N° 847
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2013.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI relatif à la sécurisation de l’emploi,
(procédure accélérée)
PAR M. Jean-Marc GERMAIN,
Député.
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TOME II
Auditions et contributions écrites
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 774, 837 et 839.
AUDITIONS DE LA COMMISSION 7
1. Audition des ministres 7
2. Audition des représentants des organisations syndicales de salariés signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 41
3. Audition de la CGT, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 66
4. Audition des organisations patronales signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 88
5. Audition de la CGT-FO, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 112
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 129
CONTRIBUTIONS ÉCRITES ADRESSÉES AU RAPPORTEUR 135
1. Contribution de Mme Martine Saunier et M. Dominique Floch, administrateurs salariés CFDT de THALES 136
2. Contribution de l’Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH) 143
3. Contribution de M. Henri Rouilleault, directeur général honoraire de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail 151
4. Contribution de M. Gérard Adam, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) 162
5. Contribution de Mme Ghislaine Coinaud, administratrice à France Télécom/Orange, représentant les salariés au conseil d’administration d’Orange 167
6. Contribution de l’Association française des entreprises privées (AFEP) 171
7. Contribution de M. Alain Lacabarats, président de la chambre sociale de la Cour de cassation 177
8. Contribution de l’Institut de l’entreprise 188
9. Contribution de l’Institut Montaigne 194
10. Contribution de l’Union syndicale solidaire (SUD) 205
11. Contribution de la Mutualité française 214
12. Contribution des Professionnels de l’intérim, services et métiers d’avenir (PRISME) 223
13. Contribution de Me Hubert Flichy, président d’Avosial 234
14. Contribution du Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) 251
15. Contribution de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) 265
16. Contribution de l’Union de syndicats et groupements d'employeurs représentatifs dans l’économie sociale (USGERES) 270
17. Contribution de la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) 291
18. Contribution de M. Michel Husson, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) 294
19. Contribution de M. Bernard Gazier, professeur à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne 304
20. Contribution de Mme Bénédicte Zimmermann, directrice de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) 311
21. Contribution de M. Jacques Barthélémy, avocat conseil en droit social, ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier 318
22. Contribution de M. Franck Morel, avocat associé, Barthélémy Avocats, ancien directeur adjoint de cabinet et conseiller de plusieurs ministres du travail 329
23. Contribution de M. Bernard Augier, représentant de la Confédération générale du travail (CGT) au Conseil supérieur de la prud’homie 341
24. Contribution de M. Denis Lavat, représentant de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) au Conseil supérieur de la prud’homie 345
25. Contribution de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) 350
26. Contribution de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) 364
27. Contribution de la Confédération générale du travail (CGT) 374
28. Contribution de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) 385
29. Contribution de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) 397
30. Contribution du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) 405
31. Contribution de l’Union professionnelle artisanale (UPA) 410
32. Contribution de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière (FO) 415
33. Contribution de l’Association des régions de France 425
34. Contribution de la Fédération française des associations d’actionnaires salariés et anciens salariés (FAS) 427
35. Contribution de la Mutuelle Intériale 430
La Commission entend MM. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l’apprentissage, au cours de sa séance du mardi 13 mars 2013.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous accueillons aujourd’hui M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, et M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l’apprentissage, pour nous présenter le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi. Ce texte témoigne, une nouvelle fois, de la volonté du Gouvernement de trouver des solutions au chômage, particulièrement prégnant dans notre pays.
Je rappelle que ce projet de loi a été adopté en conseil des ministres la semaine dernière. Nous l’examinerons en commission dans quinze jours, les mardi 26 (après-midi et soir) et mercredi 27 (matin). L’examen en séance publique aura lieu la semaine suivante, à partir du 2 avril.
Comme vous avez pu le voir sur la convocation, j’ai décidé que la Commission procéderait à l’audition non seulement du Gouvernement, mais aussi des partenaires sociaux, qu’il s’agisse des cinq organisations signataires de l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier, ou des deux organisations syndicales qui ne l’ont pas signé mais qui ont participé jusqu’au bout aux négociations. En raison de l’agenda des uns et des autres, nous avons eu de grandes difficultés à programmer ces auditions qui commenceront demain et se poursuivront la semaine prochaine.
Messieurs les ministres, je vous laisse la parole.
M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi que je vous présente aujourd’hui est important. Il démontre que la France peut, dans ce domaine difficile qu’est le marché du travail, se réformer par le dialogue.
L’accord du 11 janvier dernier a marqué l’aboutissement de l’une des plus ambitieuses séquences de négociation interprofessionnelle depuis plus de quarante ans. Il fera date, j’en suis certain, dans l’histoire du droit social français.
Après plusieurs décennies d’avancées – parfois positives, mais souvent très partielles –, d’échecs ou de renoncements, les principaux enjeux de notre marché du travail sont désormais pris à bras-le-corps pour fonder un nouvel équilibre, un équilibre dans lequel ce que les uns gagnent n’est pas ce que les autres perdent, un équilibre qui ouvre un nouveau champ des possibles face aux grands défis du marché du travail : la lutte contre le chômage et la précarité, la création d’emplois.
Le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi se présente – et ce n’est pas là son moindre mérite – sous la forme d’un texte global, et non pas « à la carte », en abordant l’ensemble des sujets concernant le marché du travail et en ne laissant de côté aucun sujet difficile. Il aborde de front, dans leur totalité, les problèmes que notre société traîne depuis trop longtemps : la lutte contre la précarité du travail, la préférence qu’il faut rendre au contrat à durée indéterminée, les droits individuels et collectifs des salariés, l’anticipation des mutations économiques, la recherche de solutions collectives pour sauvegarder l’emploi dans une conjoncture difficile, la nécessaire refonte des procédures de licenciements collectifs.
Le pacte de compétitivité a été la marque d’une ambition, de l’effort d’une société tout entière qui fait le choix de jeter toutes ses forces dans la création d’emplois.
Cela étant, plus de performance économique ne signifie pas moins de cohésion sociale : c’est au contraire plus de cohésion sociale, plus de capacité de dialogue, plus de possibilité de négocier. Tel est l’objet de ce texte sur la sécurisation de l’emploi : permettre une adaptation à la conjoncture économique, non en précarisant davantage, mais en augmentant les droits individuels et collectifs des salariés.
Ainsi, et contrairement à ce que j’entends dire parfois, ce texte n’est pas un échange entre la flexibilité pour les entreprises et la sécurité pour les salariés. Il apporte sécurité et visibilité à chacun. C’est en en ce sens qu’il est différent de ce que l’on a pu faire jusqu’à présent dans ce domaine. Il est une équation nouvelle de l’économique et du social.
La sécurisation de l’emploi va donner aux acteurs sociaux le pouvoir de négocier, à tous les niveaux, et de le faire sur de vrais enjeux. Le seul moyen de rendre les acteurs responsables, c’est de leur donner des responsabilités et des pouvoirs. Voilà le vrai changement, dont les partenaires sociaux – signataires comme non-signataires – sauront se saisir. Et ils auront raison de le faire.
Derrière l’accord, derrière la loi, il y a une méthode : celle du dialogue social à la française. Si chacun voit ce que signifie « dialogue social », les termes « à la française » méritent une explication.
Nous ne sommes pas un pays scandinave, ni même l’Allemagne où la cogestion se pratique presque indépendamment de la politique. Dans notre cas, c’est d’abord une impulsion politique qui a donné l’élan au dialogue social. Je veux bien sûr parler de la grande conférence sociale qui a su rassembler tous les acteurs et qui a permis de partager des constats et de fixer une feuille de route commune. Je veux aussi rappeler le cap fixé par le Président de la République : « mobiliser les forces vives de notre pays vers des solutions nouvelles pour l’emploi ».
Il y a eu ensuite un document d’orientation du Gouvernement – rédigé par moi-même – pour cette négociation, acte politique qui engageait les partenaires sociaux à rechercher un accord, et l’État à mettre en œuvre les changements législatifs et réglementaires qui en découleraient.
Est alors venu le temps du dialogue social : quatre mois de négociation intense pour parvenir à l’accord du 11 janvier 2013.
La balle est ensuite revenue dans notre camp, celui des acteurs politiques : le Gouvernement pour écrire la loi, le Parlement pour la voter.
Respecter l’accord, c’était un engagement – et cela le reste – du Gouvernement. Cet engagement est aujourd’hui tenu, car il en va du respect des partenaires sociaux et du respect du dialogue social. Comment pourrais-je me présenter devant vous, en tant que ministre du dialogue social, avec un projet de loi qui déferait ou dénaturerait un accord valablement conclu avec les partenaires sociaux ? Ce serait déconsidérer et affaiblir des acteurs qui ont au contraire besoin d’être confortés. Ce serait condamner le dialogue social à une nouvelle période de glaciation.
Pour moi, la démocratie sociale n’est pas un « tour de palabres » sans conséquence avant que ne commencent les « choses sérieuses », c’est-à-dire que le Gouvernement, les administrations et le Parlement proposent et décident d’un projet différent.
Vous êtes saisis du projet de loi. Pour avoir été parlementaire de longues années, je sais la difficulté de faire la loi, les questions que le législateur se pose face aux expressions parfois contradictoires des uns et des autres. Je sais aussi à quel point il est précieux de pouvoir s’appuyer sur le travail préalable des acteurs eux-mêmes.
Pour autant, le passage de l’accord au projet de loi, puis du projet de loi à la loi, demande aussi un travail. Une transposition n’est pas un recopiage, un parlement n’est pas une chambre d’enregistrement. De la même manière, je n’ai jamais été le scribe de je ne sais quel accord conclu dans mon dos.
Là où l’accord du 11 janvier laissait apparaître des ambiguïtés ou des zones d’incertitude, là où il était silencieux, des choix clairs ont dû être opérés. Ils ont été faits en toute transparence avec une seule grille d’analyse : celle de l’option la plus favorable pour répondre à l’ambition de sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels, et la plus conforme à l’intérêt général.
Je sais que vous vous efforcerez d’agir avec la même volonté de respecter l’accord et son équilibre. Dans quelques semaines, la loi aura donc inscrit l’accord dans notre ordre juridique, avec le poids des engagements qui sont nés des acteurs sociaux eux-mêmes.
À la force du dialogue s’ajoutera donc celle de la loi, son complément nécessaire. Nécessaire, car c’est la loi qui porte l’intérêt général ; nécessaire car la France est un pays qui s’est construit par le droit. Nous sommes ici au cœur de notre modèle social et politique français, avec une articulation utile entre le contrat et la loi, entre la démocratie sociale et la démocratie politique.
À cet égard, le projet de loi constitutionnelle sur la démocratie sociale qui sera soumis demain au Conseil des ministres marquera un pas décisif et complémentaire. Nous aurons l’occasion d’en reparler.
J’en viens maintenant à la présentation générale du projet de loi lui-même. Il poursuit trois objectifs principaux : créer de nouveaux droits pour les salariés ; lutter contre la précarité ; agir en faveur de l’emploi par la négociation autour des mutations économiques.
D’abord, créer de nouveaux droits pour les salariés.
Les nouveaux droits créés par le projet de loi sont en premier lieu des droits individuels.
Le premier de ces droits, c’est le droit à la santé via la généralisation de la couverture complémentaire collective. Quel que soit le parti politique auquel nous appartenons, nous croyons tous à la protection sociale et à la nécessité d’une couverture maladie qui permette l’accès à la santé. Les situations de renoncement aux soins pour des raisons financières nous blessent donc tous dans nos convictions.
Aujourd’hui, 400 000 salariés se passent de complémentaire, 4 millions n’ont pas accès à une complémentaire collective cofinancée par leur employeur.
Ces salariés, qui sont-ils ? Certainement pas des cadres ou des salariés de grandes entreprises, qui ont en général une complémentaire d’entreprise. Ce sont les précaires, les mères célibataires, ceux qui alternent petits emplois et périodes de chômage. C’est pour eux que nous voulons agir, et c’est pour eux que la couverture complémentaire obligatoire et la portabilité des droits à la complémentaire – c’est-à-dire la possibilité de conserver ses droits à une complémentaire pendant une période de chômage – ont un sens.
La négociation sera privilégiée pour mettre en place cette complémentaire santé. Mais en tout état de cause, si aucun accord de branche ou aucun accord d’entreprise n’est trouvé sur le sujet, sa mise en place sera effective au 1er janvier 2016.
Le projet prévoit ensuite la création d’un compte personnel de formation, sur lequel Thierry Repentin vous en dira davantage. Ce dispositif constitue une réponse par le haut à la sécurisation des parcours professionnels et à la nécessaire évolution professionnelle des salariés français.
Le texte crée également un droit à la mobilité professionnelle sécurisée, pour permettre aux salariés de tenter une expérience dans une autre entreprise et de revenir ou de rester selon leur souhait.
Le projet de loi crée, en outre, de nouveaux droits collectifs pour les salariés.
C’est ainsi que demain, des salariés entreront dans les conseils d’administration des grandes entreprises et pèseront sur les décisions car ils auront un droit de vote, comme les autres membres. Environ 200 groupes, employant près de 4 millions de salariés en France, seront concernés.
Demain également, les salariés seront mieux informés et consultés par la mise en
place, d’une part, d’une nouvelle consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, et, d’autre part, d’une base de données unique, actualisée en permanence, comportant toutes les informations et perspectives économiques et sociales de l’entreprise. Car sécuriser l’emploi, c’est construire des acteurs forts et informés pour pouvoir négocier.
Deuxième objectif du projet de loi : faire reculer la précarité.
Le projet de loi porte en effet sur la qualité de l’emploi et sur le recul de la précarité.
Agir contre la précarité, c’est d’abord encourager le recours au contrat à durée indéterminée (CDI) en augmentant, dès le 1er juillet prochain, les cotisations d’assurance chômage pesant sur les contrats courts – en dix ans, ceux de moins d’un mois ont augmenté de 120 % ! – et en diminuant les cotisations pesant sur les embauches de jeunes en CDI – les trois premiers mois pour les entreprises de plus cinquante salariés, et les quatre premiers mois pour celles de moins de cinquante salariés.
Agir contre la précarité, c’est également instaurer des droits rechargeables à l’assurance chômage, qui seront mis en place dans la nouvelle convention d’assurance chômage négociée cet automne. Pour les salariés aux parcours heurtés, ceux qui passent trop souvent par la « case » chômage, l’accord permettra une amélioration concrète et substantielle de leur prise en charge. Un salarié qui reprendra un emploi après une période de chômage conservera le reliquat de ses droits aux allocations chômage non utilisés pour les ajouter, en cas de nouvelle perte d’emploi, aux nouveaux droits acquis au titre de la période d’activité ouverte par cette reprise d’emploi. Face à la multiplication des contrats courts, il s’agit là d’un droit extrêmement important.
Agir contre la précarité, c’est enfin prendre des mesures relatives au temps partiel, notamment lorsqu’il est subi.
Le projet de loi constitue un pas en avant, puisqu’il fixe une durée minimale hebdomadaire de 24 heures. C’est une avancée importante car, aujourd’hui, l’accès aux droits sociaux obéit à des seuils. Les salariés qui ne réalisent que de petits temps partiels n’ont accès ni aux indemnités journalières en cas de maladie, ni à une couverture chômage en cas de rupture de contrat, ni à la formation professionnelle, sans compter que les périodes travaillées ne sont pas validées au titre de la retraite. Désormais, le « petit » temps partiel ne sera possible qu’à titre dérogatoire, à la demande motivée du salarié ou par accord de branche et si, et seulement si, l’organisation du travail est revue pour éviter les plages horaires dispersées – qui concernent en premier lieu les femmes – et faciliter la possibilité pour le salarié de cumuler plusieurs emplois.
De plus, une majoration de 10 % dès la première heure complémentaire viendra renforcer le pouvoir d’achat des salariés à temps partiel. Ainsi, la majorité des salariés à temps partiel verront leur situation s’améliorer, soit par une hausse des heures travaillées, soit par une meilleure répartition de celles-ci.
Le projet de loi améliore donc le sort des salariés précaires, qui sont aux marges de l’emploi le plus sécurisant. En ce sens, il est un indéniable progrès, en particulier pour les femmes car elles sont les premières concernées par le temps partiel subi.
Troisièmement, ce projet de loi est favorable à l’emploi.
Il vise en effet à agir pour l’emploi dans un contexte économique difficile.
Il le fait tout d’abord en procédant à une réforme et une refonte, attendue depuis de nombreuses années, du dispositif de chômage partiel. Demain, un dispositif unifié et simplifié, plus attractif pour les entreprises et pour les salariés, sera mis en place. Cela est essentiel pour maintenir l’emploi et conserver les compétences des entreprises qui connaissent un passage difficile. Il nous faut davantage mobiliser le chômage partiel, notamment dans les petites et moyennes entreprises (PME) et dans les services.
Demain, par les accords de maintien de l’emploi, employeurs et salariés auront la possibilité de s’adapter à la crise, et de le faire non plus en sacrifiant des emplois, qui constituent systématiquement aujourd’hui la variable d’ajustement de tout choc conjoncturel. Ainsi, un accord de maintien de l’emploi pourra être trouvé dans l’entreprise pour faire varier le temps de travail ou la rémunération, mais avec de nombreuses garanties. D’abord, la difficulté conjoncturelle de l’entreprise devra être avérée, vérifiée par les syndicats et un expert qu’ils pourront désigner. Ensuite, l’accord devra être signé par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés, et sa durée ne pourra pas dépasser deux ans. En outre, les plus bas salaires ne pourront pas être concernés. L’entreprise ne pourra pas licencier pendant la durée de l’accord. De plus, une clause de retour à meilleure fortune devra être prévue pour les salariés en cas d’amélioration de la situation de l’entreprise. Par ailleurs, les dirigeants et les actionnaires devront participer aux efforts demandés aux salariés. Enfin, tout salarié qui refusera l’application de cet accord bénéficiera de l’accompagnement spécifique lié à un licenciement économique.
À l’évidence, ce n’est pas de gaieté de cœur qu’un salarié accepte de voir baisser son salaire ou modifier ses horaires de travail. Mais j’ai la conviction que les salariés ne sont ni des otages, ni des pantins manipulés, ni des victimes : ils sont les premiers défenseurs de leur outil de production, et ils sont prêts à des efforts si, et seulement si, ils participent à la décision et voient leurs droits protégés. Ce sera le cas au regard des conditions posées pour la conclusion de l’accord et pour le suivi de sa mise en œuvre.
De la même manière, la loi réforme profondément les procédures de licenciements collectifs, sujet éminemment difficile et douloureux. Ils ne seront désormais possibles qu’avec l’accord des organisations syndicales – accord majoritaire – ou, à défaut, de l’administration – homologation du plan de sauvegarde de l’emploi. Ces modalités permettront d’agir pour limiter le nombre de licenciements, d’améliorer le contenu des plans de sauvegarde de l’emploi et, par conséquent, de sécuriser les procédures et les délais correspondants pour les entreprises comme pour les salariés. Car il n’y a rien à gagner dans les batailles judiciaires infinies.
Cela étant, je ne condamne pas ce qui se passe aujourd’hui : l’utilisation, parfaitement légitime, des procédures judiciaires est malheureusement le seul moyen de se défendre pour les organisations syndicales et les salariés, et chacun a droit à un juge. Dorénavant, cela se fera en sécurisant les procédures et en avançant le plus possible les décisions.
La loi inversera une donnée : à la réparation a posteriori par le juge, elle substituera l’intervention a priori par l’accord ou l’homologation, sans priver qui que ce soit du recours au juge. Le projet de loi crée par ailleurs une obligation de recherche d’un repreneur en cas de projet de fermeture de site, en assurant l’information des représentants des salariés sur cette recherche et en leur donnant les moyens d’évaluer – y compris par la nomination d’un expert – les propositions de reprise.
En sécurisant ainsi les procédures et en les encadrant dans le temps, l’accord répond à une préoccupation des entreprises, sans pour autant restreindre les droits des salariés. Au contraire, il réforme en profondeur le droit applicable en donnant plus de pouvoir aux représentants des salariés et aux services de l’État.
Vous le voyez, nous n’avons évité aucun sujet, nous n’en avons renvoyé aucun à plus tard. Nous avons au contraire réussi à unir des dispositions en faveur de l’emploi et du renforcement des droits collectifs des salariés, de nouveaux outils pour sauver immédiatement des emplois et un cadre plus favorable à la création d’emplois de qualité dans les mois et les années à venir.
Comme l’accord du 11 janvier, ce projet de loi croit au dialogue social, à l’autonomie et à la responsabilité des acteurs, à la mobilité, à la formation tout au long de la vie, à l’adaptation négociée, à la capacité de se mettre d’accord pour sauver son entreprise tout en bénéficiant de droits sanctuarisés – car tout n’est pas négociable.
Ce projet porte l’idée que la France peut tourner le dos à sa funeste préférence pour le licenciement, que le CDI est préférable au contrat à durée déterminée (CDD), et l’information des salariés en amont à une opposition stérile entre stratégies d’évitement du dialogue social d’une part, et manœuvres de retardement de l’autre.
Sur tous les sujets délicats qu’il traite, il se veut donc ambitieux et équilibré, susceptible de faire bouger les lignes et de contribuer à la grande bataille pour l’emploi que nous avons engagée.
M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l’apprentissage. La formation professionnelle résulte d’une construction collective entre l’État et les partenaires sociaux. Les accords et les lois l’ont structurée au fil du temps, ouvrant des droits nouveaux auxquels votre Assemblée a pris toute sa part. Les résultats et les acquis sont nombreux : la formation professionnelle est portée par un dialogue permanent et riche ; les entreprises dépassent largement leurs obligations légales de formation ; de nombreux demandeurs d’emploi et jeunes accèdent à une qualification ou à une reconversion via la formation.
Ce système souffre cependant de vrais défauts. Il n’est pas assez organisé pour offrir une nouvelle chance à ceux – notamment les jeunes – qui sont sortis de formation initiale sans qualification. Il bénéficie davantage à ceux qui sont déjà formés qu’aux plus fragiles. Enfin, le droit à la formation reste attaché au statut des personnes, alors que les trajectoires professionnelles sont de plus en plus discontinues.
Ainsi que vient de le dire Michel Sapin, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier crée de nombreux droits nouveaux en faveur des salariés, dont des droits relatifs à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, qui vont permettre d’améliorer le système existant dans le sens de la justice et de l’efficacité. Je pense à la participation des salariés à la définition des orientations du plan de formation au sein de l’entreprise, qui figure à l’article 9, à la création du compte personnel de formation, et à celle d’un service de conseil en évolution professionnelle, prévues à l’article 2.
Même si ces trois évolutions font système, je m’attarderai principalement sur l’innovation que constitue le compte personnel de formation, qui permettra de donner une traduction concrète à ce qui était jusqu’à présent resté un slogan : le droit à se former tout au long de la vie. Attaché à la personne, doté de droits intégralement transférables, ouvert à tous, ce compte favorisera la prise en main de son destin par chacun, et lui permettra de mener son projet de formation à bien sans blocage, au moment le plus opportun de son parcours professionnel – par exemple lorsqu’il souhaitera progresser ou changer de métier, ou s’y verra contraint.
En créant le compte personnel de formation dans l’article 5 de leur accord, les partenaires sociaux ont donc posé un acte fondateur. Nous avons porté haut leur ambition en l’inscrivant à l’article L. 6111-1 du code du travail, qui dispose que chacun doit pouvoir progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle.
Outre cette ambition qualifiante, le projet de loi définit les grands principes régissant le compte, sans entrer dans le détail de son fonctionnement. Nous sommes en effet au carrefour de plusieurs initiatives, qui doivent permettre d’affiner les modalités de mise en œuvre du compte. Il s’agit d’abord de la concertation à venir entre l’État, les régions et les partenaires sociaux, et de la discussion entre ces derniers, inscrites dans l’accord du 11 janvier. Dans une logique de solidarité, cette concertation devra notamment permettre de déterminer comment le compte personnel de formation pourra faire l’objet d’une dotation spécifique en faveur de ceux qui sont sortis de l’école sans qualification. Lundi prochain 18 mars seront par ailleurs remises, à l’occasion d’une réunion du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, les conclusions du groupe de travail consacré au compte individuel de formation, dont le lancement avait été décidé dans le cadre de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet derniers.
Enfin, vous n’êtes pas sans savoir que lors de son déplacement à Blois la semaine dernière, le Président de la République a appelé de ses vœux une réforme en profondeur de la formation professionnelle, assortie d’un projet de loi avant la fin de l’année. Ce projet nécessitera probablement en amont une négociation nationale interprofessionnelle, qui inclura dans son périmètre la novation que constitue le compte personnel. Je m’entretiendrai de ces perspectives dans les jours qui viennent avec les partenaires sociaux, afin de voir comment assembler progressivement l’ensemble des briques opérationnelles du compte personnel de formation.
Les deux autres volets du projet relatifs à la formation professionnelle sont également constitutifs d’un progrès social.
La création d’un nouveau service de conseil en évolution permettra au salarié de construire un projet professionnel au sein d’un lieu neutre, en dehors du « colloque singulier » avec son employeur, nécessairement biaisé. Les salariés ont toujours été les parents pauvres de l’information et de l’orientation professionnelle en France ; ce nouveau service va donc changer la donne. Nous avons d’ailleurs tenu à l’inscrire dans le cadre du service public de l’orientation, qui sera demain – après l’adoption du projet de loi portant décentralisation et réforme de l’action publique – organisé par les régions, afin d’assurer à la fois son accès à tous les salariés et sa pertinence au regard des besoins économiques du territoire.
Enfin, l’article 9 du projet prévoit que dans les entreprises de plus de 300 salariés, ceux-ci pourront désormais négocier les orientations de la politique de formation professionnelle dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), en particulier celles concernant le plan de formation. Il s’agit là d’une capacité nouvelle accordée aux salariés, puisque la définition du plan de formation est depuis plus de quarante ans une prérogative exclusive de l’employeur. Nous en attendons des effets vertueux : une plus forte appétence des salariés pour la formation, une meilleure prise en considération des moins qualifiés dans l’entreprise, des formations plus ciblées sur l’avenir et l’emploi de demain, répondant mieux aux anticipations des évolutions économiques.
Portabilité des droits, projets de formation mieux accompagnés et plus pertinents, représentants des salariés impliqués dans les stratégies de formation sont autant d’avancées concrètes portées par les partenaires sociaux et par ce projet de loi qui contribueront donc, comme l’a souhaité le Président de la République, à construire une formation professionnelle plus juste et plus efficace, davantage orientée vers ceux de nos concitoyens qui en ont le plus besoin. Ne nous privons pas de cette nouvelle étape !
Mme la présidente Catherine Lemorton. Permettez-moi d’insister sur la méthode, initiée et voulue par le Président de la République dès son discours d’ouverture de la conférence sociale de juillet 2012 au Palais d’Iéna. Elle a été respectée, puisque les différents partenaires ont accepté de se remettre autour de la table pour discuter.
Le texte que vous nous présentez reste au plus proche de l’accord. Nous sommes loin du cauchemar d’août 2008, où le gouvernement de M. Fillon avait profité du projet de loi transposant dans le code du travail les dispositions sur la représentativité syndicale négociées par les partenaires sociaux pour faire adopter un titre II sur l’augmentation du temps de travail et mettre fin aux 35 heures. Nous ne pouvons que vous remercier de ne pas être tombés dans ce travers, même si nous aurions préféré que l’accord du 11 janvier soit signé par tous les partenaires sociaux.
Vous avez dit que le Parlement n’était pas une chambre d’enregistrement. Sous la dernière législature, nous avions en effet été quelques membres de l’opposition à nous interroger sur les ruptures conventionnelles – bien que l’accord ait été signé par les partenaires sociaux. Sans doute avions-nous raison, puisque ce dispositif est aujourd’hui dévoyé. Nous y reviendrons probablement dans le cadre d’une mission d’information.
« Nous n’avons évité aucun sujet, nous n’en avons renvoyé aucun à plus tard », avez-vous dit. Aucune question ne sera donc exclue ni ajournée ce soir…
M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Je salue à mon tour la méthode. Une démocratie sociale à la française est en train de s’inventer. Elle ne met ni l’accord au-dessus de la loi, ni la loi au-dessus de l’accord, mais consiste en une sorte de dialogue constructif ou de valse à trois temps.
Les orientations politiques issues des élections présidentielles et législatives sont le premier de ces temps. La feuille de route que vous avez adressée aux partenaires sociaux était directement inspirée des objectifs politiques du Président de la République. Je pense par exemple à l’engagement 55, relatif à la présence des salariés au conseil d’administration des grandes entreprises, mais aussi, au-delà de celui-ci, à la plus grande implication des salariés dans les stratégies d’entreprise – vous avez évoqué les avancées en la matière. Je pense aussi à l’engagement 35, concernant la création d’une sécurité sociale professionnelle. C’est en effet le deuxième axe de ce texte, qui opère des avancées significatives en matière de santé, avec la couverture santé complémentaire obligatoire et portable d’une entreprise à l’autre, mais aussi en matière de formation professionnelle et de droits au chômage. Je pense enfin à l’engagement 25 sur la lutte contre la précarité, qui prévoyait notamment la taxation des emplois précaires.
Je tiens à saluer les partenaires sociaux – c’est le deuxième temps de la valse – qui ont accepté de négocier autour de ces objectifs politiques, et cela qu’ils les partagent ou non. Je pense ici au MEDEF, qui n’était pas nécessairement favorable à la taxation des emplois précaires – pour ne citer que ce point. Cette négociation a eu lieu, et nous l’avons respectée, hormis lorsque certaines lignes rouges risquaient d’être franchies.
Vient aujourd’hui le troisième temps, tout aussi essentiel : celui de la transcription de l’accord dans la loi. Contrairement au droit allemand, qui relève principalement des conventions collectives, notre droit social est fondé sur la loi. Il ne peut donc être amélioré que par la loi. Ce troisième temps est celui du projet que vous nous présentez et du travail parlementaire.
Je salue ensuite le choix très structurant qui fonde le texte. Il fallait éviter l’écueil que constituait ce qui était pourtant le postulat du MEDEF à l’ouverture de la négociation, à savoir une sorte de théorème de Schmidt revu selon lequel les licenciements d’aujourd’hui feraient les embauches de demain. C’est en effet une erreur fondamentale. Non seulement il n’est pas difficile de procéder à des licenciements économiques en France, mais notre pays n’a pas les moyens de s’offrir une flexisécurité à la danoise : il faudrait doubler les moyens de l’assurance chômage au sens large pour assurer une indemnisation chômage égale à 90 % du revenu moyen antérieur. Cette voie aurait donc été une impasse. Ce n’est d’ailleurs pas celle qu’a choisie l’accord, qui rend plus difficiles les plans sociaux « secs » – vous avez parlé de mettre fin à l’exception française de la préférence pour les licenciements – au profit de mesures de redéploiement comme le chômage partiel, rebaptisé activité partielle, les accords de maintien dans l’emploi, qui sont des formes de chômage partiel négocié, ou les mobilités internes, qui sont des formes de réorganisation des entreprises hors périodes de crise.
Ce choix structurant doit beaucoup à la négociation, mais aussi à la touche personnelle que vous y avez apportée en rétablissant une forme moderne d’autorisation de licenciement, qui repose fondamentalement sur la négociation. Aujourd’hui, le licenciement est une prérogative unilatérale du chef d’entreprise – avec information et consultation des salariés. Demain, grâce à l’accord et à ce texte, il devra recueillir soit l’accord majoritaire des salariés, soit une forme d’accord de l’administration, à travers la procédure d’homologation. Vous avez fait le choix que celle-ci puisse porter sur le fond des mesures proposées par l’entreprise, et non sur la seule procédure. Ce choix conditionne les effets possibles de l’accord en matière d’emploi, puisque l’administration aura les moyens de peser concrètement sur les solutions mises en œuvre, donc en faveur des solutions alternatives aux licenciements. Pouvez-vous nous en dire plus sur les moyens dont elle disposera pour remplir la nouvelle mission fondamentale qui lui incombe, sachant que vous avez précisé que les moyens mis en œuvre par les entreprises devraient être proportionnés à ceux des groupes auxquels elles appartiennent ? Quoi qu’il en soit, je me félicite que vous ayez préféré à la flexisécurité une « sécuri-sécurité » à la française.
J’en viens au rôle du Parlement. Les partenaires sociaux ayant signé un accord, nous sommes dans la même situation qu’il y a quelques semaines, lorsque nous avons examiné le projet de loi créant les contrats de génération – à ceci près que l’accord avait ici été signé par tous les partenaires sociaux. Le Parlement jouera donc pleinement son rôle, dans le respect de la signature des organisations syndicales qui se sont engagées à travers l’accord. Les dirigeants du MEDEF ont par exemple accepté de s’engager dans la voie du rétablissement d’une forme d’autorisation de licenciement. Remettre cette signature en cause serait compromettre toute négociation dans les prochaines années. Or pour redresser notre pays, lutter contre le chômage, protéger les salariés et améliorer la compétitivité des entreprises, nous avons besoin que salariés et employeurs se parlent.
Par le travail que vous avez accompli, marchant en quelque sorte sur un chemin de crête et tenant compte des inquiétudes manifestées par les organisations non-signataires, qui représentent près de la moitié des salariés, mais aussi par d’autres forces vives de notre pays, vous avez montré que nous pouvions progresser dans cette voie. C’est dans le même état d’esprit que je vous proposerai de faire évoluer ce texte. Les partenaires sociaux ont édifié les murs, vous y avez ajouté le toit ; il nous reste à poser les portes et les fenêtres, en respectant la négociation et en restant à l’écoute de ceux qui souhaitent nous aider à améliorer le texte.
Je terminerai par quelques questions précises. La première – que je vous ai déjà posée – porte sur les moyens de l’administration. Pouvez-vous également nous en dire plus sur la capacité de la justice administrative à assumer, en lieu et place de la justice judiciaire, sa nouvelle mission en matière de gestion des procédures collectives ?
Ma deuxième question porte sur la généralisation de la couverture complémentaire santé. Comment l’articuler avec l’objectif qu’a fixé le Président de la République à Nice – offrir cette généralisation à tous les Français, notamment les 4 millions de salariés actuellement non couverts ?
S’agissant du compte personnel de formation, nous restons un peu sur notre faim. L’accord avait beaucoup progressé sur les conditions de son utilisation. Ce projet de loi aurait donc pu arrêter définitivement ses contours, la loi de décentralisation et la future loi sur la formation professionnelle traitant ensuite de la gouvernance et du financement. L’objectif d’un projet de loi d’ici à la fin de l’année, qui a été annoncé par le Président de la République, doit être tenu : il y va de la compétitivité de notre pays et de la sécurité des salariés face au risque du chômage.
Le texte comporte une réforme du chômage partiel – l’activité partielle – et un nouveau dispositif – les accords de maintien dans l’emploi, que j’ai qualifiés de forme de chômage partiel négocié. Sera-t-il possible de recourir aux aides de l’État en cas de signature d’un accord de maintien dans l’emploi ? Je vous pose cette question car si nous envisagions de préciser le texte sur ce point, notre amendement tomberait sous le coup de l’article 40.
M. Jean-Patrick Gille. Je salue à mon tour la méthode, qui a permis de restaurer et de renforcer le dialogue social, faisant naître une sorte de « dialogue social à la française ». Mais comme il n’y a pas d’autonomie de la création de la norme dans notre pays, il est nécessaire d’en passer par la loi.
La condition pour que ce « dialogue social à la française » fonctionne – qui n’a pas toujours été remplie sous la législature précédente, comme l’a rappelé la présidente – est la loyauté. Dès lors que l’on demande aux partenaires sociaux de négocier, il importe de respecter leur négociation et le fruit de leur travail. Le processus a ici parfaitement fonctionné.
Certains parlent de flexisécurité, d’autres de flexibilité à l’allemande ou à la française. Il s’agit simplement d’améliorer le fonctionnement du marché du travail. Nous sommes en train d’inventer une méthode – « à la française » elle aussi – qui consiste à donner davantage de place à la négociation, à réduire la précarité, mais aussi – ce qui n’a pas été assez souligné par les observateurs – à accroître la participation des salariés à la stratégie de l’entreprise. Il s’agit enfin de sortir d’une culture de management par le licenciement et la condamnation de certains publics – notamment les jeunes – à la précarité, à laquelle notre pays s’est habitué. L’accord et la loi vont permettre de faire évoluer cet état d’esprit.
Le texte comporte des avancées immédiates telles que la sur-cotisation employeur sur les CDD et l’encadrement du temps partiel, mais aussi l’encadrement des accords de maintien dans l’emploi et la représentation des salariés au conseil d’administration des grandes entreprises.
Il contribue également à la construction de nouveaux droits, avec la généralisation de la couverture complémentaire santé, le compte personnel de formation et les droits rechargeables.
Certains points, qui restent à préciser, donneront lieu à débat. Je pense par exemple à la réforme des procédures de licenciements collectifs, qui doit constituer une arme contre les licenciements abusifs. Je pense aussi à la délicate question de la mobilité, notamment de la mobilité interne. Comment veiller à ce que la multiplication des accords que nous appelons de nos vœux, notamment au niveau de l’entreprise, n’aboutisse pas à déroger à la loi ?
Bien que peu d’observateurs l’aient noté, le texte opère également des avancées en matière de formation professionnelle, qu’il s’agisse du conseil en évolution professionnelle, de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et de son lien avec la formation, de la consultation du comité d’entreprise sur la politique de formation, attendue depuis longtemps, ou du compte personnel de formation, sur lequel nous aimerions des précisions. Il me semble que ce ne serait pas trahir l’accord que d’introduire dans la loi, ainsi que l’avait proposé le Président de la République durant la campagne présidentielle, un droit à la formation initiale différée en prévoyant que le compte personnel de formation puisse être abondé pour les salariés n’ayant aucune qualification.
Ces points dont nous aurons à discuter constituent autant d’étapes dans la sécurisation des parcours professionnels. Efforçons-nous de ne pas cantonner notre réflexion aux salariés insiders, afin qu’elle contribue à la lutte contre le chômage et au développement de l’emploi grâce à l’amélioration du marché du travail.
M. Gérard Cherpion. Permettez-moi de rappeler que l’accord du 11 janvier est le quatorzième signé en application de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, dite « loi Larcher ». Il s’inscrit donc dans la volonté de dialogue social portée par celle-ci, qui a introduit dans le code du travail les articles L1 et L2 – sur lesquels se fondent toutes les négociations sociales en cours.
L’accord du 11 janvier est un accord tout à fait intéressant. Il n’y a en effet ni gagnant ni perdant, mais un équilibre, et un certain nombre d’avancées importantes pour les salariés comme pour les entreprises.
Certains articles de l’accord ne nécessitaient pas de transposition législative. Ils s’appliqueront donc directement, ou après une négociation. Je pense notamment à l’article 4, relatif à la sur-cotisation d’assurance chômage des CDD.
Plusieurs questions se posent par ailleurs. Vous l’avez rappelé, 4 millions de personnes adhèrent individuellement à une complémentaire santé, dans des conditions parfois peu favorables, voire difficiles ; d’autres n’en ont pas du tout. La couverture complémentaire santé est donc une réelle avancée. Reste à discuter de la clause de désignation – Jean-Pierre Door y reviendra.
La réduction des délais de prescription constitue une autre avancée. Ainsi que l’ont rappelé les partenaires sociaux, ces derniers sont en moyenne inférieurs à deux ans. Prenons cependant garde à ce que cette réduction ne conduise pas à une judiciarisation plus massive d’entrée de jeu qu’elle ne l’était auparavant. C’est un point auquel il conviendra d’être attentif.
Les progrès attendus de certaines dispositions dépendront de la manière dont celles-ci vont être appliquées. Je pense par exemple aux dispositions relatives au temps partiel, qui ne renvoient pas à celles concernant le travail temporaire et l’intérim. Il faudra donc sans doute revoir l’articulation de ces différentes mesures.
J’en viens à la formation professionnelle. L’article 1er de la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie affirmait déjà la volonté que la formation professionnelle permette à chacun de progresser d’au moins un niveau de qualification professionnelle au cours de sa carrière, ce qui est d’ailleurs assez peu ambitieux – on pourrait espérer aller plus loin.
Nous sommes aujourd’hui dans une période de transition, puisque vous allez prochainement présenter un projet de loi sur l’apprentissage et la formation professionnelle. La mise en œuvre d’un certain nombre de mesures risque donc d’être reportée dans l’attente de l’adoption de cette loi.
En cas de difficultés d’application par l’administration, peut-on envisager une sorte de procédure de rescrit durant la période d’incertitude juridique qui s’ensuivra pour les entreprises ?
Le groupe UMP reconnaît que ce texte constitue une avancée sur le plan social et sur celui de la protection de l’emploi et de la lutte contre la précarité de l’emploi. Son vote dépendra de la loyauté que manifestera le texte par rapport à l’accord signé par les partenaires sociaux et de l’accueil réservé à ses amendements.
Mme Véronique Massonneau. Permettez-moi d’excuser Christophe Cavard, qui se trouve bloqué à Berlin par une tempête de neige et que je supplée volontiers.
Je commencerai par rappeler la méthode et la position actuelle du groupe écologiste. Dès le début de son quinquennat, François Hollande a affirmé un principe fort que nous partageons, celui de la démocratie sociale. Contrairement aux pays d’Europe du Nord, la France se caractérise par une primauté de la loi et de la réglementation sur le dialogue social, comme en témoigne un épisode frappant de la précédente législature : réécrivant de façon déséquilibrée et partisane les accords négociés, Nicolas Sarkozy a confirmé son mépris pour la construction d’une démocratie sociale moderne. Comme ils s’y sont engagés, les députés écologistes réaffirment leur volonté d’instaurer une véritable démocratie sociale en redonnant du pouvoir aux salariés, à la fois sur le plan individuel et sur le plan collectif. Dans cette logique, nous partageons l’objectif du respect de l’équilibre de l’accord.
Néanmoins, il est de notre devoir de parlementaires de garantir son articulation avec la loi et les grands principes internationaux de protection des salariés, qui trouvent leur origine dans la nécessité de rééquilibrer une relation déséquilibrée par nature, celle de la subordination salariale. Si le droit du travail constitue avant tout une protection du salarié, il convient de transcrire l’accord dans la loi avec le souci d’assurer cette protection. C’est avec cette grille de lecture que nous évaluerons le texte final et arrêterons la position de notre groupe.
Si les évolutions constatées depuis le pré-projet constituent un signe positif, il nous faut cependant aller plus loin. Plusieurs points doivent en effet faire l’objet de précisions ou d’améliorations.
