N° 1706
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 janvier 2014.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 1658) sur la proposition de règlement du Conseil, du 17 juillet 2013, portant création du Parquet européen (COM [2013] 534 final)
PAR Mme Marietta KARAMANLI,
Députée.
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SOMMAIRE
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Pages
A. UNE COMPÉTENCE MATÉRIELLE QUI DEVRAIT ÊTRE ÉTENDUE À LA CRIMINALITÉ GRAVE TRANSFRONTIÈRE 8
1. La Commission propose de limiter la compétence du parquet européen à la protection des intérêts financiers de l’Union 8
2. Cette compétence devrait être étendue à la criminalité grave transfrontière 9
B. UNE COMPÉTENCE PARTAGÉE ET NON EXCLUSIVE 10
II. UN PARQUET EUROPÉEN COLLÉGIAL 11
A. LA COMMISSION EUROPÉENNE PROPOSE UNE STRUCTURE CENTRALISÉE ET HIÉRARCHISÉE SOUS L’AUTORITÉ D’UN PROCUREUR EUROPÉEN 11
B. LE PARQUET EUROPÉEN DEVRAIT ÊTRE DOTÉ D’UNE STRUCTURE COLLÉGIALE ET ENTRETENIR DES LIENS ÉTROITS AVEC EUROJUST 12
III. UN STATUT GARANTISSANT L’INDÉPENDANCE DES MEMBRES DU PARQUET EUROPÉEN 14
A. LE STATUT PROPOSÉ PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE NE GARANTIT PAS L’INDÉPENDANCE DU PARQUET EUROPÉEN 14
1. Les procédures de nomination et de révocation du procureur européen 14
2. Les procédures de nomination et de révocation des adjoints du procureur européen 15
3. Les procédures de nomination et de révocation des procureurs européens délégués 15
4. L’absence de disposition spécifique en matière d’incompatibilité ou d’immunité 15
B. LE STATUT DES MEMBRES DU PARQUET DEVRAIT S’INSPIRER DE CELUI DES JUGES DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE 15
IV. LES GARANTIES PROCÉDURALES ACCORDÉES AUX PERSONNES SOUPÇONNÉES OU POURSUIVIES 16
V. LE CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DES ACTES DU PARQUET EUROPÉEN 17
A. LE RÉGIME CONTENTIEUX PRÉVU PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE 17
B. LA CONFORMITÉ DE CES DISPOSITIONS AU DROIT À UN RECOURS JURIDICTIONNEL EFFECTIF 18
VI. L’ADMISSIBILITÉ DES PREUVES ET LA PRESCRIPTION 19
A. LES RÈGLES RELATIVES À L’ADMISSIBILITÉ DES PREUVES 19
B. LES RÈGLES RELATIVES À LA PRESCRIPTION 20
VII. VERS UNE COOPÉRATION RENFORCÉE 20
VIII. LA CONFORMITÉ À LA CONSTITUTION DE LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT 21
L’Assemblée nationale soutient la création d’un parquet européen depuis plus d’une dizaine d’années. Elle a notamment adopté, sur le fondement de l’article 88-4 de la Constitution, deux résolutions en ce sens, le 22 mai 2003 (1) puis le 14 août 2011 (2). Elle est également à l’origine de l’étude adoptée par l’Assemblée générale plénière du Conseil d’État le 24 février 2011, intitulée Réflexions sur l’institution d’un parquet européen (3).
Ce sujet revêt naturellement une grande importance pour la commission des Lois, car il porte sur une matière régalienne située au cœur de ses compétences. Sous la présente législature, ses deux rapporteurs chargés de la veille européenne, signataires avec le président de la commission des Lois, M. Jean-Jacques Urvoas, de la présente proposition de résolution, y ont consacré une part substantielle de leurs travaux. M. Guy Geoffroy et votre rapporteure ont notamment reçu une délégation de la Commission européenne, le 30 novembre 2012, et participé à une réunion interparlementaire organisée à Bruxelles par le Parlement européen, le 20 juin 2013.
C’est pour ces raisons que, à l’initiative de son président, M. Jean-Jacques Urvoas, la commission des Lois, à l’issue de sa réunion du 17 juillet 2013, les a chargés, après avoir procédé aux auditions nécessaires, de présenter la présente proposition de résolution européenne sur le projet de règlement sur la création d’un parquet européen (4) déposé par la Commission européenne le même jour. C’est une démarche inédite, qui illustre l’implication croissante de la commission des Lois dans le contrôle des affaires européennes.
Cette proposition de résolution européenne a été renvoyée, conformément à l’article 151-5 du règlement de l’Assemblée nationale, à la commission des Affaires européennes. Celle-ci l’a adoptée sans modification, sur le rapport de votre rapporteure (5).
Cette initiative fait également suite à un courrier adressé à la vice-présidente de la Commission européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté européenne, Mme Viviane Reding, par les signataires de la présente proposition de résolution européenne et par la présidente de la commission des Affaires européennes, Mme Danielle Auroi, le 6 novembre 2013, afin d’apporter leur soutien à la création d’un parquet européen, après l’adoption par quatorze chambres (6) des parlements des États membres d’avis motivés contestant, au nom du principe de subsidiarité (7), la proposition de règlement de la Commission européenne.
On observera que le seuil d’un quart des voix attribuées aux parlements nationaux (soit 14 voix sur 56) fixé par l’article 7, paragraphe 2, du protocole n° 2 annexé au traité sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité ayant été atteint (procédure dite du « carton jaune »), la Commission européenne a été tenue de réexaminer sa proposition. À l’issue de ce réexamen, elle a considéré que sa proposition était conforme au principe de subsidiarité et a décidé de la maintenir en l’état, sans la modifier (8).
