N° 4457
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2017.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145-7 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
sur l’évaluation de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013,
relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et de la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier
ET PRÉSENTÉ PAR
Mme Sandrine Mazetier et M. Jean-Luc Warsmann
Députés
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SOMMAIRE
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Pages
SYNTHÈSE DU RAPPORT 7
INTRODUCTION 11
I. DES INCRIMINATIONS RENFORCÉES ET UNE PROCÉDURE PÉNALE RÉNOVÉE 13
A. LE CHAMP INFRACTIONNEL DE LA FRAUDE FISCALE ET DE LA GRANDE DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE 13
1. Des incriminations complétées depuis 2013 et désormais globalement adaptées 13
2. Un nécessaire renforcement du dispositif à l’encontre des personnes morales 15
a. Augmenter les montants maximaux encourus par les personnes morales 15
b. Assouplir les conditions requises pour engager la responsabilité pénale des personnes morales 21
B. DE NOUVELLES MODALITÉS DE SAISINE DE L’AUTORITÉ JUDICIAIRE 23
1. L’élargissement des modalités de saisine de la commission des infractions fiscales 23
2. Les infractions autonomes sans saisine préalable de la CIF 27
3. Les associations de lutte contre la corruption constituées partie civile 28
II. UNE RÉPONSE MIEUX COORDONNÉE ET PLUS SPÉCIALISÉE MALGRÉ DES MOYENS ENCORE INSUFFISANTS 30
A. UN RENFORCEMENT DE L’ACTION COORDONNÉE D’ACTEURS SPÉCIALISÉS 30
1. Une compétence concurrente de juridictions spécialisées 30
a. Un procureur de la République financier à la compétence élargie et au bilan positif 30
b. Une compétence concurrente à maintenir 34
c. Des aménagements envisageables à la marge en termes de compétences et de procédure 38
2. Une activité croissante des services spécialisés 40
a. Une administration fiscale très mobilisée 40
b. La forte implication des douanes 41
c. TRACFIN 42
d. Des services d’enquête très sollicités 44
3. Une logique de circulation de l’information et de renforcement de la coordination 47
a. Une obligatoire circulation de l’information 47
b. Lever les freins subsistant dans la démarche partenariale 49
B. DES MOYENS ENCORE INSUFFISANTS 52
1. Les techniques spéciales d’enquête 52
2. Un enjeu essentiel de ressources humaines 53
3. Une exigence permanente d’adaptation 55
III. DES PROGRÈS NOTABLES QUI DOIVENT CONDUIRE À POURSUIVRE LES EFFORTS ENGAGÉS 58
A. DES SANCTIONS PLUS RAPIDES ET PLUS IMPORTANTES 58
1. Les premiers jugements 58
2. Les transactions fiscales 60
3. Les sanctions fiscales 61
B. L’ARTICULATION DÉLICATE ENTRE LES SANCTIONS PÉNALES ET ADMINISTRATIVES EN MATIÈRE DE FRAUDE FISCALE 63
1. Un cumul admis par le Conseil constitutionnel et appliqué avec discernement en pratique 63
2. Une insécurité juridique indéniable 65
C. UN MEILLEUR RECOUVREMENT GRÂCE À LA POURSUITE DE LA RÉFORME DE LA PROCÉDURE DE SAISIE ET DE CONFISCATION 66
1. Des dispositions à l’efficacité pratique aujourd’hui reconnue 67
a. La peine de confiscation générale des actifs des personnes morales convaincues de blanchiment 67
b. La résolution judiciaire de plein droit des contrats d’assurance sur la vie 68
c. La confiscation en valeur de biens dont le condamné a la libre disposition 68
d. Le mécanisme exceptionnel d’apurement des comptabilités des juridictions et de l’AGRASC 69
e. La répression de l’obstacle opposé à l’exécution d’une peine complémentaire de confiscation 70
2. Des améliorations qui restent à apporter 71
a. Faire de la confiscation du profit une peine accessoire ? 71
b. Mettre en place une procédure de civil forfeiture ? 71
c. Étendre à toutes les saisies spéciales la possibilité pour le juge des libertés et de la détention d’ordonner directement la saisie ? 72
d. Ne plus limiter la confiscation des biens ayant servi à commettre l’infraction à ceux dont le condamné est propriétaire ou a la libre disposition ? 73
e. Doter l’AGRASC des moyens techniques adéquats 75
f. Donner à l’AGRASC les moyens d’assurer sa mission de centralisation des informations en matière de saisies et de confiscations 75
IV. UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE INABOUTIE 78
A. UNE COOPÉRATION VARIABLE SELON LES DOMAINES ET LES PARTENAIRES 78
1. Une coopération administrative en net progrès 78
a. Une assistance administrative internationale 78
b. Des obstacles juridiques et pratiques qui tendent à être surmontés 79
c. Des dispositifs incitatifs efficaces qui doivent être préservés 80
2. Une coopération judiciaire aux résultats contrastés 81
3. De nouvelles étapes à franchir 84
a. Adapter les conventions internationales de coopération judiciaire 84
b. Adapter la convention de Budapest sur la cybercriminalité 84
c. Donner à l’AGRASC, au plan international, le monopole de la qualité de bureau de recouvrement des avoirs (BRA) ? 86
B. DES PROGRÈS EUROPÉENS À ENCOURAGER 88
1. Les initiatives communautaires de juillet 2016 88
2. L’enjeu de la centralisation des données 90
EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION 93
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 103
PERSONNES ENTENDUES 105
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS 107
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES 109
ANNEXE N° 1 : SUIVI DE LA PUBLICATION DES TEXTES D’APPLICATION 111
ANNEXE N° 2 : CIRCULAIRE DU 31 JANVIER 2014 DE POLITIQUE PÉNALE RELATIVE AU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE FINANCIER 113
ANNEXE N° 3 : DÉCRET N° 2009-874 DU 16 JUILLET 2009 PRIS POUR APPLICATION DE L’ARTICLE L. 561-15-II DU CODE MONÉTAIRE ET FINANCIER 121
SYNTHÈSE DU RAPPORT Les lois du 6 décembre 2013 relatives à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ont marqué une étape importante dans l’édification d’un arsenal juridique efficace et dissuasif. I. DES INCRIMINATIONS RENFORCÉES ET UNE PROCÉDURE PÉNALE RÉNOVÉE Les avancées en termes d’incriminations pénales, complétées à l’occasion de plusieurs textes récents, ont permis de renforcer concrètement les moyens de cette lutte. Elles permettent aujourd’hui d’appréhender l’ensemble des actions frauduleuses et n’appellent pas à ce jour de nouvelles modifications majeures. Trois ans après leur entrée en vigueur, ces dispositions ont au contraire besoin d’une certaine stabilité pour que les magistrats et les services d’enquête puissent pleinement se les approprier et leur donner toute leur mesure. À l’encontre des personnes morales, toutefois, il apparaît nécessaire non seulement d’augmenter les montants maximaux encourus, mais aussi d’assouplir les conditions requises pour engager leur responsabilité pénale. Les modalités de saisine de la commission des infractions fiscales (CIF) ont par ailleurs été élargies, étant rappelé que le blanchiment de fraude fiscale constitue désormais une infraction autonome qui ne nécessite pas de saisine préalable de la CIF. S’agissant des associations de lutte contre la corruption, la possibilité leur a été donnée en 2013 de se constituer partie civile dans les dossiers d’atteintes à la probité, possibilité dont elles font usage avec modération et principalement dans des dossiers emblématiques. II. UNE RÉPONSE MIEUX COORDONNÉE ET PLUS SPÉCIALISÉE MALGRÉ DES MOYENS ENCORE INSUFFISANTS Les lois du 6 décembre 2013 ont tendu à spécialiser davantage tant le ministère public que les services administratifs et d’enquête afin d’accroître l’efficacité de la lutte contre les formes les plus complexes de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière. Ceci s’est traduit tout d’abord par la création du procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris. Les craintes initiales parfois formulées à sa naissance ont été dissipées. Le fait qu’il possède aujourd’hui, pour un certain nombre d’infractions, une compétence concurrente à celle des juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) et des tribunaux de grande instance de droit commun ne soulève guère de difficultés en pratique. Une circulaire de la garde des Sceaux du 31 janvier 2014 apporte des éléments précis pour aider à orienter au mieux les affaires. Le nombre de ses saisines s’étant régulièrement accru, le procureur de la République financier est aujourd’hui saisi de 360 dossiers, qu’il traite pour l’essentiel sous forme d’enquêtes préliminaires afin d’éviter un allongement excessif des procédures. Seuls quelques aménagements à la marge, en termes de compétences et de procédure, apparaissent aujourd’hui nécessaires en ce qui le concerne. La loi de 2013 est venue ensuite consacrer la démarche de spécialisation engagée depuis plusieurs années au sein de l’administration fiscale, de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) ou de TRACFIN, mais aussi dans les services d’enquête, de plus en plus sollicités. L’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), créé en octobre 2013, est ainsi saisi actuellement de 300 enquêtes. Pour gagner en efficacité et en complémentarité, les lois de 2013 ont donné à ces services d’enquête des outils nouveaux, tels que notamment la possibilité de recours aux techniques spéciales d’enquête. Elles ont aussi facilité les mises à disposition croisées d’experts entre administrations et posé le principe de l’échange d’informations entre les acteurs nationaux compétents, dans le strict respect des procédures et des champs d’intervention respectifs de chacun. Dans le même esprit, la procédure judiciaire d’enquête fiscale, dont le champ d’application a été élargi par la loi du 6 décembre 2013, permet aujourd’hui de réunir et coordonner les moyens d’investigation des services de police judiciaire et de l’administration fiscale pour mieux lutter contre les fraudes fiscales complexes, présentant des enjeux financiers importants. Cette circulation de l’information se heurte toutefois encore à certains obstacles. À titre d’illustration, les inspecteurs des finances publiques mis à disposition des JIRS perdent leurs accès à l’ensemble des bases de données de leur administration d’origine. En pratique, lorsqu’un magistrat veut une information, il doit procéder par réquisition alors même qu’il a auprès de lui un spécialiste des finances publiques. Une habilitation législative, dont on peut regretter qu’elle ne soit pas intervenue plus tôt, doit rapidement mettre un terme à cette limite opérationnelle que rien ne justifie. De même, les JIRS fonctionnent aujourd’hui avec un réseau seulement informel reposant sur des relations personnelles. Ainsi, un établissement financier impliqué dans un dossier à Marseille peut également l’être à Nancy sans que les magistrats de l’une et l’autre juridictions l’apprennent formellement. La création d’un système d’information des JIRS s’impose aujourd’hui. La loi de 2013 a aussi prévu un « droit à retour d’informations » au bénéfice des administrations qui saisissent la justice. Ce fonctionnement n’est pas encore entré dans les habitudes et les outils informatiques ne permettent pas de le systématiser aujourd’hui. Pour pallier cet inconvénient, certains parquets vont jusqu’à inscrire TRACFIN dans la catégorie des « victimes », sur le logiciel judiciaire CASSIOPÉE, pour s’assurer qu’il est bien informé de la suite de la procédure. Il est enfin dommage que la possibilité pour la justice de saisir l’administration fiscale soit très peu utilisée dans les faits. À ces blocages qui entravent la coordination s’ajoute un problème majeur de manque de moyens financiers, humains et techniques. S’agissant du procureur de la République financier, l’étude d’impact de la loi de 2013 évaluait les besoins, pour 260 dossiers, à 22 parquetiers, assistés de 21 personnels de greffe et de cinq assistants spécialisés. Pour l’instruction, le besoin était estimé à six magistrats d’instruction supplémentaires, dix postes de greffe et cinq assistants spécialisés. Aujourd’hui, pourtant, le parquet national financier ne compte que 15 magistrats, sept personnels de greffe et quatre assistants spécialisés pour plus de 350 dossiers à traiter. Les services enquêteurs font face à des déficits du même ordre. Malgré la hausse constante d’affaires qui lui sont confiées, l’OCLICFF est, par exemple, passé de 95 à 78 personnels entre 2013 et 2016. Ces déficits en personnel s’expliquent, pour une part, par une forme de découragement qui gagne une partie des fonctionnaires concernés. Il n’existe en effet aucun mécanisme pour s’assurer que les personnes formées restent assez longtemps en poste. Ces personnels très spécialisés ne bénéficient pas d’une rémunération plus avantageuse ni d’une progression de carrière plus rapide. Ceci est d’autant plus regrettable que le « droit d’entrée » est élevé, avec un besoin de formation initiale important, par exemple pour les officiers fiscaux judiciaires. Faute d’une juste reconnaissance, les services enquêteurs parviennent parfois difficilement à pourvoir les postes ouverts. Les moyens dévolus à la lutte contre la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière doivent absolument, au minimum, être préservés au cours des années à venir, et même dans toute la mesure du possible augmentés. L’État a tout à y gagner, s’agissant d’une mission destinée à faire respecter les obligations de contribution de chacun aux ressources publiques et donc à améliorer les rentrées fiscales destinées à financer l’ensemble de ses attributions régaliennes. III. DES PROGRÈS NOTABLES QUI DOIVENT CONDUIRE À POURSUIVRE LES EFFORTS ENGAGÉS Les premiers résultats engrangés depuis trois ans sont positifs. L’action des différents services fiscaux s’est traduite par une augmentation très forte du montant des redressements qui dépassent pour la première fois, en 2015, les 20 milliards d’euros de droits redressés et de pénalités dont plus de 12 milliards d’euros encaissés. Les sanctions contenues dans les premiers jugements rendus en 2016 dans des dossiers traités par le parquet national financier ont été marquées par une sévérité accrue, visant l’ensemble des personnes impliquées dans la fraude (y compris des avocats ayant conseillé les contribuables). La réforme du régime des saisies et des confiscations opérée par la loi du 6 décembre 2013 a constitué un autre succès. Il est permis d’en juger au vu de l’activité du procureur de la République financier en matière de saisie, à la fois dans le cadre des enquêtes préliminaires (plus de 75 millions d’euros saisis) et dans le cadre des informations judiciaires (saisies conservatoires de biens immobiliers et mobiliers d’une valeur totale de plus de 100 millions d’euros dans le seul cadre de l’affaire dite des « biens mal acquis »). Si le dispositif des saisies conservatoires est bien appréhendé au stade de l’enquête par les magistrats et les enquêteurs, l’évolution culturelle reste toutefois à parfaire au stade des jugements. Il est en revanche plus difficile de dresser un bilan des transactions fiscales conclues, faute de transmission à ce jour du rapport prévu par l’article L. 251 A du Livre des procédures fiscales concernant l’application de la politique de remises et de transactions à titre gracieux par l’administration. Malgré la volonté exprimée par le législateur en 2013, rien ne permet aujourd’hui de connaître la politique générale en matière de transactions fiscales ni de s’assurer de l’homogénéité des pratiques sur l’ensemble du territoire. IV. UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE INABOUTIE Au plan international, si la coopération administrative (entre cellules de renseignement ou entre administrations) a nettement progressé, le bilan de la coopération judiciaire est plus contrasté. La situation est très variable selon les pays. Des obstacles techniques existent aussi : seule une dizaine de pays au sein de l’Union européenne dispose à ce jour d’un fichier centralisé des comptes bancaires. La France est appelée à être à l’initiative sur ces questions, notamment au sein de l’Union européenne. Elle pourrait utilement proposer d’améliorer le dispositif actuel, notamment en systématisant les échanges au niveau judiciaire et opérationnel. Ses fichiers centraux (FICOBA en matière de comptes bancaires et FICOVIE en matière d’assurance sur la vie) peuvent constituer des sources d’inspiration. Les fichiers qui seraient ainsi créés dans les différents États de l’Union européenne pourraient être interconnectés pour gagner encore en facilité et en efficacité d’utilisation Il appartient aussi à notre pays de promouvoir auprès des États signataires de la convention de Budapest une évolution de celle-ci afin de permettre aux enquêteurs d’accéder, sans passer par l’entraide pénale internationale, aux données informatiques stockées à l’étranger, dès lors qu’elles sont consultables depuis la France. |
Les lois du 6 décembre 2013 relatives à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (1) marquent un tournant dans l’arsenal juridique français en matière de lutte contre la fraude fiscale en associant de façon explicite la réponse administrative et la réponse pénale. Pleinement entrées en vigueur avec la publication des textes d’application liés (2), elles renforcent les outils d’identification et, sur la base des éléments découverts, les moyens de sanctionner les fraudes. Dans ce processus, interviennent de façon articulée les services fiscaux, les services d’enquête, qu’il s’agisse de la police, de la gendarmerie ou des douanes, et les juridictions répressives.
La création d’un parquet national financier, spécifiquement dédié, à la poursuite des infractions financières témoigne de la spécificité de ces dossiers : de plus en plus complexes, ils requièrent un haut niveau d’expertise et une capacité à travailler en lien avec tous les acteurs nationaux et avec nos partenaires internationaux. Pour rendre effective cette logique de spécialisation judiciaire, les lois ont organisé la répartition des dossiers entre les différentes juridictions à la recherche d’un équilibre délicat entre la recherche du juste niveau de spécialisation et la nécessité de préserver une réponse judiciaire transversale au niveau local.
Les lois de 2013 ont également pris en compte les contraintes opérationnelles en modernisant la procédure de mise en mouvement de l’action publique. Elles ont également donné aux services d’enquête des outils nouveaux, avec notamment les techniques spéciales d’enquête, et ont facilité les mises à disposition croisées d’experts entre administrations. Elles ont enfin posé le principe de l’échange d’informations entre les acteurs nationaux de lutte contre la fraude.
Conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 145-7 de notre Règlement, vos Rapporteurs ont été chargés le 21 septembre 2016 par la commission des Lois, qui avait été saisie au fond de ces deux textes, d’en évaluer les conséquences « juridiques, économiques, financières [et] sociales » (3). À cette fin, ils ont entendu l’ensemble des acteurs administratifs et judiciaires, mais aussi des universitaires et des représentants de la société civile et des professionnels du secteur. Ils se sont rendus à deux reprises dans des juridictions spécialisées pour rencontrer les magistrats et les enquêteurs de terrain et mesurer les limites concrètes des dispositifs votés trois ans auparavant. Ils ont enfin interrogé par écrit d’autres entités qui participent plus indirectement à la lutte contre la fraude fiscale.
Les premiers résultats sont extrêmement positifs : au plan fiscal, l’année 2015 se caractérise par un niveau historique avec plus de 20 milliards d’euros de droits redressés et de pénalités. Les premiers jugements de dossiers instruits par le nouveau parquet national financier ont également été prononcés en 2016 avec des peines plus sévères sanctionnant l’ensemble des personnes impliquées dans la fraude. S’il est plus difficile d’apprécier qualitativement l’impact des deux lois sur les comportements, l’ensemble des personnes auditionnées a fait valoir que la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière constitue désormais un objectif commun et que chacun à son niveau de responsabilité déploie les outils permettant la détection et la répression de ces infractions.
Des efforts ont été aussi engagés en matière de coopération internationale, mais ils restent encore insuffisants. Au sein même de l’Union européenne, les législations diffèrent encore largement et la circulation de l’information n’est pas encore fluide. En s’appuyant sur les avancées des lois de 2013, la France pourrait utilement proposer d’améliorer le dispositif actuel, notamment en systématisant les échanges au niveau judiciaire et opérationnel.
Pour encourageants que soient les résultats chiffrés, ils restent limités au plan opérationnel par des moyens encore insuffisants, surtout au plan humain. Au-delà des postes ouverts, vos Rapporteurs regrettent que les postes dans les entités chargées de la lutte contre la fraude fiscale ne soient pas plus valorisés. Alors que ces fonctions demandent un investissement initial important, trop peu semble fait pour garantir une stabilité des effectifs. De même, l’expertise accumulée est encore mal reconnue et ne constitue – hélas – pas un accélérateur de carrière. Des crédits supplémentaires permettraient d’engager plus d’agents et d’améliorer leurs conditions de travail ; ils doivent surtout être accompagnés d’un changement de regard sur ces personnes.
Comme les autres missions fondamentales de l’État, les moyens des services régaliens financiers doivent être préservés ; ils sont la garantie de la pérennité et de la justesse de notre système fiscal. Pierre angulaire de notre pacte social, ils doivent d’autant plus être protégés que leurs résultats viennent abonder le budget de la collectivité.
I. DES INCRIMINATIONS RENFORCÉES ET UNE PROCÉDURE PÉNALE RÉNOVÉE
Les lois de 2013 ont élargi et complété le champ infractionnel et surtout modernisé les modalités de mise en mouvement de l’action pénale.
A. LE CHAMP INFRACTIONNEL DE LA FRAUDE FISCALE ET DE LA GRANDE DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
À la suite de la plupart des personnes auditionnées, vos Rapporteurs estiment que les avancées en termes d’incriminations pénales apportées par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, complétées à l’occasion de différents textes, ont permis de renforcer concrètement la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Elles n’appellent pas à ce jour de nouvelles modifications majeures. Trois ans après leur entrée en vigueur, ces dispositions ont au contraire besoin d’une certaine stabilité pour que les magistrats et les services d’enquête puissent pleinement se les approprier et leur donner toute leur mesure. Un renforcement des sanctions apparaît cependant nécessaire à l’encontre des personnes morales.
1. Des incriminations complétées depuis 2013 et désormais globalement adaptées
Selon M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, « la loi du 6 décembre 2013 s’est […] montrée efficiente, quant aux incriminations qu’elle prévoit, pour poursuivre l’objectif qui était le sien. Il n’y a donc pas lieu […] de la modifier sur ce point » (4). De son côté, M. Robert Gelli, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, a salué la plus-value considérable apportée par cette loi en termes d’amélioration ou d’aggravation de la répression de la délinquance économique complexe et de la fraude fiscale. À ses yeux, il ne « semble plus nécessaire de modifier les incriminations d’atteinte à la probité et de fraude aux finances publiques » (5).
Différents acteurs ont relevé, parmi les améliorations heureuses, le renversement de la charge de la preuve opéré en matière de blanchiment. Si la loi du 6 décembre 2013 n’a pas modifié la définition de cette infraction figurant à l’article 324-1 du code pénal, en revanche elle a posé (6), dans un nouvel article 324-1-1 du même code, une présomption touchant à l’origine illicite des biens ou revenus concernés (7). Désormais, « les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ».
Les acteurs ont également salué l’extension des circonstances aggravantes applicables au délit de fraude fiscale et la fixation des peines encourues pour ce délit à sept ans d’emprisonnement et à deux millions d’euros d’amende (8). Ce renforcement a visé à sanctionner plus sévèrement la fraude fiscale lorsqu’elle s’accompagne de circonstances qui la rendent plus difficile à détecter par les services de l’administration fiscale (bande organisée, recours à des comptes ouverts ou des contrats souscrits à l’étranger, interposition d’organismes établis à l’étranger ou d’entités fictives ou artificielles, usage d’une fausse identité, etc.). Il a ainsi répondu à une évolution au cours de la dernière décennie de la fraude fiscale qu’a bien fait ressortir Mme Éliane Houlette, procureur de la République financier : « les schémas sont devenus très complexes. La fraude fiscale a énormément évolué avec la mondialisation et la révolution numérique. Autrefois, il suffisait d’ouvrir un compte numéroté en Suisse dont on était le seul titulaire sous-jacent ; aujourd’hui on passe par des sociétés offshore dans plusieurs pays, en s’appuyant sur des moyens technologiques très sophistiqués » (9).
Les personnalités auditionnées se sont encore félicitées de la création d’une circonstance aggravante de l’abus de biens sociaux lorsque celui-ci a été réalisé au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits à l’étranger ou grâce à l’interposition de personnes physiques ou morales établies à l’étranger, ce délit étant alors puni de sept ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende (10). Bien d’autres évolutions de 2013 en termes d’incriminations ont été saluées, avec le recul de trois ans dont elles disposent, par de nombreuses personnes entendues par vos Rapporteurs (11).
Après l’entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013, de nouveaux progrès ont été enregistrés. Ainsi, la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 (12) a réécrit les incriminations en matière boursière (pour lesquelles le procureur de la République financier a une compétence exclusive) en ajustant leur rédaction en fonction des derniers textes européens publiés en la matière et en harmonisant les peines avec celles encourues devant la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers. L’amende sanctionnant les abus de marché, prévue à l’article L. 465-1 du code monétaire et financier, est ainsi passée de 1 500 000 euros à 100 millions d’euros (13).
De même, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi « Sapin II ») incrimine désormais le trafic d’influence d’agent public étranger (14), ce qui était réclamé depuis plusieurs années par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le groupe d’États contre la corruption (GRECO) et l’office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Elle a aussi prévu (15) la possibilité de prononcer des peines de publicité des condamnations pour l’ensemble des atteintes à la probité. Le 4° de l’article 432-17 du code pénal relatif aux peines complémentaires a ainsi été modifié afin d’étendre la possibilité d’ordonner la publicité de la condamnation aux faits de concussion (16), de prise illégale d’intérêt (17), de favoritisme (18) et de détournement de fonds publics (19). Le même texte a introduit une peine complémentaire obligatoire (20) d’inéligibilité pour les condamnations prononcées pour des infractions à la probité (21).
L’arsenal législatif paraît donc à vos Rapporteurs, de ce point de vue, globalement satisfaisant. Des progrès restent néanmoins souhaitables en ce qui concerne la sanction des personnes morales.
2. Un nécessaire renforcement du dispositif à l’encontre des personnes morales
a. Augmenter les montants maximaux encourus par les personnes morales
La loi du 6 décembre 2013 ne s’est pas désintéressée de la répression des infractions commises par des personnes morales puisqu’elle a notamment prévu la possibilité de les condamner, à l’instar des personnes physiques, à la peine complémentaire de la confiscation de leur patrimoine (22).
L’insuffisante sévérité du dispositif répressif à l’encontre des personnes morales reste toutefois un constat très largement partagé. Ce point a été souligné, par exemple, lors de leurs auditions respectives, par Mme Jeanne-Marie Prost, déléguée nationale à la lutte contre la fraude, et par M. Daniel Lebègue, président de l’association de lutte contre la corruption Transparency International France.
L’article 131-38 alinéa 1er du code pénal énonce en effet que le montant maximal de l’amende encourue par les personnes morales correspond au quintuple du maximum encouru par les personnes physiques (23). À titre d’exemple, en cas de fraude fiscale aggravée (24), le plafond de l’amende encourue est de 2 millions d’euros pour une personne physique et de 10 millions d’euros pour une personne morale. La corruption active (25) est, quant à elle, punie d’une amende de 1 million d’euros pour une personne physique et de 5 millions d’euros pour une personne morale.
En matière de fraude fiscale et de délinquance économique et financière, ce principe conduit à des quantums qui apparaissent souvent relativement faibles, compte tenu de la taille de la société poursuivie ou du groupe auquel elle appartient. Il est possible, à titre d’illustration, de s’interroger sur le caractère dissuasif d’une éventuelle amende pour fraude fiscale limitée à 10 millions d’euros pour des entreprises telles que Google (26), dont le chiffre d’affaires en 2015 a dépassé 75 milliards de dollars et le profit opérationnel plus de 23 milliards de dollars. Posée à une époque où l’économie était beaucoup moins mondialisée et où les entreprises n’atteignaient pas la taille et la puissance financière qu’elles possèdent parfois aujourd’hui, la règle du quintuple ne permet plus de garantir le caractère proportionné et dissuasif de la sanction pénale.
Certains aménagements ont certes permis d’instaurer, dans certaines hypothèses, des amendes qui demeurent dissuasives :
— l’amende punissant les abus de marché a ainsi été relevée à 100 millions d’euros pour les personnes physiques et donc à 500 millions d’euros pour les personnes morales (27) ;
— en matière de blanchiment, l’article 324-3 du code pénal prévoit que les peines d’amende mentionnées aux articles 324-1 (blanchiment simple) et 324-2 (blanchiment aggravé) peuvent être élevées « jusqu’à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment », c’est-à-dire jusqu’à 50 % des fonds blanchis ;
— les amendes qui répriment les différents manquements au devoir de probité (28) peuvent, quant à elles, être portées au « double du produit tiré de l’infraction » (29).
Ces aménagements ne sont toutefois pas toujours opérants. Ainsi, dans certaines affaires, il peut être très difficile, voire impossible, de chiffrer le « produit tiré de l’infraction », par exemple parce que la corruption d’un agent public français ou étranger intervenue à un moment donné (pour obtenir des autorisations, etc.) ne rapportera un profit chiffrable que plusieurs années plus tard.
Malgré donc ces aménagements qui permettent dans certains dossiers de punir avec efficacité les personnes morales auteurs de faits délictueux, il reste que, comme l’a indiqué le procureur de la République financier à vos Rapporteurs, « les montants maximaux encourus peuvent être particulièrement bas au regard de la taille des grandes entreprises ou des sociétés multinationales ». Ainsi que l’a expliqué, de son côté, M. Jean-Claude Marin, certains opérateurs économiques ont tendance, en présence d’amendes fixes aux montants non dissuasifs, à intégrer l’éventualité d’une condamnation comme un simple « risque pénal » au même titre que d’autres types de risques. De ce fait, « selon une simple analyse coûts - bénéfices, les entreprises peuvent considérer qu’il s’avérera plus rentable économiquement de commettre une infraction, en raison de la simple amende encourue ».
La question se pose de savoir s’il conviendrait, dans ces conditions, de prévoir, pour certaines infractions commises par les personnes morales, des amendes proportionnelles au chiffre d’affaires, à l’instar de ce qui est pratiqué par l’Autorité de la concurrence. Aux termes de l’article L. 464-2 du code de commerce, celle-ci peut en effet infliger, en cas d’entente ou d’abus de position dominante, des sanctions pécuniaires allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient.
L’introduction de telles amendes a toutefois été jugée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 décembre 2013 rendue à propos de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (30). Ce texte avait en effet prévu, dans son article 3, de modifier l’article 131-38 du code pénal afin que, pour les infractions d’une certaine gravité, dès lors qu’elles avaient procuré un profit direct ou indirect, le maximum de la peine puisse être porté au dixième du chiffre d’affaires de la personne morale. Lorsque les faits criminels portaient sur une infraction pour laquelle aucun quantum d’amende n’est prévu, ce montant pouvait être porté à 20 % du chiffre d’affaires. Le Conseil a jugé ce dispositif inconstitutionnel (31) au motif que le législateur avait « retenu un critère de fixation du montant maximum de la peine encourue qui ne dépend pas du lien entre l’infraction à laquelle il s’applique et le chiffre d’affaires et est susceptible de revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité de l’infraction constatée ».
Il serait certes possible, au lieu d’un pourcentage fixe du dixième ou du cinquième, d’envisager d’établir une gradation en fonction de l’échelle des peines, la proportion du chiffre d’affaires augmentant avec la durée d’emprisonnement prévue pour l’infraction concernée (32). Il est douteux toutefois que ceci suffise à écarter la censure du Conseil constitutionnel.
Il est vrai que, dans la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (33), le législateur a prévu que, en cas d’abus de marché sanctionné par le juge pénal, l’amende mentionnée à l’article L. 465-1 du code monétaire et financier pouvait, pour les personnes morales, « être portée à 15 % du chiffre d’affaires ». Il a également prévu, à l’article L. 621-15 du même code, pour les personnes morales, un nouveau plafond de 15 % du chiffre d’affaires, s’agissant de la sanction pécuniaire susceptible d’être prononcée par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ces dispositions n’ont pas été critiquées par les différents requérants ayant soumis ce texte au Conseil constitutionnel et n’ont pas été censurées par celui-ci (34). Il ne semble pas à vos Rapporteurs qu’il faille pour autant en conclure à un assouplissement futur par le Conseil constitutionnel de sa jurisprudence en la matière. Les dispositifs en question étaient en effet limités à certaines infractions et à certains manquements spécifiques et très précisément délimités, et résultaient, à tout le moins en ce qui concerne les manquements sanctionnés par l’AMF, de la transposition d’une série de règlements européens.
