N° 4172
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 octobre 2016.
RAPPORT D’INFORMATION
déposé
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)
sur l’évaluation de l’efficacité des mécanismes européens pour prendre en charge des flux migratoires exceptionnels,
ET PRÉSENTÉ
PAR MM. Christian ASSAF et Guy GEOFFROY,
Députés.
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La mission d’information sur l’évaluation de l’efficacité des mécanismes européens pour prendre en charge des flux migratoires exceptionnels est composée de :
M. Christian Assaf, président et rapporteur ; M. Guy Geoffroy, vice-président et co-rapporteur ; Mme Marietta Karamanli, vice-présidente ; M. Erwann Binet, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Sergio Coronado, Mme Pascale Crozon, M. Marc Dolez, Mme Anne-Yvonne Le Dain, MM. Pascal Popelin, Alain Tourret, Jacques Valax, Patrice Verchère, Michel Zumkeller.
SOMMAIRE
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Pages
SYNTHÈSE DU RAPPORT 7
INTRODUCTION 17
I. UN AFFLUX DE RÉFUGIÉS D’UNE AMPLEUR EXCEPTIONNELLE, À L’ORIGINE D’UNE SITUATION HUMANITAIRE CRITIQUE 19
A. L’AFFLUX DE RÉFUGIÉS LE PLUS SIGNIFICATIF DEPUIS LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE 19
1. Des chiffres à mettre en perspective 19
a. Au vingtième siècle, l’Europe a déjà eu à faire face à des afflux très importants de personnes déplacées 19
b. Au plan mondial, l’Europe et les autres pays industrialisés n’accueillent qu’une faible partie des réfugiés 20
2. Une augmentation des entrées irrégulières sur le territoire de l’Union européenne depuis 2014, qui s’est fortement accélérée en 2015 21
3. Des flux migratoires composés majoritairement de réfugiés 22
4. La route de la Méditerranée orientale et la route des Balkans occidentaux, principales voies d’accès à l’Union européenne 24
5. Un afflux qui n’est pas lié uniquement à la guerre en Syrie 25
B. UNE AUGMENTATION CORRÉLATIVE DE LA DEMANDE D’ASILE 27
1. Une forte augmentation globale des demandes d’asile dans l’Union européenne 27
2. Des conséquences très variables selon les États membres 28
C. UNE SITUATION HUMANITAIRE SOUVENT DRAMATIQUE 31
1. La tragédie des noyades en Méditerranée 31
2. Des efforts réels de prise en charge en Grèce qui ne peuvent empêcher certains drames humains 32
a. Les migrants présents dans les îles de la mer Égée 32
b. Les migrants se trouvant en Grèce continentale 33
3. Une mobilisation en Turquie qui laisse subsister des sujets de préoccupation 34
a. Une population de réfugiés marquée par une certaine hétérogénéité 35
b. Une aide apportée par de multiples acteurs 36
c. La Turquie face au défi de la scolarisation des enfants 38
4. Le sort inquiétant réservé aux mineurs 39
II. DES RÉPONSES EUROPÉENNES SOUFFRANT D’UN MANQUE DE COHÉRENCE 41
A. DES INSTRUMENTS JURIDIQUES INADAPTÉS, RÉVÉLATEURS D’UN MANQUE STRUCTUREL DE SOLIDARITÉ ENTRE ÉTATS MEMBRES 41
1. Le règlement Dublin III fait peser une charge excessive sur les pays de première entrée et se révèle largement inefficace 41
a. Un système fondé sur une hiérarchie de critères de détermination de l’État membre responsable d’une demande d’asile 41
b. Les limites du règlement Dublin III 44
2. L’absence d’harmonisation des régimes d’asile nationaux favorise d’importants mouvements secondaires 48
a. Un cadre législatif européen récemment révisé 48
b. Des régimes d’asile nationaux très différents 56
3. L’absence de mutualisation des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen a conduit plusieurs États membres à rétablir les contrôles aux frontières intérieures 57
a. L’acquis de Schengen 57
b. L’afflux de réfugiés a conduit plusieurs États membres à rétablir en urgence des contrôles aux frontières intérieures 62
c. Un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures aujourd’hui coordonné dans le cadre de l’article 29 du code frontières Schengen 63
B. DES MESURES PRISES SOUVENT DANS L’URGENCE AVEC UNE EFFICACITÉ VARIABLE 65
1. La lutte contre les réseaux de passeurs et la surveillance des frontières extérieures 65
a. La lutte contre les filières d’immigration illégale 65
b. L’action de Frontex 66
c. Sophia : une opération de politique de sécurité et de défense commune 67
d. Le concours de l’OTAN 68
2. La mise en place des hotspots 68
3. Des relocalisations depuis la Grèce et l’Italie qui demeurent insuffisantes 69
a. Un mécanisme exceptionnel mis en place à l’automne 2015 69
b. Un rôle actif de la France qui demande à être encore renforcé 71
c. Des réticences qui demeurent de la part des États membres de l’Union européenne 74
4. L’asile proposé directement à certains réfugiés 75
C. UN ACCORD AVEC LA TURQUIE DISSUASIF MAIS FRAGILE 76
1. Une pression migratoire qui se maintient en Turquie 76
a. Une poussée migratoire s’exerçant sur la Turquie 76
b. Une pression migratoire potentielle depuis la Turquie 77
2. Un accord dissuasif impliquant une politique de réinstallation volontariste 77
a. Un accord dissuasif 78
b. Des programmes de réinstallation impliquant de multiples acteurs 80
3. Des perspectives incertaines pour un accord qui demeure fragile 85
a. Un traitement contrasté réservé aux réfugiés en Turquie 85
b. L’avenir incertain de l’accord 88
4. Des questions non résolues 95
a. Le sort des migrants en Grèce continentale 95
b. L’apparition de nouvelles routes 96
III. UNE POLITIQUE COMMUNE DE L’ASILE, DE L’IMMIGRATION ET DES FRONTIÈRES À BÂTIR 98
A. DÉVELOPPER LES VOIES LÉGALES D’ACCÈS À L’UNION EUROPÉENNE POUR LES MIGRANTS 98
1. Des voies d’accès sûres et régulières pour les réfugiés 98
a. Amplifier et systématiser les réinstallations 98
b. Vers une délivrance de l’asile dans les États de départ et de transit 100
2. Des canaux d’immigration légale 101
B. RÉFORMER LE RÈGLEMENT DUBLIN III ET PROGRESSER VERS UN SYSTÈME D’ASILE UNIFORME 103
1. La réforme du règlement Dublin III 103
2. Une réflexion nécessaire sur un système uniforme d’asile dans l’Union européenne 106
C. DES CONTRÔLES RENFORCÉS AUX FRONTIÈRES EXTÉRIEURES AFIN DE MIEUX GÉRER LES FLUX ET GARANTIR LA SÉCURITÉ DE L’ESPACE SCHENGEN 110
D. PLACER LES MIGRATIONS AU CœUR DE PARTENARIATS AVEC LES PAYS TIERS 114
EXAMEN EN COMMISSION 119
PERSONNES ENTENDUES PAR LA MISSION D’INFORMATION 127
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LA MISSION D’INFORMATION 129
I. UN AFFLUX DE RÉFUGIÉS D’UNE AMPLEUR EXCEPTIONNELLE, À L’ORIGINE D’UNE SITUATION HUMANITAIRE CRITIQUE
● Sur le plan historique, les mouvements migratoires de grande ampleur ne sont pas sans précédents. Au XXème siècle, l’Europe a déjà montré sa capacité d’absorber des afflux très importants de personnes déplacées. Au plan géographique, le continent européen et les autres pays industrialisés n’accueillent qu’une faible partie des réfugiés dans le monde.
Les entrées irrégulières sur le territoire européen se sont certes accrues depuis 2014 dans une mesure inédite. Ces flux migratoires sont composés majoritairement de réfugiés et, en moindre proportion, de migrants aux motivations « économiques ». Le conflit en Syrie est la cause première de l’afflux de réfugiés. 4,8 millions de Syriens ont fui vers un autre pays, ce qui représente la plus importante population de réfugiés dans le monde. Le conflit en Irak, les violences en Afghanistan et la situation des pays de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique de l’Est sont les autres causes principales de ces mouvements migratoires.
En termes de voies d’accès, l’année 2015 a marqué une rupture, la principale route empruntée ayant été celle de la Méditerranée orientale, entre la Turquie et les îles grecques de la mer Égée, avec plus de 885 000 arrivées en Grèce. La situation a évolué depuis le printemps 2016 puisque l’essentiel des flux emprunte désormais la Méditerranée centrale.
● Les flux migratoires se sont traduits par une forte augmentation des demandes d’asile au sein des États membres de l’Union européenne. Au premier semestre 2016, c’est l’Allemagne qui a enregistré le plus de demandes d’asile (61 %), suivie de l’Italie (8 %) puis de la France (6 %). Au cours des huit premiers mois de 2016, l’OFPRA a enregistré 54 500 demandes de protection, soit une augmentation de 19,3 % par rapport aux huit premiers mois de 2015. Les trois principaux pays d’origine des primo-demandeurs d’asile dans les États membres de l’Union européenne ont été, en 2015 comme en 2016, par ordre décroissant, la Syrie, l’Afghanistan et l’Irak.
● Une situation humanitaire souvent dramatique a résulté de ces flux. Le nombre de noyés en Méditerranée en 2015 s’est élevé à 3 770. Si l’accord UE-Turquie a fait reculer le nombre de morts en mer Égée, on continue à déplorer de nombreux décès dans l’ensemble de la Méditerranée, évalués à 3 654 depuis le début de l’année 2016.
S’agissant des 14 600 migrants présents dans les îles grecques, les autorités françaises et européennes doivent se mobiliser, en coopération avec l’État grec, en vue d’améliorer leurs conditions de vie. Le renforcement des moyens sur place de l’EASO (2) doit se poursuivre afin d’accélérer l’instruction des demandes d’asile. Pour ce qui est des 46 000 migrants bloqués en Grèce continentale, du fait de la fermeture de la route des Balkans, ils sont accueillis dans des camps tenus soit par l’armée grecque, soit par les autorités civiles, ces derniers étant parfois d’une qualité plus que contestable.
La Turquie accueille trois millions de réfugiés dont 300 000 non-Syriens. Une moitié réside dans les gouvernorats frontaliers, et l’autre dans des grandes villes. Les organisations humanitaires soulignent la qualité des camps gérés par l’administration turque. Jointe à l’effort de solidarité tant de la société civile que des agences onusiennes et européennes, l’aide publique a permis d’assurer une prise en charge correcte et une cohabitation pacifique avec les citoyens turcs.
La situation des enfants de réfugiés en Turquie est toutefois préoccupante. On y compte 830 000 enfants d’âge scolaire, dont seuls 334 000 sont scolarisés. Certains sont contraints de travailler, par exemple dans des ateliers de textile, pour subvenir aux besoins de leurs parents. Le Gouvernement turc assure avoir pris la mesure de ces problèmes. Vos rapporteurs n’en invitent pas moins les autorités françaises et européennes, notamment dans le cadre des discussions concernant l’usage des financements mobilisés par les États membres pour aider la Turquie, à se montrer vigilantes.
Les mineurs apparaissent comme les grands oubliés des débats sur les flux migratoires. Plus du quart du million de migrants arrivé en Europe en 2015 était constitué de mineurs. 7 009 enfants non accompagnés ont effectué la traversée d’Afrique du Nord vers l’Italie au cours des cinq premiers mois de l’année 2016. Ils sont exposés aux risques de mauvais traitements et d’exploitation, y compris sexuelle, voire de disparition. Vos rapporteurs invitent les autorités européennes à se saisir de cette question. Il appartient aux États de départ, de transit et d’accueil de mettre en place des dispositifs de protection adaptés. Le développement de voies d’accès sûres et régulières doit contribuer à cet effort.
La protection en France des mineurs isolés étrangers, dont le nombre en métropole est estimé plus de 8 000, relève de la compétence des départements. Vos rapporteurs préconisent que l’État accroisse fortement l’aide financière qu’il apporte aux départements au titre de l’accueil des mineurs non accompagnés. Les régions doivent également être davantage impliquées dans leur accueil.
II. DES RÉPONSES EUROPÉENNES SOUFFRANT D’UN MANQUE DE COHÉRENCE
A. PLUSIEURS INSTRUMENTS JURIDIQUES SE SONT MONTRÉS INADAPTÉS ET ONT RÉVÉLÉ UN MANQUE STRUCTUREL DE SOLIDARITÉ ENTRE ÉTATS MEMBRES
● Le règlement Dublin III fait peser une charge excessive sur les pays de première entrée et se révèle largement inefficace. Le règlement Dublin III, qui permet de déterminer l’État responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, s’est révélé inapplicable :
— les « transferts Dublin » vers la Grèce ont été suspendus depuis 2011, compte tenu des défaillances de la procédure d’asile dans ce pays relevées par la Cour européenne des droits de l’homme ;
— le critère de l’entrée irrégulière sur le territoire d’un État membre, le plus utilisé, a trop fait peser l’examen des demandes sur la Grèce et l’Italie.
Les mouvements secondaires au sein de l’Union n’ont pas pu être évités. Il n’y a pas eu non plus de véritable redistribution des demandes d’asile entre les États. Enfin, compte tenu des effets de compensation, les flux nets ont été de faible ampleur.
● L’absence d’harmonisation des régimes d’asile nationaux favorise d’importants mouvements secondaires. En dépit de l’objectif d’un « régime d’asile européen commun » affiché par le programme de Tampere (1999) et de l’adoption en 2011 et 2013 des directives « qualification », « procédures » et « accueil », la situation de l’asile en Europe est restée très hétérogène du point de vue des taux d’octroi, des types de protection et des conditions d’accueil, ce qui explique pour partie la persistance de forts mouvements secondaires.
● L’afflux de réfugiés a conduit certains États à rétablir en urgence, pour huit mois, des contrôles aux frontières intérieures, comme le permettent les articles 25 et 28 du « code frontières Schengen ». Afin de permettre le maintien de ce rétablissement, la Commission et le Conseil ont mis en œuvre la procédure de l’article 29, compte tenu des manquements graves relevés dans la gestion des frontières extérieures par la Grèce. Le Conseil a recommandé le maintien temporaire de contrôles aux frontières intérieures par les États qui avaient décidé de les rétablir.
B. DES MESURES PRISES SOUVENT DANS L’URGENCE ONT EU UNE EFFICACITÉ VARIABLE
● 90 % des migrants ont reçu le concours de réseaux de passeurs, dont le chiffre d’affaires aurait atteint près de dix milliards d’euros en 2015. Vos rapporteurs invitent les États membres à amplifier, notamment par le biais d’Europol, leurs efforts en vue de démanteler les réseaux d’immigration illégale et de traite des êtres humains. La coopération avec des pays tels que le Niger, par où passent de nombreuses personnes en provenance d’Afrique de l’Ouest, doit être renforcée. Cette lutte peut s’appuyer sur les moyens de Frontex ainsi que sur la coopération de l’OTAN.
● Afin d’aider la Grèce et l’Italie, l’Union européenne a créé en 2015 un mécanisme exceptionnel de relocalisation d’urgence, destiné à 160 000 personnes. Pourtant, à l’échelle de l’Union, seules 5 651 personnes avaient été relocalisées à la fin septembre 2016. Vos rapporteurs invitent les États membres de l’Union européenne à amplifier leurs programmes de relocalisation, conformément à leurs engagements.
● Enfin, la France s’est déclarée prête à accueillir 30 700 personnes relocalisées. À la fin août 2016, 1 200 personnes environ avaient été accueillies à ce titre sur le territoire français depuis la Grèce et 231 personnes depuis l’Italie. Ces chiffres demeurent trop faibles. Pour vos rapporteurs, il est impératif, en particulier, que l’objectif fixé par le ministre de l’intérieur de proposer chaque mois à la Grèce la relocalisation de 400 personnes ne reste pas lettre morte. L’un des axes de développement pourrait être d’ouvrir, à l’instar de la Finlande, la relocalisation aux mineurs étrangers isolés.
C. L’ACCORD CONCLU AVEC LA TURQUIE APPARAÎT CERTES DISSUASIF MAIS FRAGILE
1. Une pression migratoire se maintient sur la Turquie
La Turquie s’efforce désormais de faire obstacle à la pression migratoire provenant de la Syrie et des pays voisins. Vos rapporteurs appellent les autorités françaises et européennes à une prise de conscience concernant les réfugiés cantonnés du côté syrien de la frontière. On ne saurait ignorer le sort de ces personnes. Leur devenir devrait être évoqué dans le cadre du dialogue avec la Turquie concernant la mise en œuvre de l’accord du 18 mars.
2. L’accord, pour l’instant dissuasif, implique une politique de réinstallation volontariste
Aux termes de la déclaration du 18 mars, les migrants arrivant dans les îles grecques ont vocation, après avoir été enregistrés, à être renvoyés en Turquie s’ils ne demandent pas l’asile ou si leur demande d’asile est jugée infondée ou irrecevable. Pour chaque Syrien renvoyé, un autre est appelé à être réinstallé de la Turquie vers l’Union européenne. La libéralisation du régime des visas doit par ailleurs être accélérée, pour autant que tous les critères de référence soient respectés.
Les réinstallations préexistaient à l’accord. L’OFPRA menait déjà des missions en ce sens depuis le Liban, la Jordanie et l’Égypte. Par ailleurs, dans le cadre du Conseil de l’Union européenne du 20 juillet 2015, des conclusions ont été adoptées en vue de la réinstallation de 22 504 personnes.
D’un point de vue pratique, l’administration turque refuse parfois certains permis de sortie, au prétexte que l’Europe ne retiendrait que les profils qui lui conviennent. S’il convient de prohiber toute sélection qui aboutirait à ne retenir que les membres de minorités religieuses ou les personnes diplômées, vos rapporteurs soulignent qu’il importe tout autant d’éviter une sélection à rebours. Il ne serait pas acceptable que les refus de permis de sortie de la Turquie aboutissent à ne laisser partir que les personnes les moins instruites. Sur le plan pratique encore, vos rapporteurs invitent également les États membres à planifier davantage leurs opérations de réinstallations et à rapprocher leurs procédures en la matière afin de faciliter le travail de l’OIM (3), en charge des aspects logistiques.
Les réinstallations opérées dans le cadre de l’accord UE-Turquie apparaissent satisfaisantes. À la fin du mois de septembre 2016, le nombre de réfugiés syriens en Turquie réinstallés en Europe dans le cadre de l’accord s’élevait à 1 614 : il y a donc eu trois fois plus de personnes réinstallées en Europe que de migrants renvoyés depuis les îles grecques.
D’un point de vue global, toutefois, le niveau des réinstallations demeure insuffisant. Au 10 juin 2016, 7 272 personnes avaient été réinstallées dans le cadre du programme de réinstallation de l’Union européenne, la plupart au départ de la Turquie, du Liban et de la Jordanie. S’agissant de la France, ce sont environ 2 000 personnes qui, à la fin de septembre 2016, y avaient été réinstallées depuis la Turquie, le Liban et la Jordanie. Vos rapporteurs invitent les États membres de l’Union européenne à amplifier leurs programmes de réinstallations.
3. Les perspectives de l’accord demeurent incertaines et son application fragile
À la suite de la conclusion de l’accord, les flux à travers la mer Égée ont été presque taris. En revanche, à la fin septembre 2016, les renvois vers les ports turcs n’avaient porté que sur 578 migrants, constitués pour l’essentiel de non-Syriens et de personnes volontaires ou n’ayant pas sollicité l’asile en Grèce. L’obstacle au renvoi tient au dépôt quasi systématique par les migrants d’une demande d’asile, à la saturation des services de l’asile et à la reconnaissance très large de l’admissibilité des demandes. Les services grecs de l’asile sont réticents à considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr », réticence renforcée par l’évolution de la situation politique en Turquie.
S’agissant des réfugiés non-syriens, leur devenir en Turquie est en effet préoccupant. Ils peuvent solliciter seulement une protection dite « conditionnelle », dénuée de stabilité. Vos rapporteurs invitent l’Union européenne et le HCR (4) à renforcer, dans le dialogue avec la Turquie, leur suivi des réfugiés non-syriens. Ils se montrent réservés sur l’application de l’accord du 18 mars à leur égard, la qualité de « pays tiers sûr » de la Turquie faisant débat en ce qui les concerne, et ils préconisent, à tout le moins, un examen particulièrement attentif de la recevabilité de leurs demandes d’asile en Grèce.
En ce qui concerne les réfugiés syriens, la réticence à reconnaître la Turquie comme un pays sûr paraît en revanche moins justifiée à vos rapporteurs dans la mesure notamment où les intéressés y bénéficient d’un régime de protection dite « temporaire » et y ont accès au marché du travail.
La mise en œuvre de l’accord pourrait être remise en cause le jour où les migrants et les passeurs prendront conscience que les renvois en Turquie sont extrêmement limités. Elle pourrait être également remise en question par la persistance du désaccord sur la libéralisation des visas, la Turquie ne remplissant pas sept des critères requis, dont celui portant sur la révision de sa législation relative au terrorisme. Si vos rapporteurs sont prêts à examiner sans a priori le principe d’une exemption de visas pour les ressortissants turcs, le lien opéré par la Turquie entre ce sujet et l’accord du 18 mars leur apparaît néanmoins artificiel. Il n’est dans l’intérêt ni de l’Union européenne ni de la Turquie de lier la question des visas et celle de la gestion de la crise migratoire.
4. Des questions demeurent non résolues
Le sort des migrants bloqués en Grèce continentale demeure préoccupant. Vos rapporteurs se félicitent que la France ait mis à la disposition des autorités grecques quinze officiers de protection de l’OFPRA. Ils préconisent que la Grèce, aidée par un concours encore accru de la France et de l’Union européenne, augmente encore les moyens consacrés à l’enregistrement des demandes d’asile.
Les flux en Méditerranée centrale sont inquiétants. Vos rapporteurs préconisent un redéploiement de l’effort opérationnel de l’agence Frontex dans cette zone. La stabilisation politique et l’émergence d’autorités légitimes en Libye doivent constituer des axes prioritaires de l’action diplomatique de l’Union européenne et de la France.
III. UNE POLITIQUE COMMUNE DE L’ASILE, DE L’IMMIGRATION ET DES FRONTIÈRES À BÂTIR
A. DÉVELOPPER LES VOIES LÉGALES D’ACCÈS À L’UNION EUROPÉENNE POUR LES MIGRANTS
● Le développement de voies d’accès sûres et régulières pour les réfugiés est une nécessité. Ce développement pourrait passer par une augmentation du nombre de visas délivrés à ce titre et par une structuration de la politique de réinstallation depuis la Turquie, la Jordanie, le Liban, voire d’autres États tels que l’Égypte.
Vos rapporteurs invitent à réfléchir à la possibilité d’octroyer ou de refuser, dans le pays de départ ou de transit lui-même, l’asile ou la protection subsidiaire afin de dissuader les migrants n’en remplissant pas les conditions d’entreprendre le voyage jusqu’en Europe. Une représentation de l’OFPRA pourrait être instituée à cet effet dans les consulats ou les sections consulaires. On pourrait même envisager d’installer, avec l’accord des États concernés, des centres d’accueil et d’enregistrement dans des pays de départ et de transit.
● La migration légale peut constituer un atout pour une Europe vieillissante. Ceci pourrait prendre la forme d’une politique d’immigration de travail assumée. Redynamiser la « carte bleue » européenne constituerait une première piste au profit des travailleurs hautement qualifiés. De façon complémentaire, il paraît important de fluidifier et de sécuriser le passage des travailleurs saisonniers, comme le législateur français s’y est efforcé dans la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.
Dans une vision de plus long terme, le développement de l’immigration légale pourrait passer par la conclusion d’accords avec les pays tiers, et notamment ceux du pourtour méditerranéen.
B. RÉFORMER LE RÈGLEMENT DUBLIN III ET PROGRESSER VERS UN SYSTÈME D’ASILE UNIFORME
● Vos rapporteurs saluent l’initiative tendant à réformer le règlement Dublin III. La Commission a en effet publié en mai 2016 une proposition de révision du règlement Dublin III. Le choix a été fait de ne pas sortir de la logique de Dublin mais de prendre en compte la possibilité d’afflux massifs de demandeurs d’asile représentant une charge excessive pour les États de première entrée. Fondé sur une clé de répartition, un mécanisme correcteur serait déclenché dès qu’un seuil prédéfini serait atteint dans un État donné.
Vos rapporteurs approuvent le maintien du critère de l’État membre de première entrée. S’ils appellent de leurs vœux des progrès dans la mutualisation du contrôle des frontières extérieures, ils sont conscients que cette évolution ne peut être que de long terme.
L’introduction d’un mécanisme correcteur semble de nature à mieux anticiper les situations d’afflux. Vos rapporteurs souhaiteraient néanmoins que l’intégration d’autres critères dans la clé de répartition, tels que le taux de chômage ou le nombre de bénéficiaires déjà accueillis, soit envisagée. Ils s’opposent en revanche à tout mécanisme de compensation financière car celui-ci implique que les États membres puissent se soustraire à leurs obligations. Ils rappellent enfin l’importance de l’application par les États membres des critères d’ordre familial dans la détermination de l’État membre responsable. La proposition de réforme maintient leur caractère prioritaire.
● Une réflexion s’impose concernant un système uniforme d’asile dans l’Union européenne. L’Union européenne devrait progresser vers une harmonisation des régimes nationaux d’asile. La Commission européenne a présenté le 13 juillet dernier un « paquet asile » qui propose de refondre la directive « accueil » et d’adopter de nouveaux règlements « qualification » et « procédure ».
La proposition de règlement « procédure » suggère de rendre obligatoire l’application des notions de pays d’origine sûr, de pays tiers sûr et de pays de premier asile, sur la base de listes européennes communes. L’adoption d’une liste commune de pays d’origine sûrs représenterait un progrès dans la convergence des régimes nationaux d’asile ; en revanche, le caractère obligatoire de l’examen de recevabilité au regard des notions de pays tiers sûr et de pays de premier asile risquerait d’avoir pour conséquence une limitation de l’accès au droit d’asile. Les autorités françaises ne sont pas favorables non plus à une aide juridique gratuite dès l’examen administratif de la demande d’asile car cela allongerait les délais et poserait un problème de financement.
Indépendamment des évolutions normatives, vos rapporteurs soulignent la nécessité pour l’Union européenne de garantir un contrôle approfondi du respect par les États membres de leurs obligations dans le domaine de l’asile. À plus long terme, vos rapporteurs souhaitent que soit engagée une réflexion sur un système uniforme d’asile dans l’Union européenne, sous l’égide d’une agence européenne de l’asile indépendante et compétente pour accorder la protection internationale.
C. RENFORCER LES CONTRÔLES AUX FRONTIÈRES EXTÉRIEURES AFIN DE MIEUX GÉRER LES FLUX ET DE GARANTIR LA SÉCURITÉ DE L’ESPACE SCHENGEN
Le rétablissement de contrôles aux frontières intérieures ne constitue pas une solution pérenne. Le principe de la libre circulation ne doit pas être remis en cause. Il est donc essentiel de remédier rapidement aux déséquilibres qui affectent l’espace Schengen, en renforçant les contrôles aux frontières extérieures, de façon à mieux encadrer les flux et à garantir la sécurité.
Compte tenu de l’importance actuelle des arrivées par la route de la Méditerranée centrale, vos rapporteurs soulignent la nécessité de créer en Italie de nouveaux hotspots, disposant de capacités d’accueil plus développées.
L’utilisation des différentes bases de données est un élément essentiel de la sécurité de l’espace Schengen. Il appartient aux États membres de partager leurs informations via le SIS et la base de données d’Europol. Des progrès doivent aussi être accomplis s’agissant de l’interopérabilité des bases de données.
Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures implique de progresser vers une gestion plus intégrée de celles-ci. Vos rapporteurs se félicitent de l’adoption du règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes. La nouvelle agence créée dispose d’un mandat élargi par rapport à Frontex, incluant le déploiement d’équipes de garde-frontières en cas de défaillance d’un État membre ou de pression migratoire importante mettant en péril l’espace Schengen.
Vos rapporteurs soulignent l’importance de parvenir à un accord sur la révision du code frontières Schengen permettant des contrôles systématiques et coordonnés de l’ensemble des personnes aux frontières extérieures, proposée par la Commission européenne le 15 décembre 2015.
D. PLACER LES MIGRATIONS AU CŒUR DE PARTENARIATS AVEC LES PAYS TIERS
Les migrations devraient faire l’objet d’une approche stratégique de l’Union européenne dans le cadre de partenariats avec des pays tiers. Une dénonciation des accords du Touquet, de nature à accroître les arrivées de migrants dans le Calaisis et à encourager les traversées de la Manche, serait directement contraire à cette politique.
La conclusion d’accords de réadmission avec des pays d’origine et de transit est susceptible d’améliorer la coopération avec les pays tiers, qui doit inclure un volet consacré à la lutte contre les trafiquants de migrants. Il importe à cet égard de fournir des incitations positives aux États tiers, qui peuvent être d’ordre financier, commercial, mais peuvent aussi concerner la migration légale.
S’ils approuvent la démarche engagée par la Commission, vos rapporteurs expriment toutefois leurs réserves sur certains des pays envisagés comme partenaires, en particulier l’Afghanistan, l’Érythrée et le Soudan, qui font partie des pays dont les ressortissants ont des besoins de protection internationale élevés. Les partenariats avec les pays tiers ne doivent en aucun cas conduire à une remise en cause du respect par l’Union européenne de ses engagements internationaux en matière de droit d’asile et de défense des droits de l’homme.
L’exode d’innombrables réfugiés chassés par la guerre et par les exactions en Irak, en Syrie et en Libye, l’arrivée en Europe de plus d’un million de migrants irréguliers en 2015, les milliers de noyés en Méditerranée ne pouvaient que conduire à s’interroger sur la pertinence et l’adaptation des dispositifs de l’Union européenne en matière de gestion des flux migratoires. Pourquoi des réactions aussi tardives et en ordre si dispersé ? Pourquoi tant de divergences entre les États membres ? De tels drames humanitaires auraient-ils pu être évités ? Quel avenir pour le droit d’asile et la libre circulation en Europe ?
Ces questions, et bien d’autres, ont conduit la commission des Lois de l’Assemblée nationale à décider la création, le 16 décembre 2015, d’une mission d’information tendant à évaluer l’efficacité des mécanismes européens pour prendre en charge des flux migratoires exceptionnels. Le mandat donné à la mission ne consistait pas, bien sûr, à apporter, à elle seule, des solutions miracles, mais à poser un diagnostic précis, au-delà des caricatures, nourri par des rencontres avec les principaux acteurs du dossier et une expérience recueillie directement sur le terrain.
Les membres de la mission se sont mis au travail, menant à bien de nombreuses auditions et effectuant deux déplacements à Bruxelles, un troisième en Grèce et un dernier en Turquie. L’évolution de la situation géopolitique a accompagné les diligences de la mission, ponctuées par plusieurs décisions ou propositions de réforme émanant des instances communautaires ou encore par la conclusion entre l’Union européenne et la Turquie, le 18 mars 2016, d’un accord visant au renvoi des demandeurs d’asile jugés non admissibles.
Conformément à son intitulé, la mission a délibérément choisi d’axer son étude sur la dimension européenne du phénomène migratoire, les aspects strictement français étant traités par ailleurs. Si son champ n’incluait pas, en tant que telles, la lutte contre le terrorisme et la préservation de la sécurité des citoyens européens, cette préoccupation est toutefois demeurée présente à l’esprit des membres de la mission. Soucieuse ainsi de ne pas se disperser et de garder toute sa cohérence à sa démarche, la mission a d’abord eu pour ambition de formuler une appréciation, éclairée par une perspective historique, sur l’ampleur tant des flux migratoires que des demandes d’asile, ainsi que sur la situation humanitaire de ces milliers de personnes ayant quitté leur pays dans des conditions dramatiques. Elle a, dans un deuxième temps, souhaité analyser les réponses apportées à ces flux par l’Union européenne, que ce soit sur le plan des instruments juridiques, des mesures opérationnelles ou de la conclusion de cet accord atypique que constitue la « déclaration » du 18 mars 2016. Enfin, elle s’est attachée à tracer le cadre de ce que pourrait être une future politique commune de l’asile, de l’immigration et des frontières, passant en particulier par le développement de voies légales d’accès au territoire européen, par la conclusion de partenariats avec les pays tiers et par une réforme du régime européen de l’asile.
Parvenue au terme de ses travaux, la mission a pu prendre conscience que le caractère exceptionnel des flux migratoires auxquels l’Europe est confrontée ne devait pas conduire à oblitérer deux réalités. D’une part, les migrations constatées, certes remarquables par leur ampleur, ne sont pas sans précédents, notre continent ayant déjà eu la capacité d’absorber des vagues très significatives. D’autre part, l’immigration constituera pour les Européens, qu’on le veuille ou non, la question stratégique majeure des prochaines décennies. L’immigration pourrait d’ailleurs se révéler un atout pour une Union européenne dont le taux moyen de fécondité n’excédait pas 1,58 naissance par femme en 2014 (5) (alors que le renouvellement des générations dans les pays industrialisés requiert un taux d’au moins 2,1) et dont les besoins de main-d’œuvre dans certains secteurs sont appelés à croître au cours des années à venir. On sait ainsi que, toutes choses égales par ailleurs, l’Allemagne pourrait être confrontée à une pénurie de 1,8 million de travailleurs en 2020 et de 3,9 millions en 2040, tous secteurs confondus (6).
Rien ne serait plus faux que d’imaginer que le retour à une forme de « normalité » en Syrie ou en Irak fera disparaître la question migratoire. Il nous appartient d’apprendre à vivre avec un Moyen-Orient durablement ébranlé, un pourtour méditerranéen instable et des voisins africains en très forte croissance démographique, et de forger dès aujourd’hui les réponses à ce qui sera l’un des enjeux majeurs du XXIème siècle.
I. UN AFFLUX DE RÉFUGIÉS D’UNE AMPLEUR EXCEPTIONNELLE, À L’ORIGINE D’UNE SITUATION HUMANITAIRE CRITIQUE
Depuis 2014, le nombre de personnes ayant risqué leur vie en traversant la Méditerranée pour entrer dans l’Union européenne n’a cessé de s’accroître. La majorité de ces personnes ont fui une zone de conflit (Syrie, mais aussi Irak et Afghanistan) et espèrent obtenir une protection internationale dans un État membre de l’Union. Cet afflux – plus d’un million de personnes en 2015 – est à l’origine d’une véritable crise humanitaire qui constitue un défi tant pour l’Union européenne que pour ses États membres.
A. L’AFFLUX DE RÉFUGIÉS LE PLUS SIGNIFICATIF DEPUIS LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE
L’afflux des réfugiés vers l’Union européenne a atteint son paroxysme dans la seconde moitié de l’année 2015, avec une majorité d’arrivées par la Méditerranée orientale, concentrées en Grèce, puis le long de la route des Balkans occidentaux. Cet afflux, qui n’est pas uniquement lié au conflit syrien, mais aussi à la déstabilisation d’autres pays, est certes exceptionnel, mais pas inédit pour l’Europe, qui, par ailleurs, n’est pas la zone la plus exposée à la crise mondiale des réfugiés.
1. Des chiffres à mettre en perspective
a. Au vingtième siècle, l’Europe a déjà eu à faire face à des afflux très importants de personnes déplacées
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire récente que certains États européens sont confrontés à des afflux très importants de populations déplacées en raison de conflits ou de crises et c’est à juste titre que le XXème siècle est souvent qualifié de « siècle des réfugiés ».
Un ouvrage de l’historien allemand Klaus J. Bade rappelle l’ampleur et le contexte de ces mouvements de population (7).
Après les mouvements forcés de populations liés aux déplacements de frontières prévus par les traités de paix conclus après la première guerre mondiale – estimés à 5 millions de personnes – les pays d’Europe furent confrontés dans les années 1920 à un afflux important de réfugiés russes ayant fui l’URSS en raison de la guerre civile, de la famine et des expulsions décidées par le pouvoir soviétique. Ces réfugiés se dirigèrent principalement vers l’Allemagne, qui en 1922 en accueillait 600 000, dont 360 000 à Berlin, mais aussi dans les pays des Balkans et en France. Cette situation amena la Société des Nations (SON) à créer la première organisation internationale chargée des réfugiés, le Haut-Commissariat pour les réfugiés russes.
La guerre civile espagnole provoqua dans un premier temps le déplacement de 3 millions de personnes à l’intérieur du pays puis, en 1939, après la victoire des nationalistes, la fuite en France d’environ 500 000 républicains espagnols, dont la moitié de civils. Ils furent d’abord hébergés dans d’immenses camps, notamment à Saint-Cyprien et Argelès, qui accueillirent 180 000 réfugiés, avant la construction de nouveaux camps dans l’arrière-pays.
La seconde guerre mondiale a provoqué des mouvements forcés massifs puisque le nombre total de personnes déplacées en Europe est estimé à 50 à 60 millions. Après la guerre, un très grand nombre d’Allemands durent fuir ou furent expulsés des pays de l’Est. En 1945, ce sont ainsi 800 000 Allemands de République tchèque et 300 000 de Pologne qui arrivèrent en République démocratique allemande (RDA) et en République fédérale d’Allemagne (RFA). En 1950, à la suite des différents mouvements forcés de la fin de la guerre et des années suivantes, 12,5 millions de réfugiés et d’expulsés se trouvaient dans ces deux pays.
Plus récemment, dans les années 1990, les guerres en ex-Yougoslavie (Bosnie-Herzégovine puis Kosovo) provoquèrent un afflux de réfugiés vers les pays d’Europe de l’Ouest, en particulier vers l’Allemagne. Cet afflux eut des répercussions sur le nombre de demandes d’asile dans l’Union européenne, qui s’éleva à près de 700 000 en 1992. Globalement, de 1990 à 1999, les personnes originaires d’ex-Yougoslavie constituèrent la première population de demandeurs d’asile dans l’Union européenne, avec plus d’un million de demandes.
b. Au plan mondial, l’Europe et les autres pays industrialisés n’accueillent qu’une faible partie des réfugiés
Si les difficultés rencontrées par l’Union européenne et ses États membres en raison de l’afflux de réfugiés sont réelles, elles doivent néanmoins être relativisées au regard des chiffres mondiaux relatifs à la population de réfugiés.
Selon le rapport annuel du Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) pour 2015 (8), 86 % des 21,3 millions de réfugiés (9) se trouvent dans des pays en voie de développement. La déclaration de New York adoptée le 19 septembre dernier à l’issue du sommet des Nations Unies sur les réfugiés et les migrants souligne que les États doivent partager la responsabilité de l’accueil et de la protection des réfugiés.