La formation professionnelle est un élément clef de la transition écologique de notre économie. Si nous saluons la création du compte personnel de formation, nous souhaitons le voir étendre à l’ensemble des formations, ce qui suppose une concertation étroite avec les régions, en tenant compte de la formation initiale des salariés. La flexisécurité tant vantée par le patronat repose sur une formation forte et qualifiante. L’occasion de cette loi doit donc être saisie pour amorcer une vaste réforme de la formation.
Il conviendra également de préciser le texte en ce qui concerne la mobilité interne, qui semble tantôt envisagée comme un outil de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), ce qui peut être considéré comme une avancée, et tantôt comme un outil de réponse aux difficultés économiques de l’entreprise, ce qui peut créer un effet d’aubaine pour des patrons peu scrupuleux. La loi doit inscrire clairement cette mesure dans une logique de GPEC, en encadrant plus strictement ses conditions d’application et en précisant les possibilités de dérogation.
D’autre part, les délais prévus pour les validations et l’homologation des accords ou plans unilatéraux sont très courts. Dans un contexte de fortes restrictions budgétaires, l’administration aura du mal à les honorer. Nous ne pouvons considérer ce paramètre comme un outil déguisé d’assouplissement des conditions de licenciement. Il faudra donc permettre à l’administration d’honorer sa mission, par des garanties de moyens ou un allongement des délais.
Je conclurai sur la taxation des CDD, qui vise à lutter contre la précarité des salariés. Si nous saluons l’objectif vers lequel semblent converger tous les partenaires, les mesures proposées ne sont pas suffisantes pour les atteindre. La sur-cotisation prévue rendra l’arbitrage entre CDD et intérim favorable à ce dernier, annulant ainsi l’esprit même de la loi. Nous devons donc veiller à ce que les moyens prévus par la loi soient à la hauteur des objectifs qu’elle se donne.
M. Jean-Noël Carpentier. Je vous remercie pour votre présentation claire, franche et extrêmement ouverte au débat, monsieur le ministre. En dépit des inquiétudes qui ont pu être formulées ici ou là, vous nous confirmez que l’Assemblée nationale n’est pas une chambre d’enregistrement, et que le travail législatif suivra son cours.
Je tiens à féliciter le Gouvernement pour son travail sur le front de l’emploi. Depuis que cette majorité est au pouvoir, son principal but est de protéger nos concitoyens face à la crise et au chômage. Pour cela, nous essayons de mettre en œuvre une politique cohérente. Si ses fruits sont encore peu visibles, la cohérence est bien là, avec de nombreux dispositifs comme les emplois d’avenir et le contrat de génération, qui procèdent eux aussi d’une démarche d’écoute et d’un dialogue social que je veux saluer. Oui, c’est une nouveauté que de faire confiance aux acteurs sociaux pour surmonter leurs antagonismes, qui ne disparaîtront pas. Les rapports de force existent bien dans notre pays, et le droit social est là pour protéger les salariés. Puisque le dialogue social n’exclut pas les confrontations, il revient au législateur de l’organiser, afin qu’il se déroule le mieux possible et permette les évolutions qui sont nécessaires pour surmonter les crises. C’est ce qu’accomplissent aujourd’hui le Gouvernement et sa majorité, de la conférence sociale de juillet 2012 à ce projet de loi.
Vous avez donc organisé le dialogue ; vous vous y êtes personnellement investi, monsieur le ministre. À nous désormais de transposer cet accord dans la loi.
Ce texte vise à faire évoluer le marché du travail, conformément à la tradition républicaine française. La question est de savoir dans quel sens. Va-t-il améliorer la situation de l’emploi, éviter sa précarisation ? Va-t-il permettre aux salariés de conserver leurs droits ? Tout notre travail de parlementaires consiste à veiller à la préservation de l’intérêt général au moment de mettre cet accord en musique.
Vous parlez d’un accord sans gagnant ni perdant, avant tout fruit d’une démarche commune. Le groupe RRDP se félicite de cette volonté et proposera des améliorations du texte par voie d’amendement.
Ce projet comporte des avancées pour les salariés, avec les nouveaux droits qui ont été évoqués – couverture sociale complémentaire, formation professionnelle, dialogue social renforcé par la présence de représentants des salariés au conseil d’administration et la consultation du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques de l’entreprise. Ces nouveaux droits compensent-ils cependant les importants efforts demandés aux salariés ? Je pense à la facilitation des mobilités internes – voire forcées pour certains – ou à celle des accords de maintien dans l’emploi, qui revient à inscrire dans la loi la possibilité de baisser les salaires pour maintenir l’emploi.
Je terminerai par deux questions. Avez-vous évalué le nombre des licenciements que ce texte permettra d’éviter ? Pensez-vous qu’il participera à la relance tant attendue de notre économie ?
M. le ministre délégué. Les intervenants qui se sont exprimés ont salué les avancées du texte en matière de formation. Même s’il reste du travail, il crée un droit nouveau, appelé à devenir incontournable : le compte personnel de formation. J’aurai donc l’occasion de revenir devant vous. Le ministre l’a dit, nous ne sommes pas les greffiers de l’accord qui a été négocié.
M. le ministre. Mais nous en sommes les garants.
M. le ministre délégué. Nous avons cependant fait le choix de reprendre dans le projet de loi les grands principes régissant le compte personnel de formation, à savoir son caractère universel, son caractère individuel et sa transférabilité. En revanche, ses modalités de mise en œuvre ne sont pas détaillées de manière exhaustive. Des points importants restent ainsi à traiter, tels que le lien entre le compte personnel et le droit individuel à la formation (DIF), l’articulation opérationnelle entre le compte personnel et le congé individuel de formation (CIF), ou les voies et moyens d’abondement du compte. C’est la raison pour laquelle les partenaires sociaux envisagent de poursuivre leurs travaux, sous la double forme d’une concertation avec l’État et les régions – partenaires importants de la formation auxquels Mme Massonneau a fait référence à juste titre – et d’une négociation en vue d’adapter les dispositions conventionnelles interprofessionnelles impactées par la création du compte.
J’aurai l’occasion de m’exprimer de manière plus précise à partir du 18 mars, date à laquelle me seront remises les conclusions du groupe de travail du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie sur le compte individuel de formation. Cette commande avait été passée à l’issue de la conférence sociale de juillet ; nous avions fixé l’échéance au mois de mars. Entre-temps a été signé l’accord du 11 janvier ; les partenaires sociaux attendent donc les conclusions du groupe de travail pour définir les modalités opérationnelles du compte personnel de formation. Dès la remise de ce rapport, j’entamerai une série de consultations auprès des partenaires sociaux – signataires et non signataires de l’accord – sur deux points qui sont intimement liés. Il s’agit d’une part de la suite des discussions sur le compte personnel de formation, qui doivent associer l’État, les régions et les partenaires sociaux, de leur échéancier et de leur traduction législative, et d’autre part des suites à donner au discours prononcé le 4 mars à Blois par le Président de la République, qui prône une réforme ambitieuse de la formation professionnelle, avec une relance éventuelle de la négociation interprofessionnelle, et donc ses thèmes et son calendrier. Je n’envisage pas que cette négociation puisse s’ouvrir avant l’adoption définitive de la loi sur la sécurisation de l’emploi. C’est donc brique par brique que se construira le compte personnel de formation. En fonction de la nature de la discussion arrêtée par l’État et les partenaires sociaux après la remise du rapport, de ses thèmes et de son calendrier, on peut envisager que quelques-unes de ces briques soient posées par amendement dans le cadre de ce texte, ou bien – notamment pour celles qui aboutiront à des avancées de fond – dans celui du projet de loi sur la formation professionnelle continue qui sera présenté à l’automne. Nous avons comme vous l’ambition de construire un très bel outil, pour reprendre les propos que vous avez tenus dans la presse, monsieur le rapporteur. J’aurai donc le plaisir de m’exprimer à nouveau devant votre commission – peut-être à l’occasion d’une quinzième application de la « loi Larcher », monsieur Cherpion.
Il est bien dans nos intentions de mettre en œuvre l’engagement du Président de la République en faveur de la création d’un droit à la formation initiale différée, monsieur Gille. Ce droit figure d’ailleurs à l’article 8 du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, sous la forme d’une formation complémentaire pour les jeunes sortis sans qualification de leur formation initiale. Nous devrons l’articuler avec le compte personnel de formation. Pour cela, une discussion complémentaire associant l’État, les régions et les partenaires sociaux – qui l’ont appelée de leurs vœux à l’article 5 de l’accord – est nécessaire. Chacun de ces acteurs pourrait contribuer à ce volet en faveur des jeunes sans qualification : les régions, qui sont compétentes depuis 1993 pour la formation professionnelle des jeunes sans qualification ; l’État, à travers l’éducation nationale, la lutte contre le décrochage scolaire et les dispositifs dits de deuxième chance, que vous connaissez bien ; les partenaires sociaux enfin, qui se sont engagés cette année en faveur des jeunes en difficulté, notamment au travers du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. La discussion va s’engager entre ces différents partenaires afin de concrétiser rapidement le droit à la formation différée au sein du compte.
Je me réjouis pour finir que les spécialistes que vous êtes aient salué les avancées que constituent la création du conseil en évolution professionnelle, et la consécration par la loi du lien entre gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et plan de formation des entreprises, qui permettra de mieux anticiper les évolutions économiques au sein de l’entreprise, et donc de sécuriser les parcours des salariés.
M. le ministre. Je remercie les différents intervenants des appréciations qu’ils ont portées sur ce projet de loi. La question de la place du dialogue social dans notre République est en train de mûrir et de prendre toute sa dimension. Nous ne l’avons certes pas inventé : certains ont fait allusion à des dispositions législatives dont nous avions soutenu l’adoption en leur temps, auxquelles la constitutionnalisation – qui sera proposée au Parlement – conférera encore davantage de force.
J’entends aujourd’hui la volonté des uns et des autres de respecter le dialogue social et l’équilibre de l’accord, en y apportant leur pierre. Le devoir des parlementaires est en effet d’examiner la loi, et de l’amender le cas échéant. Il me semble important de le redire, puisque l’on entend encore dire que le Parlement serait une chambre d’enregistrement. Les choses peuvent évidemment bouger, mais dans le respect d’un certain équilibre, et je remercie chacun de l’avoir reconnu.
Permettez-moi maintenant de vous apporter quelques éléments de réponse à ce stade du débat.
La généralisation de la couverture complémentaire santé est une innovation très importante, qui remet en cause des habitudes et des situations acquises, y compris du point de vue économique. Parce que certains ne bénéficient pas de ces situations acquises, il faut aujourd’hui élargir le cercle. Rappelons que 4 millions de salariés ne voient pas leur employeur participer au coût de cette couverture complémentaire, et que 400 000 ne bénéficient d’aucune protection – ce qui est indigne. Nous agirons dans le respect des équilibres économiques, mais ceux-ci devront tout de même évoluer.
Les partenaires sociaux avaient été d’une clarté quelque peu nébuleuse sur le sujet. En accord avec eux, j’ai voulu faire en sorte que cette clarté soit totale : le droit doit être le plus clair possible. Deux principes fondent donc nos propositions. Le premier est celui de la transparence, qui doit être absolue dans ce domaine, puisque ce sont les entreprises, voire les branches, qui se substitueront aux individus pour choisir l’organisme qui assurera cette couverture complémentaire santé. C’est ici l’auteur de la loi dite Sapin relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques qui vous parle… Ce seront des dispositions réglementaires. Nous pourrons néanmoins en parler, car nous avons commencé à travailler sur cette question de la transparence et du respect de la concurrence avec le ministère des affaires sociales et de la santé.
Il faut ensuite que la mutualisation soit possible, dans la mesure où les salariés de certaines entreprises présentent des risques plus importants que les autres. En l’absence de possibilité de mutualisation, les organismes rechercheront les « meilleurs » risques, et certaines entreprises – souvent les PME – devront payer plus cher pour garantir cette couverture complémentaire à leurs salariés.
Vous m’interrogez sur l’inscription de ce dispositif dans un processus plus global. Le Président de la République a en effet fixé un nouvel objectif : ouvrir à tous – salariés et non salariés – cette couverture complémentaire santé, afin que chaque Français puisse en bénéficier. Quoi qu’il en soit, c’est aujourd’hui un pas important qu’il est proposé de franchir. Le coût est loin d’en être négligeable pour les entreprises. Elles l’ont accepté en toute connaissance de cause, car elles savent combien cela est important, y compris pour le bien-être de leurs salariés au travail, et donc pour leur compétitivité.
M. Carpentier s’interroge sur le nombre de licenciements que ce projet de loi permettra d’éviter. Je ne peux répondre à cette question plus précisément qu’en évoquant, tel Fernand Raynaud, un « certain nombre » ou un « nombre certain ». Vous connaissez la situation : face à une difficulté conjoncturelle, les entreprises ont systématiquement recours au licenciement. Les médias se font certes l’écho de quelques cas particuliers dans lesquels un accord a pu être trouvé – de manière non encadrée – entre les salariés et la direction. Mais dans la plupart des cas, la variable d’ajustement reste le licenciement. Demain, elle ne le sera plus qu’en dernier ressort. Le texte permettra donc d’éviter des licenciements – donc des chômeurs supplémentaires.
Il aura également un effet sur la création d’emplois. Bien sûr, il ne saurait créer en lui-même de l’emploi, mais il doit permettre d’en finir, pour reprendre une expression du Président de la République, avec une forme de peur de l’embauche. Beaucoup d’entreprises diffèrent en effet le moment où elles vont embaucher – ou ont recours à des contrats précaires – lorsque la croissance repart. Notre dispositif permettra de faire sauter ce verrou, et donc d’agir aussi vite et aussi fort que les autres en période de reprise, contrairement à l’habitude qui est la nôtre en France, que ce soit en termes d’investissement – avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – ou en termes d’embauches – avec la loi sur la sécurisation de l’emploi. C’est sans doute l’un des éléments les plus décisifs. Nous ne sommes pas là dans le domaine des mathématiques, mais dans celui de la confiance et des mécanismes qui permettent aux acteurs sociaux de se comporter différemment de ce qu’ils faisaient jusqu’à présent.
J’en viens aux questions du rapporteur. Le texte comporte des dispositions qui faciliteront le chômage partiel. Les partenaires sociaux ont d’ailleurs déjà entamé les discussions dans ce domaine. Rappelons que cette question du chômage ne ressort pas du domaine législatif, mais du domaine conventionnel. J’insiste sur ce point, madame Massonneau, car vous vous êtes interrogée sur le point de savoir si l’augmentation des cotisations chômage sur les CDD était suffisante pour être dissuasive – question qui a sans doute longuement occupé les partenaires sociaux. Or le texte ne fixe pas de taux de cotisation : il se borne à ouvrir aux partenaires sociaux la possibilité juridique de différencier ces taux selon les types de contrats. Le taux des cotisations sera donc fixé par les partenaires sociaux eux-mêmes.
Le dispositif du chômage partiel est donc refondu. Il est complémentaire de celui des accords de maintien dans l’emploi, qui constituent un autre outil nouveau et important pour les entreprises. Une entreprise peut ainsi recourir au chômage partiel, puis subir une nouvelle dégradation conjoncturelle qui la conduit à négocier un accord de maintien dans l’emploi. De même, une entreprise qui a conclu un tel accord et se trouve confrontée à des difficultés plus importantes peut préférer recourir au chômage partiel plutôt que de dénoncer cet accord et de licencier. Les deux dispositifs peuvent donc se cumuler.
Venons-en aux questions humaines. Plusieurs d’entre vous se demandent – à juste titre – si l’administration a les moyens d’assumer les pouvoirs nouveaux qui lui sont confiés par le texte. Par ailleurs, l’équilibre entre l’ordre administratif et l’ordre judiciaire se trouve modifié pour le traitement des éventuels contentieux.
Le juge administratif d’aujourd’hui n’est plus celui que certains ont connu il y a quelques années. Il juge bien plus rapidement que naguère, puisque les délais devant la juridiction administrative sont de l’ordre de trois mois. Nous avons en outre prévu des procédures particulières, en fixant des délais de même nature que ceux qui existent dans le domaine du droit des étrangers, à savoir des délais impératifs. Nous avons également engagé un travail avec le Conseil d’État et l’ensemble des juridictions administratives, afin que les procédures et les moyens mis en place permettent de traiter immédiatement les contentieux qui surviendront dans ce domaine. L’objectif du texte est de faire en sorte que les recours contentieux, qui encore une fois sont légitimes, soient traités dans les délais les plus brefs possible, ce qui est capital pour les entreprises comme pour les salariés. Je n’ai donc aucune inquiétude sur ce point. Le juge judiciaire reste bien sûr compétent pour tous les licenciements individuels, y compris lorsqu’ils surviennent dans un cadre collectif.
J’en viens aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Le retour de l’État et celui de l’administration comme un élément qui sécurise l’ensemble de la procédure est sans doute l’aspect le plus révolutionnaire de ce texte. Aujourd’hui, l’entreprise décide seule avant de voir éventuellement contester sa décision devant le juge. La procédure peut prendre des années : dans le cas de LU, elle a duré dix ans. Ce n’est bon ni pour les entreprises, ni pour les salariés. Désormais, l’administration interviendra très en amont, non pour se substituer au juge, mais pour permettre qu’un équilibre soit trouvé le plus tôt possible. Les DIRECCTE auront les moyens de mettre en œuvre les nouveaux pouvoirs qui leur sont confiés conformément au souhait de tous les partenaires sociaux, y compris les représentants du patronat. En effet, elles examinent déjà la quasi-totalité des 1 000 plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) mis en œuvre chaque année, sur lesquels elles formulent des observations. La nouveauté réside dans le pouvoir d’homologation qui leur est donné. Cela nécessitera sans doute des formations complémentaires et des moyens supplémentaires, mais la charge de travail ne devrait pas être modifiée : seule la nature de ce travail change.
M. Bernard Perrut. On ne peut qu’être d’accord avec l’ambition que vous assignez à ce projet de loi : lutter contre le chômage et la précarité. Mais on peut aussi s’interroger sur ce qu’il en restera à la fin de la discussion parlementaire. Accepterez-vous que des amendements aient pour effet de modifier le contenu du texte, quitte à changer notre point de vue à son sujet ?
Par ailleurs, la création de nouveaux droits individuels et collectifs, la sécurisation des parcours professionnels et la réforme des procédures ne vont-elles pas être la source de complexités nouvelles, voire entraîner des difficultés de fonctionnement pour les DIRECCTE ? Ces dernières auront-elles les moyens de faire face à leurs nouvelles obligations ?
Sur le plan de la méthode, vous n’avez pas suffisamment souligné ce que votre texte devait à l’adoption, en 2007, par une autre majorité, de la loi de modernisation du dialogue social, dont j’avais dit moi-même à l’époque, en tant que rapporteur du projet, qu’elle avait « l’humilité des grandes ambitions ». Son but était de donner toute sa place à la démocratie sociale et d’organiser les relations entre cette dernière et la démocratie représentative, le tout afin de passer d’une culture du conflit à une culture de la négociation, du compromis et de la responsabilité. Non seulement l’idée que nous développions en 2007 est toujours valable aujourd’hui, mais vous la mettez en application avec ce projet de loi.
On peut être confiant en l’avenir d’un texte qui ne manque pas d’aspects positifs. Mais on peut aussi se demander s’il est à la hauteur des enjeux économiques et sociaux auxquels nous sommes confrontés. Le principe consistant à donner plus de sécurité aux personnes plutôt qu’aux postes, en contrepartie d’une plus grande flexibilité, va dans le bon sens. Vous reprenez ainsi le principe des accords compétitivité-emploi portés par la précédente majorité. Cela étant, nous resterons attentifs à l’évolution du projet de loi.
Mme Monique Iborra. Alors que le précédent Président de la République rêvait de supprimer les corps intermédiaires, vous avez mis les partenaires sociaux face à leurs responsabilités en leur demandant de négocier à partir de la feuille de route que vous leur aviez communiquée. On peut donc parler de vrai changement, voire de rupture.
Ce qu’induit ce projet de loi, c’est une culture différente, dans laquelle la négociation se substitue à l’affrontement. La confiance envers les partenaires sociaux est renouvelée, mais elle est aussi encadrée, l’État jouant son rôle de protecteur, de facilitateur de compromis, de garant de la justice sociale et de l’efficacité économique. Là encore, il s’agit d’une rupture par rapport aux anciennes pratiques.
C’est le retour du politique dans l’économique. Dans ce contexte, la place de chacun – y compris du Parlement – doit être respectée, mais avec le souci d’équilibrer les rapports de forces. Votre démarche, à la fois courageuse et audacieuse – mais aussi perturbante pour certains, comme toute politique induisant un réel changement de culture –, ne renie toutefois en rien les convictions dont nous sommes porteurs. De ce point de vue, elle mérite d’être soutenue et respectée.
En ce qui concerne la formation professionnelle – sujet complexe s’il en est –, la loi du 24 novembre 2009 n’a pas eu les effets escomptés. Dans ce domaine, qui voit pouvoirs publics et partenaires sociaux se partager les compétences, nous avons besoin de cohérence et de simplification. Il semble donc nécessaire de regrouper les différentes mesures contenues dans les différents projets de loi, qu’il s’agisse de celui que nous examinons, de l’article 18 du projet de loi pour la refondation de l’école, ou des futurs projets de loi sur la décentralisation ou sur la formation professionnelle.
M. Gérard Sébaoun. Bien entendu, nous restons attentifs aux souhaits des partenaires sociaux, qu’ils soient ou non signataires de l’accord.
Ma question concerne la mobilité – non pas tant la mobilité externe sécurisée, évoquée à l’article 3, que la mobilité interne à l’entreprise, à laquelle se consacre l’article 10, l’un des plus importants du texte. Il est prévu une négociation triennale obligatoire sur les conditions de mobilité professionnelle et géographique interne à l’entreprise. Dans les entreprises de plus de 300 salariés, cette négociation a lieu dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et compétences.
L’article 10 contient des dispositions très sensibles, pour ne pas dire inquiétantes. Il ne s’agit pas de dénier l’importance, pour une entreprise, de pouvoir s’organiser et se développer. Mais pour être comprise, pour être juste, la mobilité doit être accompagnée et bien encadrée, car elle touche à la vie des salariés dans toutes ses composantes. Vous avez d’ailleurs rappelé vous-même, monsieur le ministre, l’importance du bien-être au travail.
Quelle est votre conception de la mobilité interne dans l’entreprise ?
M. Jean-Pierre Door. La généralisation de la couverture complémentaire est un droit nouveau pour les salariés qu’il convient de saluer. Mais alors que les partenaires sociaux, lors de la négociation de l’accord national interprofessionnel, avaient privilégié la liberté de choix de l’entreprise assurantielle, le principe d’une clause de désignation a depuis été introduit qui aurait pour effet d’imposer un opérateur aux entreprises d’une même branche.
Pour M. Étienne Caniard, président de la Fédération nationale de la mutualité française, la recherche d’une mutualisation ne suffit pas à justifier l’existence d’une clause de désignation. Il faut donc tout à la fois laisser aux entreprises la liberté de choisir l’assureur et prévoir un panier de soins de qualité, de façon à garantir que le contrat complémentaire proposé ne soit pas un contrat de second ordre. Cela passe peut-être par la mise en place d’un cahier des charges.
Même si nous sommes favorables à la transparence, la clause de désignation constitue, à nos yeux, un point de blocage.
Mme Joëlle Huillier. Toutes les mutuelles nous disent qu’elles réalisent peu de bénéfices sur les contrats collectifs, qui bénéficient de tarifs préférentiels. Il en résulte des primes surévaluées pour les contrats individuels.
Or si le projet de loi prévoit une portabilité de la couverture santé pour les salariés devenus demandeurs d’emplois, il ne dit rien des salariés âgés, qui perdent le bénéfice de leur mutuelle au moment de prendre leur retraite, et doivent payer très cher leur assurance complémentaire individuelle.
M. Dominique Dord. Beaucoup, ici, sont convaincus que ce texte peut recueillir un soutien très large au sein de l’Assemblée nationale, pour peu que l’on fasse l’économie, de part et d’autre de l’hémicycle et au sein du Gouvernement, de certaines polémiques, querelles sémantiques ou procès en recherche de paternité destinés à savoir à qui il faut attribuer le mérite de telle ou telle disposition. Les dispositions que nous examinons, en effet, sont avant tout dictées par l’actualité, puisque de plus en plus d’entreprises – hier en Allemagne, aujourd’hui en France – cherchent à mettre en place des accords de compétitivité.
Sur la forme – vous l’avez rappelé, madame la présidente –, la méthode, excellente, ne peut que recueillir l’assentiment de tous ; et même sur le fond, il existe probablement peu de divergences entre nous. Ainsi, monsieur le ministre délégué, je ne peux qu’approuver le principe du compte personnel de formation, même si l’expérience montre qu’en matière de formation professionnelle, les tentatives de réforme tendent à se heurter à des complications lors de leur mise en œuvre.
Finalement, les interrogations portent surtout sur le résultat du débat parlementaire, puisque l’obtention d’une large majorité dépendra des modifications que vous aurez acceptées, monsieur le ministre. Vous avez annoncé vouloir préserver l’équilibre de l’accord national interprofessionnel, et une telle intention est plutôt de nature à nous rassurer. Mais si personne ne se sentirait trahi par l’adoption d’amendements de type technico-juridique, il n’en irait pas de même si des modifications profondes étaient proposées au prétexte d’améliorer le projet de loi.
Quelle est donc, monsieur le ministre, votre stratégie parlementaire ?
M. Michel Issindou. Nous recevons, sur le terrain, de nombreux représentants d’organisations syndicales. Certains d’entre eux, s’ils comprennent la nécessité de faire des efforts afin de préserver l’emploi lorsque la conjoncture est difficile, s’interrogent sur les conditions d’application de la clause de bonne fortune, selon laquelle une meilleure conjoncture doit entraîner le retour à des conditions d’emploi normales. Qui va déterminer le moment où la situation de l’entreprise s’améliore, et selon quels critères ? Va-t-on prendre en compte l’évolution du chiffre d’affaires, celle du carnet de commandes ? Les salariés ont besoin d’être rassurés, tant ils craignent que les fruits d’une éventuelle reprise ne leur échappent au profit, par exemple, d’une augmentation des dividendes. Ils sont prêts à se sacrifier, à travailler un peu plus ou à gagner un peu moins, à condition toutefois de pouvoir profiter de toute amélioration de la situation.
Mme Isabelle Le Callennec. À propos du compte personnel de formation, vous évoquez systématiquement l’État, les régions et les partenaires sociaux. Qu’en est-il des autres interlocuteurs intervenant dans la formation, comme Pôle emploi – qui finance notamment les actions de formation préalable au recrutement –, les missions locales ou les OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés ?
Par ailleurs, vous avez souligné la nécessité de développer un service neutre de conseil en évaluation professionnelle. Les maisons de l’emploi, quand elles fonctionnent, ont cette capacité : les salariés, tout au long de leur carrière, peuvent s’y informer sur les opportunités existant dans leur bassin d’emploi.
Quant aux « droits rechargeables », ils représentent une révolution. Mais il convient de refonder le système et de travailler davantage sur l’accompagnement. De même, il faut prévoir des droits, mais aussi des devoirs pour les demandeurs d’emplois. C’est sans doute l’occasion d’envisager d’une autre façon l’assurance chômage et peut-être de relancer la discussion sur la question de la dégressivité des droits. Par ailleurs, certains s’interrogent sur le coût de la nouvelle disposition. Avez-vous cherché à l’évaluer ?
Les DIRECCTE disposeront d’un pouvoir très important au moment de la conclusion d’un accord de maintien de l’emploi, celui d’apprécier les difficultés conjoncturelles que traverse une entreprise. Comment faire en sorte qu’elles se prononcent en toute objectivité ?
Enfin, un meilleur accès au logement favorise la mobilité interne au sein de l’entreprise. Quel est le contenu de l’accord conclu en ce domaine entre l’État et l’Union d’économie sociale du logement ?
M. Denys Robiliard. Je m’interroge sur la compatibilité entre les dispositions relatives aux accords de mobilité ou de maintien de l’emploi et la directive 98/59/CE. Est-il envisageable d’effectuer plus de dix licenciements économiques tout en restant dans le cadre du licenciement individuel ?
Par ailleurs, en matière de mobilité, est-il possible, sans dénaturer l’accord national interprofessionnel, de définir plus précisément la notion de secteur géographique, voire de poser certaines limites ?
En termes de modification du contrat de travail, les conséquences d’un accord de mobilité seront les mêmes que celles d’un accord de maintien de l’emploi. Dès lors, pourquoi ne pas prévoir un accord majoritaire dans les deux cas ?
Lorsque les engagements souscrits dans le cadre d’un accord de maintien de l’emploi ne sont pas appliqués de manière loyale et sérieuse, ou quand la situation économique de l’entreprise a évolué de manière significative, le projet de loi prévoit la possibilité d’une suspension de l’accord par le juge, puis, dans un deuxième temps, d’une suspension définitive, ce que pour ma part j’appellerais une résiliation. Or l’annexe de l’accord national interprofessionnel évoque la possibilité d’une résolution, c’est-à-dire d’une annulation avec effet rétroactif. Pourquoi ne pas avoir retenu cette option ?
Le contrôle des licenciements ne porte que sur la procédure. Ne faudrait-il pas aller plus loin et vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse ?
Enfin, je regrette, au nom de la sécurité juridique, que le contentieux soit éclaté entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire. Une jurisprudence met en effet au moins dix ans à se construire : pourquoi abandonner celle de la Cour de cassation ?
Mme Véronique Louwagie. L’accord national interprofessionnel est un acte majeur de démocratie sociale qu’il nous appartient de respecter.
La disposition sur les « droits rechargeables » représente une avancée. Mais l’accord reste silencieux sur les moyens de la financer, alors même que les partenaires sociaux ont émis le souhait de ne pas aggraver le déséquilibre financier du régime d’assurance chômage.
Nous sommes tous d’accord pour limiter la précarité et donc le nombre de contrats à durée déterminée. Pour autant, ces derniers représentent une source de flexibilité pour les entreprises. En imposant un coût supplémentaire sur ces types de contrats, ne risque-t-on pas, dans certains cas, de les dissuader d’embaucher ?
L’article 8 prévoit l’instauration d’une durée minimale hebdomadaire de vingt-quatre heures, avec deux exceptions, dont l’une concerne les particuliers employeurs. Quelle conséquence peut-il entraîner dans le secteur des services à la personne, qui représente un nombre d’emplois important ?
Enfin, vous avez évoqué un retour de l’État et de l’administration s’accompagnant de nouveaux moyens humains et matériels. Les DIRECCTE interviendront non seulement pour accompagner la négociation des accords, mais aussi pour les homologuer. Ne risquent-elles pas d’être à la fois juge et partie ?
M. Christophe Sirugue. Les dispositions sur la durée du travail hebdomadaire et la majoration de la rémunération des heures complémentaires auront un impact positif sur le phénomène de précarité du travail dont souffrent particulièrement les femmes. Mais la possibilité de conclure jusqu’à huit avenants consécutifs n’est-elle pas contradictoire avec la volonté de stabiliser la situation des travailleurs à temps partiel ?
Le projet vise à éviter l’émiettement des horaires de travail, ce dont on ne peut que se réjouir. Mais qu’en est-il de la notion de temps de travail effectif, notamment en cas de déplacement entre deux emplois ?
Enfin, je me réjouis de voir que la dernière version du texte renonce à l’exception concernant les salariés des particuliers employeurs. Cela aurait été une importante source de précarité.
Mme Fanélie Carrey-Conte. La généralisation des assurances complémentaires de santé conduit à se poser la question du niveau minimum de garantie proposée. Si nous n’y prenons pas garde, l’application du projet de loi pourrait entraîner la juxtaposition d’une assurance maladie obligatoire, d’une assurance complémentaire collective et de « surcomplémentaires » facultatives, plus ou moins accessibles selon les moyens financiers dont disposeront les salariés. Un décret doit préciser le niveau de prise en charge des dépenses de santé par l’assurance complémentaire. Quel sera son contenu ? Quelles seront les dispositions concernant les contrats solidaires et responsables, leur éventuelle évolution et leur fiscalité ?
M. Jérôme Guedj. Vous avez dit, monsieur le ministre, que vous ne vous étiez pas comporté en simple scribe à l’égard de cet accord interprofessionnel. C’est vrai, et je vous en remercie. Qu’il s’agisse de la clause de désignation de l’assurance complémentaire, des modalités de désignation des salariés siégeant au conseil d’administration, du moment d’intervention de l’administration dans les procédures de licenciement collectif ou des conséquences du refus d’un accord de mobilité, vous avez, lors de la transposition de l’accord, interprété les dispositions ambiguës, voire corrigé les défaillances juridiques – je pense en particulier au problème de compatibilité avec la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail.
Pour la même raison, vous avez déclaré ne pas vouloir que le Parlement soit une simple chambre d’enregistrement. De fait, les interventions précédentes dénotent une volonté d’amender le texte du projet de loi. C’est pourquoi je trouve particulièrement déplacé le chantage exercé par notre collègue de l’opposition, qui se dit prêt à voter le texte à condition que les parlementaires n’usent pas de leurs prérogatives. Nous ne devons pas céder à une telle menace.
Pour autant, plusieurs interrogations subsistent, qu’il s’agisse de la réduction de cinq à trois ans du délai de prescription des actions concernant le contrat de travail – surprenante dans un texte destiné à sécuriser l’emploi –, de la barémisation de la conciliation prud’homale ou du CDI intermittent.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Mon cher collègue, modérez vos propos. Il n’y avait aucune menace dans l’intervention de notre collègue, qui s’est contenté d’évoquer les conditions d’un vote favorable de la part de son groupe.
Mme Catherine Coutelle. La ministre des droits des femmes envisage d’inclure un volet relatif à l’égalité entre hommes et femmes dans les études d’impact accompagnant les projets de loi. Il aurait été particulièrement intéressant d’appliquer cette démarche à celui que nous examinons.
La majoration de 10 % de la rémunération des heures complémentaires en cas de travail partiel est une avancée importante. Mais pourquoi ne pas aligner le montant de cette majoration sur celui de la rémunération des heures supplémentaires, soit 25 % ? Certes, le projet de loi ne fait ici qu’appliquer l’accord, mais nous parlons de salaires très bas : 10 % du SMIC horaire ne représentent pas une somme très élevée.
En ce qui concerne la formation professionnelle, les partenaires sociaux seront-ils incités à prendre en compte la situation spécifique des femmes ? Celles-ci seront-elles en mesure de concilier vie professionnelle, vie familiale et formation ?
De nombreux éléments du texte doivent faire l’objet de discussions entre partenaires sociaux dans le cadre d’accords de branche. Mais, outre que tous les salariés ne sont peut-être pas couverts par de tels accords, il y lieu de s’inquiéter lorsque l’on constate la lenteur avec lesquels ces mêmes partenaires discutent de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes : après huit mois, ils en sont encore à élaborer l’ordre du jour des négociations. Le Gouvernement va-t-il donner des consignes fortes en ce domaine ?
Mme Cécile Untermaier. Le chapitre II du projet de loi a pour objectif de faire reculer la précarité, une ambition salutaire tant celle-ci a été aggravée par les dispositions de la loi de 2008 de modernisation de l’économie. Il suffit de songer à la banalisation du travail le dimanche que subissent les femmes travaillant dans la grande distribution. Ce dernier secteur doit d’ailleurs faire l’objet d’une vigilance d’autant plus accrue qu’il va bénéficier du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, alors même que les salariés à temps partiel subi y sont particulièrement nombreux.
Comme Catherine Coutelle, je m’interroge sur la différence de traitement entre la rémunération des heures complémentaires effectuées dans le cadre d’un temps partiel et celle des heures supplémentaires effectuées dans celui d’un temps plein. En raison de la majoration modeste – 10 % – s’appliquant aux premières, on risque d’encourager la signature de CDI de vingt-quatre heures hebdomadaires. Il est par ailleurs injuste de favoriser ainsi ceux qui ont déjà la chance de travailler à temps plein.
De même, ne faudrait-il pas limiter à quatre, soit un par trimestre, le nombre d’avenants autorisés chaque année par salarié ? Même si on me dit que la disposition représenterait une amélioration dans certains cas, huit avenants me paraissent un nombre excessif.
Enfin, je souhaite souligner l’intérêt du service de conseil en évolution professionnelle, car de nombreuses femmes – et sans doute beaucoup d’hommes – en situation de précarité professionnelle ne connaissent aucune progression de leur carrière, même après vingt ans.
M. Yann Galut. Le retour de la puissance publique dans la procédure de plan de sauvegarde de l’emploi constitue une avancée fondamentale dont il convient de mesurer toute la portée pratique, pour les salariés comme pour les employeurs. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que l’administration ne se contentera pas de donner un coup de tampon, et que son intervention ne se limitera pas à vérifier que les conditions techniques d’une validation sont réunies ? Quel rôle jouera la DIRECCTE dans l’examen d’un plan social et quelle sera la nature du contrôle exercé ? Dans l’idéal, elle devrait pouvoir se pencher sur l’existence d’une cause réelle et sérieuse des licenciements.
Par ailleurs, l’obligation pour une entreprise de rechercher un repreneur ira-t-elle jusqu’à l’obligation de céder un site ? La DIRECCTE sera-t-elle amenée à vérifier la validité d’une telle recherche ?
Mme Ségolène Neuville. La majoration des heures complémentaires constitue une avancée réelle. Dans la limite fixée au premier alinéa de l’article L. 3123-17 du code du travail, c’est-à-dire le dixième du temps de travail, chaque heure complémentaire donnera ainsi lieu à une majoration de 10 %. Mais au-delà de cette limite, en l’état actuel du droit, la majoration est de 25 %. Or, aux termes du projet de loi, « une convention ou un accord de branche peut prévoir un taux de majoration différent, qui ne peut toutefois être inférieur à 10 % ». J’en déduis que son application pourrait, dans certains cas, donner lieu à une rémunération inférieure des heures complémentaires. Pouvez-vous nous apporter un éclaircissement sur ce point ?
Mme Hélène Geoffroy. En tant que députés ou élus locaux, nous sommes souvent sollicités lorsqu’une entreprise licencie, et nous constatons une défiance croissante des salariés à l’égard des chefs d’entreprise. Comment pouvons-nous faire en sorte de restaurer la confiance afin que salariés et responsables d’entreprises se comprennent mieux lors de l’élaboration d’une stratégie d’entreprise ?
Comment, par ailleurs, améliorer l’efficacité des plans de sauvegarde de l’emploi en termes de reconversion des salariés ?
Pour les salariés enchaînant contrats d’intérim, contrats aidés de tous types, contrat de travail à temps partiel, les droits rechargeables représentent un réel progrès. Peut-on envisager, à terme, une homogénéisation des indemnisations ?
Enfin, l’ancienneté est-elle le seul critère pertinent pour élaborer un barème des indemnités ?
M. Michel Liebgott. En Alsace-Moselle, il existe déjà une couverture complémentaire collective obligatoire qui donne toute satisfaction à l’ensemble des salariés, d’autant que les retraités en bénéficient également. En revanche, ce régime local ne fait pas participer les employeurs, contrairement à la couverture complémentaire prévue par l’article 1er. Dans ce domaine, l’accord national interprofessionnel fait mieux que les Alsaciens et Mosellans : c’est dire à quel point il s’agit d’un bon accord !
Cela étant, si nous voulons éviter une question prioritaire de constitutionnalité, il conviendra de trouver le moyen d’harmoniser ce régime local avec l’accord et le projet de loi.
M. le ministre délégué. Les préoccupations exprimées par Mme Coutelle s’agissant de la formation professionnelle des femmes vont bien au-delà du contenu du projet de loi dont vous êtes saisis. Sur ce point, je vous renvoie au projet de loi portant réforme de la formation professionnelle, que le Gouvernement déposera avant la fin de l’année, conformément à l’engagement pris par le Président de la République.
Je suis d’accord avec Mme Iborra sur la nécessité de donner plus de cohérence aux dispositions relatives à la formation professionnelle, mais un tel objectif est difficile à atteindre tant les acteurs concernés sont nombreux. Ainsi, le projet de loi sur la décentralisation que Mme Marylise Lebranchu présentera dans quelques semaines comprend une quinzaine d’articles sur ce sujet, puisqu’il conduit à renforcer la compétence des régions en matière de formation. De même, certaines formations en alternance, qui se déroulent dans des lycées techniques ou des lycées professionnels, relèvent du champ d’intervention du ministre de l’éducation nationale. Et le projet de loi pour la refondation de l’école confie aux régions le soin de fermer ou d’ouvrir des filières en fonction des débouchés disponibles et des demandes des entreprises.
La loi sur la décentralisation sera aussi l’occasion de créer un service public régional de l’orientation, et donc d’organiser le conseil en évolution professionnelle en tenant compte des outils existants – qu’il s’agisse des maisons de l’emploi, des cités des métiers ou des structures mises en place par les régions à titre expérimental. Là où elles existent et fonctionnent bien, les maisons de l’emploi auront en effet un rôle à jouer en matière de conseil en évolution professionnelle. Dans ce domaine, l’application de l’accord doit s’appuyer sur les outils existants, ainsi que sur les régions.
Bien entendu, madame Le Callennec, Pôle emploi, les missions locales et les OPCA sont tous parties prenantes aux discussions relatives au compte personnel de formation. Pôle emploi et les missions locales sont en effet prescripteurs de formation, tandis que les OPCA financent une grande partie de la formation professionnelle. Mais lorsque j’évoquais une concertation avec les partenaires sociaux, je songeais plus aux responsables politiques qu’aux représentants des institutions elles-mêmes.
M. le ministre. J’ai peur de ne pouvoir répondre immédiatement à toutes les questions, car certaines exigent des réponses extrêmement précises.
De nombreux orateurs ont souligné l’avancée que constituent les droits rechargeables. Songeons que certains préféraient rester au chômage plutôt que de perdre leurs droits à indemnisation au profit d’un nouvel emploi à la durée incertaine. Les partenaires sociaux ont souhaité mettre un terme à ce phénomène. À cet égard, les droits rechargeables constituent bien une incitation au travail, et non l’inverse comme on a pu parfois l’entendre.
