N° 407
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 novembre 2012
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, autorisant la ratification de la convention du travail maritime de l’Organisation internationale du travail,
PAR Mme Chantal GUITTET
Députée
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ET
ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir les numéros :
Sénat : 524 (2011-2012), 4, 5 et T.A. 2 (2012-2013).
Assemblée nationale : 290.
SOMMAIRE
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Pages
A. L’AMBITION DE REGULER LA CONCURRENCE SOCIALE 7
1. Mieux encadrer des métiers très exposés 7
1.1. Le lourd tribut d’une mondialisation non maîtrisée 7
1.2. La nécessité d’un encadrement social efficace au plan international 7
2. Un engagement commun des armateurs et des gens de mer 8
B. Un texte protecteur à vocation universelle 9
1. Vers un instrument unique… 9
1.1. La consolidation et la mise à jour de 68 conventions et recommandations de l’OIT 9
1.2. Un texte couvrant tous les aspects du « travail décent » au sens de l’OIT 10
2. … pour les gens de mer 11
II. DES GARANTIES CONTRE LE DUMPING SOCIAL 13
A. Protéger les droits des gens de mer 13
1. Les contrôles étatiques 13
2. Les autres mécanismes de contrôle 15
2.1. Les procédures de plainte à bord des navires et à terre 15
2.2. La responsabilité des fournisseurs de main-d’œuvre 15
B. Ne pas pénaliser les armateurs des pays vertueux 16
1. Des garanties pour les navires battant le pavillon d’un Etat ayant ratifié la convention 16
2. Une marge de flexibilité 16
2.1. Des principes directeurs sans portée obligatoire 17
2.2. La possibilité de recourir à des mesures équivalentes 17
2.3. Des possibilités d’exemption 17
Annexe 1 : Synthèse des principales normes établies par la convention 29
Annexe 2 : Liste des conventions consolidées et révisées 33
Annexe 3 : Etat des ratifications 35
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ANNEXE - TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 37
La convention du travail maritime, adoptée en février 2006, est un texte ambitieux dont l’objet est de rassembler et de réviser les différents instruments issus des travaux de l’Organisation internationale du travail (OIT) en la matière depuis 1920. L’adoption de cette convention, qui peut être considérée comme un code universel du travail dans ce secteur, a été dûment saluée comme un « événement dans l’histoire du travail » par le directeur général du Bureau international du travail (BIT).
Ce texte constitue le quatrième pilier de la réglementation maritime internationale, à côté des trois conventions fondatrices adoptées sous l’égide de l’Organisation maritime internationale (OMI) : la convention SOLAS de 1974, relative à la sauvegarde de la vie en mer, la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) de 1973, et la convention STCW de 1978 sur les normes de formation, de délivrance des brevets et de veille.
La principale avancée de la convention de 2006 est d’instaurer des normes sociales minimales pour les « gens de mer » et de créer les conditions d’une concurrence loyale pour les armateurs. Elle pourrait également contribuer à renforcer la sécurité maritime et à mieux prévenir les risques de pollution : on estime que les accidents de mer résultent, dans 80 % des cas, d’erreurs humaines, notamment liées à l’état de fatigue des équipages ou à l’insuffisance de leur formation.
Il faut noter que ce sont les organisations chargées de représenter les gens de mer et les armateurs au plan international qui sont à l’origine du processus d’élaboration de la convention, par l’adoption d’une résolution conjointe en 2001 dans le cadre de la commission paritaire maritime du BIT. Le texte devrait, en effet, avoir des effets bénéfiques pour les travailleurs, mais aussi pour les armateurs de qualité qui seront mieux protégés de la concurrence déloyale grâce aux mécanismes d’application de la convention.
Déjà ratifiée par 32 pays, représentant près de 60 % de la jauge brute de la flotte marchande mondiale, notamment le Panama, Antigua-et-Barbuda ou encore le Libéria, la convention entrera en vigueur en septembre 2013, avec un léger retard par rapport à l’échéance initialement fixée à 2012. En la ratifiant à son tour, la France contribuera à son universalisation nécessaire pour instaurer des conditions de concurrence plus justes et plus équitables dans le secteur maritime.
I. UNE « CHARTE DES DROITS » DANS LE SECTEUR MARITIME
A. L’AMBITION DE REGULER LA CONCURRENCE SOCIALE
1. Mieux encadrer des métiers très exposés
Le secteur maritime est la première industrie réellement mondialisée, comme le reconnaissait dès 2001 la résolution précitée, en raison de la nature des trajets effectués, du développement de l’immatriculation sous des pavillons étrangers, mais aussi de l’internationalisation du recrutement. Il arrive ainsi fréquemment qu’un navire soit la propriété de ressortissants d’un pays, qu’il soit immatriculé dans un autre et que son équipage soit composé de nationalités encore différentes. Les 4/5e des équipages seraient d’ailleurs recrutés dans les pays les plus pauvres du monde. Sur les navires battant pavillon de complaisance, le personnel le moins qualifié vient souvent des Philippines et l’encadrement des pays de l’Est ou d’Inde.
La mondialisation sans contrôle du secteur maritime conduit à de nombreuses dérives. On compte encore de trop nombreux navires sous-normes, avec des équipages sous-rémunérés, en situation précaire et subissant des conditions de travail très dures. Les gens de mer se trouvent, en effet, dans une situation de fragilité particulière : loin de chez eux pendant de longues périodes, ils sont dépendants des propriétaires et des capitaines, et leur lieu de travail a ceci de particulier qu’il est aussi leur cadre de vie. Le préambule de la convention de 2006 reconnaît ainsi que les gens de mer doivent bénéficier d’une « protection particulière ».
Votre rapporteure tient, en particulier, à attirer l’attention sur les difficultés rencontrées pour établir les responsabilités et obtenir des indemnisations en cas de décès ou de lésions corporelles du fait de l’enchevêtrement des nationalités et du comportement peu scrupuleux de certains armateurs. Les abandons de marins, bien qu’ils soient proportionnellement peu nombreux par rapport aux navires exploités, sont également des cas très douloureux et délicats à résoudre. Les équipages sont laissés à leur sort, parfois pendant de longs mois, loin de chez eux, sans paiement des salaires dus, sans approvisionnement et sans possibilité de rapatriement, faute d’argent. Les promesses, non honorées, de paiement et d’approvisionnement en nourriture ou en équipement rendent souvent flou le moment où l’abandon peut être caractérisé.
