N° 4429 - Rapport d'information de M. Denis Jacquat et Mme Kheira Bouziane-Laroussi déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires sociales, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'avenir de la prévention spécialisée



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N° 4429

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er février 2017.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

en conclusion des travaux de la mission sur
l’avenir de la prévention spécialisée
,

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Denis JACQUAT et Mme Kheira BOUZIANE-LAROUSSI,

Députés.

——

COMPOSITION DE LA MISSION D’INFORMATION

(15 membres)

——

 

Groupes politiques

M. Denis Jacquat, président

Les Républicains

Mme Kheira Bouziane-Laroussi, rapporteure

Socialiste, écologiste et républicain

M. Alain Ballay

Socialiste, écologiste et républicain

M. Gérard Bapt

Socialiste, écologiste et républicain

Mme Martine Carrillon-Couvreur

Socialiste, écologiste et républicain

M. Jean-Patrick Gille

Socialiste, écologiste et républicain

Mme Annie Le Houerou

Socialiste, écologiste et républicain

M. Gérard Sebaoun

Socialiste, écologiste et républicain

M. Fernand Siré

Les Républicains

M. Gilles Lurton

Les Républicains

Mme Bérengère Poletti

Les Républicains

-

Union des démocrates et indépendants

-

Gauche démocrate et républicaine

-

Radical, républicain, démocrate et progressiste

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

I. LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE : UNE MISSION INDISPENSABLE AUJOURD’HUI FRAGILISÉE 11

A. DE L’ACTION MILITANTE À LA POLITIQUE PUBLIQUE 11

1. Aux origines : des associations de jeunesse de l’après-guerre 11

2. Les années 1970 : le temps de l’institutionnalisation 12

3. Décentralisation et nouvelles missions : la prévention spécialisée à l’épreuve d’un changement de paradigme 14

a. La départementalisation du financement 14

b. Le retour des crédits budgétaires avec la politique de la ville 15

c. La montée en puissance des politiques de sécurité communales 15

B. UNE MISSION SINGULIÈRE 16

1. Une mission guidée par des principes essentiels 16

a. Des principes liés à la dimension éducative de la prévention spécialisée 16

b. Des principes nécessairement adaptés aux réalités du terrain 18

2. Un travail polyvalent 19

a. Des interventions marquées par la souplesse et l’adaptabilité 19

b. Des zones d’intervention différentes 20

3. La délicate question de l’évaluation 22

a. L’absence de contreparties immédiates 22

b. Une utilité sociale chiffrable en partie seulement, et de façon indirecte 23

c. Une démarche d’évaluation néanmoins dynamique 24

C. LE TRIPLE MALAISE DE LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE 26

1. Des financements en forte baisse 26

a. Une tendance inédite de diminution des dépenses 27

b. La disparition totale de la prévention spécialisée dans certains départements 27

2. Des professionnels confrontés à des difficultés nouvelles 28

a. Un besoin toujours plus grand de prévention dans un contexte social difficile 28

b. L’extension des missions pour traiter de nouvelles problématiques 29

3. Un positionnement parfois délicat 30

a. Un risque de dénaturation par les politiques de prévention de la délinquance 30

b. Un risque de dilution dans la politique de la ville 31

II. ASSURER À LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE DES MOYENS ADAPTÉS AU NIVEAU CROISSANT DES BESOINS 35

A. DONNER DES ORIENTATIONS AUX ACTEURS DE LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE 35

1. Définir des orientations nationales 35

a. La récente réforme des instances de représentation nationale 35

b. Un besoin unanime de cadrage national 39

2. Mieux insérer la prévention spécialisée dans le maillage territorial des dispositifs destinés aux jeunes en difficulté 41

a. La prévention spécialisée, au carrefour des dispositifs en faveur des jeunes en difficulté 41

b. Développer les partenariats et garantir la coordination des interventions dans les territoires 42

c. La question de la taille des équipes de prévention spécialisée 43

B. RÉAFFIRMER LE RÔLE PRIMORDIAL DU DÉPARTEMENT DANS LE FINANCEMENT DE LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE 44

1. Le département, chef de file naturel de la prévention spécialisée 44

a. Le département, un échelon pertinent 45

b. Les interrogations liées à la métropolisation de la prévention spécialisée 46

c. Un État qui doit s’impliquer plus, y compris financièrement 47

d. Une articulation à mieux définir avec les communes 48

2. Garantir le financement de la prévention spécialisée 49

a. Favoriser une contractualisation pluriannuelle 49

b. Affirmer la compétence obligatoire du département en matière de financement 50

C. FAIRE ÉVOLUER LES FORMES D’INTERVENTION 54

1. Des principes cardinaux à réinterroger ? 54

a. Un positionnement mieux défini 54

b. La fin d’un malaise ? 55

2. Conforter le rôle éducatif de la prévention spécialisée 56

a. Assurer une prise en charge dès le plus jeune âge 56

b. Mieux associer les familles 57

c. Renforcer les partenariats avec l’Éducation nationale 59

3. Accompagner le travail des éducateurs au regard de l’évolution des enjeux 62

a. La présence sur Internet 62

b. Les complémentarités avec le secteur de la santé 64

c. La participation aux actions de prévention de la radicalisation 66

D. ADAPTER LA FORMATION DES ÉDUCATEURS 68

1. Une formation initiale de trois ans à compléter 68

a. Une formation initiale fondée sur un tronc commun à tous les travailleurs sociaux 68

b. Une formation très limitée au travail de rue 69

c. Une meilleure préparation au travail collectif à développer 70

2. Une formation continue trop dépendante des moyens de l’employeur 73

LISTE DES PROPOSITIONS 75

TRAVAUX DE LA COMMISSION 77

ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA MISSION 93

INTRODUCTION

La prévention spécialisée est une mission éducative destinée à permettre aux jeunes en voie de marginalisation de rompre avec l’isolement et de retisser des liens avec le reste de la société. Née d’une pratique militante dans l’immédiat après-guerre, elle s’est depuis progressivement institutionnalisée pour relever aujourd’hui de la politique de l’aide sociale à l’enfance, placée sous la responsabilité des départements.

Cette mission est à bien des égards singulière : guidées par des principes d’action essentiels et faisant preuve de grandes capacités d’adaptation face à la diversité des situations rencontrées, les équipes de prévention spécialisée ont pour principal terrain d’intervention la rue, où elles vont à la rencontre des jeunes les plus en difficulté.

Ce mode d’intervention original n’entre pas dans le cadre classique de l’aide sociale, mais il est irremplaçable pour toucher ceux qui s’écartent durablement des dispositifs institutionnels de socialisation. Les difficultés croissantes rencontrées par notre jeunesse rendent d’ailleurs la prévention spécialisée plus que jamais indispensable : les facteurs de la marginalisation, qui ont justifié à l’origine la mission des éducateurs, tendent en effet à s’accroître et à s’étendre, y compris dans les zones périurbaines et rurales.

Convaincue de l’utilité de cette politique en faveur des jeunes, la mission d’information, constituée le 29 juin 2016, a effectué de nombreuses auditions et entendu l’ensemble des acteurs du secteur : ministre, directeurs d’administration centrale, représentants des départements, chercheurs, responsables d’associations et de réseaux, éducateurs.

Surtout, la mission a voulu analyser au plus près les problématiques qui traversent la prévention spécialisée, et a en conséquence effectué plusieurs déplacements sur le terrain, à Dijon, à Metz et à Marseille. Elle a pu y rencontrer les structures associatives intervenant sur le terrain ainsi que des élus et des responsables administratifs chargés de la prévention spécialisée. La mission s’est également rendue en Belgique, à Molenbeek.

Ces déplacements ont permis de prendre acte de la grande diversité des politiques menées. La mission a ainsi pu constater des disparités importantes de financement entre les départements ainsi que la variété des partenariats mis en place entre les acteurs de terrain. Les déplacements ont été aussi l’occasion de mesurer l’implication des éducateurs de rue, dans des conditions de travail parfois difficiles.

Le présent rapport est le fruit de ces échanges. Aux termes de ses travaux, la mission constate que la prévention spécialisée est aujourd’hui fragilisée et menacée. Elle s’est attachée tout autant à identifier les difficultés qu’à proposer des pistes afin d’y remédier.

Il apparaît que le malaise que connaît la prévention spécialisée depuis quelques années est d’abord lié à la diminution continue des financements dans certains départements. Or, si la nature même de la prévention spécialisée implique que son action épouse les contours du territoire où elle se déploie pour s’adapter aux réalités sociales, l’ampleur des écarts actuels en matière de financement, qui tendent à se creuser en raison de stratégies divergentes, pose un véritable problème d’égalité entre les territoires. La baisse des moyens de la prévention spécialisée est d’autant plus préoccupante que les difficultés croissantes rencontrées par notre jeunesse nécessiteraient au contraire leur renforcement. Le présent rapport prend donc résolument le parti d’appeler à une meilleure reconnaissance de la prévention spécialisée sur l’ensemble du territoire. Cela suppose au préalable de clarifier les conditions dans lesquelles les conseils départementaux doivent financer ce mode d’intervention aussi original qu’essentiel.

Par ailleurs, alors que la métropolisation perturbe le principe de la compétence départementale en matière de prévention spécialisée, les places respectives du département, de l’État et des communes méritent d’être réinterrogées.

Les acteurs de la prévention spécialisée éprouvent également des difficultés de positionnement, en particulier au regard des politiques de lutte contre la délinquance et la radicalisation. Dans un contexte où les enjeux et les difficultés rencontrées par les jeunes évoluent, il est crucial de conforter le rôle éducatif de la prévention spécialisée. Réaffirmer ce rôle, c’est rappeler que la réponse sécuritaire ne peut être l’unique réponse aux difficultés des jeunes marginalisés.

De manière plus générale, les acteurs de la prévention spécialisée pâtissent d’un manque d’orientation et de cadrage, tant au niveau national qu’au niveau des territoires. À cet égard, parallèlement aux travaux de la mission d’information, des réflexions sur la définition de cette politique ont été engagées par le ministère de la ville et le ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes, dont les résultats devraient être concomitants à la publication du présent rapport.

Afin d’assurer un maillage territorial permettant à chaque jeune, où qu’il se trouve, de bénéficier d’une prise en charge adaptée, la redéfinition et la clarification des missions doivent aller de pair avec le développement de partenariats et la recherche de complémentarités entre les dispositifs en faveur des jeunes en difficulté.

À cet égard, les établissements scolaires apparaissent comme un lieu d’intervention incontournable pour la prévention spécialisée, dans la mesure où la grande majorité des jeunes suivis sont en situation de rupture ou de décrochage scolaire. Les liens avec l’Éducation nationale doivent donc être renforcés, notamment grâce à la mise en place des coopérations institutionnalisées.

La qualité reconnue du travail des équipes de prévention spécialisée incite souvent les pouvoirs publics à élargir leurs missions, sans pour autant que leur moyen ne soient nécessairement réévalués : les éducateurs sont attendus pour orienter en matière de santé publique, pour agir sur un nouvel espace comme internet ou encore pour prévenir la délinquance ou la radicalisation. Ces évolutions, certes souhaitables pour faire face aux nouveaux défis de notre société mais difficiles à mettre en œuvre pour les associations, nécessitent un effort d’adaptation très important. Si les éducateurs de rue sont connus et appréciés pour leur professionnalisme, de tels changements rendent indispensable un véritable renforcement de la formation initiale et continue.

Ces professionnels travaillent au contact des jeunes les plus éloignés de nos institutions et les plus isolés. Ils sont aujourd’hui bien souvent les derniers acteurs bienveillants avec qui ces jeunes peuvent être en contact, dans de nombreux territoires où les services publics ont parfois entièrement disparu.

Le présent rapport entend ainsi tirer toutes les conséquences d’un constat fondamental : la prévention spécialisée, bien qu’elle ne soit pas à l’origine une initiative des pouvoirs publics, est devenue, à mesure qu’elle faisait la preuve de son utilité dans les quartiers difficiles, une politique publique à part entière. Dès lors, il est absolument essentiel qu’elle dispose des moyens juridiques, financiers et humains pour remplir correctement sa mission dans tous les territoires où elle est utile. Conforter l’avenir de la prévention spécialisée participera utilement de l’investissement que nous devons faire dans notre jeunesse.

I. LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE : UNE MISSION INDISPENSABLE AUJOURD’HUI FRAGILISÉE

La prévention spécialisée, née d’une pratique militante dans l’immédiat après-guerre, s’est progressivement institutionnalisée pour relever aujourd’hui des missions de l’aide sociale à l’enfance, placée sous la responsabilité des départements. Le mode d’intervention des professionnels de la prévention spécialisée reste cependant original : il se caractérise par le travail de rue et une grande souplesse, indispensable au vu de la diversité des situations rencontrées.

Cette mission est néanmoins confrontée à plusieurs difficultés : à celle
– ancienne – de son positionnement est venu s’ajouter un « effet de ciseau » entre des financements en baisse et un besoin croissant de prévention spécialisée au regard des difficultés actuelles de la jeunesse.

A. DE L’ACTION MILITANTE À LA POLITIQUE PUBLIQUE

La prévention spécialisée n’est pas née d’une théorie mais d’une pratique militante, apparue dans l’immédiat après-guerre, ensuite reconnue et institutionnalisée au niveau national puis au niveau départemental après les grandes réformes de 1983 et de 1986. Connaître ses origines est essentiel afin de comprendre la singularité de la prévention spécialisée, son ancrage dans le monde de l’éducation et de la protection de l’enfance, mais aussi le manque de reconnaissance dont elle souffre. En effet, si le riche passé associatif de la prévention a permis l’émergence d’une action dynamique et innovante portée par des professionnels motivés, il ne doit pas occulter les efforts d’adaptation très importants réalisés en soixante ans d’existence, tant en termes d’objectifs poursuivis que de méthodologie.

1. Aux origines : des associations de jeunesse de l’après-guerre

Comme l’expliquent MM. Vincent Peyre et François Tétard dans leur ouvrage de référence sur l’histoire de la prévention spécialisée (1), celle-ci naît dans un contexte d’après-guerre très favorable aux politiques d’éducation et de prévention pour les mineurs. Le travail de rue est le produit d’initiatives ponctuelles inspirées par la volonté de pallier les manques d’une politique éducative alors essentiellement tournée vers les internats et les maisons de correction. Les « pionniers » (2) de l’éducation spécialisée prennent le contrepied de ces institutions – qui entendent soustraire les mineurs à une mauvaise influence de leur milieu, de leur famille ou de leur quartier – en se rendant à la rencontre des jeunes dans leur lieu de vie.

À l’image de M. Fernand Deligny, instituteur du Nord, qui crée la première équipe (3), les éducateurs interviennent auprès des nombreux enfants laissés à l’abandon après la guerre en instaurant une relation de confiance. Appelé « patronage » dans le nord de la France, « équipes d’amitié » à Paris, ce travail de rue permet d’aller à la rencontre de jeunes de tous âges, principalement issus de milieux populaires. Les premiers éducateurs conçoivent leur métier comme peu contraint quant au choix des méthodes employées mais les conditions de travail de ces militants sont assez précaires.

Afin d’obtenir des moyens des pouvoirs publics, les éducateurs cherchent à s’organiser dès la fin des années 1950 : le 21 janvier 1957, ils publient une profession de foi des « clubs et équipes de prévention » (4) afin d’affirmer auprès de l’État l’originalité de leur positionnement et de leurs méthodes. Le public jeune, le but curatif, l’action collective dans un milieu et un lieu donnés sont alors les éléments caractéristiques par lesquels les acteurs de la prévention s’auto-définissent.

Cette première tentative d’organisation est rapidement couronnée de succès puisqu’une circulaire du ministère de la Santé du 20 avril 1959 reconnaît l’existence et l’intérêt de leur mission. Le paysage institutionnel en matière de politique d’aide à la jeunesse est moins riche qu’il ne l’est aujourd’hui et les éducateurs s’imposent rapidement alors comme des interlocuteurs centraux pour endiguer le phénomène des « blousons noirs » (5) dans les quartiers difficiles.

En mai 1959, la prévention spécialisée franchit une nouvelle étape importante en se dotant d’une première fédération de clubs, issue de la rencontre devenue régulière des administrateurs et des éducateurs de différentes associations.

L’arrêté du 14 mai 1963 du Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux sports crée le Comité national des clubs et équipes de prévention contre l’inadaptation sociale de la jeunesse en vue de coordonner l’activité des acteurs privés.

2. Les années 1970 : le temps de l’institutionnalisation

La prévention spécialisée connaît une forte accélération de son institutionnalisation dans les années 1970.

L’année 1972 voit les acteurs de la prévention spécialisée se regrouper au sein du Comité national de liaison des clubs et des équipes de prévention, qui poursuit le travail du Groupe d’étude de la prévention (GEP) (6). Le comité, qui prend rapidement une forme associative, parvient à promouvoir auprès des pouvoirs publics des modalités de partenariat financier adaptées à la prévention comme le financement dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) au moyen d’un budget global et le contrôle a posteriori des associations gestionnaires.

L’arrêté fondateur du 4 juillet 1972 consacre le terme de « prévention spécialisée ». Ce premier – et dernier – grand texte réglementaire portant sur les missions et le contenu de la prévention spécialisée (7) consacre également l’inscription de la prévention dans la politique de protection de l’enfance, pérennise les financements et subordonne l’exercice de la profession à un agrément.

L’arrêté du 4 juillet 1972, acte fondateur d’une politique publique
de prévention spécialisée

L’arrêté du Premier ministre « Clubs et équipes de prévention » (8) traduit la rencontre de la volonté politique du Gouvernement de mettre en valeur une action susceptible de répondre aux inquiétudes suscitées par l’état de la jeunesse et de la volonté des grandes organisations de prévention de franchir une étape dans le développement de cette activité sur tout le territoire.

Les articles 1 à 3 créent un Conseil technique des clubs et équipes de prévention chargé d’émettre un avis sur les méthodes et techniques utilisées (9).

L’article 4 prévoit la possibilité d’un financement par les collectivités locales.

L’article 5 prévoit les conditions dans lesquelles un organisme peut être agréé pour exercer une action de prévention spécialisée ; ce faisant, l’article définit la prévention spécialisée comme « une action éducative tendant à faciliter une meilleure insertion sociale des jeunes, par des moyens spécifiques supposant notamment la libre adhésion. Ces organismes doivent disposer d’une équipe de travailleurs sociaux expérimentés […]. L’action éducative de ces organismes est menée en collaboration avec les services sociaux, les groupements et les établissements socio-éducatifs et culturels ».

Les articles 6 à 8 définissent la procédure d’agrément par le préfet.

L’article 11 supprime le Comité national créé en 1963.

Ces années sont marquées par un doublement du nombre de clubs, qui passe de 263 en 1973 à 565 en 1983.

3. Décentralisation et nouvelles missions : la prévention spécialisée à l’épreuve d’un changement de paradigme

a. La départementalisation du financement

Le transfert au département de la prévention spécialisée bouleverse le contexte dans lequel opèrent les associations concernées.

À la suite du transfert de l’aide sociale à l’enfance (ASE) au département par la loi de décentralisation du 22 juillet 1983 (10), la prévention spécialisée a connu un moment d’incertitude sur son devenir : en l’absence de précision de la loi, avait-elle vocation à suivre l’ASE qui la finançait jusqu’ici ou à s’en détacher pour demeurer une compétence de l’État ?

La loi n° 86-17 du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d’aide sociale et de santé a levé toute ambiguïté : l’article 31 prévoit expressément le transfert de la prévention spécialisée au département. Il s’agit de la première reconnaissance au niveau légal de la « prévention spécialisée auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu » (11) au sein « des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles (12). La prévention fait donc partie des actions que le département peut financer au titre de l’ASE. Il s’agit d’une dépense facultative, le département ayant seulement pour obligation de financer une ou plusieurs formes des actions de prévention.

Si ce transfert de compétence aligné sur celui de l’ASE est cohérent au regard de la logique des blocs de compétences et des exigences de simplicité administrative (13), il connaît rapidement des difficultés de mise en place. La départementalisation se heurte à des réticences importantes de la part d’élus communaux et départementaux dont bon nombre ne souscrivent pas au financement d’une politique qui se focalise sur des problématiques essentiellement urbaines et sur laquelle les communes n’ont pas de pouvoir de contrôle. Dans ce contexte, certains départements dénoncent les conventions les liant aux clubs et aux équipes de prévention spécialisée. Pour la première fois depuis sa création, la prévention est confrontée à des reflux de financements. Les élus s’appuient sur le caractère facultatif de la compétence pour moduler leur financement à la baisse. En revanche, des élus convaincus soutiennent la création de nouvelles équipes ou le renforcement des structures existantes.

b. Le retour des crédits budgétaires avec la politique de la ville

La création de la politique de la ville à la suite des rapports Schwartz (14), Dubedout (15) puis Bonnemaison (16) dans les années 1982-1988 donne un nouveau cadre de financement à la prévention spécialisée, qui peut s’insérer dans des programmes de « développement social des quartiers » (DSQ). Ces programmes orientent les politiques urbaines vers un décloisonnement des problématiques sociales, économiques et éducatives et donnent une nouvelle place aux éducateurs spécialisés, qui peuvent obtenir des financements État-région en vue de participer à la nouvelle conception du travail de prévention de la délinquance.

La période est un moment de transition ambivalent pour l’histoire de la prévention spécialisée : les éducateurs retrouvent un regard bienveillant des pouvoirs publics sur leur utilité, mais s’inquiètent de ce qu’ils perçoivent comme une tendance au dévoiement de leur mission, qui serait reconnue uniquement au titre de leur participation indirecte aux politiques de sécurité.

Alors que ces politiques prennent de l’ampleur avec la montée en puissance des contrats de ville entre 1989 et 1998, elles tendent aussi à banaliser l’action des éducateurs de rue au profit de nouvelles structures (maisons de la jeunesse et de la culture, missions locales, etc.) et de nouveaux acteurs recrutés par les maires (« emplois jeunes », « agents d’ambiance », « agents de médiation ») (17). Les éducateurs voient émerger des métiers considérés parfois à tort par les communes comme équivalents, comme ceux de l’animation et de la médiation (18). Les structures de prévention spécialisée développent dans le même temps de nouvelles actions, qui ne faisaient pas partie du cœur de métier, pour bénéficier de l’essor de ces politiques, qui ont un important volet économique, comme les chantiers d’insertion.

c. La montée en puissance des politiques de sécurité communales

Les années 2000 marquent l’apogée des antagonismes entre la prévention spécialisée et les politiques de sécurité. Au printemps 2004, les éducateurs de rue manifestent pour afficher la singularité de leur éthique et de leurs méthodes par rapport aux politiques de sécurité mises en œuvre à l’époque.

Le renforcement des pouvoirs du maire en matière de sécurité (19) a pour conséquence, dans certains territoires, une mise en concurrence directe entre les politiques éducatives, financées essentiellement par le département, et les différents agents de médiation, recrutés par les maires.

Les dispositions nouvelles qui prévoient l’obligation de transmission d’information lorsqu’est constatée une « aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’une personne ou d’une famille » (20) sont perçues comme une menace pour la relation de confiance qui fonde l’action des éducateurs.

B. UNE MISSION SINGULIÈRE

La prévention spécialisée repose sur des principes essentiels qui guident l’action des éducateurs de rue, dont les interventions se caractérisent par une grande souplesse et une capacité d’adaptation à la diversité des situations rencontrées.

1. Une mission guidée par des principes essentiels

La prévention spécialisée est gouvernée par plusieurs principes : la libre adhésion, l’absence de mandat nominatif, le respect de l’anonymat, l’absence d’institutionnalisation et le travail en partenariat.

a. Des principes liés à la dimension éducative de la prévention spécialisée

La libre adhésion, tout d’abord, signifie que le jeune doit être acteur de la démarche engagée avec l’éducateur de rue. Il est libre d’adhérer à celle-ci, de l’ignorer ou de la refuser à tout moment. Dès lors qu’il l’accepte, il est nécessairement impliqué dans cette démarche, qui ne s’impose donc pas à lui.

Le principe de libre adhésion amène l’éducateur spécialisé et le jeune à déterminer ensemble leurs objectifs et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. S’il requiert un travail d’approche parfois subtil, il est à même de favoriser le lien entre l’éducateur et le jeune, souvent réticent au contact avec l’adulte.

Corollaire de la libre adhésion, l’absence de mandat nominatif constitue une particularité de la prévention spécialisée parmi les politiques de protection de l’enfance. Aucune autorité administrative ou judiciaire ne mandate les éducateurs pour accomplir une démarche auprès d’un jeune identifié, ce qui distingue les interventions de prévention spécialisée de l’action éducative en milieu ouvert (AEMO).

La relation repose d’abord sur un éducateur ayant repéré une situation difficile et un jeune prêt à être accompagné.

La prévention spécialisée se distingue donc des autres modes de prévention par le refus de toute notion de contrôle social, les jeunes demeurant toujours libres d’entrer ou pas dans cette relation. Il s’agit de repérer et d’« aller vers » les jeunes en difficulté, qui sont exclus des instances de socialisation ou qui les rejettent, pour les écouter, les accompagner afin de les aider à faire face aux difficultés qu’ils rencontrent et favoriser leur insertion dans différentes structures ou institutions (club, sport, travail, formation, scolarité, etc.), en vue d’une inclusion durable dans la société.

Dans cette démarche, l’éducateur de rue cherche à nouer une relation de confiance avec le jeune. Pour cela, la libre adhésion et l’absence de mandat nominatif s’accompagnent du respect de l’anonymat du jeune.

Le principe d’anonymat implique, pour le jeune, le droit de ne jamais divulguer son identité, même si cela peut constituer un obstacle à sa réinsertion, et pour les éducateurs, une obligation de confidentialité. Tous les acteurs de la prévention spécialisée sont ainsi soumis au secret professionnel, obligation renforcée par la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Les jeunes ne font pas l’objet de dossiers nominatifs et aucune information les concernant n’est transmise à un tiers sans leur accord.

Les principes de libre adhésion, d’absence de mandat nominatif et de respect de l’anonymat sont justifiés par la mission éducative de la prévention spécialisée, qui est mise en œuvre dans un milieu marqué par des difficultés importantes. Dans ce contexte particulier, le respect de ces principes apparaît indispensable pour créer une relation de confiance entre le professionnel et le jeune. Il permet de construire, souvent dans la durée, un accompagnement éducatif favorisant la construction de l’identité et l’insertion sociale des jeunes en difficulté.

Deux autres principes guident les modalités de l’action éducative : l’absence d’institutionnalisation et le travail interinstitutionnel.

Le postulat de la prévention spécialisée est qu’il n’existe pas de réponses instituées à un problème prédéfini. Les éducateurs doivent sans cesse adapter leur pratique au contexte pour accompagner la personne vers une réinsertion durable. Le principe de non institutionnalisation est un gage d’adaptation permanente et d’innovation sociale, qui n’empêche pas certaines démarches de formalisation écrite encouragées par les textes.

Enfin, le travail des éducateurs de rue consiste aussi à orienter les jeunes, lorsqu’ils le souhaitent, vers d’autres dispositifs publics. La recherche de complémentarités entre les différentes actions suppose de dépasser les clivages institutionnels. Le travail interinstitutionnel permet ainsi de faciliter les « passages de relais ». Les objectifs de la prévention spécialisée supposent donc de travailler à la fois avec les services de l’État, les services du département, les caisses d’allocations familiales et les autres associations du secteur social.

b. Des principes nécessairement adaptés aux réalités du terrain

Les principes qui gouvernent la prévention spécialisée ne constituent pas un dogme mais le cadre de l’intervention des éducateurs de rue. Ils doivent être adaptés à la diversité des situations rencontrées.

Concernant la libre adhésion, les équipes de prévention spécialisée peuvent accepter qu’un premier temps de rencontre soit provoqué par un partenaire. En outre, dans le cadre de partenariats avec l’Éducation nationale, les jeunes n’ont guère le choix de ne pas rencontrer l’éducateur.