Bien sûr, une telle disposition a un coût. Mais le fait de rester au chômage pour profiter jusqu’au bout des droits à indemnisation en a un également. Je ne suis donc pas en mesure d’estimer l’impact financier de l’article 6 du projet de loi, ni même de déterminer si les coûts supplémentaires l’emporteront sur les économies réalisées. Il appartiendra de toute façon aux partenaires sociaux d’aborder cette question – qui relève de la pure gestion paritaire – lors de la négociation sur la nouvelle convention d’assurance chômage, qui devrait débuter en septembre. Mais il va sans dire que l’État s’en préoccupe également, d’autant que le déficit de l’assurance chômage est pris en compte dans le calcul du déficit public global de la France, que le respect des critères de Maastricht nous oblige à maîtriser. Il n’est donc pas interdit au Gouvernement d’aider les partenaires sociaux à prendre les bonnes décisions.
S’agissant de l’assurance complémentaire de santé, je sais que les députés sont sollicités par des organismes nombreux et variés qui, tous, veulent promouvoir une solution plutôt qu’une autre, sans que l’on puisse faire le moindre lien, bien sûr, entre leurs recommandations et les parts de marché qu’ils espèrent conquérir. À l’évidence, d’importants intérêts économiques sont en jeu, même pour les sociétés à but non lucratif que sont les mutuelles.
Comme toujours, dans ces cas-là, il convient de s’en tenir à un objectif, la défense de l’intérêt général. En l’occurrence, l’intérêt général est que les salariés soient tous concernés, qu’ils bénéficient tous d’une garantie et que cette garantie soit de qualité. Le panier minimal de soins sera fixé par décret. Bien entendu, les contrats conformes aux exigences propres aux contrats responsables et solidaires bénéficieront du régime fiscal et social correspondant. Dans le cas où ces exigences connaîtraient une évolution, le panier minimal évoluera également.
S’agissant des clauses de désignation, je vous invite à lire le paragraphe concerné dans l’accord du 11 janvier : une phrase dit : « blanc », une autre : « gris » et une dernière : « noir », si bien que chacun, adversaire comme partisan des clauses de désignation, pouvait y trouver ce qu’il cherchait. Il revenait donc au Gouvernement – et désormais au Parlement – de clarifier le dispositif.
Les clauses de désignation ne seront jamais obligatoires : un accord de branche déterminera le régime applicable. Dans certaines branches, la liberté de choisir l’assureur sera totale, ce qui permettra sans doute à de petites mutuelles de trouver leur place. Dans d’autres, une clause de désignation sera adoptée, de façon à ne retenir qu’un seul organisme. Mais dans ce cas, la désignation se fera sur appel d’offres et à partir d’un cahier des charges, afin de garantir la libre concurrence et la transparence du marché – ce qui, en soi, représente une nouveauté par rapport à la situation actuelle. Tel est l’engagement que j’ai pris à l’égard des partenaires sociaux, quoiqu’en disent les représentants du patronat.
La question du logement ne relève pas du pouvoir législatif. Sur ce point, je vous renvoie à l’article 10 de l’accord du 11 janvier. Plus généralement, de nombreuses dispositions de celui-ci doivent trouver une application grâce à des dispositions réglementaires ou conventionnelles.
La mobilité interne préoccupe de nombreux parlementaires, ce que je comprends parfaitement. Mais je rappelle qu’aucun changement, en la matière, ne pourra être appliqué sans un accord collectif signé par des organisations syndicales représentant plus de 30 % des salariés, et seulement si des organisations représentant plus de 50 % des salariés ne s’opposent pas à un tel accord. Il s’agit donc de garanties suffisamment solides pour éviter tout risque de dérive se traduisant par une évolution défavorable pour les salariés.
Le projet de loi fait explicitement référence à la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, et donc à la jurisprudence extrêmement précise qui a été élaborée dans ce domaine. Celle-ci continuera donc à s’appliquer. À cet égard, et même si je peux comprendre les inquiétudes qui se sont exprimées, le contenu de l’article 10 ne correspond absolument pas à la description que certains en font. En aucun cas un salarié ne pourra être obligé d’accepter une mutation à 200 kilomètres de chez lui ! Les accords envisagés doivent permettre de tenir compte de certaines spécificités en termes d’organisation ou d’activité, mais ils ne visent pas à remettre en cause les droits individuels.
J’en viens aux accords de maintien de l’emploi, que chacun est libre de comparer aux accords compétitivité-emploi, en dépit des nombreuses différences que j’ai déjà eu l’occasion de relever – il suffit de songer aux obligations imposées aux actionnaires. Ainsi, les accords devront obligatoirement prévoir une clause de meilleure fortune, en détaillant les critères d’appréciation et en précisant les conséquences qu’une amélioration de la conjoncture doit entraîner pour les salariés. Pour comprendre comment un tel système fonctionne, il faut se tourner vers l’Allemagne : en acceptant d’abord une réduction de leur salaire, puis en bénéficiant de l’application d’une clause de retour à meilleure fortune, les salariés de Volkswagen ont finalement gagné plus, sur une période de cinq ans, que s’ils n’avaient pas accepté de signer un accord d’entreprise. S’ils avaient exigé de conserver leur salaire initial, l’entreprise aurait connu en outre des difficultés économiques, ou, plus probablement, aurait licencié.
Certains voient comme un recul la réduction du délai de prescription en matière de contentieux relatif au salaire. Mais il ne faut pas en faire un chiffon rouge, dans la mesure où le nombre de recours exercés après trois ans est extrêmement faible – je vous communiquerai les chiffres exacts. Les partenaires sociaux ont voulu privilégier la sécurité juridique, mais je ne pense pas, de toute façon, que leur choix n’aboutisse à léser les salariés. En tout état de cause, ce point fait partie de ceux qui concourent à l’équilibre de l’accord interprofessionnel.
Quant à la barémisation des indemnités, elle n’a pas vocation à s’imposer au juge. Ce dernier conservera une liberté totale d’appréciation en ce domaine. En adoptant cette disposition, l’intention des partenaires sociaux – y compris de certaines organisations non-signataires – était de valoriser la procédure de conciliation prud’homale, aujourd’hui peu utilisée, alors qu’elle est plus simple et permet de clore les contentieux plus rapidement. Au bout du compte, le salarié comme l’entreprise en ressortent gagnants. En cas d’échec de la conciliation, il restera possible de recourir au juge, sans que ce dernier ne se voie appliquer aucun cadre contraignant.
En cas de fermeture d’un établissement, les dispositions contenues dans le projet de loi ne concernent que les conséquences internes à l’entreprise. Celle-ci est obligée de rechercher un repreneur et d’informer le comité d’entreprise, tandis que ce dernier a la possibilité de faire appel à un expert pour étudier les éventuelles offres de reprise, sur lesquelles il peut donner son avis. Mais il revient aux parlementaires de dire ce qui se passe quand l’entreprise n’effectue aucune recherche, ou quand elle refuse une offre que les représentants du personnel ont jugée valable. S’agissant des conséquences externes à l’entreprise, et en particulier de l’éventuel recours à un juge, les partenaires sociaux ne se sont en effet pas prononcés. Ils ne seraient de toute façon pas parvenus à un accord, et c’est pourquoi le document d’orientation suggérait de laisser au Gouvernement et au Parlement le soin de décider sur ce point.
Je ne reviendrai pas sur la question des moyens dont disposeront les DIRECCTE, mais j’insiste sur le fait qu’elles consacrent déjà beaucoup de temps aux plans de sauvegarde de l’emploi. Certes, le projet de loi aura pour effet d’augmenter leur charge de travail, mais il leur octroie surtout des pouvoirs et des responsabilités supplémentaires, qui donneront plus de sens à leur travail. Je leur transmettrai un certain nombre d’orientations afin qu’elles puissent mener à bien les travaux d’homologation dans les meilleures conditions possibles.
L’homologation ne se réduit pas à un coup de tampon, elle est le fruit d’une discussion. Alors qu’un juge se prononcerait uniquement sur la validité ou l’absence de validité d’un document, l’administration indiquera à quelles conditions celui-ci pourra être homologué. Et elle le fera en évaluant objectivement la situation de l’entreprise et le contenu de ses propositions.
Pour finir, je n’ai aucune stratégie parlementaire. Il appartient à chacun, dans cette assemblée, de se prononcer en toute responsabilité. Ma seule ligne de conduite tient au respect de l’équilibre de l’accord interprofessionnel et à la loyauté dont nous devons faire preuve à l’égard de ceux qui l’ont conclu. Dès lors que chacun s’est prononcé en faveur du dialogue social, il paraît difficile, en effet, de remettre en cause les éléments constitutifs de l’accord. Pour le reste, je m’en remets à ma boussole, l’intérêt général.
Dès lors, chacun jugera, qu’il se trouve dans la majorité ou dans l’opposition. Je ne cherche pas à tout prix à ce que tout le monde vote en faveur de ce texte, mais je suis convaincu qu’il est bon pour la France.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, monsieur le ministre, pour votre disponibilité.
2. Audition des représentants des organisations syndicales de salariés signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013
La Commission entend Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, M. Patrick Pierron, secrétaire national de la CFDT et M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC, représentants des organisations syndicales de salariés signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, au cours de sa première séance du mercredi 13 mars 2013.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous recevons ce matin les représentants des organisations syndicales de salariés signataires de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 : Mme Marie Françoise Leflon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, M. Patrick Pierron, secrétaire national de la CFDT, et M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC.
Madame et messieurs, vous nous direz votre vision globale de cet accord, vos points de satisfaction mais aussi, le cas échéant, vos regrets. Vous nous donnerez aussi votre lecture du projet de loi qui nous est soumis, qui retranscrit l’accord et le complète là où il était ambigu, incomplet, voire contradictoire.
En tout cas, le Gouvernement a réussi à mettre tout le monde autour de la table, et les partenaires sociaux ont su dialoguer : c’est assurément très positif.
Mme Marie-Françoise Leflon, secrétaire nationale de la CFE-CGC. La signature de cet accord marque pour la CFE-CGC un moment important : c’est un moyen de prouver que le dialogue social peut contribuer à l’amélioration de la vie économique et sociale de notre pays, qui traverse les difficultés que vous connaissez tous. La négociation a duré quatre mois : le champ ouvert par la feuille de route était immense, et nous obligeait à prendre en considération des données tant conjoncturelles que structurelles.
Pour la CFE-CGC, cet accord est à la fois novateur, équilibré et responsable : il ouvre de nouveaux droits pour les salariés, et sécurise leur parcours professionnel, tout en permettant aux entreprises de faire face aux difficultés qu’elles rencontrent. Les chefs d’entreprise estimaient nécessaire pour eux une plus grande flexibilité ; la sécurisation des salariés et le renforcement du dialogue social en constituent la contrepartie.
De nouveaux droits sont ouverts, notamment le droit à la mutuelle pour tous ; d’autres sont améliorés, avec par exemple l’allongement de la portabilité de la couverture « frais de santé et prévoyance », qui est crucial quand, comme aujourd’hui, les durées de chômage s’allongent. L’établissement de certaines règles, notamment sur le temps partiel, est confié aux branches professionnelles ; mais, à défaut d’accord de branche, il y aura une sorte d’accord minimal. Le compte personnel de formation permettra de mieux penser les ruptures du parcours professionnel, et donc d’améliorer l’employabilité.
L’accord prévoit également une incitation financière nouvelle à l’embauche de jeunes, dont la situation est aujourd’hui inacceptable, et sécurise la mobilité externe, ce qui était particulièrement important pour les cadres et donc pour la CFE-CGC.
L’attente des entreprises en matière de flexibilité était forte. À chaque phase, les difficultés de l’entreprise seront traitées par le dialogue social : sont ainsi mis en place des plans de mobilité interne, dont la loi devra peut-être préciser les modalités, et des accords de maintien de l’emploi, pour lesquels des garanties solides ont été négociées, ce qui les rend plus acceptables pour les salariés. Enfin, la négociation des plans sociaux se fera désormais sous le regard de l’autorité administrative.
Ces mesures sont rendues possibles par un renforcement du dialogue social. Il y aura en effet désormais un échange entre les institutions représentantes du personnel et les entreprises sur la stratégie de celles-ci : jusqu’ici, sous couvert de confidentialité mais pas seulement, les entreprises ne souhaitaient en général pas la faire connaître. Cela améliorera grandement la compréhension mutuelle et la recherche de solutions. Ce dialogue sera de plus facilité par la refonte des procédures de consultation, qui était fortement demandée par le patronat. Ce point pourrait toutefois être affiné dans le projet de loi.
Il y aura enfin systématiquement un représentant des salariés au sein des instances de gouvernance : c’était une condition nécessaire pour que la CFE-CGC signe cet accord.
C’est donc un accord à nos yeux équilibré, qui apportera plus de sécurité aux salariés, tout en permettant aux entreprises d’affronter les difficultés qu’elles rencontrent. Nous approuvons également sa retranscription législative.
M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC. Sur la forme, je souligne que cet accord marque le retour à une bonne méthode : on a laissé agir les corps intermédiaires. Sur le fond, nous sommes très fiers de cet accord : il n’est pas gagnant-gagnant – ce qui marquerait une sorte de transaction commerciale – mais il est gagnant tout court. Dans une situation très difficile, il faut prendre des décisions très difficiles ; les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités.
Le point dont nous sommes le plus satisfaits est peut-être celui qui provoque le plus de controverses : ce sont les accords de maintien dans l’emploi. Aujourd’hui, les entreprises peuvent, de façon unilatérale, baisser les rémunérations ou jouer sur la durée du temps de travail ; nous en avons de nombreux exemples – le premier que j’aie trouvé remonte à 2004.
Cet accord fait le pari du maintien dans l’emploi lorsque l’entreprise connaît une période de difficultés ; il sécurise les salariés et renforce le rôle des organisations syndicales. Nous faisons le pari que, par la discussion, on peut arriver à faire des efforts, et que tel est même l’intérêt convergent des salariés, de l’entreprise, des dirigeants et des actionnaires. Capital et force de travail doivent marcher ensemble ; finissons-en avec les affrontements stériles qui nous tuent.
Avec un accord de maintien dans l’emploi, nous prenons ensemble nos responsabilités : si personne ne veut y aller, il n’y aura pas d’accord. Mais s’il y a accord, il devra être respecté : les situations comme celle de Continental, où l’employeur n’a pas tenu ses promesses sans grandes conséquences pour lui, ne pourront pas se reproduire.
Une fois l’accord signé, il revient aux équipes de l’entreprise de mesurer leurs marges de manœuvre. C’est une grande responsabilité confiée aux délégués syndicaux – mais je m’étonne des réticences d’organisations syndicales plus importantes que la mienne vis-à-vis de ces négociations menées au sein des entreprises : ne font-ils pas confiance à leurs propres délégués syndicaux pour négocier et signer des accords ?
Les salariés sont responsables ; ils peuvent et doivent réfléchir, avec les dirigeants et les actionnaires, à l’avenir commun. Reconnaître que les salariés ont le droit, avec d’autres, de réfléchir à la stratégie de l’entreprise, c’est essentiel ! C’est une vieille revendication d’un gauchiste appelé Charles de Gaulle, et qui est portée depuis plusieurs décennies par la CFTC. C’est une révolution culturelle pour le patronat, et elle va enfin être inscrite dans la loi : tant mieux !
M. Patrick Pierron, secrétaire national de la CFDT. Le titre de cet accord est important : « pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés ». Il ne s’agit pas de troc ou d’un donnant-donnant, mais de construire une vision globale du monde de l’entreprise pour une France plus compétitive.
Nous disons nous aussi haut et fort que nous nous retrouvons dans cet accord, comme dans le projet de loi du Gouvernement.
Cet accord prévoit des droits nouveaux pour ceux qui, aujourd’hui, en ont le moins, pour ceux qui vivent dans la précarité. Ce n’est pas commun, car, reconnaissons-le, dans les entreprises où les syndicats sont forts, ces avancées ont souvent déjà été obtenues par la négociation. Cela passe notamment par des droits rattachés à la personne.
La sécurisation des parcours professionnels est tout à fait nécessaire dans un monde où l’on ne fait plus toute sa carrière dans la même entreprise, où l’on alterne périodes de travail et périodes de chômage. Il faut faire reculer la précarité : il n’est pas normal que l’on travaille sans pouvoir vivre du fruit de son travail. L’accord comprend donc notamment des mesures pour encadrer le temps partiel subi.
La réaffirmation de la place du dialogue social comme élément de performance des entreprises et de compétitivité est un choc culturel majeur pour notre pays : cela n’allait nullement de soi, pour les syndicats comme pour le patronat. Cet accord renforce donc les institutions représentatives du personnel, et améliore la transparence ; il assure la participation des salariés à la gouvernance des entreprises. Ainsi, les salariés seront associés aux choix faits pour l’avenir des entreprises.
L’accord établit une distinction entre les entreprises qui créent des emplois et celles qui préfèrent la précarité et le chômage, entre celles qui forment leurs salariés et celles qui ne les forment pas, entre celles qui jouent le jeu du dialogue social et de la transparence et celles qui le refusent. Cette différence faite entre les comportements, par des sanctions différentes, est une grande première : elle permettra de créer une dynamique de coopération, plutôt que de confrontation, pour que la France soit demain plus compétitive. Voilà l’esprit dans lequel nous avons négocié.
Nous avons recensé dix nouveaux droits dans cet accord, au premier rang desquels le droit à une complémentaire santé financée à 50 % par les salariés et à 50 % par les employeurs : cela concerne 4 millions de salariés et permettra de réduire les inégalités et la précarité. L’accord met aussi en place des droits rechargeables, c’est-à-dire rattachés à la personne. Ainsi, la peur de perdre des droits en acceptant un emploi pour un temps court – qui est aujourd’hui un frein à la reprise d’un emploi – disparaît. C’est un élément de grande sécurité pour tous.
L’accord prévoit une taxation des contrats courts. Il ne s’agit pas de les faire disparaître, mais de rappeler que des tels contrats ne peuvent pas être la règle. Or, en 2011, 86 % des contrats étaient de moins de trois mois, moins d’un mois, et moins d’une semaine ; dans de telles conditions, un salarié ne peut pas obtenir de prêt, ni se loger ou fonder une famille. Il faut donc aller vers des contrats de longue durée, même si ces contrats demeurent des contrats à durée déterminée (CDD) ou des contrats d’intérim – les contrats de moins d’une semaine sont des CDI qui s’arrêtent pendant la période d’essai, et je ne parle donc pas ici de la nature du contrat.
Les droits rechargeables et la taxation des contrats courts sont deux modalités de la sécurisation : les premiers pour la sortie de l’emploi, les seconds pour l’entrée dans l’emploi.
Nous souhaitons également encadrer le temps partiel subi, mais il faut reconnaître humblement que c’est très compliqué : c’est pourquoi nous renvoyons à des accords de branche. En effet, nous avons tous en tête la caissière de la grande distribution – le temps partiel subi concerne en effet essentiellement les femmes, et beaucoup de foyers monoparentaux – dont les horaires, éclatés sur cinq jours et tout au long de la journée, l’obligent à demeurer à proximité de son lieu de travail. Nous avons donc voulu mieux encadrer ces emplois à temps partiel, afin que ces salariés puissent, soit travailler plus longtemps au sein de la même entreprise, soit trouver un deuxième employeur. Il s’agirait donc d’inciter les employeurs à compléter les temps partiels, ou au moins de regrouper les heures par journée ou par demi-journée.
Toutefois, entre la grande distribution et le monde des services à la personne ou des associations, les disparités sont immenses, ce qui rend très difficile l’établissement d’une règle unique : voilà l’esprit dans lequel nous avons travaillé, et que l’on retrouve d’ailleurs très bien dans le projet de loi.
Il faut donc promouvoir une organisation du travail qui permette de chercher un deuxième employeur, en incitant à regrouper les horaires par journée ou par demi-journée et en imposant un socle d’heures, ce qui déclenche les indemnités journalières pour les congés maladie ou maternité – les vingt-quatre heures autorisent l’accès aux nouveaux droits. Mais en raison de l’immense diversité des situations de temps partiel, nous proposons que toutes les dérogations relèvent des partenaires sociaux et d’accords de branches étendus : il peut y avoir des dérogations. L’accord ne valide cependant pas comme une norme la situation de salariés aux horaires éclatés et dont les salaires ne permettent pas de vivre correctement.
Les accords de maintien dans l’emploi constituent à nos yeux une avancée considérable. Il faut encadrer ces négociations pour qu’elles ne deviennent pas un marché de dupes, pour que les salariés d’un site ne négocient pas avec le pistolet sur la tempe – ce qui est la réalité aujourd’hui. Certains points peuvent donc être négociés au sein de l’entreprise, mais pas tous : il est impossible de baisser les salaires en dessous de 1,2 SMIC, aucune embauche ne peut être faite sur les bases de la dérogation au contrat de travail… De plus, nous soulageons les délégués syndicaux d’une partie de la pression qu’ils subissent en prévoyant une expertise des éléments fournis par l’employeur.
Ce sont des accords donnant-donnant : les salariés font des efforts, en échange d’un maintien des effectifs ; des sanctions doivent être prévues au cas où les engagements de l’employeur ne seraient pas respectés. Chaque partie s’engage pour sauver la boîte, le site, l’emploi. C’est là une mesure de sécurisation des parcours mais aussi de compétitivité à laquelle nous tenons beaucoup.
L’accord réaffirme la place du dialogue social, notamment pour négocier un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Négocier un tel plan, c’est quelque chose qui se fait déjà tous les jours ; mais cela n’est pas contractualisé. Ici, il y a une formalisation ; dans les périodes difficiles, les partenaires sociaux doivent pouvoir s’engager et coopérer.
L’homologation est un point important : l’État et ses services ne doivent pas rester hors du jeu ; ils ne doivent pas non plus fuir leurs responsabilités, notamment au cas où un plan de sauvegarde de l’emploi ne serait pas conforme à la législation. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) doivent jouer un rôle de contrôle et d’investigation.
Le compte personnel de formation constitue un réceptacle nouveau, qui pourra être utilisé par la future loi sur la formation professionnelle. Il faut l’associer au conseil en évolution professionnelle mis en œuvre sur les territoires. Le salarié doit pouvoir être acteur de son propre parcours tout au long de sa vie professionnelle.
Cet accord, et le projet de loi qui en est la transcription, nous conviennent donc, même si nous avons quelques petites observations à faire : le passage de l’accord à la loi est un exercice difficile. L’esprit de l’accord est bien respecté, mais certains points doivent être précisés ou complétés : c’est votre rôle. C’est pourquoi nous vous remercions de nous auditionner aujourd’hui.
Les partenaires sociaux doivent prendre leurs responsabilités et s’engager, dans les périodes fastes mais aussi dans les périodes difficiles, pour créer de la compétitivité et de la performance dans les entreprises.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci : vous êtes très convaincants lorsque vous expliquez les raisons qui vous ont amenés à signer cet accord.
M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Je commence par remercier les intervenants, qui ont montré une grande disponibilité.
C’est à un exercice quelque peu nouveau de la démocratie sociale que vous vous êtes livrés, en négociant scrupuleusement à partir de la feuille de route que vous avait donnée le Gouvernement. Je revendique pour ma part la souveraineté du Parlement, mais aussi le respect du travail des partenaires sociaux.
Du camp syndical, comme d’ailleurs du camp patronal, se font entendre de profondes divergences d’appréciation sur ce que produira cet accord, alors que les objectifs sont communs à tous. Vous nous avez parlé de protections collectives renforcées, mais d’autres craignent que celles-ci ne se révèlent illusoires, parce que le chômage déséquilibre totalement le rapport de forces entre employeurs et salariés, et redoutent une banalisation d’accords ou de pratiques qui existent déjà sur le terrain. Cela trouble les Français. Qu’en dites-vous ?
Tout accord est un compromis : quelles concessions avez-vous faites ? Si vous aviez pu tenir la plume d’un bout à l’autre, quels articles n’auriez-vous pas écrits ?
La nouvelle procédure de licenciement économique rétablit une forme d’autorisation administrative, modernisée en ce qu’elle repose sur la négociation et les accords majoritaires, et à défaut sur une homologation. Toutefois, lors des auditions que nous avons réalisées, les places respectives de la négociation et de l’homologation paraissaient floues, et nos interlocuteurs souhaitaient de façon assez unanime que la négociation passe avant l’homologation. Le projet de loi est hésitant sur ce point. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Dans une interview aux Échos, M. Laurent Berger s’est dit favorable à l’examen par l’administration de la réalité du motif économique de licenciement – étant entendu que si l’administration ne se prononce pas, il reviendra, au juge, administratif puis judiciaire, de le faire. Mais des divergences se sont fait entendre sur ce point. Quelle est votre analyse ? Le ministre disait hier que le retour de l’État dans l’examen des plans sociaux était une révolution. D’après votre expérience, l’administration a-t-elle les moyens de remplir cette nouvelle mission ?
Nous avons également entendu beaucoup d’inquiétudes sur la question de la mobilité. Vous avez renoncé à la limiter, par exemple en kilomètres : le texte autorise donc aujourd’hui, en théorie, des mobilités d’un bout à l’autre de la France. Pouvez-vous approfondir ce point ?
L’accord présente des avancées sur certains points importants en ce qui concerne la formation, notamment le compte personnel de formation. Toutefois, sur ce sujet essentiel, nous restons quelque peu sur notre faim : pensez-vous qu’il serait possible d’amender le texte pour progresser un peu plus ?
Nous entendons également que la taxation des contrats courts, telle qu’elle est prévue, ne suffira pas à freiner la précarité, et qu’elle risque de provoquer une fuite vers l’intérim et les CDD d’usage ou de plus de trois mois. Qu’en pensez-vous ?
M. Denys Robiliard. Conserver un équilibre entre démocratie sociale et démocratie parlementaire est toujours un exercice délicat : il y a eu le temps des négociations entre les partenaires sociaux, il y a eu le temps du Gouvernement, nous en arrivons maintenant au temps du Parlement. Nous sommes souverains tout en respectant votre travail.
Il était important de vous auditionner pour que vous nous expliquiez quels sont les points forts de cet accord, ceux qui expliquent votre signature, mais aussi quelles sont les concessions que vous avez faites. Ainsi, le raccourcissement des délais de prescription ne paraît pas pouvoir être favorable aux salariés. Le projet de loi a d’ailleurs clarifié ce point.
L’accord comporte évidemment des avancées très importantes – complémentaire santé, compte personnel de formation, encadrement du temps partiel…
La taxation des contrats courts ne risque-t-elle pas d’être contournée par le recours à l’intérim ? Pourquoi les contrats d’intérim ne sont-ils pas visés par le système de bonus-malus ?
La place désormais accordée aux salariés dans le conseil d’administration des plus grandes entreprises est un symbole très fort. Plus généralement, les salariés seront mieux associés à la définition de la stratégie de l’entreprise. La définition des informations données au comité d’entreprise est modernisée, ce qui est très intéressant.
Le projet de loi modifie l’accord de façon non négligeable, par exemple sur la prescription ou sur le barème établi pour les indemnités. Ce barème sera-t-il indicatif ? Nous avons entendu plusieurs réponses différentes sur ce point. Le projet de loi introduit aussi des modifications sensibles sur la question de la mobilité, puisqu’un salarié qui refuserait une mobilité autorisée par un accord collectif serait licencié pour motif économique et non pour motif personnel. Quelle est votre analyse ? Pourquoi ne prévoyez-vous pas un accord majoritaire en la matière, comme pour les accords de maintien dans l’emploi ?
M. Dominique Dord. Je voudrais d’abord vous dire mon respect : la signature d’un tel accord, en pleine crise économique, est une petite révolution. Je dirai d’ailleurs la même chose aux représentants du patronat. Si un gouvernement de droite, ou même de gauche, avait déposé un tel projet sans accord préalable des partenaires sociaux, l’affrontement aurait été terrible ; cet accord sera, au contraire, un facteur essentiel de stabilité juridique. Le droit du travail ne doit pas changer à chaque alternance !
Il me semble donc que nul ne peut prendre le risque de trahir l’équilibre que vous avez trouvé : ce serait donner raison à ceux qui ne signent jamais rien et préfèrent l’affrontement.
J’ai particulièrement apprécié votre formule, monsieur Thouvenel : « ce n’est pas un accord gagnant-gagnant, mais un accord gagnant tout court ». Le ministre l’a dit hier : depuis quarante ans, la France a préféré le chômage. Essayer de changer de logique et favoriser l’emploi, c’est formidable ! Les droits rechargeables, par exemple, c’est une excellente chose, car cela incitera les salariés à retrouver du travail le plus vite possible.
L’inquiétude est grande, en revanche, que cet accord ne soit plutôt favorable aux grandes entreprises et extrêmement complexe à mettre en œuvre pour les plus petites, notamment celles du secteur des services à la personne. Jusqu’où estimez-vous que nous pourrions aller pour amender le texte tout en respectant l’équilibre de cet accord ?
Mme la présidente Catherine Lemorton. On reconnaît dans vos paroles le président de la mission d’information sur Pôle emploi et le service public de l’emploi…
M. Jean-Louis Roumegas. Le groupe écologiste est favorable à la démarche engagée pour renforcer le dialogue social. Alors que le rapport de forces est déjà très défavorable aux salariés, estimez-vous que le dialogue social se déroule dans de bonnes conditions ? Pourquoi observe-t-on une telle division des forces syndicales dans l’appréciation de cet accord, et, dans ce contexte, les organisations favorables à l’accord peuvent-elles le signer dans des conditions satisfaisantes ?
En ce qui concerne la complémentaire santé, la réintroduction de la clause de désignation au niveau des branches n’est-elle pas de nature à créer des monopoles ? Cela ne risque-t-il pas de se faire au détriment de la liberté de choix des entreprises ?
En matière de formation, de nouveaux droits sont ouverts, mais ne faut-il pas aussi revoir la qualité et la pertinence de l’offre ? L’accès des salariés à la formation professionnelle est-il satisfaisant ?
Sur les contrats courts, les mesures envisagées seront-elles suffisantes ? Ne risque-t-on pas de favoriser l’intérim ? Le taux reste à fixer : quel niveau de taxation vous paraîtrait efficace ?
M. Jean-Noël Carpentier. Le groupe RRDP est également favorable à cette démarche de dialogue social, née de la volonté de l’exécutif.
Vous dites que nous sortons d’une logique de confrontation au profit d’une logique de coopération et d’accord gagnant : mais il y a, et il y aura, des divergences, et même des antagonismes, entre le salariat et le patronat, que la loi a d’ailleurs pour rôle de réguler ces relations. Comment, selon vous, entre-t-on dans cette nouvelle ère de coopération que vous évoquez ?
Cette logique de coopération a abouti à plusieurs succès depuis le début du quinquennat, mais ce n’est pas le cas ici : deux syndicats importants n’ont pas signé cet accord, pire ils s’y opposent et le qualifient même de régression. De mon point de vue, il n’y a pas de bons ou de mauvais syndicats : tous ont la volonté de défendre les intérêts des salariés et d’améliorer les conditions de vie et de travail. Or ces désaccords publics troublent nos concitoyens. Comment expliquez-vous ces grandes divergences ? Peut-on imaginer les dépasser à terme ?
Le motif économique du licenciement n’est pas défini par le projet de loi ; il y a un vide juridique, notamment pour les plans de sauvegarde de l’emploi. Pourrions-nous utilement définir cette notion dans la loi ?
Des auditions, il ressort que le raccourcissement de la prescription n’est pas forcément à l’avantage des salariés. Quel est votre point de vue ?
Que pensez-vous de la barémisation prévue dans la procédure de conciliation ?
Enfin, certains font remarquer que vos syndicats ne sont pas représentatifs et qu’ils représentent moins de 50 % des salariés au niveau national. Que répondez-vous à cette objection ?
Mme la présidente Catherine Lemorton. Il me paraît tout à fait inopportun, voire irrespectueux, de parler de petits et de grands syndicats : il y a des syndicats représentatifs, habilités à signer un accord, au sens de la loi.
M. Jean-Noël Carpentier. Je n’ai pas dit cela, madame la présidente.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Je suis dans mon rôle en rappelant l’état actuel de la loi.
M. Jean-Noël Carpentier. Mais vous déformez mes propos !
Mme Chaynesse Khirouni. Nous sommes tous d’accord pour réaffirmer la place que doit tenir le dialogue social. La CGT a toutefois soulevé un problème fondamental : il semble que les négociations s’engagent toujours sur la base des propositions du MEDEF ; ne faudrait-il pas revenir sur ce point ?
En matière de sécurisation des parcours professionnels, il existe déjà des dispositifs de financement de la formation, mais ils ne fonctionnent pas bien ; et cela fait une bonne vingtaine d’années que l’on parle de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), sans que les entreprises la mettent vraiment en place. En quoi l’accord, et la loi, permettront-ils d’avancer sur ces points ?
M. Fernand Siré. L’accord prévoit que tous les salariés disposent d’une assurance complémentaire : ce contrat global supprimera des contrats existants. Il faudra, pour mettre en œuvre cette disposition, des appels d’offres, auxquels tous les Européens pourront concourir : certains organismes étrangers risquent donc d’être choisis. De plus, il faudra prendre en considération les changements d’entreprise, les personnes déjà retraitées… Cela ne risque-t-il pas d’aboutir à créer des problèmes d’emploi dans le secteur des assurances et des mutuelles ? Combien de licenciements y aura-t-il ?
Mme Joëlle Huillier. Aujourd’hui, des accords collectifs en matière de mutuelle santé sont déjà possibles, et ils sont moins onéreux que les contrats individuels. Avez-vous envisagé le cas des retraités qui bénéficient de ces accords de groupe ? Pourront-ils continuer de bénéficier du même régime complémentaire dans des conditions privilégiées, même sans participation de l’employeur ?
Mme Isabelle Le Callennec. Nous avons salué cet accord et le discours très responsable des organisations syndicales signataires.
En matière de contrats, le modèle idéal demeure le CDI – qui, et il faudrait faire œuvre de pédagogie sur ce point, n’est toutefois pas un contrat à vie. Avez-vous débattu d’un contrat unique, ce qui serait plus simple et plus lisible ?
Les DIRECCTE détiendront un pouvoir important ; or, on sait que la définition du motif économique est souvent un sujet d’affrontements. Ce poids qui leur est accordé vous rassure-t-il, ou au contraire vous inquiète-t-il ? Ne risque-t-on pas de créer de fortes disparités régionales ?
Sur les droits rechargeables et sur le compte personnel de formation, par pitié, pensez aux petites et aux très petites entreprises : faites simple et lisible, ne multipliez pas les dispositifs !
Comment sera-t-il possible de mettre en place les droits rechargeables sans creuser le déficit de l’UNEDIC ?
M. Gérard Sébaoun. L’accord définit un « panier de soins », quand le projet de loi renvoie cette définition à un décret. Comment comprenez-vous cette différence ?
Les salariés s’inquiètent des dispositions sur la mobilité. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ne concerne que les entreprises de plus de 300 salariés, or le projet de loi semble faire référence à l’ensemble des entreprises. Qu’en pensez-vous ?
Enfin, en matière de portabilité de la complémentaire santé, vous faites référence à l’accord national interprofessionnel de 2008, et vous prévoyez une différence d’un an entre les frais de santé d’un côté et les garanties de prévoyance de l’autre. Le projet de loi reprend cette clause. Pourquoi ne pas prévoir un délai unique ?
M. Gérard Cherpion. La clause de désignation, qui n’apparaissait pas dans l’accord, figure en revanche dans le projet de loi. Comment faut-il le comprendre ?
La volonté de renforcer le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est louable, mais l’expertise unique ne risque-t-elle pas de poser problème ?
Il reviendra effectivement à la convention UNEDIC de trouver un équilibre pour mettre en place les droits rechargeables, qui sont une avancée considérable.
Le problème du temps partiel imposé subsiste, mais il n’est pas sûr que la loi puisse lui apporter une solution.
M. Michel Issindou. Merci de votre enthousiasme. Un si grand écart d’appréciation entre les organisations syndicales est pour nous troublant. Le dialogue social réussi, l’ouverture de droits nouveaux, la volonté de maintien dans l’emploi quand la conjoncture est difficile sont des points très nouveaux et très positifs. Toutefois, M. Pierron a lui-même parlé de « marché de dupes » à propos de certaines négociations. Vous faites confiance au dialogue social et l’on ne peut que s’en féliciter, mais vous sentez-vous armés pour les négociations qui vont devoir se dérouler ?
Quelles seraient pour vous les pistes d’améliorations acceptables du projet de loi ?
Mme Véronique Louwagie. On ne peut que se réjouir de la vigueur du dialogue social et du fait que tous les syndicats n’adoptent pas une démarche de pure opposition. Toutefois, si cet accord est un atout, il ne suffira pas à régler tous les problèmes : les choix du Gouvernement jouent un rôle. Il serait dangereux de présenter cet accord comme la réponse à tous nos problèmes de compétitivité.
Je suis très inquiète des risques que cet accord fait courir aux petites et très petites entreprises. Que leur apporte-t-il ?
Monsieur Pierron, vous avez parlé du rôle d’« investigation » des DIRECCTE : ce terme me gêne ; ne vaudrait-il pas mieux parler d’accompagnement et de contrôle ?
M. Jérôme Guedj. En matière d’encadrement du temps partiel, le plancher fixé à vingt-quatre heures est bien sûr une bonne chose, mais les contreparties sont nombreuses : avenants nombreux, majoration des heures supplémentaires de 10 % seulement même si c’est dès la première heure, définition des horaires réguliers… Ce dispositif vous paraît-il satisfaisant ?
Il est également prévu d’expérimenter, dans trois branches, le CDI intermittent. Les risques sont importants, car un tel contrat, qui n’offre que de très faibles garanties, pourrait devenir une norme : c’est ce que vous redoutiez, monsieur Pierron, dans les colonnes du Nouvel Observateur du 9 janvier dernier, en vous opposant fermement à la création de tels contrats. En quoi ne serait-ce pas là une nouvelle forme de précarité ?
M. Gilles Lurton. Aux termes de cet accord, les petites mutuelles – qui emploient bien des salariés – pourraient perdre des contrats. Qu’en pensez-vous ?
Le dispositif des droits rechargeables représente une avancée considérable. Trop souvent, des personnes n’acceptent pas un contrat de travail de peur de perdre leurs droits à l’assurance chômage. Cette mesure leur permettra de reprendre le chemin de l’emploi.
Dans les régions touristiques, comme la mienne, les emplois saisonniers sont irremplaçables pour les entreprises et les collectivités locales. Quelle position faut-il adopter à en matière de taxation des contrats courts ?
M. Bernard Perrut. Si la réduction du chômage et de la précarité constitue un objectif indiscuté, cet accord ne fait pas l’unanimité, loin de la démocratie sociale apaisée souhaitée par le Président de la République. Que pensez-vous des syndicats – CGT et FO – qui y voient l’expression d’une politique sociale à rebours des promesses gouvernementales ou de ceux – comme Solidaires et FSU – qui parlent de régression sociale ?
Certains députés de la majorité souhaitent amender le texte, notamment pour revenir sur la simplification des procédures de licenciement, ou renforcer la taxation des contrats d’intérim ; souhaitez-vous que le texte puisse évoluer ?
Mme Bérengère Poletti. L’accord risque de mettre en difficulté les entreprises et les associations de services à la personne, qui viennent de signer une nouvelle convention collective et qui augmentent leur masse salariale de quelque 5 %. Ces entreprises auront notamment du mal à faire face aux mesures, par ailleurs salutaires, relatives au temps partiel – qui constitue un véritable problème, notamment pour les femmes – et aux contrats collectifs de complémentaire santé.
Tous les députés qui ne cumulent pas plusieurs mandats sont de fait employeurs de personnel à temps partiel – à mi-temps, voire moins encore. Aussi les questions auxquelles nous faisons face doivent-elles également être considérées pour les autres employeurs.
Mme Catherine Coutelle. En tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, je me félicite de l’accord sur le temps partiel. Nous demandons depuis longtemps de renforcer la taxation de ces contrats, pour en limiter l’utilisation.
Existe-t-il des salariés qui ne seraient couverts par aucune convention collective, ni aucun accord professionnel ? Que se passe-t-il dans ce cas ? Beaucoup de négociations étant dévolues aux délégués syndicaux, seront-ils formés à lutter contre la précarité et l’inégalité professionnelle ? La négociation salariale sur l’égalité professionnelle a, en effet, très peu avancé ; l’échéance du 8 mars n’a pas été respectée, et il sera difficile de respecter celle de fin juin, l’ordre du jour n’étant pas encore réellement fixé.
L’effort pour aménager un temps de travail moins éclaté pour les contrats à temps partiel de moins de 24 heures doit être salué ; mais pour les contrats qui excèdent cette durée, les dérogations permettront-elles à nouveau d’organiser des coupures plus longues dans la journée de travail ? Ce problème est particulièrement prégnant dans la grande distribution ; les femmes représentant 80 % des temps partiels, c’est à elles que s’appliquent toutes les dérogations prévues dans le code du travail.
Le paiement des heures complémentaires pose également problème. La majoration de salaire dès la première heure représente un progrès, mais celle-là reste fixe, à 10 %, alors qu’auparavant, si les premières heures complémentaires ne donnaient lieu à aucune majoration, celle-ci s’élevait à 25 % pour les suivantes. Les salariés n’y gagnent donc pas forcément. Enfin, lorsqu’un avenant au contrat augmente la durée du travail, les heures effectuées en plus ne sont pas majorées.
M. Rémi Delatte. Ce projet de loi représente des avancées réelles en termes de flexibilité – gage de la compétitivité de nos entreprises – et de sécurisation des parcours professionnels. Pour autant, pour certaines entreprises – comme celles de services à la personne –, il faudra en appliquer les dispositions avec discernement. Ces entreprises tiennent une place importante dans l’économie de notre pays et jouent un rôle humain inestimable auprès des personnes âgées. Fragilisé notamment par l’évolution annoncée de la TVA, ce secteur sera incapable d’assumer certaines mesures du texte, comme la généralisation de la complémentaire santé ou le minimum des 24 heures hebdomadaires de travail.
Pourrait-on aménager une dérogation pour ce secteur, en y étendant par exemple le régime dérogatoire que le texte prévoit pour les employeurs particuliers ? Si l’on ne fait rien, on verra le recours au travail illégal augmenter. Par ailleurs, beaucoup d’entreprises se retrouveront en cessation d’activité, sauf à répercuter le coût de la mesure sur le prix de leurs services, alors que leurs clients âgés ne disposent souvent que de revenus très faibles.
Mme Hélène Geoffroy. La progression de la participation des salariés pourrait-elle améliorer la représentativité des syndicats et remédier à la défiance réciproque entre les chefs d’entreprise et les salariés ? Les outils prévus par le texte sont-ils suffisants pour associer les salariés à la stratégie de l’entreprise – quelle qu’en soit la taille –, notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ?