Un véritable marché international du travail maritime s’est développé, selon une logique de moins-disant social, les dépenses relatives à l’équipage (rémunération, formation ou protection sociale) faisant partie des premiers postes sacrifiés pour réduire les coûts d’exploitation. Il importe donc que des règles minimales soient appliquées au niveau national par tous les pays ayant un registre maritime et autorisant des navires à battre leur pavillon, afin d’assurer une protection suffisante. Une telle nécessité est déjà admise en matière de sécurité des navires et de protection du milieu marin.
Par ailleurs, si les gens de mer travaillent souvent dans des conditions inacceptables pour leur bien-être, leur santé et leur propre sécurité, c’est aussi parce qu’ils sont embarqués à bord de navires sur lesquels l’Etat du pavillon n’exerce pas effectivement sa juridiction et son contrôle, alors que le droit international l’exige. Seule l’instauration de mécanismes efficaces pour la mise en application des normes minimales devrait permettre de remédier à cette carence.
Enfin, comme indiqué précédemment, 80 % des accidents seraient imputables à des erreurs humaines. Un encadrement efficace de la formation des marins et de leurs conditions de travail devrait permettre d’améliorer la sécurité et de réduire les risques de pollution en mer. Comme l’indiquait le Conseil économique et social dans un avis sur la sécurité du transport maritime après la catastrophe de l’Erika, « l’attention portée aux équipages est essentielle à la sécurité du navire ».
Tels sont les objectifs de la présente convention, qui résulte d’une forte implication des organisations des gens de mer et des armateurs en faveur d’une régulation sociale du secteur maritime.
2. Un engagement commun des armateurs et des gens de mer
Le processus conduisant à l’adoption de la convention a été lancé en 2001 par une résolution des représentants des gens de mer et des armateurs. Elle a été suivie de cinq années de consultation et de dialogue qui ont permis de les associer en vue d’aboutir à un consensus. Le texte a été adopté lors de la 94e conférence internationale du travail par un vote massif de 314 voix pour, aucune contre et quatre abstentions sur 106 délégations nationales composées de deux représentants de l’Etat, d’un représentant des employeurs et d’un représentant des salariés.
Le vice-président de la conférence pour les marins, M. Brian Orell, a estimé que la convention « apportera une contribution significative au travail décent en mer et fera vraiment une différence pour la vie de nombreux gens de mer dans le monde », tandis que son vice-président pour les armateurs, M. Dierk Lindemann, affirmait que le texte regroupait désormais quasiment tous les éléments nécessaires afin d'établir « un régime uniforme et acceptable pour les gens de mer du monde entier ».
Le consensus des organisations des gens de mer et des armateurs résulte du double intérêt de la convention : son application permettra de promouvoir une marine de qualité en améliorant les conditions de travail, tout en marginalisant les armateurs peu scrupuleux, dont le comportement nuit à l’ensemble de la profession. Elle doit permettre de garantir une concurrence loyale pour les acteurs vertueux.
Les organisations des gens de mer et des armateurs, déjà fortement impliquées dans le processus d’élaboration de la convention, demeureront très étroitement associées par la suite, avec les représentants des Etats membres, conformément aux principes fondateurs de l’OIT.
Leurs représentants siègeront au sein de la commission tripartite spéciale dont le mandat est de suivre en permanence l’application de la convention (article XIII), de procéder aux consultations nécessaires en matière d’exemptions et de dérogations en l’absence d’organisations représentatives des armateurs et des gens de mer sur le territoire de l’Etat concerné (article VII) et d’examiner les propositions d’amendement pour une partie du texte, le code, dans le cadre de la procédure accélérée de l’article XV que votre rapporteure présentera.
Le règlement de la commission tripartite a été adopté en mars 2012 par le Conseil d’administration de l’OIT. Il est notamment prévu que la commission lui fera rapport sur « les mesures à prendre pour assurer l’application effective, efficiente et, dans la mesure jugée opportune, uniforme de la convention » (article 16 du règlement). On notera également que les groupes des représentants des armateurs et des gens de mer à la commission disposent d’un droit d’initiative pour amender le code (article XV de la convention).
La commission sera composée de deux représentants désignés par le gouvernement de chaque Etat ayant ratifié la convention (1) et de représentants des armateurs et des gens de mer désignés par le Conseil d’administration après consultation de la Commission paritaire maritime. Les droits de vote seront pondérés de manière à ce que chacun des deux derniers groupes dispose de la moitié des droits de vote de l’ensemble des gouvernements représentés.
B. UN TEXTE PROTECTEUR À VOCATION UNIVERSELLE
Le travail maritime est encadré par un très grand nombre de normes, jugées trop disparates pour être efficacement appliquées et souvent datées, car ne correspondant plus aux conditions de travail et de vie à bord. La convention présente l’intérêt de simplifier considérablement ce cadre juridique, puisqu’elle reprend la quasi-totalité des conventions sur le travail maritime adoptées depuis 1919 par l’OIT (2) et des recommandations qui les accompagnent, tout en les actualisant.
Suivant une démarche s’apparentant à une codification, la convention a pour vocation de remplacer ces normes : une fois qu’elle sera entrée en vigueur, les conventions antérieures seront fermées à toute nouvelle ratification et elles ne s’appliqueront plus qu’aux pays n’ayant pas encore ratifié la convention de 2006.
La constitution d’un ensemble unique de règles simples, claires, cohérentes et pratiques devrait renforcer leur effectivité : les armateurs pourront plus facilement appliquer les normes, les gens de mer connaîtront mieux leurs droits et il sera également plus simple de veiller à leur bonne application dans le cadre des contrôles assurés par l’Etat du pavillon et par l’Etat du port.
Par ailleurs, une procédure d’amendement accélérée permettra à la convention de rester en phase avec les réalités du secteur. Sa partie relative aux aspects techniques, le code, qu’il faudra sans doute actualiser périodiquement, pourra être modifiée plus facilement que les dispositions fondamentales, à savoir les articles et les règles (3) : les amendements pourront être réputés tacitement acceptés sous certaines conditions et entrer en vigueur sans avoir à être ratifiés (article XV).