Concernant l’anonymat, le Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS) note dans une contribution écrite adressée à la rapporteure qu’« un jeune peut nous rencontrer en restant anonyme, cependant la majorité des jeunes que nous connaissons et accompagnons aujourd’hui sont connus de nombreux services. Le principe d’anonymat peut sans doute valoir quelquefois, mais il a perdu de la vigueur au fil des évolutions sociétales et de nombreux jeunes ont brisé leur anonymat dès l’âge de onze ans par le biais des réseaux sociaux notamment. Nous observons, dans une écrasante majorité de cas, que ce n’est plus là leur demande lors de nos premières rencontres ».

Il apparaît que pour une majorité de jeunes, le caractère non obligatoire de la rencontre avec les équipes de prévention spécialisée est davantage déterminant dans l’établissement d’une relation de confiance que la question de l’anonymat. Quoi qu’il en soit, l’un des objectifs de l’accompagnement éducatif est, à terme, que le jeune accepte de rompre l’anonymat pour vivre en société, dans la mesure où son identité sera requise pour toute démarche de droit commun.

Par ailleurs, le travail interinstitutionnel suppose de dépasser l’anonymat tout en garantissant le respect de la confidentialité.

Le partage d’informations à caractère secret est d’ailleurs encadré par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Celle-ci autorise la communication d’informations à la cellule départementale de recueil des informations préoccupantes (CRIP) ainsi que le partage d’informations entre professionnels pour l’évaluation pluridisciplinaire de la situation de l’enfant et la mise en œuvre d’actions de protection.

Alors que la transversalité des actions menées et les échanges avec les différents partenaires de la prévention spécialisée sont indispensables, la rapporteure tient à rappeler la vigilance dont doivent faire preuve les professionnels. Lorsque cela est nécessaire, les dispositions législatives relatives au secret professionnel doivent s’accompagner de protocoles ou de chartes sur le partage d’informations, afin de préciser les limites des échanges entre professionnels. Ce travail a notamment été réalisé en 2014 en matière de prévention de la délinquance. L’objectif n’est pas de limiter le travail en partenariat, mais bien de veiller à la mise en œuvre des dispositifs les plus adaptés aux besoins des personnes, dans le respect de leurs droits.

2. Un travail polyvalent

a. Des interventions marquées par la souplesse et l’adaptabilité

Les interventions des éducateurs de rue, « raccommodeurs du lien social » selon les termes employés par Mme Véronique Le Goaziou, se caractérisent par une grande diversité.

Les actions menées peuvent consister aussi bien en une aide à la rédaction d’un curriculum vitae, un entretien avec une famille surendettée, la réfection d’un local au cours d’un chantier de réinsertion, de l’animation de quartier, des activités culturelles et sportives ou du soutien scolaire. Dans son ouvrage Éduquer dans la rue (21), la sociologue note que le travail de l’éducateur de rue « relève du développement local, de l’animation, de l’assistance sociale, du conseil (par exemple dans l’orientation scolaire ou professionnelle), de la médiation (par exemple familiale) ou du soutien psychologique et les éducateurs font preuve d’une capacité à passer promptement d’un registre à l’autre à la façon de caméléons agiles ».

Les équipes de prévention spécialisée doivent ainsi s’adapter en permanence à la diversité des situations rencontrées. Elles sont amenées à mettre en place des activités individuelles mais aussi collectives, parfois à des horaires atypiques. Leur terrain d’intervention, la rue, se situe le plus souvent dans les quartiers sensibles, même si tous les territoires concernés ne font pas partie de la politique de la ville.

Les éducateurs de rue font en outre preuve d’une disponibilité immédiate. Dans un rapport de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS) publié en février 2014 (22), Mme Le Goaziou note ainsi que « lorsque des jeunes les sollicitent, les éducateurs commencent d’abord par dire oui et par répondre présent. En amont même de toute demande, ils sont dans l’offre d’un lien possible. Dans les faits, cela suppose une disponibilité quasi immédiate et réitérée et cela se traduit par une sorte de communion dans les rythmes ».

Cette manière de travailler les différencie des autres acteurs qui, la plupart du temps, renvoient la rencontre à un rendez-vous ultérieur, dans un autre lieu que le territoire de vie du jeune. Au contraire, l’immersion sur un territoire et le travail de rue au jour le jour permettent à l’éducateur spécialisé de faire partie du quotidien du jeune et favorisent la mise en place d’une relation de confiance.

La disponibilité des éducateurs de rue se traduit aussi par des horaires de travail atypiques. En effet, le temps et les lieux de travail sont conçus pour être aussi proches que possible de ceux du public qu’ils rencontrent, ce qui ne peut correspondre à des horaires classiques de bureau. La présence sociale suppose ainsi d’intervenir à différentes heures de la journée et à des moments où les services publics sont en retrait, en particulier le soir, le week-end et pendant les vacances scolaires.

Par exemple, afin d’améliorer la réponse apportée aux besoins des jeunes, l’Association départementale pour le développement des actions de prévention des Bouches-du-Rhône (ADDAP 13), rencontrée lors du déplacement de la mission d’information à Marseille, a mis en place des équipes de nuit en 2007. Des éducateurs sont présents tous les jours de 16 heures à 00 h 30, sauf le dimanche et uniquement en centre-ville, où ils rencontrent en particulier des mineurs isolés étrangers et des jeunes des quartiers qui s’y retrouvent. Dans la semaine, les éducateurs de l’ADDAP 13 ont toujours une journée de travail le jour, ce qui leur permet de revoir, dans d’autres conditions, les jeunes qu’ils ont repérés la nuit.

Au niveau national, le CNLAPS et la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) participent à une expérimentation engagée dans cinq départements par le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, afin de développer la présence sociale en soirée, le week-end et au mois d’août. Un guide, à l’élaboration duquel ces deux réseaux ont largement contribué, doit être diffusé dans les prochaines semaines afin de favoriser l’extension de cette expérimentation à d’autres territoires de la politique de la ville.

b. Des zones d’intervention différentes

L’article L. 121-2 du code de l’action sociale et des familles prévoit que les actions de prévention spécialisée sont menées « dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale ».

Une enquête réalisée par l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des départements et des métropoles (ANDASS) en septembre 2016 montre que les territoires d’intervention épousent principalement ceux de la géographie prioritaire de la politique de la ville, mais pas exclusivement, certains départements ayant développé des interventions de prévention spécialisée en milieu rural.

Source : Enquête de l’ANDASS. Réponse des départements à la question : « Quelle géographie prioritaire pour la prévention spécialisée ? » (pourcentages).

Les quartiers prioritaires de la politique de la ville constituent, sans surprise, les lieux d’intervention privilégiés des équipes de prévention spécialisée.

Toutefois, la rapporteure considère que les terrains d’intervention des éducateurs ne doivent pas se limiter à ces quartiers. Des besoins existent aussi en zone rurale, ainsi que dans les centres villes.

Dans la contribution écrite précitée, le CNLAPS rappelle que les territoires relativement éloignés des villes moyennes, notamment dans les départements ruraux, accueillent de plus en plus de familles en situation de précarité. En effet, la rénovation urbaine, en particulier dans les centres anciens de ces villes de taille moyenne, tend à majorer le prix du foncier et à conduire les familles bénéficiant de minima sociaux à s’installer à la périphérie de ces villes. Ces nouveaux territoires accueillant des familles venant de la ville sont moins bien équipés en moyens de transport, services publics et maillage associatif.

À cet égard, l’Association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Puy-de-Dôme, l’Adsea 63, conduit une mission de prévention spécialisée en milieu rural et auprès de jeunes et de familles de gens du voyage. M. Didier Comte, directeur général de cette association, a souligné lors de son audition (23) que l’Auvergne et le Puy-de-Dôme sont confrontés à la même précarité et à la même pauvreté que les grandes agglomérations. C’est pourquoi, dans ces territoires qui ne relèvent pas de la géographie prioritaire de la politique de la ville, de nombreux jeunes ont vocation à bénéficier d’un accompagnement au titre de la prévention spécialisée, et ce d’autant plus que le maillage institutionnel et associatif est souvent peu dense en zone rurale.

La rapporteure souhaite également souligner l’importance des actions menées dans les centres villes en direction des jeunes marginalisés (squatters, fugueurs, etc.), en particulier par le réseau « jeunes en errance » des centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), dont des représentants ont également été auditionnés par la mission d’information (24).

L’intervention des équipes de prévention spécialisée partout où se manifestent des risques d’inadaptation sociale, au-delà des quartiers prioritaires de la politique de la ville, est d’autant plus justifiée que la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine a concentré les crédits de la politique de la ville sur un nombre resserré de territoires, afin de mieux cibler les efforts. La nouvelle géographie d’intervention de cette politique concerne désormais près de 1 300 quartiers, contre 2 600 auparavant.

Que les éducateurs interviennent dans les territoires prioritaires de la politique de la ville, dans les centres villes ou en zone rurale, la rue reste leur principal lieu de travail. Or, faire de la rue, à la fois lieu de passage, de circulation, d’arrêt, de promenade, d’errance ou de crainte, un outil de travail est une véritable originalité dans la mesure où, à l’exception de la police, peu de métiers prennent la rue comme cadre d’intervention.

« Tous les éducateurs font du travail de rue leur premier outil de rencontre avec les populations. La rue, c’est la première entrée. Viennent ensuite d’autres modalités d’actions que sont les accompagnements individuels, les actions collectives auprès des jeunes et des familles », précise la directrice de l’Apser [Association de Prévention Socio-Educative de la Rabière]. Ce que confirme Béatrice Le Hegarat, chef de service éducatif : « Il faut se re-situer sur un socle identitaire commun qui est la rue. Si nous ne sommes pas vigilants sur la rue, nous pouvons nous appeler tout sauf prévention spécialisée. Il faut préserver cette modalité d’action qui est peu commune. » Burhan Aliti rappelle à quel point le métier d’éducateur de rue est exigeant : « En prévention spécialisée, le cadre nous le transportons, nous devons toujours nous y référer et en référer. Nos murs, nous devons systématiquement les réinventer tous les jours ». Car travailler dans la rue, au plus près de l’environnement des personnes à accompagner, nécessite une éthique permanente du cadre d’intervention.

Antoine Bureau, « Prévention spécialisée, ne pas lâcher la rue », Lien social, n° 1138, 3 avril 2014

Enfin, d’après les résultats de l’enquête précitée de l’ANDASS, les établissements scolaires sensibles sont un terrain d’intervention de la prévention spécialisée dans 52,9 % des départements ayant répondu.

3. La délicate question de l’évaluation

a. L’absence de contreparties immédiates

La rapporteure est consciente qu’il est bien difficile d’évaluer une politique menée sans contrepartie immédiate et dont les résultats ne sont visibles qu’à long terme.

L’action des éducateurs de rue n’est pas subordonnée à des contreparties exigées des personnes suivies ; par exemple, les éducateurs ne vont pas demander au jeune de cesser son activité délinquante. Il s’agit là d’une position très particulière, qui les distingue des autres travailleurs sociaux et qui complique toute évaluation immédiate de leur action. Le travail de rue des éducateurs, sans contraintes ni mandat nominatif, parce qu’il repose sur la confidentialité, n’entre pas dans le cadre conventionnel de l’aide sociale. Cette démarche ne vise pas d’abord à sanctionner, mais mise sur une amélioration progressive de la situation des jeunes, rendue possible par la construction, parfois lente, d’une relation de confiance entre le jeune et les équipes de prévention spécialisée.

Outre ce décalage temporel entre les interventions des éducateurs et leurs effets en termes d’éducation et d’intégration des jeunes, une deuxième difficulté tient au fait que les effets de la prévention spécialisée ne sont pas directement mesurables. En effet, dès lors que la prévention « empêche », comment évaluer ce qui n’a pas eu lieu, ce qui a été évité ?

Enfin, il est toujours difficile d’isoler les effets de la prévention spécialisée de facteurs extérieurs.

Dans ce contexte, M. François Chobeaux, responsable national des secteurs social et jeunesse du mouvement des centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), dénonce la préférence accordée à des actions à « effet attendu plus direct ». Il regrette ainsi, dans un entretien accordé en février 2016 à la revue TSA (25), que « c’est dans cette logique qu’est aujourd’hui privilégiée la médiation de rue : des personnes peu diplômées, employées par la collectivité, avec des blousons marqués “médiateurs”, qui sont missionnées pour résoudre une tension donnée. C’est moins cher, appuyé sur un système de reporting très efficace et cela répond à la logique actuelle d’un problème = une solution, avec à la clé une meilleure visibilité ». Il rappelle à cet égard que le recours à des médiateurs ne doit pas intervenir au détriment de la prévention spécialisée classique. En effet, le travail effectué par les éducateurs de rue pour aller à la rencontre, souvent lente et de longue durée, des jeunes en rupture, reste incontournable pour toucher ceux qui s’écartent vraiment des dispositifs classiques de socialisation.

b. Une utilité sociale chiffrable en partie seulement, et de façon indirecte

À l’heure où les financements se réduisent, la prévention spécialisée est, plus que jamais, confrontée au défi de la valorisation de ses activités. Il s’agit de mettre en avant ses effets positifs, tout autant que les coûts qu’elle permet d’éviter pour la société.

À cet égard, à l’occasion des septièmes journées de la prévention spécialisée organisées par le CNLAPS les 28 et 29 avril 2016, l’économiste Philippe Langevin a insisté sur les retombées économiques positives liées à la prévention spécialisée.

Le travail des éducateurs de rue permet d’éviter certaines dépenses publiques. Les jeunes accompagnés se trouvent le plus souvent dans une situation sociale et sanitaire difficile, en état de décrochage scolaire, dans un environnement familial dégradé, ou en prise avec la délinquance. La mission des éducateurs de rue est alors de leur permettre de reprendre leur scolarité ou de suivre une formation, de les aider à se loger, de réduire les comportements à risque, ou encore de les sortir de leur isolement par des activités collectives.

Bien souvent, les interventions des éducateurs sont une alternative à un placement en foyer. Or, le prix de journée des jeunes placés en foyer est particulièrement élevé, comme le sont les coûts induits par la détention en milieu carcéral des jeunes délinquants. Au contraire, un éducateur de rue accompagne environ une cinquantaine de jeunes pour un salaire relativement peu élevé. Comme le note M. Philippe Langevin, lorsque la démarche réussit, « le jeune est en bonne santé et ne coûte plus rien à la sécurité sociale, il est formé et ne coûte plus rien en charge d’insertion, il est autonome et ne coûte plus rien en termes de placement, il bénéficie d’un logement et ne coûte plus rien en aide au logement, il est employable et ne coûte plus rien en dépenses d’allocation chômage, il est libre et ne coûte plus rien en dépenses d’incarcération ».

Au-delà des dépenses publiques évitées, une part substantielle du travail des éducateurs de rue n’a pas d’utilité calculable : on peut notamment penser à leur rôle dans le retour de la confiance envers les adultes et les institutions de la République ou la volonté de s’en sortir.

Les dépenses de prévention spécialisée sont très faibles, puisqu’elles représentent en moyenne moins de 5 % des crédits de la protection de l’enfance. Le coût social de la prévention spécialisée est encore plus faible si on le compare aux bénéfices que la société peut en attendre.

c. Une démarche d’évaluation néanmoins dynamique

La difficulté à évaluer les effets de la prévention spécialisée n’a pas fait obstacle à la mise en place d’évaluations. Le rapport du groupe de travail interinstitutionnel sur la prévention spécialisée, paru en 2004 (26), montre même que la pratique de l’évaluation est ancienne.

Ainsi, dès 1987, le Conseil technique de la prévention spécialisée (CTPS) a publié un guide d’auto-évaluation des équipes de prévention spécialisée. Le CNLAPS a réalisé une étude en 1995, à partir d’une enquête sur les pratiques éducatives en prévention spécialisée. Le rapport de 2004 fait aussi état d’une généralisation des pratiques d’évaluation dans la plupart des départements.

Plus récemment, l’APSN, centre de ressources de dix-huit associations de prévention spécialisée du Nord, a mis en place un guide d’évaluation interne de la prévention spécialisée, qui sert aujourd’hui de référence.

Ce guide a été élaboré de manière collective par le réseau des associations de prévention spécialisée du département avec l’aide de différents experts de l’évaluation, en particulier l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM).

Diffusé à partir de septembre 2013, il vise à accompagner les associations et l’ensemble des acteurs de la prévention spécialisée dans la mise en œuvre de l’évaluation interne, à faciliter l’analyse des pratiques, à inscrire la participation des publics au cœur du processus évaluatif, à favoriser l’amélioration et l’évolution du projet de prévention spécialisée et à promouvoir des méthodes évaluatives cohérentes au niveau départemental. Il comprend notamment un CD-Rom interactif proposant des contenus personnalisables. Ce guide fournit des repères méthodologiques, des pistes pour la construction de référentiels, des méthodes relatives au recueil des données et des exemples d’outils déjà utilisés par des équipes de prévention spécialisée ou construits pour l’occasion.

Aujourd’hui, ce guide est utilisé par les acteurs de la prévention spécialisée bien au-delà du département du Nord. Il est notamment transmis aux personnes effectuant des formations dans le cadre du CNLAPS.

Les associations de prévention spécialisée du Nord ont également élaboré avec l’APSN une base de données commune, permettant le développement d’une expertise collective. Les données disponibles permettent d’établir des profils du public par thème (emploi, scolarité, situation familiale, etc.) et selon différentes variables (âge, sexe, niveau de qualification, etc.), afin de mieux connaître les jeunes auxquels s’adresse la prévention spécialisée. Par les analyses qu’elle permet en termes d’activité, d’observation sociale, d’évaluation ou encore d’impact des pratiques mises en œuvre, cette base de données est une ressource précieuse dans la définition des orientations des associations et des ressources à leur allouer.

D’autres départements ont également engagé des démarches visant à rendre compte des actions menées par les associations de prévention spécialisée. La rapporteure souligne en particulier l’étude réalisée par le conseil départemental de Moselle, rencontré par la mission d’information lors de son déplacement à Metz. Cette étude comporte des fiches descriptives présentant, zone d’intervention par zone d’intervention, les caractéristiques démographiques et sociales des habitants, les actions de prévention spécialisée, les jeunes bénéficiant d’un suivi, les principales problématiques rencontrées, les modalités d’intervention et les partenariats mis en place. Elle comprend également des fiches détaillant certaines actions élaborées par les équipes de prévention spécialisée, ainsi que les projets innovants, qui pourraient servir de modèle sur d’autres territoires.

La rapporteure tient à saluer les travaux effectués en matière d’évaluation, en particulier ceux réalisés par l’APSN. Alors que les effets de la prévention spécialisée sont par nature difficiles à mesurer, il convient de soutenir les démarches consistant à en évaluer l’impact, la cohérence et l’utilité. Il est en effet impératif de pouvoir évaluer les effets de la prévention spécialisée sur un territoire et de vérifier l’adéquation des interventions aux besoins repérés.

Des outils ont été conçus localement, qu’il convient de généraliser. La rapporteure estime que l’élaboration d’un guide national d’évaluation de la prévention spécialisée serait une avancée appréciable permettant à chaque acteur de disposer des méthodes et des ressources nécessaires à la connaissance des effets, et donc à l’amélioration, de ses interventions sur le territoire.

Proposition n° 1 Élaborer un guide national d’évaluation de la prévention spécialisée.

C. LE TRIPLE MALAISE DE LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE

La prévention spécialisée connaît depuis quelques années un malaise qui se développe dans trois directions : ses financements sont en forte baisse ; pourtant, les difficultés actuelles de la jeunesse créent des besoins croissants ; enfin, le positionnement de la prévention spécialisée reste trop incertain.

1. Des financements en forte baisse

L’ensemble des acteurs auditionnés par la rapporteure se sont fait l’écho d’une crise sans précédent du financement de la prévention spécialisée.

La nature même de la prévention spécialisée implique que son action épouse les contours du territoire où elle se déploie. Elle doit s’adapter à la gravité des situations sociales. Elle suppose donc un financement souple permettant de concentrer les moyens sur les populations les plus difficiles.

Cette exigence peut justifier des écarts raisonnables entre quartiers, entre territoires, voire entre départements. Toutefois, la rapporteure estime que les différences actuelles, qui se creusent en raison de stratégies divergentes entre les conseils départementaux qui diminuent leurs crédits à la prévention spécialisée et ceux qui s’engagent davantage, risquent d’atteindre un niveau trop élevé au point de poser un véritable problème d’égalité entre les territoires.

Si la rapporteure n’a pas pu disposer des données issues du groupe de travail sur la prévention spécialisée, de nombreux éléments factuels étayent la très forte inquiétude des professionnels et permettent de faire deux constats indiscutables : la prévention spécialisée diminue dans de nombreux départements indépendamment des besoins des publics et elle a disparu dans d’autres à la suite de choix politiques délibérés.

a. Une tendance inédite de diminution des dépenses

En premier lieu, cette baisse n’est pas ponctuelle mais largement répandue sur le territoire national, au point que certaines fédérations ont pu évoquer un « délitement » (27) de la prévention spécialisée sur le terrain.

La directrice générale de la CNAPE, Mme Fabienne Quiriau, a indiqué à la mission que la moitié des 35 associations membres de sa fédération a connu une baisse des financements ces deux dernières années. Les baisses vont de 2 % à 50 % selon les adhérents sondés. Cela s’est traduit par des suppressions de postes, au point que certaines associations n’ont plus d’équipes ni même de binôme mais un seul éducateur (28).

Lors de son audition par la mission (29), le Collectif des éducateurs de la Drôme a pu illustrer les effets d’une diminution de moitié des moyens de la prévention spécialisée dans un département : les éducateurs ont perdu un emploi et, plus encore, un métier auquel ils tenaient sans que leur action soit remplacée dans les quartiers dont ils avaient la charge.

La rapporteure regrette également la forte baisse observée dans le département de la Côte-d’Or, qui atteint 25 % en 2016 après une baisse de 30 % en 2015. Lors du déplacement de la mission, elle a pu en constater les effets sur les équipes. Ainsi, l’ACODEGE, association la plus importante du département, a vu ses effectifs diminuer de six ETP en deux ans en raison des coupes budgétaires décidées par le conseil départemental.

Une étude fournie par l’ANDASS (30) lors de l’audition de ses représentants (31) montre que 26 % des départements ont réduit les crédits alloués aux associations de prévention spécialisée en 2015.

D’après l’Association des départements de France (ADF), 26 départements envisageraient des baisses de budget pour l’année 2016, dont dix avec des diminutions supérieures à 20 %.

b. La disparition totale de la prévention spécialisée dans certains départements

Le désengagement total de certains départements, même peu nombreux, souligne la gravité de la crise que traverse la prévention spécialisée, dont le travail est perçu comme dispensable par certains élus, au mépris des réalités locales. Ainsi, les services de prévention spécialisée des départements du Loiret et de l’Yonne ont entièrement disparu en 2014/2015.

Pour la rapporteure, de telles décisions ne peuvent reposer que sur une méconnaissance du travail des éducateurs auprès des jeunes. Elle souscrit pleinement au message de Mme Anne-Marie Fauvet, présidente du CNLAPS, qui indiquait qu’« en supprimant les éducateurs de rue, on livre clairement les bandes de jeunes à elles-mêmes » (32). Dans le contexte actuel, la rapporteure estime que ce désengagement pourrait avoir des effets dramatiques et doit donc être endigué. Il amène à s’interroger sur le caractère facultatif de la compétence exercée par les départements.

2. Des professionnels confrontés à des difficultés nouvelles

Cette baisse – voire cette suppression – des moyens de la prévention spécialisée est d’autant plus inquiétante que les difficultés croissantes rencontrées par la jeunesse nécessiteraient au contraire son renforcement. En effet, les facteurs de la marginalisation, qui ont justifié à l’origine la mission des éducateurs, tendent à s’accroître et à s’étendre, y compris hors des zones urbaines. Les éducateurs ont à soutenir une jeunesse au moins aussi sujette à problèmes qu’auparavant tout en devant faire face à des nouveaux enjeux qui rendent nécessaire une extension de leurs missions.

a. Un besoin toujours plus grand de prévention dans un contexte social difficile

Les éducateurs spécialisés font face à un renforcement des facteurs de marginalisation de la jeunesse : la concentration des problématiques sociales dans des quartiers dits « sensibles », souvent urbains mais pas exclusivement, continue de nécessiter une forte implication de la prévention spécialisée.

Les effets de moyen terme de la crise économique sont fortement ressentis sur le terrain par les professionnels. En effet, la dégradation des conditions de vie des habitants de ces quartiers et les difficultés accrues d’insertion socio-économique de la jeunesse (33) forment le contexte de travail quotidien des professionnels du travail de rue.

Or, on constate une aggravation de la pauvreté et de la précarité des jeunes dans des proportions importantes, comme l’a encore rappelé l’Inspection générale des affaires sociales dans son rapport sur la mise en œuvre du plan de lutte contre la pauvreté en début d’année 2015 (34). La mission constatait ainsi qu’entre 2008 et 2012, la France comptait 440 000 enfants pauvres supplémentaires, en raison de l’aggravation de la situation économique de leurs familles.

La prévention spécialisée demeure pertinente pour ces publics dans ce contexte d’aggravation : en premier lieu, le taux d’échec scolaire (35) important justifie pleinement la mise en place d’une pratique non institutionnelle pour tous les jeunes en rupture ; en deuxième lieu, le chômage (36) empêche l’entrée des jeunes dans la vie d’adulte, expliquant ainsi que le travail de rue ne puisse s’arrêter arbitrairement aux frontières de la majorité légale ; enfin, l’état de l’habitat limite l’appropriation des espaces privés et « désigne l’extérieur de la maison comme le lieu des loisirs » (37), nécessitant une prise de contact directe avec la rue.

Dans ce contexte de « désaffiliation » de nombreux jeunes, au sens que lui donnait le sociologue Robert Castel (38), la demande de prévention spécialisée, dans sa dimension la plus classique de travail de réparation sociale face à la marginalisation, est indiscutablement en hausse.

b. L’extension des missions pour traiter de nouvelles problématiques

À cette accentuation des besoins traditionnels s’ajoutent des exigences et des défis d’une nature nouvelle pour la prévention spécialisée par rapport aux méthodes qui avaient été mises en place jusqu’alors.

Comme le signalait déjà le rapport précité du Groupe de travail interinstitutionnel (39), le public de la prévention spécialisée connaît aussi une transformation très profonde de sa sociologie : vivant une remise en cause des liens de sociabilité traditionnels que sont la famille, l’école et le travail, les mineurs de ces quartiers construisent des sous-cultures d’opposition difficiles à endiguer, comme les phénomènes de bandes violentes, parfois féminines, ou un communautarisme religieux ou culturel.

Ces évolutions mettent à l’épreuve les éducateurs de rue, dont la mission ne consiste plus simplement à donner des repères d’adultes à des jeunes en manque d’encadrement : ils doivent de plus en plus souvent se confronter directement à des pratiques et à des discours violents ou de rejet. Concrètement, il devient de plus en plus difficile aux professionnels de proposer une alternative argumentée aux discours idéologiques extrémistes ou complotistes relayés sur internet. Le rejet peut concerner les éducateurs eux-mêmes, comme cela a été indiqué à la rapporteure : parfois, les associations constatent des problèmes au regard des principes de laïcité et de mixité dans certains territoires où les éducatrices ne parviennent pas à obtenir l’écoute de jeunes garçons qui refusent de leur serrer la main.

La montée du radicalisme constitue également une évolution inquiétante pour la jeunesse, constatée par de nombreuses associations entendues par la mission. La rapporteure estime que le phénomène doit être distingué des difficultés précitées en matière de laïcité ou de mixité posées par une pratique religieuse rigoureuse : les conséquences de la radicalisation sont beaucoup plus dramatiques, comme l’a tristement illustré l’exemple donné par une éducatrice belge lors du déplacement de la mission à Molenbeek : l’un des jeunes qu’elle suivait était parti en Syrie et y avait trouvé la mort.

