N° 1474
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 octobre 2013
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI autorisant la ratification du traité entre la République française et la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l’adoption (n° 1377).
PAR Mme Chantal GUITTET
Députée
——
ET
ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 5
I. LA NÉCESSITÉ D’UN MEILLEUR ENCADREMENT JURIDIQUE DE L’ADOPTION D’ENFANTS RUSSES PAR DES FAMILLES FRANÇAISES 7
A. LA RUSSIE, PARTENAIRE MAJEUR POUR L’ADOPTION INTERNATIONALE PAR DES FAMILLES FRANÇAISES 7
B. LES PROBLÈMES POSÉS PAR LA PRÉDOMINANCE DES PROCÉDURES INDIVIDUELLES D’ADOPTION 9
1. Les exigences des instruments internationaux qui encadrent l’adoption internationale 9
2. Les obligations de suivi des enfants imposées par la législation russe 11
C. LA DÉMARCHE D’ENCADREMENT CONVENTIONNEL DE L’ADOPTION INTERNATIONALE ENGAGÉE PAR LA RUSSIE 11
II. LE PRÉSENT TRAITÉ : PLUSIEURS POINTS DE DROIT CLARIFIÉS 13
A. UNE RÉFÉRENCE EXPLICITE AU CADRE JURIDIQUE INTERNATIONAL 13
B. L’OBLIGATION DE RECOURIR À UN OPÉRATEUR AGRÉÉ : LA FIN DE L’ADOPTION INDIVIDUELLE 13
C. DES RÈGLES PROCÉDURALES PRÉCISES 14
D. LA CLARIFICATION DE LA PORTÉE JURIDIQUE DES ADOPTIONS PRONONCÉES 15
E. LA CLARIFICATION DES OBLIGATIONS MILITAIRES DE L’ADOPTÉ 16
F. LE RENFORCEMENT DES PROCÉDURES DE SUIVI 16
G. LE RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION 17
III. LES INTERROGATIONS SUR LES PROCÉDURES D’ADOPTION EN COURS ET FUTURES 19
A. LA MONTÉE GÉNÉRALE DES PRÉOCCUPATIONS DE SUIVI DES ENFANTS PROPOSÉS À L’ADOPTION INTERNATIONALE 19
B. DE NOUVELLES OBLIGATIONS RÉGLEMENTAIRES QUANT AU SUIVI DES ENFANTS ADOPTÉS 20
1. Des contraintes nouvelles pour les familles françaises qui ont déjà adopté des enfants russes ? 20
2. Le coût des formalités exigées 20
C. LES INTERFÉRENCES AVEC LA NOUVELLE LÉGISLATION RUSSE SUR L’ADOPTION INTERNATIONALE 21
1. Les problèmes liés à l’interprétation de cette nouvelle législation par les tribunaux russes 21
2. Le traitement des procédures en cours 22
3. Le cas particulier des dossiers déposés par des célibataires 22
La Russie figure parmi les premiers pays d’origine des enfants adoptés dans le monde, avec 3 017 enfants russes adoptés en 2011. En 2012, 749 adoptions d’enfants russes ont eu lieu aux États-Unis et 749 en Italie ; en 2011, 731 en Espagne.
La Russie est devenue, en 2012, le premier pays d’origine des enfants adoptés par des familles résidant en France, avec l’arrivée en moyenne durant la dernière décennie de 300 enfants russes par an. La France, en 2012, était le quatrième pays d’accueil des enfants russes. La Russie est l’un de nos partenaires majeurs pour l’adoption internationale.
La Russie a souhaité mettre en place un cadre conventionnel avec les principaux pays d’accueil des enfants adoptés dans son pays afin d’assurer une certaine sécurité juridique et le respect des principes éthiques de l’adoption internationale. Cette évolution tend à faire primer de manière absolue l’intérêt supérieur de l’enfant et est consacrée dans plusieurs instruments internationaux ratifiés par la France.
Le 18 novembre 2011, la France et la Russie ont signé un traité de coopération dans le domaine de l’adoption. Ce traité est similaire aux accords bilatéraux signés par la Russie avec l’Italie en 2008 et les États-Unis en 2011.
En imposant le recours à un intermédiaire agréé, le présent traité encadre plus rigoureusement les procédures d’adoption et contribue à réduire les risques d’échec d’adoption. Il prend en compte le cadre international de principes posé dans la Convention des Nations-Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, ainsi que dans la Convention de La Haye sur la protection de l’enfance et la coopération en matière d’adoption internationale du 29 mai 1993. Il clarifie utilement les effets juridiques de l’adoption.
La ratification par la France, après la Russie, et l’entrée en vigueur rapide du traité devraient permettre de débloquer un certain nombre de dossiers d’adoption actuellement en suspens et d’améliorer durablement les procédures en vigueur.
Ce traité, parce qu’il comporte des engagements réciproques, clarifie les règles et est l’affirmation d’une volonté mutuelle de promouvoir l’intérêt de l’enfant, est notre meilleure chance de surmonter les blocages et les difficultés en terme d’adoption.
Pour autant, certaines personnes seront exclues du processus d’adoption en vertu de la loi russe du 21 juin 2013. Le traité ne détermine pas les critères d’éligibilité à l’adoption, mais les renvoie à la législation nationale des deux États.
I. LA NÉCESSITÉ D’UN MEILLEUR ENCADREMENT JURIDIQUE DE L’ADOPTION D’ENFANTS RUSSES PAR DES FAMILLES FRANÇAISES
Aussi bien les engagements internationaux pris par de nombreux pays, dont la France, que les exigences propres des États d’origine des enfants adoptés, dont la Russie, imposent un renforcement de l’encadrement juridique et procédural des adoptions internationales.
La Russie est un partenaire majeur de notre pays pour ce qui est de l’adoption.
Le nombre d’adoptions d’enfants nés en France a été divisé par deux ou trois depuis un quart de siècle, et est actuellement au mieux de 750 par an.
Les 20 000 couples ou célibataires français candidats à l’adoption et titulaires d’un agrément se sont tournés naturellement vers l’adoption internationale.
Comme le montre le tableau infra, le nombre annuel d’adoptions internationales réalisées en France dépassait 3 000 par an jusqu’en 2010, puis s’est effondré en 2011 et 2012, avec à peine plus de 1 500 adoptions cette dernière année.
