N° 1400 - Rapport de M. Michel Issindou sur le projet de loi , après engagement de la procédure accélérée, garantissant l'avenir et la justice du système de retraites (n°1376)



N° 1400

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 octobre 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI garantissant l’avenir et la justice du système de retraites,

(Procédure accélérée)

PAR M. Michel ISSINDOU,

Député.

——

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 1376 et 1397.

INTRODUCTION 9

I. LES RÉFORMES DE 2003 ET 2010 ONT ÉCHOUÉ À GARANTIR L’ÉQUILIBRE DE NOS RÉGIMES DE RETRAITES EN 2020 11

A. LES RÉFORMES DE 2003 ET 2010 AVAIENT POUR OBJECTIF DE GARANTIR L’ÉQUILIBRE DES RÉGIMES À L’HORIZON 2020 11

B. LES PERSPECTIVES FINANCIÈRES PRÉSENTÉES PAR LE CONSEIL D’ORIENTATION DES RETRAITES EN DÉCEMBRE 2012 13

1. Les hypothèses démographiques et économiques 14

2. Un besoin de financement important à court terme 16

3. L’évolution du besoin de financement des retraites à long terme 18

4. Les conditions de l’équilibre présentées dans l’abaque du COR 18

C. UN SYSTÈME COMPLEXE QUI ENTRETIENT, VOIRE AGGRAVE, CERTAINES INÉGALITÉS 20

1. Un système extrêmement complexe 20

2. Un système redistributif… 22

3. … qui entretient cependant certaines inégalités 23

II. LA RÉFORME PROPOSÉE PERMET LE RETOUR À UN ÉQUILIBRE DURABLE 25

A. L’ÉQUILIBRE À COURT TERME (2020) REPOSE SUR UN EFFORT ÉQUITABLEMENT RÉPARTI ENTRE ACTIFS, RETRAITÉS ET EMPLOYEURS 25

1. Des mesures de recettes équitablement réparties 25

a) Une hausse modérée du taux des cotisations dues par les actifs et les employeurs 25

b) Un effort de solidarité raisonnable demandé aux retraités 26

c) Des économies de gestion demandées aux régimes de retraite 27

2. Des mesures de justice qui s’autofinancent à court terme 28

3. Le redressement des comptes du régime général 30

B. L’ÉQUILIBRE À LONG TERME (2040) REPOSE SUR UN ALLONGEMENT MODÉRÉ DE LA DURÉE D’ASSURANCE DANS TOUS LES RÉGIMES 30

1. Les perspectives démographiques 30

2. L’allongement de la durée d’assurance 31

III. UNE RÉFORME STRUCTURELLE QUI RENDRA NOTRE SYSTÈME DE RETRAITES PLUS JUSTE 35

A. LA PRÉVENTION ET LA COMPENSATION DE LA PÉNIBILITÉ 35

1. Les dispositifs actuels de prise en compte de la pénibilité 36

2. La loi portant réforme des retraites de 2010 a créé de nouveaux outils de prise en compte de la pénibilité, dont le bilan est en demi-teinte 37

3. Le projet de loi propose une disposition qui allie prévention et compensation de la pénibilité 40

B. LES MESURES DE SOLIDARITÉ EN FAVEUR DES FEMMES, DES JEUNES ACTIFS ET DES CARRIÈRES HEURTÉES 42

1. Améliorer la retraite des femmes 42

a) Les droits familiaux ne luttent pas assez efficacement contre les inégalités entre hommes et femmes face à la retraite 42

b) Les mesures en faveur des femmes proposées par le projet de loi 44

2. Faciliter l’acquisition de droits à la retraite pour les jeunes 46

a) Permettre aux apprentis de valider tous leurs trimestres 47

b) Encourager les rachats d’années d’études 47

c) Prendre en compte les stages ? 48

3. L’atténuation des conséquences sur la retraite des carrières heurtées 48

a) Étendre la validation des périodes de formation professionnelle et de chômage non indemnisé 48

b) L’élargissement des trimestres pris en compte dans le cadre du dispositif « carrière longue » 49

C. L’AMÉLIORATION DE LA RETRAITE DES EXPLOITANTS AGRICOLES 49

1. Des retraites agricoles encore faibles malgré une décennie d’efforts 49

2. Les leviers d’amélioration retenus 50

3. La pérennité du régime agricole 52

D. L’AMÉLIORATION DE LA RETRAITE DES TRAVAILLEURS HANDICAPÉS ET DES AIDANTS 52

1. Les pensions des personnes handicapées 52

a) Les droits actuels 52

b) Les dispositions du projet de loi 54

2. Les retraites des aidants familiaux 55

E. LES MESURES EN FAVEUR DE L’EMPLOI DES SENIORS 55

1. Bilan de la situation 56

2. Les mesures proposées par le projet de loi 57

a) L’extension de la retraite progressive 57

b) L’aménagement du cumul emploi-retraite 57

IV. UNE RÉFORME QUI POSE LES BASES D’UN PILOTAGE GLOBAL ET D’UNE SIMPLIFICATION DES RÉGIMES DE RETRAITE 59

A. LA MISE EN PLACE D’UN MÉCANISME DE PILOTAGE GLOBAL DU SYSTÈME DE RETRAITE 59

B. AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DE CERTAINS RÉGIMES 60

C. VERS UNE SIMPLIFICATION DE L’ENSEMBLE DU SYSTÈME 62

1. L’amélioration du droit à l’information 62

2. L’amélioration des règles de calcul de la retraite des polypensionnés 63

3. La mise en place d’un GIP pour coordonner la simplification inter-régimes 64

a) Le pilotage de la simplification inter-régimes 65

b) Mutualiser le service des petites pensions 65

TRAVAUX DE LA COMMISSION 67

I.- AUDITIONS ORGANISÉES PAR LA COMMISSION 67

II.- AUDITION DU MINISTRE 117

III.- EXAMEN DES ARTICLES 147

Article 1er(art. L. 111-2-1 et L. 161-17 A du code de la sécurité sociale) : Principes et objectifs de l’assurance vieillesse 147

Après l’article 1er 157

TITRE IER : ASSURER LA PÉRENNITÉ DES RÉGIMES DE RETRAITE 161

Avant l’article 2 161

Article 2 (art. L. 161-17-3 [nouveau] du code de la sécurité sociale, art. 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, art. L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite et art. L 732-25 du code rural et de la pêche maritime) : Détermination de la durée d’assurance tous régimes 167

Après l’article 2. 182

Article 3 (art. L. 114-2, L. 114-4, L. 114-4-2, L. 114-4-3 et L. 135-6 du code de la sécurité sociale) : Mécanisme de pilotage du système de retraite 188

Après l’article 3 215

Article 4 (art. L. 161-23-1, L. 341-6 et L. 816-2 du code de la sécurité sociale et art. L. 28, L. 29, L. 30, L. 30 bis, L. 30 ter, L. 34 et L. 50 du code des pensions civiles et militaires de retraite) : Report au 1er octobre de la revalorisation annuelle des pensions 223

Après l’article 4 244

Article 4 bis (nouveau) (art. L. 5552-20 du code des transports) : Modalités de revalorisation des pensions des marins 246

Après l’article 4 247

TITRE II RENDRE LE SYSTÈME PLUS JUSTE 254

Chapitre Ier : Mieux prendre en compte la pénibilité au travail 254

Avant l’article 5 254

Article 5 (art. L. 4161-1 [nouveau] du code du travail) : Fiche de prévention des expositions 255

Après l’article 5 : 269

Article 5 bis (nouveau) : Rapport du Gouvernement sur la pénibilité 270

Après l’article 5 : 271

Article 6 (art. L. 4162-1 à L. 4162-16 [nouveaux] du code du travail) : Compte personnel de prévention de la pénibilité 272

Article 6 bis (nouveau) (art. L. 1422 du code de la sécurité sociale et L. 2611 du code de l’organisation judiciaire) : Contentieux lié au dispositif de prise en compte de la pénibilité 306

Article 7 (art. L. 6111-1 du code du travail) : Abondement du compte personnel de formation par le compte personnel de prévention de la pénibilité 307

Article 8 (art. L. 4163-1 à L. 4163-4 [nouveaux] du code du travail) : Accords en faveur de la prévention de la pénibilité 309

Article 9 (art. L. 161-17-4 et L. 351-6-1 [nouveaux] du code de la sécurité sociale) : Majoration de la durée d’assurance au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité 310

Article 9 bis (nouveau) (loi n° 20101330 du 9 novembre 2010) : Requalification des mesures de la loi du 9 novembre 2010 relatives à la prise en compte d’une incapacité permanente 311

Article 10 (art. 86 et 88 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites) : Date d’entrée en vigueur des dispositions relatives à la prise en compte de la pénibilité 312

Chapitre II : Favoriser l’emploi des seniors 313

Article 11 (art. L. 351-15 du code de la sécurité sociale) : Extension de la retraite progressive 313

Article 12 (art. L. 161-22 ; L. 161-22-0-1 [nouveau] ; L. 634-6 et L. 643-6 ; L. 723-11-1 du code de la sécurité sociale et L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite) : Cumul emploi-retraite 315

Chapitre III : Améliorer les droits à la retraite des femmes, des jeunes actifs et des assurés à carrière heurtée 320

Article 13 : Préparation de la refonte des majorations de pension pour enfants 320

Après l’article 13 324

Article 13 bis (nouveau)  : Rapport sur les pensions de réversion 324

Article 14 (art. L. 351-2 du code de la sécurité sociale) : Modification des modalités d’acquisition de trimestres d’assurance vieillesse 325

Après l’article 14. 333

Article 15 (art. L. 351-1-1, L. 634-3-2, L. 643-3 et L. 723-10-1 du code de la sécurité sociale et art. L. 732-18-1 du code rural et de la pêche maritime) : Élargissement des trimestres réputés cotisés pour le bénéfice de la retraite anticipée pour carrière longue 335

Article 16 (art. L. 351-14-1, L. 634-2-2, L. 643-2 et L. 723-10-3 du code de la sécurité sociale, art. L. 9 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite et art. L. 732-27-1 du code rural et de la pêche maritime) : Aide au rachat d’années d’études à destination des jeunes actifs 340

Après l’article 16 344

Article 17 (art. L. 6243-2 et L. 6243-3 du code du travail et art. L 135-2 du code de la sécurité sociale) : Prise en compte des périodes d’apprentissage au titre de l’assurance vieillesse 352

Article 18 (art. L. 135-2 et L. 351-3 du code de la sécurité sociale) : Validation des périodes de formation des demandeurs d’emploi 356

Article 19 (art. L. 742-6 du code de la sécurité sociale et L. 722-17 du code rural et de la pêche maritime) : Amélioration des droits à pension des conjoints collaborateurs 358

Chapitre IV : Améliorer les petites pensions des non-salariés agricoles 360

Article 20 (art. L. 732-54-1 du code rural et de la pêche maritime) : Suppression de la condition de 17 ans et demi pour bénéficier de la pension majorée de référence au régime des non-salariés agricoles 360

Après l’article 20 361

Article 21 (art. L. 732-56, L. 732-60, L. 732.62 du code rural et de la pêche maritime) : Mesures relatives au régime complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles 362

Article 22 (art. L. 732-63 et L. 732-54-3-1 nouveaux du code rural et de la pêche maritime) : Mise en œuvre de la garantie « 75 % du SMIC » pour les exploitants agricoles 365

Après l’article 22 367

Chapitre V : Ouvrir des solidarités nouvelles en faveur des assurés handicapés et de leurs aidants 369

Article 23 (art. L. 351-1-3, L. 634-3-3, L. 643-3 et L. 723-10-1 du code de la sécurité sociale, art. L. 732-18-2 du code rural et de la pêche maritime et art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires) : Élargir l’accès à la retraite anticipée pour les travailleurs handicapés 369

Article 24 (art. L. 351-8 du code de la sécurité sociale, art. L. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite et art. 21 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites) : Extension de l’obtention de la retraite à taux plein dès l’âge légal pour les tous assurés justifiant de 50 % de taux d’incapacité permanent 372

Article 25 (art. L. 381-1, L. 753-6, L. 634-2, L. 643-1-1, L. 723-10-1-1 du code de la sécurité sociale, L. 732-38 du code rural et de la pêche maritime, art. L. 351-4-2 nouveau du code de la sécurité sociale) : Mieux reconnaître les droits à l’assurance vieillesse des aidants familiaux de personnes handicapées ou de personnes âgées dépendantes 374

TITRE III : SIMPLIFIER LE SYSTÈME ET RENFORCER SA GOUVERNANCE 375

Chapitre Ier : Simplifier l’accès des assurés à leurs droits 375

Article 26 (art. L. 161-17 du code de la sécurité sociale) : Création d’un compte individuel de retraite en ligne 375

Article 26 bis (nouveau) (art. L. 8157 du code de la sécurité sociale) : Amélioration de l’information des personnes éligibles à l’allocation de solidarité aux personnes âgées 379

Article 27 (art. L. 161-17-1, L. 161-1-6, L. 161-1-7, L. 161-17-1-1 [nouveau] et L. 161-17-1-2 [nouveau] du code de la sécurité sociale) : Création d’une Union des institutions et services de retraite 381

Article 27 bis (nouveau) (art. L. 6, L. 7, L. 24 et L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite et article L. 161 17 2 du code de la sécurité sociale) : Réduction à deux ans de la durée des services effectifs nécessaire pour obtenir une pension militaire 386

Article 28 (art. L. 173-1-2 [nouveau] du code de la sécurité sociale) : Calcul unifié de la retraite des polypensionnés des régimes alignés 388

Article 29 (art. L. 161-22-2 [nouveau], L. 173-1-3 [nouveau] et L. 351-9 du code de la sécurité sociale) : Mutualisation du service des petites pensions 392

Article 29 bis (nouveau) : Rapport sur l’application des conventions bilatérales en matière de retraites 395

Chapitre II : Améliorer la gouvernance et le pilotage des caisses de retraites 396

Article 30 : Organisation d’un débat annuel sur les orientations de la politique des retraites dans la fonction publique 396

Après l’article 30 398

Article 31 (art. L. 732-58, L. 732-59, L. 732-60 et L. 732-58-1, L. 732-60-1 nouveaux du code rural et de la pêche maritime) : Pilotage du régime complémentaire obligatoire du régime des non-salariés agricoles 398

Après l’article 31 400

Article 32 (art. L. 641-2, L. 641-5 du code de la sécurité sociale création des articles L. 641-3-1, L. 641-4-1 et L. 641-7 du code de la sécurité sociale) : Évolution des caisses des professions libérales 401

Article 33 (art. L. 137-11 du code de la sécurité sociale) : Externalisation des régimes à prestations définies mis en place par l’employeur 414

Après l’article 33 416

Article 34 : Habilitation à prendre par ordonnance les mesures d’harmonisation nécessaires à Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte 417

TABLEAU COMPARATIF 419

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 521

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 523

INTRODUCTION

Notre système de retraite par répartition connaît aujourd’hui un déséquilibre structurel qui met en péril sa pérennité.

Les réformes de 2003 et 2010, qui prétendaient garantir l’équilibre à l’horizon 2020, ont échoué, et la crise économique de ces dernières années a laissé des traces durables dans les comptes des régimes.

La conjugaison de l’arrivée à l’âge de la retraite des premières générations du baby-boom et de l’allongement de l’espérance de vie va sensiblement dégrader le rapport démographique entre actifs et retraités.

Face à cette situation, le rétablissement de l’équilibre des régimes est une exigence vis-à-vis des jeunes générations, à la fois pour ne pas reporter sur elles les déficits actuels et pour les assurer qu’elles bénéficieront elles aussi d’un taux de remplacement satisfaisant.

Pour conduire cette réforme, le Gouvernement a suivi une méthode en trois temps – le diagnostic, la concertation, la décision – gage de transparence et d’efficacité. La feuille de route arrêtée à l’issue de la grande conférence sociale de juillet 2012 a prévu une phase de diagnostic comprenant un état des lieux de notre système de retraite et de ses perspectives financières réalisé par le Conseil d’orientation des retraites (COR), puis un examen par une commission composée de personnalités qualifiées indépendantes chargée de formuler des propositions.

Le onzième rapport du COR publié en décembre 2012 présente les projections financières 2020, 2040 et 2060, et le douzième rapport de janvier 2013 dresse un état des lieux qualitatif de nos systèmes de retraites. Le rapport de la commission pour l’avenir des retraites, présidée par Yannick Moreau, formule un certain nombre de propositions visant à garantir la pérennité financière du système de retraites tout en le rendant plus juste.

Cette phase de diagnostic a permis de préparer la concertation avec les partenaires sociaux qui a eu lieu pendant l’été. Le Gouvernement a ensuite pris ses responsabilités et élaboré le projet de loi qui vous est soumis.

Ce texte poursuit trois objectifs : l’équilibre, l’équité et la simplification.

Il propose des mesures de recettes équitablement réparties, permettant de rétablir l’équilibre des régimes de retraite à court terme sans brutalité pour les générations proches de la retraite, et une correction de la trajectoire financière sur le long terme, grâce à un allongement de la durée d’assurance modéré et progressif. En outre, le projet de loi met en place un mécanisme de pilotage visant à alerter le Gouvernement et la représentation nationale en cas d’écarts par rapport à la trajectoire de redressement des comptes des régimes de retraite, et à proposer des mesures de correction au fil des ans. Il s’agit de mettre un terme à cette succession de grandes réformes anxiogènes, à chaque fois présentées comme définitives.

L’effort de redressement s’accompagne de mesures de justice visant notamment à améliorer les pensions des femmes et à faciliter l’acquisition de droits pour les jeunes générations.

Mesure phare du présent projet de loi, la prise en compte de la pénibilité, et non de l’invalidité, dans l’acquisition des droits à la retraite constitue une avancée majeure.

Enfin, parce que la confiance repose sur la transparence, le présent projet de loi vise aussi à simplifier le système, en particulier pour les polypensionnés, et à rapprocher les régimes à travers la mise en place d’une structure chargée de coordonner les projets de simplification.

Telles sont les lignes directrices de cette réforme responsable et équitable.

I. LES RÉFORMES DE 2003 ET 2010 ONT ÉCHOUÉ À GARANTIR L’ÉQUILIBRE DE NOS RÉGIMES DE RETRAITES EN 2020

La loi du 21 août 2003 (1) avait pour objectif de préserver l’équilibre de notre système de retraites jusqu’en 2020, par les mesures suivantes :

– alignement de la durée de cotisation de la fonction publique sur celle du régime général (2), de 37,5 à 40 annuités en 2008 ;

– augmentation progressive, à partir de 2008, de la durée de cotisation en fonction de l’allongement de l’espérance de vie, de façon à maintenir constant le rapport entre la durée de la vie active (deux tiers) et la durée moyenne de la retraite (un tiers), par génération (principe générationnel) : ainsi, la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une retraite à taux plein est passée de 160 trimestres (40 ans) pour la génération née en 1948, à 166 trimestres (41,5 ans) pour les générations nées en 1955 et 1956 ; ce mouvement devait se poursuivre jusqu’en 2020 avec la génération 1960 (à cette date, selon les projections disponibles, la durée d’assurance devrait atteindre 167 trimestres, soit 41,75 ans) ;

– indexation des pensions des fonctionnaires sur les prix, et non plus sur l’indice de la fonction publique ;

– incitations à l’emploi des seniors : instauration d’une surcote pour les personnes ayant atteint l’âge d’ouverture des droits et continuant à travailler au-delà de la durée d’assurance requise pour le taux plein, extension de la décote à la fonction publique pour les personnes liquidant leur retraite avant d’avoir rempli ces conditions, report de 60 à 65 ans de l’âge auquel un employeur peut mettre un salarié à la retraite d’office, limitation des préretraites.

Contrepartie de l’allongement de la durée de cotisation, la loi de 2003 a prévu un dispositif de prise en compte des carrières longues, permettant aux salariés ayant commencé à travailler entre 14 et 16 ans et ayant validé deux ans de plus que la durée de cotisation requise pour leur génération de liquider leur retraite à taux de plein de façon anticipée, avant 60 ans. Ce dispositif a connu un succès plus important que prévu, ce qui a atténué l’impact positif de la réforme sur les comptes des régimes de retraite, l’âge effectif moyen de départ en retraite diminuant dans le régime général après la réforme.

La réforme des régimes spéciaux de retraites a été conduite par le pouvoir réglementaire en 2008. Elle vise à aligner progressivement certains paramètres des régimes spéciaux (3) sur celui de la fonction publique. La durée d’assurance dans les régimes spéciaux est progressivement relevée de 37,5 à 40 ans en 2012, puis elle évolue comme celle des fonctionnaires, avec quelques années de décalage (166 trimestres en 2016). Le taux de cotisation est augmenté. À partir de 2009, les pensions sont indexées sur l’évolution des prix, et non plus des salaires des agents en activité. Enfin, sont instaurées la décote et la surcote. En revanche, l’âge d’ouverture des droits, propre aux régimes spéciaux, est maintenu. Si cette réforme conduit à ce que l’âge effectif moyen de départ recule peu à peu dans les régimes spéciaux, elle a un impact financier limité en raison des contreparties accordées aux salariés. Quoi qu’il en soit, le déficit de ces régimes s’explique essentiellement par leur déséquilibre démographique très important.

La réforme de 2003 n’a pas atteint son objectif d’équilibre en 2020. Le régime général est devenu déficitaire dès 2005, pour atteindre – 11 milliards d’euros en 2010. Dans son rapport d’avril 2010, élaboré dans le contexte de la crise économique et financière ayant débuté en 2008, le Conseil d’orientation des retraites (COR) estimait à 45 milliards d’euros en 2020 le besoin de financement de l’ensemble du système de retraites dans son scénario démographique et économique médian.

La loi du 9 novembre 2010 (4) était à nouveau censée garantir l’équilibre de l’ensemble du système de retraites en 2020 (et dès 2018), grâce à un ensemble de mesures d’économies et de recettes rapportant 45 milliards d’euros. En revanche, elle ne permettait pas de ramener le régime général à l’équilibre : déjà en 2010, on prévoyait un déficit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) de près de 4 milliards d’euros à cet horizon. Par ailleurs, elle ne visait pas à garantir l’équilibre du système au-delà de 2020.

La mesure phare de la loi de 2010 est le relèvement, sur une période assez courte et sans préavis, de l’âge d’ouverture des droits de 60 à 62 ans et de l’âge du taux plein de 65 à 67 ans à compter de la génération 1955, pour les salariés et non-salariés du secteur privé et pour la fonction publique (sauf pour les catégories actives, dont les bornes d’âge, plus basses, sont relevées de 2 ans, tout comme celles des régimes spéciaux à partir de 2017). Au total, en prenant en compte les conséquences pour les régimes complémentaires, les mesures d’âge de la réforme de 2010 devaient rapporter 20 milliards d’euros.

La réforme de 2010 a poursuivi, par ailleurs, la convergence entre la fonction publique et le régime général, à travers l’augmentation du taux de cotisation de fonctionnaires, la convergence du minimum garanti et du minimum contributif, la suppression de la possibilité de départ anticipé après 15 ans de services pour les mères de trois enfants. L’ensemble de ces mesures devait représenter une économie de 4,9 milliards d’euros en 2020.

La diversification des ressources du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) devait permettre de rapporter 4,6 milliards d’euros en 2020 de nouvelles recettes fiscales et sociales.

Enfin, était organisé le transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) des dettes passées de la CNAV ainsi que de son déficit annuel jusqu’en 2018, année du retour à l’équilibre, moyennant le report à 2025 de l’amortissement total de la dette sociale. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a prévu le transfert courant 2011 d’un montant maximal de 68 milliards d’euros et le financement de la reprise progressive à compter de 2012 des déficits 2011 à 2018 de la branche vieillesse du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), dans la limite de 10 milliards d’euros par an et de 62 milliards d’euros au total.

Après deux années de reprise en 2010 et 2011, la croissance fut à nouveau nulle en 2012. L’augmentation du chômage pesant sur les comptes du FSV et réduisant l’assiette des cotisations vieillesse, il faudra finalement prendre de nouvelles mesures dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, qui prévoit une accélération du calendrier de report de l’âge légal de la retraite.

Les lois de finances rectificative du 16 août 2012 et de financement de la sécurité sociale pour 2013, ainsi que le décret du 2 juillet 2012 (5) ont apporté de nouvelles recettes substantielles au régime général et au FSV, permettant de redresser leurs comptes en 2012 et 2013.

Toutefois, les perspectives financières présentées par le Conseil d’orientation des retraites en décembre 2012 ont montré que, malgré la réforme de 2010 et les mesures d’urgence prises en 2012, le système ne s’équilibrerait pas à l’horizon 2020. La durée et l’ampleur de la crise déclenchée en 2008 pèsent fortement sur les comptes des régimes et viennent s’ajouter aux effets de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations du baby-boom, rendant encore plus difficiles le retour à un équilibre durable – ce que ne cherchait déjà pas à atteindre la réforme de 2010.

Le rapport du COR de décembre 2012 (6) présente les perspectives financières actualisées pour 2020, 2040 et 2060, des régimes de retraite suivants.

Régimes de retraite participant à l’exercice de projections du COR en 2012

Régimes de salariés du secteur privé et de contractuels du secteur public

• Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV)

• Régime des salariés agricoles (MSA salariés)

• ARRCO, AGIRC, IRCANTEC

Régimes de fonctionnaires

• Fonction publique d’État : service des retraites de l’État (SRE)

• Fonction publique hospitalière et territoriale (CNRACL)

• Régime additionnel de la fonction publique (RAFP)

Régimes de non-salariés

• Artisans et commerçants : régime social des indépendants (RSI) et complémentaire des indépendants (RCI)

• Non-salariés agricoles : régime de base et complémentaire (MSA non-salariés)

• Professions libérales : régime de base (CNAVPL) et régimes complémentaires (CIPAV, CARPIMKO, CARMF, CARCDSF, CAV [partie en répartition], CAVEC, CAVAMAC, CARPV, CRN, CAVOM)

• Avocats : caisse nationale du barreau français (CNBF), base et complémentaire (présentés ensemble)

Régimes spéciaux

Banque de France, CNIEG (industries électriques et gazières), CRPCEN (clercs et employés de notaire), ENIM (marins), FSPOEIE (ouvriers de l’État), Retraite des mines, SNCF, RATP

Source : Conseil d’orientation des retraites.

Le COR prévoit une dégradation des comptes jusqu’en 2016, puis une stagnation à un niveau élevé de déficit, aux alentours de 21 milliards d’euros jusqu’en 2020, soit 0,9 point de PIB. Ensuite, les trajectoires divergent selon les hypothèses.

Les projections du COR reposent sur des hypothèses démographiques et économiques. Les premières sont celles du scénario central d’évolution de la population de l’INSEE. Une part des incertitudes est levée car les actifs de 2035 sont déjà nés ; pour la suite, l’INSEE retient un indice de fécondité constant de 1,95 enfant par femme à long terme. Restent le solde migratoire, supposé constant à 100 000 personnes par an par l’INSEE, et la mortalité. L’espérance de vie à la naissance en 2060 est estimée à 91 ans pour les femmes et 86 ans pour les hommes.

Les projections sont réalisées à législation inchangée : seules sont prises en compte les dispositions en vigueur. En particulier, il est supposé que la durée d’assurance requise pour une retraite à taux plein augmente, selon le principe défini en 2003, jusqu’à la génération 1960 en fonction des gains d’espérance de vie à 60 ans, et n’évolue plus au-delà. Compte tenu des projections de l’INSEE, la durée d’assurance est fixée à 41,75 ans pour la génération 1960 (en fait, dès la génération 1958) et donc pour toutes les générations suivantes.

Le COR estime ainsi que l’âge moyen de liquidation passerait de 62 ans pour les nouveaux retraités en 2011 régime général à 64 ans sur la période 2035-2060. Ces données, combinées à l’évolution prévisionnelle des salaires, permettent aussi d’établir l’évolution de la pension moyenne.

S’agissant des hypothèses économiques, le COR a établi cinq scénarios (A, A’, B, C, C’) plus ou moins optimistes. Le Gouvernement a choisi de retenir le scénario moyen, dit « scénario B », détaillé dans le tableau suivant. Si l’évaluation des besoins à court terme (2020) reste proche quel que soit le scénario retenu, les montants varient davantage à moyen et long terme.

Hypothèses économiques du scénario B

(taux de croissance moyen en % par an)

 

2011-2020

2020-2030

2030-2040

2040-2050

2050-2060

Population active

0,3

0,2

0,1

0,1

0,1

PIB volume

1,6

1,9

1,6

1,6

1,6

Productivité apparente du travail par tête

0,9

1,5

1,5

1,5

1,5

Salaire par tête réel

0,7

1,5

1,5

1,5

1,5

 

2020

2030

2040

2050

2060

Taux de chômage

7,6

4,8

4,5

4,5

4,5

Source : Conseil d’orientation des retraites.

Les hypothèses retenues sont réalistes. Le taux d’augmentation de la productivité de 1,5 % est plus faible que la productivité constatée avant la crise : entre 1997 et 2008, la productivité horaire du travail a progressé de 1,8 % en moyenne en France.

Sur la période 2013-2020, le taux de chômage recule pour atteindre 7,9 % en 2020. C’est un taux réaliste par rapport à la sortie de la crise économique actuelle, et qui doit traduire le résultat de la politique volontariste du Gouvernement.

Si l’hypothèse d’un taux de chômage à 4,5 % à long terme peut paraître optimiste à certains, il serait difficilement concevable que l’on se résigne à avoir 8 % ou 10 % de chômage à long terme ! Le redressement du système de retraites passe en partie par le redressement du taux d’emploi des actifs.

Il faut aussi rappeler que le taux de chômage influe beaucoup moins fortement que la productivité sur les comptes des régimes de retraite. En effet, une différence de taux de chômage ne joue que sur le niveau annuel des cotisations, tandis qu’une différence de productivité a des effets cumulatifs sur le niveau des salaires et donc des cotisations à moyen et long terme.

Néanmoins, pour 2013 et 2014, les hypothèses économiques du COR ont été actualisées par le Gouvernement pour prendre en compte la révision des perspectives de croissance du PIB et de la masse salariale présentées dans le cadre du programme de stabilité 2013-2017 en avril dernier. Cette dégradation produit des effets, non seulement sur la période considérée, mais également à moyen terme.

Selon le rapport de la commission Moreau, ces modifications conduiraient à une dégradation de la trajectoire de l’ordre de 1,5 milliard d’euros en 2013 à 2 milliards d’euros en 2020, en l’absence de rattrapage des points de croissance perdus.

Les projections sur la période 2014-2020 montrent que malgré une amélioration progressive du solde des régimes non équilibrés par une subvention (7), l’équilibre ne sera pas atteint en 2020.

Par rapport aux projections réalisées avant la réforme de 2010, ces perspectives apparaissent cependant moins dégradées. Le besoin de financement était alors estimé à entre 40 et 50 milliards d’euros en 2020 selon les scénarios retenus. L’amélioration du solde s’explique d’abord par les effets des mesures de la réforme de 2010, par l’accord AGIRC-ARRCO du 18 mars 2011, et par les nouvelles mesures de recettes prises en 2012. En outre, par convention, il a été décidé de figer le taux de cotisation implicite de l’État employeur à son niveau de 2011, et non plus à son niveau de 2000, ce qui minore de 0,7 point de PIB le besoin de financement des régimes de la fonction publique en 2020.

Toutefois, les régimes sont marqués par la crise qui s’est poursuivie entre 2011 et 2013. L’amélioration progressive escomptée jusqu’à la fin de la décennie ne permettra pas de rattraper les effets de la crise.

Par rapport aux estimations du COR publiées en décembre 2012 et mars 2013 (pour les projections détaillées par régime), il convient de tenir compte de l’accord national interprofessionnel du 13 mars 2013 qui aura pour effet de minorer le besoin de financement des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO de 4,2 milliards d’euros en 2020, à travers trois mesures :

– l’augmentation des taux de cotisation de 0,2 point ;

– la limitation des revalorisations des pensions en 2013, 2014 et 2015 ;

– la fixation de la valeur d’achat du point suivant les règles de la valeur de service du point en 2014 et 2015.

Le tableau ci-dessous présente les projections par régime du COR, réalisées en mars 2013 (avant accord AGIRC-ARRCO et avant révision des perspectives de croissance par le programme de stabilité).

Besoin de financement tous régimes d’ici 2020

(en millions d’euros)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Régimes de base non équilibrés par l’État

Régime général (RG)

– 5,0

– 3,8

– 3,9

– 4,2

– 4,3

– 4,7

– 4,5

– 4,9

– 5,3

FSV

– 4,0

– 2,4

– 2,6

– 2,0

– 1,2

– 0,6

0,1

0,8

1,6

RG + FSV

– 9,0

– 6,2

– 6,5

– 6,2

– 5,5

– 5,2

– 4,4

– 4,1

– 3,7

CNRACL

03,

0,0

0,2

– 0,2

– 0,5

– 0,5

– 0,6

– 0,7

– 0,9

Exploitants agricoles

– 1,1

– 0,6

– 0,5

– 0,5

– 0,6

– 0,1

– 0,1

0,1

0,2

CNAVPL

– 0,3

– 0,2

– 0,1

– 0,2

– 0,2

– 0,1

– 0,2

– 0,2

– 0,2

RSI

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

0,0

Autres régimes de base non équilibrés

– 0,2

– 0,2

– 0,3

– 0,4

– 0,4

0,3

– 0,3

– 0,3

– 0,2

Régimes de base équilibrés par subvention de l’État

Fonction publique d’État

– 2,4

– 3,8

– 4,7

– 5,4

– 6,0

– 6,4

– 6,8

– 7,0

7,0

SNCF

0,0

0,0

– 0,1

– 0,2

– 0,3

– 0,3

– 0,3

– 0,1

0,0

RATP

0,0

– 0,1

– 0,1

– 0,1

– 0,1

– 0,1

– 0,1

– 0,1

– 0,1

Autres régimes équilibrés par l’État

– 0,4

– 0,7

– 1,0

– 1,2

– 1,3

– 1,3

– 1,4

– 1,4

– 1,5

Régimes complémentaires

AGIRC-ARRCO

– 4,7

– 4,6

– 5,8

– 6,2

– 7,0

– 7,1

– 7,7

– 8,1

– 8,3

IRCANTEC

0,1

0,1

0,2

0,3

0,3

0,4

0,3

0,3

0,3

RCI

0,4

0,4

0,3

0,3

0,2

0,2

0,2

0,2

0,2

CNAVPL complémentaire

0,5

0,5

0,4

0,3

0,2

0,1

0,1

0,0

0,0

Autres régimes complémentaires

0,1

0,1

0,1

0,1

0,1

0,1

0,1

0,1

0,1

Tous régimes (Maquette COR)

– 15,8

– 15,0

– 17,7

– 19,3

– 20,8

– 20,2

– 21,0

– 21,3

– 20,9

Source : Rapport de la Commission pour l’avenir des retraites, d’après les projections du COR de mars 2013.

Compte tenu de la révision des projections consécutive à la présentation du programme de stabilité et à l’accord AGIRC-ARRCO de mars 2013, le besoin de financement total en 2020 s’élève à 20,7 milliards d’euros dont :

– 7,6 milliards pour le régime général, le FSV et les régimes de base non équilibrés par une subvention de l’État ;

– 4,4 milliards d’euros pour les régimes complémentaires qui sont gérés par les partenaires sociaux ;

– 8,7 milliards d’euros pour le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux qui sont équilibrés par l’État.

À moyen et long terme, les scénarios divergent, d’un excédent de 0,5 % de PIB pour le scénario le plus optimiste (A’) à un déficit de 2,7 % de PIB pour le scénario le plus pessimiste (C’), avec des rendements AGIRC-ARRCO constants (8).

Dans le scénario B retenu par le Gouvernement, les déficits croissent jusqu’aux alentours de 2035 avant de s’infléchir, grâce à la fin du « papy-boom » et à l’augmentation de la population en âge de travailler. En proportion du PIB, ils se stabilisent entre 2030 et 2040 à -0,9 %, ce qui représenterait 29 milliards d’euros en 2040.

Au-delà de 2040, le scénario B conduit à une diminution progressive du déficit en proportion du PIB, sans arriver jusqu’à l’équilibre en 2060 (-0,6 % du PIB environ à cette date) – sauf en cas de rendements AGIRC-ARRCO décroissants (+0,2 % du PIB).

Ces hypothèses restent très incertaines. En effet, le système de retraite est très sensible au niveau de la croissance économique. Lorsque la croissance est soutenue, les pensions, revalorisées sur les prix, décrochent du niveau des salaires et des ressources des régimes. En revanche, en période de crise, les ressources des régimes stagnent voire diminuent alors que les pensions restent réévaluées de la même manière. Ainsi, selon les scénarios, les projections du COR à long terme divergent fortement.

À l’horizon 2020, dans le scénario B avec rendements constants des régimes complémentaires, si l’on choisit de ne jouer que sur un seul levier, l’équilibre peut être obtenu par une des mesures suivantes :

– augmentation des prélèvements obligatoires de 1,1 point par rapport au taux projeté en 2020, soit 1,8 point au-dessus du niveau de 2011 ;

– diminution du rapport entre pension moyenne nette et revenu moyen net de 5 % par rapport à 2011 ;

– augmentation de 9 mois de l’âge effectif moyen de départ à la retraite par rapport au processus en cours, soit 1 an et 9 mois par rapport à 2011.

Pour atteindre l’équilibre en 2040, si tout l’ajustement se faisait sur un seul des trois leviers, en tenant compte de la hausse projetée de deux ans de l’âge effectif moyen de départ par rapport à 2011, il faudrait :

– soit une hausse du taux de prélèvement global apparent de 5 points par rapport au taux projeté en 2040, ce qui le porterait à 34,4 % des salaires bruts ;

– soit une baisse du rapport entre la pension nette moyenne et le revenu d’activité net moyen de 20 % par rapport à 2011 ;

– soit un décalage supplémentaire de l’âge effectif moyen de départ à la retraite d’un peu plus de 4 ans, c’est-à-dire un décalage de 6 ans par rapport à 2011.

Enfin, pour 2060, si l’on ne joue que sur un seul paramètre, il faudrait, pour atteindre l’équilibre :

– soit une hausse du taux de prélèvement global apparent de 6,2 points par rapport au taux projeté en 2060, ce qui le porterait à 35,3 % des salaires bruts ;

– soit une baisse du rapport de la pension nette moyenne au revenu d’activité net moyen de 25,3 % ;

– soit un décalage supplémentaire de l’âge effectif moyen de départ à la retraite d’un peu plus de 5 ans, c’est-à-dire un décalage total d’environ 7 ans par rapport à 2011.

Ces résultats sont à nuancer dans la mesure où le décalage de l’âge indiqué correspond à l’hypothèse où le niveau relatif des pensions serait maintenu à son niveau de 2011, alors que les réformes passées vont contribuer à le diminuer par rapport à ce niveau en 2040 ou 2060. Si l’on tient compte de ce phénomène, les décalages de l’âge effectif moyen de départ nécessaires pour équilibrer le système en 2040 ou 2060 sont moindres.

Dans son rapport de janvier 2013 (9), répondant à la feuille de route arrêtée par le Gouvernement à la suite de la conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012, le COR a dressé un état des lieux de notre système de retraites, à l’aune des objectifs qui lui ont été assignés.

Fruit de la construction progressive de la protection sociale en France, notre système obligatoire de retraites se caractérise par une multiplicité de régimes de base auxquels s’ajoutent des régimes complémentaires structurés en fonction de critères d’appartenance socioprofessionnelle et financés en répartition. Pourtant, l’ordonnance du 4 octobre 1945 instituant la sécurité sociale reposait sur les principes d’unité des institutions et d’universalité des risques (10).

Il existe une vingtaine de régimes de base (sans compter certains régimes comportant un nombre très limité d’assurés), qui peuvent être regroupés en trois ensembles :

– les régimes des salariés du secteur privé et des contractuels du secteur public, comprenant le régime général géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAV) et le régime des salariés agricoles, géré par la Mutualité sociale agricole (MSA) et aligné sur le régime général ;

– les régimes de non-salariés qui comptent 10 % des actifs : le Régime social des indépendants (RSI) qui gère la retraite des artisans et commerçants, le régime des non-salariés agricoles géré par la MSA, le régime des professions libérales géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), le régime des avocats géré par la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) ; le COR y adjoint la Caisse d’assurance vieillesse des cultes (CAVIMAC) ;

– les régimes des trois fonctions publiques et les régimes spéciaux, auxquels appartiennent 20 % des actifs ; ce sont des régimes intégrés, qui ne distinguent pas retraite de base et retraite complémentaire (11).

Les régimes complémentaires obligatoires sont gérés par les partenaires sociaux.

Enfin, les retraites de base et complémentaires peuvent être complétées par l’épargne retraite individuelle ou collective, « étage » facultatif du système, qui s’ajoute aux deux premiers mais ne s’y substitue pas.

À la multiplicité des régimes s’ajoute la diversité des règles d’acquisition et de valorisation des droits à retraite et des paramètres de calcul de la pension. À l’exception des régimes de base des professions libérales et des non-salariés agricoles qui sont, en totalité ou pour partie, des régimes en points, les régimes de base français sont des régimes en annuités (12), alors que les régimes complémentaires sont tous des régimes en points (13).

Si la plupart des régimes de base sont en annuités, leurs paramètres diffèrent en ce qui concerne la durée requise pour avoir le taux plein et le décompte de cette durée, le salaire de référence (calculé sur les six derniers mois ou sur les vingt-cinq meilleures années), l’âge d’ouverture du droit de liquider sa retraite, le taux de liquidation, etc.

Les principales différences conduisent à distinguer, d’une part, les régimes des salariés et non-salariés du secteur privé et, d’autre part, les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux. Toutefois, les réformes récentes ont favorisé une tendance à la convergence des principaux paramètres des régimes.

Cette multiplicité des régimes et des règles d’acquisition des droits nuit à la compréhension du système et alimente un certain sentiment d’inégalité de traitement entre actifs selon le régime auquel ils appartiennent.

En outre, la complexité accroît l’incertitude des salariés qui, malgré les grands progrès déjà réalisés par les régimes dans le domaine de l’information des assurés, ont du mal à évaluer le montant de leurs droits à la retraite.

Enfin, ce système ne favorise pas la mobilité des travailleurs : les affiliés à plusieurs régimes, dits « polypensionnés », acquièrent généralement des droits inférieurs à des salariés qui auraient effectué la même carrière, en termes de durée et de salaires, dans un seul régime (mais ce n’est pas toujours le cas, certains polypensionnés sont avantagés par le système) (14).

Si notre système de retraites est contributif, dans la mesure où ce sont avant tout les cotisations versées qui créent des droits, il est en même temps très redistributif, surtout dans les régimes de base.

Ainsi, certains avantages sont attribués au titre de la solidarité, en fonction de certaines situations :

– trimestres validés pour des périodes d’inactivité (chômage, maladie, maternité, invalidité, service national, détention provisoire) ; ces trimestres sont validés sans qu’un salaire soit porté au compte de l’assuré, exception faite des indemnités journalières de maternité, prises en compte depuis 2012 ; dans la fonction publique, les congés de maternité, maladie et longue durée sont assimilés à des salaires effectifs ;

– départs anticipés à taux plein (pour carrières longues, invalidité, inaptitude, « pénibilité » selon le dispositif de 2010, handicap) ;

– droits familiaux : majoration de durée d’assurance, assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), majoration de pension pour trois enfants et bonifications, pensions de réversion ;

– minimum vieillesse (allocation de solidarité aux personnes âgées) sans contrepartie de cotisations ; le financement de ce dispositif ne relève cependant pas des régimes de retraite.

Par ailleurs, les pensions sont portées à un minimum pour les carrières complètes : minimum contributif dans le régime général, pension minimale de référence pour les non-salariés agricoles, minimum garanti dans la fonction publique.

Enfin, d’autres dispositifs permettent d’acquérir des trimestres en contrepartie du versement de cotisations – ils ne relèvent donc pas de la solidarité : il s’agit des possibilités de surcotisation (travail à temps partiel) ou de cotisations volontaires (expatriation, apprentis avant 1972, conjoints d’exploitant agricole, d’artisan ou de commerçant, rachat d’années d’études supérieures ou d’années incomplètes). Le tarif du trimestre n’est pas le même dans toutes les situations : par exemple, il est actuariellement neutre pour les rachats d’années d’études ou calculé sur un salaire forfaitaire pour les périodes d’apprentissage antérieures à 1972.

Au total, les dispositifs de solidarité (hors réversion et minimum vieillesse) représentent environ un cinquième de la masse des droits propres. Le COR estime qu’ils permettent de compenser une grande partie des interruptions dans les carrières et qu’ils contribuent à réduire fortement les inégalités entre retraités, au profit des femmes notamment.

Globalement, le montant moyen de la pension de droits propres (hors réversion et majorations pour enfants) s’élève à 1 256 euros par mois en 2011. Il progresse d’année en année plus vite que l’inflation, sous l’effet du renouvellement des générations, car les générations qui partent aujourd’hui à la retraite ont eu des salaires plus élevés que leurs aînées, c’est ce que l’on appelle « l’effet de noria ». L’ensemble des droits, y compris réversion et majorations familiales, s’élevait à 1 440 euros par mois en 2008 (dernière année d’exploitation de l’échantillon interrégimes).

Le niveau de vie moyen des retraités a fortement progressé depuis les années 1970 et est aujourd’hui proche de celui des actifs (environ 2 000 euros par mois et par unité de consommation). Le taux de pauvreté est le même chez les actifs et chez les retraités : 10,2 % en 2010.

Dans son rapport de janvier 2013, le COR s’est interrogé sur l’adéquation du système de retraites aux objectifs qui lui sont assignés par la loi : au-delà des principes fondamentaux de contributivité et d’équité, l’article L. 161-17-A du code de la sécurité sociale dispose que « le système de retraite par répartition poursuit les objectifs de maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités, de lisibilité, de transparence, d’équité intergénérationnelle, de solidarité intragénérationnelle, de pérennité financière, de progression du taux d’emploi des personnes de plus de cinquante-cinq ans et de réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes ».

Si, dans l’ensemble, les paramètres des régimes de retraite ainsi que des dispositifs de solidarité rendent le système fortement redistributif, le COR a montré, dans son rapport de janvier 2013, que le « cœur du système » (formules de calcul des pensions, définition du salaire de référence et de la durée cotisée, superposition des régimes de base et complémentaires, multiplicité des régimes et polypensionnés) opère, de manière implicite (car les règles de calcul n’ont pas été définies pour cela), des redistributions entre les assurés qui, prises dans leur ensemble, vont dans le sens d’un accroissement des inégalités en défaveur des assurés à carrière courte (souvent des assurés à bas salaires et souvent des femmes).

Ainsi, le salaire de référence du régime général, calculé sur les vingt-cinq meilleures années, favorise les salariés à carrière ascendante par rapport à ceux dont le salaire a peu évolué au court de la carrière. Une prise en compte du salaire moyen serait plus équitable (ce qui n’empêcherait pas de compenser une telle mesure par une amélioration du taux de liquidation, par exemple).

La nécessité de cotiser 200 heures au SMIC horaire pour valider un trimestre au régime général (15) est une règle relativement favorable puisqu’elle permet de valider un trimestre en à peine plus plus d’un mois de SMIC à temps plein, mais elle pénalise certains assurés comme les apprentis, dont les cotisations sont assises sur une assiette forfaitaire, ou les assurés à bas salaires qui partagent leur temps entre deux régimes (les saisonniers par exemple), car le plancher de 200 heures est calculé par régime (à l’inverse, un « polyaffilié » ayant un meilleur salaire peut valider plus de quatre trimestres par an).

Les avantages familiaux contribuent efficacement à combler les interruptions d’activité des femmes grâce à la majoration de durée d’assurance pour enfants (MDA) et à l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF). En revanche, la majoration de pension pour les parents ayant élevé trois enfants et plus tend à favoriser les pensions élevées par rapport aux pensions modestes, et par conséquent les pères par rapport aux mères. Au total, de trop grandes disparités perdurent entre les retraites des femmes et des hommes : les femmes qui ont liquidé leurs droits en 2011 perçoivent une pension en moyenne inférieure de 32 % à celle des hommes (1 749 euros pour les hommes y compris réversion et majorations familiales, contre 1 165 euros pour les femmes).

II. LA RÉFORME PROPOSÉE PERMET LE RETOUR À UN ÉQUILIBRE DURABLE

Le retour à l’équilibre à court terme est une exigence vis-à-vis des générations futures sur lesquelles on ne doit pas reporter la charge des dépenses courantes actuelles.

La réforme proposée vise donc à ramener à l’équilibre les régimes de retraite de base non équilibrés par subvention à l’horizon 2020 et à maintenir, par allongement de la durée d’assurance, cet équilibre jusqu’en 2040. Au-delà, la fin de la « bosse démographique » devrait permettre d’assurer cet équilibre à long terme.

Les taux de cotisation des actifs et des employeurs sur le salaire déplafonné aux régimes de base seront augmentés de 0,3 point chacun par décret d’ici 2017. Tous les régimes de base seront concernés par cette mesure, y compris la fonction publique et les régimes spéciaux (à l’exception de la fonction publique en ce qui concerne la cotisation employeur, puisque l’État ne cotise pas).

La hausse sera étalée sur quatre ans :

– pour les salariés, la hausse des cotisations salariales et employeur sera de 0,15 point pour chaque part en 2014, puis de 0,05 point chaque année entre 2015 et 2017 ;

– pour les fonctionnaires, le Gouvernement a annoncé un rythme différent (mais une hausse totale identique d’ici 2017) : 0,06 point en 2014 puis 0,08 point pour chacune des trois années suivantes.

Il s’agit d’une hausse modérée : par exemple, pour un temps plein de 35 heures rémunérées aux SMIC, l’augmentation de la cotisation salariale représentera de l’ordre de 2 euros par mois en 2014, et pour un salaire brut de 2 500 euros, environ 3,80 euros par mois.

Le Gouvernement évalue le montant de recettes supplémentaires pour l’ensemble des régimes de base à 2,2 milliards d’euros en 2014 (dont 1,7 milliard pour le seul régime général et 2,0 milliards d’euros pour les régimes non équilibrés par subvention), 4,6 milliards d’euros en 2020 et 6,8 milliards d’euros à l’horizon 2040, répartis en parts égales par les salariés et les employeurs.

Ces hausses s’ajoutent à celles instaurées par le décret du 2 juillet 2012 qui prévoit une hausse des taux de cotisation de 0,1 point au total chaque année entre 2014 et 2016, s’appliquant cette fois à l’assiette plafonnée, avec un partage égal entre salariés et employeurs.

Le Gouvernement a choisi de ne pas jouer sur le levier de la baisse relative des pensions pour financer le retour à l’équilibre des régimes. Toutefois, compte tenu du niveau de vie des retraités, comparable à celui des actifs, alors que les risques du marché du travail ne pèsent pas sur les retraités, il n’est pas illégitime de demander un effort de solidarité à ces derniers.

La contribution des retraités reposera sur deux mesures.

 La fiscalisation des majorations de pensions pour enfants

Les majorations de pensions des retraités ayant élevé trois enfants ou plus seront intégrées dans l’assiette de l’impôt sur le revenu. Il s’agit de mettre un terme à une anomalie fiscale, puisqu’à pension égale, il n’y a pas de raison que certains bénéficient d’une exonération d’impôt. Cette mesure figure dans le projet de loi de finances pour 2014.

Cette fiscalisation devrait concerner 10 % des retraités. Une part bien plus importante des retraités (de l’ordre de 40 %) perçoit des majorations de pension pour enfants, mais tous ne sont pas imposables.

L’étude d’impact prend l’exemple d’un couple de retraités qui percevraient chacun 1 400 euros par mois de pension, dont chacun une majoration pour enfants. La réintégration de ces majorations dans l’assiette de l’impôt entraînera un prélèvement de 15 euros supplémentaires par mois pour chacun, soit 360 euros par an pour le ménage.

Le rendement de cette mesure est de 1,2 milliard d’euros en 2014, 1,3 milliard en 2020 et 1,7 milliard à l’horizon 2040. En 2014, cette recette supplémentaire restera dans le budget de l’État (16). À compter de 2015, elle sera reversée par l’État à la branche vieillesse.

 Le report au 1er octobre de la revalorisation annuelle des pensions

Par ailleurs, la revalorisation annuelle des pensions sera décalée du 1er avril au 1er octobre à compter de 2014. Les plus petites pensions seront préservées dans la mesure où la revalorisation de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) interviendra toujours au 1er avril.

Il s’agit d’un effort temporaire, puisque dès 2015, le rythme annuel de revalorisation sera repris, chaque 1er octobre.

Tout en demandant un effort très modique à chacun, cette mesure devrait permettre d’économiser 800 millions d’euros en 2014 à l’ensemble des régimes (600 millions d’euros pour les régimes non équilibrés par subvention), et près du double en 2015 (extension en année pleine de la mesure). Au-delà, la mesure continue à produire des effets par rapport à la trajectoire établie par le COR en l’absence de réforme, dans la mesure où l’assiette de la revalorisation est moindre que prévu (17). Ainsi, la mesure rapporte 2,6 milliards d’euros à l’horizon 2040 par rapport aux projections du COR.

Des économies de gestion de la part des régimes de retraite sont attendues, à hauteur de 200 millions à l’horizon de 2016.

La répartition de cet effort entre les différents régimes n’est pas encore stabilisée mais tiendra compte à la fois :

– du poids relatif de chaque régime dans le montant total des dépenses de gestion ;

– de la capacité de chaque régime à réaliser ces économies au regard de ses gains de productivité, de sa charge de travail et de sa démographie ;

– des mesures de simplifications (dont celles portées dans le projet de loi) et des chantiers inter-régimes en cours de développement (notamment le répertoire de gestion des carrières unique) qui doivent à moyen terme dégager des gains d’efficience significatifs.

La négociation des prochaines conventions d’objectifs et de gestion de la CNAV et de la CNRACL (qui arrivent à échéance fin 2013) permettra de formaliser les objectifs assignés à ces deux organismes. L’association des autres régimes s’opérera dans le cadre du dialogue de gestion que mènent les ministères de tutelles avec les caisses nationales.

Répartition des mesures de recettes à court terme pour l’ensemble des régimes de base

(en milliards d’euros)

Retraités

2,0

3,2

3,7

4,2

Report indexation au 1/10

0,8

1,9

2,2

2,6

Fiscalisation des majorations de pension

1,2

1,3

1,5

1,7

Salariés : Hausse cotisations 0,15 % en 2014 et de 0,05 point de 2015 à 2017

1,1

2,3

2,8

3,4

Entreprises : Hausse cotisations 0,15 % en 2014 et de 0,05 point de 2015 à 2017

1,1

2,3

2,8

3,4

Économies de gestion

 

0,2

0,3

0,3

Total

4,1

8,0

9,6

11,3

Source : étude d’impact.

Les recettes supplémentaires en 2014 pour les régimes de base non équilibrés par subvention sont détaillées dans le tableau suivant.

Impact financier de la réforme en 2014 pour les régimes non équilibrés par subvention

(en milliards d’euros constants 2011)

Report de l’indexation des pensions au 1er octobre (1)

0,6

Cotisations salariés

1,0

Cotisations employeurs

1,0

Total hausse cotisations (2)

2,0

dont cotisations pures (3)

1,6

dont prise en charge par le FSV des cotisations pour les chômeurs (a)

0,2

dont prise en charge par la CNAF de l’AVPF (4)

0,1

dont cotisations CNRACL (5)

0,1

dont cotisations CNAVPL (6)

0,1

dont déficit FSV (5) = (b) – (a)

- 0,1

Travailleurs indépendants – RSI (b)

0,1

Total mesures recettes (7) = (1) + (2)

2,6

dont mesures affectant le RG (CNAV et FSV) (8) = (7) – (5) – (6)

2,4

Source : ACOSS.

 

2014

2020

Compte pénibilité

0

- 500

Cotisations pénibilité

0

+ 500

Extension de la retraite progressive (art. 11)

0

- 20

Cumul emploi retraite (art. 12)

0

+ 161

Validation du trimestre à 150 H SMIC (art. 14)

- 10

- 30

Élargissement du dispositif carrières longues (art. 15) *

0

- 285 *

Aide aux rachats années d’études (art. 16)

+ 150

+ 300

Prise en compte des périodes d’apprentissage (art. 17)

- 18

- 18

Validation des périodes de formation des chômeurs (art. 18)

0

- 57

Mesure en faveur des conjoints collaborateurs (art. 19)

0

0

Retraite anticipée des travailleurs handicapés (art. 23)

nd

nd

Retraite à taux plein à 50 % d’incapacité (art. 24) *

- 30

- 33

Mesures en faveur des aidants familiaux (art. 25)

- 1,6

nd

Calcul de la retraite des polypensionnés (art. 28)

0

nd

Mutualisation du service des petites pensions (art. 29)

0

0

Total

+ 90,4

+ 18,0

nd : chiffrage non disponible.

* certains coûts n’ont été évalués que pour le régime général.

Source : services de l’Assemblée nationale, à partir des informations données dans l’étude d’impact.

Les mesures concernant les retraites agricoles sont présentées à part, dans la mesure où elles doivent être financées par la suppression de certaines « niches sociales » prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

Impact financier des mesures concernant les retraites agricoles

(en millions d’euros)

 

2014

2020

Conditions pour la pension majorée de référence (art. 20)

- 0,15

- 0,3

Régime complémentaire des exploitants agricoles (art. 21)

- 160

- 142

Garantie 75 % SMIC (art. 22)

0

- 150

Recettes nouvelles du régime agricole (PLFSS)

+ 200

+ 200

Total

+ 39,85

- 92,3

 

2012

2013

2014

2014
sans réforme

2015

2016

2017

CNAV

-4,8

-3,3

-1,2

-3,7

-0,6

0,0

0,6

FSV

-4,1

-2,7

-3,2

-3,7

-3,0

-2,6

-1,9

Total

-8,9

-6

-4,4

-7,4

-3,6

-2,6

-1,3

Source : dossier de presse du PLFSS pour 2014.

Nos régimes de retraite doivent faire face à deux chocs démographiques qui se conjuguent :

– l’arrivée à l’âge de la retraite des premières générations du baby-boom (1945-1973) ;

– l’allongement de l’espérance de vie (un trimestre par an entre 1994 et 2009) ; aujourd’hui, l’espérance de vie à 60 ans s’élève à 22,2 ans pour les hommes et 27 ans pour les femmes, et l’INSEE estime qu’elle s’allonge d’un an tous les huit à dix ans.

La conséquence de ces deux phénomènes est la dégradation du rapport démographique entre les 20-59 ans et les plus de 60 ans. Ce ratio devrait passer de 2,6 en 2005 à 1,5 en 2035.

Cependant, la France bénéficie d’une natalité plus élevée que les autres pays européens, avec un indice de fécondité de 2 enfants par femme contre 1,59 en moyenne dans l’Union européenne. Grâce à cela, le rapport entre le nombre de personnes de plus de 60 ans et le nombre de personnes entre 20 et 59 ans devrait être plus faible en France (70 %) que dans beaucoup de pays de l’Union européenne en 2060 (89 % en Allemagne, 82 % en Espagne, 83 % en Italie, 94 % en Pologne).

L’article 2 du présent projet de loi prévoit d’augmenter la durée d’assurance nécessaire pour obtenir le taux plein d’un trimestre tous les trois ans (selon le principe générationnel) pour arriver à 43 ans pour la génération 1973 (soit une augmentation de seulement 1,25 an entre 2020 et 2035). Au-delà, pour les générations suivantes, la durée reste fixée à 43 ans, car la fin de la « bosse démographique » suffira à assurer le retour à l’équilibre.

Il s’agit d’un allongement mesuré et progressif, donc prévisible. C’est un effort raisonnable dans la mesure où les gains d’espérance de vie sont partagés entre vie active et vie à la retraite.

C’est aussi un effort équitable à l’aune des mesures d’accompagnement prévues pour compenser ses effets pour les personnes ayant des métiers pénibles, pour les personnes ayant commencé à travailler très jeunes, pour les carrières heurtées et pour les jeunes entrés tard dans la vie active.

L’impact sur le solde du système de retraite à l’horizon 2040 est estimé à :

– +5,6 milliards d’euros pour le régime général et les régimes non équilibrés par subvention ;

– +10,4 milliards d’euros pour l’ensemble des régimes de retraite de base, y compris fonction publique et régimes spéciaux.

Impact financier de l’allongement de la durée d’assurance après 2020

(en milliards d’euros 2011)

 

2030

2040

Régime général + FSV (1)

2,2

4,9

Tous régimes de base non équilibrés et FSV * (2)

2,7

5,6

Tous régimes de base équilibrés ** (3)

0,7

1,5

dont fonction publique d’État

0,5

1,2

Total régimes de base (4)=(2)+(3)

3,4

7,1

     

AGIRC – ARRCO (5)

1,8

3,0

Total régimes complémentaires

2,0

3,3

     

Tous régimes (7)=(4)+(6)

5,4

10,4

* : CNRACL, Exploitants agricoles, CNAVPL, RSI, CNBF et CRPCEN

** : FPE, SNCF, RATP, ENIM, BDF, CANSSM, FSPOEIE

Source : direction de la sécurité sociale.

Compte tenu de l’estimation du coût à long terme des « mesures de justice » proposées dans le présent projet de loi, l’impact de la réforme des retraites sur l’ensemble des régimes obligatoires est présenté dans le tableau suivant.

Impact de la réforme des retraites sur l’ensemble des régimes

(en  milliards d’euros constants 2011)

 

2014

2020

2030

2040

Déficit de l’ensemble des régimes de retraite - projections du COR

-17,7

-20,9

-26,1

-28,9

Déficit après accord ARRCO - AGIRC de 2013 et révision des hypothèses économiques du programme de stabilité

-19,1

-20,7

-24,2

-26,6

Report de l’indexation au 1/10

0,8

1,9

2,2

2,6

Fiscalisation des majorations de pension

1,2

1,3

1,5

1,7

Salariés :
Hausse des cotisations de 0,15 pt en 2014 et de 0,05 pt de 2015 à 2017

1,1

2,3

2,8

3,4

Entreprises :
Hausse des cotisations de 0,15 pt en 2014 et de 0,05 pt de 2015 à 2017

1,1

2,3

2,8

3,4

Économies de gestion des régimes

-

0,2

0,3

0,3

Allongement de la durée d’assurance après 2020

 

0,0

5,4

10,4

Total des mesures de redressement à court et long terme

4,1

8,1

15,0

21,6

Mesures Jeunes, femmes, carrières heurtées et petites pensions

0,0

0,0

-0,4

-1,3

Mesures au profit des retraites agricoles

-0,2

-0,2

-0,3

-0,3

Mesure pénibilité

-

-0,5

-2,0

-2,5

Cotisation à la charge des entreprises exposant à la pénibilité

-

0,5

0,5

0,8

Financement mutualisé de la pénibilité (à déterminer)

       

Financement des mesures sur les retraites agricoles

0,2

0,2

0,3

0,3

Total des mesures de justice (net des financements spécifiques)

0,0

0,0

-1,9

-3,0

Impact net de la réforme

4,1

8,1

13,1

18,6

Déficit de l’ensemble des régimes de retraite après réforme et avant équilibrage des régimes de l’État ou équilibrés par subvention

-15,0

-12,7

-11,2

-7,9

Déficit de l’ensemble des régimes (hors AGIRC ARRCO) après réforme et équilibrage des régimes de l’État ou équilibrés par subvention

-5,1

-0,4

0,9

0

Déficit de l’ensemble des régimes (y.c. AGIRC ARRCO) après réforme et équilibrage des régimes de l’État ou équilibrés par subvention

-9,4

-4,8

-5,9

-5,8

Source : étude d’impact.

Il est aussi intéressant d’isoler l’impact de la réforme sur les régimes de base non équilibrés par subvention (régimes général et alignés, FSV, CNAVPL, CNRACL).

Impact de la réforme sur les régimes de base non équilibrés par subvention

(en milliards d’euros constants 2011)

 

2014

2020

2030

2040

Solde avant réforme

-8,8

-7,6

-8,7

-13,0

Solde après réforme

-5,0

-0,3

+0,9

0,0

Source : étude d’impact.

On constate ainsi que la réforme permet bien de ramener ces régimes à l’équilibre en 2020, et à le maintenir jusqu’en 2040.

Au-delà, la démographie devrait permettre au système de retraite de l’équilibrer sans nouvelle mesure.

III. UNE RÉFORME STRUCTURELLE
QUI RENDRA NOTRE SYSTÈME DE RETRAITES PLUS JUSTE

Si la réforme proposée vise à ramener les régimes de retraite à l’équilibre et à garantir leur pérennité, elle a aussi pour ambition de rendre le système plus juste. Plusieurs situations d’inéquité nécessitent une intervention correctrice :

– le prolongement de la vie active appelle des mesures d’accompagnement pour les personnes qui exercent des métiers pénibles qu’ils ne sont plus en mesure d’effectuer en fin de carrière ;

– l’allongement de la durée de cotisation impose de mieux prendre en compte les conditions de l’entrée des jeunes dans la vie active ;

– les effets antiredistributifs qui sont au cœur des règles de calcul de la retraite doivent être corrigés ;

– les disparités de pensions entre hommes et femmes justifient de revoir l’ensemble des droits familiaux de retraite ;

– les retraites des personnes handicapées et de leurs aidants doivent être améliorées.

Par ailleurs, le présent projet de loi comporte des mesures importantes en faveur des retraites agricoles.

Enfin, dans la mesure où le redressement des régimes de retraite dépend en grande partie de l’évolution de la masse salariale, des mesures doivent être prises en faveur de l’emploi des seniors.

Selon une étude menée en 2010 (18), les différences d’espérance de vie entre catégories socio-professionnelles sont très fortes, parmi les plus grandes d’Europe, et se traduisent par des différences dans la répartition entre années de vie en emploi et à la retraite, à durée de cotisation égale. Ainsi, l’espérance de vie à 35 ans pour les hommes cadres était plus élevée en moyenne de 6,8 années que pour les hommes ouvriers, dans les conditions de mortalité de 2000-2008 (19).

Par ailleurs, l’étude de l’espérance de vie en bonne santé (20) révèle l’inégalité des chances des individus au cours de la période de la retraite, mais aussi dans les dernières années de l’activité professionnelle. Ainsi les hommes occupant les professions les plus qualifiées ont, à 50 ans, une espérance de vie en bonne santé supérieure de 9 ans à celle des hommes ouvriers (contre 4,8 ans pour l’espérance de vie). Il est évident que les facteurs de risque professionnels ne sont pas à eux seuls responsables de la détérioration de la santé des individus. Mais selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), auditionnée par votre rapporteur, un tiers du différentiel d’espérance de vie pourrait leur être attribué, sans qu’il soit possible toutefois d’en apporter la preuve.

Enfin, la durée et l’intensité de l’exposition aux risques professionnels sont également marquées par de nettes inégalités sociales, les ouvriers étant en moyenne quatre fois plus exposés que les cadres, et 35 % des personnes âgées de 50 à 59 ans en 2008 déclaraient avoir été exposées pendant au moins quinze ans à la pénibilité (21). Il faut aussi noter que les personnes exposées sortent plus vite du marché du travail : 68 % des seniors exposés à la pénibilité étaient en emploi en 2008, contre 75 % n’y ayant jamais été exposés.

Le présent projet de loi vise à réduire ces inégalités par le biais d’une part et avant tout, de la prévention des risques professionnels liés à la pénibilité, d’autre part, de la réparation des séquelles qu’ils entraînent sur la santé des salariés. À la différence des dispositions adoptées en 2010, il ne s’agit pas de prendre en compte uniquement l’incapacité avérée des salariés ayant été soumis à un travail pénible, mais les risques pouvant entraîner des troubles qui ne se déclarent pas toujours immédiatement.

Des situations de pénibilité au travail sont pour partie prises en compte par l’intermédiaire de dispositifs de cessation anticipée d’activité qui ne leur sont pas destinés initialement : invalidité, incapacité, handicap, maladie longue durée, pensions AT/MP, retraites progressives, dispositif « longue carrière », préretraites d’entreprise.

Un dispositif spécial existe également pour les travailleurs de l’amiante : la cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (CAATA), qui permet aux salariés ou anciens salariés exposés à l’amiante de cesser leur activité de manière anticipée, tout en étant indemnisés. On dénombrait, fin 2011, 28 300 bénéficiaires de l’allocation correspondante.