La convention ne se contente pas d’énoncer des droits fondamentaux (article III) ou des principes généraux en matière d’emploi et de droits sociaux (article IV). Elle vise à protéger les gens de mer en instaurant des normes détaillées dans quatre domaines :
- les conditions minimales requises pour le travail à bord d’un navire ;
- les conditions d’emploi ;
- le logement, les loisirs, l’alimentation et le service de table ;
- la protection de la santé, les soins médicaux, le bien-être et la protection en matière de sécurité sociale.
La convention reprend ainsi l’approche du « travail décent » adoptée par l’OIT, qui consiste à globaliser la notion de travail en incluant non seulement les conditions dans lesquelles il est exécuté, mais aussi le bien-être du travailleur dans sa vie professionnelle et sa protection sociale. Le tableau suivant récapitule les différents sujets abordés (4).
Titre I |
- âge minimum des marins - aptitude à exercer des fonctions en mer - formation et qualifications - recrutement et placement |
Titre II |
- contrat d’engagement maritime - salaires - durée du travail ou du repos - droit à un congé - rapatriement - indemnisation des gens de mer en cas de perte du navire ou de naufrage - effectifs -développement des carrières et des aptitudes professionnelles, possibilités d’emploi |
Titre III |
- logement et loisirs - alimentation et service de table |
Titre IV |
- soins médicaux à bord des navires et à terre - responsabilité des armateurs - protection de la santé et de la sécurité, prévention des accidents - accès à des installations de bien-être à terre - sécurité sociale |
Applicable à « tous les gens de mer » ou marins, définis comme « les personnes employées ou engagées ou travaillant à quelque titre que ce soit à bord d’un navire auquel la présente convention s’applique » (article II), le texte ne concerne pas seulement les personnels prenant directement part aux activités de navigation ou au fonctionnement des navires.
Les droits prévus pourront notamment s’appliquer au personnel employé dans l’hôtellerie et la restauration à bord des navires de croisière, alors qu’il n’était pas jusque-là admis de manière claire que toutes les personnes travaillant à bord des navires, notamment ceux transportant des passagers, font partie des gens de mer. Au total, on estime que la convention concerne potentiellement entre 1,2 et 1,4 million de personnes.
En cas de doute sur l’appartenance d’une catégorie aux fins de la convention, la question sera tranchée par l’autorité compétente de l’Etat du pavillon, après consultation des organisations d’armateurs et de gens de mer intéressées (article II). Toute décision prise dans ce domaine doit être communiquée au directeur général (article II, paragraphe 7) qui en informera les autres membres de l’OIT.
La convention concerne tous les navires appartenant à des entités publiques ou privées normalement affectés à des activités commerciales, exception faite des catégories suivantes :
- les navires naviguant exclusivement dans les eaux intérieures ou dans des eaux situées à l’intérieur ou au proche voisinage d’eaux abritées ou de zones où s’applique une réglementation portuaire ;
- les navires affectés à la pêche, qui ont fait l’objet en 2007 d’une convention spécifique en matière de travail ;
- les navires de construction traditionnelle tels que les boutres et les jonques ;
- les navires de guerre et les navires auxiliaires.
On notera aussi que les prescriptions en matière de construction et d’équipement ne s’appliquent qu’aux navires construits à la date ou après la date d’entrée en vigueur de la présente convention (Règle 3.1). Pour les autres navires, il faudra se référer aux conventions antérieures, dans la mesure où elles étaient applicables.
II. DES GARANTIES CONTRE LE DUMPING SOCIAL
A. PROTÉGER LES DROITS DES GENS DE MER
Afin de s’assurer que les prescriptions de la convention seront réellement mises en œuvre partout, de la même manière que les normes relatives à la sécurité en mer ou à la prévention de la pollution, un système renforcé de vérification de l’application du texte a été élaboré.
En vertu de l’article 94 de la convention de 1982 des Nations unies sur le droit de la mer, tout Etat doit exercer effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon. Il doit s’assurer que les règlementations internationales sont appliquées.
A cet effet, la convention de 2006 met en place un processus d’inspection et de certification sociale de même niveau que la certification technique, déjà objet de contrôles et de procédures d’immobilisation des navires en cas de manquements aux obligations prévues. Des directives adoptées en 2008 précisent les exigences dont le respect doit être vérifié, le type de preuves à demander et les actions en envisager en cas de non-respect.
- En plus d’être inspectés, les navires doivent être certifiés dans quatorze domaines définis par l’annexe A5-I de la convention. Un « certificat de travail maritime », délivré par l’Etat du pavillon et obligatoire pour les navires dont la jauge brute est égale ou supérieure à 500 et qui réalisent des trajets internationaux, atteste que les normes de travail et de vie des gens de mer sont respectées (5). Le certificat est délivré pour une durée maximale de cinq ans, sa validité étant subordonnée à la réalisation d’une inspection intermédiaire.
- Une « déclaration de conformité », annexée au précédent certificat, décrit la liste des points qui doivent être inspectés et présente les prescriptions nationales donnant effet aux stipulations pertinentes de la convention. Une deuxième partie, établie par l’armateur, énonce les mesures adoptées pour assurer la conformité avec ces prescriptions entre deux inspections. Le résultat de toutes les inspections ou autres vérifications effectuées ultérieurement doit être consigné en anglais ou avec une traduction dans cette langue.
Conformément à l’article 22 de la constitution de l’OIT, les Etats doivent également présenter chaque année au BIT un rapport sur les mesures prises pour mettre à exécution les prescriptions de la convention :
- le premier rapport annuel, faisant suite à l’entrée en vigueur de la convention pour un pays, doit fournir des éléments d’information sur la manière dont les obligations sont remplies, en réponse à un questionnaire précis ;
- les rapports ultérieurs doivent présenter les mesures éventuellement adoptées qui pourraient avoir une incidence sur l’application de la convention, ainsi que des précisions sur sa mise en œuvre pratique (informations statistiques, résultats d’inspections ou encore décisions judiciaires), avec des réponses aux commentaires des organes habituels de contrôle de l’OIT.