Au lieu d’amendes proportionnelles au chiffre d’affaires, il serait possible d’envisager, comme l’a suggéré M. Robert Gelli pour la fraude fiscale aggravée, une deuxième modalité de fixation de la peine d’amende consistant en la faculté de prononcer une amende dont le montant serait susceptible d’être porté au double du produit tiré de l’infraction, sur le modèle de ce qui existe en matière d’atteinte à la probité.
Proposition n° 1 : Prévoir, pour la fraude fiscale aggravée, une deuxième modalité de fixation de la peine d’amende consistant en la faculté de prononcer une amende dont le montant serait susceptible d’être porté au double du produit tiré de l’infraction
Une autre piste pour améliorer la répression des personnes morales pourrait consister à préciser expressément dans la loi que la règle du quintuple peut se combiner avec les aménagements prévus aux articles 324-3 et 432-10 et suivants du code pénal (35). Ainsi, lorsque l’article 324-3 prévoit que la peine d’amende sanctionnant le blanchiment peut être élevée jusqu’à la moitié de la valeur des fonds blanchis, la règle du quintuple doit permettre, à l’égard d’une personne morale, d’aller jusqu’à cinq fois la moitié de la valeur des fonds blanchis. De même, lorsque l’article 432-10, par exemple, prévoit que la peine d’amende sanctionnant la concussion peut être portée au double du produit tiré de l’infraction, la règle du quintuple doit permettre, à l’égard d’une personne morale, d’aller jusqu’à cinq fois le double du produit tiré de l’infraction.
Telle est d’ores et déjà, au demeurant, l’interprétation la plus logique des dispositions actuelles du code pénal. Ainsi en matière d’abus de marché, l’article L. 465-3-5 du code monétaire et financier, issu de la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016, prévoit expressément que « les personnes morales déclarées responsables pénalement […] encourent […] l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 du code pénal […]. Les modalités prévues à l’article 131-38 dudit code s’appliquent uniquement à l’amende exprimée en valeur absolue » (c’est-à-dire 100 millions d’euros). Par cette dernière précision, le législateur a exclu la combinaison de la règle du quintuple avec la possibilité, prévue à l’article L. 465-1 du même code, de porter l’amende « jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit », comme cela ressort des explications du rapporteur de la commission des finances du Sénat (36). Par un raisonnement a contrario, dans le silence de la loi sur ce point, ce type de combinaison devrait pouvoir recevoir application. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence n’ayant pas encore, à la connaissance de vos Rapporteurs, eu recours à cette application du principe du quintuple, il conviendrait d’en inscrire expressément la possibilité dans notre droit pénal afin de dissiper toute hésitation éventuelle dans l’esprit des magistrats.
Proposition n° 2 : Renforcer la répression à l’égard des personnes morales en permettant expressément de multiplier par cinq les montants résultant des possibilités d’élévation des amendes, possibilités prévues aux articles 324-3 et 432-10 et suivants du code pénal
S’agissant spécifiquement du délit de favoritisme (ou octroi d’avantage injustifié) (37), les peines encourues tant par les personnes physiques que par les personnes morales paraissent insuffisamment dissuasives à vos Rapporteurs. Prévues à l’article 432-14 du code pénal, elles s’élèvent à deux ans d’emprisonnement et à 200 000 euros d’amende (38) pour les premières et à 1 million d’euros d’amende pour les secondes. Ces peines apparaissent peu adaptées en présence de marchés publics qui se montent parfois à plusieurs centaines de millions, voire aux alentours du milliard d’euros. Elles sont également très inférieures à celles prévues par l’article 432-15 en matière de détournement de fonds publics, qui se montent à dix ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende (39) pour les personnes physiques et 5 millions d’euros d’amende pour les personnes morales. L’octroi d’un avantage injustifié par un décideur public se ramène pourtant lui aussi, dans son essence, à une forme de détournement des deniers publics, ces derniers n’étant pas utilisés en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires garantissant la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans l’attribution des marchés publics et des délégations de service public.
Pour améliorer la répression du favoritisme, le législateur pourrait distinguer, en s’inspirant de l’incrimination de la corruption :
— un favoritisme passif, consistant dans ce que l’on appelle aujourd’hui le « recel de favoritisme », qui consiste pour une entreprise à accepter, lors de la procédure de passation d’un marché, d’être avantagée ou favorisée ;
— un favoritisme actif volontaire, c’est-à-dire délibéré ;
— un favoritisme actif involontaire (purement « formel »), résultant d’une erreur d’un décideur public (par exemple, une commune de taille modeste) insuffisamment conseillé face à la complexité du droit régissant l’attribution des marchés publics.
Seul le dernier type d’infraction conserverait les peines actuellement prévues par l’article 432-14. Les deux premiers types d’infraction appellent, pour leur part, un renforcement des sanctions qui les répriment. Il importera, dans le cadre d’une future évolution législative sur ce point, d’attacher un soin tout particulier à la rédaction des nouvelles dispositions de manière à ce que la reformulation de l’incrimination n’aboutisse pas à restreindre son champ d’application, aujourd’hui assez largement entendu.
Proposition n° 3 : Renforcer les sanctions du favoritisme « passif » (recel de favoritisme) et du favoritisme « actif » délibéré tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales
Au-delà, une autre piste, proposée par le procureur général près la Cour de cassation, mériterait d’être approfondie à plus long terme. Le principe d’une amende proportionnelle au chiffre d’affaires soulevant des difficultés constitutionnelles, il propose en effet que l’amende soit proportionnée au profit tiré de la commission de l’infraction.
b. Assouplir les conditions requises pour engager la responsabilité pénale des personnes morales
Les conditions d’engagement de la responsabilité des personnes morales sont aujourd’hui fixées de manière assez restrictive par l’article 121-2 alinéa 1er du code pénal. Celui-ci dispose en effet que « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Une double condition doit donc aujourd’hui être réunie pour pouvoir rechercher la responsabilité d’une personne morale.
Lors de son audition, le procureur de la République financier a décrit cette exigence comme éloignée de la réalité économique.
La condition tenant à une commission de l’infraction par les « organes ou représentants » de la personne morale peut ainsi être source de difficultés, notamment dans les dossiers mettant en cause des groupes de sociétés. Un groupe de sociétés est en effet dépourvu de la personnalité morale, à la différence de la holding et des filiales qui le constituent. Pourtant, en pratique, ce sont bien souvent à l’échelon du groupe que les décisions stratégiques se prennent. Il y a ici un premier décalage entre la législation et les usages des entreprises.
Par ailleurs, dans les groupes de sociétés, il existe souvent des structures internes qui n’ont pas non plus de personnalité juridique propre si bien que notre droit ne permet pas de les appréhender. C’est le cas, par exemple, de « comités internes » transversaux qui réunissent les responsables d’une branche d’activité répartis au sein de différentes filiales. Il s’agit d’organes décisionnaires, mais dont les décisions ne sont pourtant pas susceptibles d’engager la responsabilité pénale du groupe ou des sociétés qui le composent.
Le fait de ne pouvoir poursuivre que les infractions commises par « les organes ou représentants » des personnes morales se révèle également inadapté lorsque l’infraction a été commise par un salarié qui ne dispose pas d’une délégation de pouvoir officielle. La responsabilité pénale de sa société ne peut pas être recherchée dans ce cas. Pourtant, la réalité pratique est bien que le salarié a agi pour le compte de celle-ci. Dans une telle hypothèse, le droit français ne permet pas, selon le procureur de la République financier, de poursuivre la société pour le fait de n’avoir pas su prévenir la commission de l’infraction alors qu’elle en avait les moyens. À l’inverse, le droit américain, par exemple, permet de mettre en cause beaucoup plus facilement la responsabilité d’une personne morale : l’employeur d’un salarié responsable d’une fraude fiscale commise dans l’exercice de ses fonctions peut ainsi être poursuivi quand bien même l’entreprise n’en a tiré aucun profit ou n’en avait pas connaissance.
S’agissant de la condition tenant à la commission de l’infraction pour le compte de la personne morale, le procureur de la République financier a observé que la nécessité de caractériser cet élément ne se justifiait pas en présence de faits notamment de fraude fiscale dont on ne voyait pas comment ils pouvaient être réalisés par les organes d’une personne morale autrement que dans l’intérêt de celle-ci.
Au vu de ces éléments, vos Rapporteurs invitent à réfléchir aux voies que pourrait prendre un assouplissement des conditions posées par la loi pour engager la responsabilité pénale des personnes morales.
Il convient de noter que certains assouplissements sont déjà intervenus en ce sens dans d’autres domaines du droit, tels que le droit de la concurrence, souvent précurseur en la matière. Ainsi, dans une décision du 10 septembre 2009 (40), la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) a confirmé la condamnation d’une société-mère au paiement d’une amende solidairement avec sa filiale, bien que la première n’ait pas directement participé aux ententes incriminées. Pour la Cour, le fait pour la société-mère de détenir 100 % du capital d’une filiale créait, à lui seul, une présomption simple que la première exerçait une influence déterminante sur la politique commerciale et la stratégie de la seconde. Dans le même ordre d’idées, on peut citer la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale qui permet de poursuivre l’entreprise donneuse d’ordre pour les fraudes commises par l’un de ses sous-traitants (travailleurs non déclarés, salaires incomplets, utilisation d’une société écran installée dans un autre pays de l’Union européenne pour l’emploi en France de Français sous le statut de travailleur détaché, etc.).
Proposition n° 4 : Assouplir les conditions pour engager la responsabilité pénale des personnes morales
B. DE NOUVELLES MODALITÉS DE SAISINE DE L’AUTORITÉ JUDICIAIRE
Par dérogation au droit commun de la procédure pénale, et en application de l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales (LPF), les infractions fiscales ne peuvent être poursuivies par l’autorité judiciaire que suite à un dépôt de plainte de l’administration fiscale.
Sont concernées toutes les infractions qui permettent à un contribuable de se soustraire ou de soustraire des tiers à l’établissement ou au paiement des impôts, qu’il s’agisse des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée, des taxes sur le chiffre d’affaires, des droits d’enregistrement, de la taxe sur la publicité foncière ou des droits de timbres (41). La tentative est également réprimée. Il s’agit principalement des infractions de fraude fiscale définies par les articles 1741 et 1743 du code général des impôts (CGI). L’organisation d’une fausse comptabilité par un professionnel, réprimée par l’article 1772 du CGI, est soumise au même dispositif. Trois infractions peuvent en revanche être poursuivies sans que l’administration doive préalablement saisir la commission des infractions fiscales (CIF) : l’escroquerie, l’opposition à contrôle fiscal et le blanchiment de fraude fiscale.
La loi de 2013 a consacré les évolutions introduites par la jurisprudence en modernisant la saisine du ministère public et a, par ailleurs, donné la possibilité à des associations agréées de se constituer partie civile dans des dossiers relatifs à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière.
1. L’élargissement des modalités de saisine de la commission des infractions fiscales
● En application de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, la saisine du ministère public par le ministre de l’Économie et des finances se fait sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. Souvent dénommé à tort « verrou de Bercy », ce mécanisme garantit une bonne articulation des réponses pénales et administratives. Dans des dossiers complexes, la qualification des faits est souvent difficile et il est nécessaire de transmettre au ministère public des dossiers étayés et ayant déjà fait l’objet d’une première analyse des services fiscaux. En 2009, les modalités de saisine de la CIF ont évolué, la loi de 2013 achevant cette évolution.
La commission des infractions fiscales
L’article 13 de la loi de 2013 a modifié la composition de la CIF et son article 16 a renforcé la publicité de ses travaux en prévoyant notamment que la commission remet au Parlement un rapport annuel sur son activité et sur le nombre de dossiers examinés.
Depuis le 1er janvier 2015, la CIF est composée de :
– huit conseillers d’État, élus par l’assemblée générale du Conseil d’État ;
– huit conseillers maîtres à la Cour des comptes, élus par la chambre du conseil en formation plénière de la Cour des comptes ;
– huit magistrats honoraires à la Cour de cassation, élus par l’assemblée générale de la Cour de cassation ;
– deux personnalités qualifiées, désignées par le président de l’Assemblée nationale ;
– deux personnalités qualifiées, désignées par le président du Sénat.
La commission comprend quatre sections comportant chacune sept membres. Une affaire examinée en section peut être réexaminée en formation plénière, sur décision du président de la commission qui est obligatoirement un conseiller d’État.
La saisine de la CIF intervenait traditionnellement à l’issue d’un contrôle fiscal. Une fois ses vérifications terminées, l’administration fiscale saisissait la CIF en vue d’une transmission du dossier à la justice. Ce dispositif a été maintenu mais une nouvelle procédure a été instituée en parallèle.
Lorsque la CIF est saisie par l’administration fiscale au terme d’opérations de contrôle, elle en avise le contribuable et lui communique l’essentiel des griefs. L’intéressé est invité à présenter ses observations dans un délai de trente jours. Durant la phase d’instruction, le président de la CIF peut recueillir auprès de l’administration tout renseignement jugé nécessaire. La procédure est strictement écrite, aucun débat contradictoire n’est organisé. Organisme administratif indépendant, la CIF n’est en effet pas tenue de respecter les droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (42). Elle est également hors du champ de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (43).
Ce dispositif comporte toutefois des risques sérieux en matière de délai de traitement des affaires et de preuve : un contribuable prévenu de l’existence d’un risque contentieux à son égard est en effet susceptible d’organiser son insolvabilité ou de détruire des éléments de preuve. Pour faire face à cette limite, l’article 23 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2009 (44) a instauré des modalités dérogatoires de consultation de la CIF en vue du déclenchement d’une procédure judiciaire dite « d’enquête fiscale ». La loi du 6 décembre 2013 renforce ce dispositif en généralisant son champ d’application à l’ensemble des cas d’utilisation de comptes ou de contrats détenus à l’étranger et d’interposition de personnes ou entités établies à l’étranger, qu’il s’agisse d’États coopératifs ou d’États non coopératifs. La CIF se prononce alors sans que le contribuable en soit averti.
Deux conditions doivent être cumulativement réunies pour justifier le recours à la procédure judiciaire d’enquête fiscale :
– l’existence de présomptions caractérisées qu’une infraction fiscale résulte d’une des cinq situations limitativement énumérées par l’article L. 228 du LPF, à savoir :
o l’utilisation, aux fins de se soustraire à l’impôt, de comptes ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;
o l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;
o l’usage d’une fausse d’identité ou de faux documents, ou de toute autre falsification ;
o l’existence d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;
o toute autre manœuvre destinée à égarer l’administration ;
– l’existence d’un risque de dépérissement des preuves de la commission de cette infraction.
Les présomptions caractérisées de fraude dont se trouve alors saisie la CIF peuvent avoir été mises au jour à l’occasion d’une enquête, d’un contrôle, ou de toute autre activité de gestion comptable. Cette procédure est majoritairement utilisée pour les fraudes patrimoniales, les minorations de déclarations d’ensemble des revenus, d’impôt de solidarité sur la fortune ou de distributions de recettes occultes.
En cas d’avis favorable au dépôt de plainte, cette procédure permet aux différents enquêteurs de travailler sans risque d’interférences et autorise une mutualisation des moyens administratifs de contrôle et des moyens judiciaires d’investigation.
● Le tableau ci-après détaille l’activité de la CIF depuis 2010, faisant apparaître une part croissante des dossiers relevant de la procédure judiciaire d’enquête fiscale.
ACTIVITÉ DE LA COMMISSION DES INFRACTIONS FISCALES
Nombre de dossiers transmis à la CIF |
Dont dossiers d’enquête fiscale |
Nombre d’avis rendus |
Dont avis défavorables |
Part des avis défavorables | |
2010 |
1046 |
44 |
1076 |
93 |
8,6 % |
2011 |
1043 |
38 |
1068 |
101 |
9,5 % |
2012 |
1125 |
58 |
1081 |
92 |
8,5 % |
2013 |
1182 |
80 |
1113 |
95 |
8,5 % |
2014 |
1139 |
89 |
1155 |
86 |
7,4 % |
2015 |
1061 |
100 |
1086 |
59 |
5,4 % |
Source des données : rapport d’activité 2015 de la CIF.
La CIF se prononce exclusivement sur l’opportunité des poursuites pénales : elle n’a pas à préciser les délits reprochés et la date de leur commission (45). Elle rend son avis sur les faits qui lui sont soumis et non sur la situation des personnes désignées par l’administration fiscale comme ayant concouru à leur réalisation (46).
L’avis de la commission est notifié par son président au ministre chargé du budget. Le contribuable est informé de l’avis par le secrétariat de la CIF s’il est défavorable à l’engagement des poursuites ou, le cas échéant, par l’administration fiscale à l’occasion du dépôt de plainte.
L’avis de la commission est un avis conforme, qui place le ministre dans une situation de compétence liée. Lorsque l’avis est favorable, les plaintes sont déposées par le service chargé de l’assiette ou du recouvrement de l’impôt territorialement compétent, c’est-à-dire en pratique le directeur départemental des finances publiques. Le contribuable est préalablement mis en demeure de régulariser sa situation.
La loi de 2013 prévoit que la CIF transmet chaque année un rapport d’activité au Parlement. Ces données montrent bien que si l’activité d’ensemble est stable, les dossiers d’enquêtes fiscales augmentent significativement, leur nombre ayant doublé en cinq ans. Dans le même temps, le nombre d’avis défavorables baisse fortement.
Le ministère de la Justice fait valoir que l’examen préalable de la CIF permet de concentrer l’action des parquets sur les cas les plus lourds de fraude fiscale.
2. Les infractions autonomes sans saisine préalable de la CIF
Comme tous les agents publics, les fonctionnaires luttant contre la fraude fiscale sont soumis aux dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale. Le principe de la saisine préalable de la CIF en restreint toutefois l’usage. De façon progressive, la jurisprudence puis la loi ont limité le principe de saisine préalable de la CIF à une liste exhaustive d’infractions.
Dès 1987, la Cour de cassation a rappelé que la poursuite du délit d’escroquerie n’impose pas une saisine préalable de la CIF (47). En 2005, ce mécanisme a également été écarté pour les délits d’opposition à un contrôle fiscal (48). Ces infractions ne concernaient toutefois pas le cœur du phénomène de fraude mais visaient sa périphérie.
En 2008, la jurisprudence a opéré un revirement de jurisprudence plus important et avec des conséquences opérationnelles fortes. Dans sa décision du 20 février 2008, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que « la poursuite du délit de blanchiment, infraction générale, distincte et autonome, n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales » (49) et qu’elle peut donc faire l’objet de poursuites sans avis préalable de la CIF.
Dans sa décision de 2008, la Cour de cassation considère en effet que, pour déclarer un prévenu coupable de blanchiment de fraude fiscale, il n’est pas nécessaire de caractériser le délit principal de fraude fiscale. Il suffit que soient établis les éléments constitutifs de l’infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses. Dans son commentaire, la Cour souligne que « le caractère distinct et autonome de l’infraction de blanchiment commande une telle solution qui devrait s’imposer également en matière de recel de fraude fiscale » (50).
Devant la commission d’enquête sénatoriale sur l’évasion des capitaux, la directrice de l’action criminelle et des grâces, Mme Maryvonne Caillibotte, relevait « que cette jurisprudence n’avait pas été facilement acceptée par l’administration fiscale qui a pu la considérer comme une remise en cause de son « monopole » », d’autant que le délit de blanchiment est assez facile à caractériser, peut-être même plus que la fraude fiscale, dans certains cas » (51).
La loi de 2013 a pris en compte cette spécificité : le nouvel article 324-1-1 du code pénal, introduit par son article 8, établit en effet un principe de présomption de blanchiment dès lors « que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler l’origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus ».
Lors de son audition, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, M. François Molins, a souligné l’intérêt opérationnel de ces dispositions qui lui ont permis d’apporter « des réponses judiciaires adaptées aux procédures dans lesquelles des délinquants sont interpellés avec des sommes en espèce considérables ou avec des patrimoines sans commune mesure avec leurs ressources légales. Il n’est pas toujours aisé de déterminer l’origine des fonds soupçonnés d’être frauduleuse [… mais] il est plus aisé de démontrer que lesdites sommes n’ont pas été déclarées aux services fiscaux et ont pu être blanchies en passant de mains en mains ou de personnes morales en personnes morales ». Avec le délit de blanchiment, le parquet de Paris peut poursuivre des « blanchisseurs », mais aussi « des délinquants de droit commun, des mules voire parfois des personnes physiques ou morales que l’on peut soupçonner de financement de terrorisme » (52).
L’ordonnance du 1er décembre 2016 (53) a tiré les conséquences de cette jurisprudence et a supprimé, dans le code monétaire et financier, la disposition qui prévoyait que lorsque TRACFIN transmet à l’administration fiscale des informations ou des faits susceptibles de révéler un délit de blanchiment de fraude fiscale, le « ministre chargé du budget les transmet au procureur de la République sur avis conforme de la commission des infractions fiscales ». Compte tenu de la jurisprudence et du caractère autonome du délit de blanchiment, cette disposition devait effectivement disparaître. Il conviendrait cependant d’assurer la parfaite coordination avec le livre des procédures fiscales, en supprimant l’article L. 228 A du Livre des procédures fiscales qui faisait référence à cette procédure spécifique.
3. Les associations de lutte contre la corruption constituées partie civile
L’article 1er de la loi de 2013 a ouvert la possibilité aux associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile dans les dossiers d’atteintes à la probité. Il a en conséquence supprimé les dispositions relatives au monopole du parquet en matière de poursuites pour corruption d’agent public étranger, sans préjudice toutefois des dispositions de l’article 113-8 du code pénal qui précise que, lorsque les faits ont été intégralement commis à l’étranger, la requête du ministère public demeure nécessaire.
Pour être recevables à exercer les droits de la partie civile, les associations de lutte contre la corruption doivent répondre à un certain nombre d’exigences : il doit s’agir d’associations agréées, déclarées depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile et dont les statuts visent explicitement à lutter contre la corruption.
Le décret du 12 mars 2014 a fixé les conditions de délivrance de cet agrément (54) et l’arrêté du 27 mars (55) liste les pièces justificatives que chaque association doit fournir. À ce jour, trois associations ont obtenu cet agrément : Transparency International France (56), Anticor (57) et Sherpa (58).
Il n’existe pas de statistiques consolidées sur le nombre d’affaires dans lesquelles ces associations se sont constituées parties civiles. Fin 2015, Anticor estimait par exemple être « engagée dans une vingtaine de dossiers judiciaires » (59) mais sans préciser à quel titre. Les deux autres associations citent plusieurs exemples d’affaires où elles se sont constituées parties civiles mais sans proposer de données agrégées.
Lors de son audition, le procureur général près la Cour de cassation, M. Jean-Claude Marin, a estimé que cette possibilité doit « recevoir un accueil très réservé. S’il est vrai que ces associations peuvent avoir des informations dont ne disposent pas les parquets, notamment par des révélations faites par des [lanceurs d’alerte], il n’en demeure pas moins que leur accorder la possibilité de déclencher l’action publique par le biais de la constitution de partie civile leur confère la qualité de « procureur privé », particulièrement dangereuse pour l’ensemble de la chaîne pénale ». Il a souligné que ce dispositif fait, « vis-à-vis des magistrats, […] courir le risque de soupçons d’incompétence ou de bienveillance dans l’opinion publique ». Il a rappelé que ces « associations peuvent être instrumentalisées par la concurrence ». Enfin il a souligné que cette constitution de partie civile affaiblit le dispositif créé par la loi Sapin II « permettant aux magistrats répressifs de conclure avec l’entreprise une convention judiciaire d’intérêt public (amende lourde et mise en place de contrôles internes) » (60).
II. UNE RÉPONSE MIEUX COORDONNÉE ET PLUS SPÉCIALISÉE MALGRÉ DES MOYENS ENCORE INSUFFISANTS
La nouvelle organisation judiciaire prévue par les lois de 2013 s’est traduite au plan opérationnel par la spécialisation de l’ensemble des acteurs et par une meilleure articulation de leurs actions. Malgré un cadre juridique adapté, les services judiciaires et administratifs ne disposent pas encore de moyens suffisants, pas plus que les agents ne bénéficient d’une juste reconnaissance de leur implication et de leur compétence.
A. UN RENFORCEMENT DE L’ACTION COORDONNÉE D’ACTEURS SPÉCIALISÉS
S’inscrivant dans le sillage de réformes précédentes (61), les lois du 6 décembre 2013 ont tendu à spécialiser davantage tant le ministère public que les services d’enquête et l’administration afin d’accroître l’efficacité de la lutte contre les formes les plus complexes de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière. Le législateur de 2013 a souhaité au surplus coordonner davantage ces acteurs et assurer une meilleure circulation de l’information entre eux.
1. Une compétence concurrente de juridictions spécialisées
a. Un procureur de la République financier à la compétence élargie et au bilan positif
Instauré par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, le procureur de la République financier (62), attaché au tribunal de grande instance de Paris, avait initialement deux types de compétences :
— une compétence exclusive pour les délits boursiers (63) ;
— une compétence concurrente avec d’autres parquets pour les atteintes à la probité (64) et pour les atteintes aux finances publiques (65).
Par la suite, d’une part, la loi du 3 juin 2016 (66) a élargi sa compétence aux délits d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un des délits pour lesquels il est compétent et, d’autre part, la loi du 21 juin 2016 (67) a réécrit les incriminations en matière boursière, en ajustant la rédaction aux normes européennes et en aggravant la répression des abus de marché.
La légitimité du procureur de la République financier n’est aujourd’hui plus contestée, comme en sont convenus, par exemple, M. François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, ou encore M. Jean-Claude Marin. Ce dernier a rappelé lors de son audition qu’il n’avait pas été favorable initialement à la création du parquet national financier comme il ne l’était pas davantage à celle du parquet national anti-terroriste (68).
Selon Mme Jeanne-Marie Prost, déléguée nationale à la lutte contre la fraude, « des avantages certains sont liés à la création du procureur financier avec la spécialisation essentielle d’un parquet (quinze parquetiers spécialisés et quatre assistants spécialisés en comptabilité, finances publiques et droit boursier) dans la gestion des dossiers complexes de corruption mais aussi de fraude fiscale ». La nouvelle institution a, selon M. Robert Gelli, développé une expertise qui est un gage de rapidité de la réponse judiciaire. Sa création « a permis de renforcer considérablement la lutte contre les atteintes à la probité en général et la lutte contre la fraude fiscale en particulier ».
Si la légitimité du procureur de la République financier n’est désormais plus contestée, il serait opportun que la magistrate aujourd’hui à sa tête figure, comme elle en a exprimé le souhait lors de son audition (69), sur l’annuaire des chefs de juridiction, en tant que chef de juridiction du parquet de Paris, à côté de M. François Molins. Il serait légitime qu’elle figure également dans le décret n° 89-655 du 13 septembre 1989 relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires. La place de cette nouvelle institution doit être assurée, y compris au sein du monde judiciaire (70), conformément à la volonté du législateur.
Le bilan positif du procureur de la République financier peut être apprécié au regard de plusieurs critères. Le premier d’entre eux consiste en l’accroissement régulier du nombre de saisines (au point de dépasser toutes les prévisions initiales d’activité), comme cela se reflète dans le tableau ci-après.
ÉVOLUTION DU NOMBRE DE SAISINES DU PNF
Création PNF (Février 2014) |
Fin 2014 |
Fin 2015 |
Mi-octobre 2016 | |
En cours |
108 |
204 |
286 |
360 |
Source : Procureur de la République financier.
Le procureur de la République financier traite donc actuellement 360 affaires dont :
— 12 % portent sur des atteintes au bon fonctionnement des marchés financiers ;
— 45 % portent sur des atteintes à la probité (23 d’entre elles portent sur des faits de corruption d’agent public étranger) ;
— 43 % portent sur des atteintes aux finances publiques.
Près de la moitié des procédures en cours ont pour origine un dessaisissement d’un autre parquet, que ce soit celui de Paris (30 %), de Nanterre (4 %), de Bobigny (1,1 %), de Marseille (moins de 1 %), de Strasbourg (moins de 1 %) ou encore de Corse (moins de 1 %). 29 % des procédures ont pour origine une transmission directe par une autorité publique, telle que la direction générale des finances publiques (18 %), l’Autorité des marchés financiers (3 %), des autorités étrangères (2,5 %), la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes (2,2 %), la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (moins de 1 %) ou TRACFIN (moins de 1 %). 8 % des procédures ont été engagées sur l’initiative procureur de la République financier lui-même (71).
Il convient de noter que le procureur de la République financier (contrairement aux autres parquets) privilégie désormais, dans le traitement de ces dossiers, l’enquête préliminaire par rapport à l’ouverture d’une information judiciaire. C’est un souci de réduction de la longueur des procédures qui a présidé à ce choix. À ses débuts, le taux d’enquêtes préliminaires ne représentait pourtant que 37 % de l’ensemble des procédures en cours. Ce taux a toutefois été multiplié par deux en moins de trois ans. Au 19 octobre 2016, près de trois affaires sur quatre sont traitées sous la forme préliminaire, comme le montre le tableau ci-après. Ceci est d’autant plus remarquable que la direction d’enquête dans des affaires très complexes implique un engagement particulièrement important des magistrats (72).
ÉVOLUTION DE LA RÉPARTITION ENTRE ENQUÊTES PRÉLIMINAIRES ET INSTRUCTION
Février 2014 |
Fin 2014 |
Fin 2015 |
Mi-octobre 2016 | |
Taux d’enquêtes préliminaires |
37 % |
63 % |
67 % |
74 % |
Taux d’informations judiciaires |
63 % |
37 % |
33 % |
26 % |
Source : Procureur de la République financier
Un autre indice de la place prise par le procureur de la République financier et du crédit qui lui est accordé réside dans la nature et la sensibilité des dossiers traités, qui possèdent souvent de surcroît une forte dimension internationale. Selon M. Robert Gelli, il « est désormais un interlocuteur à la fois reconnu et apprécié des autorités judiciaires étrangères ». Saisi actuellement de quarante demandes d’entraide pénale internationale passives, il a su par ailleurs s’imposer dans des dossiers sur lesquels les autorités judiciaires de plusieurs pays sont concurremment positionnées (73). Comme l’a relevé M. François Molins, « la disponibilité d’une équipe de magistrats très spécialisés permet de conduire des enquêtes […] exigeant des investigations lourdes à l’étranger [par exemple pour les] procédures de biens mal acquis ».
Au vu du nombre et de la nature des affaires qui lui sont confiées, il est incontestable que l’expertise acquise par le procureur de la République financier lui a permis de faire face, au moins dans une certaine mesure, aux évolutions récentes de la criminalité financière. Pour reprendre les termes de M. François Molins, en matière de blanchiment, « il ne s’agit pas simplement de l’attractivité immobilière de certains arrondissements de Paris ou de nos départements méditerranéens. Ce sont les acteurs du BTP, de la sécurité, de la téléphonie, ce sont les plus grosses entreprises d’imports/exports qui voient passer les flux financiers noirs des trafics et escroqueries ». En matière d’atteintes aux finances publiques, les délinquants font usage, dans le contexte de mondialisation et de numérisation de l’économie, d’outils de plus en plus perfectionnés pour protéger leur anonymat :
— recours à de nouveaux territoires peu ou non coopératifs proposant de nouvelles solutions juridico-financières (Îles Vierges britanniques, Panama, Hong-Kong, etc.)
— contrôle des fonds à distance par des moyens technologiques sophistiqués et sécurisés (e-banking, carte bancaire de paiement anonyme) ;
— interposition de sociétés-écran permettant la dissimulation des bénéficiaires économiques réels ;
— recours à des outils juridiques d’inspiration anglo-saxonne (trust, fondation privée, etc.) ;
— démultiplication des partenaires intervenant dans la mise en place des schémas de fraude (juriste ou avocat en France ou à l’étranger, entreprise fiduciaire ou fournisseur de sociétés offshore clefs en main, banque privée, etc.).