La Turquie est le pays qui compte la plus grande population de réfugiés au monde (2,5 millions en 2015). Le Pakistan (1,6 million) et le Liban (1,1 million) occupent les deuxième et troisième rangs.
Au plan régional, la zone accueillant le plus grand nombre de réfugiés est l’Afrique subsaharienne (4,4 millions de réfugiés).
Enfin, les deux pays dans lesquels la proportion de réfugiés par rapport à la population est la plus élevée sont le Liban (183 réfugiés pour 1 000 habitants) et la Jordanie (87 réfugiés pour 1 000 habitants).
Ces chiffres permettent de relativiser la situation des États membres de l’Union européenne au regard de la crise mondiale des réfugiés : ceux-ci accueillaient environ 2,4 millions de réfugiés fin 2015, ce qui représente moins de 0,5 % de leur population (508 millions d’habitants).
2. Une augmentation des entrées irrégulières sur le territoire de l’Union européenne depuis 2014, qui s’est fortement accélérée en 2015
Selon les statistiques de l’agence européenne Frontex (10), plus de 280 000 passages frontaliers irréguliers ont été détectés par les États membres de l’Union européenne en 2014. Ce chiffre, qui représentait déjà un doublement par rapport au précédent record enregistré en 2011 lors des « printemps arabes », a été multiplié par plus de six en 2015 pour atteindre plus de 1 800 000 passages frontaliers irréguliers détectés.
DÉTECTIONS DE FRANCHISSEMENTS IRRÉGULIERS DES FRONTIÈRES DEPUIS 2011
Source : Agence Frontex
Les données portant sur les détections de franchissements irréguliers des frontières de l’Union européenne, certaines personnes ont été comptabilisées deux fois (entrée en Grèce puis dans un autre État membre).
Ces données doivent cependant être nuancées, un certain nombre de personnes ayant été comptabilisées deux fois, une première fois lors de leur arrivée en Grèce et une deuxième fois lorsqu’elles sont entrées à nouveau dans l’Union européenne par la route des Balkans occidentaux. Au final, l’agence Frontex estime à environ 1 million le nombre de personnes entrées illégalement en 2015.
Si elles ne coïncident pas avec les statistiques de Frontex, les données collectées par le HCR confirment néanmoins l’intensité des flux migratoires vers l’Union européenne, puisque celui-ci a évalué à plus d’1 million le nombre de personnes arrivées par la voie maritime en Méditerranée en 2015 (11). Ces arrivées ont connu une accélération très importante au deuxième semestre 2015, avec un pic de plus de 200 000 personnes au mois d’octobre.
La situation des derniers mois est marquée par un ralentissement des flux. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le nombre d’arrivées en Europe entre le 1er janvier et le 5 octobre 2016 s’élève à 333 000, ce qui représente un recul de 36 % par rapport à la même période en 2015. Les facteurs de ce ralentissement feront l’objet d’une analyse dans la deuxième partie du présent rapport.
3. Des flux migratoires composés majoritairement de réfugiés
Dès le début de ses travaux, la mission s’est interrogée sur la terminologie qu’il convenait d’employer pour décrire une situation souvent qualifiée par les commentateurs de « crise migratoire ». Conscients de l’enjeu des mots utilisés, qui influencent la perception de la situation par l’opinion publique, vos rapporteurs souhaitent rappeler, à titre liminaire, le sens des concepts de « migrant » et de « réfugié » pour éviter des confusions et des amalgames trop fréquents dans le débat public.
Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le terme de « migrant » désigne « toute personne qui, quittant son lieu de résidence habituelle, franchit ou a franchi une frontière internationale ou se déplace ou s’est déplacée à l’intérieur d’un État, quels que soient : 1) le statut juridique de la personne ; 2) le caractère, volontaire ou involontaire, du déplacement ; 3) les causes du déplacement ; ou 4) la durée du séjour. » Il s’agit donc d’un terme générique.
Dans le vocabulaire courant, ce terme est cependant souvent employé pour désigner les migrants économiques, c’est-à-dire les personnes qui quittent leur pays d’origine pour s’installer sur le territoire d’un État étranger afin d’améliorer leurs conditions d’existence. Cette notion est différente de celle de réfugiés.
Au sens de l’article 1er de la convention de Genève du 28 janvier 1951, un réfugié est une personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Il s’agit donc d’un terme juridique, désignant des personnes contraintes à la migration pour des raisons précises, limitativement énumérées par la convention de Genève, et ayant obtenu l’asile dans un autre pays que le leur. Au sens juridique, la notion de réfugié ne s’applique donc pas aux demandeurs d’asile, tant que les autorités de l’État dans lequel ils souhaitent obtenir l’asile n’ont pas encore statué sur leur demande. Cependant, au sens large, le terme de réfugié s’applique aux personnes ayant fui leur pays pour échapper aux risques de persécution mais aussi aux conflits et aux violences généralisées, indépendamment de l’obtention de l’asile dans un autre pays.
Le HCR reconnaît d’ailleurs collectivement certains groupes de personnes comme réfugiés, dans la mesure où « pendant les mouvements massifs de réfugiés (généralement dus à des conflits ou à une violence généralisée, par opposition à une persécution individuelle), la capacité de mener un entretien personnel d’asile avec chaque personne ayant traversé la frontière n’est pas suffisante - et ne le sera jamais. Cela ne s’avère d’ailleurs pas nécessaire dans la mesure où, dans de telles circonstances, la raison de leur fuite est généralement évidente. » (12) Ces réfugiés sont alors déclarés réfugiés « prima facie ».
L’un des éléments essentiels du statut des réfugiés est la protection contre tout retour dans un pays, qu’il s’agisse de leur pays d’origine ou d’un pays tiers, dans lequel ils encourraient les risques définis à l’article 1er de la convention de Genève. Ce principe, dit de non-refoulement, est affirmé par l’article 33, paragraphe 1, de la convention, selon lequel : « Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».
Les flux migratoires irréguliers vers l’Union européenne sont mixtes, c’est-à-dire qu’ils sont composés de migrants économiques et de réfugiés dépourvus de documents leur autorisant l’accès au territoire de l’État membre d’arrivée. Néanmoins, les données relatives aux pays d’origine montrent qu’ils sont majoritairement composés de réfugiés ayant fui des zones de conflit, des violences ou des persécutions. Ainsi, selon le HCR, en 2015, 84 % des personnes ayant franchi la Méditerranée provenaient de l’un des dix pays les plus « producteurs » de réfugiés. Les trois premiers pays étaient la Syrie (50 %), l’Afghanistan (21 %) et l’Irak (9 %).
PRINCIPALES NATIONALITÉS DES PERSONNES ARRIVÉES EN MÉDITERRANÉE EN 2015
Source : HCR
Depuis le début de l’année 2016, le HCR estime que 61 % des personnes arrivées en Méditerranée proviennent de l’un des dix pays à l’origine des plus grands flux de réfugiés, dont 28 % de Syrie, 14 % d’Afghanistan et 9 % d’Irak.
4. La route de la Méditerranée orientale et la route des Balkans occidentaux, principales voies d’accès à l’Union européenne
Selon les statistiques de l’agence Frontex, en 2014, la principale route utilisée par les personnes cherchant à entrer dans l’Union européenne a été la route de la Méditerranée centrale, principalement entre la Libye et l’Italie, avec plus de 170 000 entrées irrégulières détectées, soit 60 % du total des détections.
L’année 2015 a marqué une rupture, la principale route empruntée ayant été celle de la Méditerranée orientale, entre la Turquie et les îles grecques de la mer Égée, avec plus de 885 000 arrivées en Grèce. Les réfugiés ont ensuite emprunté la route des Balkans occidentaux depuis la Grèce à travers l’ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) puis la Serbie, la Hongrie ou la Croatie (après la construction d’un mur par la Hongrie à sa frontière avec la Serbie en septembre 2015) jusqu’au pays de destination souhaité dans l’Union européenne.
Le nombre de personnes ayant emprunté la route de la Méditerranée centrale a été inférieur à celui de l’année 2014 (près de 154 000, soit une baisse d’environ 10 %), les réfugiés syriens ayant préféré utiliser la route de la Méditerranée orientale. En 2015, les personnes arrivées par la route de la Méditerranée centrale provenaient principalement des pays d’Afrique subsaharienne et de la Corne de l’Afrique (25 % d’Érythrée, 14 % du Nigeria et 8 % de Somalie).
Les autres routes vers l’Union européenne (route de la Méditerranée occidentale entre le Maroc et l’Espagne, route de l’Albanie vers la Grèce, route de la Mer Noire, route des frontières orientales et route de l’Afrique occidentale vers les Canaries) sont restées relativement marginales, avec quelques dizaines à quelques milliers de passages irréguliers détectés.
Depuis le printemps 2016, la situation a évolué puisque l’essentiel des flux emprunte désormais la route de la Méditerranée centrale. Le nombre d’arrivées en Grèce a très fortement décru, passant de plus de 2 000 par jour en moyenne en janvier et février à une cinquantaine en mai.
ARRIVÉES QUOTIDIENNES EN GRÈCE ET EN ITALIE (2016)
Mois (2016) |
Arrivées quotidiennes en Grèce |
Arrivées quotidiennes en Italie |
Janvier |
2 248 |
176 |
Février |
1 984 |
132 |
1-8 Mars |
1 375 |
|
9-30 Mars |
701 |
312 (mars) |
Avril |
131 |
305 |
Mai |
47 |
643 |
Juin |
70 |
746 |
Juillet |
60 |
782 |
Août |
109 |
454 |
Septembre |
117 |
1 451 |
Source : Organisation internationale pour les migrations
Globalement, l’OIM estime à environ 333 000 le nombre d’arrivées en Europe depuis le début de 2016 dont 143 000 en Italie et 170 000 en Grèce.
5. Un afflux qui n’est pas lié uniquement à la guerre en Syrie
Le conflit en Syrie est la cause la plus évidente de l’afflux de réfugiés que connaît l’Union européenne. Depuis son déclenchement en 2011, plus de 300 000 personnes ont été tuées. Le bureau des Nations Unies pour la coordination humanitaire estime que 13,5 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire à l’intérieur du pays, dont 6 millions d’enfants. Cette situation est à l’origine d’un véritable exode puisque sur une population de 22,8 millions d’habitants avant le conflit, 6,5 millions sont déplacés à l’intérieur du pays et 4,8 millions ont fui vers un autre pays, ce qui représente la plus importante population de réfugiés dans le monde. La majorité de ces réfugiés se trouve dans les pays voisins : 3 millions en Turquie, 1,1 million au Liban et plus de 650 000 en Jordanie.
La guerre en Syrie n’est toutefois pas la seule explication à la situation actuelle :
— le conflit en Irak provoque également de vastes déplacements de population : 3,4 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays depuis 2014 et 10 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire ; 500 000 Irakiens sont des réfugiés ;
— l’Afghanistan connaît une situation de violences et d’insécurité après trois décennies de conflit : plus d’1 million de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays et le HCR estime à 2,7 millions le nombre de réfugiés, dont 1,6 se trouvent au Pakistan et 950 000 en Iran ;
— la situation des pays de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique de l’Est (Somalie, Soudan du Sud, Soudan, Érythrée), qui connaissent des conflits, des violences, une forte pauvreté, de l’insécurité alimentaire et des phénomènes climatiques de sécheresse est aussi à l’origine d’importantes migrations : le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de la région est estimé à 2 millions et le nombre de réfugiés à 1,7 million, dont 1,1 million de Somaliens.
Ayant fait le constat de la diversité des facteurs à l’origine du contexte migratoire actuel, la mission s’est interrogée sur son caractère exceptionnel ou durable.
M. Hervé Le Bras, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED) a estimé lors de son audition qu’une intensification des migrations économiques était prévisible du fait de l’élévation du niveau de formation au plan mondial, les migrants des pays du Sud étant en général des personnes qualifiées. Citant l’exemple de la population du Niger qui, selon les projections, devrait passer de 18 millions actuellement à 70 millions en 2055, il a également souligné que les facteurs démographiques devaient être pris en compte, s’agissant du Sahel et de l’Afrique équatoriale, mais qu’il n’était pas certain que ceux-ci provoquent des migrations au-delà des pays voisins. Quant aux facteurs climatiques, ceux-ci devraient avoir un effet limité sur les migrations internationales et provoquer principalement des mouvements locaux.
Les migrations liées à des facteurs géopolitiques sont certainement plus difficiles à anticiper, celles-ci dépendant de la stabilité à venir des États. M. Jean-Christophe Dumont, directeur du département migrations à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a mis en avant, devant la mission d’information, le fait que les conflits régionaux étaient aujourd’hui davantage susceptibles que par le passé de donner lieu à des migrations intercontinentales, notamment en raison de l’utilisation par les réfugiés de moyens de communication permettant une meilleure identification de leurs opportunités.
B. UNE AUGMENTATION CORRÉLATIVE DE LA DEMANDE D’ASILE
1. Une forte augmentation globale des demandes d’asile dans l’Union européenne
Le nombre de demandes d’asile enregistrées dans l’Union européenne a connu une progression modérée jusqu’en 2012, avant d’atteindre 431 000 en 2013, puis 627 000 en 2014 et le chiffre record de 1,3 million en 2015 (13). Les précédents pics qu’avait connus l’Union européenne remontent à 1992 (672 000 demandes) et 2001 (424 000 demandes).
NOMBRE DE DEMANDES D’ASILE DANS L’UNION EUROPÉENNE 2005-2015 (14)
En 2015, les trois principaux pays d’origine des primo-demandeurs d’asile ont été la Syrie (29 %), l’Afghanistan (14 %) puis l’Irak (10 %).
NATIONALITÉS DES PRIMO-DEMANDEURS D’ASILE DANS L’UNION EUROPÉENNE EN 2014 ET 2015
Source : Eurostat
Au premier semestre 2016, 592 800 premières demandes d’asile ont été enregistrées dans les États membres de l’Union européenne. Les trois principaux pays d’origine sont restés les mêmes (32,5 % de Syriens, 14,4 % d’Afghans et 11,7 % d’Irakiens).
2. Des conséquences très variables selon les États membres
En 2015, les demandes d’asile se sont concentrées dans un nombre limité d’États membres puisque cinq d’entre eux ont été responsables de l’examen de plus de 80 % des premières demandes d’asile : l’Allemagne (35 %, soit 441 800 demandes) ; la Hongrie (14 %, 174 400 demandes) ; la Suède (12 %, 156 100 demandes) ; l’Autriche (7 %, 85 500 demandes) ; l’Italie (7 %, 83 200 demandes) et la France (6 %, 70 600 demandes).
Au premier semestre 2016, 61 % des premières demandes d’asile ont été enregistrées en Allemagne, 8 % en Italie, 6 % en France, 4 % en Autriche, 3,6 % en Hongrie et 2,9 % en Grèce.
Parmi les principaux pays de destination des demandeurs d’asile en 2015, la Hongrie (+323 %), l’Autriche (+233 %), l’Allemagne (+155 %) et la Suède (+108 %) sont ceux qui ont connu la plus forte augmentation du nombre de demandes, celle-ci ayant été moindre en Italie (+31 %) et en France (+20 %).
C’est en Hongrie et en Suède que le nombre de demandes d’asile par rapport à la population a été le plus élevé.
NOMBRE DE PRIMO-DEMANDEURS D’ASILE DANS LES ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE ET LES ÉTATS ASSOCIÉS AU TITRE DU RÈGLEMENT DUBLIN III EN 2014-2015
Nombre de primo-demandeurs |
Part du total de l’UE (%) |
Nombre de primo- demandeurs par million d’habitants | |||
2014 |
2015 |
Évolution (en %) 2015 / 2014 |
2015 |
2015 | |
UE |
562 680 |
1 255 640 |
+123 % |
100,0 % |
2 470 |
Belgique |
14 045 |
38 990 |
+178 % |
3,1 % |
3 463 |
Bulgarie |
10 805 |
20 165 |
+87 % |
1,6 % |
2 800 |
Rép. tchèque |
905 |
1 235 |
+36 % |
0,1 % |
117 |
Danemark |
14 535 |
20 825 |
+43 % |
1,7 % |
3 679 |
Allemagne |
172 945 |
441 800 |
+155 % |
35,2 % |
5 441 |
Estonie |
145 |
225 |
+54 % |
0,0 % |
172 |
Irlande |
1 440 |
3 270 |
+127 % |
0,3 % |
707 |
Grèce |
7 585 |
11 370 |
+50 % |
0,9 % |
1 047 |
Espagne |
5 460 |
14 600 |
+167 % |
1,2 % |
314 |
France |
58 845 |
70 570 |
+20 % |
5,6 % |
1 063 |
Croatie |
380 |
140 |
-63 % |
0,0 % |
34 |
Italie |
63 655 |
83 245 |
+31 % |
6,6 % |
1 369 |
Chypre |
1 480 |
2 105 |
+42 % |
0,2 % |
2 486 |
Lettonie |
365 |
330 |
-10 % |
0,0 % |
165 |
Lituanie |
385 |
275 |
-29 % |
0,0 % |
93 |
Luxembourg |
1 030 |
2 360 |
+129 % |
0,2 % |
4 194 |
Hongrie |
41 215 |
174 435 |
+323 % |
13,9 % |
17 699 |
Malte |
1 275 |
1 695 |
+33 % |
0,1 % |
3 948 |
Pays-Bas |
21 780 |
43 035 |
+98 % |
3,4 % |
2 546 |
Autriche |
25 675 |
85 505 |
+233 % |
6,8 % |
9 970 |
Pologne |
5 610 |
10 255 |
+83 % |
0,8 % |
270 |
Portugal |
440 |
830 |
+89 % |
0,1 % |
80 |
Roumanie |
1 500 |
1 225 |
-18 % |
0,1 % |
62 |
Slovénie |
355 |
260 |
-27 % |
0,0 % |
126 |
Slovaquie |
230 |
270 |
+18 % |
0,0 % |
50 |
Finlande |
3 490 |
32 150 |
+822 % |
2,6 % |
5 876 |
Suède |
74 980 |
156 110 |
+108 % |
12,4 % |
16 016 |
Royaume-Uni |
32 120 |
38 370 |
+19 % |
3,1 % |
591 |
Norvège |
10 910 |
30 470 |
+179 % |
- |
5 898 |
Suisse |
21 940 |
38 060 |
+73 % |
- |
4 620 |
Source : Eurostat
L’augmentation des demandes d’asile en France en 2015 a donc été réelle mais bien moindre que dans les pays précités.
Lors de sa première audition par la mission d’information en janvier dernier, M. Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), avait indiqué que la hausse de la demande d’asile en France en 2015 était liée au contexte de la crise de l’asile dans l’Union européenne, en particulier du fait d’un volontarisme du Gouvernement en faveur de l’enregistrement des demandes d’asile à Calais et d’une augmentation de la demande d’asile à Paris, mais aussi à un effet conjoncturel s’expliquant par la réforme du premier accueil en préfecture prévue par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme de l’asile.
Auditionné à nouveau le 28 septembre dernier, M. Pascal Brice a indiqué qu’au cours des huit premiers mois de 2016, l’OFPRA avait enregistré 54 500 demandes de protection, ce qui représente une augmentation de 19,3 % par rapport aux huit premiers mois de 2015.
Pour M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France, trois facteurs peuvent expliquer cette progression : « [e]n premier lieu, la France est affectée par des mouvements secondaires au sein de l’Union européenne, ce qui se traduit par l’augmentation du nombre de personnes éligibles au règlement dit de Dublin, qui ont laissé leurs empreintes ou déjà déposé une demande d’asile auprès d’un autre pays européen. Par ailleurs, il est possible que l’accès à la procédure d’asile, saturé lorsque les flux se sont intensifiés, étale dans le temps l’effet des demandes d’asile. Enfin, nous sommes plus concernés que d’autres pays par le flux en provenance d’Italie, ce que traduit, par exemple, le nombre important de demandes d’asile déposées par des ressortissants soudanais. » (15)
L’évolution de la demande d’asile en France et ses conséquences sur le système d’asile, réformé par la loi du 29 juillet 2015, ont fait l’objet d’une analyse approfondie dans le récent rapport d’information que le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a consacré à la mise en œuvre de ses conclusions sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile (16).
La composition de la demande d’asile varie également selon les États membres :
— en 2015, près de la moitié des demandes d’asile de Syriens ont été enregistrées en Allemagne, les deux autres principaux pays d’enregistrement des demandes d’asile syriennes étant la Hongrie et la Suède ;
— la moitié des demandes d’asile d’Afghans ont été déposées en Hongrie et en Suède ;
— 60 % des demandeurs d’asile irakiens ont introduit leur demande en Allemagne, en Finlande et en Suède.
En France, les principaux pays d’origine des demandeurs d’asile en 2015 ont été le Soudan, la Syrie et le Kosovo.
C. UNE SITUATION HUMANITAIRE SOUVENT DRAMATIQUE
Le caractère dramatique des situations vécues par les migrants se mesure à l’aune des dangers que recèlent les routes maritimes, qui ont transformé la Méditerranée en véritable cimetière marin. Il transparaît aussi dans les conditions d’existence supportées par les migrants retenus en Grèce ou en Turquie, et tout spécialement dans celles imposées aux mineurs.
1. La tragédie des noyades en Méditerranée
L’horreur des noyades de migrants au cours des dernières années, dont l’Europe a brutalement pris conscience avec le décès du petit Aylan Kurdi, se reflète dans quelques chiffres. Le nombre de noyés en Méditerranée en 2015 est estimé à 3 770 personnes (17). Le caractère particulièrement meurtrier de la Méditerranée centrale (2 892 morts ou disparus en 2015 (18)) s’explique par le fait que les migrants la traversent assez souvent, semble-t-il, sur de gros navires où se pressent parfois jusqu’à 500 ou 600 personnes, qui constituent autant de victimes potentielles, alors que les embarcations utilisées sur la mer Égée contiennent en moyenne quinze à vingt personnes.
Certaines pratiques des passeurs ont encore accru les dangers d’une traversée rendue déjà très périlleuse par les caprices de la mer. Ainsi il n’était pas rare, surtout avant la mise en œuvre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016 (19), de rencontrer des « bateaux fantômes » où de nombreuses personnes s’entassaient, sans pilote expérimenté, avec tout juste assez de carburant pour s’éloigner des côtes turques et partir à la dérive. Ce comportement était d’autant plus criminel que la plupart des migrants ne savent pas nager.
Dans ce contexte, les garde-côtes aussi bien grecs que turcs ont joué, en complément des équipages de Frontex et d’ONG telles que Médecins Sans Frontières et Migrant Offshore Aid Station (MOAS), un rôle irremplaçable que vos rapporteurs tiennent à saluer. On estime à 140 000 personnes le nombre de vies sauvées par les garde-côtes grecs. Selon le colonel Murat Yılmaz Arslan, commandant des garde-côtes turcs pour toute la région de la mer Égée (soit 3 000 km de côtes très découpées), qu’une délégation de la mission a rencontré à Izmir au mois de juin dernier, ses hommes ont sauvé depuis le mois de juin 2015 la vie de 90 000 personnes (dont 8 018 depuis le 18 mars 2016) auxquelles il faut ajouter 2 000 personnes sauvées par la marine turque.
La mise en œuvre de la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016 a contribué à faire reculer nettement le nombre de morts en mer Égée. Ainsi, on a eu à déplorer la noyade de sept personnes entre le 20 mars et le 15 juin 2016, contre pas moins de 89 pour le seul mois de janvier précédent (20). De 270 décès enregistrés en mer Égée en 2015, on est passé à 11 entre la signature de la déclaration et la fin du mois de septembre 2016 (21). En revanche, on continue à déplorer de nombreux décès dans la Méditerranée dans son ensemble, évalués à 3 654 au 19 octobre 2016 par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) (22).
2. Des efforts réels de prise en charge en Grèce qui ne peuvent empêcher certains drames humains
Les migrants présents en Grèce sont pour l’essentiel, par ordre décroissant d’importance, des Syriens, puis des Afghans (leur proportion tendant à croître (23)) et, en troisième lieu, des Pakistanais. Ils se répartissent entre les îles égéennes, d’une part, et la Grèce continentale, d’autre part. Au 5 octobre 2016, leur nombre total était estimé à 60 000 personnes (24).
a. Les migrants présents dans les îles de la mer Égée
Un certain nombre de migrants se répartissent entre les cinq hotspots installés sur les îles de Chios, Lesbos, Samos, Kos et Leros (25). Au 5 octobre 2016, leur nombre global était évalué à 14 000 personnes.
Ce chiffre excède les capacités d’accueil des hotspots. À titre d’exemple, à Chios, il y a, pour 1 100 places, 4 100 migrants. À Lesbos, on compte 5 900 migrants pour 3 500 places. La persistance de ces chiffres élevés s’explique par le caractère massif, depuis l’entrée en vigueur le 20 mars dernier de la déclaration UE-Turquie, des demandes d’asile formulées dans le but d’empêcher ou de retarder un éventuel processus de reconduite en Turquie. Soumis à une forte pression, les services grecs de l’asile n’ont pas encore pu instruire toutes les demandes de protection internationale, malgré le soutien apporté par le Bureau européen d’appui à l’asile, l’EASO (26). Les nouvelles arrivées sur les îles sont en revanche en nombre très réduit.
Cette surpopulation est l’une des causes de la violence diffuse qui règne dans ces centres et qui se traduit par des incidents brutaux. Ainsi, les 14 et 15 mai, des heurts ont mis aux prises des Pakistanais et des Syriens sur l’île de Samos. Le 16 mai, une émeute a éclaté dans le hotspot de Moria (Lesbos) : des réfugiés bloqués sur l’île ont demandé à pouvoir se rendre au port du Pirée afin de poursuivre leur périple vers l’Europe. L’EASO a dû évacuer le camp de Moria à cause d’émeutes survenues durant la visite de la ministre danoise de l’immigration.
Contrairement à ce qui a parfois été écrit, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a maintenu sa présence aux côtés des réfugiés dans les hotspots afin notamment d’assurer l’information en vue de l’asile. Ses moyens sont en revanche limités pour atténuer les conséquences de la surpopulation et prévenir les éruptions de violence.
Vos rapporteurs invitent les autorités tant françaises qu’européennes à se mobiliser, en coopération avec l’État grec, en vue d’améliorer les conditions de vie dans les hotspots des îles égéennes. Le renforcement des moyens sur place de l’EASO doit en particulier se poursuivre afin d’accélérer l’instruction des demandes d’asile.
b. Les migrants se trouvant en Grèce continentale
Avant que certains pays d’Europe centrale et orientale ne ferment leurs frontières (27), le passage par la Grèce était particulièrement bref pour la plupart des migrants. Vingt-quatre ou quarante-huit heures après leur arrivée sur une île, ils franchissaient la frontière avec l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM).
La fermeture progressive de la route des Balkans au cours des premiers mois de l’année 2016 a entraîné le blocage en Grèce continentale d’un nombre sans cesse croissant d’individus (46 000 à la mi-mai 2016). Ces personnes se répartissent essentiellement entre la région athénienne (14 500 à la mi-mai) et la Grèce centrale et du nord (31 200).
La plupart de ces migrants se trouvent aujourd’hui dans des camps tenus soit par l’armée grecque, soit par les autorités civiles. Les camps construits et supervisés par l’armée sont considérés en général comme de qualité correcte. Ils sont « ouverts » en ce sens que les migrants peuvent y entrer et en sortir librement. L’armée y sert plus de 100 000 repas par jour. Ayant pu visiter ceux de Nea Kavala et de Diavata, dans la région de Thessalonique, une délégation de la mission en a rapporté un sentiment plutôt favorable.
D’autres camps sont gérés par les autorités civiles. La délégation de la mission en a retiré une impression nettement moins bonne. Elle a pu visiter celui installé dans l’ancien aéroport d’Elliniko, dans la banlieue d’Athènes. Les ONG et les autorités publiques y paraissaient absentes et la tension sous-jacente. Les migrants semblaient livrés à eux-mêmes, sans informations ni personnes pour les guider. Selon certaines sources, une grève de la faim y aurait éclaté au mois de mai (28). Dans la région athénienne également, les autorités grecques ont procédé au transfert des migrants présents au port du Pirée vers le camp de Scaramanga, situé au sud de la capitale. Le nombre de migrants présents au Pirée est passé de 4 000 à la mi-mars à 1 400 à la mi-mai. La situation à Scaramanga ne paraît guère meilleure qu’à Elliniko ; là aussi, les migrants y ont protesté contre leurs conditions de vie et, en particulier, contre la quantité et la qualité de la nourriture qui leur y est distribuée.
Il existait aussi, jusqu’aux dernières semaines du printemps 2016, un camp informel, mis en place sans l’accord des autorités grecques, à Idomeni, dans le nord de la Grèce, à la frontière gréco-macédonienne. La délégation de la mission a pu le visiter le 19 avril dernier à un moment où y vivaient environ 10 000 personnes. Improvisé, ce camp n’était nullement conforme aux normes internationales, ne serait-ce que par sa proximité immédiate avec la frontière (29). Les migrants qui y séjournaient s’accrochaient à l’espoir, nourri de rumeurs récurrentes, d’une hypothétique réouverture de la frontière. Le 10 avril, plusieurs centaines d’entre eux avaient d’ailleurs tenté de forcer le passage mais avaient été refoulés sans ménagements par la police macédonienne. La délégation de la mission a pu constater les conditions de vie extrêmement difficiles sur place où sévissaient les réseaux de contrebande, une économie parallèle, la promiscuité et les épidémies aggravées par des conditions climatiques éprouvantes. De nombreux actes de violence – rixes, viols, prostitution organisée dont sont victimes des femmes seules – lui ont été rapportés. Les autorités grecques ont fini par procéder, à partir du 24 mai 2016, à l’évacuation de ce camp vers des structures plus appropriées, situées à proximité de Thessalonique.
Enfin, en matière d’intégration des réfugiés dans la société grecque, et pour autant que la mission ait pu en juger sur place, les efforts en ce sens restent pour l’instant limités. Les perspectives en termes de scolarisation des enfants et de travail pour les migrants ayant obtenu l’asile, en particulier, apparaissent très incertaines.
3. Une mobilisation en Turquie qui laisse subsister des sujets de préoccupation
Les trois millions de réfugiés que la Turquie accueille sur son sol ne forment un ensemble homogène ni du point de vue de la nationalité, ni de celui du lieu de résidence ou encore des caractéristiques sociales. Ils reçoivent une aide substantielle de la part de différents acteurs, tant publics que privés, qui laisse toutefois subsister notamment l’enjeu de taille de la scolarisation de tous les enfants et de la lutte contre le travail des mineurs.
a. Une population de réfugiés marquée par une certaine hétérogénéité
La Turquie ayant ouvert ses frontières dès novembre 2011 aux Syriens fuyant la guerre dans leur pays, le nombre de réfugiés syriens sur le sol turc s’est fortement accru au cours des cinq dernières années pour atteindre, au 6 juin 2016, quelque 2,7 millions. Il convient d’y ajouter 300 000 réfugiés possédant une autre nationalité (30). Au total, le nombre de réfugiés présents en Turquie s’élève donc désormais à environ 3 millions de personnes. Ce chiffre place la Turquie au premier rang mondial de l’accueil de personnes en besoin de protection internationale.
Cette population réfugiée présente, à maints égards, des caractéristiques plus diversifiées que ne le laisse supposer l’image qui en est donnée dans les médias européens. Si elle est composée en grande majorité de Syriens, elle compte aussi des Irakiens (200 000), des Afghans, des Pakistanais et des personnes d’autres nationalités encore. La nationalité conditionne pour eux le niveau de protection qui leur est accordé (31). Une moitié de ces réfugiés réside dans les gouvernorats frontaliers (tels que ceux de Þanlýurfa, Hatay, Gaziantep et Kilis), et l’autre dans des grandes villes telles qu’Istanbul (notamment dans le quartier du Fatih), Ankara et Izmir.
S’agissant des réfugiés syriens, seuls 10 % d’entre eux (environ 300 000 personnes) demeurent dans l’un des vingt-six camps mis en place par les autorités turques. Les autres réfugiés sont disséminés dans les villes. Selon l’ONG turque ASAM (32), 200 000 réfugiés syriens vivraient ainsi dans et autour de la ville d’Izmir (soit le double du chiffre officiel de 96 000). Il convient de noter que, au moment de leur enregistrement, les Syriens sont rattachés à un gouvernorat ou à une ville qu’ils peuvent ensuite difficilement quitter. Les autorités turques craignent en effet que, faute d’un tel contrôle, tous les réfugiés ne rejoignent Istanbul qui en compte déjà près de 500 000.
L’absence d’homogénéité se reflète également dans les intentions manifestées par les réfugiés quant à leur avenir. Une partie des réfugiés syriens ne souhaite nullement quitter la Turquie et espère, à plus ou moins long terme, pouvoir revenir en Syrie. D’autres, ayant tout perdu — maison détruite, champ dévasté –, ne nourrissent aucun espoir de retourner chez eux. Certains, dont il est difficile d’estimer le nombre, ont un attachement très fort à la laïcité qui les rend peu enclins à s’intégrer à une société turque marquée par un retour aux valeurs de l’islam (33) et ne voient d’avenir pour eux qu’au sein de l’Union européenne.
Cette hétérogénéité transparaît également dans les caractéristiques sociales présentées par les vagues successives de migrants. D’après les responsables du centre géré par ASAM à Izmir, les réfugiés se caractérisaient, jusqu’en 2014, par un niveau d’éducation élevé, un nombre limité d’enfants (familles nucléaires), l’appartenance à une catégorie socio-professionnelle supérieure et un lieu de résidence situé souvent à Damas ou à Homs. À partir de septembre 2015, le profil a évolué. On a vu arriver davantage de familles pauvres en provenance d’Alep, Homs ou Hassaké, avec un niveau d’instruction très faible.
b. Une aide apportée par de multiples acteurs
L’aide apportée aux réfugiés en Turquie est coordonnée par la direction turque chargée des catastrophes naturelles et des situations d’urgence (AFAD), placée auprès du vice-premier ministre chargé de la crise syrienne et des réfugiés, M. Veysi Kaynak. Tous les réfugiés sont enregistrés biométriquement et reçoivent une carte d’identité qui contient leurs empreintes digitales. L’enregistrement d’un réfugié en un endroit donné lui ouvre accès à certains droits, tels que des soins gratuits, notamment hospitaliers (ce qui n’est pas le cas pour les citoyens turcs), ou une scolarisation également gratuite. À ce jour, selon les chiffres fournis à vos rapporteurs par les autorités turques, 17 millions de consultations médicales ont été prodiguées, 600 000 interventions chirurgicales ont été pratiquées et 318 écoles ont été construites au profit des réfugiés syriens.
Le gouvernement turc indique avoir, selon ses propres estimations, dépensé 10 milliards de dollars pour l’accueil des réfugiés, ce qui le placerait au troisième rang mondial pour les dépenses humanitaires. Tel est le chiffre indiqué à la délégation de la mission le 13 juin 2016 par M. Veysi Kaynak, vice-premier ministre chargé de la crise syrienne et des réfugiés. En contrepartie, la Turquie n’aurait reçu, à cette date, à titre de concours des pays étrangers, que 512 millions de dollars. Les autorités turques se sont montrées toutefois assez évasives sur le mode de calcul aboutissant à ces chiffres. Il reste que ces données ont servi d’argument dans la négociation ayant débouché sur la déclaration UE-Turquie du 18 mars, qui prévoit la mobilisation par l’Union européenne d’un financement global à hauteur de 6 milliards d’euros jusqu’à la fin de l’année 2018 en faveur des réfugiés en Turquie (34).
Les membres des organisations humanitaires rencontrés par la délégation de la mission ont souligné (35) la qualité des camps de réfugiés, gérés par l’AFAD, dont la délégation a rencontré le responsable, M. Fuat Oktay. Ils sont considérés comme étant au-dessus des normes internationales. Le plus grand d’entre eux a une capacité maximale de 30 000 places. Au demeurant, les agences des Nations Unies contribuent à cette qualité. Vos rapporteurs tiennent à souligner, à cet égard, une initiative remarquable du Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations Unies. Celui-ci a créé, en lien avec le Kızılay (Croissant rouge turc), une carte électronique alimentaire. Les réfugiés ne reçoivent plus un repas tout fait, que souvent ils apprécient peu, mais bénéficient d’un crédit sur une carte qui leur permet d’acheter les produits de leur choix dans des supermarchés ayant passé des accords avec le PAM. Répondant davantage aux vœux des réfugiés, cette initiative a en outre considérablement réduit le coût de l’aide alimentaire qui est ainsi apportée.
Cette carte électronique alimentaire se distingue de la « cash card » proposée par le HCR aux réfugiés vivant en milieu urbain. De manière classique, cette dernière donne aux réfugiés la possibilité de retirer de l’argent sur un compte. Elle présente l’avantage de leur permettre de renouer avec une certaine normalité.
À cette aide publique s’ajoute un effort de solidarité de la part de la société civile dont la délégation de la mission a eu plusieurs exemples. Elle a ainsi rencontré à Izmir une mère syrienne de huit enfants, dont le loyer était payé grâce à la seule générosité de la population locale. Pour donner une autre illustration, dans la ville de Kahramanmaraş (36), une association sert quotidiennement des repas à 6 000 réfugiés.
De même, l’ONG ASAM, dont la délégation de la mission a rencontré certains représentants, a ouvert trois centres à Izmir. Celui situé dans le quartier d’Alsancak a, depuis son ouverture en 2014, offert ses services à 58 000 réfugiés et donné 165 000 consultations (37). Employant 21 personnes (dont huit interprètes), ce centre aide en moyenne 200 réfugiés par jour, chiffre qui est monté à 1 000 durant l’été 2015. Il accompagne les réfugiés pour faciliter leur inscription auprès de la direction générale (turque) de l’administration des migrations (DGMM (38)). Un protocole a été signé à cet effet entre ASAM et la DGMM. L’inscription une fois accomplie, le centre propose au sein d’un dispensaire des services de santé de base, du soutien psychologique et des conseils en matière juridique, de planning familial ou encore de nutrition. Des kits d’hygiène, des produits de première nécessité et des paniers repas sont également distribués. Les financements sont assurés principalement par le HCR, USAid (39) et ECHO (40).
Les agences onusiennes et ECHO financent aussi des centres communautaires multi-services, offrant aux réfugiés un accompagnement juridique, médical et psycho-social. La délégation de la mission a pu visiter en particulier l’un des trois centres WGSS (41) destinés spécifiquement aux femmes. Créé par le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), ce centre est dirigé par l’université de Hacettepe. Ses locaux se trouvent dans un centre de santé familiale du ministère de la santé. Ouvert à toutes les personnes du quartier, il prodigue son aide surtout aux réfugiés syriens. Il offre des conseils juridiques (en matière, par exemple, de droits des femmes), des formations en matière de santé reproductive (les femmes ont généralement été mariées très jeunes et n’ont reçu aucune éducation dans ce domaine), des produits d’hygiène et des formations professionnelles. Il s’attache à rapprocher les réfugiés des populations locales en proposant des cours de turc. Des soins de santé de base sont également offerts. Un dentiste est présent et des campagnes de vaccination sont menées (de nombreux enfants syriens n’ont jamais été vaccinés). Les pathologies sont liées aux conditions de vie difficiles des réfugiés ainsi qu’à un manque d’hygiène généralisé (maladies parasitaires, infections respiratoires). Afin d’atteindre un plus grand nombre de personnes et de réduire la barrière de la langue, la direction choisit des « femmes-pivots » chargées de transmettre leur formation à d’autres jeunes mères syriennes.