Globalement, la France est au monde le troisième pays d’accueil d’enfants adoptés à l’étranger, après les États-Unis et l’Italie.
De 2004 à 2012, un peu plus de 3 000 enfants russes ont été adoptés en France – soit en moyenne 336 par an –, ce qui représente près de 11 % des enfants ayant fait l’objet d’une adoption internationale dans notre pays sur cette période.
La Russie fait régulièrement partie depuis une décennie des cinq premiers pays d’origine des enfants étrangers adoptés en France ; en 2012, elle a même occupé le premier rang.
Tendanciellement, comme le souligne le tableau ci-après, même si le nombre d’enfants russes adoptés en France chaque année a plutôt baissé – il était aux alentours de 400 jusqu’en 2007 et à moins de 300 en 2011 et 2012 –, leur part dans le total des adoptions internationales a plutôt augmenté.
En effet, le nombre d’adoptions en provenance d’autres sources traditionnelles (Haïti, Éthiopie, Vietnam, Colombie...) a énormément baissé, voire s’est effondré. Plusieurs pays ont, de manière plus ou moins définitive – allant du gel provisoire de l’enregistrement de nouveaux dossiers, à des mesures législatives de prohibition de l’adoption par des étrangers –, suspendu les adoptions internationales durant les deux ou trois dernières années : le Cambodge, le Népal, le Sénégal, le Laos, le Mali, la Guinée (Conakry)… La Russie apparaît donc comme un partenaire de plus en plus important.
Le poids des enfants d’origine russe dans l’adoption internationale en France
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 | |
Nombres d’adoptions internationales par des Français |
3 769 |
4 136 |
3 977 |
3 162 |
3 271 |
3 017 |
3 504 |
1 995 |
1 569 |
Nombres de ces adoptions effectuées en Russie |
445 |
357 |
397 |
402 |
315 |
288 |
301 |
286 |
235 |
Part des enfants russes dans les adoptions internationales (%) |
11,8 |
8,6 |
10 |
12,7 |
9,6 |
9,5 |
8,6 |
14,3 |
15 |
Rang de la Russie dans les origines des enfants adoptés |
3 |
5 |
4 |
3 |
3 |
4 |
5 |
2 (ex-aequo) |
1er |
Source : rapports statistiques du ministère des affaires étrangères sur l’adoption internationale.
Les enfants russes qui ont été adoptés en France en 2012 étaient à 60 % des garçons et en très grande majorité (89 %, soit plus que pour d’autres nationalités d’origine), des « enfants à besoins spécifiques » :
– 22 % ont été adoptés en fratries ;
– 17 % avaient plus de cinq ans ;
– 75 % présentaient une pathologie (plus ou moins grave).
Ceci s’explique par l’application par la Russie du principe de subsidiarité : les enfants adoptables doivent d’abord être proposés à l’adoption dans leur région d’origine, puis dans le pays, à au moins cinq familles russes, avant de l’être à l’adoption internationale.
Il convient enfin d’indiquer qu’à la connaissance des autorités françaises, il n’existe pas d’enfants français adoptés en Russie.
Si l’on se place maintenant du point de vue de la Russie, la France constitue le quatrième pays d’accueil des enfants adoptés originaires du pays, derrière les États-Unis, l’Italie et l’Espagne :
– les États-Unis ont adopté 1 079 enfants russes en 2010, 962 en 2011 et 749 en 2012 (mais plus aucun en 2013 suite à la dénonciation de l’accord bilatéral russo-américain : voir infra) ;
– l’Espagne a adopté 640 enfants russes en 2010 et 731 en 2011 ;
– l’Italie a adopté 707 enfants russes en 2010, 781 en 2011 et 749 en 2012.
Ces dernières années, un peu plus de 3 000 enfants russes par an étaient adoptés à l’international.
Les procédures d’adoption internationale peuvent passer par un intermédiaire agréé, ce qu’on appelle en France un « organisme autorisé pour l’adoption » (OAA), qui facilite la rencontre avec l’enfant, apporte une aide dans les démarches, mais est aussi le responsable et le garant du respect des règles. Ce n’est cependant pas, en droit français, une obligation : les adoptants peuvent aussi conduire seuls la procédure les concernant.
La majorité des Français adoptant en Russie ne recourent pas, jusqu’à présent, aux services d’un OAA, bien que trois organismes soient actifs en Russie : les associations accréditées « De Pauline à Anaëlle » et « Enfance Avenir », et l’Agence française de l’adoption (AFA), organisme de droit public chargé d’une mission générale d’information et de conseil, mais qui est également reconnu comme OAA depuis 2008 dans dix régions russes.
En effet, les adoptions opérées avec des démarches individuelles ont représenté, en 2012, 79 % des adoptions d’enfants russes (6 % des adoptions ayant été faites par l’intermédiaire de l’AFA et 15 % par celui des deux associations susmentionnées), taux qui était du même ordre les années précédentes.
Cette situation est problématique au regard tant des instruments internationaux qui régissent l’adoption que des exigences propres des autorités russes.
Le principal instrument international en la matière est la Convention de La Haye sur la protection de l’enfance et la coopération en matière d’adoption internationale du 29 mai 1993. Elle est en vigueur dans près de 90 États et la France y a adhéré en 1995 et l’a ratifiée en 1998. Toutefois, si la Russie y a adhéré en 2000, elle n’a jamais ratifié cette convention.
La priorité devant être donnée à l’intérêt supérieur de l’enfant, la convention de La Haye soumet les adoptions internationales à un certain nombre de règles procédurales, en partant du constat de la nécessité de contrôles portant en particulier sur le consentement des parents biologiques, l’absence de rémunération de ceux-ci et de gains indus pour les intermédiaires éventuels, la prise en compte de l’avis ou le cas échéant du consentement de l’enfant, enfin l’aptitude des parents adoptifs.
