______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 octobre 2016.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION (1)
sur l’offre automobile française
dans une approche industrielle, énergétique et fiscale,
ET PRÉSENTÉ
PAR Mme Sophie ROHFRITSCH, Présidente,
et
Mme Delphine BATHO, Rapporteure,
Députées.
——
TOME II
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
La mission d’information sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale est composée de : Mme Sophie Rohfritsch, présidente ; M. Frédéric Barbier, M. Christophe Bouillon, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-présidents ; Mme Delphine Batho, rapporteure ; M. Xavier Breton, M. Jean-Pierre Maggi, M. Jean Grellier, secrétaires ; M. Yves Albarello, M. François André, M. Jean-Marie Beffara, M. Marcel Bonnot, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Yves Caullet, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Charles de Courson, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Philippe Duron, Mme Arlette Grosskost, M. Michel Heinrich, M. Denis Jacquat, M. Philippe Kemel, M. Gérard Menuel, M. Bertrand Pancher, M. Rémi Pauvros, M. Patrice Prat, M. Éric Straumann, M. Jean-Michel Villaumé, membres.
__________________________________________________________________
SOMMAIRE
___
Pages
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 7
1. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Léchevin, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). 9
2. Audition, ouverte à la presse, de M. Cédric Musso, directeur de l’action politique de l’UFC-Que Choisir, et de M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie et environnement. 20
3. Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Poyeton, directeur général de la Plateforme automobile et mobilités (PFA). 29
4. Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Costes, président du Cabinet d’analyse de données économiques INOVEV, et de M. Jamel Taganza, vice-président. 46
5. Audition, ouverte à la presse, de M. le professeur Élie Cohen, économiste (Sciences Po/CNRS). 58
6. Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Lerouge, chef du service de l’Industrie à la Direction générale des entreprises. 73
7. Audition, ouverte à la presse, de M. Louis Schweitzer, Commissaire général à l’investissement. 88
8. Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Dionnet, directeur général du Centre d’étude et de recherche en aérothermique et moteurs (CERTAM), de M. David Preterre, toxicologue et chef de département qualité de l'air, métrologie des nanoparticules aérosolisées et évaluation et de M. Frantz Gouriou, physicien spécialiste de la métrologie des particules fines. 102
9. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Benoit, président-directeur général de l’UTAC-CERAM et de Mme Béatrice Lopez de Rodas, directrice de la marque « UTAC ». 112
10. Audition, ouverte à la presse, de Mme Aliette Quint, du groupe Air Liquide, secrétaire générale de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) et de M. Fabio Ferrari, de la société SymbioFcell. 122
11. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Maler, inspecteur général de l’administration du développement durable et de M. Jean-Bernard Erhardt, administrateur en chef des affaires maritimes du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). 135
12. Audition, ouverte à la presse, de M. Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP), de Mme Isabelle Muller, déléguée générale et de M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques. 142
13. Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Mauge, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV) et conseiller du président de Faurecia, de M. Guy Maugis, président de Bosch France et de M. Olivier Rabiller, vice-président, directeur général, en charge de l’innovation, des fusions–acquisitions, de l’après-vente et des régions en forte croissance de la société Honeywell Transportation System. 156
14. Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Timbeau, économiste, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). 171
15. Audition, ouverte à la presse, de M. Ariel Cabanes, directeur de la prospective et de Mme Clémence Artur, chargée des relations publiques du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA). 179
16. Rencontre, non ouverte à la presse, entre Mme la rapporteure et M. Michel Rollier, président de la Plateforme de la filière « Automobile et mobilités » (PFA) et président du conseil de surveillance de Michelin 191
17. Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Fourniou, président de l’Observatoire du véhicule d’entreprise (OVE) et de M. Philippe Noubel, directeur général délégué d’Arval. 203
18. Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Foulonneau, directeur stratégie et territoires de GRDF, de Mme Catherine Brun, directrice commercial de GRTgaz, de M. Vincent Rousseau, directeur de projet mobilité de GRTgaz, de M. Jean-Claude Girot, président de l'Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV) et de M. Gilles Durand, secrétaire général de l'AFGNV. 214
19. Audition, ouverte à la presse, de M. Christian de Perthuis, professeur à l’Université de Paris Dauphine, titulaire de la Chaire d’économie du climat. 224
20. Audition, ouverte à la presse, de M. Joseph Beretta, président du conseil d’administration de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE France). 233
21. Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Marc Jancovici et de Alain Grandjean, associés fondateurs de Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé dans la stratégie carbone. 242
22. Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Rivoal, président du directoire de Volkswagen France. 255
23. Non-audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Rivoal, président du directoire de Volkswagen France 256
24. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat au Ministère du développement durable. 257
25. Table ronde avec des représentants de la presse automobile et des associations d’automobilistes. Elle a entendu : Mme Alexandrine Breton des Loÿs, présidente du groupe Argus M. Grégory Pelletier, chef du service rédactionnel de l’édition grand public de L’Argus ; M. Arnaud Murati, chef de rubrique à L’Argus ; M. Laurent Chiapello, directeur des rédactions d’Auto Plus, de L’Auto Journal et de Sport Auto ; M. Daniel Quéro, président de l’association 40 millions d’automobilistes ; M. Didier Bollecker, président de l’Automobile Club Association ; M. Stéphane Meunier, rédacteur en chef d’Automobile Magazine ; M. Brice Perrin, chef de rubrique à L’Auto Journal ; M. Alexandre Guillet, rédacteur en chef du Journal de l’automobile ; M. Lionel Robert, directeur de la rédaction d’Auto-Moto. 271
26. Audition, ouverte à la presse, de M. Fabrice Godefroy, président de l’association Diésélistes de France et directeur général du groupe IDLP et de M. Yann Le Moal, porte-parole de l’association Diésélistes de France et directeur de la société NED. 289
27. Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Rivoal, président du directoire de Volkswagen France. 304
28. Audition, ouverte à la presse, de M. Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire CETELEM de l’automobile. 318
29. Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Le Corre, directeur des affaires publiques du Groupe Michelin et de M. Éric Vinesse, directeur pré-développement. 332
30. Audition, ouverte à la presse, de M. Martin Vial, commissaire aux participations de l’État (APE), de M. Aymeric Ducrocq, directeur de participations industrie et de M. Jérôme Baron, secrétaire général. 349
31. Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Peugeot, président du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), et de M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales et techniques, accompagnés de M. François Roudier, directeur de la communication. 360
32. Audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Paulissen, délégué général de la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR), accompagné de M. Benoit Daly, secrétaire général, et de Mme Élisabeth Charrier, déléguée régionale. 375
33. Audition, ouverte à la presse, de M. Yann Delabrière, président-directeur général de FAURECIA, et M. Hervé Guyot, vice-président chargé de la stratégie. 383
34. Audition, ouverte à la presse, de M. Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière, de M. Alexandre Rochatte, délégué adjoint à la sécurité et à la circulation routières, de Mme Marie Boursier, chargée d’études au bureau de la signalisation et de la circulation de la sous-direction de l'action interministérielle à la délégation à la sécurité et à la circulation routières, de M. Rodolphe Chassande-Mottin, chef du bureau de la signalisation et de la circulation de la sous-direction de l'action interministérielle à la délégation à la sécurité et à la circulation routières, et de M. Joël Valmain, conseiller technique "Europe-International" auprès du délégué interministériel à la sécurité routière 395
35. Audition, ouverte à la presse, de M. Gilles Le Borgne, directeur de la recherche et du développement, membre du comité exécutif de PSA Peugeot Citroën. 405
36. Audition, ouverte à la presse, de M. Raymond Lang, membre du directoire "transports et mobilités durables" de France nature environnement (FNE), de M. Jean Thévenon, pilote du réseau "transports et mobilités durables" de France nature environnement (FNE), de Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat–transports du Réseau action climat France (RAC France) et de M. François Cuenot, responsable de l’ONG Transport & Environnement. 422
37. Audition, ouverte à la presse, de M. Thierry Pflimlin, secrétaire général de la branche marketing et services du Groupe Total et de M. Philippe Montantème, directeur stratégie de la branche marketing et services. 439
38. Audition, ouverte à la presse, de Mme Nathalie Homobono, directrice générale de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). 449
39. Audition, ouverte à la presse, avec les représentants du secteur de l’automobile au sein des grandes centrales syndicales, avec la participation de : pour Force ouvrière-Métaux (FO-Métaux) : M. Christian Lafaye, M. Laurent Smolnik, M. Jean-Yves Sabot et M. Jean-Philippe Nivon ; pour la Fédération générale des mines et de la métallurgie-CFDT (FGMM-CFDT) : M Philippe Portier, M. Franck Daout, M. Jean-François Nanda et M. Sébastien Sidoli ; pour la CFTC : M. Albert Fiyoh Ngnato, M. Eric Heitz, M. Emmanuel Chamouton et M. Franck Don ; pour la Fédération de la Métallurgie–CGC (CFE-CGC) : M. Éric Vidal, M. Jacques Mazzolini et M. Frédéric Vion 459
40. Audition, ouverte à la presse, de M. Gaspar Gascon Abellan, membre du comité exécutif et directeur de l’ingénierie du Groupe Renault, accompagné de Mme Véronique Dosdat, directrice des affaires publiques, de M. Jean-Christophe Beziat, directeur des relations institutionnelles environnement et innovation et de Mme Louise d’Harcourt, directrice des affaires parlementaires et politiques. 476
41. Audition, ouverte à la presse, de Mme Bénédicte Barbry, directrice des relations extérieures et affaires publiques et de M. Christophe Delannoy, responsable services atelier Norauto, du Groupe Mobivia sur les protocoles d’écoentretien des véhicules. 489
42. Audition, ouverte à la presse, de M. Carlos Tavarès, président du directoire du Groupe PSA. 497
43. Audition, ouverte à la presse, de M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. 516
44. Audition, ouverte à la presse, de M. Alain Vidalies, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche, et de M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat. 527
1. Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Léchevin, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
(Séance du mercredi 28 octobre 2015)
La séance est ouverte à midi.
La mission d’information a entendu M. Bruno Léchevin, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Notre présidente Sophie Rohfritsch m’a demandé de la remplacer pour cette audition. Elle est, en effet, retenue par un rendez-vous pris de longue date au ministère de l’agriculture. Nous recevons, en cette fin de matinée, le président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
Notre mission entend, dans un premier temps, faire des auditions tant sur la filière industrielle automobile que sur les impacts environnementaux de l’usage de l’automobile. Je souhaiterais que vous nous apportiez sur ce point des explications claires.
En novembre 2013, votre agence a publié une étude sur l’élaboration selon les principes des analyses de cycle de vie (ACV) des bilans énergétiques, des émissions de gaz à effet de serre et des autres impacts environnementaux induits par l’ensemble des filières de véhicules électriques et de véhicules thermiques, véhicules particuliers de segment B (citadine polyvalente) et véhicules utilitaires légers (VUL) à l’horizon 2012 et 2020. Peu souvent cité, ce rapport met en évidence que la voiture électrique peut représenter une impasse s’agissant des émissions de CO2.
N’hésitons pas à le dire, une telle étude ne peut être que pain bénit pour une députée qui, comme moi, est élue dans la circonscription où les usines Peugeot PSA produisent des moteurs diesels. Votre rapport est particulièrement édifiant, car il montre que de fausses idées circulent sur les voitures électriques. Pourrez-vous d’ailleurs nous le remettre officiellement ?
M. Bruno Léchevin, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Oui, naturellement. Ce document est en ligne sur le site de notre agence, mais il reste possible d’organiser une remise officielle. Le véhicule électrique émet peu de pollution et coûte peu cher à l’usage, mais sa construction revient cher et induit quant à elle des émissions polluantes plus significatives.
En fait, il n’y a pas de solution idéale, mais un optimum à rechercher selon les différents usages. Tel pourrait être d’ailleurs le fil conducteur du court exposé liminaire que je voudrais vous présenter. Il se divisera en trois parties. Je vous livrerai d’abord des éléments de contexte, puis je plaiderai pour la nécessité de développer un mix énergétique diversifié, avant d’ouvrir la perspective sur l’avenir et sur les programmes d’investissement d’avenir relatifs à la manière de nous déplacer demain.
Le secteur des transports est à la fois très consommateur d’énergie et très émetteur de gaz à effet de serre. Il représente en effet 35 % des émissions de CO2 et 32 % de la consommation d’énergie finale en France. La part des voitures particulières dans la consommation d’énergie du secteur est de près de 61 %.
Il est par ailleurs fortement responsable de la dégradation de la qualité de l’air en France et contribue, en 2012, à 54 % des émissions d’oxyde d’azote (NOx), 14 % des émissions de particules fines en suspension (ou particulate matters) PM10 et 17 % de celles de PM2,5.
C’est également un secteur ayant des impacts économiques forts, avec un poids important sur la facture énergétique française, plus de 90 % des carburants utilisés étant issus du pétrole. Pour finir, c’est aussi un secteur à fort enjeu social, concernant notamment le problème de la dépendance vis-à-vis de l’automobile en zones rurales ou péri-urbaines, non desservies par les transports en commun.
En résumé, les transports sont un secteur clé pour la lutte contre le dérèglement climatique et la pollution de l’air, mais leurs impacts vont bien au-delà. Ils sont au cœur de nombreuses problématiques de développement durable de notre pays.
J’en viens à la nécessité de développer un mix énergétique diversifié. Le progrès technique et la diversification énergétique constituent un volet d’actions essentiel pour réduire l’impact énergétique et environnemental de l’automobile. Cependant, l’ADEME insiste sur la nécessité d’adopter une approche de neutralité technologique. Nous ne sommes pas dans une logique consistant à dire que telle ou telle énergie est à bannir. Nous regardons les choses de façon factuelle et pragmatique, et constatons qu’aujourd’hui et pour encore longtemps, il y a de la place pour tout le monde.
Certes, certaines technologies présentent des avantages car elles ne nécessitent pas de systèmes de dépollution susceptibles de dysfonctionner et donc présentent moins de risque de dérives en situation réelles. C’est le cas par exemple de I électromobilité et des carburants gazeux. Le gaz naturel pour véhicules (GNV) en particulier présente également l’intérêt fondamental de pouvoir évoluer vers du BioGNV. C’est aussi potentiellement le cas du GPL, avec le Biopropane. Ces carburants ouvrent donc la voie à plus d’énergies renouvelables, et à une meilleure collaboration entre les réseaux énergétiques.
En Rhône-Alpes, l’ADEME soutient actuellement le projet Équilibre, qui aide des transporteurs à couvrir le surcoût d’acquisition de camions GNV jusqu’à en regrouper une quinzaine, seuil d’amortissement d’une station GNV sans aide publique. Les transporteurs sont très demandeurs d’un déploiement large du GNV. Cela peut représenter environ 200 000 euros d’aides pour un ensemble quinze camions et une station, avec un effet de levier égal à 10. Ce soutien pourrait être financé sur le fonds de financement de la transition énergétique (FFTE).
À l’ADEME, nous croyons qu’il faut développer un mix énergétique diversifié parce que c’est cela qui permettra de tirer le meilleur parti des énergies renouvelables. Toutes les énergies et technologies auront leur place, Diesel, hydrogène, etc., et il faudra surtout veiller à les utiliser dans leur sphère de meilleure performance environnementale, et là où elles sont le plus adaptées d’un point de vue pratique. Par exemple, dans l’état actuel de la technique, le véhicule électrique n’est pas adapté pour un Paris-Marseille mais un Diesel l’est. La meilleure solution reste cependant un train bien rempli !
Pour certaines énergies, il faudra commencer par développer les usages captifs, sur des flottes de véhicules. L’hydrogène a de son côté un statut particulier, car c’est plus qu’une énergie de mobilité. C’est un vecteur énergétique global qu’on peut stocker, produire à partir d’autres sources, etc.. Il y a donc toute une infrastructure à développer, avec des liens dans le déploiement des réseaux intelligents (smart grids) et des logiques véhicule/bâtiment et véhicule/réseau. De ce fait, dans nos visions énergies, son déploiement est vu à un horizon plus lointain que le GNV ou les véhicules électriques à batteries.
Ouvrons enfin des perspectives sur la manière dont nous déplacerons demain. La réponse à la réduction des impacts énergétiques et environnementaux de l’automobile ne pourra pas être que technologique.
L’amélioration de la performance des véhicules aura évidemment un impact positif, mais cela ne suffira pas. Il faut aussi une évolution des comportements pour optimiser les flux de déplacement, réduire le nombre de trajets, augmenter les taux de remplissage des véhicules, etc.
Pour faire simple, l’objectif est de pouvoir utiliser chaque moyen de transport au meilleur de ses capacités, sur l’usage pour lequel ses impacts environnementaux sont les plus faibles. Ceci passe par une évolution des comportements qui visera à combiner les moyens de transport pour aller d’un point A à un point B, plutôt que de recourir à un mode unique, en particulier la voiture personnelle, pas toujours pertinente. Elle n’est qu’une solution parmi d’autres, que l’on peut partager avec d’autres utilisateurs, comme pour le covoiturage ou l’autopartage. Nous devons passer d’une logique de possession à une logique d’usage et de partage. C’est la fameuse notion de véhicule « serviciel ».
Par ailleurs, il faut également que nous reconsidérions les modes « actifs », comme le vélo ou la marche. Trop souvent, le déplacement motorisé est devenu un réflexe, alors que beaucoup de déplacements peuvent se faire à pied, voire ne pas se faire du tout.
Pour les déplacements des personnes, nous irons vers plus d’intermodalité, pour combiner différents moyens de transport entre eux, les transports en commun et les modes actifs en tête. La situation sera évidemment très différente entre les zones urbaines et rurales, suivant la disponibilité de l’offre. Les technologies de l’information et de la communication joueront un rôle clé car elles permettront de proposer des itinéraires multimodaux avec une information mise à jour en temps réel.
L’ADEME suscite, expérimente et accompagne évidemment ce mouvement dans ses différentes actions. Elle apporte notamment un soutien fort au développement de technologies performantes et adaptées aux évolutions des usages, ainsi qu’aux solutions organisationnelles innovantes : programme de Recherche et Développement ; programme de caractérisations des technologies ; enveloppe Investissements d’avenir au titre des programmes « Véhicule du futur » (PIA1) et « Véhicules et transports du futur » (PIA2).
Les investissements d’avenir représentent début 2015 pour l’ADEME plus de 180 projets soutenus, et un montant d’aide de 1,33 milliard d’euros pour un coût total des projets de 4,14 milliards d’euros. Les transports et la mobilité en représentent une part importante, et mobilisent actuellement huit appels à projets, dans le ferroviaire, la logistique et l’intermodalité, le véhicule dans son environnement, la route du futur, la mobilité du futur, les navires du futur, les ferries propres, le déploiement des bornes de recharge électriques, plus une initiative réservée aux PME.
Plus spécifiquement, l’action « Véhicules et transports du futur » du PIA, dotée de 1,12 milliard d’euros, accompagne et renforce la capacité d’innovation des entreprises (grands groupes, établissements de taille intermédiaire (ETI), petites et moyennes entreprises (PME)) et des organismes de recherche notamment dans le secteur du transport routier, contribuant à accélérer le développement et le déploiement de technologies et d’usages de mobilité terrestre innovants moins consommateurs en énergies fossiles.
Ce sont, en quelques chiffres, dix appels à projets destinés au secteur du transport routier ouverts depuis 2010 ; 42 projets décidés pour financement ; 1,1 milliard d’euros d’investissements par les bénéficiaires des projets décidés ; 262 conventions de financement signées ; 350 millions d’euros d’aides au titre des investissements d’avenir engagés (38 % de l’aide sous forme de subvention, 62 % en avance remboursable)
L’appel à projets en cours « Véhicule et mobilité du futur Édition 2015 » est ouvert jusqu’au 1er octobre 2016. Les axes soutenus sont les technologies et innovations permettant l’amélioration des performances des véhicules, les technologies et innovations sur le véhicule connecté ou le véhicule autonome/automatique ; l’expérimentation d’usages et services innovants de mobilité des personnes comme des biens.
En 2015, a également été ouverte une action intitulée Initiative PME pour accompagner et renforcer la capacité d’innovation des PME dans le secteur du transport routier notamment. Répondant aux besoins des PME, les prochaines initiatives sont programmées jusqu’en 2017. Elles seront fondées sur la simplicité, la réactivité et l’attractivité, grâce à des dossiers de candidature simplifiés, à des décisions de financement six semaines après dépôt d’un dossier et à une subvention forfaitaire de 200 000 euros pour tous les lauréats. Pour la première édition, 40 projets d’entreprise ont été financés sur 89 dossiers reçus.
Voici trois exemples de projets soutenus. Le projet OPTI’MOD LYON permet d’améliorer la mobilité des particuliers, des professionnels et du fret en milieu urbain en fournissant en continu des informations : prévisions de trafic à une heure, navigateur multimodal sur téléphone mobile, guidage sur mobile pour les conducteurs de fret... Le projet EOLAB est un concentré d’innovations pour les voitures de demain –aérodynamique, allégement, motorisation hybride, connexion– pour atteindre une consommation très basse, jusqu’à un litre aux cent... Ce projet doit être connu du grand public, qui doit pouvoir se l’approprier.
Enfin, le projet Hybrid’air de récupération et restitution d’énergie via la compression d’un gaz permet globalement une baisse de consommation d’un tiers pour des voitures essence. Ce projet abouti n’est pas encore commercialisé, faute de partenaire industriel s’engageant aux côtés de PSA.
Parmi les questions stratégiques auxquelles doivent répondre les constructeurs : faut-il changer de métier, et passer de la vente de véhicules à la vente de mobilité ? Est-ce qu’à l’avenir c’est Google qui rédigera le cahier des charges des véhicules, qui deviendront simplement des supports de services de mobilité sophistiqués ? Comment aider les constructeurs français dans ces évolutions ? De ce point de vue, le bel outil que nous gérons pour le compte de l’État, le PIA, peut être une belle opportunité même si nous commençons à réfléchir pour qu’il soit encore plus adapté afin d’aider nos constructeurs à mieux répondre au défi de l’arrivée du numérique. On n’est plus seulement à vendre des objets avec des modèles d’affaires qui vont bien, mais on doit permettre, au travers d’un soutien avec des subventions appropriées, de pouvoir tester des services de mobilité innovants, d’avoir les territoires pour le faire. On est donc davantage dans du test organisationnel, avant d’engager le développement d’éventuels futurs objets de mobilité.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Vous avez posé le problème des batteries électriques en soulignant que les véhicules qui en sont équipés peuvent être utiles pour de petits trajets, alors qu’elles ne peuvent être amorties, sur le plan de l’émission de CO2, qu’au bout de 50 000, voire 100 000 kilomètres. C’est pourquoi ce type de véhicule me dérange beaucoup.
Notre mission a été lancée à la suite des révélations récentes sur le logiciel employé par le groupe Volkswagen. Pourtant, le commissaire européen avait alerté dès 2013 sur des inexactitudes. Il me semble donc qu’il y a un problème de communication, si tout le monde était au courant depuis deux ans. Étiez-vous quant à vous informé ?
M. Bruno Léchevin. L’usage du véhicule électrique n’est pas réservé aux petits déplacements. Il importe surtout qu’il roule. Si un ménage possède deux véhicules, le véhicule électrique doit être utilisé comme premier véhicule, et non comme le véhicule d’appoint. Idéalement, son usage doit être partagé. En Île-de-France, Autolib’ permet justement à des véhicules électriques partagés de rouler beaucoup. La question de l’usage est donc primordiale. Mais je reconnais que ce type de véhicule n’est pas tout à fait approprié aujourd’hui aux longues distances, quoiqu’il ne faille pas exclure d’évolution technologique dans les prochaines décennies.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Mais avez-vous évoqué dans votre rapport les particules fines ?
M. José Caire, directeur Villes et territoires durables de l’ADEME. Notre étude reposait sur une analyse comparative des cycles de vie de la voiture électrique et de la voiture traditionnelle à propulsion thermique. Publié en novembre 2013 sur notre site, il ne fait pas moins de 300 pages, car il est bardé de toute la rigueur scientifique. Comme le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’ADEME s’entoure de nombreuses précautions pour éviter de tomber sous le reproche qu’elle ferait preuve de légèreté dans son approche.
La livraison du rapport n’est que le premier pas. La communication doit suivre et nous réfléchissons à une meilleure diffusion de ses résultats. Je souligne que nous n’avons d’ailleurs étudié qu’un seul type de batterie électrique.
Dans la presse, la dominante des réactions était que l’ADEME n’aime pas les véhicules électriques. Nous sommes en fait plus nuancés et nous avons seulement pesé le pour et le contre. Mais il est vrai qu’il ne s’agissait pas du plaidoyer sans réserve auquel certains s’étaient attendus.
Les études d’analyse du cycle de vie s’appuient sur des indicateurs normés qui permettent de mesurer les rejets de gaz à effet de serre, l’eutrophisation de l’eau, les émissions d’ozone, l’acidification de l’air ou les consommations de ressources…
Sur cette base, nous avons analysé les avantages comparés en matière d’environnement, mais aussi de coût financier. À la construction, le véhicule électrique est cher et polluant. Au stade de l’usage, en revanche, il est peu polluant et peu cher. Un véhicule électrique doit rouler beaucoup. Acheté pour ne plus rouler ensuite, il est particulièrement polluant.
Un véhicule électrique est en revanche parfaitement adapté comme premier véhicule d’un ménage. L’amortissement en termes écologiques et financiers est à ce prix. Nous insistons donc beaucoup sur cette priorité d’usage et sur la solution « servicielle ». Car, s’il est partagé, le véhicule électrique roule beaucoup.
Il a un intérêt environnemental indéniable. En matière de gaz à effet de serre, le véhicule électrique se compare au véhicule diesel. S’agissant de la qualité de l’air à proximité du véhicule, il est tout simplement imbattable.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Pardon, mais qu’en est-il de l’abrasion des plaquettes de frein et de l’usure des pneus !
M. José Caire. Il y a certainement un travail scientifique à mener sur les pièces d’usure et sur la remise en suspension des particules produites par les freins. Des compléments d’analyse sont en cours, tandis que la communication sur ces sujets est elle-même à approfondir.
En particulier, les résultats dépendent surtout du contenu carbone du mix électrique de la voiture. Si l’électricité employée est produite par du charbon, elle n’est bien sûr plus guère écologique...
S’agissant de l’affaire Volkswagen, un amalgame a eu lieu dès le départ entre deux questions qui sont différentes, même si elles sont liées.
D’une part, il y a eu fraude. Le groupe Volkswagen a introduit à dessein un logiciel clandestin dans son logiciel de commande de moteurs, de telle sorte que le véhicule reconnaisse le cycle d’homologation du banc d’essai et modifie en conséquence ses réglages, de telle sorte que les valeurs produites soient différentes des valeurs réalisées au cours d’un usage normal.
D’autre part, il y a un écart entre la valeur d’homologation des véhicules et leur vie réelle. Ce sujet était connu de l’ADEME, qui n’était en revanche absolument pas au courant de la fraude chez Volkswagen. Le sujet des valeurs d’homologation est à vrai dire un marronnier, qui est reparu dans ce climat délétère. Un consommateur qui achète un véhicule censé rouler à quatre litres/cent km sait bien que ce sera en réalité davantage.
Le cycle d’homologation est, si vous me passez l’expression, un cycle pépère au cours duquel ni la vitesse ni les accélérations ne sont poussées trop loin. Cela pose un problème. En tout état de cause, les conditions d’utilisation d’un véhicule sont extrêmement variables d’un conducteur à l’autre.
Du moins, les cycles d’homologation NEDC (new European driving cycles ou nouveaux cycles européens de conduite) seront prochainement remplacés par la procédure d’essai mondiale harmonisée pour les voitures particulières et véhicules utilitaires légers (Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures, WLTP). Plus significatifs, ces derniers cycles ne suscitent pas toujours l’enthousiasme des constructeurs, car ils produisent des valeurs moins flatteuses. Avant-hier, le groupe PSA a décidé quant à lui d’instaurer la transparence sur les valeurs de ce véhicule. Car les constructeurs se rendent tout de même compte qu’un climat délétère risque de s’installer si rien ne change.
En résumé, il faut se rendre compte que tout le monde ne fraude pas. La question de normes d’homologation inadaptées doit être bien séparée de la fraude.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Quelles sont les missions précises de l’ADEME en matière de qualité de l’air, de mobilité durable et quelles sont ses modalités d’intervention dans ses domaines, ses compétences, ses budgets, ainsi que la composition de ses équipes ?
S’agissant de la qualité de l’air, vous avez fait un rappel sur le calcul de la valeur moyenne des émissions dans le secteur automobile. Disposez-vous d’une typologie territoriale mettant en parallèle la situation dans les zones urbaines denses, dans les zones périurbaines et dans les zones rurales ? Elle permettrait de voir quelle est la part de l’automobile dans les émissions de CO2, de NOx, de PM10 et de PM2,5 ainsi que leur évolution dans le temps sur une période de dix ou vingt ans. Disposez-vous d’ailleurs de données sur l’émission par type de motorisation et sur les évolutions récentes tant de la motorisation au diesel que de la motorisation sur les injections essence ?
S’agissant des PIA, vous nous avez livré des données sur les projets soutenus, en soulignant que les PME sont plus particulièrement ciblées. Mais quelle est la part des grands emprunts qui est consacrée au secteur automobile ? Une évaluation et un bilan sont-ils déjà possibles ou est-il trop tôt pour mesurer l’impact et l’utilité des projets soutenus depuis 2010 ?
Dans le cadre des PIA, commet les décisions sont-elles prises ? Quelles sont les relations avec les grands constructeurs français ?
S’agissant de l’homologation des véhicules automobiles et des tests, le Gouvernement a mis en place un dispositif conçu pour vérifier qu’il n’y a pas fraude. Êtes-vous associés à ce dispositif ?
L’ADEME est-elle consultée sur la position française relative aux normes européennes en cours de négociation ? Quel est son point de vue précis sur les procédures d’homologation et sur la nature des structures qui procèdent aux tests, et sur leur indépendance ?
Enfin, vous avez déclaré que les écarts entre les valeurs affichées à l’achat du véhicule et les valeurs réelles sont de notoriété publique. Je serais intéressé de connaître l’historique de cette notoriété.
M. Denis Baupin. Je me félicite que nous commencions notre cycle d’auditions par l’audition de l’ADEME, puisque l’Agence est à la fois compétente en matière de pollution de l’air et en matière de consommation d’énergie.
Vous avez parlé de diesel propre, expression étrange qui me semble être comme un oxymore. Envisagez-vous vraiment que cela soit possible ? Quelle est votre analyse ? Comment estimez-vous le volume des particules émises par les véhicules diesel respectant la norme Euro 6, non seulement ce qui sort du pot d’échappement, mais aussi les particules secondaires qui peuvent se recomposer au cours d’étapes ultérieures ? Je vous poserais la même question sur les oxydes d’azote, tels qu’ils sont rejetés en mode de fonctionnement normal du véhicule.
Car, même si vous déclarez que tout le monde sait qu’un écart existe entre les valeurs affichées à l’achat du véhicule et les valeurs réelles, je ne suis pas certain que le consommateur moyen ait réellement conscience de ce que les émissions réelles seront en réalité trois à quatre fois supérieures à ce qui lui est annoncé. Cela induit pourtant une consommation plus élevée, partant un impact négatif sur son pouvoir d’achat.
S’agissant de l’affaire Volkswagen, si la Commission européenne était vraiment au courant du trucage, de cette fraude, comment les concurrents de la marque allemande auraient-ils pu ne pas l’être eux aussi ?
Vous avez mis l’accent sur le mix énergétique à rechercher en matière de véhicules, en soulignant à juste titre qu’il doit être le plus diversifié possible et inclure du gaz. À ce propos, quels sont les efforts nécessaires pour construire un réseau de distribution viable ou du moins en établir un schéma ? Au cours du débat sur la transition énergétique, nous étions parvenus à obtenir, sans étude d’impact, qu’elle prévoie sept à huit millions de points de recharge pour les véhicules électriques, mais sans pouvoir arriver au même s’agissant du gaz. Je rappelle qu’une directive prévoit que ces schémas doivent être établis pour les carburants alternatifs.
Quant aux perspectives d’avenir, vous avez évoqué l’usage partagé des véhicules et les technologies numériques, mais peu la forme du véhicule. Un véhicule à quatre places est-il toujours nécessaire ? Faut-il qu’il puisse toujours monter à 180 kilomètres à l’heure ? Serait-il utile de proposer un véhicule à deux places dont la vitesse maximale soit 90 kilomètres à l’heure pour contribuer à atteindre le facteur 4, c’est-à-dire l’objectif qui consiste à diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre sur une période de quarante ans ? La fin du véhicule à tout faire, susceptible d’assurer le transport de la famille pour les vacances mais utilisé en règle ordinaire pour le déplacement du seul conducteur, donnerait plus de pouvoir d’achat aux consommateurs, en lui permettant d’acquérir un véhicule qui est moins gourmand en énergie.
M. Bruno Léchevin. Pour les PIA, je n’ai pas de chiffres en tête, mais nous vous fournirons des éléments sur le pourcentage des fonds du PIA géré par l’ADEME et sur le pourcentage qui est consacré aux transports et à la mobilité. Dans ce domaine, l’Initiative PME s’appuie sur la myriade de PME innovantes qui gravitent autour des grands industriels et peuvent avoir un impact sur leur stratégie numérique, structurelle et organisationnelle. Les décisions relatives aux PIA reposent sur une comitologie où tous les acteurs sont associés, avant que le Premier ministre tranche. Je rappelle que l’ADEME est l’opérateur du Commissariat général à l’investissement (CGI) pour les PIA.
Quant aux véhicules diesel, je dirais qu’ils sont devenus plutôt plus performants que plus propres. L’avenir appartient à la mise en œuvre de la norme Euro 6, mais rien n’assure qu’elle permettra d’assurer un diesel propre. L’impact des particules secondaires est en particulier loin d’être réglé. C’est la question la plus délicate et la plus fondamentale, celle qui concerne l’impact sur la qualité de l’air. Bien que la loi prévoie des dispositifs de maîtrise de la pollution, des professionnels parmi lesquels certains taxis se livrent en Île-de-France au « défapage », c’est-à-dire qu’ils les bricolent, en dégradant la performance ou en masquant leur éventuel dysfonctionnement.
M. Denis Baupin. Les taxis ne sont pas les seuls à le faire, nous n’allons pas les stigmatiser !
M. Bruno Léchevin. Ils ne sont pas les seuls, mais ils roulent beaucoup. Or ils n’étaient pas sanctionnés. On voit ici les limites du contrôle technique, qui ne permet même pas de s’apercevoir de l’existence de telles pratiques. Des progrès sont vraiment à faire. En tout état de cause, elles seront dorénavant totalement répréhensibles.
En matière de mobilité durable, les solutions sont multiples. Elles ne résident pas seulement dans de nouvelles technologies ou dans le type de véhicule, plus léger ou moins volumineux. J’en veux pour preuve l’usage « serviciel » des véhicules. Il est vrai qu’il est dommage de concevoir des véhicules pour des départs en vacances qui n’auront lieu que deux fois par an, alors que des modèles mériteraient d’être développés qui répondraient mieux aux besoins quotidiens de celui qui doit se rendre au travail sans pouvoir emprunter les transports en commun. Nous réfléchissons donc à un usage approprié et performant du point de vue de l’impact économique et environnemental, en évaluant dans cette perspective les différents choix technologiques.
M. Laurent Gagnepain, ingénieur expert au service Transports et mobilité. S’agissant des écarts entre les valeurs d’homologation et le cycle réel, l’ADEME a pour mission de mener elle-même des tests et elle le fait sur la base des cycles d’usage réels des véhicules, pour comparer les grandes filières.
Conçus avec l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTARR), les cycles Artémis sont utilisés depuis les années 2000. Ils ont permis de constater, entre 2005 et 2010, quand la norme Euro 4 est entrée en vigueur, alors que l’émission d’oxyde d’azote est devenue plus réglementée pour les véhicules diesel, que les valeurs réelles d’émission n’ont pourtant pas baissé.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Peut-on dire qu’à mesure que les normes se durcissaient, l’écart se creusait entre les tests homologués et l’évaluation des véhicules en usage réel ?
M. Laurent Gagnepain. Oui, pour les oxydes d’azote, mais non pour les particules fines, le dioxyde de carbone étant à considérer à part. Avec un filtre à particules polluantes, la baisse peut être significative. L’homologation produit alors un effet réel. Parallèlement, les cycles ont fait l’objet d’une réflexion pour être rapprochés de l’usage réel des véhicules, tout en étant conscients de ce que chacun construit de manière différente, pour un même modèle de véhicule.
En revanche, les nouveaux cycles prennent en compte une plage plus large d’utilisation des moteurs, un maximum de points de fonctionnement, alors que le cycle NEDC ne prenait pour ainsi dire pas en compte les accélérations. Les nouveaux cycles d’homologation devraient donc fournir des valeurs moins éloignées des valeurs d’usage réel.
M. José Caire. La notoriété publique de ces écarts ne concerne d’ailleurs que le dioxyde de carbone, car chacun constate la consommation réelle de son véhicule en passant à la pompe. Mais il n’en va pas de même pour l’évaluation des rejets de particules polluantes.
M. Laurent Gagnepain. Les écarts de consommation ont tendance à augmenter. À cause du changement des chaînes de traction, les différences sont en effet de plus en plus marquées.
Les cycles ne sont pas prévus pour intégrer l’hybridation. Les véhicules qui en sont équipés présentent un écart encore plus important. L’usage qui en est fait est primordial sous ce rapport : s’ils sont employés seulement sur autoroutes, l’hybridation joue à peine ; mais il en va bien différemment s’il s’agit d’un usage urbain mettant à profit le potentiel de l’hybridation.
S’agissant du diesel, ou de l’essence, je n’emploierais jamais l’adjectif « propre » qu’entre guillemets. Il n’y a pas de moteur 100 % propre. La combustion parfaite d’un hydrocarbure ne rejetterait que du dioxyde de carbone et de l’eau, mais cette combustion parfaite n’existe pas. Les rejets d’oxyde d’azote sont également inévitables.
Il faut donc surtout distinguer entre les véhicules pourvus d’un filtre à particules (FAP), conformément à la norme Euro 6, et ceux qui n’en sont pas équipés.
M. Bruno Léchevin. Il est donc impropre de dire « propre » (Sourires).
M. Laurent Gagnepain. Les nouvelles motorisations à l’essence ne sont au reste pas forcément beaucoup plus propres que les motorisations au diesel, notamment quand elles utilisent l’injection directe. Elles rejettent en effet davantage de particules fines que les véhicules diesel équipés d’un filtre à particules. Pour respecter la norme Euro 6 C, qui entrera en vigueur en 2017-2018, les véhicules à essence auront eux-mêmes certainement besoin d’un filtre à particules.
S’agissant en outre de la formation des aérosols secondaires, les particules émises par les véhicules diesel sont plus stables que celles qui sont émises par les véhicules essence. À la sortie du pot d’échappement, il peut y en avoir plus pour un véhicule diesel, mais leur nombre n’évolue pas, tandis que celles qui sont émises par un véhicule à l’essence, plus faibles au départ, entrent ensuite dans une série continue de réactions chimiques.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Disposez-vous d’éléments de comparaison entre le diesel et l’injection directe à l’essence ? Qu’en est-il en particulier des PM2,5 ?
M. Laurent Gagnepain. Trois projets sont en cours pour caractériser les particules fines émises hors échappement, soit les particules issues des pneus, des freins et de l’embrayage. Deux programmes portent sur la caractérisation proprement dite, sur piste et sur route. Ils visent à identifier la nature, la taille et la composition de ces particules.
D’autres projets existent qui visent à limiter la production de particules. L’un est conduit à l’échelle européenne et se donne pour objectif de limiter l’émission de particules liées à l’abrasion des plaquettes de frein. Quant à nous, nous évaluons une solution tendant aux mêmes fins mais recourant à un filtre.
M. Jean-Michel Villaumé. Nous avons parlé de la pollution des véhicules particuliers, mais qu’en est-il du trafic routier de marchandises ? Disposez-vous de chiffres le concernant ses rejets qui sont, je crois, considérables ?
Dans votre propos liminaire, vous avez par ailleurs invoqué le principe de la neutralité technologique. Je serais néanmoins heureux que vous nous précisiez comment vous envisagez le véhicule de demain.
M. Bruno Léchevin. La neutralité technologique s’entend par rapport aux normes en vigueur et au regard des techniques existantes. C’est sur cette base que sont calculées les émissions. Le projet EOLAB dont je vous ai parlé met notamment l’accent sur l’hydrogène et sur le gaz naturel liquéfié (GNL). Car l’ADEME aime le gaz propre.
Monsieur Baupin, nous sommes très ambitieux sur le réseau de bornes rechargeables de gaz, mais moins sur les bornes électriques. Or nous nous enfermons ainsi dans le dilemme de la poule et l’œuf, puisqu’il y a une corrélation nécessaire entre l’extension du réseau et l’usage de véhicules rechargeables.
Comme moyen de financement, les programmes d’investissement d’avenir ne sont pas le meilleur outil, au contraire du fonds de financement de la transition énergétique. C’est lui qui finance ainsi le fonds Équilibre dans la région Rhône-Alpes.
M. Laurent Gagnepain. Monsieur Vuillaumé, des informations existent sur le trafic routier de marchandises. Les véhicules lourds sont soumis à des homologations et sont généralement en avance sur les véhicules individuels, notamment en matière d’oxyde d’azote. Les véhicules qui accusent le retard le plus sévère sont les deux roues.
La Commission européenne s’est intéressée aux poids lourds, aux véhicules utilitaires légers et aux autocars, en laissant de côté les deux roues. Mais il est vrai qu’il faut prendre en compte non seulement les émissions unitaires par véhicule, mais aussi le nombre total de kilomètres parcourus par ces véhicules ; les poids lourds roulent beaucoup.
M. José Caire. Un camion est plus facile à rendre performant, car l’investissement dans la dépollution est plus vite amorti. Les constructeurs ont d’ailleurs renoncé au diesel sur les petits modèles, comme la Twingo ou la C1.
D’ailleurs, nous n’aimons pas non plus l’expression « diesel propre », ni « essence propre ». Le vélo et la marche, voilà les seuls moyens de déplacement vraiment propres.
Quant au véhicule du futur, nous n’en avons pas de vision péremptoire. Nous menons des analyses et des études. L’idée d’un véhicule « serviciel » s’impose elle-même à contre-courant de l’image de départ. Le véhicule autonome nous semble également prometteur : dépourvu de chauffeur, il consomme moins. Il coûte peu cher et permet de développer l’offre à la demande en milieu rural.
S’agissant du gaz, nous aimons cette énergie, car elle permet de passer progressivement à une consommation décarbonée, sans rupture technologique. Le GNV fossile peut en effet être progressivement remplacé par du gaz bio. Les choix sont plus délicats concernant le véhicule électrique.
Avec la fédération nationale des transports routiers (FNTR) et le groupe GRDF, nous avons eu des échanges au sujet des camions GNV. Une station de GNV est amortie pour quinze camions. Comme je vous l’ai exposé, une subvention de 200 000 euros peut ainsi contribuer à l’achat d’une telle flotte et d’une station. La FNTR est très motivée sur ce sujet. Nous devrions recevoir entre 100 et 200 propositions si un appel à projets est lancé. Pour quelques dizaines de millions d’euros d’aides, un réseau pourrait être ainsi déployé sur l’ensemble du territoire.
M. Denis Baupin. Voilà une excellente nouvelle. Elle pourrait compenser la mauvaise nouvelle sur le véhicule « hybride Air ». Au moment où le constructeur chinois Dongfeng était entré dans le capital de PSA, j’avais compris que ce rapprochement capitalistique ouvrait aussi de nouvelles perspectives technologiques, mais il semble qu’il n’en soit finalement rien.
M. Laurent Gagnepain. Sur le projet du véhicule hybride, PSA est associé avec l’équipementier Bosch. C’est lui qui détient la clef du problème, car il faut encore trouver d’autres constructeurs industriels pour que la rentabilité économique du projet soit assurée. Un autre deuxième constructeur serait donc nécessaire, le groupe Dongfeng ne représentant qu’une possibilité parmi d’autres.
M. José Caire. Le règlement chinois sur les véhicules hybrides implique qu’ils soient électriques, alors que le véhicule « hybride Air » récupère, à la décélération du véhicule, l’énergie émise, sous forme d’air comprimé. C’est une technologie très efficace, sans batterie. Mais la rentabilité ne serait atteinte que pour une production de 600 000 véhicules, soit le double de ce que vise PSA. Ce n’est donc pas un choix simple pour un constructeur. Quant aux autres, ils ne peuvent aisément changer de stratégie en matière de véhicule hybride. C’est un verrou indéniable.
M. Bruno Léchevin. Cela ne veut pas dire que cela ne sera pas un jour.
M. Laurent Gagnepain. Quant au cahier des charges du véhicule qui ne polluerait pas, je citerais seulement un élément qui nous semble essentiel pour le définir : ce sont désormais moins de la moitié des véhicules neufs qui sont achetés par des particuliers, en 2015 ; les véhicules professionnels sont désormais en majorité. Cela change la relation entre l’acheteur et le producteur.
Un autre élément d’évolution du cahier des charges est la notion de partage, telle qu’elle est mise en œuvre avec le véhicule électrique Autolib’ produit par Bolloré. L’usage même du véhicule a conduit à la modification de son cahier des charges, par exemple s’agissant de la peinture.
Pour le véhicule autonome ou semi-autonome, il ouvre certainement la voie à une réflexion sur le format du véhicule. Il serait sans doute intéressant pour vous d’entendre sur ce sujet des représentants du groupe Valeo, qui n’a pas forcément la même vision que les constructeurs.
M. Denis Baupin. L’évolution vers les véhicules professionnels peut être un argument en faveur de véhicules plus petits.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Mais ces véhicules couvrent aussi des distances plus grandes…
M. José Caire. Nous menons des études sur les véhicules à une place ou deux places. Le véhicule classique est loin d’être la seule solution.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Messieurs, je vous remercie.
La séance est levée à treize heures trente.
◊
◊ ◊
2. Audition, ouverte à la presse, de M. Cédric Musso, directeur de l’action politique de l’UFC-Que Choisir, et de M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie et environnement.
(Séance du mercredi 28 octobre 2015)
La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
La mission d’information a entendu M. Cédric Musso, directeur de l’action politique de l’UFC-Que Choisir, et M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie et environnement.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous poursuivons nos auditions de la journée en recevant MM. Cédric Musso et Nicolas Mouchnino, deux responsables de l’organisation de consommateurs UFC-Que Choisir.
L’automobile est un bien d’usage courant. Elle est pour les particuliers comme pour de nombreux professionnels un investissement important. Elle représente aussi une lourde dépense d’usage et des charges d’entretien.
Le récent scandale Volkswagen aux États-Unis concerne aussi les véhicules vendus en Europe, dont près de 950 000 en France. Cet événement a certainement érodé la confiance des consommateurs vis-à-vis des constructeurs, et la problématique qu’il fait émerger se décline à la fois en termes d’enjeux économiques et de santé publique.
Les tests de mesure des émissions de polluants sont-ils décrédibilisés ?
Quelle réforme faudrait-il conduire rapidement, à l’échelon européen, pour rétablir la confiance ?
À ces deux questions, vous pourrez, sans doute, messieurs, nous apporter quelques pistes de réponse. Nous avons souhaité vous entendre parce votre organisation s’est, à plusieurs reprises, penchée sur le coût d’usage de l’automobile. En septembre 2012, une enquête de l’UFC-Que Choisir montrait ainsi que le choix d’une voiture diesel n’était pas toujours justifié car plus coûteux qu’une motorisation essence, sans même prendre en compte les impacts environnementaux.
M. Cédric Musso, directeur de l’action politique de l’UFC-Que Choisir. Nous vous remercions de nous auditionner et de reconnaître ainsi le rôle de l’UFC-Que Choisir dans un domaine qui intéresse au premier chef les consommateurs puisque le budget automobile occupe une part prépondérante dans le budget des ménages, notamment pour ce qui concerne les postes liés à l’entretien et à la réparation automobiles. Je rappelle à ce propos que notre association, qui promeut une fiscalité dite « sociétale », c’est-à-dire qui obéisse à une logique consumériste et, plus largement, à une logique environnementale, a également, par le passé, pris position en faveur d’une harmonisation de la fiscalité sur les carburants.
Vous évoquiez à l’instant le scandale Volkswagen, qui a renforcé la méfiance des consommateurs vis-à-vis de l’industrie automobile. C’est un fait, même si l’UFC-Que Choisir s’est gardé de crier au loup, rappelant que l’affaire concernait avant tout les consommateurs américains. En effet, même si des véhicules équipés du logiciel incriminé ont été mis en circulation en Europe, jusqu’au 1er septembre dernier, la situation des consommateurs américains était assez différente de celle des consommateurs européens qui n’ont, à proprement parler, subi aucun préjudice. J’entends par là que, dans la mesure où les consommateurs américains étaient clairement informés des émissions de leur véhicule par rapport à la réglementation NOx (oxydes d’azote), ils ont effectivement été lésés par la tricherie et une information mensongère. En Europe, en revanche, avant le 1er septembre 2015, les fiches techniques des véhicules ne mentionnaient pas la norme NOx, et les consommateurs ne peuvent donc invoquer un quelconque préjudice du fait d’une information délibérément mensongère. Dès lors, et contrairement à ce que revendiquent certains collectifs, une action de groupe n’est pas possible en France, puisque la loi Hamon sur la consommation n’a autorisé les actions de groupe qu’en réponse à un préjudice économique mais en aucun cas à préjudice moral ou environnemental.
Cela étant, l’affaire Volkswagen a mis en lumière la manière dont les fabricants d’automobile optimisaient leurs tests d’émissions, pratique qui vaut également pour les tests de consommation, réalisés en général concomitamment. Or, concernant ces derniers, les tests conduits par l’UFC-Que Choisir ont souvent fait apparaître un écart très important entre les résultats affichés par l’industrie automobile et la consommation effectivement constatée dans des conditions réelles d’utilisation du véhicule.
Nous en appelons donc à un renforcement de la réglementation européenne en matière de tests, réclamant que ceux-ci soient effectués en conditions réelles d’utilisation et assortis de contrôles a posteriori, afin que les consommateurs puissent disposer d’une information crédible. En tout état de cause, si une action de groupe était envisageable, c’est davantage sur la question de la consommation que sur celle des émissions.
Mais le vrai scandale à mes yeux réside dans les coûts de réparation sur un véhicule compte tenu du monopole que sont parvenus à préserver les constructeurs sur les pièces détachées de carrosserie, alors que leur libéralisation permettrait au consommateur de faire des économies non seulement sur sa réparation mais aussi sur son assurance. L’argument opposé à la libéralisation est celui de la sécurité, mais dois-je rappeler que le marché des pièces détachées mécaniques a, lui, été libéralisé ? Qu’on m’explique en quoi la sécurité des consommateurs serait davantage menacée par la libéralisation des pièces de carrosserie que par celle des pièces détachées mécaniques… D’ailleurs, s’il existe encore un monopole légal en Allemagne, le marché a de facto été libéralisé.
J’en viens enfin à la publicité, bien souvent trompeuse pour le consommateur. C’est notamment le cas pour les offres de location avec option d’achat, pour lesquelles les mensualités affichées camouflent bien souvent le montant minimal à verser au départ, qu’il faut de très bons yeux pour arriver à dénicher ; de même, lorsque le prix affiché est un prix global, il est assorti de conditions de reprises qui peuvent substantiellement modifier le coût du véhicule pour le consommateur. Il conviendrait donc de mieux réglementer la publicité sur les automobiles, comme cela a été fait pour le crédit à la consommation, domaine dans lequel la loi encadre désormais la publicité, notamment en imposant des normes de taille de caractères pour l’affichage des taux promotionnels.
M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission Énergie et Environnement à l’UFC-Que Choisir. L’automobile est non seulement un poste de consommation très important pour les ménages mais c’est aussi le premier instrument de mobilité des ménages, en particulier en zone rurale. Cela donne un poids tout particulier à la question de la fiscalité applicable aux carburants car, ainsi que nous l’avons montré dans une étude, le choix du type de motorisation que fait le consommateur est principalement déterminé par le prix du carburant.
C’est d’autant plus problématique que, le diesel étant moins cher que l’essence, les consommateurs ont été incités à se tourner vers la motorisation diesel, effectuant ainsi un choix technologique inadapté à l’usage qu’ils faisaient en général de leur véhicule. C’est l’une des raisons essentielles pour lesquelles nous militons en faveur d’une harmonisation de la fiscalité et d’une convergence entre le prix de l’essence et celui du diesel, afin d’assurer la neutralité des prix sur les choix des consommateurs.
Les annonces récentes vont certes dans le bon sens, mais nous attirons votre attention sur le fait que le parc de véhicules diesel étant beaucoup plus important que celui des véhicules essence, l’augmentation du prix du diesel va mathématiquement alourdir la pression fiscale globale sur les ménages. Selon nous, une solution plus équilibrée, qui préserve l’équilibre et maintienne les prélèvements fiscaux sur le carburant à leur niveau actuel aurait été préférable. Par ailleurs, une hausse de la fiscalité doit être programmée dans le temps, afin de permettre aux ménages de l’anticiper et de décider de leur achat de véhicule en conséquence.
En ce qui concerne à présent l’information des consommateurs, l’essentiel de l’information est fourni par l’étiquette environnementale, qui renseigne sur les émissions de CO2 et la consommation du véhicule, telle qu’elle a été mesurée lors des tests.
C’est donc sur ces critères que va se déterminer l’acheteur, sans prendre en compte les coûts « cachés » qui pourtant diffèrent grandement d’un carburant à l’autre : ni le coût de l’entretien ni le coût de l’assurance ne sont en effet identiques pour un véhicule diesel et un véhicule essence. Il est donc essentiel de réintégrer ses dépenses dans le calcul du coût du véhicule, de manière à pouvoir afficher un coût d’usage kilométrique de ce dernier. En fonction du nombre de kilomètres qu’il parcourt en moyenne, le consommateur aurait ainsi la possibilité de comparer différents produits technologiques et de choisir celui qui lui convient le mieux, en pouvant anticiper le coût d’usage global du véhicule.
En ce qui concerne enfin les tests et leur protocole, il faut tout faire pour limiter les possibilités d’optimisation. On n’a pas attendu le scandale Volkswagen en effet pour savoir qu’il s’agissait d’une pratique courante et que certains tests sont réalisés climatisation et veilleuses éteintes, certains équipements ayant été déconnectés, ce qui ne correspond pas aux conditions normales d’utilisation du véhicule
Un nouveau protocole est en cours d’élaboration et de validation. Soit il doit être très clairement encadré, soit les tests devront être réalisés sur des véhicules prélevés au hasard chez les concessionnaires afin de s’assurer que leurs performances correspondent bien à ce qui est vendu au consommateur.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Pour ce qui concerne vos propres tests, dans quelles conditions sont-ils réalisés et comment vos protocoles sont-ils conçus ? Quels moyens avez-vous de garantir leur fiabilité ?
L’UFC-Que Choisir a-t-elle pris position sur la réforme de la procédure d’homologation qui est en cours au niveau européen ?
En matière de fiscalité, la convergence entre le diesel et l’essence va, selon vous et contrairement aux idées reçues, dans le sens de l’intérêt du consommateur. Vous recommandez qu’elle soit programmée dans le temps : sur combien d’années ?
Que pensez-vous de la récupération de TVA sur l’achat d’un véhicule diesel par les entreprises ?
Que pensez-vous enfin du bonus-malus mis en place par le Grenelle de l’environnement ?
Mme Marie-Jo Zimmermann. Il est normal que vous ayez un avis sur les protocoles de test mais quels échanges avez-vous sur le sujet avec les fabricants de moteurs diesel ?
Vous n’avez guère évoqué les véhicules électriques. Qu’avez-vous à en dire, notamment par comparaison aux véhicules diesel ? Avez-vous eu connaissance du rapport produit par l’Agence de l’environnement et la maîtrise de l’énergie ?
Faites-vous une différence entre les anciens moteurs diesel, réellement problématiques, et les nouveaux, dont la technologie s’est très nettement améliorée et qui émettent, selon les études, beaucoup moins de particules fines ? Avez-vous effectué des tests comparatifs qui nous assurent que vos propos en la matière sont parfaitement objectifs ?
M. Denis Baupin. Il faudra sans doute que notre commission auditionne également des médecins, car je pense qu’en matière de santé publique, ils ont des choses plus intéressantes à nous apprendre que les constructeurs automobiles ou les associations de consommateurs. Cela étant dit, je suis heureux que nous puissions entendre les porte-parole des consommateurs, dans la mesure où il apparaît que ces derniers peuvent être trompés, tant sur la question des émissions que sur celle de la consommation des véhicules. Il est donc crucial de trouver le moyen de leur garantir une information fiable.
L’UFC-Que Choisir a publié il y a quelques années une étude selon laquelle les trois quarts des acheteurs de véhicules diesel faisaient un mauvais calcul, car, à moins de vingt-cinq mille kilomètres effectués annuellement, la substitution du diesel à l’essence ne compense pas le prix plus élevé du véhicule à l’achat. Confirmez-vous ses données ?
L’âge moyen d’un acheteur de véhicule neuf en France est de cinquante-quatre ans et ne cesse même de croître ! Cela constitue un sérieux problème pour les constructeurs qui, en touchant une partie de plus en réduite de la population, risquent de voir baisser leurs ventes. Pouvez-vous nous confirmer ces chiffres et qu’en pensez-vous ?
Cette tendance ne doit-elle pas nous conduire à nous interroger sur le type de véhicules vers lesquels devraient se tourner en priorité les constructeurs de voiture, non seulement d’un point de vue environnemental mais également pour que l’offre corresponde aux besoins réels des consommateurs. Car, si le marché des voitures neuves se réduit, la mobilité est une réalité pour bon nombre de Français, qui ont donc besoin d’un véhicule. Dans cette optique, j’ai produit, avec Fabienne Keller, un rapport pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur la mobilité écologique, dans lequel nous suggérions que la généralisation de véhicules moins puissants, plus petits et moins consommateurs de carburants diminuerait non seulement la pollution mais préserverait également le pouvoir d’achat des ménages. Interrogés sur cette perspective, les constructeurs nous avaient confirmé qu’ils étaient techniquement capables de concevoir ce type de véhicules mais qu’ils ne le faisaient pas, ignorant s’ils trouveraient une clientèle. Existe-t-il des enquêtes qui nous permettent de déterminer si les consommateurs préfèrent payer plus cher pour en avoir plus sous la pédale ou s’ils sont prêts à renoncer à une partie de la puissance de leur véhicule – puissance qui, par ailleurs et pour leur plus grande frustration, ne leur est bien souvent d’aucun usage –pour gagner en pouvoir d’achat ?
M. Yves Albarello. Je possède pour ma part une voiture diesel et, parcourant plus de vingt-cinq mille kilomètres par an, j’ai donc atteint mon retour sur investissement. Cela étant, il me paraît compliqué d’intégrer, comme vous le préconisez, le coût d’entretien du véhicule dans son coût d’achat, ce coût dépendant du mode de conduite de son propriétaire qui peut, le cas échéant, entraîner une usure anormale du véhicule.
Par ailleurs, depuis le 1er septembre 2015, la nouvelle norme européenne d’émissions Euro 6 a succédé à la norme Euro 5, limitant les émissions d’oxydes d’azote à quatre-vingts milligrammes par kilomètres.
Sans vouloir à tout prix défendre le diesel, je rappelle néanmoins que notre pays est leader dans la construction de moteurs diesel et souhaiterais savoir si ces progrès en termes d’émission de particules fines sont de nature à modifier votre opinion sur l’usage de ce carburant ?
M. Jean-Yves Caullet. Je suis sensible à la notion de véhicule pertinent développée par Denis Baupin et je pense que les concessionnaires devraient informer leurs clients sur le fait que, pour de petits déplacements, un moteur à essence est préférable, tant d’un point de vue financier que parce que, sous-utilisé, un moteur diesel ne remplit pas son office. Il faut se souvenir qu’historiquement le moteur diesel – solide mais bruyant – était réservé aux véhicules à usage professionnel et qu’ils n’ont été améliorés, notamment rendu moins bruyant, que pour faire bénéficier les particuliers de l’avantage financier que présentait à l’origine le diesel moins taxé que l’essence, pour aider les gros utilisateurs professionnels.
Aujourd’hui sont proposées aux pompes différentes sortes de diesel. La qualité de ces carburants a-t-elle une incidence sur la performance des moteurs, notamment en termes de pollution, ou n’est-ce que de la poudre aux yeux ?
Les véhicules diesel semblent consommer moins au kilomètre que les véhicules essence : dans quelle mesure cela joue-t-il dans le choix du carburant ?
Que ce soit pour passer à des véhicules essence ou à des véhicules diesel d’une autre génération, il va falloir renouveler le parc automobile. Quelles seraient, selon vous, les incitations les plus pertinentes pour accompagner les consommateurs ?
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. L’étude de l’ADEME à laquelle faisait référence Marie-Jo Zimmermann indique que, pour rentabiliser l’utilisation d’un véhicule électrique, il faut parcourir entre cinquante mille et cent mille kilomètres par an. Ce type d’argument ne doit donc pas être limité au seul diesel.
Par ailleurs, ne pensez-vous pas que les nouveaux protocoles de test doivent impérativement être élaborés au niveau européen pour ne pas exposer les constructeurs nationaux à une concurrence déloyale ?
M. Cédric Musso. J’indique d’emblée que nous ne serons pas en mesure de répondre à toutes vos questions et que, n’étant pas le CREDOC mais une association de consommateurs, nous ne pourrons pas non plus vous renseigner sur tel ou tel point concernant l’opinion ou les pratiques des Français.
Je puis en revanche vous indiquer que nos protocoles de test sont les mêmes que ceux des autres associations de consommateurs partout dans le monde, leurs résultats étant ensuite mutualisés. Ils sont effectués sur des véhicules que nous achetons. Nous dévions cependant du protocole officiel afin de nous rapprocher le plus possible des conditions réelles de circulation ; plus précisément, nous simulons un parcours autoroutier d’une vingtaine de kilomètres, avec plusieurs phases de changement de vitesse. Le véhicule est mis en conditions réelles d’utilisation avec ses accessoires et équipements allumés – feux de jour ou feux de croisement, air conditionné, ventilation et autoradio. Je précise que ces tests sont effectués sur des véhicules d’occasion, notre budget ne nous permettant pas de les effectuer sur des véhicules neufs.
Nous sommes conscients néanmoins que les conditions réelles d’utilisation sont différentes d’un consommateur à l’autre et qu’en fonction du type de conduite, la consommation d’un véhicule peut varier jusqu’à 30 %. Il n’en reste pas moins qu’entre un test réalisé en laboratoire, dans des conditions d’optimisation, et un test réalisé sur route, les résultats obtenus n’ont pas la même crédibilité.
Il est indéniable que notre discours sur le diesel va à l’encontre d’un certain nombre d’idées reçues partagées par la majorité des consommateurs. C’est ce qu’il ressortait du sondage que nous avions réalisé en octobre 2012 avec l’institut CSA, qui révélait que 84 % des Français estimaient que le diesel offrait un avantage tarifaire et que 71 % d’entre eux parcouraient moins de vingt mille kilomètres chaque année, seuil qui permet un retour sur investissement.
En ce qui concerne le bonus-malus, l’UFC-Que Choisir y a toujours été favorable, au point de réclamer son instauration sur les équipements électroménagers.
M. Denis Baupin. Très bien !
M. Cédric Musso. Madame Zimmermann, nous ne refusons pas le dialogue avec les fabricants de moteurs diesel, mais je ne vous cache pas que nos positions sur la libéralisation des pièces détachées ont quelque peu terni les relations que nous avions avec les constructeurs automobiles. Nous n’avons actuellement pas d’échanges sur la question spécifique du diesel mais ce n’est pas exclu pour l’avenir car en aucun cas l’UFC-Que Choisir ne crie haro sur le diesel. Nous ne lui sommes pas hostiles par principe mais réclamons, d’une part, que les informations données au consommateur reposent sur des données objectives et, d’autre part, que les différentes mesures politiques qui peuvent être prises respectent le principe de neutralité technologique.
Je ne saurais vous répondre précisément sur ce que devrait être le véhicule de demain mais ce qui est sûr, c’est que nous sommes en train d’évoluer d’une économie de la possession à une économie de l’usage, ce qui se traduit, dans le domaine de l’automobile, par un fort développement de l’auto-partage.
Nous n’avons pas encore testé la qualité des différents types de carburant, mais pourquoi, en effet, ne pas le suggérer à nos ingénieurs ?
En matière de tests, il faut indéniablement une harmonisation européenne et une réglementation qui mette fin aux pratiques d’optimisations. Celles-ci existaient bien avant le scandale Volkswagen, et cela fait des années que l’UFC-Que Choisir – membre du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), lequel rassemble quarante organisations européennes – s’est aperçu en procédant à ses propres tests qu’il existait un décalage entre la consommation et les émissions alléguées par les constructeurs d’une part et ses propres résultats d’autre part. Nous avons donc demandé un renforcement des normes, mais la Commission ne nous a que partiellement entendus. C’est la raison pour laquelle, à la suite de l’affaire Volkswagen, nous venons de la saisir à nouveau.
M. Nicolas Mouchnino. Nous n’avons pas étudié avec précision le temps nécessaire à la convergence de la fiscalité et au renouvellement du parc. En tout état de cause, il faudrait en aligner les délais sur la durée moyenne de conservation d’un véhicule par ses différents propriétaires.
La question des véhicules électriques m’amène également à évoquer celle du gaz naturel pour véhicules (GNV), largement promu à une époque, ce qui a entraîné un certain nombre de consommateurs à se lancer dans l’aventure… avant de se retrouver abandonnés en rase campagne. En effet, alors qu’on leur avait promis des centaines de stations, il n’y en a à ce jour qu’une trentaine en France, ce qui complique les déplacements pour des véhicules ayant une autonomie d’une centaine de kilomètres, sachant que les propriétaires ne sont plus autorisés à avoir de compresseurs chez eux pour pouvoir les recharger. Il est donc important, lorsque l’on fait la promotion de nouvelles technologies – que ce soit l’électricité ou, dans un avenir plus lointain, l’hydrogène – de veiller à assurer leur accessibilité.
Nous ne prônons pas un type de véhicule plutôt qu’un autre mais voulons que soit garantie la neutralité technologique. En d’autres termes, nous considérons qu’aucun élément extérieur, comme la fiscalité, ne doit venir parasiter le choix des ménages entre deux technologies, dont ils doivent pouvoir retenir la plus conforme à leur usage et aux objectifs environnementaux fixés par les pouvoirs publics.
C’est la raison pour laquelle la fiscalité sur les carburants ne nous paraît pas adaptée, car elle ne sert aucun objectif ni environnemental ni énergétique. La réglementation européenne en revanche peut aider à la convergence, car la norme Euro 6 contraint les conducteurs à concevoir des citadines à motorisation à essence dans la mesure où il devient trop coûteux d’équiper ces véhicules de filtres à particules. On observe ainsi ces derniers temps une légère augmentation de l’achat de véhicules essence.
Monsieur Albarello, vous m’avez objecté que le coût d’entretien d’un véhicule était difficile à déterminer a priori. Il faut en fait différencier l’entretien – normé par les constructeurs – de la réparation. Les coûts de révision d’un véhicule sont donc prévisibles et peuvent être intégrés dans le coût kilométrique, ce qui permet d’obtenir un coût d’usage moyen.
Mme la rapporteure. On ne peut mettre sur le même plan les pratiques d’optimisation courantes chez les constructeurs qui n’effectuent pas leurs tests dans les conditions réelles d’utilisation et le trucage délibéré dont s’est rendue coupable la firme Volkswagen. Je m’étonne d’ailleurs que vous considériez qu’il n’y a pas eu, en l’occurrence, de préjudice économique pour les consommateurs français. Vous fondez-vous pour affirmer cela sur les bases légales que la loi Hamon a définies pour l’action de groupe ? Par ailleurs, avez-vous, suite à ce scandale, été sollicités par des propriétaires français de véhicules Volkswagen ?
Pourriez-vous également nous en dire davantage sur les différences qui existent entre les normes en vigueur en Europe et aux États-Unis ?
En ce qui concerne la convergence de la fiscalité sur le diesel et l’essence, certains s’y opposent au motif que cela conduirait à une dépréciation de la valeur des véhicules diesel sur le marché de l’occasion. Qu’en pensez-vous ?
Quelle est enfin votre opinion sur la prime à la conversion instaurée pour inciter les consommateurs à remplacer leurs vieux véhicules diesel par des véhicules propres ?
M. Cédric Musso. Nous avons en effet été massivement sollicités par les consommateurs suite à l’affaire Volkswagen, parce que les médias ont assimilé la situation européenne à la situation américaine et que de nombreux collectifs se sont formés pour inciter nos concitoyens à engager une action de groupe, via notamment le site internet Class Action VW. Si nous avons émis une voix dissonante, c’est que, je le répète, telle qu’elle a été définie par la loi relative à la consommation, l’action de groupe est limitée au seul préjudice matériel et économique et ne peut en aucun cas concerner un préjudice moral ou environnemental.
Or le consommateur européen n’a pas été exposé à la même information que le consommateur américain, puisque la norme NOx ne figure pas sur les fiches techniques des véhicules commercialisés en Europe. Il ne s’agit pas pour autant de rester les bras croisés ; des plaintes ont été déposées et nous nous constituerons le cas échéant partie civile le moment venu.
Quant à la question du préjudice économique subi en cas de dépréciation du véhicule sur le marché de l’occasion, tout le problème est, d’une part, de démontrer le lien de causalité entre la tricherie et la dépréciation, et, d’autre part de quantifier très précisément le préjudice individuel. La forfaitisation d’un tel préjudice faciliterait évidemment le lancement d’une action de groupe, mais ce n’est pas dans notre tradition juridictionnelle. D’où la difficulté, voire l’impossibilité, de mettre en place ce type d’action.
Nous n’avons pas de position arrêtée sur la prime à la conversion mais restons méfiants sur les effets d’aubaine qu’elle pourrait entraîner, ce type d’aides incitant le plus souvent les professionnels à renchérir leur prix.
Mme la rapporteure. Avez-vous constaté ce type de phénomène lors de la mise en place des « jupette », « balladurette » ou autres primes à la casse ?
M. Cédric Musso. Ce n’est qu’un sentiment a priori, mais je pourrai vous répondre plus précisément après plus ample vérification.
M. Nicolas Mouchnino. Globalement, il est difficile d’évaluer la dépréciation d’un véhicule diesel du fait d’une baisse de la fiscalité sur le carburant Cela dépendra essentiellement du temps sur lequel s’effectuera la convergence. Plus il sera court, plus le risque de dépréciation est en effet élevé, ce qui est d’autant plus préjudiciable pour le consommateur que la perspective de mieux revendre un véhicule diesel qu’un véhicule essence pèse également dans la décision d’achat.
M. Denis Baupin. Vous ne vous êtes pas prononcé sur la déductibilité de la TVA dont bénéficient les entreprises pour leurs véhicules diesel, mais que pensez-vous d’étendre cette même déductibilité aux véhicules essence, ce qui améliorerait la convergence entre les deux types de motorisation ? J’ai déposé des amendements en ce sens sur le projet de loi de finances pour 2016, sachant que, le parc professionnel étant composé à 96 % de véhicules diesel, il s’agit d’une mesure qui ne coûterait pas grand-chose à l’État et inciterait en particulier de nombreux chauffeurs de taxi à opter pour les technologies hybrides.
D’autre part, que pensez-vous des futures pastilles écologiques ? Ces pastilles doivent-elles être accordées pour toute la durée de vie du véhicule ou faudrait-il reconsidérer leur attribution à chaque contrôle technique ?
Enfin, la prime à la conversion instaurée par la loi sur la transition énergétique doit-elle s’appliquer au rachat d’un véhicule d’occasion ? Cela aurait deux avantages : d’une part, cela éviterait que cette prime soit réservée à ceux qui ont les moyens d’acheter un véhicule neuf, ce qui la rendrait socialement plus juste ; d’autre part, cela contribuerait à développer un marché de l’occasion pour les véhicules propres.
M. Nicolas Mouchnino. L’UFC-Que Choisir n’a pas vocation à se positionner sur les questions concernant les entreprises – en l’occurrence, la déductibilité de la TVA, qui nous ramène, cela étant, à la manière dont se construit la fiscalité. La réforme de la fiscalité sur les carburants est un serpent de mer et fait l’objet de discussions à Bruxelles depuis plusieurs années dans le but d’envoyer un signal-prix correct aux consommateurs et d’intégrer dans son calcul les données énergétiques et environnementales.
Nous défendons la même logique en ce qui concerne la pastille écologique, qui doit garantir la neutralité technologique. Quant à la durée de son attribution, elle peut certes dépendre de l’évolution des technologies mais il nous semble que le plus important est que le dispositif de régulation de la circulation attaché à ces pastilles prenne également en compte des facteurs économiques et sociaux, comme le fait que la voiture reste indispensable à nombre de nos concitoyens pour se rendre sur leur lieu de travail ou faire leurs courses.
M. Cédric Musso. Nous n’avons pas de position officielle le fait d’étendre la prime de conversion à l’achat d’un véhicule d’occasion. Il faut toutefois faire attention, derrière un objectif louable, aux effets pervers : des véhicules qui, à défaut d’avoir été bien entretenus, auraient perdu de leurs performances énergétiques et environnementales ne doivent en aucun cas pouvoir en bénéficier. Cela implique que des contrôles soient mis en place.
Mme la rapporteure. Nous touchons là à la différence entre le prototype et ses déclinaisons. Ce qui nous ramène à la question des pastilles : doivent-elles être attribuées en fonction des caractéristiques techniques du modèle original ou après évaluation des performances de chaque exemplaire du véhicule ?
En définitive, pensez-vous que c’est grâce à une réforme des procédures de test, à une meilleure prise en compte du coût d’usage des véhicules et à une réglementation plus stricte de la publicité que l’on parviendra, en garantissant une meilleure transparence, à restaurer la confiance des consommateurs dans l’industrie automobile et, plus globalement, dans l’industrie manufacturière en général ?
M. Cédric Musso. Chaque scandale débouche invariablement sur l’idée qu’il faut fiabiliser l’information donnée aux consommateurs et renforcer les contrôles. En ce qui concerne la fiabilisation de l’information, cela commence par l’information précontractuelle, en particulier la publicité, domaine dans lequel il y a beaucoup à faire. Quant aux contrôles, nous estimons qu’ils doivent être récurrents. Mais, pour restaurer la confiance, il faudra aussi en finir avec certaines idées reçues, ce qui, dans le domaine automobile, concerne au premier chef la question de l’entretien des véhicules, qui ne doit plus être l’apanage du constructeur, au prétexte qu’il est le mieux placé pour le faire. Nos études soulignent au contraire que l’entretien est systématiquement plus cher lorsqu’il est réalisé par un opérateur du réseau plutôt que par la concurrence. La loi Hamon a renforcé les obligations d’information à ce sujet, ce qui n’empêche pas la publicité de se focaliser très largement sur les offres du constructeur en la matière, en le désignant comme le seul capable d’entretenir le véhicule. Nous demandons donc que l’information délivrée au consommateur dans le cadre des contrats d’entretien soit plus strictement contrôlée.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Messieurs, nous vous remercions pour vos interventions et les réponses que vous nous avez fournies.
La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.
◊
◊ ◊
3. Audition, ouverte à la presse, de M. Éric Poyeton, directeur général de la Plateforme automobile et mobilités (PFA).
(Séance du mardi 3 novembre 2015)
La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.
La mission d’information a entendu M. Éric Poyeton, directeur général de la Plateforme automobile et mobilités (PFA).
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Nous recevons M. Éric Poyeton, en sa qualité de directeur général de la Plateforme de la filière automobile et mobilités, la PFA. Ingénieur ayant fait l’essentiel de sa carrière dans le secteur des poids lourds – qui intéresse également notre mission –, M. Poyeton occupe ce poste depuis janvier 2015.
La PFA a été créée en 2009 au plus fort de la crise. Elle vise à établir un cadre permanent d’échanges et de concertation entre donneurs d’ordres et fournisseurs de la filière industrielle. Ainsi, la Plateforme a pour objectif principal de travailler au renforcement de la compétitivité de la filière.
Monsieur le directeur général, dans le cadre de la présentation actualisée des travaux et des missions de la PFA que vous allez nous proposer, je crois devoir préciser que deux points retiennent plus particulièrement l’attention de la mission.
Le premier concerne le Comité technique automobile ou CTA, l’une des structures chapeautées par la plateforme. Ce comité est présenté comme le représentant scientifique et technique de la filière pour défendre des propositions concertées et unifiées. A-t-il joué un rôle d’inspirateur voire de prénégociateur sur la question des tolérances concernant les émissions à l’échappement – un sujet pleinement dans l’actualité avec le scandale Volkswagen et les décisions prises, la semaine passée, à Bruxelles et d’ailleurs immédiatement contestées ?
Second point : qu’en est-il du programme de recherche-développement concernant le véhicule à deux litres pour cent kilomètres, confié à des acteurs réunis au sein de la PFA par Arnaud Montebourg quand il était ministre ? La question du diesel est-elle effectivement comprise dans ce cadre de recherche ?
Monsieur le directeur général, nous allons vous écouter pour un bref exposé liminaire, puis Mme Delphine Batho, rapporteure, et les membres de la mission d’information vous poseront différentes questions.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Avant que M. Poyeton ne s’exprime, je souhaite indiquer aux membres de la mission qu’à la suite de la décision des 28 États membres de l’Union européenne, le 28 octobre dernier, portant sur les tests d’émissions polluantes des véhicules et prévoyant des tests dits en conditions réelles de conduite mais autorisant des dépassements de 110 % pour les oxydes d’azote (NOx), entre 2017 et 2019, et 50 % après 2020, j’ai demandé à la Commission européenne, en tant que rapporteure de la mission, quelle était la composition exhaustive du Technical Committee on Motor Vehicles (TCMV), et de me fournir les comptes rendus de ses réunions ainsi que le relevé des conclusions. Il nous a été répondu tout à l’heure que le compte rendu serait disponible dans quinze jours ; surtout, notre interlocuteur nous a fait savoir qu’il n’était pas autorisé à diffuser la liste des participants à ce comité – ce qui pose un problème de transparence.
J’ai d’autre part demandé aux autorités françaises, par le biais du secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), la composition de la délégation française, tous les éléments sur les positions françaises défendues au sein de ce comité ainsi que l’analyse du SGAE sur la portée juridique des travaux de cet organisme.
M. Éric Poyeton, directeur général de la plateforme automobile et mobilités. (PFA). La PFA a pour mission de consolider et de développer les acteurs de l’industrie automobile et du transport – ne sont concernés ici ni les opérateurs de transport ni l’aval de la filière, à savoir la distribution et le recyclage –, soit quelque 5 000 entités et 600 000 emplois. La PFA représente le premier budget de recherche-développement de France : 6,5 milliards d’euros. Parmi ces entités, à travers les fédérations adhérentes et les associations régionales de l’industrie automobile (ARIA), 2 000 adhèrent à la PFA. Très nombreuses sont celles qui livrent d’autres constructeurs et d’autres équipementiers que ceux qui sont implantés sur le sol français – nous ne sommes donc pas focalisés sur les seuls constructeurs français.
La PFA est issue des Etats-généraux de l’automobile au terme desquels a été signé le Pacte automobile. La fiche 8 de ce Pacte prévoyait un code de performance et de bonne pratique créant, notamment, une plateforme d’échanges. La PFA réunit aujourd’hui les deux constructeurs français Renault et PSA, les quatre grands équipementiers, français également, Valeo, Michelin, Plastic Omnium et Faurecia. D’autres constructeurs sont également représentés par l’intermédiaire du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) et d’autres équipementiers par l’intermédiaire de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), ainsi que les fédérations de métiers comme la plasturgie, le caoutchouc et les polymères, la mécanique et enfin la carrosserie.
Nous avons depuis peu engagé une démarche d’élargissement de la PFA – il s’agit par-là d’associer les acteurs non seulement à nos réflexions mais également à nos décisions. Ainsi, dans ce deuxième cercle, sont présents le groupement pour l’amélioration des liaisons dans l’industrie automobile (GALIA), qui travaille sur les aspects logistiques, et les pôles automobiles comme ID for Car, Lyon Urban Trucks and Bus (LUTB Transport & Mobility Systems), MOV’EO et le pôle « Véhicules du futur ». Quatorze ARIA relaient nos actions dans les régions.
Nos leviers de performance n’ont pas changé depuis le début de la mission de la PFA : nous avons vocation à construire des relations de confiance durables entre acteurs de la filière et avec son environnement ; à élargir les points de convergence entre les acteurs de la filière ; à développer une vision claire des grands enjeux de la filière, de plus en plus complexes et qui exigent une réponse de plus en plus collaborative, qu’il s’agisse de l’innovation, de la capacité à parler d’une seule voix pour le secteur automobile français – il nous revient donc de définir les actions permettant d’y répondre. Nous devons en outre servir de catalyseur des compétences dont la filière a besoin – or, aujourd’hui, nous en manquons même dans des métiers traditionnels ; enfin, nous devons inscrire la filière dans son environnement et dans son futur.
Quels sont les rapports entre la PFA, le Comité stratégique de la filière automobile (CSF) et le Conseil national de l’industrie (CNI) ? Le CSF automobile est composé de la PFA – le vice-président du premier, M. Michel Rollier, est également président de la seconde –, d’un groupe de travail, en aval, piloté par le Conseil national des professions de l’automobile, (CNPA), mais également du Comité d’orientation de la filière industrielle du transport routier (COFIT), cela afin d’avoir un contact non seulement avec les constructeurs de véhicules industriels mais aussi avec les représentants du secteur des infrastructures et les représentants des sociétés qui exploitent les matériels, comme la RATP, représentées directement par leurs syndicats. La PFA pilote par conséquent à peu près 80 % des plans d’action du CSF automobile.
Les actions de la PFA sont réparties en cinq axes.
Le premier est intitulé : « Une filière forte et influente », forte car capable de parler d’une seule voix et influente vis-à-vis de son environnement. Nous travaillons sur les réglementations, les normes et les standards ; il s’agit d’établir, grâce à nos experts, des positions techniques en prévision du futur de l’industrie automobile. Ainsi en a-t-il été récemment pour l’hydrogène comme carburant – mais les sujets peuvent être bien plus techniques encore et concerner tel ou tel fluide, les distances de freinage etc. Nous définissons également des positions d’intérêt collectif en des matières qui, pour le coup, ne sont pas techniques.
La filière en tant qu’acteur de la mobilité constitue un deuxième aspect de ce premier axe. Nous avons décidé d’être partie prenante de la démarche de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) intitulée « Fabrique des mobilités ». Nous avons structuré nos actions collectives autour de la mobilité en réfléchissant au futur et aux usages. Nous allons par ailleurs mettre en place un partenariat équilibré avec des institutions comme les nôtres en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Espagne, certains enjeux ayant une dimension européenne plus que nationale. Enfin, un groupe de travail sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) mène cinq ou six actions qui, en la matière, relèvent du domaine collaboratif.
Le deuxième axe concerne le développement des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des petites et moyennes entreprises (PME) de la filière. Nous menons ici trois actions principales. La première touche au développement international des ETI et des PME : nous nous organisons pour constituer une seule équipe de pilotage permettant à ces entreprises de trouver toutes les réponses qu’elles attendent. Nous mettons en outre l’accent, à court terme, dans le cadre du CSF, sur la croissance externe de nos entreprises en Allemagne. Deuxième action : nous entendons accompagner et améliorer la qualité de la relation clients-fournisseurs. Nous travaillons, comme nous aimons bien le faire dans l’automobile, avec un indicateur de mesure et, en fonction des données obtenues, nous mettons en place des actions correctives si nécessaire. Enfin, dernier point, nous soutenons les acteurs qui doivent se situer au cœur de la filière qui, en France, souffre d’un déficit d’ETI – déficit à la remédiation auquel nous réfléchissons. La task force automobile mise en place par le ministre M. Emmanuel Macron et configurée par M. Michel Rollier a d’ailleurs présenté des conclusions en ce sens le 30 septembre dernier. Nous mettons de nombreux éléments à la disposition des chefs d’entreprise en matière de veille technologique, de prévisions volumes, de médiation ; nous leur proposons également des outils pour les aider à comprendre la norme Registration Evaluation Autorisation of Chemicals (REACH), ainsi qu’un site dédié aux compétences et emplois.
Le troisième axe concerne l’efficacité industrielle. Il mobilise cinq actions principales parmi lesquelles la réalisation, depuis vingt ans, d’une enquête sur la performance industrielle des entreprises avec seize indicateurs, afin qu’elles puissent définir des actions stratégiques prioritaires. Une autre action vise au déploiement du lean soit au sein d’entreprises, soit à travers des grappes d’entreprises. Bien entendu, nous avons lancé un programme – le cinquième de la PFA – sur l’usine du futur. Nous sommes en outre devenus membres actifs de l’alliance pour l’industrie du futur pour être en cohérence nationale sur le sujet.
La question des compétences forme le quatrième axe. Nous cherchons à mettre en place un processus et une organisation permettant de créer et de faire évoluer les programmes pédagogiques locaux en fonction des priorités nationales futures et des priorités locales des industriels. Nous allons par conséquent instituer une animation nationale et une animation régionale. Au niveau régional, nous nous appuyons sur le dispositif des campus des métiers et des qualifications et nous sommes heureux de constater que nous avons fait le nécessaire pour qu’il y en ait cinq qui se créent dans les principales régions automobiles françaises. Nous tâchons de lancer des chantiers afin de former les futurs talents dont nous avons besoin. Pour les attirer, nous travaillons autour de défis pédagogiques. Notons que le renforcement de la cohérence de la filière jouera en faveur de l’attractivité de nos compétences.
Le cinquième et dernier axe est l’innovation, subdivisé en quatre actions principales. La première consiste à animer l’écosystème d’innovation, notamment à travers un travail prospectif. Il s’agit également de faire en sorte que l’ensemble des entreprises de la filière disposent de l’information nécessaire sur les priorités d’innovation des grands acteurs. Il convient d’autre part de mettre les PME innovantes en contact avec les grands acteurs de la filière, soit une démarche top down (approche descendante) et bottom up (approche ascendante). Le pilotage de quatre programmes prioritaires constitue la deuxième action : l’opération « Deux litres aux cent kilomètres », le programme fibre optimisée réaliste de carbone économique (FORCE), le programme « Véhicule autonome » – en particulier sous deux aspects : écosystème et réglementation –, enfin le programme Value Driven Product Lifecycle Management (VALDRIV-PLM), fondé sur le management de la valeur ajoutée par les outils numériques sur tout le cycle de vie des produits et services automobiles. La troisième action concerne les expertises d’innovation de la filière que nous souhaitons mettre en valeur : nous disposons de centres de compétence régionaux qui ne demandent qu’à être mis en valeur au niveau européen et international. Enfin, quatrième action, nous travaillons beaucoup en collaboration avec le Commissariat général à l’investissement (CGI), l’ADEME et la Banque publique d’investissement (Bpifrance) pour tout ce qui touche au soutien à l’innovation.
Je reviens un instant sur les Road-Maps R & D, censés donner des indications sur les priorités de la filière. Nous avons identifié huit domaines d’activité sur lesquels il faut innover en priorité, à savoir tout ce qui concerne : l’hybridation et l’électrification, le rendement des groupes motopropulseurs (GMP), le rendement du véhicule, le confort du véhicule, la connectivité et la mobilité intuitive, la réduction de l’empreinte environnementale, la sécurité, l’aide à la conduite et la valorisation des procédés. Ce mois-ci, nous avons transmis à l’ensemble de la filière 80 fiches de besoins d’innovation des grands acteurs.
Le programme « Deux litres aux cent kilomètres », pour sa part, a démarré il y a plus de trois ans. Les objectifs fixés sont deux fois plus ambitieux que ceux de la réglementation 2021. Technologiquement, nous devrions y parvenir ; reste à faire en sorte que le coût de nos véhicules ne s’en ressente pas excessivement. Le programme d’investissements d’Avenir (PIA) contribue au financement de l’opération. Nous avons déposé plus de 40 dossiers-projets pour un montant total de recherche-développement de 420 millions d’euros. Si trois démonstrateurs technologiques ont été présentés au Mondial de Paris 2014, nous sommes soucieux de renforcer cette dynamique continue d’amélioration et cette volonté d’obtenir des innovations grâce auxquelles constituer les briques technologiques répondant aux évolutions réglementaires.
En ce qui concerne le programme FORCE, nous venons d’achever la première phase. La suivante prévoit l’existence d’un atelier pilote qui devrait produire un certain nombre de tonnes de fibre de carbone optimisée.
Pour ce qui est du véhicule autonome, nous veillons à rendre possible les expérimentations en conditions réelles mais aussi en site fermé. Nous travaillons sur les compétences et l’intelligence embarquée mais aussi sur la sécurité puisque l’apparition du véhicule autonome provoquera une vraie rupture pour l’écosystème automobile.
Je n’entrerai pas dans le détail du programme VALDRIV-PLM, beaucoup plus technique et éloigné des préoccupations de la filière puisqu’il est de nature, je dirai : multifilières.
Dans votre propos liminaire, madame la présidente, vous avez évoqué le CTA. Il a un rôle d’inspirateur quant aux priorités en matière de recherche-développement mais il ne se substitue pas aux entreprises de la filière. Il tâche de fixer une ligne à partir de laquelle chacun puisse se repérer et définir sa propre stratégie d’entreprise. Cela d’autant que nous conseillons à la majorité de nos membres, qui ne sont pas des constructeurs automobiles, d’avoir de multiples clients en France, en Europe et même au-delà. Nous devons donc balayer large dans notre approche stratégique. Le CTA est par ailleurs l’organisme au sein duquel nous décidons l’affectation des moyens pour conduire des travaux prospectifs sur des sujets techniques ou en les confiant à des instituts de recherche technologique (IRT) ou des instituts pour la transition énergétique (ITE).