Le respect des prescriptions de la convention ne repose pas seulement sur les mesures prises par l’Etat du pavillon : les inspections réalisées par l’Etat du port, à l’occasion des escales, permettront de compléter celles de l’Etat du pavillon et ainsi de mieux protéger les armateurs offrant aux gens de mer des conditions de vie et de travail décentes.
En principe, l’inspection dans un port étranger se limite au contrôle du certificat et de la déclaration de conformité lorsqu’ils peuvent être présentés. Une inspection plus approfondie peut cependant être réalisée dans plusieurs cas :
- si les documents nécessaires ne sont pas tenus à jour, ou le sont de façon mensongère, ou bien s’ils ne comportent pas toutes les informations requises par la convention ;
- lorsqu’il existe de solides raisons de croire que les conditions de travail et de vie à bord ne sont pas conformes aux prescriptions ;
- lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que le navire a changé de pavillon pour échapper à ses obligations ;
- lorsqu’une plainte a été déposée quant aux conditions de travail et de vie à bord du navire par un marin, un organisme professionnel, une association, un syndicat ou toute personne ayant intérêt à la sécurité du navire.
Le navire pourra être immobilisé dans le port, après son inspection, lorsqu’il n’est pas conforme aux prescriptions de la convention et que :
- soit les conditions à bord présentent un danger évident pour la sécurité, la santé ou la sûreté ;
- soit la non-conformité constatée constitue une infraction grave ou répétée aux prescriptions de la convention, y compris les droits des gens de mer.
2. Les autres mécanismes de contrôle
La convention demande aux Etats de veiller à ce que leur législation prévoie l’établissement de procédures de plainte à bord appropriées en cas d’infraction aux prescriptions de la convention. Les gens de mer doivent notamment être en mesure de porter plainte directement auprès du capitaine ou, s’ils l’estiment nécessaire, auprès d’autorités extérieures. Les parties doivent également prendre des mesures pour éviter toute « victimisation », c’est-à-dire des actes malveillants contre un marin ayant présenté une plainte qui n’est manifestement pas abusive ou calomnieuse.
Outre un exemplaire de leur contrat d’engagement maritime, les gens de mer doivent recevoir un document décrivant les procédures de plainte en vigueur à bord du navire. Doivent notamment figurer les coordonnées de l’autorité compétente dans l’Etat du pavillon et, si nécessaire, dans l’Etat de résidence des gens de mer, ainsi que le nom d’un ou de plusieurs intermédiaires à bord susceptibles de les conseiller de manière impartiale quant à leur plainte et de les aider à suivre la procédure.
Les Etats ayant ratifié la convention doivent également s’assurer que les gens de mer puissent déposer plainte auprès d’un fonctionnaire autorisé au port où le navire fait escale, et que ce fonctionnaire entreprenne une enquête ou une inspection plus détaillée du navire si nécessaire. Comme indiqué précédemment, cette inspection peut éventuellement conduire à l’immobilisation du navire. Si la plainte n’est pas réglée alors qu’il est autorisé à reprendre la mer, l’Etat du pavillon doit être averti. Le directeur général de l’OIT et les organisations d’armateurs et de gens de mer doivent également être informés si cette notification n’a pas permis de régler la plainte.
En plus de son éventuelle responsabilité en tant qu’Etat du pavillon, tout Etat a celle de veiller à l’application des prescriptions de la convention relatives au recrutement, au placement et à la protection en matière de sécurité sociale des gens de mer qui sont soit ses nationaux, soit des résidents, soit des personnes simplement domiciliées sur son territoire, conformément à la norme A1.4.
A ce titre, l’Etat doit mettre en place un système efficace d’inspection et de surveillance sur les activités des services de recrutement et de placement des gens de mer établis sur son territoire. La partie B du code précise que les services privés devraient notamment être tenus de s’engager à veiller au respect des contrats d’engagement maritime par l’armateur (principe directeur B5.3).
Les informations pertinentes dans ce domaine doivent figurer dans les rapports annuels déjà mentionnés.
B. NE PAS PÉNALISER LES ARMATEURS DES PAYS VERTUEUX
1. Des garanties pour les navires battant le pavillon d’un Etat ayant ratifié la convention
Comme votre rapporteure l’a déjà indiqué, les agents de l’Etat du port doivent accepter le certificat de travail maritime et la déclaration de conformité comme attestant, sauf preuve contraire, la conformité aux prescriptions de la convention. En revanche, les navires non certifiés s’exposeront au risque de faire l’objet d’inspections plus approfondies, pouvant conduire à des retards pour les opérations de chargement et de déchargement.
Le paragraphe 7 de l’article V, dite « clause du traitement pas plus favorable », précise que l’application de la convention ne doit pas conduire à accorder aux navires battant le pavillon d’un Etat qui ne l’aurait pas ratifiée des conditions avantageuses par rapport à ceux soumis à une législation ou une réglementation qui lui est conforme.
Tous les navires, y compris ceux battant pavillon d’Etats non engagés par la convention, pourront donc se voir appliquer des inspections plus poussées à l’occasion de leur escale dans le port d’un Etat ayant ratifié le texte, afin de vérifier qu’ils offrent des conditions de travail et de vie à bord compatibles avec les objectifs de la convention. Des mesures pourront être prises pour s’assurer que le navire ne prenne pas la mer tant que les non-conformités graves n’auront pas été rectifiées.
Comme l’a rappelé Jacques Barrot, alors vice-président de la Commission européenne, en charge des transports, lors de la clôture des travaux de la session maritime de la Conférence internationale du travail qui a vu l’adoption de la présente convention, près de 40 % des navires marchands dont la jauge brute est égale ou supérieure à 500 se rendent en Europe et sont susceptibles d’y être ainsi inspectés strictement.
Votre rapporteure tient à faire remarquer l’originalité de ce contrôle par rapport à la règle générale. L’article 34 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités stipule en effet qu’« un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement ».
Outre les critiques concernant leur caractère disparate et parfois daté, les conventions jusque-là en vigueur dans le domaine du travail maritime sont souvent considérées comme étant trop précises et rigides pour être appliquées dans de bonnes conditions, ce qui explique en partie le faible taux de ratification de ces instruments.