Pour garantir le respect de ces exigences fondamentales, la convention impose l’identification dans chaque État qui y est partie d’une « autorité centrale » chargée de l’adoption. Les missions des autorités centrales consistent notamment à « rassembler, conserver et échanger des informations relatives à la situation de l’enfant et des futurs parents adoptifs, dans la mesure nécessaire à la réalisation de l’adoption » et à « répondre, dans la mesure permise par la loi de leur État, aux demandes motivées d’informations sur une situation particulière d’adoption formulées par d’autres autorités centrales ou par des autorités publiques ».
Par ailleurs, l’article 22 de la convention permet de confier les missions procédurales des autorités centrales à d’autres autorités publiques ou à des organismes agréés à cette fin. Ces organismes agréés doivent être à but non lucratif et bénéficier du double agrément de l’État d’origine et de l’État d’accueil des enfants.
Un autre instrument international, de portée plus générale, traite plus succinctement des questions d’adoption : la Convention des Nations-Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989. Ce texte fondamental a été ratifié en 2010 par la France et par la Russie et est donc visé dans le préambule du présent traité. Il consacre quatre principes fondamentaux :
– la non-discrimination ;
– l’intérêt supérieur de l’enfant ;
– le droit à la vie, à la survie et au développement ;
– le respect de l’opinion de l’enfant.
Son article 21, qui traite de l’adoption, pose des principes similaires à ceux de la convention de La Haye susmentionnée : nécessité de contrôles, prévention des profits matériels indus dans les procédures d’adoption, invitation à la conclusion d’accords bilatéraux pour encadrer les procédures… Cet article édicte également un principe de subsidiarité pour l’adoption internationale : celle-ci ne doit être envisagée que s’il n’est pas possible de placer ou de faire adopter les enfants concernés dans leur pays d’origine.
Ces instruments internationaux n’imposent pas à proprement parler le recours à des organismes agréés pour les adoptions internationales, mais, en prévoyant des obligations procédurales lourdes, qui impliquent en pratique la mise en place de petites bureaucraties spécifiques, ils invitent de fait à généraliser ce recours, sauf à ce que les administrations nationales acceptent de mettre les moyens matériels nécessaires au contrôle et à la gestion de l’adoption internationale et d’en assumer toutes les responsabilités.
La France est le seul pays, parmi les membres de l’Union européenne, à autoriser les adoptions individuelles et est régulièrement critiquée par le Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (UNICEF) et par des organisations non gouvernementales comme Terre des Hommes. Ces critiques ont porté principalement, ces dernières années, sur les adoptions en masse et jugées hâtives (avec parfois des avions-charters) d’enfants haïtiens après le séisme de 2010, mais pointent aussi la présence fréquente, dans les procédures individuelles d’adoption, d’intermédiaires peu scrupuleux qui exigent le versement de sommes importantes et pratiquent éventuellement la corruption dans les pays d’origine des enfants.
La prédominance des procédures d’adoptions menées de manière individuelle en Russie soulève également un problème au regard des obligations de suivi post-adoption posées par la législation russe. La production de rapports de suivi des enfants durant une certaine durée (en général, jusque tout récemment – voir infra –, quatre ans, mais pouvant être étendue dans certaines régions jusqu’à la majorité des enfants adoptés) est exigée.
Suite au non-respect de ces obligations par des familles françaises ayant adopté de manière individuelle en Russie, les autorités russes ont établi des « listes noires » recensant les départements de résidence de ces familles et ont bloqué des dossiers de candidats à l’adoption résidant dans ces départements.
La Russie s’efforce depuis quelques années de passer des accords bilatéraux sur l’adoption avec ses principaux partenaires en la matière. À la connaissance du ministère des Affaires étrangères, elle a ainsi signé des traités avec deux pays : l’Italie, en novembre 2008, et les États-Unis, en juillet 2011 – cet accord a été dénoncé par la Russie fin 2012.
Ces deux accords s’inscrivent dans la logique du cadre international décrit supra (Convention des droits de l’enfant de 1989 des Nations-Unies et Convention de la Haye de 1993). Ils posent de manière générale le principe du passage par un organisme agréé pour les adoptions et sont très détaillés quant aux conditions d’accréditation et aux obligations des organismes en question. Ils comportent également des exigences élevées sur le suivi des enfants après leur adoption et le maintien d’un lien avec leur pays d’origine, avec des stipulations relatives à la remise de rapports de suivi, encadrant les éventuels replacements ou ré-adoptions des enfants, ou encore, dans l’accord avec l’Italie, obligeant les parents adoptifs à inscrire leurs enfants adoptés, qui conservent leur nationalité d’origine, au consulat russe local.
Les autres pays européens n’ont pas d’accords sur l’adoption avec la Russie, mais certains sont en train d’en négocier un (par exemple l’Espagne) ou ont été récemment sollicités par les autorités russes à cette fin (cas de la Suisse, de l’Irlande, de l’Allemagne…).
L’intention des autorités russes semble être de réserver à l’avenir les adoptions internationales aux ressortissants des pays ayant signé un accord bilatéral. Un interlocuteur de votre rapporteure a ainsi fait état d’une déclaration récente en ce sens du comité pour l’adoption de la région de Saint-Pétersbourg.
Comme il a été dit supra, le présent traité répond à une volonté russe de clarifier les règles régissant l’adoption internationale avec ses principaux partenaires dans ce domaine, en passant avec eux des accords bilatéraux. Les négociations avec la France ont débuté en 2009 et ont abouti à la signature de ce traité le 18 novembre 2011, dans le cadre du séminaire inter-gouvernemental qui avait lieu à Moscou.
Ce traité introduit des règles symétriques pour les deux parties, en définissant les prérogatives et les obligations d’une part de l’« État d’origine » des enfants, d’autre part de leur « État d’accueil ». Dans la pratique, on l’a dit, le premier est la Russie et le second la France, mais le traité s’appliquerait réciproquement à l’éventuelle adoption d’un enfant français en Russie.
Le point le plus marquant du traité réside dans l’obligation qu’il instaure de passer par un organisme agréé pour toute procédure d’adoption.
Le préambule du traité vise expressément les principes de la Convention des Nations-Unies de 1989 relative aux droits de l’enfant, présentée supra. Il dispose également « que pour assurer un épanouissement harmonieux de la personnalité de l’enfant, celui-ci doit grandir dans un environnement familial fait de bonheur, d’amour et de compréhension », formulation qui reprend pratiquement à l’identique des stipulations du préambule de ladite convention (et également de la convention de La Haye de 1993). L’intérêt supérieur de l’enfant est ainsi la priorité.