Dans le programme « Deux litres aux cent kilomètres », les grands acteurs de la filière automobile française sont impliqués. De la fin de l’année 2013 jusqu’à l’été 2014 nous avons pu déplorer un déficit d’implication des PME sur le sujet. Nous l’avons comblé : l’envoi, dont je viens de vous parler, de 80 fiches aux ETI et aux PME, la mise en contact des PME avec les experts managers des grands acteurs y ont contribué. Nous menons ce programme en bonne intelligence avec l’ADEME puisqu’il a bénéficié, notamment, du soutien d’Initiative PME – si bien qu’une vingtaine de projets automobiles sont nés.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Afin que nous puissions nous faire une idée plus précise de votre activité, de votre rôle d’animation et de coordination de la filière, pouvez-vous nous indiquer de quelle manière la PFA est financée, combien de personnes y travaillent ? Vous avez abordé également les rôles respectifs du CNI, du CSF
– l’organisation que vous avez décrite vous paraît-elle perfectible, vous satisfait-elle ?
Vous avez mentionné 600 000 emplois alors que l’INSEE retient plutôt le chiffre de 200 000 emplois. Pourriez-vous nous communiquer davantage de données sur le nombre d’entreprises par activité ?
En ce qui concerne le manque de compétences pour les métiers traditionnels, lesquels sont concernés ; existe-t-il des situations critiques ?
Il serait en outre intéressant de comparer la situation en 2009, contexte de crise où la Plateforme a été mise en place à l’issue des Etats-généraux de l’automobile, avec la situation actuelle. Quels sont les domaines, selon vous, qui ont bien avancé et lesquels doivent être améliorés ?
Le rôle de votre comité technique vise, si j’ai bien compris, à faire en sorte que la filière française parle d’une seule voix et, à l’occasion de l’élaboration de normes, dans ses relations avec les institutions françaises et européennes, fasse remonter certaines informations. Comment fonctionne ce comité ?
Quelles sont les positions de la PFA sur le Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures (WLTP) (procédure d’essai mondiale harmonisée pour les voitures particulières et véhicules utilitaires légers) – qui remplace le New European Driving Cycle (NEDC ou Nouveau cycle européen de conduite) ? Quelle est la différence entre le WLTP et ce que certains appellent Real Driving Emissions (RDE) ?
En 2014, la PFA a pris une position très intéressante sur les normes européennes d’émissions de dioxyde de carbone, position selon laquelle les dispositions envisagées sous-estimaient la consommation de carburant – autrement dit avantageaient les véhicules lourds équipés d’un moteur puissant, et pénalisaient dans le même temps tous les leviers technologiques de gains d’émission comme stop and start, allégement, hybridation… J’ai, pour ce qui me concerne, une approche très exigeante des normes antipollution mais une approche qui n’est pas naïve donc consciente qu’une norme peut masquer certains enjeux industriels pouvant favoriser la production de tel ou tel type de véhicule…
Selon vous, les normes en cours de discussion ne prennent pas suffisamment en compte la surconsommation à froid, trop de tests étant réalisés dans des conditions de conduite très rapide. La filière automobile française aurait besoin, à vous lire, d’une masse de tests plus représentatifs d’un véhicule vendu et de son usage moyen. En revanche, la filière automobile française demande que, dans le cadre du WLTP, les essais soient réalisés à la température de 23 degrés centigrades et non pas à 14 degrés. Vous demandiez également que les tests soient effectués avec des pneus à basse résistance de roulement. Ces positions ont-elles été entendues ?
M. Éric Poyeton. La PFA a été créée, nous l’avons dit, en 2009, après quoi l’État a accompagné le processus par un contrat avec Oséo, devenu Bpifrance, qui, d’un commun accord, vient à échéance cette année. Aussi, à partir de l’année prochaine, la Plateforme s’autofinancera via une mise à disposition de ressources par ses membres. Pour ce qui est des effectifs, la PFA compte, conformément aux engagements pris en 2009, dix personnes détachées par les têtes de filière, constructeurs et équipementiers – sans oublier le secteur des poids lourds. Les travaux de la PFA impliquent, au niveau national, 400 managers ou experts de l’ensemble des entreprises françaises, dans le secteur industriel aussi bien que dans celui de la recherche-développement ou des ressources humaines.
Le CSF est-il perfectible ou satisfaisant ? Il est perfectible, certes – nous avons l’habitude de considérer, dans le secteur automobile, que l’amélioration est infinie. Le fonctionnement est globalement satisfaisant dans le sens où le niveau d’échanges est très intéressant entre les différents bureaux du comité. Nous devons néanmoins veiller à éviter de doublonner les groupes de travail. Le CSF est productif lorsque nous avons des réunions en petit comité. En outre, il nous permet de travailler au niveau inter-filières ; nos collègues du rail et du nucléaire sont ainsi venus observer nos méthodes de travail afin de s’en inspirer, le cas échéant.
Vous m’avez interrogé sur le chiffre de 600 000 emplois que j’ai mentionné au début de mon intervention : il correspond à l’ensemble de l’industrie automobile. Nous prenons en compte une entité dès qu’elle réalise plus de 20 % de son chiffre d’affaires dans l’automobile.
J’en viens au manque de compétences. On peut malheureusement le constater dans tous les domaines. En arrivant à la PFA, j’ai eu à me pencher sur l’industrie de l’emboutissage, secteur qui peut à la fois être surcapacitaire pour certaines pièces, et souffrir, dans certains bassins d’emploi, d’un manque de régleurs, d’ajusteurs… si bien que des entreprises qui souhaitent se développer ne le peuvent pas. Or cette situation n’implique pas nécessairement la mobilité des acteurs, ce que l’on peut fort bien comprendre. Ce manque de compétences affecte des secteurs traditionnels mais également ceux qui nous permettent de préparer l’avenir : je pense aux domaines des multimédias, des logiciels embarqués, de l’électronique embarqué. Hélas, on relève que l’attractivité de l’industrie automobile est en forte baisse comparée à celle, par exemple, du secteur de l’aéronautique. Du coup, nous avons effectivement du mal à attirer les compétences et à les faire monter en puissance. C’est pourquoi il s’agit de l’un de nos axes prioritaires.
Par rapport à 2009, nous avons bien avancé en matière de R&D, notamment depuis que les entreprises ont adopté un mode de travail collaboratif. Nous avons totalement intégré les pôles de compétitivité dans nos travaux – nous organisons désormais des réunions mensuelles où l’esprit collaboratif est tout à fait comparable à celui des meilleures entreprises. Nous avons par ailleurs amélioré notre capacité à parler d’une seule voix et il y a tout lieu de penser que le malheureux exemple du standard des prises pour les véhicules électriques ne pourrait plus se reproduire.
Pour ce qui est de l’efficacité industrielle, plus de 350 entreprises ont adopté une démarche lean – y compris en ce qui concerne les conditions de travail pour lesquelles nous avons établi un référentiel : c’est qu’il existe, si j’ose m’exprimer ainsi, le bon et le mauvais lean comme il y a le bon et le mauvais cholestérol ! Nous travaillons sur ce point, bien sûr, avec les organisations syndicales. Nous sommes engagés en la matière dans une bonne dynamique puisque plus de mille entreprises sont déjà impliquées.
Il reste en revanche beaucoup à faire pour ce qui touche aux compétences, comme je l’ai évoqué. Nous avons mis du temps à nous structurer, à obtenir des moyens et il nous faut désormais donner un coup d’accélérateur.
La PFA a été créée en pleine crise économique – on parlait alors de retournement de conjoncture, les gens ne parvenaient pas à travailler ensemble. Nous sommes désormais plus sereins même s’il reste des problèmes à résoudre. Nombre de nos travaux bénéficient néanmoins déjà à l’ensemble clients-fournisseurs, je songe au code de bonne pratique que nous avons élaboré sur la norme REACH : il permet d’éviter à des entreprises françaises de manquer de matières polymères au fur et à mesure de l’entrée en vigueur de cette norme ; or il est important d’éviter une rupture-matière dans une chaîne de production industrielle.
J’en viens au fonctionnement du CTA. Le Comité s’appuie sur deux conseils. Le premier est celui de la recherche automobile (CRA) où se réunissent les experts en innovation de l’industrie automobile française. Ils définissent les priorités stratégiques puisqu’ils sont à même de savoir dans quels secteurs particuliers il convient de mobiliser le plus d’énergie. Au sein de la PFA, nous sommes convaincus que le futur de l’automobile sera fait d’un ensemble de solutions comprenant du diesel, de l’essence, de l’hybride, de l’hydrogène, de l’électrique, sans oublier les particularités du monde du véhicule utilitaire, du camion et des autocars. Grâce à l’expertise du CRA, nous sommes capables d’orienter les directeurs qui pilotent les programmes tels que « Deux litres aux cent kilomètres » ou « Véhicule autonome ». J’ajoute que les managers sont très impliqués dans les travaux du CRA, ce qui permet d’améliorer la fluidité et l’efficacité des relations avec notre institut pour la transition énergétique, l’institut du véhicule décarboné et communicant et de sa mobilité (VEDECOM). Le second organisme sur lequel s’appuie le CTA est le Conseil de la standardisation technique automobile (CSTA), composé lui aussi de groupes de travail qui mettent en place les actions, les tests, les prototypages qu’il faut mener pour apporter des réponses techniques à des projets, à des idées d’évolution, souvent liés à des normes. Ces deux conseils procèdent donc à des revues de projets donnant lieu, au niveau du CTA, à une discussion stratégique. Cela revient au même qu’une animation en recherche-développement au sein d’une entreprise.
Vous m’avez ensuite interrogé sur le WLTP, le NEDC et le RDE. Le NEDC est une norme instaurée dans les années 1990 pour faire progresser l’automobile sur la question des émissions polluantes. Il s’agissait de créer un référentiel commun. Il y a quelques années, les industriels comme les autorités politiques ont souhaité passer, suivant une logique d’amélioration continue, à une nouvelle norme, en l’occurrence le WLTP qui prévoit des cycles différents – en particulier avec un nombre de kilomètres et une vitesse plus élevés. Il s’agit de durcir les règles pour faire progresser la réponse de l’automobile au besoin de développement durable.
En outre, le fait que mesurer sur bancs ne permet pas de prendre en compte les milliers d’usages différents d’une voiture mais aussi d’un poids lourd ou d’un bus. Il fallait définir une mesure approchant les conditions réelles. Aussi le pourra-t-on grâce à la norme RDE qui entrera en vigueur en septembre 2017, permettant de progresser dans la voie d’une automobile écologique et qui doit être, ajoutons-nous, abordable pour le plus grand nombre et exportable – car nous avons également vocation à défendre l’industrie française.
Ces normes ne s’appliquent pas de la même manière dans les secteurs de l’automobile et du poids lourd, ce dernier étant en avance – la norme antipollution Euro 6 est appliquée depuis le 1er janvier 2014. Il s’agit, en somme, par le biais de ces normes, d’aboutir à un équilibre entre la réduction des émissions de dioxyde de carbone et celle des émissions de particules nocives pour la santé – en effet : la diminution des unes conduit rarement à la diminution des autres.
En forçant quelque peu le trait, je dirai qu’il est plus facile de dépolluer une Twingo qui serait équipée d’un gros moteur V6 diesel qu’une Twingo dotée d’un petit moteur diesel ou d’un petit moteur à essence optimisé et chargé comme il faut. Le leadership de la France sur les émissions polluantes part du principe qu'on optimise l’ensemble du véhicule, optimisation qui nous place dans le champ de contraintes le plus fort. Il est ainsi bien plus facile d’optimiser un camion qui a, certes, un problème de charge utile, mais qui n’aura pas de problème d’implantation des solutions techniques. De la même manière, on aura moins de contraintes avec une grande routière qu’avec de plus petits véhicules urbains et interurbains.
La nouvelle norme est plus représentative de la réalité, et comme rien ne vaut la réalité, la combinaison WLTP-RDE me paraît très bonne. Ainsi le monde de l’automobile s’interroge-t-il face au problème de tricherie aux homologations dont il est en ce moment question car, globalement, la dynamique est en place. La PFA souhaitait d’ailleurs que les dispositions de la norme édictée par Bruxelles la semaine dernière soient effectives dès le mois de mars dernier – et même avant. Le processus européen de définition des normes pose problème car il ne laisse pas toujours aux industriels le temps de réaliser leurs innovations. Il faut en effet prendre en compte le temps qu’il faut pour passer de la validation d’une innovation sur un démonstrateur, un prototype, à la mise en place de toute une gamme : ce n’est pas parce que vous aurez produit une pièce répondant au besoin d’un constructeur pour un gros véhicule, que la pièce en question sera la même pour un petit véhicule ; la réponse technique sera la même mais la pièce, le sous-ensemble, sera totalement différent, y compris d’un point de vue technologique. Pour bénéficier de ce temps de développement, pour réaliser des produits de qualité – il ne faut pas oublier ce que l’automobile exige en matière de sécurité – tous les industriels ont travaillé et défini des hypothèses avant même qu’il y ait un début de rédaction de la norme de 2017, ce qui démontre leur volontarisme : ils prennent le risque de s’engager à améliorer la qualité de leurs véhicules avant même de connaître les conditions détaillées des normes.
Nous construisons notre position commune en fonction de l’évolution des technologies et de notre environnement.
M. Denis Baupin. J’aimerais connaître votre point de vue sur trois questions d’actualité.
Vous affirmez que la crise actuelle ne relève que d’une tricherie. On lit dans la presse que certains commissaires européens étaient pourtant au courant depuis 2013. Pensez-vous qu’il soit crédible que les autres constructeurs automobiles n’aient pas été eux-mêmes au courant du fait que leur collègue trichait – ne serait-ce qu’à travers les comparaisons de leurs véhicules respectifs réalisées par les uns et les autres ?
Ensuite, que pensez-vous des résultats de l’enquête réalisée par le magazine Auto Plus, parue il y a quelques jours ? Cette enquête met en évidence que les véhicules consomment environ 40 % de plus, en moyenne, que ce que révèlent les tests d’homologation ? Les consommateurs paieraient ainsi 40 % de plus leur carburant que ce qu’ils pouvaient imaginer au moment de l’achat de leur véhicule. En outre, l’enquête très détaillée, puisque plus d’un millier de tests ont été effectués, révèle que les véhicules diesel Euro 6, donc les plus récents, consommeraient pour leur part plutôt 70 % de plus qu’annoncé ! Ces données attestent-elles de l’inefficacité des véhicules, de la capacité à tromper les tests de plus en plus importante – qui illustrerait elle-même la difficulté pour les constructeurs de produire des véhicules respectant les normes environnementales en vigueur ?
Ce qui m’amène à ma troisième question sur le programme « Deux litres aux cent kilomètres ». J’ai rédigé un rapport avec la sénatrice Mme Fabienne Keller portant sur les véhicules plus écologiques et donc plus sobres. Vous expliquez que la lutte contre le dioxyde de carbone se fait au détriment de la lutte contre les émissions de particules nocives et inversement – certes, si l’on ne change pas de modèle, mais si l’on décide de fabriquer des véhicules plus petits, qui ne sont pas forcément conçus pour rouler à 180 kilomètres par heure, mais à 130 kilomètres par heure, qui ne comptent pas quatre sièges mais un ou deux, bref, si l’on rompt avec le modèle dominant depuis des décennies, nous pourrons, en même temps que nous luttons contre le dioxyde de carbone, faire baisser les émissions de particules et ainsi être gagnants sur tous les tableaux. Toutes les briques technologiques sur lesquelles travaillent les constructeurs pour diminuer les consommations, j’y suis favorable, mais si l’on y ajoutait la volonté d’en finir avec le système du véhicule à tout faire, quel gain nous obtiendrions ! Dans quelles dispositions vous trouvez-vous à propos de ce changement de modèle ?
M. Éric Poyeton. Pour répondre à votre première question, il me paraît logique que les autres constructeurs n’aient pas été au courant de la tricherie. D’abord, elle est apparue aux États-Unis qui ne sont pas le territoire vers lequel nos constructeurs – à l’exception de grands équipementiers – sont le plus tournés. Ensuite, il ne faut pas oublier que dans l’industrie automobile la succession des normes s’est accélérée – ce n’est pas une critique mais un fait –, si bien que ces mêmes industriels ont le nez dans le guidon. Nous sortons d’une crise plus qu’importante. J’ai travaillé dans le secteur des poids lourds qui a tout de même subi une baisse de 63 % de son activité en volume – et même de 80 % dans le secteur du chantier. Il faut donc gérer l’après-crise. Il nous faut répondre à un besoin d’innovation fort – on évoque beaucoup les normes antipollution mais il ne faut pas oublier la multiplication des normes relatives à la sécurité des véhicules ainsi qu’au bruit qu’ils émettent. En outre, mon expérience personnelle, en tant que patron chez un constructeur, de la stratégie de la marque et des gammes, et aussi du plan relatif aux services et à la garantie, me permet de vous assurer qu’on n’ira pas chercher les informations de ce type sur les autres constructeurs et qu’on ne les écoutera pas non plus.
Je n’ai pas lu dans le détail l’enquête d’Auto Plus puisque je suis chargé de l’ensemble de l’écosystème industriel automobile français et que l’on ne compte, parmi les 5 000 entités dont je m’occupe, que deux constructeurs principaux mais les trois ou quatre autres constructeurs implantés sur le territoire national ne devant évidemment pas être négligés. Je ne suis donc pas forcément focalisé sur ces questions. On sait qu’il existe un écart entre le niveau d’émissions constaté par l’usager et celui qui est enregistré dans le cadre du cycle d’homologation. Quant à savoir si cet écart a augmenté, plus on adopte de normes Euro 4, Euro 5 et Euro 6, plus les conditions dans lesquelles sont testés les véhicules sont sévères de sorte que cet écart ne tend pas à diminuer. En revanche, le niveau global d’émissions, lui, baisse : un usager qui effectuait le trajet de Paris à Nantes avec un véhicule des années 1990 et qui refait ce même trajet aujourd’hui, qu’il roule à l’essence ou au diesel, notera une forte baisse de la consommation de son véhicule alors même que ce dernier est beaucoup plus confortable, plus sûr et bien mieux équipé qu’à l’époque. Quant aux émissions de particules PM10 et PM2.5, elles sont 50 % moindres, alors même que le parc roulant a augmenté de 40 %. C’est en raison de ces écarts que WLTP et RDE sont des normes importantes et que les industriels français soulignent depuis le début de l’année la nécessité de les adopter le plus tôt possible – même si d’autres pays automobiles auraient préféré se donner encore un peu de temps pour réfléchir. Nous n’avons jamais été opposés à l’évolution des normes. Simplement, nous souhaitons avoir le temps de faire les travaux de recherche-développement nécessaires pour y répondre dans l’ensemble des gammes. Car tout comme les villes et les États, les constructeurs ont des obligations à respecter en termes d’émissions de leur flotte – telles que la norme Corporate Average Fuel Economy (CAFE) en 2021. Si un fournisseur a dix clients différents – équipementiers ou constructeurs –, cela représente une charge importante de R&D.
Quant à faire évoluer l’architecture des véhicules, les projets foisonnent mais sans succès pour le moment car encore faut-il trouver des solutions qui soient économiquement viables. Cela reste malheureusement difficile pour les véhicules adaptés à un seul usage. Il faut en effet veiller au business model de l’engineering en vérifiant si l’on produira des véhicules en quantité suffisante pour que cette production soit économiquement réaliste. Il convient aussi de s’assurer que la vie du véhicule sera performante : il se peut très bien qu’un véhicule très spécialisé trouve peu d’acheteurs. Si les changements sont certains, ils porteront principalement, selon nous, sur le véhicule autonome qui représente une rupture tant du point de vue de l’architecture, de l’habitacle et de la responsabilité que sur le plan sociétal. Il existe déjà dans nos gammes, européennes ou ailleurs dans le monde, de nombreux véhicules deux places. Mais on ne peut reproduire l’expérience de la Nano de Tata qui s’est soldée par un véritable échec.
M. Christophe Bouillon. Si je comprends bien, la voiture du futur, qui tend à devenir un concentré de technologies, sera propre, connectée, autonome et abordable. Comment tenir compte de ces enjeux tout en limitant le poids des véhicules, qui ne nous paraît pas aller en diminuant, sachant que plus les véhicules sont lourds, plus ils consomment ?
M. Éric Poyeton. Le pic de leur montée en poids est derrière nous. Depuis plus de cinq ans, les véhicules produits sont plus légers que leurs prédécesseurs. Dans la gamme routière, l’allègement peut être supérieur à cent kilos d’un modèle au suivant : il constitue l’une des priorités de l’industrie automobile et fait l’objet de constants travaux d’innovation. Ayant eu l’occasion de visiter de nombreuses entreprises, je puis vous dire que les progrès réalisés en ce domaine sont remarquables. L’allègement est un enjeu qui réunit l’ensemble de la filière : le constructeur en parlera de la même manière que son équipementier.
Mme la rapporteure. Vous estimez que la nouvelle norme a été adoptée tardivement. Il est vrai qu’elle était en discussion depuis très longtemps. J’ai bien saisi votre propos quant au délai de décision et la capacité d’adaptation des industriels. Le Comité technique automobile a-t-il pris position sur la norme RDE ? Avez-vous assuré une veille et actualisé vos positions publiques sur le sujet, qui datent de 2014, pour tenir compte de la négociation européenne de ces normes ? Le résultat annoncé le 28 octobre dernier est-il satisfaisant pour la Plateforme de la filière automobile ? Ne pourrait-on faire mieux qu’un écart de 110 % en 2017 entre la norme Euro 6 et les nouveaux tests d’homologation ?
Vous avez affirmé que l’avenir résidait dans une diversité de solutions, tant en termes de carburant que de motorisation. Dans le même temps, vous avez indiqué en réponse à M. Denis Baupin que les véhicules adaptés à un seul usage n’étaient pas viables économiquement. Or, lors de nos précédentes auditions, nous avons observé une logique de spécialisation dans les différents types de motorisation et de carburant.
S’agissant du programme « Véhicules deux litres aux cent kilomètres », on sait que deux litres équivalent à cinquante grammes de CO2 : les nouveaux tests vont-ils faire évoluer l’objectif visé dans ce programme ? Les financements alloués à ce projet dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA) vous paraissent-ils suffisants ? Vous nous avez indiqué tout à l’heure avoir joué un rôle de mobilisation des PME : le soutien de la puissance publique à ce programme est-il suffisamment puissant ?
Pourriez-vous évoquer le programme VALDRIV-PLM ? L’économie circulaire et l’analyse du cycle de vie nous intéressent en effet aussi.
Enfin, j’ai cru comprendre en lisant vos travaux que la filière française à l’exportation avait une marge de progression : qu’en est-il ?
M. Éric Poyeton. S’agissant de la nouvelle norme, nous avons bien sûr actualisé notre position au fur et à mesure de l’avancement des discussions. Au début de l’année, par exemple, la filière automobile a exprimé d’une seule voix, très tôt, qu’elle n’était pas d’accord pour que la vitesse maximale des essais soit supérieure à 130 kilomètres par heure. Mais bien que nous suivions l’actualité, ce sujet concerne davantage les constructeurs que l’ensemble de la filière. Nous avons donc décidé de confier son traitement aux acteurs compétents.
Je n’ai pas à me prononcer sur les décisions qui ont été prises – dont je ne connais d’ailleurs pas le détail. Mais le peu d’informations dont je dispose me porte à croire que les normes à atteindre seront pour nous un défi mais qu’elles apporteront aussi une amélioration. Les commentaires que l’on peut lire dans la presse ne s’appuient pas sur les faits. Ils font fi de la nécessité de partir de la référence des véhicules d’aujourd’hui et non de la position des instances européennes et de celle du groupe qui a décidé de ces normes – les industriels français au sens large souhaitant passer à la première étape dès septembre 2017.
Selon le CTA, plusieurs points doivent être impérativement traités pour préparer l’automobile du futur. Il convient tout d’abord de raisonner en termes d’usage et de renouvellement du parc. Si, aujourd’hui, tous les véhicules étaient conformes à la norme Euro 5 ou Euro 6, peu importeraient les écarts entre les résultats d’un cycle sur bancs et la réalité constatée par chaque usager. Le secteur automobile a su démontrer par ses efforts de R&D ce dont il était capable. Mais l’âge moyen des véhicules, qui est de 8,7 ans, est malheureusement en augmentation. Et 37,5 % du parc de véhicules européens a plus de dix ans. Ensuite, nous estimons qu’il est indispensable de réfléchir aux problèmes de congestion et de massification des flux : par exemple, 53 % des émissions issues du transport de marchandises résultent de la congestion. Les industriels étant là pour travailler avec l’ensemble de leurs clients dans tous les pays qui utilisent l’automobile, il importe aussi de raisonner en termes de système de transports et de prévoir un business model équilibré qui n’inclue pas les subventions à l’achat et au remplacement des véhicules – l’existence de ces subventions ayant tendance à fluctuer avec le temps.
Nous nous efforcerons également de faire en sorte que quatre aspects plus « soft » soient pris en compte. Nous avons tout d’abord besoin de stabilité sans quoi nous épuisons nos budgets ainsi que les efforts de R&D de nos entreprises. Ainsi, par exemple, le va-et-vient des décideurs politiques et économiques mais aussi des usagers au sujet de l’écotaxe poids lourds nous a-t-il été dommageable. La capacité à anticiper l’adoption de normes nous importe beaucoup de même que la neutralité technologique des produits qui s’y conforment. Je ne pense pas que le déchaînement aurait été tel si Volkswagen avait triché sur un moteur à essence – qui n’émet ni oxygène ni fleurs mais des particules plus fines qu’un moteur au diesel ! Il convient en outre de raisonner en termes de cycle de vie : au cours de ses vies multiples, un véhicule peut se heurter à des problèmes techniques qu’il n’avait pas auparavant. Aujourd’hui, pour amoindrir les émissions des véhicules, il est nécessaire d’utiliser des carburants ayant un taux de soufre de plus en plus faible. Dans certains pays comme la Russie, ce taux est catastrophique. Il est donc problématique de ne plus avoir accès au marché des véhicules neufs et d’occasion de ces pays. On sait aussi que les écarts d’émissions peuvent varier de plus de 10 % suivant l’entretien que l’on fait d’un véhicule. Le manque d’entretien peut évidemment expliquer certains écarts constatés par l’usager. Enfin, il conviendrait que les industriels de la filière soient porteurs de solutions en matière d’éco-conduite – et c’est le cas : une célèbre entreprise, dont l’un des membres éminents préside la PFA, s’est lancée dans cette direction, en aidant ses clients à développer l’éco-conduite sur des véhicules lourds.
Je ne suis pas en opposition avec vous s’agissant de la diversité des solutions existantes. C’est de la diversité d’usages des véhicules que j’ai parlé, indiquant qu’elle pouvait être servie par une moindre diversité des motorisations.
Notre objectif étant de tirer vers le haut l’innovation de la filière, le programme « Véhicule deux litres aux cent kilomètres » correspond à cinquante grammes de CO2, peu importe que l’on fasse référence à la norme RDE ou à la WLTP. Si nous voulions être encore plus provocateurs et envoyer un signal encore plus fort aux industriels quant à nos attentes en matière d’innovation, c’est une norme d’un litre aux cent kilomètres que nous imposerions. Les industriels des PME et ETI étant tout le temps le nez dans le guidon, nous leur fixons ces objectifs pour les inciter à innover mais l’intitulé de ce programme est plutôt un terme de marketing.
Si le soutien au financement dudit programme est fort, il manque d‘homogénéité. Nous sommes très satisfaits de l’Initiative PME 2015 que nous avons élaborée en commun avec le CGI, l’ADEME et la direction générale des entreprises du ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique (DGEMEIN). L’appel à projet « Véhicules et transports du futur » est très intéressant. Mais parallèlement, l’accès des projets « automobile » au Fonds unique interministériel (FUI) diminue. Or, c’est un dispositif complémentaire du précédent. Nos adhérents nous ont déjà fait savoir que neuf projets collaboratifs d’innovation automobile avaient été mis de côté au motif qu’il n’était plus possible de les inscrire dans le FUI, complémentaire des autres dispositifs. Par cohérence, nous nous appuyons sur l’ITE de VEDECOM et sur les IRT « System X » et « Jules Verne ». Mais si les IRT donnent droit au doublement du crédit impôt recherche (CIR), ce n’est pas le cas des ITE. Il est donc possible d’améliorer le financement de projets conduisant à rendre les véhicules plus économes, plus abordables et plus facilement exportables.
S’agissant de VALDRIV-PLM, la gestion de la valeur ajoutée par les outils numériques passe par les têtes de filière. Celles-ci ont choisi un système français – sachant qu’il existe également sur le marché un système allemand. Derrière ce système, nous essayons de faciliter la vie aux fournisseurs tant en matière de standards que de compétences. Nous essayons notamment d’être aussi performants, en termes de standards, que le sont nos collègues de l’aéronautique, dans le cadre du programme « Boost-Industrie » de l’Association française du numérique dans les filières industrielles (AFNET), et nos collègues allemands. Il faut faire naître des standards qui soient favorables à l’industrie française pour que la continuité et le collaboratif de l’innovation ainsi que la facilité de gestion de l’information de la pièce ou du produit tout au long de sa vie soient les meilleurs possible pour nos industriels français. Nous travaillons beaucoup à l’élaboration de standards, souhaitant des standards français et pas forcément des standards allemands. Nous aspirons bien sûr à la création de standards européens mais sans doute une étape préalable est-elle nécessaire. D’autre part, nous souhaitons dans le cadre du PLM faire entrer les plus petites entreprises dans le numérique. C’est pourquoi nous concentrons nos actions sur le soutien à la création en région Bretagne d’un centre de formation et d’acculturation des entreprises au PLM et à ses outils. De cette manière, nous favorisons l’économie circulaire en encourageant le partage de l’information produit dès l’idée de sa naissance jusqu’à son après-vente. C’est un travail de longue haleine pour lequel je crois que nous aurons la chance de bénéficier du soutien de l’appel à projet « Partenariats pour la formation professionnelle et l’emploi » (PFPE) dans le cadre du PIA.
Enfin, en ce qui concerne la filière française à l’exportation, nos constructeurs et nos équipementiers accomplissent un travail remarquable. Il faut accompagner les plus petites entreprises aussi bien en amont – tant qu’elles n’ont pas pris la décision de se lancer – qu’en aval. En amont, il fallait que la filière se prenne en main. Nous avons donc passé les douze derniers mois à définir la manière de nous organiser. Nos compétences sont regroupées à la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV). Il nous faut rapprocher de cette fédération les ARIA, les pôles de compétitivité, des experts et des constructeurs. Nous avons obtenu de premiers résultats. Avec le soutien de Business France, nous avons organisé des Tech days chez BMW il y a plus de douze mois : aujourd’hui, quatre des vingt entreprises présentes à ces rencontres ont décroché de potentielles commandes auprès de cette entreprise allemande. Plus de 150 fournisseurs potentiels ont participé à une réunion que nous avons organisée pour le projet de développement de PSA au Maroc. Nous allons poursuivre dans cette voie : nous savons que faire et comment le faire, il reste à passer à l’action. Nous franchirons une étape importante en 2016. L’accompagnement s’appuie souvent sur des compétences précises que nous n’avons aucun problème à trouver ou à faire naître dans nos entreprises.
M. Denis Baupin. Vous affirmez que les tentatives de création de certains types de véhicules plus écologiques n’ayant pas trouvé leur business model, elles se sont soldées par un échec. Mais les véhicules concernés se trouvent dans un milieu concurrentiel face à d’autres qui, pour respecter les normes écologiques, trichent soit à l’aide de logiciels soit en construisant des véhicules qui émettent beaucoup plus en fonctionnement que ne le prévoient ces normes. Si on en est arrivé là, c’est que les constructeurs n’arrivent pas à trouver un business model qui respecte les normes tout en leur permettant de vendre leurs véhicules. La question des normes écologiques et du business model doit donc être posée dans les deux sens. Dès lors qu’on permet légalement à certains de déroger aux normes – comme il vient d’en être décidé au niveau européen –, il est évident que ceux qui, pour les respecter, font des choix plus ambitieux, risquent forcément de ne pas trouver de business model. En d’autres termes, le serpent se mord la queue. En revanche, si on imposait vraiment aux constructeurs l’obligation de respecter les normes qui ont été fixées – et si elles l’ont été, c’est non par hasard ou pour faire plaisir à tel ou tel mais en raison du dérèglement climatique et de la pollution de l’air, enjeux prioritaires du point de vue de l’intérêt collectif –, les constructeurs développant ces nouveaux types de véhicules ne trouveraient-ils pas un business model ?
D’autre part, je crois vous avoir entendu dire qu’en cas de congestion, il était évident que le niveau d’émissions était très supérieur à celui enregistré dans le cadre des homologations. Le problème, c’est que c’est en ville, là où se trouve la population et que se posent les problèmes de santé publique, que congestion il y a. Un véhicule émettant des pollutions importantes au fin fond de la campagne est certes nocif mais c’est autre chose lorsque des dizaines de milliers d’entre eux en même temps en émettent autant dans un endroit où de nombreuses personnes respirent. Il est intéressant de tester des véhicules sur l’autoroute à 130 kilomètres par heure pour mesurer le niveau de pollution mais cela ne suffit pas. Certes, le mécanisme RDE comprendra des tests en milieu urbain mais pour des véhicules circulant à vingt ou trente kilomètres par heure. Or, la vitesse moyenne de circulation à Paris n’est que de seize kilomètres par heure, et ce depuis trente ans. La congestion automobile est d’ailleurs liée à la taille des voitures. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner dans mes anciennes fonctions, on ne peut pousser les murs des immeubles mais l’on peut réduire la taille des véhicules pour permettre aux conducteurs de rouler et stationner plus facilement. Et indépendamment de cet aspect, si l’on considère comme normal que les résultats des tests d’homologation soient très différents de ce que l’on constate dans les lieux de congestion, à quoi servent les normes de pollution ? Car c’est à l’intérieur des villes que se posent les problèmes de santé publique ayant conduit à l’adoption de ces normes.
M. Éric Poyeton. Un business model n’est opérant qu’en cas de volume suffisant. Et la taille critique de nos constructeurs et de nos entreprises n’est pas un problème en la matière. Pour évaluer ce volume, les constructeurs, les équipementiers et les fournisseurs prennent en compte de la multiplicité des clients et des pays sur l’ensemble des marchés mondiaux. En termes technologiques, il faudra attendre un certain temps avant d’atteindre un volume suffisant de véhicules à l’hydrogène pour obtenir un business model efficace. En outre, comment produire de l’hydrogène de façon écologique ? Autre exemple : le financement du projet « Équilibre », qui tend à développer le recours à l’énergie gaz sur les véhicules utilitaires et industriels, part d’un bon principe puisqu’il vise à établir un business model rentable, c’est-à-dire à déterminer à partir de quel nombre de véhicules une station est rentable. L’innovation n’est donc pas que technique : elle concerne aussi les business models. L’ADEME apporte une aide à l’amorçage du projet « Équilibre » mais une fois que les volumes auront atteint la taille critique, le business model sera effectif sans subventions et donc exportable. Il importe de développer des modèles qui fassent du volume plutôt que de retenir des solutions condamnées à demeurer des solutions de niche.
Vous avez raison en ce qui concerne la congestion. Mais la vitesse moyenne du cycle est très faible, d’environ vingt-trois kilomètres par heure. Il est facile de se retourner aujourd’hui contre le cycle NEDC mais il a été créé à une époque où il n’en existait aucun et où l’on ne disposait pas des données désormais collectées par l’ADEME et l’Association interdépartementale pour la gestion du réseau automatique de surveillance de la pollution atmosphérique et d’alerte en région d’Île-de-France (AIRPARIF). Le cycle WLTP est amélioré. Il prend en compte beaucoup plus de phases. Et surtout, c’est parce que nous souhaitons agir dans le sens que vous avez indiqué qu’un accord a été conclu en faveur de l’adoption de la norme RDE. Il manquait jusqu’à aujourd’hui à la mesure des émissions réelles un protocole et une norme de mesure. Et aujourd’hui, je vous confirme que les industriels français respectent ces normes – qui sont ce qu’elles sont. Celles-ci évoluent rapidement mais nous n’avons jamais remis en cause ce rythme. Les industriels ont exprimé la volonté que les nouvelles normes soient en vigueur en septembre 2017 et jusqu’en 2021. Il y aura quasiment une nouvelle étape normative par an. Peu d’industries sont soumises à un tel rythme et doivent de la sorte conduire une R&D en cohérence avec ces normes. Car qui développe un modèle pour 2017 a aussi intérêt à ce qu’il reste conforme en 2021 sans quoi il aura un problème de business model.
Mme la rapporteure. Vous avez indiqué qu’il était prioritaire d’accélérer le renouvellement du parc automobile mais, selon vous, sans prime à la casse. Quelle politique publique permettrait-elle d’y parvenir ? Que pensez-vous de l’actuelle prime à la conversion ?
En 2012, votre Plateforme a pris position contre l’investissement dans les moteurs à l’hydrogène. Certains constructeurs dans d’autres pays développant des programmes en ce sens, pensez-vous que la filière automobile française doive en faire autant ?
M. Éric Poyeton. Je me suis sans doute mal exprimé concernant la prime à la casse. C’est un sujet sur lequel la PFA n’a pas à se prononcer car il concerne uniquement les constructeurs. La PFA considère qu’il faut prioritairement agir en faveur du renouvellement du parc tout en ayant conscience de tous les paramètres à prendre en compte – y compris le fait que l’âge moyen d’achat d’un premier véhicule neuf en France est de cinquante-trois ans.
Nous venons de faire évoluer notre position concernant l’hydrogène, en considérant qu’il fera partie de la batterie des solutions. Nous ne voyons aucune raison de dire qu’il constituera la solution principale pour la motorisation des voitures mais nous sommes conscients qu’il est une solution en tant que prolongateur d’autonomie, notamment pour les véhicules lourds et utilitaires. Nous sommes d’ailleurs très satisfaits de l’expérimentation du projet conduit sur les véhicules utilitaires Kangoo de La Poste. En outre, l’automobile pourra entrer comme consommateur dans un écosystème fonctionnant à l’hydrogène et tenant compte de la notion de smart grid (réseau intelligent) mais ce n’est pas notre secteur industriel qui favorisera le déploiement de l’hydrogène en tant que carburant. Nous le démontrons dans le document exposant notre prise de position actualisée que nous nous apprêtons à publier. Ainsi que je l’ai souligné lorsque j’ai été auditionné sur le sujet, l’hydrogène peut être un excellent substitut au diesel pour les groupes électrogènes tournant de façon stationnaire dans de nombreux endroits du monde et en particulier dans un nombre incalculable de pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe. Il serait alors facile de le faire remplacer du diesel Euro 2, non taxé, alimentant des installations fixes. Il est des secteurs dans lesquels l’hydrogène peut être un substitut et dans lesquels, en tant que fournisseurs de motorisation, nous accepterions de voir nos moteurs remplacés par d’autres.
M. Jean Grellier. Dans le cadre du plan industriel « Usine du futur », on réfléchit actuellement au retrofitting (réaménagement) des bus urbains en lien avec la RATP. L’objectif est de déterminer comment les rééquiper de moteurs à énergie plus propre. On n’en est aujourd’hui qu’aux balbutiements puisqu’il est question d’élaborer un premier prototype susceptible d’utiliser différentes formes d’énergie dont le gaz et l’hydrogène. Si l’on parvient à réaménager les bus, on peut supposer qu’il soit possible d’en faire autant pour les poids lourds. Peut-on envisager la même solution pour des véhicules légers de tourisme à l’avenir ? Si le renouvellement du parc prend dix à quinze ans, on n’obtiendra pas les retombées souhaitées en termes environnementaux avant cette période. Ne pourrait-on par conséquent suivre des démarches permettant d’accélérer ce renouvellement ?
M. Éric Poyeton. Il ne peut être que bénéfique de porter plus d’attention à ce sujet. Mais je ne vois pas du tout comment transposer cette démarche à la voiture : personne n’acceptera de supporter le coût de ce retrofit. En revanche, dans le business to business, c’est-à-dire pour les véhicules industriels, utilitaires, les autocars et les bus, les possibilités et les innovations existent. Le pôle LUTB a notamment mené des études et établi des comparaisons européennes sur le sujet. Reste à savoir si ces projets sont conformes aux normes qui viennent d’être durcies. C’est un point à ne pas négliger : de nombreux travaux sont effectués pour convertir de gros moteurs diesel en moteurs à gaz mais ils n’ont pas abouti alors que l’on a investi de l’énergie dans des projets franco-italo-espagnols dans des volumes conséquents. Cela étant, on ne perdrait rien à envoyer un signal à l’écosystème afin qu’il s’intéresse davantage à cet enjeu, y compris en termes de business model, et qu’il soit plus créatif en la matière.
M. Philippe Kemel. Vous nous avez indiqué que le crédit impôt recherche était différent suivant le procédé de recherche utilisé, ce qui signifie qu’une forme de régulation s’exerce déjà par le biais de ce dispositif fiscal. Quelles normes en vigueur vous incitent-elles à produire des véhicules plus propres ou à calculer les cycles du produit ? Que conviendrait-il de faire en termes de régulation pour favoriser les démarches vertueuses ?
M. Éric Poyeton. Je crains de ne pas être suffisamment expert pour vous répondre. Dans un écosystème tel que la filière automobile, il nous faut une animation nationale des animateurs d’écosystème régionaux et locaux, des IRT et des ITE. Or, nous en avons. Il est vrai que le régime fiscal des IRT donne droit au doublement du CIR, ce qui n’est pas le cas du régime de l’ITE automobile. Mais je n’ai pas l’expertise nécessaire pour vous en dire davantage.
M. Philippe Kemel. Quels partenariats avez-vous conclus avec l’Agence nationale pour la formation automobile (ANFA), où l’on retrouve l’ensemble du système visant à réparer les moteurs automobiles et à maintenir le respect des normes en vigueur ?
M. Éric Poyeton. Nous nous sommes lancés dans une démarche de partenariat figurant dans notre contrat stratégique de filière. Un groupe de travail co-piloté par un représentant syndical et le directeur des compétences de la PFA mène une action tendant à assurer la synergie entre l’amont et l’aval de la filière. Il y a beaucoup d’opportunités à créer en ce domaine. Le président du Conseil national des professionnels de l’automobile (CNPA) et le président de la PFA l’ont rappelé récemment lors de rencontres ainsi que dans un échange de courriers et les premières séances de travail commun ont eu lieu très récemment. Cette idée est en plein devenir et vous prêchez un convaincu. Je peux vous en parler sous le contrôle de votre collègue M. Xavier Breton : lorsque j’étais patron de l’usine de Bourg-en-Bresse, je souhaitais créer des passerelles entre le monde de l’usine d’assemblage et celui de la distribution. On a en effet besoin, en projet, de compétences de retouches en usine à la suite de quoi le niveau de retouches diminue. Or, les distributeurs sont d’excellents réparateurs de véhicules, ce qui illustre concrètement l’utilité de créer des passerelles entre l’amont et l’aval. L’amont de la filière est bien conscient de la force de frappe de l’ANFA et ne dispose d’aucun équivalent, ayant fait le choix de développer des écoles des métiers proches des besoins des industriels ainsi que des universités. Et de plus en plus d’industriels ont développé leurs propres universités et écoles des métiers. Il faut donc rapprocher un amont, dans lequel l’implantation est proche des besoins industriels et qu’il faut fédérer en réseau, et, en aval, une puissance de frappe qui est implantée dans toutes les régions. Nous y travaillons effectivement.
Mme la rapporteure. Pourriez-vous nous fournir des informations plus détaillées s’agissant du crédit impôt recherche comme des projets affectés par la diminution du FUI, ainsi que vos positions sur la norme RDE ? Comment améliorer l’attractivité de la filière pour favoriser le recrutement des compétences ?
M. Éric Poyeton. Il nous faut mener des actions de terrain auprès des familles, des jeunes et des enseignants. Cela demande beaucoup de sueur et quelques moyens – que l’on pense trouver dans les campus des métiers et des qualifications – mais ce n’est pas le plus difficile à faire. Ensuite, il est nécessaire d’assurer un management de l’attractivité. L’ensemble des employés de l’industrie automobile sont fiers de leur industrie même si certains ont traversé des périodes difficiles. Nos salariés sont donc porteurs de cette attractivité. Encore faut-il qu’ils ne soient pas perturbés par des messages négatifs véhiculant l’idée que l’automobile serait sale et polluante, que les constructeurs et équipementiers seraient des lobbyistes indifférents à la cause environnementale et qu’ils refuseraient d’évoluer. Nous n’avons pas la chance, comme dans l’aéronautique, de défendre une cause européenne, le constructeur européen étant seul face au constructeur américain. Il nous faut aussi savoir traverser ces périodes et travailler dans la durée en adoptant une démarche de fond. Cet enjeu pourrait faire l’objet d’un Comité stratégique de filière automobile d’autant que de nombreux sujets restent uniquement abordés non pas en son sein mais en dehors de ce comité. Pour parler de la stratégie de la filière, il faut que l’ensemble des ministères soient présents. Il nous faut être persévérants et nous dire que dans l’automobile, ce que l’on fait vaut mieux que ce que l’on dit. Ensuite, les résultats seront là. Comme nous le voyons depuis plus de vingt ans.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Je vous remercie, monsieur le directeur général, de cette audition pleine d’espoir.
La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.
◊
◊ ◊
4. Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Costes, président du Cabinet d’analyse de données économiques INOVEV, et de M. Jamel Taganza, vice-président.
(Séance du mercredi 4 novembre 2015)
La séance est ouverte à douze heures.
La mission d’information a entendu M. Michel Costes, président du Cabinet d’analyse de données économiques INOVEV, et M. Jamel Taganza, vice-président.
Mme Sophie Rohfritsch, présidente. Nous recevons, en cette fin de matinée, M. Michel Costes et M. Jamel Taganza, respectivement président et vice-président du cabinet d’analyse de données économiques INOVEV, dont le site internet, site de référence de l’industrie et du marché de l’automobile, n’est accessible qu’aux seuls professionnels.
M. Michel Costes, président et fondateur du cabinet, a commencé sa carrière dans l’industrie. Le cabinet INOVEV est fréquemment cité par la presse dans ses commentaires des séries statistiques d’activité du secteur. Il travaille à la fois pour des clients privés et des institutions publiques, y compris des ministères.
Messieurs, vous allez nous faire part d’informations précieuses et actualisées qui pourront servir de base objective à nos réflexions. Au-delà de données purement quantitatives, nous sommes vivement intéressés par certaines appréciations plus qualitatives résultant de vos analyses.
Partagez-vous l’opinion émise dans les années 2010 par certains experts selon laquelle les constructeurs français auraient raté le défi de la mondialisation ?
La diésélisation du parc français et la spécialisation sur ce type de motorisation constituent-elles un handicap ou présentent-elles encore certains atouts industriels ?
Plus généralement, le défi d’adaptation de l’outil industriel de nos constructeurs peut-il être relevé sans difficultés majeures, et à quelle échéance ?
Enfin, est-il exact que les résultats commerciaux plutôt positifs enregistrés récemment par Renault, et surtout par PSA, cacheraient une descente en gamme accompagnée d’un fort déficit commercial ? Je vous pose directement cette question car certains experts insistent sur ce double phénomène.
M. Michel Costes, président du cabinet Inovev. Avant de répondre à vos questions, Madame la présidente, je me propose de dresser un état des lieux du marché automobile français, autrement dit les véhicules vendus en France et roulant en France, et de la production automobile des constructeurs français.
Permettez-moi, en guise d’introduction de dire quelques mots d’Inovev, société indépendante à base de capitaux privés indépendants, dont les actionnaires sont des individus. Ses clients sont principalement européens et asiatiques. Inovev a été fondée récemment, en 2010, mais son équipe dirigeante est composée d’experts de l’industrie automobile, le plus âgé et le plus jeune d’entre eux ayant respectivement une expérience de quarante et de dix ans dans ce secteur – il s’agit de moi-même et de M. Jamel Taganza qui m’accompagne.
Les membres de l’équipe d’Inovev ont observé et analysé le marché automobile mondial et réalisé des prévisions. Ils ont analysé la conception d’une centaine de véhicules en procédant à leur démontage complet en coopération avec les constructeurs automobiles et leurs fournisseurs.
Les analyses et les prévisions d’Inovev s’appuient sur des données fiables et une méthodologie rigoureuse. Inovev achète ou se procure des données relatives aux immatriculations et aux ventes de tous les véhicules pour le passé et le présent. Nous les traitons après les avoir homogénéisés et les avoir mises en place dans un référentiel commun. À partir des ventes, nous estimons les productions par un calcul complexe mais très fiable lorsque celles-ci ne sont pas fournies par les constructeurs, ce qui est le cas le plus fréquent.
Nous prévoyons ensuite le futur à partir de l’analyse des facteurs clés de changement en nous fondant sur l’examen des éléments qui expliquent les plus récentes évolutions : réglementation, normes et essais, politique des constructeurs, influence des orientations générale à caractère politique et des médias. Nous réalisons des prévisions, modèle par modèle, motorisation par motorisation, usine par usine. Nous bouclons finalement la boucle en comparant nos prévisions à ce qu’il est réellement advenu, afin de toujours améliorer nos méthodes et modélisations.
Je veux d’abord évoquer le marché français, c’est-à-dire les véhicules roulant en France.
Le parc français se classe, au 1er janvier 2015, au troisième rang de l’Union européenne avec 31,5 millions de véhicules – on en compte 42,3 millions en Allemagne, 36,6 millions en Italie, et 29 millions en Grande-Bretagne. Le taux de motorisation de la France, défini comme le nombre de véhicules particuliers par habitant, se situe dans la moyenne de l’Union européenne – le pays européen le plus largement motorisé étant l’Italie, et la Pologne se situant au niveau de la France et de l’Allemagne.
Si l’on passe du stock au flux et que l’on considère les immatriculations annuelles, la France se place également au troisième rang de l’Union Européenne, mais cette fois derrière l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Les immatriculations françaises de véhicules particuliers et de véhicules utilitaires légers ont varié de manière assez stable au cours de la dernière décennie contrairement à ce qui s’est produit en Allemagne où elles ont connu quelques soubresauts. En revanche, la production en France, tous constructeurs confondus, s’est écroulée durant la même période, passant de 3,5 à 2 millions de véhicules par an.
La crise automobile de 2008 n’a pas été vécue de la même manière en France et en Allemagne. Les deux pays ont mis en place des primes à la casse, mais de façon différente : en Allemagne, il a été annoncé que la mesure serait ponctuelle et limitée dans le temps, alors qu’en France, la mesure a duré plus longtemps et elle est donc devenue, dirons-nous, plus « habituelle ». Cela dit, nous constatons que ces dispositifs n’ont généralement qu’une incidence faible sur le niveau moyen du marché sur cinq ans. Ils créent un effet d’aubaine qui permet d’anticiper des ventes mais non de les additionner : l’augmentation des ventes est généralement suivie de leur baisse, ce dernier mouvement annulant l’effet du précédent sur le moyen terme. Le procédé présente néanmoins l’avantage de soutenir le marché à court terme.
Je dois dire un mot du mix énergétique des marchés européen et français.
La forte proportion de véhicules particuliers à motorisation diesel, soit 53 % en 2014, constitue une spécificité marquante de l’Europe par rapport au reste du monde où seules la Corée et l’Inde ont un marché de véhicules particuliers comportant une part élevée de diesel, soit respectivement 43 % et 47 %.
La motorisation diesel a véritablement commencé en France à la fin des années 1980. Le diesel représentait 10 % du marché en 1980, 15 % en 1985, et 33 % en 1990. Une telle progression, qui a eu lieu dans le cadre d’une politique énergétique visant à l’utilisation des coupes lourdes du pétrole, est restée une spécificité française jusqu’à la fin des années 1990. À partir de cette période et du début des années 2000, le diesel a en revanche décollé dans tous les pays européens, principalement du fait des progrès techniques accomplis par les constructeurs. La France a augmenté la diésélisation de son parc de manière continue de 1998 à 2008 pour atteindre un taux de près de 80 % en 2008, juste avant la crise. L’Espagne a pour sa part accru sa proportion de diesel jusqu’à 70 %. Même le Royaume Uni, qui a pour spécificité en Europe de proposer un prix de carburant diesel plus élevé que l’essence, a atteint et conservé depuis 2008 un taux de diésélisation proche de 50 %.
Les motorisations électrifiées, les véhicules hybrides et les véhicules électriques à batterie, n’occupent pas, à ce jour, de place significative sur le marché. Le développement des véhicules hybrides, qui représentent aujourd’hui environ 3 % du marché français, a rencontré deux obstacles. D’une part, leur compétitivité est difficile à mettre en évidence auprès des utilisateurs au regard des avantages de la motorisation diesel. Dans les pays où le diesel est peu répandu, les véhicules hybrides se font une place beaucoup plus facilement que lorsque le diesel est très présent. D’autre part, l’offre des constructeurs européens reste faible. La société Toyota a toutefois développé une forte politique de vente de ses véhicules hybrides en Europe, et plus particulièrement en France, voyant là un moyen d’affirmer sa différence par rapport aux constructeurs européens : 43 % des véhicules Toyota vendus en France sont des hybrides. Les véhicules électriques à batterie ne représentent aujourd’hui que 1 % du marché français. Ils n’ont pas encore trouvé leur place malgré le leadership mondial et incontesté du groupe Renault Nissan qui fabrique la Leaf, véhicule mondial, et la Zoé, véhicule européen.
J’en viens à la production automobile française. Il est nécessaire de distinguer la production des constructeurs français dans le monde, de la production sur le sol français et d’éviter ainsi tout amalgame entre deux notions qui peuvent porter le même nom.
On peut considérer que les constructeurs européens occupent la première place mondiale en termes de production de véhicules légers dans le monde. Cette première place n’est toutefois acquise que si l’on fait deux hypothèses : l’une selon laquelle la société Nissan est contrôlée par l’Europe, l’autre qui permet de comptabiliser les véhicules chinois produits dans le cadre de joint-ventures avec les constructeurs européens, notamment allemands, comme des véhicules sous contrôle européen. Le groupe Renault Nissan a connu une forte croissance : il atteint le quatrième rang mondial, derrière Toyota, Volkswagen, et General Motors, devant Hyundai et Kia qui le talonnent. Le groupe PSA se place au neuvième rang mondial.
Si la France est un pays majeur pour la production automobile dans le monde, ce n’est pas le cas pour ce qui est de la production sur son propre territoire : elle ne fait plus partie du top ten des pays du monde producteurs d’automobiles.
La question du mix énergétique mérite aussi d’être examinée pour ce qui concerne les constructeurs européens. Les groupes Ford, PSA et Renault Nissan sont les plus diésélisés : le diesel compte pour 60 % de leur production automobile. Renault Nissan et PSA produisant beaucoup de petits véhicules, et ces derniers étant peu diésélisés, la proportion de véhicules diesel produit par ces deux groupes est, en fait, supérieure à 60 % pour les moteurs de cylindrée supérieure. Ces groupes se voient d’autant plus impactés par une baisse de la motorisation diesel qu’une partie de leur production plus importante que celle de leurs concurrents est destinée à la France, pays dans lequel le diesel baisse le plus rapidement après avoir progressé rapidement.
Dans nos prévisions, nous prenons en compte les politiques probables et très certainement efficientes des groupes de constructeurs diésélisés qui auront pour objectif de freiner la décroissance du diesel, puis de stabiliser son ratio. Selon nous, en Europe, il se situerait probablement autour de 50 % en 2018. Ces stratégies lutteraient par exemple contre la désinformation actuelle assimilant souvent les motorisations diesel à des motorisations sales, alors même que les normes Euro 6 et Euro 6c les contraignent à être aussi propres que les motorisations essence, voire davantage. Un amalgame est en effet entretenu entre les anciens véhicules diesel plus polluants que les véhicules à essence, et les nouveaux véhicules diesel qui ont quasiment les mêmes résultats en termes de pollution que ces derniers, quand ces résultats ne sont pas meilleurs.
Le diesel a en effet aujourd’hui beaucoup d’avantages client à faire valoir par rapport à la motorisation essence, notamment en termes d’émission de CO2, de consommation, mais aussi de prestations. Les clients aiment le diesel. Certains pays nous l’envient même : dorénavant, le Japon considère par exemple le diesel comme un objectif de développement alternatif.
Nos prévisions prennent également en compte le fait que les groupes de constructeurs confirmeront le développement de nouvelles générations de véhicules diesel répondant aux normes les plus contraignantes. Ce processus est déjà très largement engagé chez Renault Nissan ainsi que chez PSA. Les groupes renforceront aussi très certainement le développement de véhicules électrifiés.
Quels sont les facteurs clés de changement qui auront un impact sur l’industrie automobile dans les prochaines années ?
Dans notre scénario moyen, le marché automobile français devrait rester quasiment stable d’ici à 2020, passant entre 2015 et cette date de 2,2 à 2,3 millions de véhicules vendus en France. Le marché automobile européen devrait en revanche connaître une croissance d’environ 2 % par an en moyenne, et atteindre 16,5 millions d’unités vendues en Europe en 2020, alors qu’il se situe, en 2015, à 15 millions d’unités. La croissance européenne sera donc basée sur celle de marchés « hors France », notamment sur les marchés italien, espagnol, portugais et grec, qui se trouveront en phase de rattrapage après une très forte chute des ventes, et sur une croissance des ex-pays de l’Est où le taux de motorisation reste encore assez faible.
Dans ce marché mature, des facteurs clés de changement peuvent impacter le paysage automobile de façon plus ou moins importante. Je pense notamment à des mesures de modification fiscale, comme la baisse du différentiel des taxes sur le diesel et l’essence ou l’évolution de la TVA, au renforcement des normes, au retrait de la circulation de véhicules anciens, à la limitation de la vitesse en Europe pour un redimensionnement des véhicules, au soutien au développement des transports et aux motorisations alternatifs. Ces mesures joueront en particulier sur cinq thématiques : le niveau du marché français, le niveau du marché européen, la production des constructeurs français, la baisse des émissions de CO2, la baisse des émissions de polluants hors CO2, et la réduction du bruit. Nous analysons, dans le document qui vous a été distribué, l’impact de chaque changement sur chaque thématique.
Je profite de ces éléments de prospective pour évoquer l’impact prévisible de l’affaire Volkswagen. Selon nous, elle aura très peu d’incidence sur le marché français.
Un petit fléchissement se produirait à court terme par rapport à nos prévisions, mais il serait suivi d’un rattrapage en 2016. Les fondamentaux n’ayant pas été touchés, nous considérons que cette crise n’aura pas davantage d’incidence à plus long terme. L’affaire Volkswagen pourrait provoquer une légère accélération de la baisse des immatriculations de véhicules diesel en France, mais une forte baisse avait déjà été anticipée avant cette crise et, à nouveau, les fondamentaux n’ont pas évolué. Un nouvel équilibre de mix d’énergies devrait apparaître en 2018, le diesel restant une composante forte compte tenu de ses grands avantages en termes de bilan prix, prestations et environnement.
L’affaire Volkswagen aurait par ailleurs très peu d’incidence sur la production des constructeurs français en raison de la stabilité des fondamentaux que j’ai déjà évoquée. Assez paradoxalement, le groupe Volkswagen pourrait à moyen et long terme tirer le plus parti de la crise : il dispose en effet d’une offre très diversifiée. Il pourrait donc être tenté de se donner une image « verte » en développant plus rapidement que prévu des véhicules électrifiés. Les dépenses relatives à l’affaire pourraient toutefois contraindre le constructeur à ralentir certains investissements comme certains développements. Cette crise pourrait également peut-être donner un avantage à moyen et long terme au groupe Renault Nissan qui tirerait bénéfice de son avance en matière de véhicule électrique.
Pour revenir aux évolutions prévisibles des marchés en Europe et en France, les graphiques que nous vous avons distribués montrent bien une croissance du marché mais essentiellement en dehors de la France. Le marché français est en phase de stabilisation. Globalement, en Europe, le diesel décroît jusqu’à atteindre 50 % du marché d’ici à cinq ans. Ce point d’arrivée est également celui de à la France qui part pourtant d’une situation de « surdiésélisation ».
Si nous nous intéressons à la production sur les sols nationaux, qui tient compte des exportations, qui sont par exemple très importantes en Allemagne, nous prévoyons pour les vingt-neuf États membres plus la Turquie, qui produit les mêmes véhicules que les pays européens, une poursuite de la croissance avec un retour aux chiffres de 2005. La production sur le sol français devrait également croître, en particulier en raison de la localisation de nouveaux véhicules par les constructeurs français.
Pour conclure, nous anticipons une stabilité du marché français entre 2015 et 2020, fondée sur celle des modes de mobilité alternatifs. Sur ce marché, un assainissement de l’air aura « mathématiquement » lieu entre 2015 et 2020 en raison du retrait des anciens véhicules polluants remplacés par des véhicules récents plus propres. Ce phénomène pourrait être accéléré par des mesures visant à augmenter la vitesse de ces retraits. À plus long terme, le développement des véhicules à batteries électriques devrait permettre de diminuer encore la pollution locale tout en réduisant le bruit. Par ailleurs, le moteur diesel restera très vraisemblablement en Europe une motorisation importante dans les années qui viennent, du fait de sa contribution aux objectifs draconiens de diminution de CO2, de sa moindre consommation et de prestations-clients appréciés d’une grande partie de la population.
Nous anticipons à court terme une croissance de la production des constructeurs français. Cette croissance sera d’autant plus forte qu’ils pourront continuer à vendre en Europe des diesels appréciés des consommateurs, ce qui leur donne un avantage certain par rapport à des constructeurs ne possédant pas cette technologie. À moyen et long termes, nous prévoyons une croissance encore plus forte en cas de développement des véhicules électriques, soutenu par des évolutions technologiques et une politique volontariste des pouvoirs publics.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Monsieur Costes, les conclusions que vous tirez de l’affaire Volkswagen m’étonnent. Alors qu’elle connaît de nouveaux épisodes tous les jours, doit-on être aussi rassurant que vous l’avez été concernant l’avenir de ce constructeur ? Comment analysez-vous cette tricherie ?
Pourriez-vous nous dire quelques mots du paysage mondial de l’industrie automobile et de la place qu’y occupent l’Europe et la France ?
L’outil industriel français est-il encore en surcapacité selon vous ? L’une de vos études montre qu’il n’existe plus de grand site industriel en France alors que Volkswagen, BMW et Daimler ont conservé leur plus gros site dans leur pays d’origine. Qu’en est-il de la stratégie des constructeurs français en termes d’implantation industrielle ?
Je reviendrai sur les questions de motorisation mais, à ma connaissance, au Japon, le diesel avait été interdit en ville.
M. Michel Costes. L’affaire Volkswagen fait l’objet d’une médiatisation intense et légitime puisque l’entreprise a véritablement triché. Une observation du marché de l’automobile depuis vingt ans nous montre cependant que l’attention portée un temps sur un événement donné s’évapore assez rapidement sans qu’un certain nombre de fondamentaux soient modifiés sur les moyen et long termes. Aujourd’hui, l’image du groupe est indéniablement très altérée, mais d’autres éléments sont stables dans la durée : le coût du véhicule, les prestations demandées par les clients, les dépenses de carburants etc. Par ailleurs, une entreprise qui se retrouve au cœur d’une tempête médiatique, même passagère, met aussi en place des stratégies et des actions spécifiques pour l’affronter. Nous pouvons nous tromper, mais nous pensons que cette affaire ne va pas faire chuter Volkswagen.
Cet industriel a commencé à tricher aux États-Unis où les normes applicables aux véhicules diesel sont particulièrement sévères puisqu’elles sont identiques à celles en vigueur pour les véhicules à essence. Cela l’a sans doute poussé à manipuler les chiffres. Il faut toutefois savoir que les nouvelles normes européennes Euro 6 et Euro 6c permettront vraisemblablement aux véhicules diesel européens d’être pratiquement conformes aux normes américaines.
M. Frédéric Barbier. Comment les technologies diesel et essence évoluent-elles en termes de consommation, de pollution, et de longévité ?
Je roule aujourd’hui avec une Peugeot diesel de nouvelle génération qui consomme peu malgré un moteur relativement puissant, alors que je roulais à l’essence il n’y a pas si longtemps pour des consommations nettement supérieures. Le moteur à essence de nouvelle génération sera-t-il moins gourmand et moins polluant ? Sa longévité sera-t-elle toujours inférieure à celle du moteur diesel ?
M. Michel Costes. Le rapport entre le diesel et l’essence connaît de très fortes évolutions, en particulier avec le moteur essence à injection directe qui consomme moins et permet le downsizing – obtenir plus de puissance pour une même cylindrée. Le moteur essence se rapproche finalement du moteur diesel …
Mme la rapporteure. Y compris pour l’émission de particules fines !
M. Michel Costes. En effet, c’est la conséquence de l’injection directe. Une dérogation temporaire permet d’ailleurs au moteur à essence d’émettre jusqu’en 2017 plus de particules fines que le diesel.
Les deux moteurs se rapprochent même si le diesel conserve une certaine avance en termes de consommation. Il émet aussi moins de CO2. Nous n’avons en revanche pas effectué d’études sur la longévité respective des deux technologies.
Mme Sophie Rohfritsch, présidente. Monsieur Costes, si nous prolongeons votre raisonnement sur l’évolution des véhicules diesel, nous pouvons considérer que vous préconisez une quasi-disparition du marché de l’occasion, ce qui permettrait de faire disparaître les véhicules anciens polluants.
M. Michel Costes. Je confirme que le retrait de véhicules anciens se traduit par une moindre pollution dans des proportions extrêmement plus fortes que celles que peut avoir un renforcement des normes. Il y a un facteur cent ou mille entre une action menée sur les vieux diesels et l’édiction de normes plus sévères dont l’effet est moindre ! Cela dit, on ne peut pas raisonnablement demander à tous les propriétaires de véhicules anciens d’acheter un véhicule neuf : ils n’en auraient tout simplement pas les moyens, et ce ne serait pas réaliste, même s’il s’agit bien de la solution la plus simple pour disposer d’un parc propre. On peut en revanche les persuader d’échanger leur véhicule contre un autre plus récent donc moins polluant que le précédent, mais moins coûteux qu’un véhicule neuf. Il faut travailler sur toute la chaîne.
M. Jamel Taganza, vice-président du cabinet Inovev. Il y a une sorte de décalage dans l’affaire Volkswagen : on tient le « procès » du diesel de nouvelle génération alors que des progrès technologiques considérables ont été accomplis et, dans le même temps, les régulateurs ne s’intéressent pas vraiment au marché de l’occasion.
Il est regrettable qu’il n’existe pas de mesures transitoires permettant de rajeunir progressivement le parc des véhicules roulant au diesel. La prime à la casse ou à la conversion ne concerne que l’achat des véhicules neufs alors qu’il faudrait également inciter à l’achat de véhicules d’occasion moins polluants.
M. Michel Costes. Madame la rapporteure, vous m’interrogiez sur le marché mondial de l’automobile. Il est notamment caractérisé par la récente et très forte croissance du marché chinois. En l’an 2000, la Chine produisait deux millions de véhicules ; elle en produit aujourd’hui vingt millions. Une telle progression est inédite dans l’histoire d’une industrie. La production chinoise, qui équivaut à peu de chose près au marché chinois, est pour 70 % le fait de joint-ventures entre des sociétés chinoises et des constructeurs occidentaux parmi lesquels je range les Japonais et les Coréens. Les groupes Volkswagen, General Motors et Renault sont particulièrement présents en Chine, à travers Nissan pour ce qui concerne ce dernier.
Renault commence seulement à fabriquer en Chine alors que Nissan y est installé depuis longtemps – ce qui explique d’ailleurs qu’au sein du groupe la croissance du second soit beaucoup plus forte que celle du premier. La décision de mettre en avant Nissan plutôt que Renault en Chine, la marque japonaise étant plus proche du marché chinois que la marque européenne, a été prise à une époque où personne ne s’attendait à une telle croissance du marché de l’automobile chinois. Je rappelle qu’aujourd’hui, le groupe Renault Nissan est sans doute le plus équilibré des constructeurs mondiaux : il est le seul à produire partout dans le monde.
Nous sommes dans l’incapacité de prédire ce que deviendra le marché chinois ou de savoir si la croissance économique chinoise se poursuivra, même si le gouvernement chinois a fixé un objectif de croissance de 7 %. Je rappelle aussi que le taux de croissance chinois est calculé par les Chinois eux-mêmes. Nous avons malgré tout quelques certitudes : nous savons que les Chinois auront besoin de davantage de véhicules, et qu’ils veulent lutter contre la pollution qui fait des ravages dans leur pays. Ils pourraient donc être tentés par la production de véhicules à faible taux de pollution locale comme les automobiles à batterie électrique.
Les États-Unis constituent un marché mature en période de rattrapage après une forte baisse.
Le marché russe reprend de la vigueur après avoir fortement chuté, mais nous ne savons pas à quoi nous attendre. Je rappelle que le groupe Renault est le premier producteur russe avec sa branche Avtovaz dont l’usine de Togliatti est la troisième usine européenne derrière l’usine Volkswagen de Wolfsburg et celle de Nissan à Sunderland, dans le nord-est de l’Angleterre. Le marché sud-américain vit les soubresauts que nous connaissons.
M. Jamel Taganza. Madame la rapporteure, pour répondre à votre question relative aux surcapacités en Europe, il faut en particulier distinguer les politiques des constructeurs allemands et français. Les constructeurs allemands exportent des véhicules vers des marchés divers alors que les constructeurs français ont plutôt choisi de localiser leur production et de se rapprocher des marchés. Ces deux politiques différentes expliquent que les Allemands exportent davantage que les Français, et qu’ils produisent davantage en Allemagne. Les constructeurs français produisent davantage de véhicules sur leurs marchés cibles comme la Chine ou l’Amérique du sud, et moins en Europe.
Mme la rapporteure. Quelle est la stratégie gagnante ?
M. Jamel Taganza. Dans une vision à court terme, la stratégie allemande peut sembler gagnante puisque l’industrie automobile allemande produit beaucoup plus que l’industrie française, mais à terme la stratégie de localisation des constructeurs français pourrait se révéler pertinente, l’avenir nous le dira. Elle a toutefois déjà fait ses preuves puisqu’elle a permis à Renault Nissan de surmonter la crise de 2008-2009. Renault Nissan et Volkswagen, qui ont connu une croissance assez forte depuis 2005, sont globalement en meilleure position que les constructeurs américains ou purement japonais.
Concernant la taille des usines européennes, il faut distinguer les usines historiques de grosse capacité, comme celle de Wolfsburg pour Volkswagen, des usines récentes de plus petite dimension mais dont la productivité est plus élevée. Alors que la production pouvait dépasser annuellement 800 000 unités dans les anciennes usines, les nouvelles sont souvent calibrées pour 300 000 ou 350 000 unités. Les usines qui ouvrent encore en Europe se trouvent en Europe de l’Est et sont construites sur ce dernier modèle.
Mme Sophie Rohfritsch, présidente. Pour traiter de la question des surcapacités, européennes n’est-il pas utile de s’interroger sur la production ? Renault Nissan produit dans toutes les gammes, en particulier dans ce que nous appelons le « moyen de gamme », Volkswagen produit des grosses cylindrés pour l’exportation…
M. Michel Costes. Vous avez parfaitement raison : il faut tenir compte des véhicules produits. Renault Nissan, c’est aussi Avtovaz, implanté en Russie, ou Dacia, présent dans tous les pays émergents. Le groupe mène une politique spécifique pour les véhicules à bas prix. PSA et Renault Nissan sont des groupes généralistes qui ont adopté par ailleurs, en France et à l’étranger – PSA cherche à se développer en Chine –, une politique de produits de gamme moyenne.
M. Jamel Taganza. La production de Renault Nissan et de PSA en Europe est concentrée sur des véhicules de petite dimension – le segment A, type Renault Twingo, et le segment B, type Renault Clio ou Peugeot 208. La production des constructeurs allemands est davantage répartie sur les divers segments, les grands véhicules étant destinés au marché européen et à l’exportation, mais une production de véhicules plus petits est également localisée à l’étranger. Le mix produits-marchés joue évidemment.
Mme la rapporteure. Monsieur Costes, vous avez parlé d’une baisse rapide du diesel en France. Quand ce mouvement a-t-il commencé ? Cette baisse pourrait-elle s’accélérer par rapport à vos prévisions ?
Vous suggérez d’augmenter la vitesse de retrait du marché des véhicules diesel anciens et polluants en nous recommandant de mettre en place des mécanismes qui ne favorisent pas uniquement l’achat de véhicules neufs. N’est-ce pas contradictoire avec votre analyse selon laquelle les dispositifs de type « prime à la casse » n’ont, au final, qu’un effet conjoncturel ?
Par ailleurs, la stratégie que vous nous proposez ne reviendrait-elle pas à délocaliser la pollution, ce qui n’est pas notre objectif ? Un véhicule polluant qui n’irait pas à la casse a toutes les chances d’être revendu même si ce n’est pas sur le marché français – ce circuit valorise d’ailleurs l’automobile destinée à la casse.
Vous nous indiquez que les « normes européennes Euro 6 et Euro 6c permettront à nos véhicules diesel d’être pratiquement conformes aux normes américaines ». Pouvez-vous nous indiquer si, dans les faits, les normes européennes satisfont ou non les exigences américaines ?
Un débat a lieu sur la nature des tests d’homologation des véhicules. À mesure que les normes s’élèvent, l’écart augmente avec les conditions réelles de conduite. Dans quels délais les constructeurs peuvent-ils être en mesure de respecter effectivement la norme Euro 6 ?
M. Michel Costes. Les véhicules diesel représentaient 40 % des immatriculations françaises en 1997. Ce pourcentage a augmenté de manière continue jusqu’en 2008 pour atteindre 80 %, puis il a chuté à partir de cette date. À l’époque, cette baisse s’expliquait par un facteur mécanique : la crise provoquait une augmentation proportionnelle de l’achat de petits véhicules parmi lesquels on comptait moins de diesels. Le plus étonnant, c’est que le mouvement se soit poursuivi, après une stabilisation au niveau d’un mix normal entre 2010 et 2012. Il est vrai que, depuis 2012, le diesel bashing bat son plein…
Mme la rapporteure. Les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sont sérieuses !
M. Michel Costes. L’OMS prend position sur les anciens véhicules diesel !
Mme la rapporteure. Pas seulement !
M. Michel Costes. Disons que les anciens véhicules diesel sont les plus polluants au regard de l’analyse de l’OMS. Nous insistons très fortement sur la différence entre diesels anciens et nouveaux.
Aujourd’hui, le diesel respecte quasiment les mêmes normes que l’essence. Au cours des dix dernières années, les constructeurs ont diminué la pollution des véhicules. Je dispose de courbes qui montrent l’évolution de l’émission d’oxyde d’azote (NOx) entre les normes Euro 3, Euro 4, Euro 5, et Euro 6…
Mme la rapporteure. Vous parlez des normes, mais qu’en est-il de la réalité ?
M. Michel Costes. J’y reviendrai mais, sur le plan des normes, les constructeurs ont consenti de gros efforts dont ils ont finalement bénéficié puisqu’ils ont réalisé des progrès sur les marchés. Notons que tant que les efforts sont supportables, ils ne jouent en défaveur des constructeurs.
Madame la rapporteure, j’en viens au rapport entre les tests et la réalité. Les mesures effectuées aujourd’hui utilisent les procédures de test du Nouveau cycle européen de conduite automobile ou NEDC, conçu en 1973, autrement dit à une époque où le diesel était quantité négligeable. Les normes, qui visaient à fixer des seuils qui pourraient être abaissés afin de réduire progressivement la pollution, ont permis de fabriquer des véhicules de moins en moins polluants. La procédure choisie à l’époque se rapprochait le plus possible d’une réalité qui a évolué depuis, cependant, pour que les tests permettent des comparaisons dans le temps, il fallait conserver un point de référence, ce qui éloignait inéluctablement les normes de la réalité à mesure que celle-ci se transformait.
Les pouvoirs publics et l’industrie automobile ont pris conscience de cette différence bien avant l’affaire Volkswagen. Il est ainsi prévu d’introduire à partir de 2017 une procédure d’essai mondiale harmonisée pour les voitures particulières et véhicules utilitaires légers (WLTP) avec de nouveaux cycles de conduite automobile (WLTC) afin de résoudre ce problème. Un nouveau test a été mis en place afin de se rapprocher des conditions de roulage européennes. Il constituera un nouveau point de référence, mais on ne peut pas tout changer en permanence sans quoi l’on ne pourrait plus rien comparer.
Par ailleurs, afin d’effectuer des mesures sur route en conditions de conduite réelles, des tests dits RDE, pour Real driving emission, sont en cours de finalisation, avec des normes drastiques visant à réduire l’écart avec les essais en laboratoire. Ces données permettront aux consommateurs de mieux s’y retrouver.
Je rappelle que les normes ne constituent qu’un compromis entre l’état de la technologie et ce que l’on souhaite obtenir en termes de performance ou de pollution. Si vous demandez aux constructeurs de ne produire que des véhicules électriques, vous feriez reculer considérablement la pollution locale, mais le prix moyen du véhicule augmenterait très fortement.
Mme la rapporteure. L’élévation du niveau des normes s’est traduite par un écart de plus en plus grand au respect de la norme. C’est sur ce point que je vous interrogeais, Monsieur Costes. Aujourd’hui, dans la réalité, neuf véhicules diesel sur dix sont loin de respecter la norme Euro 6 : je me demande dans quel délai elle pourra l’être dans des conditions économiques acceptables par le consommateur.
De façon plus prospective, comment voyez-vous l’évolution technologique et économique du marché de l’automobile d’ici à 2030 ou 2040 ? Certains de nos interlocuteurs ont par exemple évoqué l’émergence d’une logique d’usage.
M. Michel Costes. Certes, l’écart entre la norme et la réalité a progressé, mais si vous mesurez l’évolution de la réalité dans le temps, vous constaterez que les résultats s’améliorent de façon extrêmement forte. L’existence de normes standardisées et la contrainte exercée ont un effet puissant sur le réel. Les progrès sont considérables même s’ils sont moindres que ce que laisse penser l’évolution des normes. Au final, ce qui importe pour la santé de nos concitoyens, c’est bien la baisse de la pollution. Elle a baissé ; il faut qu’elle baisse encore.
Des discussions sont en cours sur de nouveaux seuils, et l’on s’achemine vers des compromis. Si nous voulons aller plus loin, nous nous heurterons à des barrières technologiques, mais d’autres facteurs pourront aussi être pris en compte : on s’interroge par exemple maintenant sur les particules émises par les freins. Plus la pollution diminuera, plus notre exigence grandira. Le véhicule électrique est le seul qui permette d’éliminer la pollution locale et la pollution sonore.
Concernant l’évolution des usages, on constate un véritable succès du partage. Autolib’ à Paris en est un parfait exemple : des véhicules électriques non polluants et silencieux sont utilisés dix heures par jour. Les usages sont différents d’un lieu à l’autre : il faut adapter les véhicules en conséquence. Dans les grandes villes, le développement du véhicule électrique est souhaitable ; dans des régions boisées à faible circulation automobile, la lutte contre l’émission de particules fines n’a pas beaucoup de sens.
La France dispose d’une électricité bon marché et du plus grand constructeur mondial de véhicules électriques. Le groupe Renault Nissan vend la Leaf dans le monde entier et la Zoé progresse – elle a d’abord eu du mal, mais ses ventes ont doublé en 2015 par rapport à 2014. Si nous parvenons à franchir les barrières technologiques en développant des batteries assurant plus d’autonomie, et en diminuant les coûts, nous disposerons d’un véhicule urbain très attractif. Les Chinois travaillent certainement sur ce type de véhicule, même s’il reste cher pour leur pays – Dongfeng a entamé un partenariat sur le sujet à la fois avec Renault et PSA.
Mme la rapporteure. L’électricité chinoise provient du charbon !
M. Michel Costes. Le bilan global du véhicule tient effectivement compte du mix énergétique servant à produire l’électricité utilisée. Si elle est d’origine nucléaire, ce bilan est très favorable en termes d’émission de CO2, ce n’est évidemment pas le cas si elle est produite à partir du charbon.
M. Jamel Taganza. Nous avons du mal à prévoir ce qui se passera dans cinq ans ; nos prévisions pour 2040 ne seraient donc au mieux que des visions voire des sortes de songes. Nous pouvons en revanche nous prononcer sur les marchés intéressants aujourd’hui, et vous dire dans quelles zones du monde se développent des innovations, tant en termes de technologie que d’usage.
L’Europe a clairement une carte à jouer : sa forte urbanisation constitue un élément positif ainsi que le rapport au véhicule du consommateur qui est moins attaché à une image qu’à un usage, particulièrement en France. Ces facteurs contribuent à former un terreau favorable à l’innovation dans les technologies comme dans les usages. Le Japon bénéficie de caractéristiques identiques – la circulation à Tokyo, ville de trente millions d’habitants, est même beaucoup plus fluide qu’à Paris. Les États-Unis ou la Chine connaissent un contexte moins favorable, même si les contraintes qui s’imposent à la Chine peuvent la pousser à mettre en place des mesures bénéfiques à certaines innovations technologiques. On trouve par exemple déjà en Chine de petits véhicules et des deux-roues électriques.
M. Michel Costes. Le scooter électrique est très répandu en Chine où il est relativement peu onéreux. Lors du dernier de nos fréquents déplacements sur place, notre interprète nous expliquait qu’il hésitait entre l’achat d’un scooter électrique et d’un téléphone portable pour environ 500 euros. La vitesse de ces deux-roues est limitée.
Sans impulsion du gouvernement central, on voit se développer dans diverses provinces des Low speed electric vehicles (LSEV). Il s’agit de scooters électriques évolués, avec une batterie au plomb mais un habitacle et quatre places. Leur vitesse reste limitée à cinquante kilomètres par heure, et leur prix se situe entre 2 000 à 4 000 euros. Ces véhicules sans immatriculation sont difficiles à comptabiliser, mais nous estimons qu’au moins 400 000 unités auraient été produites. Peut-être s’agit-il d’une piste à explorer !
Mme Delphine Batho, rapporteure. Messieurs, nous vous remercions pour l’ensemble de vos interventions.
La séance est levée à treize heures trente.
◊
◊ ◊
5. Audition, ouverte à la presse, de M. le professeur Élie Cohen, économiste (Sciences Po/CNRS).
(Séance du mardi 10 novembre 2015)
La séance est ouverte à seize heures trente.
La mission d’information a entendu M. le professeur Élie Cohen, économiste (Sciences Po/CNRS).
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous avons le plaisir de recevoir M. Élie Cohen dont les travaux sont particulièrement reconnus en matière d’économie industrielle. Ses fonctions de professeur à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), de directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre, de 1997 à 2012, l’ont amené à écrire de nombreux articles ou livres dont l’un était précisément intitulé : Le décrochage industriel. Lorsque l’on considère le poids économique du secteur automobile, tout décrochage de nos capacités d’innovation et de notre appareil de production aurait, vous le savez, de lourdes conséquences.
Nous vous demanderons donc, monsieur le professeur, si les constructeurs français ont su répondre au défi de la mondialisation, notamment après la crise de 2008-2009, et, dans la même optique, si nos industriels sont en bonne position pour faire face à l’évolution des motorisations – problématique particulièrement sensible depuis la révélation, à partir des États-Unis, de pratiques frauduleuses de la part du groupe Volkswagen. Enfin, considérez-vous que les pouvoirs publics ont su anticiper ?
Vos éclairages ne manqueront pas de nous intéresser, je pense entre autres à la mise en place du Comité stratégique de la filière, mais aussi à d’autres structures, aux aides ciblées sur l’activité automobile, sans oublier les Programmes d’investissements d’avenir (PIA) dont certains axes sont directement dédiés au véhicule du futur.
M. Élie Cohen, économiste. J’ai décidé de concentrer mon exposé liminaire autour de trois sujets principaux. Je commencerai par l’effondrement de l’industrie automobile au cours des quinze dernières années. Il se trouve que j’ai publié, il y a quelques mois, vous l’avez mentionné, un livre intitulé Le décrochage industriel dont un chapitre porte précisément sur « l’effondrement de l’industrie automobile ». Je ne vous accablerai pas de données mais, dans ce livre, vous trouverez des comparaisons détaillées sur les performances, les structures de coûts, les structures de gamme, l’évolution de l’outil de production, les indicateurs de compétitivité, sur la productivité etc. dans les différents pays producteurs d’automobiles, notamment en Europe. Ma deuxième série de remarques portera sur l’affaire Volkswagen : s’agit-il d’un accident industriel du groupe ? S’agit-il d’un problème lié au diesel ? D’un problème de régulation européenne ? Vous devinez bien que c’est un peu des trois, d’où la difficulté, cette affaire révélant, au fond, un triple échec : de marché, de la régulation et un échec technologique. Enfin, je donnerai tout de même quelques perspectives.
J’en viens donc à l’effondrement de l’industrie automobile française : la violence du décrochage en matière de compétitivité, de parts de marché, de productivité, de rentabilité a été telle que cet événement macro-économique majeur peut être considéré comme l’un des facteurs de l’affaiblissement global de l’économie française au cours des quinze dernières années. L’industrie automobile représente en effet un cinquième de l’industrie manufacturière et un dixième de l’ensemble de l’économie en France. Quelques chiffres illustreront mon propos : la production automobile a baissé de 42 % en douze ans ; Renault ne produit plus que 20 % de ses véhicules en France ; 40 % de l’activité de Renault, stricto sensu, vient de Dacia et je ne parle pas de Renault en tant qu’entreprise dont les deux tiers de la valorisation viennent de Nissan – plus de la moitié du tiers restant provenant de Dacia. Il y a quelques mois, Renault – dans sa composante française – ne valait rien en termes de capitalisation boursière.
Pour mieux mesurer la violence de la dégradation de la situation, il suffit de comparer la situation de la France avec celle du Royaume-Uni. Il y a quinze ans, on considérait que l’industrie automobile était morte, Outre-Manche. Aujourd’hui on y produit plus de véhicules, avec une meilleure productivité, une meilleure rentabilité qu’en France et le solde commercial pour ce secteur est positif. À l’inverse, et pour ne prendre que cette donnée, le solde extérieur du secteur automobile, en France, était positif de 13 milliards d’euros en 2004 alors qu’il est devenu négatif : en 2012, le déficit était de 3,3 milliards d’euros. Notre déficit avec la seule Allemagne est de 7,3 milliards d’euros. Ces chiffres sont ahurissants. Même moi, en travaillant sur le sujet, je ne m’attendais pas à découvrir un tel effondrement
– un effondrement silencieux de presque la moitié de notre capacité de production.
Ce n’est pas tout : différentes études montrent que nous sommes globalement en surcapacité de production à l’échelle européenne – surcapacité évaluée à l’équivalent de dix usines de type « Sochaux » ! Sur 100 sites de production automobile, 58 perdent de l’argent. En outre, quand vous accumulez des années de mauvaises performances, vous rognez sur vos investissements, sur votre effort de recherche. Une donnée va vous faire rire : entre 2003 et 2012, la croissance de l’effort de recherche de Volkswagen a été de 229 %, alors qu’il n’a été que de 8,8 % pour Renault.
Cela a abouti, dans le cas français, à ce que j’appelle l’« évidement » du cœur manufacturier, à savoir une perte de substance progressive du métier d’ensemblier mais également de la première sous-traitance, c’est-à-dire du premier rang des équipementiers mais également du deuxième rang, du troisième… Cet ensemble s’est affaissé malgré le formidable effort réalisé à partir de 2008-2009 pour éviter une débâcle complète. Valeo, qui était au bord de la faillite, a opéré un rétablissement formidable. Donc cet évidement n’est pas du tout une fatalité : la France a abandonné des pans entiers d’activité quand d’autres pays, l’Allemagne par exemple, sont parvenus à procéder à un découpage plus fin dans la chaîne de valeur pour garder une part significative de valeur sur le territoire allemand.
L’histoire de l’industrie automobile française met en évidence, au cours des quinze dernières années, un triple échec.
Le premier est celui de la stratégie marketing, de la stratégie de montée en gamme. Nos industriels se sont révélés incapables, malgré différentes tentatives, notamment chez Renault, de monter en gamme. Toutes les expériences en la matière se sont conclues par des échecs commerciaux. Quand vous avez une spécialisation plutôt « moyen » et « bas » de gamme, comme en France, mais avec des coûts intérieurs haut de gamme, il se produit, en période de crise, un étranglement de l’entreprise qui s’est en l’occurrence matérialisé par l’effondrement de Renault et de Peugeot.
Cet échec s’est trouvé aggravé par un deuxième : celui de l’internationalisation puisque nos deux groupes ont beaucoup misé sur l’Europe et notamment l’Europe du Sud. Or, à la faveur de la crise, cette région est celle qui a connu les ajustements les plus brutaux avec, pour vous donner un exemple spectaculaire, le véritable effondrement de l’Espagne qui a alors coûté très cher à nos deux producteurs. Quant au groupe Peugeot Citroën, qui s’était montré très précurseur en s’implantant en Chine – et cela bien avant de nombreux producteurs qui ont réalisé, depuis, des performances éblouissantes –, il s’est révélé incapable, par faiblesse de moyens et à cause d’erreurs stratégiques, de financer sa croissance et son développement sur place. Aussi l’Asie n’a-t-elle pas constitué le relais de croissance qu’on pouvait espérer pour les industriels de l’automobile basés en France.
Le troisième échec est technologique : le grand pari, en matière de motorisation, a été celui du diesel. On a non seulement complètement raté le passage à l’hybride, mais même quand on a compris qu’avant de passer à la motorisation électrique il faudrait passer par une motorisation hybride, les entreprises n’ont pas été capables de la développer suffisamment rapidement ni de nouer les partenariats nécessaires. Ainsi chez Peugeot, la culture du diesel était si enracinée qu’on a investi beaucoup d’argent dans un hybride diesel qu’on a eu grand mal à mettre au point. Quant à Renault, son grand pari est de passer immédiatement à la motorisation électrique – vous avez tous en mémoire les projections de Carlos Ghosn sur la place de l’électrique en 2015-2020 –, or rien de tout cela ne va se réaliser.
