N° 3771 tome II - Rapport, établi au nom de cet office, sur les enjeux stratégiques des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques



N° 3771

 

N° 617

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2015 - 2016

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 19 mai 2016

 

le 19 mai 2016

LES ENJEUX STRATÉGIQUES DES TERRES RARES
ET DES MATIÈRES PREMIÈRES STRATÉGIQUES ET CRITIQUES

TOME II - Annexes

par

M. Patrick HETZEL, député, et Mme Delphine BATAILLE, sénatrice


Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

Président de l'Office

 


Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Bruno SIDO,

Premier vice-président de l’Office

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Premier Vice-président

M. Bruno SIDO, sénateur

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Christian NAMY, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice

DÉputés

SÉnateurs

M. Bernard ACCOYER

M. Gérard BAPT

M. Christian BATAILLE

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Françoise GUEGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Alain MARTY

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Patrick ABATE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

M. François COMMEINHES

M. Roland COURTEAU

Mme Catherine GÉNISSON

Mme Dominique GILLOT

M. Alain HOUPERT

Mme Fabienne KELLER

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Gérard LONGUET

M. Pierre MÉDEVIELLE

M. Franck MONTAUGÉ

M. Christian NAMY

M. Hervé POHER

Mme Catherine PROCACCIA

M. Bruno SIDO

   

SOMMAIRE

___

Pages

ANNEXE N° 1 : COMPTE RENDU DE L’AUDITION PUBLIQUE DU
6 JUILLET 2015 SUR « LA MISE EN PLACE D’UNE POLITIQUE DES TERRES RARES ET DES MATIÈRES PREMIÈRES STRATÉGIQUES ET CRITIQUES »
13

PROPOS INTRODUCTIFS 15

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 15

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur 17

PREMIÈRE TABLE RONDE : À QUELS BESOINS FAUT-IL RÉPONDRE ? 19

Présidence de Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur 79

I. QUELS SONT LES BESOINS INDUSTRIELS ET ÉCONOMIQUES ? 19

A. L’APPORT DES RÉFLEXIONS GLOBALES 19

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) 19

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 20

M. Dominique Guyonnet, BRGM 21

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM 21

M. Christian Thomas, Terra Nova 22

M. Laurent Forti, responsable Programmes, IFP Énergies nouvelles 23

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques 24

M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme nouvelles technologies de l'énergie 25

DÉBAT 26

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet 26

M. Laurent Forti, responsable Programmes, IFP Énergies nouvelles 26

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 26

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 27

B. L’APPORT DES RÉFLEXIONS DES UTILISATEURS SUR LEURS BESOINS 27

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. 27

M. Frédéric Petit, directeur Business Development Siemens Power Generations 28

Mme Anne de Guibert, directeur de la recherche de SAFT 29

M. Elbert Loois, Rohstoffallianz GmbH 29

M. Philippe Schulz, expert leader Environnement, énergie et matières premières stratégiques, Renault 30

II. QUELS SONT LES BESOINS STRATÉGIQUES ET LES RISQUES DE PÉNURIE ? 33

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 33

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 34

M. Maurice Leroy, professeur émérite à l'École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg, membre associé de l'Académie nationale de pharmacie 35

M. Michel Latroche, directeur de recherche au CNRS (Institut de chimie et des matériaux de Paris-Est). 35

M. Bruno Mortaigne, Direction générale de l’armement, ministère de la défense 37

M. Philippe Schulz, expert leader Environnement, énergie et matières premières stratégiques, Renault 37

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay 38

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet 39

DÉBAT 40

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques 40

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay 40

M. Frédéric Petit, directeur Business Development Siemens Power Generations 40

M. Christian Thomas, Terra Nova 40

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 41

M. Maurice Leroy, professeur émérite à l'École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg, membre associé de l'Académie nationale de pharmacie 41

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 41

M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas 43

Mme Anne de Guibert, directeur de la recherche de SAFT 43

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) 44

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 44

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet 45

DEUXIÈME TABLE RONDE : QUELLES SONT LES PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION DE L’OFFRE Á MOYEN TERME ? 47

Présidence de M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 47

I. QUELS FACTEURS VONT INFLUENCER L’OFFRE D’ICI DIX ANS ? 47

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 48

Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice Entreprises et économie internationale, ministère des affaires étrangères et du développement international 49

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, MEDDE 51

M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas 52

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 53

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM 54

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21 56

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links 57

M. Jack Testard, président, Variscan Mines 58

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques 59

DÉBAT 60

Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice Entreprises et économie internationale, ministère des affaires étrangères et du développement international 60

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. 61

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 61

M. Elbert Loois, Rohstoffallianz GmbH. 62

M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas 62

M. Jack Testard, président, Variscan Mines 63

M. Philippe Schulz, expert leader Environnement, énergie et matières premières stratégiques, Renault 63

M. Maurice Leroy, professeur émérite à l'École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg, membre associé de l'Académie nationale de pharmacie 64

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet 64

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links 65

II. QUEL PEUT ÊTRE L’APPORT DE CERTAINES FORMULES DE CONTRATS, DE FINANCEMENT ET DE RECHERCHE ? 67

M. Elbert Loois, Rohstoffallianz GmbH. 67

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21 68

DÉBAT 68

M. Dominique Guyonnet, BRGM 68

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 68

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, MEDDE 69

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 69

M. Elbert Loois, Rohstoffallianz GmbH 70

Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice Entreprises et économie internationale, ministère des affaires étrangères et du développement international 70

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21 71

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet 71

M. Jack Testard, président, Variscan Mines 72

M. Christian Thomas, Terra Nova 72

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur 72

III. QUELLE ÉVOLUTION DE LA CHINE PEUT-ON PRÉVOIR ? 75

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links 75

M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas 75

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 76

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM 77

TROISIÈME TABLE RONDE : L’INTÉRÊT D’UNE APPROCHE BASÉE SUR LE CYCLE DE VIE 79

Présidence de Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur 79

I. QUEL EST L’INTÉRÊT DE PRENDRE EN COMPTE LE CYCLE DE VIE DES PRODUITS UTILISANT CES MATIÈRES PREMIÈRES ? 79

M. Alain Geldron, expert national matières premières, Ademe, direction Consommation durable et déchets (DCDD) 79

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM 80

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21 82

M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme nouvelles technologies de l'énergie 83

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 84

M. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières 84

M. Christophe Petit, Eramet 85

II. QUEL PEUT ÊTRE L’APPORT DU RECYCLAGE ? QUE FAUT-IL FAIRE POUR L’ORGANISER DE MANIÈRE OPTIMALE ? LA PROBLÉMATIQUE DU RECYCLAGE 87

A. LA PROBLÉMATIQUE DU RECYCLAGE 87

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 87

M. Christian Thomas, Terra Nova et Team 2 88

M. Loïc Lejay, chargé de mission Développement du recyclage et référent DGPR pour Administration exemplaire, département Politique et gestion des déchets, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE) 90

M. Dominique Guyonnet, BRGM 91

B. L’APPORT DU RECYCLAGE 91

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM 91

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 92

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 93

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21 94

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay 94

C. LES EXPÉRIENCES ET LES RÉFLEXIONS DES INDUSTRIELS 95

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay 95

Mme Anne de Guibert, directeur de la recherche de SAFT 95

M. Philippe Guiberteau, CEA 96

M. Christophe Petit, Eramet 97

DÉBAT 98

M. Christian Thomas, Terre Nova 98

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles 99

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 100

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM 101

M. Alain Frémouillat 101

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links 101

QUATRIÈME TABLE RONDE : LES RÔLES DE LA PUISSANCE PUBLIQUE ET DES INDUSTRIELS 103

Présidence de M. Patrick Hetzel, député, rapporteur de l’OPECST 103

I. FAUT-IL DÉVELOPPER DAVANTAGE L’INFORMATION ET LA VEILLE STRATÉGIQUE ? 103

M. Dominique Guyonnet, BRGM 103

M. Claude Marchand, chef du bureau des matériaux, Direction générale des entreprises, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique 104

M. Christian Thomas, Terra Nova 105

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links 106

M. Christophe Petit, Eramet 106

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 107

DÉBAT 108

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet 108

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) 108

II. FAUT-IL CONSTITUER DES STOCKS STRATÉGIQUES ? 111

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 111

M. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières 112

M. Bruno Mortaigne, Direction générale de l’armement, ministère de la défense 112

M. Xavier Grison, Direction générale de l’armement, ministère de la défense, 113

DÉBAT 114

M. Xavier Grison, Direction générale de l’armement, ministère de la défense 114

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. 114

M. Christian Thomas, Terre Nova 115

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. 116

CONCLUSION 119

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 119

ANNEXE 2 : COMPTE RENDU DE L’AUDITION PUBLIQUE DU 29 FÉVRIER 2016 SUR « QUELLES POLITIQUE POUR LES TERRES RARES ET LES MATIÈRES PREMIÈRES STRATÉGIQUES ET CRITIQUES ? » 123

PROPOS INTRODUCTIFS 125

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur 125

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 126

PREMIÈRE TABLE RONDE : QUEL AVENIR POUR L’INDUSTRIE MINIÈRE ET MÈTALLURGIQUE EN FRANCE ET EN EUROPE ? 127

M. Gwenolé Cozigou, directeur à la Direction générale de l’entreprise et de l’industrie, Commission européenne 127

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 129

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur 130

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE) 131

M. Alain Liger, ingénieur des mines, ancien secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES) 132

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) 133

M. Claude Marchand, chef du bureau des matériaux, Direction générale des entreprises, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique 135

Mme Claire de Langeron, déléguée générale, A3M 136

M. Jean-François Labbé, direction des géo-ressources, BRGM 139

M. Jack Testard, président, Variscan Mines 140

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, groupe Eramet 141

M. Benoît de Guillebon, directeur, APESA 142

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal 143

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques 143

M. Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, coordinateur du projet d’ERA-Min : le rapport « Ressources minérales et énergie » de l’ANCRE 144

DÉBAT 145

Mme Eloïse Lebourg, journaliste 145

M. Jack Testard, président, Variscan Mines 145

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 146

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal 146

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie 147

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, groupe Eramet 147

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21 148

M. Alain Liger, ingénieur des mines, ancien secrétaire général du COMES 149

DEUXIÈME TABLE RONDE : COMMENT PEUT-ON MESURER ET ÉVALUER LA GRAVITÉ DES RISQUES LIÉS À L’EXPLOITATION MINIÈRE ? COMMENT PEUT-ON Y RÉPONDRE ? 151

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 151

M. Roland Masse, toxicologue, membre de l'Académie des technologies et de l'Académie de médecine 151

M. Gilles Recoche, directeur RSE, sécurité et intégration dans les territoires, Areva Mines 153

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur 154

M. Aurélien Gay, Direction générale de la prévention des risques (DGPR) 155

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie 157

M. Alain Geldron, expert national Matières premières, direction Économie circulaire et déchets, Ademe 158

M. Basile Segalen, ancien responsable du pôle média sociaux, groupe BNP Paribas 159

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay 159

M. Mehdi Ghoreychi, directeur des risques du sol et du sous-sol, INERIS 160

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal 161

DÉBAT 161

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 161

M. Michel Jebrak, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, université du Québec à Montréal 161

M. Alain Liger, ingénieur des mines, ancien secrétaire général du COMES 162

M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles, Rio Tinto Alcan 162

Mme Adeline Defer, ministère des affaires étrangères et développement international 163

M. Gilles Recoche, directeur RSE, sécurité et intégration dans les territoires, Areva Mines 163

M. Jack Testard, président, Variscan Mines 164

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur 164

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal 165

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 165

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques 166

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, groupe Eramet 166

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie 167

M. Maurice Leroy, président de la Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC) 167

M. Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, coordinateur du projet d’ERA-Min 167

M. Thierry Meilland-Rey, directeur carrières cimentières, Vicat et DGD Satma 169

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay 170

M. Éric Marcoux, professeur à l'université d’Orléans 170

M. Benoît de Guillebon, directeur, APESA 170

TROISIÈME TABLE RONDE : QUELLES SONT LES PERSPECTIVES DE LA RECHERCHE ET DE LA FORMATION ? 173

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 173

M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme Nouvelles technologies de l’énergie 173

M. Alain Geldron, expert national Matières premières, direction Consommation durable et déchets, Ademe 175

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21 176

M. Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, coordinateur du projet d’ERA-Min 178

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 180

M. Maurice Leroy, président de la Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC) 181

M. Alain Liger, ingénieur général des mines, ancien secrétaire général du COMES 181

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal 182

M. Michel Jebrak, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, université du Québec à Montréal 183

M. Roland Masse, toxicologue, membre de l'Académie des technologies et de l'Académie de médecine 185

M. Yann Gunzburger, maître de conférence, université de Lorraine, chaire Mines et sociétés 186

M. Éric Marcoux, professeur à l'université d’Orléans 187

M. Thierry Meilland-Rey, directeur carrières cimentières, Vicat et DGD Satma 188

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay 189

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée 190

M. Jack Testard, président, Variscan Mines 193

QUATRIÈME TABLE RONDE : ENJEUX INTERNATIONAUX ET COOPÉRATION INTERNATIONALE 197

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 197

Mme Adeline Defer, ministère des affaires étrangères et développement international 197

M. Guillaume Anfray, conseiller en stratégie de développement international, industries minières et chimiques, Business France 199

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM 200

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet 202

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néo Métal 204

M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme Nouvelles technologies de l’énergie 204

M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles, Rio Tinto Alcan 205

M. Alexis Sahaguian, Direction générale du Trésor 206

M. Jean-François Labbé, direction des géo-ressources, BRGM 208

PROPOS CONCLUSIFS 211

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur 211

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur 213

ANNEXE N° 1 :
COMPTE RENDU DE L’AUDITION PUBLIQUE DU 6 JUILLET 2015 SUR « LA MISE EN PLACE D’UNE POLITIQUE DES TERRES RARES
ET DES MATIÈRES PREMIÈRES STRATÉGIQUES ET CRITIQUES »

PROPOS INTRODUCTIFS

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. C’est avec plaisir que j’ouvre cette première audition publique du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les terres rares et les matières premières stratégiques et critiques, sur lequel nous travaillons avec Delphine Bataille, depuis une petite année maintenant.

Mme Bataille est sénatrice. Pour ma part, je suis député. Mme Bataille appartient à la majorité. J’appartiens à l’opposition. Ça vous permet de voir qu’à l’OPECST nous avons l’habitude de travailler de manière large, l’objectif étant, de faire en sorte, chaque fois que cela est possible, de proposer une vue partagée sur un certain nombre de questions scientifiques et technologiques.

C’est la manière dont l’OPECST travaille sur les sujets dont il est saisi, afin d’aboutir à des propositions qui soient, autant que possible consensuelles, sans pour autant craindre des divergences d’opinions ou d’appréciations lorsque cela est nécessaire.

En l’occurrence, notre étude découle d’une saisine du Président de la commission des affaires économiques du Sénat qui souhaite que soient approfondis les enjeux stratégiques des terres rares. Notre travail avait donc démarré autour de la question des terres rares.

Cette étude fait également suite à une audition publique que l’OPECST avait déjà pu organiser, voici quatre ans, en 2011, lors de la crise qui avait révélé la fragilité de notre approvisionnement et de notre dépendance à l’égard de la Chine, acteur majeur en la matière.

Depuis lors, le contexte a changé. Après avoir connu une période de flambée, les prix ont chuté au point que les entreprises juniors qui s’étaient créées dans l’euphorie de perspectives de prix élevés ont soit disparu, soit été confrontées à des difficultés financières extrêmement importantes. Nous avons pu nous en rendre compte, il y a maintenant deux semaines, en nous rendant en Scandinavie, là où certaines entreprises juniors ont fermé et d’autres sont en difficulté.

Mais si l’on raisonne à l’échéance de 2025, 2035, voire 2050, soit l’espace d’une génération, le risque qui s’était matérialisé en 2011 réapparaît et nous avons besoin de terres rares, comme nous avons besoin de plusieurs matières premières stratégiques et critiques, dont la demande pourrait très bien, dans les prochaines années, dépasser l’offre.

Certes, rien n’est mécanique, et de nouvelles ressources apparaîtront avec l’augmentation des prix. On voit bien que des innovations sont en cours. Nous avons déjà pu nous en rendre compte, ne serait-ce qu’en regardant les évolutions dans le secteur de l’éolien, ou pour les aimants permanents nous avons vu qu’un certain nombre d’innovations limitent le recours aux terres rares. Mais, globalement, certains produits n’étant pas inépuisables, le risque de pénurie doit être pris au sérieux, même si dans la plupart des cas, nous le savons, d’autres solutions techniques pourront être envisagées. On voit bien que, là aussi, l’innovation sera sans doute au rendez-vous.

En tout cas, la prise de conscience d’une gestion des ressources compatibles avec un mode de développement durable est l’un de ces mécanismes d’adaptation. Or, il est frappant de constater aujourd’hui que la problématique des terres rares rejoint celle des matières premières stratégiques et critiques, ce qui nous a conduits, dans un second temps, à élargir le champ de notre étude, à l’issue de notre étude de faisabilité. Nous ne nous concentrons plus exclusivement sur les terres rares, mais aussi sur les matières premières stratégiques et critiques.

Plusieurs d’entre vous ont déjà été associés à cette évolution. Nous avons déjà fait une cinquantaine d’heures d’audition, soit individuelles, soit groupées, notamment avec le COMES, dont je tiens à saluer le secrétaire général, M. Alain Liger, qui n’a pas pu se joindre à nous aujourd’hui, mais que nous entendrons, lors de la deuxième audition publique qui portera sur le renouveau de la politique minière et les questions de formation et de recherche. En tout cas, beaucoup d’acteurs impliqués dans le COMES sont présents aujourd’hui et nous vous en remercions. Merci beaucoup à l’ensemble d’entre vous pour votre présence parce que les experts, c’est vous, et nous avons évidemment besoin de votre regard pour être le plus pertinent possible.

Pour l’instant nous allons débattre de la manière dont pourrait être mise en place une politique globale des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques en abordant quatre thèmes principaux : quelles analyses peut-on faire des besoins industriels économiques, mais aussi des besoins stratégiques et des risques de pénuries ? Quelles sont les perspectives de l’offre à moyen terme en partant des interrogations que nous sommes plusieurs à partager, sur les risques de domination du marché par un pays dont le développement économique semble pour l’instant ne pas avoir de limites ? Quelle importance va prendre l’économie circulaire et le recyclage dans un contexte où il faudra néanmoins continuer de prospecter et de produire des matières premières ? Là aussi se pose la question du modèle économique de la filière de recyclage. Enfin, quelle doit-être la répartition des rôles entre la puissance publique et les industriels tant dans le domaine de la veille stratégique qu’en matière de stock stratégique qu’il faudra financer, si l’on prend la décision, comme dans d’autres pays, de les constituer ? Et si on prend la décision de les constituer, comment peut-on y avoir recours ? Quelles sont les clés, éventuellement, de libération potentielle de tels stocks stratégiques ?

Ces thèmes pourraient donner lieu à des débats sur plusieurs journées, mais nous n’en avons qu’une. Aussi allons-nous veiller avec beaucoup d’attention au respect de la règle que nous vous avons demandé de respecter. Elle est très contraignante, mais les travaux de l’OPECST montrent que c’est assez efficace. Chacune de vos interventions sera limitée à trois minutes, quitte à échanger à nouveau. Trois minutes, c’est une règle depuis longtemps en vigueur au niveau européen, notamment à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Trois minutes, c’est aussi plus de deux minutes, temps qui est imparti aux parlementaires lors des séances de questions au gouvernement. Trois minutes, c’est aussi la liberté que vous allez expérimenter de pouvoir vous exprimer plusieurs fois et de dialoguer, effectivement, entre vous.

Le dialogue entre personnalités venues de milieux différents, qui parfois se connaissent, mais qui souvent se côtoient sans rechercher ensemble des solutions possibles, nous y tenons beaucoup à l’OPECST, c’est vraiment notre marque de fabrique. C’est même l’intérêt le plus important des auditions publiques que nous organisons régulièrement. C’est pour nous le moyen d’aboutir à des propositions innovantes. C’est aussi un outil pour faire émerger une réflexion nouvelle et surtout, de permettre un débat public sur toutes les questions scientifiques, même les plus délicates. Cela nous a permis, par exemple, d’être le lieu de débats qui sont ailleurs quasi impossibles à organiser. Je citerai simplement quelques exemples qui ont pu égrener la vie de l’OPECST au cours des dernières années : évidemment les OGM, mais aussi les nanotechnologies, et encore plus récemment, les gaz de schistes et la problématique de la recherche en matière de gaz de schiste.

Au début de chaque table ronde, Delphine Bataille ou moi-même présenterons les questions que nous nous posons. Ce sont des questions que le politique se pose. En tant qu’experts, vous allez sans doute nous considérer comme bien naïfs, mais cela fait partie aussi du jeu. Puis nous vous donnerons la parole en deux temps, d’abord s’exprimeront les orateurs que nous avons pressentis et qui ont accepté de s’exprimer sur un thème déterminé à l’avance. Cela prendra souvent la moitié ou les deux tiers du temps imparti à la table ronde, puis viendra le temps du débat ouvert où chacun d’entre vous, mais aussi chacun des présents dans la salle pourra rebondir sur telle ou telle prise de position. En tout cas nous souhaitons que le débat soit le plus ouvert possible, d’autant plus que certains sujets que nous allons traiter peuvent donner lieu à des positions fort différentes, mais c’est aussi tout l’intérêt de telles auditions publiques.

Je précise à ceux d’entre vous qui ne l’auraient pas noté, que les auditions publiques sont enregistrées, et sont donc consultables. Sachez aussi qu’elles sont ouvertes à la presse, donc, vos positions ne se limiteront pas à cette enceinte. Et je pense que c’était aussi important de vous le rappeler avant de rentrer dans le vif du sujet.

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Patrick Hetzel vient de vous présenter les objectifs de l’audition publique d’aujourd’hui. Il vous a aussi rappelé les règles de nos débats qui ont fait preuve de leur efficacité lors de nombreuses auditions précédentes. En ce qui me concerne, je vais vous communiquer les réflexions qui découlent de l’étude de faisabilité et qui nous ont conduits à l’organisation de cette audition publique.

Notre réflexion a bien sûr débuté par la prise de conscience de ce que sont les terres rares, de leurs propriétés et de leurs spécificités. Ces éléments de la classification de Mendeleïev, apparus tardivement, ont en effet des caractéristiques particulièrement intéressantes dans de nombreuses activités industrielles. Je veux en citer quelques-unes parmi lesquelles l’optique, l’énergie, les télécommunications ou encore l’imagerie médicale.

Notre réflexion s’étend aujourd’hui à l’ensemble des matières premières stratégiques et critiques, hors du domaine de l’énergie. En effet, les premières auditions que nous avons réalisées nous ont révélé la similitude des problèmes qui se posent pour l’ensemble de ces produits. Très vite, nous nous sommes aperçus qu’il était très difficile d’apprécier avec exactitude les besoins futurs du fait d’une évolution particulièrement rapide des technologies. Je ne citerai que le cas du dysprosium, qui était à présent nécessaire pour construire les éoliennes, ce qui pouvait d’ailleurs conduire à une compétition entre fabricants de téléphones portables et fabricants de grandes éoliennes, même si le poids des aimants permanents n’est absolument pas le même dans le cas des téléphones portables ou des grandes éoliennes. Puis Siemens a annoncé qu’il pouvait en utiliser beaucoup moins et que d’autres technologies étaient désormais disponibles. Cette annonce change donc la nature du débat qui s’engageait sur les risques de pénuries du dysprosium. Siemens a accepté de participer à notre audition publique, nous entendrons donc son représentant avec beaucoup d’intérêt.

Pour évaluer de manière plus précise nos besoins actuels et futurs, nous avons donc souhaité, Patrick Hetzel vient de le rappeler, faire dialoguer des spécialistes venus de domaines complémentaires, notamment des géologues du BRGM, des industriels utilisateurs de ces produits, Solvay pour son expérience de la séparation des terres rares, le CEA sur les besoins liés au nucléaire, à la défense, mais aussi au secteur de l’énergie, de la santé et des télécommunications. Nous avons aussi voulu entendre les réflexions d’universitaires et de stratèges, et les comparer aux analyses faites en Allemagne, tout en nous interrogeant sur les synergies européennes possibles.

Très vite, nous avons aussi pu prendre conscience de l’influence croissante de la Chine dans le domaine des terres rares. Influence évidente en ce qui concerne leur production, mais qui risque bientôt de s’étendre à leur séparation et à leur utilisation. Dans quelle mesure peut-on éviter une telle situation ? Quelles entreprises non chinoises sont susceptibles de survivre, voire d’apparaître compte tenu de l’évolution des prix, mais aussi de l’existence ou non, d’une volonté politique de ne pas risquer une dépendance trop forte ? La mise en place de nouvelles formules de contrat d’enlèvement ou de nouveaux types de financement peut-elle constituer une réponse suffisante qui permette d’une part, de sécuriser les approvisionnements et d’autre part, le développement d’entreprises plus ou moins grandes dans plusieurs pays ?

Ensuite, nous avons été également frappés par l’intérêt des réflexions sur le recyclage et plus globalement sur la prise en compte du cycle de vie des produits pour définir une autre politique. Certes, la production de matières premières va rester nécessaire, quel que soit l’apport de ces nouvelles méthodes d’organisation, compte tenu notamment des prévisions d’augmentation forte de la demande. Il y a là des perspectives, en ce qui concerne le recyclage, particulièrement intéressantes, qui sont encore mal connues. Nous entendrons donc les industriels, les géologues, des universitaires, des chercheurs, ainsi qu’un représentant du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Enfin, au-delà de ces considérations techniques et économiques, nous nous sommes interrogés, de façon plus générale, sur les rôles respectifs de la puissance publique et des industriels, dans la mise en place d’une politique des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques. Deux questions ont plus particulièrement retenu notre attention : celle de l’information et de la veille stratégique, et puis celle de la constitution de stocks stratégiques. Ces deux sujets font l’objet de nombreux débats dans plusieurs pays. La manière dont ils sont traités reste différente voire très différente. La prospection, par exemple, est une priorité pour les uns, mais semble oubliée par d’autres. La constitution de stocks paraît indispensable pour les États-Unis, le Japon, la Corée du Nord ou la Finlande, mais, fait par contre l’objet de discussions qui n’aboutissent pas pour l’instant, à une décision semblable, dans de nombreux autres pays dont la France. Là aussi, nous pourrons entendre plusieurs points de vue, dont ceux de la Direction générale des entreprises du ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique et de la Délégation générale de l’armement du ministère de la défense.

Voilà la logique qui a présidé à l’organisation de cette audition publique. Nous aborderons, bien entendu, d’autres thèmes fondamentaux lors d’une seconde audition publique à laquelle, bien entendu, si vous le souhaitez, vous serez conviés. Nous pourrons alors aborder l’impact des terres rares et des minerais sur la santé et sur l’environnement, ainsi que les réflexions sur la mise en place d’une nouvelle politique minière en s’interrogeant sur la réforme du code minier et le concept de « mine responsable ». Nous pourrons aussi à cette occasion évaluer l’efficacité de notre système de formation et de recherche, et les mesures qui pourraient être prises pour renforcer son efficacité.

PREMIÈRE TABLE RONDE :
À QUELS BESOINS FAUT-IL RÉPONDRE ?

Présidence de Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur de l’OPECST

I. QUELS SONT LES BESOINS INDUSTRIELS ET ÉCONOMIQUES ?

A. L’APPORT DES RÉFLEXIONS GLOBALES

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Je vous propose d’entrer dans le vif du sujet et d’ouvrir les travaux de la première table ronde consacrée aux besoins auxquels il faut répondre. Nous vous proposons de donner successivement la parole aux orateurs que nous avons pressentis en précisant le thème de leur intervention. Avec Patrick Hetzel, nous souhaitons que nos débats permettent d’apporter les réponses aux questions suivantes : quelles évolutions peut-on prévoir, compte tenu des utilisations actuelles mais aussi des utilisations envisageables des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques ? Les besoins des différentes industries qui les utilisent sont-ils compatibles ? Où se porte le risque d’approvisionnement, est-ce sur la matière première, ou est-ce sur les produits semi-finis ou finis qui l’intègrent ? Vous pouvez, bien sûr, évoquer d’autres questions.

Monsieur Patrice Christmann, vous qui êtes l’un des spécialistes reconnus du Bureau de recherches géologiques et minières et qui connaissez fort bien les rouages de la politique européenne, je vous propose de nous dire quelles industries sont concernées par les terres rares.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Les terres rares, comme les métaux rares d’une manière générale, ceux que vous avez mentionnés, sont ce que j’appellerai les vitamines ou les hormones de l’économie moderne, de l’économie du XXIe siècle. Si je prends le cas des terres rares, elles sont indispensables à des secteurs aussi variés que l’aéronautique, l’automobile, la défense, la santé, les technologies de l’information et de la communication et même la protection des billets de banque, puisque nos billets de banque sont protégés par les terres rares, contre la contrefaçon.

Ces terres rares et ces métaux rares, d’une manière générale, jouent un rôle important dans la transition énergétique. Vous avez déjà mentionné la question des éoliennes et je pense que Siemens va nous éclairer sur ce sujet. Elles jouent un rôle dans les technologies à basse consommation d’énergie, donc sur la réduction de la consommation d’énergie, par exemple dans le domaine de l’éclairage mais aussi du transport. Elles jouent un rôle important dans des secteurs comme la microélectronique, le wifi, le radar, ou la téléphonie mobile.

Il y a, en Europe, une bonne quinzaine d’entreprises qui sont directement impliquées dans l’une des étapes de la transformation des terres rares. Nous n’avons pas en Europe d’exploitation de terres rares. Nous pourrions peut-être en avoir à terme, grâce entre autres, à des gisements en cours d’étude en Suède. En revanche, nous avons des industries de grande qualité dans la transformation et la séparation des terres rares et je pense que M. Alain Rollat nous présentera un panorama sur ce thème. L’Allemagne est particulièrement riche en sociétés de ce genre, dans le Mittelstadt, mais je note que certaines de ces entreprises se trouvent aujourd’hui confrontées à des difficultés importantes puisque Vacuumschmelze, qui est le principal producteur européen d’aimants permanents, si je ne me trompe pas, a annoncé une réduction de ses effectifs et un transfert d’une partie de ses capacités de production vers la Chine. C’est pour vous dire l’extraordinaire fragilité du tissu industriel européen qui, si on n’y prend garde, pourrait se trouver menacé de quasi-disparition dans la décennie à venir.

Le BRGM a un rôle de veille sur les marchés et les acteurs de terres rares, rôle qu’il a dans le cadre d’un mandat qui lui est confié par ses tutelles, notamment le ministère de l’économie et le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Il est en train de finaliser un panorama des terres rares. Je suis en partie fautif du fait qu’il n’est pas encore sorti, mais il sera prochainement publié dans la série des panoramas que nous avons déjà rendus publics, à la demande du gouvernement et qui sont disponibles sur www.mineralinfo.fr.

Les marchés mondiaux des terres rares valent environ 4 milliards de dollars, c’est-à-dire trois fois rien, c’est un très petit marché. C’est un ensemble de petits marchés et l’Union européenne ne représente qu’une toute petite part de ce marché ; de l’ordre de 4 % pour les aimants permanents. La demande de dysprosium c’est environ 1 500 tonnes par an, utilisé majoritairement dans la production d’aimants permanents.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Didier Julienne, vous êtes stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles Chine, Inde, énergie. Quels sont, selon vous, les impacts sur les ressources naturelles ?

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. Le fil rouge de notre discussion d’aujourd’hui mélangera à plusieurs moments, les thèmes des terres rares et des métaux stratégiques, avec ceux de la production d’énergie électrique, son stockage, l’efficacité de sa consommation et son transport. Il est essentiel de comprendre que cette discussion n’aurait eu aucun sens il y a encore quelques années, lorsque les hydrocarbures répondaient à tous ces besoins, et c’est pourquoi notre transition énergétique rime avec transition minière vers des métaux dits stratégiques.

C’est dans cet environnement de grande dépendance que l’industrie minière fait face au défi de nouveaux consommateurs équivalent à plusieurs fois la Chine, à l’horizon 2050. En effet, la Chine n’a fait que la moitié du chemin, l’Inde est une autre Chine, puis arrivent toute l’Asie du Sud-Est et l’Afrique. Sans compter qu’il existe au moins une autre Chine cachée, voire deux, avec la transition énergétique mondiale décarbonée, basée notamment sur l’éolien et le solaire. Dans ces pays, la principale ressource électrique de transformation est le charbon. C’est aussi la première ressource énergétique dans le monde. En moyenne 40 % de l’électricité mondiale est fabriquée avec du charbon. Ainsi, remplacer le charbon par des énergies dites climatiques, dans le cadre de la transition énergétique mondialisée est préoccupant. D’ici 2050 cette transition cumulera la demande des ressources classiques et stratégiques, c’est-à-dire qu’il faudra utiliser beaucoup plus de béton (dix fois plus), de l’acier (cent à six cents fois plus), de l’aluminium (cent fois plus), autant de cuivre que depuis l’an 2000, du verre et d’autres métaux de base ou matières. En ce qui concerne les métaux stratégiques et les terres rares, l’effet multiplicateur de la consommation est aujourd’hui impossible tant la courbe est asymptotique.

Comment répondre à tous ces défis ? Premièrement, produire des terres rares, mais pas comme aux États-Unis, où la mine de Molycorp vient de se placer sous la loi des faillites, comme je l’écrivais déjà le mois dernier. Deuxièmement, consommer, stocker et transporter de l’électricité demande de réfléchir aux métaux utilisés et donc d’anticiper les consommations et les stocks de matières minérales stratégiques et d’autres matières plus banales. Une autre solution concerne la géologie. C’est cette science des métaux stratégiques qui déterminera l’avenir de l’énergie décarbonée du futur.

Il y a de vraies solutions telles que le développement minier en France, en Europe, mais également le trading qui permet de porter des stocks, voire l’économie circulaire lorsqu’elle pourra se mettre réellement en place pour les métaux stratégiques. Il existe également de fausses solutions telles que les stocks stratégiques étatiques, lorsque l’État est inapte à les gérer.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Dominique Guyonnet, vous allez nous parler de l’identification de la demande en terres rares en Europe par l’analyse des flux de matière et notamment évoquer le projet ASTER.

M. Dominique Guyonnet, BRGM. J’ai eu le privilège de coordonner le projet ASTER sur les flux et stocks de terres rares à l’échelle de l’Europe, projet soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche et réalisé avec plusieurs partenaires dont Solvay, ici présent.

L’objectif de ce projet était de quantifier, d’obtenir une image des flux de matières pour certaines terres rares jugées stratégiques, notamment des terres rares comme le terbium, le néodyme, le dysprosium, associées à des applications pour lesquelles il existe des potentialités de recyclage.

Parmi les résultats de ce projet, il y a des diagrammes de ces flux et stocks, en comptant les importations et les exportations, sur toute la chaîne de valeur, qui va de l’extraction jusqu’à la gestion des déchets, en passant par la séparation d’oxydes de terres rares en mélange, la fabrication d’alliage, leur incorporation dans des produits, leur utilisation dans l’économie jusqu’à leur fin de vie.

Parmi les principales conclusions de ce projet, le projet ASTER souligne l’inévitable complémentarité entre ressources primaires et secondaires. Primaires, c’est-à-dire issues du sous-sol, et secondaires c’est-à-dire recyclées à partir de produits en fin de vie. On ne peut pas imaginer que les ressources secondaires puissent suffire pour satisfaire les besoins. Il faut néanmoins les développer le plus possible, car elles permettent de réduire les flux de déchets et permettent d’éviter des émissions liées à la ressource primaire, mais cela ne peut pas suffire.

Dans le projet ASTER, il y a eu des scénarios prospectifs, notamment mis en œuvre par Solvay, qui permettent de voir que ce qu’on peut attendre du recyclage d’ici 2020 dépend du type de terres rares.

Il y a enfin des potentialités à l’échelle de l’Europe, pour les ressources primaires, qui peuvent couvrir plusieurs siècles de la consommation au niveau actuel. Il y a aussi un savoir-faire historique qu’il faut développer, même si la part de l’Europe dans l’économie des terres rares sur toute la chaîne de valeur est relativement faible.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Christian Hocquard, vous êtes géologue et économiste. Quelles sont les applications des terres rares dans l’industrie ?

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. Il y a dix-sept terres rares au sens large, et toutes ont des applications de niche. La plupart de ces applications consomment très peu de terres rares, mais certaines n’en sont pas moins stratégiques. Il est évident que quand on pense aux équipements militaires, les applications sont assez vastes. Une liste exhaustive a été publiée par le département de la défense américain qui va du guidage laser de munition, au système radar, au sonar, à l’avionique, ainsi qu’aux équipements de santé.

Il y a, d’un côté, des usages très spécifiques qui consomment très peu mais qui sont tout à fait importants et stratégiques et de l’autre, des applications qui sont beaucoup plus consommatrices de terres rares. En particulier des applications qui sont liées aux énergies renouvelables et aux améliorations environnementales. Les terres rares font ainsi partie des métaux verts de la transition énergétique. On a parlé déjà du néodyme pour les aimants permanents. Mais il y a aussi le néodyme fer-bore qui a permis l’arrivée d’une nouvelle génération de moteurs et de générateurs électriques à rendement à la fois très élevé et avec des possibilités de miniaturisation considérables.

Tous les constructeurs d’éoliennes, en particulier pour la prochaine génération offshore, ont adopté l’usage de ces aimants permanents pour leur prochaine génération de grosses éoliennes, qui vont atteindre aujourd’hui 6 mégawatts. On va en parler certainement avec Siemens, Alstom, General Electric et Vestas. On n’en est qu’au début. Ces éoliennes ont des consommations attendues de néodyme – on voit également l’enjeu pour le dysprosium – tout à fait considérable. Il en est de même pour les voitures électriques et hybrides, nombre de constructeurs ayant choisi les moteurs électriques synchrones à base d’aimants permanents.

Bien évidemment, des constructeurs ont été effrayés et ont pu utiliser d’autres technologies. Mais il est peut-être dommage de faire une telle substitution alors que ces technologies à aimants permanents à néodyme sont vraiment exceptionnelles et remarquables. Faut-il à tout prix substituer pour des technologies qui sont moins performantes ? Voilà pour le néodyme.

L’autre consommation importante est celle, en particulier, de terres rares lourdes et, notamment, les luminophores pour les lampes basse consommation et les LED. On a là tout un enjeu qui tourne autour du terbium, du dysprosium, de l’europium, du gadolinium, toutes ces terres rares lourdes et des composés qui, bien entendu, doivent être très purifiés et qui doivent permettre d’obtenir des éclairages proches de la lumière blanche.

Voilà à la fois des applications de niche, des applications majeures pour la transition énergétique et tout un ensemble d’applications potentielles qui sont encore au stade de la recherche, depuis la réfrigération magnétique, depuis les piles à combustible de types SOFC ou les smart grids à base d’aimants supraconducteurs à base de cuprates. Ce sont les évolutions attendues sur l’ensemble des terres rares, qui sont des enjeux majeurs aujourd’hui.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Christian Thomas, qui représentez Terra Nova, vous allez évoquer les besoins en métaux spéciaux, notamment en ce qui concerne le germanium, l’indium et le gallium.

M. Christian Thomas, Terra Nova. Nous sortons du domaine des terres rares pour entrer dans celui des autres métaux stratégiques. Ne s’intéresser qu’aux terres rares, c’est un peu cacher la forêt qu’il y a derrière ces terres rares. Il y a, en effet, une vingtaine de métaux stratégiques, cela dépend des listes existantes. Je prendrai comme exemple l’indium, le germanium et le gallium, qui sont appelés minor metals ou métaux spéciaux en français.

La première grande différence c’est qu’il n’existe pas de mine d’indium, de gallium ou de germanium. Ce sont des sous-produits. Les uns sont sous-produits du zinc (l’indium et le germanium), d’autres du cuivre (l’indium également), ou de l’aluminium (le gallium).

Prenons d’abord l’indium. On consomme aujourd’hui entre 1 800 et 2000 tonnes d’indium dans le monde. On en consommait 120 tonnes il y a vingt ans, pour donner un ordre de grandeur de la croissance que l’on peut avoir avec ces métaux. C’est essentiellement dans le domaine des écrans plats que l’on va trouver l’utilisation de l’indium, sous la forme d’indium tin oxide, qui est une pellicule transparente et conductrice que l’on trouve devant et derrière les dalles d’écrans plats.

On trouve également des applications dans certains types de panneaux solaires, que l’on appelle les CIGS, qui consomment également un peu de gallium. Aujourd’hui la filière CIGS n’est pas forcément la filière du futur, on l’ignore, mais elle peut demander des quantités importantes d’indium.

Pour ce qui est du germanium, les applications ont changé avec le temps. On consommait une centaine de tonnes de germanium il y a trente ans, on en consomme 180 tonnes aujourd’hui. La croissance n’est pas très grande. Le germanium était utilisé essentiellement pour des applications militaires (dans les optiques infrarouges). Il est utilisé, aujourd’hui, essentiellement pour faire des fibres optiques. En France, nous avons des fabricants de fibres optiques, notamment Pirelli, qui est installé dans le nord (de même qu’en Italie), et qui a des besoins en germanium assez importants.

Le germanium, aujourd’hui, est présent dans très peu de minerais. C’est du minerai de zinc et c’est la métallurgie du zinc qui peut l’extraire. Le gallium lui, n’est pas vraiment si rare que ça. Il est associé à la bauxite et on peut le sortir assez facilement avec des technologies qui ont été mises au point notamment par Rhône-Poulenc, il y a de ça trente ans, qui permettent de sourcer du gallium assez facilement dans le monde si nécessaire.

Nous avons, en France, très récemment, repris une production d’indium, grâce à la société Nyrstar dans son usine d’Auby, car le savoir-faire était en France. S’il n’y avait pas eu de savoir-faire en France, il n’y aurait pas eu d’indium à Nyrstar. On peut espérer qu’il en sera de même avec le germanium assez prochainement, dans la même usine.

Le savoir-faire permet donc d’aller chercher au fond et d’implanter dans nos usines des extractions de ces métaux.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Laurent Forti, vous êtes responsable des programmes à l’IFP Énergies nouvelles. Quelle est la vision de l’IFPEN sur ses besoins en terres rares et en matières premières stratégiques et critiques ?

M. Laurent Forti, responsable Programmes, IFP Énergies nouvelles. Je voudrais juste préciser en préambule que l’IFP Énergies Nouvelles est un centre de recherche public qui intervient dans le domaine de l’énergie, du transport et de l’environnement. Je vais ensuite me focaliser sur les catalyseurs pour le raffinage. Nous en aurons encore besoin pendant assez longtemps, même si transition énergétique il y a.

Ces catalyseurs représentent 800 000 à 900 000 tonnes par an. Ils permettent d’orienter, de faciliter ou d’optimiser une réaction chimique. Quand on regarde l’ensemble du bilan énergétique, ils sont nécessaires pour arriver à un optimum. Sans ces terres rares ou ces métaux nobles, il faut concevoir des procédés qui sont plus gros, plus chers, plus énergivores et plus polluants aussi.

La catalyse pour le raffinage, c’est un petit consommateur par rapport à d’autres secteurs comme la sidérurgie. Moins de 1 % du nickel est consommé dans ces catalyseurs, mais je reviendrai sur le nickel qui peut être assez critique pour ces produits-là.

Nous sommes un centre de recherche et d’innovation et nous nous focalisons sur quatre axes. Le premier c’est la substitution : substituer ces matériaux critiques ou stratégiques, ou ces terres rares par d’autres matières, mais qui sont moins performantes, c’est un enjeu. Régénérer ces systèmes c’est aussi un autre enjeu. Le recyclage en est un troisième, mais ça peut être assez délicat en fonction du cours de la matière première et du coût du procédé de recyclage. Ça marche très bien quand il y a du platine ou des matériaux très chers, moins bien quand on est sur des nickel-cobalt, dont les cours peuvent varier. Investir dans un système de recyclage de ces produits peut devenir économiquement rentable pendant un temps et beaucoup moins pendant un autre. Et enfin, c’est un quatrième axe que vous avez mentionné, c’est l’écoconception. C’est reprendre la vision du berceau à la tombe de ces systèmes, pour en faciliter aussi le recyclage.

Il y a donc trois types de matériaux, ceux qui contiennent des métaux nobles, pour lesquels le recyclage fonctionne bien (d’ailleurs, les métaux appartiennent au raffineur et non pas au producteur de catalyseur) ; ceux qui contiennent des matières un peu moins nobles, qui eux peuvent être recyclés quand il y a suffisamment de valeur ou qui ne le sont pas quand il n’y en a pas assez ; et puis, enfin, le troisième domaine, qui est de loin le plus important : les catalyseurs pour le craquage catalytique qui, eux, contiennent des terres rares comme le lanthane, mais le coût de leur recyclage est trop élevé par rapport au prix de la matière première, qui est assez diluée d’ailleurs. Donc, dans la plupart des cas, ces catalyseurs sont envoyés vers l’industrie cimentière lorsqu’il n’y a pas trop d’impuretés qui peuvent être néfastes aux spécifications du ciment.

Il y a deux points sur lesquels je voudrais insister. Pour aider au recyclage, il faut veiller au statut du catalyseur qui sort de l’unité de raffinage. L’idéal serait que ce soit un statut de déchet pour éviter la fuite de matériaux vers des pays, en dehors de l’Europe. Et puis il existe une autre criticité, celle de la toxicité de matériaux comme le nickel et le cobalt, par exemple, qui, par rapport à la réglementation REACH, pourront être amenés à être interdits en usage. Je crois qu’il faut qu’il y ait une réflexion globale entre ceux qui font les réglementations et les industriels pour veiller à leur compétitivité.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Gilles Bordier, vous allez évoquer la vision du CEA sur ses besoins en terres rares et en matières premières stratégiques et critiques.

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques. Je vais vous présenter les besoins du nucléaire en métaux critiques soit au niveau industriel actuel, que le CEA soutient par ses recherches, soit au niveau du nucléaire de demain, que le CEA développe.

Le nucléaire est une forme très concentrée d’énergie. Les besoins en quantité de matériaux sont donc faibles, mais les propriétés utilisées sont très spécifiques. C’est le cas des propriétés neutroniques.

Le nucléaire utilise cinq familles d’éléments à caractère critique. Les métaux réfractaires : tungstène, rhénium, tantale, niobium (qui sert aussi pour les aimants supraconducteurs), zirconium-vanadium, caractérisés par leur très haute température de fusion, jusqu’à plus de 3 400 °C et par leur résistance à la corrosion. Ils sont donc adaptés à une utilisation dans les milieux extrêmes comme les cœurs des réacteurs de fission, notamment de quatrième génération. Ou encore dans les parois des réacteurs de fusion, en contact avec le plasma très chaud, à 150 millions de degrés. Leur caractère critique est lié à leur rareté ou à leur localisation géographique, notamment au Brésil et en Chine.

Ensuite les terres rares, notamment les terres rares lourdes, qui sont des poisons neutroniques, c’est-à-dire d’excellents absorbants de neutrons. Dans les réacteurs de fissions elles peuvent être introduites, notamment le gadolinium, puis consommées dans le combustible ou sa gaine, pour réguler dans le temps la réactivité du cœur. L’oxyde d’yttrium renforce les aciers pour la quatrième génération et le néodyme est utilisé dans les aimants pour la fusion.

Ensuite, les éléments légers, béryllium et lithium, ont des propriétés neutroniques très particulières. Ainsi, le lithium 6 peut réagir avec les neutrons pour former du tritium qui est le carburant de la fusion nucléaire. Le béryllium peut ralentir ou multiplier les neutrons et ils sont tous deux essentiels pour la fission et la fusion. Le béryllium a un caractère critique, car sa toxicité est grande et la production mondiale est donc limitée.

Les métaux rares et précieux : argent, cadmium, indium, qui sont d’excellents absorbants de neutrons. On les utilise en alliage dans les barres de commande des réacteurs actuels. Les réserves connues, notamment en indium, sont faibles, et la concurrence de la demande est forte dans l’électronique et les écrans tactiles.

Enfin, les platinoïdes, de la famille du platine, parmi les plus rares dans l’écorce terrestre, platine, ruthénium, palladium, rhodium, qui sont inaltérables. Ce sont d’excellents catalyseurs, mais ils sont surtout des produits de la fission des noyaux d’uranium. Le CEA a recherché si les combustibles usés pourraient constituer une mine de platinoïdes. Le ruthénium et le rhodium sont intéressants, mais leur utilisation demanderait vingt à vingt-cinq ans de stockage préalable, pour faire décroître leur radioactivité à un niveau acceptable.

En conclusion, l’usage de ces cinq familles de métaux à caractère critique est, ou sera, stratégique pour le nucléaire, notamment pour les métaux réfractaires, les éléments légers, les terres rares, ainsi que l’indium. Le nucléaire qui en consomme d’assez faibles quantités restera cependant dépendant des fluctuations des marchés et de la consommation majoritaire par les nouvelles technologies, énergie, communication et information. C’est donc une raison supplémentaire pour que le CEA s’intéresse aux méthodes de recyclage ou d’extraction de ces métaux, pour lesquels il est compétent grâce à ses recherches sur le site du combustible. Cela fera l’objet de deux autres présentations au cours de cette audition publique.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Étienne Bouyer, quelle est la vision sur les besoins nécessaires à ces développements technologiques, notamment en ce qui concerne les nouvelles technologies et la santé ?

M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme nouvelles technologies de l'énergie. Dans le jargon européen, le CEA est affublé de l’acronyme RTO, qui veut dire organisme de recherche technologique. Cela nous convient assez bien, parce que nos forces vives, c’est-à-dire nos ingénieurs, nos chercheurs travaillent en concevant, en développant, en fabricant, en réalisant et également en qualifiant des matériaux, lesquels sont intégrés dans des composants et lesquels peuvent, le cas échéant, aller jusqu’au système.

Nous sommes donc présents finalement sur toute la chaîne de la valeur des systèmes que l’on développe, sur les thématiques qui sont prioritaires et qui nous sont fixées par nos tutelles. Parmi ces thèmes, on trouve l’énergie que je qualifie de bas carbone, mon collègue a parlé du nucléaire qui est naturellement notre activité historique, à laquelle est venu se greffer ce que l’on appelle les nouvelles technologies de l’énergie. Nous avons également d’autres activités qui sont les nouvelles technologies de l’information et de la communication, la santé, et de manière plus globale, ce qu’on appelle la sécurité globale.

La plupart de ces technologies s’avèrent être consommatrices en métaux critiques. On peut parler de ces vitamines des high-tech que sont les terres rares, mais pas seulement. Pour moi, les terres rares sont un peu l’arbre qui cache la forêt, parce qu’on a beaucoup d’autres métaux critiques qui sont utilisés dans ces technologies. Leur utilité est certaine pour assurer les propriétés fonctionnelles de ces matériaux pour avoir de bonnes performances et puis aussi pour satisfaire une bonne durabilité.

L’énergie est le cœur de métier de notre organisme et il se trouve que l’énergie est un domaine qui est extrêmement gourmand en tous ces métaux critiques. Évoquer l’énergie c’est à la fois sa production, sa conversion, son transport, son stockage et également la récupération. On peut l’illustrer de différentes manières, en abordant, notamment, tout ce qui touche à la mobilité, à l’électrification du véhicule, que ce soit les batteries, ou les piles à combustible – on a évoqué le cas du platine tout à l’heure.

J’aimerais terminer en montrant comment notre organisme a une approche directe, en essayant d’être pragmatique, pour s’attacher à apporter une solution globale à cette problématique d’approvisionnement en métaux critiques et en se basant sur nos propres armes et sur la richesse de nos compétences. Nous avons déjà une capacité à générer des nouveaux matériaux, et nous ne sommes pas tous seuls. Nous travaillons souvent en collaboration avec le CNRS, d’autres laboratoires d’universités et également de pays étrangers, je pense en particulier à un lien très fort avec nos collègues allemands. Nous essayons de développer ces matériaux pour qu’ils soient le plus pauvre possible en matériaux critiques. Nous travaillons également sur les moyens de réalisation de ces composants d’une manière économe. Nous cherchons à comprendre comment ces matériaux fonctionnent pour essayer d’ajuster le point de fonctionnement et de relaxer les contraintes. Enfin, nous étudions la fin de vie qui peut être déjà une seconde vie, ainsi que la toute fin de vie en travaillant dans le domaine du recyclage.

Pour conclure, nous avons également une capacité à pouvoir retester ces matériaux sur nos différentes plates-formes, des matériaux issus du recyclage pour, in fine, les valider.

Mme Delphine Bataille. Nous avons, semble-t-il, quelques minutes pour lancer un débat, si certains souhaitent s’exprimer.

DÉBAT

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet. En tant que représentant d’Eramet, je confirme qu’il n’y a pas de projet d’interdire le nickel, contrairement à ce qu’on vient d’entendre. Il y a certes une discussion en cours sur les composés du nickel, avec des études sur ce qu’on appelle les risk management options, qui concernent essentiellement les travailleurs de la filière. Mais c’était sans doute un raccourci. Je le répète, il n’y a pas de projet d’interdiction du nickel.

M. Laurent Forti, responsable Programmes, IFP Énergies nouvelles. Merci de cette précision, c’était effectivement un raccourci. Ce que je voulais signaler c’est que tout ce qui peut conduire, pour des raisons de toxicité, à éliminer d’une filière un des matériaux qui est largement utilisé doit être investigué avec les acteurs de la filière, de façon à ce que ce soit fait en bonne intelligence pour préserver leur compétitivité. J’ai pris l’exemple du nickel, c’était un raccourci, vous avez bien fait de le signaler, mais il y en a d’autres.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. Ce qui m’intéresse le plus, au-delà des terrains, c’est ce que dit Christian Thomas : les terres rares sont l’arbre qui cache la forêt. Les autres métaux stratégiques, s’il s’agit d’une politique de l’État, ou critiques, s’il s’agit uniquement d’une politique de l’entreprise, me paraissent autant, sinon plus importants. Chacun peut avoir sa liste, mais on en a cité quelques-uns. Ce qui me paraît essentiel et qui a été encore rappelé, c’est, bien entendu que ces métaux, pour la plupart, ne constituent pas des gisements que l’on trouve à l’état natif dans la nature. Ce sont des métaux secondaires de gisements primaires. Et deuxièmement, en ce qui concerne le recyclage, les alliages industriels qui ont été réalisés et qui se trouvent dans les appareils que nous utilisons ne correspondent pas du tout aux alliages naturels. Il nous faut par conséquent réinventer des techniques d’affinage, des techniques de recyclage. Ce sont ces techniques qui, dans certains cas, peuvent être primaires, mais elles sont difficiles à appliquer, parce que ces métaux sont en couche mince, en quantité très faible, et récupérer des couches minces ou des quantités faibles, c’est très compliqué. Aujourd’hui, parfois on ne sait pas le faire. C’est le cas pour l’indium que l’on trouve sur nos écrans et qui, jusqu’à preuve du contraire, disparaît dans les fours des verriers le plus souvent parce que les couches sont beaucoup trop minces et qu’on n’arrive pas totalement à les récupérer.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. La discussion qui s’est engagée autour de REACH et autres restrictions à l’usage de certains métaux dans l’espace européen, m’amène à faire quelques remarques. C’est un sujet qui me paraît de la plus grande importance pour l’avenir industriel européen. Dans des cas précis comme le cobalt, le chrome ou le béryllium, qui sont tous des métaux dont les usages, ou certains usages, peuvent présenter des risques importants et pour la santé des travailleurs et pour l’environnement, on peut être amené à élaborer des normes environnementales et des restrictions à l’usage qui n’auraient d’autres conséquences que d’accélérer la désindustrialisation de l’Europe. Cela risque d’entraîner un transfert de production qui demeurerait indispensable à notre bien-être, vers des cieux environnementalement et socialement nettement plus accommodants qu’en Europe et, par voie de ricochet, la désagrégation sociale européenne et une empreinte écologique à l’échelle mondiale, beaucoup plus élevée que si on produisait les mêmes biens, les mêmes produits, avec ces mêmes substances, chez nous, en Europe, dans un environnement bien régulé, bien « monitoré », bien contrôlé. On ferait bien de réfléchir de façon beaucoup plus approfondie et beaucoup plus scientifique, à un sujet qui est la régulation de l’usage de certaines substances, qui me semble souvent beaucoup plus empreint d’émotion et de passion que de science.

Mme Delphine Bataille. Je vous propose maintenant d’enchaîner sur les réflexions des utilisateurs et leurs besoins. Monsieur Alain Rollat, pouvez-vous nous dire comment Solvay évalue ses besoins en terres rares ? Et nous parler notamment de la question du remplacement des luminophores par les LED et ses conséquences sur la demande en terres rares.

B. L’APPORT DES RÉFLEXIONS DES UTILISATEURS SUR LEURS BESOINS

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. Actuellement, Solvay est présent dans essentiellement trois marchés des terres rares : la catalyse de dépollution automobile, les poudres de polissage et notamment le polissage des écrans plats, et enfin les luminophores qui sont essentiellement utilisés dans le domaine des lampes basse consommation.

Pour donner une idée, en 2013 par exemple, les luminophores représentaient environ 20 % de la valeur totale du marché des terres rares, soit environ 600 millions de dollars. C’est donc un marché qui n’est pas énorme mais qui est significatif. Il se trouve que nous, en tant que producteurs, nous sommes intéressés à l’évolution de ce marché et notamment à la substitution des lampes basse consommation par les LED, et donc nous nous sommes intéressés de façon très précise, à cette évolution-là.

Il s’avère que d’après nos études, cette substitution sera beaucoup plus rapide que ce que l’on pensait il y a cinq ans, et selon le type de prévision que l’on peut faire, on envisage une chute de ce marché entre 8 à 15 % par an en quantité de terres rares dans le domaine des luminophores. Cela change assez fondamentalement la vision que l’on peut avoir de la criticité des terres rares puisque parmi les terres rares utilisées dans les luminophores, trois d’entre elles sont dites critiques : l’yttrium, l’europium et le terbium. Il se trouve que l’europium n’a d’autres marchés que la luminescence ; l’yttrium lui peut avoir d’autres marchés ; et le terbium peut éventuellement être utilisé en substitution du dysprosium dans le cas des aimants. Mais pour l’europium par exemple, la disparition du marché des luminophores pour les lampes basse consommation, signifie quasiment la disparition du marché de l’europium. Le marché de l’yttrium lui-même ne va pas disparaître parce qu’il y a d’autres utilisations que celles des luminophores, mais il va devenir beaucoup moins tendu.

Tout cela pour conclure qu’une évolution technologique du type remplacement des lampes basse consommation à base de luminophores terres rares par les LED, change complètement la vision que l’on peut avoir de la criticité des terres rares.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Frédéric Petit, pouvez-vous nous présenter vos fonctions à Siemens et évoquer, nous l’avons dit en introduction, les besoins futurs en terres rares pour la fabrication d’éoliennes ?

M. Frédéric Petit, directeur Business Development Siemens Power Generations. Je suis en charge du Business Development sur tout ce qui tourne autour de la power generation, donc ce qui tourne autour de la production d’énergie.

Dans l’éolien, Siemens installe aujourd’hui mille éoliennes par an, dont une par jour en mer et nous disposons d’une base installée de 15 000 machines, dont 900 à aimants permanents, dans notre jargon ce qu’on appelle direct-drive.

En 2014, nous étions leaders mondiaux selon le cabinet MET Consulting. En ce qui concerne l’éolien en mer, nous avons 65 % de la base installée en Europe. En ce qui concerne la France, le parc éolien terrestre Siemens est de 425 mégawatts dont 105 mégawatts en technologie direct-drive.

Les terres rares, que nous intégrons dans nos aimants permanents, permettent à nos clients d’optimiser la production d’énergie notamment pour les faibles vitesses de vents. L’utilisation de ces aimants permanents permet également de limiter le nombre de pièces en mouvement, par rapport à une éolienne avec multiplicateur, et de limiter le poids de la nacelle. Les aimants permanents mis en œuvre par Siemens sont constitués de fer, de bore, de deux terres rares légères et d’une terre rare lourde, le dysprosium. Les terres rares lourdes permettent notamment de garantir les propriétés magnétiques à température élevée.

Comment intégrons-nous les terres rares dans notre chaîne d’approvisionnement ? En premier lieu, Siemens travaille en Chine sur le développement d’une filière terres rares selon les exigences du cadre réglementaire chinois, évidemment. En complément, tous les principaux fournisseurs de Siemens doivent être en conformité avec nos exigences environnementales, comprenant non seulement une qualification en amont mais également en aval des audits sur le plan de la qualité, de la santé, de la sécurité et de l’environnement. Nous avons également diversifié récemment nos fournisseurs, et signé des accords de partenariat à long terme avec la société américaine Molycorp et japonaise Shin-Etsu.

Quel est le futur ? Siemens travaille à l’amélioration continue du design de ses génératrices à aimants permanents et le but est d’optimiser l’utilisation de tous les matériaux, y compris les terres rares. Pour celles-ci je voudrais citer deux objectifs plus spécifiques. Sur le plan de l’innovation, le but de Siemens est d’éliminer les besoins en terres rares lourdes afin de renforcer l’acceptabilité économique, sociétale et environnementale de nos produits. Et sur le plan de l’économie circulaire, nous souhaitons favoriser le développement d’une filière de recyclage et la réutilisation des terres rares des aimants permanents.

En effet, les terres rares mises en œuvre dans les éoliennes sont facilement traçables et en quantité suffisamment significative pour pouvoir développer une filière de recyclage. Des unités de recyclage sont actuellement en construction en vue de la gestion de fin de vie des aimants permanents et nous estimons que nous pourrons atteindre un taux de 90 % pour contribuer ainsi à la protection de l’environnement.

Mme Delphine Bataille. Madame Anne de Guibert, vous allez nous parler des matériaux critiques pour les batteries, notamment les terres rares mais aussi du lithium et de leurs possibilités de remplacement.

Mme Anne de Guibert, directeur de la recherche de SAFT. On les utilise aujourd’hui beaucoup pour la communication, mais bien sûr, dans le futur, les véhicules électriques et puis le stockage de l’énergie associé au renouvelable seront des grands marchés.

Les batteries peuvent être de plusieurs types différents. Les batteries alcalines utilisent des terres rares pour le nickel métal hydrure. Les terres en question sont le lanthane, le cérium, le néodyme et le praséodyme. On utilise aussi beaucoup de cobalt dans les batteries alcalines et un peu d’yttrium. Bien sûr les systèmes les plus en développement sont tous des systèmes au lithium qui est lui aussi un matériau qui peut être jugé comme critique dans certains cas, parce qu’il est très localisé.

Les batteries lithium-ion utilisent aussi beaucoup de cobalt. Dans ce cas, la valeur ajoutée des terres rares n’est peut-être pas aussi grande que pour l’éclairage, parce qu’à cause du lithium-ion le marché des hydrures croît moins vite. Néanmoins, le problème, aujourd’hui, dans le domaine des batteries, est celui du cobalt et du lithium.

Les batteries nickel hydro-métalliques restent vouées à des marchés de niche, alors que les batteries lithium, elles, sont en croissance (qui peut être supérieure à 10 % par an). En revanche, nous n’avons pas besoin de dysprosium comme dans les éoliennes, nous avons des terres rares que nous essayons de changer.

Notre stratégie d’évitement consiste à essayer de remplacer des terres rares comme le praséodyme ou le néodyme par du samarium dans les alliages – ce qu’on utilise ce sont des alliages et non pas des terres rares pures. On part de matériaux, plus ou moins naturels, mischmétal. Pour le lithium, il y a des recherches qui commencent pour remplacer les batteries lithium-ion par du sodium-ion, en sachant que ce n’est viable que si le prix du lithium est multiplié par vingt. Une batterie lithium-ion contient 2,5 % de lithium, donc on voit que cela reste assez petit par rapport au prix total de la batterie, en particulier par rapport aux variations du cours du cobalt. Pour nous, on peut dire que le cas du cobalt est véritablement la chose la plus difficile à gérer parce que cela fluctue beaucoup, et comme la moitié provient du Congo, il est soumis à certains problèmes.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Elbert Loois, quels sont les besoins vus par l’Allemagne ?

M. Elbert Loois, Rohstoffallianz GmbH. La Rohstoffallianz est une initiative allemande pour sécuriser l’accès des matériaux stratégiques sur le long terme. L’arrivée des nouvelles technologies, sur un marché, va créer une augmentation de la demande et un seuil critique pour un certain nombre de matières premières. C’est là qu’on verra une diminution des ressources disponibles et éventuellement une délocalisation d’entreprises européennes dans des pays à bas coût de production. Les terres rares sont un cas à part et présentent un risque certain contre lequel les institutions gouvernementales aussi bien que les entreprises doivent agir le plus rapidement possible.

Les cours actuels des produits issus des terres rares, et spécialement du néodyme, du praséodyme, du samarium et du dysprosium, pour la production des aimants permanents dans l’industrie automobile, ne sont pas représentatifs d’une garantie d’approvisionnement à long terme. Les cours du marché sont volatils et dépendent actuellement d’un petit nombre de sites de production compétitifs et regroupés géographiquement.

Ce marché reste très sensible aux interventions gouvernementales des pays de production. La diminution du recours aux terres rares et l’utilisation de produits de substitution ne seront pas suffisantes pour éviter les risques, notamment les risques de dépendances aux futurs produits de haute technologie chinois. Il faut alors aussi sécuriser l’approvisionnement avec des contrats stratégiques à long terme hors de Chine avec le recyclage.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Philippe Schulz, vous allez vous concentrer sur le cas de l’industrie automobile. Quels sont, pour vous, les besoins identifiés en matières premières critiques et les enjeux et les principaux leviers de sécurisation ?

M. Philippe Schulz, expert leader Environnement, énergie et matières premières stratégiques, Renault. Je souhaite d’abord rappeler que, pour le groupe Renault, cela concerne 4 millions de tonnes de matières premières, qui sont achetées directement ou indirectement chaque année, et que ces matières premières contiennent également environ soixante éléments de la table périodique. Donc, évidemment les risques pour l’industrie automobile sont multiples. Pour nous, le premier enjeu, c’était de développer des outils nous permettant d’identifier ces risques de manière à ne pas gérer une crise à chaud sans avoir un plan de sécurisation.

Dès 2009, Renault a mis en place une méthodologie permettant d’appréhender ces risques pour l’ensemble des métaux qui sont concernés, sachant que les risques identifiés portent non seulement sur l’approvisionnement en matière primaire, mais aussi bien sûr, sur les composants intermédiaires et les matières transformées. C’est bien là que se situent, dans la plupart des cas, les risques. Nous avons traversé plusieurs crises depuis 2011, tout le monde se souvient de la crise des terres rares, nous en avons parlé, mais nous avons aussi traversé d’autres crises comme le tsunami au Japon, les inondations en Thaïlande, qui ont fortement bouleversé nos chaînes globales d’approvisionnement.

Ces plans de sécurisation, quels sont-ils ? Sur le cas spécifique des terres rares, nous avons publié cette démarche qui visait à réduire de 65 % notre demande en terres rares entre 2011 et 2016. Ce plan est global au niveau de l’Alliance Renault-Nissan. Concrètement nous avons opté, dès 2008, pour un moteur électrique sans terres rares, ce qui est une spécificité dans l’industrie automobile. Nous avons des technologies de moteur à rotor bobiné, dont la toute dernière génération, d’ailleurs 100 % française, et localisée à Cléon, nous prémunit contre tout risque lié à cette technologie d’aimant permanent.

Le point essentiel pour sécuriser nos approvisionnements, c’est aussi de partager les expériences au sein de la filière automobile puisque, pour nous, la chaîne d’approvisionnement passe souvent à travers six ou sept fournisseurs. C’est une mission que nous ne pouvons pas avoir seuls, mais à travers l’ensemble de la filière et entre secteurs industriels. Nous soutenons, en particulier, les efforts entrepris par le COMES, notamment, car la mutualisation des risques passe par une intelligence sur les matières premières qui ne peut pas être le fait, simplement, d’initiatives industrielles isolées. Il est absolument essentiel de partager toutes les informations disponibles entre industriels, de manière à mieux nous protéger contre les risques futurs.

Ces risques futurs sont pour nous, liés à l’évolution du marché automobile. Nous allons passer d’un marché mondial qui était de 50 millions de véhicules par an en 2000 à un marché de 100 millions de véhicules par an en 2018, avec des technologies qui sont de plus en plus sophistiquées. Nous devons nous préparer, après la révolution du « zéro émission », à la révolution du véhicule connecté, du véhicule autonome, qui nécessiteront également d’autres métaux stratégiques.

Mme Delphine Bataille. Après cette approche globale et compte tenu des réflexions des utilisateurs que nous venons d’entendre, nous allons aborder la question plus spécifique des besoins stratégiques et des risques de pénuries. M. Patrice Christmann va nous dire quelle leçon peut être tirée de l’évolution de la demande et de l’évolution des technologies.

II. QUELS SONT LES BESOINS STRATÉGIQUES ET LES RISQUES DE PÉNURIE ?

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Depuis le début du XXe siècle, le profil de notre demande a littéralement explosé, tant en diversité de matières premières, dont l’économie a besoin, qu’en quantité. Les moteurs de cette explosion sont l’évolution démographique qui est loin d’être terminée puisque nous attendons encore 3 milliards d’humains en plus sur cette planète d’ici 2050. L’autre élément du moteur c’est l’élévation du niveau de vie et les mutations technologiques dont nous avons abordé un certain nombre d’exemples ici.

Au début du XXe siècle, nous utilisions en gros une dizaine de métaux de façon courante. Aujourd’hui, nous utilisons l’intégralité du tableau de Mendeleïev, moins quelques éléments qui existent en quantités extrêmement faibles et qui n’ont pas véritablement d’usage.

Les métaux, aujourd’hui, jouent des rôles de plus en plus diversifiés, parfois surprenants. J’entends beaucoup d’opposants à l’industrie métallurgique et à l’industrie minière. Mais ces opposants ignorent parfois que les métaux jouent un rôle majeur en matière de protection de l’environnement et en matière de gain d’efficience énergétique. Les métaux sont au cœur de la transition énergétique, par exemple, et au cœur d’une évolution vers une économie plus circulaire.

Les problèmes majeurs d’aujourd’hui sont la vitesse d’évolution des technologies, le volume et la composition des déchets à traiter d’ici cinq ans, dix ans, vingt ans. La recherche a pour objectif non pas de trouver une solution à un problème immédiat, mais d’anticiper le futur. Or cela devient extrêmement difficile. M. Alain Rollat a cité l’exemple tout à fait révélateur des ampoules fluorescentes compactes et de l’europium. Nous avons tous écrit, il y a trois, quatre ans que l’europium était un métal critique. Or sa criticité est en train de disparaître simplement parce que la technologie LED évolue beaucoup plus rapidement. Nous sommes en train d’être débordés par nos propres innovations. C’est une question importante qui va conditionner des investissements et entraîne le développement d’une filière de recyclage avec la collecte, la déconstruction, les installations de traitement métallurgique. Ce sont souvent des investissements qui se chiffrent en centaines de millions d’euros.

Je reviens à la question de l’intelligence minérale qu’a évoquée M. Philippe Schulz. Nous sommes aujourd’hui encore, en France, très faibles dans ce domaine pourtant majeur, notamment si je compare ce que fait l’Allemagne, où je note qu’une unité du service géologique fédéral allemand, la DERA (Deutsche Rohstoffagentur) emploie une dizaine de personnes qui fournissent de l’intelligence économique à l’ensemble de l’industrie allemande. Nous sommes loin d’être dans cette situation en France et je le regrette infiniment.

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Monsieur Didier Julienne, pouvez-vous nous faire partager votre expérience sur les crises de métaux stratégiques du passé et sur le trading ?

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. Il y a environ une vingtaine d’années, je travaillais dans l’unique entreprise française de métaux stratégiques qui s’appelait à l’époque le Comptoir Lyon Alemand Louyot et qui était l’un des leaders mondiaux dans les platinoïdes, dans certaines terres rares et d’autres métaux. Elle a, hélas, disparu suite à une décision actionnariale.

À cette époque, il y a donc une vingtaine d’années, imaginer d’augmenter la production de platinoïdes de plus de quatre fois en vingt ans, c’était beaucoup en peu de temps, car il faut vingt ans pour développer une mine. À cette époque, il fallait développer l’industrie minière des platinoïdes pour pouvoir répondre à la dépollution automobile. Mais cette expansion fut faite parce que l’industrie minière avait des mines de platine déjà en production, il n’y avait pas de nouvelles découvertes à faire en urgence et, si j’ose dire, il n’y avait qu’à prolonger des galeries existantes.

Et pourtant, cela se finança mal. Les premiers objectifs de production de l’époque ont été réalisés à environ 70 %, tandis que le prix du platine a été multiplié par cinq. Les taux d’intérêt sur les marchés, qui nous ont permis de gagner beaucoup d’argent, ont bondi d’environ 1,5 % à plus de 300 % pour le palladium – à 300 %, le taux d’intérêt paye donc trois fois le capital – entre 1996 et 1997. Ils bondirent à environ 100 % en 1996 pour le platine, avant de se stabiliser entre 40 et 60 % pendant près d’un an entre 1999 et 2000. Ceci est à comparer avec les taux d’intérêt dont a souffert la Grèce, il y a environ deux ans, et qui étaient, à ma connaissance, au maximum, de 20 à 30 %.

Fort heureusement, le marché fut sauvé par le trading. Les sociétés de négoce offrent les bénéfices d’une invasion sans la guerre militaire. Elles connaissent leur marché, font de l’intelligence économique et elles ont des stocks. Ce sont donc deux armes, intelligence économique et stock, que nous avions à l’époque en France. Cette société, située dans le Marais, employait à l’époque, en Europe et dans le monde, environ 5 000 personnes et sa première usine était à Noisy-le-Sec.

Ce n’est qu’après cette longue période de près de dix ans que le recyclage de l’automobile se généralisa parce que récupérer 3 à 5 grammes de platinoïdes par voiture était possible, notamment dans les fours des mineurs en Afrique du Sud. Nous avons donc, à cette époque, récupéré des pots catalytiques en Europe et dans le reste du monde, qui furent traités en France, en Europe, aux États-Unis et expédiés jusqu’à Johannesburg.

Malgré cette antériorité, à ce jour, à ma connaissance, le taux de récupération du platine dans les pots catalytiques n’est que d’environ 40 % dans le monde, et de 60 % pour le palladium. La différence s’explique par l’utilisation du platine dans les diesels en Europe et du palladium dans les moteurs à essence dans le reste du monde.

L’industrie minière des platinoïdes est à présent stabilisée tandis que celle des terres rares est en effervescence ou peut-être pourrions-nous dire, en « deffervescence » si ce mot a un sens. L’industrie des platinoïdes a été sauvée parce qu’il y a eu des partenariats interentreprises. Ce n’est pas encore le cas dans les terres rares. Le négoce a sauvé les platinoïdes parce qu’il existait des stocks, mais ceux-ci sont inexistants dans les terres rares. Je parle de terres rares, parce que c’est le thème d’aujourd’hui, mais tous les autres métaux stratégiques qui ont déjà été nommés sont dans le même cas. Le recyclage est en vitesse de croisière, mais faire exploser un disque dur pour en récupérer les aimants permanents, c’est compliqué.

La semaine dernière, j’ai participé au dialogue stratégique informel entre la France et la Chine, avec les officiels chinois qui accompagnaient le Premier ministre chinois. J’ai posé la question suivante : « Pourquoi une société chinoise, que je ne nommerai pas ici, qui dispose déjà à profusion de gisements de terres rares en Chine, souhaite-t-elle absolument s’approprier la production du futur gisement de terres rares du Groenland ? Ne serait-il pas plus approprié de les exploiter ici en Europe ? ».

Mme Delphine Bataille. Monsieur Maurice Leroy, vous êtes à l’École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg, et vous allez nous parler des risques de pénurie en matières premières.

M. Maurice Leroy, professeur émérite à l'École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg, membre associé de l'Académie nationale de pharmacie. Je voudrais d’abord rappeler que la notion de métaux stratégiques n’est pas tout à fait nouvelle puisqu’en 1986, Alexandre de Marenches, qui était directeur du renseignement, avait déjà placé huit éléments comme éléments stratégiques. Parmi ceux-ci, on trouvait déjà le cobalt, le platine et le niobium.

Si on regarde aujourd’hui, on n’a pas de politique européenne des métaux stratégiques. Mais on a rajouté à leur liste à peu près une vingtaine depuis 1986. De nouveaux métaux y sont même inclus, comme l’argent ou le béryllium.

Que ça veut dire la pénurie ? En général, on la lie à la ressource, et dans la ressource, on distingue la notion de pays ami. Un pays ami, ça peut être un pays ami pour le moment, ça peut être une notion légèrement variable. Vous avez aussi une pénurie qui est liée à l’instabilité politique avec rupture d’approvisionnement. Et vous avez aussi le refus d’approvisionnement qui utilise la situation de monopole. Ça veut dire que rareté et monopole vont compromettre le développement des technologies.

La réponse, on l’a entendu plusieurs fois, ce sont de nouveaux gisements, mais il y a un problème économique. On peut aussi trouver de nouveaux procédés et faire du recyclage, de l’écoconception et de la substitution – ce n’est probablement pas encore suffisamment développé. On voit bien qu’il faut une collaboration entre l’industrie, les services de l’État, la recherche, le développement et le renseignement, pour pouvoir établir des métaux ciblés, parce qu’autrement on risque de commettre des erreurs, comme celle qu’avait commise Ford avec le palladium et le platine.

Maintenant, regardons les éléments dont la pénurie est annoncée dans les cent ans qui viennent. On peut éventuellement débattre de cette liste, mais il reste un certain nombre d’éléments tels que le cuivre, le cobalt, le germanium, le hafnium, l’indium, le lithium, le plomb et le nickel. Ce sont des éléments qui présentent la même caractéristique. Ils sont souvent produits par un à deux pays, à 70 %.

