N° 1786 - Rapport de M. Philippe Gosselin sur la proposition de loi de M. Philippe Gosselin et plusieurs de ses collègues visant à affirmer le caractère intangible de l'appellation de la "Voie sacrée nationale" (594)




N
° 1786

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2014.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES,
SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 594),

visant à affirmer le
caractère intangible de l’appellation
de la
« Voie sacrée nationale »,

PAR M. Philippe GOSSELIN

Député

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SOMMAIRE

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Pages

I. LA VOIE SACRÉE : UN SYMBOLE NATIONAL DE LA RÉSISTANCE FRANÇAISE A VERDUN 7

A. UN RÔLE DÉCISIF PENDANT LA BATAILLE DE VERDUN 7

1. Une nécessité stratégique 7

2. Un bilan au-delà de toutes les espérances 7

B. UNE RECONNAISSANCE NATIONALE PRÉCOCE, INTANGIBLE… JUSQU’EN 2004 8

1. Dès le lendemain de la guerre, la reconnaissance unanime de la Nation 8

2. L’étonnante « déclassification » de 2004 et ses suites 9

II. UNE PROPOSITION DE LOI POUR REDONNER A LA VOIE SACRÉE SON CARACTÈRE NATIONAL 11

A. SIGNIFIER L’ATTACHEMENT DE LA NATION TOUTE ENTIÈRE 11

B. GRAVER DANS LA LOI L’HOMMAGE DE LA REPRÉSENTATION NATIONALE 12

EXAMEN EN COMMISSION 13

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 17

Article unique (art. L. 123-9 nouveau du code de la voirie routière) : Affirmation du caractère intangible de l’appellation de la Voie sacrée nationale 17

ANNEXES 19

ANNEXE 1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur 19

ANNEXE 2 : Tracé de la « Voie sacrée nationale » 21

INTRODUCTION

Cette proposition de loi, qui reprend une initiative du sénateur Michel Guerry, a pour objet de consacrer de manière définitive l’appellation « Voie sacrée nationale » pour l’ensemble routier qui relie Bar-le-Duc à Moulin brûlé et, par extension, à Verdun.

Parce qu’il joua un rôle décisif pendant la bataille de Verdun, en permettant d’acheminer, pendant les longs mois de l’année 1916, hommes, matériels et munitions, cet ensemble fut classé, dès le lendemain de la guerre, dans le réseau des routes nationales par la volonté du Parlement. Témoignage de la reconnaissance de la Nation toute entière, il ne reçut pas un numéro mais fut baptisé « Voie sacrée » en souvenir de ce glorieux épisode.

Malgré la place unique qu’elle occupe dans l’histoire de France, la Nationale Voie sacrée fût transférée – une faute historique – en même temps que d’autres, dans le réseau des routes départementales à la suite de la loi du 18 août 2004. Pendant quatre-vingts ans, elle avait pourtant bien été nationale.

S’il semble délicat – ce qui serait l’idéal – de la transférer à nouveau à l’État pour lui redonner son statut national, cette proposition de loi vise à garantir de façon intangible la dénomination « Voie sacrée nationale », décidée par le Gouvernement dans un arrêté du 15 février 2007, mais dont la légalité est toujours contestée de fait, en n’étant pas mise en œuvre.

S’inscrivant dans la lignée du législateur de 1923 qui avait consacré son caractère national, cette démarche a pour objet de rappeler l’attachement de la Nation toute entière à cette route si particulière, à la veille des commémorations du Centenaire de la Grande Guerre.

Plus longue et plus meurtrière bataille de l’histoire de la Première Guerre mondiale – 300 000 morts en 300 jours – Verdun est devenue le symbole de la résistance et de la ténacité des armées françaises face aux assauts ennemis.