Au cumul de ces trois échecs s’ajoute une fragilité financière permanente, compte tenu de la stratégie de coûts par rapport à la stratégie de spécialisation – j’y insiste, je ne parle pas de coûts unitaires de manière abstraite mais de coûts unitaires par rapport au type de spécialisation : on peut parfaitement avoir des coûts unitaires très élevés à condition d’avoir la spécialisation adéquate –, c’est le fameux mismatch constaté dans le cas français et qui s’est révélé dévastateur. Il suffit que je rappelle que la voiture connectée, autonome, que le véhicule à faibles émissions constituent les nouveaux fronts technologiques pour que vous constatiez immédiatement que nos deux entreprises, malgré leurs efforts, sur lesquels je reviendrai, ne sont pas du tout des leaders dans le secteur.
J’en viens à mon second point : l’affaire Volkswagen, fascinante tant elle soulève de problèmes. À mes yeux, elle révèle un triple échec : du marché, de la régulation, de la technologie.
Nous constatons un exemple considérable de fraude d’entreprise répétée sous couvert d’excellence. Certes, nous connaissons de multiples fraudes d’entreprise. Lorsque j’ai publié Penser la crise, j’ai énuméré toutes celles qui avaient été réalisées dans le domaine de la banque et de la finance. Reste que, d’une certaine manière, dans ce secteur, nous étions préparés à ce genre de phénomène, en particulier du fait du développement de toute une série de comportements limite en matière, notamment, de finance cachée. En revanche, dans le domaine de l’industrie et dans celui de l’automobile notamment, une fraude aussi longue, aussi répétée et dans autant de domaines est assez sidérante – et l’on en apprend tous les jours.
Dans ce « Volkswagengate », on note qu’à rebours de tout ce que l’on avait cru sur les vertus de la cogestion à l’allemande, sur les vertus du débat stratégique à l’allemande, sur la recherche du consensus à l’allemande… rien de tout cela n’a fonctionné. On découvre au contraire un système tyrannique, guidé par une ambition démesurée : devenir le numéro un mondial par tous les moyens ; on découvre une stratégie appliquée à marche forcée avec les différents niveaux hiérarchiques qui s’éteignent les uns après les autres, faisant disparaître toute éventuelle contestation ; on voit que le fait que des organes centraux soient en cogestion avec les syndicats ne change rien voire conduit à une omerta généralisée ; pire encore, on relève que la participation directe de l’État au conseil d’administration de l’entreprise aggrave le problème. Tout cela aboutit à une éblouissante faillite du marché.
La bonne nouvelle, néanmoins, est que si tous les systèmes de contrôle interne et externe n’ont pas fonctionné, c’est une petite organisation non gouvernementale (ONG) inconnue au bataillon qui, en mobilisant les ressources de l’expertise technique, en ayant recours à un laboratoire universitaire peu connu, a soulevé le problème. C’est assez rassurant : même dans un système qui paraissait hermétiquement contrôlé, une ouverture reste possible.
Deuxième point, cette affaire révèle une immense faillite de la régulation européenne. L’automobile est un domaine particulièrement suivi ; or on découvre que la régulation européenne a été totalement défaillante à cause d’une complicité générale pour fermer les yeux sur le fait que les normes adoptées ne pouvaient pas être respectées.
Ce qui m’amène à aborder la faillite technologique. Il est frappant de constater qu’il a fallu en permanence arbitrer entre émissions de dioxyde de carbone (CO2) et émissions d’oxydes d’azote (NOx) : à chaque fois que vous voulez réduire de manière drastique les émissions de NOx, vous alourdissez le véhicule, accroissez de ce fait la consommation de carburant et donc les émissions de CO2. Le patron Martin Winterkorn, grosso modo, a dit à ses troupes qu’il ne voulait rien savoir et les a sommées de régler le problème ; or les ingénieurs, malgré ce que je vous ai rappelé sur les considérables efforts de recherche de Volkswagen, n’y sont pas parvenus et il a donc été décidé de tricher pour masquer le phénomène.
Cette incapacité d’atteindre les objectifs fixés par la régulation américaine en matière de réduction de NOx a conduit la petite ONG à laquelle j’ai fait allusion à enquêter sur le fait de savoir pourquoi Volkswagen était capable d’afficher telles performances sur le marché américain alors qu’avec les mêmes moteurs le groupe déclarait, en Europe, des émissions plus élevées.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Ce n’était pas malin !
M. Élie Cohen. C’est pourtant la réalité… Cette enquête a donc révélé non seulement que Volkswagen trichait mais que les autorités de régulation européennes étaient complices. Cette affaire remet en cause le choix européen du diesel alors que les Américains ont fait celui de l’essence et les Japonais celui de l’hybride. Et nous avions, nous Français, cru que nous pourrions sauter une marche en passant directement à l’électrique – je reviendrai sur l’échec complet de la Norvège en la matière.
J’en viens à ma troisième et dernière partie et vais tâcher de dégager quelques perspectives technologiques et économiques dans le secteur automobile. Si nous voulons que les choses changent vraiment, notamment en ce qui concerne les moteurs à basses émissions, il faudra bel et bien faire le pari d’une évolution technologique disruptive, notamment en matière énergétique et dans le domaine numérique, et non en rester à une évolution incrémentale. L’Allemagne est le champion toutes catégories de la recherche incrémentale et a poussé le plus loin possible les raffinements pour améliorer le rendement des moteurs, réduire les émissions – mais sans parvenir à respecter les nouvelles normes.
Soit, dès lors, on constate que c’est un immense échec et l’on revient sur l’arbitrage NOx-CO2 qui est à la base de la régulation européenne et l’on révise ces normes en réduisant davantage les NOx parce qu’on les considérerait comme particulièrement attentatoires à la santé humaine, quitte à ce que les émissions de CO2 augmentent – c’est d’ailleurs une solution pratiquée par certains producteurs de véhicules de haut de gamme pour lesquels l’argument du poids est moins important ; soit, au cours des dix prochaines années, il faudra, j’y insiste, faire le pari d’une technologie disruptive, auquel cas il conviendra de savoir si les autorités politiques sont disposées à prolonger les délais – ce que la Commission européenne a accepté – jusqu’en 2020.
Toutefois, même avec des innovations disruptives, il faut savoir que l’automobile présente la particularité d’être une industrie de masse. Le design d’un nouveau produit et celui de son outil de production sont tels qu’il faut viser des quantités très importantes et une qualité très élevée puisqu’il s’agit d’un secteur formidablement concurrentiel où les économies d’échelle sont fantastiques. Au début de ma carrière d’économiste, un producteur fabriquant de 500 000 à 1 million de véhicules passait pour tout à fait sérieux ; le seuil critique pour pouvoir optimiser les investissements est passé aujourd’hui à environ 8 millions de véhicules. Or jusqu’à l’affaire dont il est le protagoniste, le groupe Volkswagen est celui qui a le mieux maîtrisé cette technologie de la montée en puissance avec l’optimisation de chaque maillon et une production très importante en volume et en qualité.
Aussi le pire qui puisse arriver pour Renault serait l’éclatement de son alliance avec Nissan. L’établissement de plateformes communes, la réutilisation sur plusieurs modèles des moteurs et des composants de haute qualité à faible coût et qui permettent d’accroître la fiabilité des véhicules resteront vraiment une donnée fondamentale du secteur.
Si l’on se projette à l’horizon 2025, l’idée de la spécialisation dans le haut de gamme, l’idée d’une séparation entre généralistes et spécialistes ne marche plus. Même les spécialistes du haut de gamme « descendent » vers les secteurs moyens et l’entrée de gamme. Tous les producteurs organisent leurs gammes en quatre niveaux avec une différentiation en termes de marques, de prix et d’image. Là encore, c’est Volkswagen qui l’avait le mieux réalisé avec une marque très grand luxe avec Porsche et Bentley, une marque premium avec Audi, une marque généraliste avec Volkswagen et des marques agressives d’entrée de gamme avec Seat et Skoda. Vous remarquerez d’ailleurs que tout le monde essaie d’imiter cette structure.
Je ne reviens pas sur les échecs successifs des stratégies françaises de Renault et Peugeot. Il faut distinguer le territoire français et l’avenir des producteurs à base française. Sur le territoire français, il se trouve que nous avons deux implantations industrielles qui marchent bien mais qui ne sont pas françaises : Toyota et Smart, qui ont réussi à atteindre des niveaux de productivité éblouissants, notamment Toyota, grâce au caractère récent de l’investissement, à l’optimisation des chaînes de production, à la capacité d’exporter, alors que plus de la moitié des usines françaises fonctionnent très en deçà de leurs capacités nominales. Il y a même de plus en plus d’usines Potemkine en France, qui ont l’apparence extérieure d’usines qui fonctionnent mais dont une chaîne sur deux est à l’arrêt.
Les deux grands enjeux technologiques sont l’économie d’énergie et la voiture numérique.
Lorsque vous voulez accroître de 100 kilomètres l’autonomie d’un véhicule à moteur thermique, vous devrez augmenter la capacité du réservoir de 10 litres, soit quelques euros et quelques kilogrammes supplémentaires ; si le moteur est électrique, il vous faudra alourdir le véhicule de 250 kilogrammes et le surcoût sera de 6 000 euros. Malgré l’optimisation du moteur électrique, dont il est beaucoup question, le fossé entre ces deux améliorations reste considérable.
Le véritable enjeu me paraît ce qu’on appelait celui des véhicules connectés, nommés désormais véhicules autonomes, qui implique le développement de quatre types de technologies : la connectivité, l’intelligence artificielle, les capteurs et, surtout, les interfaces homme-machine – optimisés grâce aux algorithmes installés dans le moteur lui-même – pour, si ce n’est assurer son autonomie, du moins donner un minimum d’assistance à la conduite, un minimum de sécurité, de programmation et d’optimisation.
Il faut en outre tenir compte du fait que la géographie de la production et de la consommation automobile a radicalement changé – ainsi, il y a à peine dix ans, la Chine produisait 500 000 véhicules alors qu’elle en fabrique aujourd’hui 10 millions –, phénomène qui accroît le différentiel entre les parcs de production installés et les nécessités de la consommation.
Je reviens sur l’expérience norvégienne – une fabuleuse réussite en matière d’équipement automobile en véhicules électriques qui représentaient l’année dernière 18 % des immatriculations. La Tesla Model S est le modèle le plus vendu en Norvège avec un avantage fiscal de près de 40 000 euros, ce qui, j’en conviens, laisse rêveur. Les Norvégiens s’étaient fixés pour objectif de produire 50 000 véhicules électriques pour 2017 ; or ils l’ont atteint dès avril 2015 – un succès éblouissant. On compte en outre 50 000 bornes de recharge électrique publiques dont 200 gratuites. Enfin, les véhicules électriques représentent 85 % du trafic des couloirs de bus mis à leur disposition – ce qui a provoqué une vive polémique.
On peut par conséquent admettre que les Norvégiens ont, permettez-moi l’expression, « mis le paquet », si bien que le coût de l’opération a très rapidement été jugé prohibitif – 600 millions d’euros par an en 2014 –, coût qui a même complètement dérapé par rapport aux prévisions. Surtout, certains ont découvert qu’il s’agissait d’une formidable subvention apportée à la Californie puisque, pour Tesla, la Norvège est devenue un fabuleux marché. Et, mauvaise nouvelle, les émissions de CO2 n’ont été réduites que de 0,3 % entre 2012 et 2013.
Ce modèle est-il exportable ? En Norvège même, on estime que la distorsion de concurrence est devenue trop importante par rapport aux autres véhicules. On doit en outre prendre en considération le fait que ce pays a tout de même une caractéristique : les ressources hydrauliques y sont considérables qui permettent la production d’une électricité très bon marché. La question ne se pose donc pas du tout de la même manière dans des pays qui produisent une électricité à base de charbon, comme en Allemagne, à base de gaz, comme en Italie, ou bien à base d’énergie nucléaire, comme en France.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Quelle est votre appréciation de l’efficacité des interventions des pouvoirs publics ?
M. Élie Cohen. Il me semble avoir été particulièrement clair : j’ai parlé d’échec de la régulation.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. En effet, mais ma question porte sur les interventions nationales en matière de fiscalité.
M. Élie Cohen. Je me suis en effet montré allusif sur ce point et vous avez raison de me demander des précisions. Le choix européen a été celui du diesel afin de réduire la consommation et les émissions de CO2. On a par conséquent favorisé fiscalement le diesel mais au point de complètement déformer notre système de raffinage. Cette politique a en effet conduit à des excédents considérables d’essence, que nous avons dû exporter dans des conditions de plus en plus difficiles, et, à l’inverse, à importer du diesel. Non seulement ce choix a eu un coût fiscal considérable mais un effet de distorsion non moins considérable sur notre système d’approvisionnement en produits pétroliers et sur notre appareil de raffinage dont certains outils ont été déclassés plus tôt que prévu.
La France était le principal actionnaire du principal producteur ; or c’est pendant la période où l’État s’est progressivement désengagé qu’on a assisté à ce véritable effondrement productif sur le territoire national – cela sans qu’on n’ait jamais mené un quelconque débat : je ne sache pas que l’actionnaire public ait soulevé cette question ni n’en ait fait un problème. C’est en travaillant sur le sujet que j’ai constaté la rapidité, à partir de 2003-2004, de cet effondrement.
Tout le monde a alors célébré la performance de Renault, qui reste certes remarquable puisque l’opération « Renault-Nissan puis Dacia » a été, du point de vue des intérêts de Renault et de la capacité du groupe à se projeter dans le monde, une très grande réussite. Mais si l’on raisonne en termes de base productive nationale, on constate une érosion de cette dernière, une érosion de l’effort de recherche, une panne de la politique de gamme et une perte progressive de parts de marché à l’intérieur du territoire, si bien que notre solde extérieur s’est très rapidement et très profondément dégradé. Encore une fois, je n’ai pas le souvenir qu’il y ait eu de grands débats sur l’automobile en 2005, 2006, 2007 et, en 2008, on a pensé que la grande crise touchait tous les secteurs. Seulement, ensuite, la France n’a pas bénéficié de la reprise. Et, j’y insiste, outre la perte de parts de marché à l’intérieur – et à l’extérieur –, cette crise s’est traduite par une descente en gamme. Je dirais presque que nous sommes en train de devenir, si nous raisonnons en termes d’offre productive des champions nationaux, les champions du low cost.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Je vous remercie pour la clarté de votre exposé. Vos dernières considérations me font penser que les origines de l’effondrement que vous évoquez se trouvent peut-être dans ce qui s’est passé dans les années 1990…
Vous avez déclaré que l’évidement du cœur manufacturier n’était pas une fatalité, citant l’exemple de l’Allemagne qui a su transformer sa chaîne de valeur. Pouvez-vous développer ce point ?
Quel regard porter sur les mesures prises après les Etats généraux de l’automobile – en 2009-2010, c’est-à-dire tard – : ont-elles permis d’amortir quelque peu le choc de la crise ?
Enfin, vous avez rappelé que la production automobile s’était effondrée de 42 % en douze ans. Pendant ce laps de temps, la part de l’automobile dans la production industrielle totale a-t-elle diminué ? Dans le même ordre d’idées, j’ai lu un article où vous évoquiez les secteurs à vos yeux stratégiques pour l’industrie française : la défense, l’énergie… le secteur automobile en fait-il partie ?
M. Élie Cohen. Pour ce qui est de l’effondrement, pourquoi ai-je privilégié les quinze dernières années ? On peut certes toujours remonter plus loin, mais il se trouve qu’en 2002 j’avais réalisé une étude comparée entre Volkswagen et Peugeot. J’expliquais à l’époque que PSA était le champion d’Europe de la rentabilité et, en particulier, que c’était une entreprise plus rentable que Volkswagen dont on évoquait les difficultés. Je me suis demandé ce qui s’était passé entre le début des années 2000 et aujourd’hui.
Le groupe Volkswagen a d’abord fait un effort considérable pour optimiser ses chaînes de production ; il a été le premier à concevoir la modularisation de l’outil de production et l’optimisation de chaque maillon de la chaîne de valeur ; c’est lui qui a inventé la politique de plateforme, qui a optimisé les gammes sur quelques plateformes ; c’est lui qui a été le grand innovateur en matière de technologie de production – si bien qu’il a été imité par la suite.
Ensuite, Volkswagen, l’emportant sur Renault, a racheté Skoda. Le groupe a ensuite commencé sa déclinaison de gammes, ce que les producteurs français n’ont pas su faire puisque, lorsque Renault a acquis Dacia, je me souviens d’avoir bavardé avec le patron de Renault, m’assurant qu’il n’était pas question d’importer des Dacia en France – véhicule rustique selon lui destiné aux pays émergents, première expérience automobile… Or, quelque temps après, on a vu des gens importer, je dirais presque : clandestinement, des Dacia. Quand les dirigeants de Renault s’en sont rendu compte, ils ont commencé à faire venir ces véhicules en France mais en les proposant dans les mêmes concessions que les Renault, provoquant un effet de comparaison, de « cannibalisation » terrible – erreur qui n’a pas été commise par Volkswagen qui a lancé la stratégie de quatre marques déjà mentionnée.
Enfin, les conditions financières n’ont pas été les mêmes : Renault a toujours été très limité alors que Volkswagen a pu, je le répète, beaucoup investir dans la recherche. Le contenu en recherche est trois fois supérieur dans véhicule allemand que dans un véhicule français, une différence qui finit par produire des effets. Or, pour mémoire, parmi les généralistes, en 2000, PSA était considérée comme l’une des plus belles si ce n’est la plus belle entreprise européenne.
J’ai participé aux états généraux de l’automobile qui ont eu des résultats incontestablement positifs. Les mesures prises ont permis que ne disparaissent pas un équipementier comme Valeo, alors en train de s’effondrer, mais également les décolleteurs de la Vallée de l’Arve ou les sous-traitants de premier, deuxième et troisième rangs. Ces mesures ont même permis une certaine consolidation et, dans le cas des décolleteurs de la Vallée de l’Arve, l’activité a redémarré. Malheureusement, de bonnes habitudes prises au cœur de la crise, comme la mutualisation des moyens, l’effort commun de prospection pour définir de nouvelles activités, la conquête de nouveaux marchés, ont été quelque peu abandonnées dès que la situation a commencé de s’améliorer. Notons en outre que les banques ont joué le jeu, à l’époque, accompagnant les initiatives publiques. Aussi avons-nous un certain génie pour le sauvetage des entreprises en difficulté mais sommes-nous moins géniaux dans la prospective.
Je ne sais de quelle manière répondre à votre question sur la part de l’automobile dans l’industrie française. Reste que l’effondrement de l’industrie française est incontestable. Quand on compare, sur les quinze dernières années, la performance industrielle de la France avec celle de tous les pays européens, seuls deux – et qui ne possèdent pas d’industrie automobile – font pire que nous : Chypre et Malte ! C’est l’un des sujets sur lesquels je ne parviens toujours pas à trouver de réponse satisfaisante ; je n’arrive pas à comprendre pourquoi – et je vous retourne la question – pourquoi la classe politique française s’est si peu intéressée à l’industrie française au cours des quinze dernières années ? Je suis un vieil industrialiste, j’ai écrit sur le colbertisme ; quand j’étais jeune, j’adorais aller visiter les usines… Je ne comprends pas, je le répète, cette espèce d’indifférence de la classe politique française vis-à-vis de l’industrie alors qu’on pouvait en voir l’effondrement.
M. Jean-Michel Villaumé. On ne parlait que des services.
M. Élie Cohen. Je ne crois même pas que nous ayons fait le choix des services car si cela avait été le cas, nous aurions considéré le tourisme, par exemple, comme un formidable atout et nous aurions considérablement investi dans le secteur – ce que nous n’avons pas fait non plus.
Ma question est beaucoup plus vaste : pourquoi cette indifférence à l’égard de toute la sphère productive ? Bien sûr, au cœur de l’économie productive, il y a l’industrie mais pas seulement ; on aurait ainsi pu s’intéresser aux services exportables. Je m’explique d’autant moins cette attitude qu’on relève un sentiment de fierté nationale à chaque fois qu’un grand projet aboutit : je ne connais pas de politique qui ne soit très sensible aux performances d’Airbus, d’Ariane… Pourquoi donc ce qui vaut pour ces derniers vaudrait-il si peu pour l’automobile, la machine-outil, l’électronique grand public – qui a totalement disparu –, pour les nouveaux biens électroniques… ? Je fais partie de ceux qui considèrent qu’on ne peut pas se passer d’une activité industrielle au sens manufacturier du terme.
La nouvelle industrie, c’est du manufacturier, des technologies, de l’intelligence et des services incorporés. Or il reste très important de maîtriser la brique manufacturière. Le plus bel exemple qui me vient à l’esprit est celui du véhicule électrique aux États-Unis. Le gouvernement américain a largement subventionné le développement de toutes les technologies de stockage – comme les batteries – et, lorsqu’il a fallu industrialiser, plus personne n’en était capable, alors que le véhicule électrique est un dispositif d’optimisation énergétique et d’optimisation numérique. Aussi, si vous n’êtes plus en mesure de fabriquer les composants, vous n’êtes plus capables de les comprendre.
Cela me conduit à un second exemple, celui des produits d’électronique grand public comme le téléphone portable. Le coût de fabrication de ces petits engins, produits essentiellement en Chine, est très faible. J’ai découvert avec surprise que, comme Apple ne produisait plus rien aux États-Unis, le groupe avait inventé un dispositif pour maintenir le contact entre ses laboratoires, ses technologues et les fabricants, si bien que des équipes de chercheurs, de techniciens et de méthodologues d’Apple sont en permanence dans des avions entre la Californie et la Chine pour être sur la chaîne de production. Jonathan Ive, le grand designer de ces produits, considère en effet que c’est en étant sur les chaînes de production qu’il est capable de voir où l’on peut gagner le demi-millimètre qui permettra au produit d’être encore plus fin, plus « smart » que ceux qu’il avait déjà conçus. Il n’est sans doute pas possible de réaliser l’intégralité de la production de masse dans les pays développés, mais cette articulation du manufacturing et de la conception me semble irremplaçable.
Mme la rapporteure. À propos de la stratégie de Volkswagen, vous avez évoqué la modularisation des chaînes de production. Face aux incertitudes sur l’avenir, sur les types de motorisation futurs, sur les éventuelles ruptures technologiques, le fait de disposer d’un outil de production susceptible de s’adapter beaucoup plus facilement qu’une chaîne destinée à produire pendant vingt ans le même type de modèle, est-il une question-clef dans l’organisation de l’outil industriel ?
M. Élie Cohen. La politique de plateforme et de modularisation a bouleversé pour longtemps l’économie du secteur. Elle forme un trait structurant. La percée allemande tend donc à se généraliser.
M. Denis Baupin. Je vous remercie à mon tour pour votre diagnostic lucide. Je tiens à rappeler que je suis un écologiste qui aime l’industrie, qui est convaincu qu’il n’y aura pas de transition écologique, de transition énergétique sans industrie. C’est pourquoi je ne me réjouis pas quand vous évoquez l’effondrement industriel de la France. Je me réjouis également de la clarté de votre exposé sur l’échec de la politique du diesel alors qu’on en parle assez peu. Il faut rappeler que l’Union française des industries pétrolières (UFIP) s’est déclarée favorable au rattrapage de la fiscalité entre le diesel et l’essence du fait de la déformation de notre système de raffinage, que vous avez évoquée. J’ai relevé par ailleurs votre constat d’échec du tout-électrique sur lequel nous ne pouvons que nous interroger après le vote d’une loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui consacre une bonne part à la mobilité de nature électrique. Vous avez ainsi indiqué que la Norvège comptait 50 000 bornes quand la loi en prévoit quelque 8 millions en France, un chiffre effectivement faramineux. Nous nous interrogeons sur la pertinence de ce choix à la suite de votre intervention.
Selon vous, il n’est pas possible de respecter les normes en vigueur : on doit choisir entre la réduction d’émission de CO2 et celle de NOx. Si cela est vrai, ce que je ne pense pas et je vais dire pourquoi dans un instant, nous devons choisir entre le dérèglement climatique, avec toutes ses catastrophes, et respirer un air malsain avec toutes les conséquences sanitaires que cela engendrerait. Autrement dit, nous aurions le choix, cornélien, entre la peste et le choléra … Or il existe une autre issue : celle consistant à construire des voitures plus petites. Je pose cette question, audition après audition, parce que je vois dans la fin de la « voiture à tout faire » l’une des clefs du changement de paradigme en matière automobile, autrement dit la fin de la voiture conçue pour emmener toute la famille en vacances et qui est utilisée à 99 % du temps par une personne seule.
Dès lors la question de l’autonomie des véhicules électriques se pose différemment : un véhicule à une place consommant beaucoup moins, son autonomie pourra être significativement augmentée. De votre point de vue, ne s’agit-il pas de l’une des pistes envisageables – pas la seule, certes : il faudra bien continuer de construire des voitures familiales, l’objectif n’étant pas de passer d’un modèle unique à un autre mais bien à une pluralité de modèles ?
En ce qui concerne le contrôle, vous avez tenu des propos forts en évoquant des autorités européennes complices, ce qui, d’après ce qu’on peut lire – je pense notamment aux considérations d’un commissaire européen, il y a déjà deux ans, sur ce type de trucages – semble assez juste. Si l’on veut que soient respectées des normes à la fois protectrices de la santé et efficaces contre le dérèglement climatique, ne doit-on pas rendre le contrôle indépendant, comme c’est le cas dans le secteur nucléaire avec l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ? En effet, dans le domaine qui nous occupe ici, nous constatons que tel ou tel comité a des intérêts convergents avec l’industrie – et pas forcément des intérêts d’argent d’ailleurs.
Enfin, j’ai beaucoup apprécié votre analyse du rôle de l’État actionnaire – de PSA et de Renault en l’occurrence. Or n’est-il pas de sa responsabilité, précisément, d’intervenir, dans le cadre du dialogue, bien sûr ? Quand le Président Barak Obama a engagé des fonds de l’État dans l’industrie automobile, dans un pays qui n’est pas franchement dirigiste ni anti-automobile, il a donné des consignes en matière de réduction des émissions. Que l’État actionnaire qui aide ses constructeurs exprime des souhaits ne paraît pas complètement stupide, ne serait-ce que pour veiller au bon emploi des deniers publics, ou au respect des objectifs de la politique de santé publique. Il est difficile d’obtenir un débat public sur ces questions alors qu’elles sont tout de même très structurantes.
M. Jean-Michel Villaumé. Comme mes collègues, je vous remercie, monsieur Cohen, pour vos propos particulièrement intéressants et brillants. Je suis d’accord avec vous en ce qui concerne l’effondrement industriel français mais dans le même temps vous évoquez le succès en France de Toyota et de Smart, n’y a-t-il pas contradiction ?
En outre, vous êtes revenu sur la mobilité, la voiture numérique ; si je vous comprends bien, vous prônez l’abandon du moteur thermique – qu’il soit à essence ou au diesel – tout en vous montrant réservé sur la solution électrique… Aussi, pour vous, quelle doivent être les caractéristiques de la voiture écologique ?
M. Yves Albarello. J’approuve à 1 000 %, monsieur le professeur, vos considérations sur le désintérêt total, au cours des vingt dernières années, des politiques au sujet de la désindustrialisation de la France. Je prendrai un seul exemple, que vous devez connaître : l’entreprise WABCO-Westinghouse, dont une filiale, située dans ma ville et spécialisée dans la fabrication de freins pour les poids lourds, va externaliser sa production en Pologne, provoquant donc le licenciement de 250 personnes.
Le groupe Volkswagen, après le scandale international dont il est à l’origine, sera-t-il capable de s’en relever compte tenu de ses capacités financières ?
La voiture à hydrogène a-t-elle, selon vous, un avenir technologique ?
Vous avez rappelé que PSA, dans les années 2000, était probablement plus rentable que Volkswagen. Or l’entreprise française n’a pas consacré les profits réalisés à la recherche fondamentale en vue d’innover. Nos deux grands groupes, PSA, donc, et Renault, sont-ils voués à mourir ?
M. Élie Cohen. Ma réponse à vos questions, Monsieur Baupin, sera assez simple : dans l’état actuel de la technologie du moteur diesel, on est conduit à arbitrer entre le NOx et le CO2. La raison toute simple pour laquelle Volkswagen a fraudé, c’est que le groupe n’était pas capable de présenter un véhicule avec un moteur satisfaisant les nouvelles conditions environnementales définies par les États-Unis, cela malgré ses efforts, malgré la mobilisation de ses équipes et malgré l’existence d’une technologie intermédiaire qui permettait de régler le problème du NOx mais qui aggravait les émissions de CO2. Il n’était donc pas possible de présenter sur le marché américain des véhicules intermédiaires avec le niveau de réglementation exigé, d’où la nécessité soit de renoncer purement et simplement au diesel, soit d’admettre qu’on ne sait pas fabriquer de véhicule moyen et haut de gamme répondant aux normes et qu’il faut donc de se replier sur des véhicules d’entrée de gamme à capacité beaucoup plus limitée.
Je me situe ici dans le cadre d’une économie dans laquelle les opérateurs industriels cherchent à répondre à une demande en fonction des contraintes réglementaires et des contraintes technologiques. On peut penser que l’urgence climatique est telle qu’il ne s’agit pas de la bonne méthode et qu’une rupture paradigmatique s’impose. Seulement, jamais un industriel n’en prendra le chemin par lui-même ; il faudra donc que l’autorité politique prenne des décisions et encadre cette évolution.
En ce qui concerne le régulateur européen, encore une fois, nous savons dans le détail – car la Commission européenne est transparente – quels sont les pays qui ont milité pour un relâchement des conditions et quels sont ceux qui ont au contraire exigé qu’on applique strictement les règlements. La France, l’Allemagne et l’Espagne ont été les trois pays qui ont le plus défendu la tolérance du viol des normes et l’allongement de la période probatoire tandis que les Pays-Bas y étaient très hostiles. Et, comme par hasard, les pays les plus favorables à la tolérance du non-respect des règles sont des pays fortement producteurs ou qui aspirent à le devenir. Ainsi, un grand projet d’usine est prévu en Espagne qui va massivement fabriquer, pour Volkswagen, des véhicules diesel ; or ce projet est subventionné par le gouvernement qui, logiquement, ne souhaitait pas qu’on applique les normes dans leur intégralité.
Faut-il donc instaurer un régulateur indépendant, monsieur Baupin ? J’y suis très favorable. J’ai beaucoup écrit sur la capture des régulateurs et je me suis fait agonir d’injures, notamment par des responsables politiques qui m’ont reproché ce qu’ils considéraient comme ma défiance vis-à-vis des autorités politiques au point de vouloir multiplier les autorités indépendantes. Ferais-je donc si peu confiance au sens du bien public des responsables politiques ? J’ai plaidé il y a très longtemps pour l’existence d’autorités indépendantes dans des secteurs comme les télécommunications, l’électricité et même en matière de cadrage macroéconomique et budgétaire. On est d’ailleurs quelque peu allé dans ce sens depuis lors, avec la création du Haut conseil des finances publiques notamment.
En ce qui concerne ce dont il est ici question, il s’agit de savoir si nous décidons de bloquer dès à présent le développement du diesel ou le développement même de véhicules diesel parce que les fabricants automobiles ne sont pas capables de satisfaire les normes, ou bien, comme l’a décidé la Commission européenne, de savoir si nous relâchons la vigilance sur le respect des normes pour une durée déterminée. C’est un choix et vous voyez bien qu’une autorité indépendante aurait sans doute décidé que, puisque les normes n’étaient pas respectées, il convenait d’arrêter – ce qui n’en laisserait pas moins entier le problème automobile tel qu’on l’a évoqué.
J’en viens au dialogue actionnarial entre l’État et les entreprises PSA et Renault. Ma réponse sera simple et brutale. L’État a perdu la compétence nécessaire pour dialoguer avec les entreprises. Savez-vous comment on procède quand Bercy veut discuter avec Renault ? On fait appel à un banquier d’affaires. L’État n’a plus d’expertise et y a renoncé depuis longtemps. Même Arnaud Montebourg, qui s’est beaucoup agité, quand il a eu besoin d’une contre-expertise sur Florange, a eu recours à un banquier d’affaires. Quand j’étais jeune chercheur, je m’intéressais à la « fabrication » de la politique industrielle et j’allais visiter la direction des industries électroniques et de l’informatique (DIELI), la direction des industries métallurgiques, mécaniques et électriques (DIMME)… où je rencontrais des experts sectoriels qui avaient acquis leur compétence sur une longue période ; or aujourd’hui il n’y en a plus du tout. L’une des raisons pour lesquelles l’État n’a pas ce dialogue éclairé avec les industries et même avec celles dont il est actionnaire est donc, je le répète, l’abandon de sa compétence. Et comme les services de Bercy n’ont pas perdu leur arrogance initiale, l’arrogance s’ajoute à l’incompétence. Mais c’est un choix et je ne peux que l’observer.
La réponse à la question de M. Villaumé de savoir s’il n’y a pas contradiction entre l’effondrement de PSA et Renault d’un côté, et la performance de Toyota et Smart de l’autre, est élémentaire. Dans le cas de ces deux dernières, il s’agit d’usines nouvelles, greenfield, d’emblée pensées avec les meilleures technologies, avec la meilleure connaissance des progrès réalisés en matière de gestion de production, d’où un niveau de productivité infiniment supérieur à celui des vieilles usines non optimisées, sous-utilisées… Si bien que même avec des niveaux de salaires et des niveaux de prélèvements sociaux identiques, les coûts unitaires ne sont pas les mêmes et si les usines nouvelles peuvent être très compétitives, ce n’est pas le cas des autres.
En ce qui concerne la voiture à hydrogène, depuis que je donne des conférences sur l’automobile, il se trouve toujours quelqu’un pour me dire c’est que la solution.
M. Yves Albarello. Je n’ai pas dit cela.
M. Élie Cohen. En effet, je suis bien d’accord, mais laissez-moi poursuivre. Comme je suis féru de technologie, je tâche de me tenir au courant des évolutions en la matière – l’un de mes premiers travaux d’élève-chercheur à l’École des mines portait sur les développements de la pile à combustible à Marcoussis. Pour en revenir à la voiture à hydrogène, et donc pour répondre à votre question, il existe bien sûr des prototypes mais on est encore loin de pouvoir lancer des séries industrielles avec des perspectives de production et de rentabilisation autour de cette technologie qui fait partie de ce que j’appelle les innovations disruptives indispensables dans la décennie qui vient si nous voulons faire face à l’impératif écologique, climatique.
Vous m’avez également interrogé sur l’avenir de PSA et Renault. Je serai à nouveau simple et direct : Renault et PSA comme entreprises françaises n’existeront plus dans les dix années qui viennent. Au mieux seront-elles des éléments de nouveaux groupes à vocation mondiale. Dans le cas de Renault, le nouveau groupe s’organisera autour de l’alliance actuelle qui forme déjà le troisième ou quatrième producteur mondial et qui se consolidera – et peut-être la crise provoquée par les maladresses de Bercy va-t-elle accélérer cette évolution. Renault comme entreprise nationale essentiellement basée en France et qui peut entretenir un dialogue intime avec les autorités politiques françaises, j’y insiste, c’est fini. Naîtra donc, éventuellement, un acteur global qui aura probablement son siège social hors de France et qui poursuivra une stratégie globale dont l’axe essentiel sera bien entendu Nissan. Il en ira de même pour PSA qui deviendra, si tout va bien, dans les dix années qui viennent, le fondement d’un groupe sino-européen dont la base productive sera essentiellement en Asie. Dès cette année, d’ailleurs, l’apport chinois sera supérieur à l’apport français en matière de production et de consommation. Nous assistons donc à la fin d’un grand cycle historique. Dans le meilleur des cas, deux groupes anciennement français, Renault et PSA, auront donné naissance à deux grands groupes globaux, ce qui est remarquable comme performance, mais il va falloir que Bercy, en particulier, cesse de considérer qu’il doit gronder les dirigeants de ces groupes : quand j’ai lu dans la presse que M. Macron recadrait le Président Carlos Ghosn, je n’en croyais pas mes yeux !
M. Yves Albarello. À vous entendre, l’heure est grave… Les deux principaux constructeurs français sont voués à disparaître au cours des dix prochaines années…
M. Élie Cohen. Je n’ai pas dit cela : ils sont appelés à constituer la base de deux grands groupes globaux.
M. Yves Albarello. J’avais bien compris. La même question se pose-t-elle pour d’autres constructeurs européens ? Je pense aux constructeurs italiens.
M. Élie Cohen. C’est déjà fait, pour l’Italie. FIAT, formellement, a pris le contrôle de Chrysler ; or, en fait, à l’occasion de cette opération, c’est Chrysler qui a pris le contrôle de FIAT avec la délocalisation totale de l’état-major et des structures de gouvernance du groupe italien, désormais implantés aux États-Unis et qui sont sortis de l’orbite italienne. Vous donnez donc là un bon exemple.
Pour que la comparaison soit parfaite, il faudrait que Renault installe son siège social au Japon, ce qui me paraît peu vraisemblable – il l’installera plutôt, par exemple, aux Pays-Bas.
Mme la rapporteure. La présence de l’État au capital de PSA et de Renault n’est-elle plus fondée ? Qu’est-ce qu’une politique industrielle de l’État efficace ? Ne pensez-vous pas que l’État, ou l’Europe, n’a pas à intervenir dans les choix technologiques ? Ne doit-il pas se contenter de fixer la norme et de laisser le constructeur se débrouiller pour la respecter ? Vous avez évoqué le pari du diesel. Un ministre, que vous avez cité, avait déclaré qu’attaquer le diesel revenait à attaquer le made in France. Or les entreprises concernées ont du mal à revenir sur leur culture du « tout diesel ». Comment accompagner le changement, inciter à la révision des stratégies, sachant que ce n’est pas seulement une question culturelle : la marge réalisée sur un véhicule diesel est plus importante que sur un véhicule essence ?
M. Élie Cohen. À quoi sert l’État actionnaire dans l’automobile depuis quinze ans ? L’État était très présent chez Renault et il n’est intervenu dans à peu près aucune des grandes orientations stratégiques du groupe. À l’inverse, l’État intervient beaucoup dès qu’il est question d’emplois, de délocalisation d’activité… c’est-à-dire qu’il est dans un rôle tout à fait classique d’État, rôle qui ne rend nullement nécessaire sa présence comme actionnaire de l’entreprise. Prenez l’exemple très intéressant du Royaume-Uni : lorsque BAE Systems a décidé de se retirer d’Airbus, le gouvernement britannique a exigé du groupe Airbus qu’il maintienne sa production sur le sol britannique dans telle proportion, qu’il garde un centre de recherches dans la fabrication des ailes. C’est donc l’État en tant que garant de l’intérêt général, de la prospérité du pays, qui a posé ses conditions pour autoriser une opération alors qu’il n’en avait peut-être pas la possibilité. L’État s’est par conséquent battu pour les emplois et la localisation des activités de recherche sans être actionnaire.
Si l’État français, comme il l’exprime de plus en plus, est essentiellement préoccupé par l’emploi et la localisation de l’activité, il n’a nul besoin d’être actionnaire – surtout d’une entreprise comme Renault. Observez comment General Electric a négocié avec l’État français dans le cas d’Alstom. Quand vous êtes General Electric, vous ne pouvez pas vouloir prendre le contrôle d’Alstom sans qu’au moins l’État n’y acquiesce – et en l’occurrence l’État a plus qu’acquiescé…
Si l’État veut avoir une stratégie industrielle, ce qui n’a pas été son cas au cours des quinze dernières années, on peut envisager une participation au capital et imaginer les formes de cette participation dans le temps. En tout cas, la pire des solutions est celle que l’on voit à l’œuvre dans le contexte de l’alliance Renault Nissan avec un État intrusif qui a voulu subrepticement doubler les droits de vote en créant un conflit ouvert avec les autres actionnaires et avec la totalité des administrateurs indépendants sans prévoir de plan B en cas d’échec de cette initiative.
Vous m’interrogez ensuite sur le fait de savoir si, dans le contexte d’une économie ouverte, mondialisée, il y a encore un sens à ce que l’État promeuve une stratégie industrielle nationale. La réponse est pour moi bien évidemment oui. On fait valoir que, de plus en plus, nous évoluons dans une économie de l’immatériel, du numérique ; certes, mais cette économie a besoin d’infrastructures ! Je dirai plus encore : elle a besoin d’infrastructures matérielles et immatérielles – je pense, pour ces dernières, aux infrastructures intellectuelles, qu’il s’agisse de l’enseignement supérieur ou de la recherche.
Vous avez évoqué le PIA. Il se trouve que j’ai fait partie de ses concepteurs et ce fut pour moi un rare bonheur que de travailler avec Michel Rocard et Alain Juppé tant, au quotidien, ce n’est pas ce qu’on attendrait de l’un et de l’autre qui se révèle. Nous avons commencé par considérer que les deux priorités centrales étaient transversales : l’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche, à savoir dans la connaissance, et la facilitation du transfert des résultats de la connaissance dans la sphère productive et industrielle. D’où les deux grands axes que nous avons d’emblée promus : à la fois le premier avec les initiatives d’excellence (Idex) et les laboratoires d’excellence (Labex) et le second avec les instituts de recherche technologique (IRT) et les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT). Nous avions défini deux axes horizontaux et quatre axes verticaux qui correspondaient à des priorités sectorielles : les technologies du numérique, les technologies de la conversion énergétique, les nouvelles technologies des transports et de la mobilité et tout ce qui a trait à la santé, axes qui sont à la base d’une stratégie décisive si l’on veut se rapprocher le plus possible de la frontière technologique et être capables de construire une croissance fondée sur l’innovation soutenable et durable. Nous avons ensuite décliné ces axes en toute une série de programmes.
Une politique industrielle moderne consiste par conséquent à faire en sorte que, par exemple, l’écosystème de l’aéronautique puisse se développer avec des entreprises spécialisées de petite et de moyenne taille, qu’elles aient par conséquent un accès direct aux résultats de la recherche – d’où leur connexion avec les Instituts Carnot –, qu’elles aient un accès direct aux financements – d’où les programmes de financements innovants. Toute cette architecture, que nous avons essayé de concevoir et de mettre en œuvre, c’était – permettez cette immodestie – une belle opération intellectuelle. C’est le bon génie français.
Vous me demandez si l’État doit peser sur les choix technologiques. Précisément, dans le cas que je viens d’évoquer, nous avons voulu donner ses chances à toute une filière technologique : nous n’avons pas fait qu’un choix mais financé plusieurs projets concurrents sur des technologies concurrentes aussi bien en matière d’énergie solaire que de stockage d’énergie. Nous avons exploré les différentes frontières – que je ne connaissais d’ailleurs pas – entre ce qu’on appelle la chimie verte, la chimie bleue, la chimie rouge, la chimie grise… La bonne méthode consiste à créer des possibilités, des capacités et à veiller en particulier à la qualité, à la dynamique des écosystèmes, à essayer de prévenir autant que possible les phénomènes de bureaucratisation progressive, de paralysie et de redondance des organismes, de saupoudrage, etc.
Dernier élément, vous m’interrogez sur le pari du diesel. Là encore, je vous répondrai de manière simple et brutale. Compte tenu du degré d’engagement de la France dans cette filière, si l’on décide d’en sortir demain, il faudra vraiment accompagner le processus sur la moyenne et longue durée. Et comme, jusqu’à présent, et je crois que vous en êtes parfaitement conscients, PSA refusait même d’envisager cette possibilité, plaidant l’excellence absolue de sa solution diesel et faisant valoir l’amélioration continue de son système après avoir résolu l’essentiel du problème, il va falloir vraiment, j’y insiste, pour éviter une catastrophe, accompagner PSA dans ce dialogue stratégique, encore une fois si vous décidez de revenir sur le choix initial de spécialisation.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Merci, monsieur le professeur : cette audition a été particulièrement riche.
Notre prochaine réunion se tiendra mardi prochain 17 novembre.
La séance est levée à dix-huit heures.
◊
◊ ◊
6. Audition, ouverte à la presse, de M. Christophe Lerouge, chef du service de l’Industrie à la Direction générale des entreprises.
(Séance du mercredi 18 novembre 2015)
La séance est ouverte à seize heures trente.
La mission d’information a entendu M. Christophe Lerouge, chef du service de l’Industrie à la Direction générale des entreprises.
Madame la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons aujourd’hui M. Christophe Lerouge, chef du service de l’industrie à la direction générale des entreprises (DGE). Il est accompagné par M. Alban Galland, chef du bureau chargé du secteur automobile. La DGE est une administration technique, à vocation stratégique, placée sous l’autorité du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Elle a succédé, l’an dernier, à la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, alors plus connue sous le nom de DGCIS.
Certains des interlocuteurs de la mission ont regretté devant nous qu’il n’existe plus une grande direction générale ayant pleinement compétence sur l’industrie dans son ensemble. La semaine passée, le professeur Élie Cohen soulignait ce point. Il a même parlé devant nous d’« un effondrement silencieux » du secteur automobile en France, principalement du point de vue de la production sur notre sol.
Néanmoins, les pouvoirs publics conçoivent et mettent en œuvre divers dispositifs d’accompagnement et des aides au secteur automobile, notamment depuis la crise de 2008-2009. Un Pacte automobile a été défini en 2009, relayé aujourd’hui par le Conseil national de l’industrie (CNI) et un comité stratégique de filière.
En outre, un autre interlocuteur de la mission nous a fait part de certaines difficultés dans l’attribution des aides au développement d’innovations majeures dans le cadre du Fonds unique interministériel (FUI), qui ne relèverait apparemment plus de la compétence de votre direction mais de la Banque publique d’investissements ou Bpifrance.
Messieurs, il conviendrait que cette audition soit l’occasion de nous éclairer sur l’articulation de ces différentes structures avec une mise en perspective dans l’actualité des actions ainsi soutenues.
Nous attendons aussi des précisions sur les orientations stratégiques de la « filière du diesel ».
Il vous faudra enfin évoquer la question des normes d’homologation des véhicules en matière de polluants à l’échappement. Quelle administration est-elle compétente en la matière ? Qui négocie à Bruxelles au nom de la France et avec quel mandat technique ?
M. Christophe Lerouge, chef du service de l’industrie à la direction générale des entreprises (DGE). Je tiens tout d’abord à indiquer que je représente mon directeur général, Monsieur Pascal Faure, qui n’a pu se rendre à cette audition. Je suis, au sein de la DGE, le chef du service de l’industrie qui emploie une centaine de personnes et qui est organisé en trois grandes sous-directions, chacune composée de bureaux sectoriels. Notre administration assure un suivi des grands secteurs industriels et l’un de nos bureaux, représenté cet après-midi par son chef, Monsieur Alban Galland, est spécialisé dans le secteur automobile.
Je reviendrai sur la manière dont nous travaillons avec les grands acteurs du monde de l’automobile ainsi qu’avec le CNI et le comité stratégique de filière– que vous avez cités. J’aborderai aussi les questions de financement des projets de recherche-développement par le FUI.
Il existe quatorze comités stratégiques de filière (CSF), correspondant chacun à une grande filière industrielle. Les CSF résultent des travaux menés en 2009-2010, à la suite des Etats généraux de l’industrie, ayant institué le CNI. Douze CSF ont été créés au départ, puis d’autres sont venus les compléter. Nous disposons d’un comité stratégique dans la filière automobile pour la raison évidente que cette industrie est structurante pour notre tissu économique et d’ailleurs pour l’ensemble de l’industrie française. Ces comités stratégiques ont pour vocation première d’œuvrer à l’organisation des échanges entre les entreprises d’une filière, essentiellement entre les grands donneurs d’ordres et les sous-traitants. Et la filière automobile est effectivement organisée avec deux grands constructeurs en France – Renault et PSA – et toute une chaîne de sous-traitants de rang 1 – tels que Valeo et Faurecia – à la suite de quoi on descend dans la chaîne de sous-traitance. Les comités stratégiques sont organisés de façon à permettre un « trilogue » entre les organisations patronales, les organisations syndicales représentatives des salariés et les pouvoirs publics – c’est-à-dire l’administration chargée du domaine. Selon les CSF, plusieurs administrations peuvent être concernées. En l’occurrence, c’est le ministre chargé de l’industrie qui suit le CSF automobile. Les CSF se réunissent en session plénière une fois par an, voire plus si nécessaire, et sont organisés en un bureau et avec des groupes de travail fonctionnant régulièrement selon les différents plans d’actions définis et conduits au fur et à mesure. On compte parmi les membres du CSF automobile un vice-président, Monsieur Michel Rollier
– par ailleurs président de la Plateforme de la filière automobile (PFA) et ancien grand dirigeant de Michelin – ; pour les organisations patronales, l’ensemble des grands acteurs du secteur – Renault, PSA, Valeo, ou encore Plastic Omnium … – ; les organisations professionnelles c’est-à-dire les grandes fédérations – la Fédération de l’industrie mécanique, l’Union des industries et des métiers de la métallurgie, les fédérations représentant les équipementiers et les réparateurs automobiles – et enfin, les grandes organisations syndicales impliquées dans le secteur automobile.
Dans chaque CSF, un contrat stratégique de filière, négocié entre ses partenaires, prévoit plusieurs actions. En matière automobile, un nouveau contrat a été défini et validé il y a peu ; le comité stratégique s’étant réuni pour la dernière fois en session plénière au mois de septembre. Ce contrat prévoit une nouvelle feuille de route pour la période 2015-2017 et des actions à mener. La première action – « Se projeter » - vise à la définition d’une stratégie pour la filière à moyen-long terme et à permettre d’anticiper les besoins de compétences et de mieux accompagner l’employabilité des salariés. La deuxième action – « Innover » – concerne les grands programmes prioritaires de recherche et développement. On y retrouve les questions technologiques de réduction de la consommation, avec le véhicule « deux litres aux cent kilomètres », d’amélioration de la production grâce au développement d’usines du futur et le traitement de tout ce qui peut avoir un fort impact sur la filière automobile, comme l’utilisation de nouveaux matériaux. La troisième grande action – « Se développer » – vise à travailler sur les questions d’organisation et de consolidation de la filière. Il y a toute une gamme de sous-traitants dans le secteur automobile dont la masse critique est insuffisante. C’est pourquoi un travail est effectué afin d’essayer de restructurer la filière et ainsi de faire monter en gamme les petites et moyennes entreprises (PME), de constituer des entreprises de taille intermédiaire (ETI), de les rendre plus fortes et de leur permettre d’aller à l’international. Le dernier grand axe de ce contrat stratégique de filière s’intitule « Collaborer » : il vise les relations entre les entreprises de la filière et en particulier les relations entre les grands donneurs d’ordres et les sous-traitants. Vous le savez, un des points problématiques pour les entreprises réside dans la pression que font peser les grands donneurs d’ordres sur leurs sous-traitants et dans le fait que les sous-traitants aient connu des difficultés ces dernières années, liées peut-être à une pression trop importante d’entreprises comme Renault et Peugeot. Cela peut aussi expliquer des différences entre ce qu’il se passe dans les filières automobiles française et à l’étranger.
Schématiquement, le CSF automobile est une organisation que l’on retrouve dans d’autres filières industrielles. Mais l’automobile est un des secteurs industriels dans lesquels on peut vraiment parler de filière au sens de répartition d’une chaîne de valeur existant entre les entreprises. Lorsqu’un nouveau programme tel que le véhicule « deux litres aux cent kilomètres » est développé, il faut aborder des questions de motorisation, de matériaux et de performance automobile au sujet desquelles toute la chaîne est-elle affectée : lorsqu’on allège la structure d’un véhicule, il faut que tous les sous-traitants puissent contribuer à cet objectif.
Le CSF automobile dépend d’une superstructure qu’on appelle le Conseil national de l’industrie (CNI). Ce dernier réunit les représentants des organisations patronales – le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) –, les grandes organisations syndicales et l’administration. Je suis à titre personnel membre du bureau du CNI qui couvre l’ensemble des secteurs industriels – c’est-à-dire les 14 CSF. Le CNI travaille aussi sur des sujets transversaux : son objectif est de faire en sorte que l’industrie manufacturière et l’intérêt de la production en France, des entreprises et des usines françaises soient bien prises en compte par l’ensemble des politiques publiques, non seulement par le ministère de l’industrie mais aussi par les autres ministères. Le CNI rend pour ce faire chaque année quatre ou cinq avis sur de grands thèmes transversaux. Ainsi par exemple, en amont de l’élaboration de la loi pour la transition énergétique et la croissance verte, le CNI a émis un avis qui a été remis à Mme Ségolène Royal pour que soient pris en compte les intérêts de l’industrie. Le CNI a notamment voulu peser sur la définition des électro-intensifs, sur la question de l’économie circulaire et, plus globalement, sur tous les sujets traités par la loi ayant un impact sur l’industrie. Le CNI travaille aussi sur les questions de formation et sur l’attractivité des métiers du secteur. Les Etats généraux de l’industrie, qui datent de 2009-2010, ont en effet montré une certaine désaffection des jeunes à l’égard de l’industrie. Grâce à des manifestations telles que la Semaine de l’industrie, le CNI essaie de redonner envie aux jeunes de travailler dans le secteur industriel par le biais de formations initiales et de la formation professionnelle continue. Les organisations syndicales s’impliquent beaucoup dans ce travail. D’autres sujets sont suivis par le CNI tels que la transformation numérique de l’industrie, l’économie circulaire – qui vise à rendre l’industrie plus performante et plus propre grâce au recyclage des matériaux – et l’articulation entre la politique industrielle nationale et les politiques régionales, compte tenu du renforcement des compétences des conseils régionaux. Car au-delà des grands groupes implantés au niveau international, il importe de déterminer comment les PME implantées sur les territoires peuvent dans leur diversité s’intégrer à ces politiques nationales. Le CNI traite également des questions relatives à la commande publique et à l’achat public innovant. Tous ces travaux donnent lieu à des recommandations et à des échanges entre les différentes organisations membres du CNI. Ce Conseil est présidé par le Premier ministre qui le réunit en session plénière au moins une fois par an. Telle est l’articulation entre le CNI et les CSF : le CNI est une superstructure qui pilote les comités stratégiques de filière.
Le CNI est aussi impliqué dans le déploiement d’autres dispositifs mis en œuvre par l’administration et lancés par le précédent ministre en charge de l’industrie, Monsieur Arnaud Montebourg, et repris par Monsieur Emmanuel Macron : les trente-quatre Plans de la « Nouvelle France industrielle » qui sont devenus les neuf plus une « Solutions de la nouvelle France industrielle ». Les trente-quatre plans ont été définis comme visant des objets et produits pour lesquels on estime qu’un marché va se développer d’ici à quatre ou cinq ans, pour la fabrication desquels l’industrie française a déjà des compétences et des savoir-faire. Les plans ont été élaborés à partir de cette base de compétences et cet objectif de marché et ont donné lieu à la définition d’une feuille de route qui permettra à ces entreprises d’atteindre ces marchés. Chaque feuille de route identifie les verrous – qu’ils soient technologiques, réglementaires ou organisationnels – qui empêchent de travailler sur ces produits.
Si je cite ces trente-quatre Plans de la Nouvelle France industrielle, c’est que certains d’entre eux concernaient directement le secteur automobile. Ces plans ont été regroupés en des Solutions pour la nouvelle France industrielle voulues par Monsieur Emmanuel Macron de façon à mieux appréhender et à faciliter la gestion de cette dynamique. Les plans qui concernaient l’automobile ont été regroupés au sein de la « Solution pour la mobilité écologique ». On y retrouve les grands thèmes du véhicule autonome, du véhicule à consommation « deux litres aux cent kilomètres », du stockage de l’énergie et de l’installation des bornes de recharge électrique sur l’ensemble du territoire français. Pour chacun de ces plans a été nommé et désigné un chef de projet : Monsieur Carlos Ghosn pour le véhicule autonome et un binôme PSA/Renault relayé ensuite par la PFA pour le véhicule « deux litres aux cent kilomètres ». C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que l’on retrouve parmi les grands axes de recherche et développement du contrat stratégique précité une articulation entre la « Solution pour la mobilité écologique » et ce qui est prévu par la filière industrielle. C’est le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) qui pilote le plan relatif au stockage de l’énergie et le préfet Francis Vuibert, s’agissant des bornes de recharge. Chacun de ces plans donne lieu à une feuille de route et un programme d’action. Certains plans sont déjà bien avancés : une loi et un décret ont notamment été publiés en 2014 s’agissant du déploiement des bornes de recharge ; deux entreprises, Bolloré et CNR, ont candidaté et ont commencé à déployer des bornes de recharge électrique sur l’ensemble du territoire.
La « Solution de mobilité écologique » fait appel à des dispositifs de financement. Vous avez cité le Fonds unique d’investissement (FUI). Certes, ce fonds finance les projets issus des soixante-douze pôles de compétitivité sur le territoire, dont certains concernent le secteur de l’automobile. Mais le FUI n’est pas le mode de financement le plus important des projets de recherche et développement poursuivis dans le cadre de la « Solution de mobilité écologique » ou du comité stratégique de filière. En fait, le dispositif auquel nous recourons est le Programme des investissements d’avenir (PIA), plusieurs appels à projet ayant été décidés en faveur du véhicule écologique, des travaux sur les batteries et du véhicule « deux litres aux cents kilomètres ». Nous mobilisons le PIA soit sous forme de subventions, soit sous forme d’avances remboursables. Le déploiement des bornes de recharge sera financé par le PIA. Le Commissariat général à l’investissement (CGI), qui pilote les PIA, a confié à l’opérateur qu’est l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) le soin de lancer des appels d’offre pour financer les différents projets. Quant au montant exact prévu dans le cadre des PIA I et II …
M. Alban Galland. … il s’élève à 750 millions d’euros pour l’ensemble des véhicules du futur – aéronautique et autres filières comprises.
M. Christophe Lerouge. Et les montants qui ont été engagés jusqu’à présent au titre des programmes du véhicule « deux litres aux cent kilomètres » et du véhicule autonome sont de 170 millions d’euros de subventions, de 126 millions d’avances remboursables et de 40 millions de prises de participations dans des projets de véhicules hybrides.
Le FUI consacre une centaine de millions d’euros d’aides aux projets remontant des pôles de compétitivité chaque année. Ce montant varie en fonction du nombre de projets et de ce que vous votez en loi de finances. Certaines aides concernent le numérique, d’autres, l’automobile et d’autres projets. Par conséquent, si les pôles de compétitivité et le FUI sont des dispositifs de soutien importants – en particulier pour les PME et les petites et moyennes industries (PMI) qui travaillent avec des laboratoires –, ce ne sont pas les plus importants pour le financement de la recherche-développement liée à l’automobile.
J’en viens à la question du diesel. Il s’agit d’un sujet que nous suivons de façon très attentive. Nous avons effectivement été surpris et déçus de découvrir ce qu’avait fait une grande entreprise mondiale qui nous semblait digne de confiance. Nous ne savons pas encore quel sera le véritable impact de cette affaire sur les normes de véhicules ainsi que sur les constructeurs, la production et l’emploi en France – points qui m’intéressent avant tout autre en tant que représentant du ministère de l’industrie. La filière du diesel pèse de l’ordre de 10 000 emplois.
M. Alban Galland. … 10 000 emplois directs.
M. Christophe Lerouge. Nous observons avec attention ce qu’il se passe à ce sujet, notamment l’impact de l’affaire Volkswagen.
S’agissant des normes et des cycles, les différents comités existant à Bruxelles sont plutôt suivis par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE). Cette direction représente la France lorsqu’il est question de normes et de cycles de contrôle des émissions.
Voilà ce que je souhaitais vous dire de façon succincte avant de répondre à vos questions.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Je précise que nous auditionnerons bien évidemment le ministre Emmanuel Macron lorsque nos travaux en seront à un stade plus avancé. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est d’avoir un échange avec vous au niveau de compétence d’une direction administrative sur les questions de politique industrielle. Je vous remercie d’avoir décrit le schéma d’organisation et de l’impulsion de l’État en ce domaine. Nous sommes aussi préoccupés par les emplois, les usines, la question de la diminution de la production automobile en France de 42 % en douze ans et à partir de là, par la stratégie adoptée par l’État et les pouvoirs publics pour assurer l’avenir de cette filière industrielle.
Je reviendrai tout d’abord sur le bureau du secteur automobile au sein de votre service. Combien de personnes y travaillent ? Vous avez évoqué son rôle de vigilance sur les questions de normes et de réglementations. Or, j’ai, dans d’autres fonctions, suivi la manière dont les choses se passent : ce bureau du secteur automobile émet-il un avis dans le processus d’élaboration des décisions interministérielles sur les questions de normes et de positions défendues par la France à l’échelle européenne ?
Plusieurs articles de presse ont fait état du fait que la Commission européenne avait eu connaissance, dès 2011, de la fraude de Volkswagen : votre bureau en a-t-il été informé ou en a-t-il eu connaissance à un moment donné ? Il est normal que je vous pose la question.
Vous avez évoqué un point très important pour toute l’organisation de la filière : la structuration des relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants. Dans le contexte récent, avez-vous évalué le nombre d’emplois concernés chez les sous-traitants français dépendant directement de la production de Volkswagen ? Auriez-vous des chiffres à nous communiquer à ce sujet ?
L’État est au capital de deux entreprises très importantes. Dans le cadre de la mise en œuvre par l’État de ses orientations de politique industrielle pour le secteur industriel, y a-t-il des échanges entre vous et l’Agence des participations de l’État (APE) ?
Trouvez-vous que le niveau d’engagement des programmes concernant les investissements d’avenir est satisfaisant ? Il s’agit peut-être d’une question politique auquel cas, renvoyez-nous au ministre que nous recevrons. Pourriez-vous cependant nous confirmer que 210 millions d’euros du programme « Véhicule du futur » ont été réalloués à d’autres budgets que celui du soutien à la filière automobile ?
M. Christophe Lerouge. Nous n’avions aucune idée que la moindre fraude ait pu être commise par un constructeur comme Volkswagen. Nous l’avons découvert en même temps que tout le monde dans la presse.
S’agissant de la participation de l’État au capital des deux grands constructeurs français, nous avons effectivement un partenariat et des échanges avec l’Agence des participations de l’État (APE). Notre directeur général, Pascal Faure, est membre du conseil d’administration de Renault de la même façon que de celui de l’APE. Ils se concertent donc sans arrêt. L’APE siège aussi au conseil d’administration de PSA et là encore, des échanges ont lieu régulièrement entre les deux administrations sous l’égide de Monsieur Emmanuel Macron et de son directeur de cabinet. Il n’y a donc aucune ambiguïté. Cela étant, ces échanges ne sont peut-être pas suffisamment fluides faute de temps. Mais sur les grands sujets tels que les questions de gouvernance chez Renault dans le cadre de son alliance avec Nissan, le ministre nous avait donné des consignes claires, de sorte qu’il n’y a pas eu l’épaisseur d’une feuille à cigarette entre les positions des deux représentants de l’État.
Il y a effectivement eu un redéploiement des crédits du PIA dont je n’ai pas le montant en tête. Il faut bien comprendre que si 750 millions d’euros étaient prévus dans les PIA I et II, la consommation des crédits, dont je vous ai cité les montants, n’est pas au même niveau. Ce sont donc les marges de manœuvre existantes qui ont permis ce redéploiement. En dépit de notre volonté de développer ces grands axes stratégiques, ce sont in fine les grands constructeurs et les entreprises qui déposent des dossiers. Je suis le premier à le déplorer, c’est pourquoi nous les encourageons à s’engager, à poursuivre ces objectifs dans le cadre du comité stratégique de filière. C’est d’autant plus important qu’au-delà des objectifs qui ont été fixés, on sait que l’on se dirige vers une réduction des normes d’émissions, vers davantage de contraintes de protection de l’air donc de réduction de la pollution atmosphérique et que nos constructeurs automobiles ont tout intérêt à les anticiper au maximum.
Quant à savoir si le CGI va assez loin, sans doute la réponse est-elle politique mais je vous donnerai quand même un avis qui n’engage que moi : je pense qu’il pourrait prendre davantage de risques en matière de soutien aux industriels, surtout que cela concerne vraiment des programmes de R & D et d’innovation.
S’agissant de l’organisation de notre bureau, je laisse Alban Galland répondre.
M. Alban Galland, chef de bureau. En temps normal, notre bureau compte huit chargés de mission. Notre avis est quasi systématiquement sollicité sur les questions de normes. Les comités techniques s’intéressent en général à des questions très techniques qui ne relèvent pas forcément de notre compétence – notre niveau d’expertise n’étant pas celui de la DGEC. C’est donc le plus souvent cette dernière qui propose des positions, auxquelles nous ne répondons pas systématiquement. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’un sujet important – notamment d’un sujet nous ayant été signalé par les constructeurs mais aussi d’autres acteurs – nous pouvons être amenés à prendre position.
Concernant le nombre d’emplois en France dépendant de Volkswagen, ce grand constructeur ne produisant malheureusement pas dans notre pays, nous avons interrogé sans succès ses fournisseurs car ils agrègent leurs ventes, soit au niveau de tous les constructeurs allemands soit au niveau mondial. Nous avons beaucoup de mal à obtenir des informations précises quant à l’impact de cette affaire chez nous.
Mme la rapporteure. Cela signifie-t-il qu’au sein de la Plateforme et du comité stratégique de filière c’est-à-dire dans le dialogue direct avec les différents niveaux de production de la filière, vous ne disposiez d’aucune remontée d’informations à ce jour ?
Vous indiquez que vous êtes amenés à donner un avis sur la question des normes : ce qui est intéressant de savoir c’est comment cet avis est-il élaboré concrètement ?
M. Christophe Lerouge. Nous avons dans le cadre du CSF des échanges avec le Comité des constructeurs automobiles français (CCFA). Nous avons donc davantage d’informations sur Renault et Peugeot. Les constructeurs étrangers sont représentés au sein du CSF mais nous n’avons pas avec eux le même degré d’interactions qu’avec le CCFA. Il nous est donc beaucoup plus difficile d’obtenir des informations sur le groupe Volkswagen.
Mme la rapporteure. Ma question ne portait pas sur le groupe Volkswagen mais sur les équipementiers des rangs 1 et 2 qui produisent en France des pièces s’insérant dans la construction des voitures Volkswagen.
M. Alban Galland. On sait que Valeo vend près de 30 % de ses pièces à l’Allemagne mais sans plus de détails. Les équipementiers considèrent que leurs parts de marché par constructeur constituent des informations confidentielles. C’est pourquoi, même interrogés indépendamment de la FIEV, leur fédération professionnelle, et de la PFA, ils ne nous répondent pas à ce stade. Nous avons en revanche demandé aux directions régionales des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de mener une veille très active dans la mesure où elles ont un accès privilégié à certains sites, y compris de rangs 2 et 3.
M. Christophe Lerouge. Pour être très franc, nous sommes même allés au-delà puisque nous avons demandé à Arcelor-Mittal quel serait l’impact de l’affaire sur leur production d’acier destiné à l’automobile. Nous n’avons pas non plus obtenu de réponse. Nous avons essayé de nous renseigner tous azimuts mais nous n’avons malheureusement guère obtenu d’informations.
M. Alban Galland. À ce stade néanmoins, comme nous l’anticipions, les impacts sur les chiffres de vente sont relativement faibles en volume. Mais il a été annoncé qu’une partie de l’effort financier accompli par Volkswagen serait reporté sur ses sous-traitants. Cela répond en partie à votre question.
S’agissant des modalités d’élaboration de nos avis sur les questions de normes, nous prenons évidemment en compte les positions des constructeurs. Mais cela ne suffit pas en réunion interministérielle. Nous essayons donc d’obtenir les informations techniques permettant de justifier ces positions. Nous vérifions qu’elles correspondent bien aux objectifs indiqués par les constructeurs – ce qui n’est pas toujours le cas et nous n’avons d’ailleurs pas exactement repris leurs positions concernant les Real Driving Emissions (RDE). Puis nous essayons de construire un argumentaire s’appuyant sur des éléments techniques afin de justifier les objectifs que nous proposons.
M. Philippe Duron. Les exigences de lutte contre le changement climatique appellent des évolutions voire peut-être une rupture en matière de mobilité. L’industrie automobile contribuant fortement à l’émission de gaz à effet de serre et de particules, elle devra dans les années à venir poursuivre ses efforts pour aller vers un véhicule plus propre.
Vous avez bien très décrit l’organisation et la modernisation des filières par le biais des dispositifs institués par le Gouvernement. Mais vous êtes passés beaucoup plus rapidement sur les cinq pôles de compétitivité qui existent depuis 2005, dont Mov’eo et « Véhicule du futur », et qui concernent tout à la fois l’automobile, les poids lourds et la mobilité. Quelle est la relation entre le CSF automobile et les pôles de compétitivité ? La politique du CNI est-elle susceptible d’influer sur les objectifs et le fonctionnement de ces pôles ?
M. Denis Baupin. Je prolongerai les questions de Mme la rapporteure concernant la fixation des normes. Vous nous avez indiqué très honnêtement que vous recueilliez l’avis des constructeurs en la matière – ce qui ne surprendra guère. Mais vous ne nous avez pas précisé en quel sens ils influaient : est-ce dans le sens de normes plus exigeantes ou au contraire moins exigeantes, d’un point de vue environnemental ? Car ceux-ci affirment généralement qu’ils sont favorables à l’accélération de la mise en application de ces normes.
S’agissant de savoir qui était au courant de l’existence de logiciels de trucage, j’ai commis une tribune la semaine dernière dans laquelle je cite cet extrait d’un article d’Auto Moto datant de 2005 : « La multitude de capteurs calculateurs installés aujourd’hui dans les voitures constituent autant d’espions électroniques facilitant les petits ajustements avec la réglementation. Capables de déterminer si le véhicule est en train de passer un cycle de dépollution, ils permettent le plus simplement du monde de basculer l’électronique moteur sur le programme spécial homologation ». Ce propos a été publié il y a dix ans dans un journal qui est loin d’être confidentiel et qui ne doit pas être inconnu de vos services ! Peut-on raisonnablement penser que depuis dix ans, personne, à part les journalistes auteurs de cette citation, ne s’est posé ce type de question et n’a imaginé qu’il pouvait y avoir des logiciels de trucage dans les véhicules ? Toutes les personnes que nous interrogeons nous répondent qu’elles ne savaient rien. Je peux comprendre que l’on n’ait pu savoir s’il allait s’agir de Volkswagen ou d’un autre constructeur. Mais comment se fait-il que ce type de constat ait été effectué il y a dix ans et que depuis lors, personne ne se soit préoccupé de savoir si les tests effectués étaient non pas représentatifs – car on savait qu’ils ne l’étaient pas – mais aussi truqués ?
Vous nous avez parlé du rôle de l’État actionnaire des deux entreprises que sont les constructeurs nationaux. Quelles orientations ont-elles été données de la part de l’État au sein du conseil d’administration de chacune de ces entreprises pour mettre en œuvre la transition énergétique ? Nous avons la chance d’être actionnaires de ces entreprises. Et nous sommes face à des enjeux écologiques majeurs dans une industrie en difficulté, qui cherche à trouver un nouveau souffle et doit cependant répondre à des besoins de mobilité essentiels dans notre pays. Or, on sait que l’acheteur d’un véhicule neuf a cinquante-quatre ans en moyenne en France. Il existe donc un décalage très important entre les véhicules que l’on vend aujourd’hui et les enjeux à la fois écologiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés. Lorsque vous nous indiquez que les enjeux du véhicule « deux litres aux cent kilomètres » concernent en priorité le poids, les matériaux et les performances des véhicules, je suis toujours surpris – même si les constructeurs nous ont tenu le même langage lorsque je les ai auditionnés en tant que rapporteur pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Est-il toujours nécessaire qu’un véhicule puisse rouler à 180 kilomètres par heure ? Un véhicule automobile doit-il forcément être conçu pour transporter une famille en vacances alors que 99 % du temps, il transporte une personne seule ? Ces questions sont-elles abordées dans le cadre de la définition, par le comité stratégique de filière, de perspectives de long terme ? Comment l’État actionnaire apporte-t-il sa part en la matière ? Transmet-il de tels messages aux constructeurs ? Nous avons adopté une loi de transition énergétique et nous savons que nous ne pourrons respecter les engagements climatiques de la France, parmi lesquels le facteur quatre, si nous ne parvenons pas à faire évoluer la mobilité et notamment les véhicules.
M. Jean Grellier. Je vous remercie d’avoir rappelé le rôle du CNI et des comités stratégiques de filière. J’ajouterai, pour information, que depuis l’année dernière, un représentant parlementaire membre de la Commission des affaires économiques est désormais rattaché à chaque comité stratégique. À plusieurs reprises en tant que représentant du Parlement, j’ai insisté sur la nécessité de coordonner le CNI, les plans industriels, les pôles de compétitivité dans une dimension territoriale. Il reste encore beaucoup d’efforts à accomplir en ce sens. Car beaucoup sur nos territoires ignorent tout du travail important mené au sein du CNI. Comment envisagez-vous cette nécessaire coordination ainsi que sa déclinaison territoriale pour que tout le travail effectué dans le cadre des comités stratégiques de filière puisse mieux irriguer nos territoires ?
Par ailleurs, il y a en France deux grands constructeurs auxquels on peut ajouter Toyota qui construit beaucoup en France. Par ailleurs, au cours de ces dernières années, les constructeurs intermédiaires de véhicules de niche ou innovants ont eu beaucoup de difficultés à mettre sur pied un modèle économique pérenne. Y a-t-il des actions à mener en ce domaine pour aider les constructeurs à surmonter ces difficultés ? Ces derniers doivent-ils établir des relations plus étroites avec les grands constructeurs ? Je rappelle que les véhicules qui équipent Paris aujourd’hui ont été construits en Italie parce que nos industries n’avaient pas la capacité de le faire en France. Des réflexions ont-elles été menées pour nous permettre d’adopter une stratégie nationale pour ces ETI ?
Notre mission concerne l’automobile mais aussi la mobilité. Quel regard portez-vous sur le secteur des camions, des bus, des autocars et aussi des matériels agricoles ou encore de travaux publics ? Nous avons eu une grande histoire en ce domaine. Or, il n’y a plus beaucoup de constructeurs aujourd’hui en France. Avons-nous une chance de conserver encore un savoir-faire sur ces segments ? Existe-t-il des perspectives de développement, notamment en termes de mobilité durable ? Car là encore, nous allons être obligés d’innover puisque ces véhicules émettent des gaz à effet de serre.
Enfin, s’agissant des informations relatives au « problème Volkswagen », quelles sont vos relations avec les services d’intelligence économique ? De quelle manière travaillez-vous ensemble dans ces secteurs ?
M. Gérard Menuel. Vous avez parlé des cahiers des charges qui vous lient aux constructeurs automobiles ainsi que des objectifs de consommation et des rejets assignés au véhicule du futur. Avez-vous fixé des objectifs précis en termes de calendrier ? Car j’ai l’impression que cela fait longtemps que l’on parle de véhicules consommant un ou deux litres aux cent kilomètres.
D’autre part, j’ai également l’impression qu’au niveau national, les deux grands constructeurs français prennent du retard concernant les matériaux composites servant à la fabrication des automobiles. Dans le secteur des matériaux pouvant alléger le poids des voitures, et donc en faire baisser la consommation, les constructeurs allemands recourent à des produits français comme le chanvre. La réaction ne me semble pas du tout la même chez les constructeurs français.
Mme la présidente. Je compléterai ce qui a déjà été dit au sujet de l’efficacité de la politique publique d’accompagnement au développement économique et, en l’espèce, au développement industriel et au secteur automobile qui nous occupent aujourd’hui. Les pôles de compétitivité ont plus de dix ans. Nous attendons en France une grande rupture technologique dans le secteur automobile. Car nous sommes allés loin dans la recherche sur les bases de motorisation que nous connaissons. La motorisation a évolué et est beaucoup plus efficace mais nous en attendons davantage, raison pour laquelle avait été conçue la politique des pôles de compétitivité dédiés aux véhicules du futur et aux solutions de mobilité. Je sais que ces pôles sont évalués et en cours de réorganisation – mais on peut aller plus loin dans ces démarches. Quelle part de l’argent public est-elle aujourd’hui encore destinée au fonctionnement des pôles ? Quelle est celle qui est destinée au financement des projets et donc aux entreprises ? Quel est l’effet de levier de ces pôles ? Pour un euro public investi – à l’heure où l’argent public est rare et donc cher – combien investissent les grands constructeurs privés ? Ainsi que l’a souligné Monsieur Duron, cela fait des années que nous cherchons à mieux articuler les politiques nationales, régionales et locales. Nous additionnons quantité de portes d’entrée : il conviendrait d’arriver à arrêter les subventions et à n’accorder d’avances remboursables qu’aux seuls vrais projets tout en essayant de regrouper les ressources humaines affectées au développement économique et aux pôles. Car nous n’avons plus d’argent à consacrer à d’innombrables animateurs de territoire qui se retrouvent tous sur le même champ, dans les mêmes entreprises à animer le même territoire. Votre direction a une vocation stratégique mais pas toujours d’examinateur sur le moment : comment anticiper ? Le professeur Élie Cohen nous indiquait la semaine dernière que malgré tout ce que l’on savait aujourd’hui, l’effort de recherche et développement de Volkswagen s’était accru de 220 % quand, dans le même temps, elle avait augmenté de 8 % chez nous ! Cela fait onze ans que des pôles de compétitivité piétinent. Nous nous languissons qu’ils deviennent efficaces. Où en sommes-nous vraiment et comment comptez-vous mettre un terme à des budgets de fonctionnement qui n’ont plus lieu d’être aujourd’hui ?
M. Christophe Lerouge. Les pôles de compétitivité Mov’eo, ID4car et « Véhicule du futur » sont membres du CSF. Se posent effectivement des questions de gouvernance et d’articulation entre les différents niveaux. Je n’ai pas cité jusqu’ici les associations régionales de l’industrie automobile (ARIA) qui sont présentes sur les territoires. Notre ministre souhaite simplifier l’organisation existante : il l’a fait pour les plans et souhaite le faire pour les pôles et la gouvernance de la filière automobile. Le dernier CSF ayant eu lieu au mois de septembre a spécifiquement traité de ce sujet. L’un des objectifs avancés par le ministre lors de ce CSF consiste à réorganiser et à recentrer les pôles et les ARIA, voire à les fusionner.
Il existe effectivement soixante-douze pôles. Il est vrai que certains d’entre eux ne sont guère efficaces et que nous voudrions qu’ils soient réorganisés. Mais cela relève aussi de votre responsabilité politique. Car lorsque l’État souhaite supprimer un pôle de compétitivité, vous pouvez être sûr que dans les semaines qui suivent, un élu de la République vient nous dire qu’il est bien de réorganiser les choses mais qu’il ne faut surtout pas toucher au pôle implanté sur son territoire ! Je vous renvoie donc la balle, madame la présidente. Le ministre nous a demandé comment faire évoluer l’organisation de la filière automobile.
Vous avez raison de souligner que nous allons célébrer les dix ans de ces pôles : certains sont des succès. Nous voyons forcément les projets émanant des pôles puisque c’est nous qui en instruisons les dossiers. Et il est vrai qu’il est des pôles que nous ne voyons quasiment jamais. Nous évaluons régulièrement leur intérêt. L’effet de levier dépend des taux d’aides et de subvention, de la zone dans laquelle se trouvent les pôles de compétitivité et de la taille des entreprises concernées – PME, ETI ou grands groupes.
M. Alban Galland. Le taux d’aide est de 25 % pour un grand groupe et de 45 % pour une PME.
M. Christophe Lerouge. L’effet de levier des pôles de compétitivité est donc double ou triple. Quant au FUI, il est de l’ordre de cent millions d’euros par an sur le budget de l’État, complétés par les budgets des collectivités territoriales. Il y a donc certes un effet de levier mais le système doit être revu.
Concernant la fixation des normes, les constructeurs français, notamment Renault et PSA, ont un discours allant plutôt dans le bon sens, c’es-à-dire dans celui d’un durcissement – notamment des normes de cycle sur bancs ou sur route. Mais ils souhaitent que nous leur laissions le temps de les appliquer. Par ailleurs, nos outils de comparaison des véhicules français et allemands montrent que les premiers sont plutôt bien placés dans les études comparatives.
Je prends acte de l’article d’Auto Moto. Il est vrai qu’il y a des capteurs partout, mais comme dans toutes les machines. Si vous réfléchissez avec un œil d’ingénieur, vous trouverez logique d’utiliser ces capteurs pour faire de l’optimisation. Vous ne vous direz pas pour autant que les tests vont être truqués et qu’une pratique délibérée permettra de contourner les normes en vigueur. Je vous confirme donc que l’affaire Volkswagen fut une surprise et que nous n’étions pas au courant. Il n’est pas surprenant que les véhicules soient optimisés lors des tests. Mais quant à créer un logiciel permettant de détourner délibérément les tests d’homologation, c’est quelque chose que nous ignorions.
S’agissant de savoir si l’État promeut la transition énergétique en tant qu’actionnaire, je ne sais pas quel discours a été tenu par mon chef dans le cadre des conseils d’administration de Renault. Je tiens à préciser que si c’est effectivement mon chef, le directeur général, qui participe à ces conseils d’administration, moi qui suis son premier collaborateur sur les questions industrielles, n’ai pas forcément accès à toutes ces informations – et je n’ai pas à y avoir accès car il s’agit d’informations privilégiées.
La prospective relative aux évolutions des modes de transport et de la mobilité est effectivement abordée dans le cadre du CSF. Un des axes que j’ai cités a trait aux stratégies d’avenir. Certains acteurs que je n’ai pas mentionnés jusqu’ici – des centres de recherche comme l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFFSTAR), l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN) et l’ADEME – financent ce type de réflexions. Le ministère de l’industrie pèse aussi sur ces acteurs : je suis notamment membre du conseil d’administration de l’ADEME et le sous-directeur chargé du secteur des transports est membre du conseil d’administration de l’IFPEN. Nous avons donc aussi la possibilité de tenir certains discours par le biais de ces instances de gouvernance.
L’articulation entre les CSF et le CNI et la coordination avec les régions sont un des grands axes de travail sur lesquels nous voulons mettre l’accent cette année et dans l’année qui vient. Il s’agit de la déclinaison de la politique de filière dans les régions. Pour ce faire, nous utilisons d’abord les réseaux de l’État, c’est-à-dire les DIRECCTE, pour essayer de travailler avec les entreprises. Ayant été en poste en DIRECCTE avant de passer à la DGE, j’ai une vision claire de ce que peuvent faire et de ce que demandent ces directions régionales. Il y a effectivement une multiplicité d’acteurs, que ce soient les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les agences de développement, les conseils régionaux ou les métropoles, qui souhaitent se préoccuper de ces sujets – ce qui ne facilite pas la vie des entreprises. Il nous faut donc trouver entre eux une articulation.
Je vous indiquais tout à l’heure qu’au niveau national, les comités stratégiques de filière permettent un trilogue entre les organisations patronales, les organisations syndicales représentatives des salariés et l’État. Au niveau régional, on parlera de « quadrilogue » puisque nous allons rendre les comités stratégiques de filière régionaux accessibles aux conseils régionaux – les questions de financement des entreprises étant plutôt du ressort de ces derniers et le rôle des DIRECCTE étant d’établir un lien entre les niveaux national et régional.
Cela fait vingt ans que nous disons qu’il faut davantage intervenir en fonds propres. Mais cela est difficile à faire. D’ailleurs, les entreprises ne le souhaitent pas forcément. Nous essayons de renforcer le haut de bilan des entreprises et de les regrouper. Se posent des questions de développement économique liées à la taille critique, à la montée en gamme et à la possibilité pour les entreprises d’aller sur les marchés internationaux – questions auxquelles travaille un service de la DGE dédié à la compétitivité de l’industrie. Ce sont là des points qu’il nous faut effectivement traiter, dans le cadre de l’organisation territoriale de ce service, avec les conseils régionaux et sous l’égide des préfets.
De nombreux projets de véhicules de « niche » ont été lancés en France. Il faut savoir que nous les avons beaucoup aidés. En règle générale, lorsque des entreprises souhaitent s’installer et se développer, nous les considérons avec bienveillance pour peu que leur projet soit crédible. On touche là à des questions d’attractivité du territoire dès lors qu’il s’agit d’accueillir des investissements étrangers. Il se trouve que ces projets ont échoué car leur modèle économique n’est pas encore au point. Nous nous trouvons en effet dans une industrie très capitalistique et dont les acteurs sont très figés. Les constructeurs à travers le monde ont plutôt tendance à se regrouper. S’il importe de prendre des risques, les projets de niche sont extrêmement risqués.
S’agissant de la mobilité au sens large, incluant les bus, les camions et les autocars, je ne peux pas ne pas citer ici la loi Macron : compte tenu de la libéralisation des transports et de l’installation de nouvelles lignes d’autocars prévues par cette loi, le ministre, s’il ne peut forcer à l’achat de matériel français étant donné les contraintes européennes, a adressé aux constructeurs d’autocars et d’autobus un message très net en faveur de la production de véhicules propres en France. À tel point que nous réunirons demain les opérateurs de transports routiers et les constructeurs d’autobus et d’autocars afin de déterminer en quoi le développement de l’activité de services de transports pourra aussi favoriser le développement de l’activité de production.
Travailler avec les services d’intelligence économique n’est pas simple car nous n’en avons pas l’habitude. Nous sommes alertés dès lors que ces services sont au courant que certaines entreprises étrangères observent de près des entreprises françaises. Un décret relatif aux investissements étrangers en France a été publié il y a quelques mois dans le cadre de la fusion entre General Electric et Alstom. Depuis lors, nous recevons beaucoup d’informations de la part des services d’intelligence et traitons un nombre conséquent de dossiers touchant aux questions d’investissements étrangers en France et de rachat de savoir-faire et d’entreprises françaises. Une commission de l’Inspection générale des finances et du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies s’est réunie en 2014 et a formulé des propositions sur les questions d’intelligence économique. Et nous nous sommes organisés au niveau interne afin d’adopter une vision plus anticipatrice et pour prendre davantage en compte ces questions d’intelligence économique et de protection de nos savoir-faire et de nos données.
Le calendrier d’application des normes change régulièrement. La norme Euro 6 est en application depuis septembre 2015 et nous travaillons avec les services de la Commission européenne à l’instauration des nouvelles normes de cycles – Worldwide harmonized light vehicles test procedures (WLTP), prévue en 2017, et RDE. S’agissant en revanche des projets de recherche-développement, tels que le programme du véhicule « deux litres aux cent kilomètres », nous nous sommes certes fixé une échéance ambitieuse de cinq ans, à l’horizon de 2020 mais il est difficile de faire des prévisions en la matière. C’est l’objectif que nous affichons mais nous savons qu’il sera extrêmement difficile à tenir. Ce sont les normes d’émissions de CO2 qui comptent puisqu’une échéance de 95 grammes par kilomètre a été fixée à 2020 : il convient dès lors que les constructeurs automobiles réalisent les investissements et les innovations technologiques permettant d’atteindre cet objectif.
La production de matériaux composites, comme tout ce qui contribue à l’allègement des structures, a effectivement de l’importance. Mais pour l’instant, le modèle économique ne tient pas car les matériaux restent trop chers pour les véhicules. C’est là une différence entre les filières automobile et aéronautique. La question de l’allègement des structures se pose en effet aussi pour les aéronefs. Mais les coûts de matériaux permis pour la construction d’un avion le sont moins pour celle d’une automobile. Il reste donc encore des efforts à accomplir en la matière.
Vous avez raison concernant l’anticipation de l’innovation : la DGE se considère comme une direction générale stratégique souhaitant se projeter et se livre régulièrement à des analyses stratégiques au-delà de celles que nous fournissent les constructeurs automobiles. Cela est difficile mais nous travaillons avec les organismes de recherche précités et certains dispositifs nous permettent de financer des études alimentant nos réflexions. C’est là un véritable défi pour notre administration. Mais c’est selon nous le rôle de l’État que d’être en mesure de savoir quels sont les grands axes et grandes orientations des différentes filières industrielles.
M. Denis Baupin. J’ai bien entendu que vous n’étiez pas au courant de ce que votre chef avait pu dire au conseil d’administration de Renault. Mais s’il avait prévu d’en faire un sujet majeur, on peut supposer qu’il vous aurait demandé votre avis et de lui faire des propositions. On peut donc émettre l’hypothèse que pour l’instant, la possibilité pour l’État de se servir de son statut d’actionnaire dans les entreprises publiques comme levier pour promouvoir la transition énergétique n’est pas prioritaire. Je m’exprime de façon provocatrice mais cela me préoccupe. Car vous nous dites que si l’on se fixe des objectifs concernant le véhicule consommant « deux litres aux cent kilomètres », vous savez qu’ils ne seront pas tenus. Mais ce n’est pas pour se faire plaisir que l’on s’est fixé cet objectif : c’est parce que le dérèglement climatique n’attendra pas que l’on sache si les constructeurs automobiles, sans jamais rien changer à leur modèle puisqu’ils ne le veulent pas, vont réussir malgré tout à tenir cet objectif. Lorsque nous avons auditionné le professeur Élie Cohen la semaine dernière, il nous a indiqué que nous ne parviendrions pas à respecter à la fois les normes d’émissions de CO2 et de polluants atmosphériques sans rien changer à l’automobile car nous aboutissons aux limites de l’exercice. Cela est particulièrement vrai pour le diesel. L’État étant actionnaire des deux groupes constructeurs, il engage sa responsabilité vis-à-vis des consommateurs dès lors que les ambitions en matière de dérèglement climatique ne sont pas respectées. Il y a une dizaine de jours, Auto Plus a publié une enquête portant sur mille véhicules, démontrant que la consommation réelle des véhicules est 40 % plus élevée que celle annoncée au moment de leur vente, et 60 % plus élevée pour les véhicules Euro 6 de PSA et de Renault. Par conséquent, quand le consommateur achète français parce qu’on lui a dit qu’il est bénéfique d’acheter du made in France qui représente de l’emploi local – et je n’ai évidemment rien contre –, il se trouve client de constructeurs français, dont l’État est actionnaire et qui mentent en vendant leurs véhicules. À la fin de l’année, le consommateur aura dépensé des centaines d’euros de plus que ce qu’il imaginait pour faire les déplacements qu’il avait prévu de faire : telle est la réalité de ce mensonge.