Il faut rajouter la dimension démographique. Le gouvernement indien prévoit, d’ici 2050, une population qui avoisinera 1,7 milliard d’habitants. On parle de l’Afrique, avec 1,6 à 1,8 milliard d’habitants, ce qui risque de provoquer une utilisation des métaux stratégiques directement dans ces pays. On peut se demander si on ne va pas vers une OPEP des métaux.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Michel Latroche, quelles sont les implications des recherches du CNRS relatives aux terres rares sur les besoins dans le domaine énergétique ?

M. Michel Latroche, directeur de recherche au CNRS (Institut de chimie et des matériaux de Paris-Est). Les programmes de recherche qui sont aujourd’hui développés dans les laboratoires, pour les matériaux pour l’énergie, et qui utilisent des terres rares, sont nombreux. On peut les classer en différents domaines. Le premier domaine est celui des applications qui sont déjà matures, comme les aimants permanents. Au-delà du samarium-cobalt 5, ou du néodyme fer-bore, nous travaillons dans les laboratoires sur des nouvelles générations d’aimants en jouant sur la nature de la terre rare, mais aussi en jouant sur la composition, en intégrant des éléments légers comme l’hydrogène, le carbone ou l’azote dans ses alliages, et en jouant sur la nanostructuration. On va faire de tous petits domaines de façon à améliorer les propriétés de ces aimants et à obtenir ainsi des matériaux avec des propriétés encore accrues par rapport aux aimants actuellement sur le marché.

Les applications sont connues, dans le domaine de l’énergie, qu’il s’agisse des éoliennes ou des moteurs (on utilise beaucoup d’aimants dans les véhicules électriques ou les véhicules hybrides). La deuxième application où on utilise beaucoup de terres rares concerne les accumulateurs alcalins, Mme de Guibert en a parlé. La première génération était basée sur des alliages de type lanthane-nickel 5 avec des terres rares légères. Aujourd’hui, on travaille sur des nouvelles générations d’alliages, qui ont des stœchiométries différentes de
type 2-7 ou 5-19. On essaie de travailler avec des terres rares qui sont moins critiques que celles qui sont utilisées par les aimants permanents. Une des grandes avancées a été de remplacer une grande partie de ces terres rares par du magnésium. On substitue à peu près 25 % des terres rares par du magnésium, ce qui permet de diminuer le poids des matériaux, donc leurs performances en termes de capacité massique, mais aussi de baisser le coût, puisque le magnésium est beaucoup plus abordable que les terres rares.

Les applications sont connues. Il y a les marchés de niche. Les véhicules hybrides utilisent ce type de batteries, les tramways aussi et il y a des applications dans l’éclairage de sécurité. Évidemment, le lithium est en forte compétition avec ce type de batterie, mais celui-ci reste encore relativement utilisé.

Ensuite, nous faisons des recherches un petit plus en amont sur de nouveaux systèmes. J’évoquerai l’effet magnétocalorique qui permet de faire de la réfrigération magnétique (en faisant une variation de champ autour du matériau, on va faire une variation de température). On obtient des rendements qui sont comparables aux systèmes thermodynamiques classiques. Les avantages sont de nature écologique. Les produits sont par ailleurs fiables et n’ont pas de pièces mécaniques. Ils font donc peu de bruit et n’émettent pas de gaz à effet de serre.

On travaille sur des matériaux à base de terres rares puisqu’on cherche à faire des matériaux qui ont une transition de premier ordre avec une forte variation d’entropie, qui sont basés soit sur du gadolinium, soit sur le système lanthane-fer-silicium ou d’autres systèmes comme le gadolinium-silicium-germanium.

Une autre application où l’on trouve des terres rares est la thermoélectricité. Soit par l’effet Seebeck où l’on va avoir une variation de température, une variation de voltage, soit par l’effet Peltier, où une variation de voltage permet d’avoir une variation de température. On utilise des matériaux semi-conducteurs du type cérium-fer-antimoine, ou ytterbium-manganèse-antimoine. Les applications sont le refroidissement des processeurs mais on envisage, aujourd’hui, d’utiliser ces matériaux pour la récupération de la chaleur dans les pots d’échappement.

La dernière application concerne les supraconducteurs souples qui utilisent de l’yttrium. Mais comme ce sont des céramiques, ils sont difficiles à mettre en forme. On utilise des systèmes multicouches, avec un support en nickel et plusieurs couches avec des oxydes de lanthane et de zirconium ou des oxydes de cérium. On voit là encore l’importance des terres rares pour développer ce type d’application.

On fait également de la recherche sur le recyclage des terres rares qui devient vraiment une problématique qui intéresse beaucoup les industriels aujourd’hui.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Bruno Mortaigne, vous allez évoquer les programmes de la Délégation générale de l’armement au ministère de la défense.

M. Bruno Mortaigne, Direction générale de l’armement, ministère de la défense. Au ministère de la défense, nous travaillons sur des programmes de très longue durée. Entre la conception, le développement et l’utilisation, on se trouve vite sur une cinquantaine d’années et nous faisons donc des prévisions d’utilisation. Assurer la totalité des besoins en terres rares ou en matériaux de manière générale, c’est difficile. Le programme Rafale, par exemple, qui débouche actuellement commercialement, est un programme qui a été conçu en 1975-1980. Il va être utilisé jusqu’en 2050 au moins. Dans le domaine naval, les navires et les sous-marins, on est un peu sur les mêmes problématiques. On est sur des durées très longues au niveau des matériaux.

Autre difficulté importante, on est souvent sur des quantités de matières qui sont marginales par rapport à ce qu’il y a dans le civil. On positionne donc nos programmes, nos choix de matériaux, par rapport à ce qui peut se faire dans le civil, dans les développements qui sont faits pour les alliages, par exemple. On est plutôt suiveurs par rapport à ce qui se fait dans le civil, pour nos choix de matériaux qui peuvent se développer.

On a quand même souvent des spécificités, des besoins de propriétés un peu particulières. On va devoir développer des matériaux, ou tout du moins utiliser des alliages un peu spécifiques. Pour obtenir ces performances on est obligé également de regarder tout ce qui va être lié à la disponibilité des procédés. On est obligé de faire le lien en permanence entre le matériau, le procédé d’élaboration et de regarder quelles sont toutes les évolutions, en rebouclant avec le civil, en regardant les problèmes de recyclage, de disponibilité et les évolutions économiques au niveau mondial.

On va chercher à se positionner au niveau de solutions de matériaux en faisant des requalifications et des évolutions, bien que ce soit souvent coûteux. Ce sont des choses qu’on cherchera à reculer le plus possible, mais auxquelles on sera confronté dans le cas de pénurie, au moment où des difficultés apparaîtront. Il faut également faire des efforts sur les solutions de réparation, parce que ce sont souvent ces solutions qui vont permettre de ne pas remplacer un nouveau matériau, de trouver un palliatif sans avoir à requalifier un système de manière complète.

Enfin on va suivre les nouvelles technologies et leurs potentialités d’évolution.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Philippe Schulz, vous souhaitez revenir sur le cas de l’industrie automobile.

M. Philippe Schulz, expert leader Environnement, énergie et matières premières stratégiques, Renault. Je voudrais simplement compléter mon intervention précédente en évoquant les leviers de sécurisation qui sont développés par un groupe comme Renault aujourd’hui. Tout à l’heure j’ai évoqué brièvement des actions comme la réduction d’usage, ou la substitution mais ça va largement au-delà. J’aimerais insister sur un point très important qui est le recyclage comme levier de sécurisation. Ça a été abordé tout à l’heure, mais rapidement, et je sais que cela sera abordé cet après-midi, malheureusement je ne pourrai pas être présent.

Prenons un des exemples concrets d’aujourd’hui : dans un véhicule conventionnel produit par Renault, essence ou diesel, nous avons de l’ordre de 11 à 12 kg de cuivre ; dans un véhicule électrique, nous en aurons 35 kg. Globalement, l’industrie automobile consomme environ 4 % du cuivre produit au niveau mondial. Elle pourrait en consommer jusqu’à 9 % à l’horizon 2020, et 2020 c’est demain. Nous avons entrepris assez rapidement des travaux de manière à pouvoir recycler le cuivre, obtenu non seulement comme rebut dans nos usines de fabrication, mais aussi auprès des véhicules hors d’usage. C’est une singularité du groupe Renault que d’avoir pris une participation dans une société qui a accès à des véhicules en fin de vie. Cela nous permet d’ores et déjà d’être autonomes en cuivre sur l’ensemble des fonderies du groupe Renault en France.

M. Didier Julienne a évoqué tout à l’heure le sujet du recyclage des pots catalytiques et je pense qu’il n’y a aucun constructeur au monde qui pourrait dire que le platine, le palladium et le rhodium ne sont pas des matières critiques pour eux. C’est un sujet absolument essentiel. Nous recyclerons cette année 70 000 pots catalytiques en France, dont plus de la moitié vient des véhicules en fin de vie.

Un des aspects absolument fondamentaux de ce sujet est de sécuriser l’accès à des véhicules en fin de vie. Il faut qu’ils disposent encore de pots catalytiques quand ils arrivent dans les centres de démolition. Or aujourd’hui, un véhicules sur deux arrivant chez un démolisseur ne dispose plus de pot catalytique.

Ce sujet est absolument clé et plus globalement pour nous. Nous pensons que l’économie circulaire compétitive, non pas le recyclage pour le recyclage, mais dans un cadre compétitif, est un des leviers essentiels pour nous aider à mieux sécuriser l’ensemble de nos approvisionnements. Cela prévaut aussi pour des métaux stratégiques puisque nous avons établi une étude avec le groupe Solvay il y a quelque temps, sur le recyclage des terres rares, qui nous permettrait le cas échéant, de disposer d’un procédé de recyclage à partir d’aimants disposés dans les véhicules en fin de vie. Pour l’instant, l’équation économique n’est pas au rendez-vous, contrairement à la technologie.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Alain Rollat, est-il, selon vous, possible de se passer du dysprosium ?

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. Précédemment, j’ai évoqué le cas d’une rupture technologique qui modifiait profondément la vision que l’on pouvait avoir des terres rares critiques. Je vais évoquer maintenant le cas, non pas d’une rupture technologique, mais celui d’une évolution technologique importante.

Comme l’a dit M. Frédéric Petit, la composition classique d’un aimant permanent est de 30 % de terres rares (praséodyme-néodyme). Puis, selon la température à laquelle on utilise cet aimant, il faut rajouter du dysprosium ou du terbium, ces deux terres rares ayant à peu près les mêmes effets. Il se trouve que plus on travaille à haute température, plus la teneur en dysprosium que l’on doit ajouter est importante.

Lors de la crise de 2011, le coût des aimants était essentiellement lié au prix du dysprosium. De nombreuses recherches ont alors été menées pour essayer de diminuer la quantité de dysprosium nécessaire en fonction de la température d’utilisation.

Deux cas, l’un sur les petits aimants, l’autre sur les gros aimants, conduisent aujourd’hui à des solutions industrielles.

Les fabricants d’aimants se sont aperçus que le dysprosium n’était pas efficace partout. Si on mettait le dysprosium à des endroits bien particuliers, qu’on appelle les joints de grain, on était capable de diminuer considérablement la quantité de dysprosium nécessaire tout en ayant la même efficacité. Pour donner un ordre de grandeur, on divise par cinq, à peu près.

C’est un cas réel qui fonctionne, mais qui fonctionne essentiellement pour les petits aimants. Aujourd’hui, les fabricants d’aimants n’ont pas encore trouvé la solution pour le faire sur de très gros aimants. Sur les très gros aimants, la solution est celle qu’a développée Siemens et qui consiste à refroidir l’aimant lui-même. Cette solution paraît assez évidente, mais n’est sans doute pas facile à mettre en œuvre. On se passe de dysprosium parce qu’au lieu de le faire fonctionner à plus de 100 °C, on va le faire fonctionner à des températures plus basses, en mettant en œuvre un système de réfrigération.

Ces deux systèmes, l’un industriel, l’autre en développement par Siemens, devraient permettre de diminuer de façon considérable les besoins mondiaux en dysprosium, même si la criticité du dyprosium continue de demeurer.

Mais lorsque l’on regarde les projections de consommation de dysprosium faites par différents analystes, on s’aperçoit que la plupart ne prennent pas en compte cette évolution technologique importante. M. Adamas, par exemple, prévoit une quantité de dysprosium de 9 % dans les éoliennes. Or, comme M. Frédéric Petit l’a dit, Siemens, qui souhaite être le premier producteur d’éoliennes offshore au monde, pense s’en passer.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Laurent Corbier, Eramet est le leader mondial dans les métaux d’alliage. Pouvez-vous évoquer les synergies européennes ?

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet. En faisant l’analyse de ces synergies, on découvre des choses très intéressantes (même si elles sont évidentes à tout le monde) et très rassurantes. Mais leur mise en œuvre est parfois un peu plus longue.

On observe, quand on regarde la littérature européenne, une grande convergence de vision et d’objectifs. C’est plutôt rassurant. Si on prend un certain nombre de points listés dans la littérature introductive de ces travaux sur la liste des CRM, les Critical Raw Materials, ou sur celle des matières premières critiques de l’Union européenne, on trouve des éléments qui raisonnent tout à fait chez nous :

- l’importance du lien avec l’industrie. En France, des initiatives de type COMES ou la création du CSF IEPT (Comité stratégique de filière Industrie extractive et de première transformation) montrent qu’il y a ce lien très fort avec l’industrie ;

- l’importance des technologies de pointe des industries de l’information et de la communication ;

- l’importance des matières qui peuvent contribuer à une économie bas carbone ;

- le renforcement de la compétitivité industrielle de l’Europe.

Stimuler la relance de l’activité minière, les initiatives de type code minier, la réforme du code minier et la réflexion sur la mine responsable montrent que l’on est sur la même longueur d’onde. Promouvoir la recherche et l’innovation et promouvoir des accords commerciaux équitables, ce qu’on appelle en jargon le level playing field, paraît effectivement être une dynamique très importante qui semble être très fortement partagée en France.

Autre conviction partagée et très intéressante et que l’on trouve dans la littérature européenne : il convient, je cite, de souligner que toutes les matières premières, même celles qui sont non classées en tant que critiques, sont importantes pour l’économie européenne. Venant d’une entreprise dans laquelle on est sur des matériaux qui sont labellisés non critiques et non stratégiques, au sens de cette liste, je ne peux qu’approuver.

Nous avons aussi une ambition partagée de coopération internationale. On parle au niveau de l’Europe de diplomatie des matières premières, c’est une terminologie qu’on entend très régulièrement en France. Une des conséquences est d’améliorer l’accès aux marchés du monde entier en facilitant l’intégration, je cite, « des entreprises européennes dans les chaînes de valeurs mondiales ». Il me semble que l’entreprise que je représente, est en plein dans cette dynamique. On n’a pas besoin de tout faire en France, même s’il faut effectivement relancer des activités sur le sol français. L’accès aux matières premières via des entreprises européennes et donc françaises, me paraît aussi évident.

Tout cela se traduit par une floraison, on l’a observé, d’initiatives européennes, de programmes phares et par le partenariat européen d’innovation. Cet esprit collaboratif est lancé. Il y a vraiment des actions de coopération qui se sont mises en place et qui s’intensifient très significativement en Europe.

Mme Delphine Bataille. Nous venons d’évoquer les produits spécifiques qui présentent un risque d’approvisionnement et notamment la possibilité de substitution par d’autres métaux. A-t-on fait le tour des applications que cela peut concerner ?

DÉBAT

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques. Je voulais intervenir sur le recyclage, notamment le recyclage des terres rares dans les aimants. Il me semble que par rapport à ce qui a été dit tout à l’heure sur l’indium, le cas des aimants est très intéressant puisque les quantités sont plus massives. Je voudrais souligner aussi que les technologies, à mon avis, sont largement disponibles pour recycler certains éléments. C’est le cas de l’hydrométallurgie que le CEA maîtrise grâce à ses recherches sur le cycle du combustible et son travail d’extraction des lanthanides (qui ne sont rien d’autre que des terres rares des produits de fission). Cette technologie permet de séparer les terres rares entre elles. L’accessibilité des technologies existe donc.

La question que j’aimerais poser aux intervenants qui ont parlé de ces éléments porte sur les facteurs qui déclencheront le fait de faire du recyclage. Sont-ils de nature économique ou technique, ou un mélange des deux ?

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. Nous nous sommes penchés sur la possibilité de recycler les terres rares des différents produits finis dans les aimants. C’est effectivement une cible intéressante mais qui pose deux problèmes : est-on capable d’avoir un gisement concentré ? Quelle est la rentabilité de l’opération ? Lors de l’opération de récupération et de recyclage, a-t-on le moyen de concentrer suffisamment la partie aimant, pour obtenir un concentré de terres rares suffisant pour être économique ?

Quel va être, par ailleurs, le prix global de l’aimant ? Selon la teneur en dysprosium, son prix peut varier de façon très importante. Le recyclage est d’autant plus intéressant que la teneur en dysprosium est élevée. La rentabilité du recyclage d’un aimant sans dysprosium (cas des aimants contenus dans les disques durs des ordinateurs) est, par contre, insuffisante.

M. Frédéric Petit, directeur Business Development Siemens Power Generations. Pour Siemens, la concentration est essentielle pour le recyclage. Techniquement, la concentration de 30 % pour nous et, économiquement, les attentes de démantèlement auquel nos clients sont soumis vont faire que la filière de recyclage se mettra en place, sur un taux de 90 % pour l’éolien.

M. Christian Thomas, Terra Nova. Je voulais revenir sur la vitesse de mutation technologique. J’ai déjà cité le cas du germanium, qui avait plusieurs vies en tant que semi-conducteur, puis dans l’infrarouge militaire et, aujourd’hui, dans la fibre optique. C’est la même chose pour les luminophores. Comment est-ce que l’on peut, au fond, prévoir, suivre ou prévenir ces évolutions technologiques ?

Aujourd’hui, les LED au nitrure de gallium deviennent dominantes et c’est une invention qui remonte à vingt-cinq ans. L’invention des écrans plats et des cristaux liquides, qui nous ont fait abandonner les tubes cathodiques pour passer aux écrans plats, remonte aussi à cinquante ans, presque soixante ans.

Si je reprends l’exemple du germanium, pourquoi le germanium optique militaire a disparu ? Il n’a pas disparu complètement, il s’est réduit considérablement. C’est parce qu’on a inventé des capteurs qui étaient capables de voir de façon beaucoup plus efficace l’infrarouge.

On voit naître ces technologies. On peut les suivre et voir leur efficacité, quinze ans ou vingt ans avant que le mouvement industriel ne se fasse. Mais si l’on veut parler de métaux stratégiques, il faut être capable de voir un peu le futur. Ça ne veut pas dire qu’on le verra toujours bien, mais cet effort est indispensable. L’Observatoire des matières premières, si on veut en faire un, un jour, doit avoir un volet important qui est celui de la prévision des évolutions technologiques. Si on ne le fait pas, on commencera à recycler ou à produire des matières qui dans quinze ans ne seront pas utiles. C’est un point important sur lequel je voulais insister.

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Vous évoquiez, Monsieur Leroy, sous forme d’une interrogation, la constitution éventuelle d’une OPEP des métaux. Est-ce que vous pourriez préciser votre pensée ? Les participants pourraient-ils réagir, car c’est une idée qui mérite une discussion un peu plus approfondie ?

M. Maurice Leroy, professeur émérite à l'École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg, membre associé de l'Académie nationale de pharmacie. M. Schulz me faisait observer que les Russes avaient proposé, en termes de platinoïdes, de faire une OPEP. Je pose la question tout simplement parce que si on regarde les chiffres sur l’évolution de la démographie en Afrique et si l’on considère que celle-ci va véritablement se développer et avoir une industrie, alors, il va y avoir une demande extraordinaire au niveau des métaux. Il en est de même de l’Inde. L’Inde qui passe à 1,7 milliard ou 1,8 milliard d’habitants, représente une demande extraordinaire. On risque donc d’avoir des positions extrêmement figées, à partir de là, puisqu’il va y avoir, comme je le rappelais tout à l’heure, deux producteurs pour certains métaux. Cela fait inévitablement penser à ce qui s’est passé avec le pétrole. Nécessairement, à un moment, cette idée va se répandre.

Il y a certes une différence avec le pétrole, car les technologies peuvent permettre de changer de métal et on peut recycler. Mais si l’on recycle le zinc, on extraira moins de zinc. L’indium deviendra beaucoup plus cher. C’est, en termes de gestion, considérablement plus difficile que la gestion du pétrole. Une OPEP des métaux demanderait vraiment une concertation extrêmement importante des différentes parties. C’est ce que je ressens profondément.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. Je vais revenir rapidement sur plusieurs points. En ce qui concerne le recyclage, je vais prendre l’exemple du ruthénium-iridium-osmium, dont M. Bordier considère qu’on sait le faire depuis très longtemps, mais que ce n’est pas économique. Lorsqu’il y a des déchets de métaux dans des concentrés, l’industriel les apporte à un affineur et les abandonne, car le coût d’affinage est supérieur à ce qu’on peut en retirer. L’affineur les affine et, in fine, cela lui fait un bonus métal qu’il peut ensuite recycler. Mais lorsqu’on regarde d’autres métaux, on retrouve ce genre de comportement.

Lorsqu’on prend l’exemple du cadmium, voilà un métal qui a été très largement utilisé, qui l’est beaucoup moins, qui est encore en circulation et qu’il faut donc recycler. Mais ce recyclage représente un coût puisqu’il n’y a plus de prix. Il faut donc imaginer quel va être l’avenir des technologies et de ces métaux. Lorsqu’on utilise un métal pendant cinquante ans et que, soudain, on n’en veut plus, que le recycler à un coût, qui va payer ? C’est une question essentielle. J’ai rencontré des recycleurs qui sont positionnés sur ces produits et qui disent : « Nous, on sait faire, mais personne ne veut nous payer. Donc on abandonne ».

S’agissant de la politique européenne, je ne crois pas beaucoup qu’il y ait une politique européenne des métaux réellement pérenne, car les industries sont différentes dans les différents pays européens, qui ont par ailleurs des objectifs différents. Regardez les listes de métaux stratégiques ou critiques. L’uranium est-il critique ou stratégique en France ? L’est-il en Allemagne ? Je pense que ce simple exemple nous prouve qu’avoir une liste de métaux critiques ou stratégiques en Europe est une chimère. De plus, que signifie stratégique ? Que signifie critique ? Je les ai définis, depuis de nombreuses années, dans ce que j’écris dans Les Échos : le stratégique répond à une politique de l’État, c’est pour cette raison que le minerai était stratégique en Chine, le cuivre également, parce qu’il y avait une vraie politique de l’État dans le domaine de l’urbanisation. Mais maintenant que cette politique se délite, ou est moins importante ou moins prégnante, le minerai de fer devient moins stratégique en Chine.

En revanche, un métal critique, c’est un métal qui est essentiel pour une industrie. Je ne connais pas d’industrie, à part l’industrie de défense qui répond à des stratégies d’État, qui puisse dire : « J’ai un métal stratégique ». L’industrie a des métaux critiques. Le problème que nous rencontrons ici, c’est que le critique et le stratégique se mélangent, notamment pour les métaux rares et les terres rares. Les politiques des États se mélangent avec les politiques des entreprises, et là, nous avons des gluons, si je puis dire, ou des marchés qui se coincent, ou des prix qui s’enflamment, parce que nous ne savons pas gérer ce genre de situations. C’est ce que j’ai voulu rappeler tout à l’heure dans les platinoïdes, lorsque l’Europe a décidé après les États-Unis d’avoir une politique de dépollution automobile. Ces métaux, devenus stratégiques, étaient déjà critiques dans les industries et, donc, les prix se sont enflammés tout comme les taux d’intérêt.

Monsieur Leroy, vous avez parlé tout à l’heure de l’Afrique, je vous remercie parce que j’ai insisté dans mon propos liminaire sur l’Afrique et sur l’Inde. J’ai écrit un jour un article qui disait que lorsque l’Afrique se réveillera, la Chine tremblera. C’est exactement ce que vous avez dit, c’est exactement ça et je suis tout à fait d’accord avec le concept que j’ai inventé, la « consommation compétitive ». Ce n’est plus le consommateur qui décide, armé de son prix, ce qu’il va acheter, c’est le producteur qui décide où il va mettre ses métaux, ou plutôt, ses métaux une fois transformés. L’exemple des terres rares est ici flagrant. La Chine en produit, mais peu importe, ce n’est pas le problème. La Chine, aujourd’hui, a diminué ses quotas et diminué ses taxes.

L’important est de savoir qui va produire les aimants, qui va produire tous les appareils qui sont, non pas équipés d’aimants, mais tous les appareils qui permettent de fabriquer, par exemple, les aimants permanents. Le problème est là. Nous en avons la capacité pare que c’est uniquement de l’intelligence. En avons-nous la volonté, en avons-nous encore les compétences ?

Dernier point, nous n’avons pas de doctrine métallurgique et minière en France. C’est à venir, on y travaille. Je ne crois pas que nous ayons de vrais mineurs en France. Quand je regarde le monde de la mine et que je regarde la France, j’aboutis à cette conclusion : je ne pense pas que nous ayons de vrais partenariats équilibrés avec des États producteurs et nous n’avons plus de sociétés de négoce.

Ce qui m’amène directement à l’OPEP des métaux. C’est une idée que j’ai rencontrée lorsque j’étais en Nouvelle-Calédonie, dans le nickel. Quelqu’un a dit un jour qu’on devrait faire une OPEP du nickel et on s’est vite aperçu que c’était une hypothèse qui ne tenait pas la route. Il y a déjà eu une tentative dans l’OPEP du cuivre, qui n’a jamais tenu la route. Peut-on faire une OPEP des métaux stratégiques ? Quelle est la liste ? Quels sont les producteurs ? Quels sont les pays ? On a tout de suite le problème de savoir qui peut y entrer. Est-ce que ce sera des États ou des sociétés privées productrices ? Parce que, comme le disait M. Leroy, de nombreux gisements sont des gisements uniques au monde. Donc vous avez une OPEP d’entrée de jeu, si je puis dire. Nul besoin de faire une OPEP des platinoïdes. J’ai travaillé chez Norilsk Nickel pendant six ans, j’y étais quand on a imaginé cette OPEP des platinoïdes. On s’est heurté immédiatement à l’OMC qui nous a dit qu’on ne pouvait pas le faire. Si en tant que société privée, on peut imaginer de s’associer avec des sociétés privées sud-africaines, ça ne peut pas marcher.

M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas. Je suis d’accord avec vous, le recyclage n’est pas un problème technologique. Il est réel dans le domaine des aimants. C’est à peu près 30 % de la production d’aujourd’hui et le gisement industriel lui-même est considéré comme source de matière première. C’est simplement une donnée économique. Au-delà d’un certain prix, il devient rentable, en dessous d’un certain prix, il ne l’est plus.

Les poudres de polissage dans tous les écrans que nous regardons en sont un exemple. La production a été divisée par deux par une meilleure utilisation de ces poudres de polissage. En fait c’est un recyclage en ligne, et la croissance est repartie de ce niveau-là.

Ce sont uniquement des données économiques qui déterminent le recyclage des terres rares, les procédés savent les traiter. Je pense au nickel, aux platinoïdes et autres. La différence est entre des grands marchés consommateurs de quantités importantes et des micromarchés qui sont affectés par des épiphénomènes.

Après, l’OPEP des terres rares, il y en a eu un, bien entendu non avouable, non avoué, celui de l’impact des traders dans la crise de 2011. Les producteurs de terres rares n’ont pas été les responsables de la crise qui s’est produite. Les producteurs de terres rares, principalement chinois, ont été pris à partie par les traders qui garantissaient l’achat et la revente de ces matières, d’où la bulle. Et ce sont les producteurs de terres rares chinois et japonais dans un premier temps, chinois et sud-coréens dans un deuxième temps, qui ont maintenu la rareté de ces produits et qui ont créé cette bulle.

Certains produits sont effectivement rares, et la croissance de leur utilisation relativement importante. Il faudra les substituer ou mieux les utiliser. Pour d’autres, ce n’est qu’une question économique.

Mme Anne de Guibert, directeur de la recherche de SAFT. Pour les batteries, il y a une réglementation qui oblige à recycler, même si ce n’est pas rentable. Des groupes ont été constitués, qui ponctionnent les fabricants pour permettre le recyclage des batteries.

Les batteries nickel-cadmium se fabriquent toujours au plan industriel, et comme ce sont des produits industriels, elles sont traçables et recyclables. Quand ce sont des petites batteries, le problème vient partout de la collecte. La collecte des petites batteries est obligatoire, normalement. Le plomb est recyclé à plus de 90 %. C’est une filière qui existe et qui, en temps normal, paye pour son recyclage, car les prix du recyclage ne sont pas très élevés, le prix de la matière première est correct et c’est donc rentable. Le cadmium ne paye pas du tout pour son recyclage. Les anciennes petites batteries au lithium avec beaucoup de cobalt dedans sont très profitables à recycler parce que la matière cobalt coûte suffisamment, mais à partir du moment où l’on utilise du phosphate de fer ou de l’oxyde de manganèse, ce n’est pas profitable. Il faut des organismes réglementés pour obliger à recycler, et c’est ce qui existe aujourd’hui. Le lithium n’est aujourd’hui pas recyclé tout simplement parce qu’il n’y en a pas assez à recycler. Si une usine était construite – j’en ai beaucoup discuté avec Umicore –, elle ne fonctionnerait que deux jours par an.

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE). Nous avons parlé d’OPEP et de transparence dans les prix. On peut se poser la question d’une gouvernance internationale des métaux. Il existe des groupes internationaux sur les métaux qui se tiennent à Lisbonne, qui travaillent sur le cuivre, le plomb, le zinc, et le nickel, qui jouent un rôle important, me semble-t-il dans la stabilisation des marchés. On pourrait se poser la question de savoir si ces groupes ne pourraient pas être étendus à d’autres substances. Après tout, les métaux sont des biens communs de l’humanité. Et on voit bien que les choses ont changé totalement d’ampleur. On pourrait aussi y réfléchir.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Quelques mots sur l’Union européenne. J’ai entendu parler plusieurs fois de politique européenne des matières premières. Il faut savoir que c’est totalement impossible aujourd’hui. Le traité n’attribue pas de compétence à l’Union européenne dans le domaine des matières premières. Il y a une compétence partagée dans le domaine de l’énergie. Cela ne veut pas dire que l’Union européenne ne fait rien, bien au contraire, mais il y a aussi des limites.

L’Union européenne a lancé, en 2008, l’initiative Matières premières, qui a pour ambition d’analyser la situation, d’améliorer la sécurité des approvisionnements et de le faire dans un cadre qui est celui du développement durable. Cela se traduit de façon très concrète par l’intensification remarquable de l’effort de recherche européen, lié à toutes les facettes des matières premières, puisqu’il y a la recherche avec les ions de substitution, le recyclage, l’accès aux ressources primaires, les technologies de production. Cela se décline de façon très précise et très concrète par un ensemble de programmes.

Mais cela me paraît néanmoins notoirement insuffisant par rapport à un XXIe siècle qui est très différent du XXe. Le XXIe siècle est un monde multipolaire, interconnecté, avec l’émergence de grands pôles nouveaux que sont la Chine aujourd’hui, l’Inde demain. Cela justifierait une révision des traités et qu’il y ait une réflexion sérieuse sur une politique européenne des matières premières. Mais encore faut-il que l’Europe n’implose pas avant.

Je pense qu’avec 550 millions d’habitants, avec notre capacité de créativité, d’innovation, d’imagination, nous sommes en mesure de prendre la problématique des matières premières à bras-le-corps. Mais aujourd’hui, que l’on raisonne au niveau de l’individu ou à celui des États membres, nous sommes tous beaucoup trop petits et beaucoup trop faibles pour peser sur une industrie – nous avons parlé d’OPEP – et quel que soit l’amour que je peux porter à mon pays ou l’admiration que je porte à mon voisin, l’Allemagne, qui est le plus gros État membre de l’Union.

Un mot sur l’OPEP. Je ne pense pas qu’il puisse y avoir une OPEP des matières premières, cela ne veut pas dire grand-chose. La Chine est déjà le premier producteur mondial de vingt-huit matières premières minérales, et souvent à plus de 50 % de la production mondiale. Donc, c’est une OPEP avec elle-même.

Ce que je pense, c’est qu’il y a besoin de développer une gouvernance des matières premières minérales, et des ressources naturelles en général. Cela paraît franchement utopiste, mais, il faut aller dans cette direction : développer la transparence et la responsabilité. Cette transparence doit porter sur les différentes dimensions du développement durable et pas seulement sur les critères économiques. Elle doit concerner aussi les critères sociaux, environnementaux et de gouvernance.

Je note que beaucoup d’entreprises occidentales sont engagées dans ce processus, par exemple à travers ce qui s’appelle la « Global Reporting Initiative » Pour le moment, je ne vois aucune entreprise chinoise qui y soit engagée. J’ai même noté qu’il est un secret d’État pour une entreprise chinoise que de révéler ses comptes. On est donc très loin de la transparence. Et c’est là peut-être que l’effort international devrait porter dans les prochaines années.

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet. Je partage ce qui vient d’être dit sur l’absence de politique européenne des matières premières. Je reconnais que c’est difficile à mettre en place. C’est une question de traités. Mais ce n’est pas une raison pour pratiquer l’immobilisme en matière de synergie, de coopération. Il y a un foisonnement d’initiatives qui sont à coupler, à « synergiser » pour employer un mot qui n’existe pas, avec des initiatives franco-françaises. Cela a commencé.

Il n’y a pas qu’une question de matières premières disponibles mais aussi une question de savoir-faire. J’ai entendu – mais cela doit encore être un raccourci, j’entends plein de raccourcis ce matin – qu’il n’y avait pas de mineur en France. C’est un raccourci. Il y a un savoir-faire que l’on peut développer, que l’on peut faire valoir et surtout faire connaître. On s’aperçoit que nos voisins européens ne savent pas forcément tout ce que nous faisons en France.

M. Didier Julienne. Une petite réaction à propos de la politique européenne. Si une politique européenne devait s’exprimer, à mon avis, elle pourrait s’exprimer au travers de constitutions de stocks stratégiques européens. Mais j’y vois beaucoup plus de problèmes que de solutions.

Quid des stocks stratégiques européens ? Est-ce que ce serait une proposition, disons, temporaire ? Comment les stocks seraient-ils gérés ? Peut-on réellement les mutualiser à travers plusieurs pays ? Est-ce que tous les pays sont intéressés à travers les mêmes métaux ? Comment achète-t-on ces métaux ? Comment les remet-on sur le marché ? Est-ce qu’on les confie à des entreprises ? À quel prix ? À quel taux d’intérêt ? Est-ce qu’il y a une mise de fonds qui provient des États européens ou d’un État, de l’État le plus intéressé ? Ou d’une entreprise ?

Voilà typiquement le genre de fausse bonne idée à propos de l’Europe, qui, à mon avis, peut intervenir, peut-être dans le droit, en faisant respecter sa parole ou en faisant respecter sa force, mais je ne la vois pas du tout intervenir d’une manière opérationnelle. L’autre exemple étant : pourquoi n’y-a-t-il pas une Europe de l’énergie ? Commençons par faire une Europe de l’énergie avant de faire une Europe des métaux.

Quant à la société minière, ce n’est pas un raccourci.

Mme Delphine Bataille. Nous voyons bien qu’il y aurait matière à poursuivre les débats avec les réflexions des uns et des autres. Mais comme nous sommes contraints par le temps, je vous propose de passer à la deuxième table ronde.

DEUXIÈME TABLE RONDE :
QUELLES SONT LES PERSPECTIVES D’ÉVOLUTION DE L’OFFRE
À MOYEN TERME ?

Présidence de M. Patrick Hetzel, député, rapporteur

I. QUELS FACTEURS VONT INFLUENCER L’OFFRE D’ICI DIX ANS ?

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Je vous propose d’ouvrir maintenant cette deuxième table ronde qui va porter sur les perspectives d’évolution de l’offre à moyen terme. Cela prolongera les discussions que nous venons d’ores et déjà d’avoir parce que nous voyons bien que l’articulation entre offre et demande est essentielle.

Je souhaite que nos débats permettent d’apporter des éléments de réponse, principalement à quatre questions que nous avons élaborées avec Delphine Bataille.

Tout d’abord, quels sont les facteurs qui vont le plus influencer l’offre à moyen terme ? Et quel est notamment le rôle que vont jouer les prix ainsi que leur fluctuation éventuelle dans le temps ?

Deuxième question, l’Union européenne n’a-t-elle pas démissionné en ayant une politique que l’on peut qualifier de minimaliste, en laissant, par exemple, à la Chine le rôle de contrôler les terres rares du Groenland ? Question que l’on ne peut pas simplement passer sous silence.

Troisième question, dans quelles conditions pourrait-on envisager une reprise de l’exploration en France métropolitaine ? C’est une question que nous n’allons pas simplement évacuer comme cela. Je crois qu’il faut au moins la formuler.

Quatrième et dernière question, quelle leçon peut-on tirer de l’expérience allemande ? Il y a peut-être, là aussi, plusieurs points de vue qui s’exprimeront sûrement sur ce sujet.

Même si nous ne pouvons pas être insensibles à ce qui a été dit, il faut bien faire le distinguo entre ce qui est critique et ce qui est stratégique. Effectivement, le critique fait référence à l’industrie tandis que le stratégique fait référence à la politique d’un pays.

Mais je pense, là aussi, en tout cas, que le politique ne peut pas se désintéresser du stratégique, ni du critique, lorsqu’il considère que tel ou tel secteur industriel est susceptible d’être stratégique. Cela rejoint cette imbrication, et je pense évidemment au secteur de la défense, mais pas uniquement au secteur de la défense. Nous voyons bien que la recherche duale est aussi une réalité. Il est quand même assez fréquent que lorsque nous nous intéressons aux questions de défense, cela ait aussi des répercussions dans le domaine civil. Nous avons, là aussi, un domaine qui mérite un débat.

Pour commencer cette deuxième table ronde, je propose de passer la parole à M. Didier Julienne, qui est à la fois stratège, industriel et éditorialiste au journal Les Échos, sur les questions de ressources naturelles. J’aimerais que vous nous disiez quels sont, pour vous, les mythes et les réalités d’une stratégie des terres rares.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. Merci de rappeler ce court CV, mais je voudrais aussi rappeler qu’auparavant, j’ai travaillé plus de vingt-cinq ans dans des entreprises métallurgiques en France, dans des entreprises métallurgiques et chimiques de métaux précieux américaines et dans une société minière russe. C’est donc plutôt sur cette expérience que se base ma réflexion.

La stratégie des terres rares, mythes et réalités ? La stratégie chinoise, c’est ainsi que j’ai compris cette question. Les mythes, ce sont, à mon sens, les logiciels cérébraux qui ont appliqué des schémas de guerre froide entre la Chine et le reste du monde. Lorsque la Chine voit quelques-uns de ses marins-pêcheurs soudainement détenus par les autorités japonaises en 2010, après deux semaines de détention d’un capitaine de chalutier, elle a une réponse épidermique et disproportionnée face à l’ennemi héréditaire, le Japon. Comme la France aurait peut-être pu avoir une telle réaction dans d’autres temps vis-à-vis de l’Angleterre ou vis-à-vis de l’Allemagne, voici le mythe.

Naturellement, des centres de réflexion stratégique ou géopolitique, des instituts, des fondations, des sociétés de recherche évoquées par M. Alain Rollat ou des think-tanks, ou tout simplement des financiers ou des gérants de fonds, ont relayé avec outrance ces schémas de guerre économique, chacun avec des objectifs divers.

Mais l’emboutissage de ces thèses, que j’appelle « vétéro-testamentaires », usées par la guerre froide, prônant une stratégie chinoise misanthropique, semble ignorer que la France reste le premier raffineur de terres rares en dehors de la Chine. La réalité, au-delà du mythe, c’est l’annulation des quotas d’exportation de terres rares chinoises au 1er janvier 2015 et des taxes export au 1er mai 2015, après que la Chine ait remanié sa production. Celle-ci était une source de contrebande, d’exploitation de populations sans aucune couverture sociale et une immense pollution des campagnes.

Aujourd’hui, la production chinoise est entre les mains de grands groupes nationaux et socialement plus responsables qui doivent rendre des comptes. J’insiste sur les expressions « plus responsables » et « qui doivent rendre des comptes ». Les deux sont entre guillemets par rapport aux standards européens. Les prix se sont écroulés à des niveaux pratiquement équivalents à ceux d’avant 2010. Et la réalité, aujourd’hui, comme je le disais tout à l’heure, et comme je l’écrivais il y a un mois, c’est la mise sous faillite de la société Molycorp aux États-Unis. En réalité, cela va juste lui permettre, à mon avis, de changer d’actionnaires et de piloter sa stratégie avec moins d’idéologie et une vision plus économique.

En conclusion, je peux juste dire que l’on peut blâmer les colporteurs de théories belliqueuses de matières premières si cela fait plaisir. Blâmons surtout les pays qui n’ont pas d’industries métallurgiques de métaux stratégiques sur leur propre territoire ou qui les ont fait disparaître. Le cas de la France est emblématique. J’ai déjà parlé tout à l’heure du Comptoir Lyon Alemand Louyot, je continue sur Penãrroya, Pechiney.

Enfin, j’espère que l’usine de Solvay (ou de Rhodia Solvay) à La Rochelle restera sur le territoire français pendant longtemps, mais je n’ai aucune information précise à ce sujet, ce n’est juste qu’une question.

M. Patrick Hetzel. Pour poursuivre l’échange, je propose de passer la parole à Mme Agnès Romatet-Espagne, qui est directrice Entreprises et économie internationale au ministère des affaires étrangères et du développement international, pour, là aussi, une question assez large, mais en même temps qui permet de poursuivre la discussion : la dimension géopolitique des terres rares telle qu’elle est vue par son ministère.

Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice Entreprises et économie internationale, ministère des affaires étrangères et du développement international.
Y-a-t-il une stratégie des terres rares chinoise ? Ma réponse est « oui », pour des raisons qui me paraissent évidentes. La première est une raison liée au développement économique de la Chine elle-même. On sait que ce développement est bâti sur un postulat qui est celui d’une croissance rapide, qui garantit au régime une légitimité suffisante pour que, aux yeux des citoyens, le statu quo politique puisse être maintenu. Dans ce contexte, il faut alimenter le développement industriel du pays et la survie du régime y est directement liée.

Je ferai un parallèle entre la stratégie que la Chine conduit sur les terres rares et sa stratégie dite de la « nouvelle route de la soie » avec la priorité qui a été définie par le Président Xi Jinping en 2013. Celle-ci permet à la Chine de sécuriser ses approvisionnements énergétiques. Il y a donc une certaine constance dans ce domaine.

Et puis il y a une deuxième raison. La Chine veut remonter la chaîne de valeur à partir de la maîtrise de la matière première. Cette stratégie, qui est plus large, vise à attirer sur le territoire chinois des technologies nécessaires à la production de biens à forte valeur ajoutée, par exemple dans le secteur des technologies vertes. Cela explique en partie la stratégie des terres rares chinoises.

Deuxième question, que je me pose à moi-même : « Y-a-t-il une stratégie européenne ou française des terres rares ? » À mon avis, la réponse est, pour l’instant, « non ». Je pense que, paradoxalement, cette réponse est « non » alors même que c’est – et nous le savons – une condition sine qua non de la réussite de notre transition vers une économie à bas carbone qui supposera la maîtrise et la sécurisation d’approvisionnements en terres rares. Et cela sera d’autant plus vrai après la COP21.

Je pense bien sûr, en particulier, au développement de l’énergie éolienne offshore avec les plans que vous connaissez qui supposent le déploiement de 6 gigawatts de puissance d’énergie marine à horizon 2020. Ce qui correspond à 1 200 éoliennes à construire et à installer au large des côtes françaises. Et cela suppose, bien évidemment, la maîtrise des terres rares qui seront nécessaires.

Troisième question : « Est-ce que le risque, depuis 2011, est plus grave ou moins grave ? » Selon moi, le risque s’est probablement adouci, assoupli. Il y a un certain endormissement d’ailleurs de notre part. Je le vois bien dans le traitement du sujet. Le risque, s’il existe encore, ne concernerait qu’un petit nombre de terres rares, du moins dans la perception que nous en avons, qui seraient le néodyme et le dysprosium, qui sont cependant essentiels pour la production d’aimants permanents dans l’éolien offshore.

Et en fait, paradoxalement, il me semble que le risque s’est décalé des terres rares vers un métal dont on ne parle pas du tout qui est le titane. Il y a là, pour le coup, un risque réel, mais cela demanderait probablement d’autres développements.

Par rapport à 2011, je note que hors de Chine, il y a eu quand même deux développements majeurs, mais nous allons y revenir sans doute. C’est d’une part la mise en production de nouvelles sources d’approvisionnements en terres rares, dont celles de la société Lynas, et celles de la société Molycorp, ce qui a ramené la production mondiale de terres rares chinoises à 80 % en 2015 par rapport aux 95 % qu’il y avait à l’origine.

Et puis, par ailleurs, il y a en Chine même – cela a été très longuement dit et je ne vais pas y revenir – une restructuration du secteur, un renforcement du contrôle de l’État sur la filière et un regroupement en entités cohérentes des acteurs. Ce qui, on l’imagine, aurait pu paradoxalement conduire effectivement à une hausse des prix, ce qui n’a pas du tout été le cas. Le marché est totalement opaque, ce qui est dû en grande partie aux traders des terres rares et non pas aux producteurs. Cette question de l’opacité de la formation des prix est, à mon avis, essentielle.

Dernier point, si nous réfléchissons en termes de veille stratégique, à quoi nous faut-il être attentif ? D’abord aux investissements qui vont se faire dans des projets en terres rares non-chinois. Projets dont la viabilité aujourd’hui n’est pas assurée. Nous l’avons vu pour Molycorp, encore que j’imagine qu’Éric Noyrez en reparlera de son côté, on le sait pour Lynas aussi. Ce sont des projets qui sont extrêmement fragiles. Deuxièmement, parce qu’on sait que la Chine a une stratégie de prises de participation méthodique dans tous les projets auxquels on peut lui laisser l’accès. On l’a vu lorsqu’il y avait une tentative chez Lynas en 2009. Mais on peut le voir aussi effectivement à travers les projets qui vont se tenir, aujourd’hui ou demain, au Groenland.

J’attire l’attention sur le risque très intéressant, majeur, qu’il peut y avoir à des prises de participation et des prises de contrôle sur des projets en Afrique. Ces prises de participation, nous pourrions, paradoxalement, nous-mêmes y prêter la main parce que nous y verrions l’occasion de conduire des développements ou des projets de développement de coopérations en pays tiers. Il faudra que nous soyons extrêmement attentifs à cela.

Je voudrais faire part, en guise de conclusion, de trois constats. Le premier est que la Chine a pour elle la longueur du temps, la ténacité, la pugnacité, la constance dans ses décisions. Et il me semble que, de ce point de vue-là, nous devrions nous en inspirer. Nous savons aujourd’hui que nous sommes de toute façon dépendants de nos approvisionnements en terres rares, nous Français, nous Européens et le monde occidental au sens large, mais pas uniquement.

Nous savons mieux qu’hier quels sont les besoins de nos filières, les besoins d’aujourd’hui et besoins à venir. Les questions sont : « Que faisons-nous de cette information ? » ; « Que faisons-nous de cette information une fois que nous avons connaissance des projets de développement hors Chine ? » ; « Prenons-nous des dispositions pour prendre des participations dans ces projets ? » ; « Sous quelle forme ? » ; « Par quels canaux ? » ; « Prenons-nous des dispositions pour, nous-mêmes, encourager la recherche sur notre territoire hexagonal ? » ; « Avons-nous un cadre réglementaire qui facilite, qui encourage l’investissement aujourd’hui dans le secteur minier ? ». J’y reviendrai après l’intervention du représentant de Variscan.

Voilà, le décor est planté. La question est de savoir ce que maintenant nous faisons de tous les éléments que nous avons sur la table.

M. Patrick Hetzel. En effet, le décor est planté et je pense que nous reviendrons sur cette question du cadre réglementaire pour faciliter l’investissement dans le domaine minier.

C’est sans doute l’un des points qui méritera une attention toute particulière, d’autant qu’on peut aussi la mettre en lien avec ce que d’aucuns d’entre vous ont pu dire sur la préoccupation environnementale qui, selon les zones du monde, n’est pas exactement la même.

Nous étions récemment en Scandinavie et nous avons entendu que, même chez les Suédois, ce phénomène du « Nimby » (Not in my backyard) est très présent, alors qu’en réalité, on voit bien que les conditions d’exploitation, selon les zones du monde, ne sont pas les mêmes.

Je vais passer la parole à M. Rémi Galin, qui représente le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’environnement (MEDDE), pour nous parler de l’offre minière nationale.

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, MEDDE. J’ai, en fait, une double casquette puisque je travaille pour le compte du ministre chargé des mines, qui est le ministre de l’industrie, du numérique et de l’économie.

Je vais vous dresser un rapide panorama du potentiel minier français, en rappelant que la géologie française est quand même assez riche. Elle permet de répondre à nos besoins en matériaux de construction et à de nombreux besoins industriels. Mais la plupart du temps, ces matériaux sont classés, particularité française, en substances de carrières. Je crois qu’il faut entendre dans notre discours, par le terme « mine », l’accès aux ressources primaires.

Il existe quelques matériaux, je pense à des quartz extra-siliceux qui jouent un rôle important pour une partie de notre économie y compris d’ailleurs sur des énergies renouvelables. Ils ne sont pas dans le champ d’aujourd’hui mais seulement dans les substances de mine qui sont exploitées actuellement sur le territoire national. Le principal est le sel, qui n’est pas une substance stratégique mais qui permet d’ancrer dans le territoire de nombreuses activités industrielles. En métropole, toujours, il y a deux activités de bauxite qui produisent, uniquement pour les cimenteries, un peu d’étain et d’oxyde de tantale dans une carrière, et c’est tout.

Il existe quand même une perspective: l’ouverture d’une mine de fluorine, qui fait partie des substances classées critiques à l’échelle européenne, et un projet d’exploitation qui devrait être déposé en fin d’année. En Guyane, il y a notamment l’exploitation de l’or – l’or n’étant pas stratégique – qui est sans doute associée, on peut l’espérer, à celle du tantale ou d’autres petits métaux.

Pour les métaux stratégiques, la France a produit du germanium. On a tendance à l’oublier. Nous avons toujours ces gisements, pas des gisements de germanium bien entendu, mais des gisements associés à des gisements de types plomb, zinc ou de cuivre. Dans les permis exclusifs qui ont été attribués – six permis exclusifs ont été attribués depuis 2013, il n’y en avait pas eu pendant plus de vingt-cinq ans – on peut s’attendre à trouver du germanium et du gallium. Un permis porte même sur le lithium.

Il est encore trop tôt pour dire s’il existe des sites de taille économique exploitables selon les référentiels environnementaux que l’on est en train de se redonner. Il faut aussi considérer les aspects sociétaux associés. Mais il ne faut pas s’attendre à voir émerger une foultitude de projets d’exploitation dans la décennie à venir, si c’est l’échelle de travail que nous avons. De même en Guyane, on peut s’attendre à avoir des projets d’exploitation d’or mais pas d’autres substances.

Pour être exhaustif, il faut citer les grands fonds marins qui sont un potentiel. La zone française est très grande, vous le savez. Les travaux à Wallis-et-Futuna ont mis en évidence des possibilités. Il y en a aussi en Polynésie française. Les enjeux sont très importants. Là aussi, sur les dix prochaines années, il ne faut pas s’attendre à ce que ce soient des productions significatives à l’échelle française, et le ticket financier sera élevé.

Les ressources nationales ne vont pas révolutionner l’offre pour l’industrie nationale. Il faut attendre de la mine bien plus que la disponibilité des ressources. Nous en avons évoqué quelques pistes, à savoir le potentiel, le maintien, le développement de connaissances, d’un savoir-faire minier qui existe en matière de géologie, de sciences de l’ingénieur minier, de minéralurgie, de génie écologique et de développement d’une offre de formation d’expertise à l’international susceptible de soutenir nos entreprises puisque nous avons des mineurs. J’en connais au moins trois : Eramet, Areva Mines et Imerys, qui me paraît également entrer dans cette catégorie.

Faut-il relancer l’exploration en France ? Nous le croyons. Il est très important de bien connaître notre potentiel géologique. Ensuite, passer aux projets porte d’autres enjeux. Nous avons parlé des conditions environnementales. Il y a aussi les conditions d’implantation de ces projets dans les campagnes, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit et cela n’est pas propre aux mines. Nous voyons d’autres projets qu’il est bien difficile aujourd’hui de faire apparaître.

M. Patrick Hetzel. Pour poursuivre la discussion, je passe la parole à M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas, pour nous parler du marché, des acteurs et des enjeux critiques restant à aborder.

M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas. Au risque d’être réducteur, je dirai
– cela a été rappelé – que les demandes en terres rares n’ont fait que croître sur les soixante dernières années. Et je ne prends probablement pas de risque en disant que cela continuera. Sur la partie demande, les demandes en terres rares vont continuer.

Nous pouvons résumer sept facteurs qui impactent significativement l’offre, puisque c’est la question qui était posée, très différents et qui ont tous un impact majeur sur cette offre.

Tout d’abord, il y a abondance de gisements. Il n’y a pas de doute sur cette question. Il y a un déficit et une difficulté sur l’exploitation et sur la capacité à exploiter.

Le deuxième élément qui impacte l’offre, c’est qu’il y a un marché illégitime aujourd’hui, principalement en Chine ou aidé ou entretenu par la Chine, de plus de 30 %. C’est un marché petit, on l’a dit : 30 % des volumes sont produits de manière illégale, illégitime, grise, peu importe le vocabulaire. Cela entraîne deux conséquences : cela perturbe considérablement l’économie de ce secteur et, de plus, cela stérilise une grande partie des matières premières parce que les procédés utilisés, bien entendu, ne se préoccupent pas beaucoup de l’extraction optimisée de ces matières premières.

Le troisième élément est simplement économique, avec une balance de terres rares ou des éléments les uns par rapport aux autres, qui n’est malheureusement pas équilibrée dans sa coupe naturelle. Ce sont environ 25 à 30 % de terres rares en demande, en marché court, par rapport à bien sûr la contrepartie, qui est de 70 % en excès. Et juste pour imaginer ce que cela représente : si le marché pétrolier était dans une situation à peu près identique, le bitume, l’essence, le naphta seraient des coupes non-utilisées. Et il faudrait extraire l’ensemble du pétrole, comme aujourd’hui, uniquement pour le reste. Vous imaginez le prix du diesel, du jet et de certaines coupes raffinées.

Je reviendrai plus tard sur le quatrième élément qui impacte l’offre puisque c’est une question concernant la position particulière de certains acteurs, Chine et autres, qui viennent impacter l’offre d’une manière significative pour les dix à vingt années à venir.

Cinquième élément, probablement inhabituel : les compétences. En fait, la Chine n’a pas décidé de prendre en main les terres rares et de rester la seule. Le reste du monde, pour différentes raisons, avait cette connaissance, cette compétence, et faisait de l’extraction. En Australie, aux États-Unis, en Suède, pour des raisons sur lesquelles on pourrait revenir, le développement s’est arrêté alors que la Chine, elle, a continué. Aujourd’hui, les compétences pour l’extraction et le raffinement sont devenues rares.

Et curieusement, il y en a de moins en moins. On citait la société Rhodia, ou Solvay aujourd’hui, probablement une des rares sociétés hors Chine à avoir encore cette compétence. Encore que sur la partie du cracking et de l’extraction, il ne doit plus rester énormément de personnes opérationnelles.

Pour avoir moi-même opéré les activités, dont les terres rares, de Rhodia, ou de Solvay aujourd’hui, pour avoir construit le projet Lynas et être intervenu actuellement sur le terrain américain, pour une société qui s’est mise sous la loi de protection des faillites, je m’aperçois qu’en fait une des raisons majeures de la difficulté de créer une nouvelle filière et de la maintenir, c’est de trouver ces compétences, qu’elles soient capables d’opérer et, surtout, de les conserver. Il n’y a rien de plus difficile que de faire sortir un Chinois de Chine et d’être capable de faire fonctionner ce Chinois selon les méthodes ou les principes de management occidental, en tout cas international. Il n’est donc pas facile de trouver un opérant, un opérateur dans ce domaine. Curieusement, c’est une petite industrie. Il y a donc très peu d’opérants et il y en a de moins en moins.

Le sixième élément qui agit sur l’offre, bien entendu, Ford l’a rappelé la semaine dernière à Las Vegas, est que si on veut maintenir 450 PPM de CO2 dans les voitures, il faut sept fois plus de néodyme. On a donc des éléments assez marquants. Il va falloir trouver des solutions.

Et enfin, le dernier élément, c’est la compétitivité des solutions. À la fois Ford et Siemens rappelaient la semaine dernière qu’il n’est pas question d’avoir la deuxième technologie en termes de performances et de compétitivité après les Chinois. Il y a des solutions, il y a des alternatives, il n’y a pas de doute. On a entendu parler, par exemple, des moteurs électro-bobinés. Mais c’est la deuxième technologie après celle qui est utilisée par les Chinois. Cela pose un véritable problème aux acteurs majeurs, voire aux numéros un mondiaux actuels de faire ce genre de choix.

En conclusion, je dirai que la demande est en croissance mais que l’offre va être impactée très significativement par les leviers que je viens d’indiquer.

M. Patrick Hetzel. Effectivement, la demande en croissance est susceptible d’être impactée par l’offre et, notamment, par les sept facteurs que vous venez de mentionner.

Monsieur Patrice Christmann, pouvez-vous nous parler du changement de paradigme et de l’évolution de l’offre qui est liée à de nouveaux projets miniers ?

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Le mot crise est partout : dans les médias, dans nos discussions. Je pense que c’est une erreur. Nous ne sommes pas dans une crise, nous sommes dans un changement de paradigme majeur. Peut-être le plus grand changement de paradigme que l’Occident ait connu depuis la Renaissance et ses révolutions technologiques.

Jusqu’ici, notre paradigme, qui est le modèle libéral occidental très schématiquement, est basé sur le principe de la libre concurrence non-faussée des marchés fonctionnant de façon parfaite. Avec un capitalisme déjà qui a profondément changé de nature. Le capitalisme, à ses origines, si je relis Adam Smith, c’était un capitalisme qui s’investissait dans des processus de production.

Aujourd’hui, le capitalisme s’investit dans lui-même, dans la finance et le monde de la finance est très particulier parce qu’il raisonne, il agit, dans des horizons temporels qui sont de quelques nanosecondes à, au mieux, le trimestre. Le trimestre est l’échéance de production du fameux rapport trimestriel de la plupart des entreprises qui, si elles n’annoncent pas des résultats satisfaisants, risquent de voir disparaître ou fuir leurs actionnaires.

Ce capitalisme occidental est aujourd’hui confronté à un autre capitalisme, à un autre paradigme, qui est un paradigme asiatique de temps nettement plus long où le capitalisme est resté un capitalisme d’État. C’est vrai pour la Chine mais aussi pour le Japon et la Corée du Sud. Relisez les mémoires de Lee Kuan Yew, le semi-dictateur qui a réussi la modernisation de Singapour, et qui a beaucoup inspiré ses collègues asiatiques. Nous nous retrouvons-là confrontés à d’autres visions du monde, à d’autres façons de faire, à des États beaucoup plus centralisateurs. Cela explique une partie de nos problèmes.

Notre paradigme à nous était fondé sur le fait que parmi les pays producteurs de matières premières, il y avait soit des pays densément peuplés mais pauvres et, donc, ravis de nous vendre leurs matières premières, soit des pays riches mais peu peuplés, comme l’Australie ou le Canada qui, aussi, pouvaient fournir des matières premières aux marchés mondiaux.

Le but des marchés libres et non faussés était d’avoir des tuyaux bien lisses connectant offre et demande et de veiller à ce que ces tuyaux fonctionnent correctement pour voir satisfaits nos besoins. Et nous faisions la transformation et la génération de valeur ajoutée sur nos territoires. Mais cela est mort.

Aujourd’hui, l’émergence de la Chine le montre très bien, et demain, ce sera l’Inde, l’Afrique et d’autres régions du monde. Beaucoup de pays concurrents ont compris l’importance stratégique des matières premières pour développer des chaînes de la valeur ajoutée.

Si, aujourd’hui, la Chine a une politique minière des plus dynamiques, c’est parce qu’elle a compris que la maîtrise et l’intégration verticale de ses filières de matières premières étaient la clef indispensable pour demain, mettre sur les marchés des voitures, des éoliennes, des panneaux solaires. On le voit bien déjà dans l’informatique, par exemple, avec les produits demandés par les marchés mondiaux.

Notre paradigme à nous est donc remis en cause par cette émergence rapide, tandis que la demande mondiale pour les matières premières minérales croît, en moyenne de l’ordre de 2,5 % par an, de manière très variable selon les éléments. Cela veut dire qu’il va falloir trouver plus de matières premières entre maintenant et 2050 que depuis l’origine de l’humanité. Selon les projections de Rio Tinto, cela veut dire, par exemple, qu’il va falloir trouver l’équivalent du plus gros gisement mondial de cuivre, qui est l’Escondida au Chili, chaque année et le mettre en production, ou bien trouver tous les cinq ans, l’équivalent du Pilbara, c’est-à-dire la région productrice de fer de l’Ouest de l’Australie et la mettre en production. Un Pilbara, c’est plusieurs centaines de milliards de dollars d’investissement.

Dans ce contexte, le sous-investissement des États, notamment en Europe, dans la connaissance du sous-sol, dans la formation, dans la recherche est absolument préoccupant. Il est dramatique. Je pense notamment en France qu’il est absolument urgent de renforcer les moyens du COMES qui fédère et qui a vocation à rassembler ministères concernés, fédérations industrielles et instituts de recherches. Ce COMES aujourd’hui a un secrétaire général plein de bonne volonté mais il n’a même pas un « bout de secrétaire ». Il a encore moins un quelconque moyen budgétaire et il ne fonctionne que par la bonne volonté de tous ceux qui y participent depuis l’origine, et dont certains sont présents dans la salle et que je salue.

M. Patrick Hetzel. L’autre question évidemment, c’est l’influence des prix et dans un certain nombre de cas aussi la formation de bulles financières liées à cette formation des prix. L’apport de M. Christian Hocquard sur ces questions peut nous être utile.

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. Rareté et monopole, dit M. Leroy concernant les métaux rares. La conséquence, effectivement, c’est que les métaux rares sont des métaux de crise, qui va de la crise des prix jusqu’à la pénurie, qui est le stade ultime d’une crise très difficile à anticiper.

Pourquoi ? Les métaux rares se caractérisent par leur faible production, la quasi-absence de places de marché et de stocks associés, la confidentialité de la commercialisation à travers le trading et des statistiques d’offre et de demande le plus souvent très peu claires. Dans ces conditions d’opacité, il est d’autant plus important de chercher à anticiper les crises.

Ces crises peuvent être liées aussi bien à l’offre qu’à la demande. On peut avoir une rupture de l’offre qui peut être accidentelle – un accident d’usine ou durant le transport – mais elle peut aussi être volontaire et provoquée, avec des quotas ou d’autres rétentions de commercialisation, dont l’objectif est évidemment de vouloir faire monter les prix. On l’a vu à différentes époques avec la Russie pour le palladium et, plus récemment, bien entendu, avec la Chine et les terres rares.

Mais une rupture d’approvisionnement ou une crise peut être également être le fait d’une très forte demande d’un produit innovant de grande consommation. La crise de 2000, par exemple, pour les téléphones portables a généré une crise du tantale, liée à son utilisation dans la fabrication des condensateurs.

De manière à se protéger contre la menace d’une telle crise, en particulier en termes de hausse des prix, les responsables d’achats des entreprises procèdent à des sur-stockages préventifs dès qu’ils anticipent une crise prochaine. Comme tous les responsables d’achats procèdent de même, leur comportement moutonnier assèche le marché et engendre une raréfaction rapide de la disponibilité du métal. Il en résulte une hausse très rapide des prix.

À partir de cela, quelles sont les réactions des acteurs ? Les industriels consommateurs, eux, optimisent et réduisent la consommation en réduisant les usages, en réutilisant et en recyclant, ce qui fait donc baisser la demande. D’autre part, à l’inverse, les producteurs miniers déstockent, envoient du métal sur le marché pour bénéficier de la hausse des prix. Et surtout s’il existe, et cela arrive, une capacité de production artisanale, l’augmentation brutale des prix va provoquer un rush conduisant très rapidement à la mise sur le marché de grandes quantités de produits miniers.

Il y a eu le cas de la crise du tantale en 2000 et de la production du coltan artisanal dans la région des Grands Lacs en République démocratique du Congo, ainsi que le cas déjà mentionné des terres rares lourdes du Sud de la Chine et les minerais des argiles ioniques. Là, nous avons eu une inondation carrément du marché par ces produits exploités illégalement et exportés en contrebande.

On voit que la demande baisse en cas de crise, alors que la production augmente. Les industriels s’aperçoivent assez rapidement que le risque final de rupture d’approvisionnement s’éloigne et stoppent leurs achats préventifs. Il s’ensuit un arrêt des achats et un brutal retournement du marché et des prix qui chutent. La bulle spéculative éclate. Le marché est déstabilisé durablement parce qu’il faut attendre une longue période de déstockage avant de revenir à un prix d’équilibre.

On a là les mécanismes de formation typiques de crises qui affectent de manière récurrente les métaux rares. C’est ce que l’on vient de vivre pour les terres rares. Ces crises ont généralement des durées relativement faibles, de l’ordre d’un an à deux ans. Elles sont violentes, ce sont vraiment des bulles. Ce sont des crises de prix qui vont très rarement jusqu’à la rupture d’approvisionnement et la pénurie.

La crise des prix affecte différemment les consommateurs. Si le produit manufacturé contient peu de métal, le prix importe peu à l’industriel en règle générale, du moment qu’il y en ait sur le marché. Pour l’industriel, seule une vraie rupture d’approvisionnement sera importante. En revanche, s’il en consomme peu, il n’a pas de veille sur le marché et il va se prendre la crise en général et sera le plus impacté par la crise des cours.

On s’aperçoit que les crises des métaux rares sont des crises spéculatives liées au comportement soit du trading soit des responsables d’achats. Tout ce mécanisme peut-il être anticipé ? C’est vraiment très difficile et on s’aperçoit que les crises se succèdent dans le temps de manière tout à fait régulière. Seule une anticipation peut être faite en suivant les marchés de près. C’est ce que nous essayons de faire en particulier au BRGM.

M. Patrick Hetzel. Je vais maintenant passer la parole à M. Michel Cathelineau, qui va nous parler de la nécessité de programmes scientifiques intégrés dans le domaine des ressources.

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21. Les crises sont effectivement très ponctuelles et je pense qu’il faut absolument tenir compte aussi du prix de la matière première dans le produit fini. Il n’est pas forcément nécessaire de trop s’inquiéter si l’industrie arrive à réguler ces crises qui sont ponctuelles.

Je pense que l’opinion publique est aussi extrêmement importante à considérer globalement. Pour cela, il faut développer une base de connaissance qui va de l’exploration jusqu’à l’impact environnemental des exploitations, que ce soit la valorisation des minerais ou la remédiation d’anciens sites miniers. Pour cela, il faut étudier l’ensemble du cycle de la matière.

C’est typiquement ce à quoi on s’attelle par exemple dans le cadre du Laboratoire d’excellence ressource stratégique pour le XXIe siècle, à Nancy. On travaille à 30 % sur les terres rares, mais aussi sur le nickel, le cobalt et associés et, enfin, l’étain, le tungstène, le niobium, le tantale et le germanium, le gallium et l’indium. La France a fait le choix de favoriser, grâce aux investissements d’avenir des laboratoires d’excellence de ce type, mais c’est pratiquement la seule initiative dans ce sens.

On a très peu d’offres nationales du point de vue scientifique au niveau des appels d’offres de l’ANR, sauf exception en 2014. La France n’a soutenu, dans le domaine des ressources minérales qu’une seule année des projets européens ERA-MIN. Or comme l’a dit M. Noyrez, il est absolument nécessaire – parce que cette compétence existe encore – de la maintenir et de la renforcer par des programmes de recherche et par également le remplacement ou le recrutement de scientifiques de haut niveau qui couvrent l’ensemble de la chaîne.

Actuellement, on ne peut pas envisager l’exploitation d’une mine sans avoir une prédiction globale de l’ensemble du cycle de la matière. L’opinion publique est absolument essentielle à considérer dans ce dispositif puisque c’est elle qui va contrôler en partie les nouvelles exploitations.

Nous sommes sollicités par les Canadiens pour l’ouverture des futures mines de terres rares au Québec. Il y a une très forte pression de l’opinion publique qui nécessite de prendre en compte l’ensemble de la chaîne jusqu’à l’impact environnemental. Il y a de nombreuses lacunes de connaissances de l’impact éco-toxicologique des terres rares.

On utilise le gadolinium comme agent de contraste dans les hôpitaux. Il est rejeté naturellement et va dans les rivières mais on ne sait absolument pas quel est son impact. On pourrait multiplier les exemples. Je pense qu’il est vraiment nécessaire de développer une base de connaissances scientifiques en favorisant les programmes de recherche et en recrutant suffisamment de chercheurs de haut niveau pour couvrir l’ensemble de cette chaîne.

M. Patrick Hetzel. Nous allons poursuivre avec M. Guillaume Pitron, journaliste mais également membre de Global Links, qui va aborder les effets potentiels des enjeux de réputation sur la solidité financière des sociétés et la question du risque « image » auquel s’exposent les entreprises qui utilisent des métaux tels que les terres rares extraites dans des conditions qui, justement, ne sont pas toujours respectueuses de l’environnement.

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links. Effectivement, il y a un risque « image » de plus en plus fort, ne serait-ce que parce que les médias s’intéressent de plus en plus aux dessous de l’électronique. Il y a un mot dans le métier qui s’appelle « être concernant ». Il s’agit d’intéresser le public à des questions qui touchent son quotidien, sa consommation. De fait, je le constate dans mon métier, il y a un intérêt de plus en plus fort pour s’intéresser « aux cuisines », si je puis dire, de l’électronique et de ces nouveaux objets connectés qui sont en train d’arriver sur le marché.

Je ne compte plus les documentaires sur la voiture électronique, sur la voiture connectée, sur les téléphones portables bien évidemment. Il y a eu un Cash Investigation sur France 2 qui est passé et qui a fait pas mal de bruit. Il faut probablement une veille média aussi pour s’assurer que les entreprises sont capables de gérer ce risque de réputation qui est lié aux impacts environnementaux des technologies.

Une variable importante pour l’offre est effectivement l’aspect environnemental et l’acceptabilité sociale des conséquences environnementales. M. Claude Bartolone, qui rentrait récemment de Chine, avait remarqué de manière fort intéressante que : « 70 % des 90 000 conflits sociaux qui éclataient en Chine étaient dus à des dégradations de l’environnement ». Et de fait, la pollution se hisse à la première place des menaces à la stabilité de la Chine.

Personnellement, je suis allé à Baotou, près des lacs de rejets de terres rares. J’étais dans les « villages du cancer », ces trois cent-cinquante villages du cancer qui sont officiellement reconnus par le régime. La question de l’approvisionnement en terres rares est aussi celle de savoir comment un État peut être capable de produire des terres rares à un coût qui soit environnementalement et socialement acceptable. Pas seulement en Chine mais également en Malaisie.

Je l’ai vu également à propos de l’entreprise Lynas. Dans les années 1980, Mitsubishi a ouvert une mine et une unité de raffinage de terres rares. Cela ne s’est pas très bien passé. La mémoire de ce qui s’est passé là-bas, à Bukit Merah est vive. Et de fait, au moment d’ouvrir son usine de raffinage, Lynas s’est retrouvée aussi face à cette mémoire vive qui était celle de Bukit Merah. On voit bien que les règles du jeu ont changé et que la question de la prise en considération des populations et de l’impact sur les populations est particulièrement importante.

De fait, c’est vrai en France et dans les pays occidentaux. Vous disiez tout à l’heure, « Not in my backyard » ; c’est vrai partout. Il y a une forme de contradiction en France à vouloir profiter des avantages de la technologie sans forcément vouloir en supporter le coût environnemental et, pourtant, si effectivement nous allons vers un redéveloppement de nos industries minières, dans un pays où l’opinion publique est particulièrement soucieuse de ces questions et est éduquée à ces questions, il va falloir se demander comment travailler avec ces industries et avec les ONG qui jouent un rôle très important.

M. Patrick Hetzel. Je passe la parole à M. Jack Testard, qui a travaillé sur l’impact de la reprise de l’exploration en France métropolitaine et sur la question de la mise en production qui pourrait en suivre, ainsi que sur la question cruciale de l’importance des délais entre recherche et production.

M. Jack Testard, president, Variscan Mines. Je vais vous parler de l’histoire de Variscan et j’espère que vous en tirerez de bonnes conséquences.

Pourquoi avons-nous repris Variscan ? Variscan est une junior de l’exploration, donc une petite société qui prend le risque de relancer de l’exploration sur le territoire français métropolitain. Pourquoi ? Quels sont, pour nous, les éléments positifs à cette reprise ? Ensuite, je vous parlerai des difficultés.

Les éléments positifs sont d’abord la connaissance du potentiel géologique français. Cette connaissance est importante et elle est positive, contrairement à ce qui s’est dit dans certains endroits. Elle est positive tout simplement parce qu’on peut réinterpréter les connaissances acquises pendant l’inventaire minier, qui date maintenant d’une trentaine d’années, d’une façon moderne en tenant compte des nouveaux concepts.

La France a des atouts : d’abord, la stabilité de l’État. Je ne reviendrai pas là-dessus mais, pour un investisseur, c’est très important. Il y a des infrastructures qui sont tout à fait utilisables aussi. Et puis, nous avons eu une histoire minière, qui nous a permis de conserver des compétences et du savoir-faire. Et cela aussi, c’est très important. Il y a également des laboratoires de recherche, des écoles et de la formation, même si je tire la sonnette d’alarme en disant : « Attention, ne les laissons pas partir et ne les laissons pas disparaître. »

Enfin, il y a des capacités industrielles de transformation qui doivent suivre la production minière. Et cela aussi c’est important parce que c’est la base même d’une industrie dans un pays. Voilà donc tout ce qui est important. Il y a aussi la référence environnementale.

Nous devons en faire un élément positif et non pas un élément négatif. Nous avons ici en France des règles environnementales qui sont très fortes. Cela nous permettra de produire dans des conditions qui seront acceptables pour tout le monde. Faut-il encore le faire savoir. Cela concerne également une rupture avec le passé, c’est-à-dire avec Germinal.

Il y a, bien sûr, des éléments négatifs. Obtenir un titre minier prend plusieurs années. On nous pose souvent des questions qui sont liées, non pas au présent mais à l’avenir. On nous demande de décrire ce qui va se passer dans trois, quatre, cinq, dix ans alors que tout cela doit se bâtir durant la construction, non pas de la mine, mais de la situation dans laquelle la mine se situera.

Il n’y a pas, en outre, sur Paris, de capacités boursières adaptées aux questions minières. Actuellement, il n’y a qu’une seule société d’exploration cotée à Paris dans ce domaine. Nous ne pourrons développer quelque chose que si on nous laisse le temps d’en parler quotidiennement, régulièrement et sans conflit.

M. Patrick Hetzel. En effet, en parler quotidiennement et régulièrement est important. Je pense que l’on reviendra sur cette question du financement que Mme Romatet-Espagne a également mentionnée dans son intervention. Je pense que ce sera un point qui mérite un approfondissement.

Je repasse la parole à M. Gilles Bordier, du CEA, sur l’évolution des brevets de métallurgie.

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques. En fait, je remplace Monsieur Frédéric Goettmann, qui a été empêché et qui vient de créer la société Extracthive.

Dans le cadre de son activité au profit de la métallurgie extractive hors nucléaire, le CEA a souhaité disposer d’un aperçu de l’activité académique et industrielle sur le sujet en Europe et dans le monde.

Nous nous sommes appuyés sur une étude des dépôts de brevets et des publications dans le domaine, par pays et dans le temps. Et cette étude vient corroborer évidemment un certain nombre d’éléments largement évoqués par les orateurs de la présente audition, un intérêt croissant pour la thématique des matières premières associé à une perte de vitesse de l’Europe.

Les conclusions les plus frappantes de l’étude sont que, d’abord, on assiste à un renouveau marqué de l’intérêt pour la métallurgie extractive dans les publications et les brevets depuis le début des années 1990. Sept fois plus de publications entre 1980 et 2010, cinq fois plus de brevets dans la même période.

La part de l’Europe dans les publications scientifiques, dans l’hydrométallurgie en particulier, passe d’environ 50 % dans les années 1990 à 33 % au milieu des années 2000 pour être aujourd’hui à moins de 25 %. Sur la même période, la part de la Chine est passée de 0 à 33 %.

Si on regarde maintenant les brevets, entre 1990 et 2010, la part des entreprises européennes dans les dépôts de brevets concernant l’hydrométallurgie est passée de 16 à 6 % tandis que celle de l’Asie a bondi de 15 à 66 %. Notons aussi qu’au niveau des déposants de brevets, les industriels de la métallurgie semblent parfois préférer le secret au dépôt de brevets. En l’occurrence, dans le cadre de l’étude telle qu’elle a été menée, nous n’avons pas réussi véritablement à mettre en évidence ce phénomène dans cette période mais on sait qu’il existe.

En ce qui concerne le contenu technique des résultats de l’étude, deux points saillants peuvent être mis en évidence : on voit apparaître une préoccupation croissante sur les métaux critiques, mais l’effort de recherche et de développement reste encore majoritairement focalisé sur les métaux de base, tel que le cuivre, le zinc, ou le nickel par exemple.