En outre, dans les régimes de la fonction publique et les autres régimes spéciaux, les agents ayant effectué au moins 15 années de services en catégories actives peuvent bénéficier d’un départ à la retraite à 55 ans (57 ans après au moins 17 ans de services en catégories actives au terme du relèvement prévu par la réforme de 2010). Ces catégories incluent des emplois exposant à une activité pénible ou présentant un risque particulier. En 2011, hors invalidité et motifs familiaux, un quart des départs à la retraite dans la fonction publique d’État concernait des personnels de catégories actives, 8 % dans la fonction publique territoriale et deux tiers dans la fonction publique hospitalière, pour un âge effectif de liquidation des droits à la retraite de 57 ans en moyenne.

 Le suivi des salariés exposés à des risques

La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a créé l’obligation pour l’employeur d’établir une fiche individuelle de suivi de l’exposition du salarié à des risques professionnels pour pénibilité (article L. 4124-3-1 du code du travail).

La pénibilité y est définie comme étant lié à « un ou plusieurs facteurs de risques professionnels » eux-mêmes liés « à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail », « susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur la santé » du travailleur.

Cette fiche retrace :

– les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé (l’article D. 4121-5 du code du travail en définit dix) ;

– la période au cours de laquelle cette exposition est intervenue ;

– les mesures de prévention mises en œuvre par l’employeur pour faire disparaître ou réduire ces facteurs de risque durant cette période.

● Les accords relatifs à la pénibilité

La loi de 2010 a instauré, à compter du 1er janvier 2012, une obligation de négociation sur la « pénibilité au travail », à l’instar de ce qui existe pour l’emploi des seniors.

Les entreprises d’au moins cinquante salariés ou appartenant à un groupe d’au moins cinquante salariés sont désormais tenues de négocier sur la prévention de la pénibilité au travail, sous peine de sanctions financières. La pénalité est égale au maximum à 1 % des sommes versées aux travailleurs concernées par la pénibilité, ce montant pouvant être modulé par l’autorité administrative en fonction des efforts constatés dans l’entreprise. Toutefois, cette obligation ne concerne que les entreprises qui emploient au moins 50 % de salariés exposés aux risques professionnels liés à la pénibilité.

Les entreprises concernées doivent être couvertes par un accord ou un plan d’action relatif à la prévention de la pénibilité d’une durée maximale de trois ans. L’accord doit comporter au moins un thème parmi la réduction des poly-expositions à la pénibilité et l’adaptation du poste de travail ; et deux thèmes parmi l’amélioration des conditions de travail ; le développement des compétences et qualifications ; l’aménagement des fins de carrière ; le maintien en activité des salariés exposés.

Au 31 août 2013, on dénombrait quinze accords de branche et plus de 4 800 accords d’entreprise ou plans d’action relatifs à prévention de la pénibilité :

– dix des accords de branche s’inscrivent dans le dispositif « 1 % pénibilité » : ils concernent les branches du BTP, du commerce du détail et de gros à prédominance alimentaire, des entreprises sociales pour l’habitat, de l’assainissement et maintenance industrielle, de la fabrication et du commerce de produits pharmaceutiques, ou encore de l’industrie pétrolière et du bois ;

– deux autres accords sont des accords spécifiques, qui ne s’inscrivent pas dans le cadre issu de la loi du 9 novembre 2010. Ils ont été conclus dans la branche du déménagement et des métiers portuaires ;

– trois derniers sont des accords de méthode visant soit à outiller les entreprises de la branche pour qu’elles construisent leurs propres accords (branche de la transformation laitière) soit à cadrer la future négociation de branche sur la pénibilité (remontées mécaniques et papiers cartons).

Le faible nombre d’accords de branche conclus s’explique pour partie par la division des partenaires sociaux sur la question de la réparation, certaines organisations syndicales plaidant par exemple pour la mise en place de dispositifs de préretraite comme condition à la conclusion d’un accord de prévention de la pénibilité. Une autre explication tient au fait que, par le passé, d’autres accords de branche ont abordé le sujet de la pénibilité, sous des angles divers : primes pour des métiers pénibles dans la branche port et manutention, par exemple, ou encore dans le cadre des accords pour l’emploi des seniors.

● La retraite anticipée pour invalidité

La loi de 2010 a ouvert un droit à la retraite anticipée pour les personnes atteintes dans leur état de santé pour des raisons imputables au travail à compter du 1er juillet 2011. Elle permet aux assurés âgés d’au moins 60 ans de liquider une retraite à taux plein, quelle que soit la durée d’assurance effectivement accomplie.

Ce nouveau droit est assorti de conditions strictes. La retraite à raison de la pénibilité ne concerne que les salariés du régime général, les salariés du régime agricole et les travailleurs non-salariés des professions agricoles. Les assurés relevant du régime social des indépendants en sont exclus. De plus, le droit à retraite à taux plein dès 60 ans est réservé aux assurés justifiant d’un taux d’incapacité permanente reconnu au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail « ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle ». La liste de référence de ces lésions consécutives à un accident du travail et identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle est fixée par un arrêté du 30 mars 2011. Pour les personnes victimes d’un accident du travail, l’identité des lésions doit être vérifiée par l’échelon régional du service médical.

Le fait de justifier d’un taux d’incapacité permanente au moins égal à 20 % au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail « ayant entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle » ouvre droit au dispositif sans autres conditions. Le droit à retraite anticipée est ouvert à l’assuré présentant un taux d’incapacité permanente au moins égal à 10 % mais inférieur à 20 %. Mais le bénéfice de la retraite est subordonné :

– au fait que l’assuré puisse apporter la preuve qu’il a été exposé pendant au moins dix-sept ans à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels relevant de trois domaines : « des contraintes physiques marquées », un « environnement agressif » ou des « contraintes liées à certains rythmes de travail » ;

– l’avis favorable d’une commission pluridisciplinaire chargée d’apprécier la validité des modes de preuve et l’efficacité du lien entre incapacité permanente et exposition à des risques. À ce titre, constituent des modes de preuve « tout document à caractère individuel remis à l’assuré dans le cadre de son activité professionnelle et attestant de son activité (bulletins de paie, contrats de travail, fiches d’exposition, etc.) ».

Une possibilité de cumul de taux d’incapacité au titre de plusieurs sinistres professionnels est possible pour atteindre le taux de 20 %, si au moins un taux de 10 % est atteint au titre d’une même maladie professionnelle ou d’un même accident du travail. En revanche, le cumul de taux n’est pas ouvert si l’assuré a un taux d’incapacité compris entre 10 % et 20 %.

La caisse chargée de liquider la pension de retraite de l’assuré est chargée de recueillir la demande de retraite anticipée pour « pénibilité ». L’identité des lésions avec celles indemnisées au titre d’une maladie professionnelle est alors appréciée par le médecin-conseil du service médical.

Selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), fin août 2013, 9 238 demandes avaient été réceptionnées par les CARSAT, dont 5 408 au titre des accidents du travail, 3 023 au titre des maladies professionnelles, 348 au titre des deux et 303 au titre d’un motif non encore déterminé. 6 359 demandes avaient été acceptées, 1 515 rejetées et 1 218 étaient en cours d’instruction. Parmi les 6 359 attributions, 1 683 ont un taux d’incapacité compris entre 10 % et 20 % et 4 676 ont un taux d’incapacité supérieur à 20 %.

Le nombre de demandes a été nettement plus faible que ne l’indiquaient les prévisions gouvernementales ; le dispositif n’a pas achevé sa montée en charge et entre en concurrence avec d’autres plus connus tels que la retraite anticipée pour longue carrière.

Au-delà de ces chiffres et comme le souligne le rapport « Nos retraites demain : équilibre financier et justice » remis par Yannick Moreau au Premier ministre en juin 2013, ce dispositif a posé un problème d’orientation, qui a suscité des critiques. Censé prendre en compte la « pénibilité » du parcours passé, il en soumet l’appréciation à un constat d’ordre médical qui suppose un diagnostic de pathologie établi – qui plus est, dans une liste prédéterminée de pathologies, avec une origine professionnelle spécifique. Le choix a été fait de se limiter aux salariés dont l’état de santé est dégradé à la suite d’expositions à des facteurs de pénibilité, autrement dit s’ils sont physiquement usés au moment du départ à la retraite. Sont donc prises en compte les expositions à des risques qui ont un impact immédiat sur la santé des salariés, non un impact différé sur l’espérance de vie ; d’autre part, certains facteurs de pénibilité, non encore reconnus comme cause de pathologies spécifiques (comme le travail de nuit), sont absents du dispositif.

● La mise en place d’un fonds national de soutien relatif à la pénibilité

Outre la possibilité, à titre expérimental et jusqu’au 31 décembre 2013, pour un accord collectif de branche de créer un dispositif d’allégement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des emplois pénibles, la loi de 2010 crée un fonds national de soutien relatif à la pénibilité.

Ce fonds est destiné à contribuer aux actions mises en œuvre par les entreprises couvertes par un accord collectif de branche ou par des entreprises couvertes par un accord collectif d’entreprise ayant le même objet.

Les recettes de ce fonds placé auprès de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sont constituées par une dotation de l’État et une dotation de la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

Au total, les dispositifs mis en place par la loi de 2010 ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Comme le souligne à juste titre le rapport du Conseil d’orientation des retraites de janvier 2013, « il ne revient pas au système de retraite de régler la totalité des questions liées à la pénibilité au travail par un système de compensation systématique et l’approche à privilégier est celle de la prévention et du traitement de ces situations de pénibilité au moment où elles se produisent. » Néanmoins, les inégalités d’espérance de vie dues aux conditions de travail pénibles génèrent des différences de durée passée en retraite. On peut concevoir comme légitime de compenser les traces irréversibles laissées sur la santé de ces personnes par l’exposition à des facteurs de risques professionnels.

Le chapitre premier du titre II du projet de loi s’inscrit dans une double logique : d’une part, la prévention et la réduction des risques, mais aussi l’incitation à la reconversion professionnelle, d’autre part, la compensation des conditions de travail réduisant l’espérance de vie, sous la forme de trimestres de retraite ou d’un passage à temps partiel en fin de carrière.

L’article 5 complète la fiche de prévention des risques professionnels créée en 2010 sur deux points. Il est tout d’abord prévu de définir par décret des seuils d’exposition aux risques professionnels, ce qui n’avait pas été prévu par la réforme de 2010 et avait en partie fait obstacle à la montée en charge des mesures relatives à la pénibilité. Par ailleurs, l’article instaure une obligation de transmission d’information aux entreprises de travail temporaire par les entreprises recourant à l’intérim, afin de faciliter les déclarations des expositions des travailleurs intérimaires.

Les articles 6 à 9 mettent en place un compte personnel de prévention de la pénibilité, effectif à compter de 2015. Ouvert pour tout salarié exposé à des conditions de travail réputées réduire l’espérance de vie en bonne santé, ce compte permettra de cumuler des points tout au long de sa carrière. Chaque trimestre d’exposition donnera lieu à un point, ou deux en cas de poly-exposition. Les points accumulés pourront être utilisés à trois effets :

– le suivi d’une formation en vue d’une réorientation professionnelle ;

– le maintien d’une rémunération en cas de passage à temps partiel tout au long de la vie ;

– le bénéfice de trimestres de retraites.

Selon le Gouvernement, le barème sera le suivant : dix points correspondent à un trimestre d’exposition, et ouvrent droit au compte pénibilité. Le nombre total de ces points sera plafonné à 100, ce qui correspond à deux années et demi de départ anticipé à la retraite. Cependant, pour les salariés qui ne sont pas proches de la retraite, les 20 premiers points seront obligatoirement consacrés à une formation, sauf pour les salariés âgés de plus de 52 ans, qui pourront bénéficier d’un aménagement du barème.

Le compte personnel de prévention de la pénibilité sera financé par les cotisations des employeurs : une cotisation minimale de toutes les entreprises, au nom de la solidarité interprofessionnelle, et une cotisation additionnelle appliquée aux seules entreprises exposantes, l’objectif de cette dernière étant d’inciter les entreprises à réduire le niveau d’exposition de leurs salariés par une meilleure protection et par un moindre recours. Le produit de ces cotisations sera affecté à un fonds dédié.

L’article 10 précise que le compte pénibilité s’appliquera aux expositions aux risques professionnels constatées à compter du 1er janvier 2015.

Comme on l’a montré précédemment, les écarts de pension entre les femmes et les hommes restent importants. Dans son douzième rapport, le COR a montré qu’à l’avenir, les écarts en termes de durée d’assurance en défaveur des femmes devraient tendre à disparaître avec la montée de l’activité féminine et le concours des droits familiaux ; en revanche, les écarts de salaire, y compris ceux liés au temps partiel, maintiendront des écarts de pension entre les femmes et les hommes.

Pourtant, les avantages familiaux occupent une place importante dans le système des retraites.

Les avantages familiaux et conjugaux sont de trois ordres :

– les majorations de durée d’assurance, qui permettent aux mères, et éventuellement aux pères, de valider des trimestres supplémentaires dans leur régime d’affiliation. À cette catégorie se rattachent : la majoration de durée d’assurance pour enfants (MDA), qui permet d’attribuer, sans condition de réduction d’activité dans le régime général, huit trimestres de durée d’assurance par enfant au titre de l’accouchement et de l’éducation ; l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) qui permet aux parents qui cessent leur activité pour élever leurs enfants, sous condition de ressources, de bénéficier en plus de trimestres d’assurance ;

– les majorations de montant de pensions pour les hommes et les femmes : une majoration de pension de 10 % est accordée à tous les parents ayant élevé trois enfants ou plus ; il existe aussi une majoration pour conjoint ou enfant à charge dans certains régimes, accordée au titulaire d’une pension si son conjoint a plus de 65 ans et ne dispose pas de ressources personnelles ou s’il a encore des enfants à charge à la date de la liquidation de sa pension ;

– la réversion, qui consiste à verser, parfois sous conditions de ressources, une fraction de la pension du conjoint décédé au survivant du couple, qui est de fait le plus souvent la femme.

L’ensemble des droits familiaux représente près de 8 % des droits propres des retraités. Le rapport de la commission Moreau indique que la majoration pour trois enfants représente 5,7 milliards d’euros de dépenses pour tous les régimes de base, la MDA représente de l’ordre de 5 milliards d’euros pour le seul régime général et l’AVPF est financées par 4,5 milliards d’euros de cotisations annuelles prises en charge par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), pour 2 millions de bénéficiaires (dont 92 % de femmes).

Les droits familiaux jouent un rôle majeur dans la réduction des écarts entre hommes et femmes en ce qui concerne la durée validée : les femmes qui ont liquidé leur pension en 2010 au régime général ont validé en moyenne 23 trimestres au titre de la MDA et 30 trimestres au titre de l’AVPF. Il convient de préciser toutefois que dans certains cas, les trimestres validés sont redondants, une même période pouvant donner lieu à l’attribution de deux avantages différents (AVPF et MDA notamment). Pour les femmes qui ont liquidé en 2010 au régime général, les avantages familiaux de retraite ont en moyenne représenté presque huit annuités.

Toutefois, les droits familiaux tendent à favoriser les revenus les plus élevés. Les majorations de durées d’assurance (MDA et AVPF) permettent de valider des trimestres, ce qui confère un avantage plus ou moins proportionnel au salaire de référence. Quant aux majorations de pensions pour enfants, elles sont doublement favorables aux pensions les plus élevées, en ce qu’elles sont proportionnelles à la pension (mais dans les régimes complémentaires, elles sont plafonnées à partir de la génération 1951) et non assujettie à l’impôt sur le revenu. Du même coup, elles profitent davantage aux hommes qui ont des pensions plus élevées en moyenne.

En définitive, l’écart entre les montants moyens des pensions des hommes et des femmes reste très important. Ainsi, le douzième rapport du COR indique que « fin 2008, parmi les retraités résidant en France, la pension de droit propre (hors réversion) des femmes ne représentait que 53 % de celle des hommes (879 euros par mois contre 1 657 euros). Ce ratio progresse au fil des générations, sous l’effet de l’accroissement de l’activité féminine et de la hausse des qualifications des femmes, passant de 44 % pour la génération 1924-1928 à 56 % pour la génération 1939-1943. Selon l’INSEE, il atteindrait 70 % pour les générations nées dans les années 1950, puis progresserait plus lentement, atteignant 80 % pour les générations nées dans les années 1970. » Ainsi, malgré un rapprochement progressif, il subsistera un écart lié aux écarts de salaires perçus pendant la carrière (y compris ceux liés aux temps partiels).

Ce problème renvoie aux politiques visant à réduire les écarts de salaires entre hommes et femmes tout au long de la carrière, mais aussi aux règles fondamentales des régimes de retraite (notamment la règle de validation d’un trimestre à partir de 200 heures de SMIC, et le salaire de référence calculé sur les vingt-cinq meilleures années au régime général), qui sont plutôt défavorables aux femmes, dont les carrières sont en moyenne plus courtes, et aux dispositifs de solidarité (MDA et majorations de pensions), qui pourraient davantage contribuer à réduire les écarts de pension entre les femmes et les hommes.

 Améliorer la prise en compte des congés de maternité

Le Gouvernement compte prendre un décret permettant de valider autant de trimestres que de périodes de 90 jours de congé de maternité, à compter du 1er janvier 2014. Actuellement, un seul trimestre par naissance est validé, quelle que soit la durée réelle du congé, ce qui pénalise notamment les femmes à partir du troisième enfant ainsi que les naissances multiples.

Par ailleurs, dans le cadre du dispositif carrières longues, l’article 15 prévoit que tous les trimestres de maternité (dans la limite d’un par enfant) seront réputés cotisés).

 Favoriser la validation des trimestres pour les petits temps partiels

Dans l’article 14 du présent projet de loi, il est proposé de faciliter l’acquisition de trimestres pour les assurés à faible rémunération et exerçant une activité à temps partiel réduit, qui sont essentiellement des femmes. Il s’agit de baisser le seuil de validation d’un trimestre à 150 heures de SMIC au lieu de 200 heures, et de permettre le report sur l’année suivante des cotisations non utilisées pour valider un trimestre.

En effet, certains assurés, qui se trouvent être ceux qui ont les plus faibles salaires, cotisent parfois « pour rien », lorsqu’ils n’atteignent pas les 200 heures de SMIC nécessaires pour valider un trimestre. Les cotisations qui n’ont pas permis de valider un trimestre dans l’année sont perdues.

Avec cette mesure, un mois de travail rémunéré au SMIC permettra de valider un trimestre, quatre mois permettant de valider une année. Une activité rémunérée au SMIC durant toute l’année permettra de valider quatre trimestres dès que le temps de travail dépasse 11,5 heures par semaine. Lorsqu’une année compte moins de quatre trimestres validés, les cotisations non utilisées pour la validation d’un trimestre pourront être reportées sur l’année suivante, ou sur la précédente si ces années comptent également moins de quatre trimestres validés.

Cette mesure profitera avant tout à des femmes, qui occupent la majorité des temps partiels, et à des jeunes qui effectuent des « petits boulots » de courte durée. Elle bénéficiera aussi à des saisonniers qui cotisent à plusieurs régimes et ne parviennent pas à atteindre 200 heures de SMIC dans chacun d’entre eux. Enfin, elle bénéficiera à des artisans et commerçants : en effet, un quart des affiliés du Régime social des indépendants (RSI) ne parviennent pas à valider quatre trimestres par an (soit un revenu de 800 heures de SMIC). 150 000 artisans, commerçants et auto-entrepreneurs bénéficieraient de la mesure.

 Réformer les avantages familiaux pour les rendre plus efficaces et plus justes

Comme on l’a montré précédemment, les droits familiaux, et en particulier les majorations pour trois enfants, sont mal ciblés et échouent de ce fait à résorber les inégalités entre hommes et femmes face à la retraite. Les majorations pour enfants sont plus favorables aux hauts revenus, elles ne bénéficient qu’aux familles de trois enfants et plus, écartant totalement les parents d’un ou deux enfants, et elles sont variables selon les régimes (plafonnées seulement dans les régimes complémentaires de l’AGIRC et l’ARRCO, parfois supérieures à 10 % au-delà de trois enfants dans certains régimes spéciaux, etc.). La MDA est de moins en moins utile à mesure que le taux d’activité des femmes augmente.

La commission Moreau pour l’avenir des retraites recommande ainsi de transformer très progressivement en tout ou partie des majorations de durée d’assurance et la majoration de pension de 10 % pour trois enfants en une majoration forfaitaire de pension par enfant, dès le premier enfant, susceptible de réduire les inégalités entre les hommes et les femmes.

Elle propose de remplacer la MDA, qui ne bénéficie pas aux femmes qui ont une carrière complète, en une assurance vieillesse des parents aux foyers (AVPF) simplifiée qui serait destinée à compenser les congés parentaux, et ne serait plus soumise à conditions de ressources.

Les pères ne seraient pas exclus du système : ils pourraient bénéficier de l’AVPF en cas de congé parental et de la nouvelle majoration pour adoption. Cependant, il sera nécessaire de s’assurer que la création d’une majoration de pension essentiellement dédiée aux femmes, puisque d’abord liée à l’accouchement, respecte le droit européen.

Une telle réforme est susceptible d’entraîner des transferts importants, non seulement des hommes vers les femmes, mais aussi entre femmes, selon les profils de carrière, c’est pourquoi il est préférable de ne pas modifier les règles pour les personnes qui liquideront leur retraite dans les années à venir. Par ailleurs, elle ne doit pas intervenir trop tôt, afin de ne pas dégrader la durée d’assurance des femmes avant que celle-ci n’ait effectivement convergé vers celle des hommes.

Dans un premier temps, une première anomalie sera corrigée avec la fiscalisation de ces majorations pour enfants – leur non-assujettissement à l’impôt sur le revenu ne se justifie pas.

Dans un second temps, le Gouvernement a annoncé une refonte des majorations de pension à compter de 2020, consistant à plafonner progressivement la majoration pour trois enfants et à la transformer en majoration forfaitaire par enfant, bénéficiant principalement aux femmes. Cette réforme de fond nécessite une importante préparation, aussi l’article 13 prévoit-il que le Gouvernement remettra un rapport au Parlement, préalable à la préparation des évolutions législatives et réglementaires nécessaires pour la mettre en œuvre.

À cette occasion, votre rapporteur souhaiterait que soit examinée la possibilité d’étendre le futur dispositif de majorations familiales au régime des professions libérales et au régime des avocats, qui sont actuellement les seuls à ne pas bénéficier des majorations pour enfants.

Cette réforme devrait aussi être l’occasion de faire converger les avantages familiaux des différents régimes. Cela suppose une concertation avec les régimes complémentaires et les fonctions publiques, ce qui prendra un certain temps.

Enfin, votre rapporteur souhaite que ce travail s’accompagne d’une réflexion sur les pensions de réversion, dans le but de faire converger les règles des différents régimes. Cela suppose également d’associer les régimes complémentaires à la réflexion.

Le rapport de Carole Bonnet, Antoine Bozio, Camille Landais et Simon Rabaté sur les droits familiaux et conjugaux (22) montre que la prise en charge du risque veuvage est aujourd’hui hétérogène. Si le système de réversion permet actuellement de maintenir en moyenne le niveau de vie des veuves suite au décès de leur conjoint, cette moyenne cache de nombreuses disparités avec des effets de surcompensation et, en parallèle, des pertes nettes de niveau de vie. Les auteurs considèrent aussi que les différences de conception et de règles des pensions de réversion entre régimes ne se justifient pas.

Ils étudient une réforme du dispositif de la pension de réversion visant à réduire ces disparités avec un objectif de garantie du maintien du niveau de vie en cas de veuvage. Par ailleurs, ils s’interrogent sur l’adaptation du système de réversion dans le contexte de la diversification des formes de vie conjugale et de la fréquence des divorces.

Le rapport Moreau indique que le nombre de trimestres validés avant 30 ans a diminué de onze trimestres entre la génération 1950 et la génération 1978, passant d’un peu plus de quarante trimestres validés à un peu plus de trente trimestres. Pour la génération 1978, l’âge moyen à partir duquel une année complète est validée (4 trimestres) est de 22,8 ans (23).

Ce phénomène s’explique à la fois par l’allongement de la durée des études et par les difficultés d’insertion des jeunes sur le marché du travail.

De ce fait, le présent projet de loi comporte des mesures permettant d’améliorer les droits à la retraite des jeunes. Outre ces dispositifs qui leurs sont spécifiquement destinés, l’article 14 permettant de valider un trimestre à partir de 150 heures de SMIC leur profitera aussi – en particulier aux étudiants qui font des « petits boulots ».

Les apprentis n’acquièrent pas de droits à retraite proportionnés à leur rémunération. Leurs cotisations sont prises en charge par l’État et calculées sur une assiette forfaitaire correspondant à la rémunération minimale de l’apprenti (elle-même dérogatoire au droit commun, car inférieure au SMIC) abattue de 11 points de SMIC. Les apprentis valident ainsi entre six et onze trimestres selon leur âge sur un cycle d’apprentissage de trois ans.

Le rapport Moreau proposait de supprimer l’abattement de 11 points ainsi que l’assiette forfaitaire des cotisations. Il proposait en outre d’instaurer une assiette minimale pour la seule assurance vieillesse, qui corresponde à 200 heures de SMIC par trimestre.

L’article 17 vise à permettre aux apprentis de valider l’intégralité de leurs trimestres d’apprentissage, en supprimant l’abattement de 11 points et en introduisant un système de validation complémentaire de droits à la retraite pour les apprentis qui ne valideraient toujours pas autant de trimestres de retraite que de trimestre d’apprentissage sur une année civile. Cette mesure sera prise en charge par le Fonds de solidarité vieillesse, donc par la solidarité nationale, et non par les apprentis et leurs employeurs.

Le dispositif du rachat d’années d’études, introduit dans la loi du 21 août 2003, permet aux assurés de racheter jusqu’à douze trimestres d’assurance au titre des années d’études supérieures. Le tarif de ce rachat est actuariellement neutre, si bien qu’il varie selon l’âge et le niveau de revenu. Il reste cependant relativement élevé pour un jeune qui entre dans la vie active, et est très peu utilisé par les actifs de moins de 40 ans : seul 1 % des 2 500 rachats par an concerne des assurés de moins de quarante ans.

Afin de permettre aux jeunes générations qui font des études plus longues d’atteindre plus facilement la durée d’assurance requise, l’article 16 instaure un tarif préférentiel de rachat de trimestres d’études, valable dans les cinq ans suivant la fin des études, pour quatre trimestres au maximum.

Il s’agira d’un montant forfaitaire de 1 000 euros par trimestre au régime général, ce qui permettra d’aider davantage, en proportion, les assurés aux revenus les plus faibles. Des tarifs préférentiels sont également prévus pour les autres régimes.

Les stagiaires ne valident pas de trimestres d’assurance vieillesse, car les gratifications de stages sont totalement exemptées de cotisations sociales – sauf lorsqu’ils perçoivent une gratification supérieure à 75 % du SMIC.

Le rapport Moreau suggère de supprimer la franchise des cotisations sociales pour permettre la prise en compte de la gratification, soit 436 euros par mois minimum, comme assiette des cotisations. Cependant, une telle mesure renchérirait le coût des stages sans permettre aux stagiaires de valider autant de trimestres que de temps travaillé (il faudrait cinq mois de stage pour valider un trimestre). Si l’on ne soumettait la gratification qu’aux cotisations vieillesse, le surcoût pour l’employeur serait de 10 % de la gratification, soit 43,60 euros.

Lors de l’examen du présent projet de loi en commission, la ministre des affaires sociales a indiqué que le Gouvernement travaillait à la préparation d’une mesure permettant de valider des trimestres au titre des stages sans augmenter le coût de ces derniers pour les employeurs.

Il existe une différence de situation sociale pour les chômeurs effectuant un stage de formation professionnelle, selon qu’ils perçoivent des allocations d’assurance chômage ou qu’ils soient arrivés en fin de droits. Les premiers valident, au mieux, un trimestre dans l’année, tandis que les seconds valident un trimestre pour chaque totalisation de 50 jours d’indemnisation dans l’année civile.

Comme le suggérait le rapport Moreau, l’article 18 permet que soient considérées comme des périodes assimilées d’assurance vieillesse toutes les périodes de stages de formation professionnelle continue donnant lieu à cotisation, qu’elles soient rémunérées par l’État, la région ou non rémunérées mais faisant l’objet d’une prise en charge de cotisations par l’État. Chaque totalisation de cinquante jours de stage rémunéré par l’État, la région ou non rémunéré dans l’année civile ouvrira droit à un trimestre d’assurance vieillesse.

Cette mesure, dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2015, sera financée par le Fonds de solidarité vieillesse.

À cela s’ajoutera une mesure mise en œuvre par décret permettant d’élargir la prise en compte des périodes de chômage non indemnisé (article R. 351-12 du code de la sécurité sociale). Actuellement, les périodes de chômage non indemnisé peuvent donner droit à une validation gratuite des trimestres. La première période est validée pendant dans la limite de six trimestres. Ensuite, à chaque fois où au cours de sa carrière, un assuré arrive à l’expiration de ses droits à l’assurance chômage, il continue de valider des trimestres pendant un an. Cette durée est toutefois portée à cinq ans lorsque l’assuré est âgé d’au moins 55 ans à la date où il cesse de bénéficier des indemnités et a cotisé au moins 20 ans.

S’il reprend une activité avant l’expiration de ces délais, l’assuré cesse de bénéficier de trimestres de « périodes assimilées », et ce même si l’activité professionnelle retrouvée est insuffisante pour lui permettre de valider des trimestres d’assurance et qu’il reste en recherche d’emploi.

Afin d’éviter que l’alternance entre chômage non indemnisé et emploi ne réduise les droits à validation de trimestres, un décret devrait prévoir une possibilité de maintien des droits à validation de trimestres pour chômage non indemnisé, même en cas de reprise d’emploi, si l’assuré reste inscrit sur les listes de Pôle Emploi (chômeurs de catégorie B).

Les pensions agricoles reposent sur l’addition d’une retraite agricole forfaitaire, calculée en fonction du nombre de trimestres cotisés, et d’une retraite agricole proportionnelle calculée selon un système de points cotisés et ouverte aux aidants familiaux depuis 1994. S’y ajoute un étage complémentaire, également calculé selon un système de points, le régime de retraite obligatoire des non-salariés agricoles (RCO).

Le RCO a été conçu pour améliorer en priorité les petites retraites agricoles, d’abord au bénéfice des exploitants puis à celui de l’ensemble des non-salariés agricoles.

La loi du 4 mars 2002 instaurant un régime de retraite complémentaire obligatoire par répartition a organisé l’affiliation obligatoire au RCO des exploitants, les classant selon deux catégories :

– les chefs d’exploitations ou d’entreprises agricoles déjà retraités lors de la mise en œuvre du régime. Ils en ont bénéficié automatiquement au moyen de droits gratuits ;

– ceux dont la retraite a été liquidée après le 1er janvier 2003 : il s’agit alors également de droits gratuits, affectés sous conditions, ainsi qu’un complément de droits acquis par cotisations.

Le 1er janvier 2011, le RCO a été étendu aux collaborateurs d’exploitation ou d’entreprises agricoles et aux aides familiaux en métropole ainsi que dans les départements d’outre-mer (24). Les cotisations sont alors acquittées par le chef d’exploitation ou d’entreprise agricole au taux de 3 %, avec une assiette forfaitaire des cotisations égale à 1 200 fois le SMIC. En contrepartie à cette cotisation forfaitaire, le collaborateur d’exploitation ou l’aide familial acquiert 66 points de RCO par an. La montée en charge de ce dispositif devait permettre aux non-salariés de bénéficier d’une pension minimale garantie équivalente à 75 % du SMIC. En 2011, la cotisation minimale était de 515 euros pour 200 points portés au compte de l’assuré.

D’après le ministère de l’agriculture, les recettes des cotisations au RCO représentaient 338 millions d’euros en 2012, soit 62 % du total des charges du régime. 37 % des dépenses des dépenses étaient couvertes par l’affectation d’une fraction des droits sur la consommation des tabacs (202 millions d’euros en 2012).

Malgré ces efforts, les retraites des non-salariés demeurent faibles. Plusieurs facteurs structurels y concourent : le calcul de la retraite agricole s’effectue sur l’ensemble de la carrière (et non les 25 meilleures années) et il se fonde sur des revenus agricoles généralement faibles d’autant que la partie proportionnelle de la retraite agricole repose un barème de points fixé avant 1990 sur le revenu cadastral. À titre d’illustration, en 2011, les pensions moyennes de droit direct servies par le régime NSA étaient de 377 euros, soit des montants inférieurs de 40 % en moyenne à ceux du régime général. Le phénomène touche particulièrement les femmes.

Le projet de loi traduit l’engagement du Gouvernement de poursuivre ces améliorations. Outre les progrès généraux portant sur la pénibilité ou encore le statut des conjoints collaborateurs, il consacre trois articles à l’amélioration des pensions agricoles.

En premier lieu, les affiliés aux régimes agricoles bénéficieront des mesures générales de justice du projet de loi : maintien d’un droit à liquidation à 62 ans, facilitation du départ en retraite des polypensionnés, réduction du nombre d’heures cotisées pour la validation d’un trimestre. En outre, la prise en compte de la pénibilité concernera le monde agricole et notamment le secteur agro-alimentaire. Enfin, les mesures contenues à l’article 19 du projet de loi facilitant l’affiliation des conjoints collaborateurs en cas de décès du conjoint chef d’entreprise ou d’exploitation ou encore en cas de divorce représenteront certainement un progrès pour les conjoints d’exploitants.

Surtout, le texte apporte des mesures spécifiques au monde agricole. La réforme des retraites aura un impact très positif sur les petites retraites de ce régime. Elle octroie un complément de points au titre de la RCO afin de garantir un niveau de pension au moins équivalent à 75 % du SMIC, cet objectif, posé par la loi du 4 mars 2002 instaurant un régime de retraite complémentaire obligatoire par répartition, n’ayant jamais été atteint. Afin d’y remédier, le projet de loi met en place un système de complément permettant de garantir progressivement les 75 %.

Si l’affiliation au RCO a représenté un progrès indéniable, la situation des non-salariés non-exploitants (c’est-à-dire des collaborateurs et des aidants familiaux) demeure parfois relativement précaire. Leur affiliation tardive les conduit souvent à liquider des droits à pension avec un nombre de points insuffisant pour bénéficier d’un taux plein. C’est pourquoi le projet de loi attribue gratuitement 66 points par année d’assurance aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux ayant été affilié au moins 32,5 années au régime des non-salariés agricoles, qu’ils soient actifs ou retraités (article 21). Ces points supplémentaires portent sur les années précédant l’affiliation obligatoire (1er janvier 2011), pour un maximum de 17 annuités.

Cette mesure, qui s’applique aux personnes déjà retraitées ainsi qu’au nouveau flux, bénéficiera d’abord aux conjointes d’exploitants. Près de 557 000 personnes sont concernées, pour un coût qui devrait décroitre progressivement, de 160 millions d’euros en 2014 à 69 millions d’euros en 2040, avec un pic de consommation à 151 millions d’euros en 2017.

De leur côté, les assurés ne justifiant pas d’une affiliation suffisante voient également leurs droits renforcés (article 20). Ils bénéficieront désormais de la pension majorée de référence (PMR) quelle que soit leur durée de cotisation, la condition d’une cotisation minimale de 17,5 annuités étant supprimée à compter du 1er janvier 2014. Cela leur permettra de bénéficier d’une retraite au moins égale à 541,30 euros pour les conjoints collaborateurs et à 681,20 euros pour les exploitants.

Le financement de ces mesures nécessitera de nouvelles ressources. Elles reposeront sur un élargissement de l’assiette des cotisations à la caisse agricole qui interviendra en loi de financement de la sécurité sociale. Elles doivent être examinées par le Parlement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. Elles s’ajouteront aux mesures générales de redressement des comptes, avec la hausse des prélèvements à court terme et de la durée de cotisation à partir de 2020. Il s’agit de diminuer les besoins de financement d’un régime structurellement déficitaire (2,5 milliards d’euros par an), du fait notamment d’une démographie professionnelle particulière (498 000 cotisants pour 1,6 million de bénéficiaires).

Se posera également la question de la caisse en charge de liquider les pensions de retraites lorsque sera mise en œuvre la possibilité d’une demande unique pour les polypensionnés. Spécificité de ce régime, 75 % des salariés agricoles n’en relèvent plus au moment de la liquidation de leurs droits à pension. Dans l’hypothèse où la dernière caisse de cotisation serait reconnue pilote, la MSA risquerait de perdre une bonne part de son activité. Cette situation serait d’autant plus regrettable qu’elle dispose des outils permettant un suivi au plus près de ses assurés, par exemple au titre de l’AT-MP. Il est souhaitable que la traduction réglementaire de cette disposition en tienne compte le moment venu.

Le droit en vigueur tient compte des difficultés particulières que rencontrent les personnes handicapées pour liquider des droits à pension à taux plein. Le handicap a également pour conséquence statistique une diminution de l’espérance de vie à la retraite par rapport à la moyenne nationale. Le handicap crée donc une inégalité manifeste que la solidarité nationale compense encore timidement. Le projet de loi vise à mieux compenser ces contraintes.

Il concerne la possibilité de liquider une retraite anticipée à 55 ans d’une part, et celle de liquider la retraite à taux plein à l’âge légal d’autre part. En l’état, ils bénéficient d’un droit à liquidation de leur retraite à partir de 55 ans, pour un taux plein de 50 % :

– les personnes souffrant pendant leur période d’assurance d’un taux d’incapacité permanente de 80 % reconnu par la Commission des droits et de l’autonomie de la maison départementale des personnes handicapées ;

– ou celles reconnues comme travailleurs handicapés dans le cadre du dispositif dit « RQTH » (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé).

L’une ou l’autre de ces conditions bénéficie à une dizaine de milliers d’assurés chaque année.

Elles doivent en outre réunir une durée d’assurance suffisante et, durant celle-ci, avoir validé une période minimale de cotisation. Ces critères sont calculés à partir de la durée exigée des travailleurs valides pour liquider une retraite à taux plein, à savoir 160 trimestres cotisés. Les durées exigées d’assurance et de cotisations sont diminuées en fonction de l’âge de départ à la retraite, tel qu’illustré dans le tableau ci-après.

Pour un départ à
la retraite à :

Durée totale d’assurance

Durée cotisée

La durée nécessaire pour le taux plein est diminuée de :

55 ans

40 trimestres

60 trimestres

56 ans

50 trimestres

70 trimestres

57 ans

60 trimestres

80 trimestres

58 ans

70 trimestres

90 trimestres

59 ans

80 trimestres

100 trimestres

Source : CNAV

Ces conditions sont restrictives : le niveau de handicap est élevé et il doit avoir été reconnu au plus tard six trimestres après le début de la période de cotisation exigée.

Un dispositif spécifique existe dans la fonction publique. La loi du 11 février 2005 a en effet prévu d’un départ anticipé à la retraite avec majoration des droits de pension. Il peut obtenir une retraite à taux plein avant l’âge légal s’il réunit les conditions suivantes :

– Souffrir d’un taux d’incapacité permanente reconnu par la CDAPH au moins égal à 80 % ;

– d’un nombre suffisant de trimestres d’affiliation tous régimes confondus depuis la reconnaissance du handicap (par exemple de 126 trimestres cotisés pour une personne née après 1953 et liquidant ses droits à 55 ans) ;

– d’un nombre suffisant de trimestres cotisés tous régimes confondus depuis la reconnaissance du handicap (106 trimestres dans l’exemple précité) ;

– qu’une incapacité permanente au moins égale à 80 % ait été reconnue sur la période en question.

En dehors du dispositif de retraite anticipée, les personnes handicapées peuvent liquider de droit une retraite à taux plein à l’âge de 65 ans. La réforme des retraites de 2010 a entériné l’élévation de l’âge auquel tout assuré peut y prétendre, quelle que soit sa durée de cotisation, passant progressivement de 65 à 67 ans entre 2016 et 2023. Les personnes justifiant d’une incapacité d’au moins 50 % au sens de l’article L. 82-2 du code de la sécurité sociale, qui fixe les conditions d’obtention de l’allocation adulte handicapé (APA), en ont été préservées.

Elles concernent les pensions liquidées au titre du régime général et des régimes complémentaires.

En ce qui concerne les possibilités de liquidation des droits à la retraite avant l’âge légal, dans un souci de justice et de simplification, le projet de loi retiendrait désormais pour seul critère la reconnaissance du handicap celle d’un taux d’incapacité permanente de 50 %. La condition de RQTH, jugée complexe et peu revendiquée tombe au profit d’un abaissement du taux d’incapacité minimal. Ce dispositif concerne les personnes justifiant d’une durée d’assurance suffisante (cf. supra). L’impact budgétaire de la mesure est difficile à évaluer. En particulier, le constat de la complexité de la procédure RQTH laisse supposer que de nombreux assurés n’ont pas accompli les démarches de reconnaissance justifiant d’un taux d’incapacité permanente au moins égal à 50 %. C’est donc un quasi doublement des bénéficiaires du dispositif qui est envisagé au terme de la montée en charge de cette mesure, engendrant un coût supplémentaire d’environ 20 millions d’euros par an.

Pour les personnes ne justifiant pas d’une durée de cotisation suffisante, l’âge de liquidation d’une pension à taux plein sera garanti dès 62 ans, au lieu de 65 ans aujourd’hui au terme de la loi de 2010 portant réforme des retraites, et ce, quelle que soit la durée de cotisation, pourvu que les intéressés justifient d’un taux d’incapacité permanente au moins égal à 50 %. L’étude d’impact ne fournit pas d’évaluation précise du nombre de personnes supplémentaires qui en bénéficieraient, probablement quelques milliers. Le coût estimé devrait être de 30 millions d’euros chaque année pour le régime général, les besoins croissant jusqu’à atteindre 50 millions d’euros annuels à l’horizon 2040. On notera toutefois que les évaluations fournies dans l’étude d’impact à ce titre comme pour l’essentiel des mesures dites de justice semblent parfois approximatives.

Est reconnue « aidant familial » toute personne qui prend en charge de façon permanente une personne handicapée, qu’il soit enfant ou adulte, le taux de handicap étant fixé à 80 %. Cet investissement est souvent lourd, pénalisant généralement la carrière professionnelle des femmes. C’est pourquoi divers dispositifs existent afin de reconnaître et de compenser cette contrainte.

Depuis 1975, les aidants familiaux d’une personne lourdement handicapée bénéficient de l’affiliation gratuite et obligatoire à l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), régime qui tient compte des retraits ou réductions d’activité auxquels elles sont contraintes. Soumises à conditions de ressources, l 600 personnes bénéficient de l’AVPF.

Les aidants familiaux accompagnant des enfants lourdement handicapés bénéficient d’une bonification de leur durée d’assurance d’un trimestre par période de 30 mois de prise en charge.

Le projet de loi propose d’élargir le bénéfice de l’AVPF aux aidants familiaux d’adultes lourdement handicapés ou de personnes âgées dépendantes en supprimant la condition de ressources. En outre, il leur accorde également la même majoration de durée d’assurance, d’un trimestre par période de 30 mois. Le bénéfice de cette disposition est, là encore, ouvert à hauteur de huit trimestres. Aucune disposition du projet ne paraît exclure le cumul des dispositifs concernant l’aide à un enfant handicapé et celle à un adulte.

En outre, l’article 25 supprime la condition de ressources imposée aux aidants familiaux pour bénéficier de la validation au titre de la retraite des périodes d’aide auprès d’une personne handicapée.

L’impact financier de cette mesure est difficile à évaluer. L’étude d’impact relève qu’environ 1 600 assurés bénéficient de l’AVPF en qualité d’aidant familial d’un adulte handicapé. Elle retient l’hypothèse d’un flux annuel de 100 personnes bénéficiant dispositif en anticipant leur départ en retraite. Cette hypothèse se traduirait par un coût annuel de 1,6 million d’euros par an en 2014. Toutefois, la suppression de la condition de ressources va mécaniquement augmenter le nombre d’affiliés à l’AVPF et donc, progressivement, le flux de demande de liquidation. Au final, l’hypothèse retenue est donc celle d’un coût global de 100 millions d’euros à l’horizon 2040, une évaluation qu’il convient donc d’appréhender avec prudence.

Comme le souligne l’étude d’impact, les taux d’emploi des seniors en France sont croissants, mais demeurent inférieurs aux moyennes européennes. En 2011, le taux d’emploi des seniors âgés de 55 à 64 ans atteignait 41,5 %. Il était inférieur pour les femmes (39,1 %, contre 44,1 % pour les hommes). Bien qu’en augmentation, il reste inférieur à la moyenne européenne (47,4 %).

Comme en France, dans la grande majorité des pays de l’OCDE, l’âge effectif moyen auquel les seniors se retirent de l’activité a fortement diminué entre le début des années 1970 et le milieu des années 2000 (d’environ 5 ans en moyenne dans les pays de l’OCDE – de 68 ans à 63 ans pour les hommes et de 67 ans à 62 ans pour les femmes – et de près de 9 ans en France – de 68 ans à 59 ans tant pour les hommes que pour les femmes) et se situe encore aujourd’hui en deçà de l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite.

Depuis le début des années 2000, les pouvoirs publics ont engagé des politiques d’encouragement de l’emploi des seniors, à rebours des politiques de sorties précoces du marché du travail menées dans les années 1970 et 1980. Par ailleurs, le décalage progressif de l’âge légal de départ à la retraite a un impact à la hausse sur le taux d’emploi des seniors. S’y ajoutent des mesures spécifiques visant à favoriser l’emploi des seniors, telles que le contrat de génération créé par la loi du 1er mars 2013. Ces politiques commencent à porter leurs fruits, mais l’âge de sortie d’emploi demeure inférieur à l’âge légal de départ à la retraite et les politiques de transition entre emploi et retraite sont encore trop complexes et parfois peu connues.

Ainsi, si l’objectif de l’élévation du taux d’activité des seniors et surtout, de leur taux d’emploi, ne saurait être remis en cause, il convient de ne pas mener une politique aveugle : on ne peut en effet pas nier le fait qu’il est extrêmement difficile de retrouver une activité après 55 ans ; et que l’objectif d’élévation de leur taux d’emploi ne peut valoir universellement, sans considération des conditions d’emploi, de la pénibilité, de l’âge auquel les personnes ont par ailleurs commencé à travailler, ce qui recoupe la problématique des conditions de travail et la prise en compte de la pénibilité par la réforme des retraites.

Dans le but de faciliter la transition entre emploi et retraite des seniors, le projet de loi mobilise deux instruments : l’extension de la retraite progressive et l’aménagement du cumul emploi-retraite.

Le caractère restrictif de la retraite progressive n’ouvre ce dispositif qu’à une fraction des assurés, qui sont du reste nombreux à l’ignorer du fait de sa complexité. Malgré son impact positif sur l’emploi des seniors et la transition emploi/retraite, la retraite progressive ne concerne ainsi aujourd’hui que 2 409 assurés.

C’est pourquoi il est proposé, à l’article 11, d’étendre son bénéfice, en :

– diminuant de deux ans l’âge d’ouverture du dispositif, le portant donc à 60 ans pour un âge légal de départ en retraite de 62 ans ;

– intégrant l’ensemble des régimes dans le calcul de la durée d’assurance requise de 150 trimestres, les trimestres cotisés au titre d’un régime spécial ou d’un régime de la fonction publique ne pouvant aujourd’hui être comptabilisés ;

– renvoyant à la voie réglementaire le soin, d’une part, d’abaisser la durée de cotisation minimale pour accéder au dispositif, d’autre part, de simplifier le barème fixant la fraction de pension versée en fonction de la durée du travail à temps partiel choisie, en veillant à ce que la somme en soit toujours proche de 100 %.

L’étude d’impact évalue le coût total de ces mesures à 50 millions d’euros d’ici 2017, dans l’hypothèse d’un quintuplement des bénéficiaires du dispositif.

Comme le souligne l’exposé des motifs du projet de loi, « la coexistence de différentes règles, associée à de nombreuses exceptions nuit à la compréhension globale du système ainsi qu’à un accès de tous au cumul emploi-retraite ».

C’est pourquoi il est proposé, à l’article 12, de supprimer toute forme d’iniquité entre les assurés grâce à :

– la fin de la notion de groupes de régimes. La liquidation d’une pension dans n’importe quel régime, supposera désormais de mettre fin obligatoirement à l’ensemble de ses activités ;

– la généralisation du principe de cotisations non génératrices de droits nouveaux à retraite quels que soient le régime de l’assuré et l’âge de liquidation de sa pension.

Selon l’étude d’impact, le rendement de la mesure atteindrait environ 30 millions d’euros de moindre dépense pour les régimes de base l’année de l’entrée en vigueur, soit 2015, et 450 millions d’euros au terme de la montée en charge.

Notons que le Gouvernement s’est engagé à mettre en place un mécanisme d’intéressement à la reprise d’une activité professionnelle pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Sera ainsi exclue du montant des ressources prises en compte pour calculer l’ASPA, une partie des revenus d’activité. Selon l’étude d’impact, la mesure entrerait en vigueur dès le 1er janvier 2014 et concernerait l’ensemble des régimes. Son coût est estimé à environ 10 millions d’euros par an pour le seul régime général.

IV. UNE RÉFORME QUI POSE LES BASES D’UN PILOTAGE GLOBAL ET D’UNE SIMPLIFICATION DES RÉGIMES DE RETRAITE

La succession de « grandes réformes » des retraites est de nature à casser la confiance des assurés, et en particulier des plus jeunes, en la pérennité de notre système de retraites. C’est pourquoi le présent projet de loi propose d’instaurer un mécanisme de pilotage de la trajectoire des régimes de retraite, visant à alerter le Gouvernement et la représentation nationale en cas d’écarts par rapport à la trajectoire de redressement des comptes des régimes de retraite, et à proposer des mesures de correction au fil des ans.

Parce que la confiance repose aussi sur la transparence et la lisibilité, le présent projet de loi vise aussi à simplifier le système, en particulier pour les polypensionnés, à améliorer la gouvernance des régimes et à les rapprocher à travers la mise en place d’une structure inter-régimes chargée de coordonner les projets de simplification.

L’article 3 met en place un mécanisme de pilotage annuel de l’ensemble du système de retraite, qui doit porter à la fois sur la trajectoire financière des régimes et sur leur adéquation aux objectifs fixés à l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale (article 1er du présent projet de loi).

Il s’agit de mettre un terme aux réformes par à-coups et de renforcer la confiance des assurés, notamment des jeunes générations, dans la capacité du système à satisfaire les objectifs définis.

Un comité composé de cinq experts (comité de surveillance des retraites, renommé comité de suivi des retraites par votre commission) est chargé de rendre chaque année un avis sur l’adéquation du système de retraite à ses objectifs et sur la situation comparée des hommes et des femmes. Il s’appuie sur les travaux du COR et des administrations.

En cas d’écarts constatés par rapport aux objectifs, le comité doit formuler des recommandations en recettes et en dépenses. Il s’agit de :

– réajuster la trajectoire financière en cas de choc conjoncturel comme de choc structurel (baisse du taux de croissance potentiel, changement des perspectives démographiques par exemple) ;

– rectifier une situation qui ne serait pas conforme aux autres objectifs fixés par la loi (notamment par l’article L. 111-2-1 précité).

Parmi ces objectifs, on trouve l’équité entre générations. Jusqu’à présent, le système est resté assez équitable : la génération partie en retraite il y a 15 ans a moins cotisé mais a une espérance de vie plus courte que la génération qui part à la retraite actuellement. La question reste posée pour les générations à venir, auxquelles il faut garantir qu’elles seront traitées de façon équitable. Dans le contexte d’un fort déséquilibre démographique, ce point devra être surveillé par le comité.

L’article 3 dresse une liste non limitative du type de recommandations que pourra rendre le comité. Outre les leviers de la durée d’assurance, du taux de cotisations et d’autres types de ressources (cette dernière possibilité ayant été ajoutée par votre commission), le comité pourra proposer de mobiliser une partie du capital du Fonds de réserve pour les retraites (FRR). En revanche, le texte ne mentionne pas la possibilité de suggérer une modification de l’âge légal de liquidation – éventualité qui n’est cependant pas écartée, puisque la liste n’est pas limitative.

Afin de respecter un certain équilibre entre effort des actifs et effort des retraités, les recommandations du comité sont encadrées entre un « plancher » constitué par un taux de remplacement minimal et un plafond constitué par un taux de cotisations maximal.

Le comité jouera aussi un rôle d’observatoire des inégalités et de suivi des dispositifs mis en œuvre pour les corriger.

Le présent projet de loi propose des mesures devant améliorer la gouvernance des caisses agricole et libérale ainsi que le pilotage de la politique des retraites dans la fonction publique.

Le Gouvernement a souhaité accroitre l’implication de la caisse centrale de la mutualité agricole (CCMSA) dans le pilotage des retraites agricoles et notamment du régime complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles. L’article 31 du projet de loi traduit cette ambition en faisant de la CCMSA une véritable force de proposition qui serait désormais habilitée à décider de variations de trajectoires cibles ainsi que de variations de ressources au titre des droits sur les tabacs. Elle éclairera régulièrement le gouvernement sur l’évolution des principaux paramètres du régime des non-salariés agricoles et celle des valeurs de service et d’achat des points de retraites ainsi que des taux de cotisation. C’est à l’appui de ses avis que le Gouvernement décidera in fine de leurs évolutions, par arrêté.

Le projet de loi entend également réformer la gouvernance des caisses des professions libérales.

Le régime vieillesse des professions libérales

L’organisation autonome d’assurance vieillesse des professions libérales (OAAVPL) rassemble près d’un million d’affiliés. Les cotisants sont au nombre de 800 000, dont 200 000 auto-entrepreneurs, et 200 000 pensionnés. Les pensions servies s’élèvent à 4 milliards d’euros dont : un milliard d’euros au titre du régime de base ; 2,2 milliards d’euros pour les régimes complémentaires et 800 millions d’euros pour les régimes sur-complémentaires dont bénéficient certaines professions médicales et paramédicales.

Depuis 2001, les assurés de la caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) relèvent d’un régime par points, dont les cotisations sont organisées selon un barème de cotisation proportionnel aux revenus comportant deux tranches. En outre, depuis la réforme de 2003, les pouvoirs publics ont engagé un processus d’harmonisation du fonctionnement de ces régimes avec le régime général, sur le périmètre du régime de base.

Si ces régimes présentent une démographie très favorable aujourd’hui, avec un ratio de trois cotisants pour un retraité, la Cour des comptes a relevé que l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom va sérieusement compliquer l’équation financière (passage à un ratio de trois pour deux en 2020 et de un pour deux en 2030), d’autant que l’affiliation des auto-entrepreneurs a représenté un coût important pour ce régime. Le besoin de financement atteindrait entre 500 et 600 millions d’euros par an à partir de la décennie 2030, malgré les solides réserves dont dispose le régime aujourd’hui. Autant d’arguments plaidant pour une préparation de l’avenir des plus rigoureuses et donc pour une optimisation de ses outils de pilotage.

La situation de la CNAVPL et de ses dix sections professionnelles (26) a été récemment l’objet de divers rapports qui ont mis en avant l’opportunité de poursuivre la convergence de cet ensemble avec les autres caisses sur le plan de la gouvernance. Il s’agit en effet du seul régime dont le directeur ne soit pas nommé par le Gouvernement mais par son propre conseil d’administration. Par ailleurs, la CNAVPL n’a pas réussi depuis 2003 à s’imposer comme un véritable chef de file, échouant à harmoniser les procédures de gestion ou encore la formation des personnels. À titre illustratif, la caisse nationale ne compte qu’une vingtaine d’employés quand les sections en rassemblent à peu près un millier.

Pour la Cour des comptes en particulier, « les réformes des régimes de retraite des professions libérales apparaissent aujourd’hui trop limitées pour faire face aux défis démographiques des prochaines décennies. Leur pérennité impose un pilotage global ». Elle ajoute que « la forte tradition d’autonomie des sections professionnelles et l’absence de pilotage d’ensemble des régimes n’ont [...] pas permis d’envisager jusqu’alors une approche en termes d’équilibre global » (27).

Or, le droit en vigueur n’est pas particulièrement contraignant. En particulier, l’article L. 641-2 qui définit les responsabilités de la CNAVPL est relativement souple : « la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales assure la gestion du régime d’assurance vieillesse de base des professionnels libéraux et la gestion des réserves du régime dans les conditions prévues au présent titre ».

Pour remédier à ces carences, et mieux accompagner la mise en cohérence de ce régime, l’article 32 comporte des dispositions précises visant à renforcer le rôle de la CNAVPL ainsi que les procédures de contrôle de l’OAAVPL. Ces mesures ne concernent que la gouvernance, l’organisation et les rapports avec l’État, en aucun cas les modes de calcul des pensions.

Ainsi, le projet de loi rappelle les compétences de la CNAVPL vis-à-vis des sections professionnelles. Elle doit en particulier s’assurer de la bonne gestion du régime d’assurance de base par les sections et piloter les évolutions des systèmes d’information et de communication.

Comme les autres caisses nationales, la CNAVPL devra conclure des contrats de gestion avec les sections et un contrat d’objectifs avec l’Etat, dans le droit fil des recommandations de la Cour, pour qui « La conclusion d’une telle convention semble [...] indispensable et serait de nature à inscrire l’organisation des retraites des professions libérales dans une démarche de modernisation de sa gestion et de pilotage global. Elle contraindrait la CNAVPL à s’engager sur des objectifs clairs et partagés et conforterait son rôle comme tête de réseau ». Aux termes du projet de loi, son directeur sera nommé par le Gouvernement, par voie de décret, le conseil d’administration de la caisse nationale conservant la faculté de s’opposer à une nomination.

Le présent projet de loi améliore également le pilotage de la politique des retraites des trois fonctions publiques. L’article 30 conduira le Gouvernement à organiser un débat annuel sur la politique des retraites dans les fonctions publiques avec les organisations syndicales de fonctionnaires. Les contours de ce débat sont peu contraignants, le projet de loi ne comportant pas de disposition particulière sur son contenu ou de calendrier précis. L’étude impact mentionne toutefois le suivi de grands indicateurs que sont le taux de remplacement, l’évolution moyenne des pensions, la situation financière des régimes ou encore la comparaison de l’évolution des pensions entre hommes et femmes. Ce débat permettra en outre de mieux informer l’ensemble du public sur la réalité et l’évolution des retraites dans les trois fonctions publiques.

La lisibilité et la transparence du système de retraite sont des éléments essentiels à la confiance et la compréhension des réformes engagées.

Des progrès considérables ont déjà été accomplis au cours des dix dernières années. Tout d’abord, la loi du 21 août 2003 avait pour ambition de fournir une information complète à tous les assurés, en englobant les régimes complémentaires obligatoires, et de permettre des échanges fluides d’informations entre les régimes, en coordonnant leurs bases de données. Elle a prévu :

– l’envoi automatique à partir de 35 ans, puis tous les cinq ans, ou sur demande de l’assuré, d’un relevé de situation individuelle au regard de l’ensemble des droits que l’assuré s’est constitué auprès des régimes de retraite obligatoires ;

– la fourniture automatique et périodique à partir de 55 ans, d’une estimation indicative globale du montant des pensions de retraite que l’assuré sera susceptible d’obtenir à son départ à la retraite de la part des régimes de retraite obligatoires ;

– la création d’un groupement d’intérêt public, le « GIP Info Retraite », composé de l’ensemble des régimes de retraite obligatoires, de base et complémentaires ; ce GIP doit combiner l’action de ses trente-six membres sans se substituer à eux, pour l’établissement des situations individuelles, l’échange des données entre les régimes et la fourniture des informations aux assurés. Ainsi, il vise à effacer aux yeux des assurés la complexité de l’architecture des régimes de retraite français.

La loi du 9 novembre 2010 a prévu que le relevé de situation individuelle (RIS) puisse être communiqué à tout moment, par voie électronique, à la demande de l’assuré. Elle a également ajouté le droit, sur demande, à un entretien avec un conseiller des caisses de retraite.

Le présent projet de loi propose de franchir une nouvelle étape dans l’amélioration du droit à l’information des assurés, en permettant la création d’un service en ligne donnant un accès permanent au dossier de chaque assuré.

L’article 26 prévoit que d’ici 2017, chaque assuré aura un compte individuel de retraite en ligne qui lui permettra de connaître les droits qu’il a acquis et de faire des simulations sur ses pensions. Au moment de liquider sa retraite, il n’aura plus qu’une seule demande à faire, avec une déclaration en ligne pré-remplie.

Au-delà du droit à l’information, la lisibilité peut passer par une simplification des modalités d’acquisition et de calcul des droits à retraite, voire de l’architecture même du système.

Le régime général et les régimes alignés calculent de manière indépendante, sur la base des droits acquis en leur sein, les pensions de leurs assurés. C’est seulement pour le calcul de la décote que la durée d’assurance est appréciée en prenant en compte la durée totale acquise dans l’ensemble des régimes de retraite. Cette situation conduit, à carrière identique, à des montants de pensions différents entre assurés monopensionnés et assurés polypensionnés.

Selon les cas, un polypensionné peut être avantagé ou désavantagé. Par exemple, s’il gagne la même année plus de 800 heures de SMIC dans deux régimes, il validera 4 trimestres dans chacun des régimes, soit 8 trimestres au total. À l’inverse, s’il gagne 800 heures de SMIC au total, réparties entre deux régimes, il n’atteindra pas 4 trimestres au total.

La règle de calcul du salaire annuel moyen est défavorable aux polypensionnés, car les meilleures années sont retenues régime par régime.

Enfin, l’ordre d’affiliation à plusieurs régimes n’est pas neutre sur le montant total de pension ; par exemple, les polypensionnés privé-public sont généralement désavantagés par rapport aux polypensionnés public-privé.

Même entre des régimes qui ont des règles identiques ou quasi-identiques, les polypensionnés ne sont pas dans la même situation que les monopensionnés, puisque chaque régime calcule la pension de façon indépendante.

L’article 28 propose, pour les assurés affiliés à plusieurs régimes alignés (régime général, RSI, salariés agricoles), de calculer la pension comme si l’assuré avait relevé d’un seul régime : ainsi, pour les années durant lesquelles l’assuré a relevé d’au moins deux régimes alignés, il sera procédé à la somme, d’une part, des revenus sur lesquels il a cotisé auprès des régimes alignés et, d’autre part, des trimestres qu’il a validés auprès de ces régimes. Le total de ces revenus sera retenu dans la limite du plafond de la sécurité sociale et celui des trimestres dans la limite de quatre trimestres.

L’assuré restera affilié à deux régimes, juridiquement, mais l’ensemble des droits ouverts seront calculés comme si l’assuré n’avait relevé que d’un régime. Par souci de simplification, le régime principal sera chargé de verser l’intégralité de la pension au polypensionné.

L’impact financier de cette mesure est difficile à évaluer dans la mesure où des effets favorables et défavorables pour les assurés se conjuguent. Le Gouvernement suppose que ces effets se neutraliseront.

Cette solution concernera 43 % des polypensionnés. Il n’est pas possible de le mettre en œuvre pour des régimes qui ont des règles de calcul des droits différentes.

Si le montant annuel de la retraite personnelle, y compris les avantages complémentaires, est inférieur à 156,09 euros par an, la retraite n’est pas servie mensuellement. Elle est payée en un versement forfaitaire unique (VFU) égal à 15 fois le montant annuel de la retraite.

L’article 29 supprime le versement forfaitaire unique (VFU), en le remplaçant par deux systèmes différents selon que le retraité est mono ou polypensionné :

– pour les monopensionnés, le VFU est remplacé par un remboursement de cotisations ;

– pour les polypensionnés, les pensions sont mutualisées afin que la pension donnant lieu à VFU soit servie en rente par le régime servant la pension la plus importante.

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Certains souhaiteraient – sans livrer le mode d’emploi d’un tel programme – que l’on aille jusqu’au bout du rapprochement des régimes des retraites, en créant un système unique. L’idée d’un système par points revient souvent.

Dans son septième rapport (28), le COR a procédé à une analyse comparée des caractéristiques des différentes modalités de calcul des droits dans un régime de retraite en répartition (annuités, points et comptes notionnels) au regard des objectifs du système.

Votre rapporteur estime que dans un contexte financier et démographique très déséquilibré, une telle réforme n’est pas souhaitable. Elle n’apporterait aucune solution aux déficits actuels.

La mise en œuvre d’une réforme systémique n’est pas un préalable à la poursuite d’un processus de simplification dans le cadre même du système actuel. Les mesures de coordination et de mutualisation entre régimes proposées par le présent projet de loi doivent déjà permettre d’aller vers une bien plus grande simplicité pour les assurés, en particuliers pour les polypensionnés. Votre rapporteur estime qu’il faut poursuivre dans ce sens, sans qu’il soit nécessaire de tout remettre à plat.

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TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- AUDITIONS ORGANISÉES PAR LA COMMISSION

La Commission des affaires sociales entend des représentants des salariés (CGT, CGT-FO, CFDT, CFTC et CFE-CGC) sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites lors de sa première séance du mercredi 11 septembre 2013.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites a pour ambition de pérenniser un système de solidarité intergénérationnel et de gommer les inégalités existantes entre les hommes et les femmes ainsi qu’en matière de pénibilité. Je remercie les intervenants pour leur présence malgré un agenda chargé.

M. Serge Lavagna, secrétaire national en charge de la protection sociale (CFE-CGC). Nous partageons l’idée qu’une réforme était nécessaire. Mais je consacrerai plutôt mon propos à vous faire part de nos critiques tant il est vrai que peu de choses nous conviennent dans ce projet de réforme.

De manière habile, la réforme comprend, d’une part, des mesures prenant effet immédiatement et, d’autre part, des mesures applicables à compter de 2020 – si une nouvelle réforme n’intervient pas d’ici là puisque cette réforme est la quatrième en dix ans.

S’agissant des mesures à long terme, l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans en 2035 est le principal instrument d’équilibre du système de retraite. Or cette mesure est profondément injuste. Les jeunes – les moins de quarante ans aujourd’hui – sont les grands perdants de la réforme. Alors que la génération âgée de trente ans aujourd’hui doit déjà cotiser trois années de plus que celle de ses parents, en augmentant encore la durée de cotisation, vous lui promettez une retraite à 67 ou 68 ans qui se traduira in fine par une retraite amputée tant l’objectif est inaccessible. Vous envoyez un signal négatif aux jeunes générations qu’il ne faut pourtant pas désespérer. C’est là le point le plus grave selon nous de cette réforme.

Nous souhaitons que l’allongement de la durée de cotisation s’accompagne d’une prise en compte de l’âge légal de départ à la retraite. Ce n’est pas la même chose de partir à la retraite avec 43 années de cotisation à 62 ou 67 ans, indépendamment des différences sociales, professionnelles ou sexuelles qui déterminent l’espérance de vie. Vous frappez les jeunes qui entrent tardivement sur le marché du travail et plus encore dans la vie active ainsi que les personnes aux carrières heurtées que sont souvent les femmes. Cela est profondément injuste.

À l’attention des jeunes, nous plaidons pour une prise en compte des années d’études par le biais d’un rachat d’une partie d’entre elles à un taux acceptable. Cette proposition est inspirée de la pratique belge qui permet ce rachat grâce à des cotisations sur la base du SMIC. Sur ce point, la mesure contenue dans la réforme est un leurre : la possibilité de racheter une année d’études avec un abattement modeste dans les cinq ou dix ans suivant la fin des études est inopérante et sera peu ou pas utilisée en pratique.

S’agissant du financement à court terme par l’augmentation des cotisations, les salariés seront les seuls à payer puisque la hausse de la part patronale sera compensée d’une manière ou d’une autre. Nous sommes opposés à une mesure qui ampute le pouvoir d’achat des salariés. En revanche, nous sommes favorables à l’instauration d’une cotisation sociale sur la consommation qui aurait vocation à financer, non pas les retraites – la retraite doit demeurer une prestation liée au salaire, financée à ce titre par les cotisations sociales –, mais la branche maladie ou la branche famille, qui, en tant que prestations universelles, doivent être financées par l’impôt.

Sur la question de la pénibilité qui n’a jusqu’à présent jamais trouvé de réponse satisfaisante, nous notons une petite avancée. Nous regrettons cependant que les critères retenus pour le compte personnel de prévention de la pénibilité correspondent aux dix critères du code du travail. Ces derniers sont en effet le reflet d’une société industrielle alors que le secteur tertiaire a aujourd’hui pris le pas sur l’industrie. Les effets des risques psychosociaux doivent être reconnus dans le code du travail et pris en considération au risque d’adopter une réforme déconnectée de la réalité du monde du travail.

Nous serons attentifs aux décrets d’application sur ce sujet comme sur les autres car chacun sait que le diable est dans les détails. Par exemple, à quel moment considère-t-on qu’un salarié est exposé à la pénibilité ? Malgré l’incertitude sur sa mise en œuvre, le compte personnel de prévention de la pénibilité doit être expérimenté afin d’évaluer sa pertinence. Faute de temps, j’arrête là mon exposé liminaire mais je pourrai revenir sur d’autres points de la réforme en réponse aux questions.