En outre, vous nous avez confirmé lors de la table ronde que nous avons organisée à l’OPECST que la France avait bien soutenu la position issue du comité de fixation des normes d’homologation à l’échelon européen qui autorise l’application d’un facteur de dérogation de 2,1 aux nouvelles normes de pollution, notamment en matière d’oxyde d’azote. Cette fois, il ne s’agit pas de l’État en tant qu’actionnaire mais en tant que régulateur. On peut entendre que les constructeurs automobiles ne souhaitent pas que l’on impose de normes trop rapidement car il faut leur laisser le temps de s’adapter. Mais alors que la Commission européenne avait formulé des propositions plus ambitieuses – et l’on ne peut pas considérer qu’elle soit un organisme anti-automobiles –, les États ont finalement proposé un report dans le temps du niveau d’ambition face à des enjeux de santé publique actuels. Il est vrai que cela relève davantage de la responsabilité du politique mais nous vous interrogeons afin que vous puissiez nous expliquer pourquoi les choses fonctionnent ainsi. Dans quelle mesure les ambitions en matière de dérèglement climatique, de consommation d’énergie, de qualité de l’air et de pouvoir d’achat des Français sont-elles prises en compte dans les lignes politiques de votre direction ?
Mme la rapporteure. Vous nous avez indiqué que vous étiez en train de travailler avec la Commission européenne sur la norme WLTD : avez-vous des échanges directs avec elle ou bien seulement par l’entremise de la DGEC ? Avez-vous été associés aux travaux du comité d’experts qui a pris récemment plusieurs décisions ?
Concernant ce que j’appelle la face cachée du débat sur le diesel, c’est-à-dire les implications en termes d’emplois et en termes industriels des décisions relatives à la fiscalité des carburants, vous avez cité le chiffre de 10 000 emplois directs dans le secteur automobile diesel. Il nous serait utile que ces éléments soient développés – pas forcément aujourd’hui – et que nous soient fournies des informations relatives aux emplois indirects, à la part que représente le diesel dans la valeur ajoutée du secteur automobile en France et à la différence de marges réalisées par les constructeurs sur un véhicule diesel et sur un véhicule essence. Tous ces éléments sont utiles à nos travaux.
Le Premier ministre a affirmé que la diésélisation massive du parc automobile était une erreur et le Gouvernement a engagé un rapprochement des fiscalités. Des études de scénario ont-elles été établies par votre direction quant aux implications industrielles de cette évolution et aux besoins d’accompagnement éventuels ? Nous nous sommes rendus à l’usine de Trémery près de Metz où nous a paru évident le problème de la modularisation des chaînes de production. Au-delà des questions de normes et de tests, si l’on va vers un avenir où l’outil industriel doit être beaucoup plus souple et beaucoup plus adaptable, quels doivent être les dispositifs d’accompagnement de l’État en ce sens ?
M. Christophe Lerouge. S’agissant du rôle de l’État dans les conseils d’administration, je vous confirme que je ne sais pas ce qui s’y est dit. Il n’empêche qu’il est quand même question dans les conseils d’administration de Renault des nouveaux modèles et des nouvelles motorisations. Le constructeur a notamment mené des travaux sur le modèle électrique Zoé. J’ignore si les termes de « transition énergétique » ont été prononcés en tant que tels mais il reste qu’une réflexion est menée et que les représentants de l’État défendent sa position sur ces sujets. De même, dans toutes les discussions que nous avons en ce moment avec les grands acteurs de l’industrie au sens large, nous traitons de la Conférence de Paris sur les changements climatiques (COP21), du coût de l’énergie, de la transition énergétique et des quotas de carbone. J’ignore si ces sujets sont soulevés en conseil d’administration mais nous les abordons en tant qu’administration avec nos interlocuteurs entreprises. Il a été question ces derniers temps dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances du coût de transport de l’électricité et des différents dispositifs d’abattement pour l’interruptibilité et des dispositifs applicables aux électro-intensifs : or nous en discutons régulièrement avec tous les grands acteurs industriels – même s’il ne s’agit pas forcément de ceux du secteur automobile, mais aussi de ceux des secteurs de la chimie et de la sidérurgie. Notre mission consiste aussi à être en contact avec les entreprises : celles-ci nous fournissent des informations que nous essayons d’examiner pour ensuite tenter de prendre en compte les intérêts de leur activité et de l’emploi.
S’agissant du rôle de l’État vis-à-vis des institutions européennes, la DGE ne participe pas au comité précité : ce sont les services du MEDDE qui représentent l’État dans ce dispositif. Et je vous confirme ce qui a été dit – à savoir qu’à partir du moment où il y a eu un vote, la France a voté sur une position. Mais que les réunions aient lieu à Bruxelles ou qu’elles soient interministérielles, je n’y prends aucune décision en tant qu’individu mais en tant que chef d’un service dépendant d’un ministre. Et des positions de cette nature sont évidemment soutenues par le cabinet du ministre, son directeur de cabinet ou le ministre lui-même. Nous prenons donc en compte les grands objectifs politiques français en matière de réduction des pollutions, de diminution des émissions de CO2 et de gaz à effet de serre.
Nous nous sommes livrés à des exercices complexes au doigt mouillé, à partir d’éléments obtenus auprès des constructeurs, pour essayer de déterminer l’impact du rapprochement de la fiscalité du gazole et de l’essence. Mais vous savez bien, madame la ministre, comment cela se passe : le Premier ministre prend un arbitrage au cours d’une réunion interministérielle où les différents services arrivent chacun avec leur propre évaluation. En l’occurrence, sur les questions de fiscalité du diesel, le cabinet de M. Macron avait demandé à la DGE et à la Direction générale du trésor de réaliser des simulations de l’impact de la mesure. Nous avons donc essayé de le faire tant bien que mal et à partir de là, d’établir une position que nous avons défendue en réunion interministérielle. Je vous confirme donc que nous avons travaillé sur ces sujets.
La modularisation des chaînes de production est également une question à laquelle nous réfléchissons beaucoup. Qui plus est, la filière automobile travaille depuis toujours sur les questions d’amélioration de la production, d’économies d’échelle et de productivité. Les entreprises de l’automobile ont mis en place depuis des années des processus de qualité et travaillent désormais sur le lean. On rejoint là une révolution chère au ministre, Monsieur Emmanuel Macron : la transformation numérique de l’industrie. La dixième des solutions de la nouvelle France industrielle s’intitule « industrie du futur » et traite précisément de l’évolution des méthodes de production vers des séries plus petites et plus adaptées, avec des temps de réactivité plus courts de la part des entreprises. C’est là un des objectifs auxquels s’intéresse le CSF car c’est l’un des axes de travail du contrat stratégique de filière que j’ai cité au début.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Je vous remercie pour vos réponses.
La séance est levée à dix-huit heures.
◊
◊ ◊
7. Audition, ouverte à la presse, de M. Louis Schweitzer, Commissaire général à l’investissement.
(Séance du mardi 24 novembre 2015)
La séance est ouverte à dix-sept heures.
La mission d’information a entendu M. Louis Schweitzer, Commissaire général à l’investissement.
Mme Sophie Rohfritsch. Nous sommes heureux de vous recevoir ce soir, monsieur Schweitzer, en votre qualité de commissaire général à l'investissement, fonction que vous occupez depuis avril 2014. Vous êtes également président d'honneur du groupe Renault Nissan, que vous avez intégré en 1986 et dont vous avez assuré la présidence de 1992 à 2005. Les membres de la mission comprendront toutefois aisément qu'il ne vous sera pas possible de porter une appréciation publique sur la stratégie et la situation actuelles du groupe. Tel n'est d'ailleurs pas l'objet principal de cette audition.
L'automobile joue un grand rôle au sein du Commissariat général à l'investissement (CGI) dans sa mission de mise en œuvre du programme des investissements d'avenir, le PIA. À la tête du CGI vous avez d'ailleurs succédé à M. Louis Gallois, lequel a quitté cette responsabilité pour présider le conseil de surveillance de PSA Peugeot Citroën !
Depuis le début de ses auditions, la mission a perçu un certain enchevêtrement dans les instances ou les structures mises en place par les pouvoirs publics, à partir de 2009-2010, pour soutenir l'emploi, la recherche & développement et l'innovation dans ce secteur essentiel.
Votre audition devrait nous permettre de discerner plus clairement qui est en charge de quoi, quels sont les effets de leviers attendus et constatés, sans omettre le rôle spécifique ou complémentaire au vôtre que joue Bpifrance, la banque publique d'investissement.
Certaines questions se posent.
Au mois de juin dernier, vous avez appelé à une meilleure mobilisation des acteurs de l'automobile en affirmant qu'à défaut, un redéploiement des crédits du PIA leur étant destinés pourrait légitimement intervenir. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Autre question : un bilan des activités d'un pôle de compétitivité aussi connu que Mov'eo a-t-il été établi ?
Des concepts comme celui de véhicule du futur ou encore de véhicule consommant deux litres aux 100 kilomètres s'inscrivent au cœur du PIA, de même que l'usine du futur, le numérique et la voiture autonome. En un mot, le rééquilibrage désormais engagé entre les motorisations essence et diesel n'a-t-il pas un impact direct sur les actions en cours ?
Par ailleurs, le PIA dispose-t-il de suffisamment de souplesse pour réorienter dans les meilleurs délais les champs de certaines recherches actuelles ?
Monsieur le commissaire général, la mission d'information va d'abord vous écouter pour un exposé de présentation. Puis, Mme Delphine Batho, notre rapporteure, vous posera un premier groupe de questions. Elle sera suivie par les membres de la mission qui, à leur tour, vous interrogeront.
M. Louis Schweitzer, commissaire général à l’investissement. Mesdames et messieurs les députés, je commencerai mon exposé liminaire en soulignant trois caractéristiques de l’industrie automobile française, qui expliquent peut-être le désordre apparent que vous avez noté.
Premièrement, l’industrie automobile intègre les progrès issus de beaucoup d’autres industries. Les voitures actuelles ne sont pas différentes dans leur base de la première voiture mise au point par Benz en 1886, il y a cent vingt-neuf ans : quatre roues, un châssis, un moteur, des sièges, un mécanisme de direction, un mécanisme de freinage. En revanche, je ne connais pas un progrès dans le domaine des process industriels ou des technologies qui ne se soit pas appliqué à l’automobile. L’automobile met en œuvre un process de fabrication, issu du fordisme, qui est à la pointe des systèmes d’automatisation, d’intégration et de réduction des coûts. De ce fait, s’il y a quelques activités spécifiques à l’industrie automobile au sein du PIA, elle est d’abord prise en compte en tant que bénéficiaire directe ou indirecte de technologies d’autres industries.
Deuxièmement, le facteur essentiel dans l’industrie automobile est la réduction des coûts, alors que dans d’autres secteurs technologiques – l’aviation ou l’industrie militaire, par exemple –, cette contrainte est beaucoup moins pesante. Si toutes les nouvelles technologies sont intégrées par l’industrie automobile, elles ne le sont bien souvent qu’après que d’autres secteurs ont géré les coûts liés à leur développement. Les matériaux composites comme la fibre de carbone commencent à y être employés mais en décalage par rapport à l’aéronautique car ils sont beaucoup plus chers que les matériaux qu’elle emploie traditionnellement. Il en va de même pour l’aluminium : il constitue un facteur de progrès puisqu’il contribue à alléger le poids des véhicules, mais comme il reste plus cher que l’acier, il est utilisé avec un décalage temporel. Comme les actions du CGI concernent le développement de nouvelles techniques ou de nouveaux matériaux, elles interviennent en amont, avant que l’industrie de l’automobile ne commence à les intégrer quand leur coût est devenu acceptable.
Troisièmement, en France, la coopération dans l’industrie automobile n’est pas facile à établir et à développer. Il existe deux grands constructeurs. Quand j’étais responsable de l’un d’eux, j’avais coutume de dire que l’autre était le plus proche de nos concurrents, autrement dit le concurrent que l’on avait envie de battre en premier. Dès lors qu’on approche d’une technique commerciale, chacun garde sa copie. Dans l’aéronautique, il existe dans notre pays un constructeur d’avions civils, un constructeur d’hélicoptères et les coopérations avec l’État sont plus faciles. En outre, derrière ces deux constructeurs automobiles, il y a les grands équipementiers, qui ont remarquablement réussi – beaucoup mieux qu’on ne l’imaginait, il y a quelques années : Valeo, Faurecia, Plastic Omnium, Michelin – mais il n’y a pas, comme en Allemagne, de coopération structurée tout au long de la filière. Je pense que c’est l’une des faiblesses de l’industrie automobile française. Les constructeurs français mettent beaucoup plus en concurrence leurs fournisseurs que ne le faisaient traditionnellement les constructeurs allemands – qui sont en train de changer d’orientation. La coopération entre les très grandes entreprises, les grandes entreprises, les entreprises moyennes et les petites entreprises de la filière est donc beaucoup plus faible.
Ces trois caractéristiques expliquent que l’intervention du programme des investissements d’avenir dans le domaine de l’industrie automobile est moins importante qu’on pourrait le croire ou qu’on aimerait à l’imaginer, eu égard au poids de celle-ci dans l’économie de notre pays.
Ce cadre général posé, j’en viens aux chiffres. Le premier programme des investissements d’avenir a été doté de 35 milliards d’euros, le deuxième programme, de 12 milliards d’euros et le Président de la République a annoncé que le Gouvernement présenterait au Parlement un troisième programme des investissements d’avenir doté de 10 milliards en 2016. Sur les deux premiers programmes, totalisant 47 milliards de crédits, 36 milliards ont été engagés, c’est-à-dire ont donné lieu à une décision d’affectation de principe du Premier ministre ; 31 milliards ont été contractualisés, c’est-à-dire ont donné lieu à un accord avec le bénéficiaire de l’aide sur un projet donné ; et 12,6 milliards ont été effectivement décaissés, le rythme de décaissement étant, à vrai dire, plus lent qu’on ne l’avait imaginé à l’origine.
Je ne suis pas capable de vous préciser quelles sommes sur ces montants sont destinées à l’industrie automobile, notamment en raison de la première caractéristique que j’ai rappelée, à savoir que cette industrie intégrant de nombreuses technologies d’autres industries, elle bénéficie en aval du fruit de recherches menées dans d’autres domaines.
Dans le cadre de ces programmes, nous avons créé des institutions qui ont pour objet de faire coopérer recherche publique et recherche privée : les instituts pour la transition énergétique (ITE), les instituts de recherche technologique (IRT). Certains concernent directement ou indirectement l’industrie automobile.
L’ITE qui la concerne le plus directement est VeDeCOM, Institut du véhicule décarboné et communicant et de sa mobilité, qui a pour objet de développer les innovations dans le domaine des véhicules électrifiés, des véhicules autonomes et connectés et des infrastructures de service et de mobilité qui y sont liés. Sont membres fondateurs de cet institut, qui associe partenaires privés et publics, les deux constructeurs français et de grands équipementiers. Le PIA lui a attribué une dotation de 119 millions d’euros et le secteur privé a apporté la même somme.
Autre institut lié à l’industrie automobile, l’IRT Jules Verne. Situé à Nantes, il se consacre aux technologies avancées de production de composites métalliques et de structures hybrides et se situe donc dans une logique de progrès des technologies de fabrication des véhicules et de matériaux. Grands constructeurs et équipementiers participent à son financement et nous lui avons apporté un équivalent-subvention de 115 millions d’euros.
Citons encore l’IRT SystemX, en région parisienne, qui travaille sur l’ingénierie numérique des systèmes, les infrastructures numériques, les territoires intelligents et le transport autonome. PSA, Renault et Valeo en sont partenaires et le PIA lui a apporté 130 millions d’euros. L’industrie automobile ne représente qu’une petite part de ses activités.
J’en viens, enfin, à l’IRT M2P, en Lorraine, dont les recherches concernent les matériaux. Nous lui avons apporté une aide totale qui représente l’équivalent de 50 millions d’euros. Là encore, je ne saurais dire la part propre à l’automobile.
Il existe un second domaine où le PIA intervient pour l’industrie automobile : l’accompagnement de projets de recherche et de développement collaboratif qui lui permettent de progresser. Sur une enveloppe de 1,1 milliard d’euros consacrée à la thématique générale du transport, il existe une sous-enveloppe de 750 millions gérée par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) consacrée aux véhicules du futur. Sur ce total, nous n’avons dépensé que 350 millions en net, en raison non d’une volonté de ne pas dépenser d’argent, mais d’un nombre insuffisant de projets de qualité. L’exigence à laquelle s’astreint le PIA ne lui fait retenir, vous le savez, que les projets réunissant les trois critères que sont l’excellence, l’innovation et la coopération, les décisions étant prises à la suite d’avis d’experts indépendants et d’une instruction ministérielle. À ces 350 millions, il faut ajouter 100 millions correspondant à des projets abandonnés en cours de route pour différentes raisons.
Nous avons retenu quarante-trois projets, dotés d’une aide du PIA se situant en moyenne aux alentours de 8 millions. Tous comportent une dimension d’efficience énergétique. Ils visent, par exemple, à améliorer les rendements des moteurs en développant des techniques plus pointues d’hybridation ou en allégeant le poids des véhicules. Ces projets sont assortis d’un cahier des charges et d’un échéancier précis, que nous suivons de près.
Toutes ces recherches s’intègrent dans l’objectif global de la mise au point d’un véhicule consommant deux litres aux 100 kilomètres à un prix abordable. La précision est importante car tout l’enjeu pour les constructeurs est de pouvoir produire des véhicules achetables, alliant prestations satisfaisantes et prix accessibles. Tous sont en mesure de mettre au point des véhicules consommant un litre par 100 kilomètres – il y a même des compétitions de sobriété énergétique en Chine où l’on descend à 0,20 litre aux 100. Il s’agit toutefois avant tout de démonstrateurs technologiques qui ont pour vocation de rassembler une série de techniques et non d’être disponibles chez les concessionnaires car leurs prix seraient hors de portée des consommateurs.
Par ailleurs, le PIA touche l’industrie automobile à travers les aides aux PME distribuées par Bpifrance et les aides relatives à la formation professionnelle.
Enfin, nous avons une coopération avec les pôles de compétitivité, dont certains concernent l’industrie automobile, mais qui ne donne pas lieu à une aide spécifique s’ajoutant à d’autres aides.
Vous avez fait référence, madame la présidente, aux propos que j’ai tenus devant les représentants de l’industrie automobile. Ma responsabilité de commissaire général est d’assurer un bon emploi des fonds que je dois allouer et j’ai effectivement déclaré que si l’industrie automobile ne nous soumettait pas de bons projets, nous affecterions nos aides à des projets autres que les siens. Cela me paraît être une règle de bon sens.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Monsieur Schweitzer, je vais faire appel à votre très grande expérience de l’industrie automobile afin que la commission bénéficie de votre éclairage sur l’affaire Volkswagen, qui a motivé la création de cette mission d’information. Vous avez déclaré qu’elle renvoyait à une culture d’entreprise spécifique, ce qui me semble être une analyse particulièrement intéressante, de nature à nous aider dans notre compréhension. À cette même occasion, vous avez souligné les problèmes soulevés par les tests en Europe et la nécessité de revoir les procédures d’homologation et de mener une réflexion plus globale sur les normes. Pourriez-vous développer votre point de vue ?
Vous venez à l’instant d’évoquer la structuration de la filière de l’industrie automobile en France, en insistant sur le fait qu’il n’y avait pas suffisamment de coopération. Nous nous sommes intéressés aux structures qui ont été mises en place à la suite des états généraux de l’automobile en 2008-2009, notamment la Plateforme de la filière automobile. Ses responsables, que nous avons auditionnés, semblaient dire que de grands progrès avaient été accomplis en la matière. Quelles sont selon vous les améliorations à apporter pour renforcer la coopération entre les différents acteurs et les différents niveaux de la filière ? Que pensez-vous de la structuration entre la Plateforme, le Comité national de l’industrie (CNI), le Comité stratégique de la filière automobile ? N’existe-t-il pas des redondances dans les instruments de pilotage et de coordination ?
Avant de poser cinq questions précises sur le programme des investissements d’avenir, je voudrais vous dire comme les membres de la commission des affaires économiques se réjouissent des grands progrès enregistrés depuis 2014 : nous disposons d’informations régulières sur la mise en œuvre du PIA, avec un état précis des redéploiements de crédits ; nous nous félicitons de la même façon des améliorations en matière de procédures de traitement des projets et de prise de décision, désormais plus rapides, ainsi que des simplifications opérées dans les comités de pilotage et de décision.
S’agissant du PIA 3, vous avez souligné qu’il était impératif que les décisions soient prises en 2016 pour 2017 et non pas en 2017 pour 2017. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Vous avez indiqué dans votre propos liminaire que le rôle du PIA n’était pas aussi important dans le domaine de l’industrie automobile que nous pouvions l’imaginer. Comme il s’agit d’un outil stratégique en matière d’adaptations industrielles et de soutien de l’État à certaines orientations technologiques, j’aimerais que vous développiez votre point de vue.
À quoi correspondent les projets abandonnés ? S’agissait-il de projets déjà engagés ? Avez-vous procédé à des redéploiements ?
Par ailleurs, vous avez eu l’occasion de souligner que dans l’enveloppe globale, 5 milliards d’euros avaient été affectés à des domaines ne correspondant pas à l’esprit du PIA et relevant de crédits budgétaires classiques. Cela comprend-il des politiques liées à l’industrie automobile ? Je pense en particulier au programme relatif aux bornes de recharge.
Enfin, vous avez affirmé qu’il n’y avait pas un nombre suffisant de bons projets portés par l’industrie automobile. Certains acteurs, notamment la direction générale des entreprises, considèrent que le CGI ne prend pas assez de risques. Qu’en pensez-vous ?
M. Louis Schweitzer. Sur quelques points, je demanderai à Jean-Luc Moullet, directeur du programme « Compétitivité, filières industrielles et transports » au Commissariat général à l'investissement, de vous donner des réponses, qui seront plus précises que les miennes. Deuxième remarque préalable : je ne suis plus actif dans l’industrie automobile depuis 2005, ce qui fait tout de même dix ans.
Parlons d’abord de l’affaire Volkswagen, qui appelle quelques développements techniques.
Tous les cinq ans en Europe comme aux États-Unis, il y a un durcissement des normes de dépollution et, depuis une période plus récente, la Commission européenne nous demande de réduire la consommation moyenne des véhicules, qui est mesurée par le nombre de grammes de CO2 émis au kilomètre. Ces deux objectifs sont partiellement en conflit. Je veux dire par là que la dépollution d’un véhicule est plus facile et moins chère à opérer pour un véhicule à essence : une fois un pot catalytique installé, les coûts ne sont pas très élevés. En revanche, la dépollution d’un véhicule diesel est beaucoup plus coûteuse. Les constructeurs sont ainsi conduits à un arbitrage délicat dans leurs efforts entre réduction du CO2, que permettent les moteurs diesel, et réduction des polluants – oxydes d’azote, particules fines, hydrocarbures à brûler.
À mesure que les normes de dépollution deviennent plus sévères, l’écart de prix entre un véhicule diesel et un véhicule à essence augmente et engendre un surcoût pour le diesel. Ma vision, à l’époque où j’étais dans l’industrie automobile, était qu’à terme, les normes de dépollution du diesel et de l’essence devaient converger, autrement dit qu’on devait arriver à un moment où le diesel, sans doute irremplaçable pour les transports lourds, ne polluerait pas plus que l’essence, tout en continuant à consommer moins.
Il est difficile de dépolluer les véhicules diesel, qu’il s’agisse de camions ou des automobiles. Et cette contrainte a abouti à une affaire analogue à l’affaire Volkswagen, aux États-Unis en 1998, pour ce qui concerne les camions. Afin de réduire des émissions d’oxydes d’azote, plusieurs technologies peuvent être utilisées. Il y a d’abord la recirculation des gaz d’échappement, système de dépollution efficace jusqu’à un certain point. Il apparaît suffisant au regard des normes européennes actuelles mais atteignait déjà ses limites compte tenu du seuil applicable en 1996 aux États-Unis. Il y a une autre technologie : l’addition d’urée, plus chère et plus contraignante pour l’usager car elle nécessite l’installation d’un deuxième réservoir à remplir régulièrement. Les constructeurs de camions aux États-Unis s’étaient, dans les années quatre-vingt-dix, interrogés sur la meilleure technologie à employer : devait-on tirer jusqu’à son terme la technologie de la recirculation des gaz d’échappement ou bien sauter le pas et passer à l’injection d’urée ? Presque tous les constructeurs ont choisi de faire ce saut. Un seul constructeur de moteurs – il faut préciser qu’aux États-Unis, les constructeurs de moteurs se distinguent des constructeurs de véhicules – a fait le pari de continuer à utiliser la recirculation. Il a vite dû constater que ses moteurs ne permettaient pas d’être en conformité avec le nouveau seuil et a eu recours au même procédé que Volkswagen en installant un petit programme capable de réduire la puissance du moteur en situation de test de façon à répondre aux normes. La supercherie a été découverte et le constructeur a dû payer 1 milliard de dollars d’amende.
Pour les automobiles aussi, les normes applicables au diesel sont plus sévères aux États-Unis qu’en France ou en Europe. Les constructeurs automobiles se sont retrouvés confrontés aux mêmes problèmes que les constructeurs de camions quinze ans plus tôt et le même scénario s’est reproduit : deux constructeurs ont choisi la technologie de l’urée
– Mercedes et BMW –, un autre a choisi la recirculation et a triché de la même manière –Volkswagen. L’incitation à utiliser la vieille technologie était cependant encore plus forte que pour les camions car remplir un second réservoir est plus contraignant pour les automobilistes. Les professionnels routiers acceptent plus volontiers de s’arrêter tous les x kilomètres que les conducteurs particuliers, qui ont perdu l’habitude de s’astreindre à ce genre de choses. Aujourd’hui, plus personne n’accepterait de faire une vidange tous les 1 500 kilomètres.
Pourquoi ai-je dit n’avoir pas été surpris que cette tricherie ait eu lieu chez Volkswagen et pas chez un autre constructeur ? Cette entreprise, que je connaissais bien, a connu une grande réussite industrielle : il y a dix ans, elle valait moins que Renault en bourse ; aujourd’hui, elle est le premier constructeur mondial. Trois traits principaux marquaient sa culture : premièrement, elle était animée d’une telle volonté de réussite entrepreneuriale que tout obstacle était considéré comme illégitime – dès lors, tricher n’apparaissait pas comme un vrai péché ; deuxièmement, personne ne pouvait contredire les ordres donnés par le chef ; troisièmement, il était impossible d’avouer que l’on n’avait pas réussi à exécuter lesdits ordres. Dans ces conditions, vous pouvez aisément imaginer que si le chef a dit qu’il ne fallait pas contraindre le conducteur avec un réservoir supplémentaire, qui risquait de dégrader la performance et d’accroître les coûts, les salariés ont répondu qu’ils y arriveraient car c’était à la limite du possible. Je ne sais pas du tout qui a décidé de tricher, il y a une enquête en cours. Toutefois, il est clair que le mécanisme de la tricherie peut être enclenché dès lors que personne ne discute les ordres du chef et n’ose avouer qu’ils n’ont pas pu être mis en œuvre.
Venons-en aux tests et aux normes en France en Europe. Par rapport aux tests américains, ils sont doublement plus faciles : premièrement, ils sont plus éloignés des conditions réelles de circulation ; deuxièmement, les valeurs de pollution qu’ils autorisent sont plus tolérantes pour le diesel, comme je l’ai dit. Pourquoi ? Ce n’est pas parce que nous aimons davantage la pollution en Europe mais parce que la baisse de la consommation est un non-sujet aux États-Unis où le carburant est trois à quatre fois moins cher qu’en Europe. Les constructeurs européens, eux, doivent en permanence faire un arbitrage entre consommation et pollution. La Commission elle-même recherche un équilibre entre ces deux variables dans les négociations. Il me paraît évident qu’après ce qui s’est passé aux États-Unis, il faut rendre les tests plus représentatifs, ce qui revient à les rendre plus sévères même si la quantité d’oxydes d’azote prise en compte ne change pas. Cela implique qu’il faudra construire de nouveaux moteurs, ce qui prendra deux à trois ans, et éliminer ceux qui ne peuvent être améliorés.
Je pense toujours que l’objectif à long terme est la convergence des normes de pollution applicables aux moteurs diesel et aux moteurs à essence. Cela se traduira par une plus grande difficulté à réduire les émissions de CO2 et la consommation au kilomètre des voitures, à puissance constante.
Après, on peut discuter sur le point de savoir si on a besoin d’avoir des voitures de 500 chevaux pour faire du 130 kilomètres l’heure. En réalité, le fait qu’il existe en Allemagne un millier de kilomètres d’autoroutes sans limitation de vitesse définit le standard automobile pour l’Europe et même pour le monde. Lorsque j’étais patron de Renault, j’étais le seul constructeur automobile à faire du lobbying contre cette exception à la limite générale de vitesse. Et cet isolement réduisait à néant mes chances de gagner, d’autant que les constructeurs allemands étaient en étroite liaison avec leur gouvernement.
Parlons maintenant de la filière industrielle. La Plateforme de la filière automobile constitue un progrès. Elle a un objet un peu différent du Conseil national de l’industrie, structure publique tout à fait utile mais qui est davantage un lieu de concertation entre l’État et les entreprises qu’un lieu de travail entre les entreprises elles-mêmes. Cependant, elle a des limites qui tiennent à ce trait français que j’ai souligné dans mon exposé liminaire : les constructeurs dans notre pays remettent en concurrence les fournisseurs au lieu d’entretenir une relation durable avec l’un d’eux en particulier. Ils vont, par exemple, mettre en concurrence Delphi, Nippon Denso et Bosch sur un système d’injection. La coopération est moins naturelle qu’en Allemagne où historiquement, les constructeurs se fournissaient chez Bosch et Siemens, ce qui faisait que toute la filière était industriellement intégrée : le dialogue était tout naturel entre des entreprises qui travaillaient continument ensemble.
Y a-t-il des redondances dans les structures ? Je ne le pense pas. Il y a d’un côté, une organisation qui rassemble les entreprises, la Plateforme de la filière automobile ; il y a de l’autre, le CNI. Le nombre de réunions n’est pas tel que les constructeurs y gaspillent leur temps. Plus ils se voient, mieux c’est. Nous n’avons pas d’inquiétudes à avoir sur un excès de dialogue. Dans mes nouvelles fonctions, j’ai essayé de les encourager à travailler encore plus ensemble. Il y a cependant des limites à cela, pour des raisons que j’ai exposées au début de notre réunion.
Abordons les questions liées au programme des investissements d’avenir lui-même. D’abord, madame la rapporteure, merci de vos compliments sur les améliorations que vous avez constatées. Nous essayons effectivement de simplifier et d’accélérer nos procédures. D’énormes progrès ont été enregistrés, notamment avec l’ADEME. Nous avons supprimé toutes les doubles instructions, nous avons allégé certaines procédures, en réduisant par exemple le nombre de pages que doivent comporter les dossiers des petits projets. Nous ne disposerons qu’au début de l’année prochaine d’un système de suivi automatique des délais entre dépôt du dossier et contractualisation de l’aide. Mon ambition est de parvenir à un délai de trois mois pour les projets simples. Aujourd’hui, ce délai n’est que rarement atteint et il vaut plutôt pour la durée qui sépare le dépôt du projet de la décision du Premier ministre ou du commissaire général d’accorder l’aide. Toutefois, depuis trois ou quatre ans, nos sondages ont montré que les délais avaient été divisés par trois ou quatre. C’est un progrès important car de trop longs délais présentent de multiples inconvénients : ils risquent de nuire à l’innovation, les projets se périmant vite dans un monde concurrentiel ; ils ne peuvent être supportés par les PME, qui, nous le savons, ont des problèmes de trésorerie ; enfin, ils risquent de décourager certains. Nous poursuivons nos efforts, mais il reste du chemin à parcourir.
Pourquoi avons-nous insisté sur l’année 2016 pour le PIA 3 ? Les crédits relatifs aux subventions et aux avances remboursables, qui entrent dans le déficit budgétaire au sens de Maastricht, et qui sont ceux qui suscitent le plus de compétition, auront été totalement engagés à la mi-2017. Si le PIA 3 était voté en 2017, il y aurait six mois de vide car il faut au moins six mois pour répartir les crédits, contractualiser avec les organismes, définir les procédures, lancer des appels à projets. Or l’on sait que lorsque l’on interrompt un processus, il y a un coût au redémarrage et une perte d’efficacité, comme dans les systèmes industriels. Un vote en 2016 éviterait une telle coupure.
Quant au rôle limité du PIA à l’égard de l’industrie automobile, j’en ai exposé les raisons aussi bien que je le pouvais dans mon propos introductif. L’automobile est souvent en second rang pour l’absorption de l’innovation, du fait de la contrainte des coûts. La structure compétitive entre Renault et PSA ainsi qu’entre les grands équipementiers rend plus difficile le travail coopératif, qui est la base du PIA. En d’autres temps, j’avais voulu que les deux grands constructeurs français explorent ensemble la possibilité de construire des moteurs hybrides diesel, mais comme l’un des deux pensait être plus avancé que l’autre, il n’avait pas envie de coopérer. L’esprit coopératif n’est pas encore suffisamment établi parmi les industriels pour qu’ils entrent volontiers dans un système de recherche collaborative.
Enfin, sur le manque de qualité des projets et les projets abandonnés, je vais laisser le soin à M. Jean-Luc Moullet de vous en dire plus. Par définition, ne me sont soumis que les projets de qualité : je ne vois pas passer les mauvais projets. Quant aux projets abandonnés, je n’en connais pas la liste.
M. Jean-Luc Moullet, directeur du programme « Compétitivité, filières industrielles et transports » au Commissariat général à l'investissement. L’écart entre les 450 millions d’euros de crédits décidés et les 350 millions nets s’explique de manière assez simple.
Les projets retenus sont par définition techniquement difficiles : ils essaient de dépasser l’état de l’art technologique et comportent une part d’inconnu dans leur réalisation. Durant les trois à quatre années que nécessite leur réalisation, les industriels peuvent parfois se heurter à une difficulté technique qu’ils ne parviennent pas à dépasser. Ils sont alors obligés de tirer un constat d’échec par rapport aux hypothèses initialement retenues et de mettre un terme à leur projet. Ces 100 millions d’euros d’écart correspondent à ces reprises sur projets arrêtés.
Cet écart pourrait d’une certaine manière être interprété comme une mesure des risques qui sont propres à chaque projet retenu. Ce ratio d’un peu moins de 20 % est un chiffre qui s’observe, ce n’est pas un critère de management. Dans un monde sans risques, les 450 millions de crédits seraient engagés en totalité.
M. Louis Schweitzer. Nous pouvons prendre deux types de risques suivant la nature des crédits que nous engageons. Il s’agit, premièrement, des subventions et avances remboursables, qui entrent dans le périmètre maastrichtien. Ils nous permettent de prendre des risques techniques et, à cet égard, je trouve d’une certaine façon sain que des projets échouent. Il s’agit, deuxièmement, de nos investissements en fonds propres, non maastrichtiens, pour lesquels nous sommes soumis à une double contrainte : d’une part, trouver un co-investisseur privé ; d’autre part, être considéré comme un investisseur avisé du point de vue européen, c’est-à-dire un investisseur qui a des espoirs de retours à proportion du risque qu’il prend, ce qui limite la prise de risques puisque les chances de gain doivent être supérieures aux risques de pertes.
Vous avez encore évoqué les investissements ne correspondant pas à l’esprit du PIA. Reconnaissons que la limite entre ce qui relève de l’esprit du PIA et ce qui n’en relève pas est quelquefois un peu artificielle. Nous ne considérons pas que les bornes de recharge se situent hors de l’esprit du PIA même si elles ne sont plus vraiment innovantes et qu’elles appartiennent plutôt au champ du Plan Juncker, c’est-à-dire à un système de diffusion. Nous avons commencé à faire un effort en faveur de leur déploiement. De la même manière, nous ne considérons pas que la couverture de la France en très haut débit se situe en dehors de l’esprit du PIA même si ce grand programme gouvernemental ne correspond pas entièrement à ses critères. Nous avons financé son démarrage et continuons de le gérer, mais en dehors des enveloppes du PIA car nous avons trouvé des relais de financement.
On chiffre les redéploiements hors esprit PIA à environ 5 milliards sur le total de 47 milliards du PIA 1 et PIA 2. Que recouvrent-ils ? Je citerai deux exemples parmi d’autres. Tout d’abord, la recherche militaire du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : si elle allie innovation et excellence, elle ne repose ni sur une forte coopération ni sur le recours à des appels à projets et constitue pour nous une boîte noire absolue. Ensuite, les avances remboursables pour les Airbus 350 qui, jusqu’à l’apparition du PIA, étaient financées sur le budget de l’État. Autant de projets qui ne sont pas mauvais en eux-mêmes mais qui ont été placés, un peu par facilité, dans le champ de financement du PIA alors qu’ils relevaient auparavant du budget de l’État. Cela n’a aucun impact sur le déficit au sens de Maastricht : que le financement passe ou non par le PIA ne change rien en ce domaine. Cela a toutefois une incidence au regard de la norme de dépense publique intérieure telle qu’elle est approuvée par le Parlement, laquelle prend en compte d’autres critères que celui des 3 % maastrichtiens, car le PIA se situe hors norme de dépense.
M. Jean-Michel Villaumé. Monsieur Schweitzer, commentant l’affaire Volkswagen dans Les Échos, vous avez déclaré : « ce qui serait désastreux, c’est de conclure que le diesel doit mourir ». Certes, en termes d’émissions de CO2, il est moins polluant que l’essence. Toutefois, du point de vue de la santé, on sait qu’il est particulièrement dangereux à cause des émissions de particules fines, auxquelles l’Organisation mondiale de la santé attribue 40 000 morts par an. Est-il donc raisonnable d’affirmer que le diesel fait partie de l’avenir de la filière automobile ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous indiquer quelles évolutions technologiques vous envisagez pour la filière automobile ? Dans la perspective de la COP21, il est beaucoup question de ce qu’elle pourra apporter à la croissance à travers le développement des véhicules propres.
M. Denis Baupin. J’aimerais souligner toute l’importance de votre remarque sur les mille kilomètres d’autoroutes allemandes qui déterminent la puissance du parc automobile mondial. Je dois dire que c’est assez effrayant. Effrayant en termes de pouvoir d’achat : les ménages surpaient des véhicules dimensionnés pour atteindre des vitesses élevées sur les autoroutes allemandes. Plus effrayant encore en termes d’impact climatique : s’il y a bien un domaine dans lequel on peine à réduire les émissions de gaz à effet de serre, c’est la mobilité, notamment dans notre pays. Je suis un grand défenseur des alternatives à l’automobile mais nous savons bien que dans une grande partie des territoires, la solution ne réside pas dans le transport collectif mais bien dans le modèle automobile. La consommation des véhicules, donc la puissance des moteurs, est un facteur déterminant dans la lutte contre le dérèglement climatique, y compris si l’on ne veut pas laisser à nos enfants et nos petits-enfants une planète vidée de toutes ses ressources pétrolières.
J’aimerais vous demander, vous qui avez eu de très grandes responsabilités dans l’industrie automobile et qui êtes un observateur attentif de ce secteur, s’il n’est pas temps de sortir du paradigme de la voiture à tout faire, qui prévaut depuis des décennies. Les voitures conçues pour emmener une famille en vacances ne servent, l’essentiel du temps, qu’à une seule personne. L’entreprise que vous avez dirigée a lancé la Twizy, une innovation intéressante : ce véhicule, qui n’est pas considéré comme une voiture aujourd’hui, permet d’expérimenter un autre modèle de mobilité dans les zones urbaines.
Le fait que les constructeurs aient tellement de mal aujourd’hui à respecter les normes de pollution n’est-il pas lié à ce paradigme ? Si l’on décide que les objectifs relatifs à la qualité de l’air, à la lutte contre le dérèglement climatique, à la mobilité de nos concitoyens sont à privilégier par rapport à la vitesse sur ces mille kilomètres d’autoroutes, ne serait-il pas temps de passer à autre paradigme, qui permettrait d’ailleurs peut-être de sauver la filière automobile ?
Mme la présidente. Les PIA ont déjà six ans, avez-vous une visibilité sur ce qui pourrait être l’innovation de rupture dans le domaine de l’industrie automobile ? Quels seraient les délais d’achèvement ?
Ne pensez-vous pas qu’il serait utile, dans une optique de bonne gestion de deniers publics, que vous supervisiez certains pôles qui, outre leur rôle d’animation de réseaux, sont amenés à financer des projets en collaboration avec les régions, qui gèrent les aides du Fonds européen de développement régional (FEDER) ? Ne pourriez-vous pas veiller à établir une hiérarchie dans les intervenants, afin d’éviter les chevauchements dans les investissements et les pertes de fonctionnement en ligne ? Il me paraît important d’encourager les actions financées par des fonds propres, plus efficaces que celles financées par des subventions et de veiller à ce que l’argent aille bien au financement de projets au lieu d’être consommé par des animateurs sur le terrain qui ne sont pas forcément très efficaces.
M. Louis Schweitzer. Je commencerai par l’avenir du diesel. Comme je l’ai dit, dans un horizon non déraisonnable, il me semble souhaitable que la pollution engendrée par les véhicules diesel soit égale à celle des véhicules à essence. Dans nos villes, ce n’est toutefois plus un sujet majeur. Tokyo, grâce à des normes sévères, a ainsi réussi à réduire considérablement la pollution automobile. Les villes vraiment polluées, il faut les chercher dans d’autres types de pays.
Une autre question qui se pose est de savoir si l’avantage fiscal dont bénéficie le diesel est légitime. Aucun argument rationnel ne me paraît justifier un tel écart. Ma conviction personnelle est qu’une convergence progressive de la fiscalité du diesel et de l’essence n’est pas déraisonnable. Il faut toutefois avoir à l’esprit qu’une telle convergence conduira à réduire la valeur patrimoniale des véhicules diesel détenus par les ménages et s’attacher à une certaine progressivité. Un délai de cinq ans me paraîtrait un peu brutal à l’aune de la durée de vie de quinze ans des automobiles.
Je reste persuadé que le diesel, même soumis à des normes de pollution plus sévères, restera plus efficient en termes d’émissions de CO2 que l’essence, notamment pour les transports lourds. Je n’imagine pas qu’on construise à nouveau des camions à essence et je ne considère pas que la généralisation du gaz soit une réponse entièrement satisfaisante.
Les techniques alternatives, reconnaissons-le, n’ont pas que des avantages.
L’électricité pose encore des problèmes : en termes d’autonomie, en termes d’environnement aussi puisque le recyclage des batteries n’est pas encore une question qui va de soi. De plus, il ne sera pas facile de donner aux automobilistes l’envie de passer d’un véhicule qui peut parcourir 1 000 km sans s’arrêter à un véhicule qui devra être rechargé tous les 100 km.
Les moteurs à hydrogène ne polluent pas certes, mais l’hydrogène qui les alimente se fabrique pour le moment avec de l’électricité, ce qui suppose en amont une centrale
– centrale au charbon en Allemagne et en Pologne. Le gain environnemental pour la planète est donc très faible.
Les véhicules hybrides ne sont pas forcément adaptés aux conditions de roulage européennes alors qu’au Japon, ils se développent bien mieux car la récupération d’énergie de freinage est constante. Rouler avec un véhicule hybride sur une autoroute française, c’est, du fait de la charge supplémentaire d’une soixantaine de kilos du moteur, consommer plus qu’un véhicule à essence, qui lui-même consomme plus qu’un véhicule diesel.
Le diesel a donc un avenir mais nécessite qu’une double convergence, en termes de fiscalité et de pollution, s’opère. Il est difficile toutefois d’établir des délais car dans le domaine automobile, on a toujours une vue déformée. Le plein effet attendu d’une norme ne se fait sentir que vingt ans après qu’elle a été définie étant donné qu’il faut cinq ans pour qu’elle soit appliquée et quinze ans pour que le parc de voitures relevant de la norme précédente soit remplacé. Vous décidez donc aujourd’hui en fonction d’une perception des villes qui reflète des normes vieilles de dix ans. Cette échelle temporelle fausse beaucoup de choses.
En un mot comme en cent, je ne peux pas vous annoncer que le PIA est en train de financer la solution miracle. Je ne pense pas qu’il en existe une.
Monsieur Baupin, entendons-nous bien, j’ai dit que les mille kilomètres d’autoroutes allemandes fixaient la norme de la puissance des voitures. Cette norme ne s’applique pas à tous les véhicules : quand vous achetez une Twingo ou une Dacia, qui n’ont pas été conçues pour circuler sur ces autoroutes, vous ne surpayez pas. Toutefois, on observe que la part des voitures chères augmente : c’est le secteur le plus profitable pour les constructeurs.
Vous voulez que l’industrie automobile sorte du paradigme de la voiture à tout faire. Cela me paraît être une illusion pour 90 % des modèles. Il se trouve que dans une vie antérieure, j’ai eu à négocier avec M. Hayek, le créateur de Swatch, pour la mise au point de la Smart. Son projet partait d’un raisonnement simple : plus de 80 % des trajets en voiture s’effectuent sur de toutes petites distances avec deux personnes au maximum à bord et sans bagages. J’ai dû lui dire que même si je trouvais son idée passionnante, je ne fabriquerais sûrement pas cette voiture car j’y perdrais ma chemise. Et effectivement, Mercedes, vers qui il s’est finalement tourné, a perdu sa chemise en en construisant. Ce qui fait la force de l’automobile, c’est sa polyvalence : certes, la majeure partie du temps, vous l’utilisez seul pour de petits trajets, mais le week-end, en vacances, vous avez la possibilité de profiter de tout l’espace qu’elle contient. La Smart se vend comme deuxième voiture d’une personne seule ou comme troisième voiture d’un couple. La Twizy se rapproche de ce concept mais il faut bien dire que ses ventes restent confidentielles – ce qui était prévisible.
Il me paraît plus performant d’un point de vue environnemental de changer le mode d’utilisation de la voiture que de construire des modèles d’automobiles spécialisés : covoiturage, voiture dont on n’est pas propriétaire, voiture parisienne que vous ne possédez pas et que vous utilisez dans la ville.
Pour les projets d’avenir du PIA, madame la présidente, il est un peu tôt pour établir un bilan. Seuls 12,5 milliards ont été décaissés. Un groupe d’experts extérieurs, que nous n’avons pas choisis, présidé par M. Maystadt, ancien vice-Premier ministre belge et ancien président de la Banque européenne d’investissement, se livre à une évaluation du PIA et rendra ses conclusions avant que ne soit soumis au Parlement un éventuel PIA 3. Par ailleurs, chaque financement dédié à un laboratoire d’excellence, une université d’excellence, un IRT, un ITE est soumis au bout de quatre ans à une évaluation qui n’a rien d’une formalité, je peux vous le dire.
Nous disposons de plusieurs indicateurs qui montrent que les choses évoluent : nombre de start-up créées dans les universités que nous soutenons, nombre de brevets commercialisés dans les instituts de recherche que nous finançons, nombre de publications dans les meilleures revues à comité de lecture. Pour les 170 laboratoires d’excellence que nous finançons, nous constatons que la concentration de l’effort sur les très bons leur a permis de décoller par rapport aux autres et nous espérons qu’il y aura un effet d’entraînement.
Lors de ma rencontre, lundi dernier, avec le président de l’Association française des pôles de compétitivité, nous avons échangé sur la façon de travailler ensemble. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de mettre en place une supervision centrale. Un tri va s’opérer parmi les pôles par une sorte de sélection darwinienne, certains ayant beaucoup de vitalité, d’autres moins. Une administration d’État ne serait pas dans son rôle en désignant ceux qui ont le droit de vivre et ceux qui ne l’ont pas, étant donné que nous ne les finançons pas. Même s’il y a quelques frottements et inefficacités, nous n’avons pas l’impression qu’il y ait beaucoup de redondances : il n’y a pas de projets qui ne soient pas co-financés par les entreprises et les acteurs entrepreneuriaux n’ont pas envie de gaspiller de l’argent.
En revanche, nous réfléchissons, dans la perspective du PIA 3, au développement d’une régionalisation partielle, que nous avons commencé de mettre en œuvre dans le PIA 2. Nous avons mis au point un système de décision au niveau régional dans cinq régions : État et région apportent les mêmes montants, co-décident sur instruction de Bpifrance, et le CGI se réserve trois ou quatre jours de réflexion pour s’assurer que les projets correspondent bien aux critères du PIA – choix par des experts, excellence, coopération et innovation. Ce système fonctionne très bien, du moins dans quatre des cinq régions test puisqu’une région a refusé de s’engager dans ce processus. Nous proposons d’aller beaucoup plus loin dans le PIA 3 avec une enveloppe non plus de 50 millions sur un total de 47 milliards mais de 500 millions sur un total 10 milliards. Ce serait un changement d'échelle significatif, cohérent avec la loi NOTRe. Nous avons constaté que les décisions au niveau régional étaient prises rapidement et efficacement, au plus près du terrain, au plus près des petites entreprises, avec de très bons projets – nous n’avons eu à exercer notre censure que sur deux projets :
Mme la rapporteure. C’était implicite dans vos propos, monsieur Schweitzer, mais je préfère que les choses soient dites clairement : vous considérez bien que l’enveloppe consacrée au sein du PIA aux projets concernant directement ou indirectement l’industrie automobile est suffisante ?
M. Louis Schweitzer. Oui !
Mme la rapporteure. Est-il nécessaire qu’il y ait plus de projets ? Et si oui, comment agir en ce sens ? Vous avez évoqué les problèmes de coopération entre acteurs de la filière. L’exemple d’une technologie nécessitant pour son développement industriel la collaboration de plusieurs partenaires nous a été cité lors d’une précédente audition. Faut-il développer les partenariats entre Renault et PSA ? Est-ce encore possible ?
Vous avez évoqué les conséquences d’une convergence fiscale entre l’essence et le diesel sur le marché de l’occasion. Ne faut-il pas aussi prendre en compte les enjeux d’adaptation industrielle ? Je pense au développement de chaînes de production modulables. Considérez-vous que cette adaptation de l’outil de production industriel appelle un accompagnement public – en dehors du PIA car ce n’est pas son rôle ? Quel serait le bon levier à actionner ?
Vous avez souligné que la généralisation du gaz pour le transport lourd ne vous paraissait pas être une bonne idée. J’aimerais que vous développiez votre point de vue dans la perspective de nos futures auditions.
M. Louis Schweitzer. Comment permettre qu’il y ait plus de projets ? Il s’agit d’abord de faire en sorte que les procédures ne soient pas décourageantes. Il s’agit ensuite de mieux informer : notre notoriété est faible et nos appels à projets sont mal connus. Désormais, chaque appel à projets, document toujours un peu indigeste, est accompagné d’une page de synthèse que l’on diffuse aussi largement que possible, notamment via notre site internet. Il s’agit encore de donner aux entreprises l’envie d’investir et d’innover : beaucoup sont réticentes à la prise de risques. Il s’agit, en outre, de développer dans tous les secteurs l’excellent système mis au point dans le cadre du PIA 2 qui consiste à soutenir les entreprises dans leur croissance étape par étape : soutenir une idée par une subvention de 200 000 euros, aider à la mise au point d’un prototype en allant jusqu’à 2 millions d’euros d’avances remboursables ; puis fournir une aide en fonds propres jusqu’à 20 millions. Nous voulons éviter cette situation où les idées naissent en France et donnent lieu à des créations d’entreprises aux États-Unis ou ailleurs.
Mon expérience de l’automobile me fait dire que les chaînes flexibles ne sont pas une bonne solution au long cours pour les gros volumes, car elles induisent des surcoûts et une perte d’efficacité. Elle peut être intéressante pour les petites séries, par exemple pour la construction de V6 ou V8. Par ailleurs, la flexibilité n’est souvent que théorique : les besoins réels liés à l’innovation supposent des changements qui ne sont pas ceux qui avaient été envisagés initialement. Cela dit, nous soutenons les automatisations dans des domaines où la flexibilité est un atout. Nous aidons ainsi les projets d’usine du futur, mais dans des secteurs où l’on n’est pas, comme dans l’automobile, à 5 centimes près sur le prix d’un moteur
– l’industrie automobile est toujours près de ses sous : gagner un euro par véhicule suppose un énorme effort.
Le gaz est un carburant de complément qui constitue une bonne solution dans les zones de pollution locale importante, en milieu urbain. Il suppose des contraintes techniques : taille du réservoir plus importante, conditions de remplissage plus difficiles, risques d’inflammation dans des zones sensibles comme les tunnels. Et je ne suis pas certain que le bilan CO2 soit si bon, je crois même qu’il est même un peu moins bon que le diesel, si je me souviens bien des données pour les camions aux États-Unis. Certes, la fiscalité appliquée au gaz n’est pas du tout la même que pour l’essence ou le gazole mais il n’y a pas plus de raisons théoriques de défiscaliser le gaz que n’importe quel autre hydrocarbure, à moins qu’il y ait des pénuries. Le gaz ne saurait constituer la solution de référence. Il offre une solution de complément dans les villes : il permet ainsi de dépolluer les bus plus rapidement que le diesel. Par ailleurs, il est un peu moins contraignant que l’électricité.
M. Denis Baupin. Votre réponse à propos de la voiture polyvalente est intéressante. Vous vous placez du point de vue des industriels. J’ai envie de reformuler la question : n’est-ce pas un luxe ? La Dacia, que vous avez citée comme modèle consommant peu, peut atteindre une vitesse maximale de 160 à 180 kilomètres à l’heure alors même que la vitesse est limitée partout en France – même si je sais bien qu’il faut une certaine puissance pour pouvoir doubler trois fois par an sur l’autoroute un véhicule roulant à 130 kilomètres à l’heure. Une enquête parue, il y a quelques jours, dans le magazine L’Automobile, a montré que tous les véhicules testés – et il y en a 1 000 – ont une consommation supérieure de 40 % en fonctionnement normal aux références affichées et même de 60 % pour les véhicules répondant à la norme Euro 6 diesel. Compte tenu des enjeux liés au climat, à la pollution de l’air, à la consommation et donc au pouvoir d’achat, n’y a-t-il pas un plafond de verre qui pousse l’industrie automobile à ne pas vouloir sortir du paradigme de la voiture polyvalente ?
J’entends en partie votre réponse qui consiste à dire qu’il est plus facile de changer les usages de la voiture polyvalente que les modèles eux-mêmes. Mais le changement de mode de vie – qui a paru d’ailleurs auparavant peu envisageable – qui a permis l’essor du covoiturage ne prépare-t-il pas d’autres changements ? Ne pourrait-on envisager d’utiliser pendant l’année une voiture à une ou deux places et d’en louer une autre plus grande pour les vacances ou bien de recourir au covoiturage ? Pourquoi ne pas imaginer d’autres business models et d’autres modèles de mobilités qui répondraient aux enjeux auxquels nous sommes confrontés ?
M. Louis Schweitzer. Je sais d’expérience que les voitures monovalentes ne se vendent pas, monsieur Baupin. Les constructeurs automobiles ont pour métier de vendre des voitures achetables. La Smart répondait à des critères rationnels et devait être, dans l’esprit de M. Hayek, une voiture populaire. Qu’en est-il en réalité ? Elle est le véhicule supplémentaire de gens riches. Le problème n’est pas de nature technique – les constructeurs savent installer des moteurs couchés à l’arrière – mais commercial : il faut pouvoir trouver des clients. L’industrie automobile ne va pas concevoir des voitures dont elle sait qu’elles ne se vendront pas.
M. Denis Baupin. Qu’est-ce qui pourrait contribuer à changer le business model ?
M. Louis Schweitzer. Que les clients aient envie d’acheter des voitures monovalentes !
Ce qui est déterminant pour la plupart des conducteurs, ce n’est pas de pouvoir dépasser les limites de vitesse mais d’avoir un véhicule capable de tenir une vitesse en légère montée avec des temps d’accélération qui ne soient pas ceux d’un train, c’est-à-dire qui ne nécessitent pas d’attendre quatre kilomètres pour rouler à 130 kilomètres à l’heure. Cela suppose fatalement de pouvoir atteindre les 150 kilomètres à l’heure.
Les normes européennes sont ainsi faites qu’il y a toujours un écart entre la pollution réelle et la pollution testée. Il faut établir des conditions de test plus réalistes, ce qui revient à rendre les normes plus sévères.
M. Denis Baupin. Le test portait non pas sur la pollution mais sur la consommation.
M. Louis Schweitzer. Il fut un temps où les constructeurs affichaient des niveaux de consommation très bas car les tests étaient menés avec des essayeurs experts au pied léger qui passaient les vitesses au moment adéquat avec des pneus légèrement surgonflés. Puis, devant les protestations, il y a eu un retour au réalisme. Sont ensuite intervenues les normes de consommation moyennes établies par les autorités européennes : les constructeurs ont eu intérêt à justifier de consommations plus faibles, au risque de payer des amendes et de priver leurs clients d’un régime fiscal plus favorable, et il y a un retour, dans les limites de la loi, à l’optimisation par rapport aux conditions normales de conduite. Ce jeu réglementaire et normatif a sans doute contribué à recréer un écart. Il y aura peut-être un retour de balancier par la suite.
Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur Schweitzer, pour toutes vos réponses.
La séance est levée à dix-huit heures quarante.
◊
◊ ◊
8. Audition, ouverte à la presse, de M. Frédéric Dionnet, directeur général du Centre d’étude et de recherche en aérothermique et moteurs (CERTAM), de M. David Preterre, toxicologue et chef de département qualité de l'air, métrologie des nanoparticules aérosolisées et évaluation et de M. Frantz Gouriou, physicien spécialiste de la métrologie des particules fines.
(Séance du mercredi 25 novembre 2015)
La séance est ouverte à onze heures trente-cinq.
La mission d’information a entendu M. Frédéric Dionnet, directeur général du Centre d’étude et de recherche en aérothermique et moteurs (CERTAM), de M. David Preterre, toxicologue et chef de département qualité de l'air, métrologie des nanoparticules aérosolisées et évaluation et de M. Frantz Gouriou, physicien spécialiste de la métrologie des particules fines.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Je souhaite la bienvenue à nos invités. Le Centre d’étude et de recherche en aérothermique et moteurs (CERTAM) est une structure légère. Créé en 1991, il a été conçu comme un pont entre la recherche académique et l’innovation industrielle. Installé dans l’agglomération rouennaise, le CERTAM a été notamment soutenu par la région Haute-Normandie. Il a noué de nombreux partenariats, tant avec le secteur privé qu’avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut national de la recherche médicale (Inserm). Le CERTAM est également membre de l’Institut Carnot « Énergie et systèmes de propulsion » et du pôle de compétitivité Mov'eo depuis sa création.
Étant donné votre expérience commune et vos spécialisations individuelles, messieurs, les appréciations que vous portez sur les tests d’homologation des véhicules et sur l’efficacité des contrôles techniques obligatoires dans le domaine des polluants à l’échappement intéressent particulièrement notre mission. Le CERTAM, qui dispose de ses propres bancs d’essais moteurs, a-t-il des propositions à exposer ? Avez-vous mis au point vos propres procédures de tests, voire des « contre tests » distincts des tests officiels ?
La mission souhaite vous entendre exposer les avantages et les inconvénients des filtres à particules. Est-ce la seule formule concevable de limitation de la pollution d’un point de vue économique ? Des progrès significatifs ont-ils été réalisés en ce domaine ? Que peut-on dire aujourd’hui du caractère nocif des polluants à l’échappement des véhicules ? La situation s’aggrave-t-elle ou peut-on espérer une dépollution progressive, notamment dans les grandes villes ? En tablant uniquement sur le renouvellement naturel du parc de véhicules, à quelle date approximative commencera-t-on à constater des résultats durables et probants ?
M. Frédéric Dionnet, directeur général du Centre d’étude et de recherche en aérothermique et moteurs. Je vous dirai dans un premier temps ce qu’est le CERTAM. Vous avez rappelé qu’il a été créé il y a vingt-cinq ans à l’initiative du CNRS et du ministère de la recherche et de la technologie, avec le soutien de la région Haute-Normandie. Il s’agissait de monter un centre de recherches technologiques plus appliquées que les recherches fondamentales en combustion conduites par le CNRS dans la région de Rouen. Dans ce cadre, nous avons développé de nouvelles techniques d’évaluation des émissions, qui vont au-delà des mesures physico-chimiques classiques des polluants réglementés
– monoxyde de carbone, hydrocarbures imbrûlés, oxydes d’azote et particules en nombre et en masse. Le partenariat noué il y a plus de dix ans avec l’Inserm nous a conduits à mettre au point un système d’évaluation biologique des émissions.
C’est que la combustion, phénomène éminemment complexe, implique des centaines de réactions d’espèces chimiques qui se font concurrence et émettent non seulement les polluants réglementés déjà cités mais des centaines d’autres espèces, non toujours prévisibles, qui peuvent avoir des effets divers sur la santé humaine. Au terme de discussions avec M. Jean-Paul Morin, scientifique à l’Inserm, il nous a paru intéressant de déterminer le potentiel toxique de ces émissions pour la santé humaine, et nous en sommes venus à développer un système d’exposition in vitro directe d’échantillons biologiques – des tranches de poumon animal en culture organotypique – à des émissions moteur. Nous sommes les seuls au monde à avoir conjugué des équipes de physiciens et de biologistes pour étudier ce phénomène à la croisée des sciences. C’est la grande originalité de notre centre de recherches.
Le CERTAM a aussi développé des compétences relatives à l’évaluation des émissions de polluants tant « classiques » que non encore réglementés. Il nous fallait affiner les mesures pour apprécier comment remédier à ces pollutions et permettre aux industriels chargés de réduire ces émissions d’y travailler.
Notre structure est légère mais nous faisons partie d’un réseau au maillage serré. Nous travaillons avec l’Institut Carnot « Énergie et systèmes de propulsion », dont les recherches fondamentales nous permettent le ressourcement nécessaire à la mise au point de nouvelles technologies et métrologies. Participer au pôle de compétitivité Mov'eo a renforcé nos liens avec l’industrie ; c’est indispensable, car nous ne saurions exercer notre métier sans travailler pour les industriels de l’automobile. Pour rester pertinents, nous ne pouvons demeurer dans un univers strictement universitaire : nous devons suivre les évolutions technologiques, voire participer à leur développement. S’il en était autrement, nous accuserions très vite un retard de cinq ou dix ans. Enfin, parce que nous sommes une structure privée d’une trentaine de salariés, nous vivons des contrats de recherche et développement que nous remportons auprès des industriels du pétrole et de l’automobile et aussi des pouvoirs publics par le biais d’organismes tels que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ou l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES).
Avant qu’avec votre autorisation je reprenne la parole pour répondre à vos autres questions, Frantz Gouriou traitera des avantages et des inconvénients des filtres à particules et David Preterre de la nocivité des émissions.
M. Frantz Gouriou, physicien spécialiste de la métrologie des particules fines. Parce que l’on ne peut stocker indéfiniment les substances issues de la combustion, le post-traitement consiste à les transformer, mais les produits qui résultent de cette transformation ne sont pas obligatoirement des polluants ; c’est ce que nous essayons de déterminer. L’effet des particules sur la santé ne peut être considéré de la même manière que celui des gaz. Nous avons longuement étudié les particules que sont les poussières céréalières, avec l’indicateur de particules en suspension PM10, puis avec l’indicateur PM2,5, meilleur, mais qui devra évoluer – cette évolution a déjà eu lieu pour l’automobile, avec l’introduction du comptage particulaire. Toutes les particules de poussières céréalières n’ont pas la même taille, mais leur diamètre moyen est bien supérieur à celui des particules issues de la motorisation diesel, qui est d’environ un dixième de micron : avec l’indicateur massique PM10, une poussière céréalière correspondra, à iso-masse, à une fourchette de 10 000 à 100 000 particules diesel ; on comprend que l’effet sur la santé ne sera pas le même. De plus, la poussière céréalière, parce qu’elle a un assez gros diamètre, pénétrera, heureusement, assez mal dans l’appareil respiratoire : on admet qu’il y a un tiers de chance qu’elle s’arrête dans les voies supérieures – le nez et la gorge. En revanche, il y a une chance sur deux pour que les particules du diesel gagnent les alvéoles pulmonaires. C’est pourquoi les choses devront évoluer et pour l’automobile et pour les émissions industrielles en cheminées.
Le filtre à particules du diesel est maintenant largement répandu, et c’est heureux. Même si on peut relever quelques travers, il fonctionne globalement bien. Il a d’abord un effet physique : il arrête la matière particulaire. Pendant que le filtre se charge progressivement de particules, les émissions sont pratiquement inexistantes. Les taux d’efficacité varient selon les conditions d’utilisation mais sont extrêmement élevés : de 100 à 1 000, voire 10 000, ce qui signifie qu’il n’y a pratiquement plus aucune matière particulaire à la sortie du filtre. Mais le filtre à particules ne peut stocker la matière indéfiniment ; il doit donc être régénéré. Cela s’obtient par une combustion qui brûle la matière particulaire piégée dans le filtre. Il en résulte du CO2 et de l’eau, et, minoritairement, des polluants en quantité relativement faible du point de vue massique.
On a entendu dire que le filtre à particules ne filtrerait pas les particules les plus fines ; c’est inexact. Lors de la mesure, l’efficacité de la filtration est observée sur toute la gamme de taille des particules solides – la suie de combustion. Mais, à l’échappement d’un moteur, on observe également une très faible fraction d’hydrocarbures imbrûlés qui peuvent condenser, produisant une particule qui n’est plus solide et que l’on ne peut donc considérer de la même manière. L’exemple éloquent de la plateforme aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle explicitera mon propos. Là-bas, on note assez souvent une forte odeur de kérosène. C’est que les moteurs d’aéronefs n’étant pas à pistons, la combustion est très mauvaise pendant la phase de roulage des avions ; elle produit une forte émission d’hydrocarbures imbrûlés sous forme gazeuse ou partiellement particulaire, particulièrement lorsque la température décroît. Cet aérosol représente des quantités négligeables d’un point de vue massique mais tout à fait mesurables en nombre, et les quantités numériques observées sont extrêmement faibles, très en deçà de ce que l’on mesurerait en amont d’un filtre à particules. J’ajoute que, à la sortie d’un filtre à particules, il n’y a plus la matrice carbonée particulaire – ou alors, elle est très minoritaire –, ce qui facilite l’observation des particules volatiles.
Mais tout n’est pas aussi rose, car la dépollution est un exercice très compliqué. Depuis plusieurs années, David Preterre et moi-même réalisons des mesures sur route avec un véhicule-laboratoire dans les tunnels franciliens – notamment ceux de l’A 86 pour le compte de la direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement d’Île-de-France (DRIEA) –, sur les autoroutes, à Paris et en province. Pour les particules de combustion, nous avons observé une diminution d’un bon facteur 2 au cours des cinq ou six dernières années, grâce au renouvellement du parc automobile, qui fait son effet même si cela prend du temps. Cela peut paraître surprenant puisque l’on entend dire pendant les épisodes de pollution qu’il y a de plus en plus de particules en suspension. Il faudra faire évoluer les indicateurs, car les particules de combustion sont actuellement très mal représentées dans l’indicateur fourre-tout PM10 et même dans l’indicateur PM2,5. L’indicateur PM10 mesure des particules qui ont jusqu’à cent fois la taille d’une particule diesel ; on répertorie aussi, concomitamment, les poussières de freinage, d’usures de pneumatiques, ou encore des poussières issues de l’industrie et de la chimie atmosphérique. Cet indicateur, d’une utilisation très difficile, n’est pas intrinsèquement mauvais mais il n’est pas suffisant. Pour avoir une image précise de la filtration des particules issues de la motorisation et de ce que deviennent les polluants automobiles, il faut vraiment passer aux observations numériques.
En résumé, même si rien n’est jamais parfait, les filtres à particules sont des produits efficaces, sur lesquels il n’y a pas beaucoup à redire. Ils ont un coût économique et énergétique puisque le filtre à particules augmente légèrement la consommation en freinant l’échappement, mais tout cela est quantifié. Nous mesurons l’évolution lors des roulages, et nous savons que les choses vont plutôt mieux. En revanche, nous n’observons rien de tel pour les émissions d’oxydes d’azote (NOx) car la dépollution en NOx étant balbutiante, on ne peut bénéficier de l’effet du renouvellement du parc automobile – et nous ne disposons pas de retours à ce sujet, sinon au banc moteur.
M. David Preterre, toxicologue et chef de département Qualité de l'Air, métrologie des nanoparticules aérosolisées et évaluation. Avant d’évoquer les aspects toxicologiques des émissions, je rappellerai comment s’opérait, précédemment, la toxicologie des polluants. Parce qu’il était difficile d’avoir accès à des cellules d’essais moteur de dernière génération et de faire travailler ensemble physiciens et biologistes, les laboratoires achetaient des particules standardisées supposées être représentatives d’émissions du diesel, ou travaillaient sur des gaz synthétiques, et réalisaient des suspensions de particules dont on évaluait la toxicologie en les instillant directement dans des poumons animaux. Mais, dans la réalité, les aérosols ne pénètrent pas de cette manière dans l’arbre respiratoire. Les particules émanant du diesel en suspension dans un liquide, ayant tendance à s’agréger, n’ont plus la même taille, et la biodisponibilité est complétement différente ; de plus, avec ce procédé, on ne respecte pas la dosimétrie à laquelle la population peut être exposée.
C’est pourquoi nous avons décidé, avec le docteur Jean-Paul Morin, il y a une quinzaine d’années, d’ouvrir une antenne biologique au CERTAM, où nous bénéficions des cellules d’essais moteur et où nous avons pu réaliser des cycles conformes à la réalité. Les mesures se font en prélevant continûment les échappements moteur, en les diluant et en exposant directement des cultures organotypiques de poumons animaux à ces émissions, de manière à caractériser, par dosages de marqueurs, leur effet toxique ou leur innocuité.
Cette approche permet des prélèvements en amont et en aval des systèmes de post-traitement et la réalisation d’expositions en parallèle. Ainsi peut-on caractériser l’effet de « stress oxydant » – et, ces dernières années, de « stress génotoxique » – des émissions des différents systèmes de post-traitement et des nouveaux carburants, dans des conditions parfaitement maîtrisées. Le procédé donne très rapidement une vision de l’innocuité ou de la dangerosité supposée d’un système de post-traitement qui transforme des espèces chimiques réglementés en d’autres substances qui ne le sont pas et qui peuvent avoir un effet soit sur l’environnement, soit sur la santé.
Se pose la question de la représentativité des émissions auxquelles les systèmes biologiques sont exposés de la sorte. Nous travaillons en relations étroites avec les constructeurs automobiles. Ils nous fournissent les moteurs et les supports nécessaires à leur fonctionnement dans des conditions représentatives de la réalité, en cycle « homologation » ou en cycle « roulage routier ». Dernièrement, nous avons réalisé une étude pour l’ADEME en prélevant des véhicules dans le parc automobile pour les placer directement sur un banc d’essai à rouleaux. Les émissions sont prélevées à l’arrière des échappements des véhicules conduits par un chauffeur qui suit une trace censée être représentative d’un type de roulage donné. Nous devons nous en tenir à des cycles normalisés. En effet, les expérimentations doivent être reproductibles pour que définir des valeurs statistiques moyennes. L’objet de l’étude est de caractériser l’impact toxicologique lié à l’évolution des normes, depuis les normes Euro 3 jusqu’aux normes Euro 6 ; ses conclusions seront remises à l’ADEME à la fin de l’année.
M. Frédéric Dionnet. Il s’agit donc de vérifier si la transformation des espèces chimiques induite par la réduction progressive des émissions des polluants réglementés imposée par les normes européennes d’émissions dites « Normes Euro » a pour conséquence potentielle la fabrication de substances qui pourraient être moins bonnes pour la santé. Des travaux ont été conduits à ce sujet depuis des années ; dans le cadre du 5e programme-cadre pour la recherche et le développement technologique, des tests ont été menés et validés avec des collègues de laboratoires du monde entier. Nous maîtrisons cette technique complexe. Nous ne nous limitons donc pas à vérifier le respect des seuils réglementaires, nous nous assurons que les technologies mises sur le marché ne sont pas contre-productives. Les conclusions de l’étude ne sont pas encore entièrement dépouillées, mais les premiers résultats, plutôt positifs, montrent l’amélioration du potentiel sanitaire en fonction de l’évolution des normes.
M. David Preterre. La concentration de polluants réglementés chute, mais celle des autres polluants également. Nous sommes parvenus à dissocier l’effet « particule » de l’effet « phase gazeuse » des échappements et nous avons pu observer que le retrait de la phase particulaire diminue le stress inflammatoire observé sur le système biologique exposé. Nous avons aussi observé que l’utilisation de carburants de type bio-fuels provoque l’élévation substantielle des émissions de certains polluants non réglementés, qui peuvent avoir un impact sur certains paramètres biologiques ; ces données doivent être vérifiées.
La catalyse de l’oxydation a été introduite très tôt dans la réglementation européenne – depuis les normes Euro 2 ou Euro 3 pour les moteurs diesel. Un certain reportage diffusé par France 2 avait fait grand bruit, car on y évoquait le potentiel mutagène exacerbé des émissions d’échappement de moteurs diesel non post-traitées. Mais les journalistes avaient omis de préciser que dans les résultats obtenus après post-traitement, l’effet mutagène était très amoindri. Ce reportage inabouti était quelque peu partial.
M. Frédéric Dionnet. Nous sommes en train de diffuser notre savoir-faire technologique en Europe et dans le monde. Nous l’avons transféré à l’Université de Bienne et à celle de Thessalonique, c’est en cours avec l’Académie des sciences de Prague et nous sommes en discussion avec la Chine à ce sujet. Notre objectif est que l’outil soit largement utilisé par les scientifiques du monde entier, avec une harmonisation maximale de manière à pouvoir donner les mêmes types de réponses à des problèmes divers.
Les données permettant de répondre si la situation globale s’aggrave sont en accès libre dans l’inventaire national des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France établi par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique, opérateur du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. À sa lecture, on constate que les transports routiers constituent une part importante des émissions de CO2, avec 120 millions de tonnes en 2014, soit 28 % des émissions de gaz à effet de serre.
Permettez-moi une incise : il convient de distinguer les émissions de gaz à effet de serre, nocifs pour le climat, des émissions de polluants, toxiques pour la santé. Un motoriste qui réduit les émissions de CO2 augmente les émissions de NOx, et inversement. À un moment, il faut définir une priorité – mais y en a-t-il une ?
Ces 120 millions de tonnes d’équivalent CO2 représentent un accroissement de 19 % entre 1990 et 2013 ; pendant la même période, le trafic routier a augmenté de 34 %. Cela montre qu’un progrès a été réalisé en matière de consommation des véhicules mais qu’il ne suffit pas à endiguer l’augmentation du parc automobile. Le transport routier représente la première source d’émission de gaz à effet de serre ; le résidentiel/tertiaire émet annuellement 70 millions de tonnes d’équivalent CO2, l’industrie manufacturière 80 millions de tonnes.
Les émissions de NOx ont été mises en avant parce que les motorisations diesel en produisent beaucoup. En 2014, le trafic routier dans son ensemble a représenté 54 % des émissions de NOx, mais la tendance est à la décroissance : en 1990, elles s’établissaient à 1,2 million de tonne, et à 0,5 million de tonnes en 2013. Cela s’explique par la mise au point du système de dépollution dit LCR et, plus récemment, du système de recyclage des gaz d’échappement (EGR), encore en cours de développement, qui permet de limiter les émissions de NOx par dilution de la charge carburée.
Les motoristes ont résolu la question des particules par les filtres, je l’ai dit. Comme l’a souligné Frantz Gouriou, l’indicateur PM10 est peu représentatif de ce qu’émet un moteur automobile, puisque l’on trouve dans cette catégorie toutes sortes de poussières et jusqu’au sable saharien. Pour les particules PM1, la chute des émissions est constante : on est passé de 60 kilotonnes d’émissions en 1993 à 18 kilotonnes en 2014. Avec 82 kilotonnes d’émissions sur un total de 129 kilotonnes en 2014, le secteur résidentiel/tertiaire précède largement le transport routier, qui représente 16 % de ces émissions, une proportion relativement faible. Il s’agit là de l’amélioration de la qualité moyenne de l’air dans les villes ; bien entendu, les expositions aux émissions augmentent sur le périphérique parisien et dans certaines rues « canyons » mais, somme toute, elles suivent l’évolution moyenne, qui se traduit par des émissions moins importantes que les années précédentes, même si des pics se produisent. En matière de pollution, la tendance globale est donc à l’amélioration.
D’autre part, les cartes d’émissions qui figurent sur le site Prev’Air montrent le transport de ces polluants, et notamment des particules, à l’échelle continentale. Les mesures permettent de prévoir la pollution atmosphérique à grande échelle et l’on constate que les pollutions aux particules ne sont pas des phénomènes essentiellement locaux ; ils touchent le continent entier. Ainsi, des feux de forêts dans la Ruhr ont pour effet l’apparition de panaches de fumée dans la région parisienne.
Les méthodes de mesure utilisées par le réseau français des 24 associations agréées de surveillance de la qualité de l’air ont changé. L’évolution technologique a permis une approche beaucoup plus fine, et l’on mesure désormais aussi les aérosols liquides de petites particules condensées ; on constate qu’elles contiennent une importante proportion de nitrate d’ammonium, principalement issu des épandages d’engrais, avec des pics en mars.
Toutes ces données sont publiques, mais il est vrai qu’il faut se donner un peu de mal pour aller les chercher sur les différents sites concernés, les rassembler et les analyser. En ma qualité de scientifique, je dirai pour conclure à ce propos qu’en raison de l’accroissement du parc automobile les émissions de CO2 ne sont pas contenues mais que les émissions de polluants semblent l’être, ce qui n’exclut pas l’existence de zones polluées, et qu’il faut y travailler. Donc, le secteur du transport prend en compte le réchauffement planétaire.
En matière automobile, vingt années sont généralement nécessaires à la diffusion large d’une invention. Le processus peut être abrégé par la réglementation et par la fiscalité. Il faut 8,5 ans pour que la moitié du parc automobile soit renouvelé. Aussi, les normes Euro 6, entrées en vigueur en septembre 2015 et qui visent à réduire les émissions de NOx, n’auront d’effet que dans une dizaine d’années. Au décalage dans le temps des conséquences de la réglementation s’ajoute l’effet de l’accroissement du parc automobile. Dans les pays membres de l’OCDE et notamment en France, où la croissance du parc stagne, cet effet est assez peu significatif, mais dans le pays en développement tels que la Chine et l’Inde, on peut s’inquiéter de l’effet de cette augmentation sur la qualité de l’air.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Nous aimerions mieux comprendre le statut juridique du CERTAM, son fonctionnement et son financement. Recevez-vous des subventions ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur le rôle que vous jouez auprès des pouvoirs publics ? Parce que vous faites de la recherche appliquée, vous avez qualifié d’« indispensables » vos liens avec les industriels ; êtes-vous pour eux des prestataires de services de recherche ou bien des sous-traitants ? Font-ils appel à vous très en amont, dans la phase de développement de leurs projets ?
Vous avez souligné les réels progrès technologiques de la lutte contre les émissions polluantes ; les moteurs ont-ils la capacité de respecter les normes ?
Quels sont, selon vous, les polluants non réglementés dont les effets sur la santé sont les plus préoccupants et qui, tôt ou tard, seront réglementés ?
Les moteurs fonctionnant à l’essence et à injection directe devraient-ils être obligatoirement équipés d’un filtre à particules ?
L’affirmation selon laquelle les émissions de particules PM10 ont diminué d’un facteur 2 m’a étonnée ; cela ne correspond pas aux données publiées par Airparif. Pourriez-vous nous donner des explications complémentaires ?
Le filtre à particules a-t-il un effet sur les émissions de NOx qui, selon Airparif, ont doublé entre 1998 et 2012 le long du trafic ?
Quelle est l’efficacité comparée des différentes technologies tendant à traiter les émissions de NOx ? Quels sont les effets induits par la transformation et notamment par la production d’ammoniac ?
Enfin, vous intéressez-vous à la motorisation des poids lourds, des véhicules utilitaires et des deux-roues ? Que pouvez-vous nous en dire ?
M. Frédéric Dionnet. Le CERTAM est régi par les dispositions de la loi de 1901 sur les associations, mais il a des salariés et des charges et opère dans l’économie de marché. Nous recevons des subventions dans le cadre des plans État-région successifs ; elles oscillent entre 5 et 10 % de notre budget. Parce que nous appartenons à l’Institut Carnot, nous recevons également des subventions pour l’ensemble de nos contrats de recherche avec l’industrie automobile de l’année N-1 ; elles représentent quelque 4 % de notre budget. Les quelque 90 % restants proviennent des contrats de recherche et développement que nous réalisons pour des tiers, publics ou privés. Ce sont d’une part les industriels de l’automobile et du pétrole ainsi que, de plus en plus souvent, en raison de nos compétence en matière d’aérosols, des laboratoires pharmaceutiques et de cosmétique. D’autre part, nous travaillons bien entendu pour les pouvoirs publics ; ainsi avons-nous réalisé pour la DRIEA d’Île-de-France des mesures de pollution routière dans les tunnels.
Nous entretenons avec les industriels des relations « client-fournisseur » classiques ; le mécénat qui pouvait avoir cours lorsque j’étais au CNRS il y a 25 ans n’est plus ! Les industriels frappent à notre porte en raison de nos compétences spécifiques : parce que nous sommes capables de construire, année après année, une vision de ce que seront leurs besoins de métrologie et que – grâce, notamment, au crédit impôt recherche – nous développons des programmes de recherche en métrologie de dépollution et de consommation qui leur seront utiles dans cinq ou dix ans. Ainsi avons-nous été sélectionnés par un grand groupe industriel, au terme d’une compétition avec d’autres laboratoires européens, pour mesurer l’impact de la qualité de l’huile sur la consommation de carburant. Si nous avons emporté ce marché, c’est que nous sommes très en avance ; le système d’évaluation toxicologique des émissions déjà évoqué nous donne un fort potentiel d’innovation. Nous avons aussi développé des systèmes permettant de mesurer les particules en dynamique dans les cheminées, et nous mettrons bientôt sur le marché un autre système nouveau. Nous devons, pour vivre, mettre au point des produits commercialisables de haut niveau technologique, et pour cela disposer de moyens très importants. Les aides déterminantes de la Région Haute-Normandie et du Fonds européen de développement régional (FEDER) nous ont permis de faire des investissements très coûteux. En ces domaines, la science et les hommes ne suffisent pas ; il nous faut des équipements, et ils sont très onéreux.
Les nouvelles motorisations et les systèmes de post-traitement permettent de diminuer les émissions et de respecter les normes Euro. Les discussions sont permanentes entre les constructeurs et les équipementiers d’un côté et les États d’un autre côté sur ce que doivent être les seuils d’émissions, chacun tirant la corde de son côté. Mon avis de scientifique est que l’on est à peu près à l’équilibre et que les moteurs équipés des systèmes actuellement développés savent passer les normes, en motorisation essence et en motorisation diesel. Mais il reste très compliqué d’y parvenir.
Les technologies de dépollution des émissions des moteurs sont développées depuis 25 ans. Le premier angle d’attaque consiste à améliorer l’aérodynamique interne des chambres de combustion pour favoriser le mélange et permettre une combustion de très bonne qualité. C’est le cas aujourd’hui, si bien qu’un minimum de polluants se forme dans l’échappement, mais il s’en forme néanmoins ; un post-traitement est donc nécessaire. Aussi a-t-on mis au point la « catalyse 3 voies » pour les moteurs à essence. Ce fut un pas en avant très important, mais cette technique ne peut être mise en œuvre pour les moteurs diesel. Cela a conduit à développer le système de réduction catalytique sélective (SCR). Cette nouvelle technologie permet aux moteurs diesel de passer les normes Euro 6. Le CERTAM et les constructeurs consacrent énormément de temps et des fonds considérables à la mise au point des technologies de post-traitement. Cela se répercute dans le prix de fabrication et donc dans le prix de vente des véhicules, qui a augmenté. À la fabrication, le prix d’un système de post-traitement permettant de respecter la norme Euro 6 est de 1 200 euros environ ; à quelque chose près, c’est celui du moteur. Aujourd’hui, la moitié du prix d’un groupe motopropulseur dépollué tient donc à la dépollution. De lourds investissements sont nécessaires pour parvenir à dépolluer les moteurs automobiles et les mettre en conformité avec les normes Euro, mais le sujet, comme il se doit, n’a pas été pris à la légère.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Les moteurs actuels respectent-ils la norme Euro 6 ou ne la respectent-ils pas ?
M. Frédéric Dionnet. Les moteurs les plus récents en ont la capacité technique. Ensuite, si des manipulations ont lieu, cela sort de mon domaine…
Savoir quels polluants non réglementés il faudrait surveiller est une question épineuse. Cette interrogation nous a poussés il y a 15 ans de mettre au point un système permettant d’avoir une idée du potentiel de l’effet biologique des émissions sur la santé. On commence à avoir les idées plus claires et l’on sait que les polluants mis en exergue par la réglementation ne sont pas forcément les plus pertinents. Il existe de grandes familles de polluants, notamment les produits pro-oxydants, tel le NO2, qui sont susceptibles de provoquer l’oxydation des systèmes biologiques et en conséquence leur vieillissement prématuré. Cet effet est amoindri par la SCR pour les émissions des moteurs diesel et par l’une des voies de la catalyse à 3 voies pour les moteurs à essence. Mais ces post-traitements peuvent eux-mêmes entraîner la formation de substances – ainsi de l’ammoniac lors de la réduction catalytique sélective, comme vous l’avez souligné. Les dosages à opérer sont donc délicats, mais ils commencent à être bien au point ; cependant, dans les phases transitoires
– quand on lève le pied ou quand on appuie sur l’accélérateur – les ajustements peuvent être imparfaits et des dégagements d’ammoniac peuvent se produire. Pour parer à ces débordements, on combine un SCR et un système réducteur de l’ammoniac résiduel, dit ASL. Cela explique le prix très élevé d’un système complet de dépollution de moteur diesel.
Au nombre des polluants non réglementés à surveiller, on citera l’acétaldéhyde et le formaldéhyde, produits que l’on rencontre de manière significative dans les émissions de certains bio-carburants. Les bio-carburants ont l’avantage que leur production crée des puits de carbone, mais leur combustion peut créer des substances de ce type. C’est encore plus vrai pour les huiles végétales. D’une manière générale, on subit des espèces chimiques produites dans la chambre de combustion et on les post-traite au mieux.
La technologie du moteur essence et à injection directe a été beaucoup travaillée il y a plusieurs années pour limiter la consommation de carburant. Les progrès technologiques réalisés depuis lors ont incité à reprendre cette voie, mais l’on se rend compte que, comme pour les technologies du diesel, cela conduit à l’émission de particules de combustion – en bien moins grand nombre qu’avec un moteur diesel, mais un peu plus que pour un moteur à essence équipé d’un filtre à particules. La question se pose donc de la nécessité d’un filtre à particules pour ce type de moteurs.
M. Gérard Menuel. Quel regard porter sur l’utilisation de bioéthanol ? Peut-on envisager la montée en puissance des bio-carburants, dont la fiscalité permet un gain important pour le consommateur ? Dans un autre domaine, le CERTAM travaille-t-il en réseau avec des laboratoires d’autres pays européens ?
M. Frédéric Dionnet. La culture des plantes destinées à la fabrication de bioéthanol crée des puits de carbone, ce qui est une bonne chose ; je n’entrerai pas dans le débat relatif aux utilisations concurrentes des terres arables. Dans tous les cas, il faut être attentif aux espèces produites lors de la combustion de ces carburants et les exploiter au mieux. De plus, pour que la combustion soit au meilleur de son rendement, il faudrait modifier le taux de compression selon le taux d’octane des carburants. Or, pour que les moteurs bicarburation puissent brûler et l’éthanol et l’essence, qui sont disponibles en même temps à la distribution, on est contraint à une cote mal taillée. On résoudra ce problème par le moteur à taux de compression variable. Cette grande innovation née en France et en cours de développement par la société MCE-5, permettra de brûler des carburants dont les taux d’octane sont très différents, dans des moteurs à allumage commandé de toutes sortes. C’est très intéressant pour les pays en développement, où l’offre de carburants est très variée.
M. Frantz Gouriou. À propos de la diminution des particules de combustion, je souligne que les mesures auxquelles j’ai fait référence ont été effectuées dans des tunnels routiers, lieux où elles sont présentes en grand nombre. L’intérêt de ces mesures est de fournir une image immédiate de ce qu’émettent les véhicules. D’autre part, nous n’avons pas mesuré les PM10 mais les PM1, à la fois parce que les particules de combustion étant ultrafines l’indicateur PM10 n’est pas le bon et parce que nous ne sommes pas capables de mesurer les PM10 lors des roulages. On note par ailleurs que, dans la fraction PM10, les quantités d’émissions dues à la friction des organes de freinage et à l’usure des pneus sont du même ordre, bien que les concentrations particulaires soient beaucoup plus faibles, le diamètre de ces particules étant beaucoup plus grand.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Travaillez-vous sur les particules issues du freinage ?
M. Frantz Gouriou. Nous avons engagé un projet qui vise à les quantifier.
M. Frédéric Dionnet. Il n’y a pas de grandes différences technologiques dans les systèmes de dépollution selon qu’il s’agit de moteurs de voitures particulières ou de véhicules utilitaires. Les moteurs de poids lourds ont de l’avance en matière de dénitrification – « dé-NOx » –, et ceux des voitures particulières, principalement sous l’impulsion de PSA, pour les filtres à particules.
M. Frantz Gouriou. Les poids lourds roulent depuis longtemps avec une catalyse à l’urée car elle est plus facile à mettre en œuvre pour les véhicules qui font plutôt des trajets routiers que des trajets urbains.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Pourriez-vous préciser le lien entre filtre à particules et production de NOx ?