En ce qui concerne les technologies développées, la pyrométallurgie, c’est-à-dire les techniques de traitement et d’extraction à haute température priment toujours sur l’hydrométallurgie, c’est-à-dire des techniques plus fines d’extraction à température usuelle en solution. Et côté hydrométallurgie, c’est la lixiviation avancée, c’est-à-dire une forme de dissolution sélective des éléments, qui sort en tête.

En conclusion, le centre de gravité de l’activité autour des matières premières non-énergétiques s’est donc bien déplacé vers l’Orient au cours des trente dernières années et cela vaut en termes de production. C’est le remplacement de l’hégémonie américaine par l’hégémonie chinoise ; on a déjà évoqué la faillite de Molycorp.

En termes de consommation, sur les dix dernières années, l’essentiel du surcroît de demandes en métaux de base est lié à la croissance économique chinoise. Et enfin, et c’est le résultat de l’étude que je viens d’exposer, la part de l’Orient est en forte croissance en termes de production de savoirs scientifiques et techniques. Je pense qu’il ne faut pas du tout ignorer cet aspect.

DÉBAT

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Il ne faut pas négliger cette dimension recherche du côté de l’Asie en général et de la Chine en particulier.

Avant de poursuivre sur la Chine, et notamment sa domination sur les métaux stratégiques et les terres rares, je voudrais que nous revenions quelques instants sur le financement, et plus précisément sur le cadre réglementaire pour faciliter l’investissement dans le secteur minier.

C’est le sujet que vous abordiez tout à l’heure, Madame Romatet-Espagne. Est-ce que vous pourriez approfondir cette question qui nous paraît assez sensible, et qui évidemment ne peut pas laisser indifférent le législateur ?

Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice Entreprises et économie internationale, ministère des affaires étrangères et du développement international. Je voudrais revenir sur mon expérience australienne, qui était une expérience avec Éric Noyrez.

Il était lui-même à ce moment-là à la tête de Lynas, et moi-même, je dirigeais le service économique de l’ambassade de France. Nous avions été amenés à nous interroger ensemble sur la façon dont nous pourrions essayer d’articuler l’industrie française et la capacité de production de Lynas.

Assez rapidement, nous étions arrivés à la conclusion qu’il y avait deux façons. Soit, des industriels français, par branche, s’organisaient pour sécuriser des approvisionnements sur le modèle de ce que faisaient les Allemands. Soit, nous nous inspirions du modèle japonais qui était également assez intéressant, je trouve, et qui était une prise de participation dans l’entreprise, en l’espèce, la sécurisation – mais Éric l’expliquera mieux que moi – de la seconde chaîne de production de l’usine malaisienne. La sécurisation de l’approvisionnement était en fait garantie par la prise de participation dans l’entreprise.

Lorsque Lynas, ou d’autres puisqu’il y avait des juniors qui étaient dans un état bien moins avancés que d’autres australiennes, venaient nous voir en nous disant : « Nous sommes prêts à organiser ce type de partenariat, mais comment va se manifester votre intérêt pour notre production ? », nous n’étions pas en mesure de répondre à cette question. Nous avons essayé à plusieurs reprises de provoquer des déplacements en Australie de filières industrielles pour qu’elles puissent manifester leur intérêt.

Nous y sommes arrivés avec les scientifiques, et je leur en suis reconnaissante. Il y a des amorces de coopération qui ont été entamées avec des universités du Western Australia. Nous n’avons pas réussi à mobiliser les filières professionnelles alors même qu’elles avaient été très intéressées quand elles ont reçu un certain nombre de représentants d’entreprises juniors qui étaient venus présenter leur offre de services en France.

Je m’interroge sur la bonne façon à adopter. Il y en a probablement plusieurs. Le modèle japonais n’est pas nécessairement transposable en France. Le modèle allemand non plus. Mais en tout cas il y a un modèle qu’il nous faut inventer et qu’il nous faut inventer assez vite, me semble-t-il.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Je remercie Mme Romatet-Espagne parce que j’adhère totalement à ce qu’elle a pu présenter.

Je pense qu’il nous manque, en Europe, un outil dans le domaine fiscal pour encourager l’exploration et l’émergence de juniors. En effet, dans un certain nombre de pays, les activités d’exploration sont assimilées à des activités de recherche et bénéficient d’encouragements, voire d’exonérations fiscales, car c’est une phase à hauts risques. Or il y a beaucoup de sociétés qui font de l’exploration et ne mettent jamais en production quoi que ce soit. C’est vraiment une activité à risques qui devrait être considérée ainsi en matière de fiscalité. Il faudra peut-être y venir.

Pour revenir sur l’exemple japonais, je pense que Mme Romatet-Espagne faisait référence au contrat off-take signé par Lynas et au financement apporté par le Japon au projet qui permet aujourd’hui à Lynas de survivre malgré la chute extraordinaire de son cours boursier et qui l’aurait, normalement, conduit à une situation comparable à celle de Molycorp. Mais heureusement, il y a cette solidité du partenariat et des prêts japonais consentis à Lynas qui la sécurise.

Le Japon a une structure très originale, la JOGMEC (Japan Oil, Gas and Metals Exploration Company), qui est un dispositif d’État mis en place par le METI, en parfaite synergie avec l’industrie japonaise. Cet organisme d’État se trouve doté chaque année de plusieurs centaines de millions d’euros de financements, alors que le Japon est un pays dont la dette publique ressemble plus à celle de la Grèce, voire au-delà, qu’à celle de la France.

Cet organisme, entre autres, prend des participations dans des projets d’exploration à l’étranger, identifie des métaux prioritaires avec les industriels. Son travail est de repérer les bons projets d’exploration à travers le monde et d’apporter de la technologie japonaise et du financement pour accélérer l’exploration. En cas de succès, cette prise de participation peut être transférée, selon des modalités bien codifiées, à des entreprises japonaises du style Sumitomo, Mitsubishi ou Hitachi. Cela marche très bien.

En France et en Europe, il y a un manque de volonté politique sur les questions de matières premières.

Qu’attendons-nous pour le faire en Europe ? Il y a peut-être une amorce avec la Rohstoffallianz, bien que l’esprit soit purement privé. À mon avis, il y a un vrai sujet, mais cela nous ramène à la question d’une politique européenne des matières premières et aux limites juridiques qu’il y a aujourd’hui.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. Je veux revenir en un mot sur ce que vous avez dit tout à l’heure à propos de la crise du palladium en Russie.

Je dirais même, sous une forme humoristique, « qu’il est doux de faire du trading lorsqu’on veut connaître exactement ce qui se passe dans un marché ». Vous avez dit que la crise du palladium était liée directement à la Russie. Sans vous faire offense, c’est totalement inexact, parce qu’à l’époque, nous faisions énormément de trading et la crise du palladium était liée très directement à des prises de position de banques japonaises et anglo-saxonnes sur le marché du TOCOM (Tokyo Commodity Exchange). Et pas du tout à une pénurie organisée par la Russie.

J’en veux pour simple preuve que les traders japonais que j’ai rencontrés à Dubaï m’ont annoncé que les règles du TOCOM allaient changer dès le lundi suivant. Et les règles ont changé. La bulle s’est totalement dégonflée. Et la Russie, ou les producteurs russes n’avaient absolument rien à voir là-dedans.

Je rejoins exactement ce que vous venez de dire, Monsieur Christmann, à propos des prises de participation. Les sociétés qui prennent des participations, notamment au Japon, sont des sociétés de négoce. Elles connaissent leur marché. Elles font de l’intelligence économique. Ce ne sont pas des excroissances de l’État, en tout cas, à l’exception de l’exemple que vous avez indiqué. Elles ont peut-être des fonds importants mais surtout, elles agissent parce qu’elles ont derrière elles une filière qui est demandeuse.

Je me souviens avoir discuté pendant deux heures avec un fabricant d’automobiles de luxe allemand et de l’avoir convaincu de faire des contrats stratégiques avec une entreprise minière que je représentais à l’époque. Avec des sociétés d’automobiles françaises, au bout de dix ans, nous n’avions toujours pas réussi. C’est donc vraiment une différence de mentalité.

Je ne dis pas que les entreprises françaises étaient plus mal loties que les autres. Mais l’aspect stratégique des métaux est, au départ, vraiment une question de mentalité. Et cette mentalité vous fait créer des outils. Les sociétés de négoce sont des outils, une « armée avancée », des « éclaireurs » des filières industrielles. Elles vont prendre les risques pour prendre des participations dans des mines, pour assurer une indépendance énergétique, métallique ou parfois agricole à certains pays, comme cela existe dans le monde. Et grâce à ces outils, les mentalités peuvent changer. Je regrette qu’en France nous n’en ayons pas.

M. Elbert Loois, Rohstoffallianz GmbH. À Rohstoffallianz, nous avons imaginé des solutions possibles à ce problème. Le Japon, qui prend des positions dans des projets, a aussi un budget extraordinaire qui est à comparer avec ceux des autres pays pour faire des investissements dans les phases de développement des projets et pour l’exploration.

Cela n’existe pas en Allemagne. Il y a des petits budgets pour faire des joint-ventures, il y a des projets de partenariats, dans les premières phases de développement. Mais c’est avec un budget par projet d’un ou deux millions d’euros, et ce n’est pas la même chose que le pouvoir économique japonais. Ce n’est vraiment pas comparable.

En Allemagne, il y a, certes, un support des entreprises et un support gouvernemental dans les phases d’exploration. Mais cela ne suffit pas pour faire bouger une chaîne de valeur dans une entreprise et pour développer l’indépendance vis-à-vis des joueurs internationaux comme la Chine et le Japon.

M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas. Je crois qu’il y a une différence entre le Japon, l’Allemagne et les États-Unis, si je prends cela comme simple exemple, pour juste traduire ce qui s’est passé pendant cette crise des terres rares.

Le Japon a réagi, principalement, par le biais d’une action gouvernementale en utilisant JOGMEC et par des investissements particuliers qui ont été faits dans la recherche (il ne s’agit pas uniquement de Lynas) et par des installations de capacités en aidant des acteurs, notamment au Vietnam.

L’Allemagne a rassemblé tous ses acteurs industriels – les solutions industrielles sont en général préférées –qui ont la capacité, la volonté et surtout la rapidité de mettre des moyens en place, de mettre des ressources et des gens compétents pour essayer de trouver une solution. Et l’État reste observateur. Il n’est acteur que si cette solution n’a pas fonctionné. Je viendrai sur des exemples précis puisque dans le cas des terres rares, c’est le fruit d’une industrie et non pas simplement d’un acteur industriel.

Aux États-Unis, la réflexion a impliqué les militaires, ce que j’ai vu en 2011 en Australie, les discussions portant sur l’armement, parce que le problème était, bien entendu, la protection ou la sécurité nationale des États-Unis, et non pas simplement celui des terres rares pour les voitures.

Cela s’est traduit par un inventaire et par des stocks stratégiques. On parle de quelques dizaines de tonnes – je ne pourrai pas en donner davantage sur les données – et non pas de milliers de tonnes. Ces stocks sont financés en partie par le département de la défense américain (qui dispose, à cette fin, d’un budget de 6 à 7 milliards de dollars) pour sécuriser les dix à vingt ans à venir.

M. Jack Testard, président, Variscan Mines. Je voulais apporter un complément sur la recherche des financements.

Dans la recherche, la sécurité de celui qui finance la recherche, cela s’appelle un brevet. Pour l’explorateur, cela s’appelle un titre minier. Avoir un titre minier d’exploration est donc l’équivalent du brevet. Il faut donc ne pas mettre cela en cause. C’est très important et j’aimerais que, dans le nouveau code minier, on prenne en compte ce genre de réflexion ou de certitude.

Je dois dire que la profession est quelque peu inquiète. Pouvons-nous savoir si la mise en concurrence, par exemple, va se substituer au brevet ? Si le droit de suite entre demande d’exploration et d’exploitation va se poursuivre ? Et si la consultation du public sera proportionnée aux travaux réels effectués ? Ce sont les trois points qui sont absolument cruciaux pour nous et qui sont absolument cruciaux pour tous les investisseurs qui prennent le risque de l’exploration.

Une société comme Variscan, en moins de cinq ans, a déjà investi 5 millions d’euros sur le territoire métropolitain. Elle espère avoir un minimum de visibilité dans l’avenir pour continuer à travailler. Et si elle réussit, d’autres pourront venir.

M. Patrick Hetzel. Notre déplacement récent en Scandinavie nous a permis de voir, grâce à un échange avec des entreprises juniors, que la question que vous évoquez est cruciale. Il en est de même pour la question de l’ensemble de la sécurisation d’une filière. Nous voyons bien qu’elle ne se pose pas simplement dans l’exploitation minière mais aussi dans la possibilité d’avoir des acteurs avec lesquels nous pouvons travailler, peut-être en Europe.

M. Philippe Schulz, expert leader Environnement, énergie et matières premières stratégiques, Renault. Je représente autour de cette table un industriel consommateur de matières premières, mais très en aval dans la chaîne. Nous sommes régulièrement interpellés sur nos timidités supposées concernant les options de sécurisation.

Ce que je peux dire simplement, c’est qu’il n’y a aucune timidité. Beaucoup d’actions de sécurisation sont mises en place, y compris en accompagnant certains de nos fournisseurs à travers des actions de sécurisation de matières premières primaires, donc auprès d’acteurs miniers dans certains cas. Ce sont des actions que nous menons mais qui ne sont évidemment pas publiques.

Ces actions-là ne sont pas classiques mais elles existent, y compris chez Renault. Et nous l’avons fait notamment dans le cas du lithium quand nous avons démarré le sujet de la batterie du véhicule électrique.

Donc, nous ne nous interdisons aucun moyen de financement et nous savons pertinemment qu’il faudra que les industries aval accompagnent les investissements qui seront faits sur les gisements de matières à travers des contrats.

M. Maurice Leroy, professeur émérite à l'École européenne de chimie, polymères et matériaux de Strasbourg, membre associé de l'Académie nationale de pharmacie. On a parlé de « risque image », de mines, de responsabilité environnementale.

« Prendre des participations dans une mine à l’extérieur, cela veut-il dire qu’on est en train de faire une exportation de ses déchets ? ». C’est aussi une façon de voir les choses. Ce n’est pas très gentil mais c’est une possibilité.

Et la question est : « Comment va-t-on développer ? ». Si, évidemment, on arrive avec un grand drapeau avec l’éthique, on va immédiatement nous opposer qu’il y a la Chine, qu’il y a l’Inde, qu’il y a la Russie. Donc, la vraie question est : « Comment va-t-on établir un véritable code ? Et dans quelle mesure va-t-on s’interdire de participer à certaines aventures minières dans le monde ? ».

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet. Vous abordez un point extrêmement crucial. Lorsqu’on est partenaire dans des pays autres que la métropole et l’Europe, un des objectifs des industriels est de faire valoir les standards et les normes que nous mettons en œuvre chez nous.

De ce point de vue, si on peut contribuer à tirer vers le haut les exploitations qui sont faites ailleurs, nous le faisons très volontiers. Je vous rejoins tout à fait sur le fait que, de par la géologie – parce qu’évidemment les gisements ne se trouvent pas uniformément distribués – il y a un certain nombre d’ateliers du monde qui sont dispersés sur la planète. Et je me souviens très bien, pour avoir beaucoup suivi les négociations sur le CO2, qu’à un moment c’était le leitmotiv de la Chine. Elle disait : « Mais attendez, le CO2, on le produit pour qui ? On l’émet pour qui ? ». Il y a effectivement cette problématique. Je crois qu’il y a quand même une prise de conscience et c’est la bonne nouvelle.

Il y a une prise de conscience dans de nombreuses régions sur les normes et les standards. Les financements internationaux qui sont mis en place, notamment par la Banque mondiale, ont des exigences très strictes dans ce domaine. Les initiatives, soit internationales comme l’initiative que suit de très près le ministère des affaires étrangères, qui est l’initiative sur la transparence des industries extractives, contribuent aussi à homogénéiser un peu les acteurs.

Je crois qu’il faut continuer. Mais effectivement, ce n’est pas encore gagné.

M. Patrice Christmann. Je voudrais rebondir sur la question de M. Leroy et sur le commentaire de M. Corbier.

Il y a un nombre croissant d’entreprises minières et métallurgiques qui, à travers le monde, opèrent selon des normes de responsabilité sociale et environnementale, de gouvernance, de plus en plus élevées. Je voudrais ici faire allusion à la Global Reporting Initiative – j’ai déjà mentionné ce nom – qui est une ONG basée en Hollande et qui a développé, depuis une quinzaine d’années, des lignes directrices pour le reporting social et environnemental des entreprises.

Il existe des lignes directrices adaptées à l’industrie minière et métallurgique. Elles sont utilisées aujourd’hui par environ cent-soixante sociétés minières et métallurgiques à travers le monde, dont quelques-unes des principales que je connais. Cela représente aujourd’hui, de mémoire, 60 ou 70 % de la production mondiale de cuivre, qui vient de sociétés qui font cet effort de publication de leurs performances sociales et environnementales.

Elles rendent publiques par exemple leurs émissions de CO2, d’oxyde de soufre, d’oxyde d’azote ou de particules. Cela va dans le sens d’une transparence et d’une gouvernance accrue.

Quand on regarde la liste de ces entreprises, à peu près 160 pour l’année 2013, il n’y en a aucune chinoise. Une question en découle : « Comment fait-on aujourd’hui pour récompenser, encourager les entreprises qui font des efforts ? ». Je ne dis pas que nous vivons dans un monde de Bisounours, mais il y a manifestement des entreprises qui font des efforts, qui vont vers plus de transparence, plus de gouvernance, plus de responsabilité et d’autres qui ne le font pas.

Or les marchés traitent les produits de ces entreprises exactement de la même façon. Cela est complètement irréaliste, infaisable, insoutenable dans une optique de développement durable. Moi, je n’interdis pas à la production d’un pays quelconque de venir sur nos marchés, mais il est temps qu’on y mette de l’éthique, de la gouvernance, de la transparence. Sinon nous sommes morts, nous tous en Europe.

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links. Comme le dit M. Leroy, est-ce que ce n’est pas, finalement, une stratégie d’exportation de déchets que d’aller se lancer dans une aventure minière ?

Je me pose la question face à ceux qui disent qu’il n’y a pas de stratégie française et européenne depuis un certain nombre de décennies en matière minière. Est-ce qu’au contraire il n’y a pas une stratégie depuis trente ou quarante ans d’exportation de déchets ?

Puisqu’après tout, Molycorp a cessé d’exister parce qu’on n’était pas prêt à assumer le dumping social et environnemental chinois. Donc, n’a-t-on finalement pas délocalisé la pollution ?

II. QUEL PEUT ÊTRE L’APPORT DE CERTAINES FORMULES DE CONTRATS, DE FINANCEMENT ET DE RECHERCHE ?

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Je vous propose que l’on aborde maintenant certaines formules de contrats de financement et de recherche à partir de deux approches : celle de M. Michel Cathelineau et celle de M. Elbert Loois.

Je vous propose que l’on démarre par un exposé de la stratégie allemande. Cela vous permettra, Monsieur Cathelineau, de réagir, eu égard de cette stratégie allemande, sur ce que l’on peut envisager pour la France.

Cela nous permettra ensuite d’ouvrir sur la question chinoise puisque, que nous le voulions ou non, finalement il y a une « ombre chinoise » dès que l’on parle évidemment de terres rares et de métaux stratégiques.

M. Elbert Loois, Rohstoffallianz GmbH. Je voudrais témoigner de quelques idées et d’actions développées par Rohstoffallianz dans ce contexte international.

L’affirmation de ces idées est la suivante. Afin de soutenir la diversification de la scène de l’approvisionnement en terres rares, et de sécuriser celle-ci, les principaux acteurs du marché et les utilisateurs finaux pourraient s’engager davantage dans des coopérations stratégiques avec les différents acteurs du marché.

Cela devrait passer tout au long de la chaîne des valeurs, de la production de la mine au produit fini. Bien qu’en Allemagne il existe des supports gouvernementaux pour le financement de la recherche spécifique et le développement des projets dans le cadre des terres rares, il y a besoin d’un alignement de l’action internationale pour la diversification des chaînes de valeur en Europe.

Afin de limiter les risques liés aux investissements dans les projets de production, hors Chine, les stades de recherche et développement inclus, une solution possible est – et c’est le résultat de groupes de travail et de rencontres dans un contexte européen – de mettre en place une alliance européenne des matières premières. C’est ce qui se fait déjà au niveau national, par exemple, en Allemagne, avec la Rohstoffallianz, qui coordonne les initiatives communes, soit privées, soit en partenariats publics privés.

Cette alliance pourrait regrouper les intérêts communs et négocier des contrats d’acquisitions à long terme avec des conditions claires et stables. En Chine, il y a un marché qui n’est pas clair et stable. Il est déterminé par une politique très courte. Si la stratégie de la Chine n’est pas à court terme, les possibilités pour le reste du monde ne sont pas à très long terme.

Deuxièmement, on pourrait mettre en place un fonds européen de matières premières stratégiques qui investirait en amont afin de limiter les risques liés aux projets et soutenir le développement d’une chaîne d’approvisionnements diversifiés pour les matériaux stratégiques. De tels efforts devraient particulièrement se concentrer sur le renforcement et le développement des activités liées aux terres rares, ainsi qu’au développement de centres de compétences en Europe, dont plusieurs sont ici représentés à cette table ronde, avec des partenariats internationaux, comme par exemple dans le cadre d’une coopération franco-allemande spécifique.

M. Patrick Hetzel. Je passe la parole à M. Michel Cathelineau pour la perspective française par rapport à cette politique allemande.

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21. Nous sommes relativement admiratifs de la politique allemande. Nous avons vu éclore, par exemple avec le Central Molst Freiberg, beaucoup de moyens concentrés sur un même centre, avec une politique très volontariste pour aller sur l’ensemble des processus, notamment de traitement des minerais, mais en allant de la prospection jusqu’au traitement et le cycle du métal.

Évidemment, nous n’avons pas d’équivalent en France, mis à part le Labex dont j’ai mentionné l’existence précédemment, et dont la durée de vie est encore de quelques années seulement, puisque les Labex, a priori, ne devraient pas être renouvelés.

La recherche en France – on le sait – est relativement complexe parce qu’elle est partagée entre l’académie, l’université, le CNRS et toutes sortes d’EPST ou d’EPIC. Actuellement, il n’y a pas véritablement de stratégie commune. Or il y a véritablement la place pour l’équivalent de ce que l’on trouve dans le domaine de l’énergie avec le nucléaire, comme les programmes organisés par la Mission interdisciplinaire pour la recherche du CNRS. Nous n’avons pas d’équivalent en tout cas sur les ressources minérales.

Il y a certainement la place pour un projet multi-organismes et transdisciplinaire sur les matières premières minérales en France. Pour cela, il faut essentiellement s’organiser. Il y a des moyens qui sont un peu dispersés. Une des difficultés est que les laboratoires de recherche ont peu de tribunes. La première chose, c’est qu’il n’y a pas d’alliance qui concerne véritablement les matières premières minérales.

En revanche, il y a l’alliance sur l’énergie, il y a Ancre, il y a AllEnvi, qui traite des aspects environnementaux, mais globalement, tout ce qui concerne les matières premières, minérales, s’y retrouve peu. Nous voyons en fait que ces alliances ont peu de poids sur l’ANR puisque, comme je l’ai mentionné précédemment, mis à part un appel d’offres étendu l’année dernière, il n’y a pratiquement jamais eu d’appel d’offres de l’Agence nationale de la recherche sur les matières premières minérales.

Je pense qu’il y a véritablement un travail à faire de concertation multi-organismes, c’est-à-dire entre les organismes publics de recherche, les EPIC, pour développer de nouveaux programmes.

DÉBAT

M. Dominique Guyonnet, BRGM. Bien entendu, je partage ce constat de l’absence de recherche sur les ressources minérales financée par l’ANR.

À chaque fois que j’ai eu l’occasion d’en parler au directeur adjoint de l’ANR, sa réponse était : « Oui, mais nous n’avons pas de demandes venant de l’industrie sur ces thématiques ». Et donc, dans la liste des personnes à mettre autour de la table pour faire émerger ce projet, il n’y a pas que des organismes de recherche. Il y a aussi les industriels.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Je souscris entièrement à ce que dit Michel Cathelineau. Je voudrais juste pour forcer un peu le trait, souligner l’existence de deux documents du gouvernement allemand.

Le premier est un document de stratégie et de politique des matières premières avec l’Aigle allemand portant l’indication « Chancellerie de la République allemande ». Je ne connais pas l’équivalent en France. C’est un document d’orientation politique. On peut certes vivre sans, mais ce type de texte a quand même le mérite d’énoncer un certain nombre de grands principes et de montrer que le gouvernement allemand est conscient des problèmes et y accorde une priorité.

Le second est un document de soixante pages qui est la stratégie de recherche allemande dans le domaine des matières premières pour les technologies innovantes. Ce document remarquable existe même en français. Le gouvernement allemand a fait l’effort de le traduire dans plusieurs langues, la première ayant été le français. Je serai très fier d’être citoyen français quand je verrai le même document sous l’effigie Marianne, car je pense – et cela rejoint ce que dit Michel Cathelineau – que le sujet est majeur pour notre pays et pour notre économie et pour l’avenir de nos enfants.

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Il en est de même en Scandinavie. En Suède, un document définit d’abord, de manière générale, la stratégie suédoise en matière minière. Et puis un deuxième document plus spécifique, qui nous a été transmis là aussi – pas dans la langue de Molière mais dans celle de Shakespeare – indique clairement quelles sont les orientations qui sont données aux organismes de recherche en liaison avec l’industrie.

Effectivement, il y a un certain nombre de pays européens en l’occurrence qui sont allés dans cette direction. On ne peut que déplorer ce manque du côté français.

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, MEDDE. Dans le projet de loi sur le code minier on a bien prévu les éléments qui expriment une politique des matières premières, mais celle-ci reste encore à construire, et il faudra se doter de moyens. Je signale aussi que dans la loi sur la transition énergétique, il y a aussi une demande de la part du Parlement d’un rapport sur l’anticipation des besoins, si mes souvenirs sont exacts, afin de protéger notre économie.

Ce sont bien des préoccupations qui sont en train d’émerger. C’est bien de passer les commandes, il faut aussi que nous ayons les moyens de répondre à ce type de commandes, ce dont je ne suis pas convaincu aujourd’hui.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. En Allemagne, il y a du bon et du mauvais. Il y a certainement du bon en ce sens que l’Allemagne utilise du charbon pour son énergie et, donc, a des mines.

En France, nous utilisons du nucléaire et nous n’avons pas de mines d’uranium. On pourrait peut-être en avoir mais nous n’en avons pas. C’est donc quand même une grande différence entre la France et l’Allemagne. Là-bas, il y a un savoir-faire qui est encore utilisé.

Les Allemands ont certainement un intérêt à développer cette industrie et toute la réflexion qui l’accompagne. Je fais ensuite le parallèle avec ce que disaient tout à l’heure Jacques Testard et Rémi Galin. En France, nous sommes en train de relancer l’exploration. C’est le premier pas. Il ne faut pas brûler les étapes, ce serait tout à fait inutile. C’est le premier pas, nous relançons l’exploration.

Dans l’exploration, qui est donc le premier pas et qu’il ne faut pas manquer, le principal problème est l’acceptation du public. En France, le seul trou que nous avons le droit de faire, c’est un trou sur la plage l’été. C’est tout. On ne peut pas faire une mine en France, on ne peut pas faire une galerie, car aujourd’hui, sur le plan des mentalités, c’est quasiment impossible.

L’idée est donc de changer les mentalités en démontrant que c’est possible. En cela, Monsieur le Député, Madame la Sénatrice, votre rôle est essentiel. Vous êtes les représentants de la nation et c’est à vous, et non aux industriels, de véhiculer vers la nation que ce sont des industries qui peuvent être bénéfiques pour la France. Et là, nous avons un vrai déficit.

Lorsque c’est une société exploratrice, composée de quelques employés, qui doit le faire toute seule, c’est quand même très compliqué.

M. Patrick Hetzel. Nous y sommes d’autant plus sensibles que vous aurez noté que nous sommes, pour l’une originaire du Nord et pour l’autre de l’Est. Ce sont des territoires où il y a cette culture, même si le passé un peu plus récent était un peu moins glorieux. Mais je pense qu’il faut savoir y revenir.

M. Elbert Loois, Rohstoffallianz GmbH. Il y a le même type de discours en Allemagne aussi. Mais l’Allemagne a choisi, parce que les marchés ont beaucoup évolué, de mettre l’accent sur certaines technologies du futur en ouvrant une discussion et en menant une enquête parmi les participants industriels.

Avec cette enquête, le focus sur dix technologies principales et les priorités sont maintenant très claires. On a analysé quels matériaux stratégiques sont importants pour cette technologie du futur, qui est aussi pour les marchés du futur. Ne pas le faire n’est plus possible. Il faut développer une acceptabilité plus grande dans le public, et c’est possible quand on fait un focus très prégnant.

Nous ne pouvons pas commencer à développer des mines sans savoir pourquoi nous le souhaitons et pourquoi nous voulons développer et préparer les chaînes de valeur en le faisant mieux. Pour être très clair, il faut dire aussi que le gouvernement est conscient de l’importance de ce marché du futur qui se base sur des technologies du futur qui sont actuellement recherchées et développées. Il faut aussi comprendre quels matériaux stratégiques peuvent être très importants pour sécuriser ce futur marché.

C’est une chose que nous voulons explorer par une discussion internationale. Et cette discussion internationale a déjà commencé en échangeant notre liste des matériaux stratégiques et des technologies stratégiques avec le COMES. C’était le premier pas qui est fait depuis un mois. Et cette discussion peut être continuée.

Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice Entreprises et économie internationale, ministère des affaires étrangères et du développement international. Plusieurs personnes se sont exprimées pour appeler de leurs vœux un document cadre, une alliance, une politique, enfin quelque chose de très fort, ce qui en réalité revenait à dire qu’il faudrait trouver un moyen d’expliquer que nous voulons soutenir la mine et les métiers de la mine.

Il me semble que l’une des façons de procéder serait de montrer que les métiers de la mine vont bien au-delà du petit nombre d’entreprises ou de métiers qui sont représentés autour de cette table. Les métiers de la mine, aujourd’hui, cela va de la téléphonie du G4, du déploiement du G4, jusqu’au traitement des eaux en passant par les apports en énergie qu’il faut pour mettre en exploitation une mine.

Ce sont des centaines de milliers d’emplois, et ce sont des emplois qui ont une grande capacité de développement à l’export pour peu qu’on les organise et qu’on leur donne une forme de bannière, de symbole, qui leur permettent de se projeter à l’export. De la même façon que les métiers du pétrole et le secteur parapétrolier se sont organisés.

Pardon de revenir à ces considérations, qui sont quand même aussi les miennes, qui sont notre capacité aussi à développer une activité en France qui puisse se projeter à l’export. Nous avons intérêt à souligner que ces métiers sont d’une très grande empreinte, sont des métiers extrêmement innovants en France, sur lesquels nous gagnons des marchés dans le monde entier. Nous avons intérêt à valoriser cet aspect aussi. Nous nous efforçons, en ce moment même, de travailler sur la fédération de ces métiers de la mine.

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21. Je voulais revenir sur deux aspects qui me semblaient être des interprétations un peu erronées de la situation.

La sensibilisation de l’opinion publique ne repose pas que sur le politique. Je pense que cela part des laboratoires de recherche. Nous avons une mission d’éducation des jeunes jusqu’à l’opinion publique. C’est typiquement le cas dans les missions des Labex, et je pense que c’est extrêmement important. C’est aussi dans les missions des industriels. C’est donc un effort absolument collectif et non pas uniquement un effort des seuls politiques.

Si on veut réussir effectivement à faire passer le message que nous avons besoin de ré-exploiter certaines mines, ce sera par un effort collectif. Nous avons déjà vu ce type d’alliance en tout cas dans le domaine du nucléaire, et je pense qu’il faut s’en inspirer fortement.

La deuxième interprétation, qui me semble un peu erronée parce que nous n’avons pas de mines actuellement exploitées – les mines n’ont fermé qu’il y a à peine une dizaine d’années en France – est de dire que nous ne saurions plus faire. C’est entièrement faux, puisque nous avons actuellement deux grands acteurs miniers que sont Eramet et Areva, qui exploitent des mines partout dans le monde. Donc, tout ce savoir existe avec des géologues qui sont français, voire étrangers s’ils sont recrutés par Areva.

Ce savoir-faire existe donc mais, par contre, effectivement, il faut s’en servir pour éventuellement le réintégrer à une exploitation, par exemple sur le territoire national. Et puis, les savoir-faire existent dans tous les domaines. Je rejoins tout à fait l’intervention précédente à propos de programmes transdisciplinaires. On va de la géologie jusqu’à l’éco-toxicologie, et on ne peut pas envisager l’exploitation d’une mine si nous n’avons pas entièrement couvert à la fois les aspects scientifiques et technologiques, mais aussi les aspects économiques et les aspects sociaux. Les programmes doivent impliquer des économistes et des SHS.

C’est l’ensemble de la communauté qui doit être mobilisée. Or c’est pour cela que nous ne trouvons pas actuellement vraiment la place pour un discours dans ce sens. Tout est extrêmement cloisonné, notamment en France, entre organismes mais aussi entre alliances. La solution est donc celle d’un programme très transverse.

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet. Je voulais apporter un petit complément sur l’acceptabilité sociale. Il faut, à la fois, traiter l’attractivité des métiers de la mine et de l’exploration en disant qu’il faut les relancer sur le territoire national et, en même temps, la pénurie et la sécurité des approvisionnements.

Le consommateur moyen en France, qui est la personne qui va effectivement, après, contester les implantations minières, n’a actuellement aucun problème d’approvisionnement. Il n’a aucun problème de pénurie. Comme, à chaque fois qu’il retourne son équipement, il est écrit « Made in China », il peut se dire : « Pourquoi va-t-on faire une mine en France ou même en Europe si je ne mets que deux jours pour acheter un équipement qui est produit en Chine ? »

Je voulais juste souligner ce paradoxe entre le besoin de convaincre qu’il faut faire des choses sur le territoire métropolitain et plus largement en Europe et en même temps cette espèce de facilité du consommateur qui est de dire, après tout : « C’est mondial et, donc, je n’ai aucun problème d’approvisionnement. »

M. Jack Testard, president, Variscan Mines. Je voulais aussi rappeler que dans tous ces métiers, il y a une notion qu’il ne faut surtout pas oublier : le temps. Comme je suis géologue, je sais que le temps c’est quelques millions d’années, ou quelques centaines de millions d’années.

Mais il est évident que les actions d’aujourd’hui n’auront un sens très souvent que dans cinq, dix ou quinze ans. Donc, attention, selon l’endroit où on se place dans la chaîne, dans les filières, la notion de temps n’est absolument pas la même, et c’est bien cela qu’il faut gérer, aussi bien dans l’information du public que dans notre stratégie industrielle.

M. Christian Thomas, Terra Nova. Pour avoir travaillé dans les mines, il y a fort longtemps, une quinzaine d’années, je sais que l’industrie minière en France a en grande partie disparu. Il n’y a plus de fabricants de machines minières. La culture minière a disparu. Vous n’avez plus aujourd’hui, dans les régions, d’endroits où on connaît la mine. Vous parliez du Nord, vous parliez de la Lorraine, c’est fini, c’est du passé. Dans les Cévennes, il y a eu des mines. C’est terminé, c’est du passé aussi.

Revenir, vingt ans après, à cette implantation minière va donc demander effectivement un effort considérable. Les jeunes ne veulent plus aller dans la mine. C’est fini. Ce n’est plus une ambition, ce n’est plus un rêve. Je crois que c’est vraiment du domaine du passé. Il existe de la mine en Nouvelle-Calédonie, il existe de la mine à l’étranger, dans laquelle on peut aller travailler. Mais très fondamentalement, ce que nous avons perdu en France, cela va être très difficile à reconstruire.

Et il faut beaucoup de temps. Le délai d’exploration qui était donné est très long.

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Simplement une remarque par rapport à ce que vous dites, Monsieur Thomas. La visite d’une mine d’or en Finlande nous a prouvé l’utilité et l’efficacité des efforts notoires de formation, alors que la culture minière était perdue dans ce pays, comme en France, depuis deux décennies.

M. Patrice Christmann. Sur l’aspect formation, je pense qu’il y a un enjeu qui est vraiment la sensibilisation du citoyen, depuis le plus jeune âge, aux questions des ressources naturelles, d’usages et de gestion durable des ressources naturelles, y compris les matières premières minérales.

Pour revenir à la suggestion de Mme Romatet-Espagne, je préférerais qu’on parle des métiers des matières premières minérales plutôt que des métiers de la mine, parce qu’il ne faut pas oublier la métallurgie, ni la science des matériaux. Et il faut faire travailler ensemble ces mondes.

On est dans un contexte où il faut casser les silos. Il ne faut donc pas simplement regarder la partie extraction, qui est très importante, mais aussi la transformation, la métallurgie et la science des matériaux.

Quelle est la solution du problème ? Si vous me permettez de la montrer, elle est là, dans ma main : c’est une pièce d’un euro. Je pense que si chaque citoyen français vivant était amené à mettre un euro de ses impôts – et personnellement j’ai trois enfants et je vais les compter même s’ils sont grands ainsi que mon épouse, ce qui fait cinq français, et je suis prêt à payer cinq ans d’avance, ce qui fait 25 euros, et je suis même prêt à les mettre sur la table tout de suite – cela ferait 60 millions d’euros par an, et si on mettait 60 millions d’euros par an sur la formation, sur la recherche, sur la connaissance de notre sous-sol, nous franchirions déjà une première étape dans la bonne direction. Ma question est donc : « Est-ce que les questions d’emploi, les questions d’avenir industriel, de compétitivité, valent un euro par an ou non ? » À chacun d’entre vous de répondre.

M. Patrick Hetzel. Voilà une autre manière d’amener l’éclairage sur l’investissement et le rôle potentiel de l’État.

Pour terminer la table ronde, nous avions prévu aussi d’évoquer la situation chinoise. Je vous propose que nous prenions la question différemment par rapport à ce que nous avions initialement envisagé. Je vais d’abord passer la parole à M. Guillaume Pitron pour qu’il nous dise si, à son avis, il peut y avoir d’autres partenaires que la Chine. Puis on poursuivra la discussion.

III. QUELLE ÉVOLUTION DE LA CHINE PEUT-ON PRÉVOIR ?

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links. De fait, oui, il peut y avoir d’autres partenaires parce qu’il y a trente-cinq pays dans le monde qui ont annoncé avoir des réserves de terres rares.

Ce qui fait évoluer l’offre de la Chine, c’est aussi sa demande intérieure. Aujourd’hui, la Chine réorganise son business model, avec moins d’exportations, moins d’appels à des investissements directs étrangers, en recentrant de son économie sur sa consommation intérieure. Et c’est forcément un facteur d’évolution très fort de l’offre de terres rares.

La question n’est pas de savoir si nous aurons accès à des terres rares, à des oxydes ou à des minerais. Nous aurons toujours accès à des terres rares, mais sous quelle forme ? Nous aurons accès à des terres rares mais sous des formes plus ou moins évoluées, sous forme d’aimants ou sous forme de produits finis.

Et pour ce qui est de l’accès à d’autres ressources chinoises, je constate en réalité que pas grand-chose ne change, qu’il soit question de mettre en place des quotas ou pas. La Chine continue de rester, et probablement a envie de rester, maîtresse de l’offre en nous rendant plus difficile l’accès, viable économiquement, à des ressources hors de Chine.

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Monsieur Éric Noyrez, vous connaissez bien les relations avec la Chine, mais aussi les positions respectives du Japon, de l’Allemagne et des États-Unis. En raison des éminentes fonctions que vous avez pu exercer, cela nous intéresse d’avoir votre regard.

M. Éric Noyrez, ancien président de Lynas. Si je prends simplement le cas de la Chine, ses objectifs sont de soutenir sa croissance. Je pense que je n’apprends rien à personne mais il faut quand même se rendre compte que ce sont quinze ou seize millions de voitures qui ont été produites l’année dernière pour son propre marché intérieur – et je ne parle pas des téléphones, des énergies renouvelables et autres. Soutenir sa croissance reste la ligne directrice de la Chine.

La Chine est confrontée, comme tous les autres pays, aux fameuses analyses de risques, qu’ils soient politiques, économiques, technologiques, sociétaux, légaux, environnementaux, avec éventuellement des échelles de temps qui sont bien plus rapides que tout ce que l’on a pu faire jusqu’à présent.

Elle veut donc rendre sa production durable. Lorsque la Chine, du point de vue du gouvernement, décide de créer six acteurs (« un plus cinq ») pour concentrer sa production, pour la rendre plus propre, elle est très sérieuse. Elle ne va peut-être pas assez vite, mais elle va certainement beaucoup plus vite que tout ce qu’on a pu faire dans l’histoire d’extraction minière dans nos pays.

En 2004, je recensais dans une société bien française que nous avions une short list, une liste courte, de fournisseurs qui présentait six-cents noms. Trois ans après, il y en avait cent-cinquante et deux ans plus tard, il n’y en avait plus que cinquante. La concentration a démarré il y a déjà fort longtemps. La volonté d’apurer, de nettoyer cette chaîne, bien entendu, est réelle, même si elle n’est pas assez rapide.

La Chine veut clairement s’intégrer sur toute la chaîne. Elle a besoin de technologies. Je ne vois pas très bien comment nous pourrions contester son souhait de développer sa propre technologie. On peut éventuellement ne pas aller assez vite soi-même, mais c’est autre chose. Elle veut s’intégrer sur toute la chaîne et, donc, absolument investir sur l’extraction des terres rares et sur tout ce qui va se développer à partir de l’extraction, c’est-à-dire tout ce qui est avant le produit fini : toute la chaîne de production des métaux, des alliages, des sous-ensembles qui vont ensuite se transformer en écrans, en voitures et autres.

Je parlais de compétence. Il y a 4 000 à 5 000 doctorats qui sont labellisés « terres rares » par an. On peut discuter si ce sont 3 000 ou 6 000, ce n’est vraiment pas très important, mais c’est quand même une volonté de développer de la compétence dans un domaine où la Chine est déjà compétente. Je ne suis pas sûr que nous ayons ce même effort dans nos propres pays pour pouvoir tenir cette connaissance, voire la retrouver.

Enfin, pour terminer sur les besoins, finalement sur les actions concrètes de la Chine : ce pays investit et veut sécuriser ses besoins sur son propre terrain et, évidemment, à l’étranger. Sa tentative de reprise de Lynas en 2009, ainsi que ses 46 % de la société Northern Minerals le montre. Elle investit sur des gisements terres rares lourdes. On vient de parler du Groenland. Il y a d’autres projets en Afrique du Sud où la Chine investit pour sécuriser ses besoins futurs, dans des mines et des gisements de terres rares.

Le moyen pour y parvenir, ce sont bien sûr les acteurs, mais aussi le gouvernement lui-même. Le gouvernement est actif. Tous les six mois, il y a un ajustement, une modification des règles qui régissent ces terres rares pour essayer de s’adapter à la situation. Le Gouvernement est souvent réactif. Tous les six mois, cela permet de bien corriger, d’un point de vue fiscal, d’un point de vue des regroupements, le comportement des acteurs et d’empêcher certains acteurs de bouger dans une zone ou dans la technologie. Les laboratoires de développement des terres rares en Chine sont souvent des laboratoires d’État, indépendants des fournisseurs.

En réaction, le Japon a investi, soutenu, pris des contrats d’enlèvement, voire subventionné de la recherche y compris en amont. L’Allemagne, avec des acteurs comme BASF ou Siemens, crée des relations contractuelles. La France, en 2004, s’est rendu compte, mais pour d’autres raisons, que la qualité du sourcing des terres rares de Chine était un vrai problème. Et c’est en mai 2005 que les premiers accords d’intention – et en 2007, les accords finaux – se sont faits entre une société qui s’appelait à l’époque Rhodia et une nouvelle société qui s’appelait Lynas.

Donc, la France aussi a été capable, en son temps, à travers ses acteurs de dire : « Je vais avoir besoin de sécuriser mes besoins futurs, et pas les moindres, hors de Chine puisque j’ai des activités aussi hors de Chine ». Ces accords ont été publiés, donc ils sont connus. Mais il y a eu quand même des réactions qui ont été faites par un certain nombre d’acteurs.

M. Patrick Hetzel. Monsieur Christmann, comment voyez-vous l’approche globale industrielle de la filière en Chine ?

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Je pense que les choses ont déjà été dites et très bien dites par M. Noyrez. Je rajouterai simplement que je vois dans l’évolution de la Chine une intégration verticale.

De plus, la Chine est confrontée à une problématique majeure qui est celle des limites que lui impose son environnement naturel : ses problèmes de pollution, son problèmes de ressources en eau, ses problèmes de terres fertiles. Cela amène la Chine à devenir un acteur majeur des marchés internationaux. L’avenir minier de la Chine ne sera probablement pas tellement en Chine qu’à l’étranger. On voit que la Chine cherche à investir dans un certain nombre de projets potentiels pour terres rares à l’étranger. Ce sera de plus en plus le cas dans beaucoup de projets de matières premières minérales. Elle sera un acteur absolument majeur et incontournable de l’industrie minière métallurgique mondiale des années à venir.

Notre positionnement en tant qu’Européens dans ce contexte reste pour moi une grande question et un grand mystère. Je serais bref pour une fois.

M. Patrick Hetzel. Monsieur Christian Hocquard, pourriez-vous commenter l’évolution de la position chinoise ?

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. Ce qui est intéressant, c’est de voir la vitesse de réaction de la Chine lorsqu’il y a des évolutions sur les marchés, en particulier dans le cas des terres rares.

Il faut étudier sa réaction à sa condamnation par l’OMC, sa réaction à toute cette production artisanale et ces exportations illégales qui sont absolument considérables puisqu’elles dépassent même les quotas totaux d’exportation de la Chine. Et puis sa réaction à l’ouverture de nouvelles exploitations de terres rares hors de Chine.

La condamnation par l’OMC était une condamnation des taxes chinoises à l’exportation qui introduisaient une distorsion discriminatoire en donnant un avantage déloyal aux consommateurs locaux de terres rares. La Chine a supprimé ses quotas d’exportation, le 1er janvier, et ses taxes à l’exportation le 2 mai. Mais aussitôt, elle a remplacé ces quotas et taxes à l’exportation par de nouveaux quotas et de nouvelles taxes, mais cette fois sur la production.

Il y a donc maintenant des quotas sur la production, qui vont évoluer tous les six mois. Ils sont à 50 000 tonnes pour les six premiers mois de l’année. Et puis il y a de nouvelles taxes sur la production qui concernent, cette fois-ci, les concentrés miniers, avec une forte disparité entre les terres rares légères et les terres rares lourdes. Les concentrés miniers en terres rares légères contenus vont être imposés à 11,5 % et les concentrés en terres rares lourdes à 27 %. Il va falloir attendre pour en connaître les conséquences. Le prix des terres rares devrait augmenter quand même dans un relatif court terme à la suite de l’augmentation des coûts de production locaux.

Si l’on examine la consolidation de la production, on constate qu’il y a deux grands pôles avec six producteurs. Vers le Nord, pour les terres rares légères, c’est autour de Baotou et c’est ficelé. Mais en revanche, pour le Sud, il reste encore cinq grands producteurs avec des grands noms comme Minmetals, Chinalco ou Wuyuan Runze Rare Earth et, à mon avis, la consolidation est encore loin d’être faite. Pour les petites mines artisanales qui alimentent le marché illégal, aux alentours de 40 000 tonnes par an quand même, ce qui est énorme, il y a encore 1 500 petites exploitations à éradiquer.

Il y a encore beaucoup de travail à faire. On parle depuis longtemps de la consolidation. Cela fait à peu près quinze ans et c’est récurrent. Mais cette fois-ci, il semble que les choses soient beaucoup plus avancées. Et puis, ce qui est intéressant, c’est la volonté chinoise de mettre la main sur des gisements hors de Chine. Nous avons eu le cas avec Lynas, avec le blocage en 2009. Et puis il y a la participation dans le grand gisement de Kvanefjeld, au Groenland. C’est un gisement assez considérable, à la fois en uranium et en terres rares, qui nécessiterait un investissement qui dépasserait 1,3 milliard de dollars. C’est vraiment un projet pharaonique. Aura-t-il lieu ? Nous n’en savons rien.

Ce qui est assez intéressant, c’est que normalement, les concentrés, dans une première étude, devaient être envoyés en Chine pour être traités en Chine. Mais aujourd’hui, la société chinoise concernée envisage de construire l’usine de séparation et de purification au Groenland même, à proximité de l’exploitation minière. La situation évolue donc.

Nous avons aussi l’exemple intéressant d’une société chinoise qui a pris une participation dans le projet Tantalus, à Madagascar, où Thyssenkrupp est également partenaire avec Anotech. Nous voyons que malgré sa condamnation par l’OMC, la Chine a réussi donc à conserver le contrôle de sa chaîne d’approvisionnement des terres rares, tout en cherchant à l’étendre et à la consolider beaucoup plus loin au niveau mondial.

On a vécu, il y a longtemps, des situations similaires sur le contrôle complet de la Chine sur le tungstène, dans les années 1980. Cela avait « coulé » complètement toutes les exploitations de tungstène mondiales malgré des mines tout à fait intéressantes et relativement riches, en mettant sur le marché des produits de tungstène de plus en plus évolués et de moins en moins chers. On arrivait presque à un paradoxe que le produit évolué valait presque moins cher que le concentré minier.

Ce qui est aussi intéressant, c’est que la Chine consomme de plus en plus de terres rares. Ainsi, si elle limite maintenant sa production de terres rares sur son territoire – il ne faut pas oublier qu’elle en consomme déjà 70 %, avec une croissance de 6 % par an –, elle n’aura normalement plus de terres rares à exporter d’ici 2025-2030.

C’est en cela qu’il est absolument fondamental de s’intéresser à l’ouverture de gisements et de suivre de près ce qui se passe autour de Molycorp actuellement et de Lynas.

M. Patrick Hetzel. Merci beaucoup pour cet éclairage. Vous avez pu le noter, la matinée a été dense. Vu l’heure avancée, puisqu’il est déjà 13h15, je vous propose de clore cette matinée d’échange. Nous aurons l’occasion de poursuivre les débats à partir de 15 heures puisqu’il y a encore deux autres tables rondes. L’une porte sur la question du cycle de vie et l’autre sur la question des rôles respectifs possibles de la puissance publique et des industriels.

TROISIÈME TABLE RONDE :
L’INTÉRÊT D’UNE APPROCHE BASÉE SUR LE CYCLE DE VIE

Présidence de Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur de l’OPECST

I. QUEL EST L’INTÉRÊT DE PRENDRE EN COMPTE LE CYCLE DE VIE DES PRODUITS UTILISANT CES MATIÈRES PREMIÈRES ?

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Nous allons aborder cette troisième table ronde. Il s’agit d’évoquer la manière dont notre société pourrait être organisée différemment, si l’on tient compte davantage du cycle de vie des produits qu’elle fabrique et qu’elle utilise, depuis leur conception jusqu’à leur recyclage.

Nous avons compris que le recyclage, l’écoconception et la recherche de produits de substitution se posent en termes identiques pour les terres rares et pour les matériaux stratégiques et critiques.

On a appris, par exemple, que le recyclage des téléphones portables pouvait être techniquement réalisable, mais qu’il est rendu compliqué par l’utilisation notamment de colles et de résines dans leur fabrication, qui rendent le retraitement beaucoup trop complexe à ce stade.

Il y a bien une autre manière de concevoir les produits à imaginer. Nous estimons qu’elle pourrait être possible en réfléchissant dès le départ à la manière dont ce même produit pourrait être recyclé.

Dans cette table ronde, grâce à vos interventions, nous souhaiterions trouver les réponses aux quelques questions suivantes :

- est-ce que les industriels sont prêts à raisonner en termes d’approche globale d’écoconception et d’analyse du cycle de vie du puits à la roue ?

- quelles sont les conséquences de cette approche en matière de recherche ?

- comment estimez-vous que l’on peut optimiser le recyclage, notamment grâce à la participation de la population à la collecte ?

- dispose-t-on aujourd’hui de techniques efficaces et économiquement rentables pour développer le recyclage des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques ?

Je vais demander à M. Alain Geldron, de l’Ademe, s’il peut nous évoquer les diverses étapes de la fabrication du produit.

M. Alain Geldron, expert national matières premières, Ademe, direction Consommation durable et déchets (DCDD). Effectivement, les étapes de la fabrication des produits, cela commence d’abord par la conception. C’est l’élément essentiel et je ne dirai pas que tout se passe là, mais l’essentiel se passe à ce niveau-là. Ce que l’on peut constater aujourd’hui, c’est que pour l’essentiel des produits et des biens qui sont distribués, la question du contenu en matières stratégiques n’est que rarement prise en compte.

Il y a des fabricants de composants qui intègrent bien cette question parce que c’est une matière première essentielle pour leur produit, mais pour l’essentiel, il n’y a pas de prise en compte. Pour un certain nombre de produits, il n’y a pas de conception en France, ce qui peut rendre délicate une orientation politique

Or on peut avoir une conception à plusieurs niveaux. M. Schulz, qui l’a évoqué ce matin, parlait de six à sept niveaux. On a des fournisseurs de rang 1, 2 ou 3, on commence par fabriquer des composants, on fabrique ensuite une carte électronique, on l’intègre dans un boîtier et ensuite on va l’assembler. Il y a déjà là quatre niveaux potentiels.

Le COMES s’est posé la question de savoir comment on pouvait agir sur l’écoconception, au regard de la diminution de la prise en compte des métaux stratégiques et aussi en termes de recyclage. On a donc mis en place un sous-groupe de travail qui continue ses travaux et ses auditions.

D’après les premiers éléments, on peut dire que chez la plupart des fabricants, il n’y a pas de connaissance des métaux stratégiques qui sont contenus dans leurs produits. La Fédération des industries électriques et électroniques nous l’a notamment confirmé. C’est totalement inconnu dans les PME, sauf pour quelques métaux qui sont les minerais de conflit dont on commence à se préoccuper pour répondre aux demandes d’ordre éthique.

On peut constater aussi que l’écoconception rejoint l’analyse du cycle de vie et l’inventaire du cycle de vie. Or on a très peu d’informations sur les inventaires de cycles de vie concernant ces métaux et sur leurs impacts environnementaux, d’autant que souvent, ceux-ci restent assez faibles.

À l’Ademe, on se préoccupe bien sûr de cette question puisque l’on développe une politique autour des énergies renouvelables et de la maîtrise de l’énergie. Ce sont des secteurs qui sont fort consommateurs.

La question de la recyclabilité est peu abordée dans les conceptions aujourd’hui, sauf dans le domaine de l’automobile, puisque c’est le seul produit qui, pour être mis sur le marché, doit prouver sa recyclabilité.

Dans les outils que l’on peut essayer d’envisager, il y a la directive Écoconception et Écodesign que la Commission européenne est en train de compléter, de réviser et qui peut être un élément pour introduire la question des métaux stratégiques.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Christian Hocquard, pouvez-vous nous informer sur les étapes de la transformation des terres rares depuis la mine jusqu’au concentré, en passant par leur séparation et leur purification ?

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. J’aborderai cette question moins d’un point de vue environnemental que d’un point de vue technologique de la filière terres rares, de la mine jusqu’à sa commercialisation.

L’un des problèmes est que le mineur de terres rares ne dispose pas de place de marché pour commercialiser ses concentrés. Contrairement aux métaux de base (cuivre, zinc, etc.) où il y a des places de marchés où l’on peut vendre ses concentrés sans problème, si la junior veut espérer commercialiser ses terres rares, elle doit impérativement construire une usine métallurgique, ce qui est un enjeu particulièrement capitalistique.

Or il faut savoir que tous les projets miniers de terres rares sont faits par des juniors d’exploration, qui ne disposent non seulement pas de cash, mais en plus, n’ont que des capacités financières limitées. Compte tenu des cours actuels, pouvoir faire face à des investissements de plusieurs centaines de millions de dollars entraîne des blocages très importants.

On a parlé de la solution du contrat offtake ce matin, qu’il soit passé avec un industriel consommateur (on a vu ThyssenKrupp pour le projet Tantalus à Madagascar), un négociant (il y a Toyota Tsusho pour les voitures électriques, les Prius, etc.) voire un organisme d’État (comme Korea Resources ou la JOGMEC dont on a également parlé ce matin). Le contrat offtake est un contrat qui normalement accorde un financement contre l’enlèvement de tout ou partie de la production. Le financement survient à une étape relativement précoce du développement du projet.

Cela signifie qu’aujourd’hui, la junior qui doit chercher un projet doit avoir un client impérativement avant même d’envisager l’exploitation minière et les difficultés techniques géologiques minières. Ensuite, viennent les difficultés à la fois économiques et environnementales. Et la question de la qualité du produit final. À quoi sert-il d’avoir des terres rares légères si elles sont déjà en surcapacité partout ? L’important est d’avoir un ratio « terres rares lourdes »/« terres rares légères » important et d’avoir des terres rares lourdes qui peuvent justifier l’économie du projet, de pouvoir répondre aux contraintes environnementales qui sont non seulement liées à l’acceptabilité sociale et locale du projet, mais aussi à la présence quasi systématique de radioactivité à travers le thorium et l’uranium.

Cet enjeu est considérable, non pas au niveau du minier, mais cette fois-ci au niveau de l’usine d’enrichissement. On sait qu’il y a des produits de type terres rares qui sont plus ou moins riches en thorium. On a interdit en France à l’époque le traitement des monazites pour passer sur des produits beaucoup moins polluants, où la pollution restait sur place au niveau du projet minier. On sait que c’est très difficile à gérer. On l’a vu avec la NAAS et avec tous les problèmes qui ont été relevés par M. Pitron. Ce problème environnemental fait partie des terres rares. Il est très difficilement dissociable. Il y a de très rares minerais qui sont peu radioactifs. Ce sont les minerais qui sont déjà latéritisés, où la radioactivité est partie avec l’altération climatique.

On voit apparaître, et c’est très curieux au point de vue environnemental, de nouveaux types de traitements potentiels, qui sont à l’étape de la recherche. J’en ai identifié sept. Pour le moment, le problème est que ce sont des traitements qui sont au niveau du laboratoire et qui sont donc confidentiels. Est-ce que ce sont des black box ? On n’arrive pas à le savoir. Évidemment, tant que les brevets ne sont pas déposés, le procédé étant confidentiel, il est impossible de se faire un avis. Mais il y a beaucoup de monde qui travaille dessus. En ce moment, il y a au moins sept procédés différents qui sont identifiés. Lequel se concrétisera ? C’est assez difficile à anticiper, mais c’est la preuve que les choses bougent et dans le bon sens.

On sait que l’on a pléthore de gisements potentiels de terres rares identifiés. Il y en a plus de quatre cents. Mais on sait aussi qu’il y en aura seulement une poignée qui aura la capacité effective produire des terres rares. Il y a beaucoup trop de terres rares légères. En revanche, il y a très peu de terres rares lourdes. On les compte sur les doigts de la main. C’est là que réside le véritable enjeu : trouver des projets à terre rare lourde.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Cathelineau, on imagine bien, à ce stade, l’importance de la recherche scientifique, notamment pour participer à la prise en compte de l’ensemble du cycle des métaux.

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21. Si l’on prend le cycle global, je considère qu’il y a trois cycles :

- le cycle naturel, c’est-à-dire que l’on va concentrer (par des facteurs 100 à 10 000) les terres rares pour aller d’une roche source à un gisement. Après, ce gisement va avoir sa propre vie. Arrivé en subsurface, on va avoir une dispersion des éléments métalliques. C’est important, car il s’agit de l’état zéro avant toute exploitation. Typiquement, ce que nous demandent actuellement beaucoup d’industriels, c’est de définir l’état zéro, parce que leur problème est de ne pas laver plus blanc que blanc. Contrairement à beaucoup de normes qui sont extrêmement restrictives, à l’état naturel, que ce soit l’uranium, le thorium ou les terres rares, il y a des concentrations naturelles qui sont spécifiques à chaque lithologie, c’est-à-dire à chaque type de roche ;

- le cycle de l’exploitation. Sur site industriel, il y a tout le raffinement des technologies de séparation. On a peu parlé de la covalorisation jusqu’à présent, mais la plupart des gisements sont exploités uniquement pour une substance. Bien souvent, le problème est que rien n’est fait pour stocker pour les générations futures les éléments associés qui pourraient très bien être utiles dans le futur, à la suite du développement de nouvelles technologies ou de nouveaux besoins. Si l’on prend le spectre des terres rares, les terres rares ont des comportements chimiques pratiquement équivalents. On ne peut donc pas trouver une seule terre rare car il n’y a pas un gisement de terre rare légère, de lanthane seulement ou de dysprosium. En général, on a des minéraux qui possèdent l’essentiel du spectre des terres rares, mais avec des concentrations variables, avec des fractionnements qui vont être enrichis en terres rares légères, moyennes ou lourdes. Je pense donc que l’avenir est surtout à la covalorisation, y compris celle d’éléments associés qui peuvent être dépénalisants, comme l’uranium et le thorium. On peut imaginer à la limite que les coûts de réhabilitation ou que les coûts de covalorisation soient pris en charge par la valorisation d’éléments supplémentaires ;

- le cycle du produit manufacturé jusqu’au recyclage, qui inclut la collecte (qui a beaucoup de problèmes, c’est là que les progrès sont à faire), le traitement et le recyclage des éléments chimiques. On peut mentionner, tout comme pour un certain nombre de minerais, le développement de l’hydrométallurgie ou de la bio-hydrométallurgie. Je pense que c’est un processus absolument clé. Il y a des projets portés par CEA Tech et PROMETIA ainsi que des initiatives universitaires, y compris en Lorraine. Je pense qu’il faut absolument développer ces approches hydro-métallurgiques qui peuvent amener à la covalorisation.

Pour ce qui est de notre position par rapport à l’Europe, en recherche ou en enseignement, je pense que l’on est en retard. De nouveau, si l’on prend les formations universitaires, par exemple à Aachen, il y a déjà des Master qui sont entièrement dédiés au cycle de vie. Les jeunes y apprennent ce qu’est une mine, mais ils vont aussi jusqu’à l’exploitation, le recyclage et le cycle de vie du point de vue économique ou des SHS. Je pense que ce type de formation devrait être valorisé dans le futur, tout comme les projets de recherche.

J’ai déjà insisté ce matin sur le fait qu’il fallait aborder les processus de manière globale, c’est-à-dire que l’on ne peut pas exploiter une mine si elle n’est pas économique ou si elle est polluante. Il y a donc à développer la recherche à tous niveaux pour exploiter au mieux, préserver la durabilité d’exploitation et, surtout, ne pas perdre les éléments associés, comme je le disais pour la covalorisation.

Mme Delphine Bataille. Je vais passer la parole à M. Étienne Bouyer, qui va évoquer les possibilités de substitution liées à des technologies de rupture.

M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme nouvelles technologies de l'énergie. Effectivement, lors de la conception des objets, des composants, des matériaux, on peut s’attaquer au problème à la racine, en essayant de substituer ou de remplacer complètement les métaux critiques dont on a besoin. J’allais dire que c’est « l’approche rêvée », sur le papier. Dans la réalité, c’est un peu plus compliqué, sachant que les métaux critiques que l’on cherche à substituer sont souvent utilisés parce qu’ils ont des propriétés intrinsèques qui sont vraiment dues à leur structure intime. C’est donc relativement long et compliqué de trouver des substituts. Et dès lors que l’on en trouve, il faut gagner aussi en maturité pour qu’ils puissent pénétrer le domaine industriel.

Dans beaucoup de laboratoires, il y a beaucoup de développements sur des substituts. Il y en a moins qui aboutissent sur le marché, parce qu’il y a un effet naturel d’entonnoir qui est inhérent à la recherche et au développement. Il y a surtout un problème : on n’a pas forcément toujours un effort dans la durée. Je parle d’un effort, notamment financier, pour supporter la R&D liée à cette substitution. Heureusement, on est relativement bien soutenus au niveau de l’Europe, via les programmes-cadres. On a connu la FP7, on connaît Horizon 2020 actuellement. On l’est un peu moins à l’échelle nationale.

Je souhaite citer un exemple qui me semble illustratif dans le domaine de la substitution : celui des piles à combustible. Je rappelle que les piles à combustible sont un système de conversion électrochimique qui convertit de l’énergie chimique en énergie électrique, et ça d’une manière assez propre, puisque l’on n’a pas d’émission de gaz à effet de serre. Pour que cette réaction électrochimique opère, on a besoin d’un catalyseur, qui en l’occurrence se trouve être du platine. On peut donc développer différentes stratégies, je vais en citer trois :

- la première, c’est le degré zéro de la substitution, c’est-à-dire que l’on va faire une minimisation ou une substitution partielle. On peut naturellement travailler sur du platine, mais on va chercher à en diminuer la teneur dans une pile à combustible. On a là différentes stratégies. Ce matin, on a parlé des nanotechnologies. On peut mettre le platine, non plus sous forme de nanoparticules, mais sous forme de nanotubes. On peut également faire ce que l’on appelle des « cœurs-coquilles », tout cela pour minimiser la teneur en platine et essayer d’exalter le rapport surface/volume, ce que l’on cherche dans le cadre des catalyseurs. On peut également développer des alliages où l’on va retirer un peu de platine et compenser par d’autres métaux moins nobles et plus disponibles ;

- la deuxième stratégie, qui est vraiment en rupture, est le remplacement total. On s’appuie là sur des approches qui peuvent être originales, comme la chimie bio-inspirée. On regarde ce qu’il se passe dans le vivant. Typiquement, il y a des hydrogénases, enzymes qui peuvent décomposer de l’hydrogène et aussi le recombiner. Charge à nous, à nos chimistes, à nos biologistes. C’est un effort de faire travailler des gens ensemble, qui n’ont pas forcément l’habitude de travailler ensemble, pour justement créer de nouveaux composants ;

- la troisième voie, c’est plutôt une substitution non pas matière par matière, substance par substance, mais substance par système. J’ai parlé de la pile à combustible basse température, qui a besoin de platine pour fonctionner. On peut, et c’est ce que l’on fait aussi, développer des piles dites « à haute température », qui fonctionnent à haute température et n’ont plus besoin de catalyseur.

On a donc plusieurs atouts dans notre manche, pour pouvoir réaliser la substitution.

En termes de conclusion, je dirai que pour tout ce qui est substitution, il faut travailler dans la durée pour pouvoir développer des solutions durables.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. J’ai remarqué que, autant les industriels qui fabriquent ou utilisent ces métaux connaissent les métaux qu’ils travaillent, autant les consommateurs et les clients de ces entreprises qui transforment ces métaux sont ignorants des métaux qu’ils achètent ou qu’ils consomment.

Quand j’étais plus jeune, j’étais officier sur un sous-marin nucléaire. À l’époque, il était absolument indispensable que tous les officiers du bord connaissent parfaitement les métaux qui composaient le bateau et les métaux qui étaient dans les réacteurs, les torpilles ou autres. Pourquoi ? Parce que leurs vies en dépendaient. Aujourd’hui, les consommateurs comme les industriels n’ont pas à savoir quels sont les métaux qu’ils utilisent ou qu’ils consomment, parce que justement leur vie n’en dépend pas. Par conséquent, il faut que l’on arrive à les éduquer. La meilleure façon que j’ai imaginée pour les éduquer est liée au recyclage.

En Europe, le recyclage est en général normatif. Il faut recycler ses piles, les ramener au supermarché. Il faut recycler le pot catalytique, si on en a toujours un sur sa voiture et le ramener chez Speedy ou autre. C’est donc normatif. Aux États-Unis, lorsque vous êtes amené à recycler votre pot catalytique, vous le revendez. Ce n’est pas un système de consigne, vous êtes amené à le revendre. Par conséquent, vous vous intéressez à ce qu’il y a dedans, parce que vous allez toucher 100, 200, 300 dollars au fur et à mesure que vous allez le revendre.

Ne faisons-nous pas fausse route en France ou en Europe, en voulant normer les choses par la loi, en faisant de l’écoconception, en faisant du recyclage normatif ? Ne devrions-nous pas, de temps en temps laisser l’économie, donc le marché, jouer le jeu jusque chez le consommateur, de façon à ce que, plutôt que de ramener une pile au supermarché (qui est un geste citoyen bien entendu, mais c’est un geste normatif), il puisse être remboursé d’une partie du coût de l’objet ? Je ne sais pas du tout d’ailleurs comment cela pourrait fonctionner. La seule chose que je puisse dire, c’est que lorsque j’étais aux États-Unis, j’ai vu des gens ramener des pots catalytiques dans des décharges et les gens touchaient 100, 200 dollars en cash. Cela ne fonctionnait pas si mal puisqu’ils ont un taux de récupération de pots qui est largement supérieur à l’Europe.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Jack Testard, pouvez-vous nous expliquer en quoi le passage d’une production mono-métal à la recherche de gisements polymétalliques peut avoir une influence sur l’intérêt d’une approche basée sur le cycle de vie ?

M. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières. Comme vous l’a indiqué ce matin M. Thomas, la plupart des métaux stratégiques, enfin ceux que l’on considère comme des métaux stratégiques et souvent les petits métaux, sont en général des sous-produits dans des gisements principaux. Cela veut dire que même si une mine de zinc ou de cuivre ne présente pas un niveau d’intérêt mondial, elle peut représenter un intérêt stratégique pour nous. C’est quelque chose qu’il faut prendre en compte, surtout si elle contient des substances comme l’indium, le germanium ou le gallium par exemple, en quantités suffisantes.

Cela signifie aussi que la notion de « gisement monométallique » dans la substance principale est absolument insuffisante et qu’il faut la remplacer par celle de « gisement polymétallique » avec valorisation de la totalité des substances. Les conséquences en sont que l’intérêt du producteur de minerai, donc de celui qui exploite, est directement lié à celui de l’industrie de première transformation ou de séparation des métaux. Cela est particulièrement vrai pour les « métaux connexes », ceux qui effraient beaucoup de gens un peu partout, qui sont les métaux que l’on n’arrive pas à lister parce que la liste est trop longue.

Cela veut dire également qu’il y a des actions à mener. Ces actions vont être d’abord de se mettre d’accord avec les fondeurs. C’est quelque chose qui a existé pendant de nombreuses années, avec des accords qui étaient souvent annuels, et qui ont tendance maintenant à se faire au cas par cas alors qu’il faudrait peut-être avoir une stratégie globale de discussion entre les fondeurs et les producteurs.

Cela signifie aussi, et cela a été évoqué tout à l’heure par M. Cathelineau, d’avoir une gestion des déchets de mines qui soit adaptée. Je vais vous citer un exemple que j’ai bien connu, celui d’une mine de cuivre qui s’appelait Kilembe, qui a été exploitée il y a cinquante ans à peu près. À cette époque, les mineurs ont su mettre de côté ce que l’on appelait les « terrils enrichis en cobalt », qui sont devenus ensuite un gisement. L’identification et la gestion de ces déchets temporaires dans le temps sont des choses qu’il faut absolument conserver.

Avant, il y avait des mots comme « substance fatale », « substance pénalisante ». Il faut peut-être envisager cette question d’une manière différente maintenant et la prendre en compte dès la découverte du gisement, les premiers essais de traitement et leur résultat. C’est cela qui va permettre de savoir s’il y a des éléments qui seront valorisables ou non par la suite et des éléments secondaires.

Récupérer les substances essentielles implique la prise en compte très précoce des études de concentration, de teneur et de granulométrie, des exemples assez techniques. Tout cela, ce sont des choses que l’on sait déjà très bien faire mais qu’il faut généraliser, ceci pour le bénéfice de nos industriels en aval. Cela se fait déjà, comme on vous l’a dit ce matin, pour l’indium et le germanium par exemple.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Christophe Petit, vous allez évoquer, en ce qui vous concerne, la complexité du processus d’extraction des éléments de valeur de ces terres rares ou de ces matières critiques et stratégiques.

M. Christophe Petit, Eramet. Je voudrais vous parler de cette dimension du temps. Pensons à cet événement majeur qu’a été l’atterrissage de Solar Impulse. À partir de ce type d’événement et de prouesse technologique qui fait l’actualité, on peut se demander combien de temps il a fallu pour en arriver là. On pourrait parler plus récemment encore des prestations au Bourget de l’A350, de l’A380, du Rafale, qui sont des avions sur lesquels il y a de nombreux développements technologiques. Il est intéressant de remonter l’histoire et de voir qu’il a fallu faire intervenir des métiers très différents. Si justement on reprenait le vocabulaire de tout à l’heure, non pas en parlant des « métiers de la mine » mais finalement plus des « métiers des matières premières et de la transformation », on voit que pour arriver jusqu’à ces prouesses technologiques, il a fallu faire de la géo-métallurgie, de l’exploitation minière, de la métallurgie d’élaboration, de transformation, soit une foultitude de métiers. Il a fallu aussi faire appel à des compétences de recherche très différentes.

On doit aussi beaucoup parler, et je pense qu’on ne l’a pas assez évoqué, de la notion de technologie/ingénierie qui est fondamentale dans tous ces développements et sans laquelle ils ne seraient pas possibles. On a évoqué aussi d’autres métiers apparemment beaucoup plus éloignés. Quand on parle de finance ou de trading, on voit l’impact majeur que cela a sur nos métiers. Tout cela représente une complexité très importante et qui va prendre beaucoup de temps. Quand on voit la vie d’un projet – l’aéronautique utilise souvent la notion de TRL – Technology readiness Level (niveau de maturité technologique) –, on voit que toutes ces étapes vont là encore se succéder de manière très méthodique pour arriver à la fin à une réalisation.

Je souhaiterais juste conclure sur cette dimension du temps, en soulignant le défi qui est devant nous de concilier des horizons qui sont complètement différents. M. Mortaigne parlait ce matin d’un horizon de cinquante ans dans le domaine de l’armement. Peu d’industries sont capables aujourd’hui de s’accommoder de telles durées. Quand on va vouloir concilier un temps de développement global très long, facilement dix, vingt ans et parfois plus, avec des marchés très évolutifs (on a pu voir toute la discussion sur les terres rares qui nous occupe depuis ce matin), le concilier avec des exigences environnementales et sociétales de plus en plus importantes, il faut le concilier avec une dimension capitalistique extrêmement importante (construire une mine, exploiter une usine métallurgique, ce sont des investissements très importants) et le concilier enfin avec une dimension d’investissement qui demande justement des retours de plus en plus courts, on voit que l’on arrive aujourd’hui à une équation qui est absolument impossible à résoudre. Pourtant, il va bien falloir la résoudre parce que nous continuerons d’avoir besoin de ces nouveaux matériaux et de ces nouveaux développements technologiques. Nous avons, je pense, du travail devant nous.

II. QUEL PEUT ÊTRE L’APPORT DU RECYCLAGE ? QUE FAUT-IL FAIRE POUR L’ORGANISER DE MANIÈRE OPTIMALE ? LA PROBLÉMATIQUE DU RECYCLAGE

A. LA PROBLÉMATIQUE DU RECYCLAGE

Mme Delphine Bataille, sénatrice rapporteur. On voit bien que, dans un contexte d’augmentation très forte de la consommation, le recyclage a néanmoins une efficacité marginale. On peut aussi raisonner non pas seulement en termes de recyclage, mais en termes de diminution de la consommation.

Pour autant, il y a lieu de veiller à ce que ce recyclage puisse être organisé de manière optimale. Monsieur Christmann, pouvez-vous nous évoquer quels sont les bénéfices environnementaux du recyclage ?

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Je voudrais commencer en attirant votre attention sur un certain nombre d’études sur le recyclage des métaux, notamment des métaux rares. Il y a l’excellent travail réalisé par Bio Intelligence Service pour l’Ademe en 2010, qui fait le point sur la situation française du recyclage des métaux rares. C’est un document tout à fait remarquable. Dans le cadre du Panel international pour les ressources des Nations unies, dont j’ai le plaisir de faire partie, nous avons publié deux rapports en anglais. Le premier donne un état de la situation du recyclage de soixante métaux à travers le monde, donc une sorte de moyenne, et montre que l’on recycle aujourd’hui moins de 1 % en moyenne de la plupart des métaux rares et critiques dont les terres rares.

J’ai entendu que sur les aimants permanents, il y avait aussi des progrès rapides. Je sais que Rhodia a aussi beaucoup innové et travaillé sur le recyclage des poudres luminophores, de l’europium et du terbium. Mais, en moyenne, on recycle très peu les métaux rares et critiques. Il y a des raisons à cela, que je vais rapidement aborder.

Pour commencer, le bénéfice du recyclage des métaux est largement environnemental, parce qu’il faut beaucoup moins d’énergie en moyenne pour produire une tonne de métal recyclé par rapport à la production de métal primaire. L’exemple le plus classique étant l’aluminium où, je crois, on économise 90 % d’énergie en recyclant l’aluminium à partir de canettes de boisson, plutôt que de l’extraire à partir de la bauxite.

Mettre en décharge ou incinérer des produits qui contiennent toutes sortes de métaux, est une mauvaise idée parce qu’il y a des risques importants de dissémination de ces métaux dans le sous-sol, dans les eaux souterraines ou dans l’air, si l’on parle d’une incinération qui ne serait pas équipée d’un système de récupération des métaux à partir des fumées d’usines d’incinération.