Cette résistance acharnée n’aurait pu être possible sans un acheminement continu vers le front de renforts, munitions et matériels. Or, parce qu’elle constituait un saillant des lignes françaises, la place forte de Verdun ne disposait d’aucune voie de communication capable de supporter un tel afflux d’hommes et de matériels : les grandes voies de chemins de fer étaient coupées et seule subsistait l’étroite voie ferrée reliée à Bar-le-Duc, au débit très limité.

La Voie sacrée est donc née de cette nécessitée. Alors que les transports automobiles étaient quasi inexistants au déclenchement de la guerre – l’armée ne possédait, à la veille de la mobilisation, que 170 véhicules – ils vont jouer un rôle décisif pendant cette bataille.

C’est le 19 février 1916 que l’État-major général confia au capitaine Doumenc, officier-adjoint de la direction des services automobiles (DSA), le soin de soin de régler cette question de la circulation. Fort de son expérience acquise en 1914 et 1915 sur d’autres secteurs du front, celui-ci s’engagea à effectuer des transports quotidiens portant au minimum sur 2 000 tonnes par jour dans la région de Verdun et d’y acheminer, dans le même temps, entre 15 000 à 20 000 hommes par jour, sous la réserve absolue que le service automobile soit maître de la route. La commission régulatrice automobile (CRA) fut créée à cet effet.

Ces chemins sinueux et mal empierrés qui reliaient, sur un peu moins de 50 kilomètres, Bar-le-Duc au carrefour du Moulin brûlé, à huit kilomètres au sud de Verdun, furent exclusivement réservés aux véhicules automobiles. Transformée en artère vitale, la route était divisée en six cantons et des carrières de pierre furent ouvertes tout son long pour jeter en permanence des pierrailles sous les roues des véhicules.

Le résultat obtenu fut sans précédent. Pendant les mois de mars à juin 1916, le trafic mensuel a dépassé 500 000 tonnes et 400 000 hommes sans compter les 200 000 blessés évacués. Comme le souligne Gérard Galigni dans son étude sur le sujet (1), « pendant toute la guerre 1914-1918, on n’a jamais obtenu davantage sur une seule route pendant une durée aussi longue ».

Les chiffres sont évocateurs : au plus fort de la bataille, 8 000 véhicules se sont succédés nuit et jour sur cette route, soit un toutes les 14 secondes, des millions de kilomètres ont été parcourus et 700 000 tonnes de calcaire jetées sous les roues de cette chaîne sans fin.

Il est donc clair que la Voie sacrée fût l’organe vital, essentiel, qui alimentait la bataille de Verdun.

Aux côtés de la presse française, la presse étrangère salua le résultat. Dès le 6 mars 1916, Lord Northcliffe écrit dans le Times : « l’efficacité française n’est nulle part mieux illustrée. » Bel hommage !

Le rapporteur du projet de loi qui la consacra route nationale se fait, lui aussi, volontiers lyrique (2) : « il faut l’avoir vue alors, cette route célèbre, cette route par laquelle devaient être transportés, en masses formidables, les munitions, les vivres, le matériel de tranchées ; par laquelle aussi devaient redescendre, rapides et souples, les voitures sanitaires, emportant des milliers de glorieux blessés ; cette route que la France et l’Europe, déjà, ne quittaient plus du regard et que l’univers entier, ébloui d’admiration, allait appeler la « Voie sacrée ! ». Modeste route de France ! Ce n’était même pas une route nationale, mais, il faut insister sur ce point, une simple petite route départementale, étroite, toute tortueuse, nullement prévue ni pour un tel honneur, ni pour un tel travail. »

C’est Maurice Barrès qui, le premier, sut en dégager le symbole et lui trouver son véritable nom, en référence à l’antique Via sacra romaine menant au triomphe : « c’est la route sacrée. Elle deviendra légendaire, elle continuera à parler à jamais à cette longue plaine meusienne qui vit passer tant d’invasions. »

Dès le lendemain de la guerre, le conseil général de la Meuse a réclamé le classement de la Voie sacrée dans la grande voirie par une délibération du 19 août 1919.