M. Jean-Louis Malys, secrétaire national en charge des retraites (CFDT). La CFDT travaille de longue date sur le dossier des retraites. À partir de la réforme de 1993– qui, je le rappelle à l’attention de certains, a créé l’écart entre salariés du privé et du public – et plus encore de 2003, la CFDT a défini sa doctrine sur les retraites. Nous sommes favorables à une évolution de notre système de retraite, fondée sur les réalités démographiques, à condition que les efforts demandés soient justes. Tel est notre leitmotiv depuis des années. Notre stratégie, arrêtée à l’issue d’intenses débats lors du Congrès de 2010, s’articule autour de plusieurs principes.

Dès lors qu’un effort est demandé, la durée de cotisation constitue la variable d’ajustement la plus juste à condition d’aider ceux qui ont des difficultés à valider les trimestres. L’augmentation de la durée de cotisation doit s’accompagner de mesures correctrices des inégalités d’un système bâti pendant les Trente Glorieuses. Ces inégalités touchent principalement les femmes, les jeunes et les salariés aux carrières longues et pénibles.

En matière de financement, il faut distinguer les mécanismes contributifs – dans lesquels les cotisations génèrent des droits, comme pour l’assurance chômage et l’assurance retraite – des mécanismes universels que sont les prestations familiales et l’assurance maladie. Un redéploiement financier doit être opéré entre les logiques assurantielles et solidaires même si les frontières entre les deux sont perméables.

Enfin, il faut rapprocher les divers régimes. Les différences ne sont pas supportables. Une réforme ne peut néanmoins pas être menée en stigmatisant certaines catégories. Je rappelle qu’en 2007, toutes les organisations représentatives des salariés avaient approuvé la réforme des régimes spéciaux.

La CFDT a pleinement pris part à la réforme, que ce soit au sein du Conseil d’orientation des retraites ou de la commission présidée par Mme Yannick Moreau. Nous essayons de juger le projet de loi à l’aune des objectifs que nous avons assignés à une réforme des retraites. Si la réforme proposée nécessite encore des améliorations, parfois importantes, elle répond à ces objectifs. Elle répartit ainsi l’effort à fournir entre tous les acteurs du système de retraites – actifs, retraités, entreprises. Toutefois, si les entreprises devaient être dispensées d’effort, nous demanderions à ce que les salariés soient également exonérés.

Une réforme plus globale de la protection sociale doit également être menée dans laquelle le pouvoir d’achat des salariés doit être préservé. Nous ne confondons pas la question du coût du travail, qui pose problème en France, et celle du niveau du salaire net. À cet égard, nous regrettons que le redéploiement du financement de la protection sociale n’ait pas abouti.

Le report de six mois de la revalorisation des pensions doit témoigner aussi d’un partage des efforts. Seuls les bénéficiaires du minimum vieillesse, soit un tiers des retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté qui s’établit à 964 euros, sont épargnés par la mesure. Il importe que toutes les petites retraites soient dispensées de l’effort demandé.

L’augmentation des cotisations doit s’articuler avec le financement de la protection sociale. Nous serons attentifs à ce que les efforts soient justement répartis.

Plusieurs mesures nouvelles et importantes méritent d’être soulignées. L’abaissement du seuil de 200 à 150 heures nécessaires pour acquérir un trimestre de cotisation contribue à diminuer la précarité que subissent essentiellement les femmes à temps partiel. Cette mesure participe de l’amélioration des mécanismes d’acquisition des droits. Il en va de même de la prise en compte de toutes les périodes de formation professionnelle pour la validation de trimestres alors que ces périodes donnaient précédemment droit à la validation d’un seul trimestre par an. Pour les carrières longues, les mesures consolident le dispositif existant, mis en place à l’initiative de la CFDT. Le minimum contributif est amélioré de même que la situation des personnes handicapées et des aidants familiaux. Ce sont autant de pas importants en termes d’équité et de justice.

La prise en compte de la pénibilité est le résultat d’un très long combat mené par la CFDT et d’autres. La pire inégalité est celle qui veut que certaines catégories de salariés, notamment les ouvriers, aient une retraite d’une durée inférieure des deux tiers et une espérance de vie inférieure de six ans à la moyenne. Il est inacceptable de ne pas tenir compte de cette inégalité majeure dans un système de retraite par répartition. La création du compte personnel de prévention de la pénibilité est une conquête sociale. Au-delà des mesures de financement permettant de pérenniser le système de retraite, cette partie de la réforme va marquer durablement le paysage social tant en matière de réparation que de prévention de la pénibilité.

Les dix critères de pénibilité retenus sont récents puisqu’ils ont été reconnus par les partenaires sociaux en 2008 mais ils ont été définis dès 2003 dans un rapport remis par M. Yves Struillou au Conseil d’orientation des retraites. Ces critères permettent de toucher tous les salariés, y compris les emplois tertiaires. Je ne partage pas l’avis de mon collègue selon lequel ces critères ne s’appliqueraient qu’aux emplois industriels.

Certaines dispositions méritent cependant d’être précisées. Les seuils d’exposition à la pénibilité doivent être raisonnables. L’une des divergences avec le MEDEF dans la négociation de 2008 portait sur la définition de ces seuils, ce dernier souhaitant que des seuils légaux d’exposition soient mis en œuvre. Cela signifie que l’employeur devait être dans l’illégalité pour que la pénibilité soit reconnue… Aucun employeur ne l’aurait admis.

Nous serons attentifs à ces aspects. Nous considérons que la pénibilité ne peut être résumée aux dix critères retenus ; d’autres risques, notamment psychosociaux, existent mais ils ne doivent pas nécessairement être liés au régime de retraite. Par ailleurs, nous regrettons la non-rétroactivité du dispositif. La possibilité d’acquérir des droits à la retraite de manière accélérée sera ouverte aux salariés âgés de 59 ans et demi au 1er janvier 2015. Il faut sans doute permettre aux salariés de bénéficier du dispositif plus tôt.

Dans le mécanisme d’acquisition des droits en vitesse de croisière, le fait de consacrer obligatoirement les deux premiers trimestres acquis grâce au compte pénibilité à la formation professionnelle est utile car cela peut permettre à celles et ceux qui le veulent ou qui le peuvent de changer d’activité et donc de fuir la pénibilité. Mais cette franchise devrait être modulée en fonction de l’âge du salarié – il est trop tard à 58 ans pour envisager une formation professionnelle permettant de changer de métier.

D’autres mesures positives peuvent être améliorées.

En matière d’apprentissage, la validation de l’intégralité des trimestres travaillés – au lieu de huit ou neuf trimestres précédemment – est un signe important. Mais parallèlement, les périodes de stage étudiant devraient être mieux prises en compte, notamment au vu des abus constatés en la matière.

Quant à la refonte des droits familiaux, le système actuel est marqué par le modèle social et professionnel de la Libération – les droits sont attribués à l’homme puisque la femme n’a pas vocation à travailler. Or ce modèle n’est plus d’actualité. Malgré la progression des carrières féminines, le système de redistribution des avantages familiaux demeure aberrant. Ainsi, 70 % des avantages accordés aux familles ayant plus de trois enfants bénéficient encore à l’homme et aux familles aisées. Les règles actuelles interdisent à certaines femmes de prétendre à la majoration de pension pour enfant. Il est prévu de redéployer à compter de 2020 cette majoration en permettant notamment d’acquérir des droits dès le premier enfant. Il est selon nous souhaitable de ne pas attendre 2020 pour flécher davantage les avantages familiaux vers les femmes.

Le projet de loi apporte des solutions aux polypensionnés du secteur privé. En revanche, le problème des polypensionnés des secteurs privé et public reste entier. Le projet de loi n’y répond pas. Il faut pourtant favoriser une mobilité qui est aujourd’hui pénalisée par le système de retraite. Je rappelle que 40 % des personnes liquidant leur retraite sont poly-pensionnées.

Cette réforme comporte certes des limites mais aussi des avancées dont la moindre n’est pas de se dérouler sans heurts. La qualité d’une réforme ne se juge pas à l’émoi ou à la douleur qu’elle suscite. La justice sociale doit être au cœur d’une réforme intelligente en sollicitant des efforts justement répartis.

Mme Pascale Coton, secrétaire générale (CFTC). La CFTC a salué le rapport remis par Mme Yannick Moreau. Écrire certaines choses a permis d’apaiser la concertation. Je pense aux idées reçues sur les différences entre le secteur public et le secteur privé –s’agissant notamment du taux de remplacement prétendument meilleur dans le public – aux inégalités de retraite entre les hommes et les femmes – leurs causes et leurs conséquences – et à la pénibilité. À cet égard, le rapport reconnaît la pénibilité subie par certains salariés et la lourde responsabilité des entreprises mais aussi la capacité de l’État à demander des comptes aux entreprises.

La CFTC a émis plusieurs vœux lors de la concertation. En premier lieu, elle souhaitait qu’aucun changement n’intervienne avant 2020 en matière de reconstitution de carrière afin de ne pas déstabiliser les salariés qui ont déjà organisé leur départ à la retraite.

En second lieu, la durée de cotisation ne devait pas être portée au-delà de 43 ans. Nous sommes donc satisfaits du choix fait dans le projet de loi. La CFTC souhaitait parallèlement que tous les trimestres soient considérés comme du temps travaillé et cotisé, prenant ainsi en compte les congés de maternité, le temps partiel et l’apprentissage. De manière plus générale, la CFTC est favorable à une « retraite à la carte choisie » permettant à chacun de partir à la retraite quand il le souhaite dès lors qu’il estime avoir rempli sa mission envers la société.

En troisième lieu, la CTFC souhaitait la réactivation du Fonds de réserve pour les retraites afin de protéger le système de retraite en cas de nouvelle crise. Elle se félicite d’avoir été entendue.

Entre 2010 et 2013, 200 000 retraités ne sont plus comptabilisés dans les chiffres sur les retraites mais ils apparaissent dans les chiffres de Pôle emploi – ce qui n’est pas leur place – ou des entreprises. Si l’on souhaite laisser la place aux jeunes, il faut leur permettre de partir rapidement à la retraite et dans de bonnes conditions.

Les adhérents de la CTFC consultés étaient favorables à un passage de 6,6 à 7,5 % de la CSG sur leurs pensions de retraite, à condition de déduire les 0,3 % de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie. Malheureusement, cette mesure n’a pas été retenue dans le projet de loi.

En revanche, le report de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre est une mauvaise surprise. Cette sous-indexation, qui ne dit pas son nom, n’a au surplus jamais été évoquée lors de la concertation.

Autre point négatif : l’imposition des majorations de pensions de 10 % des retraités ayant élevé trois enfants ou plus, aura pour conséquence de rendre imposable des personnes qui ne l’étaient pas jusqu’à présent, les privant ainsi de certaines prestations sociales. Nous saluons néanmoins l’exonération des bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

Nous souhaitons que l’effort financier soit supporté par le plus grand nombre. À cet égard, les hausses de cotisations proposées nous conviennent. Toutefois, si une compensation devait être accordée aux entreprises, notre approbation serait conditionnée à l’octroi d’une compensation équivalente aux salariés.

La reconnaissance de la réalité de la pénibilité dans l’entreprise mais aussi du raccourcissement de la vie et du temps de retraite qu’elle occasionne tient à cœur à la CTFC. Nous avions proposé la mise en place d’un livret de santé pour tous les salariés. Nous soutenons le projet d’un compte personnel de prévention de la pénibilité qui n’est qu’un juste retour des choses. Mais tous les cas de pénibilité ne peuvent être traités de la même façon. Les points acquis doivent être différenciés selon les facteurs de pénibilité.

Depuis des années, nous citons ce chiffre effrayant : un tiers des femmes retraitées vivent en dessous du seuil de pauvreté. Comme je l’ai dit au Premier ministre, je ne sais plus quels mots employer pour faire comprendre ce que cela signifie. Le Gouvernement a complété récemment l’article 13 du projet de loi afin de prévoir la remise d’un rapport dans six mois sur la réforme des droits familiaux. Ce choix nous a inquiétés voire blessés. Cette question mérite mieux qu’un ajout de dernière minute dans une loi si importante. Nous espérons que ce rapport proposera des solutions avant 2020. Mais nous avons tant attendu que nous pouvons peut-être supporter dix années supplémentaires... Les femmes attendent mieux du Gouvernement et méritent mieux.

Il n’est pas normal que la société soit mise à contribution pour réparer les injustices créées par les entreprises, qu’elles concernent la pénibilité ou les femmes. Pourquoi préférer la sollicitation de la société à la sanction des entreprises ? Ne pourrait-on pas imaginer une surcotisation des entreprises qui abonderait un fonds social permettant de compléter les retraites des personnes victimes d’injustices ?

Les salariés demandent tous une meilleure lisibilité et visibilité du système de retraite, particulièrement les polypensionnés qui sont dans l’impossibilité de se projeter dans l’avenir.

Les modalités de pilotage prévues par le texte permettent de mesurer l’évolution du système qui, nous l’espérons, connaîtra des améliorations grâce à l’infléchissement de la courbe du chômage et à une plus grande place des jeunes dans l’entreprise. Ces modalités nous laissent également espérer qu’il sera possible d’alerter en temps utile et d’éviter que chaque élection nationale soit l’occasion de revenir sur les retraites au terme d’un débat imparfait. J’espère que ce pilotage permettra aussi de corriger le plus grand nombre d’injustices.

La CFTC continuera son combat sur la pénibilité et en faveur des femmes. Elle organise le 23 octobre sa journée de la femme avec pour thème la retraite au féminin afin de dénoncer l’inacceptable.

M. Philippe Pillet, secrétaire confédéral en charge des retraites (CGT-FO). Nous sommes attachés à la retraite par répartition qui est le reflet de la carrière active. On ne peut pas faire jouer à ce système un rôle qui n’est pas le sien : les inégalités dans le monde du travail se retrouvent malheureusement dans les retraites. Heureusement, environ 25 % de ces inégalités sont corrigées.

La mesure emblématique de cette réforme qui a justifié notre mobilisation est l’augmentation de la durée de cotisation. Elle fait fi de ce qu’un salarié sur deux, n’étant plus sur le marché du travail lors de la liquidation, n’est pas acteur de sa retraite.

Cet allongement de la durée de cotisation n’est pas admissible. Le Gouvernement adresse là un très mauvais message aux jeunes générations. À cet égard, les revendications de FO n’ont pas varié au gré des changements de majorité. En 1993 et plus encore en 2003, nous étions opposés à l’augmentation de la durée de cotisation. Nous le sommes encore.

L’utilisation de ce levier n’est pas nouvelle. Au début des années soixante-dix, la durée de cotisation du régime de base était de 120 trimestres et le taux de liquidation de 40 % du plafond. Ensuite, la durée est passée à 150 trimestres et le taux a été porté à 50 %. Déjà, l’exécutif et le législateur, conscients que nombre de salariés ne parviendraient pas à valider les 150 trimestres nécessaires, ont créé, pour les y aider, des majorations de durée d’activité. C’était le cas pour les femmes salariées auxquelles étaient attribués huit trimestres par enfant.

Aujourd’hui, la réforme obéit à la même logique schizophrénique : la durée d’activité augmente mais, face à l’impossibilité de l’atteindre, des trimestres gratuits sont attribués. Il serait plus simple d’arrêter d’allonger la durée de cotisation !

Quant au financement, nous assumons une hausse des cotisations salariales. En revanche, nous désapprouvons toute compensation de la hausse des cotisations patronales qui aurait pour conséquence de faire supporter aux seuls salariés le coût de la réforme.

Nous saluons les intentions affichées en matière de pénibilité. L’idée de substituer à l’approche individuelle et médicalisée de 2010 une approche collective et par métiers est intéressante. Nous suivrons avec attention les travaux parlementaires et les décrets d’application sur cette question.

S’agissant des femmes, nous sommes favorables à l’abaissement à 150 heures du seuil nécessaire pour valider un trimestre de cotisation. Néanmoins, il faut prendre garde à ne pas créer une trappe à précarité : 150 heures par trimestre, cela correspond à un contrat de travail de 12 heures par semaine. L’accord national interprofessionnel et sa traduction législative prévoient des dérogations pour autoriser de tels contrats. Nous devrons être vigilants. La mesure est bonne si le temps partiel est choisi, mais nous savons qu’il l’est rarement. En outre, même avec quatre trimestres validés par an grâce à ce dispositif, la faiblesse du salaire annuel moyen aura des conséquences sur le montant de la pension.

Nous sommes très déçus car la réforme ne comporte aucune mesure sur les majorations familiales. En guise de rattrapage, le projet rectificatif du Gouvernement prévoit la remise d’un rapport dans six mois. Il me semblait pourtant que le rapport remis par Mme Yannick Moreau proposait des solutions intéressantes et intelligentes – consistant à attribuer une majoration forfaitaire dès le premier enfant – qui pouvaient servir de base à une discussion…

Cela conforte notre analyse politique du projet : l’augmentation de la durée de cotisation n’est qu’un affichage en direction de la Commission européenne qui ne s’en satisfait d’ailleurs même pas.

Pour les jeunes, la mesure, au demeurant bienvenue, permettant aux apprentis de valider autant de trimestres de cotisation que de trimestres de formation n’est pas financée. Nous sommes réservés sur la possibilité offerte aux étudiants de racheter des années d’étude. À trente ans, la génération de 1974 a validé en moyenne douze trimestres de moins que la génération de 1950 – précisément, seize trimestres pour les salariés n’ayant pas fait d’études et huit pour ceux qui en ont fait. En dépit d’une intention généreuse, cette mesure favorise l’inégalité entre diplômés et non diplômés.

En matière de pilotage, il est heureux que le politique conserve la main sur les décisions : ce n’est là que la traduction des règles élémentaires de la démocratie. Le comité de surveillance des retraites peut néanmoins émettre des préconisations sur le taux de cotisation dans une limite fixée par décret.

Cette nouveauté risque d’introduire un changement majeur dans notre système de retraite par répartition en faisant d’un système à prestations définies – 50 % du salaire annuel moyen limité au plafond dans le régime général – un système à cotisations définies. Dans ce dernier, on s’interdit de modifier le taux de cotisation au profit d’un ajustement de la durée de cotisation ou du niveau des pensions. Cela n’est pas admissible pour nous. En outre, le comité de surveillance est compétent pour le régime obligatoire, c’est-à-dire pour le régime de base et le régime complémentaire. Cela préfigure une mise sous tutelle de l’ARRCO et de l’AGIRC que nous ne pouvons, non plus, accepter.

Si vous ajoutez au comité de surveillance en amont, l’union des institutions et services de retraite en aval – dont nous découvrons la création –, vous vous rapprochez d’un service universel et d’un régime de retraite unique que FO combat.

Enfin, FO souhaite attirer votre attention sur le besoin de stabilité du système de retraite par répartition. Une retraite dure 70 ans : quarante ans de cotisations, vingt ans de droits propres et dix ans de droits dérivés. Or, 70 ans, cela représente quatorze campagnes présidentielles mais combien de gages de stabilité ?

M. Eric Aubin, secrétaire confédéral en charge des retraites (CGT). Mon propos s’inscrit dans la critique constructive. Vous aurez peut-être noté que nous avons engagé un mouvement social. Nous sommes aussi au début des travaux parlementaires pour lesquels nous regrettons le recours à la procédure d’urgence qui laisse peu de temps au débat public.

Pour la CGT, la réforme des retraites doit tenir compte de la réalité de la situation de l’emploi et des politiques des entreprises. Or ce projet de réforme semble en décalage avec cette réalité.

La hausse de la durée de cotisation est le cœur de la réforme. Cette méthode, utilisée par les gouvernements précédents, est selon nous anti-jeunes et source d’injustice. L’objectif de quarante-trois années est inatteignable pour nombre de salariés. Il l’est pour la génération 1973 qui ne pourra bénéficier d’une retraite pleine avant 65 ans et demi, bien loin de l’âge légal de départ en retraite, comme l’ont souligné les organisations de jeunesse. Cette mesure est d’autant plus inacceptable au vu de la carrière de ces jeunes qui se caractérise par une entrée tardive sur le marché du travail et une stabilité de l’emploi qui l’est encore plus. Leur retraite s’en trouvera inévitablement amputée par l’application de décotes.

La première conséquence de l’allongement de la durée de cotisation est donc la baisse du niveau des pensions. Je vois une contradiction dans les propos du Premier ministre lorsqu’il affirme dans le même temps ne pas vouloir baisser le niveau de pensions mais vouloir allonger la durée de cotisation. Je rappelle que le faible niveau des pensions pose déjà problème ; selon le Conseil d’orientation des retraites, la moyenne s’établit à 1 246 euros.

Notre discours est constant quelles que soient les majorités politiques. La réforme de 2010 était selon nous injuste car elle était essentiellement supportée par les salariés. De la même manière, nous considérons que le financement de la réforme d’aujourd’hui repose exclusivement sur les salariés et les retraités. Mme Marisol Touraine prétend déconnecter la question des retraites et celle de la protection sociale tandis que dans le même temps, M. Pierre Moscovici annonce à l’université d’été du MEDEF le transfert des cotisations famille pour compenser la hausse des cotisations patronales pour les retraites. Cette perspective est inacceptable.

Le Premier ministre réfute une sous-indexation des retraites alors que le report de six mois de la revalorisation des pensions en est une. Cette mesure permettra d’économiser 1,4 milliard d’euros à l’horizon 2020. Elle ne sera donc pas neutre pour les retraités. Nous rejetons ce véritable tour de passe-passe, même si les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ne sont pas visés. Il faut arrêter de penser que les retraités ont un niveau de vie confortable. Une pension supérieure à 780 euros ne garantit pas aux retraités un revenu suffisant pour leur épargner des difficultés financières.

En matière de pénibilité, nous approuvons l’abandon de l’approche médicale du dispositif précédent. Sur les risques psychosociaux, je ne partage pas l’avis de mon collègue. Les travaux du Centre de recherches sur l’expérience, l’âge et les populations au travail, notamment de M. Serge Volkoff, montrent que trois types de pénibilité doivent être distingués appelant des solutions différentes. À titre d’exemple, pour les enseignants, la réponse au stress au travail ne peut pas être un départ anticipé puisque leur espérance de vie est plus longue. Le départ anticipé est en revanche approprié pour permettre aux travailleurs usés par leurs conditions de travail de bénéficier d’une retraite d’une durée équivalente aux autres salariés.

J’ai rencontré de nombreux directeurs des ressources humaines qui m’ont fait part de leurs difficultés. En l’absence de dispositif adapté pour les seniors usés prématurément, ils ont recours à la rupture conventionnelle. Cette lacune peut expliquer partiellement l’explosion du nombre de ruptures conventionnelles. Il convient d’encadrer la rupture conventionnelle et d’autoriser ces salariés à prendre une retraite anticipée.

Le dispositif sur la pénibilité appelle deux reproches : le premier, il oppose prévention et réparation de la pénibilité. Réserver vingt des cent points du compte personnel de prévention de la pénibilité à la formation est insuffisant pour quitter un métier pénible. J’insiste sur l’importance de la prévention et de la formation qui ne doit pas être une alternative à la possibilité de bénéficier d’un départ anticipé ou d’un aménagement de fin de carrière. Le salarié ne doit pas avoir à choisir entre les deux versants de la prise en charge de la pénibilité.

Second reproche, la question du « stock » n’est pas réglée. Aucune solution n’est proposée aux salariés qui ne peuvent plus aujourd’hui exercer leur métier. Les bonifications permettant un départ en retraite anticipé ne seront accordées qu’aux salariés âgés de 59 ans et demi au 1er janvier 2015 : c’est insuffisant. Cela ne tient pas compte du fait que la moitié des retraités ne sont plus en activité au moment de la liquidation de leur retraite. Nombre des salariés usés prématurément sont au chômage, en arrêt maladie ou en situation d’invalidité. Nous savons que le décrochage se produit à partir de 55 ans. La CGT demande que certains salariés puissent à partir de cet âge quitter leur activité pour réparer les dommages de la pénibilité.

Quant aux jeunes, le projet de loi ne répond pas à leur revendication d’une prise en compte des années d’études. Il permet le rachat de quatre trimestres seulement – une goutte d’eau au regard du nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein – à un coût très élevé de surcroît. Chacun sait que les jeunes peinent déjà à rembourser les emprunts contractés pour financer leurs études. Ils auront donc les plus grandes difficultés à racheter des trimestres même si cette possibilité leur est offerte pendant dix ans au lieu de cinq. La mesure proposée est illusoire.

Pour les femmes, notre appréciation est mitigée sur l’abaissement du seuil d’heures nécessaires pour valider un trimestre. La mesure peut apparaître comme une réponse positive mais elle revient à admettre que la précarité est une réalité. Or, il faut combattre la précarité et les inégalités entre les hommes et les femmes. La CGT propose de parvenir à l’égalité à l’horizon 2 023. La Caisse nationale d’assurance vieillesse en a estimé le gain pour les caisses de retraite à cinq milliards en 2015 et dix milliards en 2020 couvrant ainsi largement les besoins de financement estimés par le rapport remis par Mme Moreau à 7 milliards pour le régime général. Il nous semble préférable de combattre la précarité galopante dans la vie active plutôt que de corriger ces méfaits au moment de la retraite.

Il faut absolument compenser les écarts de pensions liées aux carrières pénalisantes que connaissent les femmes. Dès lors que les carrières et les traitements ne sont pas identiques, les compensations sont légitimes. Nous sommes satisfaits que le débat soit ouvert. Cependant, la forfaitisation envisagée de la majoration de 10 % pour les ménages de trois enfants et plus constitue une dénaturation du dispositif. Initialement, celui-ci avait pour objet de compenser le fait que ces familles ont plus de difficultés à constituer un patrimoine que les autres. La mesure envisagée en fait un instrument de compensation de l’inégalité entre hommes et femmes. Ce changement de nature n’est pas acceptable. C’est pourquoi nous sommes opposés à la forfaitisation de cette majoration. Il faut malgré tout améliorer la situation des familles avec un ou deux enfants.

La CGT propose une remise à plat du financement de la protection sociale qui s’appuierait sur les outils suivants : à court terme, l’égalité salariale entre hommes et femmes ; à long terme la contribution des revenus financiers des entreprises, la modulation des cotisations en fonction de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée – les grandes entreprises et les PME ne peuvent pas être traitées de manière similaire – ainsi que l’élargissement de l’assiette des cotisations.

La CGT met en garde contre le pilotage proposé qui apparaît comme les prémices d’une réforme systémique. Elle est très attachée au système de retraite par répartition auquel elle assigne deux exigences supplémentaires : la solidarité et la garantie de prestations définies. Le pilotage proposé risque de nous conduire vers un régime à cotisations définies que nous désapprouvons.

En Suède, l’évolution vers un système à cotisations définies a fortement fait chuter le niveau des pensions, à tel point que le Gouvernement a dû intervenir. Dans ce système, le niveau des pensions varie en fonction de l’espérance de vie de la génération à laquelle on appartient. On ne sait jamais avec quelle pension et à quel âge on partira à la retraite. Cette incertitude qui caractérise une réforme systémique est contraire à l’objectif recherché de donner confiance aux jeunes.

Enfin, il n’appartient pas aux experts de faire la politique en matière de retraites en France. Il faut redonner leur place aux représentants des salariés et des assurés. C’est pourquoi la CGT propose la création d’une maison commune des régimes de retraite qui permettrait une coordination des régimes qui fait cruellement défaut aujourd’hui.

M. Michel Issindou. Je remercie l’ensemble des intervenants. Je relève un point d’accord dans les différentes interventions, la nécessité d’une réforme puisque la réforme de 2010 a fait long feu.

Je salue la méthode employée par le Gouvernement qui a choisi de réformer en douceur. Il n’est pas besoin de brutalité. On nous avait annoncé de la violence mais il n’en est rien à ce stade. Le rapport du Conseil d’orientation de retraites, le rapport de la commission présidée par Mme Yannick Moreau et la concertation permanente – aucun des partenaires sociaux n’a quitté la table – ont créé les conditions d’une réforme dans la sérénité retrouvée.

Sur le contenu de la réforme, vous faites état de nettes divergences d’appréciation. Sur l’augmentation des cotisations ou sur l’allongement de la durée de cotisation, vous exprimez des idées assez tranchées qui doivent être respectées.

La solution retenue par le Gouvernement est dans un premier temps une hausse des cotisations. Cet effort partagé par tous les Français est une nécessité pour rebâtir notre système sur des bases solides. Les employeurs et les actifs sont sollicités à parts égales. L’effort est modéré : 7 milliards d’euros au regard des 300 milliards versés annuellement par l’assurance vieillesse. Dans un second temps, l’allongement limité de la durée de cotisation prend le relais pour équilibrer le financement des retraites. Ces deux paramètres sont utilisés avec modération et permettent de préserver le montant des retraites qui est aujourd’hui convenable, bien que peu élevé, avec une moyenne de 1 256 euros.

La réforme contient des avancées sociales sans précédent. Contrairement aux réformes précédentes qui s’en tenaient à des mesures brutales avec un seul objectif, le recul de l’âge de départ à la retraite, elle fait la part belle aux mesures sociales : elle s’intéresse à la pénibilité, aux polypensionnés, aux femmes, aux jeunes, aux handicapés, aux retraités agricoles et aux aidant familiaux afin que la durée de cotisation puisse être atteinte plus facilement en cas de carrière heurtée.

Il s’agit d’une réforme progressiste, soucieuse de l’humain et attentive aux catégories particulièrement maltraitées par les réformes précédentes.

En matière de pilotage, un examen annuel de l’évolution du régime me paraît plus sage que de prétendre, chacun à son tour, avoir réalisé la réforme ultime. Enfin, le guichet unique contribue à la lisibilité du système.

En conclusion, je souhaiterais connaître votre avis sur le système unique, qui ne figure pas dans le projet de loi mais qui sera inévitablement débattu un jour.

M. Arnaud Robinet. Je comprends les inquiétudes que suscite l’allongement de la durée de cotisation à 43 ans. On vous avait en effet promis lors de la campagne présidentielle, et même avant, de revenir sur l’allongement de la durée de cotisation décidé dans le cadre de la réforme Fillon et de rétablir la retraite à 60 ans pour tous les Français. Votre déception est donc compréhensible.

Ce projet de loi, car je me refuse à parler de réforme, est l’une des plus grandes supercheries du quinquennat de François Hollande. Il ne répond en aucun cas aux véritables enjeux. Alors que le COR et le rapport Moreau ont fait état d’un besoin de financement de 20 milliards d’euros en 2020, tous régimes confondus, le projet se concentre sur les 7,5 milliards dont a besoin le régime général. Il ne vise qu’à ouvrir de nouveaux droits, dont certains sont d’ailleurs justifiés : je pense aux femmes, aux polypensionnés, à la prévention et à la prise en compte de la pénibilité – même si pour ma part, je préfère parler de métiers physiques. Cela conduit à poser la question du financement. Sur ce point, j’estime comme vous que l’allongement de la durée de cotisation est une mesure hypocrite si elle ne s’accompagne pas d’un recul de l’âge du départ à la retraite : elle désavantage les jeunes générations, dont je fais partie, et entraînera inévitablement une baisse des pensions, puisque beaucoup partiront à la retraite sans pouvoir bénéficier d’une pension à taux plein.

Ce projet est aussi un choc fiscal déguisé. Les retraités, qui ont déjà été ponctionnés par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2013, verront leur pouvoir d’achat diminuer ; les salariés et les entreprises, qui l’ont été pour financer le décret de 2012 sur le retour de la retraite à soixante ans – qui a un impact majeur sur les finances de la CNAV, puisque la réforme de 2010 permettait d’assurer, comme nous l’a précisé M. Rivière, un retour à l’équilibre des régimes de base – sont mis à contribution.

Nous ne vous avons pas entendus sur l’enjeu majeur que sont les pistes de financement, ni sur la réforme structurelle – qui ne permettra certes pas de régler le problème financier, mais au moins d’assurer plus d’équité entre les Français. Nous souhaitons voir s’accélérer la convergence entre régimes engagée en 2003 et la réforme des régimes spéciaux.

J’en viens à la réforme systémique. Vous dénoncez le régime par points en vous référant à l’expérience suédoise, monsieur Aubin. Il semble cependant possible de mettre en place une réforme systémique et un régime par points à la française. Vous vous accommodez du reste très bien des régimes de retraite complémentaire par points de l’AGIRC et de l’ARRCO. Le projet ne traite pas de ces régimes, dont les besoins de financement pour les années à venir sont considérables.

M. Philippe Vigier. C’est pour moi un plaisir de revoir les représentants des salariés, que le groupe UDI a déjà rencontrés dans la perspective de cette réforme.

En dépit de l’autosatisfaction dont a fait preuve notre collègue Issindou, cette audition n’a pas vocation à être le lieu du débat politique. Il s’agit pour les partenaires sociaux de nous faire part de leurs attentes par rapport à la réforme des retraites. Pour notre part, nous avons déjà eu l’occasion de leur exposer la position de notre famille politique lors de l’échange que j’ai évoqué.

Vous dénoncez régulièrement « l’obsession » de la baisse du coût du travail, monsieur Aubin, pour lui opposer la nécessité d’une baisse de la rémunération du capital. Mais le déficit des régimes de retraite devrait atteindre 20 milliards d’euros en 2020. Quelles sont donc les pistes de financement envisageables ? Quelle appréciation portez-vous d’autre part sur la non-rétroactivité du compte personnel de prévention de la pénibilité ? Faut-il étendre ce dispositif à la fonction publique ?

Force ouvrière s’est montré critique vis-à-vis de l’allongement de la durée de cotisation proposée par le Gouvernement, allant jusqu’à qualifier le projet de « réforme anti-jeune ». La possibilité de rachat de trimestres d’études à un tarif préférentiel pour les jeunes entrant dans la vie active est-elle selon vous de nature à compenser l’effort demandé aux futures générations ?

Ne regrettez-vous pas que les 20 premiers points du compte pénibilité doivent obligatoirement être consacrés à la formation ? Les politiques de formation sont-elles suffisamment efficaces pour accompagner la pénibilité ?

La CFDT a évoqué à plusieurs reprises la désindexation, autrement dit la baisse des retraites. À nos yeux, l’essentiel est de maintenir le pouvoir d’achat. Vous me permettrez donc d’évoquer le report de la date de revalorisation des retraites du 1er avril au 1er octobre – même s’il y a eu un pas de deux du Gouvernement, puisque, à l’origine, les petites retraites et le minimum vieillesse étaient également concernés par cette mesure inacceptable. Faut-il en rester là, ou continuer à défendre le retour à une revalorisation au 1er avril ?

La CFTC s’est inquiétée de l’absence de mesures significatives en faveur des femmes dans le projet. Bien que nous ne partagions pas cet avis, pouvez-vous nous dire quelles mesures vous préconisez pour améliorer encore davantage le sort des femmes ?

La CFE-CGC est opposée à la réforme. Quelles sont donc ses préconisations en matière de financement ? Les mesures d’allongement de la durée de cotisation – qui sera portée à 43 années en 2035 – vous semblent-elles adaptées aux données démographiques et à l’espérance de vie ? Quels choix aurait-il fallu faire pour parvenir à cet équilibre ? Pour nous, la réalisation de l’équilibre financier le plus rapidement possible est le meilleur gage qui puisse être donné aux générations arrivant sur le marché du travail. Le drame de cette réforme est qu’elle ne permet pas de pérenniser le financement des retraites. La confiance vis-à-vis des dirigeants politiques s’en trouve sérieusement entamée.

Mme Véronique Massonneau. J’évoquerai d’abord le financement. Le choix de l’allongement de la durée de cotisation comme principal levier de la réforme a fait l’objet de nombreuses critiques. Alors qu’une véritable réflexion sur la répartition du temps de travail devrait être menée, la mesure phare du projet est l’allongement de ce temps de travail en termes d’annuités. M. Jean-Claude Mailly a annoncé qu’il s’efforcerait de peser dans le débat parlementaire pour revenir sur cette mesure. Quelles sont les propositions alternatives de Force ouvrière pour assurer la pérennité du système par répartition sans peser davantage sur les carrières des travailleurs ?

Les écologistes ne peuvent que souscrire à l’objectif affiché de réduire les inégalités entre les femmes et les hommes, et se féliciter que le Gouvernement manifeste sa volonté de se saisir de cette injustice. Les mesures proposées paraissent néanmoins bien faibles. La validation de tous les trimestres d’interruption au titre du congé de maternité va dans le bon sens, mais l’impact et le nombre de bénéficiaires de cette mesure seront assez réduits. Quant à l’abaissement du seuil de validation des trimestres de cotisation, il ne touchera que 4,4 % des femmes. Nous pourrions être plus ambitieux. La prise en compte des 100 meilleurs trimestres – au lieu des 25 meilleures années – ne serait-elle pas une avancée significative pour le calcul des pensions des femmes ? Avez-vous d’autres propositions sur le sujet ? Comment financer de nouvelles avancées sans remettre en question l’équilibre du système ? Quels leviers choisir ?

La création du compte personnel de prévention de la pénibilité est une mesure innovante et intelligente. Néanmoins, il appartiendra à l’employeur de gérer et transmettre les fiches personnelles donnant droit à des points de pénibilité. N’y a-t-il pas là un risque ? Certes, les employés recevront leur fiche personnelle chaque mois, et il existe une possibilité de protester auprès de l’employeur ; mais auront-ils réellement la capacité de le faire ? Comment concevez-vous votre rôle dans ce contexte ?

J’aimerais également vous interroger sur la possibilité de l’employeur de refuser un passage à temps partiel pour des raisons économiques. Le pré-projet de loi précise que « l’employeur peut refuser de faire droit à la demande du salarié » et que « ce refus doit être justifié par une impossibilité due à l’activité économique de l’entreprise. » Cette disposition vous paraît-elle suffisante pour éviter des refus dans le cas où la survie financière de l’entreprise ne serait pas menacée ?

M. Jean-Noël Carpentier. Le groupe RRDP se réjouit de cette rencontre qui nous permettra de progresser dans notre réflexion. Nous sommes désormais au pied du mur. Le dossier des retraites ne pourra cependant être réglé du jour au lendemain, et nous devrons y revenir régulièrement. Il n’y a d’ailleurs rien d’anormal à cela.

Notre groupe prendra bien sûr toute sa part dans le débat sur ce projet.

Le Gouvernement a écarté – et nous nous en félicitons – plusieurs suggestions du rapport Moreau, ainsi que celles de l’UMP – qui nous proposait avant tout du sang et des larmes.

Le groupe RRDP approuve un certain nombre de dispositions qui permettent un progrès social – qu’il s’agisse du compte pénibilité ou du sort des femmes. Mais le débat achoppe sur l’allongement de la durée de cotisation ; la question du financement est donc bien la clé du débat.

Trois des cinq syndicats que nous venons d’entendre semblent hostiles à la réforme, notamment à l’allongement de la durée de cotisation ; un autre est perplexe ; le dernier soutient le projet.

Au vu des masses concernées, à savoir plusieurs centaines de milliards d’euros chaque année, pensez-vous qu’il soit possible de faire une réforme des retraites et de sécuriser notre système par répartition sans modifier ses recettes ? Quelles sont vos propositions pour améliorer son financement, y compris – peut-être – en élargissant l’assiette des cotisations ? La question qui nous est posée est en effet celle du rapport entre financement public et financement privé des retraites. À terme, c’est une financiarisation croissante de notre système de retraites qui est à redouter. La question des pensions ne concerne d’ailleurs pas que la France ; le système par répartition a été mis en place dans nombre de pays occidentaux suite au krach de 1929, et consolidé au sortir de la guerre : il est inévitable que nos sociétés s’interrogent aujourd’hui sur son avenir.

Mme Jacqueline Fraysse. Je m’associe bien sûr à la question centrale que vient de soulever M. Carpentier. Le groupe GDR reste préoccupé par le contenu de la réforme, même si compte tenu des propositions du rapport Moreau, elle aurait pu être pire. Je me félicite que le texte comporte un certain nombre d’avancées, de la prise en compte de la pénibilité à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, en passant par le sort des jeunes et des apprentis, même s’il mérite d’être sensiblement précisé et amélioré.

Le texte pèche gravement sur au moins deux aspects. Tout d’abord, il est injuste que l’effort soit supporté par les seuls salariés et retraités, puisque celui des entreprises sera intégralement compensé, donc supporté par nos concitoyens. Que dire par ailleurs du projet de transfert des cotisations familiales patronales vers l’impôt des ménages, qui paieront donc deux fois ?

Ensuite, il ne modifie pas l’assiette des cotisations, alors même que certains revenus – notamment les revenus de placements financiers – ne contribuent pas du tout. Que pensez-vous de cette anomalie ?

Les représentants des salariés avaient obtenu que la question de l’emploi et des salaires – dont découle le financement de notre protection sociale – soit à l’ordre du jour de la dernière Conférence sociale. Estimez-vous avoir été entendus sur ce sujet essentiel ?

Concernant la méthode, il n’est pas anodin que la concertation ait remplacé la négociation. S’agit-il pour vous d’une minimisation du rôle des syndicats ?

Notre collègue Issindou nous assure qu’il veillera à protéger le montant des retraites. Mais l’allongement de la durée de cotisation ne revient-elle pas à accepter – de fait – une baisse des pensions ? Il faut parler franchement à nos concitoyens !

M. Christian Paul. La réforme du régime général passe par la recherche d’un compromis social. Nous en mesurons tous la difficulté en cette période de crise économique et sociale, mais nous nous y attachons dans un souci de progrès, en rupture avec la réforme de 2010, en particulier par la recherche opiniâtre de mesures d’équité et de justice.

Le temps du débat parlementaire doit être un temps de dialogue. Je tiens donc à redire à l’ensemble des partenaires sociaux, et singulièrement aux organisations syndicales, que nous sommes tout disposés à améliorer ce texte, notamment les mesures de justice qui demandent à être approfondies. Je pense bien sûr aux petites pensions, et pas seulement aux bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

Au-delà de la question de l’allongement de la durée du travail, la réforme doit permettre de mieux « personnaliser » les réponses en termes de retraite, que ce soit au début de la vie professionnelle, tout au long de celle-ci, notamment dans les phases de précarité et de chômage, ou par la prise en compte de la pénibilité, qui permettra un départ anticipé pouvant aller jusqu’à deux ans. Nous serons également attentifs au partage de l’effort. Le texte propose une hausse des cotisations salariales et patronales.

J’insiste par ailleurs sur la nécessité de ne pas « préempter » trop vite le débat sur l’avenir du financement de la protection sociale. À ce stade, nous n’avons pas de doctrine en la matière.

Enfin, nous avons tous le souci du sort des jeunes générations. J’ai entendu un certain nombre d’interrogations, voire de critiques sur le dispositif de rachat des trimestres d’études proposé par le texte. Quelles sont vos propositions sur ce point ?

M. Denis Jacquat. Ce projet n’est pas une réforme. Il se borne à donner de nouveaux droits, que nous approuvons pour certains – je pense notamment aux polypensionnés, aux apprentis ou aux jeunes en alternance. Or la vraie question reste celle du financement, qui n’est pas abordée. Il faudra donc y revenir d’ici deux ou trois ans.

Permettez-moi d’observer que la réforme de 2010 a tout de même permis que toutes les retraites soient versées pour le montant promis et au jour promis, malgré la crise économique. Cela n’a pas été le cas dans les autres pays. Cette réforme avait prévu des clauses de rendez-vous en 2018 et en 2013, afin entre autres de s’interroger sur l’opportunité d’une réforme systémique. Il aurait donc été opportun de débattre de la protection sociale avant de discuter de la santé et des retraites. Tout projet relatif aux retraites a besoin de lisibilité et de visibilité à long terme.

J’observe par ailleurs que l’inégalité des retraites entre les hommes et les femmes n’est que la conséquence des inégalités observées durant la vie professionnelle.

Quant au problème de la pénibilité, il renvoie à celui de la santé au travail, et donc de la prévention. Sa définition est particulièrement délicate.

Enfin, je fais mienne la question de Michel Issindou sur la convergence des régimes.

M. Pascal Terrasse. En tant que rapporteur pour avis du texte au nom de la commission des finances et ancien membre du Conseil d’orientation des retraites (COR), je note que le projet du Gouvernement se fonde sur un diagnostic largement partagé par les organisations syndicales et sur un dialogue qui a été conduit dans la sérénité. Je tiens d’autant plus à le dire que j’ai vécu les réformes de 2003 et 2010, qui ont abouti – surtout la seconde – à des injustices flagrantes, dénoncées comme telles par les organisations syndicales. Je pense au problème des carrières longues, qui a été réglé par le décret de juillet 2012, mais aussi aux avancées du texte concernant les femmes ou la prise en compte de la pénibilité. Nous aurons l’occasion de les approfondir d’ici à quelques semaines, notamment pour ce qui concerne les jeunes.

Le texte n’a cependant pas vocation à résoudre tous les problèmes. Un dialogue va être engagé sur la formation professionnelle dans les mois à venir ; vous aurez vraisemblablement à négocier avec Mme Lebranchu sur la fonction publique, sachant que le texte ne traite de la pénibilité que pour le secteur privé.

Il n’aborde pas davantage la question du financement de notre protection sociale. Sur ce point, les positions des uns et des autres sont contradictoires. Pour certains, il s’agit d’aller vers une fiscalisation de la protection sociale et un financement des retraites par des revenus du capital, donc de changer de paradigme. À titre personnel, je pense qu’il faudra un jour financer les retraites par de la fiscalité. J’aimerais donc vous entendre sur les avantages non contributifs. Pensez-vous qu’ils puissent être financés par la fiscalité ?

Mme Dominique Orliac. J’évoquerai brièvement les positions qui sont celles des radicaux de gauche sur la réforme des retraites. Au lieu de repousser l’âge de la retraite, pourquoi ne pas raisonner en termes de temps choisi d’activité et de retraite ? Dans cette hypothèse, le maintien de l’âge légal de la retraite à 62 ans paraît possible. Dans les faits, l’âge du départ à la retraite à taux plein est désormais de 67 ans pour les personnes nées à partir de 1955. Le maintien de l’âge légal à 62 ans éviterait de pénaliser les personnes ayant commencé à travailler tôt, qui seront contraintes de travailler plus longtemps que les autres. Un système d’incitation à travailler plus longtemps nous semblerait plus juste et plus efficace que les mesures autoritaires. Nous proposons donc d’encourager ceux qui souhaiteraient librement travailler après l’âge légal de la retraite, avec un système de bonus progressif permettant d’améliorer leurs droits. Il s’agirait de créer un système pour tous les jeunes qui commencent à travailler dès 16 ans, aussi bien pour des périodes de stage ou d’apprentissage que pour des périodes de formation longue.

Pour mieux prendre en compte la pénibilité du travail dans les secteurs public et privé, un tableau de la pénibilité pourrait être établi et revu tous les sept à dix ans. L’âge de la retraite n’a pas le même sens selon les activités exercées, puisque celles-ci entraînent des inégalités en termes d’espérance de vie.

La réforme des retraites ne doit-elle pas s’inscrire dans une politique de protection et de cohésion sociale tout au long de la vie ? N’est-elle pas indissociable d’une réflexion sur l’égalité entre les hommes et les femmes, l’entrée des jeunes dans la vie active, et l’allongement de la durée de vie ?

Mme Fanélie Carrey-Conte. Vous avez salué les dispositions positives du projet, notamment les mesures de justice qu’il contient, sans pour autant dissimuler vos inquiétudes en ce qui concerne l’allongement de la durée de cotisation. Le débat parlementaire nous offrira bien sûr l’occasion d’apporter de nouvelles améliorations au texte.

Vous avez tous évoqué les jeunes, que la situation du marché du travail et l’allongement de la durée de cotisation confrontent à une difficile équation. Vous avez également souligné les insuffisances du dispositif de rachat de trimestres d’études prévu par le projet. Avez-vous des propositions précises à nous faire pour mieux prendre en compte les périodes de chômage et les parcours chaotiques que connaissent les jeunes dans leur insertion professionnelle ?

Ma seconde question concerne le pilotage du système. Le texte prévoit la remise d’un rapport annuel par le Comité de surveillance des retraites qu’il met en place. Quels indicateurs ce rapport annuel doit-il comporter pour être utile ? Doit-il faire des recommandations sur les choix à faire en termes de ressources nouvelles ?

Enfin, je vous remercie de nous avoir rappelé que la réforme des retraites doit nécessairement être abordée à travers le prisme global du financement de la protection sociale dans son ensemble. Les choix faits en la matière ne doivent pas avoir pour conséquence une diminution de la participation des entreprises à la solidarité nationale.

Mme Monique Iborra. Cette réforme intelligente, qui tranche avec les réformes purement comptables du passé, s’attache non seulement à assurer la pérennité du système de retraite par répartition, mais aussi à lutter contre les inégalités, sans pour autant perdre de vue la problématique de l’emploi. Je me bornerai donc à interroger M. Malys sur les petites retraites, car il ne s’est pas exprimé sur ce point.

M. Gérard Sebaoun. Chacun s’est félicité de l’avancée que constitue la création du compte pénibilité, que beaucoup d’organisations syndicales réclamaient de longue date. Nous sommes passés d’une logique restrictive de réparation médicale dans la loi de 2010 à une logique plus équilibrée de prévention et de réparation. Comment les organisations syndicales interviendront-elles aux côtés des salariés pour définir avec les employeurs ce qui devra être inscrit sur ce compte ? Nous pourrions par exemple nous référer au document d’évaluation des risques professionnels prévu par le code du travail.

En ce qui concerne les bonifications, qui ne prétendent pas traiter rétroactivement l’ensemble des salariés actifs en situation de pénibilité, quel seuil d’âge et quelles modalités vous paraîtraient les plus pertinents ?

L’article 23 du texte traite de l’accès à la retraite pour les travailleurs handicapés. La possibilité de liquider leur pension à taux plein leur est aujourd’hui offerte sous condition d’avoir un taux d’incapacité permanente de 80 % ou d’avoir obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Ce critère est remplacé par l’abaissement à 50 % du taux d’incapacité permanente requis, sans qu’il soit fait référence au RQTH. Or le nombre de personnes concernées est très différent dans les deux cas. Quel est votre avis sur cette disposition ?

Mme Isabelle Le Callennec. C’est parce que les majorités précédentes ont su engager des réformes sur les retraites et faire œuvre de pédagogie que les Français ont aujourd’hui conscience qu’il va falloir travailler plus longtemps et qu’il existe un problème de financement, monsieur Issindou. L’ouvrage n’en devra pas moins être remis régulièrement sur le métier.

Il ne faut pas attendre la fin de carrière pour traiter de la pénibilité, mais bien prévenir cette dernière. Quelles propositions concrètes pouvez-vous nous faire en faveur de la prévention dans l’entreprise ?

La pénibilité est extrêmement difficile à définir. L’un des intervenants a d’ailleurs évoqué trois niveaux de pénibilité. Comment sortir de cette difficulté de définition ?

Entre 150 000 et 300 000 offres d’emplois ne sont aujourd’hui pas pourvues dans notre pays, un certain nombre des emplois concernés étant considérés comme pénibles. Je pense en particulier aux métiers de l’industrie et du bâtiment, qui s’efforcent pourtant depuis des années d’améliorer les conditions de travail. Ne prend-on pas le risque de les pénaliser en mettant l’accent sur la pénibilité ?

Enfin, la médecine du travail manque de moyens. Comment la faire évoluer – alors même que sa réforme n’est pas si ancienne – pour l’adapter à la problématique de la pénibilité ?

M. Jérôme Guedj. Au-delà des divergences qui se sont exprimées, un point fait consensus, y compris parmi les parlementaires : la nécessité d’améliorer le texte. Tous les parlementaires, et surtout ceux de la majorité, doivent donc s’en emparer. Contrairement à la loi sur la sécurisation de l’emploi, ce texte ne fait pas suite à un accord entre les partenaires sociaux : les prérogatives du Parlement pourront donc pleinement s’exercer. Pour la transparence du débat, je souhaite d’ailleurs que tous les membres de notre commission puissent connaître les propositions d’amendements qui seront rédigées par les organisations syndicales.

Un point me pose problème : l’allongement de la durée de cotisation. L’article 2 du texte prévoit un allongement automatique d’un trimestre tous les trois ans, prolongeant ainsi les modes de calcul de la réforme Fillon. Avez-vous des propositions alternatives ? Pensez-vous que le Comité de surveillance des retraites devrait pouvoir revenir sur ce caractère automatique en cas de besoin ?

M. Éric Aubin, secrétaire confédéral en charge des retraites (CGT). Les questions que vous soulevez mériteraient un grand débat public, car la protection sociale intéresse l’ensemble des Français.

En ce qui concerne la méthode, nous aurions préféré la tenue de réunions plénières, qui nous aurait permis de négocier sur certains points. Ce n’est pas le choix qui a été fait : nous en prenons acte.

Nous sommes en effet en désaccord avec l’idée que seule la baisse du coût du travail permettrait de renforcer la compétitivité des entreprises. Celle-ci peut être améliorée en jouant sur la compétitivité hors coût, et notamment la qualification et la formation des salariés. Selon un rapport de la Cour des comptes, les entreprises allemandes restent compétitives dans un certain nombre de secteurs alors même que le coût du travail y est supérieur de 20 % à 30 %. C’est par exemple le cas de l’automobile. Il s’agit donc d’un faux problème.

Il convient en revanche de s’intéresser au coût du capital – dont on ne parle jamais. Or quand les salaires sont multipliés par deux, les dividendes sont multipliés par treize ! Il faut donc rééquilibrer ce rapport pour faire payer le capital. Nous souhaitons un débat sur ce point.

Nous avons beaucoup travaillé sur la question de la pénibilité. Il faut certes se féliciter qu’elle ne soit plus abordée sous le seul angle de la réparation médicale, mais bien des progrès restent à faire. Nous ne saurions en effet nous satisfaire du fait que seuls les employeurs définissent les salariés concernés : ces derniers ont leur mot à dire. Pourquoi ne pas donner un rôle aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ? Par ailleurs, le délai de deux ans prévu pour contester la décision de l’employeur est trop court.

Vous vous interrogez sur l’âge à partir duquel les salariés pourraient bénéficier du dispositif. Selon nos études, c’est dès 55 ans qu’un décrochage s’observe dans le BTP. Il faut donc faire en sorte qu’à partir de cet âge, les salariés puissent finir leur carrière dans de bonnes conditions, voire partir de façon anticipée.

La question de la pénibilité doit en effet être traitée dès l’entrée dans le poste. Selon un rapport du Docteur Lasfargues, les usures apparaissent dès 40 ans dans le BTP. Pour que les salariés puissent continuer à exercer leur métier jusqu’à l’âge de la retraite, il faut y oeuvrer dès l’entrée dans la vie active. La prévention est donc une question essentielle. Le dispositif prévu pour le compte pénibilité, qui prévoit que les 20 premiers points seront obligatoirement utilisés pour la formation, nous semble à cet égard très insuffisant.

En ce qui concerne la définition de la pénibilité, nous sommes tous d’accord sur celle qui avait été élaborée dans le cadre des négociations de 2005-2008 : il s’agit des conditions de travail ayant des effets irréversibles sur la santé au travail et des conséquences sur l’espérance de vie. Je rappelle qu’il existe des mesures de prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique. Elles ont été supprimées dans la fonction publique hospitalière ; il serait souhaitable d’en rediscuter pour ce secteur, mais aussi pour l’ensemble des contractuels de la fonction publique.

S’agissant de la non-rétroactivité du compte, je réitère ce que j’ai dit lors de mon intervention liminaire : il faut absolument que le stock puisse être pris en compte.

Je terminerai par le financement. La CGT a fait des propositions concernant les 7 milliards d’euros à trouver d’ici à 2020, c’est-à-dire à court terme. Plusieurs dizaines des 200 milliards d’aides octroyés chaque année aux entreprises n’ont aucun effet sur l’emploi. M. Gattaz l’a lui-même reconnu dans un entretien avec M. Lepaon. De même, quelques milliards d’euros pourraient être trouvés en intensifiant la lutte contre la fraude fiscale. Enfin, le respect de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes suffirait à lui seul à faire rentrer quelque 10 milliards dans les caisses à l’horizon 2020.

Dans la mesure où nous défendons un financement assis sur les richesses créées dans l’entreprise, nous estimons que leurs revenus financiers – qui représentent 250 milliards – doivent être mis à contribution. Je vous renvoie à notre site internet pour plus de détails : les mesures que nous proposons permettraient à la fois d’assurer l’équilibre des régimes de retraite sur le long terme et de revenir sur les mesures injustes des précédentes réformes.

M. Philippe Pihet, secrétaire confédéral en charge des retraites (CGT-FO). Vous redoutez une confusion entre concertation et négociation, madame Fraysse. Lorsque Mme Touraine a annoncé – lors de la grande Conférence sociale de 2012 – qu’un projet de loi sur les retraites serait discuté fin 2013, elle nous a indiqué qu’il donnerait lieu à une concertation renforcée, qui ne serait pas une négociation. Pour nous, qui sommes viscéralement républicains, il était de toute façon exclu de négocier avec le Gouvernement sur un tel sujet. Les syndicats défendent les salariés, tandis que le législateur a en charge l’intérêt général : chacun est dans son rôle. C’est dans cet esprit que nous avons participé à la concertation, et nous nous en félicitons, puisque nous avons pu – grâce à un dialogue constructif – faire avancer les choses sur un certain nombre de points.

S’agissant du financement, nous avions demandé – lorsque nous avons été consultés par le cabinet de Mme Touraine sur la feuille de route de la commission pour l’avenir des retraites présidée par Mme Moreau – que tous les mécanismes de financement du système soient mis à plat. Cela ne rapportera rien, mais cela permettra de dire qui paye quoi pour qui. Prenons un exemple. Lorsque la compensation démographique a été mise en place en 1974, il s’agissait d’aller vers un régime sinon unique, du moins unifié. Les quatre premières années, de 1974 à 1978, elle a donc été financée par l’État. Depuis 1978, elle est à la charge des régimes. Je n’en déduis pas qu’il ne faut pas aider les exploitants agricoles – qui sont très directement concernés – mais je pose la question : est-il toujours raisonnable, en 2013, de faire financer la compensation démographique des exploitants agricoles par les seuls salariés ? Il nous semble que c’est à la Nation – donc à l’impôt – de faire cet effort. Vous l’aurez compris, Force ouvrière est favorable à une séparation claire entre le contributif, financé par les cotisations, dont relève à notre sens la retraite, et la solidarité nationale, qui doit être financée par l’impôt – qu’il s’agisse de la CSG, de la TVA ou d’une autre imposition.

En ce qui concerne le coût du travail, nous partageons largement l’analyse de la CGT. Je rappelle que vous avez instauré il y a peu le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), qui doit contribuer à alléger le coût du travail.

Au sujet du Haut conseil du financement de la protection sociale, nous avons dit au Gouvernement – pour faire court – que son prédécesseur avait mis en place l’ancien conseil pour nous faire accepter la TVA sociale, et qu’il s’agissait cette fois-ci de nous faire accepter un financement par la CSG. Nous ne voulons ni de l’un ni de l’autre. En revanche, nous sommes prêts à discuter du financement des allocations familiales par la solidarité nationale, celles-ci étant désormais – depuis 1978 – une prestation universelle. Nous avons eu l’occasion de le dire dans les négociations sur le financement de l’AGIRC et de l’ARRCO, qui manquent cruellement de ressources. Si on peut concevoir que les allocations familiales ne soient plus financées par les cotisations patronales, il est hors de question que ce « bonus » devienne un bonus de compétitivité pour les employeurs. Il devra être dévolu à l’AGIRC et à l’ARRCO, mais bien plus encore à l’assurance chômage.

Sur la pénibilité, je ne reviens pas sur les dix critères qui avaient été définis en 2008, avant que la négociation achoppe sur le problème du financement, le patronat n’ayant pas voulu sortir le porte-monnaie !

S’agissant de la convergence, vous aurez compris que Force ouvrière ne souhaite pas aller vers un système unique de retraite. La retraite par répartition est le fruit de l’histoire. Or même si nous sommes prêts à des adaptations, la sociologie n’a pas évolué au point que l’on puisse supprimer les régimes des trois fonctions publiques et les régimes spéciaux. En outre, ces derniers sont en train d’être réformés : en 2020, la durée d’activité devrait être la même pour tous. Il faut cesser d’entretenir le fantasme d’une prétendue possibilité de partir à la retraite à 52 ans !

Nous ne sommes pas opposés au dispositif de rachat de trimestres d’études prévu pour les jeunes. Mais nous craignons qu’à partir d’une idée généreuse, on ne crée de nouvelles injustices entre diplômés et non diplômés. Je profite de l’occasion pour préciser notre position sur les stages : il ne peut y avoir de stages que dans le cursus universitaire. Autrement, il s’agit de travail à bon compte – ce que nous refusons.

Le Comité de surveillance des retraites est un comité d’experts. Nous n’y siégerons pas. Nous tenons à insister sur le fait qu’il a vocation à éclairer la représentation nationale, et non à se substituer à elle pour prendre les décisions. C’est une question de démocratie.

Mme Pascale Coton, secrétaire générale (CFTC). Pour la CFTC, la période ne se prête pas à une réforme systémique. La première préoccupation des salariés est aujourd’hui de garder leur emploi, et il y a suffisamment d’anxiété en France pour ne pas ajouter une grande réforme du système de retraite à la négociation sur l’UNEDIC. Cette réforme pourra avoir lieu plus tard, mais il faut se donner le temps de la négociation.

De même, il serait dangereux d’instaurer dès maintenant un système unique. En tant qu’organisation syndicale représentant à la fois des salariés du secteur privé et des fonctionnaires sous statut, nous ne pouvons que constater que les mentalités n’y sont pas prêtes. Beaucoup de fausses idées et de mensonges ont circulé dans les six derniers mois. Il faudra donc faire œuvre de pédagogie avant d’envisager un régime unique. En revanche, nous ne sommes pas opposés à l’idée d’un guichet unique.

En ce qui concerne la concertation et la négociation, je rejoins mon collègue de Force ouvrière : à chacun son rôle. Il était clair que cette réforme donnait lieu à une concertation et non à une négociation, ce qui nous permet d’aller plus loin dans les propositions.

S’agissant du financement, nous estimons que le contributif doit impérativement relever de la cotisation, et la solidarité nationale de l’impôt. Nous réclamons depuis 2010 une véritable conférence sociale sur ce sujet, qui permette d’en discuter sans tabou. On peut ainsi s’interroger sur les 200 milliards d’aides octroyés aux entreprises, qui n’ont pas eu les résultats escomptés en termes d’emplois.

L’emploi reste le meilleur – et le plus pérenne – des financements pour la protection sociale. C’est pourquoi nous demandons au Gouvernement de mettre en œuvre une stratégie offensive sur ce front, notamment dans les métiers d’avenir tels que l’isolation des logements dans le bâtiment.

J’en viens à la pénibilité. Il est vrai que de nombreux emplois ne sont pas ou peu proposés aux jeunes car ils font peur. C’est par exemple le cas dans le BTP. Pour notre part, nous estimons qu’il faut adapter l’emploi à l’homme, et non le contraire. Cela relève de la responsabilité des entreprises, mais aussi du Gouvernement, qui doit exiger que les métiers et les outils soient adaptés aux individus, et non l’inverse. Avec de la volonté, il doit être possible de créer des emplois dans de bonnes conditions.

Nous devons veiller à ce que le compte pénibilité ne serve pas de prétexte aux entreprises pour renoncer à améliorer les conditions de travail. Il faut tenir compte des salariés qui travaillent aujourd’hui dans des conditions pénibles, et tout faire pour que celles-ci ne perdurent pas. C’est de la responsabilité des entreprises.

Comment promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes ? Nous essayons depuis longtemps de faire évoluer les mentalités, mais il n’est pas dit que nous y parviendrons un jour ! Néanmoins, les textes existent. Les entreprises peuvent désormais se voir infliger des sanctions équivalant à 1 % de leur masse salariale lorsqu’elles ne règlent pas les inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Mais si 300 entreprises se sont fait « épingler » depuis le début de l’année, seules 40 d’entre elles se sont vu infliger une telle sanction. Bref, il ne suffit pas de coller des affiches et d’annoncer des plans d’action ! Le Gouvernement doit faire en sorte que le droit s’applique et que les sanctions tombent.

La proposition de retenir les 100 meilleurs trimestres pour les femmes avait été faite par la CFTC. Il semble que la législation européenne s’y oppose. Mais les discriminations salariales envers les femmes n’ont jamais posé problème !

Pour en revenir à la pénibilité, nous nous inquiétons nous aussi que la déclaration du salarié en situation de pénibilité soit à la main des entreprises. Nous allons donc former nos militants syndicaux sur cette question, qu’il est possible de démystifier avec les entreprises, et pas nécessairement contre elles.

Enfin, les mesures qui touchent à la famille intéressent particulièrement la CFTC. J’espère donc que la suppression des cotisations familiales des employeurs ne se traduira pas par une augmentation de la CSG des familles. Il ne serait pas admissible de donner d’une main pour reprendre de l’autre.

M. Jean-Louis Malys, secrétaire national en charge des retraites (CFDT). La CFDT n’a jamais revendiqué un « big bang » des retraites. La réforme systémique consiste d’abord à rapprocher les différents régimes. Ce rapprochement doit rester un cap, sans pour autant stigmatiser les salariés qui bénéficient de régimes spéciaux hérités de l’histoire. L’alignement brutal de ces régimes spéciaux aboutirait d’ailleurs à créer d’autres inégalités en leur sein.

La réforme systémique a une deuxième dimension : il s’agit d’aller au cœur du système de retraite, et de ne pas se contenter d’agir sur les principaux paramètres – financement, âge de départ à la retraite, durée de cotisation – sans tenir compte de l’impact des mesures. Jusqu’à présent, les réformes ont été faites sans s’inquiéter de leurs effets sur les différents types de populations que sont par exemple les femmes, les salariés employés à des travaux pénibles ou ceux ayant eu des carrières longues. Or un certain nombre des points qui ont été discutés ont cette dimension systémique. Cela n’empêche pas qu’il faille également réfléchir à l’architecture du système.

J’en viens au pilotage de notre système de retraite. Nous ne sommes pas condamnés à des rendez-vous traumatisants : il faut trouver des règles de gouvernance qui ne s’inspirent pas d’une vision catastrophiste qui n’est pas vraiment justifiée, puisque, au-delà de 2030, les perspectives sont plutôt favorables. Il faut bien sûr un pilotage année après année, avec des indicateurs qualitatifs : il ne s’agit pas seulement d’équilibre financier, mais de savoir si les mesures prises produisent des effets sur l’égalité entre les hommes et les femmes, la pénibilité ou les validations de durées de cotisation, en particulier dans les premières années. On entend souvent observer qu’entre 1950 et 1970, la durée de cotisation a augmenté de 11 trimestres. Mais la première génération pour laquelle l’âge de la fin de la scolarité obligatoire a été porté de 14 à 16 ans est la génération née en 1953. Cela suffit à expliquer 8 des 11 trimestres d’allongement de la durée de cotisation !

S’agissant des jeunes, il convient de ne pas véhiculer d’idées nocives pour notre système de retraite. Certes, certains jeunes n’accèdent à un emploi stable qu’à 25 ou 26 ans ; mais l’âge moyen du premier emploi reste de 21 ou 22 ans, chiffre qui n’a pratiquement pas bougé depuis dix ou quinze ans. Ce monde où l’on fait des études jusqu’à 27 ans n’est pas celui que je connais. Il y a des gens qui font de longues études, mais il y en a d’autres qui se retrouvent très jeunes sur le marché du travail. Or les périodes de chômage indemnisées sont validées, et il suffit d’avoir travaillé 5 mois dans l’année – et bientôt 3 avec la réforme – pour valider quatre trimestres. Notre système comporte donc déjà des mécanismes de solidarité envers les jeunes.

Quant aux rachats des années d’études, je partage l’analyse de Philippe Pihet. La valeur d’un trimestre n’étant pas la même pour un salarié au SMIC et pour un salarié ayant effectué une brillante carrière, on aboutira tout bonnement à une redistribution à l’envers : c’est donner des primes aux seconds sur le dos des premiers. Bref, c’est une aberration.

L’idée d’une gestion des temps tout au long de la vie et d’une « retraite à la carte » a été abordée à plusieurs reprises. Nous vivons dans un système très stratifié : trente années d’éducation et de formation, une carrière professionnelle finalement très courte, menée sous pression, puis de longues années de retraite. On doit pouvoir « respirer » à certains moments de cette carrière sans que cela pénalise notre système de retraite. Il y a sans doute d’autres mécanismes à imaginer que la terrible « segmentation » qui est aujourd’hui de règle.