La sociologie de la radicalisation est également plus complexe à identifier dans la mesure où elle ne se limite pas aux quartiers urbains les plus défavorisés. Ainsi, lors d’une table ronde organisée par la mission, le président de l’APSN a souligné que, parmi les individus en voie de radicalisation identifiés par son association, la moitié était des filles, et parmi celles-ci la moitié appartenait à un milieu favorisé.

Certaines associations ont également attiré l’attention de la rapporteure sur l’importance des problèmes de santé, notamment mentale, au sein de la jeunesse, parfois dus à la consommation de drogues.

3. Un positionnement parfois délicat

La prévention spécialisée, compétence départementale qui fait partie de l’aide sociale à l’enfance, connaît des difficultés de positionnement, notamment au regard de la politique de prévention de la délinquance et de la politique de la ville.

a. Un risque de dénaturation par les politiques de prévention de la délinquance

Mme Véronique Le Goaziou pose la question du positionnement de la prévention spécialisée dans son rapport précité de février 2014. Sollicitée par la direction générale de l’ADDAP 13, la sociologue note que la thématique proposée est née d’un questionnement sur l’existence même de la prévention spécialisée, l’ADDAP 13 estimant que « la prévention spécialisée n’épousait pas (ou plus) les plis doctrinaux actuels relatifs aux publics en difficulté ».

Constatant que la délinquance des jeunes faisait l’objet d’une préoccupation croissante de la part des pouvoirs publics depuis une vingtaine d’années, les équipes de prévention ont fait état d’un positionnement problématique dans la mesure où « elles peuvent être sommées d’orienter leur intervention dans l’unique (?) objectif d’agir contre la délinquance ; sur leurs territoires d’intervention, cela peut se traduire par une participation plus ou moins contrainte aux dispositifs de prévention de la délinquance, voire aux politiques locales de sécurité ». Cette inquiétude s’est notamment manifestée au moment de l’élaboration de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, les éducateurs pouvant avoir le sentiment que « la prévention spécialisée, missionnée pour œuvrer dans le champ de la protection de l’enfance, se situait à peu près à l’opposé de la sensibilité éthique et politique traduite dans les articles de la future loi de 2007 ». Une crainte liée à la place et à la pertinence de la démarche éducative portée par la prévention spécialisée s’est ainsi manifestée.

Le rapport précité du Groupe de travail interinstitutionnel fait également état de « tensions inéluctables entre éducation et production de sécurité ».

En effet, les équipes de prévention spécialisée cherchent à établir une relation de confiance avec les jeunes suivis, ce qui suppose de la discrétion, du temps, ainsi que la prise en compte de l’ensemble des aspects de la vie du jeune, de son environnement, ses pairs et sa famille. Au contraire, les agents chargés d’assurer la sécurité interviennent en priorité auprès d’individus ciblés, auteurs réels ou potentiels d’actes délinquants ou violents, dans le but d’empêcher ou de sanctionner de tels actes. Afin de réduire le sentiment d’insécurité, la présence des agents de sécurité doit être visible et leur action aboutir à des résultats immédiats.

Pourtant, malgré ces différences incontestables, la prévention spécialisée contribue bien à la prévention de la délinquance, en permettant souvent d’éviter aux jeunes suivis de tomber dans la délinquance ou de récidiver dans cette voie.

b. Un risque de dilution dans la politique de la ville

La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, pourrait être à l’origine de nouvelles difficultés de positionnement de la prévention spécialisée et remettre en cause ses missions.

Le transfert ou la délégation de la compétence en matière de prévention spécialisée des départements vers les métropoles, prévu par cette loi, tend en effet à modifier la place de la prévention spécialisée, qui quitterait le domaine de la protection de l’enfance pour rejoindre celui de la jeunesse en général et plus particulièrement celui de la politique de la ville et de la prévention de la délinquance.

Dans ce contexte, le débat récurrent pour savoir si la prévention spécialisée appartient au champ strictement éducatif ou s’intéresse à des actions qui ont à voir avec la tranquillité publique semble trouver une nouvelle actualité.

La rapporteure considère que la prévention spécialisée ne peut se limiter à la lutte contre la délinquance, pas plus que ses territoires d’intervention ne peuvent être réduits aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Une telle approche reviendrait à la cantonner dans le domaine de la répression, alors qu’elle remplit avant tout une mission éducative.

Dès lors, la métropolisation risque d’accroître encore davantage les différences de prise en charge des jeunes en difficulté selon les départements. Mme Sylvie Tur, directrice de l’association de prévention socio-éducative de la Rabière (Apser), souligne ainsi qu’en Indre-et-Loire, la prévention spécialisée fait clairement partie des missions de protection de l’enfance. Elle rappelle qu’il existe néanmoins de grandes disparités selon les territoires et souligne que ces écarts risquent de se creuser : « dans les nouvelles politiques de la ville et la constitution des grandes métropoles, la prévention spécialisée risque de repasser dans le domaine de la prévention de la délinquance. Nous allons avoir une plus grande disparité entre les départements : certains seront dans la protection de l’enfance, d’autres dans la prévention de la délinquance. Ce n’est pas le même travail. » (40)

Par ailleurs, un rapprochement avec les actions menées dans le cadre de la politique de la ville pourrait contribuer à remettre en cause la spécificité de la prévention spécialisée, à savoir l’aide apportée aux jeunes en rupture, ceux qui sont le plus en détresse.

Comme le souligne fort justement M. François Chobeaux, la prévention spécialisée « s’est laissé enfermer dans le seul cadre de la politique de la ville, au risque d’une identité floue. Faire de la médiation, de l’aide aux devoirs, de l’animation pour enfants et des points d’accueil jeunes en établissement scolaire c’est passionnant, mais est-ce bien la mission de la prévention spécialisée, dont l’objet est le contact avec les adolescents et les jeunes en difficulté ou en rupture de lien ? » (41)

Il craint ainsi que la prévention spécialisée se trouve uniquement intégrée aux programmes et aux dispositifs de la politique de la ville, au risque de ne plus travailler qu’avec une petite partie ciblée des « jeunes de cités ». Or, les interventions des éducateurs de rue ne peuvent pas et ne doivent pas se substituer aux actions socio-éducatives qui sont de la responsabilité des communes. Elles s’adressent d’abord aux jeunes qui ne trouvent pas leur place dans les dispositifs de droit commun, ceux qui sont en train de « perdre pied » et de s’engager dans des prises de risques majeures, souvent non repérées par les autres acteurs.

D’après les représentants de l’ANDASS, l’ancrage de la prévention spécialisée dans la protection de l’enfance demeure pour la majorité des départements une constante forte, réapparue au moment des débats sur la réforme territoriale et sur la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. La partie de la jeunesse en difficulté qui échappe aux « radars » habituels de l’aide sociale à l’enfance fait bien partie du périmètre départemental de l’action sociale. Mais l’ANDASS considère aussi que le lien avec la protection de l’enfance recèle des faiblesses. Ainsi, sur le plan financier, les dépenses obligatoires de protection de l’enfance exercent une concurrence sur les actions de prévention.

Il convient donc de rester vigilant car, un peu plus d’un an après la création des métropoles, les premières tendances qui se dessinent confirment que de nombreux départements seraient prêts à se dessaisir de leur compétence en matière de prévention spécialisée. Cette évolution pose la question de la cohérence d’une politique, tantôt clairement rattachée à la protection de l’enfance, tantôt davantage intégrée à la politique de la ville et à la prévention de la délinquance.

II. ASSURER À LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE DES MOYENS ADAPTÉS AU NIVEAU CROISSANT DES BESOINS

Reconnaître la prévention spécialisée comme politique publique à part entière suppose de lui donner les moyens d’assurer efficacement ses missions au regard de besoins qui évoluent. C’est pourquoi la rapporteure insiste sur le fait que les associations gestionnaires doivent pouvoir être accompagnées sur le plan administratif et financier. Elle souhaite donc donner à ce métier un pilotage efficace et des modes de financement plus stables, qui permettront aux professionnels de se projeter davantage et de relever les nouveaux défis de la jeunesse d’aujourd’hui.

A. DONNER DES ORIENTATIONS AUX ACTEURS DE LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE

Les professionnels de la prévention spécialisée pâtissent d’un manque d’orientation et de cadrage, tant au niveau national qu’au niveau des territoires. Confrontés à des défis nouveaux et à des financements en baisse, ils gagneraient à voir leur mission mieux définie et les partenariats davantage encouragés.

1. Définir des orientations nationales

La prévention spécialisée manque d’une représentation bien identifiée au niveau national. Alors que le Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée (CTPS) a été supprimé en janvier 2015, elle devra trouver sa place au sein du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), mis en place le 12 décembre 2016. La définition d’orientations nationales est aujourd’hui indispensable pour répondre à la demande de clarification des missions et de la place de la prévention spécialisée.

a. La récente réforme des instances de représentation nationale

De nombreux acteurs de la prévention spécialisée, principalement des associations, se sont regroupés au niveau national au sein du Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS) ou de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE).

Le CNLAPS, devenu en 2013 le Comité national des acteurs – et non plus des associations – de la prévention spécialisée, a été créé en 1972 en vue de fédérer de nombreuses structures disséminées sur le territoire. Il regroupe, au 1er janvier 2016, 130 adhérents, dont 120 associations, deux structures non-associatives et huit adhérents individuels. Le comité organise des journées nationales permettant aux différents acteurs de la prévention spécialisée de réfléchir et d’échanger sur leurs pratiques, des rencontres thématiques et des formations. Le CNLAPS peut ainsi se définir comme une instance de liaison, d’information et de recherche sur la prévention spécialisée. Il est également un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics.

Fondée en 1948, la CNAPE est quant à elle une fédération de trente associations ayant un service de prévention spécialisée. Elle offre notamment à ses adhérents des espaces d’échange et de formation, à travers l’organisation de journées nationales d’étude, de séminaires techniques ou de groupes de travail. Comme le CNLAPS, elle est un partenaire national essentiel des pouvoirs publics.

Hormis ces deux structures, la prévention spécialisée ne disposait plus, depuis quelques années, d’instance de réflexion et de proposition placée auprès des pouvoirs publics. En effet, le Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée (CTPS) a été supprimé en janvier 2015. Le récent Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) doit néanmoins reprendre ses attributions.

La suppression du Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée (CTPS)

Créé en 1972 auprès du ministre chargé des affaires sociales, le CTPS était chargé de donner au ministre un avis sur les questions concernant les activités de prévention spécialisée.

Les missions, la composition et l’organisation du CTPS étaient définies par l’arrêté interministériel du 11 mars 1986 relatif au Conseil technique des clubs et équipes de prévention spécialisée. Ce conseil avait notamment pour mission :

– de donner des avis sur les questions qui lui sont soumises par le ministre chargé des affaires sociales, en particulier à l’occasion de consultations émanant d’une collectivité locale ou d’un organisme gestionnaire de prévention spécialisée ;

– de préparer, à la demande du ministre, des notes techniques sur toutes questions intéressant la prévention spécialisée ;

– de répondre aux demandes d’avis technique qui pourraient être présentées par des collectivités territoriales ;

– de rassembler, en vue de leur diffusion, les informations sur les expériences et pratiques de prévention spécialisée, sur leurs diverses modalités, sur l’évolution des besoins et les réponses qui y sont apportées ;

– d’effectuer des études et recherches en matière de prévention de l’inadaptation sociale ;

– de faire toutes propositions qu’il juge utiles.

Le CTPS était composé de vingt-quatre membres, nommés par arrêté du ministre chargé des affaires sociales pour une durée de trois ans et issus de trois collèges (représentants des collectivités territoriales, de l’État et des associations). Il comprenait ainsi six représentants des collectivités territoriales, dont quatre conseillers départementaux et deux maires de villes concernées par des activités de prévention spécialisée, des représentants du ministre chargé des affaires sociales, du ministre chargé de la formation professionnelle, du ministre chargé de la justice, du ministre chargé de l’intérieur, du ministre chargé de la jeunesse et du ministre chargé de l’éducation nationale, ainsi que douze personnalités qualifiées, choisies en raison de leur compétence en matière de prévention spécialisée, notamment en tant que responsables d’associations.

Structuré autour d’une commission permanente et de commissions thématiques qui pouvaient faire appel à des personnes extérieures pour appuyer leurs travaux, le CTPS était une instance indispensable qui permettait d’améliorer la connaissance et la reconnaissance de la prévention spécialisée auprès des différents acteurs.

Dès lors, la rapporteure ne peut que regretter la suppression du CTPS en janvier 2015, alors que la prévention spécialisée est, plus que jamais, confrontée à de multiples défis, parmi lesquels la baisse du financement dans plusieurs départements et l’émergence de problématiques nouvelles – comme la radicalisation – suscitant l’inquiétude de certains éducateurs.

Pour l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS), cette suppression cause aux professionnels concernés une difficulté accrue à définir les missions et les évolutions de la prévention spécialisée. La Fédération nationale des éducateurs de jeunes parents (FNEJE) a estimé, dans un communiqué de mars 2015, que la suppression du CTPS constituait « un véritable sabotage de nos identités professionnelles et une autorisation de plus pour les départements de supprimer de leur budget, la dépense « non obligatoire » que constitue la prévention spécialisée ».

Par ailleurs, l’ensemble des personnes auditionnées par la mission d’information ont appelé à améliorer la visibilité de la prévention spécialisée. La CNAPE, dans une contribution écrite adressée à la rapporteure, souligne qu’il « semble nécessaire d’avoir une instance permanente sur la prévention spécialisée car depuis la disparition du CTPS, cette question n’est plus portée au niveau national ».

Dans ce contexte, la mise en place d’une instance nationale compétente en matière de prévention spécialisée, chargée d’assurer une meilleure visibilité à cette mission parfois menacée et de formuler des préconisations, est tout à fait justifiée.

Le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), nouvelle instance de représentation nationale de la prévention spécialisée ?

L’article 1er de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a prévu la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), placé auprès du Premier ministre et chargé de proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance, de formuler des avis sur toute question s’y rattachant et d’en évaluer la mise en œuvre.

La prévention spécialisée faisant légalement partie de la protection de l’enfance, la rapporteure estime qu’elle a toute sa place au sein de cette nouvelle instance. À cet égard, Mme Isabelle Grimault, sous-directrice de l’enfance et de la famille à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) (42), a précisé lors de son audition que les missions du CTPS doivent bien être intégrées dans le CNPE.

Le décret n° 2016-1284 du 29 septembre 2016 est effectivement venu préciser les fonctions, la composition et les modalités de fonctionnement du CNPE. Celui-ci a pour mission de favoriser la coordination des acteurs de la protection de l’enfance. À cette fin, il propose au Gouvernement les orientations nationales de la protection de l’enfance dans le but de construire une stratégie nationale, il assiste le Gouvernement en rendant des avis ou en proposant des initiatives en matière de protection de l’enfance, il contribue à orienter les études stratégiques, les travaux de prospective et d’évaluation menés dans ce domaine. Le CNPE est également chargé de promouvoir la convergence des politiques menées au niveau local et de formuler des recommandations dans le champ de la formation initiale et continue des professionnels de la protection de l’enfance. En outre, le Conseil est consulté sur les projets de texte législatif ou réglementaire. Il peut être saisi par le Premier ministre, le ministre chargé des familles et de l’enfance et les autres ministres concernés de toute question relevant de son champ de compétences, et peut se saisir de toute question relative à la protection de l’enfance.

Le CNPE reprend donc les missions du CTPS, mais son champ de compétence, bien plus large, s’étend à l’ensemble de la protection de l’enfance.

Il est composé de 79 membres, parmi lesquels un seul représentant du CNLAPS et quatre représentants désignés par la CNAPE. Le poids des acteurs de la prévention spécialisée est donc assez faible, notamment par comparaison avec le CTPS qui comprenait « douze personnes qualifiées par leur compétence en matière de prévention de l’inadaptation sociale de la jeunesse » (43).

Par ailleurs, le décret du 29 septembre 2016 précité ne prévoit la constitution que d’une seule commission permanente, relative à l’adoption.

Il est néanmoins précisé que le Conseil peut, en tant que de besoin, constituer d’autres commissions permanentes thématiques ainsi que des groupes de travail, présidés par un de ses membres et dont la composition peut intégrer des personnalités extérieures.

La rapporteure est favorable à la constitution, au sein du CNPE, d’une instance spécifique dédiée à la prévention spécialisée. Celle-ci pourrait ainsi prendre la forme d’une commission permanente thématique, sur le modèle de la commission sur l’adoption, dont l’existence est consacrée par le décret, ou a minima d’un groupe de travail permanent dédié à la prévention spécialisée, afin que les enjeux spécifiques à cette mission soient pris en compte au niveau national.

Proposition n° 2 Mettre en place, au sein du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), une commission permanente consacrée à la prévention spécialisée.

Si, contrairement au CTPS, le CNPE n’est pas spécifiquement dédié à la prévention spécialisée, il présente néanmoins l’avantage de regrouper l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance, puisque les départements y sont présents aux côtés des différents acteurs étatiques, des professionnels et des associations. La mise en place, en son sein, d’une commission consacrée à la prévention spécialisée, comme le souhaite la rapporteure, permettrait alors de faciliter les articulations entre tous ces acteurs et de garantir la place de la prévention spécialisée au sein de la protection de l’enfance, en même temps que la cohérence d’ensemble de cette politique publique.

b. Un besoin unanime de cadrage national

L’ensemble des personnes auditionnées par la mission d’information, en particulier les associations de prévention spécialisée, ont fait part de la nécessité de disposer à la fois d’orientations générales et d’éclairages précis sur certains sujets émergents auxquels sont confrontés les éducateurs de rue.

Or, pour M. Yves Grognou, vice-président du CNLAPS, la prévention spécialisée est un « secteur laissé en déshérence » (44). En effet, depuis l’arrêté du 4 juillet 1972 relatif aux clubs et équipes de prévention spécialisée, aucun texte réglementaire n’est venu définir la prévention spécialisée et proposer des orientations aux associations et aux professionnels.

Différentes initiatives ont néanmoins permis de préciser les missions et la place de la prévention spécialisée. Ainsi, un cadre de référence a été rédigé en 2004 par l’Assemblée des départements de France (ADF).

Par ailleurs, un groupe de travail relatif à la prévention spécialisée a été mis en place par le ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes, afin d’élaborer un guide sur les enjeux de la prévention en 2016. Dans le même temps, le CNLAPS a engagé une démarche de réactualisation du référentiel des pratiques de la prévention spécialisée et des ateliers régionaux réunissant des éducateurs ont été animés afin d’identifier ce qui « fait prévention spécialisée » en 2016. D’après les informations communiquées à la rapporteure, ce référentiel sera intégré au guide sur les enjeux de la prévention spécialisée, qui doit être rendu public au début de l’année 2017.

Par ailleurs, une convention de partenariat relative à la prévention spécialisée a été signée le 14 octobre 2016 afin de renforcer les moyens et les modalités d’intervention de la prévention spécialisée. Composée de huit articles, cette convention rappelle notamment que la prévention spécialisée repose sur l’accompagnement éducatif des jeunes en voie de marginalisation. Cette politique est définie comme une mission de protection de l’enfance qui contribue en même temps à d’autres politiques publiques. La convention précise également les modalités d’intervention de la prévention spécialisée, son ancrage territorial et les moyens financiers mobilisés.

La rapporteure se félicite de la conclusion de cette convention de partenariat, d’autant que celle-ci a été signée par un nombre important d’acteurs : le ministère de l’intérieur, le ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes, le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, le secrétariat d’État chargé de la ville, l’ADF, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), France urbaine, le CNLAPS, la CNAPE, l’UNIOPSS et le comité de la prévention spécialisée de Paris (CPSP).

Elle estime néanmoins que cette convention est avant tout une première étape, qui doit être complétée par un texte précisant le positionnement et le rôle des différents acteurs. En effet, le rôle du département et des métropoles doit être clarifié, mais également celui de l’État, afin d’éviter que les écarts ne se creusent en matière de prise en charge des jeunes selon les territoires. De même, la place de la prévention spécialisée et son rôle dans la mise en œuvre de la politique de la ville et de la prévention de la délinquance doivent être mieux définis.

La rapporteure considère donc qu’il est nécessaire d’actualiser les textes réglementaires élaborés avant la décentralisation.

Elle estime également que la clarification des missions et de la place de la prévention spécialisée gagnerait à s’appuyer davantage sur la parole de chercheurs, notamment en sociologie et en sciences de l’éducation.

Proposition n° 3 Élaborer un texte réglementaire définissant les orientations doctrinales fondamentales et précisant le positionnement de la prévention spécialisée.

2. Mieux insérer la prévention spécialisée dans le maillage territorial des dispositifs destinés aux jeunes en difficulté

a. La prévention spécialisée, au carrefour des dispositifs en faveur des jeunes en difficulté

La cartographie nationale de la prévention spécialisée élaborée en 2016 par le CNLAPS montre que le travail interinstitutionnel est une réalité.

Ainsi, 89 % des structures ou services de prévention spécialisée travaillent avec des partenaires associatifs de proximité, en particulier avec les missions locales, les régies de quartier, les centres sociaux, les associations de quartier, les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), les clubs sportifs, les structures ou services de l’insertion par l’activité économique (IAE) et les associations spécialisées dans la santé, le logement et l’emploi.

L’Éducation nationale est le partenaire institutionnel incontournable. Viennent ensuite les caisses d’allocations familiales (CAF), les missions locales, les différents projets ou dispositifs de réussite éducative (PRE/DRE), le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), les services sociaux du conseil départemental et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

En matière de participation à des instances institutionnelles, 74 % des structures siègent au conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) de leur territoire. Leur participation aux autres instances est plus faible, puisque 33 % d’entre elles seulement sont invitées au comité de pilotage du contrat de ville, 20 % participent aux observatoires départementaux de protection de l’enfance (ODPE) et 10 % au comité de suivi préfectoral. Enfin, 32 % participent à des instances diverses telles que le fonds d’aide aux jeunes en difficulté (FDAJ), le comité local d’aide aux projets (CLAP), la Garantie jeunes, le fonds d’insertion des jeunes et le fonds d’aide aux jeunes (FIJ et FAJ), le contrat local d’accompagnement scolaire (CLAS), les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP), les plateformes Jeunesse et les maisons du département.

Par ailleurs, 67 % des structures ou services de prévention spécialisée participent aux conseils d’administration d’un ou plusieurs partenaires.

Enfin, en termes de cadre conventionnel, outre le conventionnement avec le conseil départemental, qui est obligatoire, 70 % des structures ont signé une ou plusieurs conventions partenariales et un ou plusieurs protocoles d’accords techniques partenariaux, ces derniers ne prévoyant normalement pas de dispositions financières.

En définitive, dans sa contribution écrite adressée à la rapporteure, le CNLAPS considère que les acteurs de la prévention spécialisée sont généralement bien repérés par les partenaires pertinents sur les territoires.

L’identification des acteurs de la prévention spécialisée est d’autant plus indispensable que celle-ci se situe au confluent de nombreuses politiques publiques : la protection de l’enfance – dont elle dépend directement –, mais aussi la politique de la ville, la prévention de la délinquance et de la radicalisation, l’insertion, l’hébergement et le logement, la santé et l’éducation populaire.

b. Développer les partenariats et garantir la coordination des interventions dans les territoires

La place de la prévention spécialisée au carrefour de plusieurs politiques publiques rend le travail en partenariat d’autant plus essentiel. En effet, les difficultés rencontrées par les jeunes sont plurielles et l’éducateur doit, si nécessaire, orienter les personnes suivies vers d’autres dispositifs.

Il est donc indispensable, afin de faciliter ces passages, de dépasser les clivages institutionnels pour rechercher des complémentarités entre les dispositifs, de travailler en réseau et de développer encore les partenariats, afin d’assurer un maillage territorial permettant à chaque jeune, où qu’il se trouve, de pouvoir bénéficier d’une prise en charge adaptée à sa situation. Les interventions de prévention spécialisée doivent reposer sur un véritable diagnostic commun de territoire, de manière à adapter le périmètre d’intervention des éducateurs de rue en fonction des besoins existants et des autres politiques publiques menées.

Or, en dépit des partenariats déjà mis en place, la rapporteure a pu constater que la coordination et la coopération entre les acteurs au niveau local étaient parfois insuffisantes. L’enquête précitée réalisée par l’ANDASS en septembre 2016 montre à cet égard que si la place des structures de prévention spécialisée est bien repérée en amont ou au carrefour des dispositifs en faveur des jeunes, les départements ayant répondu à l’enquête regrettent souvent des échanges insuffisants avec ces dispositifs.

C’est notamment le cas dans le département de la Côte-d’Or. L’Acodege, principale association de prévention spécialisée du département, rencontrée à l’occasion du déplacement de la mission d’information à Dijon, a ainsi fait part d’un manque d’orientation politique, au niveau local comme au niveau national, en matière de prévention spécialisée, ainsi que d’un manque de concertation et de coordination entre le département et les communes sur une politique globale de prise en charge des jeunes en difficulté. La préfecture a néanmoins précisé qu’un comité de pilotage, associant notamment le conseil départemental de la Côte-d’Or, les communes et l’Acodege devait être mis en place à la fin de l’année 2016.

Dans ce contexte, la prévention spécialisée doit trouver sa place au sein des nouveaux dispositifs institués par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. En particulier, la rapporteure considère qu’elle doit être pleinement intégrée aux protocoles de mise en œuvre et de coordination des actions de prévention menées en direction de l’enfant et de sa famille, prévus par l’article 2 de cette loi.

Le décret d’application de cet article, paru en septembre 2016 (45), précise que ce protocole de prévention « permet de promouvoir et d’impulser les actions de prévention menées dans le département en vue de les développer, d’améliorer leur qualité, leur complémentarité et leur cohérence ». Il « précise notamment les modalités de mobilisation des différents acteurs auprès de l’enfant et de sa famille afin de garantir la coordination des interventions », « identifie les principes communs de prévention, recense et structure les actions de prévention menées dans le département » et « fait référence aux accords de partenariat conclus entre les responsables institutionnels et associatifs mettant en œuvre des actions de prévention ».

Signé par les différents responsables institutionnels et associatifs du département amenés à mettre en place des actions de prévention en direction de l’enfant et de sa famille, ce protocole offre l’opportunité de renforcer les échanges entre les différents signataires et d’améliorer la prise en compte de la prévention spécialisée par les autres acteurs présents sur le territoire.

À cet égard, la rapporteure tient à rappeler l’utilité de la prévention spécialisée, sur un territoire donné, pour l’ensemble des acteurs chargés des politiques en faveur des jeunes. Les éducateurs de rue disposent en effet d’une grande expérience en matière d’adaptation à des contextes évolutifs et d’une bonne connaissance des publics marginalisés et des territoires en difficulté où ils interviennent, connaissance dont ne disposent pas toujours les autres acteurs.

c. La question de la taille des équipes de prévention spécialisée

La mise en place de partenariats avec d’autres acteurs pose la question de la taille des associations de prévention spécialisée, qui sont confrontées à un enjeu de visibilité.

M. Laurent Mucchielli, directeur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS), a estimé lors de son audition (46) que les associations de prévention spécialisée gagnaient à atteindre une taille critique.

La rapporteure partage ce point de vue. En effet, une structure importante sera plus facilement un acteur de référence, écouté des institutions. Elle pourra mieux s’adapter et prendre en charge des problématiques nouvelles. Par ailleurs, les associations répondent à des appels d’offres ; elles entrent alors en concurrence avec d’autres propositions de services éducatifs et, dans certains cas, constituent des groupements pour emporter les marchés. De plus, en se développant, les associations tendent à étendre leur périmètre d’intervention. Elles peuvent alors apporter aux territoires des outils d’intervention complets et structurés (chantiers, équipes) que ne peuvent mobiliser des associations de taille plus modeste.

C’est en particulier le cas de l’Association départementale pour le développement des actions de prévention des Bouches-du-Rhône (ADDAP 13), qui compte près de 400 salariés. Cette association a su évoluer pour se développer, diversifier ses activités et devenir un partenaire reconnu des pouvoirs publics. En 2017, elle évoluera encore en prenant la forme d’un groupe associatif comprenant quatre pôles d’actions complémentaires : la prévention spécialisée, l’éducation populaire, les médiations et la cohésion sociale, et l’insertion par l’activité économique et solidaire.