Ce préambule met aussi en avant un autre principe de ces instruments internationaux, celui de la subsidiarité : il est rappelé que les États doivent prendre les mesures appropriées pour assurer le maintien des enfants dans leur famille d’origine et, en cas d’impossibilité, les placer dans une famille de substitution sur leur territoire ; ce n’est qu’à défaut que l’adoption internationale doit être envisagée. Ce principe est ensuite repris dans le dispositif, à l’article 2 du traité.
L’apport principal du traité figure à son article 3. Dans le contexte de droit international et de pratiques qui a été développé supra, le traité fait désormais obligation aux candidats à l’adoption de recourir à des organismes agréés (avec une exception pour les adoptions intrafamiliales), empêchant ainsi que le contact direct entre les candidats à l’adoption et les institutions locales ou les familles d’origine puisse déboucher sur une adoption.
Les organismes agréés devront, selon l’article 5, l’être dans l’État d’accueil et dans l’État d’origine des enfants. Des exigences élevées sont posées :
– caractère non lucratif ;
– direction assurée « par des personnes dont les qualités morales et professionnelles sont irréprochables et dont l’activité dans l’autre État contribue au respect des droits de l’enfant » ;
– obligation d’une « structure appropriée » et d’un personnel formé pour travailler sur le territoire de chaque partie.
Il est précisé que les organismes agréés seront assujettis, pour leur activité dans l’État d’origine des enfants (en pratique la Russie), à sa législation. Leur nombre n’est pas limité (il peut faire l’objet d’un arrangement entre les deux États). Ils seront soumis au contrôle des autorités centrales des deux pays et leur agrément pourra être retiré pour « manquements », formulation qui laisse place à des interprétations larges. À cet égard, il est à noter qu’un OAA français accrédité en Russie a déjà été l’objet d’un retrait d’agrément (Médecins du Monde en 2010), sous un régime évidemment antérieur à celui du présent traité.
Selon l’étude d’impact, « l’interdiction des démarches individuelles d’adoption devrait permettre de réduire fortement le coût des procédures d’adoption imposé aux familles candidates à l’adoption en Russie par des intermédiaires parfois peu scrupuleux et en tout état de cause non contrôlés ».
L’article 6 précise la législation applicable pour les procédures d’adoption : ce sera celle de l’État d’origine pour tout ce qui concerne l’enfant et le fait qu’il puisse être proposé à l’adoption internationale. Pour ce qui concerne les candidats à l’adoption, ils devront satisfaire aux exigences établies par les législations des deux États, ainsi qu’à celles prévues par le traité. Ces stipulations ne changent rien aux pratiques habituelles en matière d’adoption internationale : les candidats en France devront toujours solliciter un agrément, ce que rappelle l’article 7 du traité, mais la Russie se réserve le droit de fixer également des règles quant à leur sélection.
Les articles 8 et suivants encadrent la procédure d’adoption :
– l’adoption est prononcée par les autorités du pays d’origine (article 8) ;
– l’autorité centrale de l’État d’accueil, c’est-à-dire pour la France le ministère des Affaires étrangères, se voit confier des responsabilités assez lourdes (article 9) : vérification et attestation que les candidats à l’adoption sont bien titulaires de l’agrément en vue d’adoption (délivré en France par le Président du Conseil général de leur lieu de résidence) et qu’ils ont suivi une formation adéquate ; contrôle du respect par les OAA des obligations de suivi des enfants adoptés, avec obligation de suspendre leur agrément si ce n’est pas le cas ;
– l’État d’origine est quant à lui chargé de s’assurer que l’enfant remplit les conditions pour être adopté et que les consentements à l’adoption ont été émis après la naissance de l’enfant, en connaissance des effets de l’adoption, dans les formes requises, librement et sans aucune contrepartie (article 11) ;
– les pièces et renseignements à fournir, sur l’enfant comme sur les candidats à l’adoption, sont très précisément définis aux articles 10 et 12.
Selon l’article 2 du traité, l’adoption « entraîne la rupture définitive du lien de filiation entre l’adopté et ses parents d’origine ». Cette définition conventionnelle, qui s’imposera aux deux parties, est importante car, jusqu’à présent, les divergences entre les législations ont provoqué des difficultés.
En effet, selon la législation en vigueur en Russie, les adoptions prononcées dans ce pays emportent une rupture complète du lien de filiation, mais peuvent être révoquées sous certaines conditions. La qualification de ces adoptions au regard du droit français – adoption simple ou plénière ? – est dès lors complexe et tributaire de la situation factuelle et de l’appréciation des juridictions saisies.
Celles-ci se réfèrent à l’article 370-5 du code civil, selon lequel l’adoption prononcée à l’étranger « produit en France les effets de l'adoption plénière si elle rompt de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant. À défaut, elle produit les effets de l’adoption simple. Elle peut être convertie en adoption plénière si les consentements requis ont été donnés expressément en connaissance de cause ». Les juridictions doivent en conséquence apprécier au cas par cas si une éventuelle révocation serait de nature à rétablir le lien de filiation avec la famille d’origine et, dans le cas d’enfants délaissés par leurs parents, il est essentiel pour les adoptants de se procurer un document attestant de leur consentement éclairé à l’adoption pleine et irrévocable.
Le traité, en définissant l’adoption comme une mesure entraînant une rupture définitive du lien de filiation, permettra la reconnaissance automatique en France des adoptions prononcées en Russie comme adoptions plénières, et ce avec une procédure plus simple : les adoptants pourront solliciter la vérification d’opposabilité des décisions d’adoptions prononcées en Russie auprès du Procureur de la République de Nantes (localisation du service central d’état civil), démarche qui peut se faire sans avocat.
L’article 14 du traité stipule l’acquisition de plein droit de la nationalité de leur pays d’accueil par les enfants adoptés.