Mme Iborra m’a interrogé sur les petites retraites : 25 % des retraités touchant 50 % de la masse des retraites servies, 75 % des retraités en touchent 50 %. Il est donc possible de prendre des mesures de protection des petites pensions – au-delà de la seule allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) – sans plomber l’ensemble du système.

Pour les carrières précaires, l’idée de la trimestrialisation est bonne. Mais plutôt que de retenir les 100 meilleurs trimestres, il nous semble préférable d’effacer les trimestres non validés des années qui en comportent pour calculer les moyennes. Dans une année ne comportant que trois trimestres validés, on diviserait ainsi par trois et non par quatre. Cela pourrait constituer une mesure complémentaire en faveur des personnes en situation précaire et des femmes.

La pénibilité doit être renvoyée à la responsabilité de l’employeur, puisque c’est lui qui expose les salariés à ces conditions de travail. Le système sera complexe à mettre en place, et nécessitera sans doute quelques adaptations. Cela ne doit pas nous décourager : il est possible de trouver des systèmes intelligents. Il ne s’agit évidemment ni de plomber les entreprises, ni d’inciter les salariés à occuper des emplois pénibles. Tout cela devra donc être encadré. Quoi qu’il en soit, cela va constituer un excellent outil de prévention, même si la démarche est déjà entamée puisque nous avons signé des accords sur le sujet avec le MEDEF il y a quelques années.

J’en viens à l’articulation entre loi, négociation et concertation. L’accord national interprofessionnel (ANI) relevait de notre cœur de métier. Il était donc légitime que nous vous fassions des propositions et que l’esprit de l’ANI soit respecté – mais vous avez tout de même eu le dernier mot !

En revanche, le vieillissement de la population et les décisions qu’il appelle en matière de retraites sont de la responsabilité du Gouvernement, même si nous avons notre mot à dire. Contrairement à mon camarade de Force ouvrière, je n’opposerai cependant pas l’intérêt des salariés et l’intérêt général. Défendre l’intérêt des salariés sans avoir de vision général peut être contre-productif, y compris pour les salariés.

Je terminerai sur le financement de la protection sociale. Si l’assurance maladie relève principalement d’un régime contributif alors que le risque maladie est un risque universel, c’est parce qu’à l’origine, les indemnités journalières représentaient 80 % des dépenses de l’assurance maladie. Depuis, le rapport s’est inversé : les soins ont pris le pas sur les indemnités journalières, qui représentent désormais moins de 10 % des dépenses de l’assurance maladie. Dès lors, il est normal d’élargir sa base de financement. C’est pourquoi nous étions favorables dès l’origine à la CSG. Il est tout de même paradoxal de s’opposer à un financement par le CSG si l’on souhaite que tous les revenus – et pas seulement les revenus du travail – contribuent. Certes, 85 % de la CSG est payée par les salariés ; mais le travail représente 85 % des ressources d’un pays.

Nous sommes donc favorables à une mise à plat du financement de la protection sociale, qui permette de distinguer ce qui est du domaine du contributif et ce qui est du domaine de la solidarité. À terme, il faudra sans doute transférer le financement de la branche famille sur une assiette plus large : il n’est pas juste qu’il pèse sur les seules entreprises. Mais cela doit rester neutre pour les salariés. Des propositions précises ont été faites en ce sens.

Le système de retraites, il est marqué par une grande confusion dans les financements. Par exemple, les avantages familiaux sont pour partie financés par la branche famille. Il faut impérativement améliorer la lisibilité et la cohérence de ses modes de financement.

M. Serge Lavagna, secrétaire national en charge de la protection sociale (CFE-CGC). Permettez-moi d’observer que ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas autant de monde dans la rue hier que les organisateurs l’auraient souhaité qu’il n’y a pas de mécontentement ! Une note commandée par la Fondation Jean Jaurès fait d’ailleurs état des inquiétudes et du mécontentement persistants des Français sur la question des retraites. Nous ne devons pas minimiser ces inquiétudes, notamment en ce qui concerne la durée de cotisation. Je note d’ailleurs que ce sont les jeunes et les catégories populaires qui sont les plus hostiles à l’allongement de la durée de cotisation, qui suppose des départs à la retraite à un âge avancé. Ils ont bien compris qu’il ne serait plus possible de prendre sa retraite à 62 ans !

Pour la CFE-CGC, l’allongement de la durée de cotisation doit se concilier avec le maintien d’un âge de départ à la retraite décent. Le rapport Moreau comporte une proposition qui permet d’y parvenir ; elle peut être adaptée.

En ce qui concerne le rachat des années d’études, il faut être clair avec les jeunes : soit on leur dit qu’ils partiront à la retraite à 68 ans, sauf à accepter une décote, soit on imagine une solution de rachat leur permettant de partir un peu plus tôt. Nous sommes favorables à la seconde solution ; ils semblent que les autres intervenants préfèrent la première. Le législateur doit donc trancher. En tout cas, ne nous moquons pas des jeunes : le dispositif proposé par le texte, qui consiste à racheter ces années à un prix très élevé et dans un délai très court, ne pourra être utilisé par personne. Pour notre part, nous avons fait des propositions ; nous pouvons vous les transmettre.

S’agissant du financement, nous estimons nous aussi qu’il faut distinguer ce qui relève du contributif et ce qui est universel. La retraite est typiquement une prestation contributive. Si fiscalisation de la protection sociale il y a, ce qui nous paraît inévitable, elle doit donc porter sur la maladie et sur la famille. Reste à savoir sur quel impôt – CSG ou taxe sur la consommation – asseoir ce financement. Aucune de ces perspectives n’est plaisante. Nous avions choisi la seconde dans notre proposition, d’une part parce qu’elle nous semblait moins néfaste pour les salariés, sachant que nous demandons à ce que la compensation se fasse non pas seulement sur les cotisations patronales, mais aussi sur les cotisations salariales, et d’autre part parce qu’elle ne déboucherait que sur une augmentation modérée des prix. Mais dans les deux cas, ce sont les salariés qui payeront.

Les modalités de mise en œuvre du compte pénibilité seront en effet déterminantes. Il me semble que l’on pourrait y associer le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et le médecin du travail.

Quant au Comité de surveillance des retraites, il doit conserver un rôle consultatif.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Madame, messieurs, nous vous remercions d’avoir bien voulu répondre aux questions des membres de la Commission.

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La Commission entend des représentants des employeurs (CGPME, MEDEF, UPA) sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites lors de sa deuxième séance du mercredi 11 septembre 2013.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nos auditions sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites se poursuivent. Le débat sur ce texte constitue un moment important de cette législature. Il s’agit d’assurer la pérennité d’un dispositif de solidarité entre les générations, essentiel pour notre société.

Après les représentants des salariés, nous recevons à présent les représentants des employeurs. Nous sommes heureux d’accueillir M. Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et président de son pôle social ; Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), chargée des affaires sociales ; et M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA).

M. Jean-François Pilliard, vice-président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Le projet de loi sur les retraites a pour objectif de garantir l’avenir et la justice de notre système de retraite. Les enjeux sont considérables : il s’agit d’assurer la soutenabilité des régimes de retraite par répartition, auxquels nous sommes tous très attachés, et de rétablir la confiance des salariés, plus particulièrement celle des jeunes générations.

Étant donné l’état des comptes publics, celui des entreprises, la démographie et le changement de paradigme économique, il est impossible de garantir la pérennité des régimes et de la protection sociale en général sans soutenir, dans le même temps, la compétitivité des entreprises et sans maîtriser le niveau des dépenses de protection sociale. Je rappelle que le taux de marge des entreprises françaises est revenu à son niveau des années 1950 : 28 % tous secteurs confondus, 25 % pour les industries manufacturières, soit dix points de moins que dans la plupart des pays européens. Avec de telles marges, il n’est plus possible d’investir. Le manque d’investissement provoque une hausse du chômage, avec les drames humains que cela entraîne. Les conséquences ne sont pas moins catastrophiques sur le plan économique : lorsque les recettes baissent, c’est l’ensemble des équilibres du financement de la protection sociale qui est menacé.

Dans ce contexte, seule une réforme structurelle des régimes de retraite, fondée sur une perspective d’allongement de la durée de l’activité à l’horizon 2020, permettrait d’atteindre les objectifs qui sont les nôtres, y compris pour les régimes complémentaires. Aussi notre organisation a-t-elle avancé, dès la fin du mois de juillet, dans le cadre de la concertation, vingt-quatre propositions concrètes.

La réforme qui nous est présentée se fonde sur une erreur de diagnostic. On nous parle du seul régime général et d’un déficit de 7 milliards d’euros. Or, au-delà du régime général, il faut envisager les régimes complémentaires – bien mal nommés, puisque la retraite complémentaire AGIRC représente à peu près 60 % du revenu d’un cadre retraité. De même, la réforme ignore les régimes applicables dans la fonction publique et les régimes spéciaux qui font l’objet, chaque année, d’une subvention d’équilibre de plus de 7 milliards.

Les hypothèses économiques qui ont été retenues correspondent à un des scénarios du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui, pour la période 2011-2020, table sur un taux de croissance annuelle de 1,6 % et un taux de chômage de 7,8 %. Sur la période 2011-2014, la croissance a été nulle. Pour tenir cet objectif, il faudrait donc une croissance supérieure à 2 % sur la période 2014-2020. On ne peut s’empêcher d’émettre un doute sérieux sur une telle ambition dans la mesure où tous les économistes s’accordent à penser que, dans le meilleur cas, le taux de croissance s’établira autour de 1,5 %.

En définitive, ce n’est pas une réforme structurelle qui a été présentée, mais un agrégat de dispositions disparates se caractérisant par des augmentations de charges, pour les salariés et les entreprises, et par des droits nouveaux qui entraîneront des dépenses supplémentaires au détriment du rééquilibrage de nos régimes.

Nous considérons que l’augmentation des cotisations n’est pas la bonne solution pour assurer la pérennité des régimes de retraite à court terme. Depuis trente ans, on nous explique qu’une augmentation des cotisations de 0,1 ou 0,2 point est anecdotique. Mais l’anecdotique devient dramatique pour l’emploi en raison des charges qui pèsent sur les entreprises françaises. La France se distingue en effet des autres pays européens et de ceux de l’OCDE par le financement de sa protection sociale, assuré à 63 % par les cotisations patronales et salariales, mais aussi par le niveau élevé des prélèvements obligatoires qui pèsent sur les entreprises. Je rappelle que la cotisation spécifique employeur représente 14,4 % du PIB, ce qui en fait un des plus hauts niveaux de dépense de protection sociale. Une fois de plus, notre pays se distingue par son exception : hélas, elle ne nous place pas en tête de la compétition internationale, mais a au contraire tendance à nous marginaliser. Chaque augmentation des cotisations sociales des entreprises de 0,1 point entraîne la destruction de 2 000 à 6 000 postes à court terme – à l’horizon 2015 – et de 6 000 à 12 000 emplois à long terme.

Certes, ces cotisations sont compensées, mais cela ne change rien à notre diagnostic, car, en définitive, cela contribue au déséquilibre global. Bien sûr, nous demandons cette compensation, mais nous y sommes obligés, puisque la mesure de départ est mauvaise.

On nous dit que l’objectif visé par le projet de loi est la justice et l’équité. Or nous considérons que le projet est loin du compte, en particulier s’agissant des jeunes générations vis-à-vis desquelles nous avons collectivement une responsabilité. Seul un allongement de la durée d’activité à un horizon rapproché permettrait d’atteindre cet objectif.

Est-il normal que le projet de loi n’envisage pas le rapprochement progressif des trente-six régimes existants ? Non seulement leur dispersion gonfle les frais de gestion – ces fonds seraient bien plus utiles pour maintenir, voire augmenter, le niveau des prestations pour les retraités –, mais elle fait apparaître des disparités, ce qui contredit le principe d’équité. Pour certains régimes spéciaux, on peut dire qu’il y a deux poids deux mesures, puisque, en dépit de conditions de travail parfois très proches de celles de nos entreprises, des départs anticipés sont financés par le contribuable.

Par ailleurs, comment un régime de retraite par répartition pourrait-il avoir pour vocation de corriger les inégalités de la vie professionnelle ? Certes, les parcours professionnels, notamment ceux des femmes, et la pénibilité sont des problématiques auxquelles nous attachons une grande importance, mais en quoi concernent-elles notre régime par répartition ?

Sur la pénibilité, notre position est claire. Contrairement à ce qui semblait se dessiner pendant la concertation, le dispositif proposé est un joyeux mélange entre, d’une part, la prévention et, d’autre part, la réparation. Paradoxalement, il amènera des salariés évoluant dans des environnements pénibles à s’orienter vers des solutions les gardant durablement dans la pénibilité au lieu de les en sortir.

Le financement du dispositif, tel qu’il est proposé, alourdira les charges des entreprises et, par conséquent, les graves difficultés en matière d’emploi.

Sans préjuger des améliorations qui seront apportées grâce au débat parlementaire et aux décrets d’application, la mise en œuvre opérationnelle du dispositif sera d’une extrême complexité, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Notre pays a une grande capacité à développer toutes sortes de systèmes dont la première caractéristique est d’être quasiment impossibles à mettre en œuvre dans les entreprises.

En outre, peut-on considérer que le fait, pour des salariés, d’évoluer dans un environnement de travail donné les place dans des conditions identiques ? En fait, chaque salarié voit sa santé évoluer en fonction d’autres paramètres. Or il nous semble important de prendre en compte ce croisement entre l’approche collective et la dimension individuelle sous l’angle médical.

Dans quelles conditions le nouveau système se substituera-t-il au système actuel ? Des dispositifs de pénibilité ont été développés dans les entreprises, en particulier par le biais de primes parfois importantes. Il existe également des dispositifs de retraite anticipée pour carrière longue, amiante et invalidité, dont bénéficie chaque année environ un quart d’une classe d’âge. Est-il légitime de cumuler le nouveau dispositif avec tous ceux-ci ?

En matière de gestion paritaire des régimes de retraite complémentaires, on fait très fort ! Ces régimes, gérés par les partenaires sociaux, sont autonomes. Toutefois, on nous a toujours interdit d’agir sur les paramètres structurels de la retraite. Ainsi, lors de la dernière négociation sur les régimes complémentaires, les organisations syndicales et patronales ont accepté – pour sauver les régimes complémentaires – une moindre revalorisation des retraites pendant trois ans et de légères augmentations de cotisations. Nous avons consenti ces efforts en espérant que la réforme du régime général serait structurelle et nous apporterait une visibilité sur le long terme. Nous nous sommes probablement trompés : les réserves de l’AGIRC seront épuisées en 2018 ; celles de l’ARRCO en 2020 ou 2022. Or le projet de loi prévoit que l’État pourra nous demander de remettre les régimes complémentaires à l’équilibre ! Cela nous paraît irréaliste en termes d’efficacité et, surtout, contradictoire avec le principe d’autonomie qui caractérise la gestion paritaire.

Notre organisation est profondément attachée au régime par répartition et à la notion d’équité. Nous pensons avoir une responsabilité vis-à-vis des nouvelles générations. Malheureusement, le texte qui nous est proposé est très loin de répondre aux objectifs qui figuraient dans les attendus de la concertation à laquelle nous avons participé.

Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). J’approuve totalement les propos de M. Pilliard sur plusieurs points, mais je voudrais insister sur certains aspects qui fragilisent particulièrement les TPE que nous représentons.

Cette réforme, qualifiée de « Canada Dry » par notre président Jean-François Roubaud, est très loin de garantir la pérennité des régimes, notamment celle du régime général des salariés du secteur privé. Au contraire, elle risque d’aggraver la situation, en particulier pour les régimes complémentaires.

Elle prévoit l’augmentation des prélèvements qui pèsent sur les salariés et les employeurs à travers un relèvement des cotisations de l’assurance vieillesse sur quatre ans, ce qui représente une charge supplémentaire de plus de 12 milliards, qui viendra s’ajouter aux 10 milliards de la réforme de 2012 sur les carrières longues. En définitive, en augmentant le coût du travail pour les employeurs et en diminuant le pouvoir d’achat des salariés, cet effet cumulatif nuira une fois de plus à l’emploi. Et, selon l’adage selon lequel trop d’impôt tue l’impôt, les recettes seront considérablement amoindries.

La mise en œuvre du compte individuel de pénibilité nous inquiète au plus haut point. À la cotisation de base de l’ensemble des entreprises, s’ajoutera une surcotisation pour celles concernées par des travaux reconnus pénibles. Le coût du dispositif est estimé par le Gouvernement à 600 millions d’euros au début de sa mise en œuvre, puis à 1 milliard en 2030 et enfin à 2,5 milliards en 2040. Cependant, faute de connaître le comportement futur des acteurs, il est à craindre que ce coût se révèle plus élevé à terme.

En pratique, les entreprises devront attribuer des points à leurs salariés en établissant tous les ans une fiche de poste. Non seulement cela alourdira les charges administratives des TPE-PME, mais cela créera des conflits avec les salariés qui pourront estimer leur travail plus pénible que ne le juge l’entreprise au regard des dix critères de pénibilité. Cette situation ouvrira une boîte à contentieux que nos entreprises seront dans l’incapacité de gérer. Par conséquent, elles refuseront d’assumer de telles charges. Un employeur pourra très bien refuser d’embaucher une personne pour un poste de nuit, le jugeant bien trop compliqué à gérer. Au final, cette situation risque d’engendrer de très importantes pertes d’emploi et de chiffre d’affaires.

Les vingt premiers points seront réservés à la formation. Mais que se passera-t-il si, après s’être formés, les salariés s’entendent dire par le chef d’entreprise qu’aucun poste ne peut leur être proposé ? L’employeur devra-t-il licencier, à sa charge, le salarié désireux de changer de poste ? Il s’agit là d’un vrai problème car vous ne pouvez pas imaginer ce que représentent pour une TPE-PME les obligations de reclassement en cas d’inaptitude !

Au surplus, cette réforme ne tient pas compte de tout ce que les employeurs ont mis en œuvre en termes de travail de nuit et de compensations horaires et salariales. Elle est en quelque sorte une deuxième peine. La CGPME est très attachée à la prévention. Les TPE-PME ont également fait d’énormes efforts en matière de prévention de manière à améliorer les conditions de travail, en particulier en ce qui concerne le port de charges lourdes.

Ainsi, même si l’idée de la pénibilité est plaisante, le dispositif sera source de multiples contentieux, il augmentera les charges administratives des TPE-PME et alourdira leur coût du travail. Notre pays est le seul en Europe dans cette situation. Ces difficultés s’ajouteront à celle que nous connaissons déjà en raison de la directive concernant le détachement des travailleurs, qui permet à des salariés de l’Union européenne de venir travailler en France sans que leur employeur ait à s’acquitter des charges françaises. Si cette pratique prend de l’ampleur, elle sera une grave menace pour nos emplois.

La pénibilité a déjà été traitée pour les carrières longues, et le Gouvernement a souhaité élargir le dispositif. Avec cette réforme, 20 % de salariés supplémentaires vont pouvoir partir à la retraite. Ainsi, 40 % d’une classe d’âge sera exonérée du régime de droit commun. Comment parler de justice et d’équité ? Certains ont choisi de travailler la nuit, comme les « disc jockey » : se verront-ils appliquer le doublement des points pénibilité ? Bref, la mise en œuvre du dispositif nous paraît totalement irréaliste dans les TPE-PME.

Enfin, nous regrettons que la convergence entre le public et le privé, à laquelle le président Roubaud est extrêmement attaché, n’ait pas été retenue par la réforme. Le déficit global des régimes de retraite devrait dépasser les 20 milliards en 2020, mais le Gouvernement limitera ses efforts à combler celui de 7 milliards du régime de base des salariés du privé. Si, comme on nous l’explique, il n’y a pas de différence entre le secteur privé, d’une part, et la fonction publique et les régimes spéciaux, d’autre part, pourquoi le déficit est tel pour ces deux derniers avec quatre fois moins de salariés ?

Pour nous, l’important est de relever les bornes d’âge afin d’envoyer un signal aux jeunes. Avec quarante-trois annuités de cotisations, les jeunes diplômés qui entreront sur le marché du travail à vingt-cinq ans ne pourront pas partir avec une retraite à taux plein à soixante-deux ans. Ce ne sont pas les jeunes qui ont créé les déficits, c’est ma génération. Il serait donc juste que celle-ci participe davantage à l’effort collectif par l’augmentation de l’âge d’ouverture de ses droits à la retraite.

Les annonces faites le 27 août et transcrites dans le projet de loi donnent l’impression d’une fuite en avant. Si notre pays ne prend pas ses responsabilités, le régime par répartition, auquel la CGPME est très attachée, disparaîtra purement et simplement. Si nous ne parvenons pas à prendre les bonnes mesures capables de mettre fin au déficit, nous devrons renoncer au régime par répartition au profit d’un système par capitalisation.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l’Union professionnelle artisanale (UPA). Nous partageons l’intégralité des propos de Jean-François Pilliard et de Geneviève Roy. Mon intervention sera donc brève.

Nous sommes très attachés au régime de retraite par répartition, pour tous les régimes et bien sûr pour le régime social des indépendants auquel sont affiliés un grand nombre de chefs d’entreprise. Toutefois, le projet de loi sur les retraites n’est pas une réforme structurelle, puisqu’il ne touche pas aux bornes d’âge. Étant donné le rythme auquel se sont succédé les réformes depuis vingt ans, on peut craindre qu’il faille rapidement revenir sur celle qui s’annonce. Pour l’instant, seule la hausse des cotisations paraît assurée, ce qui nous inquiète beaucoup, même si l’on nous promet qu’elle sera compensée. Plus grave est la création du compte pénibilité, d’abord parce qu’elle entraînera de nouvelles cotisations, mais surtout parce que ce dispositif constituera une véritable usine à gaz.

C’est une erreur, nous semble-t-il, de lier la question de la pénibilité, à laquelle les professions représentées par l’UPA sont loin d’être indifférentes, et celle des retraites, car la notion de pénibilité évolue au fil des années. Par ailleurs, les branches professionnelles ont déjà engagé des actions de prévention – ce ne sont pas nos entreprises, le plus souvent très petites, qui peuvent le faire, car la plupart ne comportent pas de service du personnel. Ainsi, le secteur de la boulangerie mène des actions très concrètes pour lutter contre l’asthme causé par les poussières de farine. Si nous avons pu organiser des actions collectives de prévention dans les branches qui ont mis en place des complémentaires santé, la décision du Conseil constitutionnel qui remet en cause la possibilité d’une mutualisation au sein des branches va poser un grave problème pour l’avenir.

La mise en œuvre du dispositif pénibilité nous préoccupe énormément. En effet, si le projet de loi était voté en l’état, il faudrait remplir des fiches pour chaque moment de la journée, sachant qu’un salarié travaillant dans une entreprise artisanale ou un commerce de proximité peut être exposé à des contraintes susceptibles d’être associées à des facteurs de pénibilité pendant deux heures, par exemple, mais pas pendant le reste de la journée. Comment nos entreprises qui, je le répète, n’ont pas de service du personnel, pourraient-elles faire ce travail ? Comme l’a dit Geneviève Roy, ce dispositif sera source de contentieux, sans compter que la directive Détachement est pour nous un très grand sujet de préoccupation. Nos entrepreneurs devront-ils se convertir en auto-entrepreneurs, statut sur lequel vous connaissez la position de l’UPA ?

M. Michel Issindou, rapporteur. Madame, messieurs, vous avez exprimé très franchement vos inquiétudes sur le projet de loi, ce dont je vous remercie. Néanmoins, nous partageons un souci essentiel : la volonté de préserver notre système par répartition.

Monsieur Pilliard, nous avons montré par des mesures récentes, en particulier le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), combien nous sommes soucieux de la compétitivité des entreprises. Nous n’opposons pas compétitivité et modèle social français. Sans doute peut-on parler de particularité française. Faut-il pour autant s’aligner sur les moins-disants européens ? Nous sommes plutôt fiers de ce que nous avons réussi à faire pour le développement économique de notre pays et son modèle social.

Vous indiquez que nous ne nous attaquons qu’aux 7 milliards de déficit du régime général. N’opposons pas les travailleurs du secteur public à ceux du privé ! D’une part, malgré des règles différentes pour le calcul des pensions, les taux de remplacement du secteur privé et du secteur public sont proches. D’autre part, seule la fonction publique d’État est déficitaire. En outre, la réforme des régimes spéciaux de 2008 a constitué une première étape vers la convergence avec un allongement de la durée de cotisation. Ainsi, un conducteur de la SNCF qui souhaiterait partir à la retraite après trente ans d’activité toucherait une pension très faible du fait de l’application de la décote.

En ce qui concerne la pénibilité, nous avons des convictions. Certains métiers méritent la solidarité nationale, et ceux qui les ont exercés doivent pouvoir bénéficier d’une compensation – relativement modeste, vous en conviendrez, avec au maximum deux ans de réduction de leur temps de travail. La mise en œuvre du dispositif serait un enfer, nous expliquez-vous. Laissez-lui une chance d’exister à travers les décrets d’application ! Je ne doute pas que ce dispositif pourra être autre chose qu’une usine à gaz si nous parvenons à le faire vivre ensemble, si chacun y met de la bonne volonté. C’est une mesure de solidarité et de justice à laquelle nous tenons tout particulièrement.

M. Arnaud Robinet. Monsieur Pilliard, vos propos m’ont rassuré, car votre organisation m’avait semblé plutôt tiède à l’issue des concertations avec le Premier ministre. Certes, on vous a promis une baisse des charges pesant sur le travail, avec un transfert pour financer la politique familiale. Mais les mêmes, en 2003, avaient promis aux syndicats un retour à la retraite à soixante ans et une abrogation de la loi Fillon.

Madame, messieurs, vous avez raison : cette réforme n’en est pas une. C’est un projet de loi, plutôt synonyme de choc fiscal, qui va porter sur un financement à hauteur de 7,5 milliards d’euros sur les 20 milliards nécessaires à l’ensemble des régimes de retraite. Le plus grave est qu’il s’inscrit sous le signe de l’iniquité. Il ouvre de nouveaux droits, dont certains sont justifiés – je pense aux polypensionnés et aux femmes –, mais il crée aussi, en quelque sorte, de nouveaux régimes spéciaux. Or nos concitoyens espéraient une véritable convergence de l’ensemble des régimes. Cessons d’ailleurs d’associer travail et pénibilité. À force d’affirmer que les métiers du bâtiment sont pénibles, ce secteur ne parviendra plus à recruter. Parlons plutôt de métiers physiques.

L’opposition partage les inquiétudes des représentants des employeurs, notamment sur le choc de fiscalité pour les entreprises qui ont déjà été mises à contribution avec le décret de 2012 qui prévoit le rétablissement de la retraite à soixante ans pour certaines catégories de personnels. Sans ce décret, dont l’impact sur le déficit du régime de base des salariés est considérable, l’équilibre aurait pu être atteint en 2020. Comme vous l’avez également souligné, les retraités et les salariés subiront une baisse de leur pouvoir d’achat.

Il faut bien sûr préserver le régime par répartition. Néanmoins, un problème démographique appelle une solution démographique. C’est pourquoi nous aurions souhaité une augmentation de la durée de cotisation, mais également un recul de l’âge de départ à la retraite, ce paramètre ayant un impact rapide sur le financement des retraites.

Si nous laissons en l’état le système par répartition, nous risquons de provoquer sa disparition. Je crois donc souhaitable de l’adosser, non à un système par capitalisation – mot tabou dans notre pays –, mais à l’épargne retraite. Madame, messieurs, quel est votre avis sur ce que nous appelons l’acte II de l’épargne retraite ? Comment inciter les Français, notamment les jeunes générations, à s’orienter vers une retraite supplémentaire, en complément du système par répartition ?

Nos entreprises – PME, PMI, TPE, artisans et commerçants – sont confrontées à de grandes difficultés. On leur a promis monts et merveilles avec le CICE, dont le financement n’est pas assuré, et avec les contrats de génération. La compétitivité de nos entreprises et la création d’emplois appellent des réformes d’une autre envergure.

M. Philippe Vigier. Madame, messieurs, vous êtes quasiment à l’unisson dans vos critiques contre le texte gouvernemental. Le groupe UDI a eu l’occasion d’exprimer sa position sur le rapprochement entre le public et le privé, l’extinction progressive des régimes spéciaux, la prise en compte du problème des retraites complémentaires et la capitalisation. Il a également souligné son attachement au régime par répartition.

Monsieur Pilliard, j’ai été surpris de voir votre président plutôt satisfait de cette réforme, après avoir été reçu par le Premier ministre. Comme vous l’avez indiqué, le taux de marge, élément fondamental de la compétitivité des grandes, moyennes et petites entreprises, s’est effondré. Or nous savons tous qu’une hausse des cotisations est nuisible à la compétitivité. Le Monde a beau annoncer que la facture sera plus élevée pour les salariés et neutre pour les entreprises, le document de présentation gouvernementale indique que l’impact sera de 2,2 milliards pour les entreprises et de 2,2 milliards pour les salariés. Avez-vous obtenu des garanties sur une baisse des charges patronales lors de votre rencontre avec Jean-Marc Ayrault ?

S’agissant du compte pénibilité, dont le coût est estimé à 2,5 milliards en 2040, je suis favorable à la définition de critères. J’entends parfaitement votre inquiétude sur la complexité de la mise en œuvre du dispositif, madame Roy. Pour nous, la pénibilité implique un plan de prévention. Avez-vous des préconisations en la matière ? Avez-vous réalisé des études d’impact, sachant que le financement du dispositif sera assuré par les entreprises ? Enfin, comment mettre en place le compte pénibilité, qui sera plafonné à 100 points, sans risque de dérives ? Les représentants des salariés ont exprimé ces mêmes craintes ce matin.

Enfin, j’ai trouvé le représentant de l’UPA extrêmement sévère. Monsieur Burban, avez-vous mesuré l’impact de la directive Détachement, mais aussi de la hausse des cotisations vieillesse et de la création du compte pénibilité pour les professionnels relevant de votre organisation ?

Mme Véronique Massonneau. Le compte personnel de prévention de la pénibilité me semble une mesure essentielle, innovante et juste. Quelle solution alternative proposez-vous pour son financement ?

La réforme propose de réduire les inégalités entre hommes et femmes, ce dont on ne peut que se réjouir. Hélas, elles se perpétuent, malgré la loi qui exige que les entreprises mettent en place des dispositions pour les atténuer. Quelle mesure préconisez-vous pour mettre fin à cette situation ?

Enfin, les dispositions relatives aux apprentis leur permettent de valider des trimestres correspondant au nombre de trimestres travaillés. Pensez-vous que cet excellent dispositif pourrait être élargi aux stagiaires ?

Mme Jacqueline Fraysse. Le Gouvernement envisage de compenser l’effort demandé aux entreprises pour financer les retraites afin de ne pas alourdir le coût du travail et de ne pas pénaliser la compétitivité. Cela revient à faire payer seulement les salariés et les retraités, ce qui, à nos yeux, est injuste. Cette mesure nous préoccupe d’autant plus que les entreprises ont déjà bénéficié de 20 milliards d’euros au titre du CICE, qui s’ajoutent aux plus de 20 milliards d’exonérations de cotisations sociales existantes. Pour nous éclairer sur la pertinence de cette nouvelle subvention, pouvez-vous nous dire comment les entreprises ont utilisé le CICE ? Quels en sont les premiers effets ? A-t-il provoqué une augmentation des investissements ? Seriez-vous favorables à une plus grande transparence de l’utilisation de ces fonds ? Comment expliquez-vous que, malgré ces milliards d’argent public, le chômage, non seulement ne diminue pas, mais continue d’augmenter ?

Lors de l’université d’été du MEDEF, M. Pierre Moscovici a assuré aux entreprises que le CICE et le crédit d’impôt recherche (CIR) seraient sans contreparties ni contrôle fiscal. Cette déclaration nous a surpris. Comment la justifiez-vous dans un contexte où la part des salaires et des investissements dans la valeur ajoutée ne cesse de baisser au profit des dividendes et de la rémunération des dirigeants, et où les grandes entreprises françaises utilisent massivement ce qu’il est convenu d’appeler « l’optimisation fiscale », au détriment de l’État ? Selon une enquête d’Alternatives économiques, les entreprises du CAC 40 possèdent 1 470 filiales dans les paradis fiscaux ! Seriez-vous favorables à une plus grande transparence de l’utilisation des fonds publics ?

Quelle place envisagez-vous pour les représentants du personnel dans l’évaluation de la pénibilité ?

Aujourd’hui, les revenus financiers des entreprises ne sont pas investis pour créer des emplois et ne participent pas au financement de notre protection sociale ; cela nous paraît anormal, car ces revenus sont issus de la valeur ajoutée créée par le travail. Êtes-vous prêts à les soumettre à cotisation ?

Comment justifiez-vous la persistance des inégalités salariales entre les hommes et les femmes ? Il paraît choquant qu’à travail et compétences égaux, les salaires versés aux hommes et aux femmes ne soient pas identiques, alors que le problème est reconnu et que, comme, vient de le rappeler Mme Massonneau, nous avons adopté des lois afin d’y remédier.

Vous militez pour un recul de l’âge de départ à la retraite ; pourtant, le taux d’emploi des 55-64 ans n’est que de 37 %. N’est-ce pas contradictoire ? Comment expliquez-vous la frilosité des entreprises en matière d’embauche des seniors ?

M. Denis Jacquat. Il ne s’agit pas, à mes yeux, d’une véritable réforme, mais d’un texte aux ambitions bien plus modestes – qui contient par ailleurs des mesures, concernant notamment les polypensionnés, avec lesquelles nous sommes d’accord. Pourtant, en 2010, nous avions prévu deux rendez-vous : un en 2013, un en 2018. On est loin du compte !

En outre, le projet de loi prévoit de nouvelles charges, et cela malgré la crise économique.

Nous sommes viscéralement attachés au système de retraite par répartition. Le problème, c’est que, avec un tel texte, il est certain que nous serons contraints de nous retrouver ici même dans deux ou trois ans pour discuter du même sujet. La question est de savoir si nous devons, comme l’a fait M. Gerhard Schröder – membre du SPD – en Allemagne, mettre en place un système qui comprendrait plusieurs piliers, tout en restant fondé sur le principe de la répartition. Là-bas, cela a marché, puisque 13 millions d’Allemands ont désormais accès à l’épargne retraite.

La question de la pénibilité avait déjà été abordée en 2010, et même dès 2003, puisque le dispositif pour carrière longue a été mis en place à l’époque ; c’est la France qui, la première, a traité ce problème – l’Autriche avait essayé de le faire en son temps, avant de faire machine arrière. Je pense que, en ce domaine, il faut mener une politique basée sur la santé au travail et sur la prévention ; je suis partisan de conserver une approche médicale – bien que beaucoup y soient opposés –, car je crains les dérives ; et je crois qu’il convient d’éviter toute surenchère : en tant qu’élu local, je suis souvent sollicité par des personnes qui souhaitent travailler de nuit dans des hôpitaux.

M. Christian Paul. Merci d’avoir contribué à éclairer les décisions que nous aurons à prendre dans quelques semaines. Comme nous ne tenons pas un double langage, je répéterai ce que, ce matin, j’ai dit aux organisations syndicales au nom du groupe SRC.

La présente réforme du régime général répond à la recherche d’un compromis social, auquel nous souhaitons associer le maximum d’acteurs sociaux et syndicaux. Ce compromis, nous sommes en train de le construire, ce qui, en période de crise économique et sociale, n’est pas toujours aisé.

Cela passe par deux exigences. En premier lieu, nous devons avoir le souci du dialogue, afin d’améliorer le projet de loi avant son adoption ; c’est pourquoi nous avons été désireux de vous rencontrer aujourd’hui, tout comme nous le serons à chaque étape de l’examen du texte – notamment, dans quelques jours, dans le cadre de mon groupe.

D’autre part, il nous faut trouver un compromis de progrès. Nous n’envisageons pas qu’une réforme du régime général puisse se limiter à un simple ajustement budgétaire, comme celui tenté dans les années précédentes, avec un succès limité. Si les efforts consentis doivent permettre l’équilibre du régime, nous croyons possible de réaliser aussi un certain nombre de progrès à cette occasion.

Je suis un peu surpris par vos critiques à l’encontre des dispositions relatives à la pénibilité : je pensais que les organisations patronales portaient une plus grande attention à ces questions. Connaissant bien plusieurs branches ou professions que vous représentez – notamment à l’UPA –, j’avais le sentiment que la pénibilité du travail, qui est actuellement un obstacle au recrutement dans les entreprises, était mieux comprise. Nous souhaiterions poursuivre le dialogue avec vous sur ce sujet.

Mme Isabelle Le Callennec. Le compte individuel de pénibilité semble poser de sérieux problèmes de coût et de mise en œuvre ; les organisations syndicales que nous avons reçues ce matin s’en sont également fait l’écho – pour d’autres raisons.

Vous dites que, plutôt que d’établir un lien entre la pénibilité du travail et la retraite, il vaudrait mieux travailler sur les conditions de travail des personnes dès le premier jour de leur insertion professionnelle. La réforme de 2010 posait une obligation, pour les entreprises de cinquante salariés ou plus dont la moitié de l’effectif est exposée à un facteur de pénibilité, de négocier un accord ou d’élaborer un plan d’action et de prévention. Quelles conséquences a eu la mise en œuvre de cette disposition ?

Je crois savoir que certaines entreprises ayant des difficultés de recrutement ont fait de réels efforts pour améliorer les conditions de travail de leurs salariés. En 2010, nous avions décidé de mettre en place un Fonds national de soutien relatif à la pénibilité, doté de 20 millions d’euros, afin d’aider les entreprises à adapter les postes aux salariés. Je n’arrive pas à obtenir du ministère des informations sur son utilisation. Savez-vous ce qu’il en est ?

Pour définir la pénibilité, on a évoqué le dialogue entre l’employeur et le salarié, mais on pourrait aussi faire appel à d’autres acteurs – notamment à la médecine du travail. Quel devrait être selon vous le rôle de celle-ci et celui des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans la lutte contre la pénibilité au travail ?

Enfin, avez-vous discuté avec les organisations syndicales et le Gouvernement de la retraite progressive ?

M. Jean-Marc Germain. Évitons les faux débats : au fond, les critiques que vous émettez sont relativement douces – le président du MEDEF avait d’ailleurs fait une déclaration beaucoup plus positive sur le perron de Matignon.

On ne peut faire croire qu’il existe des solutions autres que l’augmentation à court terme des prélèvements obligatoires pour rééquilibrer les régimes de retraite. Disons les choses clairement : soit on diminue les pensions, soit on augmente les prélèvements sur les salariés, les employeurs ou les ménages ; mais le relèvement de l’âge de départ à la retraite et l’allongement de la durée de cotisation n’ont d’effets qu’à long terme, sous réserve que la croissance reprenne et que le chômage régresse – sinon, on transforme de jeunes retraités en vieux chômeurs.

D’autre part, il convient que les efforts soient partagés. Or ce qui me paraît important dans cette réforme, c’est précisément qu’on ne stigmatise personne : l’effort demandé sera le même pour les fonctionnaires et pour les salariés du privé, pour les retraités et pour les actifs. Il est essentiel que cette parité soit maintenue entre les salariés et les employeurs. Si je comprends que l’on débatte de la compensation de la hausse du coût du travail, il importe que, au bout du compte, l’ensemble des parties contribuent à l’effort collectif – y compris les employeurs. J’espère que les décisions prises dans le cadre des réformes du financement de la protection sociale et des allocations familiales le permettront, et que la partie patronale saura soutenir cet effort.

Mme Bérengère Poletti. Vous avez raison : il ne s’agit pas d’une réforme, tout au plus d’une série d’ajustements destinés à ne pas froisser les personnes concernées…

La pénibilité n’est pas un problème nouveau ; s’il a été rappelé qu’un fonds dédié a été créé en 2010, dès 2003, on avait demandé aux partenaires sociaux de faire des propositions sur le sujet. Qu’est-ce que cela a donné ?

M. Gérard Sebaoun. Si je récapitule, personne ne conteste que la pénibilité est un sujet d’actualité et les partenaires sociaux travaillent déjà ensemble à établir les facteurs de risque.

En outre, je souscrirais volontiers à la proposition n° 8 du MEDEF ; tout y est, ou presque : l’anticipation des carrières, l’amélioration des conditions de travail, la prévention des situations de pénibilité, le développement des qualifications, la formation, l’aménagement des fins de carrière, la transition entre activité et retraite.

Pourtant, quand j’entends votre argumentation, je m’inquiète : ce que vous mettez en avant, c’est plutôt la réparation médicalisée, qui concerne assez peu de personnes. Nous sommes loin de la réalité de ce qu’est la pénibilité !

Vous dites que des efforts de prévention ont été faits dans les petites entreprises. Dans ce cas, pourquoi les chiffres de la sinistralité ne s’améliorent-ils pas ?

De mon point de vue, il y a une double réalité : d’un côté, l’action menée au sein des entreprises par les partenaires sociaux, qui aboutit à des progrès que nous saluons tous ; de l’autre, une posture des organisations patronales, qui les conduit à rejeter dans sa globalité le texte présenté.

M. Lionel Tardy. D’aucuns évoquent une réforme équilibrée, fondée sur l’équité et le partage des efforts. Rappelons les chiffres : pour équilibrer les régimes de retraite, il faut trouver 20 milliards d’ici à 2020 – 7 milliards pour le régime général, 4 milliards pour les retraites complémentaires et 8,6 milliards pour les régimes publics ; si l’on ne tient pas compte du déficit de l’AGIRC et de l’ARRCO, qui sont gérées par les partenaires sociaux, ce sont donc 15 milliards que l’État doit trouver. Dans l’état actuel des choses, il manque toujours 8,6 milliards, et ce sont les salariés du privé qui vont devoir payer : voilà le vrai problème !

Avant de parler de la pénibilité, encore faudrait-il rétablir l’équilibre du régime. La moindre des choses eût été de présenter un projet de loi qui traite de tous les régimes, privé comme public. Ce n’est pas le cas !

M. Michel Liebgott. Force est de constater que nous sommes plus proches des positions du MEDEF, de la CGPME et de l’UPA que de celles de l’opposition, qui nous propose, par la voix de M. Robinet, l’acte II de l’épargne retraite – ce qui implique le passage à la capitalisation ! Je me félicite, madame, messieurs, que vous ayez rappelé que le système de répartition devait perdurer dans notre pays. Quant à la capitalisation, les Français y participent déjà largement, à commencer par la propriété immobilière – qui vient en déduction des dépenses lorsqu’on est retraité –, mais aussi en utilisant d’autres instruments, comme l’assurance-vie.

Puisqu’on doit trouver de l’argent, il faut bien augmenter les cotisations. C’est d’ailleurs ce que vous avez fait pour l’AGIRC : vous avez pris vos responsabilités ; alors, ne vous étonnez pas que nous prenions les nôtres afin d’assurer l’équilibre du système !

Pour ce qui est de la pénibilité, il me semble préférable qu’un salarié soit en formation ou travaille à temps partiel plutôt qu’il ne soit plus opérationnel : il est de l’intérêt de l’entreprise de reclasser les personnes en difficulté.

Enfin, les retraités sont aussi des consommateurs : il est là encore de l’intérêt de l’entreprise qu’ils aient un minimum de pouvoir d’achat.

Mme Monique Iborra. Votre réaction à ce projet de loi me surprend un peu. Je suis d’accord avec M. Pilliard : l’existence de trente-six régimes nuit à la lisibilité du système ; toutefois, je lui rappelle que l’indemnisation chômage est elle aussi très complexe, mais que, pour le moment, les partenaires sociaux ne veulent ou ne peuvent pas y toucher…

En outre, tenir compte de la pénibilité, c’est aussi aller vers une amélioration des conditions de travail, qui peut améliorer la productivité.

Une telle attitude défensive et négative, qui n’est qu’une posture, me préoccupe, car nous n’y arriverons que si nous travaillons ensemble. Je regrette que ce ne soit pas le cas pour le moment.

M. Jean-François Pilliard, vice-président du MEDEF. Je propose de regrouper vos nombreuses questions et observations en quelques grandes thématiques.

En premier lieu, il importe de clarifier la question de la compétitivité : quoiqu’elle dépasse le débat sur les retraites, elle explique en grande partie les positions de chacun.

Je le répète : depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais les marges des entreprises françaises n’ont été aussi faibles. D’autre part, je pense que nous nous accorderons sur le fait que nous avons pour préoccupation commune de permettre à notre pays de se développer et de réduire le niveau actuel du chômage : c’est une question d’intérêt général. Or, avec des marges à ce niveau, les conditions d’une reprise durable ne sont pas réunies. Ce dont on nous parle aujourd’hui, ce ne sont que feux de paille ; si nous ne faisons rien, la France continuera à sombrer, lentement mais inexorablement, dans le déclin.

La principale explication de la baisse substantielle des marges des entreprises françaises réside, non pas dans l’action menée durant ces derniers mois, mais dans le fait que, depuis trente ans, chaque fois que l’on doit faire face à un problème sérieux, on cherche à l’éviter et on ne propose que des solutions provisoires.

Certains d’entre vous ont évoqué les exonérations de charges et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), mais pourquoi ces dispositifs ont-ils été inventés ? Précisément parce qu’à un aucun moment vous n’avez voulu – ou nous n’avons voulu – regarder la réalité en face et traiter le problème de fond, qui est de rendre le travail compétitif. Tant que nous n’aurons pas la volonté d’apporter une réponse à cette question, nous ne ferons que poser des pansements sur une plaie qui ne cesse de s’agrandir. Au-delà de nos divergences de sensibilité, nous devrions pouvoir nous accorder sur ce point.

Le CICE n’est pas un cadeau qui a été fait aux entreprises, mais une disposition que vous avez prise parce que, à un moment donné, vous avez considéré que la situation dans laquelle nous étions placés était intenable et nuisible à la croissance et à l’emploi. Si nous avons applaudi à sa mise en œuvre, nous estimons que l’on est encore loin du compte et qu’il faut continuer à travailler ensemble, selon des objectifs et des calendriers à définir ensemble. Je rappelle que si, dans nos comptes d’exploitation, il y a d’un côté le CICE, de l’autre, nous avons subi 30 milliards de prélèvements obligatoires supplémentaires durant les cinq dernières années !

Quant aux obligations de transparence, je rappelle que le dispositif prévoit que le chef d’entreprise doit rendre compte chaque année aux instances représentatives du personnel de l’utilisation du CICE – ce qui nous semble parfaitement légitime.

Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la CGMPE. J’attire en outre votre attention sur le fait que la plupart des entreprises n’ont encore rien à inscrire dans leur compte d’exploitation, puisque le CICE sera calculé sur le bilan 2013. Certaines ont reçu des avances de trésorerie, mais elles sont peu nombreuses. Les autres n’ont rien eu.

M. Jean-François Pilliard. En revanche, elles ont déjà subi la hausse des prélèvements obligatoires !

Mme Geneviève Roy. D’autre part, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 prévoit le contrôle de l’utilisation de ce crédit ; cette disposition a été reprise dans la loi.

M. Jean-François Pilliard. Un autre point qui mérite clarification, c’est la question de la pénibilité.

Aucune de nos organisations ne conteste qu’elle est d’importance et qu’elle doit trouver réponse majoritairement dans le champ de la prévention. Je souligne en passant que, concernant la sinistralité, les accidents du travail ont diminué de façon substantielle au cours des vingt dernières années. Nous pouvons tous nous en réjouir !

Quant aux positions que nous avons exprimées, qu’est-ce qui les justifie ? D’abord, il y a un ordre de priorité : quand un régime de retraite est aussi gravement malade, avant de dépenser de l’argent, il faut commencer par le remettre à l’équilibre ! Or, si la réforme proposée n’apporte aucune véritable réponse sur le court et le long terme, elle prévoit des dépenses supplémentaires – sur lesquelles une discussion eût été possible dans d’autres circonstances.

Ensuite, il faudrait arrêter d’accumuler les couches géologiques. Dans notre pays, nous passons notre temps – et vous y participez plus que largement ! – à empiler les textes, sans que soit jamais posée la question de la pertinence du nouveau dispositif. Ainsi, à une époque, on a introduit dans les entreprises des dispositifs de prime – ce qui, soit dit en passant, est probablement le meilleur moyen d’installer durablement une personne dans la pénibilité. Il nous paraît pertinent de chercher une autre solution, mais encore faudrait-il se poser la question des modalités de substitution du nouveau dispositif à l’ancien !

Même chose pour la réparation : il existe déjà un dispositif pour les carrières longues, qui s’adresse aux personnes entrées très jeunes dans la vie professionnelle ; en général, ces personnes ont des niveaux de qualification peu élevés et une proportion non négligeable d’entre elles travaillent dans des environnements dits de pénibilité. Puisque l’on met en place un nouveau système, posons-nous la question de l’opportunité de le faire cohabiter avec ce précédent dispositif.

Troisièmement, la complexité à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés dans le champ de la réglementation sociale nous amène – pour reprendre une formule facile – à faire du « Canada Dry » : nous nous donnons l’illusion que la législation sociale française protège les salariés, mais nous aboutissons à des résultats inversement proportionnels à la densité de cette législation, parce que les textes sont pour la moitié d’entre eux inapplicables ou, quand ils le sont, dépendent de l’interprétation des tribunaux, ce qui crée des zones d’insécurité préjudiciables à l’emploi. Travaillons donc sur la simplification – et c’est une conviction, non une posture !

Dernier point : nous considérons qu’il faut aussi tenir compte de la dimension individuelle du problème. Deux personnes peuvent exercer le même métier, si l’une fume depuis l’âge de quinze ans alors que l’autre n’a jamais touché à une cigarette, ou si l’une doit faire un trajet quotidien de deux heures tandis que l’autre habite à cinq minutes, ou encore si l’une souffre de pathologies familiales et l’autre non, au bout du compte on observera la conjonction de deux phénomènes : le fait qu’une personne aura travaillé dans un environnement pénible – ce que nous ne contestons pas –, et le fait que d’autres facteurs auront pesé sur cette situation. On ne peut s’en tenir aux aspects collectifs ; essayons de croiser les deux approches.

Si, ensemble, nous travaillons intelligemment sur ces différents points, nous saurons apporter des réponses en matière de financement. Comme certains d’entre vous l’ont noté, des négociations ont déjà été engagées, soit au niveau des entreprises, soit au niveau des branches, afin qu’une partie de la prime dite « de pénibilité » vienne alimenter des dispositifs d’épargne ; cela est également suggéré par le projet de loi. Nous ne sommes pas opposés au principe, mais à la façon dont le sujet est abordé dans le texte.

Mme Geneviève Roy. Je précise, madame Iborra, que notre réaction négative n’est pas une posture : nous sommes vraiment inquiets ! Prenez garde à la faisabilité du dispositif que vous allez adopter : le compte pénibilité sera très compliqué à mettre en œuvre dans les TPE-PME et cela nuira probablement aux embauches.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l’UPA. Il s’agit en effet d’un problème majeur posé par cette réforme.

Les entreprises membres de l’UPA passent leur temps à essayer d’améliorer les conditions de travail, et cela pour des raisons d’attractivité ; cela ne nous pose donc aucun problème. D’autre part, comme je l’ai dit, des actions de prévention concrètes ont déjà été menées.

Après, il faudrait nous donner les moyens d’agir ! Or j’ai le sentiment – et cela ne fait qu’empirer – que l’on vote des lois en oubliant ce qu’est le monde entrepreneurial. Je rappelle que 53 % des salariés français travaillent dans des entreprises de moins de cinquante salariés et 37 % dans des entreprises de moins de vingt salariés ; ces chiffres ne sont pas appelés à s’inverser, bien au contraire ! Tant que l’on ne posera pas le problème différemment pour les grandes entreprises et pour les petites entreprises, on n’y arrivera pas.

Tout cela semble très généreux, et nous ne pouvons pas dire que nous nous désintéressons de la question de la pénibilité : mais il faudrait commencer par la définir. On vous demande de voter des dispositions dont la mise en œuvre concrète est laissée dans le vague, au prétexte qu’elle ne sera pas effective avant le 1er janvier 2015. Résultat : on ne sait rien des modalités d’attribution des points ou des conditions dans lesquelles une exposition à un facteur de pénibilité ouvrirait certains droits !

M. Michel Liebgott et Mme Monique Iborra. Il y aura un décret d’application !

M. Pierre Burban. Je vous invite quand même à vous mettre à la place d’un artisan qui aurait un, deux ou trois salariés : nous sommes vraiment inquiets – et ce n’est ni une posture, ni un parti pris idéologique !

M. Jean-François Pilliard. Ce qui peut vous apparaître comme un recul ou une position dogmatique est probablement lié à une forme d’exaspération par rapport à un discours en vigueur dans notre pays – et c’est malheureusement une fois de plus un cas unique en Europe – selon lequel tout travail serait pénible ; on l’entend jusqu’à des niveaux très élevés. Quand on présente comme une grande victoire le fait que 100 000 personnes par an – chiffre invérifiable faute d’étude d’impact – vont bénéficier chaque année d’un dispositif de pénibilité, je m’inquiète ! D’un côté, il y a des hommes et des femmes qui souffrent parce qu’ils ont perdu leur emploi ; de l’autre, des personnes qui travaillent, certaines étant placées dans des conditions difficiles : il faut garder une juste mesure ! Nous considérons pour notre part – sans nier les difficultés inhérentes à certains travaux – que le travail est la source du développement d’une société moderne et un facteur d’épanouissement individuel et collectif.

Nous sommes prêts à discuter ; mais il faut que vous ouvriez les bonnes portes, car, si l’on reste sur les propositions actuelles, le débat risque d’être difficile ! Une fois de plus, le Parlement votera une loi dont l’application ne sera que partielle, non parce que nous sommes des rebelles, mais parce que nous serons dans l’impossibilité de la mettre en œuvre correctement.

J’en viens à l’égalité entre les hommes et les femmes. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, nous considérons qu’un système de retraite par répartition n’a pas pour objet de réparer les inégalités de la vie professionnelle. Nous n’évacuons pas pour autant de notre champ de réflexion et d’action ce sujet fondamental à la fois pour la société française et pour l’efficacité des entreprises – dans une entreprise, la diversité, de quelque nature qu’elle soit, est un facteur d’innovation et de progrès. Mais, chaque fois qu’on est confronté un problème, c’est la même chose : premièrement, on produit une loi, deuxièmement, on lui adjoint une réglementation – la plus légère se traduisant par un texte de 250 pages –, troisièmement, on se désintéresse de la mise en œuvre opérationnelle, tout en faisant de temps en temps un rappel à l’ordre et en agitant la menace d’une sanction et d’une pénalisation de l’employeur !

Au niveau de ma branche, qui représente 1,6 million de salariés, soit à peu près la moitié des effectifs de l’industrie française, nous avons signé un accord avec les organisations syndicales ; cela a permis de stopper les conversations de salon et de poser un diagnostic, avec l’aide d’experts, sur la question : dans ma branche, à emploi et formation équivalents, les écarts de rémunération se situent, dans la durée, dans des fourchettes de plus ou moins 5 % – ce qui est considéré par les experts comme non significatif. Le vrai problème, c’est le « plafond de verre » : comment se fait-il qu’un homme et une femme commençant dans le même emploi, avec le même niveau de formation, n’aient pas ensuite des parcours professionnels, non pas identiques – car l’entreprise n’est pas un lieu d’égalité, mais d’équité –, mais approchants ? Concrètement, cela a abouti à la mise en œuvre de programmes de sensibilisation et d’actions rectificatives.

Nous sommes prêts à continuer à travailler sur le sujet, mais dans un esprit différent, en commençant par demander à ceux qui sont concernés comment ils conçoivent les choses avant de les enfermer dans des lois successives. La France est le pays d’Europe qui détient le plus grand nombre de lois sur l’égalité entre les hommes et les femmes, mais nos progrès en ce domaine sont inversement proportionnels au nombre de textes !

Avons-nous d’autres solutions à proposer ? Certains d’entre vous estiment qu’une hausse des cotisations est inéluctable ; mais c’est ce qu’on nous répète depuis trente ans, et c’est pourquoi nous atteignons de tels niveaux de charges ! Et que dire de la méthode ? La concertation dure depuis près de six mois ; elle a donné lieu à des travaux de qualité, comme ceux du Conseil d’orientation des retraites (COR) ou le rapport de Yannick Moreau – qui ouvrait des pistes intéressantes, même si nous n’étions pas d’accord sur tout –, ainsi qu’à de multiples réunions avec les cabinets et avec le Premier ministre. Des propositions, nous en avons fait, mais nous n’avons jamais obtenu de retour et aucune étude d’impact n’a été lancée.

Une solution aurait été de croiser une action sur la durée de cotisation et une action sur l’âge de départ à la retraite. Que l’on soit d’accord ou non, on gagnerait, vis-à-vis de nos concitoyens, à expliquer en quoi une augmentation de la durée de cotisation à partir de 2020 serait de nature à mieux répondre aux problèmes actuels que ce que nous proposions ; personne ici n’ignore qu’une action relativement vigoureuse, mais progressive sur l’âge de départ à la retraite apporte en termes financiers des résultats bien plus rapides qu’une action sur la durée de cotisation. Pourquoi ne pas avoir accepté d’en débattre ? Répondre « Circulez, y’a rien à voir ! » dès que l’on aborde la question de l’âge nous paraît pour le coup une position dogmatique à la fois inacceptable et préjudiciable. Comme je l’entendais dire ce matin, vu l’âge auquel les jeunes entrent sur le marché du travail, une augmentation régulière de la durée de cotisation sera bien plus inéquitable sur le long terme. Ce que nous demandons, c’est qu’il y ait un débat sur le sujet.

Quand nous évoquons les différences entre le public et le privé, il ne s’agit pas d’opposer les salariés ; tous, quel que soit le secteur auquel ils appartiennent, sont respectables. Ce que nous fustigeons, ce sont les différences entre les systèmes et le traitement collectif du problème – qui est d’ailleurs contraire à la loi républicaine, puisque la loi de 2010 prévoyait que, en 2013, serait engagée une réflexion entre le Gouvernement et les parties prenantes sur ce qui avait été appelé une « réforme systémique ». Ce débat a été complètement évacué ! Pourquoi la loi n’a-t-elle pas été appliquée ?

Nous ne sommes pas de ceux qui ont demandé l’alignement en 2014 du régime des fonctionnaires sur celui des salariés du privé. Nous avons simplement souhaité que soit lancé un travail collectif, méthodique et rigoureux, afin d’arrêter une feuille de route, fondée sur la considération suivante : à long terme, ne serait-il pas plus simple et plus sain de disposer d’un socle commun à l’ensemble des salariés, qu’ils soient du secteur privé ou du secteur public, avec quatre régimes complémentaires : un pour le secteur privé, un pour la fonction publique, un pour les professions libérales et un pour l’agriculture ? Suivre une telle démarche ne nécessiterait pas un effort démesuré !

En outre, l’argent aujourd’hui dépensé pour financer la gestion dispersée des régimes de retraite pourrait être utilisé avec profit, soit pour éviter les augmentations de cotisation, soit pour améliorer des régimes de pension. L’argent du contribuable et des entreprises doit d’abord servir à verser une retraite décente aux personnes affiliées à ces régimes : je pense qu’on ne peut être que d’accord sur ce point !

S’agissant de la capitalisation et de l’épargne retraite, soyons clairs : nos trois organisations sont profondément attachées au régime de répartition. Si nous étions des tenants de la capitalisation pure et dure, il y a bien longtemps que nous aurions renoncé à participer à la gestion des régimes complémentaires de retraite ! Si, malgré les difficultés rencontrées, nous ne l’avons pas fait, c’est que nous avons la conviction que le système par répartition est bénéfique. Mais, là encore, tout est question d’équilibre ; à nous de le trouver ensemble. Dans des pays qualifiés de sociaux-démocrates, il a été considéré qu’il était sain d’ajouter au socle de la répartition quelques éléments d’épargne retraite, un régime par répartition étant soumis à des aléas. Nous avons fait des propositions dans ce domaine : permettre aux entreprises d’adapter leur effort de financement des retraites supplémentaires à leur situation économique, laisser une latitude suffisante au dialogue social pour la détermination des collèges de salariés éligibles à un dispositif collectif, ouvrir aux entreprises, en particulier aux PME, la possibilité d’alimenter les dispositifs de retraite supplémentaire individuels. Là aussi, notre propos est raisonnable et équilibré ; il ne s’agit pas de substituer la capitalisation à la répartition, mais de prévoir, parce que c’est une saine gestion, une épargne complémentaire pour les salariés que nous représentons.

Nous avons aussi suggéré de lancer, comme l’ont fait d’autres pays, une réflexion collective pour étudier comment réorienter l’épargne – qui atteint en France un niveau très élevé, ce qui n’est pas un signe de confiance –, afin que, au lieu de dormir sans être employée efficacement pour l’économie française, elle puisse renforcer la capitalisation des petites et moyennes entreprises ou favoriser des projets de développement, au service de l’emploi. Là encore, nous n’avons pas eu le moindre retour.

Voilà autant d’éléments qui démontrent que les trois organisations patronales que nous représentons souhaitent profondément, comme vous, le développement de notre pays, le retour à un niveau d’emploi plus favorable et la mise en place d’un système équitable. Nous voulons construire, non détruire – et l’énergie avec laquelle nous déployons nos arguments est à la hauteur de nos convictions.

Une dernière remarque, pour terminer, sur les expressions relevées à la sortie d’une certaine réunion : je trouve plutôt heureux que les responsables politiques et économiques conservent un certain sens de l’humour ! Plus sérieusement, j’ai participé à cet entretien ; aucun des membres de notre délégation n’imaginait que la concertation qui avait été engagée six mois auparavant allait s’achever dans de tels délais et dans les conditions qui nous ont été annoncées. On nous avait pourtant promis un temps de réflexion entre le résultat de la concertation et la prise de décision ; sans vouloir faire de procès d’intention, permettez-moi de dire qu’il est un peu surprenant de voir dégringoler une avalanche de décisions alors que le processus de concertation vient à peine de s’achever !

D’autre part, il est vrai que les propos qui nous avaient été tenus en matière de coût du travail étaient plutôt encourageants. Toutefois, qu’il n’y ait pas de malentendu à ce sujet : nous souhaitons que ce dossier soit retravaillé et que l’on adopte un calendrier et une méthode. Si les résultats sont bons, nous les saluerons et nous les encouragerons ; mais cela ne gommera en rien les critiques que nous venons d’émettre sur la réforme des retraites.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous proposez de reculer l’âge de départ à la retraite, mais, avec un taux d’inemployabilité des plus de cinquante-cinq ans aussi élevé – c’est une autre particularité de la France que de réaliser l’exploit d’avoir un taux d’inemployabilité aussi élevé chez les jeunes et chez les seniors, et ça ne date pas de ces dix-huit derniers mois ! –, cela n’aboutira qu’à appauvrir de plus en plus les retraités ; les gens prendront leur retraite à soixante-cinq ou soixante-six ans en touchant des pensions de misère : ce n’est pas l’objectif !

Intéressons-nous déjà à l’employabilité des seniors. Les ruptures conventionnelles touchent de manière très importante les plus de cinquante-cinq ans ; or je ne vois pas comment un salarié de cinquante-huit ou cinquante-neuf ans peut aller à la rupture conventionnelle alors qu’il sait pertinemment qu’il ne retrouvera pas de travail… Cela nous interpelle, et nous souhaiterions regarder ce qu’il se passe vraiment.

D’autre part, je tiens à vous rassurer : le Parlement a désormais les moyens de contrôler l’application des lois ; le Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) est spécifiquement chargé de cette mission et il existe des missions d’évaluation d’application de la loi – je viens d’en terminer une avec M. Robinet sur la mise en œuvre de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Ce n’est donc pas « Vogue la galère ! » !

Monsieur Burban, nous avons entendu vos interrogations. Tout comme les salariés, vous pourrez interpeller les parlementaires sur ce que vous trouvez contestable dans ce projet de loi. Le débat sera le moment de faire sortir du bois le Gouvernement : les propos tenus par les ministres dans l’hémicycle – qui sont enregistrés par la vidéo et transcrits par le compte rendu – peuvent avoir des conséquences importantes, y compris aux niveaux légal et réglementaire.

Madame, messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

II.- AUDITION DU MINISTRE

La Commission des affaires sociales entend Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, sur le présent projet de loi lors de sa séance du mercredi 18 septembre 2013.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous auditionnons aujourd’hui Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, sur le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, qui a été présenté ce matin en conseil des ministres. Je ne ferai aucun commentaire sur le fond de ce texte mais uniquement sur la méthode retenue pour sa préparation, une méthode que n’a cessé d’utiliser François Hollande depuis le début de ce quinquennat : celle du dialogue avec les partenaires sociaux. Aussi ces derniers n’ont-ils pas été surpris lorsque le projet de loi a été rendu public, quelque appréciation qu’ils puissent porter par ailleurs sur ce texte. Nous les avons d’ailleurs auditionnés nous-mêmes le mercredi 11 septembre dernier – les organisations représentatives des salariés le matin, les syndicats patronaux l’après-midi – et s’ils ont parfois exprimé leur désaccord sur certains points, ils n’ont pas critiqué la méthode retenue par le Gouvernement, évoquant bien une « concertation ». Attendu ou non, ce rendez-vous était en tout cas indispensable pour pérenniser notre système de retraites.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Je suis très heureuse de pouvoir engager avec votre Commission le travail parlementaire qui va nous occuper jusqu’à l’adoption définitive de la loi. Et nous aurons bien sûr l’occasion de nous revoir pour débattre de façon plus précise encore de chacune des dispositions que comporte ce texte.

Comme vous l’avez dit, madame la présidente, le Gouvernement a eu la volonté d’engager une concertation approfondie. Lorsque le texte qui vous est présenté avait été annoncé, dès la campagne présidentielle et la conférence sociale de juin-juillet 2012, une double exigence avait d’emblée été posée : tout d’abord, celle de réparer rapidement les injustices les plus fortes résultant de la loi portant réforme des retraites, adoptée en 2010 et qui faisait reposer l’essentiel de l’effort sur les jeunes générations. Nous nous y sommes employés dès notre arrivée aux responsabilités en publiant le décret dit « soixante ans » qui permet à ceux qui ont commencé à travailler avant l’âge de vingt ans et qui ont déjà cotisé pendant une durée suffisante de partir à la retraite dès l’âge de soixante ans – donc sans attendre le nouvel âge légal de soixante-deux ans. Ensuite, il avait été indiqué que nous devrions aller au-delà de la loi de 2010 puisque, contrairement à ce qui nous avait été annoncé, nous nous trouvions confrontés à une urgence financière – mais aussi à une exigence sociale : pour le Gouvernement, en effet, la question des retraites est étroitement liée à celle du travail et on ne saurait par conséquent la réduire à un enjeu strictement comptable et financier.

L’ensemble des organisations syndicales et patronales reconnaissent que la concertation a eu lieu – concertation, et non négociation, car il ne leur était pas demandé d’apposer leur signature au bas d’un document mais bien de participer à un travail d’échange et d’élaboration. Ainsi, même celles qui ont marqué leurs distances à l’égard de ce texte – avant même qu’il soit connu, d’ailleurs – reconnaissent qu’il comporte des avancées sociales importantes.

Notre projet vise à relever un triple défi : le défi financier, tout d’abord, puisque la réforme de 2010, dont l’objectif était le « zéro déficit » en 2020, est un échec. Or nous ne pouvons accepter de financer nos pensions par l’emprunt, ce qui reviendrait à faire peser l’effort sur les générations futures. Nous affirmons donc cette exigence de responsabilité financière. Le deuxième défi est démographique : nous allons en effet devoir verser des retraites à des générations plus nombreuses et qui vivront plus longtemps. L’espérance de vie s’allonge et l’arrivée à la retraite des générations du baby-boom provoque de fortes tensions. J’insiste cependant sur l’atout remarquable que constitue la démographie pour notre pays. Certains nous comparent volontiers à l’Allemagne et sans doute celle-ci se trouve-t-elle aujourd’hui dans une situation plus aisée que la France pour financer les retraites, mais elle aura demain des difficultés plus grandes en raison d’une natalité qui est loin d’avoir le dynamisme de la nôtre. Le troisième défi consiste à combattre des injustices que nous ne saurions continuer à accepter : elles sont liées au niveau de pension des femmes, à la pénibilité au travail et à la pauvreté subie dans des secteurs comme l’agriculture.

C’est en ayant à l’esprit cette triple exigence que nous vous proposons aujourd’hui un texte de progrès, assurant le financement du système par répartition dans la durée tout en en réparant de nombreuses injustices.

Destinées à assurer un équilibre durable de nos régimes, les mesures de financement qu’il comporte répondent à une réelle urgence et visent à empêcher la privatisation rampante de notre système de solidarité. Nous souhaitons ainsi ériger un rempart contre cette privatisation, qui serait inéluctable si nous n’intervenions pas maintenant pour garantir aux générations futures qu’elles pourront continuer à compter sur une retraite par répartition.