M. Frédéric Dionnet. Il y a des années, on avait entrepris de régénérer les filtres à particules en installant un catalyseur d’oxydation. Ce procédé a été abandonné car il provoquait l’émission de dioxyde d’azote. Les technologies actuelles sont soit la catalyse, soit le filtre à particules à régénération continue mis au point par PSA. Dans ce système, l’injection d’oxyde de cérium a pour effet d’abaisser la température de brûlage des particules, qui deviennent ainsi plus facilement combustibles, ce qui réduit les émissions de NOx.
De manière générale, le filtre à particules a réduit les émissions de NOx : les moteurs émettent plus de particules mais elles sont piégées, ce qui a permis un réglage plus sévère des émissions de NOx à la sortie des chambres de combustion. Le même processus vaut aujourd’hui pour la réduction catalytique sélective : elle est potentiellement émettrice de NOx mais, parce qu’elle réduit la consommation des moteurs, elle diminue les émissions de CO2, qui sont désormais post-traitées.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Pour nous résumer, est-ce qu’un moteur équipé d’un filtre à particules mais non d’un système de traitement des NOx conduit à la production de plus de dioxyde d’azote qu’un moteur sans filtre à particules ?
M. Frédéric Dionnet. Non.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Messieurs, je vous remercie.
La séance est levée à midi cinquante-cinq.
◊
◊ ◊
9. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Benoit, président-directeur général de l’UTAC-CERAM et de Mme Béatrice Lopez de Rodas, directrice de la marque « UTAC ».
(Séance du mercredi 25 novembre 2015)
La séance est ouverte à seize heures dix.
La mission d’information a entendu de M. Laurent Benoit, président-directeur général de l’UTAC-CERAM et Mme Béatrice Lopez de Rodas, directrice de la marque « UTAC ».
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Nous recevons M. Laurent Benoit, président-directeur général du groupe UTAC-CERAM (Centre d’essais et de recherche appliqués à la mobilité), une structure privée se déclarant indépendante, héritière de l’Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle (UTAC), créée en 1945. M. Benoit est accompagné par Mme Béatrice Lopez de Rodas, directrice de la marque « UTAC ».
L’UTAC est un organisme connu et reconnu dans le milieu de l’automobile pour ses activités tenant à l’homologation, à la certification ainsi qu’aux expertises et essais sur véhicules.
Nous vous demanderons, madame, monsieur, de nous préciser, en premier lieu, les caractéristiques de chacune de ces activités et en fonction de quelles bases réglementaires elles s’exercent. On peut légitimement penser que, pour l’homologation des véhicules neufs, l’UTAC intervient dans le cadre d’une sorte de délégation de service public, donc qu’elle est placée sous une ou plusieurs tutelles ministérielles. D’ailleurs, l’UTAC est-elle en situation de monopole pour l’homologation de véhicules des constructeurs français, au moins pour leur mise en circulation sur le marché national ? Ou bien une concurrence existe-t-elle dans un cadre européen entre organismes comparables ?
L’affaire Volkswagen a mis en lumière, aux États-Unis, des fraudes de la part de ce groupe, du moins jusqu’aux révélations d’organisations non gouvernementales (ONG) et de milieux universitaires. Parmi les premières réponses apportées à cette affaire, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a chargé l’UTAC d’une opération de vérification du respect des normes d’émission à l’échappement sur une centaine de véhicules tirés au sort, donc a priori non directement fournis par les constructeurs. Comment avez-vous procédé et sur la base de quel protocole technique ? Il semble que les premiers résultats confirment les défaillances mises à jour outre-Atlantique ; la question est de première importance car plus de 900 000 véhicules concernés par ces fraudes auraient été commercialisés en France par le seul groupe Volkswagen.
En outre, deux organismes placés dans le cadre des activités de l’UTAC peuvent retenir l’attention de notre mission.
Le premier est l’Organisme technique central (OTC) dont les pouvoirs publics ont conféré la gestion à l’UTAC. Cette structure a pour vocation de recenser, au plan national, les résultats du contrôle technique obligatoire, d’abord pour les véhicules légers puis, plus récemment, pour les poids lourds. L’UTAC ou l’OTC ont-ils formulé des propositions de réforme à partir des résultats des contre-visites pour défauts constatés en matière de pollution moteur ? D’après les rapports annuels de l’OTC, ce motif de contre-visite existe bien mais il arrive loin après les défaillances constatées sur les pneumatiques, l’éclairage ou le freinage. Comment cela s’explique-t-il ? Que mesure-t-on en matière de pollution lors d’un contrôle technique ? Quelle est la différence avec les normes requises pour l’homologation d’un véhicule neuf ?
Le second organisme est le Bureau de normalisation automobile (BNA), initialement créé par les constructeurs en 1927. Dans le domaine des émissions à l’échappement, le BNA a-t-il été amené à faire des propositions techniques ou réglementaires aux pouvoirs publics ? Enfin, au titre de sa mission d’assistance des industriels et des administrations, a-t-il été impliqué dans les négociations conduites à l’échelon européen et qui ont abouti, le 28 octobre dernier, à de nouvelles normes assorties d’un calendrier de transition ?
M. Laurent Benoit, président-directeur général de l’UTAC-CERAM. L’UTAC est en effet une société privée qui réalise 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et travaille avec de nombreux clients puisque ses activités sont très diverses, qu’il s’agisse de l’homologation – son activité historique, qui représente de 15 à 20 % du chiffre d’affaires de l’entreprise –, du contrôle technique, des essais – soit plus de la moitié du chiffre d’affaires –, mais aussi de l’événementiel – nous louons nos deux circuits automobiles à l’occasion du lancement de nouveaux produits, ou bien, sur l’autodrome de Linas-Montlhéry, nous faisons revivre les grandes heures de la course automobile… Nous nous déployons en outre au niveau international et sommes implantés en Russie et en Chine notamment, surtout dans le cadre de notre activité d’homologation.
Le BNA, par ailleurs, logiquement rattaché à l’UTAC, s’occupe des normes, comme lorsqu’il s’est agi de la standardisation, au niveau européen, des charges des véhicules électriques – Allemands et Français s’étaient affrontés sur la question de savoir quelle était la bonne prise – au passage : nous avons perdu. Nous évoquerons aujourd’hui devant vous davantage la réglementation, sur laquelle s’appuie, précisément, l’homologation. Nous disposons d’un service dédié, la réglementation étant une activité spécifique.
Nous avons, je l’ai dit, deux circuits automobiles, l’un, donc, à Linas-Montlhéry, créé en 1924, où se trouvent également des laboratoires techniques développés par l’UTAC arrivée en 1945 ; l’autre centre, situé à Mortefontaine, à côté de Senlis, dans l’Oise, est avant tout un circuit automobile fondé par la société SIMCA en 1956.
Je précise pour finir que le groupe compte 360 collaborateurs.
Mme Béatrice Lopez de Rodas, directrice de la marque « UTAC ». Nous sommes chargés des activités de réglementation et d’homologation – c’est le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, par le truchement de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE) de l’Ile-de-France et, en son sein, du Centre national de réception des véhicules (CNRV), lui-même dépendant du Service énergie, climat, véhicules (SECV), qui délègue l’autorité d’homologation.
L’UTAC est par conséquent le service technique désigné par les autorités françaises pour réaliser les essais d’homologation dans le cadre des réglementations européennes. Après les essais, nous rédigeons un rapport accompagné d’un dossier technique et le transmettons au CNRV qui signe les fiches d’homologation en vue de la commercialisation des véhicules.
En France, nous sommes le seul service technique mais il faut savoir qu’une homologation délivrée par un État membre de l’Union européenne (UE) est valable dans les vingt-sept autres.
M. Laurent Benoit. J’ajoute que cela signifie que les constructeurs français ne sont pas obligés de passer par nous.
Mme Béatrice Lopez. C’est d’ailleurs le cas avec les groupes PSA et Renault auxquels il arrive d’aller dans d’autres pays membres de l’UE pour faire homologuer leurs véhicules – je pense à la Roumanie, à l’Espagne… Donc un constructeur n’est pas lié à un pays en particulier.
M. Laurent Benoit. Reste que nous réalisons la majorité des homologations pour PSA et Renault. Cela s’explique par notre proximité géographique : nous sommes à Montlhéry et Renault à Lardy, c’est-à-dire à 10 ou 15 kilomètres et PSA à Vélizy-Villacoublay, soit à 25 ou 30 kilomètres ! Il est dans l’intérêt pour le constructeur d’être proche de nos centres pour homologuer ses prototypes. Le fait que la qualité de nos services techniques soit connue et reconnue compte également.
Mme Béatrice Lopez. Pour ce qui est de la concurrence, on entend souvent que nous subissons une pression de la part des constructeurs pour délivrer des homologations. Il faut savoir que nous appliquons les textes. Certes, tout texte est interprétable et il est vrai que certaines autorités en ont une lecture différente. Cela étant, s’il n’est pas exact que nous subissions une pression, on nous fait valoir que telle autorité interpréterait le texte de telle manière. Or, j’y insiste, nous nous en tenons strictement à la réglementation et ce n’est pas l’UTAC seule qui décide de la lecture des textes, nous le faisons en lien avec le ministère en charge de l’écologie et de l’environnement.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Vous venez de préciser que les constructeurs peuvent aller faire homologuer leurs véhicules dans n’importe quel pays de l’Union européenne (UE). Les sociétés chargées de l’homologation sont-elles soumises aux mêmes exigences, aux mêmes normes que vous ? Cette question me préoccupe quelque peu.
Mme Béatrice Lopez. La norme en question est européenne et identique pour tout constructeur désireux de commercialiser ses véhicules en Europe. Certains services peuvent se révéler plus cléments lorsque sont en jeu de nouvelles technologies qui ne sont pas forcément prises en compte par la réglementation – les premières évoluant parfois plus vite que la seconde.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Et vos services, concernant ces nouveautés, appliquent-ils immédiatement la réglementation, en vue de l’homologation ?
Mme Béatrice Lopez. Tout dépend de la nouveauté …
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Donnez-nous un exemple.
Mme Béatrice Lopez. Le décalage que je mentionnais vaut rarement pour tout ce qui concerne les émissions polluantes – nous parvenons, en la matière, à bien encadrer l’exercice. Je pensais davantage à des domaines comme la signature lumineuse où la conception va parfois loin dans l’innovation, le constructeur souhaitant alors faire homologuer une nouvelle technologie qui n’est pas encore autorisée par la réglementation. Aussi, certaines autorités accepteront quand d’autres ne le feront pas. En cas d’acceptation, la directive qui encadre les exercices d’homologation prévoit qu’on ne saurait homologuer une innovation qui présenterait un quelconque risque en matière de sécurité et en matière d’environnement. On peut homologuer une innovation et ensuite demander des amendements au texte.
M. Laurent Benoit. J’ajouterai que la Commission européenne s’est saisie de l’affaire et a examiné la qualité des services techniques. Nous disposons de l’expertise nécessaire pour réaliser les essais dans nos laboratoires. Nous avons une autre expertise
– reconnue au plan international – en matière de réglementation : nous allons défendre la réglementation future dans l’ensemble des domaines liés au secteur automobile aux niveaux européen et mondial. Je précise à cet égard que si le label Technischer Überwaschungs Verein (TÜV), en Allemagne, est gage de sérieux, il n’en va pas de même pour certains services techniques dans d’autres pays qui n’ont pas de laboratoire et ne travaillent pas sur la réglementation européenne et pour lesquels un « ménage » s’imposerait.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Ce que vous dites là est important, pouvez-vous aller plus loin dans vos explications ?
Mme Béatrice Lopez. Il existe deux instances réglementaires : l’Union européenne à Bruxelles et l’Organisation des nations unies (ONU) à Genève. Au sein de l’UE, différents comités réunissant les industries, les ONG, les fédérations, élaborent les textes qui ensuite sont examinés par le Conseil européen et par le Parlement européen. À Bruxelles, nous discutons surtout de la partie politique et des spécificités européennes. À l’ONU, nous travaillons davantage sur les procédures, les essais. L’UE et l’ONU tendent à se rapprocher en ce qui concerne les procédures d’essais. À Genève, la Commission européenne représente les 28 États membres, aux côtés des autres parties contractantes : Japon, États-Unis, Chine, Inde … Je précise que, n’étant pas autorisés à voter les textes, nous agissons en tant qu’experts techniques auprès des autorités françaises.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Pouvez-vous nous indiquer le coût d’une homologation pour un constructeur ? Je souhaite une réponse très précise. Ces coûts sont-ils identiques pour les différents services d’homologation des différents pays européens puisque vous évoquiez la possibilité pour un constructeur de faire homologuer ses véhicules dans son pays ou un autre au sein de l’UE ?
L’UTAC a-t-elle homologué des véhicules des marques Audi, Skoda, Seat, Volkswagen et Porsche, toutes concernées par la fraude au dioxyde de carbone par rapport à la norme européenne ?
Avez-vous déjà refusé d’homologuer un véhicule ? Il est de notoriété publique qu’existent des pratiques d’optimisation des tests dans la perspective d’une homologation ; aussi, de quelles garanties déontologiques pouvez-vous vous prévaloir dès lors qu’à ma connaissance l’actionnaire principal de l’UTAC est le Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) ? Cette question ne vaut pas que pour l’UTAC, d’ailleurs, mais pour l’ensemble des organismes européens de certification, dont la situation est comparable.
Enfin, j’ai noté avec grand intérêt quelles étaient les parties prenantes au sein des comités qui, à Bruxelles, discutent des textes. En effet, la Commission européenne refuse d’en communiquer la liste aux députés français !
Mme Béatrice Lopez. Quand vous souhaitez connaître le coût d’une homologation, s’agit-il du coût d’une homologation consommation-émissions ou bien le coût global d’une homologation ?
M. Laurent Benoit. C’est très compliqué.
Mme Béatrice Lopez. Il existe en effet 70 réglementations et je serais incapable de vous donner le coût de chacune.
Mme la rapporteure. Et en ce qui concerne les émissions polluantes ?
Mme Béatrice Lopez. Le coût d’un test d’émissions sur un banc à rouleaux est difficile à évaluer car le véhicule peut passer en une fois ou, si l’on n’atteint pas tel pourcentage de la valeur limite, on procède à un deuxième voire à un troisième essai, la moyenne de ces trois essais devant être inférieure à la limite.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Vous avez tout de même un ordre d’idée…
Mme Béatrice Lopez. Il faut tenir compte d’autres essais préalables : il faut caler le véhicule avant l’essai d’émissions, il faut mesurer la résistance à l’avancement sur piste… Aussi, je dirais : quelques milliers d’euros. Nous vous communiquerons de toute façon les données que vous souhaitez.
M. Laurent Benoit. Selon moi, il s’agirait de plus de 10 000 euros au total.
Mme Béatrice Lopez. C’est qu’il y a, en effet, comme je viens de l’indiquer, toute une série d’essais à réaliser avant l’essai proprement dit.
Mme la rapporteure. Il serait utile, pour les travaux de la mission d’information, que vous nous communiquiez le détail des coûts depuis le point de départ jusqu’au point d’arrivée.
M. Laurent Benoit. Il est rare qu’un véhicule soit totalement nouveau, que la plateforme soit nouvelle, le moteur soit nouveau… On reprend donc, en général, des parties existantes. Nous pourrons donc plus facilement vous communiquer des données dans l’hypothèse où tout est nouveau.
Mme Béatrice Lopez. Je précise, pour votre compréhension, que l’essai est le même pour mesurer la consommation et les émissions de polluants.
Avons-nous déjà refusé des homologations ? La réponse est : oui. Si le véhicule ne respecte pas les limites fixées par la réglementation, il sera de toute façon refusé. Le constructeur reprend alors le véhicule, effectue de nouveaux réglages et reviendra et finira par passer, en tout cas pour ce qui concerne les émissions. Pour ce qui est de la consommation, nous vérifions à 4 % près la valeur de consommation déclarée par le constructeur.
Mme la rapporteure. Le dossier d’homologation est-il public ?
Mme Béatrice Lopez. Il n’est pas public mais vous pouvez, je suppose, l’obtenir auprès des autorités françaises.
Mme la rapporteure. Ce point reste à vérifier : j’ai entendu dire qu’il y avait un débat assez dur à propos de la communication de ces informations, notamment pour des raisons de concurrence entre constructeurs.
Mme Béatrice Lopez. Nous ne sommes pas habilités, en effet, à divulguer ces données ; mais une fois que le véhicule est commercialisé, je ne vois pas pourquoi ces informations devraient rester confidentielles.
M. Laurent Benoit. En matière de sécurité, si le véhicule ne respecte pas la réglementation, le constructeur le reprend, ce qui occasionne des retards. J’ignore si Renault ou PSA ont décidé de lancer le Kadjar, mais il finira bien sur le marché, même avec six mois de retard à cause de la nécessité de l’améliorer s’il ne satisfait pas aux normes. Aucun constructeur ne bénéficie d’un quelconque passe-droit. Aucune homologation de l’UTAC n’a jamais été remise en cause, ce qui montre bien la qualité des dossiers que nous élaborons.
Par ailleurs, pour répondre à une autre de vos questions, nous n’avons malheureusement pas homologué de véhicule Volkswagen – que nous aimerions bien avoir pour client, indépendamment de l’affaire qui a éclaté il y a peu… Ce sont probablement les TÜV qui ont homologué Volkswagen et nous n’aurions pas, a priori, mieux décelé qu’eux la fraude aux émissions d’oxyde d’azote (NOx) puisqu’il s’agissait, pour le constructeur, de faire en sorte que le service réglementaire ne voie pas la fraude.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Ce n’est pas rassurant.
Mme Béatrice Lopez. Vous avez également évoqué l’optimisation. Elle est permise par les textes en vigueur et pratiquée, par conséquent, légalement : des tolérances sont admises pour certains paramètres d’essais. La Commission européenne s’est emparée du sujet afin de limiter cette flexibilité et c’est pourquoi nous travaillons, depuis 2009, sur cette fameuse procédure Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures (WLTP), laquelle devrait être adoptée début 2016. La tâche est d’autant moins facile que nous sommes vingt-huit autour de la table : industrie, services techniques, laboratoires, experts, ONG… Aussi cette nouvelle réglementation sera-t-elle le fruit de compromis environnementaux, techniques, politiques…
Quant à la Real Driving Emission (RDE), elle doit permettre de mesurer les émissions polluantes en conduite réelle. Ce type d’essai est complètement différent des essais sur banc à rouleaux. On ne pourra jamais obtenir de coefficient 1, à savoir l’équivalence des essais sur banc à rouleaux et des essais en conduite réelle : c’est techniquement impossible puisque l’environnement extérieur, pour ceux-ci, va influer sur la mesure, qu’il s’agisse du vent, de la température, du revêtement, de la façon dont le véhicule est conduit…
Mme la rapporteure. J’en reviens à ma question relative à la garantie d’indépendance de l’homologation, étant donné que votre organisme, comme ceux qui lui sont comparables dans les autres pays européens, sont la propriété des constructeurs.
M. Laurent Benoit. Nous réalisons les dossiers mais nous ne les validons pas nous-mêmes ; c’est en effet le rôle du CNRV qui dépend lui-même de la DRIEE et qui est donc un organisme public – et nous travaillons en bonne intelligence avec le CNRV.
Mme Béatrice Lopez. Avant tout essai d’homologation nous avons des discussions avec le CNRV : nous nous mettons d’accord sur le type de véhicule à tester et dans quelle configuration. Ce dialogue se poursuit après que nous leur avons fourni les résultats des essais et le dossier, afin que nous signifiions éventuellement au constructeur ce qui ne va pas. Nous sommes donc bel et bien contrôlés par les autorités.
Mme la rapporteure. De quelle manière la désignation de tel ou tel organisme comme service technique est-elle matérialisée juridiquement ?
Mme Béatrice Lopez. C’est un arrêté qui le fixe.
M. Laurent Benoit. Je reviens sur votre question initiale concernant notre indépendance. L’UTAC est une union de syndicats liés à la mobilité comme le CCFA, donc, mais également la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), les syndicats représentants les deux roues, les trois roues, les carrossiers… Or le budget de l’UTAC n’est pas financé par des cotisations de ces syndicats, mais par la vente de prestations à des clients. PSA et Renault représentent ainsi 12 ou 13 millions d’euros sur les 50 milliards de chiffre d’affaires de l’UTAC. Nous leur vendons tous types de prestations – événementiel y compris. Nos bénéfices sont destinés à l’autofinancement de notre croissance et il n’y a aucun flux financier avec les syndicats en question. Notre façon de travailler est en outre contrôlée par un comité technique. Le fait que nous soyons une union de syndicats présente plusieurs avantages dont celui de ne pas être opéable, ce qui garantit notre complète indépendance.
Mme la rapporteure. Selon mes informations, l’UTAC-CERAM serait une société anonyme par actions simplifiée (SAS) avec un actionnaire unique, en l’occurrence le CCFA.
M. Laurent Benoit. Non. L’UTAC est bien une union de syndicats. Reste que parmi ces derniers figurent effectivement des SAS, des sociétés commerciales – nous devons pouvoir vendre nos prestations. Au sein du conseil d’administration, le CCFA est minoritaire en voix.
M. Denis Baupin. Est-ce votre organisme qui a réalisé l’homologation de la Renault Espace diesel ? Que pensez-vous dès lors, question subsidiaire, des révélations d’une ONG allemande dont on parle depuis un peu moins de vingt-quatre heures ? Avez-vous des éléments à ce sujet et vous paraissent-ils crédibles ? Si oui, y a-t-il eu une réelle optimisation ou bien un trucage, s’il s’avérait en effet que les véhicules en question émettaient 25 fois plus de NOx qu’annoncé, selon ladite ONG ?
Ensuite, une enquête du magazine Auto Plus a mis en évidence des écarts très significatifs – 40 % en moyenne – entre la consommation des véhicules révélée par les tests et celle constatée. Avez-vous des éléments d’information sur la façon dont a été réalisée cette enquête ?
Plus globalement, on admet désormais que tout le monde – du moins dans un cercle relativement restreint dont le consommateur était exclu – savait qu’il existait un écart entre les résultats des tests et la réalité du fonctionnement du véhicule. Dans la mesure où de nombreuses données issues de vos tests restent confidentielles, la rapporteure l’a rappelé, trouvez-vous normal que, lorsque l’on vend un véhicule à un client, on affiche une consommation – homologuée – dont vous admettez pourtant clairement que les critères ne sont pas représentatifs du fonctionnement du véhicule ? N’y a-t-il pas là un problème éthique ? Ne devrait-on pas prévoir des règles interdisant au constructeur de se prévaloir de chiffres qui relèvent presque de la publicité mensongère, quitte à prévoir des clauses selon lesquelles il conviendrait de déclarer que la réglementation n’a pas été enfreinte mais que les chiffres annoncés ne correspondent pas vraiment à la réalité ?
Visiblement, afin de rassurer les consommateurs, PSA a décidé de s’associer avec l’ONG Transport & Environnement pour réaliser des tests sur ses véhicules. Avez-vous des informations à ce sujet ? Ces tests sont-ils différents de ceux que vous pratiquez, sont-ils plus crédibles parce que réalisés par une ONG ?
À la suite du scandale de Volkswagen, l’idée d’une agence d’homologation européenne est en discussion. Quel est votre avis sur un éventuel passage à un autre statut ?
Enfin, l’UTAC reçoit l’ensemble des données des contrôles techniques des véhicules. Il y a là une matière gigantesque à même de contribuer à la compréhension de la vie des véhicules. Selon vous, sans révéler d’informations confidentielles, dans quelle mesure la mission pourrait-elle enquêter sur ces données ?
Mme Béatrice Lopez. Pour ce qui est des écarts constatés entre la consommation affichée à la suite des tests et la consommation réelle, je puis affirmer qu’en trente ans de métier, jamais il n’a été avancé que les mesures réalisées en laboratoire seraient représentatives de la réalité. J’ai été interrogée sur le sujet il y a trente ans et je déclarais la même chose. Les essais faits en laboratoire le sont à des fins de comparaison entre véhicules. Encore une fois, des paramètres maîtrisés en laboratoire ne le sont pas en service réel. La nouveauté concerne plutôt les émissions polluantes.
Nous avons découvert dans la presse ce qui a été révélé sur le Renault Espace. Nous souhaitons nous assurer que le protocole utilisé est bien le même que lors de l’homologation. J’y insiste : avant l’essai sur banc, il convient de réaliser d’autres essais – dont il s’agit ici de savoir s’ils ont bien été effectués.
M. Laurent Benoit. En effet, l’Espace a été « épinglée », vous y avez fait allusion, par l’ONG Deutsche Umwelthilfe (DUH) qui se dit sérieuse et qui avait déjà « épinglé » l’Opel Zafira, ces deux véhicules devant d’ailleurs passer en phase 2 chez nous. Ignorant le protocole suivi par DUH, nous ne savons pas ce qu’il vaut mais il n’y a pas de raison, si cette association a trouvé quelque chose, que nous ne le trouvions pas à notre tour.
Mme Béatrice Lopez. Je vous donnerai la même réponse à propos de l’enquête du magazine Auto Plus : nous ne connaissons pas les protocoles utilisés. Il est prévu de prendre contact avec eux pour connaître leur méthodologie. En attendant, nous ne pouvons pas juger des écarts observés.
M. Laurent Benoit. L’association Global New Car Assessment Program (Global NCAP) mène une réflexion au niveau européen sur ces questions touchant à l’environnement, dans le but, éventuellement, de définir une sorte de protocole, de Green NCAP plus précis que la réglementation et plus proche de la réalité.
Euro NCAP, le programme d’évaluation européenne des automobiles, organisme international indépendant, est plus sévère que la réglementation en vigueur. Le protocole d’Euro NCAP est très sérieux en matière de sécurité.
Mme la rapporteure. Dans quelle mesure peut-on considérer que l’intransigeance du contrôle d’homologation est plus stricte, aujourd’hui, pour ce qui concerne la sécurité du véhicule, qu’en ce qui concerne la pollution ?
Dans le cadre de vos conseils aux autorités françaises, avez-vous recommandé le dépassement de 110 % de la norme NOx entre 2017 et 2019 et de 50 % à partir de 2020, critères retenus le 28 octobre dernier par la Commission européenne ?
Pourriez-vous en outre répondre aux questions de la présidente et de M. Baupin sur le contrôle technique ? Vous avez un rôle de collecteur des données – que nous allons demander aux bons interlocuteurs – mais également un rôle quant aux méthodes de contrôle, quant à l’information et à la formation des contrôleurs…
Enfin, on nous a affirmé, d’un côté, qu’il fallait procéder à un travail de démontage coûteux pour vérifier qu’il y a une triche ou non, au moment du contrôle technique des véhicules censés être équipés d’un filtre à particules, quand d’autres nous ont déclarés que cette vérification ne figurait pas au nombre des critères de contrôle.
Mme Béatrice Lopez. Les critères d’homologation sont les mêmes en matière de sécurité et en matière d’environnement. Il s’agit des deux critères principaux retenus par la directive-cadre 2007/46/CE.
En ce qui concerne la décision du 28 octobre dernier, encore une fois, nous intervenons en tant qu’expert technique. Nous n’avons donc pas droit à la parole, au sein du Technical Committee on Motor Vehicles (TCMV), sur les décisions politiques.
Mme la rapporteure. Que vous a-t-on demandé alors ?
Mme Béatrice Lopez. Ce jour-là, de ne rien dire. (Sourires.) Nous sommes là en tant que support technique.
En amont de ce comité technique, se réunissent des groupes de travail qui élaborent la réglementation, mais nous n’intervenons qu’en ce qui concerne les procédures d’essais. Nous pouvons en effet, grâce à nos laboratoires, réaliser des essais préparatoires au futur protocole. Une fois que le protocole des essais est défini, la discussion passe au niveau politique auquel nous n’avons pas accès.
Mme la rapporteure. Si je comprends bien, vous avez été amenés à intervenir sur le détail du protocole WLTP ou sur le détail du protocole RDE, mais pas sur les décisions relatives au dépassement de normes.
Mme Béatrice Lopez. C’est tout à fait exact. Nous n’intervenons que sur les protocoles d’essais.
Ensuite, comme vous l’avez très bien dit, nous hébergeons tous les résultats des contrôles techniques et nous en faisons des analyses statistiques pour le compte du ministère. En tant qu’expert technique, nous participons aux protocoles donnés dans les centres de contrôle technique. Vous vous doutez bien que les mesures réalisées dans le cadre des contrôles techniques ne peuvent être de même nature que les essais réalisés en laboratoire d’homologation. Lors du contrôle technique d’un véhicule diesel, la mesure des fumées, de nature optique, n’a ainsi rien à voir avec celle, beaucoup plus précise, des particules, en masse et en nombre, effectuée en laboratoire.
M. Denis Baupin. Sur quoi portent les statistiques que vous établissez ?
Mme Béatrice Lopez. Le nombre de véhicules refusés, les défauts constatés, la plus ou moins grande sévérité des centres… Il ne s’agit pas de statistiques portant sur le fait de savoir, par exemple, si tel véhicule a tant de mètres moins un en opacité.
M. Laurent Benoit. Si le contrôle n’est pas concluant en ce qui concerne les fumées, l’automobiliste doit aller faire réparer son véhicule. Sur cette partie, c’est du « on-off », alors que sur d’autres points, l’évaluation peur être plus qualitative. Aussi, pour répondre à votre question, il y a, selon moi, une vraie pauvreté des données du contrôle technique sur le fait de savoir comment un véhicule vieillit – ce n’est donc pas le bon biais.
Mme la rapporteure. Ça pourrait l’être…
Mme Béatrice Lopez. Des réflexions sont en cours au niveau européen pour rendre le contrôle technique plus « parlant ». Nous pratiquons désormais un essai relatif aux systèmes de diagnostics embarqués (OBD, pour On Board Diagnostics), qui permet de vérifier que le véhicule détecte bien des défauts du dispositif antipollution, cela par le signalement lumineux, de couleur orange, au conducteur qui doit donc aller chez son garagiste. Dans le cadre du contrôle technique on va seulement vérifier si la lampe orange fonctionne – ici aussi, c’est du « on-off », ce qui reste assez sommaire.
M. Denis Baupin. Et en ce qui concerne une éventuelle agence européenne d’homologation ?
Mme Béatrice Lopez. L’UTAC y est très favorable. Nous en avons véritablement « ras le bol » que les autorités se montrent plus clémentes ! Nos laboratoires sont soumis à la norme ISO/CEI 17025:2005, ce qui coûte très cher. D’autres autorités n’ont pas de laboratoire et donc n’investissent pas en la matière. Aussi, si l’on pouvait harmoniser les processus d’homologation avec des exigences plus sévères, nous serions preneurs.
Nous investissons dans la compétence à hauteur de 10 % de notre chiffre d’affaires. Il s’agit de maintenir nos moyens, de les renouveler en fonction des nouvelles réglementations. Nous investissons enfin dans de nouvelles orientations automobiles. Il serait donc bon que, comme leur nom l’indique, tous les services techniques aient une compétence technique.
Mme la rapporteure. Y a-t-il une forme de concurrence entre organismes d’homologation en Europe et, si ce n’est sur le prix, est-ce sur la sévérité du contrôle ?
Mme Béatrice Lopez. Les prix sont à peu près tous équivalents, mais il est vrai qu’on peut noter une différence quant au nombre d’essais. Quand on connaît le prix d’un prototype, si nous exigeons trois essais alors que tel autre service n’en demandera qu’un, vous vous doutez bien que le coût ne sera pas le même. C’est en jouant sur les à-côtés qu’on pourra faire varier le coût d’une homologation.
Mme la rapporteure. Nous ne vous avons guère interrogés sur les procédures en cours : deux membres de la mission s’en occupent en particulier et nous poserons certaines questions directement au ministère dont vous êtes le service technique délégataire, étant donné que vous ne pouvez naturellement pas nous communiquer certaines informations.
M. Laurent Benoit. Nous ne savons pas du tout ce que PSA et Transport & Environnement vont enfanter. J’ai lu dans la presse que l’ONG était censée proposer à PSA des tests les plus cohérents possibles. Nous aurons l’occasion de voir demain M. Cuenot, de Transport et environnement, et comme il parle beaucoup (Sourires), nous en saurons plus sur son point de vue. Cette ONG est visiblement très indépendante et souvent très dure avec les constructeurs, aussi le groupe PSA n’a-t-il pas choisi le partenaire le plus facile.
Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Nous vous remercions.
La séance est levée à dix-sept heures vingt.
◊
◊ ◊
10. Audition, ouverte à la presse, de Mme Aliette Quint, du groupe Air Liquide, secrétaire générale de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) et de M. Fabio Ferrari, de la société SymbioFcell.
(Séance du mardi 1er décembre 2015)
La séance est ouverte à seize heures quarante.
La mission d’information a entendu Mme Aliette Quint, du groupe Air Liquide, secrétaire générale de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) et de M. Fabio Ferrari, de la société SymbioFcell.
Madame Delphine Batho, rapporteure. Nous recevons aujourd’hui deux représentants de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC), une organisation professionnelle qui a saisi directement notre mission pour être auditionnée. Il s’agit de Madame Aliette Quint, qui est la secrétaire générale de l’association et qui travaille au sein du groupe Air Liquide. Elle est accompagnée par Monsieur Fabio Ferrari, qui représente une start-up, la société Symbio Fcell.
Notre mission ne récuse aucune source d’énergie. Elle entend comprendre en quoi la filière de l’hydrogène peut contribuer positivement à la transition énergétique, spécialement dans les transports routiers. Je ne vous cache pas que des interlocuteurs de la mission se sont montrés dubitatifs, lors d’auditions précédentes, sur la possibilité de développer une voiture « grand public » qui fonctionnerait à l’hydrogène. Certains nous ont d’ailleurs expliqué que, travaillant dans l’automobile depuis plusieurs décennies, ils en avaient souvent entendu parler mais sans constater de débouchés concrets.
La presse fait état d’avancées récentes, mais non sans préciser que pour produire de l’hydrogène à des coûts acceptables, il faudrait recourir à des ressources fossiles comme le charbon ou le gaz naturel. Il est donc légitime de s’interroger sur le caractère économiquement viable du modèle économique du véhicule à hydrogène.
De grands groupes comme Air Liquide ou encore Michelin s’intéressent à la filière dans ses aspects « mobilité ». Ainsi, Michelin est entré au capital de la société Symbio Fcell en soutenant son ambition de produire, à l’horizon 2016, un millier de voitures Kangoo équipées de nouvelles piles à hydrogène. Ce programme bénéficie du soutien de l’ADEME, du FEDER et de collectivités territoriales.
Au-delà de nos frontières, nous souhaitons savoir où en sont les autres pays en matière de développement de la mobilité liée à l’hydrogène, notamment en Europe. Nos deux constructeurs et les grands équipementiers suivent-ils avec intérêt le développement de la filière ? Un récent article de presse faisait état d’une forte implication des constructeurs asiatiques Hyundai, Toyota et Honda dans les technologies de l’hydrogène – j’ai moi-même eu l’occasion, lors d’un déplacement au Japon, de constater que Nissan développait un certain nombre de projets dans ce domaine. Pouvez-vous nous dire où en sont ces constructeurs ?
Nous allons vous écouter au titre d’un exposé liminaire, avant que mes collègues et moi-même ne vous posions quelques questions.
Madame Aliette Quint. Je vous remercie de nous auditionner comme nous l’avons souhaité, estimant être en mesure d’apporter une contribution au débat portant sur l’avenir des transports propres en France. L’AFHYPAC est une association regroupant de nombreux membres de la filière industrielle et de la recherche en France, et représentant toute la chaîne de valeur de l’hydrogène énergie ; on y trouve de grands groupes tels qu’Air Liquide ou Michelin, ENGIE, GRTgaz, Siemens, mais aussi des PME comme Symbio, McPhy, HASKEL, Hydrogène de France, et de grands laboratoires de recherche tels que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) ou le CNRS. Elle a récemment été rejointe par le Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), ce qui montre l’intérêt de la filière automobile française pour le développement de l’hydrogène énergie.
Si votre mission s’intéresse spécifiquement à la problématique du transport, la technologie de l’hydrogène représente une solution globale et même incontournable pour la décarbonisation du transport, mais aussi de l’énergie : elle répond aux deux grands enjeux de la transition énergétique que sont le transport propre et l’intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Il faut donc bien avoir à l’esprit que le développement des marchés de masse tel celui de la mobilité propre va également permettre, à terme, d’engendrer une rentabilité économique effective de l’intégration des renouvelables, puisque l’hydrogène est l’un des moyens les plus efficaces de stocker l’énergie renouvelable en grande quantité et sur la durée.
Il ne me paraît pas inutile de rappeler brièvement comment nous produisons l’hydrogène-énergie. Aujourd’hui, l’hydrogène est produit à 95 % par un procédé de reformage du gaz naturel, consistant à casser la molécule CH4 – le méthane – pour obtenir de l’hydrogène d’une part, du CO2 de l’autre. Il s’agit d’une production industrielle de masse, pratiquée essentiellement par les raffineurs, qui désulfurent le gaz de synthèse obtenu afin de réduire la pollution engendrée par les gaz carburants. L’inconvénient de ce procédé est qu’il produit du CO2 : l’utilisation de l’hydrogène carboné dans les véhicules électriques à hydrogène – le bilan CO2 « du puits à la roue » – se traduit par une réduction globale des émissions de CO2 de 20 % à 30 %, ce qui demeure insatisfaisant. Pour décarboner la molécule d’hydrogène, il faut soit utiliser du biométhane à la place du gaz naturel, ce qui ne pose pas de problèmes sur le plan technologique, soit casser des molécules d’eau par un procédé d’électrolyse de l’eau pour obtenir des molécules H2 d’une part, O2 de l’autre ; à condition d’utiliser de l’électricité renouvelable – obtenue non pas à partir d’énergies fossiles, mais du vent ou du soleil, par exemple – pour effectuer l’électrolyse, on produit un hydrogène parfaitement propre.
Pour ce qui est du véhicule à hydrogène, c’est un véhicule électrique ayant exactement les mêmes propriétés qu’un véhicule à batteries. Sa seule particularité étant de disposer d’une réserve d’énergie embarquée sous la forme d’un stockage d’hydrogène, destiné à alimenter une pile à combustible. En combinant l’hydrogène à l’oxygène, on provoque une réaction d’oxydation de l’hydrogène, et une production d’électricité qui va servir à alimenter le moteur du véhicule. Dans la mesure où l’on effectue une opération exactement inverse à celle de l’électrolyse de l’eau, le seul résidu obtenu est de la vapeur d’eau : on ne produit aucun oxyde d’azote (NOx), aucun polluant, aucune particule fine. L’autonomie est aujourd’hui de l’ordre de 500 à 600 kilomètres – ce sera demain 700 à 800 kilomètres –, et l’utilisateur peut faire le plein d’hydrogène aussi simplement qu’il fait son plein d’essence aujourd’hui, en trois à cinq minutes. Le véhicule à hydrogène combine donc le meilleur des deux mondes en étant aussi simple à utiliser qu’un véhicule à moteur thermique, et beaucoup plus écologique.
Aujourd’hui, il n’y a plus aucune raison de se demander si cette technologie est mature ou non : elle l’est incontestablement. J’en veux pour preuve que de grands constructeurs tels que Toyota, Hyundai et Honda ont mis sur le marché des véhicules basés sur cette technologie, et que ces véhicules roulent sans problème. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de prototypes, mais de véhicules de série – certes, nous parlons ici de petites séries, ce qui explique le coût encore relativement élevé de ces véhicules : il faut compter environ 60 000 euros pour un SUV.
L’un des freins au développement de cette technologie est la problématique de l’approvisionnement en hydrogène des véhicules, qui suppose la mise en place d’une infrastructure adaptée. Un certain nombre de pays ont réglé cette question de manière volontariste. Ainsi, l’Allemagne a lancé un grand plan de déploiement des infrastructures grâce à un partenariat public-privé : un fort soutien public a été accordé en contrepartie d’un engagement des industriels de mettre de l’argent sur la table. Le gouvernement japonais a également fait preuve de sa volonté de déployer l’infrastructure d’approvisionnement. Le Department of Energy (DOE) américain a soutenu très fortement le lancement de la technologie hydrogène sur le marché. La Californie a ainsi mis en place un programme aux termes duquel les constructeurs doivent s’engager à mettre sur le marché un certain quota de véhicules propres – c’est-à-dire de véhicules électriques à batteries ou à hydrogène. Le Danemark s’est doté d’un réseau de cinq stations couvrant tout son territoire – ce qui est plus facile puisqu’il s’agit d’un relativement petit pays – et produisant l’hydrogène sur place, à partir de l’électrolyse de l’eau, ce qui permet à une petite flotte de véhicules de circuler au Danemark.
Pour ce qui est de la rentabilité économique, on peut penser que si les constructeurs automobiles ont investi des millions dans le développement de cette technologie, c’est qu’ils espèrent bien en tirer profit. Toyota a récemment annoncé son intention de passer sa production à 20 000 ou 30 000 véhicules dans les trois prochaines années.
La rentabilité de l’infrastructure constitue une problématique certaine. Air Liquide a décidé d’investir en partant du principe selon lequel la rentabilité dépend du taux de charge de la station : à partir du moment où des véhicules roulent à l’hydrogène, il existe un marché et le modèle devient rentable, ce qui justifie que nous fassions tant d’efforts pour développer cette technologie. Nous avons investi dans le consortium allemand, mais aussi en France, au Japon, au Danemark et aux États-Unis, c’est-à-dire dans tous les pays où le déploiement des technologies basées sur l’hydrogène énergie bénéficie d’un soutien public.
Au bout du tunnel, la rentabilité économique du modèle est au rendez-vous, mais avant d’en arriver là, il faudra franchir ce que nous appelons la « Vallée de la Mort » : à l’horizon 2020 ou 2025, les choses sont très compliquées puisque l’hydrogène n’est encore qu’une énergie de substitution. Cela dit, si la volonté politique de décarboner la société, notamment les transports, à l’horizon 2050, se confirme, elle nécessitera une électrification générale des transports par le recours à deux solutions non pas opposées, mais complémentaires, à savoir la batterie pour les transports urbains et l’hydrogène pour les trajets sur une plus longue distance.
Monsieur Fabio Ferrari. Comme vous l’a dit Madame Quint, l’électrolyse de l’eau produit de l’hydrogène et de l’oxygène. Pour notre part, nous faisons exactement l’inverse avec nos piles à combustible, en produisant de l’électricité et de l’eau à partir de l’hydrogène et de l’oxygène : c’est ce processus qui permet que les véhicules utilisent les énergies renouvelables.
Il y a actuellement une forte volonté des villes de purifier leur atmosphère. Ainsi, Paris connaît certains jours des pics de pollution équivalents à ceux des villes chinoises…
Madame Delphine Batho, rapporteure. La situation est grave, mais tout de même pas autant qu’en Chine.
M. Fabio Ferrari. Il n’est pas rare que les taux atteignent des niveaux très élevés, ce qui justifie que, dans certaines villes, la réglementation impose des restrictions d’accès au centre pour les véhicules polluants. C’est le facteur essentiel de transition du véhicule diesel vers le véhicule électrique, qui commence à créer un marché. Toutefois, pour le moment – c’est-à-dire tant qu’une réglementation ne viendra pas provoquer une bascule généralisée en valorisant le véhicule décarboné –, le prix du kilomètre le moins cher sera toujours obtenu avec cette technologie éprouvée et optimisée depuis une centaine d’années qu’est le diesel : les consommateurs n’abandonneront pas le diesel pour le véhicule écologique si un effet prix ne les incite pas à le faire.
Les restrictions réglementaires d’accès aux centres des villes constituent une incitation pour les professionnels à passer au véhicule propre. Cela dit, tant que chaque ville possédera sa propre réglementation en matière d’accès, de zones piétonnes et d’horaires de livraison, ce sera un vrai casse-tête pour le gestionnaire d’une flotte de véhicules d’optimiser – en termes de prix du kilomètre parcouru ou de la tonne de marchandises distribuées – l’organisation des tournées en centre-ville dont il est responsable. D’ores et déjà, La Poste et des grands transporteurs privés tels que DHL ou TNT commencent à passer au véhicule propre, et ce n’est ni par bonté d’âme ni par conviction écologique, mais bien parce que cela leur permet de réaliser un retour sur investissement.
Dans ce contexte, le seul véhicule permettant de franchir toutes les barrières réglementaires est le véhicule électrique, reconnu propre – le véhicule hybride n’étant, lui, qu’un véhicule thermique qui consomme moins, mais pollue tout de même. Par ailleurs, le véhicule électrique est apprécié des chauffeurs pour sa facilité d’utilisation. Le point faible des véhicules à batterie est l’autonomie, les technologies actuelles ne permettant pas à ces véhicules de concurrencer les véhicules diesel sur ce point. Les gestionnaires de flottes professionnelles sont demandeurs de véhicules disposant d’une autonomie d’au moins 200 kilomètres, voire 300 kilomètres par jour, afin d’accomplir une mission donnée. Or, dans les conditions d’utilisation réelle – la distribution de marchandises en centre-ville –, l’autonomie des véhicules à batteries n’excède pas 100 kilomètres : comme vous le savez, le fait de s’arrêter et de redémarrer à de très nombreuses reprises, comme le fait un postier ou un livreur, se traduit par une consommation deux ou trois fois plus élevée – que ce soit en diesel ou en électricité – que celle résultant d’une utilisation standard. Aujourd’hui, le véhicule à batterie permet de remplir certaines missions, mais il n’est pas assez performant en termes d’autonomie pour remplacer tout le parc de véhicules diesel : c’est ce qui explique que La Poste, par exemple, n’ait remplacé que 5 000 de ses 40 000 véhicules.
Certains constructeurs, tel Tesla, tentent de remédier à la contrainte de l’autonomie en équipant les véhicules d’un plus grand nombre de batteries. Le problème, c’est que cela se traduit par une hausse de prix – plus de 50 % du prix d’un véhicule électrique correspond au prix des batteries dont il est doté – et par une réduction de la capacité d’emport, ce qui pose un problème pour une utilisation professionnelle. Certains consommateurs sont disposés à remplacer leur véhicule diesel par un véhicule électrique, à condition que celui-ci dispose d’une plus grande autonomie. Une étude réalisée par le groupe de travail « H2 Mobilité France » a mis en évidence que, pour les professionnels, le prix au kilomètre était le même avec un véhicule électrique équipé d’un prolongateur d’autonomie à hydrogène qu’avec un véhicule diesel : il est donc possible d’atteindre un seuil de rentabilité économique avec un véhicule électrique, pour peu que la réglementation incite les utilisateurs à franchir le pas – car si les deux types de véhicule donnent les mêmes résultats, les personnes possédant un véhicule diesel n’auront pas de raison de changer leurs habitudes.
Il faut réfuter le mythe selon lequel les véhicules à hydrogène coûteraient très cher ! Aujourd’hui, les technologies mises en œuvre – souvent en France – permettent d’obtenir un prix du kilomètre équivalent à ceux des véhicules diesel. Il nous manque donc seulement un coup de pouce pour faire vraiment décoller les ventes. C’est l’objectif du projet HyWay, soutenu par l’ADEME, consiste à déployer cinquante véhicules utilitaires hybrides batteries-hydrogène, autour de deux stations de distribution d’hydrogène à Lyon et Grenoble. Dès que la production atteindra un certain niveau, nous n’aurons plus besoin d’aide pour vendre des véhicules électriques au prix du diesel, et certains constructeurs ont déjà bien compris que construire un véhicule hydrogène coûtait moins cher que de construire un véhicule diesel dépollué – car réduire les émissions de NOx et de CO2 de manière efficace se traduit par un surcoût.
Pour ce qui est de l’écosystème automobile, les constructeurs français ont fourni très tôt de gros efforts pour développer le véhicule électrique, mais ont malheureusement dû réduire la recherche et le développement dans ce domaine pour des raisons budgétaires. Chez Renault, c’est Nissan qui explore la technologie électrique, notamment la pile à hydrogène. Pour ce qui est de PSA, après avoir été un pionnier dans ce domaine – nous utilisons une technologie issue de celle développée en France par le groupe –, il a dû mettre fin pour des raisons budgétaires à sa R&D sur ce thème. Il existe donc peu de véhicules à hydrogène développés aujourd’hui par les constructeurs français. En revanche, les équipementiers investissent dans cette technologie, assez largement mise en œuvre par autres constructeurs dans le monde. Ainsi, les Allemands sont prêts à mettre des véhicules sur le marché et n’attendent pour cela que le déploiement de l’infrastructure nécessaire – 400 stations devraient équiper nos voisins d’outre-Rhin d’ici à 2023. Nous travaillons avec les équipementiers à la mise au point des réservoirs, des stacks – les empilements de cellules électriques – et de nombreux autres éléments constitutifs du système de la pile à combustible.
La viabilité économique du modèle de la voiture à pile à combustible ne fait plus aucun doute, étant précisé que dans ce domaine, les cycles d’introduction de nouvelles technologies sont assez longs. Toyota a mis une dizaine d’années à introduire la technologie aujourd’hui mise en œuvre sur la Prius, et nous pensons pouvoir obtenir une très bonne rentabilité économique de la technologie hydrogène dans le même laps de temps. C’est ce qui nous fait dire que nous devons investir dès maintenant dans cette technologie, afin d’être prêts quand il y aura vraiment un marché – et les constructeurs et les équipementiers pensent la même chose. Je vous invite à lire le position paper qui vient d’être publié par la Plateforme de la filière automobile (PFA), qui souligne que le marché sera d’abord un marché de niches, limité à la livraison et aux services en centre-ville, et ne deviendra un marché grand public que lorsque les infrastructures nécessaires seront présentes. Toute la question est de savoir si la France sera en avance ou en retard dans le développement de cette infrastructure, ce qui relève de la proactivité politique.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Madame Quint, vous avez évoqué une politique de quotas mise en œuvre en Californie. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Nos conclusions auront d’autant plus d’impact que nous aurons su observer la plus grande neutralité technologique. Je ne doute pas que vous soyez convaincus de la pertinence de la technologie dont vous les représentants, mais force est de constater que l’on entend parler depuis longtemps des véhicules fonctionnant sur le principe d’une pile à combustible, et que l’on s’explique mal que cette technologie ne se soit toujours pas imposée. Vice-présidente du conseil régional d’Alsace, une fonction dans le cadre de laquelle j’ai été chargée de l’innovation, de la recherche et de l’enseignement supérieur jusqu’à l’année dernière, je me souviens qu’il y a plusieurs années, les écoles d’ingénieurs locales travaillaient déjà, avec le concours du CNRS, au déploiement des infrastructures de recharge et au développement des technologies que vous dites aujourd’hui être matures. Existe-t-il des freins en la matière ? En particulier, la question de la dangerosité des véhicules est-elle évoquée, comme elle l’a été pour les véhicules roulant au GPL ?
Sur le plan économique, vous dites qu’un modèle mature n’a besoin que d’une incitation réglementaire et d’un soutien pour le lancement des cinquante premiers véhicules. Or, j’ai lu récemment un excellent rapport démontrant que le réglementaire ne jouait aucun rôle dans l’amélioration de la qualité de l’air dans les centres urbains – si ce n’est celui d’afficher la volonté politique des équipes en place d’agir dans ce domaine –, les résultats les plus intéressants étant ceux résultant de la mise en place d’équipements permettant de nouveaux modes de mobilité. En tout état de cause, il me semble qu’une production de cinquante véhicules représente bien peu pour que l’on puisse parler d’un modèle économique mature, et qu’il est sans doute nécessaire d’augmenter la production afin que le prix de vente de ces véhicules devienne accessible à la majorité des Français, ce qui est loin d’être le cas avec des voitures vendues 60 000 euros !
Mme Aliette Quint. Le programme californien que j’ai évoqué est le Zero-Emissions Vehicle (ZEV) Program. Il consiste en l’obligation pour les constructeurs automobiles de mettre sur le marché californien une certaine proportion de véhicules propres, et prévoit la possibilité, pour les constructeurs ayant atteint les objectifs assignés, de revendre aux autres leurs quotas excédentaires. Ce système, consistant en une espèce de marché carbone des véhicules propres, a ensuite été repris par une dizaine d’autres États des États-Unis, et la Californie souhaite désormais créer une alliance ZEV ouverte à tous les États du monde disposés à prendre part au grand marché de quotas des véhicules propres – les Pays-Bas se sont d’ores et déjà déclarés intéressés.
Datant de 2003, le programme connaît actuellement une accélération due à la mise en place de pénalités pour les constructeurs n’atteignant pas leurs quotas de véhicules. Ce système fait la fortune de Tesla, qui revend ses quotas sur le marché. Par ailleurs, il incite de nombreux constructeurs à diriger leurs flottes de véhicules propres en Californie afin de bénéficier du programme ZEV.
Le principe de neutralité technologique est effectivement important, et nous estimons d’ailleurs qu’à terme, ce n’est pas une technologie unique qui s’imposera, mais un panel de technologies complémentaires, pour aboutir à un transport propre. Il est évident qu’à l’horizon 2030, tous les types de technologie – batteries, hydrogène, hybride, diesel etc. – cohabiteront encore, et qu’il faudra sans doute attendre 2050 pour voir les véhicules électriques individuels devenir prédominants, à côté des véhicules roulant au gaz naturel – grâce aux technologies Liquefied Natural Gas (LNG) et Compressed Natural Gas (CNG). L’un des intérêts du programme ZEV est de ne pas privilégier une technologie au détriment des autres : il exige simplement que soient mis sur le marché des véhicules qualifiés de propres en fonction de critères strictement définis. L’Allemagne et le Japon ont fait le choix de soutenir aussi bien les véhicules à batteries que les véhicules à hydrogène et ceux au gaz naturel.
Nous pensons que les véhicules à hydrogène sont intéressants surtout sur les segments C et D, c’est-à-dire des véhicules relativement lourds, représentant 75 % de la pollution engendrée par le parc automobile, tandis que les véhicules à batteries sont, eux, intéressants sur les plus petits véhicules : cette répartition découle de la nécessité de placer plus de batteries sur les véhicules ayant vocation à disposer d’une autonomie plus importante – c’est ce qui fait que certains véhicules Tesla embarquent 1,4 tonne de batteries pour une autonomie de 600 kilomètres, ce qui ne paraît pas très raisonnable en termes d’efficacité. Pour les gros camions parcourant de longues distances, c’est le GNL qui sera le plus adapté. Comme vous le voyez, à chaque segment correspond un type de motorisation plus intéressant que les autres.
Pour ce qui est des freins au développement des véhicules à pile à combustible, Air Liquide a pris en charge la coordination du programme « Hydrogène Énergie en France », destiné à développer des marchés de niche sur l’hydrogène. Au départ, le Graal recherché par tous les acteurs était le marché de masse de la mobilité, un objectif jamais atteint parce que les constructeurs n’étaient pas au rendez-vous et que les recherches dans ce domaine étaient coûteuses et compliquées. Les niches ont donc semblé offrir des opportunités intéressantes, qu’il s’agisse des systèmes de sauvegarde de données, des tours de télécommunication ou de la logistique, et Air Liquide s’est lancé à la conquête de ces marchés avec l’aide d’un certain nombre de partenaires français.
Les constructeurs automobiles nous ont un peu pris de court, certains d’entre eux – notamment Daimler, Toyota, Hyundai et même Peugeot, avec un prototype – affirmant détenir la technologie leur permettant de faire rouler des véhicules à l’hydrogène. Nous avons cru un moment qu’il serait possible d’introduire de l’hydrogène dans les moteurs thermiques, avant de nous rendre compte que cette technique complexe basée sur la combustion n’était pas très efficace sur le plan énergétique. À partir du moment où certains constructeurs, tel Toyota, ont commencé à dépasser certains blocages en maîtrisant les moteurs électriques à hydrogène, qui sont des moteurs hybrides, et où la miniaturisation des piles à combustible a conduit à une division de leur prix par dix ou vingt, nous avons été en mesure d’équiper les véhicules de piles à combustible sans que celles-ci n’occupent une place excessive. L’autre avancée majeure a consisté en la possibilité d’embarquer de l’hydrogène sous forme de gaz comprimé, en quantité suffisante pour procurer une autonomie rivalisant avec celle des véhicules à batteries et même celle des véhicules à moteur thermique. Une fois ces avancées obtenues, les constructeurs sont revenus vers nous en nous demandant où en était l’infrastructure, que nous nous sommes donné pour mission de faire progresser.
La question de la dangerosité est importante. La molécule d’hydrogène est très légère et s’échappe facilement, ce qui nécessite certaines précautions – vous vous souvenez peut-être de cette expérience réalisée en classe de troisième, lors de laquelle on fait « aboyer » un tube à essais contenant de l’hydrogène en approchant une allumette de son embouchure, afin de démontrer le caractère détonant du mélange hydrogène-oxygène. Sur ce point, les constructeurs ont fait leur travail, et s’il serait intéressant pour vous de les auditionner, je peux d’ores et déjà vous dire que lors des crash-tests extrêmement sévères auxquels sont soumis les véhicules à hydrogène, le réservoir contenant l’hydrogène est la partie du véhicule qui résiste le mieux aux chocs – c’est même, lors des tests les plus intenses, la dernière pièce du véhicule à rester intacte.
Pour ce qui est de la résistance au feu, les pompiers sont désormais formés à combattre les incendies ayant pris sur des véhicules à hydrogène, et ils vous diront tous qu’ils sont beaucoup plus à l’aide sur un feu de ce type que sur l’incendie d’un véhicule à essence. En effet, la flamme d’hydrogène produit très peu de radiations, ce qui signifie qu’elle produit peu de chaleur : vous pouvez ainsi placer votre main très près d’une flamme à hydrogène sans vous brûler. Lors de l’incendie d’un véhicule, un dispositif va se déclencher, laissant l’hydrogène s’échapper vers le haut en produisant une flamme qui ne dégagera pas de radiations, donc pas de chaleur, vers les sièges arrière du véhicule ; sur un véhicule à essence, l’ensemble de l’habitacle est détruit en quelques minutes.
Nous travaillons avec les Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ainsi qu’avec la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), afin de mettre en place une réglementation relative aux stations d’approvisionnement des véhicules qui prenne en compte l’ensemble des standards internationaux relatifs à la sécurité. De ce point de vue, nous devons être extrêmement stricts, afin de ne pas refaire les erreurs commises avec les véhicules au GPL.
M. Fabio Ferrari. Il existe en matière de sécurité des véhicules une norme européenne et une norme internationale. Par ailleurs, comme vient de le dire Madame Quint, nous travaillons avec les pompiers, formés aux procédures d’intervention et convaincus par la fiabilité de nos produits au point de nous acheter des véhicules – les pompiers du département de la Manche ont ainsi été les premiers à s’en équiper.
J’insiste sur le fait que pour convaincre les usagers de véhicules diesel de passer à un véhicule à hydrogène, il faut créer une incitation d’ordre réglementaire, en édictant des restrictions d’accès ou en agissant sur le coût – par l’instauration d’une taxe sur le diesel ou de primes à l’achat de véhicules à hydrogène. En tout état de cause, l’incitation doit avoir pour effet de diminuer le coût de possession du véhicule hydrogène par rapport au véhicule diesel, dont la technologie est amortie depuis plus de cent ans et dont la production en énormes quantités autorise un prix de vente réduit. Pour vous donner un ordre de grandeur, les piles à hydrogène que nous fabriquons aujourd’hui coûtent entre 1 500 et 2 000 euros du kilowatt, à rapporter au coût de 50 euros pour la production automobile classique. Or, à défaut d’élément incitatif, nous n’atteindrons jamais l’effet volume recherché.
Mme la rapporteure. Nous sommes déjà parfaitement conscients de l’enjeu de la technologie hydrogène et avons besoin, pour progresser dans nos travaux, que vous nous donniez des éléments très factuels et très précis, et pas seulement des éléments généraux sur les perspectives d’évolution de la mobilité à l’horizon 2030.
Que pouvez-vous nous dire sur le coût de production d’un véhicule à hydrogène par rapport à ceux d’un véhicule électrique et d’un véhicule thermique ?
Par ailleurs, vous avez indiqué que certains constructeurs s’engageaient dans des programmes de développement de l’hydrogène. Pouvez-vous nous donner des détails sur la nature de ces programmes ?
Que pensez-vous de la situation et des perspectives de la France en matière de développement des technologies hydrogène ? Estimez-vous qu’il y ait un blocage, et que nous soyons en retard ? Quelles sont précisément vos attentes et vos demandes vis-à-vis des pouvoirs publics pour vaincre les freins au développement de votre activité ?
Pour ce qui est de l’infrastructure de distribution de l’hydrogène, j’entends bien le raisonnement consistant à dire que, plutôt que d’exiger des pétroliers qu’ils fassent en sorte de permettre l’introduction d’urée dans les carburants afin de réduire les NOx, il serait plus efficace de s’orienter directement vers la mise en place d’une infrastructure de distribution d’hydrogène. Pouvez-vous nous dire si la réglementation a évolué en la matière au cours des deux ou trois dernières années, et où en sont l’Allemagne et le Japon, qui avaient exposé des programmes assez ambitieux en la matière : ces pays respectent-ils leurs calendriers ? Ce que vous avez dit tout à l’heure au sujet de la Prius ne me paraît pas recevable dans la mesure où, contrairement aux véhicules à hydrogène, ce véhicule n’était pas confronté au problème de l’infrastructure de recharge.
M. Fabio Ferrari. Pour ce qui est du coût des véhicules, je me bornerai à vous donner des éléments d’information sur ceux produits par la société Symbio Fcell. Aujourd’hui, notre modèle Kangoo équipé d’un prolongateur d’autonomie à hydrogène est vendu 30 000 euros au client, déduction faite d’une aide de 10 000 euros – ce qui couvre à peine notre coût de production de 40 000 euros pour le véhicule équipé de son kit de prolongation d’autonomie. Il nous reste donc 10 000 euros à gagner pour commencer à prendre un peu de marge sur les ventes de nos véhicules – aujourd’hui limitées à une série de cinquante, ce qui est dérisoire au regard des productions de véhicules standard.
L’objectif que j’ai évoqué tout à l’heure, consistant à passer à un coût de production de 50 euros du kilowatt, ne résulte pas de nos calculs, mais d’une estimation du Department of Energy (DOE) américain, qui effectue actuellement un sondage auprès des constructeurs mondiaux, afin de déterminer où ils en sont de leur courbe de décroissance et de leurs estimations du coût de fabrication des piles à hydrogène. En France, nous travaillons avec un ensemble de partenaires que je ne peux vous citer, afin de voir si la moyenne internationale estimée par le DOE est atteignable avec nos moyens de production : nous sommes très proches du seuil de 50 euros en dessous duquel nous serions moins chers qu’un véhicule diesel.
Comme vous le dites, il n’y a pas lieu de comparer la situation des véhicules à hydrogène de celle de la Prius, dans la mesure où celle-ci n’a pas été confrontée à la problématique de l’infrastructure que nous devons résoudre. Je n’ai cité cette comparaison que dans la mesure où le groupe Toyota le fait lui-même. Ce que les responsables de Toyota ne disent pas, c’est qu’ils souhaitent mettre en place un modèle de déploiement de la technologie hydrogène – ils y travaillent aux États-Unis, notamment avec Air Liquide – visant à s’affranchir de la problématique de l’infrastructure, en proposant des packages incluant non seulement le véhicule, mais aussi la fourniture de l’énergie. Aujourd’hui, la Tesla est vendue avec sa recharge gratuite – le coût de l’électricité est compris dans le prix de vente de la voiture –, et c’est ce modèle qu’ils cherchent à imiter. Notre démarche est un peu similaire avec notre approche de flotte captive : dès lors qu’il se trouve un ensemble de véhicules à un endroit donné, un opérateur d’énergie va être en mesure de proposer une offre d’approvisionnement. En gros, il est intéressant d’installer une station à partir du moment où un peu plus de vingt véhicules sont susceptibles de venir y faire le plein.
Mme la rapporteure. Quel est le seuil de rentabilité d’une station ?
M. Fabio Ferrari. Environ quarante véhicules – c’est d’ailleurs le seuil à partir duquel les banques sont disposées à consentir des prêts –, mais il est possible d’envisager l’installation d’une station à partir d’une vingtaine de véhicules venant s’approvisionner régulièrement.
Mme Aliette Quint. Nous avons installé environ 75 stations de distribution d’hydrogène dans le monde, ce qui représente 30 % de parts de marché – car nous avons évidemment des concurrents. Le consortium regroupant Air Liquide, Total, la compagnie pétrolière autrichienne OMV, Shell, Daimler et notre principal concurrent dans les domaines du gaz industriel, le groupe Linde AG, a installé dix-huit stations en Allemagne sur les cinquante dont le pays a décidé de se doter à l’horizon 2017. Il y a donc un peu de retard dans le calendrier – ce que les autorités allemandes nous rappellent régulièrement – en raison des délais administratifs d’ouverture des stations plus longs que prévu et, dans une moindre mesure, de la difficulté pour nous de maintenir un rythme d’investissement très soutenu.
Pour ce qui est du Japon, nous y avons installé deux stations, en partenariat avec la société Toyota Tsusho, et sommes en pourparlers en vue de la poursuite du déploiement des stations, le pays ayant pour objectif de disposer de cent stations d’ici à 2020. Je ne dispose pas d’éléments précis sur l’état du calendrier, mais je vais me renseigner et reviendrai vers vous pour vous faire part des informations que j’aurai recueillies.
Mme la rapporteure. La réglementation en matière de sûreté des véhicules et des stations, qui paraissait constituer un frein majeur au développement de l’hydrogène-énergie il y a deux ou trois ans, a-t-elle évolué favorablement ?
Mme Aliette Quint. Dans ce domaine, nous saluons le travail du ministère de l’environnement, en particulier de la DGPR. Des groupes de travail, auxquels l’AFHYPAC a pris part, ont été mis en place afin de remédier à divers points de blocage. Ainsi, un arrêté ad hoc a été rédigé afin de permettre la distribution d’hydrogène pour les chariots élévateurs électriques. Cet arrêté visant un certain nombre de points critiques a été adressé à toutes les DREAL, qui délivrent désormais beaucoup plus facilement les autorisations nécessaires, faisant ainsi passer l’instruction des dossiers de dix-huit à trois mois, ce qui constitue une avancée considérable ; il vient d’être soumis au Conseil supérieur de la prévention des risques (CSPR), et devrait être publié très prochainement.
Pour ce qui est des stations destinées au grand public ou aux flottes captives, nous sommes en discussion avec la DGPR afin de mettre en place les prochaines étapes du groupe du travail. Les choses avancent bien, même si la réglementation doit encore évoluer, notamment en ce qui concerne les seuils d’autorisation et de déclaration.
J’insiste sur le fait qu’à ce jour, le principal obstacle reste l’insuffisance d’engagement politique, en particulier de soutien financier public qui faciliterait les premiers déploiements. Si le déploiement des bornes de recharge électrique bénéficie d’un fort soutien, rien n’est fait encore fait pour les infrastructures de distribution d’hydrogène. Nous discutons avec le ministère dans le cadre du plan Nouvelle France Industrielle (NFI), dirigé par Florence Lambert. Nous avons ainsi proposé un certain nombre d’actions, notamment une aide équivalente à celle offerte par le Gouvernement pour les véhicules à batteries, et espérons être entendus afin de pouvoir entreprendre le déploiement initial sur le sol français. Dès que les ministères de l’industrie et de l’environnement auront donné leur aval, nous serons en mesure de faire connaître notre plan de déploiement, précisant combien de stations nous entendons installer, pour approvisionner combien de véhicules, et à quels emplacements – ce qui dépendra de la situation des flottes captives.
Il faudra ensuite mettre au point la phase 2, consistant en un déploiement plus large, pour un investissement plus important que les 50 millions d’euros initiaux. À ce stade, nous devrons passer des financements publics aux financements privés, en nous efforçant d’intéresser les banques à un projet de déploiement d’infrastructures énergétiques de substitution, qui constitue un investissement risqué. Nous réfléchissons avec CDC Climat aux moyens qui pourraient permettre de diminuer le risque, notamment dans le cadre d’un partenariat avec l’Allemagne.
M. Fabio Ferrari. Nous nous félicitons de constater que l’hydrogène est cité dans la loi de transition énergétique : c’est un acquis fondamental, car cette filière était jusqu’alors assez peu présente dans les textes de loi. Nous avons bénéficié de quelques aides publiques qui nous ont permis de déployer les premières stations : au niveau national, avec l’ADEME et la région Rhône-Alpes, mais aussi au niveau européen, avec le programme TEN-T, qui va permettre le financement d’une quinzaine de stations en Normandie. Quatre premières stations ont d’ores et déjà été financées par l’Europe au stade de la R&D afin de tester les nouvelles infrastructures, et huit autres devraient l’être à terme. Nous en sommes actuellement à quatre stations ouvertes au public en France, et Air Liquide va inaugurer lundi prochain sa première station à Paris.
Mme Aliette Quint. Cette station parisienne sera installée de façon temporaire à proximité du pont de l’Alma, dans le cadre d’un partenariat conclu entre Air Liquide et une société de taxis électriques parisiens qui a décidé de passer à l’hydrogène dès que des véhicules fabriqués en série ont été disponibles sur le marché – les véhicules à batteries qu’ils utilisaient précédemment leur posaient des problèmes en termes d’autonomie. Cinq taxis viendront donc s’approvisionner à cette station temporaire durant quelques mois, jusqu’à ce que l’on ouvre des stations fixes autour de Paris – en commençant par les aéroports – afin de permettre, au terme d’une montée en puissance du dispositif, le ravitaillement de 500 ou 600 taxis. Le financement des infrastructures s’est fait grâce à des financements européens, mais le modèle a vocation à se rentabiliser très rapidement compte tenu de la flotte de taxis qui viendra s’approvisionner à nos stations.
M. Fabio Ferrari. Une dernière station a été achetée par la Mairie de Paris afin d’alimenter sa flotte de Kangoo utilitaires. Comme vous le voyez, le déploiement planifié par « H2 Mobilité France » est désormais une réalité, et une vingtaine de villes sont aujourd’hui intéressées par notre modèle. Nous cherchons un soutien en termes de financement, que nous devrions trouver dans le cadre du plan Nouvelle France Industrielle.
Mme la rapporteure. En ce qui concerne les financements privés, le modèle du consortium allemand est-il un bon modèle ? Par ailleurs, je m’étonne que vous mentionniez le plan Nouvelle France Industrielle sans rien dire des programmes d’investissements d’avenir (PIA) ni de la convention « Véhicules du futur » : est-ce parce qu’aucun appel à projets n’a été lancé dans ce cadre ?
M. Jean Grellier. Quand il est fait appel aux financements publics comme c’est le cas avec la technologie hydrogène, je ne peux m’empêcher de me demander si le principe de neutralité technologique est bien respecté. Il y a deux ou trois ans, le Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC) a été appelé à contribution pour la mise aux normes des stations d’essence et de gazole, et les collectivités locales ont été sollicitées pour le déploiement des bornes de recharge électrique. Or, il semble aujourd’hui que la technologie de l’hydrogène ait vocation à prendre le dessus, ce qui va nécessiter la mise en place d’une nouvelle infrastructure. Il va falloir faire un choix car, à défaut, les effets de volume, de production industrielle et de prix finiront bien par nous rattraper – or, je n’ai pas l’impression que les grands constructeurs soient disposés à abandonner du jour au lendemain le modèle du véhicule thermique.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. La société Symbio a-t-elle été approchée en vue d’un éventuel rachat ?
M. Fabio Ferrari. Nous procédons actuellement à des levées de fonds, mais n’avons pour le moment que des investisseurs français, et la présence de Michelin dans notre capital nous protège certainement de certaines convoitises.
Mme Aliette Quint. Le modèle allemand est un modèle exemplaire de partenariat public-privé, avec des partenaires privés motivés pour faire progresser le modèle économique, notamment le constructeur automobile Daimler. Nous sommes tous conscients qu’il nous faut franchir la « Vallée de la Mort », et que nous n’y parviendrons pas seuls : nous aurons toujours le temps de nous battre entre nous lorsqu’il y aura un marché, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Cela dit, le modèle allemand présente quelques contraintes particulières, notamment la nécessité de déployer l’infrastructure avant de penser aux véhicules. De ce point de vue, le modèle français, basé sur le principe consistant à déployer prioritairement l’infrastructure à proximité des flottes captives qui vont permettre de rentabiliser plus rapidement les investissements, paraît plus vertueux. Nous ne sommes pas opposés à l’idée de mettre en place en France un partenariat public-privé à l’instar de ce qui se fait en Allemagne, et c’est d’ailleurs ce qui est envisagé dans le cadre du plan NFI.
Si je n’ai pas évoqué le Commissariat général à l’investissement (CGI), chargé de la mise en œuvre du Programme d’investissements d’avenir, c’est qu’il nous a été clairement indiqué qu’il n’avait pas vocation à financer le déploiement d’infrastructures en dehors des bornes de recharge électrique.
M. Fabio Ferrari. Qui constituaient une exception.
Mme Aliette Quint. Effectivement, en l’occurrence, le principe de neutralité technologique ne s’est pas appliqué. Cela dit, nous pensons que le CGI va participer à la mise en place de financements dans le cadre du plan NFI.
M. Fabio Ferrari. Au sujet de la vision à long terme, je souligne que l’étude sur l’hydrogène-énergie réalisée avec le concours d’énergéticiens a mis en évidence la synergie qui pouvait exister entre ce vecteur énergétique qu’est la mobilité, et d’autres usages. Si ces autres usages n’offraient pas des débouchés supplémentaires à l’hydrogène, nous n’aurions pas pu nous lancer. Évidemment, tout dépend du développement des énergies renouvelables, et nous ne pouvons tirer des plans sur la comète, mais une augmentation des besoins en stockage d’énergie paraît inévitable et, pour les énergéticiens consultés, la meilleure solution pour un stockage en quantité est l’hydrogène – or, si le stockage de l’hydrogène pour les ENR est rentable, il le sera également pour la mobilité.
Par ailleurs, au niveau économique, il sera toujours moins cher de stocker l’électricité directement dans une batterie que de passer par le vecteur hydrogène – car il faut bien amortir l’électrolyseur. Dès lors, quand on n’a pas besoin de stocker beaucoup d’énergie dans le véhicule et que la flexibilité d’usage – le fait de refaire le plein en trois minutes – n’est pas une priorité absolue, la voiture à batteries constitue la meilleure solution, c’est-à-dire celle présentant le plus faible prix d’utilisation au kilomètre. Dans le cas contraire, c’est-à-dire quand on a besoin de stocker de l’énergie à bord du véhicule et de disposer d’une grande flexibilité, l’hydrogène est le plus rentable, car le stockage de trop nombreuses batteries n’est pas une bonne solution.
Mme Aliette Quint. Comme je l’ai dit tout à l’heure, Air Liquide a travaillé avec CDC Climat pour réfléchir à un modèle de financement alternatif des infrastructures. En fait, il s’agit de déterminer comment attirer le financement bancaire. Pour cela, CDC Climat a passé au crible tout notre business plan de déploiement des infrastructures à l’horizon 2020-2040. La conclusion de cette étude est claire : notre modèle est rentable, il n’y a aucun doute quant au fait qu’il puisse rapporter de l’argent. Les banques sont donc intéressées en dépit de quelques risques : il faut que les véhicules soient bien présents, et que le prix du carbone reste suffisamment élevé pour permettre le développement de carburants alternatifs, notamment l’hydrogène. Il suffit que 1 % de la flotte mondiale de véhicules se convertisse à l’hydrogène pour que se constitue un marché de 15 milliards d’euros. Pour ce qui est des constructeurs automobiles, je ne peux m’exprimer en leur nom et sans doute faudra-t-il que vous les auditionniez au sujet de leur modèle économique – qui, a priori, paraît solide.
Mme la rapporteure. Que pouvez-vous nous dire au sujet de la technologie développée par PSA, que vous avez évoquée tout à l’heure ?
M. Fabio Ferrari. Les systèmes de piles à hydrogène étaient autrefois produits selon des processus qui n’étaient pas optimisés pour le monde automobile. Lorsqu’ils se sont intéressés à la question, les ingénieurs de PSA se sont demandé comment produire une pile à hydrogène au meilleur coût possible, et ont mis au point un nouveau procédé avec le concours du CEA. Ils ont donc breveté dans les années 2000 les premiers systèmes de piles à hydrogène constituées de plaques bipolaires métalliques, qui constituaient alors une innovation mondiale et leur ont donné de l’avance sur leurs concurrents en matière de densité énergétique.
Depuis, nous avons mis au point une nouvelle génération de piles avec le CEA, puis une autre avec Michelin, qui détenait également une technologie avancée de son côté
– toujours dans l’objectif de produire moins cher.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. PSA n’a donc pas poursuivi sa R&D afin de chercher à rentabiliser son procédé initial ?
M. Fabio Ferrari. Non, le groupe a dû y renoncer pour des raisons budgétaires, car l’entretien des brevets et la rémunération des équipes de R&D ont un coût très élevé, qu’il ne pouvait supporter sans être certain de trouver une application immédiate aux avancées obtenues. Cela dit, nous avons récupéré une partie de son équipe technique. Tout n’est donc pas perdu.
Mme Aliette Quint. Je reviendrai vers vous dès que possible afin de vous donner des éléments d’information sur les calendriers allemand et japonais, et vous préciser le fonctionnement du mécanisme californien ZEV et du mécanisme de financement innovant.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous vous remercions pour vos explications.
La séance est levée à dix-huit heures.
◊
◊ ◊
11. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Maler, inspecteur général de l’administration du développement durable et de M. Jean-Bernard Erhardt, administrateur en chef des affaires maritimes du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).
(Séance du mercredi 2 décembre 2015)
La séance est ouverte à douze heures cinq.
La mission d’information a entendu M. Philippe Maler, inspecteur général de l’administration du développement durable et M. Jean-Bernard Erhardt, administrateur en chef des affaires maritimes du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons aujourd’hui deux hauts fonctionnaires, MM Philippe Maler et Jean-Bernard Erhardt, qui, dans le cadre du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), ont récemment rédigé un rapport sur la coordination des actions ministérielles pour l’usage du gaz naturel liquéfié (GNL) comme carburant dans les transports routiers.
Ce travail s’inscrit dans la continuité d’une réflexion administrative plus large et de moyen terme. Le GNL est en effet reconnu comme l’une des composantes de la transition énergétique à l’échelon européen.
Notre mission d’information entend examiner les potentiels de chacune des filières « carburant », comme nous l’avons fait hier pour l’hydrogène et les piles à combustible. Le GNL est d’ailleurs considéré comme un carburant alternatif au sens de la directive européenne n° 2014/94 du 22 octobre 2014. À ce titre, la France sera tenue de notifier, avant la fin de l’année prochaine, son cadre national de déploiement des infrastructures de distribution du GNL.
Le gaz naturel liquéfié a pour particularités positives de très peu émettre d’oxydes d’azote (NOx) et de particules fines, contrairement au diesel, et de réduire sensiblement le niveau sonore des moteurs. Son utilisation pour les poids lourds devrait donc être favorisée. Pourtant, à ce jour, on ne compterait que quelques dizaines de véhicules de transport recourant, en France, à ce carburant. En outre, il n’existerait actuellement aucune station-service délivrant du GNL dans un cadre public : les points de distribution restant limités à des entreprises ou à des collectivités.
Au-delà du transport de marchandises, pourquoi le recours au gaz naturel liquéfié semble-t-il peu envisageable pour les véhicules légers ?
À l’expérience le gaz de pétrole liquéfié (GPL), qui concerne depuis plus de vingt ans les véhicules légers, et qui, après avoir enregistré des périodes de relative diffusion, ne paraît plus être considéré comme très « porteur ». Les situations sont-elles comparables ?
Pourrez-vous nous expliquer pourquoi la France est en retard ? Une fiscalité nettement plus favorable au GNL par rapport au diesel serait-elle la condition première au développement de ce carburant propre ?
Ces interrogations sont d’autant plus légitimes qu’il existe en France de grands groupes gaziers ainsi qu’une tradition de recherche et développement qui devraient nous placer à la tête de cette technologie.
M. Philippe Maler, inspecteur général de l’administration du développement durable. Le CGEDD est un organisme placé auprès de la ministre chargée de l’écologie. Il est consulté sur toutes les politiques entrant dans le champ d’action du ministère et, en l’occurrence, le transport et la transition énergétique.
Les travaux de notre mission n’ont concerné que les aspects relatifs à l’entreprise et à la filière du transport, alors qu’au départ il s’agissait d’une question contingente regardant le domaine maritime.
Le gaz naturel liquéfié est un produit industriel transformé dans les pays de production depuis le gaz naturel, et liquéfié à moins 160 degrés Celsius ; son volume est 600 fois moindre que celui du gaz naturel. Il est transporté dans des navires appelés méthaniers vers l’un des trois – bientôt quatre – terminaux méthaniers de France, où il est regazéifié afin d’être utilisé comme un gaz classique. Depuis quelques années, l’utilisation du GNL comme produit industriel, notamment comme carburant, constitue un fait nouveau : certaines entreprises ont d’ailleurs abandonné le fioul ou le gaz naturel.
Le GNL n’est pas un gazole froid. Il est stocké à basse température dans des réservoirs cryogéniques. Son volume est deux fois moindre que celui du gaz naturel compressé (GNC). Il offre une autonomie double de celle du GNC, et permet une puissance des moteurs supérieure. En revanche, une de ses caractéristiques est qu’il faut beaucoup rouler – plusieurs centaines de kilomètres par jour – afin de vider le réservoir, car la stagnation du produit entraine une vaporisation du gaz susceptible de nuire à sa qualité.
En 2012, une mission nous a été confiée pour répondre à un problème posé par le transport maritime utilisant principalement comme carburant le fioul, un produit dont les caractéristiques écologiques sont très mauvaises mais dont le prix est très bas. Or, une réglementation internationale et européenne prohibant l’émission de soufre par les navires circulant – en ce qui nous concerne – en Manche et en mer du Nord, est intervenue. Force est de reconnaître que, à la différence des pays scandinaves, l’armement maritime français n’y a guère été sensible : la ministre de l’écologie a donc été saisie de la question.
Au départ, notre mission ne devait durer que quelques mois, mais il s’est avéré que la question à traiter excédait largement celle de la propulsion des navires. Cela nous a conduits à travailler durant à peu près deux ans, en mettant en relation professionnels et administrations afin de créer un environnement favorable à l’utilisation du GNL comme carburant maritime. Nous avons ainsi été amenés à étudier les conditions objectives, réglementaires et financières, dans lesquelles fonctionne le secteur.
Le GNL n’est pas, en France, une success-story, pour la simple raison que, le prix du pétrole s’étant effondré, le gazole marin est devenu aussi peu coûteux que l’était antérieurement le fioul. Cela a sans doute été profitable aux entreprises – une étude du ministère a montré que les risques de faillite étaient sérieux, particulièrement pour les ferries –, mais cela a retardé la promotion du GNL, car les investissements nécessaires dans les navires et les installations de stockage à terre sont très lourds.
En 2013, le ministère a étendu le mandat de la mission aux secteurs routier et fluvial.
Le transport routier de marchandises représente 40 000 emplois : la flotte est composée de 250 000 camions – de plus de 3,5 tonnes – et de 200 000 tracteurs, appartenant pour une partie à des entreprises effectuant du transport en compte propre ; c’est un chiffre assez faible au regard du nombre de véhicules circulant en France. Toutes les normes techniques et réglementaires applicables au secteur sont d’origine européenne, alors que la concurrence internationale est extrêmement forte puisqu’une part importante du kilométrage réalisé dans la zone est le fait de non-résidents. De fait, les trajets au départ de la France ne représentent que 15 % du trafic international, et 0 % du transit : le camion étranger circulant sur notre territoire constitue donc un réel sujet d’intérêt.
Mais, si le nombre des véhicules concernés est relativement faible, le volume des émissions polluantes est, en revanche, considérable : selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), le trafic des véhicules de plus de 3,5 tonnes – ce qui inclut les autocars – a produit 23 % des émissions françaises de NOx en 2011. De son côté, le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) estime que ce trafic a été à l’origine de 7,2 % des émissions nationales de CO2 en 2012. On constate ainsi que les politiques de réduction des émissions de polluants concernent un secteur stratégique ; à cet égard, il faut reconnaître que la profession est parfaitement au fait de la question et a proposé des solutions intelligentes, sans pour autant renoncer au carburant diesel qui reste dominant.
Bien que les avis demeurent partagés, notre rapport a procédé à un certain nombre d’évaluations de l’impact éventuel du recours au GNL en termes d’émissions polluantes. Si les chiffres relatifs au NOx ne sont guère probants, ils le sont bien plus pour le CO2, quand bien même, là aussi, des estimations très divergentes sont en circulation. Le volume de 25 % est souvent avancé, mais il ne concerne que la mesure effectuée entre le réservoir et la roue
– l’hélice pour le maritime – ; or, s’agissant du CO2, ce qui importe, ce sont les émissions mesurées à partir du puits jusqu’à la roue ou l’hélice.
Afin d’arriver à définir une position française officielle, nous sommes parvenus à un accord entre les gaziers et l’ADEME et à définir une méthode commune de mesure des émissions de CO2 dues au transport, sachant qu’au sein de l’Union européenne chaque pays rencontre les mêmes difficultés. C’est là un point essentiel, qui fait d’ailleurs l’objet de l’une des recommandations de notre rapport.
Le recours au bio-GNL comme au bio-GNC constitue indéniablement une solution d’avenir, qui concerne un volume de production très important et permettrait de résoudre à la fois le problème des émissions de polluants et celui des émissions de CO2. Au demeurant, la mise en œuvre de cette perspective théorique pose des questions d’arbitrages et d’équilibres ne relevant pas des travaux de notre mission.
Le rapport explore les pistes d’utilisation du GNL et du GNC, les vertus de ces deux gaz étant les mêmes dans leur usage en tant que carburant destiné aux véhicules. Pour sa part, l’investissement se décompose en deux sujets : celui du réseau de distribution, beaucoup moins coûteux pour le domaine terrestre que pour le secteur maritime, et celui des véhicules. Aujourd’hui, les véhicules adaptés à ces nouveaux carburants sont coûteux puisque fabriqués en très petites séries, à la différence des poids lourds ; par ailleurs, les aides ne concernent que les véhicules particuliers. À cet égard, notre questionnement est le suivant : si peu de véhicules sont concernés, leur construction n’en relève pas moins d’investissements d’entreprise ; il existe tout de même divers moyens de faciliter ce type d’investissements sans nécessairement recourir à la prime.
En ce qui concerne l’approche industrielle, 13 800 camions, soit 5,7 % du parc, et 20 000 tracteurs, soit 10 % du parc, ont été construits en 2014. À la différence des véhicules légers, il n’existe pas de constructeurs français ; en revanche, trois entreprises construisent des camions sur notre sol : Iveco, Renault Trucks – suédois depuis une quinzaine d’années – et Scania. Toutefois, la France est exportatrice nette de moteurs à gaz, puisque Iveco construit une part non négligeable de ces moteurs en France, dans son usine de Bourbon-Lancy : la France dispose donc d’un savoir-faire dans la construction de moteurs à gaz. Les données relatives aux emplois issus de ces activités nous proviennent des industriels eux-mêmes : environ 1 000 équivalents temps plein (ETP), dont 150 créations nettes.
Enfin, la filière GNL concerne tout ce qui relève de la cryogénie, ce qui excède le seul transport routier ou maritime, pour laquelle la France détient un indéniable savoir-faire industriel en développement, et, depuis deux ans, nos industriels s’y intéressent beaucoup plus, à l’instar du groupe Air Liquide. Je tiens à signaler qu’il existe dans notre pays un fort potentiel au sein du secteur du gaz, même si cela outrepasse le cadre du rapport. La technologie du moteur à gaz, qu’il soit comprimé ou liquéfié, est maîtrisée, ce qui signifie que nous n’avons pas de recherche et développement à faire, à l’exception du biogaz et, surtout, de l’hydrogène.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Notre mission ne s’intéresse pas uniquement aux véhicules particuliers, mais aussi au transport routier, qui est singulièrement stratégique. Vous considérez dans votre rapport que, pour les deux décennies à venir, le GNL constitue la seule solution technologiquement au point pour le transport routier ; j’aimerais que vous puissiez nous apporter des précisions.
Pourriez-vous, par ailleurs, fournir des informations ainsi que des comparaisons au sujet de la situation et des perspectives des pays européens, mais aussi dans d’autres zones géographiques, comme la Chine et les États-Unis ?
Enfin, vous n’avez pas abordé la question stratégique des réseaux, sur laquelle nous serions heureux d’entendre vos conclusions.
M. Gérard Menuel. Il me semble que vous avez tenu des propos quelque peu contradictoires, en évoquant, au sujet du GNL, la contrainte de couvrir beaucoup de kilomètres quotidiens, tout en considérant qu’il n’y avait plus de travaux de recherche et développement à accomplir : n’y aurait-il pas justement là une recherche à mener ?
M. Jean Grellier. Les trois constructeurs de poids lourds que vous avez évoqués disposent-ils tous du même savoir-faire industriel, ou certains sont-ils plus avancés que d’autres ?
M. Philippe Maler. Dans le domaine de la construction de véhicules à gaz, Iveco est, de loin, le principal constructeur européen ; c’est une filiale du groupe Fiat, qui se consacre, lui, aux véhicules légers.
M. Jean Grellier. Pouvez-vous nous renseigner au sujet des diverses filières du gaz, biogaz compris, susceptible d’être utilisé comme énergie pour les moteurs ? Des réflexions sont actuellement en cour concernant le rétrofit – ou réaménagement –, concernant notamment les bus ; il s’agirait d’accroître leur longévité en adaptant leurs moteurs au gaz.
M. Philippe Maler. Le rétrofit est couramment pratiqué en Espagne ; en France, il se heurte au manque d’enthousiasme des compagnies d’assurance ; au demeurant, les camions fonctionnant au GNL sont très utilisés et, en conséquence, très vite revendus – après avoir roulé 100 000 kilomètres au minimum, généralement hors de notre pays. Aussi ne suis-je pas sûr que le rétrofit puisse constituer une solution, du moins pour des camions, a fortiori pour des tracteurs de remorques. La profession n’a d’ailleurs pas exprimé de demandes particulières à cet égard.