Dans le Nord, dix-huit associations de prévention spécialisée se sont regroupées au sein d’un réseau. Pour son président, M. Patrick Banneux, ce groupement d’associations a notamment favorisé l’harmonisation des pratiques et le développement de bonnes pratiques. Il s’avère en outre particulièrement pertinent dans un contexte de baisse des financements.

B. RÉAFFIRMER LE RÔLE PRIMORDIAL DU DÉPARTEMENT DANS LE FINANCEMENT DE LA PRÉVENTION SPÉCIALISÉE

La prévention spécialisée suscite l’intérêt de l’État et des collectivités territoriales depuis sa création. Néanmoins, la rapporteure estime qu’un choix, au demeurant judicieux, a été fait il y a trente ans consistant à en faire une compétence départementale. Il s’agit donc d’en tirer toutes les conséquences en réaffirmant le statut de chef de file du conseil départemental, lequel devra de ce fait assurer un financement plus stable.

1. Le département, chef de file naturel de la prévention spécialisée

La rapporteure est convaincue que le département est l’échelon adéquat pour piloter la prévention spécialisée. Il faut réaffirmer son statut de chef de file tout en menant une réflexion approfondie sur la façon d’articuler son rôle avec celui des autres collectivités.

Les grandes masses du financement de la prévention spécialisée

Il est difficile de retracer l’ensemble des financements de la prévention spécialisée, qui sont issus de nombreuses sources. Cependant, le département a un rôle primordial : d’après le CNLAPS, en 2015, 41 % des structures étaient financées intégralement par le conseil départemental et 98 % l’étaient pour plus de 75 % de leur budget.

L’étude la plus récente (47) estime les dépenses brutes départementales à 259 millions d’euros en 2014. Ces dépenses tendent à diminuer (8 % entre 2010 et 2014, dont 3 % entre 2013 et 2014) et cette tendance devrait se poursuivre en 2015 et 2016 puisque des baisses de crédits ont été actées dans les budgets départementaux.

…/…

D’après les informations dont dispose la rapporteure, en dix ans, l’augmentation de la part des communes a globalement compensé la baisse des budgets départementaux ; la part de l’État est stable mais fait aujourd’hui davantage de place à des financements hors politique de la ville, liés à la prévention de la délinquance et de la radicalisation.

a. Le département, un échelon pertinent

Le département est parfois perçu par les associations comme un prescripteur lointain. La rapporteure estime néanmoins qu’il doit rester un chef de file, sous réserve de s’investir dans la mise en place d’un nouveau pilotage décloisonné et précis. Il s’agit de l’échelon le plus pertinent, la prévention spécialisée ayant justement besoin d’une certaine distance pour fonctionner en autonomie. Il permet également de mettre en cohérence des missions : la prévention spécialisée étant l’une des modalités de l’aide sociale à l’enfance, il est logique que cette mission essentiellement éducative reste attachée aux compétences départementales liées à la protection de l’enfance. Maintenir la compétence départementale, c’est aussi garantir l’ancrage de la prévention spécialisée dans la protection de l’enfance.

Au reste, si certains départements se sont désengagés, la rapporteure tient à souligner les efforts réalisés par d’autres. Elle a ainsi pu constater une véritable dynamique des financements en Moselle, où la mission a effectué un déplacement. Le conseil départemental, qui croit fermement à l’utilité de la prévention, y a consacré 5 millions d’euros en 2016. Lors de son audition, Mme Chantal Rimbault a indiqué, en sa qualité de directrice de la protection de l’enfance et de la jeunesse du département du Val de Marne (48), que les financements de ce département sont passés de 9 à 13 millions d’euros entre 2012 et 2015, l’exécutif départemental étant convaincu qu’il en résulte d’importantes économies dues aux coûts évités d’une prise en charge sociale plus lourde.

L’Association des départements de France (ADF), reçue par la rapporteure, est par ailleurs pleinement consciente des difficultés rencontrées par les associations de prévention spécialisée. La rapporteure rappelle que l’ADF a signé la convention de partenariat du 14 octobre 2016. Son article 6 – relatif aux moyens financiers mobilisés – souligne que « le financement de la prévention spécialisée est assuré, à titre principal, par les conseils départementaux compte tenu de leurs prérogatives en matière de protection de l’enfance ».

Il apparaît que les difficultés ne tiennent pas à la nature de la collectivité compétente mais aux différences d’appréciation des exécutifs départementaux quant à l’utilité de la prévention spécialisée. Il ne s’agit donc pas de revenir sur la compétence départementale, mais de reconsidérer les modalités de son exercice.

b. Les interrogations liées à la métropolisation de la prévention spécialisée

La loi NOTRe a créé une exception notable au principe de la compétence départementale en matière de prévention spécialisée. En effet, l’article 90 prévoit que, « par convention passée avec le département, la métropole exerce à l’intérieur de son périmètre, par transfert, en lieu et place du département, ou par délégation, au nom et pour le compte du département », la compétence liée « aux actions de prévention spécialisée auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu » (49). La portée de cette modification du droit en vigueur a été insuffisamment commentée car elle emporte plusieurs conséquences sur lesquelles il conviendra peut-être de revenir dans quelques années.

● La prévention spécialisée pourrait être distinguée de l’aide sociale à l’enfance qui n’est pas une compétence transférable au même titre. Une telle disposition risque donc de laisser penser – alors que les derniers textes ont cherché à démontrer le contraire – que la prévention spécialisée ne fait pas pleinement partie de l’ASE, dans le cadre d’un bloc de compétence du département en matière de protection de l’enfant que la loi n’a pas remis en cause.

La loi prévoit que d’autres compétences sociales peuvent également être transférées par convention (comme l’aide aux jeunes en difficulté, le programme départemental d’insertion, ou le service public départemental d’action sociale), mais elles ne sont pas exactement du même ordre dans la mesure où elles ne sont pas de nature éducative.

● Une inquiétude peut également émerger quant à la tentation, pour certains départements, notamment les moins convaincus par l’utilité de la prévention spécialisée, de la transférer aux métropoles pour des raisons essentiellement financières, renforçant les inégalités au sein du territoire.

● Le transfert à la métropole ne dispensant évidemment pas le département d’assurer le financement de la prévention spécialisée dans les territoires extra-métropolitains, il est à craindre que l’introduction d’un nouvel acteur dans le champ institutionnel complexe des financeurs de la prévention spécialisée ne rende le pilotage plus confus.

Ces inquiétudes ont été relayées par l’ANDASS au moment des débats sur le projet de loi. Lors de son audition par la mission, son président, M. Roland Giraud, a renouvelé l’expression de ces inquiétudes tout en les nuançant : il a estimé que le problème pouvait résulter d’un transfert sans concertation qui aboutirait à un découpage excessif des compétences. L’enjeu étant de créer un maillage territorial efficace, il conviendrait selon lui de s’assurer que la métropolisation corresponde à un diagnostic partagé des besoins et soit associée à un dispositif d’évaluation.

La rapporteure partage ces analyses et invite les départements et les associations à la vigilance, même si aucune difficulté majeure ne lui a été signalée. La métropolisation est un processus trop récent pour qu’il puisse en être fait un bilan concluant. Le CNLAPS n’a de recul que sur la métropole de Lyon, créée en 2015 : celle-ci a maintenu les moyens consacrés à la prévention spécialisée tout en procédant à des modifications administratives qui doivent encore être assimilées par les équipes et les associations (changement d’interlocuteur, rattachement à un pôle « intégration sociale », organisation des relations avec les communes à travers un pacte de cohérence métropolitain). Il est difficile d’extrapoler à partir de la situation lyonnaise, dans la mesure où ce sont ici l’ensemble des compétences départementales qui ont été transférées.

L’expérience de la métropolisation devra cependant être évaluée dans quelques années pour établir si son efficacité est démontrée (50). Cette expérience pourrait se révéler favorable à la triple condition que les métropoles, fortes de leurs nouvelles compétences, dégagent des moyens importants, respectent les spécificités de la prévention spécialisée et s’investissent dans un travail de coordination avec les autres acteurs.

Proposition n° 4 Évaluer, à moyen terme, le dispositif de métropolisation pour déterminer notamment si le conventionnement fonctionne sur des diagnostics partagés, si la nature et le financement des missions sont maintenus et si l’efficacité des actions de prévention spécialisée est améliorée.

c. Un État qui doit s’impliquer plus, y compris financièrement

Au-delà de sa participation à la construction d’un pilotage national de la prévention spécialisée, l’État a un rôle important à jouer dans le financement des actions sur le terrain.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et de la vie associative, a indiqué lors de son audition (51) que les financements de l’État représentaient 8 millions d’euros en 2015, issus des crédits du ministère de la ville et du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). D’après le ministre, ces montants devraient être en hausse en 2016, notamment grâce à une hausse des crédits issus du fonds (52), ce dont la rapporteure se félicite.

Néanmoins, elle regrette que l’État finance seulement 3 % du budget total de la prévention spécialisée, alors même que la prévention spécialisée assure de plus en plus de missions qui dépassent le champ de la protection de l’enfance. Si en matière de lutte contre la délinquance et la radicalisation notamment, les pouvoirs publics estiment que les éducateurs apportent une réponse adéquate, il est urgent de faire croître la participation financière de l’État. La rapporteure insiste pour que cette participation financière ne vienne pas compenser de nouvelles baisses de budgets départementaux mais constituer un financement complémentaire des actions nouvelles ou qui dépassent le strict cadre de l’aide sociale à l’enfance. C’est le cas pour le financement des actions en soirée, le week-end et au mois d’août financées dans cinq départements (Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Val d’Oise, Seine-et-Marne, Val de Marne).

D’autre part, la rapporteure estime que les représentants de l’État, par exemple les préfets délégués à l’égalité des chances, dont l’investissement est trop inégal, doivent s’impliquer davantage pour coordonner les actions en matière de conventionnement. Elle se réjouit que la convention de partenariat du 14 octobre 2016 prévoie à son article 5 une plus grande implication de l’État.

d. Une articulation à mieux définir avec les communes

Les communes sont souvent dans une position ambiguë par rapport à la prévention spécialisée, comme a pu le constater la rapporteure lors des déplacements effectués par la mission, qui a rencontré de nombreux élus.

Les communes ne peuvent pas exercer la compétence de la prévention spécialisée sur le fondement de l’article L. 121-1 du code de l’action sociale et des familles, qui se limite aux prestations légales d’aide sociale, mais elles doivent travailler en bonne intelligence avec des équipes qui agissent sur des territoires limités à des quartiers. Sauf à apporter d’importants moyens au financement des équipes, l’impossibilité de participer à la construction des diagnostics et des missions des équipes d’éducateurs est parfois mal vécue par les maires, qui souhaiteraient pouvoir orienter l’action des éducateurs.

La rapporteure ne peut qu’inciter les exécutifs municipaux qui souhaitent pouvoir bénéficier de la prévention spécialisée à participer dans des proportions importantes au co-financement des équipes de prévention spécialisée, à défaut de quoi il sera difficile de leur donner davantage de pouvoir de codécision.

Elle souhaite également que soient généralisés les protocoles de travail mis en place par certaines communes pour créer des liens réguliers avec les équipes d’intervention. Il a d’ailleurs été indiqué précédemment que les trois quarts des équipes sont déjà régulièrement conviées aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).

Une autre piste de contractualisation intéressante est expérimentée par le département de Loire-Atlantique qui a créé, en décembre 2011, un groupement d’intérêt public (GIP) dédié à la prévention spécialisée, l’Agence départementale de la prévention spécialisée, présidé par un conseiller départemental. Ce GIP est composé :

– du département, représenté par 5 conseillers départementaux ;

– des communes de Nantes, Rezé et Saint-Herblain, représentées par leurs maires.

Le GIP assure la gestion du service de prévention spécialisée depuis le 1er avril 2012, service qui était préalablement géré par l’association de prévention spécialisée Fernand Deligny (APSFD).

La rapporteure est très favorable à toutes ces initiatives qui permettent d’associer l’ensemble des financeurs dans des organes de décision partagée.

2. Garantir le financement de la prévention spécialisée

La question des moyens de la prévention spécialisée est d’abord un enjeu d’égalité entre les territoires : si la prévention spécialisée a fait la preuve de son utilité et de son efficacité pour aider les jeunes marginalisés ou en voie de marginalisation, il est d’autant plus injuste qu’elle ne bénéficie pas à l’ensemble des populations sur tout le territoire national.

Le défi est inédit : comme l’a rappelé M. Roland Giraud, président de l’ANDASS (53), la prévention spécialisée n’a jamais couvert de manière uniforme l’ensemble du territoire, y compris lorsqu’elle était financée sur des crédits d’État.

Il s’agit donc d’ouvrir la voie à une refondation du financement de la prévention spécialisée en vue d’en faire une politique publique à part entière adossée à l’aide sociale à l’enfance, dotée de la visibilité financière nécessaire, tout en respectant le caractère associatif des structures gestionnaires et assortie d’une obligation de financement.

a. Favoriser une contractualisation pluriannuelle

Comme le prévoit l’article L. 313-8-1 du code de l’action sociale et des familles, l’habilitation d’une association « peut être assortie d’une convention ».

Or, les conventions pluriannuelles d’objectifs et de moyens (CPOM) sont parfois jugées risquées par les conseils départementaux, a rappelé Mme Chantal Rimbault, présidente de l’Association nationale des directeurs de l’enfance et de la famille (ANDEF) (54). Dans un contexte budgétaire très tendu, il est devenu difficile à certains conseils départementaux de s’engager sur plusieurs années.

Néanmoins, l’insécurité financière ainsi imposée aux associations est devenue réellement problématique à la fois au regard de la nature de la mission assurée, qui relève quasiment d’une mission de service public, et de leur besoin de visibilité. Les associations doivent en effet stabiliser les équipes et faire évoluer leur métier en finançant cet investissement dans le capital humain qu’est la formation professionnelle. La rapporteure a pu constater des problématiques similaires en Belgique.

Il faut donc privilégier les CPOM par rapport aux appels à projets pour donner de la visibilité aux associations. Un double dividende devrait en résulter pour les associations : elles passeront moins de temps dans des démarches administratives pour candidater à des appels à projets et elles pourront se projeter sur quelques années. La rapporteure souhaite insister sur le fait que de tels contrats ne constituent pas seulement des engagements pour le département mais un moyen utile de pilotage pour le financeur.

Proposition n° 5 Favoriser une contractualisation pluriannuelle avec l’ensemble des partenaires financeurs.

b. Affirmer la compétence obligatoire du département en matière de financement

La rapporteure ne peut que déplorer une réalité bien connue des associations depuis quelques années : la prévention spécialisée, mission facultative, est bien trop souvent une variable d’ajustement des budgets départementaux.

Un financement particulier

Le statut associatif, sous lequel est exercée la plupart du temps la mission de la prévention spécialisée, s’explique par la nature « non institutionnelle » du métier, même s’il arrive que certains départements l’exercent eux-mêmes. Il ne saurait pour autant justifier une forme d’arbitraire dans le choix du financement.

Les dispositions du code de l’action sociale et des familles précisent que la prévention spécialisée fait partie de l’aide sociale à l’enfance (55). Les organismes gestionnaires de la prévention spécialisée n’entrent cependant pas dans le champ défini par l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles des établissements et services sociaux ou médico-sociaux auxquels sont appliquées la planification (56) et la tarification.

La prévention spécialisée fait donc l’objet d’un financement qui repose sur le principe de la subvention d’une association habilitée et qui peut faire l’objet d’une contractualisation, sur le fondement de l’article L. 313-8-1 du même code.

Le droit d’une association habilitée à son financement

D’après la direction générale de la cohésion sociale, une lecture précise et combinée des dispositions législatives et de la jurisprudence relatives à l’habilitation et au conventionnement pourrait permettre à une association habilitée de contester la baisse ou la suppression de ses subventions.

Le service départemental de l’aide sociale à l’enfance a notamment pour mission, en vertu du 2° de l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles d’« organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d'inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l'insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles, notamment des actions de prévention spécialisée visées au 2° de l’article L. 121-2 » ; pour la mise en œuvre de ces actions, « le président du conseil départemental habilite des organismes publics ou privés dans les conditions prévues aux articles L. 313-8, L. 313-8-1 et L. 313-9 ».

Pour la prévention spécialisée comme de manière générale pour l’aide sociale à l’enfance, en vertu des articles L. 312-4 et L. 312-5 du code de l’action sociale et des familles, le président du conseil départemental élabore – et le conseil départemental adopte – au moins tous les cinq ans un schéma d’organisation qui apprécie « les besoins sociaux et médico-sociaux de la population » et détermine « les perspectives et les objectifs de développement de l'offre sociale et médico-sociale et, notamment, ceux nécessitant des interventions sous forme de création, transformation ou suppression d'établissements et services ».

Dès lors qu’un département habilite à l’aide sociale une équipe de prévention spécialisée, que ce soit dans le cadre d’une décision d’autorisation implicitement assortie de cette habilitation, conformément à l’article L. 313-6 du code de l’action sociale et des familles, ou d’une habilitation distincte délivrée en application des articles L. 121-2 et L. 221-1 du même code, il est tenu de la financer (57).

L’obligation de financement découle par ailleurs de l’obligation de service qui incombe à la structure habilitée, dans la limite de son habilitation, puisqu’aux termes de l’article L. 313-8-1 du même code, « l'établissement ou le service habilité est tenu, dans la limite de sa spécialité et de sa capacité autorisée, d'accueillir toute personne qui s'adresse à lui ».

L’habilitation ne peut être retirée que pour des motifs limitativement énumérés à l’article L. 313-9 dans sa rédaction issue de la loi de modernisation de notre système de santé (58).

Outre la méconnaissance d’une disposition substantielle de l’habilitation par la structure habilitée, ou la disproportion entre son coût de fonctionnement et les services qu’elle rend, ces motifs sont :

« 1° L'évolution des objectifs et des besoins sociaux et médico-sociaux fixés par (…) le schéma applicable en vertu de l'article L. 312-4 » ; dans ce cas, l'autorité publique doit, dans le délai d’un an à compter de la publication du nouveau schéma, « demander à l'établissement ou au service de modifier sa capacité ou de transformer son activité en fonction de l'évolution des objectifs et des besoins et lui proposer à cette fin la conclusion d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens » ; le délai minimal de réponse et de mise en œuvre éventuelle du retrait d’habilitation est au total d’un an et demi ;

« 4° La charge excessive, au sens des dispositions de l'article L. 313-8, qu'elle représente pour la collectivité publique », c’est-à-dire « compte tenu d'un objectif annuel ou pluriannuel d'évolution des dépenses délibéré par la collectivité concernée en fonction de ses obligations légales, de ses priorités en matière d'action sociale et des orientations des schémas départementaux mentionnés à l'article L. 312-5 » ; dans ce cas, l'autorité publique doit « demander à l'établissement ou au service de prendre les mesures nécessaires pour (…) réduire les coûts ou charges au niveau moyen » ; le délai minimal de réponse et de mise en œuvre éventuelle du retrait d’habilitation est au total d’un an.

Le département est donc d’ores et déjà soumis à l’obligation d’organiser des actions de prévention spécialisée, pour répondre aux besoins collectifs appréciés dans le cadre d’un schéma qu’il adopte, d’habiliter pour ce faire des organismes publics ou privés et de les financer dans le cadre de cette habilitation. Une équipe de prévention spécialisée pourrait donc se prévaloir de la jurisprudence pour contester une réduction de ses financements ne respectant pas les dispositions servant de cadre à son habilitation.

L’impossibilité de contester la décision d’un département qui ne prescrit pas de prévention spécialisée sur son territoire

Il n’existe en revanche pas de jurisprudence permettant de remettre en cause l’insuffisance d’un schéma départemental en matière de prévention spécialisée. Son appréciation directe par le juge à l’occasion d’une demande formée par un usager susceptible de s’en trouver lésé serait d’autant plus délicate qu’à la différence des autres établissements et services sociaux et médico-sociaux, les équipes de prévention spécialisée ne prennent pas de décision individualisée de prise en charge (en vertu du IV de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles).

Un seuil minimal de financement ne semble pouvoir être établi qu’au regard de paramètres légalement définis permettant de quantifier les risques d’inadaptation sociale auxquels la prévention spécialisée a pour objet de répondre.

Une rédaction du code de l’action sociale et des familles à revoir

Toutefois, la plupart des départements et des associations se fondent sur les seules dispositions législatives relatives à la compétence obligatoire pour retirer l’habilitation ou refuser d’intégrer un besoin de prévention spécialisée dans le schéma départemental. La rapporteure a pu constater qu’il existait également à ce niveau d’analyse un débat juridique nourri en raison de l’imprécision des dispositions du code de l’action sociale et des familles.

L’article L. 123-1 de ce code précise que le département est responsable et assure le financement de l’aide sociale à l’enfance et l’article L. 121-5 prévoit que les dépenses de l’article L. 123-1 ont un caractère obligatoire. La loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfance précitée n’a pas remis en cause ce mécanisme mais a précisé que la prévention spécialisée faisait partie des missions de l’ASE : ainsi, l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles prévoit désormais que le département doit, dans ce cadre, « organiser des actions collectives (…), notamment des actions de prévention spécialisée ».

Pour la défenseure des enfants, Mme Geneviève Avenard, la lecture combinée de ces dispositions implique que la prévention spécialisée a d’ores et déjà un caractère obligatoire (59). Cependant, un consensus semble exister tant du côté des associations que des départements auditionnés pour considérer que la compétence du département reste facultative.

La rapporteure estime que le droit actuel n’est pas satisfaisant quant à l’exigence de clarté qui devrait prévaloir et que la façon dont est rédigé le code de l’action sociale et des familles n’établit pas de façon suffisamment explicite le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée. Elle souhaite donc que le législateur se saisisse à nouveau des dispositions concernées et établisse sans ambiguïté la prévention spécialisée comme une compétence obligatoire du département.

Proposition n° 6 Réécrire les dispositions du code de l’action sociale et des familles afin d’établir clairement le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée et afin de donner une base légale au juge pour constater une carence manifeste en matière d’habilitation.

C. FAIRE ÉVOLUER LES FORMES D’INTERVENTION

Solidement reconnue et financée, la prévention spécialisée pourra amplifier le profond mouvement de transformation qu’elle a engagé pour mieux prendre en compte les nouveaux besoins de ses publics.

La rapporteure, consciente que beaucoup d’associations ont déjà initié d’importantes actions dans ces domaines, souhaite insister sur quelques défis qui lui paraissent primordiaux pour les éducateurs et sur l’importance de la formation.

1. Des principes cardinaux à réinterroger ?

Les principes de la prévention spécialisée donnent un cadre de référence, mais doivent s’adapter à la diversité des situations rencontrées. Il s’agit en particulier de trouver des articulations entre la prévention spécialisée et la prévention de la délinquance, qui ne doivent pas se confondre.

a. Un positionnement mieux défini

Pour le CNLAPS comme pour la CNAPE, la prévention spécialisée peut être un partenaire privilégié de la politique de lutte contre la délinquance. Sa contribution ne doit cependant se penser qu’à partir de son rattachement à la politique de protection de l’enfance, qui encadre et oriente son intervention. Le jeune relevant de la prévention spécialisée est d’abord considéré comme étant en danger – donc en besoin de protection – et non comme étant un danger.

Ces principes rappelés, la prévention spécialisée peut effectivement contribuer à la politique de prévention de la délinquance, s’il s’agit bien d’œuvrer de concert avec d’autres acteurs pour promouvoir les potentialités d’une jeunesse en danger et l’empêcher de glisser vers une délinquance chronicisée.

La participation de la prévention spécialisée aux instances de prévention de la délinquance a été récemment formalisée.

Ainsi, le CNLAPS et la CNAPE ont participé, sous l’égide du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD), à l’élaboration d’un guide pratique sur la participation des équipes de prévention spécialisée à la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention de la délinquance, paru en mai 2014, ainsi qu’à deux groupes de travail mis en place dans le cadre de cette stratégie nationale, l’un relatif à l’échange d’informations, l’autre consacré à la prévention de la récidive.

De ce fait, comme l’indique le CIPD dans une note adressée à la rapporteure, ces deux associations ont contribué activement à la définition des conditions rendant possible l’échange d’informations dans le cadre des dispositifs territoriaux de prévention de la délinquance, en particulier dans le cadre des conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD/CISPD). Elles ont participé à l’élaboration d’un guide méthodologique sur l’échange d’informations dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention de la délinquance. Il s’agit d’une charte déontologique, validée par le Conseil supérieur du travail social en juillet 2014 et diffusée à l’ensemble des maires et des réseaux professionnels concernés.

Ce nouveau cadre de référence permet à la fois d’apporter une clarification juridique et d’offrir des garanties au respect de la déontologie de chacun.

Ce travail constitue une étape importante dans les relations entre la prévention spécialisée et les politiques publiques de prévention. L’encadrement spécifique des échanges, y compris des échanges d’informations, favorise la construction de diagnostics partagés et la mise en place d’actions coordonnées, tout en permettant aux professionnels de la prévention spécialisée de faire valoir les spécificités de leur mission éducative.

b. La fin d’un malaise ?

Mme Marie-Françoise Bellée Van Thong, directrice chargée de la famille, de l’enfance et de la jeunesse au sein du département des Hauts-de-Seine, représentant l’ANDASS, a souligné lors de son audition (60) que la question du positionnement des acteurs de la prévention spécialisée, au regard notamment des politiques de lutte contre la délinquance, était récurrente au sein des départements ayant répondu à l’enquête réalisée en septembre 2016 par l’association. L’ANDASS estime par ailleurs que la nécessaire ouverture vers les dispositifs voisins (politique de la ville, prévention de la délinquance et également, de plus en plus, de la radicalisation) n’est pas toujours facilitée par des pratiques de l’aide sociale à l’enfance arc-boutées sur des interventions individuelles sous le sceau du secret, ce qui peut freiner les partenariats.

Néanmoins, la grande majorité des professionnels auditionnés par la mission d’information ou rencontrés lors de ses déplacements a aujourd’hui bien compris la nécessité, pour les équipes de prévention spécialisée, de travailler avec les services de police et de prévention de la délinquance.

M. François Chobeaux, animateur du réseau national « Jeunes en errance » des CEMEA, fait très bien état de cette nécessité dans l’entretien précité accordé à la revue TSA. Il y dénonce l’attitude d’une partie des éducateurs de rue, en regrettant qu’« il existe une vieille garde (parfois chez de jeunes éducateurs) qui défend une prévention spécialisée “pure”, qui voudrait qu’on ne parle pas aux flics, pas à la médiation de rue… C’est aujourd’hui difficilement défendable. Notre position, aux Cemea, est que la prévention doit obligatoirement s’articuler avec les services en charge du social de droit commun et aussi de la tranquillité et de la sécurité publique. Nous tenons cette conviction de notre expérience dans le cadre du réseau errance : le travail est possible avec les jeunes en grande marginalité quand il s’articule bien avec les actions de police et sociales classiques. Pour nous, il faut jouer le jeu malgré les questions que cela pose, pour le partage de l’information notamment. Quand on a d’un côté des équipes de prévention qui ne sont pas des intégristes anti-flics, et de l’autre des polices municipales qui ne sont pas dans le tout répressif, ça peut très bien fonctionner ».

Plutôt que de s’y opposer, la rapporteure estime que les éducateurs de rue doivent trouver le bon positionnement par rapport aux politiques de sécurité. Cette question reste sensible et mériterait des réponses actualisées au regard de la situation sociale et de la montée de menaces nouvelles pour la sécurité publique.

Une remise en cause aveugle des principes actuels risquerait de vider de son intérêt et de sa spécificité la prévention spécialisée et d’exposer les professionnels à des risques inutiles. La prévention spécialisée ne doit pas abandonner ses pratiques originales et singulières.