Il y a des bénéfices bien réels. Il y a aussi un bénéfice à économiser de la ressource primaire, mais c’est peut-être l’argument le plus faible. Je vais prendre l’exemple du cuivre. Aujourd’hui, on sait très bien recycler le cuivre métal. Il se recycle à 100 % et il n’y a pas d’obstacle technologique à le recycler. Cependant, le taux de cuivre recyclé dans la consommation mondiale annuelle de cuivre est d’environ 15 %. Pourquoi ? Tout simplement parce que le cuivre est un de ces métaux à temps de résidence long dans l’économie. C’est-à-dire que le stock de cuivre potentiellement recyclable en 2015 est, en fait, le stock de cuivre qui a été produit il y a quarante ou cinquante ans parce que, pendant quarante ou cinquante ans, ce cuivre était sous forme de fil, de caténaires, de plaques de toits ou d’autres usages. Il faut donc attendre très longtemps avant que ce stock de métal soit effectivement disponible pour être recyclé.

La morale de l’histoire, c’est qu’en termes de consommation de ressources dans une économie mondiale avec une démographie croissante, dans une économie mondiale avec des styles de vie qui à l’échelle mondiale vont vers une intensité de consommation de ressources naturelles de plus en plus grande, y compris la consommation de métaux, le recyclage ne fait que décaler un peu la demande en métaux primaires. Il ne faut malheureusement pas attendre du recyclage qu’il soit une sorte de panacée pour le grand appétit mondial pour des métaux et des minéraux. Quels que soient les progrès que l’on peut et doit faire en matière de recyclage, il va falloir continuer à produire des quantités phénoménales de métaux primaires, sauf à changer de style de vie, sauf à éco-concevoir des produits et faire en sorte que l’on ait des téléphones, des voitures ou des maisons qui consomment moins de ressources minérales. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Thomas, sur cette question de la problématique du recyclage, je crois que vous devez nous parler plus précisément du cas du tantale, du cobalt et de l’indium, notamment en ce qui concerne la question des cartes électroniques. Ensuite, non pas avec votre casquette Terra Nova mais avec celle de président du pôle de compétitivité Team 2, vous évoquerez les projets labellisés.

M. Christian Thomas, Terra Nova et Team 2. Je vais vous parler des cartes électroniques. Le volume de D3E (déchets d’équipements électriques et électroniques) produit dans le monde est estimé aujourd’hui à 43 millions de tonnes. Les estimations que nous avons de ce qui est collecté et recyclé dans le monde, c’est environ 10 millions de tonnes, dont 3 millions au sein de l’Union européenne, à peu près autant en Chine et le reste entre les États-Unis, le Japon et les autres pays du monde.

Sur deux des 3E, on va sortir les cartes électroniques. Je vais faire un petit focus sur les cartes électroniques. On produit environ 2 millions de tonnes de cartes électroniques par an. Il s’agit de la production de cartes électroniques qui sont intégrées dans tous les appareils que l’on utilise, les sèche-cheveux, les téléviseurs, les téléphones portables, etc. On en recycle et on en extrait aujourd’hui environ 500 000 tonnes. Cela veut dire que le taux de recyclage est grosso modo aujourd’hui de 25 % par rapport à la mise en marché, pour donner un chiffre à peu près global. Il y a des progrès qui sont visibles d’année en année.

Que fait-on des cartes électroniques ? D’abord, une carte électronique contient beaucoup de métaux : de l’or, du palladium, de l’argent, du cuivre, du tantale, du chrome, etc. Il faut savoir que dans une carte électronique pauvre, on a plus de dix grammes d’or par tonne. Dans une carte riche, on a un kilo par tonne. Il faut comparer ces chiffres avec les minerais qui sont exploités à ciel ouvert en Afrique de l’ouest, qui sont autour de 0,7 gramme par tonne. Cela montre que nous sommes là en face d’une matière première extrêmement riche parce qu’elle contient non seulement de l’or mais aussi d’autres métaux.

Les acteurs qui, aujourd’hui, extraient les métaux de ces cartes sont en nombre assez faible. Il y a seulement neuf usines exactement dans le monde capables de le faire. Et puis il y a des bricolages qui se font dans des arrière-cours avec de l’acide. On sort un peu les métaux précieux et puis le reste est jeté, brûlé ou perdu. Parmi ces neuf acteurs, on en connaît trois en Europe : Aurubis, Umicore et Boliden. Il y a quatre Japonais et un Coréen. Ce sont des usines de cuivre qui sont des métallurgistes de grand talent capables d’avoir adapté un outil qui n’était pas du tout destiné à traiter ces cartes électroniques pour pouvoir les traiter de façon marginale. L’inconvénient d’avoir une technologie qui n’est pas désignée pour ça, c’est que l’on perd des métaux, notamment le tantale, qui termine dans les scories et qui est perdu. Si l’on fait le point des métaux qui ne sont pas récupérés par ces grandes usines, on va trouver : l’étain, le tantale, l’antimoine.

Le message final, c’est qu’il y a de la place pour avoir des technologies dédiées qui sont capables d’aller chercher ces métaux. Ce sont des technologies de rupture. La France travaille dessus. Nous avons un certain nombre de programmes dans ce domaine pour aller chercher par exemple le tantale, qui est un des minerais de conflit dont on a besoin.

Je voudrais aborder maintenant la recherche et développement. Je préside le pôle de compétitivité Team 2, dont un des axes est consacré aux métaux stratégiques.

Je voudrais donner un aperçu de ce qu’est la recherche dans ce domaine et ses développements. Nous avons labellisé seize projets en quatre ans d’existence. Cela fait environ quatre projets par an, avec une tendance à avoir de plus en plus de projets labellisés qui arrivent. Cela ne signifie pas que l’on couvre la totalité du spectre de ce qui existe, mais on a quand même une petite idée. Il y a une étude récente de l’Ademe qui montre que, sur les dix dernières années, on a quarante-neuf projets qui touchent aux métaux, pas forcément tous stratégiques.

Le nombre de brevets qui ont été déposés en France est en augmentation. Sur la dernière année, on voit quatorze demandes de brevets sur les métaux en général, pas exclusivement, non plus, sur les métaux stratégiques. C’est-à-dire qu’il y a un véritable engouement et une sorte d’augmentation de l’effort de recherche dans ce domaine.

Comme vous le savez, la BPI a lancé le concours mondial de l’innovation. Cela n’a pas reçu un très grand succès : la première phase a qualifié six projets, la deuxième en a retenu un. Ce n’est pas beaucoup. Il y a des travaux qui sont menés au niveau des universités, au niveau académique, mais qui sont très en amont. On a parlé de biolixiviation mais c’est encore très en amont. Il y a beaucoup d’efforts faits en hydrométallurgie sur les liquides supercritiques. On a un panorama qui commence à se dessiner de façon de plus en plus précise sur l’ensemble de l’effort de recherche actuel. Le COMES essaie de clarifier la situation.

« Au fond, qu’est-ce que l’on sait faire ? », « Qu’est-ce que l’on est en train de faire ? » et « Quelles sont les choses que l’on devrait faire et que l’on n’a pas encore imaginé faire ? ».

Il y a des métaux sur lesquels on ne fait aucune recherche. Prenons par exemple l’antimoine, qui est un métal produit essentiellement en Chine et qui sert à faire des retardateurs de flamme. Le premier producteur d’ignifugeant à base d’antimoine est français, c’est la société SICA. Elle a de grosses difficultés pour trouver de l’antimoine. On a bien là une activité qui permet de faire en sorte que les tables sur lesquelles nous sommes ou les revêtements soient ignifugés. Pour ça, il faut de l’antimoine. La ressource en métal est difficile à trouver et le recyclage de l’antimoine n’est pas un sujet qui est aujourd’hui traité par la R&D. C’est un exemple, mais il y en a d’autres.

Mme Delphine Bataille. Je vais me tourner vers M. Loïc Lejay, que je vais présenter rapidement. Vous êtes au ministère de l’écologie et du développement durable. Vous allez évoquer les impacts de la réglementation aussi bien au sujet national qu’européen ainsi que les impacts des contrôles.

M. Loïc Lejay, chargé de mission Développement du recyclage et référent DGPR pour Administration exemplaire, département Politique et gestion des déchets, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE). S’agissant de la notion de « mine urbaine », nous aimons bien rappeler à chaque possibilité d’intervention que l’on pense qu’il y a énormément de travail si l’on parle de « mine urbaine », avec les infrastructures existantes, la consommation, les objets manufacturés, avant d’étendre le sujet aux anciennes décharges de déchets ménagers. Il peut y avoir des décharges d’anciens déchets industriels ou miniers qui peuvent être intéressantes, mais il me paraît intéressant de rappeler que le concept de « mine urbaine » réside surtout dans les objets et dans les infrastructures qui nous entourent, en ville notamment.

En ce qui concerne les atouts de la France en matière de recyclage des déchets, vous l’avez dit, il y a en partie la réglementation sur les installations de traitement de déchets, et notamment de déchets dangereux, où il y a une grande expertise en France sur ces installations depuis 1976. C’est très utile dans le cas qui nous concerne ici, puisque qui dit : « terre rare » dit souvent : « élément de pollution à enlever ». Par exemple, je pense au mercure des lampes à basse consommation. Il y a des terres rares, mais il faut aussi neutraliser le mercure.

En France, nous avons des champions, des entreprises très performantes sur ce domaine, donc on peut importer. On peut imaginer que la France importe, et c’est déjà le cas je suppose pour les lampes à décharge, car on a les infrastructures pour traiter correctement ces produits chez nous.

S’agissant des filières illégales dont on parle souvent, nous avons aussi un dispositif qui se renforce sur le contrôle des transferts transfrontaliers de déchets, avec la création cette année d’une cellule centralisée, d’un service à compétence nationale à Metz, qui va superviser tout ce qui se faisait avant dans les DREAL.

Nous avons aussi une cellule interministérielle sur le contrôle des sites illégaux de traitement de déchets qui s’est mise en place il y a deux ans et que l’on active fréquemment pour des campagnes de contrôle.

Nous avons, en France, un atout assez fort dans la structuration de filière, grâce au mécanisme de la responsabilité élargie du producteur, avec les filières REP, que ce soit sur les déchets électriques, électroniques, sur les piles et accumulateurs et sur les véhicules hors d’usage.

Nous avons des intervenants qui ont, à l’échelle européenne, une taille conséquente par rapport aux éco-organismes qui peuvent exister dans les pays voisins. Du coup, nous avons des appels d’offres qui sont conséquents en termes de massification du gisement. Nous donnons à ces éco-organismes des objectifs quantitatifs génériques. Jusqu’à présent, nous ne sommes pas rentrés dans la détermination d’objectifs terres rares mais cela peut venir. C’est envisageable à moyen et long terme.

Pour conclure, la France est bien placée pour avoir des investissements productifs dans le recyclage des déchets contenant des métaux stratégiques, pour les raisons que je viens d’évoquer. À l’avenir, mon sentiment est que les matériels s’appauvrissent, se miniaturisent et que l’on a une complexification du gisement qui fait que l’on ne pourra plus avoir autant le contraste des déchets à haute valeur marchande de revente, comme les pots catalytiques que M. Julienne a cités tout à l’heure. Cela existe encore aujourd’hui. Il y a des filières illégales de pots catalytiques en France. Mais, je pense que s’agissant des déchets et des équipements électroniques, la miniaturisation fait que l’on a besoin d’allier la dépollution et le recyclage du plastique. Cela n’est pas toujours rentable aujourd’hui, avec celle des métaux. L’approche française de recyclage normatif ne me paraît pas totalement inadaptée dans ce contexte.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Guyonnet, vous allez revenir sur le projet ASTER pour nous parler des enseignements que vous avez pu en tirer, notamment en ce qui concerne l’impact du recyclage du néodyme et du terbium sur l’approvisionnement.

M. Dominique Guyonnet, BRGM. L’un des volets du projet d’analyse des flux et stocks de terres rares réalisé dans le cadre du projet ASTER, était une analyse prospective à l’horizon 2020 de l’approvisionnement et des potentialités de recyclage. L’analyse a été réalisée avec Solvay.

Dès que l’on parle de prospective, on parle forcément d’incertitude. Pour aborder ces incertitudes, nous faisons typiquement des hypothèses. Une des hypothèses était par exemple : « Est-ce qu’à l’horizon 2020, il existera hors Chine un projet minier en production sur les terres rares lourdes ? ». Scénario 1 : oui. Scénario 2 : non. Le scénario 1 considérait que le projet Norra Kärr en Suède serait en production à l’horizon 2020. D’autres hypothèses portaient sur l’efficacité de la collecte sélective, sur la capacité à concentrer ou la capacité à traiter.

Ce que l’on voit, c’est que la part du recyclage dans l’approvisionnement, dans la réponse aux besoins de consommation, dépend complètement de quelle terre rare on parle.

Prenons l’exemple du terbium, qui est une terre rare lourde. Vous avez entendu, ce matin, M. Alain Rollat parler de l’avènement des lampes LED en substitution des lampes à base de luminophores qui contiennent du terbium, de l’europium, de l’yttrium. L’évolution est très rapide. C’est vraiment impressionnant. La part de recyclage peut être importante. On calcule qu’à l’horizon 2020, ce qui sera recyclé pourrait représenter 50 % des besoins d’approvisionnement, parce que ces besoins baissent.

Par contre, sur une terre rare comme le néodyme, qui est essentielle pour les aimants permanents, compte tenu de l’ampleur de leur développement dans le cadre de la transition énergétique, la part du recyclage sera relativement faible. Je dis « relativement », mais cela peut atteindre 10 %, en ordre de grandeur.

Le recyclage est quelque chose d’essentiel qu’il faut développer. La part relative de terre rare sera plus ou moins importante mais il faut continuer à essayer d’améliorer ce recyclage pour réduire les flux de déchets, et pour éviter des émissions.

Mme Delphine Bataille. Nous venons d’évoquer dans quelle mesure le recyclage permettait de contribuer à alléger les contraintes de marché et d’identifier des obstacles économiques, industriels ou environnementaux au recyclage. Je vous propose maintenant d’ouvrir un temps d’échange sur l’apport du recyclage avant d’avoir le retour d’expérience des industriels.

B. L’APPORT DU RECYCLAGE

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. Il y a beaucoup de choses qui sont contradictoires. Vouloir substituer, ce n’est pas qu’une question de prix, c’est aussi une question de qualité et de technologie. Quand on veut substituer du platine d’une pile à combustible Proton Exchange Membrane destinée aux véhicules, on ne peut absolument pas remplacer cette pile par une pile haute température de type soft, dont la température ne convient pas au fonctionnement d’un véhicule, et qui en plus contiendra de l’yttrium voire du scandium. Il y a des substitutions qui sont purement théoriques. De même que, tout à l’heure, on a pu parler de « sous-produits ».

Il faut bien distinguer ce qui est valorisant ou pénalisant. Si par exemple sur un projet du Groenland l’uranium peut être récupéré, c’est valorisant. En revanche, que faire du thorium ? Personne ne sait utiliser le thorium. On le stocke. Qu’est-ce que l’on en fait ? Ce n’est absolument pas un produit valorisant. C’est vraiment un produit poubelle pour le moment et pour plusieurs générations.

Tout à l’heure, on a dit que l’on a été « contraint » d’acheter des lampes basse consommation qui contiennent du mercure. C’est une complète aberration. On n’a pas su faire l’impasse d’une technologie intermédiaire pour passer directement aux LED. On est donc passés tranquillement de lampes à tungstène non polluantes aux lampes au mercure, que l’on nous a obligés à acheter. Je n’ose pas le dire, mais c’est une aberration totale. Il fallait attendre tranquillement que les LED viennent et s’imposent sur le marché.

Attention à tous ces faux concepts qui sont bien sur le papier mais qui ne correspondent absolument à rien, qui sont contradictoires dans leur réalisation, en particulier pour tout ce qui est multi-matériaux et miniaturisation. Aujourd’hui, nous avons cette tendance lourde et très complexe de multi-matériaux pour essayer de dissocier les éléments. La miniaturisation (on en a parlé pour un tas d’éléments des micromoteurs, pour les aimants permanents) les rend irrécupérables aujourd’hui. Plus nous allons vers des nanotechnologies et plus ce sera compliqué.

Les évolutions technologiques sont aujourd’hui tout à fait passionnantes à un moment, mais seront dans le futur des épées de Damoclès pour l’environnement.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. À propos du recyclage, une idée me semble importante : le recyclage sera toujours insuffisant dans une économie en croissance. Ce n’est pas en recyclant une mine urbaine ou des décharges industrielles ou autres que l’on pourra subvenir aux besoins de l’industrie. Je dirai même plus, non seulement ce sera insuffisant, mais ça sera surtout non économique. D’après mon expérience, le recyclage est économiquement moins intéressant qu’une mine naturelle.

Il faut bien comprendre qu’il y a un savant équilibre entre les prix de marché et les coûts du recyclage. Si les prix sont trop bas, le recyclage est inutile ou en tout cas non économique. Dans ce cas-là, on en revient à la mine. La mine industrielle est donc absolument nécessaire.

Deuxièmement, la substitution que vient d’évoquer M. Hocquard, est un point qui me semble là encore essentiel. Tel qu’il l’a indiqué, la substitution dans les métaux stratégiques renvoie au concept de « consommation compétitive » que je développais tout à l’heure. Ce n’est pas le consommateur qui décide d’acheter des métaux stratégiques pour sa propre consommation, c’est le producteur qui décide de les lui vendre. La réflexion qui a été faite ce matin par notre collègue allemand était de dire que certains industriels allemands refusaient des choix industriels de deuxième main ou de deuxième zone, alors que les Chinois ont des choix industriels de première main ou de première zone. Les industriels allemands disent : « Nous ne voulons absolument pas avoir à faire le choix d’une consommation compétitive, parce que nous sommes certains de perdre, compte tenu du fait que l’industrie minière chinoise servira en premier lieu les industriels chinois avant de servir les Allemands ».

Le concept de « consommation compétitive » est quelque chose qui s’impose à nous. Derrière cette consommation compétitive, il y a des choix industriels qui font que certains produits seront tout simplement énergétiquement plus efficaces que d’autres. Une voiture électrique avec des aimants permanents sera à ce jour plus efficace qu’une voiture électrique sans aimant permanent. Dans ce cas-là, le consommateur achètera-t-il une voiture chinoise ou une voiture européenne ?

Mme Delphine Bataille. Je m’interrogeais sur l’aspect qu’évoquait M. Julienne, à savoir : « Est-ce que l’on peut imaginer les perspectives à dix ou vingt ans, parce que ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être pas forcément demain ? ».

M. Didier Julienne. Nous avons rappelé tout à l’heure que les progrès technologiques font que des métaux dits stratégiques ou critiques aujourd’hui ne le seront probablement pas dans dix ou quinze ans. Ces percées technologiques, nous les ignorons aujourd’hui, donc il est difficile de vous dire si tel ou tel métal stratégique sera toujours stratégique demain.

En revanche, ce que je peux vous dire avec certitude, c’est que ce n’est pas parce que l’âge de la pierre a disparu que l’homme a cessé d’utiliser des pierres pour construire des maisons. Je le dis avec un peu d’humour, mais cela veut bien dire que ce n’est pas parce que le pic du platine et du palladium est derrière nous que nous avons cessé d’utiliser du platine et du palladium dans les automobiles. Disons que le pic est derrière nous, mais si tout d’un coup aujourd’hui il y avait un incident, une déflagration dans les mines de platine en Afrique du Sud ou en Russie, les constructeurs d’automobiles reverraient arriver sur leurs radars le platine et le palladium à grande vitesse.

Le caractère stratégique et la criticité des métaux évoluent dans le temps, dans l’espace entre différents pays et suivant les technologies.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. « On se sert toujours des pierres ? ». Voici une information qui peut surprendre : au cours des trois dernières années, la Chine a consommé plus de ciment que les États-Unis en cumulatif depuis 1900. Évidemment, la population n’est pas la même. Tout esprit avisé me dira que l’on compare des choux et des carottes, c’est vrai. C’est 400 millions d’habitants d’un côté et 1,3 milliard de l’autre. Néanmoins, c’est assez impressionnant.

J’entendais parler de « substitution », c’est cela qui m’a amené à demander à intervenir. Pour ceux que ça intéresserait, il y a une étude très détaillée, que l’on peut discuter comme toute étude, qui a été faite sur la substitution par l’équipe de Thomas Graedel, professeur à Yale, qui pilote une des plus grandes équipes de recherche internationale sur les questions de matières premières, d’usage durable, de substituabilité et de recyclage. Si vous tapez sur Google « Graedel, Substitutability of raw materials », vous allez trouver son étude qui est téléchargeable en ligne. Il a analysé l’ensemble du tableau de Mendeleïev, les principaux usages de chaque élément et donné une note sur le potentiel de substituer tel métal dans tel usage.

C’est tout à fait remarquable et cela montre clairement qu’il y a des limites vu le nombre de paramètres à prendre en compte. Si je prends par exemple le cas du lithium dans les batteries, il y a de nombreux critères qui permettent d’apprécier ce qu’est une bonne batterie, par exemple le nombre de cycles de charge et de décharge, les questions de sécurité, de compacité, de quantité d’énergie que l’on peut stocker dans un décimètre cube de batterie et ainsi de suite. On voit que cela devient rapidement horriblement complexe. J’ai entendu dans de nombreuses réunions que les gens prononçaient le mot de substituabilité en pensant que le seul fait de l’avoir prononcé était la solution à nos problèmes. Bien sûr qu’il faut explorer les possibilités, mais c’est loin d’être la panacée.

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21. Pour revenir sur la covalorisation, l’exemple qu’avait pris M. Hocquard n’est pas forcément le bon. Nous ne pouvons pas dire actuellement si nos générations futures vont développer la filière des réacteurs à thorium. Je pense qu’il serait sage, lorsque l’on a exploité un gisement (c’est typiquement le cas du thorium stocké par Solvay), de garder ce thorium dans le tiroir, parce que l’on ignore s’il ne sera pas utile aux générations futures.

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. Le thorium est bien sûr pour le moment stocké à Cadarache puis sur le site de La Rochelle depuis longtemps. Il y a deux pays qui ont envisagé des réacteurs au thorium, qui sont l’Inde et le Brésil. Curieusement, ce sont les deux pays qui continuent à extraire les terres rares du monazite. Il y a là une relation de cause à effet. Pendant longtemps, ces minéraux lourds étaient stratégiques parce qu’ils détenaient justement une certaine radioactivité. Non, ce sont des gisements poubelles. Il n’y aura pas de réacteurs au thorium, nous passerons à d’autres générations. Il n’y a aucun projet pour le moment que l’on sache, ni même en pilote, qui soit pour l’utilisation du thorium. Qu’on le regrette ou pas, c’est une réalité. C’est donc vraiment un élément que l’on est obligé de séparer, de stocker et dont on ne sait absolument pas quoi faire. Nous allons accumuler des stocks. Pour quoi faire ? Le stock est un coût. Pour combien de temps ? On n’en sait rien.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. J’aimerais dire un petit mot sur l’économie circulaire du nucléaire. Je crois qu’il existe des projets de réacteurs au thorium qui fonctionnent, peut-être pas totalement, en Inde. À Grenoble, le laboratoire de cosmologie étudie les réacteurs à sels fondus de manière théorique depuis assez longtemps et est largement consulté dans le monde entier.

Nous discutons des métaux stratégiques. J’y vois personnellement une grande application dans le domaine de l’énergie. La France pourrait mettre en route une économie circulaire du nucléaire. Je rappelle que nous avons sur notre sol 10 000 à 20 000 années d’électricité stockée à volume de consommation actuelle sous forme de déchets dits « nucléaires », qui pourraient très bien redevenir du combustible grâce au projet ASTRID de réacteur à neutrons rapides, dès qu’il sera mis en place. À ce moment-là, transition énergétique ou pas, je me dis que si nous avons devant nous 10 000 ou 20 000 années d’électricité nucléaire, peut-être que l’on pourra la partager avec certains de nos voisins européens et imaginer, à partir de là, une solution nouvelle pour l’électricité de demain.

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. Avant de reprendre la parole sur le recyclage, juste une remarque sur le thorium, notamment le thorium stocké à La Rochelle. Il y a aujourd’hui un projet qui est très sérieux entre AREVA et Solvay pour développer des produits à base de MOPs thorié utilisables dans les centrales actuelles. Il ne s’agit pas de nouvelles centrales, mais bien de réacteurs existants utilisant du MOPs thorié. Il s’agit d’un projet sérieux qui, je l’espère, aboutira dans les quinze ans.

C. LES EXPÉRIENCES ET LES RÉFLEXIONS DES INDUSTRIELS

Mme Delphine Bataille. S’il n’y a plus de réactions particulières, je vais vous proposer d’évoquer l’expérience de Solvay.

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. Lorsqu’il y a eu le boom des terres rares en 2011, Solvay a été sollicité par énormément d’utilisateurs de terres rares pour recycler soit les produits finis qu’ils produisaient eux-mêmes, soit leurs propres déchets industriels. On a examiné de cette façon-là la possibilité de recycler différents types de produits à base de terres rares, soit dans le cycle industriel, soit en tant que produit fini.

Pour faire cet examen, on a utilisé deux critères. Le premier concernait la concentration à laquelle on était capable d’obtenir ces produits. Le deuxième concernait la valeur intrinsèque et notamment, outre la concentration, le type de terres rares contenu. À partir de ces deux critères, on a sélectionné trois types de produits en tant que projet de recyclage : les aimants, les batteries Nickel Metal Hydrure en collaboration avec Umicore (Umicore traitait pour récupérer les nickels et nous en récupérions les terres rares) et, enfin, les poudres luminophores venant des lampes basses consommation.

Je vais parler plus précisément de notre expérience du recyclage des lampes basse consommation. Lorsque l’on a commencé à travailler sur ce projet, les deux terres rares les plus chères qu’il y avait dans les poudres luminophores étaient l’europium et le terbium, qui toutes deux étaient au-dessus de 3 000 dollars le kilo et même, à un moment donné, au-dessus de 5 000 dollars le kilo. Aujourd’hui, ces deux produits sont en dessous de 500 dollars par kilo.

Le point clé pour un industriel est la rentabilité. Certes, on peut dire que recycler fait partie d’une attitude citoyenne et permet de trouver un substitut aux mines, notamment aux mines de terres rares qui contiennent de la radioactivité, mais pour être capable de mettre en œuvre ce type de procédés, il faut que ce soit globalement rentable.

Je ne vais pas vous détailler notre structure de coût, mais avec les prix que je viens d’annoncer, vous pouvez comprendre que la rentabilité n’est pas ce qu’elle était initialement. Pour être très direct, je ne suis pas convaincu que, si nous devions lancer ce projet aujourd’hui avec les prix actuels, nous le ferions.

Mme Delphine Bataille. Madame De Guibert, qu’en est-il de la collecte et du recyclage des batteries chez SAFT ?

Mme Anne de Guibert, directeur de la recherche de SAFT. Nous avons plusieurs types de batteries. Dans le cas des batteries alcalines nickel-cadmium, les petites batteries n’existent plus car elles sont obsolètes et sont remplacées par du lithium. Mais les grosses batteries nickel-cadmium sont encore là pour plusieurs années. Même si le lithium en remplace certaines, ce n’est pas le cas pour toutes. Nous avons un recyclage actif, puisque nous avons nous-mêmes une usine de recyclage du cadmium en Suède. D’autre part, nous avons aussi des contrats de recyclage avec des sociétés en France ou aux États-Unis.

Pour ce qui est des batteries au lithium, nous ne recyclons pas le lithium aujourd’hui, mais les matières actives positives qui contiennent des métaux cobalt-nickel sont recyclées par des contrats de récupération dans la mesure où le recyclage est obligatoire. Il y a donc une collecte pour tous les objets industriels. Nous ne sommes évidemment pas maîtres de ce qui est rapporté dans les supermarchés. Néanmoins, les procédés existent. Même pour le lithium, des études de procédés ont été faites. Ces procédés seront appliqués quand la matière première suffisante sera disponible. Il n’y aura pas de valeur économique suffisante pour le lithium. Pour l’instant, du fait que c’est très dilué, cela coûtera cher à recycler. Le prix du recyclage doit donc être intégré dans les impôts de collecte initiaux.

Quant à lui, le plomb se recycle bien. Toutes les batteries au plomb sont recyclées à plus de 90 %. Un certain nombre des batteries qui disparaissent dans les garages ressortent quand le prix du plomb augmente. Les garagistes ressortent des stocks, le gisement ré-augmente, parce que le plomb peut fluctuer d’un euro.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Philippe Guiberteau, vous êtes au CEA. Vous allez nous parler notamment de l’Institut Européen d’Hydrométallurgie de Marcoule. Comment peut-on valoriser des procédés développés dans le nucléaire, pour la séparation des terres rares ?

M. Philippe Guiberteau, CEA. Au sein du CEA, la Direction de l’énergie nucléaire est en charge de la R&D consacrée à l’industrie nucléaire civile. Elle conduit ses travaux selon trois axes majeurs :

- les systèmes nucléaires du futur, dits « de quatrième génération ;

- l’optimisation du nucléaire actuel ;

- le développement de grands outils expérimentaux et de simulation indispensables pour conduire ces recherches.

Dans ce cadre, le centre de Marcoule se consacre principalement à des programmes très importants d’assainissement et de démantèlement d’installations nucléaires et de recherche et développement pour le cycle du combustible nucléaire, dans le cadre de la loi sur les déchets et matières radioactives de 2006, ou au profit des industriels, dont principalement AREVA, sur le traitement et le recyclage des combustibles nucléaires usés.

Le centre de Marcoule travaille sur toute la chaîne de valeur de la recherche-industrie, de l’ingénierie moléculaire à la conception d’ateliers mettant en œuvre les procédés d’extraction chimique préfigurant des usines comme l’usine de la Hague, par exemple.

Au total, cela représente plus de deux cent-cinquante chercheurs, comptant plus de vingt experts internationaux qui sont répartis dans les équipes du CEA à Marcoule et de l’Institut de Chimie Séparative de Marcoule, qui est une unité mixte de recherche regroupant le CNRS, le CEA, l’École de chimie de Montpellier et l’université de Montpellier. Grâce au nucléaire, la France dispose à Marcoule d’un savoir-faire unique dans les procédés de recyclage et dans le développement des procédés industriels.

L’objectif du CEA est de valoriser cette expertise afin de créer de la valeur et de l’emploi, notamment au plan local, dans la région Languedoc-Roussillon. C’est le même type de procédé chimique qui permet de séparer, d’extraire et de recycler les éléments radioactifs dans les combustibles nucléaires usés, les métaux stratégiques ou les terres rares.

En particulier, on en a parlé, l’hydrométallurgie permet de séparer le métal recherché présent en faible concentration et parmi de nombreux autres éléments chimiques. La volonté affichée de développer cette activité en Europe, par l’exploitation de gisements miniers et le recyclage de produits en fin de vie, mais également le traitement de problématiques environnementales, rend nécessaire le développement de procédés innovants d’extraction de métaux. Ceux-ci devront d’emblée être conçus pour minimiser leur impact environnemental.

L’hydrométallurgie, développée pour les besoins du nucléaire, apparaît donc comme une famille de technologies à même de relever l’ensemble de ces défis. Afin de soutenir les acteurs industriels de la métallurgie européenne et d’accélérer l’innovation, le projet de création d’un Institut Européen d’Hydrométallurgie (IEH) a été lancé fin 2013 à Marcoule avec trois composantes :

- un réseau de recherche européen associant, à ce jour, vingt-neuf membres, acteurs de la recherche académique et industriels, dont certains sont dans cette salle, du secteur de l’extraction et du recyclage des métaux, sous la forme d’une association nommée PROMETIA crée fin 2014 ;

- des plateformes technologiques ouvertes permettant la maturation de procédés d’extraction en vue de leur industrialisation. La première va être lancée à l’été 2015. Ces plateformes seront exploitées par une start-up qui vient d’être créée, dénommée Extracthive, et qui proposera un large service de développement de procédés d’extraction de métaux. Ce projet s’inscrit totalement dans la stratégie française et européenne d’innovation ou le Partenariat européen pour l’innovation sur la matière première qui a labellisé le projet IEH. Il est très fortement soutenu par les acteurs locaux, notamment la région Languedoc-Roussillon, qui l’a inscrit dans sa stratégie 3s ;

- à ce stade, nous avons des partenaires soit dans le réseau PROMETIA, soit dans l’IEH, comme VEOLIA, Rhodia, Variscan, Tasman, le BRGM, l’université de Lorraine, Eramet, pour n’en citer que quelques-uns.

En conclusion, la création d’un Institut Européen d’Hydrométallurgie permettra de valoriser, en dehors du nucléaire notamment, le domaine de la séparation des métaux stratégiques et les compétences en chimie séparative acquises dans le domaine nucléaire à Marcoule. Il contribuera à la naissance d’une véritable filière industrielle aujourd’hui vitale pour le développement de l’industrie française et européenne.

Mme Delphine Bataille. Monsieur Christophe Petit, vous allez nous parler de la métallurgie et du recyclage.

M. Christophe Petit, Eramet. Beaucoup de choses ont déjà été dites sur le recyclage. Je voulais vous faire part d’un mélange d’optimisme et de prudence sur cette question du recyclage.

Une première dose d’optimisme vient du fait que les données scientifiques de base s’appliquent aussi bien à la mine primaire qu’au recyclage. Dans notre Centre de recherche, je crois que l’on a pu étudier tous les métaux qui ont été cités au cours de cette journée, et je crois que nous pouvons appliquer la thermodynamique, la thermo-physique aussi bien à une mine primaire qu’au recyclage.

Néanmoins, il faut être prudent car il existe un certain nombre de limites :

• les limites techniques scientifiques.

Pour l’illustrer, je voudrais citer l’exemple du métal le plus recyclé en volume, qui à ma connaissance est le fer, pour des raisons de présence dans l’industrie et de facilité à recycler, parce que le fer est souvent magnétique et se recycle facilement. Néanmoins, il faut faire très attention sur les aspects concernant la concentration, qui ont été évoqués dans nos questions de recyclage. Il faut recycler des substances qui sont riches dans l’élément que l’on veut recycler, parce que l’économie est évidemment plus favorable. Il faut aussi faire très attention, et on l’oublie plus souvent, aux éléments indésirables qui vont venir avec et qui, parfois, vont être très difficiles à enlever. On a pu évoquer parfois des éléments radioactifs qui, typiquement, viennent un peu polluer la filière. Cette première dimension technique ou technologique est évidemment essentielle.

• les contraintes économiques.

Ce thème a été déjà largement abordé. En voici une illustration très simple : quel est le métal le plus recyclé non pas en tonnage mais en pourcentage ? La réponse est l’or. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’or coûte cher et que vous allez toujours balayer votre atelier pour récupérer les derniers grammes d’or. Cela sera beaucoup plus vrai pour l’or que pour n’importe quel autre métal. On voit bien là encore que la dimension économique est absolument essentielle dans le recyclage : à partir du moment où l’on peut gagner de l’argent, on peut recycler.

• la dimension sociétale et légale.

Là aussi, cette dimension peut venir jouer un rôle majeur dans ce fonctionnement. Les illustrations qui ont été données entre un flux poussé, normatif, et un flux tiré par une rémunération, peuvent changer fondamentalement l’économie du système.

Le monde du recyclage est à la fois un monde très accessible qui demandera des développements d’un point de vue technique et scientifique, mais on peut imaginer que tout le reste de l’environnement va contribuer très significativement à cette dimension du recyclage, qui est essentielle évidemment pour nos métaux.

DÉBAT

Mme Delphine Bataille. Avez-vous des commentaires quant à ces retours d’expérience qui nous ont été présentés par les industriels en matière de recyclage ?

M. Christian Thomas, Terre Nova. Les sciences qui s’appliquent à la métallurgie et au recyclage, que ce soit « hydro » ou « pyro », les séparations physiques sont effectivement connues. C’est finalement toujours la même chimie. Par contre, les difficultés technologiques pour arriver jusqu’à l’usine sont considérables. Il y a beaucoup de développements à mener. Je prends un exemple pour m’expliquer. Dans quasiment tous les appareils que nous fabriquons, que ce soit des voitures ou des appareils électroniques, il y a toujours la présence de plastiques organiques. Or les métallurgies classiques sont absolument réfractaires aux organiques. Cela amène des quantités de gaz importantes, en matière de lixiviation car ce sont des choses qui ne se lixivient pas. Voilà une difficulté.

Il y a une autre difficulté, c’est que l’on a des métaux qui peuvent être antagonistes. Si vous faites de l’hydrométallurgie sur des cartes électroniques, vous allez manger votre acide avec l’aluminium qu’il y a dedans et vous obtiendrez une cohorte de déchets ultimes tout à fait considérables, sans avoir, pour autant, récupéré les métaux.

Au fond, ce que nous fabriquons est impropre à l’alimentation des fours ou des hydrométallurgies classiques, parce que tout simplement c’est fabriqué et que ce n’est pas du tout ce que l’on trouve dans la nature. Il y a donc beaucoup de développements à faire pour réussir à adapter, c’est un premier élan et c’est naturel, les grands outils existants, et puis à développer deuxièmement des technologies de rupture. Ces technologies de rupture font appel à des choses totalement innovantes et aboutiront à des unités dédiées.

Si l’on veut se projeter dans le futur, ces technologies doivent être rapides, parce que les métaux ont des histoires assez courtes. Il ne s’agit pas de partir sur des développements qui durent quinze ans, mais des développements qui durent entre deux et cinq ans, en somme assez rapides. Il faut que ce soit capitalistiquement acceptable. On ne va pas investir un milliard d’euros pour accéder au tantale ou au cobalt, par exemple.

Les valeurs de ces métaux font qu’il y a des choses à développer. Il y a de la place pour trouver des solutions de nature économique. C’est vraiment des développements sur lesquels on ne fait pas assez de recherches aujourd’hui. Il faut continuer.

Mme Delphine Bataille. Juste une question pour nous éclairer sur les cartes électroniques. Peut-on considérer qu’hydrométallurgie et pyrométallurgie ne sont pas en concurrence mais en complémentarité ?

M. Christian Thomas. Les meilleures technologies sont des combinaisons de technologie. Vous devez donc passer par des phases « hydro », des phases « pyro » et des phases de séparation physique. Il s’agit d’une succession d’étapes.

Vous pouvez utiliser aussi des méthodes radicalement nouvelles qui permettent par exemple de se débarrasser des organiques. On peut le faire de différentes façons. Il y a eu des essais en utilisant des solvants pour les organiques, mais qui sont du domaine vraiment de la nouveauté. Ce n’est pas forcément la meilleure voie, mais cela existe.

Ce sont donc des combinaisons d’outils. On a besoin d’une trousse à outils et de spécialistes. C’est donc bien qu’il y ait un laboratoire d’hydrométallurgie de très grand niveau qui se développe en France. C’est une chance. Il manque certainement des laboratoires de pyrométallurgie. C’est difficile. Les pilotes de pyrométallurgie sont extrêmement coûteux. Cela dit, rien n’interdit d’aller louer un four à plasma en Suède ou de faire des essais dans différents pays.

La connaissance de l’univers dans lequel on évolue, c’est-à-dire des centres de recherche ou des sociétés qui possèdent ces outils, est un élément important si l’on veut progresser. La cartographie de ces centres de recherches et des compétences existantes est une façon de progresser et d’aller vers ces solutions.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles. Je confirme ce que dit M. Thomas. Avant la phase « hydro » et la phase « pyro », il y a la phase « marteau », qui consiste parfois à détruire les choses pour pouvoir les traiter.

Plus sérieusement, j’ai remarqué dans le recyclage, qu’une fois que le produit est passé à travers ces deux ou trois phases, et que nous avons un produit qui est soi-disant propre à la consommation, parfois nous nous apercevons, notamment dans le plastique, que les industries qui devraient être à nouveau consommatrices de ces matériaux refusent de les prendre parce qu’ils n’obéissent pas aux normes qu’elles se sont elles-mêmes fixées. Si les films plastiques qui sortent d’un recyclage ne sont pas aux bonnes dimensions, ne sont pas suffisamment purs ou ont d’autres caractéristiques n’obéissant pas aux normes internes des grands groupes industriels, ces derniers refuseront de les prendre.

En revanche, ils trouveront des consommateurs dans des PME/PMI qui seront moins regardantes. Cela ne signifie pas que la qualité est moindre, mais simplement qu’elles ne peuvent pas économiquement se payer de telles normes. Elles n’ont pas franchi le coût des normes et se disent : « Je vais essayer ». Ça fonctionne donc, elles prennent ces produits recyclés. C’est rarement le cas dans le domaine des métaux, parce que l’on arrive quand même à un niveau de pureté des métaux fongibles tels qu’ils sont réutilisables. En revanche, à moins que quelqu’un puisse ici me contredire, vous avez certains alliages, en particulier tels que du cuivre dans de la câblerie, qu’il est difficile de réemployer une fois que le déchet est retraité ailleurs que dans la câblerie, parce que l’affinage fait qu’il reste un millième de poudre de perlimpinpin à l’intérieur qui devient un poison pour d’autres industries.

Le recyclage : oui, mais il faut faire attention ensuite pour la réutilisation de ces métaux ou de ces matières quelles qu’elles soient, plastiques ou autres. Dans quels secteurs pourront-elles être réutilisées ? Là encore, il faut bien regarder.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Il y a la place pour beaucoup d’innovations dans le domaine du recyclage des métaux. Je crois que M. Thomas a montré très clairement les pistes.

Cela étant, je souhaite tirer une sonnette d’alarme. Aujourd’hui, le recyclage des métaux est pour le moment largement dépendant de l’existence de quelques centres de pyrométallurgie en Europe, contrôlés par Umicore, Boliden et Aurubis. Cette métallurgie européenne, dont dépend pour le moment largement ce que l’on fait en matière de recyclage des métaux non ferreux, est menacée par une grande inconnue qui devient de plus en plus prégnante : quel est le prix futur de l’énergie en Europe ?

Aujourd’hui, un certain nombre d’industries énergivores en Europe bénéficient encore de dispositions dérogatoires relatives au coût de l’énergie. Si cet avantage venait à être remis en cause dans toutes les discussions autour de la transition énergétique, cela en serait fini de l’existence d’une métallurgie des non ferreux en Europe, ainsi que du maintien des compétences. En effet, si l’on n’a plus de métallurgie, comment maintenir des ingénieurs métallurgistes ? Ce qui est encore plus critique que l’industrie elle-même, ce sont les savoir-faire.

Aujourd’hui, la situation me paraît extrêmement fragile et il faut y veiller attentivement en attendant que de nouvelles innovations viennent apporter aussi de nouvelles solutions, de nouveaux modes de savoir-faire bien que, probablement, la question de l’énergie restera toujours prégnante. Il s’agit donc d’un problème important en ce qui concerne le recyclage.

M. Christian Thomas. J’ai un commentaire à faire sur l’énergie. J’ai expliqué que les produits qui venaient en fin de vie contenaient beaucoup de plastique et de résines. Une bonne partie de ces plastiques et de ces résines ne sont pas recyclables tout simplement parce qu’ils contiennent des thermodurcissables. Les résines époxy sont par essence non recyclables. On a là une source d’énergie potentielle qui fait que lorsque vous avez un déchet électronique, comme un sèche-cheveux, vous avez 60 ou 70 % de plastique dedans, un petit morceau de ferraille, une carte électronique, un peu de cuivre et vous avez fait le tour.

Il y a le même problème avec les CSR, les combustibles solides de substitution découlant de la récupération. On est face à une arrivée sur le marché de déchets qui contiennent beaucoup d’organiques, pour lesquels on doit chercher des solutions de transformation énergétiques. C’est vrai que l’on peut réutiliser le polypropylène. Avec le PET (polytéréphtalate d’éthylène) des bouteilles de Coca-cola, on sait refaire des bouteilles de Coca-cola. Ce sont des exemples qui sont vraiment à la marge de la problématique plastique.

On ne peut pas laisser dans le blanc l’idée que les métaux ne sont que des métaux. Ils sont accompagnés de plastique. On doit donner une solution aussi à cette problématique de plastique. La plus évidente est la transformation en énergie. Sous quelle forme d’énergie ? Comment l’utilise-t-on ? Ce sont de vraies questions.

Pour les cartes électroniques, les recherches que nous menons aboutiront à des unités qui seront en énergie positive, c’est-à-dire qu’elles créeront plus d’énergie qu’elles n’en consomment.

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. Je souhaiterais vous faire part d’une interrogation. C’est aux entreprises privées de recycler s’il y a des métaux nobles précieux, éventuellement du cobalt. Sinon, ce sont les éco-organismes, avec des subventions, lorsque le point non économique est dépassé.

M. Didier Julienne. Un mot sur la partie énergétique : ce que disait Patrice Christmann est tout à fait exact. Lorsque l’on prône le modèle allemand de l’industrie, il faut bien se rendre compte que les emplois de ces industries en Allemagne sont totalement sécurisés et uniquement sécurisés par le charbon. C’est le charbon qui sécurise l’industrie allemande. C’est pratiquement une idée contradictoire, mais c’est pourtant la réalité : le charbon sécurise les emplois dans l’industrie éolienne et solaire allemande.

M. Christian Thomas. Le mauvais charbon.

M. Didier Julienne. Tout à fait. Je ne voulais pas y mettre de moralité mais le « mauvais charbon » sécurise les emplois en Allemagne, de la même manière que c’est le « bon nucléaire » qui sécurise les emplois en France.

M. Alain Frémouillat. Concernant les produits manufacturés venant de Chine, par exemple métalliques, y-a-t-il un contrôle du recyclage en France ? Prenons l’exemple de l’aluminium. J’ai entendu dire que, pour les produits manufacturés en Chine, on ignore la teneur en aluminium. Y-a-t-il même des produits qui intègrent les matériaux radioactifs recyclés ? Y-a-t-il un contrôle en France ?

M. Christian Thomas. Aujourd’hui, il n’y a pas de centre de collecte ou de traitement qui n’ait pas de portails radioactifs à l’entrée. La radioactivité est particulièrement surveillée. Il faut savoir que c’est vraiment très surveillé et que l’on ne voit pas ce genre d’incidents.

Maintenant, est-ce que l’aluminium chinois est meilleur que l’aluminium français ? Je ne parierais pas là-dessus. Nous sommes capables de raffiner l’aluminium s’il le faut pour pouvoir le réutiliser. Ce sont des métaux que l’on sait raffiner jusqu’au bout. Pareil pour le plomb, si nous voulons le raffiner et faire ce que l’on appelle le « 4-9 », nous sommes capables de le faire aussi. Nous y faisons très attention.

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links. J’aimerais apporter une précision concernant la matière radioactive dans les métaux. La France n’a pas de seuil de libération, c’est-à-dire que si des métaux ont pénétré le secteur nucléaire, ils ne sont pas libérables pour ressortir du secteur nucléaire. L’Allemagne a un seuil de libération. Donc, si vous achetez une Audi, une BMW ou une Mercedes, vous risquez d’avoir des aciers qui sont passés par le nucléaire.

QUATRIÈME TABLE RONDE :
LES RÔLES DE LA PUISSANCE PUBLIQUE ET DES INDUSTRIELS

Présidence de M. Patrick Hetzel, député, rapporteur de l’OPECST

I. FAUT-IL DÉVELOPPER DAVANTAGE L’INFORMATION ET LA VEILLE STRATÉGIQUE ?

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Cette table ronde porte sur les rôles respectifs de la puissance publique et des industriels dans la mise en place d’une politique des terres rares et des matières premières stratégiques et critiques, autour de trois grandes questions :

- comment peut-on mieux connaître nos ressources nationales mais aussi les ressources européennes ?

- quelles politiques d’information et de veille stratégique faudrait-il mettre en place ?

- quels sont les besoins stratégiques de l’industrie française et du gouvernement français ? Cette analyse conduit-elle à recommander de constituer éventuellement des stocks stratégiques?

Je vous propose de passer la parole à M. Dominique Guyonnet, du BRGM, qui va nous présenter l’intérêt d’une veille sur les flux et les stocks de terres rares, pour aboutir à une bonne définition de notre stratégie nationale, en faisant le distinguo entre ce qui relève du critique, lorsque l’on se situe dans une filière industrielle, et le stratégique, lorsque l’on raisonne par rapport à une politique nationale, même s’il peut y avoir des interférences entre le critique et le stratégique.

M. Dominique Guyonnet, BRGM. Je placerai l’analyse des flux et stocks dans le cadre plus général de l’intelligence minérale. Le principal intérêt de ce genre d’analyse est d’avoir une capacité prédictive sur les équilibres entre l’offre et la demande en matières premières minérales. C’est intéressant pour les pouvoirs publics s’ils veulent définir des stratégies, pour les industriels qui veulent maîtriser les risques sur leur approvisionnement et pour les entreprises qui souhaitent développer des procédés de recyclage.

C’est une approche dynamique, qui prend en compte le facteur temps. M. Christmann parlait du « temps de vie des produits dans l’économie ». C’est évident qu’il a une influence sur les flux qui vont être mobilisables et devenir disponibles pour du recyclage. Il faut donc faire cette analyse de manière dynamique. M. Hocquard parlait ce matin de la nouvelle taxe chinoise ad valorem sur l’extraction. Quand va-t-on voir l’effet de cette taxe sur les coûts ? En ce moment, les cours du néodyme continuent de baisser. Mais tout va dépendre du moment auquel les stocks accumulés par les Chinois auront été écoulés.

Cette connaissance de l’information fournit une capacité prédictive extrêmement précieuse. Cela pourrait être utilisé par les sociétés de négoce dont parlait M. Julienne. J’y vois un champ de recherche très intéressant. Je ferai un parallèle entre la notion de « ressource » et celle de « réserve », qui sont bien connues des géologues et qui distinguent, d’une part, les ressources qui sont des concentrations minérales qui ont été identifiées dans des gisements par des preuves, des sondages, des analyses détaillées et, d’autre part, des réserves, qui sont la part de la ressource qui est économiquement exploitable.

On pourrait transposer ce concept à la mine urbaine. Actuellement, on analyse les flux de stocks ou on identifie des flux de quantité de déchets ou de produits en fin de vie. Mais savoir quelles proportions de ces flux peuvent être réellement récupérées de manière économique grâce à des procédés de recyclage demande des analyses complexes qui tiennent compte de notre capacité à séparer, à concentrer et à traiter. Il y a là un champ de recherche dans le contexte global de l’analyse des flux de matières.

M. Patrick Hetzel. Je vais maintenant passer la parole à M. Claude Marchand, qui représente la Direction générale des entreprises au ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, pour nous parler de l’apport des études du PIPAME.

M. Claude Marchand, chef du bureau des matériaux, Direction générale des entreprises, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique. Le PIPAME, Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques, fait un travail original interministériel de prospective, en associant des industriels pour « anticiper les mutations économiques ». Il fait ressortir les menaces et les opportunités sur les emplois et sur les territoires, le tout croisé avec les filières. La DGE assure le secrétariat de ce pôle.

Il a fait, il y a deux ans, une étude sur les matériaux stratégiques, qui portait le titre : « Les enjeux économiques des métaux stratégiques pour les filières automobiles et aéronautiques ». Cette étude avait une orientation industrielle très filière. Son origine et son financement provenaient du ministère de la défense et du ministère de l’industrie. Elle avait l’ambition de faire une analyse prospective pour élaborer des scénarios sur dix métaux (certaines terres rares, d’autres non) : cinq pour l’automobile et cinq pour l’aéronautique. La méthode était assez classique : de l’analyse bibliographique, des entretiens auprès d’industriels et d’acteurs du secteur pour dégager des perceptions individuelles, une analyse prospective, la construction de scénarios et des préconisations.

Pour l’automobile, les métaux en question étaient les métaux dont nous avons beaucoup parlé aujourd’hui : néodyme, dysprosium, platine, palladium et lithium. Pour l’aéronautique, il s’agit de sujets dont nous avons un peu moins parlé : le chrome-métal pour son aspect stratégique dans les superalliages, le molybdène, le niobium, le vanadium, le lithium en tant qu’éléments d’alliages.

Les apports de cette étude ont d’abord été la mise autour d’une table des différents acteurs de la filière pour dégager un consensus partagé qui a permis d’apporter quelques conclusions. Certaines sont toujours vraies. La première conclusion est un constat : les entreprises, peut-être un peu moins les grandes mais ce que l’on appelle les ETI (Entreprises de taille intermédiaire), les PME mais aussi, peut-être un peu moins, quelques grandes entreprises aussi, n’avaient pas et n’ont probablement toujours pas pris totalement conscience de la situation ni du risque industriel potentiel qu’ils ont vis-à-vis des terres rares et métaux stratégiques.

On a vu que le sujet évoluait très vite. Un certain nombre de conclusions sont peut-être moins d’actualité aujourd’hui. Les quelques métaux pouvant faire l’objet d’un déficit à court ou moyen terme (fin 2013) étaient le palladium, le dysprosium et le platine. On voit que pour le dysprosium et le platine, le sujet a un peu évolué. Les métaux tels que le vanadium, le néodyme, le niobium et le chrome sont proches de l’équilibre. Enfin, il y a des métaux qui pouvaient arriver en excédent à court et moyen terme.

Un autre élément important de cette étude a finalement été l’effet vulgarisation. La prise de conscience de ce sujet par l’ensemble de la population est essentielle.

J’ai listé rapidement quelques préconisations :

- la nécessité de travailler en matière de recherche et développement sur la réduction des quantités et sur la substituabilité ;

- la conclusion possible de contrats d’approvisionnement à long terme sous différentes formes ;

- la participation à des projets d’extension et de développement de gisements ;

- la prise de participation chez les producteurs existants ;

- la mise en place de partenariats sur l’ensemble de la chaîne de valeur depuis le mineur jusqu’au fabriquant ;

- la création de stocks, mais plutôt en entreprise (pas de stocks stratégiques nationaux) ;

- le recyclage.

Ce n’est pas le tout de faire des études, il faut aussi voir leurs résultats :

- on en a parlé. Cette étude a été diffusée. Le seul élément de mesure que j’ai est le nombre de fois où la page a été vue, puisque la page est téléchargeable sur le site. Elle a été vue pratiquement dix mille fois ;

- on a davantage pris conscience du risque. Pour faciliter cette prise de conscience du risque auprès notamment les chefs d’entreprises de PME, nous avons développé un outil d’autodiagnostic en collaboration avec le COMES, qui a été téléchargé plus de mille fois depuis sa mise en place ;

- les conclusions ont été reprises dans les travaux du Comité stratégique de filière pour l’industrie extractive et des premières transformations (CSFIEPT), notamment pour le recyclage des métaux stratégiques, la sécurisation des approvisionnements et la relance de l’exploitation minière ;

- cette étude a contribué probablement aussi au maintien du COMES. Vous savez que le COMES a été relancé pour cinq ans il y a quelques semaines maintenant ;

- cette étude a enfin permis à l’État d’être plus actif dans les prises de décision sur des grands projets, notamment les projets de recyclage autour de tous ces métaux.

M. Patrick Hetzel. Comme nous évoquons la question de la veille stratégique, il y a un pays qui a une approche systémique, pour ne pas dire systématique, de la veille stratégique et ceci sur longue période. Il s’agit du Japon. Monsieur Thomas, au titre de Terra Nova, vous avez eu l’occasion d’étudier plus avant cette question. Pouvez-vous nous parler de la manière dont le Japon procède pour sa veille en la matière ?

M. Christian Thomas, Terra Nova. Le Japon a une organisation extrêmement centralisée. Chaque entreprise a aussi ses réseaux. Les shôshas, c’est-à-dire les sociétés de trading japonaises, sont présentes dans tous les pays. Elles viennent nous voir à chaque fois qu’il y a une nouvelle quelque part.

Je souhaiterais commencer par une anecdote. À côté de l’usine d’Isbergues se trouve le village d’Aire-sur-la-Lys, dont le journal s’appelle L’Écho de la Lys, qui tire à peu près à mille exemplaires. Quand ses journalistes n’ont pas grand-chose à raconter, ils viennent voir l’usine et posent des questions. On les accueille, ils font des photos, on raconte notre histoire. Un jour où ils avaient raconté quelque chose qui n’était pas tout à fait vrai, on a reçu un coup de téléphone de Mitsubishi nous demandant si ce qu’il y avait dans L’Écho de la Lys était vrai ou non. Ceci illustre le niveau auquel va l’intelligence économique japonaise.

Que peut-on faire face à cela ? Quand je vais en Chine, je m’aperçois que les interlocuteurs chinois ont entendu parler de Terra Nova et nous connaissent. C’est pour vous donner une idée. Connaissons-nous la petite entreprise qui, dans le Colorado, a développé un recyclage du gallium ? Pas forcément. Mais ce serait intéressant de la voir.

Nous sommes une toute petite PME avec de petits moyens, donc nous avons réfléchi à comment on pourrait faire pour savoir, nous aussi, ce qui se passe ailleurs. C’est quand même essentiel dans un métier où l’on fait du recyclage des métaux stratégiques. La veille en intelligence économique est importante. Nous travaillons déjà avec des gens comme le CEA ou le BRGM qui, eux-mêmes, ont accès à une forme d’intelligence économique. On travaille aussi avec des partenaires allemands qui sont des fournisseurs d’équipements (les équipementiers vendent leurs produits partout dans le monde, ils entendent parler de ce qui se fait). Ils nous expliquent ce qu’ils ont vu et nous demandent : « Qu’en pensez-vous ? Est-ce que c’est quelque chose qu’il faudrait copier ? Est-ce que c’est intelligent ? Est-ce que ça ne l’est pas ? ».

Au fil des ans, on voit petit à petit apparaître les différentes technologies alternatives. Notre réponse, en tant que PME, est d’essayer de comprendre ce qui se fait dans l’ensemble du monde et de savoir où en sont les Chinois, les Japonais ou les Américains. Je dois dire que l’on finit par avoir un vrai panorama de ce qui se fait un peu partout.

M. Guillaume Pitron, journaliste, membre de Global Links. Pour rebondir sur la veille, il n’y a pas de veille média en France, il n’y a pas d’organisme médiatique qui soit un peu l’équivalent de Metal-Pages, par exemple, dans les pays anglo-saxons et qui soit une plateforme d’échange d’informations des industriels. Le business model n’existe pas. Cela pourrait exister, ce serait certainement utile, mais aujourd’hui la France n’a pas cet outil.

M. Patrick Hetzel. Monsieur Christophe Petit, pouvez-vous nous parler de l’impact des KICs européens, au titre d’Eramet ?

M. Christophe Petit, Eramet. On a entendu, depuis ce matin, la question : « Que fait l’Europe ? », et la réponse : « Il n’y a pas de politique européenne », sur un ton presque agacé. Mais l’Europe répond d’une manière intéressante sous la forme des KICs.

Derrière cette notion du « politique », on peut avoir une vision très colbertiste. J’ai été reprendre la définition du colbertisme, selon laquelle la puissance d’un pays se mesure à ses réserves en métaux précieux. Bien sûr, à l’époque, la réflexion était très orientée vers l’or. En pensant aux métaux stratégiques, on pourrait le lire un peu différemment aujourd’hui.

Toujours est-il que je pense que l’Europe n’a pas été très dirigiste mais a beaucoup plus voulu s’appuyer sur un réseau et sur du développement de relations entre des gens qui savent. Elle a donc mis en place la notion de KIC. Qu’est-ce qu’une KIC ? C’est un acronyme pour « Knowledge & Innovation Community ». C’est, en fait, la partie opérationnelle des EIT, c’est-à-dire les « European Institute of Innovation & Technology ». Il s’agit effectivement d’une action de long terme, qui s’inscrit sur une durée typiquement de dix ans et qui regroupe trois piliers essentiels que sont l’éducation, la recherche et la technologie et l’industrie (que ce soit les grosses sociétés comme les PME). L’objectif est de transformer la recherche en réalisations industrielles en mettant tous ces acteurs ensemble et, au passage, de développer les compétences.

Au lieu d’être complètement dirigiste et de dire : « Faisons ceci et cela », le principe des KICs est beaucoup plus de rassembler, en l’occurrence cent-quinze partenaires sur vingt-deux pays européens issus de ces trois piliers qui sont l’éducation, la recherche et l’industrie. Une KIC couvre la totalité de la chaîne de valeur des matières premières et est organisé sous la forme de six centres de colocations avec des thèmes un peu répartis. Elle va justement mettre tous ces acteurs en relation.

On peut observer que cela fonctionne. Il s’agit d’un procédé très rapide initié il y a un an et demi. Les statuts ont été déposés en juin dernier, les acteurs se rencontrent et cela nous permet d’avoir une vision très claire des centres de pilotage de pyrométallurgie dont on parlait. Maintenant, on se connaît, on discute, on a des projets ensemble, on évite de construire les mêmes installations en double et on se complète. On est capables de passer un sujet de l’un à l’autre quand cela fonctionne. Ce réseau prend naissance, alors qu’il est tout neuf, et devrait apporter de bons résultats.

J’ai profondément confiance en cette initiative que nous soutenons fortement, qui deviendra un acteur majeur des matériaux et des métaux en Europe pour les prochaines années.

M. Patrick Hetzel. Se pose évidemment la question de l’intérêt d’un inventaire. Je me tourne vers les spécialistes du BRGM et plus particulièrement vers M. Patrice Christmann.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Je remplace M. Jean-Claude Guillaneau, notre directeur des géo-ressources, qui n’a pas pu venir aujourd’hui.

Qu’est-ce qu’un inventaire ? Et pourquoi un inventaire, en l’occurrence, du sous-sol français ? Un inventaire, c’est l’acquisition d’une connaissance que je qualifierais de premier niveau visant à identifier des potentialités minérales. Il ne s’agit pas de délimiter un gisement de façon détaillée, rôle rempli par le secteur privé au cours de projets d’exploration. Il s’agit là vraiment d’acquérir une connaissance à mailles un peu lâches du sous-sol français.

Pourquoi le faire ? Un pays qui ne connaît pas son patrimoine, c’est un peu comme un joueur de cartes qui ne saurait pas quels sont les atouts qu’il a en main. Or il se trouve que la France a un potentiel minier important. Il y a déjà eu des inventaires par le passé, notamment un inventaire minier national de 1975 à 1992.

D’où vient cette connaissance ? Dans toutes les régions où l’on a ce que l’on appelle du socle cristallin (Bretagne, pourtour du Massif Central, Morvan, Vosges, Pyrénées, voire Corse), on a différentes indications de minéralisation. Certaines ont été exploitées par le passé, mais la France a toujours un patrimoine minéral intéressant et important, notamment pour des métaux comme l’antimoine, le tungstène voire même pour le cuivre. Il y a encore beaucoup de choses à faire.

L’inventaire minier de 1975 à 1992 a d’énormes limites parce qu’il a été fait avec les technologies de l’époque et la géophysique aéroportée était encore balbutiante. Et puis, les questions sociétales n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. À l’époque, la question des pouvoirs publics était : « Où y-a-t-il de l’or, de l’argent, du cuivre, du plomb, du zinc ? », qui étaient tous des métaux usuels. Aujourd’hui, la question a évolué. On demande aussi : « Où pourrait-il y avoir du germanium, de l’indium, du sélénium, du tellure ? ». Ce sont des éléments qu’à l’époque nous n’avions pas analysés, parce que les moyens analytiques étaient peu disponibles ou en tout cas chers. Il y a beaucoup de choses à faire ou à refaire. Il y aurait à faire la géophysique aéroportée de la France pour identifier les minéralisations profondes. S’il y a un avenir pour la mine en France, ce sera probablement l’exploitation de ce que l’on appelle des « gisements profonds et cachés », c’est-à-dire des mines souterraines. On connaît très mal le potentiel minéral profond de la France, qui serait favorable à ce genre de gisements.

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a un certain renouveau encore timide de l’activité minière en France. Un certain nombre de permis pour exploration ont été attribués au cours de ces trois dernières années à la société Variscan, qui est ici représentée par Jack Testard, son Président. D’autres permis sont en cours d’instruction. Il y a donc un certain renouveau. À mon avis, la France souffre de son code minier. Si la France veut vraiment devenir attractive pour les investisseurs miniers, une mise à plat complète de son code minier est nécessaire. Le code minier, comme d’autres codes d’ailleurs en France, est un merveilleux millefeuille administratif hérité de l’époque napoléonienne, auquel on a rajouté des couches au fur et à mesure. Cela devient pratiquement ingérable. D’ailleurs, on n’a plus grand monde, en tout cas dans les régions, capable de s’y retrouver dans la complexité de ce code.

Si la question de la politique minière se pose, je l’ai déjà évoquée, et si la conclusion est : « Oui, la France veut avoir une politique des matières premières minérales », il faut envisager sérieusement une refonte en profondeur et une simplification du code minier, respectueuse de l’environnement, respectueuse de l’intégration des parties prenantes que sont notamment les populations riveraines.

M. Patrick Hetzel. Pour pouvoir prendre des décisions de manière pertinente, il faut disposer de la bonne information. Effectivement, cette question de l’inventaire peut se poser avec une certaine acuité.

DÉBAT

M. Patrick Hetzel. Avant que nous passions à la question des stocks stratégiques, je vous propose d’avoir un échange.

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet. Puisque l’on parle de « veille stratégique », je voudrais juste ajouter un élément qui me paraît fondamental, que l’on peut ou non considérer comme une composante de la veille stratégique, et qui est la « veille réglementaire ».

C’est essentiel lorsque l’on fait de la prévision sur cinq à quinze ans et de l’investissement. Ce n’est pas valable que pour la France, mais aussi pour l’Europe. Il y a une veille réglementaire qui nous occupe beaucoup avec les différents règlements ou directives qui nous viennent de l’Union européenne. C’est la même chose dans des pays dans lesquels on pourrait être opérateurs ou investisseurs. Cette veille réglementaire me paraît fondamentale dès que l’on parle d’échéances un peu plus qu’à trois ou six mois. En tant qu’opérateurs miniers, nous y passons beaucoup de temps.

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE). Sur la veille, je crois qu’il est important, aujourd’hui, de constater que l’on fait des bouts de veille. On a cité les études PIPAME qui y contribuent, les monographies du BRGM, les fiches de criticité des métaux sur Minéralinfo, qui seront prochainement mise en ligne. On fait avec les moyens du bord, sans véritable stratégie de veille qui permettrait de répondre à ces trois questions : « Pourquoi veille-t-on ? Que surveille-t-on ? Comment agit-on derrière ? »

La veille réglementaire des évolutions qui sont en cours, par exemple au niveau bruxellois, sur telle ou telle substance, est symptomatique. Nous parlions d’écotoxicité des substances. On finit par gérer dans l’urgence l’arrivée de telle ou telle évolution. On en mesure les conséquences industrielles a posteriori et dans des situations d’urgence que je ne souhaite pas évoquer ici, mais qui sont réelles. C’est fait dans des instances qui s’occupent de santé, parfaitement légitimes au demeurant, ou dans les instances environnementales. Finalement, on finit par gérer dans les derniers moments. C’était le cas du chrome il y a quelques années, et je ne sais pas dans quelle situation cela a fini par se traiter.

Quand on veille, on se demande : « Pourquoi ? Quelles stratégies ? Quels moyens met-on en face ? Comment les utilise-t-on ? Quels choix fait-on ? ». On ne répond pas, aujourd’hui, à ces questions. Pour ma part, je finance une partie de la veille du BRGM. La DGE le fait aussi sur d’autres sujets et on essaie de coordonner cela au sein du COMES. Ce n’est pas très structuré.

En ce qui concerne le code minier, il est communément admis qu’il est obsolète. Personnellement, peut-être parce que je le pratique, je ne suis pas sûr qu’il soit si complexe que ça. Qu’il soit inadapté, cela ne se discute plus.

Sur les notions d’inventaire, là aussi je dirai la même chose. Pourquoi un inventaire ? À quel niveau intervient-on ? Comment associe-t-on ceux qui prendront la relève derrière ? On fait une infrastructure, on va voir les opérateurs miniers qui vont intervenir. Quel niveau d’information doit-on leur donner pour qu’ils aient envie de venir, au moins du point de vue de la qualité de l’information ? Après, il faut aussi d’autres éléments pour les attirer, qui sont le contexte réglementaire et le contexte financier. On a aussi des possibilités. On est loin des 60 millions d’euros, on est sur des budgets de quelques millions d’euros que nous n’avons pas aujourd’hui. On l’a fait ces dernières années, on a retraité des informations existantes, c’est-à-dire que le BRGM produit de l’information que je pense utile, mais qui n’intervient pas dans une démarche structurée. On en revient donc à la notion de politique que l’on a évoquée ce matin et qui est un vrai sujet pour structurer ces démarches.

II. FAUT-IL CONSTITUER DES STOCKS STRATÉGIQUES ?

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Dans le cadre des travaux d’intelligence minérale du BRGM, j’ai été amené à regarder ce qui se faisait au Japon, en Corée du Sud, aux États-Unis et en France, parce qu’il y a une histoire des stocks stratégiques.

Ma conclusion personnelle, et ce n’est qu’une conclusion personnelle, c’est que la question des stocks stratégiques, qui paraît d’une simplicité biblique, est en fait d’une complexité folle.

Que faut-il stocker ? Connaître le stock stratégique, c’est être capable de fournir à un opérateur industriel quelque chose dont il pourrait avoir besoin dans l’urgence. L’industriel en question peut avoir besoin d’aimants permanents. Si je lui fournis les ingrédients, qui sont le néodyme, le fer et le bore, que j’ai stockés dans des tonneaux ou en tas dans ma cour, ce n’est pas pour autant qu’il va savoir fabriquer des aimants permanents. S’il a besoin d’arséniure de gallium ultra-pur ou de nitrure de gallium ultra-pur pour fabriquer des LED, ce n’est pas du gallium-métal qui le lui permettra. Pour passer du gallium au nitrure de gallium, il y a un savoir-faire industriel. Je ne suis donc pas sûr, vu la rapidité d’évolution des technologies, que j’aurai stocké le bon produit au bon moment.

Voici ce que je retiens de l’histoire du stock stratégique des États-Unis, qui a été peut-être le pays avec les plus gros stocks stratégiques et en tout cas les mieux documentés. À un moment donné, dans un contexte de guerre froide, les États-Unis ont stocké plus d’un an de production mondiale de chrome, au motif que la chromite venait essentiellement d’Afrique du Sud et qu’il y avait des risques géopolitiques. On a donc stocké du minerai de chrome.

En général, on stocke sous l’effet d’une conjoncture défavorable, au moment où il y a des tensions, au moment d’une crise. En clair, on va acheter des matières premières à un coût élevé. Puis vient un moment où le comptable général vous dit : « À propos, il y a une montagne de chromite quelque part dans la cour, cela fait dix ans qu’elle y est, si on n’en a pas l’usage, ce serait mieux de la vendre ». À ce moment-là, on se met à vendre évidemment au moment où les cours sont bas, parce qu’il n’y a plus de tensions, et en général cette vente contribue à faire chuter les cours. Cherchez l’erreur, tout cela étant bien sûr financé par le contribuable.

En France, on a eu une expérience des stocks stratégiques. L’ingénieur général des mines, Jean Lépine, avait fait une présentation de l’histoire du stock stratégique français au colloque franco-allemand de l’AFAST en 2011 dans ce même lieu, à l’Assemblée nationale. Je n’ai retenu qu’une chose de son exposé, c’est que l’on avait un stock stratégique en France et il est venu un moment où un industriel a effectivement eu besoin, sous l’effet d’une tension, de matières premières. On avait tout prévu, sauf comment on pouvait sortir rapidement la matière première du stock. L’expérience s’est arrêtée là.

Il faut savoir qu’au Japon, la loi prévoit que l’État stocke quarante-huit jours de consommation nationale d’une liste de matières premières régulièrement révisée avec les industriels. Ceux-ci ont une obligation de stocker douze jours de cette même consommation nationale. Je pense qu’il vaut mieux encourager les industriels à stocker, quitte à les aider d’une manière ou d’une autre, notamment sur le plan fiscal, car ils sont les mieux placés pour savoir ce dont ils ont besoin. Mais je suis réservé par rapport à une intervention directe de l’État en tant que stockeur.

M. Patrick Hetzel. Je voudrais maintenant passer la parole à M. Jack Testard, qui est également président de la Chambre syndicale des industries minières. À ce titre, il a sans doute un regard sur l’importance de la notion de gisement stratégique sur le sol national.

M. Jack Testard, président de la chambre syndicale des industries minières. Pour revenir sur la notion de stock, je vais aller très vite et directement au but : les industriels qui sont nos adhérents ne sont pas favorables à l’existence de tels stocks gérés par eux et en grosse quantité. Bien sûr, ils ont la responsabilité de leur futur et, pour l’instant, ils le gèrent comme il faut.

Tous les arguments qu’a utilisés M. Christmann tout à l’heure sont justes, à savoir que l’on ignore le détail de ce qu’il faudrait stocker, quand, comment, comment le libérer, etc. Le faire au niveau national, cela a peu de sens et peu de gens le font, à part les Japonais, et chaque industriel a sa propre politique de sécurité et d’approvisionnement.

Par contre, il y a un stock qui existe qui est celui du gisement qui est encore chez nous et qu’il faut connaître. Là, on rejoint la notion d’inventaire dont on a parlé tout à l’heure. Il faut effectivement connaître ce stock métal sous forme de son potentiel et de ses réserves. L’inventaire est quelque chose qui s’est fait, qui doit être remis à jour régulièrement et il faut qu’il soit en phase avec nos capacités de production, parce que c’est bien beau de savoir que l’on a des gisements d’antimoine possibles en France, on n’a pas encore les sociétés prêtes à l’exploiter. Il faut l’envisager et le regarder.

Il faut aussi que l’on connaisse nos capacités de traitement, car on va sortir le métal, mais si on ne peut pas le traiter, le transformer, cela ne servira pas non plus à grand-chose. Il faut bien une réflexion globale sur l’ensemble d’une filière. C’est surtout cela qui nous semble important, à la Fédération et à A3M (alliance des minerais, minéraux et métaux). Il s’agit de nous intégrer dans une filière industrielle qui commence avec les réserves géologiques, avec la production et qui se poursuit par le développement de métaux et la production généralisée par des sociétés spécialisées.

M. Patrick Hetzel. Il y a un domaine dans lequel cette question stratégique se pose avec une certaine acuité, c’est celui de la défense. Nous parlerons de cette question deux représentants du ministère de la défense et plus précisément de la Direction générale de l’armement (DGA), MM. Bruno Mortaigne et Xavier Grison.

M. Bruno Mortaigne s’exprimera sur la manière dont on peut gérer les approvisionnements pour garantir la pérennité des programmes de défense et M. Xavier Grison s’exprimera sur la manière d’éviter les effets négatifs de certaines attitudes protectionnistes ou interventionnistes, parce que l’on voit bien que, là aussi, il peut y avoir des effets très directs sur des approvisionnements.

M. Bruno Mortaigne, Direction générale de l’armement, ministère de la défense. Comme le disait M. Christmann tout à l’heure, le dimensionnement des stocks est vraiment quelque chose de difficile. On ne sait pas trop ce que l’on doit stocker ni combien de temps on doit le stocker ni quels sont les moyens de stockage que l’on doit mettre en place. Quand on est sur des programmes longs, qu’est-ce qui est à garder ? Les quantités sont difficilement estimables. On ne sait pas trop ce qu’il va y avoir en exportation, en évolution des programmes et en remises à niveau. Tout cela fait que gérer des stocks sur ces programmes est difficile.

Qui dit stocker dit avoir des conditions de stockage que l’on sache maîtriser. On peut avoir des métaux qui vont se dégrader sous l’influence de l’humidité et de l’oxydation. Il y aura donc des différences entre ce que l’on stocke et ce que l’on va réobtenir au moment où on va en avoir besoin, ce qui est difficile. On a quand même pu le faire dans des cas palliatifs très temporaires. Cela a été l’exemple du quartz sur les composants électroniques où, à la suite d’un blocage pendant trois à six mois, on a pu partir sur des stocks mais on savait exactement ce que l’on voulait et quand on allait l’utiliser.

Plutôt que de faire des stocks, nous essayons surtout de travailler à préparer des solutions de remplacement ou de substitution, donc à soutenir la recherche et le développement des laboratoires des PME. Nous essayons d’identifier, comme le disait M. Marchand tout à l’heure, les points faibles des PME ou des ETI qui vont avoir à apporter des éléments aux différents industriels. Nous souhaitons comprendre comment prendre en compte ces problèmes de stock et les amener à avoir conscience de ce dont ils auront besoin. Ce n’est pas toujours évident.

Nous allons chercher à favoriser, dans les choix initiaux, la disponibilité au niveau national plutôt qu’au niveau européen ou international. Cela sera pour nous plus facile de mettre en place un soutien à la fabrication. On sera plus proches des fournisseurs de façon à pouvoir les aider et leur apporter un soutien, ou tout du moins à identifier les difficultés qui peuvent apparaître le plus en amont possible (sachant que ces fournisseurs peuvent être de rang 2, 3, 4).

Si tout cela n’est pas possible, nous essaierons de multiplier les sources d’approvisionnement dans le choix des matériaux ou dans le choix que l’on fera initialement sur un programme, d’avoir une, deux, ou trois sources, de façon à avoir le temps de réagir, ou tout du moins de pouvoir faire évoluer par la suite nos différents programmes en fonction des besoins et des disponibilités sur d’autres niveaux.

M. Patrick Hetzel. L’autre facette, ce sont les effets négatifs potentiels en cas d’interventionnisme ou de protectionnisme. Pouvez-vous nous en dire plus, Monsieur Grison ?

M. Xavier Grison, Direction générale de l’armement, ministère de la défense. Pour éviter les effets négatifs, le plus simple est de se reposer sur le marché lui-même. L’objectif de sécurité de l’approvisionnement est évidemment antagoniste, puisque le risque est minimum lorsque l’on repose sur une filière qui est intégralement nationale, c’est-à-dire sur un gisement national et des industries exploitantes (qu’elles soient d’extraction ou de transformation), qui sont aussi nationales et à capitaux nationaux. On peut en effet imaginer qu’une industrie sur le sol national, mais avec des capitaux étrangers, puisse être soumise à une pression d’un autre pays pour ne pas livrer dans des moments de crise.