Afin de pouvoir être ratifiée aussi largement que possible et appliquée d’une manière satisfaisante, la convention de 2006 tend à combiner fermeté en matière de droits et flexibilité pour les modalités de mise en œuvre.
Le premier élément de souplesse est lié à la structuration de la convention, composée d’articles énonçant des obligations générales, puis d’une seconde partie mêlant des règles et un code, ce dernier indiquant comment les prescriptions doivent être appliquées. Alors que la partie A du code est constituée de normes obligatoires, la partie B donne des orientations pour la mise en œuvre d’une partie des stipulations, énoncées d’une manière plus générale afin de laisser une plus grande latitude aux Etats. Ces « principes directeurs » ne lient pas les parties à la convention, seulement tenues de « dûment envisager de s’acquitter des obligations qui leur incombent au titre de la partie A du code de la manière indiquée dans la partie B ».
Votre rapporteure salue la volonté de compromis entre la nécessité de préciser suffisamment les droits des gens de mer et l’impératif qui consiste à laisser une marge d’application, notamment afin de permettre une bonne ratification du texte. Elle regrette toutefois la complexité qui en résulte : elle lui paraît préjudiciable à l’intelligibilité de la convention, qui s’adresse aussi aux gens de mer, lesquels ont besoin de connaître leurs droits pour réclamer leur application effective. Sur ce point, on notera que les rédacteurs du texte ont cru bon d’insérer, entre les stipulations générales et la suite de la convention, une « note explicative » de près de deux pages, tendant à « en faciliter la lecture ».
Un Etat qui n’est pas en mesure d’appliquer les droits et principes comme le prévoit la partie A du code peut, sauf disposition contraire expresse, en appliquer les prescriptions par la voie de dispositions de nature équivalente dans l’ensemble (article VI, paragraphe 3).
L’Etat doit indiquer, dans son rapport annuel, pourquoi il n’était pas en mesure de mettre en œuvre les droits et principes conformément à la partie A du code et en quoi la mesure adoptée est conforme sur tous les points essentiels. Des mesures d’application sont considérées comme équivalentes dans l’ensemble si elles donnent effet à la disposition concernée et « si elles permettent la pleine réalisation de l’objectif et du but général » visés (article VI, paragraphe 4).
Les prescriptions énoncées en matière de logement et d’installations de loisirs (norme A3.1) peuvent être particulièrement difficiles à appliquer car elles concernent la conception et la construction du navire, ainsi que ses équipements. Diverses exemptions sont donc possibles, notamment pour :
- la disposition des cabines sur les navires de passagers (d du 6) ;
- l’exigence de cabines individuelles pour les navires de jauge brute inférieure à 3 000 (a du 9) ;
- les installations sanitaires à bord des navires à passagers effectuant normalement des voyages d’une durée inférieure à quatre heures (e du 11).
D’autres exemptions spécifiques sont possibles, après consultation des organisations d’armateurs et de gens de mer intéressées, pour les navires de petite dimension, d’une jauge brute inférieure à 200 (paragraphe 20 de la même norme A3.1). Ces exemptions doivent être mentionnées dans la « déclaration de conformité du travail maritime ».
CONCLUSION
La France doit ratifier à son tour la convention de 2006, comme la Commission européenne l’y a d’ailleurs invitée, avec les autres pays de l’Union, afin que ce texte soit appliqué aussi universellement que possible.
Pour votre rapporteure, il s’agit là d’une nécessité, car la convention permettra d’avancer sur de nombreux points :
- en rassemblant dans un cadre cohérent et unique la très grande majorité des conventions et des recommandations adoptées dans le cadre de l’OIT sur le travail maritime ;
- en garantissant des conditions de concurrence plus équitables grâce à une normalisation du statut des gens de mer et à des mécanismes de contrôle efficaces de l’application de la convention ;
- en revalorisant la profession maritime par des garanties sur les conditions de formation, de travail et de vie ;
- en renforçant la sécurité par la voie d’un meilleur encadrement en matière de qualification et de conditions de travail.
C'est pourquoi votre rapporteure recommande d'adopter le présent projet de loi.
La commission examine, sur le rapport de Mme Chantal Guittet, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention du travail maritime de l'Organisation internationale du travail (n° 290), au cours de sa première séance du 14 novembre 2012.
Après l’exposé de la rapporteure, un débat a lieu.
Mme Odile Saugues. Nous pouvons tous saluer ce qui est, malgré tout, une avancée. Nous ne connaissons que trop ces navires battant pavillon de complaisance qui sont responsables de marées noires ou dont les équipages sont abandonnés sans salaire dans les ports. Comment, dès lors, éviter un nivellement vers le bas ? Comme pour les transports routiers qui ont recours à une importante main d’œuvre venue de l’Est de l’Europe, à des salaires très bas, on ne découvre les problèmes qu’en cas d’accident.
Vous avez évoqué, madame la rapporteure, la « souplesse » dans la mise en œuvre de la convention, ce qui m’inquiète. Cette convention ne restera-t-elle pas un vœu pieux ? Avez-vous des informations à nous donner sur les conditions de travail des salariés à bord des navires battant pavillon de complaisance ?
Mme Nicole Ameline. Ayant participé à la négociation de la convention en tant que déléguée du Gouvernement, je suis heureuse de voir arriver ce texte, même s’il a fallu attendre six ans. Avez-vous d’autres précisions à nous apporter sur le nombre des ratifications dans le monde ?
Ce texte constitue un grand progrès, car il est la première loi sociale à l’échelle mondiale. Comme vous l’avez rappelé, le facteur humain joue un rôle important dans les accidents maritimes. La situation se rapproche de l’esclavage antique dans certaines compagnies.
La France a joué – avec les Etats-Unis – un rôle considérable dans l’élaboration et l’approbation de cette convention. J’observe avec intérêt que des Etats comme le Liberia et d’autres se sont engagés dans cette voie. Il est important d’associer ceux qui sont parmi les plus concernés.
L’avancée majeure sera que, dans tous les ports d’escale, n’importe quel membre d’équipage pourra faire appel à l’officier de port s’il estime ses droits bafoués. Une procédure sera déclenchée automatiquement.