Bien que liées, les politiques de prévention de la délinquance et de prévention spécialisée ne sauraient se confondre. Il est dès lors nécessaire de préciser leur articulation, à un moment où certaines barrières de principe peuvent être dépassées. C’est l’objet du guide pratique sur la participation des équipes de prévention spécialisée à la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention de la délinquance, précité, qu’il convient de diffuser largement auprès des équipes de prévention spécialisée.

2. Conforter le rôle éducatif de la prévention spécialisée

La prévention spécialisée remplit d’abord une mission éducative en direction des jeunes en situation de rupture ou d’isolement.

Pour conforter ce rôle éducatif, il convient d’agir dans plusieurs directions. Parce qu’il est plus difficile d’« éduquer » un public lorsqu’il a déjà basculé dans la délinquance ou la radicalisation, la mission éducative de la prévention spécialisée doit pouvoir intervenir dès le plus jeune âge. Elle suppose aussi, dans la mesure du possible, d’associer la famille du jeune. Elle pose enfin la question des partenariats avec l’Éducation nationale.

a. Assurer une prise en charge dès le plus jeune âge

La rapporteure est convaincue que la mission éducative de la prévention spécialisée suppose de pouvoir intervenir le plus en amont possible, c’est-à-dire sur des publics plus jeunes, en âge d’être à l’école primaire.

Dans la mesure où elle fait partie de l’aide sociale à l’enfance, la prévention spécialisée bénéficie en théorie aux mineurs et aux majeurs de moins de 21 ans même si, en pratique, les acteurs de la prévention spécialisée sont également susceptibles de travailler, dans un souci de continuité de l’intervention, avec des jeunes de plus de 21 ans. Toutefois, le CNLAPS et la CNAPE, dans leurs contributions écrites adressées à la rapporteure, précisent que les interventions sont concentrées sur les jeunes de 11 à 15 ans, ce qui correspond aux années du collège. Les résultats de l’enquête de l’ANDASS précitée vont dans le même sens, puisque pour les départements interrogés, « les actions visent ou devraient viser en priorité les jeunes de 11 à 15 ans, en second lieu les 16 à 18 ans, alors que les jeunes adultes n’apparaissent pas comme prioritaires ».

Si la rapporteure considère que la prévention spécialisée doit s’adresser aux jeunes en détresse quelle que soit leur tranche d’âge, de nombreuses personnes auditionnées ont fait part d’un « rajeunissement » du public, exposé de plus en plus tôt aux risques de décrochage et d’entrée dans un processus de marginalisation. Or, comme le note M. François Chobeaux dans son entretien précité à la revue TSA, « la prévention spécialisée n’a pas de prise sur ceux qui ont déjà franchi le pas, que ce soit dans la radicalisation ou dans le deal professionnel d’ailleurs ».

La nécessité de s’intéresser à un public plus jeune semble faire l’objet d’une véritable prise de conscience en Belgique. En effet, les nombreux intervenants rencontrés lors du déplacement de la mission d’information dans la commune de Molenbeek ont insisté sur le fait qu’une prise en charge tardive des jeunes était particulièrement difficile lorsque ceux-ci sont radicalisés. Pour M. Michaël Dantinne, professeur au service de criminologie de l’université de Liège, il convient de travailler en amont pour prévenir la radicalisation, la déradicalisation étant souvent inopérante. Ce constat est partagé par la bourgmestre de Molenbeek, Mme Françoise Schepmans, qui a convenu qu’il était beaucoup plus difficile de prévenir ou de mettre fin à un processus de radicalisation après l’âge de 13 ou 14 ans.

La rapporteure souhaiterait à cet égard mettre en avant le travail exemplaire réalisé par l’association « Le Foyer » à Molenbeek. Les attentats de Paris en novembre 2015 et de Bruxelles en mars 2016 ont amené l’association à s’interroger sur la pertinence des actions menées et à rechercher de nouvelles méthodes d’intervention. Partant du constat qu’il fallait d’abord intervenir auprès des jeunes qui ne se sont pas encore radicalisés, cette association a notamment mis en place des ateliers interactifs ayant pour objectif de développer la pensée critique des enfants dès l’âge de 9 ans. Elle a ainsi mis en place, à partir d’octobre 2016, un atelier apprenant aux enfants, de manière à la fois ludique et didactique, à distinguer un fait d’une opinion et à réfléchir à la naissance des préjugés, à partir de l’analyse de la propagande de Daech.

Agir le plus tôt possible, avant que les jeunes n’entrent au collège, amène nécessairement les éducateurs à travailler avec les familles et l’école.

b. Mieux associer les familles

Principalement confrontés, à l’origine, à de jeunes adultes et percevant souvent les familles comme toxiques plutôt que bénéfiques, les éducateurs de rue travaillaient traditionnellement peu avec elles.

Aujourd’hui, le rajeunissement des publics de la prévention spécialisée tend à accroître la place de la famille. De fait, la plupart des jeunes concernés vivent encore avec leurs parents. Surtout, les jeunes enfants se construisent dans l’espace familial, alors que de grands adolescents sont davantage en recherche d’émancipation. Dès lors, la relation éducative ne s’exerce plus seulement entre le jeune et l’éducateur mais inclut également les parents – en réalité souvent la mère.

La rapporteure rappelle que l’implication des familles est essentielle pour réussir la prise en charge des jeunes. Ce travail avec la famille est à conduire en parallèle de la relation de confiance établie avec le jeune, pour solliciter l’intervention des parents ou leur redonner une place auprès de celui-ci.

L’éducateur peut intervenir dans le cadre familial, avec l’accord du jeune et parfois à sa demande, pour faciliter le dialogue, désamorcer des tensions, permettre que soient reconnues, nommées et respectées la place et les attentes de chacun. Des contacts téléphoniques, des visites à domicile, des rencontres dans les institutions sociales, des sorties familiales, culturelles ou ludiques, sont ainsi proposés aux parents, l’éducateur cherchant systématiquement à les associer aux démarches initiées avec leurs enfants, lorsque cela est possible – la seule limite à cette relation étant bien entendu la dangerosité avérée de la famille ou de l’un de ses membres.

Dans le même temps, il est souvent utile de proposer aux parents un lieu d’écoute et de conseil leur permettant de réfléchir avec l’équipe éducative pour trouver des réponses aux problèmes rencontrées avec le jeune. Les éducateurs peuvent ainsi orienter les parents vers un réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (Reaap) ou un réseau d’entraide des familles monoparentales, auquel il leur arrive de participer.

La participation des parents à des rencontres, des projets ou des événements peut engager une dynamique positive entre les habitants d’un même territoire, comme en témoigne l’action de « reparentalisation » menée à Dieppe, présentée dans l’encadré ci-dessous.

La « reparentalisation », un outil au service d’une action collective à Dieppe

Ce terme a été choisi par des parents de Dieppe pour exprimer leur désir de créer ou de recréer une autre manière d’être parent. Réfléchie et élaborée dans le cadre d’une action de prévention spécialisée en partenariat avec des parents et d’autres travailleurs sociaux, la mise en action de ce concept s’inscrit dans un système de réseau. Au niveau du quartier, il faut engager, en partenariat ou non avec d’autres intervenants sociaux, la constitution de collectifs qui s’emparent de questions touchant un grand nombre de familles sur ces territoires : échec scolaire, toxicomanies, perte de repères, responsabilités parentales, droits et devoirs des parents et des enfants, autorité parentale, posture parentale dans le cadre de la monoparentalité, connaissance des institutions et de leur mission auprès des familles… Ces collectifs permettent de percevoir le caractère commun de nombre de problèmes, d’analyser les conditions de leur survenue, d’imaginer des réponses collectives (en lien avec les écoles du quartier par exemple), de soutenir les engagements citoyens.
…/…

Cette question nécessite de faire passer le parent d’un état dépréciatif de lui-même ou de désignation par les acteurs sociaux à la confiance en soi, à une reconnaissance de sa fonction parentale à travers une action collective. Les actions de « reparentalisation » ont pour finalité de redonner une légitimité aux parents en valorisant la fonction parentale par l’émergence de compétences. Ce sont les rencontres qui permettent l’acquisition des compétences, au croisement d’une multiplicité de regards, de paroles. Un dispositif de co-éducation est recherché dans lequel les réponses s’élaborent dans une chaîne interactive.

L’originalité voire l’innovation de l’action de « reparentalisation » passe par son socle éthique qui pourrait se résumer par le terme de « parité ». Il s’agit de travailler entre parents et professionnels en s’ancrant sur l’expérience commune partagée à savoir le fait d’être parent et/ou enfant de ses parents (pour ceux qui n’ont pas d’enfants). L’expertise première partagée est celle d’être parent.

Le groupe est ainsi constitué de pairs par-delà les frontières entre professionnels et participants.

Il s’agit de placer l’action de « reparentalisation » au sein d’une démarche de rencontres, de projets, d’événements (forums, séminaires, spectacles, voyages, écrits…), de communication entre personnes reconnues et respectées dans leur singularité, dans la libre adhésion et à titre anonyme dans une logique de prévention spécialisée.

Source : Comité interministériel de prévention de la délinquance, Guide pratique sur la participation des équipes de prévention spécialisée à la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention de la délinquance, mai 2014.

c. Renforcer les partenariats avec l’Éducation nationale

Les jeunes suivis par les éducateurs sont dans leur très grande majorité en situation de rupture ou de décrochage scolaire. Les établissements scolaires sont donc un lieu d’intervention incontournable pour les éducateurs.

Pourtant, ceux-ci ont pu éprouver des difficultés à trouver leur place au sein des établissements. Il est ainsi rappelé, dans l’ouvrage Demain la prévention spécialisée (61), que « jusqu’alors, hormis quelques expériences, les éducateurs avaient le plus grand mal à se maintenir dans le périmètre scolaire et à co-construire des réponses avec les communautés éducatives ». Leurs relations se sont néanmoins améliorées dans la mesure où, « en raison des relations que les élèves entretiennent avec l’école, l’éducation civique y prend progressivement une place qui mobilise notamment ceux qui ne sont pas chargés d’enseigner ».

À la faveur de cette évolution, des coopérations et des actions spécifiques entre la prévention spécialisée et l’institution scolaire se sont développées dans les territoires, en particulier autour de la pacification de l’espace scolaire, de la prise en charge des « décrocheurs » et des réponses aux comportements répréhensibles.

Les interventions des équipes de prévention spécialisée dans les établissements scolaires sont très variables. Certaines sont institutionnalisées par des conventions, alors que d’autres sont mises en œuvre de manière plus informelle. Ainsi, dans certaines situations, l’école va au-devant des éducateurs au sujet d’un ou de plusieurs jeunes. Dans d’autres cas, des partenariats sont organisés entre un établissement et un service de prévention spécialisée sur une action spécifique, notamment la prévention des conduites à risques. Enfin, il existe des conventions conclues entre une ou plusieurs associations, le conseil départemental et l’inspection d’académie qui permettent par exemple aux éducateurs de participer aux instances scolaires, notamment celles concernant les exclusions, ou de proposer des actions visant à aider les jeunes à trouver de l’intérêt à la scolarité.

La palette d’actions déployées sur le territoire national est très large et n’est pas mise en place partout de la même manière, parce que les besoins sont différents selon les territoires et les établissements, mais également parce que des partenariats ne sont pas toujours possibles.

Exemple d’une intervention d’une association de prévention spécialisée
au collège de Joué-les-Tours
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Depuis le mois de juin 2011, Anne-Lise Bernard, éducatrice spécialisée, travaille au service de la réussite éducative de l’Apser. Elle reçoit Lien Social dans sa petite salle du collège de la Rabière, à l’occasion d’un café-gourmand organisé et préparé par des élèves de la classe de section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa). Anne-Lise Bernard intervient au sein de deux collèges membres du réseau de Réussite éducative. Elle essaie de garder le maximum des principes de la prévention spécialisée pour faciliter la scolarisation des collégiens et des collégiennes qui « décrochent » du système.

La demande pour la rencontrer se fait sur le principe de la libre adhésion, et il n’y a pas de contractualisation entre le programme, la famille et le jeune. « Comme ce n’est pas obligatoire de venir me voir, ils viennent d’eux-mêmes », souligne l’éducatrice. Pour faire quoi ? « Pour essayer de comprendre ce qui est compliqué. Il y a des lacunes dans les acquis de base qui sont très importantes, c’est souvent difficile de raccrocher sur un plan scolaire. Je peux faire du soutien scolaire, mais c’est vraiment aussi un espace pour parler, jouer, lire et raconter des histoires. » Anne-Lise Bernard est confrontée aux malaises de toute une génération qui n’a pas beaucoup de perspectives scolaires et professionnelles. « Il y en a qui se couchent sur la table pendant les entretiens, qui ferment les yeux, ou qui vont tourner sur eux-mêmes. J’essaie d’analyser ces symptômes pour comprendre ce qui ne va pas et discuter des problèmes rencontrés. » Pour elle, il y a un véritable sens à être rattachée à une association de prévention spécialisée : « C’est une porte d’entrée pour les familles, qui connaissent bien l’Apser. »

(1) Extrait de Antoine Bureau, « Prévention spécialisée, ne pas lâcher la rue », Lien social, n° 1138, 3 avril 2014.

Les liens entre établissements scolaires et prévention spécialisée sont particulièrement importants dans le département du Nord.

Les acteurs de liaisons sociales dans l’environnement scolaire (ALSES), sont des éducateurs de prévention spécialisée apparus dans les années 1990 dans ce département. Comme leurs collègues, ils sont intégrés à une équipe éducative implantée dans un quartier, mais ils ont la particularité d’intervenir pour moitié de leur temps au sein du collège fréquenté par les jeunes du quartier. La présence des ALSES dans ces deux espaces permet une continuité des accompagnements éducatifs « dans » et « en dehors » de l’établissement scolaire. Ces éducateurs sont particulièrement mobilisés en faveur de l’aide aux élèves en difficulté scolaire (soutien, médiation, recherche de stage ou d’alternative à la scolarisation) ainsi que dans l’établissement de relations avec les familles difficilement joignables par l’institution scolaire.

Depuis les premières expérimentations menées dans les années 1990, le département du Nord a soutenu et développé ces postes au sein des associations de prévention spécialisée. En 2012, un protocole d’accord entre le département et l’Éducation nationale a été signé. Aujourd’hui, trente collèges bénéficient de l’intervention d’un ALSES.

Une évaluation, réalisée en septembre 2011 par le cabinet Cress, dresse un bilan très positif des interventions des ALSES en milieu scolaire. Il apparaît que ces éducateurs sont bien intégrés dans les collèges, où ils disposent d’un lieu dédié et participent aux instances internes de l’établissement (cellule de veille, commission vie scolaire, conseils de classe et parfois instances disciplinaires). Ainsi, malgré un statut associatif qui pourrait les marginaliser par rapport aux fonctionnaires et agents du service public, ils apparaissent comme des acteurs crédibles et légitimes aux yeux des autres intervenants scolaires.

Pour les principaux, c’est la souplesse de l’intervention, sa rapidité, la capacité de l’ALSES à intervenir en dehors des horaires scolaires et à mobiliser certaines ressources externes qui sont les plus appréciées. Pour les autres acteurs (conseiller principal d’éducation, assistants d’éducation, enseignants, infirmières), l’ALSES est aussi considéré comme une ressource complémentaire, un « collègue » pouvant amener des informations utiles et contribuer à une meilleure compréhension des difficultés rencontrées avec certains élèves.

La rapporteure est pleinement convaincue de l’utilité de l’intervention des éducateurs en établissement scolaire. Pourtant, celle-ci se heurte à certaines difficultés.

En effet, en l’absence de convention de partenariat, l’intervention des éducateurs en établissement scolaire est laissée au bon vouloir des chefs d’établissement, ce que l’ensemble des associations auditionnées par la mission d’information a pu regretter.

Par ailleurs, dans sa contribution écrite adressée à la rapporteure, la CNAPE fait état de la difficulté de mener des actions pérennes lorsque l’équipe éducative change. Mme Laure Sourmais, responsable du pôle « Protection de l’enfance » au sein de la CNAPE, note ainsi que plusieurs actions pertinentes se sont arrêtées du jour au lendemain à la suite du changement de principal, alors même que le reste de l’équipe éducative souhaitait continuer. Dans ce cas, afin de permettre la poursuite des actions, il faudrait que l’inspection d’académie soit également signataire des conventions conclues entre les services de prévention spécialisée et les établissements scolaires.

Une coopération institutionnalisée garantirait une meilleure intégration des équipes de prévention spécialisée au sein des établissements scolaires, comme c’est le cas dans le département du Nord. La rapporteure est ainsi favorable à la signature d’une convention-cadre nationale entre le ministère de l’Éducation nationale et les structures de prévention spécialisée, qui permettrait de faciliter le cadre d’intervention et d’ouvrir l’ensemble des établissements et des équipes de prévention spécialisée à une co-construction des parcours des jeunes en situation de décrochage scolaire. Un tel outil fait d’ailleurs l’objet de demandes récurrentes de la part des équipes éducatives.

Cette convention, qui doit être assez souple pour permettre des ajustements et donc une réponse au plus près des besoins, pourrait notamment prévoir la désignation d’un éducateur « référent » dans les établissements, sa présence lors des réunions avec les équipes éducatives ou encore l’accès des associations de prévention spécialisée aux infrastructures sportives.

Proposition n° 7 Élaborer une convention cadre nationale entre le ministère de l’Éducation nationale et les acteurs de la prévention spécialisée.

3. Accompagner le travail des éducateurs au regard de l’évolution des enjeux

Au cours des auditions, la rapporteure a pu constater que la prévention spécialisée était confrontée à de nouveaux enjeux susceptibles de bouleverser les méthodes de travail des éducateurs : la présence des jeunes sur internet, les rapports aux professionnels de santé, la radicalisation. Certaines initiatives audacieuses et efficaces dont elle a pris connaissance méritent à cet égard d’être signalées et généralisées sur l’ensemble du territoire.

a. La présence sur Internet

Les jeunes s’étant particulièrement approprié les nouvelles technologies et les réseaux sociaux (62), il est essentiel que les professionnels de la prévention spécialisée, jusqu’ici cantonnés à une action de rue, se saisissent de cet outil pour entrer en contact avec leur public et leur proposer un accompagnement efficace.

Lors des auditions et des visites effectuées sur le terrain, la rapporteure a pu constater que s’il existe un consensus au sein des associations sur la nécessité de développer des actions nouvelles sur internet, peu de structures, y compris les plus importantes, en ont effectivement mis en place.

La fragilisation de la prévention spécialisée ainsi que l’absence de stratégie globale portant sur le travail social sur internet n’ont pas permis de développer une action spécifique sur les réseaux sociaux par les éducateurs spécialisés. Un travail de réflexion sera probablement indispensable à moyen terme pour s’adapter aux nouvelles pratiques de la jeunesse. La prévention spécialisée a en effet vocation à toucher tous les publics, y compris ceux qui ne peuvent pas être atteints par le seul travail de rue.

La rapporteure considère néanmoins qu’une piste efficace à court terme consisterait à associer davantage les structures de la prévention spécialisée à une expérimentation menée à l’initiative de la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), les « promeneurs du net ».

Certains départements (63), en association avec les caisses d’allocations familiales (CAF), ont en effet mis en place un dispositif particulier, en s’appuyant sur une expérience suédoise (64). La démarche a pour objet de faire entrer des professionnels de la jeunesse (éducateur, animateur, etc.) en relation avec des jeunes sur internet pour leur apporter écoute, conseil ou soutien à leurs projets. L’objectif est de « faire partie des réseaux des adolescents » et lier, comme dans la rue, des contacts de confiance avec eux.

En pratique, chaque « promeneur » dispose d’un profil personnel sur Facebook, est identifié par son nom et le logo officiel du dispositif. Il publie des informations ou actualités sur son profil, peut animer un groupe Facebook et avoir une conversation privée avec un jeune via une messagerie instantanée.

Dans le Cher, l’outil est particulièrement développé. Les « promeneurs » disposent d’un site Internet dédié (65) et leurs actions se développent dans le cadre d’une « charte des promeneurs du Net du Cher ». Celle-ci rappelle les engagements pris par les structures participant à l’expérimentation (66), les missions des « promeneurs » (67) et les valeurs dans lesquelles s’inscrit cet outil (68).

Un guide de déploiement national, interne à la CAF, a été rédigé et une journée nationale de lancement organisée à Bourges en septembre 2016 avec les services de l’État et de la branche Famille de la sécurité sociale.

Il est déjà prévu que l’expérience des « promeneurs du Net » s’étende à de nouveaux départements, prouvant que les travailleurs sociaux n’ont aucun mal à se saisir des outils des nouvelles technologies. M. Yann Le Gall, « promeneur du Net » à Cherbourg, analyse ce dispositif comme le « prolongement d’une fonction déjà assurée » qui doit être davantage intégrée au quotidien des professionnels.

Outre les éducateurs spécialisés, peuvent être associés à cette démarche des médiateurs numériques, des animateurs jeunesse ou des accueillants-écoutants des maisons des adolescents (MDA). La pluridisciplinarité est en effet un gage de qualité de la prise en charge.

Les travailleurs sociaux deviennent « promeneurs du Net » environ 30 heures par semaine (du lundi au samedi), sur leur temps et lieu de travail. Le dispositif ne nécessite pas d’aménagement particulier, les professionnels utilisant leur poste de travail pour se connecter aux réseaux sociaux.

L’initiative, relativement simple à mettre en place, doit être poursuivie et généralisée. Dans cette perspective, les éducateurs constituent vraisemblablement un vivier important et qualifié de « promeneurs ». Les ministères qui pilotent ces actions doivent donc mieux associer les instances représentatives de la prévention spécialisée, notamment en cas de généralisation de l’expérimentation.

Proposition n° 8 Mieux faire connaître l’initiative des « promeneurs du net » aux départements et aux structures de prévention spécialisée afin de généraliser le développement d’actions spécifiques sur internet

b. Les complémentarités avec le secteur de la santé

En raison de leur proximité avec des publics vulnérables, les éducateurs de rue ont un rôle fondamental de repérage précoce des souffrances psychiques. Ils remontent des informations sur des personnes ayant des pathologies psychiques importantes, souvent mal, voire non diagnostiquées.

Le rôle des éducateurs est alors d’assurer un relais vers des structures partenaires spécialisées, comme les maisons des adolescents, lieux d’accueil, d’information et d’orientation pour les adolescents, leurs familles et les professionnels, ou les points accueil écoute jeune (PAEJ), ciblés sur des missions de soutien, de sensibilisation et de médiation auprès de jeunes exposés à des situations à risque et leurs familles. Ainsi à Issy-les-Moulineaux, les équipes de prévention spécialisée ont participé à la création d’un espace santé jeunes dans le cadre d’une expérience communale, le CLAVIM (Cultures, Loisirs, Animations de la ville d’Issy-les-Moulineaux), au sein d’une maison des adolescents. La structure permet d’accueillir des jeunes pour des problèmes de santé de faible intensité tout en respectant le principe de confidentialité.

La plupart des associations de prévention spécialisée recommandent de former des équipes pluridisciplinaires, constituées d’éducateurs de rue et de professionnels spécialistes, notamment des psychologues. Ces équipes permettent de dédramatiser le recours à cette spécialité pour des jeunes qui n’y auraient pas spontanément recours.

L’accompagnement de la démarche socioprofessionnelle de certains jeunes peut poser d’importantes difficultés lorsqu’ils souffrent de troubles psychiques ou mentaux particuliers. L’action complémentaire des psychologues est alors indispensable au déploiement efficace de la prévention spécialisée.

L’Association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Puy-de-Dôme (ADSEA 63), a évoqué avec la rapporteure les problématiques d’une « bivulnérablilité » (69) caractérisée par un « cercle vicieux » entre santé et précarité. L’association souligne le recul de la prise en charge sanitaire et sociale, dû au manque d’effectifs et de moyens, notamment en psychiatrie.

La rapporteure rappelle donc qu’il est primordial d’associer d’autres professionnels aux actions des éducateurs de rue, pour proposer une prise en charge adaptée et complète aux personnes accompagnées. Des expériences ont été menées dans plusieurs départements à ce sujet.

Le Jura a ainsi financé pendant trois ans une action visant à ce que les éducateurs de rue soient accompagnés sur le terrain par une psychologue, permettant de faire le lien avec le soin. Une expérience similaire a été suivie entre 2009 et 2010 dans un territoire de l’est de la France, financée par le Haut-commissariat à la jeunesse (70).

Dans les Hauts-de-Seine, le centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre a mis en place des équipes mobiles psychiatrie-précarité rattachées aux établissements publics de santé.

Dans le Nord, l’APSN dispose également d’équipes mobiles de psychologues de rue. Leur mission est de « dédramatiser » les fonctions du psychologue en rendant celui-ci disponible et accessible et en répondant plus directement aux demandes des jeunes (soutien, conseil, information). Leur action vise principalement les jeunes de 10 à 25 ans, mais également leur famille, parfois impuissante face à leur comportement ou en rupture avec eux.

Leur financement demeure néanmoins précaire, puisqu’il repose sur un appel à projet « politique de la ville » renouvelé annuellement et une subvention complémentaire de l’agence régionale de santé (ARS) sur le budget « prévention ».

Ces initiatives, qui permettent à des personnes ou des familles éloignées des structures de soins « traditionnelles » de s’en rapprocher, sont absolument indispensables au regard des risques qui résultent de l’ignorance des problèmes de santé. La prévention spécialisée joue ainsi un rôle d’accompagnateur sur le terrain ou d’orientation en amont vers des structures adéquates pour la prise en charge.

La rapporteure insiste également sur l’intérêt de développer d’autres partenariats, bien au-delà de la seule question de la santé mentale.

Elle souhaite que soit développée la collaboration avec les structures d’accès aux soins, notamment les dispensaires et les relais de santé, qui exercent des missions d’information, d’écoute et d’orientation vers des structures médico-sociales de proximité et peuvent à ce titre être un relais efficace aux interventions des éducateurs de rue.

Pour faciliter ce rapprochement, il serait particulièrement utile de renforcer la participation de la prévention spécialisée aux instances des structures sanitaires (comité de pilotage, d’orientation, de surveillance) et à la création de structures accueillant spécifiquement les publics accompagnés par la prévention spécialisée.

L’ADSEA 63 a ainsi signalé à la rapporteure l’exemple de l’association CADIS, créée en 1993 en Auvergne. Structure d’accueil spécialisée sur les questions sexuelles (71), elle travaille plus globalement sur l’accès aux droits, aux soins et à la santé des personnes migrantes ou en situation de précarité. Elle est un outil de diffusion de l’information auprès des professionnels et du public.

Proposition n° 9 Favoriser le rapprochement des acteurs de la politique de santé et de la prévention spécialisée en permettant aux éducateurs de participer aux instances de pilotage des structures sanitaires et en promouvant la création de structures-relais pour les publics communs.

c. La participation aux actions de prévention de la radicalisation

Ainsi que l’a fait remarquer le président du comité de prévention spécialisée de Paris, M. Jean Rouche (72), la prévention spécialisée n’a pas vocation à connaître de la « vraie radicalisation » qui suppose une disparition totale du jeune ou en tout cas une absence totale de contact avec l’extérieur.

Comme en matière de prévention de la délinquance, la prévention spécialisée peut, grâce à des méthodes qui ont fait leurs preuves, apporter un précieux concours à la lutte contre les extrémismes religieux ou politiques. Elle est en mesure d’assurer une prévention secondaire (73) en prenant en charge individuellement et collectivement des personnes radicalisées ou des familles.

Deux fiches du guide réalisé par le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) (74) traitent de cette mission particulière :

– la première concerne l’accueil, l’accompagnement, la prise en charge psychologique des mineurs, de jeunes majeurs et de leurs familles ; les éducateurs peuvent alors participer au travail dans le cadre d’une maison des adolescents ou d’un point d’accueil écoute jeune en soutien à des psychologues ;

– la seconde concerne l’accompagnement d’un « séjour de rupture » pour un jeune en situation de radicalisation djihadiste ; l’éducateur spécialisé peut devenir un référent assumant une fonction d’apprentissage de valeurs pendant six à dix semaines.