Si l’on étend à présent le bilan du procureur de la République financier au jugement des affaires qui lui sont confiées, il convient de rappeler qu’une 32e chambre correctionnelle a été créée au sein du tribunal de grande instance de Paris, chambre à laquelle sont confiées en priorité ces affaires. Ces procédures étant audiencées sans délai, la 32e chambre siège sans discontinuer et n’a pris aucun retard dans le traitement des affaires concernées. Le procureur de la République financier dispose ainsi de plages d’audiencement immédiates. Les dossiers suivis par la section financière du Parquet de Paris sont, quant à eux, plutôt confiés à la 11e chambre correctionnelle. Tous ces éléments ont été portés à la connaissance de vos Rapporteurs par M. Jean-Michel Hayat, président du tribunal de grande instance de Paris, lors du déplacement qu’ils ont effectué dans cette juridiction le 28 novembre 2016.
C’est le premier président de la cour d’appel de Paris qui, après avis du président du tribunal de grande instance donné après consultation de la commission restreinte de l’assemblée des magistrats du siège, désigne un ou plusieurs juges d’instruction et magistrats du siège chargés spécialement de l’instruction et du jugement des dossiers issus du procureur de la République financier (74). Les magistrats instructeurs ne se consacrent pas exclusivement au traitement de ces dossiers. Les informations judiciaires du procureur de la République financier sont donc suivies par les mêmes juges que ceux qui instruisent les procédures du Parquet de Paris (en qualité de parquet territorialement compétent ou en tant que parquet de JIRS (75)).
Différentes personnalités interrogées par vos Rapporteurs, telles que M. Bruno Dalles, directeur de TRACFIN, se sont demandé s’il ne conviendrait pas de faire évoluer le procureur de la République financier en lui conférant un rang de parquet national, auquel correspondraient un service d’instruction attitré et une juridiction de jugement nationale ad hoc.
Tel n’est pas l’avis de vos Rapporteurs. En trois années d’existence, le procureur de la République financier s’est imposé dans le paysage institutionnel judiciaire français. La question des moyens étant mise à part (76), il convient désormais de lui laisser donner toute sa mesure, sans toucher à sa place dans ce paysage ni modifier, si ce n’est à la marge, le champ de sa compétence.
b. Une compétence concurrente à maintenir
Le procureur de la République financier possède aujourd’hui, pour un certain nombre d’infractions, une compétence concurrente à celle des juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) (77) et des tribunaux de grande instance de droit commun.
Le critère tenant à la « grande complexité » des affaires, en particulier, est commun au procureur de la République financier et aux JIRS. Celles-ci sont compétentes, pour un certain nombre de délits, « dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent » (78). Le procureur de la République financier, le juge d’instruction et le tribunal correctionnel de Paris exercent une compétence concurrente à celle des JIRS pour la poursuite, l’instruction et le jugement d’un certain nombre de délits prévus par le code pénal « dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent » (79).
Le législateur de 2013 n’a donc pas déterminé précisément les règles de répartition des compétences entre ces différents acteurs. L’existence d’une compétence concurrente constituait d’ailleurs l’un des griefs soulevés dans le recours porté devant le Conseil constitutionnel contre la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Les requérants y avaient vu une atteinte au principe d’égalité devant la justice et une méconnaissance des objectifs de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, d’une part, et de bonne administration de la justice, d’autre part. Ces griefs avaient été écartés par le Conseil (80).
C’est une circulaire du garde des Sceaux du 31 janvier 2014 (81) qui a apporté plusieurs éléments pour aider à orienter au mieux les affaires. Si le texte prend soin de laisser une certaine souplesse dans l’appréciation de la saisine du procureur de la République financier, il précise toutefois que ce dernier « a par essence vocation à connaître des affaires susceptibles de provoquer un retentissement national ou international de grande ampleur ». Il ajoute que « compte tenu de son autonomie, de sa spécialisation, de ses moyens et de l’expertise dont il dispose, il a pleinement vocation à intervenir dans les affaires se distinguant par la complexité des montages financiers, la technicité de la matière, l’enchevêtrement des sociétés ou des structures impliquées, et, plus largement, lorsque le recours à un parquet hautement spécialisé est indispensable "au bon déroulement des investigations et à une bonne administration de la justice ». Il précise que « ces critères sont susceptibles d’apparaître lorsqu’est constatée la présence de multiples sociétés écrans ou de fiducies dans plusieurs pays considérés comme des paradis fiscaux, de gérants de paille remédiant à des interdictions de gérer, de circuits de blanchiment complexes, de comptes taxis ou d’organisation frauduleuse d’insolvabilité particulièrement aboutie ».
La circulaire du 31 janvier 2014 précise encore que le procureur de la République financier aura vocation à être saisi dans les cas suivants :
— les dossiers de corruption d’agents publics étrangers ;
— les dossiers relatifs aux autres atteintes à la probité lorsqu’ils révèlent l’implication d’un agent mis en cause exerçant des responsabilités de haut niveau ou en présence d’entreprises et de dirigeants à forte visibilité économique dont la mise en cause peut provoquer d’importantes répercussions financières ou sociales ;
— les dossiers de fraude fiscale complexe ou internationale, ou commise en bande organisée ;
— les escroqueries à la TVA du type « carrousels » de TVA, les escroqueries à la taxe carbone, commises en bande organisée et revêtant une dimension internationale se distinguant par l’ampleur du préjudice et par l’implication de multiples entreprises, avec des montages financiers et des circuits de blanchiment ayant recours à des structures écrans et des comptes bancaires ouverts dans plusieurs pays.
Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, déposé le 30 mars 2016, avait souhaité accroître fortement la compétence exclusive du procureur de la République financier dans un certain nombre de domaines. L’article 23 de la loi définitivement adoptée modifiait à cet effet les articles 705 et 705-1 du code de procédure pénale afin d’attribuer au procureur de la République financier, ainsi qu’aux juridictions d’instruction et de jugement de Paris, une compétence exclusive pour la poursuite, l’instruction et le jugement des délits de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale, d’omission d’écritures ou de passation d’écritures inexactes ou fictives, dès lors qu’ils sont commis en bande organisée. Une compétence exclusive leur était également donnée pour les délits de fraude fiscale, d’omission d’écritures ou de passation d’écritures inexactes ou fictives lorsqu’il existe des présomptions caractérisées qu’ils résultent d’un des comportements mentionnés aux 1° à 5° de l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales (utilisation de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger, usage d’une fausse identité, manœuvres, etc.). L’article 23 leur attribuait enfin une compétence exclusive pour le blanchiment de ces délits.
Dans sa décision du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a toutefois jugé ces dispositions contraires à la Constitution au motif qu’ « en ne prévoyant pas de dispositions transitoires de nature à prévenir les irrégularités procédurales susceptibles de résulter de ce transfert de compétence, le législateur a méconnu à la fois l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et celui de lutte contre la fraude fiscale » (82). Plusieurs personnes auditionnées se sont déclarées soulagées de cette déclaration d’inconstitutionnalité. Elles craignaient en effet que la transmission d’environ 250 dossiers des JIRS et des parquets territorialement compétents vers le procureur de la République financier n’ait eu pour conséquence de paralyser celui-ci et de ralentir considérablement le traitement des affaires. Selon M. François Molins, « en donnant compétence exclusive au [procureur de la République financier] pour toute la fraude fiscale aggravée et le blanchiment subséquent, c’est un outil essentiel et très efficace que [l’on retirait] aux parquets JIRS et à l’ensemble des parquets […] Même le nouvel article 324-1-1 [posant une présomption d’illicéité des biens ou revenus en matière de blanchiment], tant attendu pour lutter efficacement contre le blanchiment aurait pu perdre de sa pertinence et de son efficacité ».
La question demeure donc aujourd’hui du risque d’un conflit de compétences dans le cadre d’une enquête préliminaire (83), en particulier entre le procureur de la République financier et une JIRS, et de l’opportunité ou non d’instaurer une procédure d’aiguillage des dossiers entre eux.
S’agissant du ressort de la cour d’appel de Paris, la question ne se pose pas en réalité. Comme l’a confirmé M. François Molins, « nous relevons du même parquet général qui a déterminé une politique précise de saisine de la JIRS et du PRF ». Au moment de l’installation du procureur de la République financier en mars 2014, le Parquet de Paris s’est dessaisi d’un certain nombre de dossiers. Par la suite, les rares désaccords ont été tranchés par le procureur général près la Cour d’appel de Paris.
La question se pose en revanche avec plus d’acuité pour d’autres parquets JIRS, et notamment pour celui de Marseille qui, avec celui de la capitale, représente l’un des deux parquets de référence en matière économique et financière.
Lors de son audition, M. Jean-Claude Marin a esquissé une solution consistant à confier la mission de résoudre les conflits de compétence à un procureur général de la République qui resterait à créer. Là encore, vos Rapporteurs souhaitent laisser à la réforme de 2013 le temps de porter tous ses fruits et ne souhaitent ni mettre fin à la compétence concurrente, ni ajouter un nouvel acteur dans l’architecture institutionnelle. Au demeurant, les conflits positifs de compétence signalés depuis la création du procureur de la République financier sont pour l’instant très rares puisqu’ils se seraient montés à deux en trois ans (84) et qu’ils auraient été au surplus circonscrits à une seule zone géographique. Quant à d’éventuels conflits négatifs de compétence, aucun n’a été signalé.
Vos Rapporteurs préconisent de laisser à la Chancellerie, par ses avis certes non contraignants, le soin de contribuer à la résolution d’éventuels conflits que les échanges d’informations entre parquets prévus par la circulaire du 31 janvier 2014 n’auraient pas permis d’éviter. Rappelons en effet que, aux termes de l’article 30 alinéa 1er du code de procédure pénale, « le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. » La mise en œuvre de l’action publique, sur le fondement de cette disposition, devrait permettre, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de résoudre les éventuels désaccords.
c. Des aménagements envisageables à la marge en termes de compétences et de procédure
Le procureur de la République financier suggère trois ajustements de son champ de compétence et deux modifications en termes de procédure pénale, que vos Rapporteurs jugent intéressants et invitent à examiner à l’occasion de prochaines évolutions législatives.
Il propose d’abord que sa compétence soit étendue au délit de blanchiment comme délit « autonome », c’est-à-dire pris indépendamment de l’infraction sous-jacente. En l’état du droit, le procureur de la République financier ne peut se saisir d’une affaire de blanchiment que s’il dispose d’éléments lui permettant de préciser sur quelles infractions porte le blanchiment concerné. L’article 705 du code de procédure pénale fait en effet entrer dans son champ de compétence le « blanchiment des délits mentionnés aux 1° à 5° du présent article (85) et infractions connexes ». Si, par conséquent, TRACFIN l’informe de mouvements anormaux et dissimulés de capitaux laissant très fortement supposer une opération de blanchiment, le procureur de la République financier ne pourra pas s’en saisir s’il n’est pas en mesure de déterminer quels délits sont ainsi blanchis. À plus forte raison ne pourra-t-il pas faire jouer les assouplissements en termes de preuve figurant à l’article 324-1-1 du code pénal (86). Il y a là une différence avec les autres parquets qui, pour leur part, sont compétents pour le délit de blanchiments pris comme délit autonome (87).
Le procureur de la République financier suggère ensuite que le délit de financement illicite des campagnes électorales nationales entre dans son champ de compétence. M. Jean-Claude Marin juge également que cette compétence pourrait lui être attribuée, « en raison de l’intérêt violé par cette infraction, et des potentielles difficultés liées à l’identification de cette infraction ».
Il recommande enfin que sa compétence en matière de corruption d’agent public étranger (88) devienne exclusive. M. François Molins a abondé en ce sens devant vos Rapporteurs, eu égard à la spécificité et la technicité des enquêtes mais surtout au regard des enjeux internationaux. Pour reprendre ses termes, « il faudra bien l’action d’un parquet national pour prendre une place effective et équilibrée dans la lutte contre la corruption à l’étranger. Aujourd’hui, trop souvent, les autorités étrangères – notamment américaines mais aussi britanniques - conduisent des investigations rapides sur nos entreprises qu’elles sanctionnent lourdement avant même que nos propres enquêtes n’aboutissent. Réciproquement, nous ne conduisons que très rarement des investigations sur des entreprises étrangères et cumulons les appréciations mitigées de l’OCDE sur notre action en la matière ».
Sur le plan procédural, le procureur de la République financier préconise de rendre possible le recours à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) (89) pour les faits de fraude fiscale. En effet, les « délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale » (art. 495-16 du CPP), et par conséquent les faits de fraude fiscale, sont aujourd’hui exclus de son champ.
M. Robert Gelli est également partisan de cette extension de la possibilité de recours à la CRPC au motif que cette procédure « présente la particularité d’être exécutoire de plein droit, nonobstant l’exercice des voies de recours, ce qui est de nature à garantir une exécution beaucoup plus rapide de la décision de justice ». Le directeur des affaires criminelles et des grâces souligne qu’ « une réponse pénale qui intervient cinq ans, voire parfois sept ans après les faits interroge sur l’effet dissuasif et opératoire de la condamnation pénale ». Il ajoute que « pour le justiciable, une réponse judiciaire plus rapide est également souhaitable. En permettant au prévenu d’éviter une comparution devant un tribunal correctionnel, souvent perçue comme infamante, la CRPC sera de nature à inciter la personne poursuivie à accepter une peine plus lourde. Si la comparution devant un tribunal correctionnel est souvent privilégiée dans un souci d’exemplarité, l’acceptation d’une peine plus sévère dans le cadre d’une procédure de CRPC peut être perçue comme un gage d’exemplarité. » Quant à la partie civile également, elle pourra « recouvrer plus rapidement les dommages et intérêts alloués par le tribunal ».
Sur le plan procédural encore, le procureur de la République financier a attiré l’attention de vos Rapporteurs sur ce qu’il considère comme un défaut dans le dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public, créée par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 et figurant désormais à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale. Cet article prévoit en effet que le montant de l’amende d’intérêt public versée au Trésor est « fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés ». Or ce mode de fixation du montant de l’amende n’est guère adapté pour le blanchiment de fraude fiscale, infraction qui a pourtant été insérée au final parmi celles susceptibles de donner lieu à une telle convention. Ainsi, lorsqu’une banque est poursuivie pour avoir apporté son concours à une opération de blanchiment, il est très difficile de chiffrer l’avantage qu’elle en a retiré, l’intérêt consistant plutôt pour elle à attirer d’autres clients intéressés par ce type de montage. Il paraîtrait plus adapté, en cas de blanchiment de fraude fiscale, de fixer le montant de l’amende d’intérêt public en fonction du montant des avoirs blanchis.
2. Une activité croissante des services spécialisés
La loi de 2013 est venue consacrer la démarche de spécialisation engagée depuis plusieurs années au sein des services de l’État et des services d’enquête. En dotant ces unités de moyens renforcés et d’un cadre juridique solide, elle a clairement fait de la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière un objectif commun et prioritaire. Les services se sont réorganisés pour gagner en efficacité et utiliser au mieux les nouveaux outils mis à leur disposition.
a. Une administration fiscale très mobilisée
L’administration fiscale a très tôt mis en place une logique d’intervention concurrente de différents services. Face à la complexification croissante des montages de fraude, il apparaissait en effet indispensable de disposer d’entités spécialisées. Ce mouvement s’est traduit par plusieurs arrêtés de juillet 2000 (90) qui ont fixé les compétences des entités à compétence nationale chargées des opérations de vérification et de contrôle fiscal. Aujourd’hui six directions rattachées à la sous-direction de l’organisation du contrôle fiscal (91) exercent une compétence nationale :
– la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) dont la mission principe consiste à vérifier les groupes et les entreprises les plus importantes. Le critère d’importance est défini en fonction du chiffre d’affaires, de l’implantation géographique (notamment en cas d’implantation à l’étranger) ou selon l’activité exercée ;
– la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) qui est particulièrement chargée de la recherche des renseignements nécessaires à l’assiette, au contrôle et au recouvrement des impôts et taxes de toute nature ;
– la direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF) qui assure une part significative des opérations de contrôle externe des revenus, sa mission première demeurant le contrôle de revenu externe des personnes physiques ;
– la direction des résidents à l’étranger et des services généraux (DRESG) qui réalisent toutes les opérations de vérification et de contrôle pour les contribuables qui ne résident pas en France mais qui y ont des revenus ;
– la direction des grandes entreprises (DGE), interlocuteur fiscal unique des sociétés dont le chiffre d’affaires ou le total de l’actif brut est au moins égal à 400 millions d’euros ;
– la direction nationale d’interventions domaniales (DNID) qui traite des questions mobilières, immobilières et cadastrales.
Ces directions nationales jouent un rôle central dans les dossiers de grande fraude fiscale et sont en mesure d’identifier et de réprimer les montages les plus complexes. Elles bénéficient de relais déconcentrés que ce soit au sein des directions spécialisées de contrôle fiscal (DIRCOFI) ou dans les directions départementales des finances publiques. La priorité donnée à la lutte contre la fraude fiscale se traduit par un indicateur budgétaire de performance vérifiant « l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale ». Au total, la DGFIP estime que le contrôle fiscal mobilise quelque 12 000 équivalents temps pleins.
b. La forte implication des douanes
La direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) appréhende la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière principalement au travers du manquement à l’obligation déclarative de capitaux.
Comme au sein de l’administration fiscale, tous les services douaniers participent à la lutte contre la fraude et la grande délinquance économique financière mais sont plus spécifiquement mobilisés le service national de la douane judiciaire (SNDJ) et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Depuis une directive interne du 20 janvier 2015, les constatations relevées par tout service de surveillance font l’objet de consignations et d’investigations complémentaires, principalement par les deux services précités. Depuis septembre 2016, les douanes disposent par ailleurs d’un nouveau service d’analyse de risque et de ciblage (SARC) destiné à orienter l’action des services sur les enjeux prioritaires de la lutte contre la fraude fiscale.
La loi de 2013 a étendu le périmètre de l’obligation déclarative aux jetons de casino, aux cartes prépayées et à l’or. Cette extension de périmètre a conduit à une hausse de manquements constatés comme le montre le tableau suivant.
MANQUEMENTS À L’OBLIGATION DÉCLARATIVE CONSTATÉS PAR LES DOUANES
2014 |
2015 |
Évolution |
Au 1er septembre 2016 | |
Nombre de manquements constatés |
1 387 |
1 406 |
+1,5 % |
1 248* |
* si la tendance constatée au 1er septembre s’est poursuivie jusqu’en décembre, plus de 1 800 constats pourraient avoir été réalisés en 2016, soit une hausse de 25 %.
Source : direction générale des douanes et des droits indirects.
L’évolution la plus significative pour les douanes concerne le SNDJ dont la loi de 2013 a étendu les compétences et les moyens. En sa qualité de service d’enquête, il peut venir en appui d’un autre service douanier qui ne dispose pas de cette compétence. Historiquement très engagé dans la lutte contre la fraude à la TVA, il est désormais compétent pour le délit d’association de malfaiteurs ayant pour objet la préparation d’infractions entrant dans le champ de compétence du service. La loi de 2013 lui permet également de mettre en œuvre des logiciels de rapprochement judiciaire et d’utiliser des techniques spéciales d’enquête (cf. infra).
Depuis 2013, le SNDJ a traité 867 dossiers dont 635 procédures en matière de blanchiment et 232 dossiers pour escroquerie à la TVA. Pour le blanchiment de droit commun, le nombre d’affaires traitées par le SNDJ a progressé de 300 % entre 2014 et 2015.
En 1990 est créée au sein de la direction générale des douanes, une cellule chargée d’organiser la lutte contre le blanchiment d’argent. En 2006, la cellule devient le service à compétence nationale « traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins », plus connu sous son acronyme TRACFIN. La dimension de renseignement financier prend une place de plus en plus importante et lui permet d’intégrer le premier cercle de la communauté du renseignement en 2008. En 2009, la transposition de la troisième directive relative à la lutte contre le blanchiment élargit la notion de soupçon de blanchiment et le décret du 16 juillet 2009 (92) intègre pleinement la fraude fiscale au dispositif. Il vise uniquement la fraude fiscale grave et non l’intégralité des délits fiscaux. Pour définir la notion de gravité, le décret établit seize critères, tels que l’utilisation de sociétés écrans ou l’interposition de personnes physiques. Le fait qu’un seul de ces critères soit rempli dans une opération autorise le professionnel à transmettre à TRACFIN une déclaration de soupçon.
La loi de 2013 n’a pas modifié les missions de TRACFIN mais ses dispositions ont facilité la coopération entre les services. TRACFIN constitue en effet un point de passage obligé des informations relatives à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière. TRACFIN est en effet en mesure de les analyser et de les transmettre aux services compétents. Le schéma suivant détaille son activité en 2015.
ACTIVITÉ DE TRACFIN EN 2015
Variation en % par rapport à 2014
RÉCEPTION |
ANALYSE |
DISSÉMINATION | |||
|
+ 18% Informations adressées à TRACFIN |
10 556 |
+ 8% Enquêtes réalisées en 2015 à partir d’informations reçues dans l’année ou d’années antérieures |
|
+ 17% Notes de transmission |
43 231 + 18% Déclarations de soupçons |
|
Actes d’investigations |
448 + 3% Transmissions judiciaires | ||
1 414 + 26% Demandes entrantes en provenance des cellules de renseignement financier étrangères et sur réquisition judiciaires |
25 654 Droits de communication |
1 187 + 27% Transmissions administratives | |||
621 + 8% Informations administratives |
2 192 Requêtes adressées aux homologues étrangers (RCF) |
||||
23 555 Recherches (consultations de fichiers et de bases ouvertes, interrogations de services institutionnels) |
Source : rapport annuel d’activité de TRACFIN 2015.
L’activité de TRACFIN est en hausse constante : si le service recevait environ 10 000 déclarations de soupçons en 2010, il en a reçu plus de 43 000 en 2015, et plus de 60 000 en 2016. Chaque année, TRACFIN externalise 1 500 à 2 000 dossiers :
– 400 à 500 dossiers sont transmis à la justice ;
– 400 dossiers à l’administration fiscale ;
– 100 dossiers aux administrations sociales ;
– environ 500 dossiers aux autres services de renseignement.
d. Des services d’enquête très sollicités
Au sein des services d’enquête, la logique de spécialisation précédemment engagée s’est accentuée depuis 2013. Aujourd’hui, le parquet national financier collabore principalement avec des services d’enquête spécialisés.
La direction centrale de la police judiciaire a tiré les conséquences de la spécialisation des parquets en modifiant l’organisation de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière. Depuis 2013, un adjoint au sous-directeur est spécifiquement chargé des affaires économiques et financières et coordonne l’action de deux offices centraux.
● Créé en octobre 2013, l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) regroupe la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) et la brigade nationale de lutte contre la corruption et la criminalité financière (BNLCCF). La BNRDF est compétente pour connaître des infractions réprimant le fait de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement de ses impôts et au blanchiment de ces infractions. Les deux sections de la BNLCCF traitent, d’une part, des infractions à la législation sur les sociétés, le financement de la vie politique, les délits boursiers et, d’autre part, des atteintes à la probité dont la corruption d’agents publics étrangers.
Comme le détaille le tableau suivant, l’OCLCIFF est saisi actuellement de 300 enquêtes dont 96 par le parquet national financier et 75 par le parquet de Paris. La BNRDF a actuellement un portefeuille de 196 enquêtes (20 à l’instruction et 176 des parquets) portant sur 152 cas de fraudes fiscales complexes et 44 liées à du blanchiment de fraude fiscale.
Origine des dossiers de l’OCLCIFF
TGI |
Origine |
Nombre |
PARIS |
PNF |
96 |
Parquet |
75 | |
Instruction |
38 | |
Autres |
2 | |
Nanterre |
Parquet |
8 |
Instruction |
6 | |
Versailles |
Parquet |
6 |
Lyon |
Instruction |
4 |
Parquet |
2 | |
Grasse |
Instruction |
1 |
Parquet |
5 | |
Autres * |
57 | |
TOTAL |
300 |
* Autres : une affaire : Agen, Ajaccio, Basse-Terre, Bastia, Bayonne, Beauvais, Bonneville, Carpentras, Cayenne, Chalons en Champagne, Colmar, Coutances, Dieppe, Dijon, Dunkerque, Fort de France, La Rochelle, Les Sables d’Olonne, Meaux, Metz, Montpellier, Nancy, Pontoise, Reims, Senlis, Soissons, Toulon, Toulouse, Tours ; deux affaires : Albertville, Bordeaux, Créteil, Draguignan, Lille, Nantes, Périgueux, Thionville, Thonon-les-Bains ; trois affaires : Nice, Rouen ; quatre affaires : Marseille.
Source : direction centrale de la police judiciaire.
Le tableau ci-après détaille la répartition des dossiers selon les infractions visées.
Répartition des dossiers de l’OCLCIFF
Infraction visée |
Nombre de dossiers |
En % du total des dossiers |
Fraude fiscale |
156 |
52,0 % |
Blanchiment lié aux autres infractions |
41 |
13,7 % |
Corruption aggravée |
36 |
12,0 % |
Divers * |
20 |
6,7 % |
Abus de bien social |
17 |
5,7 % |
Abus de bien social et autres détournements |
9 |
3,0 % |
Détournements de fonds publics |
7 |
2,3 % |
Prises illégales d’intérêts |
6 |
2,0 % |
Octroi d’avantage injustifié |
4 |
1,3 % |
Banqueroute |
1 |
0,3 % |
Trafic d’influence |
1 |
0,3 % |
Infraction au code des marchés publics |
1 |
0,3 % |
Autres escroqueries |
1 |
0,3 % |
TOTAL |
300 |
100,0 % |
* Divers : achats de votes, infractions boursières, violation de secret, corruption d’agent public étranger, infractions HATVP, dénonciations calomnieuses, exercice illégal de la profession d’agent immobilier, extorsion.
Source : direction centrale de la police judiciaire.
L’activité de l’office est particulièrement soutenue comme en témoignent les 281 perquisitions réalisées entre le 1er janvier 2016 et le 29 novembre 2016, en Île-de-France et sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. Elles traduisent l’importance de la recherche du matériel probatoire in situ. L’office fait également un usage important du dispositif de saisies des avoirs criminels qui sont passés de 27,9 millions d’euros en 2014 à 32 millions d’euros en 2015.
● L’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) a pour domaine de compétence les infractions à caractère économique, commercial et financier liées à la criminalité professionnelle ou organisée, notamment celles en relation avec le trafic de stupéfiants, le grand banditisme et le terrorisme. Il est ainsi en charge de la lutte contre le blanchiment de fonds, le financement du terrorisme, la lutte contre les fraudes communautaires et les escroqueries transnationales. Au sein de l’office, la plate-forme d’identification des avoirs criminels (PIAC) instituée en 2007 permet de dépister les avoirs financiers et les biens patrimoniaux des délinquants. En outre, un groupe dit des « biens mal acquis » a été créé en janvier 2011 afin d’identifier et saisir les biens issus d’investissements frauduleux opérés par des étrangers sur le territoire national.
En raison de la spécificité des enquêtes traitées, de leur complexité et de leur transnationalité, l’OCRGDF est presque exclusivement saisi par les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Le PNF est l’autorité judiciaire compétente pour les dossiers dits de « biens mal acquis » et pour les enquêtes spécifiques confiées à la PIAC en matière de dépistage et de saisie d’avoirs criminels.
À ce jour, l’OCRGDF comptabilise 133 enquêtes dont 55 dans le cadre d’une enquête préliminaire et 78 sur commission rogatoire auxquelles s’ajoutent 171 commissions rogatoires techniques, soit un total de 304 procédures.
En 2014, l’OCRCGDF avait saisi 42 millions d’euros. En 2015, les saisies atteignent 63,6 millions d’euros en 2015 sur un total de 488 millions d’euros saisis par les services de police et de gendarmerie. Pour les neuf premiers mois de 2016, l’office a déjà saisi 30,7 millions d’euros d’avoirs criminels.
● Le PNF travaille également avec les services de la préfecture de police de Paris et ceux de la gendarmerie. La police judiciaire de Paris dispose d’une sous-direction des affaires économiques et financières qui comprend sept brigades spécialisées comme la brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) ou la brigade financière qui traite en particulier des infractions boursières. Les sections de recherche de la gendarmerie, et notamment celle de Paris, développent peu à peu des compétences spécifiques en matière de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière.
● Les JIRS sont confrontées à une situation plus délicate, les services régionaux de police judiciaire et les sections de recherche de la gendarmerie nationale ne disposant pas d’unités spécialisées et ne comptant que peu d’enquêteurs rompus à ce type d’investigations. En outre, dans un contexte de surcharge des enquêteurs, ce type d’investigation est peu mis en avant : les procédures sont longues et la visibilité des affaires est faible.
3. Une logique de circulation de l’information et de renforcement de la coordination
Pour gagner en efficacité et en complémentarité, il est apparu indispensable de mieux articuler les réponses administratives et pénales. Cette logique de coordination passe d’abord par une systématisation des rencontres et s’appuie sur une obligation juridique de circulation des informations utiles, dans le strict respect des procédures et des compétences respectives des différents acteurs.
a. Une obligatoire circulation de l’information
Lors de l’examen du projet de loi, votre Rapporteure, alors Rapporteure pour avis de la commission des Finances, avait mis en avant l’insuffisante circulation de l’information entre les différentes entités impliquées dans la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Avant 2013, il existait des possibilités de communication, notamment quand le ministère public transmettait des dossiers à l’administration fiscale. La loi de 2013 a systématisé cette démarche et prévu une information « retour » obligatoire.
Avant 2013, les articles 82 C et 101 du Livre des procédures fiscales prévoyaient que le ministère pouvait ou devait, selon les cas, transmettre des dossiers ou des informations à l’administration fiscale. La loi de 2013 a utilement complété ces dispositions en prévoyant que lorsque l’administration fiscale est saisie, elle informe spontanément, dans un délai de six mois, le ministère public de l’état d’avancement des recherches fiscales qu’elle a diligentées. La DGFIP doit par ailleurs communiquer au ministère public le résultat définitif du dossier. Un rapport annuel doit retracer le traitement des dossiers transmis sur ces fondements. La DGFIP a indiqué à vos Rapporteurs que ce rapport sera « communiqué prochainement au Parlement [et qu’il] recensera les informations transmises et leur traitement au titre des années 2014 et 2015. Il permettra, ainsi, de mieux mesurer la mise en place du dispositif en offrant une perspective sur les deux premières années de suivi ».
Dans la même logique, la loi de 2013 a étendu cette obligation de communication à l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). L’article 84 D du Livre des procédures fiscales dispose que l’ACPR communique à l’administration fiscale, à la cellule de renseignement financier nationale ainsi qu’au procureur territorialement compétent tout document ou information obtenu dans le cadre de ses missions, dès lors qu’il s’agit de sommes ou opérations susceptibles de provenir d’une fraude fiscale. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, l’ACPR a communiqué à TRACFIN et à l’administration fiscale 221 dossiers de défauts de déclaration de soupçon fiscale, provenant de 22 établissements différents.
Ces éléments ont été recueillis lors de contrôles sur place auprès des organismes soumis au contrôle de l’ACPR en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). Lors de ces contrôles, qui portent sur la conformité du dispositif de LCB-FT et son effectivité, les contrôleurs de l’ACPR examinent un échantillon de dossiers individuels de clients, y compris les opérations réalisées, afin de s’assurer de la mise en œuvre effective des obligations de vigilance. À ce titre, ils s’assurent que l’organisme contrôlé a bien effectué, lorsque cela apparaissait nécessaire, une déclaration de soupçons auprès de TRACFIN. En cas de déclaration de soupçon dite de fraude fiscale, les dossiers individuels sont annexés au rapport des contrôleurs avec l’indication des personnes physiques ou morales détentrices du compte, souscriptrices ou bénéficiaires du contrat d’assurance. Ces éléments sont ensuite transmis à TRACFIN et à l’administration fiscale.