Enfin, les auditions ont fait apparaître les inquiétudes sur la fragilisation des salariés et la possibilité d’augmentation des contentieux, notamment sur la question de la mobilité, mais également des procédures de licenciement et du barème des indemnités. Ces processus sont-ils suffisamment sécurisants pour les salariés ? Peuvent-ils améliorer le dialogue ?
M. le vice-président de la CFTC. La pluralité syndicale est aussi normale que la pluralité politique ; il ne faut donc pas s’étonner des divergences d’analyse entre les différents syndicats. Durant les dernières décennies, la CGT a rarement signé un texte majeur, bien qu’elle en ait souvent revendiqué la paternité et qu’elle l’ait défendu corps et âme par la suite. Il en va ainsi des comités d’entreprise – lieu de concertation entre le patronat et les représentants des salariés –, qui n’existeraient pas si on l’avait suivie.
Nos divergences renvoient aux différentes formes de syndicalisme : loin de l’opposition systématique, la CFTC défend un syndicalisme d’engagement. Hommes et femmes, dans toute leur complexité, les patrons ou les ouvriers ne sont pas uniformément bons ou mauvais. La pâte humaine est plus complexe, et s’il se trouve toujours des personnes pour essayer de contourner les textes, l’on ne saurait s’y arrêter, sous peine de voir la société se figer, se scléroser et mourir. Nous faisons donc le pari d’avancer avec tous les gens de bonne volonté ; les autres ont le droit de faire d’autres choix.
Cette négociation a pourtant montré que malgré nos différences, le camp syndical était plus uni que son homologue patronal, dont nous avons observé les conflits. Le rapport de forces n’épouse pas le clivage entre les syndicats d’un côté et le patronat de l’autre ; la réalité est plus complexe.
Nos efforts nous ont permis d’aboutir à un accord. Pourtant, sur certains points – comme les droits rechargeables –, celui-ci entraîne d’autres négociations ; à nous de le porter et de le faire vivre. Parmi les points auxquels nous étions opposés figure le titre V qui porte sur la rationalisation des procédures de contentieux judiciaires. Mais le patronat y tenait absolument, notamment les petites entreprises regroupées au sein de l’UPA – dont la signature de l’accord prouve d’ailleurs que les très petites entreprises (TPE) et les PME y trouvent leur compte. Certes, on peut regretter que le délai de prescription pour les réclamations liées au contrat de travail, auparavant de cinq ans, ait été diminué. Pourtant, ayant obtenu par ailleurs des avancées substantielles, nous devions faire une concession, afin d’arriver à faire vivre un accord qui servira à tout le monde. La réaction positive des agences de notation atteste qu’il est bon pour notre pays, et donc également pour les entreprises et pour les salariés.
S’agissant du choix entre l’accord majoritaire et l’homologation dans la procédure de licenciement, nous penchions pour la première solution, qui constitue un engagement. Certes, il est plus difficile de signer un accord dans un contexte morose que dans une conjoncture favorable ; mais nous devons assumer notre rôle quel que soit le moment. Le patronat a avancé – non sans raison – que dans certains cas, les salariés ne voudront rien céder. Pourtant, l’homologation n’équivaut-elle pas à l’autorisation administrative de licenciement ? Il est, à cet égard, étonnant que ceux qui réclament le retour à cette autorisation n’y voient pas une avancée : l’homologation redonne une place aux pouvoirs publics, et puisque les licenciements sont en partie supportés par la communauté nationale, il est logique que ses représentants aient un droit de regard sur la procédure, afin d’éviter les excès et les abus. Il est enfin normal que l’administration puisse examiner la réalité du motif économique, et il serait faux de l’imaginer en monstre souhaitant la mort des entreprises. Le dispositif final me semble donc assez équilibré.
Les moyens humains de la DIRECCTE doivent être renforcés, sous peine de la voir privilégier quelques dossiers essentiels, laissant de côté d’autres tâches. Il faudrait assurer à ses personnels une solide formation économique et pratique, afin qu’ils disposent d’une connaissance fine de la vie de l’entreprise. C’est là qu’il faut chercher les réponses à vos questions : certes, certains patrons feront tout pour ne pas respecter l’esprit et la lettre du texte ; mais des centaines de milliers d’autres feront les choses correctement. Ayant commencé à travailler à l’âge de 16 ans et demi, j’ai connu des patrons exécrables comme excellents ; les enfermer dans une case idéologique constituerait une erreur profonde. Faisons confiance à la pâte humaine !
La mobilité représente un point essentiel et difficile de l’accord. J’ai travaillé pendant un temps dans une entreprise qui fabriquait des cartes perforées ; le jour où celles-ci n’existaient plus, tous les salariés auraient pu se retrouver au chômage, sans autres compétences. La mobilité professionnelle consiste à prendre le problème en amont, en formant les salariés pour leur permettre d’évoluer vers d’autres activités, sauvant ainsi leurs emplois. La mobilité géographique peut se révéler nécessaire, mais l’approche doit être équilibrée : transférer des salariés d’un site à un autre, distant de trois kilomètres, ne paraît pas outrancier ; les déplacer de Strasbourg à Marseille l’est beaucoup plus. Mais l’on ne peut pas entrer dans ces détails dans un accord interprofessionnel national ; c’est pourquoi celui-ci est rédigé de façon à laisser aux équipes de terrain la capacité d’apprécier ce qui est juste et raisonnable.
La taxation des contrats courts concerne les contrats de confort et non ceux de bon sens comme les remplacements pour congés maternité ou congés d’absence pour maladie, ou encore les vendanges. Ne seront taxés que des CDD abusifs où un poste fixe voit se succéder des salariés en contrat court, comme souvent à La Poste. Nous souhaitons renchérir le coût du travail pour ce type de CDD, afin de permettre à davantage de salariés de bénéficier d’un CDI qui constitue une sécurisation importante dans la mesure où il permet, par exemple, de bénéficier plus facilement d’un crédit ou de louer un appartement. L’accord prévoit également de baisser le coût du travail en cas d’embauche d’un jeune de moins de 26 ans en CDI. Il n’y a pas là d’incohérence, car le but n’est pas de renchérir le coût du travail, mais de diminuer la précarité. On peut donc très bien augmenter le coût des contrats courts pour les rendre moins attractifs, tout en diminuant celui des CDI. S’il existe un volant incompressible de précarité utile à la société comme aux personnes qui en font le choix, le volume actuel relève clairement d’un excès.
L’intérim – qui fait actuellement l’objet d’une négociation – n’a pas été traité dans l’accord, suivant le souhait de la partie patronale. L’intérim représente pourtant un surcoût, ce qui devrait inciter les chefs d’entreprise à l’éviter ; ce pari me semble fondé.
En ce qui concerne le barème des prud’hommes, je vous invite à bien lire le texte de l’accord, qui précise que les parties « peuvent » y avoir recours, là où le patronat voulait écrire « doivent ». Le barème est donc indicatif et non obligatoire : en cas de contentieux, on peut se mettre d’accord – ou non – sur ses montants ; on peut opter pour un tarif supérieur ou inférieur. Si l’accord ne mentionne pas explicitement le caractère indicatif du barème, c’est que dans une négociation, il ne faut pas faire perdre la face à son partenaire. Ayant vidé une disposition de sa substance – comme c’est le cas pour le barème –, nous nous sommes abstenus d’y insister. J’espère que dans le projet de loi, le terme « peuvent » sera conservé, afin de garder l’esprit de l’accord.
Cet accord constitue un facteur de stabilité dans le long terme. Il est favorable aux grandes entreprises, sans être défavorable aux petites. Vous avez été plusieurs à évoquer le cas des personnels de services à la personne ; mais il faut également tenir compte des 4 millions de salariés qui ne sont pas couverts par une complémentaire santé et qui, sans pouvoir aller chez le dentiste, finissent par se faire arracher des dents à l’hôpital – ce qui ne les favorise évidemment pas ensuite dans leur recherche d’emploi. Une femme seule qui vit à Paris avec un salaire légèrement supérieur au salaire minimum ne peut pas se faire soigner aujourd’hui. Certes, toute réponse est imparfaite, mais les avantages de cet accord l’emportent largement sur ses effets néfastes – qu’il faut néanmoins regarder de près. Les entreprises de service à la personne – notamment aux personnes âgées – sont importantes, mais l’on ne peut pas laisser 4 millions de personnes dans une précarité de santé qui nuit à l’ensemble de la société ; il s’agit d’un véritable choix social. De plus, l’augmentation des coûts des entreprises de service à la personne à la suite des mesures de ce texte devrait se révéler modérée.
S’agissant de notre représentativité, à la fin du mois, la CFTC sera sûrement toujours représentative du point de vue légal. On a essayé de nous tuer plus d’une fois depuis notre création en 1919, mais le syndicat chrétien est aussi celui de la résurrection. Quant à notre poids dans l’action, le texte de l’accord reprend des idées que l’on défend depuis des décennies. Ainsi, l’attachement des droits au salarié et non plus à l’entreprise est une revendication de la CFTC depuis plus de dix ans. Perdre tous ses droits en quittant une entreprise ne favorise pas une évolution professionnelle satisfaisante ; garder des droits permet une véritable mobilité, choisie et sécurisée. La participation représente une autre de nos revendications. Nous pesons donc, et continuerons à peser, dans le champ social.
Il faudra développer davantage la formation professionnelle et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sans doute en lien avec les régions. Nous sommes favorables à la territorialité, notamment dans les bassins d’emploi.
Entre la logique de la confrontation et celle de la coopération, chacun doit faire un choix. Plutôt que d’insister sur les divergences, je crois pour ma part à la prise de responsabilité commune. Certes, comme j’ai pu l’observer dans ma vie professionnelle, les salariés et les patrons peuvent avoir des intérêts divergents : le salarié veut obtenir une augmentation de salaire, là où le chef d’entreprise doit respecter les équilibres financiers. Mais la convergence – la volonté de faire vivre l’outil et la communauté de travail – est bien plus importante. Le rapport de forces peut exister, mais ne se réduit pas forcément à une opposition systématique ; nous souhaitons avancer sans nous situer dans le camp du « non » permanent, celui de la sclérose.
Les syndicats ont le droit de s’opposer à cet accord au nom de leur idéologie. Mais prenez l’exemple des deux usines de pneumatiques situées à côté d’Amiens, Goodyear et Dunlop, qui appartiennent au même groupe et se trouvent à quelques centaines de mètres l’une de l’autre. Dans la première, un syndicat majoritaire s’oppose depuis des années à tout accord ; cette usine est morte. Dans la seconde, c’est la CFTC qui est devenue majoritaire ; les salariés de cette usine ont accepté de faire des efforts en contrepartie d’investissements dans un bassin sinistré. Ils ont eu raison : mieux vaut sauver des milliers d’emplois plutôt que de mener les salariés et leurs familles dans le mur par idéologie. C’est la force de la négociation, de la concertation et de la responsabilité par rapport à la faiblesse du « non » systématique.
Même s’il n’est pas défini dans le projet de loi, le motif économique l’est dans le code du travail ; il n’y a donc pas de vide juridique. Contractualiser le plan social ne revient pas à contractualiser le motif économique.
La CGT considère que prendre les propositions patronales comme cadre constitue un problème ; mais elle était libre de venir avec son propre texte, comme l’ont fait la CFTC et la CFDT. Elle seule est responsable de sa méthode de négociation.
Certains dispositifs de financement des formations sont, en effet, mal ou pas utilisés, et il faudrait en améliorer la gestion.
Les dispositifs de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) sont parfois insuffisants, et l’accord cherche à les développer à l’aide de nouveaux outils, notamment en renforçant le poids des institutions représentatives du personnel. L’objectif est d’apporter des améliorations là où c’est nécessaire, car dans certaines entreprises, le système fonctionne plutôt bien.
La polémique sur les assureurs et la complémentaire santé soulève un point juste. Ne nous voilons pas la face : il s’agit d’un gros « business » qui met en jeu des intérêts puissants. Mais je souhaite, pour ma part, que les 4 millions de salariés, qui ne sont aujourd’hui pas couverts pas une complémentaire santé collective, le soient demain. Or, lors d’un accord à l’échelle d’une branche professionnelle, l’on obtient de meilleurs tarifs et de meilleures prestations que lors d’une démarche isolée. Certes, il faut veiller à ce que les appels d’offre soient transparents ; mais le choix individuel de la complémentaire serait insoutenable pour les PME, comme l’UPA l’a bien compris. Il faut simplement éviter que cette protection globale ne conduise pas au maintien ou à la mise en place de monopoles ; il s’agit, comme toujours, d’un équilibre à trouver.
Nous n’avons pas discuté d’un contrat unique ; le CDI doit rester la norme et le CDD, l’exception. Le CDI représente donc déjà un contrat unique, avec les exceptions que constituent les CDD de bon sens.
Enfin, les excès et les risques attachés à la notion de mobilité suscitent des inquiétudes ; mais la vie consiste à prendre des risques, en essayant de les encadrer au maximum.
Mme la secrétaire nationale de la CFE-CGC. Les raisons pour lesquelles nos collègues n’ont pas signé l’accord leur appartiennent ; nous essayons, pour notre part, de vous convaincre du bien-fondé de nos positions. Ce contexte nous amène à faire de nos relations avec les autres syndicats un éclairage particulier. Pourtant, en 2011, c’est tous ensemble que nous avons négocié l’accord relatif à l’UNEDIC ou les accords pour l’emploi des jeunes, sans problèmes de représentativité ni de majorité de signatures. Nous nous connaissons bien et sommes capables de travailler ensemble. Aussi ne critiquons-nous pas les positions de nos collègues qui n’ont pas signé l’accord.
Dans le cas présent, nous faisions face à une difficulté particulière, la feuille de route nous imposant de lutter contre la précarité, de renforcer le dialogue social et de sécuriser les procédures de licenciement. Si la croissance économique était au rendez-vous et le niveau du chômage, moindre, si nous ne devions pas travailler vite afin de pallier les difficultés tant conjoncturelles que structurelles des entreprises, nous aurions pu adopter une autre démarche, laissant aux autres partenaires sociaux le temps d’évoluer, pour parvenir, au bout d’un an de réflexion, à un compromis commun. Mais dans la situation économique tendue que nous connaissons, il nous fallait trouver, avec le MEDEF, la CGPME et l’UPA, des solutions urgentes. C’est pourquoi, même imparfait, cet accord pragmatique devait être signé, afin de donner lieu le plus vite possible à des effets concrets.
Certains de ces effets seront rapides, d’autres moins, car les branches s’empareront de l’accord pour en adapter les grands axes à leur situation qu’elles connaissent mieux que quiconque. Le respect des entreprises et des salariés exige, après l’étape de la vision interprofessionnelle, de passer le relais aux branches et de leur laisser le temps de bien appréhender chaque sujet : le temps partiel, les contrats intérimaires, etc. Rien ne se fera sur le terrain sans la signature d’un accord.
Au-delà de la professionnalisation, certes nécessaire, des élus – qui pourront au demeurant faire appel à des experts –, la base de données leur fournira des possibilités nouvelles, devenant l’outil de partage des informations entre l’entreprise et les salariés. Quand le chef d’entreprise affirmera subir une baisse de compétitivité ou ne pas retrouver un coefficient d’exploitation normal, le salarié pourra le faire vérifier par son expert-comptable. La force de cet accord réside dans le dialogue social et dans cette base de données.
Les mots et les articles ont un sens précis. S’agissant de la mobilité, nous avons d’abord discuté de kilomètres et de délais de déplacement ; si nous avons décidé d’abandonner ces notions, c’est que celle de « conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale » nous est apparue plus à même d’assurer, au sein de l’entreprise, une définition judicieuse de la distance. Nous travaillons d’ailleurs actuellement, avec toutes les organisations syndicales, sur la qualité de vie au travail ; ce concept obéit donc à une vraie logique et possède une véritable transversalité. En l’absence d’un accord, c’est la loi existante sur la mobilité qui s’appliquera, les plans de départ volontaire, de mobilité et de compétitivité faisant déjà partie des pratiques. Il faudrait en revanche éviter de créer un effet d’aubaine, en rappelant que ce principe de mobilité interne caractérise des mesures « ne comportant pas de réduction d’effectifs » ; ces termes, plutôt que « sans projet de licenciement », sont fondamentaux. Cette phase de mobilité au moment de la modernisation de l’outil ne doit pas impliquer de licenciements, c’est pourquoi la CFE CGC, rejointe et soutenue par ses collègues, a insisté qu’en cas de refus du salarié, il s’agirait d’un licenciement économique individuel ouvrant le droit au contrat de sécurisation professionnelle (CSP), contrairement aux dispositions du projet initial tout comme aux accords de maintien dans l’emploi.
Nous touchons là au véritable avantage du dialogue social. Lorsque des organisations syndicales décident de réformer, cette prise des responsabilités demande du courage ; mais elles gagnent toujours plus que ne leur aurait apporté une simple loi ou le refus de négocier. Cet accord a été nourri de l’ensemble de nos contributions. Certes, le MEDEF a proposé un texte initial, mais sa première version a été rejetée en bloc. Lors de la négociation sur l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), les cinq organisations syndicales avaient soumis à la discussion leur propre texte, considérant que celui du MEDEF était trop éloigné de leurs aspirations. Dans le cas présent, nous avons décidé de retravailler la seconde version du MEDEF. Nos contre-propositions l’ont profondément modifiée : l’article définitif sur les accords de maintien dans l’emploi ne ressemble absolument pas à sa version initiale. C’est donc aux organisations syndicales de remodeler le texte comme elles le souhaitent.
En matière de droits rechargeables, le déficit de l’UNEDIC a été évoqué dès la dernière négociation de la convention, lorsque nous avons mis en place la filière de quatre mois – qui s’est révélé un formidable soutien dans la crise économique de 2008-2010. Nous nous plaçons dans la logique de cette avancée des droits, en toute responsabilité. Tous négociateurs au sein de l’UNEDIC, nous savons que son déficit s’élèvera à 18 milliards d’euros fin 2013 ; le groupe paritaire déjà en place doit travailler sur la mise en œuvre du dispositif des droits rechargeables sans perdre ces chiffres de vue.
S’agissant du contrat unique, le rapport Cahuc est régulièrement ressorti des tiroirs. À l’époque de la croissance économique, un tel contrat était inutile ; aujourd’hui, le CDI doit rester la norme. La feuille de route initiale visait d’ailleurs à redonner au CDI sa véritable logique, et c’est ce que nous avons cherché à faire à travers cet accord.
M. le secrétaire national de la CFDT. Il nous faut articuler démocratie sociale et démocratie politique, dans le respect de la place et de la légitimité de chacune : c’est dans cet esprit que le débat parlementaire doit compléter et préciser cet accord. Ainsi, les partenaires sociaux n’ont pas la compétence de régler entièrement, par la négociation, la question de la reprise de sites ou celle des actionnaires salariés, ces mesures excédant le périmètre du code du travail. Mais même pour les dispositions relevant pleinement de ce code, les parlementaires doivent pouvoir largement amender le texte, du moment où, comme vous l’avez souligné, ils en respectent l’esprit. Le compromis obtenu, en effet, ne doit pas être remis en cause, sous peine de discréditer l’idée même de dialogue social, car si la loi abroge l’accord, les partenaires sociaux ne verront plus l’intérêt de s’engager dans la négociation à l’avenir.
Cet accord ne règle pas le problème de la compétitivité et de la performance de l’économie française ; il y participe seulement. C’est pourquoi nos trois organisations syndicales et les trois organisations patronales ont signé, en 2010, un texte sur la compétitivité aux propositions concrètes. Ces mêmes organisations signeront d’ici deux à trois mois une délibération économique sur la définition des moteurs de croissance du futur, capables de redresser l’industrie française. Ce texte contractualisé, qui se situera dans la perspective du pacte de compétitivité, rejoint les conclusions du rapport Gallois, tout en lui étant supérieur : plus précis, il s’appuie notamment sur des indicateurs comparatifs de compétitivité en Europe. La CGT et FO – dont je respecte le choix – refusent pour leur part de participer à la délibération économique, estimant qu’en tant qu’organisations syndicales, elles n’ont pas à considérer les aspects économiques, pourtant indissociables de l’aspect social dès lors que l’on aborde la question de la performance et de la compétitivité.
Il est par ailleurs regrettable que cet accord serve d’alibi au règlement des problèmes internes de certaines organisations, tant syndicales que patronales. Nous serons vigilants sur son instrumentalisation au service des luttes de pouvoir ou de succession, à la CGT comme au MEDEF.
Cet accord relève enfin d’un compromis entre les organisations patronales elle-mêmes : sur les clauses de désignation de la mutuelle, par exemple, il a fallu arbitrer entre le MEDEF et l’UPA, et entre le lobby des assurances et celui des mutualistes.
Il vous appartient de forger votre propre avis, mais contrairement à ce qu’affirment la CGT et FO, si vous transformez cet accord en une loi, il amènera immédiatement de nouveaux droits, alors que la flexibilité relèvera de la négociation et d’accords majoritaires. Le patronat souhaitait pour sa part l’inverse : la flexibilité tout de suite, et les nouveaux droits demain. Mais le dialogue social, le débat et l’articulation de la démocratie sociale et politique devraient rendre les nouveaux droits immédiatement effectifs, même si certaines dispositions devront encore être précisées.
Pour entrer dans le détail, l’article 1er portant sur la couverture complémentaire santé nous convient. Pour les salariés non couverts par des conventions collectives – dont la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) pourrait vous communiquer le nombre –, l’accord prévoit un panier minimum de soins qui devrait donner lieu à un décret. Nous n’avons pas abordé dans l’accord le problème du régime d’Alsace-Moselle, dont le règlement devra passer par des décrets d’exclusion ; nous vous en laissons la responsabilité. Je vous livre aussi une autre information : une lettre de patrons nous a également alertés sur la question de l’agriculture et de l’agroalimentaire : les salariés des petites entreprises et exploitations craignent d’être exclus de l’accord à cause des dispositions spécifiques du code rural sur la complémentaire santé.
Nous sommes très satisfaits du compte personnel de formation prévu à l’article 2 ; mais nous ne pouvions pas aller trop loin sur cette question car une négociation est en cours, qui doit déboucher sur un projet de loi sur la formation professionnelle. Ce sujet touche à l’évolution de l’école, à la décentralisation et à bien d’autres textes en cours de discussion au Parlement ; il nous est donc apparu raisonnable de préciser que le compte personnel de formation est un droit attaché à la personne, et que tout salarié doit avoir la possibilité de se former de la sortie de l’école à la retraite, sans entrer dans le détail des mécanismes de gouvernance et de financement.
L’article 3 sur la mobilité externe nous convient tout à fait. Quant à l’article 4, il est essentiel à l’accord : la base de données permettra aux salariés d’accéder non seulement aux éléments sociaux, mais également aux informations relatives à la stratégie, à l’investissement, et à l’utilisation par l’entreprise des crédits et des aides publiques – point particulièrement sensible, comme en atteste le débat sur le détournement possible des 20 milliards d’euros qui pourraient servir à rémunérer les dividendes et non à investir. Disposer de ces éléments en amont de toute décision permettra aux institutions représentatives du personnel de donner leur avis, créant une culture d’anticipation. Nos baromètres montrent que les fonctionnaires comme les salariés du privé s’inquiètent pour leur emploi. En donnant une perspective à trois ans, par rapport au territoire et aux concurrents de l’entreprise, ainsi qu’aux enjeux industriels et technologiques auxquels elle fait face, la base de données éclairera sur son orientation, ses choix d’investissement et sa politique. Pallier le manque de visibilité actuel permettra de rassurer les salariés. Il faudrait en revanche corriger une coquille : cette base de données devrait être ouverte non seulement aux élus des comités d’entreprise, mais également aux délégués du personnel.
Nous sommes d’accord avec les dispositions relatives à l’expertise. Quant au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), si l’avant-projet de loi allait trop loin en prévoyant une instance unique, le texte actuel revient à une conception plus modérée : sans remettre en cause le rôle des CHSCT locaux, il permet de recourir à une expertise unique au lieu d’en mener dix sur le même sujet. Cette version, qui reprend les termes de l’accord, nous convient parfaitement.
À l’article 5, nous souhaitions baser la participation des salariés aux conseils d’administration sur la représentativité, mais nous acceptons que la loi reprenne les trois possibilités actuelles – l’élection, la désignation par les institutions représentatives du personnel et le mandatement. Il faudrait en revanche préciser, si cela est possible juridiquement, que ces salariés – qui s’exprimeront sur des sujets sensibles – seront protégés. Nous voudrions également que l’assemblée générale des actionnaires, qui choisira ces modalités de désignation, dispose de l’avis du comité d’entreprise et décide en connaissance de cause. Notre amendement en ce sens n’avait pas été retenu, mais il serait préférable que cette décision ne relève pas du seul employeur, même si l’avis du comité d’entreprise reste purement indicatif.
Nous sommes satisfaits des articles 6 et 7. Les temps partiels directement reliés à un employeur individuel sont exclus du périmètre de l’article 8. Contrairement à une association, capable de trouver un deuxième emploi à son salarié – qui peut ainsi travailler à temps complet en cumulant plusieurs contrats à temps partiel –, un employeur qui a besoin d’un jardinier ou d’une aide à domicile ne pourra pas fournir ce socle de 24 heures de travail.
L’article 9 nous convient. L’article 10, en revanche, n’est pas conforme à l’esprit de l’accord. Privilégier la culture d’anticipation en matière de mobilité interne – en lien avec la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) – consiste à organiser, tous les trois ans, à partir de la base de données, une négociation sur la politique sociale du groupe, et prévoir la mobilité géographique et technique à venir. Il est ainsi essentiel de préciser que cette mobilité doit s’effectuer sans baisse d’effectifs, et non en dehors de tout projet de licenciement, comme le stipule le texte actuel. Le récent accord conclu chez Renault prévoit, par exemple, des plans de départ volontaire, donc une diminution des effectifs. Si cet accord défensif visant à sauver l’entreprise est en l’occurrence nécessaire, il ne s’inscrit pas dans une politique sociale renégociée tous les trois ans. Laisser le texte en l’état, c’est prendre le risque de voir les effectifs fondre sans licenciements économiques, par le biais des départs volontaires ou des départs à la retraite. Les termes exacts de l’accord doivent donc être repris.
Nous n’avons rien à dire sur les articles 11 et 12. Quant à l’article 13, nous n’avons pas tranché la question de savoir si la négociation doit impérativement intervenir avant l’homologation. Le patronat peut être tenté de privilégier cette dernière, pariant sur le fait que les DIRECCTE, manquant de moyens, tamponneront automatiquement les formulaires. Or, aller directement vers une homologation serait contraire à l’esprit de l’accord qui cherche avant tout à renforcer le dialogue social et la négociation. Mais les DIRECCTE ne pourront pas assurer ces nouvelles tâches à effectifs constants et à compétences égales : leurs moyens doivent être augmentés si l’on veut que leur contrôle comprenne une forme d’investigation. La base de données comprenant des informations financières, les DIRECCTE, qui y auront accès, pourront moduler les plan de sauvegarde de l’emploi en fonction des moyens des groupes, ce qui coupera court aux licenciements boursiers.
Nous sommes d’accord avec la formulation des articles 14 et 15. Mes collègues ont déjà tout dit sur l’article 16, relatif au barème. S’agissant de l’article 17, la CGPME exige de différer d’un an la mise en œuvre des institutions représentatives du personnel dans les petites entreprises ; il faudra organiser une discussion tripartite pour essayer de définir le contenu d’un décret – tâche qui s’annonce difficile.
S’agissant de l’article 18, l’accord prévoit une évaluation du dispositif au bout de deux ans ; nous souhaitons qu’à cette fin, une commission paritaire soit mise en place dans chaque branche concernée. La CGPME souhaitait généraliser les CDI intermittents, tout comme le MEDEF, les CDI de projet. Or, ces derniers – qui existent depuis 2008 dans quelques secteurs travaillant à l’exportation – risquaient de générer une grande précarité. Actuellement, les entreprises de nettoyage de bureaux ou les sociétés d’informatique établissent un contrat commercial avec leur client ; lorsque ce contrat arrive à terme, l’entreprise retrouve pour ses salariés un nouveau chantier. Avec des contrats de projet, le terme du contrat commercial mettrait fin au contrat de travail des salariés, sans que ceux-ci bénéficient des droits afférents. Le MEDEF a fini par retirer ce dispositif. Nous ne souhaitions pas davantage généraliser les contrats intermittents, également générateurs de précarité. Pour garder la CGPME parmi les signataires, nous avons proposé d’organiser une expérimentation de deux ans dans trois branches, avec une évaluation à la clé, afin de continuer ou d’arrêter l’expérience en fonction du résultat. Alors que la CGPME voulait implanter le dispositif dans l’hôtellerie-restauration, la branche l’a refusé, ce type de contrat ne répondant pas à ses besoins. Parmi les branches retenues, les chocolatiers et le commerce d’articles de sports utilisent déjà des contrats intermittents par le biais des accords de branche. En revanche, nous accompagnerons et évaluerons leur mise en place dans la branche de la formation professionnelle hors langues, où ils représentent une nouveauté. En somme, il nous a été difficile de trouver des branches à la fois preneuses de ces contrats intermittents et adhérentes à la CGPME. Le texte résulte donc d’un compromis de bonne volonté des signataires.
En conclusion, j’insiste à nouveau sur la nécessité de donner à la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) une dimension d’anticipation, en précisant que la mobilité interne doit se faire sans baisse d’effectifs. N’oubliez pas également qu’une négociation est en cours sur la qualité de vie au travail, l’égalité entre les hommes et les femmes et la conciliation des temps ; elle complétera utilement cet accord, tous deux étant sources d’avancées dans la sécurisation de l’emploi et le recul de la précarité dans l’entreprise.
Mme la secrétaire nationale de la CFE-CGC. Certains ont évoqué l’abandon que représenterait la réduction des délais de prescription, mais c’est le lot de toute négociation : on n’obtient pas tout ce que l’on rêvait d’avoir ; mais en même temps, on réussit à supprimer certains points dont on ne voulait pas. Nous avons ainsi réussi à faire retirer beaucoup de propositions initiales, notamment une partie du titre V comportant bien des libéralisations. Nous avions maintenu le blocage sur les délais de prescription le plus longtemps possible, car le MEDEF proposait à l’origine de les réduire à un an seulement. Notre idée de dissocier les motifs a permis d’obtenir un délai un peu plus court – deux ans – sur les motifs de rupture du contrat, et un peu plus long – trois ans – sur les salaires. Certes, c’est moins que ce qui existait auparavant, mais en fin de négociation, il faut savoir abandonner des revendications pour parvenir à un équilibre.
M. le vice-président de la CFTC. Comme vous pouvez le constater, nous sommes tous les trois d’accord sur l’essentiel.
L’article 12, relatif aux accords de maintien dans l’emploi, prévoit une clause pénale si l’employeur ne respecte pas ses engagements. Dans le projet de loi, tel qu’il est rédigé, cette clause se limite au non-respect du maintien des salariés dans l’emploi, donc au licenciement. Dans l’accord, en revanche, cette clause s’applique à tout manquement à l’accord de maintien dans l’emploi, par exemple à un changement d’horaires. Il faudrait corriger cet écart.
L’article 13, qui traite de l’homologation, fait également l’objet d’une confusion. Il prévoit ainsi, en cas d’annulation d’une décision de validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi, que les salariés reçoivent une indemnité au moins égale à six mois de salaire, alors que cette indemnité s’élève aujourd’hui à douze mois, l’indemnité de six mois relevant pour sa part des licenciements sans cause réelle et sérieuse.
Quant aux contrats intermittents, la CGPME en a fait un point de blocage, alors même qu’il nous a été difficile de trouver trois branches intéressées. Le texte final est donc vidé de toute substance, les nouveautés qu’il introduit ne touchant quasiment personne.
M. le secrétaire national de la CFDT. Les salariés des très petites entreprises ont beaucoup à gagner avec cet accord. Ils bénéficieront, comme tous les autres, de l’attachement des droits à la personne et profiteront de la mutualisation entre les petites et les grandes entreprises, notamment en matière de couverture complémentaire santé.
À l’heure de la décentralisation, cet accord ouvre également la voie au dialogue social sur le renforcement de la place des territoires, qui prendront par exemple en charge la formation ou le conseil en évolution professionnelle.
La CFDT s’oppose à l’idée d’un contrat unique. L’activité connaît des périodes de surcroît, certains emplois sont saisonniers, et beaucoup de productions industrielles, cycliques. Ces différents moments d’activité nécessitent différents volumes de personnels, rendant plusieurs contrats – CDI, CDD, intérim – nécessaires. Un CDI unique devrait nécessairement tenir compte de la saisonnalité et des cycles, et donc comporter une part d’assouplissement ; une telle évolution serait pire que l’existence de trois contrats distincts.
Quant à ceux qui dénoncent l’accord comme minoritaire en pariant sur le fait que fin mars, certaines organisations ne seraient plus représentatives, ils ne s’appuient sur rien de réel. Signé par trois organisations sur cinq, l’accord est aujourd’hui légalement majoritaire ; à l’avenir, la représentativité procédera de la consolidation, au niveau national, des élections aux comités d’entreprise, et personne ne sait encore quelles organisations seront majoritaires. Ceux qui se risquent aux spéculations instrumentalisent l’enjeu, usant de l’ancienne grille pour parler de la représentativité de demain.
En revanche, les parlementaires devraient réfléchir à la question de la représentativité patronale !
Mme la présidente Catherine Lemorton. Les trois syndicats signataires – et représentatifs – ont accepté d’être auditionnés ensemble, alors que la CGT et FO font chacune l’objet d’une audition séparée. Il ne faut y voir aucune différence de traitement : il nous a simplement été impossible de trouver une date d’audition commune pour ces deux derniers syndicats.
En ce qui concerne la décentralisation et la formation professionnelle, notre Commission se saisira naturellement pour avis.
Je vous remercie, madame, messieurs, pour vos réponses.
3. Audition de la CGT, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013
La Commission entend la CGT, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, représentée par M. Thierry Lepaon, Mmes Francine Blanche et Agnès Le Bot, membres de la commission exécutive confédérale, et Mme Anne Braun, conseillère juridique, au cours de sa troisième séance du mercredi 13 mars 2013.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons nos auditions concernant le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi. Nous avons reçu, hier, les ministres Michel Sapin et Thierry Repentin, et, ce matin, les négociateurs des trois organisations syndicales de salariés qui ont signé l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier, à savoir la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC.
Il m’a semblé nécessaire d’entendre également les deux organisations syndicales qui, certes, n’ont pas signé l’accord national, mais ont participé jusqu’au bout à la négociation. À ce sujet, mon intention initiale était, comme ce fut le cas ce matin pour les organisations signataires, de réaliser une audition commune de la CGT et de FO, mais des problèmes d’agenda de nos interlocuteurs m’ont conduite à retenir le principe de deux auditions séparées – FO ne pouvait être présente cet après-midi, et la semaine prochaine la CGT tient son congrès à Toulouse.
Nous recevons donc cet après-midi les représentants de la CGT en la personne de Mme Agnès Le Bot, secrétaire confédérale, accompagnée de M. Thierry Lepaon et Mme Francine Blanche, responsables nationaux, et de Mme Anne Braun, conseillère fédérale.
Mesdames, messieurs, vous nous direz quelle est votre vision globale de l’accord et pour quelles raisons vous avez décidé de ne pas le signer.
Même s’il est largement lié à l’appréciation que vous portez sur l’accord, quel est votre sentiment sur le projet de loi et sur la manière dont il retranscrit l’accord ? Vous a-t-il, sur certains points, apporté quelques apaisements ?
M. Thierry Lepaon, membre de la commission exécutive confédérale. Je vous remercie d’avoir fait le choix d’auditionner l’ensemble des organisations syndicales de salariés, y compris celles qui n’ont pas signé l’accord du 11 janvier dernier.
Le dimanche 6 mai 2012, François Hollande était élu Président de la République. À cette occasion, la commission exécutive confédérale de la CGT déclarait : « Le résultat de l’élection présidentielle exprime un "désaveu" pour le président sortant. Sa politique autoritaire et antisociale, son passage en force sur la réforme des retraites et sa façon de gouverner sont maintenant clairement sanctionnés… Les salariés, les retraités et les privés d’emploi ont ainsi confirmé leur refus de payer la facture d’une crise économique dont ils ne sont pas responsables ».
Notre organisation concluait en appelant « l’ensemble des salariés, retraités et privés d’emploi à conforter la place que les réponses aux revendications sociales doivent prendre dans les politiques à venir ».
Les engagements et les promesses du candidat Hollande, puis son élection, ont fait lever un espoir de changement que les électeurs ont voulu rendre possible par leur vote aux élections législatives qui ont suivi. Ils ont porté à l’Assemblée nationale une majorité de députés des différents partis de gauche.
Il n’est pas exagéré de dire que les salariés, les retraités et les demandeurs d’emploi, par leur engagement lucide et déterminé, par leurs luttes, ont pris toute leur part dans cette importante victoire politique. Leurs attentes demeurent à la mesure de cet engagement.
Lors de la Grande conférence sociale de juillet 2012, les discours du Président de la République et celui du Premier ministre nous ont semblé aller dans le sens d’une réelle prise en compte de ces attentes.
Ainsi François Hollande déclarait dans son discours inaugural que lorsque des efforts sont demandés, il faut, pour qu’ils soient acceptés, en comprendre le sens. Il faut qu’ils soient répartis dans la justice. Il appelait enfin à mobiliser nos forces pour le progrès et à restaurer la confiance en l’avenir.
Dans son discours de clôture, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault déclarait pour sa part : « Je vous propose une nouvelle démarche pour la sécurisation de l’emploi. Le Gouvernement invitera les partenaires sociaux, sur la base d’un document d’orientation transmis en septembre 2012, à négocier au niveau national interprofessionnel, avant la fin du premier trimestre 2013, les conditions d’une meilleure sécurisation de l’emploi.
« Cela suppose d’avancer sur deux fronts. D’abord, lutter contre la précarité de l’emploi. Le recours aux CDD, à l’intérim, au temps partiel subi, ne peut être un modèle qui se généralise. Son coût doit être, à mon sens, renchéri en agissant sur les cotisations d’assurance chômage.
« Trouver ensuite les moyens d’accompagner les mutations économiques. Dans tous les cas, il faut tout faire pour maintenir l’emploi. Mais les voies à emprunter diffèrent selon la situation de l’entreprise. Quand une entreprise rencontre des difficultés conjoncturelles, il faut définir des leviers plus efficaces du maintien de l’emploi. Lorsque des licenciements collectifs sont envisagés, il faut améliorer et sécuriser les procédures. Mais il faut aussi encadrer les licenciements abusifs et en cas de projet de fermeture de site rentable, créer une obligation de recherche de repreneur ».
C’est à l’aune de ces orientations que nous nous sommes préparés à engager la négociation sur ce qui a été appelé « sécurisation de l’emploi ». La CGT a abordé cette négociation sereinement et avec la volonté d’aboutir. Nous avions pris note des pressions que le MEDEF faisait peser sur l’exécutif, mais nous avions l’espoir que celui-ci, avec le soutien des syndicats de salariés, saurait y résister.
Le document d’orientation du Gouvernement pour la négociation nationale interprofessionnelle pour une meilleure sécurisation de l’emploi du 7 septembre 2012 a conforté notre espoir. Il identifiait quatre domaines d’action : lutter contre la précarité sur le marché du travail ; progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité de l’emploi et les compétences ; améliorer les dispositifs de maintien dans l’emploi dans les entreprises confrontées à des difficultés ; améliorer les procédures de licenciements collectifs par des actions d’anticipation ou d’activité partielle.
Sur la base de ces objectifs, une négociation loyale pouvait être engagée. Comme l’affirmait ce document : « Il y a une voie, celle du dialogue social. À condition qu’il soit loyal, confiant, transparent, apaisé et qu’il permette un équilibre "gagnant-gagnant" des accords ».
La réalité a été tout autre. Aucun débat, aucune discussion n’a été possible. La négociation n’a été ni loyale ni apaisée, et encore moins transparente. L’accord qui en est résulté ne pouvait donc être équilibré.
Les objectifs du patronat étaient connus : diminuer le « coût » du travail, flexibiliser le droit du travail, libéraliser le licenciement, limiter le pouvoir des juges. Dans cette négociation, sous prétexte de crise, il entendait abolir un certain nombre de garanties pour les salariés. Le tout au nom de l’emploi !
À l’issue de cette négociation, quel jugement portons-nous sur ses résultats ?
Loin de répondre à la feuille de route fixée par le Gouvernement lors de la conférence sociale de juillet 2012, l’accord du 11 janvier 2013 est d’une extrême gravité pour les droits des salariés. On veut nous faire croire qu’il ouvre des droits nouveaux aux salariés, mais en réalité ses « contreparties » sont virtuelles, conditionnelles et remises à plus tard – et encore, pas pour tous.
La mobilité interne volontaire ou forcée ? Cet accord organise la mobilité interne forcée, permettant ainsi aux employeurs de muter un salarié sur un autre poste, de l’envoyer à l’autre bout de la France et, s’il refuse, de le licencier.
Quel accès à la justice demain ? L’accord sécurise les licenciements pour les employeurs en privant les salariés de l’accès à la justice prud’homale, ou en le leur rendant plus difficile, pour obtenir réparation du préjudice subi. Le juge pourra-t-il toujours apprécier la portée du préjudice subi ?
Maintien dans l’emploi ou chantage ? Le texte instaure les accords « compétitivité-emploi », pourtant fortement critiqués par la gauche lorsque Nicolas Sarkozy voulait les mettre en place, sans d’ailleurs avoir pu les imposer. La modification du temps de travail et la baisse des salaires durant deux ans pourront être imposées aux salariés. En cas de refus, même nombreux, les salariés seront licenciés pour motif économique mais sans les garanties attachées à un licenciement collectif.
Que devient le contrat à durée indéterminée (CDI) ? Avec cet accord, le MEDEF veut imposer pour les salariés des petites entreprises de certaines branches un CDI « intermittent », c’est-à-dire un contrat totalement flexibilisé.
Sécuriser l’emploi ou sécuriser les licenciements ? Grâce à cet accord, la procédure de licenciement et le contenu du plan social seraient décidés par simple accord d’entreprise, voire, en l’absence d’accord, par un simple document de l’employeur homologué par la direction du travail. Les questions du motif économique et des alternatives aux licenciements deviennent accessoires. Rien n’est fait, bien au contraire, pour éviter les « licenciements boursiers ».
La hiérarchie des normes est remise en cause. Le droit social français est fondé, vous le savez, sur la hiérarchie des normes et le principe de faveur qui fait que tout accord de niveau supérieur s’impose aux accords de niveau inférieur, comme la loi s’impose aux accords.