Cependant, la législation russe prévoit que les enfants russes adoptés par des étrangers conservent leur nationalité d’origine (loi fédérale N62-F3 sur la nationalité de la Fédération de Russie du 31 mai 2002). Les enfants adoptés ont donc un double passeport et ont l’obligation, quand ils se rendent en Russie, d’utiliser leur passeport russe (utiliser leur passeport français ou autre est un délit). L’article 15 du traité prévoit d’ailleurs l’obligation d’immatriculation des enfants adoptés auprès du consulat de leur pays d’origine.
Dès lors, ils sont potentiellement assujettis au service militaire obligatoire en Russie (d’une durée d’un an depuis 2008). Certes la loi russe (n° 53 du 28 mars 1998) et les textes réglementaires en exemptent les citoyens vivant de façon permanente hors du territoire de la Russie, mais des inquiétudes existent chez les parents adoptifs quant au risque que des séjours courts, même occasionnels, en Russie peuvent entraîner en la matière.
L’article 14 précité clarifie la question : l’accomplissement des obligations militaires sur le territoire d’une des parties – en France, la « journée défense et citoyenneté » – en exemptera sur le territoire de l’autre.
Comme votre rapporteure l’a déjà indiqué, la question des rapports de suivi est très importante en Russie. Les autorités russes confient leurs enfants à l’adoption internationale si et seulement si les familles adoptives étrangères s’engagent à leur fournir des rapports de suivi détaillant l’intégration et l’adaptation des enfants dans leur nouvelle famille. Depuis l’ouverture de la Russie à l’adoption internationale, les rapports de suivi ont toujours constitué un problème épineux, une défaillance des familles ou des agences d’adoption quant à leurs engagements étant immanquablement sanctionnée par des menaces, voire des mesures de rétorsion.
Le traité prévoit que la responsabilité du suivi incombera aux OAA, en lien avec la famille adoptive et sous le contrôle des autorités centrales de l’État d’accueil (articles 9 précité et 15). Il prévoit aussi le contenu des rapports de suivi, qui devront comprendre des renseignements sur l’évolution psychique et physique de l’enfant et son adaptation à son nouveau milieu familial et social, ainsi que toute autre information le concernant selon les modalités de la législation de l’État d’origine.
Ces dispositions renforcent le rôle des administrations de l’État d’accueil (pour la France, la mission de l’adoption internationale du ministère des Affaires étrangères et les Conseils généraux), mais les responsabilisent aussi, l’État d’origine, toujours selon l’article 15, se voyant formellement reconnaître le droit de suspendre temporairement la réception de nouveaux dossiers en cas de non-respect des obligations de suivi.
Comme le titre du traité l’évoque expressément, il s’agit d’un véritable traité de coopération entre la France et la Russie. La coopération entre les autorités des deux pays figure au nombre des principes qui sous-tendent le traité, dont les articles 17 et 18 mettent en place un cadre de coopération et d’échange d’informations entre les autorités centrales. Ces échanges d’informations devront notamment porter sur des questions générales (statistiques, législation…), mais aussi sur les conditions de vie et d’éducation des enfants adoptés ; selon l’article 18, l’État d’accueil sera tenu de répondre, « dans le cadre de sa législation », à toute demande d’information de l’État d’origine sur les « cas concrets d’adoption ».
Ces stipulations doivent être examinées au regard des exigences de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’information, aux fichiers et aux libertés dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004.
En application de l’article 68 de cette loi, des données à caractère personnel ne peuvent être transmises à un État non membre de l’Union européenne qu’à la condition que cet État « assure un niveau de protection adéquat ou suffisant de la vie privée et des libertés et des droits fondamentaux des personnes à l’égard du traitement dont ces données font l’objet ou peuvent faire l’objet ». Or, pour l’heure, la Commission nationale de l’information et des libertés estime que la Russie ne dispose pas d’une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel.
Toutefois, l’article 69 de la même loi de 1978 dispose à titre dérogatoire que des données à caractère personnel peuvent être transférées vers un État ne répondant pas aux exigences précitées « si la personne à laquelle se rapportent les données a consenti expressément à leur transfert », ce qui est déjà le cas pour les adoptants lors de l’adoption et ensuite dans le cadre du suivi. De plus, en rappelant explicitement la nécessité de respecter les législations nationales en matière de transmissions de données personnelles, le traité garantit qu’aucune donnée de cette nature ne sera transmise aux autorités russes sans le consentement des personnes en cause (c’est-à-dire, s’agissant d’enfants, de leurs parents adoptifs ou représentants légaux) tant que la Russie n’aura pas adopté une législation totalement protectrice des données personnelles. Les dispositions du traité prévoyant des échanges d’informations ne sont donc pas incompatibles avec la législation française.
Le présent traité comprend des stipulations très précises, qui encadreront efficacement les procédures, et clarifie plusieurs points de droit. Mais sa mise en œuvre risque d’être complexifiée par plusieurs évolutions récentes de la législation et de la réglementation russes – évolutions qui n’en rendent cependant que plus urgente son entrée en vigueur, donc sa ratification.
On le sait, ces évolutions de la réglementation sont en partie liées à la crainte que des enfants d’origine russe, suite à un nouveau placement ou une ré-adoption, ne se retrouvent élevés par des couples homosexuels, sans que les autorités russes puissent s’y opposer.
Chacun est libre de porter le jugement qu’il veut sur la pertinence de cette crainte. En tout état de cause, il faut rappeler que, quand bien même elle serait fondée dans son principe, cette crainte a peu de risque, au sens statistique, de se réaliser, car les échecs à l’adoption et donc les changements de famille d’accueil sont rares.
Sur les quatre dernières années, seulement trois cas d’échec à l’adoption ont été signalés au ministère des affaires étrangères concernant des enfants russes adoptés par des familles françaises. En Espagne, où ont été adoptés plus de 12 000 enfants russes depuis quinze ans, les ré-adoptions concernent moins de 1 % des enfants adoptés. L’exemple espagnol est intéressant, car ce pays a légalisé le mariage entre personnes du même sexe dès 2005. Le placement éventuel d’un enfant russe chez un couple homosexuel espagnol n’aurait pas manqué de faire scandale en Russie ; il ne semble pas que cet événement se soit produit – il est vrai que sa probabilité statistique est faible, avec moins de 1 % de ré-adoptions et un peu plus de 2 % de mariages homosexuels dans la totalité des unions…
Il faut toutefois être conscient que l’exigence d’un suivi accru des enfants adoptés par leur pays d’origine ne répond pas seulement à des préoccupations sociétales que la plupart des pays européens ne jugent plus fondées.