Outre qu’il constitue une synthèse efficace de toutes les conventions existantes, ce texte permet de réaliser un progrès important au plan mondial dans le domaine des conditions sociales. Cette convention appelle donc une ratification rapide de la part de la France. Il faudra ensuite que l’Europe soit exemplaire sur sa mise en œuvre, et qu’un suivi soit assuré.
M. Philippe Baumel. Tout en saluant l’effort louable que constitue la convention, par les normes minimales qu’elle établit, je m’interroge sur les conditions d’application de cette « première loi sociale à l’échelle du monde ». La formule est belle, mais je voudrais savoir si elle s’appliquera aux îles Kerguelen. Nous franchirions ainsi un grand pas au plan national. Ce pavillon, dépendant de la France, a permis de faire passer la plupart de nos pétroliers sous pavillon de complaisance, afin de ne pas appliquer le droit social français.
M. Philippe Cochet. Il convient de souligner l’effort que représente ce texte. Je relève toutefois un manque en ce qui concerne la langue employée. L’incompréhension dans ce domaine est une cause importante d’accidents au cours des manœuvres.
Par ailleurs, bien que la convention insiste sur la question de la formation, avec la délivrance de certificats, je m’interroge sur la compétence des organismes concernés. Il ne faudrait pas se limiter à un coup de tampon.
Mme la rapporteure. Il est malheureusement très difficile d’obtenir des statistiques précises sur les pavillons de complaisance.
Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’il y aura des contrôles aux escales et que l’accès aux ports pourra désormais être refusé en cas de non–respect des normes techniques – c’est déjà le cas –, mais aussi des normes sociales. La convention devrait contribuer à assainir la situation et à éviter la concurrence entre les pays respectant les normes et les autres.
Nous savons tous que les abandons de navires et d’équipages sont fréquents. Les marins connaissent alors des situations dramatiques, et ils doivent compter sur la solidarité des populations locales pour survivre pendant des mois. Elue de Brest, je peux en témoigner. En limitant de tels abandons, nous ferons beaucoup pour les marins.
A ce jour, 32 Etats, représentant 59 % de la jauge brute de la flotte marchande mondiale, ont ratifié la convention. Il en fallait 30, comptant pour au moins 33 % du total. Le processus a été long, mais la convention entrera en vigueur en 2013. L’Union européenne incite à la ratification du texte, et il est grand temps que notre pays franchisse le pas.
En ce qui concerne les Kerguelen, l’application aux territoires non métropolitains n’est pas automatique pour les conventions de l’OIT – elle est soumise à une déclaration. Il faut espérer qu’il n’y ait pas d’exception, car ce serait un comble pour un pays qui a joué un si grand rôle dans l’adoption de cette convention.
Elle prévoit non seulement la normalisation d’un certain nombre de documents et de formulaires, notamment les certificats de conformité et les certificats médicaux, mais aussi leur traduction en anglais, qui est la langue internationale des gens de mer.
M. Philippe Cochet. Ce n’est pas suffisant. Beaucoup d’accidents proviennent de l’incompréhension des consignes par méconnaissance de la langue.
M. Noël Mamère. Je me félicite de cette convention, même si l’on peut avoir quelques doutes quant à sa ratification et à son efficacité.
La situation des gens de mer est l’une des plus brutales du fait de la mondialisation. Les principales puissances maritimes, notamment la Grèce et l’Allemagne, ont la plupart de leurs navires immatriculés sous des pavillons de complaisance, dont celui des Kerguelen n’est pas très éloigné. Même à bord des bateaux français, on peut employer des immigrés sous-payés et obligés de travailler sept jours sur sept. Chacun a en mémoire des cas dramatiques, à Sète, par exemple, où des marins ont récemment été abandonnés, ou en Espagne, où il a été difficile de trouver des responsables à juger pour la catastrophe du Prestige.
L’OIT est longtemps restée assez inefficace quant au statut des marins embarqués sur des navires battant pavillon de complaisance, et l’on ne progressera pas réellement sans un travail commun avec l’Organisation maritime internationale – tous les experts s’accordent sur ce point. La moralisation entreprise par cette convention est cependant nécessaire. Elle concerne un des secteurs où les plus vulnérables sont les plus exploités. De plus, la criminalité sociale se double d’une criminalité écologique. Il y a des capitaines qui ne maîtrisent pas la langue des marins, l’anglais, et l’état de fatigue est parfois tel qu’il en résulte des catastrophes sur des parcours maritimes extrêmement fréquentés.
Nous ne sommes pas au terme des efforts nécessaires, mais ce texte est un élément qui permettra de mieux protéger les « damnés de la mer ».
M. Jacques Myard. L’entrée en vigueur de la convention ne suffira pas à la rendre efficace. L’article VIII demande qu’au moins 30 membres représentant au total 33 % de la jauge brute de la flotte mondiale l’aient ratifiée, mais ce n’est pas la véritable question. Elle concerne les micro-Etats qui mettent leur pavillon à la disposition des autres. Quelles sont les possibilités de les contraindre, hormis la force ? Après ce premier pas, on risque d’attendre longtemps les suivants.
M. Axel Poniatowski. J’ai aussi des doutes sur les moyens d’application. Deux possibilités de contrôle sont prévues, l’une à la suite de plaintes déposées par les marins et l’autre dans le cadre d’inspections automatiques par les administrations portuaires. Qu’en sera-t-il dans la réalité ? J’ai du mal à imaginer des inspections très efficaces dans certains ports, car elles risquent d’avoir un impact négatif sur l’activité au plan commercial. On sera sans doute zélé au Havre ou à Marseille, mais quelle sera l’attitude des ports tels que Rotterdam ou Amsterdam ?
Je m’interroge également sur les sanctions prévues. Un seul type de mesure semble envisagé, l’interdiction d’appareiller pour les navires. Or il me semble difficile d’aller fréquemment aussi loin. Y a-t-il, en outre, des sanctions financières prévues contre les armateurs ?
M. Thierry Mariani. L’affaire de Sète a été évoquée, mais je me souviens aussi d’un navire sous pavillon ukrainien qui s’est trouvé dans le même cas. La convention permettra-t-elle de régler de telles situations ? Des bateaux se retrouvent à l’abandon dans nos ports, avec à leur bord des marins qui refusent de les quitter pendant de longs mois, car ils considèrent cette occupation comme leur seule chance d’être un jour payés – la France est pourtant prête à assurer leur rapatriement.
