N° 1859
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 avril 2014.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 1810) DE M. LUC CHATEL ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France,
PAR M. LUC CHATEL,
Député.
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Voir le numéro :
Assemblée nationale : 1810.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 6
II. SUR L’OPPORTUNITÉ DE CRÉER UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUR L’EXIL DES FORCES VIVES HORS DE FRANCE 7
A. L’AMPLEUR ET LES CAUSES DE L’EXIL DES FORCES VIVES HORS DE FRANCE SONT AUJOURD’HUI MAL CONNUES 7
1. D’une expatriation maîtrisée à un exil des forces vives ? 7
2. La perception d’une perte d’attractivité du territoire français, si elle est fondée, doit pouvoir être mesurée de manière tangible 8
B. LA NÉCESSITÉ D’ANALYSER LES DÉTERMINANTS DE CET EXIL AINSI QUE SES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES JUSTIFIE LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE 9
1. L’exil fiscal des contribuables français 9
2. L’exil de la décision économique 11
3. L’exil générationnel : perspectives de formation et d’emploi pour les jeunes, perspectives de qualité de vie et de pouvoir d’achat pour les seniors 12
Dans un contexte économique morose, marqué par le niveau élevé du taux de chômage, et tout particulièrement celui des jeunes, les médias, tant nationaux qu’étrangers, se sont fait l’écho depuis plusieurs mois d’un phénomène grandissant d’expatriation hors de France de jeunes diplômés, d’entrepreneurs et d’entreprises, de contribuables aisés, d’artistes... Ceux-ci se rendraient sous des cieux fiscaux et économiques plus cléments, compte tenu du fort accroissement de la pression fiscale en France au cours des deux dernières années, mais aussi de la moindre attractivité de notre pays, qui ne favoriserait pas suffisamment l’innovation, la création d’entreprises et le développement économique au sens large.
Au-delà d’effets de mode éditoriaux, il s’agit d’un sujet essentiel pour l’avenir et le dynamisme de la France. Certes, le monde change, et à l’ère de la mondialisation, les parcours professionnels se diversifient, les entreprises sont plus mobiles et internationales. Pour autant, il importe de distinguer ce qui relève de cette tendance de fond, de ce qui résulte d’une moindre attractivité de notre territoire. Lorsque des entreprises décident de ne pas s’implanter en France, lorsque des sociétés françaises envisagent de transférer leur siège social hors de France, lorsque des jeunes diplômés estiment qu’ils auront davantage d’opportunités à l’étranger, c’est bien l’emploi et la croissance économique de notre pays qui sont en jeu.
Votre rapporteur estime que le sujet mérite d’engager des travaux approfondis, sans céder à des polémiques stériles et inutiles, afin de poser un diagnostic suffisamment étayé sur ce phénomène et de proposer des mesures de nature à l’enrayer et à renforcer l’attractivité et le rayonnement de notre pays.
Le Président du groupe UMP demande l’inscription de la présente proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale en application de l’article 141 du Règlement, c’est-à-dire dans le cadre du « droit de tirage » par un groupe d’opposition ou minoritaire. L'exercice de ce droit ne dispense toutefois pas du contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, au regard des conditions définies par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale.
En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées ». L’article 137 du Règlement précise que les propositions de résolution « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».
L’intitulé de la commission d’enquête fait référence à l’exil des forces vives hors de France. L’article unique de la proposition de résolution dispose que la commission d’enquête aurait pour objet de fournir une « analyse chiffrée de l’exil fiscal et de l’expatriation des entreprises et des contribuables », d’« analyser les conséquences économiques et politiques de ce phénomène », et de « formuler des propositions pour rendre à la France son attractivité et son dynamisme économique ».
La proposition de résolution détermine précisément les faits donnant lieu à ces travaux, à savoir le départ à l’étranger de contribuables et d’entreprises français, et définit les contours du champ d'investigation proposé ; elle remplit donc cette première condition.
En deuxième lieu, en application du premier alinéa de l’article 138 du Règlement, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».
Dans le cas présent, aucune commission d’enquête ni aucune mission d’information ayant le même objet n’a été créée par le passé.
En troisième lieu, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 interdit la création d’une commission d’enquête dont les travaux porteraient « sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».
Pour garantir l’application de cette disposition, l’article 139 du Règlement prévoit les dispositions suivantes :
« Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice.
« Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue. »
Saisie par lettre de M. le Président de l’Assemblée nationale en date du 25 février 2014, Mme la garde des Sceaux a répondu le 21 mars 2014 qu’aucune procédure judiciaire n’a été engagée, à sa connaissance, sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.
Votre rapporteur considère donc que la proposition de résolution répond aux conditions posées tant par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, que par les articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale.
L’édition 2013 de l’enquête sur l’expatriation des Français, menée par le ministère des Affaires étrangères, rappelle que plus de 1,6 million de personnes sont inscrites au registre national des Français établis hors de France. L’inscription y est facultative : selon les services consulaires, jusqu’à 2 millions de Français pourraient en fait être installés à l’étranger, sans que des données plus précises puissent être exploitées.
