiques quadriennaux des Parties pour 2013 et 2014 (5 CP, 6 mai 2015) et Résumés des rapports périodiques quadriennaux des Parties (5CP, 29 avril 2015).

24 () Audition du 18 juin 2015.

25 () Audition du 11 juin 2015.

26 () Audition du 11 juin 2015.

27 () Entretien du 7 mai 2015.

28 () Audition du 3 juin 2015.

29 () Audition du 11 juin 2015.

30 () http://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/rapportcdecvfinale.pdf

31 () Analyse transversale des rapports périodiques des Parties sur les enjeux et les tendances numériques (5.CP/INF 9, 14 janvier 2015) https://fr.unesco.org/creativity/sites/creativity/files/5CP_INF9_Digital_FR.pdf

32 () Audition du 18 juin 2015.

33 () Analyse transversale des rapports périodiques des Parties sur les enjeux et les tendances numériques (5.CP/INF 9, 14 janvier 2015), pages 9 et 10.

34 () Audition du 17 juin 2015.

35 () Audition du 15 juin 2015

36 () La langue française dans le monde – 2014 ; Observatoire international de la Francophonie

37 () Audition du 3 juin 2015.

38 () Audition du 18 juin 2015.

39 () Audition du 15 juin 2015.

40 () « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles : impacts et enjeux du numérique » : rapport de Mme Louise Beaudoin pour l’Organisation internationale de la francophonie, 28 avril 2014 ; http://cdc-ccd.org/IMG/pdf/Francophonie_Rapport_final_Convention_dc_2005_19_mai_2014_2_.pdf

41 () Entretien du 7 mai 2015.

42 () Les directives opérationnelles et autres techniques de mise en œuvre de la convention sur la diversité des expressions culturelles dans un contexte numérique, rapport du Réseau International des Juristes pour la Diversité des Expressions Culturelles (RIJDEC), juin 2015.

43 () http://www.culturecommunication.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Fleur-Pellerin-salue-l-engagement-a-l-UNESCO-des-travaux-sur-la-diversite-culturelle-et-le-numerique

44 () Audition du 3 juin 2015.

45 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cedu/14-15/c1415045.asp

46 () Interview du 14 mai 2015 sur www.lemonde.fr

47 () Audition du 3 juin 2015.

48 () Audition du 15 juin 2015.


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