Portée par les opinions publiques, cette exigence est présente dans la plupart des pays d’origine de l’adoption internationale et est aussi la résultante de la diffusion des valeurs concernant les droits de l’enfant, auxquelles nous sommes attachés. Si l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur les autres considérations, il est légitime que son pays d’origine se préoccupe de son devenir même lorsqu’il est adopté à l’étranger. À cet égard, le suivi renforcé des enfants adoptés répond à cette préoccupation.
Un arrêté du gouvernement fédéral russe, daté du 22 août 2013 et applicable à compter du 3 septembre de la même année, a considérablement alourdi les obligations de suivi post-adoption : alors que jusqu’à présent des rapports de suivi ne devaient être établis périodiquement que pendant les trois années suivant l’adoption, désormais cette obligation est étendue jusqu’à la majorité de l’enfant (ces rapports étant biennaux après la période des trois premières années, où ils sont annuels). Il semble que cette obligation s’applique aussi aux familles ayant déjà adopté, donc à toutes celles qui élèvent (au moins) un enfant russe né après août 1995…
Il s’agit, de toute évidence, d’une contrainte nouvelle très lourde, qui peut être mal vécue par les familles et leurs (grands) enfants. C’est sans doute un point dont l’application devra être discutée entre les autorités des deux pays. Mais cette situation ne peut que nous inciter à ratifier au plus vite le traité sur l’adoption, en signe de bonne volonté et dans l’espoir qu’il conduira effectivement à la mise en place d’une bonne coopération – donc de négociations techniques fructueuses –entre les administrations des deux pays, comme ces stipulations y invitent.
La gestion des rapports de suivi, qui seront donc beaucoup plus nombreux avec la nouvelle réglementation, implique aussi des moyens bureaucratiques importants.
D’ores et déjà, la réglementation russe impose aux organismes agréés une présence (un salarié) dans chaque capitale des régions où ils sont accrédités, en plus d’un bureau de représentation en Russie.
L’arrêté russe du 22 août 2013 précité, outre qu’il multiplie les rapports de suivi dont ils seront responsables, alourdit également les obligations des organismes en les astreignant à fournir à l’administration russe toute information sur les événements affectant la vie de l’enfant (cela peut être un constat de maltraitance ou une décision de nouveau placement, mais aussi le divorce ou le décès des parents, l’arrivée d’un autre enfant, etc.) dans un délai de cinq jours après en avoir été informés et au plus tard trente jours à compter de la date des événements en cause. Cela implique des moyens de suivi considérables, difficiles à mettre en œuvre et à financer pour les organismes agréés.
Cela peut également être ressenti comme une forme d’inquisition ou de suspicion pour les familles adoptantes.
La suppression des adoptions en procédure individuelle, en application du présent traité, et l’alourdissement des obligations de suivi et d’information décrit supra vont impliquer un renforcement très conséquent des moyens des OAA français en Russie et sans doute l’accréditation de nouveaux organismes.
Le 3 juillet dernier, est entrée en vigueur en Russie une loi nouvelle (la loi fédérale n° 167-FZ) interdisant l’adoption internationale d’enfants russes par des couples du même sexe ou des célibataires de pays reconnaissant les unions homosexuelles.
Cette loi a fait l’objet le 29 août 2013 d’une circulaire interprétative de la Cour suprême russe, laquelle enjoint aux tribunaux de s’opposer à toute procédure d’adoption par des ressortissants d’un pays :
– qui autorise le mariage de personnes du même sexe ;
– dont la législation prévoit la possibilité qu’un enfant soit placé dans une autre famille (que sa famille biologique ou d’accueil initiale) dans certains cas de figure ;
– qui n’est pas lié par un traité bilatéral avec la Russie imposant un accord de la partie russe sur toute décision de placement ou de ré-adoption de l’enfant.
Suite au vote de la loi sur le mariage pour tous et en l’absence de traité ratifié sur l’adoption avec la Russie, la France cumule ces trois conditions et donc toutes les adoptions en cours sont susceptibles d’être bloquées (même si cela ne semble pas être systématiquement le cas).
La ratification du présent traité semble pouvoir constituer une réponse efficace à ce blocage, car :
– ce traité a été ratifié par la Russie (l’instrument de ratification a été notifié à la France le 13 août 2012), qui sera donc juridiquement liée dès ratification par la France (sauf à dénoncer le traité) ;
– en droit russe, comme en droit français, les engagements internationaux priment sur la loi nationale et ses interprétations.
Il faut toutefois revenir sur une stipulation particulière du traité : le § 2 de son article 16, traitant de la question sensible des échecs à l’adoption (ou cas de force majeure), prévoit l’obligation d’un accord des autorités du pays d’origine en cas de ré-adoption (dans le pays d’accueil), mais seulement une obligation d’information de ces autorités en cas de placement. La circulaire susmentionnée ajoute dans cette seconde situation une exigence d’autorisation des autorités russes, qui n’existe pas dans le traité. Cette exigence risque d’être difficilement applicable, car la pratique du placement s’inscrit souvent dans l’urgence, qui relève de l’appréciation des services administratifs de protection de l’enfance (ASE).
Cela n’enlève rien à la nécessité de ratifier rapidement le traité, afin que ce point puisse être discuté dans un esprit de bonne volonté entre les deux gouvernements.
La circulaire de la Cour suprême a bloqué la plupart des dossiers d’adoption en cours par des familles françaises, dont le nombre n’est pas connu précisément, mais pourrait être de l’ordre de 400 (du fait de la durée de la procédure, qui est en général de plus d’un an).
Votre rapporteure espère que la ratification du traité permettra le déblocage de l’ensemble ces dossiers.
Il est à noter sur ce point que le § 2 de l’article 20 du traité comporte une clause autorisant les candidats dont le dossier est déjà enregistré dans l’État d’origine à sa date d’entrée en vigueur de mener à son terme la procédure engagée selon les modalités antérieures : en principe, les dossiers individuels (sans OAA) en cours de procédure devraient pouvoir aller à leur terme malgré l’obligation posée par le traité de recourir à un OAA.