Ainsi, en coopération avec la préfecture de région, l’ADDAP13 a mis en place une cellule d’écoute et d’accompagnement des familles en vue de les aider à faire face à une emprise mentale sur un proche. Les éducateurs rencontrent les familles, leur fournissent des conseils psychologiques, juridiques et d’orientation vers des professionnels de santé. D’autres associations sont particulièrement impliquées, comme l’AGASEF dans la Loire et Itinéraires dans le Nord.

Le positionnement de la prévention spécialisée vis-à-vis de situations de radicalisation plus avancées reste à déterminer, notamment au regard de la création de centres de lutte contre la radicalisation. La pertinence d’une présence d’éducateurs spécialisés dépendra du contenu que l’on donnera à ces centres.

La rapporteure, se faisant l’écho de nombreuses associations rencontrées, insiste sur le fait que, aussi utiles que puissent être les actions de dé-radicalisation menées par des associations de prévention spécialisée, celle-ci ne saurait se consacrer à titre principal à cette mission sans dévoyer ses principes fondateurs et sans oublier une large part de son public naturel, d’autant qu’elle mène dans son travail quotidien dans la rue une action de prévention primaire.

La rapporteure doit néanmoins saluer la capacité d’adaptation et la qualité du dialogue trouvé au niveau national entre le CNLAPS et la CNAPE, d’une part, et le CIPDR d’autre part. La convention de partenariat du 14 octobre 2016 rappelle ainsi, dans son article 3, que « la prévention spécialisée participe aux actions de prévention du plan contre la radicalisation mis en place par le Gouvernement depuis avril 2014 ». Le CNLAPS et le CIPDR travaillent actuellement à la conception d’un référentiel des actions de prévention spécialisée concernant l’accompagnement des familles et des jeunes. Le CIPDR et la CNAPE organisent par ailleurs depuis 2014 des sessions de formation nationales pour les professionnels.

Proposition n° 10 Répertorier les bonnes pratiques en matière de prévention de la radicalisation pour mieux les diffuser dans les territoires où la prévention spécialisée n’est pas encore sollicitée.

D. ADAPTER LA FORMATION DES ÉDUCATEURS

Le principal instrument de la transformation du métier d’éducateur est la formation des professionnels de la prévention spécialisée. L’une des singularités de la prévention est de disposer depuis longtemps de travailleurs sociaux très qualifiés. Satisfaisantes, les formations initiale et continue doivent néanmoins s’adapter aux nouveaux enjeux, notamment au besoin de spécialisation.

1. Une formation initiale de trois ans à compléter

La rapporteure rappelle que les éducateurs de rue reçoivent une formation initiale de qualité, fondée sur un tronc commun à l’ensemble des travailleurs sociaux. Elle souhaite cependant que la fin du cursus soit davantage tournée vers la spécialisation, afin de mieux préparer au métier d’éducateur de rue.

a. Une formation initiale fondée sur un tronc commun à tous les travailleurs sociaux

Les éducateurs de rue sont des travailleurs sociaux dont la formation est certifiée par un diplôme. Un éducateur peut s’orienter vers l’accompagnement de l’inadaptation sociale – c’est alors un éducateur spécialisé – ou vers le secteur de la petite enfance, en tant qu’éducateur de jeunes enfants (EJE).

Le concours d’éducateur spécialisé est accessible aux titulaires du baccalauréat, du diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU), du diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS) ou du certificat d’aptitude aux fonctions d’aide médico-psychologique, les deux dernières qualifications devant avoir été exercées pendant cinq ans. Des classes préparatoires au concours sont proposées par des établissements privés.

Après l’admission au concours, la formation initiale dure trois ans. Elle alterne les cours théoriques et les stages. Plusieurs écoles de formation à l’éducation spécialisée sont réparties sur le territoire, notamment les instituts régionaux du travail social.

Les centres de formation initiale au travail social

Selon l’article L. 451-2 du code de l’action sociale et des familles, « la région définit et met en œuvre la politique de formation des travailleurs sociaux ». À ce titre, elle finance et agrée (75) au nom de l’État les établissements, publics ou privés, de formation initiale au travail social.

En France, il y a aujourd’hui plus de 420 établissements de formation (76), ayant majoritairement un statut associatif, dont 22 instituts régionaux de travail social (IRTS). Ceux-ci sont des établissements d’enseignement supérieur professionnels agréés comme centres de formation depuis 1986.

Il existe d’autres organismes agréés, parfois spécifiques à une région : les instituts pour le travail éducatif et social (ITES), l’institut régional et européen des métiers et de l’intervention sociale (IREIS), l’école supérieure en travail éducatif et social (ESTES), le centre de formation des travailleurs sociaux en Guadeloupe (CFTS), etc.

Les dispositions réglementaires (77) prévoient que sont dispensés aux futurs éducateurs spécialisés des cours de communication professionnelle en travail social (78), d’implication dans les dynamiques partenariales institutionnelles et interinstitutionnelles, d’accompagnement social et éducatif spécialisé et de conception et conduite de projet éducatif spécialisé.

Les élèves éducateurs doivent également effectuer trois ou quatre stages de deux à six mois, « représentatifs d’expériences diversifiées en termes de publics et de modalités d’intervention » (79). L’un de ces stages doit être effectué en internat, c’est-à-dire dans un foyer de vie, un centre d’accueil pour les demandeurs d’asile (CADA) ou une maison d’enfants à caractère social (MECS) par exemple.

b. Une formation très limitée au travail de rue

Le module de formation au travail de rue est quant à lui limité à une unique journée sur les trois années de cursus et trop peu de jeunes sont accueillis en stage par les structures de prévention spécialisée pendant leur formation initiale, en raison d’un manque d’orientation mais aussi de moyens pour rémunérer les stagiaires. Or, la formation effective à cette spécialité s’effectue en situation concrète, une fois l’éducateur « sur le terrain ». Cette formation est dès lors insuffisante au regard de la difficulté intrinsèque au travail de rue. Malgré les efforts fournis par les associations à la prise de poste, le développement de cette compétence essentielle des éducateurs devrait donc être renforcé dès la formation initiale.

Le diplôme d’État d’éducateur spécialisé (DEES) est délivré à l’issue de cette formation (80). Les éducateurs spécialisés peuvent alors être employés dans des secteurs variés, comme l’aide sociale à l’enfance, la prévention spécialisée, l’urgence et la précarité, la psychiatrie ou le handicap, etc.

Certains éducateurs sont également titulaires de diplômes universitaires complémentaires : diplôme universitaire « adolescents difficiles » ou cursus en sciences de l’éducation, par exemple.

Pour la rapporteure, il ne faut pas revenir sur le niveau très élevé de compétence exigé des éducateurs mais leur permettre d’acquérir une meilleure connaissance du travail de rue dès la formation en école ou en IRTS, que ce soit à travers des modules ou au moyen de stages.

c. Une meilleure préparation au travail collectif à développer

Les fédérations d’associations, telles que la CNAPE, considèrent que la formation initiale des éducateurs spécialisés n’aborde pas suffisamment la dimension collective de leur profession. La rapporteure ne peut qu’appuyer cette analyse et renvoyer aux conclusions des rapports des États généraux du travail social pour encourager une modernisation de la formation en ce sens. La mission principale des travailleurs sociaux – en particulier des éducateurs spécialisés – est de réadapter les personnes en situation d’inadaptation sociale. Leur action est donc, par nature, ciblée sur un individu.

Or, les problèmes auxquels sont aujourd’hui confrontés ces publics ont une dimension collective et sociétale que la formation des travailleurs sociaux ne prend pas suffisamment en considération.

Le rapport des États généraux du travail social de février 2015 (81) souligne la nécessité pour la formation initiale d’« investir les enjeux de la cohésion sociale, à l’échelle des territoires » (82). Il oppose l’intervention sociale dite « classique », centrée sur l’individu, et l’intervention sociale moderne, déclinée à l’échelle de la collectivité et permettant de valoriser l’investissement des habitants des quartiers prioritaires de la ville. Il recommande donc de compléter la formation des travailleurs sociaux par une meilleure prise en compte de la dimension collective de leurs métiers. L’Association nationale des assistants de service social (ANAS) affirme que les professionnels « doivent s’engager dans un processus de formation continue leur permettant d’approfondir la question de l’action collective et du diagnostic à l’échelle d’un territoire » (83).

Le rapport propose en ce sens plusieurs leviers de modernisation de la formation et des propositions d’action.

En matière de formation initiale, il est proposé de créer un corpus de connaissances théoriques, méthodes et techniques pour développer les approches collectives et contribuer au développement social (84).

La pluridisciplinarité est également recherchée puisqu’il est recommandé d’organiser des formations communes entre plusieurs acteurs (notamment éducateurs spécialisés, animateurs, etc.) sur un même territoire (85). Ces formations permettraient d’inclure les habitants des quartiers et les personnes concernées pour faire émerger une culture et des compétences communes.

La proposition 19 du rapport précité vise à réformer les formations à l’animation pour y intégrer la notion d’« animation à visée de développement social ».

Dans une dimension strictement professionnelle, est envisagée l’inscription du développement et du travail social dans les répertoires métiers (86), les référentiels métiers (87) et d’activité, les fiches de poste des travailleurs sociaux, animateurs et intervenants du champ de la politique de la ville (88).

Le rapport remis au Premier ministre par Mme Brigitte Bourguignon, députée, en juillet 2015 (89), s’attache également à valoriser les méthodes d’intervention collective au sein des formations initiales et continues. Doivent ainsi être développées l’aptitude à l’animation collective et la résolution des conflits (90), l’habileté à repérer, conforter et promouvoir chez autrui ces compétences (91).

Sans remettre en cause la qualité et l’efficacité des formations initiales actuelles, Mme Bourguignon, rejointe en cela par la rapporteure, estime qu’une réflexion devra être prochainement amorcée quant à la modernisation des formations des travailleurs sociaux, dans un souci de décloisonnement.

Ainsi, le rapport précité souligne la nécessité d’affirmer l’« approche pluridisciplinaire » de la formation, en prévoyant notamment des temps communs de formation ou un effort de remembrement (92).

Selon l’avis des professionnels et employeurs, la création d’un socle commun de compétences est pertinente pour assurer l’émergence d’une culture interprofessionnelle et d’une identité professionnelle des travailleurs sociaux. Cette proposition avait déjà été émise par la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale en février 2015. Le rapport de Mme Laurence Bourguignon souligne néanmoins le risque de voir disparaître la complémentarité des métiers en cas d’uniformisation des diplômes.

Une autre proposition vise à mettre en place des modules optionnels de spécialisation approfondie lors des six premiers mois de la dernière année d’études, notamment en matière de prévention spécialisée. Le CNLAPS adhère à cette idée puisqu’il considère comme « très utile de renforcer l’approche de la prévention spécialisée que peuvent avoir les étudiants en formation initiale d’éducateurs ».

S’agissant des questions de laïcité, Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, et Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, soulignaient dans leur lettre de mission à M. Michel Thierry, vice-président sortant du Conseil supérieur du travail social, que si les travailleurs sociaux « sont parfaitement conscients de leur rôle dans la transmission des valeurs républicaines », ils sont confrontés à des phénomènes de radicalisation « qui interrogent leurs pratiques » et dont il est nécessaire que « l’appareil de formation se saisisse ». Le rapport issu de ces travaux (93) préconise un module obligatoire de formation à la laïcité.

Ce projet de modification des modalités de la formation devrait permettre d’appréhender efficacement les nouveaux enjeux sociétaux et encourager les vocations en matière de prévention spécialisée.

L’attractivité du métier, directement liée à la capacité de la formation initiale à présenter avantageusement la profession et à y préparer dans de bonnes conditions, est un élément essentiel dans la mesure où les éducateurs spécialisés doivent autant que possible recevoir une formation initiale de travailleur social. Or, encore aujourd’hui, une part importante des recrutements concerne des personnels n’ayant bénéficié d’aucune formation dans le champ de l’éducatif ou de l’animation.

Proposition n° 11 Dans le cadre de la réflexion menée sur la formation des travailleurs sociaux, mieux prendre en compte la spécificité de la prévention spécialisée en développant des contenus spécifiques en lien avec la profession, notamment en fin de cursus.

2. Une formation continue trop dépendante des moyens de l’employeur

La formation continue des éducateurs de rue est de la responsabilité de l’employeur, c’est-à-dire dans l’immense majorité des cas des associations.

Des modules de formation sont régulièrement proposés par les grands réseaux représentatifs des acteurs de la prévention spécialisée que sont la CNAPE et le CNLAPS (94). En janvier 2017, le CNLAPS organise son séminaire national sur le thème de la radicalisation des jeunes. Ces deux « têtes de réseau » rappellent que leurs adhérents sont en demande de nouvelles formations, mieux ciblées sur la promotion du milieu de vie ou la prise en charge collective, qui semblent actuellement faire défaut.

La rapporteure estime que le statut associatif de la plupart des structures gérant la prévention spécialisée ne saurait justifier l’absence d’efforts spécifiques de financement de la formation par les collectivités compétentes et l’État. La formation continue prend en effet une importance d’autant plus décisive dans la transformation du métier d’éducateur de rue qu’elle est la condition de son adaptation aux nouveaux enjeux : intervenir sur internet, mieux travailler avec les acteurs de l’école ou de la santé, s’adapter aux nouvelles missions tenant à la prévention de la radicalisation et à la promotion de la laïcité, construire des contre-discours face aux extrémismes nécessite un accompagnement dans le développement de nouvelles compétences qui n’étaient pas nécessairement demandées aux éducateurs.

Un exemple d’effort de formation continue sur crédits budgétaires :
la formation sur la radicalisation

Depuis 2014, le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) organise des formations sur la prévention de la radicalisation, financées par le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).

Ces sessions s’adressent à des acteurs divers, tels les services de l’État ou des collectivités territoriales, les entreprises et les associations de prévention spécialisée ou de médiation sociale. Elles précisent notamment les réponses publiques à l’accompagnement des familles confrontées à ce phénomène social.

Un programme d’e-formation a également été créé, sous la forme d’une dizaine de vidéos sur les principaux thèmes (95).

Ainsi, la rapporteure considère que confier de nouvelles missions à la prévention spécialisée devrait systématiquement s’accompagner de la mise en place de plans de formation financés par la collectivité responsable ou l’État le cas échéant.

Proposition n° 12 Inciter les collectivités et l’État, lorsqu’ils associent la prévention spécialisée à des nouvelles missions, à concevoir et à financer en partenariat avec les associations gestionnaires un plan de formation pour les éducateurs concernés.

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Lors de sa réunion du mardi 31 janvier 2017, la mission d’information a adopté le présent rapport à l’unanimité.

LISTE DES PROPOSITIONS

Proposition n° 1 Élaborer un guide national d’évaluation de la prévention spécialisée.

Proposition n° 2 Mettre en place, au sein du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), une commission permanente consacrée à la prévention spécialisée.

Proposition n° 3 Élaborer un texte réglementaire définissant les orientations doctrinales fondamentales et précisant le positionnement de la prévention spécialisée.

Proposition n° 4 Évaluer, à moyen terme, le dispositif de métropolisation pour déterminer notamment si le conventionnement fonctionne sur des diagnostics partagés, si la nature et le financement des missions sont maintenus et si l’efficacité des actions de prévention spécialisée est améliorée.

Proposition n° 5 Favoriser une contractualisation pluriannuelle avec l’ensemble des partenaires financeurs.

Proposition n° 6 Réécrire les dispositions du code de l’action sociale et des familles afin d’établir clairement le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée et afin de donner une base légale au juge pour constater une carence manifeste en matière d’habilitation.

Proposition n° 7 Élaborer une convention cadre nationale entre le ministère de l’Éducation nationale et les acteurs de la prévention spécialisée.

Proposition n° 8 Mieux faire connaître l’initiative des « promeneurs du net » aux départements et aux structures de prévention spécialisée afin de généraliser le développement d’actions spécifiques sur internet.

Proposition n° 9 Favoriser le rapprochement des acteurs de la politique de santé et de la prévention spécialisée en permettant aux éducateurs de participer aux instances de pilotage des structures sanitaires et en promouvant la création de structures-relais pour les publics communs.

Proposition n° 10 Répertorier les bonnes pratiques en matière de prévention de la radicalisation pour mieux les diffuser dans les territoires où la prévention spécialisée n’est pas encore sollicitée.

Proposition n° 11 Dans le cadre de la réflexion menée sur la formation des travailleurs sociaux, mieux prendre en compte la spécificité de la prévention spécialisée en développant des contenus spécifiques en lien avec la profession, notamment en fin de cursus.

Proposition n° 12 Inciter les collectivités et l’État, lorsqu’ils associent la prévention spécialisée à des nouvelles missions, à concevoir et à financer en partenariat avec les associations gestionnaires un plan de formation pour les éducateurs concernés.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission des affaires sociales procède à l’examen du rapport d’information sur l’avenir de la prévention spécialisée (Mme Kheira Bouziane-Laroussi, rapporteure).

M. Jean-Patrick Gille, président. Notre commission a décidé de créer une mission d’information relative à l’avenir de la prévention spécialisée et a désigné, le 4 mai dernier, notre collègue Kheira Bouziane comme rapporteure.

Voici venu le moment d’entendre les conclusions de cette mission, qui a donné lieu à des déplacements sur le terrain, à Dijon, Metz et Marseille, et jusqu’à Molenbeek, en Belgique.

Mme Kheira Bouziane-Laroussi, rapporteure de la mission d’information. Le rapport que je vous présente aujourd’hui est le fruit de six mois de travail de la mission d’information, présidée par notre collègue Denis Jacquat, que je tiens à remercier pour les excellentes conditions dans lesquelles nous avons travaillé.

Ce rapport arrive au bon moment pour les acteurs de la prévention spécialisée, ainsi que le montrent l’intérêt qu’ils ont porté à nos auditions et l’accueil que nous avons reçu lors de nos déplacements.

Les 2 000 éducateurs spécialisés de France sillonnent chaque jour nos territoires en difficulté pour aller à la rencontre de jeunes marginalisés, isolés, parfois en danger, ainsi que de leurs familles. Ils établissent avec ces jeunes des liens de confiance pour les orienter vers les dispositifs de prise en charge les plus adaptés, dont les missions locales, qui sont des partenaires privilégiés.

Ce travail remarquable et indispensable est, cependant, insuffisamment connu, voire reconnu. Il s’agit pourtant d’une mission de service public, comme l’a rappelé très clairement M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports lorsque nous l’avons auditionné. Compétence des départements depuis le mouvement de décentralisation en 1983 et en 1986, la prévention spécialisée est, à juste titre, adossée à la protection de l’enfance.

La singularité du travail de la prévention spécialisée est connue par les professionnels, par ceux qui en bénéficient, ainsi que par les départements les plus impliqués. L’action des éducateurs de rue est basée sur des principes essentiels : la libre adhésion, l’anonymat, la non-institutionnalisation de la pratique et le travail avec l’ensemble des interlocuteurs institutionnels pertinents.

Les éducateurs s’adaptent aux réalités du terrain pour intervenir sur place aux moments les plus adéquats. On les situe plus facilement dans les zones urbaines, mais aussi sur les territoires ruraux, de façon insuffisante à mes yeux. Ils travaillent de jour comme de nuit, en semaine, le week-end, pendant les vacances scolaires et à tout moment qu’ils jugent opportun pour leur action.

Malgré le professionnalisme et la souplesse dont font preuve les éducateurs spécialisés, comme les précieux généralistes de l’aide et de l’accompagnement, la profession subit aujourd’hui, selon le sociologue Laurent Mucchielli, une crise profonde qui pourrait remettre en cause son existence même dans certains territoires où elle apparaît indispensable. Mal connue et mal considérée, difficilement évaluable quant à ses effets directs et de court terme, variable d’ajustement des budgets départementaux, la prévention spécialisée souffre dans notre pays.

Elle souffre d’abord d’une baisse très importante de son financement, alors que ses missions sont en train de s’étendre à de nouveaux domaines, comme la prévention de la délinquance ou de la radicalisation.

Elle souffre également d’une difficulté de positionnement par rapport à son rôle éducatif et préventif. Dans ce contexte difficile, le présent rapport entend tirer toutes les conséquences d’un constat simple, mais fondamental : la prévention spécialisée est une politique publique essentielle pour notre jeunesse, surtout celle qui est le plus en difficulté, et l’on ne peut donc pas la priver de ses moyens, même si elle doit être réinterrogée dans ses pratiques, comme en conviennent les professionnels.

Les travaux de la mission ont permis d’identifier plusieurs pistes de nature à consolider la place de la prévention spécialisée. En effet, la prévention spécialisée a besoin de visibilité et elle manque de cadrage. Nous avons pu constater un véritable besoin d’orientation pour l’exercice des missions des éducateurs de rue. Il nous semble qu’il revient à l’État, qui n’a plus produit de référentiels depuis 1972, de fixer ce cadre. D’ailleurs, la direction générale de la cohésion sociale a été mandatée par le ministre de la ville et la ministre des familles pour établir un guide national, qui devrait paraître prochainement.

Le rapport que je vous présente est favorable à l’élaboration d’un texte réglementaire rappelant plus précisément le contenu et le positionnement de la prévention spécialisée. Il propose également d’élaborer un guide d’évaluation de la prévention spécialisée sur lequel les conseils départementaux pourront s’appuyer pour travailler en confiance avec les associations, avec des critères objectifs, clairs et standardisés.

Il convient aussi de donner une place mieux identifiée à la prévention spécialisée dans le pilotage national de la politique de l’enfance. Ceci devra passer par la mise en place, au sein du nouveau Conseil national de la protection de l’enfance, d’une commission permanente spécifique à ce domaine. Elle permettra de construire, au-delà des nécessaires moments de prise de conscience ponctuels, une interaction régulière avec les professionnels de la prévention spécialisée, les services de l’État et les collectivités.

Lors de cette mission, nous avons identifié plusieurs difficultés que rencontre la prévention spécialisée et, en premier lieu, le besoin d’un financement pérenne.

Le pilotage national des grandes orientations doit être complété par une réflexion portant sur la gestion territoriale de cette politique décentralisée. Le rapport que je vous présente insiste sur le rôle primordial que joue et que doit continuer à jouer le département dans la coordination et le financement du travail des associations gestionnaires. Le rapport insiste également sur l’importance que doit prendre la contractualisation pluriannuelle pour sécuriser les financements et permettre un travail efficace.

La forme associative de l’immense majorité des services de prévention spécialisée ne peut justifier les politiques soudaines, parfois drastiques, de diminution des budgets, qui sont constatées dans certains départements. Certains ont même fait disparaître ce financement.

Le rapport s’engage également sur un diagnostic partagé par l’ensemble des acteurs rencontrés : le caractère facultatif de la prévention spécialisée dans les compétences du département contribue à sa fragilité.

Sur le plan juridique, il s’avère que, si une collectivité a établi une convention avec une association, elle est tenue de la financer.

Cependant, dans la réalité, ces conventions peuvent être facilement remises en cause puisque le département peut estimer, sans recours juridique possible pour les associations, qu’il n’y a plus besoin de prévention spécialisée sur son territoire. Le rapport propose donc de clarifier le cadre juridique et d’inscrire dans la loi le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée, au même titre que les autres dimensions de l’aide sociale à l’enfance.

Aujourd’hui, la prévention spécialisée doit faire face à de nouveaux défis. Le rapport fait des propositions et donne des pistes de travail pour rendre son action encore plus pertinente. Partant du constat que la grande majorité des jeunes suivis est en situation de rupture ou de décrochage scolaire, le rôle essentiellement éducatif de la prévention spécialisée doit passer par un renforcement de son rapport avec le cadre scolaire.

Les établissements scolaires apparaissent comme des lieux d’intervention incontournables pour la prévention spécialisée, dans la mesure où l’un des premiers signes révélateurs des difficultés chez les jeunes est la rupture avec l’institution scolaire. Des expériences existent sur le terrain, mais le rapprochement est jusqu’ici trop dépendant de la bonne volonté des chefs d’établissement. Notre rapport préconise l’élaboration d’une convention-cadre nationale avec le ministère de l’éducation nationale.

Par ailleurs, si la rue reste un lieu d’intervention classique de la prévention spécialisée, force est de constater qu’aujourd’hui, les jeunes sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux. Il est donc important de compléter le travail de rue par une intervention des éducateurs sur le net. Cet enjeu est bien intégré par les associations, qui ne savent cependant pas toujours y faire face ou qui n’en ont pas les moyens. Le rapport préconise de s’appuyer sur la démarche du ministère de la ville, dite les « Promeneurs du Net ». Ce dispositif permet de développer une présence sur les réseaux sociaux pour prolonger le suivi des jeunes rencontrés dans la rue ou pour toucher des publics tout aussi marginalisés, mais qui ne sont pas présents dans l’espace public.

Au fil des travaux de la mission, ont été évoquées, parmi les difficultés que rencontrent les jeunes, celles liées à la santé, comme les problèmes d’ordre psychique ou mental, ou encore d’addiction. Le rapport préconise un rapprochement avec les structures sanitaires via la participation des éducateurs de rue aux instances de pilotage ou à la création de structures relais adaptées aux publics de la prévention spécialisée. À la problématique de la santé, on pourrait ajouter celles du logement, de la formation, des loisirs, voire, pour certains jeunes, de la subsistance.

Le rapport met également en lumière la nécessaire adaptation de la formation des intervenants.

La question de la formation des éducateurs a jusqu’ici été souvent négligée, faute de moyens. Il est vrai que les éducateurs spécialisés sont des professionnels reconnus et appréciés. Néanmoins, des améliorations significatives peuvent être recherchées. La formation initiale d’un éducateur est très généraliste et se déroule dans des structures communes préparant à d’autres professions : elle ne permet pas aux étudiants d’appréhender la nature et l’intérêt du travail de la rue. Il serait donc judicieux, pour renforcer l’attractivité de la filière et la préparation à ce métier difficile, d’approfondir la spécialisation en fin de cursus et de permettre aux étudiants d’effectuer des stages en situation réelle.

S’agissant de la formation continue et face aux nouveaux enjeux que sont la prévention de la délinquance et de la radicalisation ou encore l’intervention sur le net, les professionnels sont demandeurs de formations pour être mieux préparés et mieux équipés. Il est important que les pouvoirs publics financeurs prévoient des moyens spécifiques pour accompagner l’effort réalisé par les associations gestionnaires, au même titre que tout employeur privé. Mais vu la rareté de leurs moyens, la formation est souvent le parent pauvre de leurs actions.

Je n’ai commenté que quelques éléments du rapport très riche qui vous est proposé. Vous aurez compris que la crise de la prévention spécialisée nous oblige à rappeler à quel point ce travail est précieux pour notre jeunesse. Le rapport trace des pistes pour mettre fin au malaise des éducateurs en dessinant l’avenir d’une prévention spécialisée consolidée sur tous les plans, mieux cadrée, mieux définie, mieux financée, mieux accompagnée, pour évoluer vers de nouveaux enjeux. La « prev », comme l’appellent ceux qui la connaissent bien, pourra être enfin, selon la formule d’une professionnelle auditionnée, « une politique publique à part entière et entièrement à part ».

C’est dans cet esprit qui peut, à mon sens, être largement partagé dans notre commission, que je vous propose d’adopter ce rapport.

M. Jean-Patrick Gille, président. Monsieur Jacquat, souhaitez-vous ajouter quelques mots en tant que président de la mission d’information ?

M. Denis Jacquat, président de la mission d’information. Mme la rapporteure a été extrêmement modeste puisqu’elle n’a pas indiqué que la mission avait adopté ce rapport à l’unanimité. Je tiens également à souligner l’excellent esprit qui a présidé à nos travaux, notre objectif étant que la prévention spécialisée, si utile dans notre pays, soit défendue au plus haut niveau et, si possible, inscrite dans le marbre.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je voudrais d’abord, au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain, féliciter nos collègues pour le travail réalisé dans le cadre de cette mission. Il était nécessaire qu’une mission d’information mène une réflexion sur la prévention spécialisée afin de lui assurer une meilleure reconnaissance, ce secteur souffrant depuis plusieurs années d’une sorte d’abandon, comme l’ont précisé certains des professionnels que nous avons auditionnés.