Au sein du ministère de la Justice, la circulaire du 31 janvier 2014 de politique pénale relative au procureur de la République financier souligne que « les mécanismes de dessaisissement seront d’autant plus faciles à mettre en œuvre que l’échange d’informations entre les parquets concernés sera intervenu rapidement et de la manière la plus complète possible. Les parquets généraux jouent un rôle central dans cette circulation de l’information indispensable au fonctionnement efficient du nouveau dispositif » (93).
La circulaire du 22 mai 2014 du ministère des Finances et des comptes publics et du ministère de la Justice (94) précise quant à elle les modalités d’échanges renforcées entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale aux fins de lutter plus efficacement contre la grande délinquance fiscale, économique et financière et formule des recommandations procédurales (95).
Par ailleurs, la procédure judiciaire d’enquête fiscale, dont le champ d’application a été élargi par la loi du 6 décembre 2013, permet de réunir et coordonner les moyens d’investigation des services de police judiciaire et de la DGFIP pour mieux lutter contre les fraudes fiscales complexes, présentant des enjeux financiers importants.
Cette procédure est mise en œuvre dans les affaires pour lesquelles les procédures administratives de contrôle fiscal s’avèrent insuffisantes. Elle a pour objectifs de :
– caractériser de façon plus efficace la fraude fiscale complexe et de mieux identifier l’ensemble des auteurs et complices par la mise en œuvre de moyens de police judiciaire, y compris des techniques spéciales d’enquête ;
– faciliter les opérations de contrôle fiscal diligentées par l’administration qui exploite les informations recueillies dans le cadre de l’enquête judiciaire et qui lui sont transmises par l’autorité judiciaire ;
– réprimer plus fermement les fraudeurs par la mise en cause pénale de l’ensemble des auteurs et complices.
b. Lever les freins subsistant dans la démarche partenariale
● La délégation nationale à la lutte contre la fraude placée auprès du ministre de l’économie et des finances anime les initiatives transversales afin de favoriser l’émergence de synergies entre les acteurs de la lutte contre la fraude qui passent notamment par le développement de nouveaux outils. Elle élabore en outre le « plan national de lutte contre la fraude » devenu triennal en 2016.
Au plan opérationnel, la loi de 2013 facilite la mise à disposition croisée d’experts dans les différentes entités. À l’initiative de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, la loi de finances rectificative du 30 décembre 2009 (96) a institué les officiers fiscaux judiciaires (OFJ), consacrant le caractère spécifique de la fraude fiscale qui justifie d’associer réponse administrative et pénale. Ce mécanisme est particulièrement visible à l’OCLCIFF qui compte aujourd’hui quelque 22 officiers fiscaux judiciaires. Début 2017, 13 nouveaux officiers fiscaux judiciaires, actuellement en formation à l’école nationale supérieure de police de Cannes-Écluse, rejoindront l’OCLCIFF. Au-delà des OFJ, grâce à la loi de 2013 qui généralise cette pratique, la DGFIP détache ou met à disposition également des agents dans les groupes d’intervention régionaux (GIR) ou auprès d’autres services enquêteurs. Elle détache aussi des agents auprès de juridictions, la plupart des JIRS bénéficiant par exemple du renfort d’un inspecteur des finances publiques.
Les entités impliquées directement ou non dans la lutte contre la fraude fiscale disposent par ailleurs d’officiers de liaison ou de personnels détachés d’autres ministères. TRACFIN comprend par exemple un pôle juridique et judiciaire animé par deux magistrats, deux juristes, et trois officiers de liaison police-gendarmerie. Ce pôle mène un travail de suivi afin de mieux analyser les décisions de justice pour améliorer les productions du service et les rendre plus facilement exploitables.
S’agissant plus particulièrement de la lutte contre les fraudes à la TVA, depuis 2014 une Task Force TVA associe tous les services de l’État concernés par la lutte contre les fraudes à la TVA, en vue de mieux coordonner leurs actions. Y participent notamment les douanes, la police, TRACFIN et le parquet national financier. Des réunions mensuelles sont organisées dans le but d’assurer le bon fonctionnement du dispositif. Ce dispositif montre la capacité des structures à inventer des nouvelles organisations et à dépasser les susceptibilités administratives pour mettre en place la réponse la plus opérationnelle possible.
Au-delà des mises à disposition ou des actions concertées, il importe de créer des lieux réguliers de rencontres. Les instructions ministérielles, pour utiles qu’elles soient, supposent que les acteurs se connaissent et entretiennent des relations constantes et de confiance. Pour faciliter les échanges informels et partager les bonnes pratiques, les ministres des Finances et de la Justice ont rassemblé le 15 décembre 2015 l’ensemble des procureurs généraux et des directeurs de la DGFIP autour du thème : « luttons ensemble contre la fraude fiscale ». En mai 2016, sous l’égide du Secrétaire d’État au budget et à l’initiative de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, ont été réunis les acteurs de la lutte contre la fraude sociale et les procureurs.
À l’échelon local, la DNLF encourage les « dynamiques croisées » (contrôles conjoints, échanges de renseignement) au travers de la coordination opérée par les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF). Ces comités ont fait la preuve de leur utilité : les réunions mensuelles permettent d’échanger utilement des informations et de planifier, autant que de besoin, des opérations conjointes. Les réunions annuelles co-présidées par le préfet et le procureur de la République permettent quant à elles de décliner au niveau départemental les plans nationaux et de les adapter aux réalités locales.
Dans le prolongement des échanges lors des CODAF, vos Rapporteurs souhaitent que les réunions d’information et de partage des bonnes pratiques organisées au niveau central soient déclinées localement et associent plus encore les acteurs de terrain.
Proposition n° 5 : Décliner au plan territorial les espaces d’échange et de formation communs à tous les acteurs administratifs et judiciaires
● Ces progrès, pour positifs qu’ils soient, souffrent de certains obstacles opérationnels, notamment en termes d’accès aux bases de données, qu’il serait pourtant aisé de lever. Leurs auditions et déplacements ont permis par ailleurs de mettre en évidence trois principales pistes d’amélioration, toutes liées à des problématiques informatiques.
Les agents de la DGFIP détachés auprès des JIRS perdent l’accès aux applications de leur direction. Pour accéder à ces données, le magistrat pour le compte duquel ils travaillent doit procéder par réquisition, rallongeant inutilement les délais. Maintenir les accès aux informations, dans le strict respect du secret fiscal, faciliterait le travail des magistrats et éviterait une excessive formalisation des échanges. Cette évolution apparaît d’autant plus justifiée que les personnels de la DGFIP mis à disposition d’autres administrations, et notamment de services d’enquête, ne perdent pas ces droits. Interrogé par vos Rapporteurs, le ministère de l’économie a indiqué que le maintien de ces droits nécessite une habilitation législative expresse, à l’instar de ce qui a été fait pour les agents de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, dont on peut s’étonner qu’elle ne soit pas déjà intervenue. Par ailleurs, pour pouvoir être versée au dossier, les informations devraient toujours être demandées formellement par le magistrat par réquisition.
Proposition n° 6 : Maintenir l’ensemble des droits d’accès aux fichiers fiscaux pour les agents de l’administration fiscale détachés ou mis à disposition de juridictions chargées de la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière
Le système informatique de suivi des dossiers judiciaires ne permet pas aujourd’hui d’informer les services à l’origine du signalement de l’issue de la procédure judiciaire. La justice a par exemple obligation d’effectuer un retour d’information vers l’administration des finances conformément aux articles L. 82 C et L. 101 du Livre des procédures fiscales introduits en 2013 ; en pratique les retours vers TRACFIN sont rares malgré les efforts des parquets. Les échanges sont globalement satisfaisants avec les JIRS ; certaines d’entre elles inscrivent systématiquement TRACFIN comme « victime » dans le système CASSIOPÉE, garantissant son information à chaque étape majeure de la procédure. Cette solution ne saurait cependant constituer une réponse durable pas plus que suffisante à l’obligation légale d’information.
Proposition n° 7 : Systématiser le retour d’informations sur les suites données par les juridictions aux dossiers transmis par les administrations
La circulation de l’information au sein même du ministère de la Justice pourrait être améliorée avec la constitution d’une base de données partagée. Aujourd’hui, les magistrats d’une JIRS n’ont aucun moyen de s’assurer que les personnes impliquées dans une procédure ne font pas en même temps l’objet d’investigations conduites par une autre juridiction. En raison de leur nombre limité, les magistrats des JIRS ont noué des contacts personnels qui limitent les redondances et assurent un minimum de concertation. Il s’agit toutefois d’un système pragmatique informel qui n’est pas suffisant et qui n’offre aucune vision d’ensemble.
Proposition n° 8 : Constituer une base de données sécurisée commune au PNF et à toutes les JIRS
Des avancées ont déjà été réalisées en matière de centralisation statistique des informations relatives à la saisie d’un fonds de commerce puisque, depuis la loi 3 juin 2016, « les formalités de [la] publication sont réalisées, au nom du procureur de la République, du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement, par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués » (97). Il conviendrait d’étendre cette logique à l’ensemble des bases de données de façon à disposer d’une vision statistique d’ensemble, préalable indispensable à la définition d’une réponse administrative et pénale articulée et efficace.
Proposition n° 9 : Constituer une base de données sécurisée nationale recensant l’ensemble des procédures engagées en matière de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière ; permettre son accès à l’ensemble des acteurs administratifs et judiciaires spécialisés dans la lutte contre la fraude fiscale
Il convient enfin d’améliorer les transmissions de dossiers par la justice à l’administration fiscale. En effet, beaucoup d’affaires comportent des éléments qui pourraient intéresser l’administration fiscale dans ses missions de contrôle ordinaire. Cette forme de saisine inversée est juridiquement possible depuis la loi de 2013 mais reste une pratique rare, voire exceptionnelle.
B. DES MOYENS ENCORE INSUFFISANTS
L’ensemble des personnes auditionnées par vos Rapporteurs ont considéré que le cadre juridique était aujourd’hui globalement satisfaisant ; sa mise en œuvre doit en revanche encore progresser, notamment en termes de ressources. Si les services enquêteurs peuvent faire usage de techniques spéciales, ils ne disposent souvent pas de personnels en nombre suffisant ou assez spécialisés. L’ensemble des entités luttant contre la fraude doivent par ailleurs constamment adapter leurs méthodes aux innovations des fraudeurs.
1. Les techniques spéciales d’enquête
À l’initiative du rapporteur de notre Commission, la loi de 2013 permet, pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits d’abus de biens sociaux aggravés, de recourir à la surveillance, à l’infiltration, aux interceptions téléphoniques, aux sonorisations et fixations d’images, à la captation des données informatiques et aux mesures conservatoires. Ces techniques spéciales étaient jusqu’alors réservées à la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme et visaient en particulier les trafics de stupéfiants.
D’abord étendu au délit d’abus de biens sociaux aggravé, l’article 706-1-2 du code de procédure pénale dispose que ces techniques sont également utilisables pour lutter contre certaines atteintes à la probité, les délits de fraude fiscale commis en bande organisée, les délits douaniers punis d’une peine de plus de cinq ans d’emprisonnement et le blanchiment de ces délits. La loi du 21 juin 2016 (98) a ouvert cette possibilité pour lutter contre certaines atteintes à la transparence des marchés et la loi « Sapin II » du 9 décembre 2016 (99) l’a étendue aux détournements de fonds publics.
L’article 706-1-1 du code de procédure pénale autorise quant à lui le recours aux techniques spéciales d’enquête pour lutter contre les délits douaniers punis d’une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans comme par exemple le délit douanier de blanchiment.
L’OCRGDF a recours aux techniques spéciales d’investigations, notamment dans le traitement de dossiers portant sur des réseaux de malfaiteurs aguerris et impliqués dans des escroqueries ou des opérations de blanchiment de fonds d’envergure nationale voire internationale. Ces moyens spécifiques sont utilisés pour identifier les auteurs et complices des infractions, pour mettre en exergue les modes opératoires parfois complexes et enfin pour apporter des éléments probants à l’enquête. Pour sa part, l’OCLCIFF a procédé une fois, avec l’assistance du SIAT, à la mise en place d’une opération d’infiltration.
2. Un enjeu essentiel de ressources humaines
Pour le PNF, l’étude d’impact de la loi de 2013 estimait qu’un parquetier ne peut « assurer le suivi de plus de huit affaires, compte tenu de la complexité de ces dossiers (suivi et règlement complexe, audiences longues pouvant mobiliser plus d’un parquetier) ». Pour traiter 260 dossiers, l’étude d’impact évaluait le besoin à 22 parquetiers, assistés de 21 personnels de greffe et de cinq assistants spécialisés. Pour l’instruction, le besoin était estimé à six magistrats d’instruction supplémentaires, dix postes de greffe et cinq assistants spécialisés.
Aujourd’hui le parquet national financier compte 15 magistrats, sept personnels de greffe et quatre assistants spécialisés pour plus de 350 dossiers à traiter. Ce déficit est important même si le PNF semble avoir bénéficié d’un traitement moins défavorable que les autres juridictions. Lors de leurs déplacements, vos Rapporteurs ont en effet pu constater que le manque de ressources était encore plus important dans les JIRS. Le système informatique de greffe ne prend par exemple absolument pas en compte la spécificité des dossiers des JIRS dans lesquels beaucoup plus d’actes sont produits. À titre d’exemple, 95 % des dossiers traités par la JIRS de Nancy, où vos Rapporteurs se sont rendus, concernent des étrangers, ce qui implique de recourir à des interprètes et de traduire les différentes pièces du dossier. Dans une affaire, le greffier devait par exemple adresser les actes à quelque 30 prévenus avec cinq langues différentes. Si tous les magistrats ont salué le professionnalisme et l’engagement des personnels de greffe, ils ont relevé qu’ils ne bénéficiaient d’aucune formation pour traiter ces dossiers complexes. Dans leur carrière, le passage dans une JIRS ou au PNF n’est pas non plus valorisé, que ce soit en termes d’avancement ou de rémunération. Aujourd’hui, la situation a atteint une limite critique et commence à avoir des effets pervers et conduit à une démobilisation des différents acteurs.
Les services enquêteurs font face aux mêmes déficits quand ils ne sont pas plus importants. Malgré la hausse constante d’affaires qui lui sont confiées, l’OCLICFF est par exemple passé de 95 à 78 personnels entre 2013 et 2016. L’OCRGDF compte pour sa part aujourd’hui 85 fonctionnaires dont 17 personnels de la gendarmerie en charge de la PIAC et 12 fonctionnaires affectés à la brigade de recherche et d’intervention financière internationale. Au sein de la police judiciaire, les services économiques et financiers territoriaux comprennent 476 fonctionnaires.
Ces effectifs apparaissent très en-deçà des besoins. Les magistrats soulignent les délais parfois très longs pour qu’une affaire puisse être prise en compte. À Paris, compte tenu de sa charge de travail, la brigade financière met parfois quatre à six mois pour ouvrir un dossier. Dans l’Est, à Nancy ou à Strasbourg, les SRPJ et les sections de recherche ne disposent ni du temps ni des personnels à même de traiter les dossiers des JIRS.
Au-delà de ce manque de ressources, et de façon beaucoup plus inquiétante, toutes les personnes auditionnées ont pointé du doigt le manque d’intérêt des enquêteurs pour les services économiques et financiers. Le « coût d’entrée » apparaît trop élevé, avec une formation initiale de l’ordre de trois à quatre mois pour les policiers et le retour sur investissement trop faible. Les rémunérations et le déroulé de carrière ne tiennent pas compte de cette spécialisation et du haut niveau de technicité atteint par les enquêteurs. Si l’implication des personnels en poste est relevée par tous les procureurs, la plupart des procureurs généraux et des procureurs, dans leurs rapports de politique pénale, déplore « le manque fréquent d’appétence et de compétence des enquêteurs en matière de délinquance économique, financière et fiscale ainsi que les délais trop dans lesquels ces affaires sont souvent traitées ».
Le manque d’attractivité et la démotivation sont également perceptibles dans les autres services de l’État. La lutte contre la fraude fiscale est un objectif prioritaire du Gouvernement et du législateur mais, faute d’être valorisée sur le terrain, peine, de façon de plus en plus nette, à mobiliser et fédérer les agents.
La formation initiale de tous les personnels travaillant dans les juridictions ou dans les services administratifs représente un investissement important qu’il convient de valoriser. À ce titre, le rythme des mutations doit être adapté à ces spécificités. À l’issue de leur formation, les agents pourraient par exemple s’engager à occuper leur poste pendant plusieurs années, la durée devant être définie en fonction des contraintes du service. En contrepartie, ils bénéficieraient d’une réelle reconnaissance professionnelle pouvant passer par une meilleure rémunération ou une accélération de carrière.
Proposition n° 10 : Offrir aux agents travaillant dans une juridiction ou un service de lutte contre la fraude fiscale plus de stabilité professionnelle et une meilleure reconnaissance professionnelle passant par une meilleure rémunération ou une progression de carrière plus rapide
3. Une exigence permanente d’adaptation
Les personnes auditionnées ont souligné la robustesse et l’efficacité du dispositif français ; il contraint les réseaux criminels à développer de nouvelles techniques qui sont difficiles à identifier avec les outils traditionnels. S’il est difficile d’estimer l’impact de la loi de 2013 sur les comportements des différents acteurs, toutes les personnes auditionnées s’accordent sur le fait que le sentiment d’impunité qui pouvait parfois exister n’a plus cours aujourd’hui.
Pour autant, les délinquants développent de nouvelles techniques et force est de constater qu’ils font preuve de beaucoup d’ingéniosité en la matière. Le recours à la compensation est par exemple un procédé efficace et quasi indétectable. Fonctionnant selon un principe de « rencontre mutuelle d’intérêts », la compensation permet d’éviter le transport des espèces hors des frontières et met en relation des délinquants aux activités criminelles diverses. Les délinquants s’adjoignent volontiers les services de blanchisseurs professionnels pour blanchir leurs profits illicites. Grâce à un réseau étoffé, ces derniers utilisent les rouages du monde économique et financier au niveau national et international en exploitant les failles du dispositif anti-blanchiment.
En matière de grande délinquance économique et financière, un magistrat relevait justement que les frontières et les règles ne concernent plus que les officiers de police judiciaire et les magistrats. Ainsi, dans un environnement où le caractère international des échanges est devenu la norme, les enquêteurs doivent adapter leurs outils notamment pour être en mesure d’exploiter la masse de données numériques auxquelles ils ont accès. S’agissant de fraudes liées à un environnement informatique, l’OCLCIFF dispose de cinq investigateurs en cybercriminalité et l’OCRGDF de trois investigateurs. Ces enquêteurs très spécialisés interviennent dans les dossiers les plus complexes. La sous-direction de lutte contre la cybercriminalité (SDLC) de la direction centrale de la police judiciaire peut également apporter son concours si la complexité des procédés utilisés le justifie. La direction générale des douanes a aussi créé un système de « valorisation de la donnée » assis sur du datatiming. Il consiste en une fouille approfondie des données grâce à des algorithmes statistiques et permet de modéliser des comportements frauduleux. Le SARC mettra en œuvre un pilote dans le courant de l’année 2017 et sa portée opérationnelle sera vérifiée par les services de contrôle.
TRACFIN est confronté aux mêmes enjeux de traitement de l’information de masse ou big data. La loi du 28 janvier 2013 (100) a créé les COmmunications Systématiques d’Information (COSI) en application desquelles les professionnels transmettent systématiquement à TRACFIN des informations sans notion de soupçon :
– les COSI 1 portent sur les transferts de fonds supérieurs à 1 000 euros ; elles représentaient environ 2 millions d’informations en 2015 ;
– les COSI 2 portent sur les retraits ou dépôts d’espèces supérieurs à 10 000 euros par mois ; elles représentent 2 à 3 millions d’informations par mois.
Cette masse d’information est aujourd’hui encore insuffisamment exploitée. Un nouveau système informatique est en cours de développement afin de mieux intégrer les différentes sources d’information et de fluidifier leur orientation et leur traitement. Il entrera en production au début de l’année 2018.
Plus quotidiennement, les enquêteurs et magistrats peinent à exploiter les données numériques qu’ils peuvent saisir dans le cadre de leurs contrôles. La simple exploitation des données contenues dans un smartphone requiert le concours d’un technicien spécialisé, ressource rare et déjà très sollicitée. Ce défaut est d’autant plus regrettable que les données économiques et financières se caractérisent par leur forte volatilité.
Au-delà des évolutions techniques, les administrations ont également amélioré leur dispositif d’identification et de poursuite des mécanismes frauduleux. En matière de TVA, une task force a par exemple été constituée (cf. supra). La DGFIP cherche également à mieux exploiter les déclarations de politique de prix de transfert souscrites par les entreprises pour détecter les stratégies de délocalisation de matière imposable.
La rémunération des aviseurs fiscaux
Il est souvent difficile à l’administration ou à la justice d’accéder aux données permettant d’identifier et de réprimer les infractions fiscales et économiques. La jurisprudence adoptait une position différente selon que la preuve est administrée par les détenteurs de l’autorité publique ou par un particulier, l’exigence de loyauté étant beaucoup plus rigoureuse à l’égard des premiers. L’article 37 de la loi de 2013, codifié à l’article L. 10-0 AA du Livre des procédures fiscales, a opéré une clarification nécessaire en autorisant l’administration fiscale à exploiter les informations qu’elle reçoit, quelle qu’en soit l’origine. L’article 39, codifié à l’article 67 E du code des douanes, a fait de même pour les douanes.
En 2013, lors de l’examen de ces dispositions devant la commission des Finances, plusieurs amendements proposaient de faciliter plus encore l’accès à certaines données en autorisant l’administration fiscale à rémunérer ses aviseurs, à l’instar de ce qui se pratique en matière douanière. Ce système avait alors été écarté, votre Rapporteure, alors Rapporteure pour avis de la commission des Finances, relevant que « la rémunération des détenteurs de fichiers illicitement acquis pourrait être considérée comme une provocation à l’infraction » (1).
Par voie d’amendement, la loi de finances initiale pour 2017 a ouvert cette possibilité, à titre expérimental et pour une durée de deux ans. Il conviendra d’examiner avec attention les modalités de mise en œuvre de cette disposition et de vérifier qu’elle ne conduit pas à des dérives.
(1) Avis n° 1125 de Mme Sandrine Mazetier au nom de la commission des Finances sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, 11 juin 2013.
III. DES PROGRÈS NOTABLES QUI DOIVENT CONDUIRE À POURSUIVRE LES EFFORTS ENGAGÉS
L’année 2015 s’est caractérisée par un niveau historique de redressements en matière de fraude fiscale et par les premiers jugements prononcés dans des affaires poursuivies par le parquet national financier. Ces premiers résultats très positifs doivent être prolongés et renforcés dans la durée.
A. DES SANCTIONS PLUS RAPIDES ET PLUS IMPORTANTES
Avec les lois de 2013, les réponses pénale et administrative s’articulent mieux et surtout s’inscrivent dans un temps plus réduit. Les délinquants sont mieux identifiés, mieux poursuivis et plus rapidement et plus sévèrement punis. S’il est trop tôt pour dresser un bilan définitif de ces évolutions, les premiers indicateurs sont encourageants et invitent à prolonger la dynamique engagée.
● Toutes les personnes auditionnées ont souligné qu’il était difficile de dresser un bilan complet de la nouvelle organisation administrativo-judiciaire : mise en place dans le courant de l’année 2014, elle est peu à peu montée en puissance et a pris en charge des dossiers de plus en plus lourds. La complexité des dossiers explique également la durée des enquêtes : en matière de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière, il faut fréquemment plusieurs années avant qu’une affaire ne soit jugée.
Les premiers jugements prononcés constituent donc des premiers indices confirmant l’efficacité du dispositif. Ils doivent néanmoins être analysés à la lumière d’éclairages plus qualitatifs.
Dans le tableau ci-après, figurent les décisions de justice portées à la connaissance du bureau de l’action pénale de la DGFIP.
CONDAMNATIONS POUR FRAUDE FISCALE
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 | |
Nombre de décisions de justice rendues |
1067 |
965 |
972 |
869 |
883 |
886 |
Condamnations prononcées |
1207 |
1110 |
1130 |
1004 |
1027 |
1024 |
Dont condamnations définitives |
606 |
602 |
564 |
472 |
514 |
507 |
Relaxes définitives |
56 |
52 |
40 |
36 |
35 |
47 |
Source : DGFIP.
Si le nombre de condamnations est globalement stable, les peines sont de plus en plus lourdes, faisant du délit de fraude fiscale l’infraction délictuelle la plus sévèrement réprimée du droit pénal français. Les peines d’emprisonnement ferme sont le plus souvent réservées aux dossiers qui relèvent de la récidive ou qui sont connexes à d’autres infractions. La majorité des condamnations définitives sanctionnant la fraude fiscale comportent des peines d’emprisonnement avec sursis, généralement inférieures ou égales à 18 mois.
● Au début de l’année 2017, 371 procédures sont en cours de traitement au parquet national financier dont 160 portent sur des atteintes aux finances publiques. En 2015, la fraude fiscale représentait 42 % des dossiers du PNF. Il est en outre saisi de 40 demandes d’entraide pénale internationale passive. Par ailleurs, le partenariat du PNF avec les différentes administrations apparaît aujourd’hui pleinement opérationnel.
La spécialisation des magistrats du PNF accroît la rapidité de traitement des dossiers complexes lors de l’enquête préliminaire. Comparées à la durée moyenne de traitement, les périodes apparaissent particulièrement courtes (101).
Sur le plan des condamnations, le PNF illustre son action par trois affaires emblématiques.
Dans l’affaire de fraude fiscale Ricci qui portait sur un patrimoine dissimulé de 17 millions d’euros, le tribunal a prononcé près de 5 années d’emprisonnement, des amendes supérieures à un million d’euros et la confiscation de deux biens immobiliers d’une valeur totale de plus de quatre millions d’euros. En l’espèce, pour la première fois, l’avocat fiscaliste de la prévenue a été condamné à un an d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende, ainsi qu’au paiement solidaire des amendes de sa cliente. Comme le relève le ministère de la Justice, « la condamnation pour complicité de l’avocat […], avocat d’affaires expérimenté en ingénierie fiscale, constitue une première en la matière ». Cette affaire fait l’objet d’une procédure d’appel.
Dans l’affaire ELLEASE d’escroquerie à la TVA et à la taxe carbone, le préjudice atteignait 283 millions d’euros. L’audience devant le tribunal a duré un mois, mobilisant deux magistrats du PNF. Au final, 11 personnes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement ferme, dont quatre à des peines de 7 et 8 ans d’emprisonnement, sept mandats d’arrêt et deux mandats de dépôt à l’audience ont été émis. Le tribunal a également confisqué des biens immobiliers et divers biens mobiliers et prononcé une interdiction de gérer.
Dans l’affaire de fraude fiscale Soussan, des comptes dissimulés en Suisse contenaient quelque 1,4 million d’euros. L’enquête visait des d’abus de biens sociaux commis par le contribuable, chef d’entreprise. Le tribunal l’a condamné à deux ans d’emprisonnement dont un an ferme. Il n’a en revanche pas prononcé de sanctions financières eu égard au fait que le condamné a payé sur le plan fiscal une somme totale d’environ 650 000 euros.
Le PNF a également traité d’affaires avec un fort retentissement médiatique, qu’il s’agisse de l’affaire Cahuzac ou de l’affaire Wildenstein.
Les jugements apparaissent d’autant plus dissuasifs qu’ils comportent de plus en plus souvent des mesures de confiscation des avoirs frauduleux (cf. infra).
● Si ces condamnations témoignent de l’efficacité du dispositif répressif tel que conçu en 2013, il pourrait être renforcé en ce qui concerne la mise en cause des personnes morales. Les règles permettant de les poursuivre semblent trop restrictives et les peines prononcées trop peu dissuasives.
L’article 121-2 du code pénal impose en effet une double condition pour engager la responsabilité pénale des personnes morales : l’infraction doit avoir été commise pour leur compte et par leurs organes ou représentants. Si cette double condition peut se justifier pour certaines infractions, ce n’est pas le cas des infractions qui ne peuvent être commises que dans l’intérêt de la société comme la fraude fiscale ou la corruption généralisée.
Lors de l’examen du projet de loi en séance publique en juin 2013, votre Rapporteure, avait souhaité améliorer la transparence et la compréhension de la politique transactionnelle menée par l’administration fiscale. L’amendement, devenu l’article 15 de la loi de 2013, encadre les situations permettant à l’administration de transiger. Il interdit notamment cette pratique lorsque l’administration fiscale envisage d’engager des poursuites correctionnelles, ou lorsque le contribuable adopte un comportement d’obstruction au contrôle. L’amendement prévoyait en outre que le montant des pénalisations restant à charge du contribuable doit garantir une juste application des sanctions. Le contribuable de bonne foi qui a accepté de régulariser spontanément sa situation ne doit en effet pas se trouver dans une situation moins favorable que le bénéficiaire d’une transaction. En rétablissant l’article L. 251 A du Livre des procédures fiscales, l’amendement prévoyait enfin que chaque année « le ministre chargé du budget publie un rapport sur l’application de la politique de remises et de transactions à titre gracieux par l’administration fiscale ».
Seul le rapport annuel du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes apporte des informations statistiques sur les remises gracieuses. Comme le montre le tableau suivant, en 2015, 1 747 transactions ont été réalisées, soit 579 de moins qu’en 2014. Ces opérations représentent moins de 0,2 % de l’ensemble des remises et modérations accordées.
NOMBRE DE REMISES GRACIEUSES PRISES EN 2015
Nature des impôts |
Nature de la décision | |||
Remises Modérations Accordées |
Transactions |
Rejets |
Total | |
I – Impôts directs Impôts d’état (IR-IS) Impôts locaux |
118 578 403 950 |
1 061 19 |
84 899 260 321 |
204 538 664 290 |
Total Répartition en % |
522 528 60,1 % |
1 080 0,1 % |
345 220 39,7 % |
868 828 100,0 % |
II – Droits d’enregistrement Répartition en % |
9 148 64,9 % |
234 1,7 % |
4 724 33,5 % |
14 106 100,0 % |
III – Taxes sur le chiffre d’affaires Répartition en % |
138 878 89,4 % |
431 0,3 % |
16 067 10,3 % |
155 376 100,0 % |
IV – Redevance audiovisuelle Répartition en % |
212 377 58,0 % |
2 0,0 % |
153 816 42,0 % |
366 195 100,0 % |
Total I à IV Répartition en % |
882 931 62,9 % |
1 747 0,1 % |
519 827 37,0 % |
1 404 505 100,0 % |
Pour mémoire année 2014 Total % |
684 617 55,8 % |
2 326 0,2 % |
540 749 44,0 % |
1 227 692 100,0 % |
Source : rapport 2015 du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes.
Au total, le 1,4 million de demandes gracieuses de 2015 a donné lieu à 55 millions d’euros de restitutions. Le rapport du comité détaille ces opérations catégorie d’impôt par catégorie d’impôt.
Pour utiles que soient ces données, elles ne permettent pas de saisir la politique d’ensemble conduite en la matière ni de vérifier que tous les contribuables sont traités de façon équitable. Plus que jamais, la publication du rapport prévu par l’article L. 251 A apparaît indispensable. Aucun rapport n’a été transmis à ce jour au Parlement, le ministère considérant que ces informations figurent dans le rapport du comité du contentieux fiscal.
L’action des différents services fiscaux s’est traduite par une augmentation très forte du montant des redressements qui, comme le montre le tableau suivant dépassent pour la première fois les 20 milliards d’euros en 2015. Les contrôles avec une finalité répressive ont, à eux seuls, permis de rappeler près de 4,64 milliards d’euros de droits et 3,19 milliards d’euros de pénalités. Ces contrôles représentent de façon stable depuis 2011 environ 30 % des contrôles.