La création d’un parquet européen est indispensable pour mettre fin au morcellement de l’espace judiciaire européen et aux insuffisances de la coopération pénale. Les disparités entre les législations pénales des États membres, malgré les efforts de rapprochement entrepris par l’Union européenne, demeurent importantes. Les frontières se sont ouvertes, grâces aux libertés de circulation, aux réseaux criminels comme aux citoyens, mais continuent de constituer des obstacles aux enquêtes, aux poursuites et à la répression des infractions. L’instauration d’un parquet européen permettrait de remédier à ces insuffisances. Elle représenterait un « saut qualitatif » majeur dans la lutte contre la criminalité, ainsi qu’une nouvelle étape importante de la construction européenne, démontrant la plus-value concrète que l’Union peut apporter aux citoyens européens.
L’institution d’un parquet européen est possible, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, par l’article 86, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Cette disposition permet au Conseil, statuant à l’unanimité après approbation du Parlement européen, d’instituer un parquet européen à partir d’Eurojust, par voie de règlements. La proposition de règlement présentée par la Commission européenne concrétise, presque quatre ans après son entrée en vigueur, la possibilité ouverte par ce nouvel article.
La présente proposition de résolution a pour premier objet de rappeler le soutien constant de l’Assemblée nationale à la création d’un parquet européen (paragraphe 1) et l’accueil favorable réservé à la présentation d’une proposition de règlement sur ce sujet (paragraphe 2). Certaines des modalités retenues par la Commission européenne dans sa proposition devraient cependant être substantiellement revues, afin d’assurer l’efficacité et l’indépendance du futur parquet européen (paragraphe 3).
La proposition de résolution formule ainsi une série de recommandations ou d’observations relatives à la compétence du parquet européen (I), à sa structure (II), au statut de ses membres (III), aux garanties procédurales accordées aux personnes poursuivies (IV), au contrôle juridictionnel des actes du parquet européen (V), à l’admissibilité des preuves et à la prescription (VI), à la perspective d’une coopération renforcée (VII) et à la conformité à la Constitution du règlement en discussion (VIII).
La proposition de résolution recommande que la compétence materiae du parquet européen ne se limite pas à la lutte contre la fraude au budget européen, mais s’étende à la criminalité grave ayant une dimension transfrontière (A). Sa compétence devrait, par ailleurs, être partagée avec les autorités judiciaires nationales et non exclusive (B).
1. La Commission propose de limiter la compétence du parquet européen à la protection des intérêts financiers de l’Union
La Commission européenne propose, dans son projet de règlement (articles 4 et 12), que la compétence matérielle du parquet européen se limite aux infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, telles qu’elles seront définies par la future directive sur la protection des intérêts financiers (9) en cours d’adoption par les institutions de l’Union européenne.
Le parquet européen serait compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices de ces infractions pénales. Il dirigerait et surveillerait les enquêtes et effectuerait les actes de poursuite, y compris le classement sans suite, des affaires relatives à ces infractions. Il exercerait devant les juridictions compétentes des États membres l’action publique relative à ces infractions.
L’article 13 de la proposition prévoit également que le parquet européen serait compétent, à titre accessoire, pour les infractions connexes inextricablement liées à des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, lorsqu’il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice qu’elles fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites conjointes et à la double condition que ces dernières infractions soient prépondérantes et que les autres infractions pénales reposent sur des faits identiques. Il est permis de s’interroger sur la conformité aux traités de cette compétence accessoire, dès lors que celle-ci n’est pas prévue par l’article 86 TFUE. En effet, en application du principe d’attribution mentionné par l’article 5 du traité sur l’Union européenne, toute compétence non attribuée à l’Union par les traités appartient aux États membres (10).
Le parquet européen serait compétent si les infractions mentionnées ont été commises en tout ou partie sur le territoire d’un ou de plusieurs États membres ou par un de leurs ressortissants ou par des agents de l’Union ou des membres des institutions (article 14).
Le paragraphe 4 de la proposition de résolution réitère l’attachement de l’Assemblée nationale à ce que le parquet européen soit compétent en matière de lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, et ne se limite pas à la seule protection des intérêts financiers de l’Union européenne.
Certes, dans le traité, la compétence du parquet européen est en principe limitée à la recherche, à la poursuite et au renvoi en jugement des auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (art. 86, paragraphe 2, TFUE).
Toutefois, cette compétence peut être étendue, simultanément ou ultérieurement, à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière par le Conseil européen statuant à l’unanimité, après approbation du Parlement européen (art. 86, paragraphe 4, TFUE).
La proposition de résolution invite le Conseil européen à faire usage de cette possibilité et à procéder à une telle extension. La plus-value apportée par le parquet européen permettrait de répondre de façon plus efficace à des préoccupations importantes exprimées par les citoyens européens. Ceux-ci attendent davantage de l’Union qu’elle renforce l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue ou la traite des êtres humains que contre la fraude au budget de l’Union européenne.
Article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
« 1. Pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, peut instituer un Parquet européen à partir d'Eurojust. Le Conseil statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen.
En l'absence d'unanimité, un groupe composé d'au moins neuf États membres peut demander que le Conseil européen soit saisi du projet de règlement. Dans ce cas, la procédure au Conseil est suspendue. Après discussion, et en cas de consensus, le Conseil européen, dans un délai de quatre mois à compter de cette suspension, renvoie le projet au Conseil pour adoption.
Dans le même délai, en cas de désaccord, et si au moins neuf États membres souhaitent instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de règlement concerné, ils en informent le Parlement européen, le Conseil et la Commission. Dans un tel cas, l'autorisation de procéder à une coopération renforcée, qui est visée à l'article 20, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne et à l'article 329, paragraphe 1, du présent traité, est réputée accordée et les dispositions sur la coopération renforcée s'appliquent.