De même, le contrat de travail, engagement réciproque, doit être respecté par les parties. L’employeur ne devrait pas pouvoir l’écarter quand bon lui semble.
La dérogation introduite dans cet accord, si elle est transcrite dans la loi, ouvrira une brèche d’une extrême gravité.
La CGT est évidemment favorable à la négociation collective et elle le prouve en étant partie prenante et souvent signataire de nombreux accords collectifs dans les branches et les entreprises. Mais les conventions collectives sont une source du droit parmi d’autres. Elles doivent s’appuyer sur un socle légal et ne pas porter atteinte à l’ordre public social.
Dialogue social et représentativité. Ce gouvernement, qui se dit attaché au dialogue social, doit prendre en compte le rejet de cet accord par les syndicats qui représentent un nombre beaucoup plus grand de salariés que les syndicats signataires. Aux élections prud’homales, les premiers totalisaient près de 50 % des suffrages, tandis que les trois autres en totalisaient moins de 39 %.
Il est d’autant plus inacceptable de ne pas en tenir compte que la loi sur la représentativité syndicale est entrée en vigueur et que les résultats des élections seront connus dans quelques semaines. Comment le Gouvernement pourra-t-il justifier la prise en compte d’un accord qui n’aura été signé que par des organisations syndicales minoritaires en voix ? De quelle légitimité pourra-t-il se prévaloir pour transcrire dans la loi des dispositions qui auront été rejetées par les représentants d’une majorité de salariés ?
Dans le texte intitulé « feuille de route sociale » adopté à la fin de la Grande conférence sociale était inscrite la phrase suivante : « Il est important de disposer de partenaires sociaux reconnus et légitimes, interlocuteurs de premier plan pour le Gouvernement dans la conduite des réformes nationales, mais aussi dans les branches professionnelles, les entreprises de toute nature et les territoires ». Peut-on estimer que cet engagement a été tenu ?
J’en viens à la retranscription de l’accord du 11 janvier dans la loi. Le Gouvernement entend retranscrire « fidèlement » l’accord. Cela signifie que ses aspects les plus nocifs pour les salariés et ses dispositions les plus régressives seront repris. Il s’agit des accords de maintien dans l’emploi qui permettraient de licencier les salariés refusant de voir leur salaire baisser, ou encore des accords de « mobilité interne » qui autoriseraient l’employeur à licencier le salarié si celui-ci refuse d’aller travailler à l’autre bout de la France. Le licenciement deviendrait une simple formalité. L’information et l’intervention des représentants des salariés seraient enfermées dans des délais tellement courts que leur efficacité serait menacée : ainsi, dans certains cas, l’expert n’aurait qu’une dizaine de jours pour rendre son rapport. En outre, le projet de loi réduit encore plus que l’accord national la réparation des préjudices subis par les salariés. Les juges du travail devraient maintenant inciter les salariés à accepter une transaction injuste et inéquitable !
Concernant la création de « nouveaux droits » pour les salariés, qui n’ont que peu de choses à voir avec la sécurisation de l’emploi, les incertitudes déjà présentes dans l’accord subsistent.
Ainsi, les salariés les plus pauvres n’auraient toujours pas accès à la couverture complémentaire santé. Quant au financement des droits rechargeables à l’assurance chômage, il n’est absolument pas assuré, le Gouvernement se contentant de renvoyer cette question à de futures négociations sans garantie aucune.
Le patronat, MEDEF en tête, peut donc être satisfait puisque toutes les mesures de recul pour les salariés figurent dans le projet de loi. D’ailleurs, le MEDEF se félicite de son contenu.
Il semble, malheureusement, que le Gouvernement soit prêt à aller très loin pour satisfaire les signataires, quitte à violer les textes internationaux, alors même que des voix venant d’horizons divers l’ont alerté sur ce problème.
Fruit de tractations entre le ministre du travail et les signataires de cet accord, ce projet de loi va instituer une régression de portée décisive dont beaucoup ne mesurent pas la dangerosité.
Tout cela renforce la responsabilité des parlementaires dans la période à venir, car eux seuls représentent l’intérêt général. Vos prérogatives, mesdames, messieurs les députés, doivent rester pleines et entières, y compris dans le contexte de la transposition d’un accord national dans un projet de loi. Il vous appartient donc de modifier le projet de loi dans le sens de l’intérêt général. Les lois ne doivent pas être subordonnées aux accords, même si elles s’en inspirent. Laisser s’instaurer l’inverse reviendrait, dans les faits, à laisser la partie patronale préfigurer la loi.
Quelles sont les revendications que la CGT a portées dans cette négociation ?
Nous sommes favorables non pas au maintien d’un quelconque statu quo, mais à une évolution du cadre conventionnel et légal, à laquelle nous entendons prendre toute notre part. C’est notre démarche constante.
Au cours de la négociation, nous avons formulé les propositions suivantes :
– Un droit de veto suspensif des représentants du personnel sur les plans de licenciement et les plans de restructuration qui permette la recherche et la construction de propositions alternatives aux licenciements ;
– Une loi contre les licenciements boursiers et pour la reprise des sites rentables en cas de menace de fermeture ;
– La généralisation de la présence des représentants des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance avec voix délibérative et une réelle influence sur les décisions ;
– Une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui ne soit pas une gestion prévisionnelle des suppressions d’emploi ;
– L’encadrement des ruptures conventionnelles et la lutte contre le passage forcé à l’auto-entreprenariat ;
– Des instances représentatives inter-entreprises du personnel afin de donner une plus grande responsabilité aux donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants ;
– La mise en place de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) centraux, à l’instar des comités centraux d’entreprise (CCE), dans le respect des droits et moyens des comités locaux ;
– L’extension du contrat de sécurisation professionnelle à tous les salariés des entreprises de moins de 50 salariés et l’amélioration du congé de reclassement dans les entreprises de plus de 50 salariés ;
– La construction d’un droit au travail à temps plein, sur un bassin d’emplois, pour les salariés cumulant plusieurs temps partiels ;
– L’instauration de droits attachés à la personne, transférables d’une entreprise à une autre, pour tous les salariés – ancienneté, qualification, formation, prévoyance –, à négocier au niveau des branches ;
– Une taxation de tous les contrats à durée déterminée (CDD) et des contrats d’intérim, à hauteur de ce qu’ils coûtent à l’assurance chômage ;
– Un compte individuel de formation opposable à l’employeur et un renforcement des droits à la formation professionnelle qualifiante pour chaque salarié, quel que soit son parcours.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Pensez-vous réellement que ce texte n’opère aucune avancée pour les très petites entreprises, qui bien souvent n’ont ni délégué syndical ni comité d’entreprise ?
M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Monsieur le secrétaire général – permettez-moi de vous appeler ainsi, même si c’est un peu prématuré –, nous sommes honorés de votre présence parmi nous. Que vous ayez réservé à notre commission votre première intervention officielle témoigne de votre respect pour le Parlement.
Sachez que nous respectons tout autant les organisations qui ont signé l’accord que celles qui ne l’ont pas fait.
Notre conception de la démocratie sociale repose sur une démarche en trois temps. Le premier est celui de l’élaboration d’une feuille de route, issue des engagements pris par le Président de la République pendant la campagne et après son élection ; le deuxième est celui de la négociation sociale ; le troisième est celui du Parlement.
Nous abordons notre travail avec une double contrainte, car nous n’entendons pas remettre en cause un accord que certaines organisations ont signé – cela serait en contradiction avec la volonté du Président de la République de privilégier le dialogue social –, mais nous sommes à l’écoute des inquiétudes exprimées par votre organisation et par FO.
Ce qui nous frappe à travers ces auditions, c’est de voir à quel point les organisations syndicales ont une lecture différente de l’accord. Si certaines considèrent qu’il va dans le bon sens en renforçant la lutte contre le chômage, en réduisant la précarité, en améliorant la compétitivité des entreprises et la qualité de vie des salariés, d’autres acteurs, dont le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature, partagent certaines de vos craintes.
Nous pensons, nous, qu’il est possible d’améliorer cet accord en respectant les contraintes que je viens d’évoquer.
Sur le plan de la lutte contre le chômage, l’accord constitue ce que le ministre lui-même a qualifié de « petite révolution », à savoir le retour de l’État dans les plans sociaux par le biais d’une autorisation de licenciement qui passe par un accord majoritaire des entreprises ou par une homologation de l’administration. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) auront à se prononcer sur le contenu des plans sociaux et pourront exiger des entreprises qu’elles engagent des moyens proportionnels à ceux du groupe afin d’assurer les redéploiements internes, le reclassement des salariés et la pérennité des sites. Que pensez-vous de ce nouveau rôle confié aux DIRECCTE ?
Cette disposition, sans aller jusqu’au veto suspensif que vous appelez de vos vœux, est conforme au vœu exprimé par François Hollande pendant la campagne présidentielle non pas d’interdire les licenciements boursiers, mais de les faire payer suffisamment cher pour dissuader les entreprises d’y recourir.
Cet élément conditionne notre lecture globale de l’accord. Nous avons le sentiment que ce texte rendra plus difficile les licenciements sous forme de plan social dans notre pays, au profit de redéploiements de type chômage partiel ou accords de maintien dans l’emploi. Quel est votre avis sur ce point ?
Sur la question de la mobilité, je suis frappé par les divergences d’appréciation entre votre syndicat et la CFDT. Ce dont nous ont fait part les organisations syndicales signataires, c’est qu’aujourd’hui chaque salarié est bien seul face à son employeur lorsqu’il est question de changer de lieu de travail. L’accord national a le mérite d’encadrer la mobilité dans le cadre d’accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Il met en place une protection collective puisque les accords devront recueillir 30 % des suffrages des salariés, avec une opposition inférieure à 50 %. Les organisations signataires se sont dites satisfaites de cette protection, mais vous craignez, à la CGT, que cela généralise et légitime des pratiques existantes. Ces accords seront signés « à froid », dans le cadre de la gestion courante de l’entreprise, en dehors de toute démarche de réduction d’effectifs et par des majorités fortes, ce qui nous paraît de nature à protéger les salariés.
Enfin, l’accord national, même s’il ne satisfait pas toutes vos revendications, pose pour la première fois le principe selon lequel toute entreprise qui veut fermer une activité doit chercher un repreneur. En matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l’accord constitue un vrai progrès en soumettant à la négociation sociale les plans de formation et, dans le cadre de la GPEC, le recours aux emplois précaires. Il prévoit la création d’une instance de coordination des expertises qui, dans le projet de loi, ne se substitue pas aux CHSCT locaux.
Cet accord satisfait donc une grande partie de vos quinze revendications. Nous sommes sensibles à vos inquiétudes, mais le projet de loi permettra d’y répondre et nous ne manquerons pas de poursuivre en ce sens, sans naturellement remettre en cause notre engagement envers les signataires de l’accord.
M. Gérard Sébaoun. Le groupe SRC partage les propos du rapporteur. Monsieur Lepaon, il y a environ un mois, votre prédécesseur Bernard Thibault exprimait devant nous le souhait que le Parlement ait le dernier mot. Sachez que cela sera le cas et que nous exercerons nos prérogatives lors de l’examen de ce texte.
Vous dites que l’accord fait du contrat de travail un texte « virtuel ». Nous ne vous approuvons pas sur ce point. J’ai écouté attentivement vos remarques concernant la facilitation des licenciements, le dessaisissement du juge, le recul sur les délais de prescription, la mobilité volontaire forcée, la représentativité dégradée. Mais il me semble que certains de ces points sont satisfaits, au moins partiellement, par l’accord qui a été signé.
Notre groupe est très attentif à la parole de toutes les organisations syndicales, qu’elles aient ou non signé l’accord, mais nous sommes également respectueux des règles de représentativité et de l’accord majoritaire qui a été signé par trois syndicats.
La divergence de vue entre ces organisations et la vôtre est claire. Nous avons, nous, le sentiment que la démarche de réhabilitation de la démocratie sociale initiée par le Président de la République et le Gouvernement va dans le bon sens. L’unanimité des partenaires sur les contrats de génération en est un bon exemple.
La mobilité a été évoquée par l’ensemble des syndicats, signataires ou non. C’est un sujet central pour les salariés en cette période de crise. Nous faisons preuve de la plus grande vigilance à cet égard. Le projet de loi dispose que les entreprises de plus de 50 salariés et celles de plus de 300 salariés, dans le cadre de la GPEC, pourront négocier tous les trois ans avec les délégués syndicaux un accord de « mobilité interne » sans réduction d’effectifs, j’insiste sur ce point. Il revient aux acteurs syndicaux de signer ou de ne pas signer de mauvais accord – je vous renvoie à votre légitimité en la matière.
Il convient de préciser ce qu’est la mobilité géographique et de respecter la vie personnelle et familiale des salariés, comme nous le rappelle la jurisprudence en la matière. Vous noterez que le licenciement personnel prévu dans l’accord national a été transformé dans le projet de loi en licenciement pour motif économique. C’est une avancée significative.
La présence des représentants des salariés au sein du conseil d’administration constitue pour nous une autre avancée. S’agissant des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), j’approuve la création d’une instance de coordination, mais les comités touchés par une évolution importante de l’entreprise doivent être les premiers concernés.
Cet accord n’est ni blanc ni noir. Il donne aux salariés une meilleure protection individuelle et favorise la négociation en l’encadrant, mais le Parlement prendra ses responsabilités et usera de son droit d’amendement pour améliorer le projet de loi.
M. Gérard Cherpion. Je remercie Thierry Lepaon et son équipe d’être présents parmi nous, ce qui prouve leur volonté de poursuivre le dialogue social.
Vous avez rappelé, monsieur, la déclaration de votre organisation le 6 mai 2012, qui condamnait violemment la majorité d’alors. Cela étant, je vous rappelle que nous en sommes à la quatorzième application de la « loi Larcher ». Nous avons eu des discussions avec vous et nous n’avons pas toujours été d’accord, mais nos échanges ont abouti à la rédaction des articles L. 1 et L. 2 du code du travail qui sont désormais incontournables. En juillet 2011, j’avais été amené à négocier avec la CGT sur certains points, en particulier le contrat de sécurisation professionnelle.
J’ai le sentiment en vous écoutant qu’une partie du chemin a été faite et qu’en dépit du fait que vous n’ayez pas signé l’accord, votre position sur certains des sujets qui figurent dans le projet de loi a évolué. Je pense à la mobilité interne, dont vous considérez qu’elle est forcée mais qui, dans le cadre d’une restructuration en interne, est un moyen de sauvegarder l’emploi.
La généralisation de la couverture complémentaire santé collective est une avancée considérable, car aujourd’hui 4 millions de personnes n’en bénéficient pas. Le texte apporte une sécurisation en la matière. Certes, il subsiste une incertitude, mais nous parviendrons peut-être, en amendant le projet de loi, à étendre l’accès à la complémentaire santé à l’ensemble des salariés.
L’instauration de droits rechargeables à l’assurance chômage est une idée très intéressante, car nous connaissons tous des personnes qui ont retrouvé un emploi pour une période courte mais ont ensuite perdu leurs droits. Il est normal que cette disposition ne figure pas dans l’accord dans la mesure où c’est aux partenaires sociaux qu’il reviendra, lors de la prochaine négociation de l’Unédic, de décider du niveau auquel il faut établir les droits rechargeables et s’il convient de les accompagner de nouvelles cotisations.
Vous souhaitez que les « comptes individuels de formation » soient opposables à l’employeur. Vous noterez que c’est la première fois qu’est mis en place un dispositif qui appartient en propre à l’employé. Dans ce domaine, le droit individuel à la formation (DIF) est la première pierre d’un édifice qui reste à construire.
Le regroupement de plusieurs temps partiels est un dispositif intéressant, mais il pose un problème dans certaines branches comme celle des services à la personne.
Vous avez la volonté d’aller vers une meilleure sécurisation de l’emploi, mais vous n’avez pas franchi le pas décisif de la signature. Etes-vous prêts à poursuivre la négociation pour aboutir à un accord global ?
M. Arnaud Richard. Nous n’avons pas à juger le fait que vous ayez signé ou non l’accord. Quel que soit votre choix, nous le respectons.
Nous aimerions connaître votre avis sur le projet de loi dans la mesure où il s’éloigne de l’accord sur un certain nombre de points. Seriez-vous prêt à signer un tel texte ?
Comment jugez-vous l’articulation entre l’accord national et la série de dispositifs que le Gouvernement a mis en place sur la politique de l’emploi – emplois d’avenir, contrats de génération, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ?
Mme Jacqueline Fraysse. Je partage ce qui a été dit sur la nécessité du dialogue social, mais l’accord national interprofessionnel a un défaut majeur : il n’a pas été signé par la majorité des représentants des salariés de ce pays. Les députés ont donc un devoir d’amendement, que le groupe GDR entend bien exercer pleinement.
Il existe deux lectures de cet accord. Pour certains, celui-ci comporte plus d’avantages que d’inconvénients pour les salariés, mais pour d’autres, il marque un véritable recul des droits des salariés. Vous avez parlé, monsieur Lepaon, de « régression de portée décisive ». Il y a là quelque chose d’anormal dont nous devons tenir compte.
Plusieurs de mes collègues ont souligné la volonté constructive des syndicats qui n’ont pas signé l’accord mais ont accepté notre invitation. Je m’en félicite à mon tour, mais cela exige que nous tenions compte de leurs observations.
Le groupe GDR est extrêmement préoccupé par le projet de loi. La réduction des délais de recours, individuels et collectifs, est très grave, car il est impossible de construire un projet alternatif dans un délai de deux à quatre mois. Les salariés en lutte aujourd’hui, pour lesquels des solutions sont avancées, auraient-ils pu mener les mêmes actions et faire intervenir des bureaux d’études en si peu de temps ? J’en doute.
Le texte prévoit en outre que les comités d’entreprise financeront 20 % du coût des études. En auront-ils tous les moyens ?
Je serai très attentive aux réponses que vous ferez, mesdames, messieurs les syndicalistes, à toutes les questions qui vous ont été posées sur le texte tel qu’il est rédigé et à celles relatives aux modifications que vous souhaitez lui apporter. Le groupe GDR entend bien vous rencontrer pour travailler concrètement sur tous ces points. Dans un esprit constructif, nous déposerons de nombreux amendements. J’inviterai le Gouvernement, nos collègues socialistes et l’ensemble de l’Assemblée à tenir compte des avis qui nous ont été apportés sur un sujet d’une extrême importance. Essayons d’être positifs et veillons à ne pas opérer, sous différents prétextes, un recul formidable du droit social. D’ailleurs, la satisfaction du MEDEF me paraît particulièrement préoccupante.
Mme Véronique Louwagie. Nous sommes un certain nombre à nous réjouir du renforcement du dialogue social et de la vitalité qui anime les négociations. Je pense que vous partagez ce sentiment, monsieur Lepaon, puisqu’à l’issue de la conférence sociale vous avez accepté de participer à cette démarche.
Vous indiquez dans votre propos introductif qu’il n’y a pas eu de débat. En réalité, celui-ci a eu lieu, mais je comprends votre amertume de ne pas avoir obtenu ce que vous souhaitiez.
Il est important pour les parlementaires que nous sommes de savoir comment réagir face à un accord national. Nous n’accepterons pas un simple recopiage, mais nous veillerons à ne pas dénaturer l’orientation voulue par les signataires, vis-à-vis desquels nous nous devons d’être loyaux.
En vous écoutant, j’ai tout d’abord été surprise par l’écart entre le contenu de l’accord et vos souhaits. Vous n’avez cité que des points négatifs et des manquements, ce qui donne l’impression d’un réel fossé et de divergences fortes. Mais après plus ample analyse, on s’aperçoit que finalement vous n’êtes pas très éloignés de l’accord. Vous regrettez par exemple que tous les salariés ne disposent pas d’une complémentaire santé, et s’agissant des droits rechargeables, vous n’en remettez pas en cause le principe mais regrettez que leur financement ne soit pas totalement assuré.
En matière de fermetures de site et de licenciements boursiers, l’article 14 du projet de loi, selon lequel l’entreprise envisageant un projet de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d’un établissement doit rechercher un repreneur, répond presque totalement à votre préoccupation.
M. Jérôme Guedj. Monsieur Lepaon, vous invitez les parlementaires à « modifier la loi dans le sens de l’intérêt général ». Avez-vous relevé des évolutions entre l’accord national et le projet de loi ? Quels articles devons-nous amender en ce sens ?
Les dispositions relatives à l’encadrement du travail à temps partiel sont une revendication de nombreuses organisations syndicales. Les garde-fous qui ont été mis en place doivent-ils être renforcés ?
Quelle doit être, selon vous, la place de la justice prud’homale et quelles sont les contraintes à mettre en place, notamment en matière de délais de prescription ?
Quant à la mobilité géographique, faut-il revenir à ce qui figurait dans l’accord national, à savoir des accords de mobilité interne sans réduction d’effectifs ?
Enfin, je considère pour ma part que cet accord national, à l’instar de celui signé par la CGT sur les contrats de génération, doit être transposé dans la loi après l’intervention du législateur, a fortiori parce qu’il n’a pas été signé par toutes les organisations syndicales.
Mme Isabelle Le Callennec. Je vous remercie pour vos explications qui contrastent avec les propos que nous avons entendus lors de nos auditions de ce matin. Je vous remercie également d’avoir rappelé à la majorité actuelle que les accords compétitivité-emploi, aujourd’hui salués, ont été conçus et portés par la majorité précédente.
Mes questions porteront sur trois aspects.
Premièrement, tous les signataires de l’accord – qu’il s’agisse du patronat ou des autres organisations syndicales – considèrent qu’ils sont parvenus dans ce texte à concilier la compétitivité économique et la sécurisation des parcours professionnels. L’un des intervenants de ce matin nous a d’ailleurs expliqué pourquoi, selon lui, les deux entreprises implantées à Amiens que sont Dunlop et Goodyear se trouvaient dans une situation différente : quelle est votre analyse à cet égard ?
Deuxièmement, vous indiquez à juste titre que la question des droits rechargeables
– véritable révolution juridique – a été renvoyée à des discussions ultérieures, étant donné le déficit de l’Unedic. Dès lors, quels sont vos souhaits en ce domaine ?
Je crois personnellement à l’efficacité de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, a fortiori si c’est au niveau territorial du bassin d’emplois qu’on la met en œuvre, ce qui permet d’éviter de faire déménager les salariés à plusieurs centaines de kilomètres. On constate en effet que les entreprises parviennent à conclure des accords en la matière, y compris avec votre organisation syndicale.
Enfin, si jamais la loi est votée sans que vos revendications soient prises en compte, quel message adresserez-vous à vos adhérents ? Comme vous l’indiquiez en préambule, les salariés, les retraités et les demandeurs d’emploi qui ont cru dans le discours du 6 mai 2012 auront sans doute le sentiment d’avoir été floués.
Mme Chaynesse Khirouni. Toutes les organisations représentatives, qu’elles soient signataires de l’accord ou pas, soulignent le rôle spécifique qu’ont ici à jouer les parlementaires. Notre groupe a ainsi mené des auditions et des travaux importants depuis le mois de novembre sous la responsabilité de notre rapporteur, Jean-Marc Germain. Nous avons été à l’écoute de l’ensemble des partenaires reçus à l’Assemblée nationale et en circonscription, et nous nous sommes engagés avec sérieux et responsabilité dans l’examen de ce texte.
La CGT n’a pas signé l’accord, mais dans la mesure où elle a participé à l’ensemble des négociations, a-t-elle pu peser sur certaines de ses dispositions ? Si oui, lesquelles ? Quelles avancées reconnaissez-vous entre le texte initial de l’accord et le projet de loi ? Quelles dispositions de l’accord souhaitez-vous voir améliorées par le Parlement ?
M. Denys Robiliard. Je vous interrogerai pour ma part sur les deux points du projet de loi qui concentrent toutes les critiques : la mobilité et les licenciements collectifs.
S’agissant de la mobilité, le projet de loi a permis une évolution puisque l’on est passé, en cas de refus par un salarié de cette mobilité, d’un licenciement pour motif personnel à un licenciement pour motif économique. Quel est votre sentiment à cet égard ? Par ailleurs, serait-il possible d’améliorer l’encadrement de la mobilité interne, lorsque celle-ci fait l’objet d’un accord dans le cadre d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ou, pour les entreprises de moins de 300 salariés, d’un accord spécifique ? Je sais que vous contestez ce type d’accords sur le principe. Mais à supposer que nous adoptions cette disposition, vous paraîtrait-il pertinent qu’il puisse s’agir d’accords majoritaires ?
Quant à l’architecture globale des licenciements collectifs, celle qui résulte du projet de loi diffère assez nettement de celle qui figure dans l’accord national interprofessionnel. On distingue nettement deux schémas possibles : le premier repose sur un accord collectif ; le second, assez proche du droit en vigueur, repose sur l’employeur, chargé de mener la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise puis d’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi. La principale évolution réside dans le fait que, dans les deux cas, la DIRECCTE aura à se prononcer, soit pour valider l’accord collectif, soit pour homologuer le plan de l’employeur unilatéralement établi. Dès lors, conviendrait-il d’étendre les pouvoirs de la DIRECCTE au-delà du contrôle de la procédure et du plan de sauvegarde de l’emploi pour aller jusqu’à un contrôle de tout ou partie de la cause réelle et sérieuse ? Que pensez-vous des modalités du contrôle juridictionnel portant sur l’action de la DIRECCTE et sur celles des partenaires sociaux ou de l’employeur, en amont de l’intervention de l’administration ?
Mme Hélène Geoffroy. Je souhaiterais évoquer les points sur lesquels l’accord vous paraît en recul.
Vous estimez notamment que le texte tel qu’il est rédigé aujourd’hui organise plutôt une gestion prévisionnelle des suppressions d’emploi qu’une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Comment améliorer cette dernière, sachant que le texte prévoit déjà de renforcer la connaissance qu’ont les syndicats des données afférentes à la situation économique de l’entreprise ?
Pourquoi qualifiez-vous les droits rechargeables de « poudre aux yeux » ? Ils nous semblent en effet constituer une réelle avancée pour les personnes qui enchaînent des contrats précaires ou de courte durée.
Vous identifiez, dans le projet de loi, une quinzaine ou une vingtaine de points de recul pour le droit des salariés : quel est, selon vous, le point de blocage majeur de ce texte ? Comprend-il tout de même des avancées ?
Enfin, que pensez-vous de l’association et de la participation des salariés à la réflexion sur la stratégie de l’entreprise ? L’association des délégués syndicaux à cette réflexion vous paraît-elle une avancée suffisante, comme le pensent les syndicats que nous avons auditionnés ce matin ?
Mme Kheira Bouziane. Selon vous, certains droits présentés comme novateurs existaient déjà auparavant dans la loi et ne seraient mis en avant que pour faire illusion. Vous avez également évoqué un recul des droits qui présenterait le risque de violer des textes internationaux. Enfin, parmi celles de vos revendications qui n’ont pas été retenues, vous évoquez l’encadrement des ruptures conventionnelles et la lutte contre le passage forcé à l’auto-entreprenariat. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ces trois points ?
Mme Fanélie Carrey-Conte. Je tiens, moi aussi, à souligner à quel point il est de notre devoir de recevoir ici les non-signataires de l’accord national interprofessionnel et d’analyser cet accord avec objectivité afin d’améliorer le projet de loi qui nous est présenté.
Nous partageons vos inquiétudes quant à l’accès des non-salariés à l’assurance complémentaire santé. Nous souhaitons pour notre part instaurer un socle de garantie complémentaire suffisamment important pour éviter l’émergence d’un marché de l’assurance sur-complémentaire santé et donc d’une différence de traitement entre les citoyens. Quel niveau minimal de qualité et de garantie devrions-nous exiger pour ce type d’assurance ?
Quant aux accords sur la mobilité interne et de « maintien dans l’emploi », certains syndicats considèrent que les salariés seront protégés puisque ces changements devront faire l’objet d’accords majoritaires ou à 30 %. Votre appréciation de ces accords est beaucoup plus critique : soulignant que la théorie est parfois différente de la pratique, vous rappelez que dans certaines entreprises, les salariés sont parfois contraints de négocier avec le pistolet sur la tempe et qu’ils sont souvent moins informés lorsque les négociations ont lieu au niveau de l’entreprise et non de la branche. Comment améliorer les conditions de cette négociation de telle sorte que le rapport de force ne soit pas trop défavorable au salarié ?
M. Thierry Lepaon, membre de la commission exécutive confédérale. J’aborderai quatre questions avant de laisser mes collègues répondre point par point à l’ensemble de vos interrogations.
Je constate en premier lieu – et c’est là un fait exceptionnel dans notre pays – que si nous avons affaire à un seul et même texte, celui-ci fait l’objet de multiples interprétations. En règle générale, dans une négociation nationale interprofessionnelle, soit on est d’accord sur un texte, soit on ne l’est pas. Mais si l’on a du mal à comprendre celui-ci, c’est qu’il a sciemment été mal rédigé pour semer la confusion. Jamais jusqu’ici nous n’avons été confrontés à une telle difficulté. Lorsque j’ai lu l’accord national, je n’ai pu comprendre de quoi nous discutions avant d’en arriver à la page 14 ! Or, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et si le texte est si confus, c’est que le MEDEF a seul tenu la plume jusqu’au bout. Traditionnellement, lorsque l’on négocie, la plume tourne et les organisations syndicales apportent des contributions au texte commun. On constate d’ailleurs une nette différence de style entre l’ensemble du texte et la partie consacrée aux mutuelles, pour la simple raison que ce n’est pas le même groupe du MEDEF qui l’a rédigée. On retrouve là l’écriture de Guillaume Sarkozy. Dans son ensemble, le texte ne correspond qu’à une juxtaposition d’idées mal travaillées, mal débattues et qui, pour certaines, loin de renforcer la protection des salariés, risquent de leur nuire.
En deuxième lieu, vous avez raison de nous renvoyer à notre responsabilité devant l’entreprise. Encore vous faut-il vous rappeler dans quel contexte sont négociés les accords d’entreprise, de branche ou de groupe. Notre tissu économique et social étant extrêmement fragilisé, un salarié à qui l’on proposera de conserver son emploi pour une durée déterminée, à condition qu’il veuille bien travailler plus et gagner un peu moins, aura naturellement tendance à l’accepter. Il en va de même des personnes qui ne peuvent plus vivre de leur salaire et à qui l’on propose, pour 20 % de plus, de travailler la nuit. Cette négociation « pot de terre contre pot de fer » risque donc de très mal se passer dans les entreprises où ces questions seront débattues. On court même le risque social majeur d’opposer les salariés qui accepteront et ceux qui refuseront l’accord, mais aussi les organisations syndicales de salariés dans l’entreprise et au niveau national.
En troisième lieu, le congé individuel de formation n’est pas une nouveauté : il correspond à ce qu’on appelle actuellement le droit individuel à la formation, qui permet au salarié de cumuler vingt heures de formation par an pendant six ans. C’est d’ailleurs la CGT elle-même qui, dans l’accord national interprofessionnel de 2003, avait porté cette conception d’un droit « opposable, transférable et individuel ». Seulement, lorsque j’analyse sa transcription concrète, à la fois dans l’accord et dans le projet de loi, je m’aperçois que l’on a fait de cette force un handicap. Car n’étant ni finançable ni financé, ce droit sera donc porté par le seul salarié. Et imaginons que deux salariés licenciés le même jour à la même heure aient rendez-vous le mardi suivant chez le même employeur. Si l’un a accumulé 120 heures de formation et l’autre, aucune, l’employeur embauchera forcément le second, car personne ne souhaitera financer 120 heures de formation pour un salarié n’ayant même pas commencé à travailler.
Enfin, le MEDEF, se fondant sur un raisonnement dépassé, a cru que l’aval de la « triplette », c’est-à-dire des trois autres syndicats majoritaires, suffirait pour mener à bien la négociation. Il a donc jugé inutile de discuter avec l’ensemble des syndicats. La constitution de cette « triplette » a d’ailleurs marqué un véritable tournant dans la négociation, et les discussions entre le patronat et les trois syndicats se sont parfois déroulées en marge, sous l’œil bienveillant du ministre du travail. Les négociateurs ont des responsabilités, mais disposent aussi d’une certaine autonomie dans la négociation. Tous les acteurs doivent pouvoir contribuer à l’effort commun de rédaction d’un accord national interprofessionnel, ce qui ne fut en l’occurrence pas le cas, dès le milieu de cette négociation. Malheureusement, nous n’avons pas été suffisamment influents auprès de nos autres partenaires pour faire perdurer notre contribution. Nous touchons là aux limites de cette stratégie de négociation. Vos prédécesseurs ayant adopté une loi visant à corriger les règles de représentativité syndicale afin de mieux refléter la réalité, vous ne ferez croire à personne dans le monde de l’entreprise qu’il s’agit là d’un accord majoritaire alors qu’il n’a été signé que par la CFDT, la CGC et la CFTC.
Mme Francine Blanche, membre de la commission exécutive confédérale. Ayant participé à cette négociation de bout en bout, je me souviens que les journaux évoquaient « vingt-six heures de négociation sans discontinuer ». Or, sur ces vingt-six heures, nous ne nous serons vus que pendant deux heures. En revanche, alors que nous étions convoqués à neuf heures du matin, le MEDEF n’arrivait qu’à onze heures et demie, parce qu’il était en train de discuter ailleurs. À chaque réunion, c’est lui qui apportait un texte dont il nous fallait prendre connaissance en peu de temps. Ni l’UPA ni la CGPME n’ont eu leur mot à dire puisque le MEDEF s’était attribué le rôle de chef de file. Puis, chacune des organisations syndicales s’est exprimée sur le texte diffusé. Les partenaires se sont ensuite quittés sans le moindre débat ni échange d’arguments. Lorsque j’ai participé à la négociation de la « loi Larcher » sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, nous avions fait appel à des experts afin d’établir un diagnostic partagé sur le sujet. Il aurait donc été possible de le faire dans ce cas. On ne peut donc parler de dialogue social exemplaire comme certains l’ont fait – loin de là !
Quant à la terminologie employée dans ce texte, elle est trompeuse. Il n’est donc guère étonnant que celui-ci fasse l’objet de divergences d’interprétation. Pour avoir souvent été témoin de plans de restructuration dans mon entreprise, je sais pertinemment que les plans dits de « sauvegarde de l’emploi » sont en réalité des « plans de suppression d’emplois », car la sauvegarde de l’emploi intervient bien avant ce type de plans ! De même, on devrait plutôt parler de gestion prévisionnelle des « suppressions » d’emploi puisqu’il ne s’agit pas, le plus souvent, d’éviter ces suppressions. Bien des membres d’organisations patronales – singulièrement au MEDEF – comptent sur ce type d’ambiguïtés et sur l’éventuelle méconnaissance de certains parlementaires pour les tromper, d’autant que l’accord a été signé par trois organisations syndicales.
J’évoquerai à présent trois sujets qui n’ont absolument pas été traités au cours de la négociation et dont il serait bon que le Parlement débatte.
Il s’agit tout d’abord de la question des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). Pas une seule fois, lors de nos échanges, nous n’avons pu parler des rapports entre sous-traitants et donneurs d’ordres. Rappelons pourtant que 42 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés et que seuls 3 % des salariés qui se présentent à Pôle emploi le font après avoir subi un plan de sauvegarde de l’emploi. Tout le texte est centré sur la manière d’accélérer les licenciements dans les grandes entreprises ! Or, la question centrale n’est pas là : ce qui importe, c’est de trouver le moyen de sécuriser l’emploi pour l’ensemble des salariés et plus particulièrement pour les salariés des TPE ou PME soumises aux mêmes aléas que leurs donneurs d’ordres. Et les dispositions relatives à la complémentaire santé collective ne changeront rien à la situation de ces salariés. Le fait d’avoir une complémentaire santé ou pas n’est d’ailleurs pas lié à la taille de l’entreprise dans laquelle on travaille.
La question territoriale n’a pas non plus été traitée alors que c’est au niveau d’un bassin d’emplois, d’une pépinière d’entreprises ou d’une région que l’on peut assurer une sécurisation de l’emploi des salariés. Ce n’est qu’à propos du congé individuel de formation, financé par la région, que la question territoriale a été abordée. Il est pourtant possible d’inventer de nouveaux systèmes de sécurisation de l’emploi. Ainsi, pourrait-on, par exemple, imaginer un temps plein à l’échelle d’un centre commercial, d’un bassin ou d’une zone d’emplois, lorsqu’un petit employeur ne peut offrir un tel emploi à temps plein à un salarié. Nous espérions aborder cette question nouvelle, qui nous semblait correspondre à la lettre de cadrage que nous avions reçue.
Troisièmement, il me paraît fort grave que l’on n’ait absolument pas parlé des chômeurs ! On invoque souvent le modèle de « flexisécurité » danois. Même si les effets positifs attendus du système n’ont pas forcément été au rendez-vous, il reste qu’au Danemark, les chômeurs conservent 90 % de leur salaire pendant deux ans – ils le conservaient auparavant pendant quatre ans – et sont entourés de conseillers et de formateurs chargés de faire en sorte que cette période de transition professionnelle soit la moins longue et la moins pénible possible et que les chômeurs retrouvent du travail très rapidement. Dès lors qu’il a été décidé que toutes les mesures devaient être mises en œuvre à moyens constants, il est impossible de financer quoi que ce soit. Peut-être les droits rechargeables, seule mesure susceptible de concerner les chômeurs, seront-ils financés un jour. Actuellement, la moitié des chômeurs ne touchent rien. Et avec l’accélération des licenciements, combien d’entre eux pourra-t-on encore indemniser ?
Nous avons eu beau évoquer ces trois thèmes pendant tout le processus de négociation, jamais le MEDEF n’a souhaité en parler.
Et si ce nouvel accord nous paraît grave, c’est pour quatre raisons.
Premièrement, il met en place un modèle économique et social inédit en France. Actuellement, tout salarié, quelle que soit la taille de son entreprise, est protégé par des garanties nationales figurant dans le code du travail et plusieurs conventions collectives nationales et régionales. Le texte proposé prévoit au contraire une définition des règles applicables au niveau de l’entreprise, voire dans le cadre du gré à gré entre le salarié et l’employeur. En Grande-Bretagne, un salarié peut ainsi choisir « l’opt out », c’est-à-dire de déroger aux règles du droit du travail européen, y compris en ce qui concerne sa durée hebdomadaire de travail, en adressant une simple lettre à son employeur. On retrouve une telle possibilité dans l’article du projet de loi relatif au temps partiel. Si nous sommes favorables à la fixation d’un temps partiel minimal par semaine, il reste qu’un salarié pourra accepter de déroger à ce minimum. Or, le rapport de force entre un salarié et son employeur est déséquilibré puisque le contrat de travail, loin d’être un contrat ordinaire, se caractérise par le lien de subordination qui unit le premier au second. L’employeur peut donc très aisément faire signer au salarié n’importe quelle lettre, surtout en l’absence d’un syndicat fort à ses côtés.
Deuxièmement, désormais, le contrat de travail signé par le salarié ne le garantira plus à l’encontre d’autres dispositions. Un salarié signant un contrat de travail n’aura plus la certitude que celui-ci sera respecté une fois qu’il sera dans l’entreprise. Un accord de mobilité ou dit « de maintien dans l’emploi » pourra ainsi entraîner la suspension temporaire du contrat de travail et le salarié qui refusera un tel accord pourra être licencié. Heureusement, le texte du projet de loi a été modifié pour se conformer aux règles du droit international et la notion de « licenciement économique individuel » a remplacé celle de « licenciement pour motif personnel ».
Le troisième point qui nous pose problème concerne la faculté pour le salarié de recourir au juge. En France, deux parties signataires d’un contrat – dans quelque domaine que ce soit – qui ne sont pas d’accord entre elles ont la faculté de recourir à un juge pour les départager. Et l’accessibilité au juge est un aspect fondamental du droit du travail. Or, en limitant les délais de saisine, le projet de loi tend à limiter la possibilité pour le salarié d’en appeler au juge à titre individuel ou collectif, dans le cadre des procédures de licenciement économique.
Quatrièmement, ce sont les représentants du personnel et les syndicats qui vont devoir faire le « sale boulot » et signer les accords de mobilité forcée, dits de « maintien dans l’emploi », dont ils auront ensuite à répondre devant les salariés. Si des salariés sont licenciés parce qu’ils refusent de se voir appliquer ce type d’accords, la responsabilité de leur licenciement incombera non plus à l’employeur, mais aux syndicats signataires de l’accord. Voilà qui ne risque guère d’encourager le développement du syndicalisme. C’est là un mode de cogestion inédit en France, dont ne veulent certainement pas les salariés.
Nous sommes par ailleurs inquiets des dispositions relatives à la mobilité. Si le prêt de main-d’œuvre, auquel un certain patronat semble très attaché, reste bien encadré par le droit en vigueur, les dispositions du texte relatives à la mobilité volontaire sont susceptibles d’en entraîner la généralisation. On pourrait certes considérer que l’employeur importe peu pourvu qu’un salarié ait du travail, mais ce n’est pas ainsi qu’est conçue la loi française. Et si l’objectif était de développer le prêt de main-d’œuvre, il fallait le dire clairement dans le texte. En l’état actuel, seuls les cadres disposent de clauses de mobilité dans leur contrat de travail, à la différence de la grande majorité des salariés qui peuvent refuser une mobilité sans risquer d’être licenciés. Le projet de loi permettra de la leur imposer – sous peine de licenciement – dans le cadre d’accords conclus tous les trois ans. Qui plus est, le MEDEF a supprimé du texte un paragraphe qui prévoyait une limite maximale de mobilité géographique et de temps de trajet. Le salarié doit absolument pouvoir bénéficier d’une telle protection au niveau national.
Enfin, nous sommes défavorables à l’intervention de la DIRECCTE, étant donné les effets pervers auxquels le système d’autorisation administrative des licenciements nous a autrefois conduits : à l’époque, lorsqu’un employeur souhaitait licencier 300 personnes, il lui suffisait de doubler ce chiffre et il obtenait finalement gain de cause puisque la direction du travail n’en autorisait que la moitié. Ce que nous souhaitons, c’est que les salariés obtiennent des droits économiques supplémentaires. Se trouvant à l’intérieur même de l’entreprise, ils savent pertinemment si celle-ci se porte bien ou pas. Il n’y a jamais de licenciements boursiers dans une petite entreprise. L’employeur fait tout pour sauver sa TPE, mais il peut être contraint de licencier si son donneur d’ordres met fin à un contrat du jour au lendemain. Or, le droit suspensif de licenciement n’apparaît ni dans l’accord ni dans le projet de loi. Selon le projet de loi, « dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan ainsi que les modalités de consultation du comité d’entreprise », mais il n’est nulle part fait mention du motif du licenciement économique. Certaines entreprises pourront-elles encore procéder à des licenciements économiques sans le moindre motif économique ? Et en l’absence d’un tel motif, comment le comité d’entreprise et les syndicats pourront-ils empêcher le licenciement sachant qu’ils ne disposeront pas de suffisamment de temps pour formuler des propositions alternatives ?