Nous avons retenu un principe d’effort équilibré, c’est-à-dire équitablement réparti et proportionné. Chacun devant participer à cet effort – les entreprises, les actifs et les retraités –, les cotisations patronales et salariales augmenteront de manière modérée et progressive à partir de 2014 et jusqu’en 2017, pour répondre à notre besoin de financement à moyen terme – à l’horizon 2020 –, et ce, contrairement à ce qu’on a pu dire, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Cet effort sera mesuré : en 2014, la hausse de 0,15 % des cotisations se montera à 2,15 euros par mois pour une personne rémunérée au SMIC et à 3,75 euros par mois pour un salarié gagnant 2 500 euros par mois.

Je souhaite également lever toute ambiguïté au sujet des cotisations patronales : les entreprises contribueront bien à l’équilibre du système et à la prise en compte de la pénibilité. Les Français n’auraient pas compris qu’il en aille autrement car la sauvegarde de notre pacte social exige la mobilisation de tous.

Nous avons également demandé un effort aux retraités. Alors que des voix s’étaient élevées pour affirmer que la baisse des pensions était inévitable, nous l’avons refusée, tant il nous paraît nécessaire de garantir aux retraités le niveau de leur pension dans la durée. Pour autant, la solidarité entre les générations est indispensable car, jusqu’à présent, ce sont les actifs qui ont toujours supporté l’essentiel de l’effort exigé pour financer nos régimes de retraite. Dès lors qu’il s’agit de sauvegarder un élément du lien entre les générations, il est normal d’exiger de celles qui sont déjà à la retraite d’y contribuer de manière modérée.

Puisque nous avons refusé la baisse des pensions, celles-ci resteront indexées sur l’inflation mais, au lieu d’être revalorisées au 1er avril, elles le seront au 1er octobre. Cette mesure ne concernera cependant pas les bénéficiaires de l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), l’ex-minimum vieillesse. Cet effort représentera six euros par mois pendant six mois pour une retraite de 1 500 euros – un effort réel mais mesuré et ponctuel, puisqu’il ne sera pas redemandé les années suivantes. D’autre part, la majoration de pension de 10 % dont bénéficient les retraités ayant eu trois enfants et plus sera fiscalisée. À partir de 2020, le relais sera pris par l’allongement de leur durée de cotisation.

En effet, afin de ne pas perturber les plans de ceux qui s’apprêtent à partir à la retraite, nous n’avons pas souhaité accélérer immédiatement l’allongement de la durée de cotisation. Cet allongement se poursuivra donc au rythme prévu jusqu’en 2020, puis, à compter de cette date, au rythme – inscrit dans la loi – d’un trimestre tous les trois ans, ce qui portera la durée de cotisation exigée à quarante-trois annuités à partir de 2035, soit pour les générations nées en 1973 et au-delà. Cet effort en termes de durée de cotisation est réel. Cela étant, l’allongement de l’espérance de vie l’est également. C’est pourquoi il nous paraît plus juste de retenir le critère de la durée de cotisation plutôt que celui de l’âge légal de départ à la retraite, qui était au cœur de la réforme de 2010 et que nous avons résolument écarté. En effet, tout en ayant cotisé quarante-trois annuités, les jeunes qui ont 25 ans aujourd’hui vivront en moyenne deux années de plus à la retraite que ceux qui s’apprêtent à partir dans les mois à venir, et ceux qui ont 35 ans, une année de plus. L’allongement de la durée de cotisation ne se fait donc pas au détriment du temps laissé à la retraite pour nos concitoyens.

Cependant, il est également nécessaire de moduler cette durée de cotisation afin de tenir compte de la réalité des situations et des parcours professionnels des salariés. En effet, nous ne sommes pas égaux en termes d’espérance de vie, du fait de la diversité des conditions de travail dont nous ne pouvons par conséquent faire abstraction lorsque nous traitons des retraites. Nous avons donc été amenés à instituer des droits nouveaux et à réparer des injustices.

Notre volonté de corriger les injustices nous a d’abord conduits à reconnaître la pénibilité au travail – les partenaires sociaux en avaient affirmé la nécessité dès 2008 sans parvenir pour autant à s’accorder sur les conséquences à en tirer en termes de prévention ou de réparation. La notion de conditions de travail pénibles renvoie à des situations concrètes telles que le travail de nuit – qui concerne beaucoup de femmes –, le port de charges lourdes ou encore l’exposition à des substances cancérigènes. Dix facteurs ont ainsi été identifiés. Un compte pénibilité sera mis en place pour chaque Français à partir du 1er janvier 2015 et chaque exposition à une situation pénible donnera droit à un point. Ces points seront doublés pendant la période transitoire afin que ceux qui s’apprêtent à partir à la retraite puissent bénéficier de ce nouveau dispositif favorable. Ces points pourront être convertis en trimestres de formation, en retraite anticipée ou en temps partiel.

La deuxième injustice à laquelle le projet de loi vise à remédier est celle qui touche les femmes. Le système de retraites ne peut corriger les inégalités de salaire ou les disparités de parcours professionnel, mais il ne doit ni les entretenir ni a fortiori les amplifier. C’est pourquoi nous proposons de prendre en compte l’ensemble des trimestres correspondant au congé de maternité et d’engager une réflexion sur l’affectation des majorations de pension, cela afin d’aboutir à une meilleure répartition des sommes aujourd’hui versées à tous les parents d’au moins trois enfants, à proportion de leur pension. Comme il n’existe pas de solution simple, le projet de loi ne comporte pas encore de dispositions précises à ce sujet, étant cependant entendu qu’il faudra faire en sorte que les femmes bénéficient davantage de ces majorations. Enfin, nous avons souhaité mieux prendre en compte le travail à temps partiel, qui touche essentiellement les femmes. À compter du 1er janvier 2014, il suffira d’avoir cotisé 150 heures rémunérées au SMIC pour valider un trimestre, contre 200 actuellement.

Une troisième avancée sera faite en faveur des jeunes. En effet, ceux pour qui la fin de la vie active est proche savent pouvoir compter sur une retraite même s’ils s’interrogent sur son niveau, mais les plus jeunes se demandent si, pour s’assurer une pension, ils ne seront pas réduits à cotiser à des systèmes par capitalisation. De cela, nous ne voulons pas car ce recours ne serait accessible qu’aux mieux rémunérés et nous proposons donc des mécanismes pour mieux prendre en compte les débuts dans la vie professionnelle. Ainsi l’ensemble des périodes d’apprentissage pourront-elles être validées pour la retraite – on dénombre actuellement quelque 400 000 apprentis – et les jeunes qui auront poursuivi leurs études après le baccalauréat auront la possibilité de racheter jusqu’à quatre trimestres de cotisations en bénéficiant d’une aide se montant à 1 000 euros par trimestre, à condition que ce rachat intervienne dans un délai que nous proposons de fixer à cinq ans après la fin de leurs études. Enfin, les « petits boulots », les emplois précaires et le chômage des jeunes seront mieux pris en compte ; les jeunes qui alternent contrats courts et périodes de chômage non indemnisées pourront valider ces dernières. Enfin, la règle des 150 heures rémunérées au SMIC, au lieu de 200, nécessaires pour faire valider un trimestre s’appliquera aussi à ceux qui exercent un emploi pendant un mois d’été.

La quatrième injustice que nous tentons de réparer concerne les pensions trop faibles : nous allons ainsi relever le seuil de versement du minimum contributif, actuellement fixé à 1 028 euros, pour le porter à 1 120 euros. Pour ceux qui ont eu une carrière précaire ou heurtée, à compter du 1er janvier 2015, toutes les périodes de formation professionnelle pourront être comptabilisées dans le calcul de la retraite. Conformément à l’engagement du Président de la République, nous avons aussi prévu des mesures en faveur des agriculteurs : nous leur garantirons une pension minimale égale à 75 % du SMIC s’ils ont accompli une carrière complète et nous accorderons des droits nouveaux à leurs conjoints et aides familiaux. Enfin, nous avons également prévu des mesures en faveur des travailleurs handicapés et des aidants familiaux. Pour les premiers, le taux d’incapacité requis pour bénéficier de la retraite anticipée à 55 ans sera abaissé à 50 % et nous supprimons le critère de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, qui s’est révélé inadapté. Par dérogation, le droit à une retraite à taux plein sera ouvert dès l’âge de soixante-deux ans, au lieu de soixante-cinq, aux personnes handicapées dont le taux d’incapacité est supérieur à 50 %. Pour les aidants familiaux, nous souhaitons assouplir les conditions d’affiliation à l’allocation vieillesse des parents au foyer en supprimant la condition de ressources. Nous instaurerons également une majoration de la durée d’assurance en faveur des aidants d’adultes handicapés.

Le troisième et dernier défi consiste à rendre notre système de retraite plus simple et plus lisible. D’aucuns ont défendu l’idée selon laquelle il serait nécessaire de s’orienter vers un régime unique par points : si, chez certains, il s’agissait d’une position ancienne et constante, d’autres ne l’ont adoptée que récemment – ils n’en soufflaient mot lors des débats de 2010. Quoi qu’il en soit, contrairement à ce que tous ceux-là imaginent, ce n’est pas en changeant l’architecture du système que nous résoudrons le problème de son financement. On peut toujours modifier la forme des thermomètres mais, lorsque la fièvre est là, l’important est de la faire baisser.

Le grand avantage des systèmes uniques est celui d’être lisibles et compréhensibles pour les usagers. Nous voulons donc introduire de la lisibilité et de la simplicité dans nos régimes en commençant par mettre un terme à des réformes à répétition qui sont sources d’angoisse. À cette fin, nous instituerons un comité de pilotage qui fera chaque année le point sur la situation et émettra des recommandations publiques, transmises au Parlement, ce qui permettra des ajustements en fonction de la conjoncture. La publicité du débat en garantira la transparence et contraindra les gouvernements successifs.

Afin de simplifier la vie des Français, en particulier celle des polypensionnés, nous créerons un compte retraite unique permettant à chacun de nos concitoyens de disposer, avant la liquidation de sa retraite, de l’ensemble des informations relatives à sa future pension – c’est-à-dire des informations provenant de tous les régimes auxquels il aura contribué, y compris les régimes complémentaires – alors qu’aujourd’hui, c’est à lui qu’il appartient d’aller chercher ces informations auprès des différentes caisses. Au moment de la liquidation, il lui sera possible de s’adresser à un guichet unique pour demander le versement de sa pension à l’aide d’une déclaration préremplie. La pension des polypensionnés des régimes alignés fera l’objet d’un calcul unique. Enfin, nous instaurerons un paiement simplifié des pensions.

Telles sont l’ambition et l’architecture de cette réforme, que nous voulons inscrire dans la durée. Si nous souhaitons prendre à bras-le-corps les enjeux financiers, ceux-ci ne sauraient être dissociés des enjeux sociaux. Un système de retraite doit en effet apporter une garantie de revenu pour la dernière période de la vie tout en prenant en considération l’évolution de la société et des conditions de travail. Or le nôtre a été conçu à un moment où l’enjeu était d’assurer par une règle unique une garantie unique à l’ensemble de nos concitoyens. Soixante-dix ans plus tard, nous sommes confrontés à la nécessité de davantage prendre en compte la spécificité de tout parcours professionnel. Cette réforme vise donc à adapter les conditions de départ à la retraite à la singularité de chaque carrière.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Madame la ministre, nous vous remercions pour cette présentation très complète. Réparer des injustices et rassurer les jeunes comme leurs aînés tout en garantissant la pérennité du système de retraites : toutes ces ambitions n’étaient pas faciles à concilier, mais il me semble que ce projet y parvient.

M. Michel Issindou, rapporteur. Je trouve de grandes vertus à ce texte. Tout d’abord en raison de la méthode utilisée, unanimement saluée et qui nous change de ce que nous avons connu sous la précédente législature : cette réforme a été anticipée et particulièrement bien menée depuis un an, selon une chronologie structurée et efficace. Ainsi la première feuille de route a-t-elle été définie en juillet 2012. Puis le Conseil d’orientation des retraites (COR) a établi un diagnostic, évaluant à 20 milliards d’euros notre besoin de financement à l’horizon de 2020. Ensuite, après la publication du rapport Moreau, est venue une phase de concertation avec les organisations syndicales. Si celles-ci maintiennent chacune sa position et ont parfois rejeté certains aspects du texte, aucune cependant n’a quitté la concertation. Cela montre que tout au long de cette année, les choses ont été dites clairement mais tranquillement. Ces organisations poursuivent d’ailleurs le débat avec les parlementaires : nous avons reçu ce matin quatre d’entre elles parmi les plus représentatives.

Cette réforme est absolument nécessaire. Certains se demandent si le moment est bien choisi, jugeant que les 7 milliards d’euros de déficit du régime général sont bien peu de chose au regard des 280 milliards d’euros versés chaque année, mais, dans la période actuelle, ces déficits sont insupportables. Et force est de constater que la réforme de 2010, comme la précédente, a été inefficace et insuffisante, comme en attestent les chiffres moins de trois ans plus tard. La crise économique n’excuse pas tout à cet égard : demeure, tenant en particulier à l’allongement de l’espérance de vie, un déficit structurel qui préexistait. Mais si nous avons combattu cette réforme, c’est aussi parce qu’elle repoussait l’âge légal de départ à la retraite et, surtout, parce que ce report brutal ne s’accompagnait pas des mesures sociales qui auraient pu la rendre plus acceptable – notamment de mesures tenant compte de la pénibilité.

S’il est par conséquent nécessaire de revenir sur la réforme de 2010, c’est de manière juste, équilibrée et sans brutalité excessive que vous le faites et nous ne pouvons que souscrire aux mesures que vous proposez. Parmi les trois éléments communément cités sur lesquels on peut jouer pour rétablir l’équilibre, vous avez immédiatement exclu la baisse des pensions. Vous avez donc décidé d’agir, de manière progressive et modérée, sur les deux autres, soit la hausse des cotisations et l’augmentation de la durée de cotisation. Les cotisations augmenteront ainsi de 0,3 % d’ici à 2017 et la durée de cotisation passera à quarante-trois annuités en 2035. Cette progression lente et mesurée permettra de préserver le pouvoir d’achat des actifs et des retraités. Un effort équilibré est en outre demandé à peu près à parts égales aux trois catégories parties prenantes du système : les actifs, les entreprises et les retraités.

Il s’agit donc d’une réforme de fond dont les mesures concernent chaque actif et dont les futurs retraités percevront tous les effets au moment de la liquidation de leur pension.

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Nous revenons de loin ! C’est bien parce qu’en 2010, nous avions dénoncé le manque cruel de financements et l’injustice de la réforme proposée que nous sommes réunis en commission ce matin pour réformer nos retraites.

Manque de financements : tout le monde s’accorde aujourd’hui pour dire que la loi de 2010 s’est soldée par un véritable échec, puisque les régimes de retraite sont aujourd’hui largement déficitaires.

Injustice : le gouvernement précédent a négligé quantité de questions, justifiant aujourd’hui des mesures correctrices, qu’elles concernent la pénibilité, la situation des jeunes, l’égalité entre les hommes et les femmes ou encore la situation des travailleurs pauvres ayant accompli une carrière longue.

Je salue moi aussi la méthode retenue par le Gouvernement. C’est en effet dans la sérénité que ce travail a été mené. Tout d’abord, les travaux du COR, qui nous éclaire depuis de nombreuses années, ont permis à tous – patrons, salariés, experts et élus – de partager un diagnostic. Ces travaux ont ensuite été complétés à votre demande, madame la ministre, par le rapport de Mme Yannick Moreau. Celle-ci nous a indiqué hier qu’elle en retrouvait parfaitement les grandes orientations dans ce projet de loi, notamment en ceci que cette réforme est structurante. En effet, non seulement elle corrige plusieurs inégalités, mais elle s’inscrit dans la durée : même si des clauses de revoyure sont indispensables, nous pouvons ainsi savoir comment évolueront les durées de cotisation au cours des trente prochaines années. Enfin, la loi institue un comité de surveillance des retraites qui permettra de recourir à des stabilisateurs liés aux trois grands paramètres que sont l’allongement de la durée de cotisation, l’augmentation du montant de ces cotisations et le niveau des pensions. Ce comité pourra également éclairer la représentation nationale et le Gouvernement afin de corriger les éventuelles dérives.

Le texte m’apparaît donc tout à fait positif et équilibré. Deux points me paraissent cependant mériter des ajustements.

Le premier concerne l’article 32. Les professions libérales admettent la nécessité de faire converger leurs régimes et sont prêtes à conclure des contrats d’objectifs et de gestion. Il conviendrait donc de rassurer les sections de ces professions et de leur rappeler qu’il ne s’agit pas pour l’État de récupérer de l’argent, mais bien au contraire d’assurer la solvabilité de ces régimes en ménageant une possibilité de fongibilité entre ces régimes en cas de besoin.

Il conviendrait en second lieu de mieux prendre en compte les stages. Certes, des efforts considérables seront fournis en faveur des étudiants, qui pourront désormais racheter des années d’études et faire valider leurs années d’apprentissage, ou encore un trimestre sur la base de 150 heures de travail seulement. On pourrait cependant faire évoluer ce dispositif de rachat d’années d’études en transformant le système de financement par subvention unique en un mécanisme de financement sous forme de primes ou par prélèvements mensualisés, de telle sorte que la quote-part versée par les étudiants soit la plus faible possible.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. J’apprécie beaucoup que ce projet de loi comporte des mesures spécifiques en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Selon l’étude d’impact annexée au texte, qui résume parfaitement les problèmes posés à cet égard, « les projections réalisées par le Conseil d’orientation des retraites montrent que les écarts de niveau de pensions entre hommes et femmes ne se résorberont pas spontanément à politique inchangée : ils resteront de 20 % pour les générations nées dans les années 1970 », c’est-à-dire au moins jusqu’en 2040. En d’autres termes, sans une politique volontariste, nous ne réparerons pas cette inégalité majeure.

En matière de droits familiaux, la bonification de 10 % du montant des pensions pour le troisième enfant est plus favorable au père qu’à la mère, puisqu’elle est proportionnelle au salaire. Il s’agit là d’une mesure injuste puisqu’elle ne permet pas de corriger l’inégalité entre les femmes et les hommes. Or, s’il ne vous a pas été possible de la modifier dans ce projet de loi, le Gouvernement entend réviser ces droits familiaux d’ici juillet 2014. Dans quelles conditions le Parlement pourrait-il être associé à cette réflexion ? En ce qui concerne le temps très partiel, la diminution du nombre d’heures nécessaires pour valider un trimestre constitue une avancée, mais cette mesure ne peut-elle encore faire l’objet d’ajustements ?

S’agissant du compte pénibilité, nous cherchons aujourd’hui à faire valoir le principe selon lequel « à travail égal valeur égale ». Or, dans les conventions collectives, le travail dit « féminin » n’est pas comptabilisé de la même manière que le travail majoritairement masculin. Et si, selon le Conseil d’orientation des retraites, « les hommes sont plus exposés aux conditions de travail pénibles que les femmes », tout dépend en réalité de la manière dont on définit la pénibilité. Nous constatons en effet que les femmes subissent davantage d’accidents du travail et de maladies professionnelles que les hommes. Il conviendrait donc de mieux prendre en compte certains métiers dans la définition des dix facteurs de pénibilité. Ainsi considère-t-on par exemple qu’un homme qui soulève des sacs de sable ou de ciment d’une trentaine de kilos exerce un travail pénible, mais pas une aide-soignante qui soulève des malades de quatre-vingts kilos ou plus.

Mme la présidente Catherine Lemorton. J’entends ceux qui déplorent ne pas disposer de l’étude d’impact, je le regrette, comme vous. Mais vous la recevrez très bientôt.

Mme la ministre. Il nous a paru que cette étude pouvait être modifiée, ne serait-ce que dans sa présentation, jusqu’à ce que le conseil des ministres ait délibéré du projet de loi. C’est d’ailleurs après cette délibération que sont diffusés les documents liés aux textes examinés et je ne crois pas que, sur ce point, notre pratique diffère beaucoup de celle qui avait cours auparavant. Cela étant, cette étude d’impact devrait normalement vous être parvenue à l’heure qu’il est.

M. Christian Paul. Le groupe socialiste, républicain et citoyen partage avec le Gouvernement la conviction que cette réforme était nécessaire, pour des raisons que nous avons déjà exposées en 2010 et qui tiennent au fait que l’actuel système français de retraites est à la fois mal assuré financièrement et chroniquement injuste.

Nous connaissons aujourd’hui les termes dans lesquels se pose la question du financement, grâce aux rapports du COR et de Yannick Moreau. Il nous fallait trouver 20 milliards d’euros, dont un peu plus de 7 milliards pour le régime général. Les efforts à réaliser sont certes importants mais non hors de portée. J’observe d’ailleurs que ceux qui dramatisent le plus la situation sont justement ceux qui n’ont pas assuré la sécurité financière du système. Pour notre part, comme le Gouvernement, nous évaluons les besoins sans les dramatiser et entendons y répondre sérieusement.

Ce système est aussi source d’injustice chronique. Des générations ont été cassées par le travail sans qu’il leur soit possible de bénéficier d’avantages particuliers au moment de la retraite. Pour les femmes, les inégalités salariales se répercutent sur le niveau des pensions.

Nous saluons donc la volonté d’élaborer une réforme soutenable, acceptable, équitable et sans brutalité. Le temps est fini où l’on mesurait la qualité ou la pertinence d’une réforme à l’aune des protestations qu’elle suscitait. Et nous estimons comme vous que le courage n’est pas dans le saccage de la protection sociale.

Nous notons également que l’effort financier a été également réparti entre les salariés et les entreprises. Nous ne sommes guère favorables à une logique de compensation pour les entreprises de l’augmentation des cotisations et, si nous savons qu’il conviendra de trouver des équilibres dans le cadre d’une réforme globale du financement de la protection sociale, nous comprenons que ce projet traite avant tout du financement des retraites.

Nous saluons enfin la volonté de justice qui inspire et marque cette réforme réellement progressiste car, même par temps de crise, le progrès est possible. Rendre la justice effective n’est pas un problème philosophique, mais un problème très concret : comment assurer à la fois une plus grande égalité et des solutions plus personnalisées, plus adaptées à chacun ? C’est d’ailleurs la marque de fabrique de cette réforme que de prendre en compte la réalité de la vie au travail, le temps d’apprentissage ou d’études, le caractère souvent discontinu des carrières et la pénibilité.

Le travail parlementaire permettra d’améliorer encore ce projet de loi, car un bon texte appelle sans doute, encore plus qu’un autre, le débat. Nous veillerons en particulier à rendre réellement opérationnel le dispositif proposé en matière de pénibilité et à mieux prendre en compte la situation des salariés qui se trouvent à quelques années de la retraite. Feront également débat la question des petites pensions, celle des jeunes – sur laquelle les points de vue divergent –, celle des personnes en situation de handicap, celle du sort réservé aux avantages familiaux et enfin celle du pilotage du système, très importante pour l’avenir. Il nous faudra d’ailleurs, à ce dernier sujet, bien faire la part des mesures liées à la conjoncture économique, qui ne doivent pas être irréversibles. Au terme de ce travail, je suis convaincu que nous aurons, non pas une réforme « a minima », comme certains l’ont parfois dit trop rapidement ou par paresse, mais une réforme qui aura sa place dans l’histoire de la protection sociale de ce pays.

M. Arnaud Robinet. Nous avons bien du mal à qualifier ce projet de loi, car il ne s’agit pas pour nous d’une réforme – ne serait-ce qu’une réforme « Canada Dry » – mais de l’une des plus grandes supercheries du quinquennat de François Hollande. Il est loin le temps où vous promettiez à vos électeurs l’abrogation de la loi Fillon allongeant la durée de cotisation et le retour à soixante ans de l’âge légal de départ à la retraite ! En revanche, on pourrait à bon droit parler à propos de ce texte d’un bric-à-brac fiscal. Vous y réussissez l’exploit d’un triple alourdissement de la charge supportée par nos concitoyens : vous relevez les cotisations des salariés, vous relevez celles des entreprises, au détriment de leur compétitivité, et vous augmentez l’impôt des retraités – cela sans parler de la remise en cause des avantages accordés aux familles. Aussi je comprends votre gêne, madame la ministre, lorsque ce matin, sur un plateau de télévision, vous disiez les yeux dans les yeux au présentateur de l’émission qu’il n’y aurait pas d’augmentation d’impôts en 2014. Mais quelle différence cela fait-il pour les Français que vous augmentiez les impôts, les cotisations ou les taxes ? L’argent sort du même porte-monnaie !

Pour autant, votre projet de loi est sous-calibré par rapport aux enjeux. En effet, si les rapports du Conseil d’orientation des retraites et de Yannick Moreau évaluent notre besoin de financement, tous régimes confondus, à 20 milliards d’euros à l’horizon 2020, vous ne vous préoccupez ici que des 7,5 milliards d’euros nécessaires au financement du régime général.

Ce texte est en outre placé sous le signe de l’inégalité. Vous ne prenez pas la moindre mesure pour tirer de leur situation critique les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO, dont l’équilibre est menacé à court terme. Rien non plus pour poursuivre le mouvement de convergence entre public et privé que nous avons amorcé dès 2003 en relevant le taux de cotisation dans la fonction publique ; rien sur les régimes spéciaux dont nous avons engagé la réforme en 2008, ni sur le fameux régime unique dont nous attendons avec impatience la création, prévue par la loi du 9 novembre 2010 grâce à un amendement déposé à l’Assemblée nationale puis adopté par le Sénat. Vous vous attaquez en revanche au régime des professions libérales, et ce sans concertation ni dialogue puisque c’est par la presse que les responsables de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) ont découvert l’article 32 du projet de loi, qui revient à une étatisation de leur système de retraite.

Il s’agit également d’une réforme hypocrite car, en refusant de modifier l’âge de départ et en jouant uniquement sur la durée de cotisation, vous allez provoquer une baisse des pensions : les jeunes générations, qui commencent à travailler plus tard que leurs aînés, subiront une décote lors de leur départ à la retraite.

La réforme de 2010, dont vous mettez le prétendu échec en avant, a permis de réduire nos déficits de 30 milliards d’euros : sans elle, ce sont 50 milliards d’euros de déficit que nous aurions eus à l’horizon de 2020. Et les 20 milliards d’euros restant à trouver sont bien sûr dus à l’aggravation de la situation économique, à laquelle l’action du Gouvernement contribue grandement, et à l’impact financier du fameux décret ramenant l’âge légal de départ à la retraite à soixante ans.

Au cours du débat, nous aurons l’occasion de défendre nos conceptions et de formuler des propositions de nature à garantir, elles, la pérennité du système par répartition. Pour l’heure, je me bornerai à vous interroger sur deux points.

Certes, le projet de loi ouvre de nouveaux droits justifiés, que ce soit pour les polypensionnés, les agriculteurs ou les femmes. Mais ces droits ont un coût. Dès lors, atteint-on véritablement l’objectif de la réforme, qui est d’assurer l’équilibre financier du système ? Je ne le crois pas. Vous ouvrez en réalité la boîte de Pandore !

La question de la pénibilité avait été abordée dès 2003, avec la création du dispositif « carrières longues ». Puis, en 2010, un mécanisme de départ anticipé avait été mis en place pour les personnes ayant commencé à travailler avant dix-huit ans. Comment les mesures que vous prévoyez ici, aboutissant de fait à la création d’un nouveau régime spécial, vont-elles s’articuler avec celles que nous avons prises, et combien de salariés concerneront-elles ?

Mme Véronique Massonneau. Au-delà de son aspect comptable, la réforme proposée comporte des dispositions intéressantes comme la mise en place d’un guichet unique pour faciliter l’accès des assurés à leurs droits et plusieurs avancées sociales, en faveur de l’égalité femmes-hommes, des jeunes, des travailleurs soumis à la pénibilité et de ceux qui ont eu des carrières heurtées. Les écologistes souscrivent aux objectifs ainsi poursuivis : ces mesures vont pour la plupart dans le sens de combats qu’ils mènent de longue date.

La création du compte personnel de prévention de la pénibilité, en particulier, est une excellente initiative. Mais quels aménagements y aura-t-il pour les travailleurs exposés à la pénibilité qui, parce qu’ils sont proches de l’âge de la retraite, ne pourront accumuler suffisamment de points ? Le texte prévoit certes un doublement des points à partir de 59 ans et demi, mais quels avantages concrets les intéressés peuvent-ils en escompter à deux ans et demi de l’âge légal de départ ? Et qu’en sera-t-il pour les autres quinquagénaires ?

La prise en compte effective des trimestres d’apprentissage dans le calcul des pensions est également une très bonne proposition et une mesure de justice à l’égard des jeunes. Nous soutenons donc pleinement ces deux dispositions, de même que l’abaissement à 150 heures rémunérées au SMIC du temps de travail requis pour valider un trimestre et la prise en compte de tous les trimestres de congé maternité dans le dispositif « carrières longues ».

En revanche, pour les jeunes, le rachat de trimestres d’études ne nous paraît pas une bonne option. Cette mesure favorisera ceux qui ont eu la chance de faire des études longues, ce qui leur permet déjà de s’assurer un meilleur salaire. Les jeunes plus défavorisés n’auront pas les moyens, même avec une aide, de racheter un nombre significatif de trimestres. Bref, on aidera surtout ceux qui sont appelés à toucher de meilleures pensions, leurs études leur ayant permis d’occuper des emplois plus rémunérateurs ! Il faut améliorer le texte sur ce point.

Quant aux avancées en matière d’égalité femmes-hommes, elles se limitent pour l’instant à la prise en compte des trimestres de congé maternité dans le dispositif « carrières longues » et à l’abaissement du seuil exigé pour valider un trimestre – cette dernière disposition ne concernant d’ailleurs pas seulement les femmes. Combien ces dernières seront-elles à bénéficier de ces deux mesures, d’après l’étude d’impact ?

Si vos intentions sont louables, il nous faudra donc enrichir le texte pour que l’objectif d’égalité femmes-hommes, je l’espère partagé par tous, et l’objectif de justice sociale soient pleinement atteints.

En revanche, les modalités de financement prévues sont difficilement acceptables pour les écologistes, qui défendent une réduction du temps de travail et un meilleur équilibre entre temps de travail et temps de loisir. Nous ne vous demandons pas ici d’instaurer la semaine de 32 heures, mais de ne pas allonger la durée de cotisation requise pour percevoir une retraite à taux plein. On nous explique que l’allongement à quarante-trois annuités est rendu nécessaire par l’augmentation de l’espérance de vie, mais ce seul angle d’analyse est insuffisant : il faut aussi prendre en compte l’impact sur le taux de chômage des jeunes et des seniors. Socialement injuste, la mesure est de surcroît économiquement inefficace puisqu’elle ne commencera de produire ses effets qu’à partir de 2020.

Vous proposez de faire contribuer les retraités. On pourrait l’admettre si n’étaient concernés que les retraités les plus aisés, mais tel n’est pas le cas. Est-il envisageable, à tout le moins, que le report du 1er avril au 1er octobre de la revalorisation des pensions ne s’applique pas au million de retraités dont le montant de la pension, pour supérieur qu’il soit à celui de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, ne leur permet néanmoins pas de vivre au-dessus du seuil de pauvreté ?

Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste n’a pas encore arrêté sa position sur ce projet de loi, qu’il essaiera d’améliorer par ses amendements, sa décision dépendant de ce que sera le texte final.

Mme Jacqueline Fraysse. Madame la ministre, vous jugez cette réforme juste et équilibrée. Nous ne partageons pas cette appréciation. En effet, l’allongement de la durée de cotisation privera un nombre important de nos concitoyens d’une retraite à taux plein et abaissera donc le niveau moyen des retraites perçues. De surcroît, cette mesure pénalisera les catégories déjà les plus en difficulté, en particulier les femmes, plus nombreuses à travailler à temps partiel ou à percevoir de bas salaires. À quand une égalité salariale effective entre les femmes et les hommes ? Des mesures contraignantes s’imposent. Ce serait là la politique volontariste que notre collègue Catherine Coutelle appelle de ses vœux. L’allongement de la durée de cotisation pénalisera également les jeunes, les salariés exerçant les métiers les plus exposés et les ouvriers, dont l’espérance de vie est pourtant inférieure de sept ans à celle des cadres.

Votre texte comporte certes quelques mesures pour atténuer ces injustices. Je pense à la prise en compte de la pénibilité, dont nous nous félicitons qu’elle soit désormais inscrite dans la loi même si nous nous interrogeons sur la portée réelle de ce dispositif. À ce sujet, accepterez-vous que les salariés participent à l’évaluation des facteurs de pénibilité dans les entreprises, comme le demande l’ensemble des syndicats ? La prise en compte des trimestres de congé maternité dans le calcul de la retraite des femmes et celle des trimestres de stage et d’apprentissage sont d’autres mesures intéressantes. Pour autant, beaucoup d’incertitudes demeurent quant à leur application. Espérons que le débat permettra de les dissiper et que des amendements seront adoptés pour améliorer le texte sur tous ces points.

L’allongement de la durée de cotisation obligera beaucoup de salariés à travailler bien au-delà de 62 ans, et ce alors même que le taux d’emploi des seniors n’est que de 37 % entre 55 et 64 ans. Beaucoup ne perçoivent plus que les minima sociaux lorsqu’ils liquident leur retraite. Ne craignez-vous pas d’aggraver cette situation ?

Quant aux modalités de financement prévues, elles aussi sont porteuses d’injustice. En effet, seuls les salariés et les retraités seront effectivement mis à contribution puisqu’il a déjà été annoncé que l’effort demandé aux entreprises leur serait intégralement compensé au nom de la compétitivité – argument déjà invoqué pour justifier les exonérations de cotisations sociales patronales, qui n’ont cessé d’augmenter au cours des trente dernières années jusqu’à atteindre près de trente milliards d’euros par an, ou encore le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) pour vingt autres milliards, le tout accordé sans contrôle ni contrepartie. Ces dispositions n’ont pourtant pas empêché les délocalisations et les fermetures d’usine de continuer – Sanofi, Mittal à Florange, Petroplus, Waterman, Reynolds…, j’arrête ici une liste qui serait encore longue – ni le chômage de progresser. Pourquoi, madame la ministre, continuez-vous dans cette voie, sans infléchir une politique qui ne règle rien et que vous dénonciez d’ailleurs, à juste titre, sous le précédent gouvernement ?

Il est évident que des moyens nouveaux sont nécessaires, vous l’avez dit vous-même. Or, tous les rapports le confirment, une part croissante de la richesse produite part en dividendes et alimente la spéculation, au détriment de la protection sociale, des salaires et de l’investissement. Pourquoi ne commencez-vous pas de corriger cette injustice flagrante, qui s’aggrave ? En même temps que cela handicape notre économie, il en résulte un manque à gagner considérable pour notre protection sociale.

Dans un esprit constructif, nous formulerons des propositions visant à dégager les moyens nouveaux qui seraient nécessaires. Je ne citerai ici que la modulation des cotisations sociales patronales en fonction de la priorité donnée par l’entreprise aux salaires et à l’investissement, ainsi que la suppression des exonérations de cotisations sociales accordées à l’aveugle. Êtes-vous prête, madame la ministre, à étudier ces propositions sérieusement et sans a priori ?

M. Philippe Vigier. Qu’il y a loin de votre présentation de ce texte, madame la ministre, aux déclarations enflammées de la campagne présidentielle ! Le 14 octobre 2011, vous déclariez à Libération : « François Hollande s’est engagé à revenir à la retraite à 60 ans et il le fera. »

Plusieurs commissaires socialistes. Et il l’a fait !

M. Philippe Vigier. Non. Sauf pour les 40 000 personnes ayant commencé à travailler tôt, vous ne remettez pas en question l’âge légal de départ fixé en 2010. Bien vous en prend d’ailleurs car le rapport du Conseil d’orientation des retraites établit que, sans cette réforme, le déficit se monterait non pas à vingt milliards d’euros, mais à quarante milliards.

Votre réforme est juste, dites-vous. Est-il juste de ponctionner le pouvoir d’achat des salariés en augmentant leurs cotisations sociales de 0,15 % ? Est-il juste d’aller chercher 0,15 % de plus du côté des entreprises ? Cette augmentation de charges sera-t-elle ou non compensée ? Le MEDEF s’interroge : en effet, la promesse faite sur le perron de Matignon ne semble pas suivie d’effet. Avec le niveau des cotisations, il en va pourtant de la compétitivité des entreprises, et donc de l’emploi. La somme en jeu est considérable : 2,2 milliards d’euros en année pleine, tant pour les salariés que pour les entreprises.

Alors que le besoin de financement doit atteindre 20 milliards d’euros à l’horizon 2020 et que le déficit du régime général est déjà de 7,6 milliards, cette réforme ne procurera que 7,3 milliards, pas davantage !

Vous avez préservé le niveau des retraites, dites-vous. Mais reporter du 1er avril au 1er octobre la revalorisation des pensions, ce qui fait économiser près d’un milliard d’euros, cela ne revient-il pas à les baisser ?

Pourquoi avoir d’emblée écarté l’hypothèse d’accélérer l’entrée en vigueur de la réforme de 2010 ? Le COR explique que si, en novembre 2011, on avait eu le courage d’augmenter d’un an et neuf mois la durée de cotisation, l’équilibre aurait pu être atteint.

Pourquoi passer sous silence le problème de la convergence entre public et privé ? D’importantes disparités demeurent, tant pour ce qui est du niveau des pensions que de l’âge d’ouverture des droits. En moyenne, les salariés du public partent en retraite quatre ans plus tôt que ceux du privé.

Pourquoi ne pas dire un seul mot, non plus, des régimes spéciaux ? En 2014, sept milliards d’euros devront pourtant être prélevés sur le budget général pour équilibrer leurs comptes, qui dérivent.

La pénibilité, sur les critères de laquelle les partenaires sociaux se sont accordés en 2008, sera prise en compte. Mais pourquoi, là encore, mettre en place un régime pour le privé différent de celui du public ? Enfin, pourquoi exiger que le salarié ait été exposé durant cinq ans au moins à des facteurs de pénibilité pour que cela lui ouvre droit à une formation ou à l’aménagement de son temps de travail ou de son départ en retraite ? Pour nous, la pénibilité s’apprécie et doit être prévenue pendant la vie de travail. Sa prise en compte ne doit pas avoir seulement une visée réparatrice.

Si votre texte comporte des avancées au profit des femmes, comme la prise en compte des trimestres de congé maternité, pourquoi pénaliser de suite les parents de trois enfants et plus en fiscalisant les majorations de retraite pour enfants et attendre 2020 pour engager la refonte du dispositif, en sorte que la future majoration forfaitaire par enfant bénéficie principalement aux femmes ? On aurait pu s’engager dans cette voie dès 2014 si vous aviez accéléré la mise en œuvre de la réforme de 2010 et suivi les préconisations du COR. Mais il eût fallu du courage !

Une dernière remarque sur la méthode. En 2010, le ministre, Éric Woerth, avait reçu tous les groupes parlementaires. Pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas cette fois-ci, alors que le groupe UDI, par exemple, a auditionné l’ensemble des partenaires sociaux ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je salue tout particulièrement les dispositions en faveur des personnes en situation de handicap et, même si des améliorations sont encore possibles pour ces derniers, des aidants familiaux. Conformément à la circulaire du Premier ministre du 4 septembre 2012 qui prévoit qu’il en soit désormais ainsi de chaque texte, ce projet de loi comporte donc bien un volet handicap.

Les mesures prévues sont particulièrement nécessaires car les personnes en situation de handicap rencontrent d’importantes difficultés aussi bien pour accéder à l’emploi que pour s’y maintenir. En 2011, seulement mille d’entre elles ont pu bénéficier d’une retraite anticipée, ce qui montre que les trois conditions à réunir pour en bénéficier sont trop contraignantes. L’abaissement de 80 % à 50 % du taux d’incapacité permanente exigé pour prétendre à une retraite dès 55 ans constitue donc un grand pas en avant. La suppression prévue du critère de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), introduit par la loi du 9 novembre 2010 et dont finalement peu ont demandé le bénéfice pendant leur vie professionnelle, serait toutefois perçue par elles comme un recul, puisqu’elles peuvent en effet avoir compté sur ce critère pour partir en retraite anticipée. Des avancées seront-elles possibles sur ce point ?

Enfin, quelles mesures pourrait-on envisager pour les personnes dont le handicap ou l’invalidité est survenu en cours de carrière et qui ne peuvent bénéficier d’une retraite anticipée faute de satisfaire aux conditions cumulatives d’âge et de handicap ?

M. Denis Jacquat. Si certains, à commencer par le rapporteur, voient dans ce projet de loi une réforme, vous vous êtes bien gardée, vous, madame la ministre, d’employer ce terme, ne parlant à juste titre que de « texte ». Pourquoi cette divergence d’appréciation entre vous et le rapporteur ?

Lors de la réforme de 2010, porte-parole du groupe socialiste, vous n’avez cessé, madame la ministre, de répéter qu’aussitôt gagnées les élections présidentielle et législatives – vous sembliez certaine que tel serait le cas ! –, votre parti balaierait notre loi et rétablirait la retraite à 60 ans. Pourquoi ne tenez-vous pas aujourd’hui vos promesses d’alors ?

Votre texte prévoit la création d’un comité de surveillance des retraites, dont le rôle se superpose en grande partie à celui du COR, créé en son temps par Lionel Jospin – ce qui fut une excellente initiative. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements sur le rôle de ce comité ?

M. Gérard Sebaoun. Ce projet de loi comporte plusieurs avancées, au premier rang desquelles la création du compte personnel de prévention de la pénibilité. Lisible par tous, le nouveau dispositif rompt avec celui de 2010, qui n’instituait qu’une réparation très restrictive de l’exposition à la pénibilité, en raison de l’obligation de satisfaire à des critères médicaux. D’ailleurs, six mille dossiers seulement ont à ce jour été validés à ce titre. Ce projet de loi, comme celui de 2010, s’appuie sur les dix facteurs de pénibilité sur lesquels se sont accordés les partenaires sociaux. Mais ce socle n’a, semble-t-il, plus la même finalité, et c’est heureux. Il nous faut bien entendu continuer à lutter pour améliorer les conditions de travail en prenant en compte de nouveaux facteurs, en particulier, comme le demandent les partenaires sociaux, les risques psychosociaux.

Les points accumulés sur le compte pénibilité pourraient-ils être utilisés pour passer à temps partiel avant la cessation d’activité ? D’autre part, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de revenir sur la possibilité donnée à l’employeur d’opposer un refus sec en invoquant « une impossibilité due à l’activité économique de l’entreprise » ?

Enfin, la future cotisation pénibilité additionnelle sera-t-elle modulée en fonction des efforts que l’entreprise aura ou non engagés en vue de réduire la pénibilité, sur le modèle de ce qui se pratique en matière d’accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) ?

M. Christophe Cavard. Cette réforme est importante, avant tout en raison de son objet premier qui est de sauvegarder notre système de retraite par répartition. N’oublions pas que certains, aujourd’hui dans l’opposition, ont voulu par le passé y introduire une dose de capitalisation.

Les écologistes demeurent convaincus que c’est par la relance de l’emploi, grâce à la création de nouvelles filières et à un meilleur partage du travail, que l’on parviendra à équilibrer nos régimes de retraite.

Le financement de ceux-ci repose aujourd’hui exclusivement sur les salaires. Pourquoi ne pas en élargir l’assiette à d’autres revenus, comme les dividendes dont le montant ne cesse de progresser ? Ne pourrait-on au moins prévoir qu’une prochaine conférence sociale en débatte ? C’est en effet aux partenaires sociaux, et non à nous, qu’il revient de se saisir de cette question et de la trancher.

Le présent projet de loi comporte des avancées notables, en particulier la prise en compte de la pénibilité. C’est pourquoi nous espérons pouvoir, à l’issue du travail parlementaire, nous y retrouver.

Mme Sylviane Bulteau. Dans son allocution du 24 janvier dernier, le Premier ministre a annoncé le rétablissement partiel de l’allocation équivalent retraite (AER) sous la forme d’une allocation transitoire de solidarité (ATS) à laquelle peuvent désormais prétendre tous ceux qui, nés en 1952 et 1953, étaient inscrits à Pôle emploi au 31 décembre 2010 et justifient de toutes leurs annuités. Cependant, bien qu’ils remplissent ces trois conditions, certains ne peuvent aujourd’hui bénéficier de l’ATS. En effet, un décret du 4 mars 2013 exige d’avoir validé tous ses trimestres à la date d’expiration des droits à l’allocation chômage, clause limitative qui n’avait pas été mentionnée en janvier. Ainsi une personne justifiant des 165 trimestres exigés, voire de plus, mais ayant « basculé » sur les minima sociaux alors qu’elle n’en avait que 164, peut se voir refuser le bénéfice de l’ATS pour ce seul trimestre manquant. Dans un souci de cohérence mais aussi de respect de la parole donnée, il conviendrait, dans le cadre de la présente réforme, de revoir ce décret de mars 2013.

M. Jean-Pierre Door. Je serai bref, notre collègue Arnaud Robinet ayant parfaitement exposé la position de notre groupe.

Pour résorber d’ici à 2020 le déficit de 7,6 milliards d’euros du régime général, il est prévu de relever les cotisations vieillesse, salariales et patronales, de 0,15 point en 2014 puis de 0,05 point les trois années suivantes. Cette hausse doit être compensée pour les employeurs par une baisse du même ordre des cotisations famille. Mais comment sera assuré le financement de la branche famille si ses recettes sont ainsi amputées ?

L’article 32 du projet modifie la gouvernance de la caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), que vous prévoyez en quelque sorte d’étatiser. L’autonomie et la pérennité des caisses professionnelles sont ainsi remises en question, au risque de dysfonctionnements dans le service rendu aux assurés. Inquiets, les professionnels libéraux attendent une réponse sur le sujet et souhaitent que cet article soit totalement revu.

M. Christophe Sirugue. Le texte comporte des avancées majeures au profit des femmes, des personnes dont le parcours professionnel a été haché, des personnes en situation de handicap, des agriculteurs ainsi que des jeunes – des titulaires de petites retraites, en général. Cependant, je m’inquiète du nombre de personnes qui ne demandent pas à bénéficier de l’ASPA alors que le faible niveau de leurs pensions les rend éligibles à ce mécanisme de solidarité : comment pourrait-on modifier les choses dans ce domaine ?

Il a été décidé de ne pas décaler du 1er avril au 1er octobre la revalorisation de l’ASPA, ce dont il faut se féliciter. Serait-il possible de renoncer également à ce décalage pour toutes les retraites inférieures au seuil de pauvreté – qui est supérieur au montant de l’ASPA ?

Des mesures intéressantes sont prévues pour les retraités agricoles. Mais d’après des représentants du secteur qui ont rencontré votre collègue ministre de l’agriculture, il semblerait que diverses restrictions limiteraient fortement le nombre de bénéficiaires potentiels. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Bernard Perrut. Nous ne doutons pas de votre volontarisme, madame la ministre. Nous nous attendions donc à une réforme d’envergure. Celle que vous nous présentez est, hélas, bien éloignée des recommandations du rapport Moreau. Elle ne s’attache en effet qu’à combler le besoin de financement de 7,5 milliards d’euros du régime général alors qu’il aurait fallu bâtir un scénario macro-économique autrement plus vaste de manière à combler le déficit de 20 milliards d’euros tous régimes confondus. Déjà, des recettes s’émoussent et les syndicats réclament la compensation de la hausse des cotisations des actifs. Quant au plan de financement de l’important et coûteux « paquet social » que contient la réforme, il demeure flou.

La réforme prévue me paraît placée sous le signe de l’inégalité. Rien sur la situation, pourtant critique, de l’AGIRC et de l’ARCCO, rien sur les régimes spéciaux ni sur la convergence public-privé. Toutes les inégalités actuelles perdurent.

Vous choisissez hypocritement d’allonger la durée de cotisation plutôt que de relever l’âge légal de départ à la retraite. C’est faire le choix d’une baisse des pensions puisque les départs en retraite avec décote se multiplieront. C’est aussi désavantager les jeunes.

Cette réforme, enfin, se traduira par un choc fiscal car elle entraînera l’augmentation des cotisations des actifs ainsi que de l’impôt des retraités. On ne peut que s’inquiéter de la baisse du pouvoir d’achat et de la moindre compétitivité de nos entreprises qui en résultera.

Je terminerai par une question : comment seront financées les mesures annoncées au bénéfice des retraités agricoles ? Il semble qu’elles le seraient par la suppression ou la réduction de certains avantages dont bénéficiaient jusqu’à présent certains agriculteurs. Ne s’agit-il donc pas d’un tour de passe-passe ? Nous nous inquiétons donc aussi de l’incidence de ces mesures, si nécessaires qu’elles soient.

M. Denys Robiliard. Je me réjouis que, pour la première fois, une réforme des retraites – car, n’en déplaise à certains, il s’agit bien d’une réforme – ne se limite pas à des mesures comptables et de gestion, mais vise vraiment à améliorer le système.

L’article 6 dispose que « les salariés des employeurs de droit privé ainsi que le personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé » pourront acquérir des droits au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité. Qu’entend-on exactement par « personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé » ? S’agit-il des contractuels – mais à mes yeux, les contractuels sont employés dans les conditions du droit public puisqu’ils possèdent un contrat de droit public – ou d’une partie seulement d’entre eux ? Il faut éclaircir ce point.

Sauf erreur de ma part et à moins que des évolutions n’aient eu lieu depuis l’avant-projet, il ne semble pas prévu que les institutions représentatives du personnel – délégués du personnel, comités d’entreprise, comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – et, plus largement, les syndicats jouent un rôle dans la mise en œuvre des mesures relatives à la pénibilité ? Quelle pourrait être leur contribution ?

Mme Bérengère Poletti. Ce texte, que vous qualifiez de réforme mais qui en réalité n’en est pas une, appelle trois critiques majeures. Il alourdira les prélèvements ; au mieux il ne comblera pas, au pire il aggravera le déficit des différents régimes de retraite ; enfin, il créera de nouvelles injustices en suscitant de nouveaux régimes spéciaux.

Sans courage, sans cohérence avec vos prises de position passées, sans crédibilité, il ne répond pas aux enjeux. Justice, dites-vous : pourtant, aucune mesure de convergence entre le privé et le public n’est prévue. Et même la hausse des cotisations, certes identique pour tous, s’appliquera plus rapidement pour le privé. Le commissaire européen Olli Rehn, vice-président de la Commission, juge « décevante » cette prétendue réforme. « Plutôt qu’une augmentation des contributions, j’aurais préféré une augmentation plus rapide du nombre d’années de contribution ou un relèvement de l’âge de départ en retraite, qui est en France l’un des plus bas d’Europe, et une rationalisation des régimes spéciaux », a-t-il déclaré. Peut-on faire abstraction de l’avis de la Commission européenne qui, qu’on le veuille ou non, joue désormais un rôle clé dans les procédures budgétaires nationales, et a accordé un délai supplémentaire de deux ans à notre pays pour réduire son déficit et engager de véritables réformes ?

Bref, l’ouvrage devra être rapidement remis sur le métier. Les hypothèses retenues reposent sur des scénarios économiques trop optimistes. Seul le régime général devrait être renfloué, à hauteur de 7,6 milliards d’euros. L’État va donc devoir continuer d’éponger quelque huit milliards de déficit des régimes du secteur public, et les partenaires sociaux trouver quatre milliards pour les régimes complémentaires. Pourquoi n’avoir pas pris exemple sur vos amis politiques suédois, qui ont réussi leur réforme des retraites ? À bientôt donc, madame la ministre, pour une vraie réforme !

Mme Joëlle Huillier. Ce projet de loi a le double mérite d’assurer l’équilibre de notre système de retraite et de réparer des injustices. J’ai toutefois quelques interrogations.

Tout d’abord, si j’applaudis des deux mains à la prise en compte de la pénibilité au travail, je relève une crainte de la part des entreprises : elles redoutent que le recueil des données, dont les modalités seront fixées par décret, ne s’apparente à une usine à gaz.

En ce qui concerne les retraites des femmes, le Gouvernement entend refondre le système des majorations de pension pour enfants. Il faut s’en féliciter car, comme l’a montré le rapport Moreau, le système actuel favorise ceux qui ont les plus hauts revenus et, en définitive, plutôt les hommes. Pourquoi dès lors attendre 2020 pour instituer la majoration forfaitaire par enfant ?

Côté recettes, le Gouvernement propose de fiscaliser la majoration de 10 % des pensions dont bénéficient les parents de trois enfants ou plus, mais non d’aligner le taux de CSG appliqué aux retraités alors que, toujours selon le rapport Moreau, cela aurait rapporté davantage et que les associations n’étaient pas foncièrement hostiles à cette mesure. Cette piste pourrait-elle être de nouveau étudiée dans le cadre de la loi à venir sur l’adaptation de notre société au vieillissement, afin que les retraités les plus aisés participent au financement de la perte d’autonomie, comme le mouvement en a été amorcé l’an passé avec la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA) ?

Il est à l’honneur du Gouvernement de proposer, conformément aux engagements du Président de la République, de revaloriser les pensions agricoles et d’ouvrir de nouveaux droits. Mais le financement de ces mesures reposera-t-il sur la solidarité nationale ou sur la suppression de certaines niches fiscales et sociales dont bénéficie la profession ?

M. Gilles Lurton. Tout l’enjeu est de préserver notre système de retraite par répartition, auquel nous sommes pour la plupart fortement attachés, et de rétablir la confiance des salariés, en particulier celle des jeunes générations. C’est sur ce point que votre projet de loi achoppe. Augmenter le nombre d’annuités requises sans toucher à l’âge légal de départ en retraite revient à protéger ceux qui ont aujourd’hui entre 58 et 63 ans. C’est un mauvais signal adressé aux jeunes qui devront cotiser quarante-deux, puis quarante-trois ans et qui, lorsqu’ils auront suivi des études longues, devront travailler jusqu’à 68 ou 70 ans pour percevoir une retraite leur permettant de vivre convenablement.

Votre texte n’est pas à la hauteur des enjeux. Le temps qui m’est imparti ne me permet hélas pas de développer plus avant ce point. Je me limiterai à deux questions.

L’article 32 modifie profondément la gouvernance des caisses de retraite des professions libérales. Pourquoi cette décision qui risque de compromettre la qualité du service rendu aux affiliés et surtout le paiement intégral des pensions pour lesquelles les professionnels libéraux ont cotisé ?

L’engagement du Président de la République de porter à 75 % du SMIC le montant des retraites agricoles déjà liquidées et à 85 % celui des futures retraites sera tenu, nous dit-on. À quelle date ? Vu la situation financière de nos agriculteurs, il serait inacceptable que ces mesures soient financées, comme on l’entend dire, par des charges nouvelles pesant sur les exploitations. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?

Mme Kheira Bouziane. Je m’associe à l’ensemble des remarques formulées par les collègues qui m’ont précédée sur les avancées que comporte ce texte, qu’il s’agisse de l’ouverture de nouveaux droits ou du rétablissement de droits dans la justice. À la suite de Martine Carrillon-Couvreur, je souhaite aborder le cas des personnes en situation de handicap. En 2011, seulement mille d’entre elles ont pu bénéficier d’une retraite à 55 ans, tant sont difficiles à remplir les conditions exigées. Cela tient aussi à la disparité des modalités d’évaluation sur le territoire, les caisses d’assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ne se fondant pas toutes sur les mêmes critères pour l’ouverture des droits.

Il faut saluer la nouvelle possibilité ouverte aux étudiants de racheter des trimestres d’études. Mais certains stages, dont la durée peut aller jusqu’à six mois et qui peuvent être rétribués jusqu’à 2 600 euros, ne sont pas pris en compte au titre de la retraite, alors qu’il suffit d’avoir perçu une rémunération de 1 008 euros pour valider un trimestre. Pourrait-on remédier à cette différence de traitement et rassurer les jeunes, qui sont les plus inquiets de l’avenir des retraites ?

Ce projet de loi, dites-vous, madame la ministre, constituerait un rempart contre la privatisation de notre système par répartition, auquel nous sommes attachés. Pourrait-on envisager d’autres modes de financement des retraites ? Lesquels ? Quels seraient leurs inconvénients et leurs avantages respectifs ?

M. Rémi Delatte. Après vous avoir entendue, madame la ministre, on a vraiment le sentiment d’un rendez-vous manqué. Pour la première réforme des retraites issue de la gauche, qui a toujours voté contre les précédentes au motif qu’elles étaient conduites par la droite, nous attendions un texte d’envergure. En promettant une réforme systémique juste, équilibrée, durable, vous aviez suscité des espoirs chez nos concitoyens. Or votre réforme est tout l’inverse, comme l’ont d’ailleurs souligné la plupart des partenaires sociaux. On ne peut approuver la hausse des cotisations qui, une nouvelle fois, plombera le pouvoir d’achat des actifs, non plus que la mise à contribution des retraités, qui avaient toujours été épargnés jusqu’à présent. Le Premier ministre a assuré que l’augmentation des cotisations serait compensée pour les entreprises de façon à ne pas obérer leur compétitivité. Comment, pour votre part, voyez-vous les choses, madame la ministre ?

Ce projet de loi ne comporte aucune mesure de convergence entre le public et le privé. Il ne dit rien non plus des régimes spéciaux ni des régimes complémentaires. Autant de silences coupables, auxquels on peut ajouter le fait qu’allonger la durée de cotisation, c’est en réalité reculer l’âge de départ en retraite, mais sans le dire. De plus, les mesures prévues ne garantissent pas durablement les équilibres financiers : là où il faudrait trouver 20 milliards d’euros d’ici à 2020, elles ne rapporteront que 7,5 milliards.

Ce texte comporte néanmoins quelques points positifs, comme la revalorisation des retraites agricoles – reste à en connaître les modalités exactes –, la création d’un compte et d’un guichet uniques et la meilleure prise en compte du temps partiel.

Madame la ministre, vous devez regretter d’avoir tant combattu la loi Woerth de 2010 car si vous aviez été à l’époque plus encline à rechercher un consensus, vous n’auriez pas été obligée aujourd’hui de renier votre parole.

Mme Isabelle Le Callennec. Je ne reviens pas sur les critiques formulées par mes collègues à l’encontre de ce texte, critiques que je partage.

L’article 6 dispose que tous les salariés auront droit au compte personnel de prévention de la pénibilité, à l’exception de ceux dont le régime de retraite prend déjà en compte de manière spécifique la pénibilité. À qui précisément bénéficiera le nouveau dispositif ?

Que vont devenir les accords relatifs à la prévention de la pénibilité signés à la suite de la réforme de 2010 ?

Dès lors que dans les dix facteurs retenus de pénibilité figurent « les postures pénibles », il y aura sujet à interprétation. Des syndicats ont même parlé à ce sujet de nid à contentieux. Nul n’est dupe puisque le projet de loi lui-même anticipe les réclamations futures. Il est prévu que les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) effectuent des contrôles. Mais la médecine du travail aura-t-elle aussi un rôle à jouer ? Le projet de loi n’en dit rien.

Les salariés ayant acquis des points au titre de la pénibilité pourront les convertir en droit à une formation pour accéder à un emploi moins pénible : au sein ou à l’extérieur de l’entreprise ?

Pour ce qui est de la cotisation pénibilité, au socle dont s’acquitteraient l’ensemble des entreprises s’ajouterait une cotisation additionnelle pour celles dont les salariés sont exposés à des facteurs de pénibilité. Le coût du travail en sera augmenté, tout particulièrement dans l’industrie, au détriment de la compétitivité, et alors que ce secteur peine déjà à recruter des salariés, ses métiers risquent de perdre encore davantage de leur attrait.

M. Francis Vercamer. Le Gouvernement propose, à juste titre, diverses mesures en faveur des travailleurs handicapés, des femmes employées à temps partiel et des polypensionnés. Il est de même normal de tenir compte de la pénibilité des métiers exercés pour déterminer l’âge de départ en retraite, dans la mesure où elle occasionne une usure prématurée des salariés. La réforme de 2010 déjà comportait des mesures en ce sens, à l’élaboration desquelles le groupe centriste avait activement participé. Mais tout cela ne suffit pas à justifier l’intitulé du titre II : « Rendre le système plus juste ». Un tel programme eût exigé de supprimer les régimes spéciaux et d’instituer un régime unique par points – dans lequel auraient pu être pris en compte les points acquis au titre de la pénibilité.

D’une manière générale, le Nouveau Centre préfère la prévention à la réparation. Il ne suffit pas de dresser par décret la liste des métiers exposant à des facteurs de pénibilité. Cela doit s’accompagner de mesures d’amélioration des conditions de travail dans ces métiers mais, si ces conditions s’améliorent, ces métiers sortiront-ils de la liste ? Ceux qui y figureront ne seront-ils pas stigmatisés, au risque de rendre encore plus difficiles les recrutements ? Enfin, comment le compte pénibilité fonctionnera-t-il pour les salariés soumis à de multiples expositions, chacune pouvant être en deçà du seuil ? Pour les salariés à temps partiel ou en CDD et pour les intérimaires ? Il est à craindre une usine à gaz.

Dernière question : le déficit restant jusqu’en 2020 sera-t-il repris par la CADES ? Augmenterez-vous la CRDS pour le compenser ?

Mme Gisèle Biémouret. Le Gouvernement a eu le souci de mieux prendre en compte la situation des personnes au parcours professionnel haché. Quatre trimestres supplémentaires pourront être validés au titre d’éventuelles périodes de congé maladie, deux au titre d’éventuelles périodes de chômage. Les hommes pourront valider le temps passé au service militaire et les femmes l’ensemble des trimestres de congé maternité. Autant d’acquis dont il faut se féliciter.

Ma question concerne les migrants âgés. Beaucoup d’entre eux ont eu des carrières relativement courtes du fait de leur arrivée tardive dans notre pays et fragmentées du fait des difficultés d’insertion qu’ils rencontrent et de la pénibilité des emplois qu’ils occupent. Quelles dispositions particulières pourrait-on envisager pour eux ?

Mme Véronique Louwagie. Alors que nous attendions une véritable réforme des retraites, ce projet de loi serait mieux intitulé « projet de loi relatif à la prise en compte de la pénibilité au travail »…

Plusieurs commissaires socialistes. Ce ne serait déjà pas rien !

Mme Véronique Louwagie. … puisqu’il se résume finalement à cela. Il se traduira, hélas, aussi par un accroissement de dix milliards d’euros des prélèvements sur les Français et par la création de nouvelles injustices au travers des mécanismes liés à la pénibilité, sans remédier au déficit des régimes de retraite qui continuera de se creuser.

Parmi les avantages fiscaux qui auraient pu être révisés, le rapport Moreau citait la défiscalisation des majorations de pension accordées aux parents de trois enfants et plus ainsi que l’abattement fiscal de 10 % sur les pensions. Des deux, vous avez choisi de supprimer le premier, au risque de frapper de plein fouet les familles. Pourquoi les désavantager encore, alors qu’elles ont déjà été pénalisées par les modifications apportées au calcul des cotisations sur les emplois à domicile et par la baisse du quotient familial, et que leur est promise en 2014 la suppression des réductions d’impôt pour frais de scolarité ? Pourquoi mettre ainsi à mal la politique familiale de notre pays alors que notre démographie dynamique est l’un de nos atouts ?

Le projet de loi prévoit d’étatiser les caisses de retraite des professionnels libéraux et de modifier la gouvernance de la caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales. Les professionnels sont inquiets. Que pouvez-vous leur dire pour les rassurer ?

Mme Annie Le Houerou. Le rapport du Conseil d’orientation des retraites ainsi que celui de Mme Moreau ont démontré que, malgré des modes de calcul différents, le taux de remplacement était comparable pour les retraités du public et du privé. En outre, la convergence entre les deux secteurs a bien avancé depuis 2008. Un gros travail de pédagogie est donc nécessaire pour combattre l’idée reçue, encore colportée par certains ici, selon laquelle il subsisterait d’importantes disparités, source d’injustices. Merci, madame la ministre, d’avoir fait en sorte que cette réforme n’oppose pas les Français les uns aux autres. Les hausses de cotisations prévues s’appliqueront aux fonctionnaires comme aux salariés du privé.

Je souhaite appeler l’attention sur les petites retraites, en particulier sur celles des femmes qui ont eu une carrière hachée et ont parfois été employées à temps très partiel – elles sont nombreuses dans ce cas au sein de la fonction publique territoriale, je pense notamment à celles qui ont travaillé auprès des enfants ou assuré l’entretien dans les écoles. Elles bénéficient aujourd’hui d’un minimum garanti : je souhaiterais être sûre que ces plus petites pensions de la fonction publique ne seront pas concernées par le décalage du 1er avril au 1er octobre de la date de revalorisation et que l’évaluation du seuil sera identique pour tous les régimes.

Dans la fonction publique, la pénibilité est d’ores et déjà prise en compte au travers de ce qu’on appelle les catégories actives. Mais comment y sera évaluée la situation des contractuels occupant des emplois pénibles ? Je pense en particulier à ceux qui interviennent en milieu hospitalier.

M. Jean-Patrick Gille. La prise en compte de la pénibilité constitue une profonde novation, sans doute même une révolution, car elle induira une autre façon d’organiser les temps de travail tout au long de la vie professionnelle, donnant aux salariés la possibilité soit de partir en retraite de manière anticipée, soit de cesser progressivement leur activité, soit de suivre une formation pour une reconversion en milieu de carrière, soit encore de bénéficier d’un temps partiel. Cette dernière possibilité doit-elle d’ailleurs être ouverte seulement en fin de carrière ? Ne serait-il pas judicieux qu’elle puisse être accordée plus tôt ?

Toutes ces dispositions préfigurent en creux un système de retraite par points. De fait, on commence d’introduire dans notre système des éléments d’arbitrage personnel pour la détermination du moment de départ en retraite.

Cela étant, qu’il ait fallu créer une allocation équivalent retraite, puis lui substituer une allocation transitoire de solidarité quand on l’a supprimée montre bien que l’approche en durée de cotisation pose parfois des problèmes inextricables. Pourrions-nous travailler sur le sujet avec vos services, madame la ministre, d’ici à l’examen du texte ? En effet, si le décret « carrières longues » répond en partie au problème soulevé, tous les cas ne sont pas traités.

M. Jérôme Guedj. Je salue le travail préparatoire à cette réforme qui, dites-vous, madame la ministre, répartit de manière équilibrée les efforts nécessaires. Reste maintenant à trouver également un équilibre entre le travail du Gouvernement et celui du Parlement. Jusqu’où les parlementaires pourront-ils enrichir le texte ? Ainsi, pensez-vous que nous pourrions préciser utilement le rôle du comité de surveillance des retraites en lui demandant de confirmer le moment venu – soit au-delà de 2020 – le calendrier d’allongement de la durée de cotisations fixé à l’article 2 ? De même, pouvons-nous espérer améliorer le dispositif prévu pour la prise en compte de la pénibilité ?

Mme Luce Pane. Je félicite le Gouvernement d’avoir répondu présent au rendez-vous des retraites, car il importe de préserver notre système contributif et solidaire. La réforme proposée est équilibrée. L’effort demandé sera partagé par tous, les actifs au travers de l’allongement de la durée de cotisation, les retraités par le décalage de la date de revalorisation des pensions, les entreprises au travers de l’augmentation des cotisations. Concernant ces dernières, le Premier ministre a annoncé que la hausse serait compensée afin de ne pas alourdir le coût du travail. Comment sera assurée cette compensation ?

Afin de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes face à la retraite, le Gouvernement propose de faciliter la validation de trimestres pour les salariés à faible rémunération et de refondre la majoration de pension pour enfant. Celle-ci, dont ne bénéficient aujourd’hui que les parents de trois enfants et plus, semble favoriser les hommes et les foyers les plus riches. Le Gouvernement souhaitait qu’un avantage soit accordé dès le premier enfant mais y a finalement renoncé au motif que cela aurait eu pour conséquence, à dépense constante, d’en réduire le montant. Quelles sont les pistes de travail envisagées afin d’améliorer cet avantage et de faire en sorte qu’il bénéficie davantage aux femmes, qui en ont le plus besoin ?

Mme la ministre. Je remercie le rapporteur pour le travail qu’il a déjà mené et pour les propos qu’il vient de tenir. Ce texte de loi doit à la concertation avec les partenaires sociaux, mais également beaucoup aux échanges que nous avons eus avec les parlementaires. Il s’inscrit naturellement dans le droit fil des attentes qui étaient les nôtres lors de la réforme de 2010 et des positions que nous avions alors adoptées.

Je remercie l’ensemble des orateurs qui y ont apporté leur soutien. Comme l’a excellemment dit Christian Paul, le courage, ce n’est pas le saccage de la protection sociale. Il n’était pas mauvais de le rappeler car certains ici l’ont peut-être quelque peu oublié.