ÉVOLUTION DES REDRESSEMENTS FISCAUX ET PÉNALITÉS
(en milliards d’euros)
|
2013 |
2014 |
Évolution |
2015 |
Évolution |
Redressements : droits nets |
14,3 |
15,3 |
+7,0 % |
16,1 |
+5,2 % |
Redressements : pénalités |
3,7 |
4 |
+8,1 % |
5,1 |
+27,5 % |
Total des droits et pénalités redressés |
18 |
19,3 |
+7,2 % |
21,2 |
+9,8 % |
Montant des encaissements |
10,1 |
10,4 |
+3,0 % |
12,2 |
+17,3 % |
Source : direction générale des finances publiques.
La direction générale des finances publiques estime que ces évolutions juridiques et d’organisation ont permis de mieux cibler les contrôles et de les orienter vers les manquements les plus importants.
La même tendance se constate en matière douanière : en valeur cumulée, les montants redressés sont globalement stables, entre 60 et 65 millions d’euros par an. En revanche, le taux de consignation, c’est-à-dire le nombre de cas où la douane retient les sommes en vue d’une enquête visant à établir un lien entre la somme consignée et une fraude douanière, progresse notablement, passant de 34 % en 2014 à 44 % en 2016.
Cette augmentation est encore plus forte pour les dossiers de « blanchiment douanier ». En 2014, 18 dossiers étaient ouverts pour un montant total de 1,5 million d’euros. En 2015, 69 cas ont été constatés et plus de 100 dossiers étaient ouverts à la fin du mois de septembre 2016.
L’implication des douanes dans la lutte contre la fraude progresse sans cesse comme en témoignent les deux indicateurs de performance détaillés dans le tableau ci-après.
INDICATEURS D’EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE
2013 |
2014 |
2015 |
2016 | |
Montant des droits et taxes redressés (en millions d’euros) |
322,7 |
356,9 |
377,4 |
> 400 |
Nombre de constatations fiscales par la DGDDI avec des enjeux supérieurs ou égaux à 3 500 euros |
2 930 |
3 142 |
3 313 |
Non encore stabilisé |
Source : direction générale des douanes et des droits indirects.
Comme pour les décisions de justice, des progrès importants ont été accomplis en matière de saisie et de confiscation. Le montant des avoirs saisis ou identifiés par le SNDJ est ainsi passé de 7,2 millions d’euros en 2012 à 33,6 millions d’euros en 2014 et à 55 millions d’euros en 2015.
B. L’ARTICULATION DÉLICATE ENTRE LES SANCTIONS PÉNALES ET ADMINISTRATIVES EN MATIÈRE DE FRAUDE FISCALE
Si le cumul des procédures administratives et pénales a été, moyennant certaines réserves, jugé conforme à la Constitution, et si son application concrète ne semble pas avoir pour l’instant soulevé de difficultés majeures, il n’en est pas moins empreint d’une incontestable insécurité juridique.
1. Un cumul admis par le Conseil constitutionnel et appliqué avec discernement en pratique
La question de la constitutionnalité du cumul de l’application des majorations d’impôt prévues par l’article 1729 du code général des impôts et des sanctions pénales établies par l’article 1741 du même code a été soumise au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation dans le cadre de deux questions prioritaires de constitutionnalité transmises le 30 mars 2016.
Dans ses deux décisions rendues le 24 juin 2016 (102), le Conseil, aménageant la règle du non bis in idem, a admis le cumul des poursuites administratives et pénales, tout en le limitant aux cas les plus graves. Dans ses considérants, il souligne que les dispositions des articles 1729 et 1741 permettent d’assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l’État ainsi que l’égalité devant l’impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasives et répressives. Il s’ensuit que « le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l’objectif de lutte contre la fraude fiscale justifient l’engagement de procédures complémentaires dans les cas de fraudes les plus graves » et qu’ « aux contrôles à l’issue desquels l’administration fiscale applique des sanctions pécuniaires peuvent ainsi s’ajouter des poursuites pénales dans des conditions et selon des procédures organisées par la loi ».
S’agissant du principe de nécessité des délits et des peines, il « ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l’engagement de procédures conduisant à l’application de plusieurs sanctions afin d’assurer une répression effective des infractions. Ce principe impose néanmoins que les dispositions de l’article 1741 ne s’appliquent qu’aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt ». C’est donc en s’appuyant sur le principe de nécessité des délits et des peines que le Conseil constitutionnel formule une réserve d’interprétation aux termes de laquelle seuls les manquements les plus graves pourront être soumis au régime répressif prévu par l’article 1741. Sous cette réserve, l’application combinée des dispositions contestées ne peut être regardée comme conduisant à l’engagement de poursuites différentes et n’est donc pas contraire au principe rappelé plus haut. La gravité, précise le Conseil, « peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ».
Soucieux de garantir le respect du principe de proportionnalité des peines, le Conseil a émis une seconde réserve d’interprétation selon laquelle le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne pourra dépasser, en tout état de cause, le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.
Dans la pratique, le cumul des sanctions pénales et administratives semble avoir trouvé un point d’équilibre. Mme Monique Liebert-Champagne, présidente de la commission des infractions fiscales (CIF), a ainsi indiqué à vos Rapporteurs que « la CIF avait anticipé ces décisions par une jurisprudence informelle, sur cette notion de cas les plus graves, jurisprudence que suit l’administration, qui ne transmet que les dossiers les plus lourds, et c’est la raison pour laquelle la plupart des dossiers présentés sont acceptés par la CIF (le taux de rejet doit être de un ou deux dossiers sur 20) et la grande majorité des dossiers adressés au juge pénal finissent par une condamnation ». Le double filtre constitué par la plainte préalable de l’administration fiscale et l’avis conforme de la CIF (103) est donc de nature à sélectionner les faits les plus graves de fraude fiscale, qui seuls sont transmis aux parquets. Au demeurant, les procédures pour lesquelles il apparaîtrait ultérieurement qu’elles ne répondent pas au critère de gravité requis pourront faire l’objet d’un classement sans suite, compte tenu de l’existence d’autres poursuites de nature non pénale.
De son côté, la direction des affaires criminelles et des grâces a demandé aux parquets, dans une dépêche de politique pénale du 20 septembre 2016, que les poursuites pénales sur le fondement de l’article 1741 au titre d’une dissimulation volontaire de sommes sujettes à l’impôt soient réservées aux cas les plus graves, en fonction « du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention », reprenant mot pour mot les critères avancés par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 24 juin 2016. Dans ses réponses écrites à vos Rapporteurs, M. Robert Gelli a cité également les « fonctions exercées au moment de la commission des faits ». Il a par ailleurs énuméré une série d’éléments susceptibles de caractériser la gravité requise :
– l’utilisation ou l’interposition à l’étranger, notamment dans des États non coopératifs, de comptes bancaires, de contrats d’assurance-vie ou d’entités telles que les trusts, les fondations, les sociétés-écrans ou les sociétés fiduciaires ;
– le recours à des manœuvres tendant à égarer l’administration telles que les déclarations de cessation de paiements en cours ou après le contrôle, l’organisation d’insolvabilité, l’utilisation de gérants « de paille », la rétention de TVA, l’exercice d’une activité occulte, des défaillances déclaratives répétées, la mise en œuvre d’un « carrousel » de TVA, l’utilisation de factures fictives ou la dissimulation de recettes au moyen d’un logiciel de caisse frauduleux ;
– l’existence de délits connexes – tels que le blanchiment – précédant, accompagnant ou suivant la dissimulation des sommes soumises à l’impôt ;
– la dissimulation frauduleuse de sommes dont l’origine est elle-même frauduleuse (résultant, par exemple, d’un abus de biens sociaux, d’un abus de confiance, d’une banqueroute, etc.) ;
– une attitude du contribuable pendant le contrôle traduisant manifestement l’absence de toute volonté de coopérer avec l’administration ;
– l’existence d’antécédents administratifs, fiscaux ou judiciaires de la personne poursuivie.
En résumé, l’application des pénalités fiscales suffira le plus souvent à sanctionner, par une réparation pécuniaire appropriée, les manquements aux obligations prescrites par le code général des impôts. Cependant, compte tenu de l’exemplarité que confère une condamnation pénale, les poursuites correctionnelles constitueront dans certaines hypothèses la seule réponse adaptée au préjudice de la collectivité et aux agissements du fraudeur.
2. Une insécurité juridique indéniable
Si l’application concrète du cumul des sanctions administratives et des poursuites pénales ne semble pas créer à ce jour de difficultés majeures tant du côté de la commission des infractions fiscales que de celui de la Chancellerie, il n’en demeure pas moins que le caractère imprécis du critère de la gravité est en lui-même susceptible de fragiliser les procédures.
Comme M. Robert Gelli le reconnaît, « il reste qu’en l’état, il est très difficile de mesurer le caractère opératoire et la pertinence de cette jurisprudence [constitutionnelle] qui laisse une importante faculté d’appréciation aux magistrats des juridictions judiciaires. Dit autrement, ce critère [de la gravité] ne favorise pas la sécurité juridique des procédures. »
M. Jean-Claude Marin va plus loin en affirmant qu’ « il est impossible de se satisfaire de l’état du droit tel qu’il résulte de ces décisions ». L’absence de définition législative de la « gravité », seule susceptible d’entraîner un cumul des procédures, paraît au procureur général près la Cour de cassation s’éloigner à la fois :
– du principe de clarté de la loi, qui a valeur constitutionnelle (104) mais que l’on peut également rattacher à l’article 111-3 du code pénal posant le principe de la légalité des délits et des peines ;
– de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi (105).
On pourrait ajouter que cette imprécision est également susceptible de poser des difficultés au regard du principe d’égalité devant la loi, compte tenu de la latitude laissée aux magistrats judiciaires dans l’appréciation de la gravité.
Selon M. Jean-Claude Marin, « sans intervention du législateur pour définir le champ d’application pénal de l’article 1741 du code général des impôts, tous les litiges relatifs au traitement pénal de la fraude fiscale commenceront par une question préalable soulevée par les défendeurs, quant à savoir si la fraude litigieuse fait partie des cas les plus graves. Cette stratégie de défense [peut] soit annihiler la procédure pénale, soit la retarder ».
L’on pourrait s’inspirer, pour définir dans la loi les critères permettant d’identifier les cas « les plus graves » de fraude fiscale, des critères figurant dans le décret n° 2009-874 du 16 juillet 2009 (106). Rappelons en effet que, en application de l’article L. 561-15 II du code monétaire et financier, lorsqu’un professionnel sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner que des sommes ou opérations suspectes proviennent d’une fraude fiscale, il n’effectue de déclaration de soupçon à TRACFIN qu’en présence d’au moins l’un des seize critères définis par l’article 2 du décret n° 2009-874 du 16 juillet 2009 (107). Ces critères recoupent d’ailleurs en partie les éléments mis en avant par M. Robert Gelli pour caractériser la gravité (108). Toute liste présente toutefois l’inconvénient d’être par définition limitative et court le risque de laisser en dehors de son champ telle ou telle hypothèse qui, compte tenu du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, ne pourra plus dès lors donner lieu au cumul des procédures.
Vos Rapporteurs n’ont pas souhaité, dans le cadre de la présente mission d’évaluation des lois du 6 décembre 2013 et compte tenu du caractère relativement récent de la jurisprudence constitutionnelle évoquée, prendre parti sur cette question délicate. Ils invitent à prêter la plus grande attention à la façon dont cette jurisprudence sera appliquée, et éventuellement utilisée à des fins dilatoires, au cours des prochains mois, afin que le législateur puisse être éclairé le mieux possible avant d’envisager une éventuelle évolution législative sur ce point.
C. UN MEILLEUR RECOUVREMENT GRÂCE À LA POURSUITE DE LA RÉFORME DE LA PROCÉDURE DE SAISIE ET DE CONFISCATION
La loi du 6 décembre 2013 a opéré une réforme importante du régime des saisies et des confiscations. Cette réforme a été saluée par de multiples personnes auditionnées par la mission d’évaluation. Mme Chantal Cutajar, directrice du Groupe de recherches actions sur la criminalité organisée (GRASCO), y a vu « une amélioration de l’arsenal législatif ». M. Jean-Claude Marin a souligné lors de son audition que cette amélioration se traduisait notamment dans l’activité du procureur de la République financier en matière de saisie, à la fois dans le cadre des enquêtes préliminaires (plus de 75 millions d’euros saisis) et dans le cadre des informations judiciaires (saisies conservatoires de biens immobiliers et mobiliers d’une valeur totale de plus de 100 millions d’euros dans le seul cadre de l’affaire dite des « biens mal acquis » (109)).
S’il demeure parfois une réticence des juges du fond à prononcer des peines de confiscation, cela semble tenir moins à une tendance des magistrats à considérer que la saisie conservatoire représente déjà une sanction adaptée (hypothèse formulée par M. Jean-Claude Marin) qu’à, selon l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), une maîtrise encore insuffisante par les juges de dispositions légales marquées au coin d’une certaine complexité. Abondant en ce sens, Mme Éliane Houlette a précisé à vos Rapporteurs que « le dispositif des saisies conservatoires est bien appréhendé au stade de l’enquête par les magistrats et les enquêteurs. L’évolution culturelle est à parfaire au stade des jugements au fond. Fin 2014, seulement 20 % des saisies faisaient l’objet d’une décision de confiscation par les tribunaux ».
1. Des dispositions à l’efficacité pratique aujourd’hui reconnue
a. La peine de confiscation générale des actifs des personnes morales convaincues de blanchiment
L’article 21 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 a donné la possibilité de prononcer la peine complémentaire de confiscation générale du patrimoine à l’encontre d’une personne morale condamnée pour blanchiment. Auparavant, la confiscation générale n’était prévue que pour les personnes physiques. Cette lacune avait été relevée par l’AGRASC dans son rapport annuel pour 2011 : « si une personne morale s’est interposée dans un schéma de blanchiment, situation extrêmement fréquente en pratique, la totalité des biens de la personne morale condamnée ne pourra être confisquée : pour lui confisquer des biens, il faudra démontrer pour chacun d’eux qu’il s’agit du produit de l’infraction. Ainsi, les délinquants mettent à l’abri certains biens avec des montages simples » (110).
La faculté d’infliger aux personnes morales cette confiscation « élargie » a été inscrite par la loi à l’article 324-9 du code pénal. M. Jean-Claude Marin a confirmé lors de son audition que « la nouveauté phare, et bienvenue, dans ce domaine, est l’extension aux personnes morales de la peine de confiscation générale des actifs en cas de blanchiment simple ou aggravé ».
Interrogée par vos Rapporteurs sur l’application de ces nouvelles dispositions, l’AGRASC a indiqué que son système informatique ne permettait pas l’extraction d’éléments statistiques et la production d’un bilan chiffré en la matière. Elle a souligné que de telles condamnations « restent en pratique limitées » mais que cette faculté nouvelle n’en constitue pas moins « un outil nécessaire sur un plan pratique ». En effet, dans maintes hypothèses, les actifs des sociétés civiles immobilières ou des sociétés commerciales (formes juridiques auquelles il est souvent recouru comme vecteurs de blanchiment) sont anciens. Dans ce cas, il est particulièrement difficile de les rattacher à l’exercice d’une activité criminelle et de prétendre que la société en question n’est qu’une structure opaque sans véritable personnalité juridique distincte de celle de son bénéficiaire économique. La confiscation « étendue » des biens des personnes morales permet de remédier à cette difficulté.
b. La résolution judiciaire de plein droit des contrats d’assurance sur la vie
L’article 22 de la loi de 2013 a prévu que la décision définitive de confiscation d’une somme ou d’une créance figurant sur un contrat d’assurance sur la vie, prononcée par une juridiction pénale, entraînait de plein droit la résolution judiciaire du contrat et le transfert des fonds confisqués « à l’État ». Cette disposition figure désormais aux articles L. 160-9 du code des assurances, L. 223-29 du code de la mutualité et L. 932-23-2 du code de la sécurité sociale. La mise en œuvre de cette mesure a été saluée lors de son audition par M. Jean-Claude Marin pour qui, « le contrat d’assurance-vie pouvant être un véhicule des délits financiers, il était logique que le prononcé de la sanction de confiscation les résolve de plein droit afin qu’ils soient appréhensibles immédiatement pour exécuter la peine ».
c. La confiscation en valeur de biens dont le condamné a la libre disposition
L’article 23 de la loi de 2013 a modifié l’article 131-21 alinéa 9 du code pénal afin de permettre de confisquer en valeur (111) l’ensemble des biens dont le condamné « a la libre disposition », et non pas seulement ceux dont il est le propriétaire. Cette disposition se révèle particulièrement utile dans les dossiers de fraude ou d’escroquerie de grande ampleur dans lesquels l’auteur a pris la précaution d’interposer des prête-noms ou des sociétés fictives entre son patrimoine et lui.
Ici encore, le système informatique de l’AGRASC ne permet pas l’extraction d’éléments statistiques et la production d’un bilan chiffré de l’application de cette nouvelle disposition. Interrogée par vos Rapporteurs, l’Agence n’en a pas moins souligné combien cette mesure était devenue « juridiquement nécessaire ».
d. Le mécanisme exceptionnel d’apurement des comptabilités des juridictions et de l’AGRASC
L’article 24 de la loi a confié à l’AGRASC la charge d’assurer, pour le compte de l’État, la gestion des sommes « saisies (112) lors de procédures pénales et pour lesquelles l’identification de leur statut, saisi ou confisqué, [n’était] pas établie à la date d’entrée en vigueur de la loi » (113). Ces sommes étaient évaluées initialement à 134 millions d’euros.
L’article 24 prévoyait également le transfert des sommes au statut non identifié depuis les comptes ouverts à la Caisse des dépôts et consignations au nom de chaque directeur de greffe de tribunal de grande instance vers le compte de l’AGRASC.
Interrogée par vos Rapporteurs, l’AGRASC a précisé qu’elle avait reçu à ce titre, le 31 mars 2014, un montant total de 124,6 millions d’euros. Le 7 avril suivant, conformément à la loi de 2013, l’Agence en avait reversé 80 % (soit 99,7 millions d’euros) au budget général de l’État et en avait conservé 20 % (près de 25 millions d’euros) pour procéder aux éventuelles restitutions. Au 31 décembre 2015, 127 restitutions avaient été effectuées par l’AGRASC au moyen des sommes conservées (76 en 2014 et 51 en 2015) pour un montant total de près de 2,7 millions d’euros. La somme versée au budget de l’État en janvier 2016 s’est élevée à près de 22,3 millions d’euros. Les restitutions effectuées par l’AGRASC, et qui concernent des sommes provenant du « stock » des tribunaux de grande instance, font l’objet d’un remboursement par l’État. En pratique, l’AGRASC soustrait ces sommes de ses versements bimensuels au budget général de l’État.
L’AGRASC a attiré l’attention de vos Rapporteurs sur le fait que quelques tribunaux n’ont toujours pas transféré à l’Agence le solde de leur compte. Par ailleurs, plusieurs cours d’appel ont fait savoir à l’AGRASC et à la direction des services judiciaires qu’elles disposaient également de sommes d’argent qui, n’étant pas prévues dans le dispositif législatif de rapatriement de 2013, n’ont pas été transférées. Cette situation engendre des pertes financières pour la puissance publique puisque les comptes ouverts par les greffiers en chefs ne produisent pas d’intérêts, contrairement à celui de l’AGRASC.
La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 s’est efforcée de prendre en compte ces difficultés en prévoyant, dans un nouvel alinéa 6 de l’article 706-160 du code de procédure pénale, que les sommes transférées à l’AGRASC au titre de sa mission de centralisation des sommes saisies « et dont l’origine ne peut être déterminée sont transférées à l’État à l’issue d’un délai de quatre ans après leur réception, lors de la clôture des comptes annuels. En cas de décision de restitution postérieure au délai de quatre ans, l’État rembourse à l’agence les sommes dues ». Il a ainsi été mis en place un dispositif d’apurement comptable par versement au budget général de l’État des sommes non identifiées. À la fin de l’année 2016, un premier versement à l’État sur la base de ce dispositif a été opéré pour un montant d’environ 1,2 million d’euros.
Selon la Chancellerie, contactée à ce sujet par à vos Rapporteurs, il est prévu que les deux ministères de tutelle de l’AGRASC (114) donnent leur accord au rapatriement des fonds encore conservés par les cours d’appel et par les tribunaux et qu’ils adressent une instruction en ce sens aux greffes en vue de procéder à un versement à l’AGRASC de l’ensemble des soldes restants. La gestion des sommes ainsi transférées sera effectuée par l’Agence dans une comptabilité séparée de ses autres opérations et donnera lieu, à l’issue d’un délai de quatre ans, à un transfert à l’État en application des dispositions rappelées ci-dessus.
La mise en œuvre de cette solution pragmatique nécessite toutefois, comme l’a rappelé l’AGRASC à vos Rapporteurs, une décision effective des ministres compétents. Vos Rapporteurs invitent donc à la vigilance afin que cette décision intervienne et que les soldes existant dans différentes juridictions puissent être enfin virés sur le compte de l’AGRASC, sur le fondement des alinéas 3 et 6 de l’article 706-160 du code de procédure pénale. Faute d’une telle décision de la part des autorités ministérielles compétentes, seule l’adoption d’un dispositif législatif spécifique permettra de finaliser enfin l’apurement des comptes des juridictions.
e. La répression de l’obstacle opposé à l’exécution d’une peine complémentaire de confiscation
L’article 26 de la loi a incriminé le fait de s’opposer à l’exécution d’une peine complémentaire de confiscation d’un bien corporel ou incorporel, en particulier immobilier. Il a modifié à cet effet l’article 434-41 du code pénal.
L’AGRASC juge que ce texte a facilité son travail, « essentiellement en matière d’exécution des confiscations immobilières » (115). Il lui a permis en effet « d’adresser des dénonciations aux parquets sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale et de dissuader les anciens propriétaires condamnés ou les occupants de leur chef de se maintenir dans les lieux confisqués ».
2. Des améliorations qui restent à apporter
Trois ans après sa réforme, divers aménagements au dispositif des saisies et confiscations sont envisageables ou ont pu être évoqués lors des auditions, dont certains seulement emportent l’adhésion de l’AGRASC et celle de vos Rapporteurs.
a. Faire de la confiscation du profit une peine accessoire ?
Il est parfois proposé de faire de la confiscation du profit une peine « accessoire », en principe automatique, mais à laquelle le juge pourrait déroger en motivant la non-confiscation. Une telle proposition se heurte toutefois, comme l’a relevé l’AGRASC, à des difficultés d’ordre constitutionnel. Sa conformité aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, d’une part, et d’individualisation de la sanction (116), d’autre part, est incertaine (117). Les peines accessoires ont d’ailleurs disparu dans le code pénal de 1992 et ne subsistent, généralement sous la forme d’une interdiction d’exercice ou de gestion, que dans des dispositions éparses du code monétaire et financier, du code de l’action sociale et des familles, du code de la construction et de l’habitation, etc.
b. Mettre en place une procédure de civil forfeiture ?
Au cours de son audition, M. Jean-Claude Marin a invité le législateur à s’inspirer, essentiellement en matière de biens meubles, du système américain de la civil forfeiture, qui consiste en une procédure dirigée non pas contre une personne, mais contre un bien qui ne peut manifestement pas avoir d’origine légale. Ce système permet, grâce à une procédure distincte, de confisquer un bien ayant une origine frauduleuse, nonobstant une relaxe ou un non-lieu intervenu par ailleurs.
L’AGRASC a toutefois montré à l’endroit de cette idée une réserve que partagent vos Rapporteurs. En effet, quatre articles du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 (118), prévoient d’ores et déjà qu’il n’y a « pas lieu à restitution », que ce soit de la part du procureur de la République (119), du juge d’instruction (120), de la cour d’assises (121) ou du tribunal correctionnel (122), dès lors que « le bien saisi est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction ». Comme le soutient l’AGRASC, « ces textes permettent donc, en l’absence de toute déclaration de culpabilité (classement sans suite, non-lieu, relaxe, acquittement) - non pas de confisquer puisque la peine est indissociable de la déclaration de culpabilité - mais de ne pas restituer, ce qui revient au même (dépossession du propriétaire, appropriation de l’État) ».
Ces textes ne visent toutefois que des situations dans lesquelles des poursuites ont été engagées. Encore faut-il donc que l’action publique ait été mise en mouvement.
Plutôt que de songer à recourir à un dispositif du type de la civil forfeiture, l’AGRASC suggère que les juges utilisent davantage l’outil précieux offert par les articles 321-6 et suivants du code pénal qui prévoient et répriment « le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l’origine d’un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d’une de ces infractions ». L’AGRASC voit dans ces dispositions « un instrument très efficace pour parvenir à la confiscation mais qui est malheureusement peu utilisé ». Selon elle, le recours à cette incrimination se prête particulièrement au prononcé de la peine complémentaire de confiscation.
Proposition n° 11 : Encourager, dans le cadre de la politique pénale, un plus grand recours à la qualification de « non-justification de ressources », infraction prévue et réprimée par les articles 321-6 et suivants du code pénal
c. Étendre à toutes les saisies spéciales la possibilité pour le juge des libertés et de la détention d’ordonner directement la saisie ?
Le régime des saisies « spéciales » a été institué par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. Figurant au titre XXIX du code de procédure pénale (articles 706-141 à 706-158), il prévoit, d’une manière générale, en matière de saisies (immobilières, portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels, etc.), que « le juge des libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la république, peut autoriser par ordonnance motivée la saisie ». Une fois l’autorisation obtenue, le procureur de la République doit formaliser une décision de saisie, étape que l’AGRASC considère comme « une formalité aussi lourde qu’inutile et dont l’exigence tient sans doute davantage à une maladresse de rédaction, voire d’interprétation, qu’à une volonté délibérée du législateur de 2010 ».
Il n’y a qu’en matière de saisies de patrimoine que, depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 (123), le juge des libertés et de la détention (JLD) peut ordonner directement la saisie, sans être contraint de se limiter à donner une autorisation au parquet (124). Bienvenue, cette modification est toutefois source paradoxalement de complexité procédurale dans la mesure où, dans la pratique, il est fréquent que des saisies soient décidées, pour un même bien, sur un double fondement, celui des alinéas 5 et 6 de l’article 131-21 du code pénal (saisies de patrimoine) et celui de l’alinéa 3 du même article (saisie du produit de l’infraction), par précaution et faute d’éléments suffisants recueillis par l’enquête.
L’AGRASC a suggéré d’étendre le dispositif applicable aux saisies de patrimoine à l’ensemble des saisies spéciales visées au titre XXIX du code de procédure pénale et de généraliser la possibilité pour le JLD d’ordonner directement la saisie, sans que la formalisation d’une décision de saisie par le parquet soit nécessaire. Quel que soit le fondement retenu, l’ordonnance de saisie du JLD serait notifiée par le greffe de celui-ci. Le parquet n’aurait, en dehors de ses réquisitions préalables, plus d’acte à formaliser en la matière. La charge de travail des magistrats et des greffes en serait allégée. Cette évolution économiserait en outre les frais de justice liés à la notification de décisions successives et assécherait une source importante de contentieux.
S’ils ne sont pas insensibles au raisonnement formulé par l’AGRASC, vos Rapporteurs jugent prématurés d’apporter un nouveau bouleversement à la réglementation particulièrement complexe des saisies spéciales, qui a fait l’objet d’un guide pratique en 2014 et dont les magistrats ont désormais acquis la maîtrise.
d. Ne plus limiter la confiscation des biens ayant servi à commettre l’infraction à ceux dont le condamné est propriétaire ou a la libre disposition ?
Les confiscations prévues par le code pénal peuvent se classer en deux catégories :
— les confiscations à caractère « réel », c’est-à-dire celles qui visent les biens qui ont été l’instrument de l’infraction ou qui en ont été le produit direct ou indirect (article 131-21 alinéas 2 et 3 du code pénal) ;
— les confiscations à caractère « personnel », c’est-à-dire celles qui portent sur le « patrimoine » (au sens large) de la personne condamnée (article 131-21 alinéas 5 et 6 du même code) (125).
L’AGRASC a souligné auprès de vos Rapporteurs qu’il était parfaitement logique que, en l’état du droit, les secondes, ayant le caractère de véritables peines, ne puissent porter que sur les biens « appartenant au condamné ou […] dont il a la libre disposition ».
En revanche, cette exigence ne devrait pas s’appliquer aux confiscations à caractère réel. Or, si les confiscations des biens qui sont « l’objet » ou « le produit » direct ou indirect de l’infraction (article 131-21 alinéa 3) en sont effectivement dispensées, tel n’est pas le cas, depuis la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 (126), des confiscations des biens ayant « servi à commettre » l’infraction ou qui étaient destinés à la commettre (article 131-21 alinéa 2). En l’état du droit, la confiscation du bien « instrument » de l’infraction n’est pas possible si le condamné n’en est pas propriétaire ou n’en a pas la libre disposition. Pour l’AGRASC, ceci « constitue bien souvent une entrave à la juste répression des crimes et délits et vient faire échec aux positions jusqu’alors soutenues par la jurisprudence tendant à uniformiser le régime juridique des confiscations réelles ». Elle précise que « le légitime souci d’une protection des droits des tiers de bonne foi n’impose pas le maintien de cette exigence ».
Au demeurant, telle a été l’analyse du législateur de 2016 lorsqu’il a prévu, dans la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 (127), qu’il n’y a « pas lieu à restitution […] lorsque le bien saisi est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction » (128). Le produit et l’instrument de l’infraction sont bien ici soumis au même régime.
Afin de justifier une réécriture sur ce point de l’article 131-21 alinéa 2, l’AGRASC souligne encore que la confiscation de l’instrument de l’infraction (de même que celle de son objet ou de son produit), indépendamment des considérations de propriété ou de libre disposition, s’inscrit dans le prolongement de notre tradition jurisprudentielle. Elle mérite, selon l’Agence, d’être défendue « à l’heure où l’Europe tente de faire adopter par l’ensemble des membres de l’Union le principe de la non conviction based confiscation [confiscation en dehors de toute condamnation pénale], notion étrangère à notre droit, à nos mentalités et probablement même à notre volonté » (129).
Là encore, s’ils admettent le poids des arguments soulevés par l’AGRASC, vos Rapporteurs soulignent que la confiscation du bien ayant été l’instrument de l’infraction peut se faire au détriment du tiers de bonne foi, quoi qu’en dise l’AGRASC. Il y a donc là une évolution législative possible mais dont les conséquences demandent à être expertisées avec soin et qu’il serait prématuré de vouloir introduire dans notre droit à ce stade.
e. Doter l’AGRASC des moyens techniques adéquats
Vos Rapporteurs préconisent que l’AGRASC bénéficie d’un accès à des fichiers tels que le FICOBA (130) et le FICOVIE (131), en vue notamment de mieux appliquer les articles 695-9-50 et suivants du code de procédure pénale qui régissent la coopération internationale entre les différents bureaux de recouvrement des avoirs criminels. Cette préconisation de vos Rapporteurs rejoint la première recommandation formulée par la Cour des comptes dans son référé du 29 juin 2016, visant à « donner à l’AGRASC un accès aux fichiers qui lui sont nécessaires pour l’exercice de ses missions ».
Un premier progrès en termes d’accès aux fichiers a été réalisé avec la loi n° 2016-731 du 6 juin 2016 (132) qui a prévu pour les magistrats et greffiers affectés au sein de l’Agence un accès direct aux informations et aux données à caractère personnel enregistrées dans le bureau d’ordre national automatisé des procédures judiciaires (dit « CASSIOPÉE »). Cet accès est subordonné à l’élaboration d’une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et à la publication d’un décret en Conseil d’État. Vos Rapporteurs se montreront attentifs à ce que l’accès des personnels relevant du ministère de la Justice de l’AGRASC à CASSIOPÉE soit effectif dans les meilleurs délais (133).