Pour autant que la délégation de la mission ait pu en juger sur place, l’implication d’une multiplicité d’acteurs, et l’organisation efficace de l’administration turque, assurent une prise en charge correcte, en matière d’hébergement, d’alimentation et de santé, d’une partie au moins des réfugiés. Elles ont également permis la cohabitation pacifique entre les citoyens turcs et les quelque trois millions de réfugiés.
c. La Turquie face au défi de la scolarisation des enfants
Vos rapporteurs tiennent toutefois à exprimer leur préoccupation concernant la situation des enfants. Mme Esen Altuğ, directrice générale adjointe « immigration, asile et visas » au ministère turc des Affaires étrangères, a reconnu elle-même devant la délégation de la mission que les questions de logement et de nourriture étaient les plus faciles à résoudre mais que, en revanche, la scolarisation constituait un enjeu de taille. D’après les responsables d’ASAM, ce défi sera difficile à relever, compte tenu notamment de l’obstacle important que constitue la langue.
Sur l’ensemble des réfugiés présents en Turquie, et appelés à y demeurer à moyen terme, on compte 830 000 enfants d’âge scolaire. Seulement 334 000 d’entre eux sont scolarisés, dont 80 000 directement dans le système scolaire turc (et donc en langue turque (42)), 83 000 dans les camps et 176 000 pris en charge par diverses ONG. Des permis de travail ont été donnés à des enseignants syriens pour assurer des cours en langue arabe. Toutefois, 500 000 réfugiés mineurs environ ne sont pas scolarisés (43).
Le Gouvernement turc s’est fixé pour objectif de scolariser 460 000 enfants à la fin de 2016, et la totalité des enfants à la fin de 2017, que ce soit dans un système scolaire formel ou informel (les enfants ayant été longtemps déscolarisés peuvent en effet avoir besoin de réintégrer un système plus souple). Ces efforts ont été salués par la représentante de l’UNICEF en Turquie lors de ses échanges avec la délégation de la mission.
Plus grave encore que l’absence de scolarisation, le problème du travail des enfants de réfugiés, particulièrement répandu en Turquie, constitue une source d’inquiétude. La délégation de la mission a ainsi rencontré des réfugiés à Izmir dont les enfants, âgés d’une dizaine d’années, travaillaient dans un atelier de textile pour subvenir aux besoins de leurs parents. La DGMM a certes indiqué à la délégation de la mission que, s’agissant du travail des enfants, des contrôles étaient exercés tant par le ministère du travail que par les préfets et que des sanctions sévères étaient appliquées si l’on découvrait des mineurs employés illégalement dans des usines ou des ateliers. Vos rapporteurs n’en invitent pas moins les autorités françaises et européennes, notamment dans le cadre des discussions concernant l’usage des financements mobilisés par les États membres pour aider la Turquie, à se montrer vigilantes et fermes auprès de celle-ci dans ce domaine.
4. Le sort inquiétant réservé aux mineurs
Il a été indiqué à la délégation de la mission, lors de son déplacement en Grèce, qu’environ un quart des migrants présents dans le pays étaient mineurs. Ce chiffre correspond à celui avancé par l’agence européenne de coordination policière Europol, selon qui 27 % du million de migrants arrivé en Europe en 2015 était constitué de mineurs, ce qui représente près de 300 000 enfants.
Parmi ces mineurs, un certain nombre sont non accompagnés, soit parce qu’ils sont arrivés seuls, soit parce qu’ils ont perdu leur accompagnateur (un oncle, une tante, un ami de la famille, etc.) en cours de route. Selon les données publiées le 2 mai 2016 par l’agence Eurostat, sur l’ensemble des demandeurs d’asile ayant sollicité une protection internationale dans un pays de l’Union européenne en 2015, 88 300 étaient des mineurs non accompagnés. Ce phénomène est en augmentation. Ainsi, selon Eurostat (44), « alors que leur nombre s’est toujours situé entre 11 000 et 13 000 dans l’Union européenne sur la période 2008-2013, il a presque doublé en 2014 pour atteindre un peu plus de 23 000 personnes, avant de quasiment quadrupler en 2015 ». Le profil type du mineur non accompagné est un garçon afghan de 16 à 17 ans. Eurostat explique en effet : « En 2015, une forte majorité de ces mineurs non accompagnés étaient des garçons (91 %) et plus de la moitié étaient âgés de 16 à 17 ans (57 %, soit 50 500 personnes), tandis que ceux âgés de 14 à 15 ans représentaient 29 % des mineurs non accompagnés (25 800 personnes) et ceux de moins de 14 ans 13 % (11 800 personnes). Environ la moitié (51 %) des demandeurs d’asile considérés comme mineurs non accompagnés dans l’Union européenne en 2015 étaient afghans. »
Dans un rapport publié le 14 juin 2016 et intitulé « Des dangers à chaque pas (45) », l’UNICEF indique que, sur dix enfants réfugiés et migrants arrivés en Europe par l’Italie entre le 1er janvier et le 31 mai 2016, plus de neuf n’étaient pas accompagnés. 7 009 enfants non accompagnés ont effectué la traversée d’Afrique du Nord vers l’Italie au cours des cinq premiers mois de cette année, soit le double de l’année dernière.
Ces enfants sont évidemment particulièrement exposés aux risques de mauvais traitements et d’exploitation. Comme l’explique l’UNICEF, les enfants non accompagnés font en général appel à des passeurs qu’ils payent souvent en travaillant et en gagnant de l’argent au fur et à mesure de leur déplacement. Des travailleurs sociaux italiens ont rapporté à l’UNICEF que des filles aussi bien que des garçons avaient été victimes de violences sexuelles et avaient été forcés de se prostituer en Libye (46). Certaines jeunes filles, après avoir été victimes de viol, étaient enceintes quand elles sont arrivées en Italie.
Plus inquiétant encore, près de 10 000 enfants migrants non accompagnés ont, selon l’agence Europol, purement et simplement disparu à leur arrivée en Europe au cours des 18 à 24 derniers mois (47).
Vos rapporteurs invitent les autorités européennes à se saisir de cette question. Il appartient à tous les États, de départ, de transit ou d’accueil, de mettre en place des dispositifs de protection centrés sur les risques qu’encourent les mineurs, en particulier ceux qui sont non accompagnés. Le développement de voies d’accès sûres et régulières (48) doit contribuer à cet effort de protection renforcée.
S’agissant de la France, l’accueil et la protection des mineurs isolés étrangers, dont le nombre en métropole est estimé à un chiffre compris entre 8 000 et 10 000, relèvent de la compétence des départements. Ces mineurs représentent de 10 à 20 % des jeunes accueillis dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance départementale (49). Compte tenu de leur nombre, la charge est lourde pour certains départements, tel celui de la Seine-Saint-Denis, étant rappelé que ces collectivités sont déjà confrontées à des dépenses sociales obligatoires en nette augmentation. L’Assemblée des départements de France évalue à 50 000 euros par an et par enfant la prise en charge de ces mineurs, soit au total 220 millions d’euros pour 2015. La participation de l’État à la prise en charge de ces jeunes est aujourd’hui symbolique puisqu’elle se limite à un forfait de 250 euros par mineur. Vos rapporteurs préconisent que l’État accroisse fortement l’aide financière qu’il apporte aux départements au titre de l’accueil des mineurs non accompagnés. Il conviendrait également de réfléchir aux moyens d’impliquer davantage les régions dans l’accueil des mineurs étrangers isolés et des migrants dans leur ensemble.
II. DES RÉPONSES EUROPÉENNES SOUFFRANT D’UN MANQUE DE COHÉRENCE
Face à un afflux de réfugiés mal anticipé, les instruments juridiques de l’Union européenne en matière d’asile et de contrôle des frontières se sont révélés largement inadaptés et les États membres ont d’abord réagi de manière unilatérale et non coordonnée. À l’initiative de la Commission européenne, différentes mesures d’urgence ont été prises par l’Union européenne au cours de l’année 2015 mais leur efficacité a été variable. L’accord intervenu en mars 2016 avec la Turquie a joué un rôle dissuasif qui s’est traduit par une diminution très significative des flux vers la Grèce mais sa pérennité n’est pas garantie.
A. DES INSTRUMENTS JURIDIQUES INADAPTÉS, RÉVÉLATEURS D’UN MANQUE STRUCTUREL DE SOLIDARITÉ ENTRE ÉTATS MEMBRES
Le cadre législatif européen des politiques de l’asile et des frontières n’a pas permis d’apporter des réponses adaptées à l’afflux des réfugiés. Les déséquilibres engendrés par le règlement Dublin III, les divergences des systèmes nationaux d’asile et les insuffisances des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen ont conduit les États membres les plus exposés à la crise à prendre des décisions unilatérales, sans que puisse s’exprimer une solidarité européenne.
1. Le règlement Dublin III fait peser une charge excessive sur les pays de première entrée et se révèle largement inefficace
a. Un système fondé sur une hiérarchie de critères de détermination de l’État membre responsable d’une demande d’asile
La nécessité d’attribuer à un seul État membre la responsabilité de l’examen d’une demande d’asile est apparue dès les origines de l’espace Schengen. Les règles relatives à la détermination de cette responsabilité furent d’abord fixées par la convention d’application des accords de Schengen, entrée en vigueur en 1995. Cette démarche visait à garantir qu’il y ait toujours un État responsable de l’examen de la demande, de façon à éviter le phénomène des « demandeurs en orbite », mais aussi à prévenir les demandes multiples et les mouvements secondaires des demandeurs d’asile entre les États membres, rendus possibles par la libre circulation au sein de l’espace Schengen.
Ces règles ont ensuite fait l’objet d’une convention spécifique, la convention de Dublin, entrée en vigueur en 1997, elle-même remplacée en 2003 par un règlement communautaire, dit « règlement Dublin II » (50), qui reprenait ses grands principes. Celui-ci a été réformé en 2013 par le règlement « Dublin III » en vigueur depuis le 1er janvier 2014 (51).
Parallèlement, le système Eurodac, opérationnel depuis 2003 (52), vise à permettre l’identification des demandeurs d’asile et des personnes ayant franchi illégalement une frontière extérieure de l’Union européenne. Dans ce cadre, les États membres ont l’obligation d’enregistrer et de relever les empreintes digitales des personnes concernées âgées de plus de 14 ans, puis de les transmettre à la base de données Eurodac, qui permet notamment de vérifier si un demandeur d’asile a déjà déposé une demande dans un autre État membre.
Le règlement Dublin III définit les critères de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale.
Il s’agit tout d’abord de critères liés à la situation familiale du demandeur (article 8 à 10) :
— les demandes d’asile des mineurs non accompagnés doivent être examinées par l’État dans lequel se trouve légalement un membre de leur famille (parents, frères et sœurs, oncles et tantes, grands-parents), sous réserve que le regroupement familial soit dans leur intérêt supérieur ;
— lorsqu’un membre de la famille (conjoint, enfant mineur, parent d’un enfant mineur) d’un demandeur est bénéficiaire ou demandeur d’une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de la demande d’asile ;
Le deuxième critère est la possession récente d’un titre de séjour ou d’un visa délivré par un État membre, qui rend cet État responsable de la demande d’asile (article 12).
Enfin, le troisième critère est le franchissement irrégulier de la frontière d’un État membre par le demandeur en provenance d’un pays tiers, qui rend cet État membre responsable de la demande d’asile pendant un an après la date du franchissement irrégulier ; à défaut, l’État responsable est le dernier État membre dans lequel le demandeur a séjourné plus de cinq mois avant de déposer sa demande d’asile (article 13).
Plusieurs dérogations, dites « clauses discrétionnaires », sont néanmoins prévues par l’article 17 du règlement :
— tout État membre peut décider d’examiner une demande d’asile dont l’examen ne lui incombe pas en application des critères du règlement ;
— l’État membre dans lequel la demande est examinée peut, avant la première décision sur le fond, demander à un autre État membre de prendre le demandeur en charge pour des raisons humanitaires même si celui-ci n’est pas l’État responsable au sens du règlement, sous réserve de l’accord écrit des personnes concernées.
L’État membre responsable en application des critères du règlement doit prendre en charge (s’il n’avait pas déposé de demande auprès de ce dernier) ou reprendre en charge (s’il avait déposé une demande) le demandeur qui dépose une demande dans un autre État membre ou qui y séjourne irrégulièrement. Toutefois, cette obligation cesse si le demandeur a quitté cet État depuis plus de trois mois (article 19).
Les personnes faisant l’objet d’une mesure de transfert disposent d’un droit de recours suspensif contre cette décision (article 26). Elles ne peuvent être placées en rétention que s’il existe « un risque non négligeable de fuite » (article 28).
Par ailleurs, l’article 33 prévoit un mécanisme d’alerte rapide, de préparation et de gestion de crise lorsqu’il existe un « risque sérieux de pression particulière exercée sur le régime d’asile d’un État membre » ou de « problèmes de fonctionnement du régime d’asile d’un État membre ». Dans ce cas, la Commission européenne peut recommander à l’État membre concerné d’élaborer un plan d’action préventif ou un plan d’action de gestion de crise et elle assure le suivi de sa mise en œuvre.
b. Les limites du règlement Dublin III
i. Plusieurs facteurs ont concouru à l’inapplicabilité du système de Dublin dans le contexte de l’afflux de réfugiés
● La suspension des « transferts Dublin » vers la Grèce depuis 2011 en application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
Ainsi que le souligne M. Henri Labayle, professeur à l’université de Pau et des pays de l’Adour et spécialiste de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, « le présupposé immuable de la construction [du système de Dublin] est (...) des plus fragiles : elle présume que chaque État membre de l’Union est « sûr », capable d’offrir une protection conforme aux obligations qui lient l’ensemble de l’Union » (53). La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a contraint l’Union européenne à tenir compte de la possibilité de défaillances des régimes d’asile nationaux.
Dans un arrêt rendu en janvier 2011 (54), la CEDH a jugé qu’en raison des défaillances de la procédure d’asile en Grèce, le transfert d’un demandeur d’asile par la Belgique vers ce pays, au titre du règlement Dublin II, avait violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisant les traitements inhumains ou dégradants. Il revenait donc à la Belgique « de ne pas se contenter de présumer que le requérant recevrait un traitement conforme aux exigences de la Convention mais au contraire de s’enquérir, au préalable, de la manière dont les autorités grecques appliquaient la législation en matière d’asile en pratique ».
La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a retenu une jurisprudence proche dans un arrêt de décembre 2011 (55), dans lequel elle a jugé qu’« il incombe aux États membres […] de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’ "État membre responsable" au sens du règlement n° 343/2003, lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la charte [des droits fondamentaux de l’Union européenne] ».
Ces jurisprudences reconnaissent l’existence de différences substantielles entre les systèmes d’asile des États membres et excluent toute automaticité des transferts au titre du système de Dublin. Elles ont conduit l’ensemble des États membres à suspendre, depuis 2011, les transferts de demandeurs d’asile vers la Grèce. Afin de tirer les conséquences de cette situation, le règlement Dublin III inclut une « clause de sauvegarde » selon laquelle « lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable » (article 3, paragraphe 2).
En 2016, la Commission a adopté trois recommandations (56) adressées à la Grèce, dans l’objectif de rétablir les transferts au titre du règlement Dublin III d’ici la fin de l’année. Celles-ci portent en particulier sur les mesures concrètes à mettre en œuvre en matière d’accueil, d’accès à la procédure d’asile, de recours et de prise en compte des demandeurs vulnérables, en particulier des mineurs isolés. La recommandation du 28 septembre dernier souligne qu’en raison du nombre important de demandeurs d’asile présents en Grèce, l’éventuelle reprise des transferts devrait se faire de manière progressive et au cas par cas.
● Le critère de l’entrée irrégulière sur le territoire d’un État membre ne permet pas une répartition équitable des demandeurs d’asile
Ainsi que le confirme le rapport d’évaluation du règlement Dublin III (57),bien qu’il ne s’agisse pas du premier critère défini par le règlement, le critère de l’entrée irrégulière par le territoire d’un État membre est dans les faits celui le plus utilisé pour déterminer l’État membre responsable d’une demande d’asile. Le choix de ce critère, qui remonte aux origines du système de Dublin, s’explique par la volonté des États membres de lier la responsabilité de la demande d’asile et le respect par les États membres de leurs obligations en matière de contrôle des frontières extérieures. Selon le rapport d’évaluation, la faible prise en compte des critères d’ordre familial peut s’expliquer par les difficultés rencontrées par les États membres pour établir ou obtenir la preuve des liens familiaux, ainsi que pour s’accorder entre eux sur les preuves. En revanche, les données de la base Eurodac et du système d’information sur les visas (VIS), relatives à l’entrée irrégulière ou à la possession d’un visa, sont plus facilement acceptées par l’ensemble des États membres.
La prédominance du critère de l’entrée irrégulière a pour conséquence de placer la responsabilité de l’examen des demandes d’asile sur un nombre limité d’États chargés de contrôler les frontières extérieures de l’Union européenne, et en particulier, compte tenu des routes migratoires actuelles, sur la Grèce et l’Italie. Elle ne permet pas une répartition équitable des demandeurs d’asile entre les États membres, l’objectif premier étant toujours de lier la responsabilité des frontières extérieures et la responsabilité des demandes d’asile. La charge pesant sur les pays de première entrée est devenue insurmontable dans le contexte de l’afflux des réfugiés depuis 2014, ce qui a rendu totalement inapplicable le système de Dublin, qui l’était déjà en partie depuis la décision de la CEDH de 2011 précitée.
Avant que certains États membres ne décident de rétablir les contrôles à leurs frontières (58), les États de première entrée et les États de transit sur la route des Balkans occidentaux, ont appliqué une politique de « laissez-passer », c’est-à-dire qu’ils ont laissé les réfugiés transiter par leur territoire sans procéder à leur enregistrement, jusqu’à leur pays de destination souhaité. La Commission européenne estime qu’entre janvier et octobre 2015, les autorités des États membres n’ont procédé au relevé des empreintes digitales, prévu par le règlement Eurodac, que de 23 % des personnes ayant franchi irrégulièrement des frontières (59).
En août 2015, la décision unilatérale de la chancelière Mme Angela Merkel d’accueillir en Allemagne les réfugiés qui souhaitaient y demander l’asile a également illustré l’abandon du système de Dublin par les États membres confrontés à l’afflux des réfugiés.
ii. Les faiblesses préexistantes du règlement Dublin III
● Les mouvements secondaires sont restés fréquents
La prévention des demandes multiples et des mouvements secondaires de demandeurs d’asile était, dès l’origine, l’un des objectifs assignés au système de Dublin. Cependant, les données relatives à la répartition des demandes d’asile dans les États membres de l’Union européenne, déjà citées (60), montrent bien que les critères de responsabilité établis par le règlement Dublin III ne sont pas pleinement appliqués, puisque, avant même l’afflux de 2015, les États membres qui recevaient le plus grand nombre de demandes d’asile n’étaient pas ceux situés aux frontières extérieures de l’Union européenne.
Le règlement Dublin III n’a pas permis d’éviter les mouvements secondaires de demandeurs d’asile dans l’Union européenne :
— en 2014, 24 % des demandes d’asile étaient des demandes multiples et ce taux était de 35 % en 2013 ;
— au-delà, de nombreuses personnes en recherche de protection évitent d’être enregistrées dans un pays où elles ne souhaitent pas demander l’asile, pour ne pas risquer d’y être transférées en application du règlement Dublin III, et poursuivent leur chemin jusqu’au pays de destination souhaité ;
— il est également fréquent que des demandeurs transférés vers un autre État membre en application du règlement Dublin III reviennent irrégulièrement dans le pays de destination souhaité, qui redevient responsable de leur demande après un délai de trois mois.
Cette situation peut s’expliquer par le fait que les critères retenus pour l’application du règlement Dublin III ne prennent pas suffisamment en compte la situation du demandeur, en particulier sa situation familiale, ainsi que l’ont souligné les représentants des associations membres de la coordination française pour le droit d’asile, entendues par la mission d’information. D’autres facteurs, tels que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, peuvent également expliquer les mouvements secondaires (61).
● L’application du règlement Dublin III ne permet pas une véritable redistribution des demandes d’asile entre États membres
Selon le rapport de l’EASO pour 2014 (62), de 2009 à 2013, 55 000 demandes de transferts au titre du règlement de Dublin ont été faites annuellement par les États membres mais 26 % seulement de ces demandes ont donné lieu à un transfert physique, soit environ 4 % des demandeurs d’asile. De nombreuses demandes sont en effet rejetées en raison de divergences des États membres s’agissant des preuves.
De plus, l’efficacité du système de Dublin semble limitée en raison des effets de compensation : les États membres peuvent en effet demander et obtenir le transfert de certains demandeurs d’asile vers un autre État mais ils doivent également accepter des demandes de prise en charge ou de reprise en charge qui leur sont adressées. En 2014, les transferts nets de l’Allemagne ont été positifs (1 119 transferts) et ceux de la France négatifs (- 827). Au total, les flux de transferts nets sont de très faible ampleur et montrent que les effets redistributifs sont très limités.
TRANSFERTS NETS AU TITRE DU RÈGLEMENT DUBLIN III EN 2014
Source : Bureau européen d’appui en matière d’asile
2. L’absence d’harmonisation des régimes d’asile nationaux favorise d’importants mouvements secondaires
a. Un cadre législatif européen récemment révisé
L’action de l’Union européenne en matière d’asile est récente : ce n’est en effet qu’avec le traité d’Amsterdam, entré en vigueur en 1999, qu’a été créée une compétence communautaire en matière d’asile. Dans le traité de Maastricht, la politique d’asile relevait d’un pilier intergouvernemental. Le traité d’Amsterdam a prévu l’adoption de « normes minimales » dans différents domaines : l’accueil des demandeurs d’asile, les conditions à remplir pour obtenir le statut de réfugié et l’octroi d’une protection temporaire aux personnes déplacées. Dans le programme de Tampere d’octobre 1999, le Conseil européen avait affirmé qu’après cette première phase, « à terme, les règles communautaires devraient déboucher sur une procédure d’asile commune et un statut uniforme, valable dans toute l’Union, pour les personnes qui se voient accorder l’asile. »
Une première génération de textes législatifs européens a été adoptée entre 2003 et 2005 : la directive relative aux conditions d’accueil des demandeurs du 27 janvier 2003 (63), la directive « qualification » du 29 avril 2004 (64) et la directive « accueil » du 1er décembre 2005 (65).
En 2001, le Conseil avait adopté une directive organisant un mécanisme de protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées (66). Les discussions sur ce régime de protection avaient été engagées dans le contexte du conflit en ex-Yougoslavie et de la crise du Kosovo, qui avaient provoqué un afflux très important de personnes déplacées dans les États membres au cours des années 1990.
La directive « protection temporaire » de 2001
La directive du 20 juillet 2001, toujours en vigueur, prévoit que la protection temporaire est mise en œuvre lorsque le Conseil constate, sur proposition de la Commission, un afflux massif de personnes déplacées. La durée de la protection temporaire est d’une année et elle peut être prolongée pour deux périodes de six mois.
La protection temporaire ne préjuge pas de la reconnaissance du statut de réfugié, qui peut par ailleurs être sollicité par les personnes concernées. Les États membres peuvent décider qu’elles ne peuvent pas bénéficier en même temps de la protection temporaire et du statut de demandeur d’asile.
Les bénéficiaires de la protection temporaire ont droit à un titre de séjour valable pendant la durée de la protection, ils accèdent au marché du travail, au logement, ainsi qu’aux aides sociales et médicales. Ils ont droit au regroupement familial et les mineurs ont accès à l’éducation.
La directive prévoit que les États membres indiquent leurs capacités d’accueil avant la décision du Conseil mettant en œuvre la protection temporaire et qu’ils coopèrent entre eux pour le transfert de personnes protégées d’un État membre à un autre, sous réserve de l’accord de ces dernières.
La protection temporaire n’a jamais été mise en œuvre depuis l’adoption de la directive en 2001.
Dans le programme de La Haye (2004), le pacte européen sur l’immigration et l’asile (2008) et le programme de Stockholm (2009), le Conseil européen a réaffirmé l’objectif d’une procédure d’asile commune et d’un statut uniforme des demandeurs d’asile, tandis qu’en juin 2008, la Commission européenne a initié les négociations sur un nouveau « paquet asile ».
Parallèlement, le traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009, a marqué une étape supplémentaire en affirmant que l’Union européenne « développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle aux frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l’égard des ressortissants des pays tiers » (article 67, paragraphe 2 du TFUE). La politique de l’asile, qui s’inscrit dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice, est une compétence partagée entre l’Union et les États membres (article 4 du TFUE). L’article 78 prévoit que l’Union européenne développe cette politique commune « de façon à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le principe du non-refoulement » et conformément à la convention de Genève et aux autres traités internationaux pertinents. Son objectif n’est plus seulement la définition de normes minimales mais l’adoption d’un « système européen commun d’asile ». Celui-ci comprend :
« a) un statut uniforme d’asile en faveur de ressortissants de pays tiers, valable dans toute l’Union ;
b) un statut uniforme de protection subsidiaire pour les ressortissants des pays tiers qui, sans obtenir l’asile européen, ont besoin d’une protection internationale ;
c) un système commun visant, en cas d’afflux massif, une protection temporaire des personnes déplacées ;
d) des procédures communes pour l’octroi et le retrait du statut uniforme d’asile ou de protection subsidiaire ;
e) des critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile ou de protection subsidiaire ;
f) des normes concernant les conditions d’accueil des demandeurs d’asile ou de protection subsidiaire ;
g) le partenariat et la coopération avec des pays tiers pour gérer les flux de personnes demandant l’asile ou une protection subsidiaire ou temporaire. »
Le cadre législatif de la politique commune de l’asile a été réformé entre 2011 et 2013.
Outre les règlements Dublin III et Eurodac, déjà évoqués, cette réforme comprend trois directives :
— la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dite directive « qualification » ((67), qui définit les conditions pour bénéficier d’une protection internationale et le contenu de cette protection ;
— la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 dite directive « procédures » (68), qui fixe les règles relatives à l’examen des demandes de protection internationale en première instance et en appel au sein des États membres ;
— la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 dite directive « accueil » (69), qui prévoit les conditions d’accueil des demandeurs d’asile pendant l’examen de leur demande.
Les États membres devaient transposer les directives « accueil » et « procédures » au plus tard en juillet 2015. En France, cette transposition a été opérée par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.
• La directive « qualification » du 13 décembre 2011
La directive « qualification » définit les conditions d’accès au statut de réfugié en s’appuyant sur la convention de Genève. Elle définit les notions de « persécutions » et les motifs de persécution. Elle apporte certaines précisions par rapport à la directive « qualification » de 2004, notamment sur la notion de « groupe social », qui peut être fondée sur le genre ou l’orientation sexuelle, et sur les acteurs des persécutions, qui peuvent être des acteurs non étatiques.
Est également précisée la notion d’ « asile interne » selon laquelle un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsqu’il n’a pas de risques d’être persécuté ou de subir des atteintes graves dans une partie de son pays d’origine. Lors de l’examen de la demande, les États membres doivent tenir compte des conditions générales dans le territoire concerné, en s’appuyant sur les informations du HCR et de l’EASO, ainsi que de la situation personnelle du demandeur.
La directive définit les conditions d’accès à la protection subsidiaire, statut créé par la directive « qualification » de 2004. La protection subsidiaire est une protection accordée à une personne ne remplissant pas les critères pour bénéficier du statut de réfugié au sens de la convention de Genève mais ne pouvant retourner dans son pays d’origine car elle craint d’y subir des « atteintes graves » telles que la peine de mort, l’exécution, la torture ou les traitements inhumains ou « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Elle fixe également les normes relatives au statut des bénéficiaires d’une protection internationale, qui est en grande partie commun aux bénéficiaires du statut de réfugié et aux bénéficiaires d’une protection subsidiaire : tous ont accès à l’emploi, à l’éducation, aux soins de santé, au logement et aux dispositifs d’intégration.
S’agissant des titres de séjour, les bénéficiaires du statut de réfugié ont droit à un titre de séjour d’au moins trois ans renouvelable tandis que les bénéficiaires d’une protection subsidiaire se voient délivrer un titre de séjour d’au moins un an, renouvelable pour une période d’au moins deux ans.
En matière de protection sociale, les États membres peuvent limiter aux « prestations essentielles » les aides accordées aux bénéficiaires de la protection subsidiaire.
Les membres de la famille (conjoint, partenaire non marié, enfants non mariés et adulte légalement responsable d’un mineur non marié) d’une personne bénéficiaire d’une protection internationale bénéficient des mêmes avantages que cette personne.
• La directive « procédures » du 26 juin 2013
La révision de la directive relative aux procédures d’asile a eu pour objectif de renforcer leur efficacité et de les rendre plus rapides, tout en permettant de progresser vers des normes communes offrant de meilleures garanties aux demandeurs d’asile.
La directive affirme le principe de l’accès à la procédure d’asile et fixe à trois jours le délai d’enregistrement d’une demande d’asile. Le demandeur a le droit de rester dans l’État membre pendant l’examen de la demande d’asile.
Elle définit précisément les modalités de l’entretien personnel du demandeur avec l’autorité nationale chargée d’examiner la demande d’asile en première instance. Celui-ci doit se dérouler dans des conditions garantissant la confidentialité et avec une personne compétente pour tenir compte de la situation personnelle et générale dans laquelle s’inscrit la demande (origine culturelle, genre ou orientation sexuelle, identité de genre, vulnérabilité du demandeur). Les demandeurs doivent bénéficier d’un interprète.
L’examen de la demande en première instance doit se dérouler dans un délai maximum de six mois. Cependant, diverses dérogations permettant de prolonger ce délai sont prévues :
— le délai peut être porté à 15 mois si des questions factuelles ou juridiques complexes se posent ou en cas d’afflux de demandes ;
— exceptionnellement, il peut être de 18 mois « dans des circonstances dûment justifiées » ;
— la décision peut être différée en raison d’une situation incertaine temporaire dans le pays d’origine, sans que la durée de l’examen ne puisse dépasser 21 mois.
La directive renforce le droit à l’information des demandeurs d’asile : ceux-ci doivent être informés de la possibilité de déposer une demande d’asile lorsqu’ils se trouvent à la frontière ou dans des centres de rétention si des éléments donnent à penser qu’ils peuvent le souhaiter ; après le dépôt d’une demande, ils doivent être informés sur la procédure, sur leurs droits et obligations et sur le calendrier et ils peuvent bénéficier, sur demande, d’informations juridiques et procédurales gratuites.
Les autorités nationales responsables ne sont pas obligées d’examiner les demandes irrecevables dans quatre cas :
— s’il s’agit d’une nouvelle demande n’apportant pas d’élément nouveau ;
— si le demandeur vient d’un « premier pays d’asile » (article 35) ;
— s’il vient d’un « pays d’origine sûr » (articles 36 et 37) ;
— s’il vient d’un « pays tiers sûr » (article 38).
Les concepts de premier pays d’asile, de pays d’origine sûr et de pays tiers sûr dans la directive « procédures »
Les articles 36 et 37 de la directive autorisent les États membres à désigner dans leur droit national des « pays d’origine sûrs ». L’annexe I de la directive précise qu’« un pays est considéré comme un pays d’origine sûr lorsque, sur la base de la situation légale, de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément, il n’y est jamais recouru à la persécution telle que définie à l’article 9 de la directive 2011/95/UE, ni à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence aveugle dans des situations de conflit armé international ou interne. »
Le concept de « pays d’origine sûr » ne peut être appliqué qu’aux demandeurs ayant la nationalité de ce pays ou aux apatrides dont c’était le pays de résidence.
Les « premiers pays d’asile » et les « pays tiers sûrs » sont des pays par lesquels le demandeur a transité et vers lesquels les États membres sont autorisés à les renvoyer.
En application de l’article 35 de la directive, un « premier pays d’asile » est un pays dans lequel le demandeur bénéficie du statut de réfugié ou d’une « protection suffisante », incluant le principe de non-refoulement.
L’article 38 définit la notion de « pays tiers sûr » : il s’agit d’un pays dans lequel :
« a) les demandeurs n’ont à craindre ni pour leur vie ni pour leur liberté en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques ;
b) il n’existe aucun risque d’atteintes graves au sens de la directive 2011/95/UE ;
c) le principe de non-refoulement est respecté conformément à la convention de Genève ;
d) l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y est respectée ; et
e) la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la convention de Genève. »
Dans certains cas limitativement énumérés, les États membres peuvent décider de procédures à la frontière et/ou de procédures accélérées, notamment lorsque le demandeur vient d’un pays d’origine sûr ou lorsqu’il refuse de donner ses empreintes digitales.
Les demandeurs dont la demande a été rejetée en première instance ont droit à un recours effectif et à une assistance juridique gratuite. Le recours est suspensif, sauf en cas de demande manifestement infondée ou irrecevable. Dans ce cas, le juge compétent doit décider si le demandeur a le droit de rester sur le territoire pendant la procédure.
• La directive « accueil » du 26 juin 2013
La révision de la directive « accueil » a eu pour objectif d’introduire « des normes pour l’accueil des demandeurs qui suffisent à leur garantir un niveau de vie digne et des conditions de vie comparables dans tous les États membres » (70), de façon à limiter les mouvements secondaires des demandeurs d’asile. La directive s’applique à tous les demandeurs d’une protection internationale, qu’il s’agisse de l’asile ou de la protection subsidiaire.
Les États membres doivent garantir l’accès des demandeurs d’asile à des conditions matérielles d’accueil assurant « un niveau de vie adéquat qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale ». Ces conditions matérielles d’accueil incluent le logement, la nourriture et l’habillement, fournis en nature ou sous forme d’allocations financières, ainsi qu’une allocation journalière.
Les États membres doivent prendre en compte la situation particulière des personnes vulnérables (71) et évaluer leurs besoins particuliers en matière d’accueil.
Les demandeurs de protection internationale doivent avoir accès aux soins de santé. Ils bénéficient également d’un accès au marché du travail dans un délai de neuf mois après le dépôt de la demande (au lieu de douze mois dans la première directive « accueil »). Les mineurs doivent accéder à l’éducation.
La directive encadre le placement en rétention des demandeurs d’asile. Celui-ci ne peut être décidé que sur la base d’une appréciation au cas par cas et dans des circonstances limitativement énumérées : établissement ou vérification de l’identité ou de la nationalité, risque de fuite, procédure à la frontière, « motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour », protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public, rétention aux fins de transfert au titre du règlement Dublin III. Les mineurs non accompagnés ne peuvent être placés en rétention que dans des circonstances exceptionnelles.
Lorsque la décision de placement en rétention est prise par des autorités administratives, elle est soumise à un contrôle juridictionnel accéléré. La rétention fait également l’objet d’un contrôle juridictionnel à intervalles réguliers. Ces contrôles peuvent être prévus d’office et/ou à la demande de la personne concernée, qui bénéficie d’une assistance juridique gratuite.
b. Des régimes d’asile nationaux très différents
Malgré l’objectif affiché depuis le programme de Tampere d’un « régime d’asile européen commun », la situation de l’asile en Europe reste très hétérogène.
En 2015, le taux d’octroi d’une protection internationale en première instance dans l’Union européenne a été en moyenne de 52 %, soit une progression significative par rapport aux taux de 2013, 35 % et 2014, 47 %.
Cependant, les taux d’octroi de la protection internationale en première instance varient très fortement selon les États membres, puisqu’ils sont compris entre 13 % (en Lettonie) et 91 % (en Bulgarie). Ce taux est de 26 % en France, 37 % au Royaume-Uni, 42 % en Italie, 57 % en Allemagne, et 72 % en Suède (72).
Ces divergences s’expliquent en partie par les nationalités différentes des demandeurs d’asile selon les États membres. Néanmoins, les taux d’octroi varient également au sein d’une même nationalité : si les États membres semblent avoir des approches similaires s’agissant des réfugiés syriens (97 % de taux d’octroi en moyenne) et érythréens (89 % en moyenne), le taux d’octroi d’une protection internationale varie en revanche de 21 à 98 % pour les Irakiens et de 14 à 96 % pour les Afghans (73).
Les États membres ont également des pratiques différentes s’agissant du type de protection accordée. Ainsi, en 2015, l’Allemagne a exclusivement accordé le statut de réfugié aux demandeurs syriens, tandis que la Suède leur a presque uniquement accordé la protection subsidiaire.
Enfin, les procédures et les conditions d’accueil sont très variables selon les États membres. Ces divergences s’expliquent par les marges laissées aux États par les directives « procédures » et « accueil », qui comportent de nombreuses clauses facultatives, mais aussi par une application inégale de l’acquis en matière d’asile, dont un pan entier prend la forme de directives, nécessitant des mesures de transposition en droit national. Ces difficultés ne sont pas nouvelles, l’application de la première génération de normes européennes relatives à l’asile, qui étaient pourtant des normes minimales, ayant également été très inégale.
Cette situation pourrait s’expliquer par le fait que le contrôle de l’application du droit de l’UE en matière d’asile par la Commission européenne n’a pas, par le passé, été aussi strict que dans d’autres politiques. Ainsi, pour M. Henri Labayle, « c’est bien là que le bât blesse avant tout, sur le terrain de la sanction des obligations contractées. Prompte à dégainer le recours en constatation de manquement à propos du marché intérieur, la Commission s’est avérée beaucoup plus prudente en matière de contrôle des frontières ou d’asile (....) » (74).
Cette tendance semble s’inverser, la Commission européenne ayant annoncé en février 2016, qu’elle avait pris 58 nouvelles décisions (lettres de mise en demeure ou avis motivés) relatives à l’application de la législation en matière d’asile depuis septembre 2015 (75). Ces décisions ont concerné la transposition des directives « qualification », « procédures » et « accueil » mais aussi les règlements Dublin III et Eurodac, ainsi que la directive « retour » (76).
Les divergences des régimes nationaux d’asile constituent un facteur supplémentaire des mouvements secondaires des demandeurs d’asile et de la concentration des demandes dans un nombre limité d’États membres. Toutefois, d’autres facteurs sont également à prendre en compte, comme la présence d’une diaspora dans le pays d’accueil, la langue, ainsi que les perspectives du marché du travail telles qu’elles peuvent être perçues par les demandeurs d’asile.