M. Jean-Bernard Erhardt, administrateur en chef des affaires maritimes (Conseil général de l’environnement et du développement durable). Le GNL est conditionné dans des réservoirs. A ma connaissance, ceux de marque Chart sont à 8 bars ; une soupape d’évaporation sert à prévenir l’échauffement du GNL non utilisé au-delà de 16 bars. C’est pourquoi, afin de maintenir le GNL froid dans le réservoir, il faut l’utiliser régulièrement et faire plusieurs centaines de kilomètres par jour. En effet, le modèle économique veut que le transporteur achète du gaz en tant qu’énergie, et non pour qu’il se trouve éventé : ne pas utiliser le GNL acheté constituerait un non-sens économique.
Afin d’éviter ce phénomène de vaporisation – le boil-off gas –, il est possible d’utiliser le GNL compressé dans des réservoirs à 200 bars, ce qui réduit les risques et permet de ne pas utiliser son véhicule pendant plusieurs jours. Stocké à moins 163 degrés Celsius, le GNL est essentiellement formé de méthane ; de son côté, le gaz de pétrole liquéfié, qui est du butane propane, est stocké à pression atmosphérique liquide à moins quinze degrés.
Pour répondre à votre question sur les enseignements tirés de l’utilisation du GPL, madame la présidente, et particulièrement sur les accidents liés aux valves, j’indiquerai que, dans le domaine du GNL, toutes les normes techniques sont définies ou en cours de définition, notamment pour les stations-service d’approvisionnement. Les véhicules utilisant le GNL répondent à un règlement international édicté par la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU) et qui est entré en vigueur à l’automne dernier : il définit les normes applicables à ces véhicules, y compris celles du réservoir.
Dans notre rapport, nous avons souligné l’enjeu que constitue la formation de tous les acteurs impliqués dans la chaîne logistique qui seront conduits à manipuler du GNL, de façon à éviter les erreurs dues à l’absence de procédures ou les réactions inappropriées en cas d’incident. L’Association française du gaz (AFG), avec laquelle nous travaillons, a déterminé un référentiel de formation des chauffeurs-livreurs ; par ailleurs, notre mission approfondit actuellement ce point en participant aux travaux du sous-groupe GNL du Forum européen du transport durable.
Dans le cadre de la préparation de la programmation pluriannuelle de l’énergie, nos travaux au sein des ateliers biogaz ont montré qu’il faut partir de ce gaz et l’épurer afin d’obtenir du biométhane pour parvenir à une qualité susceptible d’être utilisée comme carburant. À partir du biométhane, on obtient du bio-GNC compressé à 200 bars, ou, en le liquéfiant – à condition d’avoir de petites unités de liquéfaction – afin de l’obtenir sous forme liquéfiée à moins 163 degrés Celsius.
Le rapport insiste sur la nécessité de mettre en place une chaîne logistique de bio-GNL. Nous devons aussi étudier avec l’ADEME quels peuvent être les gains attendus de la liquéfaction du biométhane en termes de réduction des émissions de CO2. Aussi, des travaux supplémentaires de recherche et développement, restent probablement à mener, et nous souhaitons rencontrer des équipementiers, notamment le groupe Air Liquide, afin d’évoquer la question des stations GNL.
M. Philippe Maler. Le transport routier constitue un métier nécessitant de potentiellement pouvoir aller partout ; cela signifie que vos véhicules doivent pouvoir se rendre là où ils sont appelés. Ainsi, une compagnie de ferries, dans le cadre d’une série de deux ou trois liaisons fixes, peut parfaitement fonctionner avec ses propres réserves de carburant. De son côté, un transporteur routier peut tout faire partout, surtout si sa flotte est composée de gros véhicules. Il faut donc être assuré, où que l’on se trouve, de trouver du carburant à un prix économiquement valable. Cela vaut aussi pour le GNL maritime.
Nous savons que la ressource est d’une ampleur et d’un coût tels que, dans la durée, il constituera un carburant compétitif ; faudra-t-il encore qu’il le soit écologiquement. Nous avons consulté bien des acteurs, dont l’ADEME : tout en restant prudents, nous avons estimé que nous disposons de deux décennies pour ne pas dire d’avantage ; dans un tel laps de temps, plusieurs camions seront nécessaires, ce qui n’est pas le cas des navires.
M. Jean-Bernard Erhardt. En ce qui concerne la Chine, la littérature disponible montre un fort développement du GNL dans le transport routier, mais aussi fluvial, sur le Yang-Tsé, ainsi que maritime. Préoccupé par la pollution, ce pays investit dans la lutte pour la qualité de l’air. On assiste à une augmentation consistante du nombre d’unités de liquéfaction du gaz et de terminaux destinés à maintenir le circuit d’approvisionnement. De très nombreux véhicules terrestres et autres transports fluviaux utilisent désormais le GNL comme carburant, en outre, les projets de construction de bateaux compatibles se multiplient.
Les États-Unis mènent une politique à l’échelon fédéral : la United States Environmental Protection Agency (EPA) et la United States Maritime Administration (MARAD) promeuvent les projets GNL, à la fois pour la navigation maritime et fluviale, sur les Grands Lacs ainsi que pour les transports routiers. Le très bas prix du gaz dans ce pays favorise le développement de l’utilisation du GNL par les opérateurs de transport.
Par ailleurs, des États fédérés, tels la Californie, ou même des États dépourvus de littoraux, encouragent activement le recours au GNL et au GNC et développent des stations-service adaptées au transport routier.
M. Philippe Maler. Le site internet de la société américaine UPS Express décrit la composition de la flotte et retrace les quantités de GNL utilisées ainsi que les zones où il est recouru à l’hybride électrique et au diesel. La rationalité de l’organisation en fait le cas d’école d’une entreprise ayant compris son intérêt.
En Europe, l’usage du GNL est récent ; il existe, en plus forte proportion qu’en France, dans trois pays. En Grande-Bretagne, le recours au GNL s’est développé à la manière d’une génération spontanée, il n’existe pas de politique globale : la Vehicle Certification Agency (VCA) édicte les règles applicables à la propreté des véhicules terrestres. Ce pays s’est récemment équipé d’un terminal méthanier à South Hook, sans pour autant disposer de plateformes compatibles.
Les Hollandais se sont dotés du Gate Terminal, plateforme GNL fonctionnant comme une sorte de club, auquel des gaziers, des transporteurs et des industriels peuvent s’affilier moyennant un droit d’entrée : tout est organisé autour de ce terminal, à partir duquel le gaz est distribué ; cette organisation diffère en tout de la nôtre. Les Hollandais dominent le transport routier européen depuis longtemps : leur organisation est rationnelle et fonctionnelle ; leur flotte comprend 300 véhicules environ, certaines entreprises disposent de 20 camions et les chiffres du kilométrage sont éloquents. Il faut garder à l’esprit que, dans ce pays, la préoccupation de la qualité de l’air préside à toute construction d’infrastructure, bien plus qu’en France.
En Espagne, le mouvement a été inverse puisque c’est le monde économique qui s’est constitué en association, impliquant les deux domaines maritime et routier ; l’administration n’est impliquée que dans une moindre part. Cette situation s’explique par la présence, dans ce pays, de huit terminaux méthaniers qui ne connaissent pas, aujourd’hui, une activité florissante, au point que l’un d’entre eux, bien qu’inauguré, n’a jamais fonctionné. Le réseau « tuyau » étant peu développé, le GNL, très utilisé, doit être acheminé.
Les Espagnols ont beaucoup investi le sujet ; ils recourent largement au rétrofit, car la crise économique n’encourage guère l’acquisition de camions neufs. La politique suivie est très volontariste : leur plan de développement prévoit 2 000 poids lourds fonctionnant au GNL à l’horizon 2020.
M. Jean-Bernard Erhardt. Depuis plusieurs années, les pays nordiques sont les plus avancés dans l’utilisation du GNL comme carburant maritime. La Norvège utilisait déjà ses ressources gazières et disposait d’un fonds « NOx » résultant de cotisations d’entreprises. Avec ce pays, la Suède, le Danemark et la Finlande constituent un réseau de petits terminaux méthaniers qui approvisionne en GNL les flottes terrestres et maritimes.
Sur la petite centaine de navires recourant aujourd’hui au GNL, la moitié au moins se trouvent dans ces pays, surtout en Norvège : les projets se multiplient dans les pays nordiques, mais aussi en Allemagne ; en Espagne, l’armateur Balearia transforme ses ferries afin d’utiliser ce carburant. Nous avons appelé l’attention de l’administration maritime et des ports français sur le développement de la concurrence des ports européens : depuis Zeebrugge, tous les ports de la mer du Nord disposent de leur propre réglementation et de leur logistique d’approvisionnement des navires en GNL. Aussi les ports français ne doivent-ils pas rater ce rendez-vous s’ils veulent demeurer compétitifs.
M. Philippe Maler. À l’époque où nous établissions notre rapport, il n’y avait pas, en France, de stations publiques de distribution de GNL terrestre ; aujourd’hui, il en existe deux et d’autres sont en construction, dont certaines bénéficient de financements communautaires. Nous encourageons nos partenaires à recourir à ces financements, que d’autres pays ont su utiliser beaucoup mieux que nous dès le départ, car ils sont stratégiques.
M. Jean-Bernard Erhardt. Dans le cadre financier pluriannuel européen 2007-2013, un ensemble de projets d’infrastructure a bénéficié de plus de 500 millions d’euros de financement, et de 160 millions d’euros du fonds dédié au réseau de transport transeuropéen. La part française a été très faible : trois projets seulement, pour un peu plus de 2,5 millions d’euros. Sur cette période, nous avons utilisé les sources de l’Agence pour l’innovation et les réseaux (INEA), qui gère les financements du réseau de transport transeuropéen (RTE-T). Avec le Bureau de promotion du shortsea shipping (BP2S), l’AFG et l’Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV), nous avons conduit des actions d’information des opérateurs.
À cette occasion, nous avons pu examiner des dossiers déposés par des opérateurs français dans le cadre du dernier appel publié par la Commission européenne en 2014. Au cours de cette année, 25 projets d’utilisations du GNL ont été retenus par la Commission : dix sont axés sur les transports routiers, parmi lesquels trois sont français, ce qui dénote un intérêt plus marqué de nos entreprises pour les financements européens d’infrastructures. L’attractivité de l’aide par subventions réside en ce que les études sont cofinancées à 50 % par le RTE-T, les travaux à 20 % pour le routier et à 30 % pour les autoroutes de la mer.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Messieurs, nous vous remercions pour cette présentation riche et détaillée.
La séance est levée à douze heures quarante-cinq.
◊
◊ ◊
12. Audition, ouverte à la presse, de M. Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP), de Mme Isabelle Muller, déléguée générale et de M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques.
(Séance du mardi 8 décembre 2015)
La séance est ouverte à dix-sept heures.
La mission d’information a entendu M. Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP), Mme Isabelle Muller, déléguée générale et M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons ce soir M. Francis Duseux, le président de l’UFIP, l’Union française des industries pétrolières. Il est accompagné par Mme Muller, la déléguée générale de cette organisation professionnelle et par M. Ageorges, chargé des relations institutionnelles.
L’UFIP est une organisation dont les origines remontent au début de l’utilisation des produits pétroliers en France, il y a plus d’un siècle. Elle rassemble la totalité des groupes qui opèrent en France « du puits à la pompe », c’est-à-dire qu’il est notamment le porte-parole des raffineurs et distributeurs de carburants.
Notre mission d’information s’intéresse naturellement aux carburants routiers, à leurs poids économique et, bien sûr, à leur régime fiscal.
Il semble que les ventes de carburants automobiles connaissent depuis quelques années une relative stagnation, voire certaines baisses saisonnières. Mais, au total, le gazole représente toujours environ 80 % des livraisons de carburants routiers ! À lui seul, ce chiffre montre à quel point tout rééquilibrage significatif du parc entre motorisations diesel et essence prendra du temps.
L’expérience professionnelle de M. Duseux, qui a accompli toute sa carrière au sein du groupe Exxon, en France et à l’étranger, nous permettra sans doute de mieux comprendre certains points et certains enjeux. Par exemple, pourquoi la France importe-t-elle massivement le gazole alors qu’il représente une part aussi importante du marché français ? Est-il économiquement plus lucratif pour les groupes pétroliers d’importer constamment et massivement ce carburant plutôt que de le produire au sein de raffineries françaises ? En tout état de cause, les importations de gazole – dont nous souhaiterions connaître les pays d’origine, notamment européens – pèsent sur notre balance commerciale.
Par ailleurs, nous aimerions savoir quelles sont les propositions de l’UFIP s’agissant de la fiscalité des carburants et de leur impact sur les prix. Par exemple, êtes-vous inquiets de l’entrée en vigueur puis de la montée en puissance de la contribution climat-énergie ? Plus généralement, quelles sont les projections de l’UFIP sur le marché pétrolier français et quelles sont les anticipations stratégiques que vos membres auraient engagées en conséquence ?
Pouvez-vous nous présenter quelques exemples concrets de l’adaptation des entreprises pétrolières françaises sur la voie de la transition énergétique dans les domaines du transport routier ?
La mission va vous écouter, dans un premier temps, pour un exposé de présentation et de situation. Puis, Mme Delphine Batho, notre rapporteure, vous posera un premier groupe de questions. Elle sera suivie par les autres membres de la mission qui, à leur tour, vous interrogeront.
M. Francis Duseux, président de l’Union française des industries pétrolières (UFIP). Mesdames et messieurs, merci beaucoup de nous avoir donné l’opportunité d’échanger avec vous aujourd’hui. Dans l’esprit de la COP21, nous sommes évidemment désireux de consommer moins et de consommer mieux. Il n’est plus question, pour les pétroliers, d’être climato-sceptiques. Pour ma part, je considère qu’il faut engager des changements pour contribuer à l’amélioration de la qualité de l’air et à la limitation des émissions.
Nous avions déjà engagé une action en ce sens, entre 1997 et 2000, avec le programme « Auto-Oil II » dont l’objectif était de définir un cadre pour différentes options de réduction des émissions, portant sur le coût, l’efficacité scientifique et la transparence.
Dans ce propos liminaire, j’aborderai quatre sujets : le défi climatique et la baisse de consommation prévue, qui devrait entraîner une importante réduction des émissions ; le défi de compétitivité pour nos industries, notamment nos raffineries ; la fiscalité et ses impacts potentiels ; enfin, un petit mot sur le rôle des biocarburants.
Premièrement, la réponse au défi climatique, qui est lié à la problématique de la qualité de l’air.
On s’est engagé avec Bercy sur les neuf solutions industrielles qui ont été définies en mai 2015 et répondent désormais au nom générique d’« Industrie du futur ». Dans ce cadre, le thème de la mobilité écologique rassemble, notamment, les projets liés à la réduction de la consommation des véhicules jusqu’à 2 litres aux 100, dont nous avions beaucoup parlé avec nos collègues de l’industrie automobile.
Les émissions de CO2 des véhicules légers neufs ont déjà beaucoup baissé, et cette tendance va se poursuivre : moins 1 % jusqu’en 2007, pour atteindre 160 g par km ; moins 4 % par an à compter de 2008, pour atteindre 118 g par km en 2013. Et comme vous le savez, l’objectif de 2020 est de 95 g, et celui de 2025 de 75 g par km.
Nous avons rencontré nos collègues énergéticiens pour essayer de voir ce que la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) signifiait pour nous, pour nos industries, nos raffineries, et pour la consommation en France. Nous continuons à travailler avec le Gouvernement sur le sujet, mais je peux vous donner les grandes tendances qui se dessinent.
La demande en énergie dans les transports va baisser d’environ 20 %, et la demande en carburant pétrolier d’origine fossile va baisser de 30 %. Il y a bien sûr des incertitudes et en tant que pétroliers, nous ne contrôlons pas tout. Malgré tout, si l’on tient compte de l’évolution des véhicules, ce chiffre nous paraît réaliste. Cela représente environ 10 millions de tonnes par an de produits, et essentiellement de gazole. Nous aborderons un peu plus tard, à votre demande, la question de la fiscalité. Mais cette étude a été lancée même avant que l’on ne parle du rattrapage de celle-ci.
Quoi qu’il en soit, on assiste à une stagnation de la consommation d’essence et à une forte baisse de la consommation du diesel pour les véhicules légers. Reste la problématique du transport poids lourds, que l’on évoquera sans doute séparément.
Il y aura de plus en plus de véhicules électriques en milieu intra urbain. Par ailleurs, à l’horizon 2030, une voiture sur deux devrait être un véhicule hybride rechargeable – idéal pour faire 60 ou 80 km par jour pour vous rendre au travail avec le moteur électrique, et pour partir plus loin, par exemple en vacances, avec le moteur thermique. Cela conduira à une très forte baisse de la consommation. Le phénomène nous paraît inéluctable. Et tous nos échanges avec les constructeurs automobiles vont dans le même sens.
J’en viens aux biocarburants. L’objectif du Gouvernement est de porter à 15 % la part de l’utilisation des énergies renouvelables dans les transports à l’horizon 2030, et à 10 % à l’horizon 2020.
Mais la situation est un peu compliquée. Récemment, l’Europe a limité l’introduction de bio dans les carburants à un pourcentage de 7 % – grâce à la France, semble-t-il. Et pour le moment, on n’ira pas plus loin.
Par ailleurs, l’Institut français du pétrole-Énergies nouvelles (IFP-En) – dont nous avons vu le président, Monsieur Didier Houssin – a engagé des études sur l’utilisation des biocarburants de deuxième génération. L’objectif est louable, mais il n’y a même pas de pilote en place !
Voilà pourquoi, en tant que pétroliers, nous considérons qu’il sera difficile de mettre au point des processus industriels relativement économiques pour parvenir à un pourcentage de 15 % – ce qui suppose 8 % de biocarburant de deuxième génération. Dans ce domaine, il faut faire attention aux hypothèses sur lesquelles on se base.
Ensuite, on prévoit une augmentation de 5 à 6 % de l’utilisation du biogaz, GNV ou GPL, certaines flottes privées de transport par camions étant appelées à se développer. Je pense que ce sont les politiques qui décideront, ou non, du rythme de cette augmentation.
Enfin, la part de l’électricité devrait rester assez faible, à 1,5 %.
L’important, pour votre commission, est de savoir que l’on va accompagner, sans autre mesure fiscale, le mouvement qui est prévu en termes de transition énergétique. Cela va se traduire par une baisse de consommation de 30 %, essentiellement du gazole. Voilà le premier message que je voulais faire passer.
Deuxièmement, le défi de compétitivité pour le raffinage et la logistique pétrolière.
Je rappelle qu’en France l’industrie pétrolière emploie environ 200 000 personnes. Mais nous y associons souvent nos collègues de la pétrochimie, qui lui est fortement liée.
Il existe actuellement huit raffineries en métropole, plus une en Martinique. Le secteur a fait l’objet d’une forte rationalisation, qui s’est traduite par de nombreux problèmes politiques, sociaux et humains. En effet, au cours de ces cinq dernières années, les marges des raffineries étaient très déprimées. Il faut dire qu’en Europe, la tendance globale de la demande est à la baisse, alors même que la concurrence est à la hausse.
Cette concurrence vient de trois endroits et surtout, maintenant, des Etats-Unis. Ces derniers ont complètement transformé leur modèle pétrochimique et de raffinage. Ils étaient à peu près dans la même situation que nous, avec des raffineries un peu vieillissantes et des rationalisations. Mais depuis deux ans, ils ont accès à un combustible trois fois moins cher que celui dont on dispose en Europe, à savoir le gaz de schiste, et ils réinjectent des milliards de dollars dans leur outil pétrochimique. Malgré leur niveau de consommation, ils s’approchent de l’indépendance énergétique. Ils arrivent non seulement à satisfaire leurs propres besoins, mais encore à exporter du gazole vers l’Europe et les ports français. En outre, ils vont exporter massivement du polyéthylène et du polypropylène, produits chimiques qui ne sont pas des carburants, mais qui entrent dans la production des véhicules automobiles.
Il ne nous reste donc plus que huit raffineries en métropole. En effet, après Dunkerque dans le Nord, puis Reichstett en Alsace, ce fut au tour de la raffinerie de l’Étang de Berre de fermer, en raison de pertes trop conséquentes – LyondellBasell ne conservant que la partie chimie. Enfin, plus récemment, après de nombreux allers et retours, la raffinerie de Petit-Couronne a fini par fermer ; il n’y avait pas eu d’investissements pendant douze ou treize ans dans cette raffinerie, et il aurait fallu réinjecter 700 à 800 millions d’euros pour la relancer, ce qui était impossible.
Aujourd’hui, Total a annoncé qu’il allait reconvertir en bio raffinerie la raffinerie de La Mède, sur l’étang de Berre ; il va arrêter la distillation classique de pétrole brut et, au travers du retraitement d’huiles usagées, produire des biocarburants ; il va également maintenir une activité essence aviation, et faire un parc de cellules éoliennes. Je pense qu’il a cherché à conserver le maximum d’emplois. Mais cela va réduire encore le traitement de pétrole brut dans notre pays.
Ainsi, en raison de pertes très importantes, la France a procédé à une rationalisation très marquée de son activité de raffinage. C’est un peu moins le cas dans le reste de l’Europe, en particulier en Italie où l’outil de raffinage reste surdimensionné.
Au-delà de ces huit raffineries, notre outil logistique est assez sophistiqué. C’est sans doute un des meilleurs d’Europe. Des pipe-lines, dont le réseau est très élaboré, acheminent les produits finis, qui sont stockés dans les dépôts. Il y a 190 dépôts dans toutes les régions de France, et à la demande du Gouvernement, nous disposons de trois mois de stocks stratégiques pour faire face en cas de crise. Enfin, il y a 11 350 stations-service.
Le nombre de ces stations-service a beaucoup chuté. À une époque qui n’est pas si lointaine, on en comptait 40 000 ! Mais pour des raisons de rentabilité, on a procédé à une rationalisation, au point qu’aujourd’hui, certaines petites villes rencontrent des problèmes d’approvisionnement. La situation risque de s’aggraver si, comme on l’a prévu, la demande continue à baisser dans les prochaines années. Il faudra donc se soucier du maillage de notre territoire en stations-services. S’il est possible d'utiliser les transports en commun dans les grandes villes, ce n’est pas le cas dans les zones rurales. Je pense que pendant très longtemps encore, leurs habitants auront besoin d’utiliser leur véhicule pour aller au travail, se déplacer, faire les courses, etc.
La baisse de la demande constitue un premier défi pour le raffinage et la logistique pétrolière. Il y en a d’autres. Je citerai le niveau très élevé des coûts, en particulier ceux de l’énergie, qui représentent 50 % des coûts d’une raffinerie, et la réglementation française et européenne, qui est extrêmement pénalisante – limitation des émissions, plans de prévention des risques technologiques (PPRT). Il convient, certes, d’être exemplaires et d’éviter les accidents industriels. Mais cela finit par nous handicaper par rapport au reste de l’Europe, et surtout par rapport au reste du monde. Sans compter le déséquilibre essence-gazole qui nous a pénalisés pendant vingt ans.
De fait, nos raffineries avaient été conçues dans les années soixante, époque où l’objectif était essentiellement de fabriquer de l’essence. Mais avec le temps, on est passé d’un ratio de 80 % de consommation de gazole contre 20 % de consommation d’essence. Et une fois que nous sommes parvenus à extraire le maximum de gazole d’un baril de pétrole, il nous a fallu en importer. Voilà pourquoi, comme vous l’avez rappelé, madame la présidente, sur à peu près 40 millions de tonnes de gazole que nous consommons par an, nous en importons 20 millions de tonnes. Ce n’est pas bon. Cela pèse, je crois, pour 65 milliards sur notre balance commerciale.
Ce gazole vient d’un peu partout dans le monde. Pendant des années, c’était du gazole russe, parce qu’il était disponible. Il est maintenant concurrencé par le gazole américain et par celui du Moyen-Orient ou même de l’Inde. Cette année, une raffinerie ultramoderne, construite en Arabie saoudite – 400 000 barils jour, pas de contrainte au niveau des émissions, une main d’œuvre relativement faible, etc. – est venue concurrencer gravement nos usines en France. Enfin, le groupe Reliance, établi en Inde, a construit une énorme raffinerie, produisant un million de barils/jour soit 50 millions de tonnes/jour. Elle était destinée à satisfaire le marché intérieur indien. Mais comme les infrastructures routières n’ont pas suivi, les Indiens se trouvent face à d’importants surplus qu’ils exportent vers l’Asie et l’Europe. Les VLCC (Very Large Crude Carriers), ces énormes bateaux faits, à l’origine, pour transporter du pétrole brut, arrivent désormais dans nos ports chargés de produits finis, dont le produit de revient est inférieur de 10 à 15 euros la tonne par rapport à ce que nous pouvons faire. C’est donc un vrai problème.
Je vais vous donner maintenant quelques chiffres :
Le marché des produits pétroliers représentait en 2014 à peu près 60 millions de tonnes de produits vendus, dont 45 millions de tonnes de carburants : 34 millions de tonnes de gazole ; 4,5 millions de tonnes de gazole non routier, du fuel à bas soufre destiné aux tracteurs, engins de chantier, etc. ; enfin, 7 millions de tonnes de supercarburant, dont 30 % de E10 – un carburant qui inclut 10 % de bio, alors que le supercarburant sans plomb classique en contient au maximum 5 %. À ce propos, il semblerait qu’il y ait une volonté politique d’encourager la consommation du 10 par des avantages fiscaux, sur lesquels j’aurai sans doute l’occasion de revenir.
Par ailleurs, notre industrie contribue largement à l’approvisionnement de l’industrie chimique, soit sous forme de molécules lourdes, soit sous forme d’équivalent gazole, soit sous forme de naphtas, plus légers. C’est un point important. Si l’on se projette à vingt ou trente ans, il faut prendre également en compte l’industrie pétrochimique.
Nous posons régulièrement à nos différents ministres la question suivante : est-ce que, pour vous, le raffinage est un secteur stratégique ? En effet, avec ce qui se passe dans le reste du monde, on pourrait penser que la France va s’approvisionner par des importations de produits, et abandonner tout le raffinage. Or, je crois qu’il y a une volonté politique de conserver une industrie du raffinage en France. Pour un grand pays comme le nôtre, qui est la cinquième puissance mondiale, il serait relativement facile, même sans passer par les groupes pétroliers, de sécuriser son approvisionnement en brut, avec un ou plusieurs producteurs. Mais en conservant une industrie française, on garde la maîtrise de ce que l’on fabrique, on s’assure de sa qualité et on contrôle la logistique. Cette logistique n’est d’ailleurs pas adaptée à une importation massive. Enfin et surtout, importer 100 % de nos produits pétroliers poserait, à terme, un problème d’indépendance énergétique à notre pays.
Pour vous donner une idée des contraintes qui pèsent sur nous, je vous précise que l’énergie nous coûte 12 euros la tonne, soit trois ou quatre fois plus qu’ailleurs, auxquels il faut ajouter le coût des réglementations – les réglementations françaises venant s’ajouter aux réglementations européennes – soit environ 6,50 euros la tonne. Cela fait, au total, 18 euros la tonne. C’est énorme !
Certes, il faut éviter les incidents et protéger les populations autour de nos raffineries. Mais alors que, dans les années soixante, quand nous avons construit nos raffineries, nous étions complètement isolés, avec le temps, les habitations se sont rapprochées. C’est un problème difficile, qui est celui de tous les industriels de ce pays.
Troisièmement, la fiscalité et son impact potentiel.
Pendant vingt ans, nous avons demandé, pour des raisons d’ordre simplement industriel, qu’on ne laisse pas filer le gazole. Or vous savez que l’on est arrivé jusqu’à 20 centimes d’écart entre le gazole et l’essence ; sans compter la déductibilité de la TVA sur les flottes d’entreprise. Le différentiel de coût était tel, pour les entreprises comme pour les particuliers, qu’il y a eu jusqu’à 80 % de vente de véhicules neufs diesels dans notre pays. Je crois que la moyenne française est encore aujourd’hui de 67 %. Et comme la durée de vie moyenne du parc automobile est de douze ans, quelles que soient les décisions que prendra le Gouvernement, la situation ne pourra pas changer du jour au lendemain. Ce sera forcément très progressif.
Pour notre part, nous avons toujours soutenu le rééquilibrage de la fiscalité entre le gazole et l’essence. On a parlé d’augmenter le gazole d’un centime et de baisser l’essence d’un centime, puis de ne baisser que le 10, etc. Je ne sais pas quelle sera la décision finale. Nous proposons que l’on réduise la fiscalité sur toute l’essence, quitte à donner un coût de pouce au 10. Cela étant, nous sommes bien conscients que l’industrie automobile française ne peut peut-être pas reconvertir ses chaînes de fabrication du jour au lendemain. Pour le bien de ce pays, il faut faire attention, étudier les impacts des éventuelles décisions et procéder doucement.
On parle d’un rattrapage en cinq ans. Cela nous paraîtrait suffisamment lent pour permettre à l’industrie automobile de modifier ses chaînes de fabrication. Mais je ne me sens pas qualifié pour m’exprimer à ce propos. Disons simplement que nous sommes favorables au rééquilibrage, et que nous sommes contents que la décision en ait été prise.
De la même façon, nous avons toujours prôné la déductibilité de TVA sur l’essence pour les véhicules d’entreprise. Je crois que cette déductibilité a été votée vendredi par l’Assemblée, et que le Sénat aura à se prononcer prochainement à ce sujet. Mais là encore, nous ne connaissons pas les contraintes auxquelles l’industrie automobile est soumise. Par exemple, j’ai cru comprendre qu’il ne faudrait pas l’appliquer aux voitures étrangères, dans la mesure où les constructeurs étrangers sont mieux positionnés que les constructeurs français sur les véhicules à essence. En conclusion, nous sommes plutôt favorables à cette mesure, à condition, bien sûr, qu’elle ne nuise pas à notre industrie automobile.
Cela étant, nous sommes un peu inquiets, aussi bien comme pétroliers que comme citoyens, de l’impact que pourrait avoir l’augmentation des taxes sur le gazole – mesure que les ministres ont d’ailleurs longtemps considéré comme étant la plus impopulaire. En effet, si l’on veut un rattrapage en cinq ans, il faudra augmenter le gazole de dix centimes par litre. Par ailleurs, la loi de transition énergétique ayant conduit au vote d’une taxe carbone sur les carburants de 100 euros la tonne à l’horizon 2030, il faudra augmenter le gazole de 32 centimes par litre. Et cela représente, au total, une augmentation de 42 centimes par litre de gazole !
Aujourd’hui, le baril de pétrole brut est à peine au-dessus de 40 dollars le baril, en raison d’une baisse extraordinaire de plus de 50 %. Cette baisse s’est traduite immédiatement par une baisse massive des investissements de la part de tous les grands groupes pétroliers. Et assez rapidement, la baisse des investissements va se traduire elle-même par une baisse de la production. Or, en parallèle, la demande mondiale, tirée par l’Inde, la Chine et les pays émergents – mais pas par les pays européens, dont la consommation est étale – va augmenter d’à peu près 1,5 million de barils jour, ce qui est énorme.
Cet été, le déséquilibre entre l’offre et la demande était de 2 millions de barils jour. C’est beaucoup pour faire chuter les prix du brut, et c’est ce qui est arrivé ; les stocks ont monté. Mais ce n’est pas beaucoup si l’on réinjecte l’augmentation d’1,5 million de barils jour qui se profile. Je précise que ce sont là les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), et pas ceux de compagnies comme BP, Exxon ou Total.
On annonce par ailleurs une baisse de la production de pétrole de schiste américaine de l’ordre de 900 000 barils jour. Celle-ci sera peut-être compensée par une reprise de la production de l’Iran, estimée à plus 500 000 barils jour.
Le bilan que l’on peut faire est que, à la fin de 2016, l’équilibre entre l’offre et la demande sera bien meilleur et que, vraisemblablement, les prix repartiront à la hausse. Ils n’augmenteront sans doute pas jusqu’à 110 dollars le baril. Mais 80 dollars le baril serait un prix tout à fait normal.
Cela étant, l’impact d’une augmentation du pétrole de 20 ou 30 dollars le baril sera au moins de 20 à 30 centimes par litre de gazole sur la matière première. Ajoutés aux 42 centimes dont nous parlions tout à l’heure, l’augmentation pourrait, à terme, atteindre 70 centimes par litre. Aujourd’hui, le litre de gazole est environ à 1,10 euro. Cela veut dire qu’en 2020, il pourrait être à 1,80 euro ! Il y a de quoi s’inquiéter, en particulier pour ceux qui ont absolument besoin de leur voiture et qui n’ont pas d’alternative. Cette réflexion est plutôt d’ordre politique, je le reconnais. Malgré tout, je pense qu’il est de notre rôle de mettre une telle éventualité sur la table.
Tout aussi grave serait le renchérissement du transport, qui menacerait d’une façon générale la compétitivité de nos entreprises, à moins que vous ne mettiez en place des systèmes de compensation ou de subventions – comme ceux dont bénéficient aujourd’hui les taxis ou les transporteurs. Quoi qu’il en soit, les ordres de grandeur de cette augmentation sur le gazole font peur, car celle-ci pourrait avoir des conséquences très importantes sur la vie des citoyens et sur la compétitivité des entreprises.
Quatrièmement, le rôle des biocarburants.
Nous avons toujours soutenu le développement des biocarburants. Depuis plusieurs décennies, on peut dire que nous jouons un rôle important en la matière. Grosso modo, nous intégrons 10 % de biocarburants dans l’ensemble « gazole et essence », ce qui est tout de même énorme. Donc, on sait faire et on accompagne.
Le Gouvernement avait proposé qu’au 1er janvier de cette année, on passe au B8, c’est-à-dire à une incorporation de 8 % de bio dans les carburants, alors que la législation européenne en était encore au B7, soit à 7 % - sans doute pour soutenir l’industrie agricole de notre pays. Nous n’avons pas refusé, parce que nous savons le faire. Mais il ne faut pas oublier que nous devons protéger les consommateurs contre des pannes éventuelles. Nous avons donc demandé aux constructeurs si pour eux, il était acceptable de passer du B7 à B8 dans leurs voitures.
Pour Renault ou Peugeot, dans le contexte français, l’affaire est assez neutre. Mais pour tous les autres constructeurs, et en particulier les constructeurs allemands, il n’en est pas question. Ils ne sont pas d’accord, et ils ont dit qu’ils nous tiendraient pour responsables si des flottes de véhicules tombaient en panne. En fait, nous ne sommes ni pour ni contre. Nous savons faire, mais nous demandons que les mesures liées aux biocarburants soit prises au niveau européen. Comme vous le savez, de très nombreux véhicules venant des autres pays européens traversent notre pays lorsqu’ils vont en vacances, ou lorsqu’ils vont en Espagne. Si dans un pays, l’incorporation du bio est à 4 % et dans un autre à 12 %, ce sera ingérable, aussi bien pour les pétroliers que pour les constructeurs automobiles.
Si dans quelques années, il faut passer à B8 ou B10 ou B15, la décision devra être prise avec les constructeurs automobiles européens. Nous ne ferons que subir, nous n’avons pas de position tranchée dans un sens ou dans un autre. Mais il est impossible, pour nous, de mettre à la consommation des produits français dont la teneur en bio serait supérieure à celle que l’Europe a acceptée et que les constructeurs européens ont admise. On ne peut pas le faire, parce que cela pourrait entraîner d’énormes problèmes juridiques et de qualité.
Voilà ce que l’on pouvait vous dire en introduction.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Monsieur le président, vous avez abordé l’évolution de la consommation des énergies fossiles dans les années qui viennent. Pour ma part, je m’en tiendrai à l’objet de notre mission, qui est l’évolution du secteur automobile et des transports routiers dans une approche énergétique et fiscale, mais également technologique.
Cela étant, il me semble que la crise pétrolière et la baisse des prix du baril n’avaient pas vraiment été prévues. D’où ma première question : pouvez-vous nous confirmer qu’une remontée des prix du pétrole est envisageable dans un horizon assez proche ?
Ensuite, vous avez rappelé que le nombre de nos raffineries était passé de 24 en 1975, à 8 aujourd’hui. D’où ma deuxième question : sommes-nous toujours en surcapacité ?
Je crois me souvenir que le déficit de la balance commerciale lié aux importations de gazole était, en 2012, de 13 milliards. D’où ma troisième question : quelle serait l’incidence, pour le secteur du raffinage français, d’un rattrapage de la fiscalité entre le gazole et l’essence ? J’aimerais également que nous nous parliez du rythme de ce rééquilibrage, y compris pour les véhicules d’entreprise.
S’agissant du transport routier, certains plaident pour le développement du GNV. D’où ma quatrième question : l’UFIP a-t-elle un point de vue sur le sujet ? Je pense plus particulièrement au réseau de distribution.
Enfin, pour réduire la production de dioxyde d’azote (NO2) par les véhicules diesel, les constructeurs automobiles sollicitent la mise en place, dans les stations-service, d’un réseau de distribution d’urée à la pompe. D’où mes dernières question : cela vous paraît faisable ? En avez-vous discuté avec les constructeurs automobiles ?
M. Charles de Courson. Monsieur le président, j’ai cru comprendre que vous étiez favorable à l’égalisation de la fiscalité entre les deux carburants principaux : essence et gazole. Pourriez-vous nous préciser comment vous voyez cette égalisation, sachant qu’il n’est pas envisageable de perdre un sou dans l’opération ?
J’ai cru comprendre également que vous étiez favorable à la déductibilité de la TVA sur l’essence pour les flottes automobiles d’entreprises. Qu’en est-il ? Nous en avons encore discuté dernièrement, et des amendements ont été déposés en ce sens – j’en ai moi-même déposé un. Le Gouvernement semble prêt à bouger. J’ajoute que la mesure ne serait pas très onéreuse.
Par ailleurs, pensez-vous que cette modification de la fiscalité pourrait aboutir assez rapidement à un partage du marché automobile à peu près à 50/50 ? L’idéal, pour notre industrie pétrolière du raffinage, serait au moins d’arriver au prorata gazole/essence ; mais nous n’en sommes pas là. Faut-il aller encore un peu plus loin ? En effet, on ne doit pas confondre parité et parité énergétique : chacun sait qu’un litre d’essence n’est pas équivalent, du point de vue de l’énergie produite, à un litre de gazole : l’écart est de 5 ou 7 % – en faveur du diesel.
Mais venons-en aux biocarburants. Vous dites, et je partage assez largement votre diagnostic, que les biocarburants de deuxième génération sont d’abord un sujet de colloque et de discours, notamment dominicaux, et vous remarquez qu’il n’y a pas de pilote en place. Ce n’est pas tout à fait exact, parce que le pilote « Futur Oil » est quasiment construit à Bazancourt. Mais peu importe. Le vrai problème qui se pose est celui l’approvisionnement et du coût. Actuellement, les prix de revient sont élevés, même si l’on peut espérer qu’ils vont baisser progressivement, je reste sceptique sur l’avenir des biocarburants de deuxième génération.
Quant aux arguments que vous avancez à propos des biocarburants de première génération, je les entends depuis trente ans et j’y reste insensible. On peut augmenter de 2, 3, 5 %, etc. la proportion du bio dans les moteurs. Cela ne pose aucun problème technique, notamment sur les moteurs diesel.
Il suffit de regarder ce qui se passe dans les stations-service où, pour faire des économies, les automobilistes font eux-mêmes des mélanges. Et ils ne se limitent pas à 7 % : 80 % de biocarburant E85 à la première pompe, et 20 % d’essence à la deuxième. C’est une part significative du marché, notamment pour les plus modestes.
Mais il y a aussi ceux qui rajoutent de l’huile. Si cela sent de temps en temps la friture dans les voitures diesel, c’est simplement parce que l’on a ajouté dans le réservoir de l’huile achetée en grande surface ! Voilà pourquoi, dans certaines grandes surfaces, la consommation d’huile explose. On n’en parle jamais, mais il y a un manque de cohérence entre la fiscalité de l’huile dite de consommation domestique, et l’autre. Et le marché n'est absolument pas étanche.
Qu’en pensez-vous donc ?
Vous avez ensuite évoqué le défi de compétitivité auquel sont confrontées vos industries en général, et vos raffineries en particulier.
Nous ne sommes pas compétitifs. Pourriez-vous nous donner les chiffres des pertes ? Je crois que nous en étions à 500, 700 millions par an, et que nous en sommes maintenant à 100, 200 millions par an. Mais le problème réside dans la rentabilité relative. Nous avons à peu près atteint l’équilibre à coup de fermetures de raffineries, mais il nous en reste huit. Où va-t-on ? Celles-ci ne risquent-elles pas toutes de fermer, comme certains l’annoncent ? Et le phénomène ne touche pas que la France : il touche toute l’Europe et profite aux industries pétrolières du Golfe, des États-Unis ou d’ailleurs.
En dernier lieu, je vous interrogerai sur les véhicules hybrides : pensez-vous que ceux-ci pourront prendre rapidement 50 % du marché ? Je suis très sceptique.
Selon vous, les véhicules électriques devraient atteindre 1,5 % du marché. Je pense qu’on pourrait déjà se satisfaire de 1 ou 1,5 %, dans la mesure où ces véhicules ne peuvent couvrir que de petites distances. Ce n’est pas le cas des véhicules hybrides. Sauf que ceux-ci posent tout de même des problèmes de prix, auxquels les consommateurs sont évidemment sensibles.
M. Philippe Duron. Monsieur le président, vous avez été très complet dans votre exposé liminaire. Je tiens à vous en remercier. Vous avez montré que vous étiez favorable à un rééquilibrage gazole-essence, et précisé qu’il n’était pas déraisonnable d’envisager un rattrapage en cinq ans. Vous avez également évoqué l’évolution et l’adaptation des véhicules légers. Mais vous n’avez rien dit sur la consommation des poids lourds ni sur leur évolution technologique. J’aimerais que vous nous en parliez. J’aimerais enfin savoir si les techniques du raffinage vont évoluer et gagner en efficacité.
M. Francis Duseux. Madame la rapporteure, nous avons toujours travaillé avec les constructeurs automobiles, qui doivent résoudre deux problèmes : le poids des matériaux et les frottements. Et sans être un spécialiste de ces questions, je sais que, dans tous les grands groupes, on a fait d’énormes progrès sur les huiles qui permettent de réduire les frottements.
Ensuite, depuis l’application des normes Euro 6, le prix élevé de l’installation d’un filtre à particules sur les petits véhicules diesel incite les automobilistes à se tourner vers les petits véhicules à essence. Ainsi, depuis le mois de janvier, les courbes sont en train de s’inverser.
Enfin, ces véhicules ne consomment que 4 litres aux cent, et il est réaliste de penser qu’il sera bientôt possible de baisser cette consommation à 3 litres aux cent. Rappelons-nous qu’il y a dix ou douze ans, certaines voitures consommaient dix ou douze litres aux cent ! Aujourd’hui, c’est fini.
Cela signifie que, collectivement, nous avons fait des progrès, qui auront un impact positif sur les émissions et sur le climat.
Maintenant, comme vous l’avez fait remarquer, on n’a jamais une bonne vision de ce qui se passe. On peut malgré tout dégager des tendances lourdes. Les grands groupes, Total, Exxon, Mobil, BP et Shell, vous l’avez lu, ont limité leurs investissements dans la recherche, que celle-ci pote sur le conventionnel ou sur le non conventionnel. Vous le savez, entre le moment où l’on décide d’investir et le moment où l’on en récolte les fruits, il faut attendre trois, quatre ou cinq ans ; l’effet n’est pas immédiat, mais ce qui a été investi auparavant continue à produire ses effets. Mais dès que l’on arrête d’investir, on en subi les conséquences. Et je ne parle pas de l’impact que peuvent avoir les conflits géopolitiques. Dans mon jeune temps, au moindre bruit de bottes, le baril prenait dix dollars. Nous n’en sommes plus là. Il n’empêche que l’aggravation des conflits pourrait affecter le marché. Tout cela pour vous dire que nous allons tout de même vers une remontée du prix du baril.
Vous m’avez demandé si, dans le domaine du raffinage, la France était surcapacitaire. Nous avons procédé à de nombreuses restructurations, et une raffinerie s’apprête à modifier son traitement. Aujourd’hui, notre capacité est légèrement inférieure à la demande française. Je pense donc qu’en France, nous avons fait le travail qu’il fallait. Maintenant, je ne peux pas savoir ce qui va se passer. Tout dépendra des marges de rentabilité.
Il faut toutefois être honnête : les marges de 2015 sont excellentes. Nous voyons à cela deux raisons essentielles : d’une part, une baisse du prix du brut qui signifie, pour nous qui chauffons nous fours pour faire de la distillation, une baisse du prix de l’énergie ; d’autre part, une certaine élasticité de la demande aux prix, que nous n’avions pas prévue.
Les prix ont baissé. Le phénomène est moins net en France, à cause de l’effet amortisseur des taxes ; reste que le litre d’essence ou de gazole a tout de même chuté de 30 centimes, ce qui n’est pas rien. Il en va différemment aux États-Unis, où les taxes sont quasiment inexistantes. Selon un article de presse, un ménage américain récupère ainsi 1 000 dollars par an de pouvoir d’achat ; et il les consomme. Voilà pourquoi les Américains se mettent à racheter des SUV (Sport Utility Vehicles) et recommencent à consommer beaucoup de carburant. Plus généralement, la baisse du prix des produits a relancé la demande. Même en France, alors que la consommation avait baissé de 1 à 2 % ces dernières années, on a observé que celle-ci avait augmenté de 2 % en octobre. La tendance s’est inversée. On peut donc parler d’élasticité.
L’augmentation de demande mondiale est là, tout comme la baisse de la capacité de production. On devrait donc revenir à un équilibre.
J’ai peut-être oublié de vous dire que nous avions été frappés par le fait que pendant les cinq années précédant 2015, on avait estimé qu’environ 3,5 milliards d’euros avaient été perdus dans le raffinage, ce qui fait beaucoup. Si la situation devait perdurer parce que l’on n’est vraiment pas compétitif, parce que le raffinage américain connaît une relance et nous inonde de produits bien moins chers, il faudrait être vigilant. On en a parlé avec Monsieur Macron, comme avec tous nos interlocuteurs que cela préoccupe. Pour l’instant, on connaît une bonne relance, et après tout, on est dans une industrie cyclique. Mais si on accumule vraiment trop de pertes, on risque de devoir fermer des usines.
Madame la rapporteure, je reconnais avoir peu parlé du GNV. Mais d’après ce que je connais, il n’y a aucun projet tangible en ce domaine, à part ceux de quelques entreprises locales qui investissent elles-mêmes et qui développent. On peut malgré tout penser que, pour consommer moins et mieux, on s’orientera vers la récupération des déchets. J’ai cru comprendre que cela passait par un tri extrêmement sélectif, et par des investissements importants au niveau d’une commune : 4 à 5 millions d’euros. Des tentatives ont eu lieu, mais le résultat a été mitigé.
Le schéma idéal serait, selon moi, le suivant : une bien meilleure récupération des déchets, une production de méthane injectée dans les circuits de gaz et, progressivement, si c’est rentable, une utilisation supérieure du gaz dans les poids lourds. Mais il faudra tout de même des investissements. Et pour être très honnête, nous n’avons pas établi de scénario précisant ce que cela coûte, les investissements à engager, les moyens de financement à mobiliser et ce que cela suppose pour nos stations-service.
J’ai été frappé par le fait que les Américains, qui ont des poids lourds énormes roulant sur de grandes distances, ont commencé à utiliser du GNV. Les adhérents de l’UFIP ne m’en ont pas parlé, mais on pourrait imaginer d’installer quelques stations de GNV à la frontière espagnole pour les flottes de camions qui viennent d’Allemagne et de Hollande et qui traversent notre pays. Il faudrait en parler avec vos services.
C’est tout le problème de la transition énergétique : on se fixe des objectifs ambitieux avant même de connaître les coûts, les moyens de financement et l’impact sur les emplois. Il n’est pas question de polémiquer, mais si on ne fait pas preuve de réalisme, on ira droit dans le mur. La compétitivité est mondiale, et il faut tout de même s’en préoccuper.
Enfin, la réduction de NOx dans le diesel passe par des injections d’urée. Nous en avons discuté il y a quinze jours avec nos collègues de l’automobile, et nous avons été étonnés d’apprendre qu’il fallait injecter l’équivalent d’un plein tous les quatre pleins.
Mme Isabelle Muller, déléguée générale de l’UFIP. Que font les distributeurs de produits pétroliers par rapport à cette demande ?
Les constructeurs automobiles nous ont alertés. Vous savez que pour les poids lourds, cette nécessité existe déjà. On distribue donc en station-service de l’urée pour les poids lourds. A chaque fois qu’ils font le plein de carburant, ils font le plein d’urée.
La nécessité de mettre à disposition de l’urée pour les futurs véhicules diesel est bien prise en compte. Mais il ne faut pas oublier qu’en France, la grande distribution occupe plus de 60 % du marché des produits pétroliers. Donc, la question qui peut se poser, mais qu’il faut adresser aux distributeurs en grande surface, est de savoir comment ils se préparent.
Les pétroliers que nous représentons l’ont pris en compte, et les investissements nécessaires seront faits pour assurer la distribution de l’urée dans les stations-service. Et je ne peux pas croire que les stations-service de la grande distribution ne s’y préparent pas également.
Mme la rapporteure. Il n’y a pas de difficulté technique ?
Mme Isabelle Muller. Non, on sait distribuer. La difficulté est de savoir comment. Faudra-t-il faire le plein deux fois, d’abord le plein de diesel et ensuite le plein d’urée ? Certains constructeurs réfléchissent avec nous pour développer des réservoirs où l’on ferait le plein en une seule fois avec deux tuyaux. Ce serait plus simple pour tout le monde, mais c’est encore au niveau de la R & D.
D’autres difficultés non négligeables se posent aux distributeurs de produits. Il revient cher de mettre en place de nouvelles cuves et de nouvelles pompes ; dans tous les cas en effet, il faut adapter les infrastructures. En outre, les stations-services se trouvent souvent dans des endroits où il n’est pas facile d’obtenir des autorisations : ce ne sont donc pas des difficultés techniques, mais des difficultés d’ordre réglementaire ou relatives à la disponibilité du terrain.
M. Francis Duseux. Je pense que l’on saura faire. On le fait déjà à une toute petite échelle. Mais compte tenu de l’échelle envisagée, cela risque d’être assez considérable en volume et en coût.
Vous le savez comme moi, en France, dans le domaine de la distribution du carburant, la concurrence est terrible entre les grandes surfaces et les réseaux. S’il faut modifier 11 000 stations-service, nous avons intérêt à y travailler ensemble. L’idéal est tout de même que l’on change les pompes, et que l’automobiliste remplisse en gazole, puis en urée. Mais les volumes en jeu sont énormes.
Sur la modification de la fiscalité, je crois qu’on vous a dit notre sentiment. Nous y sommes favorables, pour mieux protéger nos raffineries. Cinq ans nous paraissent raisonnables. Mais plus vite on rétablit un équilibre, moins on vend de gazole et plus on vend d’essence, et mieux c’est pour nous. Cela étant, je pense que l’industrie automobile et les constructeurs sont prioritaires en ce domaine.
Quel serait l’impact financier, sur le secteur du raffinage, d’un rattrapage de la fiscalité ? Grosso modo, 40 millions de tonnes de gazole sont consommées par an, et 20 millions de tonnes sont importées. Notre hypothèse actuelle, sur la base de la transition énergétique, sans autre mesure contraignante, fiscale ou autre, est qu’à l’horizon 2030, soit dans quinze ans à peine, on consommerait 10 millions de tonnes de moins. Cela réduirait d’autant les importations de gazole et le déficit commercial. Cela va donc dans le bon sens.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le président, vous êtes très sympathique, et vous ai écouté avec beaucoup d’attention. Mais certains de vos propos m’ont préoccupée : croyez-vous que les constructeurs aient les moyens financiers de changer leurs outils de fabrication en cinq ans ? En effet, ils viennent tout juste de se lancer dans des investissements lourds, de plusieurs milliards d’euros, en accord avec les pouvoirs publics, pour rendre leurs moteurs moins polluants. Et de fait, aujourd’hui, les nouveaux moteurs diesel sont nettement moins polluants que les moteurs à essence.
Vous dites que vous avez des relations avec les constructeurs. Dans ce cas-là, ils vous ont sûrement dit la même chose qu’à nous, à savoir que financièrement, ils ne pourront pas suivre. N’oublions pas que des milliers d’emplois sont en jeu. Que peut-on répondre aux constructeurs ? Comment les accompagner ?
M. Francis Duseux. Madame, c’est pour cela que j’ai pris la précaution de dire que, sur le plan économique, la priorité était de s’aligner sur les constructeurs, et que nous nous contenterions de suivre. Il faut aller à leur rythme. Le rééquilibrage est souhaitable pour nos usines, mais ce n’est peut-être pas à nous de dire qu’il faut le réaliser rapidement. C’est beaucoup plus compliqué que cela.
Maintenant, les problématiques de l’essence et le gazole sont différentes. Le gazole reste plus performant que l’essence sur le plan énergétique – d’environ 15 % sur une distance égale. Le gazole et l’essence ne polluent pas de la même façon. En matière d’émission de CO2, les moteurs diesel sont maintenant moins polluants que les moteurs à essence. Mais, comme vient de le rappeler Madame Batho, les moteurs diesel produisent des oxydes d’azote. Malgré tout, ceux-ci peuvent être éliminés par des injections d’urée.
Je reste assez confiant parce que je sais que la technologie va évoluer dans le bon sens. Nous devons donc chercher des solutions pour résoudre, notamment, les problèmes de pollution. Mais inutile d’opposer les uns aux autres. Il n’est pas question d’inverser rapidement la tendance si cela devait se faire au détriment des constructeurs automobiles. J’ai notamment cru comprendre que les constructeurs automobiles étrangers étaient plus en pointe que les constructeurs français sur les modèles essence…
Mme Marie-Jo Zimmermann. Pourtant, aujourd’hui, les Japonais font le chemin inverse ! Ils investissent davantage sur le diesel.
Mme la rapporteure. C’est plus compliqué que cela…
Mme Marie-Jo Zimmermann. Il faut tout de même être cohérent, et prendre en compte le travail qui a déjà été fait dans notre pays, comme celui qui se fait dans les autres pays !
M. Francis Duseux. Grâce aux nouvelles normes Euro 6, on a considérablement amélioré les carburants. D’une manière générale, on a limité la pollution, ce qui était tout de même l’objectif premier. Mais pour améliorer durablement la qualité de l’air dans notre pays, et notamment dans les grandes villes, il faudra trouver le moyen d’éliminer rapidement les véhicules qui ont plus de dix ans, car ce sont eux qui engendrent le plus de pollution.
Après, il faut bien voir que l’achat d’un modèle essence, d’entrée de gamme, sans filtre à particules, répond à une logique économique. Un petit véhicule essence convient aujourd’hui aux personnes qui ont du mal à boucler leur fin de mois, comme à celles qui font moins de 15 000 ou 20 000 km par an.
Mme la rapporteure. Qu’une discussion soit engagée, avec les industriels de l’automobile, sur la vitesse du rattrapage et les capacités d’adaptation industrielle est un point certain, qui fait l’objet de nos travaux. Mais ce n’est pas l’objet de votre audition.
Malgré tout, un consensus est en train de s’établir sur le fait que la fiscalité doit redevenir « neutre », à savoir qu’il faut fixer les règles de la puissance publique à partir de normes d’émissions polluantes, que ce soit le CO2, que ce soit les particules, et ne pas privilégier une technologie par rapport à une autre.
Tout à l’heure, Monsieur de Courson vous a demandé comment, selon vous, il faudrait procéder à ce rattrapage. Vous avez évoqué la taxe carbone et les discussions qui ont eu lieu avec le Gouvernement sur la question de savoir s’il fallait baisser le prix de l’essence et augmenter celui du gazole, ou seulement aligner par le haut le prix du gazole sur celui de l’essence. Mais vous n’avez pas répondu à Monsieur de Courson. Or sa question était importante.
M. Francis Duseux. Parce que nous raisonnons souvent en ingénieurs et que le ratio « vente d’essence/vente de gazole » est de « 80/20 » nous aurions trouvé logique de mettre « plus un » sur le gazole et « moins quatre » sur l’essence. En effet, pour un rattrapage rapide, il faut tenir compte du ratio de la production.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. C’est cela, la neutralité fiscale. Il faut agir à recettes fiscales stables.
Mme la rapporteure. Sauf que la recette fiscale est faite pour accélérer le renouvellement du parc.
M. Francis Duseux. Cette formule, certes simpliste, aurait permis un rattrapage rapide. Pour autant, nous avons bien conscience que, pour les constructeurs automobiles, la logique est tout autre.
Je terminerai sur un sujet dont je n’ai pas eu le temps de parler, et qui inquiète les industriels.
L’extension de la taxe sur l’électricité au gaz et aux carburants va déjà peser lourd dans la facture – 6 milliards cette année, 8 milliards dans deux ans, 15 milliards dans trois ans, etc. Mais maintenant, on envisage d’étendre la CSPE aux carburants, au fuel domestique et au gaz. Ce sont des choix politiques. Mais si cela vient se rajouter à tout ce que je vous ai dit, la situation risque de devenir intolérable ! En outre, cela posera un problème de fond : l’usager de l’électricité ne connaîtra plus la vérité des prix. Cela peut conduire à toutes sortes de dérives.
C’est un point de vue un peu personnel, mais je crois tout de même que le fait de tout faire financer par les carburants, en accumulant les taxes, affectera tôt ou tard gravement le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Quelqu’un qui a acheté une voiture diesel l’année dernière va l’utiliser pendant dix ans. On ne peut pas le « matraquer » comme cela, avec un gazole à 2 euros au litre. Politiquement, cela me paraît totalement irréaliste. Et puis, si l’on décide d’aller vers les renouvelables, pour l’électricité, il faut que cela se traduise par la vérité des prix au niveau électrique. Sinon, on dévie complètement la mécanique de décision des investissements. Je trouve cela très grave.
Rien n’est décidé encore, mais j’ai cru comprendre que taxe carbone et extension de CSPE seraient confondues. Je ne sais pas ce qu’il en est, mais ce serait pour nous une source de très grande inquiétude. Bien sûr, vous pourriez prendre des mesures de compensation ou de relance du pouvoir d’achat. Mais comme vous le savez, les industries françaises ont perdu 10 points de PIB en douze ans. C’est l’origine de la baisse de la consommation générale d’énergie, et c’est aussi l’origine du chômage.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Exactement !
M. Francis Duseux. Pourquoi taxer encore les transports, alourdir les coûts au travers de taxes sur les produits pétroliers et plomber la compétitivité des entreprises françaises ? J’y vois là un très grand danger. Collectivement, nous devons être très vigilants. Nous devons plutôt attirer les investisseurs, redonner de l’oxygène aux entreprises, en reconstruire de nouvelles et nous redonner la chance de créer des emplois.
Peut-être faudrait-il chiffrer l’impact que cela risque d’avoir sur les transports. Dans tous les cas, cela risque d’être très conséquent. Je suis très inquiet.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Moi aussi, vous avez raison : c’est immoral !
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Merci, monsieur le président, pour la franchise de vos réponses.
La séance est levée à dix-huit heures quinze.
◊
◊ ◊
13. Audition, ouverte à la presse, de M. Jacques Mauge, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV) et conseiller du président de Faurecia, de M. Guy Maugis, président de Bosch France et de M. Olivier Rabiller, vice-président, directeur général, en charge de l’innovation, des fusions–acquisitions, de l’après-vente et des régions en forte croissance de la société Honeywell Transportation System.
(Séance du mercredi 9 décembre 2015)
La séance est ouverte à seize heures trente.
La mission d’information a entendu M. Jacques Mauge, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV) et conseiller du président de Faurecia, M. Guy Maugis, président de Bosch France et M. Olivier Rabiller, vice-président, directeur général, en charge de l’innovation, des fusions–acquisitions, de l’après-vente et des régions en forte croissance de la société Honeywell Transportation System.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous avons le plaisir d’accueillir une délégation de la Fédération des industries des équipements pour véhicules – la FIEV – conduite par son président M. Jacques Mauge. Il est accompagné par M. Guy Maugis, qui préside le groupe Robert Bosch France et par M. Olivier Rabillier, cadre dirigeant de la division systèmes de transport d’Honeywell.
La FIEV est une organisation professionnelle qui regroupe de grands groupes à vocation internationale, mais aussi de grosses PME régionales. Au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler les équipementiers « de rang 1 », vos activités concernent, en France, de très nombreux sous-traitants de plus petite taille.
Le secteur a subi de plein fouet la crise automobile des années 2008-2009. Cette crise a incité les pouvoirs publics à créer un Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, le FMEA – récemment rebaptisé Fonds Avenir Automobile (FAA) – qui est géré par Bpifrance. Dans ce contexte, le secteur a fait preuve d’une remarquable capacité de rebond. Il a engagé des efforts de productivité parfois conjugués à des délocalisations. En prenant des initiatives technologiques, il a relevé ses objectifs de recherche et développement (R&D). Il n’est pas rare aujourd’hui que des équipementiers français réalisent plus de 50 % du chiffre d’affaires à l’exportation.
Autre trait caractéristique du secteur : il compte d’importantes usines de groupes étrangers, souvent présents en France depuis longtemps, comme c’est le cas de Bosch, ici représenté, ou encore de l’américain Delphi.
Il faut également souligner que près de 80 % du prix de revient d’un véhicule relève des équipementiers. De même, les activités de réparation et d’entretien sont par nature fortement consommatrices de vos produits.
Concernant certaines productions de vos entreprises, la conception des filtres à particules et des autres systèmes de dépollution que vous fournissez aux constructeurs intéresse au plus haut point la mission d’information.
Par ailleurs, vous pourrez nous donner des précisions sur l’utilisation des fonds débloqués au titre du Fonds de modernisation, à présent FAA.
Dans le même esprit, nous souhaiterions en savoir plus sur l’implication de vos entreprises dans le cadre des programmes du « Véhicule du futur », et sur l’apport dont vous avez pu bénéficier à partir du programme des investissements d’avenir, le PIA.
Enfin, au plan européen, existe-t-il des aides à l’innovation et à la recherche plus spécialement ciblées sur vos activités ?
M. Jacques Mauge, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV). La filière automobile française emploie plus de 434 000 personnes. En France, les équipementiers de « rang 1 » représentent plus de 73 000 emplois directs, soit un tiers du total des emplois liés au noyau de la filière automobile. Ils sont regroupés au sein de la FIEV – Fédération des industries des équipements pour véhicules – que j’ai l’honneur de présider.
De simples sous-traitants, les équipementiers sont devenus les partenaires technologiques et stratégiques des constructeurs automobiles. Ils sont au cœur de l'innovation, et fournissent plus de 80 % du contenu des véhicules.
En matière de dépollution pour toutes les motorisations, et notamment le diesel, de nombreux équipements sont fruits de la recherche commune entre équipementiers et constructeurs : les turbocompresseurs, les systèmes d'injection à rampe d'alimentation commune, les vannes EGR, les convertisseurs catalytiques, les filtres à particules, les systèmes de post-traitement des NOx, telle la SCR – réduction catalytique sélective – ou les pièges à NOx, et bien d'autres encore dont la liste serait trop longue.
Sur le plan économique, les équipementiers représentent une part importante de notre industrie. En 2014, les équipementiers ont dégagé un chiffre d’affaires en France de 15,6 milliards d’euros, dont 54 % à l'export, avec un solde commercial excédentaire de 1,54 milliard d’euros, et regroupaient trois cent trente établissements pour 73 767 emplois.
Il faut noter que les effectifs ont chuté de 35 % entre 2007 et 2014, et de 42 % depuis 2001, en conséquence de la chute de production de véhicules légers en France et de la naturelle adaptation du système de production pour maintenir la compétitivité. La filière a fortement souffert de la crise de 2009, et la valeur de la production des équipementiers pour la première monte a été divisée par deux : proche de 30 milliards d’euros en 2001, elle s’est établie à 15,6 milliards d’euros en 2014, suivant en cela le volume de production.
Enfin, il faut noter que la croissance de l'industrie automobile mondiale profite de manière globale aux équipementiers, qui ont su s'implanter sur les marchés internationaux et diversifier leur portefeuille de clientèle. En effet, le chiffre d’affaires à l’échelle mondiale des cinq premiers équipementiers français plus Michelin – qui n’en est pas un mai qui procède de la même logique – est en forte progression constante, à plus de 57 milliards d’euros en 2014, tandis qu’il est stagne pour la France à 13 milliards d’euros.
Les équipementiers occupent une place décisive et croissante dans l'industrie automobile, grâce à des investissements massifs en R&D. Ils consacrent en moyenne de 6 à 7 % de leur chiffre d’affaires à cette activité. On peut le constater en observant le score en dépôt de brevets de neuf équipementiers figurant parmi les cinquante premiers déposants en France en 2014 : Faurecia, qui a déposé 505 brevets dans le monde dont 120 en France ; Valeo, en cinquième place, avec 473 dépôts ; Bosch en neuvième position, avec 327 dépôts ; Saint Gobain, quinzième, avec 139 dépôts ; Continental, vingtième position, avec 86 dépôts ; SNR, vingt-huitième, avec 45 dépôts ; Plastic Omnium, en trentième position, avec 44 brevets ; et SKF, en trente-troisième position, avec 41 brevets déposés.
Très logiquement, les équipementiers sont fortement ancrés dans les territoires et participent au développement de la filière en région. Des équipementiers de rang 1 comme Faurecia, Valeo, Bosch ou Continental Automotive ont mis en place des programmes – des grappes – pour aider au développement de leurs fournisseurs – aide à l'innovation, développement à l'international – et à l’amélioration de leur performance industrielle, ce que l’on appelle le lean manufacturing.
Les équipementiers ont également abondé le Fonds Avenir Automobile, notamment Bosch, Faurecia, Plastic Omnium, Valeo et Hutchinson. Ainsi, 400 millions d’euros ont été investis dans vingt-neuf entreprises, dont des membres de la FIEV. Le Fonds dispose d'une capacité d'investissement de 230 millions d'euros pour le développement à l'international et pour soutenir l'innovation. Cette initiative est très appréciée par la filière.
Les équipementiers sont aussi très présents au sein des pôles de compétitivité. Les principaux pôles de compétitivités avec lesquels nous avons des relations sont Mov’eo, iD4CAR, i-Trans, LUTB, Pôle Véhicule du futur, Institut VeDeCom, Elastopôle. Grâce à ces pôles, nous pouvons développer le tissu de R&D et favoriser l'innovation et la collaboration avec les PME et TPE au niveau des territoires.
Les équipementiers sont également très présents au sein de la PFA, la plateforme automobile. Trois d’entre eux – Faurecia, Plastic Omnium et Valeo –, la FIEV et Michelin en sont membres fondateurs et appartiennent à ses instances de gouvernance. La FIEV y représente les équipementiers implantés en France.
Enfin, 10 000 personnes travaillent directement pour la production et la commercialisation des moteurs et véhicules diesel. Cette filière diesel est une filière d'excellence reconnue dans le monde entier depuis de nombreuses années. Elle bénéficie de l'écosystème particulièrement favorable qui vient d'être décrit, ainsi que du caractère pionnier de la France dans le développement des motorisations diesel.
Cela a contribué à la création de l’Alliance « Diesel XXI », qui est représentée devant vous aujourd'hui. « Diesel XXI » rassemble des acteurs internationaux qui ont décidé de fortement s'implanter en France en raison des compétences rares disponibles ici et des conditions favorables à la recherche et au développement.
M. Olivier Rabiller, vice-président, directeur général, en charge de l’innovation, des fusions-acquisitions, de l’après-vente et des régions en forte croissance de la société Honeywell Transportation System. Les équipementiers impliqués dans le diesel ont ressenti le besoin de se regrouper, bien avant l’affaire Volkswagen, pour corriger la communication négative qui commençait à apparaître en France autour de ce moteur, et rééquilibrer son image, en donnant les arguments techniques. Nous voulons expliquer en quoi le diesel est une technologie importante dans un mix de dépollution visant à une limitation des émissions de dioxyde de carbone, et pourquoi nous pensons que les technologies nous permettrons de rendre le diesel propre à l’avenir.
C’est l’objet de la création de cette alliance d’équipementiers locaux et internationaux qui utilisent la France comme une base de développement de leurs efforts de R&D sur le diesel, puisque notre pays était en pointe jusqu’à présent. Tel est le cas de mon entreprise, dont le centre de développement mondial du diesel est situé à Thaon-les-Vosges près d’Épinal.
Aujourd’hui, nous voulons faire passer ce message : il est possible de rendre le diesel propre – nous disposons technologies pour y parvenir –, il fait partie d’un mix de carburants et de solutions qui permettent de réduire les émissions de CO2. Un véhicule diesel émet en moyenne douze à treize grammes de CO2 de moins au kilomètre que la meilleure technologie disponible en essence, grâce à des technologies issues d’un savoir-faire largement basé en France. À cet égard, au-delà du rôle qu’elle joue pour limiter ses propres émissions, la France est regardée par le monde entier s’agissant de la façon dont elle va traiter le diesel à l’avenir. Beaucoup de pays dans lesquels le diesel était banni du mix énergétique sont en train de reconsidérer leur position. Au Brésil, par exemple, où nous participons également à des alliances d’industriels du diesel, nous constatons une bien meilleure écoute que par le passé. Le Japon a lui aussi décidé de donner au diesel une part importante de son mix énergétique.
Au-delà même de l’impact local – le marché français ne représente que 1,5 à 2 millions de voitures par an sur un marché mondial de 80 millions de véhicules –, la France joue un rôle d’exemple auprès des autres pays, et c’est ce qui nous inquiète dans la communication négative que nous avons perçue.
Pour résumer : nous avons les technologies pour rendre le diesel propre et le monde entier l’utilise de plus en plus. Sur l’année écoulée, seules la France et l’Inde enregistrent une baisse du taux de pénétration du diesel. Même aux États-Unis, après l’affaire Volkswagen, des constructeurs américains ont commencé à lancer des véhicules diesel sur le segment des pickups légers. Nous avons donc besoin d’une neutralité technologique de la réglementation pour éviter de pénaliser une technologie par rapport à une autre dans la lutte pour la réduction des émissions de CO2. La mise en place de la vignette automobile, par exemple, a fait l’objet d’arbitrages qui vont empêcher le diesel d’être dans la catégorie mieux-disante en termes d’émissions.
M. Guy Maugis, président de Bosch France. Je souscris totalement aux propos qui viennent d’être tenus : la neutralité technologique est essentielle, pour nous. Nous fabriquons des équipements pour des véhicules diesel, essence, hybrides et électriques. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, notre intérêt économique ne nous pousse donc pas forcément à défendre à tout prix le diesel parce que ce serait bon pour nos affaires.
Aujourd’hui, si l’on veut respecter les objectifs de réduction des gaz à effet de serre et d’émissions de CO2, on ne peut se passer du diesel. C’est le seul carburant qui, par sa capacité technologique intrinsèque, permet de consommer 15 à 20 % de moins et d’émettre 15 à 20 % de CO2 de moins qu’un moteur à essence. C’est d’autant plus vrai que les véhicules sont lourds. Ainsi, pour les poids lourds, il n’y a pas d’autre solution que le diesel, car un moteur à essence n’a pas la puissance suffisante, ou alors il consommerait trois ou quatre fois plus que son équivalent diesel. Pour réduire les émissions de CO2, le diesel est donc pour nous la seule solution technique possible.
Certes, les moteurs diesels anciens présentaient un certain nombre d’inconvénients, notamment celui d’émettre des particules. Ce problème a été progressivement réglé avec l’évolution des normes et la mise en place des filtres à particules. Il faut noter, à cet égard, que les moteurs à essence modernes à injection directe commencent à émettre des particules : il faudra donc les équiper eux aussi de filtres à particules au fur et à mesure du renforcement des normes. En tant qu’industriels, nous sommes tout à fait partisans d’un durcissement de ces normes, nous plaidons simplement pour que cette évolution suive le rythme des capacités technologiques et de la faculté des ménages à payer le surcoût induit par cette mise aux normes des véhicules.
Un autre sujet a été récemment porté à l’attention du public, celui des oxydes d’azote, abréviés NOx. Nous avons les solutions technologiques – SCR ou piège à NOx – pour respecter des normes très restrictives en la matière, comme les normes américaines. C’est encore un peu coûteux, mais avec la massification de ces technologies, nous arriverons à en réduire le coût.
L’idée selon laquelle le diesel est plus polluant que l’essence est donc une idée du passé. Les technologies modernes donnent à peu près la même neutralité polluante, avec cependant un avantage en termes de CO2 pour le diesel.
D’autres technologies permettent de réduire la consommation, notamment sur des cycles courts en ville, je pense aux véhicules hybrides. Mais il ne faut jamais oublier qu’un véhicule hybride fonctionne avec un moteur à explosion, qui est parfois un moteur diesel, comme le fait PSA avec son moteur « HYbrid4 ».
Pour revenir sur la vignette, nous sommes déçus de constater que l’arbitrage qui a été rendu n’est pas neutre technologiquement. Les véhicules diesel « Euro 6 » vont en effet se retrouver dans une catégorie qu’ils « ne méritent pas », car si l’on s’en tient uniquement aux mesures techniques et scientifiques des niveaux de particules et de NOx émises, ils répondent au même niveau d’exigence environnementale que les véhicules essence « Euro 6 ».
Mme Delphine Batho, rapporteure. Vous avez rappelé les chiffres des destructions d’emplois au sein des équipementiers depuis les années 2000, ils sont très impressionnants.
Au moment des états généraux de l’automobile en 2008 et 2009, la relation entre les constructeurs et les équipementiers avait été au centre des débats. Quelle est votre appréciation sur la structuration de la filière automobile aujourd’hui, à la suite à tout ce qui a été mis en place après les états généraux de l’automobile ? Parmi les personnes que nous avons entendues précédemment, certaines considéraient que la situation était satisfaisante, d’autres étaient plus nuancées.
S’agissant du scandale Volkswagen, nous avons demandé à plusieurs interlocuteurs une évaluation du volume d’activité des fournisseurs de Volkswagen. Quel est le nombre d’emplois, en France, lié à Volkswagen ? Concernant plus spécialement le groupe Bosch, il a été fait état d’une éventuelle implication de cette entreprise dans le scandale, qu’en est-il ?
Dans votre propos introductif, monsieur Mauge, vous avez évoqué le poids économique de tous les équipements liés à la dépollution. Vous avez fait état d’une longue liste d’équipements, pourriez-vous nous faire parvenir des éléments de chiffrage du volume d’activité de l’ensemble du secteur ?
J’en viens à la question du diesel. Nous constatons que les normes sont largement théoriques. Même si un véhicule récent émet beaucoup moins de particules qu’un véhicule vieux de cinq ou dix ans, nous constatons tout de même un écart entre la réalité et les normes théoriques, ce qui renvoie à la question des nouveaux tests.
Sur le projet de rendre le diesel propre, je voudrais rappeler que le diesel propre n’existe pas à ce jour. De même, le diesel « Euro 6 » n’est pas à égalité avec l’essence. Il émet 20 % de particules en plus, et soixante-deux fois plus de dioxyde d’azote. Ce sont les faits même s’ils présentent, en effet, un avantage en matière d’émission de CO2. Je souhaite donc avoir des précisions lorsque lorsque vous nous dites que vous avez les solutions technologiques. S’agit-il seulement de la réduction catalytique sélective (SCR) ?
M. Denis Baupin. Je souhaite d’abord vous dire combien je suis d’accord avec vous, messieurs, lorsque vous parlez de neutralité technologique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous battons pour supprimer toutes les niches fiscales favorables au diesel qui ont conduit à ce que notre parc automobile soit l’un des plus diésélisés, donc l’un des plus empoisonneurs, car vous reconnaissez vous-même que les diesels anciens étaient polluants. Je note que vous êtes pour une neutralité de la fiscalité en la matière : nous pourrons nous prévaloir du soutien de la FIEV sur ce point !
Comme la rapporteure, je tiens à souligner combien les termes « diesel propre » peuvent paraître choquants. Pourquoi ne pas parler aussi d’« amiante propre » ? Je me souviens des propos de Michel Elbel, un élu RPR qui n’était donc pas de ma famille politique, mais qui a longtemps été président d’Airparif. Il disait qu’il croirait à la « voiture propre » le jour où un constructeur serait d’accord pour s’enfermer pendant une demi-heure dans son garage avec sa voiture en marche … Utilisons donc des termes adaptés !
Je partage entièrement les propos de la rapporteure sur les écarts que nous pouvons constater, y compris sur banc d’essai, entre les tests – certains effectués par Automag – et la réalité. Des études enregistrent des écarts de consommation allant jusqu’à 60 % entre les mesures des tests et le fonctionnement en conditions réelles, pour des véhicules diesels français aux normes « Euro 6 ». On peut donc s’interroger sur la réalité des chiffres affichés.
J'ai quelques questions concernant des aspects qui n'ont pas été évoqués. Vos activités d'équipementiers incluent la fourniture de logiciels. Quel type de logiciels fournissez-vous ? Quelle capacité ont les pouvoirs publics à en contrôler la qualité, sachant que les logiciels sont composés de centaines de milliers de lignes de programme et qu'identifier le petit dispositif qui permettra de truquer les tests est évidemment difficile. L'accès au code source des logiciels est donc crucial.
En tant qu'équipementier que change, en termes d’emplois, le fait de travailler sur des moteurs essence ou des moteurs diesel ? Si l'on remplaçait, en France, tous les véhicules diesel par des véhicules essence, y aurait-il des pertes d'emplois, ou s’agirait-il uniquement d’un problème de reconversion, qui n'en serait pas simple pour autant ? J’ai du mal à imaginer en quoi les véhicules diesel nécessiteraient plus d’emplois.
En ce qui concerne la maîtrise de l'énergie, et notamment l'objectif de deux litres aux cent kilomètres, considérez-vous que ces technologies permettront des créations d'emplois pour les équipementiers ?
S’agissant enfin de l'amélioration des véhicules existants, ce qu'on appelle retrofit en matière de bâtiment, est-ce un secteur que vous estimez potentiellement porteur d’emplois ? La loi de transition énergétique a prévu que la prime à l'achat de véhicules peu polluants bénéficiera aussi aux véhicules d'occasion. C'est de notre point de vue un élément social, puisqu’il permet à des ménages n'ayant pas les moyens d'acheter un véhicule neuf d'accéder à un véhicule propre, mais sur un plan économique, cela permettra aussi de créer des emplois dans le secteur des équipementiers et des réparateurs, et non chez les constructeurs.
M. Charles de Courson. Le but de notre mission est de réfléchir à l'évolution de la filière automobile au regard des grandes décisions à prendre en matière de fiscalité énergétique.
Dans ce cadre, êtes-vous favorables à la neutralité énergétique de la fiscalité ? Sachant qu'un litre de diesel représente à peu près 1,07 litre d'essence aujourd'hui, nous pourrions arriver à la parité en cinq ou six ans, et nous supprimerions la non-déductibilité de la TVA sur les véhicules à essence détenus par les sociétés – bizarrerie qui résulte de la politique menée depuis quarante ans.
Monsieur Rabiller, je vous ai trouvé très favorable au diesel. Je m'attendais à ce que vous me disiez que vous pouviez vous adapter à toutes les technologies pourvu que les changements soient graduels et lisibles. C'est ce que demandent les grands industriels : Carlos Ghosn a ainsi déclaré ici que ce n'était pas un problème si on leur laissait cinq à sept ans pour s'adapter. Qui plus est, vous n'êtes pas les seuls concernés, il y a aussi l'industrie pétrolière. Sans correction de notre part, nous allons voir disparaître les huit dernières raffineries qui existent en France.
Vous avez très peu parlé du véhicule électrique. Quel est son avenir, selon vous ? Pensez-vous comme beaucoup de spécialistes que cela représente un petit créneau – entre 1 % et 2 % du marché ? Croyez-vous que l'industrie sera capable de résoudre le problème vieux de soixante ans du prix des accumulateurs et des capacités de stockage de l'électricité dans les véhicules ?
M. Yves Albarello. Je ne voudrais pas apparaître comme le défenseur à tout prix de la filière diesel. J'ai déjà rappelé que nous avions gagné les 24 heures du Mans avec un moteur diesel, et j'en suis fier. Dans cette filière, il faut souligner l’excellence française. En outre, et le fait que les moteurs diesels émettent douze à treize grammes de CO2 de moins que les moteurs essence en témoignent, de gros progrès ont été réalisés. De même, les filtres à particules sont de plus en plus efficaces. Je suis donc d'accord pour un rééquilibrage de la fiscalité, mais veillons à ne pas mettre à mal la filière diesel. Je serai là pour la défendre.
Vos industries exportent pour 57 milliards d'euros, tandis que le chiffre d'affaire réalisé en France est de 13 milliards. Vous travaillez donc plus pour l'exportation. Cela conforte les propos d’un excellent professeur que nous avons auditionné au début des travaux de cette commission. Il a dit que dans dix ans, nous n'aurons plus de constructeur automobile : l'un aura été absorbé par les Japonais, l'autre par les Chinois. Cela fera peut-être plaisir à certains, pas à moi.
Dans la valeur d'un moteur, quelle est la part apportée par les équipementiers, et celle du constructeur ?
M. Jean Grellier. Depuis le début de ces auditions, nous nous rendons compte qu’il existe une grande diversité de solutions proposées : continuer avec des voitures plus propres avec des moteurs thermiques, recourir aux voitures électriques … La semaine dernière, nous avons auditionné une entreprise qui propose un dispositif de recharge des batteries par pile à combustible. On parle aussi de l’hydrogène, du gaz naturel, du biogaz.
Derrière chacune de ces solutions, il y a des demandes de réseaux. La puissance publique contribue à entretenir les réseaux de distribution d’essence ou de gasoil en milieu rural et cofinance le déploiement de bornes électriques ; on évoque pour le futur des stations à hydrogène, ou des stations de gaz naturel. Pensez-vous qu’il soit possible que ces différentes solutions coexistent, ou, au contraire, une filière va-t-elle s’affirmer et répondre aux différents besoins ? Ces choix soulèvent des enjeux en matière de fiscalité.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Que pensez-vous des déclarations récentes de Carlos Ghosn en marge du salon de Tokyo ? Il a programmé la fin prochaine du diesel, et s’est élevé contre l’idée de pratiquer des tests en réel. Il estime en effet qu’il faut une base de tests conforme pour tous les constructeurs, et que les tests en situation de conduite sont irréalistes du fait de la variabilité des résultats selon les conducteurs.
Concernant l’argent public investi dans les différents pôles de compétitivité, grappes et autres clusters, en faisant abstraction de l’argent nécessaire pour le fonctionnement des pôles, combien estimez-vous qu’un euro d’argent public entraîne d’investissement privé pour les projets de R&D collaboratifs ?
M. Jacques Mauge. La première de vos questions porte sur la situation de la filière automobile en France, notamment la mise en place des structures visant à aider la filière à traverser la crise et à rebondir. De bonnes initiatives ont vu le jour à cet égard, telle la création de la Plateforme automobile et l’établissement d’un comité stratégique de filière. Elles ont permis aux constructeurs et aux équipementiers de fonctionner globalement ensemble, et non plus dans le cadre des relations de fournisseur à client. Cette mise en commun des réflexions et des stratégies permet d’optimiser les directions stratégiques, de R&D, etc. Toute la filière en est reconnaissante.
Mais il est difficile d’en mesurer les effets sur l’emploi. En 2014, nous avons assisté à un rebond par rapport à 2013, qui sera probablement confirmé en 2015. Cette inflexion positive es-elle le résultat des initiatives qui ont été prises ? Je n’en suis pas certain. La baisse de la production – et donc des effectifs – me semble assez durable, car lorsque l’on cesse de produire des véhicules en France, il est très difficile, pour des raisons économiques, d’y revenir.
En conclusion, l’initiative est très importante pour toute la filière et permet d’optimiser les moyens. En matière d’emploi, on assiste à un léger rebond, mais il n’est pas possible de conclure qu’il soit significatif et durable.
M. Guy Maugis. S’agissant de l’impact de l’affaire Volkswagen sur les équipementiers, il est extrêmement difficile à chiffrer. A priori, le marché européen ne sera pas affecté. Peut-être achètera-t-on un peu moins de Volkswagen et un peu plus d’autres marques. Pour des équipementiers qui n’ont pas de part de marché plus forte chez Volkswagen, cela ne devrait pas changer fondamentalement l’activité, c’est localement que cela pourra affecter une usine qui ne livrerait que Volkswagen.
Globalement, on ne sent pas d’impact majeur sur le marché. Certes, il est à parier que Volkswagen vendra beaucoup moins de véhicules aux États-Unis – on le constate déjà au mois de novembre – mais il est très difficile d’évaluer le temps que durera cet effet psychologique.
M. Jacques Mauge. L’impact ne se fait pas sentir en France, mais il est réel pour les grands équipementiers français qui travaillent à l’international. On peut ainsi considérer que l’investissement est quasiment perdu pour celui qui fournit une usine Volkswagen aux États-Unis.
Vous m’avez ensuite demandé quel était le volume d’activité sur les équipements de dépollution, je n’ai pas la réponse dans l’immédiat.
S’agissant des mesures, en tant qu’équipementiers, nous testons nos équipements, mais pas dans leur environnement final. Ils répondent aux spécifications avec une très grande précision, sans élément de variabilité. Mais lorsque nos produits sont placés dans l’environnement automobile, ils subissent des contraintes économiques, de marketing, qui peuvent alors faire varier les résultats.
Je suis d’accord pour rejeter l’expression de « diesel propre ». Dans la mesure où il est question d’un moteur à combustion, il y a forcément des émanations, des gaz, et on ne peut pas parler d’un processus propre. En revanche, nous sommes convaincus de l’équivalence de l’effet polluant des moteurs essence et diesel avec les nouvelles technologies.
Le vrai problème du diesel est celui du parc diesel roulant en ce moment en France, dont les deux tiers n’est pas protégé. Je pense aussi qu’il faut une neutralité technologique en termes de fiscalité, mais s’il y avait un élément de fiscalité à imaginer, il faudrait trouver comment évacuer ces vieux diesels extrêmement pénalisants.
M. Guy Maugis. Je voudrais rappeler quelques éléments sur la façon dont on mesure les émissions d’un véhicule. En 1973, la profession a mis en place un cycle standard, le cycle NEDC, qui représente autant que possible des conditions de roulage. Les véhicules sont placés sur des bancs à rouleaux, et on procède ensuite à des accélérations avec un palier, pendant vingt minutes. Ces accélérations font passer de zéro à cinquante kilomètres par heure en vingt-six secondes. Essayez de conduire à ce rythme dans Paris, tout le monde klaxonnera, à moins que vous ne provoquiez un accident ! Ces conditions de test étaient représentatives de la dynamique des véhicules d’alors – en gros de la 2CV et de la 4L. Quelques progrès sont intervenus depuis, mais la réglementation n’a pas évolué.
Cela fait plusieurs années que la profession a mis au point de nouveaux tests. Ceux-ci seront appliqués en 2016 ou 2017. Il s’agit d’un nouveau cycle dans lequel les véhicules seront plus sollicités : les accélérations seront plus franches, et le palier sera plus long. Cela nous rapprochera davantage de l’utilisation en conditions réelles.
Ces tests sont effectués sur des bancs à rouleaux car ils doivent être reproductibles et permettre des comparaisons fiables. Ce qui rend toute la profession suspecte, c’est que ce cycle ne correspond pas à l’utilisation sur route. En effet, un particulier va accélérer plus fort, donc consommer plus, va grimper des côtes… Accessoirement, le test ne prend pas en compte la charge de la batterie, ce qui va favoriser les véhicules hybrides.
En tout état de cause, nous sommes tous conscients que le test mis en place il y a quarante ans ne correspond plus à la réalité. La première urgence est d’en avoir un plus proche de la réalité.
Cela étant, de quoi parle-t-on lorsque l’on évoque les conditions d’utilisation réelle ? Le périphérique à dix-huit heures ? Une route de campagne plate ? L’ascension du mont Ventoux avec la caravane pendant les vacances ? C’est ce que voulait dire Carlos Ghosn : un test en condition réelle ne sera pas scientifiquement reproductible, il donnera une information mais ne pourra pas servir de base de comparaison. Il faut donc savoir ce que l’on recherche en procédant à ces tests : un élément de normalisation et d’homologation, ou l’information du grand public sur la consommation approximative qu’il peut espérer ?
Il en va de même pour les NOx. J’invite M. Baupin à lire le rapport de l’ONG américaine qui a levé le lièvre Volkswagen : trois véhicules sont testés, et l’un tient la norme de quarante-trois grammes de NOx dans toutes les conditions de circulation, y compris en conditions réelles. Il s’agit d’un BMW X5, qui n’a pas forcément l’image du véhicule le moins polluant, et qui n’est manifestement pas bas de gamme. C’est le point que je soulevais précédemment : les solutions technologiques sont coûteuses et plus faciles à mettre en place dans les poids lourds et les véhicules haut de gamme. Mais l’histoire de l’industrie automobile au cours des trente dernières années nous a appris que les solutions technologiques telles que l’ABS ou l’ESP étaient d’abord installées sur les véhicules chers avant de se démocratiser. Aujourd’hui, l’ABS ou l’ESP équipent tous les véhicules, mais les coûts ont été divisés par dix en trente ans. Les laboratoires technologiques sont donc la Formule 1 et les véhicules premiums.
M. Jacques Mauge. Le vrai inconvénient du diesel, c’est son coût. Si l’on veut atteindre des niveaux de dépollution comparables à ceux de l’essence, le coût est plus important. Mais nous avons la conviction que les deux technologies permettent d’aboutir au même niveau de performance.
M. Guy Maugis. Le surcoût est de l’ordre de 500 à 1 000 euros par véhicule, c’est loin d’être négligeable.
M. Jacques Mauge. Mais le diesel a un avantage en termes de consommation. Tout dépendra donc de l’usage : si l’on parcourt beaucoup de kilomètres, on peut récupérer l’investissement d’origine ; c’est moins intéressant si l’on roule surtout en ville.