La défense étant, en général, parfaitement marginale en termes de quantité face au marché civil, il est impératif d’avoir des filières nationales autonomes et compétitives sur le marché mondial. Évidemment, ce sont des cas qui sont relativement restreints. À partir de là, on augmente un certain niveau de risque, avec des entreprises nationales à capitaux étrangers ou des entreprises nationales qui vont avoir des accords avec des pays étrangers pour l’accès aux ressources et aux matières premières. Ces accords peuvent être d’industriels à industriels ou d’États à États. Évidemment, il y a un niveau de risque parce que les accords peuvent être dénoncés ou peuvent évoluer.

Il y a ensuite le recours au marché complet, en prenant en compte un certain nombre de stratégies d’approvisionnement, en faisant des stocks stratégiques dans des cas limités ou en recherchant de multiples solutions technologiques, comme l’a dit M. Mortaigne.

Si l’on fait un retour d’expérience sur les cas que l’on a rencontrés, j’ai quatre exemples qui me viennent en tête. Je n’en donnerai évidemment pas de détails en public. Il faut noter que ce n’est pas l’approvisionnement des matières premières elles-mêmes qui a posé problème, mais plutôt celui des produits ayant fait l’objet d’une première transformation. On citait le cas du quartz, par exemple, dont la matière première est du silicium (il y en a partout). Par contre, le quartz de haute qualité, il n’y en a pas tant que ça.

- Le premier cas s’est résolu par la voie diplomatique. Il ne faut pas l’oublier, c’est aussi une voie qui marche et qui est relativement efficace dans un terme bref.

- Le second cas s’est résolu par le rapatriement sur le sol national de la fabrication du matériau nécessaire. Il s’est trouvé que l’on avait le préavis, la technologie et les compétences, qui sont extrêmement importantes, pour le faire.

- Le troisième cas s’est résolu avec un stock stratégique qui a une vocation temporaire, c’est-à-dire le temps de reconstruire une capacité nationale à réaliser le produit nécessaire. Là aussi, les compétences étaient sur place et elles ont permis de le réaliser. Le socle de compétences est extrêmement important.

- Le quatrième cas, qui n’est pas encore résolu, où la voie diplomatique sera probablement inopérante, va devoir se résoudre certainement par une substitution. La substitution, ce n’est pas réaliser la même chose avec un produit différent, puisque si l’on avait choisi le produit initialement, c’est bien qu’il y avait des raisons de performance. Cela va être d’assurer la même fonction d’une façon assez différente, ce qui veut dire aussi un certain nombre de handicaps en matière de performance et de coût de requalification.

DÉBAT

M. Patrick Hetzel. Voilà qui est très précis. Quelqu’un souhaite-t-il s’exprimer pour compléter, éventuellement poser des questions ?

M. Xavier Grison, Direction générale de l’armement, ministère de la défense. Au sujet du fonctionnement du capitalisme, on a dit ce matin « de la nanoseconde au trimestre », on peut peut-être raisonner sur un temps plus long. Notamment dans le domaine de l’armement, il n’est pas du tout naturel pour un industriel de constituer un stock. Constituer un stock, c’est investir aujourd’hui pour résoudre un problème qui va se produire peut-être dans dix-huit mois, mais plus sûrement dans cinq à dix ans, surtout dans le domaine de la défense. Ce n’est donc pas du tout naturel et cela ne se fait en général pas sans l’intervention de l’État, même si c’est l’industriel qui fait le stock.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. L’État et le secteur privé industriel ont des rôles parfaitement complémentaires.

Je voudrais revenir sur la pratique de certains États en matière d’intelligence minérale. On a parlé du Japon, je voudrais parler des États-Unis qui sont quand même un pays de tradition économique plutôt libérale. Je note avec intérêt qu’au niveau des États-Unis, un budget annuel de 16 millions de dollars, ce qui n’est pas tout à fait rien ni non plus monstrueux, est consacré pour cent-vingt postes de travail ETP (équivalent temps plein) à la seule activité d’intelligence minérale. Je suppose que beaucoup de personnes présentes connaissent ou sont déjà allées voir les productions remarquables de l’United States Geological Survey. Beaucoup de données en proviennent.

Au Canada, on trouve une plaquette très bien faite de l’association des juniors d’exploration canadienne, la Prospector & Developers Association of Canada, qui chante en quarante ou cinquante pages les vertus de l’investissement public dans la connaissance du sous-sol canadien. Si je regarde le nombre de dollars qui ont été investis par kilomètre carré d’argent public, je crois que c’est considérable, parce que la carte géologique du Canada a dû être refaite plusieurs fois en cent ans, mais à chaque fois avec de nouvelles technologies, de nouveaux regards et de nouvelles connaissances scientifiques. Il s’agit d’un moteur extrêmement dynamique pour l’économie canadienne, et cela est reconnu comme tel.

Il s’agit d’exemples de rôles d’États modernes qui travaillent en partenariat et en complémentarité du secteur privé. Le JOGMEC au Japon en est un autre exemple. Je pense qu’il n’y a pas d’un côté le tout entreprise, le tout libéral, et de l’autre, le tout étatique. Je pense que le XXIe siècle nécessite une collaboration étroite entre plusieurs moyens, la mise en commun de nos ressources et la reconnaissance du rôle de l’initiative et de la créativité individuelle.

M. Christian Thomas, Terre Nova. Un premier commentaire sur les stocks stratégiques : lorsque l’Union soviétique a disparu, ont été relâchés sur les marchés occidentaux ses stocks d’aluminium et de cuivre, entre autres. Cela a provoqué un tsunami qui a tué une bonne partie de l’économie minérale européenne. Les stocks stratégiques ne sont pas forcément vertueux sur le long terme. Cela dit, contrairement aux États-Unis, l’Europe dispose de peu de mines, qui sont exploitées depuis les Romains. La recherche minière en Europe, même si quelques pays, notamment scandinaves, ont continué à en faire, est assez limitée. Nous sommes donc extrêmement dépendants des importations pour faire fonctionner notre industrie. Nous sommes à peu près dans une situation comparable à celle du Japon. Il y a très peu de mines sur le sol japonais et le Japon est obligé d’aller chercher des métaux à l’extérieur. Mais nous sommes loin d’avoir l’organisation japonaise pour le faire. Sur la partie de la recherche technologique, c’est-à-dire le comment chercher, le programme de R&D japonais est connu et publié. Il comprend des métaux cibles avec des programmes très précis pour pouvoir assurer l’indépendance de l’accès à ces métaux à hauteur de 50 % de la consommation du pays. Nous sommes loin d’avoir ce genre de couverture en Europe pour l’ensemble des métaux.

Cette façon d’accéder et de contrôler les métaux est un vieux souci japonais. Cela se fait par un commerce qui est très agressif. Les shôshas, ou maisons de trading japonaises, travaillent pour les Japonais. Vous n’achèterez pas de métal à une shôsha facilement. Glencore, qui serait une shôsha européenne, vend son métal au plus offrant, mais cela peut être n’importe qui, il n’y a pas de limite. Ce n’est pas parce que cette société est européenne qu’elle a un tropisme européen particulier.

Les Japonais comme les Chinois ou les Coréens investissent et achètent des mines à l’extérieur ou prennent des participations dans des mines. Les trois mines de cobalt les plus récentes qui sont en cours de développement, l’une à Madagascar, l’autre en Indonésie, la troisième en Australie, ont des actionnaires respectivement chinois, coréens et japonais. Notre cobalt viendra finalement toujours de la République du Congo, qui n’est pas forcément un exemple de stabilité à long terme. Nous n’avons pas développé en Europe la même politique et le même souci de contrôler les approvisionnements que le Japon. Les États-Unis, quant à eux, ont de grandes mines et un potentiel minier important, qui est un peu connu, pas forcément en exploitation. Mais ce pays a la capacité de réagir assez vite.

Je souhaiterais ajouter un troisième point. Les mines, et notamment les mines australiennes, fonctionnent en stop & go. Cela veut dire que l’on ouvre une mine, on commence l’exploitation parce que les cours sont plus élevés, on fixe le prix du métal sur cinq ans et cela garantit cinq ans d’exploitation. Puis les cours du métal baissent et on ferme la mine. On la met en cavern maintenance cinq à dix ans sans que cela ne pose de problème dans le cas de l’Australie, puisque la flexibilité sociale australienne n’est pas comparable à nos réglementations sociales. La mine de moyenne qualité économique fonctionne bien parce qu’elle est potentiellement arrêtable et redémarrable à tout moment. C’est assez fondamental. C’est un des éléments qui permet d’avoir des mines de médiocre qualité en fonctionnement et en exploitation. Si l’on ouvre une mine et que l’on est obligé d’aller jusqu’au bout de la mine pour la fermer, on passera par des moments difficiles.

M. Patrick Hetzel. Je suppose que, dans le secteur des métaux, il y a également des achats à terme, comme cela se pratique dans d’autres marchés de matières premières.

M. Christian Thomas. Bien sûr, mais pas sur la totalité des métaux. Il y a des métaux sur lesquels on peut le faire, par exemple, les platinoïdes et les métaux de base qui ont des marchés à terme. Aujourd’hui, on peut fixer le prix d’un métal sur cinq ans. C’est ce que permet de faire le LME ou les autres bourses qui peuvent exister.

C’est un élément important et il faut savoir le faire. Quand on ouvre une mine, mettons que le cuivre soit à 10 000 dollars, il est intéressant de démarrer la mine. On va se fixer pendant cinq ans sur cette valeur-là et on trouve les contreparties qu’il faut pour le faire. À ce moment-là, vous avez cinq ans d’application, cinq ans de fonctionnement avec des cours élevés. Si le métal monte, vous êtes bloqué à vos 10 000 dollars, c’est la contrepartie. Mais si cela permet une exploitation rentable, pourquoi pas, car c’est une très bonne chose. L’ONA (Omnium Nord-Africain), au Maroc, a fait un fixing sur de l’or, mais cet or n’a pas pu être produit. Or quand on s’engage, on est obligé de produire ou de compenser, c’est-à-dire d’acheter sur le marché et de revendre, mais au prix où vous vous êtes engagé à vendre. Il y a donc des contreparties. C’est un vrai métier de faire du fixing ou de travailler sur la bourse. C’est fondamentalement un métier de mineur. C’est quelque chose qui demande des spécialités.

À la SLN comme à Peñarroya il y a quelques années, la logique était de dire : « On ne fixe pas. De toute façon, bon an mal an, cela va s’annuler, donc ce n’est pas la peine de fixer ». Je crois que la seule mine où l’on a fixé, ça a été la mine des Malines. Sur les trois dernières années de la vie des Malines, le prix du zinc a été fixé et la mine a été rentable jusqu’au dernier jour d’exploitation. C’est la seule fois, dans mon expérience minière à l’époque, qu’une entreprise française a fixé ses cours. Le reste du temps, on ne fixait pas et l’on subissait les aléas. Quand vous ne voulez pas fixer et quand vous n’avez pas la flexibilité d’ouvrir et de fermer, vous êtes très vite dans une situation très difficile au niveau minier. Je pense qu’une partie des raisons pour lesquelles les mines de non-ferreux françaises ont été mises en difficulté tient à ce défaut de pratique.

M. Christian Hocquard, géologue-économiste, service des ressources minérales, BRGM. Pour abonder dans le sens du hedging, c’est-à-dire de se protéger contre une baisse des cours, quand vous avez un projet minier et que vous voulez le développer, vous allez à la banque, qui va vous accorder un prix et vous contraindre à faire un hedging pendant au moins les deux ans qui correspondent au temps de remboursement du prêt bancaire, de manière à être garantie en cas de chute des cours. Mais les actionnaires ont horreur du hedging, parce que quand le cours augmente, le cours de l’action n’enregistre pas cette hausse, ce qui est pour eux désagréable.

En Chine, il y a un organisme qui s’appelle le SRB (bureau des réserves d’État) qui fait des stocks stratégiques. Ce ne sont pas des stocks sophistiqués de produits évolués ou de semi-produits, ce sont des stocks de concentrés. L’objectif du SRB est plus d’acheter quand les cours sont bas et de libérer les stocks quand les cours augmentent. Il a ainsi un rôle de tampon et de lissage des cours tout à fait intéressant. C’est le modèle chinois du stockage.

Il y a un autre stockage modèle qui est celui de la Russie, qui est un double stockage : le premier stockage est destiné, en cas de hausse des prix un peu trop élevée, à fournir les industriels ; le deuxième est un stockage quasiment stratégique en cas de crise grave sur certains produits. Il y a plusieurs niveaux, mais dans tous les cas, ce qui est intéressant de considérer, c’est que ce sont des stockages dynamiques, comme le fait également le Korea Resources, qui passe des appels d’offres, qui vend et qui achète. C’est constamment dynamique.

Ce sont des organisations lourdes avec des immobilisations qui en général ne rapportent rien, sauf lorsque vous avez cette notion très dynamique. Cela ne peut être fait que sur des opérations très importantes. C’est toute une préparation et c’est complexe.

M. Patrice Christmann. Je souhaiterais rebondir sur un point précis où je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que vient de dire M. Thomas sur le patrimoine minéral européen.

On est très loin de connaître et d’avoir épuisé le patrimoine minéral européen. Il y a des pays où l’on ne développe pas ce patrimoine, c’est un choix politique ou une absence de choix politique, et même peut-être une absence de réflexion.

Le sous-sol européen est encore fertile. Au cours des quatre dernières décennies, on a découvert et mis en exploitation deux gisements profonds et cachés : le gisement de Neves-Corvo au Portugal découvert au début des années 1980 par des équipes conjointes portugo-françaises, et puis, plus récemment, le gisement de Las Cruces en Espagne, également mis en production, qui est un gisement de cuivre et d’or. En Finlande, on a découvert et mis en production plusieurs mines au cours de ces dernières années.

Aujourd’hui, certains pays européens sont classés parmi les pays les plus attractifs au monde pour l’investissement minier. S’ils n’avaient pas un potentiel géologique bien réel, ils ne seraient pas classés ainsi. Chaque année, et ce depuis une quinzaine d’années, l’Institut canadien Fraser établit un classement des pays par ordre d’attractivité pour les investisseurs miniers, à partir d’un questionnaire envoyé aux acteurs de l’industrie minière mondiale. Les questions sont les mêmes chaque année, ce qui permet de comparer l’évolution des pays. En tête de liste actuellement, on trouve la Finlande, pays le plus attractif au monde pour l’investissement minier. La Suède doit être en position numéro 3. Il me semble qu’en position 5 ou 6, il y a l’Irlande. Ça fait quand même trois pays de l’Union européenne qui sont très attractifs pour les opérateurs miniers. S’il n’y avait pas un potentiel géologique dans ces pays, je me demande pourquoi les sociétés d’exploration y seraient actives. On investit aujourd’hui plus de dollars par kilomètre carré dans l’exploration minière en Finlande ou en Suède qu’au Canada. Après, il y a aussi des pays qui choisissent de ne rien faire. C’est leur problème. Il y en a plusieurs en Europe, dont le nôtre, mais il faut savoir que c’est, au moins je l’espère, un choix politique délibéré.

CONCLUSION

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Évidemment, après une journée aussi intense, les propos conclusifs ne peuvent être que partiels, parce qu’il y a beaucoup d’aspects qui ont été développés. Par contre, quels sont les constats que nous en tirons à ce stade ?

Les besoins au niveau mondial sont assez divers. Cela pose la question de ce qui relève du critique et ce qui relève du stratégique. Cela peut évidemment varier en fonction des filières industrielles, mais aussi en fonction de l’apparition possible de nouvelles technologies. Vous étiez plusieurs à insister sur le fait que de nouvelles technologies étaient susceptibles d’apparaître pour traiter la question des métaux. Certaines nouvelles technologies nécessiteront de nouvelles applications et potentiellement l’utilisation de nouvelles matières premières.

Vous avez insisté sur le rôle incontournable de la Chine, en tout cas comme acteur majeur aujourd’hui dans ce secteur, avec un poids sans doute croissant, dans les années à venir, de l’Inde et, peut-être aussi, de l’Afrique. Je retiens cette phrase : « Le jour où l’Afrique s’éveillera, la Chine aura des difficultés », qui montre bien comment cet aspect est susceptible d’évoluer dans les années à venir. Il faut noter également l’importance des fluctuations liées aux prix, les possibles manipulations des prix, et également le fait que les sociétés junior sont évidemment fortement liées à cette fluctuation des prix. Il y a donc une certaine forme de fragilité.

En termes de politique publique, cela rejoint ce que disait à l’instant même M. Christmann. Il faut que la France se pose les bonnes questions. Le fait de prendre un certain nombre de choix stratégiques consistant à dire : « On décide de ne pas y aller », peut être un choix, mais il faudrait que ce soit explicité. En tout cas, que l’on ne se retrouve pas dans une situation de non-choix.

Vous avez bien fait de le rappeler, nous l’avons constaté aussi : un certain nombre de pays européens ont décidé de considérer leur sous-sol comme étant une ressource stratégique, et que l’investissement dans le secteur minier méritait une incitation de nature fiscale parce que cela pouvait être et devait être assimilé à de la recherche et développement. Cela peut poser des questions, mais il y a des débats sur la place du crédit d’impôt recherche. Voilà peut-être une manière d’élargir les possibilités du crédit d’impôt recherche. Ce pourrait être un levier d’action.

La représentante du ministère des affaires étrangères a insisté aussi sur le fait que le secteur minier entraînait des effets de filières extrêmement importants. Monsieur Thomas, j’ai bien retenu que vous faisiez référence au fait que nous avions hélas perdu les équipementiers qui se retrouvaient en amont de la filière et que nous avons par ailleurs retrouvés en Suède. On voit bien que le secteur minier a des incidences importantes en amont et évidemment en aval. C’est aussi un secteur dans lequel la compétitivité est largement liée au secteur énergétique, ce qui pose la question de l’énergie.

J’ai noté aussi que plusieurs d’entre vous ont insisté sur les décisions liées à la transition énergétique, qui pourraient avoir des incidences sur le degré de compétitivité à venir. C’est un point à ne pas négliger, et qui a un impact potentiellement important lié à la réouverture de mines et surtout à la mise en place d’une filière minière.

Y-a-t-il ou non des mines en France ? C’est un thème de débat. Il est clair que nous avons a minima encore la chance d’avoir des compagnies minières qui interviennent à l’étranger, ce qui permet également de maintenir un savoir-faire. La France a encore la chance extraordinaire de disposer de savoir-faire et d’outils de formation et, notamment, d’une dizaine d’écoles qui transmettent encore ces savoir-faire. Mais que va-t-il se passer dans l’avenir ?

Cela montre le lien entre industrie, recherche mais aussi enseignement supérieur. Il faudra se poser la question du maintien du savoir-faire, peut-être d’ailleurs même indépendamment de l’existence de la filière sur le sol français, même si cela me paraît difficile dans la durée. En tout cas, si nous perdons le savoir-faire, nous n’aurons plus la maîtrise technologique dans la durée et nous deviendrons de plus en plus dépendants de nos fournisseurs potentiels.

Que faudrait-il faire ? Là aussi, quelques éléments ressortent et sont à noter, notamment l’intérêt d’une coopération plus forte entre les acteurs, à l’exemple de la Rohstoffallianz en Allemagne, même si on a également entendu : « Nous ne sommes pas l’Allemagne ». Vous faisiez le parallèle avec le COMES en disant qu’il y a deux poids et deux mesures. Il y a sans doute quelque chose à faire.

Il serait intéressant d’établir une liste des métaux stratégiques et critiques, à l’instar de ce qui peut se pratiquer aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suède, en Finlande, et de définir une stratégie minière, parce que l’on voit bien que cela fait aujourd’hui défaut.

La recherche est dynamique, mais il serait utile de la financer davantage. J’ai noté ce que disait M. Cathelineau : « Finalement, il n’y a pas d’alliance » ou « Les alliances ne s’occupent pas spécifiquement du sujet ». Quand je me tourne vers le CEA, nous voyons bien aussi que la difficulté peut exister en termes de financement. Il faudrait donc une programmation peut-être plus systématique des appels à projets dans ce secteur.

Quelques dizaines de millions d’euros auraient un impact extrêmement important. Je retiens l’image de M. Christmann de l’euro par concitoyen. Cette volumétrie d’une soixantaine de millions d’euros permettrait de voir de quoi il en retourne.

Lors de la prochaine audition publique, nous mettrons davantage l’accent sur les questions de recherche et de formation. J’utiliserai une image : cela mérite d’être « creusé ».

J’ai entendu des réflexions mitigées sur le rôle de l’Europe, qui certes a développé des réflexions intéressantes (vous étiez plusieurs à citer Horizon 2020 et à parler des programmes collaboratifs, des KICs), mais qui n’a pas défini de véritable politique minière. Dans le futur, il faudra inclure ce thème dans les compétences de l’Union. En tout cas, cela mériterait de l’être.

Il faut aussi s’intéresser aux politiques menées par d’autres pays, et notamment les États-Unis, les pays scandinaves, le Japon et la Chine. Comme je disais ce matin, l’ombre chinoise est en permanence présente.

Je retiens évidemment l’intérêt d’une réflexion globale portant sur le cycle de vie et débouchant sur une pratique active du recyclage, même s’il ne faut pas ignorer la question de la rentabilité économique. Vous étiez plusieurs à l’évoquer et à dire que les filières ne se mettent en place que s’il y a une rentabilité économique ou que s’il y a une incitation voire une obligation. S’il n’y a pas d’obligation légale, cela ne fonctionne pas si le secteur n’est pas rentable.

Dans beaucoup de cas de figure, le recyclage ne suffira pas pour faire face aux besoins, même s’il faut affiner la réflexion matière première par matière première. Dans un certain nombre de cas, notamment quand on est sur des métaux qui sont employés dans le secteur de la construction, il faut raisonner sur une cinquantaine d’années, ce qui entraîne des décalages très importants. Le recyclage, même s’il faut l’étudier avec beaucoup d’intérêt, ne saurait en aucun cas constituer la seule réponse possible pour faire face aux besoins.

Je retiens, de même, l’intérêt d’une veille, d’une meilleure connaissance de la situation, d’une prise de conscience par les utilisateurs de ce qui est contenu dans les produits, sans doute un accord sur l’idée que le code minier est inadapté et qu’il convient donc de le modifier. On sait que c’est un processus en cours et qu’il est relativement long.

Nous avons terminé par la question des stocks stratégiques qui restent une vraie question. Mais vous étiez plusieurs à indiquer que ça n’est pas la panacée.

Je terminerai en insistant sur le rôle de l’État, qui reste à définir. Ce sera l’un des chapitres de notre rapport. J’ai noté avec intérêt votre définition du colbertisme, même si elle est ancienne. On peut la réactualiser. L’activité minière peut être moderne, et ce serait dommage, aujourd’hui, de la reléguer en pertes et profits car nous avons, en France, une tradition dans ce secteur.

Merci encore pour vos contributions respectives. Notre travail va encore se poursuivre pendant quelques mois. Le rapport sera prêt au printemps 2016. Comme vous le savez, l’OPECST a la chance, contrairement à d’autres domaines de l’activité parlementaire, de ne pas travailler dans la précipitation. Cela ne veut pas dire que le travail ne se fait pas, mais on se laisse un peu de temps et de recul pour ne pas tomber dans le piège des réponses immédiates qui, en réalité, peuvent être extrêmement dangereuses quand on n’a pas en amont suffisamment bien formulé le diagnostic et les vraies problématiques.

En tout cas, grâce à vous aujourd’hui, l’éclairage nous paraît de plus en plus précis.

ANNEXE 2 :
COMPTE RENDU DE L’AUDITION PUBLIQUE DU 29 FÉVRIER 2016 SUR « QUELLES POLITIQUE POUR LES TERRES RARES
ET LES MATIÈRES PREMIÈRES STRATÉGIQUES ET CRITIQUES ? »

PROPOS INTRODUCTIFS

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Nous avons déjà eu l’occasion de rencontrer certains d’entre vous lors d’entretiens particuliers ou dans le cadre de notre première audition publique, en juillet dernier, et sommes ravis que d’autres nous rejoignent aujourd’hui.

Je rappelle que notre première audition publique sur les terres rares et les matières premières critiques et stratégiques a porté sur les besoins industriels, économiques et stratégiques, les risques de pénurie, les perspectives d’évolution de l’offre, le recyclage et enfin le rôle de la puissance publique et des industriels.

M. Patrick Hetzel et moi-même sommes de retour du Japon, où nous avons pu appréhender la réalité du recyclage au plan industriel, les potentialités d’exploitation des fonds sous-marins, domaine que nous n’avions que peu exploré jusqu’alors, et les modalités d’intervention de l’État dans un domaine jugé ô combien stratégique par les Japonais.

Nous nous sommes aussi rendus à La Rochelle la semaine passée, pour visiter les installations de Solvay, que M. Alain Rollat nous présentera au cours de la deuxième table ronde.

Nous projetons par ailleurs de nous rendre à la fonderie d’Auby, près de Douai, dans le Nord, où nous serons accueillis par le groupe Nyrstar.

Ces visites de terrain complètent utilement celles effectuées l’été dernier en Scandinavie, notamment en Suède et en Finlande, et nous permettent d’enrichir les débats de nos auditions, en ayant connaissance de modèles différents du modèle français.

À ce stade, je souhaiterais préciser le propos, afin de continuer à alimenter nos discussions et déboucher sur des propositions que nous pourrions faire au gouvernement à l’issue de nos travaux, d’ici quelques semaines, au mois de mai très probablement.

Le premier thème de cette journée concerne l’avenir de l’industrie minière et métallurgique, en France et en Europe. Je souhaite que vous puissiez notamment réagir à la situation des mines modernes qui, en Finlande et en Suède, offrent des salaires corrects et sont respectueuses de l’environnement. Nous voudrions savoir si ces deux exemples scandinaves vous semblent transposables en France et, dans l’affirmative, dans quelles conditions. Comment, par ailleurs, redonner le goût de la mine à des populations qui ne l’ont jamais connu jusqu’alors ou ne s’en souviennent que partiellement ? Dans nos territoires respectifs, c’est-à-dire dans l’Est pour M. Patrick Hetzel et dans le Nord pour moi, cela renvoie en effet à une culture historique. Comment, enfin, aboutir à une acceptabilité sociale de ces activités métallurgiques et minières ? Devrait-on, pourrait-on, comme dans ces deux pays scandinaves ou au Japon, définir une stratégie minière nouvelle ? Serait-il possible d’établir une liste de matières premières stratégiques et critiques servant de base à une telle stratégie, en dehors de la liste de référence dressée par l’Union européenne aujourd’hui ?

La deuxième table ronde portera sur la mesure et l’évaluation de la gravité des risques liés à l’exploitation minière. Nous aurons notamment l’occasion d’évoquer les normes actuelles et de nous interroger sur la question de savoir si elles sont suffisantes. Nous pourrons aussi réfléchir à la communication à mener pour donner confiance à des populations qui habitent à proximité de nouveaux sites miniers potentiels ou ayant déjà donné lieu à des permis d’exploitation. Nous évoquerons également les perspectives offertes en parallèle par le développement des réseaux sociaux : les institutions publiques en France en ont-elles bien pris la mesure ? Leur stratégie de communication institutionnelle est-elle adaptée ?

La troisième table ronde sera consacrée à la recherche et à la formation. Là se situent la clé de notre futur commun et la seule façon de faire face à la montée en puissance de la Chine et à sa spécialisation croissante des éléments de la chaîne de valeur. Comment s’organiser, dans cet environnement mondialisé, pour avoir un temps d’avance ? Sommes-nous si sûrs de trouver encore longtemps la capacité de développer de nouvelles solutions créatrices de valeur ajoutée ? Cela soulève aussi la problématique des brevets : en prenons-nous suffisamment dans un contexte dans lequel la part des brevets asiatiques augmente considérablement depuis quelques années ?

Nous terminerons cette journée d’audition par une table ronde sur la coopération et les enjeux internationaux. La France possède indéniablement des atouts, du fait de son réseau diplomatique et de son expérience dans les accords bilatéraux et multilatéraux ; mais ce système est-il assez cohérent ? La coopération suppose également de disposer de budgets suffisants : or la réalité est parfois bien différente. J’en veux pour illustration le cas de l’Ifremer, qui dispose d’une expérience considérable en matière d’exploration des fonds marins. La question n’est plus aujourd’hui d’explorer pour soi-même, mais de participer à des projets communs de grande ampleur. Le Japon, nous l’avons constaté, souhaite développer des opérations communes avec l’Ifremer, afin d’identifier dans un premier temps les ressources marines profondes grâce à des forages de 5 000 à 6 000 mètres au fond des océans. Or les moyens dont dispose l’Ifremer sont insuffisants pour lui permettre de participer à de tels projets. Il nous reste à espérer que, dans ses négociations budgétaires, il lui sera possible d’obtenir un budget suffisant. Nous tâcherons en tout cas de l’accompagner au mieux.

Voici, brièvement énoncées, quelques-unes des questions soulevées par cette problématique. Bien d’autres, souvent complexes, qui mériteraient évidemment d’être développées, émergeront certainement au fil des débats. Nous souhaitons, collectivement, grâce à votre expertise, être en mesure d’y apporter un début de réponse.

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Permettez-moi, avant d’entrer véritablement dans les débats, de vous rappeler les règles du jeu : nous avons prévu une succession d’interventions brèves, afin de disposer ensuite de temps pour la discussion.

M. Gwenolé Cozigou, directeur à la Direction générale de l’entreprise et de l’industrie à la Commission européenne, étant dans l’obligation de rejoindre Bruxelles très rapidement, nous avons décidé de lui donner la parole immédiatement, de sorte que son intervention constituera un propos introductif à la première table ronde.

Comme le rappelait Mme Delphine Bataille, nous avons constaté, lors de notre voyage au Japon, que la coopération aujourd’hui sur la question des terres rares, mais aussi, plus largement, sur les matières premières stratégiques et critiques, était menée au sein de la triade, c’est-à-dire entre le Japon, les États-Unis et l’Union européenne. La question se pose donc pour nous de la place de la France dans ce dispositif.

PREMIÈRE TABLE RONDE :
QUEL AVENIR POUR L’INDUSTRIE MINIÈRE ET METALLURGIQUE
EN FRANCE ET EN EUROPE ?

M. Gwenolé Cozigou, directeur à la Direction générale de l’entreprise et de l’industrie, Commission européenne. Je suis désolé de devoir vous quitter si vite, mais je dois assister à Bruxelles à un Conseil « compétitivité ». Les deux points qui m’intéressent plus particulièrement lors de ce Conseil portent d’ailleurs sur l’acier d’une part, et sur l’économie circulaire d’autre part, sujets qui ne sont pas sans relation avec vos travaux.

Pour ce qui concerne la coopération trilatérale avec les États-Unis et le Japon, je signale que j’étais moi-même à Tokyo la semaine dernière, au ministère de l’industrie, où nous avons évoqué les projets susceptibles d’être mis en œuvre dans le cadre de notre programme de recherche et développement, Horizon 2020, et de son équivalent japonais.

L’industrie minière et métallurgique a-t-elle un avenir en Europe ? Nous en sommes convaincus. Cela nous semble absolument nécessaire. Au-delà de l’importance de ces industries en tant que telles, en termes de production et d’emploi, il s’agit d’activités essentielles pour des chaînes de valeur extrêmement importantes dans l’Union européenne. Le BTP et l’industrie automobile sont, par exemple, deux chaînes de valeur qui représentent une part importante de notre économie et ne pourraient se développer de manière saine sans la présence en amont d’activités minières et métallurgiques.

Ceci est tellement essentiel que nous avons lancé, voici huit ans, l’initiative matières premières au niveau européen, dans le cadre d’une stratégie européenne dans ce domaine. Elle porte sur trois axes de travail.

Le premier concerne l’accès aux ressources, aux matières premières, à l’extérieur de l’Union européenne. Vous avez évoqué les terres rares et vous souvenez sans doute du conflit commercial qui nous avait opposé à la Chine et de la plainte que nous avions déposée auprès de l’OMC et qui portait notamment sur les terres rares. Nous avions eu la chance de gagner. Je signale au passage que les procédures de l’OMC sont telles que le traitement d’un cas demande environ trois ans. Or au terme de ces trois années, les activités de transformation ont déjà, bien souvent, déménagé. Ainsi, nous avons, certes, gagné le recours ; pour autant, les conséquences au niveau économique ne sont pas aussi positives que le résultat juridique le laisserait supposer.

L’accès aux ressources s’effectue dans le cadre de la coopération bilatérale et des actions multilatérales (dans le cadre par exemple de l’OMC) ou de dialogues « matières premières » que nous menons avec des pays riches en ressources et des partenaires développés, dont les États-Unis et le Japon. Cette coopération trilatérale sur les terres rares et leurs substituts fonctionne très bien, en particulier avec les Japonais, avec lesquels nous développons conjointement des activités concrètes.

Le deuxième pilier de cette stratégie européenne porte sur l’accès aux matières premières à l’intérieur de l’Union. La compétence communautaire en la matière est quasi inexistante : ce domaine relève, en effet, essentiellement d’une compétence nationale, voire régionale dans certains États membres comme l’Allemagne. Ceci étant, nous réunissons les États membres pour leur présenter les bonnes pratiques. Je vous citerai par exemple le cas d’un État membre dans lequel il fallait disposer de plusieurs autorisations ministérielles. Or cet État attendait que le premier ministère saisi ait donné un avis pour que le deuxième commence l’instruction et ainsi de suite, de sorte que le permis n’était éventuellement délivré que six ou sept ans plus tard, alors que l’investisseur était déjà parti, faute de pouvoir attendre aussi longtemps pour commencer à travailler. D’autres États membres fonctionnaient de façon similaire. Nous avons donc simplement alerté les États concernés sur les difficultés liées à cette approche successive et les avons incités à modifier leur pratique, ce qui a, à ma connaissance, été fait.

Nous faisons également de la recherche dans le domaine des matières premières et avons décidé, pour la première fois, d’y consacrer un budget isolé, identifié, dans le cadre de notre programme de recherche et développement Horizon 2020, soit environ 600 millions d’euros sur la période 2014-2020. Les travaux de recherche financés s’inscrivent tout au long de la chaîne de valeur, de l’exploration au recyclage, en passant par l’extraction et la transformation notamment.

Le troisième pilier concerne l’utilisation efficace des ressources et le recyclage, c’est-à-dire le volet des matières premières secondaires. Cette stratégie, que nous mettons en œuvre depuis huit ans maintenant, est complétée, ainsi que vous l’avez précisé, par la liste européenne des matières premières critiques, que nous avons développée, révisée une première fois et bientôt une deuxième, puisque nous avons prévu une révision tous les trois ans. Cette liste nous permet notamment de définir nos priorités dans la négociation des accords commerciaux, (notamment des accords de libre-échange avec les pays tiers). Elle encourage, par ailleurs, d’autres acteurs à développer leur propre liste de matières premières critiques, au niveau des États membres et surtout des entreprises. Je souligne que l’administration française avait lancé de ce point de vue une initiative très intéressante, sous la forme d’un logiciel utilisable par les entreprises pour effectuer leur propre analyse dans ce domaine. Nous avions en effet remarqué que la vision des grandes entreprises était souvent limitée à un niveau de fournisseurs et ne prenait pas en compte les besoins en termes de sécurité d’approvisionnement de ce que leurs deuxième, troisième ou quatrième niveaux de fournisseurs nécessitaient.

Nous avons également élaboré un partenariat européen pour les matières premières, visant à rassembler les acteurs et à leur permettre de coopérer.

Je mentionnerai enfin le triptyque « éducation – recherche – innovation », avec le lancement d’une communauté de l’information et de la connaissance sur les matières premières, nommée « KIC ». Dans ce cadre, nous sommes précisément en train de travailler avec le KIC pour envisager le lancement d’une plateforme européenne d’investissement sur les matières premières, qui serait également soutenue dans le cadre du plan Juncker et du fonds européen pour les investissements stratégiques. J’ai ainsi organisé voici quinze jours une réunion avec la Banque européenne d’investissement, le Fonds européen d’investissement et le KIC, afin de voir dans quelle mesure nous pouvons assurer aux start-ups ou aux entreprises qui débuteraient une activité dans le domaine de bénéficier d’un financement lors de leurs phases de démarrage et de post-démarrage.

Il me semble en outre important de faire ici référence au volet consacré à l’économie circulaire. En décembre 2015, la Commission européenne a adopté un plan d’action dans ce domaine, qui vise lui aussi l’ensemble de la chaîne, de la production aux matières premières secondaires. Ce plan prévoit, pour développer l’économie circulaire, des mesures réglementaires, mais aussi volontaires (incitations et autres), non seulement horizontales, mais également spécifiquement adressées à des secteurs comme les déchets alimentaires, les matières premières critiques, la construction et la démolition, ou encore la biomasse, ces mesures ciblées ayant pour objectif d’accroître la circularité de l’économie européenne.

Pour ce qui concerne plus particulièrement la Direction dont j’ai la charge, il s’agit également d’une question de sécurité d’approvisionnement, puisque nous travaillons sur les matières premières primaires, en approvisionnement interne et externe, mais aussi sur les matières premières secondaires, qualifiées parfois de « mines urbaines », qui constituent un autre volet nous permettant d’envisager une diversification des sources d’approvisionnement. Pour nous, la notion de « sécurité d’approvisionnement » n’est en effet pas synonyme d’autarcie, mais de diversification de l’approvisionnement.

Nous avons par exemple prévu dans ce cadre le développement de normes de qualité pour les matières premières secondaires, pour lesquelles l’accès à un marché suppose de donner des garanties quasiment équivalentes à celles offertes pour les matières premières primaires.

Nous avons également envisagé des mesures facilitant le transfert des déchets au sein de l’Union européenne, ce qui n’est pas aisé actuellement, et l’échange d’informations entre chaînes de valeur, dans la mesure où, très souvent, les déchets de l’une peuvent constituer les matières premières secondaires d’une autre, sans qu’elle ne le sache forcément.

Nous allons en outre travailler sur la question de la cohérence des politiques. Il existe en effet des politiques relatives aux produits, aux substances chimiques (je pense particulièrement à la réglementation REACH, bien connue désormais et dont j’ai eu la charge pendant quelques années) : la cohérence de cette politique avec celle concernant le recyclage et la volonté de développer une circularité de l’économie n’est, à l’heure actuelle, pas toujours très évidente. Il nous semble donc nécessaire de clarifier la situation.

Nous souhaitons enfin développer un système européen d’information sur les matières premières, visant à mettre en évidence les flux existants dans ce domaine.

Je terminerai en mentionnant le fait que l’Allemagne, qui assurait l’an dernier la présidence du G7, a lancé une activité spécifique sur l’efficacité des ressources, dans laquelle le volet dédié à l’économie circulaire intéresse tout particulièrement la Direction générale de l’entreprise et de l’industrie. Nous coopérons ainsi avec nos sept partenaires (l’Union européenne étant le huitième membre du G7) dans ce domaine. Il ne serait en outre guère étonnant que cette même Allemagne, à laquelle sera confiée l’année prochaine la présidence du G20, étende à ce groupe ce type de travaux, de manière à intéresser également à cette problématique des économies émergentes.

La sécurité d’approvisionnement étant notre maître-mot, nous essayons, ainsi que j’ai essayé de vous le démontrer, d’actionner tous les leviers nous permettant d’aller dans cette direction.

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Il est intéressant que vous évoquiez cette stratégie explicite de l’Union européenne. Notre voyage au Japon nous a permis de bien mettre en perspective le fait que l’État japonais s’appuyait sur quatre piliers stratégiques, dont la sécurisation de l’approvisionnement, essentielle dans la mesure où le pays ne dispose pas de ressources sur son territoire. Nous avons également pu voir les travaux importants menés en direction des mines urbaines, et plus particulièrement du recyclage, ainsi que les approches développées en termes de substitution de matières premières, et les logiques engagées dans le domaine de la recherche et développement pour réduire les quantités présentes de certaines matières premières critiques ou stratégiques.

Merci également d’avoir insisté sur le fait que l’OMC avait donné gain de cause à l’Union européenne. Les Japonais se situent en l’occurrence dans la même optique et parviennent à la même conclusion que vous : la victoire juridique ne se double pas d’un succès économique, et ce d’autant moins que cela permet progressivement aux acteurs chinois d’élargir leur place dans le processus et de se situer davantage en amont et en aval, avec tous les problèmes économiques que cela suppose.

Je vous propose, pour poursuivre cette réflexion, d’entendre M. Rémi Galin, chef du bureau de gestion et de la législation des ressources minérales au ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, autour de la question de savoir comment attirer les investisseurs et qu’attendre de la réforme du code minier, sujet sur lequel interviendra également ensuite M. Alain Liger, en sa qualité d’ancien secrétaire général du COMES.

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Je souhaiterais au préalable, si vous me le permettez, soumettre quelques questions à M. Gwenolé Cozigou. Vous avez largement évoqué les perspectives de recherche : quelles sont les priorités au plan européen ? Pensez-vous que les esprits soient mûrs pour que l’Union européenne dispose d’une compétence dans le domaine des matières premières ? Quels moyens imaginer pour stimuler la coopération entre laboratoires universitaires et centres de recherche dans plusieurs pays européens ? Comment favoriser cette coopération européenne de sorte que l’Europe soit davantage présente sur la scène internationale, par rapport notamment à la Chine ? Nous voyons bien aujourd’hui que Solvay est la seule entreprise européenne capable d’effectuer de la séparation et de la purification des terres rares. Je souhaiterais que vous nous fassiez partager votre vision de la situation à l’échelle internationale.

M. Gwenolé Cozigou. La priorité européenne en matière de recherche est, schématiquement, de ne pas en avoir. La priorité est, en effet, de considérer l’ensemble de la chaîne de valeur, dans la mesure où il existe, à chaque niveau, des possibilités de blocage et de goulots d’étranglement. Se concentrer sur l’exploration en négligeant l’extraction est inutile. Travailler sur l’exploration et l’extraction en ignorant la chimie métallurgique est également inefficace. Il est important d’appréhender l’ensemble de la chaîne de valeur, incluant le recyclage et éventuellement la substitution, afin de pouvoir couvrir nos besoins.

Les esprits sont-ils mûrs pour une compétence européenne dans ce domaine ? Je suis fonctionnaire européen depuis 1983 et dois bien avouer avoir connu des périodes plus fastes en termes d’esprit européen. Une demande existe clairement. Le fait même que nous disposions d’une stratégie européenne en termes de matières premières en témoigne. Nous avons par exemple une compétence exclusive en matière de politique commerciale et une compétence complémentaire en matière de recherche. Nous utilisons donc les compétences existantes et travaillons, lorsque nous n’en disposons pas, au développement de la coopération entre les États membres, dans la mesure où ceux-ci le souhaitent, ce qui est souvent le cas dans ce domaine. Un élargissement des compétences communautaires est un vaste programme, sur lequel je préfère laisser la parole à nos hommes politiques.

La coopération entre les laboratoires, les centres de recherche, les universités est l’objet d’un travail avec les structures académiques et les industries, entre lesquelles il nous semble important de créer un lien. Cela s’effectue via le programme Horizon 2020, mais aussi par l’intermédiaire du partenariat européen à l’innovation et du KIC, la communauté de connaissance et d’innovation que j’ai mentionnée dans le cadre de mon exposé. Il s’agit d’un axe important de notre politique que de mettre les acteurs en réseau, de les faire travailler ensemble.

Concernant votre dernière question, il faut savoir que nous ne sommes pas aussi riches en ressources que certains autres pays de par le monde. Nous disposons néanmoins d’une place dans le contexte international, comme en témoigne notre coopération trilatérale avec les États-Unis et le Japon. Au-delà de l’industrie minière et métallurgique, il faut savoir par ailleurs que nous disposons, en Europe, d’entreprises productrices de gros équipements miniers. Les entreprises européennes couvrent ainsi 70 à 80 % du marché mondial. Nous sommes des fournisseurs majeurs dans le domaine des activités minières. Nous travaillons donc aussi dans ce secteur, en encourageant par exemple les autorités chiliennes à sécuriser leurs mines, afin de garantir une sécurité d’approvisionnement.

Notre action s’exerce ainsi de multiples façons, tant au niveau commercial que dans le cadre de travaux au sein d’enceintes multilatérales, comme l’OMC pour les conflits commerciaux ou encore l’OCDE en matière de bonnes pratiques des entreprises, mais aussi pour expliquer aux pays riches en ressources que la mise en place d’embargos à l’exportation des matières premières n’est pas nécessairement le meilleur moyen pour attirer des investisseurs et assurer leur développement et que l’utilisation de leurs ressources comme élément moteur de la croissance et du développement économiques pourrait être plus efficace, à partir du moment où les revenus tirés de la fiscalité sur les entreprises minières viennent abonder le budget de l’État.

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE). Je vais centrer mon propos sur les mines susceptibles, en France, de produire des matières premières critiques ou stratégiques. Je n’évoquerai donc pas la Guyane et l’extraction d’or.

Pour vous donner quelques repères chiffrés, sachez que nous avons mené un parangonnage sur les mines européennes et que cela laisse penser qu’il serait possible, sur des projets similaires en métropole, d’effectuer des investissements de l’ordre de la centaine de millions d’euros, voire légèrement plus, avec des effectifs en emploi direct de 100 à 150 personnes. En termes de dépenses d’exploration, les projets actuellement en cours correspondent à des sommes allant d’un à neuf millions d’euros sur des campagnes ambitieuses.

Une fois qu’un investisseur minier a trouvé son gisement et qu’il le pense économiquement exploitable et a priori compatible avec l’environnement sociétal et naturel, il est un investisseur comme un autre, avec seulement quelques particularités liées à l’activité de la mine. Le plus important se joue avant, lors des phases préparatoires, qui peuvent durer une bonne dizaine d’années à compter de la sélection de la zone d’exploitation. Viennent ensuite l’exploration, puis les études de faisabilité. Je passerai sur les étapes d’exploitation et de fermeture, pour insister davantage sur les premières phases, dans lesquelles les pouvoirs publics ont le rôle le plus important à jouer. C’est là que se construit véritablement le projet, que l’on vérifie sa faisabilité. Il est alors très important de disposer de données géologiques : c’est le rôle du BRGM, sur lequel M. Patrice Christmann reviendra ultérieurement.

Je pense surtout qu’il faut afficher une stratégie minière. La loi relative à la transition énergétique a ainsi demandé la mise en place d’une stratégie d’économie circulaire, dans laquelle le premier pilier est l’approvisionnement durable. Or cette viabilité peut être recherchée notamment à travers l’approvisionnement minier national. Il s’agit tout d’abord, dans les principes, d’améliorer la connaissance de notre domaine minier. Notre pays n’a, à ce titre, rien d’un eldorado ; nous y avons néanmoins déjà exploité des substances stratégiques, comme le tungstène, l’antimoine, le germanium, la fluorine. Il n’y a pas de raison que l’on ne trouve pas de nouveaux gisements, peut-être plus profonds.

Une fois que le domaine minier l’intéresse, l’investisseur s’attache à connaître les conditions dans lesquelles il va pouvoir monter son projet et réaliser son activité, en termes d’infrastructures, de qualité de la main d’œuvre, de fiscalité et de cadre juridique. Malgré un repli de l’activité minière, l’activité minérale reste importante dans notre pays, ce qui a conduit au maintien d’un tissu de formation satisfaisant, à travers notamment le réseau des écoles des mines, qui s’exprimera plus avant dans la journée. Il s’agit d’un élément important, qu’il faut continuer à entretenir. Cela nous permet en effet de vendre des prestations à l’extérieur, donc d’assurer aussi nos approvisionnements.

La réforme fiscale sur le code minier est annoncée. Il s’agit également d’une condition d’intérêt. Il est de notoriété publique que le code minier a besoin d’être modernisé. Il est très difficile en ce moment de motiver des décisions, notamment d’exploration, dans un cadre juridique contesté. La réforme vise donc à moderniser ce cadre, en permettant une plus large participation du public, en prenant mieux en compte la sécurité des travailleurs, la sécurité publique et la protection de l’environnement. Concernant ce dernier aspect, les processus travaux, qui seront détaillés tout à l’heure par la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), sont déjà d’un très bon niveau et apparaissent relativement contraignants. Le code minier pêche en fait plutôt par les modalités des décisions et leur relatif manque de transparence, qui font que les parties prenantes comprennent mal les processus miniers.

Il est donc nécessaire d’améliorer ce texte, d’abord en fixant un cadre qui sorte de l’enquête publique, qui ne représente finalement qu’un constat des objections, des critiques et des craintes et ne prévoit pas d’échanges sur la construction du projet, échanges qui permettraient de dégager ce que serait un projet acceptable.

Vis-à-vis des investisseurs, la réforme doit s’attacher à augmenter la rapidité des décisions. Cette volonté peut venir en contradiction avec le souhait d’accroître la participation du public. Il est important de correctement gérer l’articulation entre ces deux aspects.

Je terminerai en insistant sur le fait qu’une mine n’est pas qu’une empreinte environnementale, mais aussi, comme le souligne M. Michel Jebrak, une installation industrielle qui s’installe dans un milieu naturel, dans un environnement humain, qu’elle va modifier, transformer. Cela doit être anticipé et ne relève pas de la loi minière. C’est la raison pour laquelle le ministre Emmanuel Macron a lancé la démarche « mine responsable », qui constitue l’élément central de l’intervention de M. Alain Liger.

M. Patrick Hetzel. Voici effectivement une transition parfaite avec l’intervention de M. Alain Liger, que nous avons déjà eu l’occasion d’accueillir.

Il est intéressant pour nous de vous entendre aujourd’hui sur la question de la réforme du code minier, et plus particulièrement sur le concept de « mine responsable ». Lorsque nous avons échangé avec les responsables des pays scandinaves sur les questions d’activité minière, nous avons constaté qu’une attention toute particulière était portée à la notion d’acceptabilité de la part des populations, autour du fameux syndrome « Not in my backyard », renvoyant à l’idée selon laquelle on souhaite disposer des ressources sans que l’activité ne soit développée directement sur son propre sol, en proximité.

M. Alain Liger, ingénieur des mines, ancien secrétaire général du COMES. Avant d’être secrétaire général du COMES, j’ai eu l’occasion de pratiquer de nombreux Codes miniers dans le monde, dans des conditions variées. Le sujet de cette table ronde, et plus globalement de cette journée d’échange, va à mon sens bien au-delà de la question des métaux stratégiques, puisqu’il conduit à aborder des questions qui se posent d’une façon générale à l’ensemble de l’industrie minérale. Il est important de garder présent à l’esprit cet aspect.

Les principes du code minier français sont assez universels. Même si chacun a entendu parler de la responsabilité des propriétaires terriens aux États-Unis, il faut savoir que cela ne concerne qu’une partie des États-Unis et que la situation qui prévaut sur les terres fédérales américaines est assez semblable à celle que nous connaissons en France, en Allemagne, en Suède, en Afrique ou en Amérique latine. Il s’agit d’une administration par l’État, différente de la règle environnementale, d’un cadastre consistant à attribuer des zones. Cela établit par là même une sécurité juridique avec les autres règles de comportement, dont les règles environnementales et sociales établies par ailleurs, et le code fiscal, qu’il soit ou non spécifique des activités minérales.

Les dernières discussions sur le code minier auxquelles j’ai participé se caractérisent notamment, ainsi que l’a souligné M. Galin, par le besoin de rétablir un dialogue avec le territoire (l’enquête publique a été abrogée dans chaque commune) et la nécessité d’améliorer les délais de traitement.

Le code minier n’est toutefois pas le souffle de la vie ; ce dernier réside éventuellement dans une stratégie de l’État, n’impliquant pas forcément un budget, mais surtout dans une volonté de mise en valeur du territoire. Un code n’est qu’un ensemble de règles. Ce souffle relève essentiellement des opérateurs, des explorateurs et des territoires, d’où le concept de « mine responsable ».

Cette démarche, lancée par M. Emmanuel Macron, vise à se préparer à vivre ensemble. Notre travail a consisté dans ce cadre à expliquer ce que sont l’exploration et l’exploitation, la production, le traitement sur la mine. Il existait déjà des manuels d’exploitation des mines, peu accessibles toutefois au grand public. Il nous semblait donc important de débattre de ces points et de souligner que toute mine ne modifie pas nécessairement un territoire. Bien évidemment, dans le Nord ou l’Est de la France, dans les grands bassins houillers ou ferrifères, l’exploitation minière a modifié le territoire à des échelles de temps séculaires. Sans les mines de charbon, le Nord-Pas-de-Calais ressemblerait sans doute à la Picardie et n’aurait pas la physionomie que nous lui connaissons, tant en termes d’infrastructures que de développement économique. Ce n’est toutefois pas toujours le cas : la présence de mines n’induit pas nécessairement des transformations aussi radicales.

Cette démarche a aussi pour objectif la préparation et l’établissement d’un dialogue confiant, avec la proclamation, par les opérateurs, de certains modes de comportement. Il apparaît toutefois que la mise en œuvre d’un tel dialogue ne suppose pas une transparence absolue, ni une soumission à une souveraineté locale. Il s’agit plutôt de converger ensemble sur un projet donné, de manière aussi transparente au possible au niveau des éléments de discussion. C’est là un élément capital. Le dialogue est incontournable.

M. Patrick Hetzel. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur cette question, qui est lourde de conséquences. Lors de la précédente audition publique, nous avions en effet constaté qu’il était sans doute possible d’établir une corrélation entre la réduction de l’activité minière en Europe et la diminution progressive de la place des équipementiers dans la filière. Lorsque l’exploitation directe cesse, cela n’a pas uniquement un impact sur l’activité minière en tant que telle, mais plus largement sur l’ensemble de la chaîne de valeur à laquelle faisait précédemment référence M. Cozigou.

Je vous propose, pour poursuivre la réflexion, d’entendre M. Patrice Christmann, de la direction de la stratégie et de la recherche au BRGM, évidemment très présent sur ces questions, en termes de connaissance de l’infrastructure géologique conçue comme un préalable à l’investissement.

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Un investisseur est avant tout un homme pressé : il espère un retour sur investissement, un gain. Cela signifie que lorsqu’il s’intéresse aux ressources minérales, il ne va pas perdre son temps à acquérir la connaissance profonde d’un territoire tel que la France. Quand il arrive dans un pays, quel qu’il soit, il demande donc aux autorités dudit pays de lui donner accès aux connaissances existantes sur le sous-sol. Si l’État en question n’est pas en mesure de fournir ces données, alors l’investisseur s’en va ailleurs.

Une infrastructure géologique est constituée de données de base (géologiques, géophysiques, …), ainsi que d’hommes et de femmes qui vont en effectuer le traitement et les transformer en éléments compréhensibles par les investisseurs et les autorités de l’État qui ont besoin de connaissances sur le sous-sol, pour des questions d’aménagement du territoire et de gestion des ressources. Avoir une infrastructure géologique de qualité ne consiste pas seulement à donner accès aux connaissances en termes de ressources minérales, mais aussi en termes de ressources en eau, d’espace souterrain pour construire, développer et stocker (du CO2 par exemple). Cela englobe aussi des informations sur la possibilité d’utiliser par exemple la géothermie, énergie propre et renouvelable.

On dispose aujourd’hui, pour acquérir ces différents types de données, de technologies modernes, qui n’existaient pas à l’époque de l’inventaire minier national dont va nous parler M. Jean-François Labbé. La télédétection, la géophysique aéroportée ou héliportée, le développement des traitements informatiques permettant de combiner les données entre elles, ont ainsi permis des avancées considérables. L’utilisation de ces technologies nécessite de disposer de l’expertise de personnels compétents, capables de transformer les données en informations compréhensibles et utiles au destinataire final.

L’importance de ces infrastructures géologiques est considérable. La première utilisation qui en a été faite correspond à l’établissement de la carte géologique de l’Angleterre, en 1815. Connue sous le nom de « The map that changed the world », cette première carte géologique a en effet constitué, au début du XIXe siècle, un facteur déclenchant de la révolution industrielle anglaise, en apportant la connaissance nécessaire pour trouver les gisements de charbon qui en ont été le moteur énergétique. Cela reste tout à fait d’actualité : si aujourd’hui nous voulons mener une politique industrielle européenne et ne pas être placés sous les fourches caudines de la Chine ou d’autres États dont dépendent presque intégralement nos approvisionnements, il faut que nous disposions d’une infrastructure géologique nationale et européenne de qualité. Ceci fait écho au second pilier de la stratégie européenne exposée par M. Cozigou. Or cela fait aujourd’hui défaut.

Quel serait le coût du développement d’une telle infrastructure géologique moderne et de qualité ? L’équivalent du prix d’un ticket de métro par Français sur cinq ans, soit environ 20 centimes d’euros par habitant et par an, ce qui correspond à une somme annuelle de l’ordre de 12 millions d’euros.

Ma question, en tant que citoyen français et contribuable, est de savoir si le sujet de notre avenir industriel est suffisamment important pour justifier l’effort. J’en suis personnellement convaincu.

M. Patrick Hetzel. Ce chiffre de 60 millions d’euros sur cinq ans, nécessaire pour disposer d’une connaissance consolidée de nos sous-sols miniers, avait déjà été évoqué lors de la précédente audition publique.

Nous allons à présent accueillir M. Claude Marchand, de la direction générale des entreprises au sein du ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique, auquel nous avons demandé de nous présenter une réflexion sur les conditions de la compétitivité des entreprises métallurgiques. Outre la problématique de l’accès aux ressources, se pose en effet la question de la compétitivité, voire de la rentabilité.

M. Claude Marchand, chef du bureau des matériaux, direction générale des entreprises, ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique. Je vais m’attacher à aborder brièvement la question des acheteurs. La compétitivité consiste en effet avant tout à vendre, à déclencher un acte d’achat. La démarche est donc orientée essentiellement vers le client et n’est pas absolue, dans la mesure où elle dépend largement des attentes et des contraintes de chaque client, lui-même soumis aux contraintes imposées par ses propres clients, en termes de prix ou de services par exemple.

J’insiste, en outre, sur le fait que vendre ne signifie pas nécessairement d’être immédiatement rentable. L’exemple chinois est, de ce point de vue, très parlant : les Chinois sont compétitifs parce qu’ils sont face à de nombreux acheteurs. On peut toutefois s’interroger quant à la rentabilité de la démarche.

La notion de compétitivité est par ailleurs inopérante dans le cadre d’un marché déloyal. Si tous les acteurs ne respectent pas les mêmes règles, les dés sont pipés et il n’est pas possible de développer une réelle compétitivité. Il existe toutefois certaines compensations, mises en place par les États pour équilibrer le marché lorsque celui-ci est peu loyal. Il s’agit par exemple des règles anti-dumping mises en œuvre dans les situations les plus contraignantes, ou des quotas gratuits CO2. Pour autant, comment équilibrer des éléments aussi fondamentaux dans nos sociétés et nos choix de vie que le droit du travail ou de l’environnement ?

La notion de prix, ou plus exactement de prérequis prix, joue également un rôle majeur en termes de compétitivité. On observe en effet, dans le monde actuel, une tendance générale d’une part au low cost, d’autre part à la standardisation. On constate ainsi, même sur des secteurs aval, des marchés premium de type « oil and gas » par exemple, une bascule sur des produits beaucoup plus classiques, pour lesquels nous pouvons être moins favorablement placés.

Sur quels leviers agir en matière de prix, à partir du moment où les prix des matières sont fixés à l’échelle mondiale ? Nous avons bien vu par le passé quelques tentatives de positionnement, de stratégies : voici une dizaine d’années par exemple, les transformateurs intégraient l’amont. Le retournement des prix des matières premières a montré que ces politiques de stabilité du prix des matières premières étaient très délicates à mener par les industriels eux-mêmes.

Il serait également envisageable, lorsque le prix des minerais est inférieur à celui des ferrailles, de basculer d’une aciérie électrique vers un haut-fourneau et, lorsque le coût de l’électricité évolue, de modifier la totalité d’une ligne de cuves électrolytiques chez un alumineur. On voit bien toutefois que les coûts, tout comme les délais, ne permettent pas de faire du « on – off » en matière de process industriel (c’est-à-dire du tout ou rien).

Reste l’énergie : il s’agit d’un vrai sujet, dont nous parlons beaucoup. Il existe encore d’énormes différences en matière de prix des blocs énergétiques sur la planète. Pour les produits peu mobiles, sur une même plaque géographique, on constate que les États font leur possible pour que l’ensemble de leurs ressortissants bénéficient d’énergie quasiment au même prix. Mais la marge de manœuvre est là aussi réduite, ce qui vient en contradiction avec le prérequis prix.

En revanche, d’autres éléments sont mobilisables en termes de compétitivité, y compris sur les prix. Il est ainsi possible d’agir dans le domaine de la substitution matière. Les Chinois ont procédé de la sorte pour le nickel, avec le « pig iron nickel » (fonte de nickel de première fusion). On peut aussi travailler, à la manière des fabricants d’aluminium, à la diminution de la consommation énergétique.

On peut aussi jouer, plus classiquement, sur la compétitivité hors prix, une fois que l’on se situe dans la zone de prix acceptée par l’acheteur. Le premier élément à considérer alors est le taux de service. Nombre d’acheteurs et d’industriels aval accordent une grande importance à la qualité de la logistique.

Il est aussi envisageable d’agir, pour se maintenir dans la course, sur les développements produits. L’acier Usibor d’Arcelor ou la technologie Airware de Constellium en sont des exemples très positifs.

La réduction de l’empreinte environnementale est également un sujet d’actualité, qui passe notamment par une diminution de l’émission de CO2 ou une suppression des toxiques dans un certain nombre de filières.

J’aimerais enfin aborder un dernier aspect, étroitement lié à la notion de service, puisqu’il s’agit de la proximité client. Lorsque le client travaille en « juste à temps », tous les éléments de co-développement, peu classiques dans cette filière, constituent un réel élément de différenciation. Usibor et Airware ont été mis en place dans une logique de ce type.

Je souhaiterais clore mon propos par deux messages : le premier est qu’il n’existe pas de compétitivité sans un marché fair play, d’où les démarches engagées actuellement au niveau européen pour faire en sorte que tous les acteurs suivent les mêmes règles du jeu. Face par ailleurs à une tendance générale au low cost et à la standardisation, voire à une certaine uniformisation des intrants, je crois que le service client constitue encore un élément de compétitivité extrêmement fort.

M. Patrick Hetzel. Nous avons effectivement pu, en nous rendant chez Solvay la semaine dernière, effectuer ce même constat, en observant l’attention particulière portée aux attentes du client et à la qualité du service proposé. Il s’agit évidemment là d’un élément important de différenciation.

Il convient en outre, lorsque l’on appréhende la filière, d’en apprécier les enjeux, notamment pour les entreprises membres de l’« A3M », (Alliance des minerais, minéraux et métaux), fruit du regroupement de la FEDEM (Fédération des minerais, métaux industriels et métaux non ferreux) et de la FFA (Fédération française de l’acier), visant à rendre plus visibles les problématiques des entreprises et à disposer d’une meilleure connaissance des enjeux.

Je passe donc la parole à la déléguée générale de l’A3M, Mme Claire de Langeron.

Mme Claire de Langeron, déléguée générale, A3M. Je tiens tout d’abord à remercier les organisateurs de cette journée de m’offrir l’opportunité d’intervenir lors de cette audition, à un moment particulier pour le secteur que je représente, qui traverse actuellement une crise relativement grave, sur laquelle je reviendrai.

Comme vous l’avez indiqué, A3M est née du rapprochement de la FEDEM et de la FFA. Nous représentons aujourd’hui 400 entreprises, 80 000 emplois et 43 milliards de chiffre d’affaires, dans les secteurs de la production, de la transformation et du recyclage. Nous nous situons en amont de la chaîne de valeur industrielle. Notre secteur constitue donc un maillon indispensable de l’approvisionnement d’industries aval aussi importantes que la construction, l’automobile, l’aéronautique, l’espace, la défense, la mécanique, les composants électroniques ou les énergies renouvelables.

Nous évoluons actuellement dans un contexte extrêmement difficile. Nous sommes en effet soumis, au plan économique, à une très forte concurrence internationale et à une chute, pour ne pas dire un effondrement, des cours des matières premières, notamment du pétrole, ce qui a un impact direct sur l’activité de certaines de nos entreprises. Ceci entraîne une stagnation, voire une chute, de nos marchés.

Le contexte structurel nous est également défavorable. Si la situation de surcapacité de production de la sidérurgie européenne a été plus ou moins résolue, il existe encore de très fortes surcapacités chinoises, qui inondent aujourd’hui les marchés européens et nord-africains de produits vendus à perte. Il faut savoir que la Chine détient 50 % de la capacité mondiale de production d’acier par exemple. La consommation en Europe est de 180 millions de tonnes et la surcapacité en Chine de l’ordre de 300 millions de tonnes. La baisse des prix à l’exportation de l’acier chinois est de 40 à 50 % en un an, avec une augmentation des exportations vers l’Europe de 25 à 30 % sur cette même période. Les enjeux sont comparables pour les métaux non ferreux.

Ces difficultés économiques et structurelles sont par ailleurs renforcées par des tarifs énergétiques peu compétitifs et une réglementation carbone, au niveau français et européen, sans équivalent dans le monde.

Dans ce contexte général, nous exprimons une double revendication vis-à-vis des autorités françaises et européennes : nous leur demandons, d’une part, de ne pas accorder le statut d’économie de marché à la Chine tant que celle-ci ne respecte pas les critères qui la définissent, d’autre part, de renforcer et d’assurer la pérennité des outils de protection nécessaires au niveau européen, en particulier en matière d’antidumping, ce qui ne vise qu’à rétablir les conditions d’un échange non faussé.

S’il appartient à nos entreprises de relever les défis de la compétitivité, nous comptons sur les pouvoirs publics pour nous doter d’un environnement législatif et réglementaire adapté.

Je souhaiterais revenir rapidement sur trois thèmes, dont certains dépendent de décisions européennes ou françaises.

Il s’agit en premier lieu de la question de l’énergie, sujet crucial pour nos entreprises. Plusieurs de nos demandes en faveur d’une baisse du prix de l’énergie ont été satisfaites et restaurent partiellement la compétitivité des industries énergo-intensives.

Ceci concerne en second lieu la révision de la directive sur les systèmes communautaires d’échange de quotas d’émission (SCEQE), dite « directive ETS » (European Union Emission Trading Scheme), qui représente un sujet majeur de préoccupation pour notre secteur. Dans la mesure où l’accord de Paris, qui a suivi la COP 21, ne garantit pas des règles du jeu équivalentes au plan international (le fameux « level playing field ») avec les pays concurrents, la directive ETS devrait être révisée de manière à ne pas réduire encore davantage la compétitivité de nos entreprises, dans le contexte annoncé de forte hausse du prix du quota de CO2.

Le troisième élément a trait à la révision du code minier, qui constitue un enjeu d’importance pour nos opérateurs miniers. Si nous avons été consultés et si certaines de nos positions ont été reprises, nous comptons sur une simplification des procédures d’instruction des dossiers et le raccourcissement des délais qui en découlent, qui restent nos points de vigilance principaux à ce stade. Nous demeurons convaincus de la nécessité d’un texte clair et modernisé, au service de la relance d’un véritable secteur minier.

Je ne voudrais pas conclure mon propos, nécessairement trop synthétique, sans évoquer le sujet de l’économie circulaire. Les métaux font partie intégrante de cette nouvelle économie et jouent un rôle essentiel pour une société durable. Notre secteur sera fortement impliqué dans la phase de mise en œuvre des mesures adoptées par la Commission européenne en décembre 2015, afin de faciliter la transition de l’Europe vers une économie circulaire. Nous avons d’ailleurs d’ores et déjà commencé à définir des parcours de progrès pour accélérer la mise en œuvre de ces démarches au sein de notre filière métallurgique française.

Voilà, très rapidement exposées, nos principales préoccupations. Nous sommes et avons toujours été force de proposition, via les différentes instances de dialogue auxquelles nous contribuons, dont le comité stratégique de filière « industries extractives et première transformation ». Les constats sont connus, les propositions formulées : il convient à présent de les déployer. Nous avons besoin pour ce faire de l’engagement et du soutien de nos partenaires publics.

M. Patrick Hetzel. En tant que législateur, Mme Bataille et moi réagissons
ex abrupto
à votre intervention, dans la mesure où nous avons noté que vous souhaitiez un environnement législatif « adapté ». Cette question nous semble mériter une attention toute particulière. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Mme Claire de Langeron. Il serait compliqué et quelque peu fastidieux de revenir ici sur les mesures qui ont pu ou pourraient être prises en faveur de la compétitivité. Je pense nécessaire que, sur tous les thèmes qui vont nous occuper et constituent pour notre secteur des défis de compétitivité, nos partenaires publics aient bien conscience des enjeux que présentent certains des dispositifs proposés, dans le cadre de l’énergie, du recyclage ou encore de la simplification réglementaire. Il existe un panel de dispositions ou de mesures sur lesquelles nous serions heureux d’échanger avec vous. Il ne semble toutefois pas envisageable d’entrer aujourd’hui dans le détail de chacune.

M. Patrick Hetzel. En matière d’économie circulaire, nous avons été frappés par la problématique liée notamment, dans le secteur du recyclage, à la circulation des déchets, non seulement à l’échelle européenne, mais peut-être même au niveau mondial. Si l’on entend développer des entités économiquement rentables, il faut atteindre certains seuils. Or il est possible de se retrouver, dans ce domaine, confronté à certaines difficultés en raison même des législations mises en place. Monsieur Cozigou, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

M. Gwenolé Cozigou. Nous souhaitons vraiment améliorer le transfert des déchets au sein de l’Union européenne, dans la mesure où nous ne pourrons obtenir de facilités de traitement dans chaque État membre, ce qui n’aurait pas de sens. Ceci permettrait de réaliser des économies d’échelle conséquentes.

Nous disposons par ailleurs d’une législation qui interdit les exportations de certains déchets vers les pays tiers, notamment en matière de déchets d’équipements électriques et électroniques et pour ce qui concerne les véhicules en fin de vie. Je connais fort bien ce débat sur la ferraille et attends toujours, dans ce domaine, une analyse m’expliquant pourquoi les acheteurs des pays tiers sont capables d’offrir un prix supérieur à celui des acheteurs communautaires. Dans la mesure où il s’agit d’un marché ouvert, celui qui paie le plus aura la matière première.

Ma deuxième remarque prendra la forme d’une mise en garde. Quotidiennement, dans le cadre de notre politique commerciale, nous luttons contre les entraves à l’accès aux matières premières primaires. Quelles seraient notre crédibilité et notre force de conviction si nous mettions nous-mêmes des entraves à l’exportation de matières premières secondaires ? Je laisse la question ouverte. Ceci explique probablement que la Commission et mes services n’aient pas poussé de prise d’initiative dans ce sens.

Je souhaiterais enfin effectuer quelques commentaires sur le coût de l’énergie, le dumping et la directive ETS, évoqués par Mme Claire de Langeron. La surcapacité de production chinoise en matière d’acier correspond à deux fois la capacité de production européenne. Voici le type de problème auquel nous sommes confrontés. Nous disposons, ne serait-ce que sur l’acier, de trente-cinq mesures anti-dumping actuellement en vigueur, dont 13 portent sur la Chine. Étant donné le modèle de développement chinois au cours des dernières années, l’acier pourrait fort bien n’être que le premier secteur concerné. Je sais qu’il existe, en matière de dispositions anti-dumping, un appel à l’accélération des procédures. J’attire aussi votre attention sur le fait qu’une réforme d’ensemble de la procédure anti-dumping a été proposée par la Commission, qui permettrait notamment de ne pas prendre systématiquement comme droit compensatoire le droit correspondant au dommage effectué, mais celui correspondant à l’ensemble du dumping. Cette proposition est actuellement bloquée au Conseil, du fait de désaccords entre États membres.

Pour ce qui concerne l’ETS, je connais les préoccupations des « intensifs en énergie », ainsi qu’on les qualifie à Bruxelles. Une proposition de la Commission est là aussi à l’examen devant le Conseil et le Parlement européens. Il revient donc aux co-législateurs de décider s’ils souhaitent ou non la modifier.

M. Patrick Hetzel. Je vous propose de passer à présent à des prises de parole plus brèves, de deux minutes chacune environ, l’idée étant de permettre à un grand nombre d’intervenants de contribuer au débat.

M. Jean-François Labbé, direction des géo-ressources, BRGM. Je vais aborder le passé et le futur d’un inventaire minier. Un inventaire minier a été mis en place en France entre 1975 et 1991. Contrairement à ce que le terme « inventaire » peut laisser supposer, celui-ci n’avait pas pour objet de donner une vision exhaustive et quantitative de toutes les réserves de métaux présentes dans le sous-sol, mais de dresser un inventaire des cibles minérales potentielles, réalisé avec les outils disponibles et sur les zones couvertes à l’époque.

Comme le soulignait M. Patrice Christmann, il est évident qu’un investisseur minier ne s’intéressera pas à une zone au sujet de laquelle il ne peut disposer d’aucune donnée ni d’aucune information. Même si l’on a en France une carte géologique de très bonne qualité au 1/50 000, d’autres informations sont nécessaires dans le cadre d’un inventaire minier. Ceci nécessite notamment des campagnes de levées géophysiques et de la géochimie, ainsi que cela a été réalisé dans le cadre de l’inventaire historique en France. Les couvertures géophysiques régionales aéroportées n’ont pas fait partie de l’inventaire de 1975 à 1991. Beaucoup d’informations manquent à ce niveau et les méthodes de mesure ont considérablement évolué depuis lors.

Concernant la couverture géochimique, il faut savoir que 100 000 kilomètres carrés environ ont été couverts sur les quelque 200 000 kilomètres carrés d’intérêt potentiel du territoire français.

Il resterait donc beaucoup à faire. Une reprise ou des compléments d’inventaire minier pourraient ainsi s’avérer tout à fait pertinents, d’une part pour développer d’éventuelles autres cibles et attirer de nouveaux investissements, d’autre part pour permettre une gestion gouvernementale plus pertinente des territoires, intégrant les perspectives de développement minier dans les schémas de développement territorial et durable.

Historiquement, l’inventaire minier a coûté environ 100 millions d’euros. Disposer des couches d’informations manquantes reviendrait à une dizaine de millions d’euros par an environ.

M. Jack Testard, président, Variscan Mines. Je représente une société d’exploration minière, c’est-à-dire une start-up de la recherche minière.

J’insisterai tout d’abord sur un aspect qui nous caractérise : nous travaillons beaucoup sur des études scientifiques, utilisons beaucoup de technologie et menons de nombreuses recherches. Ceci constitue le préalable à tous nos investissements.

Nous rencontrons malgré tout actuellement certaines difficultés sur le terrain, que j’analyse de la manière suivante : nous constatons essentiellement un écart énorme, qu’il nous faut gérer, entre la connaissance des régions, de l’administration, des élus, des associations, et la réalité de nos travaux. Cette méconnaissance des ressources minérales au sein du territoire nous met en difficulté lorsque nous souhaitons réaliser une intégration territoriale de nos projets et aboutit au fait que personne ne les fasse figurer dans les plans de développement. Il en résulte que peu de plans de développement régionaux intègrent les ressources minérales. Nous devons donc expliquer ces divers éléments, ce qui nous retarde énormément et conduit à une lassitude de la part de nos investisseurs.

Il existe également un écart très important entre le niveau de l’intérêt national et régional. Comment faire passer l’idée selon laquelle on a besoin de tungstène pour des usines basées dans le nord de la France, alors que le développement régional, local, voire de la commune n’est pas directement concerné, à l’exception de l’industrie extractive elle-même ? Ceci requiert des efforts considérables, pour lesquels nous avons besoin de l’aide des collectivités locales.

Nous sommes enfin confrontés, au quotidien, à la question de la mise à disposition des données. Nous demandons un accès facilité à ces informations, ce qui n’est pas exactement le cas aujourd’hui.

Il manque également pour nous, en France, des outils financiers globaux. Il est beaucoup plus facile aujourd’hui, pour lever des fonds, de se rendre sur la place de Londres que sur celle de Paris, car cela n’est pas ou plus dans la tradition directe d’un certain nombre de banques et de financeurs.

Je terminerai en évoquant une notion, inexistante en France, relative à la certification de toutes les données des sociétés minières. Nous sommes aujourd’hui obligés de passer par des normes développées en Australie ou au Canada, mais peu utilisées en Europe, pour faire valider nos travaux et permettre d’aboutir à des financements bancables, c’est-à-dire ayant la sécurité des banques et de tous acteurs qui prennent des risques financiers,.

M. Patrick Hetzel. Merci pour ce regard parfois critique sur la situation des industriels du secteur minier.

Le fait que nous nous intéressions à cette question montre bien que nous avons nous aussi perçu l’existence de certains points posant problème et sur lesquels il serait opportun de revenir. Ceux que vous soulevez en font assurément partie. Ce constat est d’autant plus frustrant quand on connaît l’histoire de la France. Ainsi que le rappelait Mme Delphine Bataille dans son propos introductif, la France a en effet une grande tradition minière. Cela donne ainsi l’impression, dans le fonctionnement binaire qui caractérise souvent les Français, qu’il s’agit non d’un désengagement partiel, mais d’un mouvement plus large. Cela mériterait d’être réexaminé et rediscuté.

Lors de la première audition publique, le débat a porté sur le fait qu’il serait dommage de se retrouver, en France, dans une situation dans laquelle des décisions seraient finalement prises par non décision et où le non choix deviendrait la ligne directrice.

Avec ce travail mené au sein de l’OPECST, nous souhaitons que ces divers éléments soient explicités et que des décisions soient prises en connaissance de cause. Il n’est pas satisfaisant de rester dans un entre-deux. Il n’est bien évidemment pas question pour moi de mettre en cause les fonctionnaires qui s’occupent de ce dossier et effectuent un excellent travail, mais regardez par exemple la difficulté rencontrée pour réformer le code minier. J’espère (ce qui n’est pas certain) que nous aurons encore l’occasion d’en débattre au cours de cette législature. Si la question n’est pas abordée de manière explicite, cela conduira à des non choix. Or c’est précisément ce que nous souhaitons éviter, dans la mesure du possible.