Cependant, le nombre de Français inscrits sur ce registre était d’environ un million en 2001. On observe donc une croissance annuelle soutenue de l’expatriation, estimée entre 3 % et 4 % au cours des dix dernières années – pourcentage qui peut être comparé à la croissance de la population française, de 0,6 % par an en moyenne.
L’expatriation est un phénomène ancien et courant dans les sociétés développées, en particulier à l’âge de la mondialisation. Dans ce contexte, la France connaît traditionnellement, en volume, moins d’expatriés que l’Allemagne (4,2 millions) ou le Royaume-Uni (4,6 millions). Néanmoins, lorsque les Français qui quittent durablement le territoire paraissent être de plus en plus nombreux, il faut se poser la question de la limite entre ce qui relève de la conséquence naturelle d’une plus grande interconnexion des pays, et ce qui relève d’une perte d’attractivité du territoire, phénomène autrement plus grave, et potentiellement irréversible.
Car le regard porté sur l’expatriation, comme le profil des Français qui partent, ont évolué ces dernières années, dans un contexte marqué par la morosité économique. Les faibles perspectives d’emploi contraignent les jeunes à trouver une alternative à l’étranger ; la croissance atone décourage les entrepreneurs et fragilise le lancement de start-ups qui ne trouvent pas d’investisseurs en France ; le taux d’imposition historiquement haut des ménages comme des entreprises peut pousser à la délocalisation de sièges sociaux ou à l’exil fiscal.
2. La perception d’une perte d’attractivité du territoire français, si elle est fondée, doit pouvoir être mesurée de manière tangible
À l’heure actuelle, les lacunes de notre appareil statistique et le manque d’enquêtes approfondies ne permettent pas de corroborer à la fois l’ampleur et les raisons qui poussent à l’exil des forces vives hors de France. Deux sources statistiques principales existent aujourd’hui : les données du ministère des Affaires étrangères, comme le registre mondial des Français établis hors de France, déjà évoqué, et l’enquête sur l’expatriation des Français ; les données relatives aux migrations internationales de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui comportent des éléments qualificatifs pertinents comme le niveau de diplôme et la situation professionnelle. Cependant, elle n’est mise à jour que tous les cinq ans. En outre, une étude récente de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) (1) entreprend de mieux cerner les évolutions récentes de l’expatriation des Français, et apporte des éclairages qualitatifs utiles au sujet.
Malgré ces quelques sources, il est particulièrement délicat de mesurer, de manière transversale, l’évolution de l’expatriation sur une période récente (2004-2014), de confirmer son éventuelle accélération, d’identifier, en menant des comparaisons internationales, les facteurs propres à la France dans le choix de quitter le territoire national. De même, faute de données qualitatives suffisantes, il est difficile d’appréhender si la question du retour se pose ou non, pour chaque expatrié, et à quelle échéance. Un exemple relevé par l’étude précitée de la CCIP concerne le cas des couples d’expatriés, de plus en plus souvent composé de deux actifs, dont les perspectives professionnelles doivent s’accorder avant d’envisager le retour en France.
B. LA NÉCESSITÉ D’ANALYSER LES DÉTERMINANTS DE CET EXIL AINSI QUE SES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES JUSTIFIE LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE
L’expatriation de contribuables et d’entreprises hors du territoire français, au regard de ses enjeux pour le dynamisme futur de notre pays, doit être mieux analysée, dans ses différents aspects. Plusieurs axes de réflexion peuvent d’ores et déjà être esquissés, dans les domaines fiscal, économique mais aussi socio-économique et générationnel.
Le départ hors de France de contribuables et d’entreprises peut être appréhendé en premier lieu sous un angle fiscal, en ce que le poids de la fiscalité française et son substantiel alourdissement au cours des deux dernières années peuvent constituer un facteur décisif de l’expatriation des forces vives nationales. La question fiscale doit être prise en compte aussi bien en amont, en tant que motif d’expatriation, qu’en aval, s’agissant de l’incidence sur les recettes fiscales de l’État français de ces départs.
Au cours des derniers mois, de multiples articles de presse et ouvrages ont été consacrés au sujet de l’exil fiscal, notamment à l’occasion du départ de personnalités du monde du spectacle et de l’économie. Pour autant, l’analyse du phénomène et sa quantification s’avèrent lacunaires, au-delà des anecdotes et des cas particuliers. C’est à ce travail de fond, avec pour base les premières données recueillies au cours des derniers mois, que la commission d’enquête devra s’attacher.