La route, jalonnée de bornes spécifiques tous les kilomètres avec palme de laurier latérale et coiffées d’un casque de poilu en bronze, fut inaugurée le 21 août 1922 par Raymond Poincaré.

Le 18 octobre 1921 est déposé à l’Assemblée nationale, au nom du Président de la République, Alexandre Millerand, un projet de loi visant à classer la Voie sacrée comme route nationale afin de « donner satisfaction aux desiderata » du conseil général et de consacrer « de manière définitive, le rôle considérable joué par cette voie pendant la guerre ».

La loi fut définitivement adoptée par le Parlement, à l’unanimité, le 30 décembre 1923. Dans son rapport fait au nom de la commission des travaux publics et des moyens de communication, le député Anquetil explique : « rendons hommage à cette route, artère dans laquelle circule le plus pur sang de la France, voie glorieuse qui conduisit à l’éternelle immortalité les 400 000 morts, rançon de la défense de Verdun. » Il propose donc de classer « d’une manière définitive le noble rôle joué par elle pendant la guerre en classant les chemins dont elle est formée dans le réseau des routes nationales ».

Ainsi que le soulignera plus tard le rapport d’inspection diligenté par le ministère de l’Équipement (3), le classement au rang de route nationale de la route départementale Bar-le-Duc Verdun « a été prononcé pour des raisons liées à la mémoire » et « non pour des raisons d’intensité du trafic automobile ». Son titre de Nationale Voie sacrée était unique dans le patrimoine national. Bien que ses caractéristiques n’en faisaient pas à proprement parler une route « nationale », l’accolement des deux termes « nationale » et « voie sacrée » montrait bien la spécificité de cette route, toute sa force symbolique, qu’il faut retrouver et qui n’aurait jamais dû être abandonnée.

Cette situation dura jusqu’au vote de la loi du 13 août 2004 (4) qui a transféré certaines voies nationales dans le réseau des voies départementales. La Nationale Voie sacrée aurait dû être exclue de ce transfert. Mais, malgré des oppositions, ce déclassement fut confirmé par le ministre de l’Équipement, Gilles de Robien, en 2005.

Le président du conseil général de la Meuse, Christian Namy, a expliqué à votre rapporteur avoir hésité à accepter ce transfert mais l’a fait pour pouvoir mettre en valeur la route, dans laquelle l’État n’investissait plus. Elle reçut le nom de route départementale 1916. Si le conseil général procède désormais à l’entretien courant de la chaussée, l’État continue à veiller à la mise en valeur historique et paysagère du site.

Cela ne mit pas fin aux oppositions et notamment à la mobilisation du maire de Verdun, Arsène Lux, qui sollicita de nombreux élus et représentants d’associations patriotiques pour que la Voie sacrée, en souvenir de son histoire si particulière, soit rebaptisée « Voie sacrée nationale. » Pour répondre à cette mobilisation, le ministère de l’Équipement diligenta, en 2006, une mission d’inspection pour la préservation de la Voie sacrée. Celle-ci proposa que la Voie sacrée continue à être gérée par la collectivité compétente tout en gardant son titre de « Nationale Voie sacrée » ou de « Voie sacrée nationale ».

Finalement, par un arrêté interministériel du 18 février 2007, le Gouvernement consacra l’appellation « Voie sacrée nationale ». Cet arrêté précise que cette dénomination est la « seule utilisée dans les documents administratifs » et sur les dispositifs de signalisation routière, au fur et à mesure de leur remplacement.

Plus de sept ans après cet arrêté, aucun panneau routier n’a été pour le moment changé et la polémique locale n’est pas close.

La Voie sacrée aujourd’hui

La Voie sacrée parcourt aujourd’hui 54 km de Bar-le-Duc jusqu’au mémorial du Moulin brûlé, à 8 km de Verdun.

Le point de départ de la route est un rond-point situé au nord de la ville de Bar-le-Duc où se trouvait la borne inaugurée par Raymond Poincaré. Les bornes qui la jalonnent ne sont plus authentiques car les casques en bronze qui les surmontaient ont été volés. Elles ont toutes été remplacées en 1998, pour les quatre-vingts ans de l’armistice, et sont désormais pourvues de casques en résine.