J’espère que la presse économique saura relayer les échanges qui émaillent cette journée de réflexion et qui présentent pour l’ensemble de la chaîne de valeur un intérêt tout à fait particulier.

Nous allons poursuivre les débats avec l’intervention de M. Laurent Corbier, du groupe Eramet, sur la question des bonnes pratiques susceptibles d’être apportées par un opérateur minier international.

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, groupe Eramet. Je tiens à préciser que je suis, comme l’intervenant qui m’a précédé, un industriel et que je vais à ce titre vous faire partager mon point de vue sur les conditions à remplir pour ouvrir une mine responsable et sur les délais incontournables.

Après une quarantaine d’années passées dans les industries extractives et métallurgiques, je considère que les bonnes pratiques sont étroitement liées à ce que je qualifierai de « bonne culture », et en particulier de « bonne culture d’entreprise ». Je ne crois guère au déploiement des bonnes pratiques en l’absence d’un certain nombre d’éléments de cultures d’entreprise, dans plusieurs domaines. Les chartes, politiques internes et autres codes de conduite contribuent, dans l’entreprise, à ce déploiement de bonnes pratiques, notamment à l’international, mais aussi, évidemment, sur le territoire national si l’entreprise y intervient. Je pense notamment aux cultures de sécurité, de rigueur, de planification, mais aussi et surtout à l’une des cultures de base de notre industrie, qu’il convient d’exporter au maximum partout où nous sommes opérateurs, à savoir la culture de la conformité. De ce point de vue, je rejoins parfaitement les propos de M. Alain Liger, qui soulignait précédemment l’existence de différents codes miniers de par le monde. Il est important, dans ce contexte, de pouvoir faire preuve de flexibilité, d’adaptation des règles internes, afin de pouvoir coller aux réalités du terrain.

Nous essayons d’appliquer ces bonnes pratiques à chaque étape du projet. La partie initiale consiste à caractériser l’état originel du projet et à envisager la manière de s’intégrer dans un territoire existant. Il convient ensuite d’identifier et d’anticiper tous les impacts, avant de commencer à réfléchir à leur évitement, à leur atténuation, voire à leur compensation. Le dernier point, extrêmement important, consiste à informer et expliquer. Je n’entrerai pas dans le détail des bonnes pratiques développées en termes de consultation et de collaboration avec les communautés locales notamment. Je souligne néanmoins leur importance.

Je terminerai en indiquant que les bonnes pratiques doivent, à mon avis, être partagées par d’autres acteurs que les acteurs industriels. Je ne reviendrai pas sur la question de la simplification réglementaire, mais souhaiterais attirer votre attention sur l’éducation. Tant que l’on n’inculquera pas, dans les écoles, des notions relatives à l’utilité des métaux, on se trouvera confronté au phénomène de non acceptabilité que l’on constate aujourd’hui de manière récurrente chez les adultes. Cet effort de prise de conscience des utilisations et de l’utilité des métaux, auquel nous, industriels, entendons évidemment contribuer, apparaît vraiment indispensable.

M. Patrick Hetzel. Vous avez abordé la question de la « culture de la conformité » : qu’entendez-vous par là ?

M. Laurent Corbier. Pour moi, la culture de la conformité renvoie à l’idée selon laquelle la première chose à faire est, dans un pays étranger dans lequel on s’implante comme sur le territoire français, de s’informer sur l’ensemble des éléments existant en termes de cadre réglementaire, dans tous les domaines : on pense bien évidemment aux règles en termes d’environnement, sans oublier la question de la conformité en matière de lois sociales, fiscales, etc. J’envisage la conformité comme une culture du respect des règles, sans laquelle il est difficile de procéder ensuite au déploiement de bonnes pratiques. La connaissance du milieu local dans lequel on s’implante est, de mon point de vue, essentielle.

Il nous est par exemple déjà arrivé de nous implanter dans des territoires dans lesquels existaient des contextes régionaux, voire locaux, spécifiques. Il est alors très important d’avoir une vision précise de la caractérisation de l’état initial au sens large.

M. Alain Liger. Permettez-moi, sur ce sujet, une petite incidente relevant d’une expérience internationale au sein d’un autre groupe minier : il est aussi nécessaire, parfois, de savoir expliquer dans quelle mesure les règles du groupe apportent un « plus » au pays et de donner les raisons pour lesquelles on ne se contente pas d’appliquer les règles du pays hôte.

M. Laurent Corbier. Si les bonnes pratiques consistent à aller au-delà de la simple conformité, « beyond compliance » pour reprendre le terme anglo-saxon, alors je pense qu’il serait nécessaire de consacrer à ce sujet une journée entière.

M. Patrick Hetzel. Figurent également, parmi les bonnes pratiques, les problématiques liées à l’écoconception et au recyclage. Ces deux thématiques sont étroitement liées, car il est évident que le recyclage est d’autant plus facile que l’on a, en amont du processus de conception d’un produit, envisagé son recyclage.

Je cède la parole sur ce sujet à M. Benoît de Guillebon.

M. Benoît de Guillebon, directeur, APESA. Mon propos va concerner non la mine classique, mais plutôt la « mine urbaine » évoquée précédemment par M. Cozigou.

Cette mine urbaine recèle énormément de ressources, qu’il n’est toutefois pas nécessairement aisé de récupérer. L’enjeu majeur aujourd’hui dans ce domaine est, comme vous venez de le mentionner, de parvenir à écoconcevoir les produits afin de pouvoir les recycler. Cela consiste essentiellement à diminuer la complexité des systèmes et techniques utilisés, qui conduisent soit à des produits difficilement démontables, soit à des alliages si complexes que l’on ne parvient pas à les recycler. Ceci suppose notamment le développement d’échanges entre ceux qui conçoivent et ceux qui recyclent, afin de trouver des solutions à ces problèmes. La notion de transversalité a donc toute sa place, au long de l’ensemble de la chaîne de valeur.

La seconde idée que je souhaitais vous soumettre est celle de la création de valeur. Aujourd’hui, il semble évident que l’on parvient, grâce au recyclage et à cette mine urbaine, à créer de l’activité, de l’emploi, de la valeur sur le territoire. Finalement, on s’aperçoit que les citoyens s’intéressent de plus en plus à la transition énergétique, qu’ils sont prêts à financer (les Allemands l’ont fait de manière très large et je perçois, sur les territoires français sur lesquels je travaille, un certain développement de cette aspiration). Pourquoi n’arriverait-on pas, demain, à travailler à des systèmes dans lesquels le financement citoyen se porterait aussi sur les ressources minérales ?

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal. Néo Métal est une nouvelle société exploratrice en France. Contrairement à une idée reçue, la France dispose en effet de ressources en métaux critiques et stratégiques, qu’il convient d’explorer, puis d’exploiter.

Pour mener à bien ces opérations, plusieurs critères doivent être observés. Ceci concerne tout d’abord les compétences. Il vaut mieux, dans ce domaine, parier sur le jockey que sur le cheval. Autrement dit, une bonne équipe dans une bonne société trouvera le bon gisement.

Il faut ensuite considérer la question de la loi et toujours préférer le juge au shérif. Le gisement est-il situé sur le territoire d’un régime politique ou juridictionnel instable ou inamical, ou au contraire sur un espace dans lequel la force de la loi est équitable, rapide et reconnue par tous ?

Le troisième critère est celui relatif aux finances : pour financer son exploration, une start-up a le choix entre le recours à une banque (qui dira toujours « non »), à du « venture capital » (c’est-à-dire aux possibilités offertes par la place de Londres ce qui, compte tenu du potentiel Brexit, rend les choses assez aléatoires), ou encore à des financements dispensés par l’Europe (dans le cadre par exemple du KIC évoqué précédemment par Gwenolé Cozigou), qui constituent assurément une perspective encourageante.

Le dernier aspect concerne l’accueil sociétal vis-à-vis d’une mine. En France, il existe essentiellement un risque de ségrégation entre les communes qui acceptent et celles qui refusent l’exploitation minière. Inutile de préciser qu’une société exploratrice préfèrera s’installer dans une commune dans laquelle elle sera bien accueillie.

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques. Nous vous avions présenté, lors de l’audition du 6 juillet dernier, les initiatives du CEA dans le cadre du réseau européen de recherche Prometia, présidé par M. Christophe Poinssot, que je représente aujourd’hui, et comptant actuellement trente-trois membres.

Nous vous avions à cette occasion indiqué que les métaux réfractaires tels que le tungstène, le rhénium, le tantale, le niobium et le molybdène, constituaient une famille de métaux stratégiques d’intérêt, tant pour l’industrie des renouvelables que pour l’industrie nucléaire.

Au cours de l’année 2015, Prometia a répondu à un appel à projets H2020, proposant la création d’un réseau européen visant à analyser les chaînes de valeur de ces métaux, à proposer des évolutions prenant en compte le potentiel d’innovation de l’Europe et à identifier les barrières susceptibles de compromettre leur développement.

Intitulé « MSP-REFRAM » (pour « Multi-Stakeholder Platform for a Secure Supply of Refractory Metals »), ce projet, sélectionné pendant l’été 2015, vient tout juste de démarrer. Il a pour objectif de fournir début 2017 à la direction générale de l’entreprise et de l’industrie de la Commission européenne, dirigée par M. Cozigou, des orientations pour les prochains programmes de travail H2020, afin de favoriser à terme le développement du marché des métaux réfractaires en Europe.

Trois axes sont particulièrement explorés dans ce cadre, en intégrant les contraintes environnementales et sociétales de l’Europe : le renforcement du marché des ressources primaires (les nouvelles mines, les nouveaux procédés de traitement, notamment sur le tungstène, et la récupération des coproduits), l’optimisation de l’utilisation des ressources secondaires (déchets miniers et industriels, rebuts de fabrication, notamment pour le tungstène et le molybdène) et le développement du recyclage des produits en fin de vie, comme les catalyseurs encore peu recyclés (je pense ici essentiellement au tungstène, au molybdène, au niobium et au rhénium).

MSP-REFRAM regroupe, au sein du consortium, vingt-et-un partenaires et une trentaine de membres. Il est présidé par le CEA, qui en assure la coordination, et inclut le BRGM, le ministère de l’économie, celui de l’environnement, l’Ademe, Eramet, de grands industriels miniers, des producteurs et des utilisateurs, au niveau européen. La structure créée continuera à exister après la fin du projet, pour essayer de répondre au programme de travail qui sera établi.

Ceci constituait assurément pour Prometia une excellente occasion de montrer son intégration au sein du partenariat européen pour l’innovation des matières premières, évoqué précédemment par M. Gwenolé Cozigou.

M. Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, coordinateur du projet d’ERA-Min : le rapport « Ressources minérales et énergie » de l’ANCRE. Nous avons rédigé, dans le cadre de l’alliance ANCRE, un rapport traitant du lien existant entre énergie et ressources minérales et s’intéressant à la mobilisation de la demande et de la production de matières premières.

Il s’agit d’un lien à double sens, puisque l’on a besoin d’une part de beaucoup de ressources minérales (notamment des métaux, mais également d’autres matériaux de construction) pour bâtir l’infrastructure de production, de stockage, de distribution et d’utilisation d’énergie, d’autre part d’une grande quantité d’énergie pour produire ces matières premières, dont les métaux et le béton. Il faut ainsi savoir qu’à l’heure actuelle, 10 % environ de l’énergie consommée mondialement est utilisée pour la seule fabrication d’acier et de ciment. 50 % des émissions de CO2 du domaine industriel proviennent également de cette activité.

Les besoins en ressources minérales pour l’énergie sont variables. Tout dépend des scénarios énergétiques considérés au niveau mondial, et notamment de la part des énergies renouvelables, qui ont une intensité matérielle supérieure aux productions d’énergie utilisant des combustibles fossiles.

Le type de matières premières utilisé concerne à la fois des métaux de base, mais aussi des métaux critiques, avec des enjeux sensiblement différents dans les deux cas. Tout cela est discuté dans le rapport que nous avons élaboré.

Les enjeux communs que nous essayons d’y mettre en évidence renvoient au fait que discuter du futur des ressources minérales n’est pas uniquement un problème de réserves. Disposer de réserves ne dispense pas, en effet, de connaître des difficultés liées à l’augmentation de la capacité de production. Ceci soulève donc aussi des problèmes d’accès à la réserve, contraints par de nombreux paramètres, notamment géopolitiques, sociaux, technologiques, économiques.

Il existe en outre des menaces exogènes, liées à l’accès à d’autres ressources comme l’eau ou l’énergie. J’en veux pour exemple le cas du cuivre au Chili, pays qui fournit environ 30 % de la production mondiale. Or cette production est actuellement limitée par les contraintes relatives à l’accès à l’eau.

Anticiper le futur énergétique nécessite donc d’adopter des approches très holistiques. On ne peut découpler cette réflexion des questions d’accès à la ressource. Il ne s’agit pas uniquement d’un problème technologique ou économique.

L’alliance ANCRE et le CNRS, au travers de son Institut national des sciences de l’univers, essaient de soutenir ces approches, dans les domaines des sciences de la terre et des matériaux, de la chimie, de l’économie, du droit, etc. On peut toutefois regretter qu’à l’heure actuelle, il n’existe pas, au niveau national, de grand projet capable d’agréger toutes ces compétences.

M. Patrick Hetzel. Après ce premier tour de table, je vous propose d’ouvrir le débat. J’imagine que les diverses interventions ont suscité des questions liées à la chaîne elle-même, de l’amont vers l’aval. Les exposés ont également mis en lumière certains points sur lesquels la France est, de toute évidence, moins présente que d’autres pays, dont la Chine, régulièrement citée. Il est important, dans ce contexte, de bien mettre les choses en perspective.

Que celles et ceux d’entre vous qui souhaitent intervenir, sur ces aspects ou d’autres, n’hésitent pas à se manifester.

DÉBAT

Mme Eloïse Lebourg, journaliste. Je suis journaliste et réalisatrice notamment d’un documentaire sur la mine de Salau, en Ariège. Il s’agit d’une mine de tungstène que connaît bien M. Jack Testard, puisque Variscan Mines a déposé le PERM (Permis exclusif de recherche de mines). Vous évoquez tous la difficulté de se faire accepter sur un territoire. C’est un peu le cas à Salau, où Variscan Mines rencontre quelques problèmes, que plusieurs d’entre vous mettent sur le compte de la méconnaissance des populations. Or j’ai pour ma part bien étudié le dossier et souhaitais vous interroger à ce propos.

À Salau, les réticences des populations proviennent notamment de la présence d’amiante. Il est indiqué page 36 du rapport qu’« aucune amiante, au sens minéralogique du terme, ne semble avoir été rencontrée dans les roches ». Vous vous appuyez notamment ici sur le travail de M. Marcoux. C’est faire peu d’honneur et de cas du rapport rédigé en 1984 par M. Pézerat, qui est, je le rappelle, l’un des chercheurs ayant permis l’interdiction de l’amiante en France. C’est faire également abstraction de plusieurs courriers d’anciens directeurs de la mine ou des trente ans de recherche d’Annie Thébaud-Mony. C’est aussi faire mentir le médecin et l’infirmière de la mine de Salau et ne pas respecter les nombreux malades et morts d’asbestose ou de cancer du poumon dus aux fibres d’amiante. Sans doute allez-vous me répondre qu’ils ont certainement travaillé ailleurs au cours de leur carrière ou que cela est dû aux freins des machines.

Il me semble assez compréhensible, lorsqu’on lit ce dossier concernant l’amiante, que la population se méfie de Variscan Mines. Cela mériterait à mon sens un vrai débat public, au moins en Ariège.

M. Jack Testard, président, Variscan Mines. Merci pour votre question, très précise et documentée. Je ne vais pas ouvrir ici un débat particulier, sur un sujet qui nous concerne spécifiquement. En revanche, je puis vous dire que ce problème de l’amiante est soulevé par un certain nombre de gens : il convient donc d’en parler. Or jusqu’à présent je n’ai pas obtenu de réponse réellement fiable. Nous avons commencé à mener des recherches, avec des experts, des contre experts, dans le cadre de débats scientifiques. Il faudra juger du résultat pour la suite.

Il existe de nombreuses confusions dans ce domaine et chacun doit respecter son propre domaine de compétences. Pour ma part, je ne suis pas médecin. Je sais par contre ce qu’est un minéral : c’est mon métier, je peux donc en parler avec précision. Il faut par ailleurs être particulièrement rigoureux dans toutes ses observations.

On me signale par exemple l’existence de cancers : il y en a effectivement et je le regrette bien évidemment. Sont-ils tous dus à l’amiante ? Si je me réfère aux publications médicales, il apparaît qu’un cancer dû à l’amiante présente des caractéristiques reconnaissables qui ne sont pas celles du cancer du poumon en général. Mais nous n’allons pas entrer ici dans ce genre de débat sordide.

Par contre, lorsqu’on me dit qu’il y a des minéraux d’amiante dans la mine, je puis vous assurer, sur la base des travaux scientifiques de plusieurs experts, que cela est inexact.

Des réunions publiques d’information sont par ailleurs régulièrement organisées. L’une d’elle est par exemple programmée le 18 mars. D’autres ont déjà eu lieu auparavant. L’objectif de ces rencontres est de pouvoir expliquer et dialoguer. Je pense qu’il faut être capable de s’écouter, de discuter et ne pas opposer systématiquement à des chercheurs qui ont travaillé des décennies sur un sujet que leurs arguments ne sont pas recevables.

Mme Eloïse Lebourg. C’est précisément ce qui s’est passé lorsque Mme Thébaud-Mony est venue à Seix, où il lui a été demandé de partir avant même qu’elle ait pu s’exprimer et présenter son travail.

M. Jack Testard. Cela est vraiment dommage. Je préfèrerais que l’on puisse s’exprimer sur des bases de dialogue. Il s’agit là d’un problème général, que l’on retrouve très souvent en France, où l’on commence par s’affronter avant d’essayer de discuter. Peut-être serait-il préférable de tenter de dialoguer d’abord.

Mme Eloïse Lebourg. Tous les intervenants de cette table ronde ont mis l’accent sur le fait qu’il était important d’être bien accepté sur le territoire. Ne pensez-vous pas que Variscan Mines a en l’occurrence commis une erreur de ce point de vue ?

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Permettez-moi d’intervenir : nous sommes là sur un cas particulier, dont nous n’avions pas connaissance et à propos duquel nous ne disposons pas des éléments nous permettant de prendre part à ces échanges. Si vous souhaitez poursuivre cette discussion, ce qui est tout à fait légitime, il serait à mon sens plus opportun que cela puisse se dérouler dans un autre cénacle. Il est important qu’un dialogue puisse se nouer sur de tels sujets et que l’on essaie, autant que faire se peut, d’objectiver les éléments en présence, les effets de causalité étant parfois difficiles à établir.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal. J’ai suivi de loin cette affaire, que je trouve extrêmement intéressante. J’étais moi-même présent à la réunion organisée à Seix, à laquelle il vient d’être fait allusion, et puis témoigner du fait que Mme Thébaud-Mony a pu s’y exprimer comme elle le souhaitait, en tout cas durant la première partie de la réunion.

Il faut en outre savoir que cette mine a donné lieu à la rédaction de six ou sept thèses universitaires, dont une thèse d’État. Or aucune d’entre elles n’a mis en évidence un quelconque danger lié à l’amiante. J’ai lu le rapport de M. Pézerat, dans lequel il souligne à trois reprises que cette mine ne contient pas d’amiante. Où est la vérité dans ce domaine ? J’insiste sur le bien-fondé de réunions publiques ou d’information pour faire un point sur ce problème, qui semble mis en exergue alors même que le médecin local a lui-même indiqué sur l’antenne de Radio Couserans qu’il n’avait rencontré aucun cas de cancer lié à l’amiante de la mine.

D’une manière plus générale, il m’apparaît que, lorsque l’on se trouve confronté à ce type de sujet sur une activité industrielle en France, tous les protagonistes doivent accepter de s’écouter. Ceux qui ont peur de quelque chose doivent pouvoir faire part de leurs craintes ; ceux qui disposent d’une réponse scientifique, donc incontestable, doivent aussi pouvoir s’exprimer et être écoutés, ce qui n’a pas l’air aujourd’hui d’être le cas.

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Je ne vais bien évidemment pas commenter une instruction en cours. J’ajouterai simplement que, d’une manière générale, il faut bien comprendre que les processus d’instruction miniers sont des démarches progressives. Nous parlons aujourd’hui du permis exclusif de recherche, qui attribue un droit minier à un opérateur. Ce droit n’apporte pas directement la possibilité de faire les travaux. Cela relève d’autres processus ultérieurs.

Pour autant, il me semble effectivement important, ainsi que le soulignait l’intervenant précédent, que les craintes puissent être exprimées. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de la réforme du code minier que de permettre à ce dialogue de s’établir le plus tôt possible. Nous y avons tous intérêt, y compris l’investisseur qui a besoin de savoir dans quelles conditions développer son projet. Je regrette pour ma part que les processus actuels ne permettent pas d’avancer progressivement, de donner les éléments de décision aux autorités de l’État le moment venu, dans une progressivité adaptée à la situation, sachant qu’au final les arrêtés de travaux sont de toute façon soumis à autorisation, études d’impact et études sanitaires, contre-expertises si nécessaire. La question sera donc traitée, le moment venu et de manière adaptée, par les services de l’État.

J’imagine que ce sujet sera abordé lors de prochaine table ronde.

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, groupe Eramet. Mon intervention ne portera pas sur ce cas précis, que je ne connais absolument pas. Je voulais juste ajouter, en termes de bonnes pratiques, quelques éléments qui me semblent importants.

Le premier est qu’en dehors des formations internes permettant l’acquisition de ces réflexes et de cette culture que j’évoquais précédemment, nous sommes également aidés dans cette démarche par des outils extérieurs, ainsi que par des cadres d’initiatives volontaires ou liées à des financements. Je pense notamment aux standards de performance de la SFI, qui sont contraignants lorsqu’on les met en œuvre, mais permettent aussi d’apprendre beaucoup.

Il existe également, en termes de reporting, divers indicateurs extra-financiers qui apportent un apprentissage intéressant. Tout ne se passe donc pas en interne. L’une des bonnes pratiques régulièrement mises en œuvre consiste à faire intervenir des non-industriels à des étapes clés d’un projet minier : chercheurs, sphère académique, ONG spécialisées en biodiversité ou dans l’étude de milieux naturels par exemple. Ces apports nous apparaissent absolument indispensables dans le cadre des étapes de caractérisation et de connaissance de milieux.

Un autre élément, essentiel à nos yeux, consiste à coupler l’innovation et la R&D à la recherche de bonnes pratiques en termes, par exemple, d’efficacité énergétique, de gaz à effet de serre, de recyclage, de valorisation des déchets. Toute cette innovation nécessite du temps et de l’argent, mais permet de réduire l’empreinte au sens large, et participe de l’acceptabilité des riverains et des communautés locales.

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21. Je pense que des exemples comme celui de la mine de Salau posent le problème fondamental et général de la crédibilité des experts et des scientifiques dans la société actuelle. Ceci est récurrent, dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la chimie, du nucléaire ou des ressources minérales. Il apparaît globalement qu’à partir du moment où une personne détient un savoir, elle devient suspecte, ce qui conduit à aller chercher l’information chez les opposants, sans même vérifier si ces personnes disposent d’un quelconque savoir. Ainsi, tout scientifique devient suspect, du seul fait qu’il a déjà travaillé sur le sujet. Les ressources disponibles auprès des universités dans le domaine de l’information et de la recherche constituent pourtant une mine de renseignements relativement indépendante. Il est toutefois, aujourd’hui, très difficile de se faire entendre.

M. Patrick Hetzel. Vous mettez effectivement l’accent sur un problème qui croise aujourd’hui de façon récurrente les préoccupations de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui considère qu’il est essentiel, sur un certain nombre de sujets de société, de pouvoir disposer de l’éclairage de la science.

Les controverses sont au cœur des avancées de la science. S’ajoute à cela le fait que les scientifiques ne peuvent s’exprimer qu’au regard de l’état actuel des connaissances disponibles : la science évolue sans cesse et s’inscrit dans un processus cumulatif. De ce fait, il est possible que d’autres connaissances interviennent par la suite, qui viennent nuancer, infléchir ou annuler les précédentes. Ces éléments et précautions, qui en réalité honorent le scientifique et sont la base même de son activité, peuvent, lorsqu’ils sont mal compris, déboucher sur une interprétation rigoureusement inverse de celle qu’il serait souhaitable d’adopter, dans la mesure où la science se caractérise en général par des méthodes et des démarches de validation ou d’invalidation très rigoureuses.

Cette question est aujourd’hui au cœur de nos préoccupations. Il existe bien souvent une confusion entre analyse scientifique et point de vue. Or si tous deux ont une légitimité, ils ne sont pas de même nature et ne s’appuient pas sur le même type de démarche.

M. Didier Julienne. J’avais écrit, voici quelques années, un article qui se concluait par la phrase suivante : « l’ingénieur doit reprendre la parole ». Ceci vaut pour les scientifiques d’une manière générale. Pourquoi l’ingénieur n’est-il plus écouté ? Sans doute parce qu’il n’arrive pas à donner une garantie qui éteigne toutes les peurs. C’est pourtant la raison fondamentale de son travail que d’avancer dans le brouillard. Le scientifique, s’il ne tente pas, s’il ne prend pas de risques dans ses travaux, n’avancera jamais. Le problème est que les politiques écoutent trop les gens qui ne savent pas et pas assez ceux qui savent. Je remarque que les scientifiques sont toujours, dans un domaine de compétences précis, des femmes ou des hommes seuls. Or il n’est pas aisé de parler seul face à 60 millions de personnes, dont la moitié est a priori opposée, par principe et avant même de les connaître, aux arguments que vous allez développer. Si le scientifique n’est pas soutenu par le politique, il lui est très compliqué d’avancer. Cela relève de votre responsabilité de représentants de la Nation.

M. Patrick Hetzel. Vous avez parfaitement raison. C’est d’ailleurs là la raison d’être de l’OPECST, qui cherche justement à apporter cet éclairage. Pour autant, cela n’apparaît pas aujourd’hui comme une évidence dans la société. Nous avons une mission importante à mener pour que les travaux des scientifiques soient reconnus à leur juste valeur.

M. Didier Julienne. Si nous souhaitions construire aujourd’hui les cinquante-huit réacteurs ou centrales nucléaires dont dispose la France, nous ne le pourrions pas. Cela serait impossible. Si nous voulions lancer actuellement n’importe lequel des chantiers industriels qui existent sur notre sol depuis cinquante ans, nous ne le pourrions pas. Aucun barrage ne pourrait plus être construit. Dans ce contexte, j’avoue ne pas comprendre pourquoi l’on parvient aussi facilement et aussi rapidement à implanter des éoliennes, qui détruisent le paysage. Il doit y avoir une raison politique qui m’échappe.

M. Alain Liger, ingénieur des mines, ancien secrétaire général du COMES. Nous sommes dans un contexte dans lequel, en matière métallique, l’absence de production en France depuis vingt ou vingt-cinq ans a laissé se développer une sorte de « culte du cargo », consistant à penser que les métaux viendront bien de quelque part. Il est frappant de constater que cela n’est pas le cas pour les substances et matériaux de construction, qui font pourtant aussi partie de l’industrie minérale et dont chaque collectivité et habitant du territoire a besoin tous les jours. Je vois là une piste de réflexion intéressante à creuser.

M. Patrick Hetzel. Cette métaphore du « culte du cargo » est assez puissante et évocatrice. Sans doute la reprendrons-nous dans l’un des chapitres de notre rapport.

DEUXIÈME TABLE RONDE :
COMMENT PEUT-ON MESURER ET ÉVALUER LA GRAVITÉ
DES RISQUES LIÉS À L’EXPLOITATION MINIÈRE ?
COMMENT PEUT-ON Y RÉPONDRE ?

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Cette seconde table ronde, consacrée aux modalités de mesure et d’évaluation des risques liés à l’exploitation minière et à la manière d’y faire face s’inscrit dans le droit fil des débats précédents.

Il est clair que toute activité, scientifique comme industrielle, suppose, à un moment donné, des prises de risques ; la question est alors de savoir comment mesurer et évaluer ces risques le plus objectivement possible, afin de les intégrer dans une démarche générale. Sont souvent évoqués à ce propos les cas du tungstène et de l’antimoine. Mais certains risques peuvent aussi être liés aux usines métallurgiques, de transformation. Nous évoquions justement cette question la semaine dernière à La Rochelle, lors de notre visite de l’entreprise Solvay, en compagnie de M. Alain Rollat. Il s’agit d’un site classé « Seveso », ce qui implique notamment de faire connaître la nature du risque à la population environnante, afin d’éviter tout fantasme.

L’apport de la réglementation pour contrôler et gérer ces risques est également un élément important. Un travail conséquent est mené en France par les directions régionales de l’environnement, qui interviennent dans le domaine du contrôle, en liaison avec les responsables industriels.

Nous évoquerons également lors de cette table ronde les réglementations et normes dont il serait possible de s’inspirer au niveau européen et mondial.

Nous avons la chance d’accueillir pour ce faire des intervenants de grande qualité, auxquels je cède sans tarder la parole.

M. Roland Masse, toxicologue, membre de l'Académie des technologies et de l'Académie de médecine. M. Corbier a évoqué précédemment la non acceptabilité des métaux. Je partage tout à fait ce point de vue et l’idée selon laquelle il faut effectivement veiller à communiquer sur la question de la conformité par rapport aux bonnes pratiques. Mais dans un certain nombre de cas, les données scientifiques manquent, en particulier en ce qui concerne les effets à long terme liés à certains métaux. C’est probablement le cas pour ce qui est des terres rares.

Jusqu’à une époque récente, les terres rares étaient considérées comme des éléments relativement peu toxiques. En fait, la toxicité aiguë s’exprime dans une gamme de dose qui va de la dizaine à la centaine de milligrammes, ce qui en fait effectivement des substances relativement peu toxiques. J’en veux pour preuve le fait que dans le cadre de la procédure REACH (qui n’est pas tout à fait achevée, mais le sera en 2018), la majorité des substances importantes du point de vue de l’industrie sont déjà enregistrées.

On est néanmoins frappé, lorsque l’on réalise l’analyse des données toxicologiques, par le caractère systématique des remarques soulignant le manque de données concernant les effets cancérogènes, les effets toxiques pour la reproduction, ainsi que les effets neurotoxiques et immunotoxiques. Les résultats dont on dispose sont reconnus très incomplets. Il n’existe à ce jour qu’une seule synthèse relative aux terres rares, réalisée en 1996 par Hirano et Suzuki. Une autre synthèse, effectuée par l’ANSES en 2010 sur les effets neurotoxiques, reconnaît l’existence de lacunes importantes. Une analyse, menée par l’Environmental protection agency en 2012 sur l’ensemble des terres rares, conclut de la même manière à un manque cruel de données. Pour certains éléments comme le dysprosium, l’erbium ou l’europium, les données sont mêmes jugées tellement lacunaires qu’elles ne permettent pas de produire une synthèse.

Des signes d’alerte existent toutefois. On a par exemple observé, dans les années 1970, des cancers provoqués par des substances insolubles à base de gadolinium et d’ytterbium. Certaines expérimentations ont, par ailleurs, montré que l’ingestion de solutions à base d’yttrium conduisaient à l’apparition de cancers. J’avais moi-même observé, dans le cadre d’expositions combinées à des éléments radioactifs (dont le radon) et d’une administration par voie aérienne de cérium, une potentialisation des effets cancérogènes. Il a également été constaté, pour le lanthane, qu’une neurotoxicité se manifestait dans certaines préparations in vitro, en bloquant les canaux calciques permettant la transmission du signal par les neurones. On a par ailleurs mis récemment en évidence le fait que le samarium était toxique pour le testicule. Il convient de noter l’importance de la recherche toxicologique chinoise dans ce domaine, recherche quasiment inexistante en Europe. Il a aussi été démontré que l’oxyde de cérium était toxique pour l’ovaire, à des concentrations relativement faibles.

Des signaux d’alerte apparaissent ainsi actuellement, qui nécessitent certainement un effort particulier.

Les mécanismes de ces effets toxiques sont imparfaitement connus. Dans le cas de la toxicité du samarium par exemple, on remarque que le nitrate est 2 000 fois plus toxique que le chlorure, ce qui ne s’explique pas clairement. On utilise par ailleurs en médecine le gadolinium comme produit de contraste, ce qui s’avère très intéressant dans le cas de l’ERMN ; on sait néanmoins qu’il s’agit d’un élément toxique pour les insuffisants rénaux, sans pour autant connaître les mécanismes de cette toxicité. Un travail de recherche est donc manifestement nécessaire dans ce domaine. Cette nécessité est renforcée par l’existence de pathologies professionnelles chez des ouvriers exposés aux poussières de terres rares et qui développent soit des fibroses pulmonaires, soit des pneumoconioses, soit des maladies cardiovasculaires susceptibles d’être directement imputées à une action facilitant la prolifération de certaines cellules par des sels de terres rares.

De la même manière, alors que les risques associés à l’introduction de nanoparticules de terres rares, en particulier d’oxyde de cérium, ont fait l’objet de nombreuses études in vitro, il n’est pas possible à l’heure actuelle de conclure à l’importance que cela pourrait avoir en termes de diminution de l’effet toxique à long terme des microparticules. Il a par exemple été proposé d’adjoindre du cérium au carburant diesel, afin de diminuer la quantité globale de microparticules ou de nanoparticules produites. On sait toutefois aujourd’hui que les particules produites dans ces conditions sont plus toxiques encore que les nanoparticules générées directement à partir du diesel.

Nous sommes donc là face à un problème global, qu’il faudra nécessairement aborder. La seule solution actuellement envisageable est certainement de provoquer un appel d’offres à l’échelon national, via l’ANR par exemple, qui fasse une priorité du développement des connaissances sur les conséquences environnementales et les impacts sanitaires de ces terres rares, et des métaux en général, sur les populations et les travailleurs, afin de combler les lacunes, manifestes dans ce domaine aujourd’hui. Nous manquons cruellement de données.

Je me permets pour ma part de suggérer la création d’une plateforme de toxicologie environnementale, qui soit crédible si on la compare aux structures similaires existant dans les pays voisins.

M. Gilles Recoche, directeur RSE, sécurité et intégration dans les territoires, Areva Mines. Je voudrais faire le lien avec les propos précédents, de manière à expliquer la manière dont le risque se place dans le cadre de nos activités.

Aujourd’hui il n’y a pas d’avenir possible pour une société minière si elle n’agit pas de manière responsable. Le défi, pour l’industriel, est de développer un projet viable, accepté et faisable. Il faut s’en assurer très en amont, en considérant l’ensemble du cycle de vie du projet minier, tant d’un point de vue économique qu’environnemental, technique et sociétal. Je pense que tous les industriels présents autour de cette table en sont convaincus.

Les Anglo-saxons évoquent souvent la « licence to operate », qui donne une forme d’acceptabilité, une confiance et le « goût de la mine », pour reprendre votre expression, Madame la Sénatrice. Tel est le souci de tous les opérateurs. Or cela suppose de maîtriser nos risques, d’être transparents et de veiller à cet équilibre, afin d’apporter les réponses aux parties prenantes (clients, partenaires, donneurs d’ordre, société civile) qui nous challengent et souhaitent être informés.

Être responsable et analyser les risques ne consiste pas seulement à rendre des comptes et à s’assurer que l’on est bien en conformité avec la réglementation. Cela va bien au-delà de ce prérequis. Être responsable relève plutôt d’une démarche proactive qui va s’inscrire dans l’idée d’un progrès continu, en faisant appel aux engagements volontaires et en s’alignant, en général, sur les bonnes pratiques en vigueur dans le secteur.

L’autre enjeu de taille, évoqué à plusieurs reprises, consiste à trouver le bon équilibre entre ce qui relève de la réglementation, des normes, qui doivent rester tant que faire se peut applicables et adaptées au niveau de risque, et ce qui renvoie davantage à l’engagement, à la démarche, dans un souci de progrès continu et d’adéquation avec les contraintes et les conjonctures. Je rappelle que nous intervenons dans différents territoires et pays, sur tous les continents, au Niger, en Asie, en Namibie, en Mongolie, en Australie et au Canada. En France, nous sommes en charge du suivi après mine des anciens sites miniers.

Les enjeux de responsabilité comportent notamment la sécurité au travail, le respect de l’environnement, la santé des travailleurs et des populations, le dialogue avec les parties prenantes, la transparence, la rentabilité et l’aide au développement du territoire, dans un esprit de partenariat et de vision à long terme.

Quatre piliers structurent notre approche du risque : le premier est le respect de la réglementation, la conformité citée précédemment par Laurent Corbier. Lorsqu’elle n’existe pas, il s’agit d’appliquer les standards internationaux et les bonnes pratiques internationales en vigueur. Dans notre domaine de la radioprotection, il faut par exemple faire appel à la notion « ALARA » (« As low as reasonably achievable »), qui renvoie à la question de savoir jusqu’où aller d’un point de vue social et économique au regard des différentes contraintes qui nous sont posées.

Je rappelle également que tout projet minier passe par des phases de faisabilité, dans lesquelles figurent des études d’impacts environnementaux, sociétaux et des analyses de risques très poussées, soumises à l’administration avant d’obtenir une autorisation de procéder. Tout ceci s’effectue dans une démarche de concertation, avec des enquêtes publiques.

Le deuxième pilier, essentiel à nos yeux, consiste à s’inspirer des bonnes pratiques, dans la mesure où il n’existe pas vraiment de réglementation RSE (Responsabilité sociétale et entreprises). Il s’agit toujours de démarches volontaires, même s’il existe des normes, des principes directeurs et des référentiels comme la « Global reporting initiative ». Areva Mines a fait le choix d’adhérer depuis 2011 au Conseil international des mines et métaux (ICMM en anglais), qui regroupe tous les plus grands acteurs miniers internationaux dans le domaine. L’ICMM, qui va fêter prochainement ses quinze ans d’existence, nous fournit un cadre structurant et un référentiel très solide en termes de bonnes pratiques. Il réunit vingt-et-une compagnies minières, trente-cinq associations et plus de huit-cents sites miniers dans soixante-dix pays.

Areva est aujourd’hui le seul acteur minier français ayant demandé et obtenu son adhésion à l’ICMM. Je précise en effet que cette adhésion n’est pas automatique, mais se fait en passant sous les fourches caudines d’un cadre stratégique que l’ICMM a mis en place en termes de développement durable, autour de trois éléments cruciaux : le respect de dix principes fondamentaux inspirés de toutes les normes mondiales dans le domaine (Organisation internationale du travail, Déclaration de Rio, etc.), un rapport public des missions et, enfin, un audit indépendant, externe à cette association.

L’ICMM soutient également l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, dont Areva est aujourd’hui l’un des sponsors, puisque le Niger, le Kazakhstan et la Mongolie, où nous opérons, sont membres de l’ITEI.

L’adhésion à l’ICMM nécessite en outre la publication de rapports extra-financiers annuels, répondant clairement aux standards de la Global reporting initiative. Il s’agit d’un référentiel de reporting extra-financier, internationalement reconnu, pour lequel toute organisation souhaitant entrer à l’ICMM doit obtenir la lettre A+. Ainsi, l’ICMM se présente non comme une association, mais plutôt comme un label, et ce d’autant qu’il est fait appel à des audits extérieurs.

Le troisième pilier est la maîtrise et la prévention des risques, afin bien évidemment de préserver la santé des salariés et des populations et de protéger l’environnement. Le choix d’Areva dans ce domaine est de mettre en place des systèmes de management connus, reconnus, auditables et permettant de progresser, d’avoir un référentiel de management commun à l’ensemble de nos sites répartis sur les différents territoires et d’harmoniser nos pratiques. Tous nos sites sont ainsi certifiés ISO 14 001 en management de l’environnement et OHSAS 18 001 en management de la santé et de la sécurité, pour certains depuis plus de quinze ans.

Le dernier pilier que je souhaite évoquer avec vous est d’être véritablement acteur du développement des territoires. Nous nous sommes, pour ce faire, doté d’outils de cartographie des parties prenantes, permettant de clairement les identifier, de les reconnaître, de dialoguer avec elles, pour essayer de mettre en place des projets construits ensemble. Nous disposons en outre d’outils de gouvernance, au sein de commissions. Nous avons ainsi exporté certaines notions de la CLI (Commission locale d’information) à l’étranger. Nous utilisons enfin des outils de pilotage, ainsi que des outils de projets et de projets de partenariats, que j’aborderai lors d’une intervention ultérieure.

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Je souhaiterais vous remercier, Monsieur Masse, pour les éléments d’analyse très précis que vous nous avez communiqués. Lors d’une de nos précédentes rencontres, vous aviez souligné le manque d’études concernant l’évaluation de la gravité des risques, en précisant qu’il n’existait peut-être pas de danger, mais qu’il restait beaucoup à faire, en dehors du travail effectué par de grands laboratoires privés (comme Sanofi ou Servier). Diverses tentatives ont eu lieu pour relancer l’intérêt pour la toxicologie, de la part notamment de l’Académie des sciences et de l’Académie de médecine.

Je souhaiterais savoir, en référence aux propos de M. Recoche, si des études spécifiques pourraient contribuer, au-delà de l’aspect majeur que constituent la santé et la sécurité de nos concitoyens, à renforcer le bon équilibre entre la réglementation et les normes.

M. Roland Masse. La réponse est certainement affirmative. Il existe des organismes capables de mener ces travaux. Je pense notamment à l’INERIS pour ce qui concerne la toxicologie environnementale ou à l’INRS (Institut national de recherche et sécurité) pour la pathologie professionnelle. Il faut simplement leur donner les moyens pour le faire ; il faut que les appels d’offres existent et que les données soient centralisées. À l’heure actuelle, la toxicologie est en effet éclatée en un certain nombre de disciplines extrêmement ponctuelles et il nous est difficile, en raison principalement de la pression engendrée par la diminution de l’expérimentation animale, de revenir de la molécule à l’épidémiologie. Un gap s’est créé et il nous faudra trouver des éléments de réponse à partir des méthodes dites « alternatives ».

M. Aurélien Gay, direction générale de la prévention des risques (DGPR). Je suis, depuis quinze jours, le nouveau chef du bureau du sol et du sous-sol à la direction générale de la prévention des risques. Je suis accompagné aujourd’hui de mes deux adjoints, qui seront également à votre disposition pour répondre en détails à d’éventuelles questions.

Je m’attacherai, au cours de cette intervention, à vous présenter brièvement le cadre règlementaire lié à l’activité minière. La DGPR est responsable, à travers le bureau dont j’ai la charge, de l’élaboration, de la coordination et de la mise en œuvre des politiques publiques liées à la présence de mines et à la sécurité des mines et carrières en exploitation. Elle assure également le pilotage des services déconcentrés (les DREAL), placés sous l’autorité des préfets de département et chargés de l’instruction des différents dossiers. Dans le cadre de ces instructions, la DGPR et les DREAL peuvent éventuellement solliciter un appui technique de la part d’établissements publics comme l’INERIS ou le BRGM.

L’exploitation minière est, comme un certain nombre d’autres activités extractives ou de traitement des minerais, susceptible d’avoir des impacts sur l’environnement, la santé humaine, voire d’autres impacts tels que ceux listés à l’article L-161.1 du code minier. Afin d’assurer la protection de ces intérêts, une procédure d’encadrement des travaux miniers a été mise en place et codifiée dans le code minier, aux articles L-162.1 et suivants.

Tous les projets de travaux miniers d’un exploitant titulaire d’un titre sont soumis à une instruction de la part des services de l’État, voire à une autorisation pour les plus complexes, et à une participation du public, sur le fondement d’une étude d’impact. Cette étude est propre à chaque site et aux substances qui y sont exploitées. S’agissant du tungstène, de l’antimoine ou des terres rares, l’étude d’impact précisera les risques particuliers qui y sont liés.

Une fois la mine en exploitation, la police des mines a pour objet de prévenir et de faire cesser les éventuels dommages et nuisances imputables aux activités d’exploitation. Cette compétence est exercée elle aussi par le préfet de département, avec l’appui des agents de la DREAL, qui peuvent visiter à tout moment les sites miniers faisant l’objet de travaux d’exploitation et les installations attenantes et exiger la communication de documents de toute nature, ainsi que la remise de tout échantillon et matériel nécessaire à l’accomplissement de leur mission.

Dans le cadre des travaux miniers et des carrières, les DREAL sont également chargées des missions d’inspection du travail, ce qui leur confère une vision globale de l’ensemble du site.

Les conditions de fermeture des mines sont encadrées par des dispositions du code minier qui précisent toutes les mesures à prendre pour maîtriser les risques résiduels, à la fin de l’activité minière. On pense par exemple aux mouvements de terrain liés à la présence d’anciennes galeries, aux risques liés à la présence de terrils ou à une éventuelle remontée des eaux dans les anciennes exploitations. Là encore, l’autorité administrative va, après consultation des communes et des élus concernés et sur la base des propositions de l’exploitant, édicter les prescriptions encadrant les travaux de fermeture de la mine, afin de protéger les différents intérêts mentionnés à l’article L-161.1 du code minier.

L’administration dispose ainsi d’un large pouvoir de surveillance et de contrôle de l’exploitant minier.

S’agissant des installations de traitement du minerai, qui peuvent dans certains cas être situées juste à côté de la mine, celles-ci peuvent être soumises à la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement (c’est-à-dire au régime ICPE), selon un schéma équivalent à celui décrit précédemment pour l’exploitation des mines. Elles sont autorisées après enquête publique et participation de la population sur le fondement d’une étude d’impact. Il appartient ensuite à l’autorité préfectorale d’édicter les prescriptions de nature à protéger les intérêts énumérés à l’article L-511 du code de l’environnement.

En fin d’activité, l’autorité préfectorale peut, sur la base d’un mémoire de réhabilitation, encadrer les travaux de réhabilitation de l’ancienne installation.

Au niveau européen, toutes ces activités sont essentiellement encadrées par deux directives : la directive de 2006 sur les déchets de l’industrie extractive et la directive de 2010 relative aux émissions industrielles.

M. Patrick Hetzel. Areva intervenant en tant qu’acteur minier, je souhaiterais savoir comment vous envisagez, Monsieur Recoche, la communication autour de ces questions de gestion des risques et de liaison de vos exploitations avec l’environnement immédiat.

M. Gilles Recoche. Notre stratégie en matière de communication s’appuie sur trois axes, situés à des degrés de maturité différents : l’information, le dialogue et la concertation.

Le premier de ces trois éléments consiste à expliquer, montrer, informer, dans un souci pédagogique. Ceci se traduit par l’organisation d’espaces dédiés visant à sensibiliser les populations. Je pense par exemple à la création du musée Urêka ou aux actions que nous menons au Kazakhstan, en Namibie ou encore au Niger, où nous avons créés des lieux dans lesquels les gens peuvent s’informer, s’instruire, comprendre et être sensibilisés à l’univers de la mine et à nos activités au sens large.

Nous organisons aussi fréquemment des visites de sites en faisant, par exemple, venir les gens du Kazakhstan en interculturelles Mongolie, ou ceux du Niger au Gabon. Nous essayons ainsi de faire en sorte que chacun ait une vision globale de nos activités.

Nous mettons bien évidemment en place des outils d’information pour le plus grand nombre, via les médias et les réseaux sociaux, au sein de plateformes éditoriales grand public.

Nous programmons en outre, assez classiquement, des séminaires et des visites d’information dédiés aux relais que sont les médias et les scientifiques.

Nous mettons par ailleurs régulièrement en œuvre des séances de prélèvement participatif, qui jouent un très grand rôle en termes d’acceptabilité. Tout au long de l’année, nous organisons ainsi sur nos sites des prélèvements d’eau, de sol, d’air, avec des populations, des administrations, que nous rencontrons ensuite pour leur communiquer les résultats des analyses effectuées sur les échantillons prélevés. Ceci contribue à une meilleure appropriation des sujets environnementaux, qui apparaissent ainsi moins « diaboliques » que certains rapports ou certaines discussions ne le laissent parfois imaginer.

Le deuxième axe est le dialogue, le débat : il s’agit d’engager des échanges avec les différentes parties prenantes au projet, au sens large. Cet aspect est aujourd’hui bien connu en France dans le domaine de l’après-mine, autour notamment des commissions de suivi de sites, au cours desquelles, sous l’égide des préfectures, sont présentés les bilans environnementaux, les projets et les avancements des travaux.

À l’étranger, notamment au Niger, au Gabon et en Mongolie, nous avons mis en place le modèle CLI, bien qu’il ne soit pas imposé par la réglementation. Ceci se traduit par la création de Commissions locales d’information régulières, deux à trois fois par an, sur chaque territoire dans lequel nous intervenons.

Nous mettons également en ligne chaque année notre rapport de développement durable, intitulé Rapport de croissance responsable, qui répond aux exigences de l’ICMM. Nous adressons dans ce cadre un questionnaire en ligne, visant à recueillir les réactions du plus grand nombre vis-à-vis de ce rapport et de proposer des pistes d’amélioration. Ceci représente pour nous un autre moyen de dialoguer avec diverses les parties prenantes, à travers la toile.

Le dernier axe, peut-être le plus important et le plus abouti, est celui de la concertation et de l’intégration. Nous essayons de prendre des décisions à la lumière des attentes des parties prenantes, une fois celles-ci identifiées.

En Mongolie par exemple, nous avons établi un accord de partenariat avec une ONG française et un ensemble de coopératives de vétérinaires, pour développer sur plusieurs années un projet visant à garantir la viabilité de leur activité, malgré l’arrivée d’une mine, et à maintenir tout le tissu sanitaire et économique de nature à permettre le maintien d’une activité d’élevage. Ceci s’inscrit évidemment dans une vision à très long terme.

De la même manière, nous avons élaboré au Niger un dispositif assez important de 17 millions d’euros sur cinq ans, consacré au développement agropastoral et à la mise en œuvre d’un programme d’irrigation nommé « Irhazer ». Ceci s’inscrit dans le cadre d’un protocole d’accord concernant un territoire de plus de mille hectares et devrait bénéficier à quelque 2 000 ménages.

La mine peut ainsi accompagner des projets parallèlement à son activité, afin de ne pas être trop impactante.

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Mineralinfo est le portail français des ressources minérales non énergétiques premières et secondaires destiné au grand public. Lorsque nous avons élaboré ce projet au sein du COMES, nous avons fait le choix de l’inscrire dans l’ensemble de la problématique des ressources minérales et pas uniquement dans l’optique de l’accès aux ressources naturelles.

À l’origine, ce projet était simplement censé capitaliser les informations du Comité des métaux stratégiques. Il se fondait sur une volonté de redistribuer l’information en direction des entreprises. Ces éléments sont toujours présents sur le portail : on peut ainsi y consulter les rapports du BRGM sur les métaux critiques, des fiches de criticité, des informations sur l’interprétation des données du sol et du sous-sol, etc.

Mais il nous est apparu très rapidement que cela n’était pas suffisant. Nous avons perçu, à travers les instructions de permis exclusifs de recherche, l’existence d’un besoin de connaissance, de savoir, de transparence. Or la réglementation n’était expliquée nulle part en termes simples et les référentiels n’étaient pas facilement consultables. Nous avons donc décidé de réunir toute cette information et de la proposer sous forme de rubriques décrivant notamment les politiques publiques dans ce domaine, autour des thématiques de l’économie circulaire, de l’action internationale de l’État, de la politique minière et des politiques liées au recyclage. Nous avons également inclus dans ce portail des informations sur les acteurs, les matières premières, notamment celles produites en France. Nous y avons enfin inclus un panorama des mines et des carrières, l’état de l’activité minière aujourd’hui, des cartes et données destinées aux industriels et des fiches, encore en cours de développement, pour mieux comprendre les enjeux environnementaux, économiques, techniques, sanitaires.

Ce site reçoit environ 5 000 visites par mois. Il nous permet aussi de publier l’ensemble des activités du secteur. La consultation du public en matière de permis exclusif de recherche se fait par exemple, conformément à la loi, sur le site internet du ministère en charge des mines. Publier également cette information sur Mineralinfo permet de la relayer et de la flécher. Il s’agit d’un outil important de transparence.

Nous comptons beaucoup sur ce site pour développer ces démarches de dialogue éclairé auxquelles nous aspirons tous.

M. Alain Geldron, expert national Matières premières, direction Économie circulaire et déchets, Ademe. L’Ademe a, dans son champ de compétence, un domaine d’intervention un peu particulier, concernant les sites (notamment miniers et métallurgiques) à responsables défaillants. Nous intervenons sur ces sites à la demande des pouvoirs publics, dont la DGPR.

Nous sommes amenés dans ce cadre à effectuer de la mise en sécurité, notamment de bâtiments restant parfois après la fin de l’exploitation minière, à mener plusieurs types d’actions de confinement d’un certain nombre de lieux d’exploitation susceptibles de présenter des dangers ou des problèmes de sécurité pour l’environnement ; reprofilage des terrils miniers qui peuvent présenter des problèmes de stabilité physique ; protection de surface pour éviter le passage des eaux météoriques au sein de déblais chargés en métaux. Nous sommes aussi conduits à effectuer éventuellement du reprofilage des réseaux de collecte des eaux, ainsi que du traitement de résidus métallurgiques.

Ceci nous a permis de mettre en évidence un besoin d’aménagement des stériles sur le long terme. Si l’exploitation minière dure quelques dizaines d’années, voire un siècle pour les plus anciennes, il est en effet nécessaire d’envisager un stockage dans la durée. Ceci se double de la nécessité, au moment de l’exploitation, de bien gérer les bassins de décantation, en veillant à leur parfaite étanchéification, pour éviter des relargages sur le long terme. Il convient également de s’assurer de la stabilisation des terrils et de garantir une protection contre l’érosion hydraulique, en évitant par exemple les fonds de vallon. Il faut avoir recours à des solutions de long terme robustes et ne faisant pas trop appel à des technologies, afin de limiter les problèmes liés à leur maintenance.

En termes de travaux de recherche aujourd’hui, je signale la mise en œuvre d’études relatives à des tests de réensemencement des sites miniers, qui présentent des caractéristiques particulières. Des travaux sont ainsi en cours dans le sud de la France sur d’anciens gisements de plomb et de zinc.

M. Basile Segalen, ancien responsable du pôle média sociaux, groupe BNP Paribas. Le sujet de la communication sur les médias sociaux nécessite une approche pédagogique. Il s’agit, tout comme le dialogue dont il a beaucoup été question lors des précédentes interventions, d’un élément crucial, qui doit intervenir le plus en amont possible.

Les médias sociaux sont précisément l’espace qui permet non seulement de prendre le pouls, d’effectuer une veille et de savoir ce que les internautes expriment sur le sujet en temps réel, mais aussi d’adopter cette approche de dialogue et d’avoir une portée didactique.

En amont, on peut, en termes de bonnes pratiques relatives aux plateformes sociales, identifier un certain nombre de sphères d’influence, essayer d’être à l’écoute de ce que les internautes disent sur Twitter par exemple et nouer un dialogue, diffuser une information.

Je pense que le triptyque « information-dialogue-concertation » évoqué précédemment se prête parfaitement aux plateformes sociales.

Sur Twitter, il serait par exemple possible de créer un compte dédié, qui prolongerait la communication du portail Mineralinfo et permettrait d’adopter une approche de dialogue et d’animation quotidienne, alimentant régulièrement la page avec des actualités. Twitter constitue vraiment le réseau privilégié pour d’une part se saisir ce que les internautes pensent d’un sujet donné, d’autre part publier des contenus informatifs pouvant également être hébergés par d’autres plateformes, d’images par exemple. Bien souvent, les médias sociaux se résument à Twitter, notamment auprès des journalistes. Il faut toutefois savoir qu’il existe des plateformes d’images vraiment adaptées à la publication de documents tels que des infographies. Je pense ici à Instagram ou Pinterest, ou encore à des plateformes de vidéo. Toutes ces plateformes pourraient parfaitement accueillir et relayer des paroles d’experts.

Il me semble en outre important de sortir d’une approche quelque peu unilatérale en matière de communication auprès du grand public sur les plateformes sociales, en identifiant des blogueurs ou des « youtubeurs » intervenant dans le champ de la vulgarisation scientifique ou économique et en s’appuyant sur leurs réseaux pour toucher certaines sphères d’influence et obtenir ainsi plus facilement la confiance des internautes.

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. Solvay n’est pas, tout au moins dans la partie « terres rares » de son activité, un acteur minier. Nous avons toutefois, pendant très longtemps, importé du minerai directement à l’usine de La Rochelle, dédiée aux terres rares. La matière première essentielle a, pendant de très nombreuses années, été la magnésite, minerai de terres rares contenant de la radioactivité. Pendant toutes ces années, entre 1970 et 1994, nous intervenions sur ce minerai en traitant, séparant et stockant la radioactivité contenue. Le déchet radioactif principal était alors envoyé à La Hague, au centre de stockage de la Manche, dédié à ce type de produits dits « TFA » (Très faiblement actifs).

La Hague a été saturée en 1994 et il a fallu trouver un autre site de stockage. L’Andra, le gestionnaire de ce type de stockage, a alors créé un nouveau site à Soulaines. Or il se trouve que ce site n’acceptait pas les déchets générés par l’usine, non pas en raison de leur niveau de radioactivité, mais parce qu’il s’agissait de déchets radifères. Nous avons donc dû arrêter notre importation de minerai et nous transformer en utilisateurs d’intermédiaires, de produits non radioactifs.

Je voudrais utiliser cet exemple pour mettre en évidence deux points. Le premier concerne le fait que tous les minerais de terres rares contiennent plus ou moins de radioactivité et qu’en prenant cette décision, nous avons d’une certaine façon transféré le problème sur les pays producteurs, en l’occurrence la Chine, alors même que la France bénéficie d’une expérience et d’une compétence très fortes dans le domaine du traitement de la radioactivité. Je ne suis en outre pas sûr que les conditions d’exploitation en Chine correspondent à ce que nous faisions à La Rochelle, ni à la façon dont l’Andra gère les déchets.

Le deuxième élément concerne les relations avec la population locale. Jusqu’en 1994, nous avions, comme la plupart des industriels certainement, une attitude que je qualifierais « d’ingénieurs » : nous détenions les connaissances et, forts de ce savoir, demandions aux populations de nous faire confiance. Or nous nous sommes aperçus que cela ne fonctionnait pas. L’usine étant très fortement insérée dans le tissu local, nos voisins se posaient des questions quant à la présence de produits radioactifs, à leur gestion. Il nous a fallu du temps pour parvenir à accepter que les gens viennent nous rencontrer, nous posent des questions, demandent des explications.

Il s’est ainsi avéré que ce qui nous était alors apparu comme une charge était en fait une chance, car cela nous a permis d’avoir une véritable ouverture sur l’environnement local. Nous recevons aujourd’hui, régulièrement, des visites du comité d’intérêt de quartier et organisons des opérations portes ouvertes. Depuis lors, tous les développements et investissements réalisés sur le site ont été bien acceptés, car mieux compris. Savoir communiquer est donc un élément essentiel, même si cela n’est pas simple pour un ingénieur, compte tenu notamment de la difficulté de la communication technique.

M. Mehdi Ghoreychi, directeur des risques du sol et du sous-sol, INERIS. Comment appréhender les risques liés à l’exploitation minière ? Je saisis cette occasion de m’exprimer devant vous pour me référer aux travaux européens réalisés en particulier dans le cadre d’un projet du 7ème PCRD, actuellement en cours et qui s’achève bientôt.

Ce projet, intitulé I2Mine, concerne les mines propres et les mines de demain, et réunit vingt-cinq partenaires européens. INERIS est le partenaire français de ce projet, en tant qu’organisme spécialisé dans le domaine du risque, disposant d’un passé historique en matière de sécurité minière et d’impacts environnementaux et sanitaires, incluant les aspects toxicologiques qui viennent d’être évoqués.

J’insisterai ici, étant donnée la brièveté du temps qui m’est imparti, sur un seul point, qui fait l’objet d’un large consensus : il apparaît clairement que tout projet de nouvelle mine doit désormais intégrer, dès la phase initiale de conception, la question des risques et impacts liés à toutes les étapes, non seulement de l’exploitation, mais aussi de l’exploration, de la fermeture et de la post-fermeture du site minier.

Je me permets d’attirer tout particulièrement votre attention sur la dernière étape, dans la mesure où la problématique de l’abandon et du post-abandon n’était pas toujours bien prise en compte par le passé, que ce soit dans les projets miniers ou, d’une manière générale, industriels. Le retour d’expérience en France montre combien la gestion de l’« après-mine » peut être délicate. Si l’on n’en était pas conscient voici un siècle, on le sait aujourd’hui et il faut en tirer les conséquences.

On retrouve là ce que l’INERIS met systématiquement en avant dans tous les nouveaux procédés et technologies, à savoir la nécessité d’accompagner le développement en intégrant la dimension risques et impacts, dès l’étape de projet. Il s’agit d’identifier les risques, de les évaluer le plus objectivement possible et de proposer des mesures de maîtrise et de limitation.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal. Je souhaiterais évoquer deux aspects de l’exploitation minière. Le premier, endogène, renvoie au fait qu’il s’agit d’une industrie comme une autre, avec des normes, des bonnes pratiques : tout cela est déjà encadré, parangonné, règlementé. Il convient tout particulièrement, ainsi que cela vient d’être souligné, d’encadrer l’après-mine, car cela peut réserver des surprises parfois dramatiques. Je pense notamment aux révélations faites récemment dans le Gard à propos de dépôts miniers, à un barrage qui s’est brisé aux États-Unis après une action de l’administration et à un autre barrage qui, au Brésil, a lui aussi cédé alors que des gens étaient en train de le consolider. Comme l’indiquait le représentant de l’Ademe à l’instant, refuser des mines sous ce prétexte signifierait que l’on refuserait l’idée que la science et l’industrie puissent apprendre ; or ce n’est pas le cas.

Je soulignerai aussi un aspect exogène. À mon avis, le premier risque sérieux à évaluer est sans doute la mise en place de politiques qui nécessitent l’ouverture de nouvelles mines. Je pense notamment à la politique de transition énergétique, non seulement française, mais aussi mondiale, qui implique que l’on consomme beaucoup plus de métaux que par le passé. Or si cette augmentation de la consommation n’est pas anticipée, préparée, cela risque de conduire à l’ouverture de mines sans que la réglementation soit respectée. Ceci pourrait survenir si les besoins en cuivre s’avéraient gigantesques pour fabriquer, par exemple, des câbles entre des panneaux solaires ou des éoliennes et qu’il ne serait pas possible d’y répondre.

DÉBAT

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Les différentes interventions que nous venons d’entendre mettent en lumière une grande diversité d’approches et l’existence d’un processus d’apprentissage, entre science et industrie, sur un certain nombre d’activités liées à l’exploitation minière.

Nous disposons à présent de temps pour ouvrir la discussion. Qui souhaite, à ce stade, prendre la parole ?

M. Michel Jebrak, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, université du Québec à Montréal. Je souhaiterais simplement vous faire part d’une expérience canadienne concernant les échanges entre les compagnies minières et la population. Le Canada est un pays minier, mais est aussi le pays qui a vu naître Greenpeace et MiningWatch, ce qui fait que nous disposons d’une certaine expérience en matière de conflits miniers.

La première étape a été celle de l’information. Des sites web ont ainsi été créés. Mais nous nous sommes vite rendu compte que cela n’était pas suffisant. Une structure nommée Minalliance, qui regroupe un certain nombre de compagnies minières de petite taille, a donc été constituée voici trois ans, avec pour vocation d’écouter les gens. L’objectif est donc davantage d’être à l’écoute du public que de lui « vendre » la mine. Même si elle n’évite pas nécessairement les conflits, cette activité prépare les entreprises minières, mais aussi le public, à une meilleure acceptabilité sociale. Cette initiative est un succès, puisque nous recevons des milliers de commentaires, émanant essentiellement de blogueurs et d’utilisateurs de l’ensemble des outils des réseaux sociaux. Peut-être faudrait-il s’inspirer en France de ce type d’expérience pour partager avec la population.

Les entreprises ne sont par ailleurs pas nécessairement expertes en matière de dialogue social. Ce n’est pas la fonction première d’une compagnie d’exploration minière, surtout si elle est de petite taille. Il faut donc que se mettent en place des structures de conseil, susceptibles d’accompagner les entreprises dans cet apprentissage. Il s’agit là, assurément, d’une activité à développer.

M. Patrick Hetzel. Merci pour cet éclairage, qui montre bien que les questions de dialogue avec les populations et, éventuellement, avec les opposants à un projet, sont extrêmement importantes. Il est en effet essentiel de pouvoir faire circuler une information objectivée, afin que les débats se déroulent en toute connaissance de cause.

M. Alain Liger, ingénieur des mines, ancien secrétaire général du COMES. J’aimerais, dans le prolongement de l’intervention de M. Michel Jebrak, vous faire part d’un témoignage concernant, sur notre territoire, un opérateur industriel américain qui se plaignait, après avoir implanté une usine et mis en place un ou des instruments de communication avec le milieu environnant, du fait que les CLI avaient tendance à tuer le dialogue. Il faut, je crois, avoir conscience du fait qu’un instrument ne suffit pas à instaurer un dialogue. La communication doit nécessairement être multiforme.

M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles, Rio Tinto Alcan. Mon intervention concerne les aspects de gouvernance et de bonnes pratiques. Ont bien évidemment été citées au cours des échanges les règlementations françaises et européennes. M. Corbier a fait mention par ailleurs des initiatives de la Banque mondiale ou de SFI en matière de bonnes pratiques, qui sous-tendent l’acceptabilité et le financement des projets miniers. M. Recoche a, en outre, fait référence aux initiatives des secteurs, au travers de l’exemple de l’ICMM.

Nous avons, dans le domaine de l’aluminium, mis en place une approche novatrice de « gouvernance produit », également connue sous le nom de « product stewardship ». Le caractère innovant de cette démarche réside dans le fait qu’elle vient du client final, qu’il s’agisse de Tetrapak, Nespresso ou BMW, qui nous ont demandé de la traçabilité sur des aspects de sécurité environnementale ou de travail, et ce jusqu’à la mine. Nous nous sommes donc engagés auprès de nos clients à mettre en place cette traçabilité, comme cela a été fait par exemple dans le domaine du bois. Le standard, auditable, a été élaboré en 2014 et conduit tous les acteurs de la chaîne de valeur, du client final à la mine, à auditer leur fournisseur pour savoir s’il répondait effectivement au standard de respectabilité mis en place. Cela a conduit par exemple l’usine Constellium de Neuf-Brisach à auditer l’usine d’aluminium de Dunkerque, dans le Nord, sur ce standard.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit d’un véritable enjeu, qui fait intervenir des acteurs économiques importants en recherche de traçabilité et suppose une capacité à contrôler le process. Ce contrôle peut-il être effectué de la même manière dans une chaîne de valeur qui remonte jusqu’en Chine ? Votre groupe dispose-t-il d’une telle expérience ? Il existe, dans certains pays, des recommandations environnementales tout à fait rigoureuses, respectées de bout en bout. Il semblerait que le maillon faible réside dans la capacité à effectuer le même degré de contrôle dans le volet chinois de l’activité. Ce sujet suscite-t-il des réactions ou commentaires autour de la table ?

M. Olivier Dufour. Il s’agit d’une excellente question, qui me permet de rebondir sur les propos de Claude Marchand relatifs à la différenciation par rapport aux produits et aux services. Nous ne possédons pas de mine de bauxite ou d’usine d’aluminium en Chine mais ce standard a justement vocation à nous permettre d’effectuer une différenciation par rapport à des produits chinois ou indiens qui ne le respecteraient pas. Cela contribue donc à apporter un attrait particulier à nos produits, imposé non par la législation mais par les clients ou les réseaux sociaux. C’est, par exemple, le cas d’Apple, qui va choisir favorablement nos produits plutôt que d’autres issus de Chine.

M. Patrick Hetzel. Avez-vous une idée du delta financier que vos clients sont prêts à payer pour cela ?

Prenez le processus de Solvay, seule entreprise en Europe à permettre d’aboutir à l’ensemble de la palette des terres rares avec des degrés de pureté extrêmement importants : ceci témoigne d’une démarche extrêmement rigoureuse en termes de qualité d’une part, de traçabilité d’autre part. Mais bien évidemment, cela a un coût, répercuté chez les clients. Sentez-vous aujourd’hui, de la part de vos clients, une appétence réelle pour cette traçabilité et ce processus de normalisation ou point qu’ils seraient prêts à payer plus cher les produits que vous leur fournissez ou cela reste-t-il dans une zone quelque peu sensible ?

M. Olivier Dufour. Je ne connais pas la problématique des terres rares et ne pourrai donc répondre à votre question que pour ce qui concerne l’aluminium primaire. Les sociétés Rio Tinto et Constellium sont à l’origine de l’« aluminium stewardship initiative ». Notre implication dans cette démarche résulte du fait que nous avions parfaitement perçu chez nos clients un intérêt pour ce processus, nous offrant une possibilité de différenciation intéressante. Il existe donc pour nous un intérêt financier à adopter cette approche.

Mme Adeline Defer, ministère des affaires étrangères et développement international. Je voudrais intervenir en réaction à la question relative à l’existence de règlementations ou d’instruments visant à mettre en place une traçabilité et concernant éventuellement la Chine. Je pense notamment à l’exemple de la section 15-02 de la loi dite « Dodd-Frank », loi de réforme des marchés américains qui demande aux entreprises américaines et étrangères cotées à la bourse américaine de mettre en place une traçabilité sur leur chaîne d’approvisionnement en quatre minerais, à savoir l’or, l’étain, le tungstène et le tantale.

Or vous n’êtes pas sans savoir que les chaînes d’approvisionnement de ces métaux passent par l’Asie et notamment par la Chine. La mise en place de cette règlementation, qui a inspiré un projet de règlementation européen, montre bien que l’existence d’une pression émanant d’un consommateur final ou d’une sensibilité de ce consommateur peut contribuer à la promotion de normes de transparence et de traçabilité sur les chaînes d’approvisionnement, pour des standards qui peuvent toucher différents critères. Pour la loi américaine, il s’agit par exemple de la question du financement de conflits armés à travers l’extraction minière et de celle relative aux violations les plus graves des droits humains.

C’est suite au vote de cette loi qu’un certain nombre de réformes ont commencé à se mettre en place en Chine, avec l’appui d’organisations comme l’OCDE. La Chambre des métaux et minerais chinoise, qui est un peu l’équivalent de l’A3M pour la Chine, a ainsi travaillé à l’élaboration d’un guide de lignes directrices à destination de ses entreprises membres sur la question de la transparence et la responsabilité des approvisionnements en métaux éventuellement liés au financement de conflits.

M. Gilles Recoche, directeur RSE, sécurité et intégration dans les territoires, Areva Mines. Je souhaiterais revenir sur un point souligné par les représentants de l’Ademe et de l’INERIS, qui est la notion de l’« après-mine ». Nous sommes, à Areva Mines, très concernés par cette problématique. Je pense qu’il s’agit aujourd’hui d’un sujet essentiel et qu’il est nécessaire de bien anticiper cette phase. Après l’excitation et la difficulté qu’il peut y avoir à démarrer un projet, il est important d’imaginer sa fin, pour des raisons économiques ou autres, et de gérer l’étape d’après-mine. Ceci doit être abordé très en amont des projets. C’est ce que nous essayons de mettre en œuvre. C’est ce que chaque industriel se doit de faire.

Je voudrais citer à ce propos l’exemple de la Mongolie. Nous y sommes aujourd’hui dans des phases de faisabilité, visant à développer des projets et à obtenir des permis d’exploitation. Or les questions qui émanent de l’administration et des parties prenantes, notamment des éleveurs de bétail, concernent souvent l’après-mine.

Cette question me semble essentielle, dans la mesure où la mine dure seulement un temps. Il est donc important d’anticiper très en amont le futur du site, qui doit s’élaborer avec les parties prenantes dès le démarrage. Nous essayons, pour ce faire, de mettre en place des outils permettant d’envisager les possibilités d’après-mine, de seconde vie, de continuité de l’existence du territoire, qui passent notamment par des réaménagements des sites. Il est important, dans ce cadre, de pouvoir montrer des exemples de réalisation. Ceci est essentiel en termes de communication. Nous avons ainsi été sollicités par différents parlementaires, de Mongolie et d’ailleurs, qui ont exprimé le souhait de venir visiter en France nos anciens sites miniers réhabilités, afin de voir à quoi cela pouvait ressembler. Cela a considérablement favorisé nos échanges, ainsi que la compréhension et l’acceptabilité du projet.

Cette vision de long terme dès le démarrage est, selon moi, un devoir permanent pour tous les industriels. L’activité minière a un impact, notamment sur la vie locale ; il ne faut pas le nier. La mine est très attractive ; elle va faire monter les salaires et créer une forme de déséquilibre qu’il va falloir gérer tout au long du projet. Le jour où l’activité cesse, l’industriel et les autorités doivent prendre en compte la phase suivante et préparer l’après. Être dans l’incapacité d’en faire la démonstration peut créer des problèmes pour le démarrage de nouveaux projets. Cela est essentiel aujourd’hui pour les industriels.

M. Jack Testard, président, Variscan Mines. Je souhaite revenir sur les interventions de MM. Michel Jebrak et Gilles Recoche sur la communication. J’ai, au cours de ma carrière, travaillé avec de grands groupes et avec diverses institutions. Je fais aujourd’hui partie d’une petite société junior, autrement dit une start-up, et perçois très bien les différences dans les difficultés de communication qui se présentent à moi. Dans un grand groupe, on trouve facilement du soutien. Il existe des systèmes de communication, des services dédiés, un appui logistique considérable. Quand une petite structure doit expliquer à des milliers de personnes son travail et ses projets, répondre à des questions sur l’après-mine alors même que l’on n’a pas encore trouvé la mine, elle s’expose à de très grandes difficultés.

L’idée de faire appel à des consultants est très séduisante, à ceci près qu’il n’en existe pas en France aujourd’hui. Nous nous connaissons tous et avons tous recours aux mêmes experts et conseillers. Un enrichissement du tissu social et des connaissances est donc tout à fait nécessaire. Peut-être faudrait-il confier aux universitaires ou aux écoles la mission de participer à cette communication et à cette éducation. Ceci représente, en tout état de cause, l’un des problèmes auxquels les petites sociétés se trouvent régulièrement confrontées.

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. J’aimerais revenir sur le retour d’expérience d’Areva Mines et de Solvay autour du « bien savoir communiquer », qui pose, ainsi que cela vient d’être souligné, des difficultés à une plus petite échelle.

Diverses actions peuvent être menées pour contribuer à la lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, vous avez évoqué la limitation des gaz à effet de serre dans les activités minières ou encore le développement de projets sociétaux et d’actions de préservation de l’eau et de la biodiversité. Cela me paraît difficilement applicable à tous les niveaux. Je me demandais s’il existait une solution susceptible de convenir à tous, sans ajouter de contraintes en termes de règlementation.

M. Jack Testard. Un effort est déjà effectué en ce sens avec la « mine responsable ». Il s’agit d’un élément important, qui n’en est qu’à ses débuts et devra se diffuser.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal. Concernant la question de la traçabilité, je voudrais prendre l’exemple de l’or et de la bijouterie « éthiques ». J’ai personnellement encouragé, en Amérique du Sud, le mouvement ayant pour objectif de rendre des mines d’or éthiques, de façon à ce que cet or puisse être utilisé dans des boutiques de bijouterie elles-mêmes éthiques. Le principal problème que nous avons rencontré résidait non pas dans le fait de produire cet or, mais de le faire venir en Europe, dans une usine d’affinage, sans qu’il ne soit mélangé à d’autres. La traçabilité était alors un enjeu essentiel. La preuve est faite aujourd’hui que cela peut fonctionner : il est possible de tracer le métal produit dans une mine à l’autre bout du monde, de le vendre et de commercialiser les produits finis avec une prime acceptée par le consommateur. Figurez-vous que les principales boutiques ou bijouteries qui s’inscrivent dans cette démarche sont, à ma connaissance, toutes localisées en France, plus précisément à Paris, à l’exception d’une marque implantée en Suisse. Il s’agit d’un mouvement nouveau, marginal dans ses volumes, mais d’une ampleur considérable en termes de marketing. Les boutiques en question reçoivent en effet des clients de toute l’Europe. Les consommateurs se déplacent pour venir acheter spécifiquement des bijoux en or dit « équitable ».

M. Patrice Christmann, direction de la stratégie et de la recherche, BRGM. Mon intervention concerne également cette question de la traçabilité. Je souhaiterais évoquer à nouveau la « Global reporting initiative », abordée précédemment par M. Recoche. La GRI est une ONG, basée aux Pays-Bas, qui a développé des lignes directrices sur la façon de préparer un rapport RSE, dont certaines spécifiquement adaptées aux industries minières et métallurgiques.

En 2013, 163 entreprises minières ou métallurgiques à travers le monde ont publié un rapport RSE conforme aux lignes directrices de la GRI, ce qui va assurément dans le sens de la transparence et de la responsabilité. Il existe dans ce contexte trois niveaux de conformité (A, B et C), auxquels on adjoint un « + » lorsque le rapport a été évalué par un auditeur externe agréé. Bénéficier du niveau A+ signifie que l’on a satisfait à cent quatre indicateurs dans différents domaines tels que les performances environnementales, sociétales, la gouvernance, etc. Cela permet notamment de solliciter son adhésion à l’ICMM (International Council on Mining and Metals).

Sur les cent soixante-trois entreprises en question, aucune n’est chinoise, à l’exception d’une société australienne contrôlée par une entreprise chinoise. Or il faut savoir que la Chine est aujourd’hui le premier producteur mondial de quarante matières premières minérales, en commençant par les plus importantes comme l’acier, le ciment, l’aluminium ou le cuivre.

Où allons-nous ? Quelles décisions prendre, dans le cadre de nos politiques publiques, pour encourager et récompenser les entreprises qui font l’effort de se conformer aux normes RSE ? Devons-nous continuer à laisser entrer sur nos marchés des produits élaborés n’importe comment et n’importe où, au détriment de nos emplois et de notre compétitivité ou faut-il chercher à agir de façon plus durable ? Je soumets ceci à votre réflexion.