Vous avez rappelé combien j’avais été combative pour m’opposer à la réforme de 2010. Soyez assurés que je le serai tout autant aujourd’hui pour défendre la grande réforme d’avenir et de progrès que nous portons. Pour la première fois, une réforme des retraites combine mesures de rééquilibrage financier et mesures de justice sociale.

Monsieur Robinet, vous avez qualifié ce texte, qui pour vous ne serait pas une réforme, de « bric-à-brac ». La loi de 2010 constituait, elle, un « fric-frac » !

M. Arnaud Robinet. En tout cas, vous ne la remettez pas en question !

Mme la ministre. Elle était censée avoir réglé les problèmes au moins jusqu’en 2018, voire 2020, et il ne devait plus y avoir de déficit à cet horizon. Or, dès 2011, il était évident qu’il faudrait reprendre le travail, ce que nous avons fait dès notre arrivée aux affaires.

Nous avions en effet indiqué en 2010 que nous rétablirions le départ à soixante ans pour celles et ceux qui, ayant commencé à travailler jeunes et souvent connu les conditions de travail les plus difficiles, avaient été les premières victimes de cette réforme. Déjà alors, nous faisions valoir qu’il était plus juste d’allonger la durée de cotisation requise que de relever l’âge légal de départ. C’est très exactement ce que nous faisons aujourd’hui.

Comme l’a souligné Jean-Patrick Gille, nous engageons une réforme structurante qui commence d’introduire des éléments d’arbitrage personnel dans la détermination du moment de départ en retraite. Selon qu’on aura ou non travaillé dans des conditions pénibles, connu une carrière heurtée ou des périodes de chômage, on pourra organiser son départ dans des conditions différentes. Permettant cela, nous faisons franchir une nouvelle étape à notre système de protection sociale.

Quelques mots du pilotage, élément important de la réforme. Le COR, qui est une belle institution, que personne d’ailleurs ne conteste, a pour rôle de débattre et de produire des analyses, d’ailleurs d’autant plus riches et fructueuses qu’elles n’ont pas vocation à déboucher sur des propositions. Ses membres sont d’ailleurs très attachés à ce qu’il n’ait pas pour mission de fournir des solutions. Pour notre part, nous mettons en place un comité de surveillance des retraites. Le conseil d’orientation procédera chaque année à une évaluation des régimes de retraite – y sera notamment analysé si l’allongement de la durée de cotisation répond aux enjeux financiers. Les résultats de cette évaluation seront transmis au comité de pilotage qui formulera des recommandations opérationnelles. Il appartiendra ensuite au Gouvernement de décider de la suite à y donner.

M. Denis Jacquat. Faire des recommandations opérationnelles, c’est le travail du cabinet !

Mme la ministre. Non, ce n’est pas le travail d’un cabinet. Il est important que ces recommandations émanent d’une instance indépendante, de façon qu’on ne puisse pas leur reprocher une orientation partisane.

Plusieurs questions ont porté sur la situation particulière des femmes au regard de la retraite. Mme Coutelle a ainsi demandé pourquoi nous attendions 2020 pour mettre en place la majoration forfaitaire par enfant en lieu et place de l’actuelle majoration de pension pour les parents de trois enfants et plus. En cohérence avec le reste de la réforme, nous avons souhaité ne pas modifier les conditions de départ de ceux qui sont appelés à prendre leur retraite dans les toutes prochaines années. Une personne qui a prévu de partir en retraite dans trois ans et qui a eu trois enfants, escompte que sa pension sera majorée de 10 %, puisque telle est la règle aujourd’hui, et elle a pu faire des projets en conséquence. Il ne serait pas juste de revenir brutalement là-dessus. En revanche, nous sommes bien déterminés à aller de l’avant et à voir comment, après 2020, les sommes aujourd’hui affectées à cette majoration pourraient être réorientées de façon à bénéficier davantage aux femmes. En effet, elles profitent aujourd’hui à 70 % aux hommes, pour la simple raison que la majoration est proportionnelle et qu’ils touchent des retraites plus élevées que les femmes.

Les bénéficiaires de l’abaissement du plafond de 200 à 150 heures rémunérées au SMIC pour valider un trimestre seront à 70 % des femmes. Au total, cette mesure bénéficiera à 15 % des assurés qui gagneront ainsi en moyenne cinq trimestres, ce qui n’est pas négligeable.

Contrairement à une idée reçue, les femmes devraient constituer près de la moitié des bénéficiaires du compte personnel de prévention de la pénibilité. Une aide-soignante travaillant dans un établissement privé d’hébergement de personnes dépendantes – c’est l’exemple que vous avez pris, madame Coutelle – pourra bien sûr en bénéficier. La question de la prise en compte de la pénibilité se pose aujourd’hui en priorité pour les salariés du privé. En effet, dans la fonction publique, il existe déjà les catégories actives – ce qui ne signifie pas que l’on ne puisse pas envisager de nouvelles avancées. Tous les salariés possédant un contrat de droit privé seront concernés, même s’ils travaillent dans l’espace public – je réponds sur ce point à M. Robiliard. En revanche, le dispositif ne s’adresse bien qu’aux salariés, pas aux professions libérales.

Bien entendu, il ne remet pas en question les accords de prévention de la pénibilité qui ont pu être signés depuis 2010. Nous souhaitons au contraire que la mise en place du compte personnel soit un levier pour réduire la pénibilité au travail.

Le financement de ce compte reposera sur une contribution des entreprises, modulée selon qu’elles exposent ou non leurs salariés à des facteurs de pénibilité. Les entreprises auront donc tout intérêt à améliorer les conditions de travail de leurs salariés.

Je précise à l’intention de M. Vercamer que les organisations patronales et syndicales n’ont pas identifié des métiers pénibles, mais des situations d’exposition à la pénibilité. En aucun cas donc, nous ne recréons des régimes à part.

J’en viens à l’article 32 du texte, sur lequel plusieurs d’entre vous m’ont interrogée. En l’espèce, j’observe avec intérêt que ceux qui réclament avec le plus d’insistance la disparition des régimes spéciaux sont ceux-là même qui s’inquiètent ici pour ce qui n’est rien d’autre qu’un régime spécial ! Les régimes spéciaux sont multiples. Il n’y a pas que ceux de la SNCF ou de la RATP. Il y a aussi celui des danseurs de l’Opéra de Paris, celui des égoutiers, celui des pompiers, et bien d’autres encore, dont celui des professions libérales !

Quel est l’objet de cet article 32 ?

M. Jean-Pierre Door. D’étatiser les caisses de retraite des professions libérales.

Mme la ministre. Absolument pas. Des discussions ont lieu depuis plusieurs mois avec les responsables de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales. Elles ne portent pas sur l’affectation des fonds, mais sur l’organisation, la gestion et la gouvernance, comme l’ont d’ailleurs parfaitement compris les intéressés. Le régime de retraite des professions libérales est désormais le seul à n’avoir pas conclu de convention d’objectifs et de gestion. Il ne s’agit pas de l’étatiser, seulement de mettre en place des règles de fonctionnement plus transparentes et plus efficaces, à même d’ailleurs de garantir de manière plus sûre les pensions servies. Si vous avez des propositions d’amélioration dans l’esprit de l’objectif recherché, nous les examinerons.

Vous avez également été plusieurs à m’interroger sur les retraites agricoles. Le relèvement à 75 % du SMIC au minimum pour une carrière complète bénéficiera à 250 000 personnes, qui toucheront en moyenne 600 euros de plus par an. Quant à l’attribution de droits gratuits aux conjoints et aidants familiaux, elle bénéficiera à 560 000 d’entre eux pour une revalorisation moyenne d’environ 300 euros par an. Le financement de ces mesures sera prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Les retraites agricoles sont aujourd’hui largement financées par la solidarité nationale. Il n’est pas anormal de compléter ce financement – qui n’est pas remis en question – par la réduction de certaines niches qui ne profitent qu’aux agriculteurs les plus aisés. Vous n’ignorez pas les extrêmes disparités qui existent dans le monde agricole.

Je dis à Martine Carrillon-Couvreur et à tous ceux d’entre vous qui ont abordé la situation des personnes handicapées et de leurs aidants, que je suis tout à fait disposée à travailler encore sur les mesures proposées, à l’élaboration desquelles ont été associés les intéressés et leurs associations. Celles-ci souhaitaient que l’on supprime la condition exigée de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) qui est aujourd’hui l’obstacle principal à l’obtention d’une retraite anticipée pour les personnes handicapées.

En conclusion, il n’y a pas d’un côté ceux qui institueraient des prélèvements nouveaux, qui demanderaient des efforts aux Français et, de l’autre, ceux qui ne l’auraient jamais fait. La réforme de 2010 comportait huit milliards de prélèvements ! Simplement, il nous fallait faire des choix et nous les avons faits. Nous avons délibérément choisi d’écarter toute mesure brutale, comme le relèvement de l’âge de départ, qui pénalise ceux qui ont commencé à travailler jeunes et ceux qui sont sur le point de prendre leur retraite. J’entends les interrogations de certains, d’ailleurs peu nombreux, sur l’allongement de la durée de cotisation. Ce paramètre est le plus juste car il demande un effort équivalent à chacun. Mais pour qu’il soit parfaitement juste, il doit être mis en balance avec les conditions de travail. C’est pourquoi les deux volets de notre réforme ne doivent pas être considérés indépendamment l’un de l’autre : nous structurons de manière nouvelle la définition des droits à retraite, en intégrant de manière plus personnalisée les parcours professionnels et les conditions de travail, ouvrant la porte à un choix individuel. La durée de cotisation variera, comme il est juste, en fonction des conditions du parcours professionnel, au premier rang desquelles la pénibilité du travail. Sa prise en compte n’a pas vocation uniquement réparatrice, monsieur Vercamer, puisqu’il sera par exemple possible de convertir les points acquis en droits à formation. Et je tiens à rassurer M. Vigier : des aménagements sont prévus de façon que les salariés proches de l’âge de la retraite lors de la création du compte et qui ne pourraient donc accumuler assez de points puissent quand même bénéficier de la mesure. Je suis heureuse de l’intérêt marqué pour ce compte, y compris dans l’opposition.

Mesdames, messieurs les députés, je vous redis mon entière disponibilité à travailler avec vous sur ce texte, dont les dispositions ont été pesées au trébuchet pour parvenir à l’équilibre actuel. S’il peut bien entendu être enrichi et amélioré, je souhaite toutefois que cet équilibre soit respecté.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci, madame la ministre, pour ces réponses. Le débat ne fait que commencer. Notre Commission vous est ouverte. Vous êtes cordialement invitée à participer, si vous le souhaitez, à l’examen des articles du texte que nous commencerons le 30 septembre.

III.- EXAMEN DES ARTICLES

La Commission des affaires sociales examine les articles du présent projet de loi au cours de ses séances des lundi 30 septembre, mardi 1er et mercredi 2 octobre 2013.

Article 1er

(art.
L. 111-2-1 et L. 161-17 A du code de la sécurité sociale)

Principes et objectifs de l’assurance vieillesse

Le présent article vise à réaffirmer les principes et objectifs du système de retraite, en les déplaçant dans le chapitre premier du titre premier du code de la sécurité sociale.

Dans la version proposée par le Gouvernement, il reprend la formulation de l’article L. 161-17 A du code de la sécurité sociale issue de la loi du 9 novembre 2010, en la replaçant à l’article L. 111-2-1 du même code relatif aux principes et objectifs de l’assurance maladie. Cet article est scindé en deux paragraphes, le I étant consacré à l’assurance maladie (1° du I), et le nouveau II aux principes et objectifs de l’assurance vieillesse (). L’article L. 161-17 A est abrogé par le II du présent article.

Votre commission a adopté un amendement modifiant le deuxième alinéa du II et disposant que le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu’ils ont tirés de leur activité.

Le même amendement précise que les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de différents critères : durée de la retraite, montant de la pension, sexe, activités et parcours professionnels passés, espérance de vie en bonne santé (29), régimes et génération.

Le troisième alinéa du II de l’article L. 111-2-1 est légèrement modifié par rapport au quatrième alinéa de l’article L. 161-17 A dont il est issu :

– les objectifs d’équité et de solidarité intergénérationnelle et intragénérationnelle sont placés en tête des objectifs que la Nation assigne au système de retraite ;

– les termes de lisibilité et transparence sont supprimés, n’étant pas vraiment des objectifs assignés au système de retraite lui-même mais des moyens au service de l’équité ; ils relèvent du droit à l’information des assurés, défini par l’article L. 161-17.

Les autres objectifs assignés au système de retraite sont :

– la réduction des écarts de pensions entre hommes et femmes ;

– le maintien d’un niveau de vie « satisfaisant » des retraités ; si cet adjectif peut sembler imprécis, l’objectif doit être compris à l’aune du mécanisme de pilotage proposé à l’article 3 du présent projet de loi, qui prévoit que les recommandations du Comité de suivi des retraites ne peuvent tendre à réduire le taux de remplacement assuré par les pensions en deçà de limites fixées par décret ;

– la pérennité financière ;

– l’amendement adopté par la commission a supprimé l’objectif d’un niveau élevé d’emploi des seniors.

Il a, en revanche, ajouté un dernier alinéa sur le financement des régimes, qui doit reposer sur des bases équitables, et qui « suppose de rechercher le plein emploi à tous les âges de la vie ».

*

La Commission est saisie de l’amendement AS 321 de M. Jean-Marc Germain, qui fait l’objet du sous-amendement AS 452 du rapporteur.

M. Jean-Marc Germain. L’amendement AS 321, déposé par les commissaires du groupe socialiste, vise à récrire en partie l’article 1er, afin de clarifier les principes fondamentaux de notre système de retraites, dans l’esprit du texte présenté par le Gouvernement. Les deux premiers paragraphes introduits par l’amendement rappellent, d’une part, que notre système de retraites repose sur la répartition. Le troisième paragraphe assigne à ce même système, d’autre part, un objectif de solidarité. À ce titre, il doit notamment contribuer à l’égalité entre les femmes et les hommes, prendre en compte les périodes de privation involontaire d’emploi et garantir un niveau de vie satisfaisant à tous les retraités, en particulier à ceux qui touchent des pensions modestes. Enfin, le quatrième paragraphe énonce, dans l’esprit de la réforme proposée par le Gouvernement, que le financement du régime de retraites doit être assuré par des contributions équitablement réparties entre les actifs et les inactifs, entre les générations et, au sein de celles-ci, entre les différents niveaux de revenus, qu’ils soient tirés du travail ou du capital.

M. Denis Jacquat. Je salue votre présence pendant l’examen des articles, madame la ministre, qui montre l’importance que vous attachez à ce texte.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Le contraire vous aurait étonné, monsieur le député.

M. Arnaud Robinet. Nous sommes surpris par l’amendement déposé par M. Germain et ses collègues du groupe socialiste : il pose des exigences auxquelles le projet de loi ne répond pas. En effet, les mesures proposées par le Gouvernement ne permettront pas de sauver le système par répartition, qui va droit dans le mur. L’amendement n’est donc pas compatible avec le reste du projet de loi.

M. Christian Paul. Démontrez-le !

M. Arnaud Robinet. Nous aurons tout le temps de le faire au cours de nos débats.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous rappelle, monsieur Robinet, que la discussion générale est close et que nous en sommes à l’examen des articles.

M. Michel Issindou, rapporteur. Je suis favorable à l’amendement déposé par M. Germain, mais souhaite néanmoins y apporter quelques modifications. Je propose de le sous-amender comme suit.

D’abord, dans le premier paragraphe introduit par l’amendement, mon sous-amendement propose de remplacer « pensions leur garantissant un niveau de vie en rapport avec celui de leur vie professionnelle » par « pensions en rapport avec les revenus tirés de leur activité ». Cela me paraît davantage correspondre à l’esprit du texte.

Ensuite, dans le deuxième paragraphe, il tend à supprimer « leur espérance de vie en bonne santé ». Je comprends tout l’intérêt de cette mention, mais est-elle pertinente à cet endroit du texte ?

Enfin, dans le troisième paragraphe, il suggère de substituer à l’expression « notamment par des mesures de compensation des inégalités entre les femmes et les hommes » la notion « d’égalité des pensions entre les hommes et les femmes ». Nous nous inscrivons ici en effet dans la durée et notre objectif doit être non pas de compenser les inégalités, mais de parvenir à une égalité parfaite entre les hommes et les femmes.

M. Christian Paul. L’amendement AS 321 vise à reformuler les principes posés à l’article 1er. Vous n’avez pas le droit de dire, monsieur Robinet, qu’il ne rend pas compte du texte proposé par le Gouvernement. D’ailleurs, vous ne l’avez pas démontré.

Les propositions du rapporteur méritent discussion. Cependant, il serait compliqué de revenir sur un amendement dont tous les termes ont été soigneusement pesés.

Concernant le sous-amendement proposé par le rapporteur, je ne suis pas favorable à la suppression de la référence à « l’espérance de vie en bonne santé » : elle me paraît avoir sa place dès l’article 1er.

En revanche, nous pourrions trouver une formulation qui insiste davantage sur l’égalité entre les femmes et les hommes, comme le souhaite le rapporteur, par exemple en remplaçant « les mesures de compensation des inégalités entre les femmes et les hommes » par « la recherche de l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La délégation aux droits des femmes a adopté, le 25 septembre, un rapport d’information sur le présent projet de loi, dans lequel elle formule dix recommandations. Celles-ci sont reprises dans les amendements que j’ai déposés.

Je demande notamment, à l’article 1er, de substituer l’expression « égalité entre les femmes et les hommes » au terme « équité », dont la portée est plus limitée. C’est d’ailleurs également le cas de la formulation – « recherche de l’égalité » – proposée par M. Paul. La présente réforme du système de retraites, bien davantage que celles de 1993, 2003 et 2010, fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une priorité. J’en sais gré au Gouvernement et l’opinion l’a également remarqué. Il convient donc de mentionner l’égalité entre les femmes et les hommes dès l’article 1er. Le sous-amendement du rapporteur va dans le sens de ma proposition.

M. Jean-Marc Germain. Il est important d’avoir des principes en matière de retraites. Si vos réformes ont échoué, chers collègues de l’opposition, c’est peut-être que vous en avez manqué.

M. Denis Jacquat. C’est de l’amnésie rétrograde !

M. Jean-Marc Germain. En outre, le rapporteur travaille au nom de l’Assemblée et il est normal que les groupes politiques aient chacun leur position.

S’agissant de l’égalité entre les femmes et les hommes, je comprends le point de vue de Mme Coutelle. Cependant, méfions-nous des termes : l’égalité entre les femmes et les hommes peut signifier l’égalité en termes de contributions au système de retraites. C’est pourquoi il conviendrait plutôt selon moi de compenser, grâce au régime de retraites, les inégalités nées au cours de la carrière professionnelle. Néanmoins, si le terme « égalité » vous paraît préférable, nous pourrions modifier le troisième paragraphe comme suit : « notamment en assurant l’égalité entre les femmes et les hommes ».

D’autre part, je suis d’accord pour préciser que l’équité doit être assurée au sein de « chaque » génération, comme le propose le rapporteur.

En revanche, nous ne souhaitons pas revenir sur un élément fondamental de notre amendement : pour nous, il ne doit pas être question que le retraité perçoive sous forme de pension l’équivalent des cotisations qu’il a versées au cours de sa vie active, comme dans un système par points ; c’est le régime de retraites qui doit garantir au retraité un niveau de vie en rapport avec celui qui était le sien pendant sa vie active. En particulier, les périodes de privation involontaire d’emploi doivent être prises en compte, soit dans le mode de calcul du nombre de trimestres, soit dans celui du salaire moyen sur les vingt-cinq dernières années.

Enfin, le système doit permettre au retraité de vivre correctement de sa pension pendant un certain temps, en fonction de l’effort qu’il a fourni au cours de sa vie active. Nous avions même envisagé de poser le principe que cette période soit au moins égale à la moitié de la durée de cotisation. Nous avons finalement retenu une formulation plus mesurée avec le critère de « l’espérance de vie en bonne santé ».

Sur ces deux derniers aspects, monsieur le rapporteur, votre sous-amendement va à l’encontre des objectifs de notre amendement.

M. Gilles Lurton. L’amendement déposé par M. Germain et ses collègues ne correspond en rien au texte présenté par le Gouvernement. Je propose néanmoins de le sous-amender en ajoutant, dans le troisième paragraphe, après « des périodes de privation involontaire d’emploi totale ou partielle », « ou des périodes sans emploi pour des raisons de formation ou pour effectuer des études prolongées ».

M. le rapporteur. J’ai entendu les arguments de M. Germain, mais je maintiens le premier point de mon sous-amendement : « pensions en rapport avec les revenus tirés de leur activité » me paraît préférable à « pensions leur garantissant un niveau de vie en rapport avec celui de leur vie professionnelle ». Cette dernière formulation manque en effet de précision : le niveau de vie d’un individu actif dépend non seulement de ses revenus d’activité propres, mais également, le cas échéant, de ceux de son conjoint ou d’autres sources de revenu.

Je souhaite également conserver la rédaction que je propose concernant l’égalité entre les femmes et les hommes.

En revanche, je suis prêt à revenir sur le deuxième point de mon sous-amendement et à accepter la référence à « l’espérance de vie en bonne santé » proposée dans l’amendement AS 321.

M. Arnaud Robinet. Les Français qui nous regardent peut-être en ce moment ne doivent rien comprendre à nos débats ! Les propos du rapporteur et de M. Germain sont des plus flous ! M. Germain parle notamment de système de retraite par points, alors que cela n’a aucun lien avec l’article 1er. Sans doute êtes-vous conscients, chers collègues, de la pauvreté du projet de loi et essayez-vous d’alimenter les débats. À moins que vous ne cherchiez à fatiguer l’opposition ? Mais rassurez-vous : nous serons là jusqu’au bout ! Au lieu de débattre du fond, vous faites de la sémantique depuis une demi-heure !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Les questions de sémantique sont importantes. D’autre part, il est inutile de relancer la discussion générale : nous avons bien compris que vous ne voterez pas en faveur de ce projet de loi.

M. Philippe Vigier. Vous prétendez, monsieur Germain, que la précédente réforme faisait fi des principes fondamentaux. Pourtant, à tout le moins, elle rétablissait l’équilibre financier du système de retraites, alors que le présent projet de loi est loin du compte en la matière : tous les experts estiment que des mesures supplémentaires seront nécessaires.

À l’instar de M. Robinet, je suis surpris de la tournure que prend ce premier débat. Je m’interroge sur la cohérence tant du sous-amendement du rapporteur que de l’amendement de M. Germain. Par exemple, aux termes dudit amendement, « le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions leur garantissant un niveau de vie en rapport avec celui de leur vie professionnelle ». Est-ce à dire qu’une personne qui a connu des accidents de parcours sérieux au cours de sa vie professionnelle est condamnée à percevoir une pension très faible ? Faites attention à ce que vous écrivez : les mots ont un sens ! Cette phrase sanctuarise des situations injustes, alors même que le projet de loi insiste, jusque dans son titre, sur l’idée de justice. Il semble nécessaire, madame la présidente, de recadrer le débat, afin d’aborder plus sereinement l’examen des amendements.

M. Christian Paul. Au nom du groupe socialiste, je propose que nous conservions le point du sous-amendement qui fait l’objet d’un accord avec le rapporteur – celui relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes – et que nous en restions là, à ce stade, sur les autres points. Nous échangerons avec le rapporteur d’ici à la séance publique afin de trouver une rédaction définitive. Nous n’en sommes d’ailleurs pas très loin.

Vous semblez, chers collègues de l’opposition, balayer le présent débat d’un revers de main. Pourtant, l’article 1er est très important : il s’agit d’une charte des principes qui doivent guider notre système de retraites. L’effort de réécriture qu’a fait le groupe socialiste est donc tout à fait louable.

M. Michel Liebgott. Nous avons pris l’habitude de passer beaucoup de temps sur les premiers articles des textes de loi. Or, dans le cas présent, nous risquons de passer trop rapidement sur des sujets importants en fin de débat. Je vous invite donc à nous concentrer sur l’essentiel.

Nous sommes nombreux à avoir cosigné l’amendement AS 321. Cependant, le rapporteur, qui a beaucoup travaillé sur la question des retraites, en a amélioré la rédaction sur plusieurs points. Le terme « activité », en particulier, tient mieux compte de la réalité, notamment des différentes périodes de la vie professionnelle où une personne en activité ne travaille pas à temps complet – formation, apprentissage, temps partiel ou chômage. Nous n’en sommes plus à l’époque où les salariés entraient à quatorze ans dans une usine pour la quitter à soixante ou soixante-cinq ans !

Je propose donc que nous passions au vote sur le sous-amendement du rapporteur et sur l’amendement AS 321. Si certains d’entre nous souhaitent revenir sur la rédaction, ils pourront le faire en séance publique. Ne perdons pas de temps et débattons des questions les plus importantes de ce projet de loi. Je pense en particulier aux aspects qui n’avaient pas été pris en compte dans la réforme dite « Fillon » : la pénibilité, la situation particulière des femmes, les périodes d’apprentissage.

Mme Jacqueline Fraysse. L’amendement de Jean-Marc Germain introduit plusieurs notions qui donnent à l’article 1er un ton qui nous semble tout à fait positif. C’est pourquoi je suis préoccupée par les modifications proposées par le sous-amendement du rapporteur. D’une part, je tiens à ce que l’expression « leur espérance de vie en bonne santé » continue de figurer dans l’article. D’autre part, s’il était adopté, ce sous-amendement ferait disparaître la notion de période de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle, à laquelle je tiens également. Autrement dit, gardons la rédaction de Jean-Marc Germain.

M. le rapporteur. Rassurez-vous, messieurs de l’opposition, chacun avec nos mots, nous voulons tous dire la même chose. En l’espèce, ces mots sont importants puisque l’article 1er restera gravé et figurera en bonne place dans le code de la sécurité sociale.

Je persiste à penser que le I du sous-amendement relatif aux revenus tirés de l’activité correspond davantage à une réalité. Les pensions ne peuvent pas, à elles seules, garantir le maintien d’un niveau de vie en rapport avec celui de la vie professionnelle, dans lequel la situation du ménage intervient aussi. Par exemple, si l’on a été marié à un conjoint à hauts revenus et que l’on est divorcé à la retraite, les revenus diminuent en conséquence. La formulation que je propose me semble donc plus fidèle : on a les revenus liés à son activité.

En revanche, je conviens tout à fait que la mention « espérance de vie en bonne santé » est à conserver.

Pour ce qui est de l’égalité entre hommes et femmes, c’est bien l’objectif vers lequel on tend. Mieux vaut affirmer carrément cet objectif dans l’article 1er plutôt que de parler de mesures de compensation.

Quant au IV, je persiste à préférer les mots « de chaque » génération, même si ce détail de rédaction est plutôt anecdotique.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Si, dans le III du sous-amendement, je suis d’accord quant à l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, comme Mme Fraysse, je trouve regrettable que la nouvelle rédaction proposée fasse disparaître la notion de prise en compte des périodes de privation involontaire d’emploi, alors que nombre de dispositions du projet de loi et d’amendements portent sur des mesures visant précisément à une meilleure prise en compte de ces périodes.

M. Arnaud Richard. Madame la présidente, peut-être devriez-vous suspendre la séance pour que nos collègues de la majorité se mettent d’accord.

M. Philippe Vigier. Cette façon d’examiner à la découpe, quatre lignes par quatre lignes, n’a vraiment pas de sens. Vous avez encore quelques jours, d’ici à l’examen en séance, pour vous entendre sur vos amendements. Évitons de passer des heures sur le seul article 1er !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous avons compris qu’il y aurait une réécriture pour l’examen en séance. Pour l’heure, nous allons voter sur le sous-amendement dont le rapporteur est d’accord pour supprimer le II.

La commission adopte le sous-amendement AS 452 tel qu’il vient d’être rectifié.

M. Jean-Marc Germain. Je précise que le III conduit à supprimer la référence à la compensation des périodes de chômage. D’où le vote contre que certains ont pu exprimer.

M. le rapporteur. Je suis tout à fait d’accord pour la rétablir en séance.

Puis la commission adopte l’amendement AS 321 sous-amendé.

En conséquence, les amendements AS 220, AS 221, AS 273, AS 223, AS 328 (deuxième rectification), AS 173 et AS 99, les amendements identiques AS 79 et AS 353, les amendements AS 226, AS 229 et AS 274 tombent.

La commission est ensuite saisie de l’amendement AS 108 de Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Les femmes ont aujourd’hui une retraite de 30 % inférieure à celle des hommes, et le Conseil d’orientation des retraites (COR) a montré que cet écart ne se réduirait pas spontanément. La délégation aux droits des femmes souhaite donc qu’un décret fixe un objectif quantifié de réduction des inégalités.

M. le rapporteur. L’article 1er pose le grand principe de l’égalité entre hommes et femmes. Les dispositifs permettant d’atteindre cet objectif doivent être déclinés dans les dispositions du code relatif à l’assurance vieillesse. Il ne me semble donc pas utile de rajouter un objectif quantifié, ce qui, du reste, apparaît difficile. Mieux vaut s’en tenir à l’affirmation du grand principe de la suppression des inégalités entre hommes et femmes. Avis défavorable.

M. Bernard Accoyer. Cet objectif, que l’on ne peut que partager, comment sera-t-il financé ?

M. le rapporteur. Les choses se régleront à travers les carrières professionnelles, dès lors que sera supprimée l’insupportable ségrégation dont les femmes sont victimes et que seront modifiées les dispositions relatives aux périodes de maternité et d’éducation des enfants, de façon qu’il n’y ait pas de trous dans les carrières des femmes. Moyennant quoi, si les employeurs se comportent bien, il n’y aura plus de raison que les carrières, donc les retraites, des unes diffèrent de celles des autres. C’est l’objectif suprême affirmé dans l’article 1er, qui a plus de force que des objectifs quantifiés évoquant des tentatives de progression.

M. Bernard Accoyer. Comment reconnaît-on les employeurs qui se comportent bien ?

M. le rapporteur. Chacun a des exemples en tête. Les écarts de salaire qui existent aujourd’hui sont parfois dus à des choix de carrière de la part des femmes, mais ils sont souvent imputables aux employeurs qui ne promeuvent pas les femmes de la même façon que les hommes dans les entreprises. C’est un fait fréquemment constaté dans les rapports. C’est une véritable ségrégation qu’il faut s’attacher à faire disparaître à l’avenir pour parvenir à des retraites satisfaisantes.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Nous souhaitons que les femmes aient plus de droits directs. C’est parce qu’elles auront des carrières égales qu’elles auront des retraites égales. Monsieur Accoyer, je peux vous dire qu’en dépit des lois sur l’égalité professionnelle votées depuis trente ans, on en est encore loin. Les salaires accusent toujours une différence de 27 %, mais en droits directs pour les retraites, le différentiel est de 40 %. Le fossé à franchir est vraiment très important, et c’est pourquoi nous demandions que cette résorption puisse être quantifiée. Les retraites des femmes sont améliorées par les droits indirects, et c’est une bonne chose. Mais il faudra bien arriver à l’égalité des retraites par l’acquisition de droits directs à égalité de carrières. Cela dit, j’entends votre argument, monsieur le rapporteur.

M. Denis Jacquat. Les inégalités constatées au niveau de la retraite sont celles qui ont existé au cours de la vie professionnelle. Le but est d’aller vers des droits directs, en sachant tout de même que la condition féminine dans notre pays a évolué. Alors que, pour les gens de ma génération, les femmes avaient un rôle plutôt familial, aujourd’hui, le développement du partage des tâches et des modes de garde leur permet d’acquérir plus de droits directs. Pour avoir l’égalité des retraites, nous devons mener bataille pour l’égalité pendant la vie professionnelle, et pas contre une quelconque ségrégation ou contre les patrons – dans toute catégorie, il y a des bons et des moins bons.

M. Bernard Accoyer. Mieux vaut d’ailleurs parler de discrimination plutôt que de ségrégation.

M. le rapporteur. Je veux bien, mais cela ne change rien au débat.

La commission rejette l’amendement AS 108.

Elle examine ensuite l’amendement AS 206 de M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Nos différentes auditions ont mis en évidence un fort déficit de confiance de nos concitoyens et des partenaires sociaux, tant les salariés que le patronat, envers le système de retraites. Il nous a donc paru important d’établir des règles de confiance. Ces règles pourraient s’articuler autour de trois points majeurs : un taux de cotisation plafond qui aurait pour vertu à la fois de protéger le pouvoir d’achat des salariés et surtout d’éviter d’entamer la compétitivité de nos entreprises ; un taux de remplacement minimal ; une pension de retraite minimale. Comment peut-on parler de pouvoir d’achat si l’on n’est pas capable de mettre en place un système de retraite garantissant à nos compatriotes un montant de pension minimum ? Ce n’est certes pas ce soir que ces montants vont être fixés. Nous souhaitons qu’ils puissent être définis en liaison étroite avec les partenaires sociaux. Faisons en sorte que cette réforme nous permette d’atteindre ces trois objectifs, seuls à même de rétablir la confiance envers la classe politique et la nation.

M. le rapporteur. Vous êtes en avance sur le débat. En effet, votre proposition n’a rien à faire à l’article 1er. Le sujet sera traité à l’article 3. Pour l’heure, je suis obligé d’émettre un avis défavorable.

M. Philippe Vigier. L’article 1er définit les principes fondateurs de la réforme. L’un de nos amendements est malheureusement tombé à la suite de l’adoption de l’amendement de M. Germain. Or il traitait de la pénibilité, dont nous aurions aimé qu’elle figure parmi les grands principes. Ce texte, nous expliquez-vous, parle de justice, d’ambition, de solidarité, d’équilibre : nous essayons précisément de l’accompagner en mettant des principes derrière des mots. Vous renvoyez à plus loin dans le projet les notions que vous voulons introduire, monsieur le rapporteur. Non ! Il est primordial d’envoyer, dès l’article 1er, à nos compatriotes le signal que nous avançons sur le sujet de la pénibilité, et que nous accordons de l’importance à un taux minimum garanti et à un niveau de cotisation maximum.

M. le rapporteur. L’article 1er fixe les grands objectifs d’un système de retraite par répartition. Or vous voudriez déjà traiter d’un taux de cotisation plafond, que vous vous dites d’ailleurs incapable de déterminer. Quel est l’intérêt de cela ? Du reste, par rapport à quoi seraient fixés ces taux de cotisation plafond et de remplacement plancher ?

Je répète que cet amendement n’a pas sa place à l’article 1er et confirme mon avis défavorable.

M. Philippe Vigier. Je veux bien entendre l’argumentation du rapporteur, mais qu’il accepte la mienne. « Tout retraité a droit à une pension en rapport avec les revenus qu’il a tirés de son activité », me semble une formule bien générale. Son argumentation ne m’a pas convaincu, tant s’en faut.

La commission rejette l’amendement AS 206.

Puis elle adopte l’amendement de coordination AS 398 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La commission est saisie de deux amendements portant articles additionnels après l’article 1er.

Elle examine tout d’abord l’amendement AS 205 de M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. À travers cet amendement, nous souhaitons traiter des régimes spéciaux, auxquels la majorité précédente avait eu le courage de s’attaquer. Sans user de la langue de bois, je lis ce qu’en dit la Cour des comptes : « L’importance des mesures compensatrices accordées amène ainsi à anticiper un bilan global négatif pour la présente décennie et sans doute légèrement positif pour les vingt ans qui viennent ». Cet acte courageux, il fallait donc le poser puisque les résultats seront ressentis sur la durée.

Selon la documentation du COR, les adhérents des professions libérales partent en moyenne à 63,7 ans quand les agents de la RATP partent plutôt à 54,4 ans. Le montant brut des pensions varie fortement entre les uns et les autres. Ces régimes spéciaux, ce ne sont pas moins de 6 milliards d’euros qu’il faut aller puiser dans le budget général pour en assurer l’équilibre – et Didier Migaud nous a expliqué mercredi dernier que ce montant avait tendance à augmenter fortement. J’ajoute que le rapport Moreau explicite très bien le coût global de ces régimes.

En appelant au principe d’égalité dans la République, nous souhaitons que soient mis en extinction progressive ces régimes spéciaux qui sont, à nos yeux, un facteur d’inégalité entre nos compatriotes. Bien sûr, il ne s’agit pas d’abattre le couperet du jour au lendemain. Cette extinction doit être discutée avec les partenaires sociaux dans la durée.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Peut-être souhaitiez-vous parler de convergence plutôt que d’extinction.

M. Arnaud Robinet. Le groupe UMP soutiendra avec force l’amendement de notre collègue Philippe Vigier qui participe à la poursuite de l’objectif, indiqué dans un amendement que vous avez précédemment adopté, visant à faire en sorte que les assurés bénéficient d’un traitement équitable. C’est du reste ce qu’attendent nos concitoyens. Dès 2008, et même dès 2003, la majorité précédente avait engagé une convergence entre l’ensemble des régimes de retraite, qu’il faut accentuer aujourd’hui pour des raisons de transparence mais également économiques et financières. La semaine dernière, la Cour des comptes a rappelé que 6 milliards d’euros sont ponctionnés dans le budget de l’État pour alimenter ces régimes spéciaux. Nous demandons également – n’ayons pas peur des mots – l’extinction de l’ensemble des régimes spéciaux pour une équité plus que parfaite entre nos concitoyens.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je maintiens que « convergence » est un terme plus approprié.

M. Bernard Accoyer. Comment le rapporteur, le Gouvernement et la majorité, pourraient-ils considérer que la réforme serait juste dès lors que l’espérance de vie d’un retraité ressortissant des régimes spéciaux est de 27,7 ans contre 17,7 ans pour un assujetti au régime général ? Peut-on parler de réforme juste quand on ne prend pas une seule mesure pour faire converger des régimes si différents ou abroger ces différences ? Certes, les régimes spéciaux ont eu leur justification au moment de leur création mais, aujourd’hui, chacun reconnaît que celle-ci n’existe plus. Nous avons amorcé le mouvement, mais il faut aller plus loin.

M. le rapporteur. Si, comme vous l’avez prétendu, vous avez réalisé la réforme des régimes spéciaux en 2008, nul besoin de la faire aujourd’hui ! Durant les dix ans où vous étiez au pouvoir, vous aviez toute latitude pour supprimer les régimes spéciaux ; pourquoi ne pas l’avoir fait à l’occasion de vos trois réformes des retraites successives – 2003, 2008, 2010 –, mais vous en souvenir une fois dans l’opposition ? Je vous renvoie donc à vos propres turpitudes.

Vous avez fortement rapproché les régimes spéciaux du régime général – et je vous en félicite. Aujourd’hui, cette convergence se poursuit, y compris en matière de taux de cotisation. Vous avez allongé la durée de cotisation à 41 annuités ; quant à la possibilité de partir dès 52 – et non plus 50 – ans, les conditions dont elle est désormais assortie – comme la décote et le calcul du montant de la pension au prorata du nombre de trimestres travaillés – en réduisent fortement l’attrait. Peu de salariés souhaitant partir à 52 ans avec une retraite de 1 000 euros, l’âge de départ se décale vers le haut.

Dans un futur lointain, lorsque les régimes spéciaux auront été davantage uniformisés, ces questions pourront être soulevées. Mais aujourd’hui, alors que nous souhaitons remettre à flot le régime des retraites, une telle réforme n’aurait pas de sens, d’autant que le contexte économique actuel ne s’y prête pas.

M. Arnaud Robinet. Monsieur le rapporteur, vous venez d’expliquer que certains bénéficiaires des régimes spéciaux peuvent encore partir à 52 ans, mais avec des retraites réduites – notamment à cause de l’allongement de la durée de cotisation. Vous remettez donc en cause le texte que vous présentez ce soir, puisque c’est précisément l’effet que produira – notamment pour les jeunes générations – l’augmentation de la durée de cotisation sans modification de l’âge légal du départ à la retraite. Vous critiquez le principe même de votre réforme !

M. Philippe Vigier. Monsieur Issindou, vous avez demandé pourquoi nous n’avions rien fait pendant les dix dernières années. J’avais pourtant bien précisé – citant même la Cour des comptes – que nous avions amorcé la réforme des régimes spéciaux. J’ai senti dans votre voix le regret de ne pas avoir accompagné les trois réformes des retraites que nous avions menées. Dans l’hémicycle, vous promettiez alors de revenir sur ces mesures ; qu’attendez-vous donc pour le faire ?

Ce projet de loi, madame la ministre, est censé être un texte de justice ; mais que représentent les dix ans d’écart d’espérance de vie entre un agent de la RATP et un salarié du secteur privé, sinon une injustice ? Celle-ci est tout aussi criante en matière de montant moyen de la pension – 1 750 euros pour les fonctionnaires des régimes spéciaux et seulement 1 166 euros pour les salariés du secteur privé.

La posture consistant à critiquer toutes les réformes antérieures ne tient pas puisque vous ne les démantelez pas ; vous ne revenez même pas sur celle de 2010, hormis le retour partiel, pour certains salariés, à un départ à 60 ans. Dire que dans un futur lointain, il faudra considérer la réforme des régimes spéciaux constitue d’ailleurs un aveu ; vous avez fait un pas ce soir, et je vous engage à aller plus loin dans l’hémicycle, car le système actuel est intenable. Nos concitoyens nous regardent ; le rapprochement entre le public et le privé, la convergence des différents régimes et l’extinction progressive des régimes spéciaux permettront de construire un système de confiance. Cet objectif ne suppose pas de tout gommer du jour au lendemain, mais de rapprocher les uns des autres.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Et non, espérons-le, de monter les uns contre les autres !

M. Gérard Sebaoun. Toute position peut être entendue, mais votre amendement apparaît trop globalisant puisqu’il met tous les régimes de retraite au même niveau, prévoyant de les aligner à l’horizon 2020. Souhaitez-vous, étant donné la difficulté de ce métier, que nos policiers travaillent sur la voie publique jusqu’à 65 ans ? Si n’importe quel régime de retraite peut – et doit – faire l’objet de discussions, votre amendement me semble dépourvu de sens.

M. Jean-Marc Germain. À travers les régimes spéciaux, un amendement sur deux de l’opposition s’attaque aux fonctionnaires de ce pays. Or la force de cette réforme est d’affronter les vrais problèmes des régimes de retraite, et d’abord les inégalités entre les femmes et les hommes. Il est insupportable que les hommes bénéficient de retraites de 50 % supérieures à celles des femmes, et ce texte apporte des réponses à cette situation, notamment par le biais d’une modification des modalités de validation des trimestres de cotisation, et de mesures de compensation.

Ce projet de loi aborde également un autre problème majeur : celui de la pénibilité du travail, responsable d’un écart de 10 ans entre l’espérance de vie en bonne santé d’un ouvrier et d’un cadre de 50 ans. Ce sont ces inégalités qu’il s’agit de corriger en priorité.

Enfin, s’agissant des fonctionnaires, le rapport Moreau montre que leur situation est identique à celle des salariés du privé : si l’on tient compte des régimes de retraite complémentaire, les uns comme les autres bénéficient d’une pension moyenne de 1 700 euros. Pourquoi tout bouleverser dans la fonction publique si c’est pour arriver in fine au même résultat ? Concentrons-nous sur les vrais problèmes : la pénibilité du travail, les inégalités entre les hommes et les femmes et l’équilibre financier du régime.

M. Philippe Vigier. Vous ne faites que conforter mes propos. Pourquoi ne pas avoir inscrit la pénibilité dans les principes fondateurs de l’article 1er ?

Mais si la pénibilité – sur laquelle vous ne faites que continuer ce qui avait déjà été amorcé – et la moindre rémunération des femmes constituent des problèmes dont personne ne conteste l’importance, la question des petites pensions, celle des modes de calcul et du rapprochement entre le public et le privé doivent également être abordées.

On a évoqué le cas des pompiers professionnels ou des gendarmes, mais la pénibilité est tout aussi importante dans les services d’urgence ; pourtant les médecins ne partent pas à la retraite à 52 ou à 55 ans.

N’essayez pas de nous focaliser uniquement sur les deux points qui présentent des avancées – que nous ne contestons pas, même si nous en discuterons les modalités. Parce qu’il ne prévoit ni équilibre global, ni rapprochement entre le public et le privé, ni mise en extinction progressive des régimes spéciaux, votre projet mettra à mal la solidarité nationale.

M. Bernard Accoyer. J’ai cru entendre le Gouvernement expliquer que cette pseudo-réforme devait éviter au déficit de la branche vieillesse – mise sous tension par la crise et le chômage – d’atteindre quelque 20 milliards d’euros d’ici à 2020. Il ne s’agit donc pas de l’inégalité entre les hommes et les femmes – que l’on ne peut au demeurant que déplorer. L’accumulation de la dette et la pression de l’Europe rendent la réforme des retraites nécessaire ; mais loin d’atteindre ces objectifs, ce projet de loi ne comblera qu’un tiers des déficits prévisibles, et ne le fera de surcroît qu’à travers la mise en place de prélèvements et de cotisations supplémentaires.

Il supprime par ailleurs des droits acquis ; ceux des familles sont en particulier mis à mal par la fiscalisation des suppléments accordés aux retraités ayant élevé au moins trois enfants et de certaines autres situations, ainsi que par l’augmentation des cotisations. En somme, la motivation du Gouvernement n’a par grand-chose à voir avec le souci de combler la différence entre les retraites des hommes et des femmes – d’autant que le rapporteur vient d’avouer que le texte ne le ferait pas, par manque de recettes. Soyons sérieux et abordons les problèmes tels qu’ils se présentent !

M. le rapporteur. Les 8 milliards de déficit des régimes spéciaux – y compris ceux des mineurs et des exploitants agricoles – sont essentiellement dus à des causes démographiques. En effet, ces régimes comptent aujourd’hui 500 000 actifs pour 1 100 000 retraités. Par ailleurs, ils seront bien concernés par la réforme, tant en ce qui concerne les taux que l’allongement de la durée de cotisation. Ces régimes sont progressivement alignés sur le régime général : vous avez commencé ce mouvement et nous le continuons. Que peut-on faire de plus aujourd’hui ?

La proratisation et la décote découragent les bénéficiaires des régimes spéciaux de partir à la retraite de façon précoce ; ces salariés travaillent donc désormais plus longtemps. Vos amendements visent les fonctionnaires qui assurent pourtant des services publics de qualité. Les régimes spéciaux, fruit de l’histoire, subissent des alignements successifs ; vous en avez impulsé une partie, et nous poursuivons ce cheminement. Mais ce n’est pas le moment d’y revenir dans cette grande réforme, celle que vous avez manquée en 2010.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 204 de M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Au nom de l’égalité entre nos concitoyens, nous demandons que chaque année, le Gouvernement fasse le point sur la mise en extinction progressive des régimes spéciaux.

Par ailleurs, le report du 1er avril au 1er octobre de la revalorisation annuelle des retraites représente un beau signal pour le pouvoir d’achat dans le cadre de cette réforme censée incarner la justice.

M. le rapporteur. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

TITRE IER

ASSURER LA PÉRENNITÉ DES RÉGIMES DE RETRAITE

Le titre premier est relatif à la pérennité financière des régimes de retraite, à court et long terme. Toutefois, un certain nombre de mesures de recettes présentées dans le cadre de l’actuelle réforme ne figurent pas dans le présent projet de loi, mais devraient se trouver dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014 qui doivent être présentés en Conseil des ministres fin septembre et début octobre.

Avant l’article 2

La Commission est saisie de six amendements portant articles additionnels avant l’article 2.

Elle examine tout d’abord l’amendement AS 231 de Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Notre groupe regrette l’absence, dans ce texte, de mesures ambitieuses nouvelles pour financer les retraites, en dehors des augmentations supportées par les retraités et les salariés. Nos cinq amendements formulent des propositions permettant à la fois d’augmenter les ressources des régimes de retraite et d’orienter l’activité économique vers un développement juste et efficace.

L’amendement AS 231 propose une modulation des cotisations patronales d’assurance vieillesse en fonction des choix des entreprises en matière de répartition des richesses produites. Les entreprises privilégiant le capital au détriment de l’emploi, des salaires et de la formation professionnelle seraient soumises à deux cotisations additionnelles. Il s’agit d’inciter les entreprises à revaloriser les salaires et à investir pour créer des emplois – deux leviers majeurs pour le financement de l’assurance vieillesse et de la protection sociale.

M. le rapporteur. Sans même aborder la question du coût du travail, le choix de passer par l’impôt va à l’encontre du principe contributif reposant sur les cotisations, qui constitue l’essence même de notre système de retraites dont cette réforme s’efforce de respecter l’esprit. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission étudie l’amendement AS 230 de Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Cet amendement propose d’élargir l’assiette de cotisation, avec un triple objectif : apporter des recettes nouvelles, inciter les entreprises à investir plutôt qu’à spéculer et progresser dans la justice – aspiration que tout le monde dit partager. Nous proposons que les revenus financiers des sociétés financières ou non financières soient assujettis à une contribution d’assurance vieillesse, à un taux égal à la somme des taux de cotisation d’assurance vieillesse patronale et salariale du secteur privé. Il est légitime que l’ensemble des revenus participent à la solidarité nationale. Cette disposition permettrait de rapporter plus de 30 milliards d’euros – somme à la hauteur de l’ampleur des besoins.

M. le rapporteur. Défavorable, pour les mêmes raisons. Vous proposez de bâtir les recettes sur un schéma qui s’écarte du principe choisi dès l’origine des retraites par répartition. Un jour peut-être la question des autres voies possibles de financement devra-t-elle se poser ; mais aujourd’hui, le système contributif repose à 80 % sur des prélèvements liés aux salaires, et non au capital, encore moins aux revenus financiers. Non seulement les mesures que vous proposez s’opposent-elles à l’esprit de notre système de retraites, mais de plus, en adossant le financement à un seul secteur, elles risqueraient de condamner un grand nombre d’emplois.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 233 de Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Cet amendement entend revenir sur les allégements généraux de cotisations sociales qui représentent plus des trois quarts des mesures d’exonération. Celles-ci étaient censées favoriser l’emploi ; or le chômage ne cesse d’augmenter, et l’on ne dispose d’aucune évaluation chiffrée sérieuse de l’efficacité de cette mesure en termes de création d’emplois. On en constate en revanche les effets négatifs sur le niveau des rémunérations, ces exonérations constituant une véritable trappe à bas salaires. L’intérêt général et la nécessité de financer les retraites exigent de revenir sur ces allégements de cotisations sociales qui coûtent cher à la société et qui n’ont pas apporté les résultats espérés.

M. le rapporteur. Madame Fraysse, sous la précédente législature, nous avions critiqué ces allégements ensemble ; à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous ne manquions pas de rappeler nos doutes quant au lien entre le montant des exonérations et le nombre d’emplois préservés dont la fourchette très ample d’évaluation – entre 300 000 et un million – prouve la difficulté à cerner l’impact réel de la mesure. Mais dans cette période où le chômage est au cœur de nos préoccupations, on ne peut pas prendre le risque, en supprimant ces allégements, de supprimer en même temps les emplois à bas salaires qui en bénéficient. Le Gouvernement travaille à une réforme globale du financement de la protection sociale ; peut-être reprendra-t-il dans ce cadre les orientations que vous esquissez. Elles méritent d’être considérées, mais pas de manière aussi abrupte que dans cet amendement. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS 232 de Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Cet amendement – à nouveau d’ordre financier – cherche à influer sur des situations que nous voulons corriger ensemble. Il propose de majorer de 10 % les cotisations d’assurance sociale employeur des entreprises de plus de 20 salariés comptant dans leurs effectifs au moins 20 % de salariés à temps partiel, afin de décourager le recours à cette pratique, très pénalisante pour les salariés concernés – majoritairement des femmes.

M. le rapporteur. Votre proposition s’écarte de la logique de cotisations sociales pour aller vers un système de pénalités fiscales en cas de manquement supposé par rapport à la qualité des emplois. Or c’est aux partenaires sociaux de déterminer la politique à adopter en matière de temps partiel. Nous souhaiterions évidemment le réduire autant que possible, mais je ne suis pas persuadé qu’il faille recourir pour cela à la mesure que vous proposez. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission étudie l’amendement AS 234 de Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Cet amendement a pour objet de porter de 4,5 à 12 % le taux du prélèvement social sur les revenus de capitaux mobiliers et les plus-values, en particulier ceux réalisés sur les marchés financiers ; il modifie également en conséquence la répartition du produit des prélèvements. Il s’agit de réduire des inégalités criantes tout en apportant des moyens nouveaux à la caisse des retraites.

M. le rapporteur. Défavorable. Les capitaux sont aujourd’hui largement taxés, et il faut éviter de mettre en place des mesures aussi abruptes – faisant passer le taux de 4,5 à 12 % –, voire s’abstenir, pour l’heure, de toute mesure nouvelle, sous peine de voir les prélèvements atteindre un niveau confiscatoire. Les capitaux relèvent des politiques fiscales ; quant aux retraites, elles doivent conserver un système contributif à base de cotisations. Si l’on veut que la retraite soit l’affaire de chacun, il ne faut pas ajouter en permanence des recettes qui n’ont plus rien à voir avec le travail.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur Issindou, vous allez trop loin. Une partie des revenus des entreprises est distribuée sous forme de salaires, une autre – trop réduite – est investie pour créer des emplois, le reste est utilisé pour la spéculation. Mais tous ces revenus constituent le fruit du travail des salariés et devraient être mieux répartis. Une part plus grande de la richesse produite devrait être consacrée à la solidarité nationale, selon des modalités dont nous sommes prêts à débattre. En tout état de cause, nos propositions restent bien dans le sujet.

M. le rapporteur. Madame Fraysse, ces derniers mois, nous avons fortement rapproché l’imposition des revenus du travail et de ceux du capital. Même si nos efforts ne sauraient vous paraître suffisants, vous devriez reconnaître que le capital, désormais taxé au même niveau que le travail, n’a pas échappé à nos réformes.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement AS 329 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. L’article 16 de la loi du 9 novembre 2010 prévoyait la mise en œuvre, au premier semestre 2013, d’une grande réflexion nationale sur une réforme en profondeur de notre système de retraites. Cette réflexion est aujourd’hui confisquée et, avec elle, la réforme systémique qu’elle laissait espérer. Notre amendement propose donc que, dès le premier semestre 2014, le comité de pilotage des régimes de retraite organise une grande réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse.

Plusieurs thèmes pourraient être retenus :

– Les conditions d’une plus grande équité entre les dix-huit régimes spéciaux de retraite, sachant qu’il ne s’agit pas de viser les fonctionnaires mais de tendre vers l’égalité entre tous les Français ;

– La mise en place d’un régime universel par points ou en comptes notionnels, dans le respect du principe de répartition, au cœur du pacte social qui unit les générations ;

– Les moyens de faciliter le libre choix par les assurés du moment et des conditions de leur cessation d’activité.

En s’appuyant sur un rapport préparé par le Conseil d’orientation des retraites, le comité de pilotage remettrait au Parlement et au Gouvernement les conclusions de cette réflexion, dans le respect des principes de pérennité financière, de lisibilité, de transparence, d’équité et de solidarité intergénérationnelles.

M. le rapporteur. Il est regrettable qu’en 2010, la majorité de l’époque n’ait pas voulu pousser plus loin cette réforme que vous portez aujourd’hui avec tant d’enthousiasme… Entre-temps, la conjoncture s’est fortement dégradée et nous oblige à une nouvelle réforme pour rétablir les comptes.

La réforme systémique que vous appelez de vos vœux ne nous rendra pas plus riches, et je rappelle qu’en Suède, elle a montré ses limites : l’État y est souvent obligé de mettre la main à la poche ou de diminuer les rentes versées aux retraités. Elle induirait par ailleurs une transition très complexe, malvenue dans une période où le régime est déjà très déséquilibré. Notre réforme entend donc, dans un premier temps, rétablir de manière sereine les grands équilibres. Avis défavorable.

M. Arnaud Robinet. Nous avons toujours dit que la réforme de 2010 n’était qu’une étape et qu’il convenait de poursuivre, à partir de 2013, la réflexion sur une réforme systémique, à laquelle étaient d’ailleurs favorables plusieurs de nos collègues de l’opposition d’alors.

Vous parlez sans cesse d’équité, mais ce projet de loi met à mal l’équité entre les jeunes générations et les retraités, comme entre les salariés du privé et ceux qui dépendent des régimes spéciaux. Vous prévoyez en outre de supprimer dans le projet de loi de finances le jour de carence que nous avions mis en place pour des raisons d’équité entre le public et le privé, ce qui ne fera qu’aggraver les inégalités entre les Français.

J’admets qu’à court terme, une réforme systémique n’améliorera pas le financement de notre système de retraites ; sur le long terme en revanche, elle permettrait de rationaliser les trente-six régimes existants. Or les études ont montré qu’un régime unique, par exemple par points, permettrait d’économiser entre 3 et 5 milliards d’euros.

M. Bernard Accoyer. Je m’étonne que le Gouvernement persiste à ne pas respecter l’article 16 de la loi de 2010. C’est d’autant plus préoccupant que cet article nous invite à réfléchir à l’avenir et à anticiper, ce qui n’a pas été fait en 1983, lorsqu’on a abaissé l’âge de la retraite de 65 à 60 ans, alors que tous les calculs actuariels indiquaient que cela porterait un coup terrible au système de retraites par répartition. Réfléchir à un système qui garantisse la solidarité, évaluer l’impact, notamment financier, des mesures prises, est notre devoir le plus élémentaire vis-à-vis de la jeunesse.

M. Denis Jacquat. Un système de retraites doit être lisible et pérenne. La réforme de 2010 prévoyait un retour à l’équilibre en 2018 et, dans l’intervalle, une réflexion sur la mise en place d’une réforme systémique, sachant qu’il faut entre huit et quinze ans pour quitter le système par répartition, auquel nous sommes très attachés mais pour lequel le nombre d’actifs ne suffit plus à financer les prestations, compte tenu de l’allongement de la durée de vie.

Si l’on veut préserver le montant des pensions, il faut donc trouver un autre système et réfléchir pour cela à un régime par points ou en comptes notionnels, comme cela fonctionne en Allemagne.

Mme Véronique Louwagie. C’est précisément parce que les temps changent, monsieur le rapporteur, qu’il nous faut mener une réflexion sur le long terme, sans se focaliser sur le présent, sachant – nous en sommes conscients – qu’une réforme systémique ne produirait aucune amélioration financière à court terme.

M. Philippe Vigier. En quoi est-il gênant de demander au Conseil d’orientation des retraites (COR) un rapport qui permettrait d’éclairer la représentation nationale et les partenaires sociaux sur un sujet aussi complexe et aussi sensible à la conjoncture économique ? Il permettrait d’étayer, monsieur le rapporteur, la réflexion que vous entendez mener, dans un lointain futur, sur la réforme des régimes spéciaux. L’amendement prévoit que, parmi les thèmes de la réflexion, figurent les conditions de mise en place d’un régime universel par points ou en comptes notionnels, dans le respect du principe de répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. Où sont les gros mots ?

M. le rapporteur. Un tel rapport a déjà été produit par le COR en 2010. Il en ressort, comme du récent rapport Moreau, que le mode de gestion a assez peu d’importance, et qu’un régime par points ou en comptes notionnels n’est pas nécessairement de meilleure qualité. Quant à la lisibilité, on peut l’améliorer sans changer de système.

La concertation avec les partenaires sociaux a montré par ailleurs qu’ils n’étaient pas particulièrement attachés à une réforme systémique. Ils privilégient davantage l’égalité entre les hommes et les femmes, ou la prise en compte de la pénibilité.

Quant aux acteurs du secteur privé – notamment certaines professions libérales – que nous avons rencontrés, ils ne sont pas non plus partisans d’un régime unique pour le public et le privé, et souhaitent plutôt qu’on améliore les dispositifs existants. Si la fusion des régimes ne pourra pas être éternellement éludée, notre objectif aujourd’hui est de rétablir les comptes dans le cadre du système existant. Lorsque notre système de retraites sera remis à flot, il sera temps alors d’envisager un autre mode de gestion.

M. Denis Jacquat. Les travaux du COR sont là pour alimenter notre réflexion et non pour se substituer à nos débats. Par ailleurs, votre projet de loi ne permet de réaliser que 7 milliards d’économies sur les 20 milliards nécessaires. Nous serons donc loin de l’équilibre.

Mme Véronique Louwagie. Avec cet amendement, nous ne demandons pas de réforme systémique immédiate, mais une réflexion sur cette réforme et un débat sur les conditions d’une plus grande équité de notre système. Nous souhaitons également faciliter le libre choix par les assurés du moment ou des conditions de leur cessation d’activité. Or, vous refusez cette réflexion par dogmatisme, ce qui n’est pas rendre service aux retraités ni à l’ensemble des Français.

M. le rapporteur. Je vous renvoie une fois encore au rapport du COR sur les réformes systémiques. Je n’écarte pas l’idée de réfléchir, mais notre objectif est d’inscrire dans la loi des mesures concrètes s’appliquant à notre système de retraites par répartition, tel qu’il existe aujourd’hui, car il nous paraît un mode de gestion plutôt satisfaisant. C’est aussi l’avis du COR, selon qui le système remplit globalement les objectifs qui lui sont assignés.

Il faut certes combler les déficits et corriger les inégalités, mais le COR n’a jamais dit que le système par points devait constituer l’alpha et l’oméga de la réforme. Si j’admets qu’un tel système est plus lisible, il ne réglera pas la question des inégalités entre les hommes et les femmes, ni le problème de la pénibilité. Ayant écouté les partenaires sociaux, nous avons donc choisi de conserver notre actuel mode de gestion.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2

(art.
L. 161-17-3 [nouveau] du code de la sécurité sociale,
art. 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites,
art. L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite et
art. L 732-25 du code rural et de la pêche maritime)


Détermination de la durée d’assurance tous régimes

Le présent article propose d’allonger la durée d’assurance requise pour l’obtention d’une retraite à taux plein à compter de 2020, afin de garantir la pérennité financière du système de retraite à long terme, dans le contexte de l’augmentation de l’espérance de vie.

L’article 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 a prévu un allongement de la durée d’assurance parallèle à l’allongement de la durée moyenne de retraite jusqu’en 2020. Le principe était de répartir ces gains d’espérance de vie entre la durée d’assurance et la durée la moyenne de retraite afin de maintenir constant, jusqu’en 2020, le rapport entre ces deux durées constaté en 2003, soit 1,79.

L’allongement s’appliquait de la même manière à la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une pension de retraite au taux plein dans le régime général et les régimes alignés et à la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d’une pension civile ou militaire de retraite dans la fonction publique, à partir de la convergence des durées de référence du secteur privé et de la fonction publique à quarante annuités en 2008.

L’article 5 de la loi prévoyait de majorer la durée d’assurance d’un trimestre par an entre 2009 et 2012 pour atteindre quarante et une annuités en 2012. Ensuite, il prévoyait des rendez-vous quadriennaux qui acteraient les allongements ultérieurs de la durée d’assurance.

L’article 17 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 a confirmé ce principe d’évolution de la durée d’assurance en fonction de l’espérance de vie. En revanche, elle a modifié son calendrier de mise en œuvre en prévoyant une procédure annuelle et non plus des rendez-vous quadriennaux, l’idée étant que les assurés sachent dès leurs 56 ans le nombre de trimestres qu’il leur faudra accumuler pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein.

Ainsi, chaque année, la durée d’assurance pour la génération atteignant 60 ans l’année n+4 est fixée par décret, après avis du Conseil d’orientation des retraites (COR) (30). Le décret n° 2012-1487 du 27 décembre 2012 a fixé la durée d’assurance et de périodes reconnues équivalentes exigée pour l’ouverture du droit à pension au taux plein des assurés nés en 1956 à 166 trimestres (41,5 ans). À ce jour, la durée d’assurance pour la génération 1957 n’a pas encore été fixée. Un décret devrait être publié, après avis du COR, avant la fin de l’année 2013.

b) La garantie générationnelle et son aménagement pour les catégories actives de la fonction publique

Le principe de garantie générationnelle posé aux V et VI de l’article 5 la loi de 2003 consiste à garantir à tout assuré que la durée d’assurance n’est plus susceptible de varier dès lors qu’il a atteint 60 ans.

Cela revient à donner à l’assuré la certitude que, s’il choisit de travailler plus longtemps, les règles ne changeront pas en sa défaveur. Cette garantie vise à éviter que la perspective d’un allongement de la durée d’assurance n’incite certains assurés à liquider dès que possible leur pension et ce, alors qu’ils seraient disposés à poursuivre leur activité professionnelle.

Un aménagement est prévu pour les fonctionnaires des catégories actives, susceptibles de partir avant 60 ans. En effet, pour ces derniers, la durée d’assurance applicable à leur génération peut ne pas encore être fixée au moment où ils liquident leur retraite (31). Pour ceux-ci, la garantie fonctionne par référence à l’année d’ouverture des droits, et non par référence à leur génération. Ainsi, le VI de l’article 5 de la loi de 2003 prévoit que la durée des services et bonifications applicable pour les catégories actives est celle retenue pour les fonctionnaires qui atteignent 60 ans l’année où eux-mêmes peuvent liquider leur pension en vertu des règles qui leur sont applicables.

c) La question de la poursuite de ce mouvement au-delà de 2020

L’article 5 de la loi de 2003 ne s’applique que jusqu’en 2020. Au-delà, aucune évolution n’a été prévue, alors que l’espérance de vie à 60 ans devrait, selon les projections de l’INSEE, continuer à progresser d’une année tous les dix ans jusqu’en 2060.

La Commission pour l’avenir des retraites a étudié l’éventualité de la poursuite au-delà de 2020 de la règle, fixée par la loi de 2003, de partage des gains d’espérance de vie afin de maintenir constant le rapport entre durée d’activité et durée en retraite.

Le rapport de la Commission Moreau indique que cela conduirait à faire évoluer la durée d’assurance requise pour bénéficier du taux plein de 166 trimestres aujourd’hui (génération née en 1956) à 176 trimestres à terme pour les générations qui partiront en retraite dans les années 2050, à raison d’un trimestre supplémentaire tous les trois à quatre ans. La génération 1962 (qui commencera à partir en 2024) devrait cotiser 42 ans, la génération 1975, 43 ans et la génération 1989, 44 ans.

Cependant, le Gouvernement a écarté cette option. En effet, un tel prolongement conduirait à poursuivre l’augmentation de la durée d’assurance au-delà des besoins de financement du système de retraite.

C’est ainsi que le présent article propose d’arrêter en 2035, et à 43 annuités, l’augmentation de la durée d’assurance, et à fixer d’ores et déjà dans la loi le calendrier d’évolution.

2. Le dispositif proposé

Le I inscrit dans le code de la sécurité sociale le principe et le calendrier d’augmentation de la durée d’assurance. Jusqu’à présent, le code de la sécurité sociale ne faisait référence à la durée d’assurance que pour définir le mode de calcul des pensions, à l’article L. 351-1 pour le régime général. En revanche, la durée elle-même était fixée par décret, et le principe de l’augmentation par génération résultait de la loi du 21 août 2003, comme indiqué précédemment.

Le I crée donc un article L. 161-17-3 qui s’insère après l’article L. 161-17-2, lui-même relatif à l’âge d’ouverture du droit à pension. L’article L. 161-17-3 prévoit d’augmenter la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein (dans le régime général et les régimes alignés) et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d’une pension civile ou militaire de retraite, pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1958, à raison d’un trimestre supplémentaire tous les trois ans, pour atteindre 172 trimestres, soit 43 ans, pour les assurés nés à partir du 1er janvier 1973.

Cela conduit à répartir de façon équilibrée les gains d’espérance de vie entre activité et retraite : entre 2013 et 2035, l’espérance de vie à 60 ans aura augmenté de plus de 2 ans, quand la durée d’assurance sera passée de 41,5 ans à 43 ans ; les retraités profiteront donc plus longtemps de leurs pensions.

Le tableau ci-dessous, issu de l’étude d’impact, présente le calendrier d’allongement de la durée d’assurance.

Évolution de la durée d’assurance tous régimes de base

Génération

Durée taux plein
en trimestres

Durée taux plein
en annuités

Date de liquidation de la pension (à 62 ans)

 

1956

166

41,5

2018

Durée connue

1957

166

41,5

2019

Décret prévu fin 2013, en application de la loi de 2003

1958

167

41,75

2020

Durée d’assurance qu’il est proposé de fixer à l’avance dans la loi.

1959

167

41,75

2021

1960

167

41,75

2022

1961

168

42

2023

1962

168

42

2024

1963

168

42

2025

1964

169

42,25

2026

1965

169

42,25

2027

1966

169

42,25

2028

1967

170

42,5

2029

1968

170

42,5

2030

1969

170

42,5

2031

1970

171

42,75

2032

1971

171

42,75

2033

1972

171

42,75

2034

1973 et après

172

43

2035

Source : étude d’impact.