M. Guy Maugis. Actuellement, le seuil de rentabilité du diesel se situe autour de 20 000 kilomètres par an. Dans une situation de parité fiscale, il serait un peu plus élevé, autour de 25 000 kilomètres par an.
S’agissant des véhicules électriques, notre groupe investit environ 500 millions d’euros par an dans cette technologie, ce n’est donc pas anecdotique. En tant qu’équipementier spécialisé dans la motorisation, notre difficulté est qu’il n’y a pas une seule technologie capable de tout faire. Le monde était beaucoup plus simple lorsqu’il n’y avait que des moteurs à essence…
Aujourd’hui, nous devons améliorer les technologies diesel, car elles ont un avantage et nous pensons que nous avons encore une marge de 20 à 30 % de réduction de la consommation et d’amélioration des normes. Mais nous devons aussi travailler sur les moteurs à essence, qui restent peu chers et rendent d’excellents services, ainsi que sur l’hybridation et l’électrique. Nous investissons sur les batteries, et nous pensons que d’ici à cinq ans, nous pourrons doubler la quantité d’énergie par kilogramme de batterie et diviser les prix par deux. Nous visons donc des autonomies de trois cents kilomètres, ce qui représente la bonne maille pour un voyage.
Le but est d’arriver à ce que les véhicules électriques aient le même ordre de coût que les véhicules à essence ou diesel, la batterie pouvant être considérée comme un investissement ou une consommation. À cet égard, la question de la fiscalisation de la recharge des batteries – actuellement exonérée de TIPP – va devoir être posée. Nous pensons qu’à l’horizon 2025, l’électrification, qu’il s’agisse de véhicules tout électrique, hybrides ou rechargeables, représentera à peu près 20 % du marché mondial.
Mais il est difficile d’accepter l’idée que l’on passe du véhicule à tout faire à des véhicules performants pour un type d’utilisation. Si vous roulez 500 kilomètres sur l’autoroute, il vaut mieux un véhicule diesel ; si vous ne circulez que dans Paris, un véhicule électrique convient très bien ; et l’hybride peut être une solution intermédiaire.
M. Charles de Courson. Du point de vue du marketing, y a-t-il une segmentation du marché correspondant à la segmentation technologique, ou bien faut-il des véhicules à plusieurs motorisations ?
M. Guy Maugis. Il existe des moteurs « bi fuel » qui fonctionnent à l’essence et à l’éthanol. Aujourd’hui, les consommateurs achètent un véhicule pour ses capacités maximales, ce qui constitue d’une certaine façon un gaspillage. Il serait en effet extraordinairement pratique d’avoir un véhicule différent pour chaque usage, comme aux États-Unis où chacun a trois ou quatre véhicules, mais cela poserait des problèmes de stationnement. Nous devons donc trouver comment adapter les parcs et les usages. C’est une question à poser aux constructeurs.
M. Charles de Courson. Mais quelle famille utilise un véhicule électrique uniquement pour faire les courses, un autre à moteur diesel pour les longues distances et un troisième pour les distances intermédiaires ? Ce n’est absolument pas à la portée des ménages, c’est une solution uniquement pour les riches comme le dirait notre collègue Denis Baupin.
M. Denis Baupin. Alors que nous inventons des choses nouvelles dans le secteur de l’énergie, nous pouvons imaginer que cela va se faire aussi dans le domaine de la mobilité.
M. Charles de Courson. Le problème tient à la contradiction entre la mono-technologie et la multi-utilisation.
M. Olivier Rabiller. Il faut trouver le bon compromis. C’est ce que font les constructeurs. En outre, le client est rationnel lorsqu’il choisit son automobile et voit combien elle lui coûte lorsqu’il passe à la pompe.
M. Denis Baupin demandait pourquoi ne pas faire uniquement des véhicules à essence, et quel impact aurait une telle transformation sur l’emploi. Si tel est le cas un jour, un seul centre de développement suffira, contre deux aujourd’hui – un pour le diesel et un pour l’essence. Cela aura donc un impact direct sur une filière qui a développé une excellence en matière de R&D.
S’agissant de neutralité technologique de la fiscalité, elle sera tout à fait possible si tout le monde a le temps de s’adapter dans la filière. Dans certains pays, le diesel est plus cher que l’essence, mais le taux de pénétration du diesel y progresse quand même. En Suisse, par exemple, la part de véhicules diesel a augmenté de dix points, alors que le gazole y est plus taxé du fait de sa une valeur énergétique supérieure – cela dissuade les poids lourds de traverser le pays. Cette progression s’explique car le client s’y retrouve. Il va choisir son véhicule en fonction de l’utilisation qu’il en fera, et du bénéfice qu’il peut en tirer du point de vue de la consommation, mais aussi de la performance. Un véhicule diesel offre plus de couple, il est donc mieux adapté pour les véhicules de poids plus élevé, et le plaisir de conduite est plus grand. Ce n’est pas un hasard si les Américains achètent de plus en plus de véhicules diesels, en commençant par les plus gros.
M. Guy Maugis. Monsieur Baupin, vous avez demandé si les équipementiers fournissaient des logiciels. C’est en effet le cas ; c’est même une part de plus en plus importante de notre métier d’équipementier. Dans un groupe comme le nôtre, 40 000 ingénieurs travaillent sur les logiciels, et cela représente des millions de lignes de programme par calculateur. Un véhicule moderne compte une quinzaine de ces calculateurs.
Un calculateur moteur comprend plusieurs éléments. Nous fournissons systématiquement un programme de base, qui permet d’injecter le carburant dans la chambre de combustion. Le calculateur va ensuite moduler cette injection en fonction d’un certain nombre de données telles que la position de la pédale, la température ou la quantité d’oxygène qui reste dans le moteur. Un bon millier de paramètres est pris en compte, et c’est généralement le constructeur qui paramètre le calculateur que nous lui fournissons. De même que lorsque vous achetez un ordinateur de bureau, vous pouvez, par exemple, régler la vitesse de la souris.
Les constructeurs ajoutent ensuite un certain nombre de briques logicielles dont ils sont propriétaires. C’est le cas des systèmes d’antidémarrage et de codage avec la clé du véhicule, que nous n’avons pas à connaître. Nous livrons une boîte avec une couche de logiciel, qui va être « flashée » par le constructeur. Et nous n’avons pas la connaissance complète de ce qui est installé dans le calculateur.
M. Jacques Mauge. Ainsi, lorsque certains constructeurs partagent des blocs-moteur, comme c’est le cas de PSA et BMW, les moteurs sont exactement identiques, mais les logiciels complètement différents.
M. Guy Maugis. S’agissant maintenant de l’affaire Volkswagen, mon groupe a livré un calculateur avec les logiciels de base sur les véhicules incriminés. À ce jour, des investigations sont en cours, notamment aux États-Unis. Je ne suis pas en mesure de vous dire quelle a été notre implication dans la rédaction du logiciel : il faut attendre que l’enquête soit terminée. Nous pouvons faire confiance à la justice américaine pour aller chercher le moindre détail permettant de déterminer les responsabilités.
M. Charles de Courson. Vous n’avez jamais eu la curiosité d’acheter des véhicules utilisant vos programmes pour étudier ce qui avait été modifié ?
M. Guy Maugis. Les codes sont bloqués. De plus, ces calculateurs sont des monstres de dizaines de milliers de lignes de code et de paramètres. Prenons l’exemple d’un calculateur moteur que nous fournissons à PSA, certaines briques de ce calculateur sont fournies par nos concurrents. Ainsi, nos chers amis d’Honeywell peuvent fournir le sous-programme qui va réguler la vitesse du turbocompresseur. Il s’agit d’une boîte noire dans laquelle nous ne pouvons pas entrer.
M. Yves Albarello. Mais dans certains garages spécialisés, il est possible en branchant une valise de modifier les programmes, par exemple pour supprimer le bridage des moteurs à 250km/h.
M. Guy Maugis. Nous avons connaissance d’une partie du logiciel, mais pas de toutes les fonctionnalités et de toutes les boucles. Ce serait un travail de titan, et dans quel but le ferions-nous ? S’il y a des idées géniales, elles font l’objet d’un brevet.
M. Jacques Mauge. Concernant l’impact sur l’emploi d'un abandon éventuel de la filière diesel, les équipementiers fournissant tous les véhicules, il s’agirait donc pour eux de se repositionner. Si un marché disparaissait, nous nous repositionnerions, ce qui entraînerait un coût. En effet, poussés par la législation et les constructeurs, nous avons fait des investissements importants dans le diesel et nous avons trouvé d’excellentes solutions. Mais il est toujours difficile d’obtenir le retour sur investissement espéré lorsqu’une activité est interrompue. C’est un vrai sujet de préoccupation pour nous.
Mme la rapporteure. Êtes-vous capables de chiffrer les investissements qui ont été réalisés ?
M. Guy Maugis. Sur le site de Rodez, qui ne fabrique que des injecteurs diesel, nous avons investi 200 millions d’euros au cours des cinq dernières années. Ces injecteurs diesel sont très sophistiqués. Pour les moteurs à essence, l’injection est moins coûteuse en investissement et en capital. Le risque de délocalisation serait donc beaucoup plus élevé. Si tout le parc diesel passait à l’essence, je ne donne pas cher de la fabrication d’injecteurs diesel à Rodez, et elle ne serait probablement pas remplacée par des injecteurs essence, dont les prix de vente sont trop faibles ; nous les fabriquerions plutôt dans un pays à bas coût de main-d’œuvre.
M. Jacques Mauge. De plus, les constructeurs et les équipementiers français ont un avantage par rapport à la concurrence concernant le diesel. Renoncer au diesel nous ferait perdre cet avantage compétitif. D’autant que la technologie diesel, certes plus coûteuse, aboutit à la même performance que l’essence. Nous sommes scientifiquement confiants sur ce point. Abandonner notre avantage compétitif pour des raisons qui ne paraissent pas techniquement justifiées nous pose donc problème.
M. Charles de Courson. Si nous arrivions à la parité énergétique en matière de fiscalité, comment pensez-vous que le marché se répartirait entre diesel et essence ?
M. Olivier Rabiller. En Europe, le diesel est à 53 % de parts de marché pour les véhicules légers. Nous pensons que ce chiffre restera stable, à plus ou moins 5 %. Dans le transport routier, c’est de l’ordre de 100 %.
Aux États-Unis, le taux de pénétration du diesel augmente fortement : nous sommes passés de 2 % à 5 % cette année. Cela concerne d’abord les véhicules les plus lourds, pour lesquels les bénéfices sont plus évidents. S’agissant des camions, ils fonctionnent aussi avec du diesel, car il n’y a pas de solution technique de remplacement.
M. Jacques Mauge. Vous nous avez également interrogés sur les opportunités de créations d’emplois offertes par la recherche de maîtrise d’énergie. Je pense effectivement qu’il y a là des gisements d’emplois. Mais, selon des principes bien connus, les ruptures économiques entraînent dans un premier temps des pertes d’emplois, avant de permettre de retrouver le même niveau, voire de créer plus d’emplois.
Nous savons nous adapter à ces changements, et nous investissons dans nos centres de R&D de manière à identifier ces nouvelles technologies. Mais nous ne cherchons pas à forcer l’adoption d’une technologie qui n’est pas mûre et à en abandonner une qui a simplement besoin d’un perfectionnement. Nous cherchons nous aussi les ruptures technologiques, mais en organisant la transition le plus intelligemment possible au niveau de nos entreprises.
M. Olivier Rabiller. M. Albarello nous demandait quelle était la part de valeur apportée par les équipementiers sur les moteurs. Le moteur de base est un bloc-moteur et des pistons qui se déplacent – c’est ce que font les constructeurs. Ce sont les chefs d’orchestre de l’industrie, parce qu’ils ont la capacité à tout intégrer. Mais les premiers violons sont les équipementiers. Toutes les innovations qui ont permis d’atteindre les niveaux d’émissions que nous connaissons aujourd’hui – sur le diesel ou l’essence – viennent des équipementiers, qu’il s’agisse de l’injection directe ou du turbo à géométrie variable. Ces innovations ne se font pas en une vague. Sur les dix dernières années, nous avons développé quatre à cinq générations de turbos à géométrie variable pour les diesels. Cet exemple illustre le niveau d’intensité de R&D que les équipementiers déploient pour soutenir l’évolution des constructeurs.
M. Guy Maugis. Vous nous avez demandé ce que les équipementiers fournissaient. Autour de la culasse et du bloc-moteur, nous fournissons un démarreur, un alternateur, une série d’injecteurs pour le carburant, un turbo, un calculateur moteur qui permet de faire marcher tout cela, et j’en oublie certainement. Ce sont des pièces qui coûtent cher sur le moteur. Nous devons fournir autour de 80 % de la valeur des pièces incorporées par le constructeur.
Mme la rapporteure. Vous ne m’avez pas répondu sur les solutions technologiques en préparation. Dites-nous si vous ne pouvez pas entrer dans les détails pour des raisons de secret industriel, mais nous avons besoin d’avoir une réponse.
M. Olivier Rabiller. Des développements sont en cours ; les technologies que nous développons pour le moteur diesel ne sont pas figées. Non seulement nous allons pousser les technologies existantes plus loin, mais d’autres éléments vont venir s’ajouter sur le moteur.
Au-delà, nous travaillons sur des combinaisons de solutions venant d’environnements différents. Prenons l’exemple de l’électrification du véhicule. Nous parlons de moteurs hybrides, donc d’une source d’électricité disponible pour la motricité du véhicule. Aujourd’hui, avec huit kilowatts d’énergie électrique, on peut choisir de placer cette énergie dans les roues ou dans le turbo, comme cela se fait en Formule 1, et c’est alors l’effet de quarante à cinquante kilowatts au niveau des roues qui est obtenu.
Les technologies évoluent individuellement et se combinent les unes aux autres pour rendre le véhicule beaucoup plus efficient. Et cette tendance s’accélère.
M. Guy Maugis. Nous poursuivons le travail commencé il y a une vingtaine d’années sur l’amélioration de la combustion, avec des pressions d’injection de plus en plus élevées. Alors qu’auparavant nous injections à 1 000 bars dans un moteur diesel, nous atteignons maintenant des pressions de 2 000 bars, c’est un exemple typique de développement pour lequel les 24 heures du Mans ont aidé à progresser. Il s’agit donc d’amélioration continue.
Sur le traitement des NOx, nous avons les deux systèmes dont vous avez déjà entendu parler : la trappe à NOx, qui fonctionne plutôt mieux à basse température qu’à haute température, et le SCR pour lequel c’est l’inverse. Le véhicule qui a passé avec succès l’ensemble des tests de l’ONG américaine est équipé des deux, ce qui entraîne un surcoût. Mais ces systèmes en sont à leurs débuts industriels. Ils vont s’améliorer, nous allons les rendre plus légers, moins coûteux, plus efficaces. Nous allons également injecter bientôt un mélange d’ammoniac dans le gaz d’échappement. Au vu de la décrue des émissions au cours des trente dernières années, on peut rendre hommage aux équipes de recherche qui ont permis des améliorations fantastiques en termes de consommation ou de réduction des émissions polluantes. Ces progrès vont se poursuivre. Il n’y a pas de percée révolutionnaire, mais nous sommes certains que nous arriverons à améliorer encore les choses année après année, sur l’ensemble des motorisations.
M. Jacques Mauge. Le vrai problème de ces technologies, c’est le coût. Aujourd’hui, elles passent donc mieux sur du moyen ou haut de gamme que sur du bas de gamme, où le moteur à essence reste parfaitement compétitif, même s’il consomme un peu plus.
Si l’on réduit le volume du parc diesel, nous n’aurons plus la possibilité de descente en gamme par l’amélioration économique de ces technologies. On bloquera ainsi la diffusion de ces technologies, qui sont moins consommatrices d’énergie.
M. Olivier Rabiller. En tant qu’industriels, nous cherchons un retour sur investissement sur la R&D. Si nous voyons poindre une incertitude sur les technologies ou les domaines sur lesquels nous travaillons, nous aurons plutôt tendance à réduire notre effort de R&D et à investir ailleurs. C’est pour cela que nous avons créé cette alliance entre équipementiers, car si une incertitude entraîne une rupture sur le diesel, nous allons être amenés à faire des arbitrages d’investissement et sans doute passer par pertes et profits une technologie dont nous sommes pourtant persuadés qu’elle est nécessaire pour réduire le CO2 et qu’elle a énormément de potentiel.
M. Jacques Mauge. Une de vos questions portait sur les déclarations de Carlos Ghosn sur la fin du diesel et la réalité des tests.
En effet, des constructeurs très impliqués dans le diesel parlent déjà de la fin de cette technologie. Faut-il s’obstiner ? Si le diesel a une mauvaise image, peut-être faut-il investir ailleurs ? Certes, le coût de la rupture technologique sera très important, mais le premier à démarrer pourrait peut-être rebondir sur d’autres technologies et prendre les concurrents de vitesse. Renault applique les lois du marché. Cela étant, je pense comme mon collègue qu’au final, nous serons perdants car nous n’arriverons pas à atteindre les normes difficiles qui ont été définies sur la pollution sans le diesel. Il va apporter sa part de solution, pourvu que les volumes produits le permettent.
Mme la rapporteure. Le problème est que nous devons à la fois nous soucier du climat et de la qualité de l’air !
M. Jacques Mauge. Nous pouvons sembler naïfs en affirmant notre confiance dans le fait que nos technologies diesel sont équivalentes à l’essence, alors que les tests ne sont pas faits de manière correcte. Nous voyons donc d’un bon œil la volonté de redéfinir ces tests pour leur donner une vraie valeur. Ce sera probablement difficile, et nous n’y arriverons sans doute pas du premier coup, mais la démarche est très vertueuse.
La disparité des tests a également un aspect malin : des industries, voire des pays, sont très forts en effet pour établir des normes qui les favorisent tout en pénalisant leurs concurrents. Les Américains sont les champions du monde en la matière : ils arrivent à imposer des normes mondiales sans avoir à les respecter ! D’autres arrivent à imposer des normes qu’ils sont seuls capables de respecter. Il faut donc être attentifs, et nous améliorer dans le jeu de l’établissement des normes. Il ne faut pas laisser cet aspect aux bons soins de nos concurrents.
M. Charles de Courson. Nous n’avons pas parlé des biocarburants. Quelle est votre position sur l’adaptabilité des moteurs ? Vous n’avez pas non plus évoqué le moteur à hydrogène et au gaz.
M. Jacques Mauge. L’hydrogène est une excellente technologie qui pose cependant d’énormes problèmes en termes de distribution. Une station d’essence est un investissement raisonnable. S’il faut stocker et distribuer de l’hydrogène, cela devient une usine à gaz au sens technique du terme. Les investissements sont alors beaucoup plus lourds. Nous travaillons en tout cas sur cette merveilleuse technologie, qui sera probablement très coûteuse à mettre en œuvre.
M. Guy Maugis. C’est en débat. L’Allemagne y croit beaucoup et c’est Air Liquide – grande entreprise française – qui est en pointe sur ce sujet.
Sur les biocarburants, nous menons des recherches pour adapter les moteurs existants, notamment au Brésil, où le bioéthanol est largement disponible. Cela va certainement se développer. Aujourd’hui, et c’est une grande difficulté pour nous, toutes ces technologies sont disponibles, et il est impossible de savoir si l’une émergera plus que les autres. Notre seule certitude, c’est qu’un jour il n’y aura plus de pétrole, mais nous ne savons pas quand.
Mme la présidente. Messieurs, je vous remercie infiniment.
La séance est levée à dix-huit heures.
◊
◊ ◊
14. Audition, ouverte à la presse, de M. Xavier Timbeau, économiste, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
(Séance du mardi 15 décembre 2015)
La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.
La mission d’information a entendu M. Xavier Timbeau, économiste, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous accueillons monsieur Xavier Timbeau, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un organisme scientifique qui est le centre de recherche économiques de Sciences Po.
La mission d’information a déjà entendu un économiste, le professeur Élie Cohen. Il nous a donné une description argumentée mais plutôt inquiétante de la situation de la construction automobile française.
Au titre de ce qu’il a appelé un « décrochage industriel », ce spécialiste de l’économie industrielle a souligné un véritable effondrement de l’activité en termes de véhicules produits en France, donc en termes d’emplois, mais aussi un important retard en matière de recherche et développement en comparaison des constructeurs allemands.
La semaine passée, les responsables de la Fédération professionnelle des équipementiers, la FIEV, nous ont également indiqué que les emplois relatifs à leurs activités françaises avaient fortement décliné au long des vingt dernières années.
La situation est d’autant plus préoccupante que les équipementiers ont su faire face à la crise de 2008-2009, par des efforts de productivité et d’innovation. La rentabilité économique de leurs activités s’est même plutôt favorablement rétablie. Toutefois, ces industriels ne nous ont pas caché que les perspectives d’une croissance significative de leurs emplois en France restent faibles.
Monsieur Timbeau, la mission d’information est intéressée par vos analyses sur une situation qui relève probablement d’un déficit de compétitivité. Mais elle pourrait aussi avoir d’autres causes ; nous souhaitons profiter sur ce point de vos éclairages. Vous avez beaucoup travaillé sur les questions tenant à la durée du travail et à la productivité. Peut-être pourrez-vous nous préciser quels sont les véritables défis posés aux constructeurs français sur ces thématiques ?
Plus généralement, quelles sont les spécificités en termes d’investissement ou d’innovation qui singulariseraient défavorablement nos constructeurs vis-à-vis de leurs concurrents allemands ou asiatiques ? Des interrogations semblent pouvoir être soulevées s’agissant des stratégies comparées des grands groupes.
Différents point sont à évoquer s’agissant de nos constructeurs : le choix de fabriquer des véhicules de gamme moyenne voire low cost et en tout cas éloignés du haut de gamme générateur des plus fortes marges ; le déséquilibre de leur production entre les motorisations diesel et essence ; des choix peut-être trop exclusifs en faveur d’une filière technologique, comme c’est le cas du véhicule électrique pour un des deux constructeurs français.
Enfin, quel est, monsieur Timbeau, votre analyse sur les conséquences possibles de l’affaire Volkswagen pour l’économie de l’ensemble du secteur ? La défiance des consommateurs affectera-t-elle durablement le secteur ? En quoi les constructeurs devront-ils prioritairement évoluer dans leur business model comme dans leur communication et leur stratégie de marketing ? Que doivent exiger d’eux les pouvoirs publics et quelles modifications réglementaires et fiscales du cadre de leurs activités vous paraissent-elles les plus urgentes ?
Nous allons vous écouter, dans un premier temps, pour un exposé liminaire de présentation. Puis madame Delphine Batho, rapporteure de la mission, vous posera une première série de questions. Elle sera suivie par les autres membres de la mission qui, à leur tour, vous interrogeront.
M. Xavier Timbeau, économiste, directeur principal de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Je ne suis pas un spécialiste du secteur automobile, mais je m’y intéresse parce qu’il joue un rôle important dans l’économie française, dans la réponse à la question environnementale et dans la définition des politiques publiques. Ces dernières sont en effet confrontées au défi de savoir comment préserver l’emploi industriel et comment anticiper ses perspectives d’avenir.
L’automobile d’aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec celle que nous connaîtrons dans cinquante ans ; nos manières de nous déplacer auront elles aussi changé du tout au tout. Les politiques publiques sont nécessairement impliquées dans cette évolution.
L’affaire Volkswagen nous pose des questions sur lesquelles je vous livrerai mon analyse. Certes, je ne contredirai pas Élie Cohen et ses prévisions sombres pour le secteur automobile français, qui me semblent justifiées. Mais j’y apporterai peut-être quelques nuances. Les constructeurs français sont spécialisés dans le milieu de gamme, ce qui explique pour partie que leurs résultats sont moins flamboyants que ceux des constructeurs allemands. Mais il ne faut pas les comparer avec les constructeurs allemands haut de gamme. Dans le milieu de gamme, tous les constructeurs se sont retrouvés exposés à une baisse de la demande notamment en Espagne et en Italie, avec l’austérité imposée là-bas à la classe moyenne, le chômage qui y sévit et une paralysie du secteur bancaire qui limite l’accès au crédit, moyen de financement très populaire dans le secteur automobile. Tous ces facteurs n’ont pas manqué de toucher profondément le secteur automobile français.
Il pâtit aussi d’un manque de recherche et développement, ainsi que d’une trop faible flexibilité en cas de perturbations du marché, notamment au vu des solutions qui existent outre-Rhin –je rejoins Élie Cohen sur ce point. En Allemagne, si le contrat de travail est garanti à long terme dans l’automobile, il existe cependant des possibilités de réduire temporairement la masse salariale, par du chômage partiel, voire par une baisse des salaires. En France, cette marge d’adaptation n’existe pas vraiment, de sorte que l’ajustement se produit sous la forme de licenciements. Quand l’activité repart, les constructeurs se trouvent ainsi dans une position plus difficile.
Il en va de même pour les sous-traitants. Prenons garde d’oublier en effet le réseau des petites entreprises qui sont étroitement intégrées aux constructeurs. La crise a coûté cher dans cet écosystème de relations. Elle a brisé des tabous sur l’externalisation hors de France, qui fait désormais l’objet de moins de doutes et d’une approche plus pragmatique.
J’ajouterai un petit élément d’optimisme. Les groupes PSA et Renault ont ajusté leur situation. Non seulement sur le plan capitalistique, ce qui ne fut pas aisé pour le groupe PSA, mais aussi du point de vue de leur gamme, en revoyant en conséquence l’organisation de leur appareil productif. En outre, il est possible que se produise une reprise très forte du marché automobile européen, qui leur permettrait de retrouver des couleurs. L’un des arguments qui plaide en ce sens est l’âge moyen des véhicules en Europe, qui a augmenté d’un an et demi depuis la crise. Les décisions de renouvellement ont été repoussées, mais l’âge moyen devrait désormais diminuer, provoquant une accélération des marchés.
Le secteur reste néanmoins soumis à des mutations. Les entreprises les ont-elles assez anticipées, de même que les politiques publiques d’ailleurs ? La première mutation est environnementale. À l’avenir, il conviendra de réduire non seulement les émissions de dioxyde de carbone (CO2), mais aussi d'oxydes d'azote (NOx), à cause de l’affaire Volkswagen. La pollution locale, les nuisances sonores et la congestion urbaine devront également être réduites. En matière d’émissions de CO2 et de NOx, le schéma européen reposait sur un dialogue entre le régulateur et les producteurs, qui devaient en diminuer les volumes en développant des véhicules plus efficaces, réduisant la production de CO2 par kilomètre.
L’affaire Volkswagen a aiguisé le regard critique sur cette approche. S’agissant d’abord des émissions de CO2, on peut dire que la stratégie a fonctionné, puisque leur volume moyen pour le parc a diminué de 10 % depuis 2004 en France. Si cette valeur est intéressante, soulignons néanmoins qu’à ce rythme, il faudrait cent ans pour arriver à supprimer totalement les émissions. À mon sens, cela montre que laisser le constructeur agir sans que l’impact soit trop sensible sur le consommateur, grâce à des solutions techniques est insuffisant. Il faudra sans doute passer à l’avenir à une action directe sur le consommateur, en l’incitant à rouler moins, à recourir à d’autres modes de transport, voire à s’acquitter d’une taxe CO2.
Quant aux émissions de NOx, un problème de crédibilité des normes employées s’est fait jour. À ce stade des auditions, vous devez savoir mieux que moi comment les valeurs des véhicules sont calculées sur la base d’un banc d’essai correspondant à des conditions et à un schéma particuliers, de sorte que les automobiles peuvent réagir elles-mêmes au cycle par un comportement particulier. Dans les conditions réelles, en revanche, les valeurs d’émission observées sont bien supérieures. Impropre à rendre compte de l’évolution des émissions, la norme se révèle donc illusoire. Du fait de l’optimisation des véhicules par rapport au cycle, les résultats produits ne sont pas du tout les résultats attendus.
Le risque se fait donc jour que le régulateur soit capturé par les constructeurs, qui lui imposent leurs objectifs et leurs contraintes. À l’origine, les normes étaient pourtant utilisées comme des instruments de compétitivité pour développer un marché de véhicules vertueux du point de vue environnemental, susceptibles ultérieurement d’être exportés.
En 1989, l’introduction du moteur TDI de Volkswagen a marqué un tournant. Ce moteur a pu contribuer jusqu’à 60 % des bénéfices de l’entreprise, sous ses diverses formes, se révélant surtout particulièrement utile pour entrer sur le marché américain en 2005. Il y fut en effet présenté comme un moteur propre et efficace sur le plan des émissions de CO2. Plus petits et plus performants sur le plan énergétique, ils permettaient de réaliser des gains de CO2 d’environ 20 % par rapport aux autres moteurs. Le président Obama lui-même en avait fait la publicité en déclarant que le moteur est un élément de solution au problème des émissions de CO2. Cela aurait pu profiter également aux constructeurs français.
La révélation d’une certaine connivence avec le régulateur européen a conduit à nuancer ce jugement. Le groupe Volkswagen s’était trop reposé sur celle-ci et le régulateur américain en a tiré parti pour s’en prendre à son avantage compétitif.
Le moteur diesel reste un actif dans le portefeuille technologique des constructeurs européens. Il continue d’être utilisé par ceux qui sont le mieux placés sur le marché automobile mondial et il a le mérite de réduire les émissions de CO2, tout en conservant aux conducteurs le même agrément d’utilisation. Cependant, s’il ne remplit pas ses objectifs en matière d’émissions de NOx et de particules fines en suspension (particulate matters, PM), l’expérience américaine montre qu’il sera difficile d’utiliser l’argument environnemental en sa faveur.
Dès lors, vers quel modèle d’incitation aller en Europe ? Faut-il conserver une stratégie d’élévation graduelle des normes, s’appuyant sur le passage d’un moteur quatre cylindres à un moteur trois cylindres doté d’une bride compensant la petite taille du moteur ou bien faut-il envisager une rupture plus forte avec la solution du véhicule tout électrique, d’un recours moins systématique au transport individuel et d’une mobilité différente ? Cela ferait tourner la page d’une industrie porteuse sur le continent européen, qui continue d’exporter beaucoup d’automobiles.
Le choix sera difficile. Il va falloir produire des réductions d’émissions de CO2 et de PM assez fortes pour satisfaire les engagements pris au terme de la récente Conférence de Paris sur le climat (COP 21). Or il est n’est pas sûr que les solutions techniques proposées par les constructeurs soient toujours compatibles avec ces engagements.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Vous venez d’évoquer deux stratégies, l’une de rupture forte, l’autre d’élévation graduelle des normes. J’observerai cependant que plus les normes sont hautes, plus grand est aussi l’écart entre elles et la réalité ; le progrès tangible n’est jamais au niveau attendu. En tout état de cause, vous posez seulement l’alternative, en vous gardant de choisir entre ses deux termes.
S’agissant de votre comparaison entre la compétitivité du secteur automobile en Allemagne et en France, pensez-vous que l’écart s’explique plutôt par le modèle économique ou par l’organisation du travail ?
Vous nous annoncez une possible reprise du marché automobile européen. Outre les chiffres encourageants qui sont parus aujourd’hui, disposez-vous aussi de prévision de tendance sur les moyen et long termes, ou vous basez-vous seulement sur les chiffres de 2015 ?
Enfin, vous avez publié des travaux sur d’autres sujets, notamment sur un New Deal vert qui pourrait relancer l’économie européenne. Le plan envisagé affecterait 2 % du PIB à des investissements dans la transition énergétique. S’il devait comporter un volet automobile, ou plutôt un volet mobilité, quelles devraient être à vos yeux ses priorités ?
M. Philippe Duron. L’industrie automobile est depuis longtemps une industrie motrice qui exerce un effet d’entraînement sur l’ensemble de ses sous-traitants. Elle est génératrice à la fois de valeur ajoutée et d’emploi. Après un mouvement de concentration dans le secteur, des évolutions se font jour : certains constructeurs, tel Volkswagen, développent des plateformes communes qui leur permettent de réduire leurs coûts ; d’autres nouent des ententes, comme Chrysler et Fiat ou encore Renault et Nissan ; enfin, des constructeurs nouveaux tels que Tesla ou Bolloré émergent, sur le segment de la voiture électrique.
Leur émergence vous paraît-elle durable ou bien les gros constructeurs vont-ils reprendre le leadership dans le domaine, en s’appropriant l’innovation et en l’intégrant à leur modèle ? Verrons-nous au contraire apparaître un nouveau modèle lié à la transition énergétique ou bien un développement des véhicules autonomes ?
Aujourd’hui, il existe plusieurs alternatives au couple classique diesel et essence. Quelles sont pourtant les solutions techniques qui ouvrent les plus grandes perspectives : le véhicule électrique, le moteur à hydrogène ou quelque autre encore ?
Enfin, vous avez suggéré que le diesel est susceptible de s’améliorer encore. Mais ne pensez-vous pas que l’affaire Volkswagen lui a porté un coup fatal aux États-Unis ?
M. Jean-Michel Villaumé. Vous aviez déclaré dans la presse, au début de l’année, que vous étiez assez optimiste quant à la croissance du PIB en 2015, la chiffrant à 1,5 %, ce qui allait au-delà des prévisions du Gouvernement. Où en êtes-vous de vos appréciations sur ce sujet ? Le frémissement de reprise qui s’observe vous semble-t-il durable, alors qu’un fléchissement notable a eu lieu sur le plan mondial ?
Vous avez également développé des considérations de politique industrielle et de compétitivité. Que pensez-vous au sujet de la TVA sociale, parfois rebaptisée TVA compétitivité ? Pratiquée en Allemagne entre 2006 et 2008, cette hausse de la TVA, concomitante à une baisse des charges salariales, y avait produit des résultats.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Vous avez bien détaillé les avancées de la technologie actuelle. Mais comment évaluez-vous la capacité de notre secteur automobile à s’y adapter ? Il semble qu’il n’y ait plus de rupture majeure à attendre, mais seulement quelques innovations, en matière de moteur classique. La branche, forte de 750 000 emplois, devra cependant s’adapter à l’évolution générale du secteur.
En ce moment même, notre assemblée débat en séance publique sur la possible déduction de TVA à l’achat d’un véhicule automobile. Notre rapporteure générale voudrait l’étaler sur deux ans seulement ; cela me semble du délire complet, car la mesure ne pourrait vraiment produire d’effet que si la déduction s’étalait sur quatre à cinq ans. Au passage, je déplore que les travaux de notre mission ne puissent être pris en compte, car le débat se noue à un moment où nous n’avons pas encore livré nos conclusions.
S’agissant des relations entre régulateur et constructeurs, vous avez employé le terme, fort et lourd, de connivence. Quand je me suis rendu à Bruxelles la semaine dernière, rien de tel ne m’a cependant été confirmé, du moins au cours de la partie des auditions à laquelle j’ai pu assister. Pensez-vous vraiment que le régulateur était au courant ?
Quant à votre appréciation d’ensemble sur l’économie, je sais que vous appartenez à l’école keynésienne. Pour ma part, j’estime qu’il faut plutôt faire des économies pour retrouver des marges de compétitivité.
M. Xavier Timbeau. Mes propositions sur un New Deal vert et sur des investissements sont nées d’une réflexion sur le phénomène dit de la stagnation séculaire, faite d’une crise qui dure, d’un fort risque de déflation et de comptes budgétaires publics déficitaires et d’une inquiétude croissante au sujet de l’environnement. Dans ce contexte, comment combiner des éléments de réponse ? Je suis parti du constat que, si nous prenons vraiment au sérieux la transition énergétique, il y a alors un train d’investissements à faire, tant dans les bâtiments que dans les infrastructures de mobilité, chez les consommateurs comme dans les entreprises. Face à ce mur d’investissement, un besoin de financement se fait jour et il doit être possible de l’utiliser comme un moyen de déclencher un mécanisme de sortie de crise. Telle est l’idée d’un New Deal vert.
Le point central en est le prix du carbone. C’est lui qui résout la question du partage entre investissements publics et privés, car il fait naître une demande privée autonome, ne favorisant que les infrastructures de ferroutage qui peuvent être suffisamment utilisées pour être rentables. Le prix du carbone agit comme un déclencheur. Bien sûr, son introduction a pour corollaire une dépréciation d’une partie du capital existant, de ce que nous autres économistes appelons le capital sale, à savoir celui qui produit des émissions de dioxyde de carbone. Mais le mécanisme, dans son ensemble, provoquerait un choc d’investissement susceptible de faire sortir de la stagnation séculaire.
Il y a cependant un problème d’acceptabilité relativement à cette solution. Provoquant un changement relatif des prix, elle aurait en effet des conséquences pour les consommateurs, outre les pertes à encaisser pour la dépréciation d’une partie du capital existant. Si l’on ne répond pas à ces deux défis, l’on se heurtera à un problème d’acceptabilité. C’est pourquoi il est difficile d’instituer un prix du carbone. Là où cela avait été fait, un retour en arrière s’est même parfois observé. Aussi les investissements publics pourraient-ils financer des dispositifs de compensation transitoire aux perdants de cette mutation. J’insiste sur l’adjectif « transitoire », car ces perdants finiraient, au bout d’un certain temps, par s’adapter à cette situation nouvelle.
Quant à voir dans ce mécanisme un type de relance keynésienne, c’est je crois une critique que l’on ne peut m’adresser, car il est au contraire dominé par le souci de ne pas générer de dette qui ne soit couverte par la naissance d’un actif, qu’il soit public ou privé. Je reconnais seulement que, parmi ces actifs, il y aurait l’actif collectif et immatériel que représente le fait d’échapper aux conséquences du changement climatique. Même si cet actif n’est pas individualisable, il représente une valeur considérable, comme chacun s’accordera à en convenir, à moins d’être climato-sceptique.
Pour ce qui est du régulateur, il n’était pas au courant des irrégularités découvertes par l’affaire Volkswagen. Mais un écart croissant s’observait avant elle entre les valeurs du cycle et les performances réelles des véhicules. Le site de communication grand public de la Commission européenne donne sur ce point toutes les informations nécessaires. Le régulateur savait déjà qu’il devait modifier le cycle, faire apparaître la divergence et placer les constructeurs devant le résultat. S’agissant du dioxyde de carbone, la corrélation des résultats du cycle avec la réalité demeurait suffisante pour qu’une évolution ait lieu dans les faits. Dans le cas des NOx, l’écart entre le cycle et la réalité est tel qu’on pourrait douter de la capacité de la norme à en réduire effectivement l’émission, alors même qu’un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classait le diesel comme substance cancérigène potentielle. Cette parution a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Elle a rappelé à tous que la stratégie européenne pouvait échouer sur la voie d’une diminution des émissions de NOx sous les seuils définis par l’OMS.
En ce qui concerne la connivence dont j’ai parlé entre régulateur et constructeurs, cette qualification repose seulement sur le constat d’échec du régulateur et sur le danger qu’il semblait y avoir à le révéler, car cela revenait à annoncer que les constructeurs ne sauraient tenir leurs promesses ! Les échanges qui ont eu lieu entre le régulateur et ceux-ci sont désormais publics, tant sur le calendrier que sur l’évolution des normes relatives au diesel.
Aux États-Unis, les normes sont plus strictes qu’en Europe s’agissant des NOx, mais elles le sont beaucoup moins pour le reste. Il s’y observe des problèmes similaires à ceux que l’on connaît en Europe, à savoir une connivence « douce » entre régulateur et constructeurs. Le régulateur n’est certainement pas payé par les constructeurs, mais il est enfermé dans un système de régulation inoffensif, car il craint de porter un dommage trop important à l’industrie et à la collectivité. Il en résulte une désillusion certaine quant à la capacité de ces normes à faire émerger des moteurs propres.
Quant à l’alternative entre une élévation graduelle des normes ou une véritable rupture, je dirais que, dans un premier temps, nous resterons dans une approche progressive, mais que nous devons nous préparer à une rupture, parce qu’un échec des normes est possible. Des solutions de rupture existent aussi déjà, telles que le véhicule autonome. Elles permettent d’imaginer un avenir où le transport individuel du vingtième siècle deviendra une question de mobilité plus que d’automobile, changeant radicalement de signification. Que deviendront nos constructeurs automobiles dans ce contexte ? Il faut y réfléchir dès maintenant.
Faut-il des acteurs nouveaux ou les acteurs existants continueront-ils à dominer demain ? Les groupes automobiles détiennent des portefeuilles technologiques et d’innovation et sont de bons connaisseurs du domaine. Il n’en demeure pas moins que la capacité de rupture paraît venir de l’extérieur. Tesla en est l’exemple, même s’il n’a pas encore fait la preuve de sa rentabilité. Sur ce créneau, Porsche pourrait atteindre ce seuil critique, avec un contenu technologique similaire, ce qui montre que les entreprises détiennent un avantage comparatif.
Toutefois, elles enregistrent aussi un passif. L’automobile est un produit cher qui engage la responsabilité d’un constructeur sur quinze ans. L’affaire Volkswagen ne paraît pas faire de dommage ni à l’image de marque de l’entreprise, ni à sa capacité de gagner des parts de marché, car ses véhicules restent loin d’être les plus mauvais ; mais l’affaire crée des dettes et des obligations de remboursement, ainsi que des obligations de modifier les véhicules. A contrario, les entreprises nouvelles jouissent donc d’un avantage, car elles ne devront pas porter un tel passif.
Cela n’est cependant vrai que dans un premier temps. Qu’en sera-t-il demain pour Tesla si ses batteries prennent feu ou que ses véhicules sont impliqués dans des accidents mortels ? L’entreprise a-t-elle la capacité de devenir un opérateur sérieux ? Ce n’est pas sûr.
Il faudra trouver l’équilibre entre ce business extrêmement compliqué qui fait naître de lourdes responsabilités et est soumis à des exigences élevées en matière d’innovation, de performance et de qualité, et l’activité des nouveaux acteurs, innovateurs de rupture. Le jeu est ouvert ; les constructeurs n’y ont du reste pas forcément perdu toute possibilité.
Vous m’avez demandé lequel, de l’hydrogène ou du véhicule électrique, était la solution qui a le plus d’avenir, à moins qu’une autre encore apparaisse. Faute d’avoir une boule de cristal, je vous ferai une réponse de jésuite. De nombreuses innovations verront encore le jour, car l’évolution ne s’arrête jamais. Aussi ne peut-on savoir sir les infrastructures électriques –les bornes de rechargement– seront encore utilisées dans cinq ou dix ans ; elles seront peut-être déjà inutiles et obsolètes, alors qu’elles coûtent très cher. Cette incertitude sert la stratégie graduelle, car elle fournit des résultats dès aujourd’hui, même s’ils sont seulement partiels.
S’agissant de la flexibilité des salaires et du temps de travail, les accords compétitivité-emploi signés sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis l’accord national sur l’emploi y ont contribué. Mais il faut encore absorber le passif de la crise et nous ne verrons si ces instruments sont utiles qu’à l’issue de la prochaine crise.
Quant aux mesures de type crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi et à la TVA, ils ont certainement joué un rôle en Allemagne, mais le succès du secteur automobile de ce pays ne saurait s’y réduire.
Le diesel est-il quant à lui en danger ? Il me paraît rester promis à un avenir en Europe, mais sa capacité à être exporté est assurément compromise. Il pâtit désormais d’un problème d’image. En outre, les pays européens ne sont pas les seuls à pouvoir produire des normes. L’affaire Volkswagen a montré qu’un régulateur peut en trouver qui barre la route aux constructeurs européens. Ils ne sauraient donc axer sur le diesel leur compétitivité à moyen terme. Dans un scénario optimiste, le moteur diesel pourrait évoluer pour produire moins de NOx en conditions réelles ; sur le plan technique, l’essai se trouverait ainsi transformé. Dans un scénario plus pessimiste, le temps nécessaire pour réaliser ces adaptations sera mieux mis à profit par d’autres technologies que le diesel.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Et les perspectives du marché européen ?
M. Xavier Timbeau. C’est vrai, je ne vous ai pas répondu sur ce point, non plus que sur celui de la reprise en France. Un mouvement de reprise économique s’observe en effet en Europe. Le rythme en est encore trop décevant, et nous n’avons pas manqué de signaler que le chômage met trop de temps à baisser. Néanmoins, nous ne sommes plus dans une phase de croissance zéro. Cela pose la question du marché automobile, notamment en Espagne et en Italie. Des chiffres positifs circulent ; même s’ils sont largement conjoncturels, ils n’en sont pas moins spectaculaires, mettant en évidence la volatilité du marché automobile européen. Rappelons que ce marché est du reste très lié au secteur du crédit et au marché de l’emploi.
Indicateur fiable entre tous, l’âge moyen des véhicules dans le parc automobile européen demeure à un niveau historiquement élevé. L’automobile est un bien durable, dont la durée de vie moyenne s’établit à quinze ans. Or les automobiles européennes ont en moyenne 9,2 années aujourd’hui. C’est un plus haut. Ce facteur induit un renouvellement des véhicules, d’où une croissance du secteur.
Du point de vue des politiques publiques, n’est-ce pas dès lors le moment d’inciter à une rupture ? Les voitures neuves dégagent en moyenne 100 grammes de CO2 au kilomètre, ce qui correspond à la norme Euro 6. Telle serait la norme appliquée si le renouvellement devait avoir lieu aujourd’hui. La question est de savoir s’il faut aller encore plus loin. En tout état de cause, le facteur de l’âge moyen induit une reprise forte. Mais les constructeurs français seront-ils ceux qui en profitent le plus ?
M. Philippe Duron. Certains constructeurs se préparent à offrir des solutions de location de voiture ou des services de mobilité définis de manière large. Cela peut-il avoir un effet sur le volume des ventes et sur le chiffre d’affaires des entreprises ?
M. Xavier Timbeau. Nous passons d’une économie de propriété à une économie d’usage, ce qui induit une réduction du parc et du nombre de véhicules, mais aussi du nombre de kilomètres consommés, car le consommateur qui loue un véhicule constate l’intégralité du coût : cela peut lui faire préférer d’autres modes de transport. Pour le propriétaire d’un véhicule, il en va différemment, puisque le coût marginal du déplacement, égal à celui du carburant et de l’entretien, est pour lui très bas. Cela peut induire une surconsommation. Le développement de la location conduira donc à une baisse de la demande.
Mais l’on peut aussi défendre l’idée que cette évolution va fluidifier le marché, mettant en circulation des véhicules plus jeunes, plus avancés technologiquement et plus en phase avec les usages. Cela peut créer de nouvelles façons de consommer de la mobilité. L’effet final serait bénéfique pour les constructeurs, qui verraient évoluer la typologie de leurs clients, la segmentation du marché, la diversité de l’offre et leurs marges. Les nouvelles formes de demande ne sont donc pas dénuées de sens pour les constructeurs. Pour le consommateur, l’offre devrait être à l’avenir moins monolithique et mieux adaptée. La voiture autonome peut même être un déclencheur en la matière.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Monsieur, je vous remercie.
La séance est levée à dix-neuf heures quinze.
◊
◊ ◊
15. Audition, ouverte à la presse, de M. Ariel Cabanes, directeur de la prospective et de Mme Clémence Artur, chargée des relations publiques du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA).
(Séance du mercredi 16 décembre 2015)
La séance est ouverte à onze heures trente.
La mission d’information a entendu M. Ariel Cabanes, directeur de la prospective et Mme Clémence Artur, chargée des relations publiques du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA).
Mme Sophie Rohfritsch, présidente. Nous recevons les représentants du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), Monsieur Ariel Cabanes, directeur de la prospective, et Mme Clémence Artur, en charge des affaires publiques.
Le CNPA a vocation à représenter tous les métiers de l’automobile autres que les constructeurs et les équipementiers.
Il s’agit d’activités diverses qui vont de la vente à la réparation et au dépannage, des carrossiers aux centres de contrôle technique, sans oublier le secteur des poids lourds et donc une grande partie des professionnels que l’on peut appeler les « diésélistes ».
Plus de vingt grands métiers sont représentés. Sans les énumérer tous, on peut citer également les détaillants de carburants et de lubrifiants, les recycleurs, les distributeurs de pneumatiques ou encore les installateurs de systèmes GPL et même les concessionnaires de motocycles et de voiturettes.
Combien d’emplois sont concernés par ces activités qui sont autant de réseaux actifs et répartis sur l’ensemble du territoire ?
Cette audition est l’occasion de vous entendre sur les défis d’adaptation auxquels vos activités sont confrontées, tant en termes d’emplois, de formation professionnelle que d’investissements.
Dans le domaine de la vente de véhicules, par exemple, les relations des agents et des concessionnaires avec les constructeurs ont-elles évolué au cours des dernières années ? À cet égard, peut-on, identifier certaines spécificités de la part des deux constructeurs français ?
Quelle appréciation portez-vous sur l’évolution du marché de l’occasion et notamment sur les perspectives pour les véhicules diesel des anciennes générations ?
Les membres de la mission seront également très attentifs à vos interrogations comme à vos propositions, en matière réglementaire ou fiscale, au-delà du seul rééquilibrage, au demeurant progressif, des taxations sur l’essence et le diesel, qui devrait être engagé.
M. Ariel Cabanes, directeur de la prospective du Conseil national des professions de l’automobile. Le CNPA représente les entreprises qui forment l’aval de la filière automobile, l’amont étant occupé par les industriels, constructeurs et équipementiers, qui sont regroupés depuis 2009 au sein de la Plateforme automobile (PFA). Nous comptons d’ailleurs proposer que la France adopte une vision systémique de l’amont et de l’aval qui fait défaut aujourd’hui.
L’aval est constitué de 21 métiers très divers, qui vont effectivement de la distribution à la réparation et aux services autour de la mobilité – vous n’avez toutefois pas cité les parcs de stationnement qui peuvent avoir leur importance dans la réflexion sur la mobilité urbaine. Ces activités concernent un peu plus de 100 000 entreprises et, au total, un peu plus de 400 000 emplois.
Nous avons demandé une étude à la Banque de France afin de connaître, en s’appuyant sur des chiffres précis, l’évolution entre 2009 et 2014 des différents métiers, classés en quatre grandes familles parmi lesquelles le commerce et la distribution ou l’après-vente. La filière aval se caractérise par la place qu’occupent les indépendants – 80 % des entreprises ne sont pas liées à l’amont. Autre caractéristique de cette filière, elle compte près de 50 000 très petites entreprises – autoentrepreneurs ou entreprises à zéro salarié –, ce qui impose des exigences fortes en termes de formation et d’évolution de l’emploi pour s’adapter aux mutations de la mobilité et aux nouveaux véhicules.
L’aval représente 400 000 des 600 000 emplois du secteur automobile, soit les deux tiers des emplois.
Lors des États généraux de la filière aval, organisés en mars 2015 à Bercy sous l’égide du ministre, M. Emmanuel Macron, il nous a été demandé de rédiger un Livre blanc de la filière aval. Depuis le mois d’avril, nous avons mené un travail d’analyse, métier par métier, pour identifier les caractéristiques de la filière et pour déterminer les moyens d’en faire un atout pour la transformation des mobilités, de préparer les métiers aux nouvelles technologies et de développer l’emploi.
L’une des caractéristiques des métiers que représente le CNPA tient à leur très grande capillarité. Le petit garagiste en milieu rural, qui souvent répare la voiture mais aussi la tondeuse ou le matériel agricole, est un élément de mobilité et de proximité ; il contribue à l’emploi en permettant à un demandeur d’emploi de se déplacer et à un artisan de travailler en milieu rural. Les mutations de la mobilité préoccupent aussi les territoires ruraux.
Je ne suis pas en mesure de vous présenter aujourd’hui le Livre blanc puisqu’il sera remis officiellement à la fin du mois de janvier mais je peux en dire quelques mots.
Ce Livre blanc rappellera la fiche d’identité des différents métiers. Il doit proposer des pistes pour que ceux-ci se préparent aux mutations qu’implique le passage d’une économie d’usure du véhicule à une économie de l’usage. Il abordera la dématérialisation de la propriété, la gestion de flottes, les systèmes collaboratifs. Il cherchera à répondre à ces questions : comment cette filière, qui est une filière à part entière et pas seulement l’aval des industriels, peut se prendre en charge ? Quels sont les atouts qu’elle peut mettre au service des transitions en cours ?
Ce Livre blanc, intitulé « Un pacte de mobilité », comportera six axes, dont trois axes de transformation : comment préparer les métiers aux évolutions ? Comment faire face aux différentes réglementations et à leurs évolutions ? Comment promouvoir l’emploi et faciliter l’intégration des jeunes à travers des contrats d’apprentissage et des politiques de formation ?
Le CNPA, ce sont aussi des organismes comme l’Association nationale pour la formation automobile (ANFA), et le Groupement national pour la formation automobile (GNFA), qui, du CAP jusqu’au bac + 5, forment à tous les métiers de l’automobile. Comment, à travers ces organismes de formation, va-t-on préparer les jeunes à réparer des véhicules électriques ou à hydrogène ou à gérer des technologies différentes – les véhicules connectés supposent des garages connectés et des services connectés ? Ces nouveaux métiers doivent être mis en place – certains le sont déjà – mais toute la filière doit réussir à former des jeunes pour prendre en charge le véhicule, une fois vendu. Sans des garages et des services connectés, le véhicule connecté mettra du temps à se développer.
Le Livre blanc identifie trois piliers de prospective, à l’horizon 2020, autant de sujets qui sont déjà au cœur de notre actualité : le premier d’entre eux est l’économie circulaire ; l’aval de la filière, c’est avant tout la gestion et l’entretien du parc roulant. Comment entretient-on les véhicules et comment fait-on pour prolonger la vie des véhicules afin d’économiser de la matière première lors de la conception des véhicules ? Comment rendre la maintenance des véhicules beaucoup plus vertueuse en matière de sécurité mais aussi d’environnement ? Le Livre blanc doit comporter des propositions pour « une maintenance verte » des véhicules existants qui sont souvent des véhicules assez anciens – l’âge moyen du parc automobile français est de 8,7 ans. Il faut être conscient que l’impact sur l’environnement ne doit pas être mesuré uniquement pour les nouveaux véhicules mais aussi pour le parc roulant.
1,8 million de véhicules neufs avec des technologies récentes, respectant les normes Euro 5 ou Euro 6, faiblement émetteurs de gaz à effet de serre ou de particules, sont mis sur le marché tandis que l’aval doit prendre en charge un peu plus de 38 millions de véhicules en service aujourd’hui.
Il ne faut pas non plus oublier la fin de vie des véhicules, avec le système de collecte et de recyclage ; ces branches – la collecte, les pneumatiques usagés, les pièces de réemploi ou encore les véhicules hors d’usage (VHU) – sont extrêmement importantes. La filière aval a un rôle à jouer pour assainir les activités de collecte. On sait très bien que subsistent encore beaucoup de zones d’ombre, en dépit de la réglementation, européenne ou française, qui proscrit la destruction sauvage de véhicules ou les marchés parallèles de pièces et de pneumatiques. On connaît les circuits qui permettent aux véhicules ou aux pièces de revenir en France.
Deuxième pilier prospectif, le numérique. L’apparition du véhicule connecté implique des mutations dans les garages et les services afin d’être en mesure d’établir un diagnostic intelligent et de réparer le véhicule, voire le remettre dans l’état initial, l’ambition n’étant pas seulement de faire rouler le véhicule. Nous pourrons aborder la question du contrôle technique, sujet majeur.
Dernier pilier, les énergies alternatives – le véhicule électrique, le véhicule à hydrogène – sur lesquelles nous pourrions nous engager fortement. Quelles peuvent être les ambitions sur ce sujet ? Quels sont les modes de financement que nous envisageons pour pouvoir déployer ou expérimenter ces innovations dans certaines régions ?
Enfin, nous proposons au ministre, sous l’égide du comité stratégique de filière, la création d’une plateforme de la mobilité, aux côtés de la PFA, qui prenne en compte l’ensemble des métiers de l’aval dont le rôle est extrêmement important dans la gestion du parc automobile.
Mme Clémence Artur, chargée des affaires publiques. Les 400 000 emplois de la filière aval ne sont pas « délocalisables ». Ce sont des emplois de service et de proximité.
80 % des emplois ne sont pas dans le giron des constructeurs, ce qui n’empêche pas que subsistent des relations contractuelles ou économiques qui peuvent être compliquées avec certains donneurs d’ordre, que ce soit les compagnies d’assurance ou les pétroliers pour la distribution de carburants.
Depuis la fin du règlement européen d’exemption, subsiste un flou sur le statut du distributeur automobile, qui n’est pas juridiquement défini aujourd’hui. Cela pose des problèmes aux entrepreneurs, à la tête de grosses entreprises – la distribution automobile représente environ 150 000 emplois. Ces chefs d’entreprise doivent assumer des investissements très conséquents afin de respecter les cahiers des charges imposés par les constructeurs pour les showrooms. En outre, ces surfaces sont soumises à la taxe sur les surfaces commerciales. L’environnement économique est donc assez complexe. Or, on observe un léger tassement des ventes de véhicules neufs malgré une année 2015 plutôt satisfaisante. La rentabilité de cette activité est donc quelque peu rognée. L’absence de statut pour le distributeur recrée une relation de dépendance économique importante à l’égard du constructeur. Ainsi, un patron de concession automobile ne peut, aujourd’hui, pas choisir seul la personne qui va reprendre son entreprise ; cette décision fait l’objet d’une négociation avec le réseau « constructeur ». Il n’est pas question de noircir le tableau car, sur le terrain, les choses se passent bien : les réseaux dialoguent avec les distributeurs automobiles. Nous valorisons ce dialogue au travers de la « cote d’amour » des constructeurs, une étude que nous réalisons chaque année auprès de nos concessionnaires et qui donne lieu à un palmarès.
Les relations contractuelles, déjà compliquées, ont toutefois été aggravées par l’article 31 de la loi pour la croissance et l’activité, c’est-à-dire par un article destiné à s’appliquer à la grande distribution. Or, une fois de plus, la distribution automobile tombe sous le coup des différentes réglementations visant la grande distribution. Cet article prévoit une résiliation automatique de l’ensemble des contrats entre un réseau et les différents magasins. Or, un distributeur automobile est lié par trois types de contrats avec son constructeur : un contrat de vente de pièces, un contrat de maintenance, un contrat de vente de véhicules. Cela fait partie d’une nécessaire souplesse dans les relations contractuelles avec les constructeurs que de pouvoir mettre fin à l’un des trois contrats sans pour autant mettre fin aux autres. Les contrats sont en outre assez complexes à renégocier. Les distributeurs sortent rarement gagnants de ce type de rapports de forces. Nous avions alerté sur les difficultés que risquait de faire peser sur nos entreprises cet ajustement législatif qui partait d’une bonne intention mais pour la grande distribution.
M. Ariel Cabanes. Selon l’étude de la Banque de France, entre 2009 et 2014, le nombre d’emplois pour l’ensemble de l’aval a diminué de 4,3 %. Cette décrue s’observe particulièrement dans le domaine du commerce et de la distribution, en conséquence de la baisse des ventes de véhicules neufs : le nombre d’emplois est ainsi passé de 200 000 à 178 000. Dans le même temps, les services ainsi que le commerce et la réparation, eux, créent des emplois. Dans le domaine de l’après-vente et de la réparation, le nombre d’emplois est passé de 142 000 à 146 000. Depuis 2011, on observe un rééquilibrage, notamment en faveur du contrôle technique et de la maintenance des parcs. La filière assume son rôle dans la gestion du parc roulant en créant des emplois.
Autre point encourageant, 64 % des entrepreneurs ont moins de 50 ans et 32 %, moins de 40 ans. Si la formation et la qualité professionnelle sont au rendez-vous et si l’activité répond à un besoin identifié des consommateurs, ces petites entreprises, souvent bâties par un autoentrepreneur, créent des emplois et contribuent au maillage territorial.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Je vous remercie pour la vision stratégique très éclairante que vous nous avez présentée. Nous sommes très intéressés par la lecture du Livre blanc et de l’étude de la Banque de France qui devraient être publiés dans des délais compatibles avec le calendrier de nos travaux.
Quelles sont les perspectives d’évolution en termes d’emplois pour la filière ?
Le renouvellement du parc roulant est au cœur de nos travaux tant les différences entre anciens et nouveaux véhicules sont marquées en matière d’émissions polluantes. Quel est votre point de vue sur le marché de l’occasion et la gestion du parc roulant ? Faut-il selon vous accélérer le renouvellement du parc ?
Vous avez mentionné rapidement le contrôle technique. Quelle part de l’activité représente-t-il ? Nous nous interrogeons sur son contenu et sa possible évolution en matière de respect des normes d’émissions polluantes.
Que pouvez-vous nous dire de la pratique du « défapage » ?
L’association UFC-Que choisir, lors de son audition, a insisté sur l’ouverture à la concurrence du marché des pièces détachées. Quel est votre point de vue ?
L’aval de la filière étant en relation directe avec les consommateurs, d’après les informations qui remontent de votre réseau, quel est l’impact de l’affaire Volkswagen ?
Enfin, pouvez-vous nous en dire plus sur la cote d’amour des constructeurs que vous avez mentionnée ?
M. Jean Grellier. Voyez-vous pour l’avenir une égale répartition entre les différentes sources d’énergie – électricité, biogaz, hydrogène – ou pensez-vous que l’une d’elles peut prendre le dessus ? La baisse du cours du pétrole est-elle conjoncturelle ou structurelle ?
S’agissant des pièces détachées, est-il nécessaire de maintenir le monopole des constructeurs français ?
Peut-on envisager une démarche industrielle pour la déconstruction des véhicules viable économiquement ?
M. Philippe Duron. Comment voyez-vous l’évolution du marché de l’occasion face à la progression de l’électrification du parc ? Le marché de l’occasion pour les véhicules électriques, aujourd’hui embryonnaire, peut-il vraiment se développer ?
L’économie d’usage est-elle vouée à être captée par les grands constructeurs et leurs distributeurs ou permettra-t-elle l’émergence d’autres acteurs ?
Depuis la remise en cause de l’exclusivité, comment les distributeurs se positionnent-ils face aux contraintes que leur imposent les constructeurs ? Sont-ils favorables au maintien de l’exclusivité de marque ou à une plus grande liberté qui leur permettrait de vendre un bouquet de produits ?
M. Gérard Menuel. Nous avons retenu des auditions précédentes que le véhicule à hydrogène est une perspective très lointaine. Vous semblez être plus optimistes. Pouvez-vous préciser dans quel calendrier vous inscrivez cette perspective ?
L’âge moyen du parc automobile connaît-il des évolutions ? Et comment se situe la France par rapport aux autres pays européens ?
M. Yves Albarello. Je souhaite également des éléments de comparaison européenne sur le vieillissement du parc.
Il reste beaucoup à faire en matière de collecte – il suffit de constater le nombre de pneus et de carcasses de voitures qui jonchent nos routes de campagne. Les constructeurs mènent-ils une réflexion sur ce sujet pour mettre un terme à ces pratiques ?
M. Gérard Menuel. Peut-on d’ailleurs imaginer demain des pneus dont la durée de vie serait identique à celle du véhicule ?
M. Ariel Cabanes. Au risque de vous décevoir, la réponse est non.
Les services ont vocation à se développer. Il ne faut pas envisager les évolutions par le seul prisme du véhicule particulier. Nous parlons de l’ensemble des véhicules, les véhicules utilitaires légers, les poids lourds et les parcs de semi-remorques ou les bus. S’agissant de l’âge moyen du parc, les véhicules industriels sont un peu plus jeunes, leur renouvellement est plus rapide – l’âge moyen est entre six et sept ans – ; pour le matériel tracté, l’âge varie de dix à quinze voire dix-huit ans. Les problématiques sont donc différentes.
Nous ne disposons pas de prévisions sur l’évolution de l’emploi. Parallèlement à la diminution du nombre d’emplois, on observe un phénomène de vases communicants : les modes de commercialisation et de distribution devenant plus efficients, l’emploi dans ce secteur risque peut-être de se contracter encore mais rien ne le laisse présager pour l’instant. En revanche, l’activité de services va prospérer, c’est une évidence. Nous avons la conviction que les services vont se développer pour pouvoir gérer le parc mais aussi pour mettre en place le garage « social », concept auquel le CNPA est très attaché.
Une personne propriétaire d’un véhicule, âgé de plus de dix ans, ne l’est pas par plaisir mais par nécessité, notamment pour se rendre sur son lieu de travail. Nous devons être inventifs pour lui proposer la réparation ou la remise en état de son véhicule non pas avec des pièces d’origine mais avec des pièces de réemploi, à condition que celles-ci suivent un circuit encadré et soient utilisées dans des filières professionnelles qui respectent les règles de l’art. Nous proposons de mettre en place des « garages sociaux » afin que les vieux véhicules puissent être réparés et entretenus en garantissant la sécurité routière et, quand c’est possible, un verdissement. Grâce ces améliorations, le véhicule continuera ainsi à être utilisé de la manière la plus vertueuse possible.
Mme Sophie Rohfritsch, présidente. Pourquoi faudrait-il des garages dédiés ? Ces garages « sociaux » ne peuvent-ils pas être intégrés dans le réseau classique ?
M. Ariel Cabanes. Ils pourraient trouver leur place dans le circuit classique, bien entendu.
Dans l’après-vente, il faut gérer deux types de véhicules : les véhicules récents sous garantie pour lesquels les réparations sont faites avec des pièces d’origine de la même marque. Pour ces véhicules, il y a l’obligation de remettre le véhicule presque à l’état neuf. En revanche, pour les véhicules au-delà de huit ans, même si l’État propose des mesures incitatives pour le renouvellement du parc – je ne dis pas qu’il ne faut pas les prendre –, leur effet ne se fera pas sentir tout de suite. Nous avons essayé par le passé les bonus et les malus, nous savons qu’ils demandent du temps pour produire leurs effets car l’introduction de nouveaux véhicules sur le marché prend du temps. Nous pourrions imaginer d’aider les acquéreurs d’un véhicule d’occasion répondant aux normes Euro 5 au minimum en leur offrant un contrôle technique gratuit ou encore une carte grise gratuite etc. Les professionnels peuvent s’engager sur une telle mesure, tout en la jugeant insuffisante.
Mais qui peut s’acheter un véhicule d’occasion Euro 5 qui coûte au bas mot 10 000 à 12 000 euros ? Le propriétaire d’un véhicule dont la moyenne d’âge est au-delà de huit ans et la valeur entre 2 000 à 3 000 euros, n’a pas les moyens de s’acheter un véhicule Euro 5.
Grâce au « garage social » utilisant des pièces de qualité, approuvées et garanties par des professionnels, mais issues du démontage du véhicule hors d’usage, le véhicule peut continuer à rendre service.
Mme Clémence Artur. Il est intéressant de différencier ce qui relève du service pour des véhicules neufs qui vont connaître de grandes mutations et ce qui relève de la maintenance pour l’ensemble du parc dont, je le rappelle, l’âge moyen est de 8,7 ans.
L’âge moyen de destruction d’un véhicule dépasse aujourd’hui dix-neuf ans. Le marché de l’occasion nous échappe en partie puisque trois cinquième des transactions se font de particulier à particulier.
Les propriétaires de véhicules anciens, dont on peut préjuger qu’ils connaissent souvent des difficultés économiques, vont se détourner assez rapidement des professionnels de l’automobile, d’abord des réseaux de distributeurs qui sont réputés plus chers et, à terme, du garagiste indépendant en raison de l’essor de l’économie collaborative – le voisin va proposer de faire lui-même les réparations. Cette filière illégale ou grise, qui revêt des formes très différentes – un professionnel qui fait du dépannage le week-end à titre privé comme une personne qui s’y connaît un peu – grignote de plus en plus de parts de marché, tant pour la réparation que, de façon plus sensible encore, pour le recyclage.
L’ADEME estime qu’un véhicule sur deux n’est pas remis dans les centres VHU
– centres de destruction des véhicules hors d’usage – parce qu’ils sont démontés ailleurs, et ce pour deux raisons.
D’abord, les particuliers ignorent parfois leurs obligations à l’égard de leur véhicule qui n’est plus en état de rouler – vous connaissez ces affiches aux feux rouges qui proposent de reprendre le véhicule en échange de 300 ou 400 euros, une solution plus attractive que de faire venir un dépanneur et payer 150 euros pour pouvoir l’emmener en centre VHU. Ensuite, il reste moins coûteux de choisir une autre solution que le centre VHU.
Cette offre de services à caractère social pour les véhicules particuliers est aussi une façon de maintenir de l’emploi. Il sera toujours plus avantageux pour le consommateur de faire appel à un garage avec des professionnels qui utiliseront des vraies pièces de réemploi qui seront traçables, donneront des garanties en matière de sécurité routière et permettront de profiter d’un véhicule au maximum de ses capacités énergétiques, toutes choses que le voisin dont je parlais n’est pas à même d’offrir.
Pour le renouvellement du parc, des mesures incitatives sont mises en œuvre. Toutefois, la prime à la casse a surtout conduit à détruire des véhicules qui avaient à peine une dizaine d’années et qui auraient pu continuer à rouler avec un entretien écologique satisfaisant. Elle a surtout permis aux classes moyennes de s’acheter un véhicule plus performant. Le gros du parc polluant n’en a pas profité. C’est toute la difficulté de ces mesures de bonus ou de prime à la casse que de toucher le bon public : les personnes qui devraient bénéficier d’aide pour l’acquisition de véhicules moins polluants n’en profitent pas. C’est pourquoi le livre blanc envisage la possibilité d’aides à l’acquisition pour les véhicules d’occasion, aides aujourd’hui inexistantes ; les personnes qui possèdent des véhicules norme Euro 4 ou moins ne peuvent pas s’acheter des véhicules norme Euro 5 et ne peuvent pas entretenir leur véhicule dans des conditions satisfaisantes en matière de sécurité et d’environnement.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Combien d’années seront nécessaires pour gérer le stock énorme de véhicules – 38 millions – en garantissant les meilleures performances en matière de respect de l’environnement ?
M. Ariel Cabanes. Premier élément de réponse, un certain temps… Pour résoudre ce problème, la proposition qui nous paraît simple à mettre en œuvre consiste à imposer un contrôle technique annuel systématique au-delà de la septième année. Il s’agit d’une mesure concrète, très claire, qui peut compléter les dispositifs de maintenance avec des pièces de réemploi effectuée par des professionnels. Cette mesure permettrait une photographie du parc, au lieu des études actuelles fondées sur les cartes grises, puisque la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) centralise l’ensemble des données lors du contrôle technique. Le contrôle technique systématique permettrait un meilleur contrôle ainsi qu’une meilleure gestion de l’évolution du parc roulant ancien, et peut-être une accélération de sa mise à niveau ou de son rajeunissement.
Mme Clémence Artur. Le volet pollution du contrôle technique a été renforcé par l’article 65 de la loi relative à la transition énergétique qui est compliqué à mettre en œuvre.
Initialement, le projet consistait en un entretien à visée écologique. Mais il fait plus sens dans le cadre du contrôle technique qui comporte déjà un volet pollution pour certains véhicules et qui est le bon lieu pour poser un diagnostic sur les taux d’émission de CO2. Pour les véhicules utilitaires légers, la visite complémentaire pollution a lieu entre deux contrôles techniques tous les ans à partir de la cinquième année.
La possibilité d’un contrôle technique systématique a été discutée lors de l’examen de la loi sur la transition énergétique et écartée pour des raisons de coût, ce qui est parfaitement audible. Le CNPA avait demandé une enquête du Gerpisa, le réseau international de l’automobile, pour évaluer le coût réel du contrôle technique rapporté au coût d’un véhicule sur une année. Le volet pollution est évidemment moins cher que le contrôle technique complet. Au vu des prévisions à long terme et de comparaisons européennes, il apparaît qu’un contrôle technique plus régulier, sur les deux aspects – pollution et sécurité –, permet d’éviter des réparations très coûteuses par la suite et encourage un entretien préventif. Le CNPA entend parallèlement accompagner les propriétaires de véhicules grâce à l’installation de ces garages sociaux qui leur permettront de faire les réparations au fil de l’eau, et pas uniquement des réparations curatives qui parfois vont coûter très cher, en particulier pour des véhicules dont la valeur intrinsèque n’est plus très importante.
On peut également imaginer des aides sociales ou une TVA incitative, à l’instar de celle qui s’applique dans le bâtiment pour les travaux d’amélioration de la qualité énergétique. La TVA, aujourd’hui à 20 %, pourrait être réduite pour un nettoyage du moteur, l’installation ou le remplacement d’un filtre à particules, la pièce de réemploi, diminuant ainsi les coûts de la réparation. Le contrôle technique reste le point d’entrée, quelles que soient les mesures complémentaires.
M. Ariel Cabanes. Nous voyons croître un marché parallèle des pièces de réemploi mais il échappe à tout encadrement. Il suffit d’aller sur le site Leboncoin.fr…
Mme la rapporteure. Des inspections avaient été diligentées pour mettre fin aux décharges illégales. Quel en est le bilan ?
Mme Clémence Artur. La Direction générale de la prévention des risques (DGPR) est très alertée sur le sujet. Mais, première difficulté, elle inspecte les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), elle ne se déplace donc pas chez votre voisin. Ensuite, nos professionnels signalent régulièrement aux préfectures des activités illégales. Mais on constate une certaine forme de tolérance qu’on peine à comprendre.
Sur le site Leboncoin.fr, nous avons, de manière empirique, répertorié les annonces pour une journée, en écartant celles des professionnels – certains s’inscrivent pourtant comme professionnels mais renseignent leur adresse personnelle, laissant à penser qu’ils n’agissent pas dans le cadre de leur entreprise. Au terme de cette compilation, le montant des pièces détachées proposées s’élevait à 3 millions d’euros ! À titre de comparaison, la filière VHU réalise un chiffre d’affaires annuel de 300 millions d’euros. Quant au particulier qui met en vente dans la même journée 50 airbags – alors que les éléments pyrotechniques n’ont pas le droit d’être vendus, y compris par les professionnels –, il ne s’agit pas d’activité de brocante, c’est évident. Il conviendrait d’instaurer une surveillance de ces marchés parallèles.
M. Ariel Cabanes. C’est bien là toute la difficulté. Nous avons des propositions pour mieux encadrer les marchés mais c’est compliqué. Toutes ces activités parallèles échappent à la TVA.
C’est pourquoi nos propositions portent sur le contrôle technique, les garages sociaux, une TVA adaptée pour des véhicules d’un certain âge. De telles mesures seraient incitatives tant le coût est rédhibitoire pour les populations concernées.
On peut inciter les propriétaires de véhicules âgés à entretenir ces derniers dans des conditions économiques acceptables pour eux et au bénéfice de la collectivité.
Autre enjeu, l’après-entretien, on l’a dit, un véhicule sur deux n’est pas démonté. Il suffit d’observer les trafics aux frontières qui alimentent les marchés parallèles. Là aussi, la surveillance doit être améliorée.
Aujourd’hui, les pneus sont collectés presque à 100 % – c’est l’une des filières les plus vertueuses. La collecte fonctionne parce qu’elle s’appuie sur une véritable industrie de valorisation. Si la collecte et le recyclage pour les véhicules ne sont soutenus que par des subventions, sans industrie de valorisation, cela ne marche pas. Bon nombre de recycleurs s’installent attirés par une incitation locale ou des subventions, mais, après quelques années, ils disparaissent.
L’ADEME a réalisé une étude à la demande de la DGPR en 2014 qui souligne la nécessité de créer une industrie de la valorisation. Il y a beaucoup à faire dans le domaine de la déconstruction et de la récupération des matériaux. Les parcs roulants espagnols ou italiens sont un peu plus vieux qu’en France – la crise économique a aussi laissé des traces – ; en Allemagne, le parc est un peu plus dynamique ; en Angleterre, le parc est de même nature. Mais, en matière de recyclage et de valorisation, au Danemark, en Angleterre ou en Allemagne, ont été créées de véritables industries de la valorisation matière. Le ticket d’entrée est entre 200 et 300 millions d’euros mais les industriels investissent. La Chine est très en avance dans le domaine de la récupération des produits en fin de vie, les industries de la valorisation y sont extrêmement fortes. En France, il faut créer un élan pour inciter à la création d’une industrie de la valorisation. Aujourd’hui, le cours des matières premières est un problème. Le modèle économique est remis en question dès lors que les pièces neuves valent moins cher que celles issues du recyclage. Or, le problème n’est pas conjoncturel : le baril de pétrole restera à moins de 50 euros pendant encore quelques années.
Le « défapage » est aussi lié au coût du filtre à particules. Il suffit de déconnecter une partie électronique et le véhicule marche aussi bien.
Mme la rapporteure. Que peut-on faire pour lutter contre cette pratique ?
M. Ariel Cabanes. On peut effectuer une vérification dans le cadre du contrôle technique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Avec le Livre blanc, nous souhaitons présenter des propositions efficaces dont l’impact est fort mais les coûts pour l’État et les entreprises aussi faibles que possible. La mesure relative au contrôle technique est simple et facile.
Dans un autre registre, on peut parler d’éducation routière puisque le CNPA représente aussi les auto-écoles. Une mesure facile à mettre en œuvre consisterait à proposer le permis de conduire à 1 euro pour les jeunes qui rentrent dans la filière afin d’améliorer son attractivité. Il existe nombre de sujets de cette nature, disparates mais qui donnent une cohérence à l’ensemble, en faveur de cette mobilité nouvelle et un peu plus verte.
Mme la rapporteure. Est-il facile de vérifier la présence d’un filtre à particules dans les points du contrôle technique ?
M. Ariel Cabanes. C’est une constatation très facile à faire.
Mme Clémence Artur. Le délit de « défapage » figure désormais dans la loi sur la transition énergétique. Il est dommage de ne pas avoir prévu les moyens de le constater !
Mme la rapporteure. Je vous livre une annonce que je viens, à l’instant, de trouver sur le site Leboncoin.fr : « … Vous avez des messages d’erreur, votre véhicule se met en mode dégradé, perte de puissance et d’accélération ? Cette modification d’enlever le filtre à particules offre un gain de puissance et une diminution de consommation mais surtout plus jamais de dépenses supplémentaires dues à un filtre à particules défectueux ; cette modification est définitive et indétectable ; elle n’entraîne aucun code défaut et n’altère en rien le passage au contrôle technique … ». Il manque le prix mais une autre annonce propose le « défapage » à 250 euros !
Mme Clémence Artur. Selon les professionnels que nous avons interrogés, les demandes de « défapage » sont rares. Cette pratique s’observe plutôt en dehors des garages comme en témoigne cette annonce.
M. Ariel Cabanes. Aujourd’hui le contrôle technique est visuel, à l’exception de la sonde lambda qui mesure les émissions. Tant que le contrôle reste visuel, l’absence de filtre à particules, comme le dit l’annonce, est indétectable. Il suffit que le contrôle technique soit équipé des moyens de diagnostic dont disposent les garagistes. En connectant la valise de diagnostic, vous êtes averti d’un dysfonctionnement dans la cartographie du moteur. Cela soulève une autre question récurrente et qui sera de plus en plus prégnante : le partage des données entre l’amont et l’aval – les données du véhicule et les données d’usage. Si les données du véhicule sont verrouillées au profit du seul constructeur ou de telle filière, cela interdit aux autres de réparer, d’entretenir ou d’effectuer le contrôle technique.
Nous plaidons donc pour une ouverture des data aux professionnels. Dans le Livre blanc, figure une proposition en faveur d’une « carte Vitale du véhicule ». Le petit garagiste du fin fond de la Lozère ou le centre de contrôle technique auraient accès aux données, ce qu’ils ne peuvent pas faire aujourd’hui. Nous avons entre les mains un outil extrêmement puissant qui permet de mieux contrôler le parc et de le rendre plus vertueux mais il faut donner les moyens aux professionnels de diagnostiquer jusqu’au bout.
Mme la rapporteure. Comment peut-on concilier ouverture des données et secret industriel, argument qui vous sera inévitablement opposé ?
Mme Clémence Artur. La question de l’accès aux données techniques n’est pas récente. Le secret industriel peut être un argument mais si ce secret empêche un garagiste d’intervenir sur un véhicule pour le réparer, la notion de filière avec un grand F perd tout son sens. Je ne pense que ce soit l’intérêt des constructeurs d’entraver la maintenance des véhicules.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Le contrôle technique semble incontournable. La modification que vous proposez relève-t-elle du domaine réglementaire ou législatif ?
Mme Clémence Artur. Tout le contenu du contrôle technique relève du domaine réglementaire.
M. Ariel Cabanes. Notre proposition porte sur les véhicules de sept ou huit ans. Cette mesure ne résoudra pas tous les problèmes mais elle est efficace.
Dans le domaine de l’autopartage, des expérimentations sont mises en place par des membres du CNPA, notamment en Bretagne, qui fonctionnent très bien. Un véhicule peut être utilisé par quelqu’un d’autre dans la journée. Il n’est pas immobilisé.
Mme Clémence Artur. Quant au risque que cette économie d’usage soit captée par les réseaux constructeurs et distributeurs, nous constatons que ces réseaux sont en retard, ils n’ont pas encore pris conscience du potentiel de cette économie.
Une expérimentation soutenue par le CNPA dans la région Bretagne permet d’utiliser pour l’autopartage le parc de véhicules d’occasion qui ne sont pas encore vendus par les distributeurs. L’autopartage est plutôt le fait des nouveaux acteurs de l’économie collaborative ou des particuliers. Ce marché se situe aujourd’hui en dehors du champ professionnel, ce qui nous permet d’avoir des discussions enrichissantes avec ces acteurs.
M. Ariel Cabanes. S’agissant des véhicules électriques et à hydrogène, l’offre n’est pas vraiment riche. On ne va pas refaire l’histoire. Mais l’ensemble des membres du CNPA sont en train de s’engager : pour le véhicule électrique, le partenariat avec l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE) peut être un levier très puissant ; l’AVERE vient de signer avec le ministère de l’écologie et du développement durable dans le cadre des certificats d’économie d’énergie pour la période 2016-2018 pour le déploiement de 24 000 bornes de recharge sur le territoire français. Or, les professionnels du CNPA peuvent contribuer au maillage territorial. L’ambition est de parvenir sur les trois ans au déploiement des 24 000 bornes. L’idée est simple : les entrepreneurs ont envie d’investir, la demande existe. Un agent, un concessionnaire ou un carrossier peut posséder comme véhicule de prêt un véhicule électrique de sa marque et en même temps, parce qu’il souhaite promouvoir ce type de mobilité, installer une borne de recharge visible avec un accès au grand public.
Quant à l’hydrogène, il faut avoir la volonté d’avancer ; il existe plusieurs expérimentations. Dans la région de Grenoble, un entrepreneur, concessionnaire Renault, possède aujourd’hui 500 Kangoo à hydrogène qui roulent dans sa région, avec quatre points de recharge. Avec 15 kilos d’hydrogène, l’autonomie est de 400 à 500 kilomètres.
M. Yves Albarello. Quel est le coût d’installation d’un point de recharge ?
M. Ariel Cabanes. Je précise que nous parlons de flottes fermées qui intéressent les professionnels ou les collectivités locales. Ces flottes captives vont se déployer, selon le principe du cluster. Nous comptons promouvoir un certain nombre d’expériences afin qu’elles fassent tache d’huile.
Il existe deux manières pour obtenir l’hydrogène : soit l’hydrogène industriel dont le coût au kilo est plus faible, qui est livré sous forme de bonbonnes. Cette solution permet d’installer des stations plus rapidement et à un coût plus faible. L’électrolyse est plus coûteuse, les bornes de recharge autosuffisantes représentent un investissement d’environ 200 000 à 250 000 euros. Dans les deux cas, il faut s’inscrire dans une logique de gestion de flotte bien identifiée. Une collectivité locale, avec l’appui des partenaires sur le terrain – concessionnaires, garagistes, stations-service – va pouvoir mettre en place cette démarche.
Mme la rapporteure. Qu’en est-il de la réaction des consommateurs à l’affaire Volkswagen ?
M. Ariel Cabanes. On observe un peu de « diesel bashing », c’est évident. Dans les premiers jours qui ont suivi, le contrecoup s’est traduit par une baisse de la fréquentation des halls d’exposition.
Le problème se pose pour les loueurs et les flottes, d’abord au sujet du coût de la reprise des véhicules concernés. Tous les loueurs, de courte ou longue durée, remettent leurs véhicules sur le marché ou les exportent.
Mme la rapporteure. Que représente le marché de la location en France, en termes d’emplois et en nombre de véhicules ?
M. Ariel Cabanes. Nous vous donnerons ces précisions. Le CNPA ne représente que les loueurs de courte durée qui emploient 13 000 personnes.
Le business model des loueurs de longue durée est exclusivement financier.
Lorsque vous êtes propriétaire de votre véhicule, votre approche en matière d’entretien est différente de celle d’un loueur avec un parc de 5 000 véhicules à gérer. Les loueurs exercent une contrainte sur les prix ou le type d’entretien qui va s’accentuer. Mais cette mutation est inéluctable : avec la dématérialisation de la propriété, le citoyen va vouloir être à la fois piéton, cycliste, automobiliste et consommer de la mobilité de différentes manières : il louera une voiture quand il en a besoin. Il faut être attentif à ces nouveaux business models. Des partenariats se nouent avec tous les réseaux – entretien, maintenance, réparation, contrôle technique – mais ils sont contraignants. L’exemple des assureurs l’illustre bien. On revendique la liberté du choix du réparateur là où bien souvent l’assureur vous impose le lieu des réparations. Les choses sont en train de changer. Mais, en matière de dépannage, les plateformes d’assureur vous imposent leur choix. Il reste donc des problèmes à régler.
Mme la rapporteure. Je vous remercie pour cette audition passionnante. Nous sommes impatients de prendre connaissance du Livre blanc et de l’étude de la Banque de France. Nous serons sans doute amenés à nous revoir puisque vous nous avez soumis plusieurs propositions intéressantes.
La séance est levée à treize heures.
◊
◊ ◊
16. Rencontre, non ouverte à la presse, entre Mme la rapporteure et M. Michel Rollier, président de la Plateforme de la filière « Automobile et mobilités » (PFA) et président du conseil de surveillance de Michelin
(Séance du mercredi 16 décembre 2015)
La séance est ouverte à dix-sept heures dix.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Nous accueillons, aujourd’hui, M. Michel Rollier, industriel qui a l’expérience de la direction d’un grand groupe international. En sa qualité d’associé gérant commandité, il a dirigé, de 2006 à 2012, le groupe Michelin dont il préside toujours le conseil de surveillance. Sans être constructeur ni, à proprement parler, équipementier, l’entreprise Michelin n’en occupe pas moins une place essentielle dans l’industrie française. Le rang qu’elle tient à l’échelon mondial et la permanence d’une recherche et développement (R&D) de très haut niveau lui confèrent la position de référence de qualité reconnue de longue date. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que M. Rollier ait été désigné à la présidence de la Plateforme automobile PFA, dont nous avons déjà entendu le directeur général, M. Poyeton.
Monsieur Rollier, vous avez été membre du comité de pilotage du débat national sur la transition énergétique, ce qui fait de vous un interlocuteur de premier plan pour ce qui regarde les mutations de la filière automobile. Nous souhaitons vous entendre à propos des évolutions majeures attendues dans le secteur automobile pour les prochaines années. Dans cette perspective, les industriels européens et français disposent-ils d’atouts leur permettant de tirer leur épingle du jeu ?
Nous aimerions également que vous nous parliez de la notion du « fabriqué en France », à tous les échelons de la filière industrielle.
Enfin, l’affaire qu’il est désormais convenu d’appeler « Volkswagen » est-elle révélatrice de défaillances du système de contrôle des normes en vigueur, et contribue-t-elle, selon vous, à entamer la confiance des consommateurs ?
M. Michel Rollier, président de la Plateforme de la filière « Automobile et mobilités » (PFA) et président du conseil de surveillance de Michelin. Le transport routier mondial est à l’origine d’environ 23 % des émissions de CO2 et de 15 % des gaz à effet de serre, le méthane et d’autres gaz contribuant, eux aussi, à ce phénomène. Dans ce domaine, l’industrie automobile a réalisé des progrès importants que l’on peut mesurer en comparant les évolutions respectives de l’offre et du parc automobile. En 1995, les véhicules vendus en France consommaient en moyenne 7 litres de carburant aux cent kilomètres ; depuis les années 2013-2014, ce chiffre est passé en dessous de 5 litres. Il est généralement admis qu’un litre de carburant correspond à 25 grammes d’émission de CO2 environ. L’objectif fixé par Bruxelles pour 2020 se situe en dessous de 100 grammes de CO2, et nos projections pour cette échéance sont de 3,8 litres de carburant aux cent kilomètres en moyenne.
Du point de vue du marché, lorsque la consommation moyenne des véhicules construits en 1995 était de 7 litres, celle du parc installé était de 8 litres, et elle atteignait 6,8 litres en 2013 alors que les véhicules composant l’offre consommaient moins de 5 litres. En 2020, alors que nous proposerons des véhicules consommant 3,8 litres afin de respecter la norme européenne, la consommation moyenne sera encore de 5,8 litres.
S’agissant des émissions, trois points sont donc à noter : l’industrie automobile a accompli des progrès considérables ; le potentiel, très important, n’est pas encore tangible, car le renouvellement du parc automobile n’est pas encore réalisé ; le premier facteur d’amélioration de la situation environnementale en Europe et en France est la vitesse de ce renouvellement, sachant qu’il faut dix ans au parc pour se renouveler.
Bien sûr, on sait que les tests de consommation ne sont pas tout à fait représentatifs de la réalité, puisque effectués sur un banc d’essai dont les normes ont été définies en 1990. La mise en œuvre de la Real Driving Emission (RDE) dès 2017 devrait aboutir à des chiffres légèrement différents. Néanmoins, sur la base de tests appliqués de façon continue entre 1995 et 2015, on constate que la baisse de 30 % obtenue du côté de l’offre met plus de temps à passer dans la réalité.