À la fin de l’année 2012, le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, M. Gilles Carrez, avait en effet fait adopter un amendement en dernière loi de finances rectificative pour 2012 (2), demandant au Gouvernement de remettre chaque année au Parlement un « rapport lui permettant de suivre l'évolution des départs et retours de contribuables français ainsi que l'évolution du nombre de résidents fiscaux. » À son initiative, la commission des finances a également procédé, au début de l’année 2013, à l’audition du directeur général des finances publiques, puis à celle d’avocats fiscalistes, afin de mieux appréhender le phénomène. À cette occasion, la commission des finances avait pu constater la difficulté à obtenir des données statistiques auprès de l’administration fiscale, le directeur général des finances publiques ayant alors souligné que « le contraste [était] grand entre ce qu’on lit dans les journaux, ou ce que l’on entend dans les dîners en ville, et la pauvreté de nos statistiques. Notre appareil statistique n’est pas inexistant, mais les données sont connues de façon très tardive, et elles sont extrêmement partielles. »
Les données disponibles ont ensuite été étoffées par le rapport remis en janvier 2014 (3), en application de la loi de finances rectificative pour 2012 précitée, autour de trois indicateurs : outre le nombre de départs et de retours des redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), traditionnellement retenu pour apprécier l’exil fiscal, est également détaillé le nombre de redevables de l’exit tax, c’est-à-dire de l’imposition des plus-values latentes applicables pour les contribuables transférant leur domicile fiscal hors de France4. Enfin, élément nouveau, le rapport présente l’évolution du nombre de départs de redevables de l’impôt sur le revenu, en fournissant des données sur le montant de leurs revenus annuels, ainsi que sur leur âge et leur destination.
Selon ce rapport, le nombre de départs de redevables de l’ISF est resté stable entre 2006 et 2011, autour d’environ 500 par an, après une augmentation constatée entre 2002 et 2006. Quant à l’exit tax, entre le 3 mars 2011 et le 30 avril 2013, 278 déclarations ont été déposées, dont un tiers environ dans l’Espace économique européen (EEE) et deux tiers hors de l’EEE, et elles représentent 2,3 milliards d’euros de plus-values.
Enfin, s’agissant de l’impôt sur le revenu, les départs de contribuables assujettis étaient stables entre 2007 et 2009, à environ 26 000 par an, mais ils ont augmenté en 2011, avec 35 077 départs (soit une augmentation de près de 35 %). Le rapport fournit également des données qualitatives sur ces contribuables quittant la France ; par exemple, les partants sont beaucoup plus jeunes que les redevables de l’impôt sur le revenu dans leur ensemble. Les salaires les plus élevés sont perçus par les partants pour le Royaume-Uni ou les États-Unis, tandis que les revenus de capitaux mobiliers et les revenus fonciers les plus élevés sont perçus par les partants pour la Belgique.
Ces données permettent de disposer d’une première mesure de l’ampleur du phénomène. Toutefois, elles ne sont disponibles que jusqu’en 2011, du fait notamment des délais de traitement des données fiscales : il serait donc utile de disposer d’éléments plus actualisés. Par ailleurs, des manques subsistent dans certains domaines, notamment pour les destinations de départ des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu, pour la définition du profil des expatriés et des raisons de leur départ, tandis que les retours de contribuables redevables de l’impôt sur le revenu sur le territoire français ne sont pas quantifiés pour l’heure. Il est donc nécessaire de poursuivre ces travaux et d’affiner ces indicateurs.
Trois situations sont à prendre en compte lorsqu’on évoque l’exil de la décision économique hors de France :
– la délocalisation de sièges sociaux ou de comités de direction de grandes entreprises françaises ;
– le choix d’entrepreneurs français de créer leur entreprise hors de France ;
– la difficulté des entreprises situées en France d’attirer des managers internationaux de haut niveau.
En premier lieu, la délocalisation d’un siège social est un choix stratégique qui peut être pris dans un univers économique mondialisé. Qu’elle touche le déplacement du management exécutif ou le lieu d’implantation de la holding de l’entreprise, cette décision a des conséquences économiques et fiscales importantes pour le territoire de départ, et s’avère difficilement réversible.
Elle se traduit par des recettes fiscales moindres et par des départs collatéraux d’activités qui doivent rester proches du centre de décision (les activités de conseil ou de recrutement stratégique, par exemple). Plus largement, la délocalisation de sièges sociaux se traduit par une perte d’influence économique à moyen terme. C’est pourquoi l’ensemble des facteurs, notamment fiscaux, qui peuvent motiver un tel choix doivent être mieux cernés, afin que des décisions adéquates puissent être prises.
En second lieu, les entrepreneurs qui souhaitent créer leur entreprise hors de France sont de plus en plus nombreux. En 2013, près de deux Français sur dix partis à l’étranger sont des créateurs d’entreprise, contre un sur dix en 2003. L’influence de l’attractivité du territoire français dans le choix de ne pas y créer son entreprise doit être évaluée avec justesse. Certes, des entreprises françaises à l’étranger peuvent avoir pour objet de répondre à une demande spécifique (créer sa boulangerie à Londres, par exemple) ou d’explorer un marché. Mais le manque de souplesse de l’environnement économique et administratif français, par contraste avec la situation chez nos principaux partenaires (Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis), peut constituer une bonne raison de partir, surtout pour des start-ups qui ont besoin d’un climat économique favorable. Or la réforme de l’imposition des plus-values mobilières à l’automne 2012, qui a entraîné la fronde des « pigeons », suivie d’une nouvelle modification du régime fiscal applicable à l’automne 2013, a illustré l’instabilité et le manque de lisibilité de la norme fiscale pour les créateurs d’entreprise. De même, certains entrepreneurs peuvent éprouver le sentiment que la France est moins tolérante à l’égard de l’échec que d’autres pays, comme les États-Unis, où la relation à l’initiative individuelle (soutien des business angels, encouragement de toute idée innovante dans des hubs) est propice à la création d’entreprise et aux secondes chances.