Proposition n° 12 : Faire bénéficier l’AGRASC d’un accès aux fichiers qui lui sont nécessaires, en particulier au FICOBA (comptes bancaires) et au FICOVIE (contrats d’assurance vie)
f. Donner à l’AGRASC les moyens d’assurer sa mission de centralisation des informations en matière de saisies et de confiscations
L’AGRASC reçoit de l’article 706-161 alinéa 5 du code de procédure pénale une mission de centralisation des décisions de saisie et de confiscation dont elle est saisie ainsi que des informations utiles relatives aux biens visés, à leur localisation et à leurs propriétaires ou détenteurs. Cette mission répond d’ailleurs à l’exigence de collecte de statistiques en la matière posée par l’article 11 de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne.
Afin que cette mission soit utilement remplie, il convient que la centralisation soit la plus exhaustive possible.
C’est pourquoi, par exemple l’AGRASC, avait émis le vœu que les formalités de publication liées à la saisie d’un fonds de commerce soient réalisées par elle, au nom du procureur de la République, du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement. Le législateur a répondu à son souhait dans la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 (134) qui a complété à cet effet l’article 706-157 du même code.
Malgré ce progrès, un certain nombre de saisies ou confiscations échappent aujourd’hui à la connaissance de l’AGRASC. Comme elle l’a indiqué à vos Rapporteurs, elle « a connaissance des décisions de saisie immobilière (135) puisqu’elle intervient obligatoirement pour l’accomplissement des formalités de publication ; elle a connaissance des saisies portant sur des biens ou droits mobiliers incorporels, mais à la condition que ces mesures se traduisent, en exécution de sa mission de gestion centralisée, par un virement au crédit de son compte bancaire ; enfin, elle a connaissance des saisies de biens mobiliers corporels, mais à la condition qu’ils lui soient confiés sur le fondement des articles 41-5 alinéa 2 ou 99-2 alinéa 2 du code de procédure pénale, en vue de leur vente avant jugement. Toutes les autres saisies [lui] échappent en droit, même s’il est exact que certains magistrats […] lui transmettent parfois leurs décisions pour simple information (saisie d’assurances sur la vie, comptes titres, demandes d’entraide…) ».
De même, les saisies sollicitées par les magistrats français à l’étranger par demandes d’entraide, commissions rogatoires internationales ou certificats de gel, ne sont généralement pas portées à sa connaissance, sauf si elles transitent par le bureau d’entraide pénale internationale de la Chancellerie.
Pour remédier à ces difficultés, vos Rapporteurs préconisent d’améliorer l’outil informatique, en l’espèce le logiciel CASSIOPÉE, afin qu’il permette d’assurer une information exhaustive de l’AGRASC sur l’ensemble des saisies, confiscations et restitutions pratiquées en exécution du titre XXIX (« Saisies spéciales ») ou des articles 694-10 à 694-13 (136) et 695-9-7 à 695-9-30 (137) du code de procédure pénale.
Proposition n° 13 : Modifier les modules du logiciel CASSIOPÉE afin qu’il permette d’assurer une information exhaustive de l’AGRASC sur l’ensemble des saisies, confiscations et restitutions pratiquées en exécution du titre XXIX du code de procédure pénale ou à la demande d’un État tiers
III. UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE INABOUTIE
Les dossiers de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière se caractérisent par leur dimension transfrontalière. La coopération internationale, même si elle a fait des progrès, reste encore inaboutie et doit être renforcée et systématisée. Au sein de l’Union européenne, la France pourrait également soutenir les initiatives permettant de mieux coordonner la lutte contre les différentes formes de fraude.
A. UNE COOPÉRATION VARIABLE SELON LES DOMAINES ET LES PARTENAIRES
Si la coopération administrative a nettement progressé, le bilan de la coopération judiciaire est en revanche plus contrasté. Un certain nombre d’évolutions sont envisageables pour la renforcer.
1. Une coopération administrative en net progrès
a. Une assistance administrative internationale
L’assistance administrative internationale entre la direction française des finances publiques et ses homologues étrangers est globalement en progrès, comme le montrent les tableaux ci-après. Les demandes formulées par la France, les réponses reçues par la France et les réponses envoyées par la France ont nettement augmenté entre 2012 et 2015. Seules les demandes reçues par la France ont régressé.
L’ASSISTANCE FOURNIE PAR LES PAYS ÉTRANGERS
Source : DGFIP.
L’ASSISTANCE FOURNIE PAR LA FRANCE
Source : DGFIP.
b. Des obstacles juridiques et pratiques qui tendent à être surmontés
Les obstacles de nature juridique rencontrés dans le cadre de la coopération administrative résultent principalement des limitations du droit interne des partenaires de la France.
En ce qui concerne la Suisse, les rencontres entre les autorités françaises et helvétiques ont permis de résoudre plusieurs difficultés. À titre d’exemple, alors que l’administration suisse avait pendant longtemps refusé, pour des motifs juridiques, de satisfaire aux demandes d’assistance portant sur le patrimoine des personnes décédées, afin de permettre le contrôle des droits de succession, le traitement de ces demandes ne pose plus aujourd’hui de difficultés dès lors que les héritiers de la personne sont également visés dans la demande.
En revanche, bien que les échanges avec Panama se soient améliorés, la législation de ce pays prévoit toujours l’absence d’obligation comptable pour les sociétés offshore, c’est-à-dire les sociétés n’ayant pas d’activités économiques à Panama. Or, la majorité des demandes de renseignements françaises visent à obtenir des informations, y compris comptables, sur ce type de sociétés. Le Panama a toutefois annoncé une modification de sa législation interne qui devrait désormais permettre d’obtenir de sa part des informations comptables.
La loi de 2013 avait cherché à renforcer les informations disponibles sur ce type de société en instituant un registre national des trusts. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion de la publication tardive du décret d’application (138), le Conseil constitutionnel a cependant censuré cette mesure, considérant qu’elle constitue « une atteinte au droit au respect de la vie privée, [… le législateur n’ayant pas] précisé la qualité ni les motifs justifiant la consultation du registre [et n’ayant pas] limité le cercle des personnes ayant accès aux données de ce registre, placé sous la responsabilité de l’administration fiscale » (139).
En ce qui concerne les informations bancaires, la direction générale des finances publiques a indiqué à vos Rapporteurs que la France arrivait désormais à obtenir des informations bancaires de la plupart de ses interlocuteurs, excepté des quelques pays ayant maintenu un secret bancaire dans leur législation, parmi lesquels le Liban. Cependant, le Liban s’est engagé en mai 2016 à échanger automatiquement des informations bancaires en application du standard international de l’OCDE (CRS) (140). Cet État devrait donc amender prochainement sa législation en vue de procéder aux échanges de renseignements bancaires.
Quant aux obstacles d’ordre pratique, ils sont généralement liés à l’organisation des échanges et à la communication entre les autorités compétentes. Ils peuvent avoir pour conséquence d’allonger les délais et de nuire à la qualité des réponses. D’après la direction générale des finances publiques, interrogée par vos Rapporteurs, « les autorités françaises ont effectué d’importants efforts pour assurer une meilleure communication et des échanges plus structurés avec certains pays. Face à un taux très important de demandes sans réponse, un suivi rapproché des échanges a été mis en place avec Israël et Panama. Ce suivi a été efficace et a permis d’obtenir des réponses satisfaisantes dans des délais raisonnables ».
c. Des dispositifs incitatifs efficaces qui doivent être préservés
En premier lieu, l’article 238-0 A du code général des impôts prévoit le principe d’une liste des États et territoires non coopératifs (ETNC), définis comme « les États et territoires non membres de la Communauté européenne dont la situation au regard de la transparence et de l’échange d’informations en matière fiscale a fait l’objet d’un examen par l’Organisation de coopération et de développement économiques et qui, à cette date, n’ont pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze États ou territoires une telle convention ».
Cette liste est fixée par arrêté des ministres chargés de l’économie et du budget, après avis du ministre des affaires étrangères, et mise à jour au moins une fois chaque année. Elle permet d’exercer une pression sur les États et territoires n’assurant pas une mise en œuvre effective des outils internationaux d’échange de renseignements. Ainsi, Jersey, les Bermudes et les îles Vierges britanniques ont été inscrites sur la liste des ETNC en 2013, eu égard aux lacunes dans leur pratique de la coopération administrative. Comme le rapporte la direction générale des finances publiques, « des progrès significatifs ont alors été constatés très rapidement après cette inscription : les autorités de ces pays ont pris contact immédiatement avec les autorités françaises pour identifier les difficultés et un suivi rapproché des demandes pendantes a permis à la France d’obtenir finalement les renseignements demandés. En conséquence, les Bermudes et Jersey ont été retirés de la liste au 1er janvier 2014 et les Îles Vierges britanniques ont été retirées au 1er janvier 2015. La coopération administrative avec ces territoires ne pose plus de difficulté ». Panama a en revanche été ajouté à cette liste le 26 avril 2016 en raison de sa législation interne qui limite la coopération administrative fiscale. Cette liste compte aujourd’hui sept États et territoires (141).
En deuxième lieu, la France a activement contribué à l’élaboration du nouveau standard international d’échange automatique d’informations sur les comptes financiers en matière fiscale (EAI) (142) adopté par l’OCDE. Ce standard prévoit que les États participants collectent auprès des institutions financières les éléments relatifs aux comptes financiers des personnes physiques non résidentes et les transmettent annuellement à l’État de résidence de celles-ci. À ce jour, 54 États (dont les États de l’Union européenne) se sont engagés à procéder à des échanges automatiques d’informations à compter de 2017 et 47 autres pays procéderont à ces échanges dès 2018. Cette avancée rapide et de grande ampleur en faveur de l’échange automatique a contraint les pays jusqu’alors peu coopératifs en matière d’échange d’informations bancaires à modifier leur législation, voire leur pratique, afin de se conformer à cette nouvelle norme.
Vos Rapporteurs insistent sur la nécessité de préserver et de consolider ces assistances administratives internationales, qui constituent la réponse indispensable à l’internationalisation de la grande délinquance économique. Ils mettent également l’accent sur le défi que constitue pour l’administration fiscale française la nécessité de se doter des moyens d’exploiter au mieux les données sans cesse plus nombreuses qui lui seront transmises au cours des années à venir.
2. Une coopération judiciaire aux résultats contrastés
La coopération judiciaire internationale en matière pénale, et notamment en matière de lutte contre la fraude fiscale et contre la grande délinquance économique et financière, repose sur une grande variété d’instruments juridiques (instruments bilatéraux liant la France à un autre État, instruments multilatéraux adoptés dans le cadre d’enceintes européennes (143) ou internationales (144)).
Les demandes d’entraide judiciaire en matière pénale recouvrent par ailleurs un grand nombre d’actes procéduraux spécifiques parmi lesquels on peut citer la commission rogatoire internationale, la dénonciation officielle (acte par lequel le parquet demande à un autre État d’intenter des poursuites contre l’auteur d’une infraction), la notification d’actes judiciaires (demande faite à un autre État de notifier à une personne résidant sur son territoire soit une citation à comparaître devant une juridiction pénale française, soit une décision rendue par cette même juridiction) ou encore la demande de transfèrement.
Comme le rappelle la circulaire du garde des Sceaux du 31 janvier 2014 (145), les dossiers de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière ont, dès lors qu’ils ont une forte dimension internationale et impliquent la réalisation d’investigations à l’étranger, vocation à être confiés au procureur de la République financier. Ceci explique que la coopération internationale représente une part importante de l’activité de ce parquet. 145 demandes d’entraide pénale internationale (DEPI) y sont actuellement en cours : 43 demandes en provenance d’autorités judiciaires étrangères et 102 demandes formulées par le procureur de la République financier (demandes d’investigations, demandes d’arrestations ou d’extraditions). En 2015, ce dernier s’est attaché à solliciter l’entraide auprès de pays dont la coopération en matière financière peut s’avérer difficile (Bahamas, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Îles Vierges britanniques, Colombie).
Les pays majoritairement requis en matière de fraude fiscale et de délinquance économique et financière sont les États membres de l’Union européenne et, en dehors de celle-ci, le Canada, la Chine, les États-Unis, Hong-Kong, Israël, le Maroc et Singapour. L’envoi par les magistrats français à leurs homologues étrangers de demandes d’entraide pénale internationale requiert des premiers un investissement important impliquant de multiples tâches :
– analyse préalable du cadre juridique de la demande selon le pays concerné et le type d’investigations envisagées ;
– rédaction d’une requête motivée (exposé des faits, du cadre juridique et des actes sollicités) ;
– envoi et suivi de la demande, activation des relais en France et dans le pays requis (magistrats de liaison, attachés de sécurité intérieure) ; envoi de précisions et de demandes complémentaires d’entraide en fonction des développements du dossier ;
– déplacement à l’étranger dans les affaires les plus complexes pour participer à l’exécution des actes sollicités ;
– rédaction de demandes d’arrestation provisoire et de demandes d’extradition.
Comme l’a indiqué Mme Éliane Houlette à vos Rapporteurs, les réponses des autorités judiciaires étrangères aux demandes françaises d’entraide sont de qualité très inégale, du point de vue tant de la durée d’exécution (de deux mois à plus d’un an) que du contenu. Elles vont du refus de toute exécution à l’exécution complète de tous les actes, en passant par l’exécution partielle et par les demandes répétées et dilatoires de précisions supplémentaires.
Mme Éliane Houlette comme M. Robert Gelli ont apporté plusieurs éléments d’explication aux blocages observés. Il y a d’abord des obstacles d’ordre juridique spécifiques au pays requis. À titre d’exemple, la Confédération helvétique, qui établit une distinction entre la « soustraction fiscale », qui ne constitue pas en droit suisse une infraction pénale, et l’« escroquerie fiscale », refuse de coopérer lorsque les demandes portent sur certains délits de fraude fiscale.
L’on rencontre aussi des blocages pratiques, liés par exemple à la surcharge des services étrangers sollicités. Ainsi, la République de Chypre aurait 400 demandes d’entraide pénale internationale, en provenance des pays de l’Union européenne et des États-Unis, en attente de traitement par ses services. Le procureur de la République financier a sept demandes en cours à destination de ce pays (dont cinq qui ont été émises il y a plus d’un an), sans retour à ce jour. D’un point de vue pratique également, l’absence de fichier centralisé permettant d’identifier rapidement l’ensemble des comptes détenus par une même personne est parfois opposée aux demandes d’obtention de documentation bancaire.
Il existe par ailleurs des blocages liés à la lourdeur de la procédure de coopération internationale. C’est le cas notamment lorsqu’il faut passer par la voie diplomatique pour l’envoi et la réception des demandes d’entraide et de leurs réponses avec certains pays en dehors de l’Union européenne, pour lesquels il n’y a pas de possibilité d’appliquer un cadre juridique plus approprié permettant des échanges plus directs.
Les magistrats français se heurtent également à des obstacles liés aux exigences procédurales en termes de formalisme et de garanties à fournir (Singapour, Hong Kong) ou au niveau de preuve requis avant toute perquisition, communication de documents bancaires ou encore saisie ou confiscation d’avoirs criminels (Canada, États-Unis, Israël). Le Canada, à titre d’illustration, exige une forte caractérisation des éléments de preuve, y compris au stade de l’enquête, alors que celle-ci a précisément pour objet de vérifier la réalité des faits dénoncés. En matière d’identification, de saisie et de confiscation d’avoirs criminels, certains pays, comme Israël, mettent en avant une législation nationale très complexe qui tend à faire échec aux demandes de saisies. Ces normes juridiques, très différentes des règles françaises, nécessitent des magistrats français un important travail de recherche ou de nombreux échanges avec les autorités requises en vue de répondre à leurs demandes de précisions complémentaires.
On ne peut nier bien sûr enfin certains blocages liés à la sensibilité de l’enquête dans le pays requis ou au refus de participer à la progression de l’enquête française.
3. De nouvelles étapes à franchir
a. Adapter les conventions internationales de coopération judiciaire
Le procureur de la République financier a fait part à vos Rapporteurs de son souhait, de manière générale, de voir adapter les conventions internationales de coopération judiciaire signées par la France selon deux axes :
— étendre les bénéfices des avancées en matière d’assistance administrative fiscale au réseau de coopération judiciaire ;
— dans l’optique d’une simplification des circuits de coopération judiciaire, prévoir, à l’image de ce qui existe au sein de l’espace européen, que la transmission directe d’autorité judiciaire à autorité judiciaire soit le régime de droit commun en matière de coopération pénale.
Le procureur de la République financier invite, à cette fin, à créer dans notre pays une plateforme d’identification en ligne des autorités judiciaires locales compétentes en fonction des pays et des actes sollicités.
Proposition n° 14 : Créer une plateforme d’identification en ligne des autorités judiciaires locales compétentes en fonction des pays et des actes sollicités
b. Adapter la convention de Budapest sur la cybercriminalité
Le procureur de la République financier recommande que la France promeuve une évolution de la convention de Budapest sur la cybercriminalité. Cette convention du Conseil de l’Europe, adoptée le 23 novembre 2001 et signée par plus de trente pays, dont la France, constitue la première convention pénale à vocation universelle destinée à lutter contre le cybercrime (infractions portant atteinte aux droits d’auteurs, fraude liée à l’informatique, infractions liées à la sécurité des réseaux, etc.). Elle vise notamment à harmoniser les législations nationales en ce qui concerne les incriminations dans le domaine du cyberespace.
En matière de recueil des données informatiques stockées à l’étranger, l’article 57-1 alinéa 3 du code de procédure pénale renvoie expressément aux engagements internationaux conclus par la France (146), et donc en l’espèce à la convention de Budapest. Les stipulations de cette convention régissant l’accès aux données informatiques stockées à l’étranger (mails, fichiers, etc.) sont aujourd’hui inadaptées et constituent un obstacle parfois insurmontable aux investigations des magistrats et des enquêteurs.
La convention prévoit en effet, à juste titre, que les autorités françaises ont accès librement aux données informatiques stockées à l’étranger dès lors qu’elles sont publiques (site internet, etc.) (147). En revanche, si ces mêmes données stockées à l’étranger ne sont pas publiques, les autorités françaises ne peuvent y accéder que sous réserve d’obtenir « le consentement légal et volontaire de la personne légalement autorisée à [leur] divulguer ces données » (article 32 b), c’est-à-dire une personne privée, le salarié titulaire de la boîte mail, le chef d’entreprise, etc. Or, dans la plupart des cas, la personne titulaire des droits se gardera bien de donner son consentement. Les magistrats français seront alors contraints de se placer dans le cadre de la procédure beaucoup plus lourde de la demande d’entraide pénale internationale, visée à l’article 31 de la convention (148).
Dans nombre d’hypothèses, les magistrats français ne pourront jamais accéder aux données en question car, de plus en plus souvent, et tout spécialement dans le cas des grandes entreprises, ces données sont fragmentées entre de multiples serveurs situés dans des États différents (149), voire « mobiles » et se déplaçant d’un serveur à l’autre.
Comme l’a souligné le procureur de la République financier lors de son audition, « la révolution numérique en cours conduit à rendre archaïque la notion traditionnelle de territorialité : les données numériques deviennent de plus en plus apatrides, sans qu’il soit possible de les rattacher à un territoire donné ».
Il serait plus judicieux de permettre aux autorités françaises d’accéder à toutes données numérisées dès lors qu’elles sont consultables depuis la France, quand bien même elles seraient stockées à l’étranger. Ainsi, lors d’une perquisition, le consentement de la personne concernée ou, à défaut de ce consentement et conformément au droit commun, l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé la perquisition (150), permettront de prendre copie de l’ensemble des données informatiques consultables depuis la France, quel que soit leur lieu de stockage. Telle est d’ailleurs l’une des pistes évoquées, afin de lutter contre ce problème des « cyber-paradis », par le rapport du Groupe de travail interministériel sur la lutte contre la cybercriminalité : « il pourrait être envisagé […] d’instituer un « droit de suite » en énonçant que tout système informatique accessible à partir d’un système initial présent sur le territoire français et en possession ou utilisé par une personne paraissant avoir participé à un crime ou à un délit grave est présumé ne faire qu’un avec le système initial et soumis aux mêmes modalités de consultation que ce dernier » (151).
En revanche, la demande d’entraide pénale internationale resterait bien entendu nécessaire pour pouvoir prendre connaissance des données stockées à l’étranger et non consultables depuis la France.
Ce changement nécessite une actualisation de la convention du 23 novembre 2001, aujourd’hui dépassée par l’évolution technologique. Vos Rapporteurs invitent le gouvernement français à porter ce sujet dans le cadre de futures discussions avec les autres signataires de la convention.
Proposition n° 15 : Convaincre les États signataires de la convention de Budapest de la faire évoluer pour permettre aux enquêteurs d’accéder, sans passer par l’entraide pénale internationale, aux données informatiques stockées à l’étranger, dès lors qu’elles sont consultables depuis la France
c. Donner à l’AGRASC, au plan international, le monopole de la qualité de bureau de recouvrement des avoirs (BRA) ?
L’AGRASC a manifesté son souhait de se voir transférer, en matière d’entraide internationale informelle, les attributions actuellement exercées par la Plate-forme d’identification des avoirs criminels (PIAC) en qualité de bureau de recouvrement des avoirs (152) (BRA). L’article 695-9-50 du code de procédure pénale, créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, dispose en effet que « les services désignés comme bureau de recouvrement des avoirs français peuvent (…), aux fins de dépistage et d’identification des biens meubles ou immeubles susceptibles de faire l’objet d’un gel, d’une saisie ou d’une confiscation ordonnés par une autorité judiciaire compétente ou de servir au recouvrement d’une telle confiscation, échanger avec les autorités étrangères compétentes des informations qui sont à leur disposition, soit qu’ils les détiennent, soit qu’ils peuvent les obtenir, notamment par consultation d’un traitement automatisé de données, sans qu’il soit nécessaire de prendre ou de solliciter une réquisition ou toute autre mesure coercitive ».
La PIAC a été créée par une circulaire interministérielle du 15 mai 2007 (153), avec pour mission d’identifier les avoirs financiers et les biens patrimoniaux des délinquants, en vue de leur saisie ou de leur confiscation, et de centraliser les informations relatives à la détection d’avoirs illégaux en tout point du territoire national. Elle est rattachée à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF). La qualité de bureau de recouvrement des avoirs lui a été reconnue quelque temps après sa création.
Selon l’AGRASC, il aurait été plus pertinent, à compter de sa propre mise en place au début de l’année 2011, de lui réserver la qualité de BRA. Tel a été également l’avis exprimé par Mme Chantal Cutajar lors de son audition.
Au lieu de cela, cette qualité a été attribuée de façon concurrente à l’AGRASC et à la PIAC alors même que ce rôle est éloigné des missions initialement confiées à cette dernière par la circulaire de 2007. D’après l’AGRASC, une telle dualité de structures reste marginale au sein de l’Union européenne et, lorsqu’on la rencontre, peut s’expliquer par la structure fédérale de l’État concerné (Allemagne). L’Espagne qui a créé l’ORGA en octobre 2015, sur le modèle de l’AGRASC, a ainsi intégré au sein de cette institution une unité de détection dirigée par un colonel de la Guardia civil.
L’attribution de la qualité de BRA à la fois à la PIAC et à l’AGRASC soulève, de la part de cette dernière, deux types de critiques.
D’une part, l’AGRASC ne dispose pas, pour ce qui la concerne, des moyens d’accomplir convenablement sa mission de BRA, notamment parce qu’elle ne dispose pas de l’accès aux fichiers nécessaires (154).
D’autre part, la PIAC qui est dépourvue de reconnaissance légale ou réglementaire et qui échappe au contrôle de l’autorité judiciaire (qui ne peut pas la saisir directement), délivre de véritables réquisitions aux fins d’obtenir ces informations qu’elle échange avec les BRA de l’Union européenne et même de pays étrangers à l’Union. Il ne s’agit pas là d’une simple activité de coopération policière s’inscrivant dans le cadre d’enquêtes judiciaires en cours (donc menées sous le contrôle d’un parquet ou d’un juge), mais d’échanges d’informations aux fins de dépistage et d’identification en vue du gel, de la saisie ou de la confiscation. Ce travail de la PIAC se fait sans que l’AGRASC en soit informée alors qu’elle est l’agence à compétence nationale chargée de la gestion et du recouvrement des saisies et des confiscations et qu’elle tient de la loi le pouvoir d’exercer ces mêmes fonctions à la requête d’un État étranger. Comme l’ont écrit les représentants de cette agence à vos Rapporteurs, « une connaissance précise de cette activité par l’AGRASC pourrait lui permettre d’établir un état statistique annuel de l’activité d’entraide et surtout lui donnerait la capacité d’intervenir auprès des autorités judiciaires françaises ou étrangères pour donner l’impulsion nécessaire et passer du stade de l’entraide informelle à la saisie et à la confiscation dans le cadre de l’entraide officielle ».
Vos Rapporteurs tiennent toutefois à souligner que la qualité des diligences aujourd’hui effectuées par la PIAC est reconnue, y compris par l’AGRASC elle-même, et qu’elle est un acteur disposant d’une grande visibilité vis-à-vis de ses homologues étrangers. Réserver à l’AGRASC le monopole de la qualité de bureau de recouvrement des avoirs constitue donc une piste de réflexion qui mérite d’être explorée mais qui ne saurait être introduite dans notre droit de manière précipitée.
B. DES PROGRÈS EUROPÉENS À ENCOURAGER
Les initiatives européennes en matière de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière se sont surtout traduites au plan par des avancées en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ces avancées doivent aujourd’hui s’accompagner d’une meilleure définition des sous-jacents, à commencer par la notion de fraude fiscale qui, si elle reste liée au contexte spécifique de chaque pays, pourrait être plus encadrée au niveau communautaire. Au plan opérationnel, l’échange d’informations pourrait encore être facilité au moins en améliorant l’accès aux données relatives aux filiales étrangères d’établissements financiers et en développant des outils centralisés sur les comptes bancaires et les autres instruments financiers.
1. Les initiatives communautaires de juillet 2016
En matière de coordination de la lutte contre la fraude fiscale, la directive du 15 février 2011 (155) renforce la coopération administrative. Les dispositifs de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ont formellement intégré cette dimension fiscale en 2015, la quatrième directive relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (156) portant la fraude fiscaleau rang des infractions sous-jacentes. Elle n’en harmonise toutefois pas la définition pénale dans les États membres.
Cette absence de définition commune pourrait être contournée si les acteurs du contrôle et les régulateurs disposaient d’un meilleur accès aux informations. Or les différentes directives sectorielles européennes instituent une stricte séparation entre les superviseurs des établissements bancaires et fiscaux et les autorités fiscales. De ce fait, les autorités ne coopèrent qu’avec leurs homologues et ne disposent pas d’une vision d’ensemble. Les autorités de supervision bancaire n’ont par exemple pas accès à des données fiscales, même si ces éléments pourraient avoir des conséquences sur ce qui relève de son champ de supervision. Ainsi, l’ACPR française ne dispose-t-elle pas d’un cadre de coopération avec les administrations fiscales des autres États.
Dans le cadre des travaux préparatoires à la modification de la quatrième directive, les autorités françaises ont communiqué un non paper, préparé par l’ACPR, qui a été communiqué aux États membres, à la Commission et à la Présidence de l’Union européenne. Il proposait notamment la définition d’un cadre de coopération adapté pour la LCB-FT entre autorités de contrôle au sein de l’Union européenne.
En juillet 2016, la Commission a déposé deux propositions coordonnées visant d’une part à renforcer « les mesures de transparence afin de lutter contre le financement du terrorisme, l’évasion fiscale et le blanchiment de capitaux » et, d’autre part, à « accroître la transparence fiscale et à lutter contre les pratiques fiscales abusives ». Ces propositions concernent à la fois la quatrième directive relative au LCB-FT et la directive de 2011 relative à la coopération administrative.
En ce qui concerne la quatrième directive, les propositions de la Commission visent à accorder « au public un accès illimité aux registres des bénéficiaires effectifs, [c’est-à-dire que] les États membres rendront publiques certaines informations contenues dans les registres des bénéficiaires effectifs des sociétés ou « trusts » liés à des activités commerciales ». Les registres nationaux seraient interconnectés pour faciliter la coopération et le champ des informations accessibles sera étendu. Cette dernière mesure « empêcher[ait] que les comptes qui sont potentiellement utilisés à des fins d’activités illicites échappent à la détection. Les sociétés et « trusts » passifs, tels que ceux qui ont été mis en évidence par les « Panama Papers », [feraient] également l’objet de contrôles plus rigoureux et de règles plus strictes » (157).
En ce qui concerne la coopération administrative, la Commission veut que les autorités fiscales disposent de toutes les informations dont elles ont besoin pour identifier et poursuivre les fraudeurs, ce qui passe par une modification de la directive relative à la coopération administrative dans le domaine de la fiscalité. La directive de 2011 modifiée (158) stipulerait que « les États membres prévoient dans leur législation l’accès des autorités fiscales aux mécanismes, procédures, documents et informations » permettant de connaître les clients des établissements financiers et leurs activités. En termes de contenu, la « Commission examinera la manière dont les États membres pourraient échanger automatiquement les informations dont ils disposent au niveau national sur les bénéficiaires effectifs de sociétés et de fiduciaires ayant une incidence fiscale potentielle ». L’activité des conseillers fiscaux ferait l’objet d’une surveillance renforcée et la bonne gouvernance fiscale sera défendue, ce qui implique de combattre les juridictions fiscales non coopératives. La Commission souhaite enfin protéger les lanceurs d’alerte que ce soit par des « mesures horizontales ou des mesures sectorielles complémentaires » (159).
Ces évolutions sont très positives et doivent être désormais déclinées sur le plan opérationnel et dans les États membres. La mise en place d’un parquet européen devrait permettre de donner une impulsion communautaire forte à ces dossiers. En décembre 2016, le Conseil est parvenu à un accord sur la directive relative à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne. En parallèle, il a poursuivi l’examen d’une proposition de règlement relatif à la lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE et instituant un Parquet européen qui jouit d’une compétence dans ce domaine. La présidence a noté que « dans une large mesure, les États membres soutenaient le texte, considérant qu’il s’agit d’une bonne base qui devrait permettre de poursuivre les travaux techniques au cours des derniers jours de l’année ». Le Conseil a par ailleurs rappelé que « lors de sessions précédentes, [il était] déjà parvenu à un accord provisoire sur un certain nombre d’articles, notamment sur la structure et l’organisation du Parquet, les règles relatives aux enquêtes et aux poursuites, le système de gestion des dossiers et la protection des données, les procédures simplifiées en matière de poursuites, les dispositions générales et les dispositions financières et en matière de personnel » (160).
2. L’enjeu de la centralisation des données
Dans de nombreuses auditions, il a été indiqué que la coopération européenne se heurterait, dans certains pays, à l’absence de base de données nationale des comptes bancaires. Le problème concerne également les autres supports comme les assurances vie.
La France fait figure d’exemple en la matière avec le FICOBA et le FICOVI pour les comptes d’assurance vie. Tous les pays ne disposent pas d’un pareil système et, notamment dans les États fédérés, cette mission relève de la compétence des États fédérés et aucune agrégation fédérale n’est assurée. Dans le cadre d’une procédure administrative ou judiciaire, les autorités françaises adressent leurs demandes de renseignement au niveau central qui ne dispose pas nécessairement de l’information. Il n’est pas non plus toujours en mesure de saisir l’autorité fédérée compétente pour accéder aux informations utiles. Si d’aventure elle le peut, le cadre juridique de transmission de ces données à une autorité relevant d’un autre pays membre n’est pas forcément clair, les conventions ne visant souvent que les relations entre autorités nationales.
La création d’un fichier national regroupant au moins des données relatives aux comptes bancaires dans chacun des États membres, associée à un principe d’échange réciproque de toutes les informations par le biais d’un mécanisme d’interconnexion des fichiers, constituerait un élément central de facilitation de l’identification, de la poursuite et de la répression des infractions fiscales et de grande délinquance économique et financière.