2. Le Parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union, tels que déterminés par le règlement prévu au paragraphe 1. Il exerce devant les juridictions compétentes des États membres l'action publique relative à ces infractions.
3. Les règlements visés au paragraphe 1 fixent le statut du Parquet européen, les conditions d'exercice de ses fonctions, les règles de procédure applicables à ses activités, ainsi que celles gouvernant l'admissibilité des preuves, et les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure qu'il arrête dans l'exercice de ses fonctions.
4. Le Conseil européen peut, simultanément ou ultérieurement, adopter une décision modifiant le paragraphe 1 afin d'étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et modifiant en conséquence le paragraphe 2 en ce qui concerne les auteurs et les complices de crimes graves affectant plusieurs États membres. Le Conseil européen statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen et après consultation de la Commission. »
L’article 11, paragraphe 4, et l’article 14 de la proposition de règlement de la Commission européenne prévoit que le parquet européen disposerait d’une compétence exclusive s’agissant des infractions entrant dans son champ de compétence.
Le paragraphe 5 de la proposition de résolution souligne que la compétence du parquet européen ne devrait pas être exclusive, mais partagée avec celle des autorités judiciaires des États membres. En effet, un principe d’exclusivité poserait des difficultés pratiques pour le traitement des infractions connexes. Par ailleurs, une compétence partagée permettrait l’adoption des actes urgents et conservatoires devant être pris par les autorités nationales, dans le cadre d’une compétence pleine et entière.
Pour garantir l’efficacité du parquet européen, cette compétence partagée devrait être assortie, d’une part, d’une obligation d’information du parquet européen par les autorités judiciaires nationales de toute infraction susceptible d’entrer dans son champ de compétence et, d’autre part, d’un droit général d’évocation lui permettant de se saisir de l’affaire en cause.
A. LA COMMISSION EUROPÉENNE PROPOSE UNE STRUCTURE CENTRALISÉE ET HIÉRARCHISÉE SOUS L’AUTORITÉ D’UN PROCUREUR EUROPÉEN
La Commission européenne propose une structure fortement hiérarchisée et centralisée autour d’un procureur européen, doté de pouvoirs très importants.
Le parquet européen serait composé d’un procureur européen, assisté par quatre procureurs adjoints et des procureurs européens délégués dans les États membres (article 6, paragraphe 1, de la proposition de règlement). Ces derniers le représenteraient dans les États membres, mais seraient soumis à son pouvoir d’instruction : la structure du parquet européen serait déconcentrée, et non décentralisée, contrairement à ce qu’affirme l’article 3, paragraphe 1, de la proposition de règlement (aux termes duquel « le parquet européen est institué sous la forme d’un organe de l’Union doté d’une structure décentralisée »).
Le procureur européen dirigerait le parquet européen, en superviserait les activités et en organiserait les travaux (article 6, paragraphe 2). Les enquêtes et poursuites seraient menées par les procureurs européens délégués sous sa direction et sa surveillance (article 6, paragraphe 4). Il pourrait leur adresser des instructions (article 18, paragraphe 4), réattribuer une affaire à un autre procureur européen délégué ou procéder lui-même directement à l’enquête (article 18, paragraphes 5 et 6).
Les procureurs adjoints pourraient être révoqués par la Cour de justice de l’Union européenne, sur l’initiative du procureur (article 9, paragraphe 4). Les procureurs européens délégués seraient nommés par le procureur européen à partir d’une liste d’au moins trois candidats présentés par les États membres et pourraient être révoqués par lui (article 10, paragraphes 1 et 3).
C’est ce caractère centralisé et fortement hiérarchisé, avec un pouvoir d’instruction à l’égard d’autorités judiciaires nationales, qui a suscité le plus de réserve de la part des États membres et des chambres des parlements nationaux ayant émis des avis motivés au titre de la subsidiarité. Il ne fait donc guère de doute que, pour rendre la proposition acceptable par un nombre significatif d’États membres, cette dernière devra être amendée sur ce point.
B. LE PARQUET EUROPÉEN DEVRAIT ÊTRE DOTÉ D’UNE STRUCTURE COLLÉGIALE ET ENTRETENIR DES LIENS ÉTROITS AVEC EUROJUST
Le parquet européen devrait être doté d’une structure collégiale, tout d’abord, afin de se conformer à la lettre du traité. Le paragraphe 6 de la proposition de résolution rappelle ainsi que le parquet européen devrait être créé, conformément à la lettre de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui en constitue la base juridique, « à partir d’Eurojust ». Cela signifie notamment que sa structure devrait être collégiale, comme l’est celle de l’unité Eurojust (11), et qu’il devrait entretenir des liens étroits avec cette dernière.
C’est pour cette raison que les ministres française et allemande de la justice ont retenu, dans une déclaration commune du 20 mars 2013, ont préconisé une organisation de type collégial pour le parquet européen. Cette déclaration a servi par la suite de base aux travaux conduits dans le cadre d’un groupe informel réunissant quatorze États membres.
Les paragraphes 7 à 9 de la proposition de résolution sont spécifiquement consacrés à la structure du parquet européen.
Le parquet européen devrait être institué sous une forme collégiale, composée de membres nationaux (un par État membre) ancrés dans leurs systèmes judiciaires respectifs et élisant en leur sein un président, et de procureurs européens délégués dans chacun des États membres, et non sous celle, proposée par la Commission européenne, d’un procureur européen unique, assisté par de simples adjoints et par des délégués auxquels il adresserait ses instructions.
Cette structure collégiale conférerait une plus grande légitimité au parquet européen, faciliterait son acceptation et la prise en compte de la diversité des traditions juridiques des États membres et renforcerait ainsi son efficacité.