Mme Anne Braun, conseillère juridique. Le texte pose deux problèmes de non-conformité au droit international.
Le premier concerne les accords de mobilité interne et les accords dits « de maintien dans l’emploi ». En effet, le texte fait référence au « licenciement économique individuel », alors que selon la directive 98/59, lorsque l’on a affaire à plusieurs licenciements économiques, il s’agit d’un licenciement économique collectif, ce qui, en France, suppose que le comité d’entreprise soit informé et consulté.
Le second relève d’une formulation maladroite. Lorsque le salarié refuse l’application d’un accord de mobilité interne ou de maintien dans l’emploi, son licenciement « repose » sur un motif économique : cela laisse entendre que le motif économique est existant et avéré, ce qui risque de limiter le contrôle du juge. De fait, l’article 9 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) précise que le juge doit pouvoir aller examiner les motifs invoqués pour justifier les licenciements ainsi que les autres circonstances du cas et décider si le licenciement était justifié.
Mme Agnès Le Bot, membre de la commission exécutive confédérale. En vertu d’un sondage paru en fin de semaine dernière, si les catégories socioprofessionnelles supérieures considèrent le texte comme un bon accord, les catégories inférieures pensent le contraire. Il est certes difficile d’interpréter un sondage d’opinion. Il n’empêche que ce résultat mérite réflexion. Les syndicats et le législateur doivent prendre la mesure du risque de fracture du salariat que font courir cet accord et sa transposition dans la loi.
La logique de fond qui sous-tend ces deux textes consacre une rupture avec l’histoire sociale de notre pays – une histoire marquée non seulement par les luttes et les conquêtes sociales des salariés, mais aussi par l’élaboration d’un arsenal juridique résultant du travail d’un certain nombre de gouvernements. Cette nouvelle logique tend à faire reculer le lien de subordination entre le salarié et son employeur. Certes, nous avons assisté depuis une vingtaine d’années à une certaine remise en cause de la hiérarchie des normes – et singulièrement, du principe de faveur. Cependant, en faisant de l’accord d’entreprise le nec plus ultra du dialogue social, cet accord national va bien plus loin. Après avoir subi les lois Hartz de réforme du marché du travail et la déconcentration maximale de la négociation au niveau de l’entreprise, les Allemands ne semblent plus guère adhérer à ce modèle qui a fait sombrer dans la pauvreté un grand nombre de leurs salariés non couverts par des conventions collectives. Sauf à nier l’essence même de la relation de travail, il est indispensable que des règles continuent à s’appliquer à la négociation collective.
Certes, les salariés des TPE et des PME se voient accorder des avantages nouveaux tels que le bénéfice de l’assurance complémentaire santé collective. Cela étant, non seulement l’intégration de telles dispositions à un texte relatif à la sécurisation de l’emploi peut apparaître comme un effet pervers de la négociation, mais de surcroît le texte ne prévoit aucune généralisation de cet avantage assurantiel si bien que les salariés les plus pauvres ne sont pas concernés. Or, c’est l’ensemble des salariés que le texte fragilise. Plus encore, le texte est beaucoup trop déséquilibré puisqu’en contrepartie de cet avantage, le projet de loi prévoit la sécurisation des licenciements pour les entreprises et la flexibilisation des salariés. Ainsi, alors que les salariés souhaitent être mieux protégés, les dispositions pilotées et obtenues par le MEDEF leur sont préjudiciables. Le patronat avait d’ailleurs déjà exprimé des velléités en ce domaine lors de la négociation sur la modernisation du marché du travail en 2008. En l’occurrence, il a franchi une étape supplémentaire dans la remise en cause du droit du travail.
Mme Francine Blanche, membre de la commission exécutive confédérale. Un groupe de travail, issu de la Commission nationale sur la formation tout au long de la vie, réfléchit actuellement à la question du compte personnel de formation. Il conviendrait pour le moins d’attendre ses conclusions avant de légiférer sur le sujet, d’autant plus qu’il existe un consensus dans ce groupe. Le compte personnel de formation n’apporte rien de neuf par rapport au droit individuel à la formation qui prévoyait déjà un quota de vingt heures par an et de cent vingt heures au bout de six ans. Et comme cela a déjà été dit, un employeur embauchera plus facilement un salarié qui n’a accumulé aucune heure de formation.
Nous sommes favorables à l’instauration de droits rechargeables, sauf que le MEDEF refuse de les financer ! Qui paiera, sachant que 50 % des chômeurs ne touchent même pas d’indemnités ? De nouvelles négociations sont nécessaires avant d’instituer ces droits pour des chômeurs qui vont affluer par milliers. On recense en effet plus de 1 000 chômeurs supplémentaires chaque jour.
Nous sommes très favorables aussi à la présence de représentants du personnel au sein des conseils d’administration et de surveillance, et avons d’ailleurs milité en ce sens au cours de la négociation, afin que la voix des salariés puisse compter. Cette disposition législative a d’ailleurs connu des évolutions par rapport à la rédaction de l’accord. Fort heureusement, il y est question non plus d’entreprises de plus de 5 000 salariés, mais bien de « sociétés » car sans cela, peu d’entreprises auraient été concernées étant donné que les grands groupes sont organisés en holdings et en sociétés individuelles. En revanche, le projet de loi ne dit mot des sociétés par actions simplifiées alors que ce type de structure se développe de façon exponentielle dans les grands groupes. Quant aux modalités de désignation de ces représentants du personnel, ce n’est quand même pas à l’assemblée générale des actionnaires d’en décider ! Tous les syndicats s’accordent pour considérer qu’il doit y avoir une élection directe.
Enfin, s’agissant de la taxation des contrats courts, on en a beaucoup parlé dans la presse mais jamais dans la négociation, à l’exception du dernier jour. Si l’on ne taxe que certaines catégories de contrats à durée déterminée, certains employeurs recourront à un autre motif ou encore à des contrats d’intérim puisque ceux-ci ne sont pas taxés, en cas de surcharge temporaire d’activité. Afin d’éviter la multiplication des contrats courts, il conviendrait d’adopter un texte s’appliquant à l’ensemble de ces contrats.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous vous remercions pour la qualité de vos réponses.
4. Audition des organisations patronales signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013
La Commission entend les représentants des organisations patronales signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 (Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME en charge des affaires sociales, accompagnée de M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales, M. Patrick Bernasconi, membre du bureau exécutif du MEDEF, et M. Jean-Pierre Crouzet, président de l’UPA et président de la Confédération générale de l'alimentation en détail et de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie) au cours de sa première séance du mardi 19 mars 2013.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous poursuivons nos auditions des partenaires sociaux à propos du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi.
Après les ministres, les trois organisations syndicales signataires de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier et la CGT, qui ne l'a pas signé, nous recevons aujourd'hui les représentants des trois organisations d'employeurs signataires de l'accord. Je rappelle que nous terminerons ce cycle d'auditions avec celle de FO jeudi matin à 9h30.
Nous recevons donc aujourd'hui M. Patrick Bernasconi, membre du bureau exécutif du MEDEF, Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME en charge des affaires sociales, accompagnée de M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales, et M. Jean-Pierre Crouzet, président de l'UPA depuis le 24 janvier dernier, et président de la Confédération générale de l'alimentation en détail et de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie, qui pourra à ce titre évoquer l'expérience de cette branche professionnelle en matière de complémentaire santé.
Vous nous direz, madame, messieurs, quelle est votre vision globale de l'accord national interprofessionnel que vous avez négocié et signé. Vous nous direz quelles sont vos principales satisfactions s'agissant du contenu de cet accord et, le cas échéant, vos éventuels regrets.
Enfin, vous nous direz si vous êtes satisfaits de la manière dont le projet de loi retranscrit l'accord. Jugez-vous cette retranscription fidèle ? Quelle appréciation portez-vous sur les choix faits par le Gouvernement sur les points sur lesquels l'accord était ambigu, imprécis ou incomplet, voire comportait des contradictions ?
M. Patrick Bernasconi, membre du bureau exécutif du MEDEF. Je vous remercie de nous recevoir pour évoquer cet accord qualifié d’historique par de nombreux observateurs. Le caractère potentiellement historique de l’accord national interprofessionnel ne pourra néanmoins être apprécié qu’une fois qu’il aura été appliqué, à l’aune de ses effets sur les entreprises et sur l’emploi. En outre, il ne faut pas se tromper sur la nature de l’accord : il concerne, non pas la compétitivité-coût – objet du crédit d’impôt compétitivité emploi –, mais la compétitivité hors coût dont les effets ne se font sentir qu’à long terme.
Si le caractère historique du contenu de l’accord se révèlera à l’usage, ce qualificatif peut néanmoins s’appliquer au champ d’application de l’accord et au contexte dans lequel il s’inscrit. Il faut, en effet, remonter très loin dans le temps pour trouver un accord couvrant un aussi grand nombre de sujets. En outre, cet accord a suscité des attentes multiples non seulement en France, de la part des organisations syndicales comme des entreprises, mais aussi à l’étranger. De nombreux pays européens se sont en effet intéressés au contenu de l’accord. Au plan international, le FMI, l’OCDE ou encore les agences de notation l’ont aussi examiné avec une grande attention.
Pour le MEDEF, un véritable équilibre a été trouvé dans cet accord. Il n’y a pas de victoire des organisations patronales sur les organisations syndicales ou l’inverse. L’objectif était de parvenir à un accord, non pas donnant-donnant, mais gagnant-gagnant. Pour construire cet accord, chacun a fait son travail en s’inscrivant dans une logique qui tendait à renforcer le dialogue social dans l’entreprise. Nous y avons veillé chaque fois que cela était possible, comme de nombreuses dispositions de l’accord en témoignent.
Cela passe aussi par une meilleure information des institutions représentatives du personnel sur les orientations stratégiques de l’entreprise. Nous savons en effet qu’une information anticipée permettant un meilleur partage de ces orientations facilite la prise de décisions importantes et leur acceptation au sein de l’entreprise.
Pour nous, cet accord devait également définir un modèle de flexi-sécurité à la française. Nous souhaitions que, dans un contexte économique difficile, l’accord apporte aux entreprises des outils pour rebondir rapidement en cas de retour de la croissance.
L’accord comporte donc des éléments de flexibilité. Ils portent, en premier lieu, sur la vie courante de l’entreprise. Afin de permettre une adaptation de cette dernière au fil de l’eau, de nouveaux outils sont mis à disposition en matière de mobilité interne ou de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
Les mesures concernant les délais préfix permettent d’accélérer la prise de décisions et de sécuriser celles-ci. Ils constituent un gain de temps et une simplification bienvenus pour favoriser la croissance de nos entreprises.
Les éléments de flexibilité introduits par l’accord permettent aussi de faire face aux difficultés conjoncturelles : l’accès au chômage partiel est ainsi rendu plus facile et plus rapide – chômage partiel et activité partielle relèvent désormais d’un seul et même dispositif ; les accords de maintien dans l’emploi qui prennent la suite des accords compétitivité emploi, discutés avant l’élection du Président de la République, sont un outil supplémentaire.
L’accord permet enfin de résoudre les difficultés structurelles des entreprises en améliorant la gestion des plans de sauvegarde de l’emploi.
L’accord cherche donc à apporter des réponses point par point aux difficultés rencontrées par les entreprises, qu’elles soient structurelles ou conjoncturelles. Sur ces questions comme en matière de ressources humaines, il propose des solutions par le biais de dispositifs adaptés.
Par ailleurs, la lutte contre la précarité, dont la taxation des contrats courts est devenue la mesure symbolique, a fait l’objet d’un débat qui a suscité beaucoup d’incompréhension. La volonté de limiter l’utilisation excessive des contrats à durée déterminée a pour corollaire la demande d’un recours accru aux contrats à durée indéterminée. Afin de renforcer ces derniers, nous avons préconisé l’adoption de mesures permettant de vaincre la peur de l’embauche chez les entrepreneurs. Les chefs d’entreprise doivent être incités à recruter en contrat à durée indéterminée plutôt que déterminée. Les dispositifs de déjudiciarisation répondent à cet objectif. La conciliation prud’homale, la réforme des délais de prescription ou la prévalence du fond sur la forme sont autant de dispositions destinées à vaincre cette peur de l’embauche.
En contrepartie de cette flexibilité nouvelle, synonyme de mise en danger pour le salarié, les organisations syndicales ont revendiqué la sécurisation des parcours professionnels. Il était important de répondre à cette demande afin de faciliter l’acceptation de la flexibilité. Des droits nouveaux portables sont ainsi créés par l’accord : le compte personnel de formation – il s’agit d’un nouvel outil à disposition du salarié dès le début de sa carrière et à tout moment de sa vie professionnelle pour améliorer sa formation – et la couverture complémentaire santé qui garantit la portabilité de la prévoyance et de la santé.
Une meilleure information des salariés ainsi que des droits nouveaux portables qui améliorent leur employabilité et sécurisent leur parcours professionnel en cas de difficultés, compensent donc une plus grande flexibilité.
Nous sommes parvenus à un équilibre qui fut difficile à trouver – vous devez en avoir conscience. Il a été construit pas à pas, après de multiples réunions. Il vous appartient aujourd’hui de retranscrire dans la loi cet équilibre global. Si l’on souhaite que la méthode perdure, que le dialogue social engagé se poursuive demain avec la signature de nouveaux accords, il est important de respecter le travail des partenaires sociaux. Sachez que, sur le terrain, la première, et souvent la seule, question qui préoccupe les chefs d’entreprises, de PME comme de grandes entreprises, est de savoir si l’accord négocié sera transposé dans la loi. Leur vraie demande porte sur ce sujet. Voilà le message que je souhaitais vous faire passer.
Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME en charge des affaires sociales. La CGPME est attachée à la politique conventionnelle qui est un des éléments du pacte social de notre pays. Nous avons donc pris une part active à la négociation. Nous avons été le porte-voix des entreprises et des territoires.
L’accord national interprofessionnel nous paraît équilibré. S’il ne créera pas la croissance et l’emploi, il devrait, au moment de la reprise, rendre les chefs d’entreprise moins effrayés – le mot est peut-être un peu fort – à l’idée d’embaucher. Les chefs d’entreprise sont prêts à recruter si les carnets de commande se remplissent mais veulent savoir comment ajuster leur masse salariale à une baisse d’activité.
L’objectif pour nous était donc de repérer les freins à l’embauche. Ainsi, en matière de licenciements, la procédure prud’homale est compliquée à appréhender pour les chefs de petites et moyennes entreprises en raison, notamment, du manque de lisibilité sur les risques encourus. Pour les plus grandes entreprises, le plan de sauvegarde de l’emploi est une autre source de difficulté car il est porteur d’une insécurité juridique trop importante là où les chefs d’entreprise ont précisément besoin de sécurité. Nous avons par conséquent beaucoup travaillé sur la question des licenciements et des plans de sauvegarde de l’emploi.
Concernant la mobilité interne, nous regrettons que la rédaction du projet de loi diffère de celle de l’accord. Le refus du salarié, qui était dans l’accord un motif de licenciement personnel, a ainsi été transformé en motif de licenciement économique dans le texte.
Sur ce point comme sur les autres, et sans vouloir nous substituer à vous, il nous semble que le législateur doit rester au plus près de l’accord car l’équilibre a été très difficile à trouver. L’échec a été évité mais ce fut très compliqué. Je ne viens pas chercher devant vous ce que je n’ai pas obtenu dans la négociation : je vous demande de reprendre l’accord, rien que l’accord, et de respecter son équilibre.
En matière de prescription, nous regrettons que le délai de transition ne corresponde pas à celui prévu par l’accord.
Nous sommes aussi très attachés au délai d’un an octroyé aux entreprises qui franchissent les seuils pour se conformer aux obligations de consultation du comité d’entreprise.
Quant au contrat de travail intermittent, il était jusqu’à présent prévu par le code du travail, qui soumettait son utilisation à la signature d’un accord de branche. Nous avons demandé l’expérimentation d’un recours direct à ce type de contrat dans certaines branches. Il s’agit de déterminer si l’entreprise est capable d’accepter d’embaucher un salarié en contrat à durée indéterminé alternant des périodes de totale inactivité et des périodes d’activité, avec une rémunération lissée sur l’année.
La CGPME est réservée sur l’application de la majoration prévue pour les contrats courts mais elle en a accepté le principe. Elle sera intégrée dans la convention Unédic que nous signerons. Je rappelle que les contrats à durée déterminée sont déjà très encadrés et que les abus sont sanctionnés. Ils donnent également lieu au versement d’une prime de 10 % qui est une forme de compensation de la précarité. Nous craignons donc que cette majoration ne soit contre-productive car ces contrats répondent au besoin de souplesse des entreprises en raison de la fluctuation de l’activité. Nous l’avons néanmoins acceptée afin de dissuader certaines entreprises qui en font un usage excessif. Le projet de loi, qui prévoit un décret, est conforme à l’accord sur cette question.
La complémentaire santé est un sujet important pour la CGPME dont la devise est : « notre valeur ajoutée, c’est l’homme. » Sa généralisation a certes un coût mais elle représente aussi un investissement, à nos yeux. Nous n’avons pas milité en faveur d’une clause de désignation. L’accord, qui prévoit la possibilité d’une clause de recommandation, nous paraît équilibré. Je souhaite donc que vous repreniez le texte de l’accord puisqu’il offre le choix aux entreprises tout en permettant aux branches d’émettre une recommandation. Cette solution répond aux objectifs de la CGPME.
L’information consultation sur l’utilisation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), qui est prévue par le projet de loi mais ne figure pas dans l’accord, nous semble particulièrement contre-productive. Si vous voulez que les chefs d’entreprise s’emparent de ce dispositif, il faut les laisser libres de décider de son utilisation car ils sont les mieux à même, en ces temps difficiles, d’apprécier la nécessité de privilégier l’investissement, l’innovation ou les rémunérations. Nous souhaitons que toute ambiguïté soit levée et que les entreprises de moins de cinquante salariés soient exonérées de cette obligation.
Cet accord est très riche. J’aurais encore beaucoup à dire sur le temps partiel mais j’y reviendrai sans doute dans mes réponses à vos questions.
M. Jean-Pierre Crouzet, président de l'UPA. L’UPA a signé cet accord car elle est une organisation responsable bien que mal connue. Elle représente pourtant, au travers d’entreprises de moindre importance que pour les intervenants précédents, quelque quatre millions de personnes.
Je ne reviens pas sur les responsabilités de chacun et les objectifs poursuivis dans cette négociation, je m’en tiendrai aux points de l’accord auxquels l’UPA est très attaché.
Le premier concerne la complémentaire santé, parce que les entreprises de petite taille que nous représentons ne sont pas capables de négocier individuellement. Il est donc souhaitable de confier aux branches le soin de choisir l’organisme compétent comme le prévoit l’accord. Nous nous inscrivons dans une démarche, non pas de consommation, mais de prévoyance à l’instar de ce qui existe pour les retraites complémentaires.
Nous avons déjà une expérience en la matière avec l’accord intervenu pour le secteur de la boulangerie en 2007, que je connais très bien pour en avoir été à l’origine. Nous avons le recul suffisant pour évaluer l’utilité pour les salariés de cette couverture, qui n’a pas entraîné d’augmentation des cotisations, et prévoit une prévention annuelle pour les risques spécifiques de ces métiers. La recherche de l’efficacité économique et l’intérêt pour les salariés justifient donc l’attachement de l’UPA au dispositif de complémentaire santé.
Les entreprises représentées par l’UPA ne sont pas des utilisatrices abusives du temps partiel. Il faut néanmoins tenir compte des spécificités de certaines d’entre elles dans les secteurs de l’alimentation et des services qui les conduisent à recourir au temps partiel d’une durée de moins de vingt-quatre heures – limite fixée par l’accord en deçà de laquelle des dérogations doivent être négociées par accord de branche. Il serait dommageable de ne pas satisfaire les besoins de main-d’œuvre à temps partiel de ces entreprises liés à une suractivité en fin de semaine. Il est donc important de laisser aux branches professionnelles le soin de gérer les possibilités de dérogations au temps partiel dans les secteurs de l’alimentation et des services.
Sur la taxation des contrats courts, il faut laisser la discussion de la convention avec l’Unédic suivre son cours. Nous serons particulièrement attentifs au maintien de l’exonération pendant les premiers mois de cotisation employeur pour l’embauche en contrat à durée indéterminée d’un jeune de moins de 26 ans.
La réduction des délais de prescription est une avancée très importante. Pour la transmission et la reprise des entreprises, le précédent délai de cinq ans pesait trop lourd dans la garantie du passif qui est inscrite pour couvrir un litige prud’homal. Nous aurions souhaité, à l’instar de ce qui a cours dans d’autres pays européens, que le délai de prescription soit abaissé en deçà des deux ans prévu par l’accord.
En matière de franchissement des seuils, il nous semble raisonnable de laisser un délai d’un an aux petites et moyennes entreprises pour mettre en place les institutions représentatives du personnel.
Enfin, nous ne pouvons qu’approuver l’expérimentation du recours direct au contrat de travail intermittent dans le secteur de la chocolaterie que nous représentons.
En conclusion, nos mandants souhaitent la stricte retranscription de l’accord par la loi, sans modification puisqu’il est le fruit d’un échange entre les partenaires sociaux. Il faut que chacun assume ses responsabilités. Nous essayons d’assumer les nôtres dans la négociation avec les partenaires sociaux mais nous ne sommes pas responsables des décisions prises ensuite.
M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Je veux remercier les intervenants pour leur présence qui témoigne de l’importance de la négociation sociale. Vous avez tous évoqué le rôle du Parlement. Vous nous avez d’ailleurs fait part de la préoccupation des chefs d’entreprise que vous rencontrez quant à la transcription intégrale de l’accord. Nous ne devons pas rencontrer les mêmes car ceux que je rencontre s’inquiètent plutôt de leur carnet de commandes et de la compétition internationale.
L’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle relatif à la démocratie sociale indique que la négociation précède et inspire la loi. Cela correspond selon moi à la bonne méthode. Je ne crois pas que le Parlement ait la science infuse et soit capable de faire des lois sociales meilleures que les partenaires sociaux. Je crois en revanche que les parlementaires sont porteurs d’une certaine légitimité qui les autorise à améliorer un texte s’il le mérite.
L’équilibre du texte est une question difficile. Vous avez souligné le caractère équilibré de l’ensemble des dispositions de l’accord. La plupart des parties à la négociation me semblent d’ailleurs défendre les avancées contenues dans l’accord. Nous n’avons pas eu le sentiment de divergences d’appréciation entre salariés et employeurs ou d’un affrontement entre patronat et syndicats. En période de crise, les intérêts patronaux et salariaux peuvent diverger mais ils peuvent aussi se rencontrer plus que d’habitude : il s’agit non pas de partager les richesses mais de sauver les entreprises et de les rendre plus performantes.
Je souhaite vous poser plusieurs questions. D’abord, on a cru comprendre que le MEDEF cherchait dans cette négociation à écarter le juge judiciaire au profit du juge administratif, ou à tout le moins de lui donner moins de poids dans les relations sociales. Je m’interroge sur cette substitution : d’une part, les deux juridictions ne sont pas selon moi de nature très différente ; d’autre part, cette volonté me semble contradictoire avec l’objectif affiché d’une plus grande sécurité juridique puisque la nouvelle jurisprudence administrative en matière de plans sociaux ne sera pas établie avant plusieurs années.
Concernant les délais de prescription, cette dernière a longtemps été trentenaire en matière de contrat de travail car elle était initialement justifiée par le déséquilibre entre le salarié et l’employeur. Le délai a été ramené par harmonisation avec le code civil à cinq ans. Dans cette négociation, vous avez fortement insisté pour qu’il soit réduit à deux ans. En matière de baux commerciaux, le délai de prescription est pourtant de cinq ans alors que l’argument évoqué par M. Crouzet – le poids de la garantie du passif en cas de litige – me semble aussi valable pour les conflits commerciaux. La prescription pour le contrat de travail devient ainsi plus courte que pour les baux commerciaux. Cela me paraît paradoxal. Je souhaite donc connaître les raisons profondes qui ont inspiré ce choix.
Par ailleurs, je considère que l’accord est timide sur deux questions : la formation qualifiante et la présence des salariés au conseil d’administration des grandes entreprises.
Chacun reconnaît que le droit individuel à la formation est un progrès. Mais le verrou que constitue le plafond de 120 heures pour la durée des formations, demeure un obstacle à l’objectif que poursuivent de manière conjointe les entreprises, les salariés et le pays, d’une augmentation de la qualification des salariés. On peut donc être surpris que l’accord n’ait pas été l’occasion de lever cet obstacle et de financer ainsi des formations véritablement qualifiantes.
Sur le second sujet, nous avons entendu des grands patrons souhaiter précisément une forte présence de salariés au conseil d’administration. M. Louis Gallois préconise ainsi la présence d’un tiers d’administrateurs issus des salariés. Il fait d’ailleurs de cette mesure un élément important de compétitivité. M. Jean-Louis Beffa partage le même avis, estimant que, dans la mondialisation, les salariés et les dirigeants doivent travailler ensemble, y compris dans un lieu stratégique comme le conseil d’administration, pour défendre la vocation industrielle de la France. L’accord entrouvre seulement la porte en permettant la présence d’un ou deux administrateurs. Pourquoi l’occasion d’aller plus loin n’a-t-elle pas été saisie ? Quels sont les obstacles à une participation accrue ? M. Louis Gallois propose même pour les grandes entreprises, à l’instar de la pratique en Allemagne, qu’un représentant des salariés soit désigné par chaque branche.
En matière de santé, on a cru percevoir des tensions au sein de la délégation patronale dans la dernière ligne droite sur la question de la clause de désignation. M. Crouzet, pour l’UPA, a fait valoir que la branche professionnelle était la mieux placée pour favoriser la mutualisation et développer des actions de prévention. On ne sait pas quelle est la position de la CGPME. Elle réclame le respect de l’accord alors que celui-ci comporte trois phrases peu claires sur le sujet. Existe-t-il une position patronale sur les clauses de désignation ? Que contient véritablement l’accord ? Interdit-il les clauses de désignation ?
Ce n’est en tout cas pas la solution retenue dans le projet de loi selon lequel l’accord laisse toutes les options ouvertes : désignation, recommandation et liberté de choix totale. Pouvez-vous me dire si cette interprétation est correcte ? Ce n’est pas pour le moment ce que j’ai compris de vos propos liminaires.
Enfin, l’instauration de droits rechargeables a été saluée comme un progrès pour l’indemnisation des salariés aux parcours précaires. Comment vont-ils cependant être mis en œuvre dans le cadre de la négociation de la convention de l’Unédic ? Cela ne se fera-t-il pas au détriment des autres salariés puisque le MEDEF s’est prononcé contre une hausse des cotisations ? Il ne faudrait pas déshabiller Paul pour habiller Pierre.
M. Michel Issindou. La démocratie sociale que nous souhaitons développer a plutôt bien fonctionné dans le cadre de cet accord national, et c’est pour nous une source de satisfaction. Même si deux organisations syndicales ne l’ont pas signé, elles sont toutefois restées à la table des négociations. Nous préférons ce dialogue à la culture du conflit permanent.
Cet accord contient des avancées significatives : la taxation des contrats à durée déterminée (CDD), les droits rechargeables, la généralisation de la complémentaire santé au bénéfice de 4 millions de salariés, la substitution du compte personnel de formation au droit individuel à la formation, l’instauration d’une durée minimale de travail de vingt-quatre heures hebdomadaires, la participation des salariés au conseil d’administration avec voix délibérative. La loi devra préciser les dispositions de cet accord en vue de concrétiser les avancées qu’il contient.
Toutefois, cet accord donne lieu à des lectures diamétralement opposées. Certains syndicats de salariés et vous-mêmes en faites une lecture positive alors que d’autres en font une lecture très négative. Un tel écart, qui est rare, ne peut que troubler les législateurs que nous sommes.
À mes yeux, l’enjeu majeur demeure la préservation de l’emploi : il faut éviter les licenciements, qui donnent lieu à des conflits sociaux très durs liés, notamment, à la difficulté de retrouver un emploi. Conserver dans l’entreprise durant une période difficile le maximum de salariés est une bonne idée, même si ces salariés sont légitimement inquiets des sacrifices considérables qu’ils devront consentir en termes d’augmentation du temps de travail et de diminution des salaires, contre la garantie de l’emploi.
Il est encore trop tôt pour savoir si l’accord national du 11 janvier 2013 est historique. Il ne le deviendra que si les partenaires sociaux réussissent à faire en sorte que les salariés, le moment venu, partagent les fruits de la sortie de crise.
Quels sont les points de l’accord qui ont suscité votre enthousiasme ?
M. Gérard Cherpion. Le projet de loi pose certaines difficultés, notamment la clause de désignation à l’article 1er ou, à l’article 16, le recours au principe, en cas de litige, du versement au salarié d’une indemnité forfaitaire déterminé sur le fondement d’un barème fixé par décret. Ce barème sera-t-il indicatif ou prescriptif ? Cet article de la loi s’imposera-t-il aux parties ?
L’article 6, quant à lui, traite des droits rechargeables dont les parties signataires de l’accord du 11 janvier sont convenues de la mise en place dans le cadre du régime d’assurance chômage : ils entrent donc dans le cadre de la prochaine négociation entre les partenaires sociaux sur l’Unédic. Je souhaiterais toutefois d’ores et déjà savoir si vous êtes favorables, pour les financer, à l’instauration d’une cotisation supplémentaire. L’Unédic connaît aujourd'hui un déficit structurel important : pourra-t-elle supporter une charge supplémentaire ?
S’agissant de l’article 2, qui crée le compte personnel de formation, la discussion, hier, au sein du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), n’a pas abouti à un consensus sur les modalités d’application, très complexes, de cette disposition. Comment envisagez-vous son abondement et son utilisation ?
S’agissant du temps partiel, la durée minimale de vingt-quatre heures de travail hebdomadaires, transcrite à l’article 8 du projet de loi, n’est pas non plus sans poser de problèmes, notamment aux particuliers employeurs, aux mandataires comme aux prestataires, ou au secteur du portage de la presse, dont les horaires sont très limités dans la semaine. Ce secteur emploie non seulement des étudiants mais aussi des adultes, voire des jeunes retraités, pour lesquels le portage représente un complément de salaire ou de pension indispensable.
S’agissant de la création d’un droit à une période de mobilité volontaire sécurisée, prévue à l’article 3 du projet de loi – déclinant l’article 7 de l’accord –, dans quelles conditions précises, notamment de temps, le salarié aura-t-il la possibilité d’opter pour le retour dans son entreprise d’origine ?
Enfin, alors que le ministre du travail, monsieur Sapin, s’est engagé, au cours de son audition, à ce que le projet de loi respecte l’accord signé le 11 janvier, Mme Parisot a fait paraître mardi 19 mars un communiqué demandant au Gouvernement de modifier le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, jugeant que certaines de ses dispositions n’étaient « pas conformes à l’esprit de l’accord » entériné par les partenaires sociaux le 11 janvier. Son communiqué vise notamment les modalités de la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés, les ambiguïtés sur les délais préfix qui encadrent les procédures judiciaires et « les dispositifs liés à la mobilité interne ou aux accords de maintien dans l'emploi », qui ne lui « paraissent pas sécurisés juridiquement ». Mme Parisot ajoute : « Cela est susceptible de nous faire regarder l'accord d'une autre façon. […] Tout n'est pas perdu. […] J'espère que tout le monde comprendra qu'il en va de l'esprit du dialogue social et du paritarisme ».
M. Christophe Cavard. Les écologistes se félicitent, eux aussi, de la méthode qui a présidé à la signature de cet accord national : personne ici ne souhaite remettre en cause le dialogue social. L’objectif commun est d’aider l’emploi dans le cadre de l’entreprise privée – je tiens à le réaffirmer.
Toutefois, dans le rapport entre démocratie sociale et démocratie politique, il ne peut être question pour des parlementaires, qui ont des conceptions politiques et sociales différentes, de se contenter de réaliser un copier-coller. Il vous appartient à votre tour de reconnaître la légitimité du temps des parlementaires, dont le rôle est d’apporter des réponses non seulement juridiques mais aussi politiques.
Comment seront financés les droits rechargeables, qui représentent assurément une avancée ? Nous aimerions connaître votre avis sur la question, même si elle relève de la future négociation entre les partenaires sociaux sur l’Unédic.
Pouvez-vous également nous préciser pourquoi les contrats très courts sont surutilisés à l’heure actuelle ? Comment pensez-vous stabiliser leur progression et permettre à des salariés de s’inscrire dans des durées de contrats plus longues ? La surcotisation des CDD très courts ne concernant pas l’intérim, qui fait actuellement l’objet de négociations, les entreprises ne risquent-elles pas de recourir davantage à celui-ci ? Je rappelle que l’article 7 du projet de loi permet aux conventions collectives d’assurance chômage de prévoir des majorations et des minorations de cotisations différenciées en fonction de la nature du contrat de travail, de sa durée, du motif du recours, de l’âge du salarié ou de la taille de l’entreprise.
Le projet de loi prévoit également, aux articles 10 et 12, que le licenciement d’un salarié pour refus d’un accord de baisse de salaire ou de temps de travail, dans le cadre du maintien dans l’emploi, ou pour refus de mobilité interne, « repose sur un motif économique, est prononcé selon les modalités d’un licenciement individuel pour motif économique et ouvre droit aux mesures d’accompagnement que doit prévoir l’accord ». Cela entraîne ni plus ni moins la disparition du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), puisque le refus de cinquante salariés provoquera cinquante licenciements économiques individuels. Quelles seront les conséquences de l’abandon pur et simple des plans de sauvegarde de l’emploi ?
Par ailleurs, les chefs d’entreprises eux-mêmes ont des conceptions différentes de l’accord en raison, notamment, de la taille de leurs entreprises. Il faut poser la question de la diversité des efforts que les salariés doivent consentir selon qu’ils travaillent dans une grande entreprise ou une PME et que, par exemple, ils bénéficient ou pas de l’actionnariat salarié.
S’agissant enfin de la complémentaire santé, comment faire pour que le choix d’un organisme privé d’assurance ne soit pas dicté par le seul critère du mieux-disant financier ?
M. le président de l'UPA. Je tiens tout d’abord à rappeler que les artisans cotiseront à hauteur de 1,1 milliard d’euros supplémentaires dans le cadre du régime social des indépendants (RSI) : leur contribution à l’effort général sera donc importante.
S’agissant de la formation, les artisans sont à la recherche de compétences : il n’est donc pas question pour eux de pénaliser le caractère transférable du droit à la formation, dont il faudra discuter.
La durée minimale de vingt-quatre heures hebdomadaires devra faire l’objet de dérogations en raison de l’activité des entreprises. Il est important, en particulier, de maintenir l’emploi des jeunes qui, souvent, travaillent moins de vingt-quatre heures par semaine.
Si le délai de prescription, en cas de litiges concernant les baux commerciaux, est bien de cinq ans, l’UPA n’est pas hostile à une réduction générale des délais de prescription. Une entreprise ne doit pas subir trop longtemps un passif éventuel qui ne peut que pénaliser son développement.
Longtemps, la juridiction prud’homale a semblé ne favoriser qu’une des deux parties : or la réduction du délai de prescription concernera autant les litiges soulevés par les chefs d’entreprises que les litiges soulevés par les salariés, même s’il est vrai que ces derniers sont les plus nombreux. Des délais trop longs pénalisant les deux parties, il faut avoir pour objectif de développer la conciliation. Le développement du dialogue social devrait permettre d’y parvenir.
S’agissant de la généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé, qui fait beaucoup de bruit et qui est traitée aux articles 1er de l’accord et du projet de loi, l’UPA a tenu, à travers le mot « notamment », à donner aux branches professionnelles la possibilité de gérer au mieux le dispositif pour les entreprises qu’elles regroupent. Il faut rappeler que des accords de branches ont déjà permis, depuis plusieurs années, de supprimer le délai de carence ou d’assurer la portabilité des droits dans le cadre de la solidarité. Ces accords, à la suite de nombreux recours, ont donné lieu à de nombreux arrêts de cours d’appels – une trentaine –, du Conseil d’État et de la Cour de justice de l’Union européenne. Nous nous inscrivons dans la philosophie de la solidarité, dans l’intérêt de nos entreprises comme de nos salariés.
Le coût de cette politique de solidarité, incontestable pour les entreprises, a été compensé par une amélioration de la sécurité de nos salariés dans leur emploi. S’agissant de la complémentaire santé, vous n’ignorez pas que les entreprises artisanales sont incapables de négocier avec les assureurs. Il ne saurait être question pour nous de favoriser un opérateur par rapport à un autre – institutions de prévoyance, mutuelles ou assureurs privés. Je le répète, nous souhaitons favoriser le mieux-disant dans un esprit de solidarité.
Je prendrai l’exemple de la boulangerie : l’accord de branche est entré en application le 1er janvier 2007. Or, depuis cette date, les cotisations n’ont pas augmenté et les prestations servies vont bien au-delà du plancher prévu par l’accord du 11 janvier, avec notamment des mesures de prévention annuelles spécifiques et gratuites pour tous les salariés, en particulier en matière de carie dentaire ou d’asthme du boulanger. Ce résultat n’aurait pas pu être atteint si nous n’avions pas eu affaire à un seul opérateur, qu’il revient aux partenaires sociaux de choisir.
Les chefs d’entreprises que sont les artisans ont vocation à réaliser des dépenses non pas exagérées mais appropriées aux intérêts des salariés et de leurs employeurs.
M. Jean-Pierre Door. Je ne suis pas d’accord avec M. Crouzet sur la clause de désignation, laquelle, du reste, ne se trouve pas dans l’accord national. Cette clause aura des effets dévastateurs sur le marché des organismes complémentaires d'assurance maladie (OCAM) – assureurs privés, institutions de prévoyance et mutuelles –, sur lequel je me suis penché au sein de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), il y a quelques années.
En effet, en créant un monopole d’opérateurs, cette clause entraînera, à son tour, la disparition de 25 000 à 30 000 emplois dans les toutes prochaines années via la disparition des acteurs de santé de proximité, qui sont le plus souvent des assureurs tournés vers les PME.
La clause de désignation est contraire à la transparence et à la liberté de choix des entreprises.
M. Denys Robiliard. Monsieur Crouzet, on ne saurait attendre des parlementaires, qui ne sont pas des notaires, qu’ils entérinent un texte rédigé par les partenaires sociaux, « sans amendements ni modifications » pour reprendre vos termes. Du reste, le projet de loi lui-même contient des différences significatives avec l’accord.
Vous paraît-il conforme à l’accord qu’un salarié, qui bénéficie d’une mobilité volontaire sécurisée mais voit son contrat dans l’entreprise d’accueil rompu, puisse rentrer dans l’entreprise d’origine dans un délai qu’il restera à déterminer ?
S’agissant du refus par un salarié de la mobilité interne dans le cadre des accords de maintien dans l’emploi, on est passé, à la demande du Conseil d’État, du licenciement pour motif personnel, prévu dans l’accord, au licenciement pour motif économique dans le projet de loi, afin de respecter la convention 158 de l’Organisation internationale du travail. Le licenciement économique individuel – y compris lorsqu’il concerne plusieurs salariés – inscrit dans le projet de loi, est-il compatible avec la directive européenne 98/59/CE ? Le Parlement se doit d’adopter des textes conformes aux engagements juridiques internationaux de la France.
Le projet de loi propose par ailleurs de reverser dans l’ordre administratif une partie du contentieux jusque-là traité par l’ordre judiciaire : le Conseil d’État ne risque-t-il pas de développer une nouvelle jurisprudence, ce qui serait une source d’instabilité et de risque juridiques majeurs ?
M. Dominique Dord. Cette discussion ne laisse pas de m’inquiéter car la commission des affaires sociales n’a toujours pas tranché la question fondamentale du respect de la rédaction de l’accord initial – M. Denys Robiliard vient ainsi de préciser que les parlementaires ne sont pas des notaires. Or céder à la tentation d’amender le texte de l’accord risquerait d’inciter les partenaires sociaux, qui se sont engagés dans un compromis, à n’en plus signer à l’avenir.
Chacun ayant admis que cet accord est exceptionnel, notamment en raison de la méthode qui y a présidé, comment faire autrement que de le transcrire en ne l’amendant qu’à la marge pour des raisons d’ordre juridique ? Des représentants des organisations patronales commencent à se plaindre de ce que le projet de loi aurait trahi l’accord : si tel est le cas, alors c’est la porte ouverte à tous les amendements possibles et imaginables.
M. Gérard Sébaoun. S’agissant de la désignation des administrateurs représentant les salariés, le MEDEF s’était dit opposé, au cours d’une précédente audition, à l’élection ou à la désignation de représentants par un syndicat : or l’article 5 du projet de loi semble ouvrir le champ de tous les possibles. Cet article vous semble-t-il conforme à l’esprit de l’accord ?
Si l’article 10 du projet de loi, relatif à la mobilité interne, est, à mes yeux, essentiel, il me semble en revanche imprécis au regard, notamment, de la jurisprudence. L’accord national prévoit en effet, à l’article 15, que « la mobilité interne s’entend de la mise en œuvre des mesures collectives d’organisation courantes dans l’entreprise, ne comportant pas de réduction d’effectifs », alors que le projet de loi précise « sans projet de licenciement ». Convient-il à vos yeux de revenir au texte de l’accord ?
M. Bernard Perrut. La généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés a besoin d’être clarifiée – Jean-Pierre Door a raison et je ne reviendrai pas sur le sujet.
S’agissant en revanche du temps partiel, traité à l’article 8 du projet de loi, je tiens à préciser l’inquiétude, notamment, du secteur du nettoyage, qui recourt abondamment au temps partiel – il s’agit le plus souvent d’emplois de proximité –, à l’instar, du reste, des particuliers employeurs, des collectivités locales et d’un grand nombre d’autres secteurs. Il ne faudrait pas que le texte nuise à l’intérêt de ceux qui trouvent dans le temps partiel une activité indispensable à leur subsistance. Le texte doit être précisé à cette fin.