Le champ du nouvel article L. 161-17-3 est le même que celui de l’article L. 161-17-2 : tous deux s’appliquent au régime général et aux régimes alignés (salariés agricoles, artisans et commerçants), au régime des exploitants agricoles, aux régimes de la fonction publique (fonctionnaires civils et militaires, agents des collectivités locales, ouvriers des établissements industriels de l’État) et, par renvois, aux régimes des professions libérales (32) et des avocats.

L’allongement de la durée d’assurance jusqu’à 172 trimestres sera appliqué aux régimes spéciaux par décret, de façon décalée, une fois que la convergence prévue par la réforme de 2008 sera terminée (166 trimestres, soit 41 ans et demi, en 2018).

L’inscription dans le code de la sécurité sociale d’un calendrier prévisible à long terme permet d’en finir avec l’incertitude liée à la fixation annuelle par décret de la durée d’assurance applicable à chaque génération. La règle est connue et fixée à l’avance, ce qui favorise la bonne information des assurés.

Au-delà de la génération 1973, la durée d’assurance reste fixée à 43 ans. En effet, à compter de 2035, le choc démographique lié au « papy boom » aura été dépassé, ce qui permet de maintenir un régime durablement équilibré sans hausse de la durée d’assurance.

Si d’ici-là l’espérance de vie recule, ou bien si les conditions économiques permettent un apport de ressources supérieur à la trajectoire anticipée, il sera toujours loisible au législateur de revoir ce calendrier d’allongement de l’âge, sur proposition du comité de suivi créé par l’article 3.

Une précision doit être apportée pour les assurés handicapés de la génération 1958 qui auraient déjà déposé un dossier pour liquider une retraite anticipée à 55 ans en 2013. L’examen de leurs droits est actuellement effectué sur la base d’une durée d’assurance de 166 trimestres, alors que la durée va passer à 167 trimestres pour leur génération dès janvier 2014. Une lettre ministérielle devrait prévoir que les personnes qui auront déjà reçu une attestation de leur caisse de retraite avec une durée d’assurance de 166 trimestres pourront conserver ce droit, même pour une liquidation début 2014.

Le II met fin au dispositif d’allongement de la durée d’assurance prévu par la loi du 21 août 2003 dès 2017 – au lieu de 2020. En effet, le dernier décret appliquant ce dispositif doit être pris pour la génération 1957, qui aura 60 ans en 2017.

Le III du présent article introduit le dispositif de l’allongement de la durée des services et bonifications dans le code des pensions civiles et militaires de retraite, à travers l’ajout d’un III dans l’article L. 13, renvoyant à l’article L. 161-17-3 du code de la sécurité sociale. L’exception au principe de garantie générationnelle, déjà prévue dans l’article 5 de la loi de 2003, est inscrite dans l’article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite : la durée des services et bonifications exigée des fonctionnaires des catégories actives est celle exigée des fonctionnaires qui atteignent 60 ans l’année où la liquidation peut intervenir pour ces catégories actives.

Le IV étend le III aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, ainsi qu’aux ouvriers des établissements industriels de l’État.

Le V précise que la durée d’assurance à laquelle il est fait référence dans l’article L. 732-25 du code rural et de la pêche maritime, pour la retraite à taux plein des exploitants agricoles, est celle mentionnée à l’article L.161-17-3 du code de la sécurité sociale – soit le nombre de trimestres prévu pour la génération de l’assuré qui demande la liquidation.

3. L’impact financier de la mesure pour les régimes de retraite

La hausse de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir le taux plein devrait produire ses effets à partir du flux de départ de 2021 (soit les retraites anticipées pour carrière longue de la génération 1961). Cette hausse devrait provoquer des reculs de départs importants.

a) Impact pour le régime général

Ainsi, au régime général, les flux de départs entre 2021 et 2035 devraient être inférieurs de 10 000 à 20 000 assurés par an par rapport aux prévisions de départs avant réforme. De ce fait, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) estime que la population totale des pensionnés diminuerait progressivement sur la période pour atteindre
– 320 000 assurés à l’horizon 2050, soit une réduction de 1,5 % du nombre de retraités du régime général.

Effectifs de pensionnés du régime général.

Source : Caisse nationale d’assurance vieillesse.

Parallèlement, la hausse de la durée d’assurance, également utilisée pour la proratisation des pensions, engendrerait des baisses de pension d’environ 2 % en moyenne à l’horizon 2050.

Au total, à l’horizon 2050, l’économie sur la masse de prestations devrait atteindre près de 7 milliards d’euros par an.

Le report des départs a aussi un effet sur les cotisations perçues, un certain nombre d’assurés poursuivant leur activité. Ainsi, la CNAV estime que le nombre de cotisants devrait être supérieur d’environ 140 000 à celui du scénario de référence (scénario B du COR à réglementation inchangée).

En ajoutant les effets sur les masses de prestations et les effets sur les cotisations, l’incidence globale de l’allongement de la durée d’assurance pour le régime général serait d’environ 2 milliards d’euros en 2030 et de près de 8 milliards d’euros en 2050.

Impact sur le solde du régime général de la hausse de la durée d’assurance

(en millions d’euros)

 

2020

2025

2030

2035

2040

2045

2050

2055

2060

Prestations

– 5

– 517

– 1 581

– 2 647

– 3 760

– 5 151

– 6 613

– 7 233

– 8 133

Cotisations

1

131

387

562

704

951

1 237

1 249

1 418

Transferts FSV

0

2

2

10

10

0

– 27

– 31

– 42

Solde technique CNAV

6

650

1 970

3 220

4 474

6 102

7 823

8 452

9 510

Impact par rapport au scénario B du COR.

Source : CNAV.

b) Impact pour l’ensemble des régimes de base

L’étude d’impact indique les conséquences financières de la mesure d’allongement de la durée d’assurance pour l’ensemble des régimes obligatoires d’une part (y compris régimes complémentaires), et pour l’ensemble des régimes de base non équilibrés par une subvention (régime général et régimes alignés, CNAVPL, exploitants agricoles).

Impact sur le solde de tous les régimes obligatoires de la hausse de la durée d’assurance

(en millions d’euros 2011)

 

2020

2030

2040

Tous régimes de base et complémentaires

+ 5 400

+ 10 400

Tous régimes de bases non automatiquement équilibrés

+ 2 700

+ 5 600

Source : CNAV et, pour les autres régimes, direction de la sécurité sociale à partir des calculs du COR (sur la base du scénario B).

*

La Commission examine les amendements identiques AS 49 de Mme Véronique Massonneau, AS 80 de M. Arnaud Robinet et AS 236 de Mme Jacqueline Fraysse, visant à supprimer l’article 2.

Mme Véronique Massonneau. Alors que la crise accroît le chômage et pèse lourdement sur l’emploi des jeunes et des seniors, l’allongement de la durée de cotisation va à l’encontre du partage du temps de travail.

Allonger à 43 ans la durée de cotisation, alors que la durée moyenne d’assurance jusqu’à la liquidation est en moyenne de 35 ans pour les femmes et de 37 ans pour les hommes pourrait avoir pour conséquence d’augmenter le nombre de chômeurs chez les jeunes, les seniors, ainsi que le nombre de seniors inactifs éligibles aux minima sociaux.

D’après l’INSEE, seuls 59 % des salariés du secteur privé sont passés directement de l’emploi à la retraite, les autres ayant connu des périodes de chômage ou d’invalidité. L’UNEDIC, de son côté, a estimé que le premier relèvement de l’âge légal de quatre mois, au 1er juillet 2011, avait engendré chez les seniors neuf mille inscriptions supplémentaires à Pôle emploi en 2011 – trente mille en année pleine –, avec un surcoût évalué à 440 millions d’euros par an.

Cet amendement propose donc de supprimer une disposition financièrement inefficace et socialement injuste.

M. Arnaud Robinet. Si nous souhaitons, comme nos collègues écologistes, supprimer l’article 2, ce n’est évidemment pas au nom des mêmes arguments, car nous ne croyons pas à la théorie du partage du travail.

Dans le contexte de crise actuel, le choix d’allonger uniquement la durée de cotisation d’un trimestre toutes les trois générations à compter de 2020 est une mesure insuffisante, si elle n’est pas associée à un recul de l’âge de départ en retraite ; elle est également injuste, car elle va peser sur le pouvoir d’achat des retraités, et malhonnête à l’égard des jeunes générations.

Nous ne sommes pas contre l’allongement de la durée de cotisation et sommes heureux que vous validiez la réforme Fillon de 2003, mais allonger la durée de cotisation à 43 ans va appauvrir les retraités et les jeunes générations, puisque un salarié ayant commencé à travailler entre 23 et 25 ans devra attendre l’âge de 66 ans pour prétendre à une retraite complète, alors que l’âge légal de départ en retraite est de 62 ans. Les Français partant à la retraite dès l’âge légal subiront donc une décote et une baisse significative du niveau de leur pension.

Par ailleurs, le scénario privilégié par le Gouvernement n’est pas le plus efficace financièrement, puisqu’on évoque une économie de 2,7 milliards d’euros à l’horizon 2030, tandis qu’un recul d’un an de l’âge légal de départ à la retraite – à 63 ans pour la génération 62 – permettrait une économie de plus de 3 milliards d’euros pour le régime général et de 5,3 milliards d’euros, tous régimes confondus.

Nous demandons donc la suppression de l’article 2 pour des raisons d’équité.

Mme Jacqueline Fraysse. Nous sommes farouchement opposés à l’article 2, qui vise à augmenter la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein.

Sachant que l’âge moyen de départ en retraite se situe déjà au-delà de l’âge légal en vigueur, cet objectif de 43 années de cotisations nous paraît inatteignable pour un nombre croissant de salariés, qui ne pourront donc pas bénéficier d’une retraite à taux plein à moins de travailler au-delà de l’âge légal. Cette mesure aura donc pour effet d’abaisser le niveau des pensions, ce qui est en contradiction avec le discours du Gouvernement.

Par ailleurs, c’est une mesure injuste, car cet allongement de la durée de cotisation pénalisera particulièrement les femmes et les jeunes, lesquels s’inquiètent beaucoup pour leurs retraites malgré les quelques mesures correctrices que propose le projet de loi.

M. le rapporteur. Ce projet de loi comporte trois piliers. Le premier est constitué de mesures à court terme, qui visent à préserver le niveau des pensions, grâce à une augmentation progressive et modérée des cotisations permettant de réaliser 7 milliards d’euros d’économies d’ici à 2020.

Le Gouvernement a ensuite fait le choix d’augmenter de 41,5 à 43 ans le nombre d’annuités, ce qui représente un effort non négligeable mais permettra de préserver un niveau de pension correct. Pour compenser cet effort, le projet de loi comporte toute une série de mesures de justice, comme l’abaissement de deux cents à cent cinquante du nombre d’heures nécessaires à la validation d’un trimestre ou la validation des trimestres d’apprentissage. Cela permettra à de nombreux salariés de partir plus tôt en retraite.

La prise en compte de la pénibilité bénéficiera à 3 millions de personnes environ.

L’allongement progressif permettra de maintenir ce qui est pour nous un impératif, c’est-à-dire un niveau de retraite correct. C’est pour cela que l’on demande aux jeunes de travailler un peu plus longtemps.

Nous assumons totalement notre choix, qui s’oppose au vôtre, avec notamment le report de l’âge légal. Nous laissons la porte ouverte aux personnes de 62 ans, qui peuvent sortir du dispositif. Le taux plein n’est, après tout, qu’un critère parmi d’autres, et nous défendons, comme en 2010, la liberté de choix. Reporter l’âge légal à 65 ans signifierait, pour un jeune qui a commencé à travailler à 18 ans, cotiser 47 annuités. Ce n’est pas juste.

J’émets donc un avis défavorable aux trois amendements.

M. Bernard Accoyer. L’article 2 est un complet reniement des grandes déclarations de ceux qui étaient mobilisés contre le texte de 2010. Dire une chose quand on est dans l’opposition et son contraire quand on est dans la majorité, c’est gênant surtout que le rendez-vous de 2013 vous offrait l’occasion de remédier à l’impasse de financement liée à la crise et au chômage. Vous décidez une augmentation tout à fait insuffisante de la durée de cotisation sans, parallèlement, ajuster l’âge légal. Il faut avoir le courage de dire que vous avez fait le choix de la baisse des pensions. Les mesures que vous présentez comme plus favorables conduiront à faire partir avant 62 ans un retraité sur deux et c’est un choix irresponsable pour le niveau des pensions et la pérennité de notre système de retraite par répartition.

M. Denis Jacquat. Pourquoi le Gouvernement renie-t-il ce que ceux qui le soutiennent promettaient de faire avant les élections ?

M. Jean-Marc Germain. Ces amendements posent une question de fond. Quelles sont les possibilités de rééquilibrage à court terme ?

Mme Véronique Louwagie. Le report de l’âge légal !

M. Jean-Marc Germain. Ce report de l’âge légal transforme de jeunes retraités en vieux chômeurs. Dès lors, il ne reste que deux solutions : soit trouver des ressources complémentaires, soit diminuer les pensions. Il est inutile de biaiser, on ne peut pas être contre la hausse des cotisations sans accepter une baisse des pensions.

Pourquoi défendons-nous l’allongement de la durée de cotisation ?

La réforme que le parti socialiste proposait en 2010 est tout entière dans ce texte. On ne peut donc pas parler de reniement.

Ensuite, nous comprenons les arguments de Mme Fraysse contre l’allongement de la durée de cotisation. Pour le rendre acceptable, nous avons décidé, premièrement, de prendre en compte la pénibilité pour ajuster la durée de cotisation en fonction de l’espérance de vie en bonne santé ; deuxièmement, de différer cet allongement dans le temps, jusqu’en 2020, à cause de l’impact sur le chômage. Il s’agit là d’un constat, et je pense que vous le partagez.

Reste l’option politique : à terme, faut-il augmenter la durée de cotisation en épargnant ceux qui ont eu des métiers pénibles, ou bien l’âge légal ? Qui a payé la réforme Sarkozy-Fillon ? Les ouvriers et les employés (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Regardez les chiffres ! Vous avez bouché – un peu – les trous de l’assurance vieillesse, mais creusé ceux de l’assurance chômage. Vous n’avez donc rien réglé.

Nous avons une différence philosophique sur ce qu’il faut faire après 2020, et, avant. Vous n’avez d’autre choix que d’augmenter les cotisations ou baisser les pensions.

Mme Véronique Louwagie. Cette réforme est hypocrite pour trois raisons.

Elle fait croire que l’on peut partir à 62 ans, mais ce système compliqué est un leurre.

Vous nous accusez de vouloir baisser les pensions, mais nombreux seront ceux qui ne pourront partir à 62 ans, à moins de subir une décote, ce qui veut dire que vous poussez à une forte baisse de pouvoir d’achat des retraités.

Vous déclarez régulièrement vous soucier des jeunes. Or ce sont eux qui seront touchés par les baisses de pension. Avec une durée de cotisation de 43 ans, les personnes nées en 1973, si elles veulent partir à 62 ans avec une retraite à taux plein, devront avoir commencé à travailler à 19 ans !

Voilà pourquoi il faut réécrire l’article 2.

M. Arnaud Robinet. Vous avez instrumentalisé la nouvelle génération en l’incitant à manifester dans la rue contre la réforme de 2010, mais les jeunes sont les dindons de la farce qu’est votre réforme.

Monsieur Germain, vous vous fourvoyez dans le dogmatisme le plus complet.

En 2010, vous n’aviez qu’un seul tabou, la retraite à 60 ans. Le nôtre, c’était le niveau des retraites. C’est la raison pour laquelle nous étions opposés à une augmentation de la CSG et des cotisations salariales.

M. Jean-Marc Germain. Et la TVA à 21,2 %, vous étiez contre ?

M. Arnaud Robinet. De fait, vous êtes la majorité de la baisse du pouvoir d’achat. Les pensions vont diminuer puisque vous reculez l’indexation des retraites du 1er avril au 1er octobre. Vous avez touché au pouvoir d’achat dans la loi de financement de la sécurité sociale 2013 avec la cotisation de 0,3 % sur les pensions pour financer la dépendance. Nous n’avons pas de leçon à recevoir.

Vous faites le choix d’une double peine pour les Français : baisse des pensions à court terme et à long terme, en ne jouant que sur la durée de cotisation. Le seul paramètre à avoir un impact immédiat, tous les experts sont d’accord, c’est l’âge. Alors, oui, nous revendiquons un recul de l’âge légal de départ à la retraite.

Et arrêtez de mettre en avant cette théorie du partage du travail qui ne s’est jamais vérifiée. Vous l’avez bien vu avec les 35 heures.

Monsieur Issindou, oui, nous demandons le recul de l’âge de départ à 65 ans à l’horizon 2023-2026, pour que les jeunes d’aujourd’hui partent à la retraite à 65 ans avec une retraite à taux plein. Avec vous, ils devront attendre d’avoir 67 ans ! Où est la justice ? Où est la politique en faveur de la jeunesse, sinon dans l’opposition !

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Qu’a fait l’UMP ces dernières années ? Et quelles sont ses propositions ? Son porte-parole Hervé Mariton préconise le report à 65 ans d’ici à 2022 et 44 annuités. Avec vous, c’est fromage et dessert !

Vous avez en plus lourdement frappé les retraités. Je citerai, entre autres, le gel du barème de l’IRPP qui a mis en situation de redevables 2 à 3 millions de personnes qui ne l’étaient pas ; et la suppression de la demi-part des veuves, qui a eu une très forte incidence. Nous proposerons vraisemblablement une décote pour les premiers et nous pourrions revenir sur un dispositif qui a pénalisé de nombreuses veuves. Voilà des mesures concrètes qui vont dans le sens du pouvoir d’achat des retraités là où les vôtres visaient à faire payer aux seuls actifs le prix de votre réforme. Et si nous discutons aujourd’hui, c’est parce qu’elle n’a pas abouti. Le rapport rendu par Yannick Moreau a mis en évidence que, depuis 2010, elle n’avait permis d’économiser que 3 milliards d’euros. Vous nous aviez promis le retour à l’équilibre en 2017 ; mais nous en serons très loin !

M. Philippe Vigier. Si la réforme de 2010 était une erreur gravissime, alors pourquoi ne pas être revenus dessus depuis votre arrivée au pouvoir, surtout avec l’augmentation sans précédent du chômage cette année ?

M. Jean-Marc Germain. Et le décret sur les carrières longues du 17 juillet 2012 ?

M. Philippe Vigier. Il est vrai, monsieur Germain, que vous avez conseillé une candidate aux primaires socialistes qui expliquait qu’il fallait revenir à la retraite à 60 ans, et que Mme Touraine déclarait le 14 octobre 2011 dans Libération que François Hollande s’y était engagé.

M. le rapporteur. Et il l’a fait.

M. Philippe Vigier. Ce soir, nous prenons acte du décès de la réforme annoncée.

Ensuite, monsieur Germain, le Conseil d’orientation des retraites constate que, sans la réforme de 2010, il manquerait 45 milliards dans les caisses. C’est vrai, nous ne sommes pas à l’équilibre, le trou est de 20 milliards, mais, avec la vôtre, vous récupérerez tout au plus 6 ou 7 milliards.

Pire, la compensation de l’allégement de 0,15 point des cotisations famille des entreprises, vous irez bien la prendre dans la poche des salariés. Des entreprises aussi, d’ailleurs, puisque, même si vous endormez la vigilance des entreprises en promettant une compensation, le patron du MEDEF a expliqué que le compte n’y était pas tout à fait. Ensuite, dans la loi de finances, vous avez chiffré à 1 milliard le gain pour le recul de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre. C’est donc vous qui appauvrissez les retraités.

Monsieur Terrasse, ce soir je prends date pour le rétablissement de la demi-part des veuves. J’étais de ceux qui la défendaient et je continuerai à le faire. Peut-être nous retrouverons-nous sur un amendement.

Enfin, comment osez-vous raconter qu’on cotisera plus longtemps mais que l’âge légal ne changera pas ? Pas besoin d’avoir fait Polytechnique pour comprendre que la retraite sera plus faible !

M. Christian Paul. Votre véhémence, monsieur Vigier, ne rend pas plus crédible la fable selon laquelle nous serions différents entre hier et aujourd’hui. Mais les divergences entre vous et nous, elles, sont intactes.

Les Français qui suivent les débats ont compris que l’âge légal de départ ne coïncidait pas toujours avec l’âge effectif. Et c’est bien pour les rapprocher que nous avons conçu des mesures de personnalisation, notamment la pénibilité.

Nous avons un tabou, en effet. Nous pensons qu’il faut préserver la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler tôt. Le Gouvernement l’a d’ailleurs fait dès les premières semaines. Il n’y a pas de reniement.

Votre martingale, ce sont les bornes d’âge : il faudrait travailler le plus possible le plus longtemps possible. Cela ne correspond pas à l’aspiration collective des Français ; il suffit de voir leurs réactions à nos projets respectifs. Il faut donc trouver à l’horizon 2020 des solutions équilibrées entre les cotisations et la justice, au lieu de s’en tenir à votre projet, brutal et régressif.

M. Arnaud Robinet. Monsieur Terrasse, j’admire votre capacité à avaler des couleuvres.

Monsieur Paul la réforme de 2010 a permis de « récupérer » 30 milliards d’euros, et sans elle, le déficit serait de 50 milliards. Le président de la CNAV, M. Rivière, de Force Ouvrière, a montré qu’elle permettrait de retrouver un quasi-équilibre à l’horizon 2018-2020. L’effort était considérable, et il a précisé que les déficits ont été aggravés par la crise, mais aussi par votre fameux décret de 2012.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette les amendements AS 49, AS 80 et AS 236, visant à supprimer l’article 2.

Elle examine ensuite l’amendement AS 203 de M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Chacun a compris que la réforme de 2010 qui a relevé l’âge légal à 62 ans en 2018 et la durée de cotisation à 41,5 années en 2020 a permis de faire 25 ou 30 milliards d’économies. Vous avez fait un autre choix, qui s’est traduit par une baisse du pouvoir d’achat en 2012 de 0,9 % – du jamais vu depuis 1974. Or il y a déjà eu deux coups de canif dans les retraites en 2013 : les pensions AGIRC et ARRCO n’ont été revalorisées respectivement que de 0,5 % et 0,8 %. Et ne venez pas me dire que c’est une décision des partenaires sociaux, puisque le ministre du budget chiffre l’économie à 1 milliard d’euros. La hausse du prélèvement sur les retraites porté à 0,3 % en avril correspond lui aussi à une baisse de pouvoir d’achat.

Augmenter la durée de cotisation sans toucher à l’âge légal relève de l’hypocrisie absolue. La moitié du chemin avait été faite depuis 2010 mais, avec votre réforme qui n’en est pas une, il manquera encore entre 13 à 16 milliards, voire davantage, puisqu’on ne compte pas l’impact des nouveaux droits.

Pour reprendre votre expression, monsieur Germain, on a la chance de « vieillir plus longtemps », et, pour équilibrer enfin le régime des retraites, nous prônons d’accélérer la réforme de 2010, ce qui n’empêche pas de prendre en compte la pénibilité, d’agir en faveur des femmes, des polypensionnés, ni d’augmenter les petites retraites. C’est aussi une question de justice. Ces cinq dernières années, il aurait fallu, selon vous, jeter aux orties tout ce qui a été fait, y compris, sans doute, l’augmentation de 25 % des petites retraites. S’agissant de l’augmentation du minimum retraite, j’ai relevé les écarts entre les annonces de la ministre des affaires sociales – le 1er avril – et celles du Premier ministre – le 1er octobre. Je ne peux que me réjouir pour ceux qui n’ont qu’un peu plus de 760 euros de retraite par mois de la date finalement retenue.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Vigier, il serait préférable de ne pas s’écarter de l’exposé des motifs des amendements.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Je rejette la brutalité avec laquelle M. Vigier veut accélérer le rythme de l’augmentation des années de cotisation, une brutalité qui a marqué la réforme de 2010.

Nous avons souhaité que les plans de départ à la retraite à l’horizon de 2020 puissent être préservés.

Monsieur Vigier, il faut choisir entre jouer sur l’âge légal ou jouer sur les annuités. Si vous reportez l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, les quarante-quatre annuités ne sont même plus nécessaires : chacun partira à la retraite à 65 ans.

Nous, nous préférons jouer sur les annuités car cela nous paraît la solution la plus juste. Pourquoi ne pas envisager d’effacer un jour, si cela s’avère possible, l’âge légal de départ à la retraite ? Celui qui aurait quarante-trois annuités pourrait partir à la retraite.

M. Arnaud Robinet. Chiche pour les régimes spéciaux !

M. Gérard Sebaoun. Il faut au moins vous reconnaître, monsieur Vigier, la franchise de vos propositions, à savoir imposer ex abrupto, entre quatre et neuf trimestres supplémentaires à des salariés qui ont aujourd’hui entre 55 et 58 ans et qui, déjà, envisagent leur départ à la retraite. Ne faites pas le tour des entreprises avec votre amendement ! Vous n’emporterez pas le succès que vous escomptez.

Mme Monique Iborra. Déclamer et avoir raison sont deux choses différentes.

La réforme de 2010, strictement comptable, a été conduite, de plus, de manière brutale et n’a fait l’objet d’aucun dialogue. C’est pourquoi elle a mis des millions de Français dans la rue.

La nôtre, au contraire, repose sur le dialogue : elle a fait l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux. En outre, contrairement à la vôtre, elle crée des droits nouveaux. C’est la principale différence entre les deux réformes.

M. Arnaud Robinet. Vous n’avez pas le droit de dire cela !

Mme Monique Iborra. Je le dis quand même !

La Commission rejette l’amendement.

Puis la Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 395 à AS 397 du rapporteur.

La Commission examine ensuite l’amendement AS 51 de Mme Eva Sas.

Mme Véronique Massonneau. L’amendement AS 51 vise à conditionner l’allongement de la durée de cotisation à la démonstration de sa neutralité sur la situation du chômage en France.

M. le rapporteur. Je comprends l’objet de cet amendement : l’amélioration de l’équilibre général des comptes sociaux passe par l’amélioration de l’emploi. Or il convient précisément de faire le pari collectif que celui-ci ne peut aller qu’en s’améliorant, surtout à partir de 2020.

C’est pourquoi il me paraît difficile de conditionner totalement l’allongement de la durée de cotisation à sa neutralité sur l’emploi. On ne saurait adapter la durée de cotisation au nombre des chômeurs : ce serait anxiogène pour les salariés, alors que le mérite de l’article 2 tient dans sa clarté. Une fois la loi adoptée, les générations nées à partir de 1973 sauront que leur durée de cotisation s’allongera progressivement jusqu’à quarante-trois annuités.

Vous avez toutefois raison : il est essentiel d’augmenter notamment le taux d’emploi des seniors.

Avis défavorable à l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle l’examine l’amendement AS 50 de Mme Eva Sas.

Mme Véronique Massonneau. L’amendement AS 50 est un amendement de repli.

Il prévoit que l’allongement de la durée de cotisation n’entrera en vigueur qu’après la présentation d’un rapport évaluant l’impact de la mesure sur le taux de chômage.

M. le rapporteur. L’Assemblée nationale pourra se saisir à tout moment de la situation de l’emploi et des régimes de retraite. Le comité de surveillance aura vocation à informer la représentation nationale sur le sujet.

Je ne vois donc pas l’intérêt de cet amendement, même si je comprends l’esprit dans lequel il a été rédigé.

M. Jean-Marc Germain. Madame Massonneau, votre amendement n’a plus d’objet puisque nous avons repoussé l’amendement AS 203 de M. Philippe Vigier, qui visait à augmenter d’ici à 2020 de deux ans et demi la durée de cotisation. Or, compte tenu de la situation actuelle du marché du travail, 6 % d’actifs supplémentaires se traduiraient par 1,5 million de chômeurs supplémentaires, ce qui serait désastreux.

Mme Véronique Massonneau. Mon amendement n’a rien à voir avec celui de M. Vigier : je ne veux pas qu’on les compare.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2.

La Commission est saisie d’une série d’amendements portant articles additionnels après l’article 2.

Elle examine tout d’abord l’amendement AS 85 de M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. L’amendement AS 85 et ceux qui suivront visent à donner de la consistance au projet de loi en matière d’équité.

Il convient de mettre fin aux différences flagrantes de calcul des droits à pension entre le public et le privé.

Alors que la durée et les taux de cotisation sont en cours d’alignement grâce aux réformes engagées par la droite et le centre depuis 2003, il est aujourd’hui opportun de continuer d’harmoniser le système entre le public et le privé, s’agissant notamment des périodes de référence du calcul des pensions.

En effet la période de six mois, retenue pour les fonctionnaires, est devenue le marqueur d’une injustice majeure pour l’ensemble de nos concitoyens, les pensions du public restant globalement plus élevées que celles du privé – 1 757 euros en moyenne par mois dans le public contre 1 166 dans le privé.

Or cet écart risque de se creuser dans les années à venir au fur et à mesure que les salariés du privé, qui auront connu plusieurs crises économiques, aggravées par l’action du Gouvernement actuel, et des ruptures importantes dans leur parcours professionnel, arriveront à l’âge de la retraite.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Cet amendement repose sur un raisonnement malhonnête : comparer les moyennes du secteur public à celles du secteur privé, alors que les structures des carrières ne sont pas les mêmes. Dans la fonction publique, notamment avec les cohortes d’enseignants – ils sont aujourd’hui quelque 850 000 à 900 000 –, les catégories A sont beaucoup plus nombreuses que ne sont nombreux les cadres dans le privé. C’est notamment cette différence qui explique celle du montant moyen des pensions. De plus, les chiffres que vous avez donnés ne comprennent pas les retraites complémentaires.

Je vous renvoie aux études comparatives du Conseil d’orientation des retraites : elles montrent que le taux de remplacement des catégories C et B du public est de 75,2 % contre 74,5 % pour les catégories équivalentes du privé. S’agissant des cadres, le taux de remplacement tombe à 55 %, en raison du système de plafonnement de la sécurité sociale. Il n’existe donc pas d’écart significatif entre le secteur public et le secteur privé, en dépit d’un mode de calcul différent – il faut l’expliquer clairement aux Français.

Il y a de petites et de bonnes retraites dans les deux secteurs.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 86 de M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. L’amendement AS 86 est de repli.

Afin de ne pas brutaliser votre électorat, monsieur Issindou, cet amendement prévoit une harmonisation progressive des périodes de référence par le biais d’une augmentation de celle des fonctionnaires de deux ans pendant 12,5 ans à compter du 1er janvier 2014.

M. le rapporteur. Les fonctionnaires ne constituent pas l’électorat de la majorité : l’électorat ne s’appartient qu’à lui-même. Cette réforme, fondée sur des critères de justice, ne vise pas à satisfaire un électorat particulier.

Arrêtons de considérer qu’il y a d’un côté des fonctionnaires nantis et de l’autre des salariés du privé qui seraient seuls à peiner. Je respecte également les salariés des deux secteurs.

M. Arnaud Robinet. Je suis fonctionnaire, monsieur le rapporteur.

M. le rapporteur. Avis défavorable à l’amendement.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement de repli va dans le sens de l’harmonisation.

Cette disposition aurait l’intérêt non seulement de rendre plus lisibles les périodes de référence des deux secteurs mais également de favoriser la mobilité entre le privé et le public, une mobilité que les pertes de référence rendent aujourd’hui difficile.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je suis très surprise d’entendre comparer le montant, pour le privé, des seules retraites de base de la sécurité sociale avec le montant des retraites des fonctionnaires qui comprend à la fois la retraite de base et la retraite complémentaire. Il est malhonnête de comparer des choux et des carottes !

Monsieur Vigier, il y a beaucoup de petits salaires dans la fonction publique, s’agissant notamment des femmes, qui ont de petites retraites. La Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP) pensait trouver des sources d’économies considérables dans l’harmonisation des régimes public et privé : or ses études ont montré le contraire.

M. Jean-Marc Germain. Si vous n’avez pas réussi à réformer le pays durant la précédente décennie, c’est parce que vous n’avez cessé de désigner des boucs émissaires : 200 amendements sur les 400 que vous avez déposés concernent les fonctionnaires.

Le rapport Moreau sur l’avenir des retraites précise, page 31 – ce sont les chiffres du COR –, que le taux de remplacement pour les salariés du privé est de 74,5 % et pour les salariés civils du secteur public de 75,2 %. Les retraites sont donc les mêmes dans le privé et dans le public. Les durées de cotisation sont les mêmes. Les taux de cotisation convergent.

Nous n’examinons pas une réforme de gauche ou de droite mais une réforme qui concerne les quarante à soixante années à venir. Cessons d’opposer les salariés du public à ceux du privé, les retraités aux actifs ou les entreprises aux salariés. La grande force de cette réforme est de mettre chacun également à contribution pour redresser le pays, les fonctionnaires comme les autres, ni plus ni moins, parce qu’ils ont les mêmes retraites que les salariés du privé.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 82 de M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. Monsieur Germain, étant moi-même fonctionnaire, je ne stigmatise pas mon propre corps.

Les chiffres sont têtus. Vous parlez de taux de remplacement : nous parlons, nous, du montant des pensions.

Madame Coutelle, tous les salariés du privé n’ont pas de complémentaire. De plus, les fonctionnaires bénéficient de la Préfon, du Corem ou de l’Ircantec.

Alors que le Gouvernement prévoit déjà de mettre à mal l’équité entre le public et le privé en remettant en cause la journée de carence instituée dans la fonction publique, le projet de loi crée une nouvelle rupture entre les salariés du privé et les agents publics puisque les hausses de cotisation de 0,3 point sur l’ensemble des salariés ne s’appliqueront pas aux agents publics au même rythme qu’aux salariés du privé, alors qu’un effort d’alignement est actuellement consenti par les fonctionnaires.

Il est certain que les choix du Gouvernement ne sont pas bons puisqu’ils tendent à grever le pouvoir d’achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Néanmoins, il est important de garder le cap des efforts déjà consentis.

Tel est l’objet de l’amendement AS 82.

M. le rapporteur. L’étalement des hausses de cotisation pour les agents publics sera le suivant : 0,06 point en 2014 au lieu de 0,15 pour le privé, puis 0,08 les trois années suivantes. En effet les fonctionnaires sont déjà actuellement sur un rythme d’augmentation de 0,27, en application de la réforme de 2010. Compte tenu, en outre, du gel de leur point d’indice depuis plusieurs années déjà, il n’a pas semblé possible de leur imposer en 2014 le même effort qu’aux salariés du privé – 0,15 puis trois fois 0,5. Toutefois, au bout du compte, les salariés du privé et les agents publics auront consenti à la même date le même effort de 0,3 point.

Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis la Commission examine l’amendement AS 81 de M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. La crise a un impact très négatif sur l’équilibre financier de notre système de retraite. Ainsi, en dépit de la réforme de 2010 – pour mémoire le COR prévoyait avant la réforme de 2010 un besoin de financement de 50 milliards d’euros à l’horizon de 2020 –, de nouveaux efforts doivent être fournis. En effet, les années de croissance quasi-nulle que nous traversons creusent le déficit du système qui devrait atteindre près de 20 milliards d’euros en 2020, tous régimes confondus.

En attendant une reprise durable, que nous espérons tous, et une hausse structurelle de l’emploi, nous devons, pour sauver notre système de retraite par répartition consentir un effort supplémentaire qui soit lisible, efficace et juste. Le paramètre le meilleur est l’augmentation de l’âge de départ à la retraite.

Le projet de loi commet une triple injustice : il augmente le coût du travail, il appauvrit les retraités et les actifs et il table à terme sur la multiplication des départs avec décote et donc sur une baisse des pensions.

C’est pourquoi l’amendement AS 81 propose de porter l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans d’ici à 2026 et de retourner ainsi à la situation qui prévalait avant les réformes de 1983 menées par le président Mitterrand.

Je tiens à rappeler que, depuis 1981, les femmes ont gagné cinq ans d’espérance de vie et les hommes huit ans.

Notre défi n’est pas de baisser sans cesse l’âge de la retraite mais de garantir un niveau de vie convenable et décent aux retraités et de soulager les jeunes générations de la dette qui s’accumule sur les comptes sociaux.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Deux conceptions différentes s’opposent. Nous ne choisissons pas la vôtre.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS 202 de M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Monsieur le rapporteur, le rapport Moreau propose que les pensions des fonctionnaires soient calculées sur le traitement des dix dernières années et non des six derniers mois : le rapprochement des modes de calcul n’est donc pas un fantasme de l’opposition.

L’amendement AS 202 vise à corriger les inégalités entre le public et le privé, touchant notamment les règles de calcul des pensions de réversion. Dans la fonction publique et la plupart des régimes spéciaux, le niveau de réversion atteint 50 % sans condition d’âge ni de ressource, alors que, dans le privé, le niveau de réversion est plus élevé – il atteint 54 %, voire 60 % –, mais il est assorti de conditions d’âge et de ressource.

L’amendement AS 202, en prévoyant un rapport sur le sujet, ne vise pas à stigmatiser mais à rapprocher le public et le privé.

M. le rapporteur. Si le rapport Moreau propose effectivement une modification du mode de calcul, il précise toutefois que la prise en compte des primes des fonctionnaires pourrait aboutir à l’effet inverse à celui recherché. Il convient donc de rester prudent.

Je vous rejoins sur l’amendement, notre système de réversion ayant été bâti à l’époque où les couples étaient plus stables et où l’homme mourait avant la femme.

Je déposerai un amendement, qui va dans le même sens, après l’article 13.

Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement AS 83 de M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. Le rapport Moreau indique que le taux de remplacement médian est de 68 % dans le privé et de 75 % dans le public s’agissant des hommes ; pour les femmes, ils sont respectivement de 66 et 77 %.

Cet amendement tend à engager une réflexion sur les modalités d’application aux fonctionnaires recrutés à compter de 2015 des règles de constitution et de liquidation en vigueur dans le régime général. Il est indispensable de poursuivre le rapprochement des régimes afin de consolider le pacte social qui unit tous les Français : la multiplicité des régimes et la diversité des modes de calcul des droits contribuent au sentiment que tous ne sont pas égaux devant les modalités de constitution et de liquidation des retraites.

M. le rapporteur. Défavorable : il n’est pas question de soumettre les fonctionnaires aux règles de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Je me demande bien ce qui vous déplaît tant dans le statut de la fonction publique pour que vous vous acharniez ainsi à le démolir : le service public serait-il si honteux qu’il ne doive pas ouvrir droit à une pension équivalente à celles du privé, comme c’est le cas aujourd’hui ?

M. Denis Jacquat. Nous ne sommes pas les seuls à demander que les différents régimes de retraite convergent : c’est le souhait de tous les Français.

M. le rapporteur. On comprend pourquoi quand on voit comment on manipule les chiffres pour leur faire croire à de prétendues inégalités.

La Commission rejette cet amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS 84 de M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. Il s’agit d’un amendement de repli. Actuellement, l’État subventionne annuellement les pensions de ses agents. La création d’une caisse de retraite spécifique pour la fonction publique d’État permettra une meilleure lisibilité et une meilleure anticipation des besoins de financement.

Le projet de loi se concentre sur les sept milliards d’euros qui manqueront dans les caisses de la CNAV à l’horizon 2020, mais il passe sous silence la dizaine de milliards d’euros manquant au versement des pensions des agents de l’État. Il n’est pas normal que les pensions des fonctionnaires d’État soient entourées d’une telle opacité budgétaire et ne puissent faire l’objet d’une véritable gouvernance. Pour mémoire, les autres fonctions publiques fonctionnent déjà avec un tel dispositif.

M. le rapporteur. Comment pouvez-vous parler d’opacité alors que le rapport indique que ce régime est déficitaire de huit milliards d’euros ? Ce déficit est dû en grande partie à des causes démographiques et il est encore aggravé à chaque fois qu’on supprime des postes de fonctionnaire. En tout état de cause le Gouvernement veille à ce que les dépenses soient gelées en volume et ce régime de retraite est progressivement aligné sur le régime général en ce qui concerne la durée et les taux de cotisation. D’autres régimes sont déficitaires, tel celui des agriculteurs, sans que cela vous pose autant problème.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS 87.

M. Arnaud Robinet. L’alignement des taux de cotisation des régimes spéciaux sur ceux qui s’appliquent aux salariés du privé ne sera atteint qu’en 2026. Alors que les régimes spéciaux font l’objet d’une subvention d’équilibre toujours plus conséquente, il est normal que les assurés de ces régimes fassent un effort supplémentaire pour s’aligner sur les taux de cotisation du privé, au moins au même rythme que les fonctionnaires. Pour mémoire, pour chaque retraité de la SNCF et de la RATP, l’État donne au titre de la subvention d’équilibre 11 821 d’euros par an, contre 690 euros hors impôts et taxes affectés pour chaque retraité du régime général.

M. le rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement : l’alignement des taux de cotisation est en cours et sera effectif en 2017. En outre, l’augmentation du taux de cotisation prévue par ce projet de loi s’applique à ces régimes.

La Commission rejette cet amendement.

Article 3

(art.
L. 114-2, L. 114-4, L. 114-4-2, L. 114-4-3 et L. 135-6
du code de la sécurité sociale)


Mécanisme de pilotage du système de retraite

Le présent article instaure un mécanisme de pilotage de l’ensemble du système de retraite, visant à garantir le respect de ses objectifs tels que définis à l’article 1er, au moyen de mesures correctrices si nécessaire.

L’idée de bâtir un mécanisme de pilotage à long terme vient du souhait d’en finir avec un pilotage à vue du système de retraite qui a conduit à de trop nombreuses réformes ces dernières années. Ces « grandes réformes » anxiogènes, présentées à chaque fois comme la « der des der », entament la confiance des assurés, et notamment des plus jeunes, en notre système de retraite.

Le mécanisme d’allongement de la durée d’assurance en fonction de l’espérance de vie, prévu à l’article 5 de la loi du 21 août 2003, était une forme de pilotage automatique, mais il ne portait que sur un seul paramètre (la durée d’assurance), ne visait qu’un seul objectif (maintenir constant le rapport entre vie active et vie à la retraite et s’éteignait en 2020).

La loi du 9 novembre 2010 a créé le Comité de pilotage des régimes de retraite (« Copilor »), chargé de « veiller au respect des objectifs du système de retraite par répartition » et de rendre chaque année, avant le 1er juin, un avis « sur la situation financière des régimes de retraite, sur les conditions dans lesquelles s’effectue le retour à l’équilibre du système de retraite à l’horizon 2018 et sur les perspectives financières au-delà de cette date. Lorsque le comité considère qu’il existe un risque sérieux que la pérennité financière du système de retraite ne soit pas assurée, il propose au Gouvernement et au Parlement les mesures de redressement qu’il estime nécessaires » (article L. 114-4-2 du code de la sécurité sociale). Cette instance ne s’est réunie qu’une fois en formation plénière (en 2011) et n’a jamais rendu d’avis. Sans doute ses objectifs n’étaient-ils pas suffisamment précis, et ses outils d’ajustement pas suffisamment encadrés. Le rapport de la commission pour l’avenir des retraites souligne aussi que le fait de mêler des acteurs disparates – le Copilor associait les administrations, les régimes de retraites, les partenaires sociaux et des parlementaires – interdit de facto l’élaboration de propositions concrètes.

De nombreux pays ont mis en place des systèmes de pilotage de leurs régimes de retraite. En Allemagne, le dispositif a une valeur contraignante, et se déclenche automatiquement quand certains seuils sont franchis, entraînant des mécanismes de rééquilibrage : i) le niveau de réserves de trésorerie doit être compris entre 0,2 et 0,5 mois (à défaut, adaptation des taux de cotisations) ; ii) le taux de cotisation (qui doit être inférieur à 20 % en 2020 et 22 % en 2030) ; iii) le taux de remplacement (qui ne doit pas être inférieur à 46 % en 2020 et 43 % en 2030). Ce mécanisme est susceptible de jouer dans les deux sens : c’est ainsi que ces dernières années, le taux de cotisation a été légèrement diminué car les autres objectifs étaient dépassés.

L’exemple canadien est plus proche de nous car il s’agit d’un régime en annuités, contrairement au régime allemand qui fonctionne en points. Il s’agit d’un régime par répartition partiellement provisionné. Les cotisations doivent financer les pensions, et des réserves existent afin d’assurer la viabilité du système à horizon de 75 ans. Lorsqu’un déséquilibre financier à long terme apparaît, le Parlement doit décider d’ajustements sur des leviers à définir. En l’absence de décision, un ajustement automatique intervient, qui consiste en un relèvement du taux de cotisation et un gel des pensions pendant trois ans, délai à l’issue duquel la situation est à nouveau examinée.

Le rapport Moreau formule certaines recommandations pour la mise en place d’un système de pilotage :

– une expertise technique et indépendante doit pouvoir s’exercer en amont du dialogue social et du débat parlementaire ; ce rôle ne peut être confié au COR, qui est une instance de dialogue créée pour dégager des diagnostics partagés mais qui ne peut endosser un rôle de proposition vis-à-vis des pouvoirs publics ; il doit donc être confié à un comité d’experts resserré, chargé de rendre un avis au Gouvernement ;

– le pilotage doit être annuel, car une périodicité trop longue entraîne des grands « rendez-vous » anxiogènes (comme les rendez-vous quadriennaux prévus par la loi du 21 août 2003) qui peuvent coïncider avec des échéances électorales et risquer d’être reportés ; ces points d’étape doivent permettre d’éviter que des réformes soient retardées ou prises à chaud ;

– le pilotage ne doit pas porter uniquement sur la trajectoire financière, mais surveiller aussi des indicateurs concernant le niveau des retraites, les équilibres entre hommes et femmes, l’emploi des seniors ou la lisibilité du système ;

– il faut distinguer le pilotage structurel (adéquation du système aux objectifs fixés par la loi) du pilotage conjoncturel (mode de rééquilibrage de la trajectoire financière en cas d’écarts liés à la conjoncture économique).

Enfin, la commission pour l’avenir des retraites ne préconise pas d’évoluer vers un système d’équilibrage totalement automatique, mais recommande que les instruments d’ajustement soient déterminés à l’avance : durée d’assurance dans l’esprit de la loi de 2003, règles d’indexation des pensions et des salaires portés au compte, etc. La décision d’appliquer les recommandations ou non (dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale) reviendrait au Gouvernement qui ne serait pas lié par l’avis du comité d’experts.

Le présent article reprend les grandes lignes des recommandations de la Commission pour l’avenir des retraites, à travers la mise en place d’un mécanisme en trois étapes dont le nouveau Comité de suivi des retraites constitue le cœur. La décision d’appliquer les mesures d’ajustement revient toujours au pouvoir politique (Gouvernement et Parlement).

Le II remplace la section 6 du chapitre IV du titre Ier du livre Ier, relative à la Commission de garantie des retraites, par une section 6 relative au « Comité de suivi des retraites ». Initialement intitulé « Comité de surveillance des retraites », votre commission l’a renommé « Comité de suivi des retraites ».

La Commission de garantie des retraites, créée par l’article 5 de la loi du 21 août 2003, n’a plus lieu d’être avec l’extinction du dispositif d’ajustement automatique de la durée d’assurance (cf. commentaire de l’article 2).

Le III du présent article abroge la section du code de la sécurité sociale relative au Comité de pilotage des régimes de retraite (Copilor), ce dernier étant supprimé.

Le présent article propose un mécanisme en trois étapes : un rapport préalable du Conseil d’orientation des retraites (COR) sur la situation et les perspectives du système de retraite au regard de certains indicateurs, un avis du Comité de suivi des retraites, éventuellement suivi de recommandations, enfin, le cas échéant, une présentation du Gouvernement au Parlement des suites qu’il entend donner à ces recommandations.

 Le rapport préalable du Conseil d’orientation des retraites (COR)

Le I du présent article modifie l’article L. 114-2 du code de la sécurité sociale relatif aux missions du COR. Il remplace l’avis prévu par l’article 5 de la loi du 21 août 2003, devenu inutile, par « un document annuel sur le système de retraite, fondé sur des indicateurs de suivi définis par décret au regard des objectifs énoncés au II de l’article L. 111-2-1 ».

Ce rapport annuel doit être rendu public au plus tard le 15 juin. Les indicateurs seront définis par décret en fonction des objectifs énoncés à l’article 1er du présent projet de loi : contributivité, équité entre les sexes, les professions et les régimes, équité et solidarité intergénérationnelles et intragénérationnelles, réduction des écarts de pensions entre hommes et femmes, niveau de vie satisfaisant des retraités, pérennité financière, niveau élevé d’emploi des seniors.

Une séance annuelle du COR sera consacrée au suivi de ces indicateurs. L’étude d’impact indique que cette nouvelle mission pourra s’intégrer sans difficulté à ses missions actuelles, autrement dit sans moyens supplémentaires.

 L’avis et les recommandations du Comité de suivi des retraites

Le I de l’article L. 114-4 du code de la sécurité sociale crée un comité d’experts appelé « Comité de suivi des retraites ».

Le II de l’article L. 114-4 prévoit que le Comité de suivi des retraites rende public chaque année, avant le 15 juillet, un avis sur l’adéquation du système de retraite à ses objectifs, s’appuyant sur le rapport du COR mentionné ci-dessus, ainsi que sur les projections quinquennales du COR (cette référence ayant été ajoutée au présent projet de loi par votre commission).

S’il considère que le système de retraite s’éloigne de façon significative des objectifs définis à l’article L. 111-2-1, le Comité émet des recommandations publiques qui s’adressent au Parlement, au Gouvernement et aux régimes de retraite, y compris complémentaires, destinées à corriger ces écarts.

 La réponse du Gouvernement au Parlement

Le V de l’article L. 114-4 prévoit que le Gouvernement, après consultation des partenaires sociaux, présente au Parlement les suites qu’il entend donner à ces recommandations.

Cette présentation peut se traduire concrètement par l’introduction de mesures d’ajustement dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Si le Gouvernement n’entend pas prendre de mesures législatives (soit qu’il ne prenne que des mesures réglementaires, soit qu’il ne prenne aucune mesure), le ministre chargé des affaires sociales devra s’en justifier devant les commissions des affaires sociales des assemblées lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Un an après avoir émis ses recommandations, le Comité de suivi rend un avis public sur leur suivi. Il jouera ainsi à la fois le rôle de surveillance financière, d’observatoire des inégalités générées par le système de retraite et de suivi des dispositifs mis en place pour les corriger.

 Organisation

Le I de l’article L. 114-4 précité trace les grandes lignes de l’organisation de ce nouveau comité.

Il est composé de cinq personnes : quatre personnalités compétentes en matière de retraite, deux femmes et deux hommes, nommées par décret pour cinq ans, et un président nommé en Conseil des ministres.

Le Comité sera rattaché directement au Premier ministre.

Le Comité de suivi pourra solliciter l’appui technique du COR, des différentes administrations et établissements publics de l’État, du nouveau fonds de financement du dispositif pénibilité créé à l’article 6, des organismes chargés de la gestion d’un régime de retraite, de Pôle Emploi : ces derniers devront communiquer au Comité les informations et les études dont ils disposent, celui-ci pouvant leur faire connaître ses besoins afin qu’ils soient pris en compte dans leurs travaux statistiques.

Le Comité sera évidemment aussi conduit à s’appuyer sur les projections économiques de moyen terme du Gouvernement et la trajectoire des comptes publics établie dans le Programme de stabilité.

Les missions, les modalités d’organisation et de fonctionnement du Comité seront précisées par un décret en Conseil d’État.

 Rôle

Le II de l’article L. 114-4 précise le rôle du Comité de suivi des retraites.

Chaque année avant le 15 juillet, en s’appuyant sur le rapport annuel du COR mentionné précédemment, le Comité rend un avis public qui porte :

– sur l’adéquation du système de retraite aux objectifs fixés au II de l’article L. 111-2-1 (article 1er du présent projet de loi) ; pour cela, il examine les indicateurs de suivi fournis par le COR ; il doit aussi suivre l’évolution des dispositifs de prise en compte de la pénibilité, de départ anticipés, et la situation comparée des droits dans les différents régimes de retraite ;

– sur la situation comparée des hommes et des femmes au regard de l’assurance vieillesse ; à ce titre, il pourra formuler des propositions de modification des avantages familiaux de vieillesse en adéquation avec les évolutions sociales.

Si le Comité constate que le système de retraite s’éloigne, de façon significative, de ses objectifs, il émet des recommandations destinées à ajuster le système afin qu’il retrouve une trajectoire financière saine, ou qu’il respecte ses objectifs sociaux. Ses recommandations s’adressent au Parlement, au Gouvernement et aux régimes de retraite obligatoires de base et complémentaires.

Le fait que les avis et recommandations du Comité de suivi concernent aussi les régimes de retraite complémentaires ne signifie pas qu’il soit porté atteinte à l’indépendance des partenaires sociaux chargés de la gestion de ces régimes. En effet, ces derniers auront toujours la faculté de suivre ou ne pas suivre les recommandations du Comité.

Enfin, un an après avoir adressé ses recommandations, le Comité rend public un avis sur la façon dont elles ont été suivies. Vraisemblablement, cet avis de suivi figurera dans l’avis annuel suivant.

Si les recommandations du Comité de suivi ne constituent pas une injonction au Gouvernement, elles s’imposeront, compte tenu de la composition et de l’importance des missions du comité, comme un élément essentiel du débat public, afin d’éviter que les réformes nécessaires ne soient ajournées.

Toutefois, ces recommandations sont étroitement encadrées par la loi.

 L’encadrement des recommandations du Comité de suivi

Les III et IV de l’article L. 114-4 encadrent les recommandations que peut formuler le Comité de suivi. Le III indique le type de recommandations que le Comité peut émettre, sans que cette liste soit limitative :

– l’évolution de la durée d’assurance requise pour une pension au taux plein, en tenant compte de l’espérance de vie et de la durée de la retraite ; votre commission a ajouté les critères de l’espérance de vie sans incapacité, du niveau de la population active et de la productivité ; le Comité pourra donc recommander de modifier le calendrier d’allongement de la durée d’assurance prévu à l’article 2 du présent projet de loi, dans un sens comme dans l’autre ;

– les transferts du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) vers les régimes de retraite au regard d’éventuels écarts de trajectoire financière ;

– le niveau des taux de cotisation d’assurance vieillesse de base et complémentaire, dans les conditions prévues au IV ;

– votre commission a ajouté la possibilité pour le Comité de recommander l’affectation d’autres ressources au système de retraites, notamment pour financer les prestations non contributives.

Elle a également prévu qu’en cas d’amélioration de la situation économique ou démographique, le Comité pourrait recommander de prendre des mesures renforçant la solidarité du système de retraite.

Les leviers de la durée d’assurance et du taux de cotisation répondent plutôt à des problèmes structurels, tandis que le recours aux réserves du FRR serait réservé à l’absorption d’écarts conjoncturels.

Le IV de l’article L. 114-4 fixe des bornes aux recommandations du Comité, qui seront limitées par un plafond et un plancher ; ainsi, elles ne pourront tendre à :

– augmenter les taux de cotisation d’assurance vieillesse, de base et complémentaires, au-delà de bornes déterminées par décret ; à ce stade, le Gouvernement n’a pas indiqué les limites qu’il entendait fixer ;

– réduire le taux de remplacement assuré par les pensions en deçà d’une limite fixée par décret. L’étude d’impact indique que le taux de remplacement de référence sera construit sur le fondement d’un ou plusieurs cas-types, inspirés en particulier des travaux du Conseil d’orientation des retraites. Le décret d’application devra clarifier ce que l’on entend par « taux de remplacement » : s’agit-il du rapport entre le montant moyen des pensions et le montant moyen des revenus des actifs ? Ou bien le dénominateur est-il le dernier salaire perçu avant liquidation de la pension ? S’agit-il d’un taux par régime ?

Ce « tunnel » à l’intérieur duquel évoluent les recommandations vise à assurer une répartition équitable de l’effort de redressement entre les actifs et les retraités.

Si la conjoncture économique s’améliorait au-delà de la prévision, et que de ce fait les régimes de retraite retrouvaient un niveau élevé de recettes, le Comité de suivi pourrait proposer des mesures favorables, par exemple une baisse du taux de cotisations ou une réindexation temporaire des pensions ou des salaires portés au compte sur les salaires.

Les recommandations du Comité de suivi des retraites pourront porter sur l’utilisation des réserves du FRR, si l’écart par rapport à la trajectoire de redressement financier est dû à une dégradation économique conjoncturelle.

En conséquence, le IV du présent article modifie l’article L. 135-6 du code de la sécurité sociale relatif aux missions du Fonds de réserve pour les retraites, en le scindant en trois paragraphes :

– le paragraphe I concerne la mission permanente du FRR de constitution de réserves au profit des régimes obligatoires de retraite et du Fonds de solidarité vieillesse, ainsi que les versements annuels de 2,1 milliards d’euros à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) prévus par la loi du 9 novembre 2010 en contrepartie de la reprise par cette caisse des déficits de la CNAV jusqu’en 2018 ; le principe et le rythme de ces décaissements ne sont pas modifiés par le présent projet de loi ;

– au paragraphe III sont précisées les conditions de la gestion par le FRR de la « soulte » due par les entreprises électriques et gazières à la CNAV en raison de l’adossement de la Caisse nationale des industries électriques et gazières au régime général ;

– il est créé un paragraphe II consacré au recours éventuel au FRR pour corriger les écarts conjoncturels : les engagements prévus au I sont sanctuarisés, mais les réserves qui les excèdent pourront être affectées par une loi de financement de la sécurité sociale pour corriger des déséquilibres conjoncturels des régimes obligatoires ou du FSV, notamment ceux qui auraient été identifiés par le Comité de suivi des retraites. De ce fait, le FRR retrouve sa mission principale de fonds d’équilibrage des régimes, telle que conçue par le législateur en 1999 (33).

Votre rapporteur souhaite que ces transferts des réserves du FRR soient limités et prévisibles, afin que le Fonds puisse continuer à effectuer des placements à long terme et faire fructifier le capital qui lui a été confié. Il conviendra donc que le décret d’application encadre strictement ces recours au FRR.

*

La Commission examine les amendements AS 88 de M. Arnaud Robinet, AS 240 de Mme Jacqueline Fraysse et AS 331 de M. Dominique Tian, tendant à la suppression de l’article.

M. Arnaud Robinet. Au lieu de tirer le meilleur parti de celles qui existent déjà, cet article crée une nouvelle instance consultative dont rien ne justifie l’existence, le comité de surveillance des retraites dont la composition est en outre incomplète : elle devrait au moins faire une place aux représentants des régimes de retraite.

Mieux vaudrait donner une nouvelle impulsion au comité de pilotage des retraites (COPILOR), qui a le mérite d’associer l’ensemble des acteurs prenant en charge le risque vieillesse – il serait d’ailleurs possible d’élargir dans le même esprit les missions du comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie, actuellement placé auprès de la Commission des comptes de la sécurité sociale, pour ajouter à ses compétences le suivi des dépenses d’assurance vieillesse : il lui reviendrait alors d’alerter le Gouvernement et le Parlement en cas d’évolution défavorable de ces comptes.

Faut-il aussi rappeler qu’en 2010, Mme la ministre s’opposait à la création de toute nouvelle instance de pilotage, pour préserver le Conseil d’orientation des retraites (COR) ?

Mme Jacqueline Fraysse. Le comité de surveillance des retraites qu’il nous est proposé de créer par cet article 3 sera une instance très technocratique : constitué d’experts nommés par le Gouvernement et dont l’indépendance sera donc toute relative, il sera principalement chargé d’édicter des recommandations à caractère technique en vue d’assurer ce que vous appelez la pérennité financière du système. Mais cette pérennité dépend en réalité de choix politiques, portant sur la durée d’assurance, sur le niveau des cotisations et sur le taux de remplacement. Aussi demandons-nous la suppression de cet article : nous disposons déjà de tous les outils utiles pour réfléchir à l’avenir des retraites et pour proposer le cas échéant des modifications du système.

M. Dominique Tian. Mon amendement est identique. Je reprends à mon compte les arguments développés par M. Robinet.

M. Michel Issindou, rapporteur. Le COPILOR a eu une existence éphémère si tant est qu’il ait existé : institué par la loi de 2010, il ne s’est réuni qu’une seule fois – en 2011 – et n’a rendu aucun avis. Je m’étonne donc que vous défendiez une instance que vous n’avez pas su ou pas voulu faire vivre.

Il faut dire que sa composition avait l’inconvénient de reproduire à peu de chose près celle du COR. Celle du comité de surveillance des retraites sera plus restreinte puisqu’il ne comprendra que des experts, à la différence du COR où siègent en outre, parmi ses 39 membres, des représentants des organisations de salariés et d’employeurs aussi bien que de l’administration. De plus, ce comité n’aura pas vocation à animer le débat. Même si celle des experts n’est pas toujours assurée, il jouira ainsi d’une indépendance lui permettant de se situer « au-dessus de la mêlée » et de porter un regard objectif sur la situation. Je suis donc défavorable à ces amendements de suppression.

M. Jean-Pierre Door. Cet article n’est ni plus ni moins qu’une mesure de « détricotage » de la loi de 2010. On remplace un comité par un autre, alors qu’il serait bien plus simple d’élargir les missions de celui qui est déjà en place !

M. Bernard Accoyer. La création de ce comité de surveillance va-t-elle au moins de pair avec la suppression d’autres instances ? Nous avons trop tendance à multiplier les nouvelles structures sans supprimer celles qu’elles remplacent.

Mme Véronique Louwagie. Le Premier ministre a réuni cet été tous les membres du Gouvernement pour un nouveau comité interministériel consacré à la modernisation de l’action publique, dont l’objectif était de simplifier en vue de faire des économies. En décembre 2012, il avait annoncé la suppression de cent commissions administratives jugées inutiles. Bref, il prétendait « faire le ménage » dans le maquis des commissions, comités consultatifs et autres conseils stratégiques. La création du comité de surveillance va au rebours de ce discours !

J’avoue d’autre part ne pas comprendre la position du rapporteur, qui s’est opposé hier à un amendement qui proposait de mener une réflexion nationale sur un certain nombre de sujets allant des conditions d’une plus grande équité à la mise en place d’un régime universel ou encore à la facilitation du libre choix des assurés, réflexion qui aurait été portée par le COPILOR.

M. Denis Jacquat. Je siège au COR depuis sa création et j’ai siégé au COPILOR. En cette ère de la simplification, je pense sincèrement que la proposition de M. Robinet – qui consiste à donner de nouvelles prérogatives aux instances existantes – est la meilleure.

M. Dominique Dord. Comme l’a dit M. Accoyer, nous ne cessons de créer des autorités et des commissions en tout genre. Il m’avait pourtant semblé que l’on nous avait annoncé un choc de simplification. La session ordinaire commence mal !

M. le rapporteur. Le COR n’a pas vocation à rendre des arbitrages : sa mission est de poser un diagnostic. Les syndicats qui y siègent nous ont dit clairement qu’ils ne souhaitaient pas sortir de ce rôle pour prendre des décisions. C’est d’ailleurs pour cela que cette instance fonctionne bien.

Quant au COPILOR, il n’existe tout simplement pas ! Nous allons donc le remplacer par un comité de surveillance beaucoup plus réduit puisqu’il ne comportera que cinq membres, qui s’appuieront sur les travaux du COR ou de la direction de la sécurité sociale pour donner un avis – car il ne s’agit que d’un avis, madame Fraysse, et il serait tout de même dommage de se priver de l’expertise dont nous disposons dans notre pays. Cet avis pourra être suivi de recommandations, mais l’État gardera son pouvoir de décision. Il n’y a donc pas lieu de redouter la création de ce comité.

Encore une fois, le COPILOR n’a pas fonctionné : il ne s’est réuni qu’une seule fois en trois ans.

M. Denis Jacquat. Deux fois.

M. le rapporteur. Cela prouve en tout cas qu’il souffrait d’un vice de conception.

M. Christian Paul. Je suis surpris que l’opposition s’acharne à refuser tout pilotage. Si vous aviez fait une vraie réforme des retraites au lieu de vous contenter d’une adaptation financière de court terme qui révèle aujourd’hui son insuffisance, vous auriez certainement souhaité disposer d’une instance de suivi à même d’éclairer par ses conseils le Gouvernement et le Parlement sur l’ensemble des éléments et des paramètres à prendre en compte pour une saine gestion du système de retraites. C’est justement ce à quoi tend cet article. Il est légitime de poser la question de la place des « sages » dans une démocratie mais, en l’occurrence, le dernier mot reviendra au Parlement. N’ayez donc pas peur du pilotage !

M. Denis Jacquat. Si l’on vise la simplification, le COR et le cabinet du ministre devraient suffire.

M. le rapporteur. Nous ne supprimons pas seulement le COPILOR, mais aussi la commission de garantie des retraites, et cela pour créer une instance plus modeste. Il y a donc bien simplification !

La Commission rejette les amendements de suppression.

Puis elle examine, en discussion commune, l’amendement AS 201 de M. Philippe Vigier et les amendements identiques AS 89 de M. Arnaud Robinet et AS 360 de M. Dominique Tian.

M. Philippe Vigier. Il importe de tailler dans le maquis des agences, commissions, comités consultatifs et autres conseils stratégiques. Pourquoi ne pas renforcer le rôle et les attributions du COR, auteur de deux rapports – l’un en décembre 2012 et l’autre en janvier 2013 – qui ont permis d’alerter la représentation nationale et le Gouvernement sur la nécessité de mesures ? C’est ce que propose notre amendement AS 201, qui vise à supprimer au profit du COR le comité de surveillance que vous créez. Il ne s’agit pas de déposséder le Parlement, mais d’élargir les prérogatives du Conseil d’orientation et de lui assigner pour mission d’éclairer le Gouvernement et la représentation nationale. Cela permettrait de concilier simplification, efficacité et exigence de représentativité.

M. Arnaud Robinet. Comme aime à le rappeler la Garde des Sceaux, la loi doit être respectée. Or celle du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites, a fixé à l’année 2013 le début de la réflexion sur les conditions d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse, permettant par exemple de passer à un régime par points. Le Gouvernement nous soumet aujourd’hui un nouveau texte au mépris du rendez-vous ainsi fixé. Nos concitoyens attendent pourtant, très légitimement, que nous réduisions le nombre des régimes ainsi que les différences dans les conditions d’acquisition et de liquidation des droits à pension. L’objectif de pérennité financière doit aller de pair avec un objectif d’équité et de transparence des droits acquis. Il est donc indispensable de poursuivre le rapprochement des régimes afin de consolider le pacte social.

M. Dominique Tian. Mon amendement AS 360, identique, se justifie par les mêmes arguments.

M. Bernard Perrut. Comme il vient d’être dit, le présent projet de loi ne reprend pas les termes de l’engagement de la loi de 2010, qui prévoyait l’organisation d’une réflexion nationale sur les objectifs, les caractéristiques et la possibilité d’une réforme systémique. Il serait pourtant salutaire de réfléchir aux conditions d’une plus grande équité entre les régimes de retraite légalement obligatoires, à la mise en place d’un régime universel, par points ou en comptes notionnels, dans le respect du principe de répartition au cœur du pacte social qui unit les générations, et enfin aux moyens de faciliter le libre choix par les assurés du moment et des conditions de leur cessation d’activité. Le texte aurait dû nous permettre d’avancer dans cette direction.

M. Denis Jacquat. L’amendement de M. Vigier est d’autant plus pertinent que le maintien du COR a toujours fait l’objet de votes unanimes en commission des affaires sociales. Le renforcement de son rôle serait la solution la plus judicieuse.

M. Michel Liebgott. Je note avec amusement que l’exposé sommaire de l’amendement de M. Robinet parle à propos de ce texte de « nouvelle réforme », alors que l’opposition n’a de cesse de lui dénier cette qualité. Oui, il s’agit bien d’une véritable réforme, qui se fonde sur un souci d’équité – contrairement à celle qui l’a précédée, qui ne prenait en compte que l’invalidité, et non la pénibilité.

Enfin, je fais observer que le COR ne disparaît pas, ce qui nous permet de lui adjoindre un dispositif qui le complétera utilement.

M. le rapporteur. Ne rouvrons pas le débat d’hier soir. Pour l’heure, nous avons le souci de rétablir les comptes et de procéder à une réforme juste et équitable. La réforme systémique viendra en son temps.

Laissons donc au COR, qui la remplit parfaitement aujourd’hui, sa mission qui est de poser un diagnostic, de dresser un état des lieux. Encore une fois, ses membres ne veulent pas prendre de décisions. Sa composition suffirait d’ailleurs à l’interdire, les syndicats ne souhaitant pas négocier la réforme des retraites. Le comité de surveillance remplira une autre mission, complémentaire en effet.