L’enjeu est d’importance pour la France : le départ des entrepreneurs est souvent durable. Il entraîne une moindre croissance, une perte de capital humain, car ces entrepreneurs sont bien formés en France, une perte de valeur ajoutée et d’innovation, et enfin une perte d’emplois qui auraient pu être créés sur le territoire.
En dernier lieu, au sein des grands groupes internationaux, les cadres supérieurs sont amenés à occuper des postes dans les différentes capitales, de Londres à New York, en passant par Hong-Kong. Paris est en concurrence avec les grandes capitales mondiales pour attirer les meilleurs profils et en faire, in fine, des forces vives de l’économie française.
Or il semble que le déroulement des carrières internationales de ces cadres ne passe plus nécessairement par Paris, du fait de la difficulté à attirer de tels cadres dans notre pays. Parmi les différents arguments qui permettent de convaincre ces cadres internationaux, l’attractivité du territoire a un poids décisif, et peut faire basculer un recrutement.
3. L’exil générationnel : perspectives de formation et d’emploi pour les jeunes, perspectives de qualité de vie et de pouvoir d’achat pour les seniors
Selon le baromètre 2014 de l’humeur des jeunes diplômés (5), publié par l’Ifop et Deloitte, la situation économique en France joue un rôle capital dans le regard que portent ces jeunes sur l’éventualité de quitter durablement le territoire français.
Ainsi, si seulement 8 % des jeunes diplômés ayant un emploi envisagent de partir travailler à l’étranger, c’est le cas de 27 % de ceux qui sont en recherche d’emploi. Ils n’étaient que 13 % en 2012. Or, parallèlement, ces jeunes évaluent de façon plus pessimiste leurs chances de trouver un emploi en France dans les six mois, ce qui semble faire de l’expatriation un recours pour s’échapper de la morosité du marché du travail français.
On évoque couramment ce phénomène d’expatriation sous l’expression de « fuite des cerveaux » : les diplômés du 3ème cycle ou des grandes écoles sont surreprésentés parmi les jeunes Français partis à l’étranger. Néanmoins, il convient sans doute d’observer dans la situation actuelle un phénomène plus général, voire générationnel, qui touche l’ensemble des jeunes : la moitié de ceux qui choisissent de partir ont un niveau licence ou moins. L’étude de la CCIP (6) a ainsi pu relever parmi les motivations des jeunes au départ les meilleures perspectives de rémunération, une moindre sélectivité des employeurs par rapport au diplôme, des carrières qui se font souvent plus rapidement, ou encore le moindre poids de la hiérarchie.
Pourtant, les jeunes diplômés qui se tournent vers l’international représentent un atout pour la France. Ils y acquièrent une expérience professionnelle, une culture des relations de travail, des compétences spécifiques qui constituent une véritable valeur ajoutée lors de leur retour sur notre territoire. Ces jeunes sont également les ambassadeurs de leur pays à l’étranger : ils illustrent la qualité de notre système éducatif et sont les vecteurs de l’attractivité de la France au-delà de ses frontières. La France a ainsi largement contribué au succès du programme Erasmus : les jeunes Français sont parmi les plus nombreux en Europe à partir étudier à l’étranger. Sa réforme, Erasmus+, va permettre de viser un public plus large – jeunes en formation professionnelle ou en situation d’apprentissage –, dont la France devrait tirer parti.
Le problème de l’expatriation des jeunes repose donc, non sur leur mobilité internationale, qu’il faut valoriser, mais sur la difficulté, pour eux, d’envisager leur retour en France. Selon le baromètre Deloitte-Ifop, plus du quart (28 %) des jeunes diplômés en recherche d’emploi envisagent de quitter la France pour toute la durée de leur carrière. S’ils s’exilent durablement, voire définitivement, du territoire français, c’est qu’ils ne trouvent pas de bonnes raisons d’y revenir. L'ampleur du chômage des jeunes, le risque de déqualification professionnelle liée à l’érosion de la valeur des diplômes, ou encore les rigidités du modèle français (hiérarchies très verticales, faibles perspectives de carrière) sont les raisons qui expliquent cet exil subi.