Le tracé actuel ne correspond plus exactement au tracé de 1916, de nombreux virages ayant été rectifiés depuis.

La présente proposition de loi a pour objet de rétablir la volonté initiale du législateur en redonnant à la Voie sacrée la place unique dans la mémoire nationale qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Elle reprend une initiative du sénateur Michel Guerry qui avait déposé une proposition de loi en ce sens en octobre 2010 (5).

Alors que la France vient d’ouvrir les commémorations du Centenaire de la Grande Guerre, il serait dommage de ne pas profiter de cette occasion pour rappeler l’attachement de la Nation toute entière à cette route si glorieuse.

Les enjeux mémoriels et civiques des commémorations à venir sont importants pour la société française. La Grande Guerre est en effet une mémoire unie, une mémoire qui rassemble. Comme le précisait Joseph Zimet (6) dans son rapport au Président de la République, « la mémoire contemporaine conserve le souvenir d’un grand élan collectif qui caractérise moins la période de mobilisation, longtemps érigée, à tort, en mythe, que l’incroyable endurance de la société française face à une épreuve sans précédent, à laquelle rien ne la préparait ».

Or quel fait illustre le mieux cette ténacité de la société française que la bataille de Verdun ? Le jour du cinquantenaire, du haut du parvis de l’ossuaire de Douaumont, le général de Gaulle avait rappelé une des leçons de cet épisode : quand ils sont unis dans l’épreuve, les Français sont capables d’une ténacité et d’une solidarité exemplaires.

« Dès l’été 2014, tous ceux et toutes celles qui, de par le monde, voudront se souvenir de « Ceux de 14 », auront les yeux et le cœur tournés vers la France, épicentre du conflit. Sans attendre 2016, ils les tourneront inévitablement vers Verdun » écrit le général Elrick Irastorza dans la préface d’un livre consacré à la bataille de Verdun (7).

Le temps est donc venu de réaffirmer de manière intangible le caractère national de la Voie sacrée qu’elle a eu près de quatre-vingts ans, de la loi de 1923 jusqu’à celle de 2004. S’il semble délicat – ce qui serait l’idéal – compte tenu de l’intensité modérée de son trafic automobile, d’ériger à nouveau cette route en route nationale, l’accolement de l’adjectif « national » permettrait de la distinguer, aux yeux des Français et à destination des générations futures, des autres routes départementales.

La voie réglementaire, parce qu’elle est toujours contestée de fait, n’est pas suffisante pour garantir la pérennité de l’appellation « Voie sacrée nationale ». La voie législative est aujourd’hui la seule envisageable.

Il ne s’agit en aucun cas d’une démarche partisane, née de la volonté de prendre parti pour telle ou telle collectivité, mais au contraire de la nécessité, à la veille des commémorations du Centenaire, de clore définitivement les querelles locales pour offrir l’image de la Nation rassemblée autour du souvenir de cette bataille.

Il ne s’agit pas d’une loi « mémorielle ». Le vote d’une telle loi témoignerait cependant de la volonté des représentants de la Nation de prendre pleinement part au cycle de commémorations du Centenaire. Soutenue par plus de soixante-dix députés issus des groupes UMP et UDI, cette proposition de loi n’a pas vocation à diviser mais bien à perpétuer l’élan unanime qui avait animé les parlementaires qui s’étaient saisis de ce sujet, il y a plus de quatre-vingt-dix ans.

Elle est aussi un hommage, plus large, symbolique, à « Ceux de 14-18 », si bien incarnés par « Ceux de Verdun ».