M. Jean-Patrick Gille. Si vous voulez convaincre de la portée du texte, peut-être devriez-vous faire preuve d’un plus grand enthousiasme à le défendre.
Vous avez par ailleurs peu mis en avant la question de la formation, qui fait pourtant l’objet, dans l’accord, de dispositions intéressantes dont toutes ne relèvent pas du domaine législatif.
De nouvelles négociations seront nécessaires pour mettre au point le compte personnel de formation ou les droits rechargeables à l’assurance chômage : quelle garantie avons-nous que vous respecterez, au cours de ces négociations, vos engagements, conformément à l’esprit de l’accord ?
Mme Isabelle Le Callennec. La portée de cet accord, dont vous souhaitez que le projet de loi respecte l’équilibre – il vise en effet à concilier la compétitivité économique et la sécurisation des parcours professionnels –, sera jugée à ses effets.
Quelle réponse apportez-vous à ceux qui prétendent que cet accord est mieux accepté par les grandes entreprises que par les petites ? Vous avez évoqué, madame Roy, la surcotisation des contrats courts, le coût de la généralisation de la complémentaire santé et la consultation sur le crédit d’impôt compétitivité emploi.
Ce texte est-il de nature à vaincre la peur qu’ont les chefs d’entreprises d’embaucher ? Les organisations syndicales nous ont déclaré que le CDI devait redevenir la norme et les CDD l’exception.
Par ailleurs, l’accord permettra-t-il vraiment de renforcer la formation durant l’activité partielle ? C’est un aspect très important. Sécurisera-t-il également le prêt de main-d’œuvre, qui peut être une opportunité pour les salariés, à condition toutefois qu’ils aient l’assurance de pouvoir revenir dans leur entreprise d’origine ?
Le texte semble renforcer le poids des Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), notamment dans le cadre de l’homologation ou de la validation des accords d’entreprise. D’aucuns s’inquiètent de voir réapparaître les autorisations administratives de licenciement : quel est votre avis ?
Mme Véronique Louwagie. Il est vrai que la transcription de cet accord soulève de nombreuses questions chez les parlementaires, car s’ils valident la méthode qui y a présidé, tous ont envie d’y apporter des modifications, sans le dénaturer mais en traduisant la volonté commune des partenaires sociaux.
L’avancée que constitue la généralisation des complémentaires santé entraînera, il faut le savoir, une augmentation du coût du travail, laquelle pèsera sur de nombreuses entreprises : qu’en pensez-vous ?
Si, par ailleurs, l’accord a prévu, ce qui est louable, la mise en place d’un dispositif des droits rechargeables, il a également tenu à préciser que « les partenaires sociaux veilleront à ne pas aggraver ainsi le déséquilibre du régime d’assurance chômage ». Puisque vous sembler refuser une éventuelle augmentation des taux de cotisations, quelles sont les autres pistes de réflexion ?
L’article 13 du projet de loi, qui vise à renforcer l’encadrement des licenciements collectifs, ne risque-t-il pas d’entraîner le retour de l’administration dans le processus de décision puisqu’elle devra donner son avis sur les accords négociés – elle disposera de huit jours pour ce faire – ? L’inquiétude est la même dans le cadre du document unilatéral, en cas d’absence ou d’échec des négociations. Certains perçoivent dans ce document unilatéral un retour en force de l’entreprise quand d’autres y voient celui de l’administration, en raison notamment du poids des DIRECCTE. Qu’est-ce qui a dicté le choix des parties signataires en la matière ?
Au cours des négociations, la question du verrou des 35 heures a-t-elle été évoquée ? A-t-on envisagé à un moment ou un autre de le faire sauter ?
M. Arnaud Robinet. Le chef de l’État et M. Michel Sapin, le ministre du travail, ont affirmé que cet accord est historique. Il représente plus simplement, à nos yeux, une avancée du dialogue social, que le groupe auquel j’appartiens salue comme telle. Cet accord permettra de résoudre certains des problèmes de compétitivité que connaissent les entreprises françaises.
Une ratification pure et simple aurait été souhaitable : moins les politiques s’immiscent dans la vie de l’entreprise, mieux c’est, d’autant qu’ils ont, depuis plusieurs années, durci le code du travail, ce qui a freiné l’embauche. La méthode suivie ayant été saluée par le chef de l’État et l’ensemble du Gouvernement, nous devons respecter l’accord signé le 11 janvier entre les partenaires sociaux
Le texte de l’article 4 du projet de loi, qui porte sur l’amélioration de l’information et des procédures de consultation des institutions représentatives du personnel semble modifier, tout en le transcrivant, l’article 12 de l’accord national. Il prévoit notamment que le juge des référés pourra prolonger le délai préfixé si les informations nécessaires au comité d’entreprise pour motiver son avis ne sont pas fournies par l’employeur. Qu’en pensez-vous ?
Mme Fanélie Carrey-Conte. Notre travail de parlementaires consiste à regarder le projet de loi article par article, non seulement pour en souligner les éléments positifs mais également pour en relever les mesures qui nous paraissent inquiétantes pour les salariés – je pense notamment à l’absence de toute mesure d’encadrement géographique de la mobilité interne.
Si nous sommes favorables à la généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé, nous veillerons à ce que celle-ci concerne aussi les non-salariés qui ne sont pas aujourd'hui couverts – ce qui soulève la question des marges de manœuvre financières dont nous disposerons.
La durée maximale de la portabilité de la couverture des frais de santé et de prévoyance est portée de neuf à douze mois. La mutualisation pourrait se faire par branche ou par entreprise : dans ce dernier cas, que se passera-t-il si l’entreprise est en liquidation et disparaît ? Une mutualisation interbranches a-t-elle été envisagée ?
M. le président de l'UPA. Vous comprendrez aisément qu’il est impossible à une entreprise de 10 salariés d’assurer la portabilité. Or les entreprises artisanales ne comptent en moyenne que 5 salariés. Il faut se garder de comparer la situation spécifique de ces 1,2 million d’entreprises et celle des grands groupes. Dans l’intérêt des entreprises comme des salariés, nous sommes donc très attachés à la clause de désignation. L’entreprise demeure en effet une structure qui peut disparaître demain. Qu’adviendrait-il dans ce cas de la portabilité pour ses salariés ?
M. le membre du bureau exécutif du MEDEF. Vous nous interrogez sur la démocratie sociale et la démocratie politique. Si nous voulons encourager la démocratie sociale dans notre pays, il faut renforcer le dialogue social, afin d’aller vers un dialogue social à l’allemande. Mais pour aller vers ce dialogue social plus mature, encore faut-il que vous compreniez dans quelle logique nous avons essayé de travailler.
Nous sommes partis du principe que la meilleure façon de régler les problèmes était de le faire au niveau de l’entreprise, donc de laisser aux partenaires sociaux le maximum de latitudes pour trouver les bonnes solutions pour l’entreprise, donc pour l’emploi. Telle est l’ambition qui nous a animés. Ne pas le comprendre serait faire fausse route et compromettre les chances d’autres accords constructifs, qui pourraient demain aller plus loin. Je suis le premier à reconnaître que nous ne sommes pas allés assez loin dans de nombreux domaines, mais les évolutions ne peuvent être négociées que pas à pas.
Nous sommes parvenus à un accord intéressant pour les entreprises et pour les salariés. Si nous ne savons pas en tirer les bénéfices, nous ne pourrons pas en négocier d’autres demain. Il est donc important que la représentation nationale reste proche du texte de l’accord et respecte le travail de ceux qui ont accepté de s’engager dans l’aventure – car c’en est une que d’essayer d’expliquer les enjeux de l’accord sur le terrain. Sa transposition et les suites à y donner – selon la même méthode, c’est-à-dire par des accords laissant le plus de champ possible à la négociation au sein de l’entreprise – sont donc de vraies questions.
Le pouvoir judiciaire est aujourd’hui trop loin des réalités de l’entreprise : bien souvent, les réponses apportées ne sont pas assez favorables à l’entreprise et à l’emploi. À notre sens, mieux vaut renforcer le dialogue social et rechercher des solutions propres aux entreprises qu’aller vers une judiciarisation excessive de notre société. Là se trouve d’ailleurs l’explication des différences de posture observées entre les organisations syndicales qui font le choix du dialogue social et se sont pleinement investies dans la négociation de l’accord, faisant ainsi le jeu des accords de demain, et celles qui privilégient la judiciarisation pour, somme toute, exploiter leur fonds de commerce et recruter de nouveaux adhérents. J’ai pour ma part fait le pari qu’à terme, la première posture deviendrait la règle.
La règle qui a permis d’obtenir cet accord est celle d’avant la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale. Il y a eu débat sur le point de savoir si cet accord était majoritaire ou non. Selon les règles actuelles, il l’est incontestablement – et les partenaires sociaux qui se sont engagés l’ont fait en pleine connaissance de cause. Demain, lorsque d’autres règles seront en vigueur, la posture des uns et des autres changera sans doute. Certaines organisations syndicales en auraient peut-être adopté une autre si les règles de validité des accords et de représentativité des syndicats avaient été différentes. Mais nous avons appliqué les règles actuelles, et il faut les accepter : cet accord est majoritaire. Faisons donc confiance à ceux qui se sont engagés. Si les organisations patronales ou syndicales s’estiment trahies par le texte de loi, n’espérez plus les réunir autour d’une table avant longtemps ! Nous avons pris nos responsabilités, en travaillant sans relâche pour aboutir à cet équilibre ; j’en appelle aujourd’hui à la vôtre.
Quelques points nous préoccupent bien sûr encore. J’espère que nous pourrons ensemble trouver des solutions. Mais la première question à vous poser lorsque vous déposerez des amendements au projet de loi devra être de savoir s’ils sont acceptables pour l’ensemble des parties signataires. Si elles vous disent que votre proposition ne correspond pas à l’esprit dans lequel elles ont bâti l’accord, il vous faudra l’entendre. Certes, celui-ci mérite sans doute des précisions sur certains points, mais c’est animés de ce souci que vous devrez amender le texte. Si vous sortez de la logique de l’accord pour renforcer le pouvoir du juge ou sécuriser un dispositif au détriment de tel ou tel, si les choses ne s’écrivent que dans un sens, bref si nous ne retrouvons pas l’esprit dans lequel nous avons travaillé, soyez sûrs que nous prendrons nos responsabilités. Nous n’en sommes cependant pas là : il nous reste de nombreuses semaines pour trouver ensemble le bon texte et répondre aux interrogations que vous avez soulevées.
S’agissant du contentieux, nous avons fait un choix clair. Nous sommes revenus au tribunal administratif, car nous avons estimé que le système fonctionnait mieux auparavant. Mais il ne s’agit pas d’une autorisation : il doit être clair qu’à aucun moment le tribunal administratif n’a à se prononcer sur le motif – c’est le rôle du pouvoir judiciaire. Le tribunal administratif a vocation à examiner si les mesures d’accompagnement prévues sont les bonnes et si les formes ont été respectées.
J’en viens au délai de prescription. Deux ans vous paraissent peu, car le délai était auparavant de cinq ans. Mais sachez qu’en Allemagne, il est de trois semaines. Ce qu’a dit Jean-Pierre Crouzet est très vrai : dans la vente d’une affaire ou sa transmission aux héritiers, les garanties de passif sont toujours un élément d’insécurité important. Au-delà de cet aspect, avoir une possibilité de revenir cinq ans en arrière peut tuer une entreprise. Le cas d’Olympia en est un exemple.
Le compte personnel de formation est certes plafonné à 120 heures, mais le droit individuel à la formation (DIF), qui ne fonctionnait pas, se voit supprimé au profit d’un dispositif plus opérationnel, qui permet aux chômeurs d’avoir accès à la formation. Cette dernière n’est plus monétarisée. Le compte personnel de formation est un droit universel, portable et utilisable à tout moment du parcours professionnel. Enfin, il peut être abondé par les régions, avec lesquelles nous espérons trouver un accord, et par le Fonds de sécurisation des parcours professionnels (FSPP). Il importe d’associer celui-ci, les branches, les entreprises et les régions afin de trouver les réponses adaptées pour chaque salarié, et d’identifier précisément les besoins des filières, région par région et branche par branche. Si nous mettons en place ce compte personnel de formation suivant les principes que nous avons fixés, nous aurons à notre disposition un outil très performant.
Vous avez évoqué les représentants du personnel au conseil d’administration. L’accord a mis en place un certain nombre de « cales dans les portes » – pour prendre une expression que j’utilise souvent – en particulier en ce qui concerne le nombre de ces représentants. En revanche, il n’a pas fixé toutes les modalités de mise en œuvre de cette disposition. Je regrette notamment que celles-ci n’aient pas pris en compte les actionnaires salariés, qui auraient mérité de figurer parmi ces représentants du personnel.
Pourquoi ne sommes-nous pas allés plus loin ? Le rapport Gallois préconisait que les représentants des salariés puissent représenter jusqu’à un tiers des membres du conseil d’administration. En France, les conseils d’administration comptent en moyenne 12 membres, dont la moitié sont indépendants, c’est-à-dire extérieurs à l’entreprise – ce qu’il faut conserver si l’on veut assurer une certaine indépendance au conseil d’administration. Par ailleurs, un problème de gouvernance se posera inévitablement si celui-ci ne compte pas suffisamment d’administrateurs au fait de la situation de l’entreprise. Il ne faut donc pas aller trop loin. Nous pouvons certes passer de 12 à 24 administrateurs, mais la tendance actuelle est plutôt à la réduction du nombre de sièges dans les conseils d’administration, et on peut difficilement envisager de réduire celui des administrateurs indépendants. C’est pourquoi l’accord a limité le nombre des représentants du personnel siégeant au conseil d’administration à un pour les entreprises dont le nombre d’administrateurs est inférieur à 12 et à deux pour celles où il est supérieur à 12. Elle a en outre réservé la mise en œuvre de cette disposition aux entreprises de plus de 5 000 salariés, ce qui élimine de fait les entreprises de taille intermédiaire. Attendons que ces administrateurs aient trouvé leur place au sein des conseils d’administration des 200 grandes entreprises concernées avant d’envisager d’abaisser ce seuil. Sachons donner du temps au temps. La pédagogie des décisions que nous prenons est importante : nous devons pouvoir démontrer qu’elles portent leurs fruits avant d’envisager leur extension.
J’en viens à la clause de désignation du ou des organismes assureurs pouvant garantir la couverture complémentaire des frais de santé. L’accord me paraît clair : l’appel d’offres pour la mise en œuvre de cette couverture complémentaire santé est lancé en toute transparence par les branches. Nous avons préféré la recommandation, car nous souhaitons laisser leur libre arbitre aux entreprises. Du reste, l’organisme recommandé par une branche professionnelle est assuré de capter la clientèle de 80 % à 90 % des entreprises de cette branche. Prévoir une clause de désignation n’est donc pas nécessairement opportun. L’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) ne l’a d’ailleurs pas fait. J’ai moi-même recommandé au conseil exécutif du MEDEF de demander aux branches qui y siègent de ne pas appliquer cette clause de désignation. Je préférerais que la loi aille dans le même sens.
Les droits rechargeables seront mis en œuvre. Une négociation devra avoir lieu pour bâtir le futur équilibre du régime d’assurance chômage ; laissons-là se dérouler. Nous allons réunir à nouveau le groupe de travail qui avait été constitué sur le sujet pour tenter de définir les paramètres de ce dispositif, afin qu’ils puissent être abordés dans le cadre de la négociation de la future convention de l’Unédic. C’est une question de confiance entre les partenaires sociaux : si nous nous trahissons sur de tels sujets, nous ne pourrons plus négocier demain.
Vous vous demandez pourquoi l’accord est un bon texte pour certains et un mauvais pour d’autres. L’appréciation qui est portée dépend des choix qui sont faits par rapport au dialogue social. Ceux qui croient à la judiciarisation, à la revendication, au pouvoir de la rue et à la contestation seront par nature moins favorables à la voie du dialogue, certes plus difficile, car elle exige du temps, mais davantage susceptible de conduire à des changements dans notre société. Si les partenaires sociaux sont assurés que les accords qu’ils signent seront fidèlement retranscrits, cela renforcera leur volonté de continuer à négocier. Le plus mauvais service à leur rendre serait – comme on a hélas toujours fait en France – de leur laisser croire qu’il est possible de ne pas signer un accord et de recourir ensuite au lobbying auprès des élus. C’est ainsi qu’on tue le dialogue social. Ayons donc le courage de rompre avec cette habitude et de faire comprendre à ceux qui ne s’engagent pas qu’ils ne pourront plus « rentrer par la fenêtre » après la signature de l’accord : vous verrez que leur posture dans la négociation changera du tout au tout. Si vous couplez cette évolution avec la représentativité à 50 %, vous aurez les éléments fondateurs d’un autre dialogue social dans notre pays.
Je note avec amusement que l’on me reproche tantôt d’être trop enthousiaste et tantôt de ne pas l’être assez, ce qui signifierait dans un cas une victoire du MEDEF, et dans l’autre une déception – l’accord n’aurait pas les effets que j’avais escomptés. J’espère bien qu’il les aura, mais il nous faudra attendre de voir comment il est appliqué pour le savoir. Quoi qu’il en soit, ma conviction est que nous avons travaillé intelligemment.
J’en viens à l’encadrement du temps partiel, avec l’instauration d’une durée minimale hebdomadaire de 24 heures. L’article de l’accord relatif au temps partiel a été construit lors d’une négociation à part, avec les grandes entreprises de la propreté, de la distribution et du commerce – qui sont celles qui recourent le plus au temps partiel. C’est un accord équilibré : en échange de l’instauration de cette durée minimale hebdomadaire de 24 heures, la sécurisation des avenants se trouve garantie. Il est néanmoins possible de déroger à la durée minimale hebdomadaire de 24 heures par un accord de branche – existant ou à conclure – ou dans le contrat de travail du salarié, si celui-ci en est d’accord. La seule contrainte consiste à organiser son temps de travail par demi-journées ou par journées, afin qu’il puisse cumuler son emploi avec un autre. C’est une contrainte qui peut être comprise et qui répond à une attente importante des salariés.
Mme la vice-présidente de la CGPME en charge des affaires sociales. S’agissant du temps partiel, certains ont soulevé le cas des particuliers employeurs. Nous les avions exclus de l’ANI, et ils ne sont pas concernés par le projet de loi. Le plus important consistait pour nous à éviter qu’un employeur puisse imposer à son salarié à temps partiel des horaires décalés d’un jour sur l’autre, l’empêchant ainsi de trouver un autre emploi. Nous avons établi une durée minimale hebdomadaire et mis fin à ces dysfonctionnements concernant l’organisation du temps de travail. Cela répond au souci qu’ont exprimé certains d’entre vous au sujet des distributeurs de presse.
J’en viens à la barémisation. Il s’agit pour nous d’un forfait à l’instant t, au moment de la conciliation. Dans la mesure où la problématique prud’homale reste une vraie préoccupation pour les employeurs, nous avions commencé à travailler sur une barémisation des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou pour licenciement abusif. Cela s’est révélé complexe, notamment au regard de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail et du droit européen. Nous nous sommes donc rabattus sur une barémisation au moment de la conciliation. Chacun, employeur ou salarié, pourrait en effet y trouver son compte ; en cas de refus, la procédure suivrait son cours.
Un mot sur le compte personnel de formation. Pour la CGPME, il constitue la première brique d’un édifice. Nous pourrions sans doute aller plus loin en envisageant la fusion du congé individuel de formation (CIF) et du droit individuel à la formation (DIF)
– qui ne pèseraient plus sur les entreprises. Il nous paraissait important que le salarié ait à tout moment, y compris en période de chômage, un droit de tirage sur ce compte personnel. Comme bien d’autres dispositions de l’accord, c’est un premier pas pour aller plus loin. Vous ne pouvez pas à la fois estimer qu’il n’existe pas de dialogue social dans notre pays, en invoquant systématiquement l’exemple allemand, et dire que vous auriez fait autrement lorsque les partenaires sociaux acceptent de prendre des risques, ce qui est le cas aujourd’hui – je constate par exemple que la généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé est très mal accueillie sur le terrain. Sans doute auriez-vous fait autrement, mais les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités. L’accord doit donc être retranscrit au plus près de ce qu’ils ont signé.
J’en viens aux droits rechargeables. Il faut impérativement éviter d’aggraver le déficit de l’Unédic – qui s’élève déjà à 18 milliards d’euros. Certes, ce régime est extrêmement sensible à l’activité, mais il souffre tout de même d’un déficit structurel. Tous les éléments devront donc être mis sur la table. Conformément à ce que nous avons signé, les droits rechargeables figureront bien dans la nouvelle convention de l’Unédic, mais cela devra se faire à enveloppe constante. La tâche ne sera donc pas aisée.
Quant à la clause de désignation, elle a à la fois des avantages et des inconvénients. Le fait d’avoir désigné un organisme rend plus facile l’établissement d’un coût au moment de l’élaboration du cahier des charges. Cela étant, les organismes assureurs – qui ne sont pas paritaires – sont aussi capables de le faire. Cette désignation facilite également la mise en œuvre d’actions de prévention. Jean-Pierre Crouzet a évoqué le cas de la boulangerie. Je suis pour ma part chef d’entreprise dans l’hôtellerie et la restauration, secteur où des accords de santé ont été mis en place. Nous avons désigné un opérateur, et nous œuvrons à la prévention de l’alcoolisme dans la restauration et des troubles musculo-squelettiques dans l’hôtellerie.
La clause de désignation a néanmoins des inconvénients. Les institutions de prévoyance, qui sont aujourd’hui en situation dominante, seront demain en situation de monopole. Les avantages tarifaires qu’elles consentent aujourd’hui risquent donc de disparaître. Par ailleurs, la liberté de choix de l’entreprise est importante. Dès lors, la clause de recommandation nous paraissait constituer un bon compromis. Dans mon esprit, il s’agissait bien – au moment où nous avons négocié – d’interdire les clauses de désignation au profit d’une recommandation, sur la base d’un cahier des charges, afin que les entreprises aient la possibilité de choisir leur opérateur. Peut-être iront-elles vers l’opérateur recommandé, que celui-ci soit un assureur ou une institution de prévoyance, mais peut-être préféreront-elles se tourner vers leur propre assureur.
M. le membre du bureau exécutif du MEDEF. Vous nous avez également interrogés sur la norme du CDI et sur la taxation des contrats courts ; vous vous demandez notamment pourquoi celle-ci ne s’applique pas à l’intérim.
Les contrats courts peuvent être utilisés pour faire face à un surcroît d’activité, mais aussi pour assurer le remplacement d’un salarié, ou encore pour les travailleurs saisonniers. Ces deux derniers cas sont des cas particuliers qui appellent une réponse particulière. Il nous paraissait donc inopportun de taxer ce type de contrats : cela n’aboutirait qu’à renchérir le coût du travail.
Par ailleurs, la proportion des salariés en CDI est constante depuis de nombreuses années : elle s’établit à environ 85 % des salariés. J’observe que la fonction publique reste l’un des plus importants utilisateurs de contrats courts. Que l’État commence donc par balayer devant sa porte !
La dérive que vous observez dans le recours aux CDD, notamment au démarrage de la carrière, pose surtout problème aux jeunes, qui souhaitent accéder plus rapidement à un CDI. Nous avons pris une mesure qui va dans le bon sens en exonérant de cotisations d’assurance chômage toute entreprise qui embauche un jeune de moins de 26 ans en CDI. La durée de l’exonération varie selon la taille de l’entreprise : elle s’élève à trois mois pour les entreprises de 50 salariés et plus et à quatre pour les entreprises de moins de 50 salariés. Il s’agit d’un dispositif incitatif et non répressif.
Pour que le CDI devienne la norme, il faudra aller plus loin que ce qui a déjà été fait pour faire reculer la peur de l’embauche en CDI. Nous aurions pu ici nous inspirer d’un dispositif qui existe dans mon secteur, celui du bâtiment et des travaux publics (BTP). Je veux parler des contrats de chantier, qui peuvent se définir comme des CDI pour la durée d’un chantier. Par exemple, la construction de la ligne à grande vitesse (LGV) entre Tours et Bordeaux a donné lieu à de nombreux contrats de chantier de trois ou quatre ans. Ce type de contrat serait sans doute applicable à d’autres branches ou filières. Il est intéressant pour les salariés, qui peuvent se prévaloir d’un CDI à l’appui d’une demande de prêt ou d’une recherche de logement et ont l’assurance de se qualifier dans le cadre du chantier, donc d’acquérir une employabilité qui n’a rien à voir avec celle qu’ils acquerraient avec un CDD. Cela nous paraissait donc une bonne idée. Malheureusement, certains y ont vu un « détricotage » du CDI, et elle n’a pas été retenue. C’est l’un de mes regrets.
Permettez-moi enfin d’évoquer un exemple précis. Dans la seule région d’Annecy, 60 000 Français passent chaque jour la frontière pour aller travailler en Suisse. Ils ne le font certes pas pour le droit du travail suisse – on peut licencier très facilement en Suisse – mais parce qu’ils gagnent dans ce pays deux à trois fois ce qu’ils gagneraient en France. Pour l’entreprise suisse, le coût est plutôt inférieur, car le niveau des charges est moins élevé que dans notre pays. Chaque jour, 60 000 talents formés dans nos écoles vont donc travailler chez Rolex ou dans d’autres entreprises suisses. Convenez qu’il y a matière à réflexion…
Il faut alléger la pression du droit du travail, tout en sécurisant le parcours professionnel des salariés, afin qu’ils bénéficient d’une meilleure formation, retrouvent plus rapidement un emploi, et que la formation puisse être dispensée pendant les périodes de chômage ou dans le temps partiel. Ce sont de bonnes initiatives, mais il convient avant tout de desserrer les contraintes pour permettre aux entreprises de s’adapter plus rapidement. Car le temps est fondamental pour l’entreprise. Si nous privilégions une solution en interne plutôt que le recours au juge, si nous avons tant besoin de savoir combien cela coûte, c’est pour avoir une certitude sur le temps dans lequel nous engageons notre action et sur notre capacité à restaurer les performances de l’entreprise. Un chef d’entreprise qui perçoit un danger potentiel ne peut mettre trois ans à adapter son outil industriel – l’entreprise sera morte avant. Nous devons donc travailler en ce sens, et cela doit se faire par un dialogue social renforcé au sein de l’entreprise. Il vous appartient de montrer l’exemple, en respectant le travail qui a été celui des partenaires sociaux dans l’accord qui est transcrit, et en les incitant à être plus nombreux à participer aux accords de demain. Nous aurons ainsi plus d’accords, moins de sources de conflit et une paix sociale retrouvée. C’est en tout cas ce à quoi je crois et ce pour quoi je me bats tous les jours.
Chef d’entreprise d’une PME, à la tête de trois petites entités de 50 salariés, j’ai eu à restructurer une entreprise dans les années 1990. Si je ne l’avais pas fait, l’entreprise serait morte. J’ai pu m’appuyer sur le comité d’entreprise, ce qui m’a permis de prendre des mesures très dures, en montrant moi-même l’exemple. De 100 salariés, nous sommes passés à 50 ; j’ai diminué les rémunérations de mes salariés, mais je me suis aussi appliqué cette diminution de rémunération. Laissons les entreprises croire au dialogue social. C’est possible dans de nombreuses PME. Mais de grâce, aidez-nous : n’entrez pas dans des jeux politiques, et favorisez ceux qui croient au dialogue social.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous avons bien compris votre message : il faut respecter l’accord, rien que l’accord et tout l’accord. Permettez-moi cependant de rappeler que le Parlement n’est pas qu’une chambre d’enregistrement. Même si M. Sapin, ministre du travail et de l’emploi, est très attaché à cet accord, il y a séparation des pouvoirs. Lorsque la loi de modernisation du marché du travail a été votée, en juin 2008, nous avons été quelques parlementaires à émettre des doutes sur la rupture conventionnelle, qui paraissait une bonne chose, puisqu’elle permettait de fluidifier les relations entre patronat et salariés. Cinq ans après, nous sommes en droit de nous interroger sur la pertinence de ce dispositif au regard de l’augmentation du nombre de ruptures conventionnelles en cette période de crise économique.
Les députés sont aussi en charge des questions intéressant l’ensemble des Français. Les accords que vous signez peuvent pécher par manque d’information, la démocratie sociale dans notre pays étant une démocratie a minima. Peu de patrons adhèrent en effet à une organisation patronale.
M. le membre du bureau exécutif du MEDEF. Je ne peux vous laisser dire cela !
Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous avez fait référence à l’Allemagne, mais vous savez bien qu’il est difficile de comparer les systèmes allemand et français. De même, vous avez évoqué le sujet des transfrontaliers, qui a fait l’objet de débats lors de la préparation du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le dispositif dérogatoire que vous évoquez coûte tout de même 400 millions d’euros. Nous n’y avons finalement pas touché, puisqu’il arrivera à son terme en 2014. Vous dites qu’il y a moins de charges en Suisse et que ces salariés y sont mieux payés, mais c’est bien en France qu’ils se soignent. Cela ne pourra pas durer. C’est pourquoi notre collègue Gérard Bapt a soulevé à nouveau le problème.
Encore une fois, nous avons bien compris votre message – qui est à peu près le même que celui des trois organisations syndicales signataires de l’accord. Mais l’Assemblée nationale est indépendante. Aucun amendement n’a été déposé à ce jour. Notre rôle ne saurait cependant se borner à enregistrer l’accord. Si certains de nos collègues souhaitent amender le texte, quelques modifications pourront donc intervenir.
Je vous remercie de votre venue et des réponses que vous avez apportées à nos interrogations.
5. Audition de la CGT-FO, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013
La Commission entend M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral de la CGT-FO, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, au cours de sa séance du jeudi 21 mars 2013.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous achevons aujourd’hui les auditions de la Commission sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.
Outre les ministres et les organisations d’employeurs et de salariés qui ont signé l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier, il m’a semblé nécessaire que nous entendions également les deux centrales syndicales qui, certes, n’ont pas signé l’accord, mais qui ont participé jusqu’au bout à la négociation interprofessionnelle.
À ce sujet, mon intention initiale était de réaliser une audition commune de la CGT et de FO, à l’image de la séance qui a réuni les trois syndicats signataires. Ce sont des problèmes d’agendas de nos interlocuteurs qui m’ont conduite à retenir le principe de deux auditions séparées. Il ne faut donc y voir aucune volonté de la part de la Commission de mieux traiter les organisations syndicales non signataires.
Nous recevons donc aujourd’hui M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral de la CGT-FO, qui a représenté son organisation au cours de la négociation.
Monsieur Lardy, vous nous ferez partager votre vision globale de l’accord du 11 janvier, vous nous direz ce que vous pensez de la façon dont il est transposé dans le projet de loi, et vous nous rappellerez les raisons pour lesquelles votre syndicat a décidé de ne pas le signer. À ce titre, vous pourriez nous indiquer les éléments qu’il aurait fallu que l’accord comporte pour que vous le signiez et, à l’inverse, ceux qui auraient dû ne pas y figurer.
M. Stéphane Lardy. Je tiens tout d’abord à excuser M. Jean-Claude Mailly, qui est retenu par une commission exécutive confédérale.
Force ouvrière n’a pas l’habitude de quitter les négociations. Nous pouvons ne pas approuver un texte final, mais nous restons toujours jusqu’à la fin des discussions. FO a d’ailleurs signé la plupart des accords nationaux interprofessionnels de ces dernières années et vient, très récemment, d’annoncer qu’elle signera l’accord sur les régimes de retraite complémentaire.
L’accord du 11 janvier nous paraît très déséquilibré et ne répond pas aux enjeux actuels, notamment ceux liés à l’emploi. C’est une méthode de négociation qui montre ici ses limites. Le document d’orientation contenait trop de sujets, que les partenaires sociaux ne pouvaient traiter sérieusement en trois mois. La réflexion sur certains thèmes mérite d’être approfondie.
La flexibilité – interne comme externe – existe en France depuis trente ans, et ce texte la renforce ; par ailleurs, il répond, sur de nombreux points, au vœu du patronat de voir le droit du licenciement allégé.
FO n’a pas vocation à porter l’intérêt général et nous nous abstiendrons de vous indiquer, mesdames et messieurs les députés, les positions que vous devriez prendre. La Constitution vous confère le droit d’amendement et il n’est pas dans notre intention de vous soumettre une liste des modifications que le projet devrait subir. Je me contenterai donc de soulever les points qui nous apparaissent devoir être éclaircis, ce travail ayant déjà été effectué hier avec M. Jean-Marc Germain, rapporteur du projet de loi.
J’aimerais évoquer les articles principaux et ceux qui suscitent, de notre point de vue, le plus d’interrogations. Le projet de loi n’est pas la transposition exacte de l’accord du 11 janvier et les modifications apportées contribuent à rééquilibrer le texte en faveur des salariés.
Ainsi, l’article 1er généralise la couverture complémentaire « santé », revendication formulée par l’ensemble des organisations syndicales. Or l’accord ne prévoyait pas cette généralisation, puisqu’il se contentait d’organiser une négociation d’entreprise dans le cas d’un défaut d’accord de branche en l’intégrant dans la négociation annuelle obligatoire (NAO). Cependant, celle-ci exige la présence de sections syndicales dans l’entreprise, si bien que la généralisation de la couverture complémentaire « santé » n’aurait pas pu se produire là où les syndicats sont absents. Dans le projet de loi, la généralisation est prévue au 1er janvier 2016 et elle bénéficiera aux salariés non couverts par un accord de branche ou d’entreprise.
L’article 1er traite en outre des clauses de désignation, question qui concerne certains droits fondamentaux des travailleurs. Dans le cas d’une négociation de branche d’un régime de prévoyance ou d’une complémentaire « santé », la clause de désignation permet d’attribuer l’ensemble du marché à un assureur – acteur privé, mutuelle ou institution paritaire. Elle permet de faire de la mutualisation, de la prévention et de l’action sociale. La Cour de justice de l’Union européenne a développé une jurisprudence sur la complémentaire « santé » dans le secteur de la boulangerie artisanale, dans laquelle elle a indiqué que les clauses de désignation portaient à la libre prestation de services une atteinte justifiée par les principes d’égalité de traitement et de solidarité entre les travailleurs. Sous la pression de la Fédération française des sociétés d’assurances, l’accord du 11 janvier avait interdit la clause de désignation. Le projet de loi ouvre la possibilité de prévoir des clauses de désignation, mais il nous semble qu’elles seront conditionnées à des exigences en matière de transparence, d’appel d’offres – non obligatoire en droit privé – et de cahier des charges, qui seront certes déterminées par un décret, mais qui devront être encadrées. Les clauses de désignation sont liées au droit à la négociation collective et à la capacité des organisations syndicales de déterminer les conditions de travail, ce qui renvoie au principe de liberté contractuelle. Nous veillerons donc à ce que le décret respecte le principe constitutionnel du droit à la négociation collective.
L’article 2 prévoit la création d’un compte personnel de formation, qui n’a jamais suscité d’opposition de notre part. Le groupe de travail, mis en place lors de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012, et installé au sein du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), a rendu son rapport sur cette question le 18 mars dernier. Nous ne souhaitions pas que le compte personnel de formation fasse partie de cette négociation nationale interprofessionnelle, car il s’agit d’un sujet compliqué qui nécessite notamment d’étudier les nombreuses expériences étrangères. Le compte n’étant qu’une technique de gestion, la question essentielle a trait aux éléments que l’on y fait entrer. Nous avons été surpris par l’insertion du compte personnel de formation dans l’article L. 6111-1 du code du travail – qui fixe les principes généraux de la formation professionnelle –, comme si la formation tout au long de la vie se réduisait à l’acquisition d’un compte personnel. Pourtant, un plan de formation ou un contrat de professionnalisation participent également de la formation tout au long de la vie. Réduire cette dernière à l’acquisition d’un compte personnel nous semble dangereux. Nous sommes favorables à l’insertion du principe de ce compte dans la loi, mais il convient de ne pas le codifier et de renvoyer sa mise en œuvre à la négociation entre organisations patronales et syndicales, qui, toutes, ont signé un accord en 2009. Le compte personnel entre en collision avec d’autres dispositifs – le droit individuel à la formation (DIF) et le plan de formation – et cette question n’a pas été traitée lors de la négociation. Nous souhaiterions que s’engage à ce sujet une discussion avec l’État et les collectivités territoriales, notamment les régions.
Le flou de la rédaction de cet article incite à la prudence : « chaque personne dispose, indépendamment de son statut, dès son entrée sur le marché du travail, d’un compte personnel de formation, individuel et intégralement transférable en cas de changement ou de perte d’emploi ». La personne devra-t-elle occuper un emploi pour en bénéficier ? Un salarié qui, par exemple, devient dentiste, continuera-t-il de bénéficier du compte, qui ne dépend pas de son statut ? Ce dispositif peut être très intéressant pour les salariés, mais il peut également être dangereux. Certaines expériences étrangères ont montré qu’un défaut de conception dans de tels comptes personnels pouvait renforcer les inégalités de traitement. Il convient donc de ne pas se précipiter, même si, bien sûr, le MEDEF vous invite à agir rapidement pour supprimer la trentaine d’articles du code du travail portant sur le droit individuel à la formation.
L’article 3 traite de la mobilité volontaire sécurisée, qui, en dehors de ce qui concerne les conditions d’ancienneté, ne diffère guère du dispositif du congé sabbatique, que nous souhaitions améliorer. Le projet de loi, transcrivant fidèlement l’accord du 11 janvier sur ce point, dispose que, après deux refus opposés par l’employeur à la demande de mobilité du salarié, l’accès au congé individuel de formation est de droit. Il nous paraît étonnant qu’une action de formation constitue la compensation offerte à un salarié qui a exprimé la volonté, non pas de se former, mais de quitter pour un temps son entreprise afin d’en rejoindre une autre. En outre, l’accès ouvert au salarié se voyant refuser une mobilité concerne-t-il le congé ou la formation ? Le salarié pourrait en effet utiliser un droit au congé sans suivre de formation. Ce dispositif nous semble donc pour le moins curieux.
Par ailleurs, il faut envisager le cas d’un salarié qui prend un congé de mobilité d’un an dans une autre entreprise et y rencontre des difficultés d’adaptation. S’il la quitte au bout de trois mois, que deviendra-t-il pendant les neuf mois restants, alors qu’il ne pourra bénéficier de l’assurance chômage ? Le texte ne permettant pas le retour anticipé dans l’entreprise d’origine, on ne voit pas en quoi il améliore le mécanisme du congé sabbatique.
Le projet de loi dispose que l’exécution du contrat de travail est suspendue pendant que le salarié travaille dans une autre entreprise. Un avenant au contrat de travail régit l’organisation de la période de mobilité. Mais comment pourra-t-il y parvenir, puisque le contrat de travail auquel il est attaché ne s’applique plus ? La rédaction du projet de loi mérite d’être reprise sur ce point.
À nos yeux, l’article 4 n’a pas d’autre objet que de raccourcir les délais de consultation des institutions représentatives du personnel. Il limite, de ce fait, les attributions économiques du comité d’entreprise. Si les délais ne sont pas fixés par la loi, ils pourront l’être par accord dans l’entreprise ou, à défaut, par un décret en Conseil d’État : en tout état de cause, ils ne seront pas inférieurs à quinze jours. Jusqu’à présent, ce délai commençait à la remise des documents par l’employeur. Mais, les élus du personnel ayant dorénavant accès aux documents par le biais d’une base de données, quel événement déclenchera le compte à rebours ? Dans le cadre de leur attribution économique, ce sont parfois des milliers de pages qui sont soumises aux comités d’entreprise. Certains risquent de ne plus être en mesure de remplir leurs missions en quinze jours.
L’article 4 nous pose également problème eu égard à la saisine du juge des référés. Il dispose que les membres élus du comité d’entreprise peuvent saisir le président du tribunal de grande instance. Or le code du travail confère les attributions économiques – dont la saisine du juge des référés fait partie – au comité d’entreprise, personne morale, et non à l’élu, personne physique. Le juge doit statuer dans un délai de huit jours. Imaginons qu’une procédure de consultation de quinze jours ait été lancée, le comité d’entreprise devra former la requête en référé dès le sixième jour pour obtenir sa décision avant la fin de la consultation. Mais sur quel objet le juge statuera-t-il ? Cette situation est porteuse de grandes difficultés et remet en cause l’accès effectif au juge, pourtant consacré comme principe général du droit.
J’ai évoqué la base de données. Elle opère un renversement de la responsabilité en matière d’information des institutions représentatives du personnel. La loi devrait préciser que c’est l’employeur qui procédera à la mise à jour de la base. Un comité d’entreprise pourra saisir le juge des référés pour réclamer les informations qui lui manquent, mais l’entrepreneur sera déresponsabilisé s’il a mal utilisé la base de données en n’y insérant pas l’ensemble des documents dont il disposait. D’ailleurs, la directive européenne 2002/14/CE, qui établit un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs, affirme que les données doivent être transmises par l’employeur.
Le IV de cet article 4 traite des délais de l’expertise. Là encore, fixer les expertises comptables ou techniques par accord ou, à défaut, par décret en Conseil d’État ne nous semble pas heureux. Il n’est pas rare que les expertises comptables s’étalent sur des milliers de pages. Un accord conférant dix jours au comité d’entreprise pour élaborer un avis sur la base de tels documents ne lui permettra pas d’exercer sa responsabilité. Cela ne doit pas nous étonner, car le MEDEF a la volonté d’accélérer les procédures. L’alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 est ainsi remis en cause, puisqu’il pose le principe du droit à la participation des travailleurs à la gestion de l’entreprise. Le comité d’entreprise doit donc bénéficier du temps nécessaire pour exercer sa compétence.
Le secrétaire général de Force ouvrière a écrit à M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, au sujet du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Il attend toujours une réponse, qui risque de ne parvenir qu’après le vote de la loi. Nous nous sommes étonnés que le projet de loi comporte des dispositions sur ce crédit d’impôt – en matière d’information et de consultation –, alors que ce sujet ne figurait pas dans le document d’orientation. Au titre de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, dite « loi Larcher », il aurait fallu que nous soyons sondés sur cette insertion ou, a minima, que le ministre en motive l’urgence.
Le texte remet également en cause le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ceux-ci ont à connaître des questions de mutation technologique et de réorganisation, qui donnent lieu à la rédaction de documents pouvant comporter des milliers de pages. Sur des sujets essentiels qui touchent aux conditions de travail des salariés, le raccourcissement des délais, là encore à la demande du patronat, met en danger la procédure de consultation et de contrôle, et empêche le comité de remplir sa mission. Soyez très attentifs sur les délais !