On doit toutefois signaler l’existence de cas individuels plus problématiques. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi russe sur l’adoption, les célibataires français pouvaient adopter en Russie. Douze cas sont connus concernant des femmes françaises, dont les dossiers sont en suspens, du fait de ce qui semble être une application rétroactive de la nouvelle loi à leur égard.
Cette situation est très douloureuse pour ces femmes qui avaient déjà rencontré les enfants concernés, pour lesquels la décision d’apparentement avait été prise, et dont la procédure est actuellement bloquée.
Certaines de ces situations devraient pouvoir être réglées en conformité avec la nouvelle loi, car ses dispositions transitoires précisent que les requêtes en adoption de la part de célibataires déposées devant les tribunaux russes avant son entrée en vigueur (3 juillet 2013) sont recevables.
Votre rapporteure espère que les autorités russes donneront, en toute humanité, une issue favorable à l’ensemble de ces dossiers. Il ne s’agit que de quelques cas individuels qui peuvent être réglés positivement, en prenant en compte les liens affectifs qui se sont déjà noués entre ces mères et ces jeunes russes qu’elles considèrent déjà comme leur enfant.
La France doit à son tour ratifier le traité sur l’adoption avec la Russie. Pour votre rapporteure, il s’agit là d’une nécessité, car cette ratification permettra d’avancer sur de nombreux points.
En premier lieu, ce traité a pour objet d’inscrire les adoptions internationales entre la Russie et la France dans un cadre pleinement compatible avec les instruments internationaux relatifs à l’adoption, auquel il se réfère d’ailleurs explicitement. La France s’honore de promouvoir les droits de l’enfant, elle ne peut donc être réticente à mettre en œuvre un engagement bilatéral qui va dans ce sens.
Ce traité apporte ensuite des clarifications juridiques utiles sur des points tels que la qualification en droit français des adoptions d’enfants russes ou les obligations militaires des intéressés.
Enfin, cette ratification constituera un geste positif qui doit permettre à la Russie et à la France de régler au mieux les nombreux dossiers d’adoption aujourd’hui en suspens. Dans chacun de ces dossiers, il y a l’engagement intime de femmes et d’hommes et un (ou plusieurs) enfant(s) avec qui ils ont déjà tissé des liens. En cela, chaque dossier est essentiel.
Votre rapporteure est en particulier sensible à la situation de nos compatriotes célibataires qui attendent d’accueillir un enfant qu’elles connaissent et aiment déjà profondément. Elle espère que les autorités russes ne s’attacheront pas, dans le traitement de ces dossiers, au formalisme des règles, mais donneront la primauté au cœur et à l’humanité, dans le souci de l’intérêt de ces enfants.
D’autres points devront sans doute être discutés entre les deux pays, notamment les conditions d’application de la nouvelle réglementation russe du suivi des enfants adoptés au cas des adoptions déjà réalisées. Nous devons sur ce point admettre la légitimité de la préoccupation croissante de suivi par leur pays d’origine des enfants adoptés à l’international, car cette préoccupation rend compte de la priorité donnée à l’intérêt de l’enfant. Il nous appartiendra aussi de trouver un juste milieu pour que ces suivis ne soient pas trop contraignants pour les familles et leurs enfants.
En tout état de cause, les blocages et les difficultés actuels dans les adoptions d’enfants russes par des Français n’ont rien à voir avec le présent traité. Bien au contraire, seule sa ratification peut nous permettre de les surmonter.
La commission examine, sur le rapport de Mme Chantal Guittet, le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption (n°1377), au cours de sa séance du 23 octobre 2013.
Après l’exposé de la rapporteure, un débat a lieu.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. J’ai effectivement pensé nécessaire d’avancer de trois semaines l’examen de ce traité par notre commission et j’espère que nous irons vite en séance publique également. Il nous faut tenir compte de la souffrance des familles qui sont engagées dans des procédures d’adoption. J’étais à Moscou la semaine dernière et j’ai discuté de cette question avec mes interlocuteurs russes. J’ai également invité à déjeuner les présidents des trois organismes français qui interviennent en Russie sur les adoptions. Mes interlocuteurs russes m’ont redit qu’ils ne comprenaient pas pourquoi nous avions tellement tardé – raison supplémentaire de la ratification rapide de ce traité.
Il me semble aussi qu’ils sont décidés à faire des gestes. Mon homologue le président de la commission des affaires étrangères de la Douma a souligné que certains membres de sa commission étaient partisans d’une solution extrêmement dure qui aurait consisté à interdire toute nouvelle adoption, non seulement compte tenu des dernières lois, mais aussi parce qu’ils n’étaient pas satisfaits du suivi des enfants déjà adoptés. C’est finalement une position ouverte qui a prévalu et ils m’ont indiqué que si nous ratifiions ce traité, la position russe ne pourrait qu’évoluer favorablement.
Nous ne devons pas oublier que certains menacent de dénoncer ensuite ce traité si nous n’apportons pas suffisamment de garanties sur le suivi des enfants. Ce traité va en apporter, puisqu’il obligera à passer par des intermédiaires agréés : on pourra tenir des dossiers sur les enfants. Pour les adoptions déjà réalisées par démarche individuelle, ce sera évidemment beaucoup plus difficile. Après la ratification du traité – que j’espère, moi aussi, unanime –, il y aura un travail à faire avec les conseils généraux pour s’assurer que les demandes russes sur le suivi seront bien remplies.
M. Jean-Pierre Dufau. Cette réunion était très attendue. Nous sommes nombreux, je pense, à recevoir du courrier sur ce sujet. Le fait d’avancer au maximum le calendrier de ratification est une bonne chose. La rapporteure a fait un excellent rapport, très argumenté.
Il y aura, la rapporteure nous l’a redit, quelques cas individuels de dossiers en cours qui ne seront pas réglés automatiquement le traité. Peut-être serait-il utile d’adresser une lettre aux autorités russes, au nom de la commission des affaires étrangères, pour leur demander de traiter avec humanité ces quelques cas qui restent à régler. Ces questions doivent être abordées avec beaucoup d’intérêt, de sérieux et de compréhension.