3. L’absence de mutualisation des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen a conduit plusieurs États membres à rétablir les contrôles aux frontières intérieures
i. Des principes fixés dans les traités
L’accord de Schengen, signé le 14 juin 1985 par la France, la République Fédérale d’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, et la convention d’application de cet accord, signée le 19 juin 1990 et entrée en vigueur en 1995, sont à l’origine de l’espace de libre circulation en Europe, dit « espace Schengen ». L’acquis de Schengen a été intégré aux traités européens depuis le traité d’Amsterdam, entré en vigueur en 1999. Cependant, la non-participation de certains États de l’Union européenne a fait de l’acquis de Schengen une coopération renforcée, comme l’indique explicitement le protocole n° 19 annexé au TFUE.
La politique relative aux frontières est actuellement définie par l’article 77 du TFUE. Comme les autres politiques relevant de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, elle est une compétence partagée entre l’Union et les États membres.
Ses objectifs sont les suivants :
— assurer l’absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures ;
— assurer le contrôle des personnes et la surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures ;
— mettre en place progressivement un système intégré de gestion des frontières extérieures.
Les mesures prises par le Parlement européen et le Conseil portent sur :
— la politique commune de visas et d’autres titres de séjour de courte durée ;
— les contrôles des personnes aux frontières extérieures ;
— les conditions dans lesquelles les ressortissants des pays tiers peuvent circuler librement dans l’Union pendant une courte durée ;
— l’établissement progressif d’un système intégré de gestion des frontières extérieures ;
— l’absence de contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures.
26 États participent aujourd’hui à l’espace Schengen : 22 États membres de l’Union européenne (77) et quatre États associés (la Norvège, l’Islande, la Suisse et le Liechtenstein, également associés à l’acquis de Dublin/Eurodac).
ii. L’espace Schengen repose sur la confiance mutuelle entre États membres s’agissant des contrôles aux frontières extérieures
Le règlement (UE) 2016/399 du 9 mars 2016 dit « code frontières Schengen » (78), régit le franchissement des frontières extérieures et intérieures de l’espace Schengen. Ce dernier a abrogé, pour codification, le premier code frontières Schengen, qui datait de 2006 et avait été modifié à plusieurs reprises (79).
Le règlement prévoit que les frontières extérieures ne peuvent être franchies qu’aux points de passage frontaliers et durant les heures d’ouverture fixées (article 5) et que les contrôles relèvent des États membres, qui sont tenus de mettre en place des effectifs et des moyens appropriés et suffisants, de manière à assurer un contrôle efficace, de haut niveau et uniforme (article 15).
Le code frontières définit avec précision les normes de contrôle aux frontières extérieures. Les citoyens de l’Union européenne et les autres personnes bénéficiant du droit à la libre circulation en vertu de la législation de l’Union européenne font l’objet d’une vérification minimale, visant à établir leur identité sur la base de leurs documents de voyage. Elle consiste en un examen simple et rapide de la validité des documents (comprenant, le cas échéant, la consultation de bases de données relatives aux documents volés, détournés, égarés et invalidés) et de la présence d’indices de falsification ou de contrefaçon. Les garde-frontières peuvent toutefois, d’une manière non systématique, consulter les bases de données nationales et européennes afin de s’assurer que ces personnes ne représentent pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité intérieure, l’ordre public ou les relations internationales des États membres, ou une menace pour la santé publique.
Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d’une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, les ressortissants des pays tiers doivent être en possession d’un document de voyage, ainsi que d’un visa si celui-ci est requis, justifier l’objet du séjour envisagé et disposer des moyens de subsistance suffisants. Ils ne doivent pas être signalés aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen (SIS) ni être considérés comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique et les relations internationales des pays de l’Union européenne. Ils sont soumis à une vérification approfondie, qui comporte la vérification des conditions d’entrée, notamment une vérification dans le système d’information sur les visas (VIS), le cas échéant. Cette vérification comprend également la consultation directe des données et des signalements relatifs aux personnes et, si nécessaire, aux objets intégrés dans le SIS et dans les fichiers de recherche nationaux ainsi que, le cas échéant, de la mesure à prendre à la suite d’un signalement.
Les vérifications aux frontières extérieures peuvent faire l’objet d’un assouplissement en raison de circonstances exceptionnelles et imprévues (article 9)80.
Les contrôles aux frontières doivent respecter le principe du non-refoulement s’agissant des demandeurs d’asile (article 3).
Les refus d’entrée doivent faire l’objet de décisions motivées, notifiées par un formulaire uniforme. Elles doivent être susceptibles de recours mais ceux-ci sont non suspensifs (article 14).
Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité (article 22).
Les règles de franchissement des frontières reposent donc sur un principe de confiance mutuelle entre États membres, l’absence de contrôles aux frontières intérieures ayant pour corollaire la mise en œuvre de contrôles efficaces par les États ayant la charge d’une frontière extérieure. Ainsi que le soulignait M. Yves Pascouau, chercheur au European Policy center, dans une étude de 2012, ce principe remonte aux origines de l’espace Schengen : « c’est justement la confiance mutuelle qui est à l’origine de la coopération Schengen. En effet, la France et l’Allemagne considéraient que les contrôles exercés aux frontières extérieures par chaque partenaire étaient suffisants et similaires pour accepter de lever les contrôles aux frontières communes – ou intérieures – entre les deux États. Ainsi, il n’y avait aucune raison que la France doute des contrôles exercés par les autorités allemandes et, par conséquent, une personne admise à circuler en Allemagne l’était tout aussi valablement en France, et vice versa. » (81)
Le code frontières Schengen autorise néanmoins certaines dérogations à la libre circulation au sein de l’espace Schengen.
L’article 25 prévoit la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen par un État membre en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure de cet État :
— le rétablissement peut porter sur tous les tronçons ou sur certains tronçons spécifiques des frontières intérieures ;
— la durée maximale est de trente jours ou correspond à la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure ; elle peut être prolongée pour des périodes renouvelables de trente jours maximum, sans excéder six mois ;
— le rétablissement n’intervient qu’en dernier recours ; sa portée et sa durée ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave.
En application de l’article 27, l’État membre doit notifier son intention de rétablir le contrôle aux autres États membres et à la Commission européenne dans un délai de quatre semaines avant la réintroduction, sauf si les circonstances sont connues moins de quatre semaines avant la date prévue.
La notification doit préciser les motifs de la réintroduction, sa portée (tronçons de frontières concernés), les points de passage autorisés, la date et la durée de la réintroduction et, éventuellement, les mesures devant être prises par les autres États membres. L’État membre peut décider de classifier une partie de ces informations, conformément à son droit national. La Commission européenne peut demander des informations complémentaires.
Une consultation est organisée entre l’État membre concerné, les autres États membres et la Commission européenne.
La Commission européenne ou tout État membre peut émettre un avis sur la réintroduction envisagée.
Quatre semaines après la levée du contrôle aux frontières intérieures, l’État concerné doit présenter un rapport au Parlement européen, au Conseil et à la Commission. Celle-ci peut émettre un avis.
Si la menace requiert une action immédiate (article 28), l’État membre peut rétablir le contrôle pour une durée maximale de dix jours, pouvant être prolongée pour des périodes de 20 jours maximum, n’excédant pas deux mois au total. La réintroduction est notifiée de manière simultanée dès la première mise en œuvre et la procédure prévue à l’article 27 s’applique en cas de prolongation.
Enfin, l’article 29 prévoit une procédure spécifique en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace Schengen du fait de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures82. Dans cette hypothèse, le contrôle peut être réintroduit pour une durée maximale de deux ans, par périodes de six mois renouvelables.
La réintroduction du contrôle résulte d’une recommandation du Conseil à un ou plusieurs États membres, sur proposition de la Commission européenne.
Cette disposition fut introduite en 2013 après les difficultés suscitées en Italie et en France par l’afflux de Tunisiens à la suite du « printemps arabe » mais elle n’avait jamais été appliquée jusqu’à présent.
La politique de contrôle des frontières de l’Union européenne inclut également un volet opérationnel. L’agence Frontex a été créée par le règlement (CE) n° 2007/2004 du 26 octobre 2004, et s’est vue confier des missions élargies par le règlement (UE) n° 2011/1168 du 25 octobre 2011 (83).
Ses missions concernent en particulier :
— l’assistance aux États membres dans les situations qui exigent une assistance technique et opérationnelle renforcée aux frontières extérieures, qui peuvent relever de cas d’urgence et de sauvetages en mer ;
— l’assistance technique et opérationnelle, en particulier aux États membres exposés à des pressions spécifiques et disproportionnées ;
— l’organisation et le déploiement d’équipes européennes de gardes-frontières devant être déployées dans le cadre d’opérations conjointes, de projets pilotes et d’interventions rapides ;
— l’assistance nécessaire et, à la demande des États membres participants, la coordination ou l’organisation des opérations de retour conjointes.
b. L’afflux de réfugiés a conduit plusieurs États membres à rétablir en urgence des contrôles aux frontières intérieures
Ainsi que l’indiquait la Commission européenne en mars 2016 (84), entre septembre 2015 et janvier 2016, huit États membres de l’espace Schengen ont décidé unilatéralement de rétablir les contrôles à leurs frontières intérieures, en raison de l’afflux de personnes dépourvues de documents, non enregistrées lors de leur première entrée sur le territoire de l’Union européenne : la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, la Hongrie, l’Autriche, la Slovénie, la Suède et la Norvège.
Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de la France s’est fondé sur des raisons différentes : une première notification a été justifiée par la tenue de la COP 21 (du 13 novembre au 13 décembre 2015), puis une deuxième par les attentats de novembre 2015 et l’état d’urgence (du 14 décembre 2015 au 26 mai 2016), une troisième par la tenue de l’Euro 2016 et du Tour de France (du 27 mai 2016 au 26 juillet 2016) et une quatrième par la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 26 janvier 2017 à la suite de l’attentat de Nice.
Les décisions de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures liées à l’afflux de réfugiés se sont toutes placées dans le cadre des dérogations autorisées par le code frontières Schengen. Initialement fondées sur l’article 28, autorisant une action immédiate ne pouvant excéder deux mois, elles ont ensuite été prolongées en application de l’article 25, prévoyant un rétablissement des contrôles pour une durée maximale de six mois, en raison d’événements prévisibles.
Ces décisions ont été notifiées à la Commission européenne, qui a publié en octobre 2015 une opinion concluant à la nécessité et à la proportionnalité du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l’Allemagne et de l’Autriche (85).
Associés à la fermeture de la frontière entre la Grèce et l’ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), les rétablissements des contrôles aux frontières ont abouti à la fermeture de la route des Balkans qui était empruntée par les réfugiés arrivés en Grèce, par une réaction en chaîne des États membres situés le long de cet itinéraire (86).
Ainsi que l’a souligné M. Yves Pascouau dans un article consacré aux évolutions récentes de l’espace Schengen (87), l’utilisation des dispositions prévues par le code frontières Schengen pour rétablir les contrôles aux frontières intérieures en réaction à un afflux de réfugiés est une innovation. Jusqu’alors, les États membres y avaient eu recours de manière exceptionnelle, puisque 36 notifications seulement avaient été envoyées à la Commission européenne d’octobre 2006 à juin 2015. La plupart de ces décisions avaient été justifiées par des événements prévisibles comme la tenue de sommets politiques, de compétitions sportives ou des manifestations présentant un risque pour l’ordre public. Le contexte de l’afflux des réfugiés a cependant conduit à une approche flexible des dérogations autorisées par le code frontières Schengen.
c. Un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures aujourd’hui coordonné dans le cadre de l’article 29 du code frontières Schengen
Le rétablissement des contrôles au titre des articles 25 et 28 du code frontières Schengen ne pouvait excéder une durée de huit mois. Afin de permettre leur maintien, la Commission et le Conseil ont mis en œuvre la procédure de l’article 29 du code frontières Schengen.
Dans une première phase, la Commission a adopté, le 2 février 2016 un rapport dit « d’évaluation Schengen » concernant la Grèce et une proposition de recommandation, établis par des experts des États membres et des représentants de la Commission dans le cadre du mécanisme d’évaluation Schengen (88).
Se fondant sur une visite inopinée effectuée en novembre 2015 aux frontières maritimes (îles de Chios et Samos) et terrestres de la Grèce, ce rapport a constaté l’existence de « manquements graves » à l’application des règles de Schengen relatives à la gestion des frontières extérieures. La recommandation portait sur différents aspects de cette gestion : « l’amélioration de la procédure d’enregistrement notamment par la mise à disposition d’effectifs et de lecteurs d’empreintes digitales en nombre suffisant pour permettre l’enregistrement des migrants et la vérification de leur identité, ainsi que la vérification de leurs documents de voyage par comparaison de ceux-ci avec les bases de données suivantes : SIS, Interpol et bases de données nationales, [la fourniture des] installations d’hébergement nécessaires pendant la procédure d’enregistrement et [le lancement] des procédures de retour pour les migrants en situation irrégulière qui ne sont pas demandeurs d’asile ni n’ont besoin d’une protection internationale [, l’amélioration de] la surveillance des frontières, notamment par la mise en place d’un système d’analyse des risques et l’accroissement des formations à l’intention des garde-frontières [; les] améliorations (...) aux infrastructures et aux équipements aux points de passage frontaliers. » (89)
Cette recommandation a été adoptée par le Conseil le 12 février 2016 (90). Le 12 mars 2016, la Grèce a notifié à la Commission un plan d’action destiné à remédier aux déficiences constatées dans le rapport d’évaluation, qui a fait l’objet d’une évaluation et d’un suivi par la Commission.
Le 12 mai 2016, le Conseil a adopté une recommandation (91) indiquant que, malgré des progrès importants, des manquements graves dans la gestion des frontières extérieures par la Grèce persistaient et justifiaient « l’adoption d’une approche cohérente, coordonnée et pérenne du contrôle temporaire aux frontières intérieures » dans le cadre de l’article 29 du code frontières Schengen. Le Conseil a donc recommandé le maintien, pour une durée de six mois, de contrôles aux frontières intérieures par les cinq États qui avaient décidé de les rétablir « en réponse à une menace grave pour leur ordre public ou leur sécurité intérieure causée par des mouvements secondaires de migrants en situation irrégulière », l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, la Suède et la Norvège. La recommandation précise les tronçons de frontières concernés, qui n’incluent pas les frontières aéroportuaires.
Par ailleurs, dans le cadre d’une initiative franco-allemande sur la coopération européenne en matière de sécurité (92), les autorités françaises ont estimé que « [p]our être à même d’appliquer des contrôles aux frontières qui soient adaptés à la situation tout en restant en dessous du seuil du contrôle frontalier exhaustif, nous avons besoin d’un instrument juridique qui permette de rétablir les contrôles aux frontières selon des modalités plus flexibles et mieux adaptées à la menace terroriste. »
B. DES MESURES PRISES SOUVENT DANS L’URGENCE AVEC UNE EFFICACITÉ VARIABLE
Les réponses apportées par l’Union européenne à la crise migratoire ont souffert d’un défaut d’anticipation. On savait ainsi, au début de l’année 2015, que quatre millions de Syriens étaient répartis dans les cinq pays limitrophes de la Syrie, y compris l’Irak, pays producteur lui-même de réfugiés. Ils y avaient trouvé une première forme de protection au cours des quatre années précédentes. Ce n’est pourtant que tardivement, et sous la pression des événements, que l’Union européenne a pris un certain nombre de mesures qui ne s’inscrivent pas dans un plan d’ensemble.
1. La lutte contre les réseaux de passeurs et la surveillance des frontières extérieures
La politique de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne et de lutte contre les trafics de migrants a été amplifiée au cours de l’année 2015. Menée à la fois par les États membres et par l’Union européenne et ses agences, elle bénéficie aussi de l’aide de l’OTAN. La création d’un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes a vocation à donner tout son poids à cette politique.
a. La lutte contre les filières d’immigration illégale
La proportion de migrants ayant reçu le concours de réseaux de passeurs est estimée à 90 %. L’activité des réseaux criminels organisant les franchissements irréguliers de frontières est par conséquent extrêmement lucrative, davantage encore que le trafic de stupéfiants. Selon M. Ralf Gruenert, représentant ad interim du HCR en France, l’activité des passeurs, très bien implantée en Turquie, rapporte à ceux-ci entre trois et six milliards d’euros par an (93). Pour sa part, M. Gérard-François Dumont, professeur de géographie à l’université Sorbonne Paris IV, estime le chiffre d’affaires des passeurs à près de dix milliards d’euros pour la seule année 2015 (94). Ce chiffre d’affaires repose bien entendu pour l’essentiel sur les sommes versées par les migrants tout au long de l’accomplissement de leur périple. M. Dimitri Zoulas, attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de France à Athènes, a indiqué à la délégation de la mission que la procédure de paiement, s’agissant d’une voie maritime, était particulièrement élaborée : le migrant reçoit un code lors de l’embarquement puis, une fois arrivé dans l’île de destination, passe un coup de téléphone pour débloquer la somme convenue.
La lutte contre ces réseaux criminels est au premier chef l’affaire des États. La Turquie a ainsi arrêté 4 471 passeurs en 2015, et 1 887 passeurs (dont 400 ont été emprisonnés) au cours du premier semestre de l’année 2016. C’est aussi l’une des missions de l’agence Europol. En application de l’Agenda européen en matière de migration (95), Europol a mis en place le 22 février 2016 un centre européen de prévention et de lutte contre l’immigration irrégulière dont l’objectif est de soutenir les actions des États membres dans le démantèlement des réseaux de trafics de migrants. Ce centre a développé, dans un premier temps, ses activités au sein des hotspots mis en place en Italie et en Grèce. En tant que centre de collecte et d’informations, il lui appartient également de contribuer, d’une part, au renforcement des échanges d’informations sur les réseaux de passeurs et, d’autre part, à la coopération entre les États, les organisations internationales et les autres agences européennes telles qu’Eurojust et Frontex. Le rôle d’Europol en tant qu’instrument de lutte contre les trafics de migrants a été pleinement reconnu dans le cadre des conclusions du Conseil « Justice et Affaires intérieures » (JAI) du 10 mars 2016 sur les trafics de migrants.
Vos rapporteurs invitent les États membres de l’Union européenne à amplifier leurs efforts en vue de démanteler les réseaux d’immigration illégale et de traite des êtres humains en améliorant la coopération avec des pays tels que le Niger, véritable « plaque-tournante » pour les personnes en provenance d’Afrique de l’Ouest.
Les opérations de Frontex, auxquelles la Turquie participe comme observateur, ont pour mandat principal la surveillance des frontières extérieures communes de l’Union européenne. Outre la contribution au bon fonctionnement des hotspots (enregistrement, contrôles de sécurité, détection de faux documents, opérations de retours), Frontex est responsable de plusieurs opérations maritimes.
L’opération Triton, tout d’abord, a pour objet la surveillance des frontières et le sauvetage en Méditerranée centrale. Elle a permis de sauver 250 000 personnes en 2015. Elle bénéficie de 170 experts par mois, quinze moyens nautiques, quatre avions et trois hélicoptères. La France y contribue par l’envoi d’experts et la mise à disposition par la marine et par la douane, pendant des périodes limitées, de moyens nautiques et d’un avion.
L’opération Poséidon se concentre, quant à elle, sur la Méditerranée orientale. Elle bénéficie d’environ 300 experts par mois, 19 moyens nautiques, un avion et un hélicoptère. La France y contribue par l’envoi d’experts.
Enfin, les opérations Indalo et Minerva portent sur la Méditerranée occidentale. La Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) fournit des experts français pour l’une et l’autre de ces opérations. La marine française s’est engagée à mettre un bateau à la disposition de l’opération Indalo pour une période limitée.
La transformation de Frontex en une nouvelle agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes devrait permettre d’intensifier ce type d’actions (96).
c. Sophia : une opération de politique de sécurité et de défense commune
L’opération EUNAVFOR Med, dite « Sophia », a été lancée par l’Union européenne après la catastrophe humanitaire du 18 avril 2015, qui a vu 700 migrants se noyer au large des côtes libyennes. Reposant sur des décisions du Conseil de mai et juin 2015, elle constitue une opération de politique de sécurité et de défense commune (97) (PSDC).
Son objectif premier est la lutte contre les trafics de migrants en Méditerranée centrale (98). En octobre 2015, toutefois, elle est entrée dans une nouvelle phase, permettant l’arraisonnement et la saisie de navires en haute mer. L’opération a par ailleurs permis de sauver la vie de plus de 15 000 personnes depuis son lancement.
Le Conseil « Affaires étrangères » du 23 mai 2016 a prévu l’addition de deux nouvelles tâches à l’opération. La première consiste en la mise en œuvre, en haute mer, au large des côtes libyennes, de l’embargo sur les armes sur la base d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. La seconde vise à renforcer la formation et les capacités de la marine et des garde-côtes libyens. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté le 14 juin la résolution 2292 créant les conditions nécessaires à un élargissement du mandat de l’opération Sophia. Réuni à Luxembourg, le 20 juin 2016, le Conseil « Affaires étrangères » a adopté formellement la décision qui proroge d’un an le mandat de l’opération et a ajouté les deux tâches précitées au mandat. L’opération Sophia bénéficie actuellement de cinq navires. La France a mobilisé dix personnes au sein du quartier général de l’opération et mis à disposition un avion de surveillance Falcon 50 jusqu’à la fin du mois de mai.
L’OTAN apporte son soutien, depuis le 11 février 2016, à la gestion par l’Union européenne des flux migratoires en participant aux efforts visant à mettre un terme aux flux de trafics illégaux et de migrations irrégulières dans la mer Égée. À cette fin, elle conduit des activités de reconnaissance, de suivi et de surveillance des traversées illégales dans cette zone, ce qui implique notamment la réalisation de patrouilles à proximité des côtes turques. La France y participe en particulier par le déploiement d’un navire. L’OTAN a aussi décidé d’intensifier ses actions d’ « ISR » (« Intelligence, surveillance and reconnaissance ») à la frontière terrestre turco-syrienne.
2. La mise en place des hotspots
Parmi les quatre piliers de l’Agenda européen en matière de migration présenté par la Commission européenne le 13 mai 2015, figurait, dans le cadre de la mise en œuvre du régime d’asile européen commun, l’encouragement prodigué aux États à procéder systématiquement à l’identification des migrants et au relevé de leurs empreintes digitales. Nés de cette volonté d’apporter une assistance immédiate aux États membres exposés, en première ligne, à des pressions migratoires exceptionnelles aux frontières extérieures de l’Union européenne, les hotspots constituent des centres d’accueil, d’identification et d’enregistrement déployés aux points d’arrivée des migrants.
Depuis 2015, en Italie, quatre hotspots ont été mis en place à Lampedusa, Pozzallo (Sicile), Trapani (Sicile) et Tarente (Pouilles) (99). La première nationalité représentée dans ces centres est constituée aujourd’hui des Érythréens.
Cinq hotspots ont été mis en place en Grèce en 2015 et 2016, sur les îles de Chios, Lesbos, Samos, Kos et Leros. Les Syriens et les Irakiens y sont les nationalités les plus représentées. Depuis l’entrée en vigueur de la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, ces hotspots ont la nature de centres de « rétention » dans la mesure où les migrants qui y sont retenus sont susceptibles d’être renvoyés en Turquie s’ils ne sollicitent pas l’asile ou si leur demande d’asile n’est pas jugée recevable (100).
Tous les adultes migrants arrivant dans ces centres ont vocation à y être enregistrés et soumis à un relevé d’empreintes digitales électroniques, grâce à une borne Eurodac. Comme cela a été indiqué plus haut, le système Eurodac permet aux pays de l’Union européenne de participer à l’identification des demandeurs d’asile et des personnes appréhendées à l’occasion du franchissement irrégulier d’une frontière extérieure de l’Union. En comparant les empreintes digitales, les États membres peuvent vérifier si un demandeur d’asile ou un ressortissant étranger se trouvant illégalement sur son territoire a déjà formulé une demande de protection dans un autre pays de l’Union ou si un demandeur d’asile est déjà entré irrégulièrement ailleurs sur le territoire de l’Union. Le système se compose d’une unité centrale gérée par la Commission européenne, d’une base de données centrale informatisée d’empreintes digitales et de moyens électroniques de transmission entre les pays de l’Union et la base de données centrale.
La prise d’empreintes digitales répond aussi à des objectifs de sécurité rendus d’autant plus aigus par les menaces terroristes qui se sont aggravées au cours des derniers mois. Le ministre grec de la marine marchande, responsable des garde-côtes, a ainsi indiqué à la délégation de la mission que, à la suite des attentats du 13 novembre 2015, la Grèce avait été capable de répondre en l’espace d’une heure à une requête des autorités françaises concernant deux individus qui avaient été enregistrés à Leros.
L’État membre concerné bénéficie sur place du soutien de l’EASO, d’Europol, de l’agence européenne de coopération judiciaire Eurojust ainsi que de Frontex. Cette dernière met à disposition des agents susceptibles d’exercer différentes fonctions : escorteurs, debriefers (chargés de recueillir les témoignages des migrants afin d’analyser notamment les routes empruntées), screeners (experts en identification) et experts en réadmission ou en empreintes digitales.
3. Des relocalisations depuis la Grèce et l’Italie qui demeurent insuffisantes
Afin d’aider les États membres soumis à une très forte pression à faire face à la crise des réfugiés, l’Union européenne a mis en place à l’automne 2015 un dispositif provisoire visant à relocaliser 160 000 personnes ayant manifestement besoin d’une protection internationale. Même si la France s’est plutôt distinguée par le nombre de relocalisations opérées, le nombre de personnes relocalisées demeure globalement très insuffisant.
a. Un mécanisme exceptionnel mis en place à l’automne 2015
La « relocalisation » se définit comme le transfert de personnes ayant demandé ou bénéficiant déjà de la protection internationale d’un État membre de l’Union européenne (en l’espèce, la Grèce ou l’Italie) vers un autre État membre qui leur accordera une protection similaire (la France, la Belgique, la Finlande, etc.). Elle doit être soigneusement distinguée de la « réinstallation », dont il sera question plus loin et qui consiste à transférer directement des ressortissants de pays tiers (par exemple, des Syriens se trouvant en Turquie, en Jordanie, etc.) vers un État membre de l’Union européenne susceptible en particulier de leur octroyer le statut de réfugiés.
Lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) extraordinaire du 22 septembre 2015, les ministres européens en charge de l’intérieur ou de l’immigration ont adopté à la majorité qualifiée un mécanisme exceptionnel de relocalisation d’urgence (101). Ce mécanisme prévoit une relocalisation des demandeurs d’asile depuis les États membres situés en première ligne (l’Italie et la Grèce (102)) vers les autres États membres de l’Union européenne, dès lors en charge de l’examen de leur demande d’asile. Il s’analyse donc comme une dérogation temporaire au Règlement « Dublin ». Il a vocation à s’appliquer, sur la base du volontariat, à 120 000 personnes en besoin manifeste de protection internationale, arrivant en Italie ou en Grèce au cours d’une période allant de six mois précédant l’entrée en vigueur du mécanisme à deux ans suivant celle-ci (soit septembre 2017). Ce chiffre s’ajoutant à celui de 40 000 personnes déjà proposé le 27 mai 2015 par la Commission, ce sont en tout 160 000 personnes que celle-ci propose de relocaliser. Seuls peuvent accéder à ce mécanisme les demandeurs d’asile possédant une nationalité pour laquelle le taux moyen de reconnaissance d’une protection internationale à l’échelle de l’Union atteint au moins 75 % (103). Il s’agit principalement des Syriens, des Irakiens et des Érythréens.
L’article 10 de la décision du Conseil prévoit par ailleurs que, « pour chaque personne faisant l’objet d’une relocalisation en vertu de la présente décision : a) l’État membre de relocalisation reçoit une somme forfaitaire de 6 000 euros ; b) l’Italie ou la Grèce reçoit une somme forfaitaire d’au moins 500 euros ». Ce soutien, financé sur le Fonds « Asile, migration et intégration » (FAMI), a pour objet de financer le transfert et l’accueil des personnes relocalisées.
En pratique, l’EASO (au profit duquel sont mis à disposition notamment des officiers de protection de l’OFPRA) recueille le souhait manifesté par certains réfugiés présents en Grèce ou en Italie d’être relocalisés. Les autorités de ces pays proposent ensuite cette relocalisation aux États membres. Il convient de noter que, en ce qui concerne la Grèce, la relocalisation concerne exclusivement les personnes arrivées dans ce pays avant le 20 mars dernier, compte tenu des stipulations contenues dans l’accord UE-Turquie (104).
Pour Amnesty International, auditionné par la mission, la relocalisation constitue un outil intéressant de responsabilisation qui permet aux États moins directement « exposés » de se sentir solidaires des États situés aux marches de l’Union européenne. De nature à soulager la Grèce et l’Italie, on en attend également une meilleure répartition des demandeurs dans l’Union, le but étant d’éviter leur concentration en Allemagne et en Suède. La contrepartie attendue en principe de la part de la Grèce et de l’Italie, c’est un véritable contrôle des migrants à leur arrivée, par le biais notamment des hotspots. Il s’agit de prévenir la tentation pour ces pays de laisser passer, sans les enregistrer, les migrants qui, pour la plupart, font route vers une autre destination.
L’une des limites du dispositif de relocalisation tient au fait que, par définition, il ne s’applique qu’aux migrants qui sont déjà arrivés sur le territoire de l’Union. Ce faisant, il ne répond pas à la nécessité d’ouvrir aux réfugiés davantage de voies légales d’accès vers les États membres (105). C’est pourquoi le mécanisme de relocalisation ne saurait dispenser de mettre en place en parallèle des programmes de réinstallation (106).
En complément du dispositif exceptionnel qui vient d’être décrit, la Commission a proposé le 9 septembre 2015 d’instituer un mécanisme permanent de relocalisation pour tous les États membres, comme elle l’avait déjà annoncé dans l’Agenda européen en matière de migration au mois de mai précédent. Il s’agirait d’un mécanisme de solidarité structuré que la Commission pourrait activer à tout moment afin d’aider tout État membre traversant une situation de crise et dont le régime d’asile subirait une pression extrême à la suite d’un afflux important et disproportionné de ressortissants de pays tiers. La Commission définirait ces situations d’urgence futures en fonction du nombre de demandes d’asile introduites ainsi que du nombre de franchissements irréguliers de frontières observés au cours des six mois précédents. Cette proposition législative a été débattue par la commission des libertés civiles du Parlement européen le 1er décembre 2015. Le Gouvernement français, pour sa part, s’est déclaré opposé à la mise en place de cette proposition (107), laquelle a été reprise dans le cadre plus large de la proposition de réforme du système « Dublin » (108).
b. Un rôle actif de la France qui demande à être encore renforcé
La France joue un rôle actif dans la mise en œuvre des relocalisations, qu’elles soient opérées depuis la Grèce ou depuis l’Italie. C’est elle en effet qui, de tous les États membres, a accueilli à ce jour le plus de demandeurs d’asile relocalisés.
À la demande du ministère de l’intérieur, l’OFPRA (109) conduit ainsi chaque mois, depuis janvier 2016, dans les locaux de l’ancien consulat français à Athènes, des entretiens avec les candidats proposés par les autorités grecques (essentiellement des Syriens et des Irakiens (110)). Aux termes de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, l’OFPRA est en effet tenu de vérifier la réalité de leur besoin de protection dans le cadre d’un entretien classique. Au mois d’avril, ce sont 400 personnes qui ont ainsi été entendues en l’espace de deux semaines. La délégation de la mission a pu rencontrer les officiers de protection présents sur place. À l’issue de l’entretien avec les candidats à la relocalisation, l’Office soumet la décision finale au ministère de l’intérieur, qui de son côté, effectue ses propres contrôles de sécurité. Si, sur le territoire national, la décision de l’OFPRA relative à l’octroi de l’asile est souveraine, dans le cas présent, la décision souveraine appartient in fine au Gouvernement français au titre du visa. Une fois arrivées en France, les personnes relocalisées depuis la Grèce entrent dans la procédure de droit commun mais ne sont pas soumises à un nouvel entretien avec l’OFPRA.
S’agissant de la relocalisation depuis l’Italie, le système est un peu différent. Les personnes sont proposées par les autorités de la péninsule et acceptées par le ministère français de l’intérieur. L’entretien avec un officier de protection de l’OFPRA a lieu en France, le plus souvent de manière délocalisée en région. À titre d’exemple, en novembre dernier, des officiers de protection se sont ainsi rendus à Nantes pour l’accueil de réfugiés érythréens. Des agents de l’Office sont toutefois présents dans les hotspots italiens, dans le cadre d’EASO, pour remplir auprès des migrants un rôle d’information en matière de relocalisation.
Le volet opérationnel du transfert vers la France est pris en charge par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) (111). Les personnes accueillies sont réparties dans des centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA (112)).
Dans tous les cas, l’OFPRA s’assure avant tout de la provenance du réfugié, qui fonde le besoin de protection manifeste. L’Office vérifie également que la personne ne relève pas d’une clause d’exclusion de la convention de Genève — crimes de guerre, crimes contre l’humanité, actes de génocide —, l’OFPRA pouvant également faire usage d’une disposition issue de la loi du 29 juillet 2015 (113) qui permet d’écarter les personnes représentant une menace pour la sûreté de l’État ou pour la société. L’article L. 711-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit en effet que le statut de réfugié peut être refusé lorsque :
« 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l’État ;
2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société. »
Comme l’a confirmé son directeur général, l’OFPRA se montre particulièrement vigilant sur ce point alors même que cette mobilisation tend à augmenter les délais d’instruction des demandes d’asile et donc à rendre moins aisée l’atteinte de l’objectif d’un traitement des demandes d’asile en trois mois (114). M. Pascal Brice a rappelé que des dispositifs actuellement en place permettent à l’Office de bénéficier d’informations particulières du ministère de l’intérieur ou du ministère de la justice. Par ailleurs, les officiers de protection sont appelés à se montrer extrêmement vigilants dans l’instruction des demandes : tout indice de nature à susciter des interrogations sur le parcours d’une personne entraîne le déclenchement d’une instruction particulièrement approfondie.
À la suite des décisions prises par le Conseil de l’Union européenne les 14 et 22 septembre 2015, la France s’était déclarée prête à accueillir un peu plus de 30 700 demandeurs d’asile supplémentaires à compter du mois de novembre et au cours des deux ans qui suivraient (115). Dans les faits, au 14 juin 2016, 554 personnes avaient été relocalisées en France depuis la Grèce, sur un total de 1 503 migrants relocalisés depuis ce pays vers l’Union européenne. Quant aux relocalisations depuis l’Italie, on en dénombrait seulement 137 au 27 mai 2016. À la fin du mois d’août 2016, 1 200 personnes environ avaient été relocalisées en France depuis la Grèce (sur 1 333 entretiens menés) et 231 personnes depuis l’Italie (116). Même si notre pays n’a pas à rougir de son bilan puisqu’il occupe la première place en matière de relocalisations, ces chiffres demeurent encore trop faibles.
Le 2 juin, M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, a indiqué que « la montée en puissance du mécanisme, notamment grâce à l’aide logistique apportée par l’Union européenne et par la France à la Grèce, permet désormais de proposer chaque mois à la Grèce de relocaliser 400 personnes sur notre territoire (117) ».
Pour vos rapporteurs, il est impératif que ce dernier objectif, encore modeste, ne reste pas lettre morte. L’un des axes de développement pourrait être d’ouvrir, à l’instar de la Finlande, la relocalisation aux mineurs étrangers isolés, ce qui ne semble pas être le cas aujourd’hui en France compte tenu de la réticence manifestée par les conseils départementaux en charge de leur accueil. La Commission européenne invite d’ailleurs les États à agir en ce sens (118).
c. Des réticences qui demeurent de la part des États membres de l’Union européenne
Selon le quatrième rapport de la Commission sur l’avancement des programmes de l’Union européenne en matière de relocalisation exceptionnelle et de réinstallation d’urgence (119), 780 personnes supplémentaires ont été relocalisées entre le 13 mai et le 14 juin 2016, soit près du double du chiffre de la période précédente. Cela porte le nombre total de personnes relocalisées au 14 juin à 2 280 (1 503 à partir de la Grèce (120) et 777 à partir de l’Italie).
À la fin du mois de septembre 2016, ce sont au total 5 651 personnes qui avaient été relocalisées, dont 4 455 personnes depuis la Grèce et 1 196 depuis l’Italie (121).
Bien qu’il constitue un progrès, ce nombre n’est pas à la hauteur de l’objectif proposé par la Commission consistant à relocaliser 6 000 personnes par mois et sans commune mesure avec l’objectif de 160 000 relocalisations fixé par le Conseil « JAI » du 22 septembre 2015. Il ne constitue pas une réponse face à l’ampleur des défis migratoires et, à ce stade, n’offre pas de solution efficace au problème des 46 000 migrants bloqués en Grèce continentale. C’est d’autant plus regrettable que la fermeture des frontières dans les Balkans a accru l’intérêt des migrants pour le programme de relocalisation.
Les États membres sont loin de respecter l’engagement qu’ils ont pris dans le cadre des décisions du Conseil. On notera que l’augmentation des relocalisations observée entre la mi-mai et la mi-juin 2016 s’explique en grande partie par les efforts accrus déployés par les États membres qui participaient déjà le plus activement au programme de relocalisation. Quant aux « mauvais élèves », leurs réticences sont sans doute liées à la crainte de provoquer des « appels d’air » ainsi qu’à une situation politique marquée par la progression des partis populistes, qui accroît les réserves des gouvernements.
Le nombre de transferts et d’engagements de relocalisation de personnes arrivant en Italie apparaît particulièrement faible, eu égard au nombre croissant de demandeurs potentiels qui arrivent dans ce pays. Selon M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France (122), les capacités des hotspots italiens sont trop limitées (environ 400 places dans chacun des quatre hotspots en activité (123)) si bien que la majorité des migrants arrivant en Italie ne passent pas dans ces centres. Il s’agit en grande partie, selon lui, d’un flux migratoire « économique », la majorité des personnes concernées n’étant pas éligibles au droit d’asile. En Grèce, au contraire, la quasi-totalité des migrants sont enregistrés, leurs empreintes prises et le passage au crible des fichiers de sécurité effectué.
M. Dimitris Avramopoulos, commissaire pour la migration, les affaires intérieures et la citoyenneté, a parfaitement résumé la situation, le 15 juin 2016, en déclarant, à l’occasion de la présentation par la Commission de son dernier rapport sur l’avancement des programmes de l’Union européenne en matière de relocalisation et de réinstallation d’urgence : « Étant donné que le nombre d’arrivées en Grèce a diminué, il convient désormais de donner une priorité absolue à l’accroissement notable et à l’accélération des relocalisations. Mais nous ne saurions oublier l’Italie, qui connaît un regain saisonnier des arrivées. »
Vos rapporteurs invitent tous les États membres de l’Union européenne à amplifier leurs programmes de relocalisation, conformément à leurs engagements.