Le facteur « générationnel » dans le choix de quitter durablement la France n’est pas seulement pertinent pour les jeunes. Depuis plusieurs années, les seniors sont de plus en plus nombreux à s’installer à l’étranger pour y vivre leur retraite. Plus de 200 000 Français de plus de 65 ans vivraient actuellement à l’étranger, soit environ 15 % de l’ensemble des expatriés. S’il est difficile de fournir une évolution chiffrée plus précise, un bon indicateur de l’accélération de cette expatriation se trouve dans le nombre d’adhérents âgés de la Caisse des Français de l’étranger, qui offre un régime de sécurité sociale aux expatriés, nombre en croissance continue.
Le poids économique des retraités, notamment en matière d’investissements financiers et immobiliers, mais également leur importance dans le lien social – ils sont au cœur des solidarités familiales –, justifient qu’ils ne soient pas écartés d’une enquête portant sur l’exil des forces vives hors de France.
Les raisons du choix de vivre sa retraite à l’étranger sont nombreuses : un meilleur niveau de vie à partir de pensions parfois modestes, un statut fiscal favorable, voire incitatif – au Maroc ou en Tunisie, des possibilités d’abattement fiscal de plus de 40 % existent pour les retraités français –, ou encore des conditions climatiques plus agréables. L’Espagne, le Portugal et les pays du Maghreb constituent les destinations privilégiées par les retraités, avant des pays plus éloignés (Thaïlande et Vietnam). Au Maroc en particulier, la communauté française est la première communauté étrangère, et les retraités français sont un marché à part entière, en matière d’offre immobilière ou de services à la personne, jusqu’à la construction de villages de retraités.
*
Le rapporteur estime donc que la présente proposition de résolution est juridiquement recevable, et que le sujet de l’exil des forces vives nationales justifie pleinement, au vu de ses enjeux pour l’avenir de notre pays, la création d’une commission d’enquête, afin de réaliser un état des lieux précis et exhaustif et de formuler des propositions.
La Commission a procédé à l’examen de la présente proposition de résolution au cours de sa séance du mardi 8 avril 2014.
M. le président Gilles Carrez. Avant de donner la parole à notre rapporteur, je tiens à signaler que le Gouvernement a transmis, il y a quelques semaines, un rapport très important sur les départs des contribuables hors de France. Ce document nous sera désormais communiqué chaque année au moment de l’examen du projet de la loi de finances rectificative de fin d’année. C’est un bon rapport qui aborde un des aspects de la problématique qui nous intéresse aujourd’hui. Je vous invite à le lire.
M. Luc Chatel, rapporteur. Le sujet de l’expatriation hors de France de jeunes diplômés, d’entrepreneurs et d’entreprises, d’artistes, de contribuables qui s’en vont s’installer en Belgique, en Suisse ou au Royaume-Uni occupe très régulièrement les colonnes de la presse nationale. Mon collègue Marc Le Fur me montrait d’ailleurs, tout à l’heure, la une du journal Ouest-France consacrée à ce sujet. Je constate que les enjeux sont importants pour notre pays mais que néanmoins ce phénomène reste mal connu, ce qui justifie ainsi pleinement la création d’une commission d’enquête.
Dans le contexte de la mondialisation le sujet de l’expatriation, notamment de nos jeunes diplômés, n’est pas en soi un problème pour notre pays. C’est en effet un mouvement dont nous devons nous féliciter, nos jeunes doivent partir à la conquête du monde et en revenir riches d’expériences. D’ailleurs, comme le relève la Chambre de commerce et d’industrie de Paris dans le rapport qu’elle vient de publier sur le sujet, la part de la population expatriée s’avère moindre en France que chez nos partenaires européens.
Il faut donc faire la part des choses entre cette expatriation positive dans un contexte de mondialisation et un aspect beaucoup plus négatif sur lequel nous souhaitons nous pencher et qui serait lié à une perte d’attractivité de notre territoire qui ne favoriserait pas suffisamment l’innovation, la création d’entreprises et le développement économique au sens large. Ce deuxième aspect pourrait être fort dommageable pour notre pays. Il ne s’agit pas de céder aux polémiques mais bien de comprendre les ressorts de ce phénomène, d’en décrire les tendances de fonds. Je souhaiterais travailler dans les meilleures conditions possibles, en dépassant nos différentes sensibilités politiques, sur un sujet aussi important pour notre économie.
Toutes les conditions permettant la création d’une commission d’enquête selon notre règlement sont réunies : aucune mission d’information, ni aucune commission d'enquête n’a été créée au cours des douze derniers mois. De plus, la garde des sceaux nous a indiqué qu’il n’y avait aucune procédure judiciaire en cours sur les faits sur lequels nous souhaitons enquêter.
Le travail de la commission d’enquête que je propose de créer devrait s’articuler autour de trois axes.