M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques. Je souhaite intervenir sur l’accompagnement et la suite des activités industrielles.

Ma première remarque fait écho à l’intervention de M. Alain Rollat, qui a évoqué la radioactivité des minerais. Cette radioactivité accompagne des minerais existants, comme l’uranium, le thorium et le radium. Mais cette radioactivité naturelle peut être renforcée, par exemple si on la concentre dans le minerai. Les exploitants nucléaires, et en particulier le CEA, savent traiter ces aspects de manière propre, en plusieurs étapes : la collecte, le conditionnement, l’entreposage dans des entrepôts sûrs, conçus spécifiquement pour cet usage et répondant à un certain nombre de normes, et la surveillance de l’eau, de l’air et des colis, en en prélevant quelques-uns régulièrement et en vérifiant leur état de conservation. Nous savons faire.

Le second aspect concerne la suite des activités industrielles. Il existe en France un certain nombre de friches industrielles, de terrains potentiellement contaminés. Nous avons créé à Marcoule, autour du fameux triptyque « formation-recherche-industrie », une association intitulée « pôle de valorisation des sites industriels », qui s’occupe à la fois des sites industriels nucléaires et non nucléaires. La remédiation des sols et des sites est en effet une activité à la fois industrielle et de recherche. Le CEA est l’un des organismes qui effectuent de la recherche dans ce domaine. Ceci permet par exemple d’aller extraire, dans des sols contaminés, certains métaux qui sont ensuite mis de côté dans la mesure où ils présentent un caractère toxique, voire radioactif.

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, groupe Eramet. Je souscris totalement aux propos relatifs à la traçabilité. Dans la chaîne de valeur, nous sommes tous le client et le fournisseur de quelqu’un d’autre. Si on lie cet aspect aux échanges concernant les bonnes pratiques, je pense que ces dernières, lorsqu’elles sont déployées, permettent de tirer vers le haut un certain nombre d’acteurs de la chaîne de valeur. Dans un groupe intégré comme celui auquel j’appartiens, dans lequel une partie de la chaîne de valeur se trouve au sein dudit groupe, le déploiement des bonnes pratiques et de la culture que j’évoquais précédemment fait particulièrement sens.

Pour ce qui est de la Chine, il se trouve que j’ai passé plusieurs années à Genève, au sein du World business council for sustainable development. L’expérience du WBCSD avec la Chine était la suivante : lorsqu’il existait des filiales de grands groupes internationaux, y compris français, implantées en Chine, alors ces dernières jouaient un rôle de locomotive absolument exceptionnel dans la prise en compte de tous les facteurs contribuant au développement durable.

Je souhaiterais rappeler par ailleurs qu’un débat, qui me met quelque peu mal à l’aise, se développe actuellement, consistant à opposer l’amont à l’aval. Je pense nécessaire de considérer que tous les acteurs auront à effectuer les efforts permettant d’aboutir à cette traçabilité.

Un dernier point enfin sur les métaux et la transition énergétique : il est vrai que la mise en œuvre de la transition énergétique va nécessiter beaucoup de métaux. Or ceci concerne les métaux avec les technologies et les procédés d’aujourd’hui, même si les avancées en la matière sont continues. Il ne faut pas attendre le saut technologique pour faire cette production de métaux. J’aimerais mentionner à ce propos un événement organisé par Alain Liger et le COMES à la COP 21dans le but de sensibiliser à cette question du besoin en métaux en lien avec la transition énergétique.

M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Mon intervention concerne les questions de bonnes pratiques et les aspects règlementaires. Lorsque nous avons élaboré le projet « mine responsable », nous avons essayé de recueillir l’ensemble des bonnes pratiques. Certains membres du piloté de pilotage ont en outre insisté sur la nécessité de clairement identifier les aspects relevant ou non de la sphère règlementaire.

Ce travail a été assez compliqué à effectuer, dans la mesure où la règlementation française est, au final, assez extensive. La mise en œuvre de la séquence « éviter-réduire-compenser » répond par exemple à des règles d’application : si l’on considère la conformité d’une exploitation minière à un stage, toute atteinte à un milieu devra ainsi donner lieu à compensation, selon un certain format explicitement prévu. En matière de stockage des déchets, celui-ci peut être conforme règlementairement, c’est-à-dire correctement dimensionné, étanché, mis à l’abri des phénomènes météorologiques ; mais dans la durée, un stockage à l’extérieur peut présenter un certain nombre de fragilités vis-à-vis d’événements n’ayant pas nécessairement été prévus (tremblements de terre, etc.). Une autre méthode consiste à effectuer le tri des déchets au fond. Où se situent, dans ce cas, la bonne pratique et l’aspect règlementaire ? Ceci est un peu difficile à déterminer.

Cela prouve bien que les discussions précédentes sur l’anticipation de l’après-mine doivent avoir lieu dès le début du projet. Il existe de solutions, des conformités règlementaires et des pratiques allant au-delà de ces éléments de conformité. Nous attendons aujourd’hui des mines que nous pourrions éventuellement ouvrir en métropole qu’elles répondent aux meilleurs standards. Or cela est possible.

M. Maurice Leroy, président de la Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC). Je souhaiterais revenir sur les propos de M. Alain Rollat, qui nous a raconté l’histoire, depuis Rhône-Poulenc jusqu’à Solvay. Il nous notamment expliqué que Rhône-Poulenc avait été amené à tout transférer en Chine, faute de disposer en France de la capacité de prise en charge des déchets. Cela signifie d’une part qu’il existe une pression, d’autre part que l’on va retomber sur les propositions et, donc, sur la notion d’expert. La question est alors de savoir qui, en termes d’expertise, va être crédible pour dire que le nouveau procédé et la nouvelle mine que l’on va exploiter remplissent toutes les conditions. Ceci renvoie au questionnement fondamental suivant : qu’est-ce qu’un expert ? Quelle crédibilité lui accorder ?

M. Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, coordinateur du projet d’ERA-Min. Les métaux dits « critiques » ou utilisés dans les hautes technologies sont ceux qui disposent des potentiels d’amélioration technologique les plus importants, en termes d’usage, de réduction d’usage, de substitution, etc. Dans le passé, l’expérience a montré que les améliorations technologiques ne tendaient pas à diminuer l’utilisation de matières premières, bien au contraire.

On trouve par ailleurs, à côté des métaux technologiques, les métaux de base. Or on ne fera pas d’éolienne de deux-cents mètres de haut en carton. La substitution sera vraisemblablement très difficile.

Il s’agit de deux problèmes très différents, mais la criticité mesurée en termes de besoin pour un secteur industriel sur réserve connue actuellement n’est pas forcément un critère complètement pertinent. Un élément comme le cuivre peut, clairement, devenir très rapidement extrêmement critique.

Il a été souvent question autour de cette table, de risque, sans que cette notion ne soit précisément définie. Je parlerais plutôt, pour ma part, d’impact.

Je remarque enfin que n’a pas été mentionné, au fil de ces discussions, l’impact négatif que peut avoir l’exploitation minière. Il suffit d’effectuer quelques recherches sur internet pour en trouver des exemples. Il ne s’agit bien évidemment pas de remettre en cause la bonne foi ni la bonne volonté des acteurs présents autour de cette table : je constate seulement qu’il existe un grand écart entre le discours souvent réconfortant, rassurant, tenu notamment par les exploitants, et la réalité de certains faits retracés par exemple dans des documentaires. Je pense à l’impact des activités d’Areva à Bakouma, tel que présenté dans un documentaire diffusé par Arte. Je n’ai pas d’avis sur cette question, mais m’interroge sur ce grand écart, qui peut conduire à la remise en cause des personnes qui détiennent le savoir. Il est important, pour être crédible, de développer une communication qui n’occulte pas les problèmes éventuels et les faits avérés.

M. Laurent Corbier. Je pense que cela montre aussi que le risque zéro n’existe pas et qu’il peut y avoir des problèmes même sur des exploitations au sujet desquelles on a fait preuve d’une grande vigilance et qui ont fait l’objet d’une mise en œuvre de bonnes pratiques.

Madame la Sénatrice, vous avez, dans vos propos introductifs, évoqué l’exemple des modèles suédois et finlandais. J’ai toutefois en tête des cas (je pense notamment à une mine connue en Finlande) dans lesquels sont survenus de gros problèmes. J’aimerais donc attirer votre attention sur le fait qu’il est très difficile d’imaginer un modèle parfait. Sans doute faut-il, pour parvenir à une solution satisfaisante, combiner plusieurs benchmarks.

Mme Delphine Bataille. Vous avez raison de souligner qu’il n’existe pas de modèle idéal. Il est vrai toutefois que la visite que nous avons effectuée dans les pays scandinaves nous a beaucoup intéressés et surpris, dans la mesure où il nous a par exemple été expliqué qu’il n’était pas nécessaire de communiquer avec les populations, contrairement à la situation que nous connaissons en France, parce que l’activité minière y est inscrite dans le paysage et concerne tout le monde. Il convient par ailleurs de souligner que la densité de population, dans les régions proches du cercle polaire, est extrêmement faible, ce qui réduit considérablement les difficultés. Des dispositifs y ont néanmoins été mis en place, qui permettent de repérer l’impact de l’exploitation sur l’hygrologie et la biodiversité. Il s’agit là d’un témoignage, sur un site et à un endroit donnés ; peut-être aurions-nous eu une tout autre vision si nous nous étions rendu dans une autre mine et un autre territoire.

Il n’existe effectivement pas de modèle idéal, mais des initiatives intéressantes, des bonnes pratiques. Partant de ce constat, nous pouvons imposer un cadre, susceptible de s’adapter aux réalités et conditions locales, différentes selon les territoires et les pays.

M. Gilles Recoche. Nous sommes là au cœur d’un questionnement permanent, que nous rencontrons dans toutes nos instances de dialogue, qu’il s’agisse des CLI ou des CSS (Commission de suivi de site) en France : nous constatons que, de plus en plus souvent, chaque partie prenante arrive avec ses propres experts, dont les avis ne sont pas nécessairement partagés et convergents. Ceci crée des discussions sans fin, au cours desquelles on s’use à expliquer et à démontrer, ce qui n’est assurément pas le meilleur moyen de convaincre.

J’en veux pour preuve la remarque de M. Vidal sur le site de Bakouma. J’ignore s’il s’agissait d’une question ou d’une affirmation, mais cela témoignait au moins d’une inquiétude. Ceci illustre parfaitement le doute dans lequel se retrouve souvent la population au sens large, qui a accès à certaines informations et est en permanence mise au défi de comprendre et de faire le tri entre les arguments parfois opposés qui lui sont soumis : qui a raison ? Qui dit la vérité ? Est-ce le journaliste ? L’entreprise ? L’expert ? L’administration ? Chaque message est remis en cause en permanence. J’ignore si cela est positif ou négatif, mais il est sûr que cela nuit au développement industriel et de nos activités.

Nous devons donc travailler, avec l’aide de l’administration, au développement d’une science partagée, concertée, admise par tous.

Pour ce qui est de l’exemple de Bakouma, situé en République Centrafricaine, je tiens à rétablir certaines vérités. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce propos sur les ondes de RFI. Areva est accusé, à travers sa filiale, d’avoir abandonné le site avant que des travaux de réhabilitation n’aient été effectués et d’avoir mis en danger ses salariés en ne leur fournissant pas les équipements nécessaires à la protection contre les rayonnements notamment. Je rappelle que le site de Bakouma a été investi par des troupes armées, dans un pays en guerre. À l’époque de l’intervention, nous étions, par l’intermédiaire de notre filiale présente sur place, en phase de réhabilitation et avions déjà réalisé 95 % des réhabilitations des plateformes. Je précise qu’il ne s’agissait pas d’un site minier en exploitation ; nous étions seulement en exploration. Nous avons ainsi réhabilité plus de 2 000 plateformes de forage, selon les standards en vigueur dans le groupe et reconnus par la communauté internationale. Nous avons pris l’engagement vis-à-vis des autorités de réaliser les 5 % restants en sous-traitant à une entreprise locale, supervisée par l’administration locale. L’ensemble des plateformes présentes est ainsi rétabli depuis trois ans maintenant.

Concernant la radioprotection des travailleurs, tous les salariés du site étaient suivis de manière très professionnelle par un médecin, un spécialiste de la radioprotection, présent sur site. Ainsi, tous les anciens travailleurs ont été suivi médicalement et disposaient de dosimètres leur permettant de faire valoir ce qu’ils avaient reçu. Il apparaît que les résultats sont très bas par rapport à la moyenne. Il n’y a donc aucune crainte à avoir quant à un éventuel impact sur la santé de ces personnes. L’ensemble des documents a été transmis à l’administration locale, qui est l’équivalent de l’ASN française.

Les reproches adressés à Areva sont donc, de notre point de vue, totalement infondés.

M. Thierry Meilland-Rey, directeur carrières cimentières, Vicat et DGD Satma. Je voudrais établir un parallèle entre le milieu dont il est question aujourd’hui et l’industrie minérale en général. Il reste aujourd’hui en France très peu de mines. Il subsiste tout de même quelques industries lourdes, telles que l’industrie cimentière à laquelle Vicat appartient. Ne serait-il pas opportun d’utiliser l’expérience et le vécu de l’industrie ayant encore une activité extractrice, d’autant que les majors dans ce domaine ont pour la plupart une présence à l’étranger ? Nous sommes, pour notre part, présents dans onze pays.

Chaque fois que l’on découvre un gisement susceptible de répondre à nos besoins en molécules, la première démarche consiste à apprécier la faisabilité du projet, au niveau environnemental et des populations. C’est là que doit s’instaurer le dialogue, même si cela est loin d’être aisé, ainsi que l’ont souligné plusieurs intervenants. In fine, on a toujours à cœur de chercher la meilleure solution technique pour exploiter le gisement et imaginer la manière dont l’opérateur pourra partager et enrichir ce milieu avec les collectivités locales, dans une vision à court, moyen et long terme, incluant la phase d’après-mine. La question est alors de savoir si les opérateurs sont prêts à fournir les efforts nécessaires, en France comme à l’étranger, pour inscrire leur action dans les normes de nos standards et bonnes pratiques, en termes notamment de mine responsable. Ceci se traduit, comme cela a déjà été mentionné, par des prix de revient forcément plus importants. À ce titre, la collectivité au sens large, les consommateurs en général seront-ils disposés à fournir cet effort financier supplémentaire et à payer finalement à leur juste prix les produits exploités et transformés ? Dans notre domaine d’activité, nous notons régulièrement, sur les marchés français, la présence de produits venant de l’étranger, parfois de très loin, qui concurrencent les produits français, mais ne respectent pas les normes que nous appliquons.

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. Je partage tout à fait le constat de M. Masse sur le manque de données concernant la toxicité des terres rares. Il faut toutefois savoir que s’est constitué, du fait de REACH et des enregistrements, un consortium de producteurs et utilisateurs européens de terres rares. Or ce groupement est en train d’alimenter la base de données relative à la toxicité et l’écotoxicité des terres rares. La situation évolue donc de ce point de vue, même si je suis néanmoins convaincu que cela ne répondra pas à toutes les questions et qu’il sera nécessaire de disposer d’éléments complémentaires.

Je souhaiterais relier ce sujet à la problématique de la compétitivité de l’industrie européenne. Comme vous vous en doutez, obtenir ces données de toxicité et d’écotoxicité coûte cher. Or ce sont aujourd’hui les producteurs et les utilisateurs de terres rares européens qui supportent ce coût, alors même qu’ils connaissent une situation économique difficile (les producteurs surtout). Il a ainsi été annoncé en janvier que l’unité de recyclage de terres rares de La Rochelle allait s’arrêter, pour des raisons purement économiques. Aujourd’hui, les produits recyclés élaborés à La Rochelle à partir de la récupération des terres rares contenues dans les lampes basse consommation sont en effet beaucoup plus chers que les produits vierges provenant de Chine.

Nous sommes donc dans une situation dans laquelle on met en place des normes, nécessaires pour protéger nos populations et nous assurer que nos produits n’ont pas d’impact sur l’environnement, sans prendre en compte le fait que d’autres pays n’appliquent pas les mêmes normes et peuvent faire entrer sur nos marchés des produits non conformes aux conditions que nous imposons sur nos chaînes de valeur. Je n’ai pas de solution à proposer, mais constate que nous sommes quotidiennement confrontés à ce type de difficulté.

M. Éric Marcoux, professeur à l’université d’Orléans. Lorsqu’on fait de l’information auprès du grand public, on se trouve confronté à un certain nombre d’idées reçues. Beaucoup de gens croient par exemple qu’il n’y a plus rien à trouver en France et que tout ce qui pouvait être exploité l’a déjà été durant les siècles et décennies passés. Or cela est totalement faux : le territoire français est riche de potentialités, pour ce qui concerne notamment le tungstène, l’antimoine, la fluorine, l’or, l’étain, le lithium et d’autres encore. Il faut donc s’attacher à rétablir cette vérité. Il appartient ainsi aux universités notamment d’informer les jeunes à ce sujet ; mais cette information doit être diffusée beaucoup plus largement. La France possède toujours de sérieuses potentialités minières. L’inventaire minier en a découvert un grand nombre ; certaines ont été exploitées, mais d’autres sont toujours en terre et nous attendent. Et c’est sans compter sur ce que l’on pourrait découvrir par la suite. Nous n’avons pas encore, en France, utilisé les méthodes d’exploration modernes mises en œuvre dans tous les grands pays miniers comme le Canada, l’Australie ou les États-Unis. Encore faut-il parvenir à convaincre les populations qu’un avion ou un hélicoptère qui survole les campagnes ne présente pas de risque pour les personnes et les élevages, message qu’il est parfois difficile de faire passer.

M. Benoît de Guillebon, directeur, APESA. Il est vraiment dommage qu’une usine de recyclage de terres rares doive cesser son activité pour des raisons purement économiques, alors que la valeur créée par cette unité sur le territoire et en matière environnementale était réellement digne d’intérêt. Lorsque l’on a démarré les énergies renouvelables, on a su financer, pendant un certain temps, le décalage économique entre cette activité en développement et l’existant. Pourquoi n’avoir pas imaginé de dispositif similaire pour protéger pendant quelques années cette activité de recyclage, pour l’aider à se développer et à se stabiliser, en attendant que les règles du jeu internationales se diffusent, y compris dans des pays comme la Chine ?

M. Patrick Hetzel. Ce point fait écho, dans une certaine mesure, à la situation rencontrée par des sociétés japonaises comme TokyoEco, qui fait partie du groupe Toyota, ou par Mitsubishi, qui ont développé des process de recyclage et se retrouvent dans des difficultés similaires à celles évoquées par M. Rollat. Cela pose plus globalement la question de l’ensemble du processus. Dans certains domaines, des solutions ont effectivement été mises en place, par l’intermédiaire notamment de financements. Il s’agit là de points importants, sur lesquels il est nécessaire de se pencher.

Je voudrais d’ores et déjà vous remercier pour la qualité des échanges que nous avons pu avoir. Ces deux premières tables rondes nous ont en effet permis d’aborder, de manière assez objective à mon sens, d’une part l’avenir de l’industrie minière dans nos pays occidentaux, d’autre part la question de la mesure et de l’évaluation des risques liés à l’exploitation minière.

La transition est toute trouvée avec le sujet de la troisième table ronde, consacrée aux perspectives de la recherche et de la formation, thématiques plusieurs fois évoquées au fil des débats de cette matinée et abordées également de façon récurrente lors de notre visite au Japon. Recherche et formation font en effet partie des piliers de la stratégie japonaise, autour notamment de la création, sous l’impulsion des pouvoirs publics, d’un institut spécialisé dans ce domaine, le fameux NIMS. Nous avons ainsi pu rencontrer, au Tokyo institute of technology, des chercheurs qui se sont spécialisés dans les questions liées aux matériaux. Ceci témoigne de la volonté des autorités japonaises de créer un continuum entre les activités de recherche, d’innovation et de développement.

TROISIÈME TABLE RONDE :
QUELLES SONT LES PERSPECTIVES DE LA RECHERCHE
ET DE LA FORMATION ?

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Cette table ronde, consacrée aux perspectives en matière de recherche et de formation, va se dérouler selon le même mode opératoire que les précédentes, à savoir des exposés de cinq minutes, suivis d’interventions de deux minutes et d’un débat.

Il semble évident que le volet recherche est susceptible d’avoir des incidences assez fortes sur l’évolution du secteur, à la fois dans l’usage et dans la mobilisation des matériaux. La transition énergétique nécessitera par exemple le recours à certaines matières premières qui risquent de ce fait de devenir non seulement stratégiques, mais aussi éventuellement critiques.

La partie formation, étroitement liée à la recherche, constitue également un élément important pour l’avenir.

Pour débattre de ces aspects et certainement de bien d’autres encore, je laisse sans plus tarder la parole aux intervenants.

M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme Nouvelles technologies de l’énergie. L’activité de recherche en France autour des terres rares est relativement riche.

Ces travaux sont le fait d’acteurs historiques : je pense notamment à l’Institut de la chimie des matériaux de Paris-Est, dont l’équipe dirigée par M. Michel Latroche est reconnue pour ses activités en métallurgie des terres rares, mais aussi à l’Institut Néel, basé en Rhône-Alpes, qui travaille beaucoup sur les matériaux magnétiques et notamment les matériaux de stockage de l’hydrogène, qui nécessitent le recours à des terres rares.

D’une manière plus générale, il existe un nombre important d’acteurs de la recherche, issus de l’université, des centres de recherche ou du CNRS, qui oeuvrent autour des terres rares ou des matériaux critiques et contribuent notamment aux travaux sur la minimisation, la substitution et le recyclage.

Il convient évidemment de mentionner également le rôle joué par les industriels, tels que Rhodia Solvay, particulièrement actif dans ce domaine.

N’oublions pas non plus les alliances nationales, dont l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE) et AllEnvi, qui mène également des travaux sur ces sujets des ressources.

Quels sont les efforts mis en œuvre en France ? Ceux-ci sont mesurés à l’aune des projets de recherche et d’innovation existant sur ces sujets. Si l’on se réfère aux données de l’ANR sur la période 2007-2015, il apparaît que moins de quinze projets ont porté sur les matériaux critiques, pour un montant d’environ huit millions d’euros d’aides budgétaires apportées par l’ANR. Ces travaux portaient notamment sur l’optimisation des terres rares dans les luminophores, l’analyse des flux et stocks, l’extraction des terres rares dans les D3E (les déchets d’équipements électriques et électroniques), le recyclage des terres rares, la substitution des terres rares dans les aimants permanents, le recyclage des terres rares dans les batteries nickel métal hydrure ou encore la substitution de terres rares à base de cérium pour la catalyse.

On constate ainsi que le sujet des terres rares domine et qu’il n’existe pas réellement de communauté de recherche constituée aujourd’hui autour de ces thématiques. Or il faudrait un effort plus constant dans la durée.

D’autres acteurs, comme l’Ademe, supportent des projets via les appels à manifestation d’intérêt (AMI). Plusieurs ont été lancés dans le domaine du recyclage et dans le cadre du plan d’investissement d’avenir. On peut se féliciter que l’effort s’inscrive ici dans la durée, puisque l’on en est actuellement au troisième appel à projets dans ce domaine. Notez que la DGA y participe également.

À l’échelle de l’Europe, le contraste est vraiment saisissant. Il existe en effet beaucoup plus d’outils structurants au niveau européen. M. Cozigou évoquait par exemple ce matin l’EIP (le partenariat d’innovation européenne). Citons également Horizon 2020, le huitième programme cadre, ou encore le KIC (communauté de la connaissance et de l’innovation). On compte ainsi, sur les cinq dernières années en Europe, uniquement sur les aspects de substitution des métaux critiques, trente projets labellisés, correspondant à un effort financier de quelque 50 millions d’euros. On peut donc se féliciter de l’existence, au niveau de l’Europe, d’un cadre stratégique relativement précis.

Quels pourraient être les projets prioritaires ? Il est très difficile de répondre à cette question. J’évoquerai donc plutôt une méthode qu’il conviendrait selon moi de privilégier. Il faudrait tout d’abord mobiliser l’ensemble des acteurs d’une filière, travaillant sur un ou plusieurs métaux critiques, stratégiques pour notre pays ou pour l’Europe, et adressant quelques applications précises. Cette démarche devrait bien entendu s’inscrire dans la durée. Il serait aussi nécessaire d’entraîner dans ces projets davantage de PME et d’ETI. En effet, les grands groupes ont souvent la chance de disposer des ressources nécessaires pour déposer des projets au niveau de l’Europe ; or ce n’est pas le cas pour les petites structures, qui ne maîtrisent pas toujours le « langage européen ».

Je terminerai en évoquant un élément de rupture, à travers l’exemple d’un matériau et d’une action coordonnée. Le graphène est un matériau carboné à deux dimensions, souvent considéré comme le « couteau suisse » des matériaux, puisqu’il possède de multiples propriétés. La Commission européenne a lancé à ce sujet un projet phare extrêmement structurant, le « Flagship graphene », impliquant cent-quarante-deux partenaires (dont quinze français), vingt-trois pays, pour un budget d’un milliard d’euros. L’idée est d’essayer de couvrir toute la chaîne, c’est-à-dire de partir du développement du matériau, qui va agir en substituant, et d’aller jusqu’à la production industrielle, et de produire le maximum d’efforts pour parvenir à obtenir un impact économique. Cette initiative s’inscrit dans l’esprit de celle lancée en 2011 aux États-Unis sous le nom de « Materials genome initiative », qui avait pour but d’augmenter ou de diminuer le temps de développement d’un matériau, c’est-à-dire la durée s’écoulant entre la phase en laboratoire et le passage à l’étape industrielle.

J’ajouterai, pour faire le lien avec le volet formation, que tous ces projets de recherche impliquent la plupart du temps des étudiants en maîtrise ou en doctorat et contribuent ainsi à la formation de tous nos chercheurs et ingénieurs.

M. Alain Geldron, expert national Matières premières, direction Consommation durable et déchets, Ademe. Je vais vous présenter brièvement les outils de l’Ademe en matière de soutien à la recherche. Il en existe essentiellement deux.

Le premier, mis en place dès l’origine de l’Ademe, est le budget recherche et développement classique. Il est, tous secteurs confondus, sur l’ensemble des missions de l’Ademe, de 30 millions d’euros. Il est constitué de différents cadres d’intervention.

Quelque cinquante thèses sont ainsi financées chaque année ; elles peuvent notamment concerner des travaux sur l’efficacité des procédés, qui représente un élément de compétitivité important, mais aussi sur des technologies en rupture, pour aller vers de nouveaux modèles industriels. Il s’agit là d’un soutien à un niveau de recherche fondamentale et industrielle appliquée.

Nous disposons, en outre, de dispositifs ciblés d’appel à projets en recherche industrielle. Plusieurs sont en cours actuellement, mais aucun sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Ceci concerne le développement expérimental ou les expérimentations préindustrielles, pour des projets de moins d’un million d’euros de budget, avec des aides allant de 50 000 à 300 000 euros.

Nous avons par ailleurs participé au projet ERA-Min1, dans le cadre duquel nous avons soutenu quelques projets, bien qu’insuffisamment à notre goût. Peu de travaux concernaient en effet le recyclage, qui constitue le cœur de sujet de l’Ademe. L’essentiel des dossiers relevait du domaine minier, ce qui nous a d’ailleurs conduits à financer des projets d’extraction dans des résidus miniers ou des eaux minières. Ce projet doit se prolonger, sous forme d’un ERA-Min2, avec une structure et un financement différents. Tout cela est actuellement en cours de discussion avec les autres partenaires européens ; les projets seront déposés d’ici la fin du mois de mars. Si cela aboutit, le premier appel à projets devrait avoir lieu en 2017, pour un financement en 2018 pour ce qui concerne l’Ademe.

Le deuxième axe de financement de la R&D dont nous disposons est le programme des investissements d’avenir. Le fonds affecté à l’Ademe est ici de l’ordre de 3,3 milliards d’euros.

Cela porte sur divers sujets tels que le véhicule du futur ou les énergies renouvelables. Il existe en outre un appel à projets relatif à l’économie circulaire, au recyclage et à la valorisation des déchets, dans le cadre duquel peuvent parfaitement s’inscrire des projets sur les métaux. Ceci concerne des projets de plus de 2 millions d’euros de budget. Nous disposons aussi d’un appel à projets « industrie et agriculture éco-efficientes », pour des projets supérieurs à un million d’euros et qui identifient très clairement le secteur des métaux comme prioritaire. Le dispositif « initiative PME » concerne quant à lui les performances énergétiques dans le bâtiment et l’industrie, dans le cadre de projets de plus de 200 000 euros, avec une aide plafonnée à 200 000 euros.

Les modalités d’aide communes à ces différents outils prennent la forme d’une intervention en aides d’État. Nous avons ainsi soutenu à ce jour plus de deux-cents projets dans le cadre des investissements d’avenir, par le biais d’aides remboursables ou, dans une moindre mesure, de subventions.

Nous avons aussi des interventions en fonds propres, avec pour les PME un fonds commun de placement à risque doté de 150 millions d’euros, correspondant à des fonds placés entre un et dix millions d’euros en co-investissement. Ce dispositif est géré par la BPI.

Nous pouvons aussi, pour les grandes entreprises et les sociétés de taille intermédiaire, intervenir en fonds propres sous forme de joint-venture. Cinq investissements ont été aidés jusqu’à présent, dont un (EcoTitanium) dans le domaine des métaux.

Nous avons aujourd’hui vingt-huit appels à projets nationaux en cours, sur différents sujets, dont l’économie circulaire et les industries éco-efficientes.

Nous intervenons par ailleurs en termes d’expertise, dans le cadre notamment de l’expertise des dossiers sur le Fonds unique interministériel. Nous participons aussi au soutien de travaux comme ceux de REFRAM (plate-forme multi-parties prenantes pour un approvisionnement sécurisé des métaux réfractaires en Europe).

M. Patrick Hetzel. L’Ademe a-t-elle également des échanges avec l’Agence nationale de la recherche pour la programmation de travaux portant plus spécifiquement sur les matériaux ou les terres rares ?

M. Alain Geldron. Nous échangeons notamment dans le cadre du programme ERA-Min, au sein duquel nous sommes en discussion pour intervenir conjointement, en conservant chacun notre champ d’intervention spécifique.

Nous avons en outre participé aux travaux d’AllEnvi sur le recyclage des métaux critiques, qui visent là aussi à donner des priorités et des programmations au niveau de la recherche.

M. Patrick Hetzel. Rien de spécifique sur les terres rares ?

M. Alain Geldron. Il n’existe pour l’heure aucun projet spécifiquement identifié dans ce domaine. Par contre, tous métaux critiques font partie de nos priorités.

M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21. Où en est la formation sur les matières premières à vocation géologique et minière ? La qualité de la formation est intimement liée à la qualité ou à l’excellence de la recherche. Une bonne formation nécessite une recherche forte.

Je ne passerai bien évidemment pas en revue tous les laboratoires qui s’occupent de recherche sur les ressources du point de vue géologique en France. Je signalerai seulement que l’on est actuellement en train, à la demande notamment du ministère, de réviser une base de données recensant l’ensemble des chercheurs travaillant sur le cycle géochimique amont, incluant la connaissance de la formation des gisements, l’extraction et l’écotoxicologie. Cette base de données révisée sera disponible d’ici quelques mois.

Dans le domaine de la recherche, il existe, dans le cadre des investissements d’avenir, des formations qualifiées de Labex, qui ont une triple vocation : la formation, la recherche et le lien avec l’industrie et la communication. Je mentionnerai tout particulièrement deux Labex intervenant plus spécifiquement dans le domaine qui nous réunit aujourd’hui : le Labex Voltaire, qui comporte un volet entier sur le thème « magmas, fluides et métaux », et le Labex Ressources stratégiques pour le XXIe siècle, entièrement dédié aux ressources stratégiques, dont je m’occupe à Nancy, et qui appréhende le cycle complet, depuis l’exploration et le traitement des minerais jusqu’à l’impact environnemental et à l’écotoxicologie. Dans le cadre de ce Labex, nous développons un projet consacré exclusivement aux terres rares. Les autres projets concernent le nickel et les éléments associés, ainsi que le tungstène, l’étain, le niobium et le tantale. Ce Labex a créé, en association avec les écoles, deux masters internationaux, dont un Erasmus mundus.

Si l’on dresse un bilan global des types de formations en France dans le domaine des géosciences, avec application notamment aux ressources minérales, deux grands types de formation apparaissent : les écoles d’ingénieurs et les formations universitaires.

Les écoles d’ingénieurs sont bien identifiées : on connaît ainsi l’école de géologie, l’école des mines de Nancy, l’Institut LaSalle Beauvais, l’école des mines d’Alès et Mines Paris, qui forment trente à quarante ingénieurs par an dans le domaine des ressources.

Les universités forment également, via les masters, des géologues. La répartition est ici plus hétérogène, tant spatialement, géographiquement, que dans le volume horaire consacré spécifiquement aux ressources. Le centre le plus important est certainement celui de Nancy, avec une forte implication des écoles et une spécialisation très marquée « ressources ». Citons également l’université d’Orléans (dont Éric Marcoux parlerait beaucoup mieux que moi), qui propose une formation originale, caractérisée par un parcours délocalisé en collaboration avec l’UQAM, au Québec, et l’université de Toulouse, qui dispense un enseignement plus généraliste, avec notamment un parcours centré sur les matériaux à finalité industrielle.

D’autres universités, à Rennes, Grenoble et Montpellier, se sont intéressées à un renouvellement de la formation dans le domaine des ressources. Ces établissements proposent surtout des masters généralistes, mais essaient de renforcer leurs équipes de formateurs. On voit bien ici l’importance de la constante de temps : jusque dans les années 2005-2008, il existait des besoins forts, exprimés par les industriels. Or il a fallu attendre 2015 pour que des postes soient créés, à un moment où la situation de l’emploi est relativement critique. Des postes viennent ainsi d’être créés cette année à Grenoble et Montpellier dans le domaine de la métallogénie.

Le potentiel de formation est donc réel et peut être suffisant, à condition toutefois qu’il puisse être maintenu. Le principal problème actuellement est lié au contexte général, dans la mesure où nous sommes dans une période de crise, caractérisée notamment par un abaissement considérable du cours des matières premières, ce qui a des répercussions sur l’emploi. La situation est, du point de vue de l’emploi, absolument catastrophique depuis deux ans, c’est-à-dire pour les générations diplômées depuis 2011-2012. Ceci illustre bien les problèmes liés à la faible réactivité du monde universitaire par rapport au contexte économique. En 2008, les cours connaissaient une apogée. En 2009-2010, ils se sont effondrés. Les années 2011 et 2012 ont été marquées par la fin des recrutements à l’échelle mondiale. Des générations entières d’ingénieurs et de masters ont ainsi éprouvé de réelles difficultés à trouver un emploi. L’économie des matières premières est une science difficile et tout ceci était peu prédictible. Nous avons connu, entre les années 2000 et 2010, une très forte demande industrielle, notamment en France, pour former des géologues.

La difficulté majeure sera de parvenir à maintenir ce potentiel de formation et de recherche. Le risque essentiel est d’être face à des générations d’étudiants qui auront des difficultés à trouver un emploi. La situation peut s’améliorer, mais cela peut contribuer à décourager les générations futures de s’engager dans cette voie.

M. Patrick Hetzel. Vous avez mis l’accent, avec raison, sur le lien existant entre la qualité de la recherche et celle de la formation, et insisté sur la difficulté de parvenir à maintenir ce potentiel, dans la mesure où l’effondrement du cours des matières premières a conduit à une réduction du nombre d’emplois. Cela a-t-il, à votre connaissance, une incidence sur le volet recherche ?

M. Michel Cathelineau. Je pense que cela risque effectivement d’avoir un effet à moyen terme, dans la mesure où une grande partie des financements des équipes qui travaillent sur les ressources actuellement est d’ordre industriel, sur contrat de recherche. En termes de financement public, il était possible d’obtenir des contrats européens, de type ERA-Net et ERA-Min. Mais cela est aujourd’hui difficile. Si l’on considère la partie amont, correspondant à la prospection et à l’exploitation (la partie relative au recyclage étant gérée par l’Ademe), il n’y a qu’une seule année à ma connaissance au cours de laquelle l’ANR a financé des projets sur le programme ERA-Net/ERA-Min, alors que l’Ademe a financé des projets chaque année dans le domaine qui est le sien. Des discussions sont actuellement en cours et nous ignorons pour l’instant quel sera le niveau d’implication de l’ANR dans les projets à venir.

Pour H2020, la difficulté réside dans le fait que l’Europe, globalement, ne finance plus la recherche, mais uniquement des projets avec des TRL (Technology readiness levels – niveaux de maturité technologique) très élevés. L’an dernier, aucun projet issu des laboratoires académiques (y compris ceux issus des bureaux) n’a été retenu par H2020. Il est donc actuellement très difficile de faire financer de la recherche à l’échelle européenne.

Si la prospection est en panne et que la seule source de financement des projets est d’ordre industriel, il sera assurément difficile de maintenir un volume suffisant.

Certains universitaires ont déjà traversé des périodes difficiles, notamment au cours des années 1980 à 2000. La recherche était alors relativement peu subventionnée et les équipes se sont diversifiées, en travaillant sur toutes les approches similaires et transposables à d’autres objectifs, comme le stockage des déchets ou des gaz, éventuellement les hydrocarbures, malgré le prix très bas du pétrole.

Il existe donc des possibilités pour les laboratoires disposant d’une aptitude à surfer sur ces difficultés d’approvisionnement financier. Il apparaît toutefois que les laboratoires ayant fait l’effort de formuler des propositions et de lancer des appels d’offres en termes de recrutement dans ce domaine risquent fort d’avoir à redistribuer l’activité sur de la géologie plus classique.

Une autre difficulté, qui mérite d’être soulignée, est celle de la position des géologues dans les universités. Les géosciences représentent en effet 5 à 10 % du volume des étudiants et des professeurs dans les universités. Il s’agit donc de petites masses, qui ont du mal à se faire entendre et dispensent par ailleurs un enseignement relativement coûteux en termes de matériel nécessaire. Les dossiers sont donc certainement plus délicats à plaider auprès des présidents d’université qu’ils ne le sont dans d’autres disciplines. Les géologues sont ainsi, de ce point de vue, quelque peu fragiles.

M. Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, coordinateur du projet d’ERA-Min. Permettez-moi de rappeler brièvement le principe d’ERA-Min : il s’agit d’un réseau européen d’agences de financement, qui cotisent à un pot commun pour formuler ensuite des appels d’offres sur des programmes de recherche au niveau européen, réunissant au moins trois partenaires européens. Ceci permet d’obtenir un effet de levier assez important et de ne pas trop diluer les efforts de recherche sur des sujets similaires dans les différents pays.

L’ANR n’a effectivement cotisé dans le cadre d’ERA-Min qu’une année. La raison invoquée n’est pas un désintérêt quant aux thématiques, mais relève plutôt d’un problème de gestion de la pénurie. Actuellement, les taux de succès à l’ANR sont inférieurs à 10 %, ce qui est très faible. L’ANR essaie donc de mettre l’argent où il existe une communauté non seulement active, mais ayant également ce qu’elle estime être une masse critique.

Les recherches menées en France dans le domaine des géosciences sont peu nombreuses et représentent une communauté de recherche susceptible de répondre à des appels d’offres de l’ANR relativement faible.

Le deuxième problème résulte du fait que l’ANR ne favorise pas particulièrement la recherche fondamentale, dans la mesure où elle demande souvent la présence, dans les projets, d’un partenaire industriel. Les recherches n’ayant pas de finalité d’application sont très difficiles à faire financer dans ce cadre.

Après un seul financement dans le cadre d’ERA-Min1, l’ANR s’est engagée à avoir un financement beaucoup plus important et récurrent dans la deuxième mouture d’ERA-Min qui, selon toute vraisemblance, devrait être acceptée et démarrerait en 2017. L’enveloppe serait alors de l’ordre de 800 000 euros, ce qui, bien que n’étant pas à la hauteur des enjeux, reste raisonnable.

La situation est donc difficile pour les chercheurs, mais pas forcément catastrophique, dans la mesure où l’ANR fait tout de même des efforts, à la hauteur de ses moyens, et parce qu’il existe des financements européens sur lesquels on peut émarger.

La principale difficulté est à mon sens de parvenir à agréger sur les mêmes projets des acteurs ayant des compétences très différentes, allant des sciences humaines et sociales, à l’économie et au droit, en passant par des sciences dites « dures », comme la physique, la chimie ou les sciences des matériaux. Probablement faudrait-il consentir de gros efforts dans ce domaine, si l’on entend disposer d’une vision à moyen et long terme de la problématique des ressources et de l’énergie. Cela mériterait, étant donné le caractère stratégique de tous ces sujets, un réel effort de réflexion et de recherche.

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Vous évoquiez, Monsieur Cathelineau, la difficulté, pour un certain nombre d’étudiants, à trouver un emploi, à une échelle de deux à trois ans. Dans la mesure où l’on a cette visibilité, des solutions se font-elles jour actuellement pour pallier cette situation ? Peut-on évaluer la durabilité de cette crise en fonction d’autres facteurs que l’abaissement des coûts des matières premières ? Pensez-vous, globalement, que les crédits sont en adéquation avec les besoins en matière de recherche ?

M. Michel Cathelineau. Il me semble très difficile de connaître l’évolution des prix des matières premières à court terme. Aucun économiste n’avait ainsi anticipé le pétrole à 30 dollars, ni l’effondrement du cours du nickel en quelques mois. Lorsqu’on croise les besoins avec les prédictions de besoins, on a le sentiment que tout devrait repartir, à un certain moment. Actuellement, il se dit dans les couloirs qu’il faudrait attendre deux ou trois ans avant de voir l’emploi repartir.

Il est sûr, quel que soit le contexte et son évolution, que nous avons une responsabilité non négligeable vis-à-vis de nos étudiants. Cela s’est notamment traduit cette année par un abaissement du nombre de recrutés dans les écoles d’ingénieurs. À Nancy, il a par exemple été décidé de réduire le nombre d’élèves des nouvelles promotions par rapport à ce que nous avions connu au cours des dix dernières années. Ceci se vérifie aussi au niveau des masters.

Il faut savoir qu’actuellement un poste de géologue d’exploration en Australie suscite 200 à 300 candidatures. Il existe très peu d’emplois disponibles. Au niveau national, les majors françaises se situent plutôt dans une phase de non recrutement. Seul le domaine des matériaux connaît une situation un peu plus favorable. Cela incite globalement les étudiants à ne plus travailler véritablement dans le domaine des ressources et à se consacrer plutôt à des secteurs périphériques comme la géotechnique, l’eau, l’environnement, etc.

Les crédits récurrents de la recherche sont-ils suffisants ? Nous avons eu, deux années de suite, des appels d’offres de l’ANR offrant la possibilité de mentionner les ressources. Or la difficulté réside dans le fait que le taux de succès avoisine les 8 % : il y a donc beaucoup de projets soumis et très peu d’élus. À ma connaissance, aucun projet centré spécifiquement sur le domaine des ressources n’a été financé dans ce cadre l’an passé.

Nous connaissons le même type de difficulté vis-à-vis des financements européens. Tout projet ayant une trop grande connotation de recherche n’a aucune chance de passer, puisque sont privilégiés essentiellement les projets focalisés sur la technologie (de l’exploitation et éventuellement de l’exploration), avec des taux de transfert vers l’industrie extrêmement importants.

Il existe donc indéniablement un problème de financement de la recherche.

Certaines compagnies et structures continuent toutefois à financer des travaux de recherche. C’est le cas notamment d’Areva ou encore du Centre national de recherche technologique sur le nickel, basé à Nouméa. Les équipes traditionnelles parviennent donc à trouver ainsi une partie des financements nécessaires. Je ne pense toutefois pas qu’il y ait place pour beaucoup plus actuellement.

M. Patrice Christmann, direction de la stratégie et de la recherche, BRGM. Je suis saisi d’effroi par cette spirale infernale : moins il y a de chercheurs, moins il y a de recherche et de masse critique et ainsi de suite jusqu’à épuisement des équipes.

Il se trouve que j’ai une certaine familiarité avec le programme cadre fédéral allemand, particulièrement ambitieux sur tous les aspects des matières premières. Il existe même une plaquette d’une soixantaine de pages, téléchargeable, traduite en français par le ministère fédéral allemand, décrivant le paysage de la recherche en Allemagne. Chaque année, un appel à propositions est lancé. Cela permet probablement à des acteurs de la recherche de pouvoir se maintenir dans leur domaine de compétences, malgré les fluctuations et les errements des cours des matières premières.

Quand nous déciderons-nous, en France, à prendre les choses au sérieux ? Je n’ai personnellement pas encore été invité à un quelconque débat organisé par notre ministère de la recherche sur la question des matières premières, des matériaux qui leur sont liés et de l’aval industriel qui en découle. Quand mènerons-nous enfin une réflexion holistique, synergétique, englobant l’ensemble de cette filière, dont la France possède des acteurs d’excellence ? J’ai le sentiment que personne, à l’heure actuelle, ne dispose d’une vue d’ensemble du sujet.

M. Patrick Hetzel. Au cours des dernières années, ont été mises en place en France des alliances dont le rôle est justement de coordonner les différents organismes (CEA, CNRS, BRGM, etc.). Nous avons évoqué ce matin le rôle de l’alliance ANCRE. Joue-t-elle aujourd’hui ce rôle de programmation ?

M. Olivier Vidal. L’alliance ANCRE, dont je coordonne l’un des groupes de programmation, intervient uniquement dans le domaine de l’énergie, non des matériaux. À partir de là, elle a essayé de s’emparer du sujet, en produisant notamment un rapport sur le lien entre matériaux et énergie. Pour autant, les matières premières ne sont pas directement de son ressort.

Le rôle que l’on peut avoir, en tant que scientifique, au sein de l’alliance ANCRE est d’alerter et de faire remonter des sujets qui sont ensuite discutés au ministère de la recherche, incorporés dans la stratégie nationale de recherche et, éventuellement, déclinés dans la programmation de l’ANR.

L’ANR est souvent critiquée dans nos communautés ; cela dit, le terme « ressources minérales » y apparaît maintenant, notamment dans le Défi 1, ce qui peut être considéré comme un progrès, bien que cela ne se traduise pas nécessairement par une augmentation des financements, ce que l’on peut évidemment déplorer.

Il nous manque en fait, sur le thème des matériaux ou ressources au sens large, au-delà même des matières premières minérales, un guichet unique ou un sous-programme de l’ANR ayant clairement cet intitulé et au sein duquel des communautés très variées (physiciens, chimistes, juristes, etc.) pourraient se retrouver. On s’apercevrait alors que la masse critique des gens travaillant sur ces sujets en France est forte et qu’il y existe une capacité de recherche, fondamentale et appliquée, importante. Tous les organismes pourraient s’y retrouver. Malheureusement, une telle structure n’existe pas, malgré l’importance des enjeux.

Outre l’Allemagne, dont il a été question précédemment, d’autres pays voisins ont développé des dispositifs intéressants dans ce domaine. En Finlande par exemple, plusieurs centaines de millions d’euros ont été consacrées, au début des années 2000, au développement de l’extraction et de la production de machines. À l’échelle française, ceci correspondrait à un investissement de l’ordre de 600 millions à un milliard d’euros. Bien évidemment, le paysage et les contraintes sont différents en France et en Finlande. Il importe toutefois de prendre la mesure des enjeux et d’adopter une démarche proactive. Or seules les agences de financement peuvent le faire et drainer ainsi les chercheurs.

M. Maurice Leroy, président de la Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC). Si la chimie doit, à un moment donné, se rallier à cette notion de matières premières, de ressources, de recyclage, cela demandera un énorme effort. Lorsque j’ai démarré ma carrière, en 1972, j’étais professeur de chimie minérale. L’intitulé de la discipline indiquait clairement qu’il s’agissait de traiter des minéraux, de la métallurgie et des métaux. Aujourd’hui, on parle plutôt de chimie inorganique, ce qui est sensiblement différent. La majorité des chimistes engagés dans cette voie travaillent dans le domaine de l’organométallique, des catalyseurs, de la fabrication des composés organiques, des sciences des matériaux. Or cela ne comprend pas la notion de matières premières. Sans signe extérieur à ce domaine visant à indiquer qu’il s’agit d’un enjeu national d’importance, il ne se passera rien.

Il faut aussi savoir que la recherche est très liée à la mode, qui gouverne les crédits alloués aux projets. Sans impulsion extérieure forte, clairement affichée, chacun va rester dans le domaine qu’il pense maîtriser. Or si les chimistes ne se rallient pas à cette cause, il manquera des pans entiers à ces travaux, en matière par exemple de toxicologie ou de procédés.

M. Alain Liger, ingénieur des mines, ancien secrétaire général du COMES. Je me demande si l’une des questions essentielles en matière de compétitivité de l’économie n’est pas au fond celle du financement de l’innovation. Je pense que certains métallurgistes ont sans doute, dans divers métaux, y compris très spécialisés, des besoins en termes d’innovation ou d’amélioration dans leur cycle de production de produits primaires, ainsi que dans les boucles de recyclage d’élaboration de produit final. Or je n’ai rien entendu aujourd’hui à propos de ce financement de l’innovation par les agences de financement. Qu’en est-il ? Est-ce un tabou, un domaine interdit ?

M. Alain Geldron. Les investissements d’avenir concernent typiquement ce domaine, sur des recherches aboutissant à des dispositifs commercialisés, industrialisés. On se situe plutôt là sur l’aval de l’aval. Ceci existe très clairement, pour ce qui concerne l’Ademe, dans le domaine du recyclage des métaux, qui fait partie des priorités, de la même manière que les procédés métallurgiques, dans le cadre d’un scénario d’amélioration de l’efficacité énergétique, qui est l’une des questions importantes du monde métallurgique.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal. Je crois pour ma part en la vertu de l’accident. Nous avons connu un accident dans le domaine des terres rares, qui n’a malheureusement pas été assez long pour que l’on puisse réagir sur du long terme. J’imagine que nous connaîtrons un jour un autre accident, économique ou industriel, lié à la ressource, soit dans le domaine de la voiture électrique, soit dans celui des énergies dites « renouvelables ». À partir de ce moment, caractérisé vraisemblablement par une pénurie soit de la ressource, soit d’un matériau fabriqué à partir de ces ressources (je pense en particulier aux aimants permanents), il est possible que toute cette recherche, aujourd’hui désorientée, trouve une ligne directrice. Il est vrai que nous sommes actuellement dans une sorte de marasme, dans lequel les chercheurs attendent de la part de l’ANR, de l’Europe ou d’autres instances, soit des fonds, soit tout simplement une direction vers laquelle orienter leurs propres travaux. J’avoue qu’il s’agit là d’un constat très perturbant.

M. Patrick Hetzel. Lors de notre voyage au Japon, nous avons clairement senti que, chaque fois que nous abordions le sujet des matériaux stratégiques et critiques, cela soulevait la question de l’indépendance stratégique du pays. Du coup, assez systématiquement, il était fait référence, dans les interventions de nos hôtes japonais, à la crise de 2010, qui a visiblement été consubstantielle à l’élaboration de leurs piliers stratégiques. Une structure comme JOGMEC s’est vue donner des lignes directrices élaborées à l’aune des événements de 2010 (y compris pour ce qui relève des investissements réalisés dans le secteur minier).

Récemment, au cours d’un entretien avec une entreprise, cette perspective d’une crise prochaine a été évoquée. Or notre propos, à travers ce travail, est plutôt d’essayer d’anticiper, afin de ne pas nous retrouver face à un mur. Les enjeux dans ce domaine ne sont d’ailleurs pas qu’économiques et peuvent rapidement devenir géopolitiques.

M. Didier Julienne. La situation de pénurie est effectivement consubstantielle de la manière de procéder du Japon.

De notre côté, la dernière grande crise est celle du pétrole, dans les années 1970, qui a débouché sur le nucléaire en France. Toute crise peut donc aboutir à une sortie de crise bénéfique.

Serons-nous à nouveau confrontés prochainement à une crise de cette ampleur, avec une sortie de crise bénéfique ? Je l’ignore. Peut-être la crise de terres rares n’a-t-elle pas été assez longue et profonde pour donner lieu à de réels changements.

M. Alain Liger. La mention de 1973 est intéressante. Cela n’a pas seulement débouché sur le programme électronucléaire, mais a aussi permis le développement d’une réflexion sur une possible crise d’approvisionnement en matières premières minérales. Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : la France disposait alors d’une industrie de transformation métallurgique beaucoup plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui. Cela a débouché sur une vraie politique métallique. Il a par exemple été question précédemment de l’inventaire minier, qui a duré quinze ans. A également été mis en œuvre alors le Plan métaux qui, tout comme JOGMEC aujourd’hui au Japon, visait à financer et à assurer le risque d’opérateurs allant chercher des gisements à l’étranger. Cela a aussi donné lieu au développement d’une politique de formation, dénommée CESMAT. Les trois composantes de cette politique ont duré chacun entre dix et quinze ans.

M. Alain Geldron. La loi de transition énergétique pour la croissance verte dispose, dans le premier article de son titre 4 dédié à l’économie circulaire et au gaspillage alimentaire, d’un élément intéressant en termes de programmation. Cet article prévoit en effet que soit élaborée une stratégie nationale de transition vers l’économie circulaire, qui comporte une programmation des ressources nécessaires à l’économie, et notamment des ressources critiques. Il n’existe pour l’instant pas de calendrier arrêté par les pouvoirs publics, mais des réflexions de cadrage sont en cours. Cette programmation des ressources (incluant non seulement les ressources minérales, mais aussi la problématique des sols et de l’accès à l’eau) est probablement une fenêtre intéressante pour aboutir en quelque sorte à ce que M. Patrice Christmann appelait de ses vœux, à savoir une programmation sur les matières premières similaire à la stratégie que déploie l’Allemagne depuis plusieurs années déjà.

M. Michel Cathelineau. L’Allemagne a créé le Centre Helmholtz Freiberg, avec cinquante, puis cent, puis deux-cents personnes, et une réelle vision de la métallurgie. Ce sont ensuite les demandes des principaux constructeurs automobiles et de Siemens qui ont orienté une grande partie des projets, pour des montants de plusieurs millions d’euros, ce qui n’est absolument pas comparable avec les sommes injectées en France par les agences. Il s’agit d’un véritable choix effectué par les industries allemandes et les pouvoirs politiques. On peut se demander aujourd’hui si l’on ne se trouve pas dans une situation équivalente, qui justifierait la mise en œuvre de programmes de la même ampleur.

Contrairement à ce qu’avançait M. Julienne, je ne crois pas que les chercheurs soient perdus. De très jolis programmes ont été générés dans le cadre de H2020 l’année dernière. Certes ils n’ont pas été financés, mais leur existence même démontre que l’on a les idées extrêmement claires sur ce qu’il faudrait faire pour développer par exemple l’exploration du tungstène en Europe de l’Ouest. Les programmes sont là. Le problème est de trouver les financements nécessaires.

Je souhaiterais enfin mentionner un point positif : en effet, une réunion doit se tenir au ministère dans une dizaine de jours au cours de laquelle nous allons chercher à fédérer l’ensemble des réseaux, notamment ERA-Min et le réseau dont le leader est le BRGM, le KIC Raw Materials, et l’ensemble des acteurs français des secteurs de l’industrie, de la formation et de la recherche. L’idée est de faire grossir le groupe miroir créé par Olivier Vidal côté ERA-Min, justement pour réfléchir à une stratégie. Cela ne signifie pas pour autant que le mouvement sera accompagné par des financements. La démarche devrait au moins permettre de disposer, à partir de cette année, d’un club qui fasse se côtoyer l’ensemble des acteurs français.

M. Patrick Hetzel. Nous allons, si vous le permettez, avancer dans les interventions inscrites au programme de cette table ronde, en faisant une petite entorse au déroulé initialement prévu ; je pense en effet que, dans la mesure où nous venons d’aborder les questions de recherche et de formation, il serait particulièrement intéressant que M. Michel Jebrak puisse s’exprimer à ce moment-ci du débat. Nous poursuivrons avec l’intervention de M. Roland Masse pour la partie consacrée aux potentiels toxiques.

M. Michel Jebrak, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, université du Québec à Montréal. La formation des personnels, l’éducation à la mine, constituent bien plus qu’un dossier technique dans le développement minier. Les ressources minières ne sont pas renouvelables, mais peuvent être durables si l’on transforme la capital naturel, le minerai, en un capital économique et social. C’est ce qu’ont fait les mines depuis la nuit des temps, depuis la fortune des Borgia jusqu’au développement de l’Ouest américain. La Cité du design, à Saint-Étienne, est directement la fille des houillères.

Il est donc essentiel que l’après-mine ne se résume pas à la gestion des résidus et de la pollution, mais s’inscrive dans une perspective de développement de longue durée, notamment par la formation des hommes et des femmes sur leur territoire.

Permettez-moi de vous présenter un exemple dans lequel je suis impliqué. Il s’agit du plus gros projet minier en France actuellement, intitulé Montagne d’or, situé en Guyane et développé par la compagnie canadienne Columbus et la société russe Norgold. Cette mine doit produire à partir de 2020. D’ici là, il faudra investir près de 500 millions d’euros, construire une route, peut-être un port, apporter l’énergie et édifier une base vie de trois cent-cinquante personnes en pleine forêt amazonienne. La durée prévue d’exploitation de la mine est de treize ans, ce qui est relativement court. On peut toutefois espérer des extensions de gisement et développer un district tout autour du site initial, afin de prolonger l’exploitation par la valorisation du district minier. Mais les échéances sont rapides : il faut donc penser dès à présent à développer les ressources humaines, qui perdureront au-delà du projet minier.

Quels sont les besoins actuels du développement minier en Guyane ? Je citerai trois enjeux majeurs, en insistant tout particulièrement sur les besoins en recherche et en formation.

Le premier enjeu concerne la formation des opérateurs miniers : conducteurs d’engins, de camions. La production d’une mine s’appuie d’abord sur ces personnels. Lorsque l’on observe la population minière, on constate qu’elle se compose en premier lieu de ce personnel-là. Montagne d’or devrait faire travailler plus de trois cents opérateurs, qu’il va falloir former dans les prochaines années. Or il faut savoir qu’il n’existe pas de formation de ce type en Guyane, où personne ne sait, par exemple, faire de l’hydraulique mécanique.

Columbus souhaite que le projet minier puisse servir à la réinsertion sociale des jeunes dans l’ouest du territoire guyanais, en travaillant par exemple avec le régiment du service militaire adapté (le RSMA), basé à Saint-Laurent-du-Maroni, sur le modèle de ce qui se fait actuellement en Nouvelle-Calédonie, où des jeunes, souvent illettrés, peuvent se réinsérer d’abord grâce à la rigueur du RSMA, puis dans un centre de formation aux techniques de la mine et des carrières. Un tel centre n’existe pas en Guyane, département où les opérateurs miniers sont actuellement des PME et non des entreprises mondialisées de la taille de Glencore, Vale ou Eramet.

De plus, la formation des opérateurs d’engins a connu de grands progrès au cours de ces dernières années. On peut utiliser aujourd’hui des simulateurs miniers, à la manière de ce qui existe par exemple dans l’aéronautique. Cela est à la fois efficace et ludique. Nous disposons en France des briques suffisantes pour développer le domaine. On utilise par exemple des outils de simulation développés chez Dassault ou à l’école de géologie de Nancy, des simulateurs de camions et de pelles, conçus chez Acreos, près de Metz. Il serait ainsi envisageable de coordonner une action visant à développer de tels simulateurs d’enseignement minier en France. Le projet Montagne d’or serait une belle occasion pour créer une école de ce type en Guyane, contribuer au retour social de la mine, utiliser le virtuel pour mieux travailler le réel.

Le second enjeu concerne la formation des professionnels dans le domaine des ressources. La France forme d’excellents géologues. J’en veux pour preuve le fait que le Canada a réussi à combler son déficit en géologues grâce aux excellentes formations offertes par la France. Ceci dit, le système est un peu moins efficace pour ce qui est des techniciens. Il existe actuellement une seule formation de niveau BTS, au lycée Loritz, en collaboration avec l’école de géologie de Nancy. La formation y est excellente, peu connue et mériterait sérieusement d’être mise à jour. Or cela est plus difficile dans la mesure où l’on se situe dans l’enseignement secondaire. Le problème réside aussi dans le fait que ces formations doivent être déployées là où on en a besoin, notamment en Outremer. Nous tentons actuellement de développer une licence professionnelle dans la nouvelle université de Guyane. Ceci vise à répondre à un besoin urgent, reconnu par toute l’industrie. La difficulté est qu’il nous faut pour cela partir de zéro ; aussi, une action concertée serait-elle la bienvenue. Nous aurions probablement besoin de la collaboration des universités et organismes français de métropole.

Le troisième enjeu est lié à la recherche. Les défis sont multiples. Il s’agit tout d’abord de défis géologiques. En effet, le potentiel minier de la Guyane, évalué par l’inventaire il y a plus de vingt-cinq ans, dans un contexte bien différent d’aujourd’hui, est totalement à revoir. La Guyane est ainsi moins bien connue que certains pays à équivalents géologiques en Afrique de l’Ouest.

Les défis sont également technologiques, puisque les méthodes d’exploration et de production ont fait des progrès significatifs. On utilise aujourd’hui des techniques beaucoup moins intrusives, plus miniaturisées et efficaces qu’auparavant. On voit poindre par ailleurs des innovations de rupture : on arrive par exemple à faire des forages dix fois plus vite qu’il y a dix ans. On ausculte le sous-sol et l’on dispose d’une simulation des milieux géologiques et environnementaux. On peut effectuer un suivi en temps réel de l’exploration par le biais de capteurs. Les anciennes méthodes de séparation des métaux ont été remplacées par de l’hydrométallurgie, voire par le lessivage in situ, comme le pratique Areva au Kazakhstan pour l’uranium. On passe ainsi progressivement d’une chimie ou d’une pyrométallurgie intensives à de la chimie, voire à des biotechnologies appliquées à la mine, au traitement des minerais et à celui des effluents.

Les défis humains sont aussi importants. Une mine doit être acceptée par sa communauté. Comment procéder ? Où se situent les rôles respectifs de l’État et des entreprises ? Ceci est actuellement très mal défini et correspond à un équilibre entre chacun des pays. Il faut donc mieux intégrer les ressources humaines au développement minier. Le CNRS a lancé une première action voici trois ans. Il importe de la prolonger par un programme spécifique.

De mon point de vue, les compétences de l’État sont certainement à reconstituer actuellement en France, à plusieurs niveaux, notamment au BRGM et sur le terrain. Les autorités de tutelle doivent disposer d’une vision plus large et interdisciplinaire des enjeux miniers. Je plaide donc pour le renouvellement d’écoles des mines du XXIe siècle, mieux intégrées, capables de suivre tout le cycle des ressources minérales et leur impact sur la société.

M. Roland Masse, toxicologue, membre de l'Académie des technologies et de l'Académie de médecine. Comme je l’ai signalé lors de la précédente table ronde, la contribution de la recherche à la connaissance des effets toxiques à long terme en ce qui concerne les terres rares et les métaux stratégiques d’une manière générale est, en France, peu apparente. Si l’on exclut le plomb, qui est l’objet de certaines réponses à des appels d’offres de l’ANR, rien n’apparaît dans ce domaine dans les publications scientifiques françaises.

Cela traduit un phénomène extrêmement dommageable, qui est la faiblesse de la toxicologie en France. Tous les dix ou quinze ans, il en est fait l’évaluation et l’on reconnaît immanquablement cette faiblesse. Il faut savoir que la toxicologie est peu enseignée dans notre pays : elle l’est seulement dans les UFR de pharmacie, dans les écoles vétérinaires, dans quelques facultés des sciences. Elle fait l’objet d’un enseignement spécifique au CNAM, mais ne participe pas à l’enseignement de base des étudiants en médecine. Il n’existe en outre, à ma connaissance, qu’un seul master de recherche en toxicologie environnement santé, celui des universités Diderot, Descartes et Créteil, qui rassemble des équipes extrêmement performantes, de très haute qualité. Ainsi, si la recherche en toxicologie est faible en elle-même, les équipes sont souvent proches de l’excellence. Cette situation rend les choses relativement difficiles.

Le dernier bilan global, que j’avais réalisé voici une dizaine d’années, montre que sur cinq cent-cinquante toxicologues répertoriés en France, trois cent-cinquante travaillaient dans le privé, essentiellement dans le secteur du médicament, et deux cents dans les organismes de recherche et d’enseignement supérieur.

Il existe toutefois un potentiel beaucoup plus important, en faisant appel, d’une part, aux centres de référence qui existent, constitués par les agences comme l’InVS, l’INRS, l’INERIS et l’IRSN, qui disposent d’un rôle d’expertise, mais aussi de formation par la recherche et, d’autre part, aux unités n’étant pas nécessairement identifiées comme centres de toxicologie (hormis pour une dizaine d’entre elles, localisées à l’Inserm, au CNRS, au CEA, à l’INRA ou à l’université), mais qui, par la spécificité qu’elles ont acquise, dans les connaissances des mécanismes moléculaires, cellulaires, au niveau du génome, du transcriptome ou de l’influence de l’environnement sur le fonctionnement du génome, disposent de compétences qui peuvent être recrutées et que l’on voit apparaître de temps en temps dans le cadre de réponses à des appels d’offres spécifiques, sur les perturbateurs endocriniens par exemple.

Tout cela compose un ensemble assez hétérogène et difficile à fédérer.

Des efforts ont toutefois été effectués dans ce sens. Les dernières recommandations formulées par l’Académie des sciences invitaient à fédérer ces différentes instances sous forme d’un réseau, de manière à disposer d’une masse critique satisfaisante. INERIS, de son côté, a, en créant le réseau Antiope, réussi à créer une instance de dialogue qui permet des échanges de techniques, de matériels. Mais cela est vraisemblablement insuffisant par rapport à la demande que constituent spécifiquement les effets à long terme.

Outre la solution d’un appel d’offres dédié, que j’évoquais ce matin, je pense qu’il faudrait faire preuve d’imagination pour trouver le moyen de fédérer l’ensemble de ces équipes autour d’un programme relatif aux effets à long terme des agents toxiques dans l’environnement, et notamment des métaux. Cela pourrait peut-être se faire sous la forme d’une plateforme entièrement dédiée à la toxicologie environnementale.

Il est désormais possible, avec les techniques nouvelles, d’obtenir des screenings à haut débit permettant d’évaluer la toxicité cellulaire, génétique, les effets du stress oxydant, la neurotoxicité. Or celles-ci se trouvent réparties dans différentes unités et sont peu accessibles à l’ensemble des chercheurs qui en auraient besoin. L’INERIS pourrait par exemple devenir cet endroit dédié, puisqu’il a vocation à faire de la toxicologie environnementale. Une autre solution consisterait à localiser cet espace au CEA, où il existe une excellente pratique de la gestion des plateformes. Le CEA, par le mécanisme de son financement spécifique, permet en effet l’élaboration de telles structures pérennes, le tout étant de maintenir l’activité sur place, avec des crédits suffisants et la volonté d’en assurer le maintien et la progression, dans la durée et non pas seulement de façon ponctuelle, dans le cadre d’appels d’offres.

Voici en quelques mots la proposition que je souhaitais vous soumettre, afin de tenter de sortir de l’impasse actuelle.

M. Yann Gunzburger, maître de conférence, université de Lorraine, chaire Mines et sociétés. Je ne peux que souscrire au constat effectué précédemment. Je précise que je m’exprime ici non pas à titre personnel, mais au nom de la chaire Mines et sociétés, initiative commune des écoles des mines de Nancy, Paris, Alès et de l’école de géologie de Nancy.

L’approvisionnement de la France en matières premières stratégiques est confronté à nos yeux à deux défis majeurs, déjà en partie évoqués.

Le premier est celui de la formation. Il est évident que les formations doivent s’adapter en partie à la cyclicité du cours des matières premières ; mais leur flexibilité n’est pas sans limite. Sans un effort de lissage, par le biais par exemple de propositions de stages et pas seulement d’emplois, elles risquent de disparaître au moindre creux, entraînant avec elles toute l’expertise de capacité de formation sous-jacente. Le problème va donc bien au-delà de la seule diminution du nombre d’étudiants. Or des besoins existent, significatifs en France et immenses dans beaucoup de pays francophiles, où se trouve d’ailleurs une partie des solutions à nos problèmes d’approvisionnement. Cela dépasse donc très largement les enjeux d’enseignement : il s’agit véritablement d’un enjeu de politique étrangère de la France.

Le second défi est celui de l’intégration des projets miniers dans leur territoire. Ces projets, et l’industrie extractive en général, font face, en France et dans de nombreux endroits à travers le monde, à une contestation croissante. La concertation doit donc être favorisée, pour améliorer les projets miniers et les rendre acceptables. Cela ne va toutefois pas de soi.

Pour répondre à ces deux enjeux, la chaire Mines et sociétés poursuit un double objectif. Nous souhaitons d’une part renforcer et fédérer les formations existantes, du moins ce qu’il en reste, qu’il s’agisse de formations initiales, continues ou de formations des formateurs. Je précise à ce sujet que nous menons en ce moment de l’ingénierie pédagogique pour le Maroc, le Gabon, la Guinée et le Congo, pour ne citer que quelques exemples. Nous avons plus de trente ans d’expérience dans ce secteur, sous l’égide du CESMAT (Centre d’études supérieures des matières premières minérales), qui a été à l’origine d’un vaste réseau avec les pays producteurs. Or il faut savoir que les dotations du CESMAT ont été brutalement réduites à zéro il y a trois ans.

Nous souhaitons d’autre part développer un corpus méthodologique permettant d’améliorer les modalités de concertation, afin de concevoir des exploitations minières mieux intégrées dans leur territoire. Nous nous appuyons pour cela sur une recherche pluridisciplinaire, basée non seulement sur les techniques minières mais aussi sur les sciences économiques et sociales. Ceci explique notamment que le Centre de sociologie de l’innovation de l’école des mines de Paris fasse partie intégrante de la chaire Mines et sociétés. Les partenaires contactés à ce jour pour participer à ce projet de chaire sont les industriels du secteur et leurs syndicats professionnels, les pouvoirs publics, mais aussi des ONG, avec des retours très positifs.

En conclusion, le secteur académique des ressources minérales est fragile, mais porteur de nombreux projets et de beaucoup d’enthousiasme, que seul un soutien appuyé des industriels et des pouvoirs publics mettra en capacité de répondre aux besoins stratégiques actuels.

M. Éric Marcoux, professeur à l’université d’Orléans. Je vais vous présenter brièvement l’initiative EGERM, acronyme de « Exploration et géomatique des ressources minérales ». Nous formons dans ce cadre des géologues de mines et de carrières, dont nous avons élargi les compétences afin d’accroître les possibilités d’embauche. Il s’agit d’une formation de niveau master 2, c’est-à-dire bac+5.

L’université d’Orléans a toujours formé des géologues en ressources minérales. Il est évident que la proximité du BRGM n’y est pas étrangère. Nous travaillons d’ailleurs toujours en symbiose avec eux, notamment à travers l’ENAG (École nationale d’application des géosciences) et d’autres formations.

Nous avons toutefois décidé, en 2001, de changer d’échelle et, mis sur pieds, avec la complicité de Michel Jebrak, une formation internationale entre Orléans et le Québec.

Je ne vais pas vous détailler ici l’enseignement dispensé dans ce cadre. Sachez simplement que les étudiants sont physiquement présents quatre mois au Québec, ce qui leur permet de visiter des mines et d’appréhender la réalité d’un vrai pays minier, ainsi que les termes de l’industrie minière en grandeur nature. Nous en sommes actuellement à quatorze promotions, ce qui représente cent-cinquante-quatre diplômés. La quinzième promotion est en cours de formation et sortira dans quelques mois.

Quels sont les débouchés ? Les étudiants que nous formons sont des géologues, compétents dans ce domaine depuis le stade de l’exploration jusqu’à celui de la réhabilitation. Ils maîtrisent notamment la géomatique, c’est-à-dire l’informatique appliquée aux géosciences : modélisation 3D, spatialisation des données, géostatistiques, autant d’outils indispensables dans la mine d’aujourd’hui.

Il convient, en termes d’embauche, de distinguer deux périodes : entre 2002, date de sortie de la première promotion, et 2009, nous étions à 94 % d’embauchés dans le domaine des ressources minérales, dont environ 20 % d’étudiants qui retournaient au Québec pour participer aux travaux dans des compagnies minières. De 2010 à 2014, nous avons connu une chute en termes de recrutement, comme tout le monde dans ce secteur. Nous sommes maintenant à 81 % environ d’embauchés. Les statistiques de suivi montrent que 49 % de nos étudiants travaillent dans des sociétés minières (dont 12 % chez Areva, 7 % à la SLN (filiale d’Eramet), 2 % à Variscan Mines), 15 % dans les minéraux industriels de construction (dont 8 % chez IMERYS, 5 % chez CEMEX, 2 % chez Lafarge, 2 % chez Eurovia), 8 % à des postes de géologues géotechniciens environnementaliste. 12 % environ des étudiants poursuivent leur formation en doctorat. Peu d’entre eux se retrouvent donc sans emploi.

Nous ne sommes pas la seule formation en ressources minérales en France à former des géologues. Nous avons toutefois la faiblesse de penser que le parcours que nous proposons est particulièrement bien adapté aux demandes de l’industrie minérale aujourd’hui, mines et carrières confondues.

Il est évident qu’une multiplication des projets miniers et des sociétés minières en France permettrait à nos étudiants de trouver plus facilement du travail. Notre message à l’attention des compagnies minières est qu’un vivier de compétences en géologie existe bel et bien dans notre pays et que nos étudiants sont prêts à devenir cadres dans leurs entreprises.

M. Thierry Meilland-Rey, directeur carrières cimentières, Vicat et DGD Satma. Alors que 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire français sans formation, certaines entreprises cherchent à recruter, sans succès.

Je m’exprime ici non seulement au nom des ciments Vicat, mais aussi de la SIM. Cette société savante de l’industrie minérale, fondée en 1857, s’est posé la question, en 2000, de la capacité de formation en France. Hélas, tous les partenaires réunis dans le cadre de cette réflexion (administrations, professionnels de l’exploitation, géologues, bureaux d’études, etc.) n’ont pu que constater un réel déficit de formation et de technicité.

Cette situation affecte les exploitants, le secteur de la prospection, les bureaux d’études, mais aussi l’administration centrale et locale. Comment imaginer par exemple des inspecteurs des installations classées venant visiter des exploitations minières ou des carrières sans disposer des connaissances techniques suffisantes pour être en mesure d’apprécier les risques ?

Nous nous réjouissons donc du développement, depuis quelques mois, du projet de chaire Mines et sociétés, qui rassemble différentes écoles de haut niveau susceptibles de s’associer pour dispenser l’ensemble des chapitres nécessaires à la formation de professionnels de très bonne qualité.

Pour l’heure, le malaise touche l’ensemble des strates de l’exploitation, depuis l’exploration jusqu’à la gestion proprement dite. Ceci concerne notamment les techniciens et opérateurs. Or sans opérateur, la mine n’existe pas. On ne dénombre actuellement en France que deux écoles de géologie spécialisées dans la prospection, l’une basée à Nancy, l’autre à Montalieu, près de Lyon. Ces formations doivent générer quarante à cinquante étudiants prospecteurs chaque année.

Il n’existe, en outre, plus aucune école d’exploitation en France depuis fort longtemps. On en retrouve quelques balbutiements à l’école des mines d’Alès, avec les formations diplômantes par alternance BADGE. Dernièrement, une formation de niveau licence, qui permet à des bacheliers de se former en deux ou trois ans à ses métiers, a été créée à l’INSA de Lyon, par l’Association française des tunnels et de l’espace souterrain (AFTES), qui rencontre les mêmes difficultés que nous à recruter.

Des projets sont également en cours, gérés par l’ANDRA et la Région Est, sur le puits de Bure : il s’agirait de développer une école de formation d’opérateurs et de maîtrise.

L’entreprise Vicat elle-même, qui ne trouve plus d’école pour former ses personnels, a également un projet similaire sur sa mine de l’Hérault. Faute de mieux, nous allons essayer de développer des compétences en interne, avec la collaboration d’écoles et de bureaux d’études spécialisés dans ce domaine.

Que serait-on sans les opérateurs ? Qui creusera les ouvrages du Grand Paris ou sous les Alpes, autant de travaux présentant de grandes similitudes avec ceux à l’œuvre dans les mines ? Qui exploitera les mines issues des projets à l’étude dans l’ouest et le sud de la France, s’il n’existe plus d’école formant opérateurs et techniciens ? 

M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. Les compétences nécessaires à un groupe chimique comme Solvay sont essentiellement de deux types.

Il s’agit d’une part de compétences très transversales à ce genre d’activité (ingénieurs en génie chimique, techniciens de laboratoire), pour lesquelles nous ne rencontrons pas véritablement de difficultés de recrutement. S’ajoute à cela l’existence d’une mobilité importante à l’intérieur du groupe.

Nous avons, par ailleurs, besoin de compétences beaucoup plus pointues, dans le cadre des projets de recherche. Ceci concerne des titulaires de doctorats universitaires, des ingénieurs ayant donc une formation très liée au type de recherche qu’ils vont mener.

Dans le secteur des terres rares, on compte ainsi deux domaines très différents. Le premier est relatif aux applications. C’est là que Rhodia, puis Solvay, ont fait essentiellement porter leur effort depuis une quinzaine d’années. Nous ne connaissons dans ce segment pas réellement de problèmes de recrutement. Nous disposons de laboratoires d’excellence, dans lesquels sont réalisées des thèses, aussi bien en catalyse qu’en électronique. Nous parvenons donc à former sans trop de difficultés des professionnels susceptibles de répondre à nos besoins.