4. L’asile proposé directement à certains réfugiés
La relocalisation s’accompagne, de la part de certains États, d’une politique plus nettement proactive en matière d’asile offert aux migrants. C’est ainsi que, comme la délégation de la mission a pu le constater à Ankara, les autorités françaises offrent aux migrants qui le désirent la possibilité de solliciter l’asile directement depuis le sol turc en s’adressant pour ce faire à l’ambassade. Il existe à cet effet une adresse dédiée accessible depuis le site internet de l’ambassade de France à Ankara.
La délivrance du visa au titre de l’asile relève de la compétence du ministère de l’intérieur mais la consultation de l’OFPRA sur certaines demandes est possible. Des agents de l’OFPRA peuvent également former les agents consulaires aux entretiens. Un visa de long séjour est délivré aux personnes qui paraissent remplir les conditions pour obtenir une protection. Lorsqu’une personne obtient ce visa, elle peut venir en France de manière régulière et doit s’adresser à la préfecture de son lieu de résidence afin de poursuivre la procédure de demande d’asile. Les ressortissants étrangers qui arrivent sur le territoire français munis d’un visa au titre de l’asile (visa de long séjour) sont autorisés à travailler pendant la durée de la procédure de demande d’asile, à la différence des autres demandeurs qui n’y sont pas autorisés pendant les neuf mois qui suivent l’introduction de la demande.
À la mi-juin 2016, 300 à 400 départs étaient intervenus dans ce cadre depuis Ankara, ces chiffres n’incluant pas les départs intervenus depuis la section consulaire d’Istanbul.
C. UN ACCORD AVEC LA TURQUIE DISSUASIF MAIS FRAGILE
Les premières mesures prises dans une certaine improvisation par les États de l’Union européenne ont été suivies, au début de l’année 2016, par la conclusion d’un accord avec la Turquie. Après une année 2015 marquée par un manque d’anticipation et de coordination dans la gestion des flux migratoires, la déclaration du 18 mars 2016 a représenté un début de mise en place d’une politique organisée dans ce domaine. Si cet accord a permis pour l’instant de tarir les flux à travers la mer Égée, il est loin d’avoir résolu toutes les questions en suspens.
1. Une pression migratoire qui se maintient en Turquie
La conclusion de l’accord du 18 mars 2016 s’inscrit dans le contexte d’une double pression migratoire, s’exerçant certes de la Syrie vers la Turquie, mais prête aussi à reprendre, le cas échéant, de la Turquie vers l’Union européenne.
a. Une poussée migratoire s’exerçant sur la Turquie
La pression migratoire qui s’exerce sur l’État turc plus particulièrement depuis mars 2011 demeure forte aujourd’hui. Le HCR chiffre à environ 4,8 millions le nombre de réfugiés syriens résidant dans les pays voisins de la Syrie. Il estime qu’au moins 10 % d’entre eux, soit 480 000 personnes, auront besoin d’une réinstallation ou d’une aide humanitaire pour leur transfert vers un autre lieu sûr avant la fin de l’année 2018. On relève certes parfois quelques retours, notamment de la Jordanie vers la Syrie, liés aux évolutions de la situation dans ce pays. En sens inverse, on a observé, au printemps 2016, de nouveaux mouvements vers les frontières turque et libanaise, en raison de la situation à Ale (124).
La Turquie s’efforce désormais manifestement de faire obstacle à la pression migratoire en provenance de la Syrie et des pays voisins. C’est ainsi qu’elle a rétabli le 9 janvier 2016 un système de visas pour les Syriens provenant des pays tiers, et notamment du Liban ou de Jordanie. Avec cette réintroduction des visas, le nombre de personnes passant la frontière turque chaque semaine est passé de 40 000 à 1 000.
Par ailleurs, la Turquie, dont il convient de rappeler qu’elle n’applique la convention de Genève qu’aux ressortissants du Conseil de l’Europe, a progressivement fermé, depuis le printemps 2015, sa frontière avec la Syrie. Son franchissement n’est dorénavant plus possible que pour les réfugiés nécessitant des soins urgents. Des camps de déplacés sont apparus du côté syrien de cette frontière. Le nombre de déplacés qui s’y trouvent est estimé à environ 160 000. La proximité des combattants de Daesh dans cette zone a conduit les organisations humanitaires à y réduire leur présence. Cette politique assumée et préoccupante de la Turquie est à rapprocher de la défense par celle-ci de la mise en place de « zones sûres », notion qui est d’ailleurs évoquée dans la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016 (125).
Vos rapporteurs invitent les autorités françaises et européennes à une prise de conscience concernant les réfugiés ainsi cantonnés à la frontière turco-syrienne. Il ne s’agit certes pas de donner des leçons à un pays qui accueille déjà près de 3 millions de personnes. L’Union européenne cherchant elle-même à réguler les flux de migrants arrivant sur son sol aurait mauvaise grâce à reprocher à la Turquie de vouloir faire de même. Il reste que les États membres de l’Union européenne ne sauraient fermer les yeux sur le sort de ces réfugiés. Leur devenir devrait être évoqué dans le cadre du dialogue qui se poursuit avec la Turquie concernant la mise en œuvre de la déclaration du 18 mars.
b. Une pression migratoire potentielle depuis la Turquie
En dépit de l’accord de réadmission conclu entre l’Union européenne et la République turque, l’arrivée de migrants sur la côte égéenne de la Turquie tend à se poursuivre. M. Uğur Kolsuz, gouverneur adjoint de la province d’Izmir, a déclaré à la délégation de la mission que les arrivées de réfugiés syriens continuaient, ceux-ci étant attirés par le centre commercial, agricole et industriel que constitue la région. De surcroît, d’après lui, la grande majorité d’entre eux n’ont pas l’intention de rentrer en Syrie. Selon l’ONG ASAM, la région d’Izmir compterait environ 200 000 réfugiés syriens, soit plus du double du chiffre officiel. On observe certes, depuis l’entrée en vigueur de l’accord au mois de mars, un début de sédentarisation de ces populations. Il reste que, en cas d’échec de l’accord, des flux migratoires importants pourraient reprendre rapidement à travers la mer Égée.
2. Un accord dissuasif impliquant une politique de réinstallation volontariste
Reposant sur le principe du renvoi en Turquie des migrants dont la demande d’asile est jugée irrecevable, la déclaration UE-Turquie du 18 mars a pour l’instant tari les flux à travers la mer Égée. Elle prévoit en contrepartie une réinstallation de Syriens depuis la Turquie vers l’Union européenne qui s’inscrit dans le cadre plus large des réinstallations pratiquées par certains États membres depuis 2013.
Confrontées au début de l’année 2016 au blocage des migrants en Grèce continentale, à la persistance de flux migratoires empruntant les voies maritimes et aux nombreux morts en mer Égée, l’Union européenne et la Turquie ont décidé de se rapprocher. Selon Mme Esen Altuğ, directrice générale adjointe immigration, asile et visas au ministère turc des Affaires étrangères, rencontrée par la délégation de la mission, l’initiative en reviendrait à la Turquie. L’Union européenne et la Turquie avaient déjà trouvé le 29 novembre 2015 un premier accord par lequel elles convenaient d’accroître leur coopération concernant les migrants n’ayant pas besoin d’une protection internationale et s’engageaient à relancer le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ainsi que le dialogue en vue de la libéralisation des visas. L’Union européenne faisait part de son intention de fournir à la Turquie une « facilité » de 3 milliards d’euros afin de l’aider à faire face au nombre élevé de réfugiés syriens se trouvant sur son territoire (126).
Réunies à nouveau en mars 2016, les deux parties ont exploré de nouveaux moyens de combattre l’activité des trafiquants en démantelant leur modèle économique, de mettre un terme au drame des noyades en mer Égée et de substituer des migrations légales aux flux migratoires irréguliers. Elles ont abouti à un accord plus politique que strictement juridique et moins communautaire que multilatéral. Du côté européen, l’accord porte indiscutablement la marque de l’Allemagne et, dans une moindre mesure, de la France. La Délégation de l’Union européenne à Ankara est chargée d’effectuer un suivi précis de sa mise en œuvre.
De manière assez créative, les conclusions auxquelles les parties sont parvenues, quoique se voulant contraignantes, n’ont pas pris la forme d’un traité mais d’une « déclaration », datée du 18 mars 2016. Les principaux engagements pris dans ce cadre sont les suivants :
— à titre « temporaire et extraordinaire », tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016 ont vocation, après avoir été enregistrés par les autorités grecques, à être renvoyés en Turquie ; ils ont le droit de déposer auparavant une demande d’asile ; seuls ceux ne demandant pas l’asile ou dont la demande d’asile a été jugée infondée ou irrecevable (127) peuvent être renvoyés en Turquie ;
— pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien est appelé à être réinstallé de la Turquie vers l’Union européenne en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations Unies (ce principe, dit du « un pour un », constitue la grande nouveauté de l’accord du 18 mars) ;
— il appartient à la Turquie de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulière, maritimes ou terrestres, ne s’ouvrent au départ de son territoire en direction de l’Union européenne ;
— la libéralisation du régime des visas doit être accélérée afin que les obligations en la matière pesant sur les citoyens turcs soient levées, pour autant que tous les critères de référence (128) soient respectés (l’échéance initialement fixée pour cette libéralisation était la fin du mois de juin 2016 ; elle a ensuite, comme cela sera expliqué plus loin, été repoussée à l’automne 2016) ;
— l’Union européenne s’engage à accélérer le versement du montant de trois milliards d’euros initialement alloué au titre de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie et à mobiliser un financement additionnel, à hauteur de trois milliards d’euros supplémentaires, jusqu’à la fin de 2018 (129) ;
— la volonté de relancer le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est confirmée, dans le prolongement de l’ouverture le 14 décembre 2015 du chapitre 17 des négociations, c’est-à-dire du chapitre relatif à la politique économique et monétaire (130) ;
— un engagement de collaboration est pris dans le but d’ « améliorer les conditions humanitaires à l’intérieur de la Syrie, en particulier dans certaines zones proches de la frontière turque, ce qui permettrait à la population locale et aux réfugiés de vivre dans des zones plus sûres ».
Plus de six mois après la signature de l’accord, il apparaît que le volet de celui-ci visant à endiguer les flux à travers la mer Égée fonctionne. Le nombre de migrants effectuant quotidiennement la traversée est passé de 7 000 en novembre 2015 à 1 000 à la fin mars 2016, puis à 30 au cours du mois de mai suivant. La traversée présente désormais d’autant moins d’intérêt que les Syriens destinés à être renvoyés en Turquie se retrouvent placés à la fin de la liste des personnes susceptibles d’être réinstallées dans l’Union européenne. Un message très clair a donc été envoyé tant aux migrants qu’aux passeurs.
Les autorités turques rencontrées par la délégation de la mission ont été unanimes pour reconnaître ce succès. Les représentants du ministère des affaires étrangères et le gouverneur adjoint de la province d’Izmir se sont exprimés en ce sens. Fait significatif, le travail d’accompagnement des réfugiés en vue de leur enregistrement auprès de la DGMM a beaucoup augmenté, la plupart des réfugiés souhaitant désormais être enregistrés. Le colonel Murat Yılmaz Arslan, commandant des garde-côtes pour la région de la mer Égée, a confirmé la perte d’attrait de la traversée pour les migrants. La Grèce, au demeurant, s’est montrée satisfaite de l’application de l’accord. Le Premier ministre Alexis Tsipras a fait part de ses remerciements à la Turquie lors du sommet humanitaire mondial d’Istanbul, au mois de mai.
Si les flux maritimes ont été drastiquement réduits, en revanche les retours de migrants des îles égéennes vers les ports turcs de Dikili et Cesme sont apparus, à l’issue des quelques opérations de retour organisées depuis le 20 mars (131), finalement très faibles. L’obstacle au renvoi n’est pas de nature logistique, l’agence Frontex apportant une aide substantielle en moyens et en personnel, mais juridique : il tient au dépôt désormais quasi systématique par les migrants d’une demande d’asile en Grèce et à la reconnaissance très large de leur admissibilité par les autorités grecques de l’asile (132).
b. Des programmes de réinstallation impliquant de multiples acteurs
Si les efforts de réinstallation, encouragés notamment par une décision du Conseil de l’Union européenne du 20 juillet 2015, ont été amplifiés à la suite de la conclusion de l’accord UE-Turquie, les progrès réalisés demeurent toutefois insuffisants au regard de l’ampleur des flux migratoires qui sont en jeu.
i. Des efforts de réinstallation préexistants dynamisés par l’accord du 18 mars
Le deuxième point de l’accord du 18 mars 2016 prévoit la réinstallation de Syriens de la Turquie vers l’Union européenne en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations Unies. Il est précisé qu’ « un mécanisme sera mis en place, avec le soutien de la Commission, des agences de l’Union européenne et d’autres États membres, ainsi que du HCR, afin de s’assurer de la mise en œuvre de ce principe à partir du jour même où les retours commenceront » et que « la priorité sera donnée aux migrants qui ne sont pas déjà entrés, ou n’ont pas tenté d’entrer, de manière irrégulière sur le territoire de l’Union européenne ». La mise en place de réinstallations de réfugiés directement depuis la Turquie correspondait à une demande formulée par les autorités grecques depuis octobre 2015.
La réinstallation se définit comme le transfert de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides, identifiés comme ayant besoin d’une protection internationale, vers un État de l’Union européenne où ils sont admis soit pour des raisons humanitaires, soit du fait de leur statut de réfugiés.
Le mécanisme des réinstallations déborde le cadre de la déclaration du 18 mars. L’OFPRA met ainsi en œuvre depuis la fin de l’année 2013 des missions de réinstallation de réfugiés syriens en France depuis le Liban, la Jordanie et l’Égypte. Ses agents se sont rendus à Alexandrie, au Caire, à Amman et à Beyrouth à huit reprises depuis 2014, permettant l’accueil au total de 1 500 personnes en grande vulnérabilité. Par ailleurs, dans le cadre du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 20 juillet 2015, les États membres ont adopté des conclusions concernant la réinstallation, au moyen de mécanismes multilatéraux et nationaux, de 22 504 personnes déplacées provenant de l’extérieur de l’Union européenne et ayant manifestement besoin d’une protection internationale (133). Les représentants des gouvernements des États membres étaient expressément convenus à cette occasion « de tenir compte des régions prioritaires en matière de réinstallation, notamment l’Afrique du Nord, le Proche-Orient et la Corne de l’Afrique, et en particulier les pays dans lesquels les programmes régionaux de développement et de protection sont mis en œuvre (134) ». Le Canada, quant à lui, a réussi à réinstaller pas moins de 2 500 Syriens au cours des mois de janvier et février 2016.
S’agissant des réinstallations intervenant dans le cadre de l’accord UE-Turquie, beaucoup d’États se sont mis à proposer des places à compter de la signature de celui-ci. Le nombre de personnes réinstallées de la Turquie vers l’Union européenne a rapidement dépassé, de façon très nette, le nombre de Syriens renvoyés de Grèce vers la Turquie. Ce déséquilibre dans le cadre du schéma « un pour un » ne pose toutefois pas de difficultés, compte tenu des places proposées sur la base du « schéma volontaire (135) ».
La procédure de réinstallation se décompose en plusieurs étapes. La DGMM fournit d’abord au HCR une liste de réfugiés syriens susceptibles d’être réinstallés en Europe. À la mi-juin, cette liste comportait 28 000 noms.
Le HCR effectue alors une sélection en appliquant à cette liste des critères de vulnérabilité. Les huit critères principaux sont les suivants : besoins de protection juridique ou physique, personnes sans perspectives d’intégration locale, victimes de violences ou de torture, femmes vulnérables, besoins médicaux, réunification familiale, enfants et adolescents et personnes âgées. Le HCR écarte par ailleurs les cas de polygamie et de mariages précoces. Il procède ensuite à une répartition entre les États membres et propose des réinstallations à chaque État, dont la décision reste souveraine. Dans ce processus, le HCR ne se préoccupe pas de la capacité d’intégration (langue parlée, métier, etc.), afin de ne pas s’exposer de la part de la Turquie au reproche de ne sélectionner que les réfugiés qui lui conviennent. En revanche, le HCR prend en compte l’existence de liens familiaux, sans pour autant faire de regroupement familial.
S’agissant de la France, l’OFPRA, s’appuyant sur l’expérience acquise depuis deux ans en Égypte, en Jordanie et au Liban (136) et travaillant en bonne intelligence avec le HCR, effectue à son tour une sélection. À cet effet, depuis le mois d’avril dernier, il envoie régulièrement des missions en Turquie pour, grâce à des entretiens, vérifier que les personnes sont bien candidates à une réinstallation (137), évaluer leur besoin de protection et repérer une éventuelle exclusion au titre des clauses de protection ou de sûreté de l’État. Des missions se sont ainsi rendues à Ankara en avril (permettant l’audition de 400 personnes), puis en mai (avec 300 entretiens menés), en juin et en juillet. De même que pour les relocalisations ou pour la délivrance de l’asile en général, l’OFPRA a renforcé sa vigilance dans la mise en œuvre des dispositifs destinés à la détection des « profils à risque (138) ».
Des entretiens doubles et étanches peuvent, le cas échéant, être menés par le ministère de l’intérieur et, plus précisément, par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Le nombre de personnes accueillies relève de la compétence du ministère de l’intérieur. Pour chaque mission sur place, en Turquie comme en Jordanie, au Liban ou en Égypte, l’OFPRA se voit assigner un chiffre de personnes à entendre et à protéger potentiellement (139). À ce jour, le Gouvernement français a fixé un objectif de 6 000 réinstallations de réfugiés syriens en deux ans (140). Vos rapporteurs ignorent les modalités ayant abouti à la définition de ce chiffre, même si l’on peut supposer que les capacités d’hébergement entrent dans ce calcul. Pour qu’il y ait départ effectif, il faut en effet qu’un logement soit disponible à l’arrivée du migrant, sachant que, comme cela a été confirmé à la délégation de la mission, les perspectives de retour des personnes réinstallées dans leur pays d’origine sont quasi inexistantes.
La liste retenue par la France est soumise à la DGMM. Il arrive que celle-ci refuse alors certains permis de sortie. Il en va ainsi parfois lorsque les personnes concernées sont titulaires de diplômes. En effet, une suspicion a pris naissance dans l’esprit des autorités turques au cours de l’année 2014 selon laquelle l’Europe viendrait faire son « marché » afin de ne retenir que les minorités, les chrétiens, les personnes ayant un niveau d’instruction supérieur au baccalauréat, etc. Le HCR a eu le plus grand mal à convaincre les dirigeants turcs que leur crainte était sans fondement. Après avoir été finalement dissipée, cette suspicion tend à réapparaître depuis l’accord du 18 mars. Le vice-premier ministre chargé de la crise syrienne et des réfugiés, M. Veysi Kaynak, a d’ailleurs expressément fait part à la délégation de la mission de son souci que l’Union européenne ne sélectionne pas les réfugiés mais, à l’instar de la Turquie, les accueille « sans critères, ni profils ».
S’il convient bien sûr de prohiber toute sélection qui aboutirait à ne retenir que les membres de minorités religieuses ou les personnes diplômées, vos rapporteurs tiennent à souligner qu’il importe tout autant d’éviter une sélection à rebours. Il ne serait pas acceptable que les refus de permis de sortie de la part de la Turquie aboutissent à ne laisser partir que les personnes analphabètes ou les moins instruites. Outre que cela serait difficilement compréhensible pour les opinions publiques européennes, cela irait directement à l’encontre de l’intérêt des réfugiés dans leur ensemble.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) assume ensuite la charge de la logistique nécessaire à la réinstallation. 50 agents sont affectés à ces opérations. Le représentant de l’OIM à Ankara a déploré auprès de la délégation de la mission un manque de planification de la part des États membres qui tend à amoindrir la visibilité dont l’agence dispose concernant les effectifs qu’elle doit mobiliser. Il a également regretté le défaut d’uniformité des procédures propres aux États membres, chacun d’entre eux réclamant par exemple des documents de voyage différents. Vos rapporteurs invitent donc les États membres de l’Union européenne à planifier davantage leurs opérations de réinstallations et à s’efforcer de rapprocher leurs procédures en la matière.
Arrivé sur le sol français, par exemple, le migrant doit encore solliciter formellement auprès de l’OFPRA l’asile ou la protection subsidiaire (141).
ii. Des chiffres globaux encore trop modestes
Les réinstallations opérées dans le cadre de l’accord UE-Turquie sont satisfaisantes. Elles augmentent de façon régulière. Cette tendance devrait encore se renforcer dans les mois à venir, à mesure que les États membres concluent l’évaluation des dossiers qui leur sont transmis par la Turquie, par l’intermédiaire du HCR. Entre le 4 avril et le 15 juin 2016, 511 Syriens ont été réinstallés dans l’Union européenne depuis la Turquie. À la fin du mois de septembre 2016, le nombre de réfugiés syriens en Turquie réinstallés en Europe dans le cadre de l’accord du 18 mars s’élevait à 1 614 (142) : il y a donc eu trois fois plus de personnes réinstallées en Europe que de migrants renvoyés depuis les îles grecques. Le principe du « un pour un » est ainsi largement dépassé.
D’un point de vue global, toutefois, le niveau des réinstallations demeure insuffisant. Selon les informations communiquées par les États membres (143), au 10 juin 2016, 7 272 personnes avaient été réinstallées dans le cadre du programme de réinstallation de l’Union européenne approuvé le 20 juillet 2015, la plupart au départ de la Turquie, du Liban et de la Jordanie. Ces personnes ont été accueillies dans 19 États de réinstallation (Autriche, Belgique, République tchèque, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Islande, Irlande, Italie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Suède, Suisse et Royaume-Uni).
Lors de son audition par la mission le 28 septembre 2016, M. Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, a précisé que l’Office avait, entre avril et septembre 2016, identifié près de 700 personnes à réinstaller depuis la Turquie et qu’il menait actuellement une mission d’instruction au Liban en vue d’identifier 456 Syriens à réinstaller en France. Au total, à la fin du mois de septembre 2016, ce sont environ 2 000 personnes qui avaient été réinstallées dans notre pays depuis la Turquie, le Liban et la Jordanie. Le directeur général a ajouté que ces programmes de réinstallation, qui touchent des populations particulièrement vulnérables, allaient se poursuivre au cours des prochains mois et prendre une importance d’autant plus grande que les flux à travers la mer Égée, taris jusqu’à présent par l’accord UE-Turquie, resteraient à des niveaux très faibles.
En dépit de ces progrès, et alors même que la France présente un bilan plutôt honorable, l’ensemble de ces chiffres n’est toujours pas à la hauteur des enjeux, et apparaît encore sans proportion avec la pression migratoire qui s’exerce sur et depuis la Turquie. Vos rapporteurs invitent en conséquence les États membres de l’Union européenne à amplifier leurs programmes de réinstallations (144).
Dans le cadre de la réforme du régime d’asile européen commun (145) et des perspectives fixées dans l’agenda européen en matière de migration, la Commission a émis, le 13 juillet 2016, une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre de l’Union pour la réinstallation (146). Cette proposition vise à mettre en place une procédure unifiée pour la réinstallation dans l’ensemble de l’Union européenne. Des plans annuels de réinstallation, adoptés par le Conseil, définiraient les grandes zones géographiques prioritaires à partir desquelles les réinstallations auraient lieu ainsi que le nombre total maximal de personnes devant être réinstallées pour l’année à venir. Pour déterminer les régions ou les pays tiers à partir desquels la réinstallation aura lieu, des critères sont définis, tels que le nombre de personnes ayant besoin d’une protection internationale et les relations globales entre l’Union et les pays tiers concernés et leur coopération effective dans le domaine de l’asile et de la migration, y compris en ce qui concerne le développement de leur régime d’asile et la coopération en matière de migration irrégulière, de réadmission et de retour. Des procédures types pour la sélection et le traitement des candidats à la réinstallation sont également définies. Il est enfin prévu que la Commission verse aux États membres concernés une contribution de 10 000 euros pour chaque personne réinstallée (les réinstallations se faisant en dehors du nouveau cadre de réinstallation n’étant en revanche pas financées par le budget de l’Union). M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général des affaires européennes, a indiqué (147) à la mission que de telles mesures de standardisation pouvaient être utiles ponctuellement mais que la France n’était pas favorable à l’édiction au niveau européen de normes obligatoires en matière de réinstallation.
3. Des perspectives incertaines pour un accord qui demeure fragile
Une analyse prospective des suites susceptibles d’être données à la déclaration du 18 mars nécessite d’éclaircir d’abord la question du traitement réservé aux réfugiés en Turquie au regard du droit international. Ce point une fois éclairé, le devenir de l’accord au cours des prochains mois apparaît bien peu assuré.
a. Un traitement contrasté réservé aux réfugiés en Turquie
L’appréciation que l’on porte sur l’accord du 18 mars est susceptible de différer selon qu’il s’applique aux Syriens, dont le sort en Turquie a incontestablement été amélioré, ou aux non-Syriens, dont le taux de protection dans ce pays est faible et à l’égard desquels l’absence de tout refoulement ne semble pas absolument garantie.
i. Le sort des réfugiés syriens
Les Syriens renvoyés en Turquie dans le cadre de la déclaration du 18 mars sont hébergés dans un camp situé à Düziçi, près d’Adana, dans le sud-est du pays. Il convient de rappeler que la Turquie n’applique la Convention de Genève qu’aux ressortissants du Conseil de l’Europe. Quant aux Syriens, elle ne leur reconnaît, en application d’un règlement entré en vigueur en octobre 2014, qu’un statut de « protection temporaire (148) ».
Toutefois, si les Syriens n’ont pas la perspective d’obtenir la nationalité turque, ils ont en revanche accès, depuis le 13 janvier 2016, au marché du travail. Pour être autorisés à travailler, ils doivent résider en Turquie depuis au moins six mois. C’est à l’employeur qu’il incombe de solliciter le permis de travail. À la mi-juin 2016, 5 000 permis environ avaient été délivrés. Dans ces conditions, et sans nier les progrès restant à accomplir (149), le niveau global de protection accordé aux Syriens en Turquie se rapproche de celui de l’asile. C’est pourquoi d’ailleurs le HCR s’est montré modéré dans sa critique de l’accord en ce qui concerne les réfugiés syriens, soulignant les efforts réalisés par la Turquie dans l’accueil de millions de réfugiés et les avantages que l’Union européenne peut retirer d’une gestion « multilatérale » des flux de migrants (c’est-à-dire impliquant les États de départ, de transit et d’accueil, soit en l’espèce au moins la Turquie et les États membres de l’Union européenne, mais aussi, le cas échéant, le Liban, la Jordanie, etc.) (150).
Pas plus que le HCR, vos rapporteurs ne jettent le discrédit sur le volet de l’accord relatif aux réfugiés syriens. L’existence d’une incompatibilité avec l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (151), qui a parfois été avancée, ne leur paraît nullement démontrée. Ce pan de l’accord leur apparaît au contraire s’inscrire, en particulier, dans le cadre posé par les articles 33, 35 et 38 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.
L’article 33 de cette directive dispose en effet que « les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive 2011/95/UE (152), lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article ». Or, « les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable [notamment lorsque] :
a) une protection internationale a été accordée par un autre État membre ;
b) un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme le premier pays d’asile du demandeur en vertu de l’article 35 ;
c) un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur en vertu de l’article 38 ; (…) ».
L’article 35 précise qu’ « un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile d’un demandeur déterminé, si le demandeur (…) jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante dans ce pays, y compris du bénéfice du principe de non-refoulement, à condition qu’il soit réadmis dans ce pays ».
L’article 38, quant à lui, énumère, comme cela a été rappelé plus haut, les critères qui permettent de considérer un pays comme un « pays tiers sûr ». Ces critères sont les suivants :
— les demandeurs n’ont à craindre ni pour leur vie ni pour leur liberté en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques ;
— il n’existe aucun risque d’atteintes graves au sens de la directive 2011/95/UE ;
— le principe de non-refoulement est respecté conformément à la convention de Genève ;
— l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y est respectée ;
— la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la convention de Genève.
Au demeurant, il y aurait un certain paradoxe à inviter la Turquie à retenir sur son sol la plus grande partie des quelque 2,7 millions de Syriens qui s’y trouvent, et à la considérer dans le même temps comme un pays non suffisamment sûr pour que des réfugiés syriens puissent raisonnablement y être réadmis. C’est bien pourquoi, lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » du 20 mai 2016, les États membres de l’Union européenne ont reconnu que, dans les faits, la Turquie constituait désormais un pays sûr pour les réfugiés de nationalité syrienne à qui elle octroyait une protection conforme aux standards internationaux (153).
ii. Le devenir des réfugiés non-syriens
La question se pose en termes différents pour les réfugiés non-syriens renvoyés en Turquie dans le cadre de l’accord du 18 mars (essentiellement des Irakiens et des Afghans, mais aussi, par exemple, des Bangladeshis). Une fois réadmis, ceux-ci sont acheminés vers le camp de Kırklareli, situé près de la frontière bulgare.
Ces réfugiés non syriens peuvent certes se porter candidats, dans certaines conditions, à un programme de réinstallation mis en œuvre par le HCR (154). Il leur est également loisible de solliciter une protection internationale en vertu d’une loi promulguée par la Turquie en 2013. En cas de réponse favorable, ils bénéficient alors d’une protection dite « conditionnelle ». La Turquie s’est d’ailleurs engagée par écrit auprès de la Commission européenne à garantir à ces réfugiés une protection dans le respect du principe de non-refoulement. Toutefois, dénuée de stabilité, cette protection n’est pas de même niveau que la protection « temporaire » dont bénéficient les Syriens. De surcroît, selon certaines sources (155), des renvois de réfugiés non-syriens depuis la Turquie vers leur pays d’origine auraient eu lieu, sans qu’il soit possible d’avoir de certitudes sur la réalité, le nombre et les circonstances de ces renvois.
Vos rapporteurs invitent, d’une part, l’Union européenne et le HCR à renforcer, dans le dialogue avec la Turquie, leur suivi des réfugiés non-syriens. Ils se montrent réservés, d’autre part, sur l’application de l’accord du 18 mars aux réfugiés non-syriens, la qualité de « pays tiers sûr » de la Turquie à leur égard faisant débat, et ils préconisent, à tout le moins, un examen particulièrement attentif de la recevabilité de leur demande d’asile en Grèce.
b. L’avenir incertain de l’accord
L’avenir de l’accord du 18 mars apparaît incertain en raison à la fois de l’attitude des services grecs de l’asile et de celle des autorités turques. Les choix posés par les uns comme par les autres pourraient conduire à une remise en cause de la déclaration UE-Turquie, étant rappelé que celle-ci, selon le service juridique du Parlement européen, « reflétait seulement un engagement politique des deux parties et ne pouvait en aucun cas être considérée comme un accord international, étant donné son caractère juridique non contraignant (156) ».
i. La saturation des services grecs de l’asile et leur réticence à considérer la Turquie comme un pays tiers sûr
Dans les hotspots situés sur les îles égéennes, il est procédé, après l’enregistrement des demandes d’asile par la police hellénique, à un examen de leur admissibilité. La Grèce n’ayant pas reconnu la Turquie comme pays tiers sûr dans sa législation (157), l’évaluation de l’application de cette notion se fait par un examen au cas par cas, dans le respect des règles prévues à l’article 34 de la directive 2013/32/UE précitée du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Cet article dispose en effet : « Avant que l’autorité responsable de la détermination ne prenne une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale, les États membres autorisent le demandeur à exposer son point de vue concernant l’application des motifs visés à l’article 33 à sa situation particulière. À cette fin, ils mènent un entretien personnel sur la recevabilité de la demande. » En pratique, les demandeurs sont interrogés notamment sur les risques qu’ils encourraient s’ils étaient renvoyés en Turquie.
Les demandes d’asile ne sont pas examinées au fond. Les décisions d’inadmissibilité peuvent être déférées à un « comité d’appel ». Seuls les migrants dont la demande n’est pas jugée admissible peuvent être renvoyés en Turquie.
Dans les jours ayant suivi la conclusion de l’accord, la plupart des observateurs avaient estimé que la Grèce jugerait recevables très peu de demandes d’asile, sauf en cas de vulnérabilité particulière ou pour des personnes considérées comme insuffisamment protégées en Turquie, telles que certaines populations kurdes. Dans les faits, sur les 1 429 demandes d’asiles déposées au 14 juin 2016, 267 seulement ont été jugées irrecevables. Les comités d’appels ont, au 14 juin, cassé la décision d’irrecevabilité dans 70 de ces cas et l’ont confirmée dans deux cas, les autres affaires n’ayant pas encore été tranchées à cette date. Pour l’heure, aucun demandeur d’asile n’a été renvoyé en Turquie. Les opérations de renvoi de migrants vers la Turquie (158) n’ont concerné que des personnes n’ayant pas déposé de demandes d’asile. À la date du 15 juin 2016, elles avaient porté sur 462 personnes, dont 31 Syriens (159). À la fin septembre 2016, les renvois n’avaient porté que sur 578 migrants (160), constitués pour l’essentiel de non-Syriens et de personnes volontaires ou, à tout le moins, n’ayant pas sollicité l’asile en Grèce.
Les nationalités concernées par les renvois, selon des chiffres arrêtés cette fois-ci au 27 avril 2016, se répartissaient comme suit :
RÉPARTITION DES RÉADMISSIONS SELON LA NATIONALITÉ
Pakistan |
243 |
Afghanistan |
54 |
Bangladesh |
23 |
Iran |
16 |
Syrie |
14 |
Autres |
36 |
Total |
386 |
Source : Organisation internationale pour les migrations (OIM)
L’absence de renvoi de demandeurs d’asile vers la Turquie s’explique tout d’abord par la saturation des services grecs de l’asile, confrontés à la multiplication des demandes d’asile des migrants bloqués sur les îles. La quasi-intégralité des personnes arrivées postérieurement au 20 mars 2016 ont fait part de leur souhait de solliciter l’asile alors qu’elles n’étaient que 2 à 3 % à le faire avant la conclusion de l’accord. De surcroît, lorsque leur demande n’est pas jugée recevable, elles tendent à faire systématiquement appel.
Une deuxième raison tient à la forte réticence des services grecs de l’asile et des instances de recours que constituent les « comités d’appel (161) » à considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr », y compris pour les Syriens. Cette réticence est d’ailleurs commune à l’EASO, présent sur les îles grecques (162). De son côté, M. Pascal Brice, directeur de l’OFPRA, a indiqué à la délégation de la mission que le taux de protection accordée par l’Office aux demandeurs d’asile turcs s’élevant à environ 20 %, la Turquie ne pouvait, de ce point de vue, être considérée a priori comme un pays d’origine sûr. L’OFPRA, par ailleurs, n’a pas souhaité participer aux examens de recevabilité conduits dans les hotspots grecs auprès des personnes arrivées après le 20 mars : c’est pourquoi aucun officier de protection n’y est présent. Pour M. Kris Pollet, chargé de mission au Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE), rencontré à Bruxelles par une délégation de la mission, la Turquie ne remplit pas les critères du « pays tiers sûr » énumérés à l’article 38 de la directive 2013/32/UE, tels qu’ils ont été exposés plus haut (163). Les vastes purges menées par les autorités turques, à la suite de la tentative de coup d’État du 15 juillet dernier, dans les milieux économiques, l’université, l’armée, l’administration pénitentiaire, la presse, la fonction publique d’État, etc., ne sont pas propres à dissiper ces doutes sur le caractère authentiquement « sûr » de la Turquie.
La réticence des services grecs de l’asile à reconnaître la Turquie comme « pays tiers sûr », et donc leur tendance à reconnaître l’admissibilité des demandes d’asile déposées dans les hotspots après la conclusion de l’accord du 18 mars, est de nature à affaiblir la mise en œuvre de celui-ci. Lorsque les migrants comme les passeurs auront pris conscience que les demandes d’asile déposées dans les hotspots sont largement considérées comme recevables, les risques sont grands que les flux à travers la mer Égée ne reprennent.
Vos rapporteurs partagent, s’agissant des réfugiés non-syriens, la réticence des services grecs de l’asile à reconnaître la Turquie comme « pays tiers sûr ». Cette réticence leur paraît en revanche moins justifiée en ce qui concerne les réfugiés syriens dans la mesure notamment où ceux-ci bénéficient en Turquie d’un régime de « protection temporaire » et y ont accès au marché du travail. S’agissant toujours des Syriens, cette réticence paraît à vos rapporteurs traduire en outre un manque de responsabilité, en ce qu’elle est de nature à encourager la reprise des traversées, combien périlleuses, de la mer Égée. Enfin, il est particulièrement paradoxal que les opérations de renvoi aient, à ce jour, concerné pour l’essentiel des migrants non syriens alors que la protection de ceux-ci en Turquie est précisément la moins élevée.
Il convient de noter que, pour remédier à cette tendance, l’État grec a annoncé en juillet 2016 la réforme de la composition des « comités d’appel », constitués jusqu’à ce jour d’un représentant des services grecs de l’asile, d’un membre du HCR et d’un représentant d’une ONG. Il reste à observer si cette réforme suffira à inverser la tendance en matière d’appréciation de la recevabilité des demandes d’asile.
ii. L’attitude non dénuée d’ambiguïté des autorités turques
À la demande de la Turquie, la question de la libéralisation des visas pour ses citoyens, issue d’un dialogue ayant débuté en 2013, a été liée à l’accord de réadmission. Particulièrement ferme sur cette demande, la Turquie n’a pas manqué de souligner que, des candidats à l’adhésion à l’Union européenne, elle était la seule dont les ressortissants ne bénéficiaient pas aujourd’hui d’un accès sans visa à l’espace Schengen.
Dans le cadre de l’accord conclu le 18 mars, il a été proposé d’accélérer cette libéralisation des visas pour tenter d’aboutir avant la fin du mois de juin 2016, sous réserve que tous les critères requis par l’Union européenne soient respectés. La décision en la matière appartient au Parlement, sur un pied d’égalité avec le Conseil, au titre de la procédure de codécision.
Dans son troisième rapport de suivi, présenté le 4 mai, la Commission européenne a souligné qu’Ankara devait encore satisfaire, sur un ensemble de 72 critères (164), un certain nombre qui concernent notamment la protection des données et la législation antiterroriste. Sur ce dernier point, il a en effet été demandé à la Turquie de réviser son incrimination du terrorisme, jugée trop large. S’y refusant fermement, les autorités turques ont fait valoir, d’une part, que les attentats terroristes perpétrés sur leur sol ont fait plus de 500 victimes depuis un an et, d’autre part, que le risque d’arbitraire est écarté, en raison de l’appartenance de la Turquie au Conseil de l’Europe et du contrôle exercé sur elle par la Cour européenne des droits de l’homme.