Cette collégialité est parfaitement compatible avec la réactivité nécessaire à la conduite des enquêtes, puisque ce collège pourrait être divisé en formations restreintes ou en chambres, regroupant les membres nationaux des États membres concernés par le dossier, et chargées de prendre les décisions opérationnelles courantes. Seules les décisions les plus importantes, comme celle de renvoyer l’affaire en jugement, seraient renvoyées au collège. Le consensus devrait être la règle mais, pour des motifs d’efficacité, la prise de décision à la majorité devrait être possible, aussi bien au sein des chambres restreintes que du collège.
Le président du collège, qui serait élu par ses pairs, pourrait être doté d’une voix prépondérante en cas de partage des voix.
Pour que de réelles synergies se développent entre Eurojust et le parquet européen, une proximité géographique, s’agissant du siège du parquet européen, apparaît également indispensable. Ce n’est pas la solution envisagée actuellement, compte tenu des conclusions des représentants des États membres, réunis au niveau des chefs d’État ou de gouvernement à Bruxelles le 13 décembre 2003, qui ont fixé le siège du parquet européen à Luxembourg, afin d’en assurer la proximité avec la Cour de justice de l’Union européenne, alors qu’Eurojust siège à La Haye, comme Europol.
L’article 57 de la proposition de règlement de la Commission européenne prévoit pourtant que le parquet européen devrait nouer et entretenir une relation privilégiée avec Eurojust, fondée sur une coopération étroite et la création de liens opérationnels, administratifs et de gestion. Le parquet européen devrait, par exemple :
– partager des informations avec Eurojust sur ses enquêtes lorsque celles-ci font apparaître des éléments qui peuvent ne pas relever de sa propre compétence matérielle ou territoriale ;
– demander à Eurojust ou à ses membres nationaux compétents de participer à la coordination de mesures d’enquête précises concernant des aspects spécifiques qui peuvent ne pas relever de sa propre compétence matérielle ou territoriale.
Des dispositions symétriques sont prévues dans la proposition de règlement relatif à l’agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) présentée par la Commission européenne le 17 juillet 2013 (12). Eurojust devrait, par exemple, traiter toute demande d’assistance émanant du parquet européen dans les meilleurs délais et de la même façon que si elle émanait de la coopération judiciaire entre les États membres.
Eurojust devrait aussi fournir plusieurs services techniques et administratifs au parquet européen, s’agissant de l’élaboration de son budget annuel, de la gestion des ressources humaines, des services de sécurité, des services informatiques, des services de gestion financière, de compatibilité et d’audit, etc. Il paraît difficile de développer de telles synergies – qui seraient un facteur important de maîtrise des coûts – sans que ces deux organes n’aient leur siège à proximité l’un de l’autre.
A. LE STATUT PROPOSÉ PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE NE GARANTIT PAS L’INDÉPENDANCE DU PARQUET EUROPÉEN
La Commission européenne propose trois procédures de nomination et de révocation différentes, pour le procureur européen, ses adjoints et les procureurs européens délégués.
L’article 8, paragraphes 1 à 3, de la proposition de règlement prévoit que le procureur européen serait nommé par le Conseil de l’Union, statuant à la majorité simple, avec l’approbation du Parlement européen, pour un mandat de huit ans, non renouvelable, à partir d’une liste restreinte de trois candidats constituée par la Commission à la suite d’un appel à candidatures ouvert et après consultation d’un comité inspiré de celui prévu par l’article 255 TFUE pour la nomination des membres de la Cour de justice de l’Union européenne (13). Il devrait s’agir d’une personnalité offrant toutes les garanties d’indépendance et réunissant les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles (critères identiques à ceux prévus pour les membres du Tribunal de l’Union européenne par l’article 254 TFUE (14) ) et possédant une expérience pertinente en qualité de procureur.
Si les critères retenus apparaissent satisfaisants, on observera que la procédure retenue accorde un rôle très important à la Commission européenne, puisque c’est elle qui arrêterait la liste restreinte de trois candidats, ainsi qu’au Parlement européen. Ni la procédure de nomination des membres de la Cour de justice et du Tribunal de l’Union européenne, ni celle des membres du tribunal de la fonction publique de l’Union européenne n’accorde de rôle à la Commission européenne ou au Parlement européen (hormis la proposition, par ce dernier, de l’un des membres du comité prévu par l’article 255 TFUE).
L’article 8, paragraphe 4, de la proposition prévoit une procédure de révocation du procureur européen s’il ne remplit plus les conditions nécessaires à l’exercice de ses fonctions ou s’il a commis une faute grave. Cette révocation serait décidée par la Cour de justice de l’Union européenne, à la requête du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission.
Cette procédure diffère substantielle de celle permettant de relever un membre de la Cour de justice de l’Union européenne, prévue par l’article 6 du Statut de cette dernière, au motif qu’il a cessé de répondre aux conditions requises ou de satisfaire aux obligations découlant de sa charge. Cette décision ne peut être prise que par la Cour, à l’unanimité de ses membres, l’intéressé ne prenant pas part aux délibérations mais étant invité à présenter ses observations.
L’article 9 de la proposition de règlement prévoit que les adjoints du procureur européen seront nommés selon une procédure identique à celle prévue pour ce dernier, la liste restreinte étant toutefois établie par la Commission en accord avec le procureur européen et devant refléter l’équilibre démographique et l’éventail géographique des États membres. La procédure de révocation serait identique à celle du procureur européen, sauf en ce qui concerne son initiative, qui appartiendrait à ce dernier.
L’article 10 de la proposition de règlement prévoit que les procureurs européens délégués seraient nommés par le procureur européen pour un mandat de 5 ans, renouvelable, à partir d’une liste d’au moins trois candidats soumise par l’État membre concerné. Ils devraient remplir les mêmes conditions que le procureur européen en termes d’indépendance et d’expérience.