Car, comment oublier Verdun ? Verdun, l’enfer ! En quelques mois, près d’un million d’hommes, des deux côtés, y tombent, morts ou blessés. Plus de 37 millions d’obus au total y sont tirés ! « Ils ne passeront pas », avait dit Joffre. Verdun, c’est LA bataille de la Grande Guerre. C’est le symbole du courage, de l’abnégation, de la résistance de ces hommes, épuisés par la vermine, les intempéries, la séparation des leurs, la vie des tranchées, près de 200 km au coude à coude.

« Pas le moindre bout de boyau, rien que des trous d’obus, c’est inimaginable », écrira le capitaine Auguste Chapey, tué sur le territoire de Beaumont. À Verdun, c’est toute une génération qui est montée au front. C’est toute la France, dans les familles, dans presque chaque village, qui a tremblé, qui a été fière, mais qui a aussi pleuré ses martyrs.

Collectivement, nous sommes dépositaires de cet héritage que nous devons transmettre. Rappeler le souvenir de la Voie sacrée, lui rendre, de façon symbolique, son caractère national qu’elle n’aurait jamais dû quitter, c’est participer de cet héritage.

À la veille du Centenaire de la Grande Guerre, souvenons-nous que tout ce qui nous unit nous grandit

EXAMEN EN COMMISSION

La commission de la Défense nationale et des forces armées examine, sur le rapport de M. Philippe Gosselin, la proposition de loi visant à affirmer le caractère intangible de l’appellation de la « Voie sacrée nationale » (n° 594), au cours de sa réunion du mardi 11 février 2014.

Un débat suit l’exposé du rapporteur.

M. Philippe Nauche, président. Nous pouvons tous souscrire à l’hommage que vous avez rendu aux soldats ayant participé à cette bataille. Pour autant, je m’interroge sur l’opportunité de recourir à la loi pour régler un problème aussi local.

M. Jean-Jacques Candelier. Sur le fond, cette proposition de loi n’appelle de ma part aucune critique. Mais je m’interroge sur la forme : sommes-nous obligés d’adopter une loi ? Ne peut-on pas classer cette route à l’inventaire des monuments historiques afin de garantir son appellation ? Nous l’avons fait, dans le Nord, avec la trouée d’Arenberg, un tronçon de la course Paris-Roubaix.

Légiférer sur un tel sujet est-il vraiment constitutionnel ? N’allons-nous pas créer un précédent ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. L’UMP, principal groupe d’opposition, a décidé d’utiliser la journée d’initiative parlementaire que lui accorde la Constitution pour se ranger du côté du maire – UMP – de Verdun, dans la bataille qu’il livre avec acharnement depuis presque dix ans contre l’exécutif UDI du conseil général de la Meuse. Les députés du groupe SRC déplorent cette décision qui ne sert ni la Nation, ni sa mémoire. En effet, il n’est nul besoin d’une loi pour que la route reliant Bar-le-Duc à Verdun, désormais départementale, demeure dans la mémoire de tous les Français comme le cordon ombilical qui, en approvisionnant quotidiennement le front en soldats, en vivres et en matériels grâce à une logistique millimétrée, aura mis en échec l’offensive ennemie lors de la bataille de Verdun.

En outre, au moment du Centenaire de la Première Guerre mondiale, les symboles nationaux comme la Voie sacrée devraient être vraiment une incitation à se rassembler autour des valeurs de courage, de patriotisme et de solidarité avec ceux qui ont combattu dans les tranchées.

Enfin, l’Assemblée nationale n’a pas à s’immiscer dans des querelles de clocher. Que penseraient les parlementaires qui se sont battus au front, parfois au prix de leur vie, en voyant l’Hémicycle ainsi instrumentalisé ? Un débat à l’Assemblée sur la Grande Guerre et son héritage serait un bien plus bel hommage rendu aux Poilus qu’un texte digne de Clochemerle. Le président de l’Assemblée nationale et le ministre délégué aux Anciens combattants travaillent à ce projet de débat, et nous nous en réjouissons.