Nonobstant le refus exprimé par la Turquie de modifier sa législation antiterroriste (165), la Commission européenne a proposé, le 4 mai 2016, de lever les exigences en matière de visa à son égard, « étant entendu que les autorités turques respecteront, de toute urgence et comme elles se sont engagées à le faire le 18 mars 2016, les critères restants ». Toutefois, à la suite de cette annonce, la Conférence des présidents du Parlement européen (composée du Président du Parlement et des chefs de file des groupes politiques) a fait savoir que la proposition de levée de l’exemption ne pourrait être examinée qu’après que tous les critères auront été remplis. Du point de vue de la France également, la décision d’accélérer la libéralisation des visas ne saurait délier la Turquie de son obligation de respecter la totalité des critères, ce qu’elle ne fait pas à ce jour (166).
Dans son rapport d’avancement de septembre 2016 (167), la Commission européenne, semblant adopter une position plus stricte que quelques mois auparavant, confirme que les sept critères suivants demeurent à remplir :
« — délivrer des documents de voyage biométriques pleinement compatibles avec les normes de l’Union européenne ;
— adopter la mesure de prévention de la corruption prévue par la feuille de route ;
— conclure un accord de coopération opérationnelle avec Europol ;
— réviser la législation et les pratiques relatives au terrorisme, conformément aux normes européennes ;
— aligner sur les normes européennes la législation sur la protection des données à caractère personnel ;
— proposer à tous les États membres de l’Union européenne une coopération judiciaire effective en matière pénale ;
— mettre en œuvre l’ensemble des dispositions de l’accord de réadmission UE-Turquie. »
De son côté, le Conseil JAI a adopté, le 20 mai 2016, une proposition franco-allemande visant à réviser le règlement n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 (168) afin de renforcer le mécanisme de suspension (introduit en 2013) de la libéralisation du régime des visas. Le texte proposé (objet de discussion désormais avec le Parlement européen) facilite la notification par les États membres des circonstances pouvant mener à une suspension, habilite la Commission à déclencher le mécanisme de sa propre initiative et la charge d’assurer un suivi par un rapport annuel sur le respect des critères et réduit les périodes de référence (de six à deux mois) et les délais en vertu desquels l’Union européenne peut décider une suspension à titre temporaire. Parmi les nouveaux motifs susceptibles d’être invoqués figure en premier lieu la circonstance d’une baisse de la coopération en matière de réadmission (en particulier un accroissement de plus de 50 % du taux de refus des demandes de réadmission), y compris pour des ressortissants de pays tiers ayant transité par le pays concerné, lorsqu’un accord de réadmission conclu avec ce pays prévoit une obligation de réadmission. Un État membre disposerait également de nouveaux moyens de suspendre un régime d’exemption de visas, en invoquant l’ordre public et la sécurité intérieure. Comme l’a indiqué le ministre français de l’intérieur (169), « cette clause de sauvegarde est une clause qui permet de revenir en arrière sur la question de la libéralisation des visas si un pays manque à ses obligations ou à ses engagements. C’était pour nous très important que de faire partager cette clause de sauvegarde par l’ensemble des pays de l’Union européenne parce qu’en matière de libéralisation des visas, compte tenu de ce qu’est la situation au sein de l’espace Schengen, l’objectif de maîtrise doit prévaloir sur tout autre objectif. »
Quoi qu’il en soit, le président turc ayant accepté que la levée de l’exigence de visas soit repoussée de quelques mois, les discussions continuent.
Si vos rapporteurs sont prêts, pour leur part, à examiner sans a priori le principe d’une exemption de visas pour les ressortissants turcs, le lien opéré par la Turquie entre ce sujet et l’accord du 18 mars leur apparaît néanmoins artificiel. Il n’est dans l’intérêt ni de l’Union européenne ni de la Turquie de lier la question des visas et celle de la gestion de la crise migratoire.
Un autre point de débat soulevé par la Turquie concerne les modalités de versement de la facilité financière de deux fois trois milliards d’euros prévue dans la déclaration du 18 mars. Elle souhaite en particulier que cette aide financière transite par son administration et ne soit pas versée, par exemple, directement aux ONG venant en aide aux réfugiés sur son sol. M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, a pourtant bien précisé, lors de son audition par la mission, qu’il ne saurait y avoir de virements directs au budget turc. L’Union européenne souhaite en effet entourer de certaines conditions le versement de cette facilité financière et conserver un droit de regard sur son utilisation. M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général des affaires européennes, a par ailleurs déclaré le 18 mai 2016 (170) : « S’agissant de la facilité de 3 milliards d’euros, mise en place par l’Union européenne et destinée aux Syriens présents en Turquie – qui sont près de 2,7 millions –, la Turquie a demandé que l’Europe s’engage à poursuivre son effort si la situation en Syrie ne s’améliorait pas. La France l’a accepté à condition que nous puissions nous assurer que ces fonds seraient bien destinés à l’amélioration des conditions de vie des réfugiés syriens sur le territoire turc et que les décisions de déboursements supplémentaires seraient prises au vu de la consommation de la première facilité de 3 milliards. » Au 1er juin 2016, 189 millions d’euros avaient été approuvés. Depuis lors, les discussions entre les deux parties se sont poursuivies, et les autorités turques semblent s’être rangées de façon plus raisonnable à la position européenne. Selon des informations fournies le 4 octobre 2016 par la Commission européenne (171), « à ce jour, 34 projets d’une valeur totale de 1,252 milliard d’euros ont fait l’objet de contrats, dont 467 millions d’euros ont été décaissés. Le montant total des fonds alloués à la mise en œuvre de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie sous forme d’actions humanitaires et non humanitaires s’élève désormais à 2,239 milliards d’euros. » La Commission précise que « d’autres projets visant à contribuer à la construction d’écoles, d’hôpitaux et d’infrastructures de services d’utilité publique seront signés dans les tout prochains mois ».
Dans les négociations concernant aussi bien les critères à remplir que l’utilisation de la facilité financière, il importe, d’un côté, de garder présent à l’esprit l’effort incontestable fourni par la Turquie dans la prise en charge de près de trois millions de réfugiés, sans mésestimer non plus, d’un autre côté, le fait qu’elle en retire certains bénéfices, en termes de main-d’œuvre bon marché, par exemple.
Quoi qu’il en soit, ces questions demeurant en suspens font planer, tout comme la réticence des services grecs de l’asile à renvoyer des migrants vers la Turquie, des menaces sur l’avenir de l’accord du 18 mars. Si l’Union européenne et la Turquie ne parviennent pas à trouver un compromis sur ces points de désaccord ou de débat, on ne peut exclure que la seconde ne relâche sa surveillance de la côte égéenne et sa lutte contre les passeurs. Les conditions seraient alors réunies pour une reprise des flux à travers la mer Égée. Il est à noter toutefois que M. Pierre-Antoine Molina (172) a jugé assez peu probable une réouverture des flux par la Turquie, dont les intérêts sont largement communs avec ceux de l’Union européenne. Il est vrai que, en rouvrant les flux, et donc en donnant le signal que le passage par les îles grecques est possible, les autorités turques courraient le risque de voir se produire sur leurs côtes ce que la France connaît à Calais, c’est-à-dire une concentration, dans des conditions particulièrement difficiles, de candidats au départ.
Si la déclaration UE-Turquie a un avenir incertain, elle laisse aussi dans l’ombre certaines questions, telles que le sort des migrants arrivés avant le 20 mars et présents en Grèce continentale ou encore le développement de nouvelles routes migratoires.
a. Le sort des migrants en Grèce continentale
46 000 migrants, arrivés en Grèce avant le 20 mars 2016, ne sont pas couverts par l’accord UE-Turquie. Sur ce nombre, on évalue – sans qu’il soit possible de vérifier la précision de cette estimation – à au moins la moitié la proportion de migrants qui répondent manifestement aux critères justifiant l’octroi d’une protection internationale, le reste étant constitué de migrants pour motifs économiques. Or, comme la délégation de la mission a pu le constater sur place, les services grecs n’ont pas la capacité de traiter à court terme l’ensemble des demandes d’asile émanant de ces dizaines de milliers de personnes (173). D’un point de vue pratique, c’est par le biais du logiciel « Skype (174) » que les personnes peuvent obtenir un rendez-vous en vue de faire enregistrer leur demande d’asile. Or, seuls 100 rendez-vous sont fixés chaque jour par l’intermédiaire de ce logiciel.
Vos rapporteurs se félicitent que la France ait mis à la disposition des autorités grecques, à Athènes, Thessalonique et Alexandroupoli, quinze officiers de protection de l’OFPRA destinés à doubler les capacités d’enregistrement des candidats en Grèce continentale. Ils préconisent que la Grèce, aidée par un concours encore accru de la France et de l’Union européenne, augmente encore les moyens consacrés à l’enregistrement des demandes d’asile.
b. L’apparition de nouvelles routes
La déclaration UE-Turquie laisse également sans réponse la question préoccupante du développement de nouvelles routes migratoires. Si certaines voies irrégulières, notamment terrestres, dans le sud-est de l’Europe, n’ont pas encore pris une ampleur démesurée, en revanche les flux en Méditerranée centrale connaissent une reprise significative dont on anticipe la montée en puissance au cours des semaines et des mois à venir.
i. Une réactivation encore limitée de certaines voies irrégulières
Confrontés au blocage des migrants à la fois dans les îles grecques et en Grèce continentale, les passeurs tendent à réactiver de nouvelles voies irrégulières pour leur permettre de continuer leur route vers le nord de l’Europe.
Le nombre de franchissements irréguliers de la frontière terrestre gréco-turque connaît une hausse sensible. Entre janvier et avril 2016, 1 449 migrants irréguliers ont été appréhendés dans le département de l’Évros (175), en provenance de Turquie, contre 473 pour la même période en 2015. Des organisations criminelles organisent ensuite le passage notamment vers l’ARYM, en fournissant souvent de faux documents (176). Les 7 et 8 mai, trois camions transportant respectivement 57, 29 et trois migrants ont été interceptés à la frontière gréco-macédonienne. Ils auraient payé 800 euros pour être déposés au nord de l’ARYM, non loin de la frontière serbe. D’autres tentent de gagner, en dépit des dangers, l’Albanie : 16 Syriens ont ainsi été interpellés après avoir franchi la frontière albanaise.
Par ailleurs, selon M. Dimitri Zoulas, attaché de sécurité intérieure à l’ambassade de France à Athènes, on commence à observer des traversées depuis la Turquie vers l’Italie grâce à des bateaux de pêche ou des voiliers dans lesquels les migrants sont couchés à fond de cale. Des traversées ont également été repérées de la côte occidentale de la Grèce vers l’Italie, à partir de ports comme Patras (177). On relève également une augmentation de la fraude documentaire à l’aéroport d’Athènes depuis le début du mois de mai. Le 13 mai, la police hellénique a refusé l’embarquement de trois passagers à destination de l’Allemagne et de la Suisse, en raison de la falsification et de l’usurpation de papiers d’identité (178).
ii. Une reprise significative des flux en Méditerranée centrale
Si la reprise des flux terrestres dans le sud-est de l’Europe demeure pour l’instant limitée et n’esquisse pas à ce jour de véritable route alternative, il en va différemment des flux en Méditerranée centrale. On assiste à une hausse significative des flux, transitant par la Libye, en provenance d’Afrique subsaharienne, d’Afrique de l’Ouest (Niger, Sénégal, etc.) mais aussi de la Corne de l’Afrique (Érythrée) et du Soudan. On compte également beaucoup d’Égyptiens, et de Libyens eux-mêmes (en raison de la dégradation de la situation en Libye), parmi les candidats à la traversée.
Cette hausse, liée en partie au retour de la belle saison, semble traduire aussi une certaine fluidité des routes même si le nombre de Syriens passant par la Méditerranée centrale paraît encore restreint.
Selon le ministère italien de l’intérieur, 200 000 migrants pourraient arriver en Italie en 2016, contre 170 000 en 2014 et 153 500 en 2015. Les services de renseignement de la Péninsule estiment quant à eux à 35 000 le nombre de personnes présentes sur les côtes libyennes et qui seraient prêtes à prendre la mer, chiffre qui, selon Frontex, serait encore nettement sous-évalué. Toutefois, M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France, a pour sa part avancé des prévisions moins pessimistes en estimant à environ 130 000 les arrivées en Italie de janvier à septembre 2016, soit une tendance comparable à celle de l’année précédente (179).
La montée en puissance de la route sud-méditerranéenne préoccupe particulièrement vos rapporteurs, étant rappelé qu’elle est plus longue, plus dangereuse et plus chère que celle de la mer Égée. Le simple passage en mer se négocie autour de 4 000 euros par adulte et de 2 000 euros par enfant. L’objectif de réduction de ces flux est beaucoup plus difficile à atteindre qu’en ce qui concerne ceux de la mer Égée. Vos rapporteurs se montrent favorables non seulement à une politique tendant à la conclusion de pactes migratoires avec les pays d’origine et de transit (180) mais aussi à un redéploiement de l’effort opérationnel de l’agence Frontex vers la Méditerranée centrale. La stabilisation politique de la Libye et l’émergence d’autorités publiques légitimes dans ce pays doivent constituer des axes prioritaires de l’action diplomatique de l’Union européenne et de la France.
III. UNE POLITIQUE COMMUNE DE L’ASILE, DE L’IMMIGRATION ET DES FRONTIÈRES À BÂTIR
Les dispositifs mis en œuvre par l’Union européenne au cours des années 2015 et 2016 ont eu le mérite de répondre à l’urgence mais ont pâti parfois d’un défaut de cohérence et d’une anticipation insuffisante, qui font planer des incertitudes sur leur avenir. C’est ainsi, à titre d’illustration, que les réinstallations et, surtout, les relocalisations demeurent très inférieures aux objectifs. Nul ne sait, pour prendre un autre exemple, combien de temps l’accord UE-Turquie dissuadera les migrants d’entreprendre la traversée de la mer Égée. C’est pourquoi l’ensemble de ces dispositifs ne saurait dispenser l’Union européenne d’élaborer, à plus long terme, une politique commune de l’asile, de l’immigration et des frontières, passant par la mise en place de voies légales d’accès au territoire européen, par une réforme du système « Dublin », par le développement d’une gestion intégrée des frontières extérieures et par la conclusion de partenariats avec les pays tiers.
A. DÉVELOPPER LES VOIES LÉGALES D’ACCÈS À L’UNION EUROPÉENNE POUR LES MIGRANTS
La montée en puissance des mécanismes de surveillance des frontières extérieures communes de l’Union européenne et de réadmission de certains migrants irréguliers ne saurait aboutir à transformer l’Union en forteresse. Ce serait non seulement illusoire mais aussi contraire à l’intérêt tant des migrants que des États membres eux-mêmes, du double point de vue de la défense de leurs valeurs et de la préservation de leur avenir démographique et économique. C’est pourquoi il est nécessaire, selon vos rapporteurs, de mettre en place des voies d’accès sûres et régulières à l’Europe aussi bien à destination des réfugiés que dans le cadre d’une immigration légale.
1. Des voies d’accès sûres et régulières pour les réfugiés
Le développement de voies d’accès sûres et régulières pour les demandeurs d’asile pourrait prendre la forme, dans un premier temps, d’une politique amplifiée et structurée de réinstallations. À plus long terme, il pourrait aller jusqu’à la mise en place de dispositifs de délivrance de l’asile par les États membres directement dans les pays de départ ou de transit.
a. Amplifier et systématiser les réinstallations
Comme vos rapporteurs l’ont montré plus haut, la crise migratoire demeure extrêmement préoccupante au moins à trois égards :
— en raison des conditions de vie difficiles, et parfois dramatiques, des migrants, notamment de ceux bloqués en Grèce et des mineurs ;
— compte tenu la pérennité incertaine de l’accord UE-Turquie du 18 mars 2016 ;
— et eu égard à l’apparition de nouvelles routes migratoires où des flux croissants sont observés et anticipés.
Afin de ne pas réitérer l’erreur commise entre 2011 et 2015, il importe de ne pas attendre le summum d’une crise pour prendre les mesures qui s’imposent. On estime à plusieurs centaines de milliers les candidats à un départ vers l’Union européenne qui pourraient tenter leur chance prochainement, dont une grosse moitié n’aurait pas encore atteint la Libye. Une détérioration de la situation géopolitique, par exemple au Nigeria ou au Maghreb, pourrait multiplier ce chiffre.
Soucieux d’anticiper de futurs mouvements migratoires de grande ampleur, vos rapporteurs invitent à appréhender le problème des réfugiés le plus en amont possible, c’est-à-dire dans les pays de départ ou de transit. Ceci présenterait l’avantage de diminuer les risques pesant sur les migrants, du point de vue notamment des traversées maritimes et de la vulnérabilité des mineurs à l’égard des réseaux criminels. Telle est au demeurant la position, par exemple, du HCR. Dans un document du 4 mars 2016 intitulé « HCR : six étapes pour résoudre la situation des réfugiés en Europe (181) », celui-ci recommande de « mettre à disposition davantage de voies légales et plus sûres pour que les réfugiés puissent rejoindre l’Europe dans le cadre de programmes facilités (…) afin que les réfugiés ne recourent pas à des passeurs ou des trafiquants dans leur quête de sécurité ». Les dysfonctionnements du système Dublin trouveraient déjà, par ce seul fait, un début de réponse, la charge pesant sur les pays de premier accueil étant ainsi allégée.
Une action en ce sens pourrait prendre plusieurs formes :
— augmenter fortement le nombre de visas délivrés au titre de l’asile, en renforçant les moyens qui y sont consacrés ;
— amplifier et structurer la politique de réinstallation depuis la Turquie, la Jordanie, le Liban mais aussi, à plus long terme, depuis l’Égypte et d’autres États encore.
Quant à ce dernier point, il s’agirait non seulement d’augmenter le nombre de personnes réinstallées, mais aussi de donner un cadre institutionnel pérenne aux dispositifs de réinstallation. Ce pourrait être sous l’égide d’une nouvelle agence de l’Union européenne ou de l’Organisation des Nations Unies, ce qui dans ce dernier cas permettrait d’y associer d’autres pays tels que le Canada, l’Australie ou encore l’Argentine, par exemple.
La Commission européenne semble, au demeurant, partager cet objectif. Le 6 avril 2016, à l’occasion de la présentation des options de réforme du régime d’asile européen commun, elle s’est engagée à formuler, en s’appuyant sur les initiatives existantes, une proposition encadrant la politique de l’Union européenne en matière de réinstallation, qui prévoira un mécanisme horizontal à cet effet, assorti de règles européennes communes régissant l’admission et la répartition, le statut à octroyer aux personnes réinstallées, le soutien financier ainsi que les mesures visant à décourager les mouvements secondaires. Mieux encore, le 7 juin 2016, à l’occasion de la présentation du projet de nouveau cadre de partenariat de migration (182), la Commission a indiqué que l’Union européenne soutiendrait la mise en place d’un programme de réinstallation au niveau mondial, coordonné par les Nations Unies, afin de contribuer à un partage équitable des personnes déplacées et de décourager les mouvements irréguliers.
Vos rapporteurs notent aussi avec satisfaction que, dans sa résolution adoptée le 12 avril 2016 sur la situation en Méditerranée et sur la nécessité d’une approche globale des migrations de la part de l’Union européenne, le Parlement européen « insiste sur l’importance d’un programme permanent de réinstallation à l’échelle de l’Union qui repose sur la participation obligatoire de tous les États membres et qui prévoit la réinstallation d’une part significative du nombre total de réfugiés demandant la protection internationale de l’Union ».
Vos rapporteurs ne peuvent que saluer, dans le même esprit, l’annonce faite par le président François Hollande, le 16 avril 2016, à Beyrouth, que la France entendait réinstaller 3 000 Syriens depuis le Liban avant la fin de l’année 2017.
b. Vers une délivrance de l’asile dans les États de départ et de transit
Vos rapporteurs invitent à aller plus loin en réfléchissant à la possibilité de prononcer sur place, c’est-à-dire dans les pays de départ ou de transit, la décision d’octroyer ou de refuser l’asile ou la protection subsidiaire.
Ceci présenterait l’avantage de dissuader dans une certaine mesure les migrants ne remplissant pas les conditions pour obtenir une protection internationale d’entreprendre le voyage jusqu’en Europe. Étant informés dès le départ qu’ils n’ont pas droit à l’asile et qu’ils sont susceptibles de faire l’objet d’une mesure de renvoi ou de réadmission, ils auraient moins intérêt à s’exposer aux risques et à engager les frais d’un voyage.
Une représentation de l’OFPRA pourrait être instituée à cet effet dans les consulats ou les sections consulaires des ambassades. On pourrait même envisager d’installer, avec l’accord des États concernés, des centres d’accueil et d’enregistrement (hotspots) dans les pays de départ et de transit (Jordanie, Liban, etc.). Il ne s’agirait pas, pour les États européens, d’externaliser leurs obligations mais au contraire de mieux les remplir en offrant une protection le plus tôt possible.
2. Des canaux d’immigration légale
Au-delà du développement de voies d’accès régulières pour les demandeurs d’asile, vos rapporteurs invitent à replacer le phénomène des migrations dans le cadre plus large du problème mondial des déplacements de populations. La mobilité humaine sera de toute façon une caractéristique inhérente au 21ème siècle. Les frontières seront sans cesse davantage des lieux de passage. Cette évolution ne doit pas être considérée nécessairement comme une menace, mais aussi et surtout comme un atout pour une Europe à la démographie atone et qui sera confrontée à un besoin croissant de main-d’œuvre au cours des prochaines décennies. En effet, les projections démographiques montrent que d’ici à 2060, la population active de l’Union européenne diminuera de plus de 10 %, c’est-à-dire de 50 millions de personnes, alors que la proportion de retraités augmentera de 17,1 % à 30 %. Cette tendance pèsera sur la productivité économique de l’Union européenne, du fait en particulier qu’il y aura bientôt deux membres de la population active pour une personne de plus de 65 ans, contre quatre aujourd’hui.
Cette problématique a été bien identifiée par M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. En effet, le 23 avril 2014, à Malte, dans le cadre de sa campagne pour la présidence de la Commission, il avait présenté un projet en cinq points sur l’immigration dans lequel il écrivait :
« L’Europe a besoin de davantage de courage politique concernant la migration légale (…) nous ne serons en mesure de faire face à l’immigration que si l’Europe adopte une politique équilibrée qui permette aux migrants de venir en Europe légalement et de manière contrôlée plutôt que clandestinement, en traversant la Méditerranée dans des embarcations instables affrétées par des trafiquants sans scrupule. Organiser l’immigration légale est également dans l’intérêt à long terme de l’Europe (…) À partir de 2015, la baisse démographique de l’UE signifiera deux choses : d’une part nous aurons besoin de remplacer les retraités dans le marché du travail, et d’autre part nous aurons besoin d’occuper les nouveaux emplois créés pour servir un nombre toujours croissant de personnes âgées, en particulier dans le secteur des soins. Nous devons donc développer une politique d’immigration légale commune pour répondre à la demande croissante de compétences et de talents. »
M. Dimitris Avramopoulos, commissaire pour la migration et les affaires intérieures, semble partager ces vues. À l’occasion de la présentation par la Commission des options de réforme du régime d’asile européen commun, le 6 avril 2016, il a ainsi déclaré que « l’Europe a également besoin de renforcer les voies d’accès légales et sûres à son territoire (…) à des fins (…) d’emploi. Elle doit attirer des talents étrangers pour soutenir sa croissance économique. Ces réformes constituent un complément nécessaire des actions entreprises pour réduire les flux irréguliers à destination de l’Europe et en son sein, tout en protégeant nos frontières extérieures. »
Ceci pourrait prendre la forme notamment d’une politique d’immigration de travail assumée. La création, par une directive 2009/50/CE du Conseil du 25 mai 2009 (183), de ce permis de travail européen que constitue la « carte bleue » européenne, a été une première étape en ce sens. Elle donne à des personnes hautement qualifiées en provenance de pays situés hors de l’Union européenne le droit de résider et de travailler dans un pays de l’Union pour autant qu’elles possèdent des qualifications professionnelles élevées (diplôme universitaire, par exemple) et un contrat de travail ou une offre d’emploi ferme assortis d’un salaire élevé par rapport à la moyenne du pays où se trouve le poste. La carte bleue européenne est en vigueur dans 24 États membres, les pays qui ne l’appliquent pas étant le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni. Le nombre de cartes bleues européennes octroyées demeure, sauf en Allemagne, néanmoins limité (184), sa délivrance étant parfois entravée par des lourdeurs administratives à l’échelon national.
Redynamiser la carte bleue européenne constitue une première piste au profit des travailleurs hautement qualifiés. De façon complémentaire, il paraît important à vos rapporteurs de fluidifier et de sécuriser le passage des travailleurs saisonniers. Le législateur français est allé dans ce sens en adoptant la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France. Celle-ci rénove le cadre juridique de l’accueil des talents étrangers et limite (185) l’obligation pour les étrangers d’obtenir une autorisation de travail aux seuls séjours professionnels d’une durée supérieure à trois mois. Ces réformes vont dans la bonne direction et demandent à être confirmées et amplifiées.
Dans une vision plus stratégique et de plus long terme, le développement de l’immigration légale pourrait passer par la conclusion d’accords avec les pays tiers, et notamment ceux du pourtour méditerranéen, l’Europe devant en la matière s’exprimer d’une seule voix (186). Tel est au demeurant le chemin proposé par la Commission européenne dans son projet de nouveau cadre de partenariat de migration, présenté le 7 juin 2016.
B. RÉFORMER LE RÈGLEMENT DUBLIN III ET PROGRESSER VERS UN SYSTÈME D’ASILE UNIFORME
1. La réforme du règlement Dublin III
À la suite de l’évaluation du règlement Dublin III, précédemment évoquée par vos rapporteurs, la Commission européenne a présenté le 6 avril 2016 les deux options envisagées pour sa réforme (187).
La première option consistait à conserver les critères actuels de détermination de l’État membre responsable, tout en complétant le système par un « mécanisme d’équité correcteur » permettant de procéder à une répartition des demandeurs d’asile entre États membres en cas d’afflux massif. Ce mécanisme, fondé sur une clé de répartition, serait déclenché dès qu’un seuil prédéfini serait atteint dans un État membre donné. Il s’inspirerait du mécanisme permanent de relocalisation en cas de crise proposé par la Commission européenne en septembre 2015 (188).
La deuxième option prévoyait l’abandon du critère de l’entrée irrégulière par le territoire d’un État membre et l’attribution de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile en fonction d’une clé de répartition. Les critères d’ordre familial resteraient néanmoins prioritaires comme dans le règlement Dublin III.
La Commission a retenu la première option dans la proposition de révision du règlement Dublin III publiée le 4 mai 2016 (189). Le choix a ainsi été fait de ne pas sortir de la logique de Dublin mais de prendre en compte la possibilité d’un afflux massif de demandeurs d’asile représentant une charge excessive pour les États de première entrée à travers un mécanisme correcteur automatique, qui constitue la principale innovation de la proposition.
Une part de référence serait définie pour chaque État membre en fonction d’une clé de répartition prenant en compte la population (50 %) et le PIB (50 %). Le mécanisme correcteur serait déclenché automatiquement lorsque le nombre de demandes d’asile dépasserait 150 % de cette part de référence. Afin de tenir compte des efforts nationaux de réinstallation, le nombre de demandes d’asile comptabilisé inclurait le nombre des réinstallations.
Les nouvelles demandes déposées dans l’État membre concerné seraient ensuite réparties entre les autres États membres, selon la clé de répartition, jusqu’à ce que le nombre de demandes repasse en dessous du seuil de 150 %. Les États membres ayant déjà atteint 100 % de leur part de référence ne participeraient pas à la répartition. Les États membres dans lesquels des demandeurs auront été relocalisés deviendront responsables de la demande d’asile, sauf si un autre État membre en est responsable au titre du règlement.
Néanmoins, les États membres pourraient s’exempter pendant un an du mécanisme correcteur moyennant une contribution financière de 250 000 euros par demandeur refusé.
D’autres modifications sont également prévues afin d’améliorer le fonctionnement du système de Dublin.
La Commission européenne souhaite introduire des nouvelles dispositions afin de lutter contre les mouvements secondaires des demandeurs d’asile. L’article 4 de la proposition pose le principe selon lequel les demandeurs d’asile ont l’obligation de déposer leur demande dans l’État membre de première entrée ou dans l’État pour lequel ils disposent d’un titre de séjour ou d’un visa. S’ils ne respectent pas cette obligation, une procédure accélérée, telle que prévue par l’article 31 de la directive « procédures » leur sera appliquée dans l’État membre responsable. En outre, s’ils se trouvent dans un autre État membre, ils ne pourront pas bénéficier des conditions d’accueil, à l’exception des soins médicaux d’urgence. Par ailleurs, la clause de cessation de responsabilité des États membres lorsque le demandeur a quitté leur territoire depuis plus de trois mois est supprimée.
Les délais s’appliquant aux procédures de demandes de transferts et aux transferts eux-mêmes sont raccourcis.
L’article 8 de la proposition rend obligatoire une évaluation du meilleur intérêt de l’enfant avant tout transfert d’un mineur non accompagné.
Enfin, le champ du regroupement familial est élargi par la prise en compte des frères et sœurs ainsi que des familles constituées après le départ du pays d’origine (article 2).
Selon les informations communiquées à vos rapporteurs par le ministère des affaires européennes, lors des premières discussions au Conseil sur la proposition, les États membres situés aux frontières extérieures qui subissent le plus de pression (la Grèce et l’Italie) ainsi que ceux recevant le plus grand nombre de demandes d’asile (l’Allemagne et la Suède) ont jugé insuffisantes les propositions visant à une répartition équitable des demandeurs d’asile en cas d’afflux. En particulier, l’Allemagne souhaiterait l’abandon du principe de responsabilité de l’État de première entrée. À l’inverse, la France ainsi que d’autres États membres (Pologne, Espagne, Royaume-Uni, Danemark, République tchèque, États baltes), moins exposés actuellement aux flux de demandeurs d’asile, ont exprimé leur opposition à l’institution d’un mécanisme automatique et souhaité réserver les opérations de relocalisation aux situations de crise. L’ensemble des États membres s’est opposé au mécanisme de compensation financière proposé par la Commission européenne.
Vos rapporteurs tiennent tout d’abord à souligner l’enjeu de la réforme du règlement Dublin III, dont les faiblesses et les défaillances expliquent en grande partie les difficultés auxquelles l’Union européenne et ses États membres doivent faire face dans le contexte de l’afflux des réfugiés depuis 2014. Ils saluent à ce titre l’initiative de la Commission européenne.
Dans le cadre de cette réforme nécessaire, ils approuvent le maintien du critère de l’État membre de première entrée, qui permet de lier la responsabilité de la gestion des frontières extérieures et la responsabilité des demandes d’asile. Ce lien est en effet indispensable tant que les États membres joueront un rôle prépondérant dans la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne. Certes, ils appellent également de leurs vœux des progrès dans la mutualisation du contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, afin de remédier aux déséquilibres de l’espace Schengen (190) mais ils sont conscients que cette évolution ne peut être que de long terme, la gestion des frontières extérieures restant un domaine dans lequel les expressions de la souveraineté nationale sont particulièrement fortes.
Pour vos rapporteurs, l’introduction d’un mécanisme correcteur semble de nature à mieux anticiper les situations d’afflux telles que l’Union européenne en connaît actuellement. Ils souhaiteraient néanmoins que l’intégration d’autres critères dans la clé de répartition soit envisagée, tels que le taux de chômage et le nombre de bénéficiaires d’une protection internationale déjà accueillis, afin de mieux prendre en compte les capacités des États de relocalisation.
Ils s’opposent à tout mécanisme de compensation financière car celui-ci implique que les États membres puissent se soustraire à leurs obligations. Au-delà d’une question de principe, un tel système pourrait remettre en cause l’effectivité du mécanisme correcteur et l’équilibre de la répartition des demandes d’asile entre les États membres.
Enfin, vos rapporteurs rappellent l’importance de l’application par les États membres des critères d’ordre familial dans la détermination de l’État membre responsable. La proposition de réforme maintient leur caractère prioritaire dans la hiérarchie des critères. Il est essentiel que les États membres respectent leurs obligations à cet égard, qu’il s’agisse de la recherche des membres de la famille des demandeurs ou de l’acceptation des demandes de transfert fondées sur le regroupement familial.
2. Une réflexion nécessaire sur un système uniforme d’asile dans l’Union européenne
L’absence d’harmonisation des régimes nationaux d’asile explique en partie les mouvements secondaires des demandeurs d’asile. Les divergences en matière d’octroi de la protection, de déroulement de la procédure et de conditions matérielles d’accueil créent des déséquilibres importants entre États membres. Vos rapporteurs soulignent que, dans un premier temps, l’Union européenne devrait progresser vers une harmonisation des régimes nationaux d’asile.
Ainsi qu’elle l’avait annoncé dans sa communication précitée du 6 avril 2016 (191), la Commission européenne a publié le 13 juillet dernier ses propositions de réforme du régime d’asile européen commun, dans l’objectif de renforcer la convergence des régimes d’asile.
Ce nouveau « paquet asile », présenté peu de temps après la transposition par les États membres des directives « accueil » et « procédures » de 2013, inclut trois propositions :
— une proposition de directive établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant une protection internationale (refonte de la directive « accueil ») (192) ;
— une proposition de règlement sur les normes relatives aux conditions pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale (règlement « qualification ») (193) ;
— une proposition de règlement instituant une procédure commune dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE (règlement « procédure ») (194).
S’agissant de la refonte de la directive « accueil », la Commission européenne souhaite garantir que les États membres appliquent les normes et indicateurs relatifs aux conditions d’accueil élaborés par l’EASO et qu’ils mettent au point des plans d’urgence et les actualisent en permanence, afin de garantir des capacités d’accueil suffisantes et adéquates, notamment dans les situations de pression migratoire disproportionnée.
La proposition prévoit également que lorsqu’un demandeur d’asile se trouve dans un autre État membre que l’État responsable au titre du règlement Dublin, celui-ci n’aura pas accès aux conditions d’accueil définies par la directive (à l’exception des soins médicaux).
Les États membres devront en cas de nécessité assigner à résidence les demandeurs, notamment dans le cadre de la procédure de détermination de l’État responsable ou pour empêcher un risque de fuite, en cas de mouvement secondaire ou après un transfert vers l’État responsable. Si le demandeur ne se conforme pas à cette obligation et qu’il existe un risque de fuite, il pourra être placé en rétention.
La Commission propose par ailleurs de réduire le délai d’accès au marché du travail de neuf à six mois à partir de l’introduction de la demande d’asile.
Enfin, s’agissant des mineurs non accompagnés, la proposition prévoit la désignation d’un tuteur légal au plus tard cinq jours après le dépôt de la demande.
La proposition de règlement « procédure » vise à substituer à l’actuelle directive un règlement directement applicable et à supprimer les clauses discrétionnaires afin de parvenir à une harmonisation.
Ainsi, la Commission propose de fixer la durée de l’examen d’une demande d’asile à six mois maximum, prolongeables de trois mois en cas d’afflux de demandes ou de problèmes juridiques complexes.
Un délai d’un mois est fixé pour l’examen de la recevabilité d’une demande et de deux mois pour la procédure accélérée (dix jours ouvrables si le demandeur vient d’un pays d’origine sûr).
Des délais de un à six mois sont fixés pour l’examen des recours.
La proposition prévoit une aide juridique et une représentation gratuites au stade de l’examen de la demande (sauf si le demandeur dispose de ressources suffisantes, si la demande est considérée sans perspective tangible de succès ou s’il s’agit d’une demande subséquente).
Les autorités compétentes devront obligatoirement évaluer si les demandeurs ont besoin de garanties procédurales spécifiques (demandeurs vulnérables).
Des conséquences renforcées sont prévues en cas de manquement aux obligations de coopération avec les autorités (enregistrement des empreintes digitales, communication d’informations) : la demande de protection sera alors considérée comme implicitement retirée.
La Commission européenne propose de rendre obligatoire l’application de la notion de pays sûr (pays d’origine sûr, pays tiers sûr et premier pays d’asile).
Une liste européenne de pays d’origine sûrs est annexée à la proposition de règlement. Cette liste est identique à celle proposée par la Commission européenne le 9 septembre 2015 (195). Seuls certains États membres ont établi des listes nationales de pays d’origine sûrs leur permettant de présumer les demandes infondées et de leur appliquer une procédure accélérée (196). En France, cette liste est établie par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et comprend 16 pays (197). Comme de nombreuses personnes auditionnées par la mission, vos rapporteurs considèrent que l’adoption d’une liste commune européenne représenterait un progrès dans la convergence des régimes nationaux d’asile.
La liste commune proposée inclut les pays des Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, ARYM, Monténégro, Serbie) et la Turquie. Les discussions au Conseil et au Parlement européen ont jusqu’à présent porté sur les procédures envisagées, dans l’attente d’un rapport d’évaluation de l’EASO sur chaque pays proposé dans la liste. L’inscription de la Turquie sera probablement beaucoup débattue, et, bien qu’il s’agisse de la définir comme « pays d’origine sûr » et non « pays tiers sûr », les deux sujets risquent d’être liés, dans le contexte de l’application de la déclaration UE-Turquie.
La proposition de la Commission européenne de septembre 2015 tend à créer une liste commune, et non une liste unique, ce qui signifie que les États membres pourraient toujours reconnaître d’autres pays comme pays d’origine sûrs dans leur législation nationale. Dans la proposition de règlement « procédure », il est prévu que les listes nationales comportant d’autres pays que ceux désignés au niveau de l’Union européenne restent autorisées pour une période de cinq ans
La proposition de règlement « procédure » affirme également le principe de la désignation des pays tiers sûrs au niveau de l’Union européenne, sans qu’une liste ne soit proposée à ce stade.
La proposition de règlement « qualification » vise, comme en matière de procédures, à substituer un règlement à l’actuelle directive.
Elle prévoit l’obligation pour les États membres de prendre en compte les analyses de l’EASO sur les pays d’origine.
La durée des titres de séjour serait harmonisée : trois ans pour les réfugiés (renouvelable par périodes de trois ans) et un titre initial d’un an, renouvelable pour des périodes de deux ans, pour les personnes bénéficiant de la protection subsidiaire.
Les États membres devront réexaminer le statut des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire lors de l’expiration de leur premier titre de séjour.
Entendu par la mission, M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général des affaires européennes, a indiqué la position de la France sur ces trois propositions.
Concernant le règlement « procédure », la France est favorable à l’adoption d’une liste européenne commune de pays d’origine sûrs, permettant aux États membres de conserver des listes nationales. En revanche, elle est opposée à ce que l’examen de recevabilité au regard des notions de pays tiers sûr et de pays de premier asile devienne obligatoire. Interrogé sur ce point lors de son audition par la mission d’information, M. Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, a estimé que cette disposition pourrait avoir pour conséquence une limitation de l’accès au droit d’asile en Europe.