L’article 54 de la proposition de règlement prévoit que le procureur européen, ainsi que ses adjoints et ses délégués et plus généralement le personnel du parquet européen, seraient régis par le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et par le protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne. Aucune disposition spécifique n’est prévue concernant les incompatibilités, l’immunité de juridiction, la prestation de serment, etc.
B. LE STATUT DES MEMBRES DU PARQUET DEVRAIT S’INSPIRER DE CELUI DES JUGES DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE
Les procédures de nomination et de révocation et, plus largement, le statut prévus par la Commission européenne n’apparaissent pas de nature à garantir l’indépendance des membres du parquet européen.
Les procédures de nomination et de révocation et le statut des membres du parquet européen ne devraient pas être nécessairement identiques à ceux prévus pour les membres de la Cour de justice de l’Union européenne, compte tenu du principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Un statut sui generis apparaît ainsi envisageable.
Le paragraphe 10 de la proposition de résolution invite cependant le législateur européen à s’inspirer davantage des procédures de nomination et du statut prévus pour les membres de la Cour de justice de l’Union européenne par les articles 253 à 255 TFUE et par le Statut de cette dernière, afin de garantir leur indépendance.
L’article 32, paragraphe 1, de la proposition de règlement prévoit que les activités du parquet européen sont exercées dans « dans le respect total des droits des personnes soupçonnées consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment le droit à un procès équitable et les droits de la défense ». Son paragraphe 2 précise que toute personne impliquée jouit, dès lors qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction, au minimum des droits procéduraux suivants, tels qu’ils sont prévus dans la législation de l’Union européenne et le droit national de l’État membre concerné :
– le droit à l’interprétation et à la traduction, prévu dans la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil ;
– le droit à l’information et à l’accès aux pièces du dossier, prévu dans la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil ;
– le droit d’accès à un avocat et le droit de communiquer avec des tiers en cas de détention, prévu dans la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et au droit de communiquer après l’arrestation ;
– le droit de garder le silence et le droit d’être présumé innocent ;
– le droit à l’aide juridictionnelle ;
– le droit de présenter des éléments de preuve, de désigner des experts et d’entendre des témoins.
Le paragraphe 3 du même article 32 prévoit que ces droits bénéficient aux suspects et aux personnes poursuivies dès le moment où ils sont soupçonnés d’avoir commis une infraction. Une fois que la juridiction nationale a accepté l’acte d’accusation, les droits procéduraux de la personne soupçonnée et poursuivie reposeraient sur le régime national applicable dans l’affaire en cause.
Par ailleurs, sans préjudice des droits prévus, les personnes concernées par les procédures du parquet européen jouiraient de tous les droits procéduraux que le droit national applicable leur accorde.
Les articles 33 à 35 apportent par ailleurs des précisions concernant les droits énumérés par l’article 32, paragraphe 2, qui n’ont pas encore fait l’objet d’une directive de l’Union européenne. Ainsi, l’article 33 porte sur le droit de garder le silence, d’être présumé innocent et le droit de ne pas s’auto-incriminer. L’article 34 porte sur le droit à une assistance juridique gratuite ou partiellement gratuite soumise à condition de ressources. L’article 35 est relatif aux droits de présenter des preuves et de demander la désignation d’experts ainsi que l’audition de témoins.
La solution retenue par la Commission européenne dans sa proposition en matière de garanties procédurales, qui consiste à renvoyer à d’autres textes, est pragmatique et raisonnable. En effet, l’élaboration d’un corpus de règles procédurales spécifique – une forme de « code de procédure pénale européen » – serait en effet à la fois injustifiée et conduirait à reporter considérablement la création du parquet européen. Le paragraphe 11 de la proposition de résolution approuve par conséquent la solution proposée.
Le paragraphe 12 de la proposition de résolution souligne que les dispositions de la proposition de règlement relatives au contrôle juridictionnel des actes du parquet européen sont insuffisantes. Le régime contentieux prévu par la Commission européenne, hybride et complexe, soulève en effet de sérieuses interrogations au regard du monopole juridictionnel de la Cour de justice de l’Union européenne en matière d’appréciation de la validité des actes de l’Union et du droit à un recours juridictionnel effectif.
Le régime contentieux des actes du parquet européen prévu par la Commission européenne dans sa proposition est hybride et complexe :
– les recours en responsabilité, extracontractuelle et contractuelle (articles 47 et 69 de la proposition de règlement), ainsi que le contrôle de la légalité des décisions du parquet européen sur les demandes d’accès aux documents (article 65, paragraphe 3) relèveraient de la Cour de justice de l’Union européenne ;
– le contrôle de la légalité de l’ensemble des actes d’enquête et de poursuite du parquet européen relèverait, en revanche, exclusivement des juridictions internes, le parquet européen étant « considéré comme une autorité nationale aux fins du contrôle juridictionnel » lorsqu’il adopterait des mesures procédurales dans l’exercice de ses fonctions (article 36) ;
– la proposition de règlement prévoit également, par le biais d’un simple considérant (15), que les juridictions nationales ne devraient pas avoir la possibilité d’interroger la Cour de justice, en lui adressant une question préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, sur la validité des actes du parquet européen.
Ces dispositions sont dérogatoires au monopole juridictionnel de la Cour de justice de l’Union européenne pour apprécier la validité d’un acte de l’Union, garanti par l’article 19 TUE et par une jurisprudence constante de la Cour (16), afin d’assurer une application uniforme du droit de l’Union dans tous les États membres. Cette dérogation se fonde sur l’article 86, paragraphe 3, TFUE, aux termes duquel les règlements relatifs au parquet européen fixent « les règles applicables au contrôle juridictionnel des actes de procédure qu’il arrête dans l'exercice de ses fonctions ».