Pour toutes ces raisons, les députés SRC ne participeront pas à la mascarade que constitue l’examen de la proposition de loi n° 594 défendue par l’UMP. La mémoire de ceux qui ont combattu pour la Nation il y a de cela un siècle mérite beaucoup mieux. Et c’est pour cette raison qu’en commission, nous voterons contre le texte.

M. Philippe Meunier. Je suis surpris par le ton employé par notre collègue. Pour ma part, bien que cosignataire de cette proposition de loi, j’ignore tout de l’étiquette politique des élus concernés. Un tel discours est donc surréaliste, surtout au sein de cette commission. J’ai signé ce texte de bonne foi, avec l’impression de servir le devoir de mémoire. Si certains veulent politiser cette initiative, libre à eux, mais je trouve cela lamentable.

M. le rapporteur. Je m’étonne également du ton polémique employé par Mme Gosselin-Fleury. Parler de « mascarade », c’est faire un procès d’intention.

Je veux bien convenir que la situation locale tient un peu de Clochemerle. Mais ce débat n’a rien d’une mascarade. Le propos est de remédier à l’inapplication de l’arrêté interministériel de 2007.

Le point de départ de l’affaire est une loi de 1923 qui a classé dans le domaine routier national un ensemble constitué à l’origine de chemins vicinaux et dont le trafic n’aurait en principe pas justifié une telle mesure. Quatre-vingts ans plus tard, il a été déclassé par la loi de 2004, à l’instar de milliers d’autres voies nationales, et a ainsi perdu son inscription au patrimoine national. Il n’y a pas d’autre exemple d’une telle situation. La Normandie comprend certes une « Voie de la liberté », qui mène de la Manche à Bastogne et suit le parcours de la 2e division blindée. Mais à aucun moment son existence n’a été inscrite dans la loi. La reconnaissance n’est donc pas la même.

En 2007 a donc été signé un arrêté interministériel consacrant l’appellation « Voie sacrée nationale ». Il est vrai qu’il a donné lieu à des prises de position différentes chez certains élus, mais la couleur politique de ces derniers m’importe peu. Ce qui importe, c’est qu’à la veille des cérémonies du centenaire de la bataille de Verdun, on n’ait d’autre solution – dans la mesure où l’arrêté ne s’applique pas aux collectivités – que de recourir à la voie législative. Ma proposition n’a donc d’autre but que de revenir à la dénomination donnée en 1923 à la Voie sacrée, et que celle-ci a conservée pendant quatre-vingts ans, afin de fermer une parenthèse absurde de dix ans.

Je ne permets pas de parler de mascarade. C’est un sujet sur lequel nous pouvons avoir un débat digne, afin de nous rassembler dans le souvenir des poilus de 1914-1918, si bien incarnés par ceux de Verdun. Là réside l’essentiel.

J’ai bien conscience que cette proposition est de nature à raviver les braises – j’en ai d’ailleurs déjà vu quelques manifestations –, mais la raison finira par l’emporter. Ce texte n’a en tout état de cause aucune vocation politique ou partisane, il vise seulement à élever la dénomination « Voie sacrée nationale » dans la hiérarchie des normes.

Mme Émilienne Poumirol. Nous avons tous la volonté de respecter le devoir de mémoire s’agissant de la Grande Guerre. Les cérémonies préparées par le ministère des Anciens combattants pour les quatre ans à venir attestent d’ailleurs de ce souci. Mais j’ai du mal à comprendre ce que viendrait faire le Parlement dans le règlement d’un conflit local. Je pourrais l’admettre si cette voie avait changé de nom, mais la Voie sacrée est reconnue par tous. Qu’elle soit nationale ou départementale, cela a-t-il une quelconque importance au regard du devoir de mémoire que nous devons à nos Poilus ?

L’adoption d’une telle proposition contribuerait à la dévalorisation du Parlement. Le règlement de ce conflit devrait plutôt être trouvé par le dialogue ; et si ce n’est pas possible, est-il au fond si important que le mot : « nationale » soit associé à l’expression « Voie sacrée » ? Devons-nous vraiment faire nôtre la ligne défendue par certains élus contre d’autres ?