Proposition n° 16 : Encourager les États membres de l’Union européenne à tenir un registre national des comptes bancaires et des assurances vie interconnecté avec les registres des autres États.
EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 8 février 2017, la Commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information.
M. le président Dominique Raimbourg. Nous entendons maintenant Mme Sandrine Mazetier et M. Jean-Luc Warsmann, qui nous présentent le rapport d’information évaluant la loi n° 2013–1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, et la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier. Je me réjouis d’ailleurs d’accueillir à cette occasion parmi nous plusieurs membres de la commission des Finances.
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. En 2013, la commission des Lois était saisie au fond de deux textes : le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, et le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier. M. Yann Galut en était le rapporteur. Quant à la commission des Finances, elle était saisie pour avis et avait, par délégation, examiné au fond quatre articles du projet de loi. Mme Sandrine Mazetier était sa rapporteure.
L’article 145-7 du Règlement prévoit que deux députés – un de la majorité, un de l’opposition – présentent, trois ans après l’adoption de la loi, un rapport évaluant les conséquences de son application. Vous nous avez désignés pour cette tâche le 21 septembre 2016. Depuis cette date, nous avons procédé à quatorze auditions : celles des services de l’État participant à la lutte contre la fraude fiscale – direction générale des finances publiques (DGFIP), douanes, TRACFIN, services d’enquête, direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice… ; des magistrats et des personnels des juridictions concernées – parquet national financier (PNF), procureur de la République de Paris, procureur général près la Cour de cassation… ; des représentants de la Fédération bancaire française (FBF), des associations anti-corruption, du Conseil National des Barreaux (CNB) ; enfin, d’une universitaire, Mme Chantal Cutajar. Nous nous sommes également déplacés auprès des juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) de Paris, le 28 novembre, et de Nancy, le 5 janvier. Enfin, nous avons adressé des questionnaires écrits à l’Autorité des marchés financiers (AMF), à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), à la commission des infractions fiscales (CIF) et aux banques systémiques.
Nos propositions portent d’abord sur les moyens budgétaires et humains des entités chargées du « régalien financier ».
Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Ce travail s’adresse à vous, chers collègues, mais également, vous l’avez compris, à la prochaine législature et au prochain Gouvernement.
Nous demandons d’abord que les moyens budgétaires, humains et techniques des entités chargées du « régalien financier » soient au minimum garantis et maintenus.
S’agissant du procureur de la République financier, l’étude d’impact de la loi de 2013 évaluait le besoin, pour 260 dossiers, à vingt-deux parquetiers, assistés de vingt et un personnels de greffe et de cinq assistants spécialisés. Pour l’instruction, le besoin était estimé à six magistrats d’instruction supplémentaires, dix postes de greffe et cinq assistants spécialisés. Or, aujourd’hui, cette institution ne compte que quinze magistrats, sept personnels de greffe et quatre assistants spécialisés pour plus de 350 dossiers à traiter. Nous insistons donc fermement sur la nécessité de lui allouer les moyens nécessaires à son bon fonctionnement.
Les services enquêteurs font face aux mêmes déficits, quand ils ne sont pas plus graves encore. Malgré la hausse constante du nombre d’affaires qui lui sont confiées, l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), créé en 2013, est par exemple passé de 95 à 78 personnels entre 2013 et 2016. C’est l’évolution inverse de ce qui serait nécessaire !
Il faut aussi insister sur le fait que le « droit d’entrée » est élevé : le besoin de formation initiale est important en raison de la grande technicité des dossiers financiers. Les officiers fiscaux judiciaires passent par exemple quatre mois à l’école de police de Cannes-Écluses avant de rejoindre l’OCLICFF. Pour les greffes des JIRS, les opérations sont de plus en plus complexes, surtout dans des procédures avec de nombreux prévenus et dans plusieurs langues – ainsi, 95 % des dossiers de délinquance économique et financière traités par la JIRS de Nancy concernent des ressortissants étrangers.
Les personnels concernés sont très engagés dans leur mission. Or il n’existe aucun mécanisme pour s’assurer qu’ils restent longtemps en poste : la stabilité des compétences n’est pas assurée. Ces personnels très spécialisés ne bénéficient pas d’une rémunération plus avantageuse ni d’une progression de carrière plus rapide. C’est regrettable, car, faute d’une juste reconnaissance, les services enquêteurs ne parviennent pas à trouver de candidats lorsqu’ils ouvrent des postes.
Cumulés, ces obstacles découragent les bonnes volontés et accélèrent encore les demandes de mutation.
La lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière constitue pourtant une mission régalienne fondamentale. Les services qui y concourent ont pour fin ultime d’assurer une meilleure rentrée des ressources fiscales. C’est pourquoi les ressources de ces services doivent elles-mêmes impérativement être préservées.
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous voulons également souligner devant vous les progrès effectués en matière de circulation de l’information.
Les lois de 2013 consacrent un principe d’articulation des réponses administratives et pénales, ce qui suppose que les différents services se parlent. Toutefois, notre travail a permis de découvrir, par exemple, que les inspecteurs des finances publiques lorsqu’ils sont mis à disposition des JIRS perdent leurs accès à l’ensemble des bases de données de la DGFIP et à leurs fichiers. En pratique, lorsqu’un magistrat veut une information, il doit procéder par réquisition alors même qu’il a auprès de lui un spécialiste des finances publiques, c’est absurde ! Nous souhaitons donc que les inspecteurs des finances publiques conservent leurs codes d’accès. Cela n’empêchera pas des réquisitions formelles lorsqu’elles sont nécessaires, mais cela évitera aux JIRS de se lancer sur de fausses pistes, ou au contraire de rater des pistes intéressantes ! Le ministère nous indique qu’il faudrait une disposition législative expresse, à l’instar de ce qui a été fait pour la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Nous regrettons que l’occasion de l’examen des différentes lois de finances n’ait pas été saisie. Il faudra résoudre ce problème.
De même, nous avons eu la surprise de découvrir que les JIRS fonctionnent aujourd’hui avec un réseau seulement informel. Ainsi un établissement financier impliqué dans un dossier à Marseille peut également l’être à Nancy sans que les magistrats l’apprennent. Il faut donc créer un véritable système d’information des JIRS. L’intérêt de l’État est que tous les acteurs se parlent le plus possible.
La loi de 2013 a également prévu un droit d’information « retour » des administrations qui saisissent la justice. Ce fonctionnement n’est pas encore entré dans les habitudes. Pour pallier cet inconvénient, un procureur que nous avons rencontré nous a même indiqué prendre la précaution d’inscrire TRACFIN parmi les « victimes », dans le logiciel judiciaire CASSIOPÉE, afin que ce service soit bien informé de la suite de la procédure, même s’il ne se constitue pas partie civile ! Mais il s’agit de solutions empiriques, et nous devons trouver une solution plus générale : un service qui a signalé une affaire doit savoir quelles suites ont été données à ce signalement, c’est la moindre des choses.
Au niveau international, des progrès ont été faits en matière de circulation de l’information entre cellules de renseignement et entre administrations. En matière judiciaire, la situation est très variable ; la coopération avec certains pays – le Royaume-Uni, par exemple – fonctionne particulièrement mal. Il arrive que la réponse à la question posée par nos services soit une autre question… Il faut noter, de surcroît, que moins d’une dizaine de pays européens disposent d’un fichier centralisé des comptes bancaires, à l’image du FICOBA (Fichier national des comptes bancaires et assimilés) en France. Une directive européenne demande maintenant aux pays d’instituer un tel dispositif, mais c’est récent. Ainsi, quand vous suspectez une personne de détenir un compte dans un pays qui ne dispose pas de fichier central, la réquisition doit être envoyée à toutes les banques – et, dans les pays fédéraux, ce n’est pas toujours une compétence de l’État central… L’Europe avance, mais nous préconisons que la France milite en faveur d’une instauration, partout dans l’Union, de fichiers semblables à nos FICOBA et FICOVIE (Fichier des contrats d’assurance vie). En effet, même avec l’échange automatique de données, si l’administration ne dispose pas des informations sur les titulaires de comptes, la procédure sera longue, puisque l’État concerné devra interroger toutes ses banques une à une.
Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Nous avons constaté que l’architecture judiciaire créée par les lois de 2013 – en particulier la nouvelle organisation des JIRS et l’institution du parquet national financier comme le cadre juridique applicable aux personnes physiques – avait fait ses preuves. Nous préconisons donc une certaine stabilité en ce domaine.
Les interrogations et inquiétudes qui avaient pu être exprimées au moment de la création du parquet national financier se sont révélées infondées. L’organisation choisie est satisfaisante. Les règles de dessaisissement des JIRS au profit du parquet national financier, dans certains dossiers très complexes ou répondant à certaines caractéristiques mentionnées dans la circulaire de politique pénale de la garde des Sceaux du 31 janvier 2014, sont parfaitement claires et ne présentent aucune difficulté de compréhension ni d’application par les juridictions concernées.
En revanche, en ce qui concerne l’incrimination et les possibilités de poursuites des personnes morales, des améliorations restent à apporter. Nous l’avions pressenti lors de nos débats en 2013 et cela s’est confirmé. Toutes les personnes auditionnées ont souligné la faiblesse des sanctions applicables aux personnes morales et leur caractère non dissuasif. Nous avons été invités à compléter les dispositions permettant de mettre en cause pénalement les personnes morales car les conditions cumulatives devant être remplies rendent souvent la chose impossible, même lorsque la responsabilité de ces personnes morales saute aux yeux.
S’agissant des résultats, les premiers jugements rendus depuis 2013 reflètent une plus grande sévérité puisqu’ont été prononcées des peines élevées visant tous les acteurs de la chaîne, y compris des avocats ayant conseillé les contribuables. Cela est vrai pour les personnes physiques mais pas encore tout à fait pour les personnes morales. Sur le plan fiscal, l’année 2015 est historique avec plus de 20 milliards d’euros de redressements, droits et pénalités additionnés. Enfin, le régime des saisies et confiscations est efficace. Il s’agit d’une mesure particulièrement dissuasive qui est de plus en plus utilisée par les magistrats et qui est aujourd’hui très bien appliquée. Je voudrais saluer à cette occasion Jean-Luc Warsmann, qui a été le rapporteur de la proposition de loi qui avait créé l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). Tout le monde a pu constater à quel point la création de cette agence avait été extrêmement utile et précieuse.
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. J’en viens à la présentation de nos seize propositions concrètes.
S’agissant des moyens budgétaires et humains, la proposition n° 10 vise à offrir aux agents travaillant dans une juridiction ou un service de lutte contre la fraude fiscale plus de stabilité et une meilleure reconnaissance professionnelles. Sandrine Mazetier vous l’a dit tout à l’heure : lorsqu’un agent intègre un service spécialisé, il doit d’abord suivre une formation de plusieurs mois. Nombre de policiers sont aujourd’hui découragés par la masse de travail et le fait qu’ils ne trouvent aucun avantage à rester dans un service de lutte contre la fraude fiscale. L’État-employeur utilise du temps et de l’argent pour former des fonctionnaires de haut niveau dans des domaines complexes : s’ils doivent quitter leurs fonctions au bout de deux ans, il y a vraiment une perte d’énergie et de savoir-faire.
Afin de mieux poursuivre les personnes morales, la proposition n° 1 vise, en matière de fraude fiscale aggravée, à porter l’amende encourue au double du produit de l’infraction. Un magistrat auditionné nous a expliqué que les conseillers juridiques internes à certaines grandes entreprises s’employaient à comparer l’amende encourue en cas d’infraction au gain qui pouvait être tiré de cette dernière ; bien souvent le rapport n’est pas favorable à l’ordre public. C’est pourquoi la possibilité de fixer l’amende au double du produit de l’infraction nous semblerait beaucoup plus dissuasive.
La proposition n° 2 tend à renforcer la répression à l’égard des personnes morales et la proposition n° 3, les sanctions du favoritisme passif et du favoritisme actif « délibéré », c’est-à-dire ne résultant pas d’une simple erreur.
La proposition n° 4 vise à assouplir les conditions requises pour engager la responsabilité pénale des personnes morales. Aujourd’hui, si un salarié qui n’a pas de mandat de délégation accomplit des actes délictueux, il est difficile de poursuivre la personne morale si bien que passer par un salarié non mandaté peut être le moyen, dans certaines sociétés mal intentionnées, de contourner nos lois.
Notre troisième objectif est de faciliter l’échange et la circulation des informations.
La proposition n° 5, qui ne coûte pas grand-chose et ne nécessite pas de modifier la loi, vise à décliner au plan territorial les espaces d’échange. Il nous semble que dans chaque région, les services travaillant sur ces dossiers – parquet, douanes, services enquêteurs – doivent se parler. Il faut que le dialogue soit institutionnalisé et pas seulement le fruit du facteur humain.
La proposition n° 6 consiste à maintenir les droits d’accès aux fichiers fiscaux pour les fonctionnaires de l’administration fiscale détachés ou mis à disposition des juridictions chargées de la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. J’ai déjà traité cette question.
La proposition n° 7 est destinée à systématiser le retour d’informations des juridictions vers les administrations et la proposition n° 8 à constituer une base de données sécurisée commune aux JIRS et au parquet national financier. Au terme du travail que nous avons mené, nous pouvons dire que la répartition des dossiers entre le parquet national financier et les JIRS se passe correctement. Nos interlocuteurs ont insisté sur le fait que l’essentiel était de se parler dès le début car c’était un facteur de fluidité et d’efficacité.
La proposition n° 9 vise à constituer une base de données sécurisée nationale recensant l’ensemble des procédures engagées en matière de fraude fiscale et de grande délinquance – une base de données qui soit accessible aux acteurs administratifs et judiciaires spécialisés dans la lutte contre la fraude fiscale. Nous nous appuyons là encore sur le même raisonnement : quand une personne ou une société est mise en cause et qu’un service commence à travailler sur ce dossier, il importe que ce service sache ce que les autres services ont déjà fait dans ce même dossier.
La proposition n° 14 vise à la création d’une plateforme d’identification en ligne des autorités judiciaires locales compétentes en fonction des pays et des actes sollicités. Chaque JIRS de France peut avoir besoin, à un moment donné, de demander un acte dans un autre pays. Il nous a été dit que les services étaient très demandeurs de cette plateforme qui constituerait un gain de temps.
La proposition n° 12 tire les conséquences du fait qu’aujourd’hui, l’AGRASC n’a accès ni au FICOBA ni au FICOVIE. Il importe de remédier à cette situation. La proposition n° 13 vise à modifier les modules du logiciel CASSIOPÉE pour que l’AGRASC puisse suivre la totalité des saisies dans l’ensemble des procédures du pays.
Pour atteindre le quatrième objectif, la proposition n° 11 encourage, dans le cadre de la politique pénale, un plus grand recours à la qualification de non-justification des ressources, incrimination prévue aux articles 321-6 et suivants du code pénal et qui permet d’avancer dans beaucoup d’affaires.
Enfin, nous avons deux propositions en matière internationale : la proposition n° 15 vise à convaincre les États signataires de la convention de Budapest de faire évoluer cette dernière pour permettre aux services enquêteurs d’aller chercher des données stockées dans un autre pays mais consultables depuis le nôtre ; la proposition n° 16 consiste à encourager les États membres de l’Union européenne à aller le plus loin possible dans la constitution des fichiers des comptes bancaires et d’assurance vie en les interconnectant. En effet, quand bien même un État fédéral créerait dans chacun de ses États fédérés un fichier des comptes bancaires, seul un système d’interconnexion permettra un véritable échange sécurisé.
Il me reste à remercier ma collègue : nous avons essayé d’effectuer ce travail dans le meilleur état d’esprit possible et de la manière la plus concrète et constructive qui soit.
M. Charles de Courson. À la page 53 de votre rapport, vous évoquez la rémunération des aviseurs fiscaux. Quel est le montant versé annuellement aux aviseurs douaniers ? Est-on en contact, en dehors des douanes, avec des personnes susceptibles de nous livrer des informations contre rémunération ?
À la page 54, vous montrez que les condamnations pour fraude fiscale sont très rarement annulées puisque le taux de relaxe définitive est de moins de 10 %. Cela étant, vous n’évoquez pas le problème en amont – dont nous avions longuement discuté – du monopole de la saisie de la justice par l’administration. Y a-t-il beaucoup de gens qui échappent au filtre de la commission des infractions fiscales, ce qui expliquerait que les taux de relaxe soient extrêmement faibles ?
Pour la première fois, dans l’affaire Ricci, abordée en page 55, un avocat fiscaliste a été condamné solidairement avec le fraudeur. La condamnation n’est pas définitive puisque le condamné a fait appel. Connaît-on la position de l’ordre des avocats à ce sujet ? Ne faudrait-il pas diffuser l’information sur cette affaire pour dissuader les avocats fiscalistes et les conseillers fiscaux de se rendre complices de fraude fiscale ?
Enfin, l’écart entre le montant des redressements et celui des encaissements – légèrement supérieur à 50 %, comme l’illustre le tableau de la page 58 du rapport – vous paraît-il justifié ?
M. Guillaume Garot. Je salue la qualité du travail conduit par les deux rapporteurs et me réjouis que, dans cette enceinte républicaine, nous puissions publier un rapport qui, sans doute, fera date. Je veux rappeler combien la lutte contre la fraude fiscale est un enjeu majeur du pacte républicain aujourd’hui. Nous devons nous montrer impitoyables au moment même où des efforts sont demandés aux Français.
Dans votre rapport, vous indiquez que les droits redressés et les pénalités atteignent 20 milliards d’euros en 2015. Vous expliquez que le parquet national financier traite actuellement 360 dossiers. Combien de ces dossiers ont-ils été examinés sur la base de faits pour lesquels les associations de lutte contre la corruption se seraient portées partie civile, sur le fondement de l’article 1er de la loi de 2013 ? Il importe en effet de bien cerner le rôle de ces associations dans ce processus.
M. Georges Fenech. Vous souhaitez, chers collègues, que les inspecteurs des impôts qui sont détachés dans les JIRS pour apporter leur assistance au déroulement des procédures puissent continuer à avoir accès à des informations couvertes par le secret fiscal et provenant de leur administration d’origine. On comprend votre souci d’efficacité mais une telle préconisation ne va-t-elle pas à l’encontre du secret professionnel et des droits de la défense ? Encore une fois, je partage votre souci de renforcer l’efficacité des enquêtes mais encore faut-il être absolument certain de ne pas aller à l’encontre des règles de procédure auxquelles nous sommes attachés.
M. le président Dominique Raimbourg. Peut-on mesurer la plus-value que représente la création du parquet national financier au regard de la situation antérieure, lorsque les poursuites étaient diligentées par les parquets locaux ou ceux des JIRS ?
M. Joël Giraud. J’ai été confronté, dans une vie antérieure, à l’impossibilité d’accéder à certains fichiers, ce qui me contraignait à recourir à des méthodes qui n’étaient pas tout à fait légales pour obtenir les informations nécessaires à une procédure légale. Les préconisations des rapporteurs en la matière me semblent donc très opportunes.
Que pensez-vous de l’archaïsme qui veut que la fraude fiscale soit soumise à une procédure dérogatoire en France qui gêne considérablement les investigations en la matière ? Le délit de blanchiment de fraude fiscale a permis de contourner l’avis de la CIF qui s’apparentait à une opération de justice retenue mais pour autant, il demeure certains cas où, la fraude fiscale n’étant pas constituée, il est difficile d’entamer une procédure sur le fondement même du blanchiment de fraude fiscale. Je me souviens encore d’avoir vu un comptable public m’expliquer que ce que j’avais découvert relevait de la fraude fiscale et pas du blanchiment et que je ne pouvais donc rien faire. Avez-vous des suggestions à faire à cet égard ?
Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Nous n’avons aucun chiffre en ce qui concerne la rémunération des aviseurs douaniers. Mais sans doute le commissaire aux finances que vous êtes, monsieur de Courson, pourrait-il demander à sa commission d’obtenir ce type d’informations ?
Nous ne connaissons pas non plus le nombre de personnes susceptibles de livrer des informations demain contre rémunération. Il y a aujourd’hui de très nombreuses personnes qui le font de manière totalement gratuite et les services de l’administration fiscale travaillent sur la base d’informations qui leur parviennent gracieusement, tous les jours, en abondance. Cela a d’ailleurs donné lieu à des affaires célèbres. Peut-être notre collègue qui a déposé un amendement permettant d’expérimenter pendant deux ans la rémunération d’aviseurs fiscaux dispose-t-elle de chiffres ou d’estimations ?
Quant à savoir combien de personnes échapperaient aux poursuites avant même toute saisine de la commission des infractions fiscales, nous avions ensemble introduit de nouvelles dispositions dans les lois de 2013, en particulier une nouvelle définition de la transaction fiscale qui est prévue dans le code général des impôts. Nous avions alors indiqué ce que ne pouvait plus être une transaction fiscale et donc resserré les possibilités d’accord entre l’administration fiscale et un contribuable qui se serait trompé sans volonté manifeste de frauder ou de diminuer ses impôts. Nous avions aussi prévu que le Parlement, en particulier ses commissions des finances, devrait être informé par la voie d’un rapport sur les transactions fiscales. Ce rapport devait préciser le nombre de transactions par département – puisque nous avions constaté à l’époque de grandes disparités, le ratio allant de un à dix-huit selon les départements. Or ce rapport n’a jamais été produit. Les seuls chiffres dont nous disposons figurent dans le rapport du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes et ne permettent pas de nous assurer de l’homogénéité des pratiques sur l’ensemble du territoire de la République. En revanche, il est incontestable que les dispositions que nous avions prises en matière de définition de la transaction fiscale ont conduit à une diminution de cette pratique.
Je partage votre volonté d’assurer la publicité de la condamnation dans l’affaire Ricci qui a notamment entraîné le paiement solidaire des amendes de son client par l’avocat mis en cause.
Enfin, l’écart entre les montants de redressement et de recouvrement tient avant tout à un décalage dans le temps entre les deux opérations. Le projet de loi de finances comprend d’ailleurs une annexe présentant les chiffres des redressements et de leur recouvrement, avec un décalage de deux ans. Par ailleurs, il est parfois difficile de recouvrer pleinement les sommes identifiées. Les choses se sont largement améliorées grâce aux dispositions adoptées dans les lois de 2013, en particulier en ce qui concerne l’assurance-vie qui permettait à certains de se rendre insolvables. Mais malheureusement, il subsiste des possibilités d’échapper au paiement des sommes redressées.
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le recouvrement des redressements fiscaux n’était pas au cœur de notre travail, mais le tableau qui figure en page 58 de notre rapport vous montrera que, de ce point de vue, 2014 fut une année moyenne, avec une augmentation de 7,2 % du montant total des droits et pénalités redressés mais de 3 % seulement des encaissements. L’année 2015 fut en revanche excellente, avec une augmentation de 9,8 % du montant total des droits et pénalités redressés et de 17,3 % des encaissements.
Depuis quatre ou cinq ans, le nombre de saisines de la commission des infractions fiscales est à peu près stable, variant entre 1 000 et 1 200. En revanche, la part des avis défavorables a très nettement baissé. Pendant plusieurs années, elle est restée comprise entre 8 % et 9 %, avant de tomber à 7,4 % en 2014 et 5,4 % en 2015.
Il faut effectivement légiférer à propos du secret fiscal. Il est assez paradoxal qu’un fonctionnaire des finances publiques ait accès aux informations couvertes par le secret fiscal s’il est dans un service de police judiciaire et qu’il n’y ait pas accès s’il travaille en JIRS. Il ne s’agit pas de porter atteinte aux garanties procédurales et de supprimer la nécessité de réquisitions en bonne et due forme, mais, au quotidien, il serait opportun qu’un service puisse savoir tout de suite s’il risque d’emprunter une fausse piste. Il serait ainsi possible, dans le respect des garanties procédurales, de gagner considérablement en efficacité.
Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Novation majeure, l’article 1er de la loi de 2013 permet aux associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile. En réalité, elles n’ont pas fait un usage immodéré de la possibilité ainsi ouverte. Rappelons par ailleurs que le champ d’activité du parquet national financier est extrêmement large, s’étendant des paris sportifs à des fraudes fiscales très complexes, en passant par la délinquance économique et financière, ou les atteintes à la probité – lorsque sont en cause des agents exerçant des responsabilités de haut niveau ou en présence d’entreprises et de dirigeants à forte visibilité économique. Le parquet national financier ne s’occupe donc pas que de lutte contre la corruption et son action va au-delà de quelques affaires bien connues.
La plus-value apportée par le parquet national financier a été reconnue par tous nos interlocuteurs, y compris ceux qui étaient les plus hostiles à sa création, de même que par les représentants des JIRS. On constate une meilleure organisation de toute la chaîne et de toutes les juridictions concernées, qui travaillent plus vite parce qu’elles peuvent se concentrer sur leur ressort ou sur leur domaine de compétence. Des liens particulièrement étroits entre l’administration fiscale, les services enquêteurs, l’OCLCIFF, les juridictions et le PNF ont permis de gagner en efficacité à tous les échelons.
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. En page 28 du rapport, chers collègues, vous trouverez toutes les informations relatives aux saisines du parquet national financier.
Quant aux relations entre JIRS et PNF, à Nancy, on nous a expliqué qu’un certain nombre d’affaires avaient été confiées au second sans que les magistrats de la JIRS en conçoivent la moindre amertume ; ceux-ci considèrent même que les affaires en question représentaient une masse de travail qu’ils ne pouvaient traiter et qu’ils n’auraient pas été en mesure d’enquêter eux-mêmes dans des délais corrects.
M. Daniel Lebègue, président de Transparency International France, que nous avons reçu, nous a dit que la possibilité ouverte aux associations n’avait entraîné nul stakhanovisme. Elles interviennent en fait dans des dossiers ponctuels, emblématiques ou enlisés. Il a cité par exemple un dossier concernant les Bouches-du-Rhône, qui n’avançait pas et pour lequel l’intervention d’une association pouvait présenter une valeur ajoutée.
Mme Sandrine Mazetier, rapporteure. Enfin, je veux dire à M. Joël Giraud qu’il n’y a absolument plus besoin de prouver qu’il y a fraude fiscale pour poursuivre pour blanchiment de fraude fiscale, ce qui a ouvert d’immenses possibilités à tous les acteurs que nous avons rencontrés.
M. le président Dominique Raimbourg. Merci, chers collègues, de nous avoir présenté de manière aussi vivante et brillante ce rapport percutant.
La Commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information sur l’évaluation de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et de la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier.
PÉRENNISER LES MOYENS BUDGÉTAIRES ET HUMAINS DES ENTITÉS PARTICIPANT À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE ET LA GRANDE DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
Proposition n° 10 : Offrir aux agents travaillant dans une juridiction ou un service de lutte contre la fraude fiscale plus de stabilité professionnelle et une meilleure reconnaissance professionnelle passant par une meilleure rémunération ou une progression de carrière plus rapide
MIEUX POURSUIVRE ET PUNIR LES PERSONNES MORALES
Proposition n° 1 : Prévoir, pour la fraude fiscale aggravée, une deuxième modalité de fixation de la peine d’amende consistant en la faculté de prononcer une amende dont le montant serait susceptible d’être porté au double du produit tiré de l’infraction
Proposition n° 2 : Renforcer la répression à l’égard des personnes morales en permettant expressément de multiplier par cinq les montants résultant des possibilités d’élévation des amendes, possibilités prévues aux articles 324-3 et 432-10 et suivants du code pénal
Proposition n° 3 : Renforcer les sanctions du favoritisme « passif » (recel de favoritisme) et du favoritisme « actif » délibéré tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales
Proposition n° 4 : Assouplir les conditions pour engager la responsabilité pénale des personnes morales
FACILITER L’ÉCHANGE ET LA CIRCULATION DES INFORMATIONS
Proposition n° 5 : Décliner au plan territorial les espaces d’échange et de formation communs à tous les acteurs administratifs et judiciaires
Proposition n° 6 : Maintenir l’ensemble des droits d’accès aux fichiers fiscaux pour les agents de l’administration fiscale détachés ou mis à disposition de juridictions chargées de la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière
Proposition n° 7 : Systématiser le retour d’informations sur les suites données par les juridictions aux dossiers transmis par les administrations
Proposition n° 8 : Constituer une base de données sécurisée commune au parquet national financier et à toutes les juridictions interrégionales spécialisées
Proposition n° 9 : Constituer une base de données sécurisée nationale recensant l’ensemble des procédures engagées en matière de fraude fiscale et de grande délinquance économique et financière ; permettre son accès à l’ensemble des acteurs administratifs et judiciaires spécialisés dans la lutte contre la fraude fiscale
Proposition n° 14 : Créer une plateforme d’identification en ligne des autorités judiciaires locales compétentes en fonction des pays et des actes sollicités
Proposition n° 12 : Faire bénéficier l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) d’un accès aux fichiers qui lui sont nécessaires, en particulier au FICOBA (comptes bancaires) et au FICOVIE (contrats d’assurance vie)
Proposition n° 13 : Modifier les modules du logiciel CASSIOPÉE afin qu’il permette d’assurer une information exhaustive de l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) sur l’ensemble des saisies, confiscations et restitutions pratiquée en exécution du titre XXIX du code de procédure pénale ou à la demande d’un État tiers
RENDRE PLUS EFFICACE LE DISPOSITIF DE GESTION DES SAISIES ET DES CONFISCATIONS
Proposition n° 11 : Encourager, dans le cadre de la politique pénale, un plus grand recours à la qualification de « non-justification de ressources », infraction prévue et réprimée par les articles 321-6 et suivants du code pénal
REDYNAMISER LA COOPÉRATION INTERNATIONALE ET EUROPÉENNE
Proposition n° 15 : Convaincre les États signataires de la convention de Budapest de la faire évoluer pour permettre aux enquêteurs d’accéder, sans passer par l’entraide pénale internationale, aux données informatiques stockées à l’étranger, dès lors qu’elles sont consultables depuis la France
Proposition n° 16 : Encourager les États membres de l’Union européenne à tenir un registre national des comptes bancaires et des assurances vie interconnecté avec les registres des autres États.