Il y a cependant lieu de s’interroger sur la portée des dérogations au monopole juridictionnel de la Cour en matière d’appréciation de la validité d’un acte de l’Union susceptibles d’être fondées sur l’article 86, paragraphe 3, TFUE. L’exclusion, en particulier, des renvois préjudiciels en appréciation de validité, qui plus est par la voie d’un simple considérant, soulève une question sérieuse.
La conformité de ces dispositions au droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par le droit de l’Union européenne et notre droit constitutionnel, est également une source d’interrogation. S’il peut apparaître nécessaire de confier le contrôle des actes d’enquêtes aux seules juridictions nationales, compte tenu des contraintes de l’enquête pénale, qui doit permettre d’obtenir des autorisations judiciaires dans des délais très brefs, il n’en va pas de même de la décision prise par le parquet européen de renvoyer l’affaire en jugement et de celle relative au choix de la juridiction de jugement.
Or, ces deux décisions auront toutes deux des conséquences importantes pour la personne mise en cause et pour la suite de l’affaire. Il suffit d’imaginer, sur ce point, une affaire dans laquelle les faits seraient prescrits dans l’un des États membres concernés, tandis qu’ils ne le seraient pas dans un autre. L’éloignement géographique de la personne poursuivie de la juridiction de renvoi pourrait également être considéré comme portant atteinte à l’exercice effectif de ses droits procéduraux. Le paragraphe 13 de la proposition de résolution évoque ces difficultés (paragraphe 13).
Un contrôle juridictionnel au niveau européen de ces deux décisions pourrait être envisagé. La création d’une juridiction spécialisée, en application de l’article 257 TFUE, a ainsi été évoquée par certaines des personnes rencontrées. La création d’une chambre spécialisée au sein de la Cour de justice constituerait une option alternative, sans doute plus facile à mettre en œuvre. Dans les deux cas, il conviendrait cependant d’assurer un traitement très rapide des affaires, sans doute encore plus bref que dans le cadre de la procédure préjudicielle d’urgence applicable depuis le 1er mars 2008 devant la Cour, pour laquelle le délai moyen de jugement est de 2,5 mois.
Le paragraphe 14 de la proposition de résolution souligne que les dispositions proposées par la Commission relatives à l’admissibilité des preuves et aux règles de prescription devraient être complétées, une harmonisation minimale dans ces domaines apparaissant indispensable pour assurer un fonctionnement efficace du parquet européen et éviter le risque de « course aux tribunaux » (« forum shopping »).
Aux termes de l’article 30 de la proposition de règlement, « les éléments de preuve présentés par le parquet européen à la juridiction du fond, lorsque cette dernière considère que leur admission ne porterait pas atteinte à l’équité de la procédure ni aux droits de la défense consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sont admis au procès sans validation ou processus juridique similaire même si la législation nationale de l’État membre dans lequel siège cette juridiction prévoit des règles différentes en matière de collecte ou de présentation de tels éléments de preuve ».
L’option retenue par la Commission européenne dans cet article pour résoudre les difficultés liées à la diversité des règles applicables en matière de preuve dans les États membres a le mérite d’être pragmatique, mais n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Le principe posé est que les éléments recueillis dans un État membre en conformité avec son droit national seraient admis devant la juridiction de renvoi sans aucune forme de validation. Une réserve importante est cependant posée, au cas où la juridiction de fond considérerait que leur admission portait atteinte à l’équité de la procédure ou aux droits de la défense consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Un contentieux relatif à la recevabilité des éléments de preuve n’est donc aucunement exclu.
Le Conseil d’État, dans son étude précitée, soulignait d’ailleurs qu’un règlement spécifique devrait être consacré à la question de l’admissibilité des preuves (17). On observera d’ailleurs que l’article 86 TFUE emploie le terme « règlements » au pluriel, et non au singulier. Sans aller jusqu’à une harmonisation du droit du recueil de la preuve au sein de l’Union, ce qui serait non seulement complexe et long mais excéderait ce qui est requis pour assurer un fonctionnement efficace du parquet européen, il apparaît nécessaire de clarifier et de compléter les dispositions prévues à l’actuel article 30 de la proposition de règlement.
La proposition de règlement ne comporte aucune disposition relative à la prescription, hormis l’article 28, paragraphe 1, d) qui indique que l’expiration du délai national de prescription en matière de poursuites est un motif de classement sans suite. Or, l’harmonisation des règles de prescription prévue par l’article 12 de la proposition de directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal précitée apparaît très insuffisante. Cette absence d’harmonisation est susceptible d’engendrer de sérieuses difficultés, en particulier lors du choix de la juridiction de jugement, si les faits sont prescrits dans un État membre mais ne le sont pas dans un autre (cf. supra). Sur ce point également, la proposition de règlement devra vraisemblablement être complétée.
Le paragraphe 15 de la proposition de résolution évoque la question du déclenchement d’une coopération renforcée sur le parquet européen.
Rappelons qu’à défaut d’unanimité, le second alinéa de l’article 86, paragraphe 1, TFUE, autorise un groupe composé d’au moins neuf États membres à instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de règlement concerné, après saisine du Conseil européen. Cette coopération renforcée est plus facile à mettre en œuvre que la coopération renforcée « de droit commun », prévue à l’article 329 TFUE, l’autorisation du Conseil, sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen, n’étant pas requise.
Plusieurs États membres (le Royaume-Uni et le Danemark) étant opposés à la création d’un parquet européen, il apparaît déjà acquis que celui-ci ne pourra voir le jour que dans le cadre d’une telle coopération renforcée.
La proposition de résolution invite par conséquent la Commission européenne à modifier sa proposition dans un sens susceptible de recueillir la participation du plus grand nombre d’États membres, tout en maintenant un degré élevé d’ambition et d’intégration.
Plusieurs questions devront être tranchées.