Premièrement, ses travaux devraient porter sur la question de l’exil fiscal. Le poids et l’instabilité de la fiscalité française poussent en effet un certain nombre de nos compatriotes à s’exiler vers la Belgique, la Suisse, et le Royaume-Uni. C’est un phénomène qu’il est particulièrement difficile à appréhender. Le Directeur général des finances publiques, M. Bruno Bézard, l’avait d’ailleurs souligné lors de son audition devant la commission des Finances il y a quelques mois. Comme vient de l’indiquer le Président de la commission des Finances, un rapport nous a été transmis pour la première fois sur cette thématique en se concentrant notamment sur les contribuables éligibles à l’impôt de solidarité sur la fortune et en offrant un premier bilan sur l’application de l’exit tax. Ce rapport, résultant d’un amendement de M. Gilles Carrez, propose des données intéressantes mais pas forcément exhaustives. Notre travail devait permettre de poursuivre ce travail, d’évaluer et d’analyser l’exil fiscal mais je ne voudrais pas que ce point constitue le cœur du travail de cette commission d’enquête.
Le deuxième point sur lequel devrait travailler la commission d’enquête concerne la question de l’expatriation des activités économiques, des centres de décision, ainsi que de ses acteurs. La délocalisation de groupes qui avaient leur siège en France et qui se repositionnent est une source d’inquiétude, tout comme le choix de nombreux entrepreneurs français de développer leur activité hors de notre territoire en raison d’un climat défavorable et d’un manque de souplesse administrative, notamment pour les start-up comme l’a prouvé il y a peu le mouvement des « pigeons ». Ces expatriations, qui sont difficilement réversibles, peuvent avoir de lourdes conséquences pour notre économie. Elles ont en effet un impact direct mais également indirect sur notre économie, puisqu’elles affectent de nombreuses activités induites notamment en ce qui concerne les externalisations ou le domaine des services aux entreprises. Le manque à gagner peut s’avérer considérable pour notre pays. L’instabilité de notre fiscalité a des effets indéniables sur la création d’entreprises en France, induisant une perte de richesse et de capital humain. Enfin, nous constatons une dégradation de l’attractivité de notre pays pour les grandes entreprises internationales qui ont de plus en plus de mal à faire venir en France des cadres britanniques et des cadres américains. Ce phénomène s’est aggravé ces dernières années.
Le troisième et dernier axe concerne les enjeux générationnels des forces vives de la nation. Comme cela a déjà été dit l’exil de nos jeunes diplômés est une chance. Les études à l’étranger leur permettent de croiser leur culture avec d’autres, la banalisation de ces mouvements vers l’international est un bon point pour notre économie, car ils renforcent le bagage de nos jeunes diplômés. En revanche, nous devons nous inquiéter de ces mouvements, si les jeunes exilés ne reviennent pas vers le territoire national. Ce phénomène ne concerne pas uniquement les plus diplômés, il touche également les diplômés ayant un niveau bac+ 3 ou un niveau inférieur. L’exil est une option intéressante pour ces jeunes car les salaires sont souvent plus élevés à l’étranger et les opportunités professionnelles plus nombreuses.
Voilà donc les trois axes sur lesquels je propose que la commission d’enquête devra travailler.
Il ne s’agira pas uniquement de décrire le phénomène mais également d’y apporter des remèdes. C’est un sujet d’une très grande importance pour l’avenir de notre pays, quelles que soient nos sensibilités. Nous avons intérêt à y travailler de manière collective, non polémique, et c’est la raison pour laquelle j’ai tenu à ce que nos réflexions portent sur une période de dix ans, donc depuis 2004. Les phénomènes qui nous intéressent se déploient dans le temps et ne pourront même s’inverser que dans le temps également. Nous devrons y faire attention dans les propositions que nous serons à même de formuler.
M. le président Gilles Carrez: Merci M. le Rapporteur. Je salue le souci d’objectivité que vous avez exprimé. C’est un sujet d’une extrême importance, dont se sont emparés les médias comme vous le signaliez, parfois par le biais de témoignages partiels. La volonté de travailler sur une période longue d’une part, et d’aborder l’ensemble des aspects, pas uniquement fiscal, du phénomène d’autre part, sera un gage de qualité des travaux de la commission d’enquête. Sur le simple aspect fiscal, le rapport qui nous a été transmis démontre qu’il est possible d’établir des données objectives, permettant une meilleure appréhension du phénomène. À ce propos, nous devrions avoir les chiffres pour 2012 très rapidement, comme s’y était engagé M. Cazeneuve.