J’espère que nous déboucherons enfin sur des règles claires et définitives, qui auront l’approbation de la Russie, pour pouvoir traiter les adoptions sur des bases renouvelées.
M. Thierry Mariani. Je pense moi aussi que vous avez bien fait d’avancer la date d’examen de ce dossier, parce que 400 dossiers sont actuellement bloqués et parce qu’il est important de donner un signe rapide aux autorités russes.
Je ne rouvre pas le débat, mais la loi sur le mariage homosexuel a créé un vrai malaise. J’étais il y a deux mois avec Chantal Guittet en Russie, dans le cadre d’un rapport que nous effectuons, et la quasi-totalité de nos interlocuteurs nous ont interrogés sur cette question qui révèle un vrai fossé culturel entre la France et la Russie. En tant que député ayant la Russie dans ma circonscription, je suis moi aussi saisi d’un certain nombre de dossiers. J’espère que les explications et les garanties données par la France permettront que notre nouvelle législation ne bloque pas les adoptions. Cela serait tout à fait malheureux.
Par ailleurs, il me semble tout à fait légitime qu’un pays comme la Russie se préoccupe de l’avenir de ses citoyens jusqu’à l’âge de 18 ans, cela l’honore. Il faut aussi se rappeler ce qui s’est passé sur certains dossiers. Je ne pense pas à notre pays, mais notamment aux États-Unis.
Mme Seybah Dagoma. Mon premier mot sera aussi pour vous remercier d’avoir avancé le passage en commission de ce dossier. J’ai écouté avec beaucoup d’attention la rapporteure et je voudrais l’interroger sur les douze cas d’adoptantes célibataires, car j’ai été interpellée par l’une d’elles : quelles sont les actions engagées par le gouvernement, dispose-t-on d’une information sur les délais dans lesquels on peut attendre une réponse ?
Mon autre question porte sur l’information des couples qui adoptent. Je suis allée voir le portail gouvernemental de l’adoption et le site de l’Agence française de l’adoption, et on n’y trouve aucune information actualisé sur la situation. Pouvez-vous me dire pourquoi ?
Mme Chantal Guittet, rapporteure. Pour répondre à Thierry Mariani, le mariage pour tous a choqué les Russes. Mais je rappellerai que l’Espagne est, après les États-Unis, l’un des pays qui adopte le plus d’enfants russes sans que cela pose problème et bien que le mariage entre personnes du même sexe y soit reconnu depuis 2005.
En fait, les Russes ont été irrités que l’on ne ratifie pas plus rapidement le traité.
Je tiens à dire à Jean-Pierre Dufau que Mme Mizoulina, présidente de la commission des affaires sociales de la Douma, vient la semaine prochaine à Paris et rencontrera Catherine Lemorton, son homologue. Elle a aussi demandé à me rencontrer. Nous avons bien fait d’avancer l’examen du texte. Ça montrera que l’Assemblée nationale a fait un geste rapide sur ce dossier.
Pour le cas particulier des célibataires, j’ai rencontré un représentant de l’Agence française de l’adoption, qui m’a dit qu’il y a plusieurs types de situations :
– certaines avaient déposé leur dossier au tribunal avant le vote de la loi interdisant l’adoption aux célibataires ; la question de la rétroactivité se pose mais ces dossiers devraient passer ;
– d’autres n’ont pu déposer ce dossier car tout était bloqué dans la perspective de cette loi. Je ne peux pas m’avancer sur l’analyse juridique de ces dossiers. Mais les Russes sont connus pour avoir des liens forts avec leurs enfants et on peut penser qu’ils comprendront ce que ça peut faire à un enfant d’avoir été apparenté et d’avoir reçu, plusieurs fois, la visite de son futur parent. On peut compter sur l’humanité des Russes. J’espère bien en parler avec Mme Mizoulina et avancer vers un compromis.
En tout état de cause, pour l’avenir, il n’y aura plus d’adoptions par des célibataires.
Pourquoi n’y a-t-il rien sur le site de l’Agence française de l’adoption ? Peut-être parce qu’ils ne savent pas quoi mettre et ne veulent pas créer de faux espoirs. Pour le moment, il serait imprudent d’affirmer quoi que ce soit.
M. Jean-Paul Bacquet. Je suis choqué par le fait que, dans ces adoptions d’enfants russes, la nationalité ne soit pas attribuée avant 18 ans. Donc l’adoption plénière ne se fera pas avant cet âge ?
Mme Chantal Guittet, rapporteure. Ces enfants, selon le traité, auront la nationalité française dès l’adoption, mais en gardant aussi la russe. Et les termes du traité permettent l’adoption plénière.
M. Jean-Paul Bacquet. Que la Russie veuille veiller sur ses enfants, c’est bien. Mais s’il y a des manquements, on retirera l’enfant à sa famille ?
Mme Chantal Guittet, rapporteure. Ça se passera comme pour n’importe quelle famille française. On pourra retirer l’enfant de la famille adoptive. S’il y a une nouvelle adoption, il faudra l’accord des autorités russes.
M. Jean-Paul Bacquet. Je partage la préoccupation de contrôler le sort fait aux enfants et il faudra que ce contrôle soit efficace. Mais c’est quand même terrible pour un enfant de vivre jusqu’à sa majorité avec une incertitude sur son identité. Et pour une famille, vivre avec le risque de savoir que l’enfant peut être retiré, c’est un vrai stress. D’autant que nous savons bien qu’il est difficile de définir la maltraitance pouvant justifier un retrait de garde, de savoir ce qui est vraiment le mieux pour l’enfant dans certaines situations…
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Ce sont des questions importantes, mais qui peuvent concerner toutes les familles, pas seulement celles qui adoptent des enfants russes. Le contrôle sera exercé par nos administrations et ne sera pas différent selon qu’il s’agit ou non d’enfants russes adoptés.
Mme Chantal Guittet, rapporteure. La Russie mettait sur une « liste noire » les départements ne produisant pas les rapports de suivi. Ils demandent un suivi, mais ce suivi ne sera pas différent de celui des autres enfants.
Suivant les conclusions de la rapporteure, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 1377).
TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION
Article unique
(non modifié)
Est autorisée la ratification du traité entre la République française et la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l’adoption, signé à Moscou le 18 novembre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.