J’évoquerai très rapidement la gouvernance des entreprises, car ce sujet ne nous paraît pas porteur pour changer les rapports de production dans l’entreprise. La protection des membres du conseil d’administration nous semble mieux assurée par le code du travail que par le code du commerce – je sais que M. Jean-Marc Germain doit vérifier ce point – et le projet de loi gagnerait à être précisé sur cette question. Les règles de procédure – délai de convocation et transmission des informations – ne sont pas clairement définies et donneront peut-être lieu à l’élaboration d’un décret.
L’article 6 prétend mettre en place un dispositif de droits rechargeables dans le cadre du régime d’assurance-chômage. En réalité, il ne s’agit que de reconnaître des pratiques mises en œuvre depuis trente ans, et qui se nomment « réadmission » et « reprise de droits ».
L’article 7 pose les bases de la majoration des cotisations sociales des employeurs recourant aux contrats à durée déterminée (CDD) de courte durée. FO et la CGT ont été les premiers syndicats, en 2004, à proposer une surtaxation des contrats courts. Elle nécessitait une habilitation législative qu’offre ce texte. Le législateur, garant de l’intérêt général, confie aux partenaires sociaux le soin de majorer ou de minorer les taux de contribution au regard des politiques de l’emploi. Mais en quoi taxer un CDD d’usage à 0,5 % et ne pas le faire pour un CDD de remplacement ou saisonnier répond-il à un motif d’intérêt général ? FO avait donc proposé de taxer l’ensemble des contrats. La distinction opérée sur les motifs de recours peut porter atteinte aux principes d’égalité de traitement et de liberté d’entreprendre. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Constitution consacrent cette dernière, et le Conseil constitutionnel garantit la liberté pour le chef d’entreprise de choisir ses collaborateurs. À l’occasion de la négociation de l’avenant à la convention d’assurance-chômage, nous soulèverons cette question dans le cadre de l’agrément.
L’article 8 sur le temps partiel pourrait être intéressant s’il prévoyait moins de dérogations. Il fixe certes une durée minimale hebdomadaire de travail de vingt-quatre heures, mais le salarié peut demander à abaisser ce seuil pour faire face à des contraintes personnelles. Certains accords de branche prévoient déjà ce type de mécanisme et on est frappé du nombre de femmes qui, dans certains secteurs, ont des contraintes personnelles les amenant à « accepter » des baisses contractuelles de leur horaire de travail. En outre, le texte prévoit que la dérogation à la durée minimale de vingt-quatre heures puisse s’effectuer par une convention, un accord de branche ou par le regroupement des horaires de travail du salarié sur des journées ou des demi-journées régulières ou complètes. Peut-on prévoir une dérogation à la dérogation ? Dans l’hypothèse où la loi établit la durée minimale à vingt-quatre heures et où un accord de branche la fixe à vingt-deux heures, le contrat de travail peut-il la porter à vingt heures ?
Les compléments d’heures constituent l’une des principales revendications de la Fédération des entreprises de propreté, sachant que la majorité des salariés du secteur du nettoyage sont employés à temps partiel. Si, dans son Livre bleu 2012, cette fédération professionnelle « souhaite que l’accès à plus d’heures de travail pour les salariés à temps partiel soit facilité », elle ne veut pas que cela coûte trop cher aux entreprises. Grâce au dispositif des compléments d’heures, les avenants au contrat augmentant la durée du travail pourront se multiplier, ce qui permettra aux entreprises de ne plus majorer le paiement des heures effectuées au-delà du temps initialement prévu. Autrement dit, à peine envisage-t-on une majoration que l’on met en place l’instrument qui permet de ne pas l’appliquer. Cela ne sera pas sans conséquence sur la rémunération des salariés.
L’article 9, consacré à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, précise que les comités d’entreprise sont informés et consultés « sur le fondement des orientations stratégiques de l’entreprise. » Pourquoi pas, tant qu’on y est, sur les « principes fondamentaux des orientations stratégiques » ? Il serait tout de même plus simple d’en revenir à « la stratégie ». Les négociations ne doivent pas porter sur cette stratégie mais sur ses conséquences sur l’emploi, les rémunérations, les compétences et la formation des salariés.
Selon l’article 10, « l’employeur engage tous les trois ans une négociation portant sur les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise dans le cadre de mesures collectives d’organisation sans projet de licenciement ». Dont acte ! Il n’en demeure pas moins que le même article se termine par un alinéa consacré au licenciement des salariés qui refuseraient que leur soit appliqué l’accord issu de la négociation en question.
Par ailleurs, cet accord pose certains problèmes. Il peut d’abord s’appliquer pour une durée indéterminée. Il porte ensuite sur les limites imposées à la mobilité « au-delà de la zone géographique de l’emploi du salarié, elle-même précisée par l’accord ». Or nous estimons qu’il n’appartient pas à la négociation collective de déterminer cette zone. Un tel accord entrerait en contradiction avec les principes relatifs à la conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle, énoncés dans la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), et dans l’article 27 de la Charte sociale européenne. Nous insistons sur le fait qu’il s’agirait d’une remise en cause de la vie privée des salariés et, en conséquence, d’un véritable nid à contentieux. Et la représentation nationale ne peut pas arguer de son incompétence pour laisser cette disposition en l’état, car l’article 34 de la Constitution fait du législateur le garant des droits fondamentaux dont relève le droit à la vie privée ! Il faut enfin évoquer la procédure de licenciement individuel pour motif économique dont le salarié qui refuserait une modification de son contrat pourrait faire l’objet si l’article L. 2242-23 était introduit dans le code du travail. Cette évolution ouvrirait, elle aussi, la voie à de nombreux contentieux car, selon nous, le refus d’une modification du contrat de travail ne peut pas être la cause d’un licenciement économique : pour utiliser cette procédure, l’employeur doit avancer une cause réelle et sérieuse reposant sur un motif économique.
Finalement, alors que les plans de sauvegarde de l’emploi doivent faire l’objet soit d’un accord collectif validé par l’administration, soit d’une décision unilatérale homologuée, l’article 10 prévoit la possibilité de licencier des salariés pour motif économique sans validation ni homologation. On risque de voir un grand nombre d’employeurs utiliser le dispositif de la mobilité interne pour licencier en s’exonérant du contrôle de légalité exercé par l’administration du travail.
L’article 11 pose les bases d’un nouveau régime d’activité partielle sur lequel nous parviendrons assez rapidement à un accord avec nos homologues.
L’article 12 crée une nouvelle catégorie d’accords d’entreprise : les accords de maintien de l’emploi. Vous connaissez l’enthousiasme de notre organisation pour ce type d’accord par lequel nous considérons que le patronat cherche à s’exonérer du plan de sauvegarde de l’emploi. Il reste que la représentation nationale ne peut passer outre la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 qui, dans son article 1er, définit les licenciements collectifs de façon très précise. Le non-respect de ce texte ne serait évidemment pas sans conséquences juridiques.
Une question relative aux délais se pose concernant l’encadrement des procédures de licenciements collectifs dont traite l’article 13. À défaut d’accord collectif majoritaire, la procédure de licenciement collectif devra faire l’objet d’une homologation par l’administration. Le cabinet du ministre du travail veut nous rassurer en rappelant qu’aux vingt et un jours donnés à l’administration pour se prononcer, il faut ajouter le nouveau délai préalable de deux mois, prévu pour la consultation du comité d’entreprise. Toutefois, durant cette première étape, l’administration ne pourra évidemment pas contrôler les éléments dont elle ne disposera pas avant la réunion du comité d’entreprise – comme ceux relatifs aux obligations de l’entreprise en matière de formation, d’adaptation ou de reclassement. Sachant que certains plans sociaux comportent quelques milliers de pages, il me semble irréaliste de ne lui accorder que vingt et un jours pour apprécier un plan unilatéral de licenciement collectif et exercer un contrôle de légalité.
La procédure accélérée de recours devant la justice administrative, créée à l’article 13, nous paraît également trop rapide. On nous fait remarquer que les mêmes délais s’appliquent en matière électorale, mais il nous semble que la situation n’est pas identique.
À l’article 14, relatif à la reprise de site, j’ai déjà signalé au rapporteur un problème rédactionnel. Plutôt que de considérer qu’une entreprise « envisage un projet de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d’un établissement », il serait préférable d’écrire qu’elle « envisage une fermeture d’établissement ayant pour conséquence un licenciement collectif ».
Nous ne sommes pas favorables à la « barémisation » de l’indemnité forfaitaire versée en cas d’accord consécutif à un litige relatif au licenciement, telle qu’elle est prévue par l’article 16. Cette disposition est susceptible de remettre en cause des principes internationaux, comme celui de réparation adéquate et intégrale du préjudice, résultant de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. Elle porte aussi atteinte au principe général selon lequel le salarié ne peut pas concilier en dessous de ses droits, car le barème « fixé par décret en fonction de l’ancienneté » néglige évidemment de nombreuses autres composantes du préjudice éventuel.
L’article 16 réduit par ailleurs de trois à cinq ans le délai de prescription de l’action devant les conseils de prud’hommes en cas de non-paiement de tout ou partie du salaire. Cette disposition scandaleuse retire des droits aux salariés spoliés ; nous demandons en conséquence qu’elle soit supprimée.
À la demande de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), l’article 17 prévoit qu’un délai de un an sera accordé aux entreprises franchissant le seuil de 50 salariés « pour se conformer aux obligations récurrentes d’information et de consultation du comité d’entreprise. » On aura donc élu des représentants du personnel auxquels on demandera expressément de ne rien faire : le ridicule ne tue pas, même s’il fait parfois un peu mal ! En même temps que le patronat prétend adorer le dialogue social et le contrat collectif, il refuse que les représentants du personnel élus au comité d’entreprise exercent leurs attributions – et cela durera au moins neuf mois. Nous demandons la suppression de cette mesure, qui entre en contradiction avec le préambule de la Constitution de 1946, lequel dispose, dans son huitième alinéa, que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».
Des contrats de travail intermittents peuvent aujourd’hui être signés en cas d’accord de branche ou d’entreprise. L’article 18 met en place un dispositif expérimental afin qu’ils puissent être conclus sans accord collectif préalable dans les entreprises de moins de 50 salariés de certains secteurs d’activités « déterminés par arrêté du ministre chargé du travail » – l’annexe de l’accord du 11 janvier retient les trois secteurs de la formation, du commerce des articles de sport et des équipements de loisirs, et des détaillants de confiserie, chocolaterie, biscuiterie. Il nous semble que le champ ouvert est trop large : plutôt que de considérer l’ensemble d’un secteur, il faudrait préciser les emplois qui sont de nature à faire l’objet de ces contrats parce qu’ils comportent des périodes travaillées et d’autres qui ne le sont pas. Dans une chocolaterie industrielle, il faut faire la différence entre les activités de production qui sont par nature intermittentes – que l’on pense aux commandes de Noël ou de Pâques –, et les fonctions administratives ou commerciales de l’entreprise qui s’exercent en continu. Désigner un secteur tout entier créerait de telles différences entre des travailleurs exerçant le même métier selon l’entreprise qui les emploie qu’il serait porté atteinte au principe jurisprudentiel d’égalité de traitement entre les salariés.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Sur quels critères les trois secteurs que vous venez d’évoquer ont-ils été choisis ? Pourquoi, par exemple, l’industrie du jouet ne bénéficie-t-elle pas de ce dispositif expérimental ? L’activité saisonnière liée aux fêtes de Noël n’est pas limitée à la production de chocolat !
Sur le même sujet, l’article 18 prévoit, comme seule formalité pour signer ces contrats de travail intermittents, la consultation des délégués du personnel. Que se passera-t-il pour les commerces vendant des articles de sport, qui sont nombreux à compter moins de 10 salariés ?
L’accord du 11 janvier vise à sécuriser l’emploi, et à rassurer les employeurs qui auraient pu être dissuadés d’embaucher en raison des rigidités de la législation du travail. À vous entendre, aucun de ces deux objectifs n’est atteint. On peut toutefois se demander si l’employeur n’est pas plus « sécurisé » que l’employé.
M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Monsieur Lardy, nous avons déjà eu de nombreux échanges – hier encore, en présence du secrétaire général de votre organisation syndicale.
Contrairement à certains syndicats, FO considère que le législateur conserve son droit d’amendement. Nous partageons en conséquence une conception de la démocratie sociale qui ne place pas l’accord au-dessus de la loi. Un dialogue constructif doit s’instaurer, et la négociation doit précéder et inspirer la loi sans s’y substituer : tel est l’état d’esprit du projet de loi constitutionnelle relatif à la démocratie sociale qui vient d’être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Vous avez souligné à juste titre les progrès accomplis depuis la conclusion de l’accord du 11 janvier. La couverture complémentaire « santé » de tous les salariés est assurée par le projet de loi, alors que les négociations sur le sujet n’avaient pas abouti. Par ailleurs, le projet précise les conditions d’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi par l’administration en cas de licenciement économique collectif. Ce contrôle n’est pas anodin : il concerne des éléments aussi essentiels que les obligations de l’entreprise en termes de reclassement interne proportionnées aux moyens du groupe, ou les efforts accomplis dans le passé en matière de formation des salariés afin de les adapter aux conditions économiques. À l’article 16, une nouvelle dérogation au délai de prescription prévu par l’accord est introduite en cas d’action concernant des dommages corporels ou des faits de harcèlement moral.
Depuis des années, les rapports sur la formation professionnelle se multiplient et concluent à sa nécessaire évolution. Pourtant, alors que rien n’a bougé, vous incitez encore le législateur à ne pas se précipiter. Il nous semble qu’il est temps d’agir. Nous ne voudrions pas que de nouvelles négociations renvoient le problème aux calendes grecques. Quelles sont vos propositions en la matière ? Vous avez souhaité que l’on ne touche pas au droit individuel à la formation (DIF), mais cet excellent outil n’a pas vraiment été utilisé. Dans le cadre du futur compte personnel de formation, le salarié devra-t-il être libre de suivre la formation de son choix ou faudra-t-il lui proposer des formations spécifiques selon leur pertinence par rapport à l’économie, à moins qu’une sélection ne soit opérée par l’entreprise ou Pôle emploi ? Qui est le plus à même de prendre en charge le conseil en évolution professionnel des salariés et des chômeurs ?
Contrairement à FO, nous considérons que la nouvelle procédure de licenciement économique, élément fondateur du projet de loi, est contraignante, et qu’elle rend le licenciement plus difficile au profit de solutions de redéploiement interne comme le chômage partiel ou la signature d’un accord de maintien de l’emploi – qui constitue à mon sens une forme de chômage partiel négocié. Certains estiment que le contrôle de la réalité du motif économique, opéré par l’administration, doit être renforcé afin d’empêcher des licenciements ; d’autres considèrent que l’administration n’a pas la capacité de l’exercer correctement et que, dans ces conditions, une validation administrative constitue surtout une entrave à l’action éventuelle du juge. Qu’en pensez-vous ?
M. Gérard Cherpion. Force ouvrière a toujours su accorder au dialogue social et à la démocratie politique la place qui leur revenait. Les positions des uns ou des autres ne sont pas toujours aussi claires.
Selon vous, le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi n’est pas conforme à l’accord du 11 janvier que vous qualifiez de « déséquilibré ». Il semble toutefois que, sur un certain nombre de points, le projet de loi vous convient – je pense aux dispositions relatives à la généralisation de la couverture complémentaire « santé ».
Des droits nouveaux sont accordés aux salariés. Même si les droits rechargeables existent depuis trente ans, le projet de loi les rendra effectifs. Le compte personnel de formation, unanimement souhaité depuis longtemps, accompagnera les salariés durant leur parcours professionnel, en particulier ceux qui sont le moins qualifiés. Le DIF en constitue la première pierre, mais il faut aller plus loin – en particulier avec la future loi de décentralisation.
Monsieur Lardy, je vous remercie d’avoir souligné l’importance de la « loi Larcher » modernisant le dialogue social, qui s’applique pour la quatorzième fois.
Selon l’article 15 de l’accord du 11 janvier, le refus par un salarié d’une modification de son contrat à des fins de mobilité interne ouvre la voie à un licenciement pour motif personnel, alors que l’article 10 du projet de loi permet un licenciement économique que vous avez critiqué. Sur ce point, souhaitez-vous en conséquence en revenir à la version de l’accord ?
M. Gérard Sebaoun. Je vous remercie, monsieur Lardy, d’avoir procédé à une explication très fine de tous les articles du texte. Je retiens que l’article 1er, qui représente une avancée pour les salariés, laisse pendant le problème des retraités, des chômeurs ou des jeunes, qui ne bénéficient pas nécessairement d’une complémentaire « santé ».
D’autre part, si vous êtes favorable à ce que le texte mentionne l’existence d’une clause de désignation, je note votre réserve à l’idée qu’il oblige les entreprises à procéder à des appels d’offres. Je considère cependant que, au nom la transparence, cette précision est indispensable.
Pour ce qui est de l’article 4, je vois mal comment vous auriez pu être saisi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, inscrit dans la loi de finances rectificative votée à la fin de 2012, alors que la négociation dans laquelle vous étiez engagé a pris fin le 11 janvier 2013.
Vous vous êtes interrogé sur le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de coordination, dont le rôle est d’effectuer une expertise globale. Il réunira un membre de chaque comité de base et, à titre de personnes qualifiées – comme le médecin du travail ou l’inspecteur du travail –, des personnes dépendant du lieu où se tient cette instance. Cela peut paraître surprenant, puisqu’une personne qui travaille au siège social d’une entreprise multisites ne dispose pas toujours de tous les éléments concernant chaque site touché par la réorganisation.
Enfin, les mesures collectives d’organisation devront se faire, selon l’accord du 11 janvier, « sans réduction d’effectif » et, selon le projet de loi, « sans projet de licenciement ». Les deux rédactions ne sont pas synonymes. Pourquoi ne pas revenir à la première ?
M. Christophe Cavard. À mon tour, monsieur Lardy, je vous remercie d’avoir été très complet, ce qui nous permet de revenir sur le détail du texte.
Force ouvrière n’a pas signé l’accord du 11 janvier, mais n’avez-vous pas le sentiment que, conformément à son objectif, le projet de loi améliorera le dialogue social et donnera plus de pouvoir aux forces syndicales ?
Dans un contexte marqué par la fragilité économique des entreprises, et la difficulté pour les salariés de conserver le même métier pendant toute leur carrière, comment faut-il accompagner les reconversions et les transformations ? Faut-il insister sur la formation continue tout au long de la vie salariale ou offrir aux salariés – même si ce n’est pas sans risque – la possibilité de faire des expériences dans d’autres entreprises ?
Nous sommes prêts à amender le texte. Le débat a commencé pendant les auditions, et certains collègues nous ont reproché de vouloir trop le modifier. Pensez-vous qu’il faille aller dans ce sens ou qu’il vaudrait mieux complètement renégocier l’accord ?
Concrètement, quelles limites faut-il imposer au maintien dans l’emploi ? Chez Renault, les syndicats ont bien été obligés de prendre en compte certaines réalités de l’entreprise. Le texte prévoit que, lorsque la situation met aux prises employeurs et salariés, il faut encadrer leur face-à-face. N’est-ce pas une façon de préserver l’emploi, ou du moins de limiter l’hémorragie ?
Je ne reviens pas sur les avancées du texte, que vous avez reconnues. En revanche, je vous ai trouvé très dur en ce qui concerne les droits rechargeables. Certes, l’idée figure déjà dans la législation, mais, compte tenu des délais, certains chômeurs peuvent perdre des droits non consommés, acquis lors de la première période de chômage. En pratique, c’est donc un progrès – ou bien jugez-vous qu’il s’agit d’une fausse avancée sociale ?
Notre groupe n’a cessé de dire qu’il fallait conditionner le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Même si une représentante de la CGPME nous a assuré hier que l’employeur n’avait pas de compte à rendre, je trouve normal qu’une entreprise justifie l’utilisation de l’argent qu’elle a reçu. Quelle est votre position sur ce point ?
Quelles qu’aient pu être les réticences de votre syndicat à cet égard, le fait que les accords de branche ne s’appliqueront que s’ils sont signés par des syndicats majoritaires ne représente-t-il pas un garde-fou ?
Enfin, selon vous, est-ce une avancée que d’accorder plus de poids à l’administration du travail ?
M. le secrétaire confédéral de la CGT-FO. Monsieur Cherpion, sur la question des droits rechargeables, notre organisation est la seule à avoir formulé une proposition écrite et chiffrée. Relisez l’accord : la mesure, qui concerne essentiellement les contrats courts, coûte potentiellement 700 millions d’euros. Or elle ne doit pas creuser le déficit de l’assurance chômage, qui atteindra 19 milliards d’euros à la fin de 2013. En outre, les négociations devront commencer en septembre, puisque la convention prend fin le 31 décembre 2013. Il serait plus sage de réfléchir au moyen de mieux prendre en compte des droits rechargeables qui existent actuellement sous le nom de réadmission ou de reprise de droits.
Pour l’année, le reliquat des droits non utilisés se monte à 6 milliards d’euros. Si l’on veut équilibrer le régime de l’assurance chômage, il n’y a que deux solutions : augmenter les recettes, un point de cotisation représentant 5 milliards d’euros, ou diminuer les dépenses. La seule manière de financer le dispositif sera de taper sur les demandeurs d’emploi les moins pauvres. Voilà pourquoi nous disons que le texte ne crée en fait qu’un droit virtuel.
Je rejoins l’avis du rapporteur sur le compte de formation. Tous les cinq ans, nous entendons les mêmes doléances sur l’inefficacité de notre système de formation. Mais quel est l’objectif essentiel ? Est-ce d’avoir des chômeurs bien formés ? La problématique de l’emploi doit être prioritaire. Relisez l’accord : le compte personnel de formation n’apporte rien de plus que le DIF, puisqu’il suppose l’accord de l’employeur et ouvre droit à cent vingt heures de formation au prorata du taux d’activité. Autant dire que le texte n’introduit aucune amélioration.
Le législateur peut parfaitement nous donner six mois pour renégocier, en associant les pouvoirs publics et les régions à la concertation. Nous ne sommes pas pressés. Mais laisser le dispositif tel quel, c’est aller à la catastrophe. Nous l’avons perçu lors des débats au sein du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie et pendant la négociation. Substituer au droit individuel de formation le compte personnel de formation, c’est seulement varier la technique de gestion et la terminologie. « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, disait Jaurès, ils changent les mots. »
Pour nous, l’essentiel est de définir le public visé, sachant que, dans un premier temps, il vaut mieux, par prudence, ne pas prévoir un droit universel. Ciblons par exemple les jeunes ou les non-diplômés. De plus, puisqu’il s’agit de faciliter la transition professionnelle, le droit devra être activé prioritairement à la sortie de l’emploi, forcée ou voulue.
Il faut aussi savoir comment et grâce à quel financement il s’exercera. Qui paiera : les pouvoirs publics, l’employeur ou le salarié lui-même ? Il est paradoxal que l’accord du 11 janvier mentionne un « compte personnel de formation », alors que le salarié ne peut exercer aucun choix. Il faut établir une frontière étanche entre le compte personnel et les dispositifs du plan de formation, que l’on a tendance à confondre. Nous sommes prêts à négocier, dans le calendrier que fixera le législateur.
Sur le contrat de travail intermittent, la négociation a été folklorique. Le dernier jour de la concertation, j’ai fait remarquer à la CGPME que nous attendions depuis trois mois l’annexe détaillant les secteurs. Elle nous a fourni une liste où figuraient les auto-écoles – qui en ont disparu ensuite par magie –, ainsi que les organismes de formation, à l’exception des organismes de formation en langue. Pourquoi ? Parce que, dans ceux-ci, un accord de branche entre les organisations syndicales et patronales a mis en place le contrat de travail intermittent. Faute d’avoir pu l’imposer partout, le patronat s’est engouffré dans cette brèche.
Monsieur Cavard, s’il ne constitue pas un accord historique, je conviens que le texte a le mérite de poser la question fondamentale du rapport entre le collectif et l’individuel. En France, le droit du travail protège paradoxalement le contrat individuel tout en faisant la promotion du contrat collectif. Reste que les droits individuels ne sont pas réductibles à celui-ci. Les accords compétitivité-emploi cherchent à faire le bonheur des salariés malgré eux, ce qui n’est pas possible.
Notre organisation ne s’est jamais montrée défavorable à ces accords. J’en ai signé il y a quinze ans. Je n’avais pas le choix, puisque je travaillais dans l’industrie alimentaire pendant la crise de la vache folle. Mais il faut dire la vérité aux salariés. Ces accords, qui visent à sauver des emplois, n’y parviennent pas toujours, et ce n’est pas en réduisant les salaires qu’on favorise l’emploi. À ce jeu, on gagne au mieux deux ou trois mois. C’est ce qui s’est passé chez Renault ou à Sevelnord. Pour avancer, il faut deux jambes : on doit non seulement réorganiser le temps de travail – ce qui est très dur quand on doit faire les quatre-huit – mais aussi procéder à des investissements industriels, comme cela s’est passé tant chez Renault, avec la relocalisation d’activités automobiles, qu’à Sevelnord, avec l’entrée d’un véhicule électrique, ou à Osram, avec la fabrication des ampoules à basse tension. C’est la seule condition du succès.
Il est arrivé que certaines entreprises prennent nos délégués pour des « zozos ». Heureusement, ils savent lire un compte de résultats et un compte de bilan. En outre, ils connaissent la situation économique de l’entreprise. La fédération ou l’union départementale les aident à examiner l’accord en se demandant s’il est intéressant pour les salariés. Le plus souvent, ce n’est pas leur intérêt qui est pris en compte. Rappelez-vous ce que disait l’ancienne majorité en mai, alors que la négociation avait commencé depuis deux mois. Pour Xavier Bertrand, ministre du travail, la seule entreprise qui comptait en France était Poclain Hydraulics, parce que, 10 % des salariés ayant refusé de signer un accord réduisant le temps de travail et les salaires, il avait fallu prévoir un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). L’Union des industries et métiers de la métallurgie ne veut plus qu’on recoure à un tel plan lorsque des salariés refusent de signer les accords, mais il y a un moment où il faut préserver les droits individuels qui, je le répète, ne sont pas réductibles au contrat collectif.
La question de l’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi en cas de licenciement économique collectif mérite d’être posée. Nous considérons, comme nous l’avions proposé lors des négociations, que c’est à l’administration qu’incombe le contrôle, qui ne doit pas se cantonner aux mesures du plan et au délai des procédures. Pourtant, si un juge judiciaire n’est jamais tenu à une décision administrative, ne nous leurrons pas : quand l’administration homologue un plan social signé par des représentants majoritaires, cette décision pèse forcément sur le contentieux judiciaire.
À mon sens, l’accord manque sa cible. Il n’envisage que la situation des grandes entreprises. Or, en 2011, on a compté 952 plans de sauvegarde de l’emploi. En outre, les licenciements économiques représentent moins de 3 % des entrées à Pôle emploi. Je regrette que le débat que nous devions avoir sur les contrats courts ait été biaisé. Le principe d’une homologation par l’administration est intéressant, à condition que celle-ci ait les moyens de faire son travail, mais, après la révision générale des politiques publiques et maintenant la modernisation de l’action publique, je doute que ce soit encore le cas. Vous le constatez dans vos circonscriptions : de plus en plus de gens s’interrogent sur la capacité de l’administration à effectuer un contrôle de qualité.
En ce qui concerne les clauses de désignation, monsieur Sebaoun, nous craignons que, si l’on ferme la porte, certains n’entrent par la fenêtre. Au cours de la négociation, les fédérations patronales, qui ne voulaient plus de ces clauses, même sur les régimes de prévoyance, se sont livrées à un intense lobbying. À les entendre, il fallait tout remettre à plat, au nom de la transparence, mais celle-ci ne doit pas être confondue avec la pratique de l’appel d’offres, qui doit être réservée aux marchés publics. Pour avoir négocié certains accords de prévoyance, je sais qu’ils ne sont pas exempts de transparence, puisqu’on établit un cahier des charges, qu’on l’envoie aux opérateurs, qu’on les auditionne et qu’on choisit le meilleur d’entre eux. Le risque, avec l’accord du 11 janvier, est que l’unique critère retenu soit le prix, ce qui est grave, car certains opérateurs ont une telle surface financière qu’ils pourront se permettre de faire du dumping. C’est pourquoi nous devrons être très vigilants, et distinguer nettement la notion de transparence du principe de l’appel d’offres.
M. Cavard m’a demandé si la négociation avait permis de renforcer le dialogue social. Sur la forme, je conviens qu’elle est préférable à l’oukase, même si, après nous avoir laissé jusqu’à la fin mars pour négocier, on nous a dit qu’il vaudrait mieux finir en décembre, ce qui interdisait de traiter à fond les sujets complexes. Sur le fond, la législation actuelle prévoit qu’un accord d’entreprise ou d’établissement n’est valable que signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli 30 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles. L’accord à 50 %, que réclame le projet de loi, sera beaucoup plus difficile à obtenir. On devine ce que deviendra le dialogue social dans ces conditions. Au reste, pourquoi l’obligation de signer un accord collectif améliorerait-elle le contenu des plans sociaux ? Aujourd’hui, même si elle n’est pas formalisée par un accord collectif, la négociation existe déjà, puisque le projet présenté en début de consultation n’est jamais celui qui sera transmis à l’administration. Dès lors, qu’apporte l’accord collectif ? La seule avancée envisageable serait que l’on puisse repenser les délais.
Nul besoin de rappeler les difficultés rencontrées par nos délégués lors de la négociation de l’accord Renault. Si les accords compétitivité-emploi évitent une baisse de la rémunération, ils ne permettent pas de renouveler l’emploi. En somme, ils ne sont qu’un chantage à l’emploi. Comment résister quand on n’a le choix qu’entre une baisse de salaire de 20 % et un licenciement ?
Sur les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, je ne suis pas en mesure de répondre.
Pour conclure, je rappelle notre position. Sur le plan macroéconomique, on ne peut pas réduire la problématique de l’emploi à la question sociale. Or, au cours de la négociation, nous avons eu l’impression qu’il fallait à tout prix signer un accord, parce qu’on ne trouvait plus de solution macroéconomique. L’accord du 11 janvier qui prétend chercher « un nouveau modèle économique et social » mentionne la compétitivité avant la préservation de l’emploi, ce qui est révélateur. On connaît la rengaine de la philosophie patronale : « C’est en licenciant plus facilement qu’on embauchera plus facilement. » Mais, en Grèce, où l’on a libéralisé le marché du travail, 50 % des jeunes sont au chômage. C’est aussi le cas en Espagne. L’accord pose donc un problème de fond.
Enfin, je vous invite à regarder les chiffres de la Chancellerie. Le nombre d’actions devant les prud’hommes diminue depuis quinze ans. Seuls 3 % ou 4 % des plans de sauvegarde de l’emploi – infiniment moins nombreux que les ruptures du contrat de travail – arrivent devant la justice. Le plus grand nombre d’entrées à Pôle emploi – 130 000 par mois – sont constituées par des fins de CDD. Le patronat considère le droit du travail comme un frein. S’il cherche à déjudiciariser, c’est pour éviter que le juge – qui, après tout, est quasiment un fonctionnaire – ne se prononce sur la cause économique. Dans l’entreprise, le patronat se sent chez lui. C’est tout juste s’il admet la présence des syndicats, à la seule fin d’imposer des accords de mobilité forcée et des plans sociaux. Pour le dialogue social, en revanche, il entend s’affranchir des seuils. C’est parce que nous ne partageons pas cette philosophie que nous avons refusé de signer l’accord.
Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Lardy, je vous remercie de ces réponses si précises, et je félicite le rapporteur pour l’excellent travail qu’il a effectué en amont.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
(par ordre chronologique)
Ø Génération précaire – M. Julien Bayou, Mme Margaux Nebelsztein, et Mme Valentine Umansky, porte-parole
Ø Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) –M. Francis da Costa, président, M. Michel Fortin, vice-président et M. Bernard Abeillé, directeur général
Ø Administrateurs salariés au conseil d’administration de Thalès – M. Dominique Floch et Mme Martine Saunier, représentants élus par les salariés, M. Philippe Lépinay, représentants des salariés actionnaires
Ø Union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL) – M. Jean-Pierre Guillon, président, et M. Hervé Capdevielle, vice-président
Ø Fongecif Île-de-France – M. Patrick Frange, président, M. Vincent Pigache, vice-président, et M. Laurent Nahon, directeur général
Ø Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) – M. Luc Bérille, secrétaire général, Mme Christine Dupuis, secrétaire nationale chargée de l’économie et de l’emploi, et M. Jean Grosset, secrétaire général adjoint
Ø Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH) – M. Jean-Christophe Sciberras, président
Ø M. Henri Rouilleault, directeur général honoraire de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail
Ø M. Gérard Adam, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Ø M. Guy Carcassonne, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Paris X Nanterre
Ø Administrateurs salariés au conseil d’administration d’Orange – Mme Caroline Angeli, Mme Ghislaine Coinaud et M. Daniel Guillot, administrateurs élus par les salariés, M. Olivier Berducou, secrétaire confédéral CFDT en charge de la gouvernance d’entreprise et de RSE, et M. Jean-Luc Burgain, administrateur salarié représentant le personnel actionnaire
Ø Association française des entreprises privées (AFEP) – M. Pierre Pringuet, président, M. François Soulmagnon, directeur général, Mme Stéphanie Robert, directeur, M. Pierre-Aimery Clarke de Dromantin, directeur des affaires sociales, et Mme Odile de Brosses , directrice du service juridique
Ø Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTVL) – Mme Françoise Amat, secrétaire générale, et M. Hubert Patingre futur secrétaire général
Ø Chambre sociale de la Cour de Cassation – M. Alain Lacabarats, président, et M. Pierre Bailly, doyen
Ø Institut de l’entreprise – M. Frédéric Monlouis-Félicité, délégué général, et M. Denis Eudoxe, directeur des études
Ø Institut Montaigne – Mme Emmanuelle Barbara, avocate associée, responsable du Département droit social au Cabinet August & Debouzy, Mme Angèle Malâtre-Lansac, directrice des études, M. Charles Nicolas, responsable des affaires économiques
Ø Croissance Plus – M. Guillaume Richard, PDG-associé fondateur du Groupe O2, membre du Comité directeur et membre de la Commission Social et Emploi, Mme Florence Depret, directrice déléguée, Mme Gwennaëlle Pierre, chargée de mission relations institutionnelles
Ø Alternatives économiques – M. Guillaume Duval, rédacteur en chef
Ø Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) – M. Jean-Louis Faure, délégué général, et Mme Miriana Clerc, directrice communication et relations extérieures
Ø Union syndicale solidaire (SUD) – Mme Annick Coupé, déléguée générale
Ø Mutualité française – M. Etienne Cagnard, président et M. Jean-Martin Cohen-Solal, directeur général, Mme Isabelle Millet-Caurier, directrice des affaires publiques
Ø Professionnels de l’intérim, services et métiers de l’emploi (PRISME) – M. François Roux, délégué général, Mme Isabelle Lamalle, directrice des relations sociales, formation et emploi, Mme Martine Gomez, directeur délégué du président et présidente de la commission sociale, M. Serge Vo Dinh, président de la commission juridique, et Mme Isabelle Duc, directrice des formations
Ø Cabinet Flichy Grangé Avocats – Me Hubert Flichy, président, Mme Stéphanie Stein, vice-présidente, MM. Étienne Pujol et M. Nicolas Sauvage, avocats membres
Ø Union nationale des professions libérales (UNAPL) – M. Michel Chassang, président, Mme Marie-Françoise Gondard-Argenti, secrétaire générale, M. Gérard Goupil, président de la commission des affaires sociales et M. Romain Mifsud, délégué général
Ø Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) –M. Yves Barou, président, et M. René Bagorski, directeur du département des relations partenariales
Ø Mme Françoise Favennec-Héry, professeur de droit social à l’Université Paris II Panthéon – Assas
Ø M. Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit du travail à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne
Ø M. Dirk Baugard, professeur de droit social à l’université de Paris VIII Vincennes-Saint-Denis
Ø M. Jean-François Akandji-Kombé, professeur à l’école de droit de la Sorbonne Université Paris I, Mmes Ioanna Dragoumerli et Camille Charlot et M. Henri Ndiaye
Ø Tribunal de Commerce de Paris – M. Guy Elmalek, magistrat délégué à la prévention
Ø Union de syndicats et groupements d'employeurs représentatifs dans l’économie sociale (USGERES) – M. Sébastien Darrigrand, délégué général
Ø Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) – M. Eric Ritter, secrétaire général, M. Marc Weugue et Mme Dominique Piot, co-présidents de commission sociale, Mlle Gaëlle Kerbellec, responsable des questions sociales et de la formation
Ø M. Michel Husson, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES)
Ø M. Bernard Gazier, professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
Ø Mme Bénédicte Zimmermann, directrice de recherche à l’École des Hautes études en sciences sociales (EHESS)
Ø Mme Évelyne Serverin, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Ø M. Marc Deluzet, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès
Ø Barthélémy Avocat – Mes Jacques Barthélémy et Franck Morel
Ø Mme Rachel Saada, avocate au barreau de Paris – SCP Michel Henry
Ø Association des maires de grandes villes de France – M. Michel Destot, président, et Emmanuel Heyraud, directeur Cohésion sociale et développement urbain
Ø M. Bernard Augier, membre du conseil supérieur de la prud’homie (CGT)
Ø M. Denis Lavat membre du conseil supérieur de la prud’homie (CFTC)
Ø Mme Véronique Lopez-Rivoire et M. Michel Beaugas membres du conseil supérieur de la prud’homie (CGT-FO)
Ø M. Bernard Vincent membre du conseil supérieur de la prud’homie (CFE-CGC)
Ø Ordre national des experts comptables – M. Jean-Luc Scemana, vice-président, et Mme Sylvie Guérin, directrice de service
Ø Groupe Alpha – M. Pierre Ferracci, président et Mme Nadia Ghedifa, directrice ; Syndex – M. Jean-Paul Raillard, directeur général, et M. Jean-François Poupard, directeur
Ø Unédic – M. Vincent Destival, directeur général, M. Jean-Paul Domergue, directeur des affaires juridiques, et M. Pierre Cavard, directeur des études et statistiques
Ø Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) – M. Jacques-Henri Vandaele, président du conseil d’administration, et Mme Virginie Gorson-Tanguy, chargée de communication et de coordination
Ø Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) – M. Bernard Spitz, président, M. Jean-François Lequoy, délégué général, M. Philippe Poiget, directeur des affaires juridiques, fiscales et de la concurrence, M. José Milano, directeur des affaires sociales, Mme Véronique Cazals, conseillère du président, Mme Arielle Texier, directrice de la communication et des affaires publiques et M. Jean-Paul Laborde, directeur des affaires parlementaires
Ø Confédération française démocratique du travail (CFDT) – M. Christian Janin, secrétaire confédéral chargé du dossier de l’emploi, et M. Didier Cauchois, responsable du service juridique confédéral
Ø Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Joseph Thouvenel, vice-président
Ø Direction générale de la Compétitivité, de l'industrie et des services –M. Laurent Moquin, adjoint au chef du service de la compétitivité et du développement des PME
Ø M. Jean-François Merle, conseiller d’État, président du Conseil supérieur de la prud’homie
Ø Mouvement des entreprises de France (MEDEF) – M. Michel Maillard, et Mme Ophélie Dujarric, chargée de mission à la direction des affaires publiques
Ø Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) – M. Jean-Louis Jamet, vice-président délégué
Ø Union professionnelle artisanale (UPA) – M. Pierre Burban, secrétaire général
Ø Direction générale du travail – M. Jean-Denis Combrexelle, directeur général, Mme Annelore Coury, sous-directrice et M. Jean-Henri Pyronnet, adjoint à la sous-directrice
Ø Banque Lazard – M. Jean-Louis Beffa, président de la branche Asie
Ø Tribunal administratif de Paris – Mme Michèle de Segonzac, présidente, et Mme Laurence Helmlinger, vice-présidente de section
Ø Force ouvrière (FO) – M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général, M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral, Mme Christelle Gillard, directrice de cabinet, et Mme Sylvia Veitl, assistante confédérale
Ø Pôle emploi – M. Jean Bassères, directeur général, et Mme Garance Yayer, chargée des relations extérieures
Ø Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTVL) – Mme Danielle Kaisergruber, présidente
Ø Direction générale du trésor – Mme Claire Waysand, directrice générale adjointe, MM. David Parlongue et Nicolas Studer, adjoints au chef de bureau, Mmes Aurélie Sotura et Perrine Fréhaut, adjointes au chef de bureau, et Mme Françoise Jacquet-Saillard, cheffe de mission
Ø Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) –M. Dominique Barrau, secrétaire général, M. Clément Faurax, directeur du département des affaires sociales, Mme Muriel Caillat, sous-directeur du département des affaires sociales, et Mme Nadine Normand, chargée des relations avec le Parlement
Ø Ministère de la justice – M. Laurent Vallée, directeur des affaires civiles et du sceau, Mme Sophie Thomas, magistrate au bureau des obligations, M. Hervé Roberge, rédacteur pour le bureau du droit processuel et du droit social, M. Ronan Guerlot, magistrat au bureau du droit commercial, et Mme Gersende Soler, rédactrice pour le bureau du droit commercial
CONTRIBUTIONS ÉCRITES ADRESSÉES AU RAPPORTEUR
(par ordre chronologique des auditions, puis par ordre alphabétique)
1. Contribution de Mme Martine Saunier et M. Dominique Floch, administrateurs salariés CFDT de THALES
3. Contribution de M. Henri Rouilleault, directeur général honoraire de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail
4. Contribution de M. Gérard Adam, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
5. Contribution de Mme Ghislaine Coinaud, administratrice à France Télécom/Orange, représentant les salariés
au conseil d’administration d’Orange
16. Contribution de l’Union de syndicats et groupements d'employeurs représentatifs dans l’économie sociale (USGERES)
18. Contribution de M. Michel Husson, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES)
20. Contribution de Mme Bénédicte Zimmermann, directrice de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
21. Contribution de M. Jacques Barthélémy, avocat conseil en droit social, ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier
22. Contribution de M. Franck Morel, avocat associé, Barthélémy Avocats, ancien directeur adjoint de cabinet et conseiller de plusieurs ministres du travail
23. Contribution de M. Bernard Augier, représentant de la Confédération générale du travail (CGT) au Conseil supérieur de la prud’homie
24. Contribution de M. Denis Lavat, représentant de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) au Conseil supérieur de la prud’homie
26. Contribution de la Confédération française de l'encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC)
28. Contribution de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)
34. Contribution de la Fédération française des associations d’actionnaires salariés et anciens salariés (FAS)