Mme Véronique Louwagie. L’article 3 assigne au comité de surveillance des retraites un quadruple rôle : un rôle de communication, un rôle d’information sur l’évolution du système, un rôle d’analyse – par exemple de la situation comparée des hommes et des femmes – et un rôle d’avis. Mais il ne va pas jusqu’au bout. Pourquoi ne pas conduire une réflexion plus globale, qui serait bien nécessaire pour assurer l’avenir de notre système de retraites ? Il est regrettable que ce ne soit pas le cas.

La Commission rejette successivement l’amendement AS 201 et les amendements identiques AS 89 et AS 360.

Elle est saisie de l’amendement AS 399 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement rédactionnel sert un objectif d’information.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 199 de M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Jean-Luc Préel, qui fut longtemps un membre très actif de notre Commission, proposait à chaque réforme des retraites de mettre en œuvre un régime universel par points. Avec cet amendement, nous nous inscrivons dans la continuité de cette démarche et je suis heureux de voir le groupe UMP nous rejoindre, après avoir accepté, en 2010, notre amendement visant à engager la réflexion sur une réforme systémique. J’espère qu’un jour la majorité se ralliera à son tour à cette position !

Notre amendement propose d’aller un peu plus loin que la loi de 2010, en chargeant le COR de réfléchir aux « conditions de mise en œuvre d’un régime universel à points ou à compte notionnel ».

M. le rapporteur. Le COR a émis en 2010 un avis sur les différents systèmes de la sorte existant en Europe. Il a donc fait son travail d’expertise et de diagnostic. Il appartiendra au politique de se prononcer un jour – mais certainement pas dans l’immédiat. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission en vient à l’amendement AS 40 de M. Gérard Cherpion.

M. Bernard Perrut. Nous avons déjà dans notre pays environ 700 commissions, comités, observatoires ou hauts conseils : on peut donc s’interroger sur l’opportunité de créer ce comité de surveillance des retraites. Nous préférerions que les missions que vous voulez lui confier le soient plutôt au COR, qui est « un lieu permanent d’études et de concertation entre les principaux acteurs du champ des retraites ». Nous proposons donc de supprimer les alinéas 3 à 28.

M. le rapporteur. Je répète que le COR ne peut être une instance de proposition. Laissons-le faire ce qu’il sait bien faire : diagnostics et état des lieux. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements AS 485 de la commission des finances et AS 282 et AS 283 de M. Gérard Sebaoun.

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. L’amendement AS 485 tend à faire du comité de surveillance un « conseil d’évaluation et d’orientation stratégique ». Cet organisme aura en effet pour mission de suivre l’évolution financière de l’ensemble des régimes ainsi que l’évolution des inégalités et des dispositifs, et il aura à suggérer des orientations.

M. Gérard Sebaoun. Mes amendements visent à faire de cette instance un « comité de suivi », plutôt que de surveillance. Ce dernier terme suggère en effet, assez souvent, une notion d’activité secrète : on parle de télésurveillance, de vidéosurveillance, de surveillance électronique. La dénomination proposée est plus simple et correspond bien aux missions confiées au comité : suivre les régimes de retraite en s’aidant de toutes les compétences nécessaires, afin de formuler les meilleures propositions possibles.

M. Denis Jacquat. Je suis surpris par ces amendements : les compétences évoquées se superposent à certaines de celles du COR, ce qui pourrait annoncer le début de la fin pour ce dernier !

M. Dominique Dord. Je voterai en faveur des amendements de M. Sebaoun, qui me paraissent emporter la conviction.

M. Christian Paul. Merci de ce prompt renfort !

On peut partager certains attendus du rapporteur pour avis, mais la dénomination de comité de suivi nous paraît à la fois nécessaire et suffisante.

M. Arnaud Robinet. Je trouve l’amendement du rapporteur pour avis très intéressant, car il va dans le sens d’une rationalisation des comités et conseils. Il conduira en effet nécessairement à un moment donné à la mort du COR.

M. le rapporteur pour avis. Je ne peux retirer cet amendement, qui a été adopté par la commission des finances, mais, ayant entendu M. Paul, je me rallie à titre personnel à la proposition de M. Sebaoun.

M. Philippe Vigier. Nous soutiendrons l’amendement du rapporteur pour avis, qui nous semble aller dans le bon sens. Il faut mettre un terme à cet enchevêtrement de commissions – le comité de pilotage, le comité de surveillance, le COR… Si vous aviez accepté d’élargir les compétences du COR, vous n’en seriez pas maintenant à démêler ce que doit être votre position !

M. Arnaud Robinet. Nous voterons également l’amendement AS 485.

M. le rapporteur. Avis défavorable sur l’amendement du rapporteur pour avis, d’autant que lui-même n’y tient pas – et que vous le reprenez à votre compte ! Je suis en revanche favorable aux amendements de M. Sebaoun : l’appellation « comité de suivi » est pertinente.

M. Arnaud Richard. Nous pourrions profiter de la présence de Mme la ministre pour lui demander son avis.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Laissez la présidente présider !

M. Denis Jacquat. Si je comprends bien, tout ce que nous proposons est mauvais !

La Commission rejette l’amendement AS 485, puis adopte successivement les amendements AS 282 et AS 283.

Elle adopte l’amendement AS 400 rédactionnel du rapporteur.

M. Denis Jacquat. Vous avez beaucoup d’amendements rédactionnels, monsieur le rapporteur !

Mme la présidente Catherine Lemorton. On finirait presque par prendre les habitudes qui étaient les vôtres quand vous étiez dans la majorité !

L’adoption de l’amendement AS 400 a pour effet de faire tomber les amendements AS 129 de M. Jean-Noël Carpentier et AS 41 rectifié de M. Gérard Cherpion.

M. Jean-Noël Carpentier. Pourquoi ?

M. le rapporteur. L’adoption de l’amendement AS 400 prive le vôtre, ainsi que celui de M. Cherpion, de tout support. Je note en outre qu’à la place des mots « quatre personnalités », supprimés, vous souhaitiez écrire : « huit personnalités »…

Mme la présidente Catherine Lemorton. D’autre part, le décret d’application précisera les conditions de mise en œuvre de cette disposition.

M. Jean-Noël Carpentier. Je proposais un amendement de fond. Le comité de suivi sera amené à faire des recommandations. Or vous avez reconnu tout à l’heure, monsieur le rapporteur, que les experts n’étaient pas toujours indépendants : intégrons donc dans sa composition des membres de la représentation nationale ! Cela me paraît d’autant plus judicieux que, selon votre rapport, ces recommandations « s’imposeront (…) comme un élément essentiel du débat public ».

Mme la présidente Catherine Lemorton. On ne peut modifier deux fois la même phrase.

M. le rapporteur. En effet. De plus, on ne peut prétendre instituer un comité d’experts indépendants et nommer en son sein des politiques.

M. Dominique Dord. Je ne pense pas que l’amendement de M. Carpentier tombe ; il tend à améliorer la rédaction proposée par le rapporteur.

Je suis d’autre part choqué qu’on laisse entendre que nous ne serions ni experts ni indépendants : certains députés sont au moins autant experts que les experts attitrés et ils sont totalement indépendants ! L’amendement a tout son sens.

Mme Véronique Louwagie. Ces amendements tendent à regrouper, dans un esprit de consensus, des personnes d’origines différentes – dont, s’agissant du second, une nommée par le président de l’Assemblée nationale et une autre par celui du Sénat. Ils sont parfaitement justifiés.

M. Gérard Sebaoun. Le comité de suivi ne doit pas ressembler à une sorte de commission paritaire, où seraient représentés tous nos groupes politiques. Sa neutralité, qui lui est conférée par la présence d’experts indépendants, est la condition pour qu’il fasse les recommandations les plus objectives possibles.

M. Christian Paul. Il faut essayer de s’en tenir à des idées simples et claires et le projet du Gouvernement va d’ailleurs dans ce sens. Le travail de recommandation, de conseil et de suivi doit être mené par des experts, même si je ne crois pas à l’indépendance absolue de ceux-ci. Ce serait une confusion des genres d’ajouter à cette instance des parlementaires, qui sont engagés et font parfois des choix très tranchés – à l’image du dernier ouvrage de M. Robinet, intitulé La mort de l’État-providence, dont je viens de prendre connaissance. Cela étant, le dernier mot doit naturellement revenir au Parlement, comme défenseur de l’intérêt général.

M. Jean-Noël Carpentier. Je précise que mon amendement différait de celui de M. Cherpion, en ce que je ne proposais pas de supprimer les experts du comité, mais d’enrichir leur réflexion grâce à l’adjonction de deux parlementaires de chaque assemblée.

La Commission examine ensuite l’amendement AS 332 de M. Dominique Tian.

M. Dominique Tian. Il est choquant de renvoyer à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les missions du comité. Je pense que le texte doit affirmer expressément que celui-ci a pour fonction de s’assurer d’une réelle convergence des règles en vigueur dans les régimes de retraite – selon le principe : à contribution égale, retraite égale – ainsi que de l’équilibre financier, à terme, du système de retraite.

M. le rapporteur. Le comité de suivi aura bien évidemment pour mission de suivre l’évolution des retraites dans tous les régimes et de s’assurer des équilibres globaux de ceux-ci, ainsi que de l’équilibre financier à terme du système de retraite. Cela fait partie de ses attributions et il est inutile d’en rajouter.

M. Philippe Vigier. Je ne vous comprends pas : en quoi est-il gênant de préciser que ce comité s’assure de l’équilibre financier du système ? Vous dites qu’il ne faut pas retirer au Parlement ses prérogatives : or il nous revient de faire en sorte que cet organe soit exigeant dans son travail et rende des comptes à la représentation nationale.

Mme Véronique Louwagie. La définition des missions du comité, qui est l’élément le plus important, doit être précisée par le projet de loi. Renvoyer à un décret en Conseil d’État le soin de le faire ne me paraît pas pertinent, surtout quand on connaît les délais de publication de ces textes réglementaires.

La Commission rejette l’amendement AS 332.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS 401 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement AS 284 de Mme Linda Gourjade.

Mme Linda Gourjade. Cet amendement tend à rappeler la mission première du Conseil d’orientation des retraites, qui est notamment de prendre en considération les évolutions économiques dans ses projections financières.

M. le rapporteur. Avis favorable. Cette précision a tout son sens, le comité de suivi devant s’appuyer sur les perspectives financières et démographiques présentées par le COR.

M. Denis Jacquat. Cet amendement va « détricoter » le COR, instance de réflexion produisant à la fois des analyses et des suggestions qu’il convient de conserver comme telle. On aura finalement deux organismes qui se ressembleront et le comité de suivi semble créé pour faire plaisir à certains ou pour y placer ceux qui n’ont pu trouver place au Conseil d’orientation !

M. le rapporteur pour avis. Monsieur Jacquat, vous connaissez bien le COR pour y avoir siégé quelques années, comme moi d’ailleurs – pendant près de dix ans. Il s’agit d’un organe ayant pour mission d’établir un diagnostic partagé, et où siègent des représentants des partenaires sociaux et des caisses, ainsi que des experts. Il rend un rapport annuel et des rapports intermédiaires, mais jamais on ne lui a demandé des recommandations – à une exception près : en 2010, vos amis de l’ancienne majorité l’ont sollicité pour qu’il formule des orientations pour une réforme, mais il s’y est refusé à l’unanimité, son directeur faisant valoir que cette instance n’avait pas vocation à se substituer à l’Assemblée nationale ou au Gouvernement. Il doit rester tel que l’a créé Lionel Jospin : un lieu de débat ouvert, à partir des données fournies par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), par l’INSEE ou par tout autre organisme.

Quant au comité de suivi, il sera composé de représentants des caisses et aura pour mission de nous éclairer sur les problématiques financières et sur les paramètres à prendre en compte en matière d’espérance de vie et d’équilibres financiers, ainsi que de faire des propositions. Ces deux structures sont donc bien distinctes : le pire serait de laisser croire qu’elles ont la même vocation. Et, de la même manière que vous avez salué la création du COR, je suis convaincu que dans quelques années, vous saluerez celle du comité de suivi !

M. Denis Jacquat. Monsieur le rapporteur pour avis, il est vrai que le COR a été sollicité pour qu’il se prononce sur la demi-part accordée aux veuves, mais le Gouvernement lui a également adressé l’année dernière, en vue de préparer le présent projet, une double commande pour faire le point sur la situation des retraites – ce dont personne ne s’est plaint. Les missions du COR peuvent donc très bien être élargies. Nous n’y sommes d’ailleurs pas opposés, mais nous refusons la création d’une nouvelle instance.

Mme Linda Gourjade. Je suis en désaccord avec vous. Cet amendement renforce le COR puisqu’il permet au comité de suivi de s’appuyer plus largement sur le diagnostic élaboré par ce dernier.

La Commission adopte l’amendement AS 284.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS 402 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement AS 24 de M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. Le système français des retraites a fait régulièrement l’objet de réformes, et celles menées par les gouvernements de la droite et du centre ont permis d’économiser un peu plus de 120 milliards d’euros. Sans la réforme de 2010, le déficit ne serait pas de 20 milliards d’euros, mais de 50 !

Cela dit, ces réformes sont relativement anxiogènes pour nos concitoyens. Ils ont le sentiment que notre système de retraites est si opaque qu’ils ne peuvent en maîtriser les règles. De plus, la qualité du service rendu est très variable selon les organismes de retraite, alors qu’il est essentiel qu’elle soit identique pour tous. Tant qu’on n’aura pas le courage de procéder à une réforme systémique, cette opacité demeurera. Les différents régimes doivent offrir à chacun, tout au long de sa vie professionnelle, les moyens de prendre les bonnes décisions pour bénéficier de la meilleure retraite possible. Afin d’évaluer les progrès réalisés dans ce domaine, le comité de suivi devrait donc s’assurer de la qualité des services rendus aux usagers par les organismes chargés de la gestion des régimes de retraite légalement obligatoires, ainsi que par les services de l’État chargés de la liquidation des pensions.

M. le rapporteur. Ce n’est pas le rôle du comité de suivi. L’information de l’usager, qui est en effet importante, s’est fortement améliorée ces derniers temps. Le GIP Info Retraite a fait un excellent travail. Ceux qui ont atteint l’âge de 35 ans ont bénéficié de premières informations sur leur future retraite et ceux qui ont eu 55 ans ont reçu un décompte approximatif de leur pension à venir. Nous allons encore renforcer cette information des usagers par d’autres dispositions du projet de loi, notamment grâce à la création d’un GIP interrégimes, qui contribuera à lever les barrières entre nos 35 régimes.

Mme Véronique Louwagie. Les Français ont en effet des inquiétudes quant à leur retraite : on observe une méconnaissance des dispositifs et les évolutions législatives alimentent leurs craintes. Il serait donc important d’évaluer notre système d’information et de communication. Le refuser me paraît une erreur.

M. Philippe Vigier. Cet amendement est intéressant. Le rapporteur a insisté sur la nécessité d’avoir un système plus transparent et lisible : or il est vrai que le calcul de la retraite est assez anxiogène pour nos compatriotes. Comme on sait qu’avec ce texte, nous n’aurons pas le régime unifié que nous appelons de nos vœux, pourquoi ne pas accepter davantage de transparence et refuser de mesurer si l’indice de satisfaction de nos concitoyens s’améliore ? Vous vous privez d’une arme en refusant cet amendement ! Je rappelle que seulement 30 % des Français ont confiance dans le mode de calcul de leur pension et comprennent le fonctionnement du régime de retraite auquel ils sont rattachés.

M. le rapporteur. Le GIP Info Retraite est plébiscité par l’ensemble de nos concitoyens, qui trouvent les informations qu’il délivre tout à fait remarquables. En outre, je suis persuadé qu’il est capable de s’autoévaluer pour améliorer le cas échéant ce qui doit l’être.

La Commission rejette l’amendement AS 24.

Elle est saisie de l’amendement rédactionnel AS 403 du rapporteur.

M. le rapporteur. Mentionnons les femmes avant les hommes – pour respecter l’ordre alphabétique ! (Sourires.)

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS 107 de M. Pouria Amirshahi.

M. Pouria Amirshahi. Il s’agit d’un amendement pédagogique, destiné à faire mieux comprendre – et mieux prendre en compte – les difficultés auxquelles se heurtent nos compatriotes établis hors de France. Ceux-ci peuvent avoir eu des activités dans différents pays : or, au moment de la retraite, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) refuse, pour le calcul de leur pension, d’appliquer cumulativement les droits ouverts par les conventions bilatérales de sécurité sociale passées avec la France. Il est donc nécessaire que, dans son rapport, le comité de suivi analyse aussi les raisons et les conséquences de cette impossibilité de bénéficier des droits résultant de la totalité des périodes d’activité à l’étranger. En général, le cumul est limité à deux périodes car la CNAV ne prend en compte que deux conventions au plus. Je précise que la situation diffère selon que nos compatriotes résidaient dans l’Union européenne ou au dehors, mais nous avons tenu, à plusieurs députés des Français établis hors de France, représentant ces deux catégories, à appeler votre attention sur cette question.

Je rappelle que 2,5 millions de Français vivent en dehors de notre pays, ce qui est exceptionnel – tous les pays ne peuvent se prévaloir d’une diaspora aussi importante. Ces expatriés sont loin d’être tous des « évadés fiscaux » et nous avons tout intérêt à les soutenir car ils contribuent à notre rayonnement international, qu’ils soient cadres dans une entreprise ou au service d’une administration. Il est nécessaire d’encourager cette mobilité en prenant en compte, le moment venu, la totalité de leur carrière professionnelle, même si les législations du travail diffèrent d’un pays à l’autre. Nous souhaitons donc réunir les conditions pour que la CNAV accepte le cumul des conventions bilatérales.

M. Denis Jacquat. Le problème soulevé dans cet amendement est réel mais renvoie à deux cas distincts, selon que les pays de résidence ont ou non signé des accords bilatéraux avec la France. Dans le premier cas, la difficulté – relevée par le conseil de surveillance de la CNAV lorsque j’y siégeais – vient de l’extrême diversité de ces conventions, d’où un imbroglio juridique qui conduit à ce que nos compatriotes ayant travaillé et cotisé à l’étranger se voient refuser, une fois de retour dans notre pays, le bénéfice de la retraite à laquelle ils ont droit, ou doivent attendre de longues années avant de l’obtenir. Dans le deuxième cas, le problème tient à ce que nos compatriotes qui ont travaillé dans des entreprises françaises situées à l’étranger se voient appliquer le droit social local. Quoi qu’il en soit, tous méritent toute notre attention car ils se sentent totalement abandonnés, d’autant qu’après avoir perçu un salaire tout à fait correct du fait de leur éloignement, ils se retrouvent dans la misère.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement et les précédents visent à étendre la liste des missions du comité de suivi telles qu’elles figurent déjà aux alinéas 9 à 11 de l’article 3. N’est-ce pas incohérent avec l’alinéa 8, qui renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de préciser ces missions ?

M. le rapporteur pour avis. Il convient de laisser le comité de suivi travailler sur tous les sujets. La pire des choses serait que la loi, se substituant au règlement, précise l’essentiel de ce que doit contenir le décret. Cela étant, Pouria Amirshahi soulève ici un réel problème. La commission des finances a d’ailleurs adopté un amendement portant article additionnel après l’article 29 qui prévoit la remise d’un rapport au Parlement détaillant les conditions d’application des conventions bilatérales existantes en matière de retraite et évaluant leur mise en œuvre pour les Français ayants droit de systèmes étrangers dès lors qu’ils ne résident plus dans le pays concerné. Comme l’a très justement rappelé Denis Jacquat, la difficulté réside dans le fait que plusieurs États n’appliquent pas le principe de réciprocité pour l’accès aux droits à la retraite, certains allant jusqu’à ne pas verser de pension de retraite aux cotisants qui quittent leur territoire. Il nous faut donc disposer d’un rapport complet sur le sujet – comme le prévoit notre amendement – et faire en sorte que les États concernés appliquent le principe de réciprocité de telle sorte que chacun puisse bénéficier d’une pension de retraite quel que soit le lieu où il aura travaillé. Ce problème – qui ne touche pas les expatriés puisqu’ils relèvent du régime général – concerne 2,5 millions de Français partis travailler à l’étranger dans des entreprises privées mais aussi, pour certains, dans le secteur public – par exemple les Français ayant enseigné en Australie.

M. Dominique Tian. Le sujet est complexe : il importe en effet de connaître la réalité des montants cotisés et de déterminer pourquoi il reviendrait au système de retraites français de financer les pensions correspondantes. Nous avons d’ailleurs rédigé un rapport faisant état des fraudes documentaires et des problèmes d’identité et de reconstitution des carrières longues des Français ayant cotisé à l’étranger. À cette occasion, nous avons rencontré – chose étonnante – des personnes ayant commencé à cotiser à l’âge de deux ou quatre ans ! Si la question n’a pu être réglée jusqu’à présent, c’est qu’il est fort difficile de vérifier la véracité des versements effectués à l’étranger par les entreprises. Un tel système risquant d’alimenter la fraude, je vous incite à la prudence.

M. le rapporteur. M. Amirshahi soulève une vraie question : celle de la difficulté à faire valider le temps de travail effectué à l’étranger. Or il convient d’encourager les Français à aller travailler au-delà de nos frontières, et il faut par conséquent que nous disposions d’une véritable connaissance du sujet. Je suggère donc à notre collègue de demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport à cet effet. Cela étant, le comité de suivi n’a pas à examiner des questions juridiques qui doivent plutôt être traitées dans des lois à venir, en sorte que ces Français qui nous représentent à l’étranger puissent faire valider leurs droits à retraite.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Si la question soulevée par Pouria Amirshahi est très importante, l’avis du rapporteur me paraît sage. En effet, on ne peut charger le comité de suivi d’examiner des situations particulières. Le sujet est complexe : il s’agit d’éviter que des conventions bilatérales ne se transforment en accords multilatéraux de fait. En effet, si la France a conclu des accords bilatéraux avec plusieurs pays, ces derniers ne souhaitent pas forcément se retrouver liés par un accord entre eux par l’intermédiaire de la France. Il nous appartient donc de voir comment simplifier la situation de nos ressortissants à l’étranger, alors même qu’aujourd’hui, c’est la convention la plus favorable qui leur est appliquée. Je serais donc favorable à ce que le COR consacre un rapport spécifique à cette question.

M. Denis Jacquat. Il me paraîtrait préférable d’adopter cet amendement comme un amendement d’appel, quitte à ce que la majorité le retire s’il s’avère que celui de la commission des finances après l’article 29 peut faire évoluer la situation plus rapidement.

Mme la ministre. J’ajoute que nous faisons en sorte de pouvoir signer le plus de conventions possible avec les pays où travaillent des ressortissants français – nous l’avons fait récemment avec le Brésil et avons engagé une concertation avec le Pérou – de manière à éviter que ceux-ci ne se retrouvent à travailler pendant de longues périodes dans des pays avec lesquels nous n’avons conclu aucun accord – ce qui est malheureusement encore le cas, y compris avec des pays très importants.

La Commission rejette l’amendement AS 107.

Elle adopte ensuite, successivement, les amendements rédactionnels AS 405 et AS 404 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement AS 137 de Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Si le comité de suivi a pour mission de réfléchir aux prévisions de financement et aux paramètres d’évolution de notre système de retraite, il nous paraît important que le législateur affirme clairement l’orientation que doivent prendre certaines de ses recommandations, en particulier celles qui concernent l’évolution de la durée d’assurance. En effet, la rédaction actuelle de l’alinéa 16 revient à n’admettre que des évolutions à la hausse de cette durée – supérieures, par conséquent, à celle que prévoit l’article 2 adopté hier. Cela pose problème, non seulement pour les raisons évoquées hier dans le cadre du débat sur l’allongement de la durée de cotisation, mais aussi parce que l’espérance de vie sans invalidité n’a pas augmenté depuis 2006. Il importe donc de préciser que, si l’évolution de la durée d’assurance doit faire l’objet de recommandations du comité de suivi, celles-ci ne pourront être orientées qu’à la baisse, en fonction notamment des évolutions du contexte économique.

M. le rapporteur. Je comprends votre position. Cependant, dans la mesure où nous ignorons quelle sera la situation future, le comité de suivi doit être en mesure de réfléchir aussi bien à l’opportunité d’un allongement qu’à celle d’un raccourcissement de la durée d’assurance. Nous avons la certitude que, l’article 2 du projet de loi fixant la règle applicable jusqu’en 2035 – soit pendant une vingtaine d’années –, seul le législateur pourra la modifier. Le comité doit cependant conserver la possibilité d’émettre un avis sur le sujet. Il se peut d’ailleurs qu’en 2035 ou lorsque le comité aura à émettre un avis, nous ayons le choix, non seulement entre un allongement et une réduction de la durée d’assurance, mais aussi entre jouer sur cette durée et relever les petites pensions ou le taux de remplacement, ou encore diminuer le taux de cotisation. Il convient donc de faire en sorte que chacun puisse se prononcer à ce moment-là et non de restreindre la capacité du comité à réfléchir dans la durée. La précaution proposée me paraissant inutile, j’émets un avis défavorable à cet amendement.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Le comité de suivi étant censé rendre un rapport chaque année, j’imagine qu’il formulera des recommandations tous les ans, y compris sur la durée d’assurance et y compris entre 2020 et 2035. Mon amendement me semble donc utile à cet égard. Compte tenu des débats sur l’allongement de la durée de cotisation, si nous ne l’adoptons pas, nous maintiendrons dans le texte une ambiguïté préjudiciable à l’orientation que nous souhaitons donner à long terme à notre système de retraite. En outre, puisque le IV de l’article tend à encadrer par décret les recommandations formulées par le comité de suivi en matière de taux de remplacement et de cotisation, pourquoi ne pas en faire autant s’agissant de la durée d’assurance ?

Je vais néanmoins retirer cet amendement pour le redéposer en séance publique car je ne désespère pas de vous convaincre de sa pertinence.

M. le rapporteur. Cet amendement suscitant des débats, nous en rediscuterons d’ici la séance publique.

Mme Jacqueline Fraysse. Partageant les préoccupations de Mme Carrey-Conte, je regrette qu’elle ait retiré son amendement car je m’apprêtais à le voter. J’ajoute que l’avis défavorable émis par le rapporteur est loin de me rassurer.

L’amendement AS 137 est retiré.

La Commission examine ensuite, en discussion commune, les amendements AS 237 de Mme Jacqueline Fraysse, AS 286 de Mme Linda Gourjade et AS 285 de M. Jean-Marc Germain.

Mme Jacqueline Fraysse. Je souhaite que les recommandations du comité de suivi tiennent compte, non pas de l’évolution de l’espérance de vie en général, mais de celle de l’espérance de vie sans incapacité, c’est-à-dire sans limitation des fonctions essentielles pour mener une vie autonome. L’Institut national d’études démographiques a en effet montré que la part de vie sans limitations fonctionnelles tendait plutôt à diminuer aujourd’hui.

Mme Linda Gourjade. L’amendement AS 286 dispose quant à lui que les recommandations du comité de suivi tiendront compte, non seulement de l’évolution de l’espérance de vie et de la durée de retraite, mais aussi de celle du niveau de la population active et de la productivité. Il s’agit ainsi de prendre en considération les politiques publiques menées en faveur de l’emploi, de l’innovation et des investissements d’avenir, et non seulement des évolutions de l’espérance de vie, consécutives au progrès scientifique.

M. Jean-Marc Germain. Tout en maintenant l’espérance de vie parmi les paramètres que doit prendre en compte le comité de suivi dans ses réflexions, notre amendement AS 285 vise, dans le même esprit que l’amendement AS 237 de Mme Fraysse, à y ajouter l’espérance de vie sans incapacité. C’est en effet à cet égard que l’on observe les inégalités les plus fortes : ainsi un cadre aujourd’hui âgé de soixante ans a la perspective de bénéficier de vingt-huit années de retraite en bonne santé, contre dix-huit seulement pour un ouvrier, soit un écart de dix ans ! Ce fait inacceptable doit alimenter les réflexions du comité.

M. Arnaud Robinet. Si le débat sur l’évolution de l’espérance de vie en bonne santé a déjà eu lieu en 2010, je souhaiterais cependant citer une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui montre que, dans l’Union européenne, en 2011, l’espérance de vie à soixante-cinq ans était de 18 ans pour les hommes et de 21,4 ans pour les femmes. Elle a donc augmenté. Plus intéressant encore, l’espérance de vie en bonne santé a elle aussi augmenté de façon significative depuis 2005, soit d’1,5 an pour les hommes et d’1,6 an pour les femmes.

M. le rapporteur. L’amendement AS 237 supprimant la référence à l’espérance de vie « tout court », je lui préfère l’amendement AS 285. Les deux me paraissant compatibles, j’émets également un avis favorable à l’amendement AS 286.

La Commission rejette l’amendement AS 237. Puis elle adopte successivement les amendements AS 286 et AS 285.

La Commission en vient ensuite à l’amendement AS 288 de M. Jean-Marc Germain.

M. Jean-Marc Germain. Cet amendement vise à corriger la définition du rôle du comité de suivi, qui me paraît excessivement négative dans la mesure où y sont seulement envisagées, en filigrane, les hypothèses d’une dégradation de la situation. Il convient, dans l’esprit du projet de loi, de prendre également en compte la possibilité d’évolutions de la démographie, de la productivité ou de la croissance plus favorables que celles qui ont fondé les prévisions du COR. En cas de retour à meilleure fortune, nous souhaitons donc affirmer trois priorités, au profit du pouvoir d’achat des retraités les plus modestes, de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la prise en compte de la pénibilité.

M. Arnaud Robinet. Au risque de vous surprendre, je me déclarerai plutôt favorable à cet amendement. Le groupe UMP considère en effet que, si l’on recule l’âge de départ à la retraite à 65 ans à l’horizon 2026 et que l’on continue à augmenter la durée de cotisation comme le prévoit la loi de 2003, une fois que l’équilibre aura été atteint et si les caisses de retraite enregistrent des excédents, il conviendra de redonner du pouvoir d’achat aux retraités, notamment en diminuant les cotisations salariales ou patronales.

M. Philippe Vigier. Je trouve l’amendement de M. Germain très intéressant. Mais il signe un aveu de faiblesse considérable car il prévoit qu’en cas d’excédent, il conviendra de renforcer le pouvoir d’achat des retraités les plus modestes. Or, nous n’avons cessé depuis hier de dénoncer la menace que représente votre non-réforme à cet égard. Ainsi, lorsque vous reportez du 1er avril au 1er octobre la date de revalorisation des retraites, vous entamez le pouvoir d’achat des plus modestes. Et il est irréaliste d’envisager l’hypothèse qu’il puisse y avoir des excédents alors que les hypothèses de croissance retenues par le COR, d’1,6 % à partir de 2011, sont surestimées. Enfin, les propositions que nous avons formulées hier nous auraient permis non seulement de garantir l’équilibre des retraites beaucoup plus rapidement que vous ne le ferez – et vous savez très bien que le déficit ne sera pas comblé puisqu’il manquera 14 ou 15 milliards d’euros en 2020 – mais également de satisfaire à l’exigence d’améliorer le pouvoir d’achat des plus modestes.

M. Dominique Tian. Cet amendement est aussi très intéressant en ce qu’il révèle à quel point le système est peu solidaire et à quel point les inégalités sont fortes. Il conviendrait toutefois de le compléter afin d’y mentionner le plus grand déséquilibre – celui qui existe entre les secteurs public et privé.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous en avons discuté pendant une grande partie de la soirée d’hier, mais vous n’étiez pas là. Nous n’allons pas relancer ce débat maintenant !

M. Christian Paul. Chers collègues de l’opposition, je comprends que cet amendement vous paraisse quelque peu surréaliste : comme vous avez subi dix ans de déficits chroniques, l’idée même d’un retour à meilleure fortune vous paraît sans doute impossible. Souffrez cependant que, sans méconnaître les difficultés de la période, nous adoptions un point de vue différent.

Je n’irai pas jusqu’à faire l’exégèse de la pensée de l’opposition, mais il me paraît que votre discours d’aujourd’hui tranche avec celui que vous avez tenu hier soir : vous avez tenté de faire croire à l’opinion que les Français allaient percevoir des pensions plus faibles au motif qu’ils partiraient à la retraite avant d’avoir cotisé suffisamment pour percevoir une retraite à taux plein. Or ce n’est pas du tout dans ce sens que vont nos propositions. Cet amendement traduit au contraire notre volonté constante d’améliorer la situation des retraités les plus modestes – débat que nous aurons d’ailleurs lorsque nous examinerons l’article 4. Et nous sommes très attachés, notamment en cas de retour à meilleure croissance, à faire progresser de façon très régulière le pouvoir d’achat de ces retraités. Il me semble donc qu’avec un peu de réflexion et de bonne volonté, vous pourriez même voter cet amendement.

M. Denis Jacquat. L’exposé sommaire de cet amendement fait effectivement mention d’une priorité en faveur de l’amélioration du pouvoir d’achat des retraités les plus modestes et les plus fragiles. Or, si je souscris entièrement à cet objectif, il nous faut porter une attention particulière aux causes de cette fragilité. Il existe en effet des gens qui, arrivés tardivement dans notre pays, n’y ont pas cotisé ou insuffisamment, et dont la retraite est par conséquent très faible. Il serait donc de bon ton que le Gouvernement reprenne à son compte les conclusions que nous avons tirées dans le rapport que nous avons consacré il y a quelques mois aux immigrés âgés.

En outre, puisque l’on évoque les plus modestes et les fragiles, il conviendrait que l’on parle aussi des quatre millions de veuves que compte notre pays. Ces personnes souhaiteraient que l’on fasse un geste à leur égard, soit en augmentant le niveau des pensions de réversion, soit en relevant le plafond du cumul entre pension de réversion et retraite. Il est en effet plus difficile pour une veuve de vivre seule que pour une personne divorcée.

M. Michel Liebgott. Si certains députés de l’opposition semblent prêts à rallier notre amendement et à soutenir une augmentation du pouvoir d’achat des retraités les plus modestes, ce serait à condition que l’âge de départ à la retraite soit fixé à soixante-cinq ans. Or, malheureusement, les personnes les plus défavorisées sont précisément celles dont l’espérance de vie est la plus réduite. Par conséquent, peu parmi elles jouiraient alors longtemps de cette augmentation, à supposer qu’elles parviennent à l’âge requis. Autant dire que nous devons absolument maintenir en l’état notre amendement. Il a le mérite d’être à la fois rassurant – parce que la réforme est structurante – et optimiste puisque, par rapport à des pays tels que l’Allemagne, nous bénéficions d’atouts considérables, qu’il s’agisse de notre démographie ou de ressources disponibles à terme pour l’ensemble de notre système de retraites. Cet amendement est porteur d’espoir pour l’avenir !

M. le rapporteur. Avis favorable à cet amendement, inspiré d’intentions tout à fait louables. Le véritable enjeu consistera en effet à nous assurer en permanence que la retraite de nos concitoyens se situe à un niveau décent. Si nous dégageons des excédents, cet objectif pourra être prioritaire. Il nous faudra certes effectuer un arbitrage, comme le soulignait Mme Carrey-Conte, entre amélioration du niveau de vie, réduction de la durée d’assurance et réduction du niveau des cotisations mais, si d’autres utilisations peuvent ainsi être envisagées, la priorité donnée au pouvoir d’achat me paraît parfaitement correspondre à l’objectif que nous poursuivons à travers cette réforme.

La Commission adopte l’amendement AS 288.

Elle examine ensuite l’amendement AS 25 de M. Arnaud Robinet.

M. Arnaud Robinet. Régulièrement réformé, le système de retraites français reste d’une opacité rare. Des études ont d’ailleurs montré que plus de la moitié des Français en considère les règles comme très obscures. Mais il existe aussi des disparités dans la qualité du service rendu, selon les régimes et les organismes de retraite concernés. Or il est essentiel que nos concitoyens soient égaux à cet égard, quel que soit le régime auquel ils sont rattachés. Le comité de suivi que vous proposez de créer doit donc pouvoir formuler des recommandations sur la qualité du service rendu aux usagers par les organismes assurant la gestion des régimes de retraite légalement obligatoires, ainsi que par les services de l’État chargés de la liquidation des pensions.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Ce comité est réduit à cinq experts : ne l’accablons pas de missions.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS 314 de Mme Fanélie Carrey-Conte.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi ne mentionne que trois leviers à propos desquels le comité de suivi peut formuler des recommandations : la durée d’assurance, les transferts du fonds de réserve des retraites et le niveau du taux de cotisation. Nous proposons d’y ajouter la faculté d’affecter au système de retraites d’autres ressources que les cotisations, notamment pour financer les prestations non contributives. Nous suivons en cela plusieurs préconisations du Haut conseil de financement de la protection sociale, qui nous a invités à une réflexion ouverte sur les sources de financement de notre protection sociale.

M. le rapporteur. Notre système de retraites s’appuie à 80 % sur des cotisations, mais cela signifie que, pour les 20 % restants, les sources de financement sont déjà d’une autre nature. J’émets un avis favorable à cet amendement, étant entendu qu’il ne doit pas conduire à dénaturer l’esprit de ce système, essentiellement contributif.

M. Denis Jacquat. Monsieur le rapporteur, si cet amendement avait été proposé par le groupe UMP, y auriez-vous été favorable ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Oui.

La Commission adopte l’amendement.

La Commission est ensuite saisie de l’amendement AS 200 de M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. C’est à un débat irréel que cette Commission s’est livrée tout à l’heure, à propos du pouvoir d’achat des retraités et de l’équilibre général de notre système de retraites ! En effet, il ne s’agit pas uniquement pour nous de fixer la retraite à soixante-quatre ou à soixante-cinq ans ; en revanche, vous, en ne modifiant pas l’âge légal de départ à la retraite tout en augmentant la durée de cotisation, vous condamnez les gens à subir une décote. Ayez donc le courage de reconnaître que vous organisez la diminution du niveau des retraites. Chacun le sait, le COR l’a écrit, Mme Yannick Moreau aussi.

J’en viens à notre amendement AS 200. Hier, j’ai insisté sur la nécessité d’établir un pacte de confiance avec les Français. Pour y parvenir, et puisque nous ne sommes pas parvenus à supprimer le comité de suivi, pourquoi ne pas faire de celui-ci une force de propositions sur un champ beaucoup plus large que ne le prévoit le projet ? Pour nous, ses recommandations devraient reposer sur trois piliers : la fixation d’un taux de cotisation maximal, ce qui serait le meilleur moyen de protéger le pouvoir d’achat des retraités, l’assurance d’un taux de remplacement minimal – soit le niveau de retraite que les Français auront la garantie d’atteindre une fois achevée leur vie professionnelle – et celle d’un montant de retraite également minimal, cela pour apporter une réponse aux plus modestes.

M. le rapporteur. Nous partageons votre intention d’assurer un revenu minimum aux retraités. C’est pourquoi nous avons souhaité que les recommandations du comité de suivi ne puissent conduire ni à baisser le taux de remplacement des retraités en deçà d’un certain plancher, ni à augmenter les taux de cotisation des actifs au-delà d’un certain plafond. Il y aura donc, comme en Allemagne, un « tunnel » dont il ne sera pas possible de sortir : c’est la feuille de route que nous donnons au comité, et c’est un choix politique que nous assumons. Je suis donc défavorable à votre amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Les amendements AS 238 et AS 239 de Mme Jacqueline Fraysse sont retirés.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS 406, AS 407 et AS 408 du rapporteur.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Après l’article 3

La Commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 3.

Elle examine d’abord l’amendement AS 335 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Je défendrai plusieurs amendements qui relèvent du même esprit. Le système de retraite doit non seulement reposer sur la solidarité, nous en sommes tous d’accord, mais aussi obéir au principe d’égalité. Or la présente réforme reste placée sous le signe des inégalités. Comment expliquer à nos concitoyens l’absence de remise à plat des régimes spéciaux ? Avec l’allongement de la durée de cotisation, un jeune né en 1973 entré dans le monde du travail à vingt-cinq ans ne pourra bénéficier d’une retraite à taux plein qu’à partir de soixante-huit ans, quand d’autres, bénéficiaires de régimes plus favorables, pourront partir beaucoup plus tôt.

Dans cette optique, l’amendement AS 335 tend à supprimer le deuxième alinéa de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires. En effet, les fonctionnaires affectés hors du continent européen bénéficient systématiquement d’une bonification de dépaysement. Ceux qui sont affectés en Afrique du Nord, par exemple, ont droit à une année gratuite tous les quatre ans, et ceux qui le sont aux États-Unis, au Japon ou dans la plupart des autres pays d’Afrique, gagnent une année gratuite tous les trois ans. Enfin, lorsqu’un fonctionnaire est appelé dans un pays ayant un lien historique fort avec la France, il bénéficie d’une année gratuite tous les deux ans.

Si de telles dispositions, instituées au milieu du XIXe siècle, ont pu avoir un sens, elles n’en ont plus aujourd’hui ; c’est pourquoi, dans un souci d’équité, nous proposons de les supprimer.

M. Michel Issindou, rapporteur. On peut en effet s’interroger sur ces disparités, mais il en sera question dans les négociations au sein de la fonction publique. Avis défavorable.

M. Denis Jacquat. Il y a quelques années, une disposition similaire, visant plus spécifiquement les départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM), avait été adoptée par notre assemblée, avant d’être « retoquée » par le Conseil constitutionnel. Ce point mérite que l’on y revienne.

Mme Sylviane Bulteau. Mme Louwagie a sans doute mal lu le projet de loi, qui prévoit des correctifs sur la question qu’elle soulève : prise en compte des trimestres d’apprentissage, validation des études post-baccalauréat, meilleure prise en compte des temps partiels pour les emplois saisonniers, extension de la validation de périodes de formation professionnelle ou meilleure prise en compte des périodes de maternité.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 337 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Aux termes du onzième alinéa de l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires, les fonctionnaires dits « actifs » – agents de police, agents de la pénitentiaire ou aiguilleurs du ciel, par exemple –, qui peuvent liquider leur retraite dès l’âge de cinquante-deux ans, bénéficient d’une bonification du « cinquième » – en d’autres termes, une année gratuite leur est accordée tous les cinq ans. Au bout de vingt-cinq ans de service, leur compte retraite est ainsi crédité de trente annuités. Nous proposons, dans un souci de justice, de supprimer cette disposition.

M. le rapporteur. Même avis que précédemment, pour les mêmes raisons. On sent, chez les auteurs de ces amendements, un certain acharnement contre certaines catégories de fonctionnaires…

M. Pascal Terrasse, rapporteur pour avis de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique vient d’annoncer un agenda social qui devrait permettre d’aborder ces questions. Reste que l’amendement vise tout spécialement le régime de retraite des militaires : ceux qui se trouvent actuellement en Opex – opérations extérieures –, par exemple, apprécieront…

M. Philippe Vigier. Le groupe UDI soutient cet amendement. Il existe, au regard de ces bonifications, des disparités au sein même de la fonction publique. Le rapporteur renvoie le traitement de la question aux calendes grecques, mais il serait plus courageux et plus juste de lisser l’ensemble des régimes dans le temps, plutôt que de sanctuariser des spécificités qui n’ont plus de sens aujourd’hui.

Mme Véronique Louwagie. Le rapport de Mme Yannick Moreau, page 43, pointe des disparités entre public et privé, se référant explicitement aux militaires, lesquels « peuvent, comme dans les autres pays, partir à la retraite après dix-sept (sous-officiers) ou vingt-sept (officiers) années de service […] ». Ce régime est donc décrié.

M. Denis Jacquat. C’est au nom de la pénibilité que les fonctionnaires dits « actifs » peuvent partir en retraite plus tôt. Or les salariés visés par le compte personnel de pénibilité pourront, au mieux, partir à la retraite entre cinquante-huit et soixante ans, contre cinquante-deux ans pour les fonctionnaires dont nous parlons.

M. Dominique Dord. Ces amendements montrent que le présent texte n’est pas une vraie réforme. Avant de faire passer tous les salariés sous une même toise, le Gouvernement et la majorité oublient de gommer les disparités qui subsistent. Monsieur le rapporteur prétend que ces questions seront réglées à l’occasion d’une négociation : nous n’y croyons pas une seconde, mais admettons… Il aurait mieux valu, en tout état de cause, commencer par supprimer certains avantages, pour évaluer ensuite le besoin éventuel de dispositions plus générales. Vous ne cessez de vous prévaloir de l’équité, mais le calendrier lui-même n’est pas équitable.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous avons déjà largement entamé ce débat hier soir…

M. Arnaud Robinet. M. Sapin a déclaré ce matin que la suppression du jour de carence dans la fonction publique était une question d’équité : il n’a pas attendu d’éventuelles négociations… On a donc du mal à comprendre votre conception de l’équité.

M. Rémi Delatte. J’abonde dans le sens de mes collègues. Le Gouvernement dit, dans le titre du projet de loi, vouloir garantir « la justice du système de retraites » : voilà une belle occasion de le faire.

M. le rapporteur. La discussion annuelle au sein de la fonction publique permettra, je le répète, d’aborder ces questions. Je rappelle aussi que la pénibilité sera prise en compte pour les salariés du privé, qui verront ainsi leur régime se rapprocher de celui des catégories actives de la fonction publique. Reste qu’on imagine mal un militaire partir en Opex à soixante-deux ans, un pompier monter en haut de la grande échelle au même âge ou les égoutiers de la ville de Paris exercer leur métier très longtemps. Le système actuel n’est sans doute pas parfait, mais gardons-nous de lui imposer des changements brutaux par voie législative : la concertation permettra sans doute de le faire évoluer.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 338 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Dans la fonction publique, les pensions sont calculées en fonction des six derniers mois d’activité, c’est-à-dire sur la base de la rémunération maximale. Dans le secteur privé, ce sont les vingt-cinq meilleures années qui sont prises en compte, dans les limites, il faut le rappeler, du plafond de la sécurité sociale, soit 3 086 euros par mois pour la pension de base. La justice et l’équité imposent que les pensions de retraite des fonctionnaires soient, elles aussi, calculées en fonction de la rémunération de l’ensemble de la carrière.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 340 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. L’amendement tend à ce que soient prises en compte, pour le calcul des pensions des fonctionnaires, les vingt-cinq meilleures années, selon la règle en vigueur dans le secteur privé.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 341 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement de repli vise à ce que les six dernières années soient prises en compte pour le calcul des retraites des fonctionnaires. Cette mesure pourrait être transitoire, avant une éventuelle convergence avec le privé.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 343 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Avec ce nouvel amendement de repli, je propose que les retraites des fonctionnaires soient calculées en fonction des trois dernières années de carrière.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 345 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Je propose que « tout fonctionnaire civil ou militaire qui occupe un poste depuis au moins six mois et depuis moins de trente-six mois part[e] en retraite avec une pension calculée sur son traitement trente-six mois auparavant ».

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 334 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Selon les dispositions actuelles, certains agents de la fonction publique peuvent liquider leurs droits dès cinquante-sept ans, ou même cinquante-deux ans. Il convient de mettre fin à cette faveur inéquitable.

Les fonctionnaires de l’État, des collectivités territoriales ou des hôpitaux sont classés, en vue de leur retraite, en deux catégories : les « sédentaires » et les « actifs ». À l’origine, le classement en catégorie active relevait de la loi, mais il s’opère aujourd’hui par voie réglementaire, sur le fondement d’« un risque particulier » ou de « fatigues exceptionnelles ».

L’administration opère elle-même sa propre gestion, ce qui génère des dérives évidentes. Ainsi, la Cour des comptes a relevé que certaines décisions de classement ou de maintien étaient irrégulières. Elle a en outre dénoncé avec vigueur le caractère arbitraire et inadapté de cette classification, dont le bénéfice relève ni plus ni moins des droits acquis.

La Cour des comptes a également relevé que les classements en services actifs se sont opérés par corps entiers, sans distinction entre les métiers réellement pénibles et les autres. Les aiguilleurs du ciel peuvent ainsi liquider leurs droits à cinquante-deux ans, et les douaniers à cinquante-sept.

Ces dispositions nous semblent archaïques, injustifiées et inéquitables.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 346 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Le système de réversion profite à 4 millions de personnes, dont 90 % sont des femmes. Fonctionnaires et employés des entreprises publiques affiliés à des régimes spéciaux disposent en ce domaine de conditions avantageuses. Nous souhaitons, là encore, rétablir l’équité.

Les personnes veuves de fonctionnaires ont droit à une pension de réversion égale à 50 % de la pension que percevait ou aurait perçu leur conjoint, et ce sans condition d’âge ni de ressources. Nous proposons donc de modifier le premier alinéa de l’article L. 38 du code des pensions civiles et militaires.

M. le rapporteur. Le problème de la réversion est plus épineux qu’il y paraît, et mérite un examen attentif : nous y reviendrons à l’article 13. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 347 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Il s’agit, là encore, d’appeler l’attention sur les différences entre le public et le privé s’agissant des réversions. La situation, monsieur le rapporteur, mérite en effet un examen. Dans le privé, la pension de réversion est accordée au conjoint survivant dont les ressources n’excèdent pas 2 080 fois le SMIC horaire, soit, en 2013, 19 614,40 euros par an. Aucun niveau de ressources n’est en revanche prévu dans le secteur public. Cette situation n’est pas équitable.

M. le rapporteur. C’est pourquoi je demande un rapport sur le sujet. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS 119 de Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Il s’agit de demander au Conseil d’orientation des retraites (COR) de « suivre l’évolution des écarts de pensions de droits directs et d’analyser les phénomènes pénalisant les retraites des femmes, dont les inégalités professionnelles […] ».

Malgré l’augmentation du taux d’activité des femmes, la multiplication des temps partiels, dans les années 90, a empêché la convergence en ce domaine. L’égalité entre les hommes et les femmes est une priorité de la présente réforme, comme le Gouvernement l’a précisé au Conseil de surveillance.

M. le rapporteur. Nous sommes d’accord sur l’objectif, mais le COR choisit lui-même son programme de travail. Il s’est souvent penché, d’ailleurs, sur la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, comme sur celle des avantages familiaux. Nous pouvons aussi lui suggérer de le faire. Vos préoccupations seront donc suivies d’effets. Avis défavorable.

M. Francis Vercamer. J’approuve cet amendement, mais le sous-amenderais volontiers pour ajouter, après les mots : « des écarts de pensions de droits directs », les mots : « entre le privé et le public »…

M. Arnaud Robinet. Une réforme des retraites, a fortiori dans un système par répartition, ne peut pas tout régler : c’est d’abord au niveau des carrières professionnelles qu’il faut assurer l’égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Je retire l’amendement.

L’amendement AS 119 est retiré.

L’amendement AS 117 de Mme Catherine Coutelle est également retiré.

La Commission en vient à l’amendement AS 339 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. M. le rapporteur a annoncé une négociation au sein de la fonction publique. Je propose, dans ce cadre, que le Gouvernement remette au Parlement « un rapport détaillant les dispositions qu’il compte prendre afin que soit prise en compte pour le calcul de la retraite des fonctionnaires la rémunération de l’ensemble de la carrière ».

M. le rapporteur. Le douzième rapport du COR et le rapport Moreau traitent déjà de cette question. Avis défavorable.

M. Philippe Vigier. Chaque fois que nous demandons ne fût-ce qu’un rapport, cela nous est refusé. Chaque fois que nous proposons de faire évoluer les choses, qu’il s’agisse de l’égalité entre les différents régimes ou de l’égalité entre les hommes et les femmes, le rapporteur ne veut rien entendre. Encore à l’instant, pour ce qui est des différences entre le public et le privé en matière de pension de réversion, vous nous dites que c’est intéressant mais qu’on verra plus tard. Vous qui n’avez pourtant que les mots démocratie, dialogue et participation à la bouche, faites preuve d’une totale fermeture ! Nous vous donnons donc rendez-vous à l’article 13.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 342 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Par cet amendement, nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement, avant le 30 juin 2014, un rapport détaillant les dispositions envisagées afin que la retraite des fonctionnaires soit calculée non pas sur la base des six derniers mois d’activité, mais sur celle des six dernières années. Ce serait un premier pas avant un alignement sur le privé. La mesure pourrait être mise en œuvre de manière progressive.

M. le rapporteur. Même avis défavorable que pour l’amendement précédent.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AS 344 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Nous demandons ici au Gouvernement de remettre au Parlement, toujours avant le 30 juin 2014, un rapport détaillant les dispositions qu’il compte prendre afin de supprimer les « coups de chapeau » dans la fonction publique en allongeant la durée prise en compte dans le calcul des retraites des fonctionnaires. La Cour des comptes a fait état de ce système des « coups de chapeau » dans son rapport d’avril 2003 sur les pensions des fonctionnaires civils de l’État et révélé combien de fonctionnaires bénéficiaient de ces promotions de fin de carrière. Certains de ces « coups de chapeau » sont même entrés dans les règles. Il serait temps d’y mettre fin. De nouvelles dispositions pourraient d’ailleurs être favorables aux fonctionnaires, lesquels aujourd’hui n’obtiennent parfois une promotion qu’en toute fin de carrière, ce qui n’est pas sain.

M. le rapporteur. Je serais heureux, madame Louwagie, que vous portiez la même attention aux retraites chapeau du privé, beaucoup plus scandaleuses que les « coups de chapeau » dans la fonction publique. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS 348 de M. Dominique Tian.

Mme Véronique Louwagie. Par cet amendement, nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement, avant le 31 mars 2014, un rapport détaillant les mesures qu’il compte prendre, et selon quel calendrier, pour aboutir à la suppression des bonifications prévues à l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires. Il existe en effet de multiples dispositifs permettant aux fonctionnaires d’acquérir gratuitement des trimestres supplémentaires : bonifications dites du « cinquième », bonifications de « dépaysement », bonifications « outre-mer », bonifications pour « services aériens »… Il conviendrait de dresser un état des lieux de ces avantages, dont la plupart n’ont plus aucune justification, et, dans un souci d’équité, d’en tirer toutes les conséquences.

M. le rapporteur pour avis. Je ne voudrais pas donner l’impression de jeter de l’huile sur le feu, mais cette question est sérieuse. Elle devra être revue avec la ministre chargée de la fonction publique. Autant certaines de ces bonifications se justifiaient par le passé, autant elles n’ont plus lieu d’être aujourd’hui. Les bonifications de dépaysement, par exemple, coûtent très cher à l’État. Bien entendu, il faudra distinguer le stock et le flux des bénéficiaires. Il est inévitable que les droits à retraite de ceux qui demain serviront l’État dans les départements et territoires d’outre-mer soient calculés de manière différente de ceux de leurs aînés.

M. le rapporteur. Tout en partageant la préoccupation du rapporteur pour avis, je renverrai sur le sujet aux discussions et négociations annuelles dans la fonction publique. Il serait fort étonnant qu’à cette occasion, la ministre et les organisations syndicales n’abordent pas le sujet. Il n’est pas exclu qu’une solution puisse être trouvée d’un commun accord. Les syndicats, parfaitement capables de reconnaître qu’il existe des injustices, ne seront certainement pas rigides sur ce point. Nous n’allons pas légiférer ici sans avoir une parfaite connaissance de toutes les situations. Soyez patiente, madame Louwagie.

La Commission rejette l’amendement.

Article 4

(art.
L. 161-23-1, L. 341-6 et L. 816-2 du code de la sécurité sociale et
art. L. 28, L. 29, L. 30, L. 30 bis, L. 30 ter, L. 34 et L. 50
du code des pensions civiles et militaires de retraite)


Report au 1er octobre de la revalorisation annuelle des pensions

Le présent article vise à décaler de six mois, du 1er avril au 1er octobre, la date de revalorisation annuelle des pensions de retraite de tous les régimes de base. Ce report ne concerne pas l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), les allocations du minimum vieillesse ni les allocations d’invalidité qui seront toujours revalorisées au 1er avril.

Depuis 1987, les pensions suivent l’évolution des prix à la consommation (et non plus du salaire moyen). Les règles actuelles de revalorisation ont été fixées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

L’article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale prévoit que le coefficient annuel de revalorisation des pensions servies par le régime général et les régimes alignés est fixé au 1er avril de chaque année par la commission économique de la nation, conformément à l’évolution prévisionnelle en moyenne annuelle des prix à la consommation hors tabac prévue pour l’année considérée.

Cette revalorisation, fondée sur une prévision d’inflation, peut être corrigée a posteriori : le deuxième alinéa de l’article L. 161-23-1 précise que si l’évolution en moyenne annuelle des prix à la consommation hors tabac établie à titre définitif par l’INSEE est différente de celle qui avait été prévue, il est procédé à un ajustement du coefficient fixé au 1er avril de l’année suivante, égal à la différence entre cette évolution et celle initialement prévue.

Ce coefficient s’applique, par renvois, aux différents régimes de retraites de base, y compris les régimes spéciaux ; seul le régime des avocats établit le taux de revalorisation qui lui est applicable. Le taux de revalorisation s’applique aussi aux salaires annuels servant de base au calcul des pensions (dits « salaires portés au compte individuel ») (34), ainsi qu’à l’ensemble des allocations aux personnes âgées (pensions d’invalidité (35), rentes d’accidents du travail et maladies professionnelles (36), allocation de solidarité aux personnes âgées (37)).

Les régimes de retraite complémentaire définissent eux-mêmes les règles qui leur sont applicables. Ainsi, l’accord national interprofessionnel du 13 mars 2013 a prévu de sous-indexer les pensions de retraites de l’ARRCO et l’AGIRC dans durant trois années consécutives (2013 à 2015 inclus), alors que les régimes complémentaires des professions libérales ont appliqué indifféremment une revalorisation moindre ou plus importante selon les années.

2. Le dispositif proposé

a) Le décalage de six mois de la revalorisation des pensions.

Le I du présent article modifie l’article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale pour reporter du 1er avril au 1er octobre la date annuelle de revalorisation, sans changer le mode de calcul du coefficient.

Par ailleurs, l’inflation prévisionnelle de l’année N qui sert de base au calcul prévu en octobre N n’est plus celle qui est arrêtée par la Commission économique de la Nation (généralement en mars N) mais celle qui est indiquée par le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour N+1. Au 1er octobre, la fiabilité de la prévision pour l’année est bien plus importante, ce qui limitera les rattrapages, parfois négatifs, l’année suivante.

Enfin, le dernier alinéa de l’article L. 161-23-1 qui prévoyait un dispositif de correction du taux de revalorisation sur proposition du Comité de pilotage des régimes de retraite (Copilor) est supprimé.

b) Les petites pensions sont préservées de la mesure de report

Sont exclues de la mesure de report l’allocation de solidarité aux personnes âgées, les pensions d’invalidité et les rentes d’accidents du travail et de maladies professionnelles.

En effet, l’ASPA constitue un minimum social garanti par la solidarité nationale sans contrepartie de cotisations, et non une pension de vieillesse. Quant aux pensions d’invalidité et aux rentes servies au titre des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), elles ne relèvent pas du système de retraite, il est donc juste de ne pas les inclure dans l’effort demandé aux retraités.

 Les pensions d’invalidité et les rentes AT-MP

Le II du présent article modifie l’article L. 341-6 du code de la sécurité sociale, relatif au mode de revalorisation des pensions d’invalidité.

Actuellement, l’article L. 341-6 aligne la revalorisation des pensions d’invalidité sur celle des salaires portés au compte individuel prévue à l’article L. 351-11, lui-même renvoyant à l’article L. 161-23-1 relatif à la revalorisation des pensions de retraite.

Le renvoi à l’article L. 351-11 est supprimé, pour inscrire dans l’article L. 341-6 un mode de revalorisation propre aux pensions d’invalidité : la revalorisation sera fixée chaque année au 1er avril en fonction de la prévision d’inflation établie par la Commission des comptes de la Nation, le cas échéant corrigée de la différence entre le taux prévisionnel de l’année précédente et le taux constaté.

La disposition touche également les rentes AT-MP qui sont revalorisées comme les pensions d’invalidité.

 L’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA)

Le III du présent article modifie l’article L. 816-2 relatif au mode de revalorisation de l’ASPA et de l’allocation supplémentaire d’invalidité, en remplaçant le renvoi à l’article L. 161-23-1 relatif à la revalorisation des pensions d’assurance vieillesse par un renvoi à l’article L. 341-6 relatif à la revalorisation des pensions d’invalidité. Ainsi, les personnes percevant une pension inférieure au minimum vieillesse continueront à voir leur allocation revalorisée au 1er avril.

Le IV prévoit une disposition particulière pour l’ensemble du système du minimum vieillesse : ASPA, anciennes allocations du minimum vieillesse (allocation aux vieux travailleurs salariés, allocation aux vieux travailleurs non salariés, secours viager, allocation aux mères de famille, allocation spéciale vieillesse et majoration prévue à l’article L. 814-2, allocation viagère des rapatriés, allocation de vieillesse agricole) et plafonds de ressources prévus pour ces allocations (38).

L’ASPA est une allocation différentielle : cela signifie qu’elle complète les revenus des allocataires pour leur permettre d’atteindre le minimum vieillesse (787,26 euros par mois pour une personne seule depuis le 1er avril 2013).

Concrètement, cette mesure va conduire à appliquer aux bénéficiaires de l’ASPA et de l’allocation supplémentaire d’invalidité deux revalorisations dans l’année avec des effets différents :

– une revalorisation au 1er avril des prestations différentielles (ASPA, ASI et allocation supplémentaire) avec effet financier visible pour le retraité ;

– une revalorisation au 1er octobre de la part de pension contributive (les revenus propres du retraité) sans effet financier pour le retraité. En effet, les plafonds de ressources opposables à ces bénéficiaires n’étant pas revalorisés une seconde fois dans l’année, la revalorisation de la prestation contributive sera neutralisée à due concurrence par le jeu du plafond qui conduira à écrêter la prestation différentielle.

 Les pensions d’invalidité de la fonction publique

Le V procède au même ajustement pour les pensions d’invalidité servies par les fonctions publiques, par modification du code des pensions civiles et militaires de retraite, les renvois à son article L. 16 (qui renvoie lui-même à l’article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale) étant remplacés par des renvois à l’article L. 341-6 du code de la sécurité sociale relatif à la revalorisation des pensions d’invalidité. Sont maintenues au 1er avril les revalorisations des dispositions prévues aux articles L. 27, L. 28, L. 29, L. 30, L. 30 bis, L. 30 ter, L. 34 et L. 50 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Il convient de rappeler qu’un fonctionnaire atteint d’une invalidité dont le caractère permanent et stabilisé a été reconnu, qu’elle résulte ou non de l’exercice des fonctions, et qui se trouve dans l’incapacité d’exercer ses fonctions, peut être radié des cadres et mis à la retraite pour invalidité quel que soit son âge, son taux d’invalidité ou la durée de ses services. Il bénéficie alors d’une pension pour invalidité, imputable au service lorsqu’elle résulte de l’exercice des fonctions (article L. 27), ou non imputable lorsqu’elle n’en résulte pas (article L. 29).

La pension pour invalidité est équivalente à la pension rémunérant les services, c’est-à-dire la pension de droit commun. Elle est donc fonction du traitement détenu pendant les six derniers mois de l’activité (dernier traitement sans condition de durée en cas d’invalidité imputable au service) et de la durée des services et bonifications acquis par l’agent. Lorsque l’invalidité est d’un taux au moins égal à 60 %, le montant de la pension ne peut être inférieur à 50 % du dernier traitement indiciaire (article L. 30).

Dans le cas où l’invalidité résulte de l’exercice des fonctions, la pension civile d’invalidité peut être augmentée d’une rente viagère d’invalidité (article L. 28).

En outre, lorsque le fonctionnaire est dans l’obligation d’avoir recours d’une manière constante à l’assistance d’une tierce personne, il bénéficie d’une majoration spéciale de sa pension (article L. 30 bis).

L’article L. 34 traite quant à lui de la situation des militaires qui peuvent cumuler une pension militaire d’invalidité et la solde de réforme.

Enfin, l’article L. 50 expose les modalités de versement des pensions de réversion.

Le VI étend le V aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, ainsi qu’aux ouvriers des établissements industriels de l’État.

c) Un effort modéré demandé aux retraités

Les pensions resteront revalorisées en fonction de l’inflation, la garantie de pouvoir d’achat des retraites est donc maintenue. Toutefois, le décalage des revalorisations représente un effort demandé aux retraités, qui devront attendre six mois, en 2014, la revalorisation de leurs pensions.

L’étude d’impact précise que cet effort doit être nuancé, dans la mesure où la revalorisation d’avril 2013 a conduit, compte tenu de l’écart entre la prévision d’inflation pour 2013 et le tendanciel actuel, à sur-revaloriser les pensions. La revalorisation 2014 devrait donc, en l’état actuel des données macro-économiques, être minorée par un correctif pour 2013.

Les plus petites pensions seront exonérées de l’effort, via le maintien en avril de la revalorisation de l’ASPA.

Au-dessus du niveau de l’ASPA, l’effort consenti sera proportionnel à la pension de base.

Par exemple, pour une personne percevant 1 000 euros de retraite par mois en 2013, en posant comme hypothèse que la revalorisation d’octobre 2014 serait de 0,9 %, l’effort sera de 9 euros par mois pendant six mois.

Cette mesure est ponctuelle : les années suivantes, les pensions seront revalorisées, selon les règles habituelles, tous les 12 mois. L’effort demandé aux pensionnés est donc indéniable, mais limité dans le temps et dans ses effets.

Il s’agit d’un effort de solidarité demandé à l’ensemble des pensionnés, afin de participer au rééquilibrage à court terme de notre système de retraite. Cette mesure se justifie, comme le souligne le rapport de la Commission pour l’avenir des retraites, par le fait que « le niveau de vie des retraités est aujourd’hui comparable à celui des actifs, sans que pèsent sur les premiers les risques en matière d’emploi et de pouvoir d’achat auxquels sont confrontés les seconds, et notamment les plus jeunes d’entre eux en cette période de crise et de croissance du chômage ».

Votre rapporteur a étudié la possibilité d’exonérer les pensions juste supérieures au minimum vieillesse du report au 1er octobre de la revalorisation. Il s’avère toutefois que cela serait très compliqué à mettre en œuvre pour les régimes, d’autant qu’il faudrait tenir compte pour apprécier la pension totale des retraités, de l’ensemble des pensions versées aux polypensionnés. Par ailleurs, traiter différemment des pensions qui sont toutes fondées sur le principe de contributivité ne serait pas exempt de critique juridique, au regard du principe d’égalité, comme le souligne le rapport de la commission Moreau pour l’avenir des retraites.

3. Les économies générées par la mesure

a) Impact pour l’ensemble des régimes de base

Cette mesure a un rendement élevé pour un effort individuel limité car elle repose sur une assiette très large : elle concerne tous les retraités, soit 23,7 millions de pensions, exception faite du minimum vieillesse, représentant de l’ordre de 200 milliards d’euros de dépenses annuelles.

Elle permet en 2014 une économie de 800 millions d’euros pour l’ensemble des régimes de base obligatoires, dont 600 millions d’euros pour les régimes non équilibrés par une subvention. À l’horizon 2040, l’économie est estimée par l’étude d’impact à 2,6 milliards d’euros pour l’ensemble des régimes de base.

Impact sur le solde des régimes du report de la revalorisation au 1er octobre

(en millions d’euros constants 2011)

 

2014

2020

2030

2040

Tous régimes de base (hors ASPA)

+ 800

+ 1 900

+ 2 200

+ 2 600

Tous régimes de base non équilibrés par subvention (hors ASPA)

+ 600

+ 1 400

+ 1 700

+ 2 000

Impact en droits constatés.

Source : étude d’impact.

L’impact en 2014 ne correspond pas à un impact en année pleine, c’est pourquoi le rendement de la mesure est plus élevé en 2015 (près du double), et se stabilise ensuite jusqu’en 2020. La mesure a un impact à long terme, qui ne signifie pas que la mesure soit réitérée, mais qui est lié au « rebasage » : le total des pensions servies en 2014 sera légèrement moins important que ce qu’il aurait été sans ce décalage de revalorisation, si bien que la courbe d’augmentation des prestations de retraite est légèrement décalée vers le bas par rapport au tendanciel avant réforme.

b) Impact pour le régime général

Afin de chiffrer les économies sur les masses de droits propres et de droits dérivés, la Caisse nationale d’assurance vieillesse a retenu les dernières hypothèses macroéconomiques connues, notamment les dernières prévisions d’inflation pour 2013 et 2014. Selon ces hypothèses, l’inflation s’établirait à 0,8 % en 2013 (contre 1,2 % prévu initialement) et à 1,3 % en 2014, entraînant une revalorisation en 2014 de 0,9 %.

Hypothèses d’inflation et de revalorisation des pensions

(en pourcentages)

 

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Hypothèses actuelles d’inflation

0,80

1,30

1,75

1,75

1,75

1,75

Taux de revalorisation au 1er avril/1er octobre

1,30

0,90

1,75

1,75

1,75

1,75

Revalorisation en moyenne annuelle avec revalorisation au 1er avril

1,50

1,00

1,54

1,75

1,75