Mme la rapporteure. Pour la première fois, nous avons un texte international incluant des normes sociales et non pas seulement techniques. C’est une avancée qu’il faut saluer malgré les inévitables difficultés d’application.
La question des pavillons de complaisance est essentielle puisqu’ils représentent 60 % de la flotte marchande mondiale. Sur les dix principaux territoires concernés, tous ont signé sauf Malte, l’Ile de Man et les Bermudes. Ils vont donc s’engager dans un processus de certification sociale.
Les situations dans lesquelles des navires se trouvent abandonnés par leur armateur, avec un équipage à bord qui n’est plus payé et qui s’accroche au bateau, sont tragiques. Afin de limiter les difficultés, il faut veiller à les traiter en amont avec des normes suffisantes. Cette convention ne réglera pas tout, mais elle fera l’objet d’un suivi régulier dans le cadre d’une commission tripartite. Les enjeux sociaux et économiques sont considérables. Des amendements pourront être déposés, notamment sur la question des abandons de marins.
La présentation d’un certificat de travail maritime et d’une déclaration de conformité permettra de réduire les contrôles par les autorités portuaires – ils se limiteront aux documents, car on fera confiance en principe. La convention ne prévoit pas de sanctions financières, mais on pourra immobiliser les navires et les placer sur une liste noire leur interdisant d’entrer dans les ports. Ces contrôles nécessiteront des évolutions et des moyens, y compris en France, sans quoi la convention restera lettre morte.
Enfin, pour ce qui est du port de Rotterdam, les Pays-Bas ont signé le Mémorandum d’entente de Paris, dit Paris MoU, sur les contrôles par l’Etat du port, comme les autres pays européens. Les contrôles sont donc normalisés, et des dispositions ont été prises pour intégrer la convention dans ce cadre.
M. Jean-Paul Dupré. Vous avez rappelé que 60 % de la flotte mondiale navigue sous pavillon de complaisance. Combien y a-t-il de navires sillonnant les mers du monde au total ?
Mme la rapporteure. Je vous transmettrai une réponse très précise dès que possible.
Mme la présidente. Cette convention ne règle pas tous les problèmes, bien sûr, mais c’est une très grande avancée. Là aussi, un suivi s’impose.
Suivant les conclusions de la rapporteure, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 290).
Synthèse des normes établies par la convention
TITRE I : CONDITIONS MINIMALES REQUISES POUR LE TRAVAIL DES GENS DE MER | |
Norme A1.1 : âge minimum |
L’âge minimum pour le travail à bord d’un navire est fixé à 16 ans. Les jeunes de moins de 18 ans ne doivent pas effectuer un travail susceptible de mettre en péril leur santé et leur sécurité. Le travail de nuit est interdit pour les moins de 18 ans, sauf par dérogation. |
Norme A1.2 : certificat médical |
Tous les marins doivent être en possession d’un certificat médical (valide deux ans au maximum, un an pour les moins de 18 ans) certifiant qu’ils sont médicalement aptes au travail qui leur sera assigné en mer. |
Règle 1.3 : formation et qualifications |
Les marins doivent être qualifiés pour exercer leurs fonctions (suivi d'une formation ou détention d'un certificat de capacité). En outre, ils doivent avoir suivi avec succès une formation à la sécurité individuelle à bord des navires. |
Règle 1.4 : recrutement et placement |
Les marins doivent avoir accès à un système « efficient et bien réglementé » de recrutement et de placement. |
TITRE II : CONDITIONS D’EMPLOI | |
Norme A2.1 : contrat d’engagement maritime |
Les marins doivent être en possession d’un contrat de travail clair et conforme au code, et ils doivent avoir été en mesure de l’approuver librement. Ce contrat doit notamment préciser la fonction, le salaire, les congés payés et les prestations sociales des marins. |
Norme A2.2 : salaires |
Ils doivent être rétribués régulièrement et conformément au contrat. Ils doivent avoir la possibilité de faire parvenir tout ou partie de cette rémunération à leur famille. |
Norme A2.3 : durée du travail ou du repos |
La durée du travail des gens de mer est règlementée comme suit : le nombre maximal d’heures de travail ne doit pas excéder 14 heures par période de 24 heures, 72 heures par période de sept jours ; ou bien le nombre minimal d’heures de repos ne doit pas être inférieur à dix heures par période de 24 heures et à 77 heures par période de sept jours. Ces horaires peuvent cependant être modifiés, à titre exceptionnel, en cas d’urgence (pour assurer la sécurité immédiate du navire ou porter secours à d’autres navires ou à des personnes en mer). |
Norme A2.4 : droit à un congé |
Les marins ont droit à un congé payé, sur la base minimum de 2,5 jours civils par mois. |
Norme A2.5 : rapatriement |
Les gens de mer ont le droit d’être rapatriés sans frais lorsque le contrat expire alors qu’ils sont à l’étranger ; lorsque le contrat est dénoncé par l’armateur ou le marin pour des raisons justifiées ; lorsque le marin n’est plus en mesure d’exercer ses fonctions. Le rapatriement ne doit pas occasionner de frais pour le marin, sauf si ce dernier a été reconnu coupable d’un manquement grave. |
Norme A2.6 : indemnisation des gens de mer en cas de perte du navire ou de naufrage |
Les marins ont droit à une indemnisation en cas de lésion, perte ou chômage découlant de la perte du navire ou du naufrage. |
Norme A2.7 : effectifs |
Les effectifs doivent être suffisants « en nombre et en qualité » pour assurer la sécurité, l’efficience et la sûreté de l’exploitation du navire. |
Règle 2.8 : développement des carrières et des aptitudes professionnelles, possibilités d’emploi des gens de mer |
Les Etats doivent prendre des mesures pour développer les carrières et les aptitudes professionnelles, ainsi que les possibilités d’emploi des gens de mer. |