Depuis les années soixante-dix, ce domaine d’intervention du secteur social n’avait jamais fait l’objet d’un travail approfondi ni d’une refondation, la décentralisation ayant, entre-temps, rebattu les cartes des politiques publiques de proximité. Les acteurs de terrain et les associations qui les accompagnent étaient donc dans l’attente, et parfois même découragés, parce qu’ils constataient que personne n’apportait les garanties nécessaires à leur mission, essentielle, de service public.

Je voudrais revenir sur la proposition n° 3, qui invite à élaborer un texte réglementaire définissant les orientations doctrinales fondamentales et précisant le positionnement de la prévention spécialisée. C’est un point très important, qui permettra de reprendre les choses sur le fond.

La contractualisation pluriannuelle, qui va toucher à la question sensible des financements, est aussi une proposition très attendue, car il existe, sur notre territoire, de nombreuses disparités qui mettent en difficulté les équipes de prévention spécialisée.

Enfin, la proposition n° 6 vise à réécrire les dispositions du code de l’action sociale et des familles afin d’établir clairement le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée.

Je voudrais, dans le cadre de mon intervention, faire le lien entre les propositions de cette mission et la réflexion conduite à l’époque par Mme la ministre Marie-Arlette Carlotti sur le travail social. Des états généraux ont eu lieu, qui ont permis, pendant deux ans, à l’ensemble des acteurs de travailler dans le cadre de groupes d’études, faisant apparaître la nécessité d’une clarification dans le domaine de la prévention spécialisée. C’est ce que vous confirmez dans ce rapport. À titre personnel, je m’en félicite, et notre groupe est satisfait de ce travail qui vient compléter les orientations du plan d’action sociale proposé en novembre 2016.

Quant à la question de la formation, elle est essentielle. Sa spécificité doit être mieux prise en compte dans les cursus et tout au long de la formation continue.

J’en viens à une nouvelle problématique, concernant les risques de radicalisation.

Les éducateurs de la prévention spécialisée sont au cœur du problème et ont besoin de disposer d’outils, comme les Promeneurs du Net. J’ai pu le constater moi-même dans mon département, où j’ai reçu des professionnels qui m’ont expliqué comment ils travaillaient. Autant d’éléments nouveaux qui nécessitaient un travail approfondi, ce que vous avez fait, madame la rapporteure. Cela nous permettra, dans les années à venir, de mieux relever les défis auxquels il nous faudra faire face.

Les auditions auxquelles j’ai pu participer ont montré de très fortes attentes. Nous sommes, je crois, tous d’accord pour dire que ce rapport apporte des réponses.

M. Denis Jacquat, président de la mission d’information. Madame la rapporteure, je vous remercie d’avoir présenté en détail les conclusions de la mission d’information. Je vous remercie également pour l’ensemble du travail que nous avons réalisé ensemble, et ce, en parfaite intelligence puisque nous étions l’un et l’autre entièrement convaincus de l’utilité de la prévention spécialisée.

La mission d’information sur l’avenir de la prévention spécialisée a réalisé une quinzaine d’auditions, qui nous ont permis d’entendre M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, les administrations centrales concernées, les grandes fédérations têtes de réseaux, ainsi que de très nombreuses associations de prévention spécialisée, qui ont pu nous exposer leurs difficultés.

La mission a également réalisé quatre déplacements en France, à Dijon, Metz et Marseille, mais aussi en Belgique, à Molenbeek. Ces visites nous ont permis de nous rendre compte de l’hétérogénéité de la situation de la prévention spécialisée aujourd’hui, de ses enjeux, et d’effectuer des comparaisons riches d’enseignements.

Le rapport présenté ce matin par la rapporteure reflète fidèlement les constats que nous avons pu faire en rencontrant tous ces acteurs. La prévention spécialisée est un outil très important pour permettre aux jeunes marginalisés de retrouver des perspectives. Malheureusement, elle fait l’objet d’un investissement trop inégal des conseils départementaux qui en ont la compétence – je rappelle que c’est une compétence non obligatoire – depuis les réformes de décentralisation.

Dans ce contexte financier difficile, il me semblait important que notre commission s’interroge sur l’avenir de cette mission. La rapporteure fait des propositions concrètes auxquelles je souscris totalement et qui s’appuient très largement sur ce que nous avons entendu pendant les auditions et vu lors de nos déplacements. Les éducateurs de rue, qui font un travail difficile dans les quartiers, avec beaucoup de professionnalisme, ont besoin d’un cadre juridique précis, de moyens suffisants et d’accompagnement, compte tenu de la nécessaire évolution de leur métier.

La prévention spécialisée traverse régulièrement des crises dues à son financement et à son positionnement, comme j’ai pu le constater dans d’autres fonctions lors de la décentralisation de cette mission vers les départements, en 1983 et en 1986. Dans le contexte d’une nouvelle crise due à une diminution des moyens, incompatible avec l’extension du champ d’action de la prévention spécialisée, par exemple en matière de prévention de la délinquance et du radicalisme religieux, le rapport de la mission est très attendu par les associations et les éducateurs. Je souhaite qu’il contribue, au même titre que les travaux conduits en ce moment par le Gouvernement sur ce sujet, à donner la reconnaissance qu’il mérite à ce métier essentiel pour la cohésion sociale et la protection de notre jeunesse. Nous devons renforcer les moyens d’agir sur l’ensemble de notre territoire.

Je rappelle que le texte du rapport a été adopté à l’unanimité par la mission d’information et que le groupe Les Républicains est tout à fait favorable à ce rapport.

Mme Dominique Orliac. Tout d’abord, j’aimerais féliciter notre collègue pour son rapport fort complet et détaillé, qui permet de dresser un bilan de la prévention spécialisée.

La prévention spécialisée est une mission éducative destinée à permettre aux jeunes en voie de marginalisation de rompre avec l’isolement et de retisser des liens avec le reste de la société. Nous le savons, aujourd’hui encore plus qu’hier, cette mission et les actions qui sont menées dans ce cadre sont essentielles, tant nous connaissons, malheureusement, ce qui peut résulter de l’abandon de jeunes parfois fragiles, qui partent à l’étranger ou sur le chemin de la radicalisation.

Notre groupe partage votre constat des difficultés rencontrées sur le terrain, notamment faute de moyens financiers. Les dépenses en matière de prévention spécialisée sont très faibles puisqu’elles représentent en moyenne moins de 5 % des crédits de la protection de l’enfance, comme cela figure dans votre rapport.

Bien que la prévention spécialisée soit étroitement liée à l’aide sociale à l’enfance, notre groupe a déploré, lors de l’examen du projet de loi de finances, en novembre dernier, une diminution trop importante des crédits de l'action 19 du programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Si, pour nous, radicaux de gauche, l’école de la République est l’une des bases de notre socle républicain, les activités parascolaires telles que l’engagement sportif ou le vivre-ensemble à travers la vie associative sont tout aussi importantes que l’école, et peut-être plus encore aujourd’hui qu’hier, après les attentats perpétrés dans notre pays ces deux dernières années, car c’est lors d’activités parascolaires que les jeunes peuvent se rencontrer dans un cadre différent et apprendre les valeurs de respect, d’entraide, de cohésion et de solidarité. Il est donc très important de se donner des moyens financiers afin d’encourager le vivre-ensemble, et ce, également en dehors de l’école.

Enfin, le travail des éducateurs de rue permet d’éviter certaines dépenses publiques. Les jeunes accompagnés se trouvent le plus souvent dans une situation sociale et sanitaire très difficile, en état de décrochage scolaire, dans un environnement familial dégradé ou en prise avec la délinquance. La mission des éducateurs de rue est de leur permettre de reprendre leur scolarité ou de suivre une formation, de les aider à se loger, de réduire les comportements à risques ou encore de les sortir de leur isolement par des activités collectives. Leur rôle est donc essentiel.

Les douze propositions que vous faites à la fin de votre rapport me semblent très judicieuses et très intéressantes, notamment votre proposition n° 5, qui vise à favoriser une contractualisation pluriannuelle avec l’ensemble des partenaires financeurs, et votre proposition n° 7, qui prévoit d’élaborer une convention-cadre nationale entre le ministère de l’éducation nationale et les acteurs de la prévention spécialisée.

À ce sujet, vous rapportez que vous avez rencontré des intervenants en Belgique, à Molenbeek, notamment l’association « Le Foyer ». Il serait intéressant de savoir comment sont financés les ateliers – que vous mentionnez à la page 57 de votre rapport – ayant pour objectif de développer la pensée critique, et plus généralement les actions de prévention spécialisée en Belgique. La Belgique ayant des institutions très décentralisées, je me demandais quels organismes publics, si tel était le cas, avaient la charge de financer ces actions.

M. Gilles Lurton. Je tiens d’abord à m’associer aux félicitations adressées à notre rapporteure, ainsi qu’au président Denis Jacquat, pour l’écoute dont ils ont su faire preuve au cours des quinze auditions menées par la mission d’information.

J’ai eu l’occasion de participer à toutes ces auditions et j’ai pu poser toutes les questions qui me préoccupaient sur un sujet important, qui pose malheureusement beaucoup de problèmes, du fait du renoncement de certaines collectivités locales à participer aux dépenses destinées à la prévention spécialisée. Il y a plusieurs raisons à cela.

Il y a, d’abord, la diminution des dotations de l’État aux collectivités locales et l’explosion des dépenses sociales des départements – je pense notamment à l’allocation personnalisée d’autonomie et au revenu de solidarité active (RSA) –, ce qui oblige les collectivités à se recentrer sur leurs compétences obligatoires et à laisser de côté celles qui sont facultatives.

Autre raison, sans doute : le manque de visibilité des résultats de la politique de prévention spécialisée. Il n’est pas toujours aisé, pour les professionnels de la prévention spécialisée et pour les travailleurs de rue, de quantifier le résultat de leur action. Je m’en suis entretenu à plusieurs reprises avec différents acteurs de ma circonscription, qui relatent ces difficultés et cherchent des solutions pour donner plus de transparence à leur travail.

Nous devons tous avoir conscience de ces problèmes. Si nous ne percevons pas toujours le résultat du travail des acteurs de la prévention spécialisée, je reste convaincu, pour ma part, que les élus locaux comprendront très vite dans quelle impasse nous conduira ce manque de visibilité.

Troisième raison, enfin, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a dissocié la compétence de prévention spécialisée des départements pour la confier aux métropoles. Je n’arrive toujours pas à comprendre le motif de ce transfert. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que cela a rendu la politique de prévention spécialisée illisible et inaudible pour les acteurs locaux.

Je regrette également que les travaux que nous avons menés avec Mme Bouziane-Laroussi et M. Jacquat ne nous aient pas conduits à nous pencher sur ces sujets avant d’adopter la loi relative à la protection de l’enfant. Cela nous aurait permis d’affirmer la prévention spécialisée dès l’article 1er comme un axe fondateur de la protection de l’enfant, plutôt que de la renvoyer à l’article 5 de la loi, ce que j’avais d’ailleurs fortement contesté lors de l’examen du texte.

Aujourd’hui, à l’issue de ces travaux passionnants, je me demande s’il ne conviendrait pas de rendre cette compétence à l’État afin d’avoir une politique unifiée sur l’ensemble du territoire. C’est un peu le sens de la proposition n° 2, qui vise à mettre en place, au sein du Conseil national de la protection de l’enfance, une commission permanente consacrée à la prévention spécialisée. J’en comprends bien l’objectif, mais est-ce suffisant ? L’État clarifiera-t-il vraiment sa position ?

M. Gérard Sebaoun. Merci, madame la rapporteure, d’avoir abordé le sujet de la prévention spécialisée, qui est méconnu. Pour avoir chapeauté celle-ci pendant trois ans dans mon département, je peux vous dire que j’ai eu affaire à un monde très hétéroclite, très particulier, où la confiance avec les élus n’était pas toujours au rendez-vous. Beaucoup d’élus confondaient la politique « jeunesse » et la prévention spécialisée. Et quelle que soit la majorité du moment, certains se portaient volontaires pour agir avec ces associations de terrain, alors que d’autres souhaitaient les voir n’importe où, mais pas sur leur territoire.

Par ailleurs – s’agissant des plus jeunes – il était difficile de contractualiser avec les collèges. Cela dépendait essentiellement de la qualité ou de la connaissance des principaux de collège. La tâche des acteurs de terrain s’en trouvait compliquée.

Il faudrait mener un travail auprès des élus, qui connaissent mal ce monde. Puisqu’ils sont les financeurs, ils ont l’impression de détenir les clefs de la prévention spécialisée, alors que la prévention spécialisée va bien au-delà.

Cela étant dit, madame la rapporteure, je souhaiterais vous interroger sur deux points.

D’abord, le partage des informations, qui me semble essentiel, mais que les éducateurs remettent régulièrement en cause lorsque nous en discutons avec eux.

Ensuite, une phrase de votre rapport, qui figure au début de la page 67, et que je cite : « Comme en matière de prévention de la délinquance, la prévention spécialisée peut, grâce à des méthodes qui ont fait leurs preuves, apporter un précieux concours à la lutte contre les extrémismes religieux ou politiques. »

Pour ma part, je ne sais pas qui détermine ce qui relève de l’extrémisme religieux ou politique. On voit bien à quoi cela peut mener, mais on voit bien aussi que ce type de phrase risque de semer la confusion. Nous sommes dans un pays de liberté et il est difficile d’affirmer, par exemple, face au positionnement politique de tel ou tel, que c’est un extrémiste. Je souhaiterais une réponse de votre part car cette phrase me paraît particulièrement ambigüe.

Mme Geneviève Levy. Je m’associe pleinement aux félicitations qui vous ont été adressées, et je voudrais vous apporter mon témoignage : dans ma circonscription, à Toulon, et plus largement dans le département du Var, les crédits n’ont jamais été réduits, et la prévention spécialisée y est très bien menée – principalement par une association.

Je pense que les difficultés que l’on rencontre sur le terrain sont de plusieurs ordres. D’abord, comme vient de le dire notre collègue, les contacts avec d’autres institutions, et en particulier avec l’éducation nationale, sont difficiles ; selon moi, ce serait à l’État d’intervenir. Ensuite, il manque un cadre réglementaire et juridique à ce type d’actions associatives. Enfin, il faudrait que les éducateurs soient mieux formés – c’est très demandé.

En conclusion, votre rapport constitue une excellente base de réflexion, mais il conviendrait d’aller plus loin.

M. Christophe Cavard. Je félicite moi aussi les membres de la mission, le président et la rapporteure pour leur travail, dans un domaine auquel je suis tout particulièrement sensible – pour des raisons professionnelles. Les personnels de la prévention spécialisée qui sont présents dans quasiment tous les départements – même si quelques départements ont malheureusement vu disparaître un certain nombre d’équipes – méritent toute notre reconnaissance.

J’approuve la proposition n° 6, qui vise à établir clairement le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée. Dans la mesure où cette proposition a emporté l’unanimité, j’espère qu’elle sera largement reprise par la suite, quel que soit le résultat des prochaines élections. Cette compétence n’étant pas obligatoire, la prévention spécialisée est devenue une variable d’ajustement budgétaire pour un certain nombre de départements, avec toutes les difficultés qui en découlent.

Mais je m’arrêterai plus longuement sur la proposition n° 10.

J’ai participé aux trois commissions d’enquête qui ont été créées à la suite des attentats. Celle qui était liée à l’affaire Merah s’est tenue de janvier à novembre 2015 ; elle était présidée par Eric Ciotti et son rapporteur était Patrick Menucci. En juin, j’avais fait une proposition qui a été validée par la commission d’enquête : recourir à des équipes d’éducateurs formées aux problématiques de la radicalisation, et spécialisées, notamment, dans le « désembrigadement ». Aujourd’hui, des équipes travaillent en ce sens, dans les Bouches-du-Rhône, autour de Saint-Etienne, etc. L’idée était de disposer d’équipes de professionnels, pouvant servir d’équipes référentes, dans les régions, pour d’autres professionnels – notamment des travailleurs sociaux – intervenant dans les mêmes domaines. Je pense que cette proposition pourrait faire écho à la proposition n° 10.

Je précise que la prévention spécialisée a remis au ministère de l’intérieur un guide, qui fait état de la façon dont ses équipes peuvent intervenir auprès des publics, notamment auprès des familles. Vous savez en effet que le « désembrigadement » passe aussi par les familles.

Madame la rapporteure, il me semblerait intéressant de mettre en œuvre cette proposition n° 10, en corrélation avec les travaux qui ont été menés par les commissions d’enquête.

Mme Annie Le Houérou. La prévention spécialisée a pour objectif de prévenir la marginalisation des adolescents et des jeunes adultes. Elle tient sa spécificité de ses interventions de rue, où les éducateurs vont à la rencontre des jeunes qui se mettent hors du cadre institutionnel, qu’ils rejettent en général.

La prévention spécialisée est aussi en marge de nos institutions, en marge des compétences des différentes collectivités locales définies par la loi.

Elle relève aujourd’hui de la prévention de l’enfance, à la charge des départements, lesquels ne peuvent se dérober à leur obligation par manque de moyens. Cependant, les communes et les communautés de communes ont aussi leur part de responsabilité, au titre des politiques « jeunesse ». L’État a également son rôle à jouer, par le biais de l’éducation nationale, au titre des politiques de cohésion sociale ou de la ville, voire au titre des politiques du ministère de la justice.

On mesure là toute la complexité de la mise en œuvre de la prévention spécialisée, d’autant que dans ce contexte confus et diffus, la réussite de ces politiques repose sur une parfaite complémentarité entre les différents acteurs.

Je voudrais souligner l’importance des associations, en général des associations militantes, qui se débattent pour obtenir reconnaissance et financements leur permettant de fonctionner correctement et de venir en aide aux jeunes en décrochage. Il s’agit d’apporter à ces jeunes des réponses concrètes, d’en sortir certains de l’errance, d’addictions ou de ruptures familiales qui leur enlèvent tout repère, voire de les sortir de la radicalisation.

Je pense qu’il est indispensable de clarifier encore les orientations et les compétences – c’est votre troisième proposition – et de rendre plus lisible l’action de ceux qui mettent en œuvre cette politique, en favorisant la contractualisation pluriannuelle avec l’ensemble des partenaires financeurs – c’est aussi ce que vous proposez.

Je vous remercie pour votre travail et vos propositions très concrètes et judicieuses, qui redonneront aux professionnels de la prévention spécialisée, au service de nos jeunes et de leurs familles, la reconnaissance qui leur est due. J’espère que ces propositions trouveront prochainement leur traduction.

Mme Véronique Massoneau. Mes remerciements vont à Mme Kheira Bouziane et à M. Denis Jacquat pour le travail qu’ils ont fourni. Ce rapport a pour objet d’analyser au plus près les problématiques qui traversent la prévention spécialisée. Vous avez d’ailleurs organisé plusieurs déplacements sur le terrain, ce qui vous a donné une vision précise de la situation. Et vous nous proposez des solutions.

J’observe que les évolutions récentes de la prévention spécialisée posent la question du positionnement et de la cohérence de cette politique. Parfois, elle fait partie intégrante de la politique de protection de l’enfance, et parfois, elle est intégrée à la politique de la ville et à la prévention de la délinquance. Il serait nécessaire de définir clairement les contours et le cadre dans lesquels s’inscrit la prévention spécialisée.

On l’a dit, la prévention spécialisée est bien une politique appartenant au champ de protection de l’enfance. Elle participe, par ses actions de prévention, de manière générale, à la prévention de la délinquance, et même à la prévention de la radicalisation depuis plusieurs années – sans que ce soit son but premier.

Parfois, la prévention spécialisée est « diluée » dans la politique de la ville. Or les zones d’intervention et de besoins de la prévention spécialisée ne correspondent pas nécessairement à la géographie prioritaire de la politique de la ville. Des interventions sont, par exemple, menées en zone rurale auprès de jeunes ayant des difficultés sociales très importantes.

Pouvez-vous nous donc en dire plus sur le positionnement des acteurs de la prévention spécialisée vis-à-vis des politiques de prévention de la délinquance et de la politique de la ville ?

M. Rémi Delatte. Je m’associe bien sûr aux compliments qui ont été adressés à Mme Kheira Bouziane et M. Denis Jacquat pour ce rapport tout à fait intéressant, utile pour mieux positionner la prévention spécialisée.

Je voudrais simplement reprendre la proposition n° 5 : « Favoriser une contractualisation pluri-annelle avec l’ensemble des partenaires financiers ». Je pense qu’il faudrait aller au-delà et développer une relation de réseaux, en particulier avec les services municipaux, le cas échéant avec les services communautaires, notamment dans le cadre du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), où la prévention spécialisée a toute sa place.

L’idée est de pouvoir renforcer, autour des jeunes en difficulté, les moyens de les aider, de les accompagner pour les sortir des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Ce serait une vraie reconnaissance pour les professionnels qui sont, à un moment ou à un autre, des acteurs de la vie locale. Cela améliorerait l’efficacité et la pertinence de leur travail.

M. Jean-Patrick Gille. J’ai une question à poser à Mme la rapporteure, pour rebondir sur la question de Mme Massoneau. Qui pilote la prévention spécialisée, entre la politique « jeunesse » et la politique de la ville ? Aujourd’hui, c’est le même ministère. Mais ce n’est pas toujours le cas.

Par ailleurs, le Premier ministre a installé jeudi dernier le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COPJ). Je voudrais m’assurer que l’on va mener, dans le cadre de ce nouveau conseil, une réflexion sur la prévention spécialisée.

Madame la rapporteure, je vous laisse répondre aux questions de vos collègues.

Mme la rapporteure. Je tiens à remercier mes collègues pour ces nombreuses questions, qui confirment l’intérêt du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui.

Je voudrais rebondir sur ce qu’a dit le président de la mission, M. Denis Jacquat, à propos de nos auditions. Nous avons entendu de nombreux acteurs, institutionnels ou associatifs, mais nous avons aussi reçu de nombreuses contributions de la part de ceux que nous n’avons malheureusement pas pu rencontrer. Je voudrais tous les remercier.

Ce rapport est très attendu par les associations, les professionnels, mais aussi par les acteurs de terrain, les communes et les collectivités territoriales. Ces dernières sont parfois confrontées à la disparition de la prévention spécialisée sur leur territoire. Elles essaient alors de combler ce vide sur les territoires désertés – involontairement – par les associations.

Lors de nos auditions, nous avons constaté la grande diversité des associations. Il y en a de toutes petites, mais aussi de gigantesques, comme à Marseille où plusieurs associations se sont regroupées, ce qui assure d’ailleurs une certaine complémentarité. Cela étant, où commence la prévention spécialisée ? Où commence la prévention de la délinquance ? Où commence la prévention de la radicalisation ? C’est un vrai sujet.

Je ne vous cacherai pas que je souhaite que l’on fasse bien la distinction : la prévention spécialisée, dans ma conception, doit rester dans la protection de l’enfance et ne pas se trouver mélangée aux actions autres qui ont été imposées par les évènements. Ce sont des choses complètement différentes, même si certaines associations se sont investies dans la lutte contre la délinquance ou contre la radicalisation – « à côté » de la prévention spécialisée.

Il faut faire prévaloir cette idée sur tout le territoire. En effet, les politiques de lutte contre la délinquance et la radicalisation sont en train de « vampiriser » les moyens de la prévention spécialisée. Un redéploiement des moyens a lieu au détriment de la prévention spécialisée.

Je précise – pour rejoindre la question de Mme Orliac – que la prévention spécialisée évite des dépenses et des dégâts qui pourraient être importants. C’est pour cela que je la distingue des deux autres types de prévention.

Mme Orliac parlait de l’expérience de la Belgique : nous avons été frappés par les caractéristiques de l’action menée à Molenbeek. D’ailleurs, l’idée nous était venue de nous rendre dans cette ville parce que j’avais entendu parler du travail associatif qui y était réalisé – en matière de prévention d’une manière générale, et de prévention de la radicalisation en particulier.

On compte 1 500 associations à Molenbeek. Elles sont portées par un budget colossal venant de la commune – qui est le partenaire privilégié sur toutes ces questions.

L’association que nous avons visitée, « Le Foyer », s’apparente aux centres sociaux que l’on trouve chez nous dans de nombreux territoires, avec une offre très diversifiée et des intervenants de très haute qualité. Le jour de notre visite, on nous a présenté une action de décryptage de l’information et de l’image, menée en direction des jeunes, avec les enfants et leurs parents, et dirigée par une anthropologue. Je ne sais pas si, sur vos territoires, des anthropologues interviennent dans les centres sociaux… C’est vous dire tout l’intérêt et toute l’importance qui est donnée à ce travail de prévention dans sa globalité.

Monsieur Lurton, vous avez soulevé un problème important, en rapport avec la loi NOTRe et la métropolisation. Je partage vos inquiétudes, dans la mesure où la prévention spécialisée risque d’être détachée de la protection de l’enfance. C’est un sujet qu’il faudra suivre. On devra éclaircir les objectifs à poursuivre et les moyens qu’on voudra se donner pour les atteindre. Non pas que je sois contre les métropoles… Mais on a besoin d’une orientation claire. D’où les propositions que nous avons faites.

M. Sebaoun s’est interrogé sur le partage de l’information. Il est exact qu’à une certaine époque, les acteurs de la prévention spécialisée étaient très jaloux des informations qu’ils détenaient. Pour les communes, qui souhaitaient mener une action de protection de l’enfance efficace, cela posait problème. Celles-ci se sont parfois trouvées en opposition avec les acteurs de la prévention spécialisée qui ne voulaient pas dévoiler, qui les noms, qui les familles…

Malgré tout, une réflexion a été conduite sur le travail de la prévention spécialisée. Et ses acteurs sont prêts à travailler, parce qu’il en va de la protection de notre jeunesse. Ils ont analysé leurs pratiques. Nous avons d’ailleurs rencontré aujourd’hui des associations de prévention spécialisée très ouvertes et prêtes à évoluer.

Concernant l’extrémisme religieux, il faut retenir que la particularité de l’action de prévention spécialisée peut amener les éducateurs à être en contact avec des jeunes dont le comportement est susceptible d’alerter. D’ailleurs, à Molenbeek, c’est le cas. Sans faire de la prévention spécialisée la lutte contre la radicalisation par excellence, les éducateurs, et les personnes que reçoivent ces éducateurs, peuvent être aussi des acteurs de la lutte contre les extrémismes. L’un n’exclut pas l’autre.

Je suis d’accord avec Mme Levy qui pense que le travail doit être poursuivi et qu’il faut aller plus loin. C’est en tout cas le vœu de cette mission, lequel semble partagé par un certain nombre d’entre nous.

Oui, monsieur Cavard, la formation des éducateurs est nécessaire. Malheureusement, elle est limitée par les moyens dont disposent les associations. Mais soyons honnêtes. Si ce sont des associations qui les portent aujourd’hui, c’est parce que l’on y trouve un intérêt. Les associations coûtent moins cher qu’un service porté, par exemple, par les départements. On se doit donc de reconnaître le travail des associations et leur donner les moyens de le remplir dans les meilleures conditions – formation continue, mais aussi rémunération des éducateurs, dont le travail doit également être reconnu.

Madame Le Houérou, vous avez évoqué la relation que nous souhaitons établir entre éducation nationale, prévention, protection de l’enfance, et cohésion sociale. Il y a entre elles une grande complémentarité.

Vous avez également évoqué les associations « militantes ». Effectivement, on parle beaucoup des moyens qui sont mis à la disposition des associations pour payer le service, et notamment les salaires des éducateurs. Mais je voudrais m’arrêter sur le travail qui est réalisé par de nombreux bénévoles, qu’on ne reconnaît pas – ou en tout cas que l’on n’évalue pas. On doit leur rendre hommage pour ce qu’ils font sur les territoires, avec beaucoup d’abnégation et de compétence.