Le second volet est celui de l’hydrométallurgie, domaine dans lequel Rhodia s’était beaucoup désinvesti au début des années 2000, avant d’avoir besoin, à partir de 2010-2012, de nouveaux recrutements, lors notamment de la mise en place de l’unité de recyclage. Or je ne vous cache pas que cela est difficile. Entre l’époque, lointaine, où j’ai fait ma thèse et au cours de laquelle plusieurs laboratoires menaient des travaux dans ce domaine, et aujourd’hui, la situation a fondamentalement changé.

Heureusement que le CEA existe. Le CEA est en effet un pôle d’excellence, notamment en hydrométallurgie. Je ne pense pas qu’il faille nécessairement regrouper tous les éléments de compétences en un seul institut. Pour autant, nous devons selon moi nous appuyer sur cette spécificité de la France qui, quand on la compare à la plupart des autres pays développés hors Chine, constitue un vrai pouvoir, sur lequel nous avons conservé malgré tout une compétence peu présente ailleurs en Europe.

M. Maurice Leroy. Je souhaiterais revenir sur l’intervention de Roland Masse, qui me paraît extrêmement importante.

En 1998, j’étais directeur scientifique pour la chimie et l’interface chimie – biologie auprès du Haut-commissaire à l’énergie atomique. Avec Pierre Douzou, j’ai lancé un ensemble de recherches pluridisciplinaires, qui ont débouché en 2000 sur la création du programme de toxicologie nucléaire et environnementale, partagé notamment entre le CEA, le CNRS, l’INRA et l’INERIS. Ce programme a fonctionné pendant trois ou quatre ans. À l’issue de cette période, cette association a disparu, faute de crédits. Entre temps, a été créé au sein du CEA, à Marcoule, un service de biologie et de toxicologie nucléaire, qui a été fermé voici trois ans maintenant, par manque de crédits également.

Je précise que la toxicologie nucléaire et environnementale concerne les métaux, essentiellement radioactifs. Certains laboratoires travaillaient en outre sur les métaux non radioactifs et apportaient alors toute la connaissance nécessaire pour le transfert des métaux en milieu biologique. Il reste ensuite à comprendre les conséquences, à déterminer la nature des impacts éventuels. Si certains centres en France ont fort heureusement été conservés et disposent d’une expertise dans ce domaine (notamment ceux de Pau ou de Strasbourg, qui sont capables de faire de la spéciation, ou à Ifremer qui excelle également dans ce domaine), ils ne sont pas en réseau. Il n’existe aucune volonté d’affirmation de la toxicologie métallique comme étant une discipline extrêmement importante. Tant que ce message ne passera pas, la situation n’évoluera pas.

À l’époque où nous avions constitué ce programme de recherche, nous bénéficiions du soutien d’Areva, d’EDF, etc. Nous étions ainsi parvenus à réunir des montants permettant de soutenir un certain nombre de travaux de recherche.

Aujourd’hui, il faudrait engager des sommes considérables, d’une part pour que ce type de projet soit crédible, d’autre part pour que ce réseau puisse véritablement se constituer.

J’appuie donc totalement les propos de M. Roland Masse concernant la nécessité d’un message industriel et politique indiquant que la connaissance de la toxicologie est vraiment essentielle.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. Je constate que le débat passe peu à peu d’un échange sur les terres rares à une discussion sur la place de la géologie dans l’économie du XXIe siècle.

L’expression « terres rares » est avant tout un terme géologique. Ce n’est une formule ni politique, ni médiatique. J’y reviendrai.

J’aimerais tout d’abord intervenir dans le débat concernant la question de la formation, pour souligner que, dans ce domaine spécifique de la géologie et des terres rares, tout le monde est coupable.

Je me souviens très bien que, dans les années 1980-1990, il était couramment admis soit que cela n’était pas utile, soit qu’il ne s’agissait que de cailloux encombrants. Personne ne souhaitait de gravières, ni de carrières chez soi. On ne faisait que les réhabiliter, dans le meilleur des cas. Quant aux métaux et minéraux, on considérait volontiers que les immenses réserves potentielles des grands cratons américains, africains, chinois ou russes, y pourvoiraient, et ce d’autant plus qu’il s’agissait de pays pauvres et que les cours étaient bas. Au cours de ces décennies, le caillou n’était pas tendance et le minéral forcément sale, puisqu’il fallait l’extraire et utiliser de la chimie pour le produire. Tout cela avait donc vocation à être produit ailleurs, par des pauvres, tandis que nous nous consacrerions à des activités plus intelligentes, davantage ancrées dans l’économie du XXIe siècle. J’ai conscience de la violence de mes propos, qui résument une position que j’ai souvent entendue exprimer au cours des années 1990 et 2000.

Nous payons tout ceci aujourd’hui. La France a vendu, généralement à bas prix, ses pépites, et notamment la propriété d’un certain nombre d’usines, dans le monde entier, ne conservant que quelques biens dans le domaine de l’uranium. Tout cela était alors justifié par de très nombreuses « bonnes raisons », d’ailleurs fort peu discutées dans les médias, qui se désintéressaient de ce sujet. La tendance était à l’informatique et à la biologie. La chimie et la géologie n’avaient pas la cote.

Nous en sommes à ce stade de notre histoire. Il faut aujourd’hui que les politiques, et au-delà la société dans son ensemble, s’interrogent sur la manière dont ils construisent l’avenir à vingt ans, oubliant par là-même l’avenir à court terme.

Nous avons toujours eu besoin, pour construire nos routes, nos autoroutes, nos ponts, nos voies ferrées, de graviers, de pierre et de calcaire. Il me semble pourtant qu’il n’existe plus de gravière exploitée en Ile-de-France ; il faut dorénavant faire venir les graviers d’au moins 150 kilomètres, ce qui représente un coût élevé. Fort heureusement, l’institution a tout de même travaillé correctement, puisque nous disposons de ports de pondéreux en plein Paris.

Mais il n’existe pas que le bassin parisien ; il faut considérer la France dans son ensemble. De nombreux territoires disposent de ressources que l’on ne sait plus trouver ni exploiter.

Les compétences des géologues français sont en outre reconnues dans le monde entier. Mais l’arrêt de la formation de jeunes au niveau BTS, IUT ou master 1 est due au manque de perspectives sur le territoire national. Finalement, il apparaissait moins coûteux de recourir à des professionnels formés en Russie, en Chine, en Inde ou au Brésil.

Nous payons aujourd’hui ce choix, cette défaillance collective, qui n’est pas que politique, mais relève plus largement de l’institution.

Je suis, pardonnez-moi, un peu surprise d’entendre qu’il faudrait reconstituer ce tissu de formation autour des écoles des mines. Lorsque l’école d’Alès a créé, voici presque vingt ans, une filière autour des matériaux de grande diffusion, elle s’est heurtée à un mur. Cette filière s’est créée malgré l’institution. Il existe de même à Montpellier un petit cluster, nommé « Terr’Innov », regroupant des scientifiques de l’université et du CNRS, qui tentent vaille que vaille, avec les gravières et les carriers de notre région, de mener à bien leurs travaux. Lorsque ce cluster a été créé, nous nous sommes heurtés de toute part à une absence d’intérêt, qui a engendré des difficultés lorsqu’il s’est agi de réunir les fonds nécessaires. Nous n’avons en outre bénéficié d’aucun relais au niveau national, ni de la part du ministère de l’industrie, ni de celui de la recherche ; tout cela au motif qu’une mine, une carrière, une gravière abiment le paysage ou génèrent des nuisances sonores.

Il me semble important d’évoquer ces aspects dans une réunion comme celle-ci. Ne nous voilons pas la face sur les difficultés du système.

Plusieurs universités ont réussi à maintenir des compétences, à Nancy, à Montpellier, à Grenoble. Appuyons-nous sur ces expériences-là, qui ont le mérite d’exister, malgré les réticences auxquelles elles se sont heurtées à une époque où ce sujet n’était pas d’actualité. Ne les oublions pas à l’heure où il devient majeur.

Je crois que nous avons, en matière de minerais, de mines, de carrières, de gravières, raté beaucoup de choses.

Je remercie mes deux collègues de nous avoir permis, par l’intermédiaire de cette réflexion sur les terres rares (qui ne le sont d’ailleurs pas autant dans le monde que leur nom le laisse supposer), d’aborder ces problématiques essentielles et stratégiques.

Nous disposons de compétences, qui ont été conservées dans les laboratoires de biologie et de chimie. Il faut s’appuyer sur ce socle. Il n’est pas nécessaire de repartir de zéro.

Il s’agit d’un chantier considérable, qui doit concerner l’ensemble du territoire. Je reste confiante.

M. Laurent Corbier. Je souhaite simplement apporter un témoignage d’industriel à Messieurs Masse et Leroy, en espérant que cela puisse les rassurer quelque peu. Je croise tous les jours un toxicologue, dont le bureau se situe près du mien. Tout cela pour dire que les entreprises, qui sont confrontées notamment aux exigences du programme REACH, ont l’obligation d’avoir des connaissances en toxicologie. La personne en question, qui donne parfois l’impression de parler une langue étrangère, anime entre autres des sessions d’information en interne, afin de distiller une formation de base permettant à l’ensemble des acteurs concernés de comprendre les principaux mécanismes en jeu. Cela est très important.

Il s’est produit, de mon point de vue, un déport de cette discipline vers des associations propres à un métal (les « Commodity Associations »), qui se sont constituées en consortium pour les besoins de REACH et ont ainsi conservé et développé des compétences en toxicologie. Je connais par exemple l’équipe qui s’occupe plus particulièrement du nickel : il s’agit d’une association internationale, malheureusement basée à l’étranger, qui s’attache à répondre aux questions posées par l’Europe notamment. Le contexte européen de REACH, dont des versions voisines sont en train de voir le jour dans d’autres régions du monde comme la Corée, implique de conserver cette discipline. Je pense également à tout ce qui concerne les valeurs limites d’exposition, pour lesquelles il convient d’envisager des scénarios. Tout ceci ne pourra se faire sans l’apport des toxicologues.

M. Didier Julienne. Je n’ai pas très bien saisi le reproche que Mme Le Dain adressait à la démarche de centralisation autour des écoles des mines. Il y a beaucoup d’autres formations.

Contrairement à ce qui a été vous affirmé, le sous-sol français n’est pas bien connu, surtout au-dessous des 100 mètres, en dehors des grandes zones déjà explorées ou exploitées. Nous avons fortement besoin d’exploration en France. Pour ce faire, il faut des crédits. Les sociétés exploratrices éprouvent des difficultés à trouver l’argent nécessaire, parce que ce métier n’est pas reconnu comme étant d’importance en France. Les métiers des matières premières ont été désinvestis depuis quarante ans dans notre pays. Je l’ai vécu à titre personnel, comme d’autres certainement autour de cette table.

M. Olivier Vidal. Je souhaiterais tout d’abord, en tant que géologue, remercier Mme Le Dain pour ce beau plaidoyer. Je ne peux que souscrire globalement à son propos, même si certains détails pourraient sans doute être discutés.

Mon intervention concerne plus particulièrement le maintien des compétences. Ceci est très difficile pour un chercheur académique, en l’absence des fonds nécessaires lui permettant de mener ses travaux et notamment de publier. Notre évaluation en termes de carrière se fait à partir de nos publications. Si l’on ne parvient pas à publier sur un sujet, parce que celui-ci n’est pas à la mode ou qu’il n’existe pas de crédits suffisants pour mener les travaux, alors ce sujet disparaît de lui-même.

Se pose en outre un problème de temps de réactivité. Lorsqu’une compétence est perdue, il est très long de « réamorcer le pompe ». Il faut notamment embaucher de nouvelles personnes, ce qui n’est pas simple. Cette année par exemple, quatre postes de professeurs sont ouverts sur des thématiques de ressources minérales en France, ce qui est du jamais vu depuis plusieurs décennies. Or cela tombe au mauvais moment, alors que les cours des matières premières sont au plus bas. Cet effet de yoyo est constant. La création de ces postes a en effet été actée en 2011, lorsque les cours étaient à leur plus haut niveau. Ce décalage est permanent et le manque de stabilité permet difficilement de maintenir les compétences.

Concernant la question de la toxicité, je partage tout à fait les analyses de Messieurs Masse et Leroy. J’irais même plus loin : je pense que cette thématique n’intéresse pas seulement des chimistes, des biologistes ou des médecins, mais aussi des physiciens. Dans mon laboratoire, des minéralogistes, des géochimistes et des physiciens travaillent ainsi sur des problèmes de spéciation, en utilisant un rayonnement synchrotron, par l’intermédiaire du très bel outil national dont nous disposons à Grenoble. Ils collaborent également régulièrement avec des médecins. La spéciation permet de solubiliser ou non certains éléments, donc de les transporter. Ces phénomènes existent dans la nature et permettent notamment d’expliquer la formation des gisements. Ce type d’approches transverses, qui accueillent des compétences très différentes, est nécessaire dans ce domaine. Ceci requiert l’existence d’un projet phare, susceptible de drainer ces compétences et de donner envie à ces professionnels de valoriser leur savoir-faire autour d’une thématique commune.

M. Patrick Hetzel. C’est précisément à des démarches de ce type auxquelles M. Christmann faisait référence précédemment, lorsqu’il évoquait l’exemple allemand. Nous avons également pu constater une approche similaire dans le cadre de JOGMEC. Ceci renvoie notamment à l’articulation à prévoir entre recherche et entreprises, afin que cela débouche sur de l’innovation.

M. Jack Testard, président, Variscan Mines. Je suis géologue de formation et gère des équipes sur le terrain. Les travaux menés dans le domaine de la toxicologie nous sont très utiles. Un élément nous fait toutefois encore défaut : comment mettre en œuvre des techniques visant par exemple à éviter que tout mon personnel ne tombe malade ? Cela m’intéresse beaucoup. Qui s’occupe, en France, de cette recherche appliquée, qui s’inscrit dans le prolongement de vos travaux ? Je me suis par exemple fait attaquer, lors de la première table ronde, sur le sujet de l’amiante. On me dit que la phase minérale est dangereuse ; or seul le bannissement m’est aujourd’hui proposé, alors qu’il existe sûrement d’autres solutions à mettre en œuvre.

Ma deuxième observation concerne le cours extrêmement bas des matières premières. Il semblerait que le moment soit mal choisi pour investir. Je ne le crois pas : c’est au contraire le bon moment pour investir. Ce n’est pas lorsque le cours des matières premières aura remonté qu’il faudra se mettre à former pendant cinq ans des gens qui seront opérationnels précisément au moment où les cours seront peut-être repartis à la baisse. Il faut agir maintenant, faute de quoi nous serons toujours à contre temps. Or ceci nécessite un soutien de la collectivité.

M. Roland Masse. Concernant votre première question, l’organisme susceptible de vous éclairer sur ces aspects est l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), dont les équipes vous indiqueront les connaissances dont elles disposent… à condition qu’elles en aient. En effet, si les effets toxiques et les conséquences à long terme liés au nickel par exemple sont relativement bien documentés, il n’en va malheureusement pas de même pour les terres rares et sur un certain nombre de métaux.

M. Yann Gunzburger. Si j’ai pu laisser croire que le projet évoqué dans mon intervention était piloté et centralisé par Paris avec des annexes en province, alors c’est que mon propos n’était pas clair. L’école des mines dont je fais partie est rattachée à l’université de Lorraine et fait partie du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette initiative inclut également l’école des mines d’Alès, qui contribue, avec l’université de Montpellier, au cluster Terr’Innov auquel vous avez fait allusion. Je signale en outre que le modèle des écoles des mines a un certain succès en Afrique.

Il a souvent, lors de ces débats, été question de géologie, et jamais de génie minier qui, contrairement à la géologie, est malheureusement très peu enseigné à l’université. Or cette discipline est pourtant tout à fait nécessaire. Une fois que les cibles minérales auront été identifiées, il faudra bien, en effet, être en mesure de les exploiter. M. Meilland-Rey évoquait précédemment les projets du groupe Vicat : or ces derniers sont suffisamment avancés pour que des questions d’exploitations se posent éventuellement déjà.

Mme Anne-Yvonne Le Dain a, par ailleurs, évoqué le fait que les réticences à l’égard des carrières étaient notamment liées au bruit et à la poussière qu’elles génèrent. La question de l’acceptabilité sociale est aussi un sujet de recherche. C’est précisément autour de ce sujet que nous voulons travailler. Pour questionner cette problématique et appréhender les ressorts qui font qu’une certaine population est prête à accepter un projet alors qu’une autre ne l’est pas, nous devons mobiliser des disciplines très variées, qui dépassent de loin celles qui peuvent être enseignées dans une école des mines. Cela nécessite donc d’impliquer l’université. On peut s’interroger par exemple sur le cas du Limousin et les raisons qui font qu’une certaine commune est tout à fait favorable au dépôt d’un projet d’exploration sur son territoire, alors qu’une autre, pas si différente, va s’y opposer. Ces questions sont essentielles et doivent être investiguées. Elles dépassent le seul domaine de la géologie et impliquent de multiples disciplines, qu’il est nécessaire d’inclure dans la réflexion. Il est d’ailleurs fort dommage que personne ne représente aujourd’hui ces disciplines.

M. Maurice Leroy. Je souhaiterais revenir sur la question de la toxicologie, en vous narrant une histoire un peu triste. Au Bengladesh, on a considéré essentiellement les eaux de surface et on s’est attendri sur le fait que de pauvres gens souffraient de dermatoses et de cancers, à cause de la présence d’arsenic, issu des résidus dendritiques de l’Himalaya. L’OMS a alors recommandé d’arrêter de puiser l’eau trop près de la surface et préconisé de creuser des puits à de grandes profondeurs. Au bout de quelques années, il a bien fallu faire le constat que cela n’avait rien arrangé, bien au contraire. On s’est alors vraiment intéressé à l’hydrologie et découvert que les nappes profondes étaient encore plus riches en arsenic que celles de surface.

Cela prouve bien que la toxicologie ne peut pas répondre à tout. En revanche, il est très important de savoir, à partir du moment où l’on a des espèces chimiques, dans quelles conditions et selon quelles modalités elles deviennent toxiques. Ainsi, pour ce qui est de l’arsenic par exemple, il faut savoir que l’arsénobétaïne ne peut pas être métabolisée par le corps humain et ne cause donc pas de dommages, contrairement à l’arsenic 3, qui peut engendrer la mort. Tant que l’on ignore ces éléments, on ne peut rien dire. Et lorsqu’on les connaît, il est important de comprendre comment cela intervient très précisément dans le processus biologique. Or ce maillon fait la plupart du temps cruellement défaut.

M. Thierry Meilland-Rey. Je souhaiterais revenir sur les propos de M. Yann Gunzburger. Le génie minier n’est effectivement pas très représenté en France aujourd’hui. Le Comité stratégique des filières (CSF) avait étudié notamment la formation à la géologie et au génie minier, avant de s’intéresser à la question de l’acceptabilité. Le ministère de l’éducation nationale avait également diligenté une étude sur les formations disponibles en France. De mémoire avaient été recensées, dans ce cadre, dix-neuf écoles de géologie et de mines. L’analyse en détail du contenu des formations, des volumes horaires consacrés à chaque discipline et des effectifs concernés par ces enseignements, montrait en outre que seules huit d’entre elles dispensaient réellement un enseignement dédié à nos métiers. Quasiment aucune école ne formait par ailleurs au génie minier.

Des évolutions positives ont eu lieu par la suite, avec la création de la chaire Mines et sociétés. Cette chaire n’est, je le confirme, pas pilotée par Paris, loin de là. Je crois savoir que c’est la province, notamment les écoles de Nancy et d’Alès, qui sont moteurs, ce dont on ne peut que se réjouir.

Il faut en outre savoir qu’il ne reste en France que cinq ou six professeurs de haut niveau dans le domaine de l’exploitation. Voici sept ou huit ans, nous avions dénombré huit projets d’enseignement du génie minier en France, parfois directement liés à des projets d’exploitation ou de grands ouvrages. Sachant qu’il faut en moyenne une quarantaine d’ingénieurs des mines annuellement pour pourvoir les postes dans les mines, les carrières ou les terrassements, je vous laisse imaginer l’effectif moyen de chacune de ces huit écoles. S’ajoutent à cela les crédits et les enseignants nécessaires à la formation. Il en résulte des situations quasiment impossibles à gérer.

Le fait d’avoir pu se regrouper au sein d’une Chaire, avec des compétences encore acquises, constitue donc selon moi un élément très positif. Je crois qu’il faudrait aussi former très rapidement de futurs professeurs, dans la mesure où les quelques enseignants encore en activité dans ce domaine ne tarderont pas à faire valoir leurs droits à la retraite. Il est donc grand temps que des jeunes prennent le relais et contribuent à faire perdurer ce magnifique métier.

M. Michel Cathelineau. Concernant la formation des techniciens, M. Jean-Marc Montel, directeur de l’École nationale supérieure de géologie, indiquait récemment que certains problèmes étaient spécifiquement liés au système académique français. Ainsi, cette formation est particulièrement difficile à mettre en place et à faire évoluer, car les deux niveaux de formation (BTS et IUT) sont régis par des procédures nationales dont la réactivité est très faible, au contraire des formations de type bac+5. Il faudrait donc que ces parcours gagnent en souplesse.

Au-delà même du cas des techniciens, il apparaît que l’on a globalement besoin d’obtenir des stages, pour permettre par exemple aux ingénieurs d’acquérir une expérience internationale. Or actuellement, ces séjours à l’étranger, notamment dans les compagnies minières anglo-saxonnes, sont extrêmement complexes à mettre en place. Il existe de nombreux freins.

Concernant le sujet de l’écotoxicologie, je perçois un problème de sémantique. Ce dont vous parlez relève plus spécifiquement, me semble-t-il, de l’écotoxicologie adaptée à l’homme. Plusieurs équipes œuvrent, en France, dans le domaine de l’environnement minier, du transfert des métaux par les phases fluides, de l’interaction avec la biosphère ou l’atmosphère. Il existe, dans ce domaine, de véritables compétences en France.

Dans le cadre du Labex, nous travaillons par exemple actuellement sur le gadolinium issu des déchets hospitaliers et sur l’impact global sur les rivières du nord de la France. Nos travaux concernent également la spéciation, avec des méthodes assez novatrices. Ainsi, nous collaborons avec une chaire hollandaise, dont les équipes apportent leur savoir sur la convergence des modélisations thermodynamiques, qui relèvent à la fois du domaine chimique et biochimique.

De nombreux travaux existent donc dans ce domaine au sens large. Peut-être conviendrait-il à présent d’effectuer un lien entre eux, allant de l’écotoxicologie appliquée à la moule zébrée à la question des impacts sur l’homme. Il convient selon moi de considérer la globalité de cette chaîne.

M. Roland Masse. Je précise que mon propos traitait uniquement des aspects sanitaires, à partir du moment où la substance est entrée dans le corps humain. Il ne concernait donc pas l’écotoxicologie, dont je reconnais qu’elle est d’excellente qualité et dans une situation beaucoup plus favorable globalement que ne l’est la toxicologie.

M. Patrick Hetzel. Merci beaucoup pour la qualité de ces échanges. Certaines difficultés ont été pointées, liées notamment à la formation. La note d’optimisme réside assurément dans les diverses initiatives auxquelles il a été fait mention. Nous sommes certainement à un moment critique, au cours duquel il faut veiller à ce que ces projets non seulement puissent perdurer, mais aussi se développer. L’irréparable n’est peut-être pas encore commis, dans la mesure notamment où, ainsi que cela a été souligné à plusieurs reprises, des compétences subsistent en France, dans des domaines assez variés. Nous ne pouvons en tout cas que l’espérer.

QUATRIÈME TABLE RONDE :
ENJEUX INTERNATIONAUX ET COOPÉRATION INTERNATIONALE

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Le sujet de la coopération et des enjeux internationaux a été rapidement abordé lors de la première table ronde par M. Gwenolé Cozigou, qui indiquait que la triade formée par l’Union européenne, les États-Unis et le Japon avait développé une coopération qui se poursuit.

Nous avons également pu constater que certains enjeux étaient liés à l’existence de zones de conflit et de restrictions commerciales. Ceci nous renvoie à la situation de 2010, où la Chine avait décidé de restreindre ses exportations, ce qui a eu un certain nombre d’incidences dont il a été précédemment question.

Il nous semble par conséquent intéressant de pouvoir aborder la problématique de la diplomatie économique et du rôle qu’elle est susceptible de jouer en la matière. Quelles sont par exemple les réalisations de la politique européenne ? Existe-t-il des actions bilatérales susceptibles d’être plus prometteuses ?

Notre visite au Japon nous a permis de constater que l’Ifremer avait par exemple développé une très ancienne coopération avec son homologue japonais. Cela soulève des questions sur ce que pourraient apporter, à l’horizon 2050, les nodules, certaines boues sous-marines, voire certaines sous-sols sous-marins situés à 4 500 mètres sous le niveau de la mer. Les Japonais commencent à être extrêmement actifs dans ces domaines et à développer des technologies permettant d’aller à ces profondeurs de manière efficace. Cela peut-il constituer des modèles économiques et à quel horizon ?

Quels sont les projets porteurs d’avenir, pour l’Europe mais aussi au-delà ? M. Michel Jebrak a notamment évoqué diverses initiatives développées au Canada. Il en existe d’autres en Australie et dans nombre d’autres parties du monde.

La coopération et les enjeux internationaux ont bien toute leur place dans la réflexion qui nous réunit aujourd’hui.

Mme Adeline Defer, ministère des affaires étrangères et développement international. Je vais commencer par évoquer la question de la diplomatie économique, non sans avoir précisé au préalable la manière dont cette diplomatie est déclinée, en particulier depuis 2013. Il s’agissait, en effet, d’une priorité forte de M. Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères et du développement international. Cette priorité a été confirmée depuis le remaniement ministériel récent.

Cette diplomatie s’articule autour de quatre piliers. Le premier est le soutien des entreprises françaises à l’export. Cela passe essentiellement par le suivi politique des grands contrats, notamment des contrats régaliens, qui s’inscrivent souvent, par définition, dans la construction d’un partenariat politique. Ceci se traduit aussi par la promotion de l’offre française dans les secteurs d’excellence, qu’il s’agisse de l’agroalimentaire, de la santé ou des infrastructures.

Le deuxième axe concerne la modernisation du dispositif d’accompagnement des entreprises à l’export, avec par exemple la création de l’agence Business France voici un peu plus d’un an.

Les troisième et quatrième volets sont respectivement le suivi de la politique d’attractivité du territoire français pour les investisseurs étrangers et la prise en compte des intérêts économiques français dans les négociations multilatérales et internationales sur les enjeux économiques et commerciaux.

Il existe, au sein de la direction des entreprises du ministère des affaires étrangères, un suivi des opérateurs et des entreprises des secteurs minier et métallurgique. Je pense en particulier à Eramet, Areva et Rio Tinto Alcan, mais aussi à des opérateurs publics comme le BRGM. Nous menons également un dialogue avec les investisseurs étrangers du secteur qui investissent en France, dont Rio Tinto.

Nous n’avons pas, au niveau français, formulé de diplomatie des matières premières. Celle-ci est davantage exprimée à l’échelle européenne, ainsi que l’a expliqué M. Cozigou ce matin.

L’Union européenne a ainsi initié un certain nombre de dialogues avec des pays producteurs, consommateurs, ainsi qu’avec des ensembles économiques régionaux. Je pense notamment à l’Union africaine et à l’Union pour la Méditerranée (Euromed). Ces dialogues s’inscrivent souvent dans le cadre de structures d’échanges préexistantes : il peut s’agir de la politique de voisinage ou de dialogues bilatéraux déjà noués avec ces pays. Ils s’articulent souvent autour d’un objectif d’échange d’informations, de dialogue mutuel. Dans le cadre du partenariat développé par l’Union européenne avec la Tunisie, l’objectif est par exemple essentiellement l’échange d’informations sur le secteur du phosphate.

En termes de partenariats bilatéraux, l’exemple le plus emblématique est certainement celui de l’Allemagne. En 2010, l’Allemagne a adopté sa stratégie nationale de sécurisation des approvisionnements, qui repose sur une action intégrée et coordonnée des ministères de la recherche, de l’industrie, des affaires étrangères, de la coopération et de l’environnement, ainsi que sur un soutien renforcé auprès des entreprises, à travers notamment la mise en place de nouveaux partenariats stratégiques bilatéraux. Trois d’entre eux ont été signés avec la Mongolie, le Kazakhstan et le Chili. Je pense que l’une des particularités de la politique allemande sur ce sujet est d’avoir lié la thématique de la sécurisation des approvisionnements avec un certain nombre d’engagements en termes de coopération et d’aides publiques au développement. L’Allemagne est ainsi l’un des principaux bailleurs bilatéraux sur le secteur de la gouvernance et de la transparence des industries extractives. L’idée sous-jacente est qu’en aidant des pays producteurs à mieux gérer et contrôler leur secteur extractif, on favorise un accès de l’industrie à des ressources minérales sur les marchés internationaux. Il s’agit donc, à travers une coopération technique sur la mise en place de cadastres miniers ou de législations, de faciliter l’accès de l’industrie allemande à l’amont du secteur minier.

Ces partenariats bilatéraux ont donné lieu à un engagement politique très fort, au plus haut niveau. Cela s’est matérialisé par le déplacement de la Chancelière en Mongolie et au Kazakhstan.

La mise en œuvre de cette politique est toutefois mitigée. C’est d’ailleurs le principal point de questionnement au sujet de ces partenariats bilatéraux. Il est important qu’il existe une adéquation entre l’offre et la demande. Or, concernant les partenariats allemands, on s’est aperçu après quelques années de mise en œuvre que l’attente des pays producteurs (à savoir essentiellement une diversification des investissements étrangers) ne s’est pas matérialisée, puisque les industries mobilisées (en l’occurrence les entreprises membres de l’alliance des matières premières) se situaient surtout très en amont de la chaîne.

L’exemple peut-être le plus abouti en termes de diplomatie des matières premières est celui du Japon, qui déploie une diplomatie minière particulièrement offensive, notamment dans le secteur des terres rares. Cette démarche se met en place à travers, d’une part, JOGMEC, d’autre part, les sociétés de commerce privées japonaises qui jouent un rôle très important, puisque ce sont elles qui prennent des prises de participation dans des projets, accompagnées de la JOGMEC, qui fournit un appui financier. Je précise que JOGMEC bénéficie, pour déployer cette diplomatie minérale, d’un budget conséquent de plusieurs centaines de millions d’euros par an.

M. Guillaume Anfray, conseiller en stratégie de développement international, industries minières et chimiques, Business France. Business France est l’agence nationale au service de l’internationalisation de l’économie française.

Elle est chargée à ce titre du développement international des entreprises et de leurs exportations, ainsi que de la prospection et de l’accueil des investissements internationaux en France. Elle s’attache donc à promouvoir l’attractivité et l’image économique de la France, de ses entreprises et territoires. Elle gère et développe notamment le VIE (Volontariat international en entreprise), dont je rappelle qu’il concerne 8 000 personnes en poste dans le monde actuellement.

Business France a été créée le 1er janvier 2015, de la fusion d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Cette structure dispose de mille cinq cents collaborateurs, basés en France, sur deux sites, et dans soixante-dix pays, à travers un réseau de quatre-vingt bureaux. Elle s’appuie également sur un ensemble de partenaires privés et publics, dont les chambres de commerce françaises à l’international, BPI France ou encore la COFACE.

Business France accompagne en moyenne treize mille PME et ETI chaque année, dans le cadre de plus de six-cents missions d’affaires collectives.

Parmi les filières industrielles d’importance nationale, Business France accompagne de manière suivie le secteur paraminier français, c’est-à-dire l’ensemble des entreprises nationales qui produisent et fournissent des équipements, des technologies, des consommables ou des services destinés à l’industrie minière mondiale. Elle leur apporte un appui dans le cadre de leur développement international, à travers deux types d’accompagnement.

Nous proposons tout d’abord des prestations de conseil et de mise en contact sur mesure. Nous fournissons notamment des études de marchés, des études règlementaires, et effectuons de la recherche et l’identification de contacts ciblés au sein de grands donneurs d’ordres, notamment des compagnies minières et des bureaux d’ingénierie minière, sous-traitants, distributeurs ou agents par exemple. Nous organisons aussi des missions de prospection pour le compte des PME et ETI.

Nous apportons par ailleurs un appui aux PME françaises du secteur paraminier au travers des missions d’affaires internationales, pour le compte de délégations d’entreprises. Cela se traduit d’une part par des rencontres d’affaires avec les grands donneurs d’ordres de l’industrie minière étrangère, sur un pays donné ou une zone ciblée, d’autre part par la mise en œuvre de pavillons France dans le cadre des grands salons miniers internationaux principalement consacrés aux équipementiers miniers.

Depuis qu’Ubifrance, puis Business France, appuient la filière paraminière, c’est-à-dire depuis 2009 environ, ce sont quelque 340 entreprises différentes qui ont été accompagnées dans le cadre de 54 missions d’affaires, dans un grand éventail de pays dont le Canada, les États-Unis, le Mexique, le Pérou, le Chili, le Brésil, la Suède, la Finlande, la Pologne, le Maroc, la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Ghana, le Mozambique, la Zambie, l’Arabie Saoudite, le Kazakhstan, l’Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Mongolie et la Birmanie.

Dans le cadre de nos prestations individuelles, nous sommes en mesure d’accompagner ces entreprises sur le périmètre de l’ensemble de notre réseau, établi dans soixante-dix pays. Parmi les pays les plus demandés, citons l’Indonésie, les Philippines, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, Oman, et depuis peu l’Iran, où nous disposons d’un bureau depuis le mois de septembre 2015.

L’expérience acquise depuis 2009 montre que la force de l’écosystème français d’entreprises paraminières réside principalement dans son internationalisation « forcée », du fait de la disparition de l’activité minière sur le territoire national métropolitain.

Les grands donneurs d’ordres français, tels qu’Areva, Eramet, ou dans le domaine de l’industrie minérale Lafarge, Imerys ou Vicat, ont été et sont encore des moteurs de son développement international. Toutefois, ces derniers ne suffisent plus à assurer des débouchés à l’export pour les PME françaises. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, ces entreprises réalisent en moyenne entre 50 et 90 % (voire 100 % pour certaines) de leur chiffres d’affaire à l’export. Leur grande force est également d’avoir développé une forte présence et une excellente connaissance des marchés en Afrique de l’Ouest, principalement dans les pays francophones, et au Maghreb, même si elles ont tendance à perdre du terrain face aux concurrents canadiens, australiens, sud-africains et chinois. Cela ne les empêche toutefois pas de partir à la conquête des marchés grand export tels que l’Amérique latine, le Canada, l’Asie centrale, l’Afrique de l’Est, voire la Mongolie. Cela concerne principalement les entreprises financièrement les plus solides, les ETI et surtout les grands groupes.

L’offre minière française semble surtout appréciée pour sa capacité à proposer des produits et services sur mesure et de qualité. C’est essentiellement ce qui la différencie de la concurrence internationale, dans une large palette de domaines dont les détonateurs explosifs (avec des acteurs très connus comme Davey Bickford, Groupe EPC, Titanobel), la gestion des bases vie (avec notamment Sodexo et CIS), les installations, la manutention et le stockage du minerai en vrac, avec toute la palette de fournisseurs de pièces détachées qui gravitent autour, le matériel de traitement primaire du minerai, les pièces de fonderie pour concasseurs broyeurs calcinateurs, la transmission de puissance, les équipements de filtration, séparation, malaxage et centrifugation pour la séparation des métaux, la robinetterie industrielle, les travaux spéciaux, la consolidation des sols et les travaux de terrassement (principalement en Afrique), les engins miniers souterrains sur mesure, les engins auxiliaires, les logiciels de modélisation et de ressources (avec des sociétés comme Dassault Systèmes ou Airbus Defence and Space), les logiciels et outils de services d’aide à l’optimisation de la production minière (par drone notamment) et évidemment toutes les solutions permettant de réduire l’empreinte environnementale des mines (recyclage des eaux, traitement des eaux d’exhaure et de process, abattage des poussières, ventilation des galeries, ingénierie environnementale).

M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM. Va-t-on vers une gouvernance mondiale des matières premières minérales ? L’OCDE, qui publie une base de données sur les restrictions au commerce des matières premières, recense actuellement plusieurs milliers de mesures, tarifaires et non tarifaires, restreignant le libre commerce des matières premières minérales.

Parler de gouvernance des ressources minérales, ou plus globalement des ressources naturelles, semble donc relever du domaine de l’utopie. Personnellement, je préfère toutefois les utopies aux dystopies du système actuel.

Quelques tendances lourdes du XXIe siècle méritent méditation et action ; il en va de l’avenir de l’humanité.

Ceci concerne tout d’abord la démographie : les Nations-Unies avancent ainsi le chiffre de 11 milliards d’humains sur la planète à la fin de ce siècle, soit 4 milliards de plus qu’aujourd’hui. Vus les désordres que nous voyons dans l’actualité, je vous laisse imaginer ce que pourrait être ce monde sans gouvernance.

La seconde tendance à l’œuvre est l’émergence rapide d’une classe moyenne mondialisée. On estime que cela représentera plus d’un milliard de personnes à l’horizon 2030-2040. Ce phénomène est déjà largement à l’œuvre en Asie, où il va se poursuivre. Il se traduit par un accroissement du nombre de consommateurs de ressources naturelles, d’alimentation, de viande, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l’environnement mais aussi sur la demande en ressources minérales.

Si l’on ajoute à cela l’urbanisation croissante, on aboutit à des risques d’effondrement brutal d’écosystèmes locaux, voire de l’écosystème mondial : changements climatiques, perte rapide des terres fertiles, érosion de la biodiversité, pressions multiples sur les océans, conséquences inconnues des micropolluants en tout genre que nous émettons dans l’environnement.

Ma conclusion est que le scénario « business as usual », hérité de mai 68 et de la volonté de « jouir sans entrave » des bienfaits apportés par les innombrables applications des ressources minérales, sans en subir les nuisances (poussières, bruits, vibrations susceptibles d’être entraînées par une exploitation), n’est plus tenable et nous conduit au suicide collectif, à l’échelle de l’humanité.

Continuer à mesurer la compétitivité à l’aune du seul critère de prix est totalement déraisonnable, même si cela a très bien fonctionné depuis la Révolution industrielle. Adam Smith a certes écrit des merveilles sur l’économie libérale, mais l’Angleterre comportait alors fort peu d’habitants et n’était soumise à aucune contrainte sur les ressources naturelles. Je ne pense pas que ses écrits seraient les mêmes aujourd’hui.

Dans ce contexte, l’attitude consistant à vouloir continuer dans la même voie nous conduit à la perte.

L’avènement de l’économie circulaire est une nécessité de moins en moins contestée, afin de découpler la croissance de ses impacts négatifs sur l’environnement, ce qui est également indispensable.

Cela nécessite le développement d’une triple gouvernance : gouvernance individuelle (ceci allant de l’éducation dès la plus tendre enfance à un usage responsable des ressources naturelles, en passant par la formation), gouvernance des entreprises (avec une systématisation des pratiques de RSE comme mesure de la performance, en s’appuyant par exemple sur la GRI), gouvernance des États enfin, qui doivent être en mesure de renforcer leurs capacités institutionnelles à former, à acquérir les connaissances de base pour enrichir et documenter les politiques publiques, stimuler l’investissement et aider à la décision, de façon responsable.

Les États ont un rôle clé à jouer en matière de régulation. Or cela nécessite de la part de leurs services la mise en œuvre de compétences scientifiques pointues, afin d’être par exemple en mesure d’évaluer les études d’impact ou les plans après-mine fournis par les opérateurs industriels dans le cadre de leurs études de faisabilité. La régulation peut jouer un grand rôle dans le niveau de transparence des entreprises minières et métallurgiques.

Aujourd’hui, la qualité de l’information disponible se dégrade. En trente ans, la Chine est en effet passée du statut d’opérateur minier et métallurgique négligeable à celui de premier producteur mondial de quarante matières premières minérales. Pour vingt-cinq d’entre elles, sa part de marché est supérieure à 40 % de la production mondiale. Or je ne connais pas, personnellement, de données statistiques fiables venant de la Chine, où les pratiques RSE n’existent pas. Même les comptes des entreprises chinoises sont considérés comme un secret d’État. Il en va de même pour les performances environnementales et les données relatives à l’exploration. Il n’existe pas en Chine d’équivalent du JORC (Australian Joint Ore Reserves Committee) ou du NI 43-101 (instrument national canadien pour les normes de divulgation concernant les projets miniers) pour informer sur les progrès de l’exploration, par exemple.

Le BRGM est, comme nombre d’autres acteurs, abonné à la base de données américaine SNL, moyennant la somme de 30 000 dollars par an. Il s’agit probablement de la meilleure base de données sur l’industrie minérale mondiale. Elle permet d’identifier tous les projets et toutes les sociétés ayant publié des informations. Pour ce qui est du plomb par exemple, 37 % de la production mondiale seulement y figure ; ceci signifie donc que l’on ne dispose d’aucune information sur les 63 % restants. Or je constate que la Chine produit 49 % du plomb mondial. Pour le zinc, on ne trouve recensés dans cette base, projet par projet et société par société, que 58 % de la production mondiale ; or la Chine produit 37 % de la production mondiale de zinc. Pour les métaux rares, comme le sélénium ou le tellure, les terres rares et autres « vitamines » des technologies modernes, les données sont quasiment inexistantes.

Cette question de la gouvernance des ressources naturelles, de l’économie circulaire et du découplage entre croissance et impacts environnementaux est l’objet de travaux de la part du Groupe international pour les ressources des Nations-Unies, dont j’ai l’honneur d’être membre et dont la France est l’un des bailleurs de fonds, au même titre que la Commission européenne. Je vous invite vivement à consulter ses rapports sur le site unep.org/resourcepanel.

Je terminerai en vous invitant à participer, les 9 et 10 juin prochains à Nancy, à la seconde édition du World Materials Forum, dont l’originalité est de réunir des dirigeants de grands groupes industriels mondiaux, des académiques, des PME innovantes et des instituts de recherche, sur les questions liées aux matériaux et aux matières premières.

Je vous remercie de votre écoute et salue une fois encore le travail remarquable effectué par l’OPECST, qui nous offre cette chance inestimable de débattre ensemble de sujets qui nous concernent tous.

M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet. Nous avons, à Eramet, des attentes non seulement en tant qu’opérateur, mais aussi en tant que membre participant à une filière.

Je ne reviendrai pas sur un sujet abordé largement ce matin par Mme Claire de Langeron et M. Gwenolé Cozigou et qui concerne le problème des instruments de défense commerciale de l’Europe. Il s’agit là d’une attente forte de notre part, à la fois pour nos activités et pour celles de nos grands clients, notamment les aciéristes. Le sujet a été abondamment traité dans la presse et une marche multisectorielle s’est déroulée à Bruxelles le 15 février dernier, lors de laquelle les aciéristes étaient largement représentés, en provenance de toute l’Europe. Un débat sur la sidérurgie et la métallurgie françaises et européennes s’est en outre tenu à l’Assemblée nationale le 13 janvier 2016, dont je vous invite à consulter le remarquable compte rendu.

Nos attentes concernent aussi la directive sur les ETS (Système communautaire d’échange d’émission de CO2). Il est très important de ne pas pénaliser l’industrie européenne par rapport à des acteurs situés hors de l’Europe. Nous demandons, en tant qu’opérateur, le « level playing field », c’est-à-dire des règles du jeu s’appliquant à tout le monde.

La France porte une voix, des messages, des positions au niveau de l’Union européenne. Nous sommes, en tant qu’industriels, très écoutés et entendus, dans un certain nombre de domaines, par les pouvoirs publics français, qui répercutent ensuite nos positions au niveau de Bruxelles. Il est très important que ce lien se fasse.

On assiste actuellement à une tendance à la transparence, à la vigilance, notamment en direction des entreprises du secteur extractif, en termes de publications et de reporting. Je pense qu’il est là aussi essentiel de veiller à l’établissement de ce « level playing field ». Je rappelle simplement, à titre d’exemple, que lorsque l’on demande des informations à des entreprises cotées en Europe, y compris avec des seuils, la situation est très différente de celle d’une initiative comme l’ITIE (Initiative pour la transparence des industries extractives), par laquelle sont concernées, pays par pays, toutes les entreprises opératrices dans le pays en question, et pas uniquement celles dont le siège est en Europe. Il est important de trouver les bons équilibres et combinaisons entre ces différents éléments.

Nous avons par ailleurs des attentes fortes quant à la simplification du cadre règlementaire dans lequel nous évoluons. Il n’est bien évidemment aucunement question de réduire les exigences en termes de reporting environnemental ou social, mais de simplifier certaines procédures lorsque cela est faisable. Je pense notamment au régime des centres de recherche par exemple. Nous sommes en train de mener à ce propos, dans le cadre de la CSF (Commission de surveillance du secteur financier), un travail qui sera présenté prochainement.

Je songe aussi à tout ce qui concerne les doublons et les superpositions. Il existe par exemple une discussion sur le nouveau règlement européen, qui est en train de se mettre en place sur les minerais de conflit, avec à nouveau du reporting, alors que nous faisons déjà du reporting sur la traçabilité, les chaînes de valeur. Nous sommes bien entendu favorables à la transparence et à l’information, mais une seule fois. Pas de doublon.

Il existe enfin des sujets de très long terme, qui ne sont absolument pas « prenables » par des industriels aujourd’hui, d’une part parce qu’il n’est pas aisé, dans la période actuelle, de dégager des ressources, d’autre part car cela s’inscrit à tellement long terme qu’il est difficile de se positionner par rapport à des réalités sur les écosystèmes ou sur la recherche, que l’on maîtrise mal. L’une de nos attentes en la matière est donc que les pouvoirs publics participent activement à la mobilisation des ressources budgétaires nécessaires pour mener ce genre d’étude. Je pense notamment à tout ce qui concerne la ZEE française. Nous serions évidemment très satisfaits que, dans cette ZEE, n’interviennent que des opérateurs français. Mais la réalité est la suivante : s’il faut aujourd’hui investir à un horizon de trente ou quarante ans, sur des ressources de grands fonds marins sur lesquels on ne dispose que de très peu d’informations en termes de faisabilité, cela ne se fera pas sans une très forte mobilisation des pouvoirs publics.

Voici, brièvement exposées, quelques-unes de nos attentes, en tant qu’opérateur et membre d’une filière. Il est très important à mon sens de travailler par filière.

Je rappelle enfin que nous sommes très soutenus, dans de nombreux domaines, par les pouvoirs publics français. Les problèmes apparaissent bien souvent lorsqu’il s’agit de traiter de ces questions au niveau de Bruxelles, où les discussions à vingt-huit sont beaucoup plus compliquées.

M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal. Je vais tenter, en quelques minutes, un exercice de prospective.

Il n’existe pas de diplomatie de matières premières en France, car la France n’a pas connu récemment de pénurie grave de ressources naturelles. Pour autant, j’attends de voir le choc lié aux véhicules électriques et à la transition énergétique dans le domaine des énergies renouvelables pour constater quelle sera la réaction française à ce moment-là.

Le deuxième point de mon intervention portera sur les prédateurs et les proies, la puissance et la souveraineté. La France a souvent été un prédateur, développant une stratégie de puissance pour aller chercher des ressources naturelles dans des pays proies, qui ont eux-mêmes exercé une souveraineté sur leur sous-sol.

Je ne suis pas loin de penser que cette règle pourrait s’inverser. Nous avons en effet en France des ressources inexploitées. Il se pourrait donc fort bien que nous soyons « colonisés » par des pays étrangers qui viendraient faire des mines sur notre territoire national sans que nous soyons maîtres de notre destin. Le mieux qui puisse arriver serait que, dans le cadre d’une coopération franco-allemande, l’Allemagne finance et la France creuse. Le pire serait que des investisseurs non allemands soient présents en France pour geler des gisements de métaux stratégiques, spéculer sur leur valeur et ne pas les mettre en développement. On peut envisager que des gouvernements étrangers colonisent notre sous-sol via des fonds d’investissement. Ceci n’est pas pure fantaisie : je tire ces opérations de la réalité actuelle.

M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme Nouvelles technologies de l’énergie. Je vais vous présenter brièvement un retour d’expérience de notre collaboration croissante avec les Allemands, qui a démarré en 2012 grâce aux festivités liées aux cinquante ans du traité de l’Élysée. L’ANR et son homologue allemand, le BMBF, avaient alors lancé un appel à projets transnational touchant notamment aux métaux critiques.

Deux projets ont été labellisés dans ce cadre. Le premier, intitulé « Écometals », porté par le BRGM, concernait surtout les procédés dits de « biohydrométallurgie », pour aller extraire des métaux rares.

Le second, piloté côté français par le CEA, portait sur la récupération d’aimants permanents usagés, contenus dans des déchets d’équipements électroniques, en vue d’une réutilisation et d’un recyclage. Étaient également parties prenantes au projet Veolia, Arelec et, outre-Rhin, des acteurs industriels comme Bosch et BASF, aux côtés de notre homologue, les instituts Fraunhofer. Nous avons d’ailleurs constaté un effet miroir entre nos collègues allemands et la situation de la région Rhône-Alpes. En effet, le Centre Fraunhofer basé à Hanau est très proche de l’un des derniers industriels fabriquant des aimants en Europe, Vaccumschmelze. Or il se trouve que, dans les environs de Grenoble, existait encore, jusqu’en 2001, l’entreprise Ugimag. L’écosystème était donc favorable au rapprochement entre ces deux régions.

Nous avons, dans le cadre de Horizon 2020, déposé plusieurs projets, dont « Novamag », qui concerne l’innovation sur des aimants permanents qui ne contiendraient que pas ou très peu de terres rares. Ceci s’appuie sur le consortium franco-allemand cité précédemment, autour de l’Institut Fraunhofer, de Vaccumschmelze et du CEA, élargi à des pays tiers (le Japon et les États-Unis, au travers notamment de l’université du Delaware et de celle du Tohoku).

Un autre de nos projets est actuellement en cours d’évaluation Horizon 2020, toujours dans le domaine des aimants, en collaboration cette fois-ci avec le NIMS, organisation japonaise déjà évoquée ce matin.

Il existe par ailleurs, concernant l’EIT ou la KIC « Matières premières », un bras armé appelé « Centre de colocation franco-allemand », basé à Metz, qui va contribuer encore davantage à un rapprochement entre nos deux pays. Le CEA va prendre toute sa part à cet effort. La semaine dernière, j’étais par exemple à Berlin pour élaborer, toujours sur le recyclage des aimants, un projet avec nos collègues allemands.

M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles, Rio Tinto Alcan. Comment gagner des marchés à l’étranger grâce à une association efficace entre les partenaires privés et les pouvoirs publics ?

Mon exposé va prendre la forme d’un témoignage par rapport aux propos de Mme Defer et de M. Anfray sur la diplomatie économique française, au travers d’un projet mené au Vietnam, pays disposant d’importantes ressources en bauxite, estimées à quelque sept milliards de tonnes.

Jusqu’à une période récente, la bauxite était surtout exportée vers la Chine. Or le Vietnam souhaitait en bénéficier localement. Une société vietnamienne, THQ, a donc décidé d’investir dans une usine d’aluminium.

Or la meilleure technologie au monde pour la production d’aluminium est en France, détenue notamment par notre filiale Aluminium Péchiney et développée à Saint-Jean-de Maurienne en Savoie. La dernière technologie en date, nommée « APXe », est une technologie à faible consommation d’énergie et à émissions réduites, qui est très compétitive.

Un projet franco-vietnamien en a découlé. Il a également été rendu possible grâce à un partenariat avec la grappe technologique française de production de technologies aluminium, c’est-à-dire avec d’autres fournisseurs français comme Five, Alstom, Carbone Savoie, Sermas et d’autres.

Aluminium Péchiney s’est donc positionnée, pour offrir cette technologie, face à un concurrent majeur, puisque la technologie chinoise était également en lice. Cela supposait d’accepter une compétition féroce, dans la mesure où les Chinois viennent avec des bataillons d’ingénieurs et proposent des solutions « all in », comprenant le financement. Malgré son appartenance au Groupe Rio Tinto, Aluminium Péchiney apparaissait comme un « petit joueur » face à la proposition chinoise.

Nous avons toutefois bénéficié d’un contexte de relations diplomatiques tendues entre le Vietnam et la Chine, notamment autour du conflit des Iles Spratleys. Parallèlement, la diplomatie française a fait son travail, dans le cadre de l’initiative lancée par M. Laurent Fabius. De nombreuses visites ont eu lieu au Vietnam, notamment de la part du représentant spécial du ministre des affaires étrangères pour les pays de l’ASEAN, M. Philippe Varin, ancien de Péchiney. L’ambassade de France à Hanoï est également intervenue, avec le soutien des équipes de Business France et du ministère des affaires étrangères à Paris. Je dois dire que tout cela a été très efficace et que notre proposition a finalement été retenue.

Je tiens à souligner l’importance de la coordination opérée entre les différents acteurs français, qui ont apporté chacun leur brique technologique pour la construction de l’usine. La France a aussi joué un rôle pour lancer la recherche de partenaires financiers sur ce projet, qui représente 700 millions de dollars, dont le tiers est constitué par de la technologie française.

Cette histoire démontre que lorsque nous mettons en commun nos savoir-faire, que nous travaillons à un partage fluide des informations non concurrentielles entre les différents partenaires, avec le soutien des pouvoirs publics, les résultats sont au rendez-vous. Ceci rappelle très précisément la stratégie déployée à l’étranger par l’Allemagne, qui chasse en meute. Lorsque nous appliquons cette méthode, nous sommes nous aussi capables de décrocher de gros projets à l’international.

J’appelle donc à ce type de collaboration efficace, c’est-à-dire au développement d’une solidarité économique entre les acteurs publics et privés, afin de pouvoir se positionner mieux que les concurrents. L’exemple que je viens de vous présenter démontre que cela est parfaitement réalisable.

M. Patrick Hetzel. Merci beaucoup, Monsieur Dufour. Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par « offre all in » ?

M. Olivier Dufour. Il s’agit d’une offre clé en main, consistant à délivrer l’usine, le génie civil, en important de la main d’œuvre chinoise, qui construit tout de A à Z, avec le financement (généralement étatique) correspondant.

M. Alexis Sahaguian, Direction générale du Trésor. Comme vous le savez, la direction générale du Trésor est en charge de la politique commerciale au ministère des finances.

Je commencerai mon exposé sur les restrictions commerciales, l’acte au sein de l’OMC et l’approvisionnement responsable en provenance des lieux de conflit par quelques éléments d’actualité en termes de politique commerciale.

Nous avons eu, mi-janvier, s’agissant des matières premières, une réunion technique avec la Commission européenne, qui nous a apporté des éléments très utiles, concernant notamment les négociations commerciales en cours.

L’actualité est marquée par la négociation de l’accord bilatéral avec les États-Unis, le fameux accord « TTIP/PTCI » (Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement). La Commission européenne souhaite y introduire un chapitre spécifique aux matières premières, car elle estime que les États-Unis partagent les positions européennes en termes de sécurisation des approvisionnements. La DG Commerce consulte comme il se doit les États membres sur l’intérêt d’aborder, même de loin, les sujets miniers avec les États-Unis, c’est-à-dire de fixer une approche commune pour évoquer notamment les risques de restrictions minières à l’exportation. C’est selon nous une bonne chose que cette consultation ait lieu. Nous y attachons une très grande importance.

Concernant les mesures restrictives en cours, j’en ai sélectionné quelques-unes, mais il en existe de nombreuses.

L’Ukraine a par exemple mis en place des restrictions sur les exportations de ferraille, via des systèmes de licences et l’application de quotas aux exportations, pourtant interdits par le protocole d’accession de l’Ukraine à l’OMC.

Un dialogue a par ailleurs été entamé par la Commission européenne avec l’Afrique du Sud, sur la révision de la loi minière locale, mais la question de la ferraille reste également un élément irritant.

La Commission a en outre fait le point sur la prorogation des droits à l’exportation sur le tungstène par la Russie. Ces droits, adoptés en 2013, avaient entraîné un effondrement des importations de tungstène de Russie au profit des importations du Canada. La Commission a donc initié à ce propos des démarches auprès de la Russie.

Tous ces sujets sont bien évidemment suivis au niveau de la DG Commerce.

S’agissant des contentieux OMC, l’actualité est marquée notamment par la Chine. Au-delà des surcapacités chinoises dans le domaine de l’acier, mentionnées par M. Corbier, ceci concerne les suites du panel OMC contre ce pays concernant le commerce des terres rares, du tungstène et du molybdène. La Chine a supprimé ses quotas sur les terres rares en janvier 2015 et les droits aux exportations en mai 2015. Il semblerait toutefois que ces mesures aient été remplacées par des mesures équivalentes, notamment des taxes sur les ressources et des quotas d’extraction.

Je souhaiterais dans un second temps évoquer le projet de règlement européen, discuté actuellement à Bruxelles, et auquel la direction générale du Trésor participe pour la France en tant que porte-parole. Ce projet vise à mettre en place un mécanisme européen de « diligence raisonnable », traduction du terme anglo-saxon « due diligence », c’est-à-dire un système de vérifications, de précautions, dans des chaînes d’approvisionnement par des importateurs d’étain, de tantale, de tungstène et d’or originaires de zones de conflit ou à haut risque.

Quel est l’objectif de ce règlement ? L’idée est que l’Europe se dote d’un outil législatif, plus ou moins proche de celui existant aux États-Unis, permettant de casser le lien entre l’extraction minière, le commerce (d’étain, d’or, etc.) et les conflits, notamment en Afrique centrale. L’objectif est, dans l’idéal, que ces matières ne soient plus une source de financement des groupes armés dans ces zones.

La question est alors de savoir comment y parvenir concrètement et jusqu’où aller en termes de réglementation en Europe. Diverses interrogations se posent actuellement à Bruxelles : jusqu’où doit-on aller pour contrôler les importateurs de produits ? Devront-ils mettre en place des contrôles facultatifs ? On s’orienterait alors vers un mécanisme incitatif. Faudra-t-il instituer des contrôles obligatoires ? Faudra-t-il aller plus loin encore ?

Il faut également pouvoir reconnaître des schémas d’approvisionnement sûrs.

D’autres questions se posent :

- jusqu’où doit-on aller au regard des intérêts des industriels européens ? En effet, l’or utilisé, par exemple, dans l’industrie et le contrôle des sources d’approvisionnement a un coût ;

- qui doit contrôler ? Les États membres ? La Commission européenne ? Les industriels ? Pour quels types de contrôles ?

Voici quelques-unes des questions discutées actuellement entre les États membres, le Conseil, le Parlement européen et la Commission. Bien évidemment, les États membres ont leur mot à dire pour encadrer ce texte, faire préciser les modalités pratiques et les vérifications en termes de contrôle.

La prochaine réunion sur le sujet doit se tenir ce mercredi à Bruxelles.

Mme Adeline Defer. Je souhaiterais apporter quelques éléments complémentaires du point de vue du ministère des affaires étrangères, afin de mettre ce sujet en perspective.

La question des minerais de conflit n’est pas un sujet nouveau sur l’agenda international. Le terme est apparu dans les années 1990, en lien avec les conflits au Liberia et en Sierra Leone, par rapport à la production de diamant brut. Depuis les années 2000, la problématique s’est recentrée sur l’Afrique centrale, ainsi que sur un certain nombre de pays avec lesquels la France entretient des relations très étroites, comme la République démocratique du Congo, la République Centrafricaine et la République de Côte d’Ivoire.

La production aurifère de la RDC varie annuellement entre 8 et 10 tonnes, dont 2 % sortent par la voie légale et paient des revenus à l’État, ce qui représente chaque année un manque à gagner d’un milliard de revenus fiscaux pour les caisses de l’État. Il serait intéressant de comparer ces chiffres avec les engagements en termes d’aides publiques au développement dont bénéficie la République démocratique du Congo. Ces montants sont colossaux.

La France, en tant que pays membre du Conseil de sécurité des Nations-Unies, est l’un des principaux contributeurs aux missions de maintien de la paix et de stabilisation en République démocratique du Congo, en République Centrafricaine et en Côte d’Ivoire. Il y a bien sûr ici un enjeu de sécurisation et de sortie des situations de conflit et de crise.

En réalité, la problématique est de plus en plus compliquée. Suite aux différentes initiatives règlementaires et industrielles (je pense notamment à la Fédération de l’industrie de l’étain) mises en place au niveau international, la situation s’est largement améliorée en ce qui concerne les « trois T » (coltan, étain et tungstène), mais reste très difficile pour l’or, que l’on parvient beaucoup moins à contrôler, en raison des propriétés physiques de ce métal. Il apparaît que couper le lien entre financement des groupes armés et extraction minérale n’est qu’une partie du problème. Si l’on y parvient, d’autres métaux prennent immédiatement la place. Ainsi, d’après les dernières études menées, la première source de financement des groupes armés en République démocratique du Congo est le charbon.

Je pense donc que le règlement européen sera l’une des réponses à ce problème, mais ne saurait être la seule.

M. Jean-François Labbé, direction des géo-ressources, BRGM. Quelles sont les perspectives d’un projet minier de terres rares hors de Chine d’ici 2020. Quelle est la problématique des financements, notamment à Norra Kärr en Suède ?

Les terres rares étaient essentiellement produites, jusqu’au début des années 1990, par les États-Unis. Puis la Chine a progressivement pris la première place, jusqu’à occuper une position totalement dominante, puisqu’elle produisait, jusqu’à voici deux ou trois ans, plus de 95 % des terres rares. Au fil des quarante dernières années, la consommation de terres rares a par ailleurs été multipliée par sept.

En 2010, les quotas d’exportation chinois ont été divisés par deux, le tout couplé à un certain nombre de développements technologiques qui ont fait monter, puis exploser le prix des terres rares. Cette hausse des prix dans les années 2009, 2010 et jusqu’à mi-2011 a encouragé et motivé de nombreuses sociétés, juniors ou autres, à essayer de rechercher et de développer des gisements ailleurs. Ainsi, en 2011, au PDAC au Canada (Prospectors and Developers Association of Canada), plusieurs dizaines de sociétés juniors présentaient des projets en lien avec les terres rares partout dans le monde.

Puis le bulle a explosé, pour diverses raisons que je n’ai pas le temps d’exposer ici. Pour vous donner un ordre de grandeur de ces fluctuations, sachez par exemple que le prix du dysprosium, l’une des terres rares lourdes utilisées dans les aimants permanents, a été multiplié par 106 entre la période 2002 - 2003 et le pic de 2011 (il s’agit, me semble-t-il, d’un record, toutes matières confondues), avant d’être divisé par dix depuis lors. Tous les financements obtenus ou sur lesquels on comptait pour explorer ou développer des mines de terres rares ailleurs se sont largement taris. Cette tendance se poursuit actuellement, puisque les prix ont encore diminué de 45 % au cours de l’année qui vient de s’écouler.

Cela a conduit, entre autres, à la faillite de Molycorp, exploitant de terres rares américain qui avait commencé à produire en 2011-2012. L’australien Lynas parvient à garder encore à peu près la tête hors de l’eau, mais connaît tout de même des difficultés financières.

Norra Kärr, le projet européen le plus avancé et le plus solide, basé en Suède et développé par la société canadienne Tasman Metals, est toujours plus ou moins d’actualité. Les partenaires concernés ont essayé de le maintenir avec un certain intérêt, en se débarrassant notamment d’autres actifs qu’ils possédaient ailleurs, et en tentant de valoriser, parallèlement aux terres rares, la néphéline et les feldspaths se trouvant dans le même gisement. Mais cela devient très difficile, avec notamment un cours en bourse qui a très fortement diminué ces dernières années. S’ajoute à cela le fait que, la semaine dernière, la Cour suprême administrative suédoise a annulé leur permis minier, arguant du fait qu’il aurait été attribué de manière trop légère, sur la base d’études d’impact environnemental insuffisantes. Je ne connais pas le détail du dossier. Cela constitue évidemment une raison de plus pour ne pas compter sur une mise en production de Norra Kärr d’ici 2020. Il en ira d’ailleurs probablement de même pour la plupart des projets de terres rares de par le monde, hors Chine.

La Chine conserverait environ 40 à 50 % des ressources, dans la limite des données dont nous pouvons disposer. Elle a donc tout à fait la capacité, pendant encore quelques décennies, d’intervenir et de jouer sur les prix, en approvisionnant le marché sans qu’il y ait besoin de développer des projets ailleurs. Les Chinois peuvent tout à fait adopter la même stratégie que celle qu’ils avaient mise en place dans les années 1980 pour le tungstène ou l’antimoine et faire baisser les prix en développant leurs capacités de production, tuant alors ainsi toute l’industrie minière du tungstène, en particulier en France.

En France ou en Europe, une entreprise minière a besoin d’être rentable en elle-même : il faut que le produit de ses ventes couvre avec bénéfices ses coûts d’exploitation. En Chine, les terres rares sont des filières : on peut très bien, dans ce contexte, se permettre que la partie extractive soit déficitaire, dans la mesure où l’on dispose également de toute la filière aval, jusqu’aux aimants permanents et aux produits finis. Il est donc très difficile pour les industries des autres pays d’être concurrentielles.

J’émets donc de très grands doutes quant à la réalisabilité, d’ici 2020, d’une exploitation ailleurs qu’en Chine, sauf éventuellement dans le cadre de la survie de Lynas.

Je souhaite enfin formuler une réflexion beaucoup plus générale : l’un des sujets du débat, si l’on veut faire revivre ou tout du moins manifester l’intérêt des ressources minérales dans l’économie française, est évidemment le problème conjoncturel, mais aussi la question de l’acceptabilité sociale de toute exploitation minière. Je vois sur le programme que cette table ronde est ouverte à la presse ; or peu de journalistes s’intéressent à cette thématique, hormis pour en dire beaucoup de mal, dans la plupart des cas. Cela m’interpelle.

M. Patrick Hetzel. Lorsque nous étions au Japon, nous avons eu l’occasion de rencontrer des représentants de la presse, dont le rédacteur en chef adjoint d’un journal économique japonais. Celui-ci étant parfaitement francophone et francophile, nous avons pu avoir un échange très intéressant. Il nous a ainsi expliqué que lorsque, dans les années 2010 et suivantes, il publiait un article sur les terres rares et les métaux stratégiques, il recevait un très bon accueil ; la presse était alors friande de papiers sur le sujet.

Il n’en est hélas plus de même aujourd’hui. Il nous indiquait ainsi que lorsqu’il propose un article sur le thème, celui-ci est désormais relégué dans les pages intérieures, très loin des grands titres. On lui conseille par ailleurs souvent de réduire sa production, dont on considère qu’elle occupe encore trop de place.

Vous avez donc malheureusement raison et nous ne pouvons que partager votre point de vue sur le peu d’intérêt de la presse aujourd’hui pour ces questions.

Ce n’est manifestement pas un problème strictement français. Les Japonais constatent le même phénomène, alors même que leur culture est toute différente et qu’ils ont une conscience certainement plus aiguë que nous de cette question des ressources, dans la mesure où, n’en disposant pas, ils doivent s’assurer de leur approvisionnement, ne serait-ce que pour garantir leur mode de vie.

PROPOS CONCLUSIFS

Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Je ne me hasarderai pas, après une journée aussi riche, à un exercice de synthèse.

Je tiens simplement à vous adresser nos remerciements les plus chaleureux pour vos contributions. Vous avez en effet accepté le principe d’interventions contraintes par le temps et certains d’entre vous n’ont de ce fait certainement pas pu s’exprimer aussi longuement qu’ils l’auraient souhaité.

Nous disposons désormais de nombreux éléments et constats. Certes, des questions restent posées, mais des réponses très précises nous ont également été apportées, bien que n’étant pas uniformes ; c’est d’ailleurs précisément ce qui fait la richesse du débat. Il serait trop simple que tout le monde soit d’accord ; j’en veux pour preuve la coopération avec les Allemands, qui n’apparaît pas, selon les derniers intervenants, évidente dans tous les domaines.

L’irruption des terres rares dans le débat depuis quelques années a accru la confusion autour des notions de matières « rares », « stratégiques » ou « critiques ».

La notion de rareté est à replacer dans un contexte historique : on peut remonter à l’Antiquité, avec le cas du fer, considéré alors comme rare et précieux. À l’inverse, l’uranium était sans utilité jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale. Cette rareté dépend aussi d’une concentration suffisante pour l’exploitation économique, avec des moyens d’extraction et de traitement.

D’autres critères que la rareté permettent de définir les métaux critiques : leur utilisation pour fabriquer les produits liés aux nouvelles technologies, l’impossibilité, ou tout au moins les énormes difficultés à trouver des produits de substitution et enfin la concentration des sources de production sur un, voire deux pays.

Plusieurs facteurs entrent donc en ligne de compte dans la définition de la politique des métaux critiques. Au-delà de la sécurité de l’approvisionnement et de la question du recyclage, se pose le problème des besoins ciblés pour les nouvelles technologies et les industries de pointe, qui évoluent très rapidement, et de certaines innovations qui limitent les besoins. Il a par exemple été question, lors de plusieurs interventions, de l’europium et du terbium, répertoriés comme étant en situation de pénurie voici quelques temps au regard des besoins pour les ampoules fluorescentes, avant que l’apparition des LED ne fasse basculer le débat vers d’autres matières premières stratégiques.

Il y aurait également beaucoup à dire sur l’avenir des industries minières et métallurgiques. J’ai par exemple appris récemment avec inquiétude, bien que ne disposant pas d’informations complètes sur ce texte ni sur le calendrier correspondant, l’intention du groupe socialiste de cette Assemblée d’inscrire dans le code minier l’interdiction de toute forme d’exploitation du sous-sol. Il s’agit, semble-t-il, d’une proposition de loi visant à renforcer le dialogue environnemental et la participation du public. Je m’interroge donc sur l’arrivée de cette proposition de loi dans le débat parlementaire, alors que nous venons à peine d’achever les discussions issues de la loi de transition énergétique. Je n’en sais pas plus pour l’heure. La question sera suivie par le législateur, avec bien sûr un avis du gouvernement.

Nous avons aussi abordé de façon récurrente, au cours de nos échanges, la question de l’acceptabilité sociale de la relance d’une industrie minière. Beaucoup ont témoigné de la culture ancrée dans certains pays et territoires. M. Patrick Hetzel et moi-même pouvons en témoigner, puisque nous venons de l’Est et du Nord de la France. Je crois que l’on ne souligne jamais assez ce que ces industries, minières, métallurgiques, sidérurgiques, ont apporté à nos régions en termes de prospérité.

Ces matières premières critiques et stratégiques sont, on l’a vu, un maillon indispensable à l’approvisionnement d’industries essentielles, dont la sidérurgie, la construction, la défense ou encore l’aéronautique, la mécanique, l’automobile, les composants électroniques, les énergies renouvelables et bien d’autres encore.

Les défis sont nombreux. Il apparaît en premier lieu nécessaire de sécuriser l’accès aux ressources primaires, mais aussi secondaires. Cela renvoie à la question de l’indépendance nationale stratégique. Il convient également de valoriser les performances, grâce à l’utilisation optimale d’un minimum de matières premières. Nous avons par exemple recueilli au Japon le témoignage de chercheurs passionnés, engagés dans la création de matériaux nouveaux, notamment électroniques, en utilisant les éléments les plus courants ; ils se concentraient essentiellement sur l’ouverture de nouvelles propriétés, en revenant à la base de la physique – chimie. Les résultats scientifiques appliqués au niveau industriel sont encore trop rares, même si l’on dispose de témoignages très probants.

Citons aussi, parmi les défis à relever, ceux de la maîtrise des coûts, des exigences règlementaires et de la concurrence internationale et européenne.

La question des métaux stratégiques doit permettre un développement industriel et un accroissement de la compétitivité, tout en respectant le principe du développement durable, de l’environnement, de la santé et de la sécurité. Or ce n’est pas souvent dans cet esprit que se développent les témoignages des médias et des réseaux sociaux, qui jouent parfois un rôle négatif dans la mesure où il leur arrive de tenir des discours que je qualifierais de « déséquilibrés », et en tout cas sources d’angoisse pour l’opinion publique. J’en veux pour preuve un reportage tendancieux, diffusé hier au journal télévisé de la mi-journée, donc à une heure de grande écoute, et portant sur l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels : ce sujet n’a bien évidemment évoqué que le volet négatif du dossier, en insistant sur les inconvénients. Cela pose la question, soulevée notamment par M. Cathelineau, de la crédibilité des scientifiques. Je tiens à rassurer M. Julienne, en affirmant que même si les élus que nous sommes ne font pas encore assez confiance aux scientifiques, nous sommes là aujourd’hui pour vous entendre. J’espère d’ailleurs que nous aurons l’occasion de partager bien d’autres séances de ce type. Il semble néanmoins difficile, pour une certaine partie de l’opinion, de respecter une forme de progrès, à partir du moment où la science avance.

Nous n’avons que très brièvement évoqué la question des brevets. La concentration en est plus importante au stade de la séparation et du recyclage que de l’extraction minière. Il a par exemple été question de l’utilisation des connaissances technologiques de Solvay. Si les brevets permettent d’afficher des progrès sur un plan technologique, il faut aussi veiller, lorsque les marchés sont tendus, à ce qu’ils ne soient pas utilisés comme des armes de contentieux. La Chine notamment les a utilisés comme tels, moins d’ailleurs contre des firmes étrangères que dans des conflits avec des entreprises locales chinoises. Ceci montre que les enjeux scientifiques et technologiques de l’approvisionnement en matières premières sont aussi très étroitement liés aux besoins en énergie. Certains brevets démontrent bien que les problèmes liés aux matières premières minérales et à l’énergie sont indissociables. Les métaux sont nécessaires pour construire des infrastructures de production, pour le stockage, le transport et la distribution de l’énergie. Inversement, l’énergie est indispensable à la production des métaux. Il y a là, au-delà de la question des brevets, en termes de recherche et de formation, un effort à faire de la part de la puissance publique, sur le long terme. Or il est d’autant plus difficile de se projeter dans le long terme que l’on éprouve des difficultés à se positionner en raison de la survenue d’événements, comme la baisse du coût des matières premières, que l’on ne peut anticiper.

Je ne développerai pas les enjeux de coopération internationale, sur lesquels les différentes interventions nous ont apporté des informations très complètes.

Il s’agissait ici, ainsi que nous l’avons d’ailleurs précisé aux divers interlocuteurs que nous avons pu rencontrer dans les pays étrangers dans lesquels nous sommes rendus, de mener une réflexion sur la possibilité d’une nouvelle politique minière.

Nous avons considéré que votre expertise en la matière était majeure, ce que vos interventions ont brillamment démontré. Je crois qu’il faut conserver notre savoir-faire dans le domaine minier et les formations correspondantes, dans un contexte de disparition des mines en France.

Merci encore à chacune et chacun d’entre vous d’avoir consacré beaucoup de votre temps à cette audition et d’avoir apporté vos contributions à notre réflexion, présente et à venir.

M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Je tiens à mon tour à vous remercier pour votre coopération.

Nous travaillons depuis presque deux ans sur cette problématique. Lorsque nous avons démarré notre réflexion sur les terres rares, nous avions conscience de la dimension géopolitique et géostratégique du sujet. Nous étions toutefois encore loin du compte et avons constaté, chemin faisant, qu’elle était plus importante encore que nous n’avions pu l’imaginer. Cela nous a d’ailleurs conduits à ne pas nous limiter à la problématique des terres rares et à élargir le sujet à celle des matières stratégiques et critiques. Nous avons pu noter, tant à travers nos déplacements que lors de diverses rencontres, que tous les pays, notamment occidentaux, n’étaient pas logés à la même enseigne. Cela nous a permis d’identifier un certain nombre de bonnes pratiques. Il serait évidemment réducteur de vouloir se limiter à quelques-unes d’entre elles, mais nous avons par exemple pu constater que plusieurs pays scandinaves possédaient encore une vraie culture minière et étaient très fiers de la revendiquer. Cela ne signifie pas que tout y soit simple, dans la mesure notamment où la thématique environnementale y est très présente, mais il y existe une réelle capacité à concilier les problématiques environnementales, économiques et industrielles. Ceci constitue un aspect que nous aurons à cœur de promouvoir dans notre rapport.

Le dossier que nous allons rendre comportera une partie consacrée au diagnostic, qui mettra en perspective certaines bonnes pratiques. Nous avions initialement envisagé un déplacement en Chine, avant d’opter finalement pour le Japon. Je dois dire que nous n’avons pas à le regretter. Cela nous permet d’affirmer non seulement que le Japon reste un acteur important, mais surtout de souligner qu’en raison de sa vulnérabilité quant à la partie amont, ce pays a investi de matière très significative dans les domaines de la recherche, de l’innovation et de la technologie. Une réflexion très intéressante est ainsi menée au Japon sur la question de savoir comment être incontournable dans la création d’une chaîne de valeur. Je pense que cet aspect mérite une attention toute particulière. La France a eu l’habitude de mettre en place des politiques industrielles. Même si nous ne sommes plus à l’époque des plans, la question de la politique industrielle se pose. Il apparaît ainsi qu’à force de ne pas choisir, certains non choix s’imposent. Or c’est précisément ce que l’on souhaite éviter.

Une partie de notre rapport sera, très modestement, consacrée à la formulation de recommandations, à destination notamment du gouvernement. Certains points pourront relever du législateur, mais non la totalité. Nous ne sommes pas, en effet, dans une obsession de la législation. Nous sommes également favorables à tout ce qui est susceptible d’échapper à la législation. Ces recommandations porteront notamment sur les programmations en matière de recherche et de formation, auxquelles les pouvoirs publics peuvent largement contribuer.

Merci encore de votre participation. Je puis vous assurer que nous nous efforcerons de reprendre au maximum vos propositions, car je pense que ce secteur le mérite et que nous travaillerons ainsi, modestement mais sérieusement, pour le futur de notre pays. Les enjeux autour des ressources minérales sont en effet majeurs et stratégiques. Ne passons pas à côté.


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