TITRE III : LOGEMENT, LOISIRS, ALIMENTATION ET SERVICE DE TABLE | |
Norme A3.1 : logement et loisirs |
Les Etats veillent à ce que les navires battant leur pavillon disposent de logement et de lieux de loisirs décents. La convention fixe des règles concernant la superficie, l’isolement, la localisation, l’éclairage, le chauffage et la climatisation des locaux. |
Règle 3.2 : alimentation et service de table |
Les gens de mer sont nourris gratuitement. La nourriture doit être de quantité et de qualité suffisantes, et il convient de tenir compte des appartenances culturelles et religieuses. Le personnel chargé de la préparation des repas doit être qualifié. |
TITRE IV : PROTECTION DE LA SANTE, SOINS MEDICAUX, BIEN-ETRE ET SECURITE SOCIALE | |
Règle 4.1 : soins médicaux à bord des navires et à terre |
Les gens de mer ont accès à des soins rapides et adéquats pendant leur service à bord, et en principe gratuits. Ils ont aussi accès aux installations médicales à terre s’ils requièrent des soins immédiats. Tout navire dispose d’une pharmacie de bord, de matériel médical et d’un guide médical, ainsi que d’un médecin qualifié ou d’un marin chargé des soins médicaux. |
Règle 4.2 : responsabilité des armateurs |
Les gens de mer ont droit à une assistance matérielle de l’armateur pour faire face aux conséquences financières des maladies, accidents ou décès survenus durant leur service. |
Règle 4.3 : protection de la santé et de la sécurité et prévention des accidents |
L’environnement de travail doit être sûr et sain, de façon à prévenir le plus possible les accidents du travail, les situations dangereuses et les maladies professionnelles. |
Norme A4.4 : accès à des installations de bien-être à terre |
Les gens de mer doivent avoir accès, sans discriminations, à des installations et services à terre permettant d’assurer leur santé et leur bien-être (foyers, clubs ou installations sportives). |
Règle 4.5 : sécurité sociale |
Tout Etat partie s'engage à assurer progressivement une sécurité sociale complète qui ne soit pas moins favorable que celle dont jouissent les travailleurs employés à terre. |
Liste des conventions consolidées et révisées
- Convention (n° 7) sur l'âge minimum (travail maritime), 1920 ;
- Convention (n°8) sur les indemnités de chômage (naufrage), 1920 ;
- Convention (n° 9) sur le placement des marins, 1920 ;
- Convention (n° 16) sur l'examen médical des jeunes gens (travail maritime), 1921 ;
- Convention (n° 22) sur le contrat d'engagement des marins, 1926 ;
- Convention (n° 23) sur le rapatriement des marins, 1926 ;
- Convention (n° 53) sur les brevets de capacité des officiers, 1936 ;
- Convention (n° 54) des congés payés des marins, 1936 ;
- Convention (n° 55) sur les obligations de l'armateur en cas de maladie ou d'accident des gens de mer, 1936 ;
- Convention (n° 56) sur l'assurance-maladie des gens de mer, 1936 ;
- Convention (n° 57) sur la durée du travail à bord et les effectifs, 1936 ;
- Convention (n° 58) (révisée) sur l'âge minimum (travail maritime), 1936 ;
- Convention (n° 68) sur l'alimentation et le service de table (équipage des navires), 1946 ;
- Convention (n° 69) sur le diplôme de capacité des cuisiniers de navire, 1946 ;
- Convention (n° 70) sur la sécurité sociale des gens de mer, 1946 ;
- Convention (n° 72) des congés payés des marins, 1946 ;
- Convention (n° 73) sur l'examen médical des gens de mer, 1946 ;
- Convention (n° 74) sur les certificats de capacité de matelots qualifiés, 1946 ;
- Convention (n° 75) sur le logement des équipages, 1946 ;
- Convention (n° 76) sur les salaires, la durée du travail à bord et les effectifs, 1946 ;
- Convention (n° 91) sur les congés payés des marins (révisée), 1949 ;
- Convention (n° 92) sur le logement des équipages (révisée), 1949 ;
- Convention (n° 93) sur les salaires, la durée du travail à bord et les effectifs (révisée), 1949 ;
- Convention (n° 109) sur les salaires, la durée du travail à bord et les effectifs (révisée), 1958 ;
- Convention (n° 133) sur le logement des équipages (dispositions complémentaires), 1970 ;
- Convention (n° 134) sur la prévention des accidents (gens de mer), 1970 ;
- Convention (n° 145) sur la continuité de l'emploi (gens de mer), 1976 ;
- Convention (n° 146) sur les congés payés annuels (gens de mer), 1976 ;
- Convention (n° 147) sur la marine marchande (normes minima), 1976 ;
- Protocole de 1996 relatif à la convention (n° 147) sur la marine marchande (normes minima), 1976 ;
- Convention (n° 163) sur le bien-être des gens de mer, 1987 ;
- Convention (n° 164) sur la protection de la santé et les soins médicaux (gens de mer), 1987 ;
- Convention (n° 165) sur la sécurité sociale des gens de mer (révisée), 1987 ;
- Convention (n° 166) sur le rapatriement des marins (révisée), 1987 ;
- Convention (n° 178) sur l'inspection du travail (gens de mer), 1996 ;
- Convention (n° 179) sur le recrutement et le placement des gens de mer, 1996 ;
- Convention (n° 180) sur la durée du travail des gens de mer et les effectifs des navires, 1996.
A la date du 9 novembre 2012, 32 États ont ratifié la Convention du travail maritime :
- Antigua-et-Barbud ;
- Australie ;
- Bahamas ;
- Bénin ;
- Bosnie-Herzégovine ;
- Bulgarie ;
- Canada ;
- Chypre ;
- Croatie ;
- Danemark ;
- Espagne ;
- Fédération de Russie ;
- Gabon ;
- Iles Marshall ;
- Kiribati ;
- Lettonie ;
- Libéria ;
- Luxembourg ;
- Maroc ;
- Norvège ;
- Palaos ;
- Panama ;
- Pays-Bas ;
- Philippines ;
- Pologne ;
- Saint-Kitts-et-Nevis ;
- Saint-Vincent-et-les-Grenadines ;
- Singapour ;
- Suède ;
- Suisse ;
- Togo ;
- Tuvalu.
TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée la ratification de la convention du travail maritime 2006 (ensemble quatre annexes), adoptée à Genève, le 7 février 2006, et dont le texte est annexé à la présente loi.
NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 290).
© Assemblée nationale