Notre collègue Véronique Massoneau est intervenue à propos de l’évolution récente de la prévention spécialisée et des dispositions réglementaires qui la régissent. La prévention spécialisée doit relever de la protection de l’enfance, même si des passerelles peuvent exister vers la cohésion sociale ou la lutte contre les dérives sectaires ou religieuses. La prévention spécialisée permet de prévenir la délinquance. Un lien existe forcément, et je crois que ce n’est pas contradictoire.

Monsieur Delatte, la prévention spécialisée a toute sa place dans les CLSPD, comme dans les réseaux qui peuvent être tissés sur les territoires, avec les agglomérations et, demain peut-être, avec la métropole. Et effectivement, cela peut venir en complément de l’action menée par le département.

Je terminerai sur la question de notre président Jean-Patrick Gille concernant l’orientation des politiques « jeunesse ». La prévention spécialisée n’est pas explicitement mentionnée dans le décret portant création du COPJ. Cependant on peut penser, au vu de l’investissement consenti par le ministère de la ville sur la prévention spécialisée, que les éducateurs de rue ne seront pas oubliés.

M. Jean-Patrick Gille, président. Nous y serons attentifs.

Madame la rapporteure, merci pour toutes ces réponses. Mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de ce débat.

La Commission autorise, à l’unanimité, la publication du rapport d’information sur l’avenir de la prévention spécialisée.

ANNEXE N° 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA MISSION

(par ordre chronologique)

Ø Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée (CNLAPS) – M. Yves Grognou, vice-président

Ø Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) – Mme Fabienne Quiriau, directrice générale, et Mme Laure Sourmais, responsable du pôle protection de l’enfance

Ø Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) (96) – Mme Samia Darani, conseillère technique responsable du pôle Enfance Famille Jeunesse

Ø Centre d’entrainement aux méthodes d’éducation active (CEMEA) – M. François Chobeaux, responsable national des secteurs social et jeunesses, animateur du réseau national « Jeunes en errance », et M. David Ryboloviecz, responsable national du secteur travail social et santé mentale

Ø M. Laurent Mucchielli, directeur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS)

Ø Association nationale des directeurs de l’enfance et de la famille (ANDEF) – Mme Chantal Rimbault, présidente et directrice de la protection de l’enfance et de la jeunesse du Val-de-Marne

Ø Direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (ministère de la ville, de la jeunesse et des sports) - M. Jean-Benoît Dujol, délégué interministériel à la jeunesse, directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative

Ø Assemblée des départements de France (ADF) – Mme Brigitte Foure, 1ère vice-présidente du conseil départemental de la Charente, déléguée aux Solidarités, notamment pour l’Enfance et la Famille, Mme Anne Reveillère-Maury, directrice de la jeunesse et de la protection de l’enfance du conseil départemental de Charente, et M. Keito Legoff, stagiaire

Ø Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – M. Jean-Philippe Vinquant, directeur général, Mme Isabelle Grimault, sous-directrice de l'enfance et de la famille, et Mme Paulette Bensadon, chargée de mission au bureau de la protection de l'enfance et de l'adolescence

Ø Association nationale des directeurs de l’action sociale et de santé des départements (ANDASS) – M. Roland Giraud, Président, directeur général adjoint au conseil départemental du Pas-de-Calais et délégué aux relations institutionnelles, à la citoyenneté et aux enjeux migratoires, et Mme Marie-Françoise Bellée Van Thong, directrice famille-enfance-jeunesse au département des Hauts-de-Seine

Ø Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) – M. Jacques-Bertrand de Reboul, sous-directeur de la cohésion et du développement social, à la direction de la ville et de la cohésion urbaine, et M. Michel Didier, chef du Pôle Animation Territoriale à la Direction de la ville et de la cohésion urbaine

Ø Mme Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, adjointe en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, Mme Marie Lieberherr, cheffe du pôle Défense des droits de l'enfant, et Mme France de Saint-Martin, attachée parlementaire

Ø Table ronde des associations :

Comité de la prévention spécialisée de Paris (CPSP) – M. Jean Rouche, président, et M. Jean-Luc Descourtis, directeur de l’association Arc 75

Association prévention spécialisée Nord (APSN) – M. Patrick Banneux, président, et Mme Florence Bobot, directrice

Association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Puy-de-Dôme (ADSEA 63) – M. Didier Comte, directeur général, et M. Joseph Darmon, administrateur

Collectif des éducateurs de rue de la Drôme – M. Alexis Coutin, porte-parole, et M. Julien Dorigny, membre du collectif

Initiatives multiples d’actions auprès des Jeunes (IMAJ) – Mme Michèle Alart, présidente, M. Bruno Dumas, directeur général, et M. Christophe Daadouch, juriste et administrateur

DÉPLACEMENTS

(par ordre chronologique)

Molenbeek (6 septembre 2016)

– Mme Claude-France Arnold, ambassadeur de France en Belgique ;

– Mme Corinne Torrekens, docteure en sciences sociales et politiques, spécialiste de l’Islam, Université libre de Bruxelles, managing director Divercity ;

– M. Olivier Plasman, directeur du réseau anti-radicalisme (RAR) ;

– M. Michaël Dantinne, Professeur, service de criminologie, université de Liège, faculté de droit ;

– Mme Jessica Soors, cheffe du service de radicalisation à la mairie de Vilvorde ;

– Mme Françoise Shepmans, Bourgmestre de Molenbeek-Saint-Jean ;

 M. Oliver Vanderhaeghen, chargé de la cellule anti-radicalisation de Molenbeek ;

– M. Patrick Manghelincks, directeur de l’association JES ;

– Mme Loredana Marchi, directrice de l’association Le Foyer, et Mme Ann Trappers, coordinatrice.

Dijon (7 septembre 2016)

– M. Serge Bideau, Secrétaire général de la Préfecture, Mme Pauline Jouan, Sous-Préfète, directrice de cabinet ;

– Mme Bernadette Matrot-Gruer, directrice adjointe de l’enfance, de la famille et de l’insertion au conseil départemental de la Côte-d’Or, Mme Marie-Line Drié, cheffe du service de l’aide sociale à l’enfance, Mme Emmanuelle Coint ;

– Mme Nathalie Koenders, première adjointe au maire de Dijon, et Mme Colette Popard, adjointe au maire ;

– M. Thierry Falconnet, maire de Chenove, M. Dominique Michel, premier adjoint au maire, M. Bernard Buigues, adjoint au maire chargé de la politique de la ville, Mme Brigitte Popard, adjointe au maire chargée des sports, des loisirs et de la jeunesse ;

M. Rémi Detang, maire de Quetigny, M. Jean-Marie Vallet, premier adjoint au maire chargé de la tranquillité publique, Mme Catherine Gozzi, adjointe au maire chargée de la solidarité, M. Moulay Jellal, adjoint au maire chargé de l’action éducative, M. Michel Bachelard, conseiller municipal ;

– M. Jean Marc Rety, adjoint au maire de Longvic, chargé des solidarités ;

– Mme Véronique Baillet, directrice générale de l’Association dijonnaise d’entraide des familles ouvrière (ADEFO), Mme Jeanine Grosjean, présidente, M. Pierre Lebourg, directeur adjoint du service de prévention familiale ;

– Mme Françoise Gobillot, Présidente de l’Association côte d’orienne pour le développement et la gestion d’actions sociales et médico-sociales (ACODEGE), M. Patrice Durovray, directeur général, Mme Christine Martin, directrice du service de prévention spécialisée, Mme Priscilla Guichard, éducatrice spécialisée ;

M. Bernard Quaretta, Président de l’Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (URIOPSS) de Bourgogne-Franche-Comté, M. Patrick Hamard, administrateur et directeur général de l’association du Comité de protection de l’enfance de l’Yonne (CPEY), Mme Catherine Serre, chargée de mission.

Metz (8 septembre 2016)

– M. Emmanuel Berthier, préfet de la Moselle ;

– M. Georges Bos, sous-préfet, directeur de cabinet du préfet de Moselle ;

– M. Alain Carton, secrétaire général de la préfecture de la Moselle ;

– M. Jean-François de Talancé, directeur adjoint de la Direction départementale de la cohésion sociale de la Moselle ;

– Mme Marie-Louise Kuntz, conseille départementale de la Moselle ;

– M. Antoine Chaleix, inspecteur académique, directeur académique des services de l'Éducation nationale (DASEN 57), et Mme Marie-Odile Cravero, conseillère technique et responsable des assistantes sociales scolaires ;

– Mme Cathy Drouvroy, directrice du service de coordination de l'action départementale ;

– M. Pierre Hamen, directeur général adjoint à la solidarité du conseil général de la Moselle ;

– M. Gérard Léonardi, maire d'Uckange ;

– Mme Sylvie Waldung, adjointe au maire d'Uckange ;

– M. Bruno Manière, directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse de Moselle ;

– Mme Laurence Lefort, directrice de la maison de 1'emploi de Thionville ;

– M. Manuel Muller, adjoint au maire de Behren-lès-Forbach ;

– Mme Christiane Pallez, présidente du centre communal d'action sociale (CCAS) de Metz ;

– Mme Hatice Karagoz, adjointe au maire de Woippy, et Mme Stéphanie Kiss, responsable AEF de Woippy ;

– M. Guy Kuhnen, adjoint au maire de Forbach ;

– Mme Nathalie Cedat-Vergne, adjointe au maire de Guenange ;

– M. Marc Zingraff, 1er adjoint au maire de Sarreguemines en charge des sports, Mme Valérie Champon, responsable du service de la jeunesse, et Mme Élodie Mathi, responsable de la politique de la ville ;

– Mme Vincente Auburtin, directrice du centre communal d'action sociale (CCAS) de Fameck, et Mme Peggy Mazzero, directrice du cabinet à la mairie de Fameck ;

– M. Denis Wilhelm, chargé de mission à la mairie de Sarrebourg ;

– Mme Samira Boucheliga, adjointe au maire de Hombourg-Haut ;

– M. Martial Niss, agent du service politique de la ville de Sarrebourg ;

– Mme Nathalie Colin-Oesterle, vice-présidente du Conseil départemental de la Moselle, et M. Jean François, vice-président ;

– M. Yahia Tlemsani, adjointe au maire de Saint-Avold, et M. Abdelghani Bourraine, chef de projet politique de la ville ;

– M. Jean Fougerousse, président du comité mosellan de sauvegarde de 1'enfance, de 1'adolescence et des adultes ;

– M. Jean-Claude Aime, président de l'Association de prévention spécialisée gunénangeoise ;

– Mme Khadidja Bettahar, chef des services de l’Association de Prévention Spécialisée Guénangeoise (APSG) ;

– M. Daniel Dose, directeur de l’Association intercommunale de Prévention Spécialisée (Freyming-Merlebach) ;

– M. Mounir El Harradi, directeur, et M. Michel Martin, administrateur de l'Association APSIS-Émergence ;

– M. Philippe Hovasse, conseiller technique, référent « laïcité » ;

– M. Jean-Luc Lena, directeur de l'Association d’Intervention Sociale de la Fensch (AISF) ;

– Mme Jeanine Neveux, présidente de l’AISF;

– M. Jean-Marc Philippe, responsable du pôle sécurité au cabinet du Préfet.

Marseille (14 novembre 2016)

– Mme Danièle Perrot, présidente de 1'Association départementale pour le développement des actions de prévention des Bouches-du-Rhônes (ADDAP 13), et MM. Gérard Leca et Vincent Gomez Bonnet, vice-présidents ;

– Mme Danièle Brunet, conseillère départementale, déléguée à la jeunesse et à la prévention ;

– M. Maurice Rey, conseiller départemental en charge de la prévention de la délinquance ;

– M. Daniel Benoit, chargé de mission prévention délinquance/sûreté à la direction générale des services du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône ;

– Mme Valérie Foulon, directrice Enfance/Famille du Conseil départemental des Bouches-du- Rhône ;

– M. Mathieu Arfeuillère, préfet délégué à l'égalité des chances ;

– Mme Véronique Le Goaziou, sociologue

– M. Grégoire Turkiewicz, chef du service prévention de la délinquance, coordonnateur du Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ;

– M. Yves Grognou, directeur de 1'Association départementale pour le développement des actions de prévention des Bouches-du-Rhônes (ADDAP 13) ;

– M. François Souret, directeur général adjoint au pôle prévention spécialisée ;

– M. Stéphane François, directeur général adjoint pôle MISS ;

– M. Jacques Abehssera, directeur de service ;

– Mmes Annelise Blettry Avril et Geneviève Casanova, conseillères techniques ;

– Mme Carol Vescovali, chef de service administratif ;

– Mme Nadège Marchi Mazelli, chef de service éducatif ;

– Mme Salah Allik, éducatrice spécialisée (service 13ème et 14ème), membre de l’Association ADDAP 13 ;

– Mme Jessica Duponchelle, éducatrice spécialisée (service centre), membre de l’Association ADDAP 13 ;

– M. Jérémie Laurent, éducateur spécialisé (service prévention sport collèges) ;

– M. Charles Michee, moniteur (service médiation sociale urbaine),

– M. Martial Olive, éducateur spécialisé (service centre), membre de l’Association ADDAP 13 ;

– M. Gilbert Roux, éducateur spécialisé (service centre), membre de l’Association ADDAP 13.

*

* *

Le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) nous a également transmis une contribution écrite.

1 () Vincent Peyre et François Tétard, Des éducateurs dans la rue. Histoire de la prévention spécialisée, Éditions La Découverte, 2006.

2 () Les historiens de la prévention spécialisée et les associations parlent parfois d’« ère des pionniers » pour qualifier les premières années de la prévention spécialisée.

3 () Fernand Deligny crée à cette époque un réseau de foyers dans la banlieue de Lille, aidé par des bénévoles. Sa démarche rencontre rapidement le soutien de l’inspecteur de la population du territoire, qui diffuse son projet. L’expérience, soutenue par des juges et des médecins, s’étend alors en région parisienne, en Lorraine et en Normandie, puis à l’ensemble du territoire dans les années 1950.

4 () Le terme est inventé au moment de la conception de la profession de foi pour mieux identifier cette mission assurée par des associations aux noms et statuts différents.

5 () Sous-culture juvénile dont la presse se fait l’écho à l’été 1959, le phénomène des “blousons noirs” suscite l’inquiétude de la population en raison des nouveaux faits de violence dont il est la source. Il constitue l’un des facteurs décisifs de la prise de conscience de l’utilité de la prévention spécialisée. Ainsi, dès cette époque, les pouvoirs publics font un lien entre le développement de la délinquance juvénile et l’intérêt de la prévention spécialisée.

6 () Le GEP était un groupement de fait comprenant des bénévoles associatifs et des professionnels cherchant à définir les caractéristiques de la prévention spécialisée. Voir La prévention spécialisée : enjeux actuels et stratégies d’action, rapport du Groupe de travail interinstitutionnel sur la prévention spécialisée rendu public en janvier 2004, p.11.

7 () Le code de l’action sociale et des familles connaît la prévention spécialisée sans en définir les missions.

8 () L’arrêté est également signé par le ministre de la santé publique et de la sécurité sociale, le garde des sceaux, le ministre de l’intérieur, le ministre de l’économie et des finances, le ministre de l’éducation nationale, le secrétaire d’État chargé de la jeunesse, des sports et des loisirs, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et le secrétaire d’État à l’action sociale et à la réadaptation.

9 () Ces articles ont été abrogés en 1986. Les autres dispositions sont encore en vigueur.

10 () Loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État.

11 () Article 45 du code de la famille et de l’aide sociale relatif aux prestations liées à la prévention de l’inadaptation sociale de l’enfance et de la jeunesse.

12 () Article 40 du code de la famille et de l’aide sociale relatif aux missions de l’aide sociale à l’enfance (ASE).

13 () La prévention spécialisée ayant été financée jusqu’alors à travers le budget de l’ASE, dissocier les compétences aurait contraint à réévaluer l’ensemble des sommes allouées à la prévention.

14 () Bertrand Schwartz, L’insertion professionnelle et sociale des jeunes. Rapport au Premier ministre, septembre 1981.

15 () Hubert Dudebout (président de la Commission nationale pour le développement social des quartiers), Ensemble, refaire la ville. Rapport au Premier ministre, janvier 1983.

16 () Gilbert Bonnemaison, Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité. Rapport au Premier ministre, février 1983.

17 () Mme Véronique Le Goaziou, sociologue spécialiste de la prévention spécialisée, estime ainsi que les maires sont « destinataires des demandes de sécurité » et ont tendance à percevoir les intervenants sociaux comme des auxiliaires des politiques de maintien de l’ordre. Voir Véronique Le Goaziou, Prévention spécialisée et prévention de la délinquance : liens obstacles et enjeux. Les rapports de recherche de l’ORDCS, n° 2, février 2014.

18 () D’autant que la création des agents locaux de médiation sociale (ALMS) en 1997 ancre dans une fonction exclusivement sécuritaire ce métier consistant à faire baisser les tensions sur le territoire.

19 () La loi du 5 mars 2007 confie au maire la politique de prévention de la délinquance. Cette politique repose sur les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLPSD) créés en 2002 et une plus forte répression des incivilités.

20 () Article 5 de la loi du 5 mars 2007 précitée.

21 () Véronique Le Goaziou, Éduquer dans la rue, Presses de l’EHESP, novembre 2015.

22 () Véronique Le Goaziou, Prévention spécialisée et prévention de la délinquance : liens, obstacles et enjeux. Les rapports de recherche de l’ORDCS, n° 2, février 2014.

23 () Table ronde « Associations », 8 novembre 2016.

24 () Audition du 5 septembre 2016.

25 () François Chobeaux, « La prévention spécialisée s’est laissée enfermer », TSA, n° 69, février 2016.

26 () Groupe de travail interinstitutionnel sur la prévention spécialisée, La prévention spécialisée : enjeux actuels et stratégies d’action, janvier 2004.

27 () Audition des représentants de l’UNIOPSS, 5 septembre 2016.

28 () Audition du 29 juin 2016.

29 () Table ronde « Associations », 8 novembre 2016.

30 () L’étude porte sur 17 collectivités représentant 17% de la population française : l’Aisne, l’Aube, l’Aude, la Charente-Maritime, le Lot, la Loire-Atlantique, le Loiret, le Maine-et-Loire, la Manche, la Haute-Marne, le Pas-de-Calais, le Puy-de-Dôme, les Hautes-Pyrénées, la Saône-et-Loire, les Hauts-de-Seine et la métropole de Lyon.

31 () Audition du 13 septembre 2016.

32 () Entretien donné à la Gazette des communes, 18 février 2016.

33 () Comme le rappellent de nombreux sociologues, la catégorie des personnes âgées de moins de 25 ans est souvent surreprésentée dans ces quartiers où elle peut représenter jusqu’à 50% de la population. Voir par exemple Laurent Mucchielli, « Entre politique sécuritaire et délinquance d’exclusion : le malaise de la prévention spécialisée », Socio-logos, 2 | 2007 [en ligne : http://socio-logos.revues.org/79].

34 () François Chérèque, Christine Abrossimov et Mustapha Khennouf, Évaluation de la 2ème année de mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, IGAS, rapport n° 2014-049R, janvier 2015.

35 () L’échec scolaire fait l’objet depuis 2014 d’une cartographie par le ministère de l’éducation nationale : les zones dites de très forts risques concernent essentiellement les territoires dans lesquels plus d’un quart de la population vit dans des logements sociaux et où le revenu médian est très faible (en dessous de 14 680 euros). Voir Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Géographie de l’école 2014, juillet 2014.

36 () On peut rappeler que le taux de chômage des jeunes en France était de 25,8% en octobre 2016 (Eurostat). À titre de comparaison, en 2013, ce taux pouvait atteindre 45 % dans les zones urbaines sensibles alors même que les moins de 25 ans y représentent parfois jusqu’à la moitié de la population (voir Observatoire des zones urbaines sensibles, Rapport annuel 2013, décembre 2013).

37 () Laurent Muchielli, ibid.

38 () Ancien directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Robert Castel (1933-2013) estimait que « les individus rejetés à l’écart des échanges sociaux » subissaient souvent un processus de marginalisation long et difficilement réversible sans des politiques publiques de prévention et de réparation. Dans cette perspective, la « désaffiliation » est le stade le plus avancé de la marginalisation dans lequel l’individu a subi un « double décrochage : absence de travail et isolement relationnel » (voir par exemple Robert Castel, Cahiers de recherche sociologique, n° 22, 1994, 11-27).

39 () Groupe de travail interinstitutionnel sur la prévention spécialisée, La prévention spécialisée : enjeux actuels et stratégies d’action, janvier 2004.

40 () Cité dans Antoine Bureau, « Prévention spécialisée, ne pas lâcher la rue », Lien social, n° 1138, 3 avril 2014.

41 () François Chobeaux, « La prévention spécialisée s’est laissée enfermer », TSA, n° 69, février 2016.

42 () Audition du 8 septembre 2016.

43 () Arrêté du 4 juillet 1972 relatif aux clubs et équipes de prévention.

44 () Audition du 29 juin 2016.

45 () Décret n° 2016-1248 du 22 septembre 2016 relatif au protocole de mise en œuvre et de coordination des actions de prévention menées en direction de l’enfant et de sa famille.

46 () Audition du   septembre 2016.

47 () Direction de la recherche, des études et de l’évaluation et des statistiques (DREES), Les dépenses d’aide sociale départementale en 2014, document de travail, série Statistiques, n° 201, septembre 2016.

48 () Mme Rimbault était auditionnée en tant que présidente de l’Association nationale des directeurs de l’enfance et de la famille. Audition du 7 septembre 2016.

49 () Ces dispositions ont été codifiées à l’article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales.

50 () Au 1er janvier 2016, huit des quinze métropoles françaises se sont vues transférer la compétence de la prévention spécialisée.

51 () Audition du 16 novembre 2016.

52 () Circulaire du 11 février 2016 du secrétaire général du comité interministériel de la prévention de la délinquance sur les orientations du fonds interministériel de prévention de la délinquance et plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme du 9 mai 2016.

53 () Audition du 13 septembre 2016.

54 () Audition du 7 septembre 2016.

55 () Indirect depuis 1986, ce lien a été explicité par l’article 82 de la loi du 2 janvier 2002 rénovant les institutions sociales et médico-sociales.

56 () La prévention spécialisée fait en revanche partie du schéma départemental de la protection de l’enfance.

57 () Sur le droit à compensation des charges et le caractère de créance des produits de tarification en matière d'action sociale voir respectivement CE, 6 juillet 1994, Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance, n° 110494, et CE, 30 janvier 2008, Association OREAG, n° 274556 ; pour un précédent topique liant autorisation et droit à financement en matière sanitaire, voir CE, 29 novembre 1999, Polyclinique des Alpilles, n° 177140.

58 () Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

59 () Audition du 19 septembre 2016.

60 () Audition du 13 septembre 2016.

61 () Louis Dubouchet (dir.), Demain la prévention spécialisée, entre éducatif et social, ADDAP 13, CNLAPS, mai 2016.

62 () En 2014, 88 % des jeunes de 18 à 24 ans utilisent les réseaux sociaux, selon l’étude « Consommation et modes de vie » du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), décembre 2015.

63 () La Manche depuis 2012, le Cher depuis 2014, le Morbihan depuis 2015 et l’Ardèche depuis 2016.

64 () La mise en place du projet du « Nätvandrarna » (promeneurs du Net) s’expliquait alors par le constat des autorités suédoises que les jeunes désertaient les structures d’accompagnement social au profit d’internet. Un maillage du territoire suédois a été réalisé, associant 290 communes et les maisons de quartiers, les centres pour les jeunes et les associations.

65 () www.promeneursdunet18.fr

66 () Par exemple : ne pas diffuser de propos philosophiques, politiques ou syndicaux ; fournir une évaluation et un bilan annuel du projet (article 1).

67 () Par exemple : établir une relation de confiance ; conseiller, informer, prévenir ; contribuer à la mise en place d’actions individuelles ou collectives adaptées au public (article 4).

68 () Par exemple : action à but non lucratif ; pas d’influence politique, religieuse ou syndicale ; respect de la laïcité et des lois de la République, respect de la dignité de la personne, pas de prosélytisme, pas d’incitation à la haine, etc. (article 5).

69 () Le terme est emprunté au Dr. Jean Perriot, chef de service au dispensaire Émile Roux à Clermont-Ferrand.

70 () Le Haut-commissariat à la jeunesse était un portefeuille ministériel chargé de « préparer et mettre en œuvre la politique du Gouvernement en faveur de la jeunesse et du développement de la vie associative », selon l’article 1 du décret n° 2009-57 du 16 janvier 2009 relatif aux attributions déléguées au Haut-commissaire à la jeunesse. Confié à M. Martin Hirsch, il a été fusionné en 2010 avec le Haut-commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté pour former le ministère de la Jeunesse et des Solidarités actives.

71 () Contraception, VIH, IST…

72 () Table-ronde du 8 novembre 2016.

73 () On parle de prévention secondaire lorsque le jeune est déjà radicalisé alors que la prévention primaire a vocation à éviter qu’il le soit jamais.

74 () Ce guide interministériel de prévention de la délinquance réalisé par le CIPDR en mars 2016 s’insère dans le plan national de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes.

75 () Article 53 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2014 relative aux libertés et responsabilités locales.

76 () Rapport du groupe de travail « Formation initiale et formation continue », remis par Mme Florence Perrin, conseillère déléguée aux formations sanitaires et sociales du conseil régional Rhône-Alpes, février 2015, p. 48.

77 () Arrêté du 20 juin 2007 relatif au diplôme d’État d’éducateur spécialisé.

78 () Les futurs éducateurs y apprennent notamment la coordination et le travail en équipe pluriprofessionnelle.

79 () Selon l’article 7 de l’arrêté précité.

80 () Selon la cartographie de 2016 sur la prévention spécialisée réalisée par le CNALPS, 80 % du personnel éducatif en prévention spécialisée est titulaire de ce diplôme. Les autres professionnels du secteur ont suivi des formations de même niveau ou de niveau supérieur, en travail social ou en sport. Les professionnels ayant suivi une formation d’un niveau inférieur (les moniteurs éducateurs notamment) sont prioritaires lors de la formation continue.

81 () Rapport du groupe de travail « Développement social et travail social collectif », remis par M. Michel Dagobert, président du conseil général du Pas-de-Calais, février 2015.

82 () Rapport précité, p. 53.

83 () Rapport précité, p. 54.

84 () Proposition 18.

85 () Proposition 20.

86 () Un répertoire des métiers décrit chaque métier et ses caractéristiques en fonction de plusieurs critères, tels que les activités, compétences, conditions d’exercice, etc.

87 () Un référentiel métiers est un répertoire de métiers d’une même branche professionnelle, auxquels sont associés des compétences, savoirs, savoir-faire et savoir-être particuliers.

88 () Proposition 17.

89 () Rapport de la mission de concertation relative aux États généraux du travail social « Reconnaître et valoriser le travail social », remis au Premier ministre par Mme Brigitte Bourguignon, députée du Pas-de-Calais, juillet 2015.

90 () Prise de parole en groupe, exercice de communication orale.

91 () Empowerment (défini dans le rapport comme le processus permettant aux individus de prendre conscience de leur capacité d’agir et d’accéder à plus de pouvoir), community organizing (formes d’organisations collectives à l’échelle locale visant la participation des citoyens à la vie de leur communauté).

92 () Selon M. Bernard Laury, directeur général de la population et de l’action sociale de 1960 à 1966 au ministère du Travail et de la population, rapport précité, p. 25.

93 () Michel Thierry, Valeurs républicaines, laïcité et prévention des dérives radicales dans le champ du travail social, 7 juillet 2016.

94 () Dans son rapport d’activité 2015, le CNLAPS indique avoir formé 401 stagiaires, soit environ 10 % des effectifs de la profession, au cours de 28 formations.

95 () Enjeux géopolitiques, processus de radicalisation, indicateurs de basculement, signalement, l’emprise mentale, la réponse publique préventive, etc.

96 () Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le registre de l’Assemblée nationale s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale


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