Par ailleurs, les autorités françaises ne sont pas favorables à l’aide juridique gratuite dès l’examen administratif de la demande d’asile car cela allongerait les délais et poserait un problème de ressources pour les États membres. Elles souhaiteraient par ailleurs que le règlement rende obligatoire la procédure à la frontière (198).
S’agissant du règlement « qualification », la France est opposée à ce que l’EASO puisse adopter des lignes directrices obligatoires pour les États membres. Elle est aussi défavorable à l’harmonisation à trois ans de la durée des titres de séjour des réfugiés (fixée à dix ans en France) ainsi qu’au réexamen obligatoire de la protection à l’échéance des titres de séjour.
Indépendamment des évolutions normatives, vos rapporteurs soulignent la nécessité pour l’Union européenne de garantir un contrôle approfondi du respect par les États membres de leurs obligations dans le domaine de l’asile.
À plus long terme, vos rapporteurs souhaitent que soit engagée une réflexion sur un système uniforme d’asile dans l’Union européenne, sous l’égide d’une agence européenne de l’asile indépendante et compétente pour accorder la protection internationale. Une telle évolution garantirait l’application de critères et de procédures uniformes aux demandes d’asile. Comme l’évoque la Commission européenne dans sa communication du 6 avril 2016, elle supposerait, outre la création d’une agence européenne disposant d’antennes nationales, celle d’une instance d’appel, ainsi que la mise en œuvre d’un nouveau mécanisme de répartition des demandeurs d’asile entre les États membres. Parallèlement, l’agence européenne pourrait intervenir pour accorder l’asile dans les pays d’origine et de transit, dans le cadre du système précédemment proposé vos rapporteurs (199). Dans une telle hypothèse, il conviendrait de veiller à ce que les règles harmonisées de l’asile garantissent un niveau de protection élevé et ne constituent pas un recul par rapport aux normes appliquées en France. Par ailleurs, dans la mesure où l’agence européenne de l’asile disposerait d’un pouvoir de décision, elle devrait être dotée d’un statut garantissant son indépendance, ce qui n’est pas le cas actuellement de l’EASO.
La proposition de règlement tendant à transformer l’EASO en Agence européenne pour l’asile a une portée plus limitée (200). Elle vise à élargir le mandat actuel de l’EASO, qui deviendrait compétente pour gérer la clé de répartition dans le cadre du nouveau règlement Dublin. Ses missions d’assistance opérationnelle et technique seraient également renforcées, en particulier par la possibilité d’intervenir de sa propre initiative, sur décision de la Commission, « lorsqu’un État membre est soumis à une pression disproportionnée sollicitant de manière exceptionnellement forte et urgente son système d’asile ou d’accueil ». L’agence pourrait déployer des équipes d’appui en matière d’asile à partir d’une réserve d’experts composée d’un minimum de 500 experts des États membres et d’experts détachés par l’agence. Enfin, l’agence se verrait confier une mission de contrôle et d’évaluation de l’application du régime européen commun d’asile par les États membres.
C. DES CONTRÔLES RENFORCÉS AUX FRONTIÈRES EXTÉRIEURES AFIN DE MIEUX GÉRER LES FLUX ET GARANTIR LA SÉCURITÉ DE L’ESPACE SCHENGEN
Comme vos rapporteurs l’ont précédemment souligné, le rétablissement actuel des contrôles aux frontières intérieures de certains États membres de l’espace Schengen s’explique en partie par l’asymétrie entre un espace intérieur sans contrôles aux frontières et des frontières extérieures dont le contrôle relève exclusivement des États membres. Le mode de fonctionnement de l’espace Schengen, adopté par quelques États aux origines de cette coopération, selon lequel les contrôles des États membres situés aux frontières extérieures suffisent à garantir les conditions d’une absence de contrôles aux frontières intérieures, n’a jamais été remis en question malgré les profondes évolutions qui ont affecté l’espace Schengen depuis sa création.
Des considérations géographiques doivent aussi être prises en compte : les frontières extérieures de la Grèce, et donc une partie de celles de l’Union européenne, sont constituées de 16 000 kilomètres de côtes et de 4 000 îles, ce qui rend leur contrôle extrêmement complexe.
Les décisions de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ont également été la conséquence de l’inapplicabilité du règlement Dublin III, à l’origine de mouvements secondaires incontrôlés des demandeurs d’asile le long de la route des Balkans occidentaux.
La Commission européenne et le Conseil ont validé le rétablissement de contrôles pour certains tronçons des frontières intérieures de l’Allemagne, de l’Autriche, du Danemark et de la Suède jusqu’en novembre 2016, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 29 du code frontières Schengen. Néanmoins, ces contrôles ne pourraient être à nouveau prolongés, par recommandation du Conseil, que pour trois autres périodes de six mois, soit jusqu’en mai 2018 au plus tard. Il ne s’agit donc pas d’une solution pérenne aux difficultés de l’espace Schengen.
Vos rapporteurs considèrent que le principe de la libre circulation au sein de l’espace Schengen ne doit pas être remis en cause. Inscrit dans les traités, il s’agit d’un principe essentiel du projet européen et de sa perception par les citoyens. En outre, l’aspect économique de l’espace Schengen ne doit pas être oublié. Une note d’analyse récente de France stratégie (201) a évalué à 1 à 2 milliards d’euros annuels le coût économique de court terme pour la France d’un rétablissement permanent des contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen. Ce coût affecterait principalement le tourisme, le travail frontalier et le transport de marchandises. À plus long terme, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures se traduirait par une perte de 0,5 point du PIB, équivalent à 10 milliards d’euros, en raison d’une baisse significative du commerce extérieur.
Il est donc essentiel de remédier rapidement aux déséquilibres qui affectent l’espace Schengen, en renforçant les contrôles aux frontières extérieures, de façon à mieux encadrer les flux et à garantir la sécurité. Le cas de deux des terroristes du Stade de France le 13 novembre 2015 a montré que la route des réfugiés depuis la Grèce avait pu être utilisée. Bien que cela ne doive pas conduire à des amalgames dangereux entre la crise des réfugiés et la menace terroriste, il convient de prendre en compte ce risque par des mesures de sécurité renforcées.
À cet égard, vos rapporteurs soulignent que, selon les informations qui leur ont été communiquées par le ministère de l’intérieur, la situation en Grèce s’est très nettement améliorée depuis 2015. Le relatif tarissement des flux depuis l’accord avec la Turquie a favorisé une meilleure organisation des contrôles. L’enregistrement des empreintes des réfugiés dans la base Eurodac et la consultation des bases de données de sécurité (SIS, bases d’Interpol) sont désormais assurés dans les différents hot spots. Des équipes d’experts (screeners chargés de déterminer la nationalité, debriefers chargés de vérifier les parcours des réfugiés, experts en fraude documentaire) y sont déployées.
Les contrôles fonctionnent également dans les quatre hot spots en Italie mais ceux-ci ont une capacité plus limitée (400 places, contre 1 000 en Grèce) et l’ensemble des migrants n’y transite pas. Le relevé des empreintes est également effectué dans les centres d’accueil situés dans les ports.
Compte tenu de l’importance actuelle des arrivées par la route de la Méditerranée centrale, vos rapporteurs soulignent la nécessité de créer de nouveaux hot spots en Italie, disposant de capacités d’accueil plus développées.
L’utilisation des différentes bases de données est un élément essentiel de la sécurité de l’espace Schengen. Il importe en particulier que l’ensemble des États membres partagent leurs informations via le SIS et la base de données d’Europol. Des progrès doivent également être accomplis s’agissant de l’interopérabilité des différentes bases de données. Vos rapporteurs souscrivent donc à la proposition formulée dans l’initiative présentée par les ministres de l’intérieur français et allemand le 23 août dernier, tendant à « améliorer l’interconnectivité des systèmes internationaux de sécurité et de gestion des frontières » et à la création d’une « interface de recherche unique » (202).
Néanmoins, l’un des défis se posant aux services de contrôle est celui des passeports volés en Syrie, en Libye et en Irak. En effet, les autorités de ces États, en particulier les autorités syriennes, n’alimentent pas correctement la base de données d’Interpol sur les documents volés (base SLTD). S’agissant de vrais passeports, vierges ou utilisés par des personnes présentant des ressemblances physiques avec leurs détenteurs, ils ne peuvent être détectés de la même façon que de faux documents. Seuls les experts en debriefing peuvent révéler ces fraudes en posant des questions ciblées aux réfugiés en provenance de ces pays.
Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures implique également de progresser vers une gestion plus intégrée de ces frontières. Dans cette perspective, vos rapporteurs se félicitent de l’adoption récente du règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (203), dont la mise en œuvre est en cours.
La proposition de règlement ayant fait l’objet d’une analyse approfondie dans le rapport d’information présenté par Mme Marietta Karamanli et M. Charles de la Verpillière au nom de la commission des affaires européennes (204), vos rapporteurs se limiteront à présenter les grandes lignes de cette réforme, souhaitée de longue date par la France.
Le règlement prévoit la création d’un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes ainsi que d’une agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes à partir de Frontex. La nouvelle agence, inaugurée le 6 octobre dernier, pourra faire appel à une réserve d’intervention rapide d’au moins 1 500 garde-frontières mis à disposition par les États membres et disposera d’un parc d’équipements techniques. Ces nouveaux moyens devraient être opérationnels en décembre prochain. En outre, ainsi que l’a indiqué M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex lors de son audition par la mission, les effectifs permanents de la nouvelle agence seront portés de 400 actuellement pour Frontex à 1 000 d’ici à 2020, dont une partie pourrait être déployée pour des opérations de terrain.
La nouvelle agence dispose d’un mandat élargi par rapport à Frontex. Ses nouvelles compétences concernent en particulier le déploiement d’équipes de garde-frontières en cas de défaillance d’un État membre ou de pression migratoire importante mettant en péril l’espace Schengen. Cette mesure nécessitera une décision du Conseil, et non de la Commission comme dans la proposition initiale, ce qui illustre les réticences des États membres à limiter leurs prérogatives en matière de gestion des frontières extérieures. Le texte prévoit également que si un État membre refuse de mettre en œuvre les mesures d’urgence, le Conseil pourra recommander une réintroduction des contrôles à certaines frontières intérieures de l’espace Schengen, dans les mêmes conditions que celles prévues par l’article 29 du code frontières Schengen.
La nouvelle agence pourra procéder à des évaluations préventives de la vulnérabilité (évaluation des équipements, des infrastructures, du personnel, du budget et des ressources financières des États membres ainsi que de leurs plans d’urgence pour faire face à d’éventuelles crises aux frontières extérieures) complétant le mécanisme d’évaluation de Schengen.
Elle deviendra également compétente en matière d’organisation, de coordination et de conduite d’opérations de retour de migrants en situation irrégulière.
Au-delà de ces avancées, vos rapporteurs soulignent l’importance de parvenir à un accord sur la révision du code frontières Schengen permettant des contrôles systématiques et coordonnés de l’ensemble des personnes aux frontières extérieures, proposée par la Commission européenne le 15 décembre 2015205. Cette révision inclut différentes mesures demandées par la France depuis les attentats de janvier 2015 afin de mieux lutter contre la menace terroriste et le phénomène des « combattants étrangers » :
— l’obligation de procéder à des vérifications systématiques sur les citoyens de l’Union européenne (bases de données sur les documents perdus ou volés et permettant de s’assurer qu’ils ne représentent pas de menace pour l’ordre public et la sécurité intérieure) ; les États membres ne pouvant y déroger que s’ils communiquent une analyse de risques à Frontex et à la Commission européenne ;
— l’obligation de vérifier les identifiants biométriques en cas de doute sur l’authenticité d’un passeport ou sur l’identité de son détenteur ;
— l’alignement des contrôles des ressortissants de pays tiers à la sortie sur ceux prévus à l’entrée.
Vos rapporteurs soulignent également l’enjeu des outils technologiques utilisés dans les contrôles à l’entrée et à la sortie de l’espace Schengen, pris en compte dans les propositions récentes de la Commission européenne relatives à la création d’un système entrées/sorties (206).
Enfin, vos rapporteurs jugent nécessaire une simplification des dispositions du code frontières Schengen relatives au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures par les États membres, les procédures existantes (articles 25, 28 et 29) se révélant excessivement lourdes.
D. PLACER LES MIGRATIONS AU CœUR DE PARTENARIATS AVEC LES PAYS TIERS
Au-delà des aspects internes à l’Union européenne, vos rapporteurs soulignent que les migrations devraient faire l’objet d’une approche stratégique de l’Union européenne dans le cadre de partenariats avec des pays tiers, qu’il s’agisse de pays d’origine ou de transit. L’engagement de l’Union européenne dans ce domaine est en effet susceptible d’apporter une réelle valeur ajoutée par rapport aux actions des États membres.
Vos rapporteurs soulignent au passage que, de ce point de vue, une éventuelle dénonciation des accords du Touquet du 4 février 2003 (207) (prônée par certains responsables politiques) comme conséquence de la décision du Royaume-Uni de sortir de l’Union européenne (208) serait directement contraire à la politique de partenariat avec les pays tiers qu’ils préconisent. La mission met vigoureusement en garde contre toute remise en cause précipitée et irréfléchie de ces accords bilatéraux qui, sans même évoquer les complications juridiques liées notamment au devenir du protocole de Sangatte du 25 juillet 1991 et du protocole additionnel du 29 mai 2000, aurait immanquablement pour effet d’accroître encore les arrivées de migrants dans le Calaisis (209) et d’encourager les traversées périlleuses de la Manche.
Au demeurant, M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers, a eu l’occasion de souligner (210) que l’accumulation de migrants à Calais (au nombre de 5 684 au 12 octobre 2016 (211)) n’était pas imputable aux stipulations des accords du Touquet mais au fait que c’est de cet endroit que partent le plus de bateaux et de camions pour la Grande-Bretagne. La dénonciation de ces accords aggraverait selon lui la situation humanitaire sur place. Par ailleurs, la dénonciation des accords du Touquet n’empêcherait pas les autorités britanniques de se fonder en particulier sur le Règlement Dublin III pour refuser d’accueillir une grande partie des réfugiés concernés (212). Si vos rapporteurs émettent donc les plus grandes réserves quant à une dénonciation des accords du Touquet, il leur semble en revanche que, dans le cadre d’une négociation bilatérale, il pourrait être demandé à nos partenaires britanniques d’accueillir, ne serait-ce que pour des motifs humanitaires, une partie des mineurs isolés (213) se trouvant à Calais et qui ont bien souvent un parent outre-Manche. Un rapport publié par la Croix rouge britannique le 15 octobre 2016 évalue à 178 le nombre de mineurs isolés se trouvant à Calais et ayant des liens familiaux identifiés au Royaume-Uni (214). Très récemment, les autorités britanniques ont fait un premier geste en ce sens : un premier groupe de quatorze enfants est ainsi arrivé en Grande-Bretagne le 17 octobre dernier.
La Commission européenne a publié le 7 juin 2016 une communication sur un nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers au titre de l’agenda européen en matière de migration (215).
Auparavant, différentes initiatives diplomatiques avaient déjà été prises par la Commission européenne et le service européen d’action extérieure, parmi lesquelles le sommet de la Valette sur la migration, qui a réuni en novembre 2015 les chefs d’État ou de gouvernement européens et africains et a permis l’adoption d’un plan d’action incluant 16 initiatives prioritaires ainsi que la création d’un fonds d’aide à l’Afrique doté de 1,8 milliard d’euros.
La communication du 7 juin vise à systématiser une approche fondée sur des partenariats avec les pays tiers afin d’améliorer la gestion des migrations.
L’un des principaux enjeux pour l’Union européenne est l’effectivité des retours et des réadmissions de migrants en situation irrégulière, qui contribue à la lutte contre l’immigration irrégulière. Les politiques de retour des États membres sont encadrées par la directive du 16 décembre 2008, dite « directive retour » (216), qui définit des normes et des procédures communes. Néanmoins, selon la Commission européenne, en 2014, moins de 40 % des décisions de retour prises par les États membres ont été exécutées. À l’invitation du Conseil européen, la Commission a adopté en septembre 2015 un « plan d’action pour le retour » (217), qui identifie le manque de coopération de certains États tiers comme l’un des obstacles à l’efficacité des retours.
La conclusion d’accords de réadmission avec des pays d’origine et de transit est susceptible d’améliorer cette coopération. Les accords de réadmission « permettent à un État la reprise en charge d’un ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas ou plus les conditions d’entrée ou de séjour applicables sur son territoire par l’État dont il provient ou dont il est originaire, sous certaines conditions. Un accord de réadmission prévoit en principe trois types de procédures : la reprise des nationaux, la reprise des ressortissants d’États tiers et le transit pour éloignement des ressortissants d’États tiers » (218).
De tels accords peuvent être conclus au niveau bilatéral par les États membres mais aussi, depuis le Traité d’Amsterdam en 1999, par l’Union européenne, qui dispose souvent de leviers économiques et commerciaux plus importants dans les négociations. Celles-ci n’en demeurent pas moins longues et difficiles : à ce jour, 17 accords de réadmission avec des pays tiers ont été conclus (219) et plusieurs sont en négociation, dont certains depuis plusieurs années. En particulier, ainsi que la Commission européenne l’indiquait dans son plan d’action pour le retour, « l’Union n’a pas conclu d’accords de réadmission avec les pays d’Afrique du Nord. Elle est empêtrée dans de très longues négociations portant sur un accord de réadmission avec le Maroc, qu’elle mène en vertu d’un mandat datant de 2000. Les négociations n’ont même pas encore officiellement commencé avec l’Algérie bien que le Conseil ait adopté un mandat de négociation en 2002. En ce qui concerne la Tunisie, le mandat a été adopté en décembre 2014 et les négociations doivent encore commencer. »
Il est également important que la coopération avec les États tiers porte sur la lutte contre les trafiquants de migrants, qui encouragent l’immigration irrégulière. L’exemple des accords bilatéraux conclus par l’Espagne avec plusieurs pays de départ (avec le Maroc et le Sénégal) illustre également l’intérêt de la coopération policière en matière de contrôle des frontières.
Afin d’encourager les coopérations en matière de migration, l’Union européenne doit fournir des incitations positives aux États tiers, qui peuvent être d’ordre financier (comme le fonds d’aide à l’Afrique), commercial, mais peuvent aussi concerner la migration légale.
Vos rapporteurs approuvent donc la démarche initiée par la Commission européenne, qui replace la question des migrations dans une stratégie globale de coopération avec des pays tiers. La Commission européenne envisage dans un premier temps de conclure des « pactes migratoires » avec cinq pays jugés prioritaires : le Niger, le Nigeria, le Sénégal, le Mali et l’Éthiopie. M. Pierre-Antoine Molina a indiqué, lors de son audition par la commission des affaires étrangères le 28 septembre dernier, que ces pactes « reposent d’une part sur des projets de développement concernant soit les causes profondes de la migration soit les instruments permettant de la réguler, comme la mise en place d’un état-civil ou d’un système de gestion des frontières plus efficace dans les pays d’origine, et sur une forte demande de facilitation de la migration légale de la part de ces pays, et d’autre part sur une demande de l’Union européenne qui porte en premier lieu sur l’amélioration de la coopération consulaire, de manière à favoriser les procédures d’éloignement pour les personnes qui seraient entrées dans l’Union de manière irrégulière. »
En revanche, vos rapporteurs expriment leurs réserves sur certains des pays cités dans la communication du 7 juin comme partenaires potentiels de l’Union européenne dans le cadre de coopérations sur les migrations, en particulier l’Afghanistan, l’Érythrée et le Soudan, qui font partie des pays dont les ressortissants ont des besoins de protection internationale élevés. Les partenariats avec les pays tiers ne doivent en aucun cas conduire à une remise en cause du respect par l’Union européenne de ses engagements internationaux en matière de droit d’asile et de défense des droits de l’homme.
S’agissant des pays accueillant un grand nombre de réfugiés, la coopération de l’Union européenne doit inclure une aide financière d’ordre humanitaire, afin d’améliorer les conditions de vie des réfugiés, ainsi qu’une participation accrue des États membres aux programmes de réinstallation. L’Union devrait également utiliser ces coopérations pour promouvoir l’adoption de normes garantissant le statut et l’accueil des populations réfugiées dans les pays voisins des zones de conflit.
Au cours de sa réunion du 26 octobre 2016, la Commission a procédé à l’examen du rapport de la mission d’information tendant à évaluer l’efficacité des mécanismes européens pour prendre en charge des flux migratoires exceptionnels (MM. Christian Assaf, président et rapporteur, et Guy Geoffroy, vice-président et co-rapporteur).
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Chers collègues, nous avions confié à nos collègues Christian Assaf et Guy Geoffroy la tâche de mener une réflexion très importante. Ils vont nous présenter les éléments les plus substantiels de ce rapport qui leur a donné beaucoup de travail et qui, par ailleurs, les a conduits à examiner les réalités dont nous avions besoin de prendre la mesure. Je voudrais d’ores et déjà, au nom du président de la Commission Dominique Raimbourg, leur exprimer notre gratitude pour ce travail remarquable.
M. Christian Assaf, président et rapporteur de la mission d’information. Monsieur le président, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme des travaux de notre mission d’information, créée par la commission des Lois le 16 décembre 2015, avec pour objet d’évaluer l’efficacité des mécanismes européens pour prendre en charge des flux migratoires exceptionnels.
Notre commission ne pouvait manquer en effet de se pencher sur les conséquences de l’exode d’innombrables réfugiés chassés par la guerre et par les exactions en Irak, en Syrie et en Libye, et sur les conditions juridiques et politiques de leur accueil en Europe. Rappelons en effet que plus d’un million de migrants irréguliers ont rejoint l’Union européenne en 2015. De façon plus dramatique encore, les milliers de noyés en Méditerranée ne pouvaient que conduire les membres de notre commission à s’interroger sur la pertinence et l’adaptation des dispositifs de l’Union européenne en matière de gestion des flux migratoires. Pourquoi des réactions aussi tardives et en ordre si dispersé ? Pourquoi tant de divergences entre les États membres ? De tels drames humanitaires auraient-ils pu être évités ? Quel avenir pour le droit d’asile et la libre circulation en Europe ?
C’est en gardant ces questionnements présents à l’esprit que nous avons mené nos travaux. Nous avons auditionné de très nombreuses personnalités : ministre, hauts fonctionnaires, membres de l’OFII et de l’OFPRA, diplomates français et étrangers, universitaires, magistrats, représentants associatifs, etc. Je tiens à remercier aujourd’hui l’ensemble de ces personnes pour le temps qu’elles nous ont consacré. Nous sommes également allés sur le terrain recueillir un éclairage précieux, que ce soit à Athènes, à la frontière gréco-macédonienne, à Ankara ou encore à Izmir. Nous nous sommes par ailleurs rendus deux fois à Bruxelles.
Notre travail lui-même a été rythmé par l’actualité : la conclusion de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, le 18 mars dernier, l’évolution de la situation politique en Turquie, les différents sommets européens ou encore la publication de propositions de directives et de règlements communautaires ont ponctué le déroulement de nos travaux.
Notre mission d’information a finalement examiné et adopté hier son rapport, auquel elle a donné le titre suivant : « Flux migratoires exceptionnels : l’Europe face à ses responsabilités ». Il vous revient désormais d’en autoriser la publication.
Permettez-moi, avant de vous en esquisser les grandes lignes, de dire un mot du champ de cette mission. Conformément à son intitulé, elle a délibérément choisi de se concentrer sur la dimension européenne du phénomène migratoire, les aspects strictement français étant traités par ailleurs. En outre, si son champ n’incluait pas, en tant que telles, la lutte contre le terrorisme et la préservation de la sécurité des citoyens européens, cette préoccupation n’a bien sûr pas été absente de nos travaux.
Sur le fond, nous nous sommes efforcés, dans un premier temps, de poser un diagnostic précis. Nous avons tenu ainsi à donner au phénomène que nous analysions ses dimensions exactes. Les mouvements migratoires de grande ampleur ne sont en effet pas sans précédents, même s’ils n’avaient jamais atteint sur notre continent l’ampleur qu’ils ont connue au cours des deux dernières années. Au XXe siècle, l’Europe a déjà démontré sa capacité à absorber des afflux très importants de personnes déplacées. Du point de vue géographique, nous avons rappelé que les pays industrialisés n’accueillaient qu’une faible partie des réfugiés dans le monde : selon le HCR, 86 % des 21,3 millions de réfugiés se trouvent aujourd’hui dans des pays en voie de développement !
Cela précisé, il reste que les entrées irrégulières au cours des deux dernières années sur le territoire européen, à la suite notamment de la guerre en Syrie, ont connu une ampleur inédite. Ces flux migratoires se sont traduits par une forte augmentation des demandes d’asile notamment en Allemagne et, dans une moindre mesure, en Italie et en France.
Ces mouvements migratoires sont par ailleurs à l’origine de situations humaines souvent dramatiques. Je songe aux noyés en Méditerranée : 3 770 en 2015, 3 654 à ce jour en 2016. Je songe aussi aux migrants présents dans les hotspots des îles grecques, centres surpeuplés et où la violence est palpable. Je pense également aux 46 000 migrants bloqués en Grèce continentale, du fait de la fermeture de la route des Balkans, et accueillis dans des camps tenus soit par l’armée grecque, soit par les autorités civiles. Ceux tenus par les autorités civiles sont d’une qualité plus que contestable, comme nous avons pu le constater à Ellinikó.
L’accueil de trois millions de réfugiés en Turquie nous a semblé en revanche globalement acceptable. Les camps, où réside 10 % environ des réfugiés, sont considérés par les associations comme étant au-dessus des normes internationales. Nous souhaitons toutefois attirer l’attention sur la situation des enfants de réfugiés en Turquie. Beaucoup ne sont pas scolarisés. Certains sont contraints de travailler, dans des ateliers de textile par exemple, pour subvenir aux besoins de leurs parents. Le gouvernement turc assure avoir pris la mesure de ces problèmes. Il nous semble toutefois qu’il faut rester très vigilant sur ce point, notamment dans le cadre des discussions concernant l’usage des financements mobilisés par l’Union européenne.
Les mineurs en général nous sont, d’ailleurs, apparus comme les grands oubliés des débats sur les flux migratoires. Plus du quart du million de migrants arrivé en Europe en 2015 était constitué de mineurs. Plus de 7 000 enfants non accompagnés ont effectué la traversée d’Afrique du Nord vers l’Italie au cours des cinq premiers mois de l’année 2016. Ils sont exposés aux risques de mauvais traitements et d’exploitation, y compris sexuelle, voire de disparition. Cette question ne doit pas être éludée.
La protection en France des mineurs isolés étrangers, dont le nombre en métropole est estimé à plus de 8 000, relève de la compétence des départements. Il nous semble que l’État devrait accroître fortement l’aide financière qu’il apporte aux départements au titre de l’accueil des mineurs non accompagnés. Les régions devraient également être davantage impliquées dans leur accueil.
Ce diagnostic posé, nous avons analysé les réponses apportées par l’Union européenne.
Des instruments juridiques tels que le règlement Dublin III et le code frontières Schengen ont montré leur inadaptation. Quant à l’absence, malgré l’objectif affiché depuis plusieurs années de progresser sur la voie d’un « régime d’asile européen commun », d’harmonisation des régimes d’asile nationaux, elle a manifestement encouragé les mouvements migratoires secondaires d’un État à l’autre.
La lutte contre les passeurs doit impérativement être renforcée et recentrée sur la Méditerranée centrale où se concentrent désormais les flux. Je rappelle que la proportion de migrants ayant reçu le concours de réseaux de passeurs est estimée à 90 %. Le chiffre d’affaires de ces derniers aurait atteint près de dix milliards d’euros en 2015.
Pour ce qui est des relocalisations d’urgence, destinées à soulager la Grèce et l’Italie, leur nombre ne s’élevait qu’à 5 651 à la fin du mois de septembre 2016. Or l’objectif fixé par l’Union européenne lors de la création du mécanisme en 2015 était de 160 000 personnes relocalisées ! Nous appelons ici les États membres à amplifier drastiquement leurs programmes de relocalisation, conformément à leurs engagements.
Je précise que notre pays n’a pas à rougir de son bilan puisqu’il occupe la première place en matière de relocalisations. Nous pourrions néanmoins accroître, nous aussi, nos efforts en la matière. Il nous paraît essentiel, en particulier, que l’objectif de proposer chaque mois à la Grèce la relocalisation de 400 personnes, fixé par le ministre de l’Intérieur, ne reste pas lettre morte. Nous pourrions aussi ouvrir la relocalisation aux mineurs étrangers isolés.
J’en viens à présent à l’accord du 18 mars conclu entre l’Union européenne et la Turquie. Comme vous le savez, il prévoit que les migrants arrivant dans les îles grecques ont vocation, après avoir été enregistrés, à être renvoyés en Turquie s’ils ne demandent pas l’asile ou si leur demande d’asile est jugée infondée ou irrecevable. Pour chaque Syrien renvoyé, un autre est appelé à être réinstallé de la Turquie vers l’Union européenne – ce que nous appelons le « un pour un ». Il prévoit aussi, entre autres choses, la libéralisation du régime des visas en faveur des citoyens turcs, pour autant que tous les critères de référence soient respectés.
Les réinstallations débordent bien entendu le cadre de cet accord. Elles sont pratiquées par l’OFPRA depuis 2013. Le Conseil de l’Union européenne a également décidé la mise en place d’un mécanisme de cette nature en juillet 2015, visant à la réinstallation de plus de 22 000 personnes.
Les réinstallations dans le cadre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie apparaissent satisfaisantes. À la fin du mois de septembre 2016, 1 614 Syriens avaient déjà été réinstallés en Europe dans le cadre de l’accord.
Toutefois, d’un point de vue global, le niveau des réinstallations demeure insuffisant. À la mi-juin 2016, 7 272 personnes seulement avaient été réinstallées dans le cadre du programme de l’Union européenne de juillet 2015. Là encore, nous préconisons un renforcement des programmes de réinstallations.
Quoi qu’il en soit, le volet « réinstallations » de l’accord a fonctionné. Le tarissement des flux à travers la mer Égée constitue également un succès. En revanche, très peu de migrants ont été renvoyés des hotspots grecs vers les ports turcs. Ils étaient moins de 600 à la fin du mois de septembre 2016, pour l’essentiel des non-Syriens ou des personnes volontaires ou n’ayant pas sollicité l’asile en Grèce. L’obstacle au renvoi tient au dépôt systématique par les migrants d’une demande d’asile en Grèce, à la saturation des services grecs de l’asile et à la reconnaissance très large de l’admissibilité des demandes. Les services grecs de l’asile sont réticents à considérer la Turquie comme un « pays tiers sûr », réticence renforcée par l’évolution récente de la situation politique en Turquie.
Nous partageons cette réticence en ce qui concerne les réfugiés non-syriens, qui ne peuvent solliciter qu’une protection dite « conditionnelle », dénuée de stabilité. Nous la partageons moins pour ce qui est des réfugiés syriens, notamment dans la mesure où les intéressés bénéficient d’un régime de protection plus élevée, dite « temporaire », et y ont accès au marché du travail.
S’agissant de l’avenir de l’accord, sa remise en cause n’est pas impossible. Les migrants et les passeurs pourraient prendre conscience du fait que les renvois en Turquie sont extrêmement limités, ce qui pourrait relancer les flux. La Turquie pourrait aussi relâcher la surveillance de ses côtes et sa lutte contre les trafiquants pour protester contre une absence de libéralisation des visas. Le directeur général des étrangers en France au ministère de l’Intérieur, M. Pierre-Antoine Molina, a toutefois jugé assez peu probable une réouverture des flux, la Turquie n’y ayant guère intérêt.
Je tiens à ajouter que des questions demeurent non résolues. Je pense au sort des migrants bloqués en Grèce continentale du fait de la saturation des services grecs de l’asile. L’aide française et européenne pourrait être encore renforcée à cet égard. Nous sommes également préoccupés par l’accroissement des flux en Méditerranée et préconisons un redéploiement de l’effort opérationnel de l’agence Frontex dans cette zone. En termes diplomatiques, l’enjeu majeur est bien sûr la stabilisation politique et l’émergence d’autorités légitimes en Libye.
Après avoir posé un diagnostic et passé au crible les réponses apportées par l’Union européenne et ses États membres, nous nous sommes attachés à dessiner les contours d’une future politique commune de l’asile, de l’immigration et des frontières.
La politique que nous appelons de nos vœux passe par un développement des voies légales d’accès des réfugiés au territoire européen, que ce soit par le biais d’une augmentation du nombre de visas délivrés à ce titre ou par une structuration de la politique de réinstallation depuis la Turquie, la Jordanie, le Liban, voire d’autres États tels que l’Égypte.
La migration légale, et plus précisément une politique d’immigration de travail assumée, nous semble devoir être encouragée tant elle pourrait constituer un atout pour une Europe vieillissante.
La réforme du règlement Dublin III, proposée par la Commission, nous paraît la bienvenue. Nous approuvons le maintien du critère de l’État de première entrée. Si nous appelons de nos vœux des progrès dans la mutualisation du contrôle des frontières extérieures, nous avons bien conscience que cette évolution ne peut être que de long terme. L’introduction d’un mécanisme correcteur, fondé sur une clé de répartition, nous semble aussi une bonne chose. Nous souhaiterions néanmoins l’intégration d’autres critères dans la clé de répartition, tels que le taux de chômage ou le nombre de bénéficiaires déjà accueillis.
Une réflexion s’impose également à propos de la progression de l’Union européenne vers une harmonisation des régimes nationaux d’asile. La Commission européenne a d’ailleurs présenté le 13 juillet dernier un nouveau « paquet asile ». Indépendamment des évolutions normatives, il nous semble nécessaire que l’Union européenne garantisse un contrôle approfondi du respect par les États membres de leurs obligations dans le domaine de l’asile. À plus long terme, nous invitons à réfléchir à un système uniforme d’asile dans l’Union européenne, sous l’égide d’une agence européenne de l’asile indépendante et compétente pour accorder la protection internationale.
S’agissant de l’espace Schengen, le rétablissement de contrôles aux frontières intérieures ne saurait constituer une solution pérenne : le principe de la libre circulation ne doit pas être remis en cause ! Il est donc essentiel de remédier rapidement aux déséquilibres qui affectent cet espace, en renforçant les contrôles aux frontières extérieures. Notre rapport insiste à ce sujet sur la nécessité pour les États membres de partager leurs informations via le système d’information Schengen (SIS) et la base de données d’Europol.
Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures implique de progresser vers une gestion plus intégrée de celles-ci. La mission se félicite de l’adoption du règlement relatif au corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes. La nouvelle agence créée dispose d’un mandat élargi par rapport à Frontex, incluant le déploiement d’équipes de gardes-frontières en cas de défaillance d’un État membre ou de pression migratoire importante mettant en péril l’espace Schengen.
Enfin, les migrations nous paraissent devoir faire l’objet de partenariats avec des pays tiers, incluant des volets relatifs à la réadmission et à la lutte contre les trafiquants de migrants, mais aussi des incitations positives aux États tiers, qui peuvent être d’ordre financier, commercial ou concerner la migration légale.
Pour conclure, il me paraît important de souligner que le retour, encore hypothétique, à une forme de « normalité » en Syrie ou en Irak ne fera pas disparaître la question migratoire. Il nous appartient d’apprendre à vivre avec un Moyen-Orient durablement ébranlé, un pourtour méditerranéen instable et des voisins africains en très forte croissance démographique, et de forger dès aujourd’hui les réponses à ce qui sera l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je laisse le soin à Guy Geoffroy de compléter la présentation du rapport.
M. Guy Geoffroy, vice-président et co-rapporteur de la mission. Je n’aurai pas l’outrecuidance de paraphraser l’excellente présentation du président de la mission. J’insisterai seulement sur certains éléments du travail réalisé par la mission avec lequel je me trouve en total accord – accord que j’espère unanime au sein de la commission des Lois.
D’emblée, sous l’égide de son président, les travaux de la mission ont été marqués par une très grande ouverture d’esprit. Il n’était pas question, et fort heureusement, de faire de ce rapport un outil pour ceux qui souhaiteraient accroître encore la confusion dans les esprits de nos concitoyens et entraver l’action des décideurs. Le domaine concerné est en effet infiniment délicat et complexe et il s’agit d’assumer nos responsabilités, de faire face à d’importantes difficultés matérielles, cela sans sortir d’un cadre humanitaire.
Cette volonté d’ouverture n’a pas eu pour conséquence d’affadir la teneur de notre travail. Les analyses ici proposées, fondées sur une connaissance bien établie de la situation, ne sont pas tièdes mais réalistes et courageuses et elles débouchent sur des propositions qui s’inscrivent toutes dans le cadre fixé à l’origine en ce qu’elles visent à donner aux gouvernants européens, dans leur totalité, qu’il s’agisse du Conseil ou de la Commission européenne, la capacité de mieux prendre en compte l’évolution des enjeux et donc d’améliorer les dispositifs en vigueur.
Tout le monde s’accorde pour considérer que si le dispositif Schengen n’est pas mort, il doit au minimum évoluer fortement. Tout le monde a bien compris, également, que le règlement Dublin III devait être remplacé par un règlement Dublin IV ou bien qu’il fallait établir une nouvelle formule à même de mieux répondre à la réalité actuelle. Tout le monde, enfin, même s’il faut en saluer l’existence, a bien constaté les limites de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie.
Les propositions qui sont faites peuvent sembler évidentes mais c’est leur force. Elles doivent permettre en effet à tous ceux qui ont le sens des responsabilités de les exercer, quels que soient les cas de figure auxquels ils auront à faire face dans les semaines et les mois à venir. Ce n’est pas un des moindres mérites de ce travail qui, plutôt que de se contenter d’une orientation purement théorique, ouvre le champ le plus large possible à l’expression de toutes les hypothèses et de toutes les volontés. C’est pourquoi ce travail est transpartisan au sens le plus positif du terme. Et donc, sur une question aussi lourde, dans une période aussi délicate, il doit être salué comme il se doit, c’est-à-dire comme un document utile, exigeant, contribuant non seulement à la bonne connaissance par nos concitoyens de cette problématique douloureuse, mais aussi, j’y insiste, à donner les moyens à ceux qui, demain, dirigeront les affaires de notre pays, de se montrer efficaces. La France doit en effet participer activement à l’harmonisation européenne des politiques d’asile en vue d’améliorer le dialogue avec les pays tiers – ceux notamment avec lesquels nous éprouvons des difficultés à discuter.