S’agissant des émissions, qui constituent un sujet très sensible comme l’ont encore montré hier les débats du Parlement européen, le transport routier représente 50 % des émissions mondiales d’oxydes d’azote (NOx) et 14 % à 17 % des particules. À l’avenir, il s’agit de passer de 500 à 50 milligrammes pour les grosses particules et de 80 à 4,5 grammes pour le NOx, les coefficients étant pratiquement les mêmes pour les petites particules. J’ai effectué à votre intention le calcul suivant : considérant que notre parc automobile actuel répond à raison de 10 % à la norme européenne d’émission Euro 3 définie en 2001, de 70 % aux normes Euro 4 et Euro 5 et de 20 % à la norme Euro 6, qui est la nouvelle, l’accession à cette dernière se traduirait par une division par 2,5 des émissions de NOx et par 4 des particules.
J’y insiste donc, le premier facteur de diminution des atteintes portées à l’environnement reste le renouvellement du parc automobile. Il est plus ou moins rapide, mais le plus gros des efforts à fournir est déjà annoncé par le secteur. Il suffit désormais de laisser le temps faire son œuvre, mais nous savons que, malheureusement, le taux de rotation des véhicules s’étale sur dix ans.
Pour atteindre la norme de 95 grammes attendue en 2020, tous les experts de l’automobile s’accordent à dire que le diesel sera incontournable puisqu’il représentera environ 12 grammes de l’écart attendus entre les 132 et les 95 grammes. L’adaptation du diesel pose plutôt des problèmes de coût que de technique. Selon certains experts, qui ne sont pas eux-mêmes constructeurs automobiles, les filtres à particules répondant à la norme Euro 3 représentent un surcoût de l’ordre de 500 euros ; appliqué à la norme Euro 6, ce surcoût s’élèverait 1 500 euros. On peut en déduire qu’à l’avenir, on reviendra à des petits véhicules fonctionnant à l’essence, le diesel étant réservé aux plus gros, sur lesquels l’écart de prix sera acceptable.
À mesure que les taux d’émission de CO2 et de NOx des véhicules diminuent, on regarde d’autres émetteurs, dont les pneus qui, en s’usant, sèment des particules. Depuis une dizaine d’années, les onze plus grands fabricants de pneumatiques, dans le cadre du Tire Industry Project (TIP) placé sous l’égide du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), ont lancé onze études dirigées par les trois plus importants fabricants que sont Bridgestone, Michelin et Goodyear, soit un Américain, un Européen et un Asiatique.
Au moins une fois par an, le TIP communique les résultats de ces études, qui sont réalisées par des experts internationaux. Les premières conclusions ont conduit à élargir les travaux sur l’usure des pneus (Tire Wear Particles) à l’usure des pneus et de la route (Tire and Road Wear Particles), car la chaussée est, elle aussi, émettrice de particules. Les études réalisées aux États-Unis, en France et au Japon, pour les plus grosses particules, et à Los Angeles, Tokyo et Londres, pour les plus petites, montrent que ces particules étant plus lourdes que l’air, on n’y retrouve que 1 % des plus grosses et 0,4 % des petites, qui sont inférieures à 2,5 microns. L’ensemble de ces particules ne représente donc pas de risque pour la santé ; de plus, elles sont dépourvues de toxicité puisqu’elles demeurent au sol et sont entraînées par l’écoulement des eaux.
Dans le cadre la Nouvelle France industrielle, l’idée est d’atteindre l’objectif des 50 grammes en développant des véhicules du segment B, de type Clio ou Peugeot 208, consommant 2 litres de carburant aux cent kilomètres, qui soient vendables et abordables. Ce programme est construit sur cinq briques de base : l’allègement du véhicule, le poids étant responsable de 20 % des émissions, à raison de 10 grammes de CO2 pour 100 kilogrammes ; la résistance à l’avancement, causée par les frottements et pneumatiques qui absorbent jusqu’à 30 % de l’énergie du véhicule et qui entre pour 10 % dans les émissions ; l’amélioration du moteur à combustion, pour 35 % ; l’hybride électrique, pour 25 % ; la connectivité et l’autonomie, qui concourent à l’amélioration de la conduite, pour 10 %. Aujourd’hui, ce programme fait l’objet de quatre-vingt-dix dossiers, en plus des grands groupes. Il occupe soixante PME, et les dépenses de recherche sont estimées à 875 millions d’euros d’ici à 2016, avec un niveau d’aides publiques de 280 millions dans le cadre du programme d’investissement d’avenir (PIA).
Lorsque l’on parle de l’industrie automobile française, on prend en compte les entreprises dont 20 % de l’activité est consacrée au secteur, ce qui rend parfois les statistiques peu lisibles. Aussi considère-t-on qu’elle regroupe 4 000 entreprises qui emploient 125 000 salariés à la construction et 375 000 dans l’équipement. L’activité de cette industrie est dominée par trois tendances de fond : la mondialisation, dans laquelle la part du marché français représente à peine 2 % du marché mondial ; la croissance des nouveaux marchés, caractérisée par l’émergence de nouveaux acteurs, qui exacerbe la concurrence ; la migration continue – et encore inachevée – de la valeur ajoutée des constructeurs vers leurs fournisseurs. Ce dernier aspect est fondamental. En 1985, un cabinet de consultants reconnu estimait que 44 % de la valeur ajoutée était le fait du constructeur ; aujourd’hui, il la chiffre à 22 %. Pour ce qui est de la recherche, alors qu’elle était effectuée à 60 % par les constructeurs et à 40 % par les fournisseurs, le rapport est passé à 45 % pour les premiers à 55 % pour les seconds. Le dialogue entre les constructeurs et les équipementiers s’établit donc désormais à l’échelle mondiale. Concrètement, cela signifie que nos constructeurs doivent nécessairement acquérir une dimension internationale. De fait, ils ne représentent aujourd’hui qu’un peu plus de 25 % de la production mondiale : en France, avec Toyota et Smart, Renault et Peugeot fabriquent à peu près 1,5 million de véhicules ; dans le monde, c’est quelque 6 millions.
La segmentation des diverses catégories de fournisseurs est devenue indispensable. La catégorie la plus importante par sa valeur ajoutée est désormais constituée par les équipementiers. Certains conçoivent des systèmes complets, d’où leur appellation de systémiers. Plastic omnium en est le meilleur exemple, qui conçoit l’avant du véhicule, tout le réservoir de carburant et le système d’alimentation. Valeo et le groupe Faurecia font aussi partie de cette catégorie. Les autres grands équipementiers sont les fabricants de modules, qui sont des concepteurs. Plastic omnium conçoit le système d’alimentation en carburant, mais achète sa pompe chez Bosch, équipementier allemand. De même, il conçoit l’avant du véhicule, mais les phares lui sont fournis par Valeo, ce qui fait de celui-ci également un fabricant de modules. La troisième catégorie est celle des sous-traitants, qui travaillent à partir de spécifications ; leur position concurrentielle est donc radicalement différente. Un cabinet de consultants a noté qu’il y a vingt-cinq ans, les constructeurs automobiles mondiaux avaient 30 000 fournisseurs ; aujourd’hui, ils en ont 2 500 puisque les anciens sous-traitants sont devenus les fournisseurs des équipementiers.
Ces évolutions emportent pour les équipementiers à la fois l’obligation d’acquérir une dimension internationale et celle de se placer dans le peloton des trois premiers dans leur champ d’activité. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils sont les plus grands. Ainsi, Valeo est beaucoup plus petit que Bosch, mais l’entreprise a retenu quatre segments dans lesquels elle est première ou seconde ; Plastic omnium, depuis le rachat, intervenu hier, de l’activité Automotive Exteriors de Faurecia, est devenu leader en matière d’avants de carrosserie en composite. En conséquence, la recherche se décline, elle aussi, à l’échelon international. La recherche fondamentale est beaucoup plus centrée sur le pays d’origine. Le centre de recherche fondamentale de Michelin, par exemple, se trouve à Clermont-Ferrand. Par contre, il est essentiel que la recherche appliquée soit conduite au plus près des plateformes des clients. Ainsi, Michelin fait de la recherche appliquée au Brésil et au Japon, et partout où il a des clients. La semaine dernière, Plastic omnium a annoncé l’ouverture de son vingtième centre de recherche au Japon. À leur tour, les sites de production doivent être proches des besoins.
La contrepartie est la présence d’équipementiers étrangers en France, où ces entreprises réalisent plus de la moitié du chiffre d’affaires du secteur ; ce qui signifie que la part des constructeurs et des équipementiers en termes d’activité consolidée est appelée à descendre en dessous de 10 %. Ainsi, Michelin réalise environ 12 % de ses ventes en France, Plastic omnium et Valeo, près de 90 % ; cela constitue une contrainte à laquelle on ne peut se dérober.
Les équipementiers comptent cinq leaders mondiaux : Plastic omnium, Valeo, Faurecia, Hutchinson, la filiale de Total, et Michelin – même si son activité de remplacement représente les trois quarts de son activité. Moins connus sont les dix ou douze équipementiers français, qui sont encore considérés comme des entreprises de taille intermédiaire (ETI) alors que le chiffre d’affaires de certains d’entre eux dépasse 1 milliard par an. Citons MGI Coutier, un des leaders dans le secteur du plastique aux États-Unis ; LISI, que le ministre Emmanuel Macron a visitée récemment ; SNOP, dans le secteur de l’emboutissage ; Plastivaloire ; ARaymond ; Le Bélier. Toutes ces entreprises ont une base de clients français mais elles ont su acquérir une stature internationale, même si, particulièrement les plus petites d’entre elles, maintiennent sur le territoire national une recherche de proximité. Restent encore 100 à 200 équipementiers de taille plus modeste, qui occupent 120 000 salariés, mais devront consentir à procéder à des opérations de consolidation. De fait, il est impossible à une entreprise de vivre avec seulement 2 % du marché mondial. J’ai trop souvent entendu mes clients me faire part de leur satisfaction de trouver des produits Michelin en Allemagne, aux États-Unis et au Japon, mais me reprocher de ne pouvoir le faire en Amérique du Sud, en Russie, au Moyen-Orient ou en Inde. Ils m’ont tous clairement signifié que, si cette situation devait perdurer, ils changeraient de fournisseur de référence.
Dans la concurrence qui oppose la France à d’autres pays, l’enjeu est de conserver les centres de décision sur notre sol face aux risques de départ, par exemple, pour des raisons fiscales ou de transfert à la suite d’un rachat destructif. À cet égard, la société Continental, qui dispose d’un centre de recherche dans le sud-ouest de la France et est considérée par sa maison mère allemande comme un leader international dans certains domaines, pourrait être exposée. Dans ce maintien en France des centres de décision et des centres de recherche et développement, et cela dans toutes les branches d’activité, le crédit d’impôt recherche (CIR) joue un rôle essentiel – j’aurais d’ailleurs quelques mots à dire de certaines difficultés le concernant. Un autre enjeu est de garder une activité de production compétitive, mais qui ne peut être qu’inévitablement marginale par rapport à la capacité totale du groupe.
Ce qu’il faut retenir, c’est que les équipementiers apportent une valeur ajoutée qui est attendue par les constructeurs. Leurs marges opérationnelles se sont d’ailleurs améliorées au fil des dernières années et leur permettent désormais de financer eux-mêmes leurs investissements.
La situation des sous-traitants est totalement différente. Le fichier de PFA en compte 2 500, mais je me garderai d’affirmer qu’il est complet. Il s’agit d’un secteur très complexe au sein duquel la taille des entreprises est variable, mais souvent plus petite. Leur problème est que l’essentiel de leur activité étant tourné vers la France, parfois l’Allemagne, l’un des critères déterminants de différenciation est le prix du produit rendu à l’usine. La compétition est donc très forte. Cependant, il n’y a pas de fatalité. Pourvu qu’il ait des fonds propres et un certain niveau de profitabilité, un sous-traitant peut parvenir à proposer un coût de revient inférieur à celui d’une importation. La sous-traitance a un avenir en France, mais celui-ci passera par l’indispensable renouvellement du parc industriel, singulièrement en matière d’automatisation, domaine dans lequel la France est en retard, avec un taux n’atteignant que la moitié de celui de l’Italie et le quart de celui de l’Allemagne.
Mme la rapporteure. Merci d’avoir brossé ce tableau très instructif, particulièrement au sujet de l’évolution comparée des marges bénéficiaires des constructeurs et des équipementiers. Du coup, quid de la marge des premiers ? Que peut-il être envisagé pour l’avenir ?
Après les états généraux de 2008-2009, et compte tenu de la façon dont la filière s’est restructurée, comment voyez-vous le rôle de l’État en termes de stratégie industrielle ? Lors de son audition au sujet du programme d’investissements d’avenir, M. Louis Schweitzer a indiqué que le nombre de projets était insuffisant, particulièrement dans le domaine de la recherche et développement. À cet égard, je suis intéressée par ce que vous avez à dire au sujet du crédit d’impôt recherche.
S’agissant du renouvellement du parc automobile français, on nous a dit que les mécanismes utilisés par le passé avaient suscité des effets d’aubaine et qu’ils n’avaient modifié que le calendrier sans apporter d’évolutions structurelles. Quel est votre avis à ce sujet et comment ce renouvellement peut-il être accéléré ?
Vous avez évoqué les incontestables progrès réalisés en matière de normes. En même temps, plus celles-ci sont exigeantes, plus leur mise en œuvre semble éloignée. On peut donc s’interroger sur la capacité d’atteindre dans la réalité les objectifs fixés en termes d’amélioration des émissions, qu’elles soient de CO2 ou autres. Vous avez évoqué les cinq briques de base au projet 50 grammes. Quelle y est la place de l’hybride ? Faut-il le généraliser ? Bref, comment répondre concrètement aux exigences des normes, sans se contenter des tests tels qu’ils sont réalisés aujourd’hui ?
M. Michel Rollier. Les marges bénéficiaires des grands équipementiers se sont améliorées grâce à un effort de recherche considérable. Ils sont ainsi devenus des acteurs capables de valoriser leurs produits. En ce qui concerne les constructeurs, Louis Gallois, dans son rapport sur la compétitivité française, avait mis en regard la compétitivité industrielle et la valorisation du produit. Avant la crise, par exemple, le groupe Volkswagen réalisait le plus gros de son chiffre d’affaires avec la marque Audi. Les Français construisent d’excellentes voitures, dont, même en Allemagne, la qualité n’est pas contestée, mais qui, probablement pour des raisons historiques – liées à des époques où la qualité n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui –, se sont vendues moins cher que des produits allemands équivalents, en raison de l’attractivité de leurs marques. Les constructeurs allemands ont ainsi bénéficié de la montée en gamme des gros véhicules qui ont fait leur fortune. En matière de pneumatiques, des véhicules équipés en pneus Michelin auront une valorisation supérieure à ceux d’une marque qui ne le seraient pas. En quelque sorte, Michelin est au pneumatique ce que l’Allemagne est à l’automobile.
De façon quelque peu tardive, principalement pour des raisons politiques qui rendaient les restructurations nécessaires difficiles, un considérable effort de compétitivité a été engagé. Aujourd’hui, les constructeurs français connaissent une dynamique positive : Nissan a ouvert en Grande-Bretagne une usine qui produit 400 000 véhicules par an ; le renouvellement des gammes françaises est très prometteur ; les positions prises en Chine, en particulier, sont très encourageantes du point de vue des impératifs de production. De son côté, le groupe PSA a su améliorer la productivité de son personnel en procédant à nombre de simplifications, particulièrement dans le champ de ses gammes. Sa situation s’en est trouvée largement améliorée.
S’agissant du rôle de l’État, vous avez compris que la plupart des acteurs recherchent avant tout un environnement porteur, particulièrement dans le domaine de la recherche. Tous réclament une plus grande souplesse, singulièrement les sous-traitants qui redoutent toute forme de consolidation, même si certaines sont inévitables à l’avenir. La réflexion doit être conduite à l’échelon des bassins d’emploi. La Plateforme automobile travaille avec les associations régionales de l’industrie et l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), parfaitement outillée pour cet exercice. L’intérêt de travailler au sein des bassins d’emploi tient à la demande d’emploi ainsi qu’à la possibilité de procéder à des rééquilibrages entre branches professionnelles, mais aussi à l’intérieur de la branche automobile elle-même. Il faut faciliter ce type de mouvements. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a, certes, été bien reçu par tous, toutefois, dans notre pays, le système des charges fiscales et sociales demeure trop complexe et les rigidités, toujours trop nombreuses.
Le crédit d’impôt recherche est fondamental : au cours des dernières années, beaucoup de décisions ont été prises sur la base de son existence. Michelin vient ainsi de reconstruire entièrement son centre de recherche à Clermont-Ferrand, alors que le gouverneur de l’État de Caroline du Sud nous déroulait le tapis rouge, car la qualité des ingénieurs français est mondialement reconnue. Cependant, le CIR est plus difficile à utiliser par les moyennes entreprises qui font de la recherche appliquée : les experts universitaires qui effectuent des contrôles conçoivent mal que celle-ci puisse relever du domaine de la recherche. C’est pourtant bien le cas. Quel est, pour une entreprise, l’intérêt de la recherche fondamentale si elle ne trouve pas à s’appliquer ? J’avais déjà appelé l’attention de M. Macron sur ce point.
L’État a étalement un rôle en termes de stratégie industrielle, notamment à travers les programmes d’investissement d’avenir. Nous avons fait des progrès dans ce domaine ; depuis que vous avez reçu M. Louis Schweitzer, nous l’avons quelque peu saturé avec nos projets. La mise en route a été longue mais, dans le champ de la R&D, nous nous sommes dotés d’outils, notamment de Road Maps dans lesquelles les grands acteurs ont défini environ quatre-vingt-dix thèmes fondamentaux.
Les pôles de compétitivité jouent également un rôle important, mais sont trop dispersés. C’est, pour une part, ma responsabilité au sein de la PFA, et nous travaillons à une meilleure mutualisation des moyens, mais aussi à une meilleure direction et optimisation des sujets.
Du point de vue des nouvelles motorisations, la part de l’hybride et de l’électrique apparaît souvent décevante. Mais les 25 % que je vous ai annoncés sont appelés à augmenter. J’ai ainsi pu constater, à l’occasion du deuxième salon international des solutions de transport routier et urbain (Solutrans), que dans la gestion dite du « dernier kilomètre », l’offre était à 90 % électrique, y compris pour des véhicules frigorifiques.
Le rôle de l’État est donc avant tout de créer le cadre, singulièrement pour les petites et moyennes entreprises de la sous-traitance, et, partout où il le peut, de faciliter les consolidations qui seront nécessaires.
En ce qui concerne le renouvellement du parc, on sait bien que les propriétaires de vieilles voitures ne les changent pas faute de moyens. Pour ceux-là, une prime de 1 000 euros ne sert à rien ; elle constitue plutôt un effet d’aubaine pour les autres. Hélas ! je n’ai pas de solution à proposer pour retirer de la circulation les véhicules diesel les plus anciens. L’idéal serait de pouvoir proposer leur remplacement par des voitures neuves, électriques ou hybrides, mais, financièrement, cela est irréalisable. Le régime de la sanction est probablement à envisager, à condition de ne pas mettre en faillite des artisans ou de petites entreprises qui ont besoin de se rendre tous les jours à Paris, par exemple.
S’agissant des normes, il est évident que plus tôt nous passerons au Real Driving Emission, plus tôt nous aurons une plus juste vision des choses ; cela est programmé pour 2017. Malgré tout, le test actuel a été utilisé tout au long de la période, et l’évolution qu’il retrace me semble très positive. Au demeurant, sans parler de la tricherie, je ne pense pas qu’un essai sur banc puisse sérieusement rendre compte de ce qui se passe réellement sur la route. Par ailleurs, la définition du Real Driving Emission fait débat entre Français et Allemands qui proposent des tests réalisés sur route à 130 kilomètres heure, ce que nous ne pouvons pas accepter. Si vous faites rouler un véhicule hybride à une telle vitesse, que vous utilisiez l’énergie électrique ou l’énergie fossile, la consommation sera la même : le moteur fossile sera à son meilleur couple, alors que le couple du moteur électrique est constant. En revanche, à basse vitesse, l’électrique est bien plus avantageux que le carburant classique, ce qui fait l’intérêt de l’hybride. C’est pour cela que de nombreux constructeurs français se tournent vers le Plug-in Hybrid Electric Vehicle (véhicule rechargeable), solution astucieuse : son autonomie est plus faible que celle d’une voiture tout électrique, mais suffisante pour les déplacements urbains, tout en offrant une meilleure sécurité en matière d’alimentation.
À ma connaissance, depuis que Volkswagen a reconnu avoir triché, tous les contrôles ont pu être faits et les organisations non gouvernementales n’ont pas manqué d’agir. Je ne pense pas que d’autres formes de triche ont été trouvées, mais tous les constructeurs mondiaux ne me font pas leurs confidences, loin de là. En revanche, un facteur de correction limité est certainement nécessaire, mais l’abaisser de façon par trop drastique, dans un délai trop court, serait industriellement impossible.
M. Denis Beaupin. Lorsque j’étais maire-adjoint à Paris, nous travaillions sur les zones d’actions prioritaires pour l’air (ZAPA), et nous avions constaté que c’étaient les vieux véhicules diesel qui circulaient le moins. Leurs propriétaires n’ont certes pas les moyens de changer de voiture, mais, dans le cadre d’un renouvellement du parc, ce ne sont probablement pas ces véhicules qu’il faudrait remplacer en priorité, puisque ce ne sont pas ceux qui polluent le plus.
En ce qui concerne la tricherie, j’observe que d’autres marques que Volkswagen sont suspectées, notamment Renault, avec le modèle Espace.
M. Michel Rollier. Il existe bien un doute, mais attendons l’avis des experts. En tout état de cause, le nouveau modèle Espace que vous évoquez n’a qu’un an, aussi, le cas échéant, l’impact serait nul.
M. Denis Beaupin. La marque Mercedes est aussi mise en cause. Je suis membre de la commission chargée d’une enquête approfondie sur les émissions de polluants des véhicules légers, créée par la ministre de l’écologie, et qui va procéder à des tests aléatoires sur des véhicules afin de déterminer s’il y a eu tricherie. Il convient donc de rester très prudent dans les affirmations dédouanant par avance des constructeurs.
On sait que des logiciels permettant de tricher existent depuis dix ans. J’ai déjà eu l’occasion de mentionner un article paru dans la revue AutoMoto, datant de 2005, qui faisait état des moyens de dissimuler la réalité des émissions polluantes. Vous paraît-il crédible que seul Volkswagen ait pu recourir à ce moyen sans que ses concurrents s’en soient rendu compte ?
En ce qui concerne la fiabilité des tests, il est notable qu’à l’instar des pratiques d’optimisation fiscale, les constructeurs font tout ce qui est possible pour contourner la loi ; c’est la raison pour laquelle ces tests vont être modifiés. Mais en matière de consommation, des doutes planent aussi sur la réalité des chiffres affichés par les constructeurs. Une enquête publiée par Auto magazine démontre une surconsommation en fonctionnement ordinaire de 40 % par rapport à ce qui est annoncé. Il y a quelques semaines, à l’occasion d’une réunion de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) portant sur cette question, j’ai interrogé ceux des constructeurs automobiles qui avaient eu le courage de venir, en l’occurrence PSA et Renault. Ils ont reconnu que les chiffres de consommation affichés à la vente des véhicules étaient ceux qui résultaient de l’homologation, pas les chiffres réels ; en revanche, ils ont refusé de divulguer l’indice de satisfaction des consommateurs.
Or de ces chiffres découlent ceux des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation de pétrole. Ils entraînent aussi un pouvoir d’achat moindre pour les automobilistes dont la facture de carburant se révèle supérieure de plusieurs centaines d’euros à ce qui a été affiché. Ne conviendrait-il pas de distinguer les chiffres obtenus dans le contexte très particulier des tests réalisés par les constructeurs et ceux qu’ils sont autorisés à afficher dans leur publicité ?
Vous avez considéré que le diesel est incontournable. S’il est tellement avantageux, pourquoi continuer à le subventionner par le biais d’avantages fiscaux ? Vous paraît-il équitable que l’attribution de ces avantages, principalement au bénéfice des flottes d’entreprises, repose sur l’ensemble des contribuables, y compris ceux qui ne possèdent pas de voiture ?
Les véhicules les plus récents seraient, selon vous, beaucoup moins polluants, ce qui justifierait de laisser au parc le temps de son renouvellement. Il n’empêche que des pays comme l’Inde, dont le parc automobile n’est pas aussi ancien que le nôtre, vient d’interdire la circulation des 4X4 diesels dans New Delhi pendant trois mois, et que la Chine, même si le plus clair de sa pollution atmosphérique provient du charbon, a dû prendre des mesures similaires. On constate que, même avec un parc plus jeune que le nôtre, les taux de pollution sont largement supérieurs à l’admissible. Les efforts réalisés par les constructeurs sont-ils réellement suffisants pour atteindre les objectifs en matière de pollution et d’émissions de gaz à effet de serre ? Ne faudrait-il pas plutôt changer le paradigme de l’automobile à tout faire, fondé sur des véhicules de quatre places régulièrement utilisés par une personne seule, alors que les nouvelles technologies permettent de concevoir une autre organisation ?
M. Jean Grellier. Je suis élu de la circonscription dans laquelle se trouvait l’entreprise Heuliez. Dans les années 2008-2009, elle avait établi un partenariat avec Michelin afin de développer un procédé dénommé WILL. Considéré comme révolutionnaire, ce procédé de traction électrique disposé dans les roues a été abandonné. Pensez-vous qu’il pourrait aujourd’hui trouver sa place dans la panoplie des nouvelles énergies ?
Nous souhaitons tous voir les relations entre les constructeurs et leurs sous-traitants s’améliorer. En tant que président de PFA, quelle perception en avez-vous ? Que faire pour passer du rapport de force au gagnant-gagnant ?
Devant l’émergence de nouvelles technologies, qui concerne aussi bien les formes d’énergie que l’amélioration de l’existant, quel pourrait être, d’après vous, la solution qui sera retenue compte tenu des équipements associés qu’il faudra déployer ? Dans ce contexte, la baisse du prix du pétrole vous semble-t-elle conjoncturelle, structurelle ou stratégique ?
M. Michel Rollier. Vous considérez que l’affaire Volkswagen ne peut pas être un cas isolé. Je vous rappelle que la tricherie a eu lieu aux États-Unis où elle était plus facile à déceler, car le diesel n’y existe pas. Dans ce pays, les véhicules ne doivent pas produire de NOx ; la situation est donc toute différente en France. Enfin, c’est une chose de gonfler un peu plus un pneu sur un banc d’essai pour limiter le frottement, mais c’en est une autre que d’installer un logiciel destiné à tromper.
Quant à savoir qui doit pratiquer les tests, dans le secteur du pneumatique beaucoup sont le fait d’organismes indépendants des constructeurs, même si, dans le scandale des implants mammaires, Technischer Überwachungsverein (TÜV), l’association d’inspection technique chargée de l’homologation des prothèses mammaires, a montré que l’infaillibilité n’est jamais garantie. La consommation d’un véhicule est très délicate à mesurer, car elle est sensible à bien des facteurs : un filtre défectueux fait perdre 10 %, des pneus sous-gonflés vont augmenter la consommation d’un litre aux cent kilomètres. Une chose est certaine, et tous les conducteurs vous le diront : il y a dix ans, il n’était pas possible de couvrir l’aller-retour Paris-Clermont-Ferrand sans s’arrêter une ou deux fois dans une station-service. Par ailleurs, en termes de consommation, le mode de conduite est décisif. D’ailleurs, en plus de fournir des pneumatiques à basse résistance au roulement, Michelin propose de former les conducteurs des flottes de transport à une conduite économe en carburant. Je ne serais pas choqué que l’on autorise les campagnes publicitaires affichant les résultats de tests réalisés par des organismes indépendants. Je pense même que cela serait bon pour les constructeurs français qui n’ont que peu à craindre dans ce domaine.
Le diesel est effectivement plus cher à l’achat, et il est vrai qu’il est utilisé par les flottes d’entreprises qui sont taxées au moins deux fois : au titre de la taxe sur les véhicules de société, et au titre de règles d’amortissement assez pénalisantes.
M. Denis Baupin. Pourquoi existe-t-il alors un avantage pour le diesel et pas pour l’essence ?
M. Michel Rollier. Parce que le diesel est plus cher, et que, malgré tout, il apporte un plus à la balance commerciale française, puisque ceux qui l’utilisent consomment moins de carburant.
Mme la rapporteure. C’est l’inverse qui se produit : le diesel pèse pour 13 milliards dans le déficit de la balance commerciale, car la France produit de l’essence qu’elle ne parvient pas à écouler sur son sol et doit importer du diesel.
M. Michel Rollier. Il est vrai que nous pourrions réadapter notre appareil productif. Il n’empêche que l’essence coûte plus cher et que, pour leurs véhicules de société, les entreprises sont déjà très largement taxées.
J’ai insisté sur le facteur temps, car je le considère comme essentiel compte tenu de la pente d’amélioration. Loin de moi l’idée de laisser faire le temps et d’oublier tout le reste. Le covoiturage, qui fait partie des moyens de réduction des émissions, est déjà très répandu en France. À Clermont-Ferrand, par exemple, les parkings de covoiturage qui se sont multipliés en dehors de la ville sont remplis ; les formules comme BlaBlaCar connaissent une indéniable vogue. Les constructeurs français ne sont absolument pas opposés à cette mutation des modes de déplacement ; ils souhaitent même s’y associer en fournissant des services tendant à réduire l’usage du véhicule. Je partage votre point de vue, l’économie coopérative comme le digital participent de ce mouvement qui ne peut que favoriser le décongestionnement urbain et les économies de carburant, ce qui n’est pas quantifiable aujourd’hui, mais n’en demeure pas moins réel.
Il faut cependant conserver à l’esprit que, si cette tendance se concrétise, elle aura des conséquences sur le dimensionnement de l’industrie. D’ores et déjà, le nombre de kilomètres parcourus par chaque Français diminue tous les ans. En outre, l’âge moyen pour l’achat d’une voiture neuve est passé à cinquante-cinq ans aujourd’hui. C’est un mouvement sociétal qui est engagé et il est irréversible, l’industrie française n’entend pas le nier. S’y inscrivent aussi le rapprochement des lieux de travail et d’habitat, la dissociation entre propriété et usage des véhicules, la moindre appétence des jeunes générations pour l’obtention du permis de conduire et l’achat d’un véhicule.
Pour ce qui est de la WILL, c’était une très belle idée consistant à placer le moteur électrique dans la roue – ce qui nécessite l’installation de deux moteurs. Supprimant la transmission, ce système apportait une simplification très appréciable. La plus grande difficulté rencontrée par ce projet était la nécessité de disposer de moteurs électriques de petite dimension, afin de pouvoir les loger dans les roues qui, néanmoins, devaient conserver un couple suffisamment puissant. L’idée est géniale, susceptible de connaître des développements, en passant à quatre roues motrices par exemple, ce qui permettrait une grande capacité d’adaptation, particulièrement dans un contexte urbain. Pour ces raisons, cette idée demeure aujourd’hui à l’état d’incubateur, car beaucoup d’aspects techniques restent encore sans solution.
La question des relations se pose entre les constructeurs et les équipementiers de rang un et deux, puisque la place aujourd’hui prise par ces derniers amène les constructeurs à avoir toujours moins de fournisseurs. Ce problème n’existe pas pour les grands équipementiers qui disposent d’une large capacité de négociation grâce à la valeur ajoutée qu’ils apportent. D’après nos enquêtes, le code de bonnes pratiques signé par tous les patrons de l’automobile est mieux respecté qu’on ne le pense. Restent un ou deux points en cours de traitement que je préfère ne pas évoquer pour le moment. Certains sujets sont particulièrement délicats et techniquement difficiles à traiter, comme les questions de propriété intellectuelle. Une seconde enquête, sans précédent à ce jour dans l’industrie, a été lancée pour analyser la qualité de la relation, en particulier pour savoir si elle était mutuellement profitable. Les réponses se sont révélées beaucoup moins négatives qu’attendu : un point, en particulier, m’a frappé relatif à la durée de la relation entre le donneur d’ordres et son fournisseur. Beaucoup reste à faire, il est vrai, notamment dans la famille des sous-traitants qui subissent le phénomène du landed cost imposé par les acheteurs dont les marges sont très serrées et qui sont donc très attentifs aux prix. Des points durs subsistent, mais la situation n’est pas si mauvaise. Enfin, un organe de médiation a été instauré : il est assez rarement saisi.
L’avenir du parc automobile tel que je l’envisage pour les dix prochaines années ne verra pas de grand gagnant ni de grand perdant. Plusieurs technologies vont coexister, et la part de l’hybride va croître – particulièrement dans le mode plug-in. Pour ce qui est des biocarburants, le sujet est délicat et je préfère ne pas l’aborder, car il pose le problème de la ressource. S’agissant de la motorisation par pile à combustible, aujourd’hui, les constructeurs français sont en retrait, car ils ont des priorités à court terme et des ressources allouées qui sont ce qu’elles sont. En revanche, le Japon et la Corée investissent fortement dans le développement de cette technologie, qui présente l’avantage d’avoir d’autres utilisations que dans l’automobile. Le Japon, par exemple, envisage de se doter de quartiers fonctionnant avec pile à combustible.
De son côté, la France a la chance d’avoir l’air liquide, avec néanmoins quelques problèmes restant à résoudre. La production d’hydrogène est encore obtenue à partir d’hydrocarbures, ce qui est très polluant, et la méthode par électrolyse n’est pas encore au point. Se posera ensuite la question du réseau de distribution. Le stockage à plusieurs centaines de bars, qui présentait des problèmes de sécurité, a, me semble-t-il, été traité. Les experts fiables considèrent qu’en 2025, le nombre de véhicules fonctionnant avec cette technologie pourrait atteindre 100 000 ou 200 000 unités par an. Aujourd’hui, l’hydrogène ne constitue pas une préoccupation majeure pour les constructeurs français. Pour autant, ils devront ne pas laisser passer le train et s’y investir le moment venu, ne serait-ce que pour bénéficier de l’écosystème nécessaire. En tout état de cause, l’hydrogène et les barrages constituent les seules voies de stockage de l’énergie non fossile, en dehors des piles électriques qui posent les problèmes écologiques que l’on sait.
Je conjecture que le tout-électrique, particulièrement pour les véhicules de livraison dont le nombre ne peut que croître du fait la congestion de villes et du développement de l’économie numérique, va déferler. Pour les véhicules à usage familial ou autres, la motorisation hybride devrait progressivement prendre une place croissante. Quant au moteur thermique, même si l’on peut espérer un gain de 35 % en consommation, son rendement reste désespérément faible.
Mme la rapporteure. Lorsque nous l’avons entendu, le professeur Élie Cohen a prophétisé l’effondrement du secteur automobile français en s’appuyant sur la comparaison des budgets de recherche et développement de Volkswagen et Renault, qui s’élèvent respectivement à 249 % et à 8 %. L’effort fourni dans ce domaine par l’ensemble de la filière vous paraît-il suffisant ?
L’industrie française a beaucoup investi dans le diesel. Or il est certain que l’usage va en reculer en France. Ce mouvement a d’ailleurs été amorcé avant même les décisions gouvernementales modifiant la fiscalité. Au-delà du débat sur la pollution atmosphérique dans les villes, c’est par simple calcul économique que les utilisateurs de petits véhicules effectuant des déplacements limités se détournent du diesel. Mais les constructeurs français ont aussi orienté leur stratégie diesel vers l’export. Or l’affaire Volkswagen conjuguée au problème d’émissions polluantes semblent mettre cette stratégie en difficulté. Par-delà la question de l’adaptation et des évolutions à conduire, pensez-vous que la filière automobile a intégré ce fait et va se repositionner ?
M. Michel Rollier. Le niveau de recherche et développement des équipementiers français n’a rien à envier à la concurrence étrangère. J’ai récemment visité le centre de recherche de Plastic Omnium à Compiègne, entièrement consacré aux réservoirs d’essence et à l’alimentation du moteur en carburant : c’est impressionnant ! Aucun équipementier au monde ne dispose d’un centre de recherche de cette qualité. Et si Bosch est une société plus importante que Valeo, cette dernière a la sagesse de s’assigner quatre domaines dans lesquels être dans le peloton de tête. Cela dit, je reconnais que les équipementiers de taille plus modeste n’ont pas des capacités aussi importantes.
De leur côté, les constructeurs ont été obligés de comprimer drastiquement leur effort de recherche et d’investissement, ce qui rend encore plus impressionnante la masse d’investissements consentie par Volkswagen avant la crise. Néanmoins, Renault partage une large partie de sa recherche avec Nissan. Quant à PSA, même si le groupe a conséquemment diminué ses dépenses de recherche et développement, cette réduction est largement compensée par l’investissement considérable réalisé par les équipementiers ainsi que par leur grande connaissance des plateformes qui font le véhicule – et chacun reconnaît que les plateformes de PSA sont les meilleures du monde. Je ne suis pas trop inquiet, car une part croissante du futur véhicule autonome sera fournie par les équipementiers produisant des caméras, des capteurs, des centrales à inertie… Le talent de Renault et Peugeot sera de détecter les bons prestataires.
S’agissant du diesel, le mouvement est clairement lancé, et s’il faut laisser jouer le facteur temps, c’est pour ne pas déstabiliser notre industrie par un mouvement trop brutal. Les constructeurs français commencent à proposer de petits moteurs à essence : c’est bien qu’ils ont amorcé leur réorientation. Il demeurera néanmoins une clientèle pour des véhicules de taille plus importante, même à l’étranger. On entend beaucoup que le diesel est mal vu ; pour ma part, je suis frappé par la communication adoptée par les acteurs allemands. Bosch ou la Fédération automobile allemande (VDA) montrent habilement qu’avec une captation des émissions correctement traitée, le diesel a un avenir. Quant au message du cabinet allemand Roland Berger, il annonce un retour progressif à l’essence pour les petits véhicules mais ne donne aucune raison de changer pour les plus gros. Le scandale Volkswagen ne doit pas occulter que la technologie de captation des émissions des moteurs diesel existe bel et bien ; ce n’est qu’une question de prix.
Mme la rapporteure. Cette dernière remarque renvoie aux infrastructures que nécessiteraient les diverses solutions. Nous soulevons régulièrement la question du rôle de l’État pour déterminer dans quel type d’infrastructure il apparaîtrait le plus pertinent d’investir, du point de vue des pouvoirs publics. Ainsi, il n’est pas évident de trancher sur l’intérêt de disposer d’une infrastructure d’urée dans toutes les stations-service, même si cela existe déjà pour les poids lourds. Les constructeurs nous ont renvoyés vers l’industrie pétrolière, que nous avons interrogée sans que personne ne puisse nous fournir une réponse probante.
M. Michel Rollier. Je ne suis pas armé pour vous répondre. Je ne peux que vous répéter ma conviction, que je vous ai livrée tout à l’heure de façon certes brutale, qu’on n’atteindra pas la norme 2020 sans une part importante de diesel. Ou alors, il faudra modifier la norme.
Mme la rapporteure. La réflexion conduite au sein des instances européennes a séparé le débat portant sur le CO2 de celui concernant les émissions polluantes ; de ce fait, nous sommes confrontés à deux réglementations qui s’ignorent, alors qu’elles s’impactent mutuellement. Nous sommes allés à Bruxelles où l’on nous a assuré que la convergence des réglementations était prévue pour 2030. C’est sidérant !
M. Michel Rollier. De leur côté, contrairement aux Européens, les Américains ne se sont focalisés que sur les émissions en se désintéressant complètement du CO2. À l’évidence, les deux questions doivent être traitées solidairement.
La réunion s’achève à dix-huit heures trente-cinq.
17. Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Fourniou, président de l’Observatoire du véhicule d’entreprise (OVE) et de M. Philippe Noubel, directeur général délégué d’Arval.
(Séance du mardi 12 janvier 2016)
La séance est ouverte à douze heures vingt.
La mission d’information a entendu M. Bernard Fourniou, président de l’Observatoire du véhicule d’entreprise (OVE) et M. Philippe Noubel, directeur général délégué d’Arval.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons M. Bernard Fourniou, président de l’Observatoire du véhicule d’entreprise (OVE) et M. Philippe Noubel, directeur général délégué d’Arval.
Monsieur Fourniou, vous représentez une organisation qui rassemble les loueurs de longue durée, activité qui a connu un fort développement, mais dont le modèle économique est généralement présenté comme de nature principalement financière.
L’OVE a été créé en 2002. Vous en êtes le président depuis un peu moins d’un an. Vous avez accompli l’essentiel de votre carrière au sein du groupe BNP Paribas, notamment dans sa filiale spécialisée Arval, peu connue du grand public, mais très active auprès des professionnels.
Notre mission se devait de s’intéresser aux flottes d’entreprise. Quelle est leur part globale au sein du parc roulant, sans oublier les flottes des collectivités, un parc public parfois externalisé ?
Les flottes d’entreprise représentent un marché qui totalise près de 50 % des ventes de certains constructeurs, et plus encore pour des types de véhicules conçus quasi exclusivement pour les professionnels. Votre activité dispose donc d’un réel pouvoir commercial vis-à-vis des constructeurs, et l’on peut penser qu’elle est même capable de peser sur leurs orientations en termes de gammes. Vous êtes donc bien placé pour nous parler des évolutions du parc et du marché de l’occasion.
La motorisation diesel domine le parc des véhicules d’entreprise à près de 90 %. Ce point est capital : on ne perçoit pas un commencement de rééquilibrage avec la motorisation essence, mais peut-être une progression de l’hybride et de l’électrique. La possibilité de déduire, dans des conditions comparables au gazole, la TVA sur l’essence consommée vient cependant d’être repoussée en loi de finances. Un autre exemple vient à l’esprit : l’assujettissement à la taxe sur les véhicules de sociétés (TVS).
Monsieur Fourniou, cette audition est précisément l’occasion de nous rappeler les propositions de votre organisation dans les domaines de la fiscalité et des textes réglementaires applicables à votre secteur. Si vous disposez de comparaisons éclairantes avec la situation qui prévaut dans d’autres pays européens, elles intéresseront évidemment beaucoup la Mission.
M. Bernard Fourniou, président de l’Observatoire du véhicule d’entreprise (OVE). L’Observatoire du véhicule d’entreprise, que je préside depuis le mois de juillet 2015, a été créé en 2002, sous l’impulsion de BNP Paribas et de sa filiale Arval, société spécialisée dans la location de flotte de voitures dont elle est le leader français et européen. Notre association a pour but de répondre aux besoins des entreprises et des collectivités locales sur tous les sujets relatifs aux véhicules d’entreprise.
Avant d’être président de l’OVE, j’ai été, à partir de 1998, secrétaire général d’Arval France et plus particulièrement chargé des ressources humaines et de la politique voitures. Philippe Noubel, qui est directeur général délégué d’Arval et l’un des fondateurs de l’OVE, a accepté de se joindre à moi. Il fut aussi directeur général d’Arval France. Il est aujourd’hui chargé d’une grande partie de l’Europe. Aussi connaît-il très bien les dispositions la concernant. Son éclairage complétera donc celui que je pourrai vous apporter.
Je vous ai remis un document comportant des chiffres et des repères sur le marché du véhicule d’entreprise, qui est essentiel pour l’économie et présente de fortes spécificités. C’est d’abord un marché en croissance continue depuis de nombreuses années et qui tire le nombre des immatriculations automobiles en France. C’est dire s’il est intéressant pour les constructeurs. C’est aussi un marché qui se caractérise par le poids prépondérant du diesel : les choix y sont dictés par les considérations fiscales au détriment d’arguments plus raisonnés.
L’année dernière, 2,295 millions de véhicules ont été vendus en France, dont 50 % à des sociétés. Si l’on excepte les loueurs de courte durée et les constructeurs, les entreprises que nous suivons ont acheté ou loué 731 000 véhicules en 2015, ce qui représente un tiers des immatriculations totales, soit une progression de 6,3 % sur un an.
En France, 57,2 % des véhicules immatriculés en 2015 fonctionnent au diesel, soit une diminution de 6,7 % par rapport à 2014, et 38,6 % fonctionnent à l’essence, les 4,2 % restant étant soit des véhicules hybrides, soit des véhicules électriques, ces derniers représentant 1 % du parc. Je précise que les véhicules hybrides consomment aussi de l’essence et du diesel.
Dans l’entreprise, la répartition est tout à fait différente puisque le poids du diesel est de 87 % en incluant les véhicules particuliers et les véhicules utilitaires. Je signale que 95 à 97 % des véhicules utilitaires roulent au diesel, ce phénomène étant lié aux constructeurs puisqu’il n’y a pas d’autre offre que le diesel.
Sur le fond, cette situation s’explique par une fiscalité plus avantageuse et un meilleur coût d’usage lié à des kilométrages importants parcourus en entreprise. Le kilométrage annuel moyen au sein des entreprises est de 30 000 kilomètres.
Enfin, l’âge moyen des véhicules d’entreprise est de quatre à cinq ans, c’est-à-dire deux fois moins élevé que sur le marché en général, où il est de huit ans environ. On considère à juste titre que, dans leur grande majorité, les véhicules d’entreprise sont vertueux.
Nous assurons trois missions essentielles. La première est une veille réglementaire et fiscale sur tout ce qui a trait aux véhicules d’entreprise. Nous suivons les évolutions fiscales, les évolutions sociales et leurs conséquences. Nous publions, en collaboration avec les mémentos Francis Lefebvre, un mémento automobile qui reprend toutes les règles fiscales et juridiques relatives au véhicule d’entreprise. Notre objectif est d’aider nos interlocuteurs
– entreprises, chefs de parc, directeurs généraux, directeurs financiers, directeurs des ressources humaines – à prendre des décisions en la matière.
Nous publions ensuite un document, le TCO Scope 2015, qui fait le point sur le coût d’usage sur lequel les loueurs appellent en général l’attention de leur chef de parc. Le choix du véhicule dépend essentiellement de son coût, fiscalité comprise – Philippe Noubel dit souvent que ceux qui décident d’acheter un véhicule raisonnent de sang-froid et tiennent compte essentiellement du coût d’usage. Pour nous, le coût d’usage est donc un indicateur clé.
Enfin, nous prenons la parole sur tout ce qui a trait au véhicule d’entreprise, en organisant par exemple des événements. Vous trouverez sur notre site internet les statistiques que nous élaborons et de précieuses informations sur les solutions proposées aux décisionnaires pour faciliter la mobilité de leurs collaborateurs. Nous ne nous intéressons pas seulement aux services financiers, mais à tout un ensemble de prestations : télématique, formation à l’éco-conduite, éco-entretien, gestion des amendes, assurance, etc. Nous mettons à la disposition du directeur des ressources humaines ou du gestionnaire du parc un ensemble de services et de produits lui permettant de considérer la voiture comme un outil de travail. Les entreprises n’utilisent pas leurs voitures pour leurs loisirs, mais pour se rendre chez leurs clients. Ces véhicules doivent être disponibles, comme un ordinateur, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous développons le confort dans les véhicules et suivons le comportement des conducteurs au sein des flottes de voitures.
Quels sujets doivent retenir notre attention à l’avenir ? Nous défendons l’entreprise pour l’aider à choisir ses véhicules en fonction de l’usage réel qu’elle en fait, dans le sens d’une optimisation durable et en répondant aux contraintes environnementales. Le document que je vous ai remis montre que les flottes de voitures sont aujourd’hui bien plus vertueuses que celles du marché en général. Ce n’est pas le fruit du hasard : nous contribuons à éduquer les entreprises à choisir leurs véhicules en fonction des coûts et de l’environnement.
C’est dans cet esprit que l’OVE a récemment pris la parole, à plusieurs reprises, sur l’extension de la déductibilité de la TVA à l’essence. Cette mesure n’aurait en aucun cas remis en cause la prédominance du véhicule diesel, ce qui n’était d’ailleurs pas son objectif : le kilométrage annuel moyen étant de 30 000 kilomètres, le véhicule diesel reste le véhicule repère de l’entreprise en cas de trajets de longue durée. Si l’extension de la déductibilité de la TVA à l’essence avait été décidée, les entreprises auraient eu moins le réflexe du tout diesel. Cela aurait permis de clarifier leur choix et de diversifier les énergies dans les parcs, non plus sur la base de simples critères fiscaux, mais en fonction du coût réel d’usage et de l’utilisation. Il n’est pas opportun de choisir un véhicule diesel lorsque l’on roule régulièrement en zone périurbaine et que l’on parcourt entre 15 000 et 20 000 kilomètres. La réforme ne visait pas à bouleverser les constructeurs – nous avons trop de respect pour le travail qu’ils réalisent pour le faire. J’ajoute que c’est un modèle Peugeot qui a été élu à la fin du mois de décembre 2015 meilleur moteur essence.
Nous souhaitons sensibiliser le législateur aux modes de déplacement de demain. Les entreprises n’auront plus les mêmes pratiques. Si la voiture demeure le mode de déplacement le plus facile, car il est toujours à disposition, les entreprises essaient de plus en plus d’organiser leurs déplacements. Nous travaillons à la combinaison des systèmes de mobilité : une meilleure utilisation du covoiturage, de l’autopartage, des transports en commun. Nous espérons mettre en place à terme, comme cela se pratique déjà dans le nord de l’Europe, la carte mobilité. En France, cet outil développé par Ubeeqo s’adresse davantage aux particuliers, mais il y aura certainement de la place pour les entreprises. Encore faudra-t-il se pencher sur le régime social et fiscal de ces cartes mobilité. Il serait intéressant qu’on puisse y réfléchir ensemble.
Il existe un engouement exceptionnel en faveur de la voiture autonome : un grand rassemblement sur ce thème se tient actuellement à Las Vegas. Dans ce domaine, les constructeurs français sont plutôt en avance, ce qui me réjouit. Nous publions à la fin du mois un document qui fait le point sur les évolutions technologiques attendues en la matière. Me Josseaume, avocat spécialisé en droit routier, y évoque les défis que l’Assemblée nationale et l’Union européenne auront à relever : que deviendra le permis de conduire ? qui sera responsable en cas d’accident, le constructeur ou le conducteur – que l’on appellera peut-être coconducteur ? Autant de sujets sur lesquels nous devons travailler pour n’être pas pris au dépourvu en 2020, lorsque sera lancée la voiture autonome.
M. Philippe Noubel, directeur général délégué d’Arval. Arval est une société de location de longue durée de véhicules d’entreprise. Nous sommes fiers de représenter la partie du marché du véhicule d’entreprise qui participe le plus au rajeunissement de ce parc, et donc du parc roulant dans son ensemble. La durée moyenne de détention d’un véhicule est divisée par deux pour ce qui concerne la sous-catégorie des véhicules de location de longue durée. La durée moyenne des contrats de location de longue durée étant de l’ordre de trois à quatre ans, cela signifie que le parc moyen a deux ans. C’est sûrement le parc le plus performant d’un point de vue technologique et d’efficacité économique et écologique.
Notre métier nous offre un autre élément de satisfaction : nous introduisons sur le marché de l’occasion des véhicules de meilleure qualité que ceux des autres circuits. Ce phénomène crée un effet papillon : une mécanique industrielle qui fournit à un rythme assez soutenu des produits récents et de très bonne qualité améliore globalement la qualité du parc, non seulement national, mais aussi mondial, puisqu’une partie des véhicules d’occasion français vont à l’étranger, dans des pays d’Europe centrale notamment. Cela permet aussi de mettre à la casse plus rapidement des véhicules moins performants sur le plan environnemental.
Arval s’est intéressée à ces sujets avant qu’ils ne deviennent à la mode et a été l’une des premières sociétés à s’inscrire au Global Compact de l’ONU. Il s’agissait d’une volonté interne politique à laquelle Bernard Fourniou a participé. Nous sommes partis d’une idée extrêmement simple : la voiture a de nombreux défauts – elle pollue, elle est chère et dangereuse – et il faut trouver des modalités économiques pour y remédier. En utilisant au mieux les avancées technologiques des constructeurs, il nous semble que nous participons modestement à l’amélioration de la situation d’ensemble dans le cadre d’une politique de RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) à laquelle nous sommes très attachés.
Bernard Fourniou a beaucoup insisté sur la fiscalité. C’est un levier extrêmement puissant dans le choix des entreprises qui sont en effet des animaux à sang froid. Ce qui leur importe, in fine, c’est le coût d’usage des véhicules. Aussi les décisions prises par les autorités politiques en matière de fiscalité ont-elles un poids déterminant dans le choix des sociétés. Dans l’ensemble des pays européens – ce n’est pas le cas de la France –, la composante écologique s’est fortement concentrée sur les émissions de CO2 qui ne sont pas des polluants, mais des gaz à effet de serre. Ainsi la fiscalité a-t-elle été basée sur ce facteur, dont on mesure aujourd’hui les conséquences, puisque, en matière de gaz à effet de serre, les véhicules diesel sont plus efficaces que les véhicules essence. Si l’on se préoccupe plutôt des polluants, l’approche peut être différente. C’est pourquoi les politiques doivent porter une attention particulière sur les effets induits.
Je regrette que la proposition défendue par M. Baupin, qui visait à aligner, pour les flottes d’entreprises, la TVA de l’essence sur celle du diesel, n’ait pas été adoptée. Elle aurait permis aux entreprises de faire des choix un peu plus rationnels et de faire jouer leur fibre écologique. Les constructeurs ont craint qu’une modification de la fiscalité n’entraîne un changement de comportement massif. Nous n’avons pas la même approche : nous pensons que ce mouvement pourrait s’amorcer en douceur dans le temps. Le refus de la proposition de M. Baupin est d’autant plus regrettable que c’est le véhicule d’un constructeur français qui a récemment été élu meilleur véhicule essence du marché. Il faudra donc peut-être revenir sur le sujet pour que, les esprits évoluant, on puisse parvenir à un rééquilibrage entre les différentes motorisations possibles, notamment au sein des flottes d’entreprises qui constituent un élément accélérateur de la qualité générale du parc.
M. Bernard Fourniou. La page 13 du document que je vous ai remis détaille la composition du parc de véhicules diesel. En 2015, le parc automobile français comptait 20 millions de véhicules diesel, dont 5,2 millions sont aux normes euro 3, euro 2 et euro 1. Ces véhicules, qui sont très anciens, ne font pas partie des flottes d’entreprises. S’il est une mesure à prendre, c’est bien d’éliminer ces véhicules. Les politiques fiscales qui ont la plus grande portée, tant pour le particulier que pour l’entreprise, sont celles du bonus-malus. C’est ce qui a permis de gouverner en grande partie ces dernières années et qui a guidé le choix d’achat de véhicules neufs. On pourrait progresser très rapidement en passant à la norme euro 6 et en éliminant les véhicules qui sont aux normes euro 3, euro 2 et euro 1.
M. Philippe Noubel. En matière de consommation, donc d’émission de CO2, une voiture de norme euro 6 consomme environ 30 % de moins qu’une voiture de norme euro 3 : c’est une performance considérable. En ce qui concerne les émissions de particules ou d’oxydes d’azote (NOx), qui sont deux éléments extrêmement importants pour la santé publique, les rapports d’efficacité sont de 1 à 10 – et je ne parle que des véhicules euro 3. Dix voitures de norme euro 6 ont le même impact écologique qu’une voiture de norme euro 3. Toute mesure de nature à améliorer la qualité du parc est donc extrêmement bienvenue.
M. Bernard Fourniou. La page 13 montre également l’évolution qui a été possible au fil des années en matière d’émissions de CO2 et de NOx, grâce aux recommandations mises en place par le Gouvernement en matière de pollution des voitures.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Je veux d’abord souligner l’importance, pour notre mission d’information, de votre expertise et de votre témoignage sur le marché du véhicule d’entreprise. Vous apportez des éléments de pragmatisme et de sérénité au secteur automobile qui est au cœur de débats épineux, voire de polémiques récentes.
Vous avez expliqué le rôle de l’OVE, son origine, le service ou le conseil qu’il peut apporter aux entreprises. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la façon dont vous travaillez, sur vos moyens ? Comment collectez-vous les données ?
La page 2 de votre document montre l’évolution structurelle des immatriculations des véhicules des particuliers et des entreprises de 1991 à 2015. Comment voyez-vous l’évolution de ces deux courbes à l’avenir ? Vont-elles se croiser ?
Vous préconisez l’élargissement de la déductibilité de la TVA à tous les véhicules, car la situation actuelle ne laisse pas l’entreprise libre de choisir le véhicule le mieux adapté à son usage. Comment pensez-vous qu’il soit possible d’y parvenir ? De manière progressive ou d’un seul coup ? À quel horizon ?
Je souhaiterais que vous commentiez le tableau de la page 12, qui, sauf erreur de ma part, démontre que les coûts d’usage sont sensiblement identiques.
Comment voyez-vous évoluer l’usage de l’automobile en entreprise, la flotte de véhicules d’entreprises et le rapport des entreprises à leur parc automobile ?
Les dispositifs fiscaux et réglementaires visant à encourager les entreprises à s’équiper de véhicules électriques ou totalement écologiques, quelles que soient les technologies – certains penseront à l’hydrogène, d’autres au gaz, etc. – sont-ils suffisants ? Je sais qu’il y a eu des mouvements d’à-coups concernant l’éligibilité des entreprises aux aides pour l’achat d’un véhicule électrique.
N’hésitez pas à aborder devant nous tous les autres sujets réglementaires ou fiscaux qui seraient des héritages du passé. Récemment, on m’a dit qu’un agriculteur devait obligatoirement acheter un véhicule deux places pour pouvoir récupérer la TVA.
Vous n’avez pas parlé des chiffres en stock, mais seulement des chiffres en immatriculation nouvelle par rapport aux véhicules particuliers et véhicules d’entreprise.
S’agissant de l’accélération du renouvellement du parc automobile, quelles seraient pour vous les pistes autres que celles du bonus-malus qui s’applique aux achats de véhicules neufs ?
M. Gérard Menuel. Vous intéressez-vous au parc des collectivités territoriales ? Si oui, quelle part représente-t-il et comment évolue-t-il ?
Pour pouvoir récupérer la TVA, un agriculteur qui achète un ou deux véhicules pour ses collaborateurs doit obligatoirement choisir un véhicule deux places. Les entreprises agricoles font-elles partie des sociétés que vous observez ?
M. Denis Baupin. Je vous remercie pour vos propos concernant la mesure que j’ai présentée. Soyez assurés que je la défendrai à nouveau, car la fiscalité actuelle ne doit plus pénaliser à la fois l’écologie et les entreprises qui, de fait, n’ont pas le choix.
Ce que vous avez indiqué sur le kilométrage moyen d’usage des véhicules est un point important qui peut justifier qu’un certain nombre d’entreprises choisissent d’acheter des véhicules diesel qui sont plus rentables sur de longues distances. En revanche, inciter des entreprises qui ont un usage plus urbain et sur des distances plus courtes à acheter un véhicule diesel est évidemment pénalisant en matière de coût et néfaste pour l’environnement. Car, s’il y a bien un endroit où l’utilisation des véhicules diesel est pénalisante en termes de pollution, c’est bien en zone urbaine. La mairie de Paris veut supprimer le diesel dans la ville à l’horizon 2020. Mais, si les entreprises qui y circulent doivent acheter des véhicules qui leur coûtent plus cher qu’un véhicule diesel, une politique de protection de la qualité de l’air risque d’être discriminatoire pour elles. Je partage pleinement votre constat, et j’aimerais que chacun puisse se rendre compte que vous proposez en fait une certaine neutralité en matière de fiscalité.
Vous avez souligné que la fiscalité avait été fortement fondée sur le CO2. Là, en l’occurrence, ce n’est pas le cas. Les mesures prises en faveur du diesel datent de 1970, à une époque où l’on ne parlait pas beaucoup du réchauffement climatique. Il s’agissait alors d’inciter à l’usage du diesel pour des raisons économiques. Je suis favorable à des fiscalités incitatives en fonction des pollutions. Malheureusement, notre politique fiscale est contre-productive.
J’ai cru comprendre que de plus en plus d’entreprises pouvaient choisir de faire appel à des services d’autopartage, ce qui rejoint un peu la question de la carte mobilité. Quelle est la part des entreprises qui y font appel ? Quelle est l’évolution depuis quelques années ? Lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés pour rentabiliser des véhicules qui sont davantage utilisés le week-end ou le soir, l’autopartage lui permet de mieux équilibrer ses comptes. Il peut y avoir un intérêt conjoint de part et d’autre.
Ma dernière question concerne la taille des véhicules d’entreprise. A priori, nombre de ces véhicules sont utilisés la plupart du temps par une personne seule. Finalement, avoir un véhicule qui ne transporte qu’une personne alors qu’il est conçu pour emmener une famille en vacances n’est peut-être pas le choix le plus pertinent. Vous nous avez dit tout à l’heure que le seul critère qui prévalait pour les entreprises était le coût. Est-ce vraiment le cas ? La capacité du véhicule à donner une certaine image de marque n’est-elle pas un élément déterminant ?
Quelle est la consommation moyenne des véhicules qui sont utilisés ? Existe-t-il des disparités qui permettraient d’avoir une politique incitative en faveur des véhicules moins polluants et les plus économes en matière de consommation énergétique ? Le Gouvernement a lancé une politique en faveur du véhicule consommant deux litres aux cent kilomètres, objectif qui peut être obtenu en allégeant les véhicules, en améliorant les capacités des moteurs, mais aussi en partie grâce à des véhicules qui n’offriraient pas nécessairement quatre places. Cette perspective vous paraît-elle intéressante pour les véhicules de société ?
M. Bernard Fourniou. Notre association, qui compte trois collaborateurs, regroupe 8 000 adhérents et ne travaille pas seule. Les données qu’elle réunit proviennent soit du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), soit de l’Association auxiliaire de l’automobile, dite « 3 A ». Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec des organisations comme le Syndicat national des loueurs de voitures en longue durée (SNVLD) ou avec le premier loueur de flottes de voitures, qui bénéficie lui-même d’un ensemble de données intéressantes reflétant réellement le marché.
Les données qui remontent au sein des entreprises générales de location sont de plus en plus pertinentes, car de nouveaux dispositifs, dits de télématique, collectent automatiquement les données d’information sur le kilométrage, la consommation, les dates d’entretien, etc. Les loueurs de véhicules détiennent donc des éléments qui leur permettent de mieux informer chefs de parc et conducteurs, et d’assurer encore mieux l’entretien des véhicules, mais aussi des données d’analyse comportementale du chef de parc et des conducteurs. On s’aperçoit ainsi que, entre les mains de deux personnes différentes – l’une conduisant de manière nerveuse, l’autre de manière plus vertueuse –, une même voiture présente des écarts de consommation pouvant atteindre 40 %. En la matière, nous jouons un rôle d’éducation, en sensibilisant conducteurs et chefs de parc.
M. Philippe Noubel. L’OVE est la maison mère de l’initiative de mise à disposition du marché de nos travaux et de nos compétences. Elle a sa déclinaison dans d’autres pays, et pas seulement dans les pays européens, avec la même philosophie, avec des moyens identiques dans certains grands pays et plus modestes dans d’autres.
M. Bernard Fourniou. Nous pourrons à l’avenir publier des statistiques réelles de consommation moyenne.
Vous nous demandez comment évolueront les deux courbes de la page 2 de notre document. Ce qui nous étonne, c’est que la moyenne d’âge d’un particulier qui acquiert un véhicule neuf est de cinquante-cinq ans. Cela veut dire qu’il commence à avoir une autre approche à l’égard de l’automobile. Le nombre de personnes possédant un véhicule particulier a plutôt tendance à diminuer. Si l’on suit ce raisonnement, les deux courbes devraient effectivement se croiser. Mais je n’en suis pas si sûr, les dernières statistiques n’allant pas dans ce sens. Cela dit, c’est le véhicule d’entreprise qui intéresse beaucoup les constructeurs.
J’en viens à votre question sur les composantes du coût d’usage d’une voiture. À la page 11 de notre document, nous avons pris l’exemple d’une entreprise qui prévoit de faire 100 000 kilomètres et de conserver un véhicule particulier pendant quarante-huit mois, soit un peu moins que la durée moyenne. Le coût de la dépréciation représente 40 %, et la fiscalité 20 %. On entend par la fiscalité les charges sociales sur les avantages en nature, la carte grise, la taxe sur les véhicules de sociétés (TVS) et les amortissements non déductibles, pour un total de 20 %. Le coût de l’énergie n’est que de 13 %. Il faut prendre également en compte le coût de l’assurance, de l’entretien, les pneus, bref tout ce qui permet à un véhicule de bien rouler. Enfin, les frais financiers ne représentent que 4,7 %.
Le coût d’usage est représenté par le total cost of ownership (TCO) véhicules. D’autres facteurs influent sur le coût d’usage, notamment l’assurance sinistre. Plus le nombre d’accidents est élevé, plus l’assurance coûte cher. Aussi mettons-nous en place des actions de prévention des risques pour que les entreprises aient des comportements vertueux.
L’entretien et la remise en état du véhicule en cas d’accident ont également un impact sur la consommation. Si le chef de parc prend en compte ces éléments, il peut sensibiliser les conducteurs sur la manière dont ils conduisent, sur l’accidentologie, et alerter sur les comportements anormaux.
Enfin, nous intervenons sur le TCO flotte, c’est-à-dire toute l’organisation de la gestion. L’entreprise a besoin d’être aidée pour savoir si elle doit acheter ou plutôt louer, connaître le nombre de salariés dont elle dispose pour gérer sa flotte, savoir si elle doit embaucher quelqu’un pour gérer les amendes, car c’est devenu un vrai métier.
Le tableau de la page 2 est un exemple de coût d’usage. Nous avons pris le cas de véhicules qui ont parcouru 20 000 kilomètres par an pendant trois ans, soit 60 000 kilomètres, c’est-à-dire moins qu’un véhicule d’entreprise. Nous démontrons que le coût d’usage est quasi identique, qu’il s’agisse d’un véhicule diesel ou essence, malgré toutes les aides accordées sur le diesel. Pourtant, dans la plupart des cas, les entreprises ont préféré choisir le modèle diesel.
M. Philippe Noubel. Cet exemple montre que le phénomène pourrait s’inverser en cas d’alignement de la fiscalité de l’essence sur celle du diesel. Il est regrettable que les entreprises, dont les collaborateurs n’effectuent pas beaucoup de kilomètres, continuent à faire appel à des véhicules diesel, alors que l’utilisation d’un véhicule essence serait plus rationnelle. En revanche, pour les entreprises dont les salariés doivent parcourir beaucoup de kilomètres, le véhicule diesel demeure le plus performant même en cas d’alignement de la fiscalité.
Les entreprises de location de longue durée ont la chance d’être à l’abri de toutes les difficultés économiques, tant nationales qu’internationales. Dans les vingt-sept pays où nous intervenons, nous avons observé que l’utilisation du véhicule d’entreprise via la location de longue durée augmentait. Ce n’est pas parce que les parcs généraux des pays sont en progression, mais parce que la part du parc de location de longue durée croît. Je le répète, nous sommes assez fiers de contribuer à l’amélioration du parc.
Cette évolution est liée à deux facteurs. Le premier est un mécanisme historique, tandis que le second est dû à notre action en tant qu’opérateur de location de longue durée. À l’origine, si les grandes entreprises ont eu recours à la location de longue durée, c’est parce qu’il leur était difficile de gérer elles-mêmes des flottes importantes. Aujourd’hui, toutes les grandes entreprises utilisent la location de longue durée. Leur parc n’augmente pas, il est plutôt rationalisé. Si le parc global augmente, c’est que d’autres utilisateurs interviennent, notamment les entreprises moyennes et, depuis quelques années, les petites entreprises. Dans des pays comme la France, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas ou la Belgique, l’accroissement du marché est dû à l’intérêt que les petites entreprises et les entrepreneurs témoignent à ce type d’approche : cela préfigure peut-être ce que sera, dans un futur plus ou moins proche, le comportement du particulier lui-même. Ainsi commence-t-on à voir, en Angleterre et dans une moindre mesure en France, des particuliers s’intéresser à des formules locatives – location de longue durée ou location avec option d’achat. Ce phénomène participe à l’accélération du renouvellement des véhicules, permet aux constructeurs de faire tourner les usines et contribue à l’accélération de l’amélioration de la qualité du parc, ce qui in fine est bon au plan écologique.
Nous constatons aussi une augmentation des services associés à nos produits de location de longue durée, comme l’entretien, le véhicule relais, l’assurance, les réparations. Les entreprises s’intéressent de plus en plus à une composante qui contribue à la politique contrôle sanction automatisé (CSA) des entreprises, mais aussi à la nôtre, à savoir le comportement du conducteur. Aujourd’hui, l’élément le plus discriminant en matière de coût d’usage d’un véhicule est la façon dont le conducteur utilise son véhicule : s’il roule vite, il consomme davantage et a plus d’accidents, etc. Conscientes de cet élément et de son impact dans le cadre d’une politique CSA, les entreprises nous demandent comment elles peuvent améliorer le comportement de leurs conducteurs. Dorénavant, tous les acteurs proposent des stages de formation ou de sensibilisation, qui sont régulièrement renouvelés, car on a tendance à oublier les bonnes habitudes.
Nous commençons aussi à investir dans la télématique embarquée. La puissance de cette technologie n’est pas sans susciter des interrogations : ne risque-t-elle pas de se transformer en Big Brother ? On peut évacuer la question pour ne garder que les composantes les plus intéressantes et les plus sociétales.
En résumé, l’augmentation du nombre des services a pour objectif de parvenir à une optimisation des coûts d’usage qui ont un impact considérable sur l’environnement. En effet, si l’on consomme moins, le coût est moindre et la pollution moins importante.
M. Bernard Fourniou. Les entreprises ont besoin d’un outil de travail adapté. Ce mois-ci, l’un des deux constructeurs français va commercialiser trois voitures de gamme business fonctionnant à l’essence. On entend par véhicule de gamme business une voiture confortable, connectée, dans laquelle le collaborateur peut travailler.
Je veux revenir un instant sur les nouvelles formes de mobilité. Il est difficile d’utiliser le covoiturage dans l’entreprise, car tout le monde ne se déplace pas en même temps. En revanche, l’autopartage se développe, surtout dans les grandes entreprises qui ont suffisamment de collaborateurs pour partager les véhicules. C’est une optimisation de l’utilisation des véhicules. S’agissant de l’autopartage, de plus en plus de véhicules sont électriques. Quand le véhicule n’est pas utilisé, il est rechargé. Bon an mal an, il peut être utilisé de manière confortable toute la semaine. Des formules de covoiturage permettent au collaborateur d’utiliser un véhicule, moyennant souvent une participation quand il s’agit de petits déplacements personnels. Cela évite au salarié d’acheter une voiture ou d’en avoir deux : une pour le week-end et une pour la semaine.
M. Philippe Noubel. Voilà vingt-cinq ans que j’entends parler de l’utilisation rationnelle des véhicules, mais personne n’a encore résolu l’équation suivante : concilier les périodes d’utilisation maximale et d’utilisation moindre ? Pendant 320 jours par an, on a besoin d’une voiture qui ne transporte qu’une seule personne et, pendant les quarante jours restants, il faut qu’elle puisse transporter deux ou trois enfants, le chien et les sacs de plage. De nombreuses tentatives ont été faites pour trouver des solutions, notamment en coopération avec des sociétés comme la nôtre ou des organismes de location de courte durée. Mais on se heurte très vite au fait que tout le monde a besoin du même type de véhicule en même temps. Pour autant, il serait extrêmement regrettable de ne rien faire.
M. Bernard Fourniou. La location de moyenne durée, c’est-à-dire de deux mois à vingt-quatre mois environ, est un produit qui se développe. Ce type de service intéresse des entreprises faisant appel à des collaborateurs qui effectuent des missions ponctuelles ou sont employés à titre précaire. Cela permet une meilleure utilisation de l’ensemble des véhicules.
Vous nous demandez si les aides en faveur des véhicules électriques sont suffisantes. Ce ne sont pas les aides qui sont les principaux facteurs de décision pour une entreprise. J’ai insisté dès le départ sur le fait que l’entreprise avait besoin d’un véhicule disponible en permanence et qui réponde à ses besoins et attentes. Si l’utilisation du véhicule électrique ne décolle pas, ce n’est pas en raison de sa technologie, mais à cause de son autonomie.
Mme la rapporteure. Selon vous, la suppression de l’aide accordée aux entreprises pour l’achat d’un véhicule électrique n’a donc pas constitué un problème.
M. Bernard Fourniou. Même avec les aides octroyées actuellement, un véhicule essence ou diesel est au même prix qu’un véhicule électrique. Le coût d’un véhicule électrique est excessif. Nous allons bientôt étudier le coût de l’électricité pour savoir si, en termes de coût d’usage, le véhicule électrique est économique. Cela nous permettra de voir quel est l’avenir du véhicule électrique.
Mme la rapporteure. Nous serions intéressés pas une telle étude !
M. Bernard Fourniou. Un véhicule électrique est confortable et agréable à conduire. Mais on sait bien que l’autonomie annoncée de 200 kilomètres n’est en réalité que de 150. Sur toutes les grandes autoroutes, on est en train de construire des corridors électriques tous les soixante à soixante-dix kilomètres – l’association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE) serait bien placée pour vous en parler. Mais, si deux ou trois prises de courant seulement sont installées et que, tous les cent kilomètres, vous devez attendre une demi-heure pour recharger votre véhicule, vous vous heurtez à un problème de praticité. Je crois en l’avenir du véhicule électrique, mais il faut beaucoup travailler sur les batteries. Une solution peut être trouvée avec la pile à combustible à hydrogène qui pourrait même, à terme, être vendue dans les grands magasins. Cela permettrait de doubler l’autonomie des véhicules électriques. Sur le papier, ce système semble intéressant, mais je ne sais pas si l’on parviendra à le commercialiser.
M. Philippe Noubel. Peut-être faut-il engager une réflexion sur un meilleur usage de certains véhicules. Prenons l’exemple de notre maison mère qui a une flotte importante de véhicules dits de service – un véhicule de service est un véhicule qui est utilisé pendant la semaine, mais pas le week-end. Je suis persuadé qu’il y a une réponse électrique à l’utilisation journalière de véhicules qui parcourent cent kilomètres environ. Pendant plusieurs mois, j’ai eu l’occasion de rouler dans un véhicule électrique d’une marque allemande qui a l’énorme avantage d’être électrique, mais aussi d’être équipé d’un range extender, c’est-à-dire un petit moteur thermique qui recharge la batterie lorsqu’elle n’a plus de courant. Cela permet une sécurité d’esprit totale en région parisienne. Comme la batterie électrique apporte une autonomie de 130 kilomètres et que le range extender y ajoute 130 kilomètres, l’autonomie totale est de 260 kilomètres. Cela dit, cette voiture a l’inconvénient d’être très chère et de cumuler deux technologies, un moteur électrique et un moteur thermique. Chaque technologie est moins optimisée que s’il n’y en avait qu’une seule. Par ailleurs, le poids entraîne une consommation supplémentaire lorsque vous roulez avec le moteur thermique, ce qui fait qu’un véhicule hybride est moins efficace qu’un véhicule uniquement thermique.
Le véhicule hybride est parfaitement adapté à un usage majoritairement urbain, mais complètement inadapté à un usage sur autoroute. Les entreprises doivent donc réfléchir à l’utilisation objective des véhicules pour mieux segmenter leur offre. C’est plus difficile intellectuellement, mais ce sera, in fine, le seul moyen de résoudre l’équation.
Mme la rapporteure. J’aimerais que vous reveniez sur l’élargissement ou le rythme de la déductibilité.
M. Bernard Fourniou. Les constructeurs sont très sensibilisés à ce sujet. Ceux avec lesquels j’ai discuté m’ont indiqué que le changement était trop rapide, et j’en suis convenu avec eux. Nous avons donc fait une première proposition, avec M. Baupin, qui a été de parvenir à un alignement sur deux ans. Mais, comme nous avons senti que ce délai était encore trop court, je ne vous cache pas que j’ai poussé pour que soit proposé un alignement sur quatre ans. Cette mesure permettait aux entreprises de se préparer progressivement. J’ai du mal à voir comment on peut faire mieux, mais je suis prêt à y réfléchir. Il est important de mettre le pied à l’étrier.
M. Philippe Noubel. Il y a quelques années, l’amélioration de la qualité du parc automobile a été possible grâce à une prime à la casse accordée en contrepartie de l’achat d’un véhicule neuf. Comme on sait qu’il n’y a guère que les seniors et les entreprises qui achètent aujourd’hui des véhicules neufs, on limite considérablement le champ des possibles. Dès lors, pourquoi ne pas imaginer d’accorder une prime à la casse à un véhicule de norme euro 2 ou euro 1 s’il est remplacé par un véhicule de norme euro 5 ? Il est choquant de voir que les seuls qui peuvent participer à l’amélioration de la situation écologique du parc automobile sont ceux qui ont les moyens d’acheter un véhicule neuf.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Messieurs, nous vous remercions.
La séance est levée à à treize heures quarante.
◊
◊ ◊
18. Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Foulonneau, directeur stratégie et territoires de GRDF, de Mme Catherine Brun, directrice commercial de GRTgaz, de M. Vincent Rousseau, directeur de projet mobilité de GRTgaz, de M. Jean-Claude Girot, président de l'Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV) et de M. Gilles Durand, secrétaire général de l'AFGNV.
(Séance du mardi 19 janvier 2016)
La séance est ouverte à quatorze heures.
La mission d’information a entendu Mme Catherine Foulonneau, directeur stratégie et territoires de GRDF, Mme Catherine Brun, directrice commercial de GRTgaz, M. Vincent Rousseau, directeur de projet mobilité de GRTgaz, M. Jean-Claude Girot, président de l'Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV) et M. Gilles Durand, secrétaire général de l'AFGNV.
Mme la présidente Sophie Rohfritsch. Nous recevons cet après-midi les représentants de GRTgaz et d’ERDF qui, au sein de l’Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV), font la promotion du gaz naturel pour véhicules (GNV) et du biogaz.
Mme la rapporteure et moi-même tenons à informer la Mission d’initiatives que nous avons prises au regard des derniers développements de l’actualité.
En premier lieu, nous avons cosigné une lettre recommandée au président de Volkswagen France qui se refuse à être auditionné, alors que nous l’avions saisi de notre volonté de l’entendre il y a plus d’un mois. Cette audition étant indispensable, nous lui avons fait part du maintien de sa date d’audition au mercredi 27 janvier à onze heures trente. En outre, nous lui avons indiqué qu’à défaut de le voir reconsidérer sa position, nous n’hésiterions pas à demander au président de l’Assemblée nationale de conférer à la Mission les pouvoirs de contrôle analogues à ceux d’une commission d’enquête, comme nous en ouvre le droit l’ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 145-1 et suivants de notre règlement. Nous pourrions ainsi le contraindre et même exiger de lui la transmission de tous les documents internes en vertu du contrôle sur place et sur pièce.
S’agissant des difficultés rencontrées par Renault en matière d’émissions polluantes, Mme Batho avait saisi par un courrier du 12 novembre 2015 la ministre de l’environnement afin d’obtenir les résultats des tests que la ministre avait diligentés en urgence et des précisions quant aux modèles concernés et aux caractéristiques du protocole adopté. À ce jour, aucune réponse n’a été apportée à cette demande qui pourtant prenait soin de mentionner qu’une confidentialité des données transmises serait garantie tant qu’aucun résultat officiel n’était publié. Il s’agissait d’une demande légitime d’information à destination de la rapporteure et de la présidente, soucieuses ne pas empiéter sur le rôle dévolu à la commission dite indépendante qui devait suivre ce processus.
Ces précisions données, nous allons interroger les personnalités reçues cet après-midi sur les caractéristiques du gaz comme carburant alternatif du point de vue économique et environnemental.
Quels sont les coûts et les avantages de l’usage du GNV ou du biogaz pour un véhicule particulier ou pour un véhicule de transport ? Aujourd’hui, environ 10 % du parc des grandes agglomérations utiliseraient ces types de carburant ; quels gains ceux-ci offrent-ils s’agissant des rejets polluants – dioxydes de carbone, dioxydes d’azote et particules fines ? Des comparatifs scientifiquement établis avec les motorisations diesel ou essence intéressent évidemment notre mission, y compris pour des usages en bicarburation : essence/gaz ou diesel/gaz.
La RATP, dont l’équipement en bus « propres » doit impérativement faire l’objet d’efforts, a conclu, en 2014, un partenariat avec GDF Suez avec un objectif a priori ambitieux : disposer d’une flotte comprenant jusqu’à 20 % de bus à gaz naturel à l’horizon 2025. Plus généralement, la France semble accuser un retard. L’Italie compterait 900 000 véhicules motorisés au gaz naturel et disposerait d’un réseau de distribution de plus de 1 100 stations accessibles aux particuliers. Où en est-on précisément en France ? Quel est le parc en circulation et avec quelles perspectives de marché ? Existe-t-il même un embryon de réseau de distribution et, actuellement, quels sont les prix publics du GNV ou du biogaz ? N’est-ce pas le moment de lancer un vrai plan d’installation de dispositifs d’approvisionnement car la loi de finances pour 2016 vient de confirmer la position privilégiée du GNV, avec, pour 2016 et 2017, un écart favorable de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) de 44 centimes d’euro par rapport au gazole ?
La Mission a déjà auditionné deux hauts fonctionnaires qui ont étudié, dans le cadre du Conseil général de l’environnement et du développement durable, les perspectives d’usage du gaz naturel liquéfié (GNL) dans les transports. Le développement de cette autre filière, voisine de la vôtre, nous a semblé assez limité, sauf peut-être pour quelques activités de transport routier de marchandises. Vous allez nous dire en quoi votre filière se distinguerait de celle du GNL, voire du gaz de pétrole liquéfié (GPL). En comparaison, quel pourrait être le principal potentiel de développement du GNV et du biogaz ?
M. Jean-Claude Girot, président de l’AFGNV. Votre volonté de nous auditionner prouve que les politiques s’intéressent à notre filière. Notre association existe depuis vingt ans et regroupe aujourd’hui quatre-vingt adhérents : des entreprises gazières, dont certaines sont représentées ici, et des constructeurs de camions. Malheureusement, nous ne comptons plus dans nos rangs qu’un seul constructeur de voitures, l’entreprise italienne Fiat. C’est la conséquence du silence que le gaz a subi depuis quelques années : le Grenelle de l’environnement ayant privilégié l’électrique, les constructeurs français ont préféré s’orienter vers ce type d’énergie. Mais les constructeurs de camions, qui considèrent le gaz – GNV et GNL – comme la seule alternative réelle au diesel, nous soutiennent. Le dernier d’entre eux devrait bientôt rejoindre l’association.
L’AFGNV essaie de convaincre les fédérations professionnelles de transporteurs, très intéressées. Nous intervenons dans tous les congrès de transporteurs routiers. Ce matin encore, j’ai visité une fédération bien connue qui s’intéresse au développement du gaz comme moyen de répondre aux villes qui souhaitent limiter la circulation des véhicules diesel sur leur territoire. Pour les camions, le gaz représente la seule alternative, l’électrique n’étant viable que pour de petits véhicules de moins de 3,5 tonnes. Le remplacement du diesel par le gaz – un carburant plus propre – peut être créateur d’emplois puisque les usines de méthanisation, qui recyclent des déchets ménagers ou agricoles, seraient forcément situées en France. Il dynamiserait également notre industrie du camion : Renault Trucks construit tous ses camions en France ; un autre constructeur suédois assemble les véhicules sur notre territoire ; les autres constructeurs y possèdent des usines de moteurs.
Nos clients transporteurs s’interrogent sur le nombre de stations – encore limité – et sur la fiscalité relative au gaz. Très intéressante aujourd’hui par rapport au gazole, celle-ci peut évoluer ; or pour investir dans un outil industriel relativement cher, les transporteurs ont besoin de prévoir leurs dépenses, pour ne pas se retrouver devant une contrainte économique qu’ils n’auraient pas prévue au départ. Ils craignent que si le gaz se développe comme nous le pensons, la fiscalité qui pèse aujourd’hui sur le diesel ne soit transférée sur cette source d’énergie. Nous ne demandons pas un blocage du prix du gaz ou des taxes correspondantes, mais l’assurance que l’écart actuel de fiscalité entre le diesel et le gaz reste constant sur les cinq ans à venir. L’échéance de 2025 nous semble raisonnable par rapport à d’autres délais très courts qui posent des problèmes économiques aux transporteurs ; en effet, on ne peut pas remplacer un parc de camions aussi vite.
La demande de notre filière de voir l’amortissement de 140 %, prévu par la loi Macron, s’appliquer à tous les camions a été refusée ; en revanche, l’on a accepté la mesure pour les véhicules à gaz – malheureusement, pour deux ans seulement. Ce délai est court pour les investissements, mais c’est déjà un grand pas. Nous remercions ceux qui ont pris cette décision et qui ont porté les amendements correspondants.
Vous avez cité les deux experts avec lesquels nous travaillons étroitement. Dans le cadre de la directive européenne sur les carburants alternatifs, nous avons créé un groupe de travail présidé par M. Vincent Rousseau, ici présent.
Mme Catherine Brun, directrice commerciale de GRTgaz. Je vous prie d’excuser M. Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz, qui n’a pas pu se rendre disponible ; j’ai l’honneur de le représenter dans le cadre de mes missions sur les marchés prospectifs.
Je développerai d’abord en quoi le GNV constitue une alternative réelle au carburant pétrolier pour les poids lourds et les véhicules utilitaires et à terme, légers. Je vous présenterai ensuite les premières conclusions des travaux que nous menons au sein de l’AFGNV, dans le cadre de la directive européenne sur les carburants alternatifs. Enfin, je vous indiquerai dans quelle mesure les infrastructures gazières peuvent accompagner le développement du GNV.
Le GNV représente une alternative réelle au carburant pétrolier pour trois types de raisons : techniques, pratiques et économiques. D’un point de vue technique, le GNV est une technologie mature – 20 millions de véhicules roulent aujourd’hui grâce à ce carburant – qui présente des dispositifs de dépollution simples et peu onéreux. Elle est tout à fait adaptée au renforcement futur des normes environnementales, à des coûts raisonnables. Cette technologie permet une véritable amélioration en matière d’écologie. Les expériences des derniers mois incitent à la prudence, mais une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) menée avec l’entreprise Casino, en conditions réelles, sur des poids lourds neufs compatibles avec la norme Euro 6 montre que la réduction des émissions de CO2 va jusqu’à 10 % avec le GNV, et jusqu’à 80 % avec le biogaz, ce dernier chiffre étant relatif aux émissions « du puits à la roue ». En tout état de cause, il s’agit de réductions notables. Les réductions d’oxydes d’azote (NOx) atteignent 70 %. On note enfin une quasi-absence de particules fines. On ne dispose pas aujourd’hui d’études aussi précises pour les véhicules utilitaires légers, mais nous pensons qu’elles livreraient des résultats comparables. De plus, le recours au GNV permet de diviser par deux le bruit – élément particulièrement appréciable pour l’usage urbain : bennes à ordures ménagères, bus et véhicules utilitaires légers.
Le GNV représente également une alternative crédible du point de vue pratique et opérationnel. Pour une entreprise, le service rendu par un véhicule à gaz est très proche de celui d’un véhicule diesel. La substitution d’une énergie à une autre doit se faire sans modifier les modes de travail d’une entreprise ; par exemple, la RATP ne devrait pas changer la manière dont elle effectue sa recharge de bus. Aujourd’hui, les technologies GNV permettent une autonomie de 400 kilomètres à la journée – chiffre compatible avec bon nombre d’usages couverts par le diesel – et un temps de remplissage de quelques minutes, ce qui, le plus souvent, n’oblige pas les entreprises à réinventer tous leurs procédés de travail.
Le GNV apparaît enfin comme une véritable alternative économique. Comme le faisait remarquer M. Girot, si l’on tient compte du dispositif d’aide en vigueur – l’écart de taxes ou les soutiens à l’achat –, et sans même tenir compte des externalités, notamment des avantages écologiques, il y a aujourd’hui un intérêt économique à choisir le GNV pour le transport de marchandises sur le segment de 100 000 kilomètres par an. Pour des parcours plus longs à l’année, l’intérêt serait moindre. À terme, les gains dus aux économies d’échelle sur la production des poids lourds devraient même réduire la différence de prix d’achat et rendre le transport de marchandises au GNV encore plus intéressant.
La déclinaison française de la directive européenne constitue une véritable opportunité pour formuler des ambitions en matière de GNV. Le parc GNV représente aujourd’hui 13 000 véhicules, pour moitié des véhicules utilitaires légers, et quarante-et-une stations publiques, sans compter les stations privées.
Mme Delphine Batho, rapporteure. Combien y a-t-il de stations privées ?
Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles de GRTgaz. Environ 230.
Mme Catherine Brun. Dans le cadre du travail que nous menons avec la filière pour proposer une stratégie de développement du GNV, nous retenons un scénario qui sera tiré par le transport de marchandises. À l’horizon 2020, nous prévoyons 12 000 poids lourds, soit une multiplication par sept, 20 000 véhicules utilitaires – une multiplication par trois –, 4 000 véhicules légers et 3 000 bus. Ce scénario de développement est très proche du projet de stratégie nationale pour une mobilité propre.
Pour permettre à ces véhicules de fonctionner, il faut, pour commencer, un réseau de 150 stations-service pour les poids lourds, ouvertes également à d’autres véhicules. Cela représenterait un investissement d’environ 150 millions d’euros. Nous n’avons pas le temps de l’aborder aujourd’hui, mais nous avons également étudié les lieux possibles d’implantation. Si l’on pérennisait le dispositif actuel de stimulation de la demande sur quatre ou cinq ans, ce réseau de stations émergerait naturellement au travers de l’investissement privé. Il devrait être complété par un réseau de proximité : encore 150 stations, pour un investissement plus léger, de l’ordre de 50 millions d’euros. Ces stations de proximité permettraient aux territoires de mettre en œuvre la politique d’amélioration de la qualité de l’air. En revanche, si le premier réseau peut émerger naturellement, ces stations de plus petite taille, qui correspondent à une demande plus diffuse, auraient besoin du soutien de la puissance publique, par exemple par le biais du programme d’investissements d’avenir.
Enfin, les infrastructures gazières représentent un réseau de transport et de distribution – 32 000 kilomètres pour GRTgaz –, mais également quatorze lieux de stockage souterrain et trois terminaux méthaniers. Les hypothèses du scénario de développement que j’ai évoqué conduiraient à des consommations de gaz de