Pour nous, le fond du problème n’est pas là. L’intérêt de la Voie sacrée est de rappeler ce qu’a été Verdun, ses centaines de milliers de morts et le courage dont ont fait preuve les combattants.

Ce qui me choque, c’est l’utilisation du Parlement pour régler un conflit local. Quant au devoir de mémoire, il ne peut évidemment faire l’objet d’aucune polémique.

M. le rapporteur. J’apprécie les propos mesurés de notre collègue.

Pourquoi recourir au Parlement ? Il ne s’agit pas de dévaluer son rôle mais, je le répète, d’élever la dénomination de la Voie sacrée dans la hiérarchie des normes. À cet égard, la loi est le seul vecteur possible dans la mesure où l’application de l’arrêté ministériel est contestée.

Il importe de reconnaître le caractère national du site, conformément à la volonté initiale du législateur. Les parlementaires, en 1923, ont été unanimes à faire de la Voie sacrée un symbole dépassant les clivages et le cadre local ou départemental. Il ne s’agit pas de défendre Verdun contre le Bois le Chaume ou Beaumont, mais de garantir solennellement un symbole national. Sur ce point, il me semble que nous pouvons nous retrouver, en dehors de toute polémique.

M. Jean-Jacques Candelier. Je répète mes questions : est-on vraiment obligé d’en arriver là ? Ne peut-on classer cette route au titre des monuments historiques ? Légiférer sur ce sujet est-il constitutionnel ? Ne va-t-on pas créer un précédent ?

M. le rapporteur. Il ne s’agit pas de la gestion du site, mais de son statut. Une partie de la route comme certains dispositifs situés à Verdun ou à proximité sont d’ailleurs classés monuments historiques ou inscrits à l’inventaire supplémentaire. La question n’est donc pas là.

Il n’y a pas, à ma connaissance, de problème d’inconstitutionnalité. Il s’agit seulement de revenir à la volonté initiale du législateur et au statu quo ante. Et cette proposition de loi ne créerait pas de précédent, la loi de 1923 constituant un cas unique.

Mme Sylvie Pichot. Les élus de ce territoire s’honoreraient à résoudre le problème eux-mêmes, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une loi.

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

Article unique
(art. L. 123-9 nouveau du code de la voirie routière)

Affirmation du caractère intangible de l’appellation de la Voie sacrée nationale

Cet article insère une nouvelle section dans le chapitre III du titre II du code de la voirie routière, consacré à la voirie nationale.

Tout en laissant la compétence de gestion de la route à la collectivité compétente, le conseil général de la Meuse, il consacre l’appellation de « Voie sacrée nationale » pour la route reliant Bar-le-Duc à Verdun.

La rédaction proposée reprend celle de l’arrêté interministériel du 15 février 2007 qui avait institué cette nouvelle dénomination à la place de celle utilisée jusque-là, la « Voie sacrée ». L’accolement de l’adjectif « national » permet de souligner le caractère unique de cette liaison routière et de signifier l’hommage de la Nation toute entière.

Le passage par la voie législative doit permettre le remplacement effectif des panneaux de signalisation routière, l’arrêté interministériel n’ayant pas été mis en œuvre par les autorités locales.

*

M. Philippe Nauche, président. Je ne suis saisi d’aucun amendement.

La Commission rejette l’article unique.

En raison du rejet de l’article unique, il n’y a pas lieu pour la Commission de se prononcer sur l’ensemble de la proposition de loi, qui est ainsi rejetée.

ANNEXES

ANNEXE 1

Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Ø M. Arsène Lux, maire de Verdun ;

Ø M. Christian Namy, sénateur, président du conseil général de la Meuse ;

Ø M. Serge Barcellini, conseiller spécial du ministre délégué aux anciens combattants et M. Guillaume Mascarin, conseiller parlementaire.

Source : Mission d’inspection pour la préservation de la Voie sacrée dans le département de la Meuse, juin 2006.

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