M. Dominique Lefèvre. Merci M. le Président. M. le Rapporteur, mes chers collègues, nous ne nous opposerons pas à la création de cette commission d’enquête dont nous vous laissons l’entière responsabilité. La tradition républicaine l’exige, tout comme la nécessité de remettre à plat un sujet qui est abordé de façon partielle et partiale, l’intitulé de la proposition de résolution le prouve. Votre exposé des motifs est fondé sur l’idée que le départ de Français pour l’étranger est un phénomène négatif pour notre pays. Il conviendra d’examiner au fond ce présupposé, et d’analyser objectivement les retombées de ces expatriations pour notre pays. La supposée aggravation du phénomène devra également faire l’objet d’une attention particulière. Sur ce point, je me félicite du choix de retenir une période longue, même si le point de départ aurait pu être fixé à 2002. En effet, si le phénomène est aussi grave et continu, peut-être qu’une commission d’enquête créée sous la précédente majorité aurait également trouvé son utilité. Pour notre part, nous ne disposons pas d’élément prouvant l’aggravation de l’émigration des Français. Au contraire, la population inscrite au registre des Français établis hors de France n’a augmenté en 2012 que d’un seul point, en deçà de l’augmentation régulièrement constatée de quatre points. En 2011, ce chiffre avait augmenté de six points. Qu’ils s’agissent d’étudiants, d’entrepreneurs, de cadres, ou d’exil purement fiscal, au sujet duquel le Gouvernement fait preuve d’une très grande transparence, aucun élément ne permet actuellement de soutenir la thèse sous-jacente à cette résolution. La commission d’enquête devra donc au mieux éliminer ce qui pourrait être qualifié de « fantasmes », au pire mettre fin à certains inquiétants discours d’autodénigrement systématique.
M. Marc Le Fur. Je souscris tout à fait à la décision d’engager un travail sur ce sujet. Je retiens des propos du rapporteur que le sujet de l’exil fiscal, certes primordial, n’est pas le seul. De très nombreux jeunes aspirent à une certaine aventure et s’éloignent de notre société qu’ils considèrent comme corsetée et trop réglementée. Pour la région dont je suis issu, la traversée de la Manche est une réalité et certainement pas un fantasme. Par ailleurs, il faudra étudier la manière dont certains pays organisent l’accueil de ressortissants étrangers, voire le suscite. La concurrence fiscale est légitime, mais ses excès doivent être évités. Nous connaissions le schéma irlandais en matière d’impôt sur les sociétés, et nous découvrons dans la presse l’existence d’un schéma portugais en matière d’impôt sur le revenu. Ce sujet mérite une importante réflexion. Enfin, nous devons être capables de transformer les départs momentanés en une chance pour notre pays. Les personnes de retour en France sont souvent porteuses d’expériences, d’ouverture, et reviennent en possession de nombreux réseaux et contacts. Le lien avec la France n’est d’ailleurs jamais vraiment rompu grâce à l’utilisation des nouvelles technologies. Nous devons être conscients de ces éléments très positifs.
M. Pascal Terrasse. Je pense que nos débats vont dans la bonne direction. Il est loin le temps où le journal télévisé s’ouvrait par l’exil fiscal d’une coiffeuse de l’Ardèche vers Londres, comme ce fut le cas en 1999, alors que dix-huit mois plus tard celle-ci était rentrée sans que cela ne se soit su. En vérité, nous vivons une période d’intense globalisation, et la France n’est pas culturellement un pays d’émigration. Pour beaucoup de pays européen au contraire, l’idée d’expatriation est beaucoup plus ancrée parmi les populations, et pas uniquement pour des raisons économiques. Certains États comme la Chine ou les pays arabes mettent en place une véritable politique d’expatriation de leurs ressortissants, en lien avec leurs politiques d’exportations. Cette commission d’enquête doit donc se donner les moyens d’analyser l’action des États étrangers, notamment européens, qui parfois mettent en place des politique d’accueil fiscal à bas coût, pour les entreprises comme pour les personnes physiques : nous avons parlé de l’Irlande et du Portugal. En dehors de l’Europe, le Maroc est également en train de prendre cette direction. Pour conclure, nous devons être prudents dans la présentation de nos travaux, et veiller à ne pas faire preuve de repli sur nous-même à l’approche des élections européennes.
M. Claude Goasguen. Je tiens tout d’abord à signaler que l’augmentation du nombre d’inscrits au registre des Français établis hors de France en 2011 était due à des motivations uniquement électorales. Au-delà, je pense qu’il existe une vraie contradiction entre la réelle attractivité de la France pour les étrangers, notamment les étudiants, et la moindre attractivité de la France pour ses propres ressortissants. Les universités françaises mettent en avant leurs atouts pour attirer des étudiants étrangers, mais paradoxalement il y a de moins en moins de Français dans nos établissements. Nous devrons examiner sérieusement ce paradoxe.
M. Régis Juanico. Le groupe UMP a souhaité recourir à une commission d’enquête sur l’exil des forces vives de la nation. Il existe aujourd’hui de nombreux indicateurs et beaucoup d’études sur le sujet. Même s’ils doivent certainement être améliorés, nous possédons déjà des documents très précis. Une mission d’information parlementaire aurait peut-être été un support plus adapté à nos travaux. Sur le fond, je souhaiterais évoquer l’exil des jeunes français. Une étude du laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques a été publiée en mars sur le sujet. Elle nous apprend qu’il n’existe pas de fuite massive des personnes les plus qualifiées de notre pays, tout au plus une légère hausse. Cette étude fournit trois éléments face à ce constat. Premièrement, cette hausse est beaucoup plus faible que dans d’autres pays de l’OCDE, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. Deuxièmement, cette légère hausse est liée à la hausse du nombre de diplômés, à la baisse du coût de l’expatriation, et au développement des dispositifs de mobilité géographique. Je signale que les crédits d’Erasmus vont être augmentés de 40 % sur la période 2014-2020, et étendus aux jeunes moins diplômés. Troisièmement, l’étude précitée indique qu’un jeune expatrié sur deux envisage un retour en France dans les cinq ans. Même si cela reste à vérifier, je tenais à donner ces appréciations afin de montrer la nécessité de relativiser les constats que pourra faire la commission d’enquête. Nous sommes tous attachés à faire vivre une citoyenneté européenne et à favoriser les échanges entre pays. Il n’est donc pas anormal d’être amené à vivre temporairement à l’étranger au cours de son cursus universitaire ou de sa carrière professionnelle.