Il faudra, en premier lieu, déterminer comment et donc à quel stade des discussions l’absence d’unanimité des États membres sur le projet de règlement, prévue par l’article 86, paragraphe 1, alinéa 2, TFUE, peut être constatée et le Conseil européen saisi du projet de règlement.
À titre d’exemple, s’agissant de la taxe sur les transactions financières, sur laquelle une coopération renforcée a été initiée, la proposition de directive du Conseil sur un système commun de taxe sur les transactions financières dans l’UE avait été présentée le 28 septembre 2011. Il n’a été constaté que l’unanimité au Conseil ne pourrait être atteinte « dans un avenir prévisible » que lors des réunions du Conseil du 22 juin et du 10 juillet 2012, soit neuf mois plus tard. La décision du Conseil autorisant onze États membres à établir une coopération renforcée sur ce sujet a été prise le 22 janvier 2013 (18) et la Commission européenne a présenté une proposition de directive du Conseil mettant en œuvre une coopération renforcée dans ce domaine le 14 février 2013.
Il conviendra, en second lieu, de déterminer sur quel texte la coopération renforcée sera engagée. L’article 86, paragraphe 1, TFUE, fait référence au « projet de règlement », mais n’indique pas s’il s’agit de la version initiale du projet de règlement déposé par la Commission européenne ou s’il s’agit du projet de règlement amendé, le cas échéant, par le Conseil. En tout état de cause, on observera qu’en cas de blocage, les États membres qui le souhaitent, sous réserve d’atteindre le seuil d’un quart des 28 États membres, pourraient déposer eux-mêmes un projet de règlement, puisqu’ils conservent le droit d’initiative dans ce domaine en application de l’article 76 TFUE.
Le paragraphe 16 de la proposition de résolution aborde la question de la conformité à la Constitution de la proposition de règlement et de la nécessité éventuelle d’une révision constitutionnelle.
Le Conseil d’État, dans son étude précitée sur le sujet a, certes, estimé que « que les conséquences inhérentes à l’institution effective du parquet européen, pour ce qui est de l’atteinte excessive à la souveraineté nationale, ont été nécessairement acceptées par la loi constitutionnelle du 4 février 2008, toutes les virtualités comprises dans l’article 86 TFUE étant purgées de leurs éventuels vices d’inconstitutionnalité » (19).
Il a cependant souligné qu’il ne saurait être considéré qu’une telle « purge » par anticipation ne se conçoit que sous réserve « du respect de l’ensemble des principes constitutionnels par la totalité des règlements d’application qui seront adoptés par le Conseil aux fins de permettre son institution effective » (20). En d’autres termes, la révision constitutionnelle du 4 février 2008, intervenue à la suite de la décision n° 2007-560 DC du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007, n’exempte pas les règlements adoptés sur le fondement de l’article 86, paragraphe 1, TFUE, de respecter l’ensemble de nos principes constitutionnels.
Dans ces conditions, il apparaît opportun que le Gouvernement saisisse le Conseil d’État d’une demande d’avis sur la proposition de règlement avant son adoption, lorsque son contenu apparaîtra stabilisé, afin qu’il indique si ce texte lui paraît comporter des dispositions contraires à des principes ou des règles de valeur constitutionnelle. Plusieurs dispositions de la proposition de règlement, relatives au pouvoir d’instruction du procureur européen à l’égard d’autorités judiciaires nationales, aux infractions connexes (21) ou encore l’absence de voie de recours contre la décision du parquet européen d’ouvrir une enquête (22) apparaissent en effet de porter atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.
Cette saisine préalable du Conseil d’État permettrait d’éviter de placer le pouvoir constituant dans une situation de compétence liée, comme cela fut le cas pour la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen. Les éventuelles difficultés constitutionnelles ayant été identifiées avant l’adoption du texte, c’est averties et conscientes de la nécessité, le cas échéant, d’une révision constitutionnelle que les autorités françaises consentiraient à la création d’un parquet européen.
Lors de sa réunion du mercredi 15 janvier 2014, la Commission examine, sur le rapport de Mme Marietta Karamanli, la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen (n° 1658).
Après l’exposé de la rapporteure, une discussion générale s’engage.
M. Guy Geoffroy. Le dispositif de « veille européenne » que notre Commission a mis en place depuis le début de la législature n’a pas pour objet de nous opposer sur ces questions à la position de la commission des Affaires européennes, mais de créer une plus grande fluidité et d’assurer une anticipation bienvenue. À l’initiative de notre Commission, celle des Affaires européennes a ainsi repris ce dossier et a suivi les propositions issues de ses réflexions et des nôtres.
En deuxième lieu, je tiens à rappeler que notre Commission défend depuis plus de dix ans l’idée que la compétence du parquet européen ne saurait se limiter à la lutte contre les infractions contraires aux intérêts financiers de l’Union. Les gouvernements successifs de notre pays ont toujours repris à leur compte cette position et l’ont fait valoir avec des résultats parfois très intéressants.
En troisième lieu, comme toutes celles que nous avons prises depuis plus de dix ans, cette résolution insiste sur la collégialité qui prévaut pour Eurojust, avec une compétence partagée et non pas une compétence exclusive qui opposerait une tutelle européenne aux différents systèmes judiciaires européens. Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé nous ont confirmé que cette position est conforme aux souhaits du Gouvernement.
Je souligne enfin que le travail de cohérence que nous menons sur le long terme porte ses fruits, car il est reconnu comme étant en phase avec les positions du gouvernement français et il est pris au sérieux par la Commission européenne elle-même. Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, a ainsi acté le fait qu’il lui faudrait présenter une nouvelle proposition de règlement sur le sujet.