PERSONNES ENTENDUES (161)
• Parquet national financier
— Mme Éliane Houlette, procureur national financier près le tribunal de grande instance de Paris
— M. Jean-Marc Toublanc, vice-procureur, secrétaire général
— M. Éric Russo, 1er vice-procureur
• GRASCO (Groupe de recherches approfondies sur la criminalité organisée)
— Mme Chantal Cutajar, directrice, maître de conférences HDR à la Faculté de Droit, de Sciences Politiques et de Gestion de l’Université de Strasbourg
• Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)
— M. Patrick Montagner, secrétaire général adjoint
— Mme Véronique Bensaid-Cohen, conseillère parlementaire auprès du Gouverneur de la Banque de France
• Direction générale des finances publiques, ministère de l’Économie et des finances
–– M. Bruno Parent, directeur général
–– Mme Maïté Gabet, cheffe du service du contrôle fiscal
• Cour de Cassation
— M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation
— M. Dominique Gaillardot, avocat général
–– Mme Agnès Labregere-Delorme, secrétaire générale du parquet général
• Transparency International France
— M. Daniel Lebègue, président
— Mme Laurène Bounaud, responsable du plaidoyer
• Direction de la police judiciaire – sous-direction des affaires économiques et financières
— M. Thomas de Ricolfis, chef de l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF)
–– M. Tony Sartini, commissaire de police
–– M. Olivier Lejeune, administrateur des finances publiques adjoint
–– Mme Brigitte Boudet, adjointe au sous-directeur en charge de lutte contre le crime organisé et la délinquance financière
• Conseil national des barreaux
–– M. William Feugère, membre du bureau du Conseil national des barreaux
–– Mme Anne Vaucher, membre des commissions Affaires européennes et internationales et Statut professionnel de l’avocat
–– M. Jacques-Édouard Briand, directeur des affaires législatives
• Direction des affaires criminelles et des grâces, ministère de la Justice
— M. Robert Gelli, directeur
–– Mme Noémie Davody, adjointe au chef du bureau du droit économique, financier et social, de l’environnement et de la santé publique
–– Mme Hélène Lavoisier, cadre spécialisée de la direction générale des finances publiques détachée au ministère de la Justice
• Service traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), ministère de l’Économie et des finances
–– M. Bruno Dalles, directeur
• Direction générale des douanes et droits indirects, ministère de l’Économie et des finances
–– M. Jean-Paul Balzamo, sous-directeur des affaires juridiques et contentieuses, des contrôles et de la lutte contre la fraude
— M. Michel Baron, chef du bureau des études juridiques et contentieuses
–– M. Michel Marin, chef du bureau de la politique des contrôles
• Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF)
— Mme Jeanne-Marie Prost, déléguée nationale
— M. Éric Belfayol, magistrat
• Tribunal de grande instance de Paris
— M. François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris
— Mme Alexandra Vaillant, vice-procureur, chef du pôle de lutte contre la fraude
• Fédération bancaire française (FBF)
–– Mme Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale
— M. Alain Gourio, directeur du département juridique et conformité
— Mme Blandine Leporcq-Salles, directrice du département fiscal
–– M. Nicolas Bodilis-Reguer, directeur des relations institutionnelles France
• Tribunal de grande instance et juridiction inter-régionale spécialisée de Paris – 28 novembre 2016
–– M. Jean-Michel Hayat, président du tribunal de grande instance
–– Mme Anne Wyon, 1ère vice-présidente en charge du pôle pénal
–– M. Guillaume Daieff, vice-président chargé de l’instruction au pôle financier
–– M. Peimane Ghaleh-Marzban, 1er vice-président adjoint, coordonnateur des chambres financières et président des 11e et 32e chambres correctionnelles
–– Mme Bénédicte de Perthuis, vice-présidente
• Tribunal de grande instance et juridiction inter-régionale spécialisée de Nancy - 5 janvier 2017
–– M. Thierry Grandame, président du tribunal de grande instance
–– M. Thomas Pison, procureur de la République
–– M. Pierre Kahn, procureur adjoint
–– M. Mathieu Fohlen, vice-procureur près la juridiction inter-régionale spécialisée
–– Mme Valérie Rosburger, vice-présidente chargée de l’instruction à la juridiction inter-régionale spécialisée
–– Mme Estelle Duez, greffière en chef
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
À la demande de vos Rapporteurs, ont adressé une contribution écrite :
–– l’Autorité des marchés financiers (AMF) ;
–– l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) ;
–– la commission des infractions fiscales (CIF) ;
–– la Société générale ;
–– le Crédit agricole ;
–– BNP-Paribas.
ANNEXE N° 1 : SUIVI DE LA PUBLICATION DES TEXTES D’APPLICATION
Article de la loi |
Base légale |
Objet RIM (1) |
Catégorie de texte |
Consultation obligatoire |
Calendrier des consultations |
Date prévisionnelle de saisine CE (2) |
Date saisine CE (2) |
Date de sortie CE (2) |
Objectif de publication |
Titre du décret |
Date de publication du décret |
Date de mise en application |
Article 1er, I |
article 2-23, code de procédure pénale, 4° |
Conditions d’agrément des associations déclarées depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile, se proposant par ses statuts de lutter contre la corruption |
Décret en Conseil d’État |
décembre 2013 |
30/12/2013 |
février 2014 |
Décret n° 2014-327 du 12 mars 2014 relatif aux conditions d’agrément des associations de lutte contre la corruption en vue de l’exercice des droits reconnus à la partie civile |
14/03/2014 |
14/03/2014 | |||
Article 11, 2° |
Article 1649 AB, code général des impôts |
Modalités de consultation du registre public des trusts |
Décret en Conseil d’État |
CNIL ? |
avril 2014 |
05/02/2016 |
07/04/2016 |
juillet 2014 |
Décret n° 2016-567 du 10 mai 2016 relatif au registre public des trusts |
11/05/2016 |
11/05/2016 | |
Article 11, 2° |
Article 1649 AB, code général des impôts |
Extension de la déclaration des trusts aux administrateurs de trusts ayant leur domicile fiscal en France |
Décret simple |
juin 2014 |
Décret n° 2014-1372 du 17 novembre 2014 relatif aux obligations déclaratives des administrateurs de trusts |
19/11/2014 |
19/11/2014 | |||||
Article 13 |
Article 1741 A, code général des impôts |
Composition de la Commission des infractions fiscales |
Décret en Conseil d’État |
avril 2014 |
06/10/2014 |
juillet 2014 |
Décret n° 2014-1636 du 26 décembre 2014 relatif à la composition et au fonctionnement de la commission des infractions fiscales |
28/12/2014 |
28/12/2014 | |||
Article 45 |
Article 223 quinquies B, code général des impôts |
Liste et modalités des informations générales et spécifiques à fournir en matière de documentation de prix de transfert |
mai 2014 |
|||||||||
Article 63, I, 7° |
article 704, code de procédure pénal |
Liste des cours d’appel dans le ressort desquelles un tribunal de grande instance est compétent pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et, s’il s’agit de délits, le jugement de ces infractions, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité |
Décret simple |
janvier 2014 |
Décret n° 2014-69 du 29 janvier 2014 modifiant les articles D. 47-2 et D. 47-3 du code de procédure pénale |
31/01/2014 |
31/01/2014 | |||||
Article 63, I, 7° |
article 704, code de procédure pénale |
Liste des cours d’appel comprenant une section du parquet et des formations d’instruction et de jugement spécialisées |
Décret simple |
janvier 2014 |
Décret n° 2014-69 du 29 janvier 2014 modifiant les articles D. 47-2 et D. 47-3 du code de procédure pénale |
31/01/2014 |
31/01/2014 | |||||
Article 73 |
Entrée en vigueur des mesures relatives au parquet financier |
Décret en Conseil d’État |
décembre 2013 |
16/12/2013 |
23/01/2014 |
janvier 2014 |
Décret n° 2014-64 du 29 janvier 2014 relatif au parquet financier |
31/01/2014 |
31/01/2014 |
(1) RIM : réunion interministérielle.
(2) CE : Conseil d’État.
Source : Secrétariat général du Gouvernement.
ANNEXE N° 2 :
CIRCULAIRE DU 31 JANVIER 2014 DE POLITIQUE PÉNALE RELATIVE AU PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE FINANCIER
ANNEXE N° 3 :
DÉCRET N° 2009-874 DU 16 JUILLET 2009 PRIS POUR APPLICATION DE L’ARTICLE L. 561-15-II DU CODE MONÉTAIRE ET FINANCIER
Le 7 février 2017
JORF n°0164 du 18 juillet 2009
Texte n°6
Décret n° 2009-874 du 16 juillet 2009 pris pour application de l’article L. 561-15-II du code monétaire et financier
NOR: ECET0909114D
ELI:https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2009/7/16/ECET0909114D/jo/texte
Alias: https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2009/7/16/2009-874/jo/texte
Le Premier ministre,
Sur le rapport de la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi et du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’état,
Vu le code de commerce, notamment son article L. 123-11 ;
Vu le code monétaire et financier, notamment son article L. 561-15-II ;
Vu l’avis du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières en date du 1er avril 2009,
Décrète :
Article 1
La déclaration prévue à l’article L. 561-15-II susvisé du code monétaire et financier est effectuée par les personnes mentionnées à l’article L. 561-2 du même code en fonction de la spécificité de leur profession, conformément aux obligations de vigilance exercées sur leur clientèle et au regard des pièces et documents qu’elles réunissent à cet effet.
Article 2
Les critères mentionnés à l’article L. 561-15-II sont les suivants :
1° L’utilisation de sociétés écran, dont l’activité n’est pas cohérente avec l’objet social ou ayant leur siège social dans un Etat ou un territoire qui n’a pas conclu avec la France une convention fiscale permettant l’accès aux informations bancaires, identifié à partir d’une liste publiée par l’administration fiscale, ou à l’adresse privée d’un des bénéficiaires de l’opération suspecte ou chez un domiciliataire au sens de l’article L. 123-11 du code de commerce ;
2° La réalisation d’opérations financières par des sociétés dans lesquelles sont intervenus des changements statutaires fréquents non justifiés par la situation économique de l’entreprise ;
3° Le recours à l’interposition de personnes physiques n’intervenant qu’en apparence pour le compte de sociétés ou de particuliers impliqués dans des opérations financières ;
4° La réalisation d’opérations financières incohérentes au regard des activités habituelles de l’entreprise ou d’opérations suspectes dans des secteurs sensibles aux fraudes à la TVA de type carrousel, tels que les secteurs de l’informatique, de la téléphonie, du matériel électronique, du matériel électroménager, de la hi-fi et de la vidéo ;
5° La progression forte et inexpliquée, sur une courte période, des sommes créditées sur les comptes nouvellement ouverts ou jusque-là peu actifs ou inactifs, liée le cas échéant à une augmentation importante du nombre et du volume des opérations ou au recours à des sociétés en sommeil ou peu actives dans lesquelles ont pu intervenir des changements statutaires récents ;
6° La constatation d’anomalies dans les factures ou les bons de commande lorsqu’ils sont présentés comme justification des opérations financières, telles que l’absence du numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, du numéro SIREN, du numéro de TVA, de numéro de facture, d’adresse ou de dates ;
7° Le recours inexpliqué à des comptes utilisés comme des comptes de passage ou par lesquels transitent de multiples opérations tant au débit qu’au crédit, alors que les soldes des comptes sont souvent proches de zéro ;
8° Le retrait fréquent d’espèces d’un compte professionnel ou leur dépôt sur un tel compte non justifié par le niveau ou la nature de l’activité économique ;
9° La difficulté d’identifier les bénéficiaires effectifs et les liens entre l’origine et la destination des fonds en raison de l’utilisation de comptes intermédiaires ou de comptes de professionnels non financiers comme comptes de passage, ou du recours à des structures sociétaires complexes et à des montages juridiques et financiers rendant peu transparents les mécanismes de gestion et d’administration ;
10° Les opérations financières internationales sans cause juridique ou économique apparente se limitant le plus souvent à de simples transits de fonds en provenance ou à destination de l’étranger notamment lorsqu’elles sont réalisées avec des États ou des territoires visés au 1° ;
11° Le refus du client de produire des pièces justificatives quant à la provenance des fonds reçus ou quant aux motifs avancés des paiements, ou l’impossibilité de produire ces pièces ;
12° Le transfert de fonds vers un pays étranger suivi de leur rapatriement sous la forme de prêts ;
13° L’organisation de l’insolvabilité par la vente rapide d’actifs à des personnes physiques ou morales liées ou à des conditions qui traduisent un déséquilibre manifeste et injustifié des termes de la vente ;
14° L’utilisation régulière par des personnes physiques domiciliées et ayant une activité en France de comptes détenus par des sociétés étrangères ;
15° Le dépôt par un particulier de fonds sans rapport avec son activité ou sa situation patrimoniale connues ;
16° la réalisation d’une transaction immobilière à un prix manifestement sous-évalué.
Article 3
La ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 16 juillet 2009.
François Fillon
Par le Premier ministre :
La ministre de l’économie,
de l’industrie et de l’emploi,
Christine Lagarde
La ministre d’État, garde des Sceaux,
ministre de la justice et des libertés,
Michèle Alliot-Marie
Le ministre du budget, des comptes publics,
de la fonction publique
et de la réforme de l’État,
Éric Woerth
1 () Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier.
2 () La publication des textes d’application fait l’objet d’un tableau de synthèse figurant en annexe du présent rapport.
3 () La commission des Finances, saisie pour avis, avait examiné au fond plusieurs dispositions du projet de loi.
4 () M. Jean-Claude Marin a simplement évoqué l’introduction, le cas échéant, d’une peine proportionnelle aux bénéfices tirés d’un abus des biens sociaux aggravé.
5 () M. Robert Gelli note simplement qu’une peine complémentaire d’inéligibilité pourrait être envisagée en matière de fraude fiscale.
6 () Article 8 de la loi du 6 décembre 2013.
7 () La présomption ne porte donc pas sur la constitution du délit lui-même, mais sur l’illégalité affectant les biens ou revenus en cause.
8 () Article 9 de la loi du 6 décembre 2013 modifiant l’article 1741 du code général des impôts.
9 () Audition de Mme Éliane Houlette, avocat général à la Cour de cassation, procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris, par la commission des Finances du Sénat, mercredi 18 mai 2016.
10 () Article 30 de la loi du 6 décembre 2013.
11 () Augmentation de dix à quinze ans de la durée maximale de l’interdiction temporaire de gérer une entreprise commerciale ou industrielle prévue à l’article 131-27 du code pénal (article 2), fixation à 200 000 euros (montant pouvant être porté au double du produit tiré de l’infraction) de l’amende punissant le délit d’octroi d’avantage injustifié (« favoritisme ») prévu à l’article 432-14 du même code, création d’une amende sanctionnant le refus de fournir la copie d’un document à l’administration fiscale dans le cadre d’une procédure de contrôle (article 44), accroissement des sanctions en matière de manquement aux obligations déclaratives (article 61), etc.
12 () Loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché.
13 () Ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit, sans que l’amende puisse être inférieure à cet avantage.
14 () Articles 435-2 et 435-4 du code pénal (dans leur rédaction issue de l’article 20 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016).
15 () Article 19.
16 () Article 432-10 du code pénal.
17 () Articles 432-12 et 432-13 du code pénal.
18 () Article 432-14 du code pénal.
19 () Articles 432-15 et 432-16 du code pénal.
20 () Sauf décision contraire motivée de la juridiction.
21 () Articles 432-17 (manquements au devoir de probité) et 433-22 (faits de corruption active et trafic d’influence commis par des particuliers) du code pénal.
22 () Cf. infra.
23 () Article 131-38 du code pénal : « Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction.
Lorsqu’il s’agit d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques, l’amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 euros ».
24 () Article 1741 du code général des impôts.
25 () Article 433-1 du code pénal.
26 () Google fait actuellement l’objet d’une enquête préliminaire menée par le procureur de la République financier, à la suite d’une plainte de l’administration fiscale du chef de fraude fiscale aggravée.
27 () Article L. 465-1 du code monétaire et financier (dans sa rédaction issue de l’article 1er de la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché). L’article L. 465-3-5 du même code précise que l’amende peut être portée à 15 % du chiffre d’affaires annuel total.
28 () Concussion, corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique, prise illégale d’intérêts, atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession, etc.
29 () Articles 432-10 et suivants du code pénal (dans leur rédaction issue de l’article 6 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013).
30 () Décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
31 () Contraire en particulier au principe de proportionnalité des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789 selon lequel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».
32 () Par exemple, 3 % du chiffre d’affaires s’il s’agit d’une infraction punie de trois ans d’emprisonnement, 5 % si elle est punie de cinq ans d’emprisonnement, 10 % si elle est punie de sept ans d’emprisonnement et 15 % si elle est punie de dix ans d’emprisonnement.
33 () Article 46 complétant l’article L. 465-3-5 du code monétaire et financier.
34 () Décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
35 () Cf. supra.
36 () Cf. rapport de M. Albéric de Montgolfier du 4 mai 2016, fait au nom de la commission des finances du Sénat, sur la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché (p. 52) : « S’agissant des personnes morales pénalement responsables, la règle du quintuple prévue par l’article 131-38 du code pénal signifie que l’amende encourue est de 500 millions d’euros ou cinquante fois l’avantage retiré. Or, l’amende correspondant à cinquante fois l’avantage retiré apparaît comme disproportionnée, d’autant que le légitime relèvement à 500 millions d’euros de l’amende exprimée en valeur absolue permettra déjà de disposer d’une peine véritablement dissuasive s’agissant d’entreprises à la capacité contributive significative. En conséquence, votre commission a adopté un amendement de votre rapporteur visant à prévoir que la règle du quintuple s’applique uniquement à l’amende exprimée en valeur absolue ».
37 () Prévu et réprimé à l’article 432-14 du code pénal sous la qualification d’ « atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession ».
38 () Montant pouvant être porté au double du produit tiré de l’infraction.
39 () Montant pouvant être porté au double du produit tiré de l’infraction.
40 () CJCE, 10 septembre 2009, affaire C-97/08 P, Akzo Nobel.
41 () Cass. crim., 10 novembre 1987, n° 86-91750, Viollet.
42 () Cass. crim., 9 février 2011, n° 10-86072, B.
43 () Cass. crim., 28 janvier 1991, n° 90-81606.
44 () Loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.
45 () Cass. crim., 5 décembre 1996, n° 95-85319.
46 () Cass. crim., 31 janvier 1983, n° 82-90516 ; Cass. crim., 2 mai 1984, n° 83-92934 ; Cass. crim., 27 février 1989, n° 88-82900.
47 () Cass. crim., 19 octobre 1987, n° 85-94605, Giraudo et autres.
48 () Article 1746 du code général des impôts introduit par l’article 14 de l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités.
49 () Cass, crim., 20 février 2008, n° 07-82977.
50 ()https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2008_2903/quatrieme_partie_jurisprudence_cour_2922/droit_penal_procedure_penale_2957/droit_penal_special_2960/droit_penal_economique_financier_12258.html [URL consultée le 27 janvier 2017]
51 () Rapport de M. Éric Bocquet au nom de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, http://www.senat.fr/rap/r11-673-1/r11-673-1117.html [URL consultée le 27 janvier 2017].
52 () Réponse écrite du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris.
53 () Ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme prise sur le fondement de l’article 118 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
54 () Décret n° 2014-327 du 12 mars 2014 relatif aux conditions d’agrément des associations de lutte contre la corruption en vue de l’exercice des droits reconnus à la partie civile.
55 () Arrêté du 27 mars 2014 relatif à l’agrément des associations de lutte contre la corruption en vue de l’exercice des droits reconnus à la partie civile.
56 () Arrêté du 22 octobre 2014 portant agrément de l’association Transparency International France en vue de l’exercice des droits de la partie civile.
57 () Arrêté du 19 février 2015 portant agrément de l’association Anticor, association contre la corruption en vue de l’exercice des droits de la partie civile.
58 () Arrêté du 19 février 2015 portant agrément de l’association Sherpa en vue de l’exercice des droits de la partie civile.
59 () Rapport moral 2015 d’Anticor, http://www.anticor.org/download/Rapport-moral-2015.pdf [URL consultée le 27 janvier 2017].
60 () Réponse écrite du procureur général près la Cour de cassation.
61 () Cf. la création des juridictions spécialisées en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
62 () Articles 705 à 705-4 du code de procédure pénale (créés par l’article 65 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013).
63 () Abus de marché, délit d’initié, manipulation de cours, etc.
64 () Corruption, trafic d’influence, favoritisme, détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêt, etc.
65 () Fraude fiscale aggravée ou en bande organisée, blanchiment, escroquerie à la TVA, etc.
66 () Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
67 () Cf. supra.
68 () Un choix alternatif à l’époque aurait pu consister à renforcer la section financière du parquet de Paris.
69 () Audition du 19 octobre 2016.
70 () Lors de son audition, le procureur de la République financier a indiqué que « [son] intégration judiciaire n’était pas allée de soi ».
71 () Par exemple dans l’affaire « Panama Papers » ou dans les affaires de corruption dans le sport, etc.
72 () Engagement que le procureur de la République financier résume ainsi : « analyse juridique initiale, points d’étape réguliers avec les enquêteurs, participation aux perquisitions les plus sensibles, rédaction des requêtes au juge des libertés et de la détention, décisions de saisies conservatoires, rédaction et gestion des demandes d’entraide internationale, audition de personnes dans certaines conditions, mise en état des procédures, rédaction d’une note de synthèse aux fins de poursuite ».
73 () Panama Leaks, Football Leaks, etc.
74 () Cf. réponses écrites de M. Robert Gelli à vos Rapporteurs.
75 () Juridiction inter-régionale spécialisée (cf. infra).
76 () Cf. infra.
77 () Les articles 62 à 64 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 ont réorganisé les juridictions spécialisées en matière économique et financière, avec une compétence matérielle légèrement plus étendue que les précédentes juridictions spécialisées (V. CPP, art. 704, réd. L. n° 2013-1117 du 6 déc. 2013, art. 63). La loi du 6 décembre 2013 a parallèlement supprimé les « pôles économiques et financiers ».
78 () Article 704 alinéa 1er du code de procédure pénale.
79 () Article 705 du code de procédure pénale.
80 () Décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
81 () Circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice, du 31 janvier 2014 de politique pénale relative au procureur de la République financier, http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSD1402887C.pdf, [URL consultée le 31 janvier 2017].
82 () Décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
83 () En cours d’information judiciaire, il incombe à la chambre criminelle de la Cour de cassation, en cas de conflit, de désigner la juridiction compétente.
84 () Information donnée par M. Robert Gelli.
85 () Corruption, fraude fiscale, etc.
86 () Cf. supra.
87 () L’article 704 du code de procédure pénale applicable aux JIRS dispose ainsi que celles-ci sont compétentes pour les « délits prévus par les articles (…) 324-1 et 324-2 (…) du code pénal », c’est-à-dire les articles définissant de manière générale le blanchiment, sans référence à une autre infraction précisément qualifiée.
88 () Infraction prévue et réprimée par les articles 435-1 à 435-6-2 du code pénal.
89 () Instituée par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) (appelée aussi « plaider-coupable ») permet d’éviter un procès à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Cette procédure est proposée par le procureur de la République. Elle est prévue aux articles 495-7 à 495-16 code de procédure pénale. Son champ a été considérablement étendu par l’article 27 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles.
90 () Arrêtés du 24 juillet 2000 relatifs à la DVNI, à la DNEF, à la DNVSF, à la DGE et à la DNID.
91 () Cette sous-direction est une entité du service du contrôle fiscal qui relève de la direction générale des finances publiques.
92 () Décret n° 2009-874 du 16 juillet 2009 pris pour application de l’article L. 561-15-II du code monétaire et financier.
93 () http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSD1402887C.pdf [URL consultée le 31 janvier 2017].
94 () http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/circulaire-lutte-contre-fraude-fiscale.pdf [URL consultée le 31 janvier 2017].
95 () La circulaire recommande notamment le dépôt d’une plainte pour escroquerie ou tentative d’escroquerie en présence de manœuvres frauduleuses et d’une remise de fonds de l’État, plutôt que le dépôt d’une plainte pour fraude fiscale. C’est par exemple le cas en présence d’une escroquerie laissant présumer la participation de plusieurs personnes (escroquerie commise en bande organisée) dès lors que l’incrimination du chef d’escroquerie peut faciliter la mise en cause, comme coauteurs ou complices, de l’ensemble des participants, alors que des poursuites du seul délit de fraude fiscale permettent difficilement d’appréhender les différents maillons du circuit frauduleux.
96 () Loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.
97 () Deuxième alinéa de l’article 706-157 du code de procédure pénale introduit par l’article 84 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
98 () Loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché.
99 () Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
100 () Article 13 de la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière.
101 () Par exemple une enquête préliminaire portant sur des détournements de fonds publics impliquant cinq personnes a abouti à une citation devant le tribunal moins de deux ans après le début de l’enquête. De même, une dénonciation de la Haute autorité pour la transparence de vie publique (HATVP) en novembre 2014 a conduit à une enquête préliminaire de 16 mois. La première audience au fond devant le tribunal s’est ensuite tenue 20 mois après le signalement.
102 () Décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016, M. Alec W. et autre ; décision n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016, M. Jérôme C.
103 () Cf. supra.
104 () Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, loi de modernisation sociale, spéc. § 9 ; décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, spéc. § 13 (l’exigence de clarté de la loi découle de l’article 34 de la Constitution).
105 () Décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, loi relative à la création du registre international français, spéc. § 14 (l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789).
106 () Décret n° 2009-874 du 16 juillet 2009 pris pour application de l’article L. 561-15-II du code monétaire et financier.
107 () Cf. supra.
108 () Cf. supra.
109 () Dans cette affaire, M. Teodorin Obiang, vice-président de Guinée Équatoriale, est poursuivi pour blanchiment d’abus de biens sociaux, détournement de fonds publics, abus de confiance et corruption (source : Transparency International France ; https://transparency-france.org/biens-mal-acquis/ [URL consultée le 31 janvier 2017]).
110 () AGRASC, rapport annuel 2011, p. 25.
111 () Confiscation dite également « par équivalent ».
112 () Les sommes définitivement confisquées doivent être, pour leur part, directement versées par les juridictions au budget général de l’État ou à la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives).
113 () C’est souvent une gestion défectueuse de la part des juridictions qui les a amenées à ne plus pouvoir identifier le statut juridique des sommes concernées. Le rôle donné à l’AGRASC par l’article 24 de la loi du 6 décembre 2013 prolonge l’une des principales missions confiées à cet établissement public par la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, qui consiste en « la gestion centralisée de toutes les sommes saisies lors de procédures pénales » (article 706-160 alinéa 3 du code de procédure pénale).
114 () Ministère de la Justice et ministère de l’Économie et des Finances.
115 () Réponses fournies par l’AGRASC à vos Rapporteurs.
116 () Principe consacré constitutionnellement par la décision DC n° 2005-520 du 22 juillet 2005 relative à la loi précisant le déroulement de l’audience d’homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, Rec. 118.
117 () Si la question se pose néanmoins en matière de confiscations, c’est que, comme le relève l’AGRASC, certaines confiscations, ayant un caractère « réel » (c’est-à-dire portant sur l’instrument ou le produit de l’infraction, et non sur le patrimoine du condamné), s’apparentent davantage par leur nature à des « mesures de sûreté » qu’à des « peines » au sens strict.
118 () Article 84.
119 () Article 41-4, alinéa 2, du code de procédure pénale.
120 () Article 99, alinéa 4, du code de procédure pénale.
121 () Article 373, alinéa 2, du code de procédure pénale.
122 () Article 481, alinéa 3, du code de procédure pénale.
123 () Article 84 précité de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016.
124 () Article 706-148 du code de procédure pénale.
125 () Pour l’AGRASC, les secondes seules constituent de véritables peines tandis que les premières se rapprochent plutôt de mesures de sûreté.
126 () Article 66 de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
127 () Article 84.
128 () Disposition applicable au procureur de la République (article 41-4 alinéa 2 du code de procédure pénale), au juge d’instruction (article 99 alinéa 4), à la cour d’assises (article 373 alinéa 2) et au tribunal correctionnel (article 481 alinéa 3).
129 () Cf. à ce sujet la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne, et notamment son article 4.2 qui dispose : « Lorsqu’il n’est pas possible de procéder à la confiscation sur la base [d’une condamnation pénale définitive], à tout le moins lorsque cette impossibilité résulte d’une maladie ou de la fuite du suspect ou de la personne poursuivie, les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des instruments ou produits dans le cas où une procédure pénale a été engagée concernant une infraction pénale qui est susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique et où ladite procédure aurait été susceptible de déboucher sur une condamnation pénale si le suspect ou la personne poursuivie avait été en mesure de comparaître en justice ».
130 () Fichier des comptes bancaires.
131 () Fichier des contrats de capitalisation et d’assurance-vie.
132 () Article 84. Cet accès n’avait pu être mis en œuvre par décret à la suite de l’annulation d’une disposition en ce sens par le Conseil d’État, qui considérait que la facilitation du travail de 1’AGRASC ne constituait pas une justification suffisante de 1’accès direct à CASSIOPÉE, compte tenu de la sensibilité des informations y figurant (cf. observations du garde des sceaux au premier président de la Cour des comptes sur le référé relatif à l’AGRASC, 29 août 2016).
133 () L’AGRASC a indiqué à vos Rapporteurs qu’une réunion s’était tenue en novembre 2016 avec le bureau des applications informatiques pénales. L’encadrement juridique devrait être finalisé avant l’été 2017. Les travaux sont en cours. La faisabilité technique ne semble pas poser problème.
134 () Article 84.
135 () Articles 706-150 et 706-151 du code de procédure pénale.
136 () Entraide judiciaire internationale aux fins de saisie des produits d’une infraction en vue de leur confiscation ultérieure.
137 () Dispositions relatives aux décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve prises par les autorités judiciaires françaises et dispositions relatives à l’exécution des décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve prises par les autorités étrangères.
138 () Décret n° 2016-567 du 10 mai 2016 relatif au registre public des trusts
139 () Décision n° 2016-591 QPC du 21 octobre 2016, Mme Hélène S.
140 () Cf. infra les développements sur l’échange automatique de renseignements.
141 () Cf. arrêté (modifié) du 12 février 2010 pris en application du deuxième alinéa du 1 de l’article 238-0 A du code général des impôts. Ces États et territoires sont aujourd’hui les suivants : Botswana, Brunei, Guatemala, Îles Marshall, Nauru, Niue et Panama.
142 () Automatic Exchange of Information (AEOI). En pratique, un pays signe, d’une part, la « Norme Commune de Déclaration » ou « Common Reporting Standard » (CRS) qui définit les informations qui doivent être partagées et, d’autre part, la « Convention Multilatérale concernant l’Assistance Administrative Mutuelle en matière fiscale » ou « Mutual Competent Authority Agreement » (MCAA) qui définit les autorités responsables pour le traitement des informations.
143 () Conseil de l’Europe, Union européenne.
144 () Organisation des Nations-Unies, Organisation de Coopération et de Développement Économiques, etc.
145 () Circulaire du garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 31 janvier 2014 de politique pénale relative au procureur de la République financier, op. cit.
146 () Article 57-1 alinéa 3 du code de procédure pénale : « S’il est préalablement avéré que ces données, accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial, sont stockées dans un autre système informatique situé en dehors du territoire national, elles sont recueillies par l’officier de police judiciaire, sous réserve des conditions d’accès prévues par les engagements internationaux en vigueur. »
147 () Article 32 a.
148 () Article 31 de la convention de Budapest : « 1. Une Partie peut demander à une autre Partie de perquisitionner ou d’accéder de façon similaire, de saisir ou d’obtenir de façon similaire, de divulguer des données stockées au moyen d’un système informatique se trouvant sur le territoire de cette autre Partie, y compris les données conservées conformément à l’article 29.
2. La Partie requise satisfait à la demande en appliquant les instruments internationaux, les arrangements et les législations mentionnés à l’article 23, et en se conformant aux dispositions pertinentes du présent chapitre. »
149 () Système du cloud computing. Les données ainsi fragmentées seront inexploitables isolément.
150 () L’article 76 alinéa 4 du code de procédure pénale prévoit l’intervention du juge des libertés et de la détention pour autoriser les perquisitions effectuées dans le cadre d’une enquête préliminaire, en l’absence d’assentiment de la personne chez qui elle a lieu.
151 () Rapport du Groupe de travail interministériel sur la lutte contre la cybercriminalité, Protéger les internautes, sous la direction de M. Marc Robert, février 2014, p. 233.
152 () Asset Recovery Office (ARO).
153 () Circulaire interministérielle du 15 mai 2017, www.interieur.gouv.fr/content/download/7777/73338/file/INTC0700065C.pdf, [URL consultée le 31 janvier 2017].
154 () Cf. supra.
155 () Directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE.
156 () Directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (LCB/FT).
157 () Communiqué de presse de la Commission européenne, 5 juillet 2016, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-2380_fr.htm [URL consultée le 31 janvier 2017].
158 () Directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE.
159 () Communiqué de presse de la Commission européenne, 5 juillet 2016, http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-2354_fr.htm [URL consultée le 31 janvier 2017].
160 () Résultats de la session du Conseil « Justice et affaires intérieures » des 8 et 9 décembre 2016, http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-15391-2016-INIT/fr/pdf [URL consultée le 31 janvier 2017].
161 () Les auditions sont présentées par ordre chronologique.
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