M. Alain Fauré. Je partage les propos de mon collègue Régis Juanico. Nous devons nous féliciter du départ des jeunes vers l’étranger car c’est pour eux l’occasion de s’enrichir, d’apprendre une langue étrangère – domaine dans lequel les Français n’excellent pas particulièrement. C’est aussi pour eux l’occasion de tisser des réseaux. Nous devons accompagner et encourager ces mouvements et ne pas nous en inquiéter. En revanche, je suis beaucoup plus circonspects en ce qui concerne l’exil des retraités, qui après avoir travaillé en France, souhaitent s’installer à l’étranger pour dépenser leur argent dans un pays fiscalement plus intéressant. Il serait utile de pointer ce mauvais comportement citoyen. Il est louable de vouloir voyager. En revanche vouloir dépenser sa pension de retraite dans un pays étranger à la fiscalité privilégiée l’est beaucoup moins. La commission d’enquête devrait également se pencher sur ce point.
M. Charles de Courson. L’analyse des causes semble manquer dans le texte qui nous est présenté. Il faut se demander pourquoi ces gens souhaitent s’exiler. Et les retraités ne sont pas les seuls concernés. Il n’y a jamais eu aucune étude sur le sujet portant sur un échantillon important d’exilés – 1 000 ou 10 000 personnes – pour analyser correctement leurs motivations. Il sera difficile de trouver des remèdes sans connaître les véritables causes.
M. le rapporteur. Oui, c’est une bonne chose que les Français partent vivre des expériences à l’étranger dans le cadre de leurs études et de leur vie professionnelle. Mais le but de cette commission d’enquête est de comprendre pourquoi ils ne reviennent pas en France, pour quelles raisons ce phénomène s’intensifie ces dernières années et pourquoi, de nos jours, la France apparaît de moins en moins attractive vue de l’étranger. En ce qui concerne les comportements citoyens, je ne cherche pas à porter de jugements, je souhaite analyser les causes dans un premier temps pour ensuite pouvoir trouver des remèdes.
La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution.
Article unique
La Commission est saisie de l’amendement rédactionnel CF 1 du rapporteur.
M. le rapporteur. Je souhaiterais que le nombre de membres de la commission d’enquête soit de trente membres, ce qui constitue le plafond autorisé par notre règlement.
La Commission adopte l’amendement.
La Commission examine ensuite l’amendement CF 2 du rapporteur.
M. le rapporteur. Comme indiqué dans ma présentation, le but est d’élargir le champ de nos travaux et de ne pas nous limiter à l’aspect uniquement fiscal.
La Commission adopte l’amendement, puis l’amendement de précision CF 3 du rapporteur.
Elle adopte ensuite la proposition de résolution modifiée.
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Texte de la proposition de résolution ___ |
Texte adopté par la Commission ___ |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUR L’EXIL DES FORCES VIVES DE FRANCE. |
PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUR L’EXIL DES FORCES VIVES DE FRANCE. |
Article unique |
Article unique |
En application des articles 137 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France, visant à : |
En application des articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres sur l’exil des forces vives de France, visant à : amendement CF-1 |
– Proposer une analyse chiffrée de l’exil fiscal et de l’expatriation des entreprises et des contribuables. Il s’agira de mesurer tant l’exil patrimonial, que l’exil des talents (créateurs d’entreprise, investisseurs, etc.) en France depuis dix ans. |
– Proposer… amendements CF- 2 et CF- 3 |
– Analyser les conséquences économiques et politiques de ce phénomène. La commission d’enquête s’attachera à démontrer quels sont les autres effets induits par l’environnement économique défavorable sévissant en France : chute des créations d’entreprises, délocalisation de sièges sociaux et de centres de décision importants, perte d’influence politique pour la France tant au niveau européen que mondial, etc. |
(Alinéa sans modification) |
– Formuler des propositions pour rendre à la France son attractivité et son dynamisme économique. La commission d’enquête montrera quelles mesures d’urgence et de plus long terme pourraient inverser la tendance et rendre à la France son attractivité pour y attirer de nouveau des entreprises, des capitaux et des talents étrangers. Elle formulera des propositions tendant à instaurer un environnement plus favorable en France notamment sur le plan de la fiscalité et des réglementations. |
(Alinéa sans modification) |