Je salue donc tous les membres de la mission et en particulier son président qui a, par son état d’esprit et par son implication, permis que nous aboutissions à ce résultat très positif.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Je vous remercie, cher collègue. Je vous renouvelle l’expression de la gratitude du président Dominique Raimbourg sur la qualité du travail que vous avez tous les deux dirigé. Je tiens à souligner le grand intérêt du présent rapport à la fois pour connaître les mécanismes européens et pour apprécier leur efficacité. Je ne saurais trop recommander à ceux qui suivent nos travaux de venir puiser dans ce document des éléments susceptibles de leur faire mieux comprendre la réalité. Les membres de la mission d’information ont, hier, approuvé à l’unanimité le contenu de ce rapport.
M. Patrice Verchère. Je salue à mon tour le travail réalisé par les deux rapporteurs. J’apprécie ce type de rapport transpartisan qui permet de définir des solutions acceptées par tous – le président vient de rappeler que la mission l’avait accepté hier à l’unanimité.
Vous indiquez qu’il convient de renforcer les partenariats avec les pays tiers. Certains font un effort très important d’accueil, dans des conditions parfois difficiles. Je remarque que vous n’avez toutefois pas intégré des pays tels que l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït, l’Émirat d’Oman ou les Émirats Arabes Unis, souvent très proches des zones d’émigration comme l’Érythrée, la Syrie, l’Irak… Pourquoi ne les considérez-vous pas comme des pays tiers avec lesquels l’Union européenne pourrait conclure des accords d’accueil comme ce fut le cas avec la Turquie ?
M. Christian Assaf, président et rapporteur de la mission. Les pays tiers auxquels il est fait allusion sont d’abord les pays géographiquement limitrophes des zones de conflits, c’est pourquoi ont été évoqués le Liban, la Jordanie, l’Égypte, la Turquie… ou bien, quand on songe au flux de la Méditerranée centrale, des pays d’origine et de transit comme le Sénégal, le Niger, le Nigeria…
La question d’établir des partenariats avec des pays comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, présuppose qu’il s’agisse de pays tiers sûrs. Or, aujourd’hui, sans porter le moindre jugement de valeur, cette question fait débat. Il faut en effet, pour établir un partenariat avec un pays tiers, que les pays de l’Union européenne soient à peu près tous d’accord pour considérer ledit pays comme sûr dans le traitement sécuritaire, administratif, diplomatique et humain des flux migratoires exceptionnels, afin d’empêcher les migrants de traverser la Méditerranée.
La Commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport de la mission d’information en vue de sa publication.
PERSONNES ENTENDUES PAR LA MISSION D’INFORMATION (220)
M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France, ministère de l’Intérieur ; M. Benoît Brocart, directeur de l’immigration ; M. Raphaël Sodini, directeur de l’asile ; Mme Marie-Hélène Amiel, chef du département des statistiques et des études démographiques ; M. Philippe Conduché, chef de la mission affaires européennes
M. Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)
Mme Philippa Candler, représentante régionale adjointe du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour l’Europe de l’Ouest ; Madame Céline Schmitt, porte-parole de la représentation du HCR en France ; M. Dia Jacques Gondo, administrateur principal en charge de la protection
M. Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)
M. David Skuli, directeur central de la police aux frontières, ministère de l’Intérieur et M. Alain Jouffre, commandant échelon fonctionnel, chef de la division des affaires européennes et internationales
M. Kléber Arhoul, préfet, coordinateur national de l’accueil des réfugiés, et M. Philippe Vuilque, ancien député, chargé de mission auprès du coordinateur national pour l’accueil des réfugiés
M. Matthieu Tardis, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), et M. Yves Pascouau, chercheur à l’Institut Delors et à l’European Policy Centre
Mme Geneviève de Coster et Mme Catherine Teitgen-Colly, membres de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNDCH), M. Hervé Henrion-Stoffel et Mme Morgane Coulon, conseillers juridiques
M. Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense, et M. Pierre Berthelet, chercheur au centre de documentation et de recherches européennes (université de Pau et des pays de l’Adour)
Mme Michèle de Segonzac, présidente de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), et M. Philippe Caillol, secrétaire général
M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, et Madame France de Saint-Martin, attachée parlementaire
M. Jean-Christophe Dumont, directeur du département migrations à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et M. Hervé Le Bras, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED)
M. Hakkı Akil, Ambassadeur de Turquie en France, et Mme Ayça Özlem Sarıtekin, conseillère
M. Harlem Désir, secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères et du développement international, chargé des Affaires européennes, et M. Stéphane Saurel, directeur de cabinet
M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l’Agence Frontex, et M. Ruairi Topping, adjoint à l’officier de liaison à Bruxelles
M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général des affaires européennes ; M. Cyrille Baumgartner, secrétaire général adjoint ; Mme Nathalie Lhayani, chef du secteur Parlement européen et Parlement national ; Mme Guylène Sandjo et M. Mathieu Tartar, adjoints à la chef du secteur Libre Circulation des Personnes
• Table ronde d’associations membres de la Coordination française pour le droit d’asile réunissant :
M. Jean-François Dubost, responsable du programme Personnes Déracinées d’Amnesty International France
M. Daniel Koupper, co-président de la FASTI (Fédération des associations de solidarité avec tous-te-s les immigré-e-s), et Mme Vanessa Fourez, responsable de la commission nord-sud
Mme Claire Rodier, directrice du GISTI (Groupe d'information et de soutien des immigrés)
M. Pierre Nicolas, responsable du pôle plaidoyer de Jesuit Refugee Service ; Mme Valérie Jarry, conseillère au pôle plaidoyer ; Mme Judith Bazin, volontaire en service civique
Mme Delphine Bonjour, chargée des relations institutionnelles du Secours catholique – Réseau Mondial Caritas
Mme Mylène Stambouli, membre du bureau national de la Ligue des droits de l’Homme, et Mme Odile Ghermani, co-responsable du groupe de travail Étrangers – Immigrés
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LA MISSION D’INFORMATION
Jeudi 31 mars 2016 – Déplacement à Bruxelles
M. Raoul Ueberecken, directeur chargé des affaires intérieures à la direction générale de la justice et des affaires intérieures du secrétariat général du Conseil de l’Union européenne
M. Kris Pollet, chargé de mission au Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (ECRE)
M. Laurent Muschel, directeur chargé de la migration et de la protection à la direction générale « Migrations et affaires intérieures » de la Commission européenne
Mme Monique Pariat, directrice générale chargée de l’aide humanitaire et de la protection civile à la Commission européenne
M. Leonello Gabrici, chef de la division « Questions globales et contre-terrorisme » au Service Européen pour l’Action Extérieure (départements géographiques et affaires globales et multilatérales)
M. Pierre Sellal, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne
Du dimanche 17 au mercredi 20 avril 2016 – Déplacement en Grèce
M. Grigorios Apostolou, responsable du bureau de Frontex à Athènes
M. Theódoros Dritsas, ministre de la marine marchande et de la politique insulaire ; M. Ioannis Theotokas, secrétaire général, professeur à l’université de l’Égée ; M. Antonios Vidalis, responsable des services conseillant le commandant des garde-côtes
M. Prokópis Pavlopoulos, Président de la République
M. Christophe Chantepy, ambassadeur de France en Grèce ; Mme Valérie Brisset-Hautchamp, première conseillère ; M. Dimitri Zoulas, commissaire de police, attaché de sécurité intérieure ; colonel Richard Coleman, attaché de défense
M. Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)
M. Philippe Leclerc, Représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Grèce
Mme Lola Girard, officier de liaison de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) pour la Grèce
M. Christophe Le Rigoleur, consul général à Thessalonique
M. Daniel Esdras, directeur du bureau d’Athènes de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)
Général Konstantinos Floros, coordinateur grec pour les questions migratoires au ministère de la défense
Du dimanche 12 au mercredi 15 juin 2016 - Déplacement en Turquie
M. Christophe Parisot, premier conseiller à l’ambassade de France en Turquie ; M. Marc Ivarra, premier secrétaire ; Mme Elsa Jouanolou, première secrétaire ; M. Christophe Hemmings, consul-adjoint ; M. Alain Tisnerat, attaché de sécurité intérieure
Mme Esen Altuğ, directrice générale adjointe « immigration, asile et visas » au ministère turc des affaires étrangères
M. Veysi Kaynak, vice-Premier ministre chargé de la crise syrienne et des refugiés, et M. Fuat Oktay, directeur de l’AFAD (direction turque chargée des catastrophes naturelles et des situations d’urgence)
Mme Pascale Moreau, représentante du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)
M. Jean Yves Lequime, représentant du Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM)
Représentants du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)
M. Ralf Schöpflin, officier de liaison de Frontex en Turquie
Mme Kasia Lach, conseillère migrations, responsable du suivi de la mise en œuvre de la déclaration UE - Turquie du 18 mars et de la coordination des opérations de réinstallation à la délégation de l’Union européenne à Ankara
Mme Zeliha Toprak, consule honoraire de France à Izmir
Mme Esra Şimşir, représentante à Izmir de l’organisation ASAM (Association for solidarity with asylum seekers and migrants)
Mme Caroline David, directrice de l'Institut français d’Izmir
M. Jacques Augereau, directeur de l'école Saint Joseph d’Izmir
Colonel Jacques Parenty, commandant le détachement français de l’OTAN à Izmir
M. Ugur Kolsuz, gouverneur adjoint de la province d’Izmir, responsable des migrations
Colonel Murat Yilmaz Arslan, commandant des garde-côtes pour la région de la mer Égée
Mercredi 22 juin 2016 – Déplacement à Bruxelles
M. Alain Scriban, conseiller principal sur la crise migratoire à la direction générale « Migrations et affaires intérieures » de la Commission européenne
Mme Agnès Rebuffel-Pinault, conseillère affaires intérieures à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne
Mme Cécile Kashetu Kyenge, députée au Parlement européen
1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
2 () European Asylum Support Office.
3 () Organisation internationale pour les migrations.
4 () Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
5 () Dernières données Eurostat disponibles.
6 () Prognos AG, Studie, Arbeitslandschaft 2040, Mai 2015.
7 () Klaus J. Bade, L’Europe en mouvement, la migration de la fin du XVIIIème siècle à nos jours, 2002.
8 () HCR, Global trends, forced displacements in 2015, juin 2016.
9 () Ce chiffre inclut les 16,1 millions de personnes placées sous le mandat du HCR et les 5,2 millions de réfugiés palestiniens enregistrés par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA - United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East).
10 () Frontex, Risk analysis for 2016, mars 2016.
11 () HCR, Global trends, forced displacements in 2015, juin 2016.
12 () Site internet du HCR, http://www.unhcr.org/fr/demandeurs-dasile.html.
13 () À titre de comparaison, les précédents pics de 1992 et de 2001 s’élevaient respectivement à 672 000 et 424 000 demandes.
14 () En jaune : nombre total de demandes d’asile ; en bleu : nombre de premières demandes, c’est-à-dire de demandes introduites pour la première fois dans l’Union européenne.
15 () Audition du 28 septembre 2016 par la commission des Affaires étrangères.
16 () Rapport d’information n° 4077 présenté par présenté le 5 octobre dernier par Mme Jeanine Dubié et M. Arnaud Richard, 5 octobre 2016.
17 () http://doe.iom.int/docs/Flows%20Compilation%202015%20Overview.pdf (OIM).
18 () http://doe.iom.int/docs/Flows%20Compilation%202015%20Overview.pdf (OIM).
19 () Cf. infra.
20 () Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil, deuxième rapport sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la déclaration UE-Turquie, 15 juin 2016.
21 () Déclaration UE-Turquie : rapport d’avancement de septembre 2016, Commission européenne, Bruxelles, 4 octobre 2016.
22 () http://migration.iom.int/europe/
23 () Cf. audition de M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France, par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 28 septembre 2016.
24 () Chiffres de l’OIM.
25 () Cf. infra.
26 () L’EASO (European Asylum Support Office) a été établi par un règlement de l’Union européenne du 19 mai 2010 et inauguré à La Valette le 19 juin 2011. Il est chargé de trois missions principales : renforcer la coopération opérationnelle entre les États membres, soutenir les pays de l’Union européenne dont les régimes d’asile sont soumis à des pressions particulières et accompagner la mise en œuvre du régime d’asile européen commun. Dans le cadre de la première de ces missions, des travaux collectifs réunissent régulièrement des membres des différentes autorités nationales compétentes en matière d’asile pour des échanges d’informations sur la situation dans les pays d’origine. Depuis l’entrée en vigueur de la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, l’EASO apporte par ailleurs son concours aux services grecs pour mener les entretiens préalables aux décisions d’admissibilité concernant les demandes d’asile.
27 () Fermeture de leurs frontières notamment par la Slovénie, la Serbie et l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine (ARYM).
28 () Hunger strike in Elliniko camp (https://medium.com/@AreYouSyrious/ays-daily-news-digest-9-5-2016-2cea79ea10d1#.yzl9tunqh).
29 () Un camp de réfugiés doit se situer en principe à plus de cinquante kilomètres de toute frontière.
30 () Audition du 8 juin 2016 de Mme Ayça Saritekin, conseillère à l’Ambassade de Turquie en France, par la mission d’information du Sénat sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord.
31 () Cf. infra.
32 () Fondée en 1995, l’ONG ASAM (Association for Solidarity with Asylum seekers and Migrants) emploie en Turquie 400 personnes réparties au sein de 51 bureaux.
33 () À l’inverse, une partie de la société syrienne est très « conservatrice ». Certains réfugiés issus de ces milieux pratiquent la polygamie, pourtant illégale en Turquie.
34 () Cf. infra.
35 () Y compris le HCR qui est pourtant, par principe, plutôt opposé aux camps et encourage la localisation des réfugiés dans les villes (cf. audition de M. Ralf Gruenert, représentant ad interim du HCR en France, par la mission d’information du Sénat sur l’accord UE-Turquie, le 25 mai 2016 : « Nous avons accès aux camps installés en Turquie, qui sont de très bon niveau. »)
36 () Chef-lieu de la province du même nom, à 300 kilomètres au nord d’Adana, dans la région méditerranéenne aux confins de l’Anatolie du Sud-Est.
37 () Chiffres arrêtés à la mi-juin 2016, date du déplacement de la délégation de la mission en Turquie.
38 () Directorate General of Migration Management.
39 () Créée le 3 novembre 1961, l’Agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development ou USAID) est une agence du gouvernement des États-Unis chargée du développement économique et de l’assistance humanitaire dans le monde. Elle travaille sous la supervision du Président, du Département d’État et du Conseil de sécurité nationale.
40 () ECHO: « European Commission’s Humanitarian Aid and Civil Protection department », dénommé auparavant « European Community Humanitarian aid Office ».
41 () Women and Girls Safe Space.
42 () La Syrie compte en effet certaines minorités turcophones.
43 () Chiffres à la mi-juin 2016.
44 () Eurostat, communiqué de presse, 2 mai 2016.
45 () UNICEF, Danger every step of the way, A harrowing journey to Europe for refugee and migrant children, Juin 2016.
46 () Lors de sa seconde audition par la mission, le 28 septembre 2016, M. Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, a souligné combien les officiers de protection de l’OFPRA sont frappés des horreurs racontées par les migrants, une fois arrivés en Italie, sur ce qu’ils ont vécu en Libye (rapts, enlèvements, viols, etc.). De leur propre aveu, ces personnes ont été plus traumatisées par la traversée de la Libye que par celle de la Méditerranée.
47 () Service de presse d’Europol, 31 janvier 2016.
48 () Cf. infra.
49 () Source : Assemblée des départements de France (ADF).
50 () Règlement 2003/343 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers.
51 () Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), dont les dispositions s’appliquent à l’ensemble des États membres de l’UE, ainsi qu’à la Suisse, la Norvège, l’Islande et au Liechtenstein.
52 () Actuellement, règlement (UE) n 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac (refonte).
53 () Henri Labayle, « La politique d’asile dans l’Union européenne, de la crise à la mutation ? », La semaine juridique, octobre 2015, 1190.
54 () Affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce 21 janvier 2011, 30696/09.
55 () CJUE 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10.
56 () Recommandations de la Commission du 10 février 2016, du 15 juin 2016 et du 28 septembre 2016 adressées à la République hellénique sur les mesures urgentes à prendre en Grèce dans la perspective de la reprise des transferts prévus par le règlement (UE) n° 604/2013 , C(2016) 871 final et C(2016) 3805 final.
57 () Commission européenne, direction générale de la migration et des affaires intérieures, Evaluation of the implementation of the Dublin III regulation, final report, 18 mars 2016.
58 () Cf. infra.
59 () Communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil, Eighth biannual report on the functioning of the Schengen area 1 May - 10 December 2015, COM (2015) 675 final.
60 () Cf. supra.
61 () Cf. infra.
62 () Bureau européen d’appui en matière d’asile, Annual Report on the Situation of Asylum in the European Union 2014, juillet 2015.
63 () 2003/9/CE.
64 () 2004/83/CE.
65 () Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.
66 () Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.
(67 ) Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.
68 () Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte).
69 () Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte).
70 () Considérant 11 de la directive.
71 () Au sens de l’article 21 de la directive, les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine.
72 () Source : Eurostat, communiqué de presse du 20 avril 2016.
73 () Rapport annuel de l’EASO pour 2015
74 () Henri Labayle, op. cit.
75 () Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’état d’avancement de la mise en œuvre des actions prioritaires prévues par l’agenda européen en matière de migration, 10 février 2016, Com (2016) 85 et son annexe 8.
76 () Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
77 () Le Royaume-Uni et l’Irlande ne participent pas mais peuvent choisir d’appliquer certains volets de l’acquis ; la Roumanie, la Bulgarie et Chypre doivent adhérer ; la Croatie a engagé le processus d’adhésion.
78 () Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen).
79 () Règlement (CE) 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen).
80 ()« Ces circonstances exceptionnelles et imprévues sont supposées exister lorsque des événements imprévisibles provoquent une intensité du trafic telle qu’elle rend excessif le délai d’attente au point de passage frontalier, alors que toutes les ressources en personnel, en moyens et en organisation ont été épuisées. »
81 () Yves Pascouau, Schengen et la solidarité : le fragile équilibre entre confiance et méfiance mutuelles, European policy center, juillet 2012.
82 () Ces manquements sont constatés dans un rapport d’évaluation élaboré en application de l’article 14 du règlement (UE) 1053/2013 du Conseil du 7 octobre 2013 portant création d’un mécanisme d’évaluation et de contrôle destiné à contrôler l’application de l’acquis de Schengen.
83 () Le règlement (UE) 2016/1624 du 14 septembre 2016 a confié de nouvelles missions à Frontex, devenue l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Celles-ci sont détaillées dans la dernière partie du présent rapport.
84 () Communication de la Commission au Parlement européen, Au Conseil européen et au Conseil, Revenir à l’esprit de Schengen – Feuille de route, 4 mars 2016, COM (2016) 120 final.
85 () Opinion de la Commission européenne C(2015) 7100 final du 23 octobre 2015.
86 () Décisions de l’Allemagne le 13 septembre 2015, de l’Autriche le 16 septembre 2015, de la Slovénie le 17 septembre 2015 et de la Hongrie le 17 octobre 2015.
87 () Yves Pascouau, « Crise des réfugiés » et contrôles aux frontières intérieures de l’espace Schengen : quand les faits invitent à une relecture du droit, Revue Europe Jurisclasseur, mars 2016.
88 () Le règlement (UE) n° 1053/2013 du Conseil du 7 octobre 2013 portant création d’un mécanisme d’évaluation et de contrôle destiné à vérifier l’application de l’acquis de Schengen et abrogeant la décision du comité exécutif du 16 septembre 1998 concernant la création d’une commission permanente d’évaluation et d’application de Schengen.
89 () Commission européenne, IP/16/211.
90 () Décision d’exécution du Conseil arrêtant une recommandation pour remédier aux graves manquements constatés dans l’évaluation pour 2015 de l’application, par la Grèce, de l’acquis de Schengen dans le domaine de la gestion des frontières extérieures, document 5985/16.
91 () Décision d’exécution du Conseil arrêtant une recommandation relative à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l’espace Schengen, document 8835/16.
92 () Initiative franco-allemande sur les enjeux clés de la coopération européenne dans le domaine de la sécurité intérieure, 23 août 2016.
93 () Audition du 25 mai 2016 de M. Ralf Gruenert par la mission d’information du Sénat sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord.
94 () Audition du 11 mai 2016 de M. le recteur Gérard-François Dumont, professeur de géographie à l’université Sorbonne Paris IV, spécialiste des migrations internationales et directeur de la revue Population et avenir par la Commission des affaires étrangères et des forces armées du Sénat.
95 () L’Agenda européen en matière de migration a été présenté par la Commission européenne le 13 mai 2015. Il a proposé une approche globale pour améliorer la gestion des migrations dans toutes ses dimensions. Trois séries de mesures d’application ont déjà été adoptées au titre de cet Agenda les 27 mai, 9 septembre et 15 décembre 2015. Elles sont destinées à doter les États membres des outils nécessaires pour mieux gérer l’afflux d’arrivées et renforcer la politique européenne en matière d’asile. Elles prévoient notamment un renforcement de la présence en mer.
96 () Cf. infra.
97 () La politique de sécurité et de défense commune (PSDC), anciennement appelée « politique européenne de sécurité et de défense » (PESD), offre à l’Union européenne la possibilité d’utiliser des moyens militaires ou civils destinés à la prévention des conflits et à la gestion des crises internationales. Elle fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Les objectifs de la PSDC sont définis par l’article 42 du Traité sur l’Union européenne. Celui-ci stipule que l’Union européenne peut avoir recours à des moyens civils et militaires en dehors de l’Union « afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations Unies ».
98 () Cf. Rapport d’information déposé par la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale sur l’opération PSDC « SOPHIA » en Méditerranée centrale, présenté par MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion, 9 mars 2016.
99 () Initialement, six hotspots devaient être ouverts mais seuls quatre ont fonctionné.
100 () Cf. infra.
101 () Cf. Décision du Conseil instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l’Italie et de la Grèce, Dossier interinstitutionnel : 2015/0209 (NLE), 22 septembre 2015. Une majorité de pays avaient soutenu un accord de principe sur cette relocalisation lors d’une session extraordinaire du Conseil JAI du 14 septembre 2015. Un projet de décision en ce sens avait été approuvé lors du Conseil JAI du 20 juillet 2015.
102 () Le dispositif devait s’appliquer initialement aussi à la Hongrie mais celle-ci s’est opposée au principe même de la relocalisation.
103 () Sur la base des données d’Eurostat pour le trimestre précédent.
104 () Cf. infra.
105 () Cf. infra.
106 () Cf. infra.
107 () Déclaration de M. Manuel Valls, Premier ministre, le 13 février 2016, à Munich : « Nous ne sommes pas favorables à un mécanisme permanent de relocalisation. »
108 () Cf. infra.
109 () Une quinzaine d’agents de l’OFPRA en moyenne sont ainsi présents en Grèce continentale à ce titre, aucun officier de protection n’étant en revanche présent dans les hotspots grecs.
110 () Cf. audition de M. Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, par la mission d’information, le 28 septembre 2016.
111 () L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) est une agence intergouvernementale dont le siège est à Genève. Elle est issue du Comité intergouvernemental pour les migrations européennes, créé en 1951 pour aider à la réinstallation des personnes exilées lors de la Seconde Guerre mondiale.
112 () Le nombre de places d’hébergement dédiées aux demandeurs d’asile aura connu un doublement entre 2012 et 2017.
113 () Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.
114 () Le contrat d’objectif et de performance signé par l’OFPRA avec l’État prévoit un délai moyen de traitement de trois mois à compter de l’introduction de la demande d’asile. Pour permettre la réalisation de cet objectif, le nombre d’agents de l’Office a connu un quasi-doublement en cinq ans puisque, de 435 en 2012, il devrait passer à près de 800 en janvier 2017. Le délai moyen de traitement est actuellement de cinq mois contre sept à huit mois à la fin de l’année 2014.
115 () Cf. Instruction n° NOR INTV1524992J du 9 novembre 2015 du ministère de l’Intérieur et du ministère du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité.
116 () Chiffres fournis par M. Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, lors de son audition par la mission le 28 septembre 2016.
117 () Communiqué de presse du 2 juin 2016.
118 () Cf. rapport du 18 mai 2016 sur les programmes de l’Union européenne en matière de relocalisation et de réinstallation d’urgence (communiqué de presse du 18 mai 2016 : « La Commission invite également tous les acteurs concernés à intensifier la relocalisation des mineurs non accompagnés. »).
119 () Quatrième rapport sur la relocalisation et la réinstallation, 15 juin 2016.
120 () La moyenne mensuelle des personnes relocalisées à partir de la Grèce se situe actuellement entre 260 et 300 environ.
121 () Commission européenne, Rapport sur l’état d’avancement des programmes de relocalisation et de réinstallation de l’Union européenne et sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la déclaration UE-Turquie, Bruxelles, 28 septembre 2016.
122 () Audition par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale du 28 septembre 2016.
123 () Contre 1 000 dans les hotspots grecs.
124 () Cf. audition de M. Ralf Gruenert, représentant ad interim du HCR en France, par la mission d’information du Sénat sur l’accord UE-Turquie, le 25 mai 2016.
125 () Cf. infra.
126 () Il s’agit donc bien d’une aide financière à l’accueil des réfugiés en Turquie, et non pas d’un soutien financier à l’État turc en tant que tel.
127 () Cf. infra.
128 () Cf. infra.
129 () La déclaration prévoit que l’Union européenne « assurera le financement d’autres projets en faveur de personnes bénéficiant d’une protection temporaire que la Turquie aura rapidement contribué à identifier avant la fin mars. Une première liste de projets concrets en faveur des réfugiés, notamment en ce qui concerne la santé, l’éducation, les infrastructures, l’alimentation et autres frais de subsistance, qui peuvent être rapidement financés à l’aide de la facilité, sera conjointement définie dans un délai d’une semaine. Une fois que ces ressources seront sur le point d’être intégralement utilisées, et pour autant que les engagements précités soient remplis, l’UE mobilisera un financement additionnel pour la facilité, à hauteur de trois milliards d’euros supplémentaires jusqu’à la fin de 2018. »
130 () Il est précisé que la prochaine étape est l’ouverture du chapitre 33 (dispositions financières et budgétaires) au cours de la présidence néerlandaise (1er janvier – 30 juin 2016). Ce chapitre a été effectivement ouvert le 30 juin, portant à seize sur trente-cinq le nombre total de chapitres ouverts à ce jour.
131 ( Un premier renvoi de 324 migrants a notamment eu lieu les 4 et 8 avril.
132 () Cf. infra.
133 () Les États associés (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse) se sont déclarés prêts à participer à cet effort de réinstallation au moyen de mécanismes multilatéraux et nationaux.
134 () Résultats de la session du Conseil, 20 juillet 2015.
135 () C’est-à-dire des places proposées non pas dans le cadre de l’accord UE-Turquie mais sur la base de la décision du Conseil du 20 juillet 2015.
136 () L’OFPRA a commencé à mener des missions de réinstallation, à la demande du Président de la République, dès le début de l’année 2014.
137 () Il peut arriver que l’administration turque ne leur ait pas demandé leur avis avant de les inscrire sur la liste initiale.
138 () Cf. supra.
139 () À l’évidence, l’OFPRA a un besoin de prévisibilité en la matière, étant rappelé qu’il traite par ailleurs environ 80 000 demandes d’asile par an.
140 () Ce chiffre vient s’imputer sur celui de 30 000 migrants que la France s’est engagée à accueillir sur deux ans (cf. déclaration du Premier ministre, M. Manuel Valls, le 2 septembre 2015).
141 () Si la protection subsidiaire lui a été accordée, le demandeur peut faire un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour obtenir une protection complète.
142 () Déclaration UE-Turquie : rapport d’avancement de septembre 2016, Commission européenne, Bruxelles, 4 octobre 2016.
143 () Rapport de la Commission sur l’avancement des programmes de l’Union européenne en matière de relocalisation et de réinstallation d’urgence (15 juin 2016).
144 () Cf. infra.
145 () Cf. infra.
146 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre de l’Union pour la réinstallation et modifiant le règlement (UE) n° 516/2014 du Parlement européen et du Conseil.
147 () Audition du 28 septembre 2016.
148 () Temporary protection.
149 () Cf. supra.
150 () Cf. audition du 25 mai 2016 de M. Ralf Gruenert, représentant ad interim du HCR en France, par la mission d’information du Sénat sur l’accord de mars 2016 : « Nous ne nous opposons pas aux retours, dans la mesure où la personne a pu déposer une demande d’asile et en a été déboutée à l’issue d’une procédure équitable (…) nous sommes moins critiques que d’autres organismes. N’oublions pas que la Turquie a accordé une protection à plusieurs millions de réfugiés, alors que l’Europe a laissé plus d’un million de personnes traverser ses frontières sans gestion administrative avant de réagir. Sans gestion des flux mixtes de réfugiés et de migrants, les populations demanderont que cesse l’accueil des réfugiés et leurs gouvernements auront des difficultés à défendre l’assistance apportée. »
151 () Article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité instituant la Communauté européenne. »
152 () Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.
153 () Résultats de la session du Conseil, 20 mai 2016 : « Les États membres partagent l’analyse faite par la Commission des mesures prises par la Turquie depuis le 20 mars, ainsi que le point de vue de la Commission selon lequel la Turquie a pris toutes les mesures nécessaires énoncées dans sa communication du 16 mars. Les États membres se sont dits convaincus que les migrants pouvaient et devraient être renvoyés vers la Turquie conformément à la déclaration UE-Turquie du 18 mars. »
154 () C’est le cas par exemple pour les Afghans.
155 () Amnesty International le prétend. Elle indique sur son site internet avoir « déjà dénoncé le fait que les autorités turques bafouent le droit international ; elles ont notamment renvoyé de force des groupes de réfugiés afghans et syriens depuis la signature de l’accord UE-Turquie » (https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2016/05/eu-turkey-deal-greek-decision-highlights-fundamental-flaws/).
156 () http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20160509IPR26368/Lib%C3%A9ralisation-des-visas-pour-la-Turquie-il-faut-respecter-les-crit%C3%A8res-de-l%27UE
157 () L’article 37 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 permet en effet aux États membres de « maintenir ou adopter des dispositions législatives qui leur permettent, conformément à l’annexe I, de désigner des pays d’origine sûrs, au niveau national, aux fins de l’examen des demandes de protection internationale ».
158 () Notamment les 4, 8, 26 et 27 avril 2016.
159 () Deuxième rapport sur la déclaration UE-Turquie, adopté par la Commission européenne le 15 juin 2016.
160 () Déclaration UE-Turquie : rapport d’avancement de septembre 2016, Commission européenne, Bruxelles, 4 octobre 2016.
161 () Le comité d’appel de Lesbos a jugé récemment que la Turquie n’était pas un pays sûr.
162 () La présence de l’EASO dans les hotspots est fondée sur l’article 34 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 aux termes duquel « les États membres peuvent prévoir que le personnel d’autorités autres que l’autorité responsable de la détermination mène l’entretien personnel sur la recevabilité de la demande de protection internationale ».
163 () Cf. supra.
164 () La feuille de route issue du dialogue sur la libéralisation des visas de 2013 dresse la liste de 72 conditions devant être remplies.
165 () Cf. déclaration du président Recep Tayyip Erdogan le 6 mai 2016 : « L’UE nous demande de modifier la loi antiterroriste. Mais alors dans ce cas nous dirons : “Nous irons de notre côté et vous du vôtre”. »
166 () Cf. audition de M. Pierre-Antoine Molina par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 28 septembre 2016.
167 () Déclaration UE-Turquie : rapport d’avancement de septembre 2016, Commission européenne, Bruxelles, 4 octobre 2016.
168 () Règlement du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation.
169 () Point de presse de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, sur le consensus auquel sont parvenus les États membres de l’Union européenne s’agissant de la suspension de l’exemption de visa en cas de manquement par un pays à ses obligations ou à ses engagements, à Bruxelles le 20 mai 2016.
170 () Audition du 18 mai 2016 de M. Philippe Léglise-Costa, secrétaire général des affaires européennes, par la mission d’information du Sénat sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord.
171 () Déclaration UE-Turquie : rapport d’avancement de septembre 2016, Commission européenne, Bruxelles, 4 octobre 2016.
172 () Audition par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 28 septembre 2016.
173 () Du point de vue de la politique intérieure grecque, ces difficultés en matière d’enregistrement des demandes d’asile ont été critiquées notamment par « Nouvelle Démocratie », le parti de centre droit, qui avait pourtant dans un premier temps salué la politique migratoire du gouvernement « Syriza II ».
174 () Skype est un logiciel qui permet aux utilisateurs de passer des appels téléphoniques ou vidéo via Internet ainsi que le partage d’écran. Les appels d’utilisateur à utilisateur sont gratuits, tandis que ceux vers les lignes téléphoniques fixes et les téléphones mobiles sont payants. Il comporte des fonctionnalités additionnelles comme la messagerie instantanée, le transfert de fichiers et la visioconférence.
175 () L’Évros est une préfecture de la province grecque de Macédoine-Orientale-et-Thrace.
176 () En général, l’itinéraire comporte préalablement une étape à Athènes ou à Thessalonique.
177 () Il convient de noter qu’il existe un accord de réadmission conclu entre la Grèce et l’Italie, ayant pour objet de renvoyer dans la première les migrants qui l’ont quittée irrégulièrement pour gagner l’Italie.
178 () La route de la Méditerranée occidentale demeure, quant à elle, extrêmement peu empruntée. M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France, l’attribue notamment à l’efficacité de la coopération consulaire et policière de l’Espagne avec notamment le Sénégal et la Mauritanie. Des patrouilles communes de surveillance sont ainsi organisées le long des côtes.
179 () Cf. audition de M. Pierre-Antoine Molina par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 28 septembre 2016.
180 () Cf. infra.
181 () http://www.unhcr.org/fr/news/press/2016/3/56d95b7dc/hcr-etapes-resoudre-situation-refugies-europe.html.
182 () Projet de nouveau cadre de partenariat, axé sur les résultats, en vue de mobiliser et de concentrer l’action et les ressources de l’UE dans ses activités extérieures en matière de gestion des migrations.
183 () Directive 2009/50/CE du Conseil du 25 mai 2009 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié, transposée en droit français par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
184 () Cf. statistiques Eurostat pour 2014 (dernière année disponible) : Allemagne (12 108), France (602), Espagne (39), Italie (165), Belgique (19), Luxembourg (262), Pays-Bas (9), Portugal (3), Finlande (3), Suède (0), etc.
185 () Pour une série de domaines figurant sur une liste fixée par décret.
186 () Cf. infra.
187 () Communication de la Commission eu Parlement européen et au Conseil, Vers une réforme du régime d’asile européen commun et une amélioration des voies d’entrée légale en Europe, 6 avril 2016, COM (2016) 197 final.
188 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un mécanisme de relocalisation en cas de crise et modifiant le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, COM (2015) 450 final.
189 () Proposition de règlement du Parlement européen et de Conseil du 4 mai 2016 établissant les critères et les mécanismes pour la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale déposée dans un État membre par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (refonte) ; COM (2016) 270 final.
190 () Cf. infra
191 () Op. cit., COM (2016)197 final.
192 () COM (2016) 465 final.
193 () COM (2016) 466 final.
194 () COM (2016) 467 final.
195 () COM (2015) 452 final.
196 () Cf. supra.
197 () Albanie, Arménie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Géorgie, Ghana, Inde, Kosovo, ARYM, Maurice, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Sénégal, Serbie.
198 () Actuellement autorisée par l’article 43 de la directive « procédures », la procédure à la frontière permet aux autorités des États membres de se prononcer, à leur frontière ou sur leurs zones de transit, sur la recevabilité d’une demande (notamment au regard des notions de premier pays d’asile et de pays tiers sûr) ou sur le fond de celle-ci, notamment en cas de demande manifestement infondée. En France, cette procédure est régie par l’article L. 213-8-1 du CESEDA.
199 () Cf. supra.
200 () Proposition de règlement du 4 mai 2016 relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, COM (2016) 271 final.
201 () France stratégie, note d’analyse 39, les conséquences économiques d’un abandon des accords de Schengen, février 2016.
202 () Initiative franco-allemande sur les enjeux clés de la coopération européenne dans le domaine de la sécurité intérieure, 23 août 2016.
203 () Règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2016 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, modifiant le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (CE) no 863/2007 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil et la décision 2005/267/CE du Conseil
204 () Rapport d’information de Mme Marietta Karamanli et M. Charles de la Verpillière au nom de la commission des affaires européennes sur la proposition de règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, n° 3738 du 11 mai 2016.
205 COM (2015) 670 final.
206 () Proposition de règlement du 6 avril 2016 établissant un système d’entrées/sorties, COM (2016) 194 final et proposition de règlement du 6 avril 2016 modifiant le règlement UE 2016/399 en ce qui concerne l’utilisation d’un système entrées/sorties.
207 () En application de ces accords, les agents français et britanniques peuvent effectuer des contrôles dans les deux pays indifféremment, grâce à l’installation de part et d’autre de la Manche de « bureaux de contrôle nationaux juxtaposés ».
208 () Référendum britannique du 23 juin 2016.
209 () La maîtrise de la langue anglaise par les intéressés, les liens historiques de la Grande-Bretagne avec l’Afghanistan, le Pakistan et certains pays africains ainsi que le dynamisme de l’économie et du marché du travail britanniques constituent des facteurs d’attraction de long terme pour un certain nombre de migrants.
210 () Audition par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 28 septembre 2016.
211 () Communiqué de la préfecture du Pas-de-Calais du 12 octobre 2016 (recensement effectué par la Police aux Frontières). Ce chiffre marque une certaine décrue par rapport au précédent recensement (août 2016), qui avait estimé cette population aux alentours de 7 000 personnes.
212 () Ajoutons que le Brexit ne mettra pas nécessairement fin à cette possibilité puisqu’un certain nombre d’États associés appliquent aujourd’hui le Règlement Dublin III alors qu’ils ne sont pas membres de l’Union européenne (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse).
213 () 850 à 900 mineurs environ se trouvent aujourd’hui à Calais.
214 () http://www.redcross.org.uk/About-us/News/2016/October/Red-tape-leaves-refugee-children-stranded-in-Calais-Jungle
215 () COM (2016) 385 final.
216 () Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
217 () Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 9 septembre 2015, Plan d’action de l’UE en matière de retour, COM (2015) 453 final.
218 () Ministère de l’intérieur, Interdictions de retour et accords de réadmission entre la France et les pays tiers, étude du point de contact national du réseau européen des migrations, juillet 2014.
219 () Pakistan, la Géorgie, Hong-Kong, Macao, le Sri Lanka, l’Albanie, la Russie, l’Ukraine, la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie, la Moldavie, le Cap Vert, la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Arménie.
220 () Liste présentée par ordre chronologique.
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