Je souhaite donc que cette proposition de résolution puisse être approuvée à l’unanimité par notre Commission, comme cela a toujours été le cas sur ce sujet.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Si l’inscription de cette proposition de résolution à l’ordre du jour de l’Assemblée est demandée, elle sera examinée en séance publique. Si ce n’est pas le cas, elle sera réputée adoptée par l’Assemblée nationale. Comme l’a rappelé tout à l’heure la rapporteure, c’est la première fois qu’une commission permanente est à l’origine d’une telle proposition.
La Commission adopte la proposition de résolution à l’unanimité.
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En conséquence la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen dont le texte figure dans le document annexé au présent rapport.
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Texte de la proposition de résolution ___ |
Texte adopté par la Commission ___ |
Proposition de résolution |
Proposition de résolution |
Article unique |
Article unique |
Vu l’article 88-4 de la Constitution |
(Sans modification) |
Vu les articles 85 et 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), |
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Vu la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen (COM[2013] 534 final) ; |
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Vu les résolutions européennes de l’Assemblée nationale sur le parquet européen no 139 du 22 mai 2003 et no 726 du 14 août 2011, |
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1. Rappelle le soutien constant qu’elle a apporté à la création d’un parquet européen, indispensable pour renforcer la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et la délinquance financière au détriment de l’Union européenne ; |
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2. Accueille favorablement la présentation par la Commission européenne d’une proposition de règlement visant à créer un parquet européen ; |
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3. Estime cependant que certaines des modalités retenues par la Commission européenne dans sa proposition devraient être revues, afin d’assurer l’efficacité et l’indépendance du parquet européen ; |
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4. Souhaite que la compétence du parquet européen soit étendue à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, comme le permet l’article 86, paragraphe 4, TFUE ; |
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5. Juge que le parquet européen devrait disposer non pas d’une compétence exclusive, mais d’une compétence partagée avec les autorités judiciaires des États membres, assortie d’une obligation d’information du parquet européen par ces dernières de toute infraction susceptible d’entrer dans son champ de compétence et d’un droit général d’évocation lui permettant de se saisir de l’affaire en cause ; |
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6. Rappelle que le parquet européen devrait être créé, conformément à l’article 86, paragraphe 1, TFUE, à partir de l’unité Eurojust et donc entretenir des liens étroits avec cette dernière, ce qui exige notamment une proximité géographique s’agissant de son siège ; |
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7. Souhaite que le parquet européen soit institué sous une forme collégiale, composée de membres nationaux ancrés dans leurs systèmes judiciaires respectifs et élisant en leur sein un président, et non sous celle d’un procureur européen unique, assisté par des adjoints et des délégués auxquels il adresserait ses instructions ; |
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8. Estime que cette structure collégiale conférerait une plus grande légitimité au parquet européen, faciliterait son acceptation et la prise en compte de la diversité des traditions juridiques des États membres et renforcerait ainsi son efficacité ; |
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9. Considère que ce collège pourrait être divisé en formations restreintes ou chambres, regroupant les membres nationaux des États membres concernés par le dossier, et chargées de prendre les décisions opérationnelles courantes, seules les décisions les plus importantes étant renvoyées au collège, afin d’assurer la réactivité nécessaire à la conduite des enquêtes ; |
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10. Recommande que les procédures de nomination et de révocation ainsi que le statut des membres du parquet européen s’inspirent de ceux prévus pour les membres de la Cour de justice de l’Union européenne par les articles 253 à 255 TFUE et par le Statut de la Cour de justice de l’Union européenne, afin de garantir leur indépendance ; |
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11. Approuve les garanties procédurales prévues par la proposition de règlement, conformes à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; |
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12. Regrette l’insuffisance des dispositions relatives au contrôle juridictionnel des actes d’enquête et de poursuite du parquet européen, qui confient le contrôle de la légalité de l’ensemble de ces actes aux juridictions internes et restreignent l’obligation des juridictions nationales d’adresser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle en appréciation de validité ; |
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13. S’interroge, en particulier, sur les modalités de contrôle de la décision prise par le parquet européen de renvoyer l’affaire devant une juridiction de jugement et celle relative au choix de cette juridiction, qui auront des conséquences importantes pour la personne mise en cause, au regard du droit à un recours juridictionnel effectif ; |
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14. Suggère que les dispositions relatives à l’admissibilité des preuves et aux règles de prescription soient complétées, une harmonisation minimale apparaissant nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du parquet européen ; |
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15. Invite la Commission européenne à modifier sa proposition dans un sens susceptible de recueillir la participation du plus grand nombre d’États membres dans le cadre d’une éventuelle coopération renforcée, tout en maintenant un degré élevé d’ambition et d’intégration ; |
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16. Suggère au gouvernement français de saisir le Conseil d’État d’une demande d’avis sur la proposition de règlement avant son adoption, afin qu’il indique si ce texte lui paraît comporter des dispositions contraires à des principes ou des règles de valeur constitutionnelle. |
PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE
– M. Jacques Biancarelli, conseiller d’État, délégué au droit européen, ancien président du groupe de travail du Conseil d’État sur le parquet européen ;
– M. Frédéric Baab, ministère de la Justice, conseiller diplomatique de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice ;
– Mme Ingrid Derveaux, ministère de la Justice, chargée de mission auprès du conseiller diplomatique ;
– M. Emmanuel Barbe, ministère de l’Intérieur, conseiller diplomatique de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur ;
– Mme Geneviève Bourdin Coulbois, ministère de l’Intérieur, chef du pôle cabinet européen et international à la direction générale de la police nationale ;
– M. Emmanuel Dupic, ministère de l’Intérieur, conseiller juridique et judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale ;
– Mme Isabelle Jegouzo, secrétariat général des affaires européennes, secrétaire générale adjointe ;
– M. Laurent Huet, secrétariat général des affaires européennes, chef du secteur